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CHRONIQUES DE POURPRE 481 : KR'TNT ! 481 : GENE VINCENT / DENNIS COFFEY / SILVER APPLES / ROCKABILLY GENERATION NEWS / TRASH HEAVEN / WHITE RIOT / ROCKAMBOLESQUES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 481

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

22 / 10 / 20

 

GENE VINCENT / DENNIS COFFEY / SILVER APPLES

ROCKABILLY GENERATION NEWS

TRASH HEAVEN / WHITE RIOT / ROCKAMBOLESQUES

 

GENE VINCENT

LA PREMIERE RUINE DU ROCK 'N' ROLL

les grands macabres

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Lorsque la vidéo est parue dans mon fil info, j'ai tiqué, je n'ai pas aimé le mot ruine. J'ai voulu en savoir plus. Pas sur Gene Vincent. Certes je ne me permettrais pas de reprendre Bertrand Dicale sur ses approximations, résumer la vie d'un individu en moins de quatre minutes oblige à quelques raccourcis. Je sais bien que les Amerloques ont réussi à jivaroïser A la recherche du temps perdu de Marcel Proust en une minute, mais à l'impossible nul n'est tenu, même pas Bertrand Dicale dans son émission Les grands Macabres, un format qui ne doit pas dépasser d'après ce que j'ai compris les trois cents secondes. Diffusée à 12 h 30 du lundi au vendredi sur France Musique, et dévolue à un artiste dont l'œuvre se doit d'avoir un rapport avec la musique, chant, instrument, composition... tous styles mélangés, sans exclusive.

Je n'ai pas été le seul à avoir dressé l'oreille en signe de mécontentement, voici le commentaire kaissé sur YT par Artscope France que ne connais pas ( que je salue et que je remercie ) que je reproduis in-extenso : '' Je ne partage pas du tout les mots qualifiant la deuxième partie de vie de Gene Vincent. Il s'agit d'une sorte de sensationnalisme inversé dont la cruauté est gratuite. Il y a d'autres façons de présenter les choses. La ruine, c'est des gens pareils qui présentent les choses de façon orientée. Il n'y a pas de "ruine", il y a continuation mais la pop est arrivée et a tout bouleversé comme le rock a tout bouleversé avant elle et Gene Vincent demeure un père fondateur. '' Certes tout le monde a le droit d'avoir son opinion positive ou négative sur Gene Vincent, même Bertrand Dicale, mais ce qui m'a choqué c'est le ton de condescendance méprisante avec lequel la chronique est débitée.

Peut-être cette manière cyniquement désinvolte fait-elle partie de la personnalité de Bertrand Dicale, de son ADN profond, il est comme cela, personne ne le changera. Cet argument est recevable, j'ai voulu en avoir le cœur net. Pas eu besoin de chercher longtemps. L'émission sur Gene Vincent a été diffusée ce 12 octobre 2020, jour anniversaire de sa disparition, le hasard fait parfois bien les choses, le neuf octobre 1978 a été fatal pour Jacques Brel, c'est à cette date, quatre jours avant l'émission concédée à Gene Vincent, que Bertrand Dicale a régalé ses auditeurs – nous les souhaitons fidèles - d'une chronique intitulée Jacques Brel après ses adieux et jusqu'au bout.

Comme c'est étrange, comme c'est bizarre, comme le ton change, quel respect, quelle admiration, quelle force de persuasion dans la voix ! Entre nous soit dit, Brel le mérite, il fut une véritable bête de scène et certains de ses textes font encore mouche quarante ans après. Nous aurions aimé une présentation sur le même modèle de probité envers le vécu et l'œuvre de l'artiste semenciel que fut Gene Vincent. A la place nous avons droit à une espèce de portrait-charge déplaisant et déplacé. Reconnaissons une qualité à Bertrand Dicale, c'est d'avoir su retrouver l'esprit haineux et offensant des élites culturelles des années soixante vis-à-vis de cette musique rock qui leur déplaisait et qu'ils condamnaient par principe. Pressentant très bien que c'était leur emprise sur la jeunesse qui s'effilochait.

Bertrand Dicale est un spécialiste de la chanson française, sa bibliographie est éloquente, n'a-t-il pas écrit entre autres Le dictionnaire amoureux de la chanson française, l'on voit vers où penchent ses préférences. Qui ne sont pas spécifiquement les miennes. Mais ceci est une autre histoire. Sur une gondole de librairie m'est passé, ce devait être en période de Noël l'année dernière, entre les mains, un de ses livres, Golf Drouot, vingt-cinq ans de rock en France, je l'ai feuilleté et reposé, peu convaincu, ( flair de rocker ! ), des photos oui, mais le texte ne dégageait pas une authentique sensibilité rock'n'roll... Et maintenant cette espèce de ricanement déplacé à l'égard d'une des idoles essentielles du rock'n'roll. Quelle fatuité, quelle ignorance, quel je-m'enfoutisme éhonté !

J'ai bien peur qu'avec cette chronique quasi-injurieuse à l'égard de Gene Vincent, la caution rock de Bertrand Dicalet ne tombe en ruine...

Damie Chad.

 

Coffey serré

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Comme l’a montré Jackie McAuley avec le sien, les ouvrages des sidemen peuvent se révéler déterminants. Dennis Coffey est un sideman de poids puisqu’il fit partie des Funk Brothers, c’est-à-dire le house-band de Motown que Berry Gordy n’a jamais voulu créditer. Retournez les pochettes d’albums des Supremes, des Temptations, de Martha Reeves & The Vandellas, des Four Tops, vous trouverez zéro information. On ne sait pas que James Jamerson joue de la basse sur tous les gros hits ni que Dennis Coffey joue de la wah sur «Cloud Nine».

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En tournant son fameux docu Standing In The Shadow Of Motown, Paul Justman a commencé à réparer cette terrible injustice. Dennis Coffey en rajoute une couche avec un recueil de souvenirs qui s’impose par une incroyable sobriété de style. À l’image du personnage, dirons-nous. Pourquoi faut-il lire Guitars Bars And Motown Superstars ? Tout simplement parce que Dennis Coffey nous fait entrer dans le saint des saints. Venez les gars, je vais vous montrer ! Ouais, on te suit, Coff ! Here we go !

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Il faut remonter un peu dans le passé. Un beau matin, Coff reçoit un coup de fil. Drrrrrrrrrrrrrrrrring !

— Réveille-toi, mec, c’est moi, Jamerson ! Comment vas-tuyau de poêle ?

Denis avait rencontré James Jamerson dans une session d’enregistrement quelques mois plut tôt.

— Je vais bien, mec. Qu’est-ce qui t’amène ?

— Je voudrais te présenter quelqu’un. Hank Crosby !

Le nom d’Hank Crosby réveille Denis pour de bon. C’est l’un des bras droits de Berry Gordy et le producteur de Stevie Wonder. Un homme très puissant à Motown. Jamerson passe le téléphone à Croby :

— Comment allez-vous Coffey ? Bon, voici la raison de mon appel. Motown met en place un atelier de production et on se demandait si vous accepteriez de venir jouer de la guitare pour nous. Les séances de l’atelier se déroulent quatre soirs par semaine au studio B, qui est en fait le vieux Golden World Studio, sur Davidson.

— Oui, ça m’intéresse. Pourriez-vous me donner plus de détails ?

— Vous serez payé 135 $ par semaine, pour jouer de 7 h à 9 h chaque soir, du lundi au jeudi. C’est Jamerson qui supervise. Qu’en dites-vous ?

Dennis saute de joie.

— Voui voui !

— On démarre lundi prochain. Bon je vous repasse Jamerson.

— Hey Coffey, Motown m’a confié le workshop, alors ça se passe entre toi, moi, Eddie Willis, Bongo et quelques autres cats. Dac ? It’ll be cool, so come on down man.

Il est bon de préciser à ce stade du récit que James Jamerson est le bassiste le plus respecté du monde, à cette époque.

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Dennis : «Lundi arriva enfin et à 18 h je chargeai le matériel dans ma bagnole et pris la direction du Lodge Expressway. Je pris la sortie Livernois et descendis jusqu’à Davidson Street. Je pris à gauche sur Davidson, fis demi tour et vins me garer devant le Studio B de Motown, un bâtiment de deux étages en parpaings gris qui s’appelait autrefois the Golden World Studios. Le Studio B se trouvait à environ 15 kilomètres du Studio A.»

Comme l’explique Dennis, le workshop sert à évaluer le potentiel des producteurs maison de Motown. Il y développent leurs idées, avant d’aller enregistrer au fameux Studio A, surnommé le Snake Pit. Norman Whitfield veut tester «Cloud Nine» pour les Temptations.

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Et puis bien sûr, Dennis nous présente ses amis les Funk Brothers, qui comptent parmi les musiciens les plus mythiques d’Amérique. À commencer par James Jamerson, «un personnage original. Beaucoup d’attitude. Environ ma taille et mon poids, 1,77 m pour 80 kg. Il porte une moustache de Fu Manchu. Il joue de la basse comme un dieu. Lui et le batteur Benny Benjamin sont le cœur battant du Motown Sound. Jamerson joue ses grosses lignes de basse et Benny amène le groove et le shuffle de caisse claire et de cymbales. Jamerson porte généralement un béret noir, un T-shirt noir, un Levis et un ceinturon de cuir avec une boucle western. Il n’y a pas que son jeu qui frappe par son côté innovant : sa manière de s’exprimer aussi. Il utilise une sorte de slang écossais.

— Aye me lad. Comment ça va-ty ?

— Hey man, au poil. Comment ça se présente ?

— We ready to play the funk tonight Coff. T’a ramené tout ton stuff ?

— Tu me connais. Toujours prêt. J’ai ma wah et on fuzz tone out !

Jamerson présente les autres cats à Coff : Eddie Willis, the funkiest guitar player out here, Bongo Eddie aux congas, un nouveau batteur nommé Spider et Ted Sheely on keys.

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Selon Coff, James Jamerson est dans les années soixante et soixante-dix un véritable héros. Coff lui doit tout, principalement le job à Motown - but he also became my mentor - Voilà pourquoi ce livre est passionnant, Coff nous permet de côtoyer un géant de son temps. Il revoit Jamerson jouer en studio : «Il était perché sur son tabouret, son béret noir sur le côté du crâne, une cigarette au bec, il se balançait d’avant en arrière en lisant la partition, punching out ces lignes de basse extravagantes, tapant le tempo d’un pied et l’autre pied arrimé au pied métallique de son tabouret. Welcome to the Motown sound... Courtesy of James Jamerson.» Coff indique aussi que James Jamerson ne change JAMAIS ses cordes de basse et qu’elles sont tendues très haut au-dessus des frets, comme celles d’une stand-up. Il utilise aussi les changements d’accords pour glisser des lignes mélodiques. D’où cet incroyable festin de son permanent.

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Dans la foulée, Hans Crosby rappelle Coff pour lui demander de venir enregistrer «Cloud Nine» au Studio A, à Hitsville, sur Grand Boulevard. C’est-à-dire la Mecque. Coff est un peu nerveux, ça se comprend. L’entrée principale de trouve sur l’avenue. Coff passe devant un guichet. Un mec en uniforme lui demande de signer le registre. Puis il traverse le hall, passe devant le control room et descend les marches qui conduisent au fameux Snake Pit, là où sont enregistrés tous les hits planétaires de Motown. Alors nous y voici, les gars. The Hitsville Studio. «Une grande pièce principale et deux petites salles d’overdubs. Les guitaristes sont assis contre le mur, sous la vitre du control room. Jamerson est assis sur son tabouret, près des guitaristes. Les deux batteurs sont installés derrière les cloisons, plus loin au fond.» Il y a aussi Bongo Eddie dans un coin, et les keyboards de l’autre côté.

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Jamerson montre à Coff où se brancher. Les guitares et la basse sont branchées directement sur la console, car il n’y a pas d’amplis. Seulement des casques et un gros retour qui permet de s’entendre. Jamerson présente Coff aux musiciens qu’il ne connaît pas encore. Tout le monde est très gentil et Coff finit par se détendre et se sentir chez lui. Il joue sur une Gibson Firebird car il aime bien son tight funky sound. Le rythme est très soutenu au Studio A : on enregistre une chanson par heure. Ça veut dire une heure pour se familiariser avec la partition, trouver les solos et enregistrer un hit. Chaque session dure trois heures. La plupart du temps, Motown organise deux sessions à la suite, avec une heure de break entre les deux. Une vraie usine ! Six chansons par jour, cinq jours par semaine. Comme le rappelle si bien Coff, on n’appelait pas Motown the hit factory pour rien. À la fin, nous dit Coff, il ne sait plus sur quoi il joue : en un an, il aura participé à des centaines d’enregistrements.

