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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 689 : KR'TNT ! 689 : ELVIS PRESLEY / DICTATORS / OVATIONS / DATSUNS / DEAN WAREHAM / JADE BRODIE / AORTES / REPTILIAN ARMS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 689

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 05 / 2025

     

     

    EIVIS PRESLEY / DICTATORS

    OVATIONS / DATSUNS / DEAN WAREHAM

    JADE BRODIE / AORTES /  REPTILIAN ARMS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 689

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu

     (Part Six)

     

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             Guralnick profite du départ d’Elvis à l’armée pour clore Last Train To Memphis -The Rise Of Elvis Presley et démarre Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley avec le retour triomphal du King démobilisé à Memphis. Et c’est là que le Colonel embraye sur le very very big business. Guralnick réussit l’exploit de montrer comment deux personnalités aussi opposées ont pu fonctionner ensemble : il confronte en permanence l’obsession du profit que cultive le Colonel, et l’extrême pureté comportementale d’Elvis. L’ombre et la lumière. Balzac n’aurait pas mieux fait. Guralnick nous propose ni plus ni moins qu’une Comédie Humaine des temps modernes. Dans la culture rock, peu d’écrivains sont capables d’un tel prodige. On peut citer les noms de Robert Gordon, Nick Kent, Nick Cohn, David Ritz et Richie Unterberger. Mais Guralnick travaille la psychologie de ses personnages plus en profondeur. Il cite d’ailleurs Kundera dans son beau texte d’introduction à Careless Love : «Suspendre le jugement moral, ce n’est pas l’immoralité du roman, c’est sa morale.» Oui, Guralnick pense que l’histoire d’Elvis est celle de la célébrité, et qu’elle est aussi une tragédie. Elle induit par conséquent une dimension morale qui ne peut être que celle de l’auteur. Pour Guralnick, le jugement moral est incompatible avec la démarche biographique. Il n’est pas là pour juger le Colonel que tout le monde voit comme une ordure, mais pour observer son rôle auprès d’Elvis. Il dit aussi qu’on connaît mal Elvis, pour les mêmes raisons : cette hâte qu’on met tous à porter un jugement. Elvis avouait lui-même qu’il éprouvait de grandes difficultés à rester à la hauteur d’Elvis. C’est la relation entre le Colonel et Elvis qui fascine tant Guralnick. Il dit ne pas connaître d’histoire plus triste que celle-ci.

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    ( Peter Guralnik)

             Les 700 pages de Careless Love sont un monument élevé à la pureté d’Elvis. Un Elvis qui pendant son séjour en Allemagne se goinfre d’amphétamines. Il adore ça car il se sent bien en permanence. Rien à voir avec les drogues. Elvis va se shooter aux amphètes toutes sa vie, mais il n’est pas un drogué, vous saisissez la nuance ? À Graceland il est fier de montrer sa chambre aux visiteurs. Sur sa table de chevet trônent deux livres, La Puissance De La Pensée Positive du bon Dr Peale et Comment Vivre 365 Jours Par An de John Schindler. Elvis est un être naturellement positif. Vernon et Gladys Presley l’ont élevé ainsi.

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             Elvis poursuit sa carrière à Hollywood. On lui fait jouer n’importe quoi. Millie Perkins qui le rencontre sur le tournage de Wild In The Country n’en revient pas : «The essence of Elvis was as fine a person as I’ve ever met. He treated me as well as anyone has ever treated me in this business.» Personne dans le monde du cinéma ne s’était aussi bien comporté avec elle. Elvis s’efforce pourtant de bien faire son job d’acteur, mais on lui confie des rôles ineptes - Silly posturings of trembling sensitivity - Ce sont les regards féminins qui percent le mieux le mystère d’Elvis. Ainsi, Annie Helm explique qu’Elvis a une patience infinie, qu’il reste toujours très poli, mais il veut que les choses se fassent d’une certaine manière. Annie Helm dit aussi qu’elle se goinfre de Dexedrine avec les boys. Party every night ! Il faut savoir aussi qu’Elvis ne porte pas de sous-vêtements. Une coquetterie qu’on retrouve chez les gens du MC5 et des Stooges. Chez les femmes, Elvis préfère les sous-vêtement blancs. All-white.

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    ( Elvis + Larry Geller)

             Voilà qu’Elvis rencontre Larry Geller, un homme féru de littérature ésotérique. C’est le commencement d’une relation intense. Elvis s’y abreuve. Larry réussit à assouvir cette soif incroyable de spiritualité. Elvis lui avoue à quel point il se sent vide. Il a besoin de donner un sens à sa vie. Il sent qu’une main le guide, il se dit qu’il doit y avoir une raison à tout cet incroyable succès. Pourquoi toute cette adulation ? Il veut savoir pourquoi il a été choisi pour être Elvis Presley. Touché par la candeur et l’honnêteté d’Elvis, Larry prend ces interrogations très au sérieux. Il alimente Elvis en lectures et malheureusement, ça crée des jalousies dans l’entourage. On ne peut pas vraiment parler d’un entourage intellectuel, if you see what I mean. Priscilla et les Memphis Boys détestent Larry Geller, et le Colonel encore plus. Il craint une dérive. C’est effectivement ce qui arrive. Elvis n’a pas dormi depuis deux jours et soudain, il a une hallucination. Il dit à Larry qu’il veut devenir moine ! Mais après une bonne nuit de sommeil, il revient à la réalité, d’autant que Larry lui rappelle qu’il doit faire face à ses responsabilités : il a reçu un don qu’il doit partager avec le monde entier. Donc pas question de disparaître. L’argument tape en plein dans le mille. Elvis est un mystique. Il ne considère pas le Colonel comme son mentor, mais comme un talisman. Il lui doit ce qu’il appelle sa good luck. Il en est profondément convaincu. Sur la recommandation de Larry, Elvis se rend en Californie auprès de Sri Daya Mata, l’héritière spirituelle d’un Yogi venu des Indes, Paramahansa Yogananda. Daya Mata qu’on appelle Ma a rencontré les hommes célèbres de son temps, Tagore et Gandhi, entre autres. Elle est aussitôt frappée par l’innocence d’Elvis. Elle voit en lui un esprit infantile en proie à l’adulation du monde entier. Non seulement il aime cette adulation, mais il parle d’un lien profond avec son public. Pas question pour lui de le décevoir. Elvis dit aussi devoir énormément au Colonel, mais se dit déçu de voir que le Colonel ignore sa soif de spiritualité. Allons allons, Elvis, ouvre un peu les yeux ! Business et spiritualité ne font pas bon ménage, c’est pourtant bien connu !

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    ( Sri Daya Mata)

             Un jour, Elvis vient voir Daya Mata pour lui dire : «Oh Daya Mata, I want you to know I love you !» C’est comme s’il parlait à sa mère qu’il adorait plus que tout. D’ailleurs, il y vient : «Ah si seulement vous aviez pu rencontrer ma mère !» et Daya Mata lui répond : «Oh Elvis, j’aurais beaucoup aimé la rencontrer...» Et là, on est tous foutus, car on touche au vrai Elvis, l’être le plus pur du monde. Mais le Colonel veille au grain et ne veut pas entendre parler de tout ce bazar. Il s’arrange pour couper les ponts. Elvis n’a plus personne à qui parler et le Colonel lui demande d’aller faire le pitre à la télé. Elvis enrage. Mais pas question de parler de ses sentiments, ni avec le Colonel et encore moins avec Vernon, son père. Elvis se retrouve incroyablement seul.

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             Quand au moment de préparer le ‘68 Comeback, le costumier Bill Belew fait des suggestions à Elvis, il est frappé par la gentillesse d’Elvis. Il note une absence totale d’ego, ce qui est rare chez une big star, dit-il. Steve Binder qui organise le ‘68 Comeback dit aussi la même chose. Quand il demande à Elvis s’il accepterait de chanter le «MacAthur Park» de Jimmy Webb rendu célèbre par Richard Harris, Elvis dit of couse - He liked MacArthur Park - Mais ça ne se fait pas pour une question de droits, hélas. Le choix des chansons reste la chasse gardée du Colonel, business oblige. D’ailleurs le Colonel réussit à virer Bones Howe du projet, le trouvant trop influent. Si Elvis écoute Bones, c’est mauvais pour les affaires du Colonel. Billy Strange qui travaille aussi avec Elvis n’en revient pas de le voir toujours poli, toujours respectueux des autres et tellement différents des gens du showbiz - Il avait la classe, je veux dire qu’à côté de tout le bazar du studio, je sentais que j’avais affaire à une vraie personne. C’était amusant de travailler avec lui, car il était tout le temps excité, il savait rester créatif - Elvis prenait aussi soin de rendre hommage aux géants qu’il vénérait, Jackie Wilson et Clyde McPhatter, entre autres. Et lorsqu’il décide de revenir à la scène, c’est bien sûr parce qu’il sent que c’est sa raison d’être sur terre. S’il est Elvis Presley, c’est parce qu’il a un public. C’est aussi la raison pour laquelle le mariage avec Priscilla ne tient pas : face à l’adoration des foules, la vie normale à laquelle aspire Priscilla ne peut pas rivaliser. Elvis n’est pas fait pour ça. Il a de son destin une idée très précise. Le chef d’orchestre Joe Guercio qui travaille pour Elvis à Vegas n’en revient pas de le voir sur scène - It was unreal ! - Il parle de charisme, d’un charisme qu’il n’a jamais vu chez aucune des autres grandes stars pour lesquelles il a dirigé - He was like a free spirit in the audience - Guercio va loin : «Vous croyez que c’est la discipline qui fait les stars sur scène ? Horseshit ! C’est le charisme qui fait la star !» et il ajoute qu’Elvis pouvait traverser la scène sans dire un mot et obtenir une ovation.

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             L’un des passages les plus stupéfiants de ce deuxième tome est celui de l’apparition. Ils sont sur la route, dans le désert du Nouveau Mexique et à la sortie de Flagstaff, Elvis fait : «Whoa !» Il voit un nuage à l’horizon et ce nuage prend l’apparence de Staline. Elvis demande à Larry s’il l’a vu. Oui. Indéniable. Pourquoi Staline ? Le visage d’Elvis est comme illuminé. Il semble si ouvert, si heureux, nous dit Larry. Pour Elvis, c’est Dieu. Il fait arrêter la bagnole et court dans le sable du désert avec les larmes aux yeux. Pour Elvis, c’était le visage de Dieu qui lui souriait.

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             Ce qu’Elvis craint plus que tout, c’est de perdre l’adoration de ses fans. Quand on évoque la possibilité devant lui, Elvis est choqué : «Mais comment pourrait-on me faire ça ?» Et il ajoute : «Je suis totalement innocent !» Il veut dire qu’il n’a jamais fait de mal à personne, alors pourquoi lui en ferait-on ? Oh et puis il y a le fabuleux épisode du ranch qu’Elvis finance à fonds perdus, ce qui inquiète Vernon et Priscilla, qui craignent la faillite et qui en parlent au Colonel. Ils convoquent Elvis. Les yeux ronds de stupeur, Elvis leur répond que c’est son blé, qu’il l’a gagné et qu’il peut le dépenser comme il veut. Même en offrant des Mercedes aux médecins compatissants. Lorsqu’il est reçu à la Maison Blanche par Richard Nixon, Elvis est fier, mais il insiste pour présenter à Nixon ses deux potes restés dans le couloir : «Mr. President, would you have a little time just to say hello to my two friends, Sonny West and Jerry Schilling ? It would mean a lot to them and to me.» Nixon sort dans le couloir serrer la pogne des deux Memphis boys. Eh oui, Elvis partage tout, même ses petits moments d’histoire.

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             Guralnick se concentre tellement sur les acteurs principaux de la saga qu’il néglige les personnages secondaires. Il bâcle la rencontre d’Elvis avec les Beatles. John et Paul se disent déçus et un attaché de presse laisse entendre qu’on traitait Elvis de boring old fart. En fait, ils n’ont rien à se dire. Elvis va plus vers des gens comme Jackie Wilson. Elvis le voit transpirer des litres d’eau sur scène et lui demande comment il fait. Jackie lui révèle son secret et lui montre des tablettes de sel qu’il avale avant de monter sur scène. Résultat garanti. Elvis s’entend bien aussi avec Billy Strange, un session man amateur comme lui de grosses motos. Autre personnage haut en couleurs : Jerry Reed, the Alabama wild man. Quand Elvis le voit arriver pour la première fois en studio, il s’exclame : «Lord have mercy !,What is that ?» C’est Jerry Reed qui amène «Guitar Man», et il est le seul à pouvoir le faire sonner, aussi Elvis le veut-il en studio avec lui. Mais ce que Jerry Reed ramène, c’est surtout le drive qu’aimait tant Elvis à ses débuts. Et quand les sbires du Colonel  coincent Jerry Reed dans un coin du studio pour lui faire signer une cession de droits sur «Guitar Man», Jerry Reed refuse, ce qui amuse énormément Scotty Moore qui assiste à la scène. Voilà enfin un mec qui résiste aux lois iniques du Colonel. En fait, personne n’avait encore osé tenir tête aux sbires du Colonel. Jerry Reed est l’un des héros de second plan de cette saga. L’autre héros de second plan est Jarvis Felton, qui se dit le plus gros fan d’Elvis. Felton est un producteur de Nashville très original. Il a pour animaux domestiques un tigre, puis un anaconda qu’il emmène nager dans sa piscine. Avant Elvis, il a fréquenté Lloyd Price et Fats Domino qui dans sa période nashvillaise l’appelait ‘Fel-tone, my man’. Dans le milieu musical, Felton se taille très vite la réputation d’un producteur excentrique, affable et imaginatif. Pour le compte de Chet Atkins, Felton travaille aussi avec Mickey Newbury, Willie Nelson et Cortelia Clark, un bluesman noir aveugle. Elvis adore Jarvis et parage son enthousiasme. Ils ont une relation basée sur le respect mutuel et Elvis le considère comme son producteur. Jarvis Felton est un rayon de soleil dans cette saga si sombre.

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             Côté cinéma, Elvis n’a pas de chance. À Hollywood, on lui fait tourner des ‘quick movies’. Kissin’ Cousins est tourné en 17 jours : profit maximum. Le Colonel veille au grain. Pas la peine de passer des mois sur un tournage, ça coûte cher. Heureusement qu’il a les films, car les ventes de disques commencent à chuter. Paru en 1962, «Return To Sender» est le dernier single qui atteint le million d’exemplaires vendus. Mais malgré tous ses films et tous les cachets mirobolants, Elvis ne sera jamais pris au sérieux en tant qu’acteur. Pire encore : Elvis finit par avoir honte de ses films et de ses disques. Même si l’argent coule à flots. Quand il revient sur le désastre de sa carrière hollywoodienne, il est extrêmement clair : «On ne me demandait pas mon avis sur les scripts. Je ne pouvais même pas dire que c’était mauvais. Mais je ne crois pas qu’on ait alors essayé de me faire du mal. C’est juste que l’image qu’avait de moi Hollywood était erronée, je le savais et je ne pouvais pas en parler, je ne pouvais strictement rien faire. Ça m’a rendu malade. Je devais arrêter ça. Ce que j’ai fait.» Elvis n’accuse personne, il ne cite pas de noms. C’est extraordinaire. C’est peut-être Marion Keisker qui le résume le mieux : «On trouvait en lui tout ce qu’on pouvait chercher. Il était incapable du moindre mensonge ou de la moindre malice. Il avait toute la complexité des gens très simples.» 

    elvis presley,dictators,ovations,datsuns,dean wareham,jade brodie,aortes,reptilian arms(Elvis and Barbara)

             Au lit, Elvis finit par éprouver certaines difficultés, nous dit Barbara Leigh. Il prend trop d’amphètes et ça finit par agir sur son système, dit-elle pudiquement - It was very hard for him to be a natural man - Mais bon, elle s’en accommode. Au lit avec Elvis, c’est tout de même un sacré privilège.

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    ( Lhomme qui résista au Colonel )

             Côté big money, les choses vont bien. Très vite le Colonel négocie des contrats de 200 000 $ par film avec Paramount puis un contrat de 500 000 $ par film avec la MGM, plus 50 % des recettes. Le Colonel prend 25 %, Elvis garde le reste. Chez RCA, ils récupèrent 320 000 $ d’avances sur royalties (240 000 pour Elvis et 80 000 pour le Colonel, plus une somme de 600 000 $ sur quatre ans à 50/50 entre Elvis et le Colonel). Puis le Colonel atteint le million de dollars par film à la MGM. En 1964, Elvis est l’acteur le mieux payé d’Hollywood. En 1968, Elvis s’assure sur trois ans un revenu de sept millions de dollars, rien qu’avec les films. Puis le Colonel négocie avec RCA le versement de 300 000 $ par an à Elvis, ce qui se traduit par une somme garantie de 2,1 millions de dollars sur sept ans, toujours à 75/25 avec le Colonel. C’est d’autant plus spectaculaire qu’Elvis vend de moins de moins de disques. RCA s’interroge même sur la nécessité de prolonger le contrat d’Elvis. Quand Elvis reprend les tournées à travers le pays, les profits s’élèvent à 800 000 $ répartis au nouveau taux d’un tiers deux tiers entre le Colonel et son client. Un taux qu’il va amener très vite à 50/50, se considérant comme un partenaire et non plus comme le prestataire d’Elvis. Quand le Colonel négocie avec l’Hilton de Las Vegas, il demande 175 000 $ de cachet par semaine, plus 50 000 $ de salaire pour ses efforts de promotion. Pour passer à la télé sur NBC, le Colonel demande un million de dollars, et pour les tournées prévues sur les quinze mois suivants, le Colonel envisage 4 millions de recettes. Tous ces chiffres donnent le vertige, mais il faut bien admettre qu’en matière de négociation, le Colonel est un expert.

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             Mine de rien, Guralnick en fait le personnage clé de cette saga. À saga hors normes, personnages hors normes. Très vite les règles sont claires : 25 % de tout ce que gagne Elvis disparaît dans les poches de ce vieux crabe, et Elvis ne discute pas. Si l’old man est content, alors tant mieux. Pour veiller sur celui qu’il appelle my boy, le Colonel pousse parfois le paternalisme un peu loin. Lorsqu’il décide d’écarter Larry Geller dont il juge l’influence néfaste pour le business, il invite Larry à déjeuner chez lui. Pendant ce temps, de mystérieux visiteurs pillent et vandalisent sa maison. Bien sûr, Larry n’a aucune preuve, mais il préfère prendre le large. Il en parle toutefois à Elvis qui s’exclame «Damn ! Damn !» et qui ajoute : «Lawrence, it’s a dangerous fuckin’ world !» En fait, le Colonel travaille surtout sur le côté de plus en plus imprévisible de son seul client. Il mise tout sur Elvis et il n’est pas question que ça vire en eau de boudin à cause des mauvaises influences ou des drogues. Et c’est parce que ce business devient très risqué qu’il réfléchit à une répartition plus égalitaire des profits, ce qu’il va appeler the partnership agreement et qu’Elvis va signer sans ciller. Dans son approche psychologique, Guralnick va loin, car il fait du Colonel une sorte de philosophe dont le thème de prédilection serait la raison du profit. Le Colonel menace en permanence d’écrire un livre dont le titre serait Combien Ça Coûte Si C’est Gratuit ?, ce qui veut dire que les choses n’ont de valeur jusqu’à partir du moment où on leur en attribue. Par conséquent, il estime que ses services valent bien 50 % de ce que gagne Elvis. C’est un raisonnement qui se tient. Professionnellement, le Colonel s’efforce de rester carré. Tout ce qu’il demande à son client, c’est show up and do the job. Une obligation sur laquelle il n’est pas en reste. Quand le Colonel vire des gens de l’entourage d’Elvis, il explique qu’il n’a rien de personnel contre eux. C’est juste du business. Elvis paye tous les gens qui l’entourent et le Colonel veille au grain. Quand il vire Larry Geller, il vire aussi les bouquins et la spiritualité. Et personne ne discute ses ordres. Le Colonel joue aussi un rôle de directeur artistique auprès de RCA. Il s’arrange pour que le son d’Elvis reste bien commercial. Quand le single «Big Boss Man» paraît, Elvis s’étonne : le son n’est pas celui qu’il a sur l’acétate RCA. Il dit à qui veut bien l’entendre que le Colonel s’en prend à sa musique, et là, ça ne va pas. Quand Elvis veut aller se produire en Europe, le Colonel s’y oppose. Il lui propose en échange des vacances aux Bahamas. Elvis accepte. En affaires, le Colonel est intraitable. Take it or leave it. Il n’y a pas de demi-mesure. Ça passe ou ça casse. Le responsable financier de RCA, Mel Ilberman, en bave tellement avec le Colonel qu’il envisage à un moment de rompre le contrat, rien que pour arracher ce vieux crabe qui s’accroche dans ses cheveux. Et puis vers la fin, le Colonel finit par envisager de vendre son contrat avec Elvis. Ça devient trop risqué à cause des drogues. Elvie grossit, il est en perte de vitesse. Sa santé bat de l’aile. Mais la vraie raison est plus prosaïque. On dit qu’il avait perdu des sommes colossales à la roulette du Hilton de Vegas : un million de dollars en un mois. À chacun son enfer. 

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    ( Elvis, Nixon, Red & Sonny West )

             Oh, n’oublions pas la Memphis Mafia, c’est-à-dire les amis d’Elvis, ceux qui l’accompagnent en permanence et qui vivent et travaillent pour lui à Graceland et à Vegas. Il préfère les down-home southern boys, Red West, Sonny West, Lamar Fike, Marty Lacker, Alan Fortas, Jerry Schilling, Charlie Hodge, George Klein. C’est parce qu’ils portent des lunettes noires et des costumes en mohair qu’on les appelle la Memphis Mafia. À Las Vegas, ils jouent à la roulette et vont voir Della Reese, Jackie Wilson ou Fats Domino se produire sur scène. Ils vivent tous sous amphètes. Joe dit qu’on ne dort que deux heures par nuit, dans l’entourage d’Elvis. Dans les hôtels où séjourne la bande, c’est l’endless party. Elvis casse des planches pour ses exercices de karaté et dans les couloirs, les Memphis boys se battent à coups de pistolets à eau. Ils s’amusent comme des gosses. Maintenant qu’Elvis est riche, tout devient accessible : les poules, les jeux, les bijoux et les amphètes. Ils s’amusent tellement à Vegas que Memphis leur paraît triste en comparaison. Ils louent des salles de cinéma et des manèges pour se distraire. Lots of pills and lots of parties. Darvon, Tuinal, Dexamyl, Placidyl, tout y passe. On s’amuse bien à la cour du roi. C’est exactement la vie d’une cour que nous raconte Guralnick, quasiment jour après jour. 

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    ( Elvis & Chips )

             La rencontre qui aurait pu être déterminante dans la carrière d’Elvis est celle de Chips Moman au studio American de Memphis. C’est Marty Lacker qui organise le coup, dans l’intérêt d’Elvis, bien sûr. Elvis a sacrément besoin de redémarrer sa carrière. Pour Chips, tout ce qui compte c’est l’enregistrement - making the record itself - Enregistrer chez lui à Memphis a porté chance à des gens comme Dionne Warwick, Dusty Springfield, Wilson Pickett et les Box Tops. Excusez du peu. Les proches d’Elvis espèrent que ça lui portera chance à lui aussi. Et Elvis se sent bien avec les Memphis Boys de Chips. Ils enregistrent la nuit, pendant deux semaines. C’est là qu’Elvis enregistre le «Suspicious Mind» de Mark James, l’un des songwriters appointés par Chips. Et quand les mecs du business coincent Chips dans un coin pour l’inciter à vendre ses droits de publication, ils tombent sur un os : Freddy Bienstock propose 25 000 $ à Chips qui lui dit : «Tiens tu vois, tu les prends et tu vas te les carrer dans le cul, t’as compris ?» C’est la fin de la relation avec l’équipe du Colonel et tous les gens de RCA qui grouillent dans le studio. Elvis ne reviendra hélas jamais enregistrer avec Chips qui avait pourtant réussi à le remettre en selle. Un autre producteur va aussi aider Elvis à se réhabiliter artistiquement : il s’agit bien sûr de Bob Finkel, le producteur de télévision qui réussit à monter le coup fumant du ‘68 Comeback, au nez et à la barbe du Colonel qui voulait des chansons de Noël. Finkel met Steve Binder sur le coup. Binder veut le King et il va l’avoir. Il demande à Elvis de changer. Pas question de voir l’Elvis d’Hollywood. Il veut du rock’n’roll. Pour Elvis, c’est une chance unique de revenir aux sources, de montrer qui il est en réalité. Il pige tout de suite. Et le miracle s’accomplit. Dans le film, on voit des choristes black à un moment : ce sont les Blossoms de Darlene Love, imposées par Elvis. Fantastique réussite, comme chacun sait - It’s 1955 and 1956 all over again ! - Elvis réinvente Elvis, et c’est exactement ce que le monde attendait.

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             Il faut aussi savoir qu’Elvis voulut enregistrer chez Stax, mais ce fut un désastre. Le matériel était dépassé et le choix de chansons mauvais. Elvis se pointe au studio avec cinq heures de retard et ça tourne en eau de boudin. Et quand on lui dit qu’on lui a piqué ses micros, Elvis sort du studio et ne revient pas.  Par contre, quand il met en place ses shows à Las Vegas, il impose les Sweet Inspirations dont il admire le travail qu’elles font derrière Aretha. Il veut aussi James Burton. Il veut que son orchestre rocke le boat et c’est ce qui se produit. 

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             Et puis avec l’arrivée des années soixante-dix, Elvis prend du poids. Il boit le Demerol au goulot. Quand le Dr. Sidney Boyer lui vient en aide, Elvis le remercie en lui offrant une Lincoln Continental blanche. Ah les cadeaux ! Guralnick nous en fait des pages entières ! Quand il offre des bijoux à ses musiciens, Elvis achète carrément la bijouterie. Il donne à chacune des Sweet Inspirations une bague de 5 000 $ pour les remercier. Il offre un avion au Colonel qui n’en veut pas : «Je n’ai pas besoin d’un avion et je peux m’en payer un !» Les gens finissent par suspecter la générosité d’Elvis. On est à deux doigts de l’accuser de vouloir acheter des sympathies. Mais Elvis est comme ça. Il a besoin de donner. Un autre jour, il dépense 70 000 $ de bagnoles-cadeaux dans la soirée : deux Mark IV, une Cadillac Seville pour un certain Ron Pietrefaso, et une Eldorado pour Linda. Il finit par dépenser tout ce qu’il gagne en bagnoles, en avions, en cadeaux, en armes, en bijoux, en fringues, des centaines de milliers de dollars. Vernon qui gère les comptes s’en rend malade. 

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             Linda qui devient sa compagne après le départ de Priscilla constate qu’il est drug-impaired, mais il réussit à transcender l’amour physique pour aller au cœur du sentiment. Et Linda avoue qu’elle l’aime comme une mère. C’est exactement ce qu’Elvis attend des femmes. Avec Sheila, c’est la même histoire : Elvis préfère les bisous et les papouilles à la baise. La nuit, il a besoin d’eau, de pills, de Jell-O, de lecture. Pour elle, Elvis est l’innocence même. Sheila va loin dans la confidence avouant qu’il préfère le pumping (la pipe) à la baise classique. Aucune perversité là-dedans - Adolescent innocence was what it was all about.

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    ( Dr Nichopoulos & Elvis )

             Et puis on arrive dans la période Fat Elvis. Il enfle, perd sa voix. Sur scène, ça tourne à la tragédie. Il déconne complètement : «Adios you motherfuckers, bye bye. papa too/ To hell with the whole Hilton Hotel, and screw the showroom too !» Quand Priscilla qui ne l’avait pas vu depuis longtemps le revoit enflé, elle est choquée. Le corps d’Elvis finit par mal réagir à l’absorption massive d’uppers et de downers. Un jour, le bon Dr Nichopoulos demande à Elvis ce qu’il a mis dans sa seringue, Elvis lui répond qu’il ne sait pas. En fait, il se shoote du Demerol tous les jours.

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    ( Jerry Schilling & Elvis )

             Quand Elvis fait du karaté avec Ed Parker, c’est compliqué, car le pauvre Elvis est stoned, ce qui rend la situation cocasse. En fait, il aura passé toute sa vie allumé aux amphètes. Les choses vont commencer à mal tourner. Un jour, dans une chambre d’hôtel à Vegas, Elvis mange une soupe au poulet. Linda va dans la salle de bain et quand elle revient dans la chambre, elle le trouve évanoui, la gueule dans la soupe, en train de suffoquer. Elle appelle le médecin qui le réanime avec un shoot de Ritalin. Elvis revient à lui et dit tout simplement : «J’ai fait un rêve.» Sur scène, il a des problèmes de locomotion et de mémoire. Il oublie les paroles. En le voyant dans cet état, John O’Grady s’inquiète, il pense qu’Elvis va mourir. Même Jerry Schilling, vieux compagnon de route, cède au désespoir : «Tout ce qu’il peut faire maintenant, c’est mourir.» Sa fin de carrière prend l’apparence d’une suite de concerts uniques, un cirque qui n’en finit plus. Elvis souffre de troubles respiratoires et de pertes d’orientation. Mais un bon docteur surgit toujours à point nommé pour lui administrer la piqûre miraculeuse.   

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             C’est la nouvelle fiancée Ginger qui découvre Elvis dans les gogues, écroulé par terre, la gueule dans le vomi et son pantalon de pyjama sur les chevilles. Pas très glorieux. Guralnick aurait pu nous épargne les détails. Ginger sent que c’est louche et elle alerte aussitôt la maisonnée. Joe essaye de le ranimer. Le visage d’Elvis est rouge, avec la langue pendante et les yeux injectés de sang, comme dans une mauvaise bande dessinée.

    Signé : Cazengler, El tournevis

    Peter Guralnick. Careless Love. The Unmaking Of Elvis Presley. Little, Brown 1999

     

     

    L’avenir du rock

     - Sous le joug des Dictators

     (Part Two)

             Chaque année, l’avenir du rock réunit ses vieux amis gauchistes pour une célébration de ce qu’ils appellent tous l’âge d’or de la lutte. Lionel, Arlette et Cécile ont tous pris un sacré coup de vieux, mais sous les touffes de cheveux blancs crépite encore un vieux reste d’enthousiasme révolutionnaire. Comme tout le monde a trop bu, la conversation déraille. Lionel lève son verre à l’avenir du passé :

             — Vive l’auto-émancipation de la clause vivrière et vive la démocratie directive !

             — Ouaiiiiis !

             Clameur générale, ovation. Ils rigolent tous comme des bossus. Arlette se lève d’un bond et déclare :

             — Cravailleuses, Cravailleurs !

             Tout le monde applaudit.

             — Ouaiiiiis !

             — Mais j’ai pas fini !

             — Ouaiiiiis !

             Cécile se lève, elle tangue, elle réussit miraculeusement à se stabiliser et lance d’une voix de vieille fouine pervertie :

             — L’État c’est pas la partie ! C’est la traction, la fonction mathématique, mirifique, politique, fatidique de la friterie !

             — Ouaiiiiis !

             Elle reprend, en tapant du poing sur la table :

             — Alors ouiiiiiii, je serai toujours et à jamais la patriote de toutes les pâtes à la sauce tomate !

             — Ouaiiiiis !

             L’avenir du rock se lève et la main sur le cœur déclare :

             — Je n’ai jamais osé vous l’avouer mes amis, mais aujourd’hui je peux enfin me libérer de ce poids : j’ai toujours eu un faible pour les Dictators...

             — Ouaiiiiis !

     

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             En 2024, ça ne viendrait à l’idée de personne d’écouter le nouvel album des Dictators. Sauf si tu écoutais «The Next Big Thing» en 1975. C’est le genre de cut qui te marquait à vie. Alors c’est bien naturel que tu te poses la question : quel sens ça a d’écouter tous ces vieux groupes aujourd’hui ? Par exemple les Damned, ou encore les Hollywood Stars ? Une partie de la réponse tient dans le fait que ces vieux groupes font encore de bons albums, souvent plus intéressants que ceux des contemporains qui font l’actu. D’autant que les kros des nouveautés sont souvent biaisées parce que trop favorables. Si tu te fies à ce que racontent les kronikeurs dans la presse anglaise, tu te fais souvent avoir comme un bleu. Tout est une question de racines, et celles des Dictators sont de bonnes racines. Alors tu tentes le coup.

             Il n’en reste plus que deux : Ross The Boss et Andy Shernoff. Scott Kempner a cassé sa pipe en bois l’an passé et nous lui avons rendu un petit hommage vite fait en passant. Au beurre, les Dictators ont récupéré l’Albert Bouchard de Blue Öyster Cult, et un certain Keith Roth fait office de nouveau chanteur. 

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             Dans Vive Le Rock, une petite interview permet de faire le point sur la Dictature. Une belle photo orne la double : Keith Roth a fière allure, massif, déterminé, regard bleu sous une casquette sixties, et grosse boucle de ceinturon. Les Dictators se sont reformés en 2019, mais lorsque Scott Top Ten Kempner a cassé sa pipe en bois, il a fallu le remplacer : l’heureux élu est donc Keith Roth, le chanteur de Frankenstein 3000, un mec du Bronx, dont le grand frère était un pote de Scott Kempner. C’est Andy Shernoff qui répond aux questions du canardeur. Ça commence mal car Vive Le Rock lui demande si c’est bien sérieux de redémarrer un groupe avec seulement deux survivants, Ross The Boss et lui. L’Andy rétorque qu’à part U2, il ne reste pas beaucoup de groupes d’origine complets. Et puis l’Andy rappelle que faire le Dictator, c’est son métier, il a commencé très jeune et il adore ça - Each day you make music is a good day - La question qu’il ne fallait pas poser arrive : Et Manitoba ? L’Andy répond sèchement que pas de nouvelles depuis 2009, «so bringing him back never crossed our minds.» L’Albert Bouchard, c’est pas pareil. Il s’agit d’un vieux poto. L’Andy rappelle aussi que les Blue Öyster Cult sont des kindred spirits. Les Dictators font d’ailleurs une cover  de «Transamaniacon MC» sur le nouvel album. Il y a aussi un hommage à Joey Ramone qui a toujours été un good buddy. L’Andy rappelle qu’il fréquentait Joey avant qu’il ne soit dans les Ramones et qu’il était assis près de lui quand il a rendu son dernier soupir à l’hosto. Ça se passe entre New-yorkais. Il rappelle aussi que les Beatles, les Stones, les Kinks et les Beach Boys sont ses influences et que leur album Go Girl Crazy est sorti un an avant celui des Ramones. Donc, oui, proto, poto !

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             Bon, c’est vrai, le nouvel album sans titre des Dictators n’est pas l’album du siècle. Mais on retrouve néanmoins le New York City Sound de base, et ce dès «Let’s Get Back Together» que chante Andy Shernoff. C’est du Dictators pur et dur, il y va au c’mon c’mon. Keith Roth prend le chant sur «My Imaginary Friend» et ce n’est pas la même voix. Il passe en force. On voit aussi que les Dictators n’ont jamais lâché la rampe. Ils opèrent un grand retour aux mamelles du destin avec «All About You». Ross the Boss is on fire ! C’est hot as hell, l’empire des heavy chords s’étend de nouveau à l’infini. On retrouve des gros paquets de riffs congestionnés dans «Wicked Cool Disguise». Avec Ross The Boss, ça devient lumineux. C’est un virtuose des bas-fonds. L’intro de «God Damn New York» annonce bien la couleur. Ce démon de Ross gratte sa cocote new-yorkaise. Une vraie brute ! Mais pour le reste, on est loin du Next Big Thing. Tout est bardé d’un max de barda, les cuts sont faibles et pourtant le son reste dense, comme s’il cachait la misère. Ils font du pur blast à l’ancienne avec «Thank You & Have A Nice Day» et voilà qu’ils rendent hommage à Joey Ramone avec «Sweet Joey». Ross gratte une cocote incroyablement sèche. Il ne mégote pas sur la marchandise. Que peux-tu dire de plus ?

    Signé : Cazengler, Dictatorve

    Dictators. The Dictators. DEKO 2024

    Profiled :  The Dictators. Vive Le Rock # 117 - 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Ovation pour les Ovations

             Jo-l’occasion aurait pu traîner avec des mecs bien, un groupe de projet pédagogique ou un club de badminton, par exemple, mais il préférait fréquenter notre gang de Pieds Nickelés.  On l’avait surnommé Jo-l’occasion parce qu’il était toujours partant. On pouvait lui proposer n’importe quoi, il ne discutait pas. Il ne cherchait pas à savoir le pourquoi du comment. C’est assez rare de voir des mecs aussi bien disposés, des mecs d’une si bonne nature. Par la force des choses, il illustrait à merveille ce vieil adage disant que l’occasion fait le larron. Alors on a fini par en faire un jeu. À l’apéro, on lui proposait un plan pour la soirée, comme le faisait Alex avec ses Droogs :

             — On va baiser la femme de Desbordes, pendant qu’il est au boulot, elle est super-chaude et elle est d’accord. Ça te branche ?

             — Pas de problème.

             Le lendemain soir, on lui proposait un plan un peu plus aventureux :

             — On va vider le semi-remorque d’un transporteur de champ’ sur l’aire de Plessis, pendant que le chauffeur bouffe au restoroute. Ça te branche ?

             — Pas de problème.

             Le jeu consistait de faire monter le niveau de craignosité, pour tester son élasticité. 

             Le soir suivant, on lui proposa d’aller tous les six au resto du Grec, de choisir les meilleurs plats et les meilleurs vins, puis, à la fin du repas, d’aller le trouver au comptoir pour lui annoncer qu’il allait s’asseoir sur l’addition. Pas de problème.

             Pour monter encore d’un cran, on lui présenta le coup de siècle.

             — Tiens, voilà un calibre. Demain matin, on va aller se garer devant la banque qui se trouve face à la sortie du métro, tu vois où c’est ? Toi tu entres, tu braques et nous on t’attend dans la bagnole. Dac ?

             On a entendu des coups de feu. Alors on a mis les bouts. Jo l’occasion s’est sûrement fait dessouder. Pousser le bouchon, c’est un métier, et il n’était pas fait pour ça. Quelle déception !

     

             Les Ovations sont aussi un gang, mais un gang plus paisible que celui qui tenta d’incorporer Jo-l’occasion.

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             Pour les ceusses qui ne les connaîtraient pas, les Ovations de Louis Williams sont une grosse équipe de Memphis. On devrait dire une très grosse équipe. Les Ovations méritent une ovation car ils sont les rois du groove sentimental. Ils ont démarré leur carrière sur le fameux label Goldwax de Quinton Claunch et sont passés ensuite sur Sounds Of Memphis, un studio/label distribué par MGM. Le trio se compose de Louis Williams et de deux ténors, Nathan Lewis (first tenor) et Billy Boy Young (second tenor). Martin Goggin qui signe les liners de Kent Soul tient beaucoup à ce détail. Les autres grands acteurs de la légende des Ovations sont Dan Greer, et Gene Lucchesi. Boss de Sounds Of Memphis, Lucchesi est devenu riche en 1965 avec «Wolly Bully». N’oublions jamais que Sam The Sham & The Pharaohs sont au cœur de la légende du Memphis Beat. C’est avec le blé de «Wolly Bully» que Lucchesi monte son studio en 1968. Lucchesi embauche Dan Greer pour remplacer Stan Kessler parti courir l’aventure ailleurs. Dan Greer est à la fois singer, songwriter et producer. Il commence par produire Lou Roberts, puis les Minits et Spencer Wiggins. Dans les parages de Lucchesi et de Stan Kessler, on retrouve aussi Willie Cobbs et son fameux «You Don’t Love Me». C’est Kessler qui monte les Memphis Boys de Chips Moman, puis les Dixie Flyers de Jim Dickinson. Dan Greer est à la recherche d’un gros nom, il vaut percer, alors il flashe sur les Ovations, a major vocal group in Memphis, un trio qui a tourné avec Otis et James Brown et qui s’est produit à l’Apollo de Harlem. Les Ovations ne sont pas des oies blanches. Et comme petite cerise sur le gâtö, Dan Greer va leur composer des hits sur-mesure. Il va aussi faire appel à son vieux partner George Jackson, avec lequel il duettait au temps de George & Greer, qu’on retrouve bien sûr une autre compile Ace. Comme backing band, Dan Greer louche sur The Hi Rhythm, mais ils sont trop occupés avec Willie Mitchell, alors Dan embauche un groupe de club local, The Trademarks. Et roule ma poule. Il faut considérer les albums des Ovations comme d’immenses classiques du Soul System.   

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             Hooked On A Feeling est un Sounds Of Memphis de 1972. T’en reviens pas ! Classic Soul, mais chantée à outrance. Louis Williams va chercher la dragée haute en permanence, avec de gros accents de Sam Cooke, il bourre le mou de son «Can’t Be Satisfied» à coups de when you touch me ! On imagine le travail. Tous les cuts montent bien, mais sans exploser. Pas de coït. Ces trois mecs sont brillants. Ils parfument «Were You There/Touch The Hem Of His Garment» au gospel pur. Louis Williams s’adresse à Gawd. Ils tapent dans des styles très différents, et derrière ça gratte des poux en creux. Memphis style !

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             Having A Party sort l’année suivante. Album nettement plus groovy, plus cooky, d’ailleurs ils commencent par saluer Sam Cooke avec «Having A Party» - Dedicatd to the grrrreat Sam Cooke - Les gens applaudissent. Dan Greer signe «Born On A Back Street», une belle pop de Soul, cool & collected, bien touffue. «My Nest Is Still Warm (My Bird Is Gone)» va plus sur le downhome de Beale Street, ils tapent là un authentique heavy boogie blues. Encore du Sam Cooke avec «You Send Me», le groove des jours heureux. Et même fantastiquement heureux ! La big Soul de Dan Greer reprend la main avec «I Can’t Believe It’s Over». En plein dans le Memphis Beat ! Et bien sûr, ils bouclent avec «A Change Is Gonna Come», la cover de rêve - I was born by the river - Tu l’as. C’est du pur Sam Cooke.         

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               Sur le Sweet Thing de 1981 se niche une belle perle noire : «You Gave Me The Best Performance». Cette Soul te flatte bien l’intellect. Louis Williams sort le grand jeu, il a tout le soft de la Soul. Louis II de Memphis porte bien son nom, un vrai Bavarois en black. L’autre coup de Jarnac de Sweet Thing est le «Till I Find Some Way» d’ouverture de bal. C’est en quelque sorte le groove de génie définitif. Ces mecs dansent dans l’air du temps, produits par Dan Greer, tu n’y peux rien, ils sont plus forts que toi, ils te rendent même heureux, sugar baby/ Ya drive me crazy. Leur Soul est même littéralement seigneuriale. Louis Williams amène son «Plumber» comme De Niro dans Brazil : «I’m/ I’m the plumber !». Nouveau shoot de fast heavy groove directif. Ils t’en mettent plein la vue. Ils tapent l’«I Can’t Believe It’s Over» à l’orgue d’église. Grosso modo, c’est une resucée de «When A Man Loves A Woman», mais heavy as hell. Et leur morceau titre dégouline tout simplement de bonheur : c’est la Soul des jours trop heureux. Ils terminent avec un shoot de Soul parfaite, «Pa Pa». Si tu cherches du real deal, alors écoute les Ovations.

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             Ces démons de Kent ont même réussi à rassembler les Goldwax Recordings. Alors attention, on attend des miracles de Goldwax, et parfois on attend longtemps. C’est une Soul gluante, un peu théâtrale. Les Blackos y versent des larmes de sang. Il faut attendre «Qualifications» pour les voir tous les trois faire du gros popotin de fast r’n’b d’all she had to do is give a little call. D’une certaine façon, les Ovations sont les rois inconnus du groove. Louis Williams te colle «Ride My Trouble And Blues Away» au plafond, et fait son Sam Cooke sur «Happiness». En règle générale, ils se la coulent douce. Tout est très black chez Goldwax. Ils tapent l’excellent «What Did I Do Wrong» à coups d’harp, choix étrange et bienvenu. Toujours ultra chargé, voici «I Need A Lot Of Loving». Louis Williams chauffe son «Peace Of Mind» à coups d’everything - I got something you ain’t got/ Peace of mind - On ovationne les Ovations. 

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             Merci Kent Soul pour ce One In A Million - The XL & Sounds Of Memphis plein comme un œuf. Louis Williams et ses deux amis sont le son et le power. La seule chose qui les intéresse dans la vie, c’est le groove de rêve («Touching Me»). Ils savent aussi tortiller du cul comme le montre «Don’t Break Your Promise», c’est plein de son et de listen to me. Ils tapent «You’ll Never Know» à l’extrême onction du doo-wop, pur jus de black genius. C’est d’un niveau hallucinant de véracité, Louis Williams te chante ça à la titube incoercible. Si tu veux du mythique, en voilà avec «Soul Train», l’hymne black par excellence. On reste dans la Memphis Soul avec «Having A Party», sacré clin d’œil à Sam Cooke. En fait, ces mecs n’arrêtent pas un seul instant, ils enfilent les hits comme des perles, ils tapent «I Can’t Believe It’s Over» au heavy groove de bassmatic et «Don’t Say You Love Me (If You Don’t Mean It)» au swing de jive. Ils sont à l’aise partout, ils éclatent les cuts les uns après les autres. Encore un cut énorme avec «I’m In Love», c’est de la Soul géniale, même chose avec «Pure Natural Love», signé Jackie De Shannon, tendu à se rompre, ils te réinventent la Soul, comme s’ils élevaient un nouveau sommet du lard. Ils sont même au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer. Ils disposent de qualités harmoniques inégalées. Encore une Sainte-Barbe qui saute avec «Sweet Thing», véritable slab de wild Soul funk, signé George Jackson, et complètement allumé. Ils tapent plus loin leur «Hangin’ On» au beat de hangin’ on et ils terminent cette partie de rodéo avec «You’re My Little Girl», un heavy groove de Soul demented parfumée de calypso.

    Signé : Cazengler, Ovascié

    Ovations. Hooked On A Feeling. Sounds Of Memphis 1972

    Ovations. Having A Party. Sounds Of Memphis 1973     

    Ovations. Sweet Thing. Sounds Of Memphis 1981

    Ovations. Goldwax Recordings. Kent Soul 2005

    Ovations. One In A Million. The XL & Sounds Of Memphis. Kent Soul 2008

     

     

    Les Datsuns ne sont pas des voitures

    - Part Two

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             Les Datsuns ? Pas de problème. Pas de surprise. Pas d’entourloupe. Pas d’avenir. Pas de papa. Pas de maman. Juste un peu de passé (ils tournent et enregistrent depuis vingt ans), juste un peu de garage néo-zélandais, juste un joli brin de showmanship comme on dit dans la perfide Albion, mais rien de transcendant ni de tentaculaire. Tu prends ton billet et surtout, tu fermes ta gueule. Tu te mets là, tu regardes, t’écoutes un peu les paroles, mais pas trop, t’applaudis mollement, et tu conclus bêtement que l’un dans l’autre, t’as passé une bonne soirée. T’essaies de ne pas trop te souvenir de leur dernier show normand en 2014, car t’en gardes le souvenir d’un concert problématique, t’avais tout simplement assisté aux affres d’un groupe en panne d’inspiration, le genre de tuile qui ne pardonne pas et qui ruine une réputation. Ce sont des choses qui arrivent à beaucoup de groupes, au bout de 15 ou 20 ans.

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             Comme beaucoup de groupes, les Datsuns sont devenus une marque, et donc un fonds de commerce, alors ils continuent. Ils exploitent leur petite veine. Peut-être en vivent-ils. On ne sait pas. Mais la faune garage européenne les connaît. Toux ceux que tu croises ont un petit truc à raconter sur les Datsuns. Sept albums en 25 ans, c’est assez respectable, surtout que les deux premiers ont bien tapé dans le mille, à l’époque. Il fut un temps où Rudolf De Borst était à la une du NME, ce qui était une sorte de belle consécration.

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             Il est toujours là, le Borst, frétillant comme un gardon zélandais, sautillant comme un zébu sous speed, il cumule admirablement bien les fonctions, il chante et mouline un bassmatic polyvalent, il danse et il voyage, il fait voler ses cheveux et s’égosille comme un oisillon affamé, il revient et il repart, il n’a pas de voix, mais il compense par une extraordinaire débauche d’énergie et fatalement, il finit par s’imposer. Il joue bien le jeu de la rockstar. Il semble qu’il soit né pour ça. Il semble même que ce soit son destin, yo ! Il rafle fantastiquement la mise avec son excès de zèle zélandais. Il remporte ce qu’on appelle une victoire de haute lutte. Il jette chaque seconde de présence scénique dans la bataille et parvient à cacher la misère. De ce point de vue, il est admirable.

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             En plus, il est bien entouré. Ça gratte les poux qu’il faut et ça bat le beurre qu’il faut. Ces mecs connaissent toutes les ficelles, surtout celui de gauche qui s’appelle Christian Livingstone : c’est un clone de Jimmy Page. Ne manque que l’archet. Il gratte ses poux sur une Les Paul et n’est pas avare de poses héroïques. Il sait se pencher en arrière et faire de belles grimaces bien ridicules. Ça fait partie du jeu. Les gens adorent photographier ce genre de plan pourri pour aller poster l’image sur leur page machin. Les salles de concerts sont devenues de véritables centres de production numérique, t’en as même qui échangent des messages en direct. Ça devient un cirque, mais c’est pas grave, il ne faut pas s’en formaliser. Vazy Jimmy Page, fais ton cirque. On te paye pour ça. Avant on allait voir les singes savants et les éléphants au cirque. Maintenant on va voir les Datsuns au club. Si le cirque fait partie du jeu ? On ne se pose même plus la question. 

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             Pour muscler leur show, ils tapent dans leur premier album («Sittin’ Pretty», «Lady» et «Harmonic Generator»), et dans le deuxième avec «Girls Best Friend». Ils ouvrent et referment avec deux cuts tirés de Death Rattle Boogie, «Gods Are Bored» et «Gold Halo». Ils proposent une sorte de Best Of. C’est de bonne guerre.

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             Leur dernier album Eye To Eye est donc faiblement représenté. Tout au plus trois cuts dont l’excellentissime «Bite My Tongue», attaqué à la pure violence riffique, c’est même du big time qui ne veut pas lâcher la rampe et Jimmy Page passe bien sûr un killer solo flash d’antho à Toto. Et il récidive en fin de cut. Ils tapent aussi «Other People’s Eyes» sur scène, mais ils se perdent dans leur enfer, comme le font souvent les vieux pros. On entend aussi Jimmy Page partir en quenouille de vrille sur «Brain To Brain». C’est un vrai perceur de blindages. Dommage qu’ils n’aient pas joué «Dehumanise», car c’est noyé de disto zinzin zélandaise. Jimmy Page descend au barbu de la wah. «Dehumanise» est le cut idéal : vite en place et ça tourne au blast. Quand t’écoutes ça, tu te dis que t’as un big album dans les pattes. Ce que vient confirmer ce «Warped Signals» gorgé de power. Avec «Sweet Talk», ils passent au stomp des zazous zélandais. Ils sont à l’aise dans tous leurs domaines. Ils virent poppy popette avec «Moongazer», mais avec une belle voracité. Ils tiennent bien leurs promesses et flirtent même avec les Beatles, alors t’en reviens pas.

    Signé : Cazengler, daté

    Datsuns. Le 106. Rouen (76). 28 mars 2025

    Datsuns. Eye To Eye. Hellsquad Records 2021

     

     

    Wareham câline

     - Part Three

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             Le real Dean repart de plus belle avec sa copine Britta. Ils montent le duo Dean & Britta et se jettent dans l’aventure avec L’Avventura. C’est l’album des grands

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    mimétismes, à commencer par «I Deserve It» qui sonne comme du Gainsbarre. C’est pompé sur «Melody Nelson». Puis t’as «Moonshot» qui est du pur Lou Reed, même si c’est un cut de Buffy Sainte-Marie, le real Dean te le prend en mode intrinsèque, sa voix craque d’éclats intenses, c’est d’une ampleur considérable. Avec «Hear The Wind Blow», il refait «Pale Blue Eyes, et pourtant, c’est un cut d’Opal, c’est-à-dire Kendra Smith et David Roback. Son sometimes it seems n’est pas loin de linger on your pale blue eyes. Le real Dean jette tout son génie vocal dans la balance et croasse deux ou trois syllabes au passage, histoire de faire son Lou. Encore une cover, celle du «Random Rules» des Silver Jews. La classe mélancolique de David Berman lui va comme un gant. Il enchaîne avec une autre cover, l’«Indian Summer» des Doors, qu’il prend à la douce gentillette. Bel hommage à Jimbo. Le real Dean et Britta duettent comme des dieux sur «Ginger Snaps». Ils tapent dans leur meilleure veine. Le real Dean est le premier à le dire : «One of the best things I have ever done. Certains albums sont meilleurs que d’autres, et je voyais celui-là comme l’album que j’avais voulu faire toute ma vie, influencé par Glen Campbell et Bobbie Gentry, Lee Hazlewood et Nancy Sinatra, Madonna, Nina Simone et Mary Tyler Moore.»

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             Tu vas trouver trois très belles choses sur Black Numbers, à commencer par «Words You Used To Say», un gros clin d’œil à Lou Reed. Le real Dean chante au deepy deep. C’est un fieffé follower. Britta le rejoint un peu plus loin et elle sort sa meilleure voix éthérée. Tu tombes ensuite sur «Wait For Me», en plein dans la lignée de la pureté. Britta attaque ça au sucre candy. T’en reviens pas de tant de beauté. Le real Dean est avec Doug Mercer des Feelies l’un des derniers héritiers du Velvet. Mais il faut bien dire que Britta sait bien prendre les choses en mains («You Turned My Head Around»). Elle attaque encore «White Horses» au doux du candy. Elle a un candy très particulier, elle sonne comme une ingénue libertine. Quant au real Dean, il montre encore avec «Me & My Babies» qu’il est d’une insondable profondeur artistique. Il adore le sucre candy de «Say Goodnight», pas de doute. Il recrée encore une fois le son de Pale Blues Eyes dans «Crystal Blue RIP». Il n’a rien perdu de ses pouvoirs de mage.             

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             C’est l’Andy Warhol Museum et le Pittsburg Cultural Trust qui ont demandé au real Dean et à Britta d’enregistrer 13 Most Beautiful: Songs For Andy Warhol’s Screen Tests, pour accompagner 13 Screen Tests d’Andy Warhol. Le real Dean dit aussi que Warhol a tourné 470 screen tests. Dans les liners, il rentre bien dans le détail des personnages qu’il a choisis. Les liners sont beaucoup plus intéressants que les enregistrements. Le real Dean a lu énormément de books sur la Factory. On ne craque véritablement que sur trois des Songs For Andy Warhol’s Screen Tests : «I’ll Keep It With Mine» dédié à Nico, Britta s’y colle, elle s’y colle merveilleusement bien, elle dégage la puissante mélancolie urbaine de Nico. Sur «Not A Young Man Anymore» dédié à Lou Reed, le real Dean fait son Lou. L’illusion est parfaite. Et puis «Eyes In My Smoke», dédié à Ingrid Superstar, et qui tape en plein dans le smoke du Lou, la qualité du smooth est inégalable et t’as le solo liquide en prime. D’autre cuts accrochent un peu, comme par exemple «International Velvet Redux» dédié à Susan Bottomly, car le real Dean part en épais solo de désaille vinaigrée. Avec «Herringbone Tweed» dédié à Dennis Hopper, il part en mode heavy groove à la «Sister Ray», mais sans la folie sonique. «Knives From Bavaria» dédié à Jane Holzer sonne comme le «Bonnie & Clyde» de Gainsbarre.

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             Quarantine Tapes est un album de covers. On en retiendra trois : «Massasuchetts» des Bee Gees (le real Dean tape dans le sacré, il a le sucré de Robin, alors ça fonctionne et ça grimpe dans les harmonies vocales), «Most Of The Time» (Dylan, le real Dean réussit l’exploit de sonner comme le vieux Bob) et «Ride Into The Sun» (Velvet dans l’âme, gratté aux gros accords las). Le reste n’accroche pas. Ils démarrent l’album avec le «Neon Lights» de Kraftwerk qui rime si richement avec berk. Ils se vautrent sur une cover pourrie du «So Bored With The USA» des Clash. Avec le «Carnival Slow» des Seekers, on se croirait à l’Eurovision. Ils font du mou du genou sur le «23 Minutes In Brussels» qui date du temps de Luna, et on perd patience. Par contre, le real Dean donne de l’air à l’«Air» de Mike Heron et il y va à grands coups d’acou. 

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             La cerise sur le gâtö du duo, c’est leur collaboration avec Sonic Boom. D’abord un EP, Sonic Souvenirs, en 2003. Sonic te nappe ça bien. Il arrose tout de crème anglaise. Le real Dean refait son Lou sur «Hear The Wind Blow (Down Moonlight Mile)». Un vrai bijou de Velvet latent, gorgé d’écho. Plein son. On retrouve sa belle profondeur de timbre dans «Moonshot (Myths Of Heaven)». Ça craque sous la dent, ça cloque de densité. Dean & Britta duettent comme des cakes sur «Ginger Snaps (And Sugar Winks)», et font siffler les S de when the kitchen sinkS/ When the sugar winkS. Très pur. Merveilleuse association.

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             Puis l’an passé, Dean & Britta & Sonic Boom ont enregistré leur Christmas Album, A Peace Of Us. Franchement, ce serait une grosse connerie que de faire l’impasse sur cet album, car Sonic Boom y fait des merveilles. Le «Snow Is Falling In Manhattan» est très «Pale Blue Eyes». Nos trois amis restent dans la ligne du parti. Le real Dean adore sa vieille traînasse. Tout est très éthéré, très intéressant, très haut de gamme sur cet album. Britta chante «Do You Know How Christmas Trees Are Grown» d’une voix pure de crystal clear. Le real Dean prend ensuite son «Old Toy Trains» au doux du doux. Le «Silver Snowflakes» qu’on croise plus loin n’est autre que le «Greensleeves» de Jeff Beck, et le «Still Natch» est bien sûr le «Silent Night» bien connu des amateurs de réveillons. A Peace Of Us est en fait un Christmas album. Coup de tonnerre en B avec un hommage à Totor : «You’re All I Want For Christmas». T’as même les castagnettes et ça sonne comme un hit des Ronettes. Britta fait encore un carton avec «If We Make It Through December», elle est à l’aise avec la country de saloon, elle est même assez paradisiaque, très Nancy Sinatra, et t’as la prod de Sonic Boom. L’album se termine par un hommage à John Lennon, «Happy Xmas (War Is Over)». T’es tout de suite dans le cercle magique. Pas de meilleure aubaine. 

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             Oh mais c’est pas fini ! Le real Dean enregistre aussi des albums solo. Le dernier en date s’appelle I Have Nothing To Say To The Mayor Of LA. Tu vas te régaler de la belle pop enchanteresse de «Cashing In». Le real Dean sait emballer son fan. Il a vraiment un charme fou. Avec «Robin & Richard», il sonne comme le Lou, une fois de plus - My pleasures are plenty - C’est du pur Lou. Il termine en mode clairette phosphorescente, c’est un éclair de génie. Génie encore avec «Under Skys», tu le vois littéralement partir en solo sous les skys. Le real Dean est un fabuleux guitariste, il te fait tourner la tête, tu pourrais lui dire, sur un air de Piaf, «mon manège à moi c’est toi.» Nouveau coup de génie avec «Why Are We In Vietnam». Il se pose des questions existentielles. Il reste très new-yorkais dans son approche philologique et bien sûr, tu le vois se lancer dans l’un de ces finals élégiaques dont il a le secret. Il rivalise d’intelligence guitaristique avec Tom Verlaine, c’est une évidence.

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             Emanciped Hearts sonne comme une sorte de point bas dans l’œuvre qu’il faut bien qualifier de tentaculaire du real Dean. Il attaque avec «Love Is Colder Than Death», un big balladif entreprenant. Il a raison, le real Dean, l’amour est plus froid que la mort. Il prend son plus beau timbre de Lou pour attaquer son morceau titre. Il chante vraiment comme son idole. On assiste ici à une belle évolution du domaine de la lutte. Et puis après, ça se gâte. Il monte un coup très weirdy avec «The Longest Bridges In The World» et se plaint bien dans le demi-jour avec «The Ticking Is The Bomb».

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             Paru en 2014, Dean Wareham vaut le détour pour trois raisons majeures : «Beat The Devil» et «Happy & Free» (deux Beautiful Songs), et un authentique coup de génie nommé «Babes In The Wood» où il sonne comme le grand continuateur du Velvet. Ils travaille sa magie sibylline à coups de take care, il t’emporte comme le ferait un vent très voilent. Avec «Beat The Devil», il va droit sur l’excellence carabinée, il met en avant une façon de chanter très intrinsèque et tu tombes invariablement sous le charme. Il tape l’«Happy & Free» à l’aune de la Beautiful Song, avec des éclats pop en forme de réminiscence d’effervescence, il te soigne bien la cervelle, tu peux y aller les yeux fermés, le real Dean est un crack du doux, le plus bel héritier du Lou, il prolonge cet art unique au monde, cette vision de la pop nourrie à la fois de grandeur mélodique et de décadence.  Le real Dean est un fabuleux distillateur de jus pop, il chante avec cet accent d’entre-deux qui ne trompe guère. C’est un fin renard du désert, un admirable stratège velvétien.

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             Le real Dean monte encore un side project en 1997 : avec Cagney And Lacee et un seul album, Six Feet Of Chain. Lacee s’appelle en fait Claudia Silver. Avec «Lovin’ You», t’as l’impression de planer dans un rêve. Elle crée de la magie sur des nappes de violons étales. C’est très easy listening. Elle peut aussi chanter à la belle aventure de country girl («The Last Goodbye» et «By The Way»). Country, mais beau. Et puis tu t’extasies sur «Greyhound Going Somewhere», pur jus de Cosmic Americana, eh oui, le real Deal est capable de ça. Elle veut partir en Greyhound, n’importe où - I’m leavin’ ! - Elle finit ce bel album en mode pop chaude avec «I’m Not Sayin». Elle réchauffe la pop dans son giron. Le real Dean permet ce genre de petit miracle d’intimité tiède et réconfortante. 

             Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Dean & Britta. L’Avventura. Jetset Records 2003      

    Dean & Britta. Black Numbers. Zoé Records 2007    

    Dean & Britta. 13 Most Beautiful: Songs For Andy Warhol’s Screen Tests. Double Feature Records 2010     

    Dean & Britta. Quarantine Tapes. Double Feature Records 2020

    Dean Wareham. Emanciped Hearts. Double Feature Records 2013 

    Dean Wareham. Dean Wareham. Double Feature Records 2014  

    Dean Wareham. I Have Nothing To Say To The Mayor Of LA. Double Feature Records 2021

    Dean & Britta. Sonic Souvenirs. Jetset Reords 2003

    Dean & Britta & Sonic Boom. A Peace Of Us. Carpark Records 2024

    Cagney And Lacee. Six Feet Of Chain. No. 6 Records 1997

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    Dean Wareham. Black Postcards: A Memoir. Penguin Publishing Group 2009

     

    *

             C’est une parution sur Western AF qui date un peu. Quatre ans déjà. Elle se démarque de toutes les autres. Soyons franc, difficile de faire mieux question western. Paysage désertique magnifique, une fille qui cause, lorsqu’elle apparaît sur l’écran vous comprenez que vous êtes dans un ranch, pour les prairie d’herbe bleue vous êtes gros jean comme devant, au fond des montagnes pelées jusqu’à l’os, le sol est fait de poussière, OK, nous ne sommes pas dans le Kentucky mais dans le Nevada, une question vous turlupine mais où donc font-ils paître leurs chevaux, j’ai oublié de préciser, elle a un cheval, isabelle comme celui de ma fille, et un chien sans canapé alors que les miens… l’on aperçoit quelques poules, j’ai envie d’être un renard, elle s’est assise devant l’entrée d’un bâtiment fait de bois et de tôle, vous réalisez que ses avant-bras sont posés sur une guitare tenue à plat sur son giron. Au plan suivant elle s’en est saisie, deux coups de gratouillis et elle commence à chanter.

    RAMBLIN’ MAN

    JADE BRODIE

    (Western AF / 2022)

                    La version la plus dépouillée de Ramblin Man que je n’ai jamais entendue, je la qualifierais de rudimentaire si je n’avais peur que vous compreniez mal ce mot, guitare minimale, vocal sans emphase, les couplets répétés, les yeux fermés, le visage plissé, toute la tristesse du monde vous tombe dessus, c’est quoi ce truc, même pas du country, même pas du folk, même pas du blues, l’on est aux racines, c’est ainsi que devaient chanter les songsters vers 1840 que l’on n’a jamais entendus.

             J’ai voulu en savoir plus. Première chose sur laquelle je tombe en ouvrant le site Western AF, un article Meredith Lawrence Premier détail pioché, née en Californie, elle a vécu à Santa Rosa, ville située au nord de San Francisco, ses parents s’intéressent à la musique, elle a dix-huit ans lorsque son ami et son disquaire lui offrent une guitare et un coffret de blues et de country féminins… Presque un conte de fées qui emprunte une voie typiquement américaine : le train. Elle sera réparatrice de locomotives. Existerait-il un moyen amerloque de se déplacer encore davantage mythique ? Oui, le cheval. Période de chômage, elle en profite pour dégoter un job dans un ranch. Certainement vous avez aussi les highways, n’ayez crainte elle coche toutes les cases : l’est en train de conduire lorsqu’elle refuse de bifurquer vers un nouveau stage de conductrice de locomotive, elle préfère les chevaux et passer sa vie à chanter et à composer…

    GETTING OUT OF HERE

    JADE BRODIE

    (Dusty Vaquero / 2024)

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             Dusty Vaquero est un site qui fonctionne  à la manière de Western AF, enregistrant live des artistes qui n’ont pas atteint une renommée internationale. Nous retrouvons Jade Brodie en direct. On ne la reconnaît plus. Elle porte un joli chemisier blanc à fleurs, un chapeau de cowboy, mais un jean, des guêtres et des boots plantées dans la terre, elle est assise sur un billot devant un bâtiment de bois, supposons une écurie… Des cheveux blonds mi-longs encadrent son visage. Elle  résume en quelques mots sa vie à travailler, son désir de trouver mieux. 

    Goodbye the ramblin’ songster man, this  is Brodie country, cowboy par excellence, yodle à la perfection et vous conte l’histoire de ces  hommes qui sont partout ailleurs mieux que chez eux. Plus un dernier couplet pour vous avertir qu’ils ont trouvé l’endroit qui les retient. Très différent au niveau du style de chant du précédent mais tout aussi charmeur.

    Sur bancamp seulement trois morceaux :

    SPLIT MY TOOTH

    (Mars 2020)

    Jade Brodie : chant, guitare acoustique, et paroles / John Courage : guitare solo / Kirk Fortin : violon / Francesco Echo : basse / Dan Ford : batterie.

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             Belle photo. On la croirait chez elle. Mais non dans le compartiment d’un train. Toute belle, le soleil la dore d’un de ses rayons. Ses cheveux de miel et l’angoisse sur son visage. Elle tend la main vers sa guitare comme si elle n’osait pas la saisir.

             Elle peut remercier ses musicos, lui font un accompagnement de rêve, mais son vocal magnifie cette balade d’une tristesse absolue. Une voix qui ne flanche pas, elle se pose sur la musique comme un poison qui coule dans vos veines et qui remonte dans votre cœur pour l’empêcher de battre. Trop de distance entre deux êtres. Dans une note de présentation elle avoue qu’elle a  bâti   cette chanson sur un vers d’un morceau Townes Van Zandt qu’elle avait chanté à son mari, le jour de leur mariage. Ne vous étonnez pas qu’ils aient divorcé quelques mois plus tard. Comment croire que l’être aimé restera si vous lui accordez la liberté de partir… L’existe une Official Vidéo. Quelques scènes nauséeuses de solitude et d’impuissance dans un bar, dans sa robe rouge, princesse déchue de son propre rêve elle caresse un alezan, ce n’est pas un film, juste des éclats d’âme brisée  comme un miroir intérieur qui n’a pas supporté d’avoir tant été regardé.

    MAKING HISTORY

    (Février 2021)

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    Photo de la même série que la précédente. Elle est encore plus belle gainée dans sa robe rouge. Princesse alanguie, le soleil amoureux caresse son visage. Encore inquiet, mais sa guitare est à ses côtés.

    Vous avez une Official Video. Rien d’exceptionnel. Un mélange de vie vécue et de vie rêvée. Pas tellement différentes. Même si l’une va d’avant et si l’autre n’a pas la force de retourner en arrière. Certes les musicos vous imposent le roulis monotone du train qui roule vers l’absurde shuffle d’une existence partagée en deux. Bosser au loin pour gagner sa vie équivaut à la perdre. Les paroles ressemblent à une de nos comptines enfantines, sans joie, sans exaltation, sans chocolat en récompense finale. Une voix aussi froide qu’une langue de serpent. Qui n’en finit pas de vous mordre. Quand l’un est là, l’autre est ailleurs. Existences effilochées. La grande Amérique broie l’existence de beaucoup.

    (Jae Nobody est au violon).

    OPEN ROAD

    (Février 2022)

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    Plus de soleil. Photo en blanc et noir. Ils n’ont pas dû le faire exprès mais son visage marqué d’ombre et d’angoisse évoque pour un français certains clichés expressionnistes d’Edith Piaf.

    Encore une vidéo. Crépusculaire. Le soleil se couche sur les paysages américains. Vous ressentez une inextinguible tristesse, celle de l’incomplétude de l’âme humaine qui peut contenir en elle toute la vastitude de la beauté du monde mais qui n’arrive point à intégrer le minuscule point de départ, la maison qui vous attend et dont vous vous rapprochez au fur et à mesure dont vous éloignez d’elle. Insatisfaction de vouloir être ce que l’on n’est pas et de ne pas vraiment être ce que l’on est. L’origine n’a pas de fin. Elle est une plaie qui suppure, un fruit partagé en deux dont il manquera toujours la moitié.

    Une voix qui touche à l’essence de la country. 

    Qui touche à la poésie.

    Merveilleuse Jade Brodie.

    Damie Chad.

     

    *

                Un groupe français. Pas mal le nom. Un truc gorgé de sang qui ne demande qu’à être versé. En supplément phonétique le mot vous emplit la bouche, avant même d’écouter mes oreilles saignent. J’avais raison comme toujours, l’écoute s’avère pénible. Pour une des rares fois de ma longue existence mon humilité me force à reconnaître que j’avais tort. Je vous rassure, je ne révise pas mon jugement auditif, mais non ils ne sont pas français. Viennent de Lithuanie. En plus ils l’écrivent avec un h, alors que depuis quelques années la France l’a supprimé lors d’une nouvelle transcription phonétique.

             J’adore ce pays. Coincé entre la Pologne, la Lettonie, et la Biélorussie. Je n’y suis jamais allé. Mais cette lointaine contrée nous a donné un de nos plus grands poëtes, lui qui savait le russe, l’anglais, le lithuanien, le yiddish, l’hébreu, l’allemand, a écrit toute son œuvre, vous la situerez entre Nerval et Rilke, en français, vous avez de la chance, pour d’obscures motivations politiques (guerre en Ukraine), comprenez urgences non poétiques, a paru dernièrement chez Gallimard, un Quarto qui regroupe en 1300 pages une bonne partie de ses œuvres. Normalement vous devriez cesser de lire cette kronic, et ne la reprendre une fois que vous auriez passé la moitié de votre vie à lire Oscar Vladislas de Lubicz Milosz ( 1877 – 1939), ce qui me laisse le temps  de la terminer en toute tranquillité.

    CARRION

    AORTES

    (CD / Banndcamp / Avril 2025)

             L e premier Ep d’Aortes est sorti en août 2012. Sous le nom d’Autism.

    L’on sent qu’ils aiment les mots qui battent comme un cerveau qui n’est plus irrigué… Chacun de leur titre possède ce privilège de vous faire flipper avant que vous ne les ayez écoutés. Au moins vous ne pouvez pas vous plaindre de ne pas avoir été prévenus. Ainsi leur dernier album dès son titre vous annonce que ça sent la charogne. Ont-ils une prédilection pour Baudelaire, je ne sais pas. Vous jugerez sur place de cette composition, pardon de leur décomposition musicale.

             Le groupe a renouvelé ses membres. La dernière formation que j’ai pu trouver est la suivante : Andrius Sinkunas : chant, clavier, synthétiseur / Tomas Danisevskis : guitare / Linas : basse / Dormantas Lekavicius : batterie.

             Si vous vous attendez à une histoire bizarre, détrompez-vous, en règle générale les morts ne bougent pas trop, ils ne se lèvent pas toutes les cinq minutes pour faire un petit tour sur la terre.

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             La couverture n’est guère accueillante. Elle n’est pas créditée, comme ils sont des adeptes du Dot It Yourself, elle doit être d’eux. Entre parenthèses, chaque fois que je lis Diy je pense à (to) Die. Noire et jaune, me revient en mémoire le titre du roman Le Soleil des Morts de Camille Mauclair, il met en scène Stéphane Mallarmé, c’est aussi celui du livre d’Ivan Chmeliov, voire au poème (issu du recueil Banquets et Prières) de Marceline Desbordes-Valmore dont Rimbaud appréciait fort la poésie, tout cela pour vous rappeler que la mort ne fascine pas que les amateurs de dark metal. En tout cas ce jaune n’est point illuminatif, tout au plus une lumière froide. Pour le noir passe encore le portrait je subodore de Tolstoï ou de Dostoïevsky, avec ses yeux fous de voyant fixés sur la bouche d’ombre, l’on retrouve au bas de la couve le regard de celui qui a vu ce que l’on ne doit pas voir, les trois mains centrales, une de plus, une de moins, qui se tendent et se cherchent sans se trouver, et tout en haut la grille des côtes déjà dépourvues de chair…

    Dying world : une espèce de tsunami implacable de guitare fonce sur nous, sans se hâter, vitesse lente, le monde s’effondre, c’est nous qui mourrons, tout notre décor existentiel dans lequel nous avons joué la comédie de la vie se démantibule dans notre regard intérieur, la batterie écrase tout ce qui voudrait résister, mais rien ne manifeste cette envie, comprenez ces cris d’horreur, ces appels au secours à soi-même, l’unique personne à qui nous pouvons les adresser, mais nous savons bien que nous n’avons aucun moyen, aucune chance d’arrêter ce raz-de-marée qui s’abat par pans entiers, une ambiance de film-catastrophe pas du tout cathartique, nous courrons de tous les côtés pour nous arracher à ce mal inexpugnable qui est en nous, en notre conscience, nous sommes allongé sur notre couche, au fond de notre cercueil, notre vie est en train de s’écrouler, de s’ébouler sur nous, tout ce que nous avons aimé nous tombe dessus, et nous ensevelit en nous-même. Carrion : feat Plié : ça y est nous sommes mort. Notre corps vit encore. A sa manière. Il entre en putréfaction. Tout bouge et reste sur place. On a l’impression qu’ils ont additionné pistes sur pistes, pour donner une impression de gluance sonore, le vocal en arrière-plan, la charognisation n’est pas un écoulement mais une brûlure, une carbonisation, une espèce d’auto-combustion qui brûle et s’auto-crame, notes lourdes de synthé pour marquer la désynthétisation des tissus, la voix parle, est-ce celle du mort, ou celle d’un spectateur qui médite, il semble que des mouches bourdonnent, vocal non pas des derniers secrets mais des ultimes révélations d’auto-consumation, est évoqué le fantôme d’Hérodote, le voyageur qui s’en est allé explorer toutes les routes et tous les pays qui entouraient la Grèce antique, notre corps brûlé n’est-il pas un ailleurs étranger par excellence, un autre état de notre matière, à moins que ce soit une sorte de folie charnelle, un dépassement de soi. To the worms: intensification musicale, qui pleure -là parmi les diamants extrêmes, est-ce la jeune Parque ou le poëte, l’amant ou l’amante séparée par un miroir à deux faces, ce qui est sûr c’est que celui des deux qui est  dehors est comme celui qui est dedans, une corde de basse rebondit comme une balle de pingpong comme le pendule endiamanté qui descend pour tailler le verre séparatif, l’un appelle, l’autre lui demande de traverser la paroi terreuse de sable vitrifiée, elle appelle, et lui se jette à terre, il essaie de pénétrer dans la terre, de devenir ver de terre pour se mêler aux vers en train de bouffer cette chair en putréfaction active. Black mold : instrumental, crépuscule des dieux, Siegfried ne passera pas la croûte de terre pour se coucher dans le cercle de feu de la Walkyrie, pas du tout une chevauchée, une marche funèbre, Roméo ne rejoindra pas Juliette, la mort comme la vie, la vie comme la mort, l’une sans l’autre, l’autre sans l’une, ne sont qu’une sale moisissure qui corrompt toute existence, qui annihile toute impossibilité de retrouvailles. Nous avons essayé. Nous avons échoué. Peut-être parce que la mort de l’un n’est que la mort de l’autre. Mais ceci est une autre histoire.

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      When we cease : changement de paradigme, un seul être vous manque et tout est dépeuplé disait Lamartine, Aortes ne l’entend pas ainsi, c’est le monde qui s’écroule, la catastrophe écologique,  tout ce que vous voulez, mais le survivant devient le reflet de celui qui a choisi la partenza, un éclair comme une bombe atomique qui viendrait vitrifier la terre, encore le miroir à deux faces, le monde qui s’éboule dans la tête de celui qui est sous terre et le monde qui est détruit autour de celui qui est resté à la surface du globe, le morceau est une terrible incandescence, une montée lente et incoercible, un vocal hurlé à la manière d’un appel au secours inutile, de toutes les façons quand tout sera terminé, rien ne se passera, nous ne serons plus rien, encore moins que maintenant où l’un survit encore dans la tête de l’autre. (Il existe une vidéo, mortifère, de vieilles croix de bois dans un cimetière, si nombreuses si serrées qu’elles paraissent avoir été mises au rebut, ornées de colliers, de rosaires, de scapulaires, de dessins, de crucifix… un terrible sentiment d’abandon et d’impuissance).  Lifeless :

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    plus personne, une cloche résonne, une seule solution, puisqu’il est évident autant conjurer un esprit, celui de celui ou de celle dont le cercueil va basculer dans la tombe, existe-t-il de l’autre côté une lumière, ressens-tu le soleil des morts, une espèce d’existence, différente, mais la mort ne serait-elle pas la continuation de la vie sous une autre forme, il empoigne le cadavre à pleine mains, il le secoue, il l’interroge, il crie, il frappe il supplie, musique écrasante totalement folle, sans vie, sans mort, rien, néant, les circuits de son cerveau se transforment en catacombes qui regorgent de squelettes sans âme, un seul être vous manque et le monde entier des hommes n’est plus, disparu, néantisé. (Il existe une vidéo, une maison de bois abandonnée, délabrée, désertée, la caméra s’attarde sur une espèce de totem informe qui cependant mérite l’adjectif christique, puis un paysage enneigé, un pont, une route, un fleuve, pas une âme vivante, retour au totem, des squelettes d’arbre, un nouveau totem carrément christique, des amas de planches, une maison écroulée, au loin une maison, une lumière le soleil qui se lève, tombes caressées par le soleil, une statue du Sauveur, l’impression que le monde se réchauffe.)   I’ve loved you all : this is the end, beautiful

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    friend, mais il n’y a pas de car bleu, il n’est même pas noir, il est transparent, un miroir à deux faces, il t’emmène, penché sur ton cercueil je me laisse aller, penché dans mon cercueil je te laisse partir, je ne peux pas te retenir, qui parle encore une dernière fois, celui qui reste ou celui qui descend, qui oubliera l’autre, ne reste plus que le désespoir, un dernier adieu, car l’on ne se reverra jamais. (Il existe une vidéo, paysages noyés de brumes, sentiment de solitude et de désolation, l’on parcourt les champs, la terre, les bois pour se retrouver devant de très vieilles tombes déformées, crevées, des images de mers déchaînées, de fleurs, d’insectes, la nature elle continue de vivre, elle n’a pas l’air de se soucier de l’humaine créature couchée en ses cimetières… un moment un œil vous scrute, serait-ce la mort qui vous attend… ou quelqu’un d’autre.).

             Si j’ai mis les trois vidéos en fin de recension des trois titres, c’est parce que je les ai visionnées avant d’avoir fini la totalité de mon écoute. Elles sont simples et belles. Une atmosphère toutefois déprimante. Peut-être incitent-elles à une autre compréhension, à qui s’adresse la personne sous la tombe, à un être humain ou la divinité… Serions-nous face à un groupe chrétien. Quel qu’il soit, cet album est magnifique, le texte est d’une grande subtilité et la musique d’une force irréfragable.

             L’ensemble est d’une force étonnante et vise à l’essentiel.

    Damie Chad.

     

    *

             Bien sûr avec vos bras reptiliens vous pouvez tenir, prenons un exemple au hasard, une jeune fille, l’enserrer dans vos muscles visqueux, avec la force d’un python réticulé, moi ce qui m’a plu c’est le titre de l’EP en latin, un groupe qui utilise la langue de Virgile et d’Ovide ne peut pas être entièrement mauvais, ensuite je me suis demandé, question oiseuse s’il existait des reptiles avec des bras, j’ai vérifié dans L’Histoire Naturelle de Buffon, apparemment il n’en a jamais entendu parler. D’où l’intérêt à regarder ce nid de serpents de près.

    EXTENSA FABULA

    REPTILIAN ARMS

    ( Bandcamp / Avril 2025)

    Chris Cassisi : basse / Josh Joesten : drums / Marcus Rzyborowski : guitares /Alex Santana : vocal.

    Sont de San José, ville d’un million d’habitants située à moins de soixante-dix kilomètres de San Francisco, considérée comme les centre de la Silicon Valley. N’ont pas l’air d’être des hippies attardés ni des chantres de la technologie moderne. Paraissent plutôt intéressés par les sciences maudites. La couve de l’EP vous convaincra.

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    Une toute jeune fille, sage et innocente, debout devant des buildings de cinquante étages. Essayez de ne pas regarder les têtes de morts qui remplacent le gazon. Ne quittez pas des yeux la lueur assassine des prunelles du lézard géant et cornu aplati sur les gratte-ciels, avant de vous porter au secours de l’enfant vérifiez les griffes démesurées de cet être sorti des entrailles de la terre. Cette image sombrement hémoglobinesque n’illustre pas une fable de notre bon vieux Jean de La Fontaine, permettons-nous une traduction peu correcte et un tantinet éloignée du titre de l’album. : extension du domaine de la lutte reptilienne.

    Zenosyne : comment interpréter ce titre, signifie-t-il que la mémoire des choses s’accélère induisant ainsi une accélération du temps, ne faites pas la fine bouche, il est inutile de déclarer que le concept zénosynien est légèrement flou, alors qu’il est évident qu’il n’a pas besoin d’aile pour progresser rapidement car il est intrinsèquement fou, non je suis pas atteint de folie car si l’aile de la folie s’envole, les haruspices se pencheront sur mon foie pour en tirer d’hâtives conclusions sur l’avenir. Si vous n’avez rien compris à ce qui précède, peut-être conviendrait-il de ne pas écouter cet EP, mais puisque vous vous obstinez dans votre curiosité malsaine, tant pis pour vous. Je vous vois venir avec votre gueule enfarinée, oui c’est rapide, ultra-speed, un trio infernal qui fonce, à San José la nuit tous les feux rouges sont verts, quant au vocal de Santana c’est vrai que ce n’est pas la guitare à notes rallongées de Carlos, l’a une voix bulldozer, quant au Josh il filoche sur sa drummerie pour prouver aux deux autres qu’il roule plus vite, alors Marcus et Chris accélèrent et le dépassent, bientôt sont tous les trois sur la même ligne, et Santana, déguisé en Ben Hur  les cingle, de ses hurlements il les propulsent au travers du mur du son. Vous avez adoré ce doom de cinglé, vos oreilles ont couru derrière comme des dératés mais vous avez raté l’embrouille du film en rembobinage, vous ressentez l’urgente nécessité que je vous refile quelques bribes de scénar. Voyez-vous certains aiment que la vengeance se dévore chaude-bouillante. L’un l’a laissé pour mort et l’autre pas mort s’empare de l’un et vous le dissèque en petits morceaux pour qu’il souffre un max. Une boucherie expiatoire. Maintenant vous comprenez pourquoi Carlos se dépêche  pour qu’il souffre au plus vite, prend même un malin plaisir à imiter les hurlements de sa victime. Shroom doom : ouf le rythme s’alentit, le Carlos en profite pour nous prouver qu’il peut à lui tout seul  chanter aussi fort qu’un chœur de quatre-vingt moines qui n’ont pas violé une bonne sœur depuis trois jours, il gueule, et puis il dégueule, la guitare de Marcus en profite pour dégringoler les cent quarante-quatre marches du clocher de l’église en feu, l’est sûr que quand le delirium tremens s’arrête vous êtes incapable de retrouver votre esprit qui vous a quitté et qui bat de l’aile sous la voûte de la sacristie, je vous en ai donné une version chrétienne parce que vous aurez davantage de mal avec la mythologie mexicaine, tout se passe aux derniers moments, lorsque vous êtes en train de succomber, que le méchant enserre votre cou de ses dix doigts et vous prive d’oxygène, vous comprenez que la partie d’échec de votre vie est définitivement perdue, que la Reine ne vous sauvera pas, que vous vous essoufflez sur la diagonale du fou, que l’œil cruel de Caïn est dans votre tombe et vous fixe, que le Serpent à Plumes, est-ce lui le Reptile, est-ce vous, est-ce l’autre, en tout cas, qui qu’il soit, il agonise sur le damier.  Non, ce n’est pas clair, mais nos champions ont pris des champignons. Prayed upon : le dégueulis sonore redémarre, avec en plus la batterie qui se permet d’imiter le vacarme des tortillards à crémaillères sur les sommets andins, aux décibels il y a du monde : toute l’Humanité. Les deux premiers morceaux ne seraient-ils qu’une métaphore. L’on vous aurait présenté quelqu’un en train de se faire assassiner pour que vous compreniez que l’assassin de soi-même n’est que soi-même. Que le monstre reptilien qui se jette sur vous ce n’est que vous, juste au moment où vous en prenez conscience le morceau s’écroule sur lui-même. Grand charivari, immense capharnaüm phonique et mental, la mort ce n’est pas le Monstre, c’est le désir qui vous pousse, vous et tous les autres, qui ne sont ni pires ni meilleurs que vous, vous êtes un monstre d’égoïsme, après vous le déluge, pourvu que vous puissiez bâffrer et jouir à volonté, vous mourez parce que vous mentez, vous volez, vous tuez. Les autres, cela n’a que peu d’importance- c’est vous que vous tuez parce que vous refusez de vivre. Après tout c’est votre choix. Vous ne voudriez quand même pas que l’on vous plaigne. En plus vous êtes déjà mort depuis longtemps en vous-même avant d’être mort. London dungeon : c’est la fête, entendons-nous bien, c’est difficile avec tout le bruit qu’ils font, sans compter les flonflons de cette voix qui joue à Monsieur Loyal. Quel grabuge, à quel jeu jouent-ils tous ensemble. C’est un peu comme à Donjon et Dragon, ils ont choisi London, pourquoi les américains opteraient-ils pour l’enfer anglais, je n’en sais fichtrement rien, peut-être parce que là-bas ou ailleurs c’est sans doute la même chose. Vous avez toute vie tout fait pour vous retrouver sur le quai du grand départ et  monter dans le train de l’enfer, alors une fois que vous y êtes, ce n’est pas la peine de réclamer sous prétexte que vous n’êtes pas dans le bon compartiment. Amusez-vous bien !

             Erreur d’interprétation de la couve : la petite fille n’est ni sage ni innocente. La bête immonde qui la guette n’est pas tapie sur les gratte-ciels de San José (ou d’ailleurs), elle n’est qu’une projection de son âme déjà sale, envieuse et vicieuse. Le monstre n’aura pas besoin de bondir dans sa caboche, elle y est déjà, c’est elle qui projette son insatisfaction congénitale, sa désastreuse avidité, sur le monde entier pour qu’il lui ramène tout ce qu’elle veut.

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             La musique de Reptilians Arms est sacrément venimeuse. Ses écailles sont fascinantes. A elle seule, elle  devrait être stigmatisée par un Parental Advisory. Elle est si chaotique qu’elle est capable, une unique écoute suffira, de pervertir nos têtes blondes, de fragiliser leur équilibre mental. C’est pour cette raison que les kr’tntreaders l’adoreront... Oui mais eux, il y a tellement longtemps qu’ils sont perdus, qu’un peu plus ou un peu moins n’influera en rien  leur triste destinée… Pourtant l’apposition de ce logo infâmant serait une erreur, tout compte-fait les paroles sont morales, les méchants vont en enfer, n’est-ce pas ce qu’ils méritent !

             Comme ce deuxième EP de nos reptiles nous a paru aussi délicieux qu’un gâteau aux trois chocolats empoisonnés, nu tour sur leur premier artefact s’impose.

    THE SET DEMO

    REPTILIAN ARMS

    (Bandcamp / Novembre 2023)

    La pochette n’est pas un must. Elle est réduite au plus simple. Juste le nom du groupe calligraphié dans ce type d’écriture illisible qu’affectionnent le groupes doomesques et métallifères. Vraisemblablement à l’époque des commencements de l’ère du Metal c’était une manière de se distinguer de l’esthétique punk, toutefois méfions-nous de la monotonie.

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    Slow kill : un truc tranquillou si l’on en croit le titre, je remarque que mon chien quitte la pièce, reconnaissons que c’est flippant cette voix de croque-mort sans appétit, et ce catafalque de guitares qui vous enveloppe sans vous avertir, lorsque le drummer commence à vous enfoncer les clous à travers les planches du cercueil pour que vous ne caltiez pas en douce, c’est moins rigolo, la petite fille va mourir, qu’elle ne panique pas, qu’elle prenne le temps de respirer, pourquoi se plaindrait-elle de quitter ce monde cruel. This is the end beautiful little girl. L’on se demande pourquoi à la fin, elle ne dit pas merci. Un morceau un peu funèbre qui pose une question essentielle : mais que voient les morts ? Proclamation of fire : le premier titre tentait de vous prendre par les sentiments, sur celui-ci on essaie de vous séduire intellectuellement. Une véritable discussion philosophique, ponctuée par la batterie, les guitares imitent le bruit d’un moteur de hors-bord lancé à toute vitesse sur le lac de la pensée. Le prof au vocal commence par vous asséner quelques reproches, vous avez essayé d’échapper à votre vie minable en éliminant toux ceux qui se trouvaient sur votre chemin. Vous joignez vos mains ensanglantées pour demander pardon à Dieu. De temps en temps d’un gosier inexorable il lâche quelques préceptes nietzschéens définitif  sur la nature profonde de l’animalus humanus : Dieu n’a aucune pitié, nous non plus ! Invaders advancement : quittons l’individu, intéressons-nous au collectif. La société réalise en grand ce que vous commettez à l’échelle minuscule tout seul dans votre coin, les cymbales tirent des coups de fusil, la batterie est un char d’assaut qui écrase tout ce qui se dresse devant elle, le combat, le vocal lance des ordres et des invectives, vous encourage, à la fin il doit être à la tête d’un commando-suicide. Un carnage. Un vrai gloubi-boulga. Vive la mort. Lie awoke : pour ceux qui n’ont pas compris. Vous avez une session de rattrapage : le vocal vous offre de sa voix le plus lugubre une histoire de l’humanité. Vous énonce toutes les catastrophes qui nous sont tombés sur le museau depuis l’aube des temps. Enfin dernière invitée : la peste. C’est pour ne pas nommer le Covid. Pas de panique, un médicament se profile à l’horizon. Ne dites pas que le vocal ressemble à un égout qui dégorge, peut-être ne l’avez-vous pas reconnue, mais c’est la voix de Dieu, qui se délecte de la mort de l’Homme, les guitares ne la ramènent pas, elles se la jouent profil bas et pissent du plomb fondu comme les gargouilles de Notre-Dame pendant l’incendie. J’ai comme l’impression que Dieu veut notre mort. Il grogne à la manière d’un verrat colérique dans sa soue. Lapidatus : on l’avait compris l’on se dirige à grande vitesse vers l’Apocalypse. D’ailleurs les guitares imitent le bruit d’un avion qui va s’écraser dans les minutes qui suivent. Il prend son temps, il tourne en rond pour que vous ayez le temps de comprendre ce qui va se passer. C’est la fin des temps. Oui il y aura quelque chose d’autre après, l’on a l’impression que la guitare imite Hendrix jouant l’hymne Américain à Woodstock, mais là ce ne sont pas de misérables bombinettes sur le confetti vietnamien, c’est une nouvelle ère qui commence, ne soyons pas déçu elle aussi a droit à sa propre fin des temps. Humains rayés de la planète, Dieu est un menteur.

             The Set Demo est peut-être musicalement moins fulgurant que l’Extensa Fabula mais la fable qu’elle raconte est beaucoup plus radicale. Un point bonus aux deux artefacts. Balle au centre, on attend l’EP numéro trois. Avec impatience.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 688 : KR'TNT ! 688 : ALICIA F / ELVIS PRESLEY / A PLACE TO BURY STRANGERS / DEAN WAREHAM / TYRONE DAVIS / BLAINE BALEY / CONTINUUM

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 688

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 05 / 2025

     

    ALICIA F / ELVIS PRESLEY

    A PLACE TO BURY STRANGERS

    DEAN WAREHAM / TYRONE DAVIS

    BLAINE BAILEY / CONTINUUM

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 688

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - Alicia au pays des merveilles

    (Part Two)

             C’est par pure anglophilie que l’avenir du rock lia voici vingt ans son destin à celui d’une Anglaise. Comme elle avait grandi en France, elle parlait très bien le français et ne conservait de ses racines qu’un léger accent, à l’opposé de Jane Birkin. Elle était en plus physiquement parfaite, auréolée d’une crinière châtain clair, et le délicieux ovale de son visage était comme serti d’yeux d’un bleu tellement clair qu’il semblait transparent. L’avenir du rock adorait se noyer dans son regard. Comme en plus elle vivait de son intelligence littéraire, elle ne fit aucune opposition à ce qu’on la surnommât Baby Brain. Elle avait encore de la famille à Cannes et dans le Kent. Les voyages étaient donc fréquents. Étant tous deux stériles, Baby Brain et l’avenir du rock se virent contraints d’adopter des animaux. Elle ramena un jour un beau lapin blanc aux yeux roses, vêtu d’une redingote et d’un chapeau claque. L’animal sortait continuellement sa montre à gousset et s’écriait : «I’m late! I’m late!», ce qui amusait beaucoup l’avenir du rock. Celui-ci finit par baptiser l’étrange animal White Rabbit en hommage à l’Airplane. Un autre jour, Baby Brain ramena un chat grimaçant qu’elle appelait the Cheshire Cat. L’avenir du rock ne l’aimait pas trop, mais Baby Brain eut raison de ses réticences en lui expliquant que le Cheshire Cat avait appartenu à la Duchesse...

             — Norma-Jean Wofford ?

             — Yeah ! Diddy Wah Diddy !

             Et ils se mirent à jerker sur le Diddley Beat avec le lapin blanc et le Cheshire Cat dans leur grande et belle maison située sur le bord du fleuve. Baby Brain ramena ensuite d’autres animaux, toujours plus fantastiques, Bill the Lizard, que l’avenir du rock baptisa Lizard King en hommage à Jimbo, puis elle lui présenta un curieux animal en forme de canard, aussi haut qu’elle, brandissant une canne à pommeau et doté d’un bec singulièrement tarabiscoté. L’avenir du rock s’interloqua :

             — Bon, là Baby Brain, tu dérailles... C’est quoi ce machin-là ?

             — Un dodo !

             — Bon d’accord, mais il sort d’où ton dodo ?

             — D’Alice au Pays des Merveilles !

             — Désolé Baby Brain, je préfère Alicia au Pays des Merveilles.

     

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             C’était pas gagné : jouer dans un pub irlando-caennais un soir de match de foot, voilà qui ressemblait à un pari perdu d’avance. L’endroit est une sorte de long couloir large d’environ dix mètres, avec au fond, le bar et la fucking télé murale, et au milieu, t’as une petite scène qui avec sa rambarde, prend des allures de pont de bateau. Tu y accèdes par quelques marches. C’est là sur cette petite scène qu’Alicia, Tony Marlow, Amine et Gérald vont pendant trois fois une heure batailler avec la pire des indifférences. Deux univers qui se côtoient mais ne se croisent pas. Et pourtant, sur scène, ça joue !

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             Bien sûr, les gens ne savent pas qui est Tony Marlow. Une poignée d’amis de Tony sont venus assister au show et c’est cette poignée de gens qui va constituer le public du groupe. Dommage, car le groupe dégage une énergie considérable et taille bien sa route, les cuts sont fantastiquement en place, ça démarre en trombe avec les Ramones, puis ça passera par les Runaways, Alice Cooper, Black Sabbath, le Fought The Law des Clash, et même le «Wanna Be Your Dog» des Stooges dans le troisième set, mais attention, leur version tape en plein dans l’œil du cyclope, car Tony y prend un solo incroyablement original, complètement stoogé dans l’essence, et Gérald claque lui aussi un break-beat de powerhouse à faire baver d’envie Scott ‘Rock Action’ Asheton. Ce «Wanna Be Your Dog» spectaculaire couronne un set riche en grosses surprises.

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             Alicia mène bien la meute. Elle sort tout le chien de sa chienne pour driver ce groupe qui tourne comme une Rolls. Eh oui, Gérald battait le beurre dans les Jones et tous ceux qui ont vu Tony Marlow sur scène connaissent Amine, le slappeur fou. Et tous les ceusses qui connaissent ses albums savent que Tony Marlow compte parmi les meilleurs guitaristes de rock/rockab contemporains.

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             Alicia ramène un sucre de Soul dans sa voix qui renvoie à celui de Ronnie Spector ou de Diana Ross au temps des Supremes, autant dire que ça swingue merveilleusement. Mais elle opte plus pour les classiques glam et punk. C’est elle nous dit Tony qui choisit les cuts. Elle va injecter son énergie punk aux trois sets sans jamais baisser de régime. Quand arrive le troisième set, le match de foot est fini et le groupe récupère quelques spectateurs supplémentaires. Alors, le groupe tire l’overdrive, avec notamment cet hommage à Marc Z, «Skydog Forever», monté sur un riff de Tony qu’il faut bien qualifier de diabolique. Cet hommage se trouve d’ailleurs sur le premier album d’Alicia, Welcome To My F... World. Ça sonne comme un classique. Alicia pousse le bouchon Skydog assez loin, puisqu’elle s’est fait tatouer le logo Skydog à l’arrière de la cuisse.

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             Elle est en tournée pour la parution de son deuxième album, Sans Détour. Elle boucle le set avec la cover punk d’Edith Piaf qui se trouve sur l’album, «Non Je Ne Regrette Rien». C’est extrêmement bien foutu, très bon esprit, tapé en mode up-tempo, riffé à la Steve Jones, ça file sous le vent, pure magie, t’as Piaf et les Pistols. Tony fond sur Piaf comme l’aigle sur la belette et Alicia se fout du passé ! Cette merveille que tu retrouves sur l’album te renvoie aussi à ce que fit Joey Ramone avec «What A Wonderful World». Et là tu dis bravo, car ça tape encore une fois en plein dans l’œil du cyclope. Toutes les covers du set sont bonnes, tout sonne incroyablement juste, et les cuts du nouvel album passent tous comme des lettres à la poste. Alicia reste ultra-concentrée dans ses parties chant, mais elle se laisse aller lors des solos, car s’il est un mec qui sait électriser un cut avec un killer solo flash, c’est bien Tony Marlow. Là t’as tout : le cut et l’argent du cut.

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             Avec la grosse attaque d’«Abortion», Alicia tape en plein punk 77. Ça ne tient que par l’énergie punk. Puis elle passe en mode trash avec «La Vie Est Une Pute» - la vie est une pute qui t’uppercute - et Tony passe un solo de no way out. Avec ses attaques en heavy drum-beat, Gérald vole le show sur «Cielo Drive Love Song» et «Baltringue». Voilà ce qu’on appelle des attaques en règle, et c’est vite repris en main par Tony et Alicia. Un Tony qui passe encore un solo écœurant de classe sur «Teenager In Grief», et ça rebascule dans l’Hey Ho des Ramones avec «Love Is Like A Switchblade». Les cuts sont enrichis à outrance, ça ruisselle de gimmicking, de back-beat et de basslines. Il faut aussi saluer ce «Joe Merrick» monté sur un beat revanchard, vraiment battu à la diable, gorgé de démesure, il faut voir comme c’est troussé ! Alicia n’a plus qu’à se laisser porter. L’album se termine sur la cover de Piaf, Alicia repart à zéro, on assiste à un incroyable hold-up, Gérald te bat ça comme le ferait Paul Cook, ça joue à l’extrême power. 

    Signé : Cazengler, Aliscié

    Alicia F. Pub O’Donnell. Caen (14). 11 avril 2025

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    Alicia F. Sans Détour. La Face Cachée 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu

    (Part Five)

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             S’il est un auteur qu’il faut saluer jusqu’à terre, c’est bien Peter Guralnick. S’installer dans le confort des 1 200 pages qu’il consacre à Elvis, c’est s’installer dans le fin du fin, pour des heures et des jours. Guralnick dispose d’un pouvoir d’évocation tellement puissant que Sam et Elvis, les héros de cette somme, deviennent aussi tangibles que Robert De Niro et Harvey Keitel dans Mean Streets, aussi palpables que Kris Kristofferson et Christopher Walken dans Gates Of Heaven, que Patrick Deweare et Gérard Depardieu dans Les Valseuses. Oui, Guralnick réussit ce prodige évocatif, mot à mot, page à page. On assiste à la résurrection d’Elvis comme d’autres assistèrent à celle du Christ. Guralnick s’obnubile tellement sur Elvis qu’il en oublie d’évoquer les collègues du calibre de Johnny Cash, Jerry Lee ou Carl Perkins. Guralnick mène là un authentique travail de bénédictin de la samaritaine, il reconstitue un à un de grands pans de vie, nous installe dans Graceland pour participer aux fêtes d’anniversaires, à Las Vegas pour la piste aux étoiles, et souvent dans la chambre d’Elvis pour le voir butiner la gueuse en toute innocence. Si on aime assez le rock pour lire certains livres, alors Last Train To Memphis - The Rise Of Elvis Presley et Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley sont deux passages obligés. Deux immenses classiques. De l’ordre de Gone With The Wind, avec tout le souffle, tout le pathos et tout le génie panoramique qu’on puisse imaginer. Comptez environ deux mois de lecture, au rythme de deux ou trois heures par jour. Il est des passages si beaux qu’ils coupent non pas le souffle, mais le rythme de lecture. Il faut y revenir pour soupeser l’impact émotionnel. Guralnick ne nous parle que de ça, d’émotion.

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             Il existe en fait quatre figures de proue dans cette saga mythologique : Elvis, Sam, et puis bien sûr le Colonel et l’argent. Dans un premier temps, Sam et Elvis sont indissociables, puis très vite le trio Elvis/Colonel/Dollar prend le pouvoir et ce, jusqu’à la fin tragique de l’histoire. Guralnick ne s’y trompe pas. Sam Phillips apparaît dès les premières pages comme un personnage révolutionnaire : comme Uncle Sam voit que personne n’a la moindre considération pour les artistes nègres, il décide de prendre le taureau par les cornes : «I set up a studio just to make records with some of those GREAT Negro artists !» C’est pour pouvoir les enregistrer qu’il monte son studio. Sam s’intéresse surtout à la musique que diffuse son ami Dewey Phillips à la radio. Il est essentiel de savoir qu’on apprécie Sam pour sa grande indépendance d’esprit - I was shooting for that damn row that hadn’t been plowed - Oui, il voulait labourer ces terres que personne n’avait encore labourées. Il travaillait dix-huit heures par jour, pourtant il ne roulait pas sur l’or. Il devait en outre encaisser les sarcasmes des blancs croisés dans la rue et qui insinuaient qu’à force de fréquenter des nègres, il n’allait pas sentir très bon. Mais Sam avançait, avec sa foi de charbonnier et son regard clair.

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    (Peter Guralnick & Sam Phillps)

             Guralnick fait très vite d’Elvis une sorte de saint homme, incapable du moindre mal. Ses parents sont très pauvres. Vernon Presley : «Poor we were. But trash we weren’t.» Et Vernon ajoute que les Presley n’ont jamais médit de personne - We never put anybody down. Neither did Elvis.

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             Voilà la clé d’Elvis. Sa bonté d’âme intrinsèque. Dans les premiers temps, Sam voit très bien qu’Elvis a du potentiel. Son coup de génie est de comprendre qu’il doit l’aider à le matérialiser. Sam va loin dans l’approche qu’il fait du caractère d’Elvis : «Elvis Presley may not have been able to verbalize it, and he damn sure had an appreciation for the total spirituality of the human existence. That was what he cared about.» Le constat que fait Sam va loin : il voit en Elvis un être extrêmement pur et c’est ce qui va le rendre tellement unique. Sa beauté et sa voix viennent en plus comme la cerise sur le gâtö. Sam voit d’abord l’extraordinaire qualité spirituelle de cet homme. Mais c’est une spiritualité qu’Elvis ne sait pas exprimer. Les premiers journalistes qui approchent ce jeune débutant ne comprennent pas bien sa courtoisie à toute épreuve. Le mec du Billboard pense qu’Elvis doit être soit incroyablement smart, soit con comme une bite (dumb as hell), et il ajoute qu’en fait, il est très loin d’être con (and you know he wasn’t dumb), alors c’est dans la poche. Elvis va bâtir tout son environnement relationnel sur la base d’un respect mutuel. Et très vite, Elvis croit qu’il doit tout à God, principalement son talent et sa réussite. Il déclarait volontiers qu’il devait être bon avec les gens, sinon God lui aurait tout repris. Logique infaillible. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il ne se fâchera jamais avec le Colonel - We’re the perfect combination - Et la raison pour laquelle il va rester loyal et disponible avec ses fans. Elvis répétait à tout bout de champ qu’il était devenu Elvis grâce à ses fans, alors il sortait tous les jours à six heures de Graceland pour signer des autographes. Même chose avec sa famille : Elvis couvrait de cadeaux ses oncles, ses tantes, ses cousins et ses potes. Des maisons, des voitures, des bijoux. Il n’a jamais cessé de prodiguer ses largesses, tel un roi de conte de fées, généreux et bienveillant.

             Avec les femmes, il recherche plus la compagnie que le sexe. Pour une poule, passer la nuit avec Elvis revenait à regarder la télé, manger et discuter, et à l’aube, on pouvait éventuellement baiser un coup.

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             L’épisode sexuel le plus stupéfiant se déroule dans la chambre d’Elvis. Priscilla et lui ne sont encore que fiancés. Elle a l’autorisation de passer la nuit avec lui, mais en toute régularité. Ils papotent toute la nuit et aux premières lueurs de l’aube, ils se roulent des pelles à gogo. Mais Priscilla crève d’envie de baiser. Elvis doit la recadrer : «Wait a minute baby. This can get out of hand.» Oui, Elvis ne veut rien précipiter. Il veut l’épouser et la baiser quand il estimera le moment venu. Ça ne l’empêche pas de passer ses nuits avec d’autres femmes, comme il le fera toute sa vie. 

     

     

     

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    ( Sam Phillips, Elvis, Marion Keisker)

             Les débuts d’Elvis chez Sam constituent le moment magique de cette saga. En fait, Sam ne connaît pas le nom de ce jeune débutant qu’il voit traîner dans les parages et qui l’intrigue. Il doit le demander à Marion Keisker. Elvis Presley ? Le nom étonne. Pour Scotty Moore, ça sonne comme un nom de science-fiction ! Sam demande à Scotty de contacter Elvis pour lui proposer une répète avant une première audition. Elle a lieu le 4 juillet 1954 chez Scotty, sur Belz. Bill Black qui habite à deux pas ramène sa stand-up. Elvis arrive au volant de sa vieille Lincoln. Il porte une chemise noire, un pantalon rose avec une bande noire sur le côté, des chaussures blanches et ses cheveux sont gominés. Bobbie Moore, la femme de Scotty, ouvre la porte et Elvis lui demande : «Is this the right place ?» La répète se passe bien et quand c’est fini, Elvis s’en va. Alors, Scotty demande à Bill ce qu’il pense du gamin. Bill n’est pas très impressionné : «Ce morveux qui débarque ici avec ses drôles de fringues et tout le bataclan ! - Snotty-nosed kid coming in here with those wild clothes and eveything.» Mais Scotty a une impression nettement plus positive. Il veut savoir ce que Bill pense vraiment de la voix du gamin. Oh, Bill ne crie pas au loup, mais bon, il y a quelque chose, I mean, but the cat can sing - Et tout part de là, the cat can sing. Eh oui, mine de rien, Elvis va devenir le plus grand chanteur de rock de tous les temps.

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             Sam va retrouver chez Elvis les traits de caractère des grands nègres du blues qui sont à la fois fiers et demandeurs. Arrive le jour de l’audition chez Sam. Entre deux essais infructueux, Bill, Scotty et Elvis s’amusent avec l’All Right Mama de Big Boy Crudup. Soudain, Elvis se met à sauter partout, alors Bill se met lui aussi à faire le con sur sa stand-up. Surpris par ce ramdam, Sam leur demande :

             — Qu’est-ce que vous fabriquez ?

             — On ne sait pas !

             — Reprenez-moi ce truc au départ, il faut que je l’enregistre !

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             Et TOUT part de là. Sam pige le truc dans l’instant. Il est même étonné de voir qu’Elvis connaît Big Boy Crudup. C’est la musique que Sam apprécie le plus et comme il le dit si bien, this is where the soul of a man nerver dies. Sam est enchanté par le son qu’amène Bill, le slap beat et le tonal beat en même temps. Sam : «Bill est l’un des plus mauvais bassistes du monde, techniquement parlant, but man, could he slap that thing !» On a là une conjonction extraordinaire : quatre hommes qui inventent rien de moins que le rock’n’roll : Elvis, Sam, Bill et Scotty. It was the chemistry. Le Grand Œuvre du rock’n’roll. Bill et Scotty sortent le son dont Sam rêvait mais qu’il ne parvenait pas à imaginer. Quand Sam leur fait ensuite écouter ce qu’ils viennent d’enregistrer, Scotty, Bill et Elvis n’en reviennent pas, it just sounded sort of raw and ragged, c’est-à-dire brut et déglingué. Mais c’est tellement nouveau qu’ils ne savent pas ce qu’ils ont mis en boîte. Something, mais quoi ? Personne n’a encore jamais entendu un son pareil. Le rockab sauvage ! Sam flippe. Il se demande s’il pourra réussir à vendre un truc aussi excitant, aussi vivant. Quand le soir-même il amène l’acetate à Dewey Phillips pour qu’il le diffuse dans son émission de radio, Dewey craque sur le champ. C’est le coup de foudre ! Dewey n’en revient pas ! Il ouvre son micro et annonce qu’il a un nouveau disque, and it’s gonna be a hit, dee-gaw, ain’t that right Myrtle - Moo font les vaches ! Et pouf ! The King is born. La conjonction magique Elvis/Sam/Scotty/Bill comprend désormais Dewey. C’est sur scène que tout va exploser, Elvis shakes his leg et c’est l’enfer sur la terre, et plus Elvis secoue les jambes et plus le public devient fou - The more I did, the wildest they went - Sam qui le voit jouer depuis le côté de la scène n’en revient pas. Quand il amène Elvis au Grand Ole Opry, Mr Denny dit à Sam qu’Elvis ne correspond pas à l’esprit plus country de l’Opry, mais il ajoute : «This boy is not bad !», ce qui vaut pour le plus austère des compliments. Bob Luman n’a encore que dix-sept ans quand il voit Elvis sur scène pour la première fois à Kilgore, au Texas : «This cat came out in red pants and a green coat and a pink shirt and socks and he had a sneer on his face and he stood behind the mike for five minutes, I’ll bet, before he made a move - Bob raconte le cat comme s’il chantait, son texte swingue - Le cat débarque sur scène en pantalon rouge, veste verte, chemise et chaussettes roses, avec un rictus au coin des lèvres et il reste là cinq minutes sans bouger - Il claque un accord sur sa guitare et pète deux cordes. Il est là, avec les cordes qui pendouillent, et il n’a encore rien fait et toutes les filles hurlent et viennent s’agglutiner au bord de la scène, alors Elvis commence à remuer les hanches doucement, comme s’il copulait avec sa guitare. Pendant que Scotty se concentre sur son jeu de guitare, Bill mâche du chewing gum et gueule go go go !

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             Elvis attaque sa série de singles Sun, sans doute les singles les plus mythiques de l’histoire du rock. Voilà «Mystery Train» dont Sam est très fier : «It was the greatest thing I ever did on Elvis.» - Train I ride/ Sixteeen coaches long - It was pure rhythm and at the end Elvis was laughing cause he didn’t think it was a take, but I’m sorry, it was a fucking masterpiece !»

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             Elvis se fait vite des ennemis chez les beaufs d’Amérique. On l’accuse d’obscénité - And who do they say is obscene ? Me ! - Elvis est profondément choqué. Car il est persuadé du contraire. Il remet les pendules à l’heure : il fait cette musique pour gagner de l’argent. Et il rappelle aussi que cette musique était là bien avant lui : «Les gens de couleur chantent et jouent cette musique depuis beaucoup plus longtemps que moi, man. Ils la jouaient bien avant que je sois né, dans leurs juke-joints et leurs cabanes et personne n’y faisait attention. Cette musique que je fais vient d’eux. Down in Tupelo, Mississippi, j’entendais le vieux Arthur Crudup bang his box comme je le fais aujourd’hui, et je me suis toujours dit que si un jour j’arrivais à sonner comme le vieil Arthur, alors je serais un music man comme on n’en a encore jamais vu !» Voilà toute la grandeur d’Elvis, cette fabuleuse simplicité et cette façon extraordinaire de rendre hommage à ses pairs, the coloured people des cabanes et des juke-joints. Et Elvis ajoute : «When I sing this rock’n’roll, my eyes won’t stay open and my legs won’t stand still. I don’t care what they say, it ain’t nasty - Aussi longtemps que je chanterai ce rock’n’roll, j’aurai les yeux fermés et je secouerai mes jambes. Je me fous de ce qu’ils disent, ça n’a rien d’obscène.»

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             Partout des foules en délire. Nous autres Européens ne pouvons imaginer ce que furent les tournées d’Elvis, une vraie traînée de poudre à travers les USA, tsssssss... Boum ! - I saw him bring the crowds to hysterics - Partout c’est le pandemonium - He ended up with ‘Hound Dog’ naturally at which point pandemonium broke loose - Guralnick n’en finit plus d’amonceler les échos des journalistes, il en fait cent pages, c’est du double concentré d’out of control, de crazy crowds, avec un Elvis en veste vert émeraude, pantalon bleu marine qui n’en finit plus de tomber sur ses genoux et de casser baraque après baraque, scary night after scary night et la foule qui n’en finit plus de grimper sur scène pour tout piller. Madness !

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             Alors le Colonel entre très vite dans la danse. Il flaire le jackpot. Il commence par se débarrasser du premier manager d’Elvis et d’un Sam Phillips qui ne l’aime pas. C’est viscéral et immédiat, dès le premier rendez-vous dans un restaurant sur Poplar. L’aversion est réciproque. Fin renard, Guralnick explique que le Colonel est un peu sentimental, mais pas du tout philosophe. Alors que Sam est un humaniste. Ils ne s’aiment pas, mais ils ont besoin l’un de l’autre. Menacé par la faillite, Sam a besoin de blé et le Colonel a ses entrées dans le business. Très vite, le Colonel cherche à se débarrasser aussi de Scotty et de Bill. Il propose qu’Elvis soit accompagné par le backing band d’Hank Snow. Catastrophe ! Il réussira aussi à se débarrasser de Leiber & Stoller qui avaient les faveurs d’Elvis. Comment ? En essayant de leur faire signer un document en blanc. On ne fait pas ce genre de coup à Leiber & Stoller. Côté Colonel, Guralnick s’en sort merveilleusement bien. On veut continuer de croire que le Colonel est une ordure, mais Guralnick parvient à lui tailler un costard sur mesure, celui d’un businessman singulièrement visionnaire. Il devient sous la plume de Guralnick le personnage clé de toute cette histoire, le mauvais génie d’Elvis Presley. Le tome deux de la saga qui raconte the unmaking d’Elvis (le déclin) lui est quasiment consacré. Tout au moins prend-il le pas sur un Elvis qui n’est plus que l’ombre de lui-même.

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             Le Colonel commence par reprendre en main la carrière de celui qu’il appelle my boy. Pour les premières tournées qu’il organise, il octroie un cachet de 200 $, ‘including the musicians’. Le Colonel pousse RCA à investir 35 000 $ dans le rachat du contrat d’Elvis à Sam. À l’époque, ça représente une somme énorme, mais tellement dérisoire en comparaison de ce qu’Elvis va rapporter au label ET au Colonel. Et c’est là que le Colonel va déployer ses ailes de vampire pour se consacrer à 100% à son poulain - The Colonel slept, ate and breathed Elvis - comme il l’avait fait auparavant pour Eddy Arnold, son précédent poulain. Pour sécuriser son investissement, le Colonel comprend très vite qu’il faut écarter tout ce qui peut présenter des risques : le sexe, le scandale, la familiarité et la perte de confiance en soi. Ça s’appelle une stratégie commerciale. Quand Bill Black fait un peu trop le con sur scène et qu’il capte l’attention du public, le Colonel le prend à part pour lui expliquer que c’est désormais interdit. Bill ne refera jamais plus le con sur scène avec Elvis. Quand le Colonel amène son poulain pour la première fois au New Frontier Hotel de Las Vegas, il demande les 8 000 $ de cachet en cash, car dit-il, les chèques ne valent rien dans cette région où l’on pratique des essais de bombes atomiques.

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             Très vite commence le travail de purification d’Elvis. Lorsqu’il passe à la télé, il porte une queue de pie et une cravate blanche. On lui interdit toute extravagance. Elvis tente de résister - You know those people in New York are not gonna change me none - Mais il finira par se faire baiser en beauté, jusqu’au 68 Comeback. Il se voit très vite contraint d’entrer dans le moule que lui bricole le Colonel. 

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             Guralnick consacre pas mal de place au business, l’apanage du Colonel. On voit comment ce stratège atrocement doué fait monter les prix et décide des priorités. Quand les disques et les tournées ne rapportent plus assez, il se tourne vers Hollywood qui devient pour Elvis ET pour lui une véritable vache à lait. Et quand le filon des films s’épuisera, le Colonel en inventera un tout neuf : Las Vegas. En parallèle, le Colonel négocie ferme avec RCA qui est propriétaire du contrat d’Elvis. Il obtient du label un revenu de 1 000 $ par semaine pendant vingt ans. RCA gagne beaucoup de blé avec Elvis : dix millions de singles sont vendus en un rien de temps. Et le cachet du premier film se monte à 250 000 $, cachet que le Colonel va s’empresser de faire grimper et qui finira par atteindre le million de dollars, du jamais vu à Hollywood. Le plus drôle de toute cette histoire, c’est que Scotty et Bill sont toujours payés 200 $ par semaine, quand ils tournent. Entre deux tournées, pas un rond et interdiction absolue d’aller jouer ailleurs. Le piège ! En plus, les frais d’hôtel et de restaurant restent à leur charge quand ils sont en tournée avec Elvis. Ils sont les deux gros baisés de l’histoire. Alors que de son côté Elvis ramasse des millions. Scotty et Bill ont des dettes, ils ont besoin d’aide et réclament surtout ce qu’ils appellent the fucking respect. Ils mettent ça dans une lettre qu’ils envoient à Elvis. Il la reçoit, la lit et s’exclame : «Aw shit !» Il voit cette lettre comme une humiliation. Il ne comprend pas qu’on puisse lui adresser des reproches. En fait, RCA voulait qu’Elvis soit accompagné par de meilleurs musiciens. Mais quand des mecs de Nashville accompagnent Elvis sur scène, ce n’est plus du tout la même chose. La magie est perdue. Elvis le sent nettement.

    Signé Cazengler, El tournevis

    Peter Guralnick. Last Train To Memphis. The Rise Of Elvis Presley. Little, Brown 1994

     

     

    L’avenir du rock

     - Bury me dead

    (Part Two)

             L’avenir du rock est ravi : il est allé Quai de la Mégisserie se payer un singe savant. L’animal s’appelle Jocko et ne mange que des bananes.

             — Alors Jocko, dis-moi, aimes-tu le rock ?

             — Buri ! Buri ! Buri !

             — Ah bah dis donc !

             — Oliver ! Oliver ! Oliver !

             L’avenir du rock n’a pas le temps d’en placer une... Jocko jacte :

             — Ackerman ! Ackerman ! Ackerman !

             — Mais tu sais tout, petit coquin !

             — Guitare !

             — Quoi guitare ?

             — Jeté guitare deuxième morceau !

             L’avenir du rock se frotte les mains. Il a vraiment fait une bonne affaire. Jocko repart de plus belle :

             — Nouille York !

             — C’est vague...

             — Brouklinne !

             — Tu connais le numéro de la rue ?

             — Def by audio !

             — Quoi def by audio ?

             — Pédale !

             — Pédale toi même !

             Croyant s’être fait insulter, l’avenir du rock jette Jocko dans sa cage de transport et le ramène chez le marchand d’animaux. Le rock et les singes savants ne font décidément pas bon ménage.

     

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             On vit A Place To Bury Strangers - c’est-à-dire Oliver Ackerman - tuer le rock l’an passé à Binic. Ce concert avait des allures de cérémonie sacrificielle. Impossible d’imaginer qu’il eût pu rééditer cet exploit ailleurs, notamment sur la petite scène du club. Eh bien si. Il peut recréer les conditions du chaos et de la fin du rock n’importe où, même dans une petite salle. 

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             Il s’y éver-tue plus qu’il ne s’y emploie. Il tue le rock à hue et à dia, dès le deuxième cut, il fait tournoyer sa silhouette dans les white lights du chaos, et sa gratte vole autour de lui, en bout de bandoulière, comme une fronde devenue folle. Il s’inscrit dans l’indescriptibilité des choses, alors tu ravales ta salive. Tuer le rock, ça veut dire tournoyer dans le chaos sonique, ça veut dire échapper aux couplets, aux refrains et aux charts, ça veut dire aller là où personne ne va, il orchestre sa vision du chaos et l’incarne, il te fait oublier jusqu’au souvenir des références, te voilà devant l’œuvre d’un visionnaire/destructeur livré à lui-même, il largue les amarres et réinvente ce qu’on appelait autrefois la colère des dieux, parce qu’on ne savait pas ce que c’était. Il se fait l’instigateur des mystères qui nous dépassent, il transforme la violence en spectacle, t’en perds ton latin et t’es bien content, ça fait du bien de perdre son latin de temps en temps, en attendant le jour où on le perdra pour de bon. Oliver Twist te donne un avant-goût de la mort qui est blanche, qui est exactement à l’image de cette lumière violentée par des coups de boutoir. Une petite gonzesse bat là-bas au fond du néant, et la vague silhouette d’un bassman hante un coin de la scène. La scène ? Non, plutôt un no man’s land perdu dans la civilisation, perdu dans la Normandie repue et cossue, un no man’s land en forme d’incongruité qu’on aurait enfoncée comme un coin dans la bien-pensance catégorielle, un no man’s land sous le feu des smartphones dernier cri qui tentent d’en sucer la substantifique moelle, un no man’s land qui se déverse aussitôt dans le torrent numérique qui court à travers le monde et dont personne ou à peu près ne se pose la question de savoir s’il a du sens. Les questions de sens font peur. Car bien sûr, le torrent numérique n’a absolument aucun sens. Ça filme pour des prunes, comme dirait Gide lorsqu’il évoque la poésie.    

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            En cet instant précis, la seule chose qui ait du sens, c’est le chaos sonique du no man’s land qui te donne une idée précise de la mort. Ou si tu préfères, la vie de la mort.

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             Et pendant que ça filme pour des prunes, Oliver Twist tue le rock. Le sacrifice dure on va dire une bonne heure. Comme l’an passé à Binic, les Bury quittent la scène pour aller œuvrer au cœur du peuple. Ça fait partie du rituel : la mort au cœur du peuple. T’entends soudain la bassline du «Death Party» du Gun Club. Vue de l’esprit ? Va-t-en savoir. Puis les Bury regagnent le no man’s land pour achever ce rituel qui finit par prendre des allures d’agonie, tellement ça n’en finit plus. Oliver

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    Twist malmène le matériel, mais ne le détruit pas, car il est en début de tournée.  Il n’a même pas cassé de guitare. Dommage. Il s’en prend aux petits stroboscopes et les fait voltiger autour de lui. Il soulève son ampli mais ne nous le jette pas sur la gueule. Dommage. Il est précautionneux dans son extrémisme. Pete Townshend, Keith Moon et Kurt Cobain allaient un peu plus loin dans l’exercice de la fonction destructrice, c’est vrai. On peut en témoigner. Oliver Twist donne sa version du chaos qui est intéressante. Il n’est encore qu’en début de carrière. Logiquement il devrait faire évoluer son rituel, aller vers plus de violence, l’extrémisme ne se nourrit que de surenchère. Il faut aller toujours plus loin dans le so far out. Oliver Twist ne peut décemment pas continuer de faire semblant. Un jour, ou peut-être une nuit, devra-t-il aller jusqu’au bout de la mort du rock. You know what I mean.

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             Bon le dernier Bury s’appelle Synthesizer, et en sous titre on pourrait imaginer lire : «Pas l’album du siècle.» Pour l’anecdote : le digi qui est ici est complètement explosé, comme si un éléphant avait marché dessus. Miraculeusement, le CD fonctionne dans le lecteur. On s’est demandé si le plastique explosé faisait partie du concept.

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             T’as trois blasters sur Synthesizer, le bien nommé «Disgust», «Bad Idea» et «It’s Too Much». «Disgust» te saute dessus et te broie la gorge. Littéralement. Oliver Bury est toujours aussi défenestrateur. Il bat la campagne comme plâtre, ça bombarde et ça taille à la serpe. T’as pas trop de mots pour décrire ce qui se passe sous le casque. Encore un blast épouvantable avec «Bad Idea». Oliver Bury travaille sa matière sonique à la forge dans les flammes de l’enfer, avec des vents terribles. «It’s Too Much» te tombe bien sur le râble. Comme t’es là pour ça, tu ne vas pas te plaindre. Et puis comme son nom l’indique, c’est saturé de trash. Mais en dehors de ces trois blasters, Oliver flirte avec la new wave. Il lui arrive de se prendre pour les Cure et tous ces bons à nib. Il recharge la barcasse d’«Have You Ever Been In Love», ça ressemble à un blast, mais tu restes prudent, vu ses accointances avec la new wave. Comme il charge trop sa barcasse, elle finit par couler. Glou glou.

             Le fin mot de l’histoire : le Bury Akerman fabrique et vend des pédales d’effets au merch. Joko ne s’était pas trompé. Sacré Jocko !

    Signé : Cazengler, complètement Bury

    A Place To Bury Strangers. Le 106. Rouen (76). 10 avril 2025

    A Place To Bury Strangers. Synthesizer. Dedstrange 2024

     

     

    Wareham câline

     - Part Two

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             Après les fastes de Galaxie 500, Dean Wareham s’embarque dans l’aventure Luna et une série d’albums qu’on peut bien qualifier d’exceptionnels. Il nous donne tous les détails dans sa superbe autobio, Black Postcards: A Memoir. Il commence par contacter Justin Harwood qui se trouve en Nouvelle Zélande et qui vient de quitter les Chills. Il était nous dit le real Dean fatigué des Chills. Il était une sorte de mec idéal : excellent bassiste, il ne fume pas, il ne boit pas. 

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             Les quatre premiers albums sortent sur Elektra, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire. Lunapark dégage encore de forts relents velvétiens. Ils sont en plein dans le Velvet dès «Anesthesia». C’est fabuleusement intrinsèque, bien dans la veine de Pale Blue Eyes. Le cut brille d’un éclat mystérieux. L’autre Velvet tune est «I Can’t Wait», pure Velvet craze en up-tempo, chanté d’une voix grave. «Slash Your Tires» se montre encore plus déterminé à vaincre. Le real Dean sait exciter les zones érogènes de la pop. D’ailleurs que fait la pop ? Elle se livre à ses doigts experts, et du coup, elle dégage des parfums toxiques. Le real Dean reste très présent, même sous le boisseau de «Crazy People», et il nous aménage l’une de ces envolées demented dont il a le secret. Sur «Smile», il suit son chant au gras double, suivi par le bassmatic dévorant de Justin Harwood. Le real Dean est un artiste passionnant, car il diversifie énormément, et chaque fois, il gratte des poux bien gras. Avec «I Want Everything», il revient à son modèle : le Lou sweet melody. Il chante dans la couenne de l’intimisme. Il fait encore bien le tour du propriétaire avec la fast pop lunaire de «Time To Quit» et refait du pur jus de Lou Reed à la perfe avec «Goodbye». Tout est assez héroïque sur cet album, tout est fantastiquement élancé et bardé de son, d’élans vitaux et de gras double.

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             Comme par hasard, Sterling Morrison vient jouer sur deux cuts de Bewitched : «Friendly Advice» et «Great Jones Street». C’est surtout sur l’Advice qu’on entend Sterling le héros - the stellar guitar playing of Sterling Morrison - Là oui, ça devient sérieux. Le cut pue la légendarité à des kilomètres à la ronde. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «This Time Around», un cut très pur, au plan mélodique. Le real Dean chante âprement et joue comme un dieu. «Going Home» est aussi assez pur, une fois de plus dans la veine de Pale Blue Eyes. Solide et bien troussé. Cet album sera le best seller de Luna, nous dit le real Dean.

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             Encore un album très Velvet : Penthouse, un Elektra de 1995. Il sonne comme le Lou sur ce «Freakin’ & Peakin’» merveilleusement amené aux deux grattes velvétiennes, c’est en plein dans le mille du Lou, il cisèle en plus un solo serpentin qui remonte dans le cerveau, et t’as comme d’usage la fin apocalyptique, il part en vrille d’excelsior catégoriel, ça te court délicieusement sur l’haricot. Le real Dean est vraiment l’héritier de Sister Ray et de tous les grands écarts du Velvet. Et t’en as encore au moins quatre qui sonnent comme une suite au Velvet, à commencer par «Chinatown», bien lunaire, bien dans le moule Velvet. Itou avec «Sideshow By The Seashore», le real Dean chante du coin du menton, bien à la Lou, en grattant des poux somptueux. Chez lui tout n’est que Lux, calme et volupté. T’as des bouquets de notes ralenties, des flammèches velvétiennes dans la normalité, avec un vent terrible qui se lève sur le tard du cut. Il essaye de devenir aussi mythique que Pere Ubu avec un «23 Minutes In Brussels» qui renvoie au «30 Seconds Over Tokyo». Même démarche unilatérale, il attaque au left my hotel in the city, et t’as le vrai poids des accords de «Sweet Jane». Il te sert encore le Lou sur un plateau d’argent avec «Lost In Space». Quelle merveille de délectation morose, et t’entends encore les accords de «Sweet Jane». Tu te régales encore de «Double Feature», battu sec avec énormément de son et une belle insistance. Et t’as le fast Luna d’«Hedgehog» - Do you care anymore - Le real Dean n’a pas froid aux yeux, il sait filer dans la nuit.  

             Le real Dean rappelle que Luna était «a much better live band than Galaxie 500.» Il dit aussi qu’ils n’emmenaient jamais de drogues en tournée - The drugs showed up when someone from the record company showed up - they were the ones who could afford to party every night - Il précise que quand on prend du LSD, on peut avaler des tas d’autres drogues sans les sentir - The acid trumps them all. It makes you superhuman - Quand on propose à Luna de faire la première partie de Lou Reed sur sa tournée Hooky Wooky, Stanley Demeski refuse d’y participer - Stanley had already opened for Lou Reed, when he was in the Feelies. He didn’t want to do it again - Lors d’un concert à Malmö, en Suède, un fan entre dans la loge et lance à Dean : «Dean! You are my heroes. I want to kiss you, while Sean fucks me in the ass... ha ! ha ! Just kidding!». Le real Dean adore ces épisodes incongrus.

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             Pup Tent s’ouvre sur un authentique coup de génie warehamien : «Ihop», fast & wild, avec des poux malingres et vinaigrés, le real Dean rentre bien dans le chou du lard, et Justin Harwood gratte une basse fuzz ! C’est absolument bardé de barda, les retours de manivelle sont d’une rare violence et au bout t’as un sax de combat. Le real Dean calme aussitôt le jeu avec «Beautiful View», il bronze sous les alizés, au bord de son lagon d’argent. Plus loin, tu vas croiser une autre merveille : «Beggar’s Bliss» et son joli refrain mélancolique de strange fascination/ It’s a bliss/ it’s a beggar’s bliss - Tu l’as dans la peau. Il trafique encore des relents du Velvet dans «Tracy I Love You», avec une slide et de la reverb sur le beat pressé. Il ramène de la fuzz dans «Whispers» et combine une belle explosion à la Sterling Morrison, c’est littéralement saturé de Méricourt, le son est crade à gogo, can you hear the whisper, il faut écouter le real Dean si on s’intéresse à la Méricourt car il en est l’un des experts. Ses fins de cuts comptent parmi les plus belles apocalypses de l’histoire du rock. «The Creep» démarre l’air de rien, mais le real Dean te gratte les raisins de la colère, et ça donne un festival d’accords en folie, le temps d’une pointe to the very last time. Et voici le coup du lapin : «Fuzzy Wuzzy» et l’incroyable santé des guitares, ça frôle le glam et le real Dean y va au I could see you Fuzzy Wuzzy/ Say goodbye to the frogs, c’est fascinant car ça se barre en plein délire Velvétien.

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             Sur The Days Of Our Nights, on retrouve le fameux «Superfreaky Memories» qui fit les choux gras de la pop indépendante au temps jadis. C’est tellement profondément mélodique que ça glisse dans l’intemporalité. Le real Dean décroche enfin son hit marmoréen. L’autre coup de génie de l’album est le «Dear Diary» d’ouverture de bal qu’il chante à la Lou, au timbre distinctif. Pas de danger qu’on le confonde avec un autre. Et t’as toujours le bassmatic voyageur de Justin Harwood dans le lard fumant. Cette grande pop voyage véritablement par dessus les toits. Il est aussi très Lou sur «Hello Little One». Oh l’incroyable qualité du mimétisme ! Tout ce qu’il entreprend est de qualité supérieure, chant, solos. Il fait sonner son solo de carillon dans l’écho du temps et il imagine en plus des développements de dernière minute ! Sur «Seven Steps To Satan», il part en solo mirobolant, et ça devient extrêmement diabolique. Sa pop racée est constamment visitée par des vents d’Ouest, «Math Wiz» reste vivant, alerte, aéré, il joue même les arpèges du diable. D’une certaine façon, le real Dean prolonge le génie mélodique du Lou. Il orne encore «The Rustler» d’un final en forme de Gorgone sonique, avec des serpents mirifiques qui fuient en tous sens. Et son «US Out Of My Pants» bascule dans la Mad Psychedelia ! Par contre, il commet la grave erreur de finir avec une cover de Guns N’ Roses, «Sweet Child O’ Mine». N’importe quoi.

             Il évoque d’ailleurs cette cover pourrie dans son book : «Justin ne voulait pas qu’on l’enregistre. He hated Guns N’ Roses. I didn’t like them, either, but it’s a great song. I am of the opinion that a bunch of pigs can occasionally write a beautiful song together. Oasis dit it, too with ‘Wonderwall’.»

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             Alors forcément, un Live de Luna ne peut que te sonner les cloches. D’autant que c’est globalement un hommage au Velvet : «Friendly Advice» est en plein dedans, embarqué au bassmatic Velvetic, le pah pah pah est du pur Velvet sixties. Le real Dean chante encore comme le Lou dans «4000 Days». Quel mimétisme ! Et t’as en prime la tempête de wah et le bassmatic en folie de Justin Harwood. Le real Dean reste dans le Lou avec «Hello Little One». Il crée sa magie dans le prolongement exact du Lou, avec cette fois la trompette du diable et une explosion de poux sulfureux. Pur Velvet encore avec «Lost In Space», il se barre en vrille d’extrême clarté disto, c’est incroyable de violence sonique ! On reste dans l’ombre du Velvet avec «23 Minutes In Brussels», le real Dean est en plein délire de résurrection du Velvet, avec toute la violence intrinsèque de revienzy dont il est capable. Et tu crois entendre Lou Reed sur «4th of July». Le real Dean est en plein dedans ! Il faut aussi saluer «Sideshow By The Seashore», cette pure folie de fondu sublime et sa belle attaque de riffs psyché. C’est rien de dire que le real Dean dispose de ressources naturelles inépuisables. Tout est plein comme un œuf sur ce Live, avec le plus souvent un final en forme de maelström. Et voilà la cerise sur le gâtö : «Bonnie & Clyde». D’où l’intérêt de tout écouter. Cet hommage à Gainsbarre relève du mythe, d’autant plus que le real Dean le chante en français, «écoutééz l’histoière de Bonnie & Clyde» et bien sûr Britta vient faire sa Bonnie, «il faut croière que cé la sociétéé», avec l’accent US. Tu nages en plein bonheur et ça se barre en solace d’excelsior, puisque le real Dean te gratte des poux exacerbés. Wow ! Il te rocke le boat du mythe !

             Justin Harwood finit par quitter Luna. Ils songent à cette petite gonzesse qui jouait de la basse avec Ben Lee, Britta Phillips. Elle vient passer l’audition et ça marche. Le real Dean prévient les deux autres, Lee et Sean : «Listen, no hanky-panky. If anyone gets involved with her, they’re out of the band.» Évidemment c’est lui, le real Dean qui va craquer pour Britta et garder le secret aussi longtemps qu’il le pourra. 

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               Encore un très bel album avec une pochette ratée : Romantica. Bel album parce que «Black Champagne» et «Renee Is Crying», deux Beautiful Songs émérites, avec deux mélodies chant parfaites. Le real Dean soigne les cervelles de ses fans, il vise en permanence la perfection mélodique issue de Lou Reed et il gratte des poux qui se distordent dans le crépuscule, alors tu sors ton plus bel accent anglais pour dire : «Awsome !». Il les amène toutes les deux au ton de proximité et ça devient extrêmement tentaculaire. Dès que le real Dean ramène sa fraise avec «Lovedust», ça prend du sens, car il sonne comme Lou Reed. La pop de «Weird & Weezy» prend vite le dessus, magnifiée par les deux guitares. Quel power Lunatic ! Tout est embarqué dans l’une de ces cavalcades dont le real Dean a le secret. Encore un coup de génie avec «Black Postcards» (qui est aussi le titre de son autobio). C’est le genre de cut qui vient se bercer dans ton giron. Good old real Dean ! C’est bardé de Velvet, avec un balancement extraordinaire, et une mélodie intégrée dans la couenne du lard. Tu ne battras jamais le real Dean à la course. Il mène encore une belle opération de charme avec «Mermaid Eyes», toujours dans l’esprit de Lou Reed. Quelle ampleur ! Il est le roi de la permanence. Il retente le coup de la pop magique avec «Rememories», il y est presque, et il replonge dans le Lou Reed spirit avec «Orange Peel». Il termine avec son morceau titre et va puiser pour ce faire dans ses profondeurs. Encore un Luna final, une apothéose absolue. C’est son truc.      

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                Belle pochette sexy pour ce Rendezvous de 2004. Elle se tient dans l’ombre, la coquine. Le real Dean sonne vraiment comme Lou Reed sur «Malibu Love Nest». Il reste bien sous le boisseau du Lou, avec ce balladif en fast tempo. Il gratte des gros poux bien gras et c’est d’une élégance suprême. Il reste dans la même veine avec «Cindy Tastes Of Barbecue». Il se rapproche même de plus en plus de Lou Reed, dans l’intimisme et la clarté de clairette. Le real Dean est un artiste fascinant, et il finit comme toujours en beauté. Il reste dans l’esprit pur et dur avec «Speedbumps», il travaille ça à la folie, il est décidément increvable. Pure merveille encore que ce «The Out & The Pussycat». Il ramène un beau climax et groove dans le doux du doom. Quelle délectation ! Il chante toujours avec un petit côté rassurant. Après tant d’années, il s’amuse encore à fabriquer des chansons avec la même matière. La petite pop-rock de «Buffalo Boots» n’est pas sans charme. Il déploie tous ses fastes de clairette pénultième, ça joue au défonce-moi baby, ça devient même assez wild. Puis il retourne au mystère avec «Rainbow Babe» et te balance ça : «Two and two makes twenty two, Rainbow Babe.» T’es pas forcé d’être d’accord.         

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             A Sentimental Education est un album de covers, doublé d’un mini-album d’instros. Dans les covers, tu retrouves l’excellente cover du «Most Of The Time» de Bob Dylan et là tu dis oui. Le real Dean te chante ça au deepy deep et c’est puissant. L’autre grosse poissecaille de l’Éducation Sentimentale est la cover du «Car Wash Hair» de Mercury Rev. Il y a même Jonathan Donahue et Grasshopper sur le coup. C’est un hit underground d’obédience faramineuse, ça joue dans l’exemplarité d’un monde sublime et les grattes partent bien en vrille. Le choix des autres covers n’est pas jojo : le «Fire In Cairo» de Cure, le «Gin» Willie Loco Alexander, il tape même dans le «Friends» de Doug Yule qui n’est pas très Velvet, un Fleetwood Mac («One Together»), un Yes (mais si !) («Sweetness»), un Jagger/Richards tout pourri («Walking Thru’ The Sleepy City»), et un Willy DeVille. Enfin bref, tu sors de là très déçu.

             Puis d’un commun accord, Luna décide d’arrêter les frais - It was time. We would disband - Ils n’annonceront la nouvelle qu’après la sortie de Rendezvous. Ignacio, un ami espagnol, dit au real Dean au cours d’une interview : «I am glad that Luna is breaking up. You don’t want to turn into the Flamin’ Groovies. It’s time for a new beginning.»

    Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Luna. Lunapark. Elektra 1992

    Luna. Bewitched. Elektra 1993

    Luna. Penthouse. Elektra 1995       

    Luna. Pup Tent. Elektra 1997        

    Luna. The Days Of Our Nights. Jericho 1999   

    Luna. Live. Arena Rock 2001         

    Luna. Romantica. Jetset Records 2002    

    Luna. Rendezvous. Jetset Records 2004            

    Luna. A Sentimental Education. Double Feature Records 2017

     

    Inside the goldmine

    - Tyrone n’est pas un tyran

             Si Tyrone n’était pas un tyran, Tyzoar l’était. La maisonnée subissait le joug de ce gros géniteur affublé d’un triple menton. Comme tous les autocrates et tous les despotes à la petite semaine, il n’était préoccupé que d’une seule chose : son nombril, et accessoirement, le vermicelle qui chez lui faisait office de bite. Il dictait ses ordres. Passe-moi le sel. Ferme ta gueule. Il siégeait chaque soir au bout de la grande table de la salle à manger et imposait le silence, pour pouvoir suivre le journal télévisé. Cette putain de téloche trônait dans l’axe de la grande table et déversait son torrent de poison médiatique. On était en pleine guerre du Vietnam. Les «repas de famille» tournaient au cauchemar. Interdiction bien sûr de quitter la table avant la fin du repas et la fin du journal télévisé. Fermez vos gueules. Après, il fallait aller se coucher et extinction des feux à 21 h, pour ne pas «dépenser d’électricité». Tyzoar restait au salon et se faisait tripoter le vermicelle par cette pute qu’il avait ramassée dans un bar de la côte et qu’il avait ramenée avec sa marmaille pour remplacer l’épouse qu’il avait répudiée pour cause disait-il «de frigidité». Ce mélange de lubricité et d’obscurantisme attaquait nos adolescences comme l’acide attaque le métal. On subissait ça au quotidien. Chaque jour on rentrait du lycée en se demandant ce qui allait nous tomber sur la gueule. Car bien sûr, la pute qu’il avait ramassée nous haïssait, et elle allait se plaindre en permanence auprès de Tyzoar : «Il n’a pas fait son lit !», «Il cache des revues sous son matelas !», «Il m’a mal répondu», alors Tyzoar nous convoquait dans son bureau, il demandait des comptes et comme on n’avait pas le droit de parler, on gardait le regard fixé au sol en attendant le premier coup qui ne tardait jamais. Bing ! «Alors tu caches des revues sous ton matelas ?» Bong ! «Alors tu parles mal à Jacquotte ?» Bang ! Pour quitter cet enfer, nous envisageâmes sérieusement de nous suicider.

     

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             Tyrone arrive dans cette chronique comme une bouffée d’air frais. Il chasse le souvenir de l’abominable Tyzoar.

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             En 1967, Carl Davis monte Dakar Records - ‘Da’ from Davis and ‘Car’ from Carl - Pour éviter la confusion avec Decca, il remplace le ‘c’ par un ‘k’. C’est là qu’il s’installe dans les anciens locaux de Vee-Jay. Il démarre avec Shirley Karol et Major Lance, puis il lance l’ancien chauffeur de B.B. King et ancien road manager d’Harold Burrage, Tyrone Fettson. Carl n’aime pas le nom de Fettson. Alors Tyrone demande s’il peut utiliser le nom de Carl et devient Tyrone Davis. En 1968, Tyrone Davis décroche un hit avec «Can I Change My Mind». Et comme Carl n’a pas les reins assez solides pour lancer Tyrone Davis, il passe un deal avec Jerry Wexler chez Atlantic - Tyrone was Dakar’s flagship as long as we ran the label.

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             «Can I Change My Mind» donne son titre au premier album de Tyrone. Il a du mal à percer les blindages, c’est pourquoi il opte pour le soft groove du Chi Sound. Il le brosse dans le sens du poil. L’autre grosse poissecaille de ce premier album est la cover du «She’s Looking Good» de Wilson Pickett - Lookin’ so good mama - Il y flirte avec le power de Clarence Carter. Il fait une autre cover, cette fois complètement ralentie de «Kock On Wood». En B, «Open The Door To Your Heart» confirme la tendance : c’est dans le soft groove qu’il est bon, sacrément bon. Son «Call On Me» s’axe sur un tiguili funky suavement trompetté à Jericho. Il tape encore dans le Staxy Staxa d’Eddie Floyd et Steve Cropper avec «Just The One I’ve Been Looking For». Il s’y adonne avec une ferveur de satin.

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             T’as trois authentiques coups de génie sur Turn Back The Hands Of Time, un Dakar de 1970 : le morceau titre (que reprendra Pat Todd avec ses mighty Rankoutsiders - ce Hand of time est une véritable Motownisation des choses de Chi, Tyrone jette toutes ses forces dans la bataille du Black Power, oh darling et tu assistes à l’envol considérable de l’ooooh baby), «Let Me Back In» (il est incroyablement détendu du gland, à la fraîche de Bertrand Blier, ah quelle classe et quelle liberté de ton, c’est invraisemblable de groovytude), et «Love Bones», un wild r’n’b de popotin, Tyrone est un véritable seigneur des annales, et c’est achevé à coups de baryton de lôv bôn ! Il faut aussi saluer «The Waiting Was Not In Vain», un groove de big time co-signé Carl Davis et Eugene Record. Il finit sa B des anges avec un «I’ll Keep Going Back» à la Sam Cooke, il fait sonner son I wanna leave you comme l’I was born by the river

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             Encore un Dakar d’enfer avec Without You In My Life. T’es hooké dès la pochette, et le costard rouge que porte Tyrone. Il fait du slow rumble d’heavy popotin et mélange le Stax et le Chi («There It Is»), tape bien l’incruste dans le gros popotin (morceau titre), il se rapproche encore de Sam Cooke avec «You Wouldn’t Believe», puis fait un festival de Soul des jours heureux avec «I Had It All The Time». En B, il tape une cover de l’«I Got A Sure Thing» de Booker T, encore du haut vol de haut rang, heavy Chi Sound rampant. Il reste dans son péché mignon (le gros popotin) avec «If You Had A Change In Mind», il enchaîne avec une évidence, «True Love Is Hard To Find», eh oui, tu ne trouves pas le True love comme ça, sous le sabot d’un cheval, et il finit avec une belle énormité, «Honey You Are My Sunshine», montée sur un bassmatic bien rond. 

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             I Had It All The Time pourrait bien être l’un de ses meilleurs albums. Tu retrouves le morceau titre au bout de la B, ce big drive de Chi Sound cuivré de frais et tu le vois se développer en heavy rumble de basse. Et là tu te dis que t’as pas fini de flasher sur Tyrone ! Trois autres coups de génie : «Your Love Keeps Haunting Me» (tu sens bien la pulpe du Chi Sound, en motion at the junction, et puis t’as cette ouverture considérable), «How Could I Forget You» (fantastique shoot de Soul des jours heureux, il peut t’enchanter vite fait, le Tyrone) et «After All This Time». Il campe sur ses positions, il creuse son lit, il ramone le Chi Sound. Il a exactement la même classe qu’Eugene Record, comme le montre «Was I Just A Fool». Le producteur Willie Henderson tortille des nappes de violons et crée de l’atonalité. Avec le Chi Sound, ça repart toujours du bon pied. Incroyable vélocité de la véracité («Come & Get This Ring») !  

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             Pochette plus romantique pour It’s All In The Game. Ce Dakar de 1973 est encore un very big album, avec notamment cette cover océanique de Burt, «I Wake Up Crying», Tyrone œuvre ici un peu à la manière d’Isaac le Prophète, bien étendu dans la durée, avec une gratte-fouine qui rôde partout et quelques trompettes de Jéricho, coco. Retour au solide popotin avec «I Can’t Make It Without You», prod de Willie Hendereon, belle tranche de Chi Sound bien claquée du beignet, ce joli shoot de mid-tempo flirte avec l’up-tempo. Encore de la viande en B avec «You Don’t Have To Beg Me To Stay», Tyrone creuse son Chi avec force et talent, oooh baby. Back to the popotin avec «What Goes Up (Must Come Down)» de fantastique allure, et vient à la suite la grosse machine de «There’s Got To Be An Answer», Tyrone fais la loco, il a le beat à sa pogne, fucking great artist ! Il est vraiment le roi de la Soul des jours heureux.   

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             Home Wrecker est une sorte de Best Of. On y retrouve tous les gros hits d’antan, à commencer par «After All This Time», «How Could I Forget You» et «Was I Just A Fool» tirés d’I Had It All The Time. Tyrone semble régner sur la ville - Look at the teardrops in my eyes - C’est un artiste passionnant, pressant et capable de suavité à la fois, et puis il tortille son Just a Fool dans les vagues de chaleur, il vibre le son dans l’effet, comme le fait parfois Eugene Records avec les Chi-Lites. Son morceau titre est flagrant de popotinage, et «This Time» bat bien des records de Soul sophistiquée. On retrouve aussi sur cet album sa cover de l’«I Got A Sure Thing»» de Booker T, et on le voit plus loin passer en force, comme le fait Edwin Starr, sur «A Woman Needs To Be Loved». Mais c’est avec «How Could I Forget You» qu’il rafle vraiment la mise, cette belle Soul des jours heureux, t’en peux plus de bonheur, Tyrone s’ouvre à l’univers tout entier, il donne du volume, il gonfle les voiles du Dakar.

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             Son dernier Dakar s’appelle Turning Point. Belle pochette. Le popotin du morceau titre tourne au coup de génie - It’s the turning point/ In my life/ Lawd Lawd - Voilà du vrai popotin de boisseau, un chef-d’œuvre de finesse et de groove. Le reste de l’album est un peu faiblard, mais Tyrone a du tirant.

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             C’est encore à Kent que revient le privilège de pondre une compile de Tyrone Davis, The Tyrone Davis Story. «One Way Ticket To Nowhere» sonne un peu comme l’«I Was Made To Love Her» de Little Stevie Wonder. Même éclat et même énergie. Encore une belle énormité avec «I Wish It Was Me» et son «Afeter All This Time» vaut tout le Stax et tout le Motown du monde. Tyrone sonne comme un inexorable. Et voilà qu’il sonne encore comme les Supremes dans «I Had It All The Time», c’est étonnant de qualité, avec des chœurs de rêve. On retrouve en B l’imparable «Turn Back The Hands Of Time». Il fait les Miracles à lui tout seul avec une grâce infinie. Il reste dans l’esprit de Motown avec «Have You Ever Wondered Why» et il montre encore qu’il a de la suite dans les idées avec «There’s Got To Be An Answer», et son «Keep Me Hangin’ On» est franchement glorieux.

    Signé : Cazengler, Tyran d’eau

    Tyrone Davis. I Can Change My Mind. Dakar 1969 

    Tyrone Davis. Turn Back The Hands Of Time. Dakar 1970  

    Tyrone Davis.  Without You In My Life. Dakar 1972  

    Tyrone Davis. I Had It All The Time. Dakar 1972 

    Tyrone Davis. It’s All In The Game. Dakar 1973  

    Tyrone Davis. Home Wrecker. Dakar 1974 

    Tyrone Davis. Turning Point. Dakar 1975  

    Tyrone Davis. The Tyrone Davis Story. Kent/Ace Records 1985

     

    *

             Toujours des surprises sur Western AF.  Aucune idée préconçue, avec ses cheveux longs, je ne sais si l’individu au centre de la scène, son chapeau  lui cache une partie du visage, est une fille ou un garçon, oui mais il y a ce flux de guitare qui me vrille le cerveau, un son tellement accompli que l’étonnement me saisit, mais ce n’est pas du country, Western AF briserait-il ses propres codes, et puis ce mec sur ma droite ressemble à un indien, pas d’affolement Damie, tu remets au début et tu écoutes, zieute bien, pour les oreilles pas de problème, c’est un nectar suprême qui les visite.

    WESTERN AF  / FULL PERFORMANCE

    BLAINE BALEY

    (YT / Avril 2025)

             La session est enregistrée au Cain’s Ballroom de Tulsa. Ancien garage construit en 1924, transformé en 1930 par Daddy Cain en Cain Dance Academy.  Tulsa est une cité de 700 000 et plus habitants, située au nord-est de l’Oklahoma dont le nom est tiré de deux mots indiens : okla et homa qui signifient ! Homme Rouge.

    Sont quatre sur la scène qui ne mérite en rien le qualificatif d’exigüe, tout au fond un visage pâle à la batterie, blond comme un beau gosse il arbore même une croix chrétienne, à droite un peau rouge, n’est plus tout jeune, sur son visage l’on peut trouver tous les tomahawks qu’il a déterrés sur les sentiers de son existence, à gauche assis derrière sa pedal steel, un beau meuble, me rappelle la pose pleine de patience et de sagesse de ma grand-mère à sa machine à coudre, encore un beau mec, je dirais un white man, brun, mais cela n’a guère d’importance, ce qu’il faut regarder chez les individus c’est la couleur intérieure, je ne donne pas leur nom car je ne les ai trouvés nulle part, enfin au centre, à la guitare électrique, Blaine Baley 

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    Cigarettes and roses : : il chante un truc inintéressant, mais primordial, la ballade de la dernière chance, celle du gars qui a fait la connerie de sa vie, non il n’a tué personne, s’est simplement disputé avec sa copine, l’a claqué la porte, l’est parti sans oublier sa guitare, elle, elle ne fait jamais la tronche, mais il regrette, il revient sa dernière clope au bec et un bouquet de roses, l’avait pas un dollar de plus pour ramener davantage… les gars ne faites pas semblant de vous essuyer les yeux dans les rideaux, retenez aussi vos hurlements de rite, faut écouter, l’histoire n’est pas terminée, il ne rajoute pas un mot, c’est le son terne, dépassé, de sa voix, et la musique, cette guitare et les trois autres qui amplifient au carré, au cube, à la puissance quatre percutante, le poids de la misère humaine qui vous tombe dessus, nous voici prisonniers de notre propre incapacité humainoïdes predatorii à surmonter nos propres insuffisances. Toute une critique sociale métaphysique aussi, l’esclave qui tourne sa meule tout en sachant très bien que rien ne s’améliorera jamais. T-Shirt : quoi de plus inoffensif qu’un T-shirt, celui de Blaine porte uns inscription : Merchess Indian Sauvage, en tout cas la rythmique trotte comme un appaloosa, tiens aujourd’hui,  Blaine sort de la réserve dans laquelle les offensés et les humiliés se tiennent habituellement cois, lance des mots aigus comme des flèches, la bonne conscience blanche qui s’en vient porter consolation aux malheureux indiens il y crache dessus, les indiens n’étaient pas une civilisation de sauvages, incapables de s’adapter à la modernité blanche, qui auraient encore besoin d’aide et de compréhension,  imprime ma gueule sur un T-shirt pour gagner du fric, ne serait-ce que pour récolter des subsides pour les aides sociales, toi qu’on a exilé d’Europe et qui as pris nos terres, n’oublie que le combat n’est pas terminé. Tu as promis et tu n’as rien tenu. L’esprit indien persiste. Loblolly Pines : (les pins loblolly exhalent une

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    saveur de romarin) : est-ce parce que Blaine a déclaré dans le morceau précédent qu’il n’y a pas de violon cherokee que la pedal Steel est abandonnée au profit du violon, le rythme est échevelé, cette fois-ci Blaine chevauche au grand galop, en vérité il fonce en voiture en pleine nature, et surtout contre lui-même, se reproche tous ses errements passés, il comprend que sa famille est sa vraie richesse et qu’il doit devenir un exemple pour son fils, les indiens (ils ne sont pas les seuls) sont dans l’ensemble assez traditionalistes, moraline rouge certes, l’on pense aussi au mouvement des white re-borns dans les années quatre-vingt-dix aux USA, l’orchestration effrénée est certes séduisante, mais ce repli vers les valeurs religieuses conservatrices ne me convainc guère. Likes of me : quelle intro mélodramatique, le tambour tape fort et les guitares étincellent, deux histoires qui se contredisent, l’est poursuivi par une fille – dans ces cas-là je me laisse facilement rattraper surtout si elle belle, intelligente, gentille et très riche, j’arrête de plaisanter, c’est lui qu’elle veut et pas moi, l’a son aura d’artiste et lui ses scrupules religieux, les Evangrilles en Enfer le taraudent, vous avez les paroles et vous continuez à écouter because la guitare est de toute beauté, pauvres de nous, c’est un indien, l’est rempli de ruses, les épines de ses ruses ce sont ses mots, tireur d’élite, pour vous endormir la pedal steal vous envoie sa marmelade, mais la voix lente et fatiguée vous promène en longe, il ne le dit pas, mais il nous en persuade, l’est aussi fautif que l’apprenti pêcheresse, mais ce n’est ni de sa responsabilité à lui ou à elle, c’est le destin. Personne n’y peut rien, ni lui, ni elle. Une force plus puissante que les Le Christ peut agoniser sur sa croix tant qu’il veut, les êtres humains se débattent et se chauffent avec un bois bien plus odorant et plus brûlant.

             J’ai voulu en savoir plus. Alors j’ai su davantage. Blaine BaiIley n’est pas l’étoile montante du country. La chance l’a favorisé, sa chanson Cigarettes and Roses a été remarquée par les producteurs de la série Reservation Dog, n’ayant pas de télé j’ignorais jusqu’à son existence. J’avais bien entendu Reservation Dog par ci par là, j’en avais hâtivement (et bêtement) conclu que c’était une série policière particulièrement violente. Dans ma tête je confondais avec Reservoir Dog de Tarentino. Ce n’est même pas un western. Mais c’est rempli d’indiens. Donc une série américaine confiée à un autochtone et à un native, un Séminole, et un Maori. La série raconte les rêves et les aventures de quatre adolescents d’une quinzaine d’années qui rêvent de se rendre en Californie du Nord pour échapper à une vie sans envergure dans la réserve Creek de la nation Muscogee in Oklahoma. Il y eut trois saisons 2021, 2022, 2023. Je ne critiquerai pas parce que je n’ai pas vu, Wikipedia affirme que c’est drôle et subtil et que cela a contribué à  faire tomber les clichés sur les Natives Américain… Je me méfie…

    Bill Blaine a sorti son premier album en 2021.

    LOST CITY

    (Mai 2021)

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    Belle pochette typiquement indienne. Un titre d’album qui pue le cowboy à plein tube. La pluie tombe. Métaphore pluvieuse. L’indien a mis sa tenue de cérémonie. Ou son masque de carnaval. Choisissez, la plupart du temps l’on est ce que l’on est dans sa tête. Dans Sa tombe aussi. Parfois l’on est forcé d’enfiler ses habits du dimanche. Ou de revêtir ses effets  de guerre. C’est un beau costume pour mourir. Parfois aussi l’on est déjà mort, mais l’on ne s’en aperçoit pas. Comme ça il nous reste à continuer à vivre.

    Rain : tiens il pleut comme sur la pochette, mais ce n’est pas la véritable surprise, malédiction Blaine s’est contenté d’une guitare acoustique, ne dites pas c’est une erreur, c’est lorsqu’ils ont eu des Winchesters que les Indiens ont pu se défendre, oui mais la guitare sèche ça pétille aussi sec qu’un feu de bois, il joue bien, le bougre rouge. Remonte jusqu’au blues, sur lequel il rajoute les traits de feu de ses flèches, l’a la voix qui gémit un peu, un glapissement de coyote qui dans la nuit paraît plus tendre, l’est aux racines de la grande musique américaine, raconte ses difficultés à joindre mots et rythmiques, il ne suffit pas de savoir jouer il faut aussi dire, trouver les mots, avec sa voix qui rebondit il trouve le chemin, les cordes grésillent et lorsque sa voix se tait tout nous manque, mais il reste encore la magie de sa présence. Et le sel de son absence. Il ose encore parler d’échec, de solitude, de désespoir, d’agonie et de mort. Cigarettes and roses : diable sans l’électricité les roses qu’il va offrir à sa copine, elles vont scintiller comme la guirlande de Noël rangée au fond de son carton pour l’année prochaine, elle va les lui rejeter en pleine gueule, ben non elle va y enfouir son visage dedans, le bouquet a perdu ses étincelles mais quelle saveur, quel parfum, celui d’un authentique désespoir porté par cette voix, il s’arrache les mots de la bouche comme des joyaux resplendissants de poëte. Quant à la guitare elle suit, elle balaie le plancher pour que la belle ne se salisse point ses pieds dans la poussière du quotidien. Elle nous joue la parade nuptiale du désir qui marche vers sa propre rencontre. Merveilleux. Poker : changement d’ambiance, la poésie et le désir cèdent le pas à l’argent, à la violence, à la peur, un véritable western – moderne parce qu’ils sont en voiture – l’histoire mille fois racontée des apprentis demi-sel engagés dans une partie dont ils ne maîtrisent pas les règles, n’y a plus qu’à se renverser dans son fauteuil et choisir sa chaîne, ce qui est bien c’est qu’elles racontent la même séquence, vous pouvez suivre la voix superbe mais je crois que la guitare est encore plus violente, plus enlevée, plus brutale, davantage dans l’action et en couleur, le vocal porteur d’angoisse , en noir et blanc. Expressionniste en quelque sorte. Church bells : une musique enjouée et en même temps très blues, par contre rien à voir avec du gospel, malgré le titre, la voix traine, elle raconte une tranche de l’histoire de l’Amérique, partagée entre le vice et la vertu, cette dernière étant entendue comme un démenti de la réalité, le mauvais garçon revient chez lui, en retard pour pouvoir se rendre à la messe avec sa maman et sa  famille, pour le vin de messe pas de problème l’est déjà bituré à mort, l’a aussi engrossé la fille du pasteur, faut qu’il lui parle pour qu’elle lui pardonne… promesse d’ivrogne, un exemple parfait de l’âme indienne contemporaine écartelée entre le dieu des blancs, entre le bien et le mal et le déroulement d’une survie de débrouille et de renoncement obligée de constater que le paradis est pavé de mauvaises intentions. Partage d’une âme blessée par la vie et lui-même. Les deux moitiés de l’orange pourries. Hitman : un shoot de guitare sèche en intro et la voix fatiguée qui reprend le flambeau. Une espèce d’auto-confession, un autoportrait de l’artiste en vieux chien sans concession. Le mauvais côté, le tueur, l’homme qui n’hésite pas, qui ne se fait aucune illusion sur lui-même et qui s’en vante, une voix d’assassin presque plaintive mais aussi tranchante que le couteau de cette guitare qu’il vous enfonce entre les côtes. Je ne crois pas qu’il existe un morceau de blues porteur d’une telle froideur, d’un tel détachement, d’une telle violence dirigée autant vers le monde qu’envers soi-même. Country blues au sens étymologique des deux termes de l’expression. Un chef d’œuvre.  Overlooking eye : retour au country, ce sourire désabusé que l’on offre aux autres et à soi-même, l’on n’est pas spécialement fier de soi-même mais l’on tient à ses rêves, la guitare pétille, un véritable feu de joie, la voix conte une autre histoire celle de l’échec, l’on est entre les deux postulations, on cherche de l’or, on trouve de l’os, leur valeur ne vaut que celle qu’on leur accorde. Une subtile philosophie de la vie, l’important est de continuer, l’on ne vit que le rêve de son existence. Pimpin’ ain’t easy : une fable, nous restons dans veine sympathique du country qui vous présente comme du pur sucre candy le dur sel de l’amertume de la vie, pour une fois Blaine  fait preuve d’une voix joyeuse, il raconte l’histoire d’un chanteur parti de rien qui étape après étape construit une carrière ascensionnelle. Côté pile. Quand on regarde en face le côté face, c’est beaucoup moins reluisant. L’on ne fait pas exactement ce que l’on veut. L’entourage vous encourage. Un peu moins de rage et davantage d’argent. Tout nage pour le mieux ! Prostitution mentale et sociale. Sans concession. Likes of me : toujours cette magie de la guitare sèche, bien sûr toujours cette stéréo, cette voix sans effet qui vous fait briller les mots d’une façon incroyable, inimitable, mais cette guitare, normalement elle devrait commencer par se répéter, par devenir monotone, pourquoi pas ennuyeuse, ben non, tour à tour elle creuse des abysses et vous édifie des montagnes,  elle ne vous surprend pas, elle se contente de prouver à chaque note que c’est ainsi qu’elle doit être jouée et non autrement, et vous ne pouvez qu’acquiescer. Wheathering : la brillance du succès et le regard de votre âme qui se prend pour Dieu même si c’est peut-être le contraire, quoi qu’il en soit une terrible partition entre le soi que l’on voudrait être et celui que l’on n’est pas. Profitons-en pour jeter quelques méchancetés sur ceux qui vous critiquent, qu’ils s’occupent d’eux-mêmes, Blaine semble se réconcilier avec lui-même, une guitare éclatée et un vocal plus affirmé, la pluie tombe toujours, que chacun s’arrange comme il veut, comme il peut avec elle, comme il pleut, la vie vous sculpte et vous polit, vous n’y pouvez rien, vous pouvez tout. Blaine n’est ni meilleur ni pire que les autres. A prendre ou à laisser.

             Neuf titres, et pas un seul à rejeter. Cet album est une parfaite réussite.

    Blaine Baley vous estabousie. Aucun effet. Aucun truc. Aucune facilité. Une guitare, une voix. Deux mondes. Le sien. Et le vôtre. Qui du coup vous semble plus terne. Blaine a retrouvé la confluence perdue entre le blues et le country, il a remonté jusqu’au  point de divergence des eaux, et se tient en ce point d’équilibre parfait où tous les contraires affluent et s’annihilent. Un chef-d’œuvre.

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    (Not on Label / Mars 2024)

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             De loin la couve ne paye pas de mine, simpliste et rudimentaire, de près l’on s’aperçoit qu’elle n’est pas si simple qu’elle en a l’air, d’abord le fond rouge éclatant, pas de plus évidente manière d’annoncer sa couleur, un chapeau plat de cowboy mais surmonté d’une plume, et sur le rebord ces quatre petits signes mystérieux  qui vous incitent à penser au Led Zeppe, fausse piste, il s’agit de lettres issues de l’alphabet syllabique Cherokee qui reprennent le titre de l’album. Home le paysage qui apparaît dans les verres des lunettes nous aide à comprendre que si être chez soi est le but, c’est la longue route qui mène à lui qui lui donne son prix.

    Band : Blaine Bailey / Richard Wood / Jace Walker /Additional Musicians : Johnny Mullennax /Tony Spatz, / Kendal Osbourne / Andrew Bair /  Hank Early ; Aucune précision quant aux instruments.

    Don’t waste time : ne perdons pas de temps, cet album n’est pas le double du précédent, ce n’est pas encore le tout électrique de Western AF mais l’on s’en rapproche, l’électricité rallonge le fil, le tempo est lent , il est nécessaire de donner à chaque instrument le temps de s’exprimer, normalement vu la scène de rupture, règlement de compte à OK Darling, les mots et les injures devraient fuser de partout, non toujours le même ton, mise au point sans se presser,  la voix est fluide, time is on my side, méfions-nous, l’on est loin de deux épidermes qui se sont croisés, trois petits tours et puis s’en vont, une différence quasi-ontologique entre deux êtres, ce qui affleure, c’est une grande violence contenue. Il vaut mieux s’arrêter ainsi. Cette discussion pourrait mal tourner. The deep end : la même chose côté soleil. Le rythme balance, le grand fossé est comblé, le pauvre semi-cherokee a su saisir sa chance, la guitare s’enflamme, c’est le moment de dire merci, d’avouer sa réconciliation avec la joie de vivre. Amour et gratitude. Colorado soil : le bonheur de l’un n’efface pas le malheur des autres, plongée dans le blues, l’histoire de Roby qui a su s’en sortir, s’enfuir de da réserve, qui a atteint le pays où l’herbe est plus verte, et qui retourne chez les Cherockees, all the good is gone quand il ne reste plus que la méthadone. Une tranche de vie. Une tronche de vide. Pas d’enjoliveurs sur la carcasse humaine. La musique coule comme de l’eau tiède, celle que dans la Bible le Seigneur recrache. D’ailleurs il n’est pas là dans la chanson. Finally gone : oui il est bien parti, ne vous raconte pas son histoire, vous chante un poème surréaliste, avec les intrus qui klaxonnent dans tous les coins, l’a traversé tous les délires, l’est revenu chez sa mère, mais il s’en fout, l’a tout connu, tout vu, tout pris en plein dans la troche, un feu d’artifice musical, et une explosion poétique, l’est comme Rimbaud-Cherokee, toutes les expériences, tous les débordements, toutes les galères, désormais il est dans le pays d’où l’on revient jamais, tant il éclipse tous les autres. Tant pis pour sa pauvre mère. Lucky AS a 7 : n’est pas tout à fait revenu notre Lucky le chanceux, oui il a été sauvé par une fille peut-être seulement parce qu’il était Lucky le Chanceux et malgré tout ce qu’il lui en a fait voir, ils sont toujours ensemble, preuve qu’il s’est Lucky le Chanceux, le gars s’en tire  bien, mais pourquoi la musique s’incline-t-elle vers le blues, sous le kaléidoscope des paroles y aurait-il quelque chose de plus noir, de plus implacable que le destin, de quelle couleur est-il cet ange que le Seigneur lui a envoyé. T-shirt : avoir parcouru le monde et se souvenir de qui l’on est, cette version est plus triomphale que celle de Western AF, un peu comme tout ce qu’il côtoyé entre temps avait un peu relativisé la partition de l’homme rouge, un peu comme s’il comprenait que tous les hommes portent en eux le même sang rouge. City blues : blues urbain, davantage d’électricité, moins de misère, davantage de désespoir, l’est parti à la poursuite de ses rêves, ne les a pas rattrapés, il voulait changer le monde, le résultat est pitoyable tout ce qu’il a réussi à faire bouger, c’est lui, mais en pire. C’est un peu Rimbaud qui revient à Marseille avec une jambe en moins. Lui ce n’est guère mieux l’a perdu ses illusions en lui et aussi envers les autres. Loblolly pines : après le blues du désespoir voici le boogie de l’espoir, sur la route du retour, tout vous semble beau, c’est au-dessus de l’abîme que l’on se raccroche à ce que vous pouvez, par exemple à la branche pourrie (cet adjectif est de moi) de la religion, en tout cas le morceau regorge d’optimisme. Attention c’est en bois de pin que l’on construit le cercueil de ses illusions. Home again : enfin le voici chez lui. Chez lui, sa mère et ses sœurs l’accueillent, l’est content. Revient aussi sur ses illusions. La terre natale et la famille. Valeurs traditionnelles. Le territoire de la tribu originelle réduit à sa portion congrue.

             L’on a hâte d’écouter son prochain album. Blaine Baley est un superbe compositeur, un super guitariste et un fabuleux lyricist. Son évolution future nous interroge. Nous sommes certains qu’il nous surprendra.

    Damie Chad.

     

    *

            Me suis levé la tête pleine d’idées étranges. Je ne savais pas ce que je voulais. Pour être franc, je ne l’ignorais pas. Un truc tordu qui me traversait la tête. N’exagérons point, pas un rêve irréalisable, restons dans le concret, par exemple trouver une chose impossible pour la simple et bonne raison que ça n’a jamais existé. Je ne vous fais pas languir davantage, tiens par exemple écrire une kronic sur un groupe de rock français métaphysique. J’ai tapé les cinq derniers mots de la phrase précédente sur Bandcamp, en moins de cinq secondes, j’avais trouvé. Ne me restait plus qu’à me mettre au travail. Quelle lourde tâche !

    REVOLUTION METAPHYSIQUE

    CONTINUUM

    ( Bandcamp / Album Numérique / Mai 2019)

             Groupe de Nice. Je cherche quelques photos, tombe pile sur la bibliothèque de la ville qui d’entrée sur son entrée affiche quatre groupes locaux, Carpe Diem en premier. C’est bien, mais ils ont dû se rappeler qu’ils devaient présenter avant tout des livres. Donc à part ces quatre heureux élus qui se battent en duel, plus rien. Pas de panique ils ont un FB, onglet photos, pas grand- chose. La principale étant déjà sur le bandcamp. Attention, une de rabe : le logo d’une émission de Metal local, nommée 1000 Décibels sur Agora Côte d’Azur. Je cours, je vole, et je ne triomphe pas, un dernier post daté de mars 2021 m’indique qu’ils viennent de se faire jeter sans préavis… Agora, ag’aura pas !

             Bon l’on se contentera de la seule photo sur Bandcamp. Chance : on les voit tous : Cony Derenty : vocal / Aieevok  : basse ( shs’s the girl) / Tony : guitares  / Xavier Bosher : guitar solo / Guillauùe Morero : drums (il porte une queue de cheval).

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             Z’ont sorti cinq albums et un EP, dont deux artefacts, leurs premiers enregistrements ont été couverts dans les revues et les blogues metal d’éloges.

             Révolution Métaphysique qui est leur dernier album bénéficie d’une belle couve. Sombre et mystérieuse à souhait. Une procession, pas tout à fait un défilé protestataire même si flotte un drapeau, bicolore, au hasard le noir et le rouge, sont-ils si nombreux que cela, une quarantaine au grand maximum, en fin de manif l’on reconnaît la chevelure blonde d’Aieevok, l’ensemble semble prêt à s’engouffrer dans une ouverture, une espèce de grotte en haut de laquelle se dessinent deux voûtes de pierre sanglantes, ça ressemble un peu à un palais buccal, cela nous autorise-t-il à nommer cette béance bouche d’ombre… Des anneaux de fer encadrent le dessin. Seraient-ils les symboles d’une chaîne à briser.

             Prenons le temps de nous interroger sur le nom du groupe. Incidemment, ils ne sont pas les seuls à avoir choisi ce nom. Notamment en France, un groupe de jeunes gens actifs entre 1980 et 1981, dont l’un d’entre eux semble-t-il a passé l’arme à gauche…

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    Ouverture : intro totalement déroutante, comme tout prélude qui se respecte on attend un instrumental, un ambianceur qui vous donne le la, le ton de ce qui va suivre. Donc une intro chantée, pas tout à fait, la première scène d’une pièce de théâtre, si vocalement surjouée que l’on se demande si nous sommes dans une comédie ou une tragédie.  Question musique nous sommes dans un drame, mais lorsque l’on a écouté à plusieurs reprises pour être certain de ce que l’on a entendu… certes cette récitation à la Cyrano de Bergerac interprété par un mauvais acteur casse tous les codes du metal fût-il qualifié de prog… ces paroles nous poussent à entrevoir le sens d’une toute autre manière que celle dans laquelle nous poussait l’interprétation de la pochette. C’est que le mot révolution a deux sens, celui d’un soulèvement populaire et celui de rotation, par exemple celle de la Terre autour du Soleil. Sans être allé plus loin l’on pourrait en déduire que l’âme humaine est soumise après notre mort à un retour dans la réalité sans cesse réitérée. Quête du vrai : mettons les choses en ordre. Le chant n’a aucun rapport avec un phrasé rock, quel que soit le sens ou la modulation que l’on puisse accorder à cette expression. Rien à voir non plus avec la chanson française, ni avec la variété. Ce n’est pas non plus du lyrique, nous sommes à des kilomètres de l’opéra. Essayons de tenter une description positive, un ton déclamatoire – rien à voir avec Racine et Corneille tels qu’on les récite à la Comédie française, à la limite du Molière, imaginez les médicastres de son époque avec leur chapeau noir pointu se rengorgeant en donnant un cours de médicamentation à un bourgeois ébahi, le ton haut et roucoulant. Mais c’est à un cours de métaphysique que nous assistons. Une vision très grecque en somme, le mouvement éternel des planètes, ce n’est pas pour rien qu’on leur a attribué des noms de Dieux, tournoiement incorruptible parfait qu’il faut comparer aux errances des âmes humaines perdues en leur propre vacuité, une vision toute platonicienne, notre esprit en un cycle antérieur a déjà eu accès à cette beauté, à cette sagesse, nous en éprouvons la nostalgie c’est pour cela que nous y retournerons… Hyperactive espèce : ce qui est étrange c’est que le texte n’est pas déclamé sur la musique, il semble au contraire que par ses brisures rythmiques et ses séquences instrumentales c’est la musique qui essaie d’imiter le vocal de devenir langage qui fait tout son possible pour ressembler à une émission élocutoire, retournons dans l’amphithéâtre écouter le professeur : première surprise il parle bien des hommes de maintenant esclavagés dans nos usines, abêtis dans nos écoles, unidimensionnalisés, esclaves consentant, autocastrés, dépourvus de toute volition individuelle, robotisés, connectés… un miroir des plus fidèles, en plus ça bouge, la batterie trinque avec nous, on se croirait au carnaval de Rio dans lequel les gens font semblant d’être libres. Credo : un ton moins déclamatoire, marmonne un peu, il en profite pour profiler une critique impitoyable de nos contemporains névrosés, aucun cadeau, aucune excuse, aucune pitié, des bêtes prêtes pour l’abattoir, grand cri de culminance énervée, et la musique pimpante et grandiloquente  pompiérise à mort, c’est le moment où notre hérault exulte son crédo, il n’a de regard que pour le monde supérieur son merveilleux équilibre, sa sérénité souveraine. L’on a envie de lui crier qu’il prend les lampadaires du ciel pour des objets platoniciens, mais on le laisse à ses croyances. Interlude I : pour le coup nous avons droit à notre instrumental, tout beau, tout plein, tout brillant, tout brûlant de joie. On ouvre les bouteilles de champagnes, ne vient-on pas d’énoncer la vérité vraie. Royaume des vanités : viennent-ils de se souvenir qu’ils sont un groupe de rock, en tout cas l’intro bulldozer nous réconcilie avec l’humanité, notre cantaor s’en trouve comme dopé, comme s’il avait reniflé un rail de cinq cents mètres de long de cocaïne, ne se retient plus, joue au prêtre qui du haut de sa chaire vilipende ses fidèles, c’est son moment, son heure de gloire, dresse leur portrait sans complaisance leur reproche tous leurs actes, toutes leurs pensées, leur envie d’éclipser leurs semblables, ils ne rêvent que de pouvoir, d’argent et de sexe, leur faut un maximum de maîtresses, c’est ainsi qu’ils répliquent et reproduisent leur propre espèce, le gonze se prend pour Bossuet, s’identifie à Bourdaloue. Les musiciens derrière s’enflent comme s’ils voulaient imiter la fanfare municipale, ils n’en crèvent pas mais quel charivari. On a l’impression qu’ils ont décidé de s’autoparodier. Ils y réussissent tous avec brio. Une véritable scène d’opérette. On se croirait chez Offenbach ! Désordre existentiel : changement de ton, la musique vole haut, la vile humanité se prend pour Icare, les guitares fusent et imitent à la perfection le bruit d’un avion dont le moteur emballé s’enraye et le voici qui pique du nez, tourne en cercle pour retarder l’instant fatal, peine perdue, le pilote ouvre le cockpit et crie ses ultimes admonestations au peuple égaré des ilotes volontaires sur lesquels il va s’écraser, vanité des vanités, l’on se croirait dans l’Ecclésiaste, les musicos imitent l’avion aux ailes cassées qui perd de l’altitude, et dans un dernier cri de toréador qui s’apprête à occire le taureau imprudent notre Robur maître du bas-monde prédit leur mort imminente… Ce qu’Er a vu : soyons clair, on a bien rigolé, ls deux précédents morceaux ressemblent un peu à la quatrième pièce, une comédie que les auteurs grecs ajoutaient aux trois drames de leur trilogie par lesquels ils avaient exposé un mythe, centré par exemple sur  le personnage d’Œdipe, cela permettait quelque de détendre l’atmosphère et de d’exprimer d’une façon moins ennuyeuse et plus accessible à la large fraction populaire du public de mieux entrevoir la portée des thèmes abordés par leurs trois premières pièces. Le Mythe d’Er n’est pas de la petite gnognote. Vous le trouverez à la fin de la République de Platon. Plus question de plaisanter, la musique devient sérieuse, finie l’opérette, voici du rock, Er raconte ce qu’il a vu, les morts oublient tout ce qu’ils ont vécu et tout ce qu’ils ont vu dans le domaine supérieur, en s’abreuvant au fleuve Amélès, les âmes vides se dirigent vers Lachésis la Parque qui file le fil de la vie, et chacune prend celui qui lui correspond, leur âme reviendra sur leur terre, ils se réincarneront plusieurs fois durant mille ans, au bout de ce temps, soit ils repartiront pour un cycle de mille ans, soit ils auront accès à la contemplation des Idées éternelles… nous échappons à la déclamation, seul le chant rock a le droit d’énoncer de tels enseignements…  Interlude II : ce n’est pas le générique de fin, mais un intermède musical, quelle parole oserait parler apès de tels enseignements, pour les Grecs la musique était l’art suprême, le seul capable de recevoir la poésie, autrement dit l’inspiration soufflée par les Dieux, ce morceau ne saurait pas ne pas pouvoir être grandiloquent. Vérité mensongère : partie 1 : si lourd à entendre une seule fois que l’interlude 2 se prolonge dans ce morceau-ci, lui aussi dépourvu de parole. La vérité de la parole des Dieux est qualifiée de mensongèr , non pas par ce qu’elle provient des Dieux mais parce que si éblouissante, si limpide soit-elle, elle n’est saisie et comprise que par des hommes qui ne sauraient l’entendre et la comprendre qu’imparfaitement. Vérité mensongère : partie 2 : puisque vous ne comprenez pas grand-chose, cette deuxième partie vous explique que la parole des Dieux transmise à l’avidité infinie de l’intelligence humaine est très vite transformée en religion, en croyances, qui permet de manipuler la grande part des hommes dont l’esprit est empli d’ombre et de bêtise. Vous offrez le feu à l’homme pour qu’il se réchauffe et s’éclaire, et certains vous apprendront à mettre le feu à l’abri de votre voisin...Vérité mensongère : partie 3 : un dernier commentaire, une ultime explication, l’a repris son ton déclamatoire, la batterie trépigne pour que vous enfonciez cela dans la tête, dans les synapses, dans le ciboulot, inutile d’essayer la subtilité, vous avez toutefois des chœurs féminins pour rendre votre comprenette un tantinet plus émolliente, l’on sait bien que c’est une cause perdue, que l’échec est inévitable, la guitare vous offre un solo à vous faire verser des larmes, à inonder le plancher à transformer l’escalier en torrent, rien n’y fera, les athées et les agnostiques resteront sourds aux rares sages  qui auront compris et intégré ce message, qu’ils soient placés tout en haut de la hiérarchie humaine ou au plus bas de l’échelle… personne ne les comprendra, personne ne les suivra. La voix se tait, la musique s’éteint doucement. La lumière se retire du monde. Définitivement serait-on tenté d’ajouter.

             Ce n’est pas le chef d’œuvre metallifère du siècle. Mais c’est follement original. Ils osent tout. Ils empruntent à la culture la plus savante comme aux formes les plus populaires. Une espèce de comédie humaine balzacienne en taille réduite. Mais impressionnante.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 687 : KR'TNT ! 687 : DOUM DOUM LOVERS / DEAN WAREHAM / TERRY MANNING / ISAAC HAYES / DARRELL BANKS / LITTLE RICHARD / TELESTERION / CONIFER BEARD

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 687

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 04 / 2025

     

    DOUM DOUM LOVERS / DEAN WAREHAM

    TERRY MANNNING / ISAAC HAYES

    DARREL BANKS / LITTLE RICHARD  

     TELESTERION / CONIFER BEARD

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 687

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - Doum Doum Doum Doum

    (Part Two)

             L’avenir du rock boit un coup au bar. Boule et Bill déboulent.

             — Ça va, avenir du frock ? T’as la trique ?

             — Da da !

             — Tu parles allemand, maintenant ? Tu sais bien qu’on peut pas schmoquer les boches... C’est pour nous provoquer, dis ?

             — Di di !

             — Dis-voir Boule... Franchement, t’as déjà vu un mec aussi con que l’avenir du toc ?

             Boule ricane un coup et lance :

             — Ah tu peux dire qu’y bat tous les r’cords, c’t’av’nir de mes deux... Sur la tête de ma mère, y a pas pire locdu ! C’est-y pas vrai, av’nir de mes couilles, qu’t’es un locdu ?

             Bill ajoute aussi sec :

             — Tiens j’te parie qu’y va t’répondre ‘du du’ !

             En plein dans le mille...

             — Du du !

             — Y nous prend vraiment pour des bidons !

             — Don don !

             — À part sortir ses petites conneries à la mormoille, y sait rien faire d’aut’ !

             — J’te parie qu’y va nous brancher sur les Dum Dum Boys et des Doum Doum Lovers... Tu vois pas qu’y prépare le terrain ?

             — Alors av’nir du kraut, t’en connais d’autres des Lovers machin ?

             — Everly Lovers !

     

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             Un an après un premier concert dans l’Eure, tu retrouves les Doum Doum Lovers sur scène dans la salle des fêtes du trou du cul du monde, quelque part dans l’Eure. T’en reviens pas de voir un groupe aussi bon se produire si loin de la civilisation. Et du coup, t’en conclus que c’est tant mieux. L’underground est sain et sauf, il respire le bon air de la campagne. T’es tout de suite frappé par l’énergie des Doum Doum. Non seulement elle est restée intacte, mais elle a prospéré. Kinou bat de plus en plus sec et net, et Jean-Jean rocke le boat comme Popeye the sailor. À deux, ils restituent l’extraordinaire exubérance du rock sixties - le temps de l’innocence - ils remettent du rose aux joues de cette vieille mythologie éculée par tant d’abus, ils redonnent du sens à la nostalgie, mais avec un punch qui en dit long sur la pureté de leurs intentions. S’il fallait les résumer en deux mots, ce serait fraîcheur de ton et brio. Leur set passe comme une lettre à la poste : pas de temps morts, rien que du bon flux. Cette incroyable fluidité est un modèle du genre.

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             Alors attention, il y a une petite nouveauté : ils viennent d’enregistrer Doum Doum Covers/ Subtle Songs For Lovers qui, comme son nom l’indique, est un album de covers, et pas des moindres. Ils commencent par taper le «Primitive» des Groupies dans leur premier tiers de set, et ça prend aussitôt des proportions considérables, car Jean-Jean le travaille bien au corps, il en fait jaillir la moelle, il en écrase bien les syllabes, et pendant qu’il gratte ses poux, tu grattes tes puces, car ça sent bon le fond de la caverne et les Cramps. Te voilà sur orbite. Tu vas encore valdinguer avec une superbe cover du «Five Years Ahead Of My Time» des Third Bardo, un autre sommet du genre, repris entre autres par Monster Magnet, les

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    Nomads et bien sûr les early Cramps. La version des Doum Doum est assez monstrueuse, Jean-Jean ramène les basses du diable sur sa gratte, il donne au Five Years une profondeur de champ jusque-là inégalée et prend son pied à jouer le thème dans l’épaisseur du son. Sa version vaut largement les trois pré-citées. Il enchaîne avec un autre killer-track, le «Trip» de Kim Fowley, et là, pareil, il te laisse comme deux ronds de flan, car il rappe comme Kim, sur le plus monstrueux des beats sixties, il te stompe ça vite fait bien fait. Non seulement le choix de covers est imbattable, mais le rendu vaut tout l’Or du Rhin, il passe chaque fois en force sans forcer, c’est quasiment un tour de passe-passe. Du pur Houdinisme ! Rien n’est plus

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    génial qu’une reprise bien sentie. T’as le cut et l’argent du cut. À deux, parviennent à défoncer la rondelle des annales, avec cette incroyable fraîcheur de ton qui les caractérise. Ils tapent encore le «Do You Love Me» des Contours, produit à l’aube des temps par Berry Gordy, une petite furibarderie qu’on aurait tendance à confondre avec celles des Isley Brothers. Ce démon de Jean-Jean passe en mode heavy blues pour taper l’«How Long Blues» de Leroy Carr et sort pour l’occasion un son de basse sur la gratte qui rappelle le son qu’avait Dave Edmunds au temps d’«I Hear You Knocking», ce son bien sourd qui t’entre aussitôt sous la peau. Ils

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    continuent de taper dans l’haut de gamme avec la version française de «Bird Doggin’», celle de Noel Deschamps, «Pour Le Pied», rebaptisée ici «Pour Le Fun». Kinou l’attaque de front, sur un ton mal intentionné et redonne vie à ce vieux hit entré en fanfare dans la légende. 

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             Petit conseil d’ami : saute sur les Doum Doum Covers, Subtle Songs For Lovers. Cet album entre dans la caste des très grands albums de covers. Tu veux des noms ? Cliff Bennett & The Rebel Rousers et Got To Get You Into My Life, Master’s Apprentices et Apprenticeship In The Garage 1966, Milkshakes et 20 Rock’n’Roll Hits Of The 50’s & The 60’s, Lazy Cowgirls et Radio Cowgirls, Mono Men et 10 Cool Ones, Melvins et Everybody Loves Sausages, Liverbirds et From Merseyside To Hamburg, The Memphis Blues Cream et 706 Union Avenue, Raveonettes et Sing, Robyn Hitchcock et 1967 Vacation In The Past, Junior Parker et Love Ain’t Nothin But A Business Goin’ On, Headcoats et Brother Is Dead But Fly Is Gone, Dirty Deep et A Wheel In The Grave EP, pour n’en citer que quelque-uns. On ne parle même pas des grands adorateurs du Velvet (Galaxie 500, Feelies, Subsonics), de Dylan (William Loveday Intention, aka Wild Billy Childish) ou des Stooges (Union Carbide Production ou encore Sour Jazz). Voilà dans quoi sont entrés les Doum Doum Lovers avec Doum Doum Covers. Ils t’en donnent un avant-goût sur scène, mais sur disque c’est encore pire. T’es tanké dès l’«Her Big Man» des Brigands. Fabuleuse rockalama, ampleur immédiate. Le drive est un modèle du genre. Et ça continue comme ça sur 13 autres cuts triés sur le volet. Ils tapent tous les deux dans l’un des fleurons de la crème de la crème, «A Question Of Temperature» des Balloon Farm, Kinou attaque ça au jungle beat et le Balloon prend tout de suite une fière allure. Le son est plein comme un œuf. Il faut les voir se jeter dans la bataille de la Temperature ! T’es vite frappé par la profondeur insolite des basses. Jean-Jean chante son «Nobody Knows You» à la Kim Fowley, un Kim qu’on retrouve à la fin avec «The Trip», Jean-Jean taille bien sa route sur un heavy beat surchargé de testo, il pousse bien le Kim dans ses retranchements, t’assistes à une fantastique foire d’empoigne. L’album va plus loin que le set : qualité ahurissante de l’écho et des basses, et ça cuivre à outrance. On se croirait revenu au temps où Chris Bailey ramenait des cuivres dans les Saints, ça prend un relief hallucinant. Ce Doum Doum Covers est un vrai coffre de pirate chargé de trésors : Jean-Jean rocke le beat du vieux «How Long Blues» de Leroy Carr et Kinou attaque sa cover de «Bird Doggin’» avec une belle violence salutaire : elle passe par Noel Deschamps et c’est cuivré de frais. Ils jouent l’«I’m Going All The Way» des Squires à bout de souffle, c’est gratté et battu à la hussarde, avec une énergie considérable et un brouet d’acou, et soudain, Jean-Jean siffle. Il re-siffle sur l’«1-25» des Haunted et ça prend un volume extravagant. T’as un solo de sax dans le «Do You Love Me» des Contours et il tape le «Primitive» des Groupies au heavy groove de basse. Kinou ramène tout le ramdam des sixties dans «La Machine», un vieux hit de Dani, et ça repart en mode stoogy pour le «Why» des Dirty Wurds. Jean-Jean nous dira après le concert qu’il tire ses covers des Peebles. Et puis bien sûr, tu retrouves le puissant «Five Years Ahead Of My Time» qui reste le cut chouchou de tous les becs fins. Cui cui !

    Signé : Cazengler, Dumb Dumb Loser

    Doum Doum Lovers. Saint-Léger-de-Rôtes (27). 6 avril 2025

    Doum Doum Covers. Subtle Songs For Lovers.

    L’avenir du rock - Doum Doum Doum Doum (Part Two)

     

    Wizards & True Stars

     - Wareham câline

     (Part One)

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             Non, Dean Wareham ne sort pas d’une (divine) chanson de Michel Polnareff, mais c’est tout comme. Dean Wareham fait partie des êtres visités par la grâce - Pour la vi-iie/ Ou peut-être plus/ Pour la vi-iie/ Ou peut-être moins - L’association Polna/Real Dean est assez automatique. Encore un titre de rubrique qu’il n’est au fond pas besoin de justifier.

             Dean Wareham est le real Dean. Et ce dès Galaxie 500, dès Luna et dès Dean & Britta. Galaxie 500, c’est une galaxie de 5 albums qui te font tourner la tête, car leur manège à toi c’est eux, et l’ouverture de ce Bal des Laze se fait avec l’aujourd’hui de toujours, Today.

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             Today éclot aussitôt avec «Flowers» et son attaque saignante de clairette transfigurée. Et t’as cette basse azimutée qui entre dans le son, c’est quelque chose ! De toute évidence, ils cultivent l’excellence, le Velvet Spirit, t’as aussitôt les dynamiques, c’est complètement extravagant de classe et de puissance. L’autre coup de génie de cet album s’appelle «Tugboat», un Tugboat fabuleusement monté en neige, ça ne pardonne pas. Le real Dean développe son petit biz, c’est un spécialiste de la montée en neige, et avec lui ça va vite, il te gratte tout ça en note à note inflammatoire et te fout l’Ararat en rut. Il développe encore son biz dans «King Of Spain», avec des syllabes élastiques et sa clairette doucereuse. Dans «Crazy», tu le vois cavaler ventre à terre à travers la plaine, en toute allégresse. Il peut se montrer très échevelé, et bien sûr, il joue la carte de la surenchère. Il gratte encore des poux divins dans «Pictures» et dans «Parking Lot», il y coule même une rivière de diamants. Il navigue au même niveau que Tom Verlaine, voilà, c’est pas compliqué. Le temps d’un cut comme «Don’t Let Your Youth Go To Waste», il devient le roi de la pop de velours et il entre au chant comme le ferait Nico. Il déverse encore des flots de clairette pure dans l’effarant «Temperature’s Rising», et ça monte comme la marée. Alors le real Dean s’en va jouer sa belle explosion finale. Il nous fait le coup quasiment à chaque fois.

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             L’idéal est de croiser les écoutes et les ré-écoutes avec la lecture d’une bien belle autobio, Black Postcards: A Memoir. Le real Dean s’y confesse avec un réel talent d’écrivain. L’homme est complet. On est en sécurité. T’as dans les pattes un Penguin book de 300 pages, composé en corps 10 mais bien interligné, ça va, tu ne t’esquintes pas trop les yeux. Le real Dean raconte essentiellement sa vie en tournée, et c’est passionnant, car il promène sur le monde un regard curieux et bien rock, il ne nous épargne rien des vans et des hôtels, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. Et bien sûr, il rencontre tous les gens intéressants, depuis Kramer jusqu’à Sonic Boom, en passant par Dave Berman, le mec des Silver Jews.

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             Il a quatre ans quand il subit son premier choc esthétique avec le «Georgy Girls» des Seekers, qui en Nouvelle Zélande étaient aussi énormes que le Beatles. Il les compare à Chad & Jeremy et aux Mamas & The Papas - Si nous passons toute notre vie à essayer de retrouver la magie de l’enfance, alors j’ai passé la mienne à essayer de recréer ce que j’ai éprouvé à l’écoute de «Georgy Girl», un mélange de beauté, de tristesse et d’extase - Et là tu sens l’écrivain, car en trois mots, il définit l’art des Galax. Il se souvient aussi que son père avait ramené à la maison l’Here Comes The Sun de Nina Simone, où se trouve ce qui reste selon lui la meilleure version de «My Way». Petit, il avait aussi flashé sur le Cocker’s Happy de Joe Cocker, où se trouve la fameuse cover de «With A Little Help From My Friends» - which he did far better than the Beatles - Il salue aussi les «Elvis’s live performances from the 1970s as some of the greatest recordings of the era. Les critiques se moquaient du King bouffi, mais qui avait un meilleur groupe en 1973 ? David Bowie ? I don’t think so. Les Rolling Stones ? Ils étaient bons, mais Get Yer Ya-Ya’s Out ne vaut pas That’s The Way It Is, un album live d’Elvis enregistré à Vegas et Nashville.» La famille Wareham quitte la Nouvelle Zélande pour l’Australie, puis en 1977, part s’installer à New York. Le real Dean a 14 ans. Il va acheter ses disques chez King Karol Records, 85e rue et 3e avenue, où bosse Bryan Gregory from the Cramps. Puis il découvre via son frère Anthony les Modern Lovers, Magazine, puis les Feelies, dont il qualifie le Crazy Rhythms de perfect record. Au lycée, il se passionne pour la philo, et cite Platon, David Hume et Bertrand Russell. Puis en cours d’Allemand, il flashe sur Bertol Bretch et Erwin Piscator. Il prend quatre cours de guitare, assez, dit-il pour apprendre quelques gammes pentatoniques lui permettant le soloing. Il flashe aussi sur le Paisly Underground, et notamment le Sixteen Tambourines de The Salvation Army, The Days Of Wine & Roses du Dream Syndicate et le Third Rail Power Trip de Rain Parade, le groupe de David Roback. Le real Dean a de bonnes bases. 

             Un jour, il flashe sur a «beautiful old car - a Galaxie 500.» Et hop c’est parti.

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             Dans Mojo, Roy Wilkinson claque six pages galactiques. Il chapôte en qualifiant les Galax de «neo-psychedelic jewel of late ‘80s American indie rock», grands amateurs des «two-chord beatitudes of the Velvet Underground». Le real Dean se dit bien sûr fan du Velvet. Avec Luna, il a joué en première partie du Velvet lors de la tournée de reformation. Et selon Wilkinson, les Galax sont devenus l’«archetypal cult band».

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             Les Galax se sont rencontrés à l’école, on Manhattan’s Upper East Side. Damon Kurkowski & Naomi Yang sont des «grad students at Harvard.» Comme Damon, le real Dean voulait jouer dans les Clash. Naomi en pinçait elle aussi pour le British punk. Damon & Naomi étaient en couple et le sont encore. Naomi apprend à jouer de la basse en écoutant les basslines de Joy Division qu’elle trouve «beautiful, perfect». Première répète en mai 1987. Ils commencent par taper des covers, «Where Have All The Flowers Gone» de Peter Paul & Mary, «I Can See Clearly Now» de Johnny Nash, «Just My Imagination» des Temptations et «Knocking On Heaven’s Door» de Bob Dylan. Ils jouent leur premier gig chez Dean - It was the best gig of my life - Un gig de 20 minutes, «and it was just perfect.» Le real Dean adore la perfection. Il ne vit que pour ça.

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             Damon flashe sur un album d’Half Japanese, découvre que c’est produit par un certain Kramer. Il lui téléphone. Kramer a déjà bossé avec les Butthole Surfers et les Fugs, puis il va sortir Ween et Daniel Johnston sur son label Shimmy Discs. En plus, son Noise New York Studio est abordable. Il enregistre le premier single des Galax, «Tugboat/King Of Spain», Tugboat étant un hommage à Sterling Morrison devenu a «real life tugboat captain», c’est-à-dire capitaine d’un remorqueur. Kramer se dit encore plus fier de Today, le premier album des Galax : «A living dream, like reading William Blake for the first time.»   

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             C’est la collaboration avec Kramer qui va faire basculer les Galax dans la légende. Kramer est une figure de légende dans l’underground : il a joué dans Schockabilly, dans Bongwater et dans B.A.L.L. Kramer a installé son studio au quatrième étage du 247 West Broadway, «just a wooden floor and brick walls.» Il a un 16 pistes. Kramer est un mec très maigre, «the skinniest  man I ever met», nous dit le real Dean, «and he smoked weed vigourously.» Le real Dean ajoute qu’il est fier de sonner comme Galaxie 500, et non comme les groupes qu’ils admirent tous les trois à l’époque, «Modern Lovers, Big Star, The 13th Floor Elevators, Love, Joy Division, or the Feelies.» Ailleurs, il cite encore les Moderne Lovers et Young Marble Giants comme des héros.

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             Leur premier album leur coûte 750 $ - it is still my favorite Galaxie 500 album - Ils se chamaillent un peu sur les crédits, le real Dean estimant qu’il a composé pas mal de trucs - chords, melodies, lyrics - alors pourquoi tout partager en trois ? Mais Damon et Naomi veulent tout partager en trois. Ils menacent de quitter le groupe si le real Dean n’accepte pas le partage à trois, «and that I should find another backing band.» Premier petit bras de fer. Page suivante, le real Dean se dit fier de faire partie d’un groupe avec Damon & Naomi, mais cet épisode lui laisse un drôle de goût dans la bouche «a new taste in my mouth». Il ajoute qu’avec ce type d’incident, le friendship is dead - Your friendship had been poisoned. Kaput !

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    Kramer

             Kramer est un mec bizarre. Il profite que le real Dean ait le dos tourné pour essayer de se taper sa poule, Claudia - That was Kramer - Kramer trouve Claudia hot, alors il tente le coup, mais le real Dean se marre : «I should have punched Kramer in the nose, but I knew he didn’t stand a chance of stealing my girlfriend away from me.» Le real Dean a de la chance, il peut dormir sur ses deux oreilles.

             Quand le real Dean et Kramer acceptent de participer à un benefit acou pour un fanzine, Damon & Naomi protestent : le real Dean n’a pas le droit de jouer sans les Galax. Damon dit que les décisions doivent être prises à trois. Mais le real Dean va faire quand même le benefit. Quand les Galax sont en tournée, Kramer monte sur scène avec eux, et au bout d’un moment, Damon & Naomi ne veulent plus de lui sur scène. Il monte quand même sur scène à Glastonbury. C’est Kramer. Il n’en fait qu’à sa tête. Damon & Naomi sont livides. Ils ne lui adressent plus la parole. Ça amuse beaucoup le real Dean. Un real Dean qui n’aime pas trop les grands festivals - On a joué sur la même scène que Melissa Ethridge, but missed her show. On a aussi raté les shows de Lenny Kravitz, Midnight Oil and all kinds of other stupid shit - Puis arrive the meatball incident. Les Galax dînent au restau avec Kramer, et Naomi commande  des boulettes d’agneau. Kramer s’en offense. Il est végétarien. Il dit à Naomi : «Have you ever looked into the eyes of a little lamb?» - Naomi told him to go fuck himself - Mais bon, c’est Kramer qui fait le son des Galax.

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             Puis les Galax simili-prennent feu avec On Fire, et au chant t’as un real Dean qui sonne vraiment comme Nico, et c’est pas peu dire. Il cultive bien cette ambiguïté, il s’ancre résolument dans la banane du Velvet, et fait monter le relentless comme la marée. Il peut aussi chanter comme une folle préraphaélite («Tell Me»), mais il ne manque jamais de ramener la purée de gras double au sortir d’un cut. Il base la véracité de ses couplets sur le son des clairettes et la pureté des intentions, il rivalise d’ailleurs de pureté intentionnelle avec les Feelies. Et le voilà qui entre à la vipérine dans «When Will You Come Home», et se met à gratter comme un sale crack, un Lou Reed amphétaminé et il développe sa petite affaire avec un gras de clairette toxique qui fait de lui un véritable Wizard. Tout est juteux et organique, sur cet album. Naomi Yang prend l’«Another Day» au chant. Ça a l’air mou du genou, mais en vérité, c’est très puissant. Le real Dean la rejoint sur le tard et fout le feu à la plaine. Il s’implique toujours de façon extraordinaire. Il refait sa Nico dans «Leave The Planet». Tous ses cuts sont infestés, sa psyché est une merveille de mimétisme velvétien. Le real Deal devient de plus en plus blonde germanique avec «Plastic Bird» et toujours ce final apocalytique. Toute la fin d’album est remontée des bretelles. Les échappées sont géniales, avec derrière ce son de basse toujours indépendant, dans son rôle de contrefort mélodique. Voilà un album qu’il faut bien qualifier de princier. On a pu détester ce côté mou du genou à l’époque, mais à la revoyure, il apparaît que c’est du très grand art. Le real Dean est le roi des échappées somptueuses, le final d’«Isn’t It A Pity» est un modèle du genre, une vraie fin en soi, élégiaque et magistrale. 

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             Pour beaucoup, On Fire est le keystone des Galax. Dans la presse rock, on comparait le real Dean à Neil Young, ce qu’il réfute. Il préfère citer les influences de Jonathan Richman et des Feelies. C’est Kramer qui le pousse à forcer sa voix : «Kramer pushed me to double things in falsetto.» C’est après On Fire que les tensions sont apparues. Damon & Naomi vivent à Cambridge, Massachusetts et le real Dean à New York, et le «200-mile drive» l’exaspère. Damon sent que le son des Galax bascule, «from self-consciousness to decadence.»

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             L’année suivante, ils rééditent l’exploit d’On Fire avec This Is Our Music. On y retrouve les mêmes composantes : le mimétisme velvétien et les échappées belles. «Fourth Of July» sonne comme un cut du Velvet. Le real Dean reste dans cette ambiance, avec un bassmatic joliment libre, et puis il part en vrille de velvétude. Il refait sa Nico sur «Spook», à coups de nearly lost my mind sur les accords d’«All Tomorrow’s Parties». Il tape ensuite «Summertime» sur les accords d’«Heroin». Même son d’intro, c’est comme suspendu entre rêve et réalité, et t’as toujours l’explosion finale. C’est vraiment la marque de fabrique des Galax. Coup de génie encore avec «Listen The Snow Is Falling». Noami prend le chant et c’est beau car elle ramène de la chaleur féminine. «Listen The Snow Is Falling» est aussi pur que «Pale Blue Eyes», et bien sûr, t’as la fin de cut apocalyptique, c’est complètement dévastateur avec un real Dean qui explose comme une bombe atomique. Ils enchaînent ensuite deux autres bombes atomiques, «Sorry» et «Melt Away». C’est la bassline qui t’emporte la bouche sur Sorry, Naomi gratte une incroyable mélodie souterraine. Le son des Galax, c’est l’éther d’une voix, une jolie dentelle de clairette et un bassmatic mélodique. Ce bassmatic omniscient qu’on retrouve dans Melt, elle devient la jouvence de la Galaxie, un Melt où le real Dean file vers son final en forme de firmament psyché subliminal, il atteint l’osmose de la psychose, c’est absolument stupéfiant d’universalisme. Ils sont tout simplement faramineux, écœurants d’élégance, surtout Noami et son bassmatic ouaté et mélodique qui donne une profonde identité au son des Galax. Serait-elle la maîtresse d’œuvre ? Elle va chercher des notes de bas de manