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tav falco

  • CHRONIQUES DE POURPRE 705 : KR'TNT ! 705 : TAV FALCO / FORTY FEET TALL / VIVIAN PRINCE / BOB STANLEY / GREENHORNES / AEPHANEMER / CLAIRE HINKLE / AC SAPPHIRE / ELVIS PRESLEY / GENE VINCENT + GRAHAM FENTON

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 705

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 10 / 2025

     

    TAV FALCO / FORTY FEET TALL

    VIVIAN PRINCE / BOB STANLEY

       GREENHORNES /AEPHANEMER 

    CLAIRE HINKLE / AC SAPPHIRE   

    ELVIS PRESLEY

        GENE VINCENT +  GRAHAM FENTON

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 705

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

    - Tav & ses octaves (Part Five)

     

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             Oh ! Une page sur Tav Falco dans Uncut ! Ça par exemple ! Il existe encore un canard qui sait faire son boulot ? La preuve en est. Une page, bon c’est pas grand chose, mais c’est déjà mieux que le que-dalle dont nous gratifient les zautres zozos. C’est tout de même dingue que les canards n’aient aucune considération pour des artistes aussi capitaux à notre époque que Wild Billy Childish ou Tav Falco. On vit dans ce monde et il faut faire avec.

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             La petite Fiona Shepherd n’y va pas de main morte : «Philadelphia-born, Arkansas-raised, Memphis-bred and now Bangkok-based, the pompadoured polymath has rubbed creative shoulders with producer Sam Phillips, artist Jean-Michel Basquiat, photographer William Eggleston and filmmaker Kenneth Anger in his time.» Voilà qui définit bien cet apôtre de Fantômas, désormais coquet Bangkokais. Tous ceux qui suivent Tav depuis le Magnolia Curtain savent qu’il s’enracine à la fois dans le rock et la littérature, ou pour le dire autrement, dans l’art et le mythe. La petite Fiona qui a bien révisé ses leçons établit très vite le lien avec l’autre mamelle de la modernité Memphistophélique, Alex Chilton, et donc la formation de The Unapproachable Panther Burns - a mix of strutting blues, blasting rockabilly, crooner cover and Argentine tango - et pouf, elle rappelle que Tav danse parfois le tango sur scène. Puis elle en vient au fait : la parution de Desire On Ice, un ambitious retooling de ten songs from his back catalogue, avec une sacrée guest-list de friends and fans : et les voilà dit-elle qui font la queue for the cool cat’s garment. Elle ajoute que Tav chante désormais avec un weathered Harry Dean Stanton-like timbre.

             Petite cerise sur le gâtö, Tav répond à quelques questions, l’occasion pour les affidés de renouer avec sa langue si somptueusement singulière. Quand on lui demande comment il a sélectionné les 10 cuts de Desire, il répond : «Desire On Ice explores thematic areas and seeks to define and heighten collusion with our audience who have also evolved.» Puis la question porte sur le choix des invités, et là, Tav s’en donne à cœur joie : «Charlie Musselwhite tactily understands how I came to the experimental from the traditional. All I do with clichés is rub them together until they explode. Bobby Gillespire has expressed a certain kindship with our stance in not allowing professionalism, media market constraints nor vistuosity to get in the way of hurling ourselves into the future.» Puis la petite souris lui demande comment se passe la vie à Bangkok et là notre coquet Bangkokais exulte : «South of Bangkok on Wong Arnat Beach is where I hang my hat. Here, under the clement skies of the Royal Kingdom of Siam, I can ride my motorbike everyday - that and jumping in the ocean to blow off some steam.» Elle termine sur le tango et Tav lui balance ça : «Tango is an addiction. There is a milonga in Bangkok where I dance.»   

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             Le Desire On Ice qui nous tombe du ciel ressemble plus à un carnet mondain qu’à un album de rock. On y retrouve toutes les légendes de l’Ouest, Kid Congo, le Reverend Horton Heat, Chris Spedding, Jon Spencer, Charlie Musselwhite, Bubba Feathers, Bobby Gillepsie, Boz Boorer et des tas d’autres. Tav recycle ses vieux classiques et on tombe immédiatement sous le charme de son vieux «Gentleman In Black». Il chante d’une voix fatiguée, mais t’as le beat des reins derrière, c’est-à-dire le Memphis Beat - There is a gentleman in black/ He travels alone - C’est Fantômas in Memphis. Tu retrouves Sped dans «Cuban Rebel Girl» et ça brasille aussi sec de génie sonique. Tav mène encore la danse à son âge. Quelle leçon de rock, avec ce dingue de Sped dans le son - Machine gun fire ! Cuban rebel ! - C’est du Memphis beat tentaculaire, maintenu de justesse en laisse. Jon Spencer gratte ses poux dans «Sympathy For Mata Hari», tu l’entends dans le filigrane, il fond son Zebra Ranch raunch dans le génie de Tav. C’est monté sur un drive digne des Cramps. Tu te croirais dans «Miniskirt Blues». Bubba Feathers se fond dans le culte de «Vampire From Havana», et Bobby Gillespie dans celui de «Doomsday Baby» qui sonne un peu comme le Velvet à Memphis. Tout ce mélange finit par donner un album totalement mythique. Puis ça va baisser en intensité, même si avec sa voix de vieux crabe, Tav porte «Crying For More» à ébullition. Pete Molinari duette avec Tav sur «The Ballad Of Rue De La Morgue». Curieux mélange de voix. Ça duette dans les arcanes de la cabane. Petit détour par cette Mitteleuropa chère à Tav avec «Garden Of The Medicis» et on le voit expirer ses exhalaisons de Shan/ Haïïïïïï dans «Lady From Shanghai». Tav Falco est le dernier descendant d’une lignée de prodigieux artistes décadents.

             Le gentleman in black conclut son brillant texte de présentation ainsi : «There are mysteries that should remain mysteries and ought not be looked back upon unless like the musician Orpheus emerging from the underground they became frozen in stone. Rather those mysteries are to be re-envisioned and hurled into the future.» Il adore hurler dans le futur. Il a fait ça toute sa vie.

    Signé : Cazengler, Torve Falcon

    Tav Falco. Desire On Ice. Frenzi 2025

    Fiona Shepherd : Tav Falco. Uncut # 343 - October 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Les fortiches de Forty

     

             N’allez pas croire que l’avenir du rock croise toujours les mêmes erreurs. Ce serait même une grave erreur que d’aller penser ça. Parfois, des erreurs s’amènent au loin et semblent flotter dans l’air comme des fantômes. Dans ces cas-là, l’avenir du rock commence par se pincer pour chasser toute idée d’une hallucination. L’erreur approche. L’avenir du rock le reconnaît :

             — Oh, mais vous zêtes Chucky Chuckah ! Que me vaut le plaisir ?

             — Forty Days !

             — Ouatte ?

             Alors Chucky Chuckah se met de profil et fait le duck walk en chantonnant :

             — I’m gonna give you forty days to get back home/ I’m gonna call up a gypsy woman on the te-le-phone !

             Et il s’éloigne en continuant de faire de duck walk jusqu’au moment où il disparaît à l’horizon.

             Quelques jours passent, et tiens, en voilà un autre. L’erreur flotte lui aussi dans l’air brûlant, alors l’avenir du rock se pince.  

             — Oh, mais vous zêtes Stevie Marriott ! Que me vaut le plaisir ?

             — Forty Days In A Hole !

             — Ouatte ?

             Et là Stevie Marriott se met de profil et fait le duck walk en chantonnant :

             — Chicago green/ Talkin’ bout red libaneeese/ A dirty room/ And a silver cok’ spoon !

             Et il s’éloigne en continuant de faire le duck walk jusqu’au moment où il disparaît à l’horizon.

             Ils sont bien gentils, les erreurs, se dit l’avenir du rock, mais ils n’ont pas l’air de tourner bien rond. Bon en voilà un autre... L’avenir du rock le reconnaît et se pince :

             — Oh, mais vous zêtes Stan Webb de Chicken Shack ! Que me vaut le plaisir ?

             — Forty Blue Fingers !

             Alors Stan Webb se met de profil pour faire le duck walk, mais l’avenir du rock l’arrête immédiatement :

             — J’en ai ras le bol de vos turpitudes ! Si vous voulez du vrai Forty, alors écoutez Forty Feet Tall !

     

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             Il s’appelle Cole Gann, et son groupe Forty Feet Tall. Tyva en confiance. Et t’es pas déçu. Au contraire. Encore un groupe qui brille d’un éclat particulier dans les ténèbres de la cave. Nouveau joyau de l’underground. Des Esseintes aurait adoré l’éclat perverti de ce joyau, le suc concret, l’osmazôme de ce rock. Cole Gann est un kid de Portland, Oregon, qui se tient bien doit derrière son micro avec une gratte en bandoulière, et dès l’entrée en lice, on le sent déterminé à vaincre. Il bouillonne

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    d’une énergie exacerbée qu’il parvient à peine à dominer, ses jambes tremblent alors qu’il hache son chant menu, on sent en lui monter une éruption. Le petit Cole est une bombe atomique en voie de champignonner. On croit voir en lui la réincarnation de l’early Tom Verlaine, il a ce genre de classe et d’absolu sang-froid. Franchement, on est bien content d’assister à cette réincarnation en direct. Mais l’illusion Television ne dure qu’un temps, car Cole et ses amis en pincent plus pour ce que Gildas (hello Gildas) appelait la Post et que les autres appellent le post-punk, un genre musical

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     relativement abandonné de Dieu. Mais Cole adore ça. Le côté dépenaillé, raw to the bone, pas aimable du genre lui va comme un gant. Il s’y prête avec une placidité échevelée, il a tellement d’énergie qu’il surmonte les faiblesses du genre pour se transformer en petite dynamo hors de contrôle. Il déroule ses cuts avec une vélocité véracitaire qui finit par rafler tous les suffrages. À un moment il s’arrête de chanter pour gueuler «Fuck Tromp and free Palestine !». C’est comme s’il mettait le feu à la

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    Sainte-Barbe ! La cave se met à sauter partout. L’underground fait la fête. Tu crois rêver. Tout bascule dans le manège-à-moi-c’est-toi, dans la féerie d’un autre pâté de foi, dans le charivari du Cap Horn, dans le pousse-toi-de-là que-je-m’y-mette, ça fonce au droit-dans-le-mur, vive la vie vive la mort, et notre roi frénétique finira par poser sa gratte pour finir à genoux au beau milieu d’une assistance entrée elle aussi en éruption. Cole est un showman en herbe destiné aux plus hautes fonctions, il a tout les atours d’une superstar de l’underground. Et c’est pas tout : ce petit mec est tellement génial qu’il vient te parler après le concert. Oui, il vient te parler à toi !

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             On ramasse bien sûr leur album au merch, le très post-punk Clean The Cage.

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    En studio, ils sont encore plus exacerbés que sur scène. Ils déploient tout l’arsenal de la Post dès «Centipede» et s’exacerbent encore plus avec le violent «Bicep». Cole Gann splashe partout, il est plein d’hargne salutaire. Tout le balda s’enfonce dans la Post et dans cette exubérance si particulière. Il vise souvent l’hypno invertie, mais ce n’est pas facile. En B, tu vas tomber sur un «Wisdom Teeth» plus éthéré, plus ouvragé. Tu perds toute l’effervescence du set à la cave. Et le «Safer» qui suit est plus groovy, au point de vraiment renouer avec Television. Cole est ses amis remontent au sommet de leur power avec «Paystub», mais on a déjà entendu ça mille et mille fois chez Jesus Lizard, chez les Fire Engines ou chez Protomartyr. Et ça se termine en beauté avec le morceau titre, qui ressemble au champignon atomique de la Post. Ça vibre bien, à condition bien sûr d’en pincer pour la Post. Mieux vaut voir le groupe sur scène.

    Signé : Cazengler, Forty Feet Tare

    Forty Feet Tall. Le Trois Pièces. Rouen (76). 26 septembre 2025

    Forty Feet Tall. Clean The Cage. Le Cepe Records 2025

    Concert Braincrushing

     

     

    Wizards & True Stars

     - Un Prince parmi les princes

     

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             La nouvelle vient de tomber sur nos téléscripteurs : Vivian Prince a cassé sa pipe en bois. Où et à quel âge, tout le monde s’en fout. Par contre, il est essentiel de se souvenir que Vivian Prince fut le premier batteur fou des Pretty Things. En 1964, il était déjà un Prince parmi les princes, enfin, les princes qui nous intéressent. Pour lui rendre un dernier hommage, nous extrayons des Cent Contes Rock un texte qui le met en scène en compagnie de Kim Fowley, PJ Proby, Johnny Dee et Vince Taylor. L’histoire racontée ici s’appuie sur des faits réels, tels que révélés par Kim Fowley.

     

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             Au début des années soixante, Kim Fowley grenouillait déjà dans le music business californien, en tant que producteur indépendant. Il avait à son actif trois hits dans les charts américains, une belle référence. Il rêvait d’entrer dans une grosse maison de disques. Un boss à cigare l’envoya sur les roses, malgré son fantastique palmarès. Kim le prit très mal, mais ce gros porc lui rendit service. Kim jeta ses cravates, ses costumes et ses sourires convenus aux orties. Il se laissa pousser les cheveux et devint un rock’n’roll animal. Il pouvait péter, bander, roter, hurler, cracher tant qu’il voulait. Il décida d’aller baiser des putes à Londres, car c’est à Londres que se jouait l’avenir de l’humanité, en ce printemps 1964.

             Comme de nombreux Texans, James Marcus Smith voulait vivre de sa musique. Il décida d’aller tenter sa chance en Californie. Il proposait un choix de chansons de Johnny Cash. Un quatuor d’agents hollywoodiens s’intéressa au Texan et lui suggéra de se rebaptiser PJ Proby et d’aller à Londres, à la place d’Elvis. En effet, le public anglais réclamait le King qui ne daignait pas traverser l’Atlantique.

             — Tu feras un parfait Elvis, mon garçon. Tu vas faire fortune en un rien de temps ! Tiens, signe là.

             PJ Proby habite une belle maison à Knightsbridge mews, au Sud de Londres. Il abrite sous son toit de charmants amis anglais : Vivian Prince et Jimmy Phelge. Vivian Prince est un personnage discret, lorsqu’il ne boit pas. Il est encore très jeune, mais il traîne déjà derrière lui une réputation sulfureuse. Il coiffe la couronne fort prisée de roi des lunatiques. Il tient accessoirement le rôle de batteur fou dans les Pretty Things et veille à rester incontrôlable. Vivian dort sous l’escalier.

             Ami intime des Rolling Stones, Phelge pourrait lui aussi prétendre à la couronne. Il préfère explorer les mondes intermédiaires. Il dort dans une petite niche aménagée dans l’entrée et aboie chaque fois qu’une fille passe. PJ Proby, que ses amis surnomment déjà Probyte, occupe la grande chambre du premier. Il y défile tout ce que Londres peut compter de jeunes filles en mal d’amour. Kim est bienvenu dans cette charmante demeure. Il hérite de la banquette du living-room.

             — Trinquons à notre avenir, mes amis...

             — Merci de ton accueil, Probyte. Nous allons secouer la vieille Angleterre... Nous sommes les quatre cavaliers de l’Apocalypse !

             Vivian Prince siffle plusieurs verres et tombe de son tabouret en rigolant.

             — Dis-moi, Probyte, pourquoi Vivian n’habite pas avec ses copains des Pretties ?

             — Quoi, Kim, tu ne sais donc pas que Phil lui interdit l’accès du 13 Chester Street ? Vivian adore semer le vent, mais il adore surtout récolter la tempête, tu vois ce que je veux dire ? Par contre, les autres Pretties sont des gens paisibles, lorsqu’ils ne sont pas sur scène.

             PJ ignore quelques détails. Les Pretties organisent des batailles navales, au 13 Chester Street. On remplit le living-room d’eau sur environ un mètre de hauteur et on monte à bord de petites barcasses volées à Hyde Park. On y fume du hash, on y boit du brandy et on s’y bat à coups de pagaies.

             — En attendant, Viv est le meilleur batteur de Londres. Moony lui doit tout.

             — Moony ?

             — Quoi, Kim, tu ne sais pas qui est Moony ? Le batteur des Who ?

             Kim observe le Texan. C’est un sacré gaillard, un type bien bâti. Il offre aux regards l’agréable spectacle d’un visage carré agrémenté d’yeux clairs et d’une coupe Beatles.

             — Probyte, tu chantes bien, mais ça ne suffit pas. Tu devrais soigner ta publicité !

             — J’ai déjà des affiches et le meilleur groupe de Londres...

             — Ça ne suffit pas, Texan... Raconte partout que ta bite est plus grosse que celle de Mick Jagger. Les Stones ne sont pas de taille à lutter contre toi...

             — Quel con ce Kim, ha ha ha ! T’as vraiment du génie... Ah ouais, quel coup !

             Depuis son arrivée à Londres, PJ Proby a effectué un parcours fulgurant. Il est devenu le rival direct de Tom Jones. PJ est un showman remarquable. Big Jim Sullivan et Bobby Graham l’accompagnent sur scène. Autant dire la crème de la crème. Kim flaire les gros coups. PJ en est un.

             — Probyte, tu sonnes comme Elvis accompagné par les Yardbirds et une section de cuivres !

             On sonne à la porte.

             — Kim, vas ouvrir puisque tu es en tenue de soirée...

             Kim se lève. Il porte un slip dans lequel il a découpé un trou sur le devant pour sortir sa bite. Avant d’ouvrir, il se branle un peu pour la durcir. Anna the Potato Girl fait son entrée dans le salon.

             — Salut, Anna, tu vas bien ?

             Probyte se tourne vers Kim pour lui donner une explication :

             — Viv est parti faire cuire des patates. Phelge les enfournera encore tièdes dans son vagin et après tu pourras la tirer. Tu vas voir, c’est assez excitant... On sonne encore. Kim va ouvrir. Il tombe sur un type coiffé d’un chapeau de cowboy et vêtu d’une combinaison d’aviateur. Une Cadillac décapotée est garée sur le trottoir.

             — Hello, I’m Johnny Dee, et il entre.

             À son tour, il fait son entrée dans le salon. PJ fait les présentations :

             — Johnny, je te présente Kim Fowley. Il arrive d’Hollywood. C’est un grand producteur, certainement le plus grand découvreur de talents du siècle... Je n’exagère pas...

             Johnny Dee esquisse un petit sourire en coin. Son regard glisse sur le slip troué de Kim.

             — Very funny... Vous êtes tous habillés comme ça, à Hollywood ? Phil Spector aussi ?

             Viv revient dans le salon avec une casserole fumante.

             — Oh Johnny, tu es là ? Je ne t’ai pas entendu arriver. Hey Kim, c’est Johnny qui a écrit «Don’t Bring Me Down» et «Midnight To Six Man» pour les Pretty Things !

             — Wooow ! Quels tubes, Johnny ! T’es aussi bon que Chucky Chuckah et Bo Diddley !

             Johnny se sert un grand verre de brandy et s’adresse à PJ :

             — Vince Taylor est de passage à Londres. Il tient absolument à te rencontrer, PJ !

             C’est encore l’époque où les rockers, poussés par la curiosité, se rencontrent pour faire connaissance et échanger des idées. Johnny sirote son brandy.

             — Je l’ai rencontré tout à l’heure au 2 i’s bar. Il ne va pas tarder... Je lui ai donné ton adresse.

             Phelge enfourne sa première patate. Anna hurle :

             — Aïe ! C’est trop chaud !

             — Ferme ta gueule, Anna ! Ça refroidira vite, là-dedans !

             On frappe à la porte. Kim file ouvrir. Vince Taylor est d’une beauté prodigieuse. Deux grands épis détachés de l’immense pompadour tombent sur un front pommadé. Sous ce front très haut pétillent deux yeux bruns bien écartés du nez et un sourire viril orne cette mâchoire de boxeur. Il porte une épaisse chemise en cuir au col relevé et ouverte sur le poitrail. Passée sur l’encolure, une grosse chaîne luit et un médaillon la leste. Vince porte aussi des gants de cuir. Il brandit une chaîne de vélo qu’il fait claquer contre le bois de la porte. Il toise Kim qui le domine d’au moins cinquante centimètres. Vince s’approche et commence à le flairer :

             — T’es dans le rock, baby ?

             — Je suis Kim Fowley, légendaire producteur d’Hollywood.

             — T’as une belle queue, pour un producteur... Vince tend la main et la soupèse.

             — Pas mal. Tiens, regarde la mienne. Joli morceau, hein ?

             — C’est quoi, ce tatouage sur ta queue, Vince ?

             — Une Cadillac. Les filles adorent ça. Quand je les enfile, elles chantent Bande New Cadillac, hé hé hé. Je viens voir PJ Proby. Il est là ?

             — Entre, il t’attend.

             Vince Taylor avance d’un pas ailé. Il débouche dans le salon et dévisage les gens présents un par un. Viv maintient Anna au sol. Elle est bâillonnée. Phelge lui enfourne encore des patates. Johnny Dee interpelle le nouveau venu :

             — Tu es producteur, toi aussi ? 

             — Je suis Vince Taylor, cow-boy...

             — Alors pourquoi tu as la queue à l’air ?

             Kim intervient :

             — C’est l’essence du rock, Johnny. Sans queue et sans les trous poilus des dirty bitches, le rock n’a pas de sens. Le rock de Little Richard a l’odeur du sperme. D’ailleurs, Probyte, tu devrais sortir la tienne sur scène. Regarde bien Vince Taylor ! Avec sa queue à l’air, il incarne l’esprit du rock’n’roll mieux qu’aucun autre...

             Phelge colle une baffe à Viv et lui braille :

             — Arrête de manger les patates !

             — Tu vois bien qu’on peut plus en mettre, connard !

             Viv frappe Phelge d’un coup de casserole. Bong ! Phelge s’écroule, KO.

             — On ne frappe pas Vivian Prince, fucking psychopathe ! Même s’ils m’ont viré pour mauvaise conduite, les Hells Angels de Londres ne m’ont jamais frappé !

             Anna en profite pour arracher son bâillon.

             — PJ, dis à ces deux tarés de me foutre la paix ! Regarde dans quel état ils m’ont mise !

             Viv la replaque au sol et s’écrie :

             — Tout le monde à table. La soupe est servie !

             Kim y va le premier. Il enfile sa queue dans le vagin rempli de purée chaude.

             — Wow ! I’m an animal man !

             Il éructe et chante. Il pousse d’horribles grognements.

             — Werewolf dynamite ! Uuuuh ! I’m a nightrider, yeah ! I’m the outlaw superman, the hound dog savage ! Rrrrhhhaaaaa ! I’m baaaaaaaaaad !

             Anna se débat puis finit par se calmer. Elle se met elle aussi à pousser des cris de bête. Viv lui enfonce une patate dans la bouche. Elle la recrache dans le visage de Kim. Il s’essuie les yeux, lime de plus belle et lance d’une voix de stentor :

             — Hot rod patato and the rock’n’roll ride, yeah !

             Vince Taylor plonge son regard dans l’eau bleue du regard de PJ Proby. C’est la rencontre des géants aux pieds d’argile. Ils s’observent longuement. Vince s’approche de PJ et lui serre la main.

             — Assieds-toi, Vince.

             — J’aime bien ce que tu fais, PJ. Londres est à tes pieds. Tu devrais venir jouer à Paris. Le public est bon, là-bas. Ils m’adulent...

             Kim a fini. Johnny Dee se lève et baisse la fermeture éclair de sa combinaison pour sortir sa queue. PJ sert un verre de brandy.

              — Tu veux des glaçons, Vince ?

             — Non, merci.

             Kim se laisse tomber dans la banquette. La purée commence à sécher sur son visage. Il pose la main sur la cuisse de Vince.

             — Hey Vince, tu ressembles terriblement à Rod Lauren, ce rocker en cuir noir signé par RCA en 1960...

             — Enlève ta main... Elle est pleine de purée...

             Pour détendre l’atmosphère, PJ demande :

             — Dis-moi, Vince, pourquoi n’es-tu pas encore allé détrôner Elvis à Las Vegas ?

             Vince Taylor se tourne vers PJ et lâche d’une voix sourde :

             — Elvis est le king, mais moi je suis Dieu... Je n’ai pas besoin d’aller là-bas...

             Johnny Dee revient la queue à l’air et interpelle PJ :

             — Tu peux y aller, mec. La place est encore chaude. Est-ce qu’il y a un torchon dans la cuisine ? Regarde-moi ça, j’ai la queue bardée de purée...

             PJ se lève, défait les boutons de son pantalon en cuir et sort son bâton de maréchal.

             — Je vais tirer un coup. Bouge pas, Vince, je reviens dans deux minutes.

             Kim gratte les petites croûtes de purée qui parsèment son visage.

             — Vince, ce que tu viens de dire est important, mais il faut le prouver. Quand je dis que je suis le plus grand producteur américain, je le prouve. J’ai amené les Hollywood Argyles, B.Bumble and the Stingers et les Murmaids au sommet des charts américains. Et ceux que j’ai repérés ici à Londres seront bientôt superstars ! Et toi, comment feras-tu pour prouver que tu es Dieu ? Les gens vont te prendre pour un charlatan. Fais gaffe, Vince...

             Vince Taylor tend le bras. Il pointe un doigt ganté de noir vers la cheminée du salon. Une énorme crevasse se dessine lentement au-dessus du tablier et court jusqu’au plafond.

             — Ça te va ?

             Kim fait la moue.

             — Trop facile... L’immeuble est ancien...

             Vince pointe le doigt sur le gros buffet installé près de l’escalier. Les deux portes s’ouvrent en grinçant et se mettent à claquer.

             — Alors, tu es convaincu ?

             — C’est un vieux truc de magicien, j’en fais autant...

             Vince pointe le doigt sur Johnny Dee qui revient de la cuisine. Johnny s’élève doucement et se retrouve collé au plafond. Il se met à hurler :

             — Arrêtez vos conneries ! Faites-moi descendre !

             Vince se tourne vers Kim :

             — Tu me crois maintenant ?

             Johnny s’écrase au sol. Kim se gratte le menton.

             — Je ne vois pas encore où est le truc, mais je vais trouver. Tu commences à m’épater, Vince. Tu en as encore, des tours de magie ?

             Vince pointe le doigt sur Viv occupé à enfourner une énorme patate dans la bouche d’Anna qui se débat. Les patates s’élèvent une à une de la casserole et tournent doucement autour de la tête de Viv qui s’émerveille :

             — Oh, des spoutnicks !

             La ronde des patates s’accélère subitement. Elles tournoient à travers la pièce, montent au premier et réapparaissent par la fenêtre du salon restée ouverte. Vince les guide de son doigt tendu. Elles passent au-dessus de la tête de Kim et filent une par une s’encastrer dans la bouche de Viv restée ouverte.

             — Alors, que penses-tu de ça ?

             — Au cas où tu ne serais pas au courant, Vince, je te rappelle que Dieu a créé des animaux. Il ne s’amusait pas à faire voler des patates dans les salons huppés de Londres. Arrête de me prendre pour un con. Je suis Kim Fowley !

             — Tu veux un animal ? Tu vas en avoir un, yankee !

             Vince pointe le doigt sur le cul poilu de PJ, toujours occupé à limer Anna. PJ se met à hurler :

             — Ah la salope ! Elle me serre la queue avec son vagin. Je ne peux plus bouger, shit ! Arrête ! Lâche-moi, Anna !

             PJ essaie désespérément de s’arracher du ventre d’Anna. Elle se met à hurler elle aussi.

             — Retire-toi, tu me fais mal ! Aïïïïe. Ta queue me remonte dans l’estomac ! Tire-toi de là, maudit connard ! Aïïïïïïïïïïïïïïïïe.

             Anna s’étrangle. Une sorte de champignon sort lentement de sa bouche. Kim s’extasie :

             — Mais c’est le gland violet à Probyte ! Oh shit ! Quelle rigolade !

             Le gland monte encore d’un bon mètre. Anna et PJ gigotent comme des crabes jetés dans l’eau bouillante. Le gland crache une longue giclée de sperme au plafond et pousse un rugissement horrible. Des dents apparaissent de part et d’autre de l’ouverture du méat. PJ se redresse sur ses mains et ses genoux. Anna reste accrochée sous lui. Ils forment ce qu’on appelle vulgairement une bête à deux dos. La bête se met à déambuler dans le salon, suivant un itinéraire que trace Vince à distance.

             — Tu voulais voir Dieu créer un animal. Le voici.

             — Tu l’appelles comment ?

             — Le Probytosaurus Rex.

             Kim éclate de rire et envoie un coup de poing amical dans l’épaule de Vince.

             — T’es vraiment le meilleur, Vince Taylor !

    Signé : Cazengler, Vivian Pince

    Vivian Prince. Disparu le 11 septembre 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Stanley your burden down

    (Part Three)

     

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             Lui, on lui donne le bon dieu sans confession. Bob Stanley couvre plus de territoire qu’aucun autre spécialiste de la rock culture. On l’a vu à l’œuvre avec Let’s Do It: The Birth Of Pop, où il explorait jusqu’au délire la musique populaire américaine du début du XXe siècle, celle qui précède Elvis en 1956 et les Beatles en 1963, c’est-à-dire celle de Bing Crosby, de Judy Garland, de Frank Sinatra, de Glenn Miller, de Nat King Cole, de Peggy Lee, et bien sûr, le fameux Great American Songbook. Alors on attaque le tome suivant : Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé.

