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harold battiste

  • CHRONIQUES DE POURPRE 578 : KR'TNT 578 : HAROLD BATTISTE / ROBERT FINLEY / BOB DYLAN / HELLACOPTERS / SHORTY LONG / BARABBAS / BOB DYLAN / ROCKAMBOLESQUES

      KR’TNT !  

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 578

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 12 / 2022

     HAROLD BATTISTE / ROBERT FINLEY

    BOB DYLAN / HELLACOPTERS

    SHORTY LONG / BARABBAS

    BOB DYLAN / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 578

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Battiste le battant

     

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             Harold Battiste Jr n’est pas aussi connu que Cosimo Matassa ou Fats Domino, il compte pourtant parmi les personnages les plus légendaires de l’histoire musicale de la Nouvelle Orleans. Les plus aguerris de notre tribu savent que Doctor John et Sonny & Cher lui doivent leurs succès respectifs. Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg Battiste.

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             Un éditeur de la Nouvelle Orleans (The Historic New Orleans Collection) eut en 2010 l’idée géniale de publier l’autobiographie d’Harold Battiste, Unfinished Blues - Memories Of A New Orleans Music Man. Ce n’est pas seulement un ouvrage capital, historiquement parlant, mais c’est en plus un bel objet, d’un format inhabituel, un peu plus haut qu’un 45 tours mais un peu moins large qu’un 33 tours, beau choix de papier, un couché demi-mat sensuel, agréable au toucher, beaux choix typo, un corps 11 justifié avec tact et pas trop interligné, d’où l’impression d’une extrême densité, et bien sûr, des pages richement illustrées, avec pour sonner le tocsin des ouvertures de chapitres, des doubles assez spectaculaires, par exemple Harold et Mac Rebennack, Harold et Sonny & Cher, Harold et Tami Lynn, Harold et Ellis Marsalis, toutes ces doubles sont absolument somptueuses, en pleine force de l’âge car traitées en bichromie. C’est avec ce type d’ouvrage que l’édition joue son rôle : honorer la mémoire des grands artistes. Rien n’est trop beau dès lors qu’il s’agit d’artistes du calibre d’Harold Battiste. On y va les yeux fermés.

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             Pour les ceusses qui sont passés par la bible, c’est-à-dire le Broven (Rhythm And Blues In New Orleans), l’Unfinished Blues est une manière comme une autre de réviser ses leçons. Né au début des années 30, Harold Battiste est à l’origine un musicien de jazz, mais aussi arrangeur/compositeur, qui a vu la scène locale évoluer. Il nous emmène donc chez Cosimo le héros, et Art Rupe l’embauche comme pisteur de talents pour le compte de Specialty. On touche donc au cœur battant du mythe de la Nouvelle Orleans. Mais le plus frappant dans cette histoire, c’est qu’Harold ne fait pas étalage de ce prestige. Au contraire : il fait preuve d’une extraordinaire humilité, il raconte ses souvenirs avec une sorte de retenue et rend hommage à ses pairs à la manière d’un petit black qui a grandi dans un quartier pauvre. Il n’évoque jamais les drogues, ni le sexe. On est à l’opposé de The Brothers, l’ouvrage qu’écrivit David Ritz avec Charles, Aaron, Cyril et Art Neville.

             Plus frappant encore : le jeune Harold n’a rien d’une rock star. Jeune, il est assez rondouillard, pas du tout sexy. C’est l’image qui orne la couve du book. Bouboule ! Mais il parvient à séduire une très belle femme, Yette, qu’on voit souvent en photo à l’intérieur du book. Ensemble, ils vont élever quatre enfants. Pendant toute sa vie, Harold reste fidèle à ses deux passions : sa famille et la musique. Il se croit à l’abri des catastrophes. Fatale erreur ! Il consacre la deuxième partie de son autobio à ses déboires matrimoniaux. Le malheureux n’est pas armé pour se battre contre les infortunes de la vertu. Pour ne pas morfler, il fait l’autruche. On le voit au fil des ans changer de look : il maigrit, porte des vêtement africains, comme le fait aussi Eddie Bo, et se laisse pousser une barbichette blanche de sorcier du village. Voodoo !

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             C’est en 1956 qu’Harold fout les pieds pour la première fois chez Cosimo, on Governor Nicholls Street, dans le Quartier Français, un vieux bâtiment nous dit Harold qui «abritait» jadis des esclaves. C’est là qu’Harold découvre ces musiciens extraordinaires que sont Alvin Red Tyler, Lee Allen et Earl Palmer, the cream of the crop, comme il dit, des gens qui ont accompagné Fatsy et Little Richard - We were younger than those cats and we were generally considered be-boppers who were not interested in the music they were recording - Harold et ses amis font la section de cuivres. Puis Harold est repéré par Joe Banashak, le distributeur de Specialty à la Nouvelle Orleans. Ça tombe à pic, car juste à ce moment-là, Art Rupe perd de l’argent avec ses enregistrements de Sam Cooke. Il a besoin d’un coup de main et il fait venir Harold à Hollywood pour bosser à la cave sur les bandes de Sam Cooke. Objectif : trier et choisir de quoi faire un bon album. Art Rupe vient tout juste d’embaucher un petit blanc bec qui conduisait un camion et qui, à l’occasion, compose des chansons : Salvatore Bono. Ils vont bosser ensemble et ça clique aussitôt entre les deux - Dès le départ, Sonny m’a impressionné par son ouverture et son esprit de camaraderie. Il était charmant et incroyablement smart. Il était fasciné par le fait que je venais de la Nouvelle Orleans. On a commencé à bosser ensemble et il a tout découvert à mon sujet - mon éducation, mon expérience de professeur de musique, et mes aptitudes en tant que musicien de jazz, arrangeur et compositeur - il m’a donc placé sur un piédestal - C’est une amitié qui affrontera avec succès l’épreuve du temps, puisqu’Harold deviendra le directeur musical de Sonny & Cher. Harold indique aussi que Totor fascinait tant Sonny que ce dernier voulut absolument recréer le fameux Wall of Sound pour ses premiers enregistrements, notamment «I Got You Babe».

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             Mais quand il bosse pour Specialty, Harold en bave, car les artistes qu’il recommande ne plaisent pas à Art Rupe : Chris Kenner, Irma Thomas, et Allen Toussaint. Le seul groupe qu’Art accepte s’appelle les Monitors. Il donne son feu vert à Harold pour les enregistrer. Here we go ! - Je connaissais le lead singer, Phoenix, quand il chantait des airs d’opéra at Xavier University. Il chantait high tenor (falsetto) comme Bill Kenny, le fameux lead singer des Ink Spots - Alors, on écoute les Monitors.

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             C’est une fois de plus Kent/Ace qui veille au grain et qui le moud : en 2011 paraît Say You! The Motown Anthology 1963-1968. Keith Hughes décrit dans le détail la courte existence des Monitors, un quatuor de Detroiters surdoués comprenant le futur Temptation Richard Street, Warren Harris, James Drayton, John Maurice Fagin et sa femme Sandra Fagin. Cette compile est tout simplement l’une des pires bombes jamais lâchées par Motown. Hughes n’en revient pas lui-même : pourquoi les Monitors n’ont pas explosé ? Pour lui, il n’y a qu’une seule explication : Berry Gordy avait trop de gens talentueux sur les bras. La compile propose l’album entier des Monitors, Greetings!... We’re The Monitors, suivi de 14 inédits, dont la plupart sont stupéfiants de qualité. Deux coups de génie sur l’album : «Baby Make Your Sweet Music» et «Time Is Passing By». Grosse attaque pour le premier, Motown revient par la bande, en plein dans le mille, Motown, oui, mais avec une qualité supplémentaire. Cette folle de Sandra Fagin y va au baby baby, elle bat largement les Supremes à la course. Hughes nous indique que «Baby Make Your Sweet Music» fut un hit de Jay & The Techniques, c’est donc une cover. Le heavy groove de r’n’b de «Time Is Passing By» reste imbattable. Richard Street dit dans l’interview qui documente le booklet que c’était pour les Monitors un privilège que d’être accompagné par les Funk Brothers - I truly think they were one of the greatest bands of all time - Sandra Fagin fait encore des ravages dans «Since I Lost You Girl». Elle y va la coquine ! On la voit ramer pour tirer la Soul des Monitors dans «Bring Back The Loving». Ils font du wild r’n’b avec «Number One In Your Heart», les Monitors te démolissent la capsule vite fait ! En un mot comme en 100, cet album est un passage obligé pour tout fan de Detroit Soul. Alors après, on passe aux inédits et c’est encore pire ! La série commence avec «Too Busy Thinking About My Baby», big shoot de Soul d’excelsior. Les Tempts en ont fait une version. S’ensuit «The Letter», un hit signé Smokey, pulsé par une énorme pression atmosphérique. Sandra Fagin chante à l’extrême pointe de la Soul et ça groove à la trompette. Ils groovent le «Poor Side Of Town» de Johnny Rivers jusqu’au délire, c’est d’une classe surnaturelle, presque insupportable. Ça grimpe dans les ponts et Richard Street chante à la folie. Tu vas retomber certainement de ta chaise en écoutant «Crying In The Night». En fait, les Monitors font bien la nique à Motown. On est chaque fois frappé par leur fantastique énergie. «I’m In Love With You Baby» n’a pas d’équivalent. Ils tapent «Anything» à l’heavy unisson du saucisson, c’est gorgé de chœurs et de fantastiques rasades d’anything. «Guilty» dégouline aussi de classe, ça chante à l’ultra-screaming de la crème de la crème, ils sont chaque fois les rois du monde, le temps d’une chanson.    

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             Les Monitors enregistrent un deuxième album en 1990 sur Motorcity, Grazing In The Grass. De la formation originale, il ne reste plus que John Maurice Fagin, Warren Harris et James Drayton. Ils ont perdu en route l’excellente Sandra Fagin, remplacée ici par Beverley Carpenter, mais on trouve aussi deux autre blackettes dans le cast, Leah Harris et Maxine Wood. Il n’y a pas d’autres précisions. Le boss de Motorcity Ian Levine, et Sylvia Moy, disparue récemment, produisent cet album incroyablement bon. Tu veux danser ? Alors écoute le morceau titre d’ouverture de bon balda, yeah tu y vas, tu jerkes aux yeah, c’est irrésistible, tu Grazes in the grass, tu es dans le move et tu t’amuses bien car les Monitors sont les rois du groove de dancing up, tu as le meilleur dancing Grass qui tu puisses espérer. Et ça continue avec «Cold As Ice», ils ramènent tous leurs vieux réflexes de doo-wop, aw comme c’est fin, comme ce mélange de diskö-beat et de Monitors back-drop peut être capiteux ! Ça devient carrément dément, tu as là une manifestation du grand Black Power. Avec «Rescue My Heart», ils vont plus sur la calypso, ils cultivent les clameurs de heavy Soul, peu de gens naviguent dans ces eaux-là. Retour au big heavy groove avec «Through The Test Of Time», ils restent dans leur move qui est le bon move, ils se cantonnent dans leur canton, ils groovent une sorte d’énorme mélasse de r’n’b, ça rame à la galère d’or, c’est fabuleusement bon. Avec des gens comme eux, tu te retrouves vite à sec de superlatifs. Pars simplement du principe que les Monitors ont du génie. Ils t’explosent le Test of time vite fait. Monitors forever ! Si tu écoutes les Monitors, tu recevras en échange le privilège de goûter à l’essence même du Black Power. Beverley Carpenter revient shaker le shake de «Brainstorm», fast and heavy au oh-oooouhh, une horreur ! Ils tapent ensuite dans Smokey/Sylvia Moy avec «Goin’ To A Go-Go», ils ont tout le son du monde et ça continue avec une cover de «Tears Of A Clown». Dernier coup de génie avec «Forever & Ever», fantastique groove de r’n’b avec du doo-wop par derrière, say it baby ! Elle est partout, la Beverley, elle se frotte à l’ail du génie black, elle se montre insistante et derrière, ça brasille dans le crépuscule des dieux.   

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             Harold enregistre aussi Larry Williams («Bad Boy»), Art Neville («Cha Dooky-Doo») et Jerry Byrne, le chanteur des Spades, («Lights Out») pour Specialty. Puis il commence à caresser l’idée saugrenue de monter un label à la Nouvelle Orleans. Lorsqu’il revient chez lui à la Nouvelle Orleans, le train qui le ramène de Los Angeles s’arrête en gare d’El Paso, au Texas, et une légende vivante monte à bord : Earl King. C’est à lui qu’Harold parle en premier de son idée. Il songe à monter un collectif, AFO Records et comme il connaît les ficelles de caleçon du biz, il monte un house-band avec John Boudreaux (beurre), Allen Toussaint (piano), Alvin Red Tyler (sax) et Melvin Lastie (cornet) - A dream team of studio players, a first-call cache of musicians qui étaient connus pour leur expérience, leur professionnalisme et leur ability to make it happen - Puis c’est le lancement officiel : «On May 29, 1961, à midi, l’état de la Louisiane enregistra the legal birth of AFO Records Inc.» AFO attire toute la crème de la crème de la Nouvelle Orleans : «Tami Lynn, Eddie Bo, the Tick Tocks, Willie Tee, Wallace Johnson, Pistol, Charles Carson, Bobbie Lee, the Turquinettes, the Wood Brothers, James Booker, Drits & Dravy (Mac & Ronnie) and Shirley Raymond.» Harold est fier d’AFO, qui a le plus grand éventail d’artistes de la Nouvelle Orleans, «from blues to jazz to funk to pop, kids to adult, male and female, Black and White.» En 1962, ils lancent un subsidiary label, At Last Records. Harold fait aussi partie des AFO Executives qui accompagnent Tami Lynn. Ils cassent la baraque partout où ils se produisent.

