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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 716: KR'TNT ! 716 : DEE DEE RAMONE / NOTHINGHEADS / SHE & HIM / GARY FARR / CHEAP TRICK / DENNIS COVINGTON / ELVIS PRESLEY / GENE VINCENT + McCARTNEY / CERBERE / MALEMORT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 716

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 12 / 2025

     

    DEE DEE RAMONE / NOTHINGHEADS

    SHE & HIM / GARY FARR / CHEAP TRICK 

    DENNIS COVINGTON / ELVIS PRESLEY

     GENE VINCENT + PAUL McCARTNEY

      CERBERE / MALEMORT

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 716

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Les Ramones la ramènent

    (Part Four)

     

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             Avec les Ramones, c’est un peu comme avec les Beatles : on a du mal à choisir son chouchou. Difficile de préférer John à George. Difficile de préférer Dee Dee à Joey. Mais ça ne nous empêche pas de faire des focus. Les focus ne disent pas une préférence. Ils se contentent de focuser. Comme Joey, Dee Dee a une vie en dehors des Ramones, oh pas grand-chose, mais ses quelques albums et ses deux ou trois books valent le détour.

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             À ceux qui ne l’ont pas encore lu, on recommandera la lecture de Legend Of A Rock Star: The Last Testament Of Dee Dee Ramone. Dee Dee y raconte dans le détail sa dernière tournée européenne, en mars/avril 2001, en trio avec Chase Manhattan (drums) et Chris Black (guitar). Le book s’orne en couve d’une somptueuse photo du Dee Dee torse nu. Il est en parfaite osmose avec le titre de son Testament. Il n’existe rien sur cette terre de plus rock-staric que Dee Dee Ramone.

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             Tous les fans des Ramones voient Dee Dee comme le plus créatif des quatre. Ce book alimente ce mythe. Bon alors attention, Dee Dee Ramone n’est pas un styliste ni un prosateur de haut vol. Il se contente de rester égal à lui-même, c’est-à-dire un outsider sorti de nulle part, qui est arrivé in the right place in the right time, with the right guys. Il ne faut jamais perdre ça de vue. Les Ramones ne pourraient pas apparaître en 2025. Ils ne pouvaient apparaître qu’en 1975. C’est une évidence, qui, comme toutes les évidences, n’a besoin d’aucune explication. Disons qu’au sortir de l’adolescence, on a eu la chance de «vivre» tout ça : Stooges, MC5, Dolls, Velvet et Ramones. C’était la troisième vague, la première étant celle d’Elvis/Jerry Lee/Little Richard/Gene Vincent/Chucky Chuckah/Bo Diddley, la deuxième étant celle des Beatles/Pretty Things/Who/Rolling Stones/Kinks/Beach Boys, et la quatrième sera celle des Pistols/Damned/Buzzcocks. Voilà pour les vagues. Les vagues sont importantes. Elles emportaient tout. On en garde des souvenirs grandioses. Aujourd’hui, elles semblent avoir disparu. Ainsi va la vie.

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             Le Dee Dee book est bien sûr richement illustré. Les photos de Dee Dee pullulent. Les amateurs de bon trash vont se régaler, car Dee Dee donne tous les détails, il s’amuse à faire dérailler son récit, il entre par moments dans le territoire du Conte Rock. Premier exemple avec cet échange entre Chris Black et lui. Ça se déroule dans l’hall de l’aéroport de Los Angeles. Chris mâche son chewing-gum et Dee Dee lui demande d’arrêter de mâcher comme un dingue, how about giving me a break, mais l’autre ne comprend pas, what do you mean a break Dee Dee?, alors Dee Dee est obligé de lui expliquer qu’il ne supporte plus le gum chewing et il s’enfonce dans le détail de son exaspération, your jaw is going a million miles a minute, il lui demande de jeter son chewing gum, get rid of the gum, all right?, alors l’autre lui dit qu’il vient d’arrêter de fumer qu’il chewe son gum, God! Damn! It! I’m doing this for the band. La scène se déroule juste avant d’embarquer dans l’avion à destination de l’Europe. Dee Dee remet les choses au point avec les deux autres : «I don’t like smart alecks. I hate gum chewing. It makes me dislike young people.»

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             Et c’est parti. Sur scène à Londres, il sniffe des lignes de coke entre deux cuts, feignant des problèmes techniques and walking backstage for a second. Sur scène, il joue des Ramones songs, plus le «Motorbikin’» de Chris Spedding et deux ou trois bricoles comme «Do You Love Me», «The Locomotion» et «Mr. Postman». Il décrit soigneusement les backstages, raconte qu’ils sifflent 44 canettes de bière à eux trois, qu’ils baisent des groupies, qu’ils laissent les murs couverts de bodily fluids, il rappelle que tous sont mariés ou dans des relations durables, mais ajoute-t-il avec un sourire en coin, il n’y a pas de mal à accepter un blow job once in a while and that’s not cheating for the guy. Et tout le monde fume de l’herbe là-dedans, and we could hardly see or breath anymore. Les scènes qu’il décrit sont marrantes. On sent que Dee Dee se régale à décrire le trash des backstages. Les petites gonzesses qui entrent dans les loges viennent clairement pour se faire baiser.

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             Ah ! Et les hôtels ! Encore un moment d’anthologie. Il décrit l’Hôtel Durante à Milan - The place litteraly stinks like cat piss - Les toilettes sont dans le couloir. Dee Dee va jeter un coup d’œil à la bathroom, et en ouvrant la porte, il tombe sur un «angry, centipede fiercely coiling in a corner, giving me a don’t-give-me-any-shit attitude on the garbage-covered floor.» Et c’est pas fini ! Il lève la tête et il voit au plafond des toiles d’araignées «with lethal-looking black widow spider calmly hanging down from them, giving me looks of death.» Bienvenue dans le punk fairy world of Dee Dee Ramones. Son récit déraille délicieusement, il crée un monde à partir de rien et ce sont ces gens-là qu’on aime bien.

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             On retrouve le chaos sur scène, ça dégénère assez souvent et pour ne pas se faire casser la gueule, ils doivent se barrer de toute urgence and throw ourselves into the van. Dee Dee claque la porte violemment et crack, il coupe les doigts d’un fan qui lui tendait un papelard pour avoir un autographe, alors le road manager Minna passe la première et fonce, et bam, il percute un fan «holding the first Ramones album in his mitts, probably killing him on the spot», et Dee Dee d’ajouter, goguenard et un brin fataliste : «I don’t know for sure (si l’autre est mort), but the one that got his fingers cut off looked a mess, shouting in pain and blood spraying from the amputated stumps.» On dirait les paroles d’un hit des Ramones, one two three four ! And blood spraying from the amputated stumps !

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             Un autre plan backstage : Dee Dee cause avec un angry Swiss psycho qui affirme que «Punk rock started in Ireland», ce qui fout Dee Dee en rogne. Wott? rétorque Dee Dee. Et il met les points sur les zi : «The fucking Ramones started punk rock music in New York, right?». Le Swiss psycho lui répond : «My favorite group is the Angelic Upstarts», alors Dee Dee attrape une chaise et lui fracasse la gueule, «over the head three or four times», puis il l’attrape par le pied et le traîne dans la rue pour le finir à coups de pompes, «then I dragged this poor, half-dead person and left him bleeding on a cow pile.» Dee Dee écrit tout simplement un punk book.

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             En Allemagne, il a un autre échange tumultueux avec un certain Herman qui ose dire à Dee Dee qu’il hait le punk : «We’re not punk, I hate punk, we’re rock and roll», alors Dee Dee se fout en pétard, il se met à hurler : «Aren’t the Ramones punk? Aren’t I the king of punk?» Et l’autre lui répond que les Ramones «are scheiss. I hate them.» Dee Dee sort de ses gonds, «What? You hate the Ramones?», et l’Herman en rajoute une couche, «And I hate punk. And I hate all Americans.» Dee Dee tombe des nues : «But America gave the world rock and roll music.»

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             Et voilà les frontières. Ils doivent aller jouer à Oslo. Les flicards norvégiens leur demandent de se garer pour une fouille. Ça caille. À poil ! Dee Dee repère un queer cop avec un gant en caoutchouc. Baissez vos frocs ! Quoi ? Le queer cop va leur mettre le doigt dans le cul ? No way ! Alors Dee Dee cogne l’un des flicards, lui pique son flingue et descend les autres. Le groupe les finit à coups de pompes - There was blood and guts all over the snow - Ils planquent les corps et se barrent. Punk book. Enfin un contrôle de frontière marrant ! Ne manque que Nico.

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             Dee Dee sent qu’il commence à fatiguer. Il ne veut plus faire ce genre de tournée. Il ne veut plus jamais revenir en Allemagne de l’Est. Et pourtant, c’est là qu’il a grandi - I used to feel sentimental about Germany. I grew up here. My mother is German. Maybe I don’t fit in, in Germany. That’s not my fault - Et sur la page d’en face, il se confie : «I’m not a punk, skin, Nazi, or snob. I’m defiant. I’m angry. You made me that way. So fuck you all. Yes, I’ll want my turn in line.» Et plus loin, il chute ainsi : «What I had to end up becoming in an American fucking outlaw. So burn, Germany, burn. I’ll light the fire.»

             Et quand les concerts dégénèrent un peu trop, Dee Dee se dit qu’il est grand temps d’arrêter les frais - After the set was over, things spilled out on the street. The police had to come, and an ambulance. The only way that I can protect myself against all this is to stay home where it’s safe, and to get out of the music business while I’m still in one piece. Classique.

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             Dee Dee décrit les toilettes du Club Atlantik, à Fribourg, en Allemagne. Pas de portes aux gogues et un canard pop allemand, Bravo, pour se torcher - Rip out a page and wipe your asshole with it. Ouch! - En plus, ce sont des toilettes turques et tout le monde a la diarrhée. Punk book. Dee Dee décrit une scène qui détend une atmosphère bien chargée (smelly farts, bad hotels and riding in the van) : comme il n’y a pas de porte, tout le monde voit Robert en train de chier. Il attrape un numéro de Bravo et tombe sur un pinup poster de Britney Spears, et plutôt que de se torcher le cul avec, il se branle dessus, «then masturbating his hard-on and then shooting a load all over her pouting face.» Dee Dee est encore pire que Michel Houellebecq.

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             On approche de la fin et Dee Dee raconte qu’il écrit ce texte le 4 juillet, Independance Day, 2001 - I can still sort of remember playing the Round House in London twenty-five years ago on July 4, 1976. Wow.

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             Il va finir sur l’épisode du Music Hall Of Fame où sont invités les trois Ramones survivants. Pour lui c’est important, car cette consécration indique que les Ramones «will hold a legendary position in musical history, right there after the Beatles.» Et voilà comment on boucle la boucle.

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             Pourquoi Zonked! est un big album ? Parce que Daniel Rey le produit et l’enlumine avec son jeu Johnny-Tunderien. C’est clair dès «Fix Yourself Up». Tu crois entendre ce vieux héros de Johnny T. Joey ramone sa fraise sur «I Am Seing UFOs», te voilà en plein dans le son des Dolls et des Ramones. «Get Off Of The Scene» est encore bien Dollsy. Daniel Rey est un fabuleux entremetteur. On monte encore d’un cran dans le mythical avec «Bad Horoscope» puisque Lux chante. Il tranche dans le vif. Il te propulse droit au cœur du mythe. «It’s So Bizarre» voudrait bien sonner comme un hit, le Dee Dee y va au what can I do ah ah ah-ah et on savoure son génie pop. Barbara chante deux cuts, «Get Out Of My Room» et «My Chico,» et on se régale une dernière fois avec le départ en vrille de wah que place Daniel Ray à la fin de «Victim Of Society».

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             Chris Spedding produit et joue sur Greatest & Latest. Dee Dee ne se casse pas la nénette, il tape dans la Ramona, donc pas de surprise. T’as Barbara on bass et Chase Manhattan au beurre. Ça joue sec. On assiste à une belle descente au barbu avec «Time’s Bomb», et avec «Sheena Is A Punk Rocker», ils passent au big time out, au punk de wild-as-fuck, ça taille salement la route ! Puis ils tapent une cover du «Motorbikin’» de Sped, c’est rondement mené, avec le Sped en concasse sur la fin. On a encore du pur jus de Ramona avec «Cretin Hop», mais c’est joué à la Sped, sans égards pour les canards boiteux. Belle cover du «Shakin’ All Over» de Johnny Kidd, le Sped veille au grain et ramène son expertise du rock anglais dans la Ramona, et avec Dee Dee, ça fait tilt. Ils tombent en  plein dans les Dolls avec «Fix Yourself Up». Sped s’en donne à cœur joie, il attaque à la Johnny T sur ce fast boogie. Le «Beat On The Brat» sans Joey sonne bizarrement, mais ça tient bon. Et le coup de génie arrive en fin de route avec la version instru de «Sidewalk Surfin’», le Sped gratte des poux magiques, il ramifie ses notes à l’ongle sec, il joue gras et futuriste, il flamboie de tous ses feux et gratte à la pure jouissive acidulée. 

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             C’est encore Sped qui produit Hop Around. Il y gratte aussi ses poux. Il gratte à la cisaille extrême. Quant à Dee Dee, il ne lâche pas sa formule : one two three four ! Il fait de l’heavy Ramona. «Get Out Of This House» sonne comme un coup de génie, itou pour «38th & 8th», chargé d’une riffalama énorme. Le Sped is on fire ! Barbara bouffe le morceau titre tout cru. On sent bien l’insistance du Sped dans «What About Me». Fantastique clameur ! Dee Dee bricole encore une weird tale avec «I Saw A Skull Instead Of My Face». C’est un créatif ! Sped te sature «I Wanna You» de disto et on revient au mythe avec la dégelée de «Chinese Rocks». Dee Dee on the rocks ! Sa compo ! Il chante comme Johnny Thunders. Barbara bouffe tout cru l’hard groove d’«Hurtin’ Kind» et Dee Dee incarne bien sa légende avec «I’m Horrible». Quel album !

    Signé : Cazengler, Ramone encore sa fraise

    Dee Dee Ramone. Zonked! Other Peoples Music 1997

    Dee Dee Ramone. Greatest & Latest. Conspiracy Music 2000

    Dee Dee Ramone. Hop Around. Other Peoples Music 2000

    Dee Dee Ramone. Legend Of A Rock Star: The Last Testament Of Dee Dee Ramone. Thunder’s Mouth Press 2002

     

     

    L’avenir du rock

     - Nothing(heads) to lose

     

             Bernard Pavot se tourne vers son invité :

             — Quel est le mot qui vous inspire le plus, avenir du rock ?

             L’avenir du rock fait semblant de réfléchir. Il fronce bien les sourcils et prend son air le plus con.

             — Laisse-moi gamberger un moment, mon Nanard.

             Il laisse encore passer une minute et lâche dans un soupir :

             — Ah tu m’as posé une colle, espèce de bâtard !

             Le silence s’installe. Les minutes s’écoulent. Bernard Pavot se tourne vers la caméra :

             — Pendant que notre invité réfléchit, nous allons diffuser une page de publicité. C’est à vous Cognacq-Jay !

             Dix minutes plus tard, le direct revient. Avec un grand sourire compatissant, Bernard Pavot relance son invité :

             — Alors, avenir du rock, allez-vous nous livrer le résultat de vos cogitations ? Nos téléspectatrices et nos téléspectateurs brûlent d’impatience de le connaître...

             — Nothing !

             — Vous n’allez quand même pas nous laisser en plan ?

             — Nothing ! Que dalle ! T’es bouché ou quoi, Nanard ?

             — Mais ça n’est pas possible, avenir du rock, vous qui êtes d’ordinaire si fécond, si prolixe... Vous qui êtes un tel puits de connaissances, un oracle insondable !

             — Nothing ! T’as les portugaises ensablées ? T’auras des coton-tiges pour ton Noël, mon Nanard !

             — Voyons, faites un effort, avenir du rock, vous êtes en direct devant des millions de téléspectatrices et de téléspectateurs...

             — Bon d’accord, c’est bien parce que c’est toi. Nothingheads !

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             — C’est tout ?

             — C’est déjà pas mal.

     

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             Tu vois les Nothingheads sur scène et t’en penses quoi ? Le plus grand bien. Pourquoi ? Parce qu’ils ont un sens aigu des montées en température et des shoots d’adrénaline. Leur set est un festin de son, un gros champ de bouillasse sonique que laboure en profondeur le petit mec du fond sur sa basse Burns. Ça faisait une

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    éternité que t’avais pas entendu gronder une basse Burns sur scène. Ces quatre Londoniens ont tout bon. On les catalogue ‘post-punk’, mais ça n’a rien à voir avec la Post. Ils se réclameraient plutôt du défenestratif, de l’onslaught, du rentre-dedans de revienzy, du so far-out de no-way out. Leur sens aigu du ramdam rappelle celui du Part Chimp de Tim Cedar.  

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             Au merch, tu ramasses Strongroom, leur petit bootleg live. Logiquement, il devrait te restituer l’ambiance explosive du concert. Dès «Down The Doomhole», ils labourent leur champ à coups de basse Burns. Ces mecs ont de la rémona plein les

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    pognes. La basse Burns creuse bien les sillons. Premier coup de génie avec «Lipstick». Quelle violence ! Et ils développent cette violence. C’est explosif. Tous leurs cuts vont osciller entre les Stooges et le Basement Five. Avec «Bean Engine», le bassman embarque la purée au paradis du no way out. Ils font du punch in the face en permanence. Soit ils labourent leur champ, soit ils le bombardent. Ils ne savent rien faire d’autre. Leur «Cabaret» file bien sous le vent et pouf, voilà un «Rat» bien dévastateur, monté sur un riff downhomy très Basement Five, ils sont même en plein dedans. Ils tapent dans cette fabuleuse esthétique du dark beat jadis initiée par Basement Five avec «Last White Christmas». Les Nothingheads deviennent très angulaires avec «Repeat Under The Lens», mais ça reste sans concession, joué à la vie à la mort. Et puis voilà «Salt», qui ne traîne pas en chemin, et la basse Burns retourne tout ça vite fait. T’as des échos de stoogerie dans «Blind Spot», ça destroy-oh-boy, il essaye d’élever le débat, mais la Burns bruine tout, on entend les accords de Wanna Be Your Dog, et ça se termine en explosion nucléaire où les Stooges se mélangent au Basement Five. Sur «Crumbs», le riff de basse renvoie aux Cramps, c’est encore du pur Basement Five, mais avec le swagger des Cramps, t’as vraiment cette combinaison de folies pures. Attaque frontale de la basse Burns sur «Diggins», et il chante au sang-froid explosif. Et ça se termine avec un «Private Pyle» bien dévoré du foie et explosé à chaque instant. Le plus drôle c’est qu’on n’entend pas les deux grattes sur le bootleg live, la basse Burns bouffe tout le son. Du coup, ça donne aux Nothingheads un allure encore plus sauvage. Tout prend feu sur ce bootleg live, c’est explosif de bout en bout. Il faudrait presque inventer des mots pour décrire tout ce bordel. 

    Signé : Cazengler, Nothing tout court

    Nothingheads. Le Trois Pièces. Rouen (76). 24 novembre 2025

    Nothingheads. Strongroom. Live Bootleg

    Concert Braincrushing

     

     

    Wizards & True Stars

     - Third World Ward

     (Part Two)

     

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             Suite des aventures d’M Ward avec le duo She & Him. Elle s’appelle Zooey Deschanel, et bien sûr, elle est très belle. Alors forcément, on s’attend au pire du meilleur, vu qu’M Ward est un surdoué. La meilleure façon de se conforter dans cette idée est d’aller écouter Melt Away: A Tribute To Brian Wilson. Ils en font un

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    carnage divin. Carnage car hors normes, et divin car encore plus hors normes. Ils attaquent avec «Darlin’» (Zooey arrive dans cette merveille avec une voix irréelle de beauté grasse). T’as Joey Sampinato d’NRBQ on bass. Et ça continue avec «Wouldn’t It Be Nice», c’est encore elle qui attaque cette merveille intemporelle au sucre de rêve. Elle traîne sa traînée, t’es au firmament de la pop, tout est parfait, on se croirait chez Des Esseintes. On entend bien sûr M gratter ses poux derrière, et ça vaut tout l’or du Rhin. On les attend au virage avec «Deirdre». C’est encore elle ! M gratte du jazz derrière. Et ça monte au ciel, ils duettent comme des coqs en pâte. Ils embarquent «Don’t Talk (Put Your Head On My Shoulder)» dans l’éther et elle arrive avec un sucre ferme. Zooey est infernalement juste et M déroule le tapis de velours du don’t talk. Dans une vie, on entend rarement des duos aussi brillants. Cet album est génial. On retrouve la pureté d’intention du duo dans «Don’t Worry Baby», M l’attaque au doux du menton et ça s’élève vers le ciel. Tu retrouves toutes les dynamiques des Beach Boys dans «This Whole World», les aouh dab dee lee lee, comme dans «Do It Again». Puisqu’on parle du loup, le voilà ! «Do it Again», dee dee dee lee. Le grand saut ! M est un crack ! And the beach was the place to go. M et Zooey le chargent à outrance, t’as même Brian Wilson derrière dans les da da lee lee lee, ça se noie dans le bonheur de l’endless summer, tap ta loo wahhhh ! Rien n’a jamais autant swingué sur cette terre que ce cut là, tap ta loo wahhhhhh !

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             Zooey et M tentent le diable sur Volume One avec «Sweet Darlin’» : ils recréent le Wall of Sound de Totor. Tout le bazar est là, intact, comme chez les Courettes, c’mon, ils tapent en plein dans le génie Totoric. Et Zooey fait sa Ronette dans «I Was Made For You», elle a exactement le même sucre que celui de Ronnie, et M a le son, il gratte une espèce d’heavy surf craze derrière Zooey. Autre coup de génie : la cover du «Should Have Known Better» des Beatles, mais ils tapent ça en mode country, and I doooo - Admirable ! - When I ask you to be mine - C’est M qui murmure ça dans la chaleur du sexe intense. L’idée de passer la Beatlemania en mode country est en soi géniale. Et c’est pas fini ! T’as encore deux coups de génie : «Why Do You Let Me Stay Here» (son fouillé, elle swingue son back-up des hanches, et ça devient sérieux, car M te monte ça en neige) et «This Is Not A Test», dont la qualité t’assomme littéralement. Zooey chante ça à fond de train et M fait les chœurs. Quelle puissance ils développent tous les deux ! Ils tapent une cover désossée du «Really Got A Hold On Me» de Smokey. C’est marrant et ça reste underground. Tous ces cuts ruissellent de power et de lumière, elle chante avec une indéniable grandeur tutélaire. T’es frappé de plein fouet par l’éclat de cette qualité artistique. Et donc tu sautes sur les Volumes suivants.

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             Volume Two est un hommage à la grande pop du Brill. Dès «Thieves», tu sens le souffle. Zooey compose de sacrés hits et M les produit. Pure magie pop avec cette voix éclatante, Zooey est déchirante de pureté évangélique. Elle tortille encore une pop de Brill dans «In The Sun», des chœurs somptueux la stimulent, we’re alright/ It’s okay, M s’y joint, et ça part dans l’extrême brillance du Brill avec une gratte qui fout le feu à Broadway, il pleut de la poudre de perlimpinpin  et t’as un final historique en guise de cerise sur le gâtö. Encore un hit immémoriel avec «Don’t Look Back». S’ils font une cover, ce sera celle du «Ridin’ In My Car» d’NRBQ. M adore NRBQ. Quand ils font de la country avec «Lingering Still», M en profite pour sonner comme James Burton. Encore une pure merveille d’you’ve got to be kind to yourself avec «Me & You» : intensité paradisiaque et guitare Hawaï. Dans «Home», M éclaire la baraque à coups d’interventions insensées et Zooey y va à coups d’I like the way you smile. C’est de si bonne guerre. Encore de la très grande pop avec «Over It Over Again». C’est d’une fraîcheur de ton qui te réchauffe le cœur. 

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             Encore un passage obligé avec Volume 3. On se croirait sur un album produit par Totor. La preuve ? «I’ve Got Your Number Son». Même ampleur, même ambition. Pur génie productiviste. Encore un coup de prod magistral avec «I Could’ve Been Your Girl», car tapé au tatapoum, avec en filigrane les trames de dingue d’M. Et ça atteint des sommets productivistes avec la cover du «Sunday Girl» de Blondie. T’as là une version ultra-dynamique, M fout le paquet avec sa cocote new-yorkaise. Et puis voilà les coups de génie : ça pullule. Zooey t’explose le souvenir des Supremes et de Motown avec «Never Wanted Your Love». Elle a tout pigé, elle tape directement dans la pop de rang princier, t’as du son partout. C’est le genre d’hit qui te chatouille l’intellect. Et ça explose encore avec «Baby», my little baby ! Magie pop des sixties. Elle tape encore dans l’œil du cyclone avec «Somebody Sweet To Talk To». Elle est explosive, elle t’éclate le Sénégal à coup d’I want you ! Elle se lance chaque fois à l’assaut du firmament et elle en a les moyens, la coquine ! Elle compose, chante et s’adjoint les services d’M le crack. Encore un cut de pop lumineuse avec «Hold Me Thrill Me Kiss Me». Elle est la Deschanel du paradis.

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             Comme Totor avant eux, Zooey et M enregistrent leur Christmas album : A Very She & Him Christmas. C’est un album très impressionnant. Elle attaque «The Christmas Waltz» au sucre de cristal. Voilà pourquoi M la veut : pour ce sucre. Il gratte ensuite des poux d’Hawaï dans «Christmas Day» et en fait un hit de fête foraine à la Brian Wilson. Et l’enchantement se poursuit avec «Have Yourself A Merry Little Christmas». L’M gratte les poux du paradis sur sa belle gratte. Il est l’artiste par excellence. On glisse fatalement vers le coup de génie avec «I’ll Be Home For Christmas», oui car ici, l’M renoue avec le génie productiviste de Totor. Ça bascule pour de vrai. Puis dans «Sleigh Ride», il claque un wild solo country. Plus loin, ils duettent comme des dingues dans «Baby It’s Cold Outside», et ça donne une merveille absolue. Ils ne sont pas les premiers à duetter cette antiquité : des tas de gens s’y sont frottés, dont Rod The Mod, James Taylor, Taj Mahal et les Boys sur leur Christmas album. Et pour finir, l’M gratte ses poux magiques derrière «The Christmas Song», et elle chante Christmas avec un chaleur qui te fait fondre comme beurre en broche. 

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             En 2016, ils retentent le diable du Christmas album avec Christmas Party. Grand bien leur fasse, car on retrouve cette version extrêmement musclée d’«All I Want For Chritmas Is You» qu’elle attaque à la clameur de la chandeleur. Fantastique Zooey ! Elle n’est pas loin du gospel, mais un gospel rockalama avec un beat solide et un solo de sax baryton. Ils font littéralement du Totor Sound ! T’as ensuite un «Let It Snow» bardé de son et derrière l’inexorable Zooey, t’as l’M qui gratte des notes liquides. Tout est stupéfiant de pureté, sur cet album. Encore un exemple avec «Mele Kalikimaka», c’est tellement pur qu’il faut rester concentré pour écouter ça, M gratte des notes en forme de boules de noël. Zooey transforme «Christmas Memories» en groove de jazz magique et tout bascule dans le rockalama des Beach Boys avec «Run Run Rudolph», oooouh la la la, merry go round ! M injecte dans son Rudolph tout le power des Beach Boys. «Winter Wonderland» est plus classique, mais chargé de pedal steel et de big voice à ras bord. Zooey is on fire ! Ils tapent ensuite dans le gros classique de Mann & Weil, «The Coldest Night Of The Year», belle pop de Brill, ils y vont au baby it’s cold out there, ils duettent à la vie à la mort. Ils te swinguent «A Marshmallow World» vite fait et M te gratte ça au jazz. Idem sur «The Man With The Bag», c’est jazzé jusqu’à l’oss de l’ass. Tu croises rarement un swing de jazz aussi pur. M se tape son petit quart d’heure Wes Montgomery. Ça te permet de le situer.

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             Comme tous les gens doués, ils proposent un album de covers triées sur le volet : Classics. Alors attention, c’est du sérieux. T’as du Burt avec «This Girl’s In Love With You» (plongée dans le rêve car c’est battu jazz, ça swingue au I need your love, t’as le slap, la trompette, et les accords gloutons d’M). T’as du Goffin & King avec «Oh No Not My Baby», repris par tous les cracks, d’Aretha à Rod The Mod, en passant par Maxine Brown, Merry Clayton et Dusty chérie (Zooey te fait rôtir cette merveille en enfer, elle se jette toute entière ans l’oh no not my baby, c’est tordu de bonheur intense). T’as le vieux «We’ll Meet Again» qu’avait repris Cash sur The Man Comes Around - We’ll meet again/ Some sunny day - T’as quelques duos d’enfer, notamment «Stars Fell On Alabama», un jazz standard de 1934, et «Would You Like To Take A Walk», où M chante d’une voix très rauque. Il faut aussi entendre M gratter «It’s Always You» aux accords de sucre d’orge. Zooey fais un carton avec «It’s Not For Me To Say», un groove de jazz, et ça passe, car elle est puissante, chaude et avenante. M se tape «She» tout seul, histoire d’ajouter une Beautiful Song à son collier de perles, enfin bref, on l’aura compris, cet album est un passage obligé pour qui en pince pour les grandes chansons, les grands interprètes et la grande prod. 

    Signé : Cazengler, M Whore

    She & Him. Volume One. Merge Records 2008 

    She & Him. Volume Two. Merge Records 2010  

    She & Him. A Very She & Him Christmas. Merge Records 2011 

    She & Him. Volume 3. Merge Records 2013   

    She & Him. Classics. Columbia 2014   

    She & Him. Christmas Party. Columbia 2016   

    She & Him. Melt Away: A Tribute To Brian Wilson. Fantasy 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - So Farr out

             Avec Gorifor, tout fonctionnait sur le mode télépathique. Il suffisait d’échanger un regard pour prendre une décision. Pas besoin de discutailler. Exemple : nous voilà tous les deux dans un concert parisien de Lee Fields et ça tourne en mode participatif au bout de quatre cuts : le vieux Lee fait chanter la salle. Il se croit dans une église en bois. C’est laborieux et ça pète les reins du show. On échange un regard avec Gorifor et hop, on sort de là vite fait. On déteste les kermesses. On file vers un bar siffler quelques verres de pinard. On a vécu ce genre de mésaventure plusieurs fois. Quand c’est pas bon, c’est pas bon. Pas besoin de demander : «t’en penses quoi ?» Ça marchait aussi très bien dans l’autre sens, notamment avec les groupes de rockab. C’était peut-être notre «genre» préféré, au moins autant sinon plus que le garage. On faisait ce qu’il fallait pour s’en goinfrer, et pour ça, rien de mieux que les festivals de rockab. Gorifor avait épluché les programmes et il savait ce qui était bon et ce qui ne l’était pas. Et il ne se trompait jamais. Il était infaillible. Quand le groupe était vraiment bon, on restait jusqu’au bout. Lorsqu’un groupe se livrait à ce qu’on appelait le «rockab professoral», on décrochait d’un commun accord télépathique. On traînait pas mal ensemble chez les disquaires, il avait son réseau, pareil, il savait trier le bon grain de l’ivraie. On glosait pas mal sur le thème des bacs qui «avaient du jus». Ces bacs se raréfiaient. On remarquait souvent que d’une année sur l’autre, certains bacs ne «bougeaient pas». On les appelait «les bacs de la mort lente». On conseillait au disquaire d’aller s’acheter une corde pour se pendre au fond de son jardin. «T’es déjà mort, de toute façon.» Et comme on traînait dans les bars après les concerts, il est arrivé qu’on fasse des touches sans vraiment le vouloir. Exemple, un soir une belle gonzesse d’âge mur nous invite tous les deux chez elle à siffler des mojitos, alors on y est allés. On a sifflé les mojitos. On sentait qu’elle était du cul. On lui quand même posé la question fatale : «Qui de nous deux veux-tu baiser ?», et elle a répondu : «Les deux.» Alors elle a eu droit cette nuit-là à sa première séance de baise télépathique.

     

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             Pendant que Gorifor nous hante les dédales de la mémoire, Gary Farr hante les corridors de la légende, ce qui revient à peu près au même.

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             On ne pouvait pas résister au charme des pochettes de Gary Farr. Surtout celle de Take Something With You, qui nous le montre cadré serré. Le beau Gary est fils d’un boxeur gallois. Il tape un début de carrière avec les T-Bones et leur impressario Giorgio Gomelski les fait jouer en 1964 dans son Crawdaddy Club, en même temps que les Yardbirds et les Rolling Stones.

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    Barry Jenkins

             Meic Stevens raconte que Giorgio Gomelski avait loué en 1967 une baraque à Holmead Road, en face du Chelsea football club, pour y héberger des musiciens. Meic pouvait y loger à l’œil. Les autres locataires étaient Gary Farr, les Blossom Toes, Barry Jenkins des Animals, Shawn Phillips, des membres de The Action et de Blue Cheer - They were an interesting crowd.

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             Impossible de résister à l’envie d’écouter Gary Farr & The T-Bones. Giorgio Gomelski produit One More Chance, un excellent album. On est tout de suite frappé par le son mystérieux d’«How Many More Times». Bel écho. Gary Farr chante au doux du doux. Les cuts suivants sont très classiques, mais avec un son bien rond. Il faut attendre «Don’t Stop & Stare» pour frémir à nouveau. Gary Farr sait poser sa voix. En B, ils rendent un vibrant hommage à Bo Diddley avec «You Don’t Love Me» et «Dearest Darling». C’est vraiment bien senti. Dans ses liners, John Platt rappelle que 500 groupes hantaient le «club circuit» en 1964. Certains ont connu la gloire et la fortune - il cite les Yardbirds, les Stones, les Pretties et les Animals - et d’autres qui étaient aussi talentueux ont sombré dans l’oubli, comme les T-Bones. 

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             C’est en 1967 que le beau Gary opte pour une carrière solo. Il est accompagné par The Action. Gomelski s’occupe toujours de lui et le fait entrer en studio, avec des tas de gens intéressants : des membres de The Action qui sont devenus Mighty Baby, des Blossom Toes et de Spooky Tooth, pardonnez du peu.