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             Trois choses frapperont le lecteur qui osera se jeter dans les pages de ce fat Yeah! Yeah! Yeah!  book : un, l’étendue des connaissances de PolyBob. Il est tout terrain et travaille ses portraits comme un orfèvre travaille un bijou, et bien sûr, PolyBob écoute TOUT, car vois-tu amigo, pour parler des groupes, il est préférable de tout écouter. Sinon, tu risques de parler dans le vide, ce que font beaucoup de gens qui ne savent pas encore que «l’érudition» est la cousine germaine de l’exhaustivité, et dans ce mot on retrouve l’exhausted anglais qui signifie «épuisé». L’érudition t’épuise mais tu n’y vois clair qu’à ce prix. Tu ne peux pas baratiner sur Wild Billy Childish ni Smokey Robinson sans avoir écouté tous leurs albums. La connaissance de l’artiste passe par la connaissance de l’œuvre. Cela vaut pour Balzac, Stendhal et Victor Hugo. Les années de ta vie que tu leur as consacrées te rendent bien des services par la suite, car elles te donnent une notion parfaite de ce que signifie le mot ‘œuvre’. Et tu peux l’appliquer aux cadors de la rock culture. Aux cadors de l’histoire de l’art. Aux cadors de l’histoire du cinéma. Tu trouveras plus facilement ta pitance dans l’épaisseur des œuvres que dans les coups de marketing et dans les groupes à la mode.

             Deux, ce qui va te frapper chez PolyBob, c’est son enthousiasme. Il est resté intact, il est resté le fan qu’il devait être à l’adolescence. Certaines de ses pages vibrent et te donnent envie d’écouter ce qu’il préconise, même si tu sais qu’il aime bien la daube electro. PolyBob n’est pas du genre à se rouler par terre avec un clavier. PolyBob est un mec bien peigné, propre sur lui, mais il écrit bien.

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             Et trois, ses books sont vraiment dodus. Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé fait presque 600 pages. Pour rédiger 600 pages qui se tiennent, il faut développer une énergie considérable. On n’en a aucune idée tant qu’on ne s’y est pas frotté. Écrire, c’est développer une énergie de tous les instants, tu tiens ton fil et tu le perds, et avec un peu de chance, tu finis par cultiver un truc qui s’appelle le «bonheur d’écrire». Bon ou mauvais, tu t’en fous. T’écris. Ça devient en quelque sorte ta raison d’être. T’es chez toi. Rien d’autre ne compte. Toute ton énergie y passe. Tout ton temps, aussi. On imagine PolyBob confronté à son sommaire. Torcher 600 pages de haut vol, ça revient à pousser un rocher sur une mauvaise pente. PolyBob c’est Sisyphe, il pousse, et en plus il se tire une balle dans le pied en titrant avec le nom d’une moule à la mode : Beyoncé. Bill Haley, passe encore, mais Beyoncé ! Fuck it, qui va  le prendre au sérieux après ça ? Comme il est âpre au gain, il se dit que le nom de Beyoncé sur la couve va faire vendre. C’est la seule hypothèse qu’on peut formuler pour «justifier» cette faute de goût impardonnable.

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             Bon puisqu’on est au chapitre des fautes de goût, finissons-en : son histoire exhausted de la pop passe forcément par tous les mauvais plans : les Boy bands, la New Wave, la Disco, les Bee Gees, l’electropop, et ça dégénère assez vite dans les années 80 avec l’anéantissement du bon goût : Michael Jackson, Prince, Madonna, et il continue de s’enfoncer avec les Pet Shop Boys et New Order, mais au fond il a raison, tous les noms cités ont été incroyablement populaires. Dans son Part Five, il finit de suicider la culture pop avec la House et la techno, l’Acid House de Manchester, l’Hip Hop, et il tente un ultime regain de vitalité pop avec le Grunge, c’est-à-dire Nirvana, puis Suede et la Britpop, pour finit avec un R&B qui n’est pas celui qu’on croit, mais le R&B à la mode. Donc il faut se farcir tout ça pour essayer de comprendre pourquoi ces artistes ont joué un rôle si important dans l’histoire de la musique populaire. C’est perdre du temps que d’essayer de lire ces pages, car bien sûr, on n’ira jamais écouter la fucking Acid House et encore moins Michael Jackson ou Supertramp. Disons que la démarche de PolyBob est honnête, il ne fait pas un book subjectif, il brasse large et écoute des tonnes de trucs pour en parler.

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             On pourrait ajouter un quatrième point : la pertinence. Ses remarques sont toutes d’une grande pertinence, surtout lorsqu’il évoque nos chouchous, et il en évoque un gros tas, d’Elvis aux Beatles, en passant par Dylan, Motown et les Pistols. On va donner quelques échantillons de cette pertinence, puisque ce book se prête merveilleusement bien aux crises de fièvre citatoire. L’autre aspect flagrant du talent de PolyBob, c’est son humour dévastateur, et la qualité de son style. Quand il rend hommage au Rock’n’Roll Trio de Johnny Burnette, voici ce qu’il balance dans le museau de son lecteur atterré : « It was one sustained howl of sexual obsession and torment, basic and impossibly loud. Flick-knife shrieks and a fuzzed-up, deep two-note guitar linepushed it into territory beyond mere aggro - It was a gueninely frightening record.» Il évoque bien sûr «Train Kept A Rollin’». Sur ce coup-là, il bat Nick Kent à la course.

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             Humour ? Voici ce qu’il dit de Cream : «Their main problem was their total confidence in their greatness - The clue was in the name.» PolyBob sait se montrer mordant. Et à la page suivante, il mord encore plus fort : «The biggest new British name of ‘68, Fleetwood Mac, were altogether more limited than Cream - which was a blessing.» Et crack ! Il se marre bien aussi avec la T. Rextasy : «Unlike Beatlemania, T. Rextasy did not lead to a bunch of Bolan clones. Possibly no one felt they were pretty enough to compete.» PolyBob se fout bien de la gueule de McLaren, lorsqu’il évoque les Dolls, «who looked like Exile On Main Street-era Stones and played a rough, sloppy glam variant that intrigued London clothing store operator Malcolm McLaren enough for him to become their manager.» La façon dont il amène ça est hilarante : le marchand de fringues intrigué ! Plus loin, il tombe sur le râble des post-Syd Pink Floyd, avec «their self-flagellating desire to drift, and the only way they could agree to go forward was by hiding behind pyrotechnics and flying pigs. It seemed like they hated being themselves.» On se demande bien comment un groupe qui a basé son succès sur la trahison a pu devenir aussi populaire. Quand PolyBob décide de rendre hommage à Abba en fracassant leur image, voici ce qu’il balance : «What did we have? A Striking but sulky blonde, a slightly saucier brunette who most of the time looked like sh’ed just baked a cake, and two men - definitely not boys - who were stereotypical seventies uncles.» Et crack. Mais il cite Mick Farren en exergue de son chapitre Abba. Car oui, Abba mérite tout un chapitre chez PolyBob. PolyBob se fend encore bien la gueule avec Joni Mitchell qu’il accuse de manger ses mots en chantant «in a flustered schoolm’am voice that killed their radio friendliness» : «Her best record was The Hissing Of Summer Lawns, which is also maybe the most self-descriptive album title in all pop, apart from Trogglodynamite by the Troggs.» Quand tu lis ça, tu décides de suivre PolyBob les yeux fermés.

     

     

     

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      Concert Sex Pistols : Huddersfield

           Il vole aussi dans les plumes de Linda Ronstadt et du classic rock américain : «At least the UK had gone through glam and prog. America, from its new salad-crunching power base in Los Angeles, had spent all the early seventies creating what became known as ‘classic rock’». Il parle bien sûr du rock FM, le dernier grand fléau de l’humanité. Et quand il se fout de la gueule de Dr Feelgood, c’est terrible : «Singer Lee Brillaux looked a good deal older than his twenty-five years; he was the original Essex spiv, in a gravy-stained white suit, and had the kind of voice you might hear if Ford Cortinas could sing.» Tu te marres tellement que tu tombes de ta chaise, mais tu te relèves aussi sec pour continuer ta lecture. Par contre, il te brise le cœur avec une chute de chapitre, lorsqu’il évoque le concert de charité de Noël 1977, donné par les Pistols, à Huddersfield, Yorkshire - As a showing of solidarity, a small act of charity, outisders playing for outsiders, and the very real power of pop, the thought of it can just about break my heart - C’est là qu’on retrouve l’Auteur, celui qui a tout compris.

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             Tiens, il te balance des vérités vite fait : «There is more rock ‘n’ roll in the three minutes of passionate dishelvement in Barbara Pitmann’s «I Need A Man» than the combined catalogues of Aerosmith and Mötley Crüe.» Crack ! Puis il rappelle que Bill Haley n’est pas cité dans les listes des «prime movers», «which is sad and a little ridiculous.» Il rappelle tout simplement que le vieux Bill a inventé le rock’n’roll - And no one scored a rocking number one before «Rock Around The Clock» turned the music world upside down - Puis il explique que «Rock Around The Clock» vient du jump blues, dont le king était Louis Jordan - fast-talking tales of gals in fox furs and zoot-suited brothers were propelled by boogie-woogie piano and saucy sax solos -  Jordan nous dit PolyBob démarre en 1941, et en 44 il vend un million d’«Is You Is Or Is You Ain’t My Baby», et dans sa foulée déboulent Roy Brown avec «Good Rocking Tonight», Big Joe Turner avec «Shake Rattle & Roll», Wynonie Harris avec «Bloodshoy Eyes» et Stick McGhee avec «Drinking Wine Spo-Dee-O-Dee», et c’est là que Jerry Wexler déclare que ce n’est pas du blues mais du rhythm & blues, et à Cleveland, en 1951, le DJ Alan Freed lance son Moondog radio show en clamant : «Okay kids, let’s rock and roll with the rhythm and blues!» Ces pages prennent feu sous tes doigts, car PolyBob restitue bien le vent qui se lève alors en Amérique et qui va balayer l’Angleterre dans la foulée. Tout repose sur Bill Haley à cette époque, un Bill qui est quasi asthmatique et qui cache son mauvais œil sous une mèche collée, mais avec les Comets, il écrit les premières lois de la pop - Pop’s unwritten laws - They were in the right place at the right time. Bill, nous dit PolyBob, l’a fait quand il fallait le faire.

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             Dans le monde d’aujourd’hui, il existe deux races de gens : d’un côté ceux qui vénèrent Bill Haley et les Beatles, et de l’autre, ceux qui leur crachent dessus. PolyBob rappelle qu’il existe quelques intros qui font monter l’adrénaline dans la seconde. Il cite «the silver chord that opens ‘A Hard Day’s Night’, l’intro du ‘Metal Guru’ de T. Rex, the barely controlled bagpipe glee of the Crystals’ ‘Da Doo Ron Ron’» et bien sûr, à l’origine des temps, «right at the beginning there was the sharp double snare hit, followed by ‘One two three o’clock, four o’clock, rock...’» Les milliers d’Anglais accueillent Bill quand son bateau arrive à Southampton, et là PolyBob reprend feu : «Il attendaient un sun god, l’homme qui nous avait délivré de Vera Lynn. Instead, they got pop’s own Wizard of Oz, Bill Haley was no deity, he was an uncle.» Et en 1967, conclut PolyBob, les Comets étaient devenus une pièce de musée. Bill le héros va finir dans les cabarets et casser sa pipe en bois en 1981 - His heyday was brief but, truthfully, without Bill Haley the rest of this book could not have been written - PolyBob est un auteur qui sait rendre hommage.

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             Il saute aussitôt sur Elvis. Un chapitre entier ! - No one has had the pop-culture impact of Elvis Presley. À l’époque, les adultes n’ont rien compris à Elvis Presley. Il s’est inventé, a true modernist, drawing on the best of everything that surrounded him and making it new. He rose faster, fell further, had the most glorious comeback, and died young, alone in his palace - Et PolyBob balance cette vérité criante : «Elvis has been loved more fiercely than any pop star since.» Tandis que le vieux Bill a mis dix ans a trouver le right sound, «Elvis Presley walked into Sun Studios, Memphis, one day in summer 1954 and did it in a heartbeat.» Bill a tout inventé, mais Elvis aussi - On stage at the Louisiana Hayride, Elvis gyrated, wore a pink shirt and peg slacks. He looked raw, sounded rawer and girls melted - Mais on connaît la suite de l’histoire, qui n’est pas terrible : en 1965, nous dit PolyBob, l’année de Rubber Soul et de «Like A Rolling Stone», le King chantait «Petunia The Gardener’s Daughter». Des millions de kids anglais et américains ne lui ont pas pardonné d’être tombé aussi bas.

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             PolyBob enchaîne bien sur le rockab - the rocked-up itchy hillbilly sound - Voilà que déboulent Sam Phillips et Jerry Lee, qu’on surnomme le Killer pour ce qu’il inflige à son piano. Jerry Lee rappelle qu’il n’existe que quatre stylistes - There’s only been four of us, Al Johnson, Jimmie Rodgers, Hank Williams and Jerry Lee Lewis. That’s your only goddam four stylists that ever lived - Et voilà que dans la vague s’engouffrent tous les outsiders et tous les maniacs d’Amérique, «and the freakiest freak of them all was Little Richard», avec, nous dit PolyBob la bave aux lèvres, son «pounding piano, insane shrieks, unavoidably sexual lyrics». Et puis Chucky Chuckah, et son «look of a card sharp blessed with luck, a brown-eyed handsome man with a cherry-red Gibson and a major thing for cars and girls that he syphoned into super-detailed lyrics. He became the chief correspondent  for young America. Some think he was the most significnat figure in all rock’n’roll; certainly, he was an A-grade innovator.» - Hail hail rock’n’roll/ Deliver me from the days of old - Chucky Chuckah pèse aussi lourd dans l’inconscient collectif anglo-saxon que Shakespeare. Un Chucky qui s’est imprégné de Louis Jordan et de T-Bone Walker, mais qui a transformé ses influences en «motorvating marvels». Ses chansons, glose PolyBob qui est aux anges, «were bright, shiny, very fast, and super-modern. Elles sonnaient comme les ailerons d’une Cadillac. He also wrote some of the best guitar lines ever recorded.»

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             Et Gene Vincent ? T’inquiète pas, PolyBob ne l’oublie pas. Il te cale ça au bas d’une page lourde de conséquences : «His weaselly looks, mop of oil-black hair, and manic smile were hardly a match for Presley’s godlike charisma, but his music was on another plane, unhinged, like a freefom rockabilly.» Voilà qui va beaucoup plaire à Damie. Another plane !

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             PolyBob traverse ensuite l’Atlantique pour nous raconter ce qui se passe en Angleterre avec Tommy Steele et Billy Fury, mais sa prose n’est pas aussi inflammable. Il salue le côté «electrifying» de Tommy Steele on stage et trace un drôle de parallèle entre Elvis et Billy Fury : «If Elvis was all about sex and immortality, then Billy Fury’s appeal was sex and death.» Mais plus loin, il ajoute que «Billy Fury was the blueprint for the British pop star.» Par contre, Vince Taylor sort du rang, «he blew even Billy Fury off stage», et PolyBob relate la période LSD de Vince, en robe blanche dans Paris, devenu Mateus et proclamant à ses derniers fidèles qu’il était le fils de God - Like Billy Fury, he endlessly intrigued the young David Bowie. The legend of long-lost Vince, a forgetten link in the chain, would resurface a little while later in the guise of Ziggy Stardust - Voilà pourquoi il faut lire ce big fat book : c’est une caverne d’Ali-Baba. Tu y retrouves ces milliards d’informations qui font le suc de la rock culture. Et PolyBob a l’extrême obligeance de nous les remettre en scène pour leur redonner de l’éclat.

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             Et là, tu te marres, car tu arrives à la page 40 et t’as déjà vu défiler tous les cracks du boom-hue : Bill Halley, Elvis, Jerry Lee, Chucky Chuckah, Little Richard, Gene Vincent et Vince Taylor. Il y en a d’autres bien sûr, Bo Diddley, Buddy et Eddie, mais nous n’avons pas la place. Ces 40 premières pages sont de la dynamite. PolyBob écrit comme un fan en pleine crise d’hystérie.

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             Il tente de rallumer de l’intérêt pour Del Shannon. Pas facile. Apparemment, le seul qui se soit passionné pour le Del, c’est le Loog qui l’emmena en studio à Londres pour enregistrer Home & Away en 1967. Son «Runaway» date de 1961 - It was, and remains, the ultimate fairground anthem - le hit des fêtes foraines. Avec «Étoile des neiges/ Mon cœur amoureux», serait-on tenté d’ajouter. PolyBob évoque les peurs et les démons qui hantaient le pauvre Del. Mais en 1961, il était une superstar aux États-Unis, «elevated to the level of Orbison, Dion and Pitney.» Il cherchait la paix dans son verre de whisky. Il allait relancer sa carrière avec les Travelling Wilburys quand il se suicida en 1991 - But Del Shannon, king of pain, was truly one of pop’s heavyweight champs - C’est drôle, l’attachement que PolyBob porte au Del. On a fait l’effort d’écouter tout le Del et ce n’est pas aussi convaincant que veut bien le dire notre ami PolyBob. On va y revenir, car Del Shannon reste une sacrée énigme. 

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             Hop ! PolyBob saute aussitôt sur Totor et Joe Meek, avec un chapitre qu’il titre : ‘Walk with me in paradise garden’. Il n’y va pas de main morte, le PolyBob : «Joe Meek was Britain first  record producer. He could be described as the first record producer in the world.» Et crack, c’est bien envoyé et c’est d’une justesse remarquable. L’obsession de Meeky Meek est de faire sonner les «records more exciting - and more commercial - with a little mechanical manipulation.» Et crack : «Le premier disk que Meek a produit fut le straight jazz instrumental «Bad Penny Blues» d’Humphrey Lyttleton, on which he exagerated the low notes on the piano to make it danceable, got the brushed drum to fizz and gave Lyttleton his only hit - the Beatles later pinched its feel wholesale for ‘Lady Madonna’». Voilà une élégante manière de décrire un précurseur - Meek was in love with the future (space travels, satellites), Americana (teen idols and cowboys), and the world beyond - ghosts, death, deceased lovers returning as gardian angels. Il chercha à transcrire ses obsessions with overdubbing, compression, sound separation and distorsion - Meeky Meek est le personnage idéal pour un écrivain de la trempe de PolyBob. Un PolyBob qui se marre bien, ah ouais, on enregistrait les vocaux dans les gogues et les strings dans l’escalier, it should have been a joke ! - C’est tout le contraire : en 1961, il enregistre le «Johnny Remember Me» de John Leyton et le «Tribute To Buddy Holly» de Mike Berry, «two of the best records he ever made.»

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             Et crack, PolyBob embraye violemment sur Totor en nous expliquant un truc fondamental : «L’exacte différence qui existe entre la pop anglaise et la pop américaine se trouve dans la comparaison qu’on peut faire entre les productions de Meek et de Spector. Meek accélérait les tempos, worked at a frenetic pace, alors que Spector était panoramique, as big as Meek’s but warmer, more luxurious, il utilisait les meilleurs ingrédients, les meilleurs chanteurs et musiciens de New York et de Californie, alors que Meek les trouvait chez Woolworth. Meek pouvait enregistrer trois singles dans la semaine, mais Spector prenait son temps, il perfectionnait son son.» Puis quand les Beatles et Motown arrivent en 1964, on trouve Totor trop teenage. Alors il fait appel à Barry Mann et Cynthia Weil pour composer avec eux un truc plus adulte : «You’ve Lost That Loving Feeling». Totor et Meeky Meek vont connaître le même sort : l’indépendance de Meeky Meek devient sa malédiction, il produit de plus en plus, mais rien ne sort. Totor va lâcher l’affaire après l’incompréhensible flop de «River Deep Mountain High».

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             La pente naturelle nous conduit droit au Brill Bulding, 1650 Broadway, et à Don Kirshner, the man with golden ears. Il dirige une équipe d’une douzaine de compositeurs qui vont, nous dit PolyBob, redéfinir la modern pop by taking rock’n’roll uptown, en créant ce que Totor appelle des «little symphonies for the kids». PolyBob sort les chiffres : 165 music companies au Brill. On y entend de la musique partout, même dans l’ascenseur. Hommage à Leiber & Stoller, «godfathers of this new, post rock’n’roll writer/producer pop», ils s’installent au Brill en 1957 et pondent des hits pour les Coasters, cot cot ! Ils prennent aussi sous leur aile un petit coco arrivé de Los Angeles : Totor. Ils le laissent bosser avec Ben E. King sur «Spanish Harlem» - an ode to a rose growing up through the cracks in a New York sidewalk - et par conséquent hit éternel. Bizarre que PolyBob omette de préciser que Totor a composé cette merveille inextinguible avec Jerry Leiber. Et puis PolyBob rappelle que «Goffin/King, Mann/Weil and Greenwich/Barry then set about dominating the American and British charts.» Pas pour longtemps. En 1964, on projette A Hard Day’s Night à Manhattan et Carole King est terrifiée. Elle avait raison d’avoir peur, les Beatles allaient TOUT balayer, y compris le Brill.  

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             En tant qu’Anglais, PolyBob consacre une place considérable aux Beatles. Il organise sa pagination pour mettre en scène l’extraordinaire rebondissement que fut l’avènement des Beatles. Il faut dire que les gueules à fuel que nous étions ont eu du mal au début avec les Beatles. Tous ceux qui ont grandi avec Elvis, Jerry Lee, Little Richard, Vince, Gene Vincent et les autres, ne prenaient pas au sérieux ces banc-becs bien coiffés. Et puis on s’est fait avoir comme tout le monde, car les chansons étaient bonnes et John Lennon avait des racines assez pures. On le considérait au départ comme un popster, alors qu’en réalité c’était un rocker, un fan invétéré de Gene Vincent et des autres. Alors pour avancer, il a créé son monde, les Beatles, avec l’aide non négligeable de George, Paul et Ringo. Les Beatles ont ramené ce qui faisait défaut au Brill, «the blatant sex and racing-heart noise that pre-army Elvis had provided.» Et PolyBob reprend feu : «And, just as Elvis had in ‘56, they created a new generation gap. Pre-rock. Pre-Beatles. Overnight, the Brill Building’s craft, sweat, and toil was part of the past. The Beatles’ unscripted naturalism turned the lights on, and Broadway’s neon suddenly looked rather cheap.» Et ça continue sur le même tempo : «Si vous deviez expliquer l’impact des Beatles à un inconnu, il faudrait lui faire écouter l’Hard Day’s Night soundtrack.» On sent que PolyBob se régale en écrivant : «Chaque étape de la carrière des Beatles avait sa drogue : speed (leur période Hambourg et Merseybeat), cannabis (the sleepy Rubber Soul), acid (Revolver and Sgt. Pepper) and Heroin (Lennon’s crack-up on the White Album). With A Hard Day’s Night, the drug was adrenaline.»

     

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    Lennon pas sur l'île de Wight 

    (Wight Not!)

             Et tout naturellement, PolyBob se pose la question existentielle : «Alors pourquoi eux ? Pourquoi pas Del Shannon, ou les Four Seasons, ou les Beach Boys ? Ça semble être une interrogation stupide, mais elle est légitime. La seule réponse possible est que les Beatles were, literally, miraculous.» C’est PolyBob qui le dit, et il a raison. Il bave même sur les photos les plus ordinaires des Beatles. Il cite l’exemple d’une photo de John Lennon prise au ferry terminal de l’île de Wight - And yet Lennon still looked incredible. He looked like a Beatle - Dans des pages encore plus fascinantes, PolyBob rappelle à quel point «the early seventies was a post-Beatles world.»

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             Et crack, le Beat boom ! Belfast’s Them, le Maritime Hotel, et «Gloria» in Decca’s West Hampstead studio - It’s a dirty, dirty record, and a nervous Decca relegated it to the flip side of «Baby Please Don’t Go» which was scarcely less thrilling - Polybob s’incline encore plus respectueusement devant «Mystic Eyes», «one of the unlikeliest rackets ever to have reached the Top 40.» Et il conclut en traitant les Them de «loudest, most fractuous group since Johnny Burnette Rock And Roll Trio.» Puis coup de flash sur le «Really Got Me» des Kinks, «This was sex and violence in perfect harmony». Hommage superbe aux Kinks : «The Kinks were the rawest, the toughest and - with their sexual confusion and readiness to self-destruct - the most distinctly English of the British R&B groups.»

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             Qui arrive à la suite ? Les Stones, bien sûr, avec un chapter intitulé ‘Who’s driving your plane?’ - Essentially they refused to play the game. Les Beatles et Elvis avaient joué le jeu, l’un chantant pour un chien et les autres smiling at the royal box. Les Rolling Stones ne juraient que par l’anger, dissatisfaction, frustration, and power and they were loved or hated, really hated -  PolyBob salue le Jones’s and Richards’s sharp dual guitar work et l’animal androginy du loose-lipped Jag. PolyBob maîtrise l’art de synthétiser les mythes rock en deux courtes phrases. Arrive «The Last Time» en 1965, on s’en souvient, ça nous carillonne encore aux oreilles - It was an incredible sound for a group from Kent - car enregistré au studio RCA de Los Angeles, avec l’assistance de Jack Nitzsche, «with Keith Richards relentless spiraling hook sucking you in. From now on, they were unstoppable.» En 1967, dans le box des accusés, Keith Richards devient «a counterculture hero. Dressed like a cross between Beau Brummell and a highway robber, he told the prosecutor, ‘We are not old men. We are not worried about petty morals.’». Pouf, il prend une pige dans la barbe. Heureusement, l’éditorial du Times lui sauve la peau. Puis le Loog et le Jag divorcent. Their messianic trip was over. Et PolyBob te balance cette phrase qui n’en finit plus de le faire monter dans ton estime : «Regrouping, the Stones got back to basics in ‘68, ditched the drug-addled Jones and Oldham, and lost their adventurous streak.» PolyBob veut dire que les Stones ont perdu leur âme. On l’a clairement senti après Let It Bleed - To a large degree, they became a different group in the seventies. Jones parti, ils n’utilisaient plus de sitar, plus d’ocarina, plus de tablas. Oldham parti, they gradually became a self-parody. The Stones of the mid-sixties had been an amazing focused pop group, disobeying their mentor’s number-one rule, they became predictable. Ça vaut largement une tragédie grecque. 

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             PolyBob attaque ensuite la Soul. Il commence par le commencement : Sam Cooke. Sur une photo, PolyBob trouve Sam too good to be true : «He looks like someone playing Sam Cooke.» Il lui semble même que Sam vient du futur. En plus, il chante comme un dieu, «a mix of gentility and gospel growl like nobody else, his singing was effortless and intense. He was the original quiet storm.» Cookie vient de Clarksdale, Mississippi. À 21 ans, il a trois copines enceintes. Pas question de reconnaître la progéniture. Il commence par établir les fondations de la Soul music, puis il monte son label SAR, et donc une écurie d’où va sortir Bobby Womack. La première personne que Cassius Clay appelle quand il vient d’envoyer Sonny Liston au tapis, c’est Cookie, et PolyBob ajoute qu’Aretha et Erma Franklin revêtaient leurs plus belles robes juste pour le voir à la télé. Mais la vie privée de Cookie n’était pas de tout repos : sa femme Barbara perdait la tête à cause de son drinking et de son womanizing, et cet été-là (1963) leur fils Vincent se noya dans la piscine familiale. Pire encore : en décembre 1964, Cookie emmène une pute dans un motel et elle se barre avec ses fringues pendant qu’il prend une douche - Half naked and shooting, he scared the motel owner so much she shot him dead - Même la mort se dit mieux en anglais.

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             L’increvable PolyBob embraye aussi sec sur Stax - If Sam Cooke was the voice, then Stax set the template for the sound of soul - Et PolyBob glisse cette nouvelle vérité, affirmant que chez Stax, le sound devient plus important que l’artiste, «a southern equivalent to Spectorsound and the Brill Building.» Puis voilà Atlantic et le trio de choc Ertegun/Dowd/Wexler - All three, like Leiber & Stoller, like Andrew Oldham, were very sure of themselves, their taste, and their ideas on pop culture - Puis PolyBob rend un sacré hommage aux rois de la Chicago Soul, les Dells, qui, dit-il méritent leur place dans ce book, ne serait-ce que pour leur longévité. Formés en 1952, ils ont connu toutes les mutations, depuis le R&B et le doo wop - Leurs chansons were built from a quiet group-harmony base, subtle, almost supper club, until the moment when their baritone Marvin Junior stepped in, and then all hell broke loose - Il faut écouter les albums des Dells, ce sont des bombes atomiques, mais en France, peu de gens sont au courant.

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             De plus en plus intrépide, PolyBob décide de monter encore d’un cran avec Bob Dylan - He was his own planet and, naturally, you desperately wanted to find a way to travel there - Et crack, PolyBob sort ça qui devrait figurer dans les Tables de la Loi du Rock : «Bob Dylan created, for good and ill (c’est-à-dire pour le pire et le meilleur) the modern rock star. On the débit side, he pioneered sunglasses after dark; along with the Stones, he sealed the concept of snotty behavior as a lifestyle - Une fois de plus, les pages prennent feu. PolyBob nous explique à nous qui savons tout et qui ne savons rien que Bob était le saint patron des mauvais chanteurs (non-singers) : «He sang in a voice that was entirely unfamiliar: needling, unsifted, but impossible to ignore.» Mais le pire, c’étaient ses textes. En entendant chanter Dylan, Gerry Goffin eut tellement honte de ses textes qu’il détruisit toutes ses bandes et tous ses acétates. Pour se protéger des ravages de la gloriole, Dylan devint misanthrope. Mais il réinventait le rock - The music he made during this ‘65-66 period was extraordinary - thin wild mercury music, he called it - Avec «Like A Rolling Stone», il atteint un sommet - Dylan peaked and he knew it. By now considered a cross between Elvis Presley and Nostradamus, he had no direction home - Puis pour se débarrasser du poids du monde, il va se mettre à chanter avec une voix de canard. En guise de chute à ce chapitre d’anthologie, PolyBob pond un nouvel axiome : «What is most remarkable about Dylan, and a task not far short, is that he helped America to make sense of itself.»