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             Il existe un album des AFO Executives With Tami Lynn. Paru en 1963, A Compendium n’est pas seulement un album d’early Soul. C’est surtout un album de jazz-groove, au sens où on l’entend chez Acid Jazz. L’«Everything’s Coming Up Roses» d’ouverture de bon balda donne le ton : fast jazz. Les Executives vont vite en besogne. Ils t’embarquent, même pas le temps de discuter. Ils proposent un extraordinaire petit brouet d’early Soul. Avec le solo de sax, tu te retrouves dans la réalité. Les Executives tapent dans le round midnite, Alvin Red Tyler et Harold se partagent les coups de sax, comme dans toutes les formations de jazz. Tami arrive enfin pour «Old Man River» et te swingue ça au carré, elle te coule entre les doigts, yeah-eh et tape l’Old man swing. Au piano, Harold devient wild as fuck ! Le hit de l’album est un instro, «Le John», ils tapent ça au heavy jazz. Le beurreman s’appelle John Boudreaux et le stand-up man Peter Bounce. Tami fait son retour avec «I Left My Heart In San Francisco», elle te groove ça vite fait. Elle est aussi balèze que Billie Holiday, elle peut même se montrer encore plus spectaculaire. Le reste de l’album s’enracine dans le jazz, ils te groovent «The Big B N» au bar de la plage. Harold et Alvin Red Tyler se tapent encore la part du lion avec «Old Wyne ».

             Harold raconte aussi l’arrivée de Pince La La chez AFO, au moment où ils recherchent des nouveaux talents : «Un jour Jessie Hill débarque avec une chanteuse nommée Barbara et un guitariste nommé Prince pour l’accompagner. De son vrai nom Lawrence Nelson, Prince était le frère de Walter Papoose Nelson, le guitariste de Fats Domino. Prince avait composé une chanson pour Barbara, «You Put The Hurt On Me». Comme Barbara avait du mal à caler le chant sur le rythme, Prince chantait avec elle pour l’aider. Il chantait si bien qu’on a décidé de l’enregistrer et de trouver autre chose pour Barbara.» Et en juin 1961, Harold emmène Prince et Barbara enregistrer chez Cosimo - Cosimo était beaucoup plus qu’un brillant recording engeener - he loved the music and the people who created it. His contribution was to capture as much as of the music’s spirit as possible.

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             C’est bien sûr Ace qui se charge de rééditer tout l’AFO : trois compiles Gumbo Stew ! Miam miam ! Le crack de Gumbo Stew (Original AFO New Orleans R&B) s’appelle Alvin Robinson, il a trois cuts en fin de compile, «Turned In Turned On», «Give Her Up» et «Empty Talk». C’est heavy pour l’époque, la basse démolit tout et Alvin chante comme un killer Wilson Pickett. Mac Rebennack signe le Turned In. Alvin chante son «Empty Talk» à l’écorchée vive, ouuhh ouuhh, il sait mettre le paquet. On retrouve aussi Tami Lynn avec l’excellent «Mojo Hanna», Tami est une fabuleuse shouteuse, elle explose tout, même le fouette cocher. On retrouve les autres protégés d’Harold, Barbara Georges (avec «I Know (You Don’t Love Me No More)», elle gueule comme la Shirley de Shirley & Lee, elle fait du sexe d’exotica incroyablement pré-pubère, elle est très en avance sur son époque) et Prince La La (avec un «Things Have Changed» dans lequel il s’implique prodigieusement, joli groove de New Orleans, bien gluant d’anymore). Autre légende du siècle : Eddie Bo, avec «Tee Na Na Na Nay», I’m on my way, Eddie fait son Ray Charles, quel beau Bocage ! Chœurs de rêve. On reste dans l’ultra légendaire avec «My Key Don’t Fit In» par Dr John & Ronnie Barron, les deux surdoués blancs locaux. C’est terrific de classe, avec un solo de clarinette New Orleans. Les AFO Executives envoient eux aussi une giclée de wild jazz avec l’«Olde Wine» qu’on va retrouver sur leur album, ils te dégringolent l’instro vite fait, on savoure l’excellence du Gumbo jazz, c’est puissant, bien drivé. Encore une fine lame avec Charles Carson et «Time Has Expired». Ce mec te chante ça au sec et net. Et pour finir, la surprise du chef : les Turquinettes avec «Tell Me The Truth», fantastique exotica de la Nouvelle Orleans, mélange explosif d’Africana et d’exotica, c’est à la fois wild et rocailleux, plein d’écailles, ça joue au raw du golfe. Dans ses liners, John Boven rappelle qu’Harold navigue au même niveau qu’Allen Toussaint, Dave Bartholomew et Paul Gayten. 

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             Rebelote la même année avec More Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Alvin Robinson y casse encore la baraque avec «Better Be Good». Alvin est un dur, un singer hors normes. Il tape aussi le «We Get Love» de King Floyd au raw, que de son, my son ! Barbara George tire aussi son épingle du jeu avec «Try Me». Elle est très persuasive, c’est une vraie sex girl, sidérante, superbe, sucrée, outrancière ! Wow Barbara, you got it ! Deux coups de génie sur ce More Gumbo Stew : Lee Dorsey avec «Ya Ya» (Absolument irréversible, sucre candy de la Cité des Morts) et les AFO Executives avec «Wyld». Harold est hot on heels, fast on the run, il pique sa crise et ça jazze dans les brancards. Eddie Bo est de retour avec «You Better Check», il groove ça jusqu’à l’os, il pose son yeah avec une classe inébranlable. Dr John et Ronnie Barron sont eux aussi de retour avec «Talk That Talk», ils sont dans le shuffle jusqu’au cou, ah comme ils sont drôles tous les deux ! C’est un duo d’enfer cousu de fil blanc, mais on se régale de les voir s’agiter dans leur bocal de légende. Pince La La fait le Fu Manchu du train fantôme de la Nouvelle Orleans, il dégouline de kitsch et agonise avec un petit scream à la crème de Cosimo. Tu ne peux pas espérer meilleure compagnie, ni meilleure légende. Harlod et Alvin Red Tyler accompagnent Willie Tee au sax sur «Always Accused» et Tami Lynn ramène son énorme présence avec «World Of Dreams», c’est un peu fleur bleue, mais elle dégage un truc purement animal. On se régale aussi des Tick Tocks avec «Gonna Get You Yet», un heavy groove à la Lee Dorsey, yeah yeah, bien fruité, typical New Orleans groovyta. Inconnue au bataillon, voilà Joan Duvall avec «Two Weeks Three Days», elle est bonne la petite Joan d’Arc, bien gospel, Joan c’mon ! Elle tente le coup, et il faut bien dire que c’est infiniment supérieur à tous les coups de gaga-Soul punk-blues portés à notre connaissance ces vingt ou trente dernières années. Joan, elle sait. Vers la fin, Tami Lynn ramène sa fraise avec une cover du «Light My Fire» des Doors. Elle le prend haut perché. Flambant neuf. Mais c’est difficile de passer après Jimbo, même si elle flambe à la fin. C’est à Johnny Adams que revient l’honneur de refermer la marche, avec un heavy blues, «Johnny A’s Blues». Il chante comme une star impavide et l’excellent Nat Perrillat ramène son saxe de porcelaine.

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             Troisième et ultime compile AFO avec Still Spicy Gumbo Stew (Original AFO New Orleans R&B). On retrouve une fois de plus Alvin Robinson en queue de convoi, avec quatre titres, dont le faramineux «Soulful Woman», son unique au monde, New Orleans groove, l’homme est puissant, un vrai taureau sur «Sho ‘Bout To Drive Me Wild», pire encore que Wilson Pickett, il est plus massif, il passe toujours en force, une vraie bête de Gévaudan. Les AFO Executives swinguent la Nouvelle Orleans avec «Nancy», une vraie merveille inavouable, c’est d’une pureté d’intention qui défie toute concurrence. Johnny Adams rempile avec «A Losing Battle», c’est lui le cake ! L’autre cake est bien sûr Eddie Bo dont il est impossible de se lasser. Ils ramène son «Check Mr Popeye», il swingue le swamp, il est intrinsèque, il groove les membranes de l’organic, il est puissant et gluant à la fois, il est une sorte d’incarnation aquatique du New Orleans groove, la star du Gumbo Stew, comme le montre encore «I Found A Little Girl». Quand on l’entend chanter «Roamin-itis», on réalise soudain que tout Dr John vient du chant d’Eddie Bo. Et puis voilà encore un cake : Willie Tee avec «Why Lie». Comme Willie est très pur, il te broie le cœur. Il est planté sur le bord du génie. Il revient plus loin avec «Who Knows» qu’il chante à la dent creuse. Willie est un pourvoyeur, un fantastique seigneur des annales. C’est à James Booker que revient cette fois l’honneur de boucler le bouclard avec «End Of A Dream (Booker’s Ballad)», qu’il joue au piano liquide, suivi par le sax d’Alvin Red Tyler. Booker te groove le piano jazz, il s’implique dans la décadence de la rue, yo brother ! Chopin du gutter, fantastique allure !      

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             Puis Harold et ses amis décident de s’installer à Los Angeles, car le biz y est plus florissant qu’à la Nouvelle Orleans. Ils ferment AFO et créent le studio Soul Station #1, «in South Central Los Angeles, a small storefront on South Vermont, between Adams and Jefferson.» Le premier artiste qu’ils enregistrent en 1964 est Sam Cooke avec «Tennessee Waltz» pour RCA. Sam enregistre aussi «Shake», «A Change Is Gonna Come» et fait venir les artistes de son label SAR, «Johnnie Taylor, Billy Preston, Mel Carter, les Valentinos with Bobby Womack, Linda Carr, Patience Valentine and the Sim Twins among others.» Harold est en plein boom : «Puis j’ai eu un coup de fil d’Earl Palmer, devenu top session drummer in LA, me demandant si je voulais bien écrire les arrangements pour le producteur Tommy LiPumma, qui enregistrait les O’Jays at United Studios. Il s’agissait d’une chanson d’Allen Toussaint, «Lipstick Traces» qui fut le premier hit des O’Jays.»

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             C’est l’époque où Sonny Bono bosse pour Totor et un jour de 1963, Harold reçoit un coup de fil : «He got Phil to call me to play piano on his sessions.» Harold va jouer pour Phil Spector de 1963 à 1965 sur des trucs assez légendaires, «You’ve Lost That Loving Feelin’» des Righteous Brothers, «Proud Mary» d’Ike & Tina Turner, et les Ronettes. Harold découvre l’univers de Totor au Gold Star studio, avec cette palanquée de musiciens, deux basses, quatre guitares, trois pianos - I was the designated free piano, ça veut dire que je n’avais pas à jouer la partition, Phil wanted me to ad lib whatever I thought would fit. Il ajoutait les autres instruments, horns, strings, singers etc - plus tard. Il semblait n’avoir rien préparé, il créait au fur et à mesure. Lors des dernières sessions, il semblait avoir besoin de plus de temps pour trouver ce qu’il cherchait. Pour moi, les Spector sessions étaient trop longues et ennuyeuses. Mais après coup, j’ai réalisé qu’il avait du génie et j’étais émerveillé par the complex simplicity of his productions - Très bel hommage. Merci Harold.

             On passe d’un géant à un autre avec Doctor John. Harold le connaît depuis 1957, «back in my Specialty days». Mac débarque à Los Angeles en 1965. Il fait signe à son vieux pote Harold et pouf, Harold fait appel à lui pour donner un coup de main sur les tournées de Sonny & Cher. Mais il demande à Mac de rester discret sur les drogues, car Sonny & Cher sont clean - In public and in private - Harold et Sonny Bono montent un petit label en 1967, Progress Records, et proposent à Mac d’enregistrer un album - Mac me dit qu’il avait lu des choses sur un personnage nommé Dr John from the New Orleans voodoo tradition et il voulait bricoler quelque chose à partir de ce personnage. Le concept me plut immédiatement. J’envisageai alors de créer un new sound, look and spirit to the popular psychedelic/underground wave. On a discuté du projet pendant plusieurs jours et on a commencé à sélectionner des musiciens, des chanteurs et des morceaux. C’est un autre New Orleans transplant, Ronnie Barron, qui devait incarner Dr John, a White guy we knew from back in the day. Ronnie had a great singing voice for R&B and pop music et il pouvait sonner comme un Black. He was a performer like Tom Jones. Mais son manager pensait que le personnage de Dr John ne serait pas bon pour sa carrière. Je trouvais que Mac collait bien au projet, mais il était réticent, lui aussi. Il ne se voyait pas comme un upfront artist - Harold réserve le Gold Star à l’été 1967 - The cast comprenait Mac on guitar, keyboards and vocal, John Boudreaux (one of the AFO Executives) on drums, Bob West on bass, Ronnie Barron, keyboards and vocals, Ernest McLean, guitar/mandolin, Steve Mann, guitar, Pias Johnson, saxophones, Lonnie Boulden, flute, and singers Tami Lynn, Shirley Goodman, Joanie (I don’t remember her last name), Dave Dixon, Jessie Hill and Al Robinson. Je jouais de la basse et fis quelque vocaux. Aux percus, il y avait un mec nommé Didymus. Je n’ai jamais su son vrai nom. He was one of these cats who was well known in the music community et personne ne lui demandait son vrai nom. He was also a partner of Mac’s in the drug life - Comme on peut le voir, Harold est très précis sur le casting des sessions.

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    C’est avec tous ces gens extraordinaires qu’il a enregistré cet album extraordinaire qu’est Gris-Gris - The vibe was there and the music just flowed. I was comfortable, connected spiritually to the people and the music we were making. I became more involved than I had expected, and it became more than a production to me - C’est vrai que l’album fait partie des chefs-d’œuvre du spirit rock, avec Electric Ladyland, What’s Going On et There’s A Riot Goin’ On. Avec «Gris Gris Gumbo Ya Ya» on plonge au cœur d’un monde fascinant, dans une ambiance à la traîne, celle d’un soir d’été gorgé d’humidité à la Nouvelle Orleans - They call me Doctor John/ Known as the night tripper - Dr John tape ensuite dans l’un des grands classiques cajuns, «Danse Kalinda Ba Doom», pure exotica antillaise d’Afrique ethnologique. Puis voici «Mama Roux», le groove des jours heureux. Dr John chante comme un noir. Et il nous emmène ensuite au cimetière pour groover sur «Danse Flambeaux», une pièce fascinante de lenteur squelettique, symbole de l’étrangeté du monde. Par ses inflexions, Dr John rejoint le grand art méphistophélique de Captain Beefheart. En B, on tombe sur l’incroyable «Croker Courtbullion», un groove à la ramasse d’une brisure de rythme imbibée de rhum de contrebande, joué au clair de lune avec des pianotis irresponsables et des coups de trompettes inféodées - Walk on guilded splinters with the King of the Zoulous ! - Voilà ce qu’il clame dans «I Walk On Guilded Splinters». C’est le groove le plus étrange de l’histoire du continent africain. Pas étonnant que Steve Marriott l’ait repris sur scène au temps béni d’Humble Pie. Il règne dans ce cut une ambiance létale qui remonte aux origines de l’humanité. Cet album fonctionne comme un sortilège. De la même façon que Screamin’ Jay Hawkins, Dr John jette des sorts. 

