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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 717: KR'TNT ! 717 : BOBBY WOMACK / BLACK REBEL MOTORCYCLE CLUB / TOM WILSON / AL WILSON / RAMONES / RODOLPHE / LIGNUM MORTIS / SHADOWS TALLER THAN SOULS

    KR’TNT !

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    LIVRAISON 717

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 01 / 2026

     

     

     BOBBY WOMACK  

    BLACK REBEL MOTORCYCLE CLUB

    TOM WILSON / AL WILSON / RAMONES

    RODOLPHE / LIGNUM MORTIS

    SHADOWS TALLER THAN SOULS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 717

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

    - Womack the knife

    (Part Two)

     

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             Il se pourrait bien que Bobby Womack soit l’un des personnages les plus centraux de l’histoire de la musique américaine. Par central, il faut entendre qu’il est au centre d’une galaxie d’autres personnages centraux. Il est aussi central que le fut Nico dont la galaxie comprenait Dylan, Lou Reed, Calimero, Andy Warhol, Jimbo, Brian Jones, Iggy Pop, Fellini, Philippe Garrel, Delon et John Cooper Clarke. Celle du p’tit Bobby comprend Sam Cooke, Pops Staples, James Brown, Jimi Hendrix, Ray Charles, Chips Moman, Janis Joplin, Wilson Pickett, Ike Turner, Jim Ford, Sly Stone, Ronnie Wood et donc les Stones. Il détaille tout ça dans son autobio : My Story 1977-2014. Le p’tit Bobby est donc un personnage considérable.

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             Nous n’allons pas revenir sur ses albums. Lorsqu’en juin 2014, le p’tit Bobby a cassé sa pipe en bois, nous lui avons rendu un p’tit hommage ici-même en déroulant l’habituelle revue critique de sa looooongue discographie. Ça peut avoir un côté gnan-gnan, et bien sûr, chaque fois on se pose la question : faut-il vraiment le faire ? Comme toujours, la réponse est dans la question. Comment peut-on oser évoquer un artiste de ce calibre sans rechercher une forme d’exhaustivité ? L’œuvre cache parfois sa grandeur dans la longueur. On l’a découvert en lisant certains de ceux qu’on appelle aujourd’hui les ‘auteurs classiques’. Le p’tit Bobby est un auteur classique. Il faut le ranger dans l’étagère à côté de Balzac et de Maupassant. Son œuvre est celle d’une vie. Sa p’tite autobio éclaire bien cette vie passionnante.

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             Pour la p’tite histoire : on avait ramassé ce p’tit book chez Smith, rue de Rivoli, en 2015, comme l’indique l’étiquette qui est encore collée au dos. Dix ans plus tard, on le sort de la pile, parce qu’on décide qu’il devient soudain plus prioritaire que les autres. Et comme il n’est pas lié à l’actu, sa lecture est plus pépère. On s’invente des compromis, on négocie du temps au temps - Chronos, donne-moi huit jours ! - Par contre, on ne sait pas si Chronos nous donnera le temps de lire toute la pile. Car il en arrive toujours d’autres - Des p’tits books, des p’tits books, toujours des p’tits books, sur l’air du Poinçonneur Des Lilas - L’avantage c’est que ça occupe. Pendant qu’on lit pour devenir liseron, on ne fait pas de conneries.

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             En plus d’être au centre d’une galaxie de superstars, le p’tit Bobby est un fabuleux romancier. Pour la p’tite histoire : peu de temps après que son protecteur Sam Cooke se soit fait dessouder, le p’tit Bobby a épousé sa veuve Barbara, ce qui l’a mis au ban de la société. Et puis quand le p’tit Bobby s’est mis à sauter en douce Linda, la fille de Barbara, les choses ont mal tourné. Et c’est là où le p’tit Bobby a de la veine : comme Barbara est arrivée avec un calibre pour le buter, le p’tit Bobby démarre son prologue avec cet épisode - My wife was packing a .32 pistol. It was the first thing I saw - C’est pas donné à tout le monde de se faire canarder par sa femme. Et puis voilà Linda qui accourt pour demander à sa mère d’épargner le p’tit Bobby, et elle répond : «I’m not gonna shoot the bastard, I’m gonna kill him.» Finalement, elle tire dans la porte du garage, elle ne le bute pas, c’est pourquoi on peut lire ce p’tit book. Le p’tit Bobby se raconte planqué dans le garage, en calbut, car il sort du lit de Linda. Il est terrorisé - I was scared shitless. I had done something wrong, terribly wrong - Il ajoute qu’il avait laissé sa queue lui dicter sa conduite, «but dick has no concience», comme nous le savons tous, et comme le raconte Aragon dans Les Aventures De Jean-Foutre La Bite

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             À la fin de ce prologue qu’on croirait rédigé par un professionnel du thriller, le p’tit Bobby fait un premier bilan : son mentor Sam Cooke est mort, Barbara sa veuve, vient d’essayer de la buter, Linda qu’il aime va épouser le frère du p’tit Bobby et n’adressera plus jamais la parole à sa mère - That was all really fucked up. And it wasn’t about to get better - Nous voilà donc tous plongés dans un p’tit book captivant.

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             Tu veux de l’Americana ? Lis ce p’tit book. Le p’tit Bobby évoque l’autre Americana, celle du peuple noir - I was born in a ghetto. This particular ghetto was in Cleveland, Ohio. The neighbourhood was so ghetto that we didn’t bother the rats and they didn’t bother us - C’est pas loin de Dickens. Son père s’appelle Friendly, il a 7 frères et 8 sœurs. Sa mère a 8 frères et 7 sœurs - It was a big family - Mom a 13 ans quand elle épouse Friendly qui en a 19. L’Americana, c’est surtout ça. La mère du p’tit Bobby met 5 baby boys au monde et chaque fois, elle pleure, car elle voudrait une fille. Mais elle n’en aura pas. Le p’tit Bobby est le troisième, on le baptise Robert Dwayne, Bobby for short. Bobby a une santé fragile - My mother said I was real weak, and every couple of months I came close to checking out - Tous ses frères ont des surnoms : l’aîné, c’est Jim, puis The Colonel, puis Bobby, puis Goat, mais il ne sait pas pourquoi on l’appelle Goat, puis Cecil, or Cornflakes, parce que ses mains pelaient «and to us that looked just like cereal». Toutes ces pages s’avalent d’un trait, car le p’tit Bobby est fabuleux styliste. Il s’exprime dans sa vraie langue, qui est le black slang, and Gawd, il faut voir comme ça sonne. Un autre exemple : «Chicken was the dish most blacks ate. It was wolfed down with watermelon.» Mais il explique que la viande du poulet est réservée pour l’église, les pauvres ne récupèrent que le cou, le croupion et les pattes «with the talons still on them. My mom would fry up those claws real good for dinner». Et puis bien sûr, le p’tit Bobby évoque les blancs. Son père met les cinq frères en garde contre les blancs : «Never look away when you’re passing white folk; that’s when they will hit you.» Le p’tit Bobby se souvient aussi d’épisode étranges, comme le simple fait d’entrer dans une boutique ou un ascenseur «and hear some little white kid ask, ‘Mom, is that a nigger over here?’» Le p’tit Bobby comprend que les blancs sont dangereux, et que les blacks n’ont pas d’autre choix que de devenir athlètes ou musiciens. Sinon, ils restent coincés toute leur vie dans leur quartier. Americana toujours : le p’tit Bobby récupère une gratte. Il manque une corde, mais il gratte de l’André Segovia, de l’Elmore James et du BB King. Il sait tout jouer à l’oreille, classical music, Soul, country & western, and rock’n’roll - I played my ass off.

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    Bobby à la guitare, orchestre de Ray Charles (1966)

             Le style ! Le p’tit Bobby en a. Quand il évoque le draft, au moment de la guerre du Vietnam, il balance ça : «I didn’t want anything to do with Wietnam. I thought I’d gone through enough shit just to end up in a lousy war trying to dodge a bullet.» Au moment où il se fait virer par Ray Charles, il résume ainsi : «I was canned by Ray en 1967. Jobless and potless again. Fuck. I was going nowhere as a solo artist.» Son rapport à l’argent fait partie de l’héritage du ghetto : «It was the same mentality with banks. Didn’t trust them. None of us did. I was probably in my mid-twenties before I had my own bank account. I used to keep my money in my shoe.» Et quand il devient riche et célèbre, voici comment il se décrit : «So I went shopping. Washed the car - my little white two-seater Merc, not the Rolls - and off I went  for a spin. I drove down Sunset Boulevard, just cruising, sat in that little sports car with my big old medaillon on and a cowboy hat. I looked good, I thought. Il also thought, ‘Fuck this shit, I don’t need a motherfucking wife, I need a drink.» Americana toujours.

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    Curtis Amy = Curtis Aimey

             Un jour, le p’tit Billy se retrouve au plumard avec une gonzesse tellement grosse que personne ne veut la baiser. Il se dévoue et raconte ça dans le détail. Si tu veux mourir de rire, c’est là  : «We got started, but it was pretty rough going. Betty was just so big. Man, every time I thought I had it in there, she told me I’d just found a roll of fat. There was just no much flesh, it was terrible.» Il raconte ailleurs qu’en tournée avec Ray Charles, il partage sa chambre d’hôtel avec le saxophoniste Curtis Aimey. Curtis a besoin de dormir la fenêtre ouverte, même en plein hiver - He’d push it open, snow would fly in the hotel room and I’d close it. He’d push it open again - it could be a blowing blizzard - and I would close it again. He said he couldn’t breathe. I said I couldn’t sleep, not with the gale blowing through the room - C’est presque du Charlie Chaplin.

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             Le p’tit Bobby découvre les Soul Stirrers à l’âge de 9 ans - They would change my life around - Et pouf, il embraye sur «the good looking» Sam Cooke - Sam was about 165 pounds, real slim, about  five foot ten, maybe a little more. (70 kilos et 1,70 m) He looked cool, wore sharp outfits. Always neat. Always. He didn’t need a suit to look smart - Né à Clarksdale, Sam a 13 ans de plus que le p’tit Bobby. Ce fils de prêcheur a grandi à Chicago - Cooke and the Soul Stirrers got on something called the gospel highway. Now this was showbiz, man - Le p’tit Bobby et ses frères font un gospel band, the Womack Brothers et ils ouvrent pour Sam on the gospel highway. C’est le père Womack  qui manage les Womack Brothers, mais il bosse à l’ancienne, à l’opposé de Pops Staples qui regarde vers le futur. Quand le p’tit Bobby dit à son père qu’il veut jouer du boogie-wwogie, son père le roue de coups - I’m going to boogie your woogie!

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             Le p’tit Bobby croise aussi les fantastiques Five Blind Boys Of Alabama d’Archie Brownlee. Quand les Blind Boys débarquent à Cleveland, ils font savoir qu’ils cherchent un guitariste et le p’tit Bobby va gratter ses poux pour eux. Il n’a que 13 ans.

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             Sam Cooke et son manager JW Alexander créent leur label, SAR (les initiales de Sam & Alex Records). Ils signent l’ex-Soul Stirrer Johnnie Taylor, Johnny Morrisette et the Sim Twins. Ils veulent aussi le groupe du p’tit Bobby. Sam lui explique en outre que le gospel va passer de mode et qu’il faut évoluer - I want you to write something with crossover appeal - C’est JW qui conseille aux Womack Brothers de changer de nom et de s’appeler The Valentinos. Ils remplacent ‘God’ dans les cuts par ‘girl’. Puis le p’tit Bobby découvre la réalité du music biz - The whole business was about screwing, c’est-à-dire se faire enculer - Alors il préfère la méthode soft de Sam, avec de la graisse, plutôt que la méthode dure, avec du sable - Or get screwed with sand. That was  painful - Le p’tit Bobby sait dire les choses.

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             Et hop, c’est parti pour les Valentinos. Ils ont besoin d’une vraie formation professionnelle, alors Sam les envoie tourner avec James Brown. Pas de meilleur prof. Le p’tit Bobby sait que Sam et James Brown se respectaient, mais il savait aussi que Sam voyait James Brown  comme un «arrogant motherfucker, a real rough ghetto kid.» C’était réciproque. Plus tard, James Brown dira au p’tit Bobby qu’il était jaloux de Sam, parce qu’il était beau et grand, alors que lui, James Brown, ne l’était pas. Ça se passe en 1962 ! Bien avant la bataille. James Brown est déjà un big performer. On trouve aussi à l’affiche de la tournée Solomon Burke et Freddie King. James Brown donne cinq concerts par jour. Le p’tit Bobby raconte aussi que Solomon Burke cuisine dans sa chambre d’hôtel et qu’il a toujours de la bouffe à vendre, du popcorn, du poulet ou des burgers. Il voyage avec ses ustensiles de cuisine. Plutôt que d’aller bouffer au resto, les musiciens vont dans sa chambre, car Solomon casse les prix. Il monte tout seul sur scène avec son ukulele - He didn’t have no band, but he sure as hell knew how to work a house. He could fill the hall with his voice, didn’t need no microphones - Dans les pattes du p’tit Bobby, les portraits prennent des proportions considérables !

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             James Brown leur apprend tout - You had to earn his respect to be in his army - Grâce à lui, les Valentinos apprennent to «kill the house». Et le p’tit Bobby ajoute : «I learned perfection from him.» Et ça encore : «He tried to teach us some stagecraft because we had none.» Pour un débutant, James Brown est la meilleure école. C’est un bel hommage que lui rend le p’tit Bobby.

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             Paru en 1964, le quatrième single des Valentinos est le fameux «It’s All Over Now». Mais ce sont les autres qui vont se faire du blé avec. Andrew Loog Oldham rencontre JW Alexander pour acheter le cut, et ce sont les Rolling Stones qui vont cartonner avec. Le p’tit Bobby se fend bien la gueule car il apprend que les Stones se construisent une image de bad guys en pissant contre une porte de garage, puis ils veulent se taper «a slice of blue-collar R&B and they went to Sam to get it.» Sam dit au p’tit Bobby que les Sones n’ont aucun talent, que leur chanteur ne sait pas chanter et qu’ils jouent out of key, «but there ain’t nobody like them.»  

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             On retrouve leur cover d’«It’s All Over Now» enregistrée chez Chess sur 12x5. Et ce fut leur premier number one en Angleterre. Merci p’tit Bobby ! Mais il est furieux, jusqu’au moment où il touche un premier chèque de royalties. Alors il ferme sa gueule. Il essaiera par la suite de leur refourguer d’autres cuts, car il trouve ça rudement rentable.

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             En 1962, le p’tit Bobby qui n’a que 18 ans devient le guitariste de Sam. C’est lui qui gratte ses poux sur «Twisting The Night Away». Sam fait maintenant du rock’n’roll. Le p’tit Bobby raconte aussi qu’en tournée, la première chose que fait Sam lorsqu’il arrive en ville, c’est de chercher une librairie. Il incite aussi le p’tit Bobby à lire. Comme il est encore très jeune, tout le monde le charrie. Il n’a pas vraiment accès aux gonzesses. Sam lui dit de se laisser pousser une moustache. Il lui conseille aussi de boire un ou deux martinis, mais pas trop, et de fumer une clope au bar. Chaque soir, le p’tit Bobby voit Sam entouré de gonzesses - I’d watch him pull chicks any night, all night - Mais le plus important reste la musique - Sam liked my unorthodox style - Sam trouve que son protégé joue avec the spirit, «you don’t play with no music». Effectivement, le p’tit Bobby n’a aucune formation et il ne sait pas lire une partition. Tout à l’oreille. Et Sam en rajoute une louche : «The way you play, it makes me sing.» Le p’tit Bobby voit Sam comme son big brother. En 1963, Sam part en tournée dans le Sud, avec une belle affiche : Johnny Thunder (sic), The Crystals, Dionne Warwick and Solomon Burke. Il y a le Greyhound bus, et trois bagnoles, une Jaguar, une Cadillac et un van, for himself and the headliners.

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             Et puis un jour, Sam fait écouter au p’tit Bobby une chanson tout juste enregistrée : «A Change Is Gonna Come». Il veut son opinion - What do you think? - Et le p’tit Bobby répond : «It sounds like death.» - That’s what I had been thinking. Yeah death - Sam ne s’attendait pas à ça. Alors le p’tit Bobby lui explique que la chanson lui donne des frissons - It gives me the chills, Sam - Alors Sam lui dit qu’il a lui aussi la trouille de cette chanson - That’s why the fucker will never come out, Bobby. I’m scared of that song - Et il précise : «Pas de mon vivant.» Pour le p’tit Bobby, c’est une rude expérience, l’une de plus rudes de sa vie. Puis il explique que Sam avait été bluffé par le «Blowing In The Wind» de Bob Dylan et qu’il voulait apporter the black man’s response. Il a enregistré «A Change Is Gonna Come» en décembre 1963. Le p’tit Bobby n’était pas au courant, car il n’y a pas de guitare sur ce cut, seulement des violons - And the death walk thing that was a drum. That was Earl Palmer. And Sam was singing his ass off.   

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    Sam Cooke in Rock Dreams par Guy Pellaert

             Et puis un jour Sam fait venir le p’tit Bobby chez lui pour lui expliquer qu’il va arrêter les tournées, parce qu’il perd de l’argent. Donc il n’a plus besoin de guitariste. Viré ! Et en décembre 1964, Sam se fait descendre dans un motel. RCA sort «A Change Is Gonna Come» deux semaines plus tard. Le p’tit Bobby ne s’était pas trompé : il avait eu une prémonition.         

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    Et puis voilà la magie des tournées de l’époque. Le p’tit Bobby raconte que quelque part en 1964, les Valentinos se retrouvent à Atlanta, Georgie, avec Sam, Jackie Wilson, BB King et un mec nommé Gorgeous George Odell - Gorgeous was some kind of character - Et puis il ajoute : «Odell had got himself a young guitarist named Jimi Hendrix.» Tout ce que le p’tit Bobby sait de Jimi, c’est qu’il vient de se faire virer des Isley Brothers. Dans le bus de tournée, Jimi n’arrête pas de gratter sa gratte et le p’tit Bobby n’en peut plus : «‘Just put that fucking goddamn guitar down for an hour, half an hour? Fifteen minutes, Jimi, please?’ But he never stopped. It just went on, ching ting ting.» Comme le p’tit Bobby, Jimi est gaucher. Mais à la différence de Jimi qui inverse ses cordes, le p’tit Bobby n’inverse pas les siennes et Jimi lui dit : «You’re worse than me! Your shit is fucked up!». Ils s’échangent des licks au fond du bus - That’s how we became friends - Il ajoute ça qui éclaire bien la scène : «We were both unique players, but our styles were so different.» Jimi gratte une Strato et le p’tit Bobby gratte «the Cadillac of guitars, a big Gibson L-5 hollow body, or sometimes a Gretsch.» Jimi lui avoue qu’il a du mal à trouver sa place : «The whites don’t want me ‘cos they feel I’m imitating them and the blacks don’t want me because they say I am a misfit. I’m between a rock and a hard place.» Le p’tit Bobby raconte aussi que Gorgeous George lui a filé une gratte, l’une des premières grattes de Jimi, mais le manche était cassé et avait été réparé avec des clous. Jimi l’avait cassée sur scène et Gorgeous George l’avait réparée avec des clous pour que Jimi puisse jouer le lendemain soir.

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             Le p’tit Bobby raconte aussi dans le détail la façon dont Barbara Cooke lui a mis le grappin dessus, aussitôt après la disparition de Sam. Le p’tit Bobby raconte qu’elle lui fout la trouille, mais elle le veut et elle l’aura. Elle va même l’épouser et l’entretenir. Elle a dix ans de plus que lui. Elle lui ouvre les placards de Sam : des dizaines de costards ! Deux ou trois mois après les funérailles, elle épouse le p’tit Bobby qui a tout juste 21 ans - That’s when the problems started - Il la voit se lever chaque matin à 6 heures, avaler un café avec du brandy et poser 50 $ sur la table de chevet, l’argent de poche du p’tit Bobby. Ça tombe bien, le p’tit Bobby n’a pas un rond, alors il peut s’acheter des carambars et des malabars.

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             C’est en 1965 que Ray Charles fait appel à lui. Il vient de monter un nouveau backing band, et comme il vient d’arrêter l’hero, il veut des musiciens clean. Mais il va y avoir un sacré problème : Ray Charles veut piloter son avion. Et il le pilote ! Il avait déjà conduit sa Cadillac et cogné des poubelles et des voitures en stationnement. Mais l’avion, c’est autre chose. Le p’tit Bobby est terrorisé. Il demande à Ray pourquoi il croit qu’il peut piloter un avion, et Ray lui répond : «Because it’s mine». Il avait déjà fait une tentative et cassé son avion en deux à Miami. Alors le p’tit Bobby décide de quitter l’orchestre. Pas question pour lui de monter dans l’avion de Ray. L’autre raison, c’est qu’il ne veut plus partager de chambre avec Curtis Aimey qui ouvre la fenêtre en grand, même en plein hiver - I’m freezing to death most nights and I got a blind man flying the plane. 

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    Chips Moman

             Il sera resté deux ans dans l’orchestre de Ray Charles. En 1967, Wilson Pickett lui dit d’aller à Memphis : «Bobby, there are some white boys down there; if you closed your eyes, you could not tell they weren’t black. Those fuckers can play.» Et le p’tit Bobby ajoute : «Those fuckers were playing at a place called American Sounds.» Et là, on re-rentre dans la mythologie. Il va chez Chips parce que Stax, c’est trop «locked-up». Chez Chips, chest beaucoup mieux, «it was a funky old hole in the wall in a real bad section of town. (...) It had a vibe, il all worked. I headed there.» Alors il demande à Chips s’il peut gratter ses poux chez lui : «I’m good», I told Chips. Et Chips lui répond : «That’s great ‘cos we got Aretha coming through and then Wilson Pickett the following week.» Le p’tit Bobby est au paradis : «I played on everything. I mean every-fucking-thing that came into town. Aretha Franklin, Jackie Wilson, Joe Tex, Joe Simon, King Curtis and Dusty Springfield when she was recording Dusty In Memphis.» Il est fier d’avoir gratté ses poux pour Aretha : «I worked on Aretha Franklin’s session for the album Lady Soul. I was playing guitar with a cigarette in my mouth. Cool. It was 1967.» Elvis vient aussi enregistrer des cuts chez Chips pour From Elvis In Memphis - We weren’t that impresed. Yeah, man, Elvis is coming, so what? The guy had had his day, so we thought. It was like, no big deal. But then he showed up. The back door opened and in walked Elvis and we all backed up a step. He looked great - C’est là que Chips lui propose «Suspicious Minds» et «In The Ghetto». On sait tous qu’Elvis a adoré ces deux hits.

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             Après avoir été le pote et le poux-man de Sam et de Ray, le p’tit Bobby devient celui de Wicked Pickett. C’est un mec gentil mais compliqué - He didn’t trust a lot of people, however and mostly, I don’t think he trusted himself - Wicked Pickett va enregistrer 17 compos du p’tit Bobby, dont «I’m A Midnight Mover» - He called me Womack Stack. I forget why - Wicked Pickett grattait un peu de guitare and he blew a mean harmonica. Il trimballait un big band en tournée, 15 musiciens - five horns, keyboards, couple of guitarists. I followed after, went on the road with him for a few years - Wicked Pickett pouvait être violent, et balancer une gratte dans la gueule d’un musicien qui avait joué une fausse note. L’ambiance dans les tournées était toujours explosive - Pickett’s  temper versus the racist white boys - Quand le p’tit Bobby s’est joint à son big band, Pickett lui a demandé s’il a un flingue - Oh man - Pickett en portait toujours un sur lui. Le p’tit Bobby nous révèle aussi que Wicked Pickett n’a pas de compte en baraque : il garde tout son blé dans un placard. Mais l’énorme tension et la violence qui règnent dans les tournées finiront par avoir raison de la patience du p’tit Bobby, qui reconnaît pourtant en avoir vu des vertes et des pas mures depuis son enfance, «but Pickett was a little harder».

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             L’autre personnage principale de cette saga, c’est bien sûr la dope. Le p’tit Bobby commence à porter des lunettes noires et à sniffer des tonnes de coke. Il ne voulait pas que les gens voient sa peur. Il se considère comme un «boy half-scared to death». Alors il sniffe tout ce qu’il peut - I chopped out fat lines like there was no tomorrow - C’est lui qui pousse Wicked Pickett à sniffer. Il lui dit : «With cocaine, I can write, I don’t fear no man, I don’t fear nothing, I don’t even feel nothing.» - Pickett laughed at that. Told me I was weird. A weird motherfucker - Et il ajoute, en guise de bilan : «So I did blow for 20 years of my life.» Il craque 700 $ par semaine. Au début, c’est Barbara qui paye.

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             Le p’tit Bobby est en compagnie de Janis, le dernier soir de sa vie. Ils sont dans sa piaule et il croit qu’elle veut baiser, mais Janis reçoit un coup de fil et elle demande au p’tit Bobby de dégager. Elle ne veut pas qu’il voie son dealer. Un peu plus tard, le p’tit Bobby reçoit un coup de fil : Janis is dead - I was the last person to see her alive - Ils avaient une bonne relation. Le p’tit Bobby la trimbalait dans sa Mercedes et c’est là que Janis a composé «Mercedes Benz».

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             Il évoque aussi Motown qu’il aurait bien aimé intégrer, mais aux funérailles de Mary Wells, Berry Gordy lui dit que ça n’aurait pas marché, car les Valentinos avaient un «distinctive sound». Too different, too gospel. Le p’tit Bobby va aussi fréquenter Ike Turner et le fameux Bolic Sound studio, down in Inglewood. Comme Marvin, Stevie Wonder et les Stones, le p’tit Bobby y a enregistré - What happened to the tapes? Ask Ike - Il évoque le big bowl de coke sur la console de Bolic Sound. Ike enfermait les gens dans le studio. Même les Stones, qui ont eu la trouille de leur vie. Tu peux taper à la porte, Ike n’ouvre pas. Quand Ike chope un musicien en train de barboter de la coke dans le big bowl, ça tourne très mal - Ike and Sly were both crazy like that.

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             Le p’tit Bobby est aussi pote avec un personnage pas très connu mais très important : Jim Ford, un blanc qui a deux particularités : il compose des hits et il est copain comme cochon avec Sly. Pendant un temps, Jim Ford est le writing partner du p’tit Bobby. Jim lui propose de rencontrer Sly, mais à une condition : «You’ll never go over his place without me.» Jim Ford sait que Sly est crazy, encore plus crazy qu’Ike. Le p’tit Bobby découvre qu’il y a deux Sly : le gentil, généreux, créatif, pretty cool Sylvester Stewart, et Sly Stone le destructeur. Ignorant la mise en garde de Jim Ford, le p’tit Bobby s’installe chez Sly, à Bel Air. C’est le bal des dopes. Comme chez Ike, Sly boucle tout et il ouvre quand il décide d’ouvrir - He’d stay up six, seven days with the drugs, and with that kind of punishment, you are going to hallucinate - Le p’tit Bobby bosse bien sûr sur There’s A Riot Going On, l’album culte qui sort en 1971. Quand Sly s’endort, c’est sur son piano. Le p’tit Bobby le réveille et Sly se met à chanter «A Family Affair» qu’il avait «composé» dans son sommeil. Il est plus efficace que les Surréalistes. Le p’tit Bobby évoque bien sûr Gun, le fameux pitbull dont tout le monde a la trouille. Il y a aussi un petit singe qui saute partout et un jour le Gun le chope, le tue et l’encule - that dog was vicious - Ce que le p’tit Bobby ne raconte pas, c’est la fin de Gun. Le clébard avait attaqué le baby de Sly et en représailles, Sly l’a emmené dans les bois et lui a tiré une balle dans la tête. On a tout le détail dans la fabuleuse autobio de Sly. Quand le p’tit Bobby a un fils, il demande conseil à Sly pour le prénom, et Sly  lui dit : «You should call him The Truth.» «The Truth?» «Yeah, Bobby». Aussi appelle-t-il son fils Truth - That was typical of Sly - heavy and totally unexpected, but right

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             En 1972, le p’tit Bobby enregistre Understanding à l’American Sound Studio de Memphis. Il se dit aussi très fier de BW Goes C&W - I really sang my heart out - Puis il sort The Poet en 1981, mais Otis Smith ne lui verse rien, alors que l’album se vend - He disrespected me - Le p’tit Bobby fréquente un autre requin, Allen Klein, qu’il connaît depuis les années 60, car Klein était le comptable de Sam - Allen was young then - and fat - Il portait un costard bleu tellement usé qu’il brillait. Sam avait confiance en lui. Et il écoutait ses conseils.

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             Puis Ronnie Wood devient son meilleur ami. Et comme Rod The Mod est dans les parage, il demande au p’tit Bobby ce que fumait et ce que buvait Sam - Told him L&Ms. Told him martini cocktails. Or Beefeater gin - Le p’tit Bobby se retrouve en studio avec les Stones, pour «Harlem Shuffle» sur Dirty Work. C’est une façon comme une autre de boucler la boucle.

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    Linda

             Alors attention, car la chute du p’tit book est hallucinante - I don’t speak to Barbara no more. Linda doesn’t speak to her. Haven’t spoken to Cecil (brother) for years. No one speaks to no one. Don’t know where Sly is at (....) Pickett I hadn’t heard from for a while by the time he died. I don’t talk to Jim Ford, but I think about him all the time (...) I don’t even try to talk to women now. Don’t need one. I ran out of energy. I don’t pick them up or see anyone else, not with this ton of baggage I still got. I guess I could tell them I got two kids in Chicago, one in New York, another in jail and two deceased. That’s enough.

    Signé : Cazengler, Bobby Fricotin

    Bobby Womack. My Story 1977-2014. John Blake Publishing 2014

     

     

    L’avenir du rock

    - Bienvenue au (Black Rebel Motorcycle) Club

             Pour retourner la situation à son avantage, l’avenir du rock a transformé le silence du désert en privilège. Il en est arrivé au point où il en savoure la moindre seconde. Il parle même de félicité. Il comprend ce que Baudelaire voulait insinuer, dans son Invitation Au Voyage, par luxe, calme et volupté. Pas un seul piaf pour lui péter les oreilles, pas le moindre fucking smartphone à l’horizon. Il goûte la paix céleste. Alors évidemment, quand il voit arriver à l’horizon un gros nuage de poussière accompagné d’une insolente pétarade, il sent la colère monter en lui.

             — Non mais c’est qui ce con !

             Rrrrombobobommm ! Rrrrombobobommm ! L’engin approche rapidement et la pétarade devient insupportable.

             — J’vais lui faire bouffer son bolide à c’te bâtard !

             Rrrrombobobommm ! Rrrrombobobommm ! Le mec arrive à fond et donne un coup de frein qui fait cabrer l’engin. À voir la tête ahurie et couverte de cloques de l’avenir du rock, le motard éclate de rire :

             — Aw Aw Aw, old chap, c’est ton jour de chance ! Monte derrière !

             Le mec est très beau. Une gueule de star du cinéma américain. Il porte un perfecto et une casquette en cuir blanc. Il a débrayé mais il remet les gaz pour faire tourner le moteur. Rrrombobobommm ! Rrrombobobommm !

             L’avenir du rock est tellement excédé qu’il décide de le snober :

             — J’monte pas sur ta fucking Triumph Thunderbird, j’monte que sur des BSA, sucker de mes deux !

             — Look out, old chap, faut que t’ailles voir un psy ! Le soleil t’a cramé la carlingue !

             Et il repart. Rrrombobobommm ! Rrrombobobommm ! Fou de rage, l’avenir du rock gueule après lui : 

             — Vas te faire mettre chez les grecs, Johnny Strabler ! Et ton Équipée Sauvage aussi ! Et ton Black Rebel Motorcycle Club avec !

     

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             La colère de l’avenir du rock est parfaitement légitime. S’il lui arrive de mordre de trait, c’est toujours pour la bonne cause. Par contre, le choix qu’a fait Peter Hayes d’appeler son groupe Black Rebel Motorcycle Club n’est pas très légitime. Ni l’Hayes ni Robert Levon Been n’ont des  dégaines d’Hell’s Angels. Ils sont même complètement à l’opposé. On les avait vus sur scène voilà  dix ans ou douze ans et Levon Been paraissait déjà chichiteux, sans doute victime d’une timidité maladive. On le sent lorsqu’il s’adresse brièvement au public, il n’ose pas trop la ramener. Contact minimal, même lorsqu’il descend dans la fosse avec sa basse, il garde ses distances. C’est pas Gyasi que tu peux tripoter. Quant à l’Hayes, il se planque sous une capuche pendant tout le concert. Zéro contact.

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             Tu dois presque te forcer pour retourner les voir sur scène. Tu gardais le souvenir d’un set prétentieux et statique, bien pompé sur les Mary Chain. Et puis tu gardes en mémoire la séquence de Dig! où Peter Hayes et les deux autres Brian Jonestown Massacre abandonnent Anton Newcombe en pleine tournée américaine. Autre chose : lors d’une interview, un journaliste demande à Anton Newcombe ce qu’il pense de l’Hayes, et l’Anton balance ça : «J’ui ai tout montré. Question suivante !». Donc ça fait un gros tas d’a-prioris. Mais comme on entre dans la pire zone de l’année pour les concerts, la fameuse trêve des confiseurs, on ne chipote pas trop : t’auras rien à te mettre sous la dent pendant deux mois, alors tu retournes voir les Black Rebel Motorcycle Club. 

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             La salle est pleine comme un œuf. Le Levon Been arrive sur scène avec son vieux caban. Au moins, on ne pourra pas lui reprocher de frimer. De l’autre côté de cette scène immense, l’Hayes chante sous sa capuche. Toute la première moitié du set reste extraordinairement calme, et les gens qui sont venus pour pogoter doivent crever d’ennui. T’en entends même au fond de la salle brailler des encouragements de football du genre «Allez Malherbe !». Au moins tu sais que t’es en France. Eh oui,

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    l’Hayes gratte son «Complicated Situation» et ça sonne comme un fabuleux hommage Dylanesque. Même chose avec «Restless Sinner». Ce sont les cuts d’Howl. En fait ils jouent tout l’Howl. Et tu vas découvrir par la suite que c’est la tournée anniversaire d’Howl, qui reste sans doute leur album le plus pépère. Mais c’est le calme avant la tempête. Ils mettent leur machine en route au bout d’une heure avec cette pure Marychiennerie qu’est «Red Eyes & Tears», tirée du premier album BRMC. Le Levon Been fait un carton avec sa basse, il gratte des accords et sort un son qui se fond bien dans le fleuve de lave que déverse son collègue encapuchonné.

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    Leur numéro prend une dimension épique, ça devient même grandiose, et tout explose avec «Berlin» qui sent bon la Marychiennerie. Et tout ré-explose avec l’imparable «Whatever Happened To My Rock’n’roll (Punk Song)», amené par un riff gratté au bas du manche de basse. L’Hayes chante ça à la Jim Reid et tu retrouves le grain de folie qui hante l’«I Hate Rock’n’Roll» des p’tits Jesus. Les

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    BRMC pompent ouvertement, mais au moins, ça fait sauter la Sainte-Barbe. Même chose avec «Spread Your Love» tiré du même premier album. Ils ressortent les vieux coucous que connaissent les gens. C’est de bonne guerre. On voit cependant les limites du genre. Les groupes qui pompent ont du mal à se renouveler. On va les appeler les Shadocks. Ou même les Shadrocks. Ils pompaient... Et ils pompaient...