             Après un gros chapitre sur les Byrds, PolyBob remonte au Nord vers Detroit pour chanter les louanges de Motown. Il serait sans doute plus raisonnable de faire un break et de voir ça la semaine prochaine. Ce n’est pas le moment d’overdoser.

    Signé : Cazengler, Stan laid

    Bob Stanley. Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé. Norton 2015

     

     

    Inside the goldmine

     - Hornes section 

             L’évidence crevait les yeux : Grinord n’aurait jamais pu s’en sortir. Tout petit, il partait du mauvais pied : souffreteux, des yeux qu’on dit «chiasseux», toujours de la morve au nez, le cheveu filasse, la peau ingrate, le corps chétif et une voix plaintive, une cible de rêve pour les grands à l’école qui chassaient en meute. Ils chopaient Grinord dans un coin et lui faisaient avaler des limaces ou lui ouvraient la braguette de sa culotte courte pour y jeter des grosses araignées. Grinord pleurnichait, «vais l’dire à ma mère !», mais il prenait une baffe et pleurnichait de plus belle. L’un des grands l’attrapait par le col pour lui dire que s’il en parlait à sa mère, il allait lui couper le kiki, alors Grinord tremblait de peur. Plus Grinord chialait et plus les grands s’acharnaient sur lui. Ils vidaient son cartable dans une flaque d’eau. Ils donnaient des coups de canif dans son chandail. Ils savaient que les parents de Grinord étaient pauvres et qu’il allait prendre trempe pour avoir abîmé un chandail qui coûtait si cher. Lorsque la cloche sonnait pour entrer en classe, Grinord ramassait ses affaires, les remettait dans son cartable et rejoignait son banc. Comme il reniflait sa morve, l’instituteur lui demandait sèchement de se moucher et Grinord répondait dans un sanglot :

             — Y m’ont pris mon mouchoir, Monsieur Huron !

             — Qui ça, Y ?

             — Les grands du CM1, Monsieur Huron ! 

             — Alors Grinord, tu dénonces tes camarades ? Tu n’as pas honte ?

             Et le pauvre Grinord se remit à sangloter de plus belle, sous les huées de la classe.

             — Ouuh Ouuh le corbeau ! Ouuh Ouuh le corbeau !

             Grinord ramassa en hâte ses pauvres affaires trempées, quitta la classe, referma doucement la porte derrière lui et sitôt dans la rue, il se mit à courir pour aller se jeter dans l’Orne.

     

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             Les Greenhornes ont eu plus de chance que Grinord. C’est encore une évidence qui crève les yeux. Alors que Grinord n’avait pas d’autre choix que d’aller se jeter dans une rivière, les Greenhornes se sont jetés dans une carrière, et quelle carrière ! My Gawd !

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             Et si Craig Fox était l’un des plus puissants garagistes de la confédération ? Une compile nommée Sewed Soles scelle le sort de cette farouche hypothèse. Craig Fox est sans conteste l’un des cracks du boom-hue. Il navigue au même niveau que Wild Billy Childish et Mick Collins. On voit sur les photo qu’il a le regard d’un fou. Ce kid de Cincinnati t’explose le vieux gaga dès «It’s Not Real». C’est sauvage et bien raw to the bone, c’est même stupéfiant de véracité, c’est gratté à l’oss et chanté au wild scream. Tu te dois de saluer ce mec-là, ainsi que Jack Lawrence, le bassman à lunettes. Nouveau coup de wild genius avec «Shadow Of Grief», ils te grattent les poux indomptables du Far-West, le Fox embarque son Shadow dans la folie pure. T’as une des plus belles fuzz d’Amérique dans «No More». Elle est hautaine et monumentale. Tu commences à vraiment prendre le Fox au sérieux. Plus loin, t’as une quadruplette de Belleville : «Can’t Stand It» (attaqué avec une violence incroyable, digne des pires proto-punks d’Angleterre, en 1000 fois plus wild que «Crawdaddy Simone», c’est même les Them à la puissance 1000), «Good Times» (overpower, avec un ouragan d’organ et un solo à la désaille qui perd ses boulons), «Too Much Sorrow» (très anglais, boogaloo de proto-London town, écrasé de splendeur crépusculaire, digne des Animals et des Them, mais en bien pire, heavy stuff de close my eyes, tout y est) et «Satisfy My Mind», belle dégelée royale. Encore un coup de génie gaga avec «The End Of The Night», balladif d’up-tempo claqué à la sévère, cut de sleaze parfait, trucidé au killer solo liquide. Encore du beau gaga US de rêve avec «Pattern Skies», bien balancé, bien monté en neige, avec un killer solo tire-bouchonné dans l’oss de l’ass. Ouille ! Ils démontent encore la gueule de «Lies» à la fuzz. Et puis t’as ce «Shame & Misery» amené comme le «We Gotta Get Out Of This Town» des Animals. Le Fox est une bête. Il out-Burdonnerrait presque Eric Burdon. Voilà en gros ce qu’on peut dire de cet album rétrospectif.

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             Tu vas retrouver «Satisfy My Mind», «Too Much Sorrow» et «It’s Not Real» (claqué sec aux accords des Kinks) sur Dual Mono, trois cuts enfoncés du clou entre tes reins, surtout le «Too Much Sorrow», bien dans l’esprit du pont de «Gloria». Et puis t’as toute une série d’énormités ravageuses, à commencer par «The Way It’s Meant To Be». Ils tapent dans le mou du dur. Avec «You’ll Be Sorry», on se croirait chez les Sorrows, en plein cœur du freakbeat, sans oublier le killer solo. Holly Golightly fait deux apparitions sur cet album : «There Is An End» qu’elle prend toute seule, et surtout sur «Gonna Get Me Someone» qu’elle chante en duo avec le Fox. C’est brillant ! Elle ramène sa niaque de sucre et ça balance bien dans les contreforts, elle est encore plus candy-punk que les Shangri-Las et le Fox passe des killer solos en pagaille. Il est le roi du proto-punk revival. 

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             Sur le mini album East Grand Blues, tu retrouves l’excellent «Pattern Skies» et son bassmatic en alerte rouge, et ça bascule dans le coming fast, avec du killer solo flash dans la foulée. Jack Lawrence passe son temps à bassmatiquer au bas du manche, pendant que le Fox part en maraude. Quelle équipe ! Ils tapent aussi «I’m Going Away» en mode heavy folk-rock Byrdsy. En plein dans l’œil du collimateur ! Ils reviennent au heavy groove des Them avec «Shelter Of Your Arms». C’est encore une fois bien dans l’esprit du pont de «Gloria».

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             Et puis t’as cet album qu’on appelle le Quatre Étoiles (****) qui est plus orienté sur les exercices de style. Attention, c’est très intéressant. Ils commencent par sonner comme les Prisoners avec «Saying Goodbye». C’est plein comme un œuf et dopé par un bassmatic devenu fou. Avec «Left The World Behind», ils se remettent à sonner comme les Byrds. Ils ont ce power solide et radieux. Avec «Get Me Out Of Here», le Fox fait du Ray Davies. Il est assez allègre. Plus aucune trace de gaga sauvage. Sur «Underestimator», ils reviennent à un son plus anglais, après avoir exploré les racines des dents, mais les riffs sont ceux de Dave Davies et encore une fois, tu cries au loup. Encore un coup de génie avec «Better Off Without It». C’est plus poppy, et donc t’assistes à un incroyable retournement de situation, mais ça tient rudement bien la route, avec le bassmatic de Jack Lawrence et les solos en quinconce de Craig Fox. Ils ont cette classe surnaturelle qui leur permet de créer de la magie. Craig Fox superstar encore avec «Song», nouveau shout d’heavy pop. Quelle ampleur catégorielle ! Ça sonne comme un hit intercontinental, avec du rentre-moi-dans -le-chou mon chou. Ils font plus loin de l’heavy mood avec «Go Tell Benny», mais avec des incursions intestines de la pire espèce. Le Fox sait rester impressionnant, même si avec «Jacob’s Ladder», il fait de la petite pop ruineuse d’album. La vie est ainsi faite. Elle est même parfois cruelle.

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             Avec son premier album sans titre, le groupe de Craig Fox s’était taillé une belle réputation gaga-Midwest, en se rapprochant notamment des Animals. Pour preuve, leur version d’«Inside Looking Out», ils sont dessus, ooouh baby, ils savent faire monter la marée et faire le Burdon, my reaper ! My reaper yeah ! Leur «Shame & Misery» est d’ailleurs le sosie d’«Inside Looking Out» : même attaque avec la petite montée en température, exactement le même plan, avec le refrain sur les accords de «Gloria». Tiens, puisqu’on parle de Gloria, t’as le «Can’t Stand It» d’ouverture de bal qui est une sorte de Gloria en Amérique. C’est du gros bétail. Quel barouf ! C’est aussi révolutionnaire que le fut Gloria en son temps, la voix en moins, bien sûr. Power toujours avec «Shadow Of Grief». Ces Greenhornes sont bien décidés à en découdre. L’autre cover de choc est l’«High Time Baby» du Spencer Davis Group. Fantastique hommage à l’un des fleurons du British Beat, et le petit gros passe un solo d’orgue assez exemplaire. Ils sortent la fuzz pour «Lies» et t’explosent le gaga vite fait. Ils restent dans l’heavy gaga Soul sixties avec «Nobody Loves You». Ils n’en démordront pas. Ils sonnent comme Mitch Ryder, c’est très noyé d’orgue.

     Signé : Cazengler, Horny

    The Greenhornes. The Greenhornes. Telstar Records 2001

    The Greenhornes. Dual Mono. Telstar Records 2002

    The Greenhornes. ****. Third Man Records 2010               

    The Greenhornes. East Grand Blues. V2 2005

    The Greenhornes. Sewed Soles. V2 2005

     

    *

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    Il y a des groupes qui sont prêts à tout pour me plaire. Même s’ils ne me connaissent pas. Tenez prenez celui-ci : l’a un nom qui sent le grec. Le pays d’Aristote et de Gorgias. Tout de suite s’impose un bémol : ils ne sont pas grecs. Les malheureux. Bien sûr, moi non plus je ne suis pas grec mais moi ce n’est pas pareil. Enfin eux ils ont un sacré atout dans leurs mains. Ils viennent de Toulouse. Ville occitane que j’ai longuement arpentée hors de ma folle jeunesse. Je sais, la jeunesse est partie, mais il reste la folie. J’avoue que j’ignorais leur existence, je sais ce n’est pas bien, je le regrette, je ne recommencerai pas, je le jure. Bref j’errais sans but (avouable) sur le net lorsque tout à coup mon œil de félin a repéré trois mots magiques : Le cimetière marin. Grand fan de Paul Valéry je sursaute, je zozote d’émotion, je me ceins d’un drap de lit et je commence à déclamer les premiers vers de La Jeune Parque :

    Qui pleure là, sinon le vent simple, à cette heure
    Seule, avec diamants extrêmes ?.. Mais qui pleure,
    Si proche de moi-même au moment de pleurer ?

             Toutefois je m’interromps, je suis un rocker, or les rockers ne pleurent pas, dons je m’empare d’un stylo bille et griffonne cette chronique.

    LE CIMETIERE MARIN

    AEPHANEMER

    (Official MusicVideo)

    (Octobre 2025 / Napalm Records)

            Nous reparlerons prochainement d’Aephanemer, ce morceau est extrait de leur troisième album Utopie.

    Marion Bascoul : vocals / Martin Hamiche : Guitar, bass, orchestration / Mickael Bonnevialle : drums.

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             L’auditeur qui s’attendrait à une reprise metal in extenso du texte du Cimetière Marin de Paul Valéry se mettrait le doigt dans l’œil jusqu’à la clavicule. Seul le titre du poème et le premier vers de la dernière strophe sont repris en guise d’injonction existentielle. Les vers du poëte sont à lire plutôt comme une méditation sur le non-être. Toutefois le non-être s’y trouve défini selon sa coexistence avec les possibles de l’Être. Le texte d’Aephanemer est à lire comme une transcription de l’éclat qu’irradie le soleil noir du poème de Valéry. Non il ne vaut pas le poème de Valéry, mais il garde du par son vocabulaire choisi parmi les mots rhizomiques gorgés de suc de l’ensemble strophique valeyrien la même parenté que nourrissent et pourrissent  les  morts dans leurs rapports aux survivants. Que certains surnomment les vivants.

    Le cimetière marin : quatre ombres  vêtues de noir dans un studio ombragée d’ambre mordorée, la vidéo est à regarder comme une combustion orangée – voir les poèmes de José Galdo de la Danse des Morts – pas étonnant que le groupe soit étiqueté comme death metal mélodique, une flamme vive et symphonique qui s’élève, s’affaisse sur elle-même puis repart de plus belle, lorsque par deux fois le vocal survient, il semble s’évader de la bouche d’un Jolly Roger accroché au mât de misaine d’un bateau pirate, son espèce de glapissement funèbrement prophétique ne vous incite pas à rire, fermez les yeux laissez-vous emporter par cette chevauchée sur les huit sabots de Sleipnir. A vous de choisir votre rive.

             Une deuxième Video Official Music, c’est le titre qui suit le précédent sur l’album, est aussi accessible :

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    La règle du jeu : esthétiquement et musicalement parlant le titre révèle une troublante unité avec le Cimetière Marin, même flamme vive qu’un vent violent, agite, courbe et recourbe mais ne parvient pas à moucher. Un vocal davantage violent et bien plus présent, l’enjeu du texte est beaucoup essentiel, vous n’êtes plus au bord de la tombe vous êtes dans la lutte pour l’existence, le texte très bien écrit est d’une force incoercible, les cartes sont sur la table, toutes les combinaisons possibles sont ouvertes, l’on ne vous demande pas de choisir celle qui vous paraîtrait la meilleure mais de réfléchir sur la notion de jeu. Le texte est beaucoup plus métaphysique au sens fort de ce terme que celui qu’ils ont rédigés pour le cimetière marin. Donc le même fond d’oronge malsaine similaire au précédent, mais non plus tout à fait avec les musiciens car parfois  avec leurs ombres – pensez à celles du mur de la caverne platonicienne  - attention vous jouez avec des tricheurs, z’ont leur as de cœur dans leur manche : elle s’appelle Louna Lebeau et elle danse comme une jeune louve dans un le poème d’Alfred de Vigny, elle danse pour sa liberté, elle est l’effigie de la vôtre, saurez-vous comme elle renverser la table,  à elle toute seule elle est un ballet d’ombres mouvantes solitaires qui survivront dans la nuit de votre mémoire.

    Damie Chad.

     

    *

             Nietzsche qui philosophait à coups de marteaux sur tous les totems du monde nous a prévenus, toutes les valeurs que nous accordons aux choses sont vouées à s’écrouler un jour ou l’autre. Voici un exemple parfait : je croyais (mais croire n’est-ce pas déjà ne pas penser) que depuis le temps où je m’en va faire quelques tours de reconnaissance sur Werstern AF, je ne trouverais à coup sûr que des artistes de bluegrass. A tel point que j’en rapporterais toujours quelques chroniques que je pouvais étiqueter en toute bonne conscience : ‘’Bluegrass’’. Certes le bluegrass pur et dur, disons platonicien pour rester dans le domaine philosophique, n’existe pas. Ses frontières avec le country sont très vaporeuses, mais je ne m’attendais pas à ce que je me dépêche de vous présenter au plus vite. L’on est toujours trahi par les siens ! Parfois c’est pour notre bien !

    FULL PERFORMANCE

    CLAIRE HINKLE

    ( YT / Live AF / Septembre 2025)

    Claire Hinkle : vocals /  Max Kusin : Guitar / Rowdy Carter : Guitar / Kyle Farley :  Bass / Nick Tittle : Drums.

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    Pas besoin d’être sorti de St Cyr pour subodorer l’embrouille. A la limite le batteur tout au fond pas très visible avec ses cheveux longs l’a un look des anciens musicos des groupes sudistes, je suis bon prince, j’admets qu’il pourrait s’être fourvoyé dans un groupe de bluegrass, je passe sur le bassiste, l’aurait plutôt l’air de Buddy Holly, mais les deux guitaristes, indubitablement ces deux mecs sont des rockers, même la vidéo éteinte sur l’image muette ils transpirent, ils puent le rock. Quant à Claire Hinkle, je veux bien qu’après un passage à New York elle soit revenue au Texas pour jouer de la country music, mais ce que nous allons regarder c’est tout simplement un bon groupe de rock’n’roll !

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    In the movies : au micro, un tambourin à la main droite, elle sourit, elle oscille légèrement, l’est toute belle sous sa crinière brune de lion, parfaitement à l’aise, la grâce sans la minauderie, tranquille, sereine, sûre d’elle. Remarquez elle a de quoi, ses deux guitaristes lui déroulent un tapis rouge de notes fusantes et perfusantes, c’est parti, elle n’a plus qu’à faire son numéro, avec une désinvolture étonnante, l’est à l’aise, les deux guitars héros s’en donnent à cœur, le bassiste bouge et se dandine et tape du pied comme Buddy Holly ne l’a jamais fait, derrière sa batterie de Nick vous édifies des architectures sonores dignes de la galerie des Glaces de Versailles. C’est encore plus beau qu’au cinéma. Hot shit : rien à dire sur ce morceau. Il est parfait. Tous les cinq s’en donnent à cœur joie. Elle bouge si naturellement, ce n’est pas possible elle a dû faire de la danse pour se remuer ainsi, et la voix qui sort toujours claire (Hinkle), toujours juste, elle est aussi à l’aise sur cette scène que Madame de Récamier sur son divan, en plus elle parle rock, même si vous ne comprenez pas un mot d’anglais, c’est transparent, translucide, elle a le cran, sans arrêt, vous vivez, vous mimez dans votre tête, elle vous outre les portes du rock en grand et vous rentrez dedans sans avoir à frotter vos pieds sur le paillasson, elle tombe à genoux, les guitares dégoulinent, fusion orgasmique. Don’t ask questions : le slow qui tue,

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    question slow ce n’est pas vraiment lent mais quelle tuerie, vous êtes heureux ce n’est pas à vous qu’elle s’en prend, la cruelle minaude, les musicos ralentissent, pas le moment de la déranger, elle vous a l’air de ces espagnoles qui sautent dans l’arène et s’en vont narguer le taureau qui vient d’encorner à mort el torero, elles se plantent devant lui, lui tiennent un petit discours en quatre points, et la grosse bête honteuse s’en retourne au toril la queue entre les jambes.  Get on the bus : petit sourire aux musiciens, la réaction ne se fait pas attendre les deux guitares entreprennent d’escalader l’Everest, elle ne se retient plus, la voici reine du monde, alors les musiciens la suivent dans son assomption de folie. Redescendez sur terre c’est terminé. De toutes les manières vous ne me lisez plus depuis un bon moment, vous revisionnez la bande.

             Non ils n’ont pas inventé le rock. Mais ils le réinventent à chaque instant. Vous voyez  les boys et Miss Hinkle Claire : tout s’éclaire.

    Damie Chad.

     

    *

             La semaine dernière nous écoutions Weed Money d’AC Sapphire. J’ai eu envie d’en savoir plus. Je n’aurais pas dû. J’ignorais totalement ou je mettais les pieds. Surprenant et déconcertant. Nous commencerons par son dernier album.

    DEC. 32nd

    AC SAPPHIRE

    (Album Numérique / Bandcamp)

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    Quel changement de look entre la vidéo de Western AF visionnée dans notre livraison 704 du 02 / 10/ 2025 et la couve de cet album. Nous étions face à une personne que l’on pourrait classer ethnologiquement  dans la catégorie des hippies-folk et cette jeune femme dans son intérieur dont le visage souriant exprime une certaine assise psychologique qui n’a rien à voir avec le mode de vie qu’instinctivement l’on pressent tant soit peu marginal de la chanteuse-guitariste filmée devant un van au bord d’une route. Ne soyons pas dupes des images. Elles ne sont que des constructions, que veulent-elles nous dire, que signifient-elles au-delà des intentions qui les ont motivées.

    Il en est de même du titre de l’album, cette date du 32 décembre est-ce le jour d’après ou le jour d’avant, celui que l’on espère, celui qui n’existe pas… N’instille-t-il pas un doute introspectif quant à la vie que l’on a menée jusqu’à lors. Une manière de faire le point, de rebattre les cartes tarotiques d’une destinée qui ne nous satisfait pas, une redistribution du jeu de l’existence pour tenter de la remettre en un ordre beaucoup plus significatif, une espèce de réussite introspective censée clarifier le sens du chemin entrepris. Ce trente-deuxième jour du mois de décembre ne marque-t-il pas une zone floue d’équilibre entre le jour de trop dont on ne sait à quoi l’employer ou ce jour de moins qui nous manque pour entrer dans notre propre éternité.

    Palmistry : rollin’ guitar de Sapphire, l’orchestre derrière en retrait, des chœurs féminins discrets qui prendront leur importance sur la fin lorsque le morceau se change en gospel, pas d’erreur, pas une supplication adressée à dieu mais à l’être aimé. Pas de vocal, un chant. Sachez faire la différence. Le vocal correspond à l’expressivité d’un individu intrinsèque qui se livre tel qu’en lui-même, le chant participe d’une autre dimension, certaines voix chantent, d’autres pas, Sapphire est une véritable chanteuse de la taille de Joni Mitchell, une maîtrise, une sérénité, une simplicité certes, mais le chant dans sa plénitude confine à la poésie lyrique celle de l’expression de soi, le titre anglais nous renvoie aux palmes, alors que traduit en français il se traduit par chiromancie, l’art de lire sa destinée dans les paumes de la main, mais ici le désir de changer le cours des lignes afin de modifier la passé pour influer sur le présent, il est aussi question de désert, de 2014 à 2019 Sapphire s’est retirée dans le désert de Mojave, la célèbre Vallée de la Mort, en fait elle est partie, pour faire le point… il est difficile de s’abstraire totalement de sa vie, même en rupture avec ce que l’on a été l’on reste souvent tributaire des années d’enfance, Sapphire a été élevée dans une famille religieuse, l’on sait que les prophètes se sont souvent retirés dans le désert… Traces de pas subsistant dans le désert de la mémoire. Check Engine Light : un piano aux notes enrayées et le chant déchiré de Sapphire entre passion et compassion, entre colère et vengeance, un cri de désespoir et une analyse poussée du drame intime exposé depuis les deux tronçons de la flèche brisée  du désir qui désirerait se joindre à lui-même alors qu’il en est incapable. Rien de plus américain que d’utiliser l’image d’une voiture qui ne veut plus démarrer, n'empêche qu’au-delà d’une métaphore somme toute triviale la force des mots nous confirme ce que l’on avait compris à l’écoute du premier titre, l’écriture de Sapphire est d’obédience poétique. Sibling Rivalry : il existe une official video que je vous

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    invite à regarder. Elle fut tournée en 2015. On y aperçoit Sapphire rouler dans le désert mais surtout s’adonner avec ses frères et sœurs aux jeux de leur enfance. Elle ne fut pas malheureuse, les huit frères et sœurs ne fréquentèrent pas l’école, les parents aisés leur servirent de professeurs. Ils furent initiés à la musique et à la poésie. A 14 ans Sapphire monta sur scène pour interpréter Shakespeare, plus tard avec deux de ses sœurs Sapphire formèrent un groupe Sister 3. Nous en reparlerons. La chanson est de toute douceur, la prédominance des grosses notes de la basse l’assombrit quelque peu, c’est que le bonheur des jours heureux n’est pas uniforme, à mots couverts Sapphire nous confie qu’elle a jalousé sa sœur mais que cette jalousie l’a confortée à devenir elle, à suivre un chemin qui l’a séparé de son premier univers… le morceau se termine par des rires joyeux, toutefois voilés, perdus quelque part dans un temps lointain. Oblivion : à qui s’adresse-telle, sans doute à elle-même, tous les autres ne sont-ils pas des clones de nous-mêmes, une balade country chantée avec la voix de Joan Baez, même si sur la fin l’émotion de la vie et du monde qui s’effacent tempère un peu l’optimisme d’être ce que l’on est, incapable d’arrêter la course du soleil. Même avec un flingue. Mais en vivant dangereusement ne sentons-nous pas plus pleinement que le chemin de crête du présent côtoie l’abîme. Highway Hum : une guitare bourdonnante et une voix qui gesticule, qui crie, qui danse. Urgence et inquiétude. La proximité des morts. De qui parle-telle sinon de son rêve qu’elle refuse de préciser. Il est étrange de voir comme les morceaux se suivent et racontent une histoire dont chacun raconte un épisode. Suite logique. Toutefois l’on ne sait jamais si nous sommes dans un évènement passé ou dans une reconstitution mentale de ce qui a été et de ce qui n’a pas été, le néant n’est-il pas la gangue des atomes dans laquelle ils se défont, le dernier mot ne reste-t-il pas à la langue de la poésie. Starships : reviennent les cordes effilochées, parfois la réalité ne correspond plus à elle-même, où sommes-nous dans l’obscurité du monde, nous savons bien où nous ne sommes plus, mais ne sommes-nous pas vivante dans les pensées d’une autre, d’ailleurs n’est-elle pas aussi en notre pensée, notre existence se limite-t-elle à notre pensée, bien que nous n’en n’ayons pas la conscience ne serions-nous pas mieux au-dehors de nous-mêmes, la voix se presse elle se heurte aux incertitudes chaotiques que nous sommes et ne sommes pas, pas qui nous agitent, nous éliminent et nous fondent… Thunderbird aussi nommé Demon Sneeze :  guitare comme une caresse sur la fourrure soyeuse d’un chat, pas de démon et un oiseau qui ne tonne pas, mystérieuses paroles, un couple qui se rencontre pour mieux se séparer, mélodie triste, lequel rattrapera l’autre à ce jeu démoniaque, un feu qui s’éteint de lui-même faute d’être alimenté à tour de rôle mais jamais ensemble au même instant, au début était le verbe, des mots qui coulent de deux bouches qui ne se rejoignent qu’à demi, les mots ne solidifient pas le monde, ils glissent, ils tombent, de quoi parle-t-elle au juste, ne chante-t-elle les limites de la poésie incapable de changer le monde, l’on pense à Keats, la poésie de Sapphire n’a pas la même  luxuriance que celle du plus pur des grands poëtes romantiques, mais elle porte en elle la même impuissance à ne pas régir le monde des désirs à sa volonté. Quelle lassitude de ne vivre que la moitié de son rêve. Chapparal Bottoms : la suite du morceau précédent, la même lenteur, avec toutefois au milieu du pont une guitare électrique qui se sublime en folk-noise, le chant rampe tout autant, mais la guitare allume l’électricité pour voiler à sa manière l’échec de deux existences qui se quittent, Sapphire qui se désole et Victoria qui lui intime l’ordre de chanter, de continuer sur ce chemin qui lui apportera la victoire. Le plus terrible c’est qu’elle est d’accord avec son amante, c’est à elle de conquérir la moitié du ciel, elle sait que c’est le parti qu’elle est en train de prendre son chemin. Chanson mortuaire pour un merveilleux cadeau. Même les buissons d’épineux finissent par mourir. Weed Money :  le morceau repris pour

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    Western AF, cette version est accompagnée d’une Official Video que nous avons déjà commentée, elle s’intègre au mieux à cet album, les images évoquent la partition de Sapphire, l’être de chair soumise à ses désirs et aux caprices des autres, son appétence de clarté apportée par l’expérience de la  poésie. Dans cette interprétation le morceau se teinte de mélancolie, celle qui résulte de cette terrible dichotomie, mais nettement moins désabusé. String Breaker : au fur et à mesure que j’écoutais cet album, je ne parvenais pas résoudre l’équation qui s’offrait, chaque morceau était plus beau, plus nécessaire et davantage essentiel que le précédent mais ô combien supplanté par le suivant. Un collier de perles, toutes d’une brillance exceptionnelle, mais cette lettre d’adieu à soi-même, ce froid constat sulfureux d’huissier poétique selon lequel deux astres qui se croisent ne font qu’accentuer leur solitude.  Le chant vous perce le cœur, la guitare le brise, et puis ce violon qui pleure toutes les larmes qu’il est inutile de verser, enfin cette voix qui se disperse et se recueille, et ces onomatopées qui se plantent en vous comme des lames de couteau.

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             Cet album unique, en le sens où il se suffit à lui-même et n’a pas besoin de vous pour exister, est une splendeur.

             Une seule consolation, il nous reste d’autres enregistrements d’AC Sapphire à écouter.

    Damie Chad.

     

    *

    En règle générale on choisit un livre pour l’auteur et le sujet. Evidemment les books sur Elvis, vont du pire au meilleur, toutefois par principe on ne crache pas dessus : on regarde. J’ai commencé pat le nom de l’auteur : Jane et Mickaël Stern. Inconnus au bataillon. Leur fiche wikipedia m’a étonné : se sont fait un nom en confectionnant non pas un dictionnaire du rock’n’roll mais un guide de cuisine. A priori pas le truc qui ne m’intéresse pas. Z’ont eu une idée originale. Normalement en tant que citoyen du pays qui possède la cuisine la plus renommée au monde, je devrais les injurier copieusement, z’ont fait fort, z’ont opté pour la cuisine populaire, leur book c’est un peu le bréviaire Michelin pour les cheeseburgers mal cuits que vous ingurgitez fissa au  hasard des highways dans des patelins américains inconnus. Avec toute cette graisse dégoulinante ils ont fait leur beurre. Se sont toutefois diversifiés, il arrive un moment où les lecteurs n’ont plus faim, alors ils ont entrecoupé leur Encyclopédie de la Mauvaise Bouffe par d’autres sujets populaires, les chiens, un grand réalisateur  Douglas Sirk, et cerise sur le sandwich au beurre de cacahouète un bouquin sorti en 1987 sur Elvis.

