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roy loney

  • CHRONIQUES DE POURPRE 446 : KR'TNT ! 446 : ROY LONEY / ALLEN KLEIN / GENE VINCENT / CARL PERKINS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    roy loney,allen klein,gene vincent,carl perkins

    LIVRAISON 446

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    09 / 01 / 2020

     

    ROY LONEY / ALLEN KLEIN

    GENE VINCENT AND THE BLUE CAPS

    CARL PERKINS

     

    Le Roy est mort, vive le Roy !

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    David Laing a bien raison de le rappeler : Roy Loney et les Flamin’ Groovies préfigurèrent en leur temps deux phénomènes majeurs de l’histoire du rock : la London punk-scene (les London SS s’épuisaient à essayer de reprendre «Slow Death») et le boogaloo des Cramps avec cet épouvantable ‘I’m a monster/ With a revved-up teenage head’. Après avoir mené le bal sur quatre albums avec les Groovies et opté pour l’exit, Roy se lança dans une carrière solo qu’il faut hélas qualifier d’underground. No mainstream for Roy. Seuls ses fans semblent l’avoir suivi.

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    Alors que les Groovies post-Loney allaient basculer dans une régurgitation des early Beatles, Roy montait les Phantom Movers avec James Ferrell et la dynamo des Groovies, Danny Mihm. En 1979, il donnait avec Out After Dark une suite éclatante à Teenage Head. Roy annonçait un ‘Primitive rock with taste’. Pour les fans, c’était comme si the awsome wild ride des Groovies continuait. L’album parle tout seul. La photo du groupe au dos de la pochette vaut bien celle qui orne le recto de Flamingo. Roy riffe à coups d’acou, il ramène son sens inné du punch et des killer hooks. Trois cuts vous accueillent à bras ouverts : «Used Hoodoo», «Neat Petite» et «Rocking In The Graveyard». Avec l’Hoodoo, Roy recrée la magie tétanique de Teenage Head, il chante à la rogne de la teigne et procède à l’admirable hoodooïsation des choses du rock. C’est exactement le cut qu’attendaient les inconsolables. Avec «Neat Petite», Roy se paye le luxe Royal d’un hit inter-galactique, et en B, il revient à ses premières amours avec une reprise du «Rocking In The Graveyard» de Jackie Morningstar : back to the wild rockab, d’autant plus wild que Roy charge sa barque d’accents d’Elvis. Sur cet album, le backing-band est déterminant. Le Phantom Mover number one s’appelle Larry Lea et il passe dans «Pantom Mover» un solo crazy crazy petit bikiny, pendant que Danny Mihm swingue le swong jusqu’à l’os du crotch, ramenant ainsi toute la brillante ferveur de Sneakers. Le coup le plus fumant de cet album est bien sûr la reprise de «Return To Sender». Roy tient la dragée haute à son idole. Du Roy au King, il n’y a qu’un pas, n’est-il pas vrai ? Puis il remonte sur ses grands chevaux pour «Scum City». Il chante comme le Roy des punks, le Fagin des culs de basse fosse. Roy est la meilleure glotte de la cour des miracles. Il boucle cet album inespéré avec «San Francisco Girls», un autre joli drive de rockalama battu à la Mihm et visité par un flashy flasho carabiné de Larry Lea.

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    S’ensuit dans la foulée le mini-album Phantom Tracks qui engloutit le premier EP solo de Roy, Artistic As Hell, enregistré avec les ex-Groovies des Hot Knives, Danny Mihm et Tim Lynch. C’est là-dessus qu’on trouve l’extraordinaire cover de «Down The Road Apiece». On se croirait sur le premier album des Stones. Même rage de vaincre, ça sonne sec, Mihm bat à la Charlie Watts et Momo digonne un énorme drive de bassmatic. Toute la rage du rock coule dans les veines du Road Apiece. Roy shakes it out. L’autre coup de Jarnac se trouve de l’autre côté : «Don’t Believe These Lies». Big guitar sound à la Chucky Chuckah, pur jus de flambant Flamin’, les Phantoms Movers sont comme des poissons dans l’eau, riff raff à la Keef de Chuck. Roy déplace les montagnes, en voici la preuve. Sur «Emmy Emmy», James Ferrell partage ses duties avec l’excellent Larry Lea et dans «You Ain’t Getting Out», on sent poindre l’influence des Rezillos. Ils jouent «I Must Behave» à l’excellente tension phantomale. Ah pour mover, ils savent mover ! Ça ruisselle d’énergie sauvage.

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    Hélas, le label met la pression sur Roy, et comble de déveine, Danny Mihm et James Ferrell quittent le groupe. Roy croit bien faire en tâtant de la new wave et se vautre en 1981 avec Contents Under Pressure. On retrouve le riff de «Locomotive Breath» dans «Sorry» puis après ça se gâte tragiquement. Roy perd pied. Leur reprise de «Heart Full Of Soul» en B est tellement spéciale qu’elle ne sauve pas l’album. Trop new wave. On l’a un peu oublié, mais cette fuckin’ new wave a fait à l’époque autant de ravages dans le rock que la peste au XVIe siècle en Europe. Par son côté power pop, «Cinema Girls» sauve presque cet album maudit et Roy tente de revenir au boogie blues avec «Intrigue Indeed», mais il massacre le chant en voulant sonner comme Lena Lovich. Tragique épisode. Mais deep inside your heart, vous saviez que Roy allait se racheter.

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    Un an après, Mihm et Ferrell rentrent au bercail, alors Roy opère un back to the basics avec le bien nommé Rock And Roll Dance Party With Roy Loney. Ils tapent d’ailleurs dans les vieux coucous des Groovies, «Doctor Boogie» et «Gonna Rock Tonight». Pour David Laing, Roy sonne comme les Blasters et Barrence Whitfield qui à l’époque avaient repris le flambeau du purisme. Roy démarre en trombe avec l’excellent «Ain’t Got A Thing» de Sonny Burgess. Dans Ugly Things, Cyril Jordan nous rappelait un point essentiel : l’ado Roy collectionnait les singles de rockab. Roy et Lux même combat ! Back to Sneakers avec «Doctor Boogie» et ce swing voyou qui faillit bien conquérir le monde et qui à défaut se contenta de conquérir quelques âmes ici et là. Cette version du «Doctor Boogie» pourrait prétendre au rang de huitième merveille du monde, mais c’est vrai, rien n’est plus difficile que de rester objectif quand on écoute chanter un géant comme Roy Loney. «My Baby Comes To Me» et «Slip Slide & Stomp» qu’on trouve plus loin en A s’inscrivent aussi dans une veine terriblement groovy. Roy chante à l’âpreté du rocky road, alors forcément, c’est niaqué à point. Le «Double Dare» qu’on trouve sur la face obscure se montre aussi typique de l’âge d’or des Groovies. Voilà un Dare qui pourrait très bien figurer sur Teenage Head. Même avec un jump comme «Lana Lee», Roy parvient à impressionner son monde.

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    Avec Fast & Loose qui parait l’année suivante, Roy tape dans les gros classiques, le Chuck Chess-come back de «Tulane» ou encore le «Hanging Around» d’Ersel Hickey paru en 1958. D’ailleurs Larry Lea s’en donne à cœur joie. Mais c’est avec le «Driving Wheel» de Billy Swan que Roy vient nous ramoner la cheminée. Et il ramone dans les règle de l’art, comme un petit Savoyard, beau beat des reins, c’est shaké envers et contre tout, all my love ! Let’s rock now et Larry Lea passe le plus classique des solos rockab. L’autre merveille ouvre le bal de la B : «Ragged But Wrong», fantastique hit de rock jumpy, swingué par Danny Mihm. Très haut niveau d’excellence. The voice & the beat : just perfect. On ne saurait rêver meilleure excellence combinatoire. Ils montent ensuite «Rockin’ Radio» sur un riffing à la Chucky Chuckah, comme au temps des Groovies. On se goinfrera aussi de «Slippin’ Out The Back Door», monté en heavy tempo et chanté de main de maître. Roy en fait ses choux gras. Ils bouclent leur bal d’A avec «The Mop Flops», une nouvelle pépite de juke. Mine de rien, Roy fait de Fast & Loose un pur album de rockab. Il ne résiste pas à l’envie de glisser en B un remake de «Teenage Head», sans doute un prétexte pour faire revenir James Ferrell, mais on préférera la version originale. Avant de nous quitter, Roy nous met en garde contre les ghoules avec «Beware Of The Ghoul». You better watch your step, font les ghoules. Waah waah waah waah-waah !

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    Roy retrouve la bande à Bonnot pour The Scientific Bomb Away : Danny Mihm, James Ferrell et Larry Lea. Voilà un album qui sait recevoir : il propose un festin de rockab et de folk-rock. Cyril Jordan participe à l’aventure, en chantant les harmonies vocales de «Ruin Your Shoes», «Nobody» et «Feel So Fine». Ah oui, «Feel So Fine», dernier cut de la B, fantastique fin de non-recevoir, Roy nous swingue ça avec une grâce infinie, bien soutenu par ce monster shaker qu’est Danny Mihm. On a là l’équilibre parfait entre le swing et le punch. Inutile d’aller le chercher ailleurs. Roy démarre l’album avec un hommage à Bo Diddley, «Chicken Run Around». Idéal pour un punkster comme lui et James Ferrell gratte sa Gretsch, alors tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Roy tire ensuite «Bip Bop Boom» des vaults du veau d’or. On observe la belle tenue des tenants et des aboutissants de «Deviled Eyes». Avec Roy, tout aboutit à l’Aboukir Royal. Mike Wilhelm vient gratter sa gratte, et non ses poux, sur «Nervous Slim», comedy act de petite vertu digne des Charlatans, puis sur un «Boy Man» monté sur un bon beat sous-jacent, et lorsque Roy groove son hiccup, Wilhelm claque son takatak. Le «Bad News Travel Fast» qui ouvre le bal de la B vaut encore une fois pour un hot shot de rockab. Roy est l’un des rois du revival, il injecte du Bo dans son beat et Danny Mihm transforme l’ensemble en chef-d’œuvre imprescriptible.

