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la crampe

  • CHRONIQUES DE POURPRE 444 : KR'TNT ! 444 : LA CRAMPE / WEIRD OMEN / SUICIDE COLLECTIF / DAVE VAN RONK

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 444

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    26 / 12 / 2019

     

    LA CRAMPE / WEIRD OMEN

    SUICIDE COLLECTIf / DAVE VAN RONK

     

    VOUS EN AVEZ DE LA CHANCE !

    LA LIVRAISON 444 ARRIVE EN AVANCE !

    PAR CONTRE NOUS SERONS UN PEU RANCES

    POUR LA 445 QUI SERA EN PARTANCE

    APRES TROIS JOURS D'ERRANCE...

    BONNES VACANCES !

    KEEP ROCKIN' AND DANCE !

     

     

    La Crampe tear sa crampe

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    Elle a tout compris. Elle s’appelle Fanny et elle tear it up, comme dirait Johnny Burnette. Ce qu’elle tear n’est pas ce que vous croyez, elle tear up le mad genius de Lux Interior, elle entre dans le mondo bizarro des Cramps à coups de cello et de bravado vocale et si nos souvenirs sont exacts, elle fait ce que fit Lux pendant trente ans : mener sa bacchanale à la bravado pure et dure. Fantasy, power and boogaloo, telles sont les trois mamelles de ce vieux mythe que sont devenus les Cramps.

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    Pari gonflé : jouer les cuts des Cramps au violoncelle, ça pourrait presque passer pour une belle arnaque intellectuelle. Quoi ? Pas de fuzz ? Pas de heavy beat ? Tout repose sur une allégresse vocale hors normes, un sens aigu du va-comme-je-te-pousse, une espèce de démesure cabaretière sans foi ni loi, un rigoletto savamment décomplexé, elle allume son buzz buzz à la hussarde, elle poivre on Saddle up à la régalade, elle dégouline d’allure véracitaire, elle est l’une des plus crédibles crampoulettes qui se puisse imaginer ici bas. Oui, on peut dire qu’elle a pigé l’essentiel : le mad genius de Lux Interior repose principalement sur l’interprétation. Quand Lux tape dans «The Crusher», il devient un catcheur mexicain plus vrai que nature, rrrrrahhhh, de la même façon que De Niro devint Jake La Motta pour les besoins de Ragging Bull. Quand Lux tape dans «Goo Goo Muck», il gratte ses puces comme le faisait King Kong dans sa forêt de Skull Island, avant que Carl Derham ne vienne le capturer. Quand Lux tape dans «She Said», il s’enfourne un gobelet dans la bouche pour rivaliser de dinguerie fulminante avec le plus dingue d’entre les dingues, Hazil Adkins, et il y parvient. Fanny y parvient elle aussi, elle balance une version de «She Said» qui vaut son pesant de hou hi ha ha/hou hi ha ha, elle s’en donne à cœur joie et chante ça à la glotte folle, bien épaulée par le tatapoum d’Olive, son drumbeat man planté de l’autre côté de la scène et qui donne au passage une brillante leçon de désinvolture.

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    L’autre notion fondamentale des Cramps sur laquelle Fanny s’est penchée, c’est bien sûr celle du mondo. Les Cramps surent en leur temps créer un univers à base de films fantastiques, de singles rares, de voodoo, d’exotica et de sensualité, en conformité avec le fameux sex & drugs & rock’n’roll qui sous-tend l’esprit d’un phénomène socio-culturel moderne qu’on appelle le rock. Le sexe des Cramps n’est jamais vulgaire, les drogues des Cramps sont tellement discrètes que personne n’en parle. La Crampe, c’est exactement le même esprit. Fanny démarre son set enveloppée dans un manteau et dix minutes plus tard elle trouve qu’il fait chaud - It’s hot in here, isn’t it ? - Elle tombe le manteau et devient Chihuahua Pearl, l’aventurière de saloon qu’on croise en petite tenue dans les aventures de Blueberry, et pouf voilà Fanny en corset et bas résille, il ne lui manque que le cigare et le colt Cobra 38 special planqué dans la bottine à boutons. Cette esthétique de saloon bitch renvoie directement à Ivy. Fanny et Ivy même combat ! T’as voulu voir Vesoul et t’a vu la Crampe !

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    Mais ce n’est pas tout. Elle pousse encore le bouchon en fabriquant le décor. Ça tombe bien, dans le civil, elle travaille le métal, elle brase et elle soude, she welds it up ! Son pied de micro pourrait en effet sortir tout droit du cerveau purulent de HR Giger : avec une chaîne de moto, elle fait de l’Alien pur et dur. L’objet haut de deux mètres pèse une tonne. Pareil pour la chaise haute sur laquelle elle s’installe pour jouer, c’est un objet d’art pensé/soudé/limé/poncé à la Tinguely, weird-weld iron shoot, mêmes réflexes à base de récup et de confrontation avec la matière, même sens de la possibilité d’une île, lorsqu’un objet condamné à disparaître trouve sa vocation dans l’incongruité. Le pompon est sans doute la lampe tournante installée au fond sur l’ampli basse : posée sur la platine d’un petit tourne-disque rescapé des sixties, elle démarre une nouvelle carrière en arrosant la scène de lumière rococo. Avec tout ça, les cuts des Cramps arrivent forcément comme la cerise sur le gâteau. Rien n’est plus capiteux, plus exaltant que l’expression de la cohérence artistique. Songez-y. D’autres très grands artistes ont aussi compris cela, l’importance qu’il faut attacher au décor. Quand on voyait Beat Man (en solo, avec sa petite lampe, sa valise et ses instruments de bric et de broc) ou Queen Adreena (ambiance de catacombe avec des linceuls sur les amplis), on ne pouvait pas s’empêcher de penser à Kantor et à son obsession maladive de l’acte créateur. Chez lui, les objets du décor jouaient un rôle capital. Pas de Classe Morte sans les bancs d’école. Avec toute la modestie qui lui incombe, Fanny inscrit la Crampe dans cette prestigieuse lignée. La Crampe sur scène ? C’est quasiment gagné d’avance. On reconnaît les grands artistes à leur capacité à lever une pâte de temps, c’est-à-dire l’heure de spectacle. Et c’est sans doute beaucoup plus difficile en matière de rock que d’avant-garde théâtrale, telle que la concevaient tous ces grands maîtres de l’épate contextuelle que furent Kantor, Barba et Peter Brook.

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    Pour conclure le déballage de Raymond la Science, citons Tav Falco, passé lui aussi maître en épate contextuelle (sidérante prestation au Silencio, on y reviendra) : «Les Cramps furent un groupe de rockabilly post-moderne qui par sa grandeur incarna le Théâtre de la Cruauté, tel que défini par Antonin Artaud.»

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    Hou hi ha ha ! On est en plein dans le Théâtre de la Cruauté, aucun doute, hou hi ha ha ! Pour En Finir Avec Le Jugement de Dieu, c’est les Cramps en 1947, alors vous lui réapprendrez à danser à l’envers comme dans le déliiiiire des bals musette, and I need a new kind of kick ! Et cet envers sera son vériiiitable endrrroit ! Bon, Fanny ne reprend pas «New Kind Of Kick» sur scène, mais elle attaque son set à l’arrache malgache, Craaaaamp Stomp ! C’mon baby, get ya high as King Kong twat, elle ne gratte pas ses puces mais son violoncelle à coups d’archet, elle module ses attaques sur le tatapoum d’Olive et comme les deux font bien la paire, ça tourne vite au beautiful ramdam de bric et de broc ! Rien de plus crampsy que cette débauche de beat hagard et grincheux, le crin-crin amène une overdose de bringueballage déambulatoire. Leur ramdam monte vite au cerveau. Pas besoin de prendre des trucs. Elle enchaîne avec «The Way I Walk», clin d’œil superbe à l’immense Jack Scott récemment disparu, c’mon baby love me right. Fanny fait couiner la mythologie (ça lui fait du bien), elle fait grincer les portes vertes et voilà qu’elle s’en va faire sa bad bad girl avec un «Like A Bad Girl Should» transformé pour le coup en rengaine insistante et prodigieusement balancée. Elle tombe sur le râble du refrain avec des ahhhh orgasmiques assez troublants, ça devient même complètement surréaliste puisque la voilà encore plus royaliste que la reine en bad girl de cartoon américain - Bad bad/ bad bad girl ! - Magique élan prolétarien, hommage stupéfiant aux Cramps. Elle buzze ensuite un coup d’«Human Fly» et l’introduit à la couinante supplétive, vite reprise par le heavy beat tribal à dix balles d’Olive. Ils invoquent si bien l’esprit des Cramps qu’il en devient palpable.

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    C’est presque un numéro de médium. Elle s’en va sculpter le chant au sommet des ninety-six tears et replonge dans l’enfer délicieusement grinçant de l’infernale transmutte combinatoire. Rock tonite ! Buzzzzz ! Rock it right ! Dommage que Lux ne puisse pas voir ça. Le cello et la caisse claire se livrent un combat sans merci dans «The Most Exalted Potentate Of Love», l’un des cuts les plus âpres des Cramps. Quasi-intouchable. Wow, ils en sortent la plus honorable des versions couinantes et trébuchantes, le cello parvient même à orientaliser la moelle de la Potentate qui n’en demandait pas tant. Et comme si ça ne suffisait pas, elle file droit sur «Faster Pussycat», un cut encore plus difficile et certainement le plus ambitieux jamais entrepris par les Cramps. Épique et perché, Faster ne se laisse pas dompter, Fanny et le Professor qui tente lui aussi de s’y frotter peinent à en tenir les rênes, comme si Lux était le seul au monde à pouvoir l’interpréter, alors Fanny se bat avec son Faster, elle parvient miraculeusement à rester juste et passe le beau break instru à coups d’archet rageur, fabuleux brouet de crin-crin qui encore une fois transporte les Cramps au château de Versailles parmi les emperruqués et les fardés de la cour. Barry Lyndon meets the Queen of Pain ! Fantastique énergie ! Ils dégagent à deux autant d’énergie qu’une centrale nucléaire et elle finit à la hurlette de Hurlevent, dans un délire de tortillettes extrapolatoires. Il faut aussi la voir driver un Saddle Up emmené au beat des reins en rut, salement cadencé, Olive le tape à la cloche de bois, baby rock tonite, rien de plus crampsy que ce shoot infernal de buzz buzz. Elle joue «Fever» toute seule et maîtrise bien la jazzification des choses, parfaitement à l’aise sur les contretemps de ce drive cellico-jazzy. Elle swingue le chant comme si elle avait passé toute sa vie à se produire dans les clubs de Harlem - Fever in the morning/ Fever all through the nite - et Olive revient pour le dernier couplet, tac-tac en place pour un tact de fin. Ils finissent la conquête du bar avec la triplette de Belleville «You Got Good Taste»/ «What’s Inside A Girl»/ «She Said», véritable shoot fulminant. Il faut voir l’Inside couiner et tatapoumer comme si de rien n’était. Olive ramène pour l’occasion toute la dynamique du rockab, il tape à la relance insistante et bigne sa cymbale au coin du bois, comme un bandit de grand chemin. Au point où on en est, on pourrait même insinuer que leur version de «She Said» est la plus sauvage de toutes, tellement Fanny se jette avec la bataille dans la balance, elle chante de toutes ses forces et ça explose à tous les sens du terme. Un régal pour un rockab comme Olive qui joue ça au fouetté de huitième de cavalerie, Hopalong, c’est lui, et pendant ce temps Fanny hou-oute à s’en arracher la rate. Tank youuu, tank youuuu ! Elle est délicieusement drôle, tout le bar rigole. Pour finir, elle atteint le summum de l’American despair avec un «Lonesome Town» joué à la scie musicale ! Sans doute le moment le plus sensiblement intense de son show. Elle dérive dans la mélodie et fait pleurer sa vieille scie rouillée. On croyait ce numéro réservé à l’élite. Fanny va vous scier quand vous la verrez. Vous voilà prévenus.

    Signé : Cazengler, la Crêpe

    La Crampe. Le Ravelin. Toulouse (31). 7 décembre 2019

     

    Et spiritus sancti, Omen

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    S’il est un groupe qui a su créer son monde, c’est bien Weird Omen. Comme Jim Jones, ils font appel à Jean-Luc Navette pour dessiner la pochette de Surrealistic Feast, leur troisième album.

