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  • CHRONIQUES DE POURPRE 637: KR'TNT 637 : CARL DAVIS / LEWIS TAYLOR / CHRIS YOULDEN / UNSCHOOLING / BRONCO BULLFROG / PENITENCE ONIRIQUE / AVATAR / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 637

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 03 / 2024

     

    CARL DAVIS / LEWIS TAYLOR   

    CHRIS YOULDEN / UNSCHOOLING

    BRONCO BULLFROG /   PENITENCE ONIRIQUE

    AVATAR / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 637

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    Wizards & True Stars

    - Pas de vice chez Carl Davis

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             Si la scène de Chicago brille au firmament des fans de Soul, c’est bien grâce à Carl Davis. Comme l’indique le titre de son autobio, The Man Behind The Music, Carl Davis est l’homme qui se tient derrière la musique, et pas n’importe quelle musique, puisqu’on parle ici de superstars du calibre de Walter Jackson, Otis Leavill, Major Lance, Barbara Acklin, Eugene Record, et d’autres cracks du boom-uhu.

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             La Soul de Chicago, c’est encore autre chose que celle de Detroit (Motown & Hot Wax), celle de Memphis (Stax & Hi), ou encore celle de Muscle Shoals. C’est une Soul extraordinairement sophistiquée, dont les grands maîtres sont avec Carl Davis des gens comme Charles Stepney et Curtis Mayfield. Ce sont eux qui ont forgé le fameux Chicago-sound, de la même façon qu’Holland/Dozier/Holland et Norman Whitfield ont forgé le Motown Sound, et Isaac le prophète le Memphis Sound.

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             La première chose qui frappe en découvrant le bobine de Carl Davis, c’est sa tête de beau boxeur. De toute évidence, Carl Davis est une force de la nature, et le fait qu’il soit un producteur de génie n’arrange rien. Nous voilà aux pieds d’un géant. D’ailleurs, il fréquente des géants : Cassius Clay - I produced a record for him before he changed his name for Muhammad Ali. Louis Armstrong, I worked on a session with him, too - Il cite aussi les noms de Sam Cooke, Curtis, Aretha, Little Richard, Sammy Davis Jr. Mais c’est presque anecdotique par rapport à ce qui va suivre. Carl Davis est surtout un découvreur extraordinaire.

             Il est né à Chicago, mais sa famille vient de la Louisiane. Deep South, dans les années 20. Carl rappelle que le nègre doit rester dans son coin et fermer sa gueule. Un jour sa mère fait des courses en ville et un blanc l’importune et la traite de pute. Elle rentre en pleurs à la cabane et Dad lui demande des explications. Bon tu vois la dégaine de Carl ? Il faut imaginer le père en mieux. Sa mère ne veut rien dire, car elle sait que Dad est impulsif. Il insiste. Elle finit par lâcher le morceau. Dad va en ville, chope le blanc et lui démonte la gueule, bim bam boom, «breaking his jaw and everything.» Quand tu es nègre et que tu démontes la gueule d’un blanc en Louisiane dans les années 20, tu as tout de suite le Ku Klux Klan au Kul. Alors toute la famille Davis grimpe dans le pick-up du boss qui les protège et qui les emmène prendre le premier train pour Chicago. Aller simple.

             Carl voit donc le jour à Chicago. Il est le quatrième gosse de la famille Davis. Il dit que ses parents se sont bien acclimatés à Chicago, car ils en ont fait encore sept - Edward, Clifford, Fred, Helen, Kenneth, George and me - Ils sont onze. Quand le petit délinquant Carl a des ennuis avec la justice, son père vient à la barre essayer de le sortir de là : «Your Honor, I have eleven kids at home - nine boys and two girls. And ain’t none of my kids been in no trouble with the law, cause I teach ‘em better than that.» Malgré la faramineuse plaidoirie de Big Daddy, Carl est condamné à trois mois d’Audy Home, une taule pour gamins de douze ans. Carl est soulagé de partir au Club Med, «because I knew my father was going to kill me.»

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             Il va s’engager dans l’Air Force puis il commencera à bosser en 1959 pour Arnold Distributing, une boîte qui distribue les petits labels et qui fournit les DJs des radios. De là, il passe chez Columbia en 1960 et devient promotion manager, et en 1962, Columbia lui confie les rênes d’OKeh, le subsidiary spécialisé dans la musique noire. Sa mission est de développer OKeh, alors il apprend vite à saisir the golden opportunity. Pour Carl, le Chicago Sound est «unique and majestic» - Il capturait la niaque du black struggle, mais il était tempéré par les idéaux mélodiques et poétiques de l’amour, du bonheur et de l’espoir en des jours meilleurs - Nul n’est mieux placé que Carl pour parler du Chicago Sound. Il évoque très vite Vee-Jay, «Chicago’s second biggest label after Chess», et dont l’A&R Calvin Carter est le frère de la co-owner Vivian Carter - Vivian was the «Vee» and Jimmy Bracken was the «Jay» de Vee-Jay - Et le boss du label s’appelle Ewart Abner. Mais le plus important est de savoir que Vee-Jay est un pur label black - the top black-owned record label in Chicago, and one of the biggest in the country - Carl s’émerveille de Vee-Jay qui avait «a very impressive talent roster, including hit makers like Jerry Butler, Dee Clark, Jimmy Reed, the Spaniels, and the Dells, long before Gene joined the roster.» Sacré coup de chapeau ! Tout le monde voulait entrer chez Vee-Jay. La salle d’accueil du label devenait un nightspot après les heures de bureau. On y jouait aux cartes, on y picolait au bar. Ewart Abner y traînait et jouait au poker. Il adorait le jeu et c’est le jeu qui nous dit Carl allait ruiner Vee-Jay. Le récit de Carl dégage une fantastique énergie. Vivian Carter et Jimmy Bracken finissent par virer Abner, parce qu’il va à Vegas, qu’il accumule les dettes et qu’il les couvre en partie avec des chèques Vee-Jay - Jimmy and Vivian were livid - Alors Abner monte son label, Constellation Records, et installe ses bureaux dans la même rue que ceux de Vee-Jay. Il embarque en même temps l’A&R Bunky, et Gene Chandler, «who used to be one of Vee-Jay’s top acts».

             Tête de gondole du Chicago Sound, voici Curtis Mayfield - Ce mélange unique de cuivres et de rhythm section, de compos de Curtis Mayfield, la production et les arrangements de Johnny Pate, c’était le Chicago Sound. Johnny écrivait des arrangements incomparables. C’est ce qui nous rendait meilleurs, uniques - La prod de Carl devient tellement balèze que tout le monde vient le trouver - Tous les mecs de Chess venaient me voir. Mais je ne voulais pas de ça. Je voulais travailler avec des gens que je choisissais. Je ne voulais pas de gens déjà formés par le son d’un autre label. Je ne voulais pas avoir à reformer des gens. Je voulais un son complètement différent, je voulais qu’on dise : «That’s a Carl Davis record» ou «That’s the Chicago Sound!» - Voilà pourquoi Carl Davis est tellement crucial : il a une vision et les moyens de sa vision. Et pour donner corps à sa vision, il lui faut des musiciens - Gerald Sims était l’un des musiciens qui m’a aidé à consolider ce son unique - Carl est tellement attaché à sa vision qu’il déclare : «Il y a un New York Sound bien distinct. On peut le distinguer de Motown. On peut aussi parler du California Sound. I want to develop the Chicago Sound.» Et quand Vee-Jay dépose le bilan en 1967, Carl récupère les locaux sur Michigan Avenue.

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             Alors attention, le boss de Carl chez Columbia n’est autre que David Kapralik, qui va devenir le manager de Sly & The Family Stone. Kapralik lui confie les clés d’OKeh, Carl doit apprendre à tout faire : produire les disks, les mixer, les masteriser, puis aller sur la route pour faire la promo - That was fine with me - Carl a son franc-parler. Il vient d’en bas, donc il est affûté, bien street-wise. OKeh est un label fondé en 1900 par Otto K.E. Heinemann nous dit Carl, et dans les années 50, on trouvait sur OKeh des gens comme les Treniers, Chuck Willis et Big Maybelle.

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             Carl fréquente pas mal Van McCoy, «a young, thin guy - really nice», et il ajoute : «He was a hell of a songwriter». Van écrit «Suddenly I’m All Alone» pour Walter Jackson qui chante aussi le «Welcome Home» de Chip Taylor. Carl produit aussi le deuxième album de Walter Jackson sur OKeh. Sa tête de gondole chez OKeh est Major Lance, the top-selling artist. Carl rappelle que Major Lance est son vrai nom, et que c’est un ancien boxeur, qui avait aussi chanté dans un gospel group, The Five Gospel Harmonaires. Au début, Carl sentait que Major lui courait sur l’haricot, car il se pointait chaque jour au bureau, qu’il pleuve ou qu’il vente, et passait son temps à ramener des tasses de café à Carl. Pour Major, Carl était sa dernière chance, alors il le harcelait gentiment. Plus loin dans le book, Carl revient sur Major Lance. Comme le succès brillait par son absence, Major est devenu dealer et s’est fait poirer. Alors Carl est allé le voir au ballon et l’a trouvé en forme. Major va y moisir trois piges, de 1978 à 1981. Carl se souvient de l’ancien boxeur qu’il voyait danser sur scène - His feet were mesmerizing and his movements almost choregraphied -  Major «glissait across the floor like Jackie Wilson and he would be spinning and spitting just like James Brown.» Major superstar.

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             Carl voit que les autres gros bonnets de la Soul ont leur son : Stax, Los Angeles et Philadelphie, alors il comprend qu’il lui faut un house-band pour OKeh. Il confie à son frère Cliff le soin de recruter les musiciens, et parmi eux voilà qu’arrivent Maurice White (futur Earth Wind & Fire), Phil Upchurch et Gerald Sims, guitares, Bobby Christian, percus. Puis il enregistre «The Monkey Time» avec Major Lance, et the Impressions en backing vocals. En 1963, c’est un smash !

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             C’est Carl qui rebaptise Eugene Dixon ‘Gene Chandler’, d’après le nom du l’acteur Jeff Chandler qui joue le rôle de Cochise dans La Flèche Brisée - A new star was born - «Duke Of Earl» devient un hit en 1962. Pour la promo de son hit, Gene Chandler se balade en cape, haut de forme et tuxedo, une idée à lui. Carl le trouve un peu trop sûr de lui, raison pour laquelle ils se fritent un peu tous les deux. Puis Carl demande à Curtis d’écrire des hits pour Chandler. Il existe trois époques Gene Chandler : la première, celle du Duke Of Earl (Vee-Jay & Constellation, le label d’Abe), puis Brunswick et enfin Chi-Sound. On reviendra sur Gene Chandler dans un chapitre à part.

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             Puis Carl a la chance de bosser avec des super-cracks comme Otis Clay et Ted Taylor - J’ai été le premier producteur à avoir «the future Soul star Otis Clay into the studio en 1962 to do secular material.» - Avant ça, il ne chantait que du gospel nous dit Carl, mais les quatre cuts que Carl enregistre avec Otis ne sont jamais sortis. Otis Clay descendra plus tard à Memphis enregistrer deux albums chez Willie Mitchell, sur Hi.

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             Carl reçoit donc l’immense Ted Taylor en studio - A natural tenor, mais sa voix était si haute que les gens croyaient entendre une voix de femme - Fin de la rigolade : «However, Ted had lots of feeling and plenty of Soul.» À l’époque où Carl le produit sur OKeh, Ted Taylor est déjà une star avec «Be Ever Wonderful». Et puis voilà une autre star : Walter Jackson - One of my first major discoveries while working at CBS was Walter Jackson, who remains my favorite singer to this day - C’est dire si Carl a le bec fin, car Walter Jackson est l’un des géants d’Amérique. Carl rappelle que Walter est né en Floride, mais élevé à Detroit. Carl l’évoque en termes de «golden vocal chords» et de «determined spirit». Début de l’histoire : la copine Skippy dit à Carl qu’elle a vu un chanteur extraordinaire dans un club de Detroit. Carl demande alors pourquoi Motown n’a pas encore mis le grappin sur lui. Elle répond que Motown lui a dit qu’il lui fallait un groupe et Walter ne voulait pas de groupe. Alors Carl prend l’avion aussi sec pour Detroit. Skippy le récupère à l’aéroport. Le soir-même, au club, Carl voit arriver un mec avec des béquilles sur scène. Il se dit que ça ne peut pas être Walter Jackson. Et puis le voilà qui empoigne le micro et qui chante «That Old Black Magic» - The next thing I know, he started singing in the richest baritone voice that I had ever heard. I was blown away - comme on l’est tous dès qu’on écoute chanter ce démon de Walter Jackson. Après le show, Carl lui propose de venir s’installer à Chicago. Walter est ravi - Fine with me. I’m ready to go! - Carl lui trouve un appart en ville, lui paye le loyer et commence à bosser sur des cuts. Walter s’attache à Carl et ne veut pas être produit par d’autres gens, même pas Curtis Mayfield. Plus tard, quand Carl montera Chi-Sound, il récupérera Walter pour enregistrer trois fantastiques albums, Feeling Good, I Want To Come Back As A Song et Good To See You. Selon Carl, Walter sait tout faire, «rock, pop or whatever, when he put his style to it, it made the difference that only his voice could make.»

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             L’autre immense star qui rôde dans l’ombre de Carl, c’est bien sûr Curtis Mayfield. Carl va chez lui à Markham, dans la banlieue de Chicago et découvre que Curtis enregistre toutes ses idées sur des cassettes qu’il stocke dans des paniers en osier. Seulement trois ou quatre mesures pour chacune d’elles. Alors Carl va faire ses courses chez Curtis, qui lui fait écouter des cassettes. Carl s’extasie - Man, I like that one - Mais Curtis garde les meilleures idées pour les Impressions. Puis il lui fait écouter «Monkey Time», et dit qu’il ne veut pas l’enregistrer avec les Impressions because that’s a dance tune, alors Carl qui sait flairer un hit le prend. Carl dit aussi que Curtis a confiance en lui, en son flair. Carl nous fait rêver avec des pages qui documentent une relation artistique de rêve. C’est tellement bien écrit qu’on assiste à la scène. Puis Carl propose à Curtis de bosser pour lui, comme assistant producteur.

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             L’autre grand collaborateur de Carl n’est autre qu’Otis Leavill, qui avait été le manager de Major Lance. Carl sent qu’Otis a de l’oreille, alors il l’embauche. C’est lui qui va dans la rue et qui déniche les artistes. Otis ramène Billy Butler, le petit frère de Jerry Butler, lead-singer des Impressions. Otis ramène aussi The Artistics - probably the best vocal group I ever had - Le lead-singer s’appelle Robert Dobyne et Carl veut les faire sonner comme les Temptations. Otis est non seulement le bras droit de Carl, mais il va devenir son meilleur ami. Otis est aussi un falsetto, mais il n’a pas enregistré grand-chose, et c’est dommage. Il n’existe qu’une compile dont on a dit ici le plus grand bien, The Class Of Mayfield High, une brave compile qu’Otis partage avec Billy Butler et Major Lance. Un peu plus tard, lorsque Gene Chandler manque de respect à Otis Leavill, Carl lui demande de sortir immédiatement du bureau. Et puis en 2002, Otis rentre chez lui, s’assoit devant la télé et casse sa pipe en bois. Sec et net. Carl est sous le choc. Il vient de perdre son meilleur ami.

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             Carl bosse aussi avec Mary Wells qui a été blacklistée par Berry Gordy pour avoir voulu reprendre son indépendance. Gene Chandler demande à Carl s’il veut bien la produire, alors okay, il va la trouver à New York - We immediately formed an alliance - Elle vit sur Park Avenue dans un bel appart décoré en blanc et mauve. Ça démarre en mode platonique et hop, ils passent vite fait au plumard. Carl est marié, mais bon, il vit sa vie d’homme. La relation avec Mary Wells ne va pas durer longtemps. Carl a aussi un petit accrochage avec Leonard le renard qui un jour, dans une conversation le traite de nigger. Carl qui n’est pas du genre «I’m a cool soul brother» le prend mal - That patronizing crap wasn’t about to wash with me - Carl balance à Leonard : «You don’t know me like that, and you don’t adress me in that manner.» Il recadre vite fait ce rat de Chess. Choqué, Leonard ne dit rien et Phil Chess tente de calmer le jeu : «Carl, tu sais comment est Leonard et il pense qu’il est black (he thinks he’s one of you guys).» Mais Carl lui dit qu’il n’est pas one of us. Surtout pas un mec comme Chess. Carl ne demande qu’une seule chose : du respect, en échange du sien.

             Puis il va se faire virer de Columbia par des super-cons qui viennent de prendre le pouvoir et qui l’accusent d’avoir tapé dans la caisse. Atteint dans sa dignité, Carl prend sa veste et se casse. Il laisse derrière lui Major Lance et Walter Jackson, sachant qu’il les reverra un jour.

             Mais le bilan OKeh est assez spectaculaire, comme en témoignent trois bonnes vieilles compiles : Carl Davis Presents: Chicago Soul Survey, Okeh - A Northern Soul Obsession et Okeh - A Northern Soul Obsession Vol.2

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             Carl Davis Presents: Chicago Soul Survey n’est pas une compile Ace, mais une compile Grapevine, ce qui revient à peu près au même. Un certain Paul Mooney signe les liners. Alors attention, on se gratte avec ce genre d’objet. Coups de génie en pagaille, avec pour commencer les Visitors avec «I’m In Danger» (hit énorme, puissance inexorable, fantastique allure, tu n’en peux plus, trois singles et puis plus rien), alors après tu as Johnny Sayles et «You’re So Right For Me» (fantastique groover, d’ailleurs, on va le retrouver inside the goldmine), puis Jean Shy et «Keep An Eye» (l’hot hit de rêve, elle y va la coquine avec son wild r’n’b de Chicago, elle est si parfaitement à l’aise), elle te groove encore la racine des dents avec «Love Had To Be You» (pur jus d’Esther Phillips à Chicago, une vraie révélation), et voilà Cicero Blake avec «You Got Me Walking» (fantastique groover d’accent pointu et de charme chaud, tu y vas les yeux fermés), puis BW & The Next Edition et «Stay With Me Baby» (big time de gros popotin extraordinaire) et puis voilà Channel 3 avec «The Sweetest Thing», fantastique Soul des jours heureux. Tout ce que touche Carl Davis devient magique. Pareil pour Wales Wallace et «A Love Like Mine (Ain’t The Finding Kind)», supra-chanté et supra-orchestré (une poignée de singles et pouf, à dégager). Ça continue de grouiller avec «Marshall & The Chi-lites et «Price Of Love» (pur jus de Motown Sound à Chicago), Otis Clay et «Baby Jane» (fantastique shake de hard r’n’b, il explose la rondelle du raw), oh voilà Carl Davis qui s’enregistre avec «You Babe» (le good time, c’est son truc), suivi de son poulain Major Lance et «Sweeter As The Boys Go By» (excellent de when I hold her in my arms, quelle prod !), et voilà l’autre poulain de choc, Otis Leavill et «You Brought The Good In Me», encore une voix d’ange exceptionnelle. Otis Leavill forever ! Tout est beau sur cette compile, tout est bardé de son et de grandes voix. Et ça continue avec Mister T et «Love Uprising» (voix ferme et définitive), même chose pour Chuck Jackson et «The Man & The Woman (The Boy And The Girl)» (il bouffe Chicago tout cru), et vers la fin, tu retrouves l’excellentissime Sidney Joe Qualls et «Run For Me», Soul Brother haut de gamme. Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut dire de ce pataquès.  

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             Retour chez Ace/Kent avec les deux volumes d’Okeh - A Northern Soul Obsession. Ça grouille dès le volume 1, t’auras jamais vu autant de puces, avec en plus Ady Croasdell aux manettes. L’Ady nous rappelle qu’OKeh est un sous-label de Columbia et en 1962, l’A&R chef David Kapralik demande à Carl Davis de relancer OKeh. Tu retrouves donc les chouchous de Carl Davis : Major Lance et «You Don’t Want Me No More» (wild r’n’b allumé aux pires engeances de chœurs, énorme dynamique tapée au stomp de Chicago), The Artistics et «This Heart Of Mine» (prod géniale, Motown in Chicago), et le génie absolu de Walter Jackson avec «I’ts An Uphill Climb To The Bottom», pas produit par Carl Davis qui a quitté OKeh en 1967. C’est là que le label s’ouvre à d’autres artistes basés dans le Sud, comme cette pointure extraordinaire de Tommy Tate, avec «I’m Taking No Pain», ou à Detroit, comme les Little Foxes avec «So Glad Your Love Don’t Change» (une coquine sucrée au devant, elle inscrit les Little Foxes au patrimoine de l’humanité), et puis des inconnus de Detroit au bataillon comme Johnny Robinson avec «Gone But Not Forgotten» (très chanté, très produit, très génial), ça arrive aussi de New York, avec Ken Williams et «Come Back» (encore un winner absolu avec ce hard r’n’b de haut niveau). Puis ça vient de Californie avec Larry Williams & Johnny Watson et «A Quitter Never Miss» (fantastique énergie, duo d’enfer et wild punch, c’est même le heartbeat du Black Power, bien pompé sur Sam & Dave), puis Larry Williams se met à produire pour le compte d’OKeh : The Autographs et «I Can Do It» (Beat solide avec une blackette pleine de yeah yeah yeah, terrific ! - «Musical madness», s’écrie l’Ady), Little Richard et le big drive d’«I Don’t Want To Discuss It», il produit encore d’autres groupes : The Triumphs, the Seven Souls. Et d’autres merveilles encore chez OKeh, avec The Carstairs et «He Who Picks A Rose» (encore du wild r’n’b, une pure folie, le mec y va au eeh-ouuh, wild genius - d’ailleurs l’Ady le qualifie de «dance-floor favourite for people with disturbed minds»), Major Harris et «Call Me Tomorrow» (raw classic à la Wilson Pickett, surligné à la gratte électrique), Ted Taylor et «Somebody’s Always Trying» (une vraie bête de Gévaudan, l’authentique raw killer de r’n’b interlope), The Chymes et «Bring It Back Home (elles sonnent exactement comme les Supremes), et Jimmy Church avec «The Hurt» (Sacré scorcher, il y va au ah oh-oh oh yeah, quel épouvantable seigneur ! L’Ady le qualifie de «cult vocalist»). Oh et puis The Opals ! Pour l’Ady, The Opals et «I’m So Afraid» «were Chicago Soul at its best». Il précise en outre qu’elles furent découvertes par The Dells. Elles traînaient pas mal chez Vee-Jay et firent des back-up pour Betty Everett et Otis Leavill, pardonnez du peu. C’est donc Carl Davis qui finit par les signer sur OKeh.

             On prend les mêmes et on recommence avec le l’Okeh - A Northern Soul Obsession Vol.2.