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             Tu peux ressortir le BRMC de l’étagère. Pas de problème, c’est un very big album. Ça démarre en trombe avec deux Marychienneries, «Love Burns» (même snarl de by my side) et «Bad Eyes & Tears» (avec un beat dévoré par des incursions intestines dignes de celles de William Reid. C’est féroce et complètement hanté). T’as

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    une autre Marychiennerie plus loin qui s’appelle «Riffles» : ça groove dans la bouillasse. Et ça monte encore d’un cran avec «Whatever Happened To My Rock’n’roll (Punk Song)», l’Hayes a de la ressource, il fonce dans le tas, c’est assez viscéral, t’as là une merveilleuse défenestration, t’as la clameur et l’argent de la clameur, il a tout le revienzy du monde et le chant qui va bien. On se prosterne encore devant «White Palms», belle dégelée royale montée sur un beat bien têtu, et t’entends une basse de punk sidérante. Avec «Too Real», les Black Rebel battent pas mal de records de prod, c’est gratté aux accords tendancieux, avec une incroyable ambiance de la ramasse, ce sont des accords qu’on n’avait encore jamais entendus. La prod en devient extravagante. Belle intro de basse sur «Spread Your Love» et ça se barre en mode heavy stomp à la Sweet, mais bien pire. Peter Hayes gratte de purs accords de glam, mais on sent aussi le vieux Spirit In The Sky - Spread your love/ Like a fever ! - Cet album te re-bluffe chaque fois que tu le ré-écoutes.

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             Tu ressors les autres de l’étagère, tiens, pourquoi pas l’Howl, pour commencer ? Il date déjà de 20 ans ! Tu retrouves ce son enjoué et même bienvenu, et puis voilà l’«Howl», le morceau titre, beau et tentateur, doté d’une belle envolée finale. Une pure Beautiful Song ! Peter Hayes boucle son balda avec un gros stomp de boogie blues, «Ain’t No Easy Way», c’est bien vu, avec des ouh! au coin des couplets. En B, t’as encore des cuts qui forcent l’admiration («Still Suspicion Holds You Tight»). On peut dire que l’Hayes en a dans la culotte. La C est la plus réussie des quatre faces, grâce à ce «Gospel Song» digne de Spiritualized, un gospel électrique bardé de riffs cinglants, suivi de «Complicated Situation», gros clin d’œil Dylanex, avec ses coups d’harp et son gratté de poux fouillé. L’Hayes est un vrai caméléon.

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             Dans la foulée, tu te tapes un autre double album, Baby 81, qui date de la même époque. Celui-là regorge de Marychienneries : en B, tu tombes sur «666 Conducer», et en C, t’en as encore deux, «Lien On Your Dreams» et «Need Some Air» : c’est en plein dans le mille. Avec «Took Out A Loan», ils font du North Mississippi Allstars, c’est bien pompé, ils ne se cassent pas trop la nénette, et «Berlin» sent bon la Marychiennerie. Avec «Windows», ils font une espèce d’heavy Beatlemania, l’Hayes chante avec des accents de John Lennon, c’est de très haut niveau. Ce mec a de la suite dans les idées. En B, t’as encore un «Cold Wind» qui monte vite au cerveau, c’est bien monté en neige. Joli coup de Kilimandjaro. L’Hayes tient bien sa boutique. Il ne prend pas trop les gens pour des cons.

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             Tiens, encore un double album : Specter At The Feast. Tu te souviens que tous ces gros double albums coûtaient la peau des fesses. T’avais intérêt à bosser au black pour financer tout ça. Le Specter se met lourdement en route, tu assistes à un beau déploiement de forces sur «Let The Day Begin», mais les énormités se planquent en B, notamment «Hate The Taste» (bien sabré au riff acerbe, avec des refrains chantés dans la clameur de la chandeleur) et «Rival» (l’Hayes se jette à corps perdu dans la bataille à coups d’I need a rival, et ça sonne, ça splashe dans la bouillasse avec un sens aigu de la démesure). Les coups de génie se planquent en B : «Teenage Desease», une heavy gaga-punkerie qui te marque la mémoire au fer rouge, et «Funny Games», pur power blast. L’Hayes sait arracher son hydravion du lac. On sent chez ces trois mecs une nette volonté d’ampleur catégorielle. Tu te mets à les respecter pour de bon.

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             Take Them On, On Your Own date de 2003. Et c’est un big album, un de plus. T’as une Marychiennerie qui te saute dessus dès «Stop», te voilà dans le bain dès l’attaque à la basse fuzz. L’Hayes prend sa petite voix persistante de fouine lubrique. Puis ils basculent dans un genre qui leur est cher, le sonic genius, avec un «Six Barrel Shotgun» d’alerte rouge. T’as pas beaucoup de gens qui vont battre les BRMC à la course. Ils remontent un Wall of Sound pour «In Like The Rose», c’est de l’heavy Big Atmospherix, une montagne qui accouche non pas d’une souris, mais d’un gros cut titanesque. S’ensuit un «Ha Ha High Babe» noyé de violence sonique. Ils vont loin dans le piétinage des plates-bandes de la Marychiennerie. Mais tu ne t’en lasses pas. Ils allument encore leur «Generation» aux riffs de ferraille insidieuse, tout ici est taillé aux riffs de ciseaux tailladeurs, c’est une véritable agression. Ce mec Hayes a le génie du son. Même ses balladifs sont incandescents. L’Hayes ne vit que pour la dégelée royale («US Government»). Son «Rise Of Fall» est tendu à se rompre, les riffs sont compressés et soudain, tout explose sous ton nez. Nouveau wild ride avec «Going Under», mené de main de maître sur les accords de «Gloria». BRMC est une machine impitoyable. Nouveau coup de génie sonique avec «Heart & Soul». T’as là l’une des intros du siècle. Tu sais dès l’intro que ces trois mecs vont régner sur la terre le temps d’un cut, et ils remettent la pression de la Marychiennerie, alors les accords résonnent dans ta conscience, t’es allumé au plus haut degré, ils sont aussi ravageurs que les Mary Chain de la 25e heure. Là t’as tout : la persuasion, le génie électrique, l’excellence, le snarl, ils reprennent tous les poncifs des Mary Chain. Encore plus terrific, voici «High Low». Overwhelming ! Chargé de toute la menace sonique du monde, t’as plus de mots pour cadrer ce qui se passe sous le casque. Disons pour faire court qu’ils s’agit d’une Marychiennerie écrasée du talon dans le cendrier. L’Hayes t’arrache ça au raw de l’arghhhhh. T’en veux encore.

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             Si t’adores te faire sonner les cloches, alors tu peux écouter Beat The Devil’s Tattoo. Ils chargent vite la barcasse avec «Conscient Killer». Ah ils s’y connaissent en barcasse. D’ailleurs, leur barcasse s’écroule sous le poids de la charge, et les relances sont spectaculaires de violence. Ils ont des tonnes de son. Ils en font peut-être un peu trop. «Bad Blood» se noie dans le son. Glou glou. Ces mecs jouent à outrance, c’est une sorte d’upper-power trio, ils saturent leur Bad Blood de stridences florentines perverties. Le son est beau, le thème est beau, tout est beau et même glorieux. Comme son titre l’indique, «War Machine» est une machine de guerre. Le riff sonne comme les roues en bois d’une tour d’assaut et t’as même les éléphants de combat, ça glougloute dans le Salammbô. Ces barbares de BRMC transpercent la couenne du son. Ils reviennent à la formule magique de la Marychiennerie avec un «Evol» fouillé par un magnifique bassmatic. Ça monte comme la marée. Leur Evol est fabuleusement bien foutu, tu ne peux pas faire autrement que de te prosterner devant un truc pareil. C’est carrément une marée qui t’emporte. Les BRMC font partie de ceux qui réussissent ce genre de miracle. Ils reviennent au bord du fleuve pour «River Styx». Leur petite formule est bien au point. Somptueux, même si entre-deux. Plus loin, tu tombes sur l’hyper-violent «Aya». Ils te perforent la chair des oreilles. Ils savent monter un plan pour t’envoyer à l’hôpital. Back to the Mary Chain avec «Shadow’s Keeper». Ils saturent ça à l’extrême et mettent tout le paquet. Ils terminent en mode belle apothéose avec «Half State». Ce sont des spécialistes de la montée en neige.

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             Poussé par une curiosité dévorante, t’en écoutes encore un : Wrong Creatures. Tu tombes vite sur «Spook» qui t’hooke avec sa heavy riffalama de Marychiennerie. L’Hayes et son copain Robert ont bâti leur empire sur les ruines des Mary Chain. Ils ont encore un son énorme avec «King Of Bones». C’est l’heavy boogie des catacombes. T’as presque le poids des Cramps dans l’heavyness du beat. C’est à la fois puissant, mystérieux, glorieux et dangereux. Plus loin, tu croises un «Ninth Configuration» bien monté en neige. C’est leur Vice Suprême. Leur son sue sang et eau. Ils pleurent des larmes de sang. Et ça finit par prendre feu. Les BRMC sont des pyromanes, des dangers publics. Ils sont même submergés par leurs vagues de flammes. Tu vois encore «Calling Them All Away» se mettre en route tout seul pendant que tu te ronges l’os du genou. Ça devient épais, bourbeux et éhonté à la fois. Toujours le même cirque. Ave «Circus Bazooko» (sic), ils se prennent pour les Beatles, mais ils n’en ont pas les moyens. Et t’as «Carried From The Start» qui te tombe dessus comme une chape de plomb. Trop de son. T’es gavé comme une oie. Arfffffff.

    Signé : Cazengler, black re-baltringue

    Black Rebel Motorcycle Club. Le 106. Rouen (76). 2 décembre 2025

    Black Rebel Motorcycle Club. BRMC. Virgin 2001

    Black Rebel Motorcycle Club. Take Them On, On Your Own. Virgin 2003 

    Black Rebel Motorcycle Club. Howl. Echo 2005

    Black Rebel Motorcycle Club. Baby 81. Island Records 2007

    Black Rebel Motorcycle Club. Beat The Devil’s Tattoo. Cobraside Distribution Inc. 2010

    Black Rebel Motorcycle Club. Specter At The Feast. Abstract Dragon 2013

    Black Rebel Motorcycle Club. Wrong Creatures. Virgin 2018

     

     

    Wizards & True Stars

     - La case de l’oncle TomWilson

     

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             Il aura fallu attendre un bel article sur Tom Wilson dans Shindig! pour avoir enfin le fin mot sur l’enregistrement du premier Velvet, le fameux banana album : tout le monde raconte depuis bientôt soixante ans qu’il est produit par Andy Warhol. Faux. John Cale rétablit la vérité : «Warhol didn’t do anything. Tom Wilson produced nearly all the track.» Le producteur ne pouvait être qu’un esprit moderne.

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             Peu de gens savent qui est en réalité Tom Wilson : un grand black né au Texas. En fac, il se passionne pour le jazz et interviewe Charlie Parker. Il monte Transition Records et sort des albums de Sun Ra et de Donald Byrd. Le label coule en 1957, alors il s’en va bosser pour différents labels, avant de rejoindre Columbia. Et là, on lui demande de s’occuper du «folk revival poster boy Bob Dylan.»

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              Il est marrant, Tom Wilson : «J’avais enregistré Sun Ra et Coltrane and I thought folk music was for the dumb guys.» Alors il nous raconte la suite et on tend l’oreille : «This guy played like the dumb guys. But when these words came out, I was flabbergasted.» Et il s’approche de l’oreille d’Albert Grossman qui est dans le studio : «If you put some background to this you might have a white Ray Charles with a message.» On appelle ça le génie de l’opportunisme. Il faut aller vite, quand on a un débutant comme Bob Dylan dans le studio. C’est Tom Wilson qui enregistre Bringing It All Back Home, il overdubbe, comme il l’a fait pour Dion sur Wonder Where I’m Bound. Dion se souvient de Tom Wilson comme d’un mec très directif. Mais Bob Dylan et Tom Wilson s’embrouillent avec «Like A Rolling Stone». Dommage.

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             Tom Wilson quitte Columbia pour MGM. Il produit le Projections du Blues Project. Il s’intéresse à tout ce qui sort de l’ordinaire et s’en va rencontrer les Mothers en Californie. C’est grâce à lui que Freak Out sort - a subversive mashup of piss-take and doo-wop aberration - Mais il sait que ça va être dur à vendre. Il produit le suivant, We’re Only In it For The Money. Il récupère aussi les Animals qui viennent de rompre avec Mickie Most pour signer sur MGM. Ils sortent Animalization (their first Wilson-sponsored LP) et Zappa intervient sur le deuxième, Animalism. Zappa indique que des gens du Wrecking Crew jouent sur l’album. Tom Wilson produit ensuite Winds Of Change et The Twain Shall Meet - Wilson’s patronage of Burdon changed their material noticeably, transforming them from Northwest drinkers to West Coast thinkers - Et c’est lui qui signe le Velvet sur MGM. Il supervise l’enregistrement et voit «Sunday Morning» comme un «radio-friendly single».

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             Tom Wilson a aussi eu l’idée de muscler le son de «The Sound Of Silence» pour le faire sonner comme le «Mr Tambourine Man» des Byrds. Alors, en juin 1965, pendant les sessions de «Like A Rolling Stone», Tom Wilson demande à Al Gorgoni, Vinnie Bell, Joe Mack et Bobby Gregg d’overdubber guitars, bass and drums. Et pouf, «The Sound Of Silence» grimpe à la tête des charts. À la différence de Totor et de George Martin, Tom Wilson n’a pas «un son», mais il fonctionne par opportunités. Dylan : «Aujourd’hui on l’appellerait un producteur, mais à l’époque on ne l’appelait pas ainsi. He was a typical A&R man.»

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             En 1967, Tom Wilson a 8 albums dans le Top 100. Comme c’est un aventurier, il quitte MGM en 1968 pour bosser en freelance. Il monte des tas de structures : Rasputin Productions, Gunga Din, Lumumba, Reluctant Management, Terrible Tunes & Maudlin Melodies. Il mise, alors parfois il gagne, parfois il perd. Parmi les groupes qu’il sort, il y The Bagatelle. Il bosse avec le jeune Eddie Kramer. Il produit le premier Soft Machine avec Chas Chandler, mais Kevin Ayers dit que Tom Wilson a passé son temps au téléphone pendant que le groupe jouait. Tom Wilson produit des tas d’autres groupes tombés dans l’oubli, dont le fameux Road de Noel Redding.

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             Quand il casse sa pipe en bois en 1978, à l’âge de 47 ans, il tombe aussitôt dans l’oubli. Aucun docu, que ce soit sur le Velvet ou Dylan, ne mentionne son nom. «Même la date inscrite sur sa pierre tombale est fausse», nous dit Sean Casey. Un projet de biopic serait à l’étude.  

    Signé : Cazengler, Wilson of a bitch

    Sean Casey : Tom Wilson. The futuristic sounds of the factory workman. Shindig! # 159 - January 2025

     

     

    Inside the goldmine

    - Wilson is shining

             Al Weber était un personnage assez complexe. Il exerçait le métier de correcteur de presse. Il bossait à la fois pour les quotidiens et pour les agences de com. On faisait appel à lui régulièrement lorsqu’on bouclait un dossier pour l’envoyer en fab. On finissait souvent tard le soir, alors Al dormait à la maison. Et de fil en aiguille, il devint ce qu’on appelle généralement un proche. Son apparente décontraction cachait un malaise profond. Il restait silencieux à table et se montrait évasif sur sa vie de famille. On savait simplement qu’il était marié, père de famille et propriétaire d’une belle maison en Normandie. Il préférait raconter les anecdotes du marbre, au Canard Enchaîné, quand la rédaction jette un dernier coup d’œil aux pages avant le bon à tirer. Al évoquait des épisodes dionysiaques qui, bien sûr, nous laissaient rêveurs. Al était un homme plutôt grand, bien de sa personne, brun mais avec le cheveu rare. Il parlait d’une voix grave et cultivait un humour qu’il fallait bien qualifier de noir, c’est-à-dire qu’il ne faisait rire personne, à part lui. On appréciait sa présence, bien sûr, mais on savait en même temps qu’il ne fallait pas en abuser, car il finissait par nous taper sur les nerfs. On essayait de lui parler comme on parle à un adulte, mais il réagissait comme un ado : il se refermait comme une huître dès qu’on essayait de lui donner un conseil, du genre «prends des vitamines», «fais de la rando pour te changer les idées» ou pire encore, «tu devrais aller voir un psy.» On sentait bien que tout cela l’agaçait, mais il restait de marbre. On se demandait comment sa femme pouvait supporter un mec comme lui. Elle ne le voyait que le week-end, ce qui devait bien l’arranger. Et puis un jour, on fit le numéro du central qui permettait de joindre Al, mais il était absent. Le central envoya quelqu’un d’autre. Même chose la semaine suivante. Il fallut se résoudre à l’appeler chez lui, en Normandie. Sa femme nous apprit d’une voix sèche qu’Al s’était pendu à la branche du pommier, au fond du jardin. 

     

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             Pendant qu’Al se pend, un autre Al entre dans la légende. Al Wilson n’est pas du genre à aller se pendre au fond du jardin : c’est une force de la nature.

     

             On vient de rééditer l’album mythique d’Al Wilson, Searching For The Dolphins. Dans ses liners, Tony Rounce se demande comment un album aussi balèze que Searching For The Dolphins a pu flopper. Oui balèze car cet énorme Soul Brother tape dans Jimmy Webb, Holland/Dozier/Holland, Fred Neil, John Fogerty, Burt, Jerry & Billy Butler. Dans son ‘Spécial Sunshine Pop’, Shindig! cite l’album en référence. Heureusement que les Anglais sont là. 

             Comme David Ruffin, cet immense blackos a grandi à Meridian, Mississippi, puis après deux ans dans l’armée, il s’est installé en Californie. Dans une vie antérieure, Al Wilson fut certainement meneur d’une révolte d’esclaves. C’est en tous les cas ce qu’inspire son physique. Black Power !

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             Il attaque Searching For The Dolphins avec l’un des plus beaux hommages à Fred Neil. Il tape «The Dolphins» d’une voix grave - I’ve been searching/ For the dolphins/ In the sea - Grosse présence vocale. Le secret de la grâce : Fred Neil + le Black Power. Il enquille à la suite un autre chef-d’œuvre, «By The Time I Get To Phoenix». Il le prend plus doucement que le fera Isaac le Prophète. Al Wilson tape ça à son aise. Il donne des ailes à son power. Sur cet album, tout est impeccable. Quand t’as la voix, t’as tout. Il porte «The Snake» à bouts de bras. Il en fait du big story-telling et ce sera un cut culte de Northern Soul, nous dit Rounce. «Who Could Be Loving You Other Than Me» est une véritable merveille de pop Soul, puis il groove délicieusement le «Shake Me Wake Me When It’s Over» d’Holland/Dozier/Holland. Big time de Motown Sound. Il retape dans l’excellence avec le «This Guy’s In Love With You» de Burt. Il y plonge avec cette voix de miel suburbain, tell me now/ Let me be the last to know, Il écrase le groove dans l’écrin de son génie vocal - I need you/ I want your love - C’est l’absolu de la Soul - My hands are shaking - Il tape la cover le plus puissante de Burt. Il passe encore en force avec «Brother Where Are You», mais avec un talent fou. Il croone la vie par les deux bouts. Le gros intérêt de rapatrier cette compile Kent, c’est le tas de bonus qui suit l’album. Dix en tout, et c’est du gros calibre. Al Wilson tape le «Lodi» de John Fogerty en mode heavy black rock. Raw to the bone, un modèle du genre. Il tape aussi le «Mississippi Woman» de Leslie West en mode heavy boogie, puis plus loin, l’«I Hear You Knocking» de Dave Edmunds. Saluons aussi cette Beautiful Song qu’est «You Do The Right Things». Il croone comme un beau diable.

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             Sur la pochette de Show And Tell, Al Wilson pose avec la 1927 Phantom 1 Rolls Royce d’Hal Blaine. Mais c’est pas tout : avec le morceau titre, il sonne exactement comme Isaac le Prophète. Fantastique qualité de la Soul ! Puis il arrache «Touch & Go» du sol et l’emmène au firmament de la Soul ! Il s’en va ensuite sonner comme les Temptations avec «My Song» : même attentisme d’hey mama ! Ça chauffe encore en B avec l’heavy Soul de revienzy de «Love Me Gentle Love Me Blind». Al Wilson travaille chaque cut au corps. Il est le Rodin de la Soul. Il faut dire qu’H.P. Barnum lui arrange tous ses coups. Retour aux Tempts avec «Moonlightn’» et il enchaîne avec l’heavy boogie down de «For Cryin’ Out Loud», c’est hot as hell avec les chœurs des Lovely Ladies créditées au dos : Cisely Johnson et Carol Augistus. Il se dirige vers la sortie avec une fastueuse cover d’«A Song For Me», l’hit intercontinental de Tonton Leon, il faut voir l’Al groover l’oooooh baby/ I love you. Fantastique ambiance ! L’Al explose littéralement Tonton Leon !  

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             Weighing In est encore un fantastique album. L’Al attaque avec une cover foudroyante du «Born On The Bayou» de Creedence. Il rivalise de power vocal avec le Fog ! T’es au sommet du Black Power. Black Power encore avec «Somebody To Love» et des chœurs de blackettes folles. Il tape à la suite une Beautiful Song, «Settle Me Down», c’est dire si l’Al est un artiste complet. Il dispose là du power océanique, sa force s’étend jusqu’à l’horizon et te voilà une fois de plus avec un hit magique sur les bras. Ça te transperce autant le chœur que le ferait un slowah de Lanegan. Puis il balance une fantastique lampée de good time music avec «All For You». Tu crois rêver tellement c’est beau et puissant à la fois. En B, il tape avec «You Do The Right Things» un fantastique balladif d’extension du domaine de la turlutte boréale, t’es tellement ravi d’écouter cet album que les mots t’échappent pour danser tout seuls. Il est encore plus puissant avec «The Magic Of Your Mind» - C’mon let’s ride/ The magic of your mind - Il tartine ça là-haut dans l’apesanteur de l’excelsior parabolique, yeah c’mon ! Encore de l’heavy black rock avec «Keep On Loving You». Franchement t’en reviens pas d’entendre toutes ces merveilles. L’Al drive son black rock d’une main de fer.    

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             Encore un very big album : La La Peace Song. Pas question de faire l’impasse sur un album aussi génial. Et si l’Al était l’un des rois de la good time music ? En tous les cas, c’est ce que montre le morceau titre en ouverture de balda, l’Al te prend par la main et te fait danser dans la vie. Sa joie de vivre est contagieuse. Il tape un Medley fantastique, «I Won’t Last A Day Without You»/«Let Me Be The One». Il a tous les chœurs qu’il faut derrière, alors il y va au oooooh baby, il pousse son let me be the one au max des possibilités, l’Al est un beautiful Soul Brother, un fanatique de la beauté purpurine. Et t’as ce «Passport» au bout du balda, avec des blackettes qui jettent tout leur dévolu dans la balance, alors l’Al peut foncer dans le tas. Steve Cropper produit «I’m A Weak Man», en B. Ça strutte au strat-over. Retour de la good time music de rêve avec «Fifty Fifty». Quel panache ! Avec «The Longer We Stay Together», l’Al propose une superbe tranche de country Soul panoramique. Sa puissance s’étend à l’infini. Crop produit aussi «Willoughby Brook» et ça sonne comme un hit des Staple Singers, ça rocke le boat !  Et l’Al regagne la sortie avec «You’re The One Thing (Keeps Me Goin’)», un heavy groove de black rock bien  drivé. Le cut a tous les atours du rock, avec un brin de Tony Joe White, une énergie à la Fogerty et les chœurs de Toton Leon, tout est bien, tout explose chez l’Al, le voilà au sommet de l’Ararat du rut.

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             Surtout, ne vas pas te fier à la pochette d’I’ve Got A Feeling. Tu crois que c’est un album de diskö, alors que c’est encore un big album d’Al Wilson. H.P. Barnum est encore dans le coup. L’Al s’impose dès le morceau titre. Soul Brother de premier rang ! Il se montre aussi puissant que les Temptations avec «Stay With Me». Et puis les coups de génie commencent à pleuvoir avec «Baby I Want Your Body» : il passe à l’heavy swing avec une aisance effarante. Il te prend par les hanches et te fait danser le groove urbain. Il est aussi puissant que Sam Cooke, Marvin et les Tempts. Ça continue avec «Differently», un cut d’H.P. Barnum qu’il empoigne et ne lâche pas. On entend des échos de Jacques Brel dans son chant opiniâtre. En B, il tape une cover d’«Having A Party», un vieux hit de Sam Cooke. L’Al en fait du hard r’n’b. L’Al a tout : le good time et le power des Tempts. Avec «Ain’t Nothing New Under The Sun», il tape une Soul urbaine orchestrée et chantée à l’arrache rock-solid. Et ça continue sur le même ton avec «How’s Your Lovelife?» : big drive de basse et power vocal. Et il remonte au sommet de la good time music pour «You Did it For Me»

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             Count The Days est son dernier album, paru en 1979. Il est peu moins dense que les précédents, un peu diskoïdal, dirons-nous. «You Got It» est diskoïadal, mais bon esprit. L’Al tape là la diskö Soul des jours heureux. Il boucle son balda avec un «Save A Dance» infesté de relents de What’s Going On, et de chœurs perdus dans la stratosphère. C’est du pur Black Power briseur de chaînes. Et en B, tu ne sauves qu’un seul cut, la belle Soul ensorcelante de «You Really Turn Me On». L’Al t’accapare une dernière fois.

    Signé : Cazengler, Wilson of a bitch

    Al Wilson. Searching For The Dolphins. Kent Soul 2008

    Al Wilson. Show And Tell. Rocky Road Records 1973  

    Al Wilson. Weighing In. Rocky Road Records 1973    

    Al Wilson. La La Peace Song. Rocky Road Records 1974 

    Al Wilson. I’ve Got A Feeling. Playboy Records 1976  

    Al Wilson. Count The Days. Roadshow 1979

     

     

    Wizards & True Stars

     - Les Ramones la ramènent

     (Part One)

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             Oups ! On avait oublié le Part One !

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             Kris Needs fait feu de tout bois : dix pages sur les Ramones dans Vive Le Rock et 6 autres pages dans Mojo. Feu de tout bois pour Needy Needs, ça veut dire feu d’artifice de rock’n’roll language, pour lui c’est du gâtö que de qualifier le son des Ramones : «stripped down, speeded-up, insanely catchy and devoid of frills», des Ramones qui débarquent à Londres en juillet 1976 à la Roundhouse en première partie des Groovies. Puis il évoque le concert du lendemain soir au Dingwalls : «The Ramones coalesce into one blistering warhead, decimating the packed club with 17 songs in around 35 minutes.» Danny Fields qui a «découvert» les Stooges et qui a managé des Ramones de 1975 à 1980, résume bien l’impact du phénomène : «The Ramones ignited the power keg that was waiting to be ignited.»

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             Pour Mojo, Needy Needs retrace la genèse des Ramones, racontant comment Tommy Erdelyi, d’ascendance hongroise, rencontre John Cummings, d’ascendance irlandaise, puis arrive dans le circuit Jeff Hyman, grand amateur de Beatles, de Beach Boys, de Totor et de glam, au point de se rebaptiser Jeff Starship et de porter des platform boots, lequel Jeff Hyman rencontre Doug Collins qui a grandi dans les bases américaines en Allemagne et qui a déjà fait du ballon pour des vols de bagnoles et des braquos, et qui pour financer son hero, fait le tapin à l’angle de la troisième avenue. En fait Doug et John se connaissent et un jour ils décident d’acheter des grattes chez Manny’s Music store : John se paye une blue Mosrite pour 50 $ et Doug une Danelectro.  Ils demandent à Jeff Starship de battre le beurre. Doug passe à la basse et se baptise Dee Dee Ramone, en souvenir du Paul Ramon qu’utilisait McCartney dans les hôtels. Alors Jeff Starship devient Joey Ramone et Doug Collins Johnny Ramone. Comme ils savent qu’ils ne correspondent à rien, Joey déclare : «We were all outcasts.»

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             Les Ramones commencent à bosser leur formule : «Hit singles mixed with hard rock.» Ils jouent en public (30 friends) pour la première fois en 1974. Dee Dee chante, mais il a du mal à jouer en même temps. Tommy, qui a entendu Joey chanter, le fait passer au micro - It clicked right away - Les Ramones auditionnent des batteurs, mais aucun n’a le son. Alors Tommy se dévoue et devient Tommy Ramone. Needy Needs : «Ramones’ songs allied ‘50s and ‘60s rock’n’roll discipline to lyrics that mainlined their lives.» Et il balance l’info de choc : «The leather jackets and jeans look came from New York near-contemporaries The Dictators.»

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             C’est Jayne County qui branche Dee Dee sur le club d’Hilly Kristal au 315 Bowery - CBGB (Country, BlueGrass and Blues), appended by OMFUG (Other Music For Uplifting Gormandizers) - Les premiers à s’y produire sont Suicide, puis Television, puis Patti Smith accompagnée de Lenny Kaye. Et puis il y a les chiens d’Hilly qui chient partout. La plupart des habitués vivent dans les parages (Blondie et Talking Heads). Les Ramones jouent pour la première fois au CBGB en août 1974. Les Ramones sont loin d’être au point, mais Hilly les aime bien et continue de les programmer, sur le thème : si c’est pas moi qui le fais, personne ne le fera - Nobody’s gonna like you guys so I’ll have you back - Bravo Hilly ! Alan Vega les admire lui aussi : «The best thing I’d seen since the Stooges.» Itou pour les Cramps qui viennent d’arriver en ville, alors Ivy y va : «The Ramones are what set our pants on fire.»

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             Si les Ramones se retrouvent sur Sire, c’est grâce au scout Craig Leon : pendant un an, il essaye de convaincre son boss Seymour Stein de les signer. Le premier Anglais à comprendre le génie des Ramones sera Charles Shaar Murray en 1975 - They’re simultaneously so funny, such a cartoon vision of rock and roll and so genuinely tight and powerful - Marthy Tau qui a managé les Dolls n’est pas intéressé, et c’est finalement Danny Fields et Linda Stein qui récupèrent le management. Linda réussira enfin à convaincre son mari de les signer. Craig Leon produit le premier album en janvier 1976 pour la modique somme de 6 400 $. Arturo Vega leur designe un Presidential seal logo et les Ramones vendent plus de T-shirts que d’albums. Ils deviennent les rois du merch. Lester Bangs les traite de «punk revolutionaries», ce qu’ils sont en réalité. C’est Joey qui a le mot de la fin : «We were doing something completely alien. Now everyone’s tried to copy us to some degree but nobody comes close. It’s just our attitude. It’s ourselves.»         

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             Il est désormais question d’un biopic basé sur le book de Mickey Leigh, I Slept With Joey Ramone. Nouveau désastre en perspective.

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             Dans le bien nommé Vive le Rock, Needy Needs repart de plus belle sur les Ramones des années 80 avec le batteur Richie Ramone. Il indique que l’album Too Tough To Die a sauvé le groupe. L’épisode End Of The Century en 1980, sous l’égide de Totor, avait bien failli réduire à néant le following des Ramones. Les Ramones étaient donc en quête d’un killer album destiné à restaurer leur crédibilité punk. Needy Needs les voyait encore comme un «extraordinary unique beast that instinctively amped up and mutated rock’n’roll’s original energy to create their own warped punk universe.» Needy Needs cultive mieux que personne l’art des formules qui tapent dans le mille. Mais en interne, les choses ne vont pas très bien, le bras de fer qui existe entre Johnny et Joey détériore l’équilibre précaire du groupe, d’autant plus que Johnny a barboté Linda Danielle, la poule de Joey. Pendant ce temps, Dee Dee jongle avec sa drug addict-mania, et Marky reste «permanently on the piss.»

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             Pour l’album suivant, Joey voulait Steve Lillywhite, mais Seymour Stein a une autre idée en tête : Graham Gouldman, le mec de 10cc. Stein veut pousser les Ramones dans le mainstream ! L’album s’appelle Pleasant Dreams et Neddy Needs se marre  bien, car rien ne va plus en interne, avec «Dee Dee’s ongoing pharmaceutical merry-go-round and Marky’s booze problems.»

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    Richie

             Une fois Marky saqué, les Ramones embauchent Richie Reinhardt, basé dans le New Jersey. C’est Joey qui le dit : «Richie saved the band as far as I’m concerned.» Et ça en plus : «He put spirit back in the band.» Il faudra quand même qu’il attende trois mois pour être intronisé en tant que Richie Ramone. Le conte de fées va durer 4 ans. Et quand il demande pourquoi il ne récupère pas sa part au merch, il est viré comme un malpropre. Needy Needs se fait un devoir de le réhabiliter - For facilitating Johnny’s mission to resuscitate The Ramones’ inimitable onslaught so they could squash the softie jibes and get back to stirring serious live carnage

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    Milk 'n' Cookies

    groupe dans lequel  Richie a joué

             Needy Needs revient longuement sur les années d’apprentissage de Richie et notamment un job de batteur dans le groupe de Sal Maida, The Velveteens. Puis il entame une relation avec la chanteuse des Shirts, et un jour, le drum tech des Shirts, qui fait aussi le roadie pour les Ramones, dit à Richie que les Ramones cherchent un batteur. Il pose sa candidature et le road manager des Ramones Monte Melnick l’appelle pour venir auditionner à Daily Planet, le local de répète des Ramones. Il choisit de jouer trois cuts : «Sheena Is A Punk Rocker», «Blitzkrieg Pop» et «I Wanna Be Sedated». Il se pointe à Daily Planet avec ses cymbales, ses baguettes et son snare. Première session avec Johnny et Dee Dee : en plein dans le mille. Le lendemain, il revient, et cette fois Joey est là - I did it again and that was it - Richie rentre chez lui ce jour-là avec 35 cuts à apprendre, pour la prochaine tournée. Richie et Joey vont même devenir inséparables «pendant quatre ans et dix mois.»

             Richie se croyait assez pote avec les brothers pour pouvoir leur parler d’argent. Il voyait le cirque : le lendemain de chaque concert, dans le bus, on remettait aux trois autres Ramones une grosse enveloppe de cash : les ventes au merch. Que dalle pour Richie. Quand il réclame sa part, il est viré. 

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             Comme ça ne t’est jamais venu à l’idée d’écouter Too Tough To Die, tu profites de l’hommage que lui rend Needy Needs pour l’écouter. Richie bat le beurre et ça s’entend. Ça démarre sur un «Mama’s Boy» limite heavy. Les Ramones ont l’air sinistrés, en panne d’inspiration. On ne voit pas du tout l’intérêt de ce «Mama’s Boy». Il faut attendre le morceau titre pour retrouver les Ramones. Ils basculent dans la pop avec «Chasing The Night», mais ça reste dans le style de Joey. Il adore cette pop montée sur un big beat. Il reste dans la power pop avec «Howling At The Moon». Les Ramones remontent encore le courant de la grande pop new-yorkaise avec «Daytime Dilemma (Dangers Of Love)». Joey vole le show. Ah comme il est bon avec ses yeah yeah. Dans les bonus de la red, tu tombes sur une cover stoogienne de «Street Fighting Man» et t’es bien content de l’entendre, car ça rocke salement le boat.

    Signé : Cazengler, ramoné

    Ramones. Pleasant Dreams. Sire

    Ramones. Too Tough To Die. Sire 1984

    Kris Needs : To Tough To Die. Vive le Rock # 117 - 2024

    Kris Needs : New York state of mind. Mojo # 372 - November 2024

     

    *

    Exhumé d’une caisse. Tout neuf, tout beau. Pourquoi l’ai-je oublié. Je me souviens vaguement de l’avoir acheté, remisé sur le bureau de longs mois et puis… une seule excuse le blogue n’a commencé qu’en mai 2009… Comme quoi l’on est toujours plus riche qu’on ne le croit… Pourtant l’avait déjà sorti en 2007 la BD Gene Vincent : Une légende du rock’n’roll, et vous trouverez dans notre livraison 68 du 13 / 10 / 11 une chronique sur Rock’n’Roll Vinyls un de ses nombreux ouvrages consacrés à notre musique. La lecture de sa bibliographie, il n’est pas  monomaniaque, est un plaisir.