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    Au vu du médium, on sait exactement ce qui nous pend au nez. On entre alors dans cet album comme on entre dans le cabinet du médium, «A Place I Want To Know». Un son distinct de naissance, distinct de sang, distinct de lignée, cisaillé dans l’âme des tibias, stupéfiant et dépenaillé à la fois, hardi mais brutal, un vrai punch-up. Comme si on recevait un coup à l’estomac. Ils ne sont que trois mais ils dépotent tout le volume de l’enfer à coups de pouet pouet. Dans l’esprit, ça flirte avec le chaos de Fun House, avec une vielle impression de jamais vu, de fumées, de lumière rouge, les trois Weird Omen explosent au quart de tour avec des pauses en forme de chutes du Niagara, le son tombe du ciel comme un déluge, cataplasmé par une frappe in-cro-ya-ble-ment frappadingoïdale. Il s’appelle Rémi Lucas et il réincarne à lui seul deux siècles de forges du Creusot, mais il faut imaginer ces forges amphétaminées. Power & drive. S’ensuit un «Wild Honey» d’une très rare violence et ils reviennent jiver le cabinet branlant du médium avec «Please Kill Me», une sorte de heavy groove garage de Johnny fais-moi mal assez obsédant. Un démonologue dirait que ça sort de la cuisine du diable. Ça parait en effet chanté au fond des bois, et ce solo digne d’entrer dans la petite boutique des horreurs entre en collision avec une turbulence de saxophone. Devant un groupe qui sort un son pareil, on ne peut faire qu’une seule chose : s’agenouiller pour prêter allégeance. Tiens puisqu’on parle du diable, voici «The Goat». C’est là qu’ils révèlent leur vraie nature : ce sont des fous du son. Ils ne vivent que pour le heavy sludge, mais un heavy sludge qui ne doit rien à personne, même pas aux Stooges et encore moins à Monster Magnet. Leur son sent la terre humide et les coups de wah dégagent l’âcre odeur du génie putride. Ils chantent «Trouble In My Head» à plusieurs voix, ils crucifient leur garage au Golgotha, sous un ciel noir comme le cul d’un esclave nègre. S’ensuit un «Out Of My Brain» battu et riffé comme plâtre, leur garage n’a plus rien à prouver. Ils sont déjà si loin devant. Ils battent encore tous les records de démesure avec un «Earthworm» tapé à la définitive. «Earthworm» explose à la face du monde. Les vagues de son déferlent sur «Earthworm» et avec sa guitare, Martin Daccord part en vrille de néant absolu. On plonge avec délice dans le bain d’acid de «Collection Of Regrets», nouveau hit heavy et conquérant, sans foi ni loi. Les clameurs tombent du ciel et tu ne peux rien y faire.

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    Si on aime les très grands disques, il faut écouter Breakfast Before Chaos. Un cut comme «Stranger» donne une idée assez juste de la modernité, une modernité de baraque foraine, avec une forte odeur de friture. «Stranger» frit vivant devant nous, les Weird Omen sortent un son saigné aux quatre veines et nous mettent de la stoogerie plein la vue. On prend la wah en pleine gueule, c’est un son qui avance à marche forcée, chaussé de plomb. Effarant ! Même quand ils proposent un petit garage vite fait comme «Extatique», c’est wild au-delà de toute espérance, et le diable sait si l’espoir fait vivre. Retour aux incendies volontaires avec «Back From WBB», véritable downhome d’overwhelmed Weird Omen. Avec ce huge shoot d’overdose, ils passent de l’autre côté du miroir. «Transcontinental», c’est Bo Diddley accompagné par les éléphants de Salammbô. Ils sortent un son bourrelé de démesure, ils chantent au sucre de My Friend Jake, ils saturent tout d’allant définitif, ils touillent leur fournaise à coups de tridents soniques - I hate you ! - Ils enchaînent avec un «Saturday Nights Are Gone» encore plus insensé, Fred Rollercoaster joue du sax errant et paf, ça explose, on s’en doutait, mais quand ça explose chez eux, mieux vaut s’accrocher à la rampe, ils travaillent la tempête au long cours, le sax fracasse le plafond de verre, ils font sauter leur Saturday comme on faisait sauter la Sainte-Barbe autrefois, à coups d’overdose de claquemure cataclysmique. Seuls les Weird Omen sont capables de fourbir un final screamé comme celui de Saturday. Ils sont aussi capables de gras double («Complications») et d’arpèges sixties («I Think I’m Going Down»). Mais ils préfèrent plonger dans la folie et «Tumblin’ Down» sonne comme l’au-delà du rock français, c’est le Weird Sound à base de wah et de crises, une sorte de summum de mad frenzy. «Don’t Know Why You Go Away» monte tout seul en température. Sur cet album, chaque cut est frappé au maximum des possibilités. Le son happe et fond systématiquement. Le Weird Sound rôde dans le marigot comme un vieux croco. Quand il ouvre le bec, c’est trop tard, t’es baisé. Ils terminent cet album faramineux avec «Sunday Drowning» et son bouquet de clameurs. Ça couine dans l’air brûlant, comme si des milliers de guerriers sortaient d’un désert de l’Antiquité. Les Weird Omen jouent en cinémascope chamanique.

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    On peut aussi se jeter sans risquer l’ennui dans leur premier album, Last Train For Love, paru sur Beast à l’époque. Ils y proposent un garage plus classique («Thousand Times A Day»), mais très bien gaulé et un solo de sax demented vient désailler l’organisation de ce garage d’arrache. Les deux gros coups de l’album s’appellent «It’s Up To You» et «Action Time». Ils visent chaque fois le burst out maximaliste, avec toute la bravado dont on peut rêver quand on aime le blast off. C’est comme toujours chez eux tapé à l’insistance et le sax vient toujours envenimer les choses. Ça pourrait devenir un principe, mais chaque cut est tellement libre qu’il semble crier vive l’anarchie ! Sur «Action Time», le sax vient même krakatoer le beat à coups de délires de free. C’est chauffé à blanc comme au temps de Steve MacKay. C’est encore le sax qui vole le show dans «Bag O’ Bones». Il règne en maître sur l’Omen et ça devient même très spectaculaire, il s’étrangle de fureur apocalyptique, Fred scalpe le son comme savait si bien le faire Rahsaan Roland Kirk. Ce morceau de bravoure se révèle indécent de véracité viscérale. C’est aussi le sax free on the loose qui embarque «Do The Boogie». L’Omen donne une belle leçon de garage avec ces coups de sax tressautés à la folie. Ces mecs ont du son au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Aventure. On se régalera encore plus de ce «Lumber Jack» chanté de l’intérieur du menton et déchiqueté par un solo de sax sourd. Le sax de Fred Rollercoaster plonge «Be My Rose» dans une profonde comatose, c’mon be my rose, le son coule en intraveineuse et ça explose à chaque coup de c’mon pour le meilleur et pour le pire. Ils terminent cet album tentaculaire avec un «(You’ve Got To) Hide Away» en hommage aux Beatles. Joli coup, en tous les cas, l’émotion est au rendez-vous.