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             Take Something With You est un album remarquable, produit par Reggie King. Au dos, on voit que les Mighty Baby accompagnent le beau Gary. Et on tombe aussitôt sous le charme de  «Don’t Know Why You Bother Child», une pop folky sensible à l’extrême, digne de Geno et de Fred Neil, avec Meic Stevens on guitar. Puis Martin Stone joue sur «The Vicar & The Pope», c’est dire si le beau Gary est bien entouré. C’est encore un cut très fin et très produit. On retrouve la flûte des Mighty Baby dans «Green», et puis Meic Stevens refait des merveilles sur le morceau titre qui vient boucler le balda. Encore un hit en B avec «Time Machine». Oh l’incroyable qualité du balladif ! Du pur Fred Neil ! C’est fabuleusement insistant avec le Meic dans le son. Puis Martin Stone groove le «Curtain Of Sleep» à sa façon, c’est-à-dire magnifique. La red Sunbeam propose deux faces de démos. Le beau Gary y chante à l’éplorée congénitale et renoue avec la magie mélodique dans «Images Of Passing Clouds». Là oui, big Gary so Farr out ! Toutes ces démos sont extrêmement paisibles. Encore une merveille avec «Pondering Too Long», cut lumineux et sourd. Le gratté de poux du beau Gary rivalise de délicatesse préraphaélite avec celui de Fred Neil. En D, on retrouve une démo de cette merveille tentaculaire qu’est «Don’t Know Why You Bother Child», elle est gorgée de lumière et de douceur. Et puis avec «In The Mud», le beau Gary tape en plein dans le mille de Nick Drake.

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             Mais quand Take Something With You sort sur Marmalade, le label est à l’agonie et Gomelski part s’installer en France. Le beau Gary a la poisse. Son deuxième album Strange Fruit va connaître le même sort que le premier : il va passer à l’as. Dommage, car c’est un merveilleux album glissé dans une merveilleuse pochette. Gary pose en famille avec sa gueule de rockstar, sa veste à franges et sa douze. Tu frémis sec dès «In The Mud», un folky folkah d’attaque frontale. Il gratte sa douze. Alors on s’installe pour guetter les miracles. Gary Farr est tellement so Farr out qu’il charge bien sa barcasse. Il passe au country boogie-down dylanesque avec «Old Man Boulder». Il refait le Maggie’s Farm No More à sa façon. Il tape ensuite le «Strange Fuit» de Billie Holiday et là, tu t’inclines respectueusement. Il revient au Dylanex avec «Margie». Comme c’est bon, aw Margie/ Sweet Margie, il y va au nothing to lose. Il a encore Mighty Baby derrière lui, ça s’entend sans «Revolution Of The Season». Et puis voilà «About This Time Of Year» qui sonne comme un hit universel. Puisant et beau, gorgé de son, c’est d’une rare puissance visionnaire. C’est tout de même dingue que Gary Farr n’ait pas explosé. Il atteint des hauteurs dylanesques à coups de good morning sun. Sa douze donne bien dans «Down Among The Dead Men», il sonne comme un Richie Havens blanc, il s’embrase, il te gratte ça à la sévère. Ses balladifs sont d’une classe tellement supérieure, «Proverbs Of Heaven & Hell» préfigure Nikki Sudden et tous les dandys du rock anglais. Back to the old boogie-down de Mighty Baby avec «Old Man Moses». Mais cette fois, il trempe dans la Stonesy. On se croirait sur Exile. Le so Farr Out est à toute épreuve. Il boucle avec un magnifique balladif, «Sweet Angelina». Il sait se montrer fascinant, il sonne comme une superstar, mais avec de l’émotion, il est partout dans le singalong. Magnifique artiste ! C’est de la très haute voltige. Qu’on se le dise. 

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             Comme ça ne marche pas en Angleterre, il décide d’aller s’installer aux États-Unis. Il signe sur Atlantic et enregistre Adressed To The Censors Of Love à Muscle Shoals. Jerry Wexler produit l’album. Décidément, Gary Farr collectionne les producteurs de renom. L’album vaut le détour pour trois raisons. Un, «Breakout Boo-Ga-Loo». Toute la bande de Muscle Shoals est là : Barry Beckett, David Hood, Roger Hawkins, il n’en manque pas un seul. Deux, «John Birch Blues», big heavy boogie down. Il faut dire que Gary Farr a un backing de rêve. Trois, «Rhythm King», très dylanesque. Par contre, sa version d’«I’m A King Bee» ne vaut pas celle des Stones de Brian Jones. Avec «Mexican Sun», il tape un balladif mexicain légèrement bronzé et ramène des trompettes mariachi. Le balladif domine largement sur cet album. Gary Farr est un être doux et paisible.

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             Puis il va disparaître des radars. Il va connaître un dernier spasme carriérique en 1980 avec un groupe nommé Lion et un album, Running All Night. Il propose une pop rock énergétique, avec des hauts et des bas. Il multiplie les tentatives d’envol vers le ciel. Il s’en donne les moyens : voix, son. Ça aurait pu marcher, mais ça ne marche pas. L’album se noie dans la masse des albums très moyens. Avec «Running All Night With The Lion»,  il tente le coup du big American rock à la cloche de bois : grosse énergie et grosse cocote des deux guitaristes, mais ça ne prend pas. C’est «Helpless» en ouverture de bal de B qui sauve l’album. Grosse compo. Gary Farr la tire en longueur et la relance au help help helpless, épaulé par des petits poux funky, et là ça marche. Puis il va couler le reste de l’album avec des tentatives de rock symphonique. Dommage.

    Signé : Cazengler, far breton

    Gary Farr & The T-Bones. One More Chance. Decal 1987

    Gary Farr. Take Something With You. Sunbeam Records 2008

    Gary Farr. Strange Fruit. CBS 1970            

    Gary Farr. Adressed To The Censors Of Love. ATCO Records 1973                   

    Lion. Running All Night. A&M Records 1980

     

     

    L’avenir du rock

     - Les chic types de Cheap Trick

     (Part One)

     

             Boule et Bill se marrent d’avance. Ils savent que l’avenir du rock va les brancher sur Cheap Trick, alors ils se préparent à tout.

             — Quesse tu vas encore nous sortir comme chic truc de choc, avenir du troc ?

             — C’est pas très cheac de ta part, Boule.

             — On te voit venir avec tes chips et ta trique, avenir du trac !

             — Là tu cheap dans la colle, Bill !

             — C’est marrant, tu trouves toujours des petites combines à pas cher pour t’en sortir, avenir du froc !

             — Tu cheapotes, Boule de cheat !

             — Ah cette fois, c’est toi qui deviens insultant. Nous, on prend tes conneries à la rigolade et toi tu montes sur tes grands chevaux... T’es vraiment pas un Cheac type !

             — C’était une cheacknaude, Bill, faut pas te formaliser...

             — T’es trop prétentieux, avenir du truc !

             — Tu deviens cheacheateux, Boule de pus.

             L’avenir du rock en bave avec ces deux cons. Ça fait longtemps qu’il les pra-trick, il essaye de la jouer cheap, mais il sent bien qu’il fatigue. Les cons, ça demande énormément de boulot. Plus ils sont cons, et plus ils sont lourds, alors il faut déployer des moyens considérables pour tenir une conversation. L’idéal est bien sûr de les éviter. Mais c’est pas toujours facile.

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             La presse anglaise salue bien bas la parution d’All Washed Up, le nouvel album de Cheap Trick, un groupe américain qu’on suit depuis cinquante ans, eh oui, depuis la parution de leur premier album sans titre sur Epic, en 1977. Dans Record Collector, John Tucker rappelle que c’est leur 21e album. Il les situe dans la power pop et le bubblegum metal. Et c’est avec Cheap Trick At Budokan que le groupe est devenu une «overnight sensation». Et même avec le succès et les platinum albums, Tucker se plait à dire que Cheap Trick «have continued to be an inventive and entertaining act.» C’est pour ça qu’on les suit à la trace. C’est donc un «band with 52 years on the clock». Tucker qualifie All Washed Up de spunky album, il a raison, ça spunke dès le «strident opener», c’est-à-dire le morceau titre. Il parle même d’un «pugilistic rock’n’roller».    

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             Comme la plupart des albums de Cheap Trick, All Washed Up est un brillant album. Il est même surchargé, et ça s’entend dès le morceau titre d’ouverture de bal, c’est riffé à la Rick et chanté à ras la motte. Pur power ! Avec «The Riff That Won’t Quit», ils cherchent à réinventer la poudre. C’est d’une rare violence et le Rick Rock passe l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. Et puis en même temps, tu te dis  : aucune surprise, c’est du Cheap Trick. Ils tentent le coup du balladif d’ampleur collatérale avec «The Best Thing». Le Zander y va de bon cœur. Avec sa gueule de rockstar, il peut se le permettre. Il est encore plus romantique que les blackos. Et ils refont sauter la sainte-barbe avec «Twelve Gates». Ils sont dans leur élément : l’heavy power pop d’allure impériale. Voilà l’hit magique que t’attendais. Puis ils repassent en mode heavy balladif avec «Bad Blood». Le power n’a pas de secret pour ces mecs-là. S’ensuit un big dancing rock, «Dancing With The Band» - an upbeat poppy ooh-ooh funfest - Ils redeviennent les rois du monde le temps d’un cut. La capacité qu’ils ont de submerger le monde à coups d’Oh yeah est unique. On retrouve cette grâce impériale dans «Love Gone». Ils règnent sans partage sur la power-pop américaine. «A Long Way To Worcester» s’étend aussi jusqu’à l’horizon. Robin Zander, «the man with 1.000 voices», claque bien son chant. Il a des légions derrière lui. Et Tucker chute ainsi : «These legendary US funsters still have something to say.»

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             Dans la mini-interview qui suit l’éloge de Tucker, Robin Zander explique que le titre All Washed Up est son idée - It’s more like taking a shower and getting ready for spending time with your wife - Zander dit aussi qu’Oasis «learned their chops from us.» Il reconnaît aussi l’influence de Bowie dans «Love Gone». Zander se souvient d’avoir chanté «Rebel Rebel» et «Ground Control To Major Tom» quand il était plus jeune. Dans Mojo, c’est Rick Nielsen qui prend la parole. Il adore dire que Cheap

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    Trick n’a jamais progressé - We were loud and noisy when we started. We still are - Bill DeMain voit de la «Beatles melancholy and Slade stomp» dans All Washed Up. DeMain rappelle encore que les Trick ont bossé avec George Martin - He made us sound better than we were - et avec John Lennon sur Double Fantasy - Lennon said, ‘I wish I would’ve had Rick on Cold Turkey’, because Clapton chocked up - Rick Rock évoque aussi le saccage de Bun E Carlos en 2010 - He got nasty - Et finalement les Trick sont contents de faire encore claquer au vent leur «freak-flag». Cheap Trick were weird before it was cool to be weird.

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             Le We’re Allright paru précédemment va aussi sonner pas mal de cloches. Voilà en effet un disk produit à outrance, et ce dès «You Got It Going On» noyé de son. Quel déluge ! Ça sonne comme une hécatombe diluvienne. Ils jouent ce hard Trick biter rock qui reste miraculeusement dans le giron de la power-pop, mais avec un ultra-blast de son. C’est tout simplement explosif. Ces mecs sont dingues. On reste dans la démesure avec «Long Time Coming». Ils cultivent la radiation du son. Ils n’ont jamais été aussi puissants. Leur son s’inscrit dans la postérité. Même chose pour «Nowhere», ultra-bardé de bardasse. Rick Rock est un fou du tarabustage. Mais ça finit par donner la nausée. Trop de son. Ils repartent à l’aventure avec «Radio Lover». Rick Rock gratte tout ce qu’il peut, il joue sur plusieurs guitares à la fois. Il remplit le spectre. Les autres ont intérêt à taper fort pour se faire entendre. Et quel killer solo flash ! Tout est dans le rouge, avec des waouh qui accélèrent le débit, et cette canaille de Rick Rond fond sur son cut comme l’aigle sur la belette. Il crache même des flammes, comme le dragon des Hobbits. C’est atrocement bon, ultra-noyé de son. Ça dépasse même la notion de noyade. Il se dégage quelque chose de surnaturel de ce disk. Encore un cut paradisiaque : «Floating Down». Rick Rock se perd dans l’azur des chœurs. Il devient l’espace d’un album le guitariste de l’impossible. Encore de l’énervement patenté avec «Listen To Me». Rick Rock entre dans la danse, mais cette fois, ça ne marche pas. Trop cousu. Ce qui ne l’empêche pas de passer l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. Ils terminent cet album somptueux avec un «The Rest Of My Life» joué au plus heavy de la possibilité d’une île.

    Signé : Cazengler, Chip à l’ancienne

    Cheap Trick. We’re Allright. Big Machine Records 2017

    Cheap Trick. All Washed Up. BMG 2025

    John Tucker : All dupe respect. Record Collector # 577 - December 2025

    Bill DeMain : Welcome back. Mojo # 384 - November 2025

     

    *

             Est-ce bête, je viens de marcher sur la queue d’un serpent, il m’a piqué, évidemment je ne suis pas mort, les rockers sont immortels, si vous ne me croyez pas lisez la chronique suivante sur Elvis. Suis quand même triste, Dennis Covington n’a pas eu cette chance, l’est mort le 14 avril 2024, non il n’a pas été mordu par un serpent. L’aurait pu. Il n’a pas réussi. Dennis Covington était écrivain, dans notre livraison 280 du 05 / 05 / 2015, j’avais chroniqué un de ses livres :

    L’EGLISE AUX SERPENTS

    MYSTERE ET REDEMPTION

    DANS LE SUD DES ETATS-UNIS

    DENNIS COVINGTON

    (Latitudes / Albin Michel / 2003)

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    I’m the lizard king

    I can do anything !

    Plus facile à dire qu’à faire. L’histoire commence in the borders. Ne cherchez pas sur la carte des USA, c’est en Europe. Au sud de l’Ecosse ou au nord de l’Angleterre, une région frontière, peuplée de sauvages. Des populations qui n’ont que des herbes et des rochers à manger. C’est dur et c’est maigre. Vraisemblablement des résidus des farouches tribus pictes que les Romains ne parvinrent jamais à mater. Des fortes têtes, des crève-la-faim patentés, vivaient en village refusant toute autorité étatique, communale. Des missionnaires chrétiens les avaient visités, les avaient chassés mais ils avaient gardé le Christ, avaient un peu perverti le message, le dieu d’amour l’avaient transformé en dieu de défi ce qui correspondait mieux à leur vision du monde.

    Au bout de quelques siècles de survie se sont vus obligés de trouver un territoire un peu moins âpre. Z’étaient pas des intellos, l’Irlande leur a paru être une terre de Canaan. Erreur funeste, pour ne pas irrémédiablement être au nombre des victimes de la famine, ont suivi le million d’Irlandais qui ont émigré en Amérique.

    Sont restés groupés. Pas fous ils ont tourné le dos au delta - une espèce de marécage infestés de serpents - ont plutôt lorgné vers les riches terres de la Virginie. Un look encore trop sauvage, pas de quoi rassurer un employeur. Les riches propriétaires des plantations de coton ont refusé de les embaucher, les noirs paraissaient bien plus dociles que ces bandes de racailles affamées aux regards meurtriers. L’était manifeste qu’ils n’étaient pas désirés.

    Alors ils ont continué le chemin et ont commencé à gravir les premières pentes des Appalaches. Se sont tout de suite sentis comme chez eux. Un paysages qui rappelait les Highlands et une terre presque aussi pauvre.   Personne n’en voulait, alors ils se sont installés heureux comme des papes. Excusez l’expression malheureuse pour ces méthodistes protestants ultra-rigoristes, mais à leur manière.

    Le conte aurait pu s’arrêter là : ils se marièrent, eurent beaucoup d’enfants (comptez trois morts pour deux survivants), et furent très heureux. Vécurent en quasi-autarcie, parvinrent à édifier un modèle économique d’autonomie de survivance, qui correspondait assez bien à leur mentalité. N’embêtaient personne, et ne demandaient rien à Dieu. En plus, eux, ils avaient une préférence pour Jésus.

    En bas des collines le monde tournait un peu plus vite. Le progrès technique bousculait la civilisation jusqu’à lors essentiellement agraire. Les villes offraient des emplois moins pénibles que les travaux des champs avec salaire fixe. Eldorado urbain. Au début, sur les hills on fit semblant de ne rien voir. Puis les jeunes commencèrent à déserter, puis les hommes allèrent chercher du boulot, rentraient le soir ou en fin de semaine. A la ville ils prirent de mauvaises habitudes, burent du whisky, fréquentèrent les dames de petite vertu,  commencèrent à prendre des maîtresses, à tromper leurs femmes… Nous nous garderons de leur jeter la première pièce, mais l’introduction de ces nouvelles habitudes, dynamitèrent l’antique ciment de cette société d’auto-suffisance patiemment bâtie durant tout le dix-neuvième siècle.

    Cela ne pouvait plus durer comme cela. Y eut comme une crispation identitaire et culturelle. N’avaient qu’une seule richesse : le christianisme. Mais tout le monde était chrétien. Fallut donc prouver que le Seigneur était de leur côté. Qu’ils bénéficiaient d’un accès direct et personnel à dieu. Le mouvement méthodiste se scinda en 1906, les pentecôtistes déclarèrent que l’Esprit Saint leur rendait de temps en temps une petite visite. Régulièrement pour certains. Vous pouviez le remarquer : durant les réunions les fidèles s’évanouissaient, piquaient des crises d’épilepsie, se traînaient par terre, déliraient, parlaient d’étranges langues logorrhéiques, bref un ramdam de tous les diables. Ce mouvement s’étendit un peu partout, c’est alors que dans les Appalaches l’on décida de faire mieux : l’on mania des serpents. Des vrais, des venimeux, des méchants, des crotales, des mocassins et parfois même des mambas. Dès que l’Esprit Saint vous tombait dessus, vous plongiez votre main dans votre boîte à reptiles en attrapiez un et selon vos intuitions vous l’agitiez de toutes vos forces ou le faisiez circuler en toute liberté sur votre corps ou vous vous essuyiez le visage avec sa tête… L’existaient aussi d’autres facéties telles que ramasser à pleine mains des charbons ardents dans le poêle de l’Eglise, et si vous éprouviez une légère soif boire une bonne bouteille de strichnine… C’est en 1909 que le premier manieur de serpents se livra à cette activité somme toute aléatoirement dangereuse. Roulette ruse. De serpent.

    DENNIS COVINGTON

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    Le livre commence en 1992. Dans un endroit que les lecteurs de KR’TNT ! connaissent très  bien, puisque lui a été consacrée dans notre livraison 235  du 28 / 05 / 2015 toute une chronique. A Scottsboro, bourgade perdue de l’Alabama  où se déroula l’infâme procès des boys de Scottsboro, huit petits nègres injustement condamnés à morts pour avoir prétendument violé une jeune femme noire. Depuis apparemment le tribunal de Scottsboro ne désemplit pas puisque nous assistons à l’audience de Glenn Summerford. L’est vrai qu’il a fait fort : l’a tenté de tuer sa femme (ce qui peut arriver à tout homme marié, j’en conviens) à l’aide d’un revolver, ce qui paraitraît la marque certaine d’un manque d’imagination, si au lieu de l’abattre froidement d’une balle, il  ne l’avait forcée, à l’aide de son menaçant calibre, à se faire piquer par un de ses serpents… Non seulement son épouse survivra mais le malheureux sera condamné à quatre-vingt-dix-neuf années de prison.

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    Dennis Covington est le journaliste de Birmingham (grosse ville du coin) chargé de couvrir l’affaire. L’a intrigué auprès de son rédac-chef pour être sur l’action. N’est pas venu là par hasard. Depuis tout petit, l’est obnubilé par l’emprise psychique que la religion peut avoir sur les esprits. Un croyant qui refuse d’être dupe mais qui reste fasciné par ce mystérieux pouvoir plus ou moins charlatanesque qu’une Eglise peut avoir sur les individus. Les manieurs de serpents l’attirent : enfant il adorait attraper les reptiles, les inoffensifs comme les venimeux… l’a l’impression d’un retour aux sources, les recherches généalogiques paternelles semblent indiquer que sa famille tirerait ses origines de ces villages écosso-irlandais où est née cette tradition des manieurs de serpent. Un retour sur soi-même, un peu comme le serpent qui se mord la queue.

    La recherche d’une plénitude en quelque sorte. L’a déjà vu la mort de près dans un reportage sur la guerre civile au San Salvador. C’est peut-être cela qui le guide, cet instant suprême ou l’absolu de la mort vous frôle… Désir des plus troubles, d’autant plus qu’il a trouvé le bonheur auprès de sa femme Vicky et de ses deux petites filles.

    N’est en rien un exalté, mais quelqu’un qui est attiré par les limites de la vie. Nous raconte deux années de sa vie. L’arc-en-ciel au-dessus de l’abîme. Toute frontière est intérieure. Le rêve américain consiste à la repousser. Nous n’avons plus qu’à suivre Dennis Covington, dès la première cérémonie à laquelle il nous entraîne nous nous retrouvons en pays de connaissance, ne nous présente-t-il pas Oncle Ully Lynn qui écrivit des morceaux pour Loretta Lynn, la reine emblématique de la country music. Plus tard il nous donnera une acception du terme revival que nous ne connaissions pas : des assemblées religieuses de plein air qui pouvaient regrouper plusieurs milliers de personnes où l’on assistait à des présentations de manieurs de serpents. Une sorte de liturgie à la Morrison Hôtel.

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    Nous pénétrons en un monde étrange, une petite communauté en marge des lois et de la vulgate sécuritaire du modernisme. Dennis Covington ne se contente pas de relater les aspects les plus superficiels des phénomènes auxquels il assiste et participe. Possède l’œil du sociologue qui pose toujours une grille d’interprétation sur le réel auquel il se confronte. Mais une fois qu’il a accompli son analyse la plus froide, il se hâte d’enlever cette armature de protection. Décrire un homme, décrire un serpent en toute objectivité est relativement facile, mais il arrive un moment où il faut bien toucher du doigt et le serpent et se frotter au corps de l’homme.

    De la femme aussi. Car toucher le reptile est un geste éminemment érotique. Inutile de vous dessiner le serpent du sexe. L’animal du péché. Vous pouvez le décliner sous forme d’auto-érotisme. Masturbation reptilienne. Mais cela n’intéresse que vous et le petit Jésus. L’acte se complexifie lorsque la femme s’en mêle. Le désir devient tentation. Le seigneur descend en elle et vous jouissez de son halètement extatique. Communion christique des plus étranges. Le livre se terminera lors d’une cérémonie de mariage. Où est Jésus ? Qui est la femme ? Où est le désir ?  Vicky, l’épouse de Covington, l’accompagne dans cette ultime rencontre avec les manieurs de serpent. Elle connaît alors l’illumination grâce à l’imposition des mains effectuée par Celle même dont Dennis nous a vanté la beauté et relaté la béatitude gémissante et ophidienne qui l’étreint lors d’une séance précédente. Te perdre pour mieux me retrouver.

    Covington paye de sa personne. Devient un manieur de serpents. L’obscure envie de faire partie du club des initiés certes, mais aussi de se rendre compte et de rendre compte de lui-même. N’écrire, ne parler que de ce que l’on a connu. Une expérience mystique. Qui lui pose davantage de problèmes qu’elle n’en résout. Le retour parmi la petitesse des hommes est décevant. L’on manie les serpents comme l’on devient chanteur de rock. Pour être devant et attirer les regards. Des filles et des hommes. Être le plus fort. A celui qui aura et manipulera le plus gros des serpents et le gardera le plus longtemps. Bouffissures d’orgueil.  Jusqu’à la mort. Car le reptile mord. Refuser le médecin et toute espèce de médicament. Rien de mieux que de rejoindre au plus vite Jésus quand il vous appelle. Entre la pulsion de mort et le vouloir vivre, Covington choisit de rester auprès de sa femme. Il cueille la rose de l’éros et délaisse l’asphodèle de la mort.

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    Vicky Covington

    Entre le corps de Jésus et la chair de la femme, il a opté pour le mauvais choix. La congrégation le pousse dehors. Entre le compagnonnage guerrier des apôtres et la splendeur de la pècheresse, un seul chemin est possible. Le livre s’achève ici. Tout choix est politique nous prévient Covington. Les manieurs de serpents appartiennent à un vieux monde patriarcal dépassé. Triomphe de la femelle petite-bourgeoise américaine ? Covington a retrouvé ses origines pour les nier. Le serpent finit par manger le serpent. Un livre étonnamment construit.  Dennis nous précise que Vicky a arrêté de travailler à son roman pour l’aider  terminer. Son livre Est-ce pour cela qu’il laisse en suspend au cours de son récit l’histoire familiale de ces deux adolescents privés de testicules devenus manieurs de serpents. Vision androgynique des jumeaux opératifs des menées alchimiques ?

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    Un livre qui ne recherche jamais le sensationnel. Un parcours êtral. J’ai même l’impression que Dennis Covington se retient. N’a pas tout dit. Mais a beaucoup suggéré. Une plongée sans précédent dans l’Histoire américaine, une subtile radiographie de la religiosité américaine, une vision politique de la mentalité des petits-blancs américains typiques, et une descente ophite et orphique dans les confins métaphysiques de l’individuation américaine. Un livre qui vous en apprendra davantage sur le pays du rock and roll que beaucoup d’autres.

    Damie Chad.

    Le titre anglais du bouquin paru en 1995 aide à mieux comprendre, me semble-t-il, l’état d’esprit de notre écrivain : Salvation on Sand Mountain: Snake Handing and Salvation in Southern Appalachia.

    Je pense qu’il s’agit du seul livre de Covington qui soit traduit en notre langue. Redneck Riviera, si j’en juge par le titre à rallonge et la couverture qui montre un homme portant sur ses épaules un énorme armardillo lové sur son cou donne envie. Il a aussi rédigé un roman sobrement intitule Lizard. Un bestiaire très rock’n’roll !

    Vicky et Dennis se sont mariés en 1977 et séparés en 2005.

    Je n’aurais certainement pas exhumé cette Kronic des oubliettes du blog si je n’avais reçu ce matin une piqûre de rappel.

    Un disque paru sur le label Sublime Frequencies un catalogue à rendre fou les amateurs de musique ethnologique qui vient de sortir : West Virginia Snake Handler Revival “They Shall Take Up Serpents” . La couve de l’opus est explicite :

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     Voici en traduction-Google la copie in-extenso de la presentation de ce disque sur le site Sublime Frequencies : 

     Le film « They Shall Take Up Serpents Revival » de Virginie-Occidentale marque l’arrivée d’un disque historique, documentant la dernière église pratiquant la manipulation de serpents dans les Appalaches. Avec ses guitares hillbilly rock, ses rythmes hypnotiques et ses vocaux hurlants, cet album a été enregistré intégralement en live, sans aucun overdubs, par Ian Brennan (Tinariwen, Ramblin' Jack Elliott, Zomba Prison Project), producteur et auteur lauréat d'un Grammy Award.

    Premier album de Sublime Frequencies à sortir aux États-Unis, Brennan déclare : « J'ai beau avoir parcouru le monde, explorant des régions reculées comme les Comores, le sud-est du Sahara ou les Appalaches, rares sont les endroits qui m'ont paru aussi étrangers, voire plus exotiques. » Cet enregistrement représente à bien des égards un pendant et un contrepoint – l'autre facette du Sud profond, en quelque sorte – à la musique explorée sur les albums de Parchman Prison Prayer.

    L'album « The Snake Handler » était une tentative d'écoute par-delà ce fossé – un fossé qui n'a jamais été complètement comblé et qui continue de hanter et de menacer les États-Unis à ce jour. L'enregistrement a eu lieu lors d'un office religieux de plus de deux heures, un dimanche, dans les montagnes de Virginie-Occidentale. Brennan raconte : « J'avais juré de me tenir loin des serpents pendant l'office, mais au lieu de cela, on me les agitait sous le nez, enroulés dans les mains du pasteur, et je me suis accroupi au pied de l'autel pour m'occuper du matériel. Le pasteur a rapidement été mordu et du sang a giclé, formant une flaque sur le sol. Les paroissiennes se sont précipitées pour nettoyer, et on a tout de suite compris à quoi servaient les rouleaux d'essuie-tout empilés sur la chaire. » On peut entendre ce moment précis vers la fin du morceau « Don't Worry It's Just a Snakebite (What Has Happened to This Generation?) ». L'assemblée s'est levée d'un bond et un mini pogo s'est formé. Les prédicateurs, se relayant, inhalaint des mouchoirs imbibés de strychnine en tournant en rond comme des chanteurs enragés, tandis qu'une fidèle âgée tenait la flamme d'une bougie contre sa gorge, fermant les yeux et se balançant. Le système de sonorisation de l'église sifflait sous les cris, tandis qu'une femme âgée coiffée d'un bonnet s'acharnait sur une batterie qui la dominait de toute sa hauteur. C'était la chose la plus metal que j'aie jamais vue, faisant passer Slayer pour un jeu d'enfant. Les fidèles prétendent être la première église à avoir fusionné le rock and roll avec des sermons enflammés, que la musique leur a été volée par Satan, qu'ils en sont les créateurs. Étant donné que des ministères pratiquant la manipulation de serpents remontent au moins à 1910, il y a peut-être une part de vérité dans cette affirmation.

    Le père et le frère du pasteur sont tous deux décédés après avoir été mordus par des crotales des bois, et le pasteur lui-même a beaucoup souffert il y a quelques années : son avant-bras a doublé de volume et est devenu d'un vert visqueux. Il a alors perdu connaissance et il a fallu l'inciser du poignet au biceps pour soulager la pression. Malgré cela, le pasteur Chris affirme avec conviction que « Jésus est notre antidote ». « Certains pensent que nous sommes des adorateurs du diable, une secte. » Mais la manipulation de serpents ne représente qu'une petite partie de nos activités. Dans les années 1970, on recensait environ cinq cents églises pratiquant la manipulation de serpents dans les Appalaches, mais il n'en reste plus qu'une seule aujourd'hui, en Virginie-Occidentale, le seul État où cette pratique demeure légale.

    On estime qu'au cours du siècle dernier, plus d'une centaine de prédicateurs sont morts de morsures de serpents venimeux reçues lors de ces offices. Cela inclut le fondateur du premier groupe de manipulation de serpents, George Went Hensley, illettré et condamné pour vente d'alcool de contrebande pendant la Prohibition. Sa mort a été officiellement considérée comme un suicide, car il avait refusé tout traitement médical. La population du comté a chuté de plus de 80 % suite au déclin de l'industrie charbonnière de Virginie-Occidentale dû à la mondialisation, et la région affiche désormais le taux de mortalité liée à la drogue le plus élevé des États-Unis par habitant, tout en étant la plus pauvre de l'État. Quelques minutes après être entrés dans un état de transe lors du service présenté sur cet album, les deux prédicateurs étaient trempés de sueur. Plus que de simples récitateurs de textes sacrés, les prédicateurs sont des improvisateurs de talent, capables de s'exprimer pendant des heures. Brennan raconte : « Le pasteur Chris plaisantait : “Vous ne voulez surtout pas m'entendre chanter !” Mais en réalité, c'est un chanteur exceptionnel, doté d'un phrasé unique. » À l'instar de nombreux classiques, leur musique semble jaillir simultanément du passé et du futur, comme venue d'un univers parallèle où, au lieu de découvrir les amphétamines, les Damned auraient trouvé Dieu (ou peut-être les deux) et connu une renaissance spirituelle. L'édition vinyle comprend un long morceau bonus de 13 minutes et un livret de 4 pages orné de superbes photos des rituels de la congrégation.

    Faut voir. A suivre.

    Damie Chad.

     

    *

             Elvis Presley n’est pas mort. Ils toujours vivant : soyons clair : je ne veux pas dire qu’il est toujours vivant dans notre cœur, dans notre esprit, dans notre âme, dans n’importe quelle autre partie de notre corps, simplement qu’il aussi vivant que vous lecteur qui êtes en train d’entamer la lecture de cette chronique.

             D’ailleurs pourquoi aurais-je acheté ce livre à l’époque de sa parution puisqu’il était déjà encore vivant. Pour être franc tout simplement parce que la modestie de ma bourse m’obligeait à des choix draconiens. Il sortait tellement de disques indispensables en ces mêmes moments…

             Je me dois toutefois vous prouver la vérité de l’assertion par laquelle débute cette chro pas magnon mais magnanime.

    ELVIS PRESLEY

    W. A. HARBINSON

    (Albin-Michel / Rock&Folk1975)

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    Quand j’ai saisi le livre, après l’avoir succinctement examiné, j’ai éclaté de rire intérieurement. N’ont pas fait fort chez Rock & Folk, z’auraient pu attendre l’annonce de sa mort pour filer le bon à tirer, n’ont pas su prévoir la fin tragique de l’idole et encore moins capitaliser sur le futur proche.

    N’ont pas été les seuls, l’auteur du bouquin non plus. La critique est aisée et les commentaires sarcastiques après coup trop faciles. W. A. Harbinson est bien connu aux Etats-Unis, il a publié une cinquantaine d’ouvrages, romans, science-fiction, biographies. Dernièrement nous avons présenté sur Kr’tnt ! deux autobiographies sur Elvis. Mais leurs auteurs étaient dans la même position que la nôtre, ils connaissaient la fin de l’Histoire, cela permet de circonscrire une trajectoire humaine, avant même d’en avoir écrit la première ligne. Le cas de W. A. Harbinson est plus intéressant. Certes Elvis avait déjà beaucoup vécu mais il était vivant. A peine avais-je lu les quatre ou cinq premières pages qu’une évidence s’est imposée : notre auteur sait écrire. A la dixième j’ai dû préciser mon constat : ce n’est pas qu’il sait écrire, c’est qu’il sait réfléchir. Quelques pages plus loin, diable, notre escritor ne joue pas sur la facilité, prenez n’importe quelle des rubriques relatives à la vie du King et très facilement vous rentrez en possession de multiples documents évoquant à cette tranche du vécu Presleysien. L’est sûr qu’au début des seventies, Internet bla-bla-bla n’existait pas, mais il y avait eu des centaines d’articles et de revues consacrées au Roi du Rock, notre Harbinson ne mange pas de breackfast-là. Il est anglais, irlandais de surcroît. Deux exemples au hasard : question détails affriolants il ne dresse pas la liste interminable des conquêtes féminines – ou de celles qui ont su conquérir – le cœur du chanteur. Pire, le nom de Priscilla n’apparaît qu’une fois, sur la romance en Allemagne ou la vie matrimoniale aux States pas un mot. Et toutes les autres thématiques à l’avenant. Dans ses remerciements, pour les concerts il cite les coupures de presse, les témoignages des fans, les actualités… bref il essaie de coller au plus près à l’évènement dans sa dimension historiale. Tel qu’il a été vécu, ressenti, et rapporté en son temps.