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    L’Ady est encore là, fidèle au poste. On tombe très vite sur une belle énormité : The Vibrations avec «End Up Crying». Le mec y va à l’arrache, épaulé par des chœurs Motown. Ça vaut vraiment le coup d’aller creuser du côté de ces Californiens. Belle surprise avec les Tan Geers et «Let My Heart & Soul Be Free», ils ont un petit côté Betty Swann et ils s’appellent aussi The Tangeers. C’est Larry Williams qui produit Cookie Jackson et «Your Good Girl’s Gonna Go Bad» (a «dancefloor stormer» nous dit l’Ady). Cookie est une crack, une dure, il faut la voir déménager, la mémère. Une poignée de singles et puis plus rien. C’est encore Larry qui déniche Malcolm Hayes et «I Can’t Make It Without You». Power extraordinaire, en voilà encore un qui grimpe au firmament, il explose tout, à commencer par la Soul de Larry Williams. Encore une prod signée Larry Williams pour The Triumphs et «Memories». Retour triomphal des Triumphs avec un puissant shake de type Motown, elle chante au tremblé d’inspiration avec du punch plein les pattes, c’est miraculeux de black power et stupéfiant d’aplomb. Grand retour encore des Opals avec «You’re Gonna Be Sorry», elle y va au sucre de Chicago avec des coups de firmament, ça dégouline de sucre puissant ! Retour encore de Walter Jackson avec «After You There Can Be Nothing», il brasse à la fois le Burt, les Righteous Brothers et Totor. Et voilà les Variations qu’il ne faut pas confondre avec les Variations français, ce sont des cracks du boom-hue, leur «Yesterday Is Gone» est bourré d’énergie, ils sont portés par un son demented. On tombe plus loin sur Jean Dushon et «Second Class Lover», une poule sucrée de Chicago qu’on retrouve chez Chess. Et l’honneur de refermer ce volume 2 revient à Walter Jackson avec «That’s What Mama Say». Walter avale la Soul directement, il est le plus grand chaleureux de l’histoire.

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             Carl Davis ne va pas rester dans le limbo très longtemps. Il va rebondir de manière spectaculaire en devenant producteur chez Brunswick. Il rencontre Nat Tarnopol qui lui demande de produire des artistes pour Brunswick. Qui ? Nat se marre et balance un premier nom : Jackie Wilson ! L’idole de Carl ! Comme réceptionniste chez Brunswick, Carl a Barbara Acklin, amenée par Otis Leavill. Non seulement Barbara compose, mais elle sait aussi chanter. Elle compose «Whispers (Gettin’ Louder)» pour Jackie. Grâce à ce hit, Carl est promu A&R de Brunswick. Puis Barbara va entamer une relation avec Eugene Record des Chi-Lites. Et tout va tourner en eau de boudin chez Brunswick, avec un procès collectif pour corruption, où Nat demande à Carl de porter le chapeau. No way.

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             En 1967, Carl monte Dakar Records. C’est là qu’il s’installe dans les anciens locaux de Vee-Jay - ‘Da’ from Davis and ‘Car’ from Carl - Pour éviter la confusion avec Decca, il remplace le ‘c’ par un ‘k’. Il démarre avec Shirley Karol et Major Lance, puis il lance l’ancien chauffeur de B.B. King et ancien road manager d’Harold Burrage, Tyrone Fettson. Carl n’aime pas le nom de Fettson. Alors Tyrone demande s’il peut utiliser le nom de Carl et devient Tyrone Davis. En 1968, Tyrone Davis décroche un hit avec «Can I Change My Mind». Et comme Carl n’a pas les reins assez solides pour lancer Tyrone Davis, il passe un deal avec Jerry Wexler chez Atlantic - Tyrone was Dakar’s flagship as long as we ran the label - Puis Otis Leavill branche Carl sur un groupe nommé Marshall & The Chi-Lites. Boom, voilà qu’arrive Eugene Record, qui pour vivre à l’époque, est chauffeur de taxi. Carl le voit comme un grand compositeur, mais il n’est pas sûr de lui. Eugene demande s’il peut laisser tomber son job pour se consacrer aux compos et Carl qui flaire le talent lui propose un salaire de 150 $ par semaine et un local. Eugene ramène sa gratte et son ampli. Et il compose. Il écrit aussi pour sa poule Barbara Acklin. Eugene se sent tellement redevable envers Carl qu’il lui cède des parts de crédit sur ses compos. Plus tard, cette superbe relation entre Eugene et Carl va s’abîmer, car au procès Brunswick, Eugene va témoigner contre Carl, auquel il doit tout. Après le procès, Eugene revient voir Carl chez lui. Il s’excuse pendant 20 minutes : «on l’avait menacé, voilà pourquoi il avait témoigné contre moi.» Avec le temps, Carl réussira à lui pardonner et il produira d’autres titres des Chi-lites, «but it was never quite the same between Eugene And I.»

             Dakar signe aussi Chuck Jackson - he had a huge baritone voice - Et puis voilà Johnny Sayles, en 1973, avec un album sur Dakar, «a good blues singer, a nice guy», Carl ne tarit plus d’éloges sur ce crack qu’est Johnny Sayles. Il a aussi Jean Shy - She was good - Et Sydney Joe Qualls. Carl dit entendre Al Green quand il ferme les yeux en écoutant Sydney Joe Qualls.

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             Après OKeh, Dakar et Brunswick, Carl monte une boîte de prod, Carl Davis productions Inc., dont la filiale s’appelle Chi-Sound Records. Il redémarre avec Walter Jackson. Puis il lance Manchild. Il produit aussi Della Reese qui est déjà une «guenine mainstream star». Il engage Eugene Record et Gene Chandler comme A&R guys, et il est content d’avoir les Chi-lites sur Chi-Sound. Il signe aussi the Impressions en 1979. Il a aussi The Dells sur Chi-Sound - And I thought they were fantastic - Carl est content de son label, car il a autour de lui tous ses vieux amis. Il sort le So Sexy de Sydney Joe Qualls. Tout va bien jusqu’au moment où Carl fait une petite déprime après la fermeture de Chi-Sound. Il finit ruiné, obligé de reprendre un job dans la sécurité. Puis un label anglais nommé Westside lui propose de rééditer le Chi-Sound catalog, ce qui permet à Carl de se faire un billet. Westside est un des labels de red les plus intéressants.

             Le dernier chapitre de ce book émouvant est plus confessionnel - Je n’ai aucun regret. J’ai apprécié toute ma vie. Même les mauvais moments, quand le music business s’est écroulé pour moi en 1983, alors que la disco music faisait rage. I was a music man and disco was not my forte - Carl dit aussi avoir une relation très particulière avec ses artistes : «Je ne veux pas vous entendre me chanter une chanson. Je veux vous entendre me raconter une histoire. Et ils ont tous été d’accord, Jackie Wilson, Gene Chandler et tout particulièrement Walter Jackson.» Quand il déménage pour s’installer en Caroline du Sud avec sa nouvelle femme, Carl est surpris de voir que les gens écoutent encore ses vieux hits de Major Lance, de Gene Chandler, des Artistics et de Tyrone Davis, tous ces hits sortis sur OKeh, Constellation, Brunswick et Dakar. Comme toujours, les retours sur le passé donnent le vertige, surtout quand il s’agit d’un passé aussi lourdement chargé, au plan artistique. Quand en 2008, Obama est élu Président et qu’il monte sur le podium du Chicago Grand Park pour célébrer sa victoire devant 50 000 personnes, qu’entend Carl ? Le vieux «Higher And Higher» de Jackie Wilson qu’il avait produit au temps jadis. Pour lui, c’est la consécration ultime - I was so overcome with emotion that I broke down and cried - Ce géant se met à chialer et toi aussi, si tu as ce book dans les pattes - Parmi toutes les chansons qu’ils auraient pu choisir pour ce moment historique, ils ont choisi la mienne. J’aurais voulu que Jackie voie ça, lui aussi - On trouve à la suite un paragraphe encore plus bouleversant. Lis ce bon livre et tu verras trente-six chandelles.

    Signé : Cazengler, Carl dévisse

    Carl Davis. The Man Behind The Music. Life To Legacy 2009

    Carl Davis Presents: Chicago Soul Survey. Grapevine Records 2009

    Okeh - A Northern Soul Obsession. Ace Records 1996

    Okeh - A Northern Soul Obsession Vol. 2. Ace Records 1997

     

     

    L’avenir du rock

    - My Lewis Taylor is rich

    (Part Two)

     

             Longtemps l’avenir du rock s’est non pas couché de bonne heure mais épris de belles étoffes. La chouchoute fut longtemps l’alpaga, avec ce délicat moiré de texture et cette légèreté qu’il qualifiait de kunderanienne. Chaque matin, planté devant son dressing, il hésitait entre le trois pièces bleu marine, plus urbain, et le gris ardoise, plus corporate. Cravaté et boutonné, il se sentait propulsé dans une sorte d’upper-class mythologique, celui des Mods anglais qui, dans les early sixties, allaient hanter les clubs de jazz se Soho. Mohair Sam ! Tonic suit ! Mod craze ! Certains jours, l’avenir du rock préférait calmer le jeu avec l’un de ses complets en Prince de Galles. Ah cette coupe croisée et l’imbattable confort de la popeline ! Il avait bien sûr en tête le magnifique portrait de Charlie Watts nonchalamment accoudé sur une commode, en véritable gravure de mode. L’avenir du rock optait volontiers pour le Prince de Galles gris clair s’il sortait déjeuner avec une amie, ou alors le Prince de Galles blanc cassé, s’il se rendait dans ce qu’il appelait un dîner d’affaires. La discrète élégance du Prince de Galles lui permettait de passer relativement inaperçu et en même d’imposer un soupçon de présence. Tout repose sur les équilibres, et plus les équilibres sont fins, plus le jeu en vaut la chandelle. Dans ce monde moderne qui nous entoure, le premier stade de la raison d’être est d’exister. Le deuxième est de paraître. Après ça se complique, surtout depuis l’apparition du téléphone portable : le troisième serait de vouloir paraître intelligent. Beaucoup de gens s’y emploient. L’avenir du rock préfère s’efforcer de paraître sans vouloir paraître. Et pour cela, il faut oser s’habiller sans trop s’habiller. Il peut même oser la flanelle blanche, comme le fit en son temps John Cale. Contrairement à ce qu’on croit, le blanc permet de passer inaperçu, par exemple dans la lumière. Et quand il arrive à son rendez-vous et que fuse le compliment habituel, «Quelle élégance !», il prend un malin plaisir à répondre «My Lewis Taylor is rich», car c’est précisément de ça dont il compte parler.   

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             En devenant intarissable sur Lewis Taylor, l’avenir du rock oublie toute retenue et ruine tous ses efforts de non-paraître, mais il s’en bat l’œil. Il connaît les disques. Il connaît l’envergure de cette star en devenir. Il sait que Lewis Taylor a de beaux jours devant lui, et que des tas de gens seront ravis de claquer un billet de vingt pour rapatrier l’un de ses albums. D’ailleurs, dans la presse anglaise, des petits malins commencent à l’encenser. Ouf, il était temps !

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             Dans Record Collector, Matt Phillips n’y va pas par quatre chemins : «Along with Amy Winehouse and Adele, he must be the most musically talented British solo artist of the last 30 years.» Eh oui, il serait temps de s’en apercevoir : Lewis Taylor est une superstar inconnue. On a déjà dit ici, Inside the goldmine, quelque part en 2022, à quel point on l’admirait. Parmi ses admirateurs on trouve aussi Bowie, Paul Weller, Leon Ware, D’Angelo et Darryl Hall, alors pardonnez du peu.

             Phillips fait de Lewis Taylor un personnage mystérieux, fascinated with «art born of a disintegrated mind» et farcissant ses interviews de références à la maladie mentale, the drug use and reclusion. Phillips l’envoie même rejoindre Syd Barrett et Brian Wilson dans la cour des grands paumés. Il a d’ailleurs cessé d’exister en tant qu’artiste entre 2006 et 2022, jusqu’à son retour avec NUMB

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             NUMB se présente sous la forme d’un double album dont la pochette est floue. Pour être tout à fait franc, on s’y ennuie un peu. Lewis Taylor a beaucoup mal à se réinventer. Il propose une sorte de groove à la mode. Il alimente sa petite légende. Il crée un monde pour y régner, c’est aussi simple que ça. Il se spécialise dans l’océanique. Pour rester charitable, disons que tous ses cuts sont de facture parfaite, bien dosés dans l’écho du temps. Ça reste à la fois underground et à la mode, tout dépend comment on est luné. Disons qu’avec le temps, Lewis Taylor s’est un peu endurci. Avec «Worried Mind» en B, il se met en suspension à Babylone. Il flotte dans l’air tiède d’un groove babylonien, c’est excellent car très disturbed. Il vise une sorte de groove presque pop, mais toujours avec une ambition sous-jacente. Il y a quelque chose de précieux en lui, comme une lumière intérieure. Son «Brave Heart» en C est ravissant, à cœur brave rien d’impossible. Et «Is It Cool» pourrait bien devenir le morceau phare de la coolitude. Il finit avec un solo trash qui réveille brutalement. Inventer le fil à couper le beurre ne l’intéresse pas, il préfère groover en père peinard sur la grand-mare des canards. Il termine sa D avec un «Being Broken» beaucoup trop pop, mais d’une certaine façon, ça reste visité par la grâce. Lewis Taylor est un artiste magnifique, au même titre que le grand méchant Lou et le Todd of the pop. Il termine avec un petit solo à la Peter Green. 

             Phillips fait un petit retour en arrière pour indiquer qu’au temps de son premier album, Lewis Taylor chantait comme Marvin et grattait comme Ernie Isley, bassmatiquait comme James Jamerson et keyboardait comme Billy Preston. Il enregistrait ses hits interstellaires sur un deux pistes, dans son appartement de North London. Phillips est admirablement bien renseigné. Le père de Lewis Taylor jouait des bongos dans un orchestre de jazz et écoutait Tito Puente, alors forcément, le petit Lewis s’est retrouvé envoûté. Il a aussi flashé sur le bassmatic de Chris Squire dans Yessongs. Il s’est inspiré de Pete Townshend et de Ritchie Blackmore pour gratter ses poux, mais aussi de Jimi Hendrix, John McLaughin et des tas d’autres. Ado, il est devenu un jeune prodige. À dix ans, il est fan de l’Edgar Broughton Band, qu’il finira par rejoindre le groupe au moment de sa reformation, dans les années 80. Puis il va fréquenter Steve Burgess et les Soft Boys, et enregistrer deux albums psychédéliques en tant que Sheriff Jack, un nom tiré d’un album de The Red Krayola.

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             Le voilà donc one-man band Sheriff Jack avec Laugh Yourself Awake, un album de grande pop anglaise paru en 1986. Il met beaucoup d’écho sur le beurre. Il flirte avec le comedy act des Bonzos sur «The Queen Of Scotland», il sort un son très tonique avec un léger parfum de bluebeat. «Bird-Oh» est plus rockalama. Ce solide gaillard du rock mêle power et délirium. Les idées et le son renvoient aux grandes heures de Robert Pollard, et il passe en prime un trash solo fatal. Il bascule ensuite dans le psyché avec une «Charlotte» digne de Syd. Il recrée l’ampleur et passe le solo du diable. Tu as même des échos des Beatles au fond de la clameur. Il attaque sa B avec «Pylons». Il carillonne comme dans «Rain» et c’est beautiful d’élan beatlemaniaque. Lewis boy connaît ses classiques. Il tape à la suite une belle cover du «Back Of A Car» de Big Star. Il est dessus, en pur one-man band, avec un solo joué à la solace chiltonienne et un bassmatic en descente d’acide - Stuff written, arranged, played and sung entirely by a bipedal humanoid known as Sheriff Jack - Avec «Cock Anne At Marjorie’s Door», il revient à son rock bizarroïde à la Plonk Lane, il chante comme un Sheriff Syd en goguette du côté de Portobello. La prod est un modèle du genre. Il ramène les grattes des squelettes pour «A Chair Or A Table». Fantastique modernité de ton ! Tout est dans l’idée, il la pousse au maximum, yeah you betcha !  

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             Le second Sheriff Jack s’appelle What Lovely Melodies et baisse d’un ton. Il attaque pourtant très fort avec «Waterlog Me Easy», un fast groove enrichi aux grattes funk et monté sur un fat bassmatic, et il sert ensuite un gros cocktail d’influences avec «Drown In Your Car», où il part en heavy solo de Broughtonmania. Plus loin, il tape une belle pop atmosphérique avec «Walk West With Your Baby». Il sait lui donner de la profondeur de champ, et il gratte un solo faramineux. Il attaque son «Railings Of My Heart» au rétro de White Album, Oh Honey Pie, you’re making me crazy. Même magie. Sacré clin d’œil ! En B, il rend hommage à la Ross avec «Diana Ross». Il chante sur un groove à elle. Il sait tout faire, le petit Lewis boy, de la Soul, du rock, de la pop, des Beatles, même du Dada strut comme le montre «Dada Art Attack». Il boucle sa B avec «The Milk Bar», une belle pop de fin de non recevoir, extrêmement anglaise.

             Il va continuer de cultiver les obsessions : «Brian Wilson, Scott Walker, Bitches Brew, Marvin’s Trouble Man, Shuggie Otis, Syd, Robert Wyatt, Sam Cooke, Joe Meek and Howling Wolf.» Et comme si tout cela ne suffisait pas, il va surprendre tous les spécialistes des deux côtés de l’Atlantique avec ses «outlandish prog/fusion intros, deep neo-Soul grooves, floor-shaking bass, jazz chords, tasty harmonies and lovestruck lyrics.» Et à un moment, dans l’article, Taylor te balance ceci : «In my fantasy it’s what early Soft machone would’ve sounded like if Marvin Gaye was their lead singer.» Ses deux albums sur Island (épluchés dans le Part One) rencontrent un gros succès critique mais ne se vendent pas. Le pauvre Taylor is not rich. Il reste sur le carreau.

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             Il revient aux affaires avec Stoned Part 1 et Stoned Part 2. Les deux albums vont tout droit sur l’île déserte, surtout le Part 1. Il attaque son Stoned Part 1 avec le morceau titre. Comme son nom l’indique - I get stoned forever - Il y va au don’t ask me now, il chante d’une voix offerte comme une gonzesse en rut. C’est le groove magique du rich Taylor, il te groove ça à fond de cale et te passe en prime un solo de punk. Tu entres dans cet album comme si tu entrais en religion. Il a une sorte de sixième sens à la Norman Whitfield, comme le montre «Positively Beautiful». Il groove son affaire à la manière des Tempts. Wow, il ramène tout le génie productiviste de Norman Whitfield dans son groove démented. Il fait du pur Motown ! Le rich Taylor incarne encore le génie du groove avec «Lewis TV». Il développe des horizons, et non seulement il chante comme un dieu, mais il gratte comme un dieu. Chaque solo est sidéral. Il s’impose encore en white nigger des temps modernes avec «Stop Look Listen (To Your Heart)», il te tartine ça au chat perché, comme une sorte de Sam Cooke aux pieds ailés. Il fait une Soul blanche et pure, il coule comme le miel dans la vallée des plaisirs. Retour au heavy groove avec «Shame». Il s’y montre encore une fois fabuleusement black et il passe un killer solo flash de plus. Il passe au Spirit pur avec «When Will I Ever Learn Pt 1», il fait littéralement le tour du groove, never never, il est comme transi de blackitude céleste, il se prélasse dans un bain de chaleur humaine. Il passe au heavy groove de funk avec «Back Together». Ce démon entre dans le territoire de Funkadelic, il en a les moyens et le courage. Cut magique encore avec «Loving U More», baby you walked into the room, il t’intraveine ça de black groove, to keep loving U for ever ! Il finit avec «Melt Away» et va chercher une pop à la Lennon. C’est sa force.

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             Le Stoned Pt II est moins dense, mais les coups de génie n’en sont pas moins percutants. Le meilleur exemple est «Carried Away». Il revient à sa chère pureté Soul et zèbre son ciel d’éclairs.  Il travaille son Carried en biseau, c’est drivé à l’énergie du cerveau. Il enchaîne avec le morceau titre, un heavy groove liquide. Il fait du Sly Stone en plus liquide, il chante d’une voix blanche, le génie de Lewis Taylor est infini, comme Sly, il descend au yayanana aw aw yeah, c’est exactement le même apanage. Troisième coup de génie avec «Keep On Keeping On», il est le roi de la fin de non-recevoir, il s’en va exploser son Keep On très haut dans le ciel, il se bat avec des tendances diskö, mais il revient trasher tout ça au wild gratté de poux. Attention aux quatre premiers cuts : ils sont tout pourris. Il faut attendre «Out Of My Head Is The Way I Feel» pour retrouver cet artiste extraordinaire. Il en fait un groove de Soul enchanté. Avec «Won’t Fade Away», il pose ses conditions : ça doit rester du groove princier. Il étale son lard suprême et là, oui, ça prend une tournure fantastique, ça se développe comme une chrysalide au printemps de Stravinsky. Rich Taylor ne semble s’intéresser qu’à la beauté formelle. Il s’évade dans cette beauté. Sa pop atteint la pointe du continent, et il finit par t’allumer cette Beautiful Song aux wild guitars d’outlaw. 

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             Jim Irving quant à lui traite Taylor de British eclectic polymath. Chacun son style. Côté gratte, Irwin le compare à Eddie Hazel, et côté chant à Marvin Gaye, comme le fait son confrère Phillips. Irwin ajoute que NUMB est darker, «Brian Wilson-channels-Smokey Robinson atmospheres». Irwin voit NUMB comme un «concept album about life’s challenges with an optimistic beauty at its heart.» En gros, c’est exactement ça.

    Signé : Cazengler, Lewis Taylarve

    Lewis Taylor. NUMB. Slow Reality 2022

    Sheriff Jack. Laugh Yourself Awake. Midnight Music 1986

    Sheriff Jack. What Lovely Melodies. Midnight Music 1987

    Lewis Taylor. Stoned Part 1. Slow Reality 2002

    Lewis Taylor. Stoned Part 2. Slow Reality 2004

    Matt Phillips : Numb angel. Record Collector # 543 - April 2023

    Jim Irvin : Welcome back lost Soul phenomenon Lewis Taylor. Mojo # 348 - November 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Thank Youlden very much

             Pourquoi Youri a-t-il laissé des traces si profondes dans les mémoires ? Sans doute étions-nous assez jeunes. À la sortie de l’adolescence, on est encore très impressionnable. Youri débarqua un beau matin dans notre petit cercle. Il connaissait bien la règle du jeu : si tu ne t’imposes pas tout de suite, t’es baisé. Il disposait en outre de deux gros avantages : un confortable écart d’âge, cinq à dix ans de plus, on ne savait pas trop, et une moustache bien fournie. Il parlait par saccades d’une voix forte, avec un léger accent de l’Est, et utilisait un argot des bas-fonds. Il racontait à qui voulait bien les entendre ses exploits d’aventurier en Autriche. Il s’auréolait de légende, de la même façon que Napoléon se couronnait empereur, et cette audace nous impressionnait au plus haut point, même si on ne croyait pas un mot de ce qu’il racontait. Puis il mit son petit système en route. Au lieu de marquer sa distance, il sympathisait, il semblait nous prendre tous sous son aile, il rendait même des petits services, il livrait quelques confidences sur sa copine, une très belle blonde qu’on apercevait de temps à autre. Il passa à l’étape suivante qui était de nous prendre tous à part pour des entretiens plus confidentiels, il créait une sorte d’intimité, oh rien de sexuel, là-dedans, il te considérait un peu comme son meilleur ami, il gagnait ta confiance, il te fixait dans le blanc des yeux, te demandait si tu le comprenais, te mettant dans l’obligation de dire oui, puis il attaquait la phase finale qui était bien sûr un problème d’argent, que toi seul, son meilleur ami, pouvait résoudre, oh pas grande chose, de quoi acheter ci et ça, car il avouait être passablement à sec, mais il te rassurait en affirmant, sans bien sûr élever le ton, qu’il attendait une rentrée d’argent, et avant que tu n’aies eu le temps de poser la question, il t’affirmait que c’était sûr et il le jurait sur la tête de sa mère, alors comment ne pas le croire ? Et puis un jour, il disparut comme il était apparu, pfffff, plus de Youri ! Nous n’en parlâmes jamais entre nous. Nous préférions sans doute garder au plus profond de nos êtres le souvenir délicieux de s’être fait rouler par un escroc légendaire.