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    Les trois albums suffiraient largement à rendre un homme heureux, mais c’est sur scène que l’Omen donne une petite idée de ce que peut vouloir dire le mot démesure. Wagner, John Coltrane, les Stooges comptaient jusque-là parmi les rois de la démesure. Il faut maintenant ajouter l’Omen à cette caste. Les voir sur scène est une expérience plutôt physique qu’il faut recommander à tout amateur de real deal.

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    L’Omen échappe littéralement à toutes les étiquettes. Ni rock, ni punk, ni garage, ni trash, ni wave à la mormoille, ils ne sont plus qu’un souffle, ils balayent toute forme de classification, ils vont loin, bien au-delà de tout ce qu’on sait du garage ou des Stooges, ils développent un son en fusion permanente, ils fondent les structures des cuts comme s’il fondaient le bronze des statues.

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    Des trois, le plus spectaculaire est le batteur, penché sur ses fûts, comme aux aguets, comme prêt à bondir, fabuleusement animal, repoussant continuellement les limites du blasting, il bat par rafales jusqu’au-boutistes, il va au bout du bout du maximalisme, il bat tous les records de violence et shoote dans le cul des cuts la plus belle dose de powerhouse qu’on ait vu ici bas. Si on voulait le comparer à d’autres batteurs, ce serait impossible, il est infiniment plus wild que Mickey Dee ou Jerry Shirley et n’a de point commun avec Manah (le batteur des Lullies) que le fait de jouer en short et de porter des tatouages superbes sur tout le torse et les bras. Remi Lucas est le far-out drummer par excellence, il ne se contente pas de jouer la loco, il joue la loco dingue, ses rafales sont les pelletées de charbon que jette à la volée dans la chaudière un mécano possédé par le diable. Si les deux autres n’étaient pas aussi spectaculaires, il ferait quasiment tout le show à lui seul.

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    Wow ! Il faut voir Fred fondre ses notes de baryton dans l’infernal tohu-bohu que génère ce power-trio éruptif, il se plie et se déplie dans les rafales comme s’il cuisait à la chaleur d’un four, il ne joue qu’en termes de clameurs d’émeutes urbaines, ça va même encore plus loin car il fait barrir son sax, il sort un son tragiquement organique, celui de l’éléphant de combat horrifié de voir des fantassins numides tenter de lui cisailler les tendons des quatre pattes pour l’abattre avec son howdah bourré d’archers, et pendant que les barrissements trouent le cul des annales, le groover en casquette groovy plaque sur sa Phantom des volées de power-chords que le courant emporte comme des fétus de paille, ça glougloute dans la marmite des enfers, ça n’en finit de rougeoyer au fond de la cave, leur son trouve l’environnement idéal, comme si Hadès pressé de faire trembler la terre, avait convié l’Omen à lui rendre hommage en célébrant l’immense portée de sa colère.

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    L’Omen ne laissera personne indifférent. Mieux qu’une cuirasse, leur sauvagerie les protégera des imbéciles. Mais ils sont beaucoup trop bons pour une scène comme la scène française. On se souvient que Gallon Drunk tenta le diable à Londres à une époque. Même chose avec James Chance qui mit jadis le feu à la scène new-yorkaise. Mais aucun d’eux n’a jamais atteint le niveau de volatilité inflammatoire de l’Omen.

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    Signé : Cazengler, Weird Omerde

    Weird Omen. Le Trois Pièces. Rouen (76). 4 décembre 2019

    (Encore merci aux Délicieuses Récidives)

    Weird Omen. Last Train For Love. Beast Records 2013

    Weird Omen. Breakfast Before Chaos. Beast Records 2016

    Weird Omen. Surrealistic Feast. Dirty Water Records 2019

     

    SUICIDE COLLECTIF

    full EP 2019

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    Vous trouvez le monstre sur You Tube ou sur le FB de Pogo Car Crash Control à la date du 09 / 11 / 2019. Ce n'est pas une vidéo. Il vaut peut-être mieux car rien qu'à voir le dessin – ne manquez pas de vous en délecter - de Baptiste Groazil qui s'affiche et qui ne bouge pas de toute la bande-son l'on aurait pu s'attendre au pire s'il s'était chargé d'animer l'immonde dégueulis qui coule comme une glaireuse fontaine de jouvence maudite, tout le monde se souvient des clips qu'il a réalisés pour les Pogo. Je suis malade rien qu'à la pensée du compte-vomi dans lequel j'aurais été obligé de patauger.

    Les esprits incisifs demanderont : pourquoi les Pogo diffusent-ils ce premier EP de Suicide Collectif ? C'est la faute de Lola, en tant que fille elle devrait savoir qu'il ne faut jamais laisser les garçons tout seuls, sans quoi ils s'ennuient, tournent en rond, ne savent pas quoi faire, et finissent par devenir incontrôlables. Ce qui pour des Crash Control s'avère doublement nuisible. Bref pendant qu'elle s'occupait parallèlement avec Cosse, les trois boys ont emprunté la diagonale de la folie, z'ont rendu visite à leurs copains une bande de singes psychédéliques qui les ont laissé s'amuser dans leur studio avec Fred ( pas du tout ) Lefranc du collier, et des mains pas très nettes aux manettes.

    Bref voici le résultat final : une abomination. Comme on les aime. Attention les morceaux se suivent sans séparation.