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    Harbinson, est comme l’araignée, il tire sa toile de lui-même et ne se préoccupe que de sa proie. Mot mal choisi, Elvis n’est pas sa victime mais son sujet d’étude. Il essaie de comprendre comment Elvis fonctionne. Il évite de déduire hâtivement. Il analyse longuement. Il ne retient que les détails significatifs. Il ne surfe pas sur l’écume des choses ou sur la mousse qui se forme sur la crête des vagues dégagées par un hors-bord lancé à toute vitesse. Sa caméra reste bloquée sur Elvis. Au tout début, Elvis, sa mère, son père, la misère en arrière-fond, c’est tout. Les enregistrements chez Sun : exit le couplet laudatif d’au minimum une demi-page sur Sun et Sam Phillips, il cause d’Elvis avant tout. L’est le cœur du livre. Le seul problème digne d’intérêt.

    Comment résoudre le mystère Elvis. Dans l’équation Elvis n’est pas l’inconnue, puisque notre Elvis sait très bien qui il est. Vous non. Mais vous n’êtes pas le sujet du livre. Elvis est un phénomène, comme toute chose qui apparaît au monde. Un brin d’herbe ou une girafe par exemple. Je déteste qu’on m’interrompe quand j’écris, mais j’entends vos récriminations, s’il n’y avait pas eu le Colonel, Elvis ceci, Elvis cela. Mais le titre de ce bouquin n’est pas : Le Colonel Parker. Le Colonel, Harbinson le considère comme un trouffion de dernière classe, un bleubite pour reprendre une expression militaire, lui octroie une quinzaine de lignes. Le problème ce n’est pas le Colonel, c’est ELVIS et le colonel, ne vous trompez pas de grandeur.

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    D’abord Elvis c’est une dichotomie ambulante, un garçon sage qui exprime d’instinct et à merveille les rêves velléitaires de sa génération. Va les secouer et leur donner le (mauvais) exemple, celui de la révolte pour la conquête de l’indépendance. Ne nous lançons pas les foutaises psychanalytiques, laissez dormir en paix dans son tombeau le pauvre jumeau Aaron qui occuperait la moitié vide de la psyché d’Elvis. Oui Elvis est double. Vous avez l’artiste, celui qui réussit et qui en profite, et puis l’autre qui n’est autre qu’Elvis lui-même, Elvis est le premier qui ne prend pas Elvis au sérieux, l’a toujours un fort sentiment d’auto-dérision, certes il est le King mais le roi n’est que la résultante de ceux qui s’assujettissent à lui… Et comme il ne croit pas tout-à-fait en lui-même il n’accorde à son entourage que la confiance dont il se juge lui-même digne. Si le Colonel, et toutes les huiles qui l’entourent l’ont si facilement ‘’manipulé’’ ce n’est pas parce qu’il était un esprit faible mais une espèce de philosophe relativiste qui condescendait à se mettre au niveau de leurs volontés.

    Harbinson, décrit à merveille l’emprise managériale qui petit à petit, minutieusement transforme le rocker en artiste de variété. Disque après disque, film après film il décrit la longue transformation. Elvis n’est pas dupe, il n’y croit pas plus qu’à son personnage de rocker rugueux, mais il s’ennuie davantage dans ce rôle subalterne, il préfère s’enfermer dans sa solitude à Graceland. Il vaut mieux être seul que mal accompagné. Que l’on soit rocker ou artoche. De temps en temps un coup de tête. En 1968, c’est le retour, me voici une nouvelle fois rocker et je suis toujours le Roi, les années suivantes il revient à Las Vegas chaque fois un peu moins rocker, l’est l’american trilogy à lui tout seul, l’est l’Amérique non pas à lui tout seul mais sans personne d’autre. Harbinson arrête son livre à cette époque, pour lui c’est une espèce d’apothéose, des shows spectaculaires  qui marient et expriment toute l’americana, un point d’acmé du haut duquel Elvis Presley représente et incarne l’Amérique. Une espèce de nouvelle Statue de la Liberté, vous ne voyez que lui lorsque vous pensez ou regardez du côté de l’Amérique. 

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    De tous les livres que j’ai lus sur le King, c’est le plus profond. Celui qui donne le plus à réfléchir. Qui a su saisir Elvis de son vivant. Qui nous le restitue alors qu’il n’est pas mort, tel qu’il a été. Et tel qui n’était pas. Toute la différence entre l’existence et l’être. Qui n’a rien à voir avec l’être et le néant.

    Juste un dernier mot sur l’iconographie, en noir et blanc. Ne vous fiez pas à la couverture. Un noir et blanc qui privilégie le noir au blanc. Peut-être grâce à l’épaisseur du papier. Pas glacé, cru.

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    Ceci est ma lecture, j’en ai une autre qui me semble beaucoup moins subtile. Sans avancer que Presley était neurasthénique, beaucoup de personnes, qu’elles soient artistes, travailleuses ou rentières sont sujettes après d’intenses périodes à des retombées d’énergie que l’on nomme communément dépressions nerveuses. Ce genre de désagrément, surgissent tout aussi bien, enfin tout aussi mal, durant des périodes existentielles ennuyeuses. La carrière d’Elvis a connu des hauts et des bas, il serait peut-être intéressant de les analyser selon cette perspective. Il me semble que la mère du King a connu aussi montées et descentes d’adrénaline. Trop de misère et trop de richesse nuisent vraisemblablement au maintien d’un certain équilibre nerveux.

    Damie Chad.

     

    *

    Je n’ai jamais été très fan des Beatles, dès Sergent Pepper’s Heart’s Club Band… j’ai entendu mais je n’ai plus écouté, à l’époque j’étais plutôt branché Sones, Yardbirds, Animals, Jeff Beck… mais ceci est une autre histoire. La vidéo, très courte, que nous allons regarder, ouvrez l’œil mental, ne fait pas partie de la série des quinze précédentes (voir VanShots – Rocknroll Videos).

    Concernant Gene Vincent j’ai quelques préventions envers les Beatles, ils ne lui ont guère renvoyé l’ascenseur durant les années noires, c’est mon idée que je partage à cent pour cent.

    Il me semble que cette vidéo est tirée De l’émission The Ronnie Wood Show Radio sur Absolute Radio, dans laquelle il reçoit durant une heure nombre d’artistes, souvent de sa génération, elle daterait du 25 juin 2012. Et serait intitulée Sir Paul McCartney Special.

    Ron et Paul : sont tous deux assis, je rassure notre lectorat féminin, ils étaient beaucoup plus beaux dans les années soixante, toutefois Ronnie avec sa figure en lame de couteau a encore de l’allure.

    Paul McCartney's first record,

    Gene Vincent 'Be Bop A Lula'

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    Ron : Je pense que nous allons parler de ces premières influences et de ce qui nous a permis de démarrer, parce que je sais ton premier choix : tu t’es d’abord procuré un disque de Gene Vincent. Paul : oui c’est le premier disque que j’ai acheté, et vous savez en ces temps-là, je partage cet avis avec les Beatles, nous avons réalisé combien était important pour les gens d’acheter un disque, car nous n’avions pas beaucoup d’argent, vous réfléchissiez à cet achat vraiment précieux, c’était tout votre argent de poche de la semaine qui partirait dans ce disque, Ron : il circulait de main en main chez vos potes, Paul : exactement, où est mon disque, et tu me le rends quand, vous ne le revoyiez pas toujours, Ron :d’accord moi-même je ne le rendais pas toujours, Paul : mais tu sais, j’aimais tellement Gene, c’était dans le Film The Girl can’t help it (La Blonde et Moi), aujourd’hui encore un de mes films favoris, nous l’avons enfin vu chanter avec les Blue Caps, et j’ai tellement aimé ce truc, c’était juste un disque

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    magnifique, Ron : tu sais j’étais au Hall of Fame à Cleveland, les Blue Caps étaient intronisés, c’était réellement mérité, j’ai pensé alors à cette époque, à ces vieux et fabuleux Blue Caps et aussi aux Comets de Bill Haley, et les Miracles, et tout ce tas de petits groupes géniaux,  ils comptaient beaucoup pour moi, ils nous ont  vraiment marqués et influencés, Paul si tu voulais nous jouer Be Bop A Lula, (séance coupée ) Paul : quand as-tu joué avec Gene, Ron : je l’ai vu dans un  Aim Court Ballroom, (chaîne de clubs de danse) loin dans le Cumberland, en pleine cambrousse, quand je suis rentré dans le vestiaire, il  m’a raconté des histoires sur Peter Grant, qui  était portier ,dans les escaliers Gene avait un revolver, Grant était à genoux, à lui lécher les bottes, ‘’tu pouvais lui faire lécher les bottes’’ en tout cas une histoire vraiment

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    hilarante, à me faire sortir du vestiaire ! Paul : nous avons assisté à un incident de ce genre quand nous étions à Hambourg, il pensait que sa girl-friend le trompait, il nous a demandé de rentrer avec lui à l’hôtel, il frappe à la porte ‘’Margie, Margie’’, nous lui conseillons de parler un peu plus fort,  Gene avait sa petite voix, tu vois, il était en train de tapoter à la porte de Margie, ‘’tu es là, je le sais’’   il frappe un peu plus fort  puis encore plus fort,  il crie ‘’ elle est  là, je suis sûr qu’elle est là avec un homme’’, finalement elle ouvre la porte, il n’y a personne avec elle, elle tient un rouleau, il est en plein délire, il entre, il se calme, Ron : on a dit qu’il était paranoïaque  Paul : oui, on a parlé d’une paranoïa précoce, il se rapproche de la table de nuit, il sort un pistolet, ‘’ Salut Gene à la prochaine, on te laisse chez toi, on se tire tout de suite, on adore ta musique !’’.

    Transcription Damie Chad.

     

    *

             Au mois de mars 2021, mon œil de lynx a été attiré par une couve. On n’y voyait pas grand-chose. Ce n’est qu’en y retournant que j’ai aperçu quelques minuscules points blancs. J’ai des excuses, hormis deux espèces de trucs indéterminés sur les côtés, c’était tout noir. Une noirceur absolue. Une espèce de gouffre sans nom. Soit, vous partiez en courant. Soit, vous y retourniez. Au début, j’ai cru que les points blancs devaient être un pointillé de poussières indues sur mon écran. J’ai essayé de les décoller avec mon index. Echec, ils faisaient donc partie du dessin. J’ai enfin pris le temps de déchiffrer le nom du groupe, fasciné par cette noirceur métaphysique je ne l’avais même pas remarqué. Tout de suite, j’ai compris. Ces six points blancs étaient les yeux de la bête canine qui défend les portes de l’Enfer. Vous êtes peut-être comme moi, chaque fois que l’on m’interdit d’entrer, il faut que vous alliez voir. Je n’ai pas été déçu de mon voyage. Or, voici une double surprise, je retrouve le groupe que j’avais apprécié, mais il n’est pas seul. Un split ! Partant du principe : qui s’assemble se ressemble…

    MALEMORT & CERBERE

    AIMLESS / GLACE MERE

    ( CD-Vinyl /  2025)

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    Un petit conseil : si vous avez le nez collé sur la couve vous vous demanderez ce qu’elle représente, reculez-vous, glissez un regard de biais et tout s’éclairera. Pardon, tout s’assombrira. Une tête de mort. Inutile d’attendre un clin d’œil, ses yeux vides ne font même pas semblant de vous regarder. Une présence. Un signe. Cette couve est signée de Thom Dezelus. Dans la série on n’est jamais mieux servi que par soi-même  nous le retrouvons tout de suite.

    Thom Dezelus : bass / Baptiste Reig : drums / Baptiste P : vocal, guitare.

    Nos trois lascars participent aussi à d’autres groupes : Frank Sabbath, Ragequit, Hallebardier.

    Viennent de Paris, sont partie prenante du label collectif : Chien Noir. Excellent nom pour un label doom. Rappelons que Chien Noir nous le rencontrons dans L’Île au trésor de Stevenson, Chien Noir est le pirate qui vient rendre une visite amicale au vieux Capitaine Billy Bones, sa visite annonce la tache noire que plus Blind Pew remettra au capitaine… doom, piraterie et mort imminente sont des mots de couleur noire qui vont très bien ensemble.

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    Glace Mère : (Face B) : est-ce du vent ou quelque chose de plus profond, serait-ce le blizzard sur les étendues du pôle Sud, nous opterons pour les solitudes glacées intérieures, l’extérieur n’est-il pas une simple projection, une image incertaine loin des abysses qu’elle est censée représenter, klaxons d’icebergs et souffles rauques des colères rentrées lorsque agrippées aux parois verticales glacées l’on a plus la force d’avancer, nos poings battériaux  frappant sans répit la croûte de glace dans laquelle nous sommes bloqués en nous-mêmes, qui nous empêche de nous extraire de nous-mêmes alors que nous savons très bien qu’il n’y a pas d’issue car nous sommes dans

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     notre capsule temporelle et que nous sommes nous-mêmes non pas notre propre lieu mais le lieu en lui-même, chappes de guitares isolantes qui tombent comme ces grandes gelées subites qui ont emprisonné en une fraction de seconde les mammouth colossaux que l’on retrouve dans les étendues sibériennes la bouche encore pleine de feuilles qu’ils s’apprêtaient à mâcher, la guitare sous forme de sirène de bateau qui hurle en vain dans l’étau d’une banquise fractale, la basse s’acharne, nous savons bien qu’ailleurs l’herbe n’est pas plus verte, pour la simple et seule raison qu’il n'y en a jamais eu sur cette terre qui elle-même n’existe pas, que les mammouths ne sont que nos icebergs intérieurs que nous manipulons comme des jouets, car nous aimons jouer avec nos phantasmes, l’on croyait que ce n’était pas possible de ressentir l’imminence rampante d’un danger qui se rapproche, le vent, le vent, rafales de mort

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     qui déferlent et nous glacent d’horreur, pourquoi tant de cauchemars, puisque nous sommes seuls et ces hurlements quels sont-ils, des clameurs sauvages à imaginer que nos pensées sont devenues vivantes qu’elles se ruent sur nous, qu’elles nous attaquent, qu’elles montent à l’assaut de notre citadelle intérieure, qu’elles tournoient autour de nous comme  vols de corbeaux enivrants, nous voici maintenant enkystés dans nos rêves d’évasion impossible, puisque nous sommes notre propre évasion, que nous modelons l’irréalité de nos songes comme de la neige molle qui coule dans nos doigts, le monde se défait et se reconstruit indéfiniment comme le sable d’un sablier qui s’enfuit ou s’amasse selon que nous le retournons,  nous y prenons plaisir, même si le sable lui-même gèle et reste coincé dans son goulot d’étranglement, qui nous ressemble tant, de même que ce que nous   proférons dans nos délires les plus surréalistes, selon lesquels, dehors, ceux qui meurent de froid ressentent une douce et bienheureuse chaleur les envahir, est-ce pour cela que la musique monte en ébullition et nous rend heureux. Retour dans le ventre maternel. Qui n’est que nous-mêmes.

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    *

             Première fois que nous rencontrons Malemort. Se dénomment aussi The True Malemort. Viennent de Rouen, ils sont soutenus par le label La Harelle un collectif qui regroupe les formations : Sordide, Mòr, Void Paradigm et Iffernet. Rappelons que la bonne ville de Rouen connut en 1382 une violente révolte contre la rapacité de l’augmentation royale des impôts indirects sur le sel et le vin… qui dégénéra très vite  en une espèce (prémonitoire) de ce que plus tard Marx, théorisa sous le concept de guerre de classes. Charles VI y mit bon ordre…  Comme quoi la révolte vient de loin. Félicitations à ce label local d’avoir choisi cette appellation très rock’n’roll…

    Derelictus : bass, voval / Ausrah : guitar, vocal / Nemri : drums, vocals.

    Ils n’ont sorti qu’un album quatre titres en août 2017, nommé : Individualism, Narcissism, Hedonism… tout un programme… Nos trois âmes sans but participent à plusieurs groupes aux noms charmants : Sordide, Ataraxie, Mhönos, Monarch.

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    Aimless : (face A) : une note, ô joie, n’exultons pas, les suivantes ne se pressent pas pour arriver, silence entre elles jusqu’à ce que ne tombe une espèce de lame de guillotine grandiloquente qui se répète au même rythme que les premières notes, une voix s’élève, peu ragoûtante, comme quelqu’un qui retient son vomi glaireux dans sa bouche, l’est comme un crapaud perdu sur une feuille de nénuphar sans fard, quand il se tait, l’on n’en  est pas plus soulagé car le doom-stuff se traîne à terre comme une vomissure qui coule sur le sol, d’abord très lentement puis plus rapidement, elle prend de l’épaisseur, une langue immense sortie de son palais natal pour proférer des paroles de haine et de malheur, une espèce d’égosillement de gosier qui dégueule son

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     gésier dans l’évier du monde qui peu à peu se remplit de cette laideur, de cette hideur, coups de batterie, bruits de fond de la basse, grésillements de guitares, c’est toute la tristesse du monde qui dégueule sur vous, une véritable douche fétide, la croûte s’enroule autour de vos jambes, elle grimpe, toute visqueuse elle s’accroche et adhère à votre torse, une trompe mugit, vraisemblablement pour vous avertir du danger, mais peut-être veut-elle clamer sa propre perdition, l’on n’entend plus qu’elle mais voici des pas lourds qui s’approchent, se dirigent-ils vers vous ou simplement vous ignorent-ils, juste pour vous donner une idée de votre insignifiance, et le dégueulis vous submerge, il entre dans votre bouche, ne serait-ce pas le seul

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    endroit qu’il connaisse, son berceau natal en quelque sorte, tout se précipite, peut-être pour être un témoin oculaire votre noyade, votre asphyxie mentale ne dure-t-elle que quelques secondes mais ils tentent de nous donner à entendre comment vous la vivez, un truc cataclysmique qui n’est pas autre chose que votre rencontre avec l’éternité, une espèce de triomphe, un acte victorieux, quelque chose qui submerge le monde entier et le recouvre de son propre accomplissement dont vous êtes le vecteur. C’est terminé, mais la musique ne veut pas cesser, elle prend son temps, elle veut une belle mort dont les auditeurs seront les témoins assermentés.

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             Plus noir que noir. Certains jugeront l’écoute de ces deux morceaux difficiles. C’est parce qu’ils ne savent pas discerner l’horrible beauté du monde. Deux groupes underground sans concession.

    Comme nous les aimons.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 715 : KR'TNT ! 715 : VALERIE JUNE / LUKE HAINES / JOUJOUKA / M WARD / CHARLATANS / LES PIRATES AVEC DANY LOGAN

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 715

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 12 / 2025

     

    VALERIE JUNE / LUKE HAINES  

    JOUJOUKA / M WARD / CHARLATANS

    LES PIRATES AVEC DANY LOGAN

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 715

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Moon in June

    (Part Two)

             L’avenir du rock survolait la jungle du Congo à bord de son petit bi-moteur, quand soudain, il entendit le moteur de gauche s’étrangler. Rrrrcrrrrrrhhh. Il tenta de redresser l’avion. Zpffffff ! En vain. L’engin piqua droit dans la jungle. Pffffuuiiiiiihhh ! Pas le temps de recommander son âme à Dieu. De toute façon, il n’en avait pas. Scrrrrratch-bhammmm ! Allez hop à dégager. La nuit était tombée lorsqu’il reprit ses esprits : un gros serpent cherchait à entrer dans sa bouche restée ouverte. Arrrrhhhhhhhh ! Fou de dégoût et de rage, il l’arracha de sa bouche, schhhhplop!, et le jeta au loin. Splishhhh ! Il faisait nuit. L’avion s’était encastré dans un baobab et le cockpit avait explosé. Il bougea les bras et les jambes pour checker les dégâts. Apparemment, il n’avait rien de cassé. Il se félicita : «Gros veinard !». La jungle semblait devenue folle. Tous les animaux criaient et chantaient. Crrrouahhhhh crouahhhhhh ! Il décida d’attendre le lever du soleil pour quitter l’épave. Il se doutait bien que tous les prédateurs de la jungle cherchaient un casse-croûte. Valait mieux rester prudent. Il sortit de l’épave au petit jour et se demanda où il allait pouvoir prendre un café. Comme il ne savait pas se servir de sa boussole, il partit dans une direction qui lui sembla être la bonne. Il n’avait pas non plus de machette pour singer ces gros frimeurs d’explorateurs, alors il brisait les branches à coups de karaté. Il tomba nez à nez avec un tigre du Bengale qui semblait aussi paumé que lui. Visiblement le tigre cherchait la direction du Bengale, alors l’avenir du rock lui fit signe : «Bengale ! This way !». Le tigre grogna, rrrrrrhhhhhh !, hocha la tête en guise de remerciement et s’enfonça dans les fourrés. Un peu plus tard, l’avenir du rock tomba nez à nez avec King Kong qui semblait encore plus paumé que le tigre du Bengale. Visiblement, il cherchait la direction de New York. L’avenir du rock lui fit signe : «New York ! This way !» King Kong gronda, rrrroarrrrhhhhh !, hocha la tête et partit dans la direction indiquée. Toutes ces rencontres lui mirent au baume au cœur. Il trouvait la jungle plutôt sympa. Il arriva au bord d’un petit cours d’eau et les crocodiles lui firent un petit signe amical : «Hello !», mais l’avenir du rock s’en méfiait quand même. Puis il vit arriver au bout d’une liane un gros m’as-tu vu en maillot de bain panthère. «Qu’est-ce que c’est que ce frimeur ?» se demanda l’avenir du rock. L’OVNI se posa souplement à quelques mètres et lança d’une voix de stentor :

             — Moi Tarzan !

             À quoi l’avenir du rock rétorqua :

             — Moi June !

     

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             L’avenir du rock parle bien sûr de Valerie June. Pour parvenir à ses fins, il fallait bien qu’il s’écrase dans la jungle.

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             Si t’aimes bien tomber de ta chaise et t’écraser sur ton parquet, alors écoute le nouvel album de Valerie June, Owls Omens And Oracles. Ça démarre sur une pure merveille de flash-out, «Joy Joy» - Joy joy in your soul - Et t’as les poux du rock. Il s’appelle M Ward ! Puis Valerie fait les Ronettes avec «All I Really Wanna Do». Elle tape en plein dans l’extrême power des Ronettes. Tu te pinces car tu crois rêver. Un certain M Ward signe la prod. Et ça continue avec «Endless Tree». T’es frappé par l’extraordinaire power de la clameur. Quand Valerie chante «Trust The Path», tu lui fais confiance - You gotta trust the path - et elle fait sa Fatsy avec «Love Me Any Ole Way», suivie par une trompette. T’as toute l’énergie de Fats Domino et ça claque des mains dans les profondeurs du Big Easy. C’est exceptionnel de génie productiviste ! Elle a derrière elle les Blind Boys Of Alabama sur «Changed», et elle y refait sa Ronette. Puis elle tape «My Life Is A Country Song» au plus haut niveau d’accent tranchant. Elle s’appelle Valerie June. Memphis girl.

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             Laura Barton la salue bien bas dans Uncut. Valerie June n’est pas une oie blanche : 43 balais et déjà 20 ans de carrière under the belt. Elle a bossé avec Booker T. Jones, Carla Thomas, Mavis Staples et bien sûr l’inévitable Dan Auerbach qui, comme Bono, ramène sa fraise partout, même quand on ne l’a pas sonné. Œil-de-lynx Barton voit dans June in Moon du blues, du gospel, de l’Appalachian folk with a touch of soul and Americana and R&B. Hé ben dis donc ! Ça va beaucoup plus loin, ma pauvre Barton. Moon In June a du génie. Elle est agaçante, cette journaliste : elle essaye de nous faire passer Moon In June pour une positiviste végan parce qu’elles se rencontrent dans un restaurant végan new-yorkais. Fuck it ! Le son de Moon in June n’a rien à voir avec le végan new-yorkais.

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             M Ward se dit fasciné par la voix de Moon in June - A very fearless singer, a very fearless songwriter - Elle se dit prête pour partir à la conquête de l’Asie Mineure. Quelques éléments autobiographiques épicent un peu l’article : à ses débuts, Moon in June apprend à jouer de la guitare, du banjo, du lap-steel, et dans les festivals, elle rencontre ses blues heroes, David Belfour et T-Model Ford. Elle étudie les voix de ses héroïnes : Jessie Mae Hemphill, Elizabeth Cotton et Ma Rainey. Elle se dit aussi attirée par le dark singer-songwriter stuff, Elliott Smith, Townes Van Zandt et Leonard Cohen. Elle rencontre George Clinton à Cuba et Mavis Staple lui demande une chanson positive pour son album Livin’ On A High Note, produit par M Ward. Elle est aussi en contact avec Carla Thomas qu’on entend sur The Moon And Stars. Moon In June l’avait invitée au Royal Studio de Boo Mitchell, à Memphis, et elles ont enregistré ensemble «Call Me A Fool».

             Si Moon in June et M Ward s’entendent si bien, c’est que sa voix à elle et sa prod à lui ont une «similar out-of-time quality». Bien vu, Barton ! Ils ont quand même fait venir Norah Jones et les Blind Boys Of Alabama. C’est pas rien.  

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             Et toi, elle te fait venir au New Morning. Alors c’est sûr, t’auras pas la prod d’M Ward, mais t’auras la pulpe de June. On lui a installé des fleurs sur scène, deux grattes et deux banjos dont un baby banjo. Et Valerie arrive dans une robe en lamé et des fleurs dans les cheveux. Elle installe vite fait sa magie. Elle communique énormément avec son public. Les gens qui sont là sont tous des fans, ça s’entend. Quand elle claque des doigts, ils claquent des doigts. Quand elle demande un ouh-ouh, elle a un ouh-ouh tellement beau qu’elle en pleure d’émotion. Et quand elle attaque «All I Really Want To Do» à la voix perchée, t’es ravagé par des bataillons de frissons. Elle chante avec le feeling le plus perçant d’Amérique, depuis celui de Billie Holiday. Elle n’a pas le son des Ronettes mais elle a tout le feeling de Ronnie.

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    C’est hallucinant de qualité, même chose avec le «Joy Joy» qui suit, elle t’embarque et tu tournicotes dans son merry-go-round, elle  rajoute des fins poignantes qui te traversent de part en part, elle tape tous les cuts d’ Owls Omens And Oracles en version stripped-down et ça t’en bouche coin après coin, tu savoures le privilège d’assister au récital de cette immense superstar. Même dépouillé de la prod d’M, «I Am In Love» berce ton cœur de langueurs monotones, les vraies, celles de Verlaine, pas les langueurs à la mormoille. Valerie est trop puissante pour ta petite cervelle, elle est la réincarnation de Billie Holiday, pas de doute, elle module ses syllabes avec le même mouillé de ton, le même génie intimiste. Et puis elle attrape sa Guild pour gratter le «Shakedown» de Memphis et là elle te ramène tout le North Mississsippi Hill Country Blues, via l’Afrique de Junior Kimbrough et des frères Dickinson. Là t’as tout, le rock, le blues, l’Afrique, les roots, la magie, le voodoo et elle gratte tout

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    ce qu’elle peut en accords ouverts et ça bascule dans la folie. Elle attrape ensuite son baby banjo pour taper une version poignante de «What A Wonderful World», en rappelant que les blackos d’Amérique ont passé un sale moment dans les pattes des blancs. Cette diablesse te broie le cœur à chaque instant, ce qui rend le set éprouvant. Depuis Louis Armstrong et Joey Ramone, on n’avait pas entendu une version aussi pure, aussi lumineuse de ce Wonderful World. Puis elle va rendre hommage à Lightning Hopkins avec «Life I Used To Live». C’est le grand retour au point de départ, là où le rock prend sa source, dans le monde magique des fils d’esclaves. Il se pourrait bien que Valerie June soit la nouvelle reine des Amériques, car si tu l’as vue rocker le boat avec son «Life I Used To Live», tu n’as plus aucun doute. Elle fait

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    même déraper ses syllabes dans les virages. Elle se paye encore un quart d’heure de folie avec le vieux «Roll & Tumble Blues», puis avec un nouveau shoot de wild rumble, «Workin’ Woman Blues». Elle vise l’hypno de North Mississippi Hill Country Blues, elle reprend la suite de Tav Falco et de Mississippi Fred McDowell. En rappel, elle fait chanter la salle sur «Somebody To Love» et deux cuts plus tard tu te retrouves dans la rue des Petites Écuries complètement sonné. 

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             Valerie June fait aussi la couve d’un récent numéro de Soul Bag. Dans l’interview, elle évoque (trop) brièvement M Ward qu’elle a fini par rencontrer au Newport Folk Festival. Elle rappelle aussi qu’M a produit un album de Mavis Staples, High Note. Dommage qu’elle ne parle pas davantage d’M Ward. C’est quand même lui le sorcier du son, sur Owls Omens And Oracles. Et les questions ne sont pas bonnes, trop à l’eau de rose, axées sur le positivisme dont on se contrefout, alors que Valerie chante Lightning Hopkins. C’était l’occasion rêvée d’évoquer la scène de Memphis. Et ça téléramate ! Quel gâchis ! Valerie termine en saluant quelques contemporains, Gary Clark Jr., Buffalo Nichols, Joanna Newson, Sunny War, et Grace Bowers de Nashville. Elle dit que la relève est assurée. 

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             Dans l’interview, elle évoque son mini-album de covers, Under Cover. Bizarrement, elle n’y tape que des cuts de blancs, à commencer par le «Pink Moon» de Nick Drake. C’est pas si bon. Elle perd ses roots. Puis elle tape dans le «Fade Into You» de Mazzy Star et elle fait sa Hope en ramenant son sucre, mais on préfère Hope. Ça devient plus intéressant avec l’«Imagine» de John Lennon, mais là ça sonne comme une tarte à la crème, même si la compo est magique. Valerie June lui donne de l’impulsion, c’est le moins qu’elle puisse faire. Ses accents sont poignants de véracité, mais on préfère la version originale. Elle fait ensuite sonner le «Don’t It Make You Want To Go Home» de Joe South, elle y injecte un gros shoot de feeling, et là ça prend du sens. Elle s’en va ensuite piquer sa petite crise Dylanesque avec «Tonight I’ll Be Staying Here With You». Elle tape ça d’une voix perçante, c’est heavily orchestré, avec de la slide à outrance, et ça sent bon le coup de génie. Elle termine an transformant l’«Into My Arms» de Nick Cave en Beautiful Song.

    Signé : Cazengler, Valériz complet

    Valerie June. Le New Morning. Paris Xe. 30 novembre 2025

    Valerie June. Owls Omens And Oracles. Concord Records 2025

    Valerie June. Under Cover. Fantasy 2022

    Laura Barton : Sister of the moon. Uncut # 337 - April 2025

    Ulrick Parfum : Valerie June. Soul Bag # 259 - Juillet août septembre 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Luke la main froide

     (Part Seven)

             L’avenir du rock est de retour dans l’hiver du Colorado pour une semaine de vacances bien méritées. Il avance en chantonnant, pom pom pom, respirant à pleins poumons le bon air frais. Ah tiens, voilà un cavalier ! Sa silhouette se dessine au loin. Au moins, c’est pas un Crow. Il porte un chapeau. Il approche rapidement. C’est un blanc. Pas très beau. Même assez laid. Un gras du bide dans un costard d’un blanc douteux et tout fripé. Mieux vaut pas savoir ce que sont toutes ces taches. Et comme de bien entendu, il a une bonne cinquantaine de flèches plantées dans le dos. L’avenir du rock lui fait le salut indien en levant la main droite :

             — Ugh !

             Le gros crache un long jet de chique et descend de cheval. Les flèches plantées dans son dos cliquettent entre elles et font un sacré raffut. Comme l’avenir du rock n’aime pas les escrocs, il interpelle le gros vertement :

             — Si vous essayez de vous faire passer pour Jeremiah Johnson, c’est complètement raté, gros con ! Au moins Jeremiah Johnson, il est beau, il est magnifique, il fait plaisir à regarder, ce qui est loin d’être votre cas, gros lard ! Dégoûtant personnage ! Honte de l’humanité !

             Le gros se tourne vers l’avenir du rock et lance d’un ton bluesy :

             — I’m going down to the river to blow my mind !

             L’avenir du rock ne comprend pas où ce gros lard veut en venir.

             — Quelle rivière ? Ya pas d’rivière dans l’coin !

             Le gros sort de sa sacoche des tupperwares et s’assoit dans la neige. Il étale une grande nappe à carreaux et sort une palanquée d’œufs durs qu’il compte un par un. Ça n’en finit pas ! Soixante ! Et il commence à les gober méthodiquement un par un. Excédé, l’avenir du rock lance d’un ton perfide :

             — Ah ouais, c’est ça ! Vous connaissez tous les rôles par cœur ! Maintenant vous me faites le coup de Luke la main froide ! Mais Paul Newman est bien plus beau que vous, gros con !

             Entre deux œufs, le gros rétorque :

             — Je suis Luke la main froide !

     

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             Luke la main froide n’est pas beau, c’est vrai, mais il est assez génial. Il te met encore la main au colbac avec un album absolument magistral : Going Down To The River To Blow My Mind. T’y peux rien, c’est comme ça. Elle n’est pas belle la main froide, mais diable comme elle est brillante. En plus de son copain Buck, il a Linda Pitmon au beurre. C’est la copine du Wynner. Tu tombes vite de ta chaise avec le morceau titre, attaqué à la vieille alerte rouge. Ils mettent le feu au cut, c’est gratté dans l’urgence de la démence, la main froide veut absolument se blower le mind et ça marche au-delà de toute expectitude. La main froide a toujours dans la voix ses vieux échos d’Auteur. Elle chauffe encore bien l’hot stuff d’«Hot Artists» à coups de push the ladder et ça dégénère encore avec l’imparable «56 Nervous Breakdowns». Ils ont du son à gogo et des clap-hands. La main froide mène la grande vie. Ça sonne comme un hit bien enroulé de rock anglais. Encore de la fantastique énergie sous-tendue dans «Sufi Devotional». Elle chante en sourdine, la main froide, et derrière t’as une énorme machine. On se croirait sur le premier album des Auteurs avec «Children Of The Air». Puis avec «Nuclear War», ils passent sans prévenir en mode heavy gaga insistant. La main froide chante cette merveille éhontée sur un ton confidentiel. Il faut bien comprendre que Luke la main froide est l’un des héros de rock anglais, au même titre que Lawrence, Big Billy et le Ginge. Linda Pitmon tape bien la cloche de «Me & The Octopus». C’est une vraie mère tape-dur. Ah la garce, il faut la voir cogner ! Cet album est l’un des plus excitants de l’année. T’es collé au mur en permanence. Back on the saddle again avec «Radical Bookshop Now». La mère tape-dure reprend du service. Et le cut sonne comme un hit. La main froide fait venir Morgan Fisher sur «Special Guest Appearance». Le vieux Mott essaye de faire du Mott à coups de who-oh-oh.