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             Pendant que Youri écumait les contrées et plumait les oies blanches, Youlden créait sa légende en plumant le British Blues, d’abord dans Savoy Brown, puis avec quelques albums solo.

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             Le Savoy Brown originel fut tout simplement un conglomérat de surdoués. On trouvait dans cette équipe Chris Youlden, Lonesome Dave Peverett et Kim Simmonds. Ces trois-là savaient chanter, composer et jouer de la guitare. D’ailleurs, ils se repassaient le micro et tout était bon, tout au moins sur les albums de l’âge d’or. Leur grand hit fut « Train To Nowhere », un boogie choo-choo chanté par le brillant Chris Youlden, l’homme au chapeau claque et au cigare qu’on aperçoit sur la pochette d’A Step Further. Youlden semble sortir d’un western sauvage, c’est exactement le genre de type qu’on devait croiser dans les relais de diligence, le mystérieux voyageur qui ne parlait pas : on devinait à l’observer qu’il avait écumé la frontière et fréquenté l’indien. Tous ceux qui l’ont écouté à l’époque s’en souviennent, « Train To Nowhere » est l’un des hits de l’âge d’or du British Blues, doté du meilleur son caoutchouteux. On retrouve cette merveille sur l’album Blue Matter, un album qui rivalisait de classe avec ceux de Chicken Shack. Chris Youlden chante les morceaux de l’A et Lonesome Dave Peverett ceux de la B. « Tolling Bell » sonne comme du Chicken Shack et exerce le même genre d’envoûtement. Le cut semble suspendu dans le temps, légèrement mouillé au chant. Chris Youlden chante le blues fabuleusement bien. Ils passent ensuite au boogie-blues avec « She’s Got A Ring In His Nose And A Ring On Her Hand », joliment amené par ce bassman génial qu’est Tone Stevens, honnête jazzeur de groove pulsatif. « Vicksburg Blues » est chanté à l’ancienne et accompagné au piano. N’oublions pas que Big Dix est né à Vicksburg, Mississippi. Puis ils tapent dans John Lee Hooker avec « Don’t Turn Me From Your Door ». Fantastique pièce de heavy blues rock, jouée avec une niaque digne de Wolf et des esclaves les plus vindicatifs parmi les révoltés. C’est affolant de réalité wolfienne. On sent bien que Chris Youlden a traîné dans les montagnes, qu’il a chassé l’ours pour se nourrir et qu’il a su s’entendre avec les Crows. Pas de problème. Chris Youlden porte sur le visage les stigmates de son courage.

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             Sur la pochette d’A Step Further, on les voit tous les cinq planqués dans les futaies. C’est Chris Youlden qui ouvre le bal avec « Made Up My Mind » et Lonesome Dave balance un gros solo. « Life’s One Act Play » sonne exactement comme le « Blue Jean Blues » des Zizimen, on a le même riff de basse à trois notes. Mais l’album est comment dire... ruiné par une B enregistrée en public. Ils jouent un mélange bizarre de Jerry Lee, de Chuck et de Jimi Hendrix, et ça ne marche pas, même s’ils sortent toute la panoplie du gros son. 

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             Chris Youlden entre dans Savoy Brown en 1968 pour l’enregistrement du deuxième album, Getting To The Point. L’arrivée d’un chanteur comme Chris Youlden change la donne. Ce mec est LE Bristish Blues Boomer par excellence. Il fait gicler le pus du blues à coups d’accents fêlés. Ah on voit qu’il adore se vautrer dans le gras du blues. Ils enchaînent avec un joli coup de boogie blues, « Stay With Me Baby ». Kim Simmonds joue comme un dieu et dans « Honey Bee », Chris Youlden sonne carrément comme un vieux cueilleur de coton. Encore un boogie anglais des années de braise avec « The Incredible Gnome Meets Taxman ». Wow, ces gens-là savaient jouer. Kim Simmonds joue tout en clair/gras, il s’impose dans l’immédiateté, mais il n’est cependant pas aussi fluide que Peter Green ou Mick Taylor. Il propose un jeu plus accidenté mais intéressant. Back to the mighty heavy blues avec « Give Me A Penny », mais sans prise de risque. Attention, Savoy Brown n’est pas le Jeff Beck Group. Le cut le plus intéressant de l’album est sans doute «Mr Downchild», sombre et tendu, joué au groove suburbain. Chris Youlden gère la chose d’une voix de rêve, à coups de syllabes bien mouillées. Mais leur vraie spécialité est bel et bien le boogie, comme le montre le morceau titre, une pétaudière farfouillée par ce soliste impénitent qu’est Kim Simmonds.

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             Chris Youlden fait encore partie de l’équipe des petits Savoyards pour Raw Sienna qui paraît à l’aube des seventies. C’est lui qui va amener toute la substance, avec ses compos et sa voix chaude. Ils attaquent cet album avec « A Hard Way To Go », un joli groovyta à la bravache anglaise, typique des années d’insouciance socio-économique. « That Same Feelin’ » est un excellent petit cut bien rebondi, bien solide et même un brin carnassier. Album extraordinairement solide, l’une des meilleures conjonctions du British Blues, avec la hargne glottale de Chris Youlden, le fondu de la basse de Tone Stevens et l’électricité acariâtre de Kim Simmonds. Ces mecs sonnent comme des géants de Stax avec des guitares psyché. « Master Hare » est un bel instro qui montre bien leur maîtrise de la prêtrise et des assises. Dans « Needle & Spoon », Chris Youlden croasse - I feel alright with my needle and my spoon - C’est du très haut de gamme vertueux et inspiré, joué à l’os de la côtelette et gras comme un manchot. Tout est chanté au meilleur des conditions savoyardes. Ils attaquent la B en beauté avec « I’m Cryin’ », un heavy blues bien balancé sur les twelve bars réglementaires - Hey I’m cryin’ - Il faut voir comme ils savent travailler leur viande ! Chris Youlden chante « Stay While The Night Is Young » avec tout le feeling du laid-back emblématique.

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             Après Savoy Brown, Chris Youlden attaque en 1973 sa carrière solo avec Nowhere Road. Il fait ce que font pas mal d’Anglais à cette époque, du boogie rock. Avec «One October Day»,  Yould fonce dans la nuit, avec un son nappé de cuivres. Il a gros moyens et il habite bien ses cuts, comme le montre «Chink Of Sanity». Il dispose d’une vraie voix, il est l’un des great ones du London underground. L’énormité de l’album s’appelle «Crying In The Road», amenée à la pure attaque, Yould ne rigole pas, il te prend par surprise, il est wild as fuck et Chris Spedding passe un solo demented. Bienvenue au paradis ! Il attaque sa B avec «Standing On The Corner», un excellent slab de r’n’b à l’anglaise. Yould mérite le respect, il pique encore une crise de fast groove avec «Wake Up Neighbours», il en devient presque américain, il vise un absolu très particulier. Son «Street Sounds» sonne comme un groove spécial, qu’on dirait enterré vivant. Il souffre mille morts, il ne peut pas affronter son destin, c’est quasiment le plus beau cut de l’album. Il termine avec «Pick Up My Dogs», un heavy groove d’excelsior, il chante à la grâce maximale. Ce mec te donne envie d’en savoir plus.                

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               Ça tombe bien, Citychild paraît l’année suivante. Ah il faut l’entendre faire son white nigger au bout de la B avec «It Ain’t Real». Il sonne comme un chef de meute et s’il calme le jeu à mi-chemin, c’est pour mieux revenir, il chante à l’accent tranchant. La deuxième merveille de l’album s’appelle «Love & Pain», un heavy froti-frotah de when you wake up in the morning, il navigue dans le satin brique de London town, il chante à l’encan, il s’en pète la voix, yeah yeah. Encore deux merveilles en A, à commencer par «Conjure Wife», fast boogie quasi Stonesy, mais early Stonesy, celle du premier album. Yould fait son punk. Ah comme il est âcre ! Cet album est plein de son, riche de percus et de cuivres. Il swingue «Keep Your Lamp Lit» avec une classe invraisemblable et quand on entend «Little Cog In A Big Wheel», on le soupçonne d’avoir du sang noir dans les veines. Il taille une route très hard, au r’n’b de London town. On entend des chœurs de filles superbes dans «Peace Of Mind», des chœurs étoilés qui se répandent par radiations. Yould est excellent, juste et mystérieusement underground.

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             Vingt ans plus tard, Yould revient aux affaires avec Second Sight. Ce serait une grave erreur que de faire l’impasse sur cet album, car quel album ! Il refait son white nigger avec «Soulmate» et «Turn Your Red Light Green». C’est de la heavy Soul, il en a les moyens. Il chante même son Red Light à l’édentée, Yould est un énorme shouter de back room. Il remet aussi les pendules à l’heure avec «Let It Rain», il chante ça sous le boisseau de la tangente, à la syllabe amochée et plus loin, il plonge dans le heavy jazz avec «Tongue Tied». Soudain, on réalise qu’on a encore dans les pattes un album exceptionnel, bourré de feeling, l’album d’un chanteur génial. C’est presque l’album d’un blackos en mal d’amour. Il fait aussi du swing anglais avec «You Got A Hold On My Heart». C’est d’une élégance à couper le souffle. Mais Yould veille à rester blanc, car il s’agit de sa sinécure. Il est excellent avec son «Making Love On The Telephone» et la soft Soul de bon ton de «The Name Of The Game Is Love» évoque bien sûr Robert Palmer. On entend deux guitaristes sur l’album, Innes Sibun fait des ravages sur «You Ain’t Foolin’ Me», un heavy blues bien appuyé, et Gary Shaw vole le show sur «That’ll Get It». Il y va de bon cœur, le Shaw. Quant à Yould, on le suit partout. Il va par là, on va là. Il va par ici, on va par ici, c’est simple, chien fidèle. Ouaf ouaf.  

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             On trouve aussi dans le commerce un album de Chris Youlden & The Slammers, Closing Time, paru en 2018, et qui propose deux sessions datant de 1987 et 1991. Dans ses liners bien touffues, le beurreman Malcolm Mills nous explique que Martin Stone fit partie de cette aventure, mais c’est David Briggs qu’on entend sur ces deux sessions. On retrouve aussi le fameux Geraint Watkins à l’orgue, un vétéran de toutes les guerres qui a joué avec Dave Edmunds, le Slim Chance de Plonk Lane, Nick Lowe, Graham Parker... Et Lazy Lester ! Justement, Yould attaque avec l’excellent «Sugar Coated Love» de Lazy Lester, le son est caverneux mais Yould le prend à la gorge. On a là le boogie anglais ultra raffiné, l’exemplarité définitive. Dans les pattes de Yould, ça reste pur. Raw Louisiana, man ! Ils enchaînent avec «Number Nine Train» - Number nine/ Took my baby off the line - Avec David Briggs on devilish guitar. Extraordinaire musicalité ! Ils nous font d’autres covers de rêve, comme par exemple «Nervous Breakdown», Aw mah heavinah/ Nervous breakdown ! Yould fait aussi du heavy Jerry Lee avec «Let’s Talk About Us». Yould le bouffe tout cru ! Il tape à la suite dans le «Sweet Love On My Mind» de Johnny Burnette, c’est en plein dans l’esprit du vieux Johnny qui gratte sa gratte avec des gants de boxe. Yould monte au paradis de «Fools Paradise». Fantastique exaltation de white kid fasciné par la musique noire. Demented are go ! Tout l’album est bardé de son, le «Wanna Stay Alive» est wild à gogo, c’est d’une dementia qui dépasse les bornes, c’est le boogie de London Town fouetté à la peau des fesses, Yould arrose d’I won’t take a drive. Le coup de génie s’appelle «In The Middle Of The Night», joué à l’extrême violence riffique et cette voix te tombe sur le râble comme un baume. Franchement, ils rivalisent de violence avec les Pretties.

    Signé : Cazengler, Chris Yaourt

    Savoy Brown. Getting To The Point. Decca 1968

    Savoy Brown. Blue Matter. Decca 1969

    Savoy Brown. A Step Further. Decca 1969

    Savoy Brown. Raw Sienna. Decca 1970

    Chris Youlden. Nowhere Road. London Records 1973                 

    Chris Youlden. Citychild. Deram 1974

    Chris Youlden. Second Sight. Line Records 1994  

    Chris Youlden & The Slammers. Closing Time. The Last Music Company 2018

     

     

    Unschool Days

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             Ce petit gang local s’appelle Unschooling. S’il tape du School, c’est à rebrousse-poil. Non seulement il va à l’encontre du «School Days» de Chucky Chuckah, mais il va en plus à l’encontre de tout, il fait fi des structures classiques, encore plus fi du fion des mélodies, il télescope de plein fouet le père fouettard, il fulmine de fulmigondis, il te tarpouette la bobinette, il esquinte tous les quintaux qu’il peut, y

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    compris les quintessentiels, ces fiévreux locaux bousculent tous les barrages, y compris celui que dresse Marguerite contre le Pacifique, ils ruent tellement dans les brancards que les branques s’enfuient en poussant des cris, si Unschooling te ring la belle, Bill, c’est pour mieux la fracasser en mille morceaux, on l’aura bien compris, Unschooling c’est le Capitaine Fracasse de la fuite en avant, les voilà lancés dans une quête éperdue de modernité contrepétée à tout crin. Il ne s’agit même plus d’une question de son.

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    Même si c’est pas ta came, et même pas du tout ta came, tu écoutes, car sous sa casquette, le petit mec qui joue devant toi a des allures d’anti-rockstar. Il chante ses cuts avec la gueule d’un guerrier en embuscade, il fixe le public d’un œil de lynx, il n’en finit plus de chanter d’une voix ferme et d’éclater sur sa Tele tout un Sénégal d’exactions inactiniques. Attention, ils sont trois à gratter des grattes, dont une douze qui ressemble à une Burns. Ces mecs travaillent un son anguleux, extrêmement sharp, fier et tendu, ils sont en quelque sorte les rois de la concasse, le rois du baston dans un verre d’eau, ils font une sorte d’âpre no-sell-out, d’aigre so far-out dématérialisé, de math-rock compulsif, ils concassent l’inconsidérable, ils piétinent tout, y compris les plates-bandes de la métamorphose des cloportes, c’est un rock sans pitié qui s’encastre dans des murs ou des platanes, rien ne va comme ça devrait aller, mais ça tient debout et ça finit par imposer une sorte de respect moite. C’est la Post poussée dans les orties, comme une vieille grand-mère qui ne mérite que ça. Ces cinq petits mecs dégagent une énergie énorme et sont capables de jolies crises d’épilepsie, de burst-out héroïques, d’éruptions de nitrates soniques, ceux qu’on préfère. Dommage qu’ils ne fassent pas que ça, car ils deviendraient en un rien de temps les nouvelles stars nationales.

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             Le guerrier en embuscade s’appelle Vincent Février. On peut sans risque le qualifier de guerrier car il semble extrêmement aguerri. Le seul défaut d’Unschooling serait peut-être de jouer trop longtemps. Un set de Post doit rester court, une demi-heure, ça suffit pour y voir clair. Sharp & short. Trop de sharp finit par tuer le sharp, et comme ils ne jouent que du sharp, ça finit par s’auto-annihiler.

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             Alors, intrigué, on file au merch ramasser un truc pour vérifier. Besoin de savoir si Vincent Février est réellement une star en devenir. Leur dernier album s’appelle New World Artifacts. On retrouve sa voix. Ce mec chante pour de vrai. Timbre crédible. Cuts baroques et peu orthodoxes, on s’y attendait. «Erase U» sonne comme une belle entente cordiale de la concasse prohibitive. Ce genre de rock post-moderne ouvre la boîte de Pandore. On se croit soudain autorisé à dire n’importe quoi, à condition que les mots swinguent à l’envers, à rebrousse-poil. On avait éprouvé un sentiment du même genre voici trente ou quarante ans lorsqu’on écoutait The Fall et qu’on frisait l’overdose à vouloir déchiffrer le baratin de Mark E. Smith. Car il est bien évident qu’on ne peut pas écouter The Fall si on ne comprend pas ce que raconte Mark E. Smith.

             Finalement, l’«Erase U» se révèle assez entraînant. On sent un potentiel. Comme Vincent Février dispose d’une voix et d’une réelle carrure, il pourrait faire aujourd’hui ce que The Fall fit voici trente ou quarante ans : re-dessiner la quadrature du cercle. Défier les lois du mainstream et imposer une ère nouvelle de rebrousse-poil. Fuck the system. Son rock, c’est exactement ça. Il ne respecte rien, surtout pas les règles de bienséance qui entraînent la pop culture vers le néant. Voilà ce qu’il faut retenir de cette démarche et de cette volonté de ne pas plaire. Vu sous cet angle, l’album devient passionnant. Février chante son «Brand New Storm» d’une petite voix de museau fouineur, et il dégage du charme. Ce qu’il propose ne pourra pas plaire non plus aux érudits du rock et aux tenants du bon chic bon genre qui vieillissent mal. Vincent Février est un franc-tireur. Il agit seul - avec ses quatre amis, bien sûr - mais c’est lui le driver, le mover & shaker du rebrousse-poil. L’architecte. Il se met enfin en colère avec «Excommunicated», et ça bombarde, un peu, mais pas trop. C’est mieux sur scène. Et puis Unschooling n’est pas Motörhead. En B, il reprend ses travaux d’architecture baroque avec «Ribbon Road», c’est très sci-fi, très Schuiten, très tours de cristal, très ciels d’aquarelle, très perspectives de subterfuges. Son «Shopping On The Left Bank» n’en finit plus de rechigner à plaire. Encore un cut typique de la Post qu’honnissait Gildas. Mais ici, c’est un cas particulier. Vincent Févier ne frime pas. C’est l’anti-frimeur par excellence. On est content d’avoir vu ce mec sur scène, et content, vraiment content, d’écouter son dernier album, juste pour vérifier. Son Shopping est bien secoué de la paillasse. Ça ne peut pas plaire, c’est impossible. D’où sa grandeur. C’est très imberbe, très dévertébré, gratté à l’hirsute. Mal aimable. Pas peigné. Grinçant. Désagréable. De l’art moderne, en quelque sorte, comme dirait Joost Swarte. Petite cerise sur le gâtö : l’album manque cruellement d’explosions. On te vend un album privé d’explosions. C’est une façon comme une autre de te dire : si tu veux les explosions, alors va les voir jouer sur scène. Ils réservent leurs pétards pour la scène.      

    Signé : Cazengler, Uncool

    Unschooling. Le 106. Rouen (76). 8 décembre 2023

    Unschooling. New World Artifacts. Bad Vibrations Recordings 2023

     

     

    Banco pour Bronco

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             Bronco Bullfrog bénéficie d’une bonne réputation : c’est en effet le groupe d’Andy Morten, grand Shindigger devant l’éternel et mentor du grand label de red Rev-Ola. Donc pas de problème, avec Morten, on est au cœur du Swinging London des temps modernes.

             Comme on réédite le premier Bronco, Hugh Dellar leur consacre une page dans Shindig!. Dellar précise aussi sec que Morten est co-founder de Shindig!. Dellar précise aussi que le nom du groupe est tiré du ‘69 Barney Platts-Mills movie. Louis Wiggett indique que son pote Johnny Gorilla en avait une copie VHS. Wiggett donne tout le détail de la genèse de ce premier album, qui s’étale sur un an ou deux, avec du swap de lead vocals et d’instruments - the shape of things to come, really - puis Bronco commence à tourner en Espagne, à la fin de la Britpop. Bon, une page c’est un peu court, mais ils n’ont peut-être pas grand-chose à raconter, after all.

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             Le premier album sans titre de Bronco Bullfrog date de 1998. Bon album de pop anglaise. Bronco est le typical British band, un groupe de fans de grande pop anglaise. «Together» est un vrai shoot de pop avec le tombé du son. Morten compose tout. Il ne quitte jamais le pré carré de la pop anglaise. Il est très casanier. Sa pop reste cousue de fil blanc, il navigue à la frontière du prog, on comprend que ça puisse plaire à Shinding! qui en fait tout un plat. C’mon baby, I’m English. «Poor Mrs Witherspoon» est un peu plus gras, mais on n’y croit plus. Morten est trop pur, trop fragile, trop délicat. Il ramène du heavy load en fin de cut, mais c’est un peu comme s’il arrivait après la bataille. Petit réveil en sursaut avec «Sun Tan Notion», un brin Mod craze et harmonique. On le sent profondément investi dans sa popérisation - And it feels so good to be alive - Avec «Greenacre Hill», il passe à la heavy pop rock de niveau supérieur, et là, ça devient bougrement intéressant. Morten a tous les bons réflexes, il fait de la big Power pop de London town, c’est bien monté en neige anglaise. Il reste dans la grande tradition avec «Lazy Grey Afternoon», mais il redevient un peu trop pur, trop précieux. Il se réserve toujours pour les fins de cuts qu’il aime voir éclore en bouquets psyché psycho. Il flirte dangereusement avec la Mad Psychedelia. Il finit l’album en beauté avec «History», passionnant shoot de big heavy pop, bien raviné des ravines, bien monté en neige sur le tard, puis «Paper Mask», très Beatlemaniaque, bien coulé du bronze. Morten fait son John Lennon, il travaille avec la ténacité harmonique du grand John Lennon. Superbe !

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             Le Seventhirtyeight paru en l’an 2000 grouille de vie. Rien ne grouille autant de vie qu’un album de Bronco Bullfrog. Andy Morten gratte «My New Skin» au pur Brit Sound. Les Broncos campent dans l’invariable. Ils cultivent le bruissement urbain de London town. On reste dans le pur Brit Sound avec «Sweet Tooth». Il y règne un léger parfum de Beatlemania. C’est la pop des jours heureux, la pop du manège enchanté, la pop magique des Hollies et des Seekers. Encore plus explosif, voici «Blow Yourself Up», oh so British ! C’est claironnant d’harmonies vocales, ces trois petits mecs ont du génie, c’est gorgé d’énergie tellurique, tell me why it hurts me, suivi d’un solo à ras la motte. Les dynamiques sont exceptionnelles. Certains cuts comme «7:30 (Bug-Eyed And Breathless)» manquent à leurs devoirs, même s’ils restent intenses et bien drus, mais limite proggy. Ils attaquent le continent pop par tous les angles, comme le montre encore «So The Wind Won’t Blow It All Away», même sous l’angle mélopif, ça reste fruité, assez subliminal. C’est un album qu’on ne lâche pas en chemin. Retour au génie pop avec «Jigsaw Mind», pop Whoish de big élan, c’est du pur blossoming, eau et gaz à tous les étages en montant chez Andy, il chante ça à l’intrinsèque de Pure Brit Sound. Et ça continue avec «One Day With Melody Love» tapé à la Bronca de Bronco, donc très puissant, ils prennent leur Melody à l’unisson du wild saucisson et c’est zébré d’éclairs Whoish, traversé par un solo classique et beau. Ça bat la chamade à la Moonie. Retour aux Who avec «Get To Know You», c’est leur dada, ils adorent les Who mais sans Daltrey. Ils s’intéressent plus aux explosions.     