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    Quelques années passent et les Phantom Movers refont leur apparition avec Action Shots, une compile de bouts de concerts. Le son n’est pas merveilleux et le choix des cuts pas terrible, puisqu’ils tapent dans l’album new wave paru en 1981, année de l’élection de François Mitterrand. Ça s’arrange un peu en milieu d’A avec «Double Dare» et «Doctor Boogie» dont on a déjà vanté les vertus. Et puis ils font sauter la sainte-barbe de la B avec «Driving Wheel» et un «Coming After Me» tiré de Flamingo et là, ça reprend vraiment du poil de la bête de Gévaudan. Roy l’annonce ainsi : «Comin’ from the Groovin’ Flamies from San Francisco.» C’est lui le Flamin’ guy et le riff de Comin’ est sans doute l’un des plus beaux riffs de l’histoire du rock, bien dans l’esprit des Stones de l’âge d’or. Larry Lea se régale. On entend Momo faire le dos rond avec sa basse dans «Down The Road Apiece» et après une version héroïque de «Teenage Head», ils terminent avec ce gros clin d’œil aux Rezillos qu’est «A Hundred Miles An Hour».

    Roy va peaufiner ce brillant parcours discoco en enregistrant quatre albums avec les Longshots, composés d’illustres inconnus (Jim Sangster/lead guitar et Tad Hutchinson/drums, ex-Young Fresh Fellows, Scott McCaughey/bass et Joey Kline/rhythm guitar).

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    Full Grown Head paraît en 1994 et Roy y propose un «Tobacco Road» qui lui va comme un gant. Il le chante à la bonne arrache, une arrache qui vaut bien celle des Blues Magoos. C’est d’autant plus bienvenu qu’il enchaîne avec «Slow Death» - Ah-call a doctah - C’est lui le slow death guy on the loose et Jim Sangster fait son Cyril. On retrouve le riffing de «Locomotive Breath» dans «See Jane Goes» et en A, on voit Roy tenter vainement de rallumer les vieux brasiers, mais il ne dispose pas des bonnes chansons. Il reprend un peu de poil de la bête avec «I’ll Come Running», mais c’est avec «Teeny Weeny Man» qu’il retrouve sa mesure : back to the old rock’n’roll powerhouse, sa vraie passion. Il part en mode full grown Buddy Holly pour le morceau titre, évoquant au passage son Teenage Head - Once upon a time I was a Teenage Head - Il chante comme un punk anglais - But now I’m a full grown head - Peut-être serait-il plus juste de dire que les punks anglais chantent comme Roy Loney.

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    Un nouvel album des Longshots paraît l’année suivante, sur le bien nommé Impossible Records. Kick Out The Hammmmons propose des bouts de concerts et bon nombre de belles énormités, à commencer par «Chasing My Own Tail», «Been Wrong Too Long» et «Road House». Roy ramène toute sa science du punch avec Chasing, il chante vraiment comme un démon échappé d’un bréviaire du chanoine Docre. Pas de meilleur shoot de garage que cet «I’ll Come Running» stompé dans les règles. Derrière Roy, ça joue énormément. S’ensuit un «Been Around Too Long» flambant neuf, Roy le prend de haut, de très haut, à tout seigneur tout honneur. Énorme car contrebalancé au chant par des effluves de riffing qui se perdent dans le bush. Roy vante aussi les vertus d’une petite chatte bien serrée avec son vieux «Neat Petite», ouh wah-ouh wah, il ramène du punk dans le stupre, il est parfait dans ce rôle infernal. Retour du midnight groover pour un fabuleux «Road House». Roy a maintenant l’habitude de brûler la chaussée, il l’a fait tellement de fois avec les Groovies, et ça continue en 1995, yeah yeah yeah, avec un Sangster en embuscade qui lui aussi sait foutre le feu. «Panic To A Manic Degree» vaut pour un joli coup de ventre à terre. Roy adore ça, il adore traverser la prairie, poursuivi par une horde de Comanches ivres de carnage. On a là du big bad live. Il réactive aussi son vieux «Comin’ After Me». C’est du sérieux. Avec Roy il faut faire gaffe. Roy le prend au premier degré. C’est le riff des Groovies par excellence. Ils tapent aussi une version assez violente de «See Jane’s Goes». Ils sont marrants, comme pressés d’en finir.

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    Nouveau coup de tonnerre avec Drunkard In The Think Tank paru en 2004. Roy gâte ses fans avec un somptueux «House Of Games». Il y ramone bien la cheminée de la maison Groovies. Avec cette débauche de Stonesy claironnante, c’est tout le son des Groovies qui redevient d’actualité. Jim Sangster claque au claironnant clairvoyant et ce «House Of Games» sonne comme l’un des plus beaux hits des Flamin’ Groovies. Autre coup de génie : «Such A Nice Boy» : Roy le monte sur les accords de Teenage Head qu’il chausse de plomb. Il vise l’heavyness subliminale. C’est d’une tenue qui scie la branche et Jim Sangster cisaille d’autant plus qu’il est devenu le killer flasher de service. Encore une belle envolée avec «Hang With Me», Roy ne lésine pas sur l’énergie, il est le roy du roll up. Voilà encore un cut explosé dans le contexte de la caryatide. Ce Sangster est un fou, il faudrait le faire interner d’urgence. Roy revient à son cher rock’n’roll avec «She’s The One» Il adore le ventre à terre, il puise ses forces et son inspiration dans sa collection de wild rockab et l’autre fou de Sangster claque un solo brûlant de fièvre. Roy rend une nouvelle fois hommage à John Fogerty avec une reprise de «You Don’t Owe Me». C’est du très beau big jump, Roy y met toute sa ferveur. On a là la conjonction de deux géants. «Nobody Does It» va plus sur la pop et Roy revient aux choses sérieuses avec un «Doggone Fine» stupéfiant de violence, emmené par le bassmatic marmoréen de Momo. Sangster passe un killer solo flash inexpugnable, c’est une véritable horreur combinatoire, le solo se tortille comme ce lombric que le pêcheur pique sur l’hameçon. Roy chante ensuite «Grapey Wine» au raw effarant et Sangster revient faire son loup garou dans «Steam». À qui vous fait penser «Jennifer Whenever» ? À Buddy Holly, bien sûr et quand il conclut avec «Let Me Go», force est de constater que Roy regorge de richesses. Un vrai pays africain ! Bizarre que les multinationales n’aient pas encore songé à l’exploiter.

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    Paru en 2007, Shake It Or Leave It sera le dernier album enregistré avec les vaillants Longshots. Il est important de préciser que Roy signe tous les cuts de cet album encore une fois explosif. Ah t’a voulu voir les Groovies à Vesoul et t’as vu Roy Loney à Vierzon, ce n’est pas la même chose. Dès «Baby Du Jour», Roy tape dans le dur, comme on dit chez les démolisseurs. Roy Loney sonne comme l’ultimate rock singer et derrière lui claque toute la Stonesy qui se puisse imaginer. Quelle erreur que de se séparer d’un shouter aussi powerful que Roy Loney. Il semble que Cyril Jordan ait passé sa vie à se tirer des balles dans le pied. Roy Loney tape dans le dur du rock avec une volonté de fer qui honore le dieu Gou du fer travaillé, il joue la carte de la Stonesy oblongue, bien balancée sous le boisseau du oooh baby. Et ce n’est que le premier cut ! Le coup de génie de l’album s’appelle «Don’t Like Nothing». Roy vient faire le con sur ce vieux bout d’heavy blues de fond de studio, mais il swingue ça à la Roy. Méchant trucker de trash out ! Comment fait-il ? On ne sait pas, mais c’est bardé d’envoyé, il nous descend dans les escaliers, help it ! Terrific ! Encore une brillante leçon de maintien. Il revient à son cher rockab avec «Miss Val Dupree». C’est sa came, il est dedans, il redevient le wild cat de San Francisco, il swingue son Val Dupree avec tout le swagger du monde. Il renoue avec l’énergie des origines. Roy is the real deal. Encore une énormité avec «Looking For The Body», toujours ancrée dans le rockab et il passe en mode demented are go. Il tape aussi «Hey Now» au wild rockab. Ce mec sait de quoi il parle. Il chante son «Big Time Love» à la meilleure veine de la déveine et bien sûr, «Big Fat Nada» nous renvoie au temps béni de Sneakers. Roy chante comme un dieu, c’est utile de le rappeler, avec mille fois plus de fantaisie que n’en eût jamais Chris Wilson. Tiens voilà encore un shoot de rockab madness : «Raw Deal». Les Longshots deviennent des fous dangereux. Il shakent le raw to the bonne et le solo s’étrangle sur la montée de bass up. Quelle dégelée ! On a là un vrai deal de raw deal.

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    En 2009, Roy revient dans le rond du projecteur avec Señor No et un album intitulé Got Me A Hot One. Les Señor No sont des Spanish guys basés à San Sebastian et quand vous ouvrez le digi, vous tombez sur une fameuse équipe : tapis dans l’ombre et rassemblés autour du roy Roy, ils arborent de faux airs de Dead Boys in the flesh, avec les tattoos et les ceinturons à clous. Roy en profite pour taper dans le vieux «Headin’ For The Texas Border» des Groovies. Il faut le voir mener le bal ! No problemo ! Il reprend aussi l’«Act Nice And Gentle» de Ray Davies. On se croirait chez les Small Faces ! Quel panache ! Roy taille sa route. Il crée chaque fois l’événement. Il tape plus loin dans le «Cara-Lin» des Strangeloves pour en faire un incroyable melting pot de Spanish glam. Il se prête au jeu de façon subversive, hey hey hey ! Tiens encore un déterrage : le «Dance With Me» des Mojo Men, garage-band californien des mid-sixties. Roy et ses wild Spanish friends en font une version violente, secouée au dance rhythm. Idéal pour un shouter comme Roy. Il y va ! Alors on l’encourage. Vive le Roy ! C’est vraiment très violent. Il assume bien. Quel shouter and what a blast ! Le hit de l’album est une compo de Roy digne de figurer sur Teenage Head : «Least Magnificent Moment». Ça gratte à coups d’acou, mais il y a du monde derrière. Roy adore voir arriver les renforts. Il n’existe rien de plus somptueux qu’une grosse compo de Roy Loney. «Least Magnificent Moment» effare par sa magnificence. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Il fait aussi des siennes dans le morceau titre d’ouverture de bal. Hot on heels ! Roy emmène ses Spanish friends en enfer, à moins que ça ne soit l’inverse, c’est explosé à un point à peine croyable. Il ne reste plus qu’à ramasser les miettes. Le «Getting Gone» qui suit est encore plus explosé du cortex, ces mecs ne connaissent qu’une chose dans la vie : l’exaction. Alors on imagine bien qu’avec un mec comme Roy au chant, ça puisse vite devenir un jeu d’enfant. C’est trop explosif pour être honnête. On est aux antipodes des Groovies 2019 qu’on a pu voir se vautrer à Paris. Roy trace la voie royale, fuck ! avec une niaque qui laisse rêveur. Ça sent bon le Spanish booze ! Et puis avec «Everything Goes», il fait carrément du Creedence. Il arrive à faire sonner son Everything comme un hit de Fogerty. Sacré Roy, il nous en fait voir des vertes et des pas mûres. Il y a plus de son dans un cut de Roy Loney que n’en peut rêver ta philosophie, Horatio.