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             Scrongneugneu je n’étais pas chaud, mais dès la couverture y avait un argument massue auquel un rocker français ne résiste pas : traduction de François Jouffa ! L’a écrit plusieurs livres sur le rock’n’roll en collaboration avec Jacques Barsamian, notamment L’âge d’or du rock’n’roll consacré à la génération des pionniers  dont la première édition sortie en 1980 tomba à pic pour accompagner les connaissances des adeptes de la renaissance rockabilly… Entre autres, les deux complices ont aussi à leur actif un Elvis Presley Story

    ELVIS

    LE MONDE D’ELVIS

    ELVIS AU PAYS DES MERVEILLES

    JANE ET MICHAEL STERN

    (France-Loisirs / 1988)

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    Est-ce pour nous faire plaisir, l’introduction du livre débute par la remarque par laquelle nous terminions la semaine dernière notre chronique consacrée à Uuseen Elvis de Jim Curtin,  les fans d’Elvis connaissent tous les détails de la vie d’Elvis, tous les objets qu’il a de  près ou de loin possédés, toutes les dates marquantes, toutes les maisons qu’il a habitées, tout ce que voulez sauf… sa musique, deux ou trois titres pas un de plus… elle figure le continent noir englouti,  l’iceberg immergé…

    Le choc Elvis : première surprise l’ensemble est agréable à lire, deuxième plaisir, le regard porté sur le phénomène Elvis est des plus pertinents, le texte fourmille d’anecdotes mais son principal attrait réside en la rigueur de l’analyse. Laissons de côté le public inconditionnel des jeunes filles enthousiasmées par le chanteur… Désolé pour Eddy Mitchell, ce n’est pas la voix d’Elvis qui prime, mais son attitude sur scène : ses déhanchements, ses virevoltes, sa souplesse de félin, tout ce que vous admirez, de toutes les manières même quand il ne fait rien de précis l’hystérie collective se déclenche… mais Elvis lui-même qu’en pense-t-il ? Il ne se livre pas, il se contente de constater, apparemment il est le premier surpris. Les parents qui n’ont jamais cru leurs filles capables de telles exaltations, très vite relayés par le milieu musical tirent leur conclusion : ce garçon n’a rien d’exceptionnel, pas totalement idiot mais très loin d’Einstein. Ce qui choque ce sont ses manières, pas du tout grossières mais surtout pas du tout policées. Un gars sorti de sa campagne, empli d’une rusticité étonnante, et même détonnante pour cette jeunesse blanche bien éduquée qui dans l’absolu et la vie de tous les jours ne fréquente pas ces milieux populaires. L’expression ‘’ mépris de classe’’ employée à  tort et à travers de nos jours nous paraît résumer ce haut-le-cœur des adultes surpris. Jane et Mikaël Stern vont plus loin. Ce qu’ils disent nous aide à mieux comprendre l’actuelle propension de l’Amérique de Trump à se revendiquer à chaque instant du Dieu très chrétien. Les contemporains des années cinquante réactionnairement outrés par les extravagances elvisiennes  ne visent pas aussi haut, laissent Dieu tranquille, ce qui leur semble en danger c’est la religion. Par ses poses pelvisiennes notre King effrite à lui tout seul le ciment agrégateur, le béton christique de la société américaine.

    Pour nombre de rockers américains, ils le racontent dans leurs autobiographies, leur native addiction à cette musique provient du premier passage d’Elvis à la télé américaine en 1956. Une cassure sismique dont ils ne se sont jamais remis. L’élément déclencheur. Nos deux polygraphes scrutent tous les passages télé d’Elvis avant le 56 historique. Les précédents, ils ne sont pas rares et tout autant inscrits dans l’histoire, leur schéma est éloquent : par sa prestance Elvis dynamite l’écran, pour diminuer l’onde de choc on réduit l’image, on inclut sa prestation dans de ridicules scénettes. Les Stern vont plus loin, tout le reste de sa carrière Elvis sera prisonnier d’un carcan idéologique sociétal dont il ne parviendra jamais à se débarrasser. Très symboliquement la fameuse séquence de Jailhouse rock le montre derrière des barreaux.

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    La face cachée d’Elvis : ce n’est pas celle à laquelle on pourrait s’attendre. La période couverte par ce chapitre commence en 56 et comporte sa période à l’armée. Elvis nous est décrit comme un ange. L’on n’est pas loin de la petite maison dans la prairie. Un garçon d’une simplicité extravagante. Son plus grand plaisir : le sandwich à la banane. N’entrevoyez aucun jeu de mot avec le dernier vocable qui précède la ponctuation. Bien sûr il reçoit ses petites amies dans sa maison qui est surtout celle de ses parents. Apparemment ils passent leur nuit à jouer avec des ours en peluche et à chanter des cantiques. Vous ne trouverez pas un garçon plus posé, plus poli, plus pieux que lui dans tout l’hémisphère nord. Sud aussi. Passe son temps à pleurnicher durant son service militaire, l’a une excuse sa maman est morte, désormais il sera seul. Priscilla est absente de ce chapitre. Toutefois, sans doute par mégarde, on évoque la soirée parisienne au Lido. C’est dommage sans quoi l’on aurait pu ajouter ce chapitre à La Vie des Saints. Il n’aurait pas dépareillé. Avec un peu de chance Elvis aurait eu droit à une palme d’or et à être assis, ni à la gauche, ni à la droite de Dieu, mais sur ses genoux.

    Un Elvis en cellulose : la période Elvis au cinéma, les films sont remarquablement résumés en quatre ou cinq lignes. Jane et Mikaël Stern se détournent de leur hagiographie. Au retour de l’armée les nouveaux films d’Elvis ne sont pas bons. Il est facile d’accuser le Colonel. Parker aimait l’argent. Elvis préférait la vie facile. Un terrain d’entente était possible. Question nullité des films nos deux auteurs n’accusent pas Parker. Le côté film sans scénario correspondrait à l’imaginaire d’Elvis. Le bon garçon qui ne sera jamais du côté du mal et de la violence. Un monde de joie, de fête, de jolies filles, de plans technicolors, de couleurs vives… Que voulez-vous que le bon garçon du deuxième chapitre  puisse promener dans sa tête comme phantasmes… Les chaudes soirées des tournages ne sont jamais évoquées, puritanisme américain oblige ? Dans les bios d’Elvis on nous raconte qu’Elvis auraient désiré des films à la James Dean, à la Marlon Brando, cela nous le rend sympathique, Jane et Mickaël réagissent en bons ricains requins : si tu veux faire cela : fais-le. You can do it ! Si tu ne le fais pas, ne t’en prends qu’à toi. Assume. Autant ils ont été gentils dans le deuxième chapitre, autant dans celui-ci ils se montrent cruels. Return to sender !

    Elvis enluminé : curieux chapitre, on y trouve de tout non pas comme à la Samaritaine mais comme sur ces listes de tous les ingrédients qui par exemple à toute heure du jour et de la nuit devaient se trouver dans la cuisine… Serait-ce un indice de paranoïa ou d’angoisse ? Les deux mon colonel. Maintenant une merveille : les premières pages consacrées aux spectacles d’Elvis à las Vegas. Certains de nos lecteurs y ont assisté, d’autres ont zieuté des vidéos sur le net. Si vous n’appartenez à aucune de ces deux catégories, ne soyez pas tristes, j’ai l’impression que leur évocation  écrite est encore plus belle que n’ont été ces shows dans la réalité. Ensuite l’on passe dans des détails connus et rebattus, notre couple biographes en profite pour analyser la notion conceptuelle de Roi, qu’Elvis n’aimait pas mais qu’il assuma royalement. Elvis en a-t-il été conscient ? Soyons poli avec les dames : c’est dans ce chapitre que vous émerveillerez devant le chignon monstrueux de Priscilla.

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    A Graceland : nos deux reporters s’en tirent bien. Tout a déjà été dit, la visite est obligatoire, d’ailleurs les huit premières pages du bouquin vous permettent d’ouvrir vous-même le portail. Ne vous prenez pas pour Elvis, le King ne se dérangeait pas pour si peu, il ne descendait pas de sa voiture, il se contentait de repousser les deux vantaux avec le parechoc de ses Cadillacs. Geste ô combien rock’n’roll ! Elvis c’est un peu l’anti-Warhol qui entassait   dans son appartement  tout ce qui lui passait entre les mains. Elvis c’est un Des Esseinte du pauvre qui a passé sa vie à peaufiner son manoir, un tantinet nouveau riche (c’est-à-dire en ancien pauvre), du toc, du cheap, du kitch, de l’hétéroclite, je ne critique pas, si j’avais sa fortune, je ferais vraisemblablement pire. La preuve : je suis fan de sa jungle room, toutefois comme Joséphine Baker je n’aurais pas oublié de la partager avec un guépard. Ou une panthère noire. En hommage à Leconte de Lisle. C’est mon petit côté parnassien. Elvis n’aurait-il pas été un parnassien qui s’ignorait,

    Prendre bien soin d’Elvis : n’est-ce pas le plus beau chapitre du livre. Le plus émouvant à coup sûr. Nos deux cicerones se laissent eux-mêmes prendre  à l’ambiance qu’ils décrivent. Au début c’est du Zola, pas Germinal mais Lourdes un roman d’une une charge féroce contre les marchands (et leurs fidèles clients) lors du pèlerinage de Lourdes. Nous voici plongés parmi la cohue des fans devant Graceland, les survivants et les vétérans. Les premiers ont survécu à la mort d’Elvis Presley, les seconds aussi mais ils ont connu Elvis de son vivant. Un peu, à peine, beaucoup, énormément mais tous le vénèrent. Insensiblement toute cette faune disparate venue des quatre coins du monde, malgré leur bêtise, leurs défauts, leurs croyances et leur vénération, nous devient sympathique. Ces exaltés ont tout compris : l’on ne peut rien contre la mort. Et encore moins contre l’oubli. Ils essaient pathétiquement à leur manière de garder Elvis vivant. Perpétuer le souvenir d’Elvis, c’est un peu leur manière à eux de rester vivants.

    Pour ceux qui aiment les généalogies Mary Ann Yates qui habita tout à côté d’Elvis, ils avaient 14-15 ans, nous apprend qu’Elvis qui n’était pas encore Elvis se surnommait lui-même Valentino. A méditer.

             On n’en a jamais fini avec Elvis. Le livre est terminé. Mais il vous reste encore à lire tout un tas d’ouvrages : voici Les écrits sur Elvis : sont vraiment bons pour résumer un livre en cinq lignes. Vous apprenez tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur Elvis ou le détail qui vous foudroie. Exemple : il est bien connu que du sang cherokee coulait dans les veines d’Elvis mais j’ignorais le nom de son arrière-arrière-arrière-grand-mère : Blanche Colombe du Matin ! Faut-il y voir une véritable préfiguration du Saint-Esprit !

             J’avoue que je suis rentré dans ce livre à reculons. J’en ressors convaincu d’une chose : la magie Elvis opère toujours !

    Damie Chad.

     

    *

    Un très beau témoignage, par la force du destin pratiquement d’outre-tombe : Graham Fenton nous a quittés ce 10 août 2025.

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    Nous évoquerons Graham Fenton la semaine prochaine en chroniquant le numéro de Rockabilly Generation News qui lui consacre un important dossier.

    The Gene Vincent Files #10 : Graham Fenton shares his touring experiences with his all-time hero.

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    La première fois que j’ai vu Gene performer en public, c‘était approximativement en 1965 en the UK, mon frère, mon frère aîné possédait tous ses disques et j’ai découvert Gene Vincent grâce à ces disques et des choses comme ça, quelques amis m’ont dit que Gene résidait en ville, qu’il vivait en Angleterre à l’époque mais pas très loin, veux-tu venir le rencontrer, bien sûr j’y suis allé avec lui, il était sur scène avec un groupe appelé a the Shouts, j’ai dit qu’il vivait en Angleterre, et j’ai vu cet homme, ce gars complètement fou sautant un peu partout dans son cuir noir, j’étais comme vampirisé par ce phénomène, Gene est devenu mon héros à tel point que j’ai voulu devenir chanteur, ce n’est que des années plus tard que suis devenu chanteur, vous savez, Gene avait ce truc en plus, je ne sais pas si c’était en quelque sorte lié à moi, je crois que l’attrait du cuir noir, je fréquentais les groupes de bikers, je pense que ce style de cuir noir, cette manière de s’habiller, cette image du Rocker que nous assimilions aux bikers y était pour beaucoup. Gene ne portait pas de cuir avant de venir en Angleterre, c’est  Jack Good qui lui  conseilla le cuir, auparavant Gene portait des chemises flashy ou des vestes, ou d’autres choses, ce nouvel accoutrement l’a rendu plus féroce aux yeux du public britannique… réellement c’est en 1970, 

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    avions bien commencé l’année notre manager nous dit ‘’ Votre héros Gene Vincent vous ne le croirez pas mais nous sommes sur le point de faire une tournée en France, au mois de juin 1970, avec Gene Vincent’’. Evidemment nous ne l’avons pas cru, nous fûmes convaincus lorsqu’il me montra les contrats, je me suis précipité pour téléphoner  à Maman et Papa ‘’ Devine, je suis sur le point d’accompagner Gene’’ c’était incroyable, je n’y ai vraiment cru que lorsque nous sommes retrouvés à Paris, nous étions arrivés au plus tôt,  sa voiture est arrivée directement de l’aéroport et jusqu’à ce que nous ayons vu Gene descendre de la voiture et venir nous serrer la main et rentrer dans l’hôtel, je n’y croyais pas, mais c’était parti… oui comme vous le savez, nous avons effectué cette tournée, Est-ce que les Houseshakers avaient répété avec Gene avant la tournée ? oui, oui nous l’avons fait, nous connaissions tout un tas de titres, je pense que nous avons reçu une setlist à partir de ce matériel, il aurait établi de toutes manières, quand je pense que la moitié du set était un matos que nous jouions durant nos propres shows, je me souviens d’avoir prévu que quand nous jouerions  notre propre set de ne pas interpréter quelques titres de Gene Vincent car il les jouait dans son tour de chant, aussi nous quelque peu changé le set en laissant de côté les morceaux que nous faisions avec Gene Vincent, je pense qu’à l’époque nous n’avons pas vraiment répété tant que nous n’avons pas assuré les premières prestations, c’était dans un endroit derrière, comme si c’était un show en plein air, je ne suis pas sûr du nom de l’endroit, mais c’était à peu près à deux cent kilomètres de Paris. Nous avons réalisé un show, il y avait cette vieille ombre en arrière-plan, et nous avions une pièce, une pièce vide dans une vieille baraque où nous nous sommes installés, après quelques essais et nous sommes passés au check sound,  en suite nous sommes dépêchés de nous installer devant le public qui arrivait. Un souvenir : je me rappelle que j’étais seul avec Gene, il était en train de gratter une guitare, je lui avouais qu’une   ballade que j’admirais depuis toujours parmi les siennes était Over the Rainbow, il chanta deux couplets en s’accompagnant à la guitare, j’étais assis et j’ai senti des frissons me traverser la moelle épinière, sans savoir que plus tard en 1980 j’aurai en Angleterre un hit en enregistrant Somewhere over the rainbow’’... Que faisiez vous, vous qui étiez le chanteur des Houseshakers

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    Houseshakers

    quand le groupe accompagnait Gene Vincent  Que pouvais-je faire, je tournais autour du groupe, je regardais les filles, et tout ce que vous pouvez imaginer, si ce n’est regarder Gene, puisqu’il il était mon héros, je signale un incident, j’ai été réprimandé par mon manager parce que je signais des autographes pendant que j’étais assis dans le public près de la scène, des filles et des gens arrivaient et je signais des autographes, le manager me l’a reproché, il m’a dit que ce n’était pas professionnel de signer des autographes, j’ai été joliment bouleversé plus tard, car j’ai pensé que Gene serait en colère, je suis allé le voir à l’hôtel, et j’ai tout expliqué, et il m’ répondu un truc style ‘’Hey man pourquoi te prends-tu la tête avec ça, je ne peux te reprocher ce genre d’action, continue, je te le conseille’’, par la suite vous savez combien ce fut cool  entre nous, tout se passa à merveille, il avait voulu un chauffeur pour explorer les environs, c’était un français, un gros gars que nous appelions le gorille car il était énorme et chevelu, il conduisait Gene par ci par là dans une citroën, ou une bagnole du même genre, une minuscule voiture, le gars était fatigué et avait besoin de se déplacer et ce gars qui était crevé devait mener Gene aux premières heures du matin il revenait de quelque part et nous roulions  dans le bus quand nous le vîmes sur le bord de la route avec Gene à l’intérieur. Nous nous sommes arrêtés pour voir ce qui n’allait pas, Gene raconta que le gars était crevé et qu’il s’était endormi au volant, qu’il conduisait très vite   qu’il était complètement taré, il ajouta ‘’je veux voyager avec vous les gars’’  par la suite Gene a voyagé avec nous dans le bus plutôt qu’avec ce type… Gene était à l’aise, toujours un truc à dire, Bonjour  les branleurs !  Holà  les agités ! Gene se comportait naturellement, il avait le sens de la répartie, il y avait des moments de rigolade chaque fois qu’il montait dans le bus… Une fois descendait dans  un hôtel Gene a avisé ce quotidien anglais, il était géré par Don Arden, et aussi un certain temps par la femme d’Ozzy, Gene a lu l’article sur Don Arden, nous avons vu son visage glisser s cette tournée particulière en France malheureusement ce n’était pas un manque de respect   envers quiconque de déclarer que nous étions très jeunes, Gene est monté sur ses grands chevaux, mais je pense que le gars était un fan et qu’il était en train de faire notre promotion, même si c’était maladroit, ça partait d’une bonne intention… La tournée était à court

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    d’argent, je pense que le père du gars, le père de l’ami qui avait mis de l’argent essayait de faire arrêter la tournée, c’est ainsi que les deux derniers shows furent annulés, comme Gene n’a pas été payé nous ne l’avons pas été non plus, nous fîmes tout de même le show mais Gene ne le fit pas. Il y a  eu d’autres désagréments  du même style. Dans un village, à Lons-le-Saunier, je me souviens qu’il y a eu une émeute, c’était un bâtiment de pierre, ils ont commencé à mettre le feu à des cartons, à des papiers, à des emballages, ces jeunes français protestaient parce que Gene n’apparaissait pas, ils ne nous ont fait aucun mal, ils étaient sympas et presque heureux de notre boulot, mais ils étaient en colère parce que Gene n’était pas là,  ils menaçaient de mort le manager, alors que nous nous nous apprêtions à sortir par la porte de derrière l’on se trouva face à des centaines  de fans français vraiment en colère, aussi nous avons désigné un des meneurs de ces mécontents comme leur porte-parole, il était capable de comprendre l’anglais et il nous a expliqué pourquoi ils étaient en colère et nous lui avons expliqué la situation,  il est  repartit expliquer aux fans la situation et ils se comportèrent comme des gentlemen, nous n’avons pas eu de problèmes, les gars nous ont laissé sortir du bâtiment, le truc c’est qu’ils se sont désintéressés du van et mais ils s’en sont pris aux pneus  de notre bus, plus tard ils regrettèrent leurs actes, le matin suivant ils revinrent, ils s’emparèrent des pneus, les ramenèrent gonflés, et les montèrent à leurs places. Voilà un genre d’aventure vraiment presque amusante, mais ils étaient encore joliment en colère de n’avoir pas

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    vu Gene, alors qu’en vérité Gene n’avait pas été payé… Gene était une des plus agréables personnes que vous pouviez rencontrer quand il n’avait pas bu, mais quand il avait bu, ce n’était plus la même personne, il a pu être un peu colérique avec nous quelques fois, spécialement envers les producteurs, vous connaissez les managers et surtout les promoteurs… quant à cette photo, cette photo a été prise en

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    France, en juin 1970, nous nous étions arrêtés pour prendre un café ou autre chose, j’ai juste demandé à Gene  de prendre une photo, je possède plusieurs photos avec Gene… il avait horreur de ne pas être payé, spécialement lors des tournées en France, il était hors de lui si le fric n’arrivait pas à l’heure dite, il s’agitait, il voulait son argent, si quelqu’un lui donnait un chèque comme une fois à à l’Université de Swansea, nous avions fait ce gig avec lui et à la fin du show le secrétaire général du College vint et dit – voici votre chèque, destiné à moi et aux Houseshakers, et voici le chèque pour Gene, pouvez-vous le lui donner, - non sa loge est en bas, descendez le lui porter vous-même – pourquoi c’est juste pour que vous  le  lui donniez ! Nous savions qu’il voulait du cash, nous nous sommes précipités derrière la porte,  le gars est reçu de cette façon – je ne veux pas de cette putain d’enculerie… l’on entend Gene  déchirer redéchirer et déchirer encore le chèque en jetant les morceaux à la ronde, le gars est ressorti blanc comme une merde… J’ai eu une 1959 Chevrolet Impala, ma première grosse américaine, j’étais juste en train de m’habituer à ce monstre, je me rends à cet hôtel in Heram prendre Gene, il s’était installé à l’arrière de la voiture, quelque chose clochait, soudain nous l’avons entendu s’étouffer et tousser,  Marcia dit à Gene ‘’nous ferions mieux d’aller à l’hôpital, c’est ton ulcère’’, au même moment dans le rétro j’ai vu Gene poser sa main sur la bouche de Marcia car il voulait que personne ne soit au courant de sa maladie,  tout de suite il se remet à tousser et à vomir du sang et de l’alcool au fond de la voiture, il était un peu délirant et nous l’amenâmes à l’hôpital le plus proche, nous passions le portail Gene lève les yeux et voit le mot ‘’hospital’’ il a tout de suite paniqué et crié ‘’ si vous me portez là-dedans vous pouvez aussi bien  dire adieu à cette putain de tournée’’ Marcia essaya de le persuader mais il répondit ‘’non, non, pas question, c’est fini si tu me mets là-dedans c’est fini !’’ aussi nous le ramenâmes, il s’endormit à l’arrière

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    de la voiture… j’ai dû emmener Gene faire une interview radio, je ne sais pas si vous l’avez entendue, le gars est mort tristement l’année dernière, un gars nommé Johnny Peel, Johnny était un bon gars, il était un big fan de Gene Vincent,  à l’époque il avait questionné  Gene sur son label Dandelion lors d’un show, nous sommes allés faire cette radio avec John Peel, aussi j’ai pris Gene à son hôtel, redoutant le pire, je venais juste de nettoyer la bagnole, Gene ayant été malade à l’arrière de la voiture, j’avais passé un bon moment avec un seau d’eau à nettoyer la voiture, donc je vais à l’hôtel prendre Gene, et il était en forme, de bonne humeur, il était brillant, il était bien, il était souriant comme à son habitude, il est sorti, allez on y va, on y va, nous avons roulé jusqu’au  Playhouse Theater in London, pour enregistrer ce show TV, non ce radio show pour John Peel… Plus tard après cette entrevue Gene      me dit : je suis vraiment désolé pour la voiture, je vais payer pour la faire nettoyer et laver correctement, j’ai répondu je m’en suis chargé, il m’a offert de l’argent, mais je n’ai pas eu le cœur de prendre cet argent car j’étais triste de voir qu’il était malade… L’ironie de cela est que je l’ai vu,   j’étais dans ma grosse Chevy, j’étais en train de conduire, je partais quelque part rencontrer une petite amie,  là où je me rendais se situait in West London, je débouchais sur le croisement de la Main Road lorsque j’ai vu une petite voiture venir sur ma gauche tut-tut klaxonna-t-elle, je regardais par la vitre et la première chose que je vis c’était Gene Vincent qui me fixait, il était dans la voiture d’un de mes amis, Lee Tracy qui conduisait, il se dirigeait vers le nord,  je baissais la vitre   Gene s’écria – Hello, comment vas-tu, pas de rancune ?   - non ai-je répondu, j’étais comment dire réellement stupéfait, surpris de voir Gene ainsi, ce fut ma dernière impression, c’était la dernière fois que je le voyais vivant car trois semaines plus tard j’ai entendu à la radio qu’il était mort, j’ai compris d’après mon expérience la gravité de ses problèmes d’estomac… il était une des icones du début du rock’n’roll, malheureusement sur la fin des fifties, les USA lui tournèrent le dos, ils n’ont pas reconnu qu’il avait eu par la suite encore   une bonne partie de sa carrière  en Angleterre et en Europe… je pense qu’en France, il était énorme, il était comme un héros, il l’était aussi dans la plupart de l’Europe, mais en Angleterre et en France il était encore un nom qui comptait, est-ce la faute à son problème d’alcool ou non tout un tas de personnes l’ont laissé tomber, je n’en sais rien, peut-être est-ce cela, mais il aurait mérité une plus grande reconnaissance, ironiquement il a été davantage reconnu à la fin du vingtième siècle et au début du vingt et unième siècle, il a obtenu le statut de héros et a été considéré comme l’une des principales icônes du rock’n’roll, maintenant davantage qu’à son époque, si Gene Vincent et les Blue Caps donnaient des concerts avec les fans qu’il a aujourd’hui je pense que ça serait à guichets fermés, je le pense fermement, hélas c’est trop tard.

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    Transcription : Damie Chad.

    Notes :

    Manifestement Graham Fenton puise dans ses souvenirs et ne donne que très peu d’indices chronologiques…

    Pour la description de la tournée française le lecteur se rapportera au livre paru chez Camion Noir : Gene Vincent, Dieu du rock’n’roll de Jean-William Thoury. Un ouvrage indispensable.

    Pour la séquence au Playhouse Theater, Gene Vincent  est interwieuvé par Keith Altham.

    Thelma Riley a été la première femme d’Ozzy Osbourne le chanteur de Black Sabbath, a-t-elle travaillé avec Don Arden ?   Graham ne confond-il pas avec Norm Riley qui fut manager de Gene aux USA qui était en Angleterre en 1960, il connaissait Larry Parnes qui organisa la tournée avec Gene Vincent et Eddie Cochran. Don Arden qui était le présentateur de cette tournée récupéra le management de Gene… peut-être n’ai-je pas compris ce que disait Graham. A ma décharge je dirais que les anglais ont vraiment un mauvais accent lorsqu’ils parlent leur langue !

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    L’album : I’m Back and I’m Proud est sorti le label Dandelion en janvier 1970 en Angleterre et en Mars 1970 aux USA. John Peel (1969 -2004), présentateur sur Radio 1 fut un véritable catalyseur historial de la musique rock. Notre Cat Zengler lui a consacré sur notre site plusieurs chroniques.

    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 445: KR'TNT ! 445 : TAV FALCO / JERRY TEEL / THE JINETS /ERIC CALASSOU / ROCK 'N' PHILO

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 445

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    02 / 01 / 2020

     

    TAV FALCO / JERRY TEEL

    THE JINETS / ERIC CALASSOU 

    ROCK 'N' PHILO

    Tav & ses octaves - Part Four

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    Noël approche et c’est l’occasion ou jamais de ressortir un Christmas album. On a le choix : The Christmas Gift For You de Phil Spector, le Beach Boys’ Christmas Album, le funky Christmas album de James Brown, Sharon Jones et son Holiday Soul Party, le Christmas Card des Temptations, le Twenty-Fifth Day Of December des Staple Singers, l’incroyable Christmas With the Miracles de Smokey Robinson, le Christmas Here With You des Four Tops, le tardif Christmas Is The Perfect Day de Fats Domino, ou encore l’excellent Sino-Way José d’El Vez, mais au fond, on aura une préférence pour le Tav Falco Christmas Album, car dans le genre, il est difficile de mieux faire. C’est un chef-d’œuvre incomparable.

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    Il tape bien sûr dans tous les classiques, mais il choisit une ambiance spéciale pour chacun d’eux. Il monte par exemple «Santa Claus Is Back In Town» sur un fabuleux shoot de heavy boogie blues, pretty baby. Jumpy & sexy, comme l’écrit Tav dans ses notes de présentation. Une fantastique clameur de chœurs couronne le tout. Il se veut plus rococo que Rocco et ses frères avec «White Christmas», il va plus sur un domaine qu’il maîtrise parfaitement, la romantica. Il bourre sa dinde de kitsch. C’est bardé de son, il sort pour l’occasion le meilleur croon d’Amérique. Avec le temps qui passe, Tav Falco devient un chanteur extrêmement impressionnant. Il brasse le son avec une classe qui défie toute concurrence. Il a l’ambiance, le sourd Christmas stomp, c’est un chef-d’œuvre inexorable. Nimbé de mystère, Tav Falco ne laisse aucune chance au hasard. Puis il nous emmène à Broadway pour «Jungle Bell Rock». C’est un bonheur que d’entendre chanter cet homme. Il excelle dans l’expression du sing-along américain. Ses jingle bells rock it out et le solo claque au quart de tour. Tout est parfait chez Tav Falco. Il mastérise son Christmas Tree à coups de walking bass. Pour présenter «Rudolph The Red Nosed Reinder», il cite Gene Autry et part en mode comedy act. Tav Falco est adorable, au sens où on le disait des dieux antiques. Il jazzifie son affaire avec «Christmas Blues». Ça jingle bell à l’Ouest du Montgomery. Admirable et enveloppé à la fois. Il claque ça avec une désinvolture qui en dit long sur son état d’esprit. Retour à la valse à trois temps pour «Holly Jolly Christmas», les filles derrière sont héroïques, elles assument bien la légendarité des choses de la vie. Il va même tâter du funk pour «Soulful Chritmas» et un nommé Mick Watt bat la chamade sur son manche. C’est tout de même dingue qu’un mec comme Tav se prête à cette Soul funk Christmas party ! Faut-il être wild pour aller imaginer un tel plan - So you came to see my show and that’s why Tav Falco loves you so ! - C’est avec «Blues Christmas» qu’il va boucler son rappel au Silencio, comme on va le voir par la suite. Il bat avec cette prodigieuse bluette tous les records de glamour - Be so blue - Les chœurs regorgent de magnificence - My heart was drenched to the bone in mood bluer than blue - Il explose le genre. C’est bouleversant. Il semble tellement appartenir à une autre époque qu’il en devient un personnage littéraire.