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             T’as énormément d’énergie sur cet album, ce mix de Buck et de main froide te percute l’hallali, ils s’arrangent pour te balancer des cuts tous plus excitants les uns que les autres. La main froide se cale toujours dans l’entre-deux des Who et des Stones, mais il sait aussi couler des bronzes de groove comme «Sufi Devotional». Elle sait aussi rocker un boat à l’anglaise, comme le montre «Nuclear War», cette petite merveille de rock action. Ils développent un son faramineux qu’on croyait perdu, mais heureusement, la main froide veille toujours au grain.

    Signé : Cazengler, Lancelot du Luke

    Luke Haines & Peter Buck. Going Down To The River To Blow My Mind. Cherry Red Records 2025

     

     

    Faut pas faire joujou avec Joujouka

    - Part Two

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             Dans Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer : Dancing In Your Head, Robert Palmer consacre un texte majeur à Jajouka, un village marocain situé à environ 100 bornes au Sud de Tanger, et à Bou Jeloud, la réincarnation du dieu Pan. Palmer y cite deux ouvrages en référence : celui de Stephen Davis, paru en 1993, Jajouka Rolling Stone: A Fable Of Gods And Heroes, et celui de Michelle Green, paru en 1991, The Dream At The End Of The World: Paul Bowles & The Litterary Renegades In Tangier. On s’est penché la semaine dernière sur le premier. Penchons-nous aujourd’hui sur le second.

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             The Dream At The End Of The World est un rock book, au même titre que Jajouka Rolling Stone. Michelle Green ne fait allusion aux Rolling  Stones qu’une seule fois, vers la fin de son récit, mais ce n’est pas son propos : elle nous éclaire sur trois des pionniers qui ont précédé Brian Jones à Tanger : Paul Bowles, Brion Gysin et William Burroughs. Et le plus rock des trois est bien sûr William Burroughs. La culture rock plonge ses racines dans l’histoire littéraire.

             Michelle Green est extraordinairement bien documentée. Elle est parvenue à reconstituer l’atmosphère de cette ville marocaine qui fut pendant trente ans, des années 30 aux années 60, le refuge et le paradis de ceux qu’on appelait alors les ‘dépravés’, c’est-à-dire les amateurs de jeunes garçons et de paradis artificiels. Michelle Green les appelle ‘les renégats’. Pour eux, «the International Zone of Tangier was an enigmatic, exotic and deliciously depraved version of Eden.» Elle précise encore : «European émigrés found a haven where homosexuality was accepted, drugs were readily available and eccentricity was a social asset.» Tu ne peux pas rêver ville plus littéraire.

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             Ce gros book avoisine les 400 pages. À voir la tranche, on voit que les pages ont été coupées. Publié en 1991, l’objet sent bon le vécu. La jaquette s’orne d’un beau portrait de Paul Bowles. C’est lui le pionnier. Il fonctionne comme un aimant. Il attire tous les autres : Truman capote, Tennessee Williams, William Burroughs, Brion Gysin, Allen Ginsberg, et Jack Kerouac, quasiment tout le mouvement Beat américain.

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             Michelle Green va faire un hallucinant focus sur Burroughs qu’on surnomme «El Hombre Invisible», l’homme qui «stick a needle every hour in the fibrous gray wooden flesh of terminal addiction», mais qui écrit aussi Naked Lunch et Super Nova. Burroughs ne vit que de «kif and hash and opiates like Eukodyl», que les pharmaciens délivrent sans ordonnance. Michelle Green précise encore que seuls les forts caractères pouvaient survivre dans ce moral chaos. Les gens ne sont à Tanger que pour «explorer la vie à l’extérieur des frontières de la civilisation et des conventions sociales, et même de la moralité.»

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             Paul Bowles écrit The Sheltering Sky alors qu’il traverse le Sahara. Michelle Green voit ce texte comme une collaboration entre Albert Camus et Edgar Allan Poe, les deux auteurs que Bowles admire. Elle parle d’un mélange de désespoir existentiel et de glamour, et pour ses lecteurs, Bowles devient un oracle. Il dit avoir consommé du majoun (a potent cannabis jam) pour l’écrire - les romantiques virent Bowles comme un latter-day Coleridge - et les hipsters le savaient en lien avec une autre icône, William Burroughs. Voilà, le décor est planté.

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    Jane and Paul Bowles

             Bowles et à la fois musicien et écrivain. Il a pour mentors Gertrude Stein et Aaron Copland, qu’il rencontre à Paris en 1931. Il profite de ce voyage pour rencontrer Gertrude Stein, Jean Cocteau, André Gide et Ezra Pound. À 34 ans, il compose un opéra surréaliste, The Wind Remains. Il traduit l’Huis Clos de Sartre en anglais, et à 37 ans, ce New-Yorkais décide de partir à la recherche d’un new creative terrain, en compagnie de sa femme, Jane Bowles, qui est elle-même écrivaine. Comme ils n’ont plus d’attirance l’un pour l’autre, ils se lancent dans des relations homosexuelles. Paul reste discret, mais Jane s’exhibe. C’est une excentrique new-yorkaise. Paul ne cache pas son admiration pour Jane : «Her mind could have been invented by Kafka.» Ils ne sont pas encore très connus, à cette époque, mais ils sont «famous among the famous.»

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    Paul Bowles

             Paul Bowles subit son premier grand choc culturel avec la découverte de Fez, qui est restée une ville du moyen-âge - Everything is ten times stranger and bigger and brighter - Il dit avoir quitté le monde. Il consomme de l’opium et assiste aux «frenzied rites of religious brotherhoods.» Puis il découvre le Sahara, «where the sky had a life of its own», et ce ciel sera la base de The Sheltering Sky. Paul Bowles voyage en quête d’inspiration. Et pour ça, le Maroc et l’Algérie sont les meilleurs endroits du monde. Pendant l’hiver 1933, il voyage inlassablement, dans les bus bondés ou à dos de chameau - He found North Africa to be populated by the most extraordinary people he had ever known - Le kif, le majoun et le hash assouplissent encore la nature de cette réalité. Il voit l’envers du miroir. Pour écrire la scène de la mort de Port, dans The Sheltering Sky, Paul s’achète dans la médina «a large chunk of majoun», pour dix pesetas. «It was the cheapest kind». Il monte sur une colline et s’installe sur un rocher. Il teste et soudain le majoun kicke - The effect came upon me suddenly, and I lay absolutely still, feeling myself being lifted, rising to meet the sun. Then I felt that I had risen so far above the rock that I was afraid to open my eyes. In another hour, my mind was behaving in a fashion I should never have imagined possible - Norman Mailer va saluer la parution du Shetering Sky : «Paul Bowles opened the world of Hip. He let the murder, the drugs, the incest, the death of the Square, the call of orgy, the end of civilization.» Michelle Green ajoute que personne ne pouvait nier sa «dark vision». Bowles «had created a world where hope was moribund and life was lived in extremis.»

             Bowles se régale intellectuellement de Tanger - To a writer imbued with a finely developped appreciation for the absurd, Tangier was paradise - Son but avoué est d’échapper à la «Western civilization». Quand il amène son protégé Ahmed à New York, celui-ci décide que cette ville «was a vast illusion created by evil djinns». Et quand une blanche ose dire à Ahmed qu’il est cinglé, celui-ci la gifle et la traite de chameau - he called her «a camel»

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             Et voilà que débarque Truman Capote, devenu célèbre en 1948, avec son premier roman Other Voices Other Rooms. Il n’a que 24 ans. On le fête à Paris. Michelle Green cite Colette, Dior, Cocteau, Camus, Noël Coward, Somerset Maugham, Nathalie Barney et Alice B. Toklas parmi ses admirateurs. Mais à Tanger, personne ne le connaît et ça le déprime. Paul Bowles garde ses distances avec Capote - He was terribly supercifial and amusing and not the sort of person you’d pick to be a good friend - Capote explique à ses interlocuteurs qu’il a déjà tous ses futurs livres en tête. Bowles : «They were all there in his head, like baby crocodiles, waiting to be hatched.» Capote ne tiendra pas longtemps à Tanger. Il va vite regagner l’Europe et mettre les gens en garde contre cette ville : «Tangier is a basin that holds you.» Bowles par contre s’y trouve très bien.

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             Il expérimente les drogues. Il cherche surtout à explorer l’inconscient. Il avait testé les drogues lors d’un séjour au Mexique. Il sait que le majoun demande une totale soumission, et que le kif «put a spin in reality», ce qui facilite l’accès à la fiction. Un proverbe arabe dit que de fumer une pipe de kif avant le breakfast donne à l’homme la force de cent chameaux in the courtyard.  Bowles reprendra l’expression pour en faire le titre d’un livre : A Hundred Camels In The Coutyard. Les Marocains qui fument du kif sont de fabuleux conteurs et Bowles enregistre ses protégés pour en faire des livres. Michelle Green ajoute : «Cannabis only exagerated Paul’s well-developped sense of detachment, and he seemed unreachable when he was under its influence.» Quand Timothy Leary débarque à Tanger, il amène ses champignons, sous forme de pilules de psilocybine. Burroughs s’intéresse aux champignons de Leary, et aux effets qu’ils provoquent sur la cervelle. Leary prétend que la psilocybine peut supplanter la poésie en amenant de l’aesthetic pleasure more efficiently, Leary affirme que les mots et les images sont dépassés, il annonce une nouvelle ère, l’ère de la superconciousness qui va rendre l’artiste obsolète. Burroughs est d’accord, car il affirme que la poésie est «finished», alors la théorie de Leary résonne bien en lui - Leary’s notions about subverting the ego made perfect sense - À travers leurs expérimentations avec les drogues, tous ces mecs font de la recherche. C’est ce qu’il faut comprendre.

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             Paul Bowles a déjà étudié le rôle du cannabis dans la société africaine. Il révèle qu’en hiver, une famille marocaine passera une soirée hashish, le père, la mère, les enfants et les proches dégusteront le majoun et raconteront des histoires pendant des heures, il y aura des chants, des danses et des rires, dans la plus parfaite intimité. C’est toujours mieux que de regarder des conneries à la télé. Paul Bowles va devenir en quelque sorte l’apôtre de cette culture. Il publie en 1962 A Hundred Camels In The Courtyard. Il devient une sorte de gourou, même s’il paraît anachronique au moment où Tom Wolfe et Norman Mailer deviennent des stars littéraires aux États-Unis.

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    Brian Gysin à l'hôpital de Tanger

             Bowles se fond bien dans le mythe de Tanger - Life is so easy here, so cheap and the climate is marvellous. If you’re going to go to hell, you can do it more cheaply and more pleasantly than in Greenwich Village - Bowles enfonce son clou : «The only way to live in Morocco now is to remember constantly that the world outside is still more repulsive.» Toujours cette haine de la Western civilization. Il s’isole de plus en plus - Each decade I know fewer people. By 1980, life will be perfect - Quand il repart en voyage à Ceylan, par exemple, c’est Brion Gysin qui prend le rôle de ringmaster. Il reçoit par exemple des Rolling Stones, et quand Bowles rentre de voyage, Brion tient à les lui présenter, mais Bowles n’est pas très excité. Ils ne sont pas sa tasse de thé.

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             Des gens fascinants, il en a connus, à commencer par Brion Gysin. Brion débarque à Tanger en 1950, il a déjà été peintre surréaliste à Paris, hashishin en Grèce, et espion pour le compte de la CIA, mais rien n’est moins sûr. À Paris, il a fréquenté Max Ernst, Valentine Hugo, Dali,  Picasso, Gertrude Stein et Alice B. Toklas. Mais André Breton ne peut pas le schmoquer et fait enlever ses toiles d’une exposition surréaliste. Alors, Brion les expose sur le trottoir, en face de la Galerie Aux Quatre Chemins. En 1952, Brion débarque à Marrakech après un long périple au Sahara, et découvre la fameuse place Djemaa el-Fna, qu’on traduit par «The assembly of the dead», le cœur battant de la médina, où se retrouvent les Berbères du Haut Atlas, les Hommes Bleus du Sahara et les noirs de Tombouctou, du Sénégal et du Soudan - It was the liviest theater on the continent - Tous ceux qui y sont allés ont été frappé par la vie qui y grouille. Sans doute l’un des endroits les plus fascinants de la terre. On y erre pendant des heures. Mais malheur aux ceusses qui boivent le jus d’orange que proposent les marchands ambulants. Et le kif qu’on vend n’est pas du kif, mais du mauvais tabac. Ce sont les pièges à touristes.

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             Le book grouille de descriptions de Brion toutes plus flatteuses les unes que les autres. Une nommée Felicity rencontre Brion et le qualifie de «most interesting man I ever met. He was singular, unique, extraordinary, monstruous and wonderful.»  William Burroughs l’admire et le qualifie de «regal without pretention». Non seulement il l’admire, mais Brion est le seul qu’il respecte. Les monologues de Brion sont légendaires. Il tire son inspiration de sa connaissance des Grecs anciens et des Romains, de l’Egyptian Book of the Death, du folklore celtique et les religions orientales, mais aussi de ses contemporains, les Surréalistes. Robert Palmer qui est devenu son ami se souvient d’avoir entendu Brion balancer «some of the cleverest, most mordant and most provocative» propos. Petite cerise sur le gâtö : Brion a aussi une passion pour les idées neuves.

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             John Hopkins se souvient d’avoir rencontré Brion chez Paul Bowles : «Un soir, nous fumions tous du kif et Larbi a préparé du majoun. On est allés sur la falaise pour admirer le clair de lune, and everyone was stoned out of their gourds. We were talking about why we were there and Paul said : ‘We’re here to learn.’ Brion said : ‘No, we’re here to go.’» Puis Brion et Burroughs se mettent à bosser les cut-ups ensemble - Même les expatriés qui trouvaient leurs experiments incompréhensibles étaient fascinés par leur creative spirit - So much energy came from being around Brion when he was with Burroughs. They had an intellectual rapport that was stunning - Paul Bowles trouvait cependant que Brion avait tellement abusé des drogues qu’il avait altéré sa personnalité. Et puis on apprend au fil des pages qu’il est auto-destructeur. Soit il détruit ce qu’il fait, soit il donne. John Giorno, qui a fréquenté Warhol, débarque à Tanger pour rencontrer Brion. Il croit lui aussi qu’au Maroc, la magie est juste en dessous de la surface des choses, ce que professe évidemment Brion. Lequel Brion emmène Giorno à Fez pour un trip au LSD. Ils vont aussi à Zagora et marchent parmi les tentes des Hommes Bleus, dans l’oasis voisin : «Il y avait une mer de tentes et de la fumée de pipes à n’en plus finir, and incredible music. We just walked around taking it in. Brion was the magical guide.»  

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             Pendant des heures, Brion peut disserter sur les théories freudiennes et les mecanisms of dervish trance drumming. Le mythe de Jajouka, c’est lui. Il commence par flasher sur les Master Musicians «who created a music unlike anything he had ever heard», playing wild flute songs - strangely riveting music, related to the ecstatic trance music of the Sufi brotherhoods, but different, with a luminous, hieratic quality all its own», selon Robert Palmer. Brion est obsédé par cette musique, au point d’aller la sourcer à Jajouka, dans les Jibala hills, à 100 bornes au sud de Tanger. Pour lui, ce fut une façon d’entrer dans l’Antiquité. Et tous les ans, il s’est rendu à la fête du mouton pour ce qu’il appelait l’équivalent of Roman Lupercalia, or the Rites of Pan. Brion avait simplement découvert que sous un léger voile d’Islam, les rites de Jajouka préservaient l’équilibre entre les formes mâles et femelles de la nature, comme ce fut le cas au temps des Romains. Et bien sûr, Bou Jeloud, Jajouka’s patron saint, ré-incarnait cette mythologie antique. Michelle Green n’ose pas trop s’aventurer sur ce terrain, elle laisse la parole à Brion. Lequel Brion va monter un resto à Tanger, les 1001 Nuits, et y faire jouer les Master Musicians.

             Le seul reproche qu’on peut faire à Brion est sa misogynie. Burroughs, qui est atteint de la même tare, avoue que «Gysin’s thinking left no place for compromise. The whole concept of woman was a biological mistake.»

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             La vraie star du book, c’est William Burroughs, sans doute le plus rock des écrivains. Michelle Green nous donne tout le détail du séjour de Burroughs à Tanger. Il est là pour les drogues, les garçons et la littérature. Le voilà dans la médina, «in his shiny business suit and greasy fedora», un air d’agent du FBI qui s’est fait virer. Peu de gens connaissent son nom, mais les wild boys des alentours le surnomment ‘El Hombre Invisible’. Ce diplômé d’Harvard a décidé très tôt de devenir un renégat. À 40 ans, il est devenu un «laconic adventurer with a mordant wit and an attraction to all things forbidden.» Il a tout étudié : l’anthropologie, la pharmacologie, les linguistiques, il s’est passionné pour Kafka, Céline, Baudelaire, Gide, Rimbaud et Blake. Il est allé comme Artaud en Amérique du Sud à la recherche du Yage, et s’est déjà tapé des voyages dans le netherworld of drugs and depravity. Hanté par un constant besoin de créer, il n’a jamais cessé d’écrire ce qu’il appelle ses ‘routines’, mais n’a jamais été convaincu d’être un écrivain - I was a nobody - S’il veut devenir écrivain, c’est parce que petit, il les voyait «riches et célèbres». Il rêve de se retrouver à Tanger en compagnie d’un jeune garçon fumant du kif et caressant une jeune gazelle.

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    Joan Burroughs

             En attendant de partir pour l’Afrique, il épouse Joan, qui partage sa passion pour le mind control, les codex mayas et les drogues. Elle raffole du speed, et notamment de la Benzedrine. Arrêtés en 1949 pour possession de drogue, Burroughs et Joan se taillent vite fait au Mexique. Et un soir de septembre 1951, ils jouent à Guillaume Tell. Joan pose son verre sur sa tête, et Burroughs qui est complètement défoncé lui tire à bout portant dans le crâne. Il fera passer ça pour un accident - domestic imprudence - Il se taille une fois de plus vite fait et gagne le Panama pour rentrer à New York. Il finit par débarquer à Tanger. Il découvre le majoun qui lui inspire des wild flights of creativity et il en prend chaque fois qu’il affronte la page blanche. De son côté, Henri Michaux a fait exactement la même chose. En 1954, Burroughs was shooting Eukodyl every two hours. Il dévalise les pharmacies de Tanger, comme Artaud dévalisait celles de Paris pour sa conso quotidienne de laudanum. Ce ne sont pas les Stones qui ont inventé le concept de sex drugs & rock’n’roll.

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    Gregory Corso, Paul Bowles, William Burroughs

             Paul Bowles est intrigué par la présence à Tanger de ce spécimen qu’on surnomme Morphine Minnie. Et à sa grande surprise, Bowles découvre que Burroughs est «vital and engaging and funny. An inspired story-teller, he had a buzz-saw drawl that lent irony to every phrase. He could talk for hours about lemurs or yage or telepathy, and his sensibility was decidedly bizarre.» Bowles creuse encore un peu et découvre que Burroughs «had a kind of crackpot mystique, fantastically mutable, he was simultaneously vulnerable and threatening, proper and debauched.» Il était à la fois le cowboy et le dreamer, le prédateur et la proie. Brion décrit Burroughs marchant dans la rue sous la pluie : «Willie the Rat scuttles over the purple sheen of wet pavements, sniffing. When you squint up your eyes at him, he turns into Coleridge, De Quincey, Poe, Baudelaire.» 

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             En 1956, Burroughs semble arrivé au bout de la junk line. Paralysé, uniquement capable de se préoccuper du next shot, il gît dans une chambre d’hôtel miteux. Le sol est couvert d’ampoules vides - I did absolutely nothing. I could look at the end of my shoe for eight hours - Il y a de la cocasserie même dans sa déchéance. Burroughs est invité pour une fête chez Peggy Guggenheim, «at which a dead-drunk William managed to disgrace himself.» Fabuleux ! Quand Kerouac débarque à Tanger à son tour, il lit les ‘routines’ de Burroughs et les trouve «à la fois brillantes et sauvages». C’est Kerouac qui trouve le titre Naked Lunch. Francis Bacon est aussi dans la parages et Michelle Green établit un parallèle entre les «brutally powerfull paintings» de Bacon et la «shocking prose» de Burroughs. 

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             Bowles finit par voir Burroughs et Brion comme une seule et même personne - Under Gysin’s influence, he had begun to style himself as a sorcerer’s apprentice. He had practiced meditation and hypnosis and mirror gazing, and he had fallen under the spell of Hassan-i-Sabbah, an elenventh-century Persian mystic who founded the cult of the Assassins. The Old Man of the Mountain as Gysin called him - Hassan-i-Sabbah gavait ses adeptes de hashish, ce qui intéressait beaucoup Brion - Like Hassan-i-Sabbah, Burroughs had removed himself from the world, obsessed with the subject of mind control - Quand JFK se fait buter à Dallas, Burroughs annonce qu’«Oswald’s bullet is the beginning of the end.» Pour lui, c’est la preuve que les forces du mal se sont emparées de l’univers et qu’«Armageddon was around the corner».

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             Brion et Burroughs explorent le cutup, et Burroughs est frappé par le potentiel littéraire de cette méthode que vient d’inventer Brion. Il appelle ça un «project for disastrous success», et les deux cocos s’enfoncent dans une spirale de créativité, taillant des textes de Shakespeare, St. John Perse, Aldous Huxley et des numéros du New York Herald Tribune. Ils mijotent des salades de mots et croient inventer une nouvelle esthétique. Mais Allen Ginsberg, qui vient de débarquer à Tanger, n’est pas impressionné. Ginsberg se méfie d’ailleurs de Burroughs, et le trouve «so inhuman it scarred me.» Et avec tout le hashish et tout le majoun qu’il se met dans le cornet, Burroughs est devenu «hypersensitive, suspicious not in a paranoid way but in an acute, analytic way of looking at subtexts.» Même défoncé, Burroughs ne perd jamais de vue la littérature.

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             Il est persuadé qu’il peut se mettre dans un certain état d’esprit pour devenir invisible. Mind control. Brion et lui sont convaincus qu’ils peuvent voyager sur d’autres planètes. Burroughs tente même des expériences à partir du Sheltering Sky, histoire d’impressionner Paul Bowles : il enregistre des larges extraits sur un magnétophone, puis coupe la bande pour la remonter au pif.  Bowles est surtout impressionné par la voix de Burroughs : «When he played it back, the tape still sounded like the prose of William Burroughs and nobody else.» Quand il ne vante pas les mérites du cutup, Burroughs tente de vendre à Bowles les théories de William Reich. Il a construit dans un jardin le fameux «orgone energy accumulator» qui permet de débloquer l’«orgone energy», source de tous les maux. Un soir, il réussit à convaincre Paul d’entrer dans la machine. Paul accepte. Le traitement dure une heure, mais Bowles craque au bout de 25 minutes. Burroughs lui demande s’il a éprouvé quelque chose et Bowles lui répond : «No, just a lot of cold.»

             En 1964, Burroughs et Brion s’embarquent à bord d’un paquebot en partance pour New York. Burroughs piquait sa crise de dégoût des «idiot Tangerinos» et des «sinister Arabs». Mais il était surtout invité dans sa ville natale de Saint-Louis par Playboy, en tant que cult hero.

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             C’est Jane Bowles qui va faire les frais de la vie at the end of the world. Comme Kit Moresby (l’héroïne de The Sheltering Sky), elle se sent victime d’un sort. Et comme Kit, elle va sombrer dans un cauchemar dont elle ne se réveillera jamais. Elle va entrer dans une spirale d’auto-destruction et donner à des inconnus tout ce qu’elle possède. Les hippies qu’elle croise dans les rues de Tanger la trouvent groovy. Le roman prend le pas sur la réalité, selon le vœu de Bowles. Ça devient fascinant. Michelle Green fait le lien entre la fin de vie de Jane Bowles et le Sheltering Sky que Bernardo Bertolucci va porter à l’écran.    

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             En 1990, Paul Bowles a 80 ans. Il vit encore dans son appartement de Tanger. Il a pas mal de petits soucis, audition et sciatique, mais n’a rien perdu de son élégance, il porte encore du Tweed anglais et fume ses clopes de kif avec son légendaire fume-cigarette. Il reçoit encore pas mal de gens, notamment Stephen Davis (l’auteur de Jajouka Rolling Stone), et continue de publier. Il traduit aussi les textes d’Isabelle Eberhardt, l’aventurière qui explora le Sahara au début du XXe siècle. Mais après la mort de Jane, il confie ceci : «My degree of interest in everything has been diminished almost to the point of nonexistence... there is no compelling reason to do anytning whatever.» Mais quand Bertolucci qui a racheté les droits du Sheltering Sky débarque chez lui en 1990, Paul Bowles accepte de participer au tournage. Bowles dit partout qu’il en attend le pire, mais Berto réussit à le convaincre de faire la voix off du narrateur. Puis il accepte d’aller à Paris pour la première du film.

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             De toute évidence, il faut revoir l’adaptation cinématographique qu’a faite Bertolucci du fabuleux Sheltering Sky de Paul Bowles. La traduction en français du titre laisse perplexe : Un Thé Au Sahara, alors que tout le poids mythique du roman repose sur la vision qu’a Mort (John Malkovitch) du ciel immense qu’il fait admirer à Kit - How fragile we are under the sheltering sky. Behind the sheltering sky is a vast dark universe, and we’re just so small - Mort sait que la mort est là, juste derrière le ciel. Mort sait qu’il est déjà mort. On voit Paul Bowles à trois reprises dans le film, ce qui renforce à outrance l’immense poids littéraire de ce film. Bowles est assis dans l’un des ces cafés de Tanger qu’évoque longuement Michelle Green dans Dream At The End Of The World. Bowles est là, et on l’entend en voix off. Assis dans un coin, il observe ses personnages tels que Berto les restitue. Berto triche cependant avec la réalité, car Bowles situe son Sheltering Sky en Algérie et non au Maroc. L’excellentissime Mort Malkovitch joue le rôle d’un personnage extraordinairement désabusé, et Kit va prendre le relais, une fois que Mort est mort, elle va entrer dans la mythologie des gens du désert et vivre une aventure sexuelle de pure perdition. Berto se fend de plans superbement graphiques du Sahara. Il rendra aussi hommage à Burroughs lorsque Kit, enfermée dans sa baraque en terre de Tombouctou, se met à faire des cutups pour passer le temps. Récupérée par des occidentaux, elle reviendra à Tanger et finira par errer dans les rues, refusant d’être sauvée. Elle reviendra sur les lieux de sa vraie vie d’avant, dans un café qu’elle fréquentait à la vie à la mort avec Mort. La scène est déchirante, chaque fois que tu la revois, elle te broie le cœur. Kit entre dans le café, se dirige sur Paul Bowles qui est assis au fond. D’une voix de vieil homme aux portes de la mort, il lui demande si elle est perdue : «Are you lost?» Et il enchaîne avec ça qui te prépare bien à la mort : «Because we don’t know when we will die. We get to think of life as an inexhaustible well.» Il redit à sa manière ce qu’on sait tous : la vie n’est pas un puits insondable. Tu vis tu meurs. Cadré par Berto, Paul Bowles est déjà mort, malgré son regard translucide de vieil homme légendaire. Déjà mort. Nous sommes tous déjà morts. Et donc en paix.  

    Signé : Cazengler, Joujoukaka

    Michelle Green. The Dream At The End Of The World: Paul Bowles & The Litterary Renegades In Tangier. HarperCollins 1991

    Bernardo Bertolucci. Un Thé Au Sahara. DVD 2008

     

     

    Wizards & True Stars

     - Third World Ward

     (Part One)

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             Tu peux entrer chez M Ward par la petite porte : celle du producteur. Grand bien t’en prend. Il vient tout juste de produire le denier album de Valerie June, Owls Omens And Oracles. Alors, intrigué, tu soulèves cette grande pierre nommée Discogs et là tu découvres tout un monde grouillant de vie.

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             Premier test avec Hold Times, un Merge de 2008. T’es bien content d’avoir cet album dans les pattes, car quel album ! Tu entres cette fois par la grande porte. M Ward crée un vrai monde et tu te sens le bienvenu. T’as une présence immédiate, l’absolute beginner qu’est «For Beginners», t’es frappé par la classe de l’attitude, la classe du son, la classe du truc et la classe du machin. Ça pue la classe à dix lieues à la ronde, t’as le claqué du rock, la saveur du goût et l’impérieux du son, un peu comme chez Bill Callahan. Il passe au glam de dingue avec «Never Had Nobody Like You». Son son craque de plaisir. La classe des cuts du cat te laisse coi. Il tape une belle cover du «Rave On» de Buddy. Il en fait du glam, il t’embarque dans sa quête d’absolu. Il s’en va pianoter son «To Save Me» en haut de l’Ararat. Il domine tout, et t’as des échos du «Do It Again» des Beach boys, tim tim tilili ! Il redéfinit la modernité avec «Stars Of Leo», il sort le Grand Jeu, tu crois entendre Roger Gilbert-Lecomte avec une guitare, c’est du génie pur. Il tape ensuite une country de rêve avec «Fisher Of Men», et t’as tout le ruckus d’un pur universaliste. Il réinvente Mazzy Star avec « Oh Lonesome Me» et Lucinda Williams. Elle reste d’une puissance extrême. Toujours éraillée, mais légendaire. Encore tout le poids du monde de Peter Handke dans «Epistemology», mais plus rock, tout de même. M Ward règne sur tous les empires. Il groove son balladif avec un art qui laisse pantois. Tu décides alors de le suivre jusqu’en enfer. Il joue encore avec la beauté comme le chat avec la souris dans «Blake’s View» et gratte au banjo l’Americana doucereuse de «Shangri-La». Tu sors de là ébahi.

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             Encore un album en forme de joyau : Post-War, un vieux Merge qui émergea en 2006. M Ward crée très vite la sensation, car il saut chanter à l’éplorée congénitale. Il sait aussi fouiller un son. Il maîtrise l’art de fouiller le fouillis («To Go Home»). Et pouf, tu prends en pleine poire «Right In The Head», gratté à coups d’acou avec une guitare rebelle en embuscade. Il est suivi à la trace par un son de gras double qui donne un souffle terrible au cut. Il multiplie les coups de charme et ça pulse bien dans la purée pop. Son seul défaut est de proposer des liners illisibles. Globalement, c’est un album fascinant, M Ward regorge d’idées et maîtrise parfaitement les envolées. Pour son «Requiem», il repart en mode Americana, et comme George Martin, il maîtrise admirablement la science du son - He was a good man/ And now he’s gone - Et t’as un solo de fuzz dans l’Americana ! Il fait aussi de la fast pop d’horizon avec «Chinese Translation». Il est stupéfiant de vision, quasi transcendental, et quand t’entends la slide qui ouvre l’horizon, t’es bluffé. L’album est réjouissant. Il passe en mode Twang pur pour «Neptune’s Nest», il vire carrément Dick Dale. Le génie sonique d’M Ward ne connaît pas de limite. Il crée encore une mélasse terrible avec «Today’s Undertaking» et «Afterword/Rag». M Ward est un Wardiste impavide, il règne sans partage sur son empire qui est toujours certain.   

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             More Rain confirme la légende : M Ward ne fait que des gros albums classiques. Il peut te caler deux cuts de glam si ça lui chante : «Time Won’t Wait» et «I’m Going Higher». Il renoue avec le son de la vieille cocote glam bien sourde. Et son Going Higher tape dans le spirit du stomp qui fit les beaux jours du glam. More Rain sonne comme un album parfait. Avec «Girl From Cojeno Valley», ce fantastique popster est aux abois. Il balance une pop dense, montée sur des dynamiques impeccables. Il creuse sa tombe dans le désert de Mojave avec «Slow Driving Man». Il est tellement bon qu’il a même des violons sur ce coup-là. Et voilà «You’re So Good To Me». Tu le reconnais aussitôt ! Cut signé Brian Wilson ! On entend aussi cet M gratter ses poux à contre-courant dans «I’m Listening (Chords Theme)», et sur ce prodige productiviste qu’est «Temptation», il a Peter Buck. Tout est littéralement merveilleux sur cet album. Il passe au kitsch de rêve avec «Little Baby». Cet M te fait rêver.  

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             Quand M associe un titre comme What A Wonderful Industry au visuel d’une mâchoire de requin, signifie-t-il que l’industrie musicale est un monde de requins ? On serait tenté de le croire. Il ne porte donc pas l’industrie dans son cœur. Ça ne l’empêche pas de pondre des albums de superstar. T’as au moins deux Beautiful Songs et deux coups de génie sur cet album dentu. Par quoi commence-t-on ? Les Beautiful Songs ? La première s’appelle «Arrivals Chorus», M arrive très décontracté et il gratte ses poux d’Hawaï. Il exhale de l’éther pur. L’autre s’appelle «A Mind Is The Worst Thing To Waste», un fantastique balladif d’Oh such a shame. Il ménage bien ses effets. T’as l’environnement des accords mentholés et le chant liquide qui se fond dans la mélodie - Oh my precious time - Ça donne une pop translucide. Premier coup de génie avec «Miracle Man», un solide rock oblique, bien claqué du beignet. Ah il faut voir comme ça secoue les colonnes du temple ! Le deuxième s’appelle «Sit Around The House» : incroyable élan pop rock, M s’élance dans l’azur immaculé. C’est d’un éclat sans pareil. Il faut le voir pour le croire. M est un artiste dont il faut faire le tour. Encore de la pop aux pieds ailés avec «Motorcycle Ride». Puis il s’en va dans le désert de Mojave gratter les poux western d’«El Rancho». T’as vraiment hâte de voir la suite.