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    Pour les ceusses qui n’ont plus de place dans leurs étagères, un compile Raven pourra faire l’affaire. A Hundred Miles An Hour 1978-1989 propose en effet un choix intéressant de cuts tirés des premiers albums solo du roy Roy, comme par exemple «Hundred Miles An Hour» qui donne son titre à cette compile palpitante et qu’on retrouve sur Phantom Tracks. C’est un bonheur que de réentendre ce vieux coup de grisou joué à la petite sourdine absolutiste. Roy n’en finit plus de traîner derrière lui sa vieille hargne de Teenage Head. On recroise plus loin le mirobolant «Least Magnificient Moment (Of My Life)». Ses chansons sont comme habitées par une voix vibrante de véracité. Il est le chanteur de rock américain par excellence. De la même façon que Ron Asheton, on a tendance à le considérer comme un second couteau, mais en réalité, il revêt la carrure d’une rock star de premier plan. Il est écœurant d’élégance. Raven nous ressort aussi l’excellent «Used Hoodoo» tiré d’Out After Dark, flanqué de sa Frisco Stonesy. C’est du sérieux, comme on dit dans les antichambres du pouvoir. Il nous déchire ensuite «Neat Petite» au riffing d’époque. Roy cranks it up ! Il keep sa baby in the glass avec un swagger inimitable. Il fait du régurgité de post-punk, mais qu’on se rassure, il tient son rang. Il subit des influences comme tout être faible, mais ça passe comme une lettre à la poste. Sa version de «Return To Sender» ne prend pas la moindre ride. Il rivalise de classe avec son dieu Elvis, par le balancé du déhanché, Roy n’en finit plus de proposer son real deal. «Phantom Mover» sort aussi d’Out After Dark. Roy fouette cocher pour une virée en mode pub-rock américain avant d’aller tomber dans les mâchoires d’un solo carnassier. Croutch ! Fantastique énergie ! «Don’t Believe Thoses Lies» et «Down The Road Apiece» sortent de Phantom Tracks. C’est explosé de son et le Road Apiece est l’un des plus beaux hommages jamais rendus aux Stones. Il est dessus avec tout le swagger possible. «Panic To A Manic Degree» sort de l’album solo Rock And Roll Dance Party. Roy le tape au pur esprit rockab, au bop-she-bop shoo wee et «Double Dare» sonne comme un hommage à Bo Diddley, avec un léger parfum de shaking à la Johnny Kidd. Raven tire «You Can’t Be Too Wild» de Fast & Loose et Roy ramène pour l’occasion toute la bravado de Flamingo. «Driving Wheel» sort du même album et sonne comme un classique rockab. Et même du Memphis rockab. Roy le travaille au corps. Puis il donne une petite leçon de garage avec «Ragged But Wrong». Il s’éclate la rate à coups de yeah yeah. C’est franchement digne des Pretties. Tout est bien sur cet album. Dommage qu’il manque le «Boy Meets Bones» enregistré avec les A-Bones et qui figure parmi les meilleurs singles de rock jamais enregistrés.

    Bon alors après, on a les bricolos des spécialistes, et comme dans tous les cas de groupes devenus cultes, ça grouille dès qu’on soulève une pierre. Sur le Teenage Head Tribute Show enregistré en juin 1998 (cadeau du Professor), on trouve une belle ribambelle de covers, à commencer par le «Can’t Explain» des Who, avec un son bien pourri, comme il se doit. Mais on reconnaît les riffs. Roy le bouffe d’une seule bouchée. Les Who ? Ha ha ha ! Croutch ! Il suffoque même de rage. Il tape aussi dans son vieux pré carré avec «High Flying Baby», une vraie merveille anthropologique. La momie se réveille, au fond du sarcophage. Aw my God, c’est Roy ! Quand on voyait les Groovies chanter «High Flying Baby» l’autre jour au Petit Bain, ça n’avait tout simplement pas de sens. Seul Roy peut allumer un tel brasero. Mais il y a trop de parlotte entre les cuts et des choses comme «Shaking All Over» ou «Evil Hearted Ada» qui devraient exploser retombent comme des soufflés. Les intermèdes ruinent tout. Dommage, car avec Ada, Roy est au sommet de son art. Il fait partie des géants du rockab. Il propose plus loin un medley définitif : «Roadhouse/Teenage Head/Slow Death», noyauté par une version royale de Teenage Head, l’un des joyaux de la couronne du rock. Ce diable de Roy le chante à la clameur. Il bouffe son vieux monster tout cru, c’est la seule raison d’écouter ce bootleg pourri : on y retrouve Roy dans son meilleur rôle de Teenage Head. Ils enchaînent avec un «Slow Death» assez dévastateur, Roy fait du Roy pur et dur avec son call-ah-doctah, il sait de quoi il parle - Ah got a fevah - Si on est sensible à la grandeur des Groovies, on est bien servi avec ce medley. Il termine avec «Second Cousin», ce qui nous permet de comprendre l’un des traits majeurs de Roy Loney : il va toujours à l’essentiel. Lorsqu’il hiccuppe son Second Cousin, il le fait sur fond de pure Stonesy. Il fait grimper le cond de Second aussi bien que le fit Chris Bailey avec les Saints.

    Signé : Cazengler, Roy Lunette (de WC)

    Roy Loney. Disparu le 13 décembre 2019

    Roy Loney & The Phantom Movers. Out After Dark. Solid Smoke Records 1979

    Roy Loney & The Phantom Movers. Phantom Tracks. Solid Smoke Records 1980

    Roy Loney & The Phantom Movers. Contents Under Pressure. War Bride Records 1981

    Roy Loney. Rock And Roll Dance Party With Roy Loney. War Bride Records 1982

    Roy Loney. Fast & Loose. Lolita 1983

    Roy Loney & The Phantom Movers. The Scientific Bomb Away. AIM 1988

    Roy Loney & The Phantom Movers. Action Shots. Marilyn Records 1993

    Roy Loney & The Longshots. Full Grown Head. Shake The Record Label 1994

    Roy Loney & The Longshots. Kick Out The Hammmmons. Impossible Records 1995

    Roy Loney & The Longshots. Drunkard In The Think Tank. Career Records 2004

    Roy Loney & The Longshots. Shake It Or Leave It. Career Records 2007

    Roy Loney & Senor No. Got Me A Hot One. Bloody Hotsak 2009

    Roy Loney. A Hundred Miles An Hour 1978-1989. Raven Records 2009

     

    Monsieur Klein

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    Le Monsieur Klein portraituré par Fred Goodman dans son livre ne doit rien au Monsieur Klein de Joseph Losey qu’incarne si fastueusement Alain Delon à l’écran. Delon incarne un personnage de fiction alors que l’autre Monsieur Klein est bien réel. S’il fallait absolument trouver un autre point commun que l’homonymie, on pourrait souligner le caractère tragique des deux destins : suite à la rafle du Vel’ d’Hiv’, Alain Klein finit dans les camps, quant à Allen Klein, eh bien il finit par perdre ses deux principaux clients, les Beatles et les Stones.

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    Dans cette histoire, l’homme qu’il faut saluer, c’est Fred Goodman. Allen Klein - The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll n’est pas une monographie ordinaire, ou si vous préférez une simple contribution à la rock culture. Goodman s’y coltine les dossiers, il se perd dans les Sargasses procédurales pour tenter de nous donner une idée du génie affairiste d’Allen Klein, un homme qui traîne depuis des décennies l’une des pires réputations, notamment dans les mémoires de Derek Taylor. Goodman se plonge dans l’étude des mécanismes contractuels pour les mettre à notre portée. Il fait ce qu’on appelle dans les métiers de la communication de la vulgarisation. Le domaine de connaissances qu’il explore pour nous n’est pas celui du rock, mais celui des experts juridiques et des avocats d’affaires, et on finit par comprendre à quel point cet univers impitoyable et d’une si grande austérité a pu impacter et même dévorer le rock et tous ses principaux acteurs, à commencer par les artistes. Pas de Stones ni de Beatles sans contrats ni montages juridiques soigneusement conçus pour les arnaquer. L’ouvrage de Goodman est à cet égard le plus fouillé et le plus révélateur de tous. En comparaison, les autres auteurs concernés par cet aspect des choses semblent rester en surface. On pourrait citer les exemples de Tommy James (portait de Morris Levy dans Me The Mob And The Music), Mick Wall (portrait de Don Arden dans Mr Big) ou même Andrew Loog Oldham dans ses deux tomes autobiographiques, Stoned et Stoned2. Tous ces auteurs abordent l’aspect financier des choses, mais jamais aussi profondément que le fait Goodman.

    Allen Klein est un juif new-yorkais qui entre dans le business un peu par hasard, en rencontrant Don Kirshner qui au tout début des sixties, est une sorte de pape new-yorkais, puisqu’il possède Aldon Music et fait travailler la crème de la crème du Brill : Gerry Goffin & Carole King, Barry Mann & Cynthia Weil, Paul Simon, et Neil Sedeka. Don sympathise avec Allen et lui dit qu’il va faire de lui un millionnaire. Et pouf, c’est parti. Allen rencontre ensuite Marty Machat, un avocat spécialisé dans le showbiz et qui compte parmi ses clients les Four Seasons, James Brown, Phil Spector et Leonard Cohen. Allen demandera à Marty de superviser tous les aspects juridiques de son business.

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    Ah le business ! Goodman le décrit comme un véritable enfer. Allen Klein découvre très tôt que les artistes tirent la langue. Ils n’ont pas de blé. «On leur verse une avance qu’ils dépensent et les frais de studio sont inscrits à leur charge. Aussi sont-ils toujours endettés. Et ils sont toujours représentés par quelqu’un qui ne veut pas qu’on vienne fouiner dans les paperasses.» Puis Klein découvre que toute l’industrie du disque triche, surtout les gros labels, qui voient les presses comme des planches à billets, n’hésitant pas à fabriquer des disques en douce pour les vendre sans que les artistes en soient informés : bénéfice net, pas de royalties à verser. Ces pratiques choquent Allen. Il voit comment le label devient le propriétaire des droits et comment il s’arrange pour calculer le pourcentage de royalties le plus bas possible. Par conséquent, la plus grosse partie du blé que rapporte un hit tombe dans la poche du label. Une pluie d’or. Zorro Klein décide alors de voler dans les plumes des labels. Il va les terroriser et faire de cette spécialité une activité extrêmement lucrative, pour lui comme pour ses clients. À ce petit jeu, il sera le meilleur. Goodman dit d’Allen Klein qu’il fut le premier et le plus pointu des business managers dans l’univers du rock moderne. Il pouvait donc demander en retour les meilleures commissions et sa part du cake. Avant Klein, le colonel Parker fut le plus gros goinfre puisqu’il a fini par monter un partenariat à 50/50 avec Elvis. Après Klein, c’est David Geffen qui va battre tous les records, en devenant à la fois l’agent, l’éditeur et le label des artistes qu’il va manager.

