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  • CHRONIQUES DE POURPRE 552 : KR'TNT 552 : GOLDIE ( = GENYA RAVAN ) / SADIES / VALERIE JUNE / BRENDA HOLLOWAY / DANZIG / HURAKAN

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 552

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    28 / 04 / 2022

     

    GOLDIE ( = GENYA RAVAN ) / SADIES  

    VALERIE JUNE / BRENDA HOLLOWAY

    DANZIG / HURAKAN

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 552

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    CETTE LIVRAISON 552 PARAÎT AVEC 5 JOURS D’AVANCE

    N’OUBLIEZ PAS DE REGARDER LA 551

    LA 553 ARRIVERA AU PLUS TÔT

    KEEP ROCKIN’ !

     

    Go Goldie go ! - Part Two

     

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             Comme son nom l’indique, Goldie est une vraie mine d’or : du talent, des drogues, du sexe, du raw, du punk, du groove, du cancer, on trouve tout ça chez elle, à profusion. C’est la raison pour laquelle il faut lire son autobio, Lollipop Lounge - Memoirs Of A Rock And Roll Refugee. Alors attention, car cet ouvrage massif de 500 pages est publié à compte d’auteur. Il est donc horriblement mal foutu, aucune des règles classiques de mise en page n’est respectée, le texte est parfois justifié, parfois en fer à gauche, les illustrations se baladent au gré du vent, rien n’est calé, on a même des paragraphes de redite, et curieusement pas trop de coquilles, comme si le correcteur orthographique avait bien fait son job. L’ouvrage semble sortir tout droit d’un ordi, tapé dans Word, le fameux logiciel de pseudo-traitement de texte qui a maintenu pendant des décennies des millions de secrétaires acariâtres dans la plus glauque des incompétences. Il existe des logiciels infiniment plus ergonomiques que cette horreur imposée à tous les salariés du privé comme du public par les lois du marché américain. On a donc dans les pattes un livre Word tapé par cette pauvre Goldie sur un PC qu’on imagine tellement dépassé qu’un Chinois n’en voudrait pas, même pour le revendre. Ce que les gens ne savaient pas, à l’époque où arrivait l’informatique dans le monde du travail, c’est que le traitement de texte est une technique qui s’apprend, au même titre que la musique ou l’art de peindre, la charpente ou la mécanique auto. Cette technique s’appuie sur la typographie, c’est-à-dire la connaissance des familles de caractères, les règles de mises en page, la gestion des blancs et la recherche des équilibres fondamentaux qui font qu’une page se lira ou ne se lira pas, notamment dans les magazines. Et si on sort de l’édition proprement dite pour aller dans la presse, alors on doit veiller aux équilibres chromatiques, à l’équilibre entre les zones de gris (les textes) et les illusses, ce sont des choses qui s’apprennent et que bien sûr ne permet pas un outil aussi rudimentaire que Word. Il n’est pas fait pour ça. Word ne sert qu’à rendre les secrétaires encore plus acariâtres. Taper des courriers ou des rapports qu’on a même pas écrits n’a jamais favorisé le développement personnel. Bien au contraire.

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             Il n’empêche que ce Word-book s’avale quasiment d’un trait. Goldie qui s’appelle aussi Genya Ravan est devenue par la force des choses l’un des personnages mythologiques du rock américain, et c’est en Angleterre, comme on l’a vu dans le Part One, qu’elle va créer sa légende. Les Américains/Américaines basé(e)s à Londres dans les early sixties ont quasiment tous su défrayer la chronique. On pense à Shel Talmy, P.P. Arnold, Scott Walker et P.J. Proby. C’est bien sûr la période Goldie & the Gingerbreads qui fait le cœur palpitant de ce fat Word-book. Genya revient longuement sur son alter-ego Goldie et ça ravive tout le bien qu’on pensait de la compile Ace récemment parue et épluchée la semaine dernière.

             Mais avant de débarquer à Londres, Goldie revient sur les conditions de sa survie, juste à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’arrivée à Ellis Island d’une famille juive polonaise rescapée de justesse, son père Natan Zelkowitz, sa mère Yadja, sa sœur Helenka et elle, la petite Genyusha. Ils sont passés tous les quatre à deux doigts, nous dit-elle. C’est sa mère qui transforme Genyusha en Goldie, qui sonne «more amelican». Ils restent trois semaines à Ellis Island, le centre de tri new-yorkais par lequel durent passer tous les immigrants, puis tous les réfugiés. On les nettoie, on les vaccine, on les examine et on les évalue psychologiquement. Ils sont ultra-checkés, nous dit Goldie. Une fois acceptés, ils dépendent de l’entraide juive new-yorkaise. La famille Zelkowitz se retrouve nous dit Gooldie dans une chambre at the hotel Marseilles on West 103rd Street, et ajoute-t-elle, un couple called the Solomons paid for that. Car évidemment, les Zelkowitz n’ont pas un rond. Gamine, Goldie chiale toutes les nuits, car elle est traumatisée par ce qu’elle a vécu en Europe. Elle nous plonge ensuite dans la vie d’un quartier juif new-yorkais, tel que l’a reconstitué Francis Ford Coppola dans Once Upon A Time In America.

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            New-York étant New-York, les choses avancent très vite et Goldie ne tarde pas à découvrir la musique et les pulsions de son corps d’adolescente. La musique et le sexe vont être les deux moteurs de sa vie. Elle commence donc par danser le fish avec des garçons, c’est à dire des slows super-frotteurs qui permettent à la fille comme au garçon de jouir en dansant collés l’un contre l’autre, et la chanson qu’elle préfère pour ça, c’est le «Lonely Nights» de Baby Washington & The Hearts. Ben voyons ! La petite Goldie démarre en trombe, elle tape en pleine mythologie. Ceux qui connaissent la compile Ace de Baby Washington & The Hearts savent qu’il n’existe ici bas rien de plus explosif. Goldie évoque aussi les gangs : elle présente Jack India à sa sœur Helenka - A twenty-three-year old gang member from the Club called Jack India - Nous voici donc dans West Side Story.

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             Ses parents reprennent un Delicatessen, c’est-à-dire un petit resto de quartier, et ils embauchent un black pour donner un coup de main. C’est Uncle Louie. Pour Goldie, c’est le messie : «Uncle Louie m’a acheté mon premier tourne-disque et mon premier 45 tours, ‘Shake A Hand’  by Etta James.» Pas étonnant qu’elle ait bien tourné. En 1960, Goldie a 15 ans et elle débarque avec une copine au Brooklyn Paramount pour voir jouer des groupes. Tous les artistes sont noirs jusqu’au moment où une blanche se pointe sur scène. Il s’agit de Lillian Briggs. Goldie n’en revient pas de voir une gonzesse avec une telle voix. C’est là qu’elle décide qu’elle sera chanteuse - I wanted to be her. I wanted that kind of energy and sex, and all of that control - Un peu plus tard, elle rencontre Ginger qui est la batteuse de Mickey Lee Lane. Elle s’appelle Ginger Panabianco, une Italienne. C’est le flash. Elles décident de monter un groupe ensemble : «On a des fantasy names, comme dans les contes de fées, Goldilocks and the Three Bears, the gingerbread house - Pourquoi ne pas appeler le groupe Goldie & The Ginerbreads ?». C’est le même départ en trombe que celui des Doors sur la plage californienne, lorsque Jimbo propose à Ray Manzarek de créer un monde nouveau. Goldie aime beaucoup Ginger, elle la compare à Sophia Loren, elle a nous dit Goldie des gros nibards et les cheveux noirs - And Ginger would really play those drums. She was so intense. The audience would go nuts when I had her do a drum solo - Puis elles rencontrent Margo qui peut jouer à l’orgue les solos de Jimmy Smith - She was hot at the time and a great organ player - Lors d’un concert dans le New Jersey, elles rencontrent Nick Massi des Four Seasons qui les branche sur Florence Greenberg et Scepter Records, qui est alors le grand label indépendant new-yorkais, avec les Shirelles, les Platters, Dionne Warwick, Maxine Brown, Chuck Jackson, les Isleys Borthers, King Curtis et Tommy Hunt. Des meetings ont lieu et Florence confie Goldie & the Gingerbreads au producteur Luther Dixon. Elles crèchent chez Luther et une nuit, Luther appelle Goldie dans sa chambre pour lui parler. Et il lui saute dessus pour la plaquer au sol. Goldie appelle Ginger à l’aide. Ginger arrive dans la chambre avec une grosse lampe qu’elle brandit comme un gourdin. Elle dit gentiment à Luther que s’il ne lâche pas Goldie, elle va lui fracasser le crâne - I will never forget how cool she was - Donc c’est la fin de l’épisode Scepter. Dommage. Goldie écrit à Luther pour lui dire que si elle n’obtient pas l’annulation du contrat avec Scepter, elle va tout cafter à Florence Greenberg qui est, soit dit en passant, la poule de cet canaille de Luther. Goldie obtient aussitôt ce qu’elle demande. 

             Elle profite de l’épisode pour rappeler que les labels pour lesquels elles ont enregistré des single leur ont barboté leurs royalties, tous sauf ATCO. Ahmet Ertegun adorait les Gingerbreads et les respectait. Elles n’ont hélas sorti que trois singles sur ATCO.

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             En 1962, The Harold Davidson Agency les envoie tourner en Europe, en première partie de Chubby Checker. Allez hop, direction l’Allemagne et la Suisse. Elles ne sont que trois, Goldie, Ginger et Margo. Carol McDonald allait les rejoindre un peu plus tard. Elles se retrouvent à l’affiche du Star Club. Quand elles rentrent aux États-Unis, on leur indique qu’une guitariste se produit au Page Three, un club où se produit aussi Tiny Tim. Elles y vont et tombent sur Carol qui leur plait. Elles tournent énormément dans le Nord des États-Unis et au Canada, mais elles refusent comme les Rascals d’aller jouer dans le Sud, à cause de la ségrégation. No way. Elles perdent de l’argent, leur dit leur tourneur, mais pour elles, il n’est pas question d’aller jouer chez les racistes. Quand elles jouent à New York, elles finissent vers 4 h du matin et vont prendre leur breakfast chez Ham ‘N Eggs, au coin de le 52e rue et Broadway. C’est ouvert 24 h/24 et toujours plein de gens du music biz, ce qui paraît logique étant donné qu’en face se dresse le Brill Building.  - All the managers, agents and publishers under that one roof.

             Et puis elles finissent par jouer un soir dans un club appartenant à la mafia italienne, Ungano’s, sur la 70e rue off Broadway. Une petite gonzesse tout droit sortie de Mott Street, qu’on appelle aussi Little Italy, vient les trouver pour les féliciter :

             — My name is Jo Jo. Youse are so fucking good! Youse wanna drink?

             Goldie remarque qu’elle parle comme les wise guys in a mob movie. Elle tape en plein dans le mille, car Jo Jo parle du groupe à son frère Sal qui débarque un soir au club avec son équipe. Goldie est assise à une table après le set et Sal lui fait signe d’approcher. Moi ? Il hoche la tête. Yes. Elle s’assoit à sa table et Sal lui demande si elle a besoin d’un manager.

             — Youse looking for management?

             Goldie pense que ce serait génial d’être managée et protégée par la mafia, mais elle se méfie et répond que non. Alors Sal pousse le bouchon, disant que son père est un gros ponte in the entertainment field et qu’il souhaiterait se développer.

             — Ya never hear of Bernie B.?

             Bon il n’insiste pas, il lui laisse un numéro de téléphone - Look here’s a telephone numba. Bernie B. knows about youse, we seen ya around. He’ll be waitin’ fa ya call - Goldie appelle et demande à Ginger de l’accompagner au rendez-vous car elle a un peu les foies. Évidemment, le bureau de Bernie B. est au Brill Building at 1619 Broadway. Bernie B. leur indique que Sonny Z. va s’occuper d’elles et qu’il envisage de les faire jouer à Vegas. Elles finissent par comprendre que Sonny ne fait pas grand chose pour elles, aussi vont-elles Ginger et elle trouver Sonny et Sal dans leur bureau pour leur demander d’annuler le contrat. Sonny et Sal le prennent très mal :

             — If youse weren’t broads, youse would be in a lotta trouble right now.

             À quoi Sal ajoute : «Yeah, some heads would be broken. Go on, get outta her.» Elles ont du pot de s’en sortir indemnes.

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             En 1964, elles sont quasiment les reines du New York. Goldie fait faire des costumes de scène pour les Gingebreads, de grandes jupes fendues jusqu’en haut et c’est à cette époque que Goldie prend l’habitude de ne rien porter dessous - I didn’t wear a bra. That’s nothing now but in 1964 going bra-less was pretty radical - On la verra même plus tard porter une chemise transparente sur scène. Goldie a des seins fantastiques et elle n’hésite pas à les montrer. Elle veut qu’on la désire. Leur sex-appeal finit par remplir les clubs. Ahmet tombe amoureux d’elles. Puis Jerry Shatzberg les invite à une fête privée chez lui au 333 Park Avenue South - The party was called the Mods and Rockers Ball and was to be the biggest social event in New York City that year - Dans le public, Goldie reconnaît Andy Warhol et David Bailey, le champagne coule à flots et Tom Wolfe signe un hommage à Goldie intitulé The Kandy-Kolored Tangerine-Flake Streamline Baby. Les Stones sont là aussi. Keef dira les avoir découvertes lors de cette party. Goldie avoue en catimini tourner aux amphètes pour pouvoir tenir toute la nuit sur scène - Everyone called the capsules Green Men because of the colour.

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             Et puis c’est la fameuse rencontre avec les Animals détaillée dans le Part One et le départ pour l’Angleterre, où elles ont bien failli exploser. Elles se retrouvent en studio avec Chas Chandler et Eric Burdon, obligées d’enregistrer une pop song, «Can’t You Hear My Heart Beat» qui ne leur plaît pas, car Goldie se dit plus R&B, more Spencer Davis Group than the Supremes. Ailleurs, elle cite aussi Ray Charles comme référence. Elles sont heureuses d’être à Londres en 1964, elles portent leurs costumes à rayures taillés sur mesure et des perruques - Our press agents wanted us to look Mod. Little did they know how Rocker we were! - Elles tournent en Angleterre avec tous les packages de l’époque, Stones, Kinks, Goldie ne donne pas trop de détails sur les plans cul, mais elle n’arrête pas de baiser - Not only did I fuck Mick Jagger, I fucked Peter Quaife of the Kinks, Paul Jones of Manfred Man, Hilton Valentine of the Animals and many many more - Goldie raconte qu’elle en pinçait tellement pour Pete Quaife que la nuit elle se glissait dans sa chambre d’hôtel. Elles prennent énormément de speed et fument du hasch. Elles prennent aussi des Purple Hearts - Purple Hearts also helped my voice - I wouldn’t get hoarse however much I sang - Comme les Green Men, les Purple Hearts étaient de la dexedrine.

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             Elles tournent pendant deux semaines avec les Kinks et aussitôt après la fin de la tournée, elles entrent en studio avec Shel Talmy. Mais la combinaison ne marche pas, car Shel leur propose d’enregistrer des pop songs. La seule chanson qu’elles trouvent bonne et le «Look For Me Baby» écrit par Ray Davies. Elles l’enregistrent mais ça n’est jamais sorti, à l’époque. Elle ne sait sans doute pas que c’est sorti sur une compile Ace consacrée à Ray Davies, Kinked! (Kinks Songs & Sessions 1964-1971). Ahmet Ertegun dit aussi que les meilleurs enregistrements des Goldie & The Gingerbread chez Atlantic ne sont jamais sortis. C’est tout de même incroyable !

             Et puis le groupe commence à péricliter en 1966. L’insécurité règne dans les rangs. Elles vivent à Londres, mais elles s’épuisent en tournées. Elles continuent à jouer, mais le cœur n’y est plus. Voyant l’ambiance se refroidir, Goldie décide de quitter le groupe qui était en fait devenu sa famille.

             C’est là qu’elle devient Genya Ravan. Elle doit se trouver un nouveau nom. Vu qu’elle chante comme une black, elle pense à quelque chose de noir comme le corbeau, raven, qu’elle transforme en ravan. Puis elle rencontre deux mecs, Mike Zager et Aram Schefrin, surtout Aram - sort of cute - qui porte une moustache qu’elle déteste et un chapeau de cowboy. Quand elle les voit ensemble, elle pense à Dustin Hoffman et John Voight dans Midnight Cowboy. Ils montent Ten Wheel Drive. Mike et Aram composent et le groupe décolle.  Premier concert au Bitter End en octobre 1969. Genya se produit sur scène les seins à l’air - A real rock’n’roll attitude. Today they call it punk - Elle est sûre qu’Aram et les autres ont une érection. Le groupe doit jouer à Woodstock mais les mecs de la section de cuivres refusent, car ils ne veulent pas jouer gratuitement. Genya, Aram et Mike n’ont pas assez d’autorité sur eux pour les obliger à jouer à Woodstock. D’ailleurs Genya précise qu’à chaque album des Ten Wheel Drive, ils doivent changer de section de cuivres à cause des tensions. Le groupe a pourtant du succès. Ils jouent souvent au Felt Forum du Madison Square Garden en compagnie de Sly & The family Stone et des Chambers Brothers.

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             Leur premier album s’appelle Construction #1 et paraît en 1969. Sur la pochette, on lit très bien Ten Wheel Drive, mais la mention ‘With Genya Ravan’ est en ultra-light et se lit mal sur le fond rouge. Très bel album. Si tu aimes les chicks raunchy, alors c’est elle qu’il te faut. Elle est aussi raunchy que Janis, sinon plus, et superbement soutenue. Bill Takas bassmatique et Leon Rix bat le beurre à bras raccourcis. Belle équipe, avec en plus une section de cuivres. Solo de sax, Louis Hoff is off ! Et très beau solo d’Aram Schefrin qui va devenir le boyfriend de Genya. Quand on entend jouer Louis Hoff, on croit qu’il est noir. Pas du tout ! Dans le gatefold, on les voit sur scène à Atlanta, ils sont dix et tous blancs. Genya porte un Stetson blanc et un pantalon taille basse blanc qui la rend fabuleusement sexy. Corps parfait. Et puis au plan artistique, il faut saluer la belle évolution de Genya depuis Goldie. Ils font un peu de prog avec «Eye Of The Needle» et le dotent d’un grand final déclamatif à la «Hey Jude», avec une Genya qui s’explose aux quatre vents. Et puis voilà qu’elle nous fait un coup de round midnite avec «Candy Man». Elle chante le jazz au petit sucre dilué dans la torpeur de l’air bleu. La section de cuivres est excellente, on entend des solos de trompette et de sax. Genya attaque sa B en force avec «Ain’t Gonna Happen», elle sait pousser un bouchon, elle sait flatter un beat, avec ses cuivres, elle développe autant de chevaux vapeur que Janis. Genya est tout simplement géniale. Et ça continue avec «Polar Bear Rug», un heavy rock de Soul de blancs, mais ça passe comme une lettre à la poste, c’est pulsé par un bassmatic sauvage, ça joue bien chez les Wheel, ils sonnent comme l’Electric Flag. Et ce bel album s’achève sur un coup de génie, «I Am A Want Ad», ils déclenchent tout simplement l’enfer sur la terre, le drive se transforme en rouleau compresseur avec une harpie devenue folle au volant et ça file au solo de jazz à la folie Parker en surface du mayhem, on ne croise pas de telles fournaises tous les jours, c’est d’une rare puissance et relancé par des percus à la Santana, et ça repart en virée de bord Parker, wow, mille fois wow !

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             C’est sur Bref Replies, le deuxième album de Ten Wheel Drive With Genya Ravan qu’on trouve cette cover mythique du fameux «Stay With Me» qui rendit Sharon Tandy célèbre en Normandie. Genya y grimpe aussi haut que Sharon. On peut même dire que Genya explose Sharon qui explosait déjà Janis. Genya cultive l’ivresse des altitudes. Le reste de l’album est très 1970, très new-yorkais, très carré, très cuivré, elle prend son «Pulse» à la grosse arrache de heavy groove, c’est extrêmement bien foutu, sans concession, Genya chauffe bien sa marmite et Aram passe un très beau killer solo. On salue aussi «Last Of The Line» qui, comme «Stay With Me», éclaire la B. Tout ici est très chanté et très orchestré.

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             Elle enregistre un premier album solo en 1970, Genya Ravan. La pochette est foireuse, mais c’est un album de Soul rock avec un son fabuleusement black, produit par les deux mecs de Ten Wheel Frive, Mike & Aram. Genya s’y sent comme un poisson dans l’eau, elle est extraordinaire de présence. Elle jazze l’«I’m In The Mood For Love» et passe à l’Africana avec «Takuta Kalaba/Turn On Your Love Lights». Elle veut de l’Africana ? Alors elle a les tambours dirigés par Michael Olatunji, elle en fait un hybride faramineux de tribal et de r’n’b, hey hey hey, avec en cerise sur le gâtö un killer solo de guitare de John Platania. La B est encore plus royale. Elle finit son «Lonely Lonely» en beauté. Elle redevient la reine de Pologne et attaque son «Flying» à l’aérien. Elle est sur tous les coups, chaque cut semble taper en plein dans le mille, son flying flirte avec de vieux relents de Stonesy et les chœurs de «You Can’t Always Get What You Want». Puis elle redescend dans la moiteur de la Southern Soul avec l’«Every Little Bit Hurts» de Brenda Holloway qu’a aussi repris Aretha. Genya est d’une rare véracité dans l’intensité. Elle bat Sharon Tandy à la course, elle a le power en elle et elle explose son Bit. On la voit encore grimper comme une black dans les strates de «Bird On  The Wire». Elle est spectaculaire d’allure et d’élan, elle est all over the rainbow, c’est l’une des grandes screameuses du monde moderne, elle n’en finit plus de battre des records d’altitude. Elle finit cet album superbe en mode Soul de rock avec «I Can’t Stand It». Encore du haut niveau, elle est accompagnée par des inconnus, mais Gawd, ces mecs jouent leur va-tout.        

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           Le dernier album de Genya avec Ten Wheel Drive s’appelle Peculiar Friends. Genya l’attaque avec une belle giclée de wild Soul de blancs : «The Night I Got Out Of Jail». Elle a du chien de sa chienne à revendre, et comme sur les deux albums précédents, le son est plein comme un œuf, cuivré à souhait, emmené par une section rythmique black, David Williams au beurre et Blake Hines au bassmatic. Genya est sur tous les fronts, ah comme elle est bonne ! «The Pickpocket» tourne à l’Hendrixité des choses, ça joue dans l’esprit des hard hitters américains d’alors, Blue Cheer and co, à la cloche de bois. Ah on peut dire qu’elle y va la petite Polak. En B, elle ramène avec «Fourteenth Street» une Soul de rock extrêmement bien foutue, ça devient monstrueux de blackitude et c’est repris en chœur par les trompettes. Elle boucle son bouclard avec «Down In The Cold», un fast drive joué cartes sur table, mais pas n’importe quelle table, ce sont les tables de la loi, Genya y va comme si de rien n’était, tonique, invincible, I feel alrite, elle développe l’énergie de Sly Stone.

             Quand Genya s’installe enfin dans un appartement sur la 71e rue, entre Columbus Avenue et Central Park West, elle exige de recevoir 300 dollars par concert. Mike et Aram disent qu’ils n’ont pas les moyens, mais ils parviennent quand même à la payer. Mais pour le groupe, c’est le commencement de la fin. Et ils n’ont plus de management. 

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             En 1973 elle enregistre son deuxième album solo, They Love Me They Love Me Not, avec Jim Price, un mec qu’elle déteste profondément. Bizarrement l’album est bon. Genya dit que Jim Price was pushing on me - It was his material, his musicians, his arrangements, his everything - Elle n’aime pas l’album, elle dit que c’est du Jim Price. Mais non, cocote, c’est du Genya à l’état pur.  Elle chante dans un registre très étendu, elle y va à la clameur dès le «Gotta Tell Somebody» d’ouverture de balda qui est en plus cuivré à outrance. Elle vise l’arrache magistrale. C’est avec «Under Control» qu’elle impressionne le plus. Voilà une grosse compo signée Jim Price qu’elle chante à l’arrache dans la grandeur d’une invraisemblable clameur de chœurs. C’est une merveille d’équilibre genyatrique. Clydie King et Venetta Fields font chœurs, d’où la pertinence de la clameur. Jimmy Miller produit certains cuts, dont l’excellent «Southern Celebration», avec le piano dans le lard de la matière, comme chez les Stones. C’est quasiment de la Stoney d’Exile. En B on la voit s’emporter dans «That Cryin’ Rain». Elle a une façon très polonaise d’exploser en plein cœur du balladif, avec cette niaque épouvantable qui rappelle bien sûr celle de Janis. Jimmy Miller produit «Keep On Growing» avec de la steel et des percus en abondance. S’ensuit «Don’t Press Me», classic boogie rock d’Honky tonk digne des Stones, avec Clydie et Venetta in tow, les reines de Nubie, ce qui nous fait trois reines en tout, avec la reine de Pologne. John Uribe y passe un solo country flamboyant.

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             L’année suivante, elle reprend son vrai nom pour un nouvel album solo, Goldie Zelkowitz. Elle pose cérémonieusement pour la pochette et se donne de grands airs de bohémienne. Pas de musiciens connus cette fois encore, excepté Bobby Keys dans la section de cuivres, et Daniel Kootch Kortchmar à la guitare. Le coup de génie de l’album est une reprise d’«Hold On I’m Coming» de Sam & Dave terriblement ralentie et qu’elle chante par dessus les toits. Elle se montre capable de s’enfermer dans l’excellence d’une vision musicale ultraïque. Pur genius. Son «Get It Back» n’est pas loin du «Superstition» de Stevie Wonder. Et dans «Whipping Post», elle se bat pied à pied avec le chant, elle se montre cette fois encore exceptionnellement élancée et Soulful. Elle fait aussi sa black mama dans «Easy Lady (My Oh My My Mama)», gros boogie-rock d’époque. Elle charge bien son my oh my my mama. On trouve encore un peu de viande en B avec «Letter», un slowah très black, bourré de cuivres et de chœurs et serti d’un solo d’acou d’une extrême délicatesse. Elle y va au so long baby. Genya est l’une des meilleures, il est important de le rappeler. Elle se montre encore imparable avec «Walkin’ Walkin’», un big fat r’n’b de white niggerette avancée. Elle termine cet album attachant avec un «Need Your Lovin’/Peeping & Hiding» qu’elle explose. Oui, Genya Ravan explose le r’n’b, elle a cette énergie faramineuse, elle est pire qu’un mec, wo wow wow - Need your a-loving/ E-ve-ry/ Day - Elle est la reine de la nuit.

            En 1976, elle commence à traîner au CBGB et elle devient pote avec Hilly Kristal, le boss du bar, comme chacun sait. Elle devient productrice de démos pour le compte d’Hilly. Elle commence avec les Miamis, puis les Tuff Darts qu’elle qualifie de glam-punk, mais Sire lui barbote le groupe avant qu’elle n’ait eu le temps de s’en occuper. Elle s’intéresse à un groupe nommé Manster. Puis elle produit le premier album des Dead Boys qui arrivent de Cleveland et que lui recommande Hilly Kristal.

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             Pour Urban Desire, elle pose en petit haut blanc, ce qui nous permet de zyeuter son tatouage d’étoiles dont elle se dit si fière dans son autobio. Elle arrive à faire venir Lou Reed en studio. La première chose que Lou lui balance en arrivant, c’est : «My grandmother bought your records years ago.» Silence de mort dans le studio. Genya encaisse le coup et lui répond, en le fixant dans le blanc des yeux : «Au moins quelqu’un dans ta famille a bon goût. Et toi, est-ce que t’as bon goût ?». Ça le fait rire et ça brise la glace. Ils deviennent potes. Ils enregistrent ensemble «Aye Colorado». Lou entre dans la chanson comme le loup dans la bergerie : il bouffe Genya toute crue. L’autre belle énormité de l’album est le «Jerry’s Pigeons» d’ouverture de balda. On prend cette belle giclé de boogie-rock new-yorkais dans l’œil, Genya la chante au big raw, les guitaristes sont inconnus au bataillon mais ils sonnent comme des crack. Genya est comme à son habitude superbe et héroïque à la fois. Wow, mille fois wow ! Elle reste sur la même lancée pour un autre heavy boogie-rock, «The Knight Ain’t Long Enough». Elle se remet vite en colère avec «Shot In The Heat». C’est un son très 70s, mais elle chante divinement bien et les guitaristes sont fins. Elle boucle son balda avec «Back In My Arms Again» qu’elle chante comme une Black, elle a un sens aigu du feel à la patte et elle sonne incroyablement juste. C’est autre chose que les Slits, if you see what I mean. En B, elle charge la barque de «Cornered», un cut qui semble illustrer la photo du verso de pochette, où un mec en cuir noir la coince dans un coin. Elle y va au ooh baby et fonce dans le tas. Elle est encore au poil avec «Darling I Need You», un beau balladif sevré d’I need you. Elle est comme on l’a déjà dit sur tous les coups. Une vraie louve. Puis on la voit grimper sur «Messin’ Around» comme si elle grimpait sur une barricade. Elle affronte bien la réalité. Sacrée Genya, si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer.

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             De tous les albums qu’elle a enregistrés, elle dit qu’Urban Desire et le suivant sont ses préférés. Ce sont les albums dont elle se dit la plus fière - Those recordings are very me and I was giving my soul to those projects - C’est vrai qu’il y a du monde sur cet And I Mean It paru en 1979. Ian Hunter vient duetter avec Genya sur «Junkman». Il duette comme un dieu, pas de problème, mas la vraie cerise sur le gâtö, c’est le solo de Ronno. Comme il sait si bien le faire, il visite les stratosphères de la mélodicité guitaristique. Il est ceux qui savent monter un solo en neige. «Love Isn’t Love» est beaucoup plus rock, joué au cymbalum de pataphysique par Bobby Chen. Genya devient de plus en plus entreprenante avec «I’m Wired Wired Wired», grâce aux grosses guitares de Conrad Taylor et Lars Hanson, ça joue au double gras double, avec un son anglais bien américanisé. Alors Genya fait comme à son habitude, elle monte ses œufs en neige. Elle ouvre son balda avec un «Pedal To The Metal» bien ancré dans le boogie-rock. Genya y sonne un peu comme Maggie Bell. On la voit encore se battre pied à pied avec «Stubborn Kinda Girl». Elle est âpre au grain, elle est courageuse et y va au yeah yeah yeah. Sa vitalité reste un modèle. S’ensuit un «It’s Me» chargé de son comme une mule arabique. Chaque cut se veut à la fois articulé et classique, bien bâti et surtout chanté aux fleurs de la passion.

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             Puis elle produit Ronnie Spector qui à l’époque n’intéresse plus personne. Elle monte un label nommé Polish Records et compte bien le lancer avec l’album de Ronnie. Phil Spetor demande à rencontrer Genya. Il lui envoie sa limousine et il la reçoit dans sa suite au Plaza Hotel. Quand elle le voit arriver dans la pièce, elle le trouve petit. Totor veut juste savoir s’il peut co-produire Ronnie. Genya répond non. Elle lui dit qu’elle a sa vision de Ronnie et qu’elle ne peut pas la partager. Totor le prend très mal et fait raccompagner Genya chez elle. Ce sera l’album Siren. Genya propose à Ronnie d’enregistrer des choses comme «Here Today Gone Tomorrow» des Ramones. C’est un album douloureux, pour Ronnie comme pour les fans des Ronettes. Genya a pourtant rassemblé une grosse équipe, Cheetah Chrome des Dead Boys à la guitare, Billy «Wrath» des Heartbreakers à la basse et d’autres gens réputés. Elle attaque avec l’«Here Today Gone Tomorrow» des Ramones et enchaîne avec «Darlin’», une sorte de petit hit bien balancé et solidement interprété, mais on est loin des fastes d’antan. Il y a prod et prod. Ronnie tape aussi dans l’«Anyway That You Want Me» de Chip Taylor popularisé par les Troggs, mais la magie brille par son absence. Totor en aurait fait un chef-d’œuvre comme il l’avait fait avec «Try Some Buy Some», c’est évident. Ronnie boucle l’épisode avec «Happy Birthday Rock’n’Roll», où elle recycle des extraits de «Be My Baby».

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             Il faut se lever de bonne heure et avoir beaucoup de chance pour espérer choper cet Undercover paru en 2010. Sorti sur un label improbable, il subit le même sort que ses deux albums Rum Bar : le traitement du pauvre. C’est assez scandaleux que d’aussi bons albums soient aussi mal présentés. Le coup de génie de l’album est une reprise de «Moonlight & Music», un vieux hit doo-wop de Leroy Fann. Alors tu vas dire : «Connais pas Leroy Fann.» Logique, il faut être new-yorkais pour connaître Ruby & The Romantics. Là Genya fait du big Brill, du mythic pur, elle explose le mythe de Ruby & The Romantics et rend un fantastique hommage à Leroy Fann qui fut abattu à New York en 1973. Elle nous emmène dans un autre monde, c’est du heavy doom de doo, tu n’as ça nulle part ailleurs. Elle reçoit pas mal d’invités sur cet album, dont Nile Rogers, le mec de Chic, pour «I Who Have Nothing», encore un coup de génie, puisque voilà un heavy groove bien claqué du beignet, elle monte sur tous les combats, c’est explosif, elle se bat pied à pied. Elle reprend pas moins de trois cuts de Lucinda Williams («Drunken Angel», «Essence» et «Right In Time», belle dégelée de country rock qu’elle chante au maximum des possibilités) et pas moins de trois cuts signés Thomas Jefferson Kaye, «Snake In The Grass», où elle fait son Rod The Mod, «One More Day» et «The Body Song» où elle invite Ian McLagan. Les grosses nappes d’orgues derrière Genya, c’est lui, Mac the crack. Genya ramène du big atmospherix dans «I Don’t Wanna To Talk About It», un vaillant cut co-signé par Emmylou Harris et sur «You Get Lucky», elle  brûle exactement du même feu que Goldie. Elle fait aussi une fantastique cover du «Everything You Did» de Steely Dan. On s’effare de la qualité de ses choix, en matière de covers. Elle boucle avec l’une de ses compos, l’excellent «202 Rivington Street» et elle y va, elle y va jusqu’au bout et le bout est bon. Elle tient vraiment son cut par la barbichette.

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             Avec Cheesecake Girl - Scenes From Lollipop Lounge, Genya Ravan propose une illustration musicale de son autobio, et comme tout ce qu’elle propose, c’est du solide, de l’extrêmement solide. Le morceau titre d’ouverture de bal est un véritable coup de génie, elle attaque ça au ouh-ouh. Elle a tout le répondant qu’on peut bien imaginer, elle se veut définitive, elle grimpe très vite dans les estimes, elle bat tous les records de véracité véracitaire, elle devient la reine de toutes les fournaises. Il faut voir comme elle allume ! L’autre coup de génie de cet album est une reprise du «Do You Know What I Mean» de Lee Michaels. Elle y ramène un power hors du temps, avec tout le shuffle d’orgue du grand Lee Michaels, c’est une cover dévastatrice, c’est Genya qu’il faut écouter, certainement pas les autres prétendues prêtresses du rock new-yorkais. Elle chante au maximum des possibilités du What I mean. Avec «Me & My Yoyo», elle revient au heavy sound de Ten Wheel Drive, un son explosé par des solos de trompettes, Genya Ravan redevient le temps d’un cut la reine des lionnes, elle t’explose le yoyo, les coups de trompettes valent tous les solos de guitare du monde. Tu ne peux pas échapper à cette reine des lionnes. Et quand on écoute «Stoop To High Heaven», on se dit qu’on est content d’avoir croisé la route de Genya la géniale. Elle fout bien le feu, elle monte au plus haut du bonheur de chanter, elle s’arrange toujours pour se fondre dans le son. De nos jours, tu ne croises plus beaucoup d’albums de cette qualité. Ah il faut voir la cover de «Never Say Never Again» du grand McLagan qu’elle sort en fin de parcours. Avec «Angel Of The Odd», elle écrase la Stonesy sous son talon de Cuban heel. Elle sait se montrer extrême et chante jusqu’à la dernière goutte de jus. Final superbe, c’est l’une de ses spécialités. Encore un bel hommage aux Stones avec «Cobberstone/Rolling Stones». Elle y ramène tout le power de la Stonesy. Elle tape en plus une version demented de «Coney Island Baby», avec tout son pouvoir de just about everything, elle explose le glory of love de Lou Reed et entre dans la mythologie. Tout est beau sur cet album, elle va encore t’en boucher un coin avec sa version de «Baby I’m Down» que chantait Leslie West sur son premier album solo, le faramineux Mountain. Elle tape ici dans l’intapable. C’est un hit du gros, mais il y va, elle en a les épaules, elle rend hommage à l’un des plus beaux hits du heavy blues rock américain - Sometimes I listen to the falling rain/ The sound of laughter in the window pane - et elle écrase l’I’m cryin’ avec un génie vocal qui vaut bien celui de Leslie West. Elle est héroïque d’oh yeah. Et puis avec «Route 32», elle nous plonge dans le heavy rock new-yorkais, c’est l’un des meilleurs sons de l’époque, mélange de Diddley beat et de Stonesy, elle déclenche d’incroyables tornades et s’infiltre profondément dans ton subconscient.

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             Paru en 2019, Icon sent le manque de moyens, livré dans le digi du pauvre, c’est-à-dire un carton imprimé recto-verso avec une pastille collée pour centrer le CD. Mais quel album ! Ah elle y va la mémère, elle est encore capable de secouer les falaises de marbre, son «Coming Up The Hard Way» est assez impressionnant. Et puis ça explose avec «Don’t Go In The Bathroom», cette compo de Genya est littéralement ravagée par les power chords, c’est elle la reine du punk, certainement pas Patti Smith, elle développe un power effarant, une énergie du New York City Sound complètement hors des modes. Elle écrase son champignon. On en rêvait et Genya l’a fait. Alors respect. Elle reste bien dans son son avec «Enough Is Enough», on assiste encore une fois à de belles montées de sève. C’est très impressionnant. Elle sait monter au front et finir en apothéose, comme elle l’a toujours fait. Bobby Chen bat le beurre sur cet album et il vole le show avec «He Got Me (When He Got His Pants On)». Il bat le beat des forges. Avec «Kisses In The Dark», Genya fait du heavy Brill de New York City, elle y croit dur comme fer et ramène un solo de sax. Encore une belle dégelée avec «Mean It», big old boogie rock, Genya reste égale à elle même, on fire, fabuleusement déterminée avec la force tranquille de François Mitterrand. Elle rend aussi hommage à Frankie Miller avec «When I’m Away From You». Elle vise la lune et arrive sur Mars. Sacrée Genya, elle n’en finit plus d’édifier les édifices. Elle s’engage à fond dans son groove de Soul, c’est un peu comme si les grands esprits se rencontraient. Belle cover, bien arrosée de pianotis. Elle termine avec un véritable coup de Jarnac, la cover du «Feel For A Pretty Face» d’Humble Pie. Elle vient se frotter à Steve Marriott. Elle est le reflet exact du raw de Marriott, elle est dessus, à tous les sens du terme, raw comme son. Alors bravo !      