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Il explique aussi un truc capital : le secret du Motown Sound, c’est le Motown beat, c’est-à-dire deux batteurs, Spider sur charley et cymbales, Pistol Allen sur caisse claire et grosse caisse. «Les gens ne le savent pas, mais le concept des deux batteurs fut inventé lors de la session «Cloud Nine». Par la suite, il y eut deux batteurs sur tous les enregistrements, c’est pourquoi le Motown beat devint si complexe.» Personne ne pouvait reproduire cette façon de jouer. En fait, les deux batteurs remplacent Benny Benjamin qui a dû s’arrêter, suite à des problèmes de santé. La plupart du temps, les Funk Brothers comprenaient Earl Van Dyke et Johnny Griffith on keys, Bongo on congas, James Jamerson on bass, Richard Pistol Allen et Uriel Jones on drums, Joe Messina, Eddie Willis, Robert White et Coff on guitars, plus un mec au tambourin et un autre aux vibes. Pour Coff, c’est la meilleure section rythmique qu’il ait jamais entendue.

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Se retrouver dans cet endroit avec tous ces musiciens extrêmement doués, c’est inespéré. Il n’est tien d’autre qu’un kid blanc de Detroit. Il dit n’avoir jamais oublié l’excitation qu’il ressentit ce premier jour. «Cloud Nine» fut un hit, comme on sait et Coff devint membre attitré des Funk Brothers.

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Detroit kid, oui. Coff démarre d’ailleurs on book ainsi : «I was raised in a single-parent family in Detroit, a city famous for two things - Automobiles and great music.» Une façon comme une autre de dire qu’on ne peut pas échapper à son destin. Sa mère l’élève car son père s’est fait la cerise. Il apprend très tôt la frugalité. La devise de sa mère : «Waste nit, want not», ce qui veut dire ne gaspille rien et ne désire rien. Coff a une petite sœur, Pat. Ado, Coff apprend à jouer de la guitare. Ses chouchous sont Scotty Moore, James Burton, BB King, Chuck Berry et Wes Montgomery. Il est surtout fasciné par Chickah Chuck qui joue des guitar licks so innovative qu’il n’arrive pas à les reproduire. C’est à force de les écouter qu’il finit par en percer le secret. Coff passe tout son temps libre à jouer en écoutant les disques. Il peut passer une semaine entière sur un riff de Chuck. Il le veut. Alors il l’a. C’est son seul luxe. Il a seize ans quand on lui propose de jouer de la guitare en session pour la première fois. Il doit accompagner un rockab nommé Durwood Hutto et le producteur s’appelle Berry Gordy. On en est en 1956. Berry Gordy va démarrer Motown un peu plus tard, en 1961. À l’époque, Coff voit aussi un autre rockab sur scène : Jack Scott. Wow !

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Il apprend vite son métier de session-man. Il sait qu’il doit garder la tête froide et réagir rapidement. Être musicien de studio, nous dit Coff est le métier le plus stressant dans le monde de la musique. L’enregistrement ne pardonne pas. Quand on écoute la bande, on entend tout - You’d better have played the right part at the right time - Sinon, on ne vous rappelle pas. Il arrive même que des musiciens se fassent virer en pleine session. Coff trouve vite le moyen de se faire du beurre en heures supplémentaires, le fameux overtime. Par contre, pas d’overtime à Motown. Tout doit rentrer dans l’heure prévue pour l’enregistrement. Motown a développé une expertise dans l’art du timing et de la gestion de budget. Coff découvre aussi très vite l’importance vitale des producteurs. Il dit avoir eu la chance de travailler avec les meilleurs producteurs de son époque, Holland-Dozier-Holland, Norman Whitfield, Ashford & Simpson et Stevie Wonder à Motown, des producteurs indépendants de Detroit comme George Clinton et Don Davis, et ceux de la côte Ouest, comme Richard Perry et Quincy Jones.

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Il consacre des pages superbes au trio Holland-Dozier-Holland, qui a composé et produit les plus grands hits de Motown, ceux des Supremes, des Four Tops, de Martha & The Vandellas et de Junior Walker. Coff estime qu’au regard de cette montagne de hits, Berry Gordy aurait dû les associer davantage aux bénéfices de Motown. Brian Holland fume la pipe et porte le bouc. Lui et Lamont Dozier dirigent la section rythmique en studio. Lamont est très dynamique et Brian beaucoup plus laid-back. Quant à Eddie Holland, il reste derrière la console avec l’ingé son. Comme Eddie avait déjà enregistré un hit pour Motown, il s’appuyait sur son expertise pour superviser les enregistrements. La méthode de travail du trio fascine le jeune Coff. Ils divisent leur travail en trois parties, A, B et C : A pour le couplet, B pour le refrain et C pour le pont. Ils utilisent parfois le D pour le final. Le trio fait travailler les musiciens encore et encore jusqu’à ce que ça swingue. Alors ils hochent la tête, se mettent à sourire et disent : «OK, that’s it, let’s cut it !» À la fin des sixties, se sentant floué, le trio mythique se sépare de Motown et monte deux labels, Hot Wax et Invictus. Ils tentent de lancer des artistes moins connus comme Freda Payne, Ruth Copeland, the Chairmen Of The Board, General Johnson et les Flaming Embers.

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Oui, c’est vrai qu’il y a un gros problème à Motown. Earl Van Dyke et James Jamerson se demandent où passent les millions de dollars. Ils commencent à comprendre qu’ils ne vont jamais devenir riches, alors que Berry Gordy et Diana Ross s’enrichissent à vue d’œil. S’ils commencent à rouspéter, Berry Gordy leur donne un peu de blé pour les calmer. En plus, les musiciens attitrés de Motown n’ont pas le droit de jouer ailleurs. Motown paye un détective pour les surprendre en flag dans un autre studio et ils doivent payer une amende de 500 $. C’est pense Coff la raison pour laquelle les musiciens ne sont pas crédités : Berry Gordy ne veut pas qu’on les soudoie. Il veut garder leur identité secrète. Mais ce procédé ne plait pas à Valérie Simpson qui exige qu’on mette leurs noms sur les pochettes des disques qu’elle produit. Berry Gordy a un dicton : «He who has the gold rules.» C’est le secret de son pouvoir. Il ne le partage avec personne. Il veut être sûr de tout contrôler.

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Pour compléter le portrait que brosse Coff du Studio A et des Funk Brothers, il est recommandé de voir le film que Paul Justman leur consacre, Standing In The Shadows Of Motown. Attention, c’est un docu extrêmement émouvant. Préparez vos mouchoirs. Bizarrement, Coff n’apparaît qu’un court instant dans ce film, ce qui semble logique, car il arrive en 1969 pour «Cloud Nine», un peu après la bataille. Quand Paul Justman tourne son film en 2002, certains Funk Brothers ont disparu : Robert White (guitar), James Jamerson, Benny Benjamin, Bongo Eddie, Johnny Griffith (piano) et Earl Van Dyke (band leader). Ce sont donc les survivants qui témoignent : Joe Hunter (piano), Jack Ashford (tambourin) qui sont deux forces de la nature, Richard Pistol Allen et Uriel Jones, qui sont le cœur battant du Motown Sound, deux blancs, Joe Messina (guitar) et Bob Babbitt (bass). Fantastiques personnages ! Motown ? The greatest hit machine in history. Dans la bouche de ces mecs-là, chaque mot sonne juste. Des interludes musicaux leur coupent la chique. Ça commence avec Gerald Levert qui chante «Reach Out» 41 ans après la bataille. On note aussi qu’à part Stevie Wonder et Otis Williams (le dernier survivant des Tempts originels), aucun des artistes Motown n’est convié à témoigner. Par contre, des gens comme Steve Jordan et Don Was sont profondément habilités à saluer le génie des Funk Brothers. Sans Funk Brothers, pas de Motown. Joe Hunter est le premier musicien que Berry Gordy approche en 1959. Il lui demande s’il connaît d’autres musiciens.

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Oh yes, Mister Papa Zita, c’est-à-dire Benny Benjamin, un mec qui a joué avec Dizzy, Bird, Muddy et Jimmy Reed. Puis on passe à un autre géant, James Jamerson : son fils nous explique qu’il jouait d’un doigt, d’abord sur la stand-up puis sur la Precision. Et pouf, Berry Gordy achète une baraque au 2648 West Grand Boulevard et la baptise Hitsville USA, une adresse aussi mythique que celle de Sun au 706 Union Avenue ou de Stax au 926 East McLemore Avenue. Vous voulez visiter le fameux Snake Pit ? Allez, on y va, les gars ! Descendez le petit escalier, quelques marches, vous voici dans le Studio A, et c’est là, à votre gauche, sous la vitre du control room que s’assoient les guitaristes. Alors Jack Ashford fait son Earl Van Dyke pour nous montrer comment ça fonctionne : «I Ain’t Too Proud To Beg» ! Uriel et Pistol lancent le tempo, and now the bass, alors Bob Babbitt entre dans le groove avec sa ligne de basse, and now the guitars, Jim Messina et Eddie Chank Willis grattent leurs grattes, and now John Griffith on keys et Jack claque enfin ses coups de tambourin : «This is the Motown Sound !». S’ensuit un nouvel intermède musical avec Bootsy Collins qui nous claque sa vision de «Cool Jerk», histoire de nous rappeler qu’à Detroit, il y a aussi les Capitols, Jackie Wilson et le «Boom Boom» de John Lee Hooker. Pistol Allen qui va mourir quelques semaines après le tournage rappelle qu’il vient de Memphis et qu’il a appris à jouer de la batterie en tapant sur une machine à écrire. Ah tu veux devenir comptable en tapant comme ça ? Viré ! Quant à Joe Messina, il jouait du jazz chez Baker et Berry Gordy vient le trouver un soir pour l’embaucher. Le moment le plus spectaculaire du film est sans doute celui où Pistol Allen et Uriel Jones démarrent ensemble «What Becomes Of The Broken Hearted». On assiste là à une fantastique extension du domaine du beat. Et le moment le plus émouvant ? Sans doute l’anecdote concernant l’enregistrement de «What’s Going On». Marvin Gaye voulait James Jamerson à la basse. Pas de Jamerson, alors pas d’enregistrement. Alors on est allé le chercher, mais il était ivre-mort dans un bar. Le messager lui dit que Marvin l’attend. Marvin ? No problemo, amigoooos. Jamerson accepte de venir jouer mais il ne tient pas debout. Alors il s’allonge sur le dos pour jouer «What’s Going On». Cut infiniment symbolique, d’ailleurs, car en 1970, Marvin Gaye répond avec «What’s Going On» à la violence des flics blancs dégénérés. Comme Marvin est mort, c’est à Chaka Khan que revient l’honneur de jazzer ce hit à la folie pour les besoins du film. Elle va bien au-delà du cap de Bonne Espérance.

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Les Funk Brothers nous racontent aussi qu’un matin, ils se sont pointés comme tous les jours au Studio A pour travailler et qu’ils sont tombés sur un écriteau : «Pas de travail today». En fait, ces enfoirés n’avaient même pas annoncé le déménagement de Motown. Quand Motown s’est installé à Los Angeles en 1973, pour eux, ce fut la fin des haricots. Berry avait jeté les Funk Brothers comme des vieilles chaussettes. Chacun pour soi. Alors ils sont retournés à leur vieux blues et à leur vieux jazz, comme ils disent dans le film.

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De son côté, Coff continue de prospérer. Il est libre, il n’est pas obligé comme les Funk Brothers de rester fidèle à Motown. Un jour, Brad Shapiro et Dave Crawford l’appellent :

— On vous paye double tarif si vous acceptez d’aller accompagner Wilson Pickett à Muscle Shoals.

— Voui voui !

Quatre jours sont prévus. Le rythme n’est pas le même qu’à Motown : une chanson en trois heures. Ouf ! Un peu moins de pression. Ils enregistrent l’excellent Don’t Knock My Love, paru en 1971.

En allant se réinstaller à Los Angeles, Motown nous dit Coff se vautre. Eh oui, en abandonnant les Cats à Detroit, Berry Gordy a perdu le Motown sound. Les disques sortis sur Motown après 1973 n’ont plus rien de significatif. Mais ce qui est le plus grave aux yeux de Coff c’est que les Funk Brothers qui ont largement contribué au succès de Motown n’avaient plus que leurs yeux pour pleurer. No pension, no security, no nothing. Coff ne demandait qu’une chose, un peu de reconnaissance, de justice et de fair play. Earl Van Dyke qui était un peu le chef d’orchestre des Funk Brothers s’en sort pas trop mal, il réussit à travailler pour l’Osborne High School de Detroit. Il dit à Coff qu’il s’en sort financièrement parce que sa femme a investi de l’argent quand il gagnait bien sa vie.