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    Le destin extraordinaire d’Allen Klein s’articule en trois temps : une première époque qu’on peut qualifier de pré-chauffe, où il rencontre Morris Levy, Mickie Most et surtout Sam Cooke dont il va devenir l’agent. La deuxième époque s’illustre par la rencontre d’Andrew Loog Oldham qui lui propose de prendre en charge les affaires des Stones aux États-Unis. Et la troisième époque est le couronnement de sa carrière : l’aval de John Lennon pour sauver les Beatles de la banqueroute. Goodman est tellement bon, en tant qu’investigateur, qu’on vit littéralement tous ces rebondissements spectaculaires en direct, comme si on assistait à ces rendez-vous. Allen Klein entre en réunion comme un boxeur monte sur le ring. Il vient pour gagner. Par KO, si possible.

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    L’un de ses premiers challengers n’est autre que Morris Levy, le boss de Roulette affilié à la Mafia new-yorkaise et dont Tommy James brosse un portrait si redoutable dans son recueil de mémoires, Me The Mob And The Music. Se plaignant de ne recevoir que des clopinettes, Jimmy Bowen et Buddy Knox mandatent Klein pour aller auditionner la comptabilité de Morris Levy. Pas de problème. Mais Levy a du métier. À l’étude des comptes, Klein voit tout de suite que Levy doit du blé à Bowen et à Knox. Pas de problème. Levy propose d’étaler le paiement sur quatre ans. Klein dit non. Tout de suite. Levy répond tranquillement qu’il n’a pas le blé. Donc c’est ça ou rien. Klein apprend vite. Il comprend qu’il vaut mieux ça que rien. Première leçon : prendre ce qui peut être pris et ne pas demander la lune. Morris Levy et Klein resteront amis.

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    En 1961, Lloyd Price vient trouver Klein pour les mêmes raisons : ABC/Paramount lui doit du blé. Pas de problème. Klein va auditer les comptes d’ABC/Paramount et ramène 60 000 $ à Lloyd Price. Ils resteront eux aussi des amis de longue date. La réputation de Klein grandit et un beau jour Sam Cooke lui demande de devenir son manager. Problème. Klein répond qu’il n’a jamais managé personne. Sam lui répond qu’il n’était pas compositeur quand il a composé sa première chanson. Alors Klein accepte. C’est la rencontre de deux géants. On peut même parler de rencontre magique. Klein est fasciné par le charisme de Sam Cooke. En outre, la demande de Sam le flatte énormément. Klein commence par remettre son poulain à flot en allant auditer les comptes de RCA. Il ramène une montagne de blé à Sam qui est aux anges - C’est la première fois qu’il voyait autant d’argent, mais ce n’était pas dans son intention de me demander d’aller chercher du blé. Il fut charmé - Au plan artistique, Allen n’intervient que très peu, mais quand il entend la démo d’«A Change Is Gonna Come», il sent instinctivement que c’est un hit énorme et même universel. Pourtant, il se défend d’être expert en matière de musique. Mais comme Sam hésite, Allen insiste pour qu’il l’enregistre. Le succès que rencontre le hit conforte Allen dans l’idée qu’il faut y aller avec ses tripes, plutôt que de choisir la sécurité. The gut, comme le dit si bien Goodman.

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    Pour bien ferrer ses clients, Klein commence par leur demander si ça les intéresse de gagner un million de dollars. Il en propose même deux, via une signature chez RCA, à Brian Epstein qui refuse poliment, arguant de sa loyauté envers EMI. Pas de problème. Comme il est de passage à Londres et qu’il ne veut pas rentrer bredouille à New York, il se rabat sur une poissecaille plus modeste : il passe un coup de fil à Mickie Most et demande à le rencontrer. Pourquoi Mickie Most ? Parce qu’il est devenu la coqueluche du Swingin’ London et qu’il produit des gens comme Terry Reid, les Animals, Jeff Beck, Lulu, Donovan, les Yardbirds et les Herman’s Hermits. Klein lui propose de le recevoir dans sa suite au Grosvenor. Mickie Most arrive accompagné de Laurence Myers. Klein leur propose d’emblée de leur faire gagner un million de dollars. Comment ? En renégociant leurs contrats aux États-Unis. Most se dit qu’il n’a rien à perdre. Banco ! En sortant du rendez-vous, Most et Myers éclatent de rire. Un millions de dollars ! C’est pour l’époque une somme ridiculement élevée. Mais ils n’ont encore rien vu. Klein emmène Myers en rendez-vous chez EMI. Les responsables du label les reçoivent. Ce sont des gens de la vieille école. Courtois, l’Anglais commence toujours par proposer une tasse de thé :

    — Would you like a cup of tea ?

    Allen répond sèchement :

    — I dont’ want any tea !»

    Les vieilles barbes d’EMI sursautent.

    — Vous ne voulez vraiment pas de thé ?

    Allen leur répond :

    — C’est ce que je viens de vous dire.

    Puis il ajoute :

    — Mickie ne fera plus d’albums pour vous.

    Les vieilles barbes d’EMI semblent frappées de stupeur. L’une d’elles répond :

    — Mais il a un contrat.

    Allen rétorque :

    — C’est possible. Il faut voir ça. Mais Mickie ne fera plus d’albums pour vous.

    Pétrifiés, les vieilles barbes d’EMI ne savent plus quoi dire. Silence de mort. Allen voit qu’il les tient, alors il rigole :

    — Bon, maintenant, je veux bien une tasse de thé.

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    En fait Allen Klein apprend à ses clients à se protéger des gros labels. C’est simple : ils financent eux-mêmes la fabrication des disques et négocient une licence avec les gros labels pour la distribution. Tout le bénéfice de l’opération va dans la poche du client et non du gros label. Allen apprécie tellement Mickie qu’il conseille à RCA de l’engager comme producteur. Pourquoi pas produire Elvis ? Mickie décline car il sait qu’il n’est pas à la hauteur. Sam Cooke ? Il accepte, pend l’avion pour New York et apprend en arrivant que Sam vient de se faire buter. Il n’empêche de Mickie est ravi d’avoir rencontré Allen Klein. Laurence Myers voit même Allen Klein comme un génie. Il ne pouvait y avoir de meilleure combinaison que celle du talentueux Mickie Most avec the loud ingenious Yank from New York.

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    Fred Goodman profite de cette escapade londonienne pour évoquer Don Arden qui manage à l’époque les Small Faces. Il verse royalement à chacun des quatre Small Faces 20 livres par semaine, alors qu’ils paradent en tête des charts britanniques. Laurence Myers évoque aussi une réunion chez Don Arden. Peter Grant et lui sont venus le trouver dans son bureau pour réclamer le blé qu’il doit aux Animals. Ça gueule, Peter Grant tape du poing sur le bureau. On veut le blé ! Don Arden l’ignore superbement et s’adresse à Myers. Bon alors ? Myers le menace d’un procès. Arden se marre, il ouvre un tiroir rempli d’injonctions. Il se lève et vide le tiroir par la fenêtre. Bon et alors ? Silence de mort. Arden hausse soudain le ton : «Tirez-vous immédiatement de mon bureau ou je vous balance aussi par la fenêtre !» Les Animals ne verront jamais leur blé.

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    Goodman n’en finit plus de chanter les louanges d’Allen Klein : il le montre vociférant et toujours seul, volant au secours des artistes que l’industrie du disque infantilise pour mieux les plumer. Klein vient de la rue, il utilise un langage direct et sait s’imposer, grâce à des stratégies incroyablement audacieuses pour l’époque. Il va devenir l’expert du music-business le plus puissant, le plus redouté et le plus innovant de son temps. Le besoin frénétique de réussir ce qu’il entreprend lui donne des ailes et le rend invincible. Dans toute forme de relation, il devient dominant. Il déchiffre aussitôt les traits de caractère de ses interlocuteurs, il sait lire un visage et monter sur le champ un plan pour trouver une solution. Plus la situation est complexe et plus ça le stimule. Dès qu’il trouve une faille dans la comptabilité d’une maison de disques, il prend 50% de ce qu’il trouve et le verse à l’artiste. Il se pose aussi la question : pourquoi l’artiste doit-il entièrement dépendre du label ? Parce que c’est l’usage ? Il veut briser cet usage débile. Pour lui, ce qui est irremplaçable, ce n’est pas le label, mais l’artiste. Alors, il va faire comme Aguirre, il va se réclamer de la Colère de Dieu et frapper les profiteurs. Ses clients adorent le voir terroriser les gens des labels. Alors il en rajoute. Sur une carte de vœux qu’il envoie à ses amis et à ses associés, il écrit : «Alors que je marche à travers la vallée des ombres, je ne crains ni le diable ni la mort, car je suis le plus gros bâtard de la vallée.»

    Pour lui, tout doit rester très personnalisé, car dans ce business tout repose sur la personnalité. Si ses clients lui font confiance, c’est uniquement parce que tout repose sur sa personnalité et son carnet d’adresses. Allen va réussir. Pas de problème. Sam Cooke l’a vu. Mickie Most aussi. Allen est d’autant plus gonflé à bloc qu’il défend les intérêts de gens qu’on arnaque outrancièrement. Et quand les représentants des labels commencent à pleurnicher, ça le fait bicher. Allen est le Robin des Bois du music business. Il prend aux riches pour redistribuer aux pauvres. Perfide, Myers glisse qu’en fait il ne redistribue pas tout.

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    Abordons maintenant la deuxième époque. En 1965, Andrew Loog Oldham manage les Stones. Il n’a que 21 ans. Il veut renégocier les droits d’un hit de Bobby Womack, «It’s All Over Now». Ces droits appartiennent à Sam Cooke et son label SAR. Il prend rendez-vous au Hilton avec J.W. Alexander, le représentant de SAR. Quand il arrive, il voit Alexander, le seul black du restaurant accompagné d’un blanc. Alexander fait les présentations : «This is our business manager, Allen Klein.» Ce qui frappe le plus Allen, c’est l’assurance que montre ce blanc bec d’Andrew. Il faut savoir qu’Andrew Loog Oldham ne jure que par Phil Spector, pas seulement pour son génie productiviste, mais aussi pour son sens des affaires et sa connaissance du business. Andrew a beaucoup appris en fréquentant Phil - I had the opportunity to model myself after a perfect little hooligan - Phil est son Harvard, il lui enseigne à prendre le contrôle des artistes qu’il manage et à ne pas dépendre d’un label : il faut monter sa propre boîte de prod et conserver la propriété des enregistrements. Spector lui enseigne aussi la règle de base : Screw or be screwed, qu’on traduit en français par : ‘Baise-le autrement c’est lui qui va te baiser.’ C’est exactement ce que prône Allen Klein. Alors forcément, Andrew est ravi de rencontrer Allen. Ils sont de la même trempe. Andrew montre qu’il est prêt à mordre. Pour bien ferrer l’hameçon, Allen sort sa tirade préférée : «Alors Andrew, vous n’êtes pas encore millionnaire ?»