             Harold envoie ensuite les bandes chez Atlantic. Il pensait que l’album sortirait à l’automne 1967 - That didn’t happen. The execs at Atlantic ne savaient pas quoi faire des enregistrements que je leur avais envoyés. Quand j’ai parlé avec Ahmet Ertegun, président d’Atlantic, il m’a demandé comment il fallait appeler ce type de musique. ‘Que vais-je bien pouvoir dire à mes promotion men ? What radio station gonna play this crap?’ Je n’avais pas pensé à tout ça - Puis quand le succès arrive, Mac se trouve confronté au problème qu’il redoutait : l’upfront ! - Mac était avant toute chose un compositeur et un musicien de studio. C’est là qu’il se trouvait bien. Il se trouva soudain confronté au problème de devenir un upfront stage artist, which required many adjustments, mentally and physically - Son premier grand show nous dit Harold eut lieu au Fillmore West in San Francisco, il partageait l’affiche avec Thelonious Monk - Je n’en revenais pas ! Mac and Monk ! - Harold va aussi produire le deuxième album de Mac, l’effarant Babylon, plus porté sur les questions sociales, puis l’excellent Gumbo. Mais Mac et Harold vont avoir des petites embrouilles et leurs chemins vont devoir se séparer.

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             Harold travaille aussi pour Pulsar et produit le premier album de King Floyd. Il a beaucoup d’admiration pour le jeune King - Of the artists avaliable to me that I thought were ready, King Floyd was my choice - L’autre chouchoute d’Harold, c’est Tami Lynn qui lui demande en 1971 de l’accompagner pour une tournée anglaise. Harold indique au passage que Jerry Wexler a toujours été fasciné par le talent et l’énergie de Tami. Elle était célèbre en Angleterre avec «I’m Gonna Run Away From You», un cut qu’Harold qualifie de quiet, pop-type number, ni Wexler ni Tami elle-même n’en pensaient grand bien, mais les Anglais avaient flashé dessus et invité Tami à tourner chez eux.

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             C’est dans les années 70 qu’Harold constate des velléités d’indépendance chez Yette. Elle veut reprendre un boulot. Après une petite crise cardiaque, Harold se voit contraint de dresser le bilan de sa vie, histoire de voir s’il peut encore remettre les choses au carré : «Tout ce que j’avais fait depuis 1957 suivait une tangente hors du real Harold Battiste : le job pour Specialty, puis celui pour Ric Records, même l’épisode AFO avec ses rebondissements, ses succès et ses échecs, puis la collaboration musicale avec Sonny & Cher, qui était à l’exact opposé de mes aspirations musicales. Après ma convalescence, je me suis remis à travailler d’anciennes compositions et à en écrire de nouvelles, j’ai repris la pratique de mon instrument pour essayer de redevenir le vrai Harold Battiste. Pourtant, je continuais de bosser pour Sonny car je lui avais donné mon accord. Bien sûr, il y eut des bons moments avec tous ces vieux projets, le Monkey Puzzle LP, le Compendium LP pendant les AFO years, la bande originale de The Good Times, le projet African Genesis, la bande originale du film sur Angela Davis, quelques morceaux de Sonny & Cher m’ont même apporté des satisfactions musicales. Mais au fond, je n’éprouvais pas vraiment de fierté pour tout ça. J’éprouvais seulement la fierté d’avoir été capable d’atteindre le but fixé, qui était de vendre des disques et des artistes.»

             En vieillissant, Harold s’assombrit. Il ne gagne plus très bien sa vie. Son vieux pote Sonny Bono essaye de l’aider en lui proposant toujours le même job : directeur musical de ses tournées. Extrêmement bien rémunéré. Mais Harold veut arrêter. Sonny insiste : «On a discuté pendant trois heures, en partie comme des collègues, mais surtout comme des amis. On avait des expériences identiques. Comme il avait lui-même dû affronter des problèmes matrimoniaux, il pensait pouvoir me donner des conseils. Pour lui, le fait que je veuille arrêter de bosser pour lui n’était pas uniquement un problème de choix musicaux. Il pensait que ça venait plutôt de ma vie privée. Il insistait pour me dire que je prenais le travail trop au sérieux et que je ne m’amusais pas assez. Et pour lui, ça voulait dire que j’étais tendu à cause de ma situation à la maison. Il m’a même conseillé de prendre des vacances avec une autre femme. ‘Va à Hawaï et emmène quelqu’un avec toi, Janie McNealy, par exemple’. Je ne m’attendais pas à ça. Je pense que ses efforts étaient sincères, il cherchait à me perturber pour m’aider à réagir.» Harold continue : «Ce n’était pas la première fois qu’on me disait que je n’étais pas heureux à la maison. Yette disait la même chose. Mais elle forçait le trait et ça me révoltait. Pendant des années, Yette a dit que je n’étais pas heureux avec elle. Je refusais d’entendre ça, en partie parce que je croyais aux vertus de la vie de famille. C’était ma règle de vie. J’étais terrifié par la séparation et le divorce. J’ai toujours éprouvé un amour sincère pour Yette, mais je pense qu’elle s’est aperçue que mon sentiment pour elle avait changé. Le romantisme était devenu une sorte de dévotion, a family type of love. Elle admettait que je n’éprouvais plus rien de romantique pour elle, et ni elle pour moi. Mais dit par Sonny, je fus contraint d’admettre que Yette avait raison. Depuis le début. Yette ne supportait pas que je nie la vérité.»  

             Puis les choses vont se corser. Yette finit par agresser Harold, lui disant qu’«elle and the kids had been just slaves to me. She thought of our business as not ours but mine, and therefore to work for it meant working for nothing, which equaled slavery.» Évidemment, Yette a un mec. Elle prend un appart près de son boulot. Et elle demande le divorce. Le pauvre Harold s’écroule comme un château de cartes. Il lui téléphone pour lui dire qu’elle peut tout garder, de toute façon, ils n’ont pas grand chose - Je l’appelais pour me rendre, mais elle n’acceptait ma reddition. Elle semblait vouloir prolonger le combat pour me voir souffrir. Non, ce n’est pas ça. Elle avait besoin de se sentir justifiée à agir ainsi contre moi. Elle voulait que je me comporte comme un homme, car elle avait une idée très précise de ce que doit être un mari - Boom ! Divorce. Le juge laisse les meubles à Harold et file la baraque à Yette. Harold doit quitter les lieux avant 17 h, le samedi 12 novembre 1988. Il ne vaut pas quitter sa baraque. Il met un écriteau sur la porte : OVER MY DEAD BODY. Il faudra passer par-dessus mon cadavre ! Mais des amis parviennent à le convaincre de vider les lieux et le pauvre Harold commence une nouvelle vie - J’ai commencé à réaliser que mon ancienne vie était finie. J’étais passé de l’autre côté. J’étais devenu un homme divorcé, seul, un homme paumé sans maison ni famille - Alors il retourne s’installer dans sa ville natale, à la Nouvelle Orleans, pour devenir professeur de musique - By coming home again, I got to meet Harold Raymond Battiste Jr. He got lost in Los angeles. New Orleans found him

    Signé : Cazengler, Harold Bateau

    Harold Battiste Jr. Unfinished Blues. Memories Of A New Orleans Music Man. The Historic New Orleans Collection 2010

    Dr John. Gris-Gris. ATCO Records 1968

    Monitors. Say You! The Motown Anthologue 1963-1968. Kent Soul 2011

    Monitors. Grazing In The Grass. Motorcity Records 1990       

    The AFO Executives With Tami Lynn. A Compendium. AFO Records 1963

    Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1993

    More Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1993

    Still Spicy Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1994

     

     

    Finley le finaud

             Robert Finley débarque dans Mojo à l’âge de 64 ans. Il est aveugle depuis deux ans et a enregistré son premier album en 2016. Alors voilà le travail.

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             En 1964, le petit Robert vivait à Winnsboro, en Louisiane, et plutôt que d’acheter une paire de godasses avec le billet de vingt que lui avait filé son père, il s’acheta une guitare. Puis il va vivre la vie d’un black ordinaire. Il répare les hélicos dans l’armée et rentre à Winnsboro pour pratiquer le métier de charpentier, comme son père avant lui, et chanter le gospel à l’église.

             C’est en 2015 qu’on le découvre, lors d’un spectacle King Biscuit Time à Helena, Arkansas. Bruce Watson et Jimbo Mathus le prennent en main et son premier album sort sur Big Legal Mess, c’est-à-dire Fat Possum. Les Bo-Keys de Memphis accompagnent le vieux renard.

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             Age Don’t Mean A Thing est un gigantesque album de Soul. Finley le finaud l’attaque avec «I Just Want To Tell You», dans une ambiance gospel avec des chœurs magiques. On note qu’Howard Grimes bat le beurre. Au dos de la pochette, Bruce Watson répète la même histoire de paire de godasses, de charpente et de glaucome. Alors le vieux Robert se bat pied à pied avec sa Soul, il passe par un petit mambo («Let Me Be Your Everything») et finit son balda avec un shoot de deepy deep, «Snake In The Grass». Il s’énerve un peu en B avec «Come On», un hard funk à la James Brown, il a les mêmes réflexes que le Godfather, aw, c’mon ! Puis il replonge dans son deepy deep avec un «Make It With You» bien soutenu à l’orgue, suivi d’un raw r’n’b bien Staxy, «You Make Me Want To Dance», il chante sa Soul de plein fouet, avec une rare honnêteté.

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             Qui a dit que les miracles n’existaient pas ? Robert Finley sur scène en Normandie ? Inespéré ! Alors le voilà, conduit sur scène par une jeune black dont on va apprendre plus loin qu’elle est sa fille aînée. Il arrive, costard noir, chemise western, chapeau star & stripes, lunettes noires, c’est le Deep South louisianais qui débarque dans ta campagne, mon gars !

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    Dès l’aéroport, Nougayork sentait le souffle, et nous on sent aussi le souffle, ce vieil homme a des allures de monstre sacré. Et pendant une heure il va te faire un show comme plus personne n’ose en faire, de nos jours, il va te rocker la salle, il va aussi te la blueser, et même te la Souler, il dégouline littéralement de classe, il danse entre les couplets, sa fille fait les backing vocals et derrière eux, un trio de petits culs blancs assure élégamment le minimum vital. Robert Finley, tu crois rêver ! Encore une légende échappée du radar. Sans Big Legal Mess, personne ne connaîtrait son existence.

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    Il te fracasse ses hits un par un, il redore le blason de la Southern Soul, sa fille vient lui annoncer chaque titre à l’oreille. Il établit un contact magique avec le public, il rit beaucoup, c’est un très bel homme, capable de danser le jive avec sa fille. Il démarre avec «Sharecropper’s Son» et c’est énorme, il fout immédiatement le souk dans la médina et fait main basse sur le public. Il approche des 70 balais, mais quelle énergie ! À chaque fin de cut, il salue le public d’une courbette en levant son chapeau. Ses cheveux blancs sont tressés vers l’arrière.

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    L’un des moments les plus émouvants du set est l’«I Can Feel Your Pain» tiré du troisième album, il est tellement sincère dans sa Soul qu’il en devient christique, cet homme dégage indéniablement quelque chose de profondément spirituel. Il chante pas mal de cuts en power-falsetto et c’est encore plus impressionnant que sur les albums, il peut allier le chat perché à la puissance de ténor. Il fait l’apologie de l’espoir («All My Hope») et du sourire. Il revient en rappel pour quelques cuts, dont deux blues qu’il gratte sur sa gratte, perché sur un tabouret, et là, on assiste à un édifiant numéro de cirque. Le deuxième blues acou est assez spectaculaire, «Make It With You», il le chante au fil d’argent, à la mélodie pure, en rigolant. Lorsqu’après le set, au bar, on lui demande si «I Can Feel Your Pain» vient de l’église, il répond d’un rire énorme et de toute sa poitrine. À la question de l’artiste préféré, on s’attend à Slim Harpo ou a Bobby Charles, mais il répond B.B. King.

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             Le deuxième album de Robert Finley s’appelle Goin’ Platinum. Dan Auerbach produit et signe toutes les compos. Il fait ce que Tweedy fait avec Mavis. Fantastique Soul Brother que ce vieux Robert ! Dans «If You Forget My Love», il est partout, avec sa voix d’immense Soul Brother, il swingue sa Soul à un niveau extrêmement élevé. La fête se poursuit avec «Three Jumpers», solide groove de heavy blues monté sur un hard drive de basse. Belle ambiance. Robert se jette dans la bataille et chante à l’extrême. La prod d’Auerbach ne fait pas de cadeaux. Robert s’éclate la glotte à coups d’oh yeah ! On reste dans l’excellence avec «Honey Let Me Stay The Night». C’est embarqué droit en enfer. Robert a encore du bon grain à moudre, c’est joué au maximum de toutes les possibilités envisageables. Robert s’éclate au Sénégal, un vrai gamin, il file, racé comme un requin blanc. Et puis voilà «Complications». Robert l’assume à bras le corps. C’est exceptionnellement bon, chanté à la volonté de Dieu. Quelle énorme machine ! Robert fonce, habitué à subir les volontés du patron blanc. Vas-y mon nègre, gueule dans le micro ! Robert chante la compote du patron blanc. Est-ce Auerbach qui va rafler la mise ? Robert Finley ? Macache ! Ce chanteur exceptionnel est tombé dans les filets du business blanc, on est loin du temps d’Al Bell. Robert finit l’album avec «Holy Wine», un slowah dévastateur.

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             Dans Mojo, Lois Wilson compare Robert Finley à Syl Johnson, Solomon Burke et Al Green. Pas mal, non ?