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             The Sidelong Glances Of A Pigeon Kicker est un beau Mushroom Pillow de 2002, qui fait maintenant l’objet d’un buzz, puisque Guerssen a mis le grappin dessus. Guerssen, c’est le Toy In The Attic du pauvre, ils tentent des coups, mais ce ne sont pas les mêmes moyens. Évidemment, ils attirent les amateurs de disques obscurs (et souvent ratés) comme des mouches. Sauf que cette fois, The Sidelong Glances Of A Pigeon Kicker n’est pas un disque raté. Oh la la pas du tout. Dès «Barnaby Slade», ils t’en mettent plein la barbe, on sent même un brin de Small Faces dans la rafale, et en plus tu as aussi des accents de Beatlemania. Ils sont dans leur trip, fiers et sans remords. L’«Octopus» qui suit n’est pas celui de Syd Barrett. Ils sont dans une espèce d’heavy pop nerveuse et lumineuse. Andy Morten et ses amis jouent à l’exubérance évolutive. S’ensuit un balladif bien construit, «Tea & Sympathy», ça sonne bien dans ta coupelle, toi qui mendies du son anglais. Ils attaquent «Look At Me» à la Who’s Next. Très impressionnant. Ni un hit ni un miracle, mais un shoot de rock anglais très inspiré. Encore plus convainquant, voilà «Snig’s Not Dead», plus poppy sucré, bien construit, tu adhères aussitôt au parti. Ils renouent avec l’énergie des Who dans «Wolly’s Dream», ils ont tout l’attirail : bassline voyageuse, wild killer solo flash - Tell you baby watcha you gonna dooo - On se régale des descentes de bassmatic. On se régale encore plus du what can I doo d’«I’m Not Getting Through», toujours aussi heavy, poppy et si prodigieusement inspiré, et tu as même un solo à la déglingue de clairette. On assiste à la suite à une fantastique remontée du courant pop avec «Last Chance To Smile», ils nagent dans la pop comme les dauphins savent nager, ils sont les Heroes de la pop anglaise, et ils se fendent d’un giving a try suspendu aux harmonies vocales. La pop est une religion en Angleterre, c’est la raison pour laquelle «Honeybus» impose le respect. Ces trois petits mecs taillent une route vers la beauté purpurine. Let me take you down in honeybus fields forever.

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             Et puis voilà le pompon, la cerise sur le gâtö de Bronco : Oak Apple Day. L’un des disques magiques les plus rares d’Angleterre. C’est un aboutissement ! Quand tu écoutes «You’re My Head», tu te crois sur l’album que les Who n’ont jamais enregistré. Les Bronco bombardent, c’est une pop de destruction massive. On retrouve toute la remona des Who et des Small Faces dans leur soupe, et le bassmatic délirant dévore tout. C’est le plus féroce depuis l’âge d’or de The Ox. Avec sa basse, Louis Wiggett vole le show, un Wiggett qu’on va retrouver plus tard dans Admiral Sir Cloudesly Shovell. Andy Morten bat le beurre et Michael Poulson chante et gratte ses poux. L’album explose au firmament dès «Sunday Wheeling». C’est une pop gorgée de jus. On a beau s’être habitué aux miracles avec les trois premiers albums, celui-ci semble monter un cran largement au-dessus. Ces mecs incarnaient à l’époque l’avenir de la pop anglaise. Ils sont les Big Star d’Angleterre, comme l’étaient aussi à leur façon les Fannies de Glasgow. Encore de la big energy de cross over avec «I Don’t Need The Sunshine», ils tapent une pop éclatante, vivifiée, alerte, gorgée d’allure, et tout éclate dans une solace de chœurs magiques. Ils restent fidèle à leur ethos de pathos avec «Hey Mary», ils renouent avec la grande énergie de early Hollies et on voit Poulson fondre un solo en quinconce. Encore une pop bien ramassée avec un «Wrong Things Right» gorgé de jus comme un fruit exotique extraordinaire, ça éclate de vie au soleil de la pop, ils sont en plein dans les Hollies. Et puis tu vois les pah pah pah de «Mock Orange Innocence» rayonner dans une incroyable solace de freakout, dans un véritable halo de descentes beatlemaniaques. Retour du wild bassmattic sur «I Got The Rain» et les carillons que tu entends sont bien ceux du Rain des Beatles, mais c’est explosé dans le ciel d’Angleterre. Ils font de la power sunshine pop. Personne ne peut résister à ça. Avec «Deep Six», on les voit se glisser subrepticement dans la magie pop avec une douceur sans égale. Ils sucrent la Beatlemania. Ce mec Poulson chante comme un dieu. Leur pop est une pop de power absolu, ils osent des dynamiques extravagantes, ils explorent tous les registres de la pop anglaise, ils poussent leur art au plus haut point. Avec «Between Here & Beyond»», ils reprennent les choses là où les Hollies les ont laissées en 1965, et ils tracent leur route vers la modernité. C’est explosif de might never get the chance again. Et puis voilà l’apothéose, «Emporium Days», drivé dans le sens du poil de la bête, imparable, vraie pop en rut, sans doute la meilleure power pop d’Angleterre, et ça finit en mode Whoish d’explosion nucléaire.

    Signé : Cazengler, Bronco Bullfroc

    Bronco Bullfrog. Bronco Bullfrog. Twist Records 1998

    Bronco Bullfrog. Seventhirtyeight. Twist Records 2000    

    Bronco Bullfrog. The Sidelong Glances of A Pigeon Kicker. Mushroom Pillow 2002

    Bronco Bullfrog. Oak Apple Day. Rock Indiana 2004

     

     

    *

    Tiens un groupe qui s’appelle Nature Morte, bizarre pour du Black Metal, doivent être français, quoique l’expression ‘’ nature morte’’ est reprise dans les livres d’art de langue anglaise, l’album se nomme Pénitence Critique, regardons de plus près, j’ai tout inversé Nature Morte est le titre de l’album et le groupe c’est, j’avais mal lu, Pénitence Onirique, étrange association, oui ils sont français, curieux, étrange, énigmatique, allons y voir ! En plus ils revendiquent d’utiliser notre noble langue françoise.

    NATURE MORTE

    PENITENCE HONIRIQUE

    (Les Acteurs de l’Ombre / Novembre 2023)

    Le groupe s’est formé en 2015. Manière de parler puisque Bellovesos est tout seul, l’est très vite rejoint par Diviciados, l’origine gauloise de ces noms ne vous aura pas échappé. Serait--ce une manière de se séparer symboliquement du milieu qui les a vu naître, viennent de Chartres, une ville historiale marquée par la tradition catholique. Relisez Les Tapisseries de Charles Péguy pour mieux comprendre. En 2016, paraîtra V.I.T.R.I.O.L. - passionnés d’alchimie me quittent pour illico presto pour aller écouter cet opus – un single Aphonie en 2018, un deuxième album, nous y reviendrons, Vestige, en juillet 2019, quatre ans après : cette Nature Morte qui, serait-ce une pointe de désir nécrophilique, nous excite.

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    Sur scène, ils sont six, ils arborent des masques – la grande mode chez les groupes de Black Metal Atmosphérique – et sont revêtus, bonjour les étés festivaliers et caniculaires, de longs costumes noirs. L’on pense à Magma et à leurs robes hiératiques.

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    Différente, cette couve, elle ne correspond pas à l’imagerie traditionnelle des groupes de Metal, l’a un côté suranné, je veux dire d’un autre monde disparu, non pas celui de la mythique Atlantis, beaucoup plus proche de nous, de ces salons littéraires de la fin du dix-neuvième siècle et du début du vingtième, j’ai tout de suite pensé aux floralies et bouquets de Madeleine Lemaire, Marcel Proust lui doit beaucoup…

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    Cette couve est éclose du pinceau d’Aurore Lephilipponnat, selon la formule consacrée un détour sur son instagram s’impose, art classique et religieux, de merveilleux fusains, des anges, des maternités, des corps de femmes nues, un art infusé de culture chrétienne mais une plume de Satan foudroyé a dû voleter pas très loin de l’âme de l’artiste toute une partie de l’œuvre s’irise d’un bestiaire peu orthodoxe et les chairs sont parfois pantelantes, disséquées jusqu’à l’os, à croire qu’elles ont subi d’innommables et extatiques tortures. Beauté et cruauté se regardent l’une dans l’autre comme dans un miroir.

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    Sur Bandcamp une courte notule : ‘’ Le concept de cet album est une interprétation romancée du travail de René Girard sur le désir mimétique, bouc émissaire et le sacrifice rituel.’’ La pensée de René Girard a été poussée en France par de nombreux médias lors de la sortie de son ouvrage : Le bouc émissaire paru en 1982, les mauvais esprits comme moi feront remarquer : dans les temps mêmes où l’idéologie libérale s’installe en France et où le personnage de Jean-Paul II (nommé pape en 1978) est porté au pinacle par ces mêmes médias. C’est ainsi que l’on présenta voici un demi-siècle conjointement les mécanismes de l’exploitation de l’homme par l’homme comme un bienfait économique et le christianisme comme un supplément d’âme nécessaire à cette nouvelle modernité tant vantée, hélas à cette époque encore trop mécréante.  Des journalistes désireux de simplifier les concepts un tantinet difficiles de Girard lui ont, dans le but de rassurer le lecteur, décerné le titre de philosophe chrétien. Nous pensons à l’instar de Julien qu’un philosophe ne saurait être chrétien puisque foi et pensée appartiennent à deux domaines différents. Pour notre part nous le qualifierons plutôt de théologien. Laïc certes, mais en son genre non dépourvu de logique. Si sa théorie mimétique nous semble, à l’instar de la théorie psychanalytique qu’il combattit, se penser davantage elle-même qu’expliquer le fonctionnement de l’esprit humain, sa réflexion sur le sacrifice rituel nous paraît faire totalement l’impasse sur le rôle des pratiques théurgiques païennes sur lesquelles, en les oblitérant totalement, le catholicisme a fondé l’aspect sacrificiel de la messe.

    Désir : il vous reste peu de temps à vivre, une minute,  profitez-en, quelles douceurs dans ces bruits de tubulures étouffés, le désir est-il censé de s’approcher de vous comme l’esprit saint sur des pattes de colombe, mitraillage battérial, trop tard l’hystérie phonique fonce sur vous, trois guitares, vous me faites pitié imaginez-vous être le colonel Chabert, ce héros de Balzac, deux coups de sabres sur la tête et un boulet de canon qui envoie voler votre cheval qui retombe sur vous, ensuite ce sont les quatre mille chevaux de la charge d’Eylau qui passent sur vous, ne bougez pas d’un cheveu, laissez-vous faire, imaginer le piétinement incessant de quatre mille centaures qui vous piétinent sans discontinuer. Ce n’était qu’une image pour vous signifier que vous aurez du mal à trouver plus violent, sinon c’est une histoire d’amour, girardienne ce qui change la donne, non vous n’êtes pas en train de vous adonner avec un ou une partenaire choisie à vos petites affaires intimes, vous n’êtes pas deux mais trois, mais non ce n’est un troisième larron qui viendrait se glisser dans votre duo, celui qui vous dérange c’est le désir, non pas celui que vous avez pour votre partenaire car si vous la ou le désirez c’est pour imiter quelqu’un d’autre car pour Girard l’on ne désire quelqu’un que par rapport à une autre que vous voulez imiter pour lui ressembler, et puis le surpasser. Le pire c’est que votre partenaire est dans le même cas que vous, deux triangles amoureux qui se confrontent ( nous ne sommes pas loin de la structure absolue ( = 6 ) de Raymond Abellio ), comment éviter que votre désir ne se transforme en haine, puisque à travers vous ce n’est pas vous qu’il ou elle cherche atteindre mais un ou une autre, maintenant vous comprenez pourquoi le morceau est si violent, l’on est au plus intime des rapports humains, l’homme est un carnassier pour l’homme, mais il ne se nourrit pas d’une seule chair. Les Mammonides : si vous êtes d’un optimisme indécrottable, si vous pensez que ce nouveau morceau ne saurait être pire que le précédent vous avez perdu. L’intro vous annonce clairement le propos, ce coup-ci c’est le combat des Lapithes contre les Centaures dont les Grecs avaient voulu perpétuer le souvenir en le sculptant sur le fronton du Parthénon, le screamer il n’a pas une voix, juste un presse-purée qui vous moud des tombereaux de granite aussi finement de la farine. Epique !  Vous avez eu le sexe en première partie, en deuxième vous aurez encore plus fort, ce n’est pas the drugs et pas le rock non plus. Vous avez la ruée, voici l’or. Dans notre monde dévitalisé on se contentera de l’argent. Les Mammonides furent une secte hébraïque qui adorèrent le veau d’or. Avec l’or vous achetez tout ce que vous voulez, des babioles, des esclaves, des voitures… tout cela n’est rien, des fariboles, le plus grave c’est que vous crochetez par l’envie que vous suscitez la pensée des autres, vous corrompez les populations, vous les écartez de leurs destinées humaines de sagesse. Nature morte : ce n’est pas la nature qui est morte, gardez vos craintes écologiques pour vous, z’ont un peu baissé le son et ralenti le rythme pour que vous entendiez le message. Ce n’est pas non plus le bouc émissaire que l’on conduit au supplice. C’est Dieu in person, ou plutôt le Christ, faut avouer que les guitares et les cris pourraient servir de générique à un superbe péplum, on s’y croirait, le son tourne autour de vous et vous avez l’impression d’être au milieu de l’envieuse foule assoiffée de sang… Par son innocence le Christ met fin à l’Histoire humaine. Sans lui les hommes seront soumis à des siècles de fer et de feu. Mais il reviendra, et pour ces résidus dégénérés que nous sommes il ouvrira un nouveau cycle. Lama Sabacthlani : après la folie phonique des trois premiers morceaux, ils vont sacrifier aux habitus metallifère, certes ils ont déjà sacrifié Dieu, alors ils profitent de ses tout derniers instants pour le morceau lent de rigueur dans les albums du genre, à peine plus de deux minutes, il ne faut quand même pas exagérer, une acoustique qui résonne un peu voilée pour exprimer la solitude du Dieu qui doute et de la désespérance du monde et de l’Humanité… quelques notes claires, presque radieuses symbole d’espoir. Je vois tomber Satan comme l’éclair : citation de l’Evangile de Luc que l’apôtre a lui-même reprise au prophète Isaïe, c’est aussi le titre d’un livre de René Girard paru en 1999. La musique survient comme une pierre qui tombe, c’est Satan que Dieu rejette parmi les humains après l’avoir enchaîné pendant mille ans, il lui livre les âmes à éprouver, les rares qui lui seront restés fidèles et la multitude mécréante et coupable seront jetés en l’enfer. Pénitence Onirique joue un peu trop sur le grandiose, la scène d’amour charnel du début est beaucoup plus violente que ce morceau d’apocalypse, les légions noires de Satan et les armées blanches de Dieu auraient mérité un affrontement davantage échevelé. Pharmakos : après la chute, l’envol. Thème orientalisant. Pénitence Onirique nous refait le coup de La Fin de Satan de Victor Hugo, ce n’est pas Dieu qui pardonne, ce sont ses adorateurs qui le sacrifient, l’antichrist par excellence qui va être sacrifié comme l’a été le Christ, le choix de Dieu et le choix des hommes est différent, le Christ était innocent et Satan un rebelle, le châtiment que les mécréants lui infligent lui octroie au regard de Dieu une nouvelle innocence. Très beau morceau, secoué de thèmes qui s’entrecroisent, l’on n’est plus dans un grandiose un peu kitch comme dans le morceau précédent, mais l’on ressent un sentiment de véritable grandeur. La scène ne se déroule pas dans un péplum, elle se passe à l’intérieur d’une âme. Les indifférenciés : le bon Dieu est-il bon ? Non il est Dieu. Tout le monde ne sera pas gracié, pendant que j’écris il est étrange d’entendre des réminiscences Zedpliniennes dans ce morceau, les indifférenciés sont ceux que le Seigneur a recraché de sa bouche, ils sont livrés non pas au feu mais à la matière, ils sont meulés, broyés, transformés en une pâte informe et anonyme avec laquelle Dieu s’amusera, s’il en a envie, à créer ce qu’il voudra, pour eux il n’y a plus de Dieu, ni de Diable, le désir d’être mieux ou pire que leurs modèles n’existe plus, chacun ne pourrait qu’aspirer à se mimer lui-même. Le vocal ressemble aux paroles que prononcerait un vieil ours grognon dans un conte imagé pour les enfants.

             Superbe, intelligent et puissant.

    Damie Chad.

     

    *

             Je ne sais pas pourquoi mais j’ai eu envie d’y retourner. J’ai voulu en savoir plus. En écouter davantage. Alors j’ai cédé. Parfois l’appel du Serpent est plus fort que vous.

     

    EMPERORS OF THE NIGHT

    AVATAR

    (K7 / Demo / 1994)

    Necromance : bass / Zynux : drums / Izaroth : keyboards / Occulta : guitar / Daema : lead female vocal.

    Une cassette, un trésor ! Du do it yourself, à l’époque on employait l’expression self-realised. De l’underground. Un autre monde, pas du tout pareil de refiler la platitude d’un CD à un copain, la K7 c’était autre chose, un objet que l’on se transmettait, un truc fragile auquel il fallait gaffe, une espèce de tablette sumérienne moderne porteuse d’un langage différent. Ce n’est pas un hasard si de nombreuses niches underground continuent à utiliser la K7 à tout petit tirage, trente devient un nombre pléthorique, l’anti objet transactionnel de la modernité, la transmission à quelques rares, à une élite clandestine, pas du tout un échange à duplication infinie, commerciale et industrielle… La rareté de préférence à l’unidimensionnalité impersonnalisante.

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             Comparez la belle couve rutilante de Memoriam Draconis (voir notre livraison 636 du 14 / 03 / 2024) au maléfique crachat gribouillé de noir qui orne l’étui de cette cassette, c’est un peu comme si vous étiez Billy Bones à qui Pew remettrait la marque noire… L’Aventure ne fait que commencer, la Grande, celle de la Mort…

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             Pour ceux qui ont peur de refermer la main sur la noirceur du monde, Babylon Doom Cult Records vient de sortir en toute fin de février ce premier opus d’Avatar, sous forme numérique et vinyle (300 exemplaires) agrémenté d’une couve couleur qui change un peu les perspectives. Bien sûr vous n’irez pas embrasser sur la bouche la méchante bébête, nous sommes toutefois dans le domaine de l’iconographie esthético-metallique traditionnelle.

    A lost city : vent nocturne, récit envoûtant, voyage au bout de la nuit, voix chuchotante, et soudain se dresse Innaya la cité perdue, l’horreur déferle sur vous, Daema continue son récit d’une voix enferraillée, coupante, cisaillante, l’horreur défile devant vous, la ville est vide, les dieux sont partis, tout change, le synthé d’Izaroth vous vend une espèce d’envolée digne d’un menuet du grand siècle, vous auriez dû vous boucher les oreilles pour ne pas être empoisonné par le plus doux et le plus maléfique des sortilèges, tout se précipite, respirez à pleins poumons ces déchets puants, maintenant vous entendez ce qui n’existe plus, les morts susurrent d’étranges ricanements, vous êtes sous le charme, ils vous appellent, désormais vous êtes le prisonnier volontaire d’Innaya, la cité perdue, à jamais perdu. Auriez-vous embrassé Eras le dieu de la peste….

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    The curse of Nosferatu : hymne murnauïque à Nosferatu, la musique épouse le balancement irrégulier du vol des chauve-souris, vous rejoignez la horde des vampires, vous avez soif, vous chassez en groupe, si quelqu’un vous abordait de plein jour avec l’étrange vocalisation éraillée de Daema vous vous enfuiriez, mais là vous lui prêtez une ouïe complaisante, elle vous révèle de bien étonnants mystères qui vous attirent, vous sentez des ailes pousser dans votre dos, rejoindre l’essaim maléfique devient une obsession, vous aussi vous désirez participer à cette ruée vers le sang, insecte maudit attiré par la flamme noire de la mort. Le fameux baiser du vampire ne saurait être pire. Queen of death : tourbillon sonore, prière insensée, appel nécrologique à la mort, tous les plaisirs les plus immondes sont permis, tourbillon battérial, se faire violer par l’Isis nyxienne, connaissez-vous plaisir suprême plus absolu, la voix n’est plus qu’un râle de pamoison exacerbée. Elle desserre son étreinte, la batterie imite les soubresauts de votre corps raidi par les pétrifiantes glaires clitoridiennes dont elle a vous a inondé.

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    The Vampires’ sleep : au commencement était le sommeil, Il dort pour mille ans, volutes phoniques sépulcrales, une voix raconte l’impossible, Il est comme mort mais il agit sur les esprits, il pénètre dans vos rêves, il les rend plus beaux, si grands que vous l’appelez, vous l’attendrez mille ans s’il le faut, mais il viendra. Les vampires sont immortels. Non ce n’est pas le conte de la belle au bois dormant. Version trash. Emperors of the night : vocal d’égorgement, séquences répétées de rythmes frénétiques, toujours cette voix qui vous parle, qui se livre et délivre d’inavouables secrets, les empereurs de la nuit sont des vampires qui voltigent follement et vous assaillent, vous emportent dans le maelström de leur folie,  le vampire s’éveille, il fonce sur le monde ivre de rage et de vengeance, il est l’Apollyon destructeur, l’abomination qui fond sur les chrétiens, le loup du grand carnage, définitivement du côté de la Nuit éternelle, une guitare étincelle,  l’obturateur final et terminatorien du soleil. Night of demonic worship : excavation rituellique abyssale, la voix devient chant, hymne au soleil noir, il vient, Il a dormi mille ans et il est décidé à ne rien laisser subsister, une voix énonce clairement à plusieurs reprises que la fin arrive, tout bouge, tout transmue, le chœur des anges déchus et des vampires de la nuit entonne le glorieux paean du retour. Hymn to the Ancient Ones : quelques notes claires, c’est l’appel aux Dieux Anciens, les premiers qui furent là bien avant le christianisme, et puis c’est un déferlement de joie, le vent souffle du bon côté, c’est le réveil du Serpent, extases vocaliques la masse musicale s’engloutit comme un cône volcanique qui s’effondrerait sur lui-même déchaînant un cataclysme sans fin. Quelques transparentes notes terminales pour annoncer au monde le retour du Serpent.

             Le kr’tntreader aura remarqué que l’antépénultième et le morceau final ont été réutilisés pour Memoriam Draconis. Nous sommes dans les soubassements de l’album. L’œuvre n’en est pas moins aboutie et mérite le détour.