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Alors qu’il nage encore dans une certaine opulence, Coff enregistre un premier album solo en 1969, Hair And Thangs. C’est le fameux Dennis Coffey Trio. Allez directement au deux, «Hair & Grits», un instro spectaculaire. Coff a le diable au corps, il joue à l’éclate totalitaire, il est partout, il jaillit comme une source, avec une admirable vélocité juteuse de véracité, une énorme niaque de shuffle. Il blaste à gogo. Ces mecs jouent leur va-tout à chaque seconde. On est au cœur du Detroit Sound. Le cut d’ouverture de bal d’A s’appelle «Let The Sunshine» et ça vaut pour de la heavy Soul de Detroit. On sent bien l’insistance, sous l’étoffe du son. Coff force le passage dans le groove, c’est un sacré tenant de l’aboutissant, il faut l’entendre tenir la note et claquer du ramdam dans la foulée. Il ouvre son bal de B avec «Do Your Thang», une véritable attaque de Detroit punk. Coff guette l’impulsion sonique au coin du bois. Il revient au funky strut avec «Iceberg’s Thang», mais c’est un funky strut mêlé d’orgue tentaculaire. Coff taille sa croupière sans se gêner. Quel admirable brasseur de wah ! Il joue une wah colérique assez vitupérante. On croit entendre un animal en colère. C’est vivace et agressif. Les notes persiflent. Il reprend aussi le hit des Isleys, «It’s Your Thang» pour le sanctifier. On l’a bien compris, c’est un album indispensable à tout fan de Detroit funk.

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Deux ans plus tard, il récidive avec Evolution. Cette fois la formation s’appelle Dennis Coffey & The Detroit Guitar Band. Deux énormités s’y nichent, à commencer par «Scorpio», gros son d’anticipation et doté en son sein d’un joli solo de Jodi Ashford aux congas bientôt rejoint par le bassmatic de big Bob Babbit. On voit que ce vieux Bob a du métier, il peut tenir dix minutes sans créer le moindre ennui. L’autre merveille se trouve en B et s’appelle «Big City Funk». On a là un heavy rumble de Detroit, mélange de white black power et de funk blanc. Typical Detroit sound. Les autres cuts de l’album valent eux aussi le détour, qu’on se rassure, et ce dès «Getting It On», violonné au surréel du groove de funk. On voit bien que Coff admire Norman Whitfield. Coff pompe ensuite le riff de Jimmy Page pour «Whole Lot Of Love». Il propose un Detroit retake que Bob Babbit joue benoîtement. Ils refont aussi en B un instro d’anticipation, «Impression Of» que Coff joue vif et sec, avec une belle énergie, toujours en tête du son, comme un chef à plume de l’armée confédérée.

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Pochette célèbre que celle du troisième album de Dennis Coffey, Goin’ For Myself, paru en 1972. Il attaque avec «Taurus», un joli shoot de funk extra-sensoriel, avec un coup de main de Bob Babbit et d’une section de cuivres. C’est un peu Shafty dans l’esprit. On va s’apercevoir au long cours que Coff adore les instros ambianciers comme «Can You Feel It». Il tape dans le célèbre «Never Can Say Goodbye» et des dames viennent faire des chœurs suaves. Et puis voilà son fameux hit de juke, «Ride Sally Ride», monté sur un big fat bassmatic de Babbit. D’ailleurs Babbit crée la sensation sur un break de congas et on voit Coff revenir en force au big sound. Tout est très inspiré sur cet album d’instros. Bon c’est vrai, on aime bien Coff, mais on finit par s’ennuyer en peu en B.

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Retour de Dennis Coffey & The Detroit Guitar Band en 1973 avec Electric Coffey. Le hit de l’album est une séquelle de «Scorpio» intitulée «Son Of Scorpio». Ah la fantastique tenue du son ! Avec un mec comme Coff, finie la rigolade ! Il ramène tout le jus du Detroit sound dans une vison pure de l’instro funkoïde. Et big Babbit roule sous la peau du groove comme un gros muscle tendancieux. Il va même aller bananer un break de basse. On trouve aussi le légendaire Eddie Bongo Brown aux percus. Sacrée équipe ! Mais ils font aussi des cuts plus passe-partout comme «Love Song For Libra» ou «The Sagitarian». On s’y ennuie même un peu. Ils passent encore à travers «Love & Understand» et il faut attendre le redémarrage en B avec «Guitar Big Band» pour retrouver un big Babbit en pleine forme. Ah comme ça groove ! Coff peut y aller, il wahte comme un diable dans un feu d’artifice de cuivres. Et quand il vire jazz avec «Twins Of Gemini», il est accueilli en héros par les oreilles du lapin blanc.

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Coff n’hésite plus à jouer avec son nom pour la pochette de son deuxième album, Instant Coffey : un graphiste lui a dessiné une belle tasse de café serré. La présence de James Jamerson sur cet album le rend précieux. Coff et ses amis démarrent sur un «Sonate» de thé dansant très mondain et en B, ils proposent «Chicano», un big mambo soloté à la flûte, très années 70. On entend enfin Jamerson s’énerver sur «Kathy». Il y joue l’une de ces cavalcades dont il a le secret et nous fait un numéro de virtuose dans «Outrageous». Lui et Coff y jouent des consonances dodécaphoniques à contretemps et on sent Jamerson parfaitement à l’aise dans ce dada bish bash. Quel fabuleux exercice de style !

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S’il est un album qu’il faut emmener sur l’île déserte, c’est bien Finger Lickin Good. Pas pour se branler sur la pochette, mais pour l’écouter. Quel shoot de Coff ! Dès l’ouverture du bal d’A avec «If You Can’t Dance To This You Got No Business Having Feet», on est projeté dans la Soul des jours heureux, et le festin se poursuit avec le morceau titre, heavy funk de rang royal. Coff règne sans partage sur le funk urbain. Tous les cuts de cet album sonnent comme des hits, on comprend qu’il soit recherché aujourd’hui et qu’il puisse valoir la peau des fesses. Grâce à ses chœurs de femmes, «I’ve Got A Real Good Feeling Time» trouve un débouché extraordinaire. On retrouve partout l’énergie faramineuse de la section rythmique. Ces mecs groovent des reins. Et ça repart de plus belle avec «Honky Tonk» et un son plein comme un œuf. Coff y passe un solo de punk, qu’il joue à l’exacerbée, c’est-à-dire à l’ongle sec. La B ? Pareil ! Big Detroit funk dès «Live Wire» et ses coups de wah, puis Coff passe au heavy Westbound groove avec «Some Like It Hot». Nous voilà au cœur du mythe. Merci Coff ! Il mène son groove à la pogne d’acier. Ça joue terriblement bien. Dans le genre, on peut difficilement imaginer mieux.

Puis Coff comprend pourquoi Berry Gordy est allé s’installer en Californie : il a anticipé. Il savait que Detroit allait s’éteindre. Alors Coff part lui aussi s’installer à Los Angeles avec sa famille et fait savoir à Motown qu’il est disponible. Pouf, on l’appelle et le voilà qui travaille pour MoWest. Ça lui permet de vérifier que le secret du Motown Sound est à jamais perdu. Du coup il retourne s’installer à Detroit. Le mal du pays.

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Écouter Coff, c’est comme écouter le James Taylor Quartet : il ne peut rien se passer de plus que ce qu’on espère. Coff ramène une tasse de café sur la pochette du Back Home paru sur Westbound Records en 1977. Il joue du bon funk, pour ça il est à bonne école, à Detroit. Il sort un «Free Spirit» bien enjoué, bien frétillé du beat, et serti d’un solo de flûte. Une nommée Brandy vient chanter «Our Love Goes On Forever» et revient en B miauler un «High On Lose» à la Isaac. Coff part ensuite en mode groove du funk pour «Boogie Magic». C’est évident qu’il s’amuse bien, car il règne une bonne ambiance sur cet album. Les instros se succèdent, frais comme des gardons, tous plus aimables les uns que les autres. On note la belle unité de ton de «Magic Of Fire». Bel entrain magnifico. Coff s’y sent comme un poisson dans l’eau.

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Toujours sur Westbound, le Dennis Coffey Band enregistre A Sweet Taste Of Sin en 1978. Malgré une pochette un peu trop aguicheuse, c’est un excellent album qui démarre avec un morceau titre en forme de funky boot travaillé dans la matière. C’est joué dans les règles de l’art, Coff fait chanter des hommes et des femmes, c’est plaisant et bien balancé. On sent une certaine volonté commerciale, mais contrebalancée par un sacré craftmanship. Avec «Love Encounter», Coff se contente de jouer le funk du Michigan bon chic bon genre, bien sanglé et admirablement râblé, le funk qui ne traîne pas en chemin, solide et bien déboulé, avec un beat en forme de heartbeat chauffé par des filles délurées. En B, on tombe sur un bel apanage de good time music intitulé «Someone Special». Coff sait servir son Coffey serré, il sait créer de l’émotion. Il vise souvent l’admirabilité des choses. On retrouve un bel épisode de funky boot du Michigan avec «You Know Who You Are». Il développe a good old collective brawl de funk et renoue avec l’exploding shoot de funk dans «Gimme That Funk». On se croirait chez George Clinton ! Coff fait remonter toute l’Africanité du funk a coups de percus, comme s’il voulait diaboliser le funk - Can’t get enouh/ Gimme that groove/ Get down !

Alors Dennis Coffey superstar ? Oh la la, pas du tout. En 1985, il se retrouve le bec dans l’eau. Plus de boulot dans les studios. Alors il faut aller bosser à l’usine. Ça tombe bien, on embauche encore sur les chaînes de montage. Le voilà sur la ligne 3, chez General Motors. Il monte les convertisseurs de couples hydrauliques et c’est encore la chaîne à l’ancienne : cadences infernales, gare à tes pattes. Quand son contremaître découvre qu’il est guitariste, il le fait muter à un poste moins dangereux pour ses doigts. Pire encore : sa femme Katy lui reproche un soir de ne plus la satisfaire en le fixant dans le blanc des yeux. Puisqu’on est dans les amabilités, Coff ajoute qu’elle ne le satisfait plus non plus depuis un bon moment. En vérité, il a d’autres soucis, comme par exemple nourrir sa famille et se débattre chaque jour avec les cadences infernales et les convertisseurs de couples hydrauliques. Ça ne lui laisse pas beaucoup de temps pour s’occuper du vagin de sa femme. Ce fut dit-il le commencement et la fin de la discussion, et donc la fin de leur mariage. Il n’y avait rien à ajouter. Cette nuit-là, réfugié dans la chambre de son fils, Coff s’avouait de guerre lasse qu’il était fatigué de se battre. Se sentant arrivé au bout du rouleau, mentalement épuisé, il prit toutefois la décision de continuer à avancer.

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Même si la vie est dure, il décide d’enregistrer un nouvel album. C’est plus fort que lui. Il reçoit la bénédiction d’un ami nommé Tom Hayden qui a un petit label indépendant. Coff fait appel à deux amis de la grande époque, Earl Van Dyke et Uriel Jones. Avec Motor City Magic, il sort une sorte de son de rêve, notamment sur «Don’t Let Go», un son très aérien, très libre. On note l’incroyable qualité du swing. Il gratte «These Dreams» à l’ongle sec et incite à la rêverie. Il donne en B une belle leçon de groove jazzy avec «What It Is». Il va même au-delà des espérances du Cap de Bonne Aventure. Et voilà qu’il se met à jouer comme un dieu dans «Standing Room Only». Il se balade sur son Olympe, guilleret et savant, il gratte ses doublettes de triplettes customisées à la régalade, il montre une fantastique habileté à distiller la joie de vivre. Quel bouillonnement ! Mais c’est le dernier album qu’enregistre Earl Van Dyke avant de casser sa vieille pipe en bois.

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Paru trois ans plus tard, Under The Moonlight n’est pas son meilleur album. Sur «Where Did Our Love Go», il caresse le thème d’une main de cordonnier. Mais sur le reste de l’album, on s’ennuie un peu. Dommage.