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    Il faut se souvenir qu’Andrew Loog Oldham fut un temps l’attaché de presse des Beatles à Londres, mais il ne parvint jamais à se lier à eux. Les Beatles étaient des purs working-class kids originaires de l’une des villes les plus dures d’Angleterre et s’ils débarquaient à Londres, c’était uniquement pour faire du business, pas pour copiner. Ils étaient les clients d’Andrew, rien de plus. Puis en 1963, Andrew découvre les early Stones au Crawdaddy Club. Il n’aime pas trop leur musique, mais il est frappé par le côté sexually driven de Jagger. Andrew s’improvise producteur pour sortir un premier single, le fatidique «Come On» de Chickah Chuck. En fait Andrew fait ce que fit Andy Warhol avec le Velvet : il laisse faire le groupe. Keef : «That was the genius I think of Andrew’s method of producing, to let us make the records.» Ian Stewart n’aime pas Andrew, mais il reconnaît que les Stones lui doivent tout, surtout leur image. Andrew va en effet en faire des bad boys. Leur succès va d’ailleurs venir plus de leur image que de leur musique. Et là, Goodman nous entraîne dans l’histoire des Stones, une histoire dont on ne se lasse décidément pas. Sur scène, Jagger imite des mimiques d’Andrew : rouler des hanches et rouler des yeux, porter des manteaux de fourrure et secouer abondamment les mains. Mais Andrew a déjà beaucoup d’avance puisqu’il prend modèle sur Phil Spector pour se livrer à tous les excès : costumes et bagnoles de luxe, speed et alcool, garde du corps et pratiques outrancières d’enfant terrible du show-business. Mais tous ces excès commencent à poser des problèmes à Keef & Mick. Un soir dans une chambre d’hôtel, Andrew fait le con avec un arme. Keef & Mick parviennent à le désarmer, lui collent une trempe et l’envoient se coucher. On sait aussi qu’Andrew n’aime pas Brian Jones. Il lui reproche essentiellement de ne s’intéresser qu’à sa petite personne. Et ça va se dégrader très vite : Brian découvre le LSD lors d’une tournée américaine. Il disparaît plusieurs jours et les autres doivent monter sur scène sans lui. Très vite, Keef & Mick en arrivent à la conclusion suivante : la vie des Stones serait bien plus agréable sans Brian Jones.

    Andrew demande à Allen de prendre en charge les intérêts des Stones aux États-Unis. Pas de problème. On commence par faire le ménage à Londres. Rendez-vous chez Decca avec Sir Edward. Allen impose aux Stones de fermer leur gueule. Pas un mot pendant la réunion. Vous restez assis et vous tirez des gueules d’empeignes. Ça, les Stones savent très bien le faire. Les collaborateurs de Sir Edward souhaitent voir Eric Easton, qui est leur interlocuteur habituel et co-manager des Stones avec Andrew. Pourquoi, demande Allen, il joue d’un instrument ? Silence de mort. Sir Edward demande : «Que voulez-vous ?» Allen le tient. Il demande à voir tous les papiers. «On est en 1965, ils sont sous contrat depuis 1963 et n’ont reçu aucun versement de royalties. Nous sommes lundi. Je reviens demain soir et je veux voir tous les papiers.» Decca propose de verser 300 000 $ d’avance sur les ventes à venir. Allen trouve la proposition insultante. Il finit par obtenir 600 000 $ pour un an de contrat. L’année suivante, Allen renégocie pour 700 000 $. Les Stones n’avaient jamais vu autant de blé de leur vie. Mais tout cela n’est rien en comparaison de ce qu’il fait pour eux aux États-Unis : il organise leur deuxième tournée et en fait des super stars : les Stones voyagent à bord d’un avion privé. On voit leurs affiches sur Sunset Boulevard. Marianne Faithfull ajoute que sans Allen, les Stones ne seraient restés rien d’autre qu’un petit groupe de rock anglais. Quand Brian Jones propose qu’Allen devienne le manager des Stones, Allen refuse. Il manage Oldham. C’est le contrat qu’il a passé avec les Stones et il s’y tient. Il sait aussi qu’il n’est pas qualifié pour ça. Il a l’oreille pour Sam Cooke, mais pas pour la musique des Stones. Au plan personnel, Allen aime bien Keef et respecte Charlie Watts. Mais il n’aime pas Bill Wyman qui passe son temps à se plaindre. Puis les Stones comprennent qu’ils n’ont plus besoin de publicité et surtout pas de cette réputation de bad boys qui commence à se retourner contre eux. C’est bien gentil de jouer les hors-la-loi, mais ça finit par devenir épuisant. Ils sont en quête d’une certaine forme de respectabilité. Andrew dit qu’on reçoit les Beatles chez le Premier Ministre. Pas de danger que ça arrive aux Stones.

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    Quand les stups débarquent à Redland et que les Stones sont arrêtés, Andrew flippe et se barre aux États-Unis. Il ne veut pas aller moisir au trou. Alors c’est Allen Klein qui vole au secours du groupe. Keef & Mick n’ont plus aucun respect pour Andrew qui s’est enfui. En 1967, Jagger finit par se débarrasser d’Andrew pour une autre raison : Andrew gagnait cinq fois plus de blé que lui. Jagger prend en main les affaires du groupe et, pour se débarrasser d’Allen, il engage le Prince Rupert Loewenstein comme conseiller financier. Un beau matin, Allen reçoit une lettre : ‘Nous n’avons plus besoin de vous.’ C’est signé des avocats représentant les Stones. Mais on ne se débarrasse pas d’Allen comme ça. En 1968, il rachète les parts d’Andrew dans le business des Stones et devient propriétaire de tous les hits qu’ont enregistré les Stones. C’est le plus beau coup d’Allen. En 1971, il ramasse 50% des royalties de tout ce que font les Stones. Goodman précise que c’est considérable. En fait, Andrew Loog Oldham va mettre un temps fou à accepter l’idée d’avoir vendu sa poule aux œufs d’or à Allen Klein. Ils continueront cependant d’entretenir tous les deux une relation intense, Klein veillant à maintenir l’équilibre entre l’amitié, le business et la bonne conduite, the fairness. Par contre Jagger ne parviendra jamais à accepter l’idée d’être condamné à rester le partenaire financier de Klein, même après avoir réussi à se débarrasser de lui. L’idée que Klein va continuer de palper 50 % des royalties des Stones le hante.

    Selon Goodman, Allen Klein n’est pas un manager financier, mais plutôt l’inventeur de flux financiers, à la fois pour lui et ses clients. Il fait par exemple travailler l’argent de ses clients déposés sur des comptes, pour éviter que les impôts n’en sucrent 90% : c’est l’argent des Stones, des Heman’s Hermits, de Bobby Vinton, des Kinks, des Animals et de Donovan. C’est sa façon de protéger leurs intérêts en générant du cash. Ça représente des millions de dollars qu’un broker fait travailler à Wall Street.

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    Troisième époque. Bon, maintenant qu’il a les Stones, il veut les Beatles. C’est une façon de se prouver à lui-même qu’il est le meilleur. Il part d’un principe tout bête : les Beatles sont les meilleurs et lui, Allen Klein, il est aussi le meilleur. Alors ça va devenir un obsession. Si Allen prend Donovan sous son aile c’est parce qu’il sait pertinemment qu’il est proche des Beatles. Ça n’est un secret pour personne, ni pour Mickie Most, ni pour Ray Davies : Allen veut les Beatles et il les aura. Comme le rappelle Derek Taylor dans As Time Goes By, les Beatles ne veulent pas entendre parler d’Allen. Trop mauvaise réputation. Mais Allen a plus d’un tour dans son sac. Il se pointe au Rock’n’Roll Circus que tournent les Stones en décembre 1968 dans le seul but de rencontrer John Lennon. En fait ça intrigue Lennon que les Stones aient encore plus de succès depuis qu’Allen Klein s’occupe d’eux. Très peu de gens ont la confiance des Beatles et Derek Taylor en fait partie. C’est lui qui conseille à Lennon de prendre Klein au téléphone. Le contact s’établit enfin et le 26 janvier 1969, Allen reçoit John et Yoko dans sa suite au Dorchester. Lennon est sur ses gardes, mais l’entrevue se passe bien, car Allen est comme lui, il vient de la rue et sait dire les choses in the face. Allen ne ressemble pas aux gens du business que Lennon a l’habitude de fréquenter. 1969, c’est aussi l’époque de la boutique Apple et du building Apple à Savile Row qui sont des gouffres financiers. Les Beatles veulent faire du mécénat, mais Lennon sait que ça doit d’abord rester du business. Tout le monde chez Apple tape dans la caisse. La boutique est pillée en quelques mois. Lennon dit qu’il faut donner un coup de balai. Il voit en Allen le sauveur des Beatles, le bulldozer dont il a besoin pour nettoyer le désastre d’Apple Corps. C’est encore une fois une rencontre qu’il faut qualifier d’historique et Fred Goodman dans l’infinie bonté de son génie d’écrivain nous fait assister à cette rencontre au sommet. À la fin de la réunion, Allen fait entrer une secrétaire qui attendait dans le couloir. Elle tape une lettre aux gens d’EMI et de NEMS les informant que John Lennon charge Allen Klein de représenter ses intérêts et leur enjoint de fournir l’aide et les documents nécessaires. Ça y est, Allen touche au but. Bon les Beatles sont quatre. George et Ringo suivent eux aussi Allen, mais pas McCartney qui veut voir son beau-père Lee Eastman veiller sur les intérêts des Beatles. Pour les trois autres c’est impensable. Ils n’aiment pas trop McCartney et l’idée que son clan supervise les finances des Beatles leur est intolérable. Quand en réunion Lee Eastman craque et insulte un Allen royal qui garde son calme, Lennon se régale. S’il est une chose que Lennon comprend bien, c’est le power. Il est comme Allen, il est le leader. Aussi est-ce impensable que le clan McCartney prenne le contrôle de l’empire financier des Beatles. Aux yeux de Lennon, c’est une hérésie. Il déteste encore plus voir Lee Eastman, avocat des grands peintres américains, se montrer condescendant envers lui, avec ses Picasso accrochés au mur et son blah blah sur Kafka. Et quand Eatsman se moque des manières d’Allen, Lennon comprend que le beau-père de McCartney n’est qu’un snob. Il le traite de fucking animal, il ne veut pas le voir dans les parages. Il préfère mille fois les souvenirs d’enfance d’Allen à l’orphelinat.