    MILLENNIA

    (Enregistré en  2000 / Sortie numérique en 2011)

    Une couve pas aussi tape-à l’œil que celle de Memoriam Draconis, un paysage peuplé de brume fantomatique mais que vient faire cette rose rouge posée sur on ne sait trop quoi… A première vue un peu passe-partout, mais si votre regard s’y attarde, vous finissez par être attiré, vous finissez par y penser alors qu’elle n’est plus devant vos yeux depuis des heures. Une attirance mystérieuse s’en dégage.  L’artwork n’est pas crédité.

    Ivan : keyboards / Klaartje : female vocal  /  Jeroen : vocals, guitare / Filip : guitare / Stijn : basse + guitare acoustique.

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    Mirrors : instrumental : indéniablement le son n’est pas le même, dès les premières notes acoustiques vous le ressentez, plus fort, plus resserré. Davantage symphonique, ce pseudo piano qui sonne fort et bientôt cette lourde envolée instrumentale lyrique, le morceau est bâti sur une lente et inexorable montée, qui débouche sur une plainte de flûte synthétique emprise de tristesse. Des miroirs se renvoient à l’infini une image abyssale, à la manière du titre de l’album qui recouvre le même titre d’une calligraphie évanescente, un peu comme ces millénaires qui obstruent les souvenances des millénaires antérieurs qui gîtent néanmoins dans le regard qui ne les voit pas. The Unboldied Serpent : musique triomphante, voix grasseyeuse, au fond de l’abîme du temps se trouve le Serpent sans corps, qui-est-ce au juste, le serpent mort depuis des siècles ou un concept issu de nos songes, il est immortel, il est au-delà du passé et au-delà du futur, il se tient dans sa propre présence, seule la présence est éternelle, le serpent transcende le temps, les miroirs dans lesquels vous vous regardez vous renvoient son image, peut-être mentale, peut-être spectrale, quelque chose se détraque en vous, le background musical glisse dans un précipice d’où s’élève la voix pure du rêve de la femelle, s’allume un dialogue de haine et de désir, le néant engage une lutte atroce contre l’existence de tout ce qui demande à être, gouttes de cristal qui s’égouttent dans la brume du temps, l’énergie se rassemble, maintenant nous savons, nous apprenons que sur la peau du serpent sans corps se forme et naît une rose pourpre de son sang qui s’en vient fleurir la tombe du monde, la voix, la voie, féminine triomphe et par le final monstrueux de cette symphonie nous avons accès à la beauté du monde. The ancient king : superbe entrée royale, la batterie se charge du galop de la charge macédonienne, le Serpent s’est-il appelé Alexandre, sa mère ne l’a-t-elle pas engendré en dormant avec ses serpents sacrés, chant de violences et de victoires, une épopée résumée en quelques couplets, qui se termine sur un épisode célèbre, la confrontation du Roi avec Diogène le sophiste, le cynique, qui ne demande rien si ce n’est que le Roi ne voile son soleil, le soleil d’Alexandre est-il plus fort que l’astre divin, Alexandre en sa sagesse déclare que s’il n’était pas le Roi du monde il aimerait être ce chien de Diogène, lui qui a bâti un Empire ne sait-il pas qu’il existe un Empire encore plus grand ; plus profond, plus étendu que le sien, le néant. L’Un et l’Autre ne s’équivalent-ils pas, comment comprendre la vacuité du rien si on ne peut le comparer au Tout. Optimisme ravageur du Serpent. Smocky mountain : sombre introduction, le vent souffle, les grandes orgues du piano dramatisent  à mort, pourtant les méditations intérieures du Serpent ne sont pas sans évoquer le rire de Zarathoustra, mais le Serpent peut-il faire montre d’autre chose que d’une jovialité débonnaire vis-à-vis de ses adorateurs, la voix si pure de Klaartie s’élève vers les sommets alors que le héros nietzschéen descend des montagnes, il roule non pas vers le haut comme Sisyphe, mais vers le bas le rocher de la plus lourde pensée. Toute présence n’est-elle pas devenir qui a déjà eu lieu. C’est pour cela que les images mentent. Vous pouvez en rire. Pourquoi croyez-vous que le Serpent n’a pas de corps.

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    Millennia : sombre et chaotique, le Serpent déroule l’histoire du monde depuis le néolithique aux fusées interplanétaires, les hommes tiennent conseil ils font semblant d’être sages pour ne pas être fous, la musique court, elle roule les siècles, les hommes ne valent que peu de choses, comptez un génie par siècle pour donner du sens à cette mascarade, maintenant la musique, le même bruit que font les briquets qui mettent le feu au bûcher des grands hommes. Le secret du soleil : de l’eau qui coule, guitares apaisantes, n’est-ce pas étrange cet élément liquide pour célébrer la fusion du soleil, l’eau et le feu ne sont-ils pas identiques, l’océan n’engloutit-il pas les fières et puissantes Atlantis, le feu héraclitéen ne met-il pas fin aux cycles répétés. Pour les mieux recommencer. Ultramare : entrée roborative le serpent se souvient  de l’innocence de la chair, de l’amour qui recouvre la mort, outremer est le lieu de l’habitation humaine, une graine enfouie dans la mémoire, une rose qui refleurit chaque fois que l’on y pense, l’on aimerait entendre la voix pure de Klaartie et non celle rocailleuse de Jeroen, elle paraît elle est l’inextinguible rêve de notre chair qui ne veut pas mourir, elle plane et disparaît pour rester à jamais comme une épine plantée en la mémoire du monde. L’Eternel Féminin par lequel Goethe a fini son Faust . The summergate : entrée fracassante, grandiose et dramatique, le Lézard s’épanche,  il va à l’essentiel de sa geste héroïque il ne retient que les jours les plus intimes, les portes de l’été, la saison la plus heureuse de sa vie, un souvenir clos sur lui-même qui revient toujours, le zénith de son existence, le fait qu’il revienne sans cesse dans sa tête dans la roue du retour éternel de toutes choses n’est-ce pas la preuve que tout revient, que si elle est morte, elle est tout de même vivante, toujours présence dans sa seule présence, mais aussi dans sa présence à lui, n’a-t-il pas vaincu la mort, n’est-il pas pour l’éternité le Lézard le plus heureux du monde porté par une musique triomphale. Les portes de l’été ne sont-elles pas toujours restées ouvertes pour lui. Pas besoin comme Dylan d’aller frapper au portail du jardin fermé pour l’éternité. Weltschmerz : l’autre face de la même pièce, nous quittons le Serpent, une musique martiale qui court et qui défile au pas de gymnastique, le mieux y côtoie le pire, de très courts extraits de discours de Martin Luther King et d’Hitler, l’un qui brode nos rêves et l’autre qui forge nos cauchemars, nous sommes projetés dans le Serpent, dans le temps du Serpent qui est aussi le nôtre, dans les temps du Serpent qui sont aussi les nôtres. Réveil brutal et glacial. Nous sommes le Serpent. Tous des hommes-serpents. Ni pire, ni meilleur que Lui.

             Différent de Memoriam Draconis mais tout aussi passionnant. Avatar possédait toutes les qualités imaginatives et musicales pour devenir un groupe maximal.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

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    Je suis revenu chez moi. Je me suis couché. Molossa et Molossito me veillent ils savent que nous traversons des moments cruciaux. La tête sur l’oreiller je pense. Je m’imagine que je suis le penseur de Rodin juché sur la Porte des Enfers, un peu comme le corbeau d’Edgar Poe posé sur le buste pallide de Pallas. Les idées s’entrechoquent dans ma tête. Je ne me lèverais de ma couche que lorsque j’aurais pris une décision. N’importe laquelle, mais une décision, c’est le conseil du Chef, faites comme moi Agent Chad, en toutes circonstances je prends d’abord un Coronado, une véritable boussole ainsi je sais quelle que soit la différence sans me tromper dans quelle direction je dois faire mon premier pas, puisque vous n’êtes pas un de ces êtres supérieurs adeptes du Coranado, prenez une décision. Faute de Coronado une décision s’impose. Je tourne les mots du Chef dans ma tête, ils sont porteurs d’une sagesse décisive, j’en suis certain, le Chef ne se trompe jamais, oui mais comment extraire la substantifique moelle de cette problématique amande amère. Déclic brutal dans ma tête : la professeur Longhair n’a-t-elle pas déclaré que j’étais un Génie Supérieur de l’Humanité, je le savais déjà mais c’est sur ce terme de supérieur que je dois creuser…

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    La suite a été plus facile, comme un alignement de planètes, je vous résume mon raisonnement, j’espère que vous tirerez profit de la mise en application de la logique hégélienne :

    Premier mouvement : je pose la thèse : Voyons Damie tu es tout seul dans ton lit, je caresse la tête de mes chiens, je ne veux pas qu’ils croient qu’ils comptent pour du beurre dans ma vie, si tu étais vraiment supérieur, en toute logique  tu devrais être dans ce lit avec la professeur Longhair, même si  je la préfère en mini-jupe rouge qu’en blouse blanche de scientifique, ses divers accoutrements n’ont rien à voir avec le problème qui me préoccupe, si elle était là elle devrait être toute nue.

    Deuxième mouvement : j’ose l’antithèse : attention c’est la partie la plus difficile, celle par laquelle vous vous confrontez à la négativité, n’oubliez pas que ce que nie la négativité c’est vous : oui moi Damie, Génie Supérieur de l’Humanité, je dois le reconnaître, Joséphine n’est pas dans mes bras, soumise à mes turpitudes les plus dépravées, au mieux je suis donc un génie inférieur de l’Humanité. Je me dois de reconnaître l’humiliation de ma défaite. Ne serais-je qu’un mec sympa de mon quartier…

    Troisième mouvement : je glose la synthèse : cette conclusion nécessite une grande subtilité : essayez de suivre le raisonnement : normalement Joséphine devrait être là tout contre moi, or elle n’est pas là, mais si elle n’est pas là alors qu’elle devrait être là puisque je suis un Génie Supérieur de l’Humanité, c’est qu’elle n’a aucune raison d’être là !

    Je pousse un hurlement de triomphe. Je saute de mon lit, les chiens courent partout dans l’appartement en aboyant comme des sauvages. Contrairement à la majorité des kr’tntreaders ils ont compris, eux, les implications conséquentielles de cette dialectique hégélienne.

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    Le Chef est en train d’allumer un Coronado lorsque le lendemain nous rentrons tout sourires aux lèvres (ou aux babines) dans le local :

    • Agent Chad, si mes doigts ne me trompent pas, vous êtes trois et pas quatre !
    • Ah ! Chef, je vous ai écouté, j’ai pris ma décision !
    • Si je me fie à mon instinct, si ce matin notre porteuse de mini-jupe rouge n’est pas avec vous, c’est que vous avez porté votre dévolu sur une autre demoiselle !
    • Chef, vous comprenez tout, ce n’est pas possible, parfois j’ai l’impression que les Coronados jouent chez vous le rôle de divination des bâtonnets du Yi King chez les bonzes thibétains !
    • Agent Chad, cessez de flatter votre Chef, il m’a suffi de voir que vous étiez seulement accompagné de vos chiens pour comprendre, pas besoin de relire Hegel pour une déduction aussi enfantine ! Si vous voulez je peux même vous livrer le nom de ladite demoiselle !
    • Oui c’est Elle Chef !
    • Agent Chad, gardez la tête froide, pas d’idéalisme platonicien s’il vous plaît, les choses sont assez embrouillées comme cela pour que vous en rajoutiez !

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    Le briefing qui a suivi a été assez long. Au début pour moi tout était simple :

             _ Chef elle va revenir, n’est-elle pas d’ailleurs déjà revenue, elle n’a pas hésité à prendre la place de Josiane dans mon lit après lui avoir troué la tête d’une balle, ça ne l’a même pas dégoûtée de faire l’amour avec moi dans les draps dégoulinants du sang de sa rivale ! Je suis sûr qu’elle est déjà en route !

             _ Sur ce dernier point Agent Chad je suis d’accord avec vous, qu’elle soit en chemin je n’en doute point, mais pourquoi !

             _ Enfin Chef c’est évident, le professor Longhair nous a longuement explicité que j’étais capable, à distance de faire faire aux autres ce que je voulais qu’ils fassent, sans même en être conscient, or je désire Gisèle au fond de moi, sans savoir jusqu’à quel point, une jolie bibliothécaire, une mignonnette mini-jupe rouge et l’objet de mon désir s’est déplacé, mais après avoir longuement réfléchi toute la nuit, je sais que celle qui m’intéresse plus que n’importe quelle autre c’est Elle, Gisèle, donc elle vient !

             _ Agent Chad, notre professeur n’a pas dit que les gens que vous attirez à vous vous obéiraient comme des zombies. Vous auriez aimé traverser les murs, vous avez suscité sans le savoir chez des individus que vous ne connaissiez pas la possibilité de traverser les murs. Ils ont réussi, nous en avons les preuves, ils n’ont pas fait cela pour vous faire plaisir, ils ont simplement incarné votre rêve. Mais maintenant qu’ils en sont les dépositaires, ils vont s’en servir à leur avantage. Sont d’apprès moi en train de monter une espèce d’organisation maffieuse, pour se procurer ce qu’ils veulent : dans un premier temps de l’argent, dans un deuxième ce sera le pouvoir, avec les moyens qu’ils ont à leur disposition je pense que les prochains évènements qui défraieront les chroniques dans les jours qui viennent risquent d’être particulièrement gratinés. 

    J’allai répondre mais le Chef ne m’en a pas laissé le temps :

             _ Quant à votre Gisèle ne soyez pas si sûr de vous, qu’elle ait apprécié votre première rencontre, je veux bien l’admettre, mais qu’elle ne soit pas jalouse de votre bibliothécaire, n’oubliez pas qu’elle l’a froidement tuée dans son sommeil j’y verrais surtout un acte de jalousie foudroyant. Agent Chad c’est une tigresse altérée de sang et de vengeance qui vient vers vous, méfions-nous.

    49

    Le Chef n’eut même pas le temps d’allumer un Coronado que l’on frappa à la porte :

             _ Allez ouvrir, prenez votre air le plus naïf, je vous couvre avec mes deux Rafalos

    Je reconnus le gars tout de suite, un commissionnaire de la Poste qui souvent nous emmenait des colis divers.

             _ Rien de grave Chef, un petit paquet sans doute un groupe qui nous envoie des CD ou des vinyles pour les archives du SSR, au toucher je subodore deux T-Shirts !

             _ Occupez-vous en Agent Chad, j’allume un Coronado !

    Je m’appliquai à ouvrir la pochette matelassée :

             _ Youppie Chef, le Professor Longhair se rend, en gage de reddition, elle m’envoie sa petite mini-jupe rouge !

    Je l’agitai frénétiquement et l’apportai victorieusement au Chef :

             _ Agent Chad, vous êtes fou, c’est bien la mini-jupe de notre professor, mais ce rouge me semble bizarre, laissez-moi la tâter, hum, hum, c’est bien ce que je pense c’est du sang !

             _ Du sang Chef !

             _ Agent Chad, ne perdez pas votre temps, précipitez-vous pour ouvrir, je suis sûr que la CIA s’apprête à nous rendre visite !

    La porte s’ouvre d’elle-même, je reconnais l’agent d’accueil de la veille qui nous avait introduit dans le bureau de Joséphine :

    _ Nous l’avons retrouvée chez elle, morte, une balle dans la tête !

             _ Cher ami, vous prendrez bien un Coronado, Agent Chad avancez un siège à Jim Ferguson, le directeur de la CIA pour la France !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 551 : KR'TNT 551 : LEON RUSSELL / THE SAINTS / CEDRIC BURNSIDE / LEWIS TAYLOR /JALLIES / HELéH / GUIGNOL'S ROCK / PATRICK GEFFROY YORFFEG

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 551

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 04 / 2022

     

    LEON RUSSELL / THE SAINTS

    CEDRIC BURNSIDE / LEWIS TAYLOR

    JALLIES / HeléH / GUIGNOL’S ROCK

    PATRICK GEFFROY YORFFEG 

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 551

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Russell & poivre - Part Three

     

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                Tonton Leon a disparu depuis un bon moment, mais il continue de faire l’actu et c’est une bonne chose. Dans sa prestigieuse collection ‘Songwriter Series’, Ace lui consacre un volume sobrement intitulé The Songs Of Leon Russell. Ace qui fait toujours bien les choses a en plus demandé à Kris Needs de tartiner les 20 pages d’un booklet qui du coup prend l’apparence d’un mini-book. Certains objecteront qu’on est loin des 40 pages du booklet de Mick Patrick consacré à Shadow Morton, mais comme le savent ses admirateurs, Kris Needs fait toujours du double concentré de tomates et donc ses 20 pages en valent 40, c’est automatique. 

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             Pour planter son décor, Needs nous ramène au temps de Mad Dogs & Englishmen, lorsque coiffé de son haut de forme et déjà grisonnant, Tonton Leon jouait le maître de cérémonie - ringmaster and musical director - pour le compte de Joe Cocker, lui volant (un peu) le show au passage. C’est Joe qui le dit, pas nous. Joe en conçut même une belle amertume. Après la folie du Mad Dogs & Englismen tour, Tonton Leon va exploser nous dit Needs au sommet du Shelter empire, c’est-à-dire le label qu’il a monté à Los Angeles avec Denny Cordell et sur lequel on va retrouver des géants comme Dwight Twilley et Freddie King. Needs analyse bien les contradictions du personnage : «Même si Russell incarnait les excès de son époque, splendour and panoramic ambition, il avait largement de quoi les assumer, notamment avec son talent d’auteur-compositeur et les classiques qu’il confiait à d’autres interprètes.» Tonton Leon peut monter sur scène avec Dylan et jouer avec les Beatles, pas de problème, nous dit Needs. Il jouait déjà au Gold Star sous la direction de Totor. Et puis vient le calme après la tempête : dans les années 80, Tonton Leon disparaît des écrans. Il continue d’enregistrer des albums, mais dans la plus parfaite discrétion. Il fallait même se lever de bonne heure pour trouver ces mystérieux albums.

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             Needs attribue à Elton John le mérite d’avoir ressuscité la carrière de Tonton Leon, avec un album intitulé The Union. On les voit tous les deux sur la pochette, pareils à deux croque-mitaines. On a snobbé cet album à l’époque à cause d’Elton John qui n’est pas vraiment en odeur de sainteté par ici. Mais comme Needs parle d’une spectacular collaboration, alors on écoute attentivement l’«If It Wasn’t For Bad» qui ouvre le bal de cette compile : si on ne supporte ni la voix ni la personne d’Elton John, c’est vite plié. Suivant !

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             Lorsqu’il replonge dans les éléments biographiques, Needs en tire comme il le fait habituellement la meilleure pulpe. Needs, c’est Tintin reporter, le roi de l’investigation. Tonton Leon est encore ado nous dit Tintin Needs lorsqu’il joue dans les Starlighters à Tulsa, Oklahoma. Voilà que Jerry Lee débarque dans le coin. Il est en tournée, il repère les Starlighters et les engage comme backing band pour repartir à la conquête du pays, car il doit tout reprendre à zéro après la catastrophe d’Heathrow, souviens-toi, lorsque les fouille-merde de la presse anglaise ont découvert que Jerr avait épousé sa cousine de 13 ans. Tonton Leon n’est pas beaucoup plus âgé lorsqu’il débarque à Los Angeles pour y tenter une carrière de pianiste de bar, et pouf, à 17 ans, il enquille sa première session d’enregistrement chez Liberty : il accompagne Johnny Burnette qui tente lui aussi de relancer sa carrière à Los Angeles. Tonton Leon est lancé. On le réclame dans les studios. Il accompagne Jackie DeShannon, Pat Boone, Bobby Blue Bland, Jan & Dean, Bobby Darin, Aretha, les Everly Brothers, puis c’est l’apothéose avec les fausses Crystals, c’est-à-dire Darlene Wright & les Blossoms, au Gold Star, avec Totor et le Wrecking Crew. Attends, c’est pas fini ! En 1964 nous dit Tintin Needs, Tonton Leon se retrouve en studio avec les Beach Boys, Sammy Davis Jr, Dick Dale et Gary Lewis & the Playboys. Justement, la compile propose un cut plus tardif de Gary Lewis & The Playboys, «The Loser (With A Broken Heart)», assez énervé, «Monkees recalling baroque-country pop», monté sur un petit beat de petits mecs, mais il faut se souvenir que Kim Fowley vénérait Gary Lewis & The Playboys. Tintin Needs précise que le Gary en question est le fils de l’acteur soi-disant comique Jerry Lewis. Autre précision de taille : Tonton Leon co-signe ce cut avec Don Nix, et Snuff Garrett, producteur maison de Liberty, supervise l’opération.

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             Tonton Leon est aussi en studio avec les Byrds pour le fameux enregistrement de «Mr Tambourine Man», mais on se souvient que Terry Melcher a viré sa piste de piano pour pousser le bouchon de l’esthétique jingle-jangle. Il n’empêche qu’en 1965, Tonton Leon monte encore sur tous les coups, notamment «the session musician’s dream of playing Frank Sinatra sessions». Puis il accompagne les Beach Boys sur «Help Me Rhonda», Herb Alpert, les Monkees, Bob Lind et Bobby Vee. Oh, Tintin Needs en cite d’autres beaucoup plus obscurs, mais ça, c’est son truc, sa vieille manie d’explorateur de l’underground. Plus c’est obscur et plus ça le fait bicher. Sur la compile, on trouve une cover de «Before You Go» par Bobby Vee. Que faut-il penser ? On ne sait pas.

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             Comme le biz tourne à plein régime, Tonton Leon s’en fout plein les poches et il se paye une belle bicoque sur Skyhill Drive nous dit Tintin Needs. C’est là qu’il héberge ses copains de Tulsa, qu’il ouvre une ère de débauche en mode 24 hour partying et qu’il démarre un projet collaboratif avec Marc Benno, The Asylum Choir, dont on a dit le plus grand bien dans un Part One. C’est à l’organiste Bobby Whitlock que revient l’honneur d’interpréter «Raspberry Rug». Tintin Needs nous rappelle que Whitlock vient de Memphis et qu’il fit ses armes chez Stax sous le mentorat de Steve Cropper, avant de se retrouver keyboardist dans le groupe de Delaney & Bonnie. Il sera d’ailleurs le seul membre resté fidèle à Delaney & Bonnie après que Tonton Leon leur ait barboté leur groupe pour monter la tournée évoquée plus haut de Mad Dogs & Englishmen. Alors bravo Whitlock. La loyauté ne court pas les rues, comme chacun sait. Quant à sa version de «Raspberry Rug», disons qu’elle est assez pop. On croirait entendre les Beatles avec des coups de trombone. Beaucoup plus intéressant, voici la cover de «Groupie (Superstar)». Par Delaney & Bonnie, justement, et la fantastique attaque de Bonnie la géante. N’oublions pas que Bonnie fut une Ikette pour quelques shows, à la demande d’Ike. «Groupie (Superstar)» est aussi l’une des plus belles compos de Tonton Leon. Puisqu’on parle de Stax, il est bon de rappeler que Delaney & Bonnie ont eux aussi commencé sur Stax en 1969, avec l’excellent album Home qui fut nous dit Tintin Needs burried, c’est-à-dire enterré dans la vague du «27-album comeback blitz» imaginée par Al Bell pour relancer le label qui se trouvait alors en difficulté. Pour Tonton Leon, c’est l’album suivant, Accept No Substitute, paru sur Elektra, qui cristallise ses aspirations «in vibrant blue-eyed soul gospel and country». «Groupie (Superstar)» fut enregistré lors d’une session pour Clapton, mais il est beaucoup plus intéressant de savoir que le cut sera repris par les Carpenters. Tintin Needs profite de l’épisode pour se rire des frasques de Delaney Bramlett qui, toujours sous contrat avec Jac Holzman chez Elektra, tenta de signer un contrat avec George Harrison chez Apple, ce qui lui valut d’être viré d’Elektra. Il signa ensuite chez Atlantic mais il fut de nouveau viré après un album.