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             Que l’on retrouve Glénat comme co-éditeur paraît logique, si Rodolphe est écrivain il est aussi un satané scénariste de BD, Glénat étant un des plus importants éditeurs BD en France, nous restons dans l’ordre logique des choses. Les Editions Chronique, quoiqu’elles aient été rachetées par Dargaud, autre grand éditeur BD, ont affiché dès leur création une démarche historique. A vocation grand-public. Rien à voir avec la recherche universitaire de pointe.  Chronique aime les gros livres, des espèces de dictionnaires chronologiques abondamment illustrés, photos pour l’époque moderne, documents iconographiques variés pour les périodes reculées.  Des textes relativement courts, bien documentés, et doctement factuels. Au début, ils se sont consacrés à l’Histoire, celle du vingtième siècle, celle de L’Humanité, puis celle de l’année écoulée, puis des monographies de grands hommes politiques comme Staline, enfin se sont diversifiés, culture, cinéma, sports, question musique par exemple Tout l’Art du Blues de Bill Dahl, Le Blues de Mike Evans, si je ne me trope point nous l’avons chroniqué, Culture Punk de Phillipe Margolin, et pour finir en beauté :

    LES ANNEES ROCK’N’ROLL

    RODOLPHE

    (Editions Chronique-Dargaud / 2008)

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             Ce n’est pas une histoire du Rock’n’roll, plutôt in kaléidoscope Rock’n’roll, vous faudrait les cent yeux d’Argos, ce géant panoptique  aux cent prunelles, tué par Zeus. Héra les récupéra pour oceler la traîne magnifique de son animal favori : le paon ! Cette bête possède une voix discordante, un peu à la manière de  la musique que nous vénérons… L’est sûr qu’il faut du panache pour la défendre envers et contre tout !

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             Le principe du livre est simple : commence en 1955 se termine en 1965. Les puristes rouspètent : Rock Around The Clock  ne date-t-il pas de 1954 ! Même qu’il a été écrit en 1952 ! Certainement mais ce n’est pas un livre d’Histoire du rock’n’roll. Considérons-le plutôt comme un livre de géographie rock’n’roll, principalement centré sur trois pays, les USA, l’Angleterre et petit dernier la France. Inutile de faire la fine bouche avant d’insinuer que le rock’n’roll français gna-gna-gna… certes, parfois il est bon d’examiner le monde par le petit bout de la lorgnette. Depuis le lieu où l’on habite, oui sans les United States et l’United Kingdom le rock’n’roll… mais l’histoire que tente de nous raconter Rodolphe c’est comment et dans quel environnement culturel cette musique d’outre-Manche et d’outre-Atlantique s’est imposée en France. Notons que pour un lecteur américain et anglais cet ouvrage ne présente que peu d’intérêt. Sauf pour les esprits curieux et aristotéliciens. Retenons qu’un jeune français d’aujourd’hui risque d’être tout aussi déboussolé que ses homologues étrangers. Ne nous le cachons pas, ce livre fonctionne un peu à la nostalgie. Ceux qui sont nés un demi-siècle après cette époque ne possèderont pas les codes nécessaires à une telle lecture. Z’auront l’impression d’un aérolithe venu d’une autre planète…  Ceux qui ne reculeront pas devant l’effort se retrouveront à l’entrée d’une mine d’or dans laquelle débouche des centaines de galeries qui ne demandent qu’à être explorées…

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             La progression s’effectue de double page en double page. Un véritable calendrier : vous n’êtes pas perdus en haut à gauche vous est indiqué l’année, le mois ou les mois que couvrent les évènements racontés… Attention, le rock’n’roll est le sujet mais l’environnement culturel et politique dans lequel il se développe est intégré, une véritable avalanche : prenons un exemple : pour janvier-février 1955 : nous avons droit dans le désordre, à la naissance d’Europe 1, de Télé-Magazine, du catalogue disques Pathé-Marconi, à l’évocation d’Alan Freed, de Martine à la Montagne, à Fats Domino, aux Diaboliques de Georges Clouzot, au Déserteur de Mouloudji, à la mort de Johnny Ace, à l’Affaire Tournesol de Tintin… nous pataugeons en pleine franchouillarderie, encore est-il nécessaire de comprendre que ce salmigondis n’est pas dû au hasard, qu’il est utile de séparer le bon grain de l’ivraie, et de savoir reconnaître les présages annonciateurs de ce qui se met en place… Les deux pages suivantes pour ceux qui aiment les montagnes russes, Bill Haley, Paul Claudel, Nicolas de Staël… ce qui comptait, ce qui faisait signe, comment le nouveau se dégage de l’ancien…

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             Vous avez le fil, vous n’avez qu’une idée c’est de tirer la bobine, un gros dispatch, des photos, des couleurs criardes, des pochettes de disques, un paquet d’informations à attraper l’excitante tremblante du mouton, à sentir votre cerveau surmené attaqué par la maladie de la vache folle, encore faut-il garder tête froide et se livrer à une radioscopie d’un tel tourbillon. Ce qui nous est proposé c’est une espèce d’IRM de l’implantation du rock’n’roll en notre douce France. Les petites graines, la germination, l’éclosion, l’efflorescence et la contamination…

             Toutefois, ne jouons pas au rocker buté, bas du front, en filigrane se trouve aussi une histoire du monde. La politique en arrière-plan, mais toujours-là, Rodolphe se limite aux faits, il ne prend pas parti, c’est au lecteur de se débrouiller, de tenter d’apercevoir ce qui relie par exemple en 1955 la parution du premier disque de Bo Diddley avec la décision du général De Gaulle de se retirer de l’action politique… Il est clair que rien ne les relie directement. Cependant il existe aussi une loi de gravité phénoménale des évènements qui les poussent à interférer entre eux. Le mode ne serait-il pas un système de vases communicants étrangement complexe. Certaines théories mathématiques et quantiques donnent à réfléchir. De l’interférence de l’infiniment petit rock’n’roll à l’infiniment grand de l’univers ferait un excellent sujet de thèse de troisième cycle. Mais revenons à nos moutons. Noirs de préférence.

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    Commençons par le fil noir de chez noir qui apparaît et disparaît très régulièrement, depuis le début jusqu’à la fin du book, non il ne s’agit pas d’un chanteur de rock, mais d’un disc-jockey Alan Freed, qui a lancé le terme rock’n’roll, il existait bien avant lui désignant un certain ‘’ roulement’’ entraînant utilisé par les pianistes de boogie, un truc qu’ils exhibaient lors des concerts lorsqu’ils s’apercevaient que l’ambiance  mollissait et qu’il devenait nécessaire de booster le public. Alan Freed organisa des concerts regroupant plusieurs de nos idoles qui sont devenus mémorables. Son nom fut mêlé au scandale des payolas, ces accords passés entre les disc-jockeys et les compagnies de disques qui offraient des sommes d’argent contre le passage privilégié de certaines de leurs productions. Pratique déloyale certes mais courante à l’époque.  Par le plus grand des hasards la campagne de redressement moralistique menée par les autorités se concentra sur sa personne. Dans un premier temps, car très vite elle déborda sur ses soutiens avec menaces explicites pour les empêcher de manifester leurs désapprobations… Alan Freed se retrouva bien seul… abandonné de tous il mourut dans la solitude, l’alcool, le découragement et le désespoir. N’avait pas que des défauts, il passait des disques de nègres dans ses émissions radios, et invitait des artistes noirs dans ses nuitées tapageuses. Noir de chez noir !

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    A lire d’une traite le bouquin une question m’a turlupiné. L’on voit bien l’ascendance de la courbe rock’n’rollesque : point de départ in the States, les influences noires, la prise de relais des pionniers, noirs et blancs, la montée en puissance, le  jeu édulcorant de l’industrie, le saut en Angleterre avec une première génération de rockers anglais, la sournoiserie des maisons de disques qui poussent leurs vedettes à enregistrer des slows qui se vendent davantage, un leurre pour tous ces jeunes rockers qui ne réfléchissent pas à long terme se satisfaisant de leurs rentrées d’argent… En France, durant les années cinquante, le rock rampe, l’est un serpent dont les artistes de jazz se méfient, tout en essayant d’en profiter, tout en jetant le discrédit sur cette musique de dégénérés, Boris Vian est le parfait exemple de ces offensives  de retardement. Une jeune génération essaie de se former, pas très douée musicalement, font avec ce qu’ils glanent de-ci de-là, mais qui trouve un public enthousiaste… En Angleterre la première génération se dissout lentement mais sûrement. Mais une autre surgit. Beatles et compagnie… Qui très vite prend le dessus.

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    En France cette deuxième génération n’existe pas, un peu comme si la première avait constitué tout l’effort de guerre rock dont le pays était capable. Certes les maisons de disques ont veillé au grain mais n’empêche qu’il a existé comme un hiatus musical générationnel quasi intégral. Troublante infertilité… Jusqu’à 4000 groupes en 1962, quelques centaines en 1964, la quasi-totalité d’entre eux très vite jettent l’éponge et disparaissent sans bruit… Je tente une explication, totalement hypothétique, la période 64 - 68, s’est avérée pour la jeunesse de notre pays, un lustre (peu lumineux) d’incubation d’un mouvement de révolte qui prend une autre forme que musicale, elle endosse une coloration politique qui éclatera en mai 68. C’est dans l’après-mai que la musique reprendra ses droits, des groupes, porteurs d’une démarche de rupture, verront le jour mais leur audience restera minoritaire. Ces nouvelles démarches se veulent underground – teintées de ‘’philosophie hippie’’ - leur rêve de changer les formes de vie de la société les coupe de la plus grande partie de cette génération que l’on stigmatisait alors sous la méprisante appellation de ‘’minets’’. Cette scission se poursuivra durant des années, la minorité rock se retrouvera dans le mouvement punk, et les jeunes minets deviendront les adeptes du disco. Cette vue souffre d’un schématisme extrêmement réducteur mais me semble à l’origine de bien des fractures de la population actuelle si l’on se donne la peine d’affiner l’analyse. Sociorocklogique !

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    Les double-pages de ce livre ressemblent à ces portes de  frigidaires envahies de post-its. Lues une par une, ces notules sont des plus lacunaires et fragmentaires. Elles n’en trahissent pas moins, si l’on prend soin de les interpréter  en leur intégralité cumulative, le portrait assez fiable de la personne qui les a réunies, une vision  schématique certes, mais qui permet de saisir une insistante cohérence. Mais dans ce volume chaque post-it exprime non pas une existence individuelle, mais l’inscription  d’une volonté collective en le sens ou le nom du chanteur ou du groupe est à percevoir comme une réaction sise en  un moment donné dans un mouvement musical dont ils ne sont qu’un des rouages, plus ou moins déterminatif, qu’ils ne sont pas les seuls (staff et public, etc…) à vouloir faire tourner plus ou moins vite.

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    Le livre se ferme en décembre 65. Suit une double-page terminale. Apparemment le truc que l’on n’a pas eu le temps de traiter : le rock’n’roll look. Vous auriez envie d’une conclusion, vous ne l’avez pas. D’autant plus que le look roc n’existe pas, il varie selon les époques, des tendances mais pas d’une uniformisation d’une décennie… N’est-ce pas plutôt une manière de nous prévenir : le rock’n’roll est un phénomène complexe et multiforme. Voici les faits, les personnages, les œuvres, les artefacts pour l’idéifier ne comptez sur vous-même !

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    Se pose un dernier problème, le tout premier c’était le choix 1955, mais c’est le volume refermé que l’on peut se demander : mais pourquoi au juste 65 ? C’est bien une date charnière, perso j’aurais proposé 1964, mais une charnière possède deux volets articulatoires. La réponse me semble inscrite sur la couverture du livre. Une réussite. D’autant plus forte que d’une simplicité absolue, un fond rouge profond, de toute beauté sur laquelle se détache en blanc et noir la silhouette voltigeante d’Elvis Presley. Inutile d’aller chercher plus loin une explication, en 1965 le roi Elvis est détrôné par les Beatles, le rock’n’roll cède la place au rock. Une autre histoire commence, elle n’est que la suite de la précédente. Mais ce n’est plus la même histoire.

    Damie Chad.

    P.S.: pour illustrer cette chronique nous nous sommes amusés à rendre hommage à Bill Haley au travers de quelques pochettes… L’idée nous a été donnée par un des post-its consacré à l’immortel auteur de Rock Around The Clock !

     

     

    *

             Vous allez voir de quel bois je me chauffe, non je plaisante, une séquence strictement écologique, consacrée à un arbre, attention, il y a arbre et arbre !

    LIGNUM MORTIS

             Ne cherchez pas le nom du groupe, c’est un homme seul, ne cherchez pas le nom du gars, il ne fait qu’un qu’avec son œuvre. Comme Flaubert qui déclarait : ‘’Madame Bovary, c’est moi’’, à la différence près que notre homme a l’air plus intéressant que Mme Bovary. Je ne sais rien de lui, sinon qu’il vient de loin, du fin-fond du Chili. Ne donne que ses initiales J. E. ce qui permet de  le retrouver sur plusieurs autres groupes chiliens ultra-dark.

    Il n’arbore point pour se présenter comme la plupart des groupes metal un logo au lettrage gothique difficile à déchiffrer, il possède un sceau comme s’il voulait vous envoyer  une lettre de cachet. L’a choisi un symbole des plus réversibles, représente aussi bien le Christ promesse de vie éternelle qu’un arbre mort. Tous les catéchumènes savent bien que le Christ est mort pour nous, à moins que, selon certains hérésiarques, ce soit la mort qui ait été faite pour le Christ, ce qui change les perspectives…

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    Ecrit ses textes en espagnol et en latin, l’emploi de cet idiome me l’a rendu d’emblée sympathique. Pour moi tout ce qui vient de Rome et de Grèce éveille ma curiosité. J’avais envisagé de chroniquer son dernier opus, sorti ce mois de décembre 2025, mais j’ai trouvé  ces lyrics si bien écrits, le fait qu’il les ait tirés à 30 exemplaires sur K7 m’oblige à penser que pour notre poëte la poésie ne se divulgue pas. Elle attend qu’on la recherche. Du coup j’ai décidé de présenter l’ensemble de son œuvre, je vous rassure elle n’est pas trop longue.

    LIGNUM MORTIS

    (Mars 2015)

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             Ne souriez après un regard hâtif sur la couve, non vous n’êtes pas au Paradis, enfin si vous y êtes mais vous arrivez au mauvais moment, celui de la chute, le serpent batifole dans le feuillage et, fixez le dessin, l’arbre n’est qu’un squelette, vous n’êtes pas auprès de l’arbre de vie regorgeant de fruits et visité  par les oiseaux, vous êtes loin de l’amélanchier  que Chrétien de Troyes se plaît à décrire dans ses romans-poèmes, vous êtes auprès de l’autre, celui du Bien et du Mal, dont les fruits vous feront comme des Dieux, hélas, ils vous offriront en contrepartie : la mort ! Lignum Mortis en doux langage latin signifie arbre de mort. Dans la liturgie catholique il est même associé au pilastre de bois sur lequel le Christ a été apposé sans ménagement.

             Que le lecteur ne soit pas surpris par la noirceur de cette thématique, le Chili est de culture espagnole, or la poésie espagnole regorge de poèmes auto-sacrificatoires à vocation masochiste, pour ce peuple religieux rien n’est jamais assez noir pour faire luire encore plus fort la lumière divine. Rien de plus nihiliste que cette vision ibérique. Nietzsche nous a expliqué : plus vous donnez une valeur à une chose, plus elle est destinée à périr. N’allez pas chercher plus loin pourquoi Dieu est mort : vous l’avez trop aimé ! Bande d’idolâtres ! Relisez les sermons de Bossuet !

    Mortem : avec un tel titre vous doutez que ça commence mal, après un tel début n’osez plus prononcer l’expression silence mortel ! Des pistes sonores superposées chacune continuant son chemin sans que les deux autres ne se préoccupent d’elle, d’abord la voix, grondante, elle explose du plus profond de la gorge, un son dévastateur, notre mort se porte bien, il grogne et charge avec la fureur d’un rhinocéros enragé, nous raconte une scène des plus érotiques, des plus dégoûtantes, pas le genre de cadavre à se masturber en cachette dans son cercueil, il se vautre dans sa chair putréfiée, l’en est même fier, il a péché selon la chair mais aussi avec lui-même car son reniement est trop violent pour ne pas être un désir inassouvi, n’est pas tout seul dans son agonie post-mortem, une espèce de fouet à béchamel géant vous corrode l’esprit de son incessant battement métallique, le récipient ne serait-il pas la boîte crânienne où son cerveau monté en neige éternelle est soumis à rude épreuve, ensuite vous avez un grondement, une espèce de cri d’anaconda à l’étroit dans un tuyau qui ne parvient ni à avancer ni à reculer, en prime sur la fin une batterie qui hache sans rime ni raison, uniquement parce que c’est nécessaire.  In fluunt de infiniti : (Emanant de l’infinité) :  dans dans la série mort où est ton royaume, la réponse à la question vous est apportée, sur un plateau chaotique, visite guidée avec, incroyable mais vrai, l’infernal boucan qui s’arrête, et vous voici dans une église avec un prêtre qui récite son homélie, ce moment de répit, toutefois lugubre, est brutalement suivi par un charivari endiablé, essayez d’imaginer un charleston joué par un groupe de metal orgiaque, car le mort n’est pas au bout de ses surprises, la mort regorge de monde, les dieux morts sont tous là et plus loin les puissances élémentales, et bientôt une décorporalisation de la matière physique, la mort est une pensée qui pense la mort, et cette pensée traverse le mort et le pense lui-même, elle l’abreuve de tous les crimes qui ont été commis, un flux infini de colère et de regrets le roule violemment, d’où la révélation que la pensée de l’horreur et la pensée d’une chose supérieure sont toutes deux une seule et même pensée. Dialogus cum ignis : tumulte vocifératif, les idées s’entrechoquent, si le plus égale le moins, et si l’on est parvenu au plus par le moins, autant suivre la pente du moins, tout s’emballe, plus vite encore, les bruits se télescopent, la réalité n’est-elle pas un kaos triomphant, le feu infernal n’est-il pas un moment de purification et un tourbillon de cendres.

    VACUUM INFERNO

    (Décembre 2022)

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    La pochette est réduite au minimum vital, pardon mortel. Figurativement parlant comment voudriez-vous dessiner le vide ?

    Vacuum inferno I : (Enfer vide) : pour comprendre cet opus il est nécessaire de ne pas oublier que le disque précédent est le récit d’une descente, non pas d’un vivant dans la mort, mais d’un mort dans la mort, une expérience infinie puisque l’éternité de la mort ne saurait être que l’éternité du divin, la résultante de cette opération étant qu’il est difficile de considérer que mort et divinité ne sont qu’une seule et même éternité. Mais alors qu’en est-il de cette notion d’éternité que l’on retrouve en tant que puissance infernale. Au morceau précédent nous étions dans les flammes de l’œuvre au rouge, nous voici dans l’œuvre au noir. Opération alchimique inversée. Du bruit, des trompes venues de nulle part et de partout, des espèces de clameurs vocales au-delà des mots, mystère et boule de gomme, boule de pierre géante qui court après vous sans vous rattraper car l’on ne peut tuer la mort, l’impression que des orques mugissent sur un rivage désertique, désolé nous faisons au mieux, pas de grandes orgues à notre disposition. Vacuum inferno II : du bruit encore plus assourdissant, des étirements sonores, protégez vos oreilles, comme des roulements de canon, serait-ce une illusion, on dirait que le bruit essaie d’imiter des choses, chacun les interprétera à sa manière, est-ce que ça ne ressemble pas à… on s’en moque, avant tout n’est-ce pas un effort de signifiance, pourquoi pas un effet de gentillesse, car après tout si l’enfer est constitué du même infini  que le divin, au-delà de l’ambiance écrasante et mortuaire, est-il besoin de s’en inquiéter vraiment. Ne serions-nous pas entre un verre d’infini à moitié plein et exactement dans le même verre d’infini à moitié vide…    

    LIGNEM MORTIS II :

    (Décembre 2025)

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    Le quatrième disque de Led Zeppelin a été très vite surnommé IV.  Mais ce Lignem Mortis II n’est pas le deuxième opus mais le troisième. II signifie deuxième tentative. La première a fonctionné, mais maintenant elle ne satisfait plus son auteur. Alors il recommence : il ne reprend pas au début mais il commence là où la première tentative s’est arrêtée sur deux instrumentaux.

    Inmanencia : nous sommes dans l’immanence des choses, dans les choses elles-mêmes, une nuit de ténèbres, de pluie, d’orage et de tonnerre, un peu comme si depuis le fond de son infini infernal le mort haussait les yeux pour apercevoir le temps de chien qui ruisselle sur sa tombe. Un spectacle un peu cauchemardesque mais ô combien naturel. Même si l’on gît au fond de sa tombe l’on peut projeter un regard de peintre cubiste sur sa propre tombe.  Transubstanciacion : attention une inversion des valeurs pratiquement nietzschéenne, les instruments employés émettent de véritables sons d’instruments et le vocal porcin fait des efforts pour que l’on reconnaisse que celui qui s’égosille n’est pas un cochon, parvient même à articuler à la manière des êtres humains civilisés, normalement le vin se transforme en sang du christ, mystère de la transsubstantiation, ici le cycle est un peu plus long, le grouillement prostitutif de l’humanité et des dieux se nourrit de sa propre merde, une fois réduits en pourriture dieux et hommes repassent dans le grand recyclage, ils se transforment en herbe que broutent les moutons… les moutons nourrissent les hommes et tout recommence… ne pas confondre transsubstantiation et transformation…Cherchez l’erreur. L’infini de la mort ne se transforme pas en infini divin… Inexistentia : méditations ultra-rapide, moulin à paroles, drummerie galopante et guitares hors-bords, qui parle au juste, le mort, le Christ, la réponse n’est guère intéressante, de toutes les manières celui qui parle existe qu’il soit mort ou vivant, comme le cycle perpétuel de la nature qui se décompose et se renouvelle sans cesse, le divin n’est plus ce que l’on croyait il n’est qu’un autre mot, en plus ou en trop, qui philosophiquement s’énonce panthéisme… oui mais cette notion n’est-elle pas un voile jeté sur cette force kaotique qui n’est autre que l’infini divin. Oquedades : (= viduité) : quelle sérénité dans ces notes de guitare, c’est pourtant un moment de révolte métaphysique, combat contre l’hydre du vide aux mille têtes qui veulent m’imposer l’idée que tout existe, que tout se vaut, que ce que je nomme infini divin n’est pas supérieur ou inférieur à l’infini de la mort, chaque fois que ta pensée me touche je reprends force, car toi-même n’es-tu pas qu’uns forme de l’infini dans lequel tu serais englobé. Sol Occidit : (= le soleil se meurt) : ce morceau est sorti en avant-première au mois d’octobre, il était accompagné d’une couve très explicite : le sang

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    du soleil recueilli dans la coupe du néant, ce dernier symbolisé par deux crânes :  l’on dirait un prêtre psalmodiant un rituel, en tout cas l’ambiance est aussi mélodramatique que quand Socrate a saisi la coupe de cigüe, mais ce que saisit notre mortel n’est-ce pas la coupe du néant philosophique, une manière comme une autre, pas tout à fait, car après avoir bataillé toute sa vie contre l’infini conçu en tant que néant, décider soi-même de l’instant où l’on retournera au néant, n’est-ce pas une manière de signifier quelque chose au néant de lui donner un sens particulier qui le colorie en quelque sorte selon moi. Quelques notes de guitares qui tombent dans le silence, mais la voix décide, c’est elle qui mène la barque, c’est elle qui commande. Ataraxia : pluie, orage, comme au début, coups comme si l’on frappait à une porte. Elle grince, elle s’est ouverte. Quelqu’un rentre-t-il dans son tombeau ou en sort-il. Que l’on y entre ou que l’on en sorte, quelle importance si votre âme est en paix avec elle-même. Un peu comme notre promeneur privé de son tourment.

             Attention ce Lignum Mortis peut vous plonger dans d’interminables ruminations. Mais penser n’est-il pas le propre de l’homme. Qu’il soit mort ou vivant. 

    Je vous laisse méditer sur la couve de l'opus...

    Damie Chad.

     

     

    *

             Y a des noms de groupes à dormir dehors. Je ne jette pas la première pierre, pas facile d’être original, je le concède. Toutefois j’avoue un a priori pour les noms à rallonges. Pour celui-ci, j’allais passer sans m’attarder, mais mon esprit a vacillé un quart de seconde : mais non Damie c’est le titre de l’album, vérifie ! Je ne m’étais pas éléphanté. C’était bien le nom de la formation, par contre quand je vois un tel titre, je n’écoute même pas avant de prendre la décision de chroniquer.

    OUROBOROS

    SHADOWS TALLER THAN SOULS

    (Bandcamp / Décembre 2025)

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    La couve, due à Kyle Bialk, est plus profonde qu’il nous semble de prime abord. Le dessin un peu naïf en dit davantage qu’il n’y paraît. Une interprétation de la célèbre scène de Diogène se promenant à midi, l’heure la plus claire, dans les rues d’Athènes une lanterne à la main et répondant à ceux qui l’interrogent sur son étrange conduite : ‘’ Je cherche un homme !’’. Notre homme à nous, ne possède même pas une lanterne, sa seule boussole c’est son esprit, il regarde de tous les côtés, il cherche, il ne trouve rien, les ombres sont en effet plus épaisses que sa clairvoyance…

    J’ignore s’il s’agit du même Kyle Bialk mais voici huit ans est paru un ouvrage  titré :  The Diary of The Unknown Philosopher Vol 1 (Journal d’un philosophe inconnu. )

    Dan Schmidt : bass, addtl. guitars / Nick Stadler : guitars, vocals /
    Joe Widen : drums and percussion, addtl. guitars, backing vocals.

             Viennent de Milkwaukie célèbre par chez nous grâce à Jerry Lee Lewis, ville située à cent cinquante kilomètres de Chicago. Se présentent sans forfanterie : ce premier album est le résultat de leur travail depuis leur formation. Les premières démos remontent à 2019.On y retrouve toutes leurs influences : doom, punk, psyché, garage. Sont comme sur la pochette : recherchent tous azimuts.

    In darkness : ça déboule dur, pour des gars qui sont un peu perdus, ils tracent leur chemin à vitesse supersonique, galopent dans le noir comme en plein jour, une batterie qui cartonne et l’ensemble qui déchire, le vocal fondu dans la masse, sont honnêtes, ils sont pratiquement mort mais ils préfèrent vivre, sont comme Arthur Schopenhauher, ils ont le vouloir vivre chevillé au corps. Remarquez, c’est philosophiquement logique : Nietzsche a lu Schopenhauer et ensuite il a connu l’illumination de la pensée de l’Eternel Retour. Grim by reputation : ne sont pas là pour perdre le temps, ils essaient toutes les solutions, celle-ci est particulièrement violente, cassent même leur morceau en deux, une première partie, ils dévalent la théorie : on va tous crever, arrêt- buffet ils martèlent la solution : autant tuer que d’être tué, insinuent même avec un sourire sardonique qu’ils y prennent plaisir. Bonnes gens ne vous insurgez point, dans votre âme c’est le noir qui prédomine ! Mara : nettement plus lourd, plus doom, font le point, ce n’est pas tout à fait de leur faute, dans notre univers la tentation est partout, petit tour vers le boudhisme, mara ce n'est pas marrant, tout est possible, tentations illimitées, vous avez beau essayer, tentez ce que vous voulez, vous n’en serez pas plus heureux pour autant, même davantage malheureux, beaucoup de vocal, quand on est perdu on a tendance à se retrouver à  plusieurs, sur la fin on sent qu’ils ont pris une décision, la musique dément leur nihilisme affirmé. Shamsara : sont à cheval entre la théorie des cycles vie-mort qui n’en finissent pas de se répéter et de leur malaise physique à ne pas pouvoir s’en échapper : en tout cas ils ont repris du peps, y vont à tout berzingue, une voix de renard glapissant et toute la rythmique qui déboule à la Led Zeppe, une guitare ahane c’est sûr qu’ils n’ont pas trouvé l’escalier qui monte au Paradis, mais ils se permettent de ses dégringolades des plus énergiques. Stasis : beau son de guitare, ne pas confondre stase avec métastase, ni calme, ni luxe, ni volupté, certes on n’ avance pas mais on ne recule plus. Rebirth : en avant toute, les choses ne sont que ce qu’on en fait, un peu de courage, regarde ta triste situation comme l’oiseau s’approprie la branche sur laquelle il va construire son nid, à toi d’agir, si le temps est courbe, utilise la courbe, ne te bats pas contre elle, le bad trip se transforme en joyeuse farandole. Mage duel : les paroles sont inutiles, tu dois te battre contre toi-même, c’est fou comme les cymbales résonnent dans tes oreilles, c’est lourd, mais le chemin est à prendre et tu te mets à courir, droit devant toi, est-ce folie ou exaltation, délivrance ou cul-de-sac. Indecision : le rythme s’alentit, le vocal prend sa revanche, résonne comme un chant d’église, tu fais le point sur toi-même, est-ce que quand je serai mort je serai enfin tranquille, et pour combien de temps, les guitares klaxonnent, on dirait qu’elles se foutent de toi, tout le mode est déjà dans la voiture et l’on n’attend plus que toi, ne savent plus quoi faire pour que tu cèdes à l’appel, que tu prennes enfin ta décision, alors ils font un potin de tous les diables, l’on adore ce fabuleux tintouin ! Ouroboros : ben non, vous n’aurez pas la solution, la batterie concasse tes illusions, les guitares boutent le feu à cet amas de décombre qui t’encombre la tête, le vocal t’interpelle, les chœurs tentent de t’attirer, comme des matelots qui attendent que tu les rejoignes. Tout est en toi, ou tu souffres en masochiste ou tu danses comme la pensée de Nietzsche, ni bien, ni mal, ni tout, ni rien, tout dépend de ce que tu veux.

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             Rien à dire, les grandes pensées aident la musique à se surpasser. Pensez à Nietzsche et à Wagner. Et puis pensez à ces Shadows Taller Than Souls, ce groupe vous foutra un gros coup de pied au cul et au mental.

             Je ne saurais vous souhaiter meilleure année qu’en vous recommandant d’écouter cet album.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 716: KR'TNT ! 716 : DEE DEE RAMONE / NOTHINGHEADS / SHE & HIM / GARY FARR / CHEAP TRICK / DENNIS COVINGTON / ELVIS PRESLEY / GENE VINCENT + McCARTNEY / CERBERE / MALEMORT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 716

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 12 / 2025

     

    DEE DEE RAMONE / NOTHINGHEADS

    SHE & HIM / GARY FARR / CHEAP TRICK 

    DENNIS COVINGTON / ELVIS PRESLEY

     GENE VINCENT + PAUL McCARTNEY

      CERBERE / MALEMORT

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 716

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Les Ramones la ramènent

    (Part Four)

     

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             Avec les Ramones, c’est un peu comme avec les Beatles : on a du mal à choisir son chouchou. Difficile de préférer John à George. Difficile de préférer Dee Dee à Joey. Mais ça ne nous empêche pas de faire des focus. Les focus ne disent pas une préférence. Ils se contentent de focuser. Comme Joey, Dee Dee a une vie en dehors des Ramones, oh pas grand-chose, mais ses quelques albums et ses deux ou trois books valent le détour.

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             À ceux qui ne l’ont pas encore lu, on recommandera la lecture de Legend Of A Rock Star: The Last Testament Of Dee Dee Ramone. Dee Dee y raconte dans le détail sa dernière tournée européenne, en mars/avril 2001, en trio avec Chase Manhattan (drums) et Chris Black (guitar). Le book s’orne en couve d’une somptueuse photo du Dee Dee torse nu. Il est en parfaite osmose avec le titre de son Testament. Il n’existe rien sur cette terre de plus rock-staric que Dee Dee Ramone.

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             Tous les fans des Ramones voient Dee Dee comme le plus créatif des quatre. Ce book alimente ce mythe. Bon alors attention, Dee Dee Ramone n’est pas un styliste ni un prosateur de haut vol. Il se contente de rester égal à lui-même, c’est-à-dire un outsider sorti de nulle part, qui est arrivé in the right place in the right time, with the right guys. Il ne faut jamais perdre ça de vue. Les Ramones ne pourraient pas apparaître en 2025. Ils ne pouvaient apparaître qu’en 1975. C’est une évidence, qui, comme toutes les évidences, n’a besoin d’aucune explication. Disons qu’au sortir de l’adolescence, on a eu la chance de «vivre» tout ça : Stooges, MC5, Dolls, Velvet et Ramones. C’était la troisième vague, la première étant celle d’Elvis/Jerry Lee/Little Richard/Gene Vincent/Chucky Chuckah/Bo Diddley, la deuxième étant celle des Beatles/Pretty Things/Who/Rolling Stones/Kinks/Beach Boys, et la quatrième sera celle des Pistols/Damned/Buzzcocks. Voilà pour les vagues. Les vagues sont importantes. Elles emportaient tout. On en garde des souvenirs grandioses. Aujourd’hui, elles semblent avoir disparu. Ainsi va la vie.

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             Le Dee Dee book est bien sûr richement illustré. Les photos de Dee Dee pullulent. Les amateurs de bon trash vont se régaler, car Dee Dee donne tous les détails, il s’amuse à faire dérailler son récit, il entre par moments dans le territoire du Conte Rock. Premier exemple avec cet échange entre Chris Black et lui. Ça se déroule dans l’hall de l’aéroport de Los Angeles. Chris mâche son chewing-gum et Dee Dee lui demande d’arrêter de mâcher comme un dingue, how about giving me a break, mais l’autre ne comprend pas, what do you mean a break Dee Dee?, alors Dee Dee est obligé de lui expliquer qu’il ne supporte plus le gum chewing et il s’enfonce dans le détail de son exaspération, your jaw is going a million miles a minute, il lui demande de jeter son chewing gum, get rid of the gum, all right?, alors l’autre lui dit qu’il vient d’arrêter de fumer qu’il chewe son gum, God! Damn! It! I’m doing this for the band. La scène se déroule juste avant d’embarquer dans l’avion à destination de l’Europe. Dee Dee remet les choses au point avec les deux autres : «I don’t like smart alecks. I hate gum chewing. It makes me dislike young people.»

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             Et c’est parti. Sur scène à Londres, il sniffe des lignes de coke entre deux cuts, feignant des problèmes techniques and walking backstage for a second. Sur scène, il joue des Ramones songs, plus le «Motorbikin’» de Chris Spedding et deux ou trois bricoles comme «Do You Love Me», «The Locomotion» et «Mr. Postman». Il décrit soigneusement les backstages, raconte qu’ils sifflent 44 canettes de bière à eux trois, qu’ils baisent des groupies, qu’ils laissent les murs couverts de bodily fluids, il rappelle que tous sont mariés ou dans des relations durables, mais ajoute-t-il avec un sourire en coin, il n’y a pas de mal à accepter un blow job once in a while and that’s not cheating for the guy. Et tout le monde fume de l’herbe là-dedans, and we could hardly see or breath anymore. Les scènes qu’il décrit sont marrantes. On sent que Dee Dee se régale à décrire le trash des backstages. Les petites gonzesses qui entrent dans les loges viennent clairement pour se faire baiser.

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             Ah ! Et les hôtels ! Encore un moment d’anthologie. Il décrit l’Hôtel Durante à Milan - The place litteraly stinks like cat piss - Les toilettes sont dans le couloir. Dee Dee va jeter un coup d’œil à la bathroom, et en ouvrant la porte, il tombe sur un «angry, centipede fiercely coiling in a corner, giving me a don’t-give-me-any-shit attitude on the garbage-covered floor.» Et c’est pas fini ! Il lève la tête et il voit au plafond des toiles d’araignées «with lethal-looking black widow spider calmly hanging down from them, giving me looks of death.» Bienvenue dans le punk fairy world of Dee Dee Ramones. Son récit déraille délicieusement, il crée un monde à partir de rien et ce sont ces gens-là qu’on aime bien.