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             Le nouvel album du vieux renard vient de paraître. Il s’appelle Sharecropper’s Son, produit par Auerbach. Décidément, l’Auerbach est partout. Trois cuts tapent dans le mille : «Souled Out On You», «Starting To See» et «I Can Feel Your Pain». Le vieux renard est dans le power de la Soul, c’est ce que montre «Souled Out On You». Il va chercher un vieux chat perché dans le feu de l’action et il devient un seigneur des annales. On renoue avec la grandeur tutélaire dans «Starting To See». Le vieux est un Soul scorcher exceptionnel. Il pousse sa Soul à l’extrême. Il réussit même à exploser le cut. Dommage qu’on entende la guitare d’Auerbach derrière lui dans «I Can Feel Your Pain». Le cut serait si parfait sans cette guitare qui blanchit le son. Auerbach fait les mêmes ravages que Tweedy avec Mavis : il avait réussi à la blanchir. Dans «Make Me Feel Alright», Auerbach ramène tellement sa fucking guitar qu’on perd la Soul de vue. Le vieux amène le morceau titre au stomp, mais encore une fois, la guitare gâche tout. C’est tout même dingue que les blancs la ramènent dans une histoire de sharecropper. C’est un peu insultant. Comme la présence d’Auerbach donne de l’urticaire, il faut se concentrer sur le chant. Le vieux chante «Country Boy» au petit chat perché, mais Auerbach vient encore lui manger la laine sur le dos avec son ego démesuré et son son de blanc dégénéré. Les blancs colonisent l’art nègre comme au temps des plantations, on ne sent pas la mixité comme chez Stax où le blanc se fond dans le moule black. Ici la guitare prévaut. Elle prévaut dangereusement. Le vieux boucle l’album avec «All My Hope» qui vire gospel, avec de l’orgue. Ouf on croit échapper à la fucking guitare mais elle revient dans le son, ce mec a un problème, il devrait aller voir un psy. Il nous gâche le plaisir d’écouter l’immense Robert Finley.  

    Signé : Cazengler, Robert Filasse

    Robert Finley. Le 106. Rouen (76). 24 novembre 2022

    Robert Finley. Age Don’t Mean A Thing. Big Legal Mess 2016

    Robert Finley. Goin’ Platinum. Easy Eye Sound 2017

    Robert Finley. Sharecropper’s Son. Easy Eye Sound 2021

    Lois Wilson : Robert Finley. Mojo #290. February 2018

     

     

    Wizards & True Stars

     Dylan en dit long (Part Five)

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             De la même façon que Balzac, Céline ou Victor Hugo, Dylan échappe à toutes les catégories. Par la seule ampleur de son œuvre. Il ne viendrait l’idée à personne de dire que Dylan, Balzac, Céline et Victor Hugo sont les plus grands. Pourquoi ? Parce qu’on le sait. Alors on se contente de lire les livres et d’écouter les disques. Après, on ira au jardin voir si la rose est éclose.

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             Sur la pochette de son premier album, le jeune Bob a l’air pensif. Soixante ans plus tard, il a toujours le même regard. Paru en 1962, cet album sans titre ne semblait destiné qu’aux folkeux. Certains d’entre-nous l’ont redécouvert un peu plus tard, au moment du choc d’Highway 61 Revisited, en 1965. On y allait les yeux fermés, même si bien sûr le son de 1962 était nettement plus austère. Le jeune Bob grattait comme un dératé et ramenait des coups d’harp du midwest. Avec le recul, on voit bien que Gram Parsons s’est cassé la tête pour rien, car du temps du jeune Bob, la messe de l’Americana était déjà dite. En reprenant le «She’s No Good» de Jesse Fuller, le jeune Bob inventait la cosmic Americana. L’autre gros shoot d’Americana est bien sûr l’excellent «Pretty Peggy O» enflammé à coups d’harp du Midwest. Le jeune Bob y pousse des ouh ouh d’antho à Toto. Pas mal de covers sur cet album dont l’excellent «Baby Let Me Follow You Down» - This is a song by Eric Von Schmidt. He lives in Cambridge, a blues guitar player - Cambridge où le jeune Bob a séjourné plusieurs mois avant de débarquer à Greenwich Village. C’est avec cette cover qu’il pose les jalons du Dylan electric. C’est aussi sur cet album qu’on trouve la reprise d’une chanson traditionnelle, «The House Of The Rising Sun» que vont reprendre les Animals. Même ambiance que celle de Parchman Farm, ça finit avec le ball and chain, et l’I’m going back to end my life down in the rising sun. Cet album est celui de toutes les mythologies. Oui et quelles mythologies, car le jeune Bob reprend aussi le «See That My Grave Is Kept Clean» de Blind Lemon Jefferson. Dans Masked And Anonymous, Dylan sort la guitare de Blind Lemon et dit que tout a commencé avec elle. Il joue ce cult-blues sec et net en forçant un peu la voix. Il reste dans le blues du Delta avec «In My Time Of Dyin’», fantastique régurgitation de dyin’ babe. Il injecte encore du blues pour son protest dans «Fixin’ to Die Blues». Il gratouille bien ses poux d’arpèges et force un peu sa voix pour exprimer ce qu’est le blues de Bukka White. N’oublions que dans Chronicles, le jeune Bob citait Robert Johnson comme principale source d’inspiration. Le vrai Dylan se trouve dans «Man Of Constant Sorrow» que reprendra d’ailleurs Rod The Mod à l’époque Mercury. Fantastique exaltation mélodique - I’ll say goodbye to Colorado/ Where I was born and partly raised - Il re-façonne déjà l’Amérique, mais bien sûr, personne n’est au courant, même pas lui. Il veut quitter le Colorado, mais il y revient. Il crée la mythologie du hobo - I’m about to ride that morning railroad/ Perhaps I’ll die on that train - Pour un premier album, c’est un coup de maître. Bob Dylan est l’album factuel. 

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             La pochette de The Freewheelin’ Bob Dylan compte parmi les plus mythiquement tendres de l’histoire du rock. Diable, comme elle est belle la Suze, au bras d’un Bob qui paraît si léger dans le mouvement, ce mouvement, souviens-toi, dont il fait l’apologie dans Chronicles. L’album s’ouvre sur ce «Blowin’ In The Wind» qui ne passe plus du tout. On a peut-être trop entendu cet answer my friend. Par contre, si tu vas dans le Nord, n’oublie pas d’écouter «Girl From The North Country», car she once was a true love of mine. La formulation n’est pas banale, c’est de la poésie dylanesque, comme on dirait un songe verlainien. Ces gens-là naviguent au même niveau. Avec sa Girl, Dylan commençait à taper dans l’œil du mille. Même les gens qui le critiquaient bêtement pâlissaient à l’écoute d’une telle merveille. Oh il ne raconte pas grand-chose dans ce balladif intemporel, pas de discours antimilitariste, pas de symbole caché ni de personnages emblématiques, juste le souvenir du froid - Where the winds hit heavy on the borderline - et de cette femme dont il fut profondément amoureux. Il se rappelle surtout de ses cheveux qui se répandaient sur ses seins - Please see for me if her hair hanging down/ If it curls and flows all down her breast - et comme il s’adresse à toi puisque tu vas aller faire un tour dans le Nord, il te demande de vérifier si sa longue chevelure s’écoule toujours sur ses seins. On imagine la tête de l’exégète devant cette chanson : rien à en tirer, juste une histoire de nostalgie amoureuse. C’est d’une banalité ! Mais rien n’arrive à la cheville de la banalité dylanesque. Burt Bacharach, Brian Wilson, Phil Spector et Jimmy Webb l’avaient bien compris puisqu’ils s’y sont engouffrés à leur tour. Comme Dylan, ils ont réussi à percer le secret du Grand Œuvre, c’est-à-dire la chanson parfaite. La chanson parfaite, c’est celle qu’on écoutait voici cinquante ans et qu’on écoute encore aujourd’hui en ressentant exactement le même frisson, le même plaisir cérébral, qu’il s’agisse de «Girl From The North Country», de «MacArthur Park», d’«Heroes & Villains», de «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’» ou de «This Guy’s In Love With You». Qui ose prétendre que la perfection n’est pas de ce monde ? Puis Dylan revient à son dada avec «Masters Of War», toujours d’actualité. Eh oui, c’est le business le plus juteux avec celui de Pandemic, alors pas question de s’en priver. Les gens gueulent, mais à la place des Masters of War, ils feraient exactement la même chose. On est antimilitariste quand on est pauvre. Quand on est riche et qu’on vend des armes, on ne l’est pas. Alors comme Dylan est pauvre, il est antimilitariste. Il harangue les harengs, avec beaucoup de mots lestés en B, bills, bombs, blood, bins, brain, des clous qu’il enfonce avec des death, desks, drain. N’oublions jamais qu’il est d’abord écrivain et poète, et qu’il connaît le poids des mots. Bien sûr, il n’oublie pas le vocabulaire apparenté, bullets, triggers, et comme il est jeune, il montre les dents, il fait le revanchard, il dit que personne, même pas Jésus, ne pourra leur pardonner aux masters of war, et il attend la dernière strophe de son interminable harangue pour leur souhaiter de crever, and I hope that you die, et vite fait en plus, and your death will come soon, et il suivra le cercueil by the pale afternoon et il le verra descendre au fond du trou, down to your deathbeb, par contre, il n’ira pas jusqu’à cracher sur sa tombe comme le ferait l’avenir du rock, non, il se contentera de monter sur la tombe pour être bien sûr que le Master of war ne va pas se sauver. Par contre, l’«Hard Rain’s A Gonna Fall» se veut plus biblique, avec tous ses personnages qui sortent de ce poème fleuve comme autant de cartes d’un jeu de tarot, a white man who walked a black dog, a poet who died in the gutter, a clown who cried in the alley, a young woman whose body was burning (comme dans le film), des rivières de diamants, il est le seul avec Leo Ferré à savoir respirer la poésie, et il sait son poème dit-il à la fin, avant même de commencer à le scander. On le retrouve en B avec «Don’t Think Twice It’s All Right». Il traite ici de l’incommunicabilité des choses, but we never did too much talking anyway,  il dit avoir voulu lui donner son cœur mais elle voulait son âme, il lui reproche de l’avoir treated unkind, you could’ve done better but I don’t mind/ You just kinda wasted my precious time, ah comme la vie peut être compliquée. C’est le fonds de commerce des grands poètes. Mon pauvre enfant, ta voix dans le Bois de Boulogne. Et cette fantastique façon qu’a Dylan de dire adieu, so long honey babe. Le coup de génie de l’album est cette version de «Corrina Corrina» jouée au deepy deep et qui préfigure le son de John Wesley Harding, montée sur un drive de basse incroyablement nonchalant. Il termine avec «I Shall Be Free» et raconte que JFK lui passe un coup de fil, my friend, Bob, what do we need to make the country grow?, et Dylan lui répond my friend, John, Brigitte Bardot, Anita Ekberg, Sophia Loren, ah quelle fantastique énergie du chant ! Alors Dylan boit pour être libre, well, ask me why I’m drunk all time/ It levels my head and eases my mind, il va par les chemins et chante comme Charles Trenet, I see better days and I do better things, il attrape des dinosaures, il baise Elizabeth Taylor et bien sûr s’attire des ennuis avec Richard Burton.

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             Quand on réécoute The Times They Are A-Changing on est frappé par la pureté du protest process et par la légendarité des coups d’harp. Paru en 1964, cet album est d’une incroyable modernité. «The Ballad Of Hollis Brown» nous fait comprendre autre chose : c’est déjà électrique avant le Dylan goes electric de Newport. Cette fabuleuse tension va servir de modèle à tout le folk-rock américain - Hollis Brown he lived on the outside of town/ With his wife and five children/ And his cabin breakin’ down - Il fait rimer le desolation row de town avec down. Il met tout son poids dans ses syllabes et charge sept cartouches dans sa culasse. Dylan fait ce que fit Hugo un peu avant lui, il universalise la misère pour mieux nous la balancer en travers de la gueule, car c’est tout ce qu’il reste à faire - Seven shots ring out like/ The ocean’s pounding roar - Alors on observe son visage sur la pochette, et on le trouve bien grave, le jeune Bob avec son regard chargé d’ombre. Il n’a pas encore envie de chanter des chansons d’amour, ça viendra plus tard, quand il aura compris qu’universaliser la misère ne servait à rien, puisqu’elle est dans l’ordre des choses, comme la violence ou encore la connerie. Alors il fait appel à Dieu qui ne vaut guère mieux, et c’est «With God On Our Side», alors tout va bien, puisque Dieu est avec nous, disent les soldats américains qui massacrent les tribus indiennes - The cavalries charged/ The Indians died/ Oh, the country was young/ With God on its side - Pour une fois le rock sert à quelque chose. Bois un grand verre de coca-cola, mon gars, car ce n’est pas fini. Le jeune Bob est tellement ému par ce qu’il chante qu’il développe un fantastique sens mélodique. Il peut monter, il reste juste au moment du country was young/ With God on its side. Il ne compte pas non plus les morts de la première guerre mondiale, puisque dit-il, plein de bon sens, you don’t count the dead/ When God’s on your side, et en attendant la troisième, il évoque la deuxième guerre mondiale et trouve tout naturel qu’on devienne potes avec Allemands qui ont balancé six millions de gens dans les fours crématoires - They murdered six million/ In the ovens they fried/ The Germans now, too/ Have God on their side - God est incroyablement permissif, c’est même une bonne pâte, tout le monde le sait, même le diable. Et comme à l’école, le jeune Bob a appris à craindre et haïr les Russes, alors pas de problème, quand il faudra courir aux abris, il le fera comme tout le monde, With God on my side. Ah il se marre bien, le jeune Bob. Il ajoute que tu ne poses jamais de questions quand tu as God on your side, c’est très pratique. Il en vient fatalement à se poser la question sur Jésus et sur la trahison de Judas, mais dit-il, il ne peut pas se la poser à notre place, chacun doit se débrouiller avec sa conscience - You’ll have to decide/ Wether Judas Iscariot/ Had God on his side - Dylan est déjà passé maître dans l’art de dire les choses. On vote donc pour Dylan, comme on votait pour le Che, Gandhi et Nelson Mandela. En B, on croise l’excellent «Boots Of Spanish Leather», excellent car d’une grande pureté mélodique et qui sonne comme «Girl Of The North Country» qu’on trouve sur The Freewheelin’ Bob Dylan et plus tard sur Nashville Skyline où il duette avec Cash. Et puis avec «The Lonesome Death Of Hattie Carroll», le jeune Bob s’en prend vertement à cette métaphysique de la brutalité qu’on appelle l’injustice. Le jeune Bob raconte comment un jeune et riche planteur de tabac, William Zantzinger, ratatine à coups de canne une servante de cinquante balais et s’en sort avec six mois ferme - But you who philosophize/ Disgrace and criticize all fears/ Take the rag away from your face/ Now ain’t the time for/ Your tears - Pareil, des gens sont passés par là avant, de Zola à Leo Ferré, dénoncer l’injustice est un job vieux comme le monde qui ne sert strictement à rien, puisqu’elle s’inscrit dans les tables de la loi. Tu nais pauvre, t’es baisé. Tu nais riche, tu passes à travers tout.  The Times They Are A-Changing est l’album solaire.