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              On reste dans le digi du pauvre avec Genya Live At CBGB paru en 2020. L’album pourrait aussi s’appeler Welcome In The New York City Sound car il n’est fait que de ça. Un premier exemple avec ce «Pedal To The Metal», tiré d’Urban Desire. Il suffit de l’écouter pour en prendre la mesure. Elle navigue à vue. Un sax vient envenimer l’excellent «Eye Of The Needle» (tiré lui aussi d’Urban Desire) et elle passe au r’n’b avec «You Are Lonely», du pur jus de Bert Berns crédité Bert Burns. Cut idéal pour une lionne en rogne comme Genya. Elle sort les crocs. On reste dans le heavy New York City Sound avec «Jerry’s Pigeons», encore un cut d’Urban, c’mon babe, elle est au max du mix, elle bascule dans le doo-wop de génie, elle grimpe au sommet de sa glotte. Elle reprend aussi l’«I’m Flying» des Faces, c’est complètement déconnecté du CBGB, mais elle le flanque d’une belle apothéose. Dans son groupe, elle a deux excellents guitaristes, Josh Radin et Jamie Bannon, et le fidèle Bobby Chen au beurre. Genya reste impressionnante sur tout l’album, always on fire. Elle tire tous ses cuts vers le haut, elle transforme d’improbables boogies en must have been, elle drive tout au c’mon babe, elle adore le heavy boogie, elle s’y prélasse. Genya, c’est Rod au féminin. Elle y va la mémère, elle a tout vécu, elle connaît bien le biz.

    Signé : Cazengler, Genyan-nyan

    Ten Wheel Drive With Genya Ravan. Construction #1. Polydor 1969

    Ten Wheel Drive With Genya Ravan. Bref Replies. Polydor 1970 

    Ten Wheel Drive With Genya Ravan. Peculiar Friends. Polydor 1971  

    Genya Ravan. Genya Ravan. Columbia 1970          

    Genya Ravan. They Love Me They Love Me Not. Dunhill 1973 

    Goldie Zelkowitz. Janus Records 1974

    Genya Ravan. Urban Desire. 20th Century Fox Records 1978

    Genya Ravan. And I Mean It. 20th Century Fox Records 1979

    Genya Ravan. Undercover. Collectables 2010

    Genya Ravan. Cheesecake Girl - Scenes From Lollipop Lounge. Collectables 2012

    Genya Ravan. Icon. RUM BAR Records 2019

    Genya Ravan. Genya Live At CBGB. RUM BAR Records 2020

    Genya Ravan. Lollipop Lounge - Memoirs Of A Rock And Roll Refugee. CreateSpace Independent Publishing Platform 2016

     

    Le marquis de Sadies

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             Depuis 20 ans, les Sadies occupent une place à part dans l’histoire du rock. Ces Canadiens férus de country rockent si bien qu’ils finissent par côtoyer ces rois du boogaloo que sont André Williams, John Langford et John Doe. Il existe quatre albums collaboratifs qui sont des petites merveilles d’équilibre. La country des Sadies n’interfère en rien dans l’art de gens aussi pointus que John Doe ou Andre Williams. Les Sadies amènent une sorte de sang neuf, une nouvelle vitalité à des gens qui en ce domaine n’ont plus rien à prouver.

             L’objet de ce petit clin d’œil aux Sadies est de rendre hommage à Dallas Good, guitariste dandy du groupe, qui vient de casser sa pipe en bois. Nous ne verrons donc plus ses fascinants éclairs soniques zébrer la nuit et nous devrons nous passer de toute cette vitalité sous-jacente qu’il injectait dans le lard des cuts. Ce killer-slinger prodigieusement doué donnait tellement d’allure à son country-rock qu’on le prenait pour argent comptant.

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             En 1999, Dédé la praline enregistre Red Dirt avec les Sadies. C’est l’album d’une certaine ‘nostalgie’, celle d’un temps où Dédé bambino voyageait à bord du camion qui l’emmenait et qui le ramenait. Il vivait en Alabama et travaillait aux champs, comme des centaines de milliers d’autres petits nègres de sa génération - I was born in Bessemer, Alabama, so I have never had it easy, but thanks to Hank Williams, Waylon Jennings, Patsy Cline, Hank Snow and other great recording artists, I was able to survive the hot sun. (...) I love country music and will always keep it in my heart - Il tape «Weapons Of Mass Destruction» sur un groove à la Dealer, mais dans un environnement country et finit au chat perché de la désaille. «I’m An Old Man» sonne comme un gros shoot d’Americana joué dans une ambiance de saloon. Le «Psycho» qu’on trouve ici n’est pas celui des Sonics, mais un fantastique balladif d’ambiance Sady - Oh mama/ Why don’t you wake up - Il boucle cet album avec l’excellent «My Sister Stole My Woman» et les Sadies chargent la barque, on peut leur faire confiance. C’est aussi sur cet album qu’on trouve une magistrale version du «Busted» de Ray Charles popularisé par Schmoll en France. Dédé lui administre un shoot de grosse intensité dramatique.

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             En 2012, Dédé la praline retrouve ses amis les Sadies pour enregistrer l’excellent Night & Day. On y trouve pas moins de trois coups de génie, à commencer par l’«I Gotta Get Shorty Out Of Jail». Dédé y écrase son chant contre les papillons des Sadies. C’est le summum du contraste. Dédé chante comme un voyou, alors Dallas Good rentre dans le lard du son. Merveilleuse association de Black Power et de white sound. Dallas Good suit Dédé la praline au tiguili. Dédé vole encore le show avec «Bored». Il pompe toute l’énergie des Sadies, c’est stupéfiant ! - I don’t use drugs no more/ But I will if - Oh et puis ce «One Eyed Jack» servi sur canapé de country rock, avec tout le power du monde. Les Sadies se fondent dans le génie de Dédé la praline, ça tourne au délire d’excellence. Dédé fait de la politique avec «Mississippi & Joliet» - Who wouldn’t go to Mississippi/ Don’t ever go back/ Stay out of Mississippi/ They don’t like niggers - Au moins comme ça les choses sont claires. Il tape «America» à la voix de vieux Dédé et les chœurs de filles arrondissent les angles. Il descend au fond de son baryton - You better be - Il chante comme un vieux crocodile. Avec «The Seventy Year Old», il passe au heavy blues. Les Sadies déroulent le tapis rouge au vieux Dédé. Dallas Good gratine la pizza sur sa Tele, ça bat tous les records de heavyness. Le chant, oui, mais le son, quelle tombe ! Baby c’est l’apothéose ! Il chante ensuite «Your Old Lady» d’une voix de wild smuggler et les Sadies ramènent énormément de son. Il faut aussi les voir taper le funk de «Don’t Take It» et ils reviennent à leur cher country rock avec «My Baby». Dédé est parfaitement à l’aise avec ce son. On note aussi la présence sur l’album de Jon Spencer, Dan Kroha, John Langford et Matt Verta-Ray. Ouf, on échappe à Auerbach !

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             Mayor Of The Moon de John Langford & His Sadies est nettement moins intense que les deux albums précédents. John Langford est bien gentil, mais Dédé navigue à un autre niveau. Langford propose une pop de revienzy et déclenche chez les Sadies de très beaux réflexes de country rock. «Looking Good For radio» sonne comme un vieux country rock ralenti du cerveau, mais attention, ça grouille de Sadies. Ils radinent bien leurs fraises. Ça donne une espèce de merveille létale. Langford fout le feu à «American Pageant». Les Sadies le suivraient jusqu’en enfer, avec du ruckus sous le boisseau de l’everlasting Dallas Good. C’est assez incendié du bilboquet. Difficile de ne pas baver en écoutant ça. Avec «Strange Birds», ils passent au groove pépère, mais ça reste country as fuck. Langford se paye toutes les audaces du honky tonk à coup de story telling. «Last King Of The Road» est le cut qu’on sauve. Langford redevient pour trois minutes le roi de la power pop. Fantastique envolée, c’est hanté par la guitare de Dallas Good qui du coup ramène toute la wild énergie de l’Americana. Sur «Shipwreck», Langford duette avec Sally Timms. On croit entendre chanter deux vampires. Puis on voit les Sadies étinceler de mille feux sur «Solitary Song». Ces surdoués de la country ont des réflexes mirobolants.  

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             En 2009, John Doe enregistre Country Club avec les Sadies. Il ne pouvait pas rêver de meilleur backing band. Dès «Stop The World & Let Me Off», Dallas Good traverse le son au piercing country honk, c’est d’une grande beauté avec tous ces clap hands, le son est comme zébré d’éclairs de wild country, pas de meilleure concoction, leur démesure s’envole over the rainbow. Alors après, ça devient beaucoup plus classique, mais bien chanté. Avec sa voix chaude, l’ami Doe inspire confiance, il ne fait pas partie de la clique des m’as-tu-vu à la mode. On entend pas mal les frères Good dans cette aventure, ils en connaissant un rayon en matière de country roll. On pourrait même se plaindre du trop de son. Doe duette avec Margaret Good dans «Before I Wake». C’est embêtant tous ces duos, on irait presque croire que Doe se prend pour une superstar. On reste dans le zyva Nashville Mouloud avec «I Still Miss Someone», mais la country de Doe ne marche pas à tous les coups. On s’ennuie sur certains cuts, comme si les Sadies mettaient leur magie en veilleuse. Nouveau try out avec «Take This Chains From My Heart» et cet album dont on attendait monts et merveilles se réveille enfin. Il faut cependant attendre «Are The Good Times Really Over For Good» pour retrouver l’apanage des country men. Dallas Good joue comme un diable, ce qui est en général mieux qu’un dieu. Il joue même à la folie du craze et ça explose enfin. Doe reprend ensuite le «Detroit City» de Jerry Lee - I want to go home - Oui, il ose. 

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             C’est Dédé la praline qui signe les liners de Pure Diamond Gold, un album paru sur Bloodshot en 1999 : «In my life and the things I have experienced, I’ve seen a lot of good bands and I’ve seen a lot of great bands. I’ve played a lot of places on this earth, and I’ve seen a lot of people... But it’s hard to find the Sadies. They’re between the North Amaerican Indians, the African Amarican and the audience of today. You can not find a better bunch of characters, men or musicians than the Sadies.» What an hommage ! Pure Diamond Gold est un album de heavy country rock on the rocks. Idéal pour les cowboys à la petite semaine. Avec «Higher Power», on entre au saloon pour danser la bourrée des cowboys. Les Sadies adorent le petit jive de bluegrass. On les voit s’énerver sur «Only Good One» et «Starling Auto», avec un Dallas Good on the run. Les instros sont tous superbes et on tombe enfin sur une énormité avec «Talkin’ Down», un heavy boogie faramineux, avec Dallas Good en embuscade, alors quand on a un mec comme ça en embuscade, ça donne du killer thrill. Mais la dominante reste le fast country rock de bluegrass («Spark Catcher»). «Striking Creek» sent bon l’Arizona, on sent le vent chaud et l’odeur des cactus. Dallas Good remplit «Venison Creek» de réverb. On les voit aussi flirter avec le beat des Cramps dans «Locust Eater». Il faut bien dire que l’album est assez dense. Vingt cuts, c’est pas rien. Ce démon de Dallas Good s’arrange toujours pour glisser de l’épique dans ses instros («Cloud Rider»). Ils terminent au banjo avec «16 Mile Creek Breakdown» et se foutent du rock comme de l’an quarante.

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             Encore une pochette mystérieuse pour ce Tremendous Efforts qui date de 2001, odyssée de l’espace rock. Les fans du Gun Club se régaleront du «Mother Earth» qu’on trouve vers la fin de l’album. Pur jus d’I can’t come back no more. L’autre grosse stupéfaction garantie, c’est «FLASH», un cut qui vire tiens-toi bien en mode fast bluegrass de killer stuff. Les Sadies font les punks, et pire encore : Dylan goes punk ! Avec la pluie de l’enfer. Dallas Good détruit le rock quand il veut. Du punk Dylanex, on avait encore jamais vu ça ! Ils font aussi une cover de l’excellent «Wasn’t Born To Follow» signé Goffin & King. Les Sadies enrichissent la pop à un point qu’on n’imagine même pas. On se croirait chez Buffalo Springfield. L’autre bombe de l’album s’appelle «Loved On Look», ils jouent ça comme des white Soul boys, au heavy r’n’b, ils sont excellents dans l’exercice de leur fonction, bahbee ! Avec un Dallas encore une fois en embuscade. Wild gaga à gogo ! Les Sadies ont la classe - Bah bah bahbee bah bah - Retour au fast country rock avec «One Million Songs». C’est leur apanage, ils défoncent tout sur leur passage.  

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             Dallas Good fait encore des étincelles sur Stories Often Told, un bel album d’American guitars paru en 2001. Si on ne veut pas mourir idiot, il faut avoir écouté au moins une fois dans sa vie «Mile Over Mecca». Dallas Good nous plonge dans une mad psyché dont on n’a pas idée. Il sort pour l’occasion l’un des pires dooms de l’univers. On accueille cette puissance à bras ouverts. L’autre merveille de l’album est le morceau titre, joué au gratté de deep Sadies. Et ça chante à la perfe, les clameurs de country sonnent comme des sirènes dans le port d’Amsterdam. Tu as encore le full blown des Sadies avec «A#1». Just terrific a walk away, ça dégouline de pureté sonique. «Tiger Tiger» vaut pour une belle énormité de fast heavy Sadies et si on en pince pour la country, alors il faut se caler «Such A Little Word» sous le casque. Ces mecs n’ont besoin de personne en Harley Davidson. C’est du convaincu d’avance. On se régale aussi d’«Oak Ridges», un heavy groove d’Americana chanté au flash Sadique de Dallas Good. Beau baryton.

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             Les Sadies choisissent le noir et blanc pour la pochette de Favourite Colours. Comme tous les dandies, ils cultivent l’art de la contradiction. Alors attention, on croise de sacrées merveilles sur cet album qu’on peut considérer comme classique. Avec «Why Be So Curious», ils sonnent comme les Byrds. Ils sont comme d’usage puissants et inspirés et Dallas Good vient challenger tout ça avec un solo d’attente qui fait tout dégringoler dans l’excellence. Mais ça n’est pas fini. Voilà qu’avec «As Much As Such», ils se prennent pour les Flying Burrito Bros, ils tapent en plein dans le Gilded Palace, même énergie de no way out in the sun. Si on veut entendre jouer l’un des plus grands guitaristes américains, il faut écouter «Song Of The Chief Musician», un beau slab de country rock visité par le jeu aérien de Dallas Good. Ce mec joue vraiment très haut. On se régalera aussi de «Why Would Anybody Live Here», excellent slab de weird cowboy rock gratté à coups d’acou. C’est heavy sous le boisseau du merveilleux. Ces mecs savent développer une petite magie de la vingt-cinquième heure. Ils renouent avec leur cher fast rock dans «Northumberland West», c’est pire qu’au Cap Horn, tu reçois de paquets de bluegrass plein la gueule. C’est du fast, le pire de tous. Les Sadies sont des démons, tu ne le savais pas ? Dallas Good illumine encore «1000 Cities Falling» au bluegrass fever. Il vient aussi hanter « A Good Flying Day» - And it’s gonna be a good flying day/ And I’ll see you again someday - Il revient incendier ce fabuleux instro qu’est «A Burning Showman». Il arrive que les instros parlent plus que les bavards. 

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             Si on veut voir et entendre les Sadies en action, alors il faut se jeter sur In Concert Volume One. C’est un festival de fast country rock, ils tombent à bras raccourcis sur les early Byrds («Why Be So Curious») avec encore en plus de la musicalité, comme si c’était possible. On retrouve tous les autres grands hits des albums précédents : «1000 Cities Falling» (heavy country rock joué au bluegrass energy, une sorte d’épine dorsale de la grande Americana), «Song Of The Chief Musician» (joyau psyché), «Uncle Larry’s Breakdown» (banjo d’Americana) et l’énorme «Tiger Tiger», un vrai hit de r’n’b. Ils jouent «Taller Than The Pines» au Tele carnage et font la fête au village sur «Higher Power». La famille Good danse le jump au saloon. On trempe encore dans l’histoire du Wild West avec «Eastern Winds» et «Stay A Little Longer». On se croirait dans le saloon en construction de The Gates Of Heaven. Michael Cimino n’est pas loin. On salue encore l’incroyable vélocité de «Snow Squad» et des invités viennent chanter sur la fin du disk 1, mais ça vire trop country classique et on perd le vif argent. C’est Jon Spencer qui lance le disk 2 avec «Back Off». Et là attention, on revient aux choses sérieuses. En fait, c’est Heavy Trash qui joue, c’est-à-dire Spencer et Matt Verta-Ray. On perd les Sadies. Spencer fait les présentations : «Mister Dallas Good ! Are you ready ?». Heavy Trash vole encore le show sur «Justine Alright» et sur l’excellent «Talkin’ Down», c’est André Ethier des Deadly Snakes qui chante lead. Puis John Langford prend le micro pour le full tilt boogie d’«American Pageant». Langford est parfaitement à l’aise sur le country rock des Sadies, notamment «Strange Birds». Puis  voilà Neko Case, complètement country sur «Home» et «Hold On Hold On». Elle chante mal, c’est une catastrophe. Et pourtant les Sadies la suivent. Encore une histoire de cul ? C’est au tour de l’excellent Gary Louris de prendre le micro pour «Tail Spin», en mode heavy mid-tempo de folk rock, Louris on le sait est un crack, c’est le mec des Jayhawks, il fait avec les Sadies une pop rock de très haut rang. C’est lui qui tape «Good Flying Day» et la reprise de Syd Barrett, «Lucifer Sam». Pure merveille ! Gary Louris tape dans le saint des saints à coups d’énergie psycho-psyché. D’autres gros coups de semonce encore avec «All Passed Away» et «Story’s Often Told» (Greg Keeler au chant), puis les Sadies explosent sur «You’re Everywhere», sur le heavy boogie de «Food Water Etc» (les trois guitares s’en donnent à cœur joie) et retour de Heavy Trash pour «Her Love Made Me». Ça se termine avec un «Memphis Egypt» explosif. Alors oui, il faut écouter cet album.

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             Encore un fantastique album : New Seasons, paru en 2007, Dallas Good y fait plus d’étincelles que d’habitude, notamment dans ces deux merveilles byrdsiennes qu’on trouve vers la fin, «New Again» et «The Land Between». Il se prête au peu jeu du low riding rockallama des Byrds, c’est un peu comme si les planètes s’alignaient, tout rentre dans l’ordre des choses du rock psychédélique, on ne saurait se lasser de cette belle Americana, Dallas Good serpente dans l’espace avec une perpétuelle effervescence. On reste dans l’épaisse psychedelia des grands espaces avec «The Land Between» et les incursions intestines de Dallas l’Apache. S’il fallait qualifier le rock des Sadies, on pourrait presque parler d’élévation spirituelle. Ils savent aussi rocker dans les brancards comme le montre «The First Inquisition», amené au heavy gaga. Ah il faut entendre Dallas Good tirer la chasse du solo, ça dégringole ! Il fait encore des siennes dans «What’s Left Behind», un big shot de country rock. Dallas intervient, vif comme l’éclair. Tu n’entendras jamais un Tele-man jouer aussi sec à la revoyure. Il joue à 100 à l’heure. Avec «Anna Leigh», on se croirait chez Midlake, même ambiance de fast folk pop inspiré par les trous de nez, c’est chanté sous le couvert, mais aiguillonné par le takatac de Dallas Good. On peut bien le dire encore une fois : Dallas Good is so good. Il faut le voir visiter «My Heart Of Wood», il plane comme un vampire au dessus du cut. Encore de la flying psychedelia dans «A Simple Aspiration». On est gâté avec cet album. Les Sadies sont capables de fourbir la meilleure mad psyché de l’univers connu des hommes.  

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             Comme l’indique son titre, Darker Circles est un album plus sombre. Dallas Good attaque en force avec «Another Year Again», un fast ride d’excellence surnaturelle, gorgé de musicalité. Sa guitare fantôme traverse le ciel et crée les conditions de l’excellence. S’ensuit «Cut Corners», un heavy balladif tentaculaire - Don’t cry to me - Dalla Good cloue tous ses solos sur la porte de l’église. Et pour boucler cette trilogie du diable, voici «Another Day Again», un fast rock emmené sous l’horizon. C’est le real deal du quicksilver. Retour aux fièvres des Flying Burrito Bros avec «Poscards» : même son, même pulsion, même musicalité. Ils assument bien leur fast country pop, comme le montre encore «Idle Tomorrows». Dallas Good le country rocker l’attaque au ta la la puis on revient au saloon de Cimino avec «Choosing To Fly».

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             Internal Sound paraît en 2013 et les Sadies continuent la série des Another («Another Year Again» et «Another Day Again») avec ««Another Yesterday Again», une vieille dégelée de country jelly. Cut intense et beau, gorgé de son à outrance. Ces mecs respectent un impératif invariable de qualité. L’autre gros coup de l’album est un cut de Mike Stax, «Story 19». Oh non, ce n’est pas le «Story 16» des Outsiders, c’est un plan sombre et dégringolé qui s’achève dans une belle apothéose. L’invitée du jour n’est autre que Buffy Sainte-Marie qui vient chanter son «We Are Circling». Alors ça devient mythique. Elle amène les spirits de la culture indienne, alors forcément, avec les Sadies, ça prend feu. Autre cut fascinant : «The First 5 Minutes» d’ouverture de bal, amené au fast gaga d’arpèges stellaires. Attention, les Sadies ne sont pas nés de la dernière pluie, ils savent soigner le cul de Justine, ils flûtent le gaga dans les orifices de la vertu, c’est vite plié et raffiné en même temps. Ils jouent ce fabuleux shake du paradis sur les accords de Gloria. Sur «So Much Blood», les frères Good se partagent les duties du chant, des guitares et de la deep Americana. Depuis qu’ils sont sur Yep Roc, ils font du heavy Sadies de Yep («The Very Beginning»). Ils ramènent du big sound dans «Starting All Over Again», c’est beau comme du Buffalo, délié aux mélodies et au delicatessen de guitares sucrées. Comme ils ont déjà un «Another Yesterday Again», ils ajoutent un «Another Tomorrow Again» assez énervé. On voit plus loin Dallas Good attaquer de flanc «Leave This Town Behind». Fantastique guitar slinger ! 

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             Leur dernier album en date s’appelle Northern Passages. Tu as ça dans les pattes et tu t’attends à de la petite country bien propre sur elle. Mais non c’est du killy killah. Va doucement, Killah, c’est tout bon ! Ils restent dans la tradition des Another avec «Another Season Again» et en profitent pour foutre le feu. Jamais les Sadies n’ont été aussi violents. C’est le MC5. En pire ! Pur hell of the fuck. Du coup, on ne sait plus quoi dire, alors on dit n’importe quoi. Ça joue à l’émulsion d’accords rouges, dans une fournaise inexorable. Rien d’aussi délicieusement brutal ici-bas. Les Sadies détrônent les rois du rock high energy. Tu voulais les voir faire leurs preuves ? Voilà, c’est fait. Puis ils basculent dans le vénéneux avec «There Are No Words», ça dégouline de son, my son, le cut se tortille dans l’huile de friture, Dallas Good sort un son qui dégraisse tout et comme les Sadies sont des marquis, ils te rajoutent une queue country. La dominante de cet album est le heavy country rock visité par la grâce, et la grâce c’est Dallas. Avec «Through Strange Eyes», ils basculent dans la country pop, mais Dallas sort sa dirt disto, quel farceur ! Ça donne un mélange étonnant de free et de bluegrass, joué sous le boisseau, évidemment. Dallas deliver encore the goods avec «Gog Bless The Infidels». Cette fois, ça sonne country junk, ça joue au gratté de Sadies sur la frontière. Mais ça reste du très haut de gamme, comme le montre encore cet «As Above So Below» tapé vite fait, avec un Dallas qui monte au front. La Tele règne sans partage sur cet album, Good is good, viva Donovan, et il profite de toutes les occasions pour jouer des fabuleuses échappées belles. Ces mecs sont décidément très forts, il va falloir s’habituer à leur absence.

    Signé : Cazengler, sadifait ou remboursé

    Dallas Good. Disparu le 28 février 2022

    Sadies. Pure Diamond Gold. Bloodshot Records 1999

    Andre Williams & The Sadies. Red Dirt. Sonic Rendezvous 1999

    Sadies. Tremendous Efforts. Outside Music 2001  

    John Langford & His Sadies. Mayor Of The Moon. Bloodshot Records 2002

    Sadies. Stories Often Told. Outside Music 2001

    Sadies. Favourite Colours. Outside Music 2004

    Sadies. In Concert Volume One. Yep Roc Records 2006

    Sadies. New Seasons. Outside Music 2007   

    John Doe & The Sadies. Country Club. Yep Roc Records 2009

    Sadies. Darker Circles. Outside Music 2010  

    Andre Williams & The Sadies. Night & Day. Yep Roc Records 2012

    Sadies. Internal Sound. Outside Music 2013  

    Sadies. Northern Passages. Yep Roc Records 2017

     

     

    L’avenir du rock - Moon in June

     

             N’allez pas demander à l’avenir du rock ce qu’il fabriquait sur cette plage havraise à quatre heures du matin. Il serait capable de vous répondre qu’il voulait juste humer l’air marin. Le plus drôle de cette histoire, c’est qu’il n’était pas le seul à vouloir humer l’air marin à quatre heures du matin. Au loin, une dame chantait en promenant son chien. Intrigué par l’incongruité de la situation, l’avenir du rock se rapprocha d’elle. La dame chantait «Hey Jude» :

             — Hey Joude/ Don’t mèke it bade/ Tèke a sad song/ And mèke it bettè-è-ère !

             Elle chantait à tue-tête dans l’immense clameur d’un ciel étoilé. Le chien qui devait être un lévrier courait en tous sens, grisé lui aussi par l’air marin. 

             — Hey Joude/ Don’t bi afrède/ You wère mède to go outte/ And gette hè-è-ère !

             Elle hurlait, c’était faux, fabuleusement faux. Elle eut le temps de lui adresser un sourire avant de prendre son élan pour attaquer le final. Elle s’élança et à la grande stupéfaction de l’avenir du rock, elle se mit à flotter dans l’air à environ trois mètres du sol, comme la mariée dans Le Temps des Gitans et c’est là qu’elle poussa un scream terrible qui transcendait tous les autres, y compris ceux de McCartney ou pire encore, de Bunker Hill :

             — Wrrroaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhh !

             Connaissant ses classiques, l’avenir du rock fit les chœurs pour relancer :

             — Na na na na-nanana, nanana na na !

             — Wrrroaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhh !

             — Na na na na-nanana, nanana na na !

             — Wrrroaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhh !

             Cela dura un bon moment. Quand elle en eut marre, la dame redescendit et remercia l’avenir du rock de son concours. Elle déclara s’appeler Valéria, et sa chienne qui n’était donc pas un chien s’appelait Jude, d’où Hey Jude. Elle indiqua enfin qu’elle disposait chez elle d’une excellente bouteille de Bourgogne.

             — C’est à deux pas, il suffit de traverser la route.

             Ravi, l’avenir du rock accepta l’invitation et pour sanctifier cet épisode surréaliste, il sollicita son consentement :

             — Puis-je vous appeler Flying V ?

     

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             Passer de Jude à June sera un jeu d’enfant. Jude et June ont déjà trois lettres en commun. Flying V et Valerie June ont deux autres points communs : le prénom et le scream. June peut elle aussi transcender Bunker Hill. Comme Flying V, Valerie June dispose d’un fort tempérament. Elle ne vit pas à deux pas d’une plage, mais à Memphis. Elle est black, très jolie et, comme le montrent certaines pochettes, elle peut gratter une gratte. C’est une compile Uncut, Rollin’ & Tumblin’ - 16 Tracks Of  The New-school Blues, qui la fit sortir du lot. Le cut choisi par Uncut s’appelle «Shakedown». Alors que fait-on dans ces cas-là ?

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    On file droit sur l’album dont est tiré «Shakedown» : The Order Of Time, paru en 2017. Valerie June est l’héritière directe de Junior Kimbrough, l’un des géants du North Mississippi Hill Country Blues. Elle amène un «Shakedown» si profond, si africain, elle fond le blues dans l’Afrique, c’est explosif et joyeux à la fois, claqué au solo de contre-claque, les renvois sont déments, elle draine tout le power du blues moderne, à cheval sur Kimbrough et Gary Clark Jr. Elle attaque son «Man Down Wrong» au heavy beat et repasse par Kimbrough. Comme Cedric Burnside, elle dispose de toutes ressources pour exploser. Encore un coup de génie avec «Astral Plane», elle illumine le Plane de sa grâce, elle chante à l’immaculée conception, mais de l’intérieur du menton et cette façon qu’elle a de contenir le génie mélodique à l’intérieur du chant la rend unique au monde, elle développe sa magie, dreaming a dream/ Of sweetest things. Avec «Just In Time», elle est aussi puissante que les Ronettes - Your sweet eyes/ They don’t lie - C’est complètement spectorisé - Take my breath away/ And you put me down - Elle est complètement démente de teach me how to play again - We are one/ Just in time - On se régale aussi de son «Long Lonely Road» d’ouverture de bal, sa petite voix nous transperce. Elle fait preuve d’une incroyable persuasion. Elle chante son «Love You Once Made» au chant pincé avec des accents de Nina Simone et de Donald Duck. On l’entend gratter sa gratte. Elle reste fabuleusement intense dans «If And» et chante son «Front Door» de biais. Elle revient en vainqueuse au groove de Memphis avec «Got Soul» - Follow your Soul/ Sweet sweet soul - Superbe déclaration d’intention. 

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             Pushing Against A Stone est un album plus ancien qui date de 2013. Elle tape directement dans le Memphis Beat avec «Working Woman Blues», au all my life de voix perçante, elle fait du chain-gang des temps modernes et les cuivres la rattrapent vite fait. C’est une merveille digne encore une fois de Junior Kimbrough. Puis elle va changer d’ambiance et pour ainsi dire ruiner ses premiers efforts. Elle parvient à ramener un peu d’Africanité dans «Twined & Twisted». Elle sait se montrer puissante quand il le faut. Elle se montre encore fabuleuse d’intériorité avec «Wanna Be On Your Mind». Tout repose sur la force de son sucre. En fait, elle tape dans l’Americana avec des réflexes africains, c’est assez fascinant. Mais bon, certains cuts laissent perplexes comme par exemple «Trials Troubles Tribulations», elle cherche semble-t-il un passage vers les Indes. Mais comme Leon Bridges, elle ne sait pas quelles Indes elle cherche. Alors elle finit par se vautrer avec le rock des blancs («You Can’t Be Told»). L’opportunisme est catastrophique, on le sait. La pauvre Valerie perd le blues ET la Soul. Elle revient à la Soul du fleuve avec «Shotgun», ouf, elle y va doucement, comme si elle avait peur des fantômes. Disons qu’elle dispose d’un potentiel énorme. On attend donc les grands albums.

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             Sorti l’an passé, The Moon And The Stars: Prescriptions For Dreamers n’est pas vraiment le grand album attendu. La pochette déroute un peu, on ne sait pas s’il faut voir Valerie June comme une diva de la Soul ou comme une gravure de mode échappée d’un pressbook de Jean-Paul Goude. Cette robe gonflée à l’hélium n’inspire qu’une confiance limitée. On trouve sur le leaflet une autre photo d’elle, en pied, avec la même robe : elle irradie. Il y a un côté Diana Ross en elle, ce que confirme le «Stay» d’ouverture de bal qu’elle chante avec une vraie pulsion du sucre. Elle fait le choix d’une pop putassière extrêmement orchestrée. Elle semble se battre avec sa prod, elle semble vouloir échapper à tous les genres, elle se barre un peu dans tous les sens, comme le montrent «You And I» et «Colors». Les compos ne sont pas au rendez-vous. Pas de blues ni de Soul dans les cinq premier cuts. C’est lorsqu’elle duette avec Carla Thomas sur «African Proverb» et surtout «Call Me A Fool» que l’album se réveille. Fantastique descente en enfer du paradis. Valerie chante sa Soul au sucre pur, elle y va au Soul searching digne des plus grandes Soul Sisters, elle gueule comme la reine du raw et devient magique. Sa façon de gueuler le sucre est unique au monde. Voilà pourquoi il faut écouter Valerie June. Dommage que les autres cuts ne soient pas du niveau de «Call Me A Fool». Ailleurs, il ne se passe pas grand chose, elle explore des sons. Quand elle chante «Two Roads» de l’intérieur du menton, elle redevient une vraie chanteuse, elle redevient pointue, elle chante exactement comme Esther Phillips, même groove de sucre. «Two Roads» est une merveille chanson sauveuse d’album. Elle chante plus loin «Home Inside» avec la voix d’un ange, du fond d’une chapelle enfouie dans la jungle.

             En mémoire de Laurent, qui trop bourré, ne put pas venir humer l’air marin à quatre heures du matin.

    Signé : Cazengler, Valéry biryani

    Valerie June. Pushin’ Against A Stone. Concord Records 2013 

    Valerie June. The Order Of Time. Caroline International 2017

    Valerie June. The Moon And The Stars: Prescriptions For Dreamers. Fantasy 2021

     

     

    Inside the goldmine - All the way to Holloway

     

             Baby Fuck est complètement cinglée. Elle pique des crises en permanence, alors que tout va bien, elle se plaint du manque d’air dans le quartier, du manque de  «verdure» - J’ai besoin de verdure ! - Tout est prétexte à se plaindre, elle ne va bien qu’au lit, quand on baise. Elle ne semble d’ailleurs vivre que pour ça, pour la connexion coïtale des âmes, malheureusement, la connexion coïtale des âmes ne dure que ce qu’elle dure, et donc le reste du temps se voit consacré aux plaintes et aux complaintes. Et plus elle se plaint, plus elle devient hystérique, c’est un phénomène étonnant, très intéressant à observer, Baby Fuck passe de l’état de tendresse surnaturelle à l’automatisme psychique de l’hystérie surréaliste. La raisonner ne sert à rien.

             — C’est dommage, tu gâches tout. Tu t’énerves vraiment pour rien.

             — Oui mais tu comprends, j’ai besoin de verdure. J’ai vraiment besoin de verdure !

             Toute la difficulté consiste à épurer au maximum le temps partagé, c’est-à-dire le temps des repas, le temps des soirées, le temps des sorties pour en expurger tout prétexte à se plaindre. C’est pourquoi nous allons le plus souvent au restaurant. Elle choisit toujours une bouteille de Santenay et termine son repas par un dessert, et c’est un bonheur que de la voir s’abandonner joyeusement au plus attachant des péchés, la gourmandise. Nous meublons les soirées avec des locations de films, qu’elle préfère érotiques, en écho à sa gourmandise. Et bien sûr, nous multiplions les promenades en bord de Seine, au plus doux de l’après-midi, dans cette lumière changeante de l’Ile de France qu’appréciaient tant Pissaro et Alfred Sisley. Mais Baby Fuck se fout des peintres comme de l’an quarante, elle contemple chaque arbre, chaque reflet de la lumière sur l’eau, chaque fleur, elle s’abandonne au délire contemplatif, elle marche à pas mesurés, respire à pleins poumons et quelques fois elle finit par se fondre dans son extase pour devenir complètement transparente. 

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             La couleur de peau et les histoires de vie différencient radicalement Brenda Holloway et Baby Fuck, mais en trichant un peu, on pourrait leur trouver un point commun : une certaine mystique. Mystique de la verdure pour Baby Fuck, mystique de la Soul pour Brenda qui est, comme on va essayer de le montrer, l’une des plus grandes Soul Sisters du XXe siècle.

             Sur l’illusse, on voit Brenda danser en rose et derrière, sa frangine Patrice entre dans le groove du jerk pour l’accompagner. C’est l’une des plus belles images de l’histoire de la Soul, on la trouve en ouvrant la boîte d’Ace dont on va reparler tout à l’heure, The Early Years - Rare Recordings 1962-1963. Alors là mon gars, ça popotine.