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    S’il se produit au Silencio, ce n’est pas par hasard. Le Silencio fait partie des endroits les plus mystérieux de Paris. Située au creux de la rue Montmartre, l’entrée semble se fondre dans l’anonymat urbain. Il faut se glisser dans la porte entrebâillée comme le firent jadis les conspirateurs. Puis vous passez devant un homme tapi dans l’ombre qui hoche la tête et qui ne dit mot. Dirigez-vous ensuite vers le gouffre d’une première volée de marches faiblement éclairées par des torches. Les volées succèdent aux volées et l’impression grandissante de s’enfoncer dans les entrailles de la terre diffuse en vous un singulier mélange d’angoisse et d’exaltation. Une descente aux enfers ? Non, il s’agit plutôt d’une plongée dans l’épais mystère. Inespéré. Aucun doute, un tel endroit sort plus de l’imagination d’Eugène Sue que du cerveau brûlant de David Lynch. En bas d’une ultime volée de marches apparaît un tunnel mal éclairé. Il faut s’y glisser pour atteindre une première salle. Une femme se tient derrière une sorte de grand comptoir et hoche la tête sans mot dire. Vous traversez donc cette salle pour en gagner une autre un peu plus vaste, où se trouve une petite scène que ferme un rideau de velours jaune un peu fané. D’autres couloirs étroits rayonnent à partir de cette salle et le diable seul sait ce qui s’y trame.

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    Loin au fond du couloir qui jouxte la grande salle apparaît une silhouette furtive. L’homme n’est pas très haut, il semble porter un jabot blanc. The Gentleman in black ? Il nous voit plus qu’on ne le voit. Cette apparition aiguise jusqu’au délire la fantasmagorie de la situation - If you’re real late/ At a bar some nite/ Under a cold blue light/ It may be your fate/ Under a cold spotlight/ larger than fate/ To see for a fact/ The gentleman in black - Oui, c’est exactement ce que dit le texte, sous la lumière froide d’un éclairage en forme de destin apparaît le Fra Diavolo du Memphis beat, le Cagliostro de Little Rock, le détrousseur des âmes. Ou bien encore ‘l’irrésistible brigand que fit chanter M. Auber’, tel que vous le glisse Jules Claretie dans le creux de l’oreille avant de disparaître derrière un rideau d’ombre. Mais qui êtes-vous au juste, Monsieur Gustavo Nelson ? Seriez-vous Raoul d’Avenac, le chef de la sûreté Lenormand, Don Luis Perenna ou Tav Falco, le célèbre baladin qui fut au temps jadis le chantre du rockabilly et du North Mississippi Hill Country Blues ? De la même manière que Michel Zévaco et Maurice Leblanc ont inventé le roman policier ésotérique, Tav Falco propose depuis plusieurs décennies un subtil ersatz de rock ésotérique, savant dosage de rockab, de blues, de tango et d’Americana.

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    Le rideau s’ouvre enfin sur la petite scène et trois musiciens s’élancent dans une interprétation parfaite d’«Apache». Dans l’angle gauche du fond de la scène aménagé en trompe-l’œil réapparaît la frêle silhouette de Tav Falco. Il nous voit encore une fois plus qu’on ne le voit. Il attend le moment de paraître sur scène, comme le font les magiciens dans les cabarets montmartrois. Le voici enfin, délicieusement grimé, coiffé, sans âge, en smoking de soie et jabot blanc, encore plus inclassable qu’il ne le fut jamais. Il arrive à petits pas les bras en l’air sous les acclamations du public.

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    Son premier tour de passe-passe consiste à passer en bandoulière sa guitare Hofner noire pour réactiver un vieux «Manifesto» datant du Panther Phobia paru en l’an 2000. Parmi toutes ses égéries, il ne choisira ni Mata Hari ni the Lady From Shangai mais the witch doctor mama of New Orleans, Marie Laveau - Is it true/ What they say ? - et en fin de set, la Sally de «Sally Go Round The Roses», reprise d’un vieux hit des Jaynettes, l’un des fleurons de son dernier album, le ténébreux Cabaret Of Daggers paru en 2018. Des roses qu’il effeuille d’une voix étrangement fatiguée. Fin se set ? Poids des siècles ? Poids de la nostalgie ? Il tire aussi «New World Order Blues» du Cabaret Of Daggers, un playdoyer aussi enragé que pouvaient l’être ceux que Jules Vallès jeta à la face de l’absolutisme. Sur fond de boogie blues sourd comme un pot et gratté à la manigance, Tav Falco pourfend les politicards modernes qui rendent l’actualité plus nauséeuse qu’elle ne le fut jamais - America and Korea just itching to light the fuse/ The fuse our degenerate-in-chief clown prince god emperor/ Has already lit and there’s not a thing you can do (Ça démange l’Amérique et la Corée d’appuyer sur le bouton/ Le bouton que notre président dégénéré, notre clown impérial, a commencé à enfoncer/ Et il n’y a rien qu’on puisse faire pour l’en empêcher) -

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    Enflammé, Tav Falco abandonne sa guitare pour monter sur ses grands chevaux, il taille sa bavette à la meilleure niaque de combat, comme s’il attisait la haine des Versaillais du haut d’une barricade au quartier latin. Il tire une autre chanson de combat de Cabaret Of Daggers : «Strange Fruit», un terrible classique de Billie Holliday. Comme chacun sait, les ‘fruits étranges’ sont les corps des nègres qu’on voyait pendre aux branches des arbres après leur lynchage. Ce fantastique prestidigitateur sort de sa manche une colombe, c’est-à-dire la plus émouvante des chansons de Billie Holliday, et si son interprétation en bouche un coin sur l’album, alors vous pouvez imaginer ce qu’elle va pouvoir boucher quand il l’interprète sur scène.

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    Il poursuit l’étourdissante valse des hommages avec l’antique «Me And My Chauffeur Blues» de Memphis Minnie, certainement le personnage le plus légendaire de l’avant-scène de Memphis - So I’m gonna steal me a pistol/ Shoot my chauffeur down - Memphis Minnie ne voulait pas partager son chauffeur avec les autres putes de Beale et du coup Tav Flaco s’encanaille de plus belle. Sous les lumières rouges, son visage prend un nouvel éclat. Il enchaîne sans coup férir avec le «Bangkok» d’Alex Chilton et l’on comprend à le voir jerker le Memphis beat qu’un destin extraordinaire liait ces deux hommes - Here’s a little thing that’s gonna please ya/ Just a little town down in Indonesia - Un ectoplasme sort alors de la bouche de Tav Falco : tout le monde reconnaît Alex Chilton. Un grand wow admiratif salue cette manifestation surnaturelle. Aussi fidèle en amitié que le furent les rois de la pègre, Tav Falco invoque un autre fantôme : Charlie Feathers, ‘with the perfect rendition of «Jungle Ferver»’. Ça tombe bien, Mario Monterosso joue sur une Gretsch rouge et donc il dispose du son. Tav Falco rocks it out. Au fil des cuts, il gagne en intensité, comme possédé par le diable. Est-ce une hallucination ? Le fantôme de Charlie Feathers vient se déhancher à côté du Master of Chaos. Le spectacle bascule dans une irréalité ectoplasmique que Victor Hugo pourtant féru de sciences occultes n’aurait jamais pu appréhender. Tiens, encore une merveille tirée du Cabaret Of Daggers : «Old Fashioned Morphine». Il explique tranquillement aux médusés échoués sur sa rive que si c’était bon pour Isabelle Eberhardt, alors that’s good enough for me. Fabuleuse calipette contextuelle, the Gentleman in Black (a man without a country/ A man without a home/ He travels fastest/ Who travels alone) revient aux amours de sa jeunesse avec «Strange (Ubertango)», un air de tango connu comme le loup blanc de Montevideo - Tu cherchais quoi ?/ À rencontrer la mort ?/ Tu te prends pour qui ?/ Toi aussi tu détestes la vie ? -

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    Il ouvre les bras et une très belle jeune femme vient s’y lover pour esquisser quelques pas de rioplatense. Il poursuivra la valse des hommages avec deux merveilles géographiques tirées de Conjuration Séance For Deranged Lovers : «Garden Of The Medicis» et «Ballad Of The Rue De La Lune». «Malgré l’obsession du Baron Hausmann pour la luminosité, la ville lumière est», nous confie l’enchanteur, «le sombre théâtre des caresses, des flirts et des conjurations.» Et il ajoute, narquois : «Ici, s’arrêtent les traditions du monde réel en faveur d’une poursuite de plaisirs concupiscents. Ici, se donne un grand opéra constitué du faible bruit des pas dans les cages d’escalier et de l’errante sérénade du violoniste. Ici, dans la rue de la Lune.» Lorsqu’il nous emmène visiter le Jardin Medicis, il cite Jorge Juis Borges et tente de nous faire croire qu’il échappe aux attentions pressantes d’une feminine beauty. C’est une chanson affreusement triste, a kind of sinister fable - Of a lover condemned to beauty that he cannot touch - Et il ré-endosse son habit de Fantômas pour conclure en beauté avec «Master Of Chaos», véritable apologie de la voyoucratie à l’ancienne, celle qui nous fit tous tant rêver - Getting out of Monaco/ Driving a Riva motoscafo/ Jocko robbed the casino/ Grand Hotel Monte Carlo - Après un rappel en forme d’exutoire existentialiste et un «Blue Christmas» bluer than blue, le Master of Chaos se volatilise.

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    Un seul regret, dirons-nous : «Red Vienna», capiteux fleuron du Cabaret Of Daggers, aura brillé par son absence. Sur le fond tourneboulant d’une authentique valse de Vienne, Tav Falco y évoque les noms de Trotsky et de Klimt. Il crée une fois encore de l’enchantement - Farewell to Red Vienna/ Farewell to your glorious fame/ Our lips will be forever/ Forever whispering your name - Tav tomb’ sur le rock à l’abracadabra raccourci et fouette cochinchine au Mata à risques. Nous autres terreux terriens avons les artistes que nous méritons. Fabuleux privilège, n’est-il pas vrai ?

    Signé : Cazengler, Tav Falot

    Tav Falco. Le Silencio. Paris IIe. 11 décembre 2019

    Tav Falco. A Tav Falco Christmas. Frenzi 2017

    Tav Falco. Cabaret Of Daggers. Frenzi 2018

     

    Teel l’espiègle

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    On parle beaucoup de Jon Spencer, mais moins de Jerry Teel. Dommage, car Teel l’espiègle vaut son pesant de décibels. Honeymoon Killers, Chrome Cranks, Knoxville Girls, Chicken Snake, qui dit mieux ? En matière de parcours, on fait difficilement mieux. On retrouve Teel l’espiègle à tous les étages du garage punk new-yorkais en montant chez Kate et ce serait bien le diable si dans son abondante discographie on trouvait un seul mauvais disque. Teel l’espiègle est l’homme du son, ou plutôt l’homme d’un son et ce n’est pas un hasard Balthazar s’il a monté un studio à New York, le bien nommé Fun House qui allait devenir au moins aussi mythique que le fameux Sweatbox de Tim Kerr.

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    Dès le premier album des Honeymoon, The Honeymoon Killers From Mars, on sent le souffle. Ce vieil album de sonic trash new-yorkais date de 1984, ce qui ne nous rajeunit pas. Jerry Teel a glissé cinq inserts photocopiés dans la pochette, ce qui était alors d’usage courant. On voit tout de suite que «Cornbread Fed» rampe sous le boisseau du pire trash new-yorkais. Pas de rémission ni de ristourne d’electrolux. Pas de rien. C’est battu par une gonzesse nommée Claire Fontaine. Jerry tire déjà les ficelles de cette infâme purée. S’ensuit un «I Love To Eat It» glacé d’horreur. Jerry hurle comme un sale con dans le fracas du désastre. Il dit aimer lui bouffer le cul. On le croit. En B, il tape «Ubangi Stomp» au train de ferraille. Voilà la pire version du Stomp qu’on ait vue ici bas. Elle ne veut pas plaire. Jerry n’a qu’un but dans la vie : se faire des ennemis. Inutile d’attendre de lui la moindre concession. Il est d’un seul bloc, comme le montre «Cat People». Pour des politesses, pareil, il faut aller voir ailleurs. C’est vrai qu’il en fait parfois un peu trop. Le boogaloo qu’il développe dans «Who Do You Love» est un peu âpre.

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    Sur Love American Style paru l’année suivante, ils ne sont plus que trois : Jerry, Sally aux drums et Lisa au bassmatic. Toujours soucieux de régaler les fans, Jerry a glissé un single et une photo du trio dans la pochette. On les voit tous les trois devant un chicken shop. Le parti-pris de l’album est celui du son de «Death Party». On croirait entendre le Gun Club dans «Night After Night». Même tempo, même ferveur. Joli groove atmosphérique aussi que ce «Boom Like I Like It». Encore un peu de viande en B avec un «Batman» thème joué à la traînasse. On tombe plus loin sur un «Good n’ Cheap» embarqué à coups d’harp. Globalement, cet album reste très porté sur le son de la cave. «Motor City» se montre digne de Motor City. Ils jouent ça au heavy Death Party beat de wham bam doom.

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    Dans la pochette de Let It Breed, Jerry a glissé un photo du groupe prise devant un stand de fête foraine. Jerry porte un chapeau et les deux gonzesses cultivent le trash avec leurs cuisses énormes. On les entend tester du son dans leur cave, comme s’ils jouaient au jeu de l’underground. Il faut attendre «Dr. Pain» pour trouver un cut un peu dédouané du bilboquet. Jerry renoue avec le format indolent du rock new-yorkais. Ils proposent une A foutraque mais peu captivante. C’est en B que se joue le destin de l’album, notamment avec «Brain Dead Bird Brain» qui préfigure un peu les Chrome Cranks. Nous y voilà. Dark et bien atmospherix. Sans doute le hit dark de l’album mais affreusement mal chanté. On retrouve aussi cette épaisse bassline à la Death Party. La bassiste Lisa chante «Face Of A Beast» à la façon de Moe Tucker, pendant que Jerry joue de groove anaconda, celui qui rampe dans les ténèbres.

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    Et puis voilà Turn On Me qui date de 1987. On sent que Jerry est obsédé par «Death Party». C’est cette pulsation d’avant-garde nucléaire qu’on retrouve dans «Dolly W/A Dick». Il farcit son cut d’intrusions maléfiques et d’intentions comateuses. Ça bat comme le cœur du golem. «You Thrill Me» se veut assez beginning to see the light, cut têtu comme une bourrique, pas décidé à renoncer, ça vaut pour du big hypno dégommé au beat de brute. En B, on tombe sur un «Das Dum Flick» assez envoûté de la clé de voûte, joué à un rare degré de digonnade et on voit cette basse mordre la viande. Mais c’est avec «Hot Wad Of Clay» qu’ils créent la sensation, car ça stooge en profondeur. Ah quelle excellence dans l’exercice du rock’n’roll infectueux ! Voilà un cut fabuleusement enjoué, secoué de vents mauvais avec des chutes de tension spectaculaires et du regain de rage encore plus spectaculaire.

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    Suite de l’aventure Honeymoon Killers avec Take It Off. Trois énormités se nichent dans les ténèbres de l’album, à commencer par ce big «Hard Life» qui sonne comme un hit subversif joué à la stridence anti-matérialiste, avec un regain d’excès permanent. Le beat est encore une fois celui du «Death Party». Ils font une version complètement iconoclaste de «Hanky Panky». Ils transforment cette pop céleste en heavy groove de doom. Plus rien à voir avec Tommy James. Jerry Teel nous tartine là le plus cadavérique des grooves. Le thème original entre sur le tard, mais très léthargique. Joli coup de heavy beat en B avec «Smotherly Love». Voilà encore du très beau son, bien obstiné, qui se moque du qu’en-dira-t-on. C’est absolument superbe de panache underground, celui qui ne sert à rien. On se régale du son de Jerry Teel et de ses amis, un son dense hanté par de belles guitare atmosphériques. Jerry Teel chante son «Sexorcist» comme un diable crampsy, à la petite menace rampante. Et quel joli bass sound, baby !

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    Avec Til Death Do Us Part paru en 1990, on voit bien que Jerry Teel veut du rampant. Il le farcit de tortillettes. Dès «Baby Blew», il sort un son très gun-clubbish des catacombes, très désespéré et gorgé de dark vibes d’underway. Tout explose avec «Jump», puissant et infesté de persistances, joué au beat tribal des forêts humides. C’est encore une fois perclus de tortillettes. Sur cet album, Jerry s’entoure de trois filles, Cristina (guitar), Lisa (bass) et Sally (drums). Ils sortent un son sur-saturé, avec de l’écho plein la sourdine. «Evil Green» sonne comme un heavy hit de l’underground le plus ténébreux. On ne peut pas les battre sur ce terrain. Ils sortent un swamp new-yorkais bien épais qui colle aux semelles. Ça clapote dans la nuit d’encre. En B, ils passent avec «I Can’t Wait For Nothing» à un exercice de transe. C’est l’hypno de blast furnace. Encore un hit infesté de requins : «Head Twister», ou le boogie according to Jerry Teel. Excellent album, sombre musicalité.

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    Fulgurant album que cet Hung Far Low enregistré en 1991. Jon Spencer et Russell Simins viennent renforcer les rangs des Honeymoon Killers et ça change tout. Dès «Mad Dog», ils se montrent malveillants en jouant sous le manteau. Mais c’est avec «Wanna White» que ça explose. On y assiste au fantastique développement du heavy groove new-yorkais. Jon Spencer l’embarque en enfer et Jerry Teel l’embobine au riff tournoyant. C’est so good que Jon Spencer fait so good ! On reste dans l’énormité avec «You Can’t Do That». Avec Jon Spencer, il y a toujours un allant. Ce «You Can’t Do That» renvoie au «Dropout Boogie» de Captain Beefheart. Aw ! Il pousse même les Aw que John Lennon dans «Cold Turkey». Pendant que Russell Simins bat bien son beurre et que Jerry Teel gratte sa gratte, la petite Lisa bosse bien sa basse. Avec «Kansas City Milkman», Jon Spencer abandonne toute dignité et se vautre dans le stupre new-yorkais. Mais c’est en B que les choses se corsent, avec notamment «Thanks A Lot» attaqué à la vérole stoogienne, aux pires riffs de Jerry Teel. Ils sont capables d’être encore plus royalistes que le roi des Stooges. Au chant, Jon Spencer bat tous les records de violence psychotique. Encore un cut drivé au riff malade avec «Fannie Mae». Jon Spencer y joue la carte du riff excédé, il trépigne de rage. Ils continuent de battre bien des records avec «Scootch Says». Violente montée de la basse dans le mix, et derrière ça cisaille à la parade. Oh comme ça monte ! Lisa chante «Madwoman Blues», elle chante ça à la paumée de la pommerolle définitive, c’est incroyablement trash, d’autant plus trash qu’elle n’a pas de voix et derrière, ils cisaillent comme dans Massacre à la Tronçonneuse. Crrrrrrrrr ! Bon il est temps que cet album se termine. «Whole Lotta Crap» se veut plus cérémoniel. Ils sont imbattables au petit jeu du pété de casseroles. Il souffle un beau vent de folie dans les quilles du bâti stoogy. Ils dévorent leur place au soleil.

    Teel l’espiègle allait connaître les vertiges de la gloire avec les Chrome Cranks. Leur aventure commença dans les années quatre-vingt dix par une petite photo publiée dans la rubrique «On» du New Musical Express. Pour les groupes débutants, cette rubrique constituait une sorte de tremplin fatidique. On y qualifiait les Chrome Cranks de stoogiens. Il n’en fallait pas davantage. Cap sur le rayon import des deux ou trois disquaires parisiens capables de proposer ça et wham bam, thank you pas mam mais On. Jackpot !

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    Dead Cool paraît sur Crypt en 1994. On y trouve cinq coups de génie. Un, «Desperate Friend» : enfoncé au pilon, monté sur un riff massif d’une autre époque, de type «Gloria» des Them, glorieux mélange de garage d’Irlande du Nord, de sauvagerie à la Wolf et de majesté crampsy. Deux, «Way Out Lover» : la bombe du siècle, un champignon atomique de basse fuzz qui s’auto-détruit, pièce imbattable, oh yaaa yaaaa, balayé par des vagues fuzzo-subliminales, et Peter Aaron hurle à la vie comme à la mort, spectaculaire et vertigineux, c’est battu à la forge, non, il n’existe aucun équivalent sur le marché. Trois, «Bloodshot Eye» : stoogerie de type «Down In The Street», riff de rue qui s’enfonce dans la pénombre. Quatre, «Nightmare In Pink» : mètre-étalon du trash-punk new-yorkais, pure giclée de jus, magnifique de délabrement mongoloïde, dynamité à chaque instant. Et en cinq, l’immense «Shine It On», rien au dessus, tendu dans la chair du punk-rock, irradié par l’ampleur du scream, porté par la clameur de l’insanité, au-delà de toutes les normes, au-delà de TOUT, explosion de toute la pulsion sexuelle du rock. Le morceau le plus hurlé de l’histoire du rock, monté en épingle et explosé au sommet du riff. Qui peut égaler ce screamer fou ? Personne. Cette déflagration sonique surpasse celle des Stooges. Eh oui, on ne croyait pas ça possible et c’est arrivé près de chez vous, une balle dans l’oreille, shine it oooon yeahhhh, l’inaccessible étoile du trash. On prend feu en écoutant ça. Comme si on rôtissait en enfer et qu’on adorait ça.

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    Les Cranks vont enchaîner trois autres albums bourrés de classiques : Chrome Cranks, puis Love In Exile et Hot Blonde Cocktail.

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    Avec le morceau titre de Hot Blonde Cocktail, Peter Aaron nous plonge dans la folie. Les refrains s’échappent de l’asile. Personne n’est allé aussi loin que lui dans l’arrachage de barrières de sécurité, à part Antonin Artaud. On ne peut pas s’empêcher d’imaginer Artaud à notre époque. Il aurait adoré les amplis Marshall et la Fender Jaguar, les flaques de bière sur la scène et les traces de sang sur le manche de guitare. Il aurait hurlé son ventre de poudre ténue et le sexe du bas de son âme qui monte en triangle enflammé. Il n’aurait pas engagé Marthe Robert ni Jacques Prevel, mais Bob Bert à la batterie, William Weber à la guitare et Jerry Teel à la basse. Peter Aaron se serait incliné devant le maître et aurait accepté de voir son orchestre le quitter. Sur Hot Blonde, on trouve aussi ce vieux classique des Cranks, «Lost Time Blues», fuzzy et riffé comme un classique des sixties, solidement arrimé et secoué de petites explosions intraveineuses - et le screamer le plus ardent du XXe siècle invente le trash éternel, celui qui va marquer les mémoires au fer rouge. Tout l’esprit du rock ultime se trouve piégé dans cette pièce crampsy et maudite. Au-delà, il n’y a plus rien, comme dirait Léo Ferré.

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    Les Cranks vont tenir dix ans. C’est un record, pour une pétaudière à huit pattes. Puis vient le split. En 1996, paraissait Diabolical Boogie, un double album proposant les singles, les démos et les raretés. Peter Aaron profitait de l’occasion pour écrire un texte d’introduction digne de celui proposé par Lux Interior dans How To Make A Monster. Ce texte magistral s’intitule «Cordes cassées, rêves brisés (et des crachats)». En voici le début : «Ce n’est pas un texte de présentation, c’est un exorcisme. Pour moi, en tous les cas. Oh je sais que ça peut sembler pathétique. Je veux dire, les Chrome Cranks n’étaient rien d’autre qu’un groupe de rock en plus. Mais c’était MON groupe. Être dans un groupe, c’est comme être marié. Quand un groupe s’arrête, comme le font la plupart des groupes, c’est dans la grande majorité des cas pour les mêmes raisons que celles qui détruisent un mariage : la jalousie, l’absence de communication, l’arrogance et parfois des abus de substances. Vous voyez de quoi je veux parler. Ça oui, on a eu tout ça dans les Chrome Cranks, et à la puissance dix. Moi-même, je peux plaider coupable pour au moins deux des raisons citées (mais pas la dernière, à moins que vous ne considériez la caféine et la nicotine comme des drogues). J’aurais bien aimé pouvoir comprendre tout ça à l’époque, mais... Toujours pareil, blah blah blah, à quoi bon ?» Il rend ensuite hommage à ses amis Jerry Teel, Bob Bert et William Weber : «En observant le line-up classique des Chrome Cranks depuis mon promontoire du XXIe siècle, je vois un ensemble de choses qui permettent de distinguer le groupe de la scène garage classique et «rétro» à laquelle on nous rattachait. On avait des atouts comme par exemple les lignes des basse néandertaliennes de Jerry, ou la distorse de dingue et l’insupportable volume sonore que je sortais de mon ampli. C’est la frappe extrêmement brutale de Bob qui emmenait le groupe, et il frappait toujours comme un malade, que ce soit sur scène ou en studio. Et comme je suis un fervent amateur de rock depuis trente ans, je peux vous dire en vous regardant dans le blanc des yeux qu’il existe peu de guitaristes du niveau de William G. Weber. Ce mec anormalement doué peut jouer dans n’importe quel style et il joue bien mieux que n’importe quel guitariste de la scène new-yorkaise des années 90 - et même encore aujourd’hui - et bizarrement, personne n’a pensé à enregistrer ce guitariste de génie. Oh, n’oublions pas ce screamer fou qu’on entend sur les vieux morceaux rassemblés sur cet album, je suppose qu’il fait lui aussi partie des atouts. Peut-être n’étions-nous pas le groupe le plus original de l’histoire du rock, mais on y croyait dur comme fer et on a vraiment essayé de rester aussi inventifs qu’on le pouvait, tout en restant dans le cadre que William et moi avions pré-défini au départ. En règle générale, les journalistes appréciaient beaucoup les Cranks.»

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    Véritable fatras hystérique, Diabolical Boogie dégueule de fuzz et de scream. Avec les Cranks, on est sûr d’aller de blast en blast. C’est écrit, comme dirait Léon Bloy, le grand punkster de l’Avant-siècle. Sur quel autre disque peut-on trouver un tel shoot de trash-blues ? Aucun. L’objet reste unique au monde. Dès le premier morceau, «Love And Sound», les Cranks nous plongent la tête dans leur chaudron, c’est trashé dans l’âme, yah-yah ! Et Peter Aaron hurle comme un beau damné, il explose de trashitude céleste, il est l’empereur du trash derrière lequel l’herbe ne repousse pas, il bat tous les records de hurlements de Sainte-Anne, il hurle comme s’il voulait conjurer tous les démons de la création («The Big Rip-Off»), atmosphères plombées et rafales de scream, telle est leur recette, on a l’impression de voir un morceau en putréfaction, ou des organismes incandescents, succession de couplets hurlés dans la nuit glacée («Sacred Soul»), Bob Bert cogne sans relâche, solos outranciers et écarts de voix impardonnables («Street Waves», reprise de Pere Ubu). «Pin-Tied» est un clin d’œil au swamp-blues. Les alligators de Screamin’ Jay Hawkins et de Roky Erickson se pavanent dans la mélasse sonique. Les Cranks sonnent parfois comme ces pauvres tarés de Birthday Party. Ils prennent le parti-pris du non-retour. C’est une abomination. Peter Aaron n’en finit plus de hurler. On retrouve l’atmosphère des Scientists, les ambiances irrespirables, les moustiques, les sangsues, les Seminoles, les flèches et les cadavres qui flottent. La musique tournoie sur des accords séculaires. Et puis ce «Red Dress», d’une rare violence, embarqué au scream et viandé à coups d’accords stoogiens, pur génie trash, sommet de la vraie jute et screamé jusqu’à l’os du crotch, comme s’ils ouvraient une voie vers une nouvelle sorte de folie libératrice. Une folie de la modernité, telle que la concevait certainement Artaud. Stoogerie encore avec «Collision Blues», mais les élèves dépassent les maîtres, Peter Aaron pose une voix à la Iggy sur un beat rebondi et ça devient rapidement effrayant de collusion collutoire, puis ça jaillit et ça explose dans le magma des enfers rouges d’un cerveau en contusion, yah yah yah !, celui de Peter Aaron. Ils semblent encore s’enfoncer dans le chaos avec cette version de «Burn Baby Burn», drumbeat dément, l’une des intros du siècle, beat plombé, menaçant, l’empire du binaire de la mort noire, et Peter Aaron fait le loup derrière. Les guitares se fondent dans la fournaise. La voix de Peter sort du fond de la crypte. Le beat enfonce les clous. Bob bat le beat des dieux viking. Peter Aaron sonne comme Lux Interior. La pression est terrible. Et soudain, ça se met en route, ça tourne garage, mais garage en feu, c’est hallucinant de barbarie sonique, qui va aller chercher des enfers pareils, à part les Cranks ? On entend les pas traînants des guerriers ivres de carnage dans les rues de la ville en feu, c’est agité de violents spasmes de riffage sixties. Dans «Come In And Come On», Peter Aaron hurle comme Dracula - Scream Dracula Scream - et William Weber arrose le chaos de bottleneck. Ça sent la friture. Nouvelle version du blues des catacombes, «Lost Time Blues», Peter Aaron fait son bouc émissaire, c’est dingue ce qu’il peut bien hurler. Dingue, vraiment dingue. Tout est là, dans le néant du scream. On tombe ensuite sur une version live de «Draghouse» : une sauvagerie sans équivalence dans toute l’histoire du rock. Un métro lancé dans la nuit, sans but ni conducteur. Ce truc sonne comme un cauchemar de la révolution industrielle. Une charge de la brigade légère glorieuse et héroïque, une épiphanie des clones du fourbi définitif, du Lovecraft fondu déversé dans l’œil d’Absalon, ça hurle comme sur les croix des hérétiques, à l’époque où l’on fouillait les chairs au fer rouge et où l’on faisait issir les moelles. Ils font même une reprise de «Little Johnny Jewel», le premier single de Television : la reprise du siècle, n’ayons pas peur des mots. Hantée. Esprit es-tu là ? Et puis pour finir, un glam du diable avec la reprise de «The Slider» de T. Rex. Chaos technique. On sort de ce disque complètement sonné, en maudissant le ciel. Trop éprouvant pour les nerfs, surtout quand on les sait fragiles. Mais si le radicalisme sied à votre tempérament, alors c’est l’orgasme intellectuel garanti, la commotion sidérale. Ça peut même aller jusqu’à la révélation.