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             C’est sur Another Side Of Bob Dylan paru en 1964 qu’on trouve le grand cut préfigurateur du rock moderne : «Motorpsycho Nitemare». Le nitemare préfigure surtout la trilogie à venir (Highway 61 Revisited/ Bringing It All Back Home/ Blonde On Blonde). Là tu as tout le sharp spirit dylanesque, l’essence du rock électrique - I’m a clean cut kid and I been to college too - Il swingue ses mots jusqu’au vertige, à part Iggy avec son maybe call mom on the telephone, personne n’est allé aussi loin que lui dans ce délire de poésie électrique, il est la suite de Rimbaud, il fait exactement ce que Rimbaud aurait fait s’il avait eu une guitare électrique, Dylan incarne la liberté et l’intelligence de la liberté, il a ce don unique, on peut passer sa vie à écouter et réécouter Dylan sans jamais craindre l’ennui. Il crée son monde en permanence, à longueur d’albums. Voilà qu’il débarque dans une ferme paumée à la recherche d’un toit pour la nuit - a place to stay - et il tombe sur le fermier qui lui colle un gun into my guts. Sauf bien sûr chez les cracks du rockab, le rock n’avait encore jamais swingué comme ça et depuis, il n’a jamais aussi bien swingué. Et voilà Rita, la fille du fermier, qui semble sortir de la Dolce Vita - Then in comes his daughter whose name was Rita/ She looked like she stepped out of la Dolce Vita - La façon dont Dylan swingue sa phrase est essentielle. Il transmet tout l’héritage du blues et du rockab. Dès qu’il voit Rita, Bob sent l’embrouille. On se croirait chez farmer John, avec the girl with the champagne eyes. Le fermier héberge Bob à deux conditions : pas touche à ma fille et demain matin, tu trais les vaches - Milk the cows - Marché conclu. Bob dort sous le stove. Rrrrrrrrrrr. Il dort à poings fermés - I was sleepin’ like a rat - et soudain, quelque chose le secoue - There stood Rita/ Looking just like Tony Perkins - Il a besoin du Perkins pour rimer avec le jerkin’ de Rita, c’est aussi simple que ça. Dylan ne s’embarrasse pas avec les détails, il doit poursuivre la cavalcade effrénée de son story-telling. Rita lui propose d’aller prendre une douche. Now ? Comme il a promis au père de ne pas toucher à sa fille, Bob doit trouver un stratagème pour se sortir de ce guêpier. Vu qu’on est dans un rock lyrique ouvert à toutes les affabulations, Bob se met à crier bien fort : «I like Fidel Castro and his beard», le beard devant rimer avec le weird d’avant. S’il avait dut rimer avec hard, ou too far, il aurait crié : «I like Fidel Castro and his cigar». Le père entend ça et dans l’Amérique profonde des beaufs descendants de colons, c’est un blasphème que de citer Castro, le communiste. Le père arrive en pétard et demande à Bob de répéter ce qu’il a osé dire. Alors Bob répète : «I like Fidel Castro/ I think you heard me right.» Alors le père se met en pétard pour de bon - He said he’s gonna kill me/ If I don’t get out the door in two seconds flat - Le flat bien sûr pour rimer avec le rat, car cette chanson est infestée de rats - You unpatriotic rotten doctor commie rat - Le père commence par lui balancer le Reader Digest dans la gueule, magnifique symbole beauf, Bob se marre et se casse vite fait en sautant par la fenêtre - Crashed through the window at a hundred miles an hour - Le père charge son gun et Bob prend les jambes à son cou, en vrai bluesman - The sun was comin’ up and I was runnin’ down the road - Et pour finir en beauté, Dylan lâche l’une de ces paroles d’évangile dont il va continuer de se faire une spécialité : «Without freedom of speech I might be in the swamp.» La morale de cette histoire est qu’il n’en faut pas en perdre une seule miette. L’autre stand-out d’Another Side est bien sûr «Chimes Of Freedom». Encore un poème fleuve. On comprend qu’il ait remué les foules étudiantes en Amérique et en Angleterre. C’est encore de la poésie électrique pure, Dylan charge sa prose comme une mule, c’est somptueux - As majestic bells of bolts struck shadows in the sounds/ Seeming to be the chimes of freedom flashin’ - Vers aux pieds ailés, comme chez les symbolistes de l’Avant-Siècle. Tout dans Chimes résonne à l’infini - Through the mad mystic hammering of the wild ripping hail/ The sky cracked its poems in naked wonder - Gawd, la chance qu’ont eu les Anglo-Saxons d’entendre ces poèmes à la radio. Les Français avaient Léo Ferré qui lui aussi faisait référence aux guardians and protectors of the mind - the poet and the painter - car c’est bien de cela dont il s’agit, face à l’extrême brutalité du monde moderne. Dylan n’oublie pas les damnés de la terre, the mistitled prostitute, the misdemeanor outlaw, chaque fois qu’on réécoute ce dazibao, on en reste baba. Depuis, on se demande où sont passé les poètes. Auraient-ils fini par disparaître ?

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. Bob Dylan. Columbia 1962

    Bob Dylan. The Freewheelin’ Bob Dylan. Columbia 1963

    Bob Dylan. The Times They Are A-Changing. Columbia 1964

    Bob Dylan. Another Side Of Bob Dylan. Columbia 1964

     

    L’avenir du rock

    - Les contes d’Andersson (Part Two)

             S’il est un genre littéraire que l’avenir du rock prise particulièrement, c’est bien celui des contes. Ah les contes ! Que ne permettent-ils pas ! Le conte est bon lorsqu’il s’ancre fermement dans la réalité et qu’il se nourrit d’éléments qui assoient la crédibilité de ses personnages. Il faut pour ce faire que l’étude soit très fouillée, poussée jusqu’à son paroxysme, comme s’il s’agissait d’abattre la besogne d’un journaliste de bas étage. C’est à ce prix que la fondation supportera le poids du temps. Et la narration encaissera la violence des tempêtes que l’imagination jugera alors bon de lever, car de cela dépend le succès du conte : sans surprise et sans basculement, il s’aplatit comme le soufflé d’un mauvais cuisinier. Les contes permettent surtout de tirer le réel d’un mauvais pas. Souvent les histoires vraies implorent désespérément de l’aide pour paraître moins ternes, alors le conte vole à leur secours, tel un gentil vampire, et les entraîne dans des féeries qui se rient de la bienséance et des lois de la gravité. De la même façon que celles des écrivains de l’Avant-Siècle, la vie des grands rockers se prête merveilleusement bien aux biais de la fiction et aux glissades vers ce qu’on appelait autrefois le monde fantastique, c’est-à-dire un au-delà du réel conçu pour bercer l’imagination de l’agneau-lecteur. Comme Marcel Schwob ou Apollinaire, certains grands rockers sont de véritables contes à roulettes qui, à force de jouer avec leurs ficelles, ont fini par incarner les fruits de leurs imaginations respectives. Les meilleurs exemples ne sont-ils pas Jeffrey Lee Pierce dont on dit qu’il efface les gens d’un seul regard, ou encore Lux Interior occupé à fabriquer dans son laboratoire le bassiste de ses rêves, ou Chris Bailey chevauchant un kangourou pour échapper à ses poursuivants, ou Robert Wyatt parcourant son île dans un fauteuil aux roues carrées ? Ou encore Henry Rollins battant pavillon noir pour affronter de front le vaisseau amiral de l’armada espagnole, sans oublier bien sûr les contes d’Andersson, grand Hellacopter devant l’éternel.

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             Les Hellacopters font enfin la une des magazines ! Enfin, d’un magazine, mais pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit du bien nommé Vive Le Rock. Il pourrait très bien s’appeler Vive la Vie. Dix pages pour les Copters ! Du jamais vu ! Gerry Ranson rappelle tout de go que les Copters viennent de se reformer après 17 ans de silence. 17 ans, tu te rends compte ? En plus, Nicke Andersson a réussi à rapatrier son vieux co-listier Dregen qui était parti rejoindre ses Backyard Babies à Londres en 1997. Quand Andersson a splitté le groupe en 2008, il avait dit never again, mais comme dans tous les cas de reformation - et celui des Pixies en particulier - les offres qu’on leur fait sont des offres qu’on ne peut pas refuser - The money was really good - Eh oui, les Copters ont un public en Suède. Pas de problème. Quelques répètes et c’est reparti.

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             Comme il a de la place, Andersson peut évoquer ses racines : «Star Wars, dinosaurs and Kiss. Tout cela est connecté, pas vrai ? Les cracheurs de feu et les explosions ! Je reviens toujours à Kiss, parce qu’ils sont mes racines et d’une certaine façon, Kiss est punk, car leurs chansons sont très basiques et jouées avec efficacité, c’est du rock’n’roll, je suis aussi un fan des Sex Pistols, et je crois qu’ils sont proches les uns des autres, musicalement. Mais pas au plan des lyrics, bien sûr. Ils ont en commun des grosses guitares et les pounding drums - That’s where it’s at!.»  Andersson explique qu’il a découvert le punk-rock grâce à la collection de 45 tours du père d’un copain : Pistols, Damned, Ramones. Sur un album des GBH, il découvre une cover des Stooges et ça le conduit naturellement au MC5. Ce qui ne l’empêche pas de démarrer sa carrière de musicien comme batteur d’un gang de death metal, Entombed. Andersson rencontre Dregen en 1991 et lui propose de l’embarquer comme drum tech dans une tournée américaine d’Entombed. C’est là qu’ils vont monter le projet d’Hellacopters. Et comme toutes les histoires de group-building, celle des Copters est passionnante. Ils téléphonent au drummer Robert Eriksson : «You’re gonna be the drummer in our new band !». Pouf, c’est parti. Avec un bassman en complément, Andersson passe au chant et à la gratte. En plus, il monte un label, Psychout, qui existe encore. Premier single, avec en B-side une reprise de Social Distorsion, pour faire bonne mesure. Les Copters se spécialisent dans ce qu’ils appellent les underground seven-inches, des 45 tours à tirages limités. Ils enregistrent leur premier album, Supershitty To The Max, qui est un must-have, et deviennent célèbres. C’est là que Dregen décide de rejoindre son groupe, les Backyard Babies - Ce fut la décision la plus dure de ma vie - Et il ajoute : «C’est comme choisir entre sa fille et son fils.» Bon, il savait que les Copters pouvaient continuer de voler sans lui, alors il a rejoint les Backyards.

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             Puis arrive la période Wayne Kramer via les Nomads. Andersson rencontre Kramer à Los Angeles, puis Scott Morgan à Detroit. Les Copters commencent à multiplier les tournées américaines, et par chance, l’une d’elles est filmée en 2002 : c’est le fameux docu Goodnight Cleveland. Très bon docu, on suit les Copters de ville en ville, Cleveland, Chicago. Ils sont bien dans la lignée du MC5, ils jouent au twin guitar attack. Les Gazza Strippers jouent en première partie. Le van passe par Champaign, Illinois, puis Detroit. Quelques plans d’after show nous montrent l’Andersson bourré. Le doc est d’une grande honnêteté intellectuelle, on voit les chambres à deux lits, les sound-checks, les after-shows, la booze, les filles tatouées, et puis bien sûr, le cœur de l’action, la scène. Andersson n’a pas vraiment de voix. Il porte en permanence sa casquette de baseball. Philadelphie, puis New York. On s’y croirait. Il faut bien sûr voir les bonus car ils grouillent de merveilles : Detroit avec Scott Morgan pour «City Slang». Pas mal d’autres plans scéniques mais globalement, ont voit que les Copters ont du mal à décoller : «Goodnite Yankees, we’re the Hellacopers from Sweden. We’re gonna get some action... Right now !» Robert Dahlqvist est aussitôt à genoux, torse nu. Il est très physique. Les gros bonus sont les deux versions de «Search & Destroy», la première à New York avec les Gazza Strippers, et la deuxième dans un festival en Suède. C’est l’une des plus belles séquences de concert rock, filmée dans le dos du batteur Robert Eriksson, un batteur qui joue torse nu à l’énergie pure, la caméra est quasiment sur son dos, face à un ciel rouge et à une foule énorme, le tout dans des fumées qui évoquent celles du napalm. Fantastique ambiance de fin du monde, et filmé sous l’angle de powerhouse, ça prend une drôle d’allure. Eriksson bat comme mille diables, on se demande comment il tient aussi longtemps. Bel hommage à Iggy, en tous les cas. Les fans des Hellacopters se régaleront aussi de quelques plans scéniques de la première mouture des Copters, avec Dregen, qui était déjà très enragé, équipé d’une grosse demi-caisse blanche.

             Tous les albums des Copters sont épluchés dans un Part One. En 2003, Wayne Kramer invite Andersson à rejoindre la reformation du MC5, avec Dennis Thompson et Michael Davis. C’est le fameux concert au 100 Club de Londres avec les super-guests Lemmy, Dave Vanian et Ian Astbury. Puis une tournée. On les voit à l’Élysée Montmartre. C’est ensuite au tour de Scott Morgan d’inviter Andersson à le rejoindre dans The Solution (Andersson avait déjà battu le beurre pendant un an dans les Hydromatics). The Solution va enregistrer deux fantastiques albums. Quand le split des Copters est annoncé, Andersson doit expliquer que jouer dans un groupe de rock n’est pas toujours une partie de plaisir (a walk in the park). Il veut dire par là que c’est assez rude. Mais par contre, il est fier d’être resté sur sa ligne, sans jamais avoir fait le moindre compromis. Le rock est mort ? Ah ah ah ! Vive le rock ! - I mean c’mon ! We play music that’s not very trendy, so if you’re truly yourself, I guess it works - Ça tombe même sous le sens. C’est bien d’entendre des gens dire les choses comme elles doivent être dites. Pas besoin d’aller vendre son cul pour exister. Andersson repart de plus belle avec Imperial State Electric, quatre ou cinq albums eux aussi épluchés dans le Part One et puis, dernier rebondissement, la reformation des Copters.