    Fuckin' Party : ( débute au début ) : vous avez de la chance, cela ne dure que soixante-douze secondes, les plus dures de votre existence. Un coup de batterie, ne comptez pas sur cet avertissement salvateur pour vous prendre la poudre d'escampette, vous n'avez même pas le temps de sauter par la fenêtre ouverte de votre chambre de bonne au dix-huitième étage, pouvez même plus ouvrir la bouche pour vous plaindre, vous êtes irrémédiablement englué dans une diarrhée sonore dont vous n'avez jamais eu l'idée qu'il puisse en exister de si dégoutante, une avalanche de merde gluante qui vous transforme en statue d'étron liquide. Une musique compressée à l'extrême – vous savez à ce degré où l'eau perd son humidité et devient une tempête de sable saharienne - et un vocal à l'arrache catapulté à la fronde. N'espérez pas vous en sortir vivant, vous n'êtes déjà plus de ce monde. Ça s'arrête comme ça a commencé. Très mal. Très brutal. Optimal. She said : ( commence à 1' 13'' ) : vous croyiez que la suite ne pourrait pas être pire, que vous aviez mangé votre pain noir empoisonné au cyanure et à l'ergot de seigle, funeste erreur, pour She Said, ils ont défoncé toutes les portes de tous les asiles de la terre, une sarabande terrifique, certes vous avez un moment de répit, quand l'avion de chasse descend en piqué sur vous et vous envoie deux missiles air-sol pour vous refaire le portrait, hélas ce bienfait céleste ne dure même pas six secondes, tout de suite après ça reprend en plus sauvage, en plus condensé, ne vous demandez pas qui est cette She qui vous chie en pleine face vos quatre mensonges, vous la reconnaissez vite, vous êtes de l'autre côté de la rive noire, c'est Perséphone en personne à fond les mégaphones qui vous semonce et sermonne méchamment. Mais ce n'est pas là le plus terrible. C'est en sous-main, les guys se moquent de vous, prêtez bien l'oreille, alors que vous subissez les pires avanies, rôde au-dessous de tout, une allégresse vicieuse, une jubilation festive qui traduit le plaisir qu'ils prennent à vous faire du mal. Sont visiblement contents d'eux, alors l'escadrille du cynisme vous abandonne à votre triste sort et fonce à l'infini dans l'horizon sanglant de vos rêves détruits. All inclusive : ( démarre à 2' 55'' ) : un bourdonnement prolongé pour débuter, un peu comme le début de la Tétralogie wagnérienne l'om du malheur métaphysique dont êtes prisonnier, et puis une accélération foudroyante, des cris de haine qui vous tombent dessus à la manière des flèches agoniques d'Héracles sur les oiseaux de Stymphale, le soleil est devenu aussi noir que votre âme et des vociférations telluriques vous emmurent les tympans à tout jamais, et toujours cette aigrette aigrelette de presse-purée moqueur qui grince comme si l'un des rares neurones de votre cervelle tentait vainement de résister à ce traitement de choc, mais non vous serez pas le grain de sable qui enrayera l'engrenage de ce retors rotor surpuissant. La maison ne fait pas de crédit, pas de remise de peine, par contre tout est compris dans le prix. Sévices irréprochables. Mother faces 30years in prison : ( attaque à 4' 28'' ) : tiens c'est les soldes, ils ont décidé de liquider leur complexe d'œdipe. Ils ont raison, c'est comme cela que l'on grandit. Batterie endémique aussi puruleuse que les sept plaies d'Egypte, guitares tournoyantes et la voix traitée en meute de chiens qui se disputent la dépouille sanglante de la biche – pas plus innocente que vous puisqu'elle ne mérite pas de vivre - dépecée. Ne vous laissent même pas un os à moelle à sucer pour vous remercier de les avoir écoutés jusqu'au bout.

    A écouter en boucle. Si vous êtes clautro évitez, le son vous emprisonne comme des petits pois dans leur cosse. Idem si vous ne supportez pas les cris et les bosses. Attention pour les cadeaux sous le sapin. Plutôt Père Fouettard que Père Noël. Déconseillé pour Tante Agathe. Faudra qu'un jour ils sortent ce bébé vagissant sur un vinyl. Ce sera le 45 tours le plus nocif du rock français. Un objet digne de vous. A la condition expresse que vous soyez dignes de lui.

    Ce qui n'est pas donné.

    Damie Chad.

     

    MANHATTAN FOLK STORY

    DAVE VAN RONK

    Avec Elijah Wald.

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    Le guitariste qui a inspiré le film Inside Llewyn Davis des frères Coen que je n’ai pas vu. Dave Van Ronk décédé en 2002, reste une figure incontournable du folk américain. Un activiste, peu connu du grand public par chez nous, si ce n’est par les fans de Bob Dylan, les paléontologues de la musique populaire américaine le définissent comme le chaînon manquant entre Woody Guthrie et le Zimmerman. Van Ronk n’a pas pu terminer ses mémoires, la grande faucheuse l’ayant transféré au pays des ombres. C’est Elijah Wald qui a donc bouclé le bouquin en s’aidant des bandes de préparation et des interviews réalisées auprès de nombreux acteurs de la scène folk qui l’ont croisé et mené à divers titre des carrières dans cette branche de la zique contestataire. L’on peut le regretter, Van Ronk n’étant pas dépourvu d’humour n’est guère tendre avec lui-même. L’auto-dérision semble être sa seconde nature.

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    Né en 1936 - un an après Gene Vincent pour mieux signifier les bifurcations entre rock et folk - très vite abandonné par son père, pourvu d’une mère souvent absente, Dave Ronk passe papido sur ses premières années, ce n’est pas qu’il veuille les biffer de sa vie, révèle son pragmatisme, c’était comme ça, un point c’est tout, pas de pleurs, pas d’auto-apitoiement, ni d’introspection psychanalytique à la petite semaine. Plonge directement dans sa vie. L’a compris que son faux statut de petit-bourgeois très au-dessous de la moyenne ne le mènera pas bien loin. Suit son instinct d’adolescent, qui le conduit surtout dans des impasses. C’est qu’il veut devenir musicien. Une intention louable. Mais il n’est pas doué, gaucher contrarié, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux question agilité des doigts lorsque l’on s’obstine à pratiquer un instrument… Mais il s’obstine d’autant plus qu’il abandonne l’apprentissage du solfège trop rébarbatif et du même coup le piano. Se rabat sur la guitare - influence de Charlie Christian - qu’il remplacera par le banjo. Un instrument qu’il aura du mal à maîtriser.