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             On retrouve le chaos sur scène, ça dégénère assez souvent et pour ne pas se faire casser la gueule, ils doivent se barrer de toute urgence and throw ourselves into the van. Dee Dee claque la porte violemment et crack, il coupe les doigts d’un fan qui lui tendait un papelard pour avoir un autographe, alors le road manager Minna passe la première et fonce, et bam, il percute un fan «holding the first Ramones album in his mitts, probably killing him on the spot», et Dee Dee d’ajouter, goguenard et un brin fataliste : «I don’t know for sure (si l’autre est mort), but the one that got his fingers cut off looked a mess, shouting in pain and blood spraying from the amputated stumps.» On dirait les paroles d’un hit des Ramones, one two three four ! And blood spraying from the amputated stumps !

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             Un autre plan backstage : Dee Dee cause avec un angry Swiss psycho qui affirme que «Punk rock started in Ireland», ce qui fout Dee Dee en rogne. Wott? rétorque Dee Dee. Et il met les points sur les zi : «The fucking Ramones started punk rock music in New York, right?». Le Swiss psycho lui répond : «My favorite group is the Angelic Upstarts», alors Dee Dee attrape une chaise et lui fracasse la gueule, «over the head three or four times», puis il l’attrape par le pied et le traîne dans la rue pour le finir à coups de pompes, «then I dragged this poor, half-dead person and left him bleeding on a cow pile.» Dee Dee écrit tout simplement un punk book.

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             En Allemagne, il a un autre échange tumultueux avec un certain Herman qui ose dire à Dee Dee qu’il hait le punk : «We’re not punk, I hate punk, we’re rock and roll», alors Dee Dee se fout en pétard, il se met à hurler : «Aren’t the Ramones punk? Aren’t I the king of punk?» Et l’autre lui répond que les Ramones «are scheiss. I hate them.» Dee Dee sort de ses gonds, «What? You hate the Ramones?», et l’Herman en rajoute une couche, «And I hate punk. And I hate all Americans.» Dee Dee tombe des nues : «But America gave the world rock and roll music.»

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             Et voilà les frontières. Ils doivent aller jouer à Oslo. Les flicards norvégiens leur demandent de se garer pour une fouille. Ça caille. À poil ! Dee Dee repère un queer cop avec un gant en caoutchouc. Baissez vos frocs ! Quoi ? Le queer cop va leur mettre le doigt dans le cul ? No way ! Alors Dee Dee cogne l’un des flicards, lui pique son flingue et descend les autres. Le groupe les finit à coups de pompes - There was blood and guts all over the snow - Ils planquent les corps et se barrent. Punk book. Enfin un contrôle de frontière marrant ! Ne manque que Nico.

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             Dee Dee sent qu’il commence à fatiguer. Il ne veut plus faire ce genre de tournée. Il ne veut plus jamais revenir en Allemagne de l’Est. Et pourtant, c’est là qu’il a grandi - I used to feel sentimental about Germany. I grew up here. My mother is German. Maybe I don’t fit in, in Germany. That’s not my fault - Et sur la page d’en face, il se confie : «I’m not a punk, skin, Nazi, or snob. I’m defiant. I’m angry. You made me that way. So fuck you all. Yes, I’ll want my turn in line.» Et plus loin, il chute ainsi : «What I had to end up becoming in an American fucking outlaw. So burn, Germany, burn. I’ll light the fire.»

             Et quand les concerts dégénèrent un peu trop, Dee Dee se dit qu’il est grand temps d’arrêter les frais - After the set was over, things spilled out on the street. The police had to come, and an ambulance. The only way that I can protect myself against all this is to stay home where it’s safe, and to get out of the music business while I’m still in one piece. Classique.

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             Dee Dee décrit les toilettes du Club Atlantik, à Fribourg, en Allemagne. Pas de portes aux gogues et un canard pop allemand, Bravo, pour se torcher - Rip out a page and wipe your asshole with it. Ouch! - En plus, ce sont des toilettes turques et tout le monde a la diarrhée. Punk book. Dee Dee décrit une scène qui détend une atmosphère bien chargée (smelly farts, bad hotels and riding in the van) : comme il n’y a pas de porte, tout le monde voit Robert en train de chier. Il attrape un numéro de Bravo et tombe sur un pinup poster de Britney Spears, et plutôt que de se torcher le cul avec, il se branle dessus, «then masturbating his hard-on and then shooting a load all over her pouting face.» Dee Dee est encore pire que Michel Houellebecq.

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             On approche de la fin et Dee Dee raconte qu’il écrit ce texte le 4 juillet, Independance Day, 2001 - I can still sort of remember playing the Round House in London twenty-five years ago on July 4, 1976. Wow.

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             Il va finir sur l’épisode du Music Hall Of Fame où sont invités les trois Ramones survivants. Pour lui c’est important, car cette consécration indique que les Ramones «will hold a legendary position in musical history, right there after the Beatles.» Et voilà comment on boucle la boucle.

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             Pourquoi Zonked! est un big album ? Parce que Daniel Rey le produit et l’enlumine avec son jeu Johnny-Tunderien. C’est clair dès «Fix Yourself Up». Tu crois entendre ce vieux héros de Johnny T. Joey ramone sa fraise sur «I Am Seing UFOs», te voilà en plein dans le son des Dolls et des Ramones. «Get Off Of The Scene» est encore bien Dollsy. Daniel Rey est un fabuleux entremetteur. On monte encore d’un cran dans le mythical avec «Bad Horoscope» puisque Lux chante. Il tranche dans le vif. Il te propulse droit au cœur du mythe. «It’s So Bizarre» voudrait bien sonner comme un hit, le Dee Dee y va au what can I do ah ah ah-ah et on savoure son génie pop. Barbara chante deux cuts, «Get Out Of My Room» et «My Chico,» et on se régale une dernière fois avec le départ en vrille de wah que place Daniel Ray à la fin de «Victim Of Society».

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             Chris Spedding produit et joue sur Greatest & Latest. Dee Dee ne se casse pas la nénette, il tape dans la Ramona, donc pas de surprise. T’as Barbara on bass et Chase Manhattan au beurre. Ça joue sec. On assiste à une belle descente au barbu avec «Time’s Bomb», et avec «Sheena Is A Punk Rocker», ils passent au big time out, au punk de wild-as-fuck, ça taille salement la route ! Puis ils tapent une cover du «Motorbikin’» de Sped, c’est rondement mené, avec le Sped en concasse sur la fin. On a encore du pur jus de Ramona avec «Cretin Hop», mais c’est joué à la Sped, sans égards pour les canards boiteux. Belle cover du «Shakin’ All Over» de Johnny Kidd, le Sped veille au grain et ramène son expertise du rock anglais dans la Ramona, et avec Dee Dee, ça fait tilt. Ils tombent en  plein dans les Dolls avec «Fix Yourself Up». Sped s’en donne à cœur joie, il attaque à la Johnny T sur ce fast boogie. Le «Beat On The Brat» sans Joey sonne bizarrement, mais ça tient bon. Et le coup de génie arrive en fin de route avec la version instru de «Sidewalk Surfin’», le Sped gratte des poux magiques, il ramifie ses notes à l’ongle sec, il joue gras et futuriste, il flamboie de tous ses feux et gratte à la pure jouissive acidulée. 

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             C’est encore Sped qui produit Hop Around. Il y gratte aussi ses poux. Il gratte à la cisaille extrême. Quant à Dee Dee, il ne lâche pas sa formule : one two three four ! Il fait de l’heavy Ramona. «Get Out Of This House» sonne comme un coup de génie, itou pour «38th & 8th», chargé d’une riffalama énorme. Le Sped is on fire ! Barbara bouffe le morceau titre tout cru. On sent bien l’insistance du Sped dans «What About Me». Fantastique clameur ! Dee Dee bricole encore une weird tale avec «I Saw A Skull Instead Of My Face». C’est un créatif ! Sped te sature «I Wanna You» de disto et on revient au mythe avec la dégelée de «Chinese Rocks». Dee Dee on the rocks ! Sa compo ! Il chante comme Johnny Thunders. Barbara bouffe tout cru l’hard groove d’«Hurtin’ Kind» et Dee Dee incarne bien sa légende avec «I’m Horrible». Quel album !

    Signé : Cazengler, Ramone encore sa fraise

    Dee Dee Ramone. Zonked! Other Peoples Music 1997

    Dee Dee Ramone. Greatest & Latest. Conspiracy Music 2000

    Dee Dee Ramone. Hop Around. Other Peoples Music 2000

    Dee Dee Ramone. Legend Of A Rock Star: The Last Testament Of Dee Dee Ramone. Thunder’s Mouth Press 2002

     

     

    L’avenir du rock

     - Nothing(heads) to lose

     

             Bernard Pavot se tourne vers son invité :

             — Quel est le mot qui vous inspire le plus, avenir du rock ?

             L’avenir du rock fait semblant de réfléchir. Il fronce bien les sourcils et prend son air le plus con.

             — Laisse-moi gamberger un moment, mon Nanard.

             Il laisse encore passer une minute et lâche dans un soupir :

             — Ah tu m’as posé une colle, espèce de bâtard !

             Le silence s’installe. Les minutes s’écoulent. Bernard Pavot se tourne vers la caméra :

             — Pendant que notre invité réfléchit, nous allons diffuser une page de publicité. C’est à vous Cognacq-Jay !

             Dix minutes plus tard, le direct revient. Avec un grand sourire compatissant, Bernard Pavot relance son invité :

             — Alors, avenir du rock, allez-vous nous livrer le résultat de vos cogitations ? Nos téléspectatrices et nos téléspectateurs brûlent d’impatience de le connaître...

             — Nothing !

             — Vous n’allez quand même pas nous laisser en plan ?

             — Nothing ! Que dalle ! T’es bouché ou quoi, Nanard ?

             — Mais ça n’est pas possible, avenir du rock, vous qui êtes d’ordinaire si fécond, si prolixe... Vous qui êtes un tel puits de connaissances, un oracle insondable !

             — Nothing ! T’as les portugaises ensablées ? T’auras des coton-tiges pour ton Noël, mon Nanard !

             — Voyons, faites un effort, avenir du rock, vous êtes en direct devant des millions de téléspectatrices et de téléspectateurs...

             — Bon d’accord, c’est bien parce que c’est toi. Nothingheads !

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             — C’est tout ?

             — C’est déjà pas mal.

     

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             Tu vois les Nothingheads sur scène et t’en penses quoi ? Le plus grand bien. Pourquoi ? Parce qu’ils ont un sens aigu des montées en température et des shoots d’adrénaline. Leur set est un festin de son, un gros champ de bouillasse sonique que laboure en profondeur le petit mec du fond sur sa basse Burns. Ça faisait une

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    éternité que t’avais pas entendu gronder une basse Burns sur scène. Ces quatre Londoniens ont tout bon. On les catalogue ‘post-punk’, mais ça n’a rien à voir avec la Post. Ils se réclameraient plutôt du défenestratif, de l’onslaught, du rentre-dedans de revienzy, du so far-out de no-way out. Leur sens aigu du ramdam rappelle celui du Part Chimp de Tim Cedar.  

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             Au merch, tu ramasses Strongroom, leur petit bootleg live. Logiquement, il devrait te restituer l’ambiance explosive du concert. Dès «Down The Doomhole», ils labourent leur champ à coups de basse Burns. Ces mecs ont de la rémona plein les

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    pognes. La basse Burns creuse bien les sillons. Premier coup de génie avec «Lipstick». Quelle violence ! Et ils développent cette violence. C’est explosif. Tous leurs cuts vont osciller entre les Stooges et le Basement Five. Avec «Bean Engine», le bassman embarque la purée au paradis du no way out. Ils font du punch in the face en permanence. Soit ils labourent leur champ, soit ils le bombardent. Ils ne savent rien faire d’autre. Leur «Cabaret» file bien sous le vent et pouf, voilà un «Rat» bien dévastateur, monté sur un riff downhomy très Basement Five, ils sont même en plein dedans. Ils tapent dans cette fabuleuse esthétique du dark beat jadis initiée par Basement Five avec «Last White Christmas». Les Nothingheads deviennent très angulaires avec «Repeat Under The Lens», mais ça reste sans concession, joué à la vie à la mort. Et puis voilà «Salt», qui ne traîne pas en chemin, et la basse Burns retourne tout ça vite fait. T’as des échos de stoogerie dans «Blind Spot», ça destroy-oh-boy, il essaye d’élever le débat, mais la Burns bruine tout, on entend les accords de Wanna Be Your Dog, et ça se termine en explosion nucléaire où les Stooges se mélangent au Basement Five. Sur «Crumbs», le riff de basse renvoie aux Cramps, c’est encore du pur Basement Five, mais avec le swagger des Cramps, t’as vraiment cette combinaison de folies pures. Attaque frontale de la basse Burns sur «Diggins», et il chante au sang-froid explosif. Et ça se termine avec un «Private Pyle» bien dévoré du foie et explosé à chaque instant. Le plus drôle c’est qu’on n’entend pas les deux grattes sur le bootleg live, la basse Burns bouffe tout le son. Du coup, ça donne aux Nothingheads un allure encore plus sauvage. Tout prend feu sur ce bootleg live, c’est explosif de bout en bout. Il faudrait presque inventer des mots pour décrire tout ce bordel. 

    Signé : Cazengler, Nothing tout court

    Nothingheads. Le Trois Pièces. Rouen (76). 24 novembre 2025

    Nothingheads. Strongroom. Live Bootleg

    Concert Braincrushing

     

     

    Wizards & True Stars

     - Third World Ward

     (Part Two)

     

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             Suite des aventures d’M Ward avec le duo She & Him. Elle s’appelle Zooey Deschanel, et bien sûr, elle est très belle. Alors forcément, on s’attend au pire du meilleur, vu qu’M Ward est un surdoué. La meilleure façon de se conforter dans cette idée est d’aller écouter Melt Away: A Tribute To Brian Wilson. Ils en font un

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    carnage divin. Carnage car hors normes, et divin car encore plus hors normes. Ils attaquent avec «Darlin’» (Zooey arrive dans cette merveille avec une voix irréelle de beauté grasse). T’as Joey Sampinato d’NRBQ on bass. Et ça continue avec «Wouldn’t It Be Nice», c’est encore elle qui attaque cette merveille intemporelle au sucre de rêve. Elle traîne sa traînée, t’es au firmament de la pop, tout est parfait, on se croirait chez Des Esseintes. On entend bien sûr M gratter ses poux derrière, et ça vaut tout l’or du Rhin. On les attend au virage avec «Deirdre». C’est encore elle ! M gratte du jazz derrière. Et ça monte au ciel, ils duettent comme des coqs en pâte. Ils embarquent «Don’t Talk (Put Your Head On My Shoulder)» dans l’éther et elle arrive avec un sucre ferme. Zooey est infernalement juste et M déroule le tapis de velours du don’t talk. Dans une vie, on entend rarement des duos aussi brillants. Cet album est génial. On retrouve la pureté d’intention du duo dans «Don’t Worry Baby», M l’attaque au doux du menton et ça s’élève vers le ciel. Tu retrouves toutes les dynamiques des Beach Boys dans «This Whole World», les aouh dab dee lee lee, comme dans «Do It Again». Puisqu’on parle du loup, le voilà ! «Do it Again», dee dee dee lee. Le grand saut ! M est un crack ! And the beach was the place to go. M et Zooey le chargent à outrance, t’as même Brian Wilson derrière dans les da da lee lee lee, ça se noie dans le bonheur de l’endless summer, tap ta loo wahhhh ! Rien n’a jamais autant swingué sur cette terre que ce cut là, tap ta loo wahhhhhh !

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             Zooey et M tentent le diable sur Volume One avec «Sweet Darlin’» : ils recréent le Wall of Sound de Totor. Tout le bazar est là, intact, comme chez les Courettes, c’mon, ils tapent en plein dans le génie Totoric. Et Zooey fait sa Ronette dans «I Was Made For You», elle a exactement le même sucre que celui de Ronnie, et M a le son, il gratte une espèce d’heavy surf craze derrière Zooey. Autre coup de génie : la cover du «Should Have Known Better» des Beatles, mais ils tapent ça en mode country, and I doooo - Admirable ! - When I ask you to be mine - C’est M qui murmure ça dans la chaleur du sexe intense. L’idée de passer la Beatlemania en mode country est en soi géniale. Et c’est pas fini ! T’as encore deux coups de génie : «Why Do You Let Me Stay Here» (son fouillé, elle swingue son back-up des hanches, et ça devient sérieux, car M te monte ça en neige) et «This Is Not A Test», dont la qualité t’assomme littéralement. Zooey chante ça à fond de train et M fait les chœurs. Quelle puissance ils développent tous les deux ! Ils tapent une cover désossée du «Really Got A Hold On Me» de Smokey. C’est marrant et ça reste underground. Tous ces cuts ruissellent de power et de lumière, elle chante avec une indéniable grandeur tutélaire. T’es frappé de plein fouet par l’éclat de cette qualité artistique. Et donc tu sautes sur les Volumes suivants.

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             Volume Two est un hommage à la grande pop du Brill. Dès «Thieves», tu sens le souffle. Zooey compose de sacrés hits et M les produit. Pure magie pop avec cette voix éclatante, Zooey est déchirante de pureté évangélique. Elle tortille encore une pop de Brill dans «In The Sun», des chœurs somptueux la stimulent, we’re alright/ It’s okay, M s’y joint, et ça part dans l’extrême brillance du Brill avec une gratte qui fout le feu à Broadway, il pleut de la poudre de perlimpinpin  et t’as un final historique en guise de cerise sur le gâtö. Encore un hit immémoriel avec «Don’t Look Back». S’ils font une cover, ce sera celle du «Ridin’ In My Car» d’NRBQ. M adore NRBQ. Quand ils font de la country avec «Lingering Still», M en profite pour sonner comme James Burton. Encore une pure merveille d’you’ve got to be kind to yourself avec «Me & You» : intensité paradisiaque et guitare Hawaï. Dans «Home», M éclaire la baraque à coups d’interventions insensées et Zooey y va à coups d’I like the way you smile. C’est de si bonne guerre. Encore de la très grande pop avec «Over It Over Again». C’est d’une fraîcheur de ton qui te réchauffe le cœur. 

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             Encore un passage obligé avec Volume 3. On se croirait sur un album produit par Totor. La preuve ? «I’ve Got Your Number Son». Même ampleur, même ambition. Pur génie productiviste. Encore un coup de prod magistral avec «I Could’ve Been Your Girl», car tapé au tatapoum, avec en filigrane les trames de dingue d’M. Et ça atteint des sommets productivistes avec la cover du «Sunday Girl» de Blondie. T’as là une version ultra-dynamique, M fout le paquet avec sa cocote new-yorkaise. Et puis voilà les coups de génie : ça pullule. Zooey t’explose le souvenir des Supremes et de Motown avec «Never Wanted Your Love». Elle a tout pigé, elle tape directement dans la pop de rang princier, t’as du son partout. C’est le genre d’hit qui te chatouille l’intellect. Et ça explose encore avec «Baby», my little baby ! Magie pop des sixties. Elle tape encore dans l’œil du cyclone avec «Somebody Sweet To Talk To». Elle est explosive, elle t’éclate le Sénégal à coup d’I want you ! Elle se lance chaque fois à l’assaut du firmament et elle en a les moyens, la coquine ! Elle compose, chante et s’adjoint les services d’M le crack. Encore un cut de pop lumineuse avec «Hold Me Thrill Me Kiss Me». Elle est la Deschanel du paradis.

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             Comme Totor avant eux, Zooey et M enregistrent leur Christmas album : A Very She & Him Christmas. C’est un album très impressionnant. Elle attaque «The Christmas Waltz» au sucre de cristal. Voilà pourquoi M la veut : pour ce sucre. Il gratte ensuite des poux d’Hawaï dans «Christmas Day» et en fait un hit de fête foraine à la Brian Wilson. Et l’enchantement se poursuit avec «Have Yourself A Merry Little Christmas». L’M gratte les poux du paradis sur sa belle gratte. Il est l’artiste par excellence. On glisse fatalement vers le coup de génie avec «I’ll Be Home For Christmas», oui car ici, l’M renoue avec le génie productiviste de Totor. Ça bascule pour de vrai. Puis dans «Sleigh Ride», il claque un wild solo country. Plus loin, ils duettent comme des dingues dans «Baby It’s Cold Outside», et ça donne une merveille absolue. Ils ne sont pas les premiers à duetter cette antiquité : des tas de gens s’y sont frottés, dont Rod The Mod, James Taylor, Taj Mahal et les Boys sur leur Christmas album. Et pour finir, l’M gratte ses poux magiques derrière «The Christmas Song», et elle chante Christmas avec un chaleur qui te fait fondre comme beurre en broche. 

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             En 2016, ils retentent le diable du Christmas album avec Christmas Party. Grand bien leur fasse, car on retrouve cette version extrêmement musclée d’«All I Want For Chritmas Is You» qu’elle attaque à la clameur de la chandeleur. Fantastique Zooey ! Elle n’est pas loin du gospel, mais un gospel rockalama avec un beat solide et un solo de sax baryton. Ils font littéralement du Totor Sound ! T’as ensuite un «Let It Snow» bardé de son et derrière l’inexorable Zooey, t’as l’M qui gratte des notes liquides. Tout est stupéfiant de pureté, sur cet album. Encore un exemple avec «Mele Kalikimaka», c’est tellement pur qu’il faut rester concentré pour écouter ça, M gratte des notes en forme de boules de noël. Zooey transforme «Christmas Memories» en groove de jazz magique et tout bascule dans le rockalama des Beach Boys avec «Run Run Rudolph», oooouh la la la, merry go round ! M injecte dans son Rudolph tout le power des Beach Boys. «Winter Wonderland» est plus classique, mais chargé de pedal steel et de big voice à ras bord. Zooey is on fire ! Ils tapent ensuite dans le gros classique de Mann & Weil, «The Coldest Night Of The Year», belle pop de Brill, ils y vont au baby it’s cold out there, ils duettent à la vie à la mort. Ils te swinguent «A Marshmallow World» vite fait et M te gratte ça au jazz. Idem sur «The Man With The Bag», c’est jazzé jusqu’à l’oss de l’ass. Tu croises rarement un swing de jazz aussi pur. M se tape son petit quart d’heure Wes Montgomery. Ça te permet de le situer.

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             Comme tous les gens doués, ils proposent un album de covers triées sur le volet : Classics. Alors attention, c’est du sérieux. T’as du Burt avec «This Girl’s In Love With You» (plongée dans le rêve car c’est battu jazz, ça swingue au I need your love, t’as le slap, la trompette, et les accords gloutons d’M). T’as du Goffin & King avec «Oh No Not My Baby», repris par tous les cracks, d’Aretha à Rod The Mod, en passant par Maxine Brown, Merry Clayton et Dusty chérie (Zooey te fait rôtir cette merveille en enfer, elle se jette toute entière ans l’oh no not my baby, c’est tordu de bonheur intense). T’as le vieux «We’ll Meet Again» qu’avait repris Cash sur The Man Comes Around - We’ll meet again/ Some sunny day - T’as quelques duos d’enfer, notamment «Stars Fell On Alabama», un jazz standard de 1934, et «Would You Like To Take A Walk», où M chante d’une voix très rauque. Il faut aussi entendre M gratter «It’s Always You» aux accords de sucre d’orge. Zooey fais un carton avec «It’s Not For Me To Say», un groove de jazz, et ça passe, car elle est puissante, chaude et avenante. M se tape «She» tout seul, histoire d’ajouter une Beautiful Song à son collier de perles, enfin bref, on l’aura compris, cet album est un passage obligé pour qui en pince pour les grandes chansons, les grands interprètes et la grande prod. 

    Signé : Cazengler, M Whore

    She & Him. Volume One. Merge Records 2008 

    She & Him. Volume Two. Merge Records 2010  

    She & Him. A Very She & Him Christmas. Merge Records 2011 

    She & Him. Volume 3. Merge Records 2013   

    She & Him. Classics. Columbia 2014   

    She & Him. Christmas Party. Columbia 2016   

    She & Him. Melt Away: A Tribute To Brian Wilson. Fantasy 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - So Farr out

             Avec Gorifor, tout fonctionnait sur le mode télépathique. Il suffisait d’échanger un regard pour prendre une décision. Pas besoin de discutailler. Exemple : nous voilà tous les deux dans un concert parisien de Lee Fields et ça tourne en mode participatif au bout de quatre cuts : le vieux Lee fait chanter la salle. Il se croit dans une église en bois. C’est laborieux et ça pète les reins du show. On échange un regard avec Gorifor et hop, on sort de là vite fait. On déteste les kermesses. On file vers un bar siffler quelques verres de pinard. On a vécu ce genre de mésaventure plusieurs fois. Quand c’est pas bon, c’est pas bon. Pas besoin de demander : «t’en penses quoi ?» Ça marchait aussi très bien dans l’autre sens, notamment avec les groupes de rockab. C’était peut-être notre «genre» préféré, au moins autant sinon plus que le garage. On faisait ce qu’il fallait pour s’en goinfrer, et pour ça, rien de mieux que les festivals de rockab. Gorifor avait épluché les programmes et il savait ce qui était bon et ce qui ne l’était pas. Et il ne se trompait jamais. Il était infaillible. Quand le groupe était vraiment bon, on restait jusqu’au bout. Lorsqu’un groupe se livrait à ce qu’on appelait le «rockab professoral», on décrochait d’un commun accord télépathique. On traînait pas mal ensemble chez les disquaires, il avait son réseau, pareil, il savait trier le bon grain de l’ivraie. On glosait pas mal sur le thème des bacs qui «avaient du jus». Ces bacs se raréfiaient. On remarquait souvent que d’une année sur l’autre, certains bacs ne «bougeaient pas». On les appelait «les bacs de la mort lente». On conseillait au disquaire d’aller s’acheter une corde pour se pendre au fond de son jardin. «T’es déjà mort, de toute façon.» Et comme on traînait dans les bars après les concerts, il est arrivé qu’on fasse des touches sans vraiment le vouloir. Exemple, un soir une belle gonzesse d’âge mur nous invite tous les deux chez elle à siffler des mojitos, alors on y est allés. On a sifflé les mojitos. On sentait qu’elle était du cul. On lui quand même posé la question fatale : «Qui de nous deux veux-tu baiser ?», et elle a répondu : «Les deux.» Alors elle a eu droit cette nuit-là à sa première séance de baise télépathique.

     

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             Pendant que Gorifor nous hante les dédales de la mémoire, Gary Farr hante les corridors de la légende, ce qui revient à peu près au même.

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             On ne pouvait pas résister au charme des pochettes de Gary Farr. Surtout celle de Take Something With You, qui nous le montre cadré serré. Le beau Gary est fils d’un boxeur gallois. Il tape un début de carrière avec les T-Bones et leur impressario Giorgio Gomelski les fait jouer en 1964 dans son Crawdaddy Club, en même temps que les Yardbirds et les Rolling Stones.

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    Barry Jenkins

             Meic Stevens raconte que Giorgio Gomelski avait loué en 1967 une baraque à Holmead Road, en face du Chelsea football club, pour y héberger des musiciens. Meic pouvait y loger à l’œil. Les autres locataires étaient Gary Farr, les Blossom Toes, Barry Jenkins des Animals, Shawn Phillips, des membres de The Action et de Blue Cheer - They were an interesting crowd.

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             Impossible de résister à l’envie d’écouter Gary Farr & The T-Bones. Giorgio Gomelski produit One More Chance, un excellent album. On est tout de suite frappé par le son mystérieux d’«How Many More Times». Bel écho. Gary Farr chante au doux du doux. Les cuts suivants sont très classiques, mais avec un son bien rond. Il faut attendre «Don’t Stop & Stare» pour frémir à nouveau. Gary Farr sait poser sa voix. En B, ils rendent un vibrant hommage à Bo Diddley avec «You Don’t Love Me» et «Dearest Darling». C’est vraiment bien senti. Dans ses liners, John Platt rappelle que 500 groupes hantaient le «club circuit» en 1964. Certains ont connu la gloire et la fortune - il cite les Yardbirds, les Stones, les Pretties et les Animals - et d’autres qui étaient aussi talentueux ont sombré dans l’oubli, comme les T-Bones. 

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             C’est en 1967 que le beau Gary opte pour une carrière solo. Il est accompagné par The Action. Gomelski s’occupe toujours de lui et le fait entrer en studio, avec des tas de gens intéressants : des membres de The Action qui sont devenus Mighty Baby, des Blossom Toes et de Spooky Tooth, pardonnez du peu.

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             Take Something With You est un album remarquable, produit par Reggie King. Au dos, on voit que les Mighty Baby accompagnent le beau Gary. Et on tombe aussitôt sous le charme de  «Don’t Know Why You Bother Child», une pop folky sensible à l’extrême, digne de Geno et de Fred Neil, avec Meic Stevens on guitar. Puis Martin Stone joue sur «The Vicar & The Pope», c’est dire si le beau Gary est bien entouré. C’est encore un cut très fin et très produit. On retrouve la flûte des Mighty Baby dans «Green», et puis Meic Stevens refait des merveilles sur le morceau titre qui vient boucler le balda. Encore un hit en B avec «Time Machine». Oh l’incroyable qualité du balladif ! Du pur Fred Neil ! C’est fabuleusement insistant avec le Meic dans le son. Puis Martin Stone groove le «Curtain Of Sleep» à sa façon, c’est-à-dire magnifique. La red Sunbeam propose deux faces de démos. Le beau Gary y chante à l’éplorée congénitale et renoue avec la magie mélodique dans «Images Of Passing Clouds». Là oui, big Gary so Farr out ! Toutes ces démos sont extrêmement paisibles. Encore une merveille avec «Pondering Too Long», cut lumineux et sourd. Le gratté de poux du beau Gary rivalise de délicatesse préraphaélite avec celui de Fred Neil. En D, on retrouve une démo de cette merveille tentaculaire qu’est «Don’t Know Why You Bother Child», elle est gorgée de lumière et de douceur. Et puis avec «In The Mud», le beau Gary tape en plein dans le mille de Nick Drake.

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             Mais quand Take Something With You sort sur Marmalade, le label est à l’agonie et Gomelski part s’installer en France. Le beau Gary a la poisse. Son deuxième album Strange Fruit va connaître le même sort que le premier : il va passer à l’as. Dommage, car c’est un merveilleux album glissé dans une merveilleuse pochette. Gary pose en famille avec sa gueule de rockstar, sa veste à franges et sa douze. Tu frémis sec dès «In The Mud», un folky folkah d’attaque frontale. Il gratte sa douze. Alors on s’installe pour guetter les miracles. Gary Farr est tellement so Farr out qu’il charge bien sa barcasse. Il passe au country boogie-down dylanesque avec «Old Man Boulder». Il refait le Maggie’s Farm No More à sa façon. Il tape ensuite le «Strange Fuit» de Billie Holiday et là, tu t’inclines respectueusement. Il revient au Dylanex avec «Margie». Comme c’est bon, aw Margie/ Sweet Margie, il y va au nothing to lose. Il a encore Mighty Baby derrière lui, ça s’entend sans «Revolution Of The Season». Et puis voilà «About This Time Of Year» qui sonne comme un hit universel. Puisant et beau, gorgé de son, c’est d’une rare puissance visionnaire. C’est tout de même dingue que Gary Farr n’ait pas explosé. Il atteint des hauteurs dylanesques à coups de good morning sun. Sa douze donne bien dans «Down Among The Dead Men», il sonne comme un Richie Havens blanc, il s’embrase, il te gratte ça à la sévère. Ses balladifs sont d’une classe tellement supérieure, «Proverbs Of Heaven & Hell» préfigure Nikki Sudden et tous les dandys du rock anglais. Back to the old boogie-down de Mighty Baby avec «Old Man Moses». Mais cette fois, il trempe dans la Stonesy. On se croirait sur Exile. Le so Farr Out est à toute épreuve. Il boucle avec un magnifique balladif, «Sweet Angelina». Il sait se montrer fascinant, il sonne comme une superstar, mais avec de l’émotion, il est partout dans le singalong. Magnifique artiste ! C’est de la très haute voltige. Qu’on se le dise. 

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             Comme ça ne marche pas en Angleterre, il décide d’aller s’installer aux États-Unis. Il signe sur Atlantic et enregistre Adressed To The Censors Of Love à Muscle Shoals. Jerry Wexler produit l’album. Décidément, Gary Farr collectionne les producteurs de renom. L’album vaut le détour pour trois raisons. Un, «Breakout Boo-Ga-Loo». Toute la bande de Muscle Shoals est là : Barry Beckett, David Hood, Roger Hawkins, il n’en manque pas un seul. Deux, «John Birch Blues», big heavy boogie down. Il faut dire que Gary Farr a un backing de rêve. Trois, «Rhythm King», très dylanesque. Par contre, sa version d’«I’m A King Bee» ne vaut pas celle des Stones de Brian Jones. Avec «Mexican Sun», il tape un balladif mexicain légèrement bronzé et ramène des trompettes mariachi. Le balladif domine largement sur cet album. Gary Farr est un être doux et paisible.

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             Puis il va disparaître des radars. Il va connaître un dernier spasme carriérique en 1980 avec un groupe nommé Lion et un album, Running All Night. Il propose une pop rock énergétique, avec des hauts et des bas. Il multiplie les tentatives d’envol vers le ciel. Il s’en donne les moyens : voix, son. Ça aurait pu marcher, mais ça ne marche pas. L’album se noie dans la masse des albums très moyens. Avec «Running All Night With The Lion»,  il tente le coup du big American rock à la cloche de bois : grosse énergie et grosse cocote des deux guitaristes, mais ça ne prend pas. C’est «Helpless» en ouverture de bal de B qui sauve l’album. Grosse compo. Gary Farr la tire en longueur et la relance au help help helpless, épaulé par des petits poux funky, et là ça marche. Puis il va couler le reste de l’album avec des tentatives de rock symphonique. Dommage.

    Signé : Cazengler, far breton

    Gary Farr & The T-Bones. One More Chance. Decal 1987

    Gary Farr. Take Something With You. Sunbeam Records 2008

    Gary Farr. Strange Fruit. CBS 1970            

    Gary Farr. Adressed To The Censors Of Love. ATCO Records 1973                   

    Lion. Running All Night. A&M Records 1980

     

     

    L’avenir du rock

     - Les chic types de Cheap Trick

     (Part One)

     

             Boule et Bill se marrent d’avance. Ils savent que l’avenir du rock va les brancher sur Cheap Trick, alors ils se préparent à tout.

             — Quesse tu vas encore nous sortir comme chic truc de choc, avenir du troc ?

             — C’est pas très cheac de ta part, Boule.

             — On te voit venir avec tes chips et ta trique, avenir du trac !

             — Là tu cheap dans la colle, Bill !

             — C’est marrant, tu trouves toujours des petites combines à pas cher pour t’en sortir, avenir du froc !

             — Tu cheapotes, Boule de cheat !

             — Ah cette fois, c’est toi qui deviens insultant. Nous, on prend tes conneries à la rigolade et toi tu montes sur tes grands chevaux... T’es vraiment pas un Cheac type !

             — C’était une cheacknaude, Bill, faut pas te formaliser...

             — T’es trop prétentieux, avenir du truc !

             — Tu deviens cheacheateux, Boule de pus.

             L’avenir du rock en bave avec ces deux cons. Ça fait longtemps qu’il les pra-trick, il essaye de la jouer cheap, mais il sent bien qu’il fatigue. Les cons, ça demande énormément de boulot. Plus ils sont cons, et plus ils sont lourds, alors il faut déployer des moyens considérables pour tenir une conversation. L’idéal est bien sûr de les éviter. Mais c’est pas toujours facile.