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             Eyes Of Oblivion n’est pas un album génial, mais ce n’est pas non plus un mauvais album. C’est un album d’entre-deux eaux, avec beaucoup de son. Tout de suite embarqué au Copter craze avec «Reap A Hurricane». Ces mecs ont toujours su poser leurs accords dans le mayhem, ça date du temps de Supershitty To The Max, paru en 1996, voilà bientôt trente ans. Ils restent fracassants de bon esprit, c’est battu à la Copter avec les grosses guitares habituelles. Ils font un peu de glam avec «Tin Foil Soldier». Ça tape à la dure, mais ça reste dans l’esprit glam, fin et puissant, joué au feel de manche, et comme pour tout glam qui se respecte, bien ancré dans le boogie. Le hit de l’album est le dernier cut, «Try Me Tonight». Ils sortent pour l’occasion les accords du MC5 et tout le raunch de Detroit. Ils profitent de l’occasion pour redevenir légendaires et payer leur dues - Payin’ The Dues - Quant au reste de l’album, c’est du Copter traditionnel : il y pleut du son comme vache qui pisse. Et le morceau titre file ventre à terre, ce qui est bizarre pour des Vikings qui ont plus pour habitude de naviguer. Ce sont les guitares qui font la loi, ici. Raison pour laquelle les Copters sont si intensément bons - We need a Plew and a doctor/ Right now ! - L’essentiel est que ce groupe continue d’exister. Ils figurent parmi les derniers tenant d’un aboutissant sacré.

    Signé : Cazengler, coléoptère

    Hellacopters. Eyes Of Oblivion. Nuclear Blast 2022

    Jim Heneghan. Goodnight Cleveland. DVD MVD 2002

    Gerry Ransom : Kings of Oblivion. Vive Le Rock # 90 - 2022

     

     

    Inside the goldmine - Par ici la Shorty

     

             Ils optèrent cet été-là pour le haut Atlas et séjournèrent quelques temps à Marrakech. C’est dans cette cité chargée d’histoire que se retrouvent les gens qui prévoient d’aller escalader le Toubkal, point culminant de l’Atlas. Ils s’installèrent dans un hôtel fabuleusement décadent situé à l’entrée de la médina. Le temps semblait s’y être arrêté. On pouvait y déguster des salades de tomate à la coriandre en plein cœur de l’après-midi et fumer du kif sur la terrasse, mais discrètement, bien sûr. Dans les chambres, la plomberie ne fonctionnait plus depuis longtemps, mais cela faisait partie du charme de l’endroit. On trouvait aussi une piscine pas très bien entretenue au deuxième étage. Dans le courant de la matinée, nous allions nous jeter dans le tourbillon intemporel de la médina, nous arrêtant chaque fois devant les échoppes des herboristes, puis lorsqu’on sentait monter la fatigue, nous nous mettions doucement en route pour regagner l’hôtel et l’abri - temporel cette fois - de la chambre. À cause de la chaleur, le sommeil tardait à venir. Et la chaleur rendait toute étreinte impossible, aussi nous contentions-nous de rester allongés côte à côte. En plein cœur de la nuit se produisit un curieux phénomène : notre lit fut secoué et nous nous réveillâmes en sursaut. Un fantôme s’agitait au pied du lit. Il continuait de secouer le lit violemment. Mais nous ne cédâmes pas à la terreur car il s’agissait du fantôme de Brian Jones. Il avait de toute évidence séjourné dans cet hôtel. Apparition magnifique et terrible à la fois, chargée de sainte colère, comme le sont tous les fantômes. Il se pencha vers nous et déclara d’une voix incroyablement sourde : «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuge-à-trois-ans-de-miiiiise-à-l’épreuve-pour-possession-de-cannabiiiiis-avec-interdiiiction-d’entrer-aux-États-Uniiiis !». Il secoua la tête et répéta : «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !», «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !», «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !» avant de se volatiliser.

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             D’un château l’autre et pourquoi pas D’un juge l’autre ? Hear ye, hear ye/ The court’s in session/ The court’s in session, now/ Here comes the judge ! C’est ainsi que se présenta Shorty Long à l’entrée du jardin magique, en 1968. Il portait la perruque et la robe noire d’un juge anglais. Sa mise extravagante nous plut immédiatement. 

             Nous apprîmes que ce petit homme modeste et réservé bénéficiait de la bienveillante protection de messire Marvin Gaye, puissant seigneur du Michigan. Nous passâmes donc la soirée à l’écouter flatter sa muse, cette fascinante Soul Music issue des contrées lointaines qui s’étendent jusqu’au Septentrion, par delà les océans.

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             «Here Comes The Judge» emporta tous les suffrages. Nous nous levâmes pour danser la Saint-Guy, faisant fi de l’étiquette. Il régnait dans le jardin magique la torride atmosphère d’un Sabbat de sorcières. Shorty Long singeait la justice tout en invoquant les démons des forêts africaines. Il nous tisonna de nouveau la cervelle avec «Function At The Junction», un air dansant, bas sur pattes et délicatement empoissé. Nous fûmes les premiers surpris par nos propres déhanchements. Nos cartilages goûtaient à la liberté. Shorty Long se mit ensuite à psalmodier «Don’t Mess With My Weekend», ferraillant son chant de taille et d’estoc, le biseautant à l’angle d’incartade. Il profita d’un court moment de répit pour saluer sa co-auteuse Sylvia Moy, première soubrette autorisée à composer des vers à la cour du roi Gordy. Il s’empressa d’ajouter qu’on devait aussi à mademoiselle Moy ces merveilles extravagantes que sont «Uptight» et «I Was Made To Love Her» et qui ont propulsé Little Stevie Wonder à Wonderland. Cette habile transition lui permit d’invoquer les divinités priapiques avec «Devil With A Blue Dress». Son apologie de la luxure suintait dans les entournures, car le petit homme la miaulait avec lancinance.

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             Après une courte pose, il nous fit don d’un parfait joyau de Soul Music, «Night Fo’ Last», ciselé dans le swing le plus pur et d’un éclat aveuglant. Pour le rendre plus mirifique encore, il temporisait à l’endroit des retours de couplets. Il enchaîna avec une libre interprétation de «Stranded In The Jungle». Le petit homme se montrait tellement joyeux qu’il levait des frissons sous les étoles. Il obtenait des merveilles de cette voix qu’il maniait comme un petit animal dressé. Son élégance nous fascinait et nous berçait le cœur de langueurs myocardales. Avec «Another Hurt Like This», il voulait se montrer à la hauteur de son destin. Son tour de chant s’acheva avec «People Sure Act Funny», une sorte de tarentelle hâtive, ardemment troussée, digne d’un homme qui ne s’embarrasse pas avec l’intendance et qui ne flagorne pas au coin des bois.

             Il nous décrit ensuite le détail de ses déboires au Michigan. Il disait avoir signé un pacte avec le roi Gordy, seigneur de Tamla Motown, un puissant royaume nègre des Amériques. Le roi Gordy avait nommé Mickey Stevenson chaperon de Shorty et créé l’étiquette Soul pour y loger les artistes trop funky à son goût. Shorty Long s’y trouva donc cantonné en compagnie de Sammy Ward et de Junior Walker & the All Stars. Il évoqua ensuite la rivalité qui l’opposait à un certain Dewey Pigmeat Markham qui se produisait dans Laugh-In, une série comique diffusée chaque semaine à la télévision américaine et qui avait lui aussi une version d’«Here Comes The Judge». Billie Jean Brown qui régnait alors sur le Quality Control Board de Tamla Motown convainquit Shorty d’enregistrer «Here Comes The Judge» sur le champ et sa version parut juste avant celle de Pigmeat sur le label Chess. Ce jour-là, Shorty s’épongea le front. Il ne devait son succès mondial qu’à sa seule célérité.

             Nous n’eûmes des nouvelles du pauvre Shorty qu’un peu plus tard, en apprenant son trépas. Une felouque turque avait accidentellement percuté et envoyé par le fond la barcasse dans laquelle Shorty pêchait le gardon en compagnie de son camarade Oscar Williams.

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    Le roi Gordy fit paraître un album posthume intitulé The Prime Of Shorty Long. Il s’ouvrait sur «I Had A Dream», une ballade funeste d’une rare sophistication. Aux premiers accords d’«A Whiter Shade Of Pale», le rouge nous monta aux joues. Le petit homme swinguait son feeling kinda seasick au pur génie vocal. Il avait réussi l’impossible exploit de faire valser cette mélopée océanique et d’y sertir un solo de cor de chasse. Cet album grouillait d’épouvantables merveilles. Avec ce popotinage exclusif et chatoyant qui courait par monts et par vaux, «Lillie Of The Valley» nous effara. Shorty Long devait être sorcier, car sa Soul brûlante dégageait une forte odeur de paganisme. Son art sentait bon le soufre. Seul le diable sait troubler l’eau claire de l’art. Il honora le blason du bon gros Antoine Domino en chantouillant «Blue Monday» et «I’m Walking», dans le cadre soyeux et tiède d’une parfaite solennité. Il n’allait pas en rester là puisqu’aussitôt après sonna l’assaut vainqueur de «Baby Come Home To Me». Il s’agissait là de l’un des plus purs joyaux de la l’histoire de la Soul. Cette belle Soul radicale du Michigan semblait parée d’un éclat mélodique inoubliable et absolument unique au monde. Ce parfait génie de Shorty Long montrait autant d’ingéniosité à cultiver l’excellence que ce Michel-Ange dont on faisait alors grand bruit par-delà les Alpes. D’autres pures merveilles embrasèrent les imaginations, comme par exemple «I Wish You Were Here», plaidoyer magique et ondulant, pure évanescence lumineuse, suivi de «When You Are Available», mélopée judicieusement chuintée et orchestrée, aussi tentante qu’une friandise exotique, aussi irrésistible que le téton rose d’une courtisane impudique. Nous n’étions pas au bout de nos surprises car soudain tinta à nos oreilles «Give Me Some Air», un délice hypnotique  chargé comme un mulet de basses romanes et de ces notes de musicalité exacerbée que les étrangers appellent le funque, des notes qui comme les coups de dé jamais n’aboliront le bazar, puis tout s’acheva avec le chant du cygne, «The Deacon Work», ouvragé à la basse de Damas, splendide travail d’orfèvre, élancé, alerte et dynamique, conçu comme une ardente fête pour les sens. Ce petit homme ne concevait donc les choses qu’à l’aune de l’harmonie céleste.

    Signé : Cazengler, Shorty Court

    Shorty Long. Here Comes The Judge. Soul 1968

    Shorty Long. The Prime Of. Soul 1969

    Shorty Long. The Complete Motown Stereo Masters. Ace Records 2012

     

     

    *

    Dans notre livraison 527 du 28 / 10 / 21, nous présentions avec un léger retard puisque le disque était sorti en 2014, Messe pour un chien de Barabbas. Je terminai la chronique en décrétant que c’était un des meilleurs albums de rock français que je connaissais. Cette fois-ci nous nous y prenons à l’avance, cette livraison datée du 8 est mise en ligne le 7 décembre 2022, or le nouvel album de Barabbas tout neuf sort le neuf décembre ! 

    LA MORT APPELLE LES VIVANTS

    BARABBAS

    (Sleeping Church Records / 13 – 12 – 2022)

    Saint Stéphane : guitar / Saint Rodolphe : voix / Saint Thomas : guitar / Saint Jean-Christophe : drums / Saint Alexandre : bass.

    L’est des titres d’album qui vous parlent plus que d’autres, certains même vous interpellent. S’adressent à vous directement. Vous en êtes flatté, que dans ce monde de froid et pur égoïsme l’on pense à vous réchauffe votre petit cœur solitaire. Méfiez-vous, ne serait-ce pas une technique (une de plus) publicitaire, hélas non, cette fois il n’y a pas d’embrouille, l’on n’en veut pas à votre bourse. Ce n’est guère mieux, c’est de votre vie dont on vous assure que vous serez un jour ou l’autre dépouillé. Vous êtes prévenu. A bon entendeur, salut.

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    Pochette glaçante. Veuves en tenue de deuil porteuses de couronnes mortuaires se dirigeant vers le cimetière où seront inhumés maris, oncles et frères. Mais le titre, de verdâtre calligraphie, de l’album impose une autre lecture. Ces femmes semblent être aspirées par le cimetière que l’on ne voit pas. Donnent l’illusion d’être en partance pour leur propre enterrement, qu’elles emmènent leurs fleurs personnelles pour être mises sous terre au plus vite.