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    Ce n’est pas qu’il préfère le banjo à la guitare. Avant tout un choix idéologique. Le petit gars de Brooklin s’est naturellement orienté vers le jazz. En ses débuts il ne se pose pas de problème, il aime tout ce qui est bon, d’Amrstrong à Charlie Parker pour prendre des noms symboliques. Il rencontre Clarence Williams - compositeur de Crazy Blues, le premier blues officiel enregistré par Mama Smith, chasseur de tête pour Okeh qui découvrit Bessie Smith - Clarence lui apprend à écouter des disques, à reconnaître le style de chaque soliste, à comprendre comment ils résolvent les problèmes qu’ils se posent… parallèlement Dave profite de toutes les occasions pour jouer sans oublier de s’initier à la marijuana. A seize ans il décide de devenir musicien de jazz professionnel.

    Déclaration de guerre musicale, il s’engage du mauvais côté. Le monde du jazz s’est scindé en deux camps irréconciliables. Les anciens contre les modernes. Les tenants du premier jazz contre les amateurs des novateurs de la deuxième génération. Jazz trad contre be-bop. Il s’est enferré dans une mauvaise route. S’aperçoit qu’il en arrive à défendre par principe des musiciens qui refourguent les vieux plans éculés aux véritables aventuriers et créateurs. Il est difficile d’avouer que l’on s’est trompé. Cela ressemble à une trahison. Quand on y pense n’est-on pas trahi que par soi-même ? Honteuse palinodie ou stérile entêtement ? Une seule solution pour échapper à un tel marasme psychologique, se trouver, pour ne pas parler d’issue de secours, une porte de sortie…

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    Il n’est pas un bon musicien de jazz. On le tolère avant tout parce qu’il se charge de la tâche ingrate et infamante pour tous les musicos de jazz : le chant. L’a une grosse voix - qui lui sert à couvrir ses insuffisances instrumentales - dont il use à volonté. C’est une copine qui lui demande de l’accompagner à Greenwich Village, une première visite qui laissera des marques… Et surtout cette découverte de visu de ce style de jeu de guitare qu’il ne connaissait pas : le finger-picking qui lui ouvre de grandes perspectives… Certes il ne sera jamais un grand instrumentiste, se débrouillera, mais son atout maître dans ce nouveau monde sera sa voix sonore.

    UN PEU DE POLITIQUE

    Petit intermède boulot de marin bien payé, le pied quand le job de musicien vous a souvent laissé le ventre vide… Mais le revoici à Greenwich Village avec une belle guitare. Pour la musique vous attendrez un peu, Dave Ronk est décidément un être idéologique. Le folk est-il de gauche ou de droite ? Grave question, mon bon monsieur, il est avant tout un ramassis de chansons que tout le monde connaît. Si vous voulez chanter, vous puisez dans le pot commun, un point c’est tout. Il existera même un folk d’extrême-droite, les fameuses racines ancestrales de la race blanche. Par contre s'est creusée une sacrée différence entre le folk rural et le folk urbain. La même qui parcours les milieux occitanismes en France, entre les tenants de l’occitan, artificiel idiome moderne créé de toutes pièces par les intellectuels au dix-neuvième siècle et les tenants du patois, pardon des patois, car chaque village possède ses vocables et ses expressions qui lui sont propres, les modernistes s’exprimant en un strict et honteux volapuk non représentatif…

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    Ceci posé, Dave Ronk survit dans un milieu de marginaux, des gens sans travail ou des étudiants en rupture d’études. Naturellement de gauche serait-on tenté de dire. Commence par rendre hommage au Parti Communiste américain, qui a été au cœur des luttes sociales et qui a subi de plein fouet le maccarthisme, en perte de vitesse, parce que la répression l’a durement touché mais surtout parce que toute une nouvelle génération avide de liberté ne se reconnaît plus dans ce qui se passe en URSS, la révolte hongroise sonnera le glas de bien des illusions… Par contre-coup les luttes syndicales menées depuis les années 10 par les IWW lui paraissent participer d’une philosophie libertaire beaucoup plus tentante, Woody Guthrie n’a-t-il pas participé guitare en main aux grèves des cueilleurs de fruits dans les grands domaines californiens. C’est décidé, Dave Ronk sera anarchiste ! Jusqu’à ce qu’un vieux militant lui demande perfidement s’il a lu Kropotkine ( et tous les autres ) dont il ignorait jusqu’à l’existence. Dave s’aperçoit qu’il a besoin de lire… Nous sommes en 1956, toute cette mouvance gauchisante sera au rendez-vous des luttes pour les droits civiques aux côtés des noirs.

    En 1957 ouvre le Café Bizarre, le premier muni d’une véritable scène spécialement ouverte au folk, elle sera inaugurée par Odetta, toute jeune mais qui possède déjà une légitimité artistique au moins égale à celle d’un Pete Seeger. Dave ouvre la deuxième partie du spectacle. Odetta le félicite et lui demande une cassette qu’elle passera à Albert Grossman le propriétaire du Gate of Horn, le cabaret folk par excellence, sis à Chicago. La démo ne parviendra jamais à Odetta, et notre Dave ( je m’y voyais déjà ) Ronk après d’interminables semaines d’attente monte en stop à Chicago. Grossman l’écoute mais lui fait remarquer qu’il fait un peu pâle figure comparé à Big Bill Broonzy, Josh White, Brownie McGhee et Sony Terry… Retour à la case départ.

    MONTEE EN PUISSANCE DU NEO-FOLK

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    1957 et 1958, furent cruciales. Le mouvement néo-folk commença à s’organiser. Izzy Young ouvre le Folklore Center, un petit magasin de disques et de livres consacrés au folk qui ne tarda pas à devenir un lieu de rendez-vous et de discussion. Le panneau des petites annonces servit à de multiples rencontres… Une base organisationnelle c’est bien, un vecteur de diffusion des idées c’est mieux. Ce fut Lee Shaw Hoffman qui créa le magazine Caravan. Dave Ronk n’hésite pas nous donner de larges extraits de ses éditoriaux, le premier une attaque en règle contre le catalogue Elektra qu’il accuse de n’offrir que du bon vieux folk traditionnel peu urticant, et le deuxième une défense de Pete Seeger à qui certains reprochaient son engagement militant pro-communiste. La théorie c’est bien, la pratique c’est mieux. Tous nos jeunes artistes sont en manque de concerts, se formera la Folksingers Guild Retribution destinée à organiser la défense et la promotion de ses adhérents. Un conglomérat d’amateurs certes mais au milieu de cette armada mexicaine peu douée certains espèrent devenir de véritables professionnels. Leurs concerts regroupent entre trente et deux cents personnes. Dave Ronk fait partie du haut de panier. Le monde bouge, certaines émissions de radio spécialisées commencent à faire appel à eux. The times they are a changin’ comme dirait l’autre.