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    Allen va aussi se heurter au mépris de l’establishment britannique. Ses manières agressives et ses dirty polo shirts ne passent pas. Comme le fut Jerry Lee pour d’autres raisons, Allen est sauvagement attaqué dans la presse anglaise.

    Ce succès auprès des Beatles a une conséquence inattendue : à partir du moment où Allen prend en charge les intérêts des Beatles, les Stones le vivent mal. Ils ne veulent pas se voir encore une fois relégués en deuxième position. C’est d’après Goodman la raison principale de l’éviction d’Allen du camp des Stones.

    Allen découvre aussi très vite que McCartney a racheté en douce des parts des Beatles, ce qui le rend majoritaire dans le montage juridique. C’est le commencement de la fin pour les Beatles. Lennon avait annoncé en privé qu’il quitterait le groupe, mais c’est McCartney qui va être le premier à le quitter officiellement. Pas de problème. Allen s’en fout. Il a réussi à faire le ménage chez Apple et il a toute la confiance de Lennon. Les employés d’Apple haïssent ce fat bastard d’Américain. Allen gère aussi les carrières de George et Ringo. Il aide George à promouvoir All Things Must Pass, un George qui respire enfin car il avoue gentiment que John et Paul ne voulaient pas entendre parler de ses compos. Mais aux yeux d’Allen, le plus important c’est John Lennon qu’il admire profondément.

    Pour dissoudre le partenariat des Beatles, Lee Eastman réussit à convaincre McCartney d’intenter un procès aux trois autres. Êtes-vous sûr ? Et Eastman lui répond qu’il risque la banqueroute s’il ne casse pas ce partenariat. McCartney invoque quatre motifs : les Beatles ne sont plus un groupe, la présence de Klein est inacceptable, il craint pour sa liberté artistique et les comptes sont devenus opaques. C’est évidemment Klein qui est la cible de ce procès. L’ironie de la situation, c’est qu’Allen Klein a sauvé les Beatles de la banqueroute, y compris McCartney. Contre toute attente, McCartney gagne son procès, ce qui est une beautiful absurdité. La seule chose qu’on peut reprocher à Allen Klein, c’est d’avoir ramené sa réputation douteuse dans le monde protégé des Beatles, rien d’autre. Pour se consoler, Allen voit que John, George et Ringo lui conservent leur soutien. Et ils sont tous les trois plus furieux que jamais à l’égard de McCartney. Pour eux, la vengeance de McCartney est aussi inutile qu’absurde. Plus tard, McCartney dira aux journalistes qu’il n’est pas fier d’avoir gagné son procès contre Klein, mais selon lui, cela devait être fait. McCartney n’en finira plus de se voir comme le vainqueur d’un combat de titans.

    Le contrat que Klein a passé avec les trois Beatles est renouvelable chaque année et en 1973, il les perd tous les trois. John, George et Ringo ont évolué et sont passés à autre chose. Après cette catastrophe, l’IRS - l’équivalent américain du ministère des Finances - lui intente un procès en 1980 pour non-déclaration de revenus et l’envoie au trou pour deux mois. Allen purge sa peine sans faire d’histoires. En arrivant dans sa cellule, il s’exclame : «Enfin seul ! Enfin la paix !» Il aurait pu aussi déclarer comme Apollinaire : «En arrivant dans ma cellule/ Il a fallu me mettre nu/ En une voix sinistre hulule/ Guillaume qu’es-tu devenu.»

    Qu’on se rassure : Allen et John se retrouveront un peu plus tard. Ils seront amis pour de vrai. Goodman va loin puisqu’il affirme que Lennon fut le meilleur ami de Klein - The closest Allen Klein had ever come to a soulmate was John Lennon - Jusqu’au moment où un mec descend Lennon dans la rue, devant le Dakota, trois mois après qu’Allen sorte du trou.

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    En 1980, les gens savaient trois choses d’Allen Klein : il s’était fait virer par les Stones, par les Beatles et qu’il sortait de prison. Pas mal pour le champion du monde du showbiz. Allen redevenait un outcast, comme à ses débuts. Ses seuls clients étaient Phil Spector et Bobby Womack. Phil et lui avaient l’air de deux Napoléons déportés sur l’île d’Elbe. Pourtant, quand Allen se pointe aux cérémonies du Hall of Fame, les invités de marque grouillent à sa table : Bobby Womack, Lloyd Price, Andrew Loog Oldham et la famille de Sam Cooke. Mais Goodman prend soin de préciser le détail le plus important : Allen Klein ne fera jamais partie de la ‘famille’ du showbiz, étant donné qu’il fut pendant tout le temps de sa carrière un loup pour cette ‘famille’. Il aura toute sa vie combattu la convoitise des maisons de disques et tenté de préserver un tant soit peu l’intégrité artistique de ses clients. Forcément le business hait profondément Allen Klein. Pas de problème. C’est ce qu’attend Allen, fort de son éthique personnelle en matière de business. Parmi ses deux principaux ennemis, deux sont d’anciens clients : Jagger et McCartney. Ça veut dire ce que ça veut dire.

    Jusqu’à la fin de sa vie, Allen Klein va continuer de protéger ses artistes, notamment Bobby Womack et le pauvre Phil Spector, devenu la risée du showbiz.

    Signé : Cazengler, le Klinquant

    Fred Goodman. Allen Klein. The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll. Houghton Miffling Harcourt 2015

    GENE VINCENT AND THE BLUECAPS

    ROB FINNIS & BOB DUNHAM

    ( 1974 )

    ( On Calameo / c : alainmallaret )

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    Par chez nous, en France, la carrière de Gene Vincent aux Etats-Unis est beaucoup moins bien connue que ses années européennes. C'est pourtant là-bas que tout a commencé. Ce n'est pas tout à fait de notre faute, les américains eux-mêmes ne se sont guère intéressés à ce pionnier légendaire et capital. Dès 1974 Rob Finnis et Bob Dunham se sont acharnés à rétablir ce chaînon d'autant plus manquant qu'originel. Quand on compare cette modeste brochure, avec sa frappe serrée tapée à la machine à écrire, aux gros livres grands formats, sur papier glacé, agrémentés de photos couleurs qui tentent de répertorier les concerts d'Elvis il y a de quoi faire grise mine. Mais Rob Finnis et Bob Dunham se sont livrés à un travail de fourmis laborieuses. Ont récupéré toutes les interviews – en ont effectué une partie par leurs propres soins - qu'ils ont pu recueillir auprès de témoins directs et surtout des protagonistes de l'aventure in person ou dans d'anciennes coupures de presse. Certes depuis on les a souvent pillés et l'amateur vincenal ne manquera pas de remarquer bien des extraits lus en différents articles ou livres ultérieurs. Mais les voir compilées en un seul récit change les perspectives.

    LE KID

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    Gene l'a lui-même souvent répété, le succès est arrivé trop vite. Un gamin, qui du jour au lendemain se voit propulsé en haut de l'affiche, sans préparation, et même sans idée préconçue de ce qui pouvait arriver. Au mieux il s'attendait à un hit local dans les états du Sud. Ce ne fut pas le cas. Certes le gamin était doué, il suffisait d'entendre sa voix pour comprendre que l'on n'avait pas affaire à un amateur parmi tant d'autres. Carl Perkins de passage à Portmouth en fut convaincu dès qu'il l'entendit en première partie de son show. En fut enthousiasmé. Oui mais le rat des champs country avait tout pour reconnaître un frère dans cet urban rat. L'entente fut immédiate entre le paysan et le prolétaire.

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    Gene jeune n'avait pas la classe. Pas un chat de salon bien éduqué au poil luisant. Ressemblait un peu trop à ces griffus efflanqués qui hantent les rues et mangent un jour sur deux, des dents pourries, des vêtements pas très propres, un accent à couper au couteau, des réparties agressives pour cacher un fort sentiment de gêne lorsqu'il se sentait obligé de faire confiance à des gens qu'il ne connaissait pas et devant des situations qu'il se savait incapable de maîtriser. Ainsi Gene sera toujours très mal à l'aise avec les DJ's des radios locales qui l'interrogent pour promotionner les concerts, son accentuation reste un peu hermétique pour les auditeurs et devant l'insistance des animateurs Gene se cabre... Bientôt il refusera de se rendre aux interviews. Un fils de pauvre qui manquait de culture et d'aisance relationnelle. Tout pour perdre. Oui mais voilà, l'on se bat avec les armes que l'on a. Gene n'avait qu'une balle dans son fusil. Elle s'appelait Be Bop A Lula et il allait se révéler un tireur d'élite.

    DES AMATEURS

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    Par contre la logistique ne fut pas à la hauteur. Il est inutile de s'en prendre à ceux qui drivèrent l'aventure. C'est grâce à Sheriff Tex Davis que Gene fut appelé pour un essai qui s'avéra vite concluant chez Capitol. Une grand gueule le Sheriff, un jeune américain typique qui s'est fait lui-même grâce à la tchache, n'est-il pas disc-jockey à WCMS, et quand il fallut dare-dare partir en tournée, il s'imposa qu'il était le seul capable de s'improviser du jour au lendemain manager. Les cols-blancs des booking-tours firent vite le tour de la faconde de l'individu, eurent tôt fait de rédiger les contrats idoines à l'avantage de la firme qui les employait. Ne lui jetez pas la pierre vous qui ne prenez pas la peine de lire les petites lettres au bas desquelles vous signez en toutes confiance pour acheter un frigidaire...

    Capitol fut la poule qui décide de couver un œuf de cygne sauvage dont elle ne se souciera plus une fois éclos. La firme voulait une vedette capable de rivaliser avec Elvis Presley. Et voilà qu'ils avaient trouvé the voice ! Chez RCA aussi, mais une fois que l'on eut Elvis dans l'écurie, l'on chouchouta le pur-sang, l'on recruta un état-major pour s'occuper de la suite des opérations. Chez Capitol, puisque Ken Nelson avait trouvé le bébé on le lui laissa, sans ajouter un peu d'eau chaude pour le bain...