Coff va reprendre des études et devenir une sorte d’expert en pédagogie technologique. Il va enseigner la robotique et manager une équipe de formateurs. Et il finira consultant comme bon nombre de ces gens-là. D’ailleurs, il a bien la tête de l’emploi. En parallèle, il réussit l’exploit de continuer à exister au plan musical, et c’est là qu’il en bouche en coin, car les disques à venir valent sacrément le détour.

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À commencer par Live At Baker’s paru en 2007. Album extrêmement attachant. Et ce dès «Little Sunflower» et sa bossa nova vibe. Ce maestro joue comme un diable vert, il love ses notes dans le giron d’un groove de jazz et claque de ci de là quelques averses. Coff does it right. Ça vire même au heavy groove, Coff peut devenir fou, il fouette ses cordes comme Sade fouette le cul de Justine, avec un sens aigu du raffinement. Ce diable de Coff n’en finit plus d’égrener la jazzification des choses, mais ça reste très Detroit dans l’esprit du son. Il lui faut dix minutes pour établir sa suprématie. Il enquille ensuite un «Chicago Song» aussi long. Ce genre de mec a besoin de temps pour s’exprimer. Coff mélange le funk et le jazz, mais il reste dans l’esprit du Detroit Sound avec sa petite niaque intrinsèque. Ce genre de cut avance tout seul. Puis Coff passe au funk avec «Scorpio» et réveille le fantôme du fameux show télévisé Soul Train. Terrific ! On reste dans les cuts longs et captivants avec un «Moonlight In Vermont» qu’il jazze allègrement. Il joue dans le meilleur des mondes de groove. Il tape aussi dans un vieux hit des Temptations, «Just My Imagination». Il joue ça au délié de demi-caisse efflanquée et s’en va faire du Santana avant de revenir soloter en mode jazz de notes rondes. Cet album n’en finit plus d’éclater au grand jour. Comme tous les grands musiciens de jazz, Coff ne la ramène pas. Il partage son plaisir de jouer et le fait avec une belle exubérance. En vieillissant, il s’affine, il joue comme dans un rêve, tout à la fuite délicieuse de gouttes de notes de cristal.

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Attention à cet album auto-titré Dennis Coffey paru en 2011 ! Hot Coff y reçoit des invités de marque, à commencer par Mick Collins et Rachel Nagy, c’est-à-dire la crème de la crème du gratin dauphinois de Detroit, Dirtbombs et Detroit Cobras. Le cut s’appelle «I Bet You» et Mick Collins l’allume dès l’intro. C’est assez inespéré de l’entendre mêler sa bave à celle de Rachel Nagy, avec un hot Coff qui claque derrière eux du gimmick de Detroit. Rachel la ramène à l’accent tranchant de reine impavide et nous plonge au cœur d’un mythe bien vivant, le Detroit Sound. Comme le disait si bien Brother Wayne, what you get is very honest. Hot Coff joue littéralement des giclées de heavy brouet et passe un solo gratté dans sa plaie. Mick Collins pousse des cris et des clameurs, c’est complètement demented, pendant qu’hot Coff gronde dans le fond du son comme un dragon. Autre énormité : «Don’t Knock My Love», avec Fanny Franklin qui vient chanter la heavy Soul de Detroit. Elle chante au gras double. Lisa Kekaula des BellRays vient elle aussi secouer la paillasse de «Somebody’s Been Sleeping». Elle remet les pendules à l’heure et jette toute sa bravado dans la bataille, comme elle sait si bien le faire. Elle est magnifique. Hot Coff s’entoure des meilleures Soul sisters. Attention au «7th Galaxy» d’intro. Il est monté sur le bassmatic dévastateur de Tony T-Money Green, extraordinaire shaker de funk et hot Coff explose la carcasse du son. Il faut aussi entendre Mayer Hawthorne swinguer la Soul rampante d’«All Your Goods Are Gone». Hot Coff gratte ses poux à grands coups d’accords métalliques. Ah quelle vache de la vache, que de son demented are go à gogo ! En fait Coff est aussi indestructible que Dick Taylor. Il descend toujours à la cave avec sa guitare. Il termine avec le Part 2 de «Don’t Knock My Love» et whate sa Soul aux vermicelles comme un démon étoilé. On a en plus les violons de Motown. Pur génie. De toute évidence, cet album est l’un des fleurons du Detroit Sound.

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Hot Coffey In The D n’est pas non plus un album qu’il faut prendre à la légère. Il s’accompagne d’un livret de 56 pages, avec notamment une interview de Bettye LaVette. Les morceaux sont enregistrés en 1968 au Morey Baker’s Showplace Lounge de Detroit, Michigan. Dennis Coffey joue accompagné de Lyman Wooward (B3) et Melvin Davis (drums), deux légendes de Detroit. Autre info de grande importance : Zev Feldman rappelle dans son texte de présentation que Coff et son collègue Mike Theodore découvrirent Sixto Rodriguez à Detroit, célébré depuis par l’excellent Searching For Sugar Man. Coff et ses amis démarrent avec «Fuzz». Ils jouent à profusion. Coff explique qu’il gratte une Gibson Birdland - I patched my guitar through a Vox Tone Bender fuzzbox and a Dunlop Cry Baby wah-wah pedal to get that tone you hear on both songs - Il va chercher le ruckus dans l’insistance d’un shuffle d’orgue Hammond. Ces mecs-là ne plaisantent pas. Dans l’interview qu’il accorde à Kevin Goins, Coff rappelle que son trio ouvrait pour le MC5 au Grande Ballroom. Bettye LaVette connaît bien les trois oiseaux, les clubs de Detroit et toute cette histoire de la mafia dont elle parle abondamment dans ses mémoires. Coff et ses amis tapent dans Jimmy Webb avec «By The Time I Get To Phoenix», mais ils ne prennent pas le taureau par les cornes comme le fait Isaac dans sa version, il visent une dimension plus groovy, Coff gratte des accords veloutés, il caresse le son avec une admirable détermination. C’est pourri de feeling et de jazz. Passionnant de bout en bout. Ils restent dans le haut de gamme avec «The Look Of Love» de Burt. Lyman Wooward ramène le son d’orgue de Phoenix dans l’intro. Stupéfiant ! Coff négocie des pointes avec ce démon de Lyman Wooward, ça donne un son très souterrain, bien remué par des courants. Hot Coff on the spot ! Le hit du disque est cette reprise du «Maiden Voyage» d’Herbie Hancock. Coff gratte ça à la note manouche. Il défend le son pied à pied, il joue la carte du heavy drive de jazz et ça devient très violent. Il concasse les noix du jazz, il joue au tagada de Wes Montgo ! Puis il passe des coups de wah dans «The Big D», mais sous le boisseau d’argent. Il n’est pas avare de wah. Avec sa barbichette, il ressemble à un prof de la Sorbonne, mais il joue comme un diable. Il se fond dans le premier groove venu. Il libère ensuite des rivières de perles dans «Casanova». Il joue à la ferveur extravagante sur les belles nappes de Lyman Wooward. C’est tout simplement un gratté de notes ultimes et un festival de pirouettes. Ils terminent avec «Wade In The Water» et Coff pousse le wade dans le water, ça va loin, car chargé de toute la big energy de Detroit. Hot Coff for sure !

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Les vielles archives de Coff continuent de refaire surface. One Night At Morey’s 1968 paraît en 2018. Coff rappelle qu’il était assez edgy avec ses copains, ils faisaient du jazz trad mais aussi fun & r’n’b covers, making it our own, comme le montre d’ailleurs «Eleanor Rigby». Coff joue assez killer dans le B3 dévorant. Entre deux vagues surnaturelles, Coff rappelle que Morey’s was the hottest spot in town, avec un public essentiellement noir. Ils jouent le Rigby au jazz improved et Coff goes crazy avec une fantastique énergie. Il ne faut surtout pas le prendre pour une brêle. C’est explosif. Coff ajoute qu’ils n’ont jamais répété. La basse qu’on entend, c’est Lyman Woodard au B3. Ils font aussi une version subliminale du «Groovin’» des Rascals. C’est champion ! Coff gratte le vieux thème à la revoyure. Ici, tout est extraordinairement bien joué au left handed B3. On a l’impression d’entendre une walking bass et le batteur Melvis Davis fait du pur jus de Ginger. Encore une vraie débinade de B3 avec «Burning Spear». Coff gratte au kill kill de Detroit et emmène son groove une nouvelle fois sous le boisseau d’argent. C’est battu sec et net de bout en bout, mais hélas un solo de batterie coupe la chique du shit. On assiste à un joli développé de bassmatic dans «I’m A Midnight Mover». Ils jouent tous les trois leur shuffle au va-tout. Ils créent la sensation, c’est complètement secoué des cloches et Coff bande comme un âne derrière sa demi-caisse. Ils rendent un hommage stupéfiant aux Isleys avec «It’s Your Thing/Union Nation», mais sans le chant. Après les apéritifs dinatoires de «Mindbender» et de «Big City Lights», ils bouclent ce set avec «Billie’s Bounce», un instro amené au puissant jazz d’orgue. Coff jive son jazz part et c’est superbe. L’énergie court sur le haricot du B3. Ils battent absolument tous les records de vélocité véracitaire.

Signé : Cazengler, Jus de chaussette

Dennis Coffey Trio. Hair And Thangs. Venture 1969

Dennis Coffey & The Detroit Guitar Band. Evolution. Sussex 1971

Dennis Coffey. Goin’ For Myself. Sussex 1972

Dennis Coffey & The Detroit Guitar Band. Electric Coffey. Sussex 1973

Dennis Coffey. Instant Coffey. Sussex 1974

Dennis Coffey. Finger Lickin Good. Westbound Records 1975

Dennis Coffey. Back Home. Westbound Records 1977

Dennis Coffey Band. A Sweet Taste Of Sin. Westbound Records 1978

Dennis Coffey. Motor City Magic. TSR Records 1986

Dennis Coffey. Under The Moonlight. Orpheus Records 1989

Dennis Coffey. Live At Baker’s. Scorpio Productions 2007

Dennis Coffey. Dennis Coffey. Strut 2011

Dennis Coffey. Hot Coffey In The D. Resonance Records 2016

Dennis Coffey. One Night At Morey’s 1968. Omnivore Recordings 2018

Dennis Coffey. Guitars Bars And Motown Superstars. University Of Michigan Press 2009

Paul Justman. Standing In The Shadows Of Motown. DVD 2003

 

Silver Apples pie

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Le destin accorde parfois des privilèges. Oh, pas ceux de la noblesse, du clergé et encore moins ceux du tiers-état, disons plutôt des petits privilèges. Prenons un exemple, ce sera plus clair. Mettons que le destin prenne l’apparence d’un job de traduction : on traduit le Dream Baby Dream que Kris Needs consacre à Suicide et le privilège, c’est de tomber sur un bel éloge des Silver Apples. C’est assez rare, mais il arrive parfois qu’on veuille serrer la pogne au destin pour le remercier.

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Silver Apples ? Mais oui, bien sûr, l’un des groupes vraiment mythiques de l’avant-scène américaine, un duo précurseur de Suicide, d’où sa présence dans le Needsy book. Le duo composé du tripatouilleur Simeon Coxe et du batteur Danny Taylor n’enregistra que deux albums en 1968 et 1969. Comme le pauvre Simeon vient tout juste de casser sa pipe en bois, l’occasion est trop belle de remettre le nez dans le privilège. Ça permet d’une part de vérifier qu’à l’époque de la découverte de Contact, on n’avait pas rêvé, et d’autre part et de redire tout le bien qu’il faut penser de ce duo et de sa fantastique appétence pour la liberté à tout crin, un tout crin idéal pour un amateur de crin-crin comme Simeon.

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En fait, c’est Alan Vega qui découvrit ce duo d’avant-garde : Simeon Coxe jouait sur un fatras de matériel électronique qu’il appelait La Chose, accompagné par son buddy batteur Danny Taylor. Ils s’étaient taillés une réputation au Max’s, dix ans avant la vague punk. Dans le Needsy vook, Vega cite ses influences : le Velvet, Iggy, Question Mark & The Mysterians... et les Silver Apples. Ça veut dire qu’il les met au même niveau, et il a raison. Vega vantait les charmes des Silver Apples à tout le monde. Alors Kris Needs tire l’overdrive pour nous expliquer dans le détail le parcours fascinant de Simeon : il quitta la Nouvelle Orleans de son enfance pour tenter sa chance à New York dans les mid-sixties. Il fréquentait les bars branchés de la beat generation et sur qui flasha-t-il ? Mais oui, sur Sun Ra qui dans ce bar branché jouait chaque lundi pendant sept heures non stop jusqu’à l’aube - Le chaos spatial de Sun Ra eut une influence déterminante sur l’inconscient de Simeon - Et comme Simeon avait oublié d’être con, il devint pote avec Hal Rogers, un musicien qui nous dit Needs, pouvait mémoriser des dizaines de partitions de symphonies, tout en s’intéressant aux douze tonalités et à l’atonalité qui étaient basées sur des processus mathématiques. Ça ne s’invente pas. Simeon tomba éperdument amoureux de l’oscillateur qu’Hal Rogers avait installé dans sa stéréo.