    Les Chrome Cranks, c’est en effet le groupe parfait. Ils disposent de tous les éléments de choix : le son, le look, les compos, l’esprit, la démesure, le goût du chaos et une certaine «wasted elegance».

    Puis, pendant dix ans, aucune nouvelle de Peter et de ses amis. Rien. Pour les admirateurs du groupe, ça semblait incompréhensible. Quoi ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Et pourquoi les Cranks vendent-ils moins de disques que Blur ou Radiohead ? Comment lutter contre une telle injustice ?

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    Et puis le miracle est venu d’un label indépendant du pays basque espagnol, Bang Records. Entre 2009 et 2013, trois nouveaux albums des Chrome Cranks sont parus sur cet audacieux petit label (qui réédite aussi le Gun Club et les Scientists - il n’y a pas de hasard, Balthazar). The Murder Of Time est une compilation, par contre, Ain’t No Lies In Blood est l’album de reformation des Cranks.

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    Aussi hanté qu’à l’origine, aussi pilonné, les Cranks appliquent les mêmes vieilles recettes apocalyptiques, multipliant les violentes montées en température. Dans une reprise de Roger McGuinn, «Lover Of The Bayou», William Weber déverse ses déluges et Bob Bert dédouble à l’infini ses redoublements. Ils sont encore plus enragés qu’avant. Sur «Rubber Rat», ils virent jazzy, avec un son musclé, vaillant et déterminé. Jerry Teel y joue une ligne de basse souple et élastique. Avec «Star To Star», ils renouent avec le grand art abyssal, dans une ambiance ténébreuse et dangereusement électrisée. «Broken Hearted King» est monté sur une structure bombastique ultra-puissante, un beat de surmenage valvulaire agité de pulsations psychotiques. C’est à la fois mauvais et hérissé. Bob bat comme un Bert. L’album regorge de purées fumantes de distorse et de chant hurlé, comme au temps béni de «Doll On A Dress» et de l’immoral «Dirty Son (Lie Down/Fade Out)».

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    Moon In The Mountain est le dernier album des Cranks paru. Cet objet original propose une A en 33 tours et une B en 45 tours. Écoutez l’A. On y retrouve des vieux coucous enregistrés pour une radio anglaise, et notamment «Wrong Number» qui cueille le menton avec son pilon de grosse caisse, ses couplets vomis et sa cisaille de guitare. Du velours pour l’estomac. Sauvagerie démente ou démence de la menthe, olé ! Merci Bang ! On retrouve ensuite un «2:35» pétri d’accords martyrs et de virulences à répétition, «Backdoor Maniac» et ses dynamiques perverses vibrillonnées de scream. Ils appuient dessus comme sur une boule de pus, ça gicle ça hurle et ça cavale, yaaah yaaah ! Bel hommage à Wolf avec «We’re Goin’ Down», même uh-uuuuh, avec des down qui pleuvent comme vache qui pisse et ça se termine avec un «Down So Low» qui bascule dans la biscaille qu’on peut imaginer. Tout y est. On appelle ça un fantastique album de rock.

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    Nouvel épisode de poids pour Teel l’espiègle : il monte the Knoxville Girls avec Kid Congo, Bob Bert et deux autres mecs. Knoxville Girls paraît en 1999. On peut parler d’album culte. On a là le nec plus ultra du revamp US, ces mecs jouent la carte de l’indécence définitive. Impossible d’échapper aux trois guitares de «Soda Pop Girl». Effarant de profondeur. Teel l’espiègle chante «Two Time Girl» au gut de l’undergut, les Knoxville Girls sonnent comme un riot de campagne. Ils vont piétiner les plate-bandes du JSBX avec «King Pow Chicken Scratch» et sa plastique d’expression funkoïdale de garage kid invétéré. Quel instro ! Typical Teel l’espiègle avec «NYC Briefcase Blues». Il sonne comme un bluesman efflanqué, c’est même très dylanesque, puis ça repart en mode boogie avec «Warm & Tender Love», ça gratte à l’apanage des Appalaches, oh honey, ils vont bien sous le boisseau avec du jus à gogo, ça devient même stupéfiant. Et comme si ça ne suffisait pas, ils passent au heavy gospel blues avec «I Had A Dream». Teel l’espiègle essaye de surpasser Jon Spencer, mais ce n’est pas facile. Retour à la violence originelle avec «One Sided Love». Ils jouent au freakout des Girls, ça gratte à la surenchère, ce diable de Teel l’espiègle sonne comme un big shouter.

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    Paru l’année suivante, In The Woodshed est un album live. On y retrouve les hits du premier album, à commencer par «Warm & Tender Love», ils grattent ça à la désaille impérative. Ils tapent «I Had A Dream» et «NYC Briefcase Blues» au heavy doom de boogie down, spécialité du vieux Jerry. Tout le son est raclé jusqu’à l’os du bone, et Kig Congo vient faire le con dans «Sophisticated Boom Boom». On retrouve Teel l’espiègle aux commandes de «Truck Driving Man», il avance à coups de you know what, c’est explosif. On voit rarement des blasters aussi beaux. Mention spéciale aussi pour «Armadillo Roadkill Blues» joué au bottleneck de mauvais aloi et explosé de rockabilly. Ces mecs sont des bandits, ils ne respectent rien. C’est noyé de son, perdu à jamais, sans espoir d’avenir. Trop sauvage. Mississippi river, aw my God ! Ils terminent avec «Low Cut Apron/Sugar Box», un vieux boogie de la désaille extrêmement bienvenu et noyé de son. On n’en demandait pas tant.

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    Leur troisième et dernier album s’appelle In A Paper Suit. Teel l’espiègle drive le morceau titre sec et net, c’est fabuleusement décadent et ça sonne comme du Dada évangélique. C’est sur cet album qu’on trouve la version studio de «Sophisticated Boom Boom». Le Kid y fait la pluie et le beau temps. Il va d’ailleurs reprendre le cut à son compte, dans l’un de ses albums solo. Joli cut aussi que cet «Oh Baby What You Gonna Do Now» cisaillé dans la mélasse de la rascasse, ils taillent une route pas facile, ces blancs jouent avec le son des noirs, ça peut vite devenir tendancieux. Leur «Baby Wedding Bell Blues» carillonne, tellement c’est plein de son. Ils passent au heavy bish bash avec «That’s Alright With Me». C’est très Knoxvillien, awite, bien allumé aux accords de réverb. Ils passent au stomp avec «Butcher Knife». Teel l’espiègle s’amuse bien, awite, on a même de l’orgue dans le pitch. Ils jouent à la petite fournaise ronflante. Le Kid revient au micro pour «Drop Dead Gorgeous», il chante comme un délinquant et on entend des chœurs de Dolls ! Magique !

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    En 2008, Teel l’espiègle monte au side-project avec Pauline, trois copains et les Sadies qui s’appelle Jerry Teel And The Big City Stompers. Un bel album sort sur Bang, le label basque. Teel l’espiègle récupère le banjo des Sadies pour doper sa musicalité. Il ne mégote pas sur la marchandise. Il propose ici une sorte de country d’upright et de fiddle. Il envoie du banjo dans les guibolles d’«Hillbilly Boogie» et tape dans Townes avec «Loretta», mais il tape ça en mode Velvet. On se croirait à New York en 1968 ! C’est en B que se joue le destin de l’album, avec notamment ce «What Am I Supposed To Do» swingué au slap, bien sourd et même génial. Il y shoote toute la puissance du bop de rockab. Il connaît les secrets du hit en sourdine. Fantastique ! Il tape aussi «Sugarbaby» au lowdown country blues et nous embobine sans problème. Avant d’aller coucher au panier, on écoutera encore «Long Legged Guitar Pickin’ Man», car c’est chanté à deux voix avec du banjo à gogo et des violons à gaga. Admirable jerk de saloon ! Curieusement, Teel l’espiègle s’arrange toujours pour répondre aux attentes.

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    En 2010, il rassemble Pauline, Josh Lee Hooker, Nicholas Ray et le batteur Danny Hole pour monter Chicken Snake. Un premier album paraît sur Beast : Lucky Hand. Attention, les faces sont inversées et ne correspondent pas aux étiquettes. On y détecte deux influences prépondérantes, celle du Velvet avec l’excellent «N. Rampart St Blues» et celle de Dylan avec «Punjabi Jack» qui sonne vraiment comme l’I ain’t not gonna work for Maggie’s farm no more. Les fans du Velvet se régaleront de «N. Rampart St Blues», car Teel l’espiègle le travaille au groove hypno et termine sur un beau final digne des calamités du Velvet de l’âge d’or, avec à la clé les dissonances du grand bazar. On voit aussi avec «Hand Me Down Snake Skin Shoes» que Teel l’espiègle connaît les secrets du relentless : groove bien rampant, même si le son reste clair. On voit bien que ces gens-là adorent le shakedown de vieux tremblement.

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    Alors c’est parti pour les Chicken Snake, ils vont suivre leur petit bonhomme de chemin sur Beast d’année en année, avec chaque fois une photo du groupe sur la pochette et le titre de l’album en pied. En 2012 paraît Trouble On My Doorstep, dominé par un cut très dylanesque en B intitulé «I’m A Lonesome Hobo». Bel hommage. Teel l’espiègle ramène son sens aigu du beat insistant et ça correspond très bien au Dylan de l’âge d’or. Gros festin de guitares carnivores, fondu d’accords magistraux, d’harmo et de vieille niaque. L’autre point chaud de l’album boucle la B : «Fortune Teller Blues», monté sur un bon beat et secoué aux percus. The snake shake le bon shook de l’ivraie. C’est littéralement hanté par les guitares et décidé à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Ailleurs, ils retombent dans leur normalité qui est celle du boogie énervé et du beat sautillant. Avec «Doctor Doctor», ils vont chercher le deep Southern groove d’harmo joliment infesté de New Orleans Sound. Avec «If The Creek Don’t Rise», ils tentent de créer une grosse ambiance, mais ça n’est pas toujours aussi facile qu’on le croit. C’est un genre éculé par trop d’abus. Ils sauvent la mise du cut grâce à l’insistance du beat. Danny Hole bat tout ça si sec.

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    Avec Unholly Rollers paru deux ans plus tard, ils vont plus sur l’hypno, à commencer par «Cowgirl Blues». Facile, c’est une cover de Jessie Mae Hemphill que chante Pauline à la plage. Très beau drive. Jessica Melain a remplacé Danny Hole. Le groupe a donc trouvé sa parité : deux mecs, deux filles. Autre prodige hypnotique en B avec «Evermore», chanté à deux voix sur un beau beat de percus. Ils maîtrisent admirablement l’art du rattlesnake beat. Ils embarquent aussi «Nothing Ain’t Right» au vieux rumble de cabanon, c’est battu à la tressaute prégnante et le solo se coule dans le moove comme un serpent, sale et vénéneux. Ils shakent toujours le snake avec «Crazy Mama» et ramènent toute l’ostentation de la paraphernalia. Joli cut aussi que ce «Yer Poison» d’ouverture de bal, joué au lousdé de New Orleans avec des clochettes de cabanon. Ils savent parfaitement doser le poison d’un son. S’ensuit un «Bad Blood Blues» joué à la petite transe hypno du Teely System. Il joue des notes épaisses dans une sourde clameur d’outre-tombe. Très envoûtant. Ce mec est un don du ciel.

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    Encore un album réussi avec Tombstone N Bones qui date de 2016. Au dos de la pochette, ils se font photographier dans un cimetière, pour faire bonne mesure. «Baby Stop» sonne comme un classique des Stones - Baby stop dragging me down - Ils savent traire les vaches maigres de la Stonesy, aucun problème. Puis on voit Teel l’espiègle et Pauline à la plage duetter sur «Walkin’ Blues». Chacun son couplet. Teel l’espiègle sait travailler sa diction de vieux blackboard. Wow, ils sont excellents, enrootsés dans la modernité. On pourrait presque dire la même chose de «Donna Lynn», chanté aussi à deux voix. Ça joue tout droit, à la bonne vieille admirabilité des choses, assez hypno dans l’esprit, avec quelques relents de Velvet. Ils attaquent leur B avec «Hot Cold», une vieille souche de garage signée Spencer T Jones et riffée avec la pire des sévérités. Joli son de baraque. Toute la B reste dans une ambiance de bonne franquette et de heavy boogie down. Ils tapent «Lay It Down» au heavy groove de pathos d’Honeymoon. Tout ce qu’ils jouent est bon, bien battu et gorgé de son. Ils n’hésitent plus à chanter à deux voix comme X à la grande époque. Tout est calibré au mieux des possibilités du rock underground de bon aloi.

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    You Must Be The Devil date de l’an passé et semble encore plus réussi que les albums précédents. Teel l’espiègle emmène ce rootsy meltdown qu’est «Trouble» à la clameur fantômale. Il crée ainsi une superbe tension et une musicalité de pure véracité. Ils atteignent au raw to the bone charnu et fourni, celui dont rêvent tous les groupes de rock. Avec le morceau titre, ils passent au joli stomp de cabane qui sent bon la menace funeste et la pétoire fumante. Ils stompent sous le boisseau. Merveilleuse équipe. Jessica Melain bat ça si sec. Ils flirtent avec le Gun Club. Retour au Velvet avec «Sick». On se croirait dans «Sister Ray» tellement c’est bien foutu. Ils ramènent un invraisemblable swagger dans la soupe aux vermicelles. Puis Teel l’espiègle tape dans Link Wray avec «Fire And Brimstone». Il ne fait jamais rien au hasard. Il faut se souvenir de sa reprise de «Batman» à l’époque des Honeymoon Killers. En B, ils reviennent au Velvet avec «Back Water Blues» et passent au low key avec «Midnight Call». Un chef-d’œuvre de dosage, extrêmement bien tressauté du beat et chanté à deux voix. Ils tiennent là une formule épatante, ce que vient confirmer «Fortune Teller Blues» monté sur le même beat. Cet album est très inspiré. Ils chantent aussi «Worried Blues» à deux voix, dans la meilleure tradition de downhome cabane blues. Ils terminent sur un fabuleux clin d’œil à Hank Williams avec «Honky Tonk Blues». Ils s’amusent bien au fond de leur shack de snake.

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    Dans les années 90, Teel l’espiègle monte Bewitched avec Bob Bert et Chris Ward. Leur premier album s’appelle Brain Eraser. Le son renvoie au Cranks, car Bob bat ça à la ferraille. Il fait de «Sky Skag» un instro hypno imparable. On assiste dans «Hold» à une extraordinaire flambée de violence. Voilà le real deal de l’underground new-yorkais, celui de Pussy Galore et des Chrome Cranks. La guitare de Jim Fu Teel règne encore sans partage dans «U-Turn». C’est un excellent album de son, plein d’allant et de retour. Suite de la foire à la saucisse avec «I Dunno What To Do». Ça pendouille de partout, ça chauffe et ça vomit de la disto dans tous les coins. Quand ils n’ont rien de particulier à dire, ils restent ambianciers, comme c’est le cas avec «Chuck’s Got A Big One». Ils se contentent de chauffer la gamelle pour que ça mijote à la new-yorkaise. S’ensuit un «Skunk Hole Town» bien travaillé à la cisaille. C’est l’esprit punk new-yorkais dans ce qu’il peut présenter de plus captivant.

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    Le deuxième album de Bewitched s’appelle Harshing My Mellow. C’est l’occasion pour Teel l’espiègle d’adresser un gros clin d’œil aux Stooges. «No1» est encore plus stoogé que le roi des Stooges. C’est un white trash de bidon so messed up, les énergies fondamentales sont là, avec tout le tempo animal dont on peut rêver et le better watch out de circonstance. Wow, ça mâche et ça broute bien la motte. Bob Bert boom ça bien. Tout aussi stoogé du ciboulot, voilà «Broken Forest». Il chante comme Igyy, awite ! William Weber traîne aussi dans le studio. Ils rendent hommage à Owsley avec «Orange Owsley» - Awss ley !, comme dirait Sonic Boom. Ça joue aux heavy nappes de psyché avec la petite voix de Dana dans le mix. Aw ! Yeah ! Right ! Now ! Ils savent de quoi ils parlent. On voit Peter Aaron chevaucher le dragon dans «Stereo Nag» et William Weber passe des accords en désaccord dans «Beaver Town». Il fait son barrage contre le Pacifique, tout est barré dans le barrage de son. On sort ravi de cet album et surtout ravi d’avoir pu croiser le chemin d’un mec comme Teel l’espiègle.

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    En 1998, il monte Little Porkshop avec ses amis Stumblin’ Jack Martin, Lisa Jayne et Lazy Susan. Ils enregistrent l’excellent Welcome To Little Porkshop sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry. L’ambiance est plus country que sur les albums précédents, et avec «Be Mine All Mine», Lazy Susan drive le drive, avec ce diable de Jack Martin en franc tireur dans l’angle du son. C’est excellent. «Tangled Mind» vaut pour un fabuleux shook de shake. Ils jouent tout à l’écho country. C’est bardé de son, et du meilleur : celui des connaisseurs. Ils hérissent «Liquor Store baby» à la petite niaque d’acous électrifiées et c’est du meilleur effet. Ils ouvrent leur bal de B avec un «Big Mouth Blues» tapé au choo choo d’arrière campagne et ils s’engagent résolument dans le country style avec «Bogeda Flower». Ils portent des chapeaux et des chemises brodées. Teel l’espiègle sait jouer le heavy blues de cabane et «Cryin’ Blues» ne fait que le confirmer.

    Signé : Cazengler, Jerry Tuile

    Honeymoon Killers. The Honeymoon Killers From Mars. Fur Records 1984

    Honeymoon Killers. Love American Style. Fur Records 1985

    Honeymoon Killers. Let It Breed. Fur Records 1986

    Honeymoon Killers. Turn On Me. Buy Our Records 1987

    Honeymoon Killers. Take It Off. Buy Our Records 1988

    Honeymoon Killers. Til Death Do Us Part. King Size Records 1990

    Honeymoon Killers. Hung Far Low. Fist Puppet 1991

    Chrome Cranks. Dead Cool. Crypt Records 1994

    Chrome Cranks. The Chrome Cranks. PCP Entertainment 1994

    Chrome Cranks. Love In Exile. PCP Entertainment 1996

    Chrome Cranks. Ain’t No Lies In Blood. Bang Records 2012

    Chrome Cranks. Dirty Airplay. Bang Records 2014

    Chrome Cranks. Oily Cranks. Atavistic 1997

    Chrome Cranks. Diabolical Boogie. Atavistic 2007

    Chrome Cranks. The Murder Of Time. Bang Records 2009

    Knoxville Girls. Knoxville Girls. In The Red Recordings 1999

    Knoxville Girls. In The Woodshed. In The Red Recordings 2000

    Knoxville Girls. In A Paper Suit. In The Red Recordings 2001

    Jerry Teel And The Big City Stompers. Bang Records 2008

    Chicken Snake. Lucky Hand. Beast Records 2010

    Chicken Snake. Trouble On My Doorstep. Beast Records 2012

    Chicken Snake. Unholly Rollers. Beast Records 2014

    Chicken Snake. Tombstone N Bones. Beast Records 2016

    Chicken Snake. You Must Be The Devil. Beast Records 2018

    Bewitched. Brain Eraser. No. 6 Records 1990

    Bewitched. Harshing My Mellow. No. 6 Records 1990

    Little Porkshop. Welcome To Little Porkshop. Sympathy For The Record Industry 1998

    THE JINETS

    ROCK'N'ROLL LADIES

    ( demos )

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    Une promesse. De filles. Donc il faut se méfier. Des traîtresses alors que nous les boys nous sommes irréprochables. Elles ont déjà un FB et une chaîne You Tube, avec deux malheureuses démos mises en ligne depuis le huit octobre, et depuis silence radio. Elles ont dû recevoir des monceaux de lettres recommandées alors nos princesses ont annoncé leur première apparition publique au Rockin' Breizh Club à Pencran le 29 février 2020 avec les Strike et les Flight Deville, d'un côté on n'est pas content parce que la Bretagne c'est loin, mais de l'autre on est heureux parce que l'on aura de belles photos de Sergio Kazh dans Rockabilly Generation News, autant de pris sur l'ennemi.

    C'est que les Jinets ce n'est pas n'importe qui, jugez par vous-mêmes du casting, par ordre alphabétique Ady Errd : vocal et guitare chez Ady and the Hot Pickers, Emilie Crédaro guitariste chez The Black Prints, et Vaness Jallies : caisse claire et vocal chez les Jallies, trois groupes que nous avons accueillis chez Kr't'nt ! une réunion au sommet de la féminité rock'n'roll de par chez nous. Elles surfent un peu sur la facilité, les trois plus belles, les trois plus intelligentes et les trois plus douées. Du cousu d'or fin, vingt-quatre carats. Métaphore un peu exagérée parce que je ne crois pas qu'elles soient les plus riches de la contrée.

    Donc deux démos. Elles n'abusent pas, uniquement le logo comme image, ne vous font pas le coup du charme champagne assuré. Jugez-en uniquement par vos oreilles.

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    SLIPPIN'AND SLIDIN'

    S'encombrent pas dans les décombres et les catacombes de la facilité. Little Richard, juste pour commencer. C'est comme si vous débutiez l'alpinisme par la face nord de l'Anapurna. On s'excuse on n'a pas trouvé plus difficile. J'y discerne une volonté matoise de faire la nique aux garçons, nous on n'a pas peur de rencontrer le Yéti, avec nous les abominables homme des neiges fondantes peuvent aller se rhabiller.

    Rien de plus facile que les standards du rock si vous tenez à surnager sans effort, de véritables radeaux insubmersibles, l'assurance tout risque d'arriver à bon port même si le vent de l'inventivité ne souffle pas dans vos voiles. Maintenant si vous tenez à joindre les deux bouts inconciliables du respect et de l'originalité, vous vous apercevez que le serpent ne se mord pas la queue aussi facilement que cela. Un mot pour qualifier cette relecture de la pépite richardienne par les Jinets, la légèreté, jouent aux fines mouches qui vous donnent l'impression de ne pas vouloir se poser sur la tartine beurrée. Mais au final vous relevez de véritables empreintes dinosauriennes sur votre biscotte. Et voilà qu'elles viennent essuyer leur pattes graisseuses sur vos oreilles. Et vous aimez ça. Au début Emilie et sa guitare y vont tout doux, rapide mais précise, et puis les deux copines ramènent leur fraises tagada, la voix sucrée de Vaness douce comme une timbale de vin chaud légèrement épicée, et Ady qui vous lâche en catimini des obus à blanc depuis sa contrebasse, vous n'y faites pas trop gaffe, mais elles accélèrent le mouvement, un peu comme ces petites gamines qui entourent de rubans multicolores les touristes tout joyeux sur les Champs Elysées, le gars se croit à Honolulu et il y a longtemps que son porte-feuille a disparu. Vous voici sur le Grand-huit et votre navette file à une vitesse de ratignoles poursuivies par le chat du rock'n'roll, ces filles vous ensorcellent, vous emportent dans une sarabande effrontée, vous essayez de les intercepter mais elles se refilent le bébé à tour de rôle comme des petites folles qui rigolent de votre fiole. Une merveille de précision, la big mama d'Ady castafiore, Vaness rauque'n'rolle sa voix, et Emilie suit les pointillés pour vous découper en tranches. Vous êtes emballés par cette petite merveille. Pesés et mis sous cellophane.

    SEE SEE RIDER

    Ady a toujours eu une petite préférence secrète pour le blues. C'est donc elle qui se colle au vocal pour ce classique de Ma Rainey. Elle a aussi laissé son up-right pour la basse. L'est sûr que l'interprétation de ce morceau par Eric Burdon et les Animals en a quelque peu assombri la tonalité et qu'il est difficile de l'ignorer. Malgré cela la guitare d'Emilie reste claire, mais plus pointue à la manière d'une lame de couteau qui se glisse dans votre chair. L'impulsion charnelle du vocal d'Ady s'empare du morceau à bras-le-corps, vous sentez le sang chaud et le cœur qui bat la chamade du désespoir. D'autant plus profondément que les copines en chœur rajoutent par la clarté moqueuse de leurs voix l'inéluctabilité de la perte irréparable. Vaness use de ses cymbales à la manière d'un gong funèbre définitif. Emilie vous passe le balai d'un dernier solo afin de renvoyer à la poubelle du néant les souvenirs et les débris des fiévreuses étreintes orgiaques passées. Un blues enlevé qui vous colle à la peau comme les ventouses d'une pieuvre qui vous vient sucer la colérique lymphe de vos regrets éternels.

    Deux morceaux. Versant rock et versant blues. Pas plus ni moins. Assez pour définir un périmètre d'investigation et de création assez large. Ne reste plus qu'à les voir sur scène et à attendre un premier disque.

    Damie Chad.

    *

    Une grande interrogation métaphysique parcourt le mental de nos contemporains. Mais que font les rockers quand ils ne font pas un bruit de tous les diables avec leur musique infernale – les statistiques sont formelles, plus vous logez à proximité d'un individu appartenant à cette engeance maudite davantage vous serez exposés aux dépressions nerveuses irrémédiablement terminées par un suicide ( peut-être collectif et familial ) – oui à quoi occupent-ils donc leur temps lorsqu'ils ne s'adonnent pas à d'épileptiques pratiques sexuelles déviantes, quand ils ne s'amusent pas à ingurgiter des produits illégaux qui les rendent fous furieux...

    Chez KR'TNT ! nous ne reculons devant rien pour satisfaire l'avidité de savoir insatiable des sous-humanoïdes qui se prétendent nos contemporains, comme s'ils vivaient dans la même ère culturelle que nous ! Bref, de temps en temps nous nous pencherons sur certaines figures du mouvement rock dont nous retraçons les multiples et périlleuses aventures depuis plusieurs années. Nous commencerons par un cas doublement intéressant. Nous ne traiterons pour cette première fois seulement une seule des activités parallèles ( et forcément coupables ) à laquelle se livre le dénommé Eric Calassou.

    *

    ERIC CALASSOU / PHOTOGRAPHE

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    Je ne devrais pas vous le présenter. Vous l'avez déjà maintes fois croisé dans les colonnes de Kr'tnt, Eric Calassou n'est autre que le chanteur, compositeur et guitariste de Bill Crane. Un des groupes les plus curieux et les plus excitants de la scène parisienne. Difficile à cataloguer. Un rock pervers, obvié, de guingois. Tous les mythes du passé et tous les schèmes encore indéterminés du futur. Mais là n'est pas la question en cette chronique.

    Eric Calassou est aussi un adepte de la photographie. Au regard tordu. Ne comptez pas sur lui pour les beaux paysages, les jolis minois d'enfants craquants, et les robes de mariées complaisamment exhibées dans les jardins municipaux devant les rosiers en fleurs. Pas de chats trognons, ni de chiens mignons non plus. Ignore totalement les splendides couleurs d'un coucher de soleil majestueux sur les flots océaniques. N'est pas non plus le sociologue de service qui tire les portraits des travers et des injustices de la société inhumaine dans laquelle nous essayons de survivre. Le mieux ce serait que vous alliez y voir par vos mêmes. Vous avez plus de sept cents clichés à visionner sur Flickr calassou eric.

    Après un tel préambule, vous hésitez, vous avez raison. Eric Calassou ne photographie aucun des êtres vivants ou des objets inanimés de notre quotidien. Amis rockers, vous risquez d'être déçus, pas de Chambords chamarrées, pas d'Harley customisées à mort, pas de rockers célèbres ou inconnus. Tout cela, c'est trop voyant pour Calassou. Alors quoi ?