    IGNORANCE BONNE CONSEILLERE

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    L'amiral Nelson était bien embêté avec son nouveau bateau. L'avait pensé d'abord à changer l'équipage, l'avait prévu Owen Bradley, Harold Bradley et Russel Wilaford pour prendre la place des jeunes pirates qu'il supposait inexpérimentés, mais non, il s'avéra vite que Willie Williams, Cliff Gallup, Jack Neal et Dickie Harrel feraient amplement l'affaire. On avait les musiciens, il restait à les enregistrer. Ce ne fut pas une partie de plaisir. Les Blue Caps, ainsi se dénommeraient-ils, jouaient trop fort et crime de lèse-majesté dans ce studio plutôt exigu, la voix de Gene était inaudible. Il fallut tâtonner, séparer Gene des autres et écarter un tant soit peu les instrumentistes, les uns des autres. Pour un coup d'essai, la clarté sauvage de l'enregistrement de Be Pop A Lula fut un coup de maître.

    IGNORANCE MAUVAISE CONSEILLERE

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    Quelques mois plus tard les guys étaient sur la route lorqu'ils furent rappelés pour une nouvelle session d'enregistrements. Arrivèrent comme des cheveux sur la soupe qui n'avait pas été préparée. Le groupe ne possédait que des idées de titres, pas le temps de vraiment composer durant les concerts et les voyages harassants, quant à Capitol personne n'avait songé à pré-sélectionner quelques morceaux, fallut se débrouiller avec ce qu'ils avaient, mais ce n'était plus le même studio, celui-ci était bien trop grand conçu pour les big bands qui accompagnaient Franck Sinatra, les boys eurent le mauvais réflexe de se regrouper sur eux-mêmes tout à côté de Gene. La qualité sonore s'en ressentit. Quant aux ingénieurs à la console ils laissèrent défiler les bandes sans penser que le son se travaille... Pour les disques suivants ce ne fut guère mieux. Même une fois, lead, rythmique et basse furent branchées sur le même ampli. Bye-bye la clarté... Finnis et Dunham sont toutefois d'après moi un peu trop sévères sur la netteté sonique des cinq premiers trente-trois tours de Gene.

    BE BOP A LULA KID

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    Lorsqu'il fallut partir en tournée, les Blue Caps acceptèrent comme un seul homme. Pensez à l'enthousiasme de Dickie qui n'avait que quinze ans. Ce ne fut pas une partie de plaisir. Ce n'étaient pas des musiciens professionnels. Au bout de trois semaines, les tiraillements se firent sentir. L'est sûr que dans cette préhistoire du rock ce n'était pas encore le déploiement opérationnel des Rolling Stones ou de Led Zeppelin. Entassés dans une grosse voiture et vogue la galère. Après le show, hôtel de seconde zone. Beaucoup de monde dans les concerts. Les boys ont un répertoire teinté de country pour les endroits traditionnels et un autre résolument plus remuant pour les publics plus jeunes. Faut peu à peu remplacer les musiciens qui démissionnent. La palme revenant à Cliff Gallup qui s'ennuie de sa femme et qui plus tard déclarera qu'il préférait animer les mariages en jouant du country pépère près de la maison que de courir les routes à plusieurs milliers de kilomètres de chez lui. Pour un homme qui aura posé les bases de la guitare rock malgré l'admiration que je lui porte je n'ai jamais pu m'empêcher de penser que question attitude rock, c'était un peu limite...

    Il y a plus grave, le fait que Gene n'ait pas un big hit à mettre sur le marché, Capitol ne navigue pas à vue mais aux yeux fermés. L'aventure se termine un peu en queue de poisson. De toutes les manières Gene souffre énormément de sa jambe blessée. Retour à la maison. L'année 1956 se ferme bêtement sur les fêtes en famille...

    BE BOP BOOGIE BOY

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    Tout autre se serait découragé. Mais Gene prépare son retour. Ne s'agit pas de repartir sur la route sans nouveaux biscuits. Commence par recruter un nouvel équipage. Ne promet rien mais son nom attire le monde. Des jeunes, qui ont envie de s'amuser et de mettre le zbeul, savent que Gene n'a pas les fonds pour aligner la monnaie, mais ils viennent pour le fun. En plus Gene change la formule, il y aura à certaines périodes un piano, et surtout des clappers boys qui chantent et dansent à ses côtés. La fête s'étalera sur deux ans. La montée de Lotta Lovin' dans les charts aidera à la propagation de la rébellion rock. Car c'est ainsi que les prestations de Gene et de ses condisciples sont perçues. Too much. Too soon. Ce n'est pas un hasard si les amerloques ont passé sous silence les frasques rock'n'rollesques de Gene. Beaucoup de monde, filles en folie, sont à plusieurs reprises sauvés in extremis par la police des fans qui les déshabillent littéralement pour garder un souvenir de la mémorable soirée. Ambiance de fous. C'est un peu le turn-over chez les Blue Caps, jusqu'à D. J. Fontana, le batteur d'Elvis, qui assurera ses dates mais ne voudra pas continuer trouvant la pression trop délirante. Gene boit de plus en plus. Tout le monde l'admire. Tout le monde le déteste. Jouer avec lui est un honneur mais pas une sinécure. Il dit aux musiciens de se laisser aller, de se rouler par terre s'ils le veulent, mais il prend garde à être toujours au centre du tourbillon. Les clappers guignent vers une carrière solo... Les tensions s'accroissent d'autant plus qu'il paie avec de plus en plus de retard. En plus il emmène Darlene et son bébé dans la voiture. Jusqu'au matin où il a promis de les payer, mais il s'est enfui avec Darlene en Alaska... C'est la fin des Blue Caps, le livre s'arrête...

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    1959... ET APRES

    Gene restera huit mois en Alaska. Une absence qui lui sera fatale. Des petits rockers bien propres sur eux sont catapultés dans les médias... N'ayant plus de carte de travail américaine Gene ira au Japon, puis en Angleterre et en France, une nouvelle aventure commence. Rob Finnis et Bob Dunham sont excessivement sévères pour le dernier LP Crazy Times. Ils n'ont pas oublié la tournée en Australie avec Little Richard et Eddie Cochran qui participera aussi à A record date with Gene Vincent, un Eddie que les musiciens définissent comme un Blue Caps à part entière...

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    Gene est prêt à entamer sa seconde carrière. Mais le book rend justice à la première. Les témoignages sont formels et concordent, Gene et les Blue Caps furent ce qu'il y avait de plus excitant en matière de rock'n'roll en ces premières années américaines.

    Beaucoup de faits rapportés mais pratiquement pas d'analyse psychologique de la part des auteurs, ces gamins qui se retrouvent sans en être totalement conscients aux commandes d'un phénomène musical d'une ampleur sans précédent, pratiquement abandonnés à eux-mêmes, apprennent les amères douceurs de la vie à leurs dépens. Ils furent les jouets de pratiques industrieuses d'un showbiz avide de profits immédiats qui les pressa sans vergogne et puis les rejeta sans pitié... La vague retombée, toute une génération de ''petits'' rockers du Sud des Etats-Unis retourna non pas à l'hôtel des cœurs brisés mais très prosaïquement à leur boulot... Gene n'abandonna pas. La rage rock'n'roll l'habitait. Cet homme avait des capacités de reviviscences phénoménales. Se révéla être un capteur et un dispensateur d'énergie peu commune.

    Damie Chad.

     

    GENE VINCENT AND THE BLUE CAPS

    ( Collection Rock'n'roll Memories )

    (1979 )

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    Il est des êtres malfaisants que l'on retrouve partout. Par exemple Jacky Chalard qui dirige la collection Rock'n'roll Memories, bassiste de Dynastie Crisis, accompagnateur de Noël Deschamps, Ronnie Bird, Vince Taylor, fondateur du label Big Beat ( la crème du rockabilly ), des groupes français comme les Alligators et Jezebel lui doivent une fière chandelle, j'arrête la liste car elle est longue, vous avez aussi Alain Mallaret, Marc Alesina, Georges Collange et Philippe Fessard éminent guitariste d'Ervin Travis et des Ringtones qui ont fourni des photos. Aujourd'hui, connues et archi-connues, elles traînent partout sur internet, à l'époque fallait avoir le numéro 11 – 12 Spécial Gene Vincent de Big Beat pour en avoir un aussi beau florilège... Attention, à part la couverture, elles sont toutes en blanc et noir, même celles que l'on trouve en couleurs aujourd'hui.

    Pour ceux qui ne connaissent pas l'anglais, le texte reprend en partie les propos de Robert Finnis et de Bob Dunham de la brochure Gene Vincent And the Blue Caps chroniquée ci-dessus.

    Damie Chad.

    GENE VINCENT EUROPEAN TOUR

    ( Collection Rock'n'roll Memories )

    (1979 )

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    Ce coup-ci le texte est de Jacky Chalard. La suite des évènements que ne traitent pas Rob Finnis et Bob Dunham. Gene gagne l'Europe fin 1959. L' Angleterre où il est accueilli par les fans qui ne connaissent pas grand-chose de ses prestations scéniques, sinon par ses apparitions dans La Blonde et Moi et Hot Rod Gang qui dans les deux films ne sont pas données in extenso... Sa première apparition publique enthousiasme les fans qui n'avaient jamais vu ça. L'on a peu de documents sur ses deux Musicorama le 15 décembre à l'Olympia ( Paris ). S'est-il vraiment fait voler sa tenue de scène ( cuir ? daim ? ), ce qui est plus sûr c'est qu'il est accompagné par l'orchestre maison très variétoche, est-ce Jean-Jacques Debout qui aurait permis au jeune Johnny Hallyday d'assister aux répétitions et aux spectacles, à moins qu'il ne soit venu, selon ses dires, accompagné sa tante Hélène Mar,... quant à souscrire Gene aurait le soir même chanté dans un club avec Nancy Holloway ( Nino Ferrer à la basse ), dans son irremplaçable Gene Vincent Dieu du rock'n'roll, l'on sent que Jean-William Thoury n'en mettrait pas sa main au feu... L'anecdote me semble un peu trop calquée sur la légendaire soirée d'Elvis Presley meets Nancy Holloway in Paris...