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             Il est évident qu’à une époque Brenda Holloway faisait de l’ombre aux Supremes, et ça n’a pas dû faciliter sa carrière, quand on connaît les états de service de Diana Ross. Sur Spellbound (Rare and Unreleased Motown Gems), belle compile parue en 2017, quelques cuts rivalisent avec les plus grands hits des Supremes, à commencer par «The Star». Brenda y fait sa Ross et c’est encore plus criant avec «I’m Spellbound» sur le disk 2, elle attaque ça au baby I’m spellbound, c’est du pur jus de Motown, elle écrase les Supremes quand elle veut. Cette compile est une vraie mine d’or. Avec «Just Loving You», elle plonge dans le pathos de Motown, mais quelle splendeur ! Avec son Just loving You, elle est au-delà de tout, elle chante à la puissance de la revoyure, elle te brise le cœur quand elle veut. Dès le «Deep Breeze» d’ouverture de bal, elle saute partout, elle gueule comme un putois, vas-y Brenda ! Elle a le feu au cul et elle a raison. Elle sait remonter les bretelles d’un blues, comme le montre «Today I Sing The Blues». Avec «Don’t Compare Me To Her», elle va chercher un heavy groove extraordinaire. C’est d’un niveau très perturbant. Mais c’est avec le r’n’b qu’elle casse la baraque. Elle allume au gros popotin avec «Why Don’t You Tell Her The Truth», et «Baby I’s You» est une merveille de Soul mélodique intimiste, une Beautiful Song de rêve. Elle fait du pur Motown avec «Lucky My Boy» et «I Don’t Want Anybody Perfect». Elle va chercher sa Soul très haut, comme on le voit avec «I Still Get Butterflies». Elle s’y montre héroïque. Le disk 1 s’achève avec «Can’t You Hear Me Knocking», un heavy groove de r’n’b, elle gère bien le rampant, c’est même très moderne pour du Motown, elle flirte avec l’Ike & Tina. Elle est toujours juste au chant des sirènes elle ramène toute sa rémona dans son don’t be cruel, elle lance son again darling à la main lourde, c’est énorme et même faramineux, elle en rajoute tant qu’elle peut à coups d’ouhh-ouhh. En fait, elle va bien au-delà des canons de Motown. Elle fait du Brenda, elle reste excitante au fil des cuts et avance avec la puissance d’une loco. Elle est parfaite. Elle revient sur le disk 2 à son cher r’n’b avec deux versions d’«Have A Little Talk With Myself», elle décide du départ, comme Aretha et Gawd, il faut la voir jerker sa Soul au gros popotin. Elle fait l’Aretha pour Motown. Avec Brenda, c’est toujours d’un degré supérieur. Elle navigue à la pointe de son progrès. Elle tombe sur le râble de «What Good Am I Without You» de tout son poids. Elle redore le blason de Motown avec «Whenever You Need Me» et «You Are My Chosen One», et on en croise encore d’autres jusqu’à la fin de cette redoutable compile. On reste dans la magie Motown avec «Without Love You Lose A Good Feeling», mais avec le beat du pit et les tambourins. Elle termine avec «The Land Of Make Believe», c’est extrêmement pointu, monté sur un beat calypso, elle grimpe dans les hauteurs, Brenda est la reine de Nubie, fantastique petite black pleine de talent et de répondant.

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             Parue sur Ace en 2009, The Early Years - Rare Recordings 1962-1963 est une compile moins évidente. Trop early Soul. Mais quand on ouvre le boîtier, on tombe sur la photo de Brenda et Patrice évoquée plus haut. Dans son texte de présentation, Mick Patrick rappelle que Brenda fut signée par Berry Gordy lors d’une convention de DJs à Los Angeles en 1963, mais elle avait pour consigne de finir ses études avant d’aller enregistrer pour Motown à Detroit. Elle est arrivée à Detroit en plein lancement des Supremes et elle s’est sentie aussitôt marginalisée. Elle dit avoir mis quatre ans à sortir de son contrat. C’est la compile Spellbound saluée juste au-dessus qui rassemble tout ce qu’elle a enregistré pour Motown. The Early Years Rare Recordings, c’est une autre paire de manches. La Soul de 1962 est plus conventionnelle et il faut attendre «Hey Fool» pour trouver du prémonitoire. Elle est tellement en avance sur son époque. Un vrai jerk des catacombes ! Elle duette pas mal avec son découvreur, Jesse James, notamment dans «I Want A Husband», elle revient par la bande, la coquine, le mec est solide, il tient tête et cette chipie de Brenda s’explose les ovaires à chanter par-dessus les toits. Elle fait du sexe pur avec «Candy» - He’s like candy yeah - Elle adore le sucer - I love him ever more - Sa glotte en frémit. On la voit aussi se glisser dans l’écho du son d’«Echo» et ça joue aux guitares Hawaï. Les duos sont fabuleux («I Got A Feeling» et «It’s You»), Hal l’amène et Brenda vient. Le coup de génie de la compile s’appelle «Do The Del Viking Pt1». Ce n’est pas Brenda qui chante mais sa sœur Patrice, avec un baryton devant et des filles derrière. Merveilleuse inventivité.

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             Sur son seul et unique album Motown paru en 1964, Every Little Bit Hurts, Brenda Holloway tape une Soul bien parquée dans le parc, comme celle d’Otis au Sud. Et comme Otis, she shouts it loud. Les slowahs sont des modèles du genre, surtout «Sad Song» - I’m so lonely/ I’m so blue - Elle chante à la glotte tuméfiée mais alerte et ça explose assez vite. Brenda est une exploseuse. Elle amène son morceau titre au super froti-frotah, c’est le grand art de Brenda, elle travaille ça au tisonnier. Il faut la voir se fondre dans la pop de «Too Proud To Cry», elle est fabuleuse de véracité véracitaire et encore une fois, elle te travaille ça au corps et s’en va exploser en plein vol. Elle domine chaque fois la situation, elle danse dans sa tête. Elle travaille son art à la Brenda, c’est tellement excellent que ça devient du sans surprise. Il faut attendre «Embraceable You» pour renouer avec la sensualité, elle demande qu’on l’embrasse et c’est énorme. Puis elle explose l’«Unchained Melody», elle ne peut pas s’en empêcher. Elle fait du pur Motown avec «A Favor For A Girl (With A Love Sick Heart)» et elle renoue avec la magie dans «(You Can) Depend On Me». Oui, ça ne dépend que d’elle, c’est encore une merveille absolue.

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             Paru en 1980, Brand New est un album de gospel, mais comme les albums de gospel d’Aretha et de Candy Staton, il vaut tout l’or du monde. Brenda chante sa foi et elle emmène «You’ll Never Walk Alone» au firmament, comme le ferait Aretha. Même chose avec «The Day Will Come». Brenda maintient la pression de sa puissance et tape dans le gospel batch supérieur. Elle fait ce que savent faire les grandes Soul Sisters, une Soul de gospel, c’est-à-dire une Soul spirituelle. Elle attaque sa B au piano pour chanter «He Touched Me» puis elle revient plus loin à la Soul spirituelle avec «He Can Save You», c’est bien monté en neige avec comme souvent une basse énorme. Elle termine cet album surprenant avec un gospel à l’Aretha, «Help Me Jesus».  

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             Paru en 1991 sur le fameux label Motorcity, All It Takes vaut le déplacement. Brenda y reprend son plus beau hit, «You Made Me So Very Happy». Elle y rentre en reine de Nubie, elle le challenge au premier niveau, elle sait qu’elle est so glad, alors elle va exploser - I’m so glad you came into my life - Elle est terrifiante de présence. Sinon, c’est un album de diskö, mais quelle belle diskö ! Elle gère son «You Gave Me Love» comme une reine du dance-floor et elle nous embarque pour un groove diskoïde de 8 minutes, «Give Me A Little Inspiration», distance idéale pour une reine comme elle, elle drive ça comme Esther Phillips, c’est une absolue merveille, hit diskö imparable. S’ensuit l’encore plus énorme «Hot & Cold», Brenda y va, elle secoue son cul et c’est énorme. On retrouve la grande Soul Sister dans «Every Little Bit Hurts», elle le chante à l’excellence de Motown. On note que Sylvia Moy produit.    

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             Paru en 1999, It’s A Woman’s World est un album plus difficile. Le hit s’appelle «Easier Said Than Done», qu’elle amène au Soul power d’une absolue pureté. C’est même assez inattendu au sortir d’un album si spécial. En effet, elle fait avec les gens qui l’entourent le choix des machines et du programming. Par chance, sa voix prédomine, elle claque bien le baby walk back de «Walk Right Back». Elle se prête bien au jeu du son synthétique, ce qui est courageux de la part de l’ancienne rivale de Diana Ross. Sauf que là, les cuts ne sont plus aussi magiques. L’album est par certains côtés assez putassier. Comme si on poussait Brenda dans les bras de la luxure. Elle fait une espèce de Soul aux vermicelles, on la suit parce que c’est elle, mais bon, il y a des limites. Elle parvient à glisser des petits shoots de feeling ici et là, et à faire autorité dans la daube de «Don’t Keep Runnin’». Pour boucler cet album compliqué, elle se glisse dans un fondu de poireaux, «(When The Time Comes) For Saying Goodbye».   

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             Les compiles de Brenda sont pareilles à des fruits qu’on presse et qui fournissent toujours du jus, encore plus de jus. My Love Is Your Love est l’une de plus belles compiles Soul de tous les temps, c’est un double CD qui n’en finit plus d’émerveiller l’amateur de Soul, même les diskö cuts sont fantastiques, «Give Me A Little Inspiration», diskö des jours heureux et grain de voix si pur, «I’m Gonna Love You», encore l’énergie de la danse des jours heureux, et sur le disk 2, «I’m So Happy», diskö babe is back again, elle chante de tout son petit cœur, «I’ll Never Stop Loving You», heavy dance romp de Brenda, elle remercie toujours ses mecs, I thank you/ I’ll never stop loving you, ça reste la plus belle diskö du monde avec celle d’Esther Phillips, et puis «Hot And Cold», magnifique, on the beat. Si on aime la good time music, alors il faut se jeter sur «For All The Right Reasons», car elle y claque sa chique, c’est tellement plein de vie qu’elle pourrait te faire exploser le cœur. Bon, maintenant, si tu en pinces pour les grandes interprètes des temps modernes, alors il faut te jeter sur «I Got A Bone To Pick With You», qu’elle éclate au sommet du lard, saluée par des coups de trompettes terribles, elle est extravagante et l’orchestre joue ! Ou encore «He’s My Kinda Fella» qu’elle te groove jusqu’à l’oss de l’ass, elle te shake ton cocotier avec un punch tonic but chic. Ou encore «World Without Sunshine», qu’elle tape avec un bonheur inégalé - Darling/ Darling/ Since you’ve been gone - On se prosterne encore devant «Baby Baby Don’t Waste Your Time» et ses chœurs de filles géniales. Et puis on trouve aussi des coups de génie comme «Lend A Hand», fabuleux shoot de diskö blast mais avec la chaleur d’un chant de vétérante. Seules Brenda et Aretha sont capables de déclencher de telles vagues de frissons. Brenda groove la diskö en profondeur ! Avec «Reconsider», elle passe en fast drive, maybe baby, elle est énorme - Baby Baby/ I can take it with a smile - Voilà le génie de Brenda : la Soul magnanime. Encore pire avec «Starting The Hurt All Over Again», elle fait du Martha en fast ride, et ça donne le jerk du diable, elle chante en diagonale dans le flux d’un beat infernal. C’est à tomber de sa chaise. On a là l’un des plus beaux classiques Soul de tous les temps. Elle attaque son «Cashing In» en haut du panier - I’m cashing in on you baby - Elle retourne au diskö beat pour «Stay Close To Me», mais avec un génie qu’il faut bien qualifier de napoléonien. On danse le diskö beat avec Brenda sur «Be A Man», elle est la reine du Saba Dance Floor. Elle fait aussi du Motown avec «Love And Desire». En fait, elle peut tout se permettre. C’est l’apanage des alpages. Quand elle chante «You Gave Me Love» sur un bon vieux diskö beat, on sent presque son parfum - I’m a strong woman now - Et vers la fin du disk 2, elle nous tape une version de son plus gros hit, «You Made Me So Very Happy», une merveille de pur genius qu’elle développe et cette façon de monter dans le chant est unique dans l’histoire de la Soul.

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             The Artistry Of Brenda Holloway parut une première fois en 1968, aussitôt après que Brenda eût quitté Motown. Ace/Kent Soul réédite cette compile en ajoutant quelques bonus. Cette compile fait aussi suite à celle des Early Years. En 1964, Brenda et deux autres Soul Sisters, Kim Weston et Carolyn Crawford entraient en lice pour la succession de Mary Wells, et c’est Brenda qui début 65 est invitée à Detroit pour chanter sur un single prévu à l’origine pour Mary Wells. Dans le booklet, Keith Hughes raconte le mal de chien que se sont donné les gens de Motown pour lancer Brenda et ce n’est qu’avec son dernier single sur Tamla, l’excellentissime «You Made Me So Very Happy» qu’elle va enfin percer. Elle y explose la Soul. En plus, c’est elle qui signe ce chef-d’œuvre. Elle explose son thank you babe, c’est quasiment du Burt tellement c’est bien foutu - I’m so glad you came into my life - Elle fait sa Aretha et après le pont, elle s’en va swinguer son thank you baby par dessus les toits. La plupart de ses singles sont bons, forcément, mais ce ne sont pas des hits. Elle rentre dans le lard du «Where Were You» pour régler ses comptes - Where were you/ When my love was strong - C’est une shouteuse extraordinaire, elle explose la pulsette d’«Hurt A Little Every Day», elle monte si haut ! Elle fait sa Supreme avec «I’ll Be Available», elle est d’une incroyable véracité. Elle refait sa Ross avec «When I’m Gone» et dans «You Can Cry On My Shoulder», elle dit à son copain qu’il peut pleurer sur son épaule, mais pas de morve. Elle monte bien sa Soul dans les hauteurs de Tamla. La plupart de ces singles sont produits par Smokey Robinson et Frank Wilson. «Just Look What You’ve Done» et «Starting The Hurt All Over Again» sont des énormités, Brenda les embarque avec la puissance d’une loco. Dans les bonus, on craque pour le dernier, «It’s Love I Need», car Brenda y fait de l’Aretha. Et ça prend feu.

    Signé : Cazengler, Brendavoine

    Brenda Holloway. Every Little Bit Hurts. Tamla 1964  

    Brenda Holloway. Brand New. Birthright 1980           

    Brenda Holloway. All It Takes. Motorcity Records 1991    

    Brenda Holloway. It’s A Woman’s World. Volt 1999     

    Brenda Holloway. My Love Is Your Love. Bestway Records 2003

    Brenda Holloway. The Artistry Of Brenda Holloway. Kent Soul 2013

    Brenda Holloway. The Early Years Rare Recordings 1962-1963. Ace 2009

    Brenda Holloway. Spellbound (Rare and Unreleased Motown Gems). SoulMusic Records 2017

     

    *

    Toujours des surprises dans la discographie d’Elvis. Pour une fois il n’y est pour rien, ajoutons à cette innocence fondamentale que je ne suis point trop physionomiste, toujours est-il que regardant la section rockabilly sur Bandcamp, peu fournie, je tombe sur le disque ci-dessous. Le gars a une gueule de vieux countryman qui se prépare à prendre la retraite, je ne le connais point, l’ignorance étant la mère de tous les vices, je me hâte d’obéir à cette sage sentence de Rabelais l’aimable et paillard frère de l’abbaye de Thélème, j’ouvre grand mes oreilles et j’écoute :

    DANZIG SINGS ELVIS PRESLEY

    ( Cleopatra : 2020)

    goldie ( = genya ravan ),sadies,valerie june,brenda holloway,danzig,hurakan

    It’s so strange : avec le Cat Zengler l’on devrait imiter Elvis, écrire une prochaine livraison toute roucoulante, entourée de faveurs rose, spécial pour les filles et l’intituler comme cet EP sorti en septembre 1957, exclusivement réservé au public féminin : Just for you. Certes l’idée ne serait pas de nous, mais ce titre n’est-il pas une reprise de Faron Young, un chanteur de country & western, toutefois chez les westerners pas un des meilleurs pistoleros, puisqu’il a failli se rater lorsqu’il a décidé de mettre fin à sa vie d’un coup de fusil. Belle voix grave d’Elvis musique un peu tremblotante adoucie par les chœurs des Jordanaires, Elvis se fait plus tendre et l’on n’entend plus que lui… Danzig en donne plus, le piano résonne plus fort et la voix est encore plus appuyée. Pousse un peu plus dans les aigus, dans les passages doucereux, l’orchestration s’avère moins plantureuse, plus roots, l’ensemble donne l’impression d’une de ces démos que les compositeurs présentent aux chanteurs pour vendre leurs titres. One night : l’avait les yeux sur les nouveautés Elvis, n’en ratait pas une, Smiley Lewis avait sorti ce titre sur le label Imperial de Dave Bartholomew ( Fats Domino lui doit beaucoup ), la version de Presley date de 1958. Splendide version de Smiley avec un saxophone qui meugle comme une vache abandonnée dans un pré et que l’on a oublié de traire, Smiley chante comme Fats mais avec une voix beaucoup plus grave. La voix d’Elvis gratte à mort, l’a l’air du gars qui s’égosille sous le balcon de sa belle, l’en fait un peu trop, l’a oublié l’objet transexuel saxophonique dirait Mister Freud, la porte s’ouvre pour Smiley. Danzig part perdant dès les premières notes qu’est-ce que c’est que cette guitare simili fuzz et cette voix de ténor italien qui sentimentalise et quasi suppliante. Lui manque l’emphase volontariste des deux premiers. Lonely blue boy : Elvis a enregistré ce titre, de Ben Weisman en 1957 pour le film King Creole, le morceau n’est sorti que vingt ans après sa mort, Conway Twitty (l’est arrivé chez Sun après avoir entendu Mystery Train d’Elvis à la radio) s’était dépêché de l’offrir au public dès 1959. Conway n’y va pas de main morte, y met toute sa fougue virile et son désespoir, derrière lui les chœurs féminins en rajoutent, bleu certes mais ripolin flashy. Interprété par Elvis ce morceau porte le titre de Danny. Morceau un peu passe partout, d’ailleurs dedans vous y trouvez un peu de tout, sauf ce dont vous rêvez. Le Weisman ne s’est pas fatigué. Une guitare qui sonne comme une guimbarde et en avant la musique. Danzig y injecte ce supplément d’âme qui fait tant défaut dans la salade composée de Presley. First in line : un titre de Ben Weisman  (Presley a enregistré entre 1956 et 1971 cinquante-sept de ses chansons ) vous le trouvez sur Elvis le deuxième album du King. Débute par un miaulement à la  Blue Moon, très dépouillé, une bluette simplette, l’orchestration minimale y va mollo, l’on a peu forcé la réverbe sur la voix, ce n’est pas sonique, c’est sunique. Manque toutefois Sam Phillips à la console. L’y va tout doux le Danzig, creuse sa voix jusqu’à six pieds sous terre, ralentit le rythme et les instrus se font tout petits pour entendre le maître chanter. Pour un peu, il nous ferait tpleurer, l’on a envie de lui taper sur l’épaule et de lui dire secoue-toi mon vieux. Baby let’s play house : une des pépites du coffre au trésor de Sun (1955), une adaptation d’Arthur Gunter enregistrée en 1954, Cette version vaut le détour, l’on pourrait la qualifier de flegmatique, Gunter chante comme s’il s’en foutait de sa petite amie, c’est la guitare maigrelette qui se taille la part du lion dans ce morceau. Toute l’urgence du rock’n’roll chez Elvis, la guitare sonne comme s’il y avait le feu au bout du manche. Un chef-d’œuvre. Quelle idée mister Danzig d’introduire cette guitar fuzz qui grince comme une porte dont les gonds manquent d’huile. Quant à la voix, un calque de celle d’Elvis. Lui manque juste le génie. Love me : troisième extrait   de l’album Elvis, Weisman n’y est pour rien, il est signé de Leiber & Stoller chanté dès 1954 par Willy & Ruth. Z’y vont un peu fort, des voix qui grattent et qui criaillent quand elles montent dans les aigus, par contre côté orchestration l’on voit tout ce qui a inspiré les slows sirupeux d’Elvis, y a un solo-break de guitare de six secondes qui vaut le détour. Elvis sort sa voix de velours et c’est dans la poche, sait garder la mélodie lorsqu’il monte (pas trop) dans la tour des aigus, les chœurs rajoutent un doux nappé de chocolat au lait et un coulis de fraise particulièrement sucré. S’en tire bien le zigue Danzig, l’a introduit cette espèce de grincement d’une corde de guitare, c’était un peu le quitte ou double cet empli du sucré vocal et du salé musical. Pas mieux qu’Elvis mais différent, moins démodé. Une esthétique moderne. Pocket full of rainbows : celui-ci est bien de Weisman qui l’a composé pour le film G. I.  Blues (1960) si vous ne connaissez pas Jan & Dean  qui l’ont repris en 1966, c’est que vous n’avez pas lu dans notre livraison 550 du 14 / 04 / 2022 la chronique Du Cat Zengler sur Joel Selvin. Elvis sait faire le joli-coeur, prend sa voix mineure, c’est mignon tout plein, aussi doux qu’une peluche, minaude comme une petite fille, le gars qui compte sur sa gentillesse pour séduire. Dans le fim ça a marché. Vous recommanderais-je d’user d’une telle stratégie dans la vraie vie ? Coup brutal tapé sur la porte de la belle, le Danzig à l’air virilement décidé, cela dure une seconde, ensuite met les pantoufles à sa voix pour ne pas rayer le parquet. L’a des moments où il joue la carte grave du romantisme éculé, en fait ne sait pas trop quoi faire pour convaincre la belle. En tout cas, l’auditeur amusé ne marche pas dans la combine. Fever : un must écrit par Otis Blackwell pour Little Willie John en 56, par Peggy Lee en 58, par Presley sur Elvis is back en 1960 lors de son retour de l’armée. Otis Blackwell écrivit Great Balls of fire pour Jerry Lou, mais aussi All shook up et Return to the Sender pour le King. Un sax qui a dû inspirer la panthère rose, l’a une belle voix Little Willie John, je ne connaissais pas cette version, je le regrette, du coup la version de Peggy Lee nous semble imprimée sur papier glacée, une séductrice frigide mais quelle grâce, quelle classe. Presley vous prend le monstre avec délicatesse, minimum orchestral, pratiquement seuls le claquement-castagnette et la corde de contrebasse qui vibre et quelques percus qui se baladent par-ci par-là, tout dans la magie de la voix, nous trace l’épure du morceau, vous pouvez trouver mieux, mais pas aussi bien. Passe le feeling au blanc, ne crépite pas, étincelle. Un son plus moelleux, la voix devant, lorsqu’e Danzig prononce ‘’fever le mercure monte dans le thermomètre, c’est la seule incartade qu’il se permette, la basse toute seule trois secondes et le vocal très légèrement enroué. Tire son épingle du jeu, mais qui n’y parviendrait pas avec une si belle ritournelle.

     

    When it rains it’s really pours : original de Billy ‘’the kid’’ Emerson ( Williams R. Emerson) en 1954  ( Sun 214 B ) Elvis l’enregistre en 1957 le morceau sortira en 1965 sur l’album Elvis for everyone. La chanson est aussi présente sue l’enregistrement de Million Dollar Quartet. Avec le Kid une belle intro mode gospel, grosse voix, saxophone mégaphone, vocal dents dehors, à-coups théatraux, piano martelé sans pitié, un solo-sax touché-coulé, une tuerie. La version d’Elvis n’est pas mauvaise, mais elle n'arrive pas aux genoux d’Emerson, elle tente de faire bien, mais l’orchestration est décidemment trop quelconquement sixties pour pouvoir rivaliser. Il semble que Danzig soit remonté à la source pose son organe vocal sur la table à la vue de tous, quel dommage qu’il adopte très vite la chicaïance d’Elvis, doit se rendre compte qu’il est dans l’erreur, donne la sensation d’écourter au plus vite. Always in my mind : l’on change d’époque, original de Brenda Lee de 1972, toujours aux aguets, Elvis la reprend la même année. Mireille Mathieu dix ans après. Oui je sais ça fait mal.  N’est plus la gamine-tornade qui balayait les meubles par la fenêtre, l’est devenue une grande dame responsable, vous sortez votre mouchoir pour que tout le monde vous entende pleurer, ce n’est plus une chanson, un mélodrame comme l’on n’en fait plus, versez toute vos larmes de crocodile sur le plancher que l’inondation vous emporte. L’Elvis de Las Vegas ne pouvait manquer une telle dégoulinade, c’est beau, c’est fort, c’est tout ce que vous voulez, vous ne pourrez toutefois vous empêcher de vous précipiter aux genoux de Brenda, Elvis surjoue, quant à Brenda elle mérite l’apostrophe que Napoléon lança au pape, comediante , tragediante ! Elvis n’était pas du genre à admettre sa défaite, sait employer les grands moyens l’en existe une version en public avec orchestre philharmonique, elle vaut le détour, mais je brandis le nom de Brenda plus haut. Le cœur sur la main et le cul sur la commode, Danzig nous refait le coup du rital pleurnicheur, les chœurs et les grandes claques de l’orchestre n’y font rien l’aura la médaille de bronze mais n’est pas digne de monter sur le podium à côté des deux autres. Ne nous convainc pas, ne nous émeut pas. Loving arms : enregistrée en duo en 1973 par Kris Kristoferson et Rita Coolidge. Pas de lézard, ils sont mari et femme ! Elvis la casera sur l’album Good times 1974. S’y mettent à deux, un Kris doucereux et une Rita toute émotionnée, le problème c’est que sur le refrain la voix un peu fade de Kris l’emporte. Faudrait trouver une version avec Rita toute seule, le Kris n’est guère convaincant. Ah ! l’Elvis quel séducteur, l’est tout seul mais l’on y croit, si j’étais une fille j’aurais envie de le consoler. Comme je suis un boy je ne m’attarde pas, suis pas une midinette moi, mais un rocker. Danzig fait mieux qu’Elvis, l’a choppé l’esprit du maître mais il y croit davantage, faut bien que de temps en temps l’élève dépasse le maître sinon ce serait à désespérer de la marche de l’Humanité vers le progrès. Like a baby : retour aux valeurs sûres, deuxième extrait de Elvis is back. Le morceau est de   Jesse Stone, l’auteur de Shake rattle and roll. On respire ! L’Elvis du début quel géant, le nerf de bœuf de sa voix cravache bien fort, au niveau des paroles c’est aussi sirupeux que les dégoulinades précédentes, mais là il vous niaque la poulette jusqu’à l’os. Quant retentit sur la fin cet étrange saxophone à coulisse z’avez envie qu’il vous ait laissé une cuisse. S’améliore sur la fin le Danzig, l’a réintégré le curieux saxophone à coulisse, un peu en sourdine mais ça lui permet de donner de la voix comme un grand méchant loup qui s’apprête à dévorer tout un troupeau d’agnelles innocentes comme l’enfant qui vient de naître. Girl of my best friend : encore un extrait d’Elvis is back (1960) l’original de Charlie Blackwell est paru en1957. Le Charlie n’a pas l’air d’avoir des remords pour braver les interdits, vous lance la canzionette avec tant d’allant et de vigueur que vous ne donnez pas cher de ce sentiment de l’amitié tant vanté par Cicéron. Turpitude morale partagée par Elvis, certes l’a un plus beau timbre que Charlie, mais sa version est trop calquée sur l’original pour remporter la palme de l’originalité. Toujours cette guitare qui tire-bouchonne le fuzz, enfin en voici un qui semble relever les deux premiers. Danzig donne presque l’impression qu’il souffre (pas trop, un peu, pas du tout) de la situation. Nous le classons en numéro 1. Young and beautiful : y a des trucs beaucoup plus difficile à piger que la théorie quantique, là un demi-siècle après j’ai encore besoin que quelqu’un se dévoue pour m’expliquer, comment sur le même EP cinq titres l’on pouvait trouver en face A : Jailhouse rock et en face B : ( trois morceaux ) un masrhmallow sans gluten, ni sucre, ni piment de cayenne ajoutés, aussi insipide. Doit y avoir une raison, cependant je remarque que les reprises de cette bluette sont assez rares. Longtemps que je ne l’avais pas écouté, quelle horreur, quelle affrosité comme qui dirait l’autre. Quand il est monté au paradis Elvis, je suis sûr que Dieu lui a reproché cette mauvaise action. J’ai poussé le vice jusqu’à regarder la version du film avec les images c’est encore plus kitch. Un piano davantage dramatique, c’est meilleur que la version d’Elvis, mais qui pourrait l’écouter deux fois de suite sans éclater de rire.

     

    Dans notre 339ième livraison  du 14 / 09 / 2017 nous chroniquions un disque semblable mais totalement différent, le 100 miles de Jake Calypso, uniquement des morceaux lents du King. Rien de similaire dans le projet. Pour Danzig il coule de source, recherche de l’identique, calque Presley à la virgule près, seule différence une guitare qui fuze, pas trop fort, dans les limites de l’acceptable. Question vocal, copie à l’intonation près, n’a pas le même timbre qu’Elvis, mais leurs voix sont assez proches.

    Pour Jake Calypso l’approche est autre, personnelle. Une espèce de pèlerinage dans les endroits d’Elvis. Un truc intime, l’a enregistré les morceaux plus à moins en catimini et à voix basse dans des lieux dans lesquels Elvis est passé. C’est de retour en France qu’avec quelques complices, les morceaux ont été enrobés de ciselures sonores. Calypso ne cherche pas à faire mieux qu’Elvis, offre sa propre interprétation, sa vision à lui d’Elvis, aussi fragile qu’un rêve d’enfant.

    Entre les deux disques celui de Calypso me touche plus. J’en étais à me demander ce qui avait pu motiver ce Danzig à se lancer dans cette espèce de copier-coller sonore, la curiosité me taraudait la réponse tardait. Peut-être la trouverais-je dans le passé musical de ce type que je ne connaissais pas. En quelques clics j’ai tout compris. Non pas ça me suis-je dit, ça ne cadre pas avec le personnage car ce Danzig je le connais depuis longtemps, l’est sûr que l’on ne s’y attend pas, même mon cerveau, pourtant doté d’une vaste intelligence, n’avait pas fait le rapprochement, mais oui Danzig c’est Danzig ! Glenn Danzig qui était dans les Misfits – beau nom emprunté à cette espèce de western moderne et désespéré de John Huston avec Marylin Monroe et Clark Gable – Glenn Danzig qui plus tard a fondé le groupe Danzig ! Fallait le dire (j’aurais pu lire les notes au lieu de foncer sur le chiffon rouge du nom d’Elvis), moi qui me croyais dans la sphère rockabilly j’étais dans un groupe de metal ! Ce qui explique cette guitare qui de temps en temps prenait des poses orthodoxalement parlant peu rokabiliennes… J’en profite pour refiler les noms des musicos : Glenn Danzig : vocals, guitar / Tommy Victor : guitar / Joey Castillo : drums.  

    Du coup, je chronique le premier disque de Danzig. Mais avant pour prendre la mesure du personnage j’invite le lecteur à regarder sur YT la vidéo Mother par Danzig pour réaliser le hiatus entre l’individue qui chante ci-dessous et celui qui plays Elvis Presley.

     

    MOTHER 93 LIVE

    DANZIG

    ( YT )

    Pas précisément un document rare, plus de quatorze millions de vues en cinq ans. Un montage d’images live, techniquement c’est très bien fait, cela donne une juste idée de l’ambiance qui règne dans un concert metal. Si vous n’aimez pas, vous serez renforcé dans votre idée, rien dans la subtilité, tout dans la brutalité, toutefois si vous pensez que la vie n’est pas obligatoirement un long fleuve tranquille et qu’il existe une certaine beauté dans l’entrechoquement de deux icebergs vous êtes sur le chemin de la compréhension de ce que ces moments dégagent de d’exaltation et d’exultation, ne vous privez pas… Pour les amateurs de haute littérature, il existe la même vidéo avec les paroles en surimpression, elles crachent dur, toute la violence nytroglycérique de la révolte adolescente, très intéressant de faire la comparaison avec The End des Doors aux lyrics vécus et assumés de l’intérieur alors que dans Danzig la donne est totalement bouleversée et se veut une provocation venue de l’extérieur des plus agressives, une véritable déclaration de guerre sans équivoque contre le monde des adultes rejetés sans ménagement dans leur veulerie… Pour ceux qui auraient du mal à être convaincus de la comparaison précédente, le clip Mother 720p HD est à regarder, beaucoup plus ambigu, explore l’autre côté de The End, pas le désir du garçon, celui de la mère, une manière de liquider le complexe d’Œdipe auquel papa Freud n’avait pas songé, n’en dirai pas autant de Jüng. Mais ceci est une autre histoire qui nous entraînerait trop loin.

    Avant de visionner la vidéo, je vous conseille de mémoriser le mièvre et gentillet jeu d’acteur d’Elvis Presley interprétant ses bluettes dans G. I. Blues par exemple. Après cela régalez-vous des images de Danzig, le public d’headbangers en délire certes, les   matamores gesticulations des guitaristes, mais surtout les poses charismatiques de gladiateurs qu’aborde Glenn Danzig, parsemées de clin d’œil christiques, belluaires et porchers dirait Léon Bloy, virilisme outrancier, muscles bodybuildés de quoi alimenter les phantasmes des ligues féministes d’aujourd’hui, une débauche d’infatuation héroïque, genre punching bull qui se joue du monde comme d’un punching ball…

    DANZIG / DANZIG

    ( Def American Recordings / 1988 )

    Eerie Von : bass / Chuck Biscuits : drums / John Christ : lead guitar / Glenn Danzig : vocals  / Ric Rubin : producteur / Non crédité : James Hetfield de Metallica dans les chœurs.

    goldie ( = genya ravan ),sadies,valerie june,brenda holloway,danzig,hurakan

    Ce premier disque de Danzig souffrit à sa sortie de ventes modestes. La pochette partisane d’un minimalisme expressif n’est point des plus attirantes. L’œil se questionne mais ne se rassasie pas. Il fut redécouvert six ans plus tard lors de la sortie en 1993 de l’EP Thrall – Demonsweatlive qui offrait une version live de Mother issu de ce first album.

    Twist of Cain : dès le premier morceau Danzig se revendique comme Charles Baudelaire et Leconte de Lisle de Caïn. Le fratricide, celui qui introduisit la discorde parmi les hommes, à croire que nous ne sommes pas tous frères. Heavy bluezy metal sur l’intro, rien de bien novateur, mais bien foutu, ponctué de refrains qui n’apportent pas grand-chose, tout repose sur la voix claire et puissante de Glenn Danzig, donne autant l’impression de s’adresser à lui-même qu’à vous personnellement, un poil un peu trop entertainment peut-être ce qui ne l’empêche pas de vous surprendre car aujourd’hui de telles paroles seraient growlées à mort, et puis il faut l’avouer ces incitations à la conduites de la main gauches sont très tentantes… Chuck vous beurre les biscuits d’une façon un peu trop insistante lorsqu’il les retourne d’une sèche claque dans le four brûlant, cloches à la Black Sabbath un peu trop superfétatoires à la fin. Not of this world : beau travail de basse underground, toute l’architecture du morceau repose sur elle, comme ces pilotis qui tiennent droit les grands bâtiments édifiés sur des marécages. Idem pour le vocal, qui joue sur le registre de l’altération dramatique et des grands soleils époumonnés. Une batterie tournante qui accélère et une guitare qui module les emballements. Qui parle là, a-t-on envie de questionner, de qui Glenn est-il le porte-voix, qui claironne si fort dans ses cris d’encouragements. Parfois au plein soleil, vous sentez poindre une inquiétude… She rides : plus lourd, moins pressé, effulgences de la lead, une voix un peu à la Morrison, faut au moins cela, c’est la mort qui arrive, elle chevauche vers vous, elle chevauche en vous, elle vous emmènera, étonnant ce Glenn Danzig dont les intonations peuvent aussi bien imiter Elvis que Morrison. N’enfonce pas que des portes ouvertes. Soul on fire : (deux mots diantrement morrissoniens ), tout doux a capella, les anges qui tombent sur la terre se posent-ils dans vos âmes, une manière mythique de présenter les choses, les instruments se collent à la voix du leader, la soutiennent, la renforcent, la commentent, quand il se tait ils allument l’incendie qui ne veut pas prendre dans les landes froides et stériles de son esprit, reviennent à la charge sur le final, la situation est sans doute plus désespérée qu’il n’y paraîtrait. Am I demon : ramdam habituel d’heavy metal, cristallisation mélodramatique, c’est le moment des grandes interrogations, qui suis-je si je n’ai besoin que de moi, belle partie vocale sur shuffle précipité d’enfer, accélérations de basses, crises de lead perçant la chrysalide des aigus, le bouillonnement d’énergie que je ressens provient-il de l’intérieur de moi ou de l’extérieur du monde, solo chriséléphantinesques, tambourinade finale. Drôle de manière de poser les questions essentielles. Mother : un riff mortel, un peu à la Deep Purple, et des éclats de voix à vous transformer les tympans en éclisses de cendres – ce sont eux qui d’après moi ont empêché les fans de se focaliser sur la guitare de Jon Christ, c’est son morceau de bravoure, et pourtant il ne s’économise pas sur le reste du disque.

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    Possession : l’intersubjectivité des consciences d’Husserl revisitée in rock. Musique rampante qui s’introduit en vous, les sirènes d’alerte de votre cerveau se mettre à fonctionner, il est trop tard l’ennemi s’infiltre dans vos neurones et piétine vos rêves, une espèce d’incantation forcenée, une sarabande pandémonique, le morceau n’est pas sans m’évoquer par sa force The Wasp ( Texas Radio and the Big Beat ) sur L. A. Woman des Doors. Un sacré-remue-ménage, un pousse remue-méninges surtout. End of time : encore deux mots empruntés à Big Jim, le morceau débute en acoustique avec la voix murmurante de Glenn, l’explosion ne nous fait pas languir, ne s’arrêtera pas malgré des passages de démarches lourdes, une nouvelle mort apparaît, elle ne se presse pas et ne se fait pas attendre non plus, Chris se sent obligé d’un solo voilé de noir, quelle âme Glenn a-t-il perdu, la sienne ou la tienne, les deux mon capitaine. The hunter : une reprise d’Albert King. Vous la dynamitent un peu, John Christ a remplacé la subtilité par la rapidité, personne ne signera une pétition contre, surtout que Chuck vous abat des piles de boîtes de biscuits au bulldozer, Glenn ne gâche pas son plaisir son plaisir non plus, fonce dans le mou du morceau comme si on l’avait privé de sexe pendant deux ans, c’est que le vieux blues c’est séminal. Evil thing : entrée grandiloquente, il parle, il hurle, il essaie de mettre les choses au clair sur un groove bousculé, ce qui est mauvais peut être bon, le titre du morceau indique cependant un penchant assumé d’un certain côté, est-ce pour cela que les musicos intensifient et que Glenn crie plus fort. Le morceau dépasse les trois minutes, lui en aurait fallu deux de rabe pour en exploiter toutes les virtualités.

    Au final un bel album, plus profond que sa facture initialement heavy ne le laissait supposer. Glenn Danzig et le groupe ont déjà un passé, Misfits, Samhain, il est appelé à évoluer, nous y reviendrons.

    Damie Chad.

     

     

    VIA AETERNA

    HURAKAN

    ( Lacerated Enemy Records / 15 – 04 - 2022 )

    ( YT / Bandcamp )

    C’est leur troisième album, Maxime Marechal est sur les trois, mais ce troisième opus nous intéresse par la présence de Danny Louzon, nous avons beaucoup aimé Nakht dont Danny Louzon était le vocaliste. Une voix – le mot paraît démodé, du moins peu approprié à sa manière d’en user - que l’on n’oublie pas.