    Il y a un parti pris chez Eric Calassou. Ne s'intéresse pas aux choses en elles-mêmes. Son truc à lui, c'est le mensonge de la chose, ce qu'elle n'est pas. Son reflet, son apparence, son insignifiance. Ceci n'est pas une pipe a dit Magritte. Ceci est une photo répond Calassou. Mais que représente-t-elle s'exclament les imbéciles qui voient la lune alors qu'on leur montre le doigt. Avec Calassou, c'est simple une photo ne représente qu'elle même. Et peut-être aussi le regard de celui qui l'a prise. Renoue un peu avec l'esthétique de ces peintres chinois qui refusaient de se saisir d'un calame ou d'un pinceau pour reproduire une chose. Partaient tranquillement en promenade, mais les sens en alerte, souvent rentraient chez eux les mains vides, mais parfois l'œil aux aguets avait repéré dans la disposition hasardeuse de teintes différentes sur la surface d'une pierre l'évocation profilée d'un paysage merveilleux qui n'existait nulle part... Une quête si proche de l'improbable.

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    Prenez une série comme Asphalt-surf. Evidemment aucun véhicule, aucune route. Juste de minuscules fragments qui font signes. L'entrecroisement de quelques couleurs d'où surgit une beauté qui n'est pas sans rappeler les tableaux de Nicolas de Staël, à tel point que l'on peut se dire que si l'ouvrier de la voirie n'a jamais eu l'occasion d'entrer dans un musée pour admirer les prodigieux aplats de Staël, Staël lui a obligatoirement vu les goudrons peinturlurés des rues qu'il traversait.

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    ( Nicolas de Staël )

    Si ce n'est pas comme l'affirmait Baudelaire la nature qui imite l'artiste, ne serait-ce pas alors l'artiste qui reproduit les éclats éparpillés de la beauté que les hommes ont jetée de-ci de-là sans être conscient de la valeur de leur geste. A l'œil limpide de l'artiste prônée par Schopenhauer il est intéressant d'opposer le regard kaléidoscopique du peintre qui ré-assemble pour l'amplifier la réalité éparpillée.

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    Bien sûr dans cette série Calassou enserre dans le diaphragme de son appareil des formes géométriques connues et n'hésite pas à photographier le dessin schématique d'une voiture, mais qu'est-ce au juste, ces segments de droite coupés de leur environnement, ce dessin qui n'a plus aucune fonction utilitaire, voici des signes fragmentés qui ne signifient plus rien, qui n'agissent plus sur le monde, qui entrent en interaction avec le regard humain qui ne peut leur donner une quelconque signifiance, à tel point que parfois il nous manque les mots qui pourraient les exprimer. Vertige : ces photos montrent le monde mais ne permettent plus de le saisir, de le comprendre, de le plier à notre simple compréhension humaine. Que nous dit Calassou, que le monde, même celui que nous avons créé de nos mains existe en dehors de nous. Vit et meurt sans nous. Nous nous consolons de Calassou en disant que ses photos montrent d'infimes portions d'univers auxquelles nos bourdonnantes existences tumultueuses d'hommes du troisième millénaire ne prennent pas garde. Et hop, le petit couplet attendu sur le stress occasionnée par la modernité. Bla-bla-bla ! Ce que nous disent ces photos de Calassou c'est que nous n'existons que par intermittences, en nous-mêmes mais pas au-dehors de nous-mêmes, que le monde est vide de toute présence humaine, même si nous pensons que nous en sommes le pivot. L'homme n'est ni la volonté ni la représentation du monde.

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    Changeons d'album. Voici Scotch-tapes. A peine neuf photos. Amplement suffisantes s'exclameront les impatients. Des photographies de bandes de scotch. Je subodore que l'irritation de certains lecteurs risque d'arriver au bout du rouleau. Surtout que si vous zieutez bien, parfois le scotch a disparu et il ne reste que la trace du ruban adhésif sur le support. Surface serait-on tenté d'ajouter en clignant de l'œil vers un des mouvements de peinture contemporaines les plus connus. Ce qui nous semble une fausse piste. Le mouvement supports / surfaces c'est encore une sacralisation de la peinture réduite à sa seule objectivité de peinture. Le monde n'est-il pas que supports et surfaces sur lesquelles vivent et reposent objets et êtres animés ! La démarche calassienne nous paraît beaucoup plus radicale. D'abord elle ne rajoute rien, elle est acte de préhension, elle prend, mais elle ne prend qu'un reflet, de fait elle ne prend rien. Pour vous en convaincre visitez la série Headlights, des reflets de phare de voiture, non pas l'objet des phares en lui-même, juste le jeu de la lumière naturelle qui s'y mire dedans. Et qui ne s'y mire pas, car cela c'est encore une vue de l'esprit du photographe. De fait la photographie ne photographie pas l'espace matériel de l'objet, ce qui est appréhendé ce n'est pas la matière de l'objet mais un instant fugace de l'objet. Le photographe se livre à une étrange dichotomie, il prélève un fragment temporel de l'objet. Sépare l'ici solide du maintenant fugace. S'attaque à la structure même du monde. La photographie devient une explosion dés-atomique de la matière. Ne libère pas l'énergie, mais emprisonne la lumière.

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    Revenons à des choses plus simples. L'album Derrière la vitre. Le principe en est d'une simplicité absolue. Photographier des personnes derrière une vitre, plus ou moins épaisse, plus ou moins colorée, plus ou moins granuleuse, plus ou moins sale... Ô joie, l'on reconnaît les formes, hommes, femmes, vêtements, nous sommes enfin en pays connu dans un univers à taille humaine. Ne respirez pas. Regardez ces photos comme les troubles agissements d'un serial-killer, il ne s'agit pas de montrer des gens mais de s'ingénier à mettre en scène leur éloignement progressif, leur élimination physique, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des taches de couleurs. Juste une vibration de la lumière. Chez Nicolas de Staël c'est la couleur flamboyante qui mangent les footballeurs, chez Calassou, les couleurs visent à la transparence invisible de la lumière.

    Tour de passe-passe. Maintenant le magicien Calassou s'amuse, il semble imiter Staël, la transparence du verre se colorise de plus en plus à chaque vue. Un seul problème : quelles belles teintures, comme c'est beau, oui certes mais où est passé l'être humain initial. Stéphane Mallarmé devisait quant à la disparition élocutoire du poëte, Calassou lui s'amuse à la dissolution chromatique de l'Homme.

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    Frissons sous la peau. Que reste-t-il de nous lorsque nous serons plus là. Un champ de ruines. La série Broken House a-t-elle été inspirée par la pochette du Led Zeppelin IV, nous n'en savons rien, en tout cas elle est moins optimiste que le message ésotérique du Dirigeable. Calassou joue. C'est une habitude humaine de peindre les murs. Alors il inonde d'aplats géométriques les parpaings dénudés. Juste nous dire que nous repeignons le monde à notre manière parce que comme l'a écrit Joe Bousquet, la lumière est une infranchissable pourriture.

    Photographie / Peinture. La frontière se traverse facilement. Mais que peint Calassou. Il ne peint rien, il peint et photographie des peintures qui ressemblent à ses photographies. Des peintures éclatées, des peintures sur l'eau songez à l'épitaphe sur la tombe de Keats – ici repose un homme dont le nom fut écrit sur l'eau.

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    Vous aimez les idoles. Calassou vous a compris. Calassou a eu pitié de lui. Il vous livre sept auto-portraits. Pas le portrait de l'artiste en jeune chien. Non beaucoup plus grave. Sur huit photos Calassou ne s'est pas peint en Calassou. L'a adopté une posture qui le fait étrangement ressembler à Gérard de Nerval. Le poëte qui voyait le réel d'une manière beaucoup plus profonde que la plupart. Certains diront qu'il a une grosse tête sur la photo et d'autres plus perfidement ajouteront que pour oser cela il faut surtout avoir la grosse tête. Alors regardez la série Cartons. Des photographies de simples cartons. De morceaux de cartons. L'a appliqué à ses autoportraits la même technique que pour ses questions. Photographiez au plus près, photographiez macro pour tenter d'apercevoir l'infiniment minuscule. Il arrive un moment où le plus grand s'égalise au plus petit. Ce n'est pas que le microcosme humain corresponde au macrocosme humain – c'est cela avoir la grosse tête – c'est l'instant où tout l'univers s'équalise et s'équalyse en des milliards de parcelles pas plus importantes l'une que l'autre.

    Mais allez y voir par vous-même. Calassou est certes un rocker. Mais à part entière il est aussi photographe. Qui a longuement réfléchi sur son art et sa relation avec le monde. Les photos d'Eric Calassou, ne sont pas un passe-temps futile, un violon d'Ingres pour employer une expression consacrée. L'on y ressent une démarche réflexive quasi-philosophique. Une interrogation sur la place de l'homme dans l'univers. Cette idée que l'acte photographique sert à donner du sens à notre insertion dans la réalité intangible qui nous échappe à tous moments.

    Bizarrement le rock d'Eric Calassou et de Bill Crane est beaucoup plus visible que ses photographies. Mais si le rock tend à exprimer les dédales mythographiques d'un jeune homme d'aujourd'hui, ses photographies participent d'une démarche interrogative beaucoup plus métaphysique.

    Damie Chad.

    ROCK’N’PHILO

    FRANCIS METIVIER

    ( Editions Bréal / Mai 2011 )

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    Quand j’ai été averti de l’imminence de la parution de ce bouquin, j’ai haussé les épaules, un clampin qui a trouvé un moyen racoleur pour se faire du fric juste avant les vacances, et je n’y ai plus pensé jusqu’à ce que je le trouvasse sur l’étal du bouquiniste. J’ai soulevé la couverture, cinq euros, cela ne creuserait guère mon découvert bancaire, mon banquier n’aura pas besoin de se suicider, lorsque je l’ai soupesé j’ai tiqué, du lourd, plus de quatre cents pages, pas une photo, seulement dans les marges les silhouettes d’une guitare, d’un jack, d’un fil de micro… Cela, ai-je doctement supputé, doit être rempli d’anecdotes croustillantes sur les tournées érotiquement tourmentées de nos idoles, sinon comment voudriez-vous retenir l’attention d’un adolescent d’aujourd’hui… Ayant conservé un esprit jeune je l’ai emporté à la maison.

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    L’a fallu déchanter. Le bouquin est un peu construit sur la recette du pâté d’alouette - un cheval pour une alouette, c’est le charcut qui vous plume - de la philo livrée en palettes de plusieurs tonnes, pour le rock un petit cageot de fruits pas toujours du premier choix. Francis Métivier n’a pas oublié son métier de prof de philosophie, l’a recopié in-extenso le cours qu’il refile à ses alumnos durant l’année scolaire. Soyons juste : il ne se moque pas d’eux, c’est du bien fait, du charpenté, du solide. A chaque séance il vous présente un auteur : n’hésite devant aucune citadelle, Platon, Aristote, Kierkegaard, Saint Augustin ( entre nous comment un esprit religieux peut-il être philosophe ! ), Heidegger, Wittgenstein et tous les autres. Vous explique leur démarche, le problème auquel les aîtres suprêmes de la réflexion se confrontent, la manière dont ils le résolvent, citations et commentaires à l’appui. L’a la cerise pour chacun des gâteaux qu’il présente : à l’étude de chaque notion il fait correspondre un philosophe et un titre d’un groupe ou d’un chanteur : je vous cite trois exemples : Descartes et Pixies, Leibniz et Rolling Stones, Schopenhauer et Téléphone. Un peu comme Plutarque rédigea les Vies Parallèles des Hommes Illustres en présentant par exemple un homme de guerre grec avec un général romain. Voudrais pas critiquer les stars du rock’roll, ne sont pas obligatoirement des ignares mais comparés aux délices d’un Tractacus Logicus ou d’une Critique de la Raison Pure, leurs lyrics, que nous adorons, paraissent tout de même un peu maigres.

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    L’a son truc pour épaissir le potage Métivier, ne se contente pas de décrypter les paroles, y joint l’analyse instrumentale et ma foi dans l’ensemble il se débrouille plutôt bien. Chapeau l’artiste. M’a même bluffé avec son Thomas d’Aquin et Nico Love Teen des BB Brunes. Même si le sous-entendu nicotineux du titre pourrait être envisagé par un sourcilleux recteur pour une apologie éhontée de la consommation du tabac alors que dans les derniers précis de philo pour classe terminales l'on a pris soin d'omettre de la célèbre photographie d'Albert Camus la cigarette allumée qu'il tenait entre ses doigts.

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    Si j’étais Inspecteur de l’Education Nationale je proposerais qu’on lui décerne les Palmes Académiques pour les six premières leçons qui traitent du Sujet. C’est que voyez-vous, quand on y réfléchit, au niveau philosophique le sujet-rock n’est pas vraiment différent du sujet-non-rock. Par contre dans la partie suivante, ça se gâte un peu. Reconnaissons-lui de prendre le taureau de la Culture par les cornes. N’y va pas de main morte, ne tergiverse même pas dans le chemin de traverse de la notion de contre-culture si chère aux hippies, l’est franco de port, pose la question qui fâche : l’ontologie du rock est-elle différente de l’essence de tout autre art majeur. Reste fair-play, l’avoue sa défaite. Il ne sait pas. Qu’il se rassure nous non plus.

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    Partie suivante, La Raison et le Langage, il se dévoile un peu plus, sa note administrative risque de s’infléchir, ne suit pas la ligne idéale de l’optimisme ministériel, la raison n’arrive pas à se faire entendre, nous vivons entre doute et mensonge. Voici un sujet professoral qui se la joue au sophiste. Si les profs dispensent des cours de rébellion métaphysique, tremblons pour nos têtes blondes. La perversion intellectuelle est un vilain défaut.

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    Semble se rattraper avec la dernière partie : La Morale. Lui a scrupuleusement pris soin durant tout le volume de traduire le mot fuck ( vocabulaire de base du rocker anglophone ) par ''b…'' la bénigne lettre qui ne mange pas ses trois points, semble nous dire que le bonheur est possible, presque à portée de main, souriez les enfants, si vous êtes sages la société vous récompensera, tombe subitement le masque en tressant des couronnes de laurier à Stirner le chantre de l’anarchisme individualiste et en élevant une statue d’or pur à Diogène le cynique provocateur, l’infâme prévaricateur des principes les plus sacrés. Bel exemple donné à notre saine jeunesse !

    Jeunes gens qui passez votre bac l’an prochain, n’hésitez pas à vous procurer ce manuel. Vous y apprendrez beaucoup. Certes tout n’est pas parfait. Beaucoup trop de chanteurs français qui flirtent un max avec la variétoche mais d’un abord linguistique plus évident que les amerloques, n’ayez crainte le sabir anglophone est traduit, mais surtout au moment de composer votre copie, délaissez quelque peu les diatribes pistoliennes, endossez un peu de retenue socratique, c’est juste un conseil de haute prévention, mais si vous tenez à affirmez vos préférences destructrices, sachez que la philosophie est aussi l’enseignement de la liberté.

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    De toutes les manières les rockers n’en font qu’à leur tête, peut-être Francis Métivier s’est-il donné beaucoup de mal pour rien. Nietzsche nous a prévenus, l’on n’arrêtera pas la montée du nihilisme.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 255 : KR'TNT ! 375 :TAV FALCO / THE FLUG / BILL CRANE / SILLY WALK / KIERON McDONALD / HANK'S JALOPY DEMONS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 375

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    24 / 05 / 2018

    TAV FALCO

    THE FLUG / BILL CRANE / SILLY WALK

    KIERON McDONALD / HANK'S JALOPY DEMONS

    Tav & ses octaves - 
Part Three

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    Vient de paraître un livre de photos consacré à Tav Falco : This Could Go On Forever. On The Road With Tav Falco & Panther Burns. Une certaine Gina Lee signe les images. L’ouvrage sort chez un éditeur autrichien. La bonne nouvelle, c’est qu’il ne coûte que 38 euros. La mauvaise concerne le choix de papier. L’ouvrage est imprimé sur une sorte de mauvais papier offset, l’un de ces papiers instables tellement sensibles à l’humidité et qui n’ont pas la main d’un couché ou d’un bouffant. Dans un projet éditorial, le choix de papier est aussi crucial que la qualité d’impression et les choix typographiques. L’objet doit être aussi agréable à l’œil qu’au toucher. C’est en plus un papier très blanc, très acide, qui ne rend pas forcément service aux images. Et on ne parle même pas de la qualité des images. On ne peut pas parler véritablement d’un livre de photos, au sens où on l’entend généralement. L’ouvrage reste graphiquement muet. Les tailles d’images uniformes et les cadres privés de perspective renvoient plutôt à ces images qu’on fait sans réfléchir pour documenter une page facebook. On est plus proche de l’album de souvenirs de voyage que du livre d’art. Aujourd’hui, avec un smartphone et un éditeur sur le web, n’importe quel touriste peut financer l’édition d’un livre de photos. C’est dire si.

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    Ceci dit, on est toujours content de voir des photos de notre vampire préféré. Quoi ? Vous ne saviez pas que Tav Falco était un vampire ? Pourtant ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Bizarre que Jim Jarmush n’ait pas pensé à lui pour le rôle principal d’Only Lovers Left Alive. Et le fait que Tav Falco vive à Vienne ne fait que renforcer cette évidence. Tous les vampires reviennent un jour s’établir à Vienne, cette capitale d’empire qui fut voici plusieurs siècles le berceau du fantastique. Toutes les images proposées dans ce livre ne font qu’enfoncer le clou : cet homme échappe aux modes et au temps. Ça n’en finit plus d’alimenter son prestige et d’épaissir son mystère. Quoi, un vampire qui se pavane au soleil des Baléares ? Oui, il faut le voir pour le croire.

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    Une première image nous montre un Tav Falco en costume bleu clair, photographié dans le backstage d’une festival allemand. Il sourit. Il porte des lunettes noires et brandit sa guitare Höfner. Le voilà frais comme un gardon. Allez, on lui donne vingt-cinq ans maximum. Petit, léger. L’inaltérable modernité du vampire. Mais là où Tav Falco subjugue, c’est qu’il offre l’apparence d’un vampire heureux. Qui aurait cru ça possible ? Ça frise le contresens.

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    Un peu plus loin, on le voit photographié à Lisbonne, près de la statue de Fernando Pessoa. Il porte un blazer brun clair et semble perdu dans ses pensées. Le velouté de son teint d’adolescent a de quoi édifier les édifices.Plus loin, une image le surprend de dos remontant une rue de Palma de Majorque. Il s’éloigne. On entend ses pas se perdre dans l’écho du temps. Rien n’est plus symbolique - au plan fantastique - que ce type d’image. Toujours à Palma, il pose en haut d’un escalier, coiffé d’une casquette de parieur hippique, sans doute un cadeau de Jean Gabin dans les années trente. Tav Falco semble redoubler de prestance. Personne d’autre que lui n’oserait porter ce pantalon moulant à grosses rayures bleues et blanches : les couleurs d’un pyjama !

    Au fond, ce livre fonctionne comme l’antithèse de la fatalité. Les pages des magazines de rock anglais n’en finissent plus de nous montrer des Stones et des Who vieillissants, comme s’il fallait s’habituer à l’idée d’un rock entré dans son déclin. Tav Falco inverse carrément la tendance. Vieillir ? Laissez-le rire ! Page 19, une image nous le montre souriant, comme si Antonioni le filmait à Rimini en 1952 : sourire à la Delon et lumière chaude. Par contre, les photos de scène sont souvent aléatoires. Rien n’est plus difficile que de réussir un vrai shoot de scène. Et voilà notre héros parfaitement à son aise au Cabaret Voltaire de Zurich, oui, dans le berceau du dadaïsme. Il porte son imper blanc et pose devant le portrait d’Hugo Ball, photographié en pied dans son accoutrement satrapique d’as de pic cintré. Toujours en imper blanc et en casquette de titi parisien, voici Tav Falco photographié à l’angle de la rue de la Lune, une image qui illustre parfaitement l’excellent «Ballad Of The Rue De La Lune» qui ouvre le bal des vampires de Conjurations - Séance For Deranged Lovers, paru en 2010.

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    Et puis voilà ces fabuleuses images du Penalty : on y voit Tav Falco en gilet brodé se coiffer à deux mains dans l’éclat éblouissant d’une lumière de printemps. Pur rockabilly shoot ! Le fantastiques images en noir et blanc parues jadis dans R&F proviennent de cette séance. Elles sont de François Grivelet qu’on voit d’ailleurs ici de dos, assis face à Tav Falco. L’air de rien, ce livre grouille d’informations underground. Il n’est pas surprenant de retrouver notre héros attablé à la Nouvelle Orleans, qui est, comme chacun le sait, le berceau du vampirisme sur le nouveau continent. Et en vis-à-vis, Tav Falco se livre à l’un de ses jeux de scène favoris : il se roule par terre avec sa guitare. Avec Carl, son fils Barny et Chris Bird des Wise Guyz, ils sont les derniers à perpétuer le wild rockab roullé-boullé des frères Burnette. Et le voilà au sol, tombé du ciel comme l’ange déchu, photographié d’en haut, mais s’il chute, c’est en chaussures deux tons. Une autre image permet de voir qu’il porte des chaussettes décorées de têtes de mort. Dommage qu’on ne puisse voir un gros plan des boutons de manchette streamline train dont il faisait jadis l’apologie. Il pose aussi devant la vitrine d’un chapelier milanais. La boutique s’appelle Borsalino et bien sûr, Tav Falco ne déroge pas aux lois séculaires du dandysme. D’ailleurs, cet ouvrage pourrait bien être le pendant moderne de l’essai jadis publié par Barbey d’Aurevilly, Du dandysme Et De George Brummel, dans lequel Barbey explique avec brio l’art de se distinguer sans le montrer. Tout repose sur une maîtrise parfaite de la discrétion et de la mesure. Un art que Tav Falco maîtrise puisqu’il s’efface le plus souvent des pages pour laisser vivre ses compagnons de voyage. L’anti m’as-tu-vu par excellence. Et la plus belle image du livre n’est-elle pas celle d’un vampire qui se baigne en Italie, coiffé de son petit chapeau napolitain ? Cet homme n’en finira donc jamais de piquer la curiosité et d’exciter les muqueuses.

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    Il existe un autre livre de photos, paru voici deux ans chez le même éditeur : An Iconography Of Chance. 99 Photographs Of The Evanescent South. Les photos noir et blanc que propose l’ouvrage sont cette fois signées Tav Falco. À l’instar de son maître Bill Eggleston, Tav Falco y défend une théorie de l’image : the veracity of the unmolested photographic image is undeniable. Il parle ici de l’image virginale et de sa magistrale véracité. Comme Eggleston, il se dit influencé par Henri Cartier-Bresson, l’un des esprits les plus libres du XXe siècle. Nos amis américains auraient aussi pu citer d’autres grands chasseurs d’images comme Robert Doisneau, richement imprégné de la réalité urbaine des faubourgs, ou encore Brassaï, l’âme errante des nuits de Paris.

    Tav Falco revient sur Bill Eggleston pour préciser qu’il ne voit pas les mêmes choses que lui. Eggleston fait des images «concrètes», très directes. Celles de Tav Falco relèvent d’un regard nettement plus poétique, voire fantastique - il suffit de voir la couverture de son livre et ce couple hallucinant dansant le rock au bal des fantômes de la rue Morgue, une sorte d’hommage photographique à Edgar Poe. Alors qu’Eggleston - avec lequel Tav a appris le métier de photographe - claque son flash dans un plafond laqué rouge (l’image orne la pochette de Radio City, second album de Big Star). Eggleston semble vouloir mettre la réalité à nu. Ses images nous la livrent toute crue, sans fard.

    Les images de Tav Falco dégagent un charme d’autant plus capiteux qu’il les commente. Ce prodigieux écrivain cultive aussi l’art des formules épiques. Sa prose les charrie comme un fleuve amérindien charrie les sables alluvionnaires : à la tonne. Bel exemple avec la première photo, celle de la Saint Francis River, à l’Est de l’Arkansas. Tav suggère que dans l’ombre des bois qui bordent le fleuve, les esprits courroucés des Indiens marchent encore silencieusement en file, chaussés de mocassins. Voilà ce que voit Tav Falco dans cette image d’apparence si banale.

    Les livres de photographes sont parfois très denses, et cette densité génère une sorte de tension intellectuelle. Lorsqu’on feuillette La Main de l’Homme de Salgado, on est immédiatement tétanisé par la violence graphique des images. Encore plus fascinant et plus difficile à feuilleter : le recueil de portraits de Richard Avedon, grand spécialiste du grain de peau et des yeux qui parlent. Même Cartier-Bresson semble trop graphique, bon nombre de ses images relèvent d’une forme de génie du cadre, beaucoup plus que du fameux «moment décisif» auquel Tav Falco fait référence. La photographe dont Tav Falco se rapproche le plus est certainement Diane Arbus.

    Les premières images de ce livre sont des détails de paysages, sans personnages. On s’y sent tout de suite bien, comme chez Diane Arbus qui toute sa vie a photographié les gens ordinaires. La troisième image est celle d’un wagon abandonné en pleine cambrousse - These rail cars are long forsaken and consigned to perpetual oxidation - Sur le wagon, on peut lire Rock Island et bien sûr on pense à Leadbelly et à «Rock Island Line». Une autre image nous montre une sorte de taverne misérable dont les deux fenêtres sont protégées par les barreaux. Idéal pour l’imagination galopante de Tav Falco - The bistro is open from dusk to dawn and what goes on behind its barred windows defies the most feral imagination in the every act known to man is possible here - L’auteur nous indique que derrières les barreaux de ces fenêtres, tout ce qui relève de l’imagination la plus fertile est possible. Pour lui, les trains ne laissent derrière eux «que de la poussière, du chagrin et de la suie», alors que les entrepôts ont vu défiler «de sombres cargaisons et de ténébreuses émotions». Au fil des images, Tav Falco parvient à européaniser le néant de l’Amérique profonde. C’est un exploit poétique assez prodigieux qui mérite d’être souligné.

    Les petites cabanes du Deep South qu’il photographie renvoient évidemment à Walker Evans. Mais Tav Falco est moins cru, son regard est beaucoup moins ethnologique. Il préfère choper deux gosses qui partent à la pêche à Okatoma Creek pour ramener à la maison a mess of fresh perch for mama to fry in a blackened iron skillet. Tout ça sur un air chantant de Charles Trenet.

    Le premier portrait arrive assez tard dans la pagination. Il s’agit bien sûr d’un «perennial rockabilly Ho-daddy» sortant de l’agence locale de la compagnie de téléphone. Tav Falco sait qu’on croisera ce mec plus tard dans la soirée «au Bad Bob’s Vapors Club». Il photographie aussi une statue du soldat inconnu en Arkansas, et profite de l’occasion pour ironiser sur le compte de la cause perdue - The War of Rebellion and the valiant troops who fought to the death for the lost cause may never it seems be dismissed from memory - C’est vrai que l’idée de la cause perdue présente quelque chose de chevaleresque, comme avait essayé de le montrer D.W. Griffith dans The Birth Of A Nation. Et puis soudain, on tombe sur une image montrant Rural Burnside jouant dans un club. Des blacks dansent devant lui. Tav Falco note que la vie de travailleur des champs ne laisse pas beaucoup de temps pour repasser son pantalon.

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    On tombe un peu plus loin sur un autre portrait, stupéfiant, celui d’un vieux docker noir sur son trente-et-un, le regard noyé dans l’ombre d’une immense casquette de gavroche. Tav Falco profite du portrait d’un camarade d’université, David Grünewald, pour évoquer ses souvenirs de jeunesse à l’University of Arkansas, «rebutting the dialectics of Heidegger, Barthes, Derida and the dérive de Guy Debord.» Il n’est pas surprenant de retrouver le nom de Guy Debord sous la plume de Tav Falco. Ces deux-là ont su chacun à leur manière incarner l’idée pure de l’avant-garde, doublée d’un mépris psychorigide pour les concessions. Tav Falco livre aussi un beau portrait de sa mère, Rita, dont les parents arrivèrent d’Italie du Sud. Il ajoute que la voix de sa mère était si claire qu’elle fut engagée comme speakerine dans une radio d’Arkansas. Portrait spectaculaire du fils de Sleepy John Estes lors de l’enterrement de son père. Allez, tiens, encore un autre portrait spectaculaire, celui de Van Zula Hunt, l’une des chanteuses noires qui, comme Jessie Mae Hemphill, fascinait tant Tav Falco.

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    On tombe un peu plus loin sur Jerry Lee et sur Sun Ra, photographiés sur scène. Fantastiques évocations de ces méga-stars dont on s’est tous nourris.

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    La photo la plus connue de Tav Falco est sans aucun doute celle de Charlie Feathers occupé à démarrer une Harley - a 1934 Harly-Davidson VLD just like the one he once rode on loan from his older brother - C’est un hommage fantastique à celui qui fut, avec Jim Dickinson, son mentor - The immortal Charlie Feathers was one of the handfuls of innovators who created the inchoate genre of rockabilly in American vernacular music - Deux pages plus loin, on tombe sur un Dickinson assoupi au Huey’s Bar, à côté de Stanley Booth - acrimonious and sulphurous author of Rythm Oil and other tales, who deigned to suck the cock of arrogance - Joli shoots de Phineas Newborn, pianiste de jazz qui accompagna Charlie Mingus, puis page suivante de Furry Lewis, le bluesman de Memphis qui fut aussi le mentor de Sid Selvidge (et de Don Nix). Tav Falco raconte que Furry balaya les rues de Memphis toute sa vie, ce qui lui permit de chanter le blues en descendant une bouteille de whisky par jour. On trouve aussi deux photos des Cramps, la première shootée au Arcade Café across from Memphis Central Train Station - Tav Falco profite de l’occasion pour rappeler que les Cramps incarnèrent le rockabilly post-moderne et le Théâtre de la Cruauté selon Artaud - As envisioned by Antonin Artaud, the French dramaturgist, The Cramps were the apotheosis of a post-modern rockabilly band that embodied the Theather of Cruelty -

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    Les deux dernières images du livre comptent parmi les plus spectaculaires, tant au plan graphique qu’au plan évocatif. Portrait de James Caar devant le pont qui franchit le Mississippi - while the onus of the delta sun reigns like an inexorable demon - une lumière grise enveloppe le grand James Carr plongé dans ses pensées - Some mysteries the restless light of day can nerver reveal - Eh oui, la lumière du jour ne livre pas tous ses secrets. Et la dernière image est celle d’un crépuscule «over Majik Market», image qui servit à illustrer la couverture de son livre, Ghosts Behind The Sun: Splendor, Enigma & Death - Mondo Memphis. Tav Falco conclut : Potato chips and magic potions are no comfort and no protection against the tornado brewing in the distance. Eh, oui, qui va nous protéger de l’ouragan qui se prépare ?