— S’il te plaît, Hal vends-le moi !

— Bon d’accord, dix bucks !

— Done !

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C’est cet oscillateur qui est devenu le ‘Grand-père Oscillateur’ des Silver Apples - Puis Simeon commença à bricoler et à souder des oscillateurs en série - Il prit quelques court-jus et mit au point une méthode pour instrumentaliser le bruit à partir de 86 touches de télégraphe dont il jouait avec les mains, les pieds et les épaules (pas la bite, heureusement) - C’est ce truc-là qu’il appelait la Chose. Il s’agissait en fait d’un synthétiseur primitif. Il démarra avec son buddy Danny et baptisa le duo Silver Apples, d’après un poème de Yeats. Apples bien sûr pour the Big Apple, c’est-à-dire New York. Avec sa manie de la récupération de matériel, Simeon préfigura Suicide. Il avait dix ans d’avance sur Alan Vega qui allait faire exactement la même chose. Simeon se heurta au même problème que Suicide : les gens qui les voyaient sur scène ne les prenaient pas au sérieux. Pas de guitare ? C’est louche ! Pourtant, Simeon parvint à jouer à Central Park devant 30 000 personnes. Puis au Max’s, un Max’s que Burroughs appelait le «Carrefour du monde», un endroit où traînait la crème de la crème du gratin dauphinois, de Ginsberg à Warhol en passant par De Kooning, Castelli, Lichenstein, Rauschenberg, Dali, Fellini ou encore Jane Fonda. Warhol qui était fan des Silver Apples leur suggéra d’accompagner sa super star Ultra Violet, de la même façon que le Velvet avait accompagné Nico - En 1968, aucun groupe ne sonnait comme les Silver Apples. Même l’album des United States Of America, fondé par Joseph Byrd, un membre de Fluxus, paraissait sophistiqué en comparaison - Quand parut leur premier album, John Lennon fut dit-on sidéré. Il déclara à la télé anglaise en 1968 : «Écoutez les Silver Apples. Ils vont devenir énormes !».

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Il a raison, le père. Le premier album des Silver Apples s’appelle Silver Apples et démarre avec «Oscillation», donc il n’y a aucun malentendu. Simeon propose un deep groove de mec averti qui en vaut deux, il libère des forces inconnues et ça glougloute dans les coins. En fait son truc, c’est l’hypno, comme le montre encore «Program». Il n’a pas de voix mais il drive sa chique d’electro étrange et balèze à la fois. Au chant, il lui arrive de sonner comme Robert Wyatt. Avec «Dancing Gods», il passe au tribal free et en profite pour faire l’intéressant. C’est la meilleure hypno tribale de New York, il frise avec ses Dancing Gods le génie purpurin, il scande I believe sur un beat qui vaut tout le garage du monde. On comprend que cet album ait pu fasciner Alan Vega et John Lennon. Simeon sait parfaitement ce qu’il fait. Il a compris l’intérêt de l’insistance et de la transe hypno. Il se positionne dans la magnifique insistance du mal chanté et c’est passionnant. Il se faufile partout avec ses grooves electro. Sa transe est digne de celle de Can. Il y a tellement d’énergie dans son bricolo qu’il devient crédible, même sans voix. C’est d’ailleurs toute la différence avec Alan Vega qui lui dispose d’une vraie voix.

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Le deuxième album des Silver Apples s’appelle Contact et paraît l’année suivante. Simeon s’en explique : «Contact est ce que nous avons fait de mieux à l’époque. On tournait beaucoup et on travaillait les morceaux pendant les balances. C’est comme si on avait enregistré en public. Le label espérait qu’on allait jouer des trucs plus conventionnels, mais ça n’était pas possible. On restait dans l’électronique et la batterie, avec moi au chant. Notre son devenait de plus en plus âpre. On réagissait au fait que tous les autres ajoutaient des violons dans ce qu’ils appelaient du rock. C’est pour ça qu’on allait dans l’autre sens.» C’est un album tellement profane qu’il faut l’écouter religieusement. À l’époque, personne n’aurait jamais misé un seul kopeck sur ces mecs-là. Dès «You And I», Simeon révélait un sens aigu de l’hypno. Il y avait du Beefheart dans sa démarche. Ses descentes d’osci étaient du pur Magic Banditisme, il proposait le beat dérangeant, celui après lequel on passe sa vie à courir. Il proposait aussi des choses étranges, dans l’esprit que ce que faisait Nico, avec des coups d’harmonium dans l’église d’Oradour («Water»). Et puis soudain éclatait l’excellence d’un «Ruby» qu’il jouait au banjo, bien soutenu par le beat du buddy Danny. Ces deux mecs créaient véritablement leur monde, et ce sont les créateurs de monde qui nous intéressent. Ils couraient comme le furet, avec une incroyable fraîcheur de ton et avec «Gipsy Love», ils rivalisaient de babalumisme avec Can. Le fait que Simeon n’avait pas de voix ne gâtait rien. Cet album se révélait réellement envoûtant, il sonnait comme un fabuleux exutoire. On l’entendait encore touiller son hypno oscillé en B avec «I Have Known Love» et il nous régalait d’un «A Fox On You» assez soft dans l’esprit, pas seulement à cause du grain de voix perchée, mais aussi du fouetté de peau des fesses du buddy Danny : il jouait le beat d’envoûtement en vogue dans le désert de Nubie durant l’Antiquité. Un cut qu’aurait bien sûr adoré Marcel Schwob.

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Schwob aurait aussi adoré l’anecdote concernant la pochette de Contact : «L’agence de pub de leur label Kapp avait des relations chez Pan Am et les Silver Apples furent photographiés dans un cockpit, à l’aéroport JFK. L’avion était dirigé vers un coin du tarmac. Pour déconner, Simeon et Danny rajoutèrent des ustensiles de camés dans le cockpit, à proximité du logo Pan Am. Barry Bryant alla encore beaucoup plus loin en récupérant pour l’intérieur de la pochette une image d’accident d’avion d’une compagnie suédoise et en y incorporant l’image des deux pieds nickelés jouant du banjo. En gros, ça voulait dire : deux camés pilotent un avion avec leurs drogues, s’écrasent et jouent du banjo en rigolant au milieu des débris du crash. Chez Pan Am, ce fut l’apoplexie. Ils déclenchèrent des poursuites et l’album fut retiré du commerce.»

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Mais si on sort de l’anecdote de la pochette, la grosse info c’est la rencontre de Simeon avec Jimi Hendrix, au Record Plant, le grand studio new-yorkais. Simeon et Danny y travaillaient de minuit à quatre heures du matin, et ensuite Jimi Hendrix récupérait le studio de quatre à huit heures du matin. Il y eut évidemment des échanges entre les Silver Apples et Jimi Hendrix. Quand Jimi partit à Londres, il voulait emmener Danny avec lui, mais Danny refusa. Jimi et les Silver Apples s’entendaient bien. «Jimi entrait dans le studio pour écouter ce qu’on faisait et on faisait la même chose quand il était en studio. Il y a des bandes où on jamme ensemble. La seule chose que je connais, c’est Jimi et moi dans ‘Star Spangled Banner’. Je joue sur les oscillateurs. C’est une curiosité, mais pas un chef-d’œuvre !». C’est le fameux «Star Spangled Banner» que Jimi mit au point en studio avant de le jouer en public à Woodstock, au mois d’août suivant. Simeon n’est pas crédité sur Rainbow Bridge. «On dit que c’est un morceau que Jimi joue seul, mais si vous écoutez bien, vous entendrez mes six oscillateurs de basses sous la guitare.»

Quand le Record Plant demanda le paiement des heures de studio, ce fut la fin des haricots pour les Silver Apples. Leur label ne donna pas suite, effrayé par le scandale Pan Am. Les poursuites en justice, la lâcheté du label et leur troisième album bloqué, il n’en fallut pas davantage pour briser les reins des Silver Apples. «En 1970, Danny trouva un job dans une boîte de téléphonie et Simeon envoya La Chose faire un gros dodo dans le grenier de ses parents, à Mobile, dans l’Alabama. Il s’y installa avec sa femme Eileen et acheta un petit voilier.»

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Comme tous les artistes devenus cultes, Simeon va refaire surface. Sacré Simeon, celui qui va l’enterrer n’est pas encore né. Un nouvel album des Silver Apples paraît en 1997, et forcément, ceux qui connaissaient les deux premiers albums sont allés y fourrer leur nez. Il s’appelle Beacon et on les voit tous les trois sur la pochette, oui, car Simeon s’est adjoint les services du keyboardist Xian Hawkins et du batteur Michael Lerner. Beacon est un petit paradis de l’hypno, et ce dès «I Have Known Love» et cette petite voix toute pourrie à laquelle on s’attache. Simeon chante comme un con, mais quelle implication ! Quel beat et quelle ardeur d’underground new-yorkais ! Avec Simeon, ça reste très spécial et foutrement interesting. Il règne chez lui un parfum tenace de modernité. Il tripatouille exactement le même son qu’à ses débuts. Et ça continue avec «Together», un autre drone de doom, Simeon s’y couronne king du non-retour, il broute la motte de son electro avec une façon de bicher unique au monde. Magic Coxe ! C’est la voix qui fait l’Apple. Ça reste très underground, comme enveloppé de son coxy. Il chante son «You And I» par en-dessous et c’est très excitant. L’envolée d’«Hocus Pocus» en ravira plus d’un et plus d’une. Avec Simeon, on est en sécurité. Ce mec sait ce qu’il fait. Il s’élève au dessus des anciens chemins avec «Ancient Path» et drive sa technologie avec un swagger certain. Il y a un côté très formel en Simeon qui doit venir de ses racines indigènes. De toute manière, il a réponse à tout. Il ne cherche pas à plaire, il fait son truc envers et contre tout et cette constance fait tout son charme. Il finit par devenir extrêmement convainquant avec «The Dance» - We have the dance/ You have the trance - Son hypno est bonne. Et voilà une œuvre Dada nommée «Daisy». C’est même de la transe subversive. Simeon adore tellement le glouglou des pygmées subartiques qu’il pond une sorte de Dada doom. Le son peut sembler cucul, mais en fait il est incroyablement excitant. Il finit avec un délire d’osci nommé «Misty Mountain». Fantastique power du came to my mind. Simeon collectionne les lettres de noblesse.

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Paru l’année suivante, Decatur propose un seul morceau du même nom, une espèce de grande dérive electro qu’on peut écouter si on en a envie. Essayé mais pas réussi à aller jusqu’au bout.

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Par contre, il faut écouter The Garden qui est en fait le fameux troisième album bloqué par les poursuites en 1969, suite au scandale Pan Am. Il s’agit sans doute du meilleur album des Silver Apples. On y trouve une reprise fantastique de «Mustang Sally», Simeon n’a pas la voix de Wilson Pickett, mais Danny et lui sonnent comme des cracks avec les oscis. D’ailleurs Danny vole le show sur pas mal de cuts, tous ceux que comprennent «Noodle» dans le titre : «Tabouli Noodle», «Cannonball Noodle», ou encore «Starlight Noodle». Danny y propose de belles dégelées de drumbeat intermédiaire à la Jaki Liebezeit, le batteur de Can, pendant que Simeon s’amuse à la cuisine avec ses oscis. Dans «Anasazi Noodle», on croit entendre un énorme solo de basse fuzz. Ces deux mecs outrepassent les lois du solo de basse fuzz, et Simeon descend dans les catacombes du heavy doom. C’est très spectaculaire. On adore ces deux mec pour ce qu’ils arrivent à faire ensemble. Ils créent leur monde, un monde passionnant avec du son et des idées. On peut même les vénérer pour ça. Ils nous rappellent ce que veut dire l’expression «avant-garde». D’ailleurs, «Mad Man Blues» est du pur Dada. Simeon chante dans le heavy Dada doom. Il devient une fois de plus le Tzara du beat turgescent. «Fire Ant Noodle» sonne comme un cut de fin de règne. Danny y fouette son cymbalum. On y entend la décadence de la rue et du métro. Mais en réalité, la partie est gagnée dès l’«I Don’t Care What People Say» d’ouverture de bal, car Simeon ramène son vieux rumble de sorcier électronique et c’est sensible, fabuleusement coxien. Il se fout de ce que racontent les gens, dit-il. Ce sens inné de l’hypno lui ouvre toutes les portes. On voit ses spoutniks voler dans un «Walkin’» très cour de Russie, très fourrures blanches, on ne sait pas trop au fond, des spoutniks en zibeline ? Va savoir. Simeon chante comme un athlète, il saute en l’air comme s’il prenait des court-jus. Il chante au mollet leste. Sa prestance bizarre passionne. Il ressort son banjo magique pour «John Hardy» et ça devient relativement mythique. Avec «The Owl», tu as le son de Simeon et t’as intérêt à rester vigilant, car l’animal n’est pas avare de surprises.