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             La suite s’appelle Migration Stories. C’est un album qu’il faut classer à part. Il grouille de Beautiful Songs, à commencer par ce «Migration Of Souls» qui te groove l’âme. Façon de parler. C’est la Beautiful Song de l’année. Il enchaîne avec le groove paradisiaque d’«Heaven’s Nail & Hammer», M te fait danser le boléro au crépuscule, c’est chaud et vertigineux, profond, doux et dingue. S’ensuit «Coyotte Mary’s Travelling Show», une bluette country de rêve, il la chante au raw du désert de Mojave, avec des gorgeous guitars. Et tout l’album va rester à ce niveau d’effarante qualité. M vole comme un beautiful vautour dans l’azur de Mojave. Il te plane bien sur la carcasse avec «Independant Man». Puis il te gratte un cut de guitar hero, «Steven’s Snowman». Il se situe au-delà de tout, même de Ry Cooder ou de John Fahey. Il renoue avec son dieu Brian Wilson dans «Unreal City» et fait du «Do It Again» vite fait en passant. M revient au balladif d’exception avec «Along The Santa Fe Trail». Il espère retrouver sa copine dans les montagnes du côté de Santa Fe. Et t’as des chœurs de rêve. Tu retrouves son touché de note famélique et enjoué à la fois dans «Touch». Il sonne comme le joyeux troubadour de Troubalda, t’as encore une merveille orfévrée au pah pah pah, digne de Curt Boettcher. Te voilà dans le vrai de vrai. Il fait ses adieux en grattant «Rio Drone» au bord du fleuve de l’éternité. Ainsi va la vie. Ainsi va la mort.  

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             M se calme un peu avec Think Of Spring. Encore une pochette informelle. Ce sont des pochettes dont on ne garde aucun souvenir. On croise deux Beautiful Songs sur cet album mi-figue mi-raisin : «I Get Along Without You Very Well» et «I Am A Fool To Want You». Il te gratte ça dans le désert d’Arizona avec l’écho du temps. Sa voix glisse comme un ange dans les ténèbres.  Mais on voit bien que cet album refuse de décoller. L’M veut faire du Richard Hawley, mais il s’y prend mal. Il vaut faire du Smog, mais ça ne veut pas Smogger. Il essaye de faire du Smog bourbeux avec «All The Way», mais ça ne marche pas. Alors M fait de l’M. Il n’est pas rancunier, comme le montre «I’ll Be Around» : I’ll be around/ No matter how you treat me now. Avec «For Heaven’s Sake», il décide de s’installer au paradis. Il se recroqueville sur son acou et gratte ici et là des éclairs de Django Reinhardt. Il crée un peu d’enchantement avec «Violets For Your Furs» en poussant une pointe de glotte et du coup, il parvient à créer une fantastique clameur. M est un mec qui sait enrichir un balladif avec des pics de sensibilité. Mais l’album reste terriblement monochrome.  

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             Transistor Radio date de 2005. Album mi-figue mi-raisin. La figue, ce sont deux Beautiful Songs, «Hi-Fi» (gratté sous le boisseau, et le boisseau d’M, c’est quelque chose) et «Paul’s Song» (M est comme Des Esseintes, il goûte à tous les sucs). Le raisin, ce sont deux coups de génie, «Sweetheart On Parade» (avec un seul cut, M peut créer un monde. C’est ici le cas, avec un son de cathédrale fantomatique) et «Big Beat» qui est un véritable coup de génie productiviste : il fait une espèce d’heavy rockalama à la Fats Domino. Il a vraiment beaucoup de son. Avec «Four Hours In Washington», , il fait du David Lynch et gratte les notes de son subconscient. C’est une évidence, M est amoureux de la beauté. Il ne vit que pour elle.  

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             Si tu replonges aux racines, tu vas te régaler avec End Of Amnesia. M gratte l’heavy boogie de «So Much Water» avec une effarante qualité de son. Son génie sonique éclot dans l’épaisseur du son. Puis il se love dans le giron de «Bad Dreams», un merveilleux balladif intime et humide. Chez M, chaque cut sonne comme une aventure intellectuelle organique. Il fait un festival de slide dans «Silverline», puis revient à l’heavy beat de génie avec «Flaming Heart», il gratte un mic mac d’arpeggios incroyables, on se croirait chez Dickinson, car t’as les mêmes éclairs de génie productiviste. Avec «Ella», il plonge dans une énorme Beautiful Song atmosphérique. Il développe des pouvoirs monstrueux, une tempête semble se lever dans la mélodie. On n’avait encore jamais vu ça.

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             Encore un album précieux : Transfiguration Of Vincent, qui date de 2003. T’es hooké dès «Sad Sad Song», un solide balladif lesté de tout l’heavy power d’M. Il chante à la voix fêlée et mène bien sa danse. T’en reviens pas de tant d’ampleur. Frank Black et lui ont le même génie entrepreneur. Il travaille lui aussi sa matière au corps. Avec «Outta My Head», il tape dans la réverb de la frontière et chante au doux du menton, et t’as ces sons de gratte qui n’en peuvent plus, comme les marins d’Amsterdam qui se plantent le nez au ciel et qui se mouchent dans les étoiles et qui pissent comme je pleure sur les femmes infidèles. Puis il passe au wild primitif avec «Helicopter» avant de ramener sa cocote grasse dans «Fool Say» et de créer la sensation avec un solo Hawaï. Il reste dans l’ambiance lourde de la convergence avec «Undertaker». Ce fantastique entremetteur frise le Lou Reed. Et avec «Let’s Dance», il fait de l’heavy Americana bien enfoncée du clou.

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             Vingt ans plus tard paraît Supernatural Thing. Encore un bel album, sur lequel il serait mal venu de faire l’impasse. T’es aussitôt dans l’entièreté du son. Les poux d’M sont denses, il gratte des coups d’acou de jouvence. Le morceau titre sonne comme une belle dégelée de good time music. L’M bascule littéralement dans le génie pop, avec les dynamiques de Brian Wilson, c’est très lumineux, très enlevé, vaillant, plein d’énergie, avec une relance à la guitare de lumière. Quel démon ! Tu ne retrouves cette élégance de smooth ensoleillé que chez Brian Wilson et les Byrds, Il revient rocker le boat avec «New Kerrang», c’est tout de suite sublimé en interne. Il est capable de petite pop vif-argent. Il revient ensuite à son cher groove du paradis avec «Dedication Hour». C’est sa marotte. «I Can’t Give Everything Away» monte aussi au paradis, poussé par un sax d’intro. Il duette ensuite avec Neko Case sur «Engine 5». M adore s’entourer. Il arrive dans l’Engine sur le tard, fidèle au poste. Ça sent encore le brûlé du génie dans «Mr. Dixon», il part en mode Dixon raw. T’en reviens pas de le voir à l’aise dans toutes les circonstances. 

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             N’oublions pas le petit premier, Duet For Guitars, paru en 1999. S’y nichent deux pépites, «Beautiful Car» qu’M chante à l’heavy musicologie retardataire, là-bas derrière, et ça devient merveilleux, et puis «Fishing Boat Song», où il déclenche un petit enfer, et laisse sa voix déraper sur une peau de banane. Tout ce qu’il fait remonte à la surface, celle qui t’intéresse. Mais il a aussi des cuts qui sont trop laid-back pour être honnêtes («Good News»). Il gratte aussi des poux de cabane enchantée («The Crooked Spine»). Il est capable de tout, il va fureter dans tous les coins, la big pop orchestrée ne lui fait pas peur («Look Me Over»). Il peut avoir des faux airs de la ramasse à la Neil Young («It Don’t Happen Twice») et il sait faire son early Bob de Greenwich Village à gros coups d’acou («Where You Here»). Comme le riz, l’artiste est complet.

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             Et pour compléter le tour du propriétaire, tu peux aussi écouter A Wasteland Companion. Tu ne perdras pas ton temps. Au contraire. Tu enrichiras ta petite philosophie de la dimension artistique. Que veut dire aujourd’hui la liberté artistique ? La réponse pourrait être «Primitive Girl», un modèle d’heavy pop productiviste. Ou encore «Me & My Shadow», un modèle de laid-back de non-retour, gratté aux arpèges d’un Crésus Ward qui monte tellement vite en puissance. La réponse pourrait être «Sweetheart» qui sonne comme un gros clin d’œil à BrianWilson et où Zooey Deschanel donne tout. Ou encore «I Get Ideas», une pop affirmée et géniale, où il ramène un solo de fête foraine qui vire trash. M réinvente la pop de fête foraine. Sa liberté de ton est totale. Il est ce que Frank Black fut autrefois. Il te tétanise par sa liberté de ton. La réponse pourrait être le morceau titre qui sonne comme la pure Americana de la frontière. M groove son boogie, il gratte des notes qui restent en suspension. La réponse pourrait être «Watch The Show» qu’il gratte en mode rockab insistant. Il termine avec «Pure Joy» qu’il chante d’une belle voix rauque. Il est fantastique d’intégrité. Voilà pourquoi l’écoute d’A Wasteland Companion enrichit ta petite philosophie de la dimension artistique : t’as douze cuts riches comme Crésus Ward qui te font exulter sous ton casque. L’M produit de l’art brut, aux antipodes de la mormoille qui envahit les médias du monde entier. L’M est l’un des artistes les plus complets de notre époque. Voix, poux, compos, prod, tout est parfait, tout est fait pour t’envahir gentiment.  

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             M vient d’enregistrer Geckos avec Howe Gelb, le mec de Giant Sand. Le groupe s’appelle aussi Geckos. T’y trouves pas mal de délicieuses entourloupes, comme ce «Wedding Waltz» parfumé aux trompettes mariachi. Ils grattent du fluide à la frontière. Ils s’étalent au crépuscule des cactus. Ils tapent une belle Americana de caractère. Atmosphère très détendue. Relax Max. Peut-être trop angélique. On perd un peu l’M. L’Howe prend le pouvoir. Ça chante pas mal en espagnol, si señor («El Techno»). Puis t’as ce «Scoundrel» attaqué au piano et perdu dans la pampa. Tu te demandes à quoi ça sert. Tout est très ambitieux, ici, mais pas définitif. On se croirait parfois chez Leonard Cohen («Botas Negras»), mais sous la cendre. Avec «Blame It To The Ocean», ils visent le full blown de l’Americana, avec des acous ventilées, et t’as l’Howe qui chevauche le petit beat. Il refait du Giant Sand et tu reviens au point de départ de l’indie des années 80. L’Howe est incapable d’évoluer. Ils cherchent tous les deux à réinventer le genre et cultivent une sorte de douceur tiédasse. Ils s’y sentent bien, alors pourquoi pas toi ?

    Signé : Cazengler, M Whore

    M Ward. Duet For Guitars. C--dependant 1999

    M Ward. End Of Amnesia. Future Farmer Recordings 2001

    M Ward. Transfiguration Of Vincent. Merge Records 2003

    M Ward. Transistor Radio. Merge Records 2005

    M Ward. Post-War. Merge Records 2006

    M Ward. Hold Times. Merge Records 2008 

    M Ward. A Wasteland Companion. Merge Records 2012

    M Ward. More Rain. Merge Records 2015 

    M Ward. What A Wonderful Industry. M Ward Records 2018

    M Ward. Migration Stories. Anti- 2020

    M Ward. Think Of Spring. Anti- 2020     

    M Ward. Supernatural Thing. Anti- 2023  

    Geckos. Geckos. ORG Music 2025

     

     

    Inside the goldmine

    - Les Charlatans ne sont pas des charlatans

             Au terme d’une longue fréquentation, Charla est resté un mystère. On pouvait lui faire des petites vacheries, il réagissait toujours «positivement», comme si rien ne pouvait l’affecter. Fallait-il qualifier ça de droiture morale ? Son positivisme finissait même par devenir prodigieusement agaçant. On le testait en permanence, avec des petites vannes. Si on le traitait de ringard, il répondait merci. Seul un psy aurait pu donner la clé de cet impénétrable mystère. Plus prosaïquement, on voyait Charla comme la réincarnation d’un chrétien jeté aux lions, au temps de l’Empereur Trajan Dèce :  on l’imaginait parfaitement, sous les cris de la foule, enchaîné à un pieu, avec son air de sainte-nitouche, en train de dire merci au lion qui approche en rugissant. On pouvait aussi le comparer à ces Jésuites qui remontèrent les fleuves du Grand Nord canadien pour aller convertir les Algonquins au christianisme, tels que nous les montre Bruce Beresford dans Black Robe : Charla réagit comme le Jésuite capturé par les Iroquois : on lui coupe les doigts un par un, et il dit merci. Sacré Charla ! Dans une vie antérieure, il a dû se porter volontaire pour grimper les marches de la grande pyramide de Tenochtitlan, et dire merci au prêtre qui allait lui ouvrir la poitrine pour en extraire son cœur. Pire encore, Charla est forcément la réincarnation de l’un de ces pauvres crétins de poilus que le colonel Dax exhortait à sortir de la tranchée pour monter à l’assaut de la Fourmilière, un nid de mitrailleuses imprenable perché au sommet d’une colline. Le pire, c’est que Charla va se réincarner dans un autre Charla et qu’il intriguera d’autres observateurs qui à leur tour échoueront à trouver ce que cache cette forme bizarre d’abnégation. On ne peut pas dire que Charla soit taré, mais on ne peut pas non plus affirmer qu’il est intelligent. Loin de là. 

     

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             Pendant que Charla tend vers le néant, les Charlatans en sortent. Alors attention, il se pourrait bien que les Charlatans soient l’un des groupes les plus fascinants de l’histoire du rock américain. Voici pourquoi.

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             Dans ses liners pour The Amazing Charlatans, le grand Alec Palao n’en finit plus de se prosterner jusqu’à terre. Il présente les Charlatans comme cinq «19th century dandy outlaws», «like a latterday musical Magnificent Seven». Les Sept Mercenaires du rock.  Il affirme qu’au départ du mythe se trouve un concept. Selon Palao, les Charlatans ont pris plus de LSD qu’aucun autre groupe de San Francisco et n’ont pourtant jamais joué d’acid rock. Le LSD n’était qu’un moyen de pousser le bouchon du concept - Far from peace and love, the group was sarcasm and cynicism incarned. Hell, even the name was negative - Alors Palao plonge dans l’histoire du groupe et ça devient fascinant. George Hunter débarque à San Francisco et 1964 et rencontre Richard Olsen, un trompettiste. Ils décident ce former un groupe conceptuel «manipulated electronically - Sort of a William Burroughs-nightmare version of the Rolling Stones, to be known as the Androids.» Avec l’arrivée de Mike Wilhelm, le groupe devient plus organique et vire folk-rock. The Androids deviennent les Mainliners. Avec l’arrivée de Dan Hicks au beurre, le groupe devient The Charlatans. Ça commence à répéter sec : Olson on bass, Hunter on autoharp, et puis il y a les costards : «Fergusson as Mississippi Gambler, Hunter as Edwardian fop, Wilhelm as rock’n’roll Wyatt Earp and so on.» Et ils commencent à jouer au fameux Red Dog Saloon de Virginia City, au Nevada - 6 wild weeks in the summer of 1965 the band and coterie awash in LSD, raise hell on the Comstock - Puis ils croisent la piste de Tom Donahue et ils commencent à enregistrer pour Autumn Records. Big Daddy Dohanue veut les lancer et leur demande de faire une cover d’«Early Morning Rain», mais les Charlatans ne veulent pas. George Hunter : «I don’t kown if Donahue passed on us or we passed on him.» Sly Stone qui bosse alors pour Danahue installe les micros dans le studio. C’est à cette époque qu’explose la fameuse scène de San Francisco, avec les Charlatans en tête de gondole. Mais tous les projets de contrats échouent. Fergusson et Hicks quittent le groupe. Le new line-up Olsen/Wilhelm/Wilson/Darell Devore signe enfin sur Philips. Mais les Charlatans ne sont plus que l’ombre  d’eux-mêmes. 

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             Le premier album sans titre des Charlatans paru en 1969 est un big album. Et même un very big album. Top départ avec le puissant folk-rock d’«High Coin». Pur power ! On se croirait chez les Byrds. Wilhelm power ! L’«Ain’t Got Time» qui arrive plus loin semble lui aussi sortir d’un album des Byrds, tellement il est bien profilé sous le vent. Ce balda est infernal, il se poursuit avec une cover du «Folsom Prison Blues» de Cash que torche Wilhelm, il la folk-rockise à outrance. Tout est puissant chez Wilhelm. Encore du power max to the max avec «The Blues Ain’t Nothin’», percé en son cœur par un solo de free jazz, alors tu n’as plus qu’un seul mot à la bouche : «Demented!». Puis ils passent en mode mad psychedelia avec «Time To Get Straight». Les Charlantans constituent une incroyable source de réserves naturelles, c’est-à-dire de psyché liquide avec une flûte et des Byrds. La B est nettement plus faiblarde. Tu ne sauves que «Wabash Cannonball», un boogie-down furieux et bardé de barda qui bat largement les Groovies à la course, avec notamment un solo qui relève de l’imparabilité des choses de la vie. Puis tu vois l’«Alabama Bound» virer free en fin de parcours. Les Charlatans t’embrouillent vite fait, ils ont le génie du mélange des genres. Somptueux. 

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             Quand tu croises The Autumn Demos dans un bac, tu le ramasses vite fait, rien que pour la pochette. Le cow-boy Wilhelm y crève l’écran. En fait, il s’agit d’un mini-album quatre titres qui démarre sur «Baby Won’t You Tell Me», un heavy boogie doté d’un joli son de stand-up. S’ensuit  le «The Blues Ain’t Nothing» du premier album, un boogie-down incroyablement bien balancé, avec un Wilhelm en tête de gondole et un son de charley à couper le souffle. C’est la section rythmique qui coordonne cette stupéfiante énergie foutraque de San Francisco. Ces mecs swinguent, comme les Groovies.

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             Playing In The Hall est en fait leur deuxième album, enregistré live en 1997 : George Hunter, Mike Wilhelm, Dan Hicks et Richard Olsen sont encore là, avec en plus Austin De Lone et Freddie Steady. Ils ressortent pour l’occasion leur big Americana charlatanesque de «Wabash Cannonball» et d’«East Virginia». Mike Wilhelm y gratte sa clairette du diable. On retrouve tous leurs vieux plans, la good time music de «32-20», la Stonesy de «By Hook Or Crook» bien gorgée de véracité, et un peu de son New Orleans («Steppin’ In Society» et «Now I Go Sailing By»). Mike Wilhelm tape une cover de «Folsom Prison Blues», suivi une version tentaculaire d’«Alabama Bound». Même si on connaît tout ça par cœur, on écoute passionnément.

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             On entre au paradis des compiles charlatanesques avec Alabama Bound, un Eva de 1983. On y retrouve l’«Alabama Bound» du premier album, un Bound dévoré de lèpres psychédéliques et monté sur un riff de basse insistant. Puis Wilhelm tape le «Codine» de Buffy Sainte-Marie et y place un solo d’écho magique. La petite gonzesse qu’on tend sur «Devil» et sur «Side Track» s’appelle Lynn Greene. Elle est assez magique et Wilhelm gratte des poux d’alerte rouge. Leur version  de «By Hook Or Crook» dégage un vieux parfum de Stonesy, époque premier album. En B, ils tapent un vieux boogie de Robert Johnson, «33-20». Wilhelm descend vite fait au barbu.

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             On retrouve les 4 cuts enregistrés en 1965 pour Autumn sur la belle compile Big Beat The Amazing Charlatans : «Jack Of Diamonds» (fabuleux beat charlatanesque), «Baby Won’t You Tell Me» (signé John Hammond), «The Blues Ain’t Nothing» (heavy load) et «Number One» (heavy Californian Hell, en plein cœur de la magie charlatanesque). Puis t’as les Kama Sutra Sessions en 1966 : «Codine Blues» de Buffy Sainte-Marie - a classic tale of substance abuse - Mike Wilhelm dit qu’il y a joué son meilleur solo. Big heavy blues. Mais Kama Sutra n’ose pas sortir Codine et préfère «The Shadow Knows» des Coasters, plus boogaloo et chanté par Ferguson. En B-side du single Kama Sutra se trouve l’excellent «32-20 Blues», véritable coup de génie : Wilhelm dans toute la splendeur de son slide-power. Et puis voilà The Golden State Demo de 1967 avec «Alabama Bound» - nothing short of a masterpiece - Magnifique thème, symbole absolu de la récurrence charlatanesque - Don’t you leave me here - Herb Greene : «When they’d get it together on Alabama Bound, they’s bring the house down.» Et Palao affirme que «We’re Not On The Same Trip» «is perhaps their finest moment in the studio.» Véritable sommet de la Mad Psychedelia. Les Charlatans sont capables de tout. Sessions finales en 1968 : The Pacific High Sessions, avec «East Virginia», wild Americana d’I was born East Virginia et Mike Wilhelm part en vrille d’ultra-vrille. Wilhelm dit que c’est l’une des premières chansons du groupe, qui figurait sur la K7 envoyée au Red Dog Saloon. On se régale encore de «Devil Got My Man», «By Hook Or By Crook» (fantastique Stonesy de San Francisco), et «Long Come A Viper» (plus Dylanex).

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             Big Beat ressort en 2016 une compile des Charlatans, cette fois sur vinyle : The Limit Of The Marvelous. Pochette fabuleuse : les voilà tous les 5 sur le pont d’un voilier. On y va les yeux fermés, même si tout est déjà sur les albums précédents, la belle Americana d’«East Virginia Blues» et le solo fluide de Mike Wilhelm, tu retrouves aussi le thème obsédant d’«Alabama Bound», le shaking de swagger de «32-20», l’heavy charlatanisme bien traîné de la savate de «Codine Blues», la pure Stonesy de «By Hook Or By Crook», et t’as encore Lynne Hughes qui chante «Devil Got My Mind», superbe blues psychédélique, et puis alors cette faramineuse cerise sur le gâtö qu’est «Jack Of Diamond» et sa section rythmique incroyablement dynamique (Richard Olson & Dan Hicks), ce son dépenaillé, avec au mic, sans doute l’un des meilleurs chanteurs américains, le grand Mike Wilhelm.

    Signé : Cazengler, charlatan

    Charlatans. The Charlatans. Phillips 1969

    Charlatans. Playing In The Hall. SteadyBoy Records 2015

    Charlatans. The Autumn Demos. August 1965. Line Records 1982

    Charlatans. Alabama Bound. Eva 1983

    Charlatans. The Amazing Charlatans. Big Beat Records 1996

    Charlatans. The Limit Of The Marvelous. Big Beat Records 2016

     

     

    DANY LOGAN

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    1960

    Dany Logan, je n’avais pas l’intention d’en parler. Danny Logan, bien sûr, ces pochettes avec ces poses crazy-dingues, pour l’époque, parce que maintenant, elles font sourire, un peu datées, quelques titres enfouis au plus profond de la mémoire, et puis c’est tout. N’ai jamais exploré sa discographie de près. Peut-être pas un épiphénomène du rock français, mais enfin il y a plus sérieux.

    Et puis hier soir deux mots qui s’affichent sur l’écran, Radio-Andorre. Les souvenirs remontent en flèche, l’émission Special Blue Jeans, l’émission rock-yéyé de Jean de Bonis, enfin beaucoup plus yé-yé que rock. Pour Radio-Andorre, vous avez toute une série de longues vidéos qui racontent l’histoire de la radio de ses origines à sa fermeture. Hyper bien documentées. Très instructives. Une plongée sociologique dans les milieux d’affaires des années cinquante. Oui mais voilà justement qu’à côté du nom de la radio, je lis, la mention me mange les yeux Special Blue Jeans, le générique de l’émission, ah ! la voix veloutée de Jean de Bonis, interprété par les Fingers, leur meilleur morceau, je vous ai déjà causé des Fingers, un des meilleurs groupes instrumentaux des années soixante, tiens un truc qui zidouille, le nom de Dany Logan accolé au titre des Fingers. What is it ? Un hiatus qui coince. Une erreur lamentable ! Totalement d’accord cher Damie, mais là c’est toi qui cales. N’oublie pas que l’ignorance est le plus grand fléau de l’Humanité.

     Bon d’accord, procédons avec ordre et méthode. Premièrement réécoutons le titre chéri des Fingers.

    L’est sûr que le titre soufre d’un gros défaut : sa brièveté, ne tourne même pas à 120 secondes, bien au-dessous, mais cette guitare, quel must et ces fracassées de batterie, chapeau ! C’est sorti en 1963.

    Passons à la version Dany Logan : un bon point : déjà plus longue, elle atteint les deux minutes. Ce ne sont pas les Fingers qui jouent. Le guitariste se débrouille bien, le batteur a des breaks qui sont plutôt des écueils que des brisants, mais l’ensemble taille son chemin  tout en se tenant toutefois à un niveau au-dessous. Ce n’est pas tout-à-fait de leur faute, version chantée, faut laisser de la place à  Dany Logan, l’a une grosse voix bien sonore, nous y reviendrons.

    Je suis satisfait. J’ai colmaté une lacune, il se fait petit matin, allons dormir du sommeil du juste. Cette histoire est terminée. J’étais loin de me douer que j’étais au plus près de la vérité.

    2

             Tiens, une petite dernière, le coup de l’étrivière, avant de rejoindre les draps de Morphée, je ne savais pas que Dany Logan avait réenregistré un disque en 1984, jamais entendu parler, en tant que chroniqueur affûté je me dois de savoir. C’est alors que je m’aperçois de mon erreur, que la décence m’empêche de qualifier de fatale. Non Dany Logan, n’a pas enregistré en 1984, il a eu la mauvaise idée de casser sa pipe en bois selon l’expression du Cat Zengler. Une vidéo reprise d’une émission de télévision, sans image, elle commence bien, la folie des années soixante, l’insouciance, les concerts, l’argent, les filles, les voitures, l’a tout gaspillé, ne savait même pas qu’il existait des chèques… En 63 il quitte Les Pirates et entame une carrière en solo. Trois 45 tours et puis s’en vont. Aucun succès. Après c’est la galère, des petits emplois, des galas dans les supermarchés, le chômage, la dégringolade, has been un jour, has been toujours. Mauvaise idée il tombe malade, gravement. Séjours à l’hôpital… Il ne se plaint pas, il ne dit rien, il cache sa situation, par pudeur, par fierté. Plus personne ne se soucie de lui. Si une fille, elle s’appelle Michèle, qui l’a vu une fois sur scène, une fan, qui ne lui a pas parlé, mais qui depuis vingt ans est restée secrètement amoureuse de lui… Ils se marient le 4 Juin  1984, elle le sort de l’hôpital, ils connaîtront quatre jours de bonheur, pas un de plus, il est à bout de force, il ne touche plus le chômage, lui manque douze heures de cotisation. Depuis plusieurs mois il ne prend plus de médicaments, il n’a plus d’argent pour les acheter, l’administration est restée sourde à ses demandes...

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    Ce n'est pas une affiche mais une carte postale très en vogue dans les années 60

             Qui se soucie de Dany Logan aujourd’hui. A part ceux qui ont connu de près ou de loin son époque, ou ceux qui, nés après lui,, ont mythifié sur cette période rock…Le temps a passé. Les générations n’ont plus les mêmes centres d’intérêt. Il n’a peut-être pas laissé de chefs d’œuvres inoubliables mais il fut une figure de la première génération des rockers français, lui rendre hommage est nécessaire.

    DANY LOGAN

    AVEC LES PIRATES

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             Nous sommes au bon endroit, au Golf Droutt, Daniel Deshailles aime à rencontrer Jean Veidly jeune artiste peintre qui vient souvent accompagné de Long Chris. Bonne connexion, ils connaissent déjà les Chaussettes Noires, grâce à Jean-Pierre Orfino qui a travaillé au Crédit Lyonnais avec Eddy Mitchell. Quoi de plus naturel que de former un groupe : Jean Veidly s’empare de la basse, Orfino, surnommé Hector, sera à la guitare  rythmique vite rejoint par Jean-Pierre Malléjac à qui échoit le choix du roi la guitare solo, il quitte sa place d’employé dans un garage où il vend des Panhards (superbes voitures !) la batterie atterrira dans les pattes de Michel Ocks, Daniel Deshailles américanise son nom, Daniel devient Dany, Logan est le nom du personnage qui joue le rôle de Johnny Guitar dans le western éponyme.

             Le groupe se retrouve sur Bel Air, label parallèle de Barclay. Sans doute ne faut-il pas faire trop d’ombre aux Chaussettes… Ils auraient pu s’appeler Les Laits Blancs puisque pour limiter les frais investis dans leur lacement, un contrat est passé avec le Syndicat des Producteurs de Lait, à l’identique des 5 Rocks rebaptisés en Chaussettes Noires après un accord signé avec les chaussettes Stemm… Beaucoup plus sérieux Léo Missir  sera leur directeur artistique, il ne se débrouillera pas trop mal vu le raz-de-marée suscité en quelques mois par la formation. Plus anecdotique, nos jeunes artistes n’ont pas le permis de conduire, handicap pour les rendez-vous et les galas, Léo Missir confiera le rôle de chauffeur à une autre vedette qu’il promeut sur Bel Air : Lény Escudero…

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Septembre 1961)

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             Sur tous les disques le nom du chanteur se trouve inscrit pour ainsi dire en vedette américaine sous le blaze du groupe en énormes lettres majuscules. C’est ce qui s’appelle ne pas mettre les deux œufs dans le même panier. Les maisons de disques ont les dents longues et les yeux clairvoyants. Les groupes sont à la mode, mais ils ne dureront pas longtemps, le service militaire obligatoire les dissoudra à plus ou moins court terme, écrire le nom du chanteur en petit c’est déjà lui offrir une plus grande visibilité, d’autant plus que sur scène c’est le chanteur qui ravit les yeux des spectatrices…le groupe disparu on le relancera plus facilement…

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    Oublie Larry : ne manque pas de culot Dany pour adapter Hats Off to Larry de Del Shannon le chanteur aux vocalises trampolines, triche un peu car lorsque la voix s’envole, ce sont deux ou trois jeunes filles qui grimpent aux arbres à sa place, lui il se cantonne à imiter un peu les intonations du grand Schmoll, toutefois sur ce premier titre les Pirates ne font pas naufrage.  Le jet : l’est manifestement plus à l’aise sur The Jet de Chubby Checker, les Pirates foncent sans se poser des problèmes métaphysiques, moins subtils que le groupe qui accompagne le roi du twist, mais terriblement efficace. Je bois du lait : Le titre incongru est à mettre en rapport avec le contrat signé, le lecteur qui voudrait en savoir plus sur l’appétence du groupe pour cette boisson biologique nous recommandons la lecture du dos de la pochette, certes dans la série même pas peur  une adaptation de Jerry Lee Lewis, la voix de Dany occupe la première place de la vitrine sonore, dommage pour les Pirates qui donnent une meilleure prestation que leur chanteur, pour se faire remarquer sont obligés d’aboyer en chœur ce qui a pour effet malheureux de détourner l’attention de leur boulot. Tu mets le feu : oubliez Great Balls of Fire, ici ça sent la chaussette sale, ne vous pincez pas les oreilles, Ocks galvanisé vous envoie un knock out bien venu et tout le reste du groupe lui emboîte le galop. Indiscutablement le meilleur morceau du ce premier opus. Z’en ont quand même vendu cinq cent mille exemplaires. L’est sûr que l’époque manquait de rock.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (1961)

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    Une certaine similitude entre les deux pochettes, preuve que chez Bel Air l’on prend soin du groupe, l’on cherche à créer sinon une image, du moins une identité, des signes de reconnaissance qui donneront aux fans l’impression que leur groupe préféré se distingue des autres.

    Ding dong et tchouga tchouga : on craint le pire, soyons franc Michel Ocks bouffe toute la moëlle de l’os. Sinon une chansonnette signée de Garvarentz nettement plus affuté lorsqu’il s’occupe d’Aznavour (et de quelques autres). Comme un fou : Jean Veidly emprunte en premier l’escalier qui  monte jusqu’au trentième étage, musicalement c’est au point, le seul hic c’est la voix de Dany, trop pleine, pas assez souple, trop près de celle de l’Eddy Mitchell de l’époque qui lui saura progresser. Nous avons sans doute là l’explication de sa disparition la fulgurance des trois premières années des french sixties terminées. Cuttie pie (kioutie païe) : esprit chaussettes, faut savoir les user aussi vite que l’on tue les grands-frères, ne boudons pas, c’est bien balancé, extraverti, bien parti et bien arrivé. Mon petit ange : malgré le titre ce n’est pas un slow sirupeux mais un rock dévastateur, serait-ce une manie de mettre le meilleur titre sur la face 2, perfectum comme disait Jules César, l’on en oublie que c’est un groupe français.

    *

    Le succès est au rendez-vous, au-delà de toute espérance, coup sur coup Bel Air sort deux trente-trois tours, format d’époque : 25 centimètres.

    SALUT LES AMIS

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (1962)

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    Nous ne nous attarderons que sur la pochette. Elle tranche avec l’esthétique des deux 45. Cela permet d’accéder à une photo grand format du groupe, Dany en costume noir est au premier plan et au centre, le reste de la bande en leurs costumes bleu-clair nous semble quelque peu invisibilisé. La mention TWIST en lettres majuscules jaune pétant ne manque pas de sel lorsqu’au verso l’on s’aper9oit que seuls deux titres sont qualifiés de twist et sept autres de rock !

    Les morceaux se retrouvent sur les trois premiers EP’s quatre titres du groupe : Oublie Larry Cuttie Pie / Tu mets le feu / Je bois du lait / Twist twist baby / Dany / Je te dis merci / Comme un fou Caroline / Le jet

    MILK SHAKE PARTY

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    Faut bien honorer les contrats, sur la couve le groupe s’apprête à avaler un verre de poison, pardon de lait, au dos de la pochette pour la première fois l’on voit apparaître un bateau pirate. L’on se prend à regretter qu’ils n’aient pas davantage joué sur cette image.  Nous ne commentons que les deux morceaux  qui sont absents des 45 tours.

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    Milk Shake / Le Condamné : original, un soupçon de jazz, une pulsion gospel, une pincée du Crazy Beat de Gene Vincent, un véritable texte, un plaidoyer anarchisant sur la liberté de l’individu, une surprise, un résultat superbe et original. Sur ce morceau les Pirates et Dany préfigurent ce que fera Eddy Mitchell vers 1964…   /  Spring twist / Sur ma plage / P’tit Wap / L’A.B.C. du Madison / De tout mon cœur Un jour sans toi : le slow qui tue ou du moins qui vous troue le cœur, on croirait entendre les Platters, Dany nous démontre qu’il sait domestiquer sa voix, qu’il n’est pas obligé de passer en force pour s’exprimer.  / Le slow twist / Twist de Paris.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Mars 1962)

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             Les EP’s des Pirates sont toujours accompagnés de 45 T simples destinés aux juke-boxes et aux radios. Celui-ci possède une particularité, la couve papier habituelle est remplacée par une véritable pochette avec photo. Elle déroge à la chartre graphique des deux premiers disques. Dany est au centre de la photo mais les Pirates l’entourent de près.

    Twist de Paris : voir plus loin ce titre est repris sur un quatre titres résolument Twist ! Entre toi et moi : Encore une fois le meilleur sur la face B, ne doutent de rien, le Git it de Gene Vincent en français, qui aurait pu faire mieux en 1962 ? Guitares superbes !