    On sort de ce livre épuisé, comme au sortir d’une partouze, au petit matin. Tav Falco est un homme dangereux : à le fréquenter, on risque en permanence l’overdose de sèves salvatrices.

    Signé : Cazengler, Falconard

    Tav Falco. An Iconography Of Chance. 99 Photographs Of The Evanescent South. Elsinore Press 2015

    Gina Lee. This Could Go No Forever. On The Road With Tav Falco & Panther Burns. Elsinore Press 2017

     

    17 - 05 - 2018 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    BILL CRANE / THE FLUG / SILLY WALK

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    On ne change pas une formule qui gagne, toutefois pour désorienter quelque peu le lecteur, cette fois au contraire de la semaine dernière, nous serons, dans le seul but de tenir les kr'tnter readers en haleine et de brouiller les pistes, le premier soir à la Comedia et le second au 3B.

    Alerte noire dès l'entrée dans la Comedia. Panne d'électricité, Rachid et deux aides debout sur le comptoir essaient de démêler des fils savamment embrouillés. Pas de déception, les Dieux du rock sont avec nous, la scène est restée miraculeusement alimentée, encore une fois notre planète échappe à une irrémissible catastrophe... Ampoule cerisée sur le gâteau, la salle bénéficiera aussi au bout d'une heure de tripatouillages éclairés d'une lumière décente. Tout est bien dans le meilleur des mondes.

    Quoique.

    UNE BALANCE MOUVEMENTEE

    D'habitude la mise en place des groupes n'attire l'attention que de deux ou trois obsédés des effets soniques. Mais cette fois, joyeuse cohue devant l'estrade. Je peux vous la faire à la Larmartine, Un seul objet vous manque et le rock est dépeuplé. Grosse absence remarquée : pas de batterie sur le plateau. Mais ce n'est pas le pire, l'émoi est provoqué par un ustensile de la taille d'un cahier d'écolier pas plus épais que le cerveau rabougris d'un énarque ( 2, 5 cm ). Rien de plus qu'un artefact rythmique. Pas de quoi fouetter un dinosaure, et pourtant des mains multiples se tendent pour s'en emparer, des doigts facétieux appuient à tout hasard sur les touches, on la débranche, on la rebranche, une dizaine de lascars à crêtes multicolores particulièrement en verve s'agitent autour du boîtier magique. Croire qu'il s'agit de geeks obsédés d'électronique serait une funeste erreur. De fait ils n'en ont rien à faire de cette malheureuse boîte à bruit. Elle n'est qu'un prétexte. Un psychologue vous apprendrait en son jargon qu'elle tient lieu d'objet transactionnel. En d'autres termes qu'elle permet d'entrer en communication.

    Car rien ne sert de courir après l'effet, mieux vaut identifier la cause, disait Aristote. L'avait raison. Délaissons cette beat-box aguicheuse, et intéressons-nous à ses abords immédiats. A thing of beauty is a joy for ever nous a susurré John Keats en un de ses immortels poèmes, les faits lui donnent doublement raison, car elles sont deux. Deux filles. Deux aimants, vous attirent les guys comme la paratonnerre la foudre. Sourires enjôleurs et réparties fuselées, des girls style riot grande, peur de rien et qui rient de tout. Chouettes divas athéniennes que rien n'effraie. Se jouent des boys, impertinentes et provocatrices, des calamités sur pattes, mais les voir c'est déjà les absoudre. De multiples défauts, mais une grande qualité : font partie de The Flug.

    THE FLUG

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    Un garçon relégué dans le coin au fond. Quantité négligeable. Fait tout le bruit qu'il faut sur sa guitare, vous la fait vrombir comme une attaque de spitfires en piqué, dégomme dur et décalque sec. Oui mais un gars qui s'exhibe avec trois filles sur scène pour lui tout seul n'est-il pas qu'un sombre égoïste ? Remarquez la vie ne doit pas être drôle tous les jours pour lui. La plus grande est à la basse. De visu elle semble être de bonne famille, bien élevée et toute gentille. On lui a sûrement appris à ne pas ouvrir la bouche pour n'importe quoi. Mais ses lèvres dessinent un sourire fin et ironique qui en dit long. De toutes les manières se trahit toute seule, vous émet une onde de choc prolongée, une espèce d'attaque noisy burn out qui vous déblaie le chemin au lance-flammes. A tous les deux nos musicopathes vous tissent ce que dans les ouvrages de science-fiction l'on nomme le rayon de la mort. Inutile de courir. Vous ne ne lui échapperez pas.

    Surgissent de chaque côté du fétiche syncopal, micro en main. La Blonde et la Brune. Donnent de la voix l'une après l'autre. Possèdent un timbre identique, fermez les yeux – ce serait fort dommageable - et vous ne saurez pas discerner celle qui entonne le chant de guerre. Elles éructent à la sauvage, elles ne s'embarrassent pas de lyrics raffinés, flug par ci, flug par là, flug au monde entier, flug à l'univers, flug you and flug me, flug à tout ce qui est, et flug à tout ce qui n'est pas, la hargne et la haine, à toutes deux elles sont la hyène et le chacal, le chien courant et la meute, ne respirent plus, ne sont que déversoir de rage, souffle d'huile sur le feu, chant tintamarre qui dégoise et ratiboise, métal hurlant. Et les pals deviennent fous quand elles descendent de l'estrade et se mêlent à eux, ils ondulent, s'entrechoquent et grouillent autour d'elles comme les serpents autour de la tête de la Gorgone, hypnotisés par ces deux prêtresses en combinaison de travail qui prêchent le vacarme, le marasme, et l'anéantissement de la raison humaine. Extremist hurlent-elles et la musique semble s'écrouler sur elle-même, elles sont les sœurs jumelles de la déraison et de la colère, la vouivre à deux têtes gonflées de poison et de venin, elles sont passion et destruction, elles sont l'incendie et la cendre, le tapis de bombes et la fulgurance de l'explosion.

    C'est fini. Elles redeviennent des filles comme les autres. Pas tout à fait. A voir le cortège des boys qui ne cesseront de papillonner autour d'elles, comme les phalènes autour du bout incandescent de la mèche du bâton de dynamite. Flug le désir !

    BILL CRANE

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    Une entité. Sortie du crâne d'Eric Calassou. Avec cette particularité que de temps en temps, le créateur se confond avec sa créature. L'on ne sait pas laquelle de ces deux composantes s'incarne en l'autre mais ce dont on est certain c'est qu'à chaque avatar nous sommes au plus près du rock. Trois sur scène ce soir. Ne resteront pas longtemps car il se fait tard. Dommage, mais nous aurons eu l'essentiel. Huit titres issus de leur dernier CD.

    D'abord la guitare d'Eric. Avant de l'entendre, il faut la voir. Donne l'impression de la désolation. Le pan de mur d'une maison abandonnée. Le plâtre et des inscriptions effacées par le temps. Comme une remontée à l'ère des origines. Lorsque le rock'n'roll n'était qu'une fissure dans le vertige du monde. La lézarde fongicide et irrémédiable qui en précipiterait la ruine. Eric joue comme s'il était en survie. Funambule sur ses cordes. Trapéziste qui se fraye un chemin dans le dédale emmêlé des agrès d'un cirque dont le chapiteau aurait été emporté par une tempête dévastatrice. Un jeu de brisures, de glissements, de reprises, de reptations, de rétablissements, au-dessus de l'abîme, au-dessus de la cime, mais en progression. Une avancée chaotique, le chat sur le toit fulminant, le danger est partout, en instabilité permanente. Move It pour ouvrir le set. Bouge ça et surtout bouge-toi car la mort te grignote les talons, le rock est un exercice de survie, un riff, un simple riff n'est qu'une pente verglacée, une balade à trous multiples, faut savoir s'y jeter dedans et avoir l'instinct de remonter l'entonnoir engloutisseur. Le riff est une aventure métariffique. L'on joue du rock pour brûler sa vie. Roulette russe le pistolet au bout du cran.

    Gwen le seconde magnifiquement. L'a compris qu'il n'est pas là pour pêcher à la ligne de basse. Pousse des brandons sous la marmite infernale. L'est présent pour en accélérer la chauffe, la faire exploser au moment idoine, telle une pivoine rouge dans un poème japonais. Sa basse cliquette vicieusement comme le clic de sûreté qui empêche la crémaillère du train de céder à la pesanteur vertigineuse de la renonciation à surmonter les sommets aux glaciers transparents. L'est des fausses routes qui peuvent se transformer en déroute, lorsque Eric semble s'être aventuré sur un carrefour sans issue, Gwen déneige au chalumeau, il ouvre une voie qui permet de franchir l'obstacle.

    Ce soir Bobo a décidé de manier le bulldozer. L'écrase les toms avec une joie sans égale. Le jazzman mange son pain blanc, alors les rockers vous voulez du rock, et il vous abat les quintes flush comme s'il en avait une armée en réserve dans ses bras de chemise. Pas de pitié, pas de quartier, pas de prisonnier, en avant toute, balayez les doutes et foncez droit devant. Comme l'on dit vulgairement pousse au cul, et les deux zèbres ne renâclent point à la tâche, galopent et dropent à toute vitesse. Un set à train d'enfer qui suscitera de forts applaudissements approbateurs chez les connaisseurs, notamment sur ce Travellin' Man qui fonce et vous défonce les cartilages du cerveau.

    Le set se termine bien trop vite, mais Bill Crane a trépané tous les amateurs. Zombies qui n'attendent plus que le retour du maître.

    SILLY WALK

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    Dans la teuf-teuf qui me conduisait à la Comédia je m'interrogeais sur le sens caché du nom de ce groupe dont j'ignorais tout. Cette marche stupide évoquait-elle les Monty Python ou the duckwalk, la fameuse marche du canard de Chuck Berry ? Je n'en savais rien, et n'en sais pas plus aujourd'hui, mais lorsqu'ils m'ont confirmé qu'ils venaient de Toulouse – ô lou pais de ma folle jeunesse – je me disais qu'ils ne pouvaient pas être totalement mauvais, non seulement mon intuition était bonne mais ils furent sacrément meilleurs. Et pourtant, ils inauguraient une ère nouvelle puisque leur chanteuse venait de les quitter. Souvent femme varie, Bien fol est qui s'y fie !

    Silly Walk a le rock sauvage. Ils n'y peuvent rien, ce n'est pas de leur faute, c'est naturel chez eux. Ne sont sont pas du genre à faire beaucoup de bruit pour rien. Déménagent. Vous emportent les meubles, les portes et les fenêtres. N'oublient même pas les murs. Vous cassent la baraque. Dès le premier morceau. Power rock trio.

    Marco martèle. Contrairement à ce qu'ils prétendent les Silly Walk ne procèdent pas d'une démarche idiote. Z'ont assez écouté les poupées de N. Y. et les Coeurs Brisés pour avoir compris que dans le rock la batterie est comme le crachat de Dieu. Elle ne se pose ni devant, ni derrière. Encore moins à côté. Elle se doit d'être partout à la fois et en même temps. Attention, pas un mur de briques qui arrête toute velléité subsidiaire. Non, tornade de feu en constant déplacement. Des pâles d'hélicoptères folles, si vous possédez un guitariste et un bassiste capables de s'enfourner dans la fournaise du rotor fou, vous êtes sauvé. Comme par hasard Silly Walk détient en son cheptel ces brebis rares. Des ovins carnivores, aussi agiles que des tigres affamés. Raoul est à la guitare au chant. A l'étincelle et à la plaine incendiée en même temps. Pas le temps de s'ennuyer avec lui, vous file l'impression qu'il a engagé un duel au riff avec lui-même. Là où un autre vous en refilerait un, lui il vous en entortille deux l'un dans l'autre, un bruit d'enfer, le genre choc de titans en colère ou combat de rhinocéros en furie. Alex à la basse n'est pas le gars contrariant, question grabuge il sait poser son grain de sel. L'a la basse sourde et crépitante. Les deux à la fois. Pourquoi rechercher le silence quand l'on a trouvé le secret de la tonitruance. Un véritable pousse-au-crime. Ne s'embête pas avec les remords. Vite fait, bien fait. Lui faut une autre victime. Immédiatement.

    Silly Walk c'est franc et direct. Pourriez aussi bien dire vicieux et traître. Tous les coups sont permis. Le rock est un sport de combat, full contact. A consommer sans modération. Même quand Raoul chante que My Baby is gone with my Telephone, il se range franco plutôt du côté des dents du crocodile que de ses larmes. Silly Walk est partisan du rock qui mord. Heureusement qu'ils nous ont indiqué que Parachutiste était de Leforestier, parce que personne ne l'aurait reconnu. Radio Béton et Titanic Reaction, les titres parlent d'eux-même. Apothéosent sur un Runaway et un Fingers up apocalyptiques.

    Groupe idéal pour finir un concert. ( Pour le commencer aussi d'ailleurs ). Vous bousculent les tympans de manière fort agréable. Débranchent les appareils sous la clameur du public rassasié.

    Damie Chad.

     

    MOVE IT

    BILL CRANE

    Bill : guitare, chant / Pat : sax baryton / Gwen : basse / Bobo : batterie.

    MyZikind / Sound cloud / Bill Crane Official

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    Move it : le rock'n'roll à l'état pur, un sax qui dérape sans fin, une rythmique qui bat de l'aile et des guitares qui couinent comme si l'on était en train de les égorger, la voix qui force le destin, tous les ingrédients de la vie déjantée réunis. She's my baby : tintamarre de poubelles dans le petit matin, l'on se console comme on peut, la vie est une maladie, ce que l'on préfère ce sont les poussées de fièvre. Lonely : à tout instant le sax sera méchant, la plainte sempiternellement colérique des abandonnés fiers de l'être, car il vaut mieux être seul que mal accompagné, la musique appuie là où ça fait mal. Normal, sans quoi ce ne serait pas du rock'n'roll. Lovely face : bruits inquiétants, la voix titube, la guitare grince, la batterie se réfugie dans le triangle des Bermudes, le chant comme une incantation à la lune noire. Ne jamais regarder le soleil en face. Ce qui est visqueux est vital. Le sax en robinet d'eau sale qui fuit. Sans fin. SM dream : une rythmique revigorante, un vrai coup de fouet. Une ambiance maladive à la Lou Reed, la voix qui mord et ordonne en maître, satin de guitare froissée. Surf rider : une cloche qui sonne pour endormir les mort-vivants, des riffs maladifs, une basse répulsive, une batterie qui cogne sans espoir à la porte noire qui ne s'ouvrira pas. Instrumental de cristal carboné. Brisé et incassable. Une matière inconnue. I love her : impulsion de guitare et la voix qui éclate, de la réverbe tous azimuts, la basse dégringole des escaliers, à croire que tout se perd en ce bas-monde, les temps de l'imploration sont arrivés. On s'arrête doucement sans faire de bruit. Loverman : insistances, le vocal décisif, et la musique mortuaire qui n'en finit pas d'enterrer vos dernières illusions. Cela ressemble à une invocation satanique, mais sans illusion. Travelin'man : ( to Mousique & Big Joe ) : cavalcade de sax, affirmation de soi, respect aux grands ancêtres, dès qu'il touche à sa propre légende le rock'n'roll reprend vie. Chant de triomphe. Haillons royaux. I can't help it : ( to Chuck Berry ) : le bon vieux groove des familles. La guitare sonne, le boxeur se lève et retourne sur l'adversaire. Vous le met en K.O. D'un direct au foie meurtrier. Le rock c'est ça : définitif.

     

    Enregistré dans les conditions du direct live. No overdub. Juste le son de la crudité de la vie. Pochette minimaliste.

    Si vous aimez le rock agonique et désespéré des serpents qui rampent sur votre descente de lit, vous n'écouterez que ce disque. L'esprit rock. Le cloaque intérieur. Plus qu'un chef d'œuvre, un acte poétique.

    Great.

    Damie Chad.

     

    SILLY WALK

    Léo Ladysioux : lead vocal / Raoul Bertache : guitars, vocals / Alex : bass, vocals / Marcacide : drums.

    SW001/ Eté 2016.

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    L'allure d'un 33 tours, mais à faire tournoyer en 45 tours. La première de couve étrangement similaire à celle du CD de Bill Crane. Platon avait raison, les idées ne nous appartiennent pas. Ce sont elles qui nous visitent. Regardez le dos de la pochette pour apercevoir l'héroïne, elle a la voix qui pique comme une pustule, mais qui refuserait d'être embrassée par cette langue de vipère rock'n'roll !

    Nobody Knows : un coup de guitare à vous trancher la tête. Des cymbales qui vous roulent dans la sciure. Ladysioux se lance sur le sentier de la guerre. Une voix vindicative qui n'admet que l'obéissance absolue. Et la tribu des trois gars la suivent au galop en essayant de la dépasser, se font rappeler à l'ordre des prérogatives, la cheftaine devant, s'éloignent dans un torrents de poussières et des hurlements de guitare. La horde disparaît bien trop tôt au premier tournant. Barcelona : les Ramblas à fond de train. Un prétexte pour foncer à toute vitesse, brûler les feux rouges et vous faire de ces coups de freins à vous décoller le dentier et la rétine. Imaginez la Ladysioux debout avec le buste qui dépasse du toit ouvrant et qui vous insulte les passants juste pour le plaisir. Avant de les écraser. Et les boys au moteur qui conduisent, comme un marteau sans maître pour Marcacide aux drums, et à la scie égoïne pour les cordiers. Runaway : une tragique histoire d'amour. Rien de sérieux. Juste un prétexte pour vous vous amuser. La Lady vous sort sa voix de mijaurée, et les gars miaulent comme des chats à la mi-août. Juste de le plaisir de se jeter le non-dit des rapports psychanalytiques en pleine face. En n'importe quelle circonstance le rock est une musique de jouissance. Wild : Un titre qui ne vous prend pas par surprise. Silly Walk isn't sweet. Une batterie qui résonne comme un tambour de guerre et Lady Sioux qui décolle et caracole, une véritable peste triomphatrice, genre je ramène ma fraise tagada à l'arsenic, les guitares filent rapide, et les musicos qui ne demandent pas leur reste, elle vous les cisaille de sa voix, ne doit plus en rester grand-chose. My babe is gone with my telephone : il est parti avec le téléphone, les trois boys font la course pour le lui ramener ce maudit clavier qu'apparemment elle préfère à son boyfriend. L'on compatit avec lui, à sa place on en aurait fait autant. Insupportable la miss, mais si craquante. I want more : encore un caprice. Pouvez lui apporter le monde sur un plateau, elle s'en fout, lui faut encore plus. Pourtant lui tissent une de ses robes d'organdi dont toutes les rockeuses rêvent, s'en moque, vous la déchire et vous la piétine sans rémission.

    Damie Chad.

     

    18 / 05 / 2018TROYES

    3 B

    KIERON McDONALD

    HANK'S JALOPY DEMONS

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    A vue d'œil sur la mappemonde l'Australie c'est loin. En prime me faudrait de gros pneus – assurent une meilleure flottaison – pour la teuf-teuf, et une paire de rames car on ne sait jamais. Peut-être pourrais-je louer un pédalo, mais non, après renseignement cette option est hors de prix. Je ne suis pas anéanti, un rocker possède toujours un plan B, à trois étoiles, communément appelé plan 3 B. Quand vous ne pouvez aller à la montagne, laissez la cordillère venir à vous. D'ailleurs la voici, elle n'est pas loin, à Troyes, en plus elle s'est pointée fissa et pas radine, avec deux sommets. Deux pitons volcaniques. En activité selon la terminologie des spécialistes, chance, nous aurons droit à deux éruptions.

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    Je ne suis pas le seul, en plus du vieux fond traditionnel des rockers, le bouche à oreilles doit dans la bonne ville de Troyes fonctionner à merveille, de nouvelles têtes apparaissent en nombre, pas spécialement des gens attirés par le rockabilly mais l'on commence à s'apercevoir aux alentours que dans ce modeste bar, passent régulièrement de super musiciens...

    HANK'S JALOPY DEMONS

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    Ne jamais se fier à ce que l'on voit. Toujours à ce que l'on entend. I'm Goin Straight et là c'est du pur rockab, sans une once de graisse, sans produits mortifères ajoutés. La beauté minéralogique du désert. Cactus solitaires aux épines meurtrières, colonies de crotales se prélassant sur le sable sec et brûlant, solitudes spectrales, un rockab décharné jusqu'aux os blanchis sous le soleil. Une épure essentielle. Reste à savoir comment ils parviennent à produire cette merveille. Au premier abord, sont simplement en train de jouer et de chanter, comme tout le monde serait-on tenté de dire. Simplement, sans effort, sans effet de manche, sans pose théâtrale, cette dramaturgie réduite au minimum exige une étude et une observation poussée. Prenez Andrew Lindsay, à la batterie, pépère débonnaire à grosse casquette qui remue la choucroute sans forcer sur sa caisse claire.

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    J'ai mis du temps à débusquer le lézard. Pratiquement invisible. Fais ses coups en douce, le Lindsay. Toujours du même côté. Le gauche. Mériterait d'être surnommé Lefty Lindsay ! De la droite il sert les hors d'œuvres, mais de la gauche – c'est à peine s'il la remue – vous abat le gros gibier entre les deux yeux. Jusqu'à ce jour je ne savais pas que l'on pouvait frapper aussi fort, juste en remuant tout petit peu le poignet. Commence à comprendre comment le combo fonce droit dans la vallée de la mort sans perdre son haleine. Surtout n'allez pas croire que nous avons affaire à un hémiplégique parce que du côté droit, il turbine salement right, le Lindsay et à tous les niveaux. Un principe de base, au-dessus de la ceinture travaille pour la guitare et au-dessous il bosse pour la contrebasse.

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    Encore un qui à l'air d'attendre le train sur le quai de la gare. Le mec placide, Til Snappy Vex, balance sa poigne sur le cordier sans avoir l'air d'y penser. L'est tout souriant, le gus content de lui et heureux de vivre sans savoir pourquoi. Vous fait la pompe à bras sur sa big mama sans y réfléchir. La main calleuse qui slappe sans effort, l'a dû faire ça toute sa vie. Pour un peu vous le traiterez de fonctionnaire de la double bass. Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, sont deux à jouer ensemble, Til and Andrew, les towers twins de la rythmique, pas de celles qui s'écroulent, de celles qui restent stables durant les ouragans. Pire ce sont eux qui provoquent les tempêtes de sable qui vous engloutissent une civilisation en trois heures. Andrew du pied lui envoie la balle par le tunnel de la grosse caisse et le Snappy vous la réceptionne illico. Et tout de suite ils recommencent. Stompent à la kangourou – ne viennent pas d'Australie pour rien - le rythme avance par rebonds, à intervalles calculés au millimètre près, bref le combo carbure sans bromure.

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    Mais revenons du côté de Lefty sound. Sa baguette droite, s'en sert de temps en temps pour taper sur la cymbale. Un coup, ça suffit. Juste un signal. N'en faut pas plus à Dave Cantrell pour vous offrir une démonstration de guitare. Ne monopolise pas l'attention, pendant trois jours, vous refile quatre notes à la rapidité de l'éclair. Vous éblouissent. Quatre pichenettes qui vous illuminent l'âme, du cristal le plus pur, extase sonique, vous en reprendrez bien, cela tombe bien, il n'est pas avare, suit bientôt une deuxième démonstration, puis une troisième et infiniment ad libitum. Mais ne sort jamais du cercle proposé par la base rythmique, ne marche pas sur les salades des copains, et ceux-ci n'oublient jamais de lui laisser une ranger pour planter ses laitues.

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    Pour le moment nous avons droit à une de ces reproductions à l'identique de l'american rockab, tel qu'il en explosait de temps en temps entre 1954 et 1956, et pourtant malgré tout, tout cela ne sent pas l'imitation ou la copie conforme. Non, ça ne sonne pas faux, plutôt résolument moderne. Une rythmique légèrement plus rock, un peu plus rentre-dedans, je veux bien l'admettre, mais il y a autre chose.

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    Et surtout quelqu'un d'autre. Hank Ferguson – c'est à cause de lui que l'on ne reconnaît plus personne – porte haut sa guitare rythmique tout près du cœur et vous a une voix des plus martiales, chante comme un dieu, un timbre qui vous cloue sur place. L'a tous les tics du chanteur rockab. Mais il ajoute un plus. L'occupe toute la place, ne laisse aucun espace à ses acolytes, ce n'est pas par égoïsme, sont tellement doués et surs de leur fait qu'on les entend sans problème. Le chant de Hank écrase tout mais n'occulte personne. L'est partout à la fois, infatigable, increvable, irremplaçable. Dig You Baby, High Voltage, Wig Flip Bop, vous refile du lait d'alligator survitaminé, du grand art, le gars qui vous fait les vingt-quatre heurs du Mans en tête du début à la fin de la course, sans même s'arrêter pour faire le plein. L'a de l'énergie à revendre.

    Dans l'interset, pendant que disques, CD et T-shirts s'arrachent, ça papote dur chez les amateurs, une merveille. Une chance extraordinaire que Béatrice la patronne ait pu les arrêter sur Troyes lors de leur tournée européenne, l'a des antennes de sorcière.

    KIERON McDONALD

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    Pas de crainte, pas un hamburger avarié. Un mec avisé. L'a gardé les mêmes musiciens. Hank Ferguson est dans la foule, Khieron McDonald a pris sa place devant le micro. Pour Til Snappy Vex et Andrew Lindsay, rien ne change, nous resserviront la même gelée royale. Désormais nous refuserons de toucher à un autre condiment auditif. Mais pour Dave Cantrell la charge de travail s'alourdit.

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    L'a une sacrée classe Kieron McDonald, il ouvre la bouche et hop c'est emballé, pesé. Des facilités, une aisance extraordinaire. Vous ne le quittez plus de l'oreille. L' a plusieurs registres. Le premier à l'ancienne, Little Girl, I don't Love You Anymore, I Don't Wana, vous croyez entendre Hank – pas Ferguson, Williams – vous a la voix qui nasille et cet accent traînant du vieux Sud qui vous tope aux tripes, et bien sûr il prend le temps de respirer, vous glisse des silences, entre deux couplets, au milieu d'un vers, en prosodie on dirait qu'il respecte la coupe à l'hémistiche, et puis ces arrêts stoppin' en plein milieu du stompin, évidemment c'est à Cantrell à marquer le coup, dès que la voix s'estompe, c'est la guitare qui klaxonne, vous savez ces dégelées de notes, comme quand l'étagère des pots à confiture de tante Agathe cède sous le poids des bocaux et vous les précipite sur le carrelage, ces tintements délicieux de verres cassés, fracassés, fricassés... et la voix qui reprend comme s'il ne s'était rien passé, jusqu'à la prochaine catastrophe qui ne saurait manquer.

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    Mais ce n'est pas tout. Cadeau maison McDonald, Kieron lui laisse le temps de se lancer dans de véritables soli rockab, pas un égrenage de quatre notes, une plaine infinie de quinze secondes, le must du guitariste rockab, toute l'âme résumée en un tour de main, une torsade de passe-passe dont les musiciens de jazz ne comprendront jamais l'urgence absolue, l'en a les yeux, encore plus bleus que sa chemise, qui lui sortent de la tête le Dave, y prend un plaisir fou, se surpasse à chaque fois. Ne nous ressort jamais le même. Invente sans cesse.

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    Mais McDonald n'est pas un Kieron qui se repose sur une seule patte à l'ombre des palétuviers. Fifties à mort, mais aussi sixties à vie. Le rockab campagnard avec ses galops de bronco certes, mais surtout ne pas oublier le white rock des garages et des châssis surbaissés. Un boulevard, une piste d'Indianapolis pour un guitariste, Cantrell hot-rode sans capot avec les flammes qui jaillissent de partout.

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    Hank et Kieron se partageront le dernier set. Une dernière démonstration. Nos cinq rockabillymen auront marqué les esprits. Les corps aussi car si toute une partie du public les a mangés des oreilles, l'en est une autre qui bouge à se damner. Applaudissements mérités et triomphe assuré. Mieux que cela, ils ont suscité le respect. Des prestations impeccables et admirables, à vous laisser muets. Avis aux amateurs, ne feront qu'une seconde date au Balajo, ce mercredi 23 mai à Paris. Sinon seront un peu plus loin, Belgique, Hollande, Suisse, Allemagne, Croatie...

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    Plus le temps passe, plus il se passe de choses extraordinaires au 3 B !

    Damie Chad.

    P. S. : Un gros merci à l'ingé du son Fab et à Béatrice Berlot dont la programmation pour la saison suivante s'annonce affriolante...

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    ( Photos : FB : Béatrice Berlot / Fabien Hubert DjRockin Cats )