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L’une des collaborations les plus étonnante de Simeon est l’album A Lake Of Teardrops enregistré avec Sonic Boom. Le pauvre Simeon ne chante pas très bien, comme le montre «Streams Of Sorrow», mais pendant ce temps, Sonic Boom bim-bam-boome sur ses tripatouilleurs. Ils sont convaincus d’œuvrer pour le grand œuvre, alors, il ne faut pas les embêter. Ils se prennent pour des Nimbus sortis des limbes et Will Carruthers diffuse ses Bass Vibrations. Wow, Will ! Dans «The Edge», Simeon revient nous raconter qu’il s’est réveillé naked sur une planète. Musicalement, on se croirait sur «The Gift», un vieux classique monolithique du Velvet. «Whirlwind» tape aussi dans l’hypno à nœud-nœud, c’est facile quand on a des bécanes. Ils cherchent les ambiances fantômes. Nous n’apprendrons rien de plus. Will gratte sa note, conformément au vœu de Sonic. Puis ils tapent dans le synthé du delta pour «(Don’t Care If You) Never Come Back». On sent toujours chez Sonic et Will une incroyable force de persuasion nucléaire. Ils jouent la carte des dingues motorisés et on note au passage l’africanité de la machine. Ce diable de Sonic danse parmi les spoutniks.

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Après la mort du buddy Danny Taylor en 2005, Simeon continuera de jouer avec son fantôme. Il va même réussir à enregistrer le fantôme du buddy Danny sur un album qu’on peut écouter : Clinging To A Dream. Autant vous prévenir tout de suite : on y trouve deux énormités, à commencer par «Susie» qu’il prend au big beat, c’est-à-dire à la hussarde. Il retrouve la voie royale des Apples des origines, ce vieux rock transy d’airplane crash couvert de stupre. L’autre plat de résistance s’appelle «Drifting», un pur jus d’electro à la Coxe, très spécial, très spatial, aussi dense que du gaga. Il lance cet assaut final avec «The Edge Of Wonder» et ressort sa vieille voix de paumé. Il continue mine de rien à honorer la légende de l’underground new-yorkais. Il est comme le disent les gens qui vont vite en besogne «assez culte». C’est vrai que Simeon le doucereux glougloute encore dans son Chtulu. Il fera de l’underground jusqu’au bout. Son «Missin You» sonne comme le no-world wonder de nowhere land. Mais on sent aussi une certaine usure de l’inventivité sur certains cuts. Avec «Nothing Matters», on reste dans l’effarance du non-événement. Comme tout le monde, Simeon vieillit mal. Il finit par faire de l’electro à la con, celle qu’on déteste si cordialement. De toute évidence, on voit qu’avec «The Mist», Simeon ne bande plus, même si au final, le Mist se révèle assez oppressant. Avec «Charred», il s’en va se perdre dans la stratosphère et il opère un retour en grâce avec «Concerto For Monkey and Oscillator». Il y crée une jungle et redevient l’espace d’un cut Simeon le magnifique, le créateur d’espaces exotiques, l’un des rois de l’underground new-yorkais. L’album se termine avec une démo de «The Edge Of Wonder», le titre d’ouverture de bal, qu’il faut écouter, car après c’est fini, on ne reverra plus jamais Simeon, un mec qu’on aura vénéré pour son indépendance d’esprit et son anti-conformisme. C’est bien qu’il revienne une dernière fois titiller son vieux son de rêve, il touille sa disto d’osci accompagné par le fantôme de son copain batteur, alors l’underground s’illumine une dernière fois.

Signé : Cazengler, Silver à piles

Simeon Coxe. Disparu le 4 septembre 2020

Silver Apples. Silver Apples. Kapp Records 1968

Silver Apples. Contact. Kapp Records 1969

Silver Apples. Beacon. Whirlybirds Records 1997

Silver Apples. Decatur. Whirlybirds Records 1998

Silver Apples. The Garden. Whirlybirds Records 1998

Spectrum & Silver Apples. A Lake Of Teardrops. Space Age Recordings 1999

Silver Apples. Clinging To A Dream. Chicken Coops Recordings 2007

Kris Needs. Suicide. Dream Baby Dream. Omnibus Press 2015

 

ROCKABILLY GENERATION

( N° 15 / OCTOBRE – NOVEMBRE – Décembre )

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Whaoups ! Surprise en ouvrant le magazine, sont devenus fous ou quoi, en guise d'édito z'ont mis un calendrier, genre j'inscris la date limite des impôts et celle de la pilule pour la chatte, en plus uniquement les premiers six mois, je tourne la page, fausse alerte, elle se barre, c'est un cadeau ( pour l'année prochaine ) inséré à l'intérieur, l'édito est là, plein de mauvaises nouvelles virales, vous entrevoyez, mais aussi de bonnes, très rock'n'roll, surtout celle que j'attendais depuis au moins cinq ans !

Big Sandy, le magnifique, en couverture, retrouvailles, faisait déjà la une pour le premier numéro, ne vérifiez pas la date, vous vous sentiriez plus vieux, douze pages avec photos et petits documents encadrés pour aider à comprendre de qui il parle, se raconte, sa carrière, et de lui-même comme les questions le lui demandent, un homme simple, non marié qui aime à se retrouver en famille avec ses neveux, pas l'itinéraire d'une jeunesse tourmentée et révoltée, il a cinquante-six piges aujourd'hui, un passionné des années cinquante, touche au rockabilly, au western jump, au hillbilly boogie, au western swing... un artiste qui se penche sur le passé de sa musique, reconnu dans le monde, mais empreint d'une sérénité attachante.

Greg Cattez consacre la chronique Pionniers, à une personnalité beaucoup plus exubérante et scandaleuse, le grand Little Richard, l'a gravé les plus grands classiques du rock'n'roll, l'a réussi le tour de force de rallier à lui la jeunesse blanche, ce qui n'était pas donné d'avance ! Le petit Richard a apporté au rock'n'roll la sauvagerie primale, tout ce que le blues exprimait de violence contenue, Little Richard l'a exalté au grand jour... Aujourd'hui encore l'on peut diviser les artistes rock, tous genres confondus, entre ceux qui essaient de préserver cette rage originelle, et ceux qui s'en éloignent...

Surprise, une nouvelle Chronique R'n'R, de Jacky Chalard, le fondateur de Big Beat Records, le rock français lui doit beaucoup, présente trois émules du créateur de Tutti Frutti, l'américain Esquerita, trop vite expédié à notre goût, Little Tony, ce pionnier italien que Pierre Lattès programmait très souvent dans sa séquence rock du Pop Club de José Arthur - l'émission fut supprimée après mai 68, il reçut Little Richard et Gene Vincent en direct - et enfin une légende française, Moustique, le chanteur des blousons noirs, qui connut son heure de gloire au début des années soixante, qui ne s'est jamais renié et qui est resté fidèle à sa jeunesse, Jacky Chalard raconte son amitié avec Little Richard...

Sergio Kazh – breton de cœur - nous présente Sleeper Bill, comme par hasard un breton. Nouvelle génération rockabilly. Se raconte durant sept pages, félicitons la revue de donner à connaître de jeunes pousses. L'a commencé par Chopin, puis Stevie Ray Vaughan, les rockers ne sont plus ce qu'ils étaient nourris au biberon Gene Vincent, il est bon que la musique évolue, sans œillères, qu'elle soit reprise par des oreilles ouvertes...

Tiens un ancien d'une génération précédente, celle qui but à la source des pionniers et qui reçut l'illumination créatrice du british rockabilly des années soixante-dix. Red Dennis, un parcours idéal, du Rock'n'roll Gang de Gilles Vignal – qui accompagnèrent Gene Vincent en 1967 - aux mythiques Sprites, plus tard avec les Red Hot et présentement avec Al Willis. Lire cet interview c'est être plongé dans toute l'histoire du rockabilly français depuis les années 80, Red Dennis devrait écrire ses mémoires, témoin important et activiste primordial. Une vie menée tambour battant, tout cela par la faute de Dickie Harrell le batteur des Blue Caps de Gene Vincent.

Enfin la bonne nouvelle attendue depuis des années. The Spunyboys le groupe aux mille et un concerts vont sortir un disque ! Vous n'y croyez plus ! Le dernier qui était le premier date de 2013 ! Donc vous n'y croyez pas. Scandale, vous osez mettre ma parole en doute ! Vous avez raison, ils vont en sortir deux ! Et même trois. Ce n'est pas moi qui le dis, vous expliquent cela par eux-mêmes, je vous laisse découvrir...

Le Covid a du bon. Evidemment pas de chroniques sur les festivals interdits, mais l'on ne perd pas au change, les artistes ne chantent plus, ils parlent et l'on a le temps de laisser marcher les enregistreurs, puisque l'on ne peu plus parler du présent, l'on se plonge dans le passé et l'on évoque le futur. Résultat : le rockab prend de l'épaisseur. Un beau numéro. Sergio et son équipe ont montré qu'ils savaient rebondir.

Parodions L'épopée du Rock d'Eddy Mitchell :

Ça fait quinze numéros que cela dure

Rockabilly Generation a la vie dure

Damie Chad.

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,60 Euros + 3,88 de frais de port soit 8,48 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 33, 92 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

 

TRASH HEAVEN

 

Les pochettes de groupes de Metal, sont rarement décevantes. S'ils ne soignent pas leur image, se cantonnant la plupart du temps à un look post-vikings pré-apocalyptiques, ils prennent grand soin des images. Trash Heaven ne s'écarte pas de cette vulgate, toutefois ils possèdent un avantage sur leurs concurrents, leur art-worker personnel, en l'occurrence Bawol Chuc, guitariste de la formation. Les deux CD's sont agrémentés d'un livret couleur chargé d'illustrer l'histoire racontée au fil des différents morceaux. Nouvel élément remarquable à leur actif, les deux CD's enregistrés à quatre ans de distance, content le même récit. Une véritable suite musicale !

Etrange trajectoire de ce genre musical qu'est le Metal, l'est né sous forme d'amibe-blues rudimentaire dans le Delta du Mississippi pour finir par aborder les rivages grandiloquents et tonitruants du Rhin de la tétralogie wagnérienne. De toutes les composantes du mouvement rock dans son acceptation la plus large, le Metal est le seul qui renoue avec la geste grandiose de l'art total, tel qu'il fut imaginé et théorisé à la fin du dix-neuvième siècle.

DEMENTIA

TRASH HEAVEN

( Avril 2014 )

 

D'où venons-nous ? De l'âge d'or chanté par Hésiode ou du paradis ? Trash Heaven semble avoir de par leur seule appellation (in)contrôlée leur petite idée sur la réponse. Leur pourriture édénique n'incite pas à l'optimisme. Toutefois le disque nous apporte une réponse digne d'intérêt : de notre cervelle. Son dessin accapare toute la surface. Certains objecteront que l'œuf du cortex n'est qu'une partie de l'animal humain, mais si nous écoutons le philosophe Schopenhauer qui prétend que le monde est notre représentation, il appert très vite qu'il est possible que notre corps ne soit qu'une représentation ( ambulante ) de notre cerveau.

Le recto de la pochette nous renvoie à une réalité quotidienne plus rassurante. Enfin presque, si une guitare, un réveil, un lit, un homme appartiennent à notre monde, nous inquiète le fait qu'ils flottent dans l'espace et qu'ils semblent happer par un vortex suscité par un... cerveau, décidément nous avons du mal à nous en affranchir de ce maudit organe ! Le verso planétaire nous arrache à son attraction, les objets qui jouent au petit train dans l'immensité de l'espace, représentent un système solaire. Ce n'est plus le cerveau qui est au centre du monde mais le soleil. Passage ( réversible ? ) de l'omicron à l'omega ? De quoi vous rendre homme-gaga.