    Maxime Marechal : guitars / Raphael Darras : bass / Thomas Crémier : drums / Danny Louzon : vocals.

     

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    Imperium : ( feat Kyle Anderson from : Brand of sacrifice ) : une musique qui vient de loin, d’un autre royaume, de l’empire des confins, qui s’approche et cette espèce de grognement qui diffuse un message incompréhensible, il est sûr que la chose fonce à une vitesse terrifiante, avalanches battériales, chœurs d’ombres inhumaines, le tout porté par une orchestration lyrique impitoyable et en même temps mélodique, des ruptures, des reprises, des tunnels vocaux, cela déboule et vous paralyse, terriblement séducteur, à tel point que vos facultés d’observation sont phagocytées par cet étrange objet musical dont les angles fuyants empêchent l’analyse de toute pensée. Void : traversée du vide, entrée majestueuse dans les turbulences du néant qui s’agrippe à la machine et l’enserre dans les mâchoires d’orichalque de l’anéantissement, une lutte épique s’engage, au loin au fin-fond, une sirène intergalactique retentit sans trêve, tout se joue dans la voix de Danny Louzon, elle est le lieu du combat, de l’éructation, en elle s’affrontent les reptiles hideux de l’angoisse, du refus, et de la mort qui se bat pour ne pas mourir, un vortex métaphysique de monstres s’entretuant, des sangsues géantes se collent au larynx et s’agrippent aux remugles de la voix pour la faire taire à jamais, mais elle se débat et des giclées sonores de sang éclaboussent vos oreilles. 

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    Abyssal :  (feat Philip Danielsson from : Humanity’s / Last Breath / In Reverence ) : flottements des réacteurs qui s’essoufflent, c’est la grande plongée, une pieuvre géante ventouse le vaisseau et l’entraîne au plus profond des abysses, la voix se creuse minée par d’inquiétantes faiblesses, elle se rétablit pourtant puisant sa force dans les tentacules mêmes de la néantification, osmose complète entre  le vide et le plein, entre l’altérité et l’unicité, monstres vénérables qui grouillent au-dedans de nous et qui parfois dans la tourmente sensorielle parlent tout bas chacun à leur tour et puis ensemble, puisque l’un est ce que n’est pas l’autre, à notre oreille, mais de l’autre côté du tympan en d’horribles inflexions louzoniennes. Charon : au fond du fond, le nocher funèbre hurle sa hargne et sa haine de tout ce qui est vivant, bruissements de cymbales, grognements louzoniens d’une gorge asphyxiée, en apnée, descente, enfermement, recouvrance dans une vase ignoble, seul le bruit de l’univers surnage sous formes de sirènes assourdies à la surface des eaux, dessous serait-ce extinction rébellion.

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    Asmodeus : au fond du rien subsiste le contre-empire des démons, ses paroles ne sont que déglutitions et vomissements incessants, de la bouche sombre déboulent des étrons soniques qui se pressent sur votre raison comme les icebergs sur le Titanic, c’est ainsi qu’il se glorifie d’être le grand exterminateur, le serpent fallacieux et répugnant qui séduisit l’espèce humaine et la rendit esclave d’elle-même, il est l’insulte vivante adressée à l’idée du vivant. La batterie comme déréglée entre en éruption pré-cataleptique cauchemardesque. La voix de Louzon se transforme en murène géante des profondeurs inatteignables. Vagrant :  le monde n’est plus, nous entrons dans la virtualité des possibles, le tout se démultiplie, la musique devient flottements spasmodiques éreintants, l’instabilité du surpassement règne, grands accords pompeux, quelque chose est mort, rien ne ressemble plus aux râles de l’agonie que l’extase du désir surmultipliée, Louzon arrive à exprimer tout ce dont la langue ne possède pas de mots pour le dénombrer, des arabesques sonores se déploient en longs étendards, fétides têtards spermatozoïdaux informes sans but.

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    Resurgence : une autre vie est-elle possible après la mort, le vocal de Louzon devient charognard, un autre lui répond comme surgi de la tête d’un enfant idiot, grand maëlstrom musical, qui touille la marmite élémentale, ce qui n’était que débris exsangues s’agrège, pour fêter ce prodige, la tourmente instrumentale s’apaise, devient presque douce et frémissante de joie. Umbra : reste à traverser l’ombre de lumière noire que l’on est devenu, compression d’atomes inexistants, une énergie folle dégouline de la bouche d’ombre louzonienne, retentissent des trompettes dont les pavillons laissent échapper des flots diluviens d’accomplissements, règne un vent de folie et de surpuissance, transmutation naturelle opérée, le son ralentit l’on s’éloigne de ce que l’on a été, de ce que l’on n’est plus.

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    Via Aeterna : ( feat Raphael Verguin from : Psygnosis / Spectrale / Ricinn ) : nous entrons dans un monde de douceur, mais aussi plus grave, auréolés d’une étrange lumières nous empruntons la chaussée des géants, à chaque pas nous devenons plus grands, notre stature s’exhausse vers le ciel, à moins que ce soit lui qui se rapetisse, que nous atteignons ce point focal où tout s’équivaut, le minuscule devient grandiose, l’océan goutte d’eau, où il n’existe plus de séparation entre les choses, une mélodie s’élève et s’incorpore à ce que nous sommes et ne sommes plus, final grandiose, la partition de l’être et de l’idée de l’être s’achève, aeternalisation éternelle.

             Pour ceux qui veulent une autre approche il existe aussi sur YT trois clips qui permettent de mieux entrer dans cette œuvre dense et compacte. A la première écoute il m’avait semblé que tous les morceaux s’enchaînaient d’un seul tenant, vous ne serez pas étonnés d’y trouver le logo d’Anubis Production.

    Umbra : postée le 03 / 06 / 2021 : il est bon de commencer par celle-ci pour une raison toute simple, on y entrevoit assez bien les membres du groupe.  Attention elle est scénarisée, Danny Louzon tiraillé des deux côtés par d’épais cordages, entre le bien et le mal ou plutôt entre la vie et la mort. Belle mise en scène, esthétique et violente.

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    Asmadeus : postée le 26 / 07 / 2021 : se particularise par l’adjonction des lyrics – ma chronique n’en tient pas compte – des trois c’est celle que je préfère, avec ces changements graphiques qui ne remettent jamais en cause l’unité du clip en son entier. Un travail d’orfèvre.

    Void : postée le 14 / 01 / 2022 : la plus léchée, tient de la première, le groupe joue, l’on y voit surtout le travail de Danny Louzon, les images virevoltent selon un super montage, vous surprennent à tout instant, par contre le scénario qui porte la vidéo, possède un gros défaut, à la première et fugace image du héros, l’on devine la fin de l’histoire. N’empêchent que toutes les trois valent le détour.

             Ii est temps de regarder la pochette, provient de l’œuvre de Nightjar Art qui signe aussi Adam Burcke. Extraite de Fit for an Autopsy / To the Grave. Un squelette vivant dans un tsunami de flammes, entre Terminator aux Enfers et le feu originel et élémentaire d’Héraclite.

    Une œuvre d’une puissance inimaginable. Qui sort de l’ordinaire. Qui tient du prodige.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 551 : KR'TNT 551 : LEON RUSSELL / THE SAINTS / CEDRIC BURNSIDE / LEWIS TAYLOR /JALLIES / HELéH / GUIGNOL'S ROCK / PATRICK GEFFROY YORFFEG

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 551

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 04 / 2022

     

    LEON RUSSELL / THE SAINTS

    CEDRIC BURNSIDE / LEWIS TAYLOR

    JALLIES / HeléH / GUIGNOL’S ROCK

    PATRICK GEFFROY YORFFEG 

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 551

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Russell & poivre - Part Three

     

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                Tonton Leon a disparu depuis un bon moment, mais il continue de faire l’actu et c’est une bonne chose. Dans sa prestigieuse collection ‘Songwriter Series’, Ace lui consacre un volume sobrement intitulé The Songs Of Leon Russell. Ace qui fait toujours bien les choses a en plus demandé à Kris Needs de tartiner les 20 pages d’un booklet qui du coup prend l’apparence d’un mini-book. Certains objecteront qu’on est loin des 40 pages du booklet de Mick Patrick consacré à Shadow Morton, mais comme le savent ses admirateurs, Kris Needs fait toujours du double concentré de tomates et donc ses 20 pages en valent 40, c’est automatique. 

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             Pour planter son décor, Needs nous ramène au temps de Mad Dogs & Englishmen, lorsque coiffé de son haut de forme et déjà grisonnant, Tonton Leon jouait le maître de cérémonie - ringmaster and musical director - pour le compte de Joe Cocker, lui volant (un peu) le show au passage. C’est Joe qui le dit, pas nous. Joe en conçut même une belle amertume. Après la folie du Mad Dogs & Englismen tour, Tonton Leon va exploser nous dit Needs au sommet du Shelter empire, c’est-à-dire le label qu’il a monté à Los Angeles avec Denny Cordell et sur lequel on va retrouver des géants comme Dwight Twilley et Freddie King. Needs analyse bien les contradictions du personnage : «Même si Russell incarnait les excès de son époque, splendour and panoramic ambition, il avait largement de quoi les assumer, notamment avec son talent d’auteur-compositeur et les classiques qu’il confiait à d’autres interprètes.» Tonton Leon peut monter sur scène avec Dylan et jouer avec les Beatles, pas de problème, nous dit Needs. Il jouait déjà au Gold Star sous la direction de Totor. Et puis vient le calme après la tempête : dans les années 80, Tonton Leon disparaît des écrans. Il continue d’enregistrer des albums, mais dans la plus parfaite discrétion. Il fallait même se lever de bonne heure pour trouver ces mystérieux albums.

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             Needs attribue à Elton John le mérite d’avoir ressuscité la carrière de Tonton Leon, avec un album intitulé The Union. On les voit tous les deux sur la pochette, pareils à deux croque-mitaines. On a snobbé cet album à l’époque à cause d’Elton John qui n’est pas vraiment en odeur de sainteté par ici. Mais comme Needs parle d’une spectacular collaboration, alors on écoute attentivement l’«If It Wasn’t For Bad» qui ouvre le bal de cette compile : si on ne supporte ni la voix ni la personne d’Elton John, c’est vite plié. Suivant !

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             Lorsqu’il replonge dans les éléments biographiques, Needs en tire comme il le fait habituellement la meilleure pulpe. Needs, c’est Tintin reporter, le roi de l’investigation. Tonton Leon est encore ado nous dit Tintin Needs lorsqu’il joue dans les Starlighters à Tulsa, Oklahoma. Voilà que Jerry Lee débarque dans le coin. Il est en tournée, il repère les Starlighters et les engage comme backing band pour repartir à la conquête du pays, car il doit tout reprendre à zéro après la catastrophe d’Heathrow, souviens-toi, lorsque les fouille-merde de la presse anglaise ont découvert que Jerr avait épousé sa cousine de 13 ans. Tonton Leon n’est pas beaucoup plus âgé lorsqu’il débarque à Los Angeles pour y tenter une carrière de pianiste de bar, et pouf, à 17 ans, il enquille sa première session d’enregistrement chez Liberty : il accompagne Johnny Burnette qui tente lui aussi de relancer sa carrière à Los Angeles. Tonton Leon est lancé. On le réclame dans les studios. Il accompagne Jackie DeShannon, Pat Boone, Bobby Blue Bland, Jan & Dean, Bobby Darin, Aretha, les Everly Brothers, puis c’est l’apothéose avec les fausses Crystals, c’est-à-dire Darlene Wright & les Blossoms, au Gold Star, avec Totor et le Wrecking Crew. Attends, c’est pas fini ! En 1964 nous dit Tintin Needs, Tonton Leon se retrouve en studio avec les Beach Boys, Sammy Davis Jr, Dick Dale et Gary Lewis & the Playboys. Justement, la compile propose un cut plus tardif de Gary Lewis & The Playboys, «The Loser (With A Broken Heart)», assez énervé, «Monkees recalling baroque-country pop», monté sur un petit beat de petits mecs, mais il faut se souvenir que Kim Fowley vénérait Gary Lewis & The Playboys. Tintin Needs précise que le Gary en question est le fils de l’acteur soi-disant comique Jerry Lewis. Autre précision de taille : Tonton Leon co-signe ce cut avec Don Nix, et Snuff Garrett, producteur maison de Liberty, supervise l’opération.

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             Tonton Leon est aussi en studio avec les Byrds pour le fameux enregistrement de «Mr Tambourine Man», mais on se souvient que Terry Melcher a viré sa piste de piano pour pousser le bouchon de l’esthétique jingle-jangle. Il n’empêche qu’en 1965, Tonton Leon monte encore sur tous les coups, notamment «the session musician’s dream of playing Frank Sinatra sessions». Puis il accompagne les Beach Boys sur «Help Me Rhonda», Herb Alpert, les Monkees, Bob Lind et Bobby Vee. Oh, Tintin Needs en cite d’autres beaucoup plus obscurs, mais ça, c’est son truc, sa vieille manie d’explorateur de l’underground. Plus c’est obscur et plus ça le fait bicher. Sur la compile, on trouve une cover de «Before You Go» par Bobby Vee. Que faut-il penser ? On ne sait pas.

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             Comme le biz tourne à plein régime, Tonton Leon s’en fout plein les poches et il se paye une belle bicoque sur Skyhill Drive nous dit Tintin Needs. C’est là qu’il héberge ses copains de Tulsa, qu’il ouvre une ère de débauche en mode 24 hour partying et qu’il démarre un projet collaboratif avec Marc Benno, The Asylum Choir, dont on a dit le plus grand bien dans un Part One. C’est à l’organiste Bobby Whitlock que revient l’honneur d’interpréter «Raspberry Rug». Tintin Needs nous rappelle que Whitlock vient de Memphis et qu’il fit ses armes chez Stax sous le mentorat de Steve Cropper, avant de se retrouver keyboardist dans le groupe de Delaney & Bonnie. Il sera d’ailleurs le seul membre resté fidèle à Delaney & Bonnie après que Tonton Leon leur ait barboté leur groupe pour monter la tournée évoquée plus haut de Mad Dogs & Englishmen. Alors bravo Whitlock. La loyauté ne court pas les rues, comme chacun sait. Quant à sa version de «Raspberry Rug», disons qu’elle est assez pop. On croirait entendre les Beatles avec des coups de trombone. Beaucoup plus intéressant, voici la cover de «Groupie (Superstar)». Par Delaney & Bonnie, justement, et la fantastique attaque de Bonnie la géante. N’oublions pas que Bonnie fut une Ikette pour quelques shows, à la demande d’Ike. «Groupie (Superstar)» est aussi l’une des plus belles compos de Tonton Leon. Puisqu’on parle de Stax, il est bon de rappeler que Delaney & Bonnie ont eux aussi commencé sur Stax en 1969, avec l’excellent album Home qui fut nous dit Tintin Needs burried, c’est-à-dire enterré dans la vague du «27-album comeback blitz» imaginée par Al Bell pour relancer le label qui se trouvait alors en difficulté. Pour Tonton Leon, c’est l’album suivant, Accept No Substitute, paru sur Elektra, qui cristallise ses aspirations «in vibrant blue-eyed soul gospel and country». «Groupie (Superstar)» fut enregistré lors d’une session pour Clapton, mais il est beaucoup plus intéressant de savoir que le cut sera repris par les Carpenters. Tintin Needs profite de l’épisode pour se rire des frasques de Delaney Bramlett qui, toujours sous contrat avec Jac Holzman chez Elektra, tenta de signer un contrat avec George Harrison chez Apple, ce qui lui valut d’être viré d’Elektra. Il signa ensuite chez Atlantic mais il fut de nouveau viré après un album.

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             Tintin Needs nous rappelle aussi que Tonton Leon a produit le deuxième album de Joe Cocker, qui fut découvert comme chacun sait par Denny Cordell. Pour illustrer ce passage, la compile propose le «Delta Lady» de Joe Cocker qui d’ailleurs figure sur ce deuxième album sans titre, l’excellent Joe Cocker. Tintin Needs cite une interview de Joe Cocker dans ZigZag, où l’intéressé raconte qu’en entendant Tonton Leon jouer «Delta Lady» au piano, il fut tellement subjugué qu’il tomba de sa chaise. Autre info de taille : Joe Cocker fut enregistré à Hollywood en 1969, lors d’un break aménagé entre deux dates de la première tournée américaine du vieux Joe qu’accompagnait alors le Grease Band. Eh oui, 1969, l’année de Woodstock, où Joe fit des étincelles sur scène avec sa fantastique cover de «With A Little Help From My Friends». Il ne faut pas perdre de vue ce génie que fut le vieux Joe, fils d’un mineur de Sheffield. Tintin Needs est bien d’accord là-dessus puisqu’il parle d’une «life-changing tour-de-force appearance at Woodstock» et d’une «seismic reinterpretation of the Beatles’ With A Little Help From My Friends». Dans son élan, il nous rappelle que Merry Clayton, Bonnie Bramlett, Patrice Holloway, Sherlie Matthews et Rita Coolidge font les chœurs derrière Joe sur «Delta Lady». Il faut d’ailleurs voir le film consacré à la tournée de Mad Dogs & Englismen en 1970, car on les voit sur scène, toutes ces choristes fabuleuses, Rita Coolidge et Claudia Lennear, plus Chris Stainton, Jim Price et Bobby Keys, Don Preston et trois batteurs, Jim Gordon, Jim Keltner et Chuck Blackwell. Et Tonton Leon qui tortille du cul au milieu de cet extravagant manège. C’est là qu’il devient une star in his own right.

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             Tintin Needs nous dit qu’il existe 200 versions d’«A Song For You». Il ne cite pas tous les interprètes, heureusement. Ace choisit la version du «doomed Soul genius» Donny Hathaway, possibly the best of all, surenchérit Tintin Needs qui ne mégote pas sur les surenchères. Il en profite aussi pour retracer le parcours d’Hathaway, découvert par Curtis Mayfield, et ami de Roberta Flack et de Leroy Hutson. Donny chauffe la Song de Tonton Leon à l’haleine chaude, aw comme il l’épouse, comme il la promène, comme il la caresse, comme il la conforme. Tintin Needs profite de l’épisode pour dresser un bel éloge du pauvre Donny qui finira par se jeter de la fenêtre d’un Central Park hotel room en 1979. L’autre grand hit de Tonton Leon, c’est bien sûr «The Masquerade» repris par tout le monde et surtout par George Benson. C’est la version qu’a choisi Ace et qui referme la marche de la compile. Benson y va, il est le grand groover devant l’éternel, sa mouture est absolument imparable. Là tu as l’utter happiness du Benson, les flux mélodiques s’emmêlent les crayons, c’est très spectaculaire. Tintin Needs traite Benson de sensitive genius, il n’est plus à ça près. En plus il a raison. Il a toujours raison.

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             Autre sensitive genius, voici Rumer et sa version de «My Cricket» qu’on trouve sur l’album Boys Don’t Cry. Tintin Needs se régale à rappeler que Burt a invité Rumer chez lui pour faire sa connaissance. Rumer est la reine des temps modernes et Tintin Needs lui taille un costard de reine. Elle est la dernière descendante d’une lignée de très grandes chanteuses américaines, qui va de Jackie DeShannon à Karen Carpenter en passant par Laura Nyro et Lisa Minnelli. En dehors de Tonton Leon, Rumer tape aussi dans Todd Rundgren, Hall & Oates, Terry Reid et Neil Young, excusez du peu. Oh et puis Jimmy Webb dont elle a repris l’excellent «P.F. Sloan». C’est d’ailleurs avec cette reprise qu’il faut bien qualifier de magique qu’on fit connaissance avec Rumer. Ses cinq albums s’inscrivent dans l’avenir du rock.

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             Encore un fabuleux interprète avec José Feliciano qui tape, lui, dans «Me And Baby Jane». Il faut se réjouir de l’entendre chanter, d’autant plus qu’il chante avec tout le feeling du monde. Il faut bien dire que sur cette compile, les interprètes de Tonton Leon sont triés sur le volet. En plus, c’est produit par Steve Cropper, et on retrouve Claudia Lennear dans les backing et Larry Knetchtel aux keys. Tintin Needs nous parle d’une supernaturally powerful voice qui peut transformer n’importe quel cut, tout en unleashing his dzzling virtuosity on Spanish guitar. C’est vrai que José Feliciano est un artiste hors normes qu’on aurait bien tort de prendre à la légère. Tintin Needs dit aussi que José Feliciano est le roi des covers sensitives et cite comme exemple sa cover de «Light My Fire».

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             Et puis Tonton Leon  ramasse tellement de blé qu’il achète une grosse église à Tulsa pour en faire The Church Studio. Il va y abriter Shelter et y accueillir des tas d’artistes, et pas des moindres : Willie Nelson, Dr John, J.J. Cale, Phoebe Snow, Bonnie Raitt et Freddie King. Comme chacun sait, Freddie King a sorti trois album sur Shelter. Don Nix et Tonton Leon sont des inconditionnels de Freddie King. Ils produisent ensemble l’excellent Getting Ready à Chicago. En 1972, big Freddie descend chez Ardent à Memphis pour enregistrer Texas Cannonball avec la crème de la crème : Tonton Leon, Chuck Blackwell, Don Preston, Duck Dunn, Al Jackson, Jim Gordon et Carl Raddle. C’est là que big Freddie enregistre l’«I’d Rather Go Blind» qu’on trouve sur la compile. C’est vite torché, amené au fast drive, farci de tortillettes toutes plus effarantes les unes que les autres, personne ne bat Freddie King à la course. Quatre ans plus tard, à force de tirer sur la corde des tournées, le pauvre Freddie va casser sa pipe en bois.

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             La country est selon Tintin Needs le péché mignon de Tonton Leon. C’est vrai qu’on trouve pas mal d’albums de country dans sa discographie, notamment les quatre volumes d’Hank Wilson avec lesquels nous dit Tintin Needs Tonton Leon s’est tiré une balle dans le pied. C’est-à-dire qu’il a coulé sa carrière mainstream en proposant des albums de pure country. Pour illustrer cet épisode, Ace nous propose une reprise de «Lonesome And A Long Way From Home» par Earl Scruggs & The Earl Scruggs Revue. C’est là où l’Americana se noie dans une mer de notes de banjo. Et puis Tonton Leon s’entend bien avec Willie Nelson, c’est la raison pour laquelle on le voit apparaître avec «You Look Like The Devil». Il y  va le vieux Willie - You look like the devil/ In the morning - Il ne parle pas de sa copine, mais de son batteur. C’est bien vu, mais ça reste de la rengaine country pure et dure, seulement accessible aux fans de country. Pour enfoncer le clou, Tintin Needs cite Tonton Leon qui déclare : «Willie Nelson et moi avons les mêmes racines musicales : Hank Williams, Bob Wills, country black blues.»

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             Tout le monde croit que Randy Crawford est un mec. Pas du tout, c’est une charmante petite blackette et il faut l’entendre interpréter «Time For Love» avec une fraîcheur surnaturelle. Tintin Needs parle d’une distinctive voice. Oui, c’est même une belle entourloupe juvénile, un miracle d’équilibre qui met en valeur l’excellence du groove de Tonton Leon. Randy Crawford vient de Macon en Geogie et a chanté avec George Benson et les Crusaders, donc elle n’est pas née de la dernière pluie. Encore une pure merveille avec Janis Siegel et sa version de «Back To The Islands». Une Janis de rêve, elle est à la fois dessus et dedans. Grâce à Tonton Leon, on découvre d’extraordinaires interprètes.

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             En 1976, Tonton Leon épouse Mary McCreary. Elle chantait dans Little Sister, Sly & the Family Stone’s backing singers. Il existe deux albums de duos de Tonton Leon et Mary McCreary qui sont chaudement recommandés : Wedding Album et Make Love To The Music. C’est Al Jarreau qui tape dans «Rainbow In Your Eyes», le cut d’ouverture du Wedding Album. Al groove sans avoir besoin de chanter et c’est sans doute le meilleur groove de l’univers connu des hommes, avec celui de Marvin Gaye. C’est un super-groupe nommé California qui tape «Love’s Supposed To Be That Way», encore tiré du Wedding Album. Dans California, on retrouve Bruce Johnston, Curt Boettcher et Gary Usher. Puis Maria Muldaur se tape «Make Love To The Music», le morceau titre du deuxième album de Tonton Leon & Mary McCreary. C’est une perle noire, une authentique Beautiful Song, Maria Muldaur y exprime l’explosion du bonheur, c’est dire si les compos de Tonton Leon peuvent être hors normes. Tintin Needs parle de sensual shuffle.

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             Tonton Leon produit en 1979 le seul album de Wornell Jones et ça démarre avec «Something Good Is Gonna Happen To You» qu’on retrouve bien sûr dans la compile : heavy groove, très impressionnant. Tintin Needs parle d’une effortlessly expressive voice that elevates the whole set. Dans les backing, on retrouve Mary McCreary and former Ikette and Gap Band dynamo Maxayn. Comme on le voit, Mary McCreary et Maxayn ne sont pas non plus nées de la dernière pluie.

    Signé : Cazengler, Léon recèle

    The Songs Of Leon Russell. Ace Records 2021

     

     

    Les Saints à l’air - Part One

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             Chris Bailey vient de casser sa pipe en bois. Il occupait un siège au premier rang de l’Académie des princes, à côté d’Iggy et des Stooges, de Johnny Thunders et des Dolls, de Lou Reed et du Velvet. Et puis on voit encore d’autres têtes connues, les Pretties, les Cramps, le Gun Club, Kim Fowley, Jimi Hendrix, Dylan, Syd Barrett, les Stones ou encore les Mary Chain. Les Saints ont énormément compté pour beaucoup de gens en France. Certains ont même monté des groupes pour célébrer leur culte. Les Nuts furent à l’origine un groupe de reprise des Saints. Aussi allons-nous déterrer un conte jadis imaginé en leur honneur. Ce conte constitue la première partie du modeste hommage que nous rendons ici à Chris Bailey.

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             Les brochures touristiques nous racontent que Brisbane est une charmante ville côtière de l’Est de l’Australie. Quelle blague ! Chris Bailey et ses copains s’y ennuient à crever. Rien à faire, nulle part où aller. Ils n’ont pas le sou... Ils ont grandi tant bien que mal dans cette ville qu’ils ont baptisé Security City. L’état de Queensland, dont Brisbane est la capitale, tomba voici quelques années aux mains d’ultra-conservateurs catholiques. Prônant l’ordre et la discipline, ils y instaurèrent une sorte d’apartheid. Une police musclée patrouille en ville, matraque en main. S’ils croisent un vagabond ou un type mal rasé, ils l’embarquent aussitôt en camion, direction Punishment Park. Là, un tribunal spécial accusera le suspect d’incitation à l’émeute et d’atteinte à la sûreté de l’État de Queensland. Le malheureux devra alors choisir entre deux châtiments : soit purger une peine de vingt ans au pénitencier fédéral, soit passer trois jours à Punishment Park.

             Étrangement, les condamnés choisissent tous le séjour à Punishment Park. C’est là qu’on leur donne le programme des trois jours : il s’agit de parcourir 85 km dans le désert, sans eau, pour atteindre un mât où flotte le drapeau de Queensland. On leur explique ensuite qu’ils risquent d’être pourchassés par des policiers armés chargés de les stimuler.

             Amis de longue date, Chris Bailey, Ivor Hay et Ed Kuepper se demandent bien comment ils vont pouvoir quitter cet enfer. Comme ils partagent tous les trois un goût commun pour l’anticonformisme, ils sont en danger permanent. Le soir, Chris rentre chez lui en rasant les murs. Il allume son téléviseur. La chaîne australienne diffuse des images de propagande américaine : les puissants B52 déversent des tonnes de bombes sur le Nord-Vietnam. Ce spectacle révolte Chris. C’est un peu comme si le gros cul boursouflé de l’Amérique lâchait des étrons mortels sur un petit pays du tiers-monde. Pire encore, le gouvernement australien qui est ouvertement pro-américain envoie des troupes se battre contre la menace communiste. En Australie, les réfractaires et les antimilitaristes sont envoyés directement à Punishment Park. Chris ne souhaite pas aller crapahuter dans le désert en plein cagnard et sous les balles des tueurs assermentés. Rien que d’y penser, ça lui donne la nausée. Il éteint sa télé et commence à tourner en rond dans la pièce, répétant mécaniquement I’m stranded, I’m stranded, I’m stranded. Il tourne ainsi pendant des heures, comme un condamné dans sa cellule.             

             — I’m stranded, I’m stranded !

             Bien coincé, en effet. Il connaît déjà les tenants et les aboutissants de la frustration adolescente. Il n’a plus rien à apprendre, de ce côté-là. L’ennui le guette comme un vautour. Une seule solution : quitter ce merdier de Security City. Ça tourne à l’obsession. Cette ville maudite n’a rien à offrir, hormis des usines et des flics armés jusqu’aux dents. Descendre dans la rue pour réclamer une amélioration des conditions de vie ? Il vaut mieux abandonner l’idée tout de suite.

             Pendant que Chris tourne en rond dans sa chambre en psalmodiant I’m stranded, Ed s’occupe activement. Il s’est réfugié dans la musique, afin d’échapper à ce que Dylan appelle le cauchemar psychomoteur. Il s’est auto-proclamé explorateur. D’instinct, il fouille du côté des légendes obscures. Il s’effare de la qualité de ses découvertes : il ne jure plus que par Link Wray et Bo Diddley. Et comme tout le monde, il subit un traumatisme le jour où il découvre le premier album du Velvet. Ed joue un peu de guitare, mais il prend garde à ce que ni les voisins ni les patrouilles de police ne l’entendent. Essayez de jouer «Sister Ray» en sourdine et la trouille au ventre, vous verrez, c’est pas facile. Par contre, Chris cultive des goûts plus simples. Il ne jure que par Elvis. Pour payer le loyer de sa chambre, il travaille un peu. Il vend des stylos en faisant du porte à porte, et comme ça ne marche pas très bien, il complète ses maigres revenus en allant travailler aux abattoirs. Et pour ne pas éveiller la suspicion des patrouilles de police, il porte un costume brun et une cravate. Et sa tignasse ? Il la ramasse sous un petit chapeau mou.

             Il s’arrête chez Ed. Toc-toc... toc-toc-toc. Il frappe les cinq coups convenus à la porte. C’est un code. Ed ouvre.

             — Content de te voir, Chris. Rentre vite, j’ai quelque chose à te montrer ! Ils montent au premier. Chris enlève son chapeau et sa cravate. Ed rallume son ampli, met le volume à deux et joue le riff de «Sister Ray». Emballé, Chris commence à chanter d’une voix rocailleuse :

             — Sister Ray... Sister Ray...

             — Chuuuuuuut ! Les voisins vont nous dénoncer !

             Mais Chris continue. Ed sue à grosses gouttes. Il éteint l’ampli. Trop risqué.

             — Tu veux aller faire un tour à Punishment Park, c’est ça, hein ?

             — Ed, on ne peut pas continuer comme ça ! On mène une vie de chiens galeux. On sort dans la rue la peur au ventre et on se chie dessus dès qu’on croise l’une de ces fucking patrouilles... Il faut monter un groupe, c’est le seul moyen de quitter le pays et d’échapper à tout ça !

             Ed opine du chef, tout en s’épongeant le front avec son mouchoir à carreaux.

             — Ed ! j’ai une idée ! On va appeler le groupe Kid Galahad and the Eternals !

             Ed bafouille :

             — C’est joli, Chris, mais d’une part, c’est trop compliqué, et d’autre part, ça fait trop référence à Elvis... J’aime pas trop la musique de vieux...

             Pris d’une crise de rage, Chris s’arrache une touffe de cheveux et beugle :

             — Et ton Bo Diddley, c’est pas un vieux, avec son gros scooter et ses cheveux mal gominés ? Et l’autre là, le Link Wray, le forain, le roi de l’instru ! Tu rigoles, ou quoi ?

             — Tu mélanges tout... Bo et Link ne sont pas allés tourner des films pourris à Hollywood ! Ils ont su conserver leur intégrité. Pourquoi on ne s’appellerait pas les Rumble, ou les Roadrunners... Ou si tu préfères quelque chose de plus drôle comme les Ray du cul...

             Chris hausse les épaules.

             — Occupe-toi de ton cul et de ta guitare. Je m’occupe du reste. On s’appellera les Saints, comme ça, on ne risque rien. Avec un peu de chance, le curé du coin nous prendra sous sa protection.

             Ils commencent alors à réfléchir, comme le font tous les groupes qui se jettent à l’eau. Où répéter ? Jouer quoi ? Ensuite, il faut écrire des chansons, trouver un batteur, puis trouver un endroit pour jouer sur scène. La routine habituelle. Ils décident de s’installer chez Ivor qui vit dans un quartier moins exposé. Il habite une boutique dont la vitrine donne sur une rue peu passante. Chris a déjà écrit une chanson.

             — Elle s’appelle «I’m Stranded». Ed, dépêche-toi de me mettre des accords là-dessus !

             Ed s’assoit et commence à mouliner des accords sur sa guitare. Chris jubile :

             — Wow, pas mal !

             Ivor et Chris secouent la tête en rythme. Ed est lancé. Il ne s’arrêtera que s’il rencontre un mur. Chris s’excite de plus en plus :

             — Ouais vas-y Ed, continue, quel carnage ! Yeah ! Like a snake calling on the phone/ I’ve got no time to be alone/ There is someone coming at me all the time/ Babe I think I’ll lose my mind/ Cause I’m stranded on my own... yeouuuu !

             Ed enchaîne des riffs fulgurants. Chris l’arrête et glapit :

             — Ed, pourrais-tu mettre un peu plus de son ?

             Posté derrière la vitrine, Ivor s’écrie :

             — Attendez les gars, une patrouille arrive au bout de la rue !

             Quelques minutes passent.

             — Ça y est, ils sont partis, vous pouvez y aller !

             Ed monte son ampli à fond et envoie la riffalama fracasser le ciel. Chris se jette dans la mêlée. Il chante le premier couplet d’une voix énorme et désenchantée. Sa voix rentre dans la fournaise riffique comme dans du beurre. Il chante d’une façon aussi abrasive que Van Morrison au temps des Them. Ils sont tous les trois ravis.

             — On en tient un par la barbichette !

             — Un quoi ?

             — Mais un tube, Ed ! C’est un brûlot aussi hargneux et aussi incendiaire que «Kick Out The Jams Motherfucker» !

             — D’accord, mais c’est pas la peine de tenir un brûlot hargneux par la barbichette si on n’a pas de bassiste...

             — Allons voir Kym Bradshaw.

             Affaire conclue. Kym accepte. Les Saints montent un petit répertoire truffé de classiques dévastateurs, comme par exemple cette reprise du fantastique «Wild About You» des Missing Links, ou encore l’excellent «Kissin’ Cousins» d’Elvis. Ils agrémentent le tout de quelques monstruosités rampantes du genre «Demolition Girl», «No Time» et «Nights In Venice». Ils répètent chez Ivor. Ils calfeutrent bien la pièce du bas, mais ils jouent si fort qu’on les entend à plusieurs kilomètres à la ronde. Les voisins lancent des briques dans la vitrine. Les Saints répondent avec des injures. Très vite, les hélicoptères survolent le quartier. Chris et ses amis voient les unités de la garde mobile se déployer de chaque côté de la rue.

             — Et ceux qui sont habillés en noir, c’est qui ?

             — Je crois que ce sont les gars des unités de contrôle d’émeutes urbaines. Ils tirent d’abord et parlementent après. Des tueurs...

             — Abritons-nous au fond de la boutique, les gars. J’ai un plan.

             Dehors, un officier lance les sommations :

             — Vous avez exactement cinq minutes pour sortir les bras en l’air, bande de communistes ! Deux chars sont stationnés devant la porte. Un bon conseil : n’attendez pas le dernier moment...Top chrono, c’est parti !

             — Bon, vaut mieux pas traîner dans le coin. Tant mieux, parce que maintenant, c’est quitte ou double, d’accord les copains ?

             — D’accord !

             — Dépêche-toi, Chris, il ne reste plus que quatre minutes...

             — On enregistre «I’m Stranded» ce week-end, on le presse à cinq cents exemplaires et on l’envoie à tout le monde, journaux, radios, supermarchés, partout où on pourra. D’accord ?

             — D’accord ! Les quatre mains s’empoignent, scellant l’un des plus beaux pactes de l’histoire du rock. Ils sortent de la boutique par derrière et courent jusqu’à la maison où vit Ed. Ils vont s’y cacher quelques jours. Au terme de quelques péripéties dignes des exploits des maquisards de la Résistance, le disque sort des presses. Ils récupèrent nuitamment les deux cartons de quarante-cinq tours chez l’artisan presseur. Chris, Ivor et Ed écrivent eux-mêmes les adresses sur les grosses enveloppes en papier kraft et vont poster les plis par petites quantités, histoire de ne pas éveiller les soupçons. Les jours suivants sont épouvantablement longs. Ils restent planqués dans la chambre d’Ed et se relaient à la fenêtre pour surveiller la rue. Les flics les recherchent activement. Les jours passent. Toujours aucune réponse des journalistes australiens ni des maisons de disques. Chris est à cran.

             — On devrait déjà avoir une réponse, bordel !

             — Tu rêves, mon pauvre. Les gens d’ici en sont encore à écouter «Smoke On The Water».

             Par contre, ce n’est pas du tout la même chose à Londres. EMI vient de signer les Sex Pistols. Justement, le pli des Saints atterrit sur le bureau d’un directeur artistique. Il écoute «I’m Stranded» et crie au loup.

             — Il nous faut les Saints !

             Un matin, Chris trouve la réponse d’EMI dans la boîte aux lettres. Au moment où il remonte l’escalier, une roquette pulvérise la porte d’entrée. Le souffle de l’explosion envoie Chris rouler dans les marches. Il connaît bien le riff incendiaire, aussi n’éprouve-t-il aucune panique. Deux hommes encagoulés se jettent dans l’entrée. Avant qu’ils n’aient eu le temps de se redresser, Chris leur jette à la tête le grand vase Ming qui décore le palier du premier. Les deux hommes s’écroulent, assommés net. Chris se jette dans la chambre alors qu’une seconde roquette pulvérise l’escalier. Il brandit la lettre de la victoire. Il a les cheveux brûlés et le visage tout noir.