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             Tintin Needs nous rappelle aussi que Tonton Leon a produit le deuxième album de Joe Cocker, qui fut découvert comme chacun sait par Denny Cordell. Pour illustrer ce passage, la compile propose le «Delta Lady» de Joe Cocker qui d’ailleurs figure sur ce deuxième album sans titre, l’excellent Joe Cocker. Tintin Needs cite une interview de Joe Cocker dans ZigZag, où l’intéressé raconte qu’en entendant Tonton Leon jouer «Delta Lady» au piano, il fut tellement subjugué qu’il tomba de sa chaise. Autre info de taille : Joe Cocker fut enregistré à Hollywood en 1969, lors d’un break aménagé entre deux dates de la première tournée américaine du vieux Joe qu’accompagnait alors le Grease Band. Eh oui, 1969, l’année de Woodstock, où Joe fit des étincelles sur scène avec sa fantastique cover de «With A Little Help From My Friends». Il ne faut pas perdre de vue ce génie que fut le vieux Joe, fils d’un mineur de Sheffield. Tintin Needs est bien d’accord là-dessus puisqu’il parle d’une «life-changing tour-de-force appearance at Woodstock» et d’une «seismic reinterpretation of the Beatles’ With A Little Help From My Friends». Dans son élan, il nous rappelle que Merry Clayton, Bonnie Bramlett, Patrice Holloway, Sherlie Matthews et Rita Coolidge font les chœurs derrière Joe sur «Delta Lady». Il faut d’ailleurs voir le film consacré à la tournée de Mad Dogs & Englismen en 1970, car on les voit sur scène, toutes ces choristes fabuleuses, Rita Coolidge et Claudia Lennear, plus Chris Stainton, Jim Price et Bobby Keys, Don Preston et trois batteurs, Jim Gordon, Jim Keltner et Chuck Blackwell. Et Tonton Leon qui tortille du cul au milieu de cet extravagant manège. C’est là qu’il devient une star in his own right.

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             Tintin Needs nous dit qu’il existe 200 versions d’«A Song For You». Il ne cite pas tous les interprètes, heureusement. Ace choisit la version du «doomed Soul genius» Donny Hathaway, possibly the best of all, surenchérit Tintin Needs qui ne mégote pas sur les surenchères. Il en profite aussi pour retracer le parcours d’Hathaway, découvert par Curtis Mayfield, et ami de Roberta Flack et de Leroy Hutson. Donny chauffe la Song de Tonton Leon à l’haleine chaude, aw comme il l’épouse, comme il la promène, comme il la caresse, comme il la conforme. Tintin Needs profite de l’épisode pour dresser un bel éloge du pauvre Donny qui finira par se jeter de la fenêtre d’un Central Park hotel room en 1979. L’autre grand hit de Tonton Leon, c’est bien sûr «The Masquerade» repris par tout le monde et surtout par George Benson. C’est la version qu’a choisi Ace et qui referme la marche de la compile. Benson y va, il est le grand groover devant l’éternel, sa mouture est absolument imparable. Là tu as l’utter happiness du Benson, les flux mélodiques s’emmêlent les crayons, c’est très spectaculaire. Tintin Needs traite Benson de sensitive genius, il n’est plus à ça près. En plus il a raison. Il a toujours raison.

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             Autre sensitive genius, voici Rumer et sa version de «My Cricket» qu’on trouve sur l’album Boys Don’t Cry. Tintin Needs se régale à rappeler que Burt a invité Rumer chez lui pour faire sa connaissance. Rumer est la reine des temps modernes et Tintin Needs lui taille un costard de reine. Elle est la dernière descendante d’une lignée de très grandes chanteuses américaines, qui va de Jackie DeShannon à Karen Carpenter en passant par Laura Nyro et Lisa Minnelli. En dehors de Tonton Leon, Rumer tape aussi dans Todd Rundgren, Hall & Oates, Terry Reid et Neil Young, excusez du peu. Oh et puis Jimmy Webb dont elle a repris l’excellent «P.F. Sloan». C’est d’ailleurs avec cette reprise qu’il faut bien qualifier de magique qu’on fit connaissance avec Rumer. Ses cinq albums s’inscrivent dans l’avenir du rock.

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             Encore un fabuleux interprète avec José Feliciano qui tape, lui, dans «Me And Baby Jane». Il faut se réjouir de l’entendre chanter, d’autant plus qu’il chante avec tout le feeling du monde. Il faut bien dire que sur cette compile, les interprètes de Tonton Leon sont triés sur le volet. En plus, c’est produit par Steve Cropper, et on retrouve Claudia Lennear dans les backing et Larry Knetchtel aux keys. Tintin Needs nous parle d’une supernaturally powerful voice qui peut transformer n’importe quel cut, tout en unleashing his dzzling virtuosity on Spanish guitar. C’est vrai que José Feliciano est un artiste hors normes qu’on aurait bien tort de prendre à la légère. Tintin Needs dit aussi que José Feliciano est le roi des covers sensitives et cite comme exemple sa cover de «Light My Fire».

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             Et puis Tonton Leon  ramasse tellement de blé qu’il achète une grosse église à Tulsa pour en faire The Church Studio. Il va y abriter Shelter et y accueillir des tas d’artistes, et pas des moindres : Willie Nelson, Dr John, J.J. Cale, Phoebe Snow, Bonnie Raitt et Freddie King. Comme chacun sait, Freddie King a sorti trois album sur Shelter. Don Nix et Tonton Leon sont des inconditionnels de Freddie King. Ils produisent ensemble l’excellent Getting Ready à Chicago. En 1972, big Freddie descend chez Ardent à Memphis pour enregistrer Texas Cannonball avec la crème de la crème : Tonton Leon, Chuck Blackwell, Don Preston, Duck Dunn, Al Jackson, Jim Gordon et Carl Raddle. C’est là que big Freddie enregistre l’«I’d Rather Go Blind» qu’on trouve sur la compile. C’est vite torché, amené au fast drive, farci de tortillettes toutes plus effarantes les unes que les autres, personne ne bat Freddie King à la course. Quatre ans plus tard, à force de tirer sur la corde des tournées, le pauvre Freddie va casser sa pipe en bois.

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             La country est selon Tintin Needs le péché mignon de Tonton Leon. C’est vrai qu’on trouve pas mal d’albums de country dans sa discographie, notamment les quatre volumes d’Hank Wilson avec lesquels nous dit Tintin Needs Tonton Leon s’est tiré une balle dans le pied. C’est-à-dire qu’il a coulé sa carrière mainstream en proposant des albums de pure country. Pour illustrer cet épisode, Ace nous propose une reprise de «Lonesome And A Long Way From Home» par Earl Scruggs & The Earl Scruggs Revue. C’est là où l’Americana se noie dans une mer de notes de banjo. Et puis Tonton Leon s’entend bien avec Willie Nelson, c’est la raison pour laquelle on le voit apparaître avec «You Look Like The Devil». Il y  va le vieux Willie - You look like the devil/ In the morning - Il ne parle pas de sa copine, mais de son batteur. C’est bien vu, mais ça reste de la rengaine country pure et dure, seulement accessible aux fans de country. Pour enfoncer le clou, Tintin Needs cite Tonton Leon qui déclare : «Willie Nelson et moi avons les mêmes racines musicales : Hank Williams, Bob Wills, country black blues.»

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             Tout le monde croit que Randy Crawford est un mec. Pas du tout, c’est une charmante petite blackette et il faut l’entendre interpréter «Time For Love» avec une fraîcheur surnaturelle. Tintin Needs parle d’une distinctive voice. Oui, c’est même une belle entourloupe juvénile, un miracle d’équilibre qui met en valeur l’excellence du groove de Tonton Leon. Randy Crawford vient de Macon en Geogie et a chanté avec George Benson et les Crusaders, donc elle n’est pas née de la dernière pluie. Encore une pure merveille avec Janis Siegel et sa version de «Back To The Islands». Une Janis de rêve, elle est à la fois dessus et dedans. Grâce à Tonton Leon, on découvre d’extraordinaires interprètes.

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             En 1976, Tonton Leon épouse Mary McCreary. Elle chantait dans Little Sister, Sly & the Family Stone’s backing singers. Il existe deux albums de duos de Tonton Leon et Mary McCreary qui sont chaudement recommandés : Wedding Album et Make Love To The Music. C’est Al Jarreau qui tape dans «Rainbow In Your Eyes», le cut d’ouverture du Wedding Album. Al groove sans avoir besoin de chanter et c’est sans doute le meilleur groove de l’univers connu des hommes, avec celui de Marvin Gaye. C’est un super-groupe nommé California qui tape «Love’s Supposed To Be That Way», encore tiré du Wedding Album. Dans California, on retrouve Bruce Johnston, Curt Boettcher et Gary Usher. Puis Maria Muldaur se tape «Make Love To The Music», le morceau titre du deuxième album de Tonton Leon & Mary McCreary. C’est une perle noire, une authentique Beautiful Song, Maria Muldaur y exprime l’explosion du bonheur, c’est dire si les compos de Tonton Leon peuvent être hors normes. Tintin Needs parle de sensual shuffle.

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             Tonton Leon produit en 1979 le seul album de Wornell Jones et ça démarre avec «Something Good Is Gonna Happen To You» qu’on retrouve bien sûr dans la compile : heavy groove, très impressionnant. Tintin Needs parle d’une effortlessly expressive voice that elevates the whole set. Dans les backing, on retrouve Mary McCreary and former Ikette and Gap Band dynamo Maxayn. Comme on le voit, Mary McCreary et Maxayn ne sont pas non plus nées de la dernière pluie.

    Signé : Cazengler, Léon recèle

    The Songs Of Leon Russell. Ace Records 2021

     

     

    Les Saints à l’air - Part One

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             Chris Bailey vient de casser sa pipe en bois. Il occupait un siège au premier rang de l’Académie des princes, à côté d’Iggy et des Stooges, de Johnny Thunders et des Dolls, de Lou Reed et du Velvet. Et puis on voit encore d’autres têtes connues, les Pretties, les Cramps, le Gun Club, Kim Fowley, Jimi Hendrix, Dylan, Syd Barrett, les Stones ou encore les Mary Chain. Les Saints ont énormément compté pour beaucoup de gens en France. Certains ont même monté des groupes pour célébrer leur culte. Les Nuts furent à l’origine un groupe de reprise des Saints. Aussi allons-nous déterrer un conte jadis imaginé en leur honneur. Ce conte constitue la première partie du modeste hommage que nous rendons ici à Chris Bailey.

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             Les brochures touristiques nous racontent que Brisbane est une charmante ville côtière de l’Est de l’Australie. Quelle blague ! Chris Bailey et ses copains s’y ennuient à crever. Rien à faire, nulle part où aller. Ils n’ont pas le sou... Ils ont grandi tant bien que mal dans cette ville qu’ils ont baptisé Security City. L’état de Queensland, dont Brisbane est la capitale, tomba voici quelques années aux mains d’ultra-conservateurs catholiques. Prônant l’ordre et la discipline, ils y instaurèrent une sorte d’apartheid. Une police musclée patrouille en ville, matraque en main. S’ils croisent un vagabond ou un type mal rasé, ils l’embarquent aussitôt en camion, direction Punishment Park. Là, un tribunal spécial accusera le suspect d’incitation à l’émeute et d’atteinte à la sûreté de l’État de Queensland. Le malheureux devra alors choisir entre deux châtiments : soit purger une peine de vingt ans au pénitencier fédéral, soit passer trois jours à Punishment Park.

             Étrangement, les condamnés choisissent tous le séjour à Punishment Park. C’est là qu’on leur donne le programme des trois jours : il s’agit de parcourir 85 km dans le désert, sans eau, pour atteindre un mât où flotte le drapeau de Queensland. On leur explique ensuite qu’ils risquent d’être pourchassés par des policiers armés chargés de les stimuler.

             Amis de longue date, Chris Bailey, Ivor Hay et Ed Kuepper se demandent bien comment ils vont pouvoir quitter cet enfer. Comme ils partagent tous les trois un goût commun pour l’anticonformisme, ils sont en danger permanent. Le soir, Chris rentre chez lui en rasant les murs. Il allume son téléviseur. La chaîne australienne diffuse des images de propagande américaine : les puissants B52 déversent des tonnes de bombes sur le Nord-Vietnam. Ce spectacle révolte Chris. C’est un peu comme si le gros cul boursouflé de l’Amérique lâchait des étrons mortels sur un petit pays du tiers-monde. Pire encore, le gouvernement australien qui est ouvertement pro-américain envoie des troupes se battre contre la menace communiste. En Australie, les réfractaires et les antimilitaristes sont envoyés directement à Punishment Park. Chris ne souhaite pas aller crapahuter dans le désert en plein cagnard et sous les balles des tueurs assermentés. Rien que d’y penser, ça lui donne la nausée. Il éteint sa télé et commence à tourner en rond dans la pièce, répétant mécaniquement I’m stranded, I’m stranded, I’m stranded. Il tourne ainsi pendant des heures, comme un condamné dans sa cellule.             

             — I’m stranded, I’m stranded !

             Bien coincé, en effet. Il connaît déjà les tenants et les aboutissants de la frustration adolescente. Il n’a plus rien à apprendre, de ce côté-là. L’ennui le guette comme un vautour. Une seule solution : quitter ce merdier de Security City. Ça tourne à l’obsession. Cette ville maudite n’a rien à offrir, hormis des usines et des flics armés jusqu’aux dents. Descendre dans la rue pour réclamer une amélioration des conditions de vie ? Il vaut mieux abandonner l’idée tout de suite.

             Pendant que Chris tourne en rond dans sa chambre en psalmodiant I’m stranded, Ed s’occupe activement. Il s’est réfugié dans la musique, afin d’échapper à ce que Dylan appelle le cauchemar psychomoteur. Il s’est auto-proclamé explorateur. D’instinct, il fouille du côté des légendes obscures. Il s’effare de la qualité de ses découvertes : il ne jure plus que par Link Wray et Bo Diddley. Et comme tout le monde, il subit un traumatisme le jour où il découvre le premier album du Velvet. Ed joue un peu de guitare, mais il prend garde à ce que ni les voisins ni les patrouilles de police ne l’entendent. Essayez de jouer «Sister Ray» en sourdine et la trouille au ventre, vous verrez, c’est pas facile. Par contre, Chris cultive des goûts plus simples. Il ne jure que par Elvis. Pour payer le loyer de sa chambre, il travaille un peu. Il vend des stylos en faisant du porte à porte, et comme ça ne marche pas très bien, il complète ses maigres revenus en allant travailler aux abattoirs. Et pour ne pas éveiller la suspicion des patrouilles de police, il porte un costume brun et une cravate. Et sa tignasse ? Il la ramasse sous un petit chapeau mou.

             Il s’arrête chez Ed. Toc-toc... toc-toc-toc. Il frappe les cinq coups convenus à la porte. C’est un code. Ed ouvre.

             — Content de te voir, Chris. Rentre vite, j’ai quelque chose à te montrer ! Ils montent au premier. Chris enlève son chapeau et sa cravate. Ed rallume son ampli, met le volume à deux et joue le riff de «Sister Ray». Emballé, Chris commence à chanter d’une voix rocailleuse :

             — Sister Ray... Sister Ray...

             — Chuuuuuuut ! Les voisins vont nous dénoncer !

             Mais Chris continue. Ed sue à grosses gouttes. Il éteint l’ampli. Trop risqué.

             — Tu veux aller faire un tour à Punishment Park, c’est ça, hein ?

             — Ed, on ne peut pas continuer comme ça ! On mène une vie de chiens galeux. On sort dans la rue la peur au ventre et on se chie dessus dès qu’on croise l’une de ces fucking patrouilles... Il faut monter un groupe, c’est le seul moyen de quitter le pays et d’échapper à tout ça !

             Ed opine du chef, tout en s’épongeant le front avec son mouchoir à carreaux.

             — Ed ! j’ai une idée ! On va appeler le groupe Kid Galahad and the Eternals !

             Ed bafouille :

             — C’est joli, Chris, mais d’une part, c’est trop compliqué, et d’autre part, ça fait trop référence à Elvis... J’aime pas trop la musique de vieux...

             Pris d’une crise de rage, Chris s’arrache une touffe de cheveux et beugle :

             — Et ton Bo Diddley, c’est pas un vieux, avec son gros scooter et ses cheveux mal gominés ? Et l’autre là, le Link Wray, le forain, le roi de l’instru ! Tu rigoles, ou quoi ?

             — Tu mélanges tout... Bo et Link ne sont pas allés tourner des films pourris à Hollywood ! Ils ont su conserver leur intégrité. Pourquoi on ne s’appellerait pas les Rumble, ou les Roadrunners... Ou si tu préfères quelque chose de plus drôle comme les Ray du cul...

             Chris hausse les épaules.

             — Occupe-toi de ton cul et de ta guitare. Je m’occupe du reste. On s’appellera les Saints, comme ça, on ne risque rien. Avec un peu de chance, le curé du coin nous prendra sous sa protection.

             Ils commencent alors à réfléchir, comme le font tous les groupes qui se jettent à l’eau. Où répéter ? Jouer quoi ? Ensuite, il faut écrire des chansons, trouver un batteur, puis trouver un endroit pour jouer sur scène. La routine habituelle. Ils décident de s’installer chez Ivor qui vit dans un quartier moins exposé. Il habite une boutique dont la vitrine donne sur une rue peu passante. Chris a déjà écrit une chanson.

             — Elle s’appelle «I’m Stranded». Ed, dépêche-toi de me mettre des accords là-dessus !

             Ed s’assoit et commence à mouliner des accords sur sa guitare. Chris jubile :

             — Wow, pas mal !

             Ivor et Chris secouent la tête en rythme. Ed est lancé. Il ne s’arrêtera que s’il rencontre un mur. Chris s’excite de plus en plus :

             — Ouais vas-y Ed, continue, quel carnage ! Yeah ! Like a snake calling on the phone/ I’ve got no time to be alone/ There is someone coming at me all the time/ Babe I think I’ll lose my mind/ Cause I’m stranded on my own... yeouuuu !

             Ed enchaîne des riffs fulgurants. Chris l’arrête et glapit :

             — Ed, pourrais-tu mettre un peu plus de son ?

             Posté derrière la vitrine, Ivor s’écrie :

             — Attendez les gars, une patrouille arrive au bout de la rue !

             Quelques minutes passent.

             — Ça y est, ils sont partis, vous pouvez y aller !

             Ed monte son ampli à fond et envoie la riffalama fracasser le ciel. Chris se jette dans la mêlée. Il chante le premier couplet d’une voix énorme et désenchantée. Sa voix rentre dans la fournaise riffique comme dans du beurre. Il chante d’une façon aussi abrasive que Van Morrison au temps des Them. Ils sont tous les trois ravis.

             — On en tient un par la barbichette !

             — Un quoi ?

             — Mais un tube, Ed ! C’est un brûlot aussi hargneux et aussi incendiaire que «Kick Out The Jams Motherfucker» !

             — D’accord, mais c’est pas la peine de tenir un brûlot hargneux par la barbichette si on n’a pas de bassiste...

             — Allons voir Kym Bradshaw.

             Affaire conclue. Kym accepte. Les Saints montent un petit répertoire truffé de classiques dévastateurs, comme par exemple cette reprise du fantastique «Wild About You» des Missing Links, ou encore l’excellent «Kissin’ Cousins» d’Elvis. Ils agrémentent le tout de quelques monstruosités rampantes du genre «Demolition Girl», «No Time» et «Nights In Venice». Ils répètent chez Ivor. Ils calfeutrent bien la pièce du bas, mais ils jouent si fort qu’on les entend à plusieurs kilomètres à la ronde. Les voisins lancent des briques dans la vitrine. Les Saints répondent avec des injures. Très vite, les hélicoptères survolent le quartier. Chris et ses amis voient les unités de la garde mobile se déployer de chaque côté de la rue.

             — Et ceux qui sont habillés en noir, c’est qui ?

             — Je crois que ce sont les gars des unités de contrôle d’émeutes urbaines. Ils tirent d’abord et parlementent après. Des tueurs...

             — Abritons-nous au fond de la boutique, les gars. J’ai un plan.

             Dehors, un officier lance les sommations :

             — Vous avez exactement cinq minutes pour sortir les bras en l’air, bande de communistes ! Deux chars sont stationnés devant la porte. Un bon conseil : n’attendez pas le dernier moment...Top chrono, c’est parti !

             — Bon, vaut mieux pas traîner dans le coin. Tant mieux, parce que maintenant, c’est quitte ou double, d’accord les copains ?

             — D’accord !

             — Dépêche-toi, Chris, il ne reste plus que quatre minutes...

             — On enregistre «I’m Stranded» ce week-end, on le presse à cinq cents exemplaires et on l’envoie à tout le monde, journaux, radios, supermarchés, partout où on pourra. D’accord ?

             — D’accord ! Les quatre mains s’empoignent, scellant l’un des plus beaux pactes de l’histoire du rock. Ils sortent de la boutique par derrière et courent jusqu’à la maison où vit Ed. Ils vont s’y cacher quelques jours. Au terme de quelques péripéties dignes des exploits des maquisards de la Résistance, le disque sort des presses. Ils récupèrent nuitamment les deux cartons de quarante-cinq tours chez l’artisan presseur. Chris, Ivor et Ed écrivent eux-mêmes les adresses sur les grosses enveloppes en papier kraft et vont poster les plis par petites quantités, histoire de ne pas éveiller les soupçons. Les jours suivants sont épouvantablement longs. Ils restent planqués dans la chambre d’Ed et se relaient à la fenêtre pour surveiller la rue. Les flics les recherchent activement. Les jours passent. Toujours aucune réponse des journalistes australiens ni des maisons de disques. Chris est à cran.

             — On devrait déjà avoir une réponse, bordel !

             — Tu rêves, mon pauvre. Les gens d’ici en sont encore à écouter «Smoke On The Water».

             Par contre, ce n’est pas du tout la même chose à Londres. EMI vient de signer les Sex Pistols. Justement, le pli des Saints atterrit sur le bureau d’un directeur artistique. Il écoute «I’m Stranded» et crie au loup.

             — Il nous faut les Saints !

             Un matin, Chris trouve la réponse d’EMI dans la boîte aux lettres. Au moment où il remonte l’escalier, une roquette pulvérise la porte d’entrée. Le souffle de l’explosion envoie Chris rouler dans les marches. Il connaît bien le riff incendiaire, aussi n’éprouve-t-il aucune panique. Deux hommes encagoulés se jettent dans l’entrée. Avant qu’ils n’aient eu le temps de se redresser, Chris leur jette à la tête le grand vase Ming qui décore le palier du premier. Les deux hommes s’écroulent, assommés net. Chris se jette dans la chambre alors qu’une seconde roquette pulvérise l’escalier. Il brandit la lettre de la victoire. Il a les cheveux brûlés et le visage tout noir.