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    N’empêche que le revival folk se fait attendre. Malgré l’aide du vétéran Paul Clayton, la situation de Dave ne s’arrange point. Plus tard Clayton deviendra le mentor de Dylan qui lui empruntera beaucoup pour Don’t Think Twice. Van Ronk participera à quelques anthologies foireuses parviendra à arracher à Kenny Goldstein un contrat pour Folkway. Le trente-trois tours enregistré en un jour, avec pour seul additif à une voix haut perchée un micro et une guitare pas plus maîtrisés l’un que l’autre, n’est pas un chef d’œuvre. Bien plus passionnante s’avère la rencontre avec Sam Brill l’homme qui avec son bouquin Country Blues relança l’intérêt pour le blues et déclencha la recherche à travers tout le pays des vieux bluesmen que tout le monde croyait morts.

    ESCAPADE CALIFORNIENNE

    Un plan d’enfer, un copain qui lui refile l’adresse d’un restau-concert à Los Angeles, cent vingt cinq dollars la semaine. Ce qui nous vaut un remake de On The Road de Kerouac, la traversée des States sous la neige. L’arrive à San Francisco. Tout le long du chemin, il s’est aperçu que la chasse aux barbus est ouverte, à Frisco les autorités n’aiment pas tout ce qui ressemble de près ou de loin à un beatnick… Il rencontre Mimi Baez à l’époque beaucoup plus connue que sa cadette Joan… Se laisse un peu vivre, la scène folk de Frisco est envahie d’étudiants friqués qui dispensent une musique ennuyeuse et médiocre. Beaucoup de syndicalistes, d’anarchistes, et de gauchistes. L’est comme un poisson soluble dans l’eau frelatée d’un aquarium… Sous l’injonction téléphonique de Terry sa petite amie, il file enfin à Los Angeles profiter de la place promise, la paie est bonne, mais ce n’est pas le plus important, c’est-là où il apprend le boulot, chante six soirs par semaines jusqu’à cinq sets par soirée. Il rentre à New York. Dresse le bilan : positif : a fait la connaissance d’une légende vivante du folk New Yorkais qui s’était tiré faire fortune sous les palmiers, Ramblin’ Jack Eliott, négatif : par rapport à la côte du Pacifique, New York est en retard question folk, partout l’on trouve des établissements qui programment à grands flots du folk, alors que dans la Grosse Pomme, découvrir un lieu où jouer s’avère difficile. Quand on se prend pour l’avant-garde et qu’ailleurs l'herbe est plus verte, il y a comme un bleime.

    MONTEE EN PUISSANCE

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    Rien n’a changé mais tout a évolué. Dave revient à New York sur la fin de l’été 1958, dans les deux années qui suivent a lieu une véritable révolution culturelle. De nombreux café-houses vont ouvrir. Ce n’est pas le folk qui en sera le premier bénéficiaire, mais les beatniks, ces poètes vociférant aux proclamations séditieuses attireront la clientèle des touristes qui débarquent en masse. Mais le spectre spectaculaire de la poésie est des plus limités, cris et chuchotements accompagnées de tamponnades de bongos finissent par lasser, les folkleux sont appelés à la rescousse. Van Ronk rappelle que les beats sont des amateurs de jazz et que plus subtilement le folk est le cousin germain du blues. Lui-même a fait de grands progrès à la six-cordes. Le fautif en est Gary Davis auquel il rend un magnifique hommage. Ce prêtre aveugle et baptiste qui accompagne ses sermons à la guitare est aussi un adepte de la musique du Diable. Chez lui, en privé, il n’hésite pas à jouer Cocaïne Blues. Possède une âme charitable, ne connaît pas la musique, mais lors de ses leçons de guitare, il ralentit les riffs pour que l’élève Dave puisse voir là où, et comment, il faut poser les doigts pour obtenir l’effet recherché.

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    Les coffee-houses ouvrent, ferment, changent de patrons, sont sous la surveillance suspicieuse de la police mais le mouvement est ascendant. Dave va de l’un à l’autre, d’abord adepte du Commons il jettera son dévolu sur le Gaslight qui paye mieux. N’en fait pas une description idyllique, un trou à rats - ceci n’est pas une métaphore - d’une saleté imbuvable, un ancien entrepôt de charbon - qui vous propose pour le prix d’un whisky un café imbuvable, quand vous avez bu une tasse vous n’en prenez pas une deuxième, vous quittez les lieux sans demander votre reste, ce qui est parfait car vous pouvez accueillir une nouvelle fournée de touristes décidée à s’encanailler… L’on sent que Dave est devenu un des principaux personnages de Greenwich, il a ses entrées partout, est souvent chargé de la programmation. Il est aussi pratiquement le seul survivant des années de bohème précédentes. Les étudiants originels ont repris leurs études, de partout arrivent des étrangers doués et qui en veulent… Les grandes voix du folk new yorkais proviendront des états lointains…

    L’EXPLOSION FOLK

    Un petit nouveau venu passe au Café Wha ? Arbore un nom destiné à devenir célèbre : Bob Dylan. Un maigrichon, bourré de tics, une voix calamiteuse, une guitare intermittente, un harmonica essoufflé. Un mytho. Ce n’est pas le plus grave, dans le métier on réinvente son passé pour les besoins de la cause. Comprendre : l’effet escompté sur un groupe d’auditeurs particuliers. Par contre le Bob possède deux qualités essentielles, certes il vous raconte des craques mais vous êtes sous le charme, mais le plus gravement génial c’est que le gars il a compris que l’on ne gagne qu’avec les armes que l’on possède, les siennes sont rouillées et tordues, tout autre penserait s’en défaire mais lui non. L’assemble tous ses manques et toutes ses défectuosités en un mix unique, un tract incapacitant métamorphosé en tremblements de prophète, une voix abominablement nasillarde, un harmonica asthmatique et une guitare bringuebalante, ce juif rachitique a du génie, un véritable charmeur de serpents qui tient le rôle du serpent. Brûle les étapes, commence par squatter le canapé de Dave - ce qui n’est pas un exploit, son appart est une ruche à amis et à folkleux démunis, Terri lui sert d’imprésario, il se débrouille l’on ne sait comment pour avoir une cohorte de fans fidèles qui le suivront partout, est vite remarqué par Albert Grossman qui lui signe un contrat chez Columbia.