             — On passe sur Radio One, les gars !

             Mais où sont-ils ? Chris voit leurs pieds dépasser. Ils sont cachés sous le lit.

             — Sortez de là, bande de trouillards ! Il faut filer d’ici dare-dare ! Ils envoient la troupe !

             On entend des grosses détonations dans l’escalier.

             — Vite, tirons-nous ! EMI nous attend à Londres ! Regardez, bande de veinards, j’ai la convocation !

             Chris pousse un cri de guerre à la Jerry Lee Lewis, yaouuuuuuuh ! Puis il déplace une petite commode. Dessous se trouve une trappe.

             — Vite ! Vite ! Descendez par là, je vous rejoins !

             Ed, Kym et Ivor se jettent dans l’ouverture. Chris arrache l’évier du mur de la chambre et sort sur le palier. Il tombe sur deux encagoulés occupés à recharger leurs gros fusils d’assaut. Il leur jette l’évier à la figure. Les deux hommes tombent du premier. Chris descend à son tour dans l’ouverture et court comme un dératé tout le long du passage secret. Il débouche dans une grotte où l’attendent ses trois amis. Ils sautent en croupe sur leurs kangourous attelés et filent droit sur Sydney, qui se trouve un peu plus au Sud.

    Signé : Cazengler, saint glinglin

    Chris Bailey. Disparu le 9 avril 2022.

     

     

    L’avenir du rock

     - Cedric a la trique (Part Four)

             En feuilletant son livre d’histoire, l’avenir du rock se surprend à rêver. Ah comme il devait faire bon vivre au temps de l’Empire romain ! Pas comme centurion, parce qu’il déteste les armes, ni comme tribun parce que la politique l’agace, mais comme négociant d’esclaves. Ah tous ces beaux esclaves fraîchement capturés dans les provinces de l’Empire et ramenés à Rome dans ces bonne vieilles cages montées sur des roues en bois ! Il les voit très bien, elles sont de la taille d’un wagon, tirées par des attelages de bœufs, elles avancent en grinçant le long de la voie appienne jusqu’au marché qui se trouve au cœur de Rome, au pied du forum. Il se laisser aller à imaginer le grouillement de vie, le choc des civilisations, le tintement des deniers et des sesterces, les langues exotiques, les corps nus exposés à tous les regards. Rien de vénal chez l’avenir du rock, rassurez-vous, il ne voit pas les esclaves comme des gens qu’on fait travailler à l’œil, qu’on brutalise ou qu’on sodomise, non il les voit comme des êtres extraordinaires, surtout les noirs capturés en Nubie par les marchands arabes. Ils sont tous très spectaculaires et conservent leur dignité. Si l’avenir du rock se voit négociant, c’est principalement pour se réserver les esclaves noirs. Pas question de laisser ces êtres magnifiques tomber dans les pattes de tous ces tarés d’aristocrates, ces Caton, ces Cicéron et ces Pompée de malheur ! L’avenir du rock se réserve les esclaves noirs pour les affranchir. Il les mettra à l’abri dans sa superbe villa de Brindisi qu’il vient de faire agrandir en rajoutant une aile spacieuse pour les y loger. Il va ensuite les vêtir et les nourrir correctement, puis leur donner en gage d’amitié des guitares fabriquées spécialement pour lui dans la province d’Ibérie. Il ne leur demandera en échange de toutes ces faveurs qu’une seule chose : chanter et gratter leurs grattes. Une fois leur consentement obtenu, il ouvrira des cabarets dans toutes les grandes cités de l’Empire pour y organiser des concerts et la plèbe pourra entendre ces affranchis africains chanter le blues. Il est même choqué que personne n’y ait pensé avant lui.   

     

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             De toute évidence, l’ancêtre de Cedric Burnside est passé par les pattes d’un marchand d’esclaves. Un Africain sur le sol de États-Unis, ça veut bien dire ce que ça veut dire. L’ancêtre de Cedric Burnside n’a pas eu la chance de rencontrer l’avenir du rock.

             Depuis l’antiquité et l’apogée de la traite des noirs au XVIIIe siècle, les choses se sont un peu «arrangées», du moins dans les apparences. Les noirs ne portent plus de chaînes mais ils sont toujours aussi mal vus, sauf par les amateurs de blues qui les considèrent comme des dieux, ce qu’ils sont d’une certaine façon. Aux yeux des ceusses qui ont eu la chance de voir Cedric Burnside sur scène, ça ne fait aucun doute. 

             Andrew Perry rappelle dans Mojo que Cedric Burnside a enregistré son nouvel album I Be Trying à Memphis, au Royal Studio de Willie Mitchell, avec Lawrence Boo Mitchell, fils de Willie. Un autre fils de légende participe au festin : Luther Dickinson, fils de Jim. Il ramène dans le son de l’electrifying slide guitar. Alors Cedric peut sortir son robust beat qui est à l’épreuve du temps. Perry conclut sa petite chroniquette ainsi : «Bursnside presents as a guenine one-off - a uniquely rooted artist of rare precision and power.»

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             Dans les liners de son album, Cedric Burnside fait preuve d’une humilité qui dépasse les bornes. Il remercie sa femme et ses trois filles d’avoir toujours cru en lui. D’ailleurs, il s’empresse d’ajouter qu’il écrit ses chansons pour elles. Il remercie aussi les mecs du label pour leur aide et leur support, et bien sûr, il n’oublie pas le principal, God - My savior for blessing me with the gift of playing Hill Country Blues - I Be Tryin ne parle que de ça, d’Hill Country Blues qu’il joue au raw de Como, c’mon now, il claque ses notes à la revoyure d’ongle noir. Luther Dickinson arrive pour «Step In» et on a tout le son du monde, ça ratapoume dans le studio de Willie le fantôme. Oh yeah, Cedric Burnside ratapoume dans l’œil du cyclone. Personne ne peut battre le Memphis beat à la course. Reed Watson bat le beurre sur le morceau titre amené à la Kimbrough. C’est une compo nettement plus ambitieuse. Il faut laisser Cedric Burnside déployer ses ailes. C’est lui qui tatapoume sur «You Really Love Me». N’oublions pas qu’il a démarré comme batteur derrière son grand-père Rural. Il frappe sec et net, au pur jus d’on the beat, the heart of the North Mississippi Hill Country Blues. On retrouve les latences de Junior Kimbrough dans «Love Is The Key», c’est là très précisément que l’hypno se nourrit du gospel batch. Luther revient couiner sur «Keep On Pushing», il ramène le wild electric feel de Memphis, c’est-à-dire des vents de folie. Cedric Burnside se veut plus ambitieux avec «Pretty Flowers», une petite éclosion de beats bucoliques greffés sur la complexité d’une étonnante structure. Il adore visiblement partir à l’aventure. Alors on le suit. Il embarque plus loin «Hands Off That Girl» sur un heavy beat de rêve. C’est du vieux Burnside de derrière les fagots de Como. Il charge bien la barque du punk-blues avec «Get Down». Ah c’est tout de même autre chose que les Black Keys. Hey ! Il faut le voir dégringoler ce heavy punk-blues. Quelle puissance ! Si tu veux sonner comme ça, t’as intérêt à être descendant d’esclave ! Il pleut du son comme vache qui pisse dans cet album. Cedric Burnside claque son riff et chante plus fort que le Roquefort. 

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             Stephen Deusner lui accorde une demi-page dans Uncut. Une demi-page, c’est déjà mieux que rien. Cedric rappelle qu’enfant il battait le beurre pour Big Daddy, son grand-père, et quand sur scène Big Daddy virait les musiciens pour attaquer trois cuts en solo, Cedric se mettait sur le côté pour observer son grand-père - I was listening to his rhythms which were so unorthodox, and I was listening to his vocals, how they were so heavy but so beautiful at the same time - Il flashe notamment sur une chanson, «Bird Without A Feather» qu’il reprend sur I Be Trying - It sounded like he just took little pieces of something that wasn’t even done yet but he made them sound whole - Il dit qu’il a répété ce cut pendant des mois, trying to get the rhythm just right - Bravo Cedric, car le résultat est là, c’est en effet un cut d’une grande complexité. Depuis 30 ans nous dit Deusner Cedric s’efforce de maintenir la tradition du North Mississippi Hill Country Blues tout en la faisant évoluer. Il voulait absolument venir enregistrer I Be Trying chez Boo Mitchell qu’il connaît depuis qu’il est ado. Boo qui est un gentil mec dit un moment à Cedric que le micro dans lequel il chante est celui dans lequel chantait Al Green. Cedric vit ça comme un honneur. Deusner dit aussi de Cedric qu’il affronte les temps modernes avec un sens aigu des responsabilités. Il est le porteur d’une tradition et il sait que le blues doit jouer un rôle dans ce monde entré en dégénérescence : «There’s a lot of crap going on right now and the blues has to speak to that too.»

    Signé : Cazengler, la burne

    Cedric Burnside. I Be Trying. Single Lock Records 2021

    Stephen Deusner : Cedric Burnside. Uncut # 290 - July 2021

     

     Inside the goldmine

    - My Lewis Taylor is rich

     

             Il nourrissait à l’égard de M un sentiment particulier. Une affection qui confinait au spirituel. Comme M lui avait sauvé la vie, il était devenu son frère de sang. Nous savons bien que l’expression est tombée en désuétude, car les contextes se sont assagis, mais pas les circonstances, du moins certaines circonstances, qui restent égales à elles-mêmes, qu’on vive au XXe siècle ou au moyen-âge. Avoir dans la vie un frère de sang est un prodigieux privilège, mais un petit inconvénient altérait ce privilège : les retrouvailles se raréfiaient. Pourquoi ? Des circonstances disons exceptionnelles contraignaient M à vivre en dehors de la réalité, dans cet entre-deux mondes qu’on appelle aujourd’hui la clandestinité. M poursuivait sa chimère qui s’appelait l’aventure, qu’il voulait dangereuse et de tous les instants, ce qui rendait les moments de répit basiques, comme par exemple un verre dans un bar ou un repas au restaurant, illusoires. En de rares occasions, M qui était épuisé venait dormir à la maison et au petit matin, il se joignait à la promenade des chiens. M qui était fort bel homme portait en permanence un bonnet et des lunette noires, ce qui était le meilleur moyen de ne pas passer inaperçu.

             — M, tu sais que tout le monde te remarque, attifé comme tu es ?

             — Tu ne comprends rien, poto, je suis l’homme invisible !

             Puis les rencontres s’espacèrent considérablement. M vivait sur des charbons ardents. Il appelait d’une cabine pour demander d’aller chercher «un truc» chez un mec et de le lui apporter dans un endroit qui était toujours le même : un terre-plein entre deux voix rapides, juste en face d’une station service, en grande banlieue. M attendait sur le terre-plein, assis sur sa moto dont il n’avait pas coupé le contact, prêt à filer à la moindre alerte. Il gara sa bagnole derrière la station service et alla trouver M pour lui filer son «truc», un petit paquet dont le poids indiquait clairement qu’il s’agissait d’une arme. M ôta son casque pour claquer une bise. Dans la lumière rasante de ce matin d’hiver, le bleu de son regard et le casque sous le cuir du bras firent soudain de lui un chevalier jailli du passé. 

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             C’est exactement ce qu’on éprouve à la vue de la pochette du Lewis II de Lewis Taylor. Avec son allure de chevalier en chasuble blanc, cet artiste contemporain semble lui aussi jaillir du passé. Même striking évidence. Comme M, il s’est trouvé plongé dans l’entre-deux mondes, celui de l’underground, malgré une poignée d’albums remarquables qui auraient dû le faire éclater au grand jour.

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    Ce Taylor rich propose une Soul de down beat incroyablement troublante, celle d’un blanc qui se prend pour un black, un black trop black pour être honnête. Il fonctionne par paquets de Soul de 5 minutes, il faut savoir tenir la distance. Une wild guitar agite le groove, l’effet est saisissant. En fait, c’est lui, la wild guitar, il jouait dans la reformation de l’Edgar Broughton Band qu’on voit filmée en Allemagne au Rockpalast en 2008. En plus d’être un fabuleux guitar slinger, ce Taylor rich est l’un des grands white niggers d’Angleterre. Avec «My Aching Heart», il se prend pour un gros calibre de la Soul moderne, son groove bascule vite dans la magie. Il fait du sexe pur avec «You Make Me Wanna» et attaque «The Way You Done Me» aux synthés. Il se prend pour le roi de la Philly Soul et s’emblacke jusqu’au bout des ongles. Il dispose d’une incroyable facilité à sonner black. Il faut le voir travailler la Soul de «Satisfied», il fait de la pure Philly Soul, toute trace de Broughton a disparu. Il tape encore une Soul inexorable avec «I’m On The Floor», il travaille l’expression du pré-groove, et descend systématiquement au barbu, yeah yeah, c’est un démon de la black à la peau blanche. Il bat encore des records de véracité avec le morceau titre, il fait du pur Marvin, il crée exactement le même genre d’ouvertures, ce Taylor rich a beaucoup écouté What’s Going On. Il dérive à la bonne mesure. Fantastique Lewis kid ! Il devient encore plus infernal avec «Blue Eyes» car il attaque à la voix d’ange. Il tombe sur le râble du groove et part en dérive océanique de don’t look at me blue eyes et comme il cela ne suffisait pas, il ajoute So I say goodbye-aye-aye/ For the last time.

             Dans la presse anglaise, une toute petite actualité l’arrache enfin à l’oubli. Dans Record Collector, Paul Bowler lui consacre sa rubrique ‘Under The Radar’ et rappelle qu’en 1996, à la sortie de son premier album, des luminaries comme Elton John, Paul Weller et David Bowie s’étaient prosternés devant lui, Bowie allant même jusqu’à déclarer que cet album était «the most exciting sound in contemporary soul music». Mais l’album ne s’est pas vendu. Bowler explique que ce Taylor rich avait amalgamé la Soul, le funk et la psychedelia pour en faire something fresh and new. Et qu’en plus il jouait lui-même tous les instruments dans son home studio. Bowler nous explique ensuite qu’il fut élevé par une music-mad mother et qu’il avait appris le piano très tôt, à l’âge de quatre ans, puis à l’adolescence, il s’est mis à écouter Captain Beefheart, Faust, Syd Barrett et Cecil Taylor. S’ensuit l’épisode Edgar Broughton Band et pouf, il démarre une carrière solo en tant que Sheriff Jack. Dix ans de break et à 30 ans il redémarre en tant que Lewis Taylor. Et c’est là avec le premier album que le miracle se produit. Bowler parle de croisements entre Jim Hendrix et Marvin Gaye, entre Brian Wilson et Shuggie Otis.   

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             Paru en 1996, ce fameux album s’appelle tout bêtement Lewis Taylor. Nouvel hommage à Marvin, et ce dès le «Lucky» d’ouverture de bal. Il va chercher le c’mon all down the line dans une Soul blanche digne de celle de Marvin, c’est une révélation. Il joue ensuite son «Bittersweet» au doux du groove, avec une rondeur d’ouate jazzy et un peu de wah par dessus. Il tartine ses couches et se prend indéniablement pour Marvin. Il chuinte au doux son what you gonna doooo, c’est très sérieux, ce Taylor rich n’est pas un gadget, il est investi de toute la dignité du peuple noir, il monte dans les hauteurs avec son petit chat perché, rien d’aussi pur et dur. Alors forcément, on entre dans cet album comme dans du beurre. Il groove tous ses cuts jusqu’à l’os du jambon, son «Track» est clairement destiné aux amateurs de Soul de haut rang, il saupoudre son lard d’une pincée de magie, il travaille tout à la black. Jamais on aurait pu imaginer qu’un blanc-bec irait aussi loin dans la Soul. Sa «Song» est une merveille, il développe des sons extravagants, il se montre digne des géants, oh darling oh baby !. Avec «Betterlove», il entre dans le territoire des très grands artistes, il se paye des regains de violence, il voudrait se faire passer pour un offender, il vise le modèle dément, accordons-lui le privilège du génie, I said baby I know, son real white niggarism finit par générer de la démesure, ses vagues te portent et te téléportent. Et ça continue avec «How» embarqué au yeah yeah yeah. On savait l’Angleterre bien fournie en matière de white niggers, mais celui-là bat toutes les expectitudes. Il faut le voir rôder dans le groove de «Right» et il devient enfin le roi du monde avec «Dawn». Alors bienvenue dans le royaume du Taylor rich. Le voilà dans les dynamiques de la Soul de velours, il groove comme un démon des Mille et Une Nuits, il rivalise de sweet Soul avec Billy Paul, il te coule dans son moule, c’est hot, my mind,  comment peut-on croire à une telle perfection ? La marée t’emporte dans un final de non-retour. 

             Mais comme ses albums ne se vendent pas, en 2006 il annonce qu’il arrête la musique et il vient s’installer en France comme plombier. Rien pendant dix ans, puis ce Taylor rich annonçait en 2016 sur les réseaux sociaux qu’il re-rentrait en home studio avec sa femme Sabrina. Et Bowler, emphatique, conclut : «One of the most criminally overlooked artists is returning.»

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             Paru en 2004, The Lost Album réclame la plus haute attention. Dès «Listen Here», ce Taylor rich nous épingle. On croit entendre les arpèges suspendus de Michael Chapman et il chante en plus à la voix d’Angel dust. Il vise la Soul terrifique. Il bosse sa dérive abdominale dans l’excellence de basslines éperdues à l’horizon d’un jour nouveau. Avec «Hide Your Heart Away», il repart en longeant la muraille, il fait cette fois de la pop enchantée et débouche dans une Soul psyché ravissante. Ses montées sont dignes de celles des Beach Boys. Il cherche les hauteurs inexplorées. Sans même le vouloir, il tient la dragée haute à Brian Wilson, car avec «The Leader Of The Band», il file droit sur l’excellence de la persévérance. Il nous noie dans la bienveillance de sa magnificence, cet album correspond à l’idée qu’on se fait du paradis, il gouverne vers le soleil, comme Brian et Croz, tous ces mecs sont des accros du paradis. Il drive sa Soul blanche si bien qu’elle devient parfois poppy, comme le montre encore «Please Help Me If You Can» - I’ve been alway a long long time/ Baby/ You have to understand - Il cherche la vérité et propose une Soul de pop stupéfiante. Il tâte encore du Beach Boys sound avec «Let’s Hope Nobody Finds Us» et retourne à la découverte des ambiances supérieures avec «New Morning». Ce mélange de Soul et de Brian Wison ressemble à un aller simple. Encore une fois, ce Taylor rich a du génie. Il impose un retour au clame avec les accords de clavecin de «One More Mystery», il prépare bien ses effets car voilà qu’explose un master stroke, il strike la pétarade, il s’énerve et claque son chou-fleur, il monte en pression, il swingue son last you see et part en mode ouuh ouuh d’Hey Jude pour plonger dans la violence et virer en vrille de wah.

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             Dans Mojo, Jim Irwin salue la réédition du premier album, «an instant classic». Ado, Lewis Taylor fréquentait un disquaire du comté d’Hertfordshire, au Nord de Londres, et c’est là qu’il s’éprit de l’Edgar Broughton Band - À 11 ans, je les connaissais - Et comme son frère aîné bossait pour Edgar, il recommanda Lewis comme guitariste. Le jeune Taylor partit donc en tournée européenne avec son idole, un Edgar qui comme lui, était un taiseux. Irwin explique aussi qu’à l’époque du premier album, Lewis Taylor avait arrêté les drogues pour composer ses cuts et se replonger dans Tim Buckley et Scott Walker. Comme dirait cette vieille quenelle de Queneau, c’est en lisant qu’on devient liseron.

    Signé : Cazengler, Lewis Taylarve

    Lewis Taylor. Lewis Taylor. Island Records 1996 

    Lewis Taylor. Lewis II. Island Records 2000

    Lewis Taylor. The Lost Album. Slow Reality 2004

    Paul Bowler : Under The Radar. Record Collector # 521 - August 2021

    Jim Irwin. Unlucky. Mojo # 334 - September 2021

     

    *

    Question à deux cent mille euros – ou à vingt centimes – tout dépendra des fonds entreposés dans notre tiroir-caisse. Quel est l’artiste rock ou le groupe rock qui a eu droit au plus grand nombre de chroniques live sur notre site. Ceux qui lèvent le doigt et se hâtent de s’égosiller ‘’Dylan, Bob Dylan !’’ sont des kr’tntreaders de la dernière heure, qui nous suivent à peine depuis un mois, leur sagacité leur a permis de remarquer trois articles sur Dylan ces trois dernières semaines, eh bien non ce n’est pas Dylan… ni les Rolling Stones, ni Gene Vincent, ni Fred Neil, encor moins les Beatles, ni Chips Moman, ni… arrêtez de citer vos chouchous, n’en jetez plus, le vainqueur est déjà désigné, je livre fièrement – car il des nôtres – son nom, vous le connaissez, l’illustre Loser, notre émérite  Cat Zengler qui dans une de ses récentes chroniques remarquait que la formation dont on avait chroniqué le plus grand nombre  de prestations live, c’était… roulements de tambours… les Jallies !

    N'ayez pas honte si vous ne les connaissez pas, n’accusez pas notre Cat Zengler de ne pas savoir compter sur ses doigts, d’abord parce que le Cat Zengler a toujours raison, ensuite parce que vous avez ci-dessous la preuve (une de plus) indubitable de ses dires.

    THE JALLIES

    07 / 04 / 2022

    ( Le Glasgow / Fontainebleau)

    Réponse à une question angoissante : pourquoi les Jallies et pas par exemple les Rolling Stones qui ont manifestement plus apporté à l’Histoire du Rock ‘n’ Roll . Parce que ces treize dernières années les Rolling Stones ont très peu tourné en Seine & Marne, alors que les Jallies sont domiciliées dans cet absolument mirifique département de France puisqu’il détient l’insigne honneur d’abriter votre blogue préféré. Bref une proximité géographique évidente. Mais ce n’est pas tout : les trois plus belles filles seinémarnaises sont membres des Jallies. Vous comprenez que cet argument (hyper-féministe) l’emporte sur le dernier, car au demeurant les Jallies sont un très bon groupe.

     

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    Retour au Glasgow, nous y avons déjà vu à plusieurs reprises, entre autres, les Spunyboys et les Jallies. C’était en des heureux temps sans masque (de fer) et sans pass (no pax) vaccinal, donc, confinement oblige et le fait qu’elles ont, en période de rémission, tourné souvent en Bretagne – elles y ont des fans – voici bien trois ans que nous n’avons assisté à un de leurs concerts. Parfois la vie est absurde et cruelle. Petite particularité grammaticale, en toutes logique nous devrions employer le pronom ‘’ ils ‘’ puisque le groupe est composé de deux garçons et de trois filles, or comme en notre douce et docte langue françoise le masculin l’emporte toujours sur le féminin… oui mais on dit ‘’elles’’, parce que les filles relèguent les guys à l’arrière et qu’elles s’arrangent toujours pour les cacher derrière le décor de leurs beaux corps, heureusement on les entend, et puis il faut l’avouer : elles sont si belles qu’on ne voit qu’elles. Bref l’exception qui confirme la règle. Que confirme les règles de trois.

    Attention changement dans la continuité, les trois garces sont toujours trois, mais depuis quelques mois une nouvelle est apparue : Bérénice. Trop jolie, je lui en veux, elle m’oblige à me livrer à un mensonge littéraire en traficotant le célèbre incipit d’Aurélien, le roman de Louis Aragon : La première fois que Damie Chad vit Bérénice il la trouva franchement belle.  Ce n’est pas bien, mais avec son corps souple et sa chevelure bouclée de brunette, je suis prêt à réécrire le bouquin entier pour qu’il réponde à ma vision.

    Le problème avec les Jallies c’est que vous ne savez plus où donner de la tête. Voici Leslie. Le lys qui vous lie dans la vallée aurait écrit Balzac. Pour Vanessa pas d’héroïne littéraire à citer, c’est elle avec son toupet de cheveux blonds et l’éclair décidé de ses yeux qui héroïse votre vie. J’arrête les compliments elles vont finir par s’en croire. D’autant plus qu’il faut en garder pour les garçons.

    Damie, si tu nous parlais de musique. Tout de suite, bande de jaloux. C’est très simple, si je compare aux Jallies d’avant, une phrase me suffira. Quand elles swinguent, c’est beaucoup plus swing, quand elles rockent, c’est davantage rock. C’était déjà très bien avant, maintenant c’est mieux. Plus fort, plus direct, sur scène elles assènent sec. La set-list n’a pas changé du tout au tout, elle s’est amplifiée, deux sets plus un rappel de trois quart d’heures.

    Le rituel de miel habituel. Une à la caisse claire, une au micro, une à la guitare ou au tambourin. Changent sans arrêt de place. Quand l’une chante, les deux autres jolies-cœurs font les chœurs. Pas tout à fait de la même manière que dans leurs temps préhistoriques, les petites sœurs chantonnent en douceur, des harmonies de rêve, de gaze et de zéphir qui vous subtilisent l’âme et l’emportent l’on ne sait pas trop où, dans des pays de cocagne où à tous les coups l’on gagne.

    Par contre question rythmique, ça nique. Quand c’est lancé, c’est envoyé. Ne se refusent rien, ça fuse franco, ça fonce et défonce, entre chasse au renard et steeple-chase, si vous suivez en tapant du pied, z’avez le palpitant souvent soumis au vent d’autan, autant ça cavale, autant ça contrepointe à rebours et à revers, pas le temps de se perdre dans les contre-temps, c’est pas du n’importe quoi, c’est pas du n’importe couac, tombent pile toutes ensemble, au point voulu, tir groupé, saut de parachute et vol libre de précision. Le swing déteste l’à-peu-près, ou c’est juste ou c’est faux, avec nos trois divas ça ne divague pas.

    Le public ne marche pas, il court. Y a des fanas (musiciens) de rockabilly à mes côtés qui connaissent tous les morceaux par cœur et à qui on a intérêt à ne pas servir du trop cuit ou du trop cru. La rocktissoire, pas d’histoire, elle doit rouler et tanguer dans le bon sens.

    Ne croyez pas qu’il n’y a que les filles dans la vie qui soient intéressantes. Les boys, je sais de quoi je parle, valent aussi le détour. Et ce soir y en a deux que l’on voit mal mais qui savent se faire entendre. D’abord Kros, un slappeur fou. Ecoutez-le trois minutes en fermant les yeux. Vous direz, le mec à la batterie il est fortiche, il ne passe pas son temps à trier les pois chiches, un véritable derviche tapeur, un sorcier des baguettes. Tout faux. Maintenant vous savez pourquoi chez Sun il n’y avait pas toujours un batteur dans le studio, une bonne contrebasse suffit. Un bûcheron, tout en finesse, un karateka qui frappe ses cordes comme si sa vie en dépendait, full-contact avec l’ennemi. Le Kros il lui cherche des crosses à la big-mama, lui fait descendre et remonter les escaliers sur les rotules, les genoux craquent et le bois des marches pète sec et rouspète dur.  

             Je ne veux pas dire que Kros a la tâche la plus facile. Dépense une énergie folle. Pire que dans une cour d’école, mais le rythme quand c’est parti, n’y a plus qu’à suivre le mouvement. Alors que le Thomas avec sa guitare, l’est réduit à la concision.  Dans le swing et le rockab, les solistes c’est comme pour le départ des fusées, z’avez une fenêtre de tir, avant c’est trop tôt, après c’est trop tard. Pour une Ariane, vous avez au pire quelques heures, pour Thomas c’est au mieux quinze secondes, dans lesquelles il faut tout donner, pas le temps de réfléchir, pas le temps d’hésiter, tout et tout de suite. Et ce soir, Thomas nous a offert un festival. Quelle inventivité, quelle diabolique précision, quelle habileté, quelle imagination, l’a à chaque fois le gimmick qui tue et la note qui ressuscite, l’a le plan adéquat qui ne vous laisse pas en plan, fourmille d’idées et de dextérité, regardez ses doigts, le gars il ne joue pas le truc qu’il a déjà fait quinze mille fois, il innove, il imagine, il essaye, il expérimente, il tente, il réussit. Ah les tourterelles devant avec leurs chants délicieux vous les emporteriez chez vous pour les mettre en cage et vous délecter de les entendre  jacasser rien que pour vous, mais Thomas non, c’est un guitar-hero et vous n'aurez jamais assez d’or dans votre coffre-fort pour qu’il condescende, dans votre maison, à gratouiller une corde durant trois secondes pour vous faire plaisir.

             Le Kros ne se contente pas de slapper. L’a tout compris de la vie. Les filles c’est bien, mais il ne faudrait pas que les pinsonnes piquent un somme entre deux chansons. Trois secondes de trop dans un changement de place et hop d’une voix de stentor qui ne veut pas de temps mort, il titille et vous houspille le public à coups de torpilles, ça rugit dans la salle et les gamines recommencent - illico les noix de coco et illica les noix de coca - leurs gammes. Parfois il pousse des hurlements et se lance dans un impro à la Ray Charles. Que n’a-t-il dit ! Sur la fin, se plante devant et vous expédie un Tutti Frutti pur jus séminal, et vous décoche un Hound Dog qui vous laisse une encoche dans les neurones et vous embroche les phéromones.

             Remarquons que les fifilles, ne gardent pas leurs billes dans le sac aux bisbilles, pas moins de quatre pépites émérites de Gene Vincent, du Janis Martin, du Stray Cat, du Wanda Jackson, du Nancy Sinatra, du Annisteen Allen, du Henry Thomas, du Burnette Trio… le pire c’est que quand elles tapent dans leur morceau, Takou par exemple, comparé aux bolides précédents c’est pas du tacot, c’est du solide, ça tient la rampe, ça tient la crampe.

    Publicus excitus. Musicos crevos. Concerto excellentissimo.

    Damie Chad. (Qui n’a pas perdu son latin !)

     

    *

     J’ai ricané en apercevant le titre, tiens encore un truc de doom sur l’enfer, si l’on me donnait un euro à chaque fois que le mot Hell est prononcé dans un morceau rock, je serais riche. J’ai plissé les yeux, au juste faut-il lire  lleléll ou heléh, après vérification cette dernière graphie s’avère la bonne. Bizarre, ce ne sonne pas espagnol, le groupe est de Cordoba, région du centre de l’Argentine, ressemble à de l’hébreu, mon traducteur me dit qu’en effet en cette langue il signifie Salut, mais que le mot est emprunté au soudanais. Je veux bien, délaissons les questions étymologiques, simplement remarquons qu’entre le Salut et l’Enfer, il existe un point de concomitance sémantique. Dommage qu’il y ait toutefois cet accent sur le second E, sans lui le mot serait un magnifique palindrome infernal…

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    Autre particularité, ce n’est pas vraiment un groupe. Plutôt un acte artistique. Sont deux : Matias Takaya : guitare et basse, possède aussi le studio d’enregistrement ( AV recording Studio ) dans lequel l’opus fut perpétré. Gonzalo Civita : vocal et couverture. Troisième homme aux drums : Johan π avec son 3,14  l’a un nom  de batterie électronique.

    Sur son FB, Matias Takaya décrit avec une précision d’entomologiste le résultat de son travail : ‘’ Hoy salio este discazo pesado, oscuro, densos, suicida que hicimos con Gonzalo Civita ‘’ soit en la langue de Villiers de l’isle Adam : ‘’ Aujourd’hui est sorti ce disque lourd, sombre, dense, suicidaire que nous avons commis avec Gonzalo Civita ‘’

    Est-il vraiment nécessaire de lire la chronique après une telle déclaration !

    HELEH / HELEH

    ( Avril 2022 / YT – Bandcamp)

    J’ai toujours un doute lorsque j’aborde un disque de rock chanté en espagnol, c’est l’espagnol qui me trouble, m’apparaît comme un truc exotique, une marque folklorique indélébile, je me dis qu’un quidam étranger qui écoute un opus en français doit avoir le même mouvement répulsif, mais pourquoi ne chante-il pas en anglais… souvent quand je tombe sur des spanish groupes qui m’intéressent mais je ne parviens pas à accrocher et je passe à un autre.

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    Réquiem  : oui c’est sombre et lourd, au cas où vous n’auriez pas compris les paroles s’en chargent, sommes en plein dans un enterrement, le cercueil est déjà dans la fosse, et le narrateur vient de lancer sa poignée de terre, une scène de cinéma ou plutôt d’opéra, funeste et grandiose, très beau récitatif de Gonzalo Civitas, vous ne sentez pas, par sa manière d’articuler les mots, de les transformer en chant, l’écran de l’idiome inhabituel, voix et musique ne forment qu’un. La lenteur d’un convoi funèbre, riff de base et de basse ne varietur, si le chant de Gonzalo s’exhausse, se métamorphose en cri d’oiseau qui plane là-haut, là-bas, très loin, la guitare écume et amertume de chagrin incisif qui sourd dans votre chair, tout se passe dans la tête, les regrets éternels, l’inéluctable consommé, il est trop tard pour avoir mieux agi. Il ne fait pas beau, ni au-dedans de soi ni dehors, l’on entend gronder l’orage, s’élèvent des chœurs, ce n’est pas pour rien que le morceau s’appelle réquiem. Existir : le titre semble mal choisi, la musique s’allonge, s’étire, voix mortuaire, qui parle, moi ou la mort, cet existir est une méditation angoissée sur la mort, ne formerait-elle pas un avec l’existence, arrêt brutal, le chant devient cris désespérés, sludge enkysté en chœurs, la mort n’est-elle pas la vie parfaite que l’on clôt lorsque le couvercle du cercueil se referme sur nous, est-ce au moment de la mort que nous prenons conscience de vivre pleinement puisque nous sommes au bout de l’accomplissement du fait d’exister, ou alors basculons-nous pour toujours dans le néant, à moins qu’une fois annihilé nous remettions nos pas dans notre existence, aussi dévolue au trépas que celle que nous venons de quitter, et nous revenions exactement le même toute une éternité de temps ce qui revient à dire que la vie n’est qu’un autre nom de la mort. Pas très gai, mais magnifique, cette basse qui referme le suaire, cette batterie qui enfonce à coups lents les clous et cette guitare qui les suce avec une voluptueuse angoisse de l’intérieur.  Amar : ne vous fiez pas au titre. Qui parle là ? Est-ce depuis le dessus ou le dessous de la terre. Quelle est cette consolation, d’où vient-elle, de celui qui est parti, de celui qui reste, à moins que de l’un à l’autre elle ne vienne que de moi, une fois mort ou vivant, superbe oratorio avec la voix qui mord le récitatif mortuaire, accélération, plissement, ahanements battériaux, la voix s’étrangle d’énoncer des réalités impalpables, la peur de rester enfermé en soi-même ou dans le cercueil, ce qui revient au même. N’a-t-on pas toute l’éternité pour trouver la réponse… Questionable virtud : pas d’affolement, nous sommes vivants, enfermés dans notre chambre close ( ne serait-ce pas une métaphore d’un autre enfermement ) musique lourde et lente, la guitare devient scie, la voix découpe les stases de l’existence pour les réassembler, l’on change le montage du film, silence l’ion entend comme dans les ciné-clubs la roue mobile du projecteur qui se prend pour un ventilateur en roue libre. Hurlements ? est-ce vraiment du courage que de vouloir remodeler sa vie comme si l’on pouvait modifier la mort, comme l’on range sa chambre. Magnifique performance vocale. Canto jondo. Chant d’impuissance. Lo ven ( Mi infierno ) : bruissement de petit moteur, presque ces appareils sur lesquels on vous branche à l’hôpital, gargouilles vocalisées, des voix qui chuchotent au loin, que l’on ne comprend pas, musique lourde et angoissante, borborygmes cafouilleux dans une gorge embrumée de glaires, une guitare voilée prend de l’altitude, est-ce une âme qui monte au paradis, ne craignez rien, qu’elle descende dans l’enfer de l’existence, ou de la mort, de toutes les manières c’est du pareil au même. La caméra n’en finit pas de tourner… Elle s’arrête en bout de piste. Il n’y a plus rien à filmer. Parfois l’on peut couper le film volontairement avant la fin. C’est juste une autre fin qui ne diffère en rien d’une autre fin.

    Pas très gai je vous l’accorde (de pendu) mais d’une beauté noire et splendide.

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    Pour nous changer les idées regardons la couve. Un paysage, une rivière qui coule au fond d’une vallée. Rien de bien original, si ce n’est ces teintes marron-bistre qui rappellent les les photographies de la fin du dix-neuvième siècle. Oui, je sais c’est vieux tout ça, oui ça ne se fait plus, c’est mort ! Vous ne croyez pas si bien dire, cette rivière anonyme ne serait-elle pas une figuration d’une autre davantage léthéenne, qui coule en un autre royaume.

    Damie Chad .

     

     

    *

    Les deux mots m’ont sauté au visage, dans un tout petit texte qui défilait sur FB, ce n’est pas qu’ils étaient difficiles à comprendre, ce n’est pas que qu’ils sont inusités depuis le treizième siècle, c’est que leur proximité est assez rare, un peu comme si dans la notice de montage de votre machine à laver achetée en kit, vous trouviez les termes diplodocus et éclair au chocolat. Là c’est encore plus incongru. Je vous les livre : rock et politique. Pas de panique, examinons la chose de plus près, en gros le gars affirmait que certains lecteurs se sentaient désorientés par l’éditorial politique qui ouvrait leur blogue rock. Tiens, quelqu’un de courageux, facile de l’identifier, c’est écrit, Le blog de Stevie Dixon, Oh ! la ! la ! un bail que je ne me suis pas promené dessus. Vérifions ! Y a ceux qui disent et ceux qui font. Parfois ce ne sont les mêmes. Comme disait l’autre un petit clic et un grand pas pour l’humanité.

    GUIGNOL’S ROCK # 2487

    (moi qui suis tout fier de nos 550 livraisons, je me sens pitoyable)

    Brèves News in Strange Times à Lyon du 1er au 15 / 04 / 2022. 