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Mikael Marczylo : vocal, guitars / Chuc Bawol : guitars, chorus / Frédérick Neuville : bass, chorus / Jean Ragot : drums.

Entering madness : surprise l'on s'attendait à une apocalypse et ici tout n'est que calme, luxe et volupté, nous voguons au fil d'une houle de guitares qui nous emporte dans un rêve d'une extraordinaire douceur, serions-nous retournés dans le liquide amniotique maternel, en tout cas l'ingé du son qui a coupé brutalement la prise devrait être exécuté. Out of time : hors du temps, cela remue salement, cette voix qui hurle, ces guitares qui grondent, on préfèrerait le calme de la mort, enfin presque, parce qu'en fait c'est la mort qui nous appelle, qui nous attend, qui donne à la vie cette apparence chaotique des plus déplaisantes. Certes l'on court, mais à sa perte. Hard drugs : mélodramatique, il existe des produits pour arrêter cette transhumance mortelle. Méfions-nous, la violence de la musique nous incite à supputer que le remède est pire que la maladie. Sont sympathiques, vous préviennent qu'il existe un médicament à effet immédiat, radical et sans douleur, font tout pour vous persuader, vous vous croyez en train d'écouter du Led Zeppe, mais réfléchissez-y à deux fois, un bon coup de pistolet dans la caboche n'est-ce pas sans appel ! Prenez votre temps, réécoutez le morceau, il est prodigieux. Doctor X : une solution avant la définitive : rendre visite à un doctor. Il y en a de meilleurs que d'autres. Celui que vous avez choisi est particulièrement grave. Faut voir comme il vous tape sur le crâne avec une batte de base-ball, le mec voulait devenir batteur, il n'a pas réussi, il se venge sur ses patients, vous êtes liés et attachés vous ne pouvez vous défendre. Vous a inoculé de drôles de médocs dans le cortex, la réalité se gondole, votre tête se brise de l'intérieur, vous êtes votre propre cauchemar, la nuit intérieure se peuple de glissandi phantasmagoriques. Cette piste vous hésiterez à la remettre, elle est trop belle, mais vous emmène sur des sentiers ombreux.

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Building my graves : avez-vous déjà descendu l'escalier de la mort, abstenez-vous, la première marche est glissante, elle vous happe et vous expédie dans une dégringolade sans fin qui vous fragmente les os un par un et tous ensemble, le morceau commence en blues mais tourne très vite à l'hystérie. Et je vous préviens : ça ne s'arrange pas vers la fin. Ces mecs-là ils vous clouent les planches du cercueil direct sur votre chair. De quoi vous plaignez-vous, c'est ça le rock'n'roll ! Rock ' n ' Roots : d'ailleurs le voici, vous n'avez donc jamais bouffé le rock par ses racines. Une expérience très intéressante, mais éprouvante. Vous avez voulu du rock, et bien en voilà. Vous l'assènent avec une virulence sans pitié. Comme vous tétez le suc nourricier par le mauvais bout ne vous étonnez pas des bruits bizarres produits par les guitares folles, et ce chanteur qui hurle comme s'il poussait le cri qui tue sans interruption. Un tourbillon de folie s'est emparée de vous. Non ce n'est pas fini, vous avez ce bruit de batterie, j'ai cru que la sono s'était détraquée, mais non tout va bien, madame la marquise, de la gare où le train s'égare. Dementia : froissements inquiétants, vous avez franchi une porte, elle s'est refermée, vous ne reviendrez jamais sur vos pas, le couloir blanc de l'hôpital est circulaire, vous l'arpenterez jusqu'à la fin de vos jours, y a des serpents qui jaillissent de la bouche du chanteur, se transforment en verres brisés quand vous les empoignez, sarabandes de collègues en aussi mauvais état que vous autour de vous, vous êtes parvenu au bout de la folie, bienvenue dans le monde de la démence. Époustouflant. Carnaval dantesque. Morceau d'anthologie. Chœurs en flammes. Existe-t-il une différence entre la mort de la vie et la vie de la mort. Ce genre de question finira par vous rendre fou. The 4 lords : superbe image dans le livret, les quatre chevaliers de l'apocalypse englobés dans le nuage de feu sulfureux que crache le dragon. Une batterie qui casse du bois. La musique tombe sur vous comme si le monde s'écroulait pour vous ensevelir. Qui sont ces quatre seigneurs. Seriez-vous la bête, l'archange du mal, et celui du bien en même temps. Qu'importe, au-delà de vos cauchemars de solitaire, un vent épais vous emporte en une brûlante tornade. Juste un passage. Step by step : le plus dur reste à faire, vous êtes un nouvel homme, vous venez de renaître, douceur, calme et volupté, la boucle est bouclée, vous voici sur le chemin de la vie, jeune poulain hennissant dans l'herbe verte, ou bébé ayant à se hisser sur les degrés par la vie. Une nouvelle énergie est en train de poindre. Vous contenez le monde en vous, et s'il existe vraiment vous débordez d'assurance pour l'avaler tout cru. Attention le ballon de baudruche peut se gonfler à volonté, apothéose intumescente, splendeur printanière, chant du soleil, ode à l'infini... peut aussi éclater comme bulle de savon transpercée par les mille poignards de votre songe. ( A suivre... )

 

Le set de Trash Heaven au Bacchus ( voir livraison 479 du 08 / 10 / 2020 ) nous avait enthousiasmé, mais le live est souvent supérieur aux disques enregistrés parfois en des conditions peu professionnelles, avec ce premier opus, nous sommes scotchés, et tout cela réalisé par eux-mêmes, aucun des musiciens n'essayant de jouer sur les camarades, un équilibre parfait, une œuvre longuement mûrie, pensée et réalisée avec une incontestable maîtrise. Au niveau des plus grands.

 

4 HEADS FOR A CROWN

TRASH HEAVEN

( Music-Records - 21 / 2020 )

 

La suite donc. Toujours la pochette dessinée par Chuc Bawol. Le mauve triomphait sur le recto du premier album, ce mauve qui signifie autant l'intelligence de la mort que la mort de l'intelligence... Autant dire que vous naviguez entre deux écueils monstrueux... Sur le recto de ce deuxième, c'est la cruauté du vert qui vous agresse. Trois hommes ( vous ne voyez pas le quatrième ) soumis à une expérience de manipulation mentale. Sur votre gauche, vous pouvez lire les pictogrammes de la mort, car toute écriture est une mise au tombeau du monde, sur la droite le monde est représenté dans sa réalité mythique, car si les tombeaux égyptiens conservaient les cadavres, vous n'accédez au monde que par le mensonge du songe. Peut-être nos existence sont-elles les rêves du monde. Vous l'avez deviné, nous sommes dans un concept album. De l'âge cybernétique. Les tortures les plus cruelles sont mentales.

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Mikael Marczylo : vocal, guitars / Chuc Bawol : guitars, chorus / Fabien Plumet : bass / Jean Ragot : drums.

The last step : nous voici sur la dernière marche de l'escalier, là où nous nous étions arrêtés lors à la fin de Dementia, reprise du motif de l'ouverture et du final de ce premier opus, guitares et chœurs lointains aussi doux qu'une brise qui se lève, une oreille inattentive la qualifierait d'allègre, mais soyez attentifs à ces surgissements de roulements de batterie, de quels tonnerres sont-ils annonciateurs ? Trashed heaven : changement d'atmosphère, cris agoniques, ponctuations sonores, guitares saignantes, l'escalier est interminable, nous essayons tout au long de notre vie de faire de notre mieux, le stairway déboule bien dans le paradis, mais il est en ruines, comme notre vie, nos efforts se réduisent en un tapis de cendres, la musique s'emballe, encore plus violente, au bout de nos rêves, le sol se dérobe, sous les pas de l'Homme s'ouvre le gouffre du néant. Beast inside : est-ce la bête noire qui fait son nid en vous, ou est-ce vous la bête noire qui traverse la part du monde la plus noire. Cris et tumultes. Redescendez-vous l'escalier ou le remontez-vous, vous êtes perdus, le bout du tunnel est là, mais ce n'est guère mieux, tout bouge autour de vous et au-dedans de vous. C'est fou comme le paradis ressemble à l'enfer. La guitare miaule comme un chat que l'on écorche vivant, comme un arbre que l'on écorce mort. Un train qui glisse dans l'espace et qui tombe brusquement. Succubus: la chute n'est pas fatale après l'angoisse de la mort le plaisir de l'amour, la flamme vive de l'amour fou. Hurlements d'extase, mais ne vous y fiez pas, au bout du compte cette fille qui vous enlace est une démone, une succube qui suce votre sève et votre sang, la musique vous aspire, une pompe qui vous vide, un tube de dentifrice à jeter à la poubelle, horreur absolue, mais qui ne se souviendrait pas des délices d'un tel baiser de feu qui vous consume jusqu'à la moelle ! Drakkar : changement de décor, enfin la liberté, votre poitrine face à mer, guerrier à la recherche du combat, tue et libère-toi, kaos musical à fond de train, les meilleures aventures sont les plus sanglantes. Les plus courtes aussi. Deux minutes trente-cinq de fureur. Une fois que tu auras perdu et tes compagnons et tué tes ennemis, tu connaîtras la solitude.

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The tree of wisdom ( Part I ) : cristal de mélancolie sonore, le héros est de retour chez lui, l'est sous son arbre celui qui apporte la sagesse et qui tire les leçons de l'aventure, au loin se profile l'ombre noire de la montagne-gouffre qu'il a traversé, n'est-il pas comme Gilgamesh qui se réveille en s'apercevant que le serpent lui a volé le secret de l'immortalité. The tree of wisdom ( Part II ) : la première partie était strictement musicale, la deuxième est chantée, attardez-vous sur cette plainte insidieuse, oui il a triomphé, oui il a gagné, mais à quel prix, n'est-il pas un assassin monstrueux. La sagesse coïncide-telle avec le remords. N'est-il pas temps de repartir. Le paradis n'est-il pas une pomme empoisonnée. . 4 heads for a crown ( Part I ) : dénouons le kaos, comprendre que la quête réside en le disque, que les quatre membres sont les victimes de l'exécrable Doctor X qui se livre à une terrible expérience. Les voici soumis à une machine, la couronne, elle s'est emparée de leurs cerveaux et tout ce que chacun a cru traverser n'est qu'un film extérieur à leur personnalité que le computer cybernétique instille dans leurs neurones. 4 heads for a crown ( Part II ) : cette manipulation mentale dont ils découvrent avec une certaine sérénité dans la part 1 se transforme en la 2 en un catastrophique stroboscope orchestral d'électrochocs intérieurs. Aucune maîtrise ne leur est permise. The maze : la lucidité de la connaissance n'abolit pas la souffrance. Vous n'êtes pas sorti de l'auberge. Eboulement musical, vous essayez de fuir, les murs se referment sur vous, ils se dérobent, vous êtes dans le labyrinthe, serait-ce celui de votre conscience, hurlez tant que vous voulez le minotaure finira par se saisir de vous et vous tuer. The last march : nous revoici au début de l'histoire sans fin. Tout s'emmêle. Sont-ils quatre ou est-il seul. Fuite organisée, course échevelée et désespérée, sortir à tout prix, musique tournoyante, vocal épileptique, la dernière marche du labyrinthe ouvre sur un second labyrinthe, lorsque la porte est ouverte, que se passe-t-il, vous le savez, vous ne sortez de la vie réelle ou de vos phantasmes que par la mort. Danse macabre : music maestro, la musique adoucit la mort. Celle-ci ressemble à une sarabande ogivale. Il ne s'agit pas de savoir comment l'on sort de l'œuf, mais comment on y entre. De toutes les manières l'on ne fait pas de trash metal sans casser les œufs. Omelette sanglante. No happy end.

 

Ce deuxième épisode est aussi splendide que le premier. Un son plus compact, plus dur, plus serré, plus précis dont on ne s'échappe pas. Le groupe a gagné en puissance. Vocal parfait, orchestration jamais ennuyeuse. Impossible n'est pas Trashy Heaven.

Damie Chad.

 

WHITE RIOT

RUBIKA SHAH

( Film documentaire / Sortie Août 2020 )

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Critiques élogieuses, primé au FBI London Film Festival – normal ça se passe en Angleterre – remarqué au festival de Berlin – les Allemands aiment le rock mais ne le vénèrent pas me semble-t-il à la manière des petits franzosen - White Riot est un court documentaire qui ne dépasse pas les soixante-dix minutes, heureusement car un peu long et ennuyeux. Bavard. Le sujet mérite attention, la mise en place de l'organisation Rock Against Racism, au bon vieux temps du punk.