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    Dave en profite pour tracer un intéressant parallèle entre l’itinéraire de Ramblin’ Jack Elliott, fils de bonne famille new yorkaise parti courir les routes californiennes avec Woody Guthrie, alors revenu sur la côte est pour profiter du boom-folk, et Dylan.

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    Quelques pages sur l’affaire de The house of the rising sun. Le morceau c’est une découverte de Dave sur un vieux disque appartenant à Hally Wood, un enregistrement de Georgia Turner effectué dans le Kentucky par Alan Lomax. Dave en a peaufiné l’arrangement, et compte le mettre sur son prochain disque, dans la série ce qui est à toi ne ferait pas de mal dans mon escarcelle Dylan l’enregistrera sur son premier trente-trois. Gros froid entre les deux amis. Se réconcilieront, mais rien ne sera plus comme avant. Pour la petite histoire The Rising Sun n’était pas un bordel de la Nouvelle-Orleans mais une prison. Un nom qui fleure bon, enfin qui pue, la rédemption chrétienne. Le Pénitencier de Johnny est donc assez proche de l’esprit originel, Saluons l’intuition d’Hugues Aufray qui composa les paroles…

    Comme le livre est censé raconter la carrière de Dave, revenons à lui, l’est au plus haut de la vague. L’est invité dans la ville de Cambridge, la hype de l’intellingentia américaine, qui se pare de la plus prestigieuse des universités : Harvard… dont de nombreux étudiants s’adonnent au folk. Ronk ressort son vieux couplet prolétarien anti-petits-et-grands-bourgeois sans problèmes… N’empêche qu’il est obligé de reconnaître que la mouvance cambridgienne très old-folk et peu ethno-folk compte tout de même quelques cadors, Bob Gibson par exemple, dans ses rangs. L’en profite pour passer ses nerfs sur le néo-folk féminin, toutes ces filles chantent dans le style des générations précédentes, Joan Baez la première. Ses préférences vont à Joni Mitchell. Dans le village Grossman a dans l’idée de monter à un bon vieux trio à l’ancienne, ce sera Peter Paul and Mary qui attirera le grand public au folk. En plus ils auront la bonne idée de reprendre The River un morceau de Dave, ce qui lui vaudra un bon paquet de royalties. Dave ne crache pas sur la monnaie, question romantisme de la misère il a déjà donné.

    OLD BLUES AND NEW SONG

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    L’argent arrive. Dave signe chez Mercury, auparavant il enregistre deux galettes chez Prestige, une de jazz trad, et une de jug band. Qui ne marcheront pas fort, mais l’on revient toujours à ses premières amours, le passage du jug band au Newport Jazz festival sera un fiasco, vite oublié avec la clique de revenants qui firent leur apparition, jugez du beau monde : Mississippi John Hurt, Skip James, Sleepy John Estes, Robert Wilkins, Fred McDowel, Fury Lewis, Booker White, Yank Rachell et jusqu’à Son House et Lonnie Johnson. Dave les croise en tournée, joue avec eux, les côtoie de près, et nous livre de savoureuses anecdotes que les amateurs de Blues apprécieront.

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    Et Dylan se mit à l’électricité. Ce n’était plus du folk, mais ce n’était pas le plus grave. Se mit à écrire ses propres morceaux lançant ainsi la mode des « auteur-interprètes-compositeurs » ce qui lui faisait franchir le Rubicon qui sépare le folk de cette sous-musique pour laquelle Dave n’emploie pas le mot rock afin de l’étiqueter. Le plus fou c’est que Dylan n’était pas le premier, avant lui Tom Paxton et Phil Ochs l’avaient précédé, Paxton dans l’expression lyrique et Ochs selon une couleur politique beaucoup plus prononcée. Mais Dylan était beaucoup plus doué. L’avait le style qui faisait la différence. L’avait aussi de la jugeote, comprit vite que des textes en faveur des droits civiques et contre la guerre au Vietnam ne seraient plus d’actualité lorsque ces deux causes seraient périmées. Contrairement à Dylan, Ochs et Paxton n’avaient point lu et soigneusement annoté la collection des poëtes français de la bibliothèque de Dave. Le Zim avait pris des leçons chez Rimbaud et Mallarmé. Cela densifia quelque peu ses textes. Dylan avait des facilités : travaillait vite et bien, si vite qu’il se convainquit que personne ne ferait la différence entre un beau couplet et un charabia pondu au fil de la plume. Si Dylan l’avait écrit et si vous ne compreniez pas, c’était de votre faute. On ne prête qu’aux riches… Dave ne mâche pas ses mots. Les dylanophiles n’apprécieront pas. Dave vous refile la recette : rédigez n’importe quoi et prétendez-vous artiste ! Toutefois Dave se mettra à écrire quelques unes de ses chansons : nous en donne un exemple inspiré de Villon. Ce n’est pas mal du tout, Dylan aurait pu le signer…

    THE END

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    1967-1968, l’attrait de l’argent a changé la donne, le rock devient hégémonique, lorsque Dave le puriste consent à former un groupe il est trop tard… Les dix années suivantes seront difficiles, retour à la case départ, refaire les cafés, redonner des leçons de guitare, accumuler les dettes… La machine se remettra en route grâce à l’Europe, nouvelles tournées, mais cela c’est Elijad Wald qui le raconte, Dave Van Rock s’arrête au début de la fin, son projet n’était pas de rédiger une autobiographie mais de rendre compte de la mouvance new yorkaise de la grande panique folk. Essaie de rester debout, se retranche dans la fierté de son intégrité, mais quand il mesure son destin à celui de Bob Dylan, la nostalgie est dure à combattre, l’aura fait ce qu’il aura aimé, ce qu’il aura pu. Pour la plupart d’entre nous il est difficile de faire mieux. Et même aussi bien.

    Damie Chad.