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             La presse anglaise salue bien bas la parution d’All Washed Up, le nouvel album de Cheap Trick, un groupe américain qu’on suit depuis cinquante ans, eh oui, depuis la parution de leur premier album sans titre sur Epic, en 1977. Dans Record Collector, John Tucker rappelle que c’est leur 21e album. Il les situe dans la power pop et le bubblegum metal. Et c’est avec Cheap Trick At Budokan que le groupe est devenu une «overnight sensation». Et même avec le succès et les platinum albums, Tucker se plait à dire que Cheap Trick «have continued to be an inventive and entertaining act.» C’est pour ça qu’on les suit à la trace. C’est donc un «band with 52 years on the clock». Tucker qualifie All Washed Up de spunky album, il a raison, ça spunke dès le «strident opener», c’est-à-dire le morceau titre. Il parle même d’un «pugilistic rock’n’roller».    

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             Comme la plupart des albums de Cheap Trick, All Washed Up est un brillant album. Il est même surchargé, et ça s’entend dès le morceau titre d’ouverture de bal, c’est riffé à la Rick et chanté à ras la motte. Pur power ! Avec «The Riff That Won’t Quit», ils cherchent à réinventer la poudre. C’est d’une rare violence et le Rick Rock passe l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. Et puis en même temps, tu te dis  : aucune surprise, c’est du Cheap Trick. Ils tentent le coup du balladif d’ampleur collatérale avec «The Best Thing». Le Zander y va de bon cœur. Avec sa gueule de rockstar, il peut se le permettre. Il est encore plus romantique que les blackos. Et ils refont sauter la sainte-barbe avec «Twelve Gates». Ils sont dans leur élément : l’heavy power pop d’allure impériale. Voilà l’hit magique que t’attendais. Puis ils repassent en mode heavy balladif avec «Bad Blood». Le power n’a pas de secret pour ces mecs-là. S’ensuit un big dancing rock, «Dancing With The Band» - an upbeat poppy ooh-ooh funfest - Ils redeviennent les rois du monde le temps d’un cut. La capacité qu’ils ont de submerger le monde à coups d’Oh yeah est unique. On retrouve cette grâce impériale dans «Love Gone». Ils règnent sans partage sur la power-pop américaine. «A Long Way To Worcester» s’étend aussi jusqu’à l’horizon. Robin Zander, «the man with 1.000 voices», claque bien son chant. Il a des légions derrière lui. Et Tucker chute ainsi : «These legendary US funsters still have something to say.»

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             Dans la mini-interview qui suit l’éloge de Tucker, Robin Zander explique que le titre All Washed Up est son idée - It’s more like taking a shower and getting ready for spending time with your wife - Zander dit aussi qu’Oasis «learned their chops from us.» Il reconnaît aussi l’influence de Bowie dans «Love Gone». Zander se souvient d’avoir chanté «Rebel Rebel» et «Ground Control To Major Tom» quand il était plus jeune. Dans Mojo, c’est Rick Nielsen qui prend la parole. Il adore dire que Cheap

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    Trick n’a jamais progressé - We were loud and noisy when we started. We still are - Bill DeMain voit de la «Beatles melancholy and Slade stomp» dans All Washed Up. DeMain rappelle encore que les Trick ont bossé avec George Martin - He made us sound better than we were - et avec John Lennon sur Double Fantasy - Lennon said, ‘I wish I would’ve had Rick on Cold Turkey’, because Clapton chocked up - Rick Rock évoque aussi le saccage de Bun E Carlos en 2010 - He got nasty - Et finalement les Trick sont contents de faire encore claquer au vent leur «freak-flag». Cheap Trick were weird before it was cool to be weird.

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             Le We’re Allright paru précédemment va aussi sonner pas mal de cloches. Voilà en effet un disk produit à outrance, et ce dès «You Got It Going On» noyé de son. Quel déluge ! Ça sonne comme une hécatombe diluvienne. Ils jouent ce hard Trick biter rock qui reste miraculeusement dans le giron de la power-pop, mais avec un ultra-blast de son. C’est tout simplement explosif. Ces mecs sont dingues. On reste dans la démesure avec «Long Time Coming». Ils cultivent la radiation du son. Ils n’ont jamais été aussi puissants. Leur son s’inscrit dans la postérité. Même chose pour «Nowhere», ultra-bardé de bardasse. Rick Rock est un fou du tarabustage. Mais ça finit par donner la nausée. Trop de son. Ils repartent à l’aventure avec «Radio Lover». Rick Rock gratte tout ce qu’il peut, il joue sur plusieurs guitares à la fois. Il remplit le spectre. Les autres ont intérêt à taper fort pour se faire entendre. Et quel killer solo flash ! Tout est dans le rouge, avec des waouh qui accélèrent le débit, et cette canaille de Rick Rond fond sur son cut comme l’aigle sur la belette. Il crache même des flammes, comme le dragon des Hobbits. C’est atrocement bon, ultra-noyé de son. Ça dépasse même la notion de noyade. Il se dégage quelque chose de surnaturel de ce disk. Encore un cut paradisiaque : «Floating Down». Rick Rock se perd dans l’azur des chœurs. Il devient l’espace d’un album le guitariste de l’impossible. Encore de l’énervement patenté avec «Listen To Me». Rick Rock entre dans la danse, mais cette fois, ça ne marche pas. Trop cousu. Ce qui ne l’empêche pas de passer l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. Ils terminent cet album somptueux avec un «The Rest Of My Life» joué au plus heavy de la possibilité d’une île.

    Signé : Cazengler, Chip à l’ancienne

    Cheap Trick. We’re Allright. Big Machine Records 2017

    Cheap Trick. All Washed Up. BMG 2025

    John Tucker : All dupe respect. Record Collector # 577 - December 2025

    Bill DeMain : Welcome back. Mojo # 384 - November 2025

     

    *

             Est-ce bête, je viens de marcher sur la queue d’un serpent, il m’a piqué, évidemment je ne suis pas mort, les rockers sont immortels, si vous ne me croyez pas lisez la chronique suivante sur Elvis. Suis quand même triste, Dennis Covington n’a pas eu cette chance, l’est mort le 14 avril 2024, non il n’a pas été mordu par un serpent. L’aurait pu. Il n’a pas réussi. Dennis Covington était écrivain, dans notre livraison 280 du 05 / 05 / 2015, j’avais chroniqué un de ses livres :

    L’EGLISE AUX SERPENTS

    MYSTERE ET REDEMPTION

    DANS LE SUD DES ETATS-UNIS

    DENNIS COVINGTON

    (Latitudes / Albin Michel / 2003)

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    I’m the lizard king

    I can do anything !

    Plus facile à dire qu’à faire. L’histoire commence in the borders. Ne cherchez pas sur la carte des USA, c’est en Europe. Au sud de l’Ecosse ou au nord de l’Angleterre, une région frontière, peuplée de sauvages. Des populations qui n’ont que des herbes et des rochers à manger. C’est dur et c’est maigre. Vraisemblablement des résidus des farouches tribus pictes que les Romains ne parvinrent jamais à mater. Des fortes têtes, des crève-la-faim patentés, vivaient en village refusant toute autorité étatique, communale. Des missionnaires chrétiens les avaient visités, les avaient chassés mais ils avaient gardé le Christ, avaient un peu perverti le message, le dieu d’amour l’avaient transformé en dieu de défi ce qui correspondait mieux à leur vision du monde.

    Au bout de quelques siècles de survie se sont vus obligés de trouver un territoire un peu moins âpre. Z’étaient pas des intellos, l’Irlande leur a paru être une terre de Canaan. Erreur funeste, pour ne pas irrémédiablement être au nombre des victimes de la famine, ont suivi le million d’Irlandais qui ont émigré en Amérique.

    Sont restés groupés. Pas fous ils ont tourné le dos au delta - une espèce de marécage infestés de serpents - ont plutôt lorgné vers les riches terres de la Virginie. Un look encore trop sauvage, pas de quoi rassurer un employeur. Les riches propriétaires des plantations de coton ont refusé de les embaucher, les noirs paraissaient bien plus dociles que ces bandes de racailles affamées aux regards meurtriers. L’était manifeste qu’ils n’étaient pas désirés.

    Alors ils ont continué le chemin et ont commencé à gravir les premières pentes des Appalaches. Se sont tout de suite sentis comme chez eux. Un paysages qui rappelait les Highlands et une terre presque aussi pauvre.   Personne n’en voulait, alors ils se sont installés heureux comme des papes. Excusez l’expression malheureuse pour ces méthodistes protestants ultra-rigoristes, mais à leur manière.

    Le conte aurait pu s’arrêter là : ils se marièrent, eurent beaucoup d’enfants (comptez trois morts pour deux survivants), et furent très heureux. Vécurent en quasi-autarcie, parvinrent à édifier un modèle économique d’autonomie de survivance, qui correspondait assez bien à leur mentalité. N’embêtaient personne, et ne demandaient rien à Dieu. En plus, eux, ils avaient une préférence pour Jésus.

    En bas des collines le monde tournait un peu plus vite. Le progrès technique bousculait la civilisation jusqu’à lors essentiellement agraire. Les villes offraient des emplois moins pénibles que les travaux des champs avec salaire fixe. Eldorado urbain. Au début, sur les hills on fit semblant de ne rien voir. Puis les jeunes commencèrent à déserter, puis les hommes allèrent chercher du boulot, rentraient le soir ou en fin de semaine. A la ville ils prirent de mauvaises habitudes, burent du whisky, fréquentèrent les dames de petite vertu,  commencèrent à prendre des maîtresses, à tromper leurs femmes… Nous nous garderons de leur jeter la première pièce, mais l’introduction de ces nouvelles habitudes, dynamitèrent l’antique ciment de cette société d’auto-suffisance patiemment bâtie durant tout le dix-neuvième siècle.

    Cela ne pouvait plus durer comme cela. Y eut comme une crispation identitaire et culturelle. N’avaient qu’une seule richesse : le christianisme. Mais tout le monde était chrétien. Fallut donc prouver que le Seigneur était de leur côté. Qu’ils bénéficiaient d’un accès direct et personnel à dieu. Le mouvement méthodiste se scinda en 1906, les pentecôtistes déclarèrent que l’Esprit Saint leur rendait de temps en temps une petite visite. Régulièrement pour certains. Vous pouviez le remarquer : durant les réunions les fidèles s’évanouissaient, piquaient des crises d’épilepsie, se traînaient par terre, déliraient, parlaient d’étranges langues logorrhéiques, bref un ramdam de tous les diables. Ce mouvement s’étendit un peu partout, c’est alors que dans les Appalaches l’on décida de faire mieux : l’on mania des serpents. Des vrais, des venimeux, des méchants, des crotales, des mocassins et parfois même des mambas. Dès que l’Esprit Saint vous tombait dessus, vous plongiez votre main dans votre boîte à reptiles en attrapiez un et selon vos intuitions vous l’agitiez de toutes vos forces ou le faisiez circuler en toute liberté sur votre corps ou vous vous essuyiez le visage avec sa tête… L’existaient aussi d’autres facéties telles que ramasser à pleine mains des charbons ardents dans le poêle de l’Eglise, et si vous éprouviez une légère soif boire une bonne bouteille de strichnine… C’est en 1909 que le premier manieur de serpents se livra à cette activité somme toute aléatoirement dangereuse. Roulette ruse. De serpent.

    DENNIS COVINGTON

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    Le livre commence en 1992. Dans un endroit que les lecteurs de KR’TNT ! connaissent très  bien, puisque lui a été consacrée dans notre livraison 235  du 28 / 05 / 2015 toute une chronique. A Scottsboro, bourgade perdue de l’Alabama  où se déroula l’infâme procès des boys de Scottsboro, huit petits nègres injustement condamnés à morts pour avoir prétendument violé une jeune femme noire. Depuis apparemment le tribunal de Scottsboro ne désemplit pas puisque nous assistons à l’audience de Glenn Summerford. L’est vrai qu’il a fait fort : l’a tenté de tuer sa femme (ce qui peut arriver à tout homme marié, j’en conviens) à l’aide d’un revolver, ce qui paraitraît la marque certaine d’un manque d’imagination, si au lieu de l’abattre froidement d’une balle, il  ne l’avait forcée, à l’aide de son menaçant calibre, à se faire piquer par un de ses serpents… Non seulement son épouse survivra mais le malheureux sera condamné à quatre-vingt-dix-neuf années de prison.

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    Dennis Covington est le journaliste de Birmingham (grosse ville du coin) chargé de couvrir l’affaire. L’a intrigué auprès de son rédac-chef pour être sur l’action. N’est pas venu là par hasard. Depuis tout petit, l’est obnubilé par l’emprise psychique que la religion peut avoir sur les esprits. Un croyant qui refuse d’être dupe mais qui reste fasciné par ce mystérieux pouvoir plus ou moins charlatanesque qu’une Eglise peut avoir sur les individus. Les manieurs de serpents l’attirent : enfant il adorait attraper les reptiles, les inoffensifs comme les venimeux… l’a l’impression d’un retour aux sources, les recherches généalogiques paternelles semblent indiquer que sa famille tirerait ses origines de ces villages écosso-irlandais où est née cette tradition des manieurs de serpent. Un retour sur soi-même, un peu comme le serpent qui se mord la queue.

    La recherche d’une plénitude en quelque sorte. L’a déjà vu la mort de près dans un reportage sur la guerre civile au San Salvador. C’est peut-être cela qui le guide, cet instant suprême ou l’absolu de la mort vous frôle… Désir des plus troubles, d’autant plus qu’il a trouvé le bonheur auprès de sa femme Vicky et de ses deux petites filles.

    N’est en rien un exalté, mais quelqu’un qui est attiré par les limites de la vie. Nous raconte deux années de sa vie. L’arc-en-ciel au-dessus de l’abîme. Toute frontière est intérieure. Le rêve américain consiste à la repousser. Nous n’avons plus qu’à suivre Dennis Covington, dès la première cérémonie à laquelle il nous entraîne nous nous retrouvons en pays de connaissance, ne nous présente-t-il pas Oncle Ully Lynn qui écrivit des morceaux pour Loretta Lynn, la reine emblématique de la country music. Plus tard il nous donnera une acception du terme revival que nous ne connaissions pas : des assemblées religieuses de plein air qui pouvaient regrouper plusieurs milliers de personnes où l’on assistait à des présentations de manieurs de serpents. Une sorte de liturgie à la Morrison Hôtel.

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    Nous pénétrons en un monde étrange, une petite communauté en marge des lois et de la vulgate sécuritaire du modernisme. Dennis Covington ne se contente pas de relater les aspects les plus superficiels des phénomènes auxquels il assiste et participe. Possède l’œil du sociologue qui pose toujours une grille d’interprétation sur le réel auquel il se confronte. Mais une fois qu’il a accompli son analyse la plus froide, il se hâte d’enlever cette armature de protection. Décrire un homme, décrire un serpent en toute objectivité est relativement facile, mais il arrive un moment où il faut bien toucher du doigt et le serpent et se frotter au corps de l’homme.

    De la femme aussi. Car toucher le reptile est un geste éminemment érotique. Inutile de vous dessiner le serpent du sexe. L’animal du péché. Vous pouvez le décliner sous forme d’auto-érotisme. Masturbation reptilienne. Mais cela n’intéresse que vous et le petit Jésus. L’acte se complexifie lorsque la femme s’en mêle. Le désir devient tentation. Le seigneur descend en elle et vous jouissez de son halètement extatique. Communion christique des plus étranges. Le livre se terminera lors d’une cérémonie de mariage. Où est Jésus ? Qui est la femme ? Où est le désir ?  Vicky, l’épouse de Covington, l’accompagne dans cette ultime rencontre avec les manieurs de serpent. Elle connaît alors l’illumination grâce à l’imposition des mains effectuée par Celle même dont Dennis nous a vanté la beauté et relaté la béatitude gémissante et ophidienne qui l’étreint lors d’une séance précédente. Te perdre pour mieux me retrouver.

    Covington paye de sa personne. Devient un manieur de serpents. L’obscure envie de faire partie du club des initiés certes, mais aussi de se rendre compte et de rendre compte de lui-même. N’écrire, ne parler que de ce que l’on a connu. Une expérience mystique. Qui lui pose davantage de problèmes qu’elle n’en résout. Le retour parmi la petitesse des hommes est décevant. L’on manie les serpents comme l’on devient chanteur de rock. Pour être devant et attirer les regards. Des filles et des hommes. Être le plus fort. A celui qui aura et manipulera le plus gros des serpents et le gardera le plus longtemps. Bouffissures d’orgueil.  Jusqu’à la mort. Car le reptile mord. Refuser le médecin et toute espèce de médicament. Rien de mieux que de rejoindre au plus vite Jésus quand il vous appelle. Entre la pulsion de mort et le vouloir vivre, Covington choisit de rester auprès de sa femme. Il cueille la rose de l’éros et délaisse l’asphodèle de la mort.

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    Vicky Covington

    Entre le corps de Jésus et la chair de la femme, il a opté pour le mauvais choix. La congrégation le pousse dehors. Entre le compagnonnage guerrier des apôtres et la splendeur de la pècheresse, un seul chemin est possible. Le livre s’achève ici. Tout choix est politique nous prévient Covington. Les manieurs de serpents appartiennent à un vieux monde patriarcal dépassé. Triomphe de la femelle petite-bourgeoise américaine ? Covington a retrouvé ses origines pour les nier. Le serpent finit par manger le serpent. Un livre étonnamment construit.  Dennis nous précise que Vicky a arrêté de travailler à son roman pour l’aider  terminer. Son livre Est-ce pour cela qu’il laisse en suspend au cours de son récit l’histoire familiale de ces deux adolescents privés de testicules devenus manieurs de serpents. Vision androgynique des jumeaux opératifs des menées alchimiques ?

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    Un livre qui ne recherche jamais le sensationnel. Un parcours êtral. J’ai même l’impression que Dennis Covington se retient. N’a pas tout dit. Mais a beaucoup suggéré. Une plongée sans précédent dans l’Histoire américaine, une subtile radiographie de la religiosité américaine, une vision politique de la mentalité des petits-blancs américains typiques, et une descente ophite et orphique dans les confins métaphysiques de l’individuation américaine. Un livre qui vous en apprendra davantage sur le pays du rock and roll que beaucoup d’autres.

    Damie Chad.

    Le titre anglais du bouquin paru en 1995 aide à mieux comprendre, me semble-t-il, l’état d’esprit de notre écrivain : Salvation on Sand Mountain: Snake Handing and Salvation in Southern Appalachia.

    Je pense qu’il s’agit du seul livre de Covington qui soit traduit en notre langue. Redneck Riviera, si j’en juge par le titre à rallonge et la couverture qui montre un homme portant sur ses épaules un énorme armardillo lové sur son cou donne envie. Il a aussi rédigé un roman sobrement intitule Lizard. Un bestiaire très rock’n’roll !

    Vicky et Dennis se sont mariés en 1977 et séparés en 2005.

    Je n’aurais certainement pas exhumé cette Kronic des oubliettes du blog si je n’avais reçu ce matin une piqûre de rappel.

    Un disque paru sur le label Sublime Frequencies un catalogue à rendre fou les amateurs de musique ethnologique qui vient de sortir : West Virginia Snake Handler Revival “They Shall Take Up Serpents” . La couve de l’opus est explicite :

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     Voici en traduction-Google la copie in-extenso de la presentation de ce disque sur le site Sublime Frequencies : 

     Le film « They Shall Take Up Serpents Revival » de Virginie-Occidentale marque l’arrivée d’un disque historique, documentant la dernière église pratiquant la manipulation de serpents dans les Appalaches. Avec ses guitares hillbilly rock, ses rythmes hypnotiques et ses vocaux hurlants, cet album a été enregistré intégralement en live, sans aucun overdubs, par Ian Brennan (Tinariwen, Ramblin' Jack Elliott, Zomba Prison Project), producteur et auteur lauréat d'un Grammy Award.

    Premier album de Sublime Frequencies à sortir aux États-Unis, Brennan déclare : « J'ai beau avoir parcouru le monde, explorant des régions reculées comme les Comores, le sud-est du Sahara ou les Appalaches, rares sont les endroits qui m'ont paru aussi étrangers, voire plus exotiques. » Cet enregistrement représente à bien des égards un pendant et un contrepoint – l'autre facette du Sud profond, en quelque sorte – à la musique explorée sur les albums de Parchman Prison Prayer.

    L'album « The Snake Handler » était une tentative d'écoute par-delà ce fossé – un fossé qui n'a jamais été complètement comblé et qui continue de hanter et de menacer les États-Unis à ce jour. L'enregistrement a eu lieu lors d'un office religieux de plus de deux heures, un dimanche, dans les montagnes de Virginie-Occidentale. Brennan raconte : « J'avais juré de me tenir loin des serpents pendant l'office, mais au lieu de cela, on me les agitait sous le nez, enroulés dans les mains du pasteur, et je me suis accroupi au pied de l'autel pour m'occuper du matériel. Le pasteur a rapidement été mordu et du sang a giclé, formant une flaque sur le sol. Les paroissiennes se sont précipitées pour nettoyer, et on a tout de suite compris à quoi servaient les rouleaux d'essuie-tout empilés sur la chaire. » On peut entendre ce moment précis vers la fin du morceau « Don't Worry It's Just a Snakebite (What Has Happened to This Generation?) ». L'assemblée s'est levée d'un bond et un mini pogo s'est formé. Les prédicateurs, se relayant, inhalaint des mouchoirs imbibés de strychnine en tournant en rond comme des chanteurs enragés, tandis qu'une fidèle âgée tenait la flamme d'une bougie contre sa gorge, fermant les yeux et se balançant. Le système de sonorisation de l'église sifflait sous les cris, tandis qu'une femme âgée coiffée d'un bonnet s'acharnait sur une batterie qui la dominait de toute sa hauteur. C'était la chose la plus metal que j'aie jamais vue, faisant passer Slayer pour un jeu d'enfant. Les fidèles prétendent être la première église à avoir fusionné le rock and roll avec des sermons enflammés, que la musique leur a été volée par Satan, qu'ils en sont les créateurs. Étant donné que des ministères pratiquant la manipulation de serpents remontent au moins à 1910, il y a peut-être une part de vérité dans cette affirmation.

    Le père et le frère du pasteur sont tous deux décédés après avoir été mordus par des crotales des bois, et le pasteur lui-même a beaucoup souffert il y a quelques années : son avant-bras a doublé de volume et est devenu d'un vert visqueux. Il a alors perdu connaissance et il a fallu l'inciser du poignet au biceps pour soulager la pression. Malgré cela, le pasteur Chris affirme avec conviction que « Jésus est notre antidote ». « Certains pensent que nous sommes des adorateurs du diable, une secte. » Mais la manipulation de serpents ne représente qu'une petite partie de nos activités. Dans les années 1970, on recensait environ cinq cents églises pratiquant la manipulation de serpents dans les Appalaches, mais il n'en reste plus qu'une seule aujourd'hui, en Virginie-Occidentale, le seul État où cette pratique demeure légale.

    On estime qu'au cours du siècle dernier, plus d'une centaine de prédicateurs sont morts de morsures de serpents venimeux reçues lors de ces offices. Cela inclut le fondateur du premier groupe de manipulation de serpents, George Went Hensley, illettré et condamné pour vente d'alcool de contrebande pendant la Prohibition. Sa mort a été officiellement considérée comme un suicide, car il avait refusé tout traitement médical. La population du comté a chuté de plus de 80 % suite au déclin de l'industrie charbonnière de Virginie-Occidentale dû à la mondialisation, et la région affiche désormais le taux de mortalité liée à la drogue le plus élevé des États-Unis par habitant, tout en étant la plus pauvre de l'État. Quelques minutes après être entrés dans un état de transe lors du service présenté sur cet album, les deux prédicateurs étaient trempés de sueur. Plus que de simples récitateurs de textes sacrés, les prédicateurs sont des improvisateurs de talent, capables de s'exprimer pendant des heures. Brennan raconte : « Le pasteur Chris plaisantait : “Vous ne voulez surtout pas m'entendre chanter !” Mais en réalité, c'est un chanteur exceptionnel, doté d'un phrasé unique. » À l'instar de nombreux classiques, leur musique semble jaillir simultanément du passé et du futur, comme venue d'un univers parallèle où, au lieu de découvrir les amphétamines, les Damned auraient trouvé Dieu (ou peut-être les deux) et connu une renaissance spirituelle. L'édition vinyle comprend un long morceau bonus de 13 minutes et un livret de 4 pages orné de superbes photos des rituels de la congrégation.

    Faut voir. A suivre.

    Damie Chad.

     

    *

             Elvis Presley n’est pas mort. Ils toujours vivant : soyons clair : je ne veux pas dire qu’il est toujours vivant dans notre cœur, dans notre esprit, dans notre âme, dans n’importe quelle autre partie de notre corps, simplement qu’il aussi vivant que vous lecteur qui êtes en train d’entamer la lecture de cette chronique.

             D’ailleurs pourquoi aurais-je acheté ce livre à l’époque de sa parution puisqu’il était déjà encore vivant. Pour être franc tout simplement parce que la modestie de ma bourse m’obligeait à des choix draconiens. Il sortait tellement de disques indispensables en ces mêmes moments…

             Je me dois toutefois vous prouver la vérité de l’assertion par laquelle débute cette chro pas magnon mais magnanime.

    ELVIS PRESLEY

    W. A. HARBINSON

    (Albin-Michel / Rock&Folk1975)

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    Quand j’ai saisi le livre, après l’avoir succinctement examiné, j’ai éclaté de rire intérieurement. N’ont pas fait fort chez Rock & Folk, z’auraient pu attendre l’annonce de sa mort pour filer le bon à tirer, n’ont pas su prévoir la fin tragique de l’idole et encore moins capitaliser sur le futur proche.

    N’ont pas été les seuls, l’auteur du bouquin non plus. La critique est aisée et les commentaires sarcastiques après coup trop faciles. W. A. Harbinson est bien connu aux Etats-Unis, il a publié une cinquantaine d’ouvrages, romans, science-fiction, biographies. Dernièrement nous avons présenté sur Kr’tnt ! deux autobiographies sur Elvis. Mais leurs auteurs étaient dans la même position que la nôtre, ils connaissaient la fin de l’Histoire, cela permet de circonscrire une trajectoire humaine, avant même d’en avoir écrit la première ligne. Le cas de W. A. Harbinson est plus intéressant. Certes Elvis avait déjà beaucoup vécu mais il était vivant. A peine avais-je lu les quatre ou cinq premières pages qu’une évidence s’est imposée : notre auteur sait écrire. A la dixième j’ai dû préciser mon constat : ce n’est pas qu’il sait écrire, c’est qu’il sait réfléchir. Quelques pages plus loin, diable, notre escritor ne joue pas sur la facilité, prenez n’importe quelle des rubriques relatives à la vie du King et très facilement vous rentrez en possession de multiples documents évoquant à cette tranche du vécu Presleysien. L’est sûr qu’au début des seventies, Internet bla-bla-bla n’existait pas, mais il y avait eu des centaines d’articles et de revues consacrées au Roi du Rock, notre Harbinson ne mange pas de breackfast-là. Il est anglais, irlandais de surcroît. Deux exemples au hasard : question détails affriolants il ne dresse pas la liste interminable des conquêtes féminines – ou de celles qui ont su conquérir – le cœur du chanteur. Pire, le nom de Priscilla n’apparaît qu’une fois, sur la romance en Allemagne ou la vie matrimoniale aux States pas un mot. Et toutes les autres thématiques à l’avenant. Dans ses remerciements, pour les concerts il cite les coupures de presse, les témoignages des fans, les actualités… bref il essaie de coller au plus près à l’évènement dans sa dimension historiale. Tel qu’il a été vécu, ressenti, et rapporté en son temps.

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    Harbinson, est comme l’araignée, il tire sa toile de lui-même et ne se préoccupe que de sa proie. Mot mal choisi, Elvis n’est pas sa victime mais son sujet d’étude. Il essaie de comprendre comment Elvis fonctionne. Il évite de déduire hâtivement. Il analyse longuement. Il ne retient que les détails significatifs. Il ne surfe pas sur l’écume des choses ou sur la mousse qui se forme sur la crête des vagues dégagées par un hors-bord lancé à toute vitesse. Sa caméra reste bloquée sur Elvis. Au tout début, Elvis, sa mère, son père, la misère en arrière-fond, c’est tout. Les enregistrements chez Sun : exit le couplet laudatif d’au minimum une demi-page sur Sun et Sam Phillips, il cause d’Elvis avant tout. L’est le cœur du livre. Le seul problème digne d’intérêt.

    Comment résoudre le mystère Elvis. Dans l’équation Elvis n’est pas l’inconnue, puisque notre Elvis sait très bien qui il est. Vous non. Mais vous n’êtes pas le sujet du livre. Elvis est un phénomène, comme toute chose qui apparaît au monde. Un brin d’herbe ou une girafe par exemple. Je déteste qu’on m’interrompe quand j’écris, mais j’entends vos récriminations, s’il n’y avait pas eu le Colonel, Elvis ceci, Elvis cela. Mais le titre de ce bouquin n’est pas : Le Colonel Parker. Le Colonel, Harbinson le considère comme un trouffion de dernière classe, un bleubite pour reprendre une expression militaire, lui octroie une quinzaine de lignes. Le problème ce n’est pas le Colonel, c’est ELVIS et le colonel, ne vous trompez pas de grandeur.

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    D’abord Elvis c’est une dichotomie ambulante, un garçon sage qui exprime d’instinct et à merveille les rêves velléitaires de sa génération. Va les secouer et leur donner le (mauvais) exemple, celui de la révolte pour la conquête de l’indépendance. Ne nous lançons pas les foutaises psychanalytiques, laissez dormir en paix dans son tombeau le pauvre jumeau Aaron qui occuperait la moitié vide de la psyché d’Elvis. Oui Elvis est double. Vous avez l’artiste, celui qui réussit et qui en profite, et puis l’autre qui n’est autre qu’Elvis lui-même, Elvis est le premier qui ne prend pas Elvis au sérieux, l’a toujours un fort sentiment d’auto-dérision, certes il est le King mais le roi n’est que la résultante de ceux qui s’assujettissent à lui… Et comme il ne croit pas tout-à-fait en lui-même il n’accorde à son entourage que la confiance dont il se juge lui-même digne. Si le Colonel, et toutes les huiles qui l’entourent l’ont si facilement ‘’manipulé’’ ce n’est pas parce qu’il était un esprit faible mais une espèce de philosophe relativiste qui condescendait à se mettre au niveau de leurs volontés.

    Harbinson, décrit à merveille l’emprise managériale qui petit à petit, minutieusement transforme le rocker en artiste de variété. Disque après disque, film après film il décrit la longue transformation. Elvis n’est pas dupe, il n’y croit pas plus qu’à son personnage de rocker rugueux, mais il s’ennuie davantage dans ce rôle subalterne, il préfère s’enfermer dans sa solitude à Graceland. Il vaut mieux être seul que mal accompagné. Que l’on soit rocker ou artoche. De temps en temps un coup de tête. En 1968, c’est le retour, me voici une nouvelle fois rocker et je suis toujours le Roi, les années suivantes il revient à Las Vegas chaque fois un peu moins rocker, l’est l’american trilogy à lui tout seul, l’est l’Amérique non pas à lui tout seul mais sans personne d’autre. Harbinson arrête son livre à cette époque, pour lui c’est une espèce d’apothéose, des shows spectaculaires  qui marient et expriment toute l’americana, un point d’acmé du haut duquel Elvis Presley représente et incarne l’Amérique. Une espèce de nouvelle Statue de la Liberté, vous ne voyez que lui lorsque vous pensez ou regardez du côté de l’Amérique. 

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    De tous les livres que j’ai lus sur le King, c’est le plus profond. Celui qui donne le plus à réfléchir. Qui a su saisir Elvis de son vivant. Qui nous le restitue alors qu’il n’est pas mort, tel qu’il a été. Et tel qui n’était pas. Toute la différence entre l’existence et l’être. Qui n’a rien à voir avec l’être et le néant.

    Juste un dernier mot sur l’iconographie, en noir et blanc. Ne vous fiez pas à la couverture. Un noir et blanc qui privilégie le noir au blanc. Peut-être grâce à l’épaisseur du papier. Pas glacé, cru.

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    Ceci est ma lecture, j’en ai une autre qui me semble beaucoup moins subtile. Sans avancer que Presley était neurasthénique, beaucoup de personnes, qu’elles soient artistes, travailleuses ou rentières sont sujettes après d’intenses périodes à des retombées d’énergie que l’on nomme communément dépressions nerveuses. Ce genre de désagrément, surgissent tout aussi bien, enfin tout aussi mal, durant des périodes existentielles ennuyeuses. La carrière d’Elvis a connu des hauts et des bas, il serait peut-être intéressant de les analyser selon cette perspective. Il me semble que la mère du King a connu aussi montées et descentes d’adrénaline. Trop de misère et trop de richesse nuisent vraisemblablement au maintien d’un certain équilibre nerveux.

    Damie Chad.

     

    *

    Je n’ai jamais été très fan des Beatles, dès Sergent Pepper’s Heart’s Club Band… j’ai entendu mais je n’ai plus écouté, à l’époque j’étais plutôt branché Sones, Yardbirds, Animals, Jeff Beck… mais ceci est une autre histoire. La vidéo, très courte, que nous allons regarder, ouvrez l’œil mental, ne fait pas partie de la série des quinze précédentes (voir VanShots – Rocknroll Videos).

    Concernant Gene Vincent j’ai quelques préventions envers les Beatles, ils ne lui ont guère renvoyé l’ascenseur durant les années noires, c’est mon idée que je partage à cent pour cent.

    Il me semble que cette vidéo est tirée De l’émission The Ronnie Wood Show Radio sur Absolute Radio, dans laquelle il reçoit durant une heure nombre d’artistes, souvent de sa génération, elle daterait du 25 juin 2012. Et serait intitulée Sir Paul McCartney Special.

    Ron et Paul : sont tous deux assis, je rassure notre lectorat féminin, ils étaient beaucoup plus beaux dans les années soixante, toutefois Ronnie avec sa figure en lame de couteau a encore de l’allure.

    Paul McCartney's first record,

    Gene Vincent 'Be Bop A Lula'

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    Ron : Je pense que nous allons parler de ces premières influences et de ce qui nous a permis de démarrer, parce que je sais ton premier choix : tu t’es d’abord procuré un disque de Gene Vincent. Paul : oui c’est le premier disque que j’ai acheté, et vous savez en ces temps-là, je partage cet avis avec les Beatles, nous avons réalisé combien était important pour les gens d’acheter un disque, car nous n’avions pas beaucoup d’argent, vous réfléchissiez à cet achat vraiment précieux, c’était tout votre argent de poche de la semaine qui partirait dans ce disque, Ron : il circulait de main en main chez vos potes, Paul : exactement, où est mon disque, et tu me le rends quand, vous ne le revoyiez pas toujours, Ron :d’accord moi-même je ne le rendais pas toujours, Paul : mais tu sais, j’aimais tellement Gene, c’était dans le Film The Girl can’t help it (La Blonde et Moi), aujourd’hui encore un de mes films favoris, nous l’avons enfin vu chanter avec les Blue Caps, et j’ai tellement aimé ce truc, c’était juste un disque

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    magnifique, Ron : tu sais j’étais au Hall of Fame à Cleveland, les Blue Caps étaient intronisés, c’était réellement mérité, j’ai pensé alors à cette époque, à ces vieux et fabuleux Blue Caps et aussi aux Comets de Bill Haley, et les Miracles, et tout ce tas de petits groupes géniaux,  ils comptaient beaucoup pour moi, ils nous ont  vraiment marqués et influencés, Paul si tu voulais nous jouer Be Bop A Lula, (séance coupée ) Paul : quand as-tu joué avec Gene, Ron : je l’ai vu dans un  Aim Court Ballroom, (chaîne de clubs de danse) loin dans le Cumberland, en pleine cambrousse, quand je suis rentré dans le vestiaire, il  m’a raconté des histoires sur Peter Grant, qui  était portier ,dans les escaliers Gene avait un revolver, Grant était à genoux, à lui lécher les bottes, ‘’tu pouvais lui faire lécher les bottes’’ en tout cas une histoire vraiment

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    hilarante, à me faire sortir du vestiaire ! Paul : nous avons assisté à un incident de ce genre quand nous étions à Hambourg, il pensait que sa girl-friend le trompait, il nous a demandé de rentrer avec lui à l’hôtel, il frappe à la porte ‘’Margie, Margie’’, nous lui conseillons de parler un peu plus fort,  Gene avait sa petite voix, tu vois, il était en train de tapoter à la porte de Margie, ‘’tu es là, je le sais’’   il frappe un peu plus fort  puis encore plus fort,  il crie ‘’ elle est  là, je suis sûr qu’elle est là avec un homme’’, finalement elle ouvre la porte, il n’y a personne avec elle, elle tient un rouleau, il est en plein délire, il entre, il se calme, Ron : on a dit qu’il était paranoïaque  Paul : oui, on a parlé d’une paranoïa précoce, il se rapproche de la table de nuit, il sort un pistolet, ‘’ Salut Gene à la prochaine, on te laisse chez toi, on se tire tout de suite, on adore ta musique !’’.