             — On passe sur Radio One, les gars !

             Mais où sont-ils ? Chris voit leurs pieds dépasser. Ils sont cachés sous le lit.

             — Sortez de là, bande de trouillards ! Il faut filer d’ici dare-dare ! Ils envoient la troupe !

             On entend des grosses détonations dans l’escalier.

             — Vite, tirons-nous ! EMI nous attend à Londres ! Regardez, bande de veinards, j’ai la convocation !

             Chris pousse un cri de guerre à la Jerry Lee Lewis, yaouuuuuuuh ! Puis il déplace une petite commode. Dessous se trouve une trappe.

             — Vite ! Vite ! Descendez par là, je vous rejoins !

             Ed, Kym et Ivor se jettent dans l’ouverture. Chris arrache l’évier du mur de la chambre et sort sur le palier. Il tombe sur deux encagoulés occupés à recharger leurs gros fusils d’assaut. Il leur jette l’évier à la figure. Les deux hommes tombent du premier. Chris descend à son tour dans l’ouverture et court comme un dératé tout le long du passage secret. Il débouche dans une grotte où l’attendent ses trois amis. Ils sautent en croupe sur leurs kangourous attelés et filent droit sur Sydney, qui se trouve un peu plus au Sud.

    Signé : Cazengler, saint glinglin

    Chris Bailey. Disparu le 9 avril 2022.

     

     

    L’avenir du rock

     - Cedric a la trique (Part Four)

             En feuilletant son livre d’histoire, l’avenir du rock se surprend à rêver. Ah comme il devait faire bon vivre au temps de l’Empire romain ! Pas comme centurion, parce qu’il déteste les armes, ni comme tribun parce que la politique l’agace, mais comme négociant d’esclaves. Ah tous ces beaux esclaves fraîchement capturés dans les provinces de l’Empire et ramenés à Rome dans ces bonne vieilles cages montées sur des roues en bois ! Il les voit très bien, elles sont de la taille d’un wagon, tirées par des attelages de bœufs, elles avancent en grinçant le long de la voie appienne jusqu’au marché qui se trouve au cœur de Rome, au pied du forum. Il se laisser aller à imaginer le grouillement de vie, le choc des civilisations, le tintement des deniers et des sesterces, les langues exotiques, les corps nus exposés à tous les regards. Rien de vénal chez l’avenir du rock, rassurez-vous, il ne voit pas les esclaves comme des gens qu’on fait travailler à l’œil, qu’on brutalise ou qu’on sodomise, non il les voit comme des êtres extraordinaires, surtout les noirs capturés en Nubie par les marchands arabes. Ils sont tous très spectaculaires et conservent leur dignité. Si l’avenir du rock se voit négociant, c’est principalement pour se réserver les esclaves noirs. Pas question de laisser ces êtres magnifiques tomber dans les pattes de tous ces tarés d’aristocrates, ces Caton, ces Cicéron et ces Pompée de malheur ! L’avenir du rock se réserve les esclaves noirs pour les affranchir. Il les mettra à l’abri dans sa superbe villa de Brindisi qu’il vient de faire agrandir en rajoutant une aile spacieuse pour les y loger. Il va ensuite les vêtir et les nourrir correctement, puis leur donner en gage d’amitié des guitares fabriquées spécialement pour lui dans la province d’Ibérie. Il ne leur demandera en échange de toutes ces faveurs qu’une seule chose : chanter et gratter leurs grattes. Une fois leur consentement obtenu, il ouvrira des cabarets dans toutes les grandes cités de l’Empire pour y organiser des concerts et la plèbe pourra entendre ces affranchis africains chanter le blues. Il est même choqué que personne n’y ait pensé avant lui.   

     

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             De toute évidence, l’ancêtre de Cedric Burnside est passé par les pattes d’un marchand d’esclaves. Un Africain sur le sol de États-Unis, ça veut bien dire ce que ça veut dire. L’ancêtre de Cedric Burnside n’a pas eu la chance de rencontrer l’avenir du rock.

             Depuis l’antiquité et l’apogée de la traite des noirs au XVIIIe siècle, les choses se sont un peu «arrangées», du moins dans les apparences. Les noirs ne portent plus de chaînes mais ils sont toujours aussi mal vus, sauf par les amateurs de blues qui les considèrent comme des dieux, ce qu’ils sont d’une certaine façon. Aux yeux des ceusses qui ont eu la chance de voir Cedric Burnside sur scène, ça ne fait aucun doute. 

             Andrew Perry rappelle dans Mojo que Cedric Burnside a enregistré son nouvel album I Be Trying à Memphis, au Royal Studio de Willie Mitchell, avec Lawrence Boo Mitchell, fils de Willie. Un autre fils de légende participe au festin : Luther Dickinson, fils de Jim. Il ramène dans le son de l’electrifying slide guitar. Alors Cedric peut sortir son robust beat qui est à l’épreuve du temps. Perry conclut sa petite chroniquette ainsi : «Bursnside presents as a guenine one-off - a uniquely rooted artist of rare precision and power.»

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             Dans les liners de son album, Cedric Burnside fait preuve d’une humilité qui dépasse les bornes. Il remercie sa femme et ses trois filles d’avoir toujours cru en lui. D’ailleurs, il s’empresse d’ajouter qu’il écrit ses chansons pour elles. Il remercie aussi les mecs du label pour leur aide et leur support, et bien sûr, il n’oublie pas le principal, God - My savior for blessing me with the gift of playing Hill Country Blues - I Be Tryin ne parle que de ça, d’Hill Country Blues qu’il joue au raw de Como, c’mon now, il claque ses notes à la revoyure d’ongle noir. Luther Dickinson arrive pour «Step In» et on a tout le son du monde, ça ratapoume dans le studio de Willie le fantôme. Oh yeah, Cedric Burnside ratapoume dans l’œil du cyclone. Personne ne peut battre le Memphis beat à la course. Reed Watson bat le beurre sur le morceau titre amené à la Kimbrough. C’est une compo nettement plus ambitieuse. Il faut laisser Cedric Burnside déployer ses ailes. C’est lui qui tatapoume sur «You Really Love Me». N’oublions pas qu’il a démarré comme batteur derrière son grand-père Rural. Il frappe sec et net, au pur jus d’on the beat, the heart of the North Mississippi Hill Country Blues. On retrouve les latences de Junior Kimbrough dans «Love Is The Key», c’est là très précisément que l’hypno se nourrit du gospel batch. Luther revient couiner sur «Keep On Pushing», il ramène le wild electric feel de Memphis, c’est-à-dire des vents de folie. Cedric Burnside se veut plus ambitieux avec «Pretty Flowers», une petite éclosion de beats bucoliques greffés sur la complexité d’une étonnante structure. Il adore visiblement partir à l’aventure. Alors on le suit. Il embarque plus loin «Hands Off That Girl» sur un heavy beat de rêve. C’est du vieux Burnside de derrière les fagots de Como. Il charge bien la barque du punk-blues avec «Get Down». Ah c’est tout de même autre chose que les Black Keys. Hey ! Il faut le voir dégringoler ce heavy punk-blues. Quelle puissance ! Si tu veux sonner comme ça, t’as intérêt à être descendant d’esclave ! Il pleut du son comme vache qui pisse dans cet album. Cedric Burnside claque son riff et chante plus fort que le Roquefort. 

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             Stephen Deusner lui accorde une demi-page dans Uncut. Une demi-page, c’est déjà mieux que rien. Cedric rappelle qu’enfant il battait le beurre pour Big Daddy, son grand-père, et quand sur scène Big Daddy virait les musiciens pour attaquer trois cuts en solo, Cedric se mettait sur le côté pour observer son grand-père - I was listening to his rhythms which were so unorthodox, and I was listening to his vocals, how they were so heavy but so beautiful at the same time - Il flashe notamment sur une chanson, «Bird Without A Feather» qu’il reprend sur I Be Trying - It sounded like he just took little pieces of something that wasn’t even done yet but he made them sound whole - Il dit qu’il a répété ce cut pendant des mois, trying to get the rhythm just right - Bravo Cedric, car le résultat est là, c’est en effet un cut d’une grande complexité. Depuis 30 ans nous dit Deusner Cedric s’efforce de maintenir la tradition du North Mississippi Hill Country Blues tout en la faisant évoluer. Il voulait absolument venir enregistrer I Be Trying chez Boo Mitchell qu’il connaît depuis qu’il est ado. Boo qui est un gentil mec dit un moment à Cedric que le micro dans lequel il chante est celui dans lequel chantait Al Green. Cedric vit ça comme un honneur. Deusner dit aussi de Cedric qu’il affronte les temps modernes avec un sens aigu des responsabilités. Il est le porteur d’une tradition et il sait que le blues doit jouer un rôle dans ce monde entré en dégénérescence : «There’s a lot of crap going on right now and the blues has to speak to that too.»

    Signé : Cazengler, la burne

    Cedric Burnside. I Be Trying. Single Lock Records 2021

    Stephen Deusner : Cedric Burnside. Uncut # 290 - July 2021

     

     Inside the goldmine

    - My Lewis Taylor is rich

     

             Il nourrissait à l’égard de M un sentiment particulier. Une affection qui confinait au spirituel. Comme M lui avait sauvé la vie, il était devenu son frère de sang. Nous savons bien que l’expression est tombée en désuétude, car les contextes se sont assagis, mais pas les circonstances, du moins certaines circonstances, qui restent égales à elles-mêmes, qu’on vive au XXe siècle ou au moyen-âge. Avoir dans la vie un frère de sang est un prodigieux privilège, mais un petit inconvénient altérait ce privilège : les retrouvailles se raréfiaient. Pourquoi ? Des circonstances disons exceptionnelles contraignaient M à vivre en dehors de la réalité, dans cet entre-deux mondes qu’on appelle aujourd’hui la clandestinité. M poursuivait sa chimère qui s’appelait l’aventure, qu’il voulait dangereuse et de tous les instants, ce qui rendait les moments de répit basiques, comme par exemple un verre dans un bar ou un repas au restaurant, illusoires. En de rares occasions, M qui était épuisé venait dormir à la maison et au petit matin, il se joignait à la promenade des chiens. M qui était fort bel homme portait en permanence un bonnet et des lunette noires, ce qui était le meilleur moyen de ne pas passer inaperçu.

             — M, tu sais que tout le monde te remarque, attifé comme tu es ?

             — Tu ne comprends rien, poto, je suis l’homme invisible !

             Puis les rencontres s’espacèrent considérablement. M vivait sur des charbons ardents. Il appelait d’une cabine pour demander d’aller chercher «un truc» chez un mec et de le lui apporter dans un endroit qui était toujours le même : un terre-plein entre deux voix rapides, juste en face d’une station service, en grande banlieue. M attendait sur le terre-plein, assis sur sa moto dont il n’avait pas coupé le contact, prêt à filer à la moindre alerte. Il gara sa bagnole derrière la station service et alla trouver M pour lui filer son «truc», un petit paquet dont le poids indiquait clairement qu’il s’agissait d’une arme. M ôta son casque pour claquer une bise. Dans la lumière rasante de ce matin d’hiver, le bleu de son regard et le casque sous le cuir du bras firent soudain de lui un chevalier jailli du passé. 

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             C’est exactement ce qu’on éprouve à la vue de la pochette du Lewis II de Lewis Taylor. Avec son allure de chevalier en chasuble blanc, cet artiste contemporain semble lui aussi jaillir du passé. Même striking évidence. Comme M, il s’est trouvé plongé dans l’entre-deux mondes, celui de l’underground, malgré une poignée d’albums remarquables qui auraient dû le faire éclater au grand jour.

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    Ce Taylor rich propose une Soul de down beat incroyablement troublante, celle d’un blanc qui se prend pour un black, un black trop black pour être honnête. Il fonctionne par paquets de Soul de 5 minutes, il faut savoir tenir la distance. Une wild guitar agite le groove, l’effet est saisissant. En fait, c’est lui, la wild guitar, il jouait dans la reformation de l’Edgar Broughton Band qu’on voit filmée en Allemagne au Rockpalast en 2008. En plus d’être un fabuleux guitar slinger, ce Taylor rich est l’un des grands white niggers d’Angleterre. Avec «My Aching Heart», il se prend pour un gros calibre de la Soul moderne, son groove bascule vite dans la magie. Il fait du sexe pur avec «You Make Me Wanna» et attaque «The Way You Done Me» aux synthés. Il se prend pour le roi de la Philly Soul et s’emblacke jusqu’au bout des ongles. Il dispose d’une incroyable facilité à sonner black. Il faut le voir travailler la Soul de «Satisfied», il fait de la pure Philly Soul, toute trace de Broughton a disparu. Il tape encore une Soul inexorable avec «I’m On The Floor», il travaille l’expression du pré-groove, et descend systématiquement au barbu, yeah yeah, c’est un démon de la black à la peau blanche. Il bat encore des records de véracité avec le morceau titre, il fait du pur Marvin, il crée exactement le même genre d’ouvertures, ce Taylor rich a beaucoup écouté What’s Going On. Il dérive à la bonne mesure. Fantastique Lewis kid ! Il devient encore plus infernal avec «Blue Eyes» car il attaque à la voix d’ange. Il tombe sur le râble du groove et part en dérive océanique de don’t look at me blue eyes et comme il cela ne suffisait pas, il ajoute So I say goodbye-aye-aye/ For the last time.

             Dans la presse anglaise, une toute petite actualité l’arrache enfin à l’oubli. Dans Record Collector, Paul Bowler lui consacre sa rubrique ‘Under The Radar’ et rappelle qu’en 1996, à la sortie de son premier album, des luminaries comme Elton John, Paul Weller et David Bowie s’étaient prosternés devant lui, Bowie allant même jusqu’à déclarer que cet album était «the most exciting sound in contemporary soul music». Mais l’album ne s’est pas vendu. Bowler explique que ce Taylor rich avait amalgamé la Soul, le funk et la psychedelia pour en faire something fresh and new. Et qu’en plus il jouait lui-même tous les instruments dans son home studio. Bowler nous explique ensuite qu’il fut élevé par une music-mad mother et qu’il avait appris le piano très tôt, à l’âge de quatre ans, puis à l’adolescence, il s’est mis à écouter Captain Beefheart, Faust, Syd Barrett et Cecil Taylor. S’ensuit l’épisode Edgar Broughton Band et pouf, il démarre une carrière solo en tant que Sheriff Jack. Dix ans de break et à 30 ans il redémarre en tant que Lewis Taylor. Et c’est là avec le premier album que le miracle se produit. Bowler parle de croisements entre Jim Hendrix et Marvin Gaye, entre Brian Wilson et Shuggie Otis.   

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             Paru en 1996, ce fameux album s’appelle tout bêtement Lewis Taylor. Nouvel hommage à Marvin, et ce dès le «Lucky» d’ouverture de bal. Il va chercher le c’mon all down the line dans une Soul blanche digne de celle de Marvin, c’est une révélation. Il joue ensuite son «Bittersweet» au doux du groove, avec une rondeur d’ouate jazzy et un peu de wah par dessus. Il tartine ses couches et se prend indéniablement pour Marvin. Il chuinte au doux son what you gonna doooo, c’est très sérieux, ce Taylor rich n’est pas un gadget, il est investi de toute la dignité du peuple noir, il monte dans les hauteurs avec son petit chat perché, rien d’aussi pur et dur. Alors forcément, on entre dans cet album comme dans du beurre. Il groove tous ses cuts jusqu’à l’os du jambon, son «Track» est clairement destiné aux amateurs de Soul de haut rang, il saupoudre son lard d’une pincée de magie, il travaille tout à la black. Jamais on aurait pu imaginer qu’un blanc-bec irait aussi loin dans la Soul. Sa «Song» est une merveille, il développe des sons extravagants, il se montre digne des géants, oh darling oh baby !. Avec «Betterlove», il entre dans le territoire des très grands artistes, il se paye des regains de violence, il voudrait se faire passer pour un offender, il vise le modèle dément, accordons-lui le privilège du génie, I said baby I know, son real white niggarism finit par générer de la démesure, ses vagues te portent et te téléportent. Et ça continue avec «How» embarqué au yeah yeah yeah. On savait l’Angleterre bien fournie en matière de white niggers, mais celui-là bat toutes les expectitudes. Il faut le voir rôder dans le groove de «Right» et il devient enfin le roi du monde avec «Dawn». Alors bienvenue dans le royaume du Taylor rich. Le voilà dans les dynamiques de la Soul de velours, il groove comme un démon des Mille et Une Nuits, il rivalise de sweet Soul avec Billy Paul, il te coule dans son moule, c’est hot, my mind,  comment peut-on croire à une telle perfection ? La marée t’emporte dans un final de non-retour. 

             Mais comme ses albums ne se vendent pas, en 2006 il annonce qu’il arrête la musique et il vient s’installer en France comme plombier. Rien pendant dix ans, puis ce Taylor rich annonçait en 2016 sur les réseaux sociaux qu’il re-rentrait en home studio avec sa femme Sabrina. Et Bowler, emphatique, conclut : «One of the most criminally overlooked artists is returning.»

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             Paru en 2004, The Lost Album réclame la plus haute attention. Dès «Listen Here», ce Taylor rich nous épingle. On croit entendre les arpèges suspendus de Michael Chapman et il chante en plus à la voix d’Angel dust. Il vise la Soul terrifique. Il bosse sa dérive abdominale dans l’excellence de basslines éperdues à l’horizon d’un jour nouveau. Avec «Hide Your Heart Away», il repart en longeant la muraille, il fait cette fois de la pop enchantée et débouche dans une Soul psyché ravissante. Ses montées sont dignes de celles des Beach Boys. Il cherche les hauteurs inexplorées. Sans même le vouloir, il tient la dragée haute à Brian Wilson, car avec «The Leader Of The Band», il file droit sur l’excellence de la persévérance. Il nous noie dans la bienveillance de sa magnificence, cet album correspond à l’idée qu’on se fait du paradis, il gouverne vers le soleil, comme Brian et Croz, tous ces mecs sont des accros du paradis. Il drive sa Soul blanche si bien qu’elle devient parfois poppy, comme le montre encore «Please Help Me If You Can» - I’ve been alway a long long time/ Baby/ You have to understand - Il cherche la vérité et propose une Soul de pop stupéfiante. Il tâte encore du Beach Boys sound avec «Let’s Hope Nobody Finds Us» et retourne à la découverte des ambiances supérieures avec «New Morning». Ce mélange de Soul et de Brian Wison ressemble à un aller simple. Encore une fois, ce Taylor rich a du génie. Il impose un retour au clame avec les accords de clavecin de «One More Mystery», il prépare bien ses effets car voilà qu’explose un master stroke, il strike la pétarade, il s’énerve et claque son chou-fleur, il monte en pression, il swingue son last you see et part en mode ouuh ouuh d’Hey Jude pour plonger dans la violence et virer en vrille de wah.

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             Dans Mojo, Jim Irwin salue la réédition du premier album, «an instant classic». Ado, Lewis Taylor fréquentait un disquaire du comté d’Hertfordshire, au Nord de Londres, et c’est là qu’il s’éprit de l’Edgar Broughton Band - À 11 ans, je les connaissais - Et comme son frère aîné bossait pour Edgar, il recommanda Lewis comme guitariste. Le jeune Taylor partit donc en tournée européenne avec son idole, un Edgar qui comme lui, était un taiseux. Irwin explique aussi qu’à l’époque du premier album, Lewis Taylor avait arrêté les drogues pour composer ses cuts et se replonger dans Tim Buckley et Scott Walker. Comme dirait cette vieille quenelle de Queneau, c’est en lisant qu’on devient liseron.

    Signé : Cazengler, Lewis Taylarve

    Lewis Taylor. Lewis Taylor. Island Records 1996 

    Lewis Taylor. Lewis II. Island Records 2000

    Lewis Taylor. The Lost Album. Slow Reality 2004

    Paul Bowler : Under The Radar. Record Collector # 521 - August 2021

    Jim Irwin. Unlucky. Mojo # 334 - September 2021

     

    *

    Question à deux cent mille euros – ou à vingt centimes – tout dépendra des fonds entreposés dans notre tiroir-caisse. Quel est l’artiste rock ou le groupe rock qui a eu droit au plus grand nombre de chroniques live sur notre site. Ceux qui lèvent le doigt et se hâtent de s’égosiller ‘’Dylan, Bob Dylan !’’ sont des kr’tntreaders de la dernière heure, qui nous suivent à peine depuis un mois, leur sagacité leur a permis de remarquer trois articles sur Dylan ces trois dernières semaines, eh bien non ce n’est pas Dylan… ni les Rolling Stones, ni Gene Vincent, ni Fred Neil, encor moins les Beatles, ni Chips Moman, ni… arrêtez de citer vos chouchous, n’en jetez plus, le vainqueur est déjà désigné, je livre fièrement – car il des nôtres – son nom, vous le connaissez, l’illustre Loser, notre émérite  Cat Zengler qui dans une de ses récentes chroniques remarquait que la formation dont on avait chroniqué le plus grand nombre  de prestations live, c’était… roulements de tambours… les Jallies !

    N'ayez pas honte si vous ne les connaissez pas, n’accusez pas notre Cat Zengler de ne pas savoir compter sur ses doigts, d’abord parce que le Cat Zengler a toujours raison, ensuite parce que vous avez ci-dessous la preuve (une de plus) indubitable de ses dires.

    THE JALLIES

    07 / 04 / 2022

    ( Le Glasgow / Fontainebleau)

    Réponse à une question angoissante : pourquoi les Jallies et pas par exemple les Rolling Stones qui ont manifestement plus apporté à l’Histoire du Rock ‘n’ Roll . Parce que ces treize dernières années les Rolling Stones ont très peu tourné en Seine & Marne, alors que les Jallies sont domiciliées dans cet absolument mirifique département de France puisqu’il détient l’insigne honneur d’abriter votre blogue préféré. Bref une proximité géographique évidente. Mais ce n’est pas tout : les trois plus belles filles seinémarnaises sont membres des Jallies. Vous comprenez que cet argument (hyper-féministe) l’emporte sur le dernier, car au demeurant les Jallies sont un très bon groupe.

     

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    Retour au Glasgow, nous y avons déjà vu à plusieurs reprises, entre autres, les Spunyboys et les Jallies. C’était en des heureux temps sans masque (de fer) et sans pass (no pax) vaccinal, donc, confinement oblige et le fait qu’elles ont, en période de rémission, tourné souvent en Bretagne – elles y ont des fans – voici bien trois ans que nous n’avons assisté à un de leurs concerts. Parfois la vie est absurde et cruelle. Petite particularité grammaticale, en toutes logique nous devrions employer le pronom ‘’ ils ‘’ puisque le groupe est composé de deux garçons et de trois filles, or comme en notre douce et docte langue françoise le masculin l’emporte toujours sur le féminin… oui mais on dit ‘’elles’’, parce que les filles relèguent les guys à l’arrière et qu’elles s’arrangent toujours pour les cacher derrière le décor de leurs beaux corps, heureusement on les entend, et puis il faut l’avouer : elles sont si belles qu’on ne voit qu’elles. Bref l’exception qui confirme la règle. Que confirme les règles de trois.