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    Pas besoin de chercher bien loin, après la belle pochette du premier album des Beths de passage le 08 avril au Périscope. N’y vont pas le mouchoir dans la poche et la queue entre les jambes. Je recopie :

    ‘’ Ouch, on se retrouve en pleine période électorale… Non, on ne va pas vous faire l'affront de vous dire pour qui voter, mais quand même on va suggérer pour qui ne pas voter, c'est bien le moins… Et comme d'habitude, on s'intéressera uniquement ici à l'aspect sanitaire (et non aux autres scandales liés au président actuel qui déboulent nombreux et costauds, mais sont passés sous silence par la presse bien muselée). Quitte pour nous à rabâcher un peu sans doute. Et comme d'hab' aussi, si ça ne vous intéresse pas vous pouvez passer aux brèves News Rock un peu plus bas’’

    Attention c’est clair net et précis, Guignol’s Rock, ce ne sont pas des guignols, en fait si, puisqu’ils sont lyonnais et que la marionnette qui passait son temps à bastonner la maréchaussée défendait le point de vue des classes laborieuses,

    Bref ne se contentent pas de se déclarer rebelles. Le genre de proclamation qui ne mange pas de pain, qui tout de suite vous recouvre d’une aura romantique qui plaît aux filles. Une position métaphysique de principe qui trop souvent est un paravent qui vous dédouane de toute participation active… à des actes de rébellion…

    Non chez Guignol’s Rock on saute à pieds joints dans l’actualité. Ne font pas non plus de la politcaillerie de bas étage à la petite semaine. Ce n’est pas la mouche tsé-tsé qui les a piqués, c’est pourtant un truc qui pique et à plusieurs reprises, la médecine miracle qui devait nous débarrasser du Covid. Le fameux vaccin anti-épidémique. Ne sont pas pour, j’ai même l’impression qu’ils sont contre.

    Pour parler de mon cas personnel, comme des milliers d’autres j’ai senti l’embrouille, dès l’annonce du confinement, l’intuition qu’il y avait trop d’argent en jeu… Mais bon chacun prend ses responsabilités, je n’y suis pas allé. Respecte ceux qui ont tendu le bras. Leur souhaite simplement de n’avoir pas eu la même mauvaise idée de ma mère huit jours après l’injonction, elle est morte. Un cas extrême certes, mais il ne faut pas oublier tous les cancers, tous les accidents cardiaques, tous les urticaires géants et autres babioles peu sympathiques qui se développent depuis quelques mois dans le pays. Cherchez l’effet, vous trouverez la cause Aristoteles dixit.

    Jusques là l’histoire se tenait. Mal, mais elle tenait. Brusquement la mascarade s’est aggravée. En plus de la troisième piquouze, notre président chéri a inventé un super truc, le pass vaccinal. Pas de pass, pas de concerts rock, pas de restos, pas de bars. De toutes la manières les concerts assis avec un masque… Bref comme beaucoup j’ai passé tout l’été à manifester…

    Je sens les objections, tous des rockers, des ignares, des brutes, des ignorants, ne savent pas quoi trastéger pour se faire remarquer. Chez Guignol’s Rock, passé le premier moment de répulsion épidémique que chacun se doit de ressentir lorsque l’on attente à sa liberté, z’ont bossé, ne vous contentez pas du numéro 2487, déroulez le site, visitez les livraisons antérieures, un travail de bénédictins, vous avez des renvois à des dizaines d’articles sortis d’un peu partout. Lisez, écoutez, regardez, réfléchissez. Z’ont des arguments, font des recoupements, cherchent la logique qui prévaut à ce phénomène… Sûr qu’il est plus facile de tendre le bras pour filer au bistrot. Pour ma part, sans pass j’ai continué à fréquenter mon bar habituel, la solidarité et la résistance active ça existe aussi.

    Evidemment, derrière le pass et le vaccin, y a toute une politique de coercition qui se met en place, tout doucement, l’air de rien, à croire que l’on ne veut que notre bien. Evitez de vous enferrer dans les pensées bisounours.

    Changeons de sujet. Guignol’s Rock nous invite à signer une pétition. Suivez mes conseils de prudence, n’apposez pas votre paraphe les yeux fermés, là Guignol’s Rock exagère. S’agit ‘’ pour lutter contre les inégalités de taxer les riches’’. Quelle folie, si l’on taxe les riches ils deviendront pauvres. Quelle erreur ! Quelle horreur ! Dénonçons ce blogue de terroristes qui veulent affamer toute une partie de la population. Des barbares ! Veulent retourner à la préhistoire, aux tribus de chasseurs-cueilleurs ! Quelle régression sociale ! Des fous furieux, veulent un peu plus de justice en ce bas-monde. Des anticapitalistes ! On devrait les dénoncer, les marquer au fer rouge, et punition suprême les piquer contre le Covid ! Vous vous rendez compte ils appellent même à une manif antipass et anti-Macron. Incroyable mais vrai, ils osent faire de la politique dans un blog-rock.

    Des gens très bien.  En somme. Ne soyez pas étonnés, après la thèse vous avez eu l’antithèse, nous entrons dans la synthèse.  Un blog-rock se doit de causer de rock. Donc après nous être longtemps attardés sur the politic side, regards sur the rock’n’roll side.

    Z’ont de la chance à Lyon, capitale des Gaules, des concerts tous les soirs, et en plus ils osent avouer qu’ils en ont certainement oubliés dans leur recension… Suit un petit article sur Ganafoul, un groupe mythique des french seventies, remontent sur scène plus de quarante ans après leur dissolution. Vous ignorez tout sur Ganafoul, pas de panique, une vidéo est à votre disposition. C’est le principe, pour pratiquement chaque sujet abordé vous avez votre cadeau, exemple sur le festival Salaise Blues vous en avez trois, ou alors sur Printemps Indie vous cliquez  sur Marché gare en vert et hop vous avez le programme, sautons Jazz à Vienne, vidéo de 28 minutes d’un concert des Foxy Ladies, attention sortie imminente d’une vieille bande de Killdozer sur Simplex Records, vidéo à l’appui.  Vous en avez pour quelques heures d’écoute interactives. Vous avez compris le principe. Textes informatifs et maximum de documents sonores, l’antithèse – la seule richesse du monde c’est capacité différentielle - de nos Chroniques de pourpre. Et plouf, mon œil s’arrête pile sur une vignette que je connais bien, celle dessinée par le Cat Zengler en tête de nos livraisons, avec z’à côté le petit texte suivant : Des news rock, rock'n'roll même, dans CHRONIQUES DE POURPRE 549 : KR'TNT 549 : Jugez plutôt du sommaire, c'est quand même assez éclectique…: ROCKABILLY GENERATION NEWS (Ricky Nelson, Tony Marlow, etc dans Rockabilly Génération #21) / BOBBY GILLESPIE (sur son livre, Tenement Kid) + PRIMAL SCREAM / PROCOL HARUM / ENDLESS BOOGIE / BABY LOVE / BOB DYLAN / GOATGOD / JIM MORRISON + MARIE DESJARDINS… Vous vous demandez de quoi ça cause exactement, allez donc y voir… Longues dissertations, mais le mec a un certain style et des idées claires… 

    Stevie Dixon et ses acolytes aussi…

    Damie Chad.

     

      

    Poème pour mon ami Kr'tnt Kr'tnt Damie Chad.

     

    Happy Rock and Roll

    dans son rocking-chair

    à tomates farcies,

    à croquer, à niquer,

    à croque- niquer,

    chroniquant des chroniques

    chromatiques d'enfer

    diatonique craquante.

    En Davy Crockett croqueur

    croquant les rockers-rockeuses,

    à nous faire bouillir les méninges,

    sans même nous ménager.

    A nous déménager

    le parquet des évidences

    pour une danse endiablée

    avec le destin.

    A casser les cailloux tristes

    des solitudes vaporeuses,

    vidant de leur sang

    les armoires mortes

    de la raison.

    Pour enfin écrire

    en rond-de-cuir,

    perçant le mur du son.

    Mais donnant

    sans compter,

    juste pour

    nous raconter

    des musiques

    en bas nylon,

    aux beaux rouleaux

    redondants rock and roll .

    A vous rouler dedans

    les mécaniques,

    jusqu'à "cheveuluruser"

    la banane flambée

    en taie d'édredon

    de derrière les fagots.

    Pour allumer le feu

    des jeunesses éternelles,

    et brûler les ailes

    des certitudes,

    à piller

    le pape Pillon,

    à pilonner

    le diapason,

    puis rameuter

    le quartier

    des illusions,

    bref à danser

    le Rock and Roll

    en quadruple

    quatre saisons.

    P.G.Y Patrick Geffroy Yorffeg

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 550 : KR'TNT 550 : JOEL SELVIN / MARAH / DELGRES / GOLDIE & THE GINGERBREADS/ JUKE JOINTS BAND / BOB DYLAN / MOUNT SATURN

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 550

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 04 / 2022

     

     JOEL SELVIN / MARAH / DELGRES

    GOLDIE & THE GINGERBREADS

    JUKE JOINTS BAND / BOB DYLAN

     MOUNT SATURN

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 550

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Selvin est tiré, il faut le boire

     

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             Avec Endless Summer, Joel Selvin entre dans le club des grands rock writers d’Amérique. Il serait peut-être plus honnête de rappeler qu’il en faisait déjà partie, grâce à une passionnante bio de Bert Berns, Here Comes The Night - The Dark Soul Of Bert Berns And The Dirty Business Of Rhythm & Blues. Le problème, c’est qu’avec Bert Berns, Selvin ne s’adressait qu’aux afficionados, alors qu’avec Endless Summer, il s’adresse au monde entier.

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             Il y raconte la genèse de la scène californienne des early sixties. C’est un récit qui surpasse largement les grands rock books californiens, ceux consacrés à Gene Clark, aux Byrds, aux Beach Boys, même les superbes autobios de Croz, de P.F. Sloan ou encore de John Phillips. Selvin fait marcher tous ses personnages en même temps et montre avec un art consommé comment tous ces gens interagissent dans la période qui commence en 1959 avec le «Baby Talk» de Jan & Dean et qui s’achève six ans plus tard avec «Good Vibrations». Comme dans un film de reconstitution historique, Selvin reconstitue les faits en faisant entrer en scène tous les principaux acteurs : Jan Berry, Dean Torrence, Lou Adler, Kim Fowley, Terry Melcher, Bruce Johnston, Phil Spector, Brian Wilson, Gary Paxton, Nick Venet, Kip Tyler, Gary Usher, Nancy Sinatra - et donc Lee Hazlewood - et puis Johnny Rivers.

             L’acteur principal n’est autre que Jan Berry. Selvin en fait un portait plus vrai que nature, un Jan Berry qui ne recule aucun obstacle, prédisposé à la délinquance, passionné de voitures de sport et de son. Il commence par transformer le garage de ses parents en studio avec les deux Ampex que son père a récupéré chez son patron, le mythique milliardaire Howard Hughes. Selvin nous donne tout le détail de la genèse de Jan & Dean, qui commence au collège, sous la douche après un match de foot, quand Jan vient chanter doo-bee-doo-wah à l’oreille de  Dean Torrence.

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             Jan Berry roule en Corvette Stingray et adore prendre le highway en direction de San Francisco pour rouler à 250 à l’heure. Il adore faire la course avec Dean. Vroarrrrr ! - They were wild, fearless drivers - On le voit aussi foncer sur Sunset jusqu’à la plage. Ils ont quelques accrochages et quand Dean se plaint, Jan lui répond : «T’es pas encore mort, alors ça va !». Et puis un jour sur la route, Jan met la radio pour entendre les hits du jour et boum ! - Bomp Bomp dit di dip - C’est leur «Baby Talk» qui passe à la radio ! - Surfing is the only life/ The only way for me - Oui, car Jan & Dean sont les rois de la surf craze. Quand en 1963, ils montent sur scène au Hermosa Beach High School, on leur présente leur backing band, a group called the Beach Boys. Le grand, c’est Brian Wilson, big grin and bass, son petit frère Carl joue de la guitare, et le middle brother Dennis bat le beurre. Le cousin Mike Love sings lead et un gamin de 13 ans, David Marks qui habite dans la même rue qu’eux, gratte la rythmique. Ils portent tous des chemises Pendleton et sont fiers d’accompagner Jan & Dean au high school hop in the neighborhood. On est là aux racines du mythe.

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             Selvin aurait pu se contenter d’un portait de Jan Berry, mais un autre délinquant entre en scène : Kim Fowley. Au collège, on le considère déjà comme un misfit, c’est-à-dire un désaxé : il est trop grand et porte encore les stigmates d’une polio qu’il a chopé tout petit - His face looked like a squashed muffin - Rien à voir avec tous ces beaux gosses athlétiques aux cheveux blonds et aux dents blanches qui peuplent les collèges californiens. Kim commence par faire ce que font tous les délinquants juvéniles : dans les fêtes, il se glisse la pièce qui sert de vestiaire pour faire les poches et les sacs à main. Selvin adore épingler les petits travers de ses personnages. Puis Kim s’improvise booker en bookant le seul groupe qui existe à University High, où il est inscrit : the Sleepwalkers, groupe dans lequel jouent Bruce Johnston, le fameux Sandy Nelson - qui vient tout juste de casser sa pipe en bois - et un guitariste débutant nommé Phil Spector qui lui est inscrit à Fairfax High et qui a pour habitude de jouer trop fort. Quand quelqu’un vient se plaindre du bruit qu’il fait sur scène, Totor lui dit : «Reviens te plaindre encore une fois et je t’enfile cette guitare dans le cul.»  

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             Avant de jouer dans les Sleepwalkers, Bruce Johnston jouait dans les Flips de Kip Tyler, un Kip Tyler qu’il n’aimait pas, car trop imbu de sa personne - He could tell Kip Tyler was a creep - En 1958, Kip Tyler & the Flips enregistrent le mythique «She’s A Witch». Bruce est au piano et Dave Shostac au sax - Kip Tyler & the Flips where at the absolute center of Los Angeles rock and roll in the summer of 1958 - Selvin ajoute que Tyler was a hulking barbarian, a hustler and a self-promoter, a real Hollywood king of guy. Originaire de Miami, cet ancien chauffeur de taxi a des faux airs de Kirk Douglas. Il pensait faire carrière au cinéma, mais il se retrouve dans le rôle du greasy rock and roll wild man in black leather. On a tous fantasmé sur Kip Tyler & the Flips.

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             Kim et Bruce sympathisent. Bruce est alors un gamin de 15 ans extrêmement doué qui finira par devenir membre des Beach Boys. Il sait chanter, il compose et il est plutôt beau - he looked like a choirboy - Kim et Bruce commencent à composer ensemble. Ils montent un projet qui s’appelle Modern Age Enterprises. Mais leur petit biz périclite au moment où Kim se fait serrer : il barbotait du pinard pour le revendre dans des fêtes à des mineurs. Comme Kim a 18 ans, le juge lui offre une belle alternative : soit aller au trou, soit s’engager dans la Garde Nationale. Kim opte pour la Garde. Il ne finira donc pas ses études à Uni High : il est envoyé au camp d’entraînement de Fort Ord à Monterey. Pendant que Kim ronge son frein au fucking camp, Bruce entre en studio pour enregistrer «Take This Pearl» avec les Flips, mais comme le nom appartient à Kip, Bruce doit trouver un autre nom. Ce sera Bruce & Jerry. Loyal envers Kim, il lui envoie par courrier un compte-rendu signé «Bruce Johnston, President Modern Age Entreprises Inc.» Selvin reproduit l’intégralité du doc dans son book. On se régale à lire ce brillant témoignage de loyauté.

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             Quand Kim revient du camp, son père accepte de le reprendre à condition qu’il suive des études de comptabilité. Puis son père part pour quelques mois sur un tournage au Brésil et laisse des instructions très claires à Kim : «Pas de fêtes à la maison, n’utilise ni mes fringues, ni ma voiture.» Selvin le magicien retrousse ses manches et recrée pour nous une scène qu’il faut bien qualifier d’historique : il nous emmène faire un tour avec Kim, par un beau matin de février 1959. Le ciel est d’un bleu immaculé. Sur le chemin du lycée, Kim chantonne, pom pom pom, et soudain il rencontre une petite gonzesse qui pleurniche. Snif snif ! Kim s’arrête et lui demande ce qui se passe. Entre deux filets de morve, elle répond qu’ils sont morts tous les trois. Qui ? Ben Buddy Holly, Ritchie Valens et the Big Bopper ! What ? Kim prend la nouvelle en pleine gueule. Boom ! - His rock’n’roll heroes had died - Flash ! C’est là, à cet instant précis, qu’il décide de consacrer sa vie au rock’n’roll. Il commence par jeter ses bouquins de classe dans la première poubelle, puis il rentre chez lui barboter des fringues et le poste de télévision de son père, met tout ça dans la bagnole qu’il barbote dans la foulée. Barbotons peu mais barbotons bien ! Il roule ensuite en direction du Gold Star Studio où Eddie Cochran a enregistré «Summertime Blues» et les Champs «Tequila», like he was heading for church. Il rencontre les Champs sur le parking du studio et les baratine en leur expliquant qu’il est journaliste et qu’il voudrait bien consacrer un article à l’enregistrement d’un disque, alors les Champs acceptent de le faire entrer en studio avec eux. Dave Burgess n’est pas là, mais Tommy et Dorsey Burnette rappliquent avec leurs grattes.  C’est là que Kim apprend le B-A-BA de l’enregistrement en studio. Le lendemain, il croise dans la rue un super mec qui se balade avec une guitare - Who looked for all of the world like a real rock and roll cat - Kim le chope pour lui demander son nom. Who are you ? C’est Nick Venet, un autre personnage légendaire, futur producteur chez Capitol. Venet écrit alors des chansons et Kim le baratine en lui proposant de devenir son agent et de partager les profits. Kif kif bourricot ! Puis il emmène Venet faire les sacs à main dans les fêtes. Ça rapporte plus que d’écrire des chansons.

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             Le troisième personnage clé de cette California Saga, c’est bien sûr le Gold Star. Totor y passe un temps fou, au moment de l’enregistrement de «To Know Him Is To Love Him» avec les Teddy Bears. Un peu plus tard, en 1962, il revient y enregistrer l’«He’s A Rebel» des Crystals. Sans les Crystals, comme chacun sait. Lester Sill met Totor sur le coup des Blossoms et c’est la lead du trio, Darlene Wright, rebaptisée Love, qui chante «He’s A Rebel» à la place des Crystals. À cette occasion, Totor fait aussi la connaissance d’un arrangeur binoclard qui bosse avec l’associé de Lester Sill, Lee Hazlewood. L’arrangeur binoclard, c’est bien sûr Jack Nitzsche. Lors de cette session qu’il faut bien aussi qualifier d’historique, Totor se montre exagérément maniaque. Il cherche un son et ça va durer jusqu’au moment où il va le trouver. Il fait rejouer les guitaristes over and over. Les doigts saignent. Une fois que le backing lui convient, Totor fait chanter Darlene Love. La session nous dit Selvin bascule soudain dans un transcendent level where nobody in the room had been before. They were making a number one hit - But it was beyond that. Selvin veut dire en gros que personne n’avait encore atteint ce niveau de perfection. Ça allait bien au-delà du hit. À l’instar des grands romanciers, Selvin est tellement émoustillé par son personnage qu’il se fend de l’une de ses plus belles fins de paragraphes : «With guidance and direction from a handful of ecstatic visionaries, these mucisians were going to reshape American popular music.» Et si Totor a choisi la West Coast, ce n’est pas un hasard, Balthazar - The West Coast was were the action was and Spector knew it - Toute son œuvre sort du Gold Star Studio, on Santa Monica Boulevard.

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             C’est Venet qui présente Kim à Lou Adler. Alors Lou Adler... On se souvient que P.F. Sloan n’en faisait pas un portrait très gratifiant dans son autobio, l’excellent What’s Exactly The Matter With Me. Issu d’un milieu juif relativement pauvre, Adler démarre sa carrière de producteur avec Sam Cooke et il s’associe avec Herb Alpert. Ils bossent régulièrement pour Bumps Blackwell mais pas de hits à l’horizon. Adler attend son heure. Son heure la voilà : Kim lui amène Jan & Dean sur un plateau. Quand Adler lui demande comment ils sonnent, Kim répond : «High school kids that looked like the Everlys but sounded black.» Humpff humpff... Adler flaire le jackpot. Il va trouver les deux jeunes coqs, les prend sous son aile et commence par les refringuer pour en faire des superstars californiennes, blonds, bronzés, à l’opposé des ritals qu’on voit dans American Bandstand, avec leurs tignasses noires gominées et leurs costards cravates. Puis Adler et Alpert leur taillent un hit sur mesure : «Baby Talk». Et boom ! Ça se passe pendant que Kim est envoyé en stage dans un camp de l’armée en Idaho. Quand il revient à Los Angeles, «Baby Talk» est sur routes les radios. Kim apprend que Jan & Dean se produisent au Rainbow Roller Rink à Van Nuys. Il est encore en uniforme. Il se met sur le passage de ses anciens copains d’école Jan & Dean. Mais ils ne s’arrêtent même pas pour le saluer. Ils sont suivi de Lou Adler qui ne s’arrête pas non plus et qui lance à Kim (à qui il doit tout) : «I’m Lou Adler, manager of Jan & Dean. Is there a problem?». Kim en reste bouche bée. Il espérait un peu de reconnaissance de la part d’Adler à qui il a servi Jan & Dean sur un plateau, comme déjà dit. Rien. Même pas merci. Alors Kim rentre chez lui en stop et va se coucher nous dit Selvin in tears of rage. Le fond de cette histoire, c’est qu’Adler hait Kim. Et ce ne sera pas la dernière fois qu’il va lui faire du mal. Un autre épisode aussi pourri est à venir. Bien sûr, cette haine devient réciproque. Adler devient même une obsession pour Kim. Il a besoin d’ennemis pour se fortifier, alors Adler fit the bill, comme dit Selvin.

             On croit tous que la légende de la West Coast est un film de Walt Disney, avec la plage, le soleil, les jolies blondes et les mecs sympathiques. Les haines y sont les mêmes qu’ailleurs et les instigateurs de cette haine sont, comme l’a montré Sloan, certainement plus féroces qu’ailleurs, comme si le soleil attisait la cruauté. Ce n’est pas un hasard si Los Angeles devient le berceau du fameux Californian Hell.

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             C’est Sandy Nelson, le batteur des Sleepwalkers qui présente Gary S. Paxton à Kim - The tormented hillbilly genius who was going to change his life - Paxton avait vécu en Arizona et avait décidé comme Kim de consacrer sa vie au rock’n’roll. Il a commencé par monter un groupe, The Pledges, avec Clyde Battin, qui deviendra par la suite le célèbre Skip Battin des Byrds. Kim propose à Paxton de le prendre sous son aile et le présente à Marty Melcher, boss d’Arwin Records, mari de Doris Day et père de Terry Melcher. Paxton est impressionné par les relations d’un Kim qui ajoute qu’il a appris à raisonner comme un Juif - Fowley knew how Hollywood worked - Kim et Paxton montent a music publishing company called Maverik Music et font imprimer des cartes sur lesquelles figure le numéro de téléphone de la cabine qui se trouve au coin de la rue. Paxton s’habille en noir, il possède plusieurs hot rods garés devant chez lui et descend un litron de Jack par jour. C’est lui qui lance the Hollywood Argyles.

             Kim et Paxton finissent par se fâcher en 1961. Kim en a ras-le-bol de n’être que le business man alors que Paxton est vu comme le génie. Kim veut être lui aussi le génie, nous dit Selvin. Il n’aura pas de mal à le devenir. Paxton rachète les parts de Kim dans Maverik Music pour 500 $, lui demande de ramasser ses affaires et de dégager.

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             Kim reprend son petit bonhomme de chemin, il connaît tout le monde à Los Angeles. Il découvre les Rivingtons en 1962 et les dirige sur Liberty. Tout le monde connaît «Papa-Oom-Mow-Mow». Un jour qu’il fait du stop, il est ramassé par un jeune musicien nommé David Gates. Kim voit une guitare sur le siège arrière et Gates confirme qu’il est musicien. Alors Kim lui dit qu’il est record producer. Gates lui demande pourquoi il fait du stop s’il est producteur et Kim lui répond : «I’m eccentric». À l’époque, Gates vit avec sa femme et ses enfants dans une bicoque de Canyon Drive, une bicoque qu’il partage avec un certain Russell Bridges, qui va se faire connaître en tant qu’arrangeur et pianiste sous le nom de Leon Russell. Gates et lui viennent d’une high school de Tulsa, Oklahoma. Ah comme le monde est petit, à Los Angeles. Kim flashe sur une  chanson de Gates, «Popsicles and Icicles» et monte un coup : il lance les Murmaids comme the First All-Girl Surf band. Et ce sont elles qui jouent de leurs instruments, même plan que Goldie & the Gingerbreads sur la côte Est. «Popsicles and Icicles» explose en 1963 et ne sera détrôné l’année suivante que par l’«I Want To Hold Your Hand» des Beatles. Les Beatles ? Humpfff humpff... Kim flaire aussitôt le jackpot. Il jette quelques affaires dans une valise et prend un aller simple pour Londres.

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             Jan Berry évolue très vite, il devient un crack du son et de la prod - Nobody was making records any better in town - Il bosse d’ailleurs avec Brian Wilson et compose avec lui l’excellent «Drag City». Jan et Brian passent pas mal de temps ensemble en studio. C’est Jan qui conseille à Brian d’utiliser des musiciens de session plutôt que les Beach Boys, un mode de fonctionnement que Totor va aussi reprendre à son compte. Et au même endroit : alors qu’il a encore son bureau à Manhattan, Totor enregistre tous ses hits au Gold Star à Los Angeles avec le wrecking crew. Selvin nous dit que ça permettait à tous ces producteurs de pousser leur bouchon plus loin, «into new more sophisticated shapes sans sacrifier le drive du rock’n’roll» - They were creating the new West Coast pop sound - Brian admire le take-no-shit attitude de Jan, un Jan qui nous dit Selvin utilise Brian à son profit - With Jan there wre always wheels within wheels - Comme il est sous contrat avec Sreen Gems - comme les Monkees - Jan doit soumettre tous ses projets pour acceptation. C’est une contrainte qu’il n’accepte pas. Alors il dit au président de Columbia Pictures (la maison mère) d’aller se faire mettre, to fuck himself. In those words. Dans Jan & Dean, c’est Jan le boss. Jan & Dean s’entendent bien, mais ils ne sont pas amis. Jan est une locomotive, alors que Dean est le classic Californian kid qui planque ses sentiments derrière des petites blagues and smart-ass banter. Le mec sympa et souriant. Il peut tout encaisser sans moufter. Jan continue de faire le con en bagnole, la nuit il roule à 250 à l’heure en ville et brûle les feux. Sa copine Jill Gibson ne veut plus monter en bagnole avec lui. Jan & Dean deviennent tellement célèbres qu’on leur propose de jouer dans un film. On est à Hollywood, ne l’oublions pas. Mais un accident survient sur le tournage et une locomotive écrase la jambe de Jan. Ça met fin temporairement à sa carrière. Jan s’assombrit, déjà qu’il n’est pas très lumineux. Il en veut à la terre entière et même à Dean. Ils finissent par s’engueuler en studio et Dean sort en claquant la porte. Dans le studio voisin, les Beach Boys enregistrent l’album Party et ils s’amusent bien. Dean se joint à eux. Tout le monde est bourré. Puis en avril 1966, Jan est convoqué au draft, c’est-à-dire au bureau de recrutement, pour le service militaire. Il ne veut pas partir à l’armée, mais le draft n’est pas du même avis. Jan n’est pas du genre à accepter les contrariétés - he was not accustomed to not having his way - Il a toujours su adapter les règles à son profit, alors ce ne sont pas ces abrutis de militaires qui vont stopper sa carrière. Jan entend faire exactement ce qui lui plaît et sans en payer le prix. On lui dit qu’il sera convoqué dans les 90 jours. Il sort furieux du bureau et écrase le champignon de sa Stingray.

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    Ce jour là, il descend une rue déserte et se paye un camion en stationnement. Boom ! Comme si on y était. On se croirait dans la scène finale de No Country For Old Men des frères Cohen, quand Javier Barden se fait percuter. Grâce à cet accident qui va lui briser le crâne, Jan échappera à l’armée. Il ne retrouvera l’usage de la parole et une partie de son autonomie que beaucoup plus tard, dans les années 70. Sacré Jan, il finit toujours par obtenir ce qu’il veut. Cette fois, en en payant le prix.

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             Pendant que Jan Berry percute son destin de plein fouet avec «Dead Man Curve», Adler continue de grenouiller dans le marigot du music biz californien. Il flaire encore le jackpot avec Johnny Rivers, un mec qui fait un tabac chez Gazzari’s. Hupff humpff... Il arrive à le convaincre de faire un album live et il file ensuite à New York présenter le résultat à Don Kirshner pour le compte duquel il travaille. Mais Kirshner vient de vendre Aldon à Screen Gems, la branche musicale de Columbia Pictures. Avec le rachat, des gens sont virés et Adler en fait partie. Quand il revient à Los Angeles, des gens occupent déjà son bureau. Adler s’en bat l’œil. Il a déjà gagné pas mal de blé. Son pote Elmer Valentine, ancien flic corrompu de Chicago, vient lui demander conseil : il revient d’un voyage en Europe où il a découvert les discothèques. Alors il demande à Adler si c’est une bonne idée d’ouvrir un Whisky A Go-Go sur Sunset. Adler saute sur l’occasion - It was the right idea at the right time - En janvier 1964, le Whisky A Go-Go ouvre sur Sunset avec devinez qui à l’affiche ? Johnny Rivers, bien sûr ! Le Whisky devient très vite la boîte hip de Los Angeles - The place caught fire almost immediately - Jane Mansfield et Steve Queen sont des habitués. Lors de leur première visite à Los Angles, les Beatles débarquent au Whisky et bien sûr la première chose que fait John Lennon, c’est devinez quoi ? Il demande à Jane Mansfield de se pencher pour lui monter ses seins, car comme chacun sait, Jane Mansfield a les plus beaux seins du monde. Il suffit de voir cette photo célèbre qui orne la couverture du fameux Hollywood Babylone de Kenneth Anger.

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             Adler n’en finit plus de grenouiller nous dit Selvin. Il se débarrasse de sa première épouse pour se maquer avec l’actrice Ann-Margret, dont l’agent s’appelle Peter Cossette. Adler et Cossette montent Dunhill Records avec Bobby Roberts, un ancien danseur de claquettes. Ça ne s’invente pas. Cossette et Roberts salarient Adler et lui payent une Cadillac. Roule ma poule. Chez Dunhill, Adler continue de superviser la carrière de Jan & Dean et il embauche deux auteurs compositeurs, Steve Barri et P.F. Sloan. Sloan nous dit Selvin est un autre enfant terrible de Fairfax High, comme Totor.

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             C’est Terry Melcher qui file an advance copy du nouvel album de Dylan à Adler qui fait le moue et qui le refile à Slaon qui lui tombe en pâmoison - «Like a Rolling Stone» changed his life - Sloan s’habille aussitôt comme Dylan, avec la casquette de pêcheur et les boots. Il devient un nouvel homme et compose «Eve Of Destruction». C’est Barry McGuire qui va l’enregistrer. La chanson ne plait pas du tout à Barri qui barrit - Stick to pop, not polemics

             Alors justement voilà Terry Melcher, l’un des autres acteurs clés de cette California Saga. Il est A&R pour Columbia quand il signe Bruce Johnston pour enregistrer «Do The Surfer Stomp». Melcher et Johnston travaillent avec la crème de la crème, Hal Blaine, Tommy Tedesco, Glen Campbell et d’autres luminaries. Melcher est considéré comme un jeune aristocrate. Sa fiancée s’appelle Candice Bergen. Ils se séparent lorsque Melcher commence à fréquenter Jackie DeShannon, qui a 22 ans à l’époque et qu’on considère comme l’une des reines d’Hollywood. Melcher et Bruce montent pas mal de projets ensemble, dont les Rip Chords. Ils développent en même temps que les Beach Boys une nouvelle tendance purement américaine : the cars songs. Brian Wilson vient de composer avec Gary Usher le fameux «409». Brian et Gary se connaissent bien car l’oncle de Gary vit à côté de chez les Wilson, à Hawthorne. Melcher et Bruce prennent l’habitude de chanter ensemble et ils enregistrent sous le nom de Bruce & Terry. Lors d’une tournée à Hawaï, Melcher conduit une bagnole de location. Bruce est assis à l’avant à côté de lui et sur la banquette arrière se trouvent Jan & Dean et Jill. Melcher roule trop vite et sort dans un virage pour se retrouver dans un champ de canne à sucre avec les pneus crevés - These were bad boys from Beverley Hills.

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             Puis en 1965, Columbia demande à Melcher de produire un groupe fraîchement signé : les Byrds. McGuinn, Croz et Gene Clark débarquent dans le grand studio A. Ils ne sont signés que pour un seul single et n’ont pas le droit de jouer de leurs instruments. Ils doivent se contenter de chanter les harmonies vocales de «Mr Tambourine Man». Les musiciens sont déjà là : Hal Blaine, Jerry Cole, Larry Knechtel et Russell Bridges, c’est-à-dire Tonton Leon. Glen Campbell devait venir gratter sa douze mais finalement on autorise McGuinn à gratter la sienne. Il oriente son chant quelque part entre Dylan et Lennon, Croz et Gene Clark fournissent les harmonies vocales. Mais Melcher n’accroche pas. Il fait rejouer le cut 22 fois. Puis comme le raconte si bien Sloan dans son autobio, Melcher et lui s’enferment dans le studio pour mettre de la triple réverb sur toutes les pistes. Ils virent le piano de Tonton Leon et la voix de Gene Clark. Le résultat on le connaît, c’est le single magique qu’on peut entendre aujourd’hui. Comme Totor, Melcher cherchait un son. Du coup les Byrds deviennent les nouvelles stars du Sunset, on fait la queue au Ciro’s où ils jouent tous les soirs. On voit Peter Fonda danser avec Odetta et Kim fraîchement revenu d’Angleterre jerker comme un diable - Twisting his long bent frame into compulsive dance moves - On voit aussi Sonny & Cher, Buffy Sainte-Marie, Little Richard, et Dylan monte sur scène pour un ou deux cuts avec ses amis les Byrds.

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             Dick Dale et Sandy Nelson font de courtes apparitions dans cette Saga. Selvin nous dit que Leo Fender travaillait pour Dick Dale et développait pour lui la fameuse Stratocaster et le Fender Showman - Leo Fender baptisa l’ampli Showman car c’est ainsi qu’il voyait Dale, comme un showman - Quant à Sandy Nelson, Selvin en fait the first star drummer of rock and roll. Mais le pauvre Sandy n’aura pas de bol, puisqu’il va passer sous la roue d’un autobus et de faire couper une patte. Oh mais ce n’est pas ça qui l’empêchera de redémarrer, une fois qu’on lui aura installé une jambe de bois, comme dans la flibuste. Hardi moussaillon !

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             Selvin passe aussi un temps fou avec Nancy Sinatra, son père, et donc Lee Hazlewood, un autre personnage clé de toute cette histoire. Ce vétéran de la guerre de Corée qui fut DJ à Phoenix sortit de l’anonymat en produisant Duane Eddy. C’est à cette époque qu’il débarque à Los Angeles. Selvin le voit comme «un cranky Hollywood cowboy qui a du blé, qui adore rester assis au bord de sa piscine avec une bouteille de Chivas et qui dit au record biz d’aller se faire cuire un œuf.» Quand un nommé Bowen vient trouver Lee pour lui parler de Nancy Sinatra dont la carrière est en panne, Lee lui répond qu’il se bat l’œil de Nancy Sinatra, mais bon, il n’est pas contre une rencontre. Chez Nancy, Lee gratte plusieurs cuts, dont «These Boots Are made For Walking» et c’est le père Frank qui repère la chanson. Lee dit que ce n’est pas une chanson de gonzesse. Mais il accepte néanmoins de la filer à Nancy. Avec son sourire en coin, Selvin nous dit que Lee n’est pas impressionné par Frank Sinatra. Il en a tout simplement rien à foutre.  

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             Adler a aussi repéré les Beach Boys. Il connaît Brian. Il flaire la poule aux œufs d’or. Humpff humpff... Il l’emmène un jour à New York rencontrer Don Kirshner. Le but est de lui faire signer un contrat chez Aldon en tant qu’auteur/compositeur. Brian vient d’écrire «Surfin Safari». Kirshner lui propose 50 $ par semaine. Brian tente de formuler une objection et Kirshner lui demande aussi sec de la fermer : «Don’t come on like Tarzan with me.» Quand Brian ramène le contrat chez lui pour le montrer à son père Murry qui est encore le manager du groupe, le vieux pique une crise de rage. Il veut que les Beach Boys restent a family affair, il ne veut rien avoir à faire avec des clampins comme Adler. Alors Brian ramène le contrat non signé à Adler. Pour contourner l’autorité du père, Adler encourage Brian à bosser avec Jan, mais clandestinement, à cause des contrats. Brian et Jan composent ensemble «Surf City». Alors évidemment, quand Murry Wilson voit arriver «Surf City» en tête des charts, il s’explose la rate de rage, d’autant plus que le hit est crédité Screen Gems, ça veut dire que ça tombe dans la poche d’Adler et de Jan. Murry Wilson s’en prend à Jan qu’il traite de «song pirate» et il interdit à Brian de continuer à fréquenter cette crapule. Roger Christian et Dean Torrence qui ont aussi bossé sur «Surf City» ne sont pas non plus crédités, mais ils ferment leur gueule, sachant que ça ne sert à rien de la ramener, Jan Berry fait très exactement ce qu’il a envie de faire et il n’est pas possible de le faire changer d’avis. Si t’es pas content, la porte c’est par là.

             Puis Brian va commencer à subir des pressions terribles. Il se met à fumer de l’herbe et à prendre du LSD. Pendant qu’il est sorti, sa femme fouille la baraque pour trouver le LSD et avec l’aide de la famille, elle lui ordonne d’arrêter ses conneries. Brian t’es là pour composer des tubes, pas pour te défoncer ! Quand Brian refuse de repartir en tournée, c’est d’abord Glen Campbell qui le remplace, puis c’est au tour de Bruce Johnston. Bruce est fasciné par Brian. Pour la première fois, il est invité à une session d’enregistrement des Beach Boys. Il est encore plus fasciné de les voir enregistrer leurs harmonies vocales. Il voit Brian coacher Mike Love sur «California Girls», Brian’s greatest piece of music yet.  