    Transcription Damie Chad.

     

    *

             Au mois de mars 2021, mon œil de lynx a été attiré par une couve. On n’y voyait pas grand-chose. Ce n’est qu’en y retournant que j’ai aperçu quelques minuscules points blancs. J’ai des excuses, hormis deux espèces de trucs indéterminés sur les côtés, c’était tout noir. Une noirceur absolue. Une espèce de gouffre sans nom. Soit, vous partiez en courant. Soit, vous y retourniez. Au début, j’ai cru que les points blancs devaient être un pointillé de poussières indues sur mon écran. J’ai essayé de les décoller avec mon index. Echec, ils faisaient donc partie du dessin. J’ai enfin pris le temps de déchiffrer le nom du groupe, fasciné par cette noirceur métaphysique je ne l’avais même pas remarqué. Tout de suite, j’ai compris. Ces six points blancs étaient les yeux de la bête canine qui défend les portes de l’Enfer. Vous êtes peut-être comme moi, chaque fois que l’on m’interdit d’entrer, il faut que vous alliez voir. Je n’ai pas été déçu de mon voyage. Or, voici une double surprise, je retrouve le groupe que j’avais apprécié, mais il n’est pas seul. Un split ! Partant du principe : qui s’assemble se ressemble…

    MALEMORT & CERBERE

    AIMLESS / GLACE MERE

    ( CD-Vinyl /  2025)

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    Un petit conseil : si vous avez le nez collé sur la couve vous vous demanderez ce qu’elle représente, reculez-vous, glissez un regard de biais et tout s’éclairera. Pardon, tout s’assombrira. Une tête de mort. Inutile d’attendre un clin d’œil, ses yeux vides ne font même pas semblant de vous regarder. Une présence. Un signe. Cette couve est signée de Thom Dezelus. Dans la série on n’est jamais mieux servi que par soi-même  nous le retrouvons tout de suite.

    Thom Dezelus : bass / Baptiste Reig : drums / Baptiste P : vocal, guitare.

    Nos trois lascars participent aussi à d’autres groupes : Frank Sabbath, Ragequit, Hallebardier.

    Viennent de Paris, sont partie prenante du label collectif : Chien Noir. Excellent nom pour un label doom. Rappelons que Chien Noir nous le rencontrons dans L’Île au trésor de Stevenson, Chien Noir est le pirate qui vient rendre une visite amicale au vieux Capitaine Billy Bones, sa visite annonce la tache noire que plus Blind Pew remettra au capitaine… doom, piraterie et mort imminente sont des mots de couleur noire qui vont très bien ensemble.

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    Glace Mère : (Face B) : est-ce du vent ou quelque chose de plus profond, serait-ce le blizzard sur les étendues du pôle Sud, nous opterons pour les solitudes glacées intérieures, l’extérieur n’est-il pas une simple projection, une image incertaine loin des abysses qu’elle est censée représenter, klaxons d’icebergs et souffles rauques des colères rentrées lorsque agrippées aux parois verticales glacées l’on a plus la force d’avancer, nos poings battériaux  frappant sans répit la croûte de glace dans laquelle nous sommes bloqués en nous-mêmes, qui nous empêche de nous extraire de nous-mêmes alors que nous savons très bien qu’il n’y a pas d’issue car nous sommes dans

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     notre capsule temporelle et que nous sommes nous-mêmes non pas notre propre lieu mais le lieu en lui-même, chappes de guitares isolantes qui tombent comme ces grandes gelées subites qui ont emprisonné en une fraction de seconde les mammouth colossaux que l’on retrouve dans les étendues sibériennes la bouche encore pleine de feuilles qu’ils s’apprêtaient à mâcher, la guitare sous forme de sirène de bateau qui hurle en vain dans l’étau d’une banquise fractale, la basse s’acharne, nous savons bien qu’ailleurs l’herbe n’est pas plus verte, pour la simple et seule raison qu’il n'y en a jamais eu sur cette terre qui elle-même n’existe pas, que les mammouths ne sont que nos icebergs intérieurs que nous manipulons comme des jouets, car nous aimons jouer avec nos phantasmes, l’on croyait que ce n’était pas possible de ressentir l’imminence rampante d’un danger qui se rapproche, le vent, le vent, rafales de mort

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     qui déferlent et nous glacent d’horreur, pourquoi tant de cauchemars, puisque nous sommes seuls et ces hurlements quels sont-ils, des clameurs sauvages à imaginer que nos pensées sont devenues vivantes qu’elles se ruent sur nous, qu’elles nous attaquent, qu’elles montent à l’assaut de notre citadelle intérieure, qu’elles tournoient autour de nous comme  vols de corbeaux enivrants, nous voici maintenant enkystés dans nos rêves d’évasion impossible, puisque nous sommes notre propre évasion, que nous modelons l’irréalité de nos songes comme de la neige molle qui coule dans nos doigts, le monde se défait et se reconstruit indéfiniment comme le sable d’un sablier qui s’enfuit ou s’amasse selon que nous le retournons,  nous y prenons plaisir, même si le sable lui-même gèle et reste coincé dans son goulot d’étranglement, qui nous ressemble tant, de même que ce que nous   proférons dans nos délires les plus surréalistes, selon lesquels, dehors, ceux qui meurent de froid ressentent une douce et bienheureuse chaleur les envahir, est-ce pour cela que la musique monte en ébullition et nous rend heureux. Retour dans le ventre maternel. Qui n’est que nous-mêmes.

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    *

             Première fois que nous rencontrons Malemort. Se dénomment aussi The True Malemort. Viennent de Rouen, ils sont soutenus par le label La Harelle un collectif qui regroupe les formations : Sordide, Mòr, Void Paradigm et Iffernet. Rappelons que la bonne ville de Rouen connut en 1382 une violente révolte contre la rapacité de l’augmentation royale des impôts indirects sur le sel et le vin… qui dégénéra très vite  en une espèce (prémonitoire) de ce que plus tard Marx, théorisa sous le concept de guerre de classes. Charles VI y mit bon ordre…  Comme quoi la révolte vient de loin. Félicitations à ce label local d’avoir choisi cette appellation très rock’n’roll…

    Derelictus : bass, voval / Ausrah : guitar, vocal / Nemri : drums, vocals.

    Ils n’ont sorti qu’un album quatre titres en août 2017, nommé : Individualism, Narcissism, Hedonism… tout un programme… Nos trois âmes sans but participent à plusieurs groupes aux noms charmants : Sordide, Ataraxie, Mhönos, Monarch.

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    Aimless : (face A) : une note, ô joie, n’exultons pas, les suivantes ne se pressent pas pour arriver, silence entre elles jusqu’à ce que ne tombe une espèce de lame de guillotine grandiloquente qui se répète au même rythme que les premières notes, une voix s’élève, peu ragoûtante, comme quelqu’un qui retient son vomi glaireux dans sa bouche, l’est comme un crapaud perdu sur une feuille de nénuphar sans fard, quand il se tait, l’on n’en  est pas plus soulagé car le doom-stuff se traîne à terre comme une vomissure qui coule sur le sol, d’abord très lentement puis plus rapidement, elle prend de l’épaisseur, une langue immense sortie de son palais natal pour proférer des paroles de haine et de malheur, une espèce d’égosillement de gosier qui dégueule son

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     gésier dans l’évier du monde qui peu à peu se remplit de cette laideur, de cette hideur, coups de batterie, bruits de fond de la basse, grésillements de guitares, c’est toute la tristesse du monde qui dégueule sur vous, une véritable douche fétide, la croûte s’enroule autour de vos jambes, elle grimpe, toute visqueuse elle s’accroche et adhère à votre torse, une trompe mugit, vraisemblablement pour vous avertir du danger, mais peut-être veut-elle clamer sa propre perdition, l’on n’entend plus qu’elle mais voici des pas lourds qui s’approchent, se dirigent-ils vers vous ou simplement vous ignorent-ils, juste pour vous donner une idée de votre insignifiance, et le dégueulis vous submerge, il entre dans votre bouche, ne serait-ce pas le seul

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    endroit qu’il connaisse, son berceau natal en quelque sorte, tout se précipite, peut-être pour être un témoin oculaire votre noyade, votre asphyxie mentale ne dure-t-elle que quelques secondes mais ils tentent de nous donner à entendre comment vous la vivez, un truc cataclysmique qui n’est pas autre chose que votre rencontre avec l’éternité, une espèce de triomphe, un acte victorieux, quelque chose qui submerge le monde entier et le recouvre de son propre accomplissement dont vous êtes le vecteur. C’est terminé, mais la musique ne veut pas cesser, elle prend son temps, elle veut une belle mort dont les auditeurs seront les témoins assermentés.

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             Plus noir que noir. Certains jugeront l’écoute de ces deux morceaux difficiles. C’est parce qu’ils ne savent pas discerner l’horrible beauté du monde. Deux groupes underground sans concession.

    Comme nous les aimons.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 715 : KR'TNT ! 715 : VALERIE JUNE / LUKE HAINES / JOUJOUKA / M WARD / CHARLATANS / LES PIRATES AVEC DANY LOGAN

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 715

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 12 / 2025

     

    VALERIE JUNE / LUKE HAINES  

    JOUJOUKA / M WARD / CHARLATANS

    LES PIRATES AVEC DANY LOGAN

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 715

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Moon in June

    (Part Two)

             L’avenir du rock survolait la jungle du Congo à bord de son petit bi-moteur, quand soudain, il entendit le moteur de gauche s’étrangler. Rrrrcrrrrrrhhh. Il tenta de redresser l’avion. Zpffffff ! En vain. L’engin piqua droit dans la jungle. Pffffuuiiiiiihhh ! Pas le temps de recommander son âme à Dieu. De toute façon, il n’en avait pas. Scrrrrratch-bhammmm ! Allez hop à dégager. La nuit était tombée lorsqu’il reprit ses esprits : un gros serpent cherchait à entrer dans sa bouche restée ouverte. Arrrrhhhhhhhh ! Fou de dégoût et de rage, il l’arracha de sa bouche, schhhhplop!, et le jeta au loin. Splishhhh ! Il faisait nuit. L’avion s’était encastré dans un baobab et le cockpit avait explosé. Il bougea les bras et les jambes pour checker les dégâts. Apparemment, il n’avait rien de cassé. Il se félicita : «Gros veinard !». La jungle semblait devenue folle. Tous les animaux criaient et chantaient. Crrrouahhhhh crouahhhhhh ! Il décida d’attendre le lever du soleil pour quitter l’épave. Il se doutait bien que tous les prédateurs de la jungle cherchaient un casse-croûte. Valait mieux rester prudent. Il sortit de l’épave au petit jour et se demanda où il allait pouvoir prendre un café. Comme il ne savait pas se servir de sa boussole, il partit dans une direction qui lui sembla être la bonne. Il n’avait pas non plus de machette pour singer ces gros frimeurs d’explorateurs, alors il brisait les branches à coups de karaté. Il tomba nez à nez avec un tigre du Bengale qui semblait aussi paumé que lui. Visiblement le tigre cherchait la direction du Bengale, alors l’avenir du rock lui fit signe : «Bengale ! This way !». Le tigre grogna, rrrrrrhhhhhh !, hocha la tête en guise de remerciement et s’enfonça dans les fourrés. Un peu plus tard, l’avenir du rock tomba nez à nez avec King Kong qui semblait encore plus paumé que le tigre du Bengale. Visiblement, il cherchait la direction de New York. L’avenir du rock lui fit signe : «New York ! This way !» King Kong gronda, rrrroarrrrhhhhh !, hocha la tête et partit dans la direction indiquée. Toutes ces rencontres lui mirent au baume au cœur. Il trouvait la jungle plutôt sympa. Il arriva au bord d’un petit cours d’eau et les crocodiles lui firent un petit signe amical : «Hello !», mais l’avenir du rock s’en méfiait quand même. Puis il vit arriver au bout d’une liane un gros m’as-tu vu en maillot de bain panthère. «Qu’est-ce que c’est que ce frimeur ?» se demanda l’avenir du rock. L’OVNI se posa souplement à quelques mètres et lança d’une voix de stentor :

             — Moi Tarzan !

             À quoi l’avenir du rock rétorqua :

             — Moi June !

     

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             L’avenir du rock parle bien sûr de Valerie June. Pour parvenir à ses fins, il fallait bien qu’il s’écrase dans la jungle.

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             Si t’aimes bien tomber de ta chaise et t’écraser sur ton parquet, alors écoute le nouvel album de Valerie June, Owls Omens And Oracles. Ça démarre sur une pure merveille de flash-out, «Joy Joy» - Joy joy in your soul - Et t’as les poux du rock. Il s’appelle M Ward ! Puis Valerie fait les Ronettes avec «All I Really Wanna Do». Elle tape en plein dans l’extrême power des Ronettes. Tu te pinces car tu crois rêver. Un certain M Ward signe la prod. Et ça continue avec «Endless Tree». T’es frappé par l’extraordinaire power de la clameur. Quand Valerie chante «Trust The Path», tu lui fais confiance - You gotta trust the path - et elle fait sa Fatsy avec «Love Me Any Ole Way», suivie par une trompette. T’as toute l’énergie de Fats Domino et ça claque des mains dans les profondeurs du Big Easy. C’est exceptionnel de génie productiviste ! Elle a derrière elle les Blind Boys Of Alabama sur «Changed», et elle y refait sa Ronette. Puis elle tape «My Life Is A Country Song» au plus haut niveau d’accent tranchant. Elle s’appelle Valerie June. Memphis girl.

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             Laura Barton la salue bien bas dans Uncut. Valerie June n’est pas une oie blanche : 43 balais et déjà 20 ans de carrière under the belt. Elle a bossé avec Booker T. Jones, Carla Thomas, Mavis Staples et bien sûr l’inévitable Dan Auerbach qui, comme Bono, ramène sa fraise partout, même quand on ne l’a pas sonné. Œil-de-lynx Barton voit dans June in Moon du blues, du gospel, de l’Appalachian folk with a touch of soul and Americana and R&B. Hé ben dis donc ! Ça va beaucoup plus loin, ma pauvre Barton. Moon In June a du génie. Elle est agaçante, cette journaliste : elle essaye de nous faire passer Moon In June pour une positiviste végan parce qu’elles se rencontrent dans un restaurant végan new-yorkais. Fuck it ! Le son de Moon in June n’a rien à voir avec le végan new-yorkais.

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             M Ward se dit fasciné par la voix de Moon in June - A very fearless singer, a very fearless songwriter - Elle se dit prête pour partir à la conquête de l’Asie Mineure. Quelques éléments autobiographiques épicent un peu l’article : à ses débuts, Moon in June apprend à jouer de la guitare, du banjo, du lap-steel, et dans les festivals, elle rencontre ses blues heroes, David Belfour et T-Model Ford. Elle étudie les voix de ses héroïnes : Jessie Mae Hemphill, Elizabeth Cotton et Ma Rainey. Elle se dit aussi attirée par le dark singer-songwriter stuff, Elliott Smith, Townes Van Zandt et Leonard Cohen. Elle rencontre George Clinton à Cuba et Mavis Staple lui demande une chanson positive pour son album Livin’ On A High Note, produit par M Ward. Elle est aussi en contact avec Carla Thomas qu’on entend sur The Moon And Stars. Moon In June l’avait invitée au Royal Studio de Boo Mitchell, à Memphis, et elles ont enregistré ensemble «Call Me A Fool».

             Si Moon in June et M Ward s’entendent si bien, c’est que sa voix à elle et sa prod à lui ont une «similar out-of-time quality». Bien vu, Barton ! Ils ont quand même fait venir Norah Jones et les Blind Boys Of Alabama. C’est pas rien.  

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             Et toi, elle te fait venir au New Morning. Alors c’est sûr, t’auras pas la prod d’M Ward, mais t’auras la pulpe de June. On lui a installé des fleurs sur scène, deux grattes et deux banjos dont un baby banjo. Et Valerie arrive dans une robe en lamé et des fleurs dans les cheveux. Elle installe vite fait sa magie. Elle communique énormément avec son public. Les gens qui sont là sont tous des fans, ça s’entend. Quand elle claque des doigts, ils claquent des doigts. Quand elle demande un ouh-ouh, elle a un ouh-ouh tellement beau qu’elle en pleure d’émotion. Et quand elle attaque «All I Really Want To Do» à la voix perchée, t’es ravagé par des bataillons de frissons. Elle chante avec le feeling le plus perçant d’Amérique, depuis celui de Billie Holiday. Elle n’a pas le son des Ronettes mais elle a tout le feeling de Ronnie.

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    C’est hallucinant de qualité, même chose avec le «Joy Joy» qui suit, elle t’embarque et tu tournicotes dans son merry-go-round, elle  rajoute des fins poignantes qui te traversent de part en part, elle tape tous les cuts d’ Owls Omens And Oracles en version stripped-down et ça t’en bouche coin après coin, tu savoures le privilège d’assister au récital de cette immense superstar. Même dépouillé de la prod d’M, «I Am In Love» berce ton cœur de langueurs monotones, les vraies, celles de Verlaine, pas les langueurs à la mormoille. Valerie est trop puissante pour ta petite cervelle, elle est la réincarnation de Billie Holiday, pas de doute, elle module ses syllabes avec le même mouillé de ton, le même génie intimiste. Et puis elle attrape sa Guild pour gratter le «Shakedown» de Memphis et là elle te ramène tout le North Mississsippi Hill Country Blues, via l’Afrique de Junior Kimbrough et des frères Dickinson. Là t’as tout, le rock, le blues, l’Afrique, les roots, la magie, le voodoo et elle gratte tout

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    ce qu’elle peut en accords ouverts et ça bascule dans la folie. Elle attrape ensuite son baby banjo pour taper une version poignante de «What A Wonderful World», en rappelant que les blackos d’Amérique ont passé un sale moment dans les pattes des blancs. Cette diablesse te broie le cœur à chaque instant, ce qui rend le set éprouvant. Depuis Louis Armstrong et Joey Ramone, on n’avait pas entendu une version aussi pure, aussi lumineuse de ce Wonderful World. Puis elle va rendre hommage à Lightning Hopkins avec «Life I Used To Live». C’est le grand retour au point de départ, là où le rock prend sa source, dans le monde magique des fils d’esclaves. Il se pourrait bien que Valerie June soit la nouvelle reine des Amériques, car si tu l’as vue rocker le boat avec son «Life I Used To Live», tu n’as plus aucun doute. Elle fait

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    même déraper ses syllabes dans les virages. Elle se paye encore un quart d’heure de folie avec le vieux «Roll & Tumble Blues», puis avec un nouveau shoot de wild rumble, «Workin’ Woman Blues». Elle vise l’hypno de North Mississippi Hill Country Blues, elle reprend la suite de Tav Falco et de Mississippi Fred McDowell. En rappel, elle fait chanter la salle sur «Somebody To Love» et deux cuts plus tard tu te retrouves dans la rue des Petites Écuries complètement sonné. 

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             Valerie June fait aussi la couve d’un récent numéro de Soul Bag. Dans l’interview, elle évoque (trop) brièvement M Ward qu’elle a fini par rencontrer au Newport Folk Festival. Elle rappelle aussi qu’M a produit un album de Mavis Staples, High Note. Dommage qu’elle ne parle pas davantage d’M Ward. C’est quand même lui le sorcier du son, sur Owls Omens And Oracles. Et les questions ne sont pas bonnes, trop à l’eau de rose, axées sur le positivisme dont on se contrefout, alors que Valerie chante Lightning Hopkins. C’était l’occasion rêvée d’évoquer la scène de Memphis. Et ça téléramate ! Quel gâchis ! Valerie termine en saluant quelques contemporains, Gary Clark Jr., Buffalo Nichols, Joanna Newson, Sunny War, et Grace Bowers de Nashville. Elle dit que la relève est assurée. 

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             Dans l’interview, elle évoque son mini-album de covers, Under Cover. Bizarrement, elle n’y tape que des cuts de blancs, à commencer par le «Pink Moon» de Nick Drake. C’est pas si bon. Elle perd ses roots. Puis elle tape dans le «Fade Into You» de Mazzy Star et elle fait sa Hope en ramenant son sucre, mais on préfère Hope. Ça devient plus intéressant avec l’«Imagine» de John Lennon, mais là ça sonne comme une tarte à la crème, même si la compo est magique. Valerie June lui donne de l’impulsion, c’est le moins qu’elle puisse faire. Ses accents sont poignants de véracité, mais on préfère la version originale. Elle fait ensuite sonner le «Don’t It Make You Want To Go Home» de Joe South, elle y injecte un gros shoot de feeling, et là ça prend du sens. Elle s’en va ensuite piquer sa petite crise Dylanesque avec «Tonight I’ll Be Staying Here With You». Elle tape ça d’une voix perçante, c’est heavily orchestré, avec de la slide à outrance, et ça sent bon le coup de génie. Elle termine an transformant l’«Into My Arms» de Nick Cave en Beautiful Song.

    Signé : Cazengler, Valériz complet

    Valerie June. Le New Morning. Paris Xe. 30 novembre 2025

    Valerie June. Owls Omens And Oracles. Concord Records 2025

    Valerie June. Under Cover. Fantasy 2022

    Laura Barton : Sister of the moon. Uncut # 337 - April 2025

    Ulrick Parfum : Valerie June. Soul Bag # 259 - Juillet août septembre 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Luke la main froide

     (Part Seven)

             L’avenir du rock est de retour dans l’hiver du Colorado pour une semaine de vacances bien méritées. Il avance en chantonnant, pom pom pom, respirant à pleins poumons le bon air frais. Ah tiens, voilà un cavalier ! Sa silhouette se dessine au loin. Au moins, c’est pas un Crow. Il porte un chapeau. Il approche rapidement. C’est un blanc. Pas très beau. Même assez laid. Un gras du bide dans un costard d’un blanc douteux et tout fripé. Mieux vaut pas savoir ce que sont toutes ces taches. Et comme de bien entendu, il a une bonne cinquantaine de flèches plantées dans le dos. L’avenir du rock lui fait le salut indien en levant la main droite :

             — Ugh !

             Le gros crache un long jet de chique et descend de cheval. Les flèches plantées dans son dos cliquettent entre elles et font un sacré raffut. Comme l’avenir du rock n’aime pas les escrocs, il interpelle le gros vertement :

             — Si vous essayez de vous faire passer pour Jeremiah Johnson, c’est complètement raté, gros con ! Au moins Jeremiah Johnson, il est beau, il est magnifique, il fait plaisir à regarder, ce qui est loin d’être votre cas, gros lard ! Dégoûtant personnage ! Honte de l’humanité !

             Le gros se tourne vers l’avenir du rock et lance d’un ton bluesy :

             — I’m going down to the river to blow my mind !

             L’avenir du rock ne comprend pas où ce gros lard veut en venir.

             — Quelle rivière ? Ya pas d’rivière dans l’coin !

             Le gros sort de sa sacoche des tupperwares et s’assoit dans la neige. Il étale une grande nappe à carreaux et sort une palanquée d’œufs durs qu’il compte un par un. Ça n’en finit pas ! Soixante ! Et il commence à les gober méthodiquement un par un. Excédé, l’avenir du rock lance d’un ton perfide :

             — Ah ouais, c’est ça ! Vous connaissez tous les rôles par cœur ! Maintenant vous me faites le coup de Luke la main froide ! Mais Paul Newman est bien plus beau que vous, gros con !

             Entre deux œufs, le gros rétorque :

             — Je suis Luke la main froide !

     

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             Luke la main froide n’est pas beau, c’est vrai, mais il est assez génial. Il te met encore la main au colbac avec un album absolument magistral : Going Down To The River To Blow My Mind. T’y peux rien, c’est comme ça. Elle n’est pas belle la main froide, mais diable comme elle est brillante. En plus de son copain Buck, il a Linda Pitmon au beurre. C’est la copine du Wynner. Tu tombes vite de ta chaise avec le morceau titre, attaqué à la vieille alerte rouge. Ils mettent le feu au cut, c’est gratté dans l’urgence de la démence, la main froide veut absolument se blower le mind et ça marche au-delà de toute expectitude. La main froide a toujours dans la voix ses vieux échos d’Auteur. Elle chauffe encore bien l’hot stuff d’«Hot Artists» à coups de push the ladder et ça dégénère encore avec l’imparable «56 Nervous Breakdowns». Ils ont du son à gogo et des clap-hands. La main froide mène la grande vie. Ça sonne comme un hit bien enroulé de rock anglais. Encore de la fantastique énergie sous-tendue dans «Sufi Devotional». Elle chante en sourdine, la main froide, et derrière t’as une énorme machine. On se croirait sur le premier album des Auteurs avec «Children Of The Air». Puis avec «Nuclear War», ils passent sans prévenir en mode heavy gaga insistant. La main froide chante cette merveille éhontée sur un ton confidentiel. Il faut bien comprendre que Luke la main froide est l’un des héros de rock anglais, au même titre que Lawrence, Big Billy et le Ginge. Linda Pitmon tape bien la cloche de «Me & The Octopus». C’est une vraie mère tape-dur. Ah la garce, il faut la voir cogner ! Cet album est l’un des plus excitants de l’année. T’es collé au mur en permanence. Back on the saddle again avec «Radical Bookshop Now». La mère tape-dure reprend du service. Et le cut sonne comme un hit. La main froide fait venir Morgan Fisher sur «Special Guest Appearance». Le vieux Mott essaye de faire du Mott à coups de who-oh-oh.

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             T’as énormément d’énergie sur cet album, ce mix de Buck et de main froide te percute l’hallali, ils s’arrangent pour te balancer des cuts tous plus excitants les uns que les autres. La main froide se cale toujours dans l’entre-deux des Who et des Stones, mais il sait aussi couler des bronzes de groove comme «Sufi Devotional». Elle sait aussi rocker un boat à l’anglaise, comme le montre «Nuclear War», cette petite merveille de rock action. Ils développent un son faramineux qu’on croyait perdu, mais heureusement, la main froide veille toujours au grain.

    Signé : Cazengler, Lancelot du Luke

    Luke Haines & Peter Buck. Going Down To The River To Blow My Mind. Cherry Red Records 2025

     

     

    Faut pas faire joujou avec Joujouka

    - Part Two

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             Dans Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer : Dancing In Your Head, Robert Palmer consacre un texte majeur à Jajouka, un village marocain situé à environ 100 bornes au Sud de Tanger, et à Bou Jeloud, la réincarnation du dieu Pan. Palmer y cite deux ouvrages en référence : celui de Stephen Davis, paru en 1993, Jajouka Rolling Stone: A Fable Of Gods And Heroes, et celui de Michelle Green, paru en 1991, The Dream At The End Of The World: Paul Bowles & The Litterary Renegades In Tangier. On s’est penché la semaine dernière sur le premier. Penchons-nous aujourd’hui sur le second.

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             The Dream At The End Of The World est un rock book, au même titre que Jajouka Rolling Stone. Michelle Green ne fait allusion aux Rolling  Stones qu’une seule fois, vers la fin de son récit, mais ce n’est pas son propos : elle nous éclaire sur trois des pionniers qui ont précédé Brian Jones à Tanger : Paul Bowles, Brion Gysin et William Burroughs. Et le plus rock des trois est bien sûr William Burroughs. La culture rock plonge ses racines dans l’histoire littéraire.

             Michelle Green est extraordinairement bien documentée. Elle est parvenue à reconstituer l’atmosphère de cette ville marocaine qui fut pendant trente ans, des années 30 aux années 60, le refuge et le paradis de ceux qu’on appelait alors les ‘dépravés’, c’est-à-dire les amateurs de jeunes garçons et de paradis artificiels. Michelle Green les appelle ‘les renégats’. Pour eux, «the International Zone of Tangier was an enigmatic, exotic and deliciously depraved version of Eden.» Elle précise encore : «European émigrés found a haven where homosexuality was accepted, drugs were readily available and eccentricity was a social asset.» Tu ne peux pas rêver ville plus littéraire.

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             Ce gros book avoisine les 400 pages. À voir la tranche, on voit que les pages ont été coupées. Publié en 1991, l’objet sent bon le vécu. La jaquette s’orne d’un beau portrait de Paul Bowles. C’est lui le pionnier. Il fonctionne comme un aimant. Il attire tous les autres : Truman capote, Tennessee Williams, William Burroughs, Brion Gysin, Allen Ginsberg, et Jack Kerouac, quasiment tout le mouvement Beat américain.

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             Michelle Green va faire un hallucinant focus sur Burroughs qu’on surnomme «El Hombre Invisible», l’homme qui «stick a needle every hour in the fibrous gray wooden flesh of terminal addiction», mais qui écrit aussi Naked Lunch et Super Nova. Burroughs ne vit que de «kif and hash and opiates like Eukodyl», que les pharmaciens délivrent sans ordonnance. Michelle Green précise encore que seuls les forts caractères pouvaient survivre dans ce moral chaos. Les gens ne sont à Tanger que pour «explorer la vie à l’extérieur des frontières de la civilisation et des conventions sociales, et même de la moralité.»

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             Paul Bowles écrit The Sheltering Sky alors qu’il traverse le Sahara. Michelle Green voit ce texte comme une collaboration entre Albert Camus et Edgar Allan Poe, les deux auteurs que Bowles admire. Elle parle d’un mélange de désespoir existentiel et de glamour, et pour ses lecteurs, Bowles devient un oracle. Il dit avoir consommé du majoun (a potent cannabis jam) pour l’écrire - les romantiques virent Bowles comme un latter-day Coleridge - et les hipsters le savaient en lien avec une autre icône, William Burroughs. Voilà, le décor est planté.

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    Jane and Paul Bowles

             Bowles et à la fois musicien et écrivain. Il a pour mentors Gertrude Stein et Aaron Copland, qu’il rencontre à Paris en 1931. Il profite de ce voyage pour rencontrer Gertrude Stein, Jean Cocteau, André Gide et Ezra Pound. À 34 ans, il compose un opéra surréaliste, The Wind Remains. Il traduit l’Huis Clos de Sartre en anglais, et à 37 ans, ce New-Yorkais décide de partir à la recherche d’un new creative terrain, en compagnie de sa femme, Jane Bowles, qui est elle-même écrivaine. Comme ils n’ont plus d’attirance l’un pour l’autre, ils se lancent dans des relations homosexuelles. Paul reste discret, mais Jane s’exhibe. C’est une excentrique new-yorkaise. Paul ne cache pas son admiration pour Jane : «Her mind could have been invented by Kafka.» Ils ne sont pas encore très connus, à cette époque, mais ils sont «famous among the famous.»

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    Paul Bowles

             Paul Bowles subit son premier grand choc culturel avec la découverte de Fez, qui est restée une ville du moyen-âge - Everything is ten times stranger and bigger and brighter - Il dit avoir quitté le monde. Il consomme de l’opium et assiste aux «frenzied rites of religious brotherhoods.» Puis il découvre le Sahara, «where the sky had a life of its own», et ce ciel sera la base de The Sheltering Sky. Paul Bowles voyage en quête d’inspiration. Et pour ça, le Maroc et l’Algérie sont les meilleurs endroits du monde. Pendant l’hiver 1933, il voyage inlassablement, dans les bus bondés ou à dos de chameau - He found North Africa to be populated by the most extraordinary people he had ever known - Le kif, le majoun et le hash assouplissent encore la nature de cette réalité. Il voit l’envers du miroir. Pour écrire la scène de la mort de Port, dans The Sheltering Sky, Paul s’achète dans la médina «a large chunk of majoun», pour dix pesetas. «It was the cheapest kind». Il monte sur une colline et s’installe sur un rocher. Il teste et soudain le majoun kicke - The effect came upon me suddenly, and I lay absolutely still, feeling myself being lifted, rising to meet the sun. Then I felt that I had risen so far above the rock that I was afraid to open my eyes. In another hour, my mind was behaving in a fashion I should never have imagined possible - Norman Mailer va saluer la parution du Shetering Sky : «Paul Bowles opened the world of Hip. He let the murder, the drugs, the incest, the death of the Square, the call of orgy, the end of civilization.» Michelle Green ajoute que personne ne pouvait nier sa «dark vision». Bowles «had created a world where hope was moribund and life was lived in extremis.»

             Bowles se régale intellectuellement de Tanger - To a writer imbued with a finely developped appreciation for the absurd, Tangier was paradise - Son but avoué est d’échapper à la «Western civilization». Quand il amène son protégé Ahmed à New York, celui-ci décide que cette ville «was a vast illusion created by evil djinns». Et quand une blanche ose dire à Ahmed qu’il est cinglé, celui-ci la gifle et la traite de chameau - he called her «a camel»

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             Et voilà que débarque Truman Capote, devenu célèbre en 1948, avec son premier roman Other Voices Other Rooms. Il n’a que 24 ans. On le fête à Paris. Michelle Green cite Colette, Dior, Cocteau, Camus, Noël Coward, Somerset Maugham, Nathalie Barney et Alice B. Toklas parmi ses admirateurs. Mais à Tanger, personne ne le connaît et ça le déprime. Paul Bowles garde ses distances avec Capote - He was terribly supercifial and amusing and not the sort of person you’d pick to be a good friend - Capote explique à ses interlocuteurs qu’il a déjà tous ses futurs livres en tête. Bowles : «They were all there in his head, like baby crocodiles, waiting to be hatched.» Capote ne tiendra pas longtemps à Tanger. Il va vite regagner l’Europe et mettre les gens en garde contre cette ville : «Tangier is a basin that holds you.» Bowles par contre s’y trouve très bien.

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             Il expérimente les drogues. Il cherche surtout à explorer l’inconscient. Il avait testé les drogues lors d’un séjour au Mexique. Il sait que le majoun demande une totale soumission, et que le kif «put a spin in reality», ce qui facilite l’accès à la fiction. Un proverbe arabe dit que de fumer une pipe de kif avant le breakfast donne à l’homme la force de cent chameaux in the courtyard.  Bowles reprendra l’expression pour en faire le titre d’un livre : A Hundred Camels In The Coutyard. Les Marocains qui fument du kif sont de fabuleux conteurs et Bowles enregistre ses protégés pour en faire des livres. Michelle Green ajoute : «Cannabis only exagerated Paul’s well-developped sense of detachment, and he seemed unreachable when he was under its influence.» Quand Timothy Leary débarque à Tanger, il amène ses champignons, sous forme de pilules de psilocybine. Burroughs s’intéresse aux champignons de Leary, et aux effets qu’ils provoquent sur la cervelle. Leary prétend que la psilocybine peut supplanter la poésie en amenant de l’aesthetic pleasure more efficiently, Leary affirme que les mots et les images sont dépassés, il annonce une nouvelle ère, l’ère de la superconciousness qui va rendre l’artiste obsolète. Burroughs est d’accord, car il affirme que la poésie est «finished», alors la théorie de Leary résonne bien en lui - Leary’s notions about subverting the ego made perfect sense - À travers leurs expérimentations avec les drogues, tous ces mecs font de la recherche. C’est ce qu’il faut comprendre.