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Mars  1962)

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    Attention, visez la partition, les pirates d’un côté, monopolisent soixante pour cent de la surface, mais sur la portion pas si congrue, Dany explose carrément. Rafle à lui tout seul toute l’image.

    Dany : une surprise, un blues, modérons notre ardeur, un slow-blues, lorsque Dany ne se laisse pas entraîner par sa voix, il sait s’en servir. Agréable mais inutile de vous suicider si vous ne l’avez jamais entendu. Je te dis merci : encore Gene Vincent, oubliez la finesse du roi du rock et de It’s been nice, Dany fonce et force sur ses cordes vocales chaussé de pantoufles aquatiques et l’équipage derrière saborde leur propre navire à coups de canons. Twist twist baby : nous entrons dans l’ère du twist, c’est sympa, c’est facile à danser, s’amusent bien tous les cinq, sont en progrès même dans le studio il semble qu’ils aient enfin compris où il faut placer les micros. Sont tous en forme. Une mention spéciale pour les tambours c’est presque les timbales de l’Ocks du Rhin. Caroline : tiens, l’a une voix fluette, une bluette sans grand intérêt, même un peu idiote, heureusement qu’au milieu du morceau les Pirates montent à l’abordage le couteau entre les dents. Dommage qu’ensuite ils laissent la prisonnière en vie.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Mars 1962)

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    Dany est derrière, devant Michel Ocks est assis derrière sa caisse claire. Il mérite la première place mais l’aurait pu rester debout. Manque le grain de folie qui fait la différence.

    Twist de Paris : tiens pour une fois ils n’imitent pas Eddy mais Johnny, pour l’entrée, le problème c’est qu’ensuite l’on est pris pour des pigeons, Dany roucoule, l’on s’ennuie, heureusement que l’on a une guitare qui intervient à bon escient durant quinze secondes et sur la fin, un piano vole à notre secours. Spring twist : une petite leçon de twist, font tout ce qu’ils peuvent pour varier les plaisirs, rien à faire, que de l’attendu, sans doute pensent-ils être modernes, hélas ils sont déjà ringards. Oh ! donne-moi ton cœur : mauvaise passe, des chœurs féminins, Dany qui fait le joli cœur,  les Pirates souquent mollement, pourtant les auditeurs n’ont pas l’air d’être sur une île paradisiaque. La route du twist : tiens un saxophone, on écoute le morceau rien que pour lui, un son rauque un solo verglacé, et les Pirates, et Dany, franchement quand ils sont passés on n’a pas levé le pouce pour les arrêter.

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    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Juin 1962)

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    Un bandeau en haut, Dany bras levés, jambes écartées, bouffe toute la place sur la photo, revétu d’un costume bleu pétrole un peu terne ;

    Laissez-nous twister ‘’ Twistin’ the night away’’ : z’ont gardé le sax tire des bouffées dans son coin, mais il pose sa griffe sur tout le morceau, la version de Johnny colle davantage à celle de Sam Cooke, l’a misé sur la batterie et pas sur le sax, mais de tous les twists que des Pirates que nous avons entendus, c’est le meilleur. Cri de ma vie ‘’ Dream baby’’ : exercice de style pour Dany, doit chanter doucement, il y réussit parfaitement les Pirates ne font plus de bruit quand surviennent les chœurs féminins, encore une fois c’est Michel Ocks qui tire les marrons du feu, pas très violent. Le slow twist ‘’ slow twisting’’ : pas si lent que le titre le laisser présager, on marche sur des œufs d’autruche, cela nous émeu, les Pirates ne sont pas toutes voiles dehors, Dany mène la danse. Danse un twist ‘’ Dance along’’ : un twist parmi tant d’autres twist, breaks incessants de batterie, le saxophone s’en vient faire son numéro au milieu.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Septembre 1962)

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    Dany devant, en costume noir, les autres en gris derrière, cette fois-ci la photo est prise de près.

    Madison time (l’A. B. C. du Madison) : la mode change, le madison c’est comme le twist en plus relax, donc l’on s’ennuie davantage, manque la fougue, qu’est-ce qu’il nous fourgue ! Au moins à la fin du morceau l’on n’est pas fourbu. P’tit Wap : elle est partie, elle a eu raison, grâce à elle on a droit à un petit trot musical allègre, le titre type des années soixante. Bien fait, chacun à sa place, résultat maximum. Sur ma plage : inspiré par les Shadows, le chant de Dany Logan détestable sur des paroles peu inspirées, le groupe donne l’impression de tourner en rond. De tout mon cœur (The young ones) : un titre douçâtre, pas tout à fait un slow mais c’est peut-être pire, les Pirates se laissent flotter sur des eaux sans âme, sont en pleine mer des Sargasses.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Novembre1962)

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             Pour le dernier 45 tours l’on s’inspire du code des premières pochettes. Dany devant s’est assis, il commence à être fatigué (moralement ?), derrière lui les Pirates bénéficient d’un piédestal. Pas trop haut, tout de même.

    Le loco-motion : rock, twist, madison, voici la dernière locomotive, Dany arrondit sa voix, ça roule sans secousse ; le sax est là mais il ne se permet aucune secousse, ne faut pas fâcher les passagers. Dancin’ party (Comme l’été dernier) : encore l’inépuisable malle sans fond du twist, pas pire que les précédents, ni meilleur. Un bon point tout de même : sa brièveté. Sheila : de Tommy Roe dont le phrasé et l’accompagnement rappellent en plus mièvre Buddy Holly, Dany impulse un peu de peps dans le vocal, Ocks caracole gentiment, on eot aimé que Jean-Pierre Malléjac eût eu l’occasion d’un solo étincelant… Milk shake : un orgue pour faire mignon, faut dite que Dany essaie de draguer une toute jeune fille qui ne boit du lait, le morceau n’est pas sans évoquer Panne d’essence de Sylvie Vartan avec Frankie Jordan.

    MANGER DU CHOCOLAT

    Nous nous quitterons sur une dernière gourmandise, une publicité, le vocal de Dany est un peu bridé par les impératifs d’une prononciation relativement plate, par contre l’accompagnement des Pirates est de haut niveau. Peut-être même leur meilleur.

             Les Pirates se séparent courant 1963, Jean-Pierre Maléjack est déjà sous les drapeaux, Dany a décidé de poursuivre en cavalier seul, Eddy Mitchell se détache irrésistiblement des Chaussettes, Dick Rivers a déjà entamé une carrière solo dès 1962…  La séparation s’effectuera sans acrimonie. Le groupe a-t-il été un peu trop pressurisé durant l’année 1962, nous le pensons, n’ont pas eu le temps d’évoluer, le groupe rock est devenu un groupe de danse. L’on peut comprendre que le chanteur de la  troisième formation rock du pays ait jugé qu’il ait pu faire comme ses deux principaux ‘’rivaux’’. Dans une interview Jean Veidly rapporte quelques informations intéressantes, Dany est tombé dans le chaudron du rock, l’a suivi les circonstances, l’aimait bien le rock mais ce n’était pas vraiment son truc, son modèle à lui, c’était … Sacha Distel ! L’on pense à Olivier Despax, son côté beau garçon relax, qui lui aussi a disparu bien trop tôt.

             Dany Logan manifestait le désir d’être accompagné d’un grand orchestre, à la même époque Dick Rivers réclamait des violons, l’est sûr que la formation basse+guitares+batterie ne permet pas de grandes envolées… un peu monotone pour le grand public, elle ne peut subsister que si elle parvient à regrouper autour d’elle un nombre suffisant d’amateurs, de connaisseurs, de fans fidèles, ce qui n’était guère possible en France à cette époque. L’effet de surprise passé, les foules sont comme Baudelaire, elles veulent du nouveau. Mais elles ne recherchent ni l’Enfer, ni le Paradis…

    DANY LOGAN

    Et l’Orchestre de Jean Bouchety

    (Mars 1963)

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    La pochette n’est pas sans évoquer les premières couves des pirates. Au dos : un bel imper, une photo extraite du film ( voir plus loin), Dany est relégué à l’arrière-plan pratiquement invisibilisé par la troïka des têtes d’affiche…

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    Donne tes seize ans : tiens des violons (pas très violents), quelle surprise, une bluette signée Aznavour-Garvarentz, c’est mignon tout plein, aussi insipide qu’un verre de grenadine dans lequel on aurait retiré la grenadine. Une seule originalité : le son tranche d’avec la niaque des Pirates. Chouette choc chérie : un rock certes, à l’origine une scène de film Du mouron pour les petits oiseaux de Marcel Carmé, sans doute Dany a-t-il envisagé à une reconversion cinéma à la Elvis Presley, mais il n’est pas la vedette, le morceau (Aznavour-Garvarentz) ne serait pas mal, un sax aux abois, un piano qui rigole, mais il manque l’essentiel, l’énergie ! Même Dany se retient de chanter, un peu comme quand vous mettiez les patins pour ne pas rayer le parquet chez votre grand-mère. Le titre était prometteur, hélas le choc ne s’est pas produit. Dis-lui : encore des violons, suite logique du premier titre, chant gentillet, chœurs féminins apaisants, lyrics à l’eau de rose. Qu’en a pensé le producteur Bert Russel à l’origine du morceau. Vous… les filles : évidemment quand on lit le titre aujourd’hui on pense à Vous les femmes de Julio Iglesias, pas vraiment la meilleure introduction, toujours des violons sautillants mais ils ont les mis en arrière et posé la voix de Dany devant, ce qui tout de suite donne un meilleur résultat. Pas de panique : rien de prodigieux.

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    Scopitone : Donne tes seize ans

             Quand on compare avec Baby John sur le premier 45 tours de Dick Rivers sans Les Chats Sauvages, l’on perçoit la différence de visée…

    DANY LOGAN

    Et l’Orchestre de Paul Mauriat

    (Juillet 1963)

    Couve plein visage. Fini les couves acrobatiques, un jeune homme bien trop lisse, style gendre idéal…

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    Le soleil de l’été : reprise Summertime Blues d’Eddie Cochran, un bon point, une reprise honnête avec, trois fois hélas, un gros défaut, l’interprétation manque de mordant. L’on regrette les Pirates… Mon cœur à Juan-les-Pins : une infâme bluette… profitons-en pour signaler la présence de beaucoup d’images, émissions télé, scènes de film, scopitones, noir et blanc et couleur qui accompagnent tant les morceaux des Pirates que ceux de Dany solo… tous ces chefs-d’oeuvre impérissables ont mal vieilli, dans l’ensemble ils ont pris un terrible coup de désuétude. Pas de chance : même style que la chansonnette précédente, insignifiance absolue. Special Blue Jeans : le meilleur morceau de cet avant-dernier EP. Un disque un peu étrange, deux rocks qui encadrent deux variétoches, Dany Boy coupe la poire en deux, un adieu à une époque qu’il veut révolue, un regard incertain vers un futur dont les contours ne sont même pas esquissés.

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    DANY LOGAN

    Et l’Orchestre de Jean Bouchety

    (Mais 1964)

    Une pochette bien sombre pour un playboy, que l’on ne peut s’empêcher de juger prémonitoire…

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    Qu’en fais-tu : un petit rock sautillant sans envergure. L’orchestre fait l’impossible pour tromper votre lassitude mais il n’est pas dans le coup. Nous n’avions que seize ans : ce coup-ci les musicos réussissent presque, proposent une orchestration originale, Dany nous la joue nostalgie mélodramatique, une certaine réussite en le sens où le sixty early french sound est préservé tout en essayant de se projeter vers un ailleurs inconnu. Elles viennent : un original de Léo  Missir et de  Daniel Deshayes, c’est par son nom que Dany signait ses morceaux, tout au long de sa carrière l’on retrouve sa signature tant sur les adaptations que sur les créations. Un aspect de Dany rarement mis en valeur. Y a que toi : quelle ringardise ! un vocal pâlichon et une orchestration un peu n’importe quoi. Dommage de se quitter sur n’importe quoi…

             Dany Boy n’a pas été oublié. Depuis les années 80, les rééditions s’enchaînent. Sans doute faudrait-il passer en revue la petite trentaine de vidéos qui ont accompagné la sortie de ses disques. L’avait tout pour plaire, un superbe garçon, une voix, du charme… s’est-il découragé trop tôt… Il s’est battu jusqu’au bout… Nous saluons en lui un des pionniers français, il n’a vraisemblable pas fait tout ce qu’il a voulu, mais sûrement tout ce qu’il a pu. C’est déjà beaucoup.

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    Damie Chad.

     

     

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    Wizards & True Stars

     - Le père Cropper

     

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             Avec le cassage de pipe en bois de Steve Cropper, c’est encore une page qui se tourne : celle de Stax et des blancs qui admiraient les noirs. Nous voilà tous une fois de plus inconsolables. Bon d’accord, il était vieux, mais quand même ! Il n’y rien de choquant dans cette histoire, si on part du principe qu’on va tous passer la casserole. C’est dans l’ordre naturel des choses. Vivre avec l’idée d’un départ imminent est une façon de ravaler sa fierté.

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            L’an passé, Steve Cropper revenait dans l’actu pour un nouvel album, Friendlytown. C’est à Jon Mojo Mills qu’est revenu l’honneur d’interviewer Crop dans Shindig!, et quand Crop attaque, il n’y va pas de main morte : «We didn’t start out thinking we were gonna create the Stax sound. It created us.» Il attaque aussi très vite sur la couleur de peau. Il faut rappeler à ce stade des opérations que Booker T. & The MGs sont l’un des premiers groupes mixtes, deux blancs, deux blackos. Crop : «There was no colour at Stax, ever.» Crop ne voyait que les musiciens. Il avoue aussi qu’il a appris à jouer en écoutant le Black gospel music et appris à composer en bricolant les paroles - I took the Christ out. I put the woman in there - Il rappelle aussi que Memphis était the most segregated city in the South. Quand Mills lui demande pourquoi la Tele, Crop dit qu’on peut jouer en rythmique et jouer en solo sur la Tele. Il dit aussi ‘jouer ce qu’il fait’ - I play what I do - Comme on ne pige pas très bien, il illustre sa pensée : «If I’m singing about a river, I try to get my guitar to sound like a river.» Là, c’est plus clair.

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             Crop commence par rendre hommage à Lowman Pauling, le guitariste des 5 Royales, qui avait une technique de jeu particulière, la gratte en bas pour la rythmique et en haut pour le solo. Puis Mills le branche sur Estelle Axton. Crop confirme qu’il est arrivé chez Stax grâce à elle. Il allait prendre son fils Packy chaque matin pour aller à l’école. Hommage plus loin à Al Jackson, le batteur de rêve - He could shuffle like nobody’s business - Mills se régale, il branche Crop sur Otis, puis sur James Carr, allant jusqu’à qualifier You Got My Mind Messed Up d’one of the greatest Soul albums of all time, et Crop abonde dans son sens : «Both him and OV Wright should have been the ones to make it.» Mais personne ne voulait bosser avec James Carr, «he had so many problems.» Et crack, il balance ça : «Al didn’t wanna work with him. I didn’t wanna work with him.» On retrouve encore Crop sur le Two Sides Of The Moon de Keith Moon et le Ringo de Ringo paru en 1973. Mills le branche ensuite sur Rod the Mod. Alors Crop sort sa théorie : «If you take half a jar of Sam Cooke and half a jar of Otis and shake it up, you get Rod Stewart. Il you take half a jar of Little Richard ands half a jar of Sam Cooke, you get Otis Redding.»

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             Mills ne peut pas résister à l’envie d’évoquer le fameux troisième album de Big Star, Third/Sister Lover. Crop joue sur la cover du Velvet, «Femme Fatale». Il se marre bien le Crop avec cette histoire qui lui a fait plus de pub que «Dock Of The Bay» et «Midnight Hour». Dickinson est venu le trouver chez Ardent pour lui demander : «Cropper, can you come over and play on a song for me real quick?» - And I said, «yeah.» - Une ou deux prises. Il dit de Big Star qu’ils avaient «a different kind of soul.»

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             Encore une interview de Crop dans Uncut. Les canards anglais se sont magnés le cul, car Crop avait 83 balais, et comme les légendes commencent à se raréfier, fallait pas traîner. Crop rappelle la petite anecdote concernant «Green Onions». Quand on demande à Booker T comment Crop sort ce son sur «Green Onions», Booker dit : «It’s pretty simple. Out of his hands.» Un mec demande ce que rend le son Stax si particulier et Crop répond que si on enlève les paroles d’une chanson, on entend encore la chanson - Just by the intro and the groove, you can tell what the song is - Une autre question concerne la signification de ‘MGs’. Bagnole ? Crop répond que Chips avait une Triumph mais il existait déjà un groupe qui s’appelait The Triumphs, alors oui, les MGs. Et non ‘Memphis Group’ comme on le croyait tous. Pour déconner, Duck Dunn a dit dans une interview que ça voulait aussi dire «Musical Geniuses». Ce qu’ils étaient en réalité.

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             Le père Crop est revenu dans l’actu grâce à un bel album, Friendlytown. Billy Gibbons est dans le coup, alors forcément t’as du son, et ce dès le morceau titre, ça gratte au raw. Et comme Roger C. Reale chante au raw, ça casse bien la baraque. Avec le père Crop, t’as le Memphis Beat automatique. Par contre, tu te demandes ce que cet asticot de Brian May fout là. Plus tu avances dans l’album et plus du comprends que c’est un album du Zizi Billy. Les énormités se succèdent, «Hurry Up Sundown», «Let’s Get Started», le Reale saute sur la vague. Quelle leçon pour les générations à venir ! Le ZiZi Billy plonge «Talkin’ Bout Politics» dans l’enfer de l’heavy blues. On reste dans l’heavy ZiZi boogie avec «Lay It On Down» et ça repart au plein-comme-un-œuf avec «You Can’t Refuse». Ça sent bon le ZiZi ! T’as l’heavy groove texan revu et corrigé par le père Crop. Et tout bascule dans le génie avec «Rain On My Parade» attaqué à la régalade, ah comme le Reale est bon ! Il soigne ça à coups de please don’t rain in my parade, c’est un hit, et même une merveille inexorable. Le père Crop passe au hard Memphis funk avec «There’s Always A Catch», c’est un catch de cat, le Reale chante ça au black white power, hey hey ! Le père Crop joue avec le feu, il peut se le permettre, c’est un pionnier, il a toujours côtoyé les blackos, alors c’est normal qu’il bascule dans l’hard funk. Big Crop ! Le Reale râle comme un crack black, il passe en force, lubrifié par des chœurs de blackettes délurées.

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             En 2021, le père Crop foutait le feu avec Fire It Up, un album de Memphis Beat. On retrouve Roger C. Reale au chant, et t’as tout Stax qui remonte à la surface. Quelle déboulade ! Ça bat encore sec et net sur «I’m Not Having It». Fracassant ! Heavy boogie Soul de Memphis. Le père Crop te claque le beignet du pont. Pas d’innovation, on reste dans le vieux biz. On est là pour ça. Encore une solace de la rosace avec «Far Away» et ils passent en force avec «She’s So Fine». C’est vraiment bien senti, le père Crop s’amuse bien avec des potos. Et puis tu les vois groover «The Go-Between Is Gone» dans la purée, le père Crop claque son tiguili au milieu du cut, il te Staxe ça vite fait à la note éparse, comme il l’a fait toute sa vie.

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             Tant qu’on y est, on peut sortir de l’étagère deux ou trois bricoles. Tiens par exemple ce Back To Back des Mar-Keys et Booker T. & The MG’s qui date de 1967. Bon, ce ne sont pas les vrais Mar-Kays, ce sont plutôt les Memphis Horns (Andrew Lowe, Wayne Jackson et Joe Arnold). C’est l’occasion de retrouver la fantastique énergie de «Last Night», le vieux générique de Salut Les Copains. Quant à Booket T & the MGs, c’est toujours aussi bien. «Green Onions» reste le symbole du Memphis Beat, avec son fantastique shuffle d’orgue. C’est d’une élégance et d’une puissance rarement égalées. Et puis on a Crop qui rôde au coin du bois avec sa Tele. Il passe aussi un riff de gaga pur et vénéneux à souhait dans «Red Beans & Rice». Par contre, ils se vautrent avec leur cover de «Gimme Some Lovin’». Il faut de tout pour faire un monde.

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             En 1973, Crop monte le trio Washrag et enregistre Bang!. Il s’appelle pour le coup Captain Guitar. Avec David Mayo on bass et Ron Capone au beurre, ils commençaient à jammer en sifflant des Miller et pouf, c’est devenu Bang!. Encore une fois, on est au paradis de l’instro, avec Crop. Ça reste très balèze. Tous les instros de l’album sont tirés à quatre épingles. Mais ça finit par tourner un peu en rond. Même si on aime bien Crop, on finit par s’ennuyer un peu. Il claque en B un «Mr Big Stuff» à la claquemure, c’est énorme et plein d’allure. On trouve au dos de la pochette une belle brune qui se lave dans une bassine, alors pour l’accompagner, Crop nous claque «Clean Up Woman».

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             C’est peut-être l’endroit idéal pour saluer l’album solo que Steve Cropper enregistra en 1969, With A Little Help From My Friends. Il se lance dans des ré-interprétations instrumentales de hits séculaires, comme «Land Of 1000 Dances». Bon d’accord, il sait jouer, mais ça on le savait. Il taille une belle croupière à «99 1/2». Il sort sa plus belle disto et joue au gras double. Ce son magique rend bien hommage à Wicked Pickett. Il passe à la petite insidieuse pour tailler une bavette à «Funky Broadway», il joue au son d’infiltration, dans la masse d’un énorme groove de Staxy Stax. Le père Crop est un démon, dans le Sud tout le monde le sait. Comme Ry Cooder, il crée la sensation en permanence. Avec le morceau titre, il fait du Joe Cocker sans la voix, il fait chanter sa Tele. Ils sont tout de même gonflés de se lancer dans cette aventure devant 500 000 personnes. Crop réussit à créer de la tension, il fait le plan des screams en mode deep south. Bien vu, Crop ! Ce qu’il parvient à sortir est exceptionnel. Il prend ensuite «Pretty Woman» au funky strut de Stax, il joue tout le thème au claqué de Tele. Crop ne se refuse aucune extravagance et du coup, l’album devient palpitant, aussi palpitant que peut l’être la pochette. Il s’en va ensuite swinguer «I’d Rather Drink Muddy Water» au jazz, et là, ça devient stupéfiant. Il va là où le vent le porte. Guitar God on fire ! On le voit aussi rentrer dans le lard de l’heavy blues avec «The Way I Feel Tonight» et il claque le beignet du Midnight Hour à la Crop, c’est-à-dire droit au but, sans voix, c’est encore la Tele qui fait tout le boulot. Bon, ce n’est pas Wicked Pickett, mais ce n’est pas si mal. Les cuivres arrivent en renfort dans «Rattlesnake». Comme d’usage, les Memphis Horns font la pluie et le beau temps. Tout s’écroule prodigieusement dans des vagues de son successives. Cet instro est une telle merveille qu’elle pourrait servir de modèle à Michel-Ange. 

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             Crop a enregistré deux albums avec Felix le chat. Le premier s’appelle Nudge It Up A Notch. On peut voir un antique tourne-disque sur la pochette.  Nos deux héros démarrent avec un r’n’b insistant et têtu comme une bourrique, «One Of These Days», joliment inspiré par les trous de nez. Quelle incroyable énergie ! Ils naviguent tous les deux à un très haut niveau qualitatif. Crop prend un très beau solo staxy gorgé de cette vieille verve apostolique. Cela paraît incroyable que ces deux vieux crabes soient encore capables de faire danser les mémères. Avec «If It Wasn’t For Loving You», ils proposent un fabuleux slow d’exaction pathologique. Ces gens-là savent de quoi ils parlent, ne vous en faites pas pour eux. Et Crop sort sa vieille disto, histoire de montrer qu’il bande encore. Ils proposent plus loin un fiévreux instro d’antho à Toto intitulé «Full Moon Tonight». Crop met la main à la pâte et balance l’un de ces grooves rampants dont il a le secret. Il fait ça depuis cinquante ans, ne l’oublions pas. On reste dans le groove têtu comme une mule avec «To Make It Right». Tout est solide et bien orchestré sur cet album. Crop fait un festival dans «Cuttin’ It Close». Quel flasher ! Quel pourvoyeur de notes salées ! Il sonne vraiment comme un punk.

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             Mais c’est avec Midnight Flyer que le duo explose. Ce disk sonne tout simplement comme un classique Stax, et ce dès «You Give Me All I Need». Felix la chat y creuse sa faille et shoote de la Soul dans le prévisible. Alors on se prosterne, car c’est du très haut niveau. Felix le chat perce son tunnel et débouche dans un paradis d’ozone supra-naturel. Quel miracle ! Il tient bien son disque en main, well well, et se comporte en génie insistant. Crop et Felix le chat explosent littéralement. S’ensuit le morceau titre. Felix le chat y retente le diable. Ah il faut voir le boulot qu’abattent ces deux vieux crabes ! Felix le chat ne lâche jamais un groove, il chante de l’intérieur des chœurs, c’est tisonné au timon dans la démence d’un groove précipité, ça pulse dans les mystères du Nil et il pleut du miel de Soul blanche sur la terre. Quand Felix le chat traîne dans les parages, il faut rester sur le qui-vive. Cet homme fait des miracles. Il tape l’«I Can’t Stand It» en mode groove de r’n’b. C’est l’un des trucs les plus excitants qu’on ait entendu depuis des lustres. Aria Cavaliere duette avec Felix le chat. On reste dans une extraordinaire ambiance avec «Chance With Me», et tout bascule dans la magie - You can groove with me - Des courants de groove traversent le cut en diagonale et Crop passe un solo liquide de génie pur. C’est d’un niveau dont on n’a pas idée tant qu’on ne l’entend pas. Felix le chat part en radeau sur l’Amazone, il Aguirre la bleusaille alors que Crop gratte son petit funk par derrière. On retrouve la fantastique énergie du groove de reins dans «Sexy Lady», et ce renard de Crop gratte son funk en continu. Tout son art vient de Curtis Mayfield, ne l’oublions pas. Ils tapent aussi une version d’«I Can’t Stand The Rain», ce vieux standard magique, mais Felix le chat le chante au pire feeling de l’univers. Attention, Felix le chat n’est pas n’importe qui, c’est un Soul brother blanc, et comme Eddie Hinton, il est encore plus black que les blacks. Il faut aussi entendre l’attaque punkoïde de Crop dans «Do It Like This». Il ressort toute sa niaque de Staxman des origines. Instro magnifique et plein d’allant. On adore ces deux vieux routiers de la légende américaine, ils savent combiner le riffing et le shuffle d’orgue, alors on s’en met plein la lampe, d’autant que Crop part en solo.

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             Quand les trois géants Albert King, Steve Cropper & Pop Staples jamment ensemble dans un studio Stax, ça donne Jammed Together, un album bourré de grooves in-dé-cents de classe. Ils attaquent avec « What’d I Say » qu’Albert chante à la Albert - alwite hey hey - C’est évidemment Duck Dunn qu’on entend derrière faire rouler sa bassline. Nos trois amis se livrent au petit jeu de la jam session avec gourmandise. Le point fort de l’album, c’est «Big Bird» en B. Leur version instro dépasse les bornes. Un peu plus loin, ils s’en vont swinguer les poux de «Trashy Dog». On nage dans l’excellence, mais il faut savoir prendre le temps d’écouter de genre de disque informel. 

    Signé : Cazengler, Steve Crapper

    Steve Cropper. Disparu le 3 décembre 2025

    Albert King Steve Cropper & Pop Staples. Jammed Together. Stax 1969

    Steve Cropper. With A Little Help From My Friends. Volt 1969

    Washrag. Bang! TMI Records 1973

    Felix Cavaliere & Steve Cropper. Nudge It Up A Notch. Stax 2008   

    Felix Cavaliere & Steve Cropper. Midnight Flyer. Stax 2010   

    Steve Cropper. Fire It Up. Provogue 2021

    Steve Cropper & The Midnight Hour. Friendlytown. Provogue 2024

    An Audience with Steve Cropper. Uncut # 331 - November 2024

    Jon Mojo Mills : Don’t mess up a good thing. Shindig! # 156 - October 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Clickbait de Gévaudan

             Comme chaque mardi, l’avenir du rock rassemble ses amis les Pouets Disparus dans son bel appartement de la rue de Rome. Histoire de conforter l’idée qu’on ne peut abolir le hasard, ils débutent la soirée avec une partie de dés.

             Après avoir trempé ses doigts dans son verre de Sauvignon pour humecter les pointes de sa moustache, Stuart Perrill En-la-Demeure jette un défi intellectuel :

             — Engrossons quelques idées pour engendrer de nouvelles gorgonneries !

             Tout le monde applaudit frénétiquement. Paimpol Roux se lève d’un bond et commence à se déboutonner :

             — Capturez-m’en une bien fraîche, bien sauvage, tenez-là fermement par les bras et par les jambes, et je la saillirai à la hussarde !

             Il exhibe son dard turgescent...

             — Je la gorgerai de mes gènes paimpolesques, et la gorgonnerie que j’engendrerai pour vous, messieurs, entrera dans l’histoire littéraire !

             Gêné par cette atmosphère de salle de garde, Tristan Corbillard tente de faire revenir l’assemblée dans le droit chemin :

             — Comment un Pouet tel que vous peut s’égarer de la sorte ? Il ne s’agit pas de saillir, cher Paimpol Roux, mais de s’allier. Nous ciselons la symbolique, voyez-vous. Laissons les paillardises aux Académiciens !

             Jules Lafourgue vole au secours de son confrère Corbillard :

             — En toute chose, il faut un point de départ : je propose qu’on engrosse l’idée de la Bête qui sommeille en chacun de nous...

             Paul RocFort s’exclame :

             — La Bête qui prend ses cliques et ses claques ?        

             — Clickbait, murmure l’avenir du rock, en état d’extase mystique.

     

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             C’est ainsi que les Pouets Disparus sont tombés par hasard sur Clickbait. Qui d’autre qu’eux pouvait remettre du rose aux joues de la modernité ?

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             T’avais pas revu un tel festin de beat depuis ESG et les grandes heures du Duc de Devo. Clickbait arrive de Chicago pour faire danser les foules, et ça danse. Quand c’est irrésistible, c’est irrésistible. Même pas la peine de discuter. T’as le beat et l’argent du beat. Il faut voir comme ces quatre cats de Chicago rockent le beat ! C’est un beat d’une finesse extrême, rien à voir avec les premiers de la classe (Talking Heads) et l’electro-beat à la mormoille. Derrière ses fûts, t’as Baptiste tout

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    droit sorti des Enfants du Paradis qui bat l’extrême shuffle d’excelsior, tout en finesse de power-beat, il insuffle du souffle, et la petite bassiste asiatique sourit en grattant ses notes automatiques. C’est d’un niveau qui te laisse rêveur. Ils sont à la pointe extrême de la modernité. T’en reviens pas ! Derrière t’as un mec sur sa Gibson qui gratte des riffs qu’il faut bien qualifier de pertinents, tu fais «wow, comme ça joue !», car ça joue, l’énergie est bonne, les cuts carrés, tout est parfait, même la petite

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    asiatique qui chante et qui n’a pas de voix fait le show, elle va et elle vient entre les rangs, pas les reins, et rocke la casbah de Chicago mieux que ne le firent les dévots d’Akron en leur temps. Cette fraîcheur de ton te surprend et tu claques des doigts, tu vois toutes les têtes dodeliner et toutes les rotules se gondoler, ça va loin cette histoire, c’est le beat le plus contagieux du monde, le plus organique, le plus frais du marché, le plus direct car le plus simple. C’est le beat qui te parle. C’est une mécanique impitoyable, une sorte de retour aux sources d’ESG qui t’en souvient-il, te dilataient la rate dans les années 2000 et t’adorais ça. À quoi peut donc servir une rate sinon à ça ? 

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             Tu ramasses At Your Leisure au merch. Et tu y retrouves tout le punch du set, t’es dedans dès «For Sale», battu au shuffle et repris par le petit bassmatic mécanique. La voix de la p’tite Sandra est bien meilleure en studio. Ça se déroule avec «So So», tu crois rêver, toute cette modernité ! La basse est plus grasse, plus

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    ESG. Tu danses en permanence, t’as un beat juste sous la surface du beat, une espèce d’infra-beat. «Audacity» sonne comme un hit d’ESG. Cet album est une vraie fontaine de jouvence. Tout est drivé à sec, à la hussarde d’ESG. Ils enfilent les cuts comme des perles et tout est bien. T’en reviens pas. Tout est dense, tout est fin, tout est okay, surtout l’«Uh Huh» - Oh why ah-ah-ah-ah-ah - Sandra lance merveilleusement l’assaut de «Spy Song». Elle gueule sa modernité par-dessus les toits et t’as encore de la fantastique allure. Chaque cut est doté de vie, chaque cut est un petit objet rock moderne parfait. T’entends même du Magic Band dans ce «SG House» qui avance en crabe. Admirable ! Encore de l’heavy ESG avec «A Bouffant Off», bien contrebalancé par des petits riffs incisifs. On monte encore d’un cran dans l’avenir de la modernité avec «Sundae With Peanut». Tout est fabuleusement neuf et tonique, ça swingue dans l’essence même du beat de basse mécanique, t’as l’impression d’assister à une incessante course poursuite vers la perfe. Et ça rocke encore avec «Cut Snake» à coups de cold cold cold cold hearted snake. Cette fantastique petite industrie se déroule imperturbablement.

             Clickbait n’a rien à voir avec le post-punk. Ils héritent de la modernité inventée par Devo et réinventée par ESG. Ils en font un art de vivre. 13 cuts et pas un seul déchet.  

    Signé : Cazengler, Clickbait à manger du foin

    Clickbait. Le Trois Pièces. Rouen (76). 19 novembre 2025

    Clickbait. At Your Leisure. Clickbait 2024

    Concert Braincrushing

     

     

    On the Road(runners) again

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             Pour une fois, tu te pointes avec les oreilles complètement vierges. Tu ne connais les Roadrunners que de nom. Ça ne t’a jamais traversé l’esprit d’écouter les albums et encore moins d’aller les voir sur scène. T’avais déjà trop de boulot avec les Anglais. Apparemment, la reformation des Roadrunners est un événement : trois concerts complets, un au Havre et deux à la Maroquiqui. Un bon pote te file une place, alors t’y vas. On sait jamais. Personne n’est à l’abri d’une bonne surprise. C’est une façon comme une autre de bétonner les pré-requis. 