Tous les ingrédients sont là pour concocter une cocote-minute explosive, mais Rubika Shah a opté pour la cuisson au bain-marie ( pleine de graisse pesante ). Si seulement Rubika Shah avait pris exemple sur les mises en page des publications de Rage Against Racism, ce parti pris nous aurait donné l'impression de lécher une glace au fil de fer barbelé, nous rêvons au festival d'images-chocs qu'un monteur agile à qui l'on aurait laissé la bride sur le coup aurait pu nous offrir. Au lieu de cela nous avons droit à un exercice scolaire des plus platement prosaïques. D'abord un parti-pris désespérant : donner la parole aux anciens combattants. Ils méritent leurs médailles, ils ont su réagir et construire une action des plus méritoires. Le malheur c'est qu'ils ont pris quarante ans dans la tronche et la mise en scène ne les aide pas.

Pauvre Red Saunders, ce gars c'est le catalyseur, l'étincelle qui mit le feu à toute la plaine, un activiste, et le voici assis devant une table aussi large que la Tamise, le look pépère de l'instituteur qui fait sa leçon de géographie. Vous raconte l'histoire, ne vous la fait pas vivre, ne vibre pas. Dommage. Idem pour les autres protagonistes du noyau initial, en plus la juxtaposition de leurs visages, avant / après, nous incite davantage à une méditation mélancolique sur la fuite irrémédiable du temps qu'à nous insuffler l'énergie nécessaire au combat contre les monstres qui nous entourent présentement. Nous touchons là au gros défaut du film, se réduit au bas mot à l'organisation d'un méga-concert de quatre vingt mille spectateurs réunis contre le racisme. Une réussite inespérée. Delaquelle les organisateurs furent les premiers éberlués. Du début à la fin.

L'on part des remous suscités par les déclarations d'Eric Clapton à l'encontre des populations de couleur qui viennent manger le pain des pauvres anglais - elles ne manquent pas de sel, de la part d'une personne qui a fait fortune en reprenant les morceaux de ces artistes en leur majeure partie de couleur noire plus ou moins foncée ( comme tout nègre, ainsi les nommait-on, qui se respecte ) qui en furent les créateurs – elles furent la goutte d'eau qui fit déborder les consciences, celle qui vous prévient qu'il est temps de tirer la chasse avant la noyade... Elles résonnèrent telles un signal symbolique qui démontrait que les idées nauséabondes déversées par the National Front traversaient désormais toutes les couches de la société, des milieux prolétaires empoisonnés par cette crasse idéologique aux élites petites-bourgeoises apeurées par la crise économique qui n'arrêtait pas de s'amplifier, prêtes à suivre les yeux fermés celui qui parlerait le plus fort. La haine et les actes racistes se généralisaient, toute une partie de la jeunesse ( notamment de nombreux, pas tous, skins ) en colère adhéraient aux analyses sommaires et manipulatrices de l'extrême droite... Le documentaire s'attarde sur la complicité au minimum passive de la police. Les images d'époque sont assez éloquentes sur les brutalités gratuites exercées par les forces de l'ordre...

Rage Against Racism va durant deux années ( 1976 - 1977 ) essaimer dans toute la Grande-Bretagne, un magnifique travail d'information, de communication, de propagande, réalisé à partir de fanzines auto-produits. Temporary Harding organe central du mouvement en premier lieu. Une esthétique qui arrache les yeux, qui à première vue, la caméra ne s'attarde guère sur les pleines pages qui défilent, diffère des canons graphiques du punk. Puisque l'on a sorti le mot punk, il est temps de parler music. La grande idole des leaders du mouvement est le chanteur Tom Robinson à qui lors du concert final de Victoria Park les Clash cèderont la vedette. Hiérarchie quand tu tiens les esprits tu ne les lâches pas ! De toutes les manières les images d'archive nous présentent une jeunesse sympathique, turbulente, animée de bons sentiments, mais peu radicalisée.

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Bref le docu suit les évènements et se refuse à les mettre en relation avec l'ensemble articulatoire du déploiement social-économique en gestation dans ces mêmes années. Les derniers mots qui s'inscrivent sur l'écran, nous laissent pantois. Le National Front qui culminait à plus de 23 %cent dans certains quartiers populaires perd les élections. Par la force de la brièveté du message le spectateur en déduit que grâce au RAR, le pays a échappé à un grand malheur. Hélas ce fut pour porter au pouvoir Margaret Thatcher qui appliqua le même programme économique proposé par le National Front...

White riot décrit l'écume sur la crête des vagues mais ignore la tempête.

Damie Chad.

 

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

 

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

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Je roulais à tombeau ouvert dans la nuit parisienne tous feux éteints pour ne pas me faire remarquer par d'éventuels poursuivants lorsque Molossa et Molossito poussèrent depuis la lunette arrière de joyeux jappements. Les braves bêtes avaient repéré la vitrine illuminée d'une pâtisserie. Je coulais la voiture le long du trottoir et je m'engouffrais dans le magasin, les cabots excités sur mes talons. Hormis une dame plantureuse assise à la caisse la boutique était vide :

    • Madame si la présence de mes infortunés canidés ne vous importune pas, nous prendrions place à cette table et vous nous rendriez les plus heureux du monde si vous pouviez nous servir trois plateaux de douze éclairs au chocolat !

    • Avec plaisir monsieur, Jean mon mari et moi adorons les chiens, prenez place, à cette heure il y a peu de chance pour voir entrer des clients ronchons qui n'aiment pas les bêtes, d'habitude nous sommes fermés mais Jean avait encore un peu de travail dans l'arrière-boutique, asseyez-vous, je vous en prie.

Perchés sur la table Molossa et Molossito tenaient en leur bec un gâteau qu'ils laissaient tomber dans leur gosier. Je les imitais quelque peu, je pressentais que la nuit serait longue et cette pâtisserie m'apparaissait comme l'oasis inespéré au milieu d'un désert aride peuplé de monstres cruels. Je n'étais pas loin de la vérité. Brutalement deux hommes en costume noir, pistolet au poing firent irruption.

    • Agent Chad désolé de vous interrompre, mais ta dernière minute est arrivée, toi et tes chiens...

Il y eut un bruit terrible. Je croyais que j'étais mort et je trouvais que le paradis était décoré avec un goût douteux, un peu crades tout de même ces bouts de barbaque collés sur les murs mais une voix de stentor me tira de mes pensées, je me retournais, c'était Jean dans l'embrasure de l'arrière-boutique, il serrait contre lui une grosse pétoire avec laquelle il avait foudroyé à chevrotines et pratiquement à bout portant les deux intrus.

    • J'aime pas que l'on tire sur les animaux déclara-t-il

Ce furent ses derniers mots, il tomba atteint par une balle en pleine tête, deux nouveaux hommes habillés de noir venaient d'entrer, ils n'eurent pas le temps d'aller bien loin, une autre rafale de gros plombs meurtriers les raya sans préavis de la liste des vivants.

    • Je n'aime pas que l'on tire sur mon mari, déclara la patronne en reposant son flingot derrière son comptoir, il est bien connu que les petits commerçants sont les as de l'auto-défense

Ce furent ses derniers mots. Une balle en plein cœur l'envoya rejoindre séance tenante son époux, maintenant ils étaient trois, face à nous, mais ils prenaient leur temps.

    • Agent Chad, cette fois c'est la fin, mon compagnon de droite se charge de la chienne, celui de gauche du chiot, et je me ferai le plaisir de t'envoyer ad patres, messieurs je compte jusqu'à trois, attention tous ensemble ; un... ( les mains collantes de crème au chocolat je n'aurais jamais la chance de dégainer avant eux ) deux... il y eut, champagne du silencieux, trois pop, pop,pop successifs et le trio des malfrats s'écroula devant nos six yeux ébahis.

    • Agent Chad, je vous avais recommandé la plus grande prudence – une délicieuse odeur de Coronado flottait au-dessus des cadavres...

    • Chef, comment avez-vous fait pour arriver ici ?

    • Désormais quand vous rentrerez dans une pâtisserie au lieu d'écouter votre estomac, regardez d'abord l'enseigne !

Je sortis et levai les yeux, c'était écrit en grosses lettres rouges : CHEZ L'HOMME A DEUX MAINS ! Le Chef en profita pour allumer un nouveau Coronado :

    • Très simple, quand j'ai tapé ''l'homme à deux mains sur mon ordinateur'', la façade de la pâtisserie, est apparue instantanément, je me suis dit qu'avec votre flair légendaire vous avez toutes les chances d'y tomber dessus, ne serait-ce que par hasard ! Je suis venu pour vous prêter main forte si nécessaire...

    • Chef, l'assassin du facteur c'est donc le pâtissier !

    • Agen Chad, ne tombez pas dans le premier panneau qui passe ! Nos ennemis ont les moyens, ils nous attendaient ici au cas où. Le dénommé Jean a eu ses deux mains coupées lors d'un accident du travail sur un chantier, les toubibs lui ont greffé deux mains artificielles, le pauvre gars a suivi une formation pour se recycler, muni de son niveau diplôme il a ouvert ce magasin. Pas difficile de comprendre le nom qu'il lui a donné, l'a tout de suite bénéficié d'une super-clientèle attirée par son aventure relatée par les merdia. Evidemment c'est une fausse piste, prenez les cabots, je vous rappelle que je vous attends demain matin avec un indice sérieux !

11

Suis revenu à Provins un peu honteux. Le Chef m'avait donné une leçon que je n'étais pas prêt d'oublier. C'était à moi de montrer ce que je savais faire. D'abord je décidai de changer de méthode, d'emprunter celle du Chef : la fameuse méthode logico-déductive. J'installai mes deux chiens sur la table basse du salon, Molossito ne tarda pas à s'endormir, Molossa resta toute oreille, ponctuant le déroulement syllogistique de mon discours de vigoureux ouah !

    • L'essentiel n'est pas de trouver la solution mais de mieux poser le problème, ainsi le Chef a concentré sa réflexion sur la découverte de l'identité de l'homme à deux mains, mais une montagne ne se laisse pas escalader par une seule de ses faces... en 1 : je dirais que l'on en veut au SSR ( ouah ! ) en 2 : j'affirme que l'activité du SSR est dédiée au rock'n'roll ( ouah ! ouah ! ), en 3 ; c'est donc dans le rock'n'roll qu'il faut chercher l'homme à deux mains ( ouah ! ouah ! ouah ! ), déduction : il suffit de téléphoner au Cat Zengler ! ( ouah : ouah ! ouah ! ouah !). Ce à quoi je m'employais immédiatement.

    • Salut le Cat Cinglé, il est trois heures du matin, mais c'est urgent, toi qui connais l'inconnaissable du rock'n'roll, est-ce que tu n'aurais pas dans ton immense collection, ou alors entendu parler d'un disque d'un groupe nommé L'homme à deux mains, voire d' un album qui porterait ce titre .

    • Non Damie, ni dans ma collection, ni ailleurs, j'en suis sûr.

    • Ô my cat, c'est la première fois que tu me déçois, moi qui pensais que tu savais tout !

    • Non Damie, c'est toi qui poses mal la question, L'homme à deux mains n'est ni un vinyle, ni un CD, même pas un rouleau des années 20, c'est un livre-culte bien connu des amateurs de romans policiers !

    • Donc tu l'as lu !

    • Non ! Personne ne l'a jamais lu, c'est une légende, le titre apparaît dans un catalogue de la Série Noire, une feuille volante annonçant les nouveautés, sans nom d'auteur, numéro 2037, les amateurs le recherchent depuis trente ans, ce qui est étrange c'est que l'éditeur a toujours démenti l'existence de ce polar, voire de ce projet de bouquin, le truc reste introuvable, pourtant la rumeur persiste. Voilà, je te quitte, je suis en train d'écrire une chro de 250 pages sur les bootlegs des Stones, salut Damie ! Fais attention à toi !

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Huit heures tapantes, j'ouvrais la porte du service, le Chef était à son bureau fumant placidement son septième Coronado du matin !

    • J'ai la piste, Chef, L'homme à deux mains, est un roman policier que personne n'a jamais lu, et dont l'auteur est inconnu !

    • Agent Chad, ne parlez pas de ce que vous ignorez, l'auteur de L'homme à deux mains, est bien connu, il a disparu en 1997 en de mystérieuses circonstances, il exerçait la noble profession de détective privé du côté de Nice, il s'appelait Eddie Crescendo.

( A suivre... )

 

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