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             Paul Bowles a déjà étudié le rôle du cannabis dans la société africaine. Il révèle qu’en hiver, une famille marocaine passera une soirée hashish, le père, la mère, les enfants et les proches dégusteront le majoun et raconteront des histoires pendant des heures, il y aura des chants, des danses et des rires, dans la plus parfaite intimité. C’est toujours mieux que de regarder des conneries à la télé. Paul Bowles va devenir en quelque sorte l’apôtre de cette culture. Il publie en 1962 A Hundred Camels In The Courtyard. Il devient une sorte de gourou, même s’il paraît anachronique au moment où Tom Wolfe et Norman Mailer deviennent des stars littéraires aux États-Unis.

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    Brian Gysin à l'hôpital de Tanger

             Bowles se fond bien dans le mythe de Tanger - Life is so easy here, so cheap and the climate is marvellous. If you’re going to go to hell, you can do it more cheaply and more pleasantly than in Greenwich Village - Bowles enfonce son clou : «The only way to live in Morocco now is to remember constantly that the world outside is still more repulsive.» Toujours cette haine de la Western civilization. Il s’isole de plus en plus - Each decade I know fewer people. By 1980, life will be perfect - Quand il repart en voyage à Ceylan, par exemple, c’est Brion Gysin qui prend le rôle de ringmaster. Il reçoit par exemple des Rolling Stones, et quand Bowles rentre de voyage, Brion tient à les lui présenter, mais Bowles n’est pas très excité. Ils ne sont pas sa tasse de thé.

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             Des gens fascinants, il en a connus, à commencer par Brion Gysin. Brion débarque à Tanger en 1950, il a déjà été peintre surréaliste à Paris, hashishin en Grèce, et espion pour le compte de la CIA, mais rien n’est moins sûr. À Paris, il a fréquenté Max Ernst, Valentine Hugo, Dali,  Picasso, Gertrude Stein et Alice B. Toklas. Mais André Breton ne peut pas le schmoquer et fait enlever ses toiles d’une exposition surréaliste. Alors, Brion les expose sur le trottoir, en face de la Galerie Aux Quatre Chemins. En 1952, Brion débarque à Marrakech après un long périple au Sahara, et découvre la fameuse place Djemaa el-Fna, qu’on traduit par «The assembly of the dead», le cœur battant de la médina, où se retrouvent les Berbères du Haut Atlas, les Hommes Bleus du Sahara et les noirs de Tombouctou, du Sénégal et du Soudan - It was the liviest theater on the continent - Tous ceux qui y sont allés ont été frappé par la vie qui y grouille. Sans doute l’un des endroits les plus fascinants de la terre. On y erre pendant des heures. Mais malheur aux ceusses qui boivent le jus d’orange que proposent les marchands ambulants. Et le kif qu’on vend n’est pas du kif, mais du mauvais tabac. Ce sont les pièges à touristes.

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             Le book grouille de descriptions de Brion toutes plus flatteuses les unes que les autres. Une nommée Felicity rencontre Brion et le qualifie de «most interesting man I ever met. He was singular, unique, extraordinary, monstruous and wonderful.»  William Burroughs l’admire et le qualifie de «regal without pretention». Non seulement il l’admire, mais Brion est le seul qu’il respecte. Les monologues de Brion sont légendaires. Il tire son inspiration de sa connaissance des Grecs anciens et des Romains, de l’Egyptian Book of the Death, du folklore celtique et les religions orientales, mais aussi de ses contemporains, les Surréalistes. Robert Palmer qui est devenu son ami se souvient d’avoir entendu Brion balancer «some of the cleverest, most mordant and most provocative» propos. Petite cerise sur le gâtö : Brion a aussi une passion pour les idées neuves.

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             John Hopkins se souvient d’avoir rencontré Brion chez Paul Bowles : «Un soir, nous fumions tous du kif et Larbi a préparé du majoun. On est allés sur la falaise pour admirer le clair de lune, and everyone was stoned out of their gourds. We were talking about why we were there and Paul said : ‘We’re here to learn.’ Brion said : ‘No, we’re here to go.’» Puis Brion et Burroughs se mettent à bosser les cut-ups ensemble - Même les expatriés qui trouvaient leurs experiments incompréhensibles étaient fascinés par leur creative spirit - So much energy came from being around Brion when he was with Burroughs. They had an intellectual rapport that was stunning - Paul Bowles trouvait cependant que Brion avait tellement abusé des drogues qu’il avait altéré sa personnalité. Et puis on apprend au fil des pages qu’il est auto-destructeur. Soit il détruit ce qu’il fait, soit il donne. John Giorno, qui a fréquenté Warhol, débarque à Tanger pour rencontrer Brion. Il croit lui aussi qu’au Maroc, la magie est juste en dessous de la surface des choses, ce que professe évidemment Brion. Lequel Brion emmène Giorno à Fez pour un trip au LSD. Ils vont aussi à Zagora et marchent parmi les tentes des Hommes Bleus, dans l’oasis voisin : «Il y avait une mer de tentes et de la fumée de pipes à n’en plus finir, and incredible music. We just walked around taking it in. Brion was the magical guide.»  

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             Pendant des heures, Brion peut disserter sur les théories freudiennes et les mecanisms of dervish trance drumming. Le mythe de Jajouka, c’est lui. Il commence par flasher sur les Master Musicians «who created a music unlike anything he had ever heard», playing wild flute songs - strangely riveting music, related to the ecstatic trance music of the Sufi brotherhoods, but different, with a luminous, hieratic quality all its own», selon Robert Palmer. Brion est obsédé par cette musique, au point d’aller la sourcer à Jajouka, dans les Jibala hills, à 100 bornes au sud de Tanger. Pour lui, ce fut une façon d’entrer dans l’Antiquité. Et tous les ans, il s’est rendu à la fête du mouton pour ce qu’il appelait l’équivalent of Roman Lupercalia, or the Rites of Pan. Brion avait simplement découvert que sous un léger voile d’Islam, les rites de Jajouka préservaient l’équilibre entre les formes mâles et femelles de la nature, comme ce fut le cas au temps des Romains. Et bien sûr, Bou Jeloud, Jajouka’s patron saint, ré-incarnait cette mythologie antique. Michelle Green n’ose pas trop s’aventurer sur ce terrain, elle laisse la parole à Brion. Lequel Brion va monter un resto à Tanger, les 1001 Nuits, et y faire jouer les Master Musicians.

             Le seul reproche qu’on peut faire à Brion est sa misogynie. Burroughs, qui est atteint de la même tare, avoue que «Gysin’s thinking left no place for compromise. The whole concept of woman was a biological mistake.»

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             La vraie star du book, c’est William Burroughs, sans doute le plus rock des écrivains. Michelle Green nous donne tout le détail du séjour de Burroughs à Tanger. Il est là pour les drogues, les garçons et la littérature. Le voilà dans la médina, «in his shiny business suit and greasy fedora», un air d’agent du FBI qui s’est fait virer. Peu de gens connaissent son nom, mais les wild boys des alentours le surnomment ‘El Hombre Invisible’. Ce diplômé d’Harvard a décidé très tôt de devenir un renégat. À 40 ans, il est devenu un «laconic adventurer with a mordant wit and an attraction to all things forbidden.» Il a tout étudié : l’anthropologie, la pharmacologie, les linguistiques, il s’est passionné pour Kafka, Céline, Baudelaire, Gide, Rimbaud et Blake. Il est allé comme Artaud en Amérique du Sud à la recherche du Yage, et s’est déjà tapé des voyages dans le netherworld of drugs and depravity. Hanté par un constant besoin de créer, il n’a jamais cessé d’écrire ce qu’il appelle ses ‘routines’, mais n’a jamais été convaincu d’être un écrivain - I was a nobody - S’il veut devenir écrivain, c’est parce que petit, il les voyait «riches et célèbres». Il rêve de se retrouver à Tanger en compagnie d’un jeune garçon fumant du kif et caressant une jeune gazelle.

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    Joan Burroughs

             En attendant de partir pour l’Afrique, il épouse Joan, qui partage sa passion pour le mind control, les codex mayas et les drogues. Elle raffole du speed, et notamment de la Benzedrine. Arrêtés en 1949 pour possession de drogue, Burroughs et Joan se taillent vite fait au Mexique. Et un soir de septembre 1951, ils jouent à Guillaume Tell. Joan pose son verre sur sa tête, et Burroughs qui est complètement défoncé lui tire à bout portant dans le crâne. Il fera passer ça pour un accident - domestic imprudence - Il se taille une fois de plus vite fait et gagne le Panama pour rentrer à New York. Il finit par débarquer à Tanger. Il découvre le majoun qui lui inspire des wild flights of creativity et il en prend chaque fois qu’il affronte la page blanche. De son côté, Henri Michaux a fait exactement la même chose. En 1954, Burroughs was shooting Eukodyl every two hours. Il dévalise les pharmacies de Tanger, comme Artaud dévalisait celles de Paris pour sa conso quotidienne de laudanum. Ce ne sont pas les Stones qui ont inventé le concept de sex drugs & rock’n’roll.

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    Gregory Corso, Paul Bowles, William Burroughs

             Paul Bowles est intrigué par la présence à Tanger de ce spécimen qu’on surnomme Morphine Minnie. Et à sa grande surprise, Bowles découvre que Burroughs est «vital and engaging and funny. An inspired story-teller, he had a buzz-saw drawl that lent irony to every phrase. He could talk for hours about lemurs or yage or telepathy, and his sensibility was decidedly bizarre.» Bowles creuse encore un peu et découvre que Burroughs «had a kind of crackpot mystique, fantastically mutable, he was simultaneously vulnerable and threatening, proper and debauched.» Il était à la fois le cowboy et le dreamer, le prédateur et la proie. Brion décrit Burroughs marchant dans la rue sous la pluie : «Willie the Rat scuttles over the purple sheen of wet pavements, sniffing. When you squint up your eyes at him, he turns into Coleridge, De Quincey, Poe, Baudelaire.» 

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             En 1956, Burroughs semble arrivé au bout de la junk line. Paralysé, uniquement capable de se préoccuper du next shot, il gît dans une chambre d’hôtel miteux. Le sol est couvert d’ampoules vides - I did absolutely nothing. I could look at the end of my shoe for eight hours - Il y a de la cocasserie même dans sa déchéance. Burroughs est invité pour une fête chez Peggy Guggenheim, «at which a dead-drunk William managed to disgrace himself.» Fabuleux ! Quand Kerouac débarque à Tanger à son tour, il lit les ‘routines’ de Burroughs et les trouve «à la fois brillantes et sauvages». C’est Kerouac qui trouve le titre Naked Lunch. Francis Bacon est aussi dans la parages et Michelle Green établit un parallèle entre les «brutally powerfull paintings» de Bacon et la «shocking prose» de Burroughs. 

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             Bowles finit par voir Burroughs et Brion comme une seule et même personne - Under Gysin’s influence, he had begun to style himself as a sorcerer’s apprentice. He had practiced meditation and hypnosis and mirror gazing, and he had fallen under the spell of Hassan-i-Sabbah, an elenventh-century Persian mystic who founded the cult of the Assassins. The Old Man of the Mountain as Gysin called him - Hassan-i-Sabbah gavait ses adeptes de hashish, ce qui intéressait beaucoup Brion - Like Hassan-i-Sabbah, Burroughs had removed himself from the world, obsessed with the subject of mind control - Quand JFK se fait buter à Dallas, Burroughs annonce qu’«Oswald’s bullet is the beginning of the end.» Pour lui, c’est la preuve que les forces du mal se sont emparées de l’univers et qu’«Armageddon was around the corner».

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             Brion et Burroughs explorent le cutup, et Burroughs est frappé par le potentiel littéraire de cette méthode que vient d’inventer Brion. Il appelle ça un «project for disastrous success», et les deux cocos s’enfoncent dans une spirale de créativité, taillant des textes de Shakespeare, St. John Perse, Aldous Huxley et des numéros du New York Herald Tribune. Ils mijotent des salades de mots et croient inventer une nouvelle esthétique. Mais Allen Ginsberg, qui vient de débarquer à Tanger, n’est pas impressionné. Ginsberg se méfie d’ailleurs de Burroughs, et le trouve «so inhuman it scarred me.» Et avec tout le hashish et tout le majoun qu’il se met dans le cornet, Burroughs est devenu «hypersensitive, suspicious not in a paranoid way but in an acute, analytic way of looking at subtexts.» Même défoncé, Burroughs ne perd jamais de vue la littérature.

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             Il est persuadé qu’il peut se mettre dans un certain état d’esprit pour devenir invisible. Mind control. Brion et lui sont convaincus qu’ils peuvent voyager sur d’autres planètes. Burroughs tente même des expériences à partir du Sheltering Sky, histoire d’impressionner Paul Bowles : il enregistre des larges extraits sur un magnétophone, puis coupe la bande pour la remonter au pif.  Bowles est surtout impressionné par la voix de Burroughs : «When he played it back, the tape still sounded like the prose of William Burroughs and nobody else.» Quand il ne vante pas les mérites du cutup, Burroughs tente de vendre à Bowles les théories de William Reich. Il a construit dans un jardin le fameux «orgone energy accumulator» qui permet de débloquer l’«orgone energy», source de tous les maux. Un soir, il réussit à convaincre Paul d’entrer dans la machine. Paul accepte. Le traitement dure une heure, mais Bowles craque au bout de 25 minutes. Burroughs lui demande s’il a éprouvé quelque chose et Bowles lui répond : «No, just a lot of cold.»

             En 1964, Burroughs et Brion s’embarquent à bord d’un paquebot en partance pour New York. Burroughs piquait sa crise de dégoût des «idiot Tangerinos» et des «sinister Arabs». Mais il était surtout invité dans sa ville natale de Saint-Louis par Playboy, en tant que cult hero.

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             C’est Jane Bowles qui va faire les frais de la vie at the end of the world. Comme Kit Moresby (l’héroïne de The Sheltering Sky), elle se sent victime d’un sort. Et comme Kit, elle va sombrer dans un cauchemar dont elle ne se réveillera jamais. Elle va entrer dans une spirale d’auto-destruction et donner à des inconnus tout ce qu’elle possède. Les hippies qu’elle croise dans les rues de Tanger la trouvent groovy. Le roman prend le pas sur la réalité, selon le vœu de Bowles. Ça devient fascinant. Michelle Green fait le lien entre la fin de vie de Jane Bowles et le Sheltering Sky que Bernardo Bertolucci va porter à l’écran.    

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             En 1990, Paul Bowles a 80 ans. Il vit encore dans son appartement de Tanger. Il a pas mal de petits soucis, audition et sciatique, mais n’a rien perdu de son élégance, il porte encore du Tweed anglais et fume ses clopes de kif avec son légendaire fume-cigarette. Il reçoit encore pas mal de gens, notamment Stephen Davis (l’auteur de Jajouka Rolling Stone), et continue de publier. Il traduit aussi les textes d’Isabelle Eberhardt, l’aventurière qui explora le Sahara au début du XXe siècle. Mais après la mort de Jane, il confie ceci : «My degree of interest in everything has been diminished almost to the point of nonexistence... there is no compelling reason to do anytning whatever.» Mais quand Bertolucci qui a racheté les droits du Sheltering Sky débarque chez lui en 1990, Paul Bowles accepte de participer au tournage. Bowles dit partout qu’il en attend le pire, mais Berto réussit à le convaincre de faire la voix off du narrateur. Puis il accepte d’aller à Paris pour la première du film.

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             De toute évidence, il faut revoir l’adaptation cinématographique qu’a faite Bertolucci du fabuleux Sheltering Sky de Paul Bowles. La traduction en français du titre laisse perplexe : Un Thé Au Sahara, alors que tout le poids mythique du roman repose sur la vision qu’a Mort (John Malkovitch) du ciel immense qu’il fait admirer à Kit - How fragile we are under the sheltering sky. Behind the sheltering sky is a vast dark universe, and we’re just so small - Mort sait que la mort est là, juste derrière le ciel. Mort sait qu’il est déjà mort. On voit Paul Bowles à trois reprises dans le film, ce qui renforce à outrance l’immense poids littéraire de ce film. Bowles est assis dans l’un des ces cafés de Tanger qu’évoque longuement Michelle Green dans Dream At The End Of The World. Bowles est là, et on l’entend en voix off. Assis dans un coin, il observe ses personnages tels que Berto les restitue. Berto triche cependant avec la réalité, car Bowles situe son Sheltering Sky en Algérie et non au Maroc. L’excellentissime Mort Malkovitch joue le rôle d’un personnage extraordinairement désabusé, et Kit va prendre le relais, une fois que Mort est mort, elle va entrer dans la mythologie des gens du désert et vivre une aventure sexuelle de pure perdition. Berto se fend de plans superbement graphiques du Sahara. Il rendra aussi hommage à Burroughs lorsque Kit, enfermée dans sa baraque en terre de Tombouctou, se met à faire des cutups pour passer le temps. Récupérée par des occidentaux, elle reviendra à Tanger et finira par errer dans les rues, refusant d’être sauvée. Elle reviendra sur les lieux de sa vraie vie d’avant, dans un café qu’elle fréquentait à la vie à la mort avec Mort. La scène est déchirante, chaque fois que tu la revois, elle te broie le cœur. Kit entre dans le café, se dirige sur Paul Bowles qui est assis au fond. D’une voix de vieil homme aux portes de la mort, il lui demande si elle est perdue : «Are you lost?» Et il enchaîne avec ça qui te prépare bien à la mort : «Because we don’t know when we will die. We get to think of life as an inexhaustible well.» Il redit à sa manière ce qu’on sait tous : la vie n’est pas un puits insondable. Tu vis tu meurs. Cadré par Berto, Paul Bowles est déjà mort, malgré son regard translucide de vieil homme légendaire. Déjà mort. Nous sommes tous déjà morts. Et donc en paix.  

    Signé : Cazengler, Joujoukaka

    Michelle Green. The Dream At The End Of The World: Paul Bowles & The Litterary Renegades In Tangier. HarperCollins 1991

    Bernardo Bertolucci. Un Thé Au Sahara. DVD 2008

     

     

    Wizards & True Stars

     - Third World Ward

     (Part One)

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             Tu peux entrer chez M Ward par la petite porte : celle du producteur. Grand bien t’en prend. Il vient tout juste de produire le denier album de Valerie June, Owls Omens And Oracles. Alors, intrigué, tu soulèves cette grande pierre nommée Discogs et là tu découvres tout un monde grouillant de vie.

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             Premier test avec Hold Times, un Merge de 2008. T’es bien content d’avoir cet album dans les pattes, car quel album ! Tu entres cette fois par la grande porte. M Ward crée un vrai monde et tu te sens le bienvenu. T’as une présence immédiate, l’absolute beginner qu’est «For Beginners», t’es frappé par la classe de l’attitude, la classe du son, la classe du truc et la classe du machin. Ça pue la classe à dix lieues à la ronde, t’as le claqué du rock, la saveur du goût et l’impérieux du son, un peu comme chez Bill Callahan. Il passe au glam de dingue avec «Never Had Nobody Like You». Son son craque de plaisir. La classe des cuts du cat te laisse coi. Il tape une belle cover du «Rave On» de Buddy. Il en fait du glam, il t’embarque dans sa quête d’absolu. Il s’en va pianoter son «To Save Me» en haut de l’Ararat. Il domine tout, et t’as des échos du «Do It Again» des Beach boys, tim tim tilili ! Il redéfinit la modernité avec «Stars Of Leo», il sort le Grand Jeu, tu crois entendre Roger Gilbert-Lecomte avec une guitare, c’est du génie pur. Il tape ensuite une country de rêve avec «Fisher Of Men», et t’as tout le ruckus d’un pur universaliste. Il réinvente Mazzy Star avec « Oh Lonesome Me» et Lucinda Williams. Elle reste d’une puissance extrême. Toujours éraillée, mais légendaire. Encore tout le poids du monde de Peter Handke dans «Epistemology», mais plus rock, tout de même. M Ward règne sur tous les empires. Il groove son balladif avec un art qui laisse pantois. Tu décides alors de le suivre jusqu’en enfer. Il joue encore avec la beauté comme le chat avec la souris dans «Blake’s View» et gratte au banjo l’Americana doucereuse de «Shangri-La». Tu sors de là ébahi.

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             Encore un album en forme de joyau : Post-War, un vieux Merge qui émergea en 2006. M Ward crée très vite la sensation, car il saut chanter à l’éplorée congénitale. Il sait aussi fouiller un son. Il maîtrise l’art de fouiller le fouillis («To Go Home»). Et pouf, tu prends en pleine poire «Right In The Head», gratté à coups d’acou avec une guitare rebelle en embuscade. Il est suivi à la trace par un son de gras double qui donne un souffle terrible au cut. Il multiplie les coups de charme et ça pulse bien dans la purée pop. Son seul défaut est de proposer des liners illisibles. Globalement, c’est un album fascinant, M Ward regorge d’idées et maîtrise parfaitement les envolées. Pour son «Requiem», il repart en mode Americana, et comme George Martin, il maîtrise admirablement la science du son - He was a good man/ And now he’s gone - Et t’as un solo de fuzz dans l’Americana ! Il fait aussi de la fast pop d’horizon avec «Chinese Translation». Il est stupéfiant de vision, quasi transcendental, et quand t’entends la slide qui ouvre l’horizon, t’es bluffé. L’album est réjouissant. Il passe en mode Twang pur pour «Neptune’s Nest», il vire carrément Dick Dale. Le génie sonique d’M Ward ne connaît pas de limite. Il crée encore une mélasse terrible avec «Today’s Undertaking» et «Afterword/Rag». M Ward est un Wardiste impavide, il règne sans partage sur son empire qui est toujours certain.   

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             More Rain confirme la légende : M Ward ne fait que des gros albums classiques. Il peut te caler deux cuts de glam si ça lui chante : «Time Won’t Wait» et «I’m Going Higher». Il renoue avec le son de la vieille cocote glam bien sourde. Et son Going Higher tape dans le spirit du stomp qui fit les beaux jours du glam. More Rain sonne comme un album parfait. Avec «Girl From Cojeno Valley», ce fantastique popster est aux abois. Il balance une pop dense, montée sur des dynamiques impeccables. Il creuse sa tombe dans le désert de Mojave avec «Slow Driving Man». Il est tellement bon qu’il a même des violons sur ce coup-là. Et voilà «You’re So Good To Me». Tu le reconnais aussitôt ! Cut signé Brian Wilson ! On entend aussi cet M gratter ses poux à contre-courant dans «I’m Listening (Chords Theme)», et sur ce prodige productiviste qu’est «Temptation», il a Peter Buck. Tout est littéralement merveilleux sur cet album. Il passe au kitsch de rêve avec «Little Baby». Cet M te fait rêver.  

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             Quand M associe un titre comme What A Wonderful Industry au visuel d’une mâchoire de requin, signifie-t-il que l’industrie musicale est un monde de requins ? On serait tenté de le croire. Il ne porte donc pas l’industrie dans son cœur. Ça ne l’empêche pas de pondre des albums de superstar. T’as au moins deux Beautiful Songs et deux coups de génie sur cet album dentu. Par quoi commence-t-on ? Les Beautiful Songs ? La première s’appelle «Arrivals Chorus», M arrive très décontracté et il gratte ses poux d’Hawaï. Il exhale de l’éther pur. L’autre s’appelle «A Mind Is The Worst Thing To Waste», un fantastique balladif d’Oh such a shame. Il ménage bien ses effets. T’as l’environnement des accords mentholés et le chant liquide qui se fond dans la mélodie - Oh my precious time - Ça donne une pop translucide. Premier coup de génie avec «Miracle Man», un solide rock oblique, bien claqué du beignet. Ah il faut voir comme ça secoue les colonnes du temple ! Le deuxième s’appelle «Sit Around The House» : incroyable élan pop rock, M s’élance dans l’azur immaculé. C’est d’un éclat sans pareil. Il faut le voir pour le croire. M est un artiste dont il faut faire le tour. Encore de la pop aux pieds ailés avec «Motorcycle Ride». Puis il s’en va dans le désert de Mojave gratter les poux western d’«El Rancho». T’as vraiment hâte de voir la suite.

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             La suite s’appelle Migration Stories. C’est un album qu’il faut classer à part. Il grouille de Beautiful Songs, à commencer par ce «Migration Of Souls» qui te groove l’âme. Façon de parler. C’est la Beautiful Song de l’année. Il enchaîne avec le groove paradisiaque d’«Heaven’s Nail & Hammer», M te fait danser le boléro au crépuscule, c’est chaud et vertigineux, profond, doux et dingue. S’ensuit «Coyotte Mary’s Travelling Show», une bluette country de rêve, il la chante au raw du désert de Mojave, avec des gorgeous guitars. Et tout l’album va rester à ce niveau d’effarante qualité. M vole comme un beautiful vautour dans l’azur de Mojave. Il te plane bien sur la carcasse avec «Independant Man». Puis il te gratte un cut de guitar hero, «Steven’s Snowman». Il se situe au-delà de tout, même de Ry Cooder ou de John Fahey. Il renoue avec son dieu Brian Wilson dans «Unreal City» et fait du «Do It Again» vite fait en passant. M revient au balladif d’exception avec «Along The Santa Fe Trail». Il espère retrouver sa copine dans les montagnes du côté de Santa Fe. Et t’as des chœurs de rêve. Tu retrouves son touché de note famélique et enjoué à la fois dans «Touch». Il sonne comme le joyeux troubadour de Troubalda, t’as encore une merveille orfévrée au pah pah pah, digne de Curt Boettcher. Te voilà dans le vrai de vrai. Il fait ses adieux en grattant «Rio Drone» au bord du fleuve de l’éternité. Ainsi va la vie. Ainsi va la mort.  

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             M se calme un peu avec Think Of Spring. Encore une pochette informelle. Ce sont des pochettes dont on ne garde aucun souvenir. On croise deux Beautiful Songs sur cet album mi-figue mi-raisin : «I Get Along Without You Very Well» et «I Am A Fool To Want You». Il te gratte ça dans le désert d’Arizona avec l’écho du temps. Sa voix glisse comme un ange dans les ténèbres.  Mais on voit bien que cet album refuse de décoller. L’M veut faire du Richard Hawley, mais il s’y prend mal. Il vaut faire du Smog, mais ça ne veut pas Smogger. Il essaye de faire du Smog bourbeux avec «All The Way», mais ça ne marche pas. Alors M fait de l’M. Il n’est pas rancunier, comme le montre «I’ll Be Around» : I’ll be around/ No matter how you treat me now. Avec «For Heaven’s Sake», il décide de s’installer au paradis. Il se recroqueville sur son acou et gratte ici et là des éclairs de Django Reinhardt. Il crée un peu d’enchantement avec «Violets For Your Furs» en poussant une pointe de glotte et du coup, il parvient à créer une fantastique clameur. M est un mec qui sait enrichir un balladif avec des pics de sensibilité. Mais l’album reste terriblement monochrome.  

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             Transistor Radio date de 2005. Album mi-figue mi-raisin. La figue, ce sont deux Beautiful Songs, «Hi-Fi» (gratté sous le boisseau, et le boisseau d’M, c’est quelque chose) et «Paul’s Song» (M est comme Des Esseintes, il goûte à tous les sucs). Le raisin, ce sont deux coups de génie, «Sweetheart On Parade» (avec un seul cut, M peut créer un monde. C’est ici le cas, avec un son de cathédrale fantomatique) et «Big Beat» qui est un véritable coup de génie productiviste : il fait une espèce d’heavy rockalama à la Fats Domino. Il a vraiment beaucoup de son. Avec «Four Hours In Washington», , il fait du David Lynch et gratte les notes de son subconscient. C’est une évidence, M est amoureux de la beauté. Il ne vit que pour elle.  

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             Si tu replonges aux racines, tu vas te régaler avec End Of Amnesia. M gratte l’heavy boogie de «So Much Water» avec une effarante qualité de son. Son génie sonique éclot dans l’épaisseur du son. Puis il se love dans le giron de «Bad Dreams», un merveilleux balladif intime et humide. Chez M, chaque cut sonne comme une aventure intellectuelle organique. Il fait un festival de slide dans «Silverline», puis revient à l’heavy beat de génie avec «Flaming Heart», il gratte un mic mac d’arpeggios incroyables, on se croirait chez Dickinson, car t’as les mêmes éclairs de génie productiviste. Avec «Ella», il plonge dans une énorme Beautiful Song atmosphérique. Il développe des pouvoirs monstrueux, une tempête semble se lever dans la mélodie. On n’avait encore jamais vu ça.

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             Encore un album précieux : Transfiguration Of Vincent, qui date de 2003. T’es hooké dès «Sad Sad Song», un solide balladif lesté de tout l’heavy power d’M. Il chante à la voix fêlée et mène bien sa danse. T’en reviens pas de tant d’ampleur. Frank Black et lui ont le même génie entrepreneur. Il travaille lui aussi sa matière au corps. Avec «Outta My Head», il tape dans la réverb de la frontière et chante au doux du menton, et t’as ces sons de gratte qui n’en peuvent plus, comme les marins d’Amsterdam qui se plantent le nez au ciel et qui se mouchent dans les étoiles et qui pissent comme je pleure sur les femmes infidèles. Puis il passe au wild primitif avec «Helicopter» avant de ramener sa cocote grasse dans «Fool Say» et de créer la sensation avec un solo Hawaï. Il reste dans l’ambiance lourde de la convergence avec «Undertaker». Ce fantastique entremetteur frise le Lou Reed. Et avec «Let’s Dance», il fait de l’heavy Americana bien enfoncée du clou.

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             Vingt ans plus tard paraît Supernatural Thing. Encore un bel album, sur lequel il serait mal venu de faire l’impasse. T’es aussitôt dans l’entièreté du son. Les poux d’M sont denses, il gratte des coups d’acou de jouvence. Le morceau titre sonne comme une belle dégelée de good time music. L’M bascule littéralement dans le génie pop, avec les dynamiques de Brian Wilson, c’est très lumineux, très enlevé, vaillant, plein d’énergie, avec une relance à la guitare de lumière. Quel démon ! Tu ne retrouves cette élégance de smooth ensoleillé que chez Brian Wilson et les Byrds, Il revient rocker le boat avec «New Kerrang», c’est tout de suite sublimé en interne. Il est capable de petite pop vif-argent. Il revient ensuite à son cher groove du paradis avec «Dedication Hour». C’est sa marotte. «I Can’t Give Everything Away» monte aussi au paradis, poussé par un sax d’intro. Il duette ensuite avec Neko Case sur «Engine 5». M adore s’entourer. Il arrive dans l’Engine sur le tard, fidèle au poste. Ça sent encore le brûlé du génie dans «Mr. Dixon», il part en mode Dixon raw. T’en reviens pas de le voir à l’aise dans toutes les circonstances. 

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             N’oublions pas le petit premier, Duet For Guitars, paru en 1999. S’y nichent deux pépites, «Beautiful Car» qu’M chante à l’heavy musicologie retardataire, là-bas derrière, et ça devient merveilleux, et puis «Fishing Boat Song», où il déclenche un petit enfer, et laisse sa voix déraper sur une peau de banane. Tout ce qu’il fait remonte à la surface, celle qui t’intéresse. Mais il a aussi des cuts qui sont trop laid-back pour être honnêtes («Good News»). Il gratte aussi des poux de cabane enchantée («The Crooked Spine»). Il est capable de tout, il va fureter dans tous les coins, la big pop orchestrée ne lui fait pas peur («Look Me Over»). Il peut avoir des faux airs de la ramasse à la Neil Young («It Don’t Happen Twice») et il sait faire son early Bob de Greenwich Village à gros coups d’acou («Where You Here»). Comme le riz, l’artiste est complet.

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             Et pour compléter le tour du propriétaire, tu peux aussi écouter A Wasteland Companion. Tu ne perdras pas ton temps. Au contraire. Tu enrichiras ta petite philosophie de la dimension artistique. Que veut dire aujourd’hui la liberté artistique ? La réponse pourrait être «Primitive Girl», un modèle d’heavy pop productiviste. Ou encore «Me & My Shadow», un modèle de laid-back de non-retour, gratté aux arpèges d’un Crésus Ward qui monte tellement vite en puissance. La réponse pourrait être «Sweetheart» qui sonne comme un gros clin d’œil à BrianWilson et où Zooey Deschanel donne tout. Ou encore «I Get Ideas», une pop affirmée et géniale, où il ramène un solo de fête foraine qui vire trash. M réinvente la pop de fête foraine. Sa liberté de ton est totale. Il est ce que Frank Black fut autrefois. Il te tétanise par sa liberté de ton. La réponse pourrait être le morceau titre qui sonne comme la pure Americana de la frontière. M groove son boogie, il gratte des notes qui restent en suspension. La réponse pourrait être «Watch The Show» qu’il gratte en mode rockab insistant. Il termine avec «Pure Joy» qu’il chante d’une belle voix rauque. Il est fantastique d’intégrité. Voilà pourquoi l’écoute d’A Wasteland Companion enrichit ta petite philosophie de la dimension artistique : t’as douze cuts riches comme Crésus Ward qui te font exulter sous ton casque. L’M produit de l’art brut, aux antipodes de la mormoille qui envahit les médias du monde entier. L’M est l’un des artistes les plus complets de notre époque. Voix, poux, compos, prod, tout est parfait, tout est fait pour t’envahir gentiment.  

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             M vient d’enregistrer Geckos avec Howe Gelb, le mec de Giant Sand. Le groupe s’appelle aussi Geckos. T’y trouves pas mal de délicieuses entourloupes, comme ce «Wedding Waltz» parfumé aux trompettes mariachi. Ils grattent du fluide à la frontière. Ils s’étalent au crépuscule des cactus. Ils tapent une belle Americana de caractère. Atmosphère très détendue. Relax Max. Peut-être trop angélique. On perd un peu l’M. L’Howe prend le pouvoir. Ça chante pas mal en espagnol, si señor («El Techno»). Puis t’as ce «Scoundrel» attaqué au piano et perdu dans la pampa. Tu te demandes à quoi ça sert. Tout est très ambitieux, ici, mais pas définitif. On se croirait parfois chez Leonard Cohen («Botas Negras»), mais sous la cendre. Avec «Blame It To The Ocean», ils visent le full blown de l’Americana, avec des acous ventilées, et t’as l’Howe qui chevauche le petit beat. Il refait du Giant Sand et tu reviens au point de départ de l’indie des années 80. L’Howe est incapable d’évoluer. Ils cherchent tous les deux à réinventer le genre et cultivent une sorte de douceur tiédasse. Ils s’y sentent bien, alors pourquoi pas toi ?