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             Le set correspond exactement à ce que tu pressentais : un rock français inspiré des groupes anglais et américains, bien en place, avec une bonne énergie et surtout, t’as une vraie voix. C’est la voix qui fait la différence, celle que d’autres groupes français n’avaient pas, on ne citera pas de noms. Frandol sait poser sa voix, on l’a vu à l’œuvre dans les François Premiers, un groupe qui sait secouer les colonnes du temple. Un groupe au-delà de tout soupçon.

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             Les Roadrunners taillent bien la route, oh ils n’ont pas vraiment les compos du siècle, mais tu passes du bon temps, ils savent rocker leur boat, et t’as des moments où ça tangue pour de vrai, et tu t’accroches au bastingage. Comme t’as la set-list sous le nez, tu suis bien l’évolution de ce set qui paraît interminable. Les Road gavent leurs fans comme des oies. T’as pas mal de dames aux cheveux blancs dans les premiers rangs et elles dansent, certaines connaissent même les paroles, alors ça t’émerveille. Tu te dis qu’au moins, ces gens-là n’écoutaient pas Johnny Hallyday.

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      Sur scène, Frandol choo-choote comme une fantastique locomotive, tu n’as d’yeux que pour lui, il storme bien ses vieux cuts, c’est le capitaine Achab du rock français, il sait garder obstinément un cap, il n’a d’yeux que pour la baleine blanche, et pouf, au beau milieu de la tempête, les Road te claquent une cover d’«Hey Bulldog», et là ça t’en bouche un coin, car à part Fanny, peu de gens ont osé taper dans ce vieux chef-d’œuvre de rocking Beatlemania. T’es bluffé, car la cover est superbe, pleine de jus, même si elle est drivée au piano électrique, alors que June Millington te drivait ça sur sa Les Paul, mais bon, tu te régales, car ça te sonne bien la cloche. Ça te flatte l’intellect. T’en as même des frissons. Ils vont taper une autre cover plus tard, celle du «Roadrunner» de Bo que vient chanter Daniel Jeanrenaud. Et puis ils entrent en éruption avec une pure stoogerie qui s’appelle «I’m Watching You» et tu vois le lead guitar claquer sur sa Tele le riff raff de Ron Asheton, et là tu comprends qu’ils écoutaient eux aussi les bons disques. Ils tapent encore deux gros blasters, «Just A Drop» et le fameux «Let It Beep» qui couronnent un show qu’on peut qualifier d’admirable. 

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             S’il faut écouter les albums ? Ton pote qui les connaît bien te met en garde : «T’auras pas le son du concert. Ça sera plus lisse». Bon, mais t’y vas quand même. Et par sécurité, tu commences par un live, Beep Show Live, qui date de 1992. Tu

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    retrouves ce fantastique performer à la proue des cuts, soutenu par un son de grattes très fouillé. Arrive très vite ce qui semble être leur hymne national, «Let It Beep» : belle cavalcade de ventre-à-terre et toujours cette voix bien posée à la limite du raw to the bone. Fantastique vélocité ! Tout ici est bien dense, bien carré, bien chanté, bien senti, bien foutu, bien jeté dans la balance. Retour au solide rockalama avec «Behind The Door/Wrong Track», drivé au claqué de poux bien sec et bien revigorant, et derrière, t’as une section rythmique qui bombarde la ville. Sur «Actor’s Illusions», Frandol a des faux accents de Chris Bailey, ce qui le rend éminemment sympathique. T’as toujours la voix, même si les compos ne sont pas au rendez-vous. Ils terminent avec un joli clin d’œil à Bo et une honorable cover de «Mona».  

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             Tu testes aussi leur dernier album en date, Sales Figures. Et là, tu vas aller de surprise en surprise. Si t’en pinces pour les grands chanteurs, alors  écoute «Couteau Naif». Cette belle allure gaga t’épate bien la galerie. Puis il chante son «French Kiss» mi French mi Kiss, d’une voix de proto de Boucherie - French Kiss/ J’ai l’eau à la bouche - Les ambiances de «Macadam River» sont réussies. Cet album est remarquablement bien foutu, bien orchestré, c’est un son qui te parle. Avec «Summertime Frog», il ramène la grenouille de Monsieur Quintron. Te voilà dans la Louisiane. Mais le meilleur est à venir : «Chatterton». C’est Kurt Cobain qui chante ! Frandol chante au raw de Kurt, c’est exactement le même Teen Spirit. Quel hommage ! Il refait son Kurt dans «Satellites». Tu sors de là complètement bluffé.

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             Tu retrouves les deux hits du set sur Instant Trouble : la belle stoogerie d’«I’m Watching You», où ils deviennent les maîtres des Orlocks, ah il faut les voir stooger dans la purée, mais c’est bien plus violent sur scène. Et bien sûr «Hey Bulldog», la cover du siècle, ou presque. C’est une pièce de choix, bien cocotée. Frandol fait du pur Lennon à coups de you can talk to me, et ça impose le plus grand respect. Ils tapent aussi «Contortions» en mode heavy rock US. C’est assez irréprochable. T’as beaucoup de son sur cet album. Par contre «Eye Of The Cyclone» est trop maniéré, trop rock français, tout ce qu’on déteste. Ils font une petite tentative de beat tribal avec «Beat Around The Bush». Tout le monde n’est pas Bo Diddley. Par contre, Frandol fait des merveilles sur «Don’t Wake Me Up». T’as la vraie voix. Ils regagnent la sortie en beauté avec «Don’t Look Down». Ça barde et c’est assez raw. La morale de cette histoire ? Les covers sont toujours plus sexy que les compos. T’y peux rien, c’est comme ça. «Hey Bulldog» balaye tout le reste. 

    Signé : Cazengler, roadruiné

    Roadrunners. La Maroquinerie. Paris XXe. 16 novembre 2025

    Roadrunners. Beep Show Live. Boucherie Productions 1992  

    Roadrunners. Instant Trouble. Boucherie Productions 1993

    Roadrunners. Sales Figures. Boucherie Productions 1995

     

     

    Faut pas faire joujou avec Joujouka

     - Part One

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             Dans Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer : Dancing In Your Head, Robert Palmer consacre un texte majeur à Jajouka, un village marocain situé à environ 100 bornes au Sud de Tanger, et à Bou Jeloud, la réincarnation du dieu Pan. Palmer y cite deux ouvrages en référence : celui de Stephen Davis, paru en 1993, Jajouka Rolling Stone: A Fable Of Gods And Heroes, et celui de Michelle David, paru en 1991, The Dream At The End Of The World: Paul Bowles & The Litterary Renegades In Tangier. Penchons-nous sur le premier.

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             Curieusement, Stephen Davis ne cite pas Robert Palmer dans son récit. Il cite tous les autres, Brion Gysin, William Burroughs, Paul Bowles, Brian Jones, Ornette Coleman, mais pas Palmer. Comme Palmer, Davis est retourné plusieurs fois séjourner au village. C’est cette passion pour les Masters Musicians of Jajouka qu’il raconte au long de ces 300 pages qu’il faut bien qualifier de fascinantes. L’idéal pour apprécier la substance de ce récit est d’avoir séjourné dans des villages de montagne marocains, par exemple ceux du Haut Atlas. Ça permet de voir à quel point les mots de Davis sonnent juste, et de rappeler à quel point les gens perchés là-haut savent recevoir les étrangers. On y redécouvre ce qu’on appelle, dans les livres, «l’humanité».

             Alors, Jajouka ou Joujouka ? Au départ, c’est Jajouka. Dans les années 90, il y eut un schisme au sein des Master Musicians of Jajouka, schisme dont parle Davis. Il y avait d’un côté les Master Musicians of Jajouka autour le Bachir Attar, plus ouverts sur le monde, et de l’autre les Master Musicians of Joujouka autour de son cousin Ahmed El Attar, plus soucieux de la tradition. Nous allons donc continuer de faire joujou avec Joujouka.

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             Davis commence par remonter aux sources : the hill tribe of Ahl Sherif, leur folklore et cette tradition qui raconte que Bou Jeloud descendit jadis de la montagne pour danser avec eux et bénir leur village. Bou Jeloud se présentait comme le Father of Flocks, le Master of Skins. Il jouait aussi de la flûte, la fameuse flûte de Pan. Davis glisse très vite sur Brian Jones, founder and essence of the Rolling Stones - He was the flower of his generation of English artistes, at least until his considerable decline and murder - En 1968, une voix murmura à l’oreille de Brian Jones : «Pan the goat god is still dancing up there. You must see it and hear the music. It’s a tribe of musicians, priests of pan, smoke kif all day, music all night, dancing boys.» Brian Jones s’ennuyait à mourir avec les Rolling Stones et cette voix qui était celle de Brion Gysin le ramenait à la vie. Et Gysin continuait : «C’est important pour vous de découvrir cette musique. I mean, my dear, it will change your life. It changed mine. Elle change la vie de tous ceux qui la découvrent. It’s a trip and a half. Vous pouvez me faire confiance. On peut y aller quand vous voulez, quand vous êtes prêt. Say the word. Let me take you there.»  

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    Brion Gysin

             Avec Bou Jeloud, Brion Gysin est le personnage clé de ce récit. Quand Davis le rencontre à Tanger, Gysin est dans ses mid-fifties, mais il est resté «ruggedly handsome as a Swiss mountain guide». Gysin est un musicologue, il explique tout à Davis : «The musicians are rather aristocratic Arabs in a Berber society». Il rappelle aussi que Brian Jones est revenu à Tanger en 1968 avec sa girlfriend Suki et l’ingé-son George Chkiantz. Ils voulaient enregistrer les Master Musicians. Pendant leur séjour à Jajouka, Brion et Brian papotaient, et ils virent arriver deux Musiciens avec une chèvre blanche. L’un des deux brandissait un long couteau. Brian vit la lame et comprit qu’on aller buter la chèvre, alors il se leva d’un bond, paniqué, et s’écria : «That’s me !». Et tout le monde acquiesça, oui, elle te ressemble : la chèvre avait une frange claire sur les yeux, and I could only say, of course, that’s you. Brian était blanc comme un linge, as if he’s had some kind of premonition.

             Brion et Brian ne séjournèrent qu’une seule nuit à Jajouka, et rentré à Tanger, Brian passa son temps à écouter les bandes, intrigué par cette musique issue de la nuit des temps. Rentré à Londres, Brian tenta d’intéresser les autres Rolling Stones aux flûtes de Jajouka. Chou blanc. Et quelques mois plus tard, on le retrouva noyé dans sa piscine - Drowned, ODed, murdered, who knows? You’ve heard all the stories, conclut Brion sur Brian.

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              Davis reverra Brion à Paris, où il s’est installé, au 135, rue Saint-Martin, dans le Marais. Infatigablement, Brion revient sur Jajouka, un phénomène auquel il dit s’intéresser depuis 30 ans. Davis campe la scène comme le ferait Huysmans dans Là-Bas, il fait parler un spécialiste. Brion dit avoir étudié le sujet en profondeur et découvert que les Masters Musicians préservent des éléments de rituels gréco-romains. Il explique aussi que leur circular breathing is a form of the Sufi Zikr - But what else? Some other aspect of Jajouka was, I intuited, still a secret - Brion s’exprime comme Carhaix, le sonneur de cloches de Saint-Sulpice. La première fois qu’il entendit cette musique, Brion affirme qu’il voulut l’entendre chaque jour de sa vie. Alors les Master Musicians lui proposèrent d’ouvrir un café à Tanger où ils pourraient jouer tous les soirs. Puis Brion découvre rapidement que les Master Musiciens célèbrent le culte de Faunus, the Roman god  qui avait établi l’équilibre entre la cité et les champs, qui veillait à la fertilité des troupeaux et des femmes. Et tout cela l’a ramené aux processions rituelles des Dionysian Mysteries, dont parle aussi Palmer dans son récit : «Quand Marc Antoine revêtu d’une peau de bête fit la course des Lupercales à Rome, César lui demanda de frapper Capunia, sa femme stérile, en courant. Aujourd’hui, Bou Jeloud danse dans la peau d’un bouc fraîchement massacré, avec un immense chapeau de paille attaché au-dessus de ses oreilles, son visage, ses mains et ses pieds sont noircis au charbon, et on dit que les femmes qu’il fouette avec sa branche seront enceintes dans l’année.»

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             Et l’historien-musicologue Brion repart de plus belle : «Pendant des années, je n’ai vu que trois principaux aspects, The Roman Bou Jeloud, the Sufi techniques from the old Persian world, and the cult of Hamid Sherq. Mais pensez à ceci : Lixus was a great center of Phenician worship and ritual. À une époque, on détruisit Lixus. Peut-être les Romains, peut-être the Beni Hallal, a fierce Arabic tribe.» Selon Brion, ce sont les gens de Lixus qui se sont installés dans la montagne, à Jajouka - Ils se sont installés là avec leur religion secrète et leurs ‘unspeakable practices’, and absorbed everything that came along - Roman gods, Islamic saints, Moroccan kings, the Rolling Stones - Puis Brion explique d’où vient le nom de Jajouka : Jouka signifie owl, c’est-à-dire la chouette - Dja-jouka means Owl Mountain! Jajouka means the way to Owl Mountain. Aisha Hamoka est une chouette, with grey eyes like Minerva. And they always told me she was there in the village long before Bou Jeloud... Vous voyez où je veux en venir ? La chouette est le symbole que les Phéniciens utilisaient pour leur mother goddess, Astarte. It’s the Old Religion, older thant human memory. C’est pourquoi ils se trouvaient à Sidi Kacem, that old Phenician place! Lixus is the missing link - Selon lui, les prêtres du culte d’Astarté se sont réfugiés à Jajouka.

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             Brion est un amoureux de la vie et des mystères de la vie. Quand Davis le rencontre pour la dernière fois, Brion est plutôt amer - You know, the whole world is turning to shit. Everything real is dying and no one can stop it. Soon the entire planet is going to be a pathetic theme park. It’s a real shame, man. A bankrupt fucking theme park. And that’s the truth. I’m glad I’m not  gonna be around to see it - Puis Brion salue une dernière fois les Master Musicians : «They were magic. That’s all. They had very little to do with the reality of this world.» C’est un petit cancer du poumon qui va l’emporter dans l’au-delà, en juin 1986. Il continua de fumer de l’herbe jusqu’à la fin. Puis son corps fut incinéré et ses cendres dispersées, non à Jajouka comme il le souhaitait, mais near the Caves of Hercules by Cap Spartel.  Davis devient affreusement lyrique avec la disparition de son mentor : «Des amis ont remarqué que the best conversation in the world had died with Brion. He was the linging link to the romantic Orientalism of the nineteenth century and beyond, through the bottomless well of the past. The world seemed diminished by his death.»

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             Davis rencontre aussi Paul Bowles qui vit toujours à Tanger. Il a 67 ans et Davis le voit comme «the great forgetten man of modern American litterature». The Sheltering Sky est l’une des références des Beat writers. Devenue folle, sa femme Jane Bowles cassa sa pipe en bois en 1973 à Tanger. Bowles se spécialisa ensuite dans des dope stories, telles que les lui racontaient son protégé originaire du Rif, Mohammed Mrabet. Comme Brion, Bowles est un musicologue. Il évoque the Jilala music qui permet d’entrer en transe, de se battre avec des couteaux, de boire de l’huile d’olive bouillante et de marcher sur des charbons ardents. Bowles dit avoir vu à Meknes des gens avaler des scorpions et des serpents vénéneux vivants. Ils leur arrachaient la tête d’un coup de dents et la crachaient au sol - Et le lendemain ? No scars. No nothin - Quand Davis lui demande s’il lui est arrivé d’avoir peur au Maroc, Bowles répond : «Frightened? No. Delighted, mostly. I always expected to see what I saw.» Il précise qu’il est arrivé au Maroc en 1931.

             Davis évoque aussi les fameuses putes berbères tatouées sur les joues auxquelles Brian Jones fit aussi référence à Marrakech - tribal tattoos on their cheeks and shaved pussies - Il évoque aussi trois Stradivarius découverts par les Espagnols à Jajouka - How did they get there? Musicians brought them home, of course - Davis fait référence aux Maures chassés d’Andalousie en 1492 par Isabelle la Catholique. Tout est extrêmement chargé d’histoire dans ce book, ce qui le rend palpitant de bout en bout. Y grouillent encore mille détails qu’on ne peut étaler ici, mais qui te rendront cette lecture infiniment délicieuse.

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             Davis évoque aussi l’album d’Ornette Coleman enregistré à Jajouka avec les Master Musicians en 1971 et paru en 1977, Dancing In Your Head. Davis parle d’une mad salad of noise. Robert Palmer n’est crédité que sur un seul cut, «Midnight Sunrise». Palmer y joue de la clarinette. L’antiquité du Maroc te saute au pif. Quand t’as été au Maroc, tu sais de quoi on parle. Te voilà de nouveau confronté à la plus ancienne des réalités. Ornette affronte l’ancien mythe d’Astarté. Le son t’englobe. Le son t’avale. Les Master Musicians avalent l’Ornette qui souffle dans son cornet comme un beau diable. C’est ultra-saturé de clameurs qui parlent directement à ton for intérieur. Les deux autres cuts de l’album sont du jazz classique, mais libéré de ses chaînes. C’est du free libre de ses mouvements et joué au contrefort de percus désossées. T’as deux guitares en contrepoint du contrefort. L’Ornette roule ad vitam et fonce dans le tas de percus et de poux sibyllins. Tu retrouves les guitares vénéneuses dans «Theme From A Symphony (Variation Two)» et un très beau background orientalisant. Ça te donne au final un très beau groove de poux funky enrichi à outrance par le délire de l’Ornette.  

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    Stephen Davis

             Quand sa fille naît aux États-Unis, Davis la baptise Aisha. On ne peut pas faire plus joujoukien - Of course, I couldn’t get Jajouka out of my mind - Il écoute ses enregistrements à longueur de journée, comme le fit en son temps Brian Jones - Gradually, word got out that I had become obsessed, and this was propbaly true - Davis se souvient des nuits passées à fumer du kif et à écouter les Master Musicians - I saw Brian Jones slumped in a corner, comatose under his headphones. I watched William Burroughs and Brion Gysin laughing and drinking whisky with Hamsa. Malim Ashmi, leaning on his stick, crackeld about sheep tongues and the pick of the litter. Dancing boys in frilly pink dresses whirled as tambourines rattled like snakes - Davis nous livre ses hallucinations.

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             Davis a aussi interviewé William Burroughs à Boston en 1974. Burroughs avait séjourné plusieurs fois à Jajouka et avait intégré des éléments de la Boujeloudiya dans ses romans, The Ticket That Exploded et Nova Express. Burroughs n’y va pas de main morte : «La chance qu’ont eu les Marocains, c’est de n’avoir jamais eu un Saint-Paul qui leur dit ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Ils n’ont pas la même attitude que les Chrétiens face à l’homosexualité ou à toute autre forme de sexualité. Leur sexualité est plus, shall we say, casual, c’est-à-dire décontractée. Pas de crispation, pas de culpabilité, pas de complexes, rien de tout cela.» Burroughs qui a 60 ans à l’époque dit qu’il a rencontré Brion en 1954 à Tanger, mais ils ne se voyaient pas beaucoup car Brion était occupé avec son cabaret, The Thousand and One Nights - Les 1001 Nuits - où jouaient chaque soir les Master Musicians. Puis il revit Brion à Paris en 1958. C’est Hamsa qui a emmené Burroughs à Jajouka en 1964. Il dit aussi que le village a changé, et qu’on a remplacé les toits de terre par de la tôle ondulée. Davis lui demande alors si la magie est toujours là - Ummmm. Still plenty of magic in Jajouka. Lots of it. They’re still living, to some extent, in the magical world. Avez-vous remarqué l’odeur qui se dégage des Musiciens quand ils jouent ? C’est comme un crépitement dans l’air, un mélange d’ozone et d’encens. Ils ont certainement un lien avec le poète persan Farid ud-Din Attar, qui écrivit un magnifique poème philosophique, The Conference Of The Birds, au XIIe siècle. Ils produisent cette odeur avec leur music. To me, that’s magic.

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             Davis rencontre aussi Keef pour une interview, au Rockefeller Plaza. Le Keef est stone drunk. Il demande à Keef de rééditer le Brian Jones’ Jajouka album. Keef dit non - That was Brian’s idea. I thought he did very well on that - Puis Jagger se pointe et au nom de Brian Jones, il fait une grimace. Pas question de rééditer l’album. Ça coûterait trop cher, «and no one cares about it anyway.»  

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             En dépit du qu’en dira-t-on, Brian Jones Presents the Pipes Of Pan At Jajouka n’est pas l’album que l’on croit. On peut l’écouter à différentes époques de la vie, le résultat sera toujours le même : t’as les flûtes de Pan qui sortent de la nuit des temps, et c’est tout. T’as les heavy drums, mais il manque l’essentiel : la transe. C’est un son qui se barre dans les fastes de l’Antiquité. On comprend que cette forme de brutalité primitive ait pu donner le vertige à Brian Jones. Cette effusion reste hors du temps. Cette énergie subliminale a dû dépasser Brian Jones de la même façon qu’elle nous dépasse. Dans «Your Eyes Are Like A Cup Of Tea», t’entends la flûte de Fellini. On retrouve la trace d’Astarté dans le Rif. Là oui, t’as le vrai beat antique. La transe remonte depuis le fond de la nuit des temps. Le tambour qui entre longtemps après n’entre pas, et pendant cinq longues minutes, ça bascule dans la désolation. Une flûte issue du néant retourne dans le néant. C’est l’album du chou blanc.

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             Il vaut mieux écouter l’album des Master Musicians Of Jajouka Featuring Bachir Attar, Apocalypse Across The Sky, paru en 1992. T’y retrouves les vraies sonorités marocaines et les chœurs de femmes. Tu retrouves la flûte de Pan dans «El Madahen», bientôt suivie des tambours. T’as là le plus tribal des beats. Astarté fait quelques apparitions. La plupart des cuts se mettent doucement en route, à l’ancienne mode de la nuit des temps. Les attaques aux flûtes de Pan sont puissantes. Tout est bâti sur le power de la transe et l’arythmie. Le beat des tambours établit un lien avec l’Afrique noire. Tu remontes aux origines de l’humanité. Astarté revient de temps en temps, toujours très lancinante, très ancestrale, très traditionnelle. T’as des cuts très orientaux («Shar Yagelbi Sbar») qui sentent bon la confrérie, l’ensorcellement soufique et les clameurs antiques. Et soudain, t’as le Jajouka de tes rêves avec «On Horseback». Les cuivres te déchirent la conscience. Ils t’ouvrent à Pan.

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    Continental Drift in Street Wheels

             Bon, Jagger finira par aller à Jajouka en juin 1989, vingt ans après Brian Jones, et par enregistrer «Continental Drift» avec Bachir Attar. Bachir dit qu’il avait 7 ans quand Brian Jones est venu à Jajouka.

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             On garde le meilleur pour la fin : Bou Jeloud. Pour voir danser Bou Jeloud, il faut aller à Jajouka en octobre pour l’Aïd el Kebir, la Fête du Mouton. Les tambours lancent le Bou Jeloud’s chase music et c’est la panique - it was the music of chaos - Davis sent que le changement de rythme altère son rythme cardiaque, et les rhaitas entament des wild Persian snake lines - the rhaitas braying out a cosmic drone - Bou Jeloud apparaît en criant HUT !, il frappe les gens avec ses branches de laurier, il porte des peaux de chèvre qui puent, et un bonnet de paille qui enferme son visage noirci. Il semble que la description qu’en fait Palmer soit plus explosive. Bou Jeloud se jette sur Davis qui aperçoit deux yeux jaunes dans l’ombre du bonnet de paille, Jesus !, s’écrie-t-il.

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             C’est en bouquinant un book d’Edward Maestermark publié en 1927, Ritual And Belief In Morocco que Davis a découvert que le rituel de Bou Jeloud remontait au temps des Romains, quand le Maroc était une colonie punique de Rome. Au mois de février, des hommes couverts de peaux de bêtes couraient dans les rues et fouettaient les gens avec des branches de laurier. On appelait les branches des februa et le jour des Lupercales s’appelait dies februatus. Le mot february vient de là. Et quand Brion Gysin vit pour la première fois Bou Jeloud fouetter les femmes le jour de l’Aïd el-Kebir à Jajouka, il fit immédiatement la relation avec the «holy chase» que décrit Shakespeare dans Julius Caesar : vêtu de peaux de bêtes, Marc-Antoine court fouetter les femmes dans les rues de Rome, et la sienne en particulier qui est stérile.

             Pour Davis, Bou Jeloud est le «god of chaos, the god of frenzy and panic, the god of the bonfire, the god of dance fever, the god of jealousy and sexual rage.» Il aurait pu ajouter the god of rock’n’roll.

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             Brion dit un jour ceci à Davis : «Si un jour, les fils électriques montent jusqu’à Jajouka,  ce sera la fin de Bou Jeloud. Old gods don’t mix well with light bulbs and television.» Méditez bien ceci, les gars. On ressent quasiment le même malaise aujourd’hui quand on voit tous ces fucking smartphones dans les concerts de rock. Ça ne mixe pas bien du tout avec le culte de Dionysos.

    Signé : Cazengler, jajoukaka

    The Master Musicians Of Jajouka Featuring Bachir Attar. Apocalypse Across The Sky. Axiom 1992

    Ornette Coleman. Dancing In Your Head. A&M Records 1977

    Brian Jones Presents the Pipes Of Pan At Jajouka. Point Music 1995    

    Stephen Davis. Jajouka Rolling Stone: A Fable Of Gods And Heroes. Random House Inc 1993

     

     

    Inside the goldmine

     - Deep South

             Jossou dirigeait son centre de formation d’une main de fer. Les esprits chagrins le lui reprochaient, les autres comprenaient que la gestion d’une centaine d’adultes parqués dans un centre excentré pendant un an requérait certaines aptitudes. Le centre appartenait à une multinationale qui chaque année transformait des gens tirés du cru en agents de maîtrise. Jossou devait donc veiller à ce que la mutation se passât bien. On arrachait des gens des ténèbres des ateliers de maintenance pour les envoyer grenouiller dans les réunions de cadres, et donc la mutation était à la fois génétique, intellectuelle et sociale. Non seulement Jossou veillait à la qualité des cours et donc des intervenants, mais il «entraînait» littéralement les apprenants au combat, leur expliquant chaque matin lors d’un petit prêche que «le combat allait être rude» et que «pour manager les hommes, il fallait savoir faire autorité.» Il se foutait bien sûr le doigt dans l’œil. On subissait donc les rigueurs de sa main de fer. Il n’autorisait aucun retard en cours. Il demandait le silence pendant les repas au réfectoire. Il imposait la messe du dimanche matin et fixait l’extinction des feux à 22 h. On se serait crus dans une école de gladiateurs dirigée par un Jésuite. Jossou était un petit homme aux cheveux gris et au visage marqué. Il portait des lunettes à montures fines dont le double foyer grossissait jusqu’au délire ses petits yeux clairs. Ne lui manquait que la soutane. Une nuit, nous décidâmes d’aller rôder dans les alentours du pavillon cossu qu’il occupait à l’extérieur du centre. Il devait être minuit passé et nous vîmes de la lumière aux fenêtres du rez-de-chaussée. Intrigués, nous approchâmes. Quelle surprise ! Jossou se trouvait en compagnie d’une dizaine de personnes que nous reconnûmes comme étant les notables du village : le maire, le notaire, le gendarme et bien sûr l’abbé. Les épouses étaient là, bien sûr, mais elles ne portaient que des bijoux. Le spectacle de ces vieilles femmes nues avait quelque chose de satanique. Jossou portait une soutane. Il s’adonnait à son sport favori, le prêche et il arpentait le salon de long en large. Soudain, on le vit de dos. La soutane était découpée depuis le bas des reins jusqu’aux pieds, offrant à qui voulait bien voir le délicieux spectacle de son petit cul glabre.  

     

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             Pendant que Jossou se livre à des orgies, Joe South délivre des classiques.

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             Tu finis toujours par revenir à Joe South. Comme Tony Joe White, il fait figure d’originator. Son premier album, Introspect, date de l’âge d’or, c’est-à-dire de 1968. Il peut sonner comme Elvis («Don’t You Be Ashamed») ou comme Tony Joe White («Gabriel»). C’est dire s’il est complet. Il tape aussi des beaux balladifs de la frontière, avec des roses et des bivouacs («All My Hard Times») et peut éventuellement taper une belle Americana rootsy as hell («Redneck»). On le connaît surtout pour son génie balladif, il porte «The Greatest Love» à bouts de bras, dans l’air pur de la frontière, en pleine Conquête de l’Ouest. Encore une belle compo en B avec «These Are Not My People». Il te travaille ça au corps.

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             Pochette classique d’American rock album pour Games People Play. C’est du pur Capitol de 1969, un vrai cartonnage US. Dès «Party People», Joe South sonne comme Elvis. C’est de la très haute voltige. Il peut aller chanter par-dessus les toits de Memphis. Même chose avec «Concrete Jungle». Joe a du coffre, il reste dans l’orbite d’Elvis. C’est un cake. Puis il bascule dans la Mad Psychedelia avec «Hole In Your Soul», c’est gorgé de sitars et d’Orient en feu. Il attise bien la fournaise. Il attaque sa B des anges avec une belle cover d’«Hush» au nah nah nah, early in the morning. Quel beau jerk ! Billy Joe Royal en fit ses choux gras. Et voilà que Joe sonne comme Scott Walker sur «Leanin’ On You». Hey Joe ! Il dispose d’une belle hauteur de vue et d’un timbre d’airain. Il retape ensuite le «These Are Not My People» de l’album précédent et rivalise avec les géants du balladif US. Il a toutes les finesses du génie pop, il a aussi des trompettes mariachi et des violons. C’est merveilleusement capiteux. Droit au cerveau.

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             On commence par se régaler de la pochette de Don’t It Make You Want To Go Home. Joe porte sa veste en daim et fixe l’objectif d’un œil déterminé. On découvre sur cet album l’une de ses facettes les plus intéressantes : le gospel. Oui, Joe est un fabuleux Gospel shouter, comme le montrent «Shelter» et «Before It’s Too Late». Il a derrière lui toute la clameur des Edwin Hawkins Singers ! Franchement t’en reviens pas d’entendre un blanc taper le Gospel batch aussi bien. L’autre coup de génie de l’album est le «Clock Up On The Wall» d’ouverture de balda. C’est un balladif bien soutenu. Joe crée un monde fascinant, il chante upfront avec un tic tic et des nappes de violons. T’es encore frappé par la fière allure et l’incroyable densité de «Bittersweet». Quand il tape un r’n’b («What Makes Lovers Hurt One Another»), il le fait avec des chœurs de gospel. Tu te régales encore de son extraordinaire texture vocale dans «Be A Believer». C’est ce qu’on appelle par ici une grosse compo.     

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             En 1971, il enregistre un bien bel album sans titre. On reste sur Capitol avec Joe South. Il est accompagné par The Atlanta Rhythm Section et tape une belle country pop de gorge profonde. Mais ce n’est pas non plus la panacée. Avec «Rose Garden», il tape une petite pop de beg your pardon, et vise le Totoring avec ses castagnettes. Cette coquine de viande se planque en B, avec notamment «How Can I Unlove You», une belle pop-rock élancée qui aimerait bien sonner comme un hit. Il refait enfin son Elvis sur «You Need Me» et s’en va groover comme un cake avec «Devil May Care». Il y fait son Van Morrison, avec une voix qui porte aux quatre vents et un fil mélodique fabuleux. Il flotte dans l’air magique d’une pop d’Atlanta, le cut chaloupe des hanches in the Southern breeze, yeah devil may care.

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             Peux-tu rêver d’une pochette plus psychédélique que celle de So The Seeds Are Growing ? Non, bien sûr. Il reste dans cette pop de gorge chaude et ne lâche pas sa rampe. Ce n’est pas son genre. Il sait rocker un jerk de juke comme le montre «I’ve Got To Be Somebody» er son «Revolution Of Love» reste typique de l’époque : pop-rock très orchestrée. En B, il s’en va taper une belle cover du «Drown In My Own Tears» de Ray Charles. Joe sait challenger son Ray. Il tape ensuite un «Lady Moonwalker» signé Mars Bonfire et continue de bien dominer la situation. Il refait ensuite son Tony Joe White avec «Motherless Children». C’est vraiment très swampy !   

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             Puis on entre dans la série des pochettes ratées avec celle d’A Look Inside. Ce qui ne l’empêche pas d’aller faire son Tony Joe en B avec «Misfit» et d’attaquer son balda avec un shoot de Gospel batch, «Coming Down All Alone». C’est même de l’heavy country-gospel avec des chœurs superbes. Joe reste le power cat que l’on sait. Son «It Hurts Me Too» est digne de Tonton Leon, même panache, on est en plein dans la veine Mad Dogs & Englishmen. Et boom, voilà le coup de génie de l’album : «Real Thing» qu’il attaque au raw du groove, alrite ! En B, tu vas encore te régaler de «Save Your Best», un balladif d’ampleur universaliste. Il frise encore la grosse compo avec «I’m A Star». Tu sens le souffle dès l’aéroport.

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             Et pour conclure ce bref panorama, voilà Midnight Rainbows, un Island de 1975. Il refait vite fait son Elvis sur le morceau titre d’ouverture de balda, puis il fait son John Lennon sur «You Can Make It If You Try». C’est dire l’étendue de sa polymorphie. On retrouve le fantastique chanteur de balladif avec «My Fondest Memories». En B il revient à la petite pop fraîche chantée de main de maître («To Have A Hold And Let Go») puis il refait son Van The Man sur «Stranger In A Strange Land». C’est du solide. Dans l’esprit, ça reste très Tonton Leon. Encore du gros son avec «Glad To Be Living On The Earth Today», soutenu par une grosse disto sautillée. Alors ça sonne comme un hit texan.

    Signé : Cazengler, Joe Sot

    Joe South. Introspect. Capitol Records 1968

    Joe South. Games People Play. Capitol Records 1969

    Joe South. Don’t It Make You Want To Go Home. Capitol Records 1969  

    Joe South. Joe South. Capitol Records 1971 

    Joe South. So The Seeds Are Growing. Capitol Records 1971  

    Joe South. A Look Inside. Capitol Records 1972      

    Joe South. Midnight Rainbows. Island Records 1975

     

     

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             Se passent des choses dans ma tête. Rassurez-vous je ne vais pas tout vous raconter. Je ne veux pas que vous deveniez fous. Toutefois sachez que tous les trois mois, c’est un peu comme les marées d’équinoxe, toute mon intelligence est obnubilée par une question à laquelle je ne puis apporter aucun élément de réponse. Ce phénomène survient systématiquement après la lecture du dernier Rockabilly Generation News. Je suis obligé de reconnaître que cette livraison était parfaite, jusque-là tout va bien, je bois du petit lait comme diraient Dany Logan et ses Pirates, c’est après que tout se gâte : cela devient une obsession : Mais que Sergio Khas et son équipe vont-ils pouvoir inventer pour obtenir que le prochain numéro soit aussi bon que le précédent ?