    L'année soixante sera souveraine et catastrophique. Gene triomphe en Angleterre à tel point qu'Eddie Cochran décide de se rendre avec lui en la perfide Albion. Le 17 avril lui sera funeste... Gene Vincent ne s'en remettra jamais totalement, dans les années qui suivront, sa santé subira plusieurs alertes, la jambe blessée qui ne s'améliore pas, opération d'un kyste près du cerveau qui l'incapaciterait auditivement, malgré cela les tournées s'enchaînent, mais Gene a de plus en plus besoin de moments de repos, il ne s'écoute guère, c'est en cette période qu'il bâtit sa légende européenne. 1966 sera en demi-teinte, malgré la sortie de Bird Doggin' le succès s'éloigne. Une poignée de fans français décidés à le supporter à tout prix organisent une tournée sur le sol national. Ce ne sera pas une réussite, Jean-Claude Pognant fait ses armes de manager, un métier dans lequel il est difficile d'improviser, surtout que Gene n'est pas facile à canaliser. Trop d'alcool et de médicaments pour combattre la douleur à la jambe... Il reviendra en France en 1969, Gene n'est pas au mieux de sa forme, la tournée s'avère chaotique, il reste de belles images d'un concert au Golf-Drouot accompagné par les musiciens de Johnny Hallyday. En juin 1970 il revient en France, l'on affirme qu'à Saint-Etienne il donnera son meilleur concert après avoir ingurgité cinq litres de Martini... En septembre 1971 il essaie une dernière tournée en Angleterre qu'usé et affaibli il ne pourra pas mener jusqu'au bout, menacé de prison par un huissier pour non-paiement de pension alimentaire il s'enfuit en Amérique. Il se retrouve seul dans une maison entièrement vide, Marcia Avron sa dernière petite amie est partie en emportant les meubles et ses enfants. Gene sait qu'il a atteint le bout du chemin. C'est la fin, il meurt d'un ulcère à l'estomac provoqué par une trop grande ingestion d'alcool... Onze jours avant sa mort, alors qu'il est studio de la BBC Gene demande à ses musiciens de jouer Distant Drums, la ballade sera enregistrée sans répétition en une seule prise, la voix de Gene est splendide, le chant agonique du cygne noir :

    ''Then I must go

    Across the sea, so grey and wild''

    Nous reste cette voix si douce et si sauvage... Combien de temps l'entendrons-nous encore...

    Damie Chad.

     

    *

    La malédiction du caméléon calamiteux me poursuit. J'en avais fini avec ma chronique sur Gene Vincent ( voir au-dessus ) que Gilles Vignal me signale sur Calaméo la parution de BBM 33, un modeste – lui il emploie l'adjectif monumental – ouvrage de 258 pages consacrées à Carl Perkins, donc séance tenante lecture du pavé perkinien dont voici une rapide chronique. Comme par hasard, ce monument a été cornaqué par Alain Mallaret. Je rappelle que le premier numéro de Big Beat parut ( sur papier ) en mai 1969, c'était une production de la FARC ( Fédérations des Amateurs de Rock'n'roll et de Country 'n' western ). Je ne résiste pas au plaisir de donner les noms de cette équipe passionnée à qui le rock'n'roll doit une fière chandelle : Michel Thonney, Michel Grezes, Dominique Thura, Bernard Boyat, Philippe Bas-Raberin, Thierry Walter, Kurt Morh, Bruno Le Trividic, Pierre Penonne, Roll Chanty, George Collange, auxquels il faut ajouter Joël Vaizan, Marc Alésina, et Alain Mallaret.

    BIG BEAT MAGAZINE N° 33

    CARL PERKINS

    ( Décembre 2019 )

    L'ouvrage commence par une bio de Perkins réalisée par Jean-Pierre Hämmerli. Je ne vais pas me perdre dans les multiples détails doctement répertoriés, en voici un résumé succinct. Je vous recommande toutefois d'aller y voir par vous-même, superbement illustré et mis en page. Si vous ne connaissez pas Carl Perkins, c'est simple, Carl c'est Elvis Presley qui a réussi. Ne rêvez pas, n'a pas gagné davantage de millions de dollars que le Pelvis, non, pourtant lui aussi a commencé chez Sun, et l'a tout de suite composé quelques classiques du rock'n'roll, Elvis s'est dépêché d'enfiler ses chaussures de daim bleu qui lui allèrent comme un gant. C'est après que ça s'est gâté, un stupide accident de voiture qui sera responsable de la disparition de ses deux frères, conjugué à la baisse de l'intérêt envers sa personne d'un public versatile et à l'éloignement de Sam Phillips qui ayant cédé Elvis à RCA misait désormais toutes ses billes sur Jerry Lee Lewis. Une lente descente, alcool + pills ( contributions amicales de Johnny Cash ), et puis une carrière en dents de scie, très vite vénéré en Angleterre – les Beatles ont repris Everybody's trying to be may baby, Honey don't et Matchbox - et chez les amateurs de pure rock'n'roll, mais il bénéficiera surtout du respect de plusieurs générations de musiciens pour qui il est un des pères fondateurs du rock'n'roll... Aujourd'hui il est rare d'assister à un concert de rockabilly sans que n'apparaisse un morceau de Carl Perkins dans la set-list. Chanteur, guitariste remarquable, un homme d'une grande simplicité, celle des plus grands. Décède en 1998 d'un cancer de la gorge. Pas de mouvements de foules à sa mort... Le rock'n'roll n'est pas obligatoirement une musique spectaculaire. Celui de Perkins est facile à reconnaître, même dans ses moments les plus frénétiques, l'on peut y entendre en filigrane la rugueuse rumeur du blues.

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    Si l'on doit sérier d'un plus près l'originalité de Carl Perkins dans le club fermé des grands pionniers du rock'n'roll, c'est sa fidélité aux racines. Carl ne s'est jamais départi des sources country du rock'n'roll. Son style est en équilibre sur la ligne de crête qui sépare les tenants de la fidélité aux origines des essarteurs de nouvelles pistes évolutives. Il y a chez lui une authenticité que l'on retrouve peut-être chez le tout premier Elvis, encore que Presley misera en fin de compte sur le côté balladif du country alors que Carl y mêlera sans vergogne la pulsation du blues. Carl chante et gratte sans avoir jamais quitté l'époque de la grande indétermination musicale qui régnait entre country-western et country-blues. En ce sens l'on peut dire que Carl répondait davantage aux critères de Sam Phillips que l'Elvis. Maintenant la voix chaude d'Elvis était davantage plaisante à n'importe quelle oreille de n'importe quel coin des USA que celle de Carl timbrée very south. Quant aux guitares des Blue Caps de Gene Vincent et d'Eddie Cochran elles sont totalement émancipées d'un jeu roots, délibérément urbaines et électriques. Buddy Holly ne se départit jamais même dans ses rocks les plus authentiques qui sont aussi les plus rèches d'une certaine coulée harmonique qui préfigure ce que réaliseront plus tard les Beatles ( je parle d'avant Revolver ) l'ouverture du rock dans la pop. Jerry Lou et son pumpin' clavier sont à part. Ce diable de pèlerin survole toutes les influences. Peut-être parce que le piano est l'instrument roi de l'accompagnement s'adaptant parfaitement à toutes sortes de styles, et sans doute parce que Jerry Lou a trouvé le vecteur idéal du boogie-woogie qui vous transporte sur la rive du rock'n'roll depuis la virtuosité du ragtime. Notons que le ragtime est la musique noire qui doit le moins à la musique d'église. Ce n'est pas un hasard si au début du vingtième siècle des musiciens classiques comme Debussy et Ravel subirent des influences jazz dans leurs compositions, le jazz lui-même n'étant que la décomposition harmonique / désharmonique du ragtime initial qui lui même a été influencé par la musique classique allemande du dix-neuvième siècle. Quand un serpent ne se mord pas la queue, il avale sans trop de problème celles de ses voisins.

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    Question guitares le lecteur se rapportera à une des toutes dernières contributions de l'ouvrage, celle de Didier Delcour qui analyse les divers instruments qui sont passés entre les mains de Carl Perkins tout au long de sa carrière. Certes il ne jouait pas sur des brelles, mais enfin Didier Delcour en arrive à la conclusion que Carl n'était pas un fétichiste, pas de prédilection particulière pour une signature. C'est vrai que c'est l'occasion qui fait le larron, que l'argent venant Carl a pu s'acheter toutes sortes de bijoux... certaines marques lui ont fourni des modèles comptant sur sa réputation pour booster les ventes. Une paisible nature qui s'accommodait de ce qu'il avait entre les mains, il comptait sûrement davantage sur ses doigts et sur sa pâte personnelle que sur son appareil. Est-ce la guitare qui fait le guitariste, ou le guitariste qui fait la guitare ! En y réfléchissant c'est bien B.B. King qui avait trouvé la solution de l'œuf et de l'autruche en donnant à ses diverses guitares le même et sempiternel prénom.

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    Longue séquences photographies : la vie de Carl Perkins année par année. Attardez-vous sur les premières photos familiales : c'est un peu comme Les Raisins de la Colère de Steinbeck mais en pire. Né pas né avec une golden spoonfull dans la bouche : origine sous-prolétariat paysan. Stigmates de la misère sur les visages. En ces temps-là ceux qui semaient la misère récoltèrent le rock'n'roll ! Si Carl et Johnny Cash se sont si bien entendus c'est que dans leurs jeunesses ils avaient connu les mêmes vicissitudes.

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    Les photos des années 54 à 60 sont les plus émotionnantes, elles nous révèlent les débuts de Carl et avant tout une époque disparue à jamais, s'en dégage un air vieillot et suranné qui ne manque de charme mais cela nous renvoie avant tout à notre modernité qui dans soixante-dix ans paraîtra sans doute aussi dépassée et révolue que ces images d'antan. De même le défilé chronologique des clichés n'incite guère à l'optimisme, nous sommes des animaux soumis aux ravages du temps. Et même si nous mourons jeunes pour faire de beaux cadavres, nous n'en avons pas pour autant atteint la jeunesse athanatique des Dieux. Les photos se suivent, se ressemblent et ne se ressemblent pas. N'oubliez pas de cliquer lorsque cela vous est proposé, vous êtes illico renvoyé à d'autres sites, vidéos ou blogues qui traitent en profondeur des personnages ou apportent des précisions sur des institutions qui sont rapidement cités dans le commentaire sous les photos. Attention beaucoup de documents en langue anglaise. Ecrit ça passe, mais bonjour l'accentuation américaine, pas très positive, pour s'amuser avec un titre de Gene..

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    Faudrait les citer toutes ou aucune. Je n'en retiendrai que deux, épisodiques, celle de Carl enlaçant une Dolly Parton splendidement naturelle, et celle avec Johnny. Pas Cash – il n'en manque pas de lui – mais Hallyday. Une magnifique suite de portraits, des photos de fans – sont crédités en fin de volume - et même de l'album de la famille Perkins.

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    Cet ouvrage est à regarder et à méditer. Une réussite propice au rêve. Un très bel hommage aux chemins parcourus par un très grand pionnier du rock'n'roll.

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    Un excellent cadeau pour vos amis et vos ennemis. Ne les en privez pas, il est gratuit. Donc il n'a pas de prix.

    Damie Chad.