    Signé : Cazengler, M Whore

    M Ward. Duet For Guitars. C--dependant 1999

    M Ward. End Of Amnesia. Future Farmer Recordings 2001

    M Ward. Transfiguration Of Vincent. Merge Records 2003

    M Ward. Transistor Radio. Merge Records 2005

    M Ward. Post-War. Merge Records 2006

    M Ward. Hold Times. Merge Records 2008 

    M Ward. A Wasteland Companion. Merge Records 2012

    M Ward. More Rain. Merge Records 2015 

    M Ward. What A Wonderful Industry. M Ward Records 2018

    M Ward. Migration Stories. Anti- 2020

    M Ward. Think Of Spring. Anti- 2020     

    M Ward. Supernatural Thing. Anti- 2023  

    Geckos. Geckos. ORG Music 2025

     

     

    Inside the goldmine

    - Les Charlatans ne sont pas des charlatans

             Au terme d’une longue fréquentation, Charla est resté un mystère. On pouvait lui faire des petites vacheries, il réagissait toujours «positivement», comme si rien ne pouvait l’affecter. Fallait-il qualifier ça de droiture morale ? Son positivisme finissait même par devenir prodigieusement agaçant. On le testait en permanence, avec des petites vannes. Si on le traitait de ringard, il répondait merci. Seul un psy aurait pu donner la clé de cet impénétrable mystère. Plus prosaïquement, on voyait Charla comme la réincarnation d’un chrétien jeté aux lions, au temps de l’Empereur Trajan Dèce :  on l’imaginait parfaitement, sous les cris de la foule, enchaîné à un pieu, avec son air de sainte-nitouche, en train de dire merci au lion qui approche en rugissant. On pouvait aussi le comparer à ces Jésuites qui remontèrent les fleuves du Grand Nord canadien pour aller convertir les Algonquins au christianisme, tels que nous les montre Bruce Beresford dans Black Robe : Charla réagit comme le Jésuite capturé par les Iroquois : on lui coupe les doigts un par un, et il dit merci. Sacré Charla ! Dans une vie antérieure, il a dû se porter volontaire pour grimper les marches de la grande pyramide de Tenochtitlan, et dire merci au prêtre qui allait lui ouvrir la poitrine pour en extraire son cœur. Pire encore, Charla est forcément la réincarnation de l’un de ces pauvres crétins de poilus que le colonel Dax exhortait à sortir de la tranchée pour monter à l’assaut de la Fourmilière, un nid de mitrailleuses imprenable perché au sommet d’une colline. Le pire, c’est que Charla va se réincarner dans un autre Charla et qu’il intriguera d’autres observateurs qui à leur tour échoueront à trouver ce que cache cette forme bizarre d’abnégation. On ne peut pas dire que Charla soit taré, mais on ne peut pas non plus affirmer qu’il est intelligent. Loin de là. 

     

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             Pendant que Charla tend vers le néant, les Charlatans en sortent. Alors attention, il se pourrait bien que les Charlatans soient l’un des groupes les plus fascinants de l’histoire du rock américain. Voici pourquoi.

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             Dans ses liners pour The Amazing Charlatans, le grand Alec Palao n’en finit plus de se prosterner jusqu’à terre. Il présente les Charlatans comme cinq «19th century dandy outlaws», «like a latterday musical Magnificent Seven». Les Sept Mercenaires du rock.  Il affirme qu’au départ du mythe se trouve un concept. Selon Palao, les Charlatans ont pris plus de LSD qu’aucun autre groupe de San Francisco et n’ont pourtant jamais joué d’acid rock. Le LSD n’était qu’un moyen de pousser le bouchon du concept - Far from peace and love, the group was sarcasm and cynicism incarned. Hell, even the name was negative - Alors Palao plonge dans l’histoire du groupe et ça devient fascinant. George Hunter débarque à San Francisco et 1964 et rencontre Richard Olsen, un trompettiste. Ils décident ce former un groupe conceptuel «manipulated electronically - Sort of a William Burroughs-nightmare version of the Rolling Stones, to be known as the Androids.» Avec l’arrivée de Mike Wilhelm, le groupe devient plus organique et vire folk-rock. The Androids deviennent les Mainliners. Avec l’arrivée de Dan Hicks au beurre, le groupe devient The Charlatans. Ça commence à répéter sec : Olson on bass, Hunter on autoharp, et puis il y a les costards : «Fergusson as Mississippi Gambler, Hunter as Edwardian fop, Wilhelm as rock’n’roll Wyatt Earp and so on.» Et ils commencent à jouer au fameux Red Dog Saloon de Virginia City, au Nevada - 6 wild weeks in the summer of 1965 the band and coterie awash in LSD, raise hell on the Comstock - Puis ils croisent la piste de Tom Donahue et ils commencent à enregistrer pour Autumn Records. Big Daddy Dohanue veut les lancer et leur demande de faire une cover d’«Early Morning Rain», mais les Charlatans ne veulent pas. George Hunter : «I don’t kown if Donahue passed on us or we passed on him.» Sly Stone qui bosse alors pour Danahue installe les micros dans le studio. C’est à cette époque qu’explose la fameuse scène de San Francisco, avec les Charlatans en tête de gondole. Mais tous les projets de contrats échouent. Fergusson et Hicks quittent le groupe. Le new line-up Olsen/Wilhelm/Wilson/Darell Devore signe enfin sur Philips. Mais les Charlatans ne sont plus que l’ombre  d’eux-mêmes. 

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             Le premier album sans titre des Charlatans paru en 1969 est un big album. Et même un very big album. Top départ avec le puissant folk-rock d’«High Coin». Pur power ! On se croirait chez les Byrds. Wilhelm power ! L’«Ain’t Got Time» qui arrive plus loin semble lui aussi sortir d’un album des Byrds, tellement il est bien profilé sous le vent. Ce balda est infernal, il se poursuit avec une cover du «Folsom Prison Blues» de Cash que torche Wilhelm, il la folk-rockise à outrance. Tout est puissant chez Wilhelm. Encore du power max to the max avec «The Blues Ain’t Nothin’», percé en son cœur par un solo de free jazz, alors tu n’as plus qu’un seul mot à la bouche : «Demented!». Puis ils passent en mode mad psychedelia avec «Time To Get Straight». Les Charlantans constituent une incroyable source de réserves naturelles, c’est-à-dire de psyché liquide avec une flûte et des Byrds. La B est nettement plus faiblarde. Tu ne sauves que «Wabash Cannonball», un boogie-down furieux et bardé de barda qui bat largement les Groovies à la course, avec notamment un solo qui relève de l’imparabilité des choses de la vie. Puis tu vois l’«Alabama Bound» virer free en fin de parcours. Les Charlatans t’embrouillent vite fait, ils ont le génie du mélange des genres. Somptueux. 

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             Quand tu croises The Autumn Demos dans un bac, tu le ramasses vite fait, rien que pour la pochette. Le cow-boy Wilhelm y crève l’écran. En fait, il s’agit d’un mini-album quatre titres qui démarre sur «Baby Won’t You Tell Me», un heavy boogie doté d’un joli son de stand-up. S’ensuit  le «The Blues Ain’t Nothing» du premier album, un boogie-down incroyablement bien balancé, avec un Wilhelm en tête de gondole et un son de charley à couper le souffle. C’est la section rythmique qui coordonne cette stupéfiante énergie foutraque de San Francisco. Ces mecs swinguent, comme les Groovies.

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             Playing In The Hall est en fait leur deuxième album, enregistré live en 1997 : George Hunter, Mike Wilhelm, Dan Hicks et Richard Olsen sont encore là, avec en plus Austin De Lone et Freddie Steady. Ils ressortent pour l’occasion leur big Americana charlatanesque de «Wabash Cannonball» et d’«East Virginia». Mike Wilhelm y gratte sa clairette du diable. On retrouve tous leurs vieux plans, la good time music de «32-20», la Stonesy de «By Hook Or Crook» bien gorgée de véracité, et un peu de son New Orleans («Steppin’ In Society» et «Now I Go Sailing By»). Mike Wilhelm tape une cover de «Folsom Prison Blues», suivi une version tentaculaire d’«Alabama Bound». Même si on connaît tout ça par cœur, on écoute passionnément.

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             On entre au paradis des compiles charlatanesques avec Alabama Bound, un Eva de 1983. On y retrouve l’«Alabama Bound» du premier album, un Bound dévoré de lèpres psychédéliques et monté sur un riff de basse insistant. Puis Wilhelm tape le «Codine» de Buffy Sainte-Marie et y place un solo d’écho magique. La petite gonzesse qu’on tend sur «Devil» et sur «Side Track» s’appelle Lynn Greene. Elle est assez magique et Wilhelm gratte des poux d’alerte rouge. Leur version  de «By Hook Or Crook» dégage un vieux parfum de Stonesy, époque premier album. En B, ils tapent un vieux boogie de Robert Johnson, «33-20». Wilhelm descend vite fait au barbu.

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             On retrouve les 4 cuts enregistrés en 1965 pour Autumn sur la belle compile Big Beat The Amazing Charlatans : «Jack Of Diamonds» (fabuleux beat charlatanesque), «Baby Won’t You Tell Me» (signé John Hammond), «The Blues Ain’t Nothing» (heavy load) et «Number One» (heavy Californian Hell, en plein cœur de la magie charlatanesque). Puis t’as les Kama Sutra Sessions en 1966 : «Codine Blues» de Buffy Sainte-Marie - a classic tale of substance abuse - Mike Wilhelm dit qu’il y a joué son meilleur solo. Big heavy blues. Mais Kama Sutra n’ose pas sortir Codine et préfère «The Shadow Knows» des Coasters, plus boogaloo et chanté par Ferguson. En B-side du single Kama Sutra se trouve l’excellent «32-20 Blues», véritable coup de génie : Wilhelm dans toute la splendeur de son slide-power. Et puis voilà The Golden State Demo de 1967 avec «Alabama Bound» - nothing short of a masterpiece - Magnifique thème, symbole absolu de la récurrence charlatanesque - Don’t you leave me here - Herb Greene : «When they’d get it together on Alabama Bound, they’s bring the house down.» Et Palao affirme que «We’re Not On The Same Trip» «is perhaps their finest moment in the studio.» Véritable sommet de la Mad Psychedelia. Les Charlatans sont capables de tout. Sessions finales en 1968 : The Pacific High Sessions, avec «East Virginia», wild Americana d’I was born East Virginia et Mike Wilhelm part en vrille d’ultra-vrille. Wilhelm dit que c’est l’une des premières chansons du groupe, qui figurait sur la K7 envoyée au Red Dog Saloon. On se régale encore de «Devil Got My Man», «By Hook Or By Crook» (fantastique Stonesy de San Francisco), et «Long Come A Viper» (plus Dylanex).

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             Big Beat ressort en 2016 une compile des Charlatans, cette fois sur vinyle : The Limit Of The Marvelous. Pochette fabuleuse : les voilà tous les 5 sur le pont d’un voilier. On y va les yeux fermés, même si tout est déjà sur les albums précédents, la belle Americana d’«East Virginia Blues» et le solo fluide de Mike Wilhelm, tu retrouves aussi le thème obsédant d’«Alabama Bound», le shaking de swagger de «32-20», l’heavy charlatanisme bien traîné de la savate de «Codine Blues», la pure Stonesy de «By Hook Or By Crook», et t’as encore Lynne Hughes qui chante «Devil Got My Mind», superbe blues psychédélique, et puis alors cette faramineuse cerise sur le gâtö qu’est «Jack Of Diamond» et sa section rythmique incroyablement dynamique (Richard Olson & Dan Hicks), ce son dépenaillé, avec au mic, sans doute l’un des meilleurs chanteurs américains, le grand Mike Wilhelm.

    Signé : Cazengler, charlatan

    Charlatans. The Charlatans. Phillips 1969

    Charlatans. Playing In The Hall. SteadyBoy Records 2015

    Charlatans. The Autumn Demos. August 1965. Line Records 1982

    Charlatans. Alabama Bound. Eva 1983

    Charlatans. The Amazing Charlatans. Big Beat Records 1996

    Charlatans. The Limit Of The Marvelous. Big Beat Records 2016

     

     

    DANY LOGAN

    1

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    1960

    Dany Logan, je n’avais pas l’intention d’en parler. Danny Logan, bien sûr, ces pochettes avec ces poses crazy-dingues, pour l’époque, parce que maintenant, elles font sourire, un peu datées, quelques titres enfouis au plus profond de la mémoire, et puis c’est tout. N’ai jamais exploré sa discographie de près. Peut-être pas un épiphénomène du rock français, mais enfin il y a plus sérieux.

    Et puis hier soir deux mots qui s’affichent sur l’écran, Radio-Andorre. Les souvenirs remontent en flèche, l’émission Special Blue Jeans, l’émission rock-yéyé de Jean de Bonis, enfin beaucoup plus yé-yé que rock. Pour Radio-Andorre, vous avez toute une série de longues vidéos qui racontent l’histoire de la radio de ses origines à sa fermeture. Hyper bien documentées. Très instructives. Une plongée sociologique dans les milieux d’affaires des années cinquante. Oui mais voilà justement qu’à côté du nom de la radio, je lis, la mention me mange les yeux Special Blue Jeans, le générique de l’émission, ah ! la voix veloutée de Jean de Bonis, interprété par les Fingers, leur meilleur morceau, je vous ai déjà causé des Fingers, un des meilleurs groupes instrumentaux des années soixante, tiens un truc qui zidouille, le nom de Dany Logan accolé au titre des Fingers. What is it ? Un hiatus qui coince. Une erreur lamentable ! Totalement d’accord cher Damie, mais là c’est toi qui cales. N’oublie pas que l’ignorance est le plus grand fléau de l’Humanité.

     Bon d’accord, procédons avec ordre et méthode. Premièrement réécoutons le titre chéri des Fingers.

    L’est sûr que le titre soufre d’un gros défaut : sa brièveté, ne tourne même pas à 120 secondes, bien au-dessous, mais cette guitare, quel must et ces fracassées de batterie, chapeau ! C’est sorti en 1963.

    Passons à la version Dany Logan : un bon point : déjà plus longue, elle atteint les deux minutes. Ce ne sont pas les Fingers qui jouent. Le guitariste se débrouille bien, le batteur a des breaks qui sont plutôt des écueils que des brisants, mais l’ensemble taille son chemin  tout en se tenant toutefois à un niveau au-dessous. Ce n’est pas tout-à-fait de leur faute, version chantée, faut laisser de la place à  Dany Logan, l’a une grosse voix bien sonore, nous y reviendrons.

    Je suis satisfait. J’ai colmaté une lacune, il se fait petit matin, allons dormir du sommeil du juste. Cette histoire est terminée. J’étais loin de me douer que j’étais au plus près de la vérité.

    2

             Tiens, une petite dernière, le coup de l’étrivière, avant de rejoindre les draps de Morphée, je ne savais pas que Dany Logan avait réenregistré un disque en 1984, jamais entendu parler, en tant que chroniqueur affûté je me dois de savoir. C’est alors que je m’aperçois de mon erreur, que la décence m’empêche de qualifier de fatale. Non Dany Logan, n’a pas enregistré en 1984, il a eu la mauvaise idée de casser sa pipe en bois selon l’expression du Cat Zengler. Une vidéo reprise d’une émission de télévision, sans image, elle commence bien, la folie des années soixante, l’insouciance, les concerts, l’argent, les filles, les voitures, l’a tout gaspillé, ne savait même pas qu’il existait des chèques… En 63 il quitte Les Pirates et entame une carrière en solo. Trois 45 tours et puis s’en vont. Aucun succès. Après c’est la galère, des petits emplois, des galas dans les supermarchés, le chômage, la dégringolade, has been un jour, has been toujours. Mauvaise idée il tombe malade, gravement. Séjours à l’hôpital… Il ne se plaint pas, il ne dit rien, il cache sa situation, par pudeur, par fierté. Plus personne ne se soucie de lui. Si une fille, elle s’appelle Michèle, qui l’a vu une fois sur scène, une fan, qui ne lui a pas parlé, mais qui depuis vingt ans est restée secrètement amoureuse de lui… Ils se marient le 4 Juin  1984, elle le sort de l’hôpital, ils connaîtront quatre jours de bonheur, pas un de plus, il est à bout de force, il ne touche plus le chômage, lui manque douze heures de cotisation. Depuis plusieurs mois il ne prend plus de médicaments, il n’a plus d’argent pour les acheter, l’administration est restée sourde à ses demandes...

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    Ce n'est pas une affiche mais une carte postale très en vogue dans les années 60

             Qui se soucie de Dany Logan aujourd’hui. A part ceux qui ont connu de près ou de loin son époque, ou ceux qui, nés après lui,, ont mythifié sur cette période rock…Le temps a passé. Les générations n’ont plus les mêmes centres d’intérêt. Il n’a peut-être pas laissé de chefs d’œuvres inoubliables mais il fut une figure de la première génération des rockers français, lui rendre hommage est nécessaire.

    DANY LOGAN

    AVEC LES PIRATES

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             Nous sommes au bon endroit, au Golf Droutt, Daniel Deshailles aime à rencontrer Jean Veidly jeune artiste peintre qui vient souvent accompagné de Long Chris. Bonne connexion, ils connaissent déjà les Chaussettes Noires, grâce à Jean-Pierre Orfino qui a travaillé au Crédit Lyonnais avec Eddy Mitchell. Quoi de plus naturel que de former un groupe : Jean Veidly s’empare de la basse, Orfino, surnommé Hector, sera à la guitare  rythmique vite rejoint par Jean-Pierre Malléjac à qui échoit le choix du roi la guitare solo, il quitte sa place d’employé dans un garage où il vend des Panhards (superbes voitures !) la batterie atterrira dans les pattes de Michel Ocks, Daniel Deshailles américanise son nom, Daniel devient Dany, Logan est le nom du personnage qui joue le rôle de Johnny Guitar dans le western éponyme.

             Le groupe se retrouve sur Bel Air, label parallèle de Barclay. Sans doute ne faut-il pas faire trop d’ombre aux Chaussettes… Ils auraient pu s’appeler Les Laits Blancs puisque pour limiter les frais investis dans leur lacement, un contrat est passé avec le Syndicat des Producteurs de Lait, à l’identique des 5 Rocks rebaptisés en Chaussettes Noires après un accord signé avec les chaussettes Stemm… Beaucoup plus sérieux Léo Missir  sera leur directeur artistique, il ne se débrouillera pas trop mal vu le raz-de-marée suscité en quelques mois par la formation. Plus anecdotique, nos jeunes artistes n’ont pas le permis de conduire, handicap pour les rendez-vous et les galas, Léo Missir confiera le rôle de chauffeur à une autre vedette qu’il promeut sur Bel Air : Lény Escudero…

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Septembre 1961)

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             Sur tous les disques le nom du chanteur se trouve inscrit pour ainsi dire en vedette américaine sous le blaze du groupe en énormes lettres majuscules. C’est ce qui s’appelle ne pas mettre les deux œufs dans le même panier. Les maisons de disques ont les dents longues et les yeux clairvoyants. Les groupes sont à la mode, mais ils ne dureront pas longtemps, le service militaire obligatoire les dissoudra à plus ou moins court terme, écrire le nom du chanteur en petit c’est déjà lui offrir une plus grande visibilité, d’autant plus que sur scène c’est le chanteur qui ravit les yeux des spectatrices…le groupe disparu on le relancera plus facilement…

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    Oublie Larry : ne manque pas de culot Dany pour adapter Hats Off to Larry de Del Shannon le chanteur aux vocalises trampolines, triche un peu car lorsque la voix s’envole, ce sont deux ou trois jeunes filles qui grimpent aux arbres à sa place, lui il se cantonne à imiter un peu les intonations du grand Schmoll, toutefois sur ce premier titre les Pirates ne font pas naufrage.  Le jet : l’est manifestement plus à l’aise sur The Jet de Chubby Checker, les Pirates foncent sans se poser des problèmes métaphysiques, moins subtils que le groupe qui accompagne le roi du twist, mais terriblement efficace. Je bois du lait : Le titre incongru est à mettre en rapport avec le contrat signé, le lecteur qui voudrait en savoir plus sur l’appétence du groupe pour cette boisson biologique nous recommandons la lecture du dos de la pochette, certes dans la série même pas peur  une adaptation de Jerry Lee Lewis, la voix de Dany occupe la première place de la vitrine sonore, dommage pour les Pirates qui donnent une meilleure prestation que leur chanteur, pour se faire remarquer sont obligés d’aboyer en chœur ce qui a pour effet malheureux de détourner l’attention de leur boulot. Tu mets le feu : oubliez Great Balls of Fire, ici ça sent la chaussette sale, ne vous pincez pas les oreilles, Ocks galvanisé vous envoie un knock out bien venu et tout le reste du groupe lui emboîte le galop. Indiscutablement le meilleur morceau du ce premier opus. Z’en ont quand même vendu cinq cent mille exemplaires. L’est sûr que l’époque manquait de rock.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (1961)

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    Une certaine similitude entre les deux pochettes, preuve que chez Bel Air l’on prend soin du groupe, l’on cherche à créer sinon une image, du moins une identité, des signes de reconnaissance qui donneront aux fans l’impression que leur groupe préféré se distingue des autres.

    Ding dong et tchouga tchouga : on craint le pire, soyons franc Michel Ocks bouffe toute la moëlle de l’os. Sinon une chansonnette signée de Garvarentz nettement plus affuté lorsqu’il s’occupe d’Aznavour (et de quelques autres). Comme un fou : Jean Veidly emprunte en premier l’escalier qui  monte jusqu’au trentième étage, musicalement c’est au point, le seul hic c’est la voix de Dany, trop pleine, pas assez souple, trop près de celle de l’Eddy Mitchell de l’époque qui lui saura progresser. Nous avons sans doute là l’explication de sa disparition la fulgurance des trois premières années des french sixties terminées. Cuttie pie (kioutie païe) : esprit chaussettes, faut savoir les user aussi vite que l’on tue les grands-frères, ne boudons pas, c’est bien balancé, extraverti, bien parti et bien arrivé. Mon petit ange : malgré le titre ce n’est pas un slow sirupeux mais un rock dévastateur, serait-ce une manie de mettre le meilleur titre sur la face 2, perfectum comme disait Jules César, l’on en oublie que c’est un groupe français.

    *

    Le succès est au rendez-vous, au-delà de toute espérance, coup sur coup Bel Air sort deux trente-trois tours, format d’époque : 25 centimètres.

    SALUT LES AMIS

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (1962)

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    Nous ne nous attarderons que sur la pochette. Elle tranche avec l’esthétique des deux 45. Cela permet d’accéder à une photo grand format du groupe, Dany en costume noir est au premier plan et au centre, le reste de la bande en leurs costumes bleu-clair nous semble quelque peu invisibilisé. La mention TWIST en lettres majuscules jaune pétant ne manque pas de sel lorsqu’au verso l’on s’aper9oit que seuls deux titres sont qualifiés de twist et sept autres de rock !

    Les morceaux se retrouvent sur les trois premiers EP’s quatre titres du groupe : Oublie Larry Cuttie Pie / Tu mets le feu / Je bois du lait / Twist twist baby / Dany / Je te dis merci / Comme un fou Caroline / Le jet

    MILK SHAKE PARTY

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    Faut bien honorer les contrats, sur la couve le groupe s’apprête à avaler un verre de poison, pardon de lait, au dos de la pochette pour la première fois l’on voit apparaître un bateau pirate. L’on se prend à regretter qu’ils n’aient pas davantage joué sur cette image.  Nous ne commentons que les deux morceaux  qui sont absents des 45 tours.

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    Milk Shake / Le Condamné : original, un soupçon de jazz, une pulsion gospel, une pincée du Crazy Beat de Gene Vincent, un véritable texte, un plaidoyer anarchisant sur la liberté de l’individu, une surprise, un résultat superbe et original. Sur ce morceau les Pirates et Dany préfigurent ce que fera Eddy Mitchell vers 1964…   /  Spring twist / Sur ma plage / P’tit Wap / L’A.B.C. du Madison / De tout mon cœur Un jour sans toi : le slow qui tue ou du moins qui vous troue le cœur, on croirait entendre les Platters, Dany nous démontre qu’il sait domestiquer sa voix, qu’il n’est pas obligé de passer en force pour s’exprimer.  / Le slow twist / Twist de Paris.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Mars 1962)

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             Les EP’s des Pirates sont toujours accompagnés de 45 T simples destinés aux juke-boxes et aux radios. Celui-ci possède une particularité, la couve papier habituelle est remplacée par une véritable pochette avec photo. Elle déroge à la chartre graphique des deux premiers disques. Dany est au centre de la photo mais les Pirates l’entourent de près.

    Twist de Paris : voir plus loin ce titre est repris sur un quatre titres résolument Twist ! Entre toi et moi : Encore une fois le meilleur sur la face B, ne doutent de rien, le Git it de Gene Vincent en français, qui aurait pu faire mieux en 1962 ? Guitares superbes !

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Mars  1962)

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    Attention, visez la partition, les pirates d’un côté, monopolisent soixante pour cent de la surface, mais sur la portion pas si congrue, Dany explose carrément. Rafle à lui tout seul toute l’image.

    Dany : une surprise, un blues, modérons notre ardeur, un slow-blues, lorsque Dany ne se laisse pas entraîner par sa voix, il sait s’en servir. Agréable mais inutile de vous suicider si vous ne l’avez jamais entendu. Je te dis merci : encore Gene Vincent, oubliez la finesse du roi du rock et de It’s been nice, Dany fonce et force sur ses cordes vocales chaussé de pantoufles aquatiques et l’équipage derrière saborde leur propre navire à coups de canons. Twist twist baby : nous entrons dans l’ère du twist, c’est sympa, c’est facile à danser, s’amusent bien tous les cinq, sont en progrès même dans le studio il semble qu’ils aient enfin compris où il faut placer les micros. Sont tous en forme. Une mention spéciale pour les tambours c’est presque les timbales de l’Ocks du Rhin. Caroline : tiens, l’a une voix fluette, une bluette sans grand intérêt, même un peu idiote, heureusement qu’au milieu du morceau les Pirates montent à l’abordage le couteau entre les dents. Dommage qu’ensuite ils laissent la prisonnière en vie.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Mars 1962)

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    Dany est derrière, devant Michel Ocks est assis derrière sa caisse claire. Il mérite la première place mais l’aurait pu rester debout. Manque le grain de folie qui fait la différence.

    Twist de Paris : tiens pour une fois ils n’imitent pas Eddy mais Johnny, pour l’entrée, le problème c’est qu’ensuite l’on est pris pour des pigeons, Dany roucoule, l’on s’ennuie, heureusement que l’on a une guitare qui intervient à bon escient durant quinze secondes et sur la fin, un piano vole à notre secours. Spring twist : une petite leçon de twist, font tout ce qu’ils peuvent pour varier les plaisirs, rien à faire, que de l’attendu, sans doute pensent-ils être modernes, hélas ils sont déjà ringards. Oh ! donne-moi ton cœur : mauvaise passe, des chœurs féminins, Dany qui fait le joli cœur,  les Pirates souquent mollement, pourtant les auditeurs n’ont pas l’air d’être sur une île paradisiaque. La route du twist : tiens un saxophone, on écoute le morceau rien que pour lui, un son rauque un solo verglacé, et les Pirates, et Dany, franchement quand ils sont passés on n’a pas levé le pouce pour les arrêter.

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    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Juin 1962)

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    Un bandeau en haut, Dany bras levés, jambes écartées, bouffe toute la place sur la photo, revétu d’un costume bleu pétrole un peu terne ;

    Laissez-nous twister ‘’ Twistin’ the night away’’ : z’ont gardé le sax tire des bouffées dans son coin, mais il pose sa griffe sur tout le morceau, la version de Johnny colle davantage à celle de Sam Cooke, l’a misé sur la batterie et pas sur le sax, mais de tous les twists que des Pirates que nous avons entendus, c’est le meilleur. Cri de ma vie ‘’ Dream baby’’ : exercice de style pour Dany, doit chanter doucement, il y réussit parfaitement les Pirates ne font plus de bruit quand surviennent les chœurs féminins, encore une fois c’est Michel Ocks qui tire les marrons du feu, pas très violent. Le slow twist ‘’ slow twisting’’ : pas si lent que le titre le laisser présager, on marche sur des œufs d’autruche, cela nous émeu, les Pirates ne sont pas toutes voiles dehors, Dany mène la danse. Danse un twist ‘’ Dance along’’ : un twist parmi tant d’autres twist, breaks incessants de batterie, le saxophone s’en vient faire son numéro au milieu.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Septembre 1962)

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    Dany devant, en costume noir, les autres en gris derrière, cette fois-ci la photo est prise de près.

    Madison time (l’A. B. C. du Madison) : la mode change, le madison c’est comme le twist en plus relax, donc l’on s’ennuie davantage, manque la fougue, qu’est-ce qu’il nous fourgue ! Au moins à la fin du morceau l’on n’est pas fourbu. P’tit Wap : elle est partie, elle a eu raison, grâce à elle on a droit à un petit trot musical allègre, le titre type des années soixante. Bien fait, chacun à sa place, résultat maximum. Sur ma plage : inspiré par les Shadows, le chant de Dany Logan détestable sur des paroles peu inspirées, le groupe donne l’impression de tourner en rond. De tout mon cœur (The young ones) : un titre douçâtre, pas tout à fait un slow mais c’est peut-être pire, les Pirates se laissent flotter sur des eaux sans âme, sont en pleine mer des Sargasses.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Novembre1962)

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             Pour le dernier 45 tours l’on s’inspire du code des premières pochettes. Dany devant s’est assis, il commence à être fatigué (moralement ?), derrière lui les Pirates bénéficient d’un piédestal. Pas trop haut, tout de même.

    Le loco-motion : rock, twist, madison, voici la dernière locomotive, Dany arrondit sa voix, ça roule sans secousse ; le sax est là mais il ne se permet aucune secousse, ne faut pas fâcher les passagers. Dancin’ party (Comme l’été dernier) : encore l’inépuisable malle sans fond du twist, pas pire que les précédents, ni meilleur. Un bon point tout de même : sa brièveté. Sheila : de Tommy Roe dont le phrasé et l’accompagnement rappellent en plus mièvre Buddy Holly, Dany impulse un peu de peps dans le vocal, Ocks caracole gentiment, on eot aimé que Jean-Pierre Malléjac eût eu l’occasion d’un solo étincelant… Milk shake : un orgue pour faire mignon, faut dite que Dany essaie de draguer une toute jeune fille qui ne boit du lait, le morceau n’est pas sans évoquer Panne d’essence de Sylvie Vartan avec Frankie Jordan.

    MANGER DU CHOCOLAT

    Nous nous quitterons sur une dernière gourmandise, une publicité, le vocal de Dany est un peu bridé par les impératifs d’une prononciation relativement plate, par contre l’accompagnement des Pirates est de haut niveau. Peut-être même leur meilleur.

             Les Pirates se séparent courant 1963, Jean-Pierre Maléjack est déjà sous les drapeaux, Dany a décidé de poursuivre en cavalier seul, Eddy Mitchell se détache irrésistiblement des Chaussettes, Dick Rivers a déjà entamé une carrière solo dès 1962…  La séparation s’effectuera sans acrimonie. Le groupe a-t-il été un peu trop pressurisé durant l’année 1962, nous le pensons, n’ont pas eu le temps d’évoluer, le groupe rock est devenu un groupe de danse. L’on peut comprendre que le chanteur de la  troisième formation rock du pays ait jugé qu’il ait pu faire comme ses deux principaux ‘’rivaux’’. Dans une interview Jean Veidly rapporte quelques informations intéressantes, Dany est tombé dans le chaudron du rock, l’a suivi les circonstances, l’aimait bien le rock mais ce n’était pas vraiment son truc, son modèle à lui, c’était … Sacha Distel ! L’on pense à Olivier Despax, son côté beau garçon relax, qui lui aussi a disparu bien trop tôt.

             Dany Logan manifestait le désir d’être accompagné d’un grand orchestre, à la même époque Dick Rivers réclamait des violons, l’est sûr que la formation basse+guitares+batterie ne permet pas de grandes envolées… un peu monotone pour le grand public, elle ne peut subsister que si elle parvient à regrouper autour d’elle un nombre suffisant d’amateurs, de connaisseurs, de fans fidèles, ce qui n’était guère possible en France à cette époque. L’effet de surprise passé, les foules sont comme Baudelaire, elles veulent du nouveau. Mais elles ne recherchent ni l’Enfer, ni le Paradis…

    DANY LOGAN

    Et l’Orchestre de Jean Bouchety

    (Mars 1963)

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    La pochette n’est pas sans évoquer les premières couves des pirates. Au dos : un bel imper, une photo extraite du film ( voir plus loin), Dany est relégué à l’arrière-plan pratiquement invisibilisé par la troïka des têtes d’affiche…

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    Donne tes seize ans : tiens des violons (pas très violents), quelle surprise, une bluette signée Aznavour-Garvarentz, c’est mignon tout plein, aussi insipide qu’un verre de grenadine dans lequel on aurait retiré la grenadine. Une seule originalité : le son tranche d’avec la niaque des Pirates. Chouette choc chérie : un rock certes, à l’origine une scène de film Du mouron pour les petits oiseaux de Marcel Carmé, sans doute Dany a-t-il envisagé à une reconversion cinéma à la Elvis Presley, mais il n’est pas la vedette, le morceau (Aznavour-Garvarentz) ne serait pas mal, un sax aux abois, un piano qui rigole, mais il manque l’essentiel, l’énergie ! Même Dany se retient de chanter, un peu comme quand vous mettiez les patins pour ne pas rayer le parquet chez votre grand-mère. Le titre était prometteur, hélas le choc ne s’est pas produit. Dis-lui : encore des violons, suite logique du premier titre, chant gentillet, chœurs féminins apaisants, lyrics à l’eau de rose. Qu’en a pensé le producteur Bert Russel à l’origine du morceau. Vous… les filles : évidemment quand on lit le titre aujourd’hui on pense à Vous les femmes de Julio Iglesias, pas vraiment la meilleure introduction, toujours des violons sautillants mais ils ont les mis en arrière et posé la voix de Dany devant, ce qui tout de suite donne un meilleur résultat. Pas de panique : rien de prodigieux.

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    Scopitone : Donne tes seize ans

             Quand on compare avec Baby John sur le premier 45 tours de Dick Rivers sans Les Chats Sauvages, l’on perçoit la différence de visée…

    DANY LOGAN

    Et l’Orchestre de Paul Mauriat

    (Juillet 1963)

    Couve plein visage. Fini les couves acrobatiques, un jeune homme bien trop lisse, style gendre idéal…

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    Le soleil de l’été : reprise Summertime Blues d’Eddie Cochran, un bon point, une reprise honnête avec, trois fois hélas, un gros défaut, l’interprétation manque de mordant. L’on regrette les Pirates… Mon cœur à Juan-les-Pins : une infâme bluette… profitons-en pour signaler la présence de beaucoup d’images, émissions télé, scènes de film, scopitones, noir et blanc et couleur qui accompagnent tant les morceaux des Pirates que ceux de Dany solo… tous ces chefs-d’oeuvre impérissables ont mal vieilli, dans l’ensemble ils ont pris un terrible coup de désuétude. Pas de chance : même style que la chansonnette précédente, insignifiance absolue. Special Blue Jeans : le meilleur morceau de cet avant-dernier EP. Un disque un peu étrange, deux rocks qui encadrent deux variétoches, Dany Boy coupe la poire en deux, un adieu à une époque qu’il veut révolue, un regard incertain vers un futur dont les contours ne sont même pas esquissés.

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    DANY LOGAN

    Et l’Orchestre de Jean Bouchety

    (Mais 1964)

    Une pochette bien sombre pour un playboy, que l’on ne peut s’empêcher de juger prémonitoire…

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    Qu’en fais-tu : un petit rock sautillant sans envergure. L’orchestre fait l’impossible pour tromper votre lassitude mais il n’est pas dans le coup. Nous n’avions que seize ans : ce coup-ci les musicos réussissent presque, proposent une orchestration originale, Dany nous la joue nostalgie mélodramatique, une certaine réussite en le sens où le sixty early french sound est préservé tout en essayant de se projeter vers un ailleurs inconnu. Elles viennent : un original de Léo  Missir et de  Daniel Deshayes, c’est par son nom que Dany signait ses morceaux, tout au long de sa carrière l’on retrouve sa signature tant sur les adaptations que sur les créations. Un aspect de Dany rarement mis en valeur. Y a que toi : quelle ringardise ! un vocal pâlichon et une orchestration un peu n’importe quoi. Dommage de se quitter sur n’importe quoi…

             Dany Boy n’a pas été oublié. Depuis les années 80, les rééditions s’enchaînent. Sans doute faudrait-il passer en revue la petite trentaine de vidéos qui ont accompagné la sortie de ses disques. L’avait tout pour plaire, un superbe garçon, une voix, du charme… s’est-il découragé trop tôt… Il s’est battu jusqu’au bout… Nous saluons en lui un des pionniers français, il n’a vraisemblable pas fait tout ce qu’il a voulu, mais sûrement tout ce qu’il a pu. C’est déjà beaucoup.

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    Damie Chad.