    La mort appelle tous les vivants (intro) : ça commence très mal avec cette voix glacée d’aérogare et cette sirène d’alarme qui vrille vos oreilles, la mort appelle tous les vivants répète-t-elle sans fin, vous n’avez aucune envie de quitter le fauteuil du hall de pré-embarquement, n’est-ce pas que la vie est une salle d’attente de la mort, et que Jim Morrison nous a mis en garde depuis un demi-siècle, personne ne sortira d’ici vivant. Je suis mort depuis bien longtemps : la machine à remonter le temps occupe l’espace auditif, ne vous souciez pas du sens de la marche du tapis roulant qui vous emporte, des deux côtés ne mène-t-il pas au néant, oui mais ce que vous ne savez pas Barabbas vous le hurle dans les oreilles, vous assourdit avec l’inéluctable réalité de votre vécu, si vous pensez qu’au moins du temps de la vie incertaine que vous menez vous allez en profiter, ô cette guitare qui brise vos illusions, vous êtes déjà mort, votre corps est en train de pourrir, part en lambeau tout comme votre existence de profonde déréliction / coupure / peut-on dire que l’on vit lorsque la mort nous ronge de l’intérieur, qu’à peine sommes-nous nés nous nous dirigeons vers notre cercueil. Ce morceau d’une extraordinaire et implacable violence dégage la force des sermons funèbres de Bossuet que plus personne ne lit pour ne pas sentir la griffe de l’angoisse lui serrer la gorge, mais s’il est facile de refermer un livre, il vous sera plus difficile d’arrêter cette musique, elle dégage le chant vénéneux de l’accoutumance aux excitants les plus mortels. Le saint riff rédempteur : quelle rythmique écrasante, partout où elle passe la mauvaise herbe de la vie ne repousse pas, une seule solution, le fracas du riff rédempteur, la musique assourdissante qui recouvre les pas doucereux de la mort qui s’en vient à votre rencontre. Serait-ce un morceau d’espoir ? Non au mieux un hymne à la musique, mais la brutalité asphyxiante du morceau est sans appel, juste un cataplasme sur une jambe de bois pourri, le dernier sourire de votre enfant à qui vous promettez que tout va bien alors qu’il entre en agonie. La batterie enfonce les clous de votre futur cercueil et les guitares imitent les grincements de la scie qui découpe en tranches saignantes, lentement et sûrement, votre corps enfermé dans l’illusoire protection de la caisse en bois de l’existence. Mourir à petit feu en musique n’est-ce pas la seule consolation qui nous reste, mes très chers frères et sœurs ? Merci à Barabbas pour cet accompagnement de tonitruance délicieuse. C’était le morceau le plus optimiste. Dans le dernier tiers l’on entend la camarde avancer sur ses brodequins de plomb. C’est le cas de le dire, ça plombe un peu l’atmosphère.  De la viande : musique aussi épaisse que le matérialisme le moins éthéré. Le temps est un géant saturnien qui dévore à pleines dents ses enfants que nous sommes, nous ne sommes que de la viande dont se nourrit l’univers cannibale. Pas de rêve, nous serons bouffés jusqu’à l’os, la batterie comme une massue de boucher et les cordes comme des éviscérateurs qui nous arrachent les tripes. La messe humaine est un sacrifice sanglant. Inversion des valeurs divines. Marche funèbre. Rien ne survivra. Tic-tac, tic-tac, notre heure approche. Le cimetière des rêves brisés : imaginez l’inimaginable, des plaintes s’élèvent des tombes, les morts restent enfermés dans le regret de tout ce qu’ils n’ont pas accompli, la mort est une grande déception, l’on reste pris dans les glaces de nos remords de n’avoir pas su vivre. Existe-t-il un autre groupe français capable de produire un gloom aussi glauque, un doom aussi impitoyable, un bruit de fond aussi noir, et quand vous croyez que c’est terminé Barabbas rajoute une couche d’outre-noir, d’outre-mort, une espèce de tonnerre gigantesque qui recouvre le monde d’une couche sonore d’outre-tombe. Sous le signe du néant : éclair drummiques de lumière noire, un insecte géant bourdonne dans vos oreilles et vous empêche de vivre et de mourir, parce que vous êtes déjà mort, et que vous n’êtes qu’une goutte de ce néant qui n’est autre que la consistance de l’univers. Né pour le néant. Mort pour le néant. Vous n’êtes qu’une larve navrante, votre destin est inscrit sur une ligne dépourvue d’encre qu’il est inutile et impossible de lire, alors la musique vous submerge, toute révolte est nuisible, néant vous êtes, néant vous serez. Autant dire que vous n’êtes pas. Relisons le Traité du Non-Être de Gorgias.  Mon crâne est une crypte (et j’y suis emmuré) : douces sonorités, ne dureront pas longtemps, harmonium déglingué d’église en ruines, voici la consolation du pauvre d’esprit. Vous vous raccrochez à la seule branche de salut : vous-même. Attention les guitares vous avertissent des épines qui se plantent dans votre chair. Tant qu’une pensée tourne en rond dans votre tête tel un poisson rouge dans son bocal, vous pensez que vous existez, non vous êtes prisonnier de vous-même et vous êtes prisonnier de vous-même comme votre vie est enfermée dans votre mort. Rien ne sert de gémir. Rien ne sert de rugir. Jamais vous ne romprez le plafond de verre qui sépare la mort de la vie, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas de plafond de verre. Jamais vous ne vous évaderez de vous-même. Effondrement apocalyptique. Musique du néant translucide. La valse funèbre : dans la série save for me the last dance, final en danse macabre, lourde et bourbeuse, des squelettes s’extraient de l’humus et un cauchemar médiéval prend forme, Saint Rodolphe mène le bal, de sa voix il essaie de couvrir les entrechoquements osseux, mais ils s’agitent sans fin dans vos visions intérieures, un film en noir et blanc, un dessin désanimé d’aliénés en transe, la musique se fait lourde comme une pierre tombale, humour noir pour érotisme funèbre, les morts sont comme les vivants, ils singent la vie qu’ils n’ont pas su retenir. Comme vous ils n’ont pas su la vivre. Ce morceau est une grimace désespérée, un crachat à la face édentée du néant. Lorsqu’il s’arrêtera il résonnera longtemps dans votre tête. Sans fin. La mort appelle tous les vivants (outro) : cloche funèbre, la mort appelle tous les vivants, répétés sans fin, sans fard, l’appel a désormais le visage de l’épouvante, maintenant vous savez ce qui vous attend.

             Un chef-d’œuvre absolu, d’une extraordinaire densité, dont vous ne sortirez pas indemne. Esprits fragiles, s’abstenir. Âmes fortes s’obstiner.

             Désormais vous connaissez la musique que vos amis réunis autour de votre tombe écouteront lors de votre enterrement.

    Damie Chad.

     

    *

    Si vous êtes sages, le dernier bouquin de Dylan vous attendra sous le sapin avec le sourire d’Alis Lesley sur la couve. Chez Fayard ils n’ont pas perdu la boule (de Noël) z’ont pas raté le créneau, vous le font à quarante euros, vous le trouvez à 25 importé des USA, sur le net, certes toujours avec l’ensorcelant sourire d’Alis Lesley, mais écrit en la langue de Walt Whitman ce qui risque de refroidir bien des ardeurs. Je connais les rockers, Little Richard et Eddie Cochran en gros plan leur cœur va au moins s’arrêter de battre durant dix minutes, dans leur esprit de puriste la cote de Dylan va remonter à des altitudes jamais atteintes, c’est après que viendra la grimace, Damie un gros bouquin de philosophie plus de trois cents pages, encore un truc qui va nous prendre la tête, on se contentera de ta chronique, on ne la lira certainement pas, on s’achètera plutôt des disques…

             Chez Fayard ils ont vu venir l’embrouille, avec le placard de présentation de chacune des 66 chansons choisies par le père Zimmerman, les photos pleine-page et les documents d’époque, le temps de lecture est nettement moins impressionnant que le volume du book le laisserait craindre (ou espérer). En outre l’emploi d’une typographie moins tape-à l’œil réduirait considérablement les propos de Dylan présentés en double interligne agrémenté de caractères pour mal-voyants…  Soyons rassurés, l’empreinte carbone de cet exemplaire a été réduite et équivaut à seulement à 2100kg éq. CO2. Si vous êtes un écologiste manipulé par la propagande gouvernementale, nous vous conseillons d’attendre toutefois l’édition en livre de poche. Nous les rockers nous pensons que seule la progression du rock ‘n’roll dans les âmes de nos concitoyens sera à même d’enrayer le déclin de notre civilisation, nous nous dispensons donc de ce report pochothétique incantatoire.   

    PHILOSOPHIE

    DE LA CHANSON MODERNE

    BOB DYLAN

    (Fayard / Novembre 2022)

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             Le terme chanson, traduction du mot anglais ‘’song’’ peut être sujet à mésinterprétation en notre langue, on nous a tant rabattu les oreilles avec l’expression chanson française genre supérieur par excellence en totale opposition avec les barbares braillements du rock ‘n’ roll que nous nous permettons de spécifier que les chansons présentés par Dylan, sont des morceaux de gospel, de blues, de jazz, de rhythm ‘n’ blues, de rock , de pop, directement puisés dans le vivier de la culture populaire américaine…

             Les historiens ne s’entendent pas entre eux pour définir les limites chronologiques de la modernité. Si Dylan était français il est des chances qu’il eût employé la qualification de chanson contemporaine, pour faire simple la production de la chanson moderne visée par Bob Dylan commence au début des années vingt, en d’autres termes de la mise sur le marché des premiers 78 tours et ne va pas plus loin que la première décennie de notre siècle. Un détail d’importance elles ne sont pas rangées dans l’ordre chronologique. Si ce n’est peut-être celle de leur rédaction.

             Méthodicité dylanesque : d’abord le titre de la chanson, le nom de l’interprète, la date de sa sortie, les noms des paroliers et des compositeurs. On eût aimé que l’éditeur se soit inspiré de notre blogue et ait fait suivre ces données essentielles de la pochette ou de la photographie du disque, il n’en est rien.

             Ensuite la reproduction des lyrics de la chanson ? Ben non, Dylan est un peu plus vicieux, il nous offre sa propre évocation des lyrics sous forme d’une espèce de commentaire qui essaie davantage de transcrire ce que veulent dire ou peuvent signifier les paroles. Parfois il s’arrête-là et passe à la chanson suivante.  

             Souvent Dylan nous fait suivre cette première approche de ce que l’on pourrait appeler une petite étude sociologique des conditions qui ont favorisé l’écriture de la chanson. Exemple l’attrait des ‘’ bons’’ salaires que proposaient les usines de voiture de Chicago sur les populations noires du Sud.  Entre nous soit dit rien de bien novateur. Parfois ce laïus est agrémenté (ou remplacé) de l’origine sociale de l’interprète, par exemple comment Dion d’origine italienne est dès son adolescence motivé par la carrière fulgurante de Frank Sinatra fils d’un père sicilien.

             Le lecteur se fera la remarque que la démarche dylanienne si elle ne manque pas d’une certaine logique explicative n’en est pas pour cela très philosophique. Il aura raison, pas la moindre trace d’une induction philosophique dans ces trois cents pages. Ce qui ont lu Tarentula, Chroniques et le Discours de Réception à l’Académie de Suède n’en seront pas surpris. Dylan en ces trois écrits ne s’aventure jamais dans le domaine philosophique. A peine s’il cite une fois, sous forme de boutade, dans cette Philosophie de la chanson moderne le nom d’Aristote.

             Pour comprendre l’emploi de ce terme de philosophie, il est nécessaire de s’aventurer dans le troisième développement qui fait suite à l’évocation des lyrics et au topo sociologique précédemment abordé. Notons que cette partie acquiert de plus en plus d’étendue au fur et à mesure que l’on aborde le dernier tiers du volume. Ce qui nous a laissé supposer à une présentation chronologique de l’écriture de ses soixante-six chapitres. Dylan se lâche, il s’éloigne de son sujet, il nous fait part de ses réflexions. Au pire sous une manière un peu condescendante : vous croyez que, vous pensez que, eh bien non c’est toute autre chose, écoutez-moi bien je vous tapote un topo au top, au mieux il aborde des sujets qui lui tiennent à cœur, la nature humaine ( pas très optimiste quant à son amélioration ), la nocivité de l’argent, la stupidité des guerres qui ne profitent pas à ceux qui se font tuer, les manipulations politiques, et désolé pour nos lectrices, cerise empoisonnée sur le gâteau avarié, il n’a pas l’air de penser que l’influence d’une épouse ou d’une compagne n’est pas obligatoirement bonne sur le pauvre gars qu’elle a pris dans ses filets…

             Celui qui dans sa jeunesse a écrit The Times, there are a-changin’ n’y croit plus. Nous fait part d’un pessimisme désabusé, jamais une génération n’aura appris et n’apprendra rien de celle qui l’a précédé ou de l’Histoire, Dylan dénonce l’éternel retour du même (rien à voir avec l’Eternel Retour nietzschéen), les mêmes erreurs sont sempiternellement répétées par les générations qui se suivent, aucun progrès possible, de siècle en siècle nul progrès, le même film se répète indéfiniment, l’espèce humaine ne s’améliore pas, elle n’empire même pas, elle reste confinée dans sa médiocrité constitutive…

             Dylan pense par lui-même, il ne s’insère dans aucune tradition philosophique, se fie à son expérience, à ses propres déductions, ce qui ne signifie pas qu’il profère des idioties à longueur de page.

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             Après avoir traité dans notre première partie ce que dans son Introduction à la philosophie Karl Jaspers conceptualisait sous le nom de l’englobant, passons à l’englobé.

    D’abord, deux petites merveilles. La première c’est Key to the highway, de Big Bill Bronzy mais dont il préfère la version de Little Walter. Ce qui est fabuleux dans ce chapitre 41 ce n’est ni la chanson, ni l’interprétation de Little Walter mais la façon de Dylan de présenter Little Walter, oui c’est un grand harmoniciste, mais Dylan insiste sur un autre aspect, il le présente comme l’un des plus importants vocalistes du blues. Perso je pense qu’il exagère un peu, mais ce qui est beau c’est son enthousiasme, son élan qui transcende son écriture, et vous obligera à réécouter quelques titres du petit Walter.

             La deuxième au chapitre 22 c’est El Paso de Marty Robbins (1925 – 1982). J’avoue avoir été un peu déçu par l’écoute de cette balade, à la guitare si timidement mexicaine. Elle a tout pour plaire, un saloon, une fille, des colts, du sang, des morts, mais la voix de Robbins si sereine… Dylan vous la raconte à sa manière, la transforme en tragédie grecque, en drame biblique, l’en n’extrait pas la substantifique moelle, l’en fait le symbole de toute existence, vous rappelle que le noyau du fruit de l’amour reste la mort. Vous dresse en même temps le portrait de l’Amérique profonde entre péché et rédemption L’en profite ensuite pour nous présenter le grand-père de Marty Robbins, Robert Texas Bob Heckle, qui eut douze enfants, participa à la guerre de Sécession, combattit les indiens au côté de Custer, auteur d’un livre de poésie : Rhymes of the frontier. L’on sent Dylan, fasciné par cette passation générationnelle de témoin entre l’Histoire, la Poésie, la Musique (country) indissociablement liées dans le Mythe. Dans le Récit mythifié de l’Amérique. Le projet même de l’écriture de ses propres chansons. Ne précise-t-il pas que El paso s’inscrit dans la tradition de la chanson engagée initiée par Woody Guthrie, à lire les lyrics nous ne soutiendrons pas cette assertion, mais cette proclamation dylanienne est des plus significatives.