             Remarquez : ils ne réussissent pas à tous les coups, ce trente-sixième fascicule n’est pas aussi bon que le trente-cinquième, jugez-en par vous-mêmes, il est un cran (sans arrêt) supérieur !

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    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 36

    JANVIER – FEVRIER - MARS

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             Jean-Louis Rancurel ouvre sa malle à trésors photographiques. L’en sort le troisième chaton de la couvée primordiale du rock’n’roll français. Dick Rivers ! Les parents de Jean-Louis devaient aimer les bêtes puisqu’ils l’ont laissé s’aventurer la nuit dans Paris pour voir Les Chats Sauvages. Des adultes peu inconséquents tout de même, l’en est revenu avec une belle griffure. Là où ça fait le plus mal : au cœur ! L’est devenu fan. L’est sûr qu’avec un titre comme Ma p’tite amie est vache nos félins niçois se démarquaient de la concurrence. Le courant passe entre Dick et Jean-Louis, le voici élu photographe officiel du fan-club Dick Rivers. Résultat : tout un flot de photos de Dick étonnantes. J’ai toujours aimé Dick Rivers, ma cousine en était fan, mais je l’ai vraiment apprécié en 1972, lorsqu’il s’est exilé en studio à Toulouse, pour enregistrer Dick’n’Roll (et tout ce qui s’en suivit), à l’époque Eddy Mitchell passait son temps à médire des Chaussettes Noires, et Johnny attendra plus de deux ans avant de s’envoler pour Memphis… bref ils prendront le train du revival en retard. Se fâcheront avec Dick plus tard…

             Ce coup-ci c’est moi qui suis griffé au cœur, me souviendrai toujours de cette fin d’après-midi, les Capitols sur scène et leur interprétation magique de Baby Blue de Gene Vincent, un moment hors du temps, ce n’était plus les Capitols, c’était l’esprit de Gene qui avait pris les commandes… Faut toujours retrouver les coupables des bonnes actions, Sergio donne la parole à Stéphane Birin, des Capitols. L’est en pleine forme Stéphane, lui c’est un méchant crabe qui a refermé ses pinces assassines sur ses abattis, s’est débattu, on n’avait vraisemblablement jamais appris à ce maudit crustacé qu’il est inutile de s’attaquer aux rockers, ils ne sont pas immortels, mais presque. Ce fut dur, mais après dix ans, les Capitols se reforment, l’on n’attend plus que les prochains concerts et une galette capiteuse. Une autre bonne nouvelle, elle date de longtemps, Steff se raconte, enfance, adolescence, première guitare, premières ébauches, premiers groupes, toute une saga rock’n’roll passionnante, une vie le rock’n’roll chevillé au corps, en une époque où beaucoup prétendaient que c’était une cause perdue. Réveil, revival, renaissance, continuité.

             Racines avec Julien Bollinger. Je n’ai jamais compris pourquoi le nom de Wynonie Harris ne faisait partie de la liste des pionniers du rock’n’roll. C’est sûr que son prénom est difficile à orthographier, et puis c’est un black. Un peu trop agité. Si quelqu’un vous demande c’est quoi le rock’n’roll : donnez-lui à lire la première colonne de la rubrique. Ne vous alarmez pas s’il part en courant et s’il dénonce Wynonie aux ligues féministes, Wynonie l’avait son franc-parler, tout comme il avait son franc-chanter dans le micro. Une éruption, une irruption, volcanique. Elvis lui doit beaucoup. Mais l’élève ne dépasse pas toujours le maître. Toute la différence entre imitation et édulcoration. Un portrait saisissant, un personnage extraordinaire, l’a brûlé la chandelle de son existence par les deux bouts !

             Cette fois le muscle cardiaque n’est pas déchiré mais les nouvelles de Chris Bird et des WiseGuyz font chaud au palpitant. Les news sont bonnes, Chris a pu quitter l’Ukraine et ses bombardements incessants, l’attend en Allemagne son permis de séjour, l’a reformé un groupe, l’on comprend entre les lignes que ses nouvelles recrues ont besoin de progresser. Si tout se passe bien, bientôt il pourra donner des concerts avec sa nouvelle formation : les WiseGuyz.

             Compte-rendu des festivals, Parmain s’est terminé (définitivement) en beauté  avec un concert explosif : Jake Calypso, Barny and the Rhythm All Stars, et Spunyboys. Ce genre de sauvage regroupement devrait être interdit ! Un Pleugueneuc un tantinet chaotique, y avait tout de même du beau monde. Et le petit dernier Rock’n’Rebel Night qui fin octobre a tenu à Villepot (Morbihan) sa première prestation, derrière ce nouveau festival l’ombre du Grand Dom. L’avenir s’annonce prometteur. On a du pot. Sans parler des superbes photos de Sergio Khaz. Dans trente ans a-t-il pensé que tout comme Jean-Louis Rancurel il ouvrira ses archives pour une nouvelle revue de Rockabilly qui viendra chercher des documents inédits.

             Ne nous reste plus qu’à vous souhaiter une bonne lecture.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 6 Euros + 4,72 de frais de port soit 10,72 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 39 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

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             Si vous croyiez que l’on allait vous laisser tranquillou à reluquer la revue, c’est raté, Sergio Khaz aggrave son cas, il se prend pour le Père Noël, l’a concrockté un petit truc en plus…

    THE SPUNYBOYS

    2006-2026

    ROCKABILLY GENERATION HORS-SERIE N° 7

    (2026 / 12 Euros)

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             Ce n’est pas le premier Rockabilly Genération Hors-Série. Toutefois celui-ci c’est différent. Gene Vincent, Vince Taylor, Elvis Presley, des figures de proue, mythiques, certes, mais ils ont disparu depuis des années, Crazy Cavan aussi, depuis beaucoup moins longtemps, mais l’était déjà une légende de son vivant. Suffit de regarder la couve, la différence saute aux yeux, nos trois Spuny  sont en pleine force de l’âge. Vingt ans déjà, mais ils ont commencé tôt. Sont en pleine gloire, un parcours fabuleux, mais sont si pleins de ressources qu’ils n’ont pas atteint leur apogée. Ce n’est pas qu’on attende mieux, c’est que l’on sent qu’eux-mêmes ne sont pas encore entièrement satisfaits de leurs parcours.

             La revue raconte leur histoire. Depuis le début. Une photo fabuleuse, de famille, Rémi et Guillaume déguisés en cowboys. Deux enfants mais qui depuis tout petits fréquentent le Conservatoire, qui s’essaient à plusieurs instruments… Ne se fixeront que plus tard sur leur instru de prédilection. Disons qu’ils attaquent la musique par toutes ses faces. Le père est tromboniste de jazz, n’en sont peut-être pas tout à fait conscients mais leur boussole destinale ne marque pas le Nord, l’aiguille se fixe sur l’Ouest.

             Le troisième homme, lui il est tombé dans la marmite rockabilly depuis le jour de sa naissance. Vous avez une photo, je n’ai jamais vu un bébé si petit, ses parents emmènent leur Eddie dans les festivals de rockabilly, se retrouve assez vite avec une guitare dans la main. Bon sang ne saurait mentir.

             Les deux frères de Lille, le troisième de Dijon. Ils étaient faits pour se rencontrer. Z’ont tous les trois un point commun : ils écoutent beaucoup de zique, ils pratiquent beaucoup, mais chacun essaie de se rendre maître de son instrument, ce n’est pas qu’ils apprennent à bien jouer, c’est que chacun se pose les problèmes de telle façon que lui seul puisse les résoudre. Les solutions elles se trouvent dans toutes sortes de musique, blues, jazz, rock, country, la liste n’est pas exhaustive, faut les repérer et les transposer à soi-même, une appropriation nourricière qui vous permet de poser vos propres fondations.

             Ce n’est pas facile, même s’ils ont acquis une habileté diabolique, et s’ils ont appris à jouer ensemble, c’est-à-dire à se compléter entre eux tout en restant soi-même. Cette méthode a sa contrepartie, vous avez à tout instant le sentiment d’être arrivé au maximum  de vous-même, ce qui engendre un sentiment de frustration, qui se transforme en insatisfaction qui vous pousse à progresser encore et encore.

    Ecoutez-les dans leurs interviews. (Y en a toute une série dans l’ordre  chronologique). Oui ils sont contents de leurs prestations scéniques, grâce à elles ils ont su fédérer un vaste public enthousiaste, par contre côté disque, il leur manque quelque chose, ne serait-ce que dans la technique d’enregistrement, mais surtout dans le résultat final, une dimension qui leur échappe. Sur scène à tout instant vous pouvez sublimer un truc, plus ou moins ceci ou cela, mais sur disque une fois gravé dans la cire c’est ne varietur pour l’éternité. Mais cela les rassure, chaque prestation, chaque expérience est une marche de plus sur l’escalier du désir.

    Un conseil personnel si vous n’avez jamais vu les Spuny sur scène ne vous focalisez pas sur les vols du gros papillon, vous en aurez une idée en visionnant les photos, Rémi est incapable de garder sa big mama sagement posée à côté de lui, l’envoie balader et baldinguer, un peu partout, lui-même ne peut pas rester en place, un coup il est Tarzan, puis funambule, puis alpiniste, en fin de compte il la catapulte trampoliner  dans les airs, il la rattrape toujours. En plus il chante. Maintenant occupez-vous des deux cachotiers. Font la même chose mais en douce. Par exemple Guillaume les fesses collées sur son tabouret, ne lui filez pas le bon dieu sans audition, il va vous le casser en mille morceaux, l’envoie des sons dans tous les azimuts, un véritable bordel, oui mais si vous écoutez vous vous rendez compte qu’il poinçonne une véritable symphonie, aussi réglée qu’une partition de Brahms ou de Chostakovitch, un éléphant dans un magasin de porcelaine, qui ne vous casse jamais un tympan malgré la force de ses coups, car c’est un véritable camaïeu sonore ensorcelant qu’il délivre. Deuxième exemple : campé sur ses deux jambes, Eddie, sa guitare ne peut pas bouger une corde sans qu’il la rappelle à l’ordre. Eddie est un intervenant. Qui intervient sans discontinuer. A plein temps. Le regarder jouer est fabuleux, concentration maximale, l’a les oreilles branchées sur ses deux acolytes. L’est comme un toréador qui vous met un taureau à mort toutes les trente secondes. L’est le roi de l’arène phonique. Doit avoir les doigts directement branchés sur l’électricité. Vous cisaille la moelle épinière chaque fois qu’il touche son cordier. Il le touche tout le temps. Bref vous avez un des meilleurs combos du monde devant vous.

    Sont allés partout, z’ont zigzagué dans toute l’Europe, sans oublier notre sainte mère de la sauvegarde de la patrie rockab : l’Angleterre, z’ont estomaqué Las Vegas et surpris les Japonais… tout cela vous est conté dans le numéro. Si vous doutez, les photos acrobatiques de Sergio vous aideront à prendre mesure du phénomène. Pas vaniteux pour un franc dévalué, souriants, attentionnés, des gars qui font attention à leur public qui savent d’où ils sortent : d’eux-mêmes, vers les autres. Fabuleusement toujours en recherche.

    Sans être particulièrement chauvins, avec un tel groupe, nous avons le droit de nous écrier : crockcrockrico !

    Est-il besoin de le préciser : un numéro collector !

    Damie Chad.

            

    *

    Tiens un groupe français. Ah, non, des Canadiens ! Remarquez nul n’est parfait. Puisqu’ils viennent du pays de Marie Desjardins on leur pardonne. Mais qu’ils ne recommencent pas. En plus, ils ont commis un opus d’une beauté effrayante. Les âmes sensibles s’abstiendront. On ne peut rien  pour elles.

    HAUT & COURT

    PENDAISON

    (Bandcamp / Septembre 2025)

    Kevin Barrier : drums, vocals, machines / Cymon Lamarre : bass, guitars, machines, samples, vocals.

    Ils ne sont que deux. Pas tout à fait. C’est comme le couple de vautours qui se sont posés sur l’arbre sous lequel vous agonisez. Sont très vite rejoints par toute une colonie. Qui ne laisseront pas passer leur part du festin. De votre destin.

    La couve est de Tobie Cournoyer. Si vous l’apercevez ne laissez pas traîner votre corps. Il ne résistera pas. Sera comme un enfant devant un album de coloriage. Vous ne vous reconnaîtrez plus. Vos amis vous demanderont le nom de votre tatoueur. Ils ne diront plus : j’ai un ami. Mais j’ai un tableau de Tobie Cournoyer, je l’aime tellement que je lui demande de me suivre partout. Visionnez la couve : comment a-t-il pu peindre une horreur si noire en utilisant un maximum de blanc ? Pour ceux qui préfèreraient le chef d’œuvre en couleur, nous vous en offrons à la fin de la chronique une épreuve en rosée sanglante. C’est ce qu’en gravure l’on doit appeler une sanguine.

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    LRDTVBI : Lyrics : Cymon Lamarre and Kevin Barrie / chant : Kevin Barrier, Cymon Lamarre, Julie Docteur : c’est quoi ce sonore charivari stroboscopique, un horreur qui vous décapsule l’intelligence, pas de panique votre tube à neurones est vide, d’ailleurs l’horreur se fait plus fade, attention une voix glapit dans un coin, le truc connu, quand un conférencier désire que l’on suive ses paroles, il baisse la voix, comme cela il est sûr qu’on l’écoutera, d’ailleurs vous vous mettez à pousser des hurlements, maintenant c’est le bruit de la bonde d’un lavabo qui déglutit comme s’il voulait aspirer le monde, c’est terrible mais vous devez l’avouer, le morceau est construit comme une symphonie bruitique, un peu comme la neuvième de Beethoven passée dans un mixeur-concasseur phonique, le résultat en est étonnamment lyrique. L’ensemble est prenant. Le titre vous a averti : La Retombée De Toutes Vos Bonnes Intentions. Si vous le voulez en plus court : la culpabilisation, la mauvaise conscience, style : si je meurs tu le regretteras puisque ce sera de ta faute. L’histoire du pendu qui, malgré le nœud qui le retient, plonge dans le néant. Un saut à l’élastique métaphysique, il vous laisse sur le bord. Vous êtes au meilleur endroit pour le rejoindre. Mausoleum : Lyrics : Julie Docteur : chant : Julie Docteur, Alixe Cooper / Violoncelle and Piano : Lucas Sonzogni / Alto : Dave Kastner : une mélodie, une mélopée, bien sûr il y a quelques bruits qui retombent comme des plaques de ferrailles capables de vous couper en deux, des grincements sinistres qui strient vos tympans, mais enfin en contreparti vous avez la voix de Julie, si vous osiez vous l’embrasseriez pour la remercier de cet havre de paix que sa voix profonde vous ménage après le morceau précédent, et puis ces notes de piano c’est beau comme une mélodie de Verlaine, j’ai parlé trop vite, c’était trop beau, la sirène se transforme en harpie, pourquoi cette dégelée battériale sans préavis, ouf ça se calme, vagues maintenant, une vague de musicalité si pure… mais pourquoi ce farouche bruit des chênes que l’on abat pour le bûcher d’Hercule… Je vous ai mis deux vers de Victor Hugo pour adoucir la pilule. C’est que voyez-vous, je n’ai jamais lu un texte féminin d’une telle profondeur, normal puisqu’elle parle depuis l’intérieur de son corps mort, Julie Docteur se sert de la poésie comme d’un scalpel pour disséquer le cadavre mental de sa haine et de ses désirs, du sperme spectral dont elle reste la dépositaire après la mort, des mots dits maudits dans le dernier souffle de la solitude des cendres éternelles. Ci-gît la Dignité Humaine : vous l’attendez, elle arrive, vous

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    suivez ces pas comme ceux de la statue de pierre de Don Juan, tambour solennel, et un bruit, comme une bande que l’on laisse courir sur un magnéto à toute vitesse, c’est assez court, le problème c’est que malgré son avancée solennelle, la fameuse dignité n’en finit pas d’arriver, peut-être même s’éloigne-t-elle de nous. Exil du néant : Lyrics : Thomas Gottin / chant : Thomas Gottin, Stephan Chipaux : précipitation, une voix qui growle comme un ours blanc, fantôme de l’Humanité, perdu dans une tempête de neige, il s’arrête, il repart, il titube, il se presse, il n’est pas perdu, une voix chuchote, il a perdu, quoi donc ? L’éternité. chuchoterait  ce chenapan de Rimbaud. Les dieux sont morts. Dans leurs linceuls de pourpre. Les hommes sont à leur image. Eux aussi sont morts, mais leur suaire mental est d’une noirceur sans égale. Un bruit bizarre qui tient autant de la reptation d’un insecte sans ses élytres ou du spasme branlant et extatique de la fin dernière. F.A.L.L. : Lyrics : Stephen Chipaux / chant : Stephen Chipaux, Kevin Barrier, Alixe Cooper, Cymon Lamarre : la chute de l’ange, un tourbillon vibratif, un maelström de résonnance, c’est mon ami Pierrot, sa chandelle est morte mais il écrit un mot, le premier, ce sera aussi le dernier, difficile à dire, se sont mis à plusieurs pour le prononcer, le crier, en cet instant entre la vie et la mort, que l’on peut emprunter dans un sens comme dans l’autre, vivre ou mourir dans les deux cas il s’agit de vouloir, enfin ce n’est pas si facile que cela car il y a   un cantaor qui s’égosille à se couper les cordes vocale, à trancher la corde du pendu, on dit qu’elle porte chance, oui mais la bonne ou la mauvaise, galopade, le choix est plus difficile qu’il n’y paraît, maintenant il est une voix sépulcrale qui murmure fort, tout se précipite, tempête sous un crâne, enfin il se décide, fait-il le bon choix ou le mauvais. Je vous en laisse décider par vous-mêmes. Entre nous soit dit, le mal ou le bien, ne sont-ce pas de fausses valeurs. Inopérantes.

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             Oui, je l’admets c’est assez effroyable. Toutefois je n’ai pas pu m’empêcher de me demander d’où ils venaient. C’est que le Canada c’est grand. Même pas eu le temps de chercher, j’ai trouvé facilement :

    PLEURS

    PRESAGES

    (Bandcamp / 2021)

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    La couve est une photo de Cymon Lamarre. Blanc et noir, ou gris et lumière. La modalité que vous préfèrerez. Deux êtres, un mâle, une femelle, j’ai envie de préciser vivants, car sur quoi se penchent-ils, une table, une caisse, un cercueil de verre, sommes-nous dans un musée, un laboratoire, une salle d’exposition, qu’y a-t-il dessus ou à l’intérieur, une morgue, sont-ils en train d’examiner la momie du dernier des hommes… Ce qui laisserait à méditer sur l’incomplétude humaine de notre modernité…

    K : batterie, voix / T : voix / C : basse, voix, machines / J : Guitare, Voix, machines.

             Ne nous posons pas de faux problèmes, pas besoin d’être un augure de l’ancienne Rome pour affirmer que les présages sont néfastes.

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    Temps d’épreuves : temps d’orages, ça tonne de tous les côtés, bruits inquiétants. Une époque à ne pas mettre un humain dehors. De l’interactionnisme : ouah ! attention l’on est chez des intellos. Vont nous causer du comportementaliste symbolique. Maintenant je suis sûr qu’à l’université, les bancs des amphis de psycho ne désempliraient pas si les cours étaient assurés par notre groupe. Pour ceux qui seraient effrayés, je leur propose de commencer par la seconde moitié du morceau. C’est carrément un cours de fac, pas de panique, l’orateur nous apprend que le critère de vérité n’est pas la vérité, malgré tous les champs du savoir qui se réclament de la vérité, avec de belles phrases ronflantes, d’ailleurs tout de go ils vous transforment leur catalepsie bruitique en magnifique splendeur organique, vous vous croyez à l’Eglise avec les emphatiques grandes orgues, ô combien majestueuses, dont la musique est censée aider votre âme à s’élever vers la paix conciliatrice de Dieu. La première partie est davantage chaotique, une espèce d’entrée en force avec un vocal qui grogne comme un ours attaqué par des frelons, pourtant il tient de doctes et sages paroles, il vous demande de vous méfier, de tout le monde, des politiciens, des maîtres, des amis, de vous-même aussi, nous tenons tous un double discours, celui des paroles, celui des gestes (sourires, mimiques, timbre vocal, etc…) qui cherchent à vous convaincre, à vous amadouer, à vous tromper… ne soyez pas dupes, sachez ériger des barrières mentales protectrices contre les beaux parleurs, et ceux qui vous sont chers… Vision : question grandiose vous allez être servis, vous sortent l’apocalypse, en direct, z’ont pas de trompettes, mais une voix de vaticinateur qui vous décrit tout ce qui va survenir, la destruction de notre monde, le son s’éloigne comme le serpent qui se recule pour mieux vous hypnotiser, ou alors l’on vous promet de rejoindre le nirvana, pas le groupe de Seattle, votre absorption dans le grand tout… Comprenez : le rien du tout. A la façon dont les derniers mots vous sont jetés comme un crachat en plein visage, vous comprenez d’instinct que vous n’auriez pas de bol à croire ces fariboles. Mépris : une espèce de rugissement de rhinocéros en train de charger, une espèce de riff tournant qui se déplace comme le charriot géant d’une machine à écrire qui aurait pour but d’écraser la plus grande partie de l’humanité, l’on entend cris et giclements de sang, phonophobiques essayez de  ne  pas passer sous le rouleau compresseur, il y en un qui prend la parole, tant pis pour lui, l’essaie de ramener sa fraise, l’on entend comme des floquements d’urnes d’hémoglobine écrasées, écrabouillements culminatifs. Ne  condamnez pas ces excès de violence, ils ont raison, s’en prennent à toutes les petites ruses mentales que l’on se fabrique pour dresser un rempart protectif contre l’ordre social, ceux qui agissent en égoïstes, qui se sont aménagés une petite zone de survie familiale, qui passent une espèce de pacte de non-agression avec le système dont ils ne sont que les idiots utiles, mais il y a encore pire que ces égoïstes, ceux qui se croient forts car ils se considèrent comme des combattants puisqu’ils méprisent les plus faibles qu’eux, (pourtant ils leur ressemblent tant), mais ils se prennent pour des justiciers, trop bêtes pour se rendre compte qu’ils aident à refermer la nasse qui les emprisonne dans leur propre ignorance… Observance : instrumental, un regard porté sur les ruines psychiques de l’humanité, une musique triste, désabusée, besoin de souffler après une telle analyse, une minute pas plus, un voyant sonore grésille… Simple objet : problème de l’objectivation, non pas celle de l’analyse précédente, musique parallélogrammique, l’on retourne l’objet dans sa tête, rien à voir avec une expérience de pensée, l’objet c’est l’être humain objectivisé, uni-dimensionnalisé, le son appuie davantage, le growl n’en devient que plus exacerbé, les médicastres médicamenteux se penchent à votre chevet, ils vous vident le cerveau, vous êtes désormais un résultat, une production, une série, l’on vous a manufacturé, l’on vous a clonisé, le pire c’est que cela leur agrée. Il est vrai qu’ils ne connaissent pas d’autres modélisations puisqu’ils sont incapables d’en imaginer un autre. Hiérophanie : musique implacable, concassage méningique, il y aurait bien une solution, vous êtes brisé, réduit en morceaux, les dieux sont morts, qui transformera le kaos inorganisé en cosmos recentré, ils s’énervent salement, mais le constat est imparablement définitif, ça klaxonne et ça résonne de tous les côtés, éruptions de colères, un éclair sonore retentit, mais tout se brouille, le bruit remplace la musique. Il aurait suffi de faire signe, un signe, pas n’importe lequel, celui qui ne dit ni oui, ni non, mais qui désigne, un symbole qui ne symbolise pas mais qui soit opératoire. Encore faudrait-il qu’il restât de hommes pour l’opérer et d’autres pour le repérer. Mais la courbe du temps a été cassée. Il ne reviendra plus. Pleurs : l’insupportable bruit se perpétue, puis revient un dernier sursaut, un clairon tumultueux, bouleversement, hachis, survenances phoniques, le growl éclate, un growndement qui voudrait réveiller l’univers, hélas il reste inerte, et la catastrophe s’appesantit, elle demeure, présence que l’on voudrait annihiler, on se rue sur elle, on la frappe, on s’y casse les mains, elle résiste, elle ne bouge pas, elle ne recule pas d’un pouce, elle est comme la Mort, car elle est la Mort, changement rythmique, l’on ne se bat pas contre elle, tout le bruit que le groupe a commis est à interpréter comme les présages de ce qui est advenu, puisque l’acte musical et poétique n’a pas été opératoire, qu’il n’a rien métamorphosé, que la situation est restée inchangée, glougloutements sonores, échec. Echec intégral. Echec sans appel.

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             Des groupes qui établissent des constats déplorables quant aux bienfaits de notre système sociétal actuel, il en est pléthore. Mais Pleurs fait preuve d’une acuité analytique sans précédent. Ils n’ont pas réfléchi à la problématique. Ils l’ont pensée. Une démarche qui gravite dans l’orbe gréco-heideggerien. Ne se sont pas contentés d’une exploration philosophique du sujet, en ont dégagé la dimension poétique, au sens orphique et mallarméen du terme, en essayant d’opérer par l’opus même, un acte dépourvu de toute contingence. Qui ait une influence sur la réalité des choses. En  supplément ils ne se paient pas de mots. Ils reconnaissent l’étendue de leur échec.

             C’est peut-être pour cela qu’ils n’ont pas tenté un autre disque. N’empêche que C et K se sont lancés dans l’aventure de Pendaison. On reconnaît facilement leur style. La contribution d’autres intervenants a permis de ne pas refaire un disque similaire. Haut et Court est plus déchiré. Musicalement je le préfère, il est d’après moi plus abouti. De par l’ampleur de sa manifestation, Pleurs s’inscrit comme un projet propédeutique qui cherche à résoudre l’équation dont ils n’ont pas la solution. Ils n’ont pas réussi, mais ils ont emprunté un chemin que peu de monde a le courage de parcourir. Dont beaucoup ignorent même la possibilité. Voire l’existence.

             Il existe tout de même, éliminons tout de suite les amitiés à l’origine de ces deux groupes, une similarité entre Présages et Pendaison. Présages concerne une globalité universelle. L’on prévoit, l’on espère, l’on escompte qu’un jour où l’autre l’alignement des Dieux et de la materia prima soit réalisé. Pas de chance la correspondance élémentale de l’éther et de la terre échoue. Pendaison reprend le projet. En plus petit serait-on tenté de dire. Du macrocosme l’on passe au microcosme. Une pendaison, l’acte est abrupt, irréversible, un coup de dés dixit le  grand Stéphanos, si définitive soit-elle ne concerne qu’un seul individu, elle ne touche point à l’universel, mais au point de jonction existentiel qui partage tout  individu, a priori indivisible, en deux, elle le sépare de sa vie et le plonge dans sa mort. L’ère du jeu est des plus réduites. Mais l’enjeu, tout aussi grand.

    Damie Chad.

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    Ne m’en veuillez pas, je n’y suis pour rien. Ce n’est pas ma faute, c’est celle de Georg Philipp Friedrich Leopold von Hardenberg . Beaucoup plus connu sous le nom de Novalis. Un des premiers romantiques allemands. Ne faites pas comme moi. Ne lisez pas son ouvrage, Les disciples à Saïs, une curiosité malsaine risque de vous coller à la peau. Le héros de cet écrit s’entiche d’une idée que les plus rationalistes de nos lecteurs jugeront totalement stupide. Il ne brûle que d’un seul désir : soulever le voile de la déesse Isis. Si vous voulez savoir ce qu’il trouve sous le voile interdit, lisez le livre, je vous rassure, il n’est pas très long. Vous imaginez très bien que suite à cette lecture j’ai contacté La déplorable habitude de systématiquement chercher à savoir ce qui se trouve derrière n’importe quelle chose. Parfois cela me joue de mauvais tours, jugez-en d’après la pochette et le titre du disque suivant. Déjà, rien que le nom du groupe n’est pas sans poser de question.

    THE SUNDER VEIL

    SINE NOMINE

    (K7 / Zegema Beach Records / Novembre 2025)

             Sine Domine voici une formule qui vous classe à part de ceux qui se signent en prononçant :  In nomine Patris, et Filli, et Spiritu Sancti. L’on pressent que nos gaziers marchent sur des sentiers ombreux, l’on subodore que leur musique doit être quelque peu particulière. Dans un tout autre genre, Sine Nomine ne correspondrait-il pas au ‘’ Personne’’ qu’emprunte Ulysse pour se jouer du Cyclope. Bref nous sommes avertis, nous avons toutes les chances de croiser quelques monstres peu ragoûtants.

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             Certes la photo nous laisse entrevoir un paisible paysage, mi-agreste, mi-agricole. Au milieu du champ ce n’est pas un épouvantail, la vue est  pourtant épouvantable. Une veste sans tâche, une chemise bien repassée. S’il n’y avait pas cette espèce de foulard  ensanglanté, l’on pourrait se croire face à un promeneur du dimanche, un curieux qui se demanderait mais quelle est donc cette plante que je ne connais pas destinée à être récoltée par un paysan diligent…

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             Le groupe vient de St Louis dans le Missouri. Il s’est formé en 1999 et a cessé ses activités en 2015. Viennent de sortir une K7 chez Zegema Beach Records intitulée Per Historia qui regroupe trente-sept morceaux enregistrés durant cette période. La couve est à méditer : ce flou blanc représente-il une tête d’homme en sa dernière extrémité, ce flot blanc ne serait-il pas plutôt une tache de sperme. Dans les deux cas, nous avons une signature qui peut évoquer d’une façon très intime, tout en restant impersonnelle, la moitié des habitants de notre planète. Toutefois il semble qu’ils se sont rappelés assez vite qu’ils n’avaient pas délivré la totalité de leur message à la race des hominidés puisque dès 2003 ils lançaient un nouvel album dont le premier titre est celui du premier morceau de leur dernier EP, que nous nous apprêtons à écouter.

             Dernière notule indicative : le contenu de leur cassette récapulative est décrit comme ‘’une musique exceptionnelle, agressive, exigeante et criarde, à la croisée du grind, du mathcore, du post-hardcore et du metal.’’ Un genre de définition qui ne plaît pas à tout le monde.

    Derek Yeager : bass, vocals / Doug Huttegger : guitar / Michael Frisella : drums.

    Still malfuncioning : Le titre ne ment pas, donne l’impression de ne pas fonctionner, un bouchon qui glougloute dans la tuyauterie du chauffage central, y aurait-il une couleuvre qui se soit infiltrée dans le circuit, vous devriez aller vérifier, perso j’opterais plutôt pour un anaconda géant qui est en train de boulotter un radiateur. Default : laissez l’anaconda à son repas, ce qui survient est vraiment effrayant, un homme comme vous en train de piquer une crise de folie à prises multiples, le guy éructe méchant, certes au bout d’un moment il se calme, donne l’impression qu’il est en train d’ingurgiter sa langue, je préfère ne pas évoquer la zique, au début ça tombe comme une purée battériale agrémentée de tourbillons au court-bouillon des guitares, le gars n’est pas près de se calmer, une véritable diarrhée vocale, z’ont dû en avoir assez dans le studio, ils l’ont enterré vivant et tassent la terre à coups de pelles, ce qui ne l’empêche en rien de parler, en fait ce qu’il dit n’a pas l’air idiot, il évoque la toute-puissance imaginative, parfois il vaut mieux vivre dans sa tête que parmi ses congénères, ne sont peut-être pas tout à fait méchants, même s’il a l’air de faiblir sous sa motte de terre, tous prisonniers de l’étau de la solitude, le monde s’est écroulé, toutes les valeurs ont foutu le camp, tu étais bien content, tu guettais cet instant depuis longtemps, le presse purée tourne à bas-régime maintenant, des chants surgissent pour l’accompagner, soyons sincère, quelque part il y a sûrement un défaut. The unraveling : l’on se croirait dans une usine, avec les machines qui tournent et des cris d’un peu partout, normal c’est une usine où l’on tue les vivants, faut entendre les cris, heureusement les ouvriers unissent leurs voix pour proférer une rumeur endormeuse, quel beau boulot, les cris s’arrêtent, même que l’on pourrait croire qu’ils récitent des prières, que voulez-vous il faut bien faire quelque chose pour ne pas s’ennuyer au boulot, alors que l’autre l’a pas à se plaindre, a rejoint le grand tout naturel, quant aux travailleurs de l’horrible, la journée finie ils se sentent seuls. You choose : un bruit imperceptible, c’est le moment de réfléchir, il grandit peu à peu, c’est que l’on s’attaque à un vaste sujet celui du Destin, la machine sonore ne tourne pas trop vite, c’est que ce n’est pas simple, question vocal ce n’est pas très fort, c’est que le gars rumine dans sa tête, lentement sans précipitation, difficulté extrême,  à qui la faute si vous vous trouvez dans une impasse, d’ailleurs le vocal ralentit encore, une cloche retentit, pour vous signaler que bientôt le temps imparti sera parti, la ziqmuc accélère, pas question de rater l’arrêt, soyons bref, tu as choisis ton destin, point à la ligne. Hush : l’heure de la minute ultime. Le train démarre fort, il fonce, tu as l’impression que tout se défait, qu’autour de toi tout te tombe dessus, d’ailleurs la musique se transforme en une bouillie infâme, un bouillon empoisonné qui boue à gros bouillon, la machine connaît ses derniers moments, inutile de crier au scandale, retentit un grincement infini, tout s’éloigne, tout s’enfuit, profite de ces derniers instants de conscience avariée, tu as du mal à respirer à l’intérieur de toi, rien de plus logique, tu es mort, voici les derniers moments où ta conscience se désagrège, vu de l’extérieur tout se passe très vite, mais de l’intérieur c’est plus long, tu glisses dans le corridor, pas de lumière en fin de parcours, cul de sac, noir absolu. Silence. Plus un mot. Chut et zut.

             Je m’attendais à pire. Reste encore à faire le rapport avec l’image. Dans leurs champs d’asphodèles les morts saignent-ils quand ils reviennent nous voir ?

             Eprouvant.

    Damie Chad.