    Attention changement dans la continuité, les trois garces sont toujours trois, mais depuis quelques mois une nouvelle est apparue : Bérénice. Trop jolie, je lui en veux, elle m’oblige à me livrer à un mensonge littéraire en traficotant le célèbre incipit d’Aurélien, le roman de Louis Aragon : La première fois que Damie Chad vit Bérénice il la trouva franchement belle.  Ce n’est pas bien, mais avec son corps souple et sa chevelure bouclée de brunette, je suis prêt à réécrire le bouquin entier pour qu’il réponde à ma vision.

    Le problème avec les Jallies c’est que vous ne savez plus où donner de la tête. Voici Leslie. Le lys qui vous lie dans la vallée aurait écrit Balzac. Pour Vanessa pas d’héroïne littéraire à citer, c’est elle avec son toupet de cheveux blonds et l’éclair décidé de ses yeux qui héroïse votre vie. J’arrête les compliments elles vont finir par s’en croire. D’autant plus qu’il faut en garder pour les garçons.

    Damie, si tu nous parlais de musique. Tout de suite, bande de jaloux. C’est très simple, si je compare aux Jallies d’avant, une phrase me suffira. Quand elles swinguent, c’est beaucoup plus swing, quand elles rockent, c’est davantage rock. C’était déjà très bien avant, maintenant c’est mieux. Plus fort, plus direct, sur scène elles assènent sec. La set-list n’a pas changé du tout au tout, elle s’est amplifiée, deux sets plus un rappel de trois quart d’heures.

    Le rituel de miel habituel. Une à la caisse claire, une au micro, une à la guitare ou au tambourin. Changent sans arrêt de place. Quand l’une chante, les deux autres jolies-cœurs font les chœurs. Pas tout à fait de la même manière que dans leurs temps préhistoriques, les petites sœurs chantonnent en douceur, des harmonies de rêve, de gaze et de zéphir qui vous subtilisent l’âme et l’emportent l’on ne sait pas trop où, dans des pays de cocagne où à tous les coups l’on gagne.

    Par contre question rythmique, ça nique. Quand c’est lancé, c’est envoyé. Ne se refusent rien, ça fuse franco, ça fonce et défonce, entre chasse au renard et steeple-chase, si vous suivez en tapant du pied, z’avez le palpitant souvent soumis au vent d’autan, autant ça cavale, autant ça contrepointe à rebours et à revers, pas le temps de se perdre dans les contre-temps, c’est pas du n’importe quoi, c’est pas du n’importe couac, tombent pile toutes ensemble, au point voulu, tir groupé, saut de parachute et vol libre de précision. Le swing déteste l’à-peu-près, ou c’est juste ou c’est faux, avec nos trois divas ça ne divague pas.

    Le public ne marche pas, il court. Y a des fanas (musiciens) de rockabilly à mes côtés qui connaissent tous les morceaux par cœur et à qui on a intérêt à ne pas servir du trop cuit ou du trop cru. La rocktissoire, pas d’histoire, elle doit rouler et tanguer dans le bon sens.

    Ne croyez pas qu’il n’y a que les filles dans la vie qui soient intéressantes. Les boys, je sais de quoi je parle, valent aussi le détour. Et ce soir y en a deux que l’on voit mal mais qui savent se faire entendre. D’abord Kros, un slappeur fou. Ecoutez-le trois minutes en fermant les yeux. Vous direz, le mec à la batterie il est fortiche, il ne passe pas son temps à trier les pois chiches, un véritable derviche tapeur, un sorcier des baguettes. Tout faux. Maintenant vous savez pourquoi chez Sun il n’y avait pas toujours un batteur dans le studio, une bonne contrebasse suffit. Un bûcheron, tout en finesse, un karateka qui frappe ses cordes comme si sa vie en dépendait, full-contact avec l’ennemi. Le Kros il lui cherche des crosses à la big-mama, lui fait descendre et remonter les escaliers sur les rotules, les genoux craquent et le bois des marches pète sec et rouspète dur.  

             Je ne veux pas dire que Kros a la tâche la plus facile. Dépense une énergie folle. Pire que dans une cour d’école, mais le rythme quand c’est parti, n’y a plus qu’à suivre le mouvement. Alors que le Thomas avec sa guitare, l’est réduit à la concision.  Dans le swing et le rockab, les solistes c’est comme pour le départ des fusées, z’avez une fenêtre de tir, avant c’est trop tôt, après c’est trop tard. Pour une Ariane, vous avez au pire quelques heures, pour Thomas c’est au mieux quinze secondes, dans lesquelles il faut tout donner, pas le temps de réfléchir, pas le temps d’hésiter, tout et tout de suite. Et ce soir, Thomas nous a offert un festival. Quelle inventivité, quelle diabolique précision, quelle habileté, quelle imagination, l’a à chaque fois le gimmick qui tue et la note qui ressuscite, l’a le plan adéquat qui ne vous laisse pas en plan, fourmille d’idées et de dextérité, regardez ses doigts, le gars il ne joue pas le truc qu’il a déjà fait quinze mille fois, il innove, il imagine, il essaye, il expérimente, il tente, il réussit. Ah les tourterelles devant avec leurs chants délicieux vous les emporteriez chez vous pour les mettre en cage et vous délecter de les entendre  jacasser rien que pour vous, mais Thomas non, c’est un guitar-hero et vous n'aurez jamais assez d’or dans votre coffre-fort pour qu’il condescende, dans votre maison, à gratouiller une corde durant trois secondes pour vous faire plaisir.

             Le Kros ne se contente pas de slapper. L’a tout compris de la vie. Les filles c’est bien, mais il ne faudrait pas que les pinsonnes piquent un somme entre deux chansons. Trois secondes de trop dans un changement de place et hop d’une voix de stentor qui ne veut pas de temps mort, il titille et vous houspille le public à coups de torpilles, ça rugit dans la salle et les gamines recommencent - illico les noix de coco et illica les noix de coca - leurs gammes. Parfois il pousse des hurlements et se lance dans un impro à la Ray Charles. Que n’a-t-il dit ! Sur la fin, se plante devant et vous expédie un Tutti Frutti pur jus séminal, et vous décoche un Hound Dog qui vous laisse une encoche dans les neurones et vous embroche les phéromones.

             Remarquons que les fifilles, ne gardent pas leurs billes dans le sac aux bisbilles, pas moins de quatre pépites émérites de Gene Vincent, du Janis Martin, du Stray Cat, du Wanda Jackson, du Nancy Sinatra, du Annisteen Allen, du Henry Thomas, du Burnette Trio… le pire c’est que quand elles tapent dans leur morceau, Takou par exemple, comparé aux bolides précédents c’est pas du tacot, c’est du solide, ça tient la rampe, ça tient la crampe.

    Publicus excitus. Musicos crevos. Concerto excellentissimo.

    Damie Chad. (Qui n’a pas perdu son latin !)

     

    *

     J’ai ricané en apercevant le titre, tiens encore un truc de doom sur l’enfer, si l’on me donnait un euro à chaque fois que le mot Hell est prononcé dans un morceau rock, je serais riche. J’ai plissé les yeux, au juste faut-il lire  lleléll ou heléh, après vérification cette dernière graphie s’avère la bonne. Bizarre, ce ne sonne pas espagnol, le groupe est de Cordoba, région du centre de l’Argentine, ressemble à de l’hébreu, mon traducteur me dit qu’en effet en cette langue il signifie Salut, mais que le mot est emprunté au soudanais. Je veux bien, délaissons les questions étymologiques, simplement remarquons qu’entre le Salut et l’Enfer, il existe un point de concomitance sémantique. Dommage qu’il y ait toutefois cet accent sur le second E, sans lui le mot serait un magnifique palindrome infernal…

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    Autre particularité, ce n’est pas vraiment un groupe. Plutôt un acte artistique. Sont deux : Matias Takaya : guitare et basse, possède aussi le studio d’enregistrement ( AV recording Studio ) dans lequel l’opus fut perpétré. Gonzalo Civita : vocal et couverture. Troisième homme aux drums : Johan π avec son 3,14  l’a un nom  de batterie électronique.

    Sur son FB, Matias Takaya décrit avec une précision d’entomologiste le résultat de son travail : ‘’ Hoy salio este discazo pesado, oscuro, densos, suicida que hicimos con Gonzalo Civita ‘’ soit en la langue de Villiers de l’isle Adam : ‘’ Aujourd’hui est sorti ce disque lourd, sombre, dense, suicidaire que nous avons commis avec Gonzalo Civita ‘’

    Est-il vraiment nécessaire de lire la chronique après une telle déclaration !

    HELEH / HELEH

    ( Avril 2022 / YT – Bandcamp)

    J’ai toujours un doute lorsque j’aborde un disque de rock chanté en espagnol, c’est l’espagnol qui me trouble, m’apparaît comme un truc exotique, une marque folklorique indélébile, je me dis qu’un quidam étranger qui écoute un opus en français doit avoir le même mouvement répulsif, mais pourquoi ne chante-il pas en anglais… souvent quand je tombe sur des spanish groupes qui m’intéressent mais je ne parviens pas à accrocher et je passe à un autre.

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    Réquiem  : oui c’est sombre et lourd, au cas où vous n’auriez pas compris les paroles s’en chargent, sommes en plein dans un enterrement, le cercueil est déjà dans la fosse, et le narrateur vient de lancer sa poignée de terre, une scène de cinéma ou plutôt d’opéra, funeste et grandiose, très beau récitatif de Gonzalo Civitas, vous ne sentez pas, par sa manière d’articuler les mots, de les transformer en chant, l’écran de l’idiome inhabituel, voix et musique ne forment qu’un. La lenteur d’un convoi funèbre, riff de base et de basse ne varietur, si le chant de Gonzalo s’exhausse, se métamorphose en cri d’oiseau qui plane là-haut, là-bas, très loin, la guitare écume et amertume de chagrin incisif qui sourd dans votre chair, tout se passe dans la tête, les regrets éternels, l’inéluctable consommé, il est trop tard pour avoir mieux agi. Il ne fait pas beau, ni au-dedans de soi ni dehors, l’on entend gronder l’orage, s’élèvent des chœurs, ce n’est pas pour rien que le morceau s’appelle réquiem. Existir : le titre semble mal choisi, la musique s’allonge, s’étire, voix mortuaire, qui parle, moi ou la mort, cet existir est une méditation angoissée sur la mort, ne formerait-elle pas un avec l’existence, arrêt brutal, le chant devient cris désespérés, sludge enkysté en chœurs, la mort n’est-elle pas la vie parfaite que l’on clôt lorsque le couvercle du cercueil se referme sur nous, est-ce au moment de la mort que nous prenons conscience de vivre pleinement puisque nous sommes au bout de l’accomplissement du fait d’exister, ou alors basculons-nous pour toujours dans le néant, à moins qu’une fois annihilé nous remettions nos pas dans notre existence, aussi dévolue au trépas que celle que nous venons de quitter, et nous revenions exactement le même toute une éternité de temps ce qui revient à dire que la vie n’est qu’un autre nom de la mort. Pas très gai, mais magnifique, cette basse qui referme le suaire, cette batterie qui enfonce à coups lents les clous et cette guitare qui les suce avec une voluptueuse angoisse de l’intérieur.  Amar : ne vous fiez pas au titre. Qui parle là ? Est-ce depuis le dessus ou le dessous de la terre. Quelle est cette consolation, d’où vient-elle, de celui qui est parti, de celui qui reste, à moins que de l’un à l’autre elle ne vienne que de moi, une fois mort ou vivant, superbe oratorio avec la voix qui mord le récitatif mortuaire, accélération, plissement, ahanements battériaux, la voix s’étrangle d’énoncer des réalités impalpables, la peur de rester enfermé en soi-même ou dans le cercueil, ce qui revient au même. N’a-t-on pas toute l’éternité pour trouver la réponse… Questionable virtud : pas d’affolement, nous sommes vivants, enfermés dans notre chambre close ( ne serait-ce pas une métaphore d’un autre enfermement ) musique lourde et lente, la guitare devient scie, la voix découpe les stases de l’existence pour les réassembler, l’on change le montage du film, silence l’ion entend comme dans les ciné-clubs la roue mobile du projecteur qui se prend pour un ventilateur en roue libre. Hurlements ? est-ce vraiment du courage que de vouloir remodeler sa vie comme si l’on pouvait modifier la mort, comme l’on range sa chambre. Magnifique performance vocale. Canto jondo. Chant d’impuissance. Lo ven ( Mi infierno ) : bruissement de petit moteur, presque ces appareils sur lesquels on vous branche à l’hôpital, gargouilles vocalisées, des voix qui chuchotent au loin, que l’on ne comprend pas, musique lourde et angoissante, borborygmes cafouilleux dans une gorge embrumée de glaires, une guitare voilée prend de l’altitude, est-ce une âme qui monte au paradis, ne craignez rien, qu’elle descende dans l’enfer de l’existence, ou de la mort, de toutes les manières c’est du pareil au même. La caméra n’en finit pas de tourner… Elle s’arrête en bout de piste. Il n’y a plus rien à filmer. Parfois l’on peut couper le film volontairement avant la fin. C’est juste une autre fin qui ne diffère en rien d’une autre fin.

    Pas très gai je vous l’accorde (de pendu) mais d’une beauté noire et splendide.

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    Pour nous changer les idées regardons la couve. Un paysage, une rivière qui coule au fond d’une vallée. Rien de bien original, si ce n’est ces teintes marron-bistre qui rappellent les les photographies de la fin du dix-neuvième siècle. Oui, je sais c’est vieux tout ça, oui ça ne se fait plus, c’est mort ! Vous ne croyez pas si bien dire, cette rivière anonyme ne serait-elle pas une figuration d’une autre davantage léthéenne, qui coule en un autre royaume.

    Damie Chad .

     

     

    *

    Les deux mots m’ont sauté au visage, dans un tout petit texte qui défilait sur FB, ce n’est pas qu’ils étaient difficiles à comprendre, ce n’est pas que qu’ils sont inusités depuis le treizième siècle, c’est que leur proximité est assez rare, un peu comme si dans la notice de montage de votre machine à laver achetée en kit, vous trouviez les termes diplodocus et éclair au chocolat. Là c’est encore plus incongru. Je vous les livre : rock et politique. Pas de panique, examinons la chose de plus près, en gros le gars affirmait que certains lecteurs se sentaient désorientés par l’éditorial politique qui ouvrait leur blogue rock. Tiens, quelqu’un de courageux, facile de l’identifier, c’est écrit, Le blog de Stevie Dixon, Oh ! la ! la ! un bail que je ne me suis pas promené dessus. Vérifions ! Y a ceux qui disent et ceux qui font. Parfois ce ne sont les mêmes. Comme disait l’autre un petit clic et un grand pas pour l’humanité.

    GUIGNOL’S ROCK # 2487

    (moi qui suis tout fier de nos 550 livraisons, je me sens pitoyable)

    Brèves News in Strange Times à Lyon du 1er au 15 / 04 / 2022. 

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    Pas besoin de chercher bien loin, après la belle pochette du premier album des Beths de passage le 08 avril au Périscope. N’y vont pas le mouchoir dans la poche et la queue entre les jambes. Je recopie :

    ‘’ Ouch, on se retrouve en pleine période électorale… Non, on ne va pas vous faire l'affront de vous dire pour qui voter, mais quand même on va suggérer pour qui ne pas voter, c'est bien le moins… Et comme d'habitude, on s'intéressera uniquement ici à l'aspect sanitaire (et non aux autres scandales liés au président actuel qui déboulent nombreux et costauds, mais sont passés sous silence par la presse bien muselée). Quitte pour nous à rabâcher un peu sans doute. Et comme d'hab' aussi, si ça ne vous intéresse pas vous pouvez passer aux brèves News Rock un peu plus bas’’

    Attention c’est clair net et précis, Guignol’s Rock, ce ne sont pas des guignols, en fait si, puisqu’ils sont lyonnais et que la marionnette qui passait son temps à bastonner la maréchaussée défendait le point de vue des classes laborieuses,

    Bref ne se contentent pas de se déclarer rebelles. Le genre de proclamation qui ne mange pas de pain, qui tout de suite vous recouvre d’une aura romantique qui plaît aux filles. Une position métaphysique de principe qui trop souvent est un paravent qui vous dédouane de toute participation active… à des actes de rébellion…

    Non chez Guignol’s Rock on saute à pieds joints dans l’actualité. Ne font pas non plus de la politcaillerie de bas étage à la petite semaine. Ce n’est pas la mouche tsé-tsé qui les a piqués, c’est pourtant un truc qui pique et à plusieurs reprises, la médecine miracle qui devait nous débarrasser du Covid. Le fameux vaccin anti-épidémique. Ne sont pas pour, j’ai même l’impression qu’ils sont contre.

    Pour parler de mon cas personnel, comme des milliers d’autres j’ai senti l’embrouille, dès l’annonce du confinement, l’intuition qu’il y avait trop d’argent en jeu… Mais bon chacun prend ses responsabilités, je n’y suis pas allé. Respecte ceux qui ont tendu le bras. Leur souhaite simplement de n’avoir pas eu la même mauvaise idée de ma mère huit jours après l’injonction, elle est morte. Un cas extrême certes, mais il ne faut pas oublier tous les cancers, tous les accidents cardiaques, tous les urticaires géants et autres babioles peu sympathiques qui se développent depuis quelques mois dans le pays. Cherchez l’effet, vous trouverez la cause Aristoteles dixit.

    Jusques là l’histoire se tenait. Mal, mais elle tenait. Brusquement la mascarade s’est aggravée. En plus de la troisième piquouze, notre président chéri a inventé un super truc, le pass vaccinal. Pas de pass, pas de concerts rock, pas de restos, pas de bars. De toutes la manières les concerts assis avec un masque… Bref comme beaucoup j’ai passé tout l’été à manifester…

    Je sens les objections, tous des rockers, des ignares, des brutes, des ignorants, ne savent pas quoi trastéger pour se faire remarquer. Chez Guignol’s Rock, passé le premier moment de répulsion épidémique que chacun se doit de ressentir lorsque l’on attente à sa liberté, z’ont bossé, ne vous contentez pas du numéro 2487, déroulez le site, visitez les livraisons antérieures, un travail de bénédictins, vous avez des renvois à des dizaines d’articles sortis d’un peu partout. Lisez, écoutez, regardez, réfléchissez. Z’ont des arguments, font des recoupements, cherchent la logique qui prévaut à ce phénomène… Sûr qu’il est plus facile de tendre le bras pour filer au bistrot. Pour ma part, sans pass j’ai continué à fréquenter mon bar habituel, la solidarité et la résistance active ça existe aussi.

    Evidemment, derrière le pass et le vaccin, y a toute une politique de coercition qui se met en place, tout doucement, l’air de rien, à croire que l’on ne veut que notre bien. Evitez de vous enferrer dans les pensées bisounours.

    Changeons de sujet. Guignol’s Rock nous invite à signer une pétition. Suivez mes conseils de prudence, n’apposez pas votre paraphe les yeux fermés, là Guignol’s Rock exagère. S’agit ‘’ pour lutter contre les inégalités de taxer les riches’’. Quelle folie, si l’on taxe les riches ils deviendront pauvres. Quelle erreur ! Quelle horreur ! Dénonçons ce blogue de terroristes qui veulent affamer toute une partie de la population. Des barbares ! Veulent retourner à la préhistoire, aux tribus de chasseurs-cueilleurs ! Quelle régression sociale ! Des fous furieux, veulent un peu plus de justice en ce bas-monde. Des anticapitalistes ! On devrait les dénoncer, les marquer au fer rouge, et punition suprême les piquer contre le Covid ! Vous vous rendez compte ils appellent même à une manif antipass et anti-Macron. Incroyable mais vrai, ils osent faire de la politique dans un blog-rock.

    Des gens très bien.  En somme. Ne soyez pas étonnés, après la thèse vous avez eu l’antithèse, nous entrons dans la synthèse.  Un blog-rock se doit de causer de rock. Donc après nous être longtemps attardés sur the politic side, regards sur the rock’n’roll side.

    Z’ont de la chance à Lyon, capitale des Gaules, des concerts tous les soirs, et en plus ils osent avouer qu’ils en ont certainement oubliés dans leur recension… Suit un petit article sur Ganafoul, un groupe mythique des french seventies, remontent sur scène plus de quarante ans après leur dissolution. Vous ignorez tout sur Ganafoul, pas de panique, une vidéo est à votre disposition. C’est le principe, pour pratiquement chaque sujet abordé vous avez votre cadeau, exemple sur le festival Salaise Blues vous en avez trois, ou alors sur Printemps Indie vous cliquez  sur Marché gare en vert et hop vous avez le programme, sautons Jazz à Vienne, vidéo de 28 minutes d’un concert des Foxy Ladies, attention sortie imminente d’une vieille bande de Killdozer sur Simplex Records, vidéo à l’appui.  Vous en avez pour quelques heures d’écoute interactives. Vous avez compris le principe. Textes informatifs et maximum de documents sonores, l’antithèse – la seule richesse du monde c’est capacité différentielle - de nos Chroniques de pourpre. Et plouf, mon œil s’arrête pile sur une vignette que je connais bien, celle dessinée par le Cat Zengler en tête de nos livraisons, avec z’à côté le petit texte suivant : Des news rock, rock'n'roll même, dans CHRONIQUES DE POURPRE 549 : KR'TNT 549 : Jugez plutôt du sommaire, c'est quand même assez éclectique…: ROCKABILLY GENERATION NEWS (Ricky Nelson, Tony Marlow, etc dans Rockabilly Génération #21) / BOBBY GILLESPIE (sur son livre, Tenement Kid) + PRIMAL SCREAM / PROCOL HARUM / ENDLESS BOOGIE / BABY LOVE / BOB DYLAN / GOATGOD / JIM MORRISON + MARIE DESJARDINS… Vous vous demandez de quoi ça cause exactement, allez donc y voir… Longues dissertations, mais le mec a un certain style et des idées claires… 

    Stevie Dixon et ses acolytes aussi…

    Damie Chad.

     

      

    Poème pour mon ami Kr'tnt Kr'tnt Damie Chad.

     

    Happy Rock and Roll

    dans son rocking-chair

    à tomates farcies,

    à croquer, à niquer,

    à croque- niquer,

    chroniquant des chroniques

    chromatiques d'enfer

    diatonique craquante.

    En Davy Crockett croqueur

    croquant les rockers-rockeuses,

    à nous faire bouillir les méninges,

    sans même nous ménager.

    A nous déménager

    le parquet des évidences

    pour une danse endiablée

    avec le destin.

    A casser les cailloux tristes

    des solitudes vaporeuses,

    vidant de leur sang

    les armoires mortes

    de la raison.

    Pour enfin écrire

    en rond-de-cuir,

    perçant le mur du son.

    Mais donnant

    sans compter,

    juste pour

    nous raconter

    des musiques

    en bas nylon,

    aux beaux rouleaux

    redondants rock and roll .

    A vous rouler dedans

    les mécaniques,

    jusqu'à "cheveuluruser"

    la banane flambée

    en taie d'édredon

    de derrière les fagots.

    Pour allumer le feu

    des jeunesses éternelles,

    et brûler les ailes

    des certitudes,

    à piller

    le pape Pillon,

    à pilonner

    le diapason,

    puis rameuter

    le quartier

    des illusions,

    bref à danser

    le Rock and Roll

    en quadruple

    quatre saisons.

    P.G.Y Patrick Geffroy Yorffeg