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    Chapitre suivant ( 23 ), Le Nelly was a lady interprété par Alvin Youngblood Hart n’aurait pas excité ma curiosité si sur la dernière page n’était écrit en gros caractères que son compositeur  ‘’Stephen Foster tient d’Edgar Poe’’. Jusques alors j’associais le nom de Stephen Foster au traditionnel Oh Suzanna ! Cela demandait quelques éclaircissements. Eliminons les scories, Alvin Youngblood Hart est né en 1963, sa date de naissance le blackoute d’office de nos recherches. Sans regret puisque son interprétation n’est guère impérissable. Une voix sans timbre assez proche de celle de Martin Robbins, lorsque l’on pense au phrasé si particulier de l’auteur de Like a rolling stone l’on est étonné de ses admirations. Edgar Poe né en 1809, mort en 1849. Stephen Foster né en 1826, mort en 1864. Tous deux décédés dans la misère. Le lecteur pourra contempler ci-dessus la photo de Stephen Foster et la comparer ci-dessous avec celle d’Edgar Poe et qu’il en tire les conclusions qu’il voudra. Je ne sais si Foster a lu Poe. Mais une de ses chansons a pour titre Eulalie, et Nelly was a lady, n’est pas sans évoquer la thématique d’Annabel Lee, et il est répété que Nelly était une fille de l’Etat de Virginie. Une femme aimée morte, Eulalie et Virginie prénoms ô combien essentiels à l’œuvre et à la vie de Poe, cela fait beaucoup. Si j’ai bon souvenir, il me semble que dans Chroniques Dylan précise qu’il a lu les poèmes de Poe… Cela demande vérification.

    Un pas vers le rock ‘n’roll. Chapitre 28. Une chanson de Vic Damone. On the street where you live. A l’origine elle fut chantée par Dean Martin (voir chapitre 47). Damone est un crooner, Dylan aurait pu trouver un chef-d’œuvre de Sinatra (l’est au chapitre 62) pour illustrer ce genre. Un de ces premiers chapitres est d’ailleurs dévolu à Perry Como (voir chapitre 3), preuve par neuf qu’il sait être pertinent. Chanson très bien écrite, précise-t-il jouant sur les sonorités des épiphores, il cite par exemple le mot before, l’on pense au nevermore du Corbeau d’Edgar Poe, l’on a surtout l’impression qu’il cherche à prévenir les remontrances de ce choix dont l’évidence ne s’impose pas. De fait Vic Damone ne le séduit guère, l’est beaucoup plus intéressé par sa femme Pier Angeli. Si ce nom ne vous dit rien c’est que vous n’êtes pas un accro de la légende de Jimmy Dean. N’oubliez pas la carrière cinématographique du chanteur d’Hurricane. Il y eut idylle entre James Dean et Pier Angeli. La mère de cette dernière la dissuada de se marier avec un personnage si sulfureux. Pier se rabattit sur Vic Damone. (Elle divorcera quatre ans plus tard). L’on raconte que le jour du mariage de Pier James Dean se posta dans la rue devant chez elle… Bien plus âgée, elle proclamera que Dean fut le seul qu’elle aima vraiment…  L’anecdote (vraie ou fausse) a dû marquer Dylan, il s’attarde longuement sur le ‘’résumé’’ de la chanson affirmant que ce genre de situation est arrivé à tout un chacun. Donne surtout l’impression qu’il fait allusion à une déconvenue personnelle... Messieurs les biographes, au travail.

    De James Dean le rebelle sans cause, la route vers les pionniers du rock est toute tracée. Les notes qui leur sont consacrées ne sont pas les plus pertinentes, tous ne sont pas invités même si l’on retrouve Eddie Cochran, Gene Vincent en photos, Elvis deux fois avec des morceaux inattendus et une réhabilitation du Colonel Parker, Little Richard deux fois, Carl Perkins, Ricky Nelson, Roy Orbison, Sonny Burgess, nous ne citerons pas, par pure commisération humaine, ni le nom de son périodique, ce journaliste qui se demande quel lecteur doit connaître cet inconnu dont manifestement lui-même n’a jamais entendu parlé, ne doit pas manger tous les jours des  Burgess King à la cantine du rock’n’roll. Tout le monde n’a pas un appétit d’alligator.

    C’est peu selon nous, mais le plus étrange c’est que Dylan à part Pete Seeger n’octroie aucun chapitre aux grands noms du mouvement folk, lui qui est réputé pour être capable d’avoir mémorisé paroles et accords de centaines de titres transmis de bouche à oreilles depuis la naissance des Etats Unis, veut-il nous faire comprendre qu’à part lui… Par contre il accorde une meilleure place aux outlaws du country, deux chapitres à Johnny Cash, deux à Willie Nelson dont un avec Merle Hagard, un à Waylong Jennings. Peu de grands du blues, si on compare avec les entrées réservées aux crooners il suffit de rajouter Jimmy Reed à Little Walter. De même de l’efflorescence des groupes anglais des années soixante seuls les Who tirent leur épingle du jeu. Que l’on n’aime ou pas, l’on attendait au moins les Beatles qui eux-mêmes composaient leurs morceaux, ce qui n’est pas le cas de bien des chanteurs présentés, mais Dylan ne s’intéresse pas aux chanteurs même s’il est obligé de les mentionner, il nous parle de chanson, entendons par là qu’il n’a pas écrit une histoire chronologique de la chanson, il ne vise pas à l’objectivité, les chansons qu’il nous découvre sont celles qu’il a entendues et qui pour des raisons diverses sont devenues, par les thèmes qu’elles abordent fondamentales et exemplaires pour lui. Très significativement la table des matières ne donne que les titres et ne mentionne nullement les interprètes.

    Le lecteur risque d’être surpris, étonné, mécontent, mais en fin de compte émerveillé des découvertes que la lecture de ce livre lui permettra. Notre propre lecture s’avère faute de temps, de préjugés, et de préférences personnelles partielle et partiale. Je ne voudrais pas insinuer que Dylan a un goût de midinette, mais il ne vise pas les grandes chansons qui font l’unanimité, il y est bien obligé parfois, mais à analyser quelque peu les textes qu’il met en avant, l’on constate qu’il est très porté vers des morceaux à forte fréquence sentimentale, teintés d’un romantisme pâlichon, qu’il tempère par une fascination évidente pour des titres que nous qualifierons de westerner. Très typique de l’intello qui ne se départit jamais d’une tendresse certaine pour les mauvais sujets.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 9 ( SPORTIF ) :

    45

    Je n’avais qu’à franchir le seuil. Ce n’est pas que j’hésitais, j’attendais quelque chose, je ne savais quoi, la pièce qui s’ouvrait devant moi était plongée dans l’obscurité, mais mes yeux commençaient à s’habituer à la pénombre, peu à peu je discernais une indistincte large étendue blanchâtre, pas très éloignée de moi, je mis quelques minutes à comprendre qu’il s’agissait d’un mur, je réalisai subitement que la porte donnait sur un couloir.

    Je me glissai sans bruit dans le corridor. J’esquissais quelques pas, devant moi je ne discernais plus rien, était-ce prudent d’avancer, je tergiversais en moi-même, n’était-ce pas un piège… Je serrai la crosse de mon Rafalos 21 un peu plus fermement, dans la vie il faut savoir prendre des risques, je regrettais de n’avoir pas emmené les cabotos, Molossa aurait flairé le danger, je fis un pas en avant, puis un autre, et encore un autre, à ma grande stupeur je butai contre un mur. Ce couloir était-il un cul de sac. J’explorais d’une main prudente l’espace sur ma gauche. Le plâtre de la cloison laissa place à un chambranle de porte. Je n’eus pas à l’ouvrir, mes doigts rencontrèrent une fente, elle était entrebâillée, à peine, de deux ou trois centimètres, je me préparai à la faire tourner à la volée sur ses gonds et à pénétrer sauvagement dans la pièce, lorsque…

    46

    Une lueur, imperceptible, mais indéniablement là, elle tremblota, faillit s’éteindre, se stabilisa, et bientôt dégagea comme un halo diffus. Je poussai doucement la porte, elle ne grinça pas, la lumière n’éclairait pas vraiment la pièce, la source en était située à quelques mètres sur ma gauche. Il y eut comme un glissement furtif, suivi d’un léger tapotement, quelqu’un avait posé la lampe sur une table, un bruit plus sec, une chaise que l’on tire sur le plancher, d’ici quelques secondes l’on me priera de passer à table, gambergeai-je dans ma tête, non, je faisais fausse route, il y eut un murmure tout doux, un bruissement de vent dans les feuilles automnales d’un platane, et une frêle mélodie s’éleva, je la reconnus, Evil woman don’t play your game with me, de Black Sabbath, jouée très lentement, à la rendre méconnaissable, je m’avançais, j’entrevis une épaule, l’ombre d’un piano et une blonde chevelure, tout se brouilla dans mon esprit, Alice, oui mais laquelle des deux, dans la pénombre j’étais incapable de savoir, et puis cette situation un peu ridicule, l’on se croirait dans une scène du Grand Meaulne, n’importe laquelle des deux, I want play her game with me !

    47

    Je n’eus pas le temps de me jeter sur elle, Alice se leva et se tourna vers moi, c’était mon auto-stoppeuse !

             _ Tu en as mis du temps pour revenir, je t’attends depuis si longtemps !

    Elle se jeta dans mes bras que je refermais sur son corps d’adolescente comme les serres d’un aigle sur sa proie.

             _ Viens, elle m’entraîna dans un coin de la pièce, je n’eus que le temps d’apercevoir un lit à baldaquin, nous roulâmes sur un gros édredon en plumes d’oie et nos lèvres se rejoignirent.

    Je ne sais pas si beaucoup de lecteurs ont déjà fait l’amour avec une morte, pour ma part je ne saurais les en dissuader. Notre étreinte fut âpre et sauvage. Elle confina à la folie et à l’hystérie, une goule pensais-je avec volupté, je m’enfonçais à plusieurs reprises dans sa chair tumultueuse, j’avais l’impression de pénétrer dans le cratère d’un volcan en éruption, elle geignait et poussait des hurlements, je mordais ses seins et elle engouffra mon vit dressé dans sa gorge pantelante, je ne sais combien de temps dura cet emportement fort récréatif, lorsque je m’éveillai dans des draps trempés de sperme et de foutre, je crus que c’était les lèvres d’Alice sur mon cou qui m’invitaient à de nouvelles folastries, c’était Molossa. Un raclement sous le lit m’apprit que Molossito obéissant à mes ordres n’avait pas quitté d’une patte sa mère adoptive.

             _ Tu as eu ce que tu as voulu, maintenant il faut payer !

    La voix rauque et sardonique me fit reprendre mes esprits. Deux points rouges dans le noir de la pièce confirmèrent ce que je savais déjà. Elle était là, la Mort avait décidé de me tuer. Mes chiens me sauvèrent-ils la vie ? Toujours est-il qu’en une seconde Molossa me ramena mon slip et je saisis dans la gueule de Molossito mon Rafalos 21 qu’il avait déniché sous le lit. Tout de suite je me sentis mieux, il n’y a rien à dire un slip et un Rafalos 21 vous confèrent une certaine dignité non négligeable dans les situations de crise !

             _ Pauvre imbécile crois-tu faire jeu égal avec moi !

             _ Ecoute vieille cocotte déplumée, viens me chercher si tu l’oses !

    La gent féminine n’aime pas que l’on insiste sur son âge, elle bondit vers moi, elle était tout près, silhouette noire dans un manteau aux senteurs de putréfaction, je laissai s’approcher jusqu’à visualiser sa tête squelettique, elle crut que je j’étais tétanisé par la peur, lamentable erreur de sa part puisqu’un agent du SSR n’a jamais peur, mon Rafalos 21 lui envoya pratiquement à bout portant une bastos dans le crâne. Bien sûr elle n’était pas morte, les points rouges de ses deux yeux ne cillèrent point, mais des éclats d’os s’éparpillèrent un peu partout.

             _ Tu ne perds rien pour attendre !

    Je me moquai d’elle lorsqu’elle courut dans la pièce à la recherche de ses os, je reconnais qu’elle les retrouva assez facilement et que bientôt elle revint vers moi, avec son visage reconstitué par je ne sais quelle magie. Elle fonça sur moi, mais une deuxième balle en plein dans sa bouche éparpilla ses dents qu’elle tint à récupérer avant de revenir à l’attaque. Les heures qui suivirent furent longues. Je n’ignorais pas qu’elle finirait par gagner, malgré Molossito et Molossa qui tentaient vainement de la faire trébucher. Je n’avais que trois chargeurs, de cinquante projectiles chacun, le Rafalos 21 avait beau causer d’innommables dégâts et détruire à chaque tir toute une partie de son squelette, rien n’y faisait, elle ricanait, récupérait ses ossements et remontait inlassablement à la charge. Au bout de trois heures je me trouvais à court de munitions. J’étais bloqué dans une encoignure, Molossito et Molossa mordaient à pleines dents son manteau, elle tendit sa main vers mon cœur, à trois centimètres elle arrêta son geste :

    • Tu as été courageux, regarde-moi bien dans les yeux avant de mourir !

    Je fixais ses yeux chargés de haine et de cruauté. Brutalement je ne vis plus rien, un bruit énorme résonnait dans ma tête

    • Agent Chad, me laisseriez-vous s’il vous plaît le temps d’allumer un Coronado !

    Avais-je la berlue, le sol était recouvert de poudre d’os, il y en avait qui volait encore en l’air !

             _ Chef, vous l’avez tuée, comment avez-vous fait !

             _ Agent Chad ne prenez pas vos rêves pour des réalités. Regardez mieux, ses deux petites boules rouges sont toujours là, mais dissociées, elles flottent indépendamment l’une de l’autre, elle est vivante mais bigleuse, il faut d’abord qu’elle retrouve ses pupilles, ce qui nous laisse le temps de rentrer au local.

    _ Mais comment avez-vous réussi, je lui ai tiré cent cinquante bastos avec mon Rafalos 21, et vous d’un seul coup, vous la mettez hors d’état de nuire pour un bon moment !

    _ Agent Chad, il faut vivre avec son temps, faites comme moi, achetez-vous un Rafalos 25, il tire des projectiles quantiques, ils ne perforent pas, ils démantibulent totalement la structure moléculaire de leur cible, méchamment efficace, n’est-ce pas ?

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    Je n’étais pas au bout de mes surprises. J’avais naïvement cru que le Chef avait eu des remords de me lancer tout seul dans cette terrible aventure, qu’il m’avait suivi discrètement et n’était intervenu en tout dernier ressort me voyant acculé et prêt à succomber. Mais le lendemain lors de mes retrouvailles au local il démentit mon scénario.

             _ Agent Chad, c’est ce que j’aurais dû faire, je regrette mon erreur d’appréciation, ce n’est pas du tout cela, tenez regardez !

    Et il ouvrit son tiroir à Coronados…

    A suivre…