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             Comme chacun sait, Brian cause du souci aux autres Beach Boys, notamment à Mike Love, all money and business. Love dit à Brian : «Don’t fuck with the formula», la formula étant la pop qui les a rendus célèbres. Al Jardine et Carl Wilson sont aussi inquiets de la tournure que prennent les choses dans la cervelle bien rose de Brian. Dennis Wilson n’est pas souvent dans les parages. Bruce Johnston n’est là que depuis quelques mois, mais quand il débarque dans une session à Western Recorders et qu’il entend «God Only Knows», son cœur s’arrête de battre. Bruce sait mieux que les autres ce que Brian fait en expérimentant : il cherche à évoluer - The Beach Boys became an obsession for Johnston - C’est bien sûr l’époque de l’enregistrement de Pet Sounds, certainement la période la plus glorieuse et la plus pénible de Brian Wilson. Car à part Bruce Johnston, personne ne le soutient dans ce projet. Brian est d’autant plus affecté qu’il connaît le sort réservé à son idole Totor et à «River Deep Mountain High» : le flop. Brian songe même à arrêter le projet, mais un jour il rencontre Van Dyke Parks lors d’une party chez Terry Melcher à Cielo Drive. Selvin nous présente Parks comme un gnome érudit originaire du Sud, qui utilise un vocabulaire imagé et qui adore les jeux de mots. Parks se déplace sur une petite moto Yamaha. Il est très pauvre et Brian le dépanne aussitôt. Ensemble, ils se mettent à bosser et ça donne «Heroes and Villains».

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             À Londres, Kim fréquente la crème de la crème. Avec Andrew Loog Oldham, il réécrit «House Of The Rising Sun» pour en faire «The Rise Of The Brighton Surf», en l’honneur des combats entre Mods et Rockers à Brighton. Lors de ce premier séjour à Londres, il atterrit chez P.J. Proby, un épisode largement documenté par Kim himself dans un vieux numéro d’Ugly Things. En fait c’est une partouze continuelle, en compagnie de criminal masterminds and rock’n’roll geniuses. Kim fréquente Judy Garland, Vivian Prince, les Pretty Things, Vince Taylor, découvre un new rock band called the Yardbirds. Il s’invente des personnalités excentriques, il adore l’Angleterre mais quand arrive l’hiver, il décide d’aller retrouver le soleil en Californie.

             À son retour, il rencontre trois hippies dépenaillés : John Phillips, sa femme Michelle et Dennis Doherty. Ils lui chantent trois de leurs compos - «California Dreamin’», «Monday Monday» et «Straight Shooter» - Kim qui flaire le jackpot. Humpff humpff... Il appelle aussi sec Nick Venet qui n’est plus chez Capitol, mais qui a le vent en poupe avec les Leaves. Venet accepte de recevoir les trois hippies. C’est Cass Elliot qui conduit la bagnole. En les voyant, Venet a un coup de cœur. Il demande à Cass si elle chante aussi. Elle dit oui, alors Venet lui dit qu’elle fait partie du groupe, alors que John Phillips n’y tenait pas trop. Venet leur propose un rendez-vous le lendemain chez Mira Records. 15 heures, ça vous va ? Parfait, fait Phillips qui en profite pour demander du blé. Venet lui donne ce qu’il a dans la poche, 150 $. Quand les trois hippies rentrent chez le mec qui les héberge, un nommé Hendricks, un copain de Greenwich Village est là : Barry McGuire. McGuire est devenu riche depuis «Eve Of Destruction», il s’est payé une Royal Enfield et il parade dans les rues. Il leur propose de les emmener le lendemain matin rencontrer son producteur Lou Adler. Lorsqu’ils entrent en studio, Phillips gratte sa douze et chante «California Dreamin’». Adler se penche vers l’oreille de McGuire et demande : «De qui est la chanson and who’s fucking the blonde ?». Adler pense que la chanson peut être le prochain single de McGuire. Il demande à Phillips s’il a déjà pris des contacts. Quand il dit à Adler qu’il a rendrez-vous avec Venet l’après-midi même et qu’il cite le nom de Kim, Adler crache son venin : «Je vous donne tout ce que vous voulez. N’allez voir personne d’autre.» Plus tard dans l’après-midi, Venet appelle Kim pour lui dire que les hippies ne sont pas venus au rendez-vous. Kim s’est encore fait baiser en beauté par son ennemi juré. Ah comme la vie de personnage légendaire peut être dure !

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             Bon on connaît la suite de l’histoire des Mamas & The Papas : superstardom, sex & drugs & rock’n’roll. Quand Papa John s’aperçoit que Mama Michelle fricote avec un autre mec, il la vire. Pour la remplacer, Adler propose Jill Gibson, l’ex-copine de Jan Berry, avec laquelle il a bien sûr une histoire de cul qu’il tient secrète car il encore marié dans sa belle résidence de Bel Air. En fait, Selvin nous explique que Jill et Adler se sont rapprochés au chevet de Jan Berry qui était encore dans le coma. Partager de la souffrance pour un ami commun, ça rapproche. Selvin s’amuse bien avec ces histoires. Ce sont les petits travers qui font les grandes rivières. On peut en déduire sans risque qu’à l’instar de Sloan, Selvin n’apprécie pas trop Adler. Donc Jill entre en studio avec les Mamas & The Papas et bien sûr Mama Michelle fait son retour, non seulement dans le groupe, mais aussi dans le lit de son mari Papa John. Du coup, Jill comprend qu’elle est baisée. Elle dit à son amant Adler qu’elle veut juste récupérer ses royalties, car elle chante sur l’album à paraître. Avec son air protecteur, Adler la conduit au bureau de Bobby Roberts qui lui explique que si elle veut récupérer ses royalties, elle doit traîner Papa John en justice. Alors tout ce qu’elle peut espérer récupérer, c’est l’avance qu’on lui a promise quand elle a remplacé Mama Michelle, mais qu’on ne lui a bien sûr jamais versée - She believed him - Cette pauvre Jill avale tous les bobards de ces gens-là. Sloan ne parle que de ça dans son autobio. De la façon dont Dunhill a détruit les gens.

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             Totor est fasciné par the Ike & Tina Turner Revue qu’il voit sur scène au Galaxy, un club situé tout près du Whisky, sur Sunset. Quand Totor entre dans la loge pour proposer l’enregistrement d’un single, Tina ne sait même pas qui il est. Ike accepte la proposition et Totor pose une condition : pas d’Ike en studio. Juste Tina. Pourtant Ike assistera à la session de Tina, en restant dans un coin. Et ce qu’il entend, c’est-à-dire la musique de «River Deep Mountain High» le laisse sans voix, pour la première fois de sa vie, nous dit Selvin. Totor fait chanter Tina again and again. Les heures passent et au cœur de la nuit, Tina demande qu’on baisse les lumières et elle enlève son chemiser pour se mettre à l’aise, elle dégouline de sueur. Quand épuisée, elle quitte le studio, elle ne sait pas nous dit Selvin qu’elle a donné à Totor ce qu’il désirait. Selvin ajoute que Totor a dépensé pour cet enregistrement an astronomical $20,000. À la fin de l’enregistrement, Totor et Jack Nitzsche se regardent et sourient - They knew they had wrung the greatest possible glory out of the sound they had been chasing. Ça avait été une quête extraordinaire. Mais après ça, ils savaient tous les deux that there was nowhere left to go - On ne pouvait pas aller plus loin. «River Deep Mountain High» est en effet l’un des sommets de la pop américaine.

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             En 1966, Kim revient à Londres. Derek Taylor, l’ex agent de presse des Beatles qui s’est installé en Californie s’occupe désormais des Beach Boys. Il envoie Bruce Johnston à Londres avec deux acetates de Pet Sounds. Il nomme Bruce ambassadeur et le charge de faire écouter Pet Sounds aux Beatles. Kim vient voir Bruce à son hôtel. Ils sont restés très proches, Kim n’a jamais essayer de le baiser. Bruce sait parfaitement qui est Kim - Johnston knew the real guy - Il est d’ailleurs l’un des seuls à l’apprécier. Kim ramène des tas de gens dans la suite du Waldorf pour écouter Pet Sounds : Dave Clark, Marianne Faithfull et Keith Moon qui est un fan de surf craze. Andrew Loog Oldham amène Jagger qui dit à Bruce : «You’re the one who goes ‘Do-wah’» et Bruce lui répond : «No. I’m the one who goes ‘Wah-do’». Tu parles à Bruce Johnston, mon gars, alors baisse d’un ton.

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             Selvin referme cette California Saga avec «Good Vibrations». L’enregistrement a duré sept mois, 22 sessions et a coûté an astronomical $50,000. À la fin de la dernière session, Bruce Johnston s’exclame : «Soit on aura le plus grand hit du monde, soit c’est la fin des Beach Boys.» Il y eut entre six et dix versions finales, avant que Brian ne décide quelle était la bonne. En 1966, «Good Vibrations» se vend à 100 000 exemplaires par jour. C’est le plus gros hit des Beach Boys. Brian rêvait d’un chef d’œuvre, et son rêve devenait réalité.

    Signé : Cazengler, Joël Selfi

    Joel Selvin. Hollywood Eden. House Of Anansi Press Inc. 2021

     

     

    Le marasme de Marah

     

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             On les croyait disparus et voilà qu’ils réapparaissent. Oh pas grand chose, juste une petite interview logée dans les dernières pages d’un récent numéro de Classic Rock.

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             Paru en l’an 2000, un album intitulé Kids In Philly avait établi la légende de Marah. Les frères Bielanko entraient alors dans la cour des grands. Quand Serge Bielanko quitta le groupe en 2008, ce fut la fin des haricots. Mais heureusement, les deux frères viennent de reformer le groupe. C’est à peu près la seule info qui ressort de cette interview. On appelle ça un marasme.

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             Leur premier album date de 1998 et s’appelle Let’s Cut The Crap And Hook Up Later On Tonight. C’est un big one. Ces petits mecs originaires de la Nouvelle Orleans dégagent une énergie de tous les diables, avec un son tellement plein, ils ont même les trompettes de la Nouvelle Orleans dans «Fever». Il semble que ces mecs aient toute l’artistry chevillée au corps. «Formula Cola Dollar Draft» rafle bien la mise, avec les coups d’harp de Serge Bielanko et dans «Phantom Eyes», ils développent du steam power à base de big pounding et de banjo, c’est un cocktail explosif. Back to the Stonsey avec «Firecracker». Ils tapent la meilleure Stonesy de la Nouvelle Orleans, ils sont en plein dans ce son, par les accents, les accords, le swagger, ça sent bon le Keef. «Head On» n’est pas celui des Mary Chain, c’est plus New Orleans, un vrai bordel, bien pulsé du cul, les coups d’harp foutent le feu. Ils tapent leur «Boat» au gospel batch, avec des filles qui arrivent sur le tard et qui gueulent tout ce qu’elles peuvent. Ce bel album s’achève avec un «Limb» attaqué au banjo. Ces petits mecs n’ont plus rien à prouver, l’album devient un must of the crust, c’est plein d’à-valoir, avec ce banjo dans l’oss de l’ass, le power de Marah confine aux affres d’une Stonesy new-orleanique de rêve, d’autant que pour finir, ils sortent les cornemuses, ce que les Stones n’ont jamais osé faire.     

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             C’est en l’an 2000 que paraît l’inestimable Kids In Philly. Inestimable ? Eh oui ! C’est là qu’on trouve «The History Of Where Someone Has Been Killed». Marah sort de sa baignoire et fout une pression terrible, c’est amené au furtif killer call de guitare et ça devient une sorte de gumbo de Stonesy hérissé de power chords de la vieille garde qui ne se rend pas, ça explose comme à Nellcote, Marah claque son beignet avec une classe indécente et un solo d’harp plonge dans la fournaise terminale, just out of it et là tu montes encore d’un cran dans l’extase, ça te swingue l’estomac, ils t’embarquent dans le vacuum de l’astronef, on voit rarement des cuts aussi éblouissants, d’aussi prodigieux suppositoires, Méliès en plein dans l’œil, et ils n’en finissent pas de monter en pression, et puis ça bascule, il faut le savoir, mais ça bascule dans l’extrême power du Valhalla et bien sûr, ça prend feu. Le reste de l’album sent bon la Nouvelle Orleans, avec un son très Southern Breeze de rock («Point Breeze») et un bel hommage au Jackie Wilson de Reet Petite («Christian St») : ils passent en mode heavy Soul et c’est énorme. Ces mecs creusent bien leur terrier, ils chantent à l’accent cassé, leur truc tient la route car bien défini, les flambées sont réelles. Avec «The Catfisherman», ils passent en mode downtown de heavy souche et embarquent à la suite «Round Eye Blues» à l’énergie des movers shakers de la Nouvelle Orleans, alors ça donne un balladif en forme de fantastique énormité. Ils font un gros clin d’œil aux Faces avec «Barstool Boys», on se croirait sur le premier album des Faces, pur jus de fake English, ils sont capables de réveiller les vieux démons de «Mandoline Wind». C’est incroyable comme on se sent bien dans cet album.

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             Alors on navigue d’album en album avec Marah, ce révolutionnaire dont le peuple attend des miracles. Paru en 2002, Float Away With The Friday Night Gods est un album un peu moins spectaculaire que son prédécesseur, mais bon, on en fait ses choux gras. Marah passe par le glam pour imposer sa «Revolution», mais c’est un glam de la Nouvelle Orleans qui sent un peu le cramé. Après le glam voici la power pop avec deux cuts à la queue leuleu, «4 All We Know We’re Dreaming» et «What 2 Bring», mais c’est une power pop en forme de rouleau compresseur, chantée au gusto exemplaire. À ce niveau d’intensité, ça frise le génie. Marah travaille sa pop dans l’épaisseur du lard. Bombardé de burst agressif, le morceau titre sonne comme du Primal Scream et ça donne une espèce de heavy pop confinée dans son contexte. Tout est bardé de son sur cet album, ils visent l’ultimate de l’ultimatum, alors il ne faut pas les embêter. C’est gorgé, trop gorgé. Ça dégorge. Marah tape dans la surenchère révolutionnaire et ça pourrait bien lui coûter la vie. Un peu plus loin, il se grille avec de l’electro, dans sa baignoire, comme Cloclo. Pas malin. Il se grille encore une fois avec «Crying On An Airplane», cette fois avec de la pop FM. Terrible destin pour un orateur aussi doué. Méfie-toi des baignoires. Marah revient aux choses sérieuses dès le deuxième couplet de «Leaving», il revient à ce qu’il sait faire de mieux, le deep inside, chanté à la perpendiculaire d’un big boom bien envoyé, mais pas aussi déterminant que l’History de Kids In Philly. Dans l’interview de Classic Rock, David Bielenko rappelle qu’ils sont allés enregistrer cet album au Pays de Galles avec Owen Morris et qu’ils ont changé de son et pris dit-il trop d’ecstasy.   Par contre, il se dit fier du morceau titre, qu’il présente comme l’une de leurs meilleurs compos.

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             La Seine coule sous le Pont Mirabeau et deux ans plus tard paraît 20,000 Streets Under The Sky. C’est avec cet excellent album qu’il démarre sa période Yep Roc Records, qui, souviens-toi, fut un label de pointe dans les années 2000, avec Alejandro Escovedo, Chuck Prophet, Robyn Hitchcock, The Legendary Shack Shakers, Heavy Trash, John Doe, Dave Alvin et Bob Mould, pour n’en citer que quelques-uns. Trois cuts frappent l’imagination : «Going Thru The Motions», «Tame The Tiger» et «Pigeon Heart». On y retrouve le power de Marah, le beau beat bien épais et le refrain qui monte en mélodie. «Tame The Tiger» pourrait d’ailleurs figurer sur le White Album, car puissant et déterminé à vaincre. Tous les départs de Marah sont solides, sa musicalité reste à toute épreuve, inspirée de la Stonesy et du good time strutting de la Nouvelle Orleans. C’est même assez stupéfiant car développé au hey hey, joué à la clameur, c’est fondu dans le son, comme cuisiné à la poêle. Marah attaque son «Pizzeria» comme Graham Parker, alors ce côté Graham Parker va indisposer beaucoup de gens, mais il faut faire avec. Marah chante ça au larynx râpeux. Il reste dans une vraie démarche, c’est toujours ça de gagné. Avec l’«East» d’ouverture de bal, il fait aussi du Graham Parker. C’est le même son. Il développe encore de fabuleux chevaux vapeur avec «Feather Boa» et reste ancré dans le bon beat parkerisé avec «Sure Thing». L’aventure se termine avec le morceau titre joué à la guitare du paradis. Marah vise la félicité, alors il taille sa route vers le paradis au petit gratté d’ukulélé et aux échos de voix lumineux. Marah tape cette fois dans l’excelsior, il vise la chaleur de la clameur pastorale, dans l’esprit de ce que fit Frank Black avec «Heaven». Bien vu, Marah !

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             Ils sortent deux albums en 2005 : If You Didn’t Laugh, You’d Cry et A Christmas Kind Of Town. Le premier veut le déplacement pour deux raisons : un, «Fat Boy», tapé à l’épaisseur maximaliste, Marah joue à l’énergie pure et le cut décolle, c’est même un vrai raz-de-marée de son et d’harmo. Deux, «Walt Whitman Bridge», car quasi-dylanex, chanté au chuss, avec des gros coups de douze. Le reste de l’album peine à jouir, peut-être trop classique. Marah s’enfonce dans le rock américain des années 2000 avec «The Hustle» et ça pue le MTV. Il ne parvient plus à trancher, ça frise le Costello, pouah, quelle horreur ! Dommage, car les guitares sont belles. Avec ses relents cajuns, «Sooner Or Later» fait dresser l’oreille et «The Dishwater’s Dream» t’envoie rouler dans l’Americana de barrelhouse, good time de tatapoum et d’harmo.

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    Par contre, son Christmas album ne laissera pas de grands souvenirs. On sauve le powerful «Christmas With The Snow». Marah chante le «Silver Bells» à outrance, comme s’il se branlait du Christmas. 

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             L’album de Marah qu’on peut emmener sur l’île déserte est le fameux Sooner Or Later In Spain paru en 2006. Yep Roc propose un mini-album et un gigantesque DVD : Marah sur scène en Espagne pour un show interminable et fascinant. Bon le seul petit reproche qu’on peut faire à David Bielanko est de sonner un peu trop comme Graham Parker. Il est donc préférable de voir le concert. On y assiste à la spectaculaire attaque des trois guitares, c’est-à-dire les deux frères Bielanko et le jeune Adam Garbinski, cette espèce de Gavroche qui joue en embuscade sur la droite. Il gratte une demi-caisse Gibson noire assez bas sur les cuisses et il allume tous les cuts un par un avec des incursions intestines dignes de celles de Johnny Thunders. C’est vraiment dommage que David Bielkanko force son chant et donc sa présence. Ils amènent «Pigeon Heart» au gratté sauvage d’acou avec un Serge à l’harp et c’est excellent. Première alerte à la bombe avec l’énorme «Round Eye Blues» et ses coups d’harp à la Dylan. C’est le Marah Power en plein, avec cette capacité qu’ils ont de monter là-haut sur la montagne ! Ils récidivent plus loin avec une fantastique version de «Sooner Or Later», un cut de Stonesy amené par le petit Gavroche fouteur de feu. En plus, il est toujours en train de se marrer, il est tellement content de jouer dans ce groupe ! Ces mecs ont le son et les chansons. On voit aussi avec «Pizzeria» qu’ils ont une façon extraordinaire de retomber chaque fois dans une sorte de Stonesy à leur sauce. L’une de leurs rares covers est l’«On The Road Again» de Willie Nelson que Dave qualifie de the greatest song I heard in my life. Ils font encore des merveilles avec «Point Breeze» et «The Hustle» et nouveau point chaud avec «Reservation Girl», attaqué aux trois guitares. Ils terminent avec la pure Stonesy d’«History Where Someone As Been Killed» et les coups d’harp de Serge, c’est cisaillé au beat de Charlie et aux cocotes à la Keef. Dans les bonus, ils tapent en plus une fascinante cover du «Debris» de Plonk Lane. 

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              Marah opère un gigantesque retour aux affaires révolutionnaires avec Angels Of Destruction. Boom et même trois fois boom dès le «Coughing Up Blood» d’ouverture de bal - I’m a coming/ I’m a flesh - les guitares slinguent dans l’épaisseur du lard et ça grouille de clameurs viscérales, c’est même incendié aux guitares de blues, ça cavale par dessus les toits. Ouf, le grand Marah est enfin de retour. Ça continue sur la même lancée avec «Old Time Tickin’ Away», bien up-tempé au chant d’attaque frontale, Marah maximalise à nouveau, il rue non pas dans les brancards mais dans sa baignoire. Demented ! Il génère une sorte de power demented, et ce, bien avant l’arrivée de Charlotte Corday. Il attaque «Angels On A Passing Train» aux guitares du désert, alors on se prosterne. Même chose devant «Wild West Love Song», Marah le prend au wild singing, et derrière un fou bat le beurre. Il bourre son album comme une dinde, son «Santos De Madera» sonne très Hold Steady, il chante en poupe, très débridé, un brin raw, une vraie voix, mais il faut que ça plaise, il chante son la la la la à la bonne franquette et un accordéon se faufile dans le son. On retrouve le big bass drum de la Nouvelle Orleans dans le morceau titre. Marah charge sa chaudière, awite, il fait du story-telling de love you so much, un heavy mid-tempo infesté de relents de Stonesy, et rehaussé d’un final explosif zébré de petites griffures de slide. C’est tellement bien foutu qu’on en bave. Et ça continue avec l’excellent «Can’t Take It With You», Marah se fond dans le groove du shadow, avec toute la démesure de la Nouvelle Orleans, ses trompettes et un son chargé d’histoire, les voilà de retour dans leur univers magique avec du piano et du good timing, effarant ! Et cette voix qui flûte à la surface du voile à pleine clos ! Et ces trompettes qui sonnent dans tous les coins. Extase garantie. 

             C’est juste après cet album que Marah splitte.

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             David Bielanko renaît de ses cendres en 2010 pour enregistrer un fantastique album solo, Life Is A Problem. Il attaque ça à la Stonesy, il est en plein dans l’esprit des heavy balladifs de Keef, avec ses yeux de poisson frit, oui, c’est exactement la même ampleur. On se régale aussi du morceau titre. Quelle épaisseur de son ! Ce mec se donne les moyens de la grosse prod avec des infra-basses dans les descentes de couplets. On entend même les castagnettes de Totor dans l’écho du temps, c’est très spectaculaire. Il vise l’over the rainbow et il a raison. Et petite cerise sur le gâtö, il ramène une énorme guitare en pleine apothéose. Ce petit mec a tout compris. Par contre, la B retombe comme un soufflé. Le seul cut qui ne laisse pas indifférent s’appelle «Tramp Art», sans doute à cause de son côté très lennonien.

    Signé : Cazengler, Marat d’égout

    Marah. Let’s Cut The Crap And Hook Up Later On Tonight. Black Dog Records 1998

    Marah. Kids In Philly. E-Squared 2000

    Marah. Float Away With The Friday Night Gods. E-Squared 2002

    Marah. 20,000 Streets Under The Sky. Yep Roc Records 2004

    Marah. If You Didn’t Laugh, You’d Cry. Yep Roc Records 2005

    Marah. A Christmas Kind Of Town. Yep Roc Records 2005

    Marah. Sooner Or Later In Spain. Yep Roc Records 2006    

    Marah. Angels Of Destruction. Yep Roc Records 2008   

    Marah. Life Is A Problem. Valley Farm Songs 2010

    Interview dans Classic Rock #236 - June 2017

     

     

    L’avenir du rock - Delgrès, ça dégraisse

     

             L’avenir du rock tourne en rond dans le désert depuis des mois, peut-être même des années. Il a croisé Lawrence d’Arabie plusieurs fois, toujours drapé de blanc et élégamment perché sur son dromadaire. Il a même vu passer au loin quatre nègres athlétiques transportant au petit trot un homme blanc sur un brancard. Sans doute Rimbaud, mais l’avenir du rock ne se sentait pas le courage de leur courir après pour réclamer un autographe. La situation était déjà bien assez incongrue, il n’était donc pas souhaitable d’en rajouter. Plus par nécessité que par goût, il a appris à se nourrir de petits cailloux, ce qui lui permet de pondre des œufs qu’il fait cuire dans le casque viking que lui a offert Richard Burton. Dans ce genre de situation, on devient extrêmement créatif. L’avenir du rock se dit souvent que s’il était roi, il donnerait son royaume en échange d’une paire de lunettes de soleil. Mais il doit bien se rendre à l’évidence. Pas de plus beau symbole de l’évidence que ce désert. Il a perdu depuis longtemps tout espoir de rejoindre la civilisation. Pour retourner la situation à son avantage, il se dit qu’il se passe très bien de cette fucking civilisation. Et comme il sent que par la force des choses, il devient philosophe et même diogéniste, il en profite pour étayer sa vieille haine du matérialisme. N’importe qui à sa place en ferait autant, mais il n’existe rien de tel que les situations extrêmes pour passer à l’acte. Il éprouve donc une sorte d’immense fierté à errer dans le désert sans carte bleue, sans smartphone, sans compte en banque, sans bagnole, sans piscine, sans grosse épouse. Ému aux larmes, il pense à Peter Green et à Peter Tork qui, de leur vivant, distribuèrent aux pauvres tout ce qu’ils possédaient. Son délire l’entraîne toujours plus loin. Sous le casque Viking, sa cervelle entre en ébullition. Il pousse encore plus loin la logique du dénuement. Voilà qu’il se met à rêver de devenir esclave ! C’est à ses yeux le dénuement ultime. Il ne reste rien, même pas la liberté. Avec un peu de chance, il va croiser une caravane de trafiquants d’esclaves, on l’enchaînera, on le jettera dans la soute d’un navire en partance pour la Guadeloupe et Louis Delgrès viendra le délivrer. 

     

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             D’un Delgrès l’autre dirait Céline en parlant de châteaux. Grâce au trio Delgrès, on apprend qui est Louis Delgrès, l’abolitionniste du XVIIIe siècle qui, comme Toussaint Louverture, fut ratatiné par Napoléon. Tu trouveras tout le détail de ces deux abominables affaires sur wiki. C’est un nom qui revient dans l’actualité, grâce au guadeloupéen Pascal Danaë qui a baptisé son trio de blues moderne du nom de Delgrès, histoire de saluer la mémoire de cet héroïque militant de l’abolitionnisme. Jusques là tout va bien.

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             Et comme toujours, les petits concours de circonstances font les grandes rivières. Première chose : privé de concerts depuis deux ans, on finit par céder à la tentation d’aller voir n’importe quoi. Deuxième chose, le programmateur compare Delgrès à John Lee Hooker, ce qui semble complètement grotesque, mais sait-on jamais ? Et troisième chose, un bon ami qui est aussi excellent bluesman annonce qu’il va les voir en concert. Dernière chose, on jette un œil sur Discogs qui nous dit : «French creole blues band». Curieux mélange. Hooky créole ? Cas d’école. C’est donc avec une certaine appréhension qu’on y va. Et pour couronner le tout, le concert est prévu dans la grande salle, lieu de toutes les dérives festives, ce qui n’est pas bon signe. On y a vu Lee Fields couler son show en voulant faire chanter la salle. Il n’avait pas compris que les salles de spectacles normandes ne sont pas des églises en bois du Mississippi.

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             Sur scène, ils sont trois : le déjà cité Pascal Danaë (chant et guitare), Rafgee (Sousaphone) et Baptiste Brondy (beurre). Fantastiquement présent, Pascal Danaë affiche un look de Black Panther, béret, lunettes noires et le poing souvent levé, ce qui le rend éminemment sympathique. Ce genre de mec nous manque, en cette époque de désengagement politique. On respirait mieux au temps des radicaux et de la lutte des classes. En plus, il a les chansons qui vont avec. Le militantisme de Delgrès n’est pas de la frime, même si, comme on va le voir, il bascule parfois dans la grosse daube festive. Il a de la matière et il n’hésite pas à rappeler que les choses n’ont pas trop changé depuis le temps où on réduisait les nègres en esclavage. Il veut dire bien sûr que le racisme est resté exactement le même. Le blanc dégénéré n’a pas évolué d’un seul millimètre. C’est même étonnant que Pascal Danaë ait du succès avec un look pareil et des textes aussi revanchards. Il ne tombe pas dans le panneau des rappers américains et du Kill the cops, il s’arrange pour que ses messages passent, et ça a l’air de marcher, car les gens connaissent les textes de ses chansons.

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             Il est plutôt bien accompagné. Le mec au sousaphone fait un boulot énorme. Au Méridien, Vigon avait lui aussi opté pour un sousaphone à la place de la basse. Ça donne des basses très primitives mais d’une puissance folle. Un son très New Orleans. Par contre, le mec au beurre frappe comme un sourd. Il amène de la vitalité, mais peut-être un peu trop, car Pascal Danaë flirte parfois avec le groove des Caraïbes, qui nécessiterait plus un fouetté léger de peaux des fesses qu’un drumbeat à la Bonham. Oui car le bonhomme sait Bonhamer au boum badaboum, comme le montre son édifiant solo de batterie.

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             Et le blues dans tout ça ? Oh pas grand chose, Pascal Danaë tape un ou deux cuts de blues dans la première partie du set, notamment «4 Ed Maten», c’est bien foutu, il joue avec les doigts, pas de médiator, et il n’hésite pas à sortir le bottleneck pour claquer des notes bien senties. Comme la frappe est lourde, le blues vire au stomp. Mais on sent parfois chez lui des velléités à vouloir sonner comme Junior Kimbrough. C’est dans sa diction, le côté créole remonte dans le chant et donne à ses cuts un violent parfum d’exotisme. 

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             Mais quand il veut faire du participatif et lancer une bacchanale en demandant à la foule de chanter à sa place, ça dégénère, ça tourne à la fête populaire, le blues n’est pas fait pour ça. On se retrouve soudain dans une fucking émission de variété à la télé. Artistiquement, c’est d’une nullité crasse. Tout ce qui faisait le charme du trio vole en éclat. Mais heureusement, ils vont revenir à de meilleurs sentiments. Il faut dire que Pascal Danaë est un fabuleux showman.   

             Et puis il y a ces stormers mirifiques que sont «L’école» (propulsé par le sousaphone) et «Lanme la» monté sur un beau beat rockab créolisé et infiniment crédible. Ils sont capables de miracles. Pascal Danaë ramène dans son set toute l’Africanité du blues.

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             On retrouve «L’école» sur le deuxième album du groupe, 4 Ed Maten, c’est-à-dire quatre heures du matin. La version studio de «L’école» n’a pas du tout le même power que la version live, mais ça reste un véritable coup de génie. Il chante ça en créole - Ma maman di mwen fo ou travayé lékol/ Ma maman di mwen fo ou respecté lékol - S’il faut rapatrier l’album, c’est surtout pour se goinfrer de cette merveille. Et sur scène, le sousaphone fait virevolter les relances de ce groove du diable. C’est le real deal, un blast exotique qui te réconcilie avec la vie d’une part, et qui t’ouvre au monde d’autre part. Il a aussi des chansons d’esclaves assez extraordinaires, comme ce «Libere Mwen Chorale», ou encore «Lese Mwen Ale», c’est-à-dire laisse-moi aller, et il en profite pour passer un killer solo flash, car de ce côté-là, il n’est pas manchot. La plus belle chanson d’esclave est «La Penn», il évoque les chaînes du port de la Rochelle, on ne peut pas imaginer tout ce que ces pauvres nègres ont pu endurer à cette époque - Dans le port de la Rochelle/ J’ai brisé mes chaînes/ Cent jours de mer/ Et je ne sais plus très bien/ Cent jours de mer/ Et je ne comprends plus rien - Pascal Danaë adresse un gros clin d’œil aux familles d’armateurs qui à l’époque se sont enrichies grâce à la traite des noirs. Tout le blues de l’album se trouve rassemblé dans le morceau titre d’ouverture de bal. Pascal Danaë l’amène au heavy doom d’Hooky mais c’est vite stompé par big Baptiste. Pascal Danaë ramène du créole dans le maelström. Dommage qu’on entende moins le sousaphone. Il est un peu éloigné dans le son. Puis ça va commencer à se dégrader avec des cuts comme «Aleas» et «Se Mo La», plus putassiers. «Assez Assez» flirte avec la calypso. Si tu ne piges pas le créole, t’es baisé. On perd le blues et le sousaphone. «Lundi Mardi Mercredi» est amené au stomp, mais c’est un stomp qui ne fait pas rêver. «Just Vote For Me» est tellement saturé de son qu’on perd le chant.

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             Leur premier album s’appelle Mo Jodi et donne à peu près le même résultat, c’est-à-dire un mix de cuts géniaux et de choses beaucoup plus faibles. Sur la pochette, Pascal Danaë affiche clairement son look Black Panther et il attaque avec «Respecte Nou», un heavy boogie revanchard - Fo sa sésé - Il a raison, faut qu’ça cesse, fuck les coloniaux. Son slogan est porté par le meilleur boogie blast de métropole. L’autre énormité de l’album s’appelle «Can’t Let You Go». Il l’amène au blues créole et renoue avec l’Africanité du blues et là tu entends le sousaphone pouetter dans le gut du groove. Dommage qu’ils ne remplissent pas leurs albums de cuts de cet acabit d’Aqaba, comme dirait Lawrence d’Arabie, que vient de voir passer encore une fois l’avenir du rock. Pascal Danaë ramène encore des tonnes de groove dans «Anko», oh no, il développe avec ses deux amis une fantastique énergie.  Sa musique te redonne du cœur au ventre. Retour à la chanson d’esclave avec «Ramene Mwen», il demande simplement à ce qu’on le ramène chez lui en Afrique. Pascal Danaë truffe encore son morceau titre d’éléments de la lutte, ça te donne une espèce de groove surnaturel noyé dans les clameurs de la révolte. Mais pas de blues dans cet album. C’est autre chose. John Lee Hooker ? Tintin. 

             Ce texte est pour Karim qui, à la différence du programmateur, sait qui est John Lee Hooker.

    Signé : Cazengler, Delgras du bide

    Delgrès. Le 106. Rouen (76). 25 mars 2022

    Delgrès. Mo Jodi. Pias 2018

    Delgrès. 4 Ed Maten. Pias 2021

     

     

    Inside the goldmine

     - Go Goldie go ! (Part One)

     

             Toutes celles et ceux qui fréquentèrent jadis Monsieur Goldy, alias Monsieur la Saucisse, en conservent un excellent souvenir. Bonne pâte, il se prêtait à toutes les configurations sociétales pourvu qu’on respectât scrupuleusement sa liberté d’agir et de s’exprimer. De ce point de vue, il savait se montrer intraitable et créait chaque fois une unanimité sans appel. Bon nombre de ceux qui le connurent de son vivant jalousaient sa force de caractère, et plus encore sa fantaisie. On aurait juré qu’il n’existait pas sur cette terre de créature plus lunatique que Monsieur Goldy. Il avait dans le regard cet éclat mélancolique qui rappelait Buster Keaton, il se coiffait comme Tintin et l’analogie allait loin car sa principale admiratrice disait de lui qu’il portait des culottes de golf. Mais il ne prêtait guère l’oreille aux commentaires, seule l’intéressait la découverte de l’univers, il en était insatiable, sa curiosité dépassait l’entendement. Il s’intéressait à tout, au moindre chemin de forêt, à la moindre ruelle de faubourg, aux déserts comme aux montagnes, il sillonnait les brousses comme les plages immenses, il traversait des fleuves à la nage en plein hiver, il sautait du haut des falaises sans jamais craindre de se tordre les pieds, il prenait tellement de risques qu’il fallait parfois voler à son secours, comme le jour où tombé dans la retenue d’une écluse, il s’englua dans un amoncellement de détritus flottants et faillit bien s’y noyer. Il fallut le repêcher, et n’importe qui à sa place aurait eu honte, pas lui, surtout pas lui. La fierté mal placée ? Laissez-nous rire ! Et puis un jour, alors que nous arpentions une berge sauvage, Monsieur Goldy mit les bouts. Il fila à la poursuite d’une poule et jamais ne reparût. On fit des recherches qui ne donnèrent aucun résultat. Depuis, le mystère s’est épaissi car les habitants de cette région maudite racontent que certaines nuits de pleine lune, une silhouette étrange traverse le petit pont de pierre qui enjambe la source. Il s’agit disent-ils d’une sorte de Tintin à quatre pattes en culottes de golf.

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             Pendant que le fantôme de Monsieur Goldy traverse le petit pont de pierre, Goldie traverse les décennies. Ace et Shindig! braquent enfin le projecteur sur Goldie & The Gingerbreads, avec une compile atomique d’un côté (Thinking About The Good Times. Complete Recordings 1961-1966), et six pages de l’autre.

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             D’un côté, Goldie raconte toute l’histoire à Alec Palao, et de l’autre, elle la re-raconte à Jeff Penczak. D’origine polonaise, Genyusha Zelkowicz tire son surnom Goldie de Goldilocks & the Three Bears. Lors d’un concert de Mickey Lee Lane dans un club new-yorkais elle fait une sacrée découverte : c’est une petite gonzesse qui accompagne Mickey à la batterie ! Elle s’appelle Virginia Gingerbread Panebianco. Sa famille italienne la voyait mariée avec des gosses. Pas question, fuck it, Virginia les a envoyés sur les roses et elle s’est barrée. En fugue ! On the run ! Entre Goldie et Virginia, c’est le coup de foudre : let’s start a band ! Le nom est tout trouvé : Goldie & the Gingerbreads. Elles repèrent Margo Croccito qui joue de l’Hammond B3 dans un cocktail lounge. Woah, c’est le coup de foudre ! Aussitôt embauchée ! La grande force du gang de Goldie, c’est qu’elles jouent de leurs instruments, elles sont les premières à se débrouiller seules - We were punks who played sleazy bars - Elles jouent dans les bars new-yorkais des early sixties qui appartiennent à la mafia et Sonny Franzese devient leur manager - They owed everything, honey, they were the mob - En juillet 63, Franzese les colle à l’affiche du Copa Room, au Sands Hotel de Las Vegas tenu par Robert de Niro. Elles passent en première partie de Paul Anka. Comme Margo est une crack et qu’elle joue les lignes de basse sur l’orgue, elles n’ont pas besoin de bassiste. Elles finissent par trouver enfin la guitariste de leurs rêves, Carol MacDonald, qui accompagnait Herbert Khaury, c’est-à-dire le futur Tiny Tim. Woah ! C’est le coup de foudre ! Elles tournent en Europe avec Chubby Checker et se payent des black leather suits en Allemagne. Elles signent leur premier contrat avec Florence Greenberg, la boss de Scepter, label des Shirelles et de Dionne Warwick. Elles sortent un remake du «Skinny Mimmie» de Bill Haley produit par Stan, le fils de Florence. On trouve bien sûr ce «Skinny Vinnie» sur la compile.

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             Les Animals sont à New York en 1964 et un soir, Eric Burdon, Hilton Valentine et Chas Chandler se baladent. En passant devant un club, ils entendent le son d’un groupe. Woah ! Ils entrent et croyant voir des blacks, ils tombent sur Goldie & the Gingerbreads - White chicks ! - Coup de foudre ! Leur manager Mike Jeffery vient ensuite proposer aux filles une tournée en Angleterre et un contrat chez Decca. Et ça continue de s’emballer : Ahmet Ertegun les veut sur Atlantic, Bob Crewe les fait jouer dans une soirée privée. C’est là que Keith Richards les découvre à son tour. Woah ! Coup de foudre ! Elles partent en Angleterre et c’est Alan Price qui est supposé les produire, mais Goldie dit que non (en studio, il y avait Eric Burdon et Chas Chandler). Quand Jeffery leur impose d’enregistrer «Can’t You Hear My Heartbeat», Goldie l’envoie promener. Mais l’autre insiste. Et quand Chas dit à Goldie qu’elle doit chanter ça au sucre comme les Supremes, Goldie l’envoie aussi promener - You think about the Supremes. I’m thinking about Ray Charles ! - Seulement, Jeffery a raison, «Can’t You Hear My Heartbeat» est un hit en Angleterre, même si le cut n’est pas représentatif de leur style. Mais aux États-Unis, elles se font baiser par les Herman’s Hermits qui en sortent leur version. Goldie est furieuse de voir ces branleurs la doubler. Comme elles ont du caractère, les Gingerbreads finissent par enregistrer les covers de leur choix : «What Kind Of Man Are You» de Ray Charles, «Sailor Boy» de Gerry Goffin et «Look For My Baby» de Ray Davies. Pour Goldie, c’est l’occasion de bosser avec Shel Talmy qui à ce moment-là produisait les Kinks. On retrouve ces trois merveilles sur la compile Ace. Elles font de «What Kind Of Man Are You» un groove extraordinaire de let you go, monté sur un shuffle d’orgue à l’anglaise et Goldie le chante à la revancharde. Le «Sailor Boy» est monté aux clap-hands et Goldie le chante au sucre candy. Ah comme elle est bonne ! Elles groovent aussi le «Look For My Baby» de façon admirable. Elles sont diaboliques.

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             On trouve d’autres cuts produits par Shel Talmy, comme «Please Please», un fast boogie emmené ventre à terre. Elles sont dessus, c’est violent et beau à la fois. Ou encore «I See You’ve Come Again» que Goldie chante à la force du poignet. Et puis «Sporting Life», ce fantastique slow-groove repris en France par Ronnie Bird - Ma vie s’enfuit ! - Goldie et Ronnie même combat ! C’est aussi définitif que le «Stay With Me» de Sharon Tandy. Shel Talmy produit aussi «Margo’s Groove», un fantastique shuffle d’orgue du Swingin’ London. Elles sont aussi balèzes que le Graham Bond ORGANization. On reste en studio avec Shel Talmy pour «85 Westbourne Terrace» (l’adresse de leur appart à Londres) que Margo embarque à l’orgue et là tu as tout : Margo, son shuffle, et Ginger Bianco qui bat le beurre. Avec «That’s Why I Love You», elles sont en concurrence directe avec les Shangri-Las. Voilà pour le power stuff des Talmy sessions.

             Et puis le coup de génie de Goldie & The Gingerbreads est le «Think About The Good Times» qui donne son titre à la compile. Elles ont le feu au cul. Elles sonnent comme des blacks, Goldie jive comme une reine du Bronx. Le «Little Boy» que produisent les Animals est un aussi un smash in the face, elle y va la Goldie, elle se lance dans la bataille à coups de no no no, elle écrase ses no no du talon et elle resurgit dans le son comme un saumon de l’Hudson river.

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             Palao revient longuement sur ce qui fait la spécificité des Gingerbreads : Ginger Bianco fourbit le solid beat, Margo fourbit le groove, «peppering it with jazz & R&B licks, both sophisticated and visceral». Carol «sat perfectly in the pocket» et il parle enfin de Goldie Zelkowitz (encore une autre orthographe) en termes de «no-nonsense self-styled broad» et de «raw and guenine soul». Palao les qualifie de «great and versatile combo», pouvant passer de l’«intimate gossip of the classic NYC girl groups» au «R&B punch of the British Mod scene». Il parle d’un éventail extrêmement large. Il dit aussi - et il a raison - qu’il n’existe pas beaucoup de groupes aussi fascinants que Goldie & The Gingerbreads. Après une courte introduction, Palao donne la parole aux filles qui racontent leur histoire, au long des 40 pages du booklet. Goldie redevient Genya et raconte comment elle a grandi en écoutant les blacks : LaVern Baker, Little Richard et Bo Diddley. Elle trouvait Elvis trop blanc.

             Elles tournent pas mal en Europe, jouent bien sûr au Star Club de Hambourg et en première partie des Animals à l’Olympia. Elles participent à toutes les grandes tournées anglaises, au package tour des Stones, puis des Kinks et des Yardbirds, puis des Walker Brothers et des Hollies. Aux États-Unis, Ahmet Ertegun distribue leurs singles et «What Kind Of Man Are You» fait des ravages.

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             Manque de pot, Goldie fait un abcès et le groupe s’arrête bêtement. Goldie part de son côté et les trois autres du leur. Ginger reste inconsolable : «J’ai essayé de me réconcilier avec cette histoire pendant longtemps. Goldie arrivant de Pologne, moi la petite fugueuse italienne, et notre rencontre at Trude Heller’s... Ça ferait un sacré film. À cette époque, on pouvait se permettre de rêver, même avec tous les problèmes qu’on se tapait, c’était stimulant. Chaque jour, quelque chose pouvait se produire.» Genya ajoute : «I had the best learning in the world, being on the road with my girls.» 

             Goldie va devenir Genya Ravan et connaître son heure de gloire avec Ten Wheel Drive. Un bon gros Part Two te donnera tous les détails de cette fascinante histoire.

    Signé : Cazengler, Goldmichet

    Goldie & The Gingerbreads. Thinking About The Good Times. Complete Recordings 1961-1966. Ace Records 2021

    Jeff Penczak : Good Time Girls. Shindig! # 117 - July 2021

     

    *

    Voici près de dix ans l’était trop tard, pas pour le Juke Joints Band, hélas pour moi, le concert qu’annonçait l’affiche collée sur la vitrine d’un commerçant était passé depuis une semaine. Dessus y avait ce gars le dos affessé ( ne lisez pas affaissé ) sur son tabouret de pythie delphique et  l’autre décalé sur l’image, debout les bras levés à la manière des officiants du vaudou, bref cette affichette puait à pleine vue le blues. Depuis Big Mama Thornton dans tout rocker, sommeille un fameux hound dog, certes un sacré bâtard, mais quand il pose le museau sur une piste il ne la lâche plus… quelques semaines plus tard dans un troquet perdu de l’Ariège je retrouvais mes deux lascars en l’occurrence Ben Jaccobacci et Chris Papin…

    Depuis les kr’tntreaders ont ainsi pu lire la relation d’une dizaine de concerts du Juke Joints Band ainsi que la chronique de leurs trop rares enregistrements. A eux deux Chris Papin et Ben Jaccobacci forment le noyau originel du JJB, depuis deux ans la formation s’est étoffée, z’ont ‘’profité’’ de la période confinatoire pour enregistrer un nouveau CD, une petite merveille bleue.

    BACK ON THE STREET

    JUKE JOINTS BAND

    ( Disponible sur Bandcamp)

    Michel Teulet : basse / Rosendo Frances : batterie / Chris Papin : chant / Ben Jaccobacci : guitare.

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     Back on the street : remettez dix fois l’intro pour y croire, le Rosendo l’a une frappe proustienne, un côté de chez Swann et un côté des Guermantes, je traduis, un côté lourd qui plombe , un côté léger presque volatile, un appui rhythm and blues, et un arrière-goût jazz, la basse qui swingue et la guitare qui râpe, normalement cela suffit pour être heureux mais voici que s’infiltre la voix de Chris, une peau de serpent que l’on greffe sur un grand brûlé, ça pique un peu c’est Ben qui appuie sur la sonnette du crotale, mais la compresse ouatée de la basse de Michel vous requinquerait un mort, très fort, un shuffle qui dandine fort joliment, maintenant Ben vous pousse dans les orties d’un solo urticant, à la reprise le vocal de Chris évoque l’aisance de la  démarche  d’Arsène Lupin se dirigeant vers les lingots d’un coffre-fort ouvert. Un gros défaut, ce morceau est trop court. Si on s’écoutait l’on n’écouterait pas les suivants. Broke : ce qui serait une erreur. Un frère jumeau. Pas identique toutefois, pas un monozygote, pourtant il gigote méchamment. L’est sûr que lorsqu’un groupe a le son, il vaut mieux qu’il le garde. Toujours ce shuffle mais ce coup-ci, il boite un peu du côté gauche, l’a la démarche de Lord Byron, Rosendo vous imite d’un tapement sec le pied bot de l’auteur du Don Juan, on l’attend toujours et quand il tombe il se permet de vous surprendre, un peu de la faute de la basse de Michel Teulet qui vous nappe l’asymétrie rythmique d’une rondeur sucrée qui détourne votre attention. La guitare de Ben klaxonne de belle manière, en douce, elle creuse sa tranchée dans vos synapses sans que vous y fassiez gaffe, oui mais si vous n’entendez pas le break de Rosendo et le salmigondis de la guitare qui suit, c’est que vous êtes mort. Pas d’inquiétude la vocal de Chris vous réveillera, ce n’est pas qu’il crie, au contraire se fond dans l’instrumentation des trois mousquetaires, en épouse toutes les formes, le pinceau qui suit les volutes de fer forgé de la grille d’entrée et les recouvre d’or pur. Guts of the city : attention, l’on change de style, si sur les deux premiers morceaux on ne pouvait s’empêcher de penser à  cette marmelade des Stones de la grand époque si parfaite, refermée sur elle-même comme une pierre précieuse pelotonnée en sa perfection, indétrônable en sa beauté, ici le son est plus âpre, la voix de Chris coupante comme une bagarre au couteau dans un bouge du Delta, alors derrière lui ça groove et poinçonne un max, le Teulet l’air de rien touine la basse en sourdine, médite le coup fatal, Rosendo distribue les horions, le Ben se sert de sa cafetière électrique comme d’un bowie-kniffe et vous étire les entrailles du solo hors du bide sur le plancher,  pas de quoi s’affoler, continuent encore à se battre, doivent y prendre du plaisir. Nous aussi. You’re good for nothing but love : le genre de titre qui doit enchanter les ligues féministes, nous on adore, la guitare de Ben fait le gros dos comme un chat qui se réveille, après quoi elle miaule tout azimut comme un chien de chasse qui jappe car il a senti une caille dans les parages. Le Chris prend son pied, et les trois camarades le soutiennent de toutes leurs forces et ne boudent pas leur plaisir. Un joyeux boxon généralisé. Un truc érectile à vous faire monter la moutarde spermatique jusqu’au plafond. En plus ils font durer le plaisir. Qu’y s’en plaindrait ? Jouissif. Burning love blues : remettent le couvert sous les couvertures. C’est parti pour le good trip. Tous ensemble. Un blues épais comme de la crème. Rosendo : pour maintenir le package par-dessous, Ben : dont la guitare joue à l’épine dorsale par-dessus. Entre ces deux morceaux de pain au levain la basse de Michel barate le beurre à s’en enduire la rate, et le Chris vous rajoute le blues de poulet, chacun y mord dedans à pleine bouchée, directement des producteurs aux consommateurs, le blues en auto-suffisance, pourrait durer toute la nuit et le jour d’après, z’ont dû le concocter pour le live, le morceau qui emporte le public et le fait tanguer en pleine mer à la manière des moutons de Panurge. Hey hey hey hey : le morceau précédent c’était du tout cuit, le riff ensorcelant, le long Kaa qui tout petit vous fascinait, alors maintenant c’est du tout cru. La même chose avec des arêtes. De poison. Un départ pratiquement en douceur, ça rebondit à la manière d’un ballon de basket, le Rosendo rondement, gardez une oreille sur les cordes, la basse qui vous étire la guimauve si collante que vous ne pouvez pas vous en défaire, mais il y a la lead sur l’autre piste, au début elle ne se fait pas remarquer, c’est après qu’arrivent les lancettes, un cactus qui joue à la sarbacane avec ses piquants, vous transforme en porc-épic le temps d’un solo, sur ce le Teulet vous appuie dessus avec le dos de la cuillère pour que vous sentiez encore plus la morsure du blues. C’est lorsque Chris s’arrête de chanter à la fin, que vous prenez conscience de son rôle délétère. S’est joué de vous. Vous a mené en plein dans le piège. L’apparaît de plus en plus dans ce carré d’as qu’il n’y en a pas un pour relever les autres. Unis comme les doigts de la main, mais ce sont les quatre interstices les plus dangereux. Such a mess : un chef-d’œuvre à part entière. La guitare de Ben qui traîne à terre telle un varan des Galapagos, la section rythmique en contre-point et la voix de Chris qui fout le feu partout elle passe, quand elle se tait le Ben en profite pour groover à mort, l’est vite rattrapé par le Chris et c’est la crise, le vocal s’emmêle à la lead en fil de fer barbelé, un duel fratricide en toute amitié, chacun essayant de marcher sur l’autre, une façon de faire mousser le blues à la Howlin, pour vous dire combien c’est prodigieux. Cold cell : les trois derniers morceaux issus d’une séance antérieure.  Une guitare davantage pointue qui pose ses notes comme des points-virgules, puis qui étrille la bouteille du solo avec le goupillon des enterrements, Chris un ton plus bas, un peu à la Ray Charles  graveline le blues à ras de terre, Rosendo qui vous encercle dans la rosace du  rythme, la basse qui se fait la gardienne du temple, et chacun y va de ses variations sur le canevas imposé, une espèce de quadrille maîtrisé à la perfection, comme quoi le blues peut atteindre à la subtilité du jeu de go. Mais les jetons tournés et retournés sont toujours bleus. Trampoline man : z’ont mis de la gazoline dans les instrus, ça ronronne rond sur le circuit, seule la voix de Chris s’amuse à rebondir sur le macadam élastique, pendant ce temps les copains jouent à ralentir le rythme, le maître chanteur est obligé de précipiter un tant soit peu les vocalises pour que l’ensemble garde sa vitesse de croisière. Un jeu dangereux, casse-gueule, dont ils se tirent comme des chefs, nécessite d’incroyables douceurs de toucher sur les cordes. Ici c’est soigné aux petits oignons, ces bulbes bleus qui font couler des larmes de jalousie aux amateurs qui auraient envie d’essayer ces froissés insidieux de dentelles acérées. S’agit de tambouriner non pas les notes mais les espaces qui les séparent. Leave the ground : même style que le précédent. Tout est dans la nuance. Un peu comme ces films dans lesquels il ne se passe rien parce que vous vous focalisez sur les images qui ressemblent à vos mortuaires tendances à l’inertie. Prenez le temps d’écouter, c’est du frisottis, de la barre fixe au-dessus de l’abîme du silence. Du grand art. Du blues qui rampe. Un crocodile qui glisse silencieusement vers vous, seule sa tête affleure, mais c’est un vicieux car il a fermé les yeux. Pour mieux vous dévorer. Les contes bleus de l’alligator perché sont dangereux.

             Si vous aimez le blues ce disque est pour vous. Si vous reprochez au blues actuel de parfois s’éloigner de ses racines ce disque est pour vous. Si vous aimez la modernité inventive, ce disque est pour vous. Si vous préférez le rock, et que vous vous lamentez sur son avenir, ce disque est pour vous. Le Juke Joints Band vient de frapper un grand coup. Retournez la pochette - sur le recto le JJB est fidèle à son image, ne se mettent pas sur la photo – maintenant vous savez comment le blues arrive, sans bruit, sur des boots en peau de serpent…

    Damie Chad.

     

     AUTRE REGARD SUR BOB DYLAN

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    Certaines pochettes de Bob Dylan reproduisent une œuvre peinte de Bob Dylan. Notamment dans la série l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même des self-portraits issus de son pinceau. J’avoue que je n’ai pas ressenti de chocs esthétiques particulièrement violents en les examinant. Ne voulant pas rester sur une impression mitigée, j’ai eu envie d’en voir et d’en savoir plus. Voici quelques éléments récoltés de-ci de-là qui n’entendent en rien épuiser le sujet.

    PREMIERE PÊCHE

    Dès que vous tapez peintures de Bob Dylan sur le net deux sortes d’occurrences vous sautent aux yeux. La première est plutôt flatteuse. Dylan expose depuis des années un peu partout. De Miami à Shangaï. De Londres  à Milan. Jusqu’à deux cents tableaux à la fois. Nous en sommes heureux pour lui. La deuxième est moins sympathique. L’est accusé de plagiat. Diantre que lui reproche-t-on au juste. Recopierait-il la Joconde en faisant croire qu’il s’agit du tableau original dont Vinci se serait inspiré pour son soi-disant chef-d’œuvre. Non c’est pire que cela. Rassurez-vous j’exempte Dylan des accusations qui sont portées à son encontre. Par contre ses détracteurs me semblent n’avoir rien compris à Bob Dylan.

    Ainsi d’aucuns accusent Bobby de se contenter de reproduire sur ses toiles, en format géant, des cartes postales en vente dans le commerce. D’autres lui reprochent d’avoir commis des tableaux qui ne sont que des reproductions de photographies ‘’ artistiques ‘’ qu’ils auraient prises. Résumons, Dylan serait un vulgaire copieur, un pilleur malotru. Dylan ne répond pas, ne se disculpe pas, ne discutaille pas. Le venin de la vipère ne saurait salir la blancheur immaculée de la fourrure du blanc léopard.  Peut-être pense-t-il moins poétiquement, dans sa tête il doit se dire, cause toujours je vais finir par en parler à mes avocats. La vieille et éprouvée technique du pot de fer contre le pot de terre.

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    Même en écoutant les raisons de ses plaignants, je leur donne tort. Dylan agit en peinture comme il agit en musique. Ne s’en est jamais caché. L’a proclamé haut et fort et en public. Ses chansons ne sont pas sorties ex-nihilo de sa tête. Sont très souvent inspirées tant pour  paroles et  musiques que pour les sujets traités, parfois jusqu’aux arrangements, de vieux morceaux de blues, d’antiques country, de séculaires gospels, de folk-songs oubliés depuis des lustres qu’il a retrouvés en fouillant les bibliothèques. Leur apporte sa touche personnelle, se définit comme un passeur, un continuateur. L’a puisé dans le pot commun de la musique populaire américaine. Fait feu de tout bois, un exemple parmi tant d’autres, l’a incorporé le titre Baby blue de Gene Vincent dans le titre de It’s all over now baby blues, un morceau qui chante la fin de l’amour alors que Gene clamait juste le contraire, Well I’ve got a brand new lover… en plus les paroles de Dylan sont bien plus fortes que la bluette de Gene Vincent ce qui ne l’empêche pas d’être un chef-d’œuvre à part entière…

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    L’art, musical et pictural, est un éternel recommencement. On n’apprend pas à dessiner un arbre en se plantant en pleine forêt devant un chêne ou un orme mais en regardant dans un musée comment les devanciers l’ont fait. Ensuite chacun apporte, ou n’apporte pas, sa touche personnelle. Les artistes s’inspirent les uns des autres, de leurs prédécesseurs, de leurs contemporains… Avec plus ou moins de talent. Avec plus ou moins de génie.

    CLASSIFICATION PRIMAIRE

    Avant tout une première constatation. Si l’on peut affirmer que Dylan a dynamité la chanson américaine il n’a pas révolutionné l’art pictural. L’évidence vous saute aux yeux, se classe dans la grande famille des figuratifs. Dans certains milieux d’avant-garde cette expression est équivalente à celle très méprisante de peintres du dimanche. N’est pas un formaliste, ne tend pas vers l’abstraction, n’a pas cherché à élaborer un langage qui lui soit propre, Dylan reproduit comme tant d’autres plus ou moins platement la réalité ce qui ne l’empêche pas d’atteindre à une certaine expressivité. Ce dernier mot est un sauf-conduit à toute épreuve, quand une œuvre dégage une certaine force sans être transcendante, ou lorsque l’on ne sait pas quoi dire et que l’on ne veut pas vexer l’artiste on s’en tire en décrétant d’un air entendu : ‘’ très expressif’’ ça ne mange pas de pain et ne vous engage à rien. Attention, François Coppée et Apollinaire sont deux poëtes réalistes. Mais entre les dizains du premier et les Calligrammes du second il y a une sacrée différence d’appréhension du réel. Il est donc nécessaire d’affiner notre analyse.

    CLASSIFICATION STYLISTIQUE

    Ne faut pas être spécialiste de la peinture américaine pour déceler la principale influence de Dylan peintre. Celle d’Edward Hopper. Cela n’est pas étonnant. Il convient de regarder l’extrémité effilé d’une simple épingle pour s’apercevoir qu’elle se termine, toute proportion gardée, comme le bout de la corne d’un rhinocéros. Le lien entre une épingle et un rhinocéros est certes ténu, cependant personne ne peut s’opposer à cette solidarité entre ces deux objets. Procédons de même avec Hopper et Dylan. L’on connaît l’admiration de Dylan pour Arthur Rimbaud, Hopper n’a jamais caché sa passion pour Paul Verlaine. Pour ceux que cette affiliation poétique entre nos deux ostrogoths picturaux semblerait trop lointaine rappelons que Hopper est classé comme un des maitres de la peinture réaliste américaine. Autre collatéralité, tous deux sont américains. Sont plusieurs centaines de millions à partager cette particularité certes, mais tous deux sont peintres et ont avant tout peint les paysages américains et des américains.

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             Nous donnons ici l’œuvre la plus célèbre d’Edward Hopper immédiatement suivi d’un tableau de Dylan. Il est inutile d’épiloguer sur l’influence du premier et l’inspiration du dernier.

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    Des scènes d’une banalité écoeurante, si fidèle à la réalité que l’on n’est pas sans ressentir une curiosité insatisfaite ou un malaise inidentifiable, bref la peinture ne nous satisfait plus totalement, l’on cherche derrière ce qui n’est déjà plus un tableau mais que nous interprétons comme l’image énigmatique d’une réalité cachée.

    CONFLUENCES

    Le cheminement de l’art ne s’arrête jamais. Tout comme le blues a eu un bâtard que l’on a appelé le rock ‘n’roll, le réalisme a lui aussi engendré son gamin illégitime : l’hyperréalisme. L’hyperréalisme consiste à reproduire la réalité avec tant de précision que la scène représentée ressemble à une carte postale. Le lecteur fera de lui-même la corrélation avec le premier reproche adressé à Dylan, celui de reproduire des cartes postales. L’on ne doit pas toutefois classer la peinture de Dylan comme hyperréaliste, elle n’en a pas le léché de la finition. Toutefois Dylan croise la route de l’hyperréalisme. Parce que l’hyperréalisme américain représente la réalité américaine, hors Dylan s’attache à représenter la réalité américaine. L’hyperréalisme provient du croisement incertain de l’expressionisme abstrait, peinture non figurative mais qui insiste sue la volonté du peintre à donner à son œuvre une certaine expressivité qui traduise son sentiment ( joie, tristesse, peur, etc…) d’appréhension du réel, avec le pop art qui ne cherche pas à représenter le réel d’une façon originale, mais au contraire de choisir le plus fidèlement possible les objets de consommation de masse connus de tout le monde, exemple une bouteille de coca-cola.

    C’est le moment d’introduire deux noms d’artistes connu des amateurs de rock : Andy Warhol, pape du pop art américain, dont la Factory est intimement lié à l’émergence du Velvet Underground et Guy Peellaert dont tous les rockers ont feuilleté son Rock Dreams (1973 ), qui dresse les portraits des principales stars du rock sous forme d’icônes hyperréalistes dont la beauté glaçante exerce une fascination mythificatrice… Pour ceux qui ne connaissent pas, se remémorer la pochette de It’s only rock’n’roll des Rolling Stones…   

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    Dylan ne peut être classé parmi les hyperréalistes mais il s’en rapproche, sa peinture privilégie l’expressivité au détriment du fignolage de la finition, n’oublions pas que beaucoup de ses morceaux ont été enregistrés en très peu de prises, mais par ses thématiques picturales principales explorant la réalité américaine, il touche au mythe. Un peu comme le western avec ses sheriffs, ses hors-la-loi, ses indiens, ses règlements de comptes, ses paysages, ses cowboys réussit à donner une image mythique des valeurs idéologiques américaines.

    PEINTURE D’ EPOQUE ET D’ ESPACE

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    La première dimension de l’Amérique reste son immensité. On peut l’appréhender par le célèbre titre du roman de Kerouac. Sur la route. De très nombreuses toiles de Dylan représentent des highways – non revisitées – qui s’étendent à l’infini. Je ne peux voir celle-ci sans penser à Johnny Cash qui dans son autobiographie déclare qu’il a lors de ses tournées tellement sillonné du nord au sud et de l’est à l’ouest les Etats-Unis qu’il ne pouvait jeter un coup d’œil sur le paysage sans savoir exactement à quel endroit de l’Amérique il se trouvait…

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    Même thème traité non plus d’après la mythologie de la route, mais d’après celle du rail, l’on ne compte plus chez Dylan ces voies ferrées sans wagon ni locomotive qui s’enfoncent dans le vide.

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    Un des tableaux de Dylan le plus souvent reproduit. L’on se croirait devant une image de film ou une case de bande dessinée. Le problème avec ces trois tableaux, ce n’est pas qu’ils soient intrinsèquement mauvais mais qu’on les juge d’après ce qu’ils représentent et non d’après le travail du peintre. L’on peut les trouver beaux ou quelconques. Au fond on les regarde parce qu’ils sont signée Bob Dylan.

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     Nous adresserons le même reproche à la suivante. Nous quittons les grands espaces pour un paysage urbain. Typiquement américain.

    Dylan ne peint pas que les Etats-Unis. Ses tournées incessantes sont pour lui l’occasion de visiter nombre de pays. S’inspire alors de ses rencontres et de scènes qui l’ont marqué. Victor Hugo qualifiait l’équivalent littéraire de ses instants marquants de Choses vues. Nous avons choisi deux œuvres issues pour la première de la série Asie, et la deuxième de la Série Brésil.

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    Je ne sais pourquoi – en fait je le sais très bien – cette jeune femme m’évoque irrésistiblement Janis Joplin. Une œuvre assez troublante, entre mort et plaisir.

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    Une scène quotidienne qui aurait pu se passer aux quatre coins du monde. Notons que grâce à ces personnes, des gens pour employer un terme encore plus général, les toiles de Dylan acquièrent une épaisseur que je n’ose pas qualifier d’humaine. L’on entre dans une histoire, elles forment comme le couplet d’une de ses chansons. L’on a l’impression que ce n’est plus le peintre qui tient le pinceau et qu’il a cédé la place à l’aède du rock ‘n’ roll.

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    Pour ces deux suivantes l’on a envie d’écrire sur un panonceau, à la manière d’un catalogue publicitaire : existe aussi en jaune. Ce qui est la stricte vérité ! Pas vraiment des tableaux, ce que l’on appelle des études, des variations si l’on veut être plus gentil. C’est sur ces images que l’on peut voir le travail, les tâtonnements du peintre.

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    Même réflexion pour les deux dernières. Et comme pour les deux précédentes, une sensation qui saute aux yeux, nous sommes loin de l’Amérique, nous nous trouvons en pays connu, dans la peinture française, du moins européenne, au tournant du dix-neuvième et du vingtième, quelque part entre Van Gogh pour la crudité des tons et Toulouse-Lautrec pour l'impact des silhouettes.

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             Cette chronique n’est qu’une première approche. Elle demande à être approfondie. Une évidence s’impose. Dylan n’est pas aussi à l’aise en peinture qu’au chant et qu’en composition. A beaucoup travaillé, a beaucoup cherché, n’a pas encore trouvé le graal.

    Damie Chad.

     

    *

    J’avoue que j’ai flashé sur eux sans en avoir entendu la moindre note. Vous ferez de même lorsque vous aurez vu la couve de leur deuxième EP sorti le 23 (chiffre de l’Eris) Mars (mois de l’Ares dieu de la guerre). Elle me rappelle les dernières planches (les dessins des premiers épisodes étaient d’une mièvre naïveté) de la bande dessinée Yves le Loup qui paraissait dans Vaillant, l’ancêtre de Pif Gadget. Autre atout, un groupe qui se revendique de Saturne a droit à toute ma sympathie. Présidait aux temps heureux de l’Âge d’Or, et aux Saturnales romaines ces périodes de fêtes d’outrances anarchisantes très rock ‘n’ roll.

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    La pochette est de Asep Yasin Abdhulah, l’est doué, un tour sur son instagram s’impose, l’a réalisé pas mal de couves pour des disques.  

    Viennent de Bellingham, ville située à 17 kilomètres du Canada, pas très loin de Seatle, état de Washington.

    Cody Barton : bass / Ray Blum : guitar / Josh Rudolf : drums / Violet Vasquez : chant.

    Rappelons que l’expression Mont de Saturne est utilisée en chiromancie pour désigner l’intervention du destin dans une vie humaine. Si démocratiquement parlant tout vécu peut être assimilé à une destinée, seuls quelques rares individus, les héros, ceux qui approchent de trop près la nature des Dieux, peuvent être soumis à la terrible force du destin tels que l’appréhendaient les grecs.

    0, GREAT MOON

    MOUNT SATURN

    ( YT / Bandcamp)

    Astraya : ode à l’astre sélénéen, les chiens sauvages d’Hécate hurlent au carrefour, musique lourde, épaisse, zébrée d’éclairs noirs de guitares, ensemencée de chapelets stériles de glaviots de basse,  quelque chose de maudit et de mauvais s’avance, éclaircie halotique de quelques secondes, la voix profonde de Violet Vazquez s’élève en sombre incantation, cadences battériales, le vocal de Violet englobe l’hémisphère supérieur de la voûte céleste, des frottis de basse s’accélèrent, Josh toujours imperturbable et la guitare de Ray trace des chemltrails dans l’empyrée. Violet vous aspire, le rythme a beau s’accélérer, vous n’entendez qu’elle. Lorsque le morceau s’arrête vous croyiez qu’il durerait l’éternité. Sword first : magnifique entrée de Josh Rudolf, écrase le monde sur ses peaux pompeuses, surnage comme si de rien n’était dans le déluge des guitares, transperce la purée de poix de la basse assourdissante, ne baisse pas d’un pouce lorsque Violet élève la voix, cette manière à elle de surmonter le mur du son telle une nuée d’orage porteuse des hydres de la destruction, elle ne crie pas, ce sont les doigts de Tosh sur ses cordes triturée qui se chargent de cette tâche, la basse interlude  laisse planer quelques écailles arrachées à des monstres marins, et le chant reprend en plus puissant, encore plus submergeant malgré les musiciens qui font tout ce qu’ils peuvent pour passer par-dessus mais qui n’y parviennent pas. Monstrueux. Une épée dressée à la face du monde par un dieu maléfique.

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    Sandcrosser : une guitare presque claire, mais trop vibrante pour être honnête, la basse vous pousse des mugissements de sirènes de bateaux, et Josh martèle la forge de Vulcain, Violet vient de loin, pour une fois le son est plus fort que sa voix, ce n’était qu’une ruse, les boys ont forcé la donne, Violet prend de l’amplitude et les écrase, la musique franchit des dunes de sable hautes comme des empires, lorsqu’ils parviennent au sommet, il semblerait qu’ils soufflent, mais non, ils dégringolent encore plus vite et attaquent le versant suivant avec encore plus de hargne, répit, ne pas reprendre souffle, seulement prendre la mesure de l’immensité de la tâche et repartir encore plus fort, laisser dans le sable des traces qui seront encore visibles dans des milliers d’années. Sans hâte et sans colère, ils s’éloignent vers l’infini mais on les entend autant. The knowing : que serait la force sans le savoir. Départ vrombissant, puis rai de lumière dans la nuit de l’ignorance, Violet chante à mi-voix, un scalde qui énonce les runes que personne ne doit connaître, l’orchestration   danse telle une flamme purifiante, de temps en temps elle est en proie à d’étonnants soubresauts, une montagne que des plissements hercyniens exhausse jusqu’au firmament. Le message est dévoilé haut et fort, la plupart des hommes se boucheront les oreilles pour ne pas savoir. Fin tumultueuse. Oasis. Haunt ( me ) : tuiles de guitare volant au vent que la batterie se hâte de clouer aux solives de la réalité, une voix résonne, venue du côté de l’ombre, en soubassement, même quand elle reste dans les zones de faible puissance elle surplombe l’étendue intergalactique, rythme de guitare échevelée, qu’importe Violet pousse le brame de l’om originel du désir de la création à éclore hors des miasmes du néant pour parvenir à l’être. 

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    Croocked bones : fracas rudolphiques, échevèlements fous de basse psykoïdes, Violet surgit du fond de la mer ou du ciel, une folie sonore empuantit le monde, plus de retenue, transes sauvages de guitares, martèlements sabotiques, Violet mène le train, le morceau explose en mille éclats plus coupants les uns que les autres, la vague vous emporte, elle ne vous rejettera sur aucun rivage. Extase.

    Monstrueux. Si l’on peut reprocher au doom d’être parfois un peu crépusculaire, avec Mount Saturn, ne craignez rien. La puissance du son et du chant s’allie avec la volupté de l’écoute.

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    Pour ceux qui en veulent plus. Un clip de Sword First est disponible sur You tube. Beau début avec ce corbeau digne d’Edgar Poe posé sur un poteau de grillage, et cette vue de l’immensité stellaire dans lequel resplendit la maléfique planète Saturne, mais après l’impact de ces premières images se dilue. Pa vraiment un clip, un montage vidéo de différentes séquences empruntées vraisemblablement à des documentaires. Images d’animaux, monstruosités d’arachnides vues en gros plans, chouettes, aigles, cheval, musaraigne, vues de microscope, entrecoupées de séquences de vagues s’écrasant sur des récifs et de cratères en feu. C’est d’ailleurs la lave bouillonnante de cette éruption qui prédomine à la fin du clip. Le message n’est pas des plus clairs. Que veut-il signifier, que la beauté de la Nature est menacée par la brutalité de la Nature elle-même, que toute la beauté animalière et les réalisations humaines sont des fétus de paille prêts à être balayées par ce qui les a engendrées. Toutefois, cette vidéo permet de mieux entendre l’aspect mélodique, quasi symphonique et la dimension lyrique de cette musique qui de prime abord séduit de par son riffage heavy rock ‘n’ rollesque davantage que  par son emprise cyclopéenne.

    KISS THE RING

    ( Janvier 2019 / YT / Bandcamp ) 

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    L’artwork de Lamie Lawson est sans surprise. Massif montagnard d’où se détache sous un ciel crépusculaire un sommet enneigé, plus loin plus haut, plus loin, Saturne et son anneau… Quelle relation faut-il établir entre l’astre et cette montagne, à chacun de rêver…

    Dwell : cymbales et petits bruits inhabituels inquiétants, gisements indistincts de basse, clairons de guitares, le roulement drummique arrive mais dominé par le scintillement crash and ride, l’ensemble de plus en plus fort, jusqu’à ce que la voix de Victoria résonne comme un appel, la guitare verse de l’huile sur le feu sans s’arrêter en grandes lampées de flammes brillantes comme la nuit, étrange composition un peu répétitive même si l’on ne sait jamais ce qui va suivre. Le groupe semble faire la revue de ses troupes avant de se lancer à l’assaut. Sur la deuxième partie du morceau s’imposent la profondeur du vocal, les cris de la guitare et le souffle puissant de la rythmique, chaque pointe du triangle entrant en lice l’une après l’autre. Etrangement cela rappelle les écrits heideggeriens sur la notion de demeurance de l’homme sur la terre face à des puissances, ici astrales. Idol hands : attaque brutale, le groupe déployé selon tous ses azimuts instrumentaux, très vite surgit la voix de Victoria, impérieuse, elle hache les mots comme autant d’ordres, fluantes décharges battériales, emballements de guitares, Victoria maintenant s’attarde sur les mots, les prolonge, leur donne un poids inaccoutumé, clic-clic électronique aussi ténu qu’un grincement de grillon déclenchant une hausse sonore de l’ensemble si bien intégrée dans le continuum sonique que l’on se demande comment ils ont procédé,  l’on change de niveau, tout est plus ample, plus violent, et culmine sur un tsunami vocal impressionnant.

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    Salt : toujours cette guitare irradiante, crinière d’étalon fou, qui domine le fracas rythmique, il y a de la subtilité à équaliser l’amplitude de ces deux entités sonores, intimement liées, et en même temps totalement indépendantes l’une de l’autre, avec par-dessus la voix phosphorescente de Violet qui domine sans écraser, qui influe davantage de vigueur au magma sonore qui roule et dévale telle une coulée de feu échappée d’un cratère strombolique. Flamboiement d’un solo de guitare long comme un cri d’agonie, et la voix de Violet qui plane très haut tel un monstre antédiluvien dont la masse inquiétante voile le soleil et menace la terre. Epoustouflant. Kiss the ring : longue intro caractéristique de Mount Saturne, en quatre morceaux le groupe a déjà acquis un style reconnaissable entre tous, la voix de Victoria un semblant plus claire, mais toujours cet envol lourd – révoltant de facilité – qui plane à des altitudes inimaginables, l’est sûr que cette voix est capable de baiser l’anneau de glace et d’effroi de Saturne. L’on n’écoute plus, l’on se laisse bercer par l’Innommable. Effrayant de densité.

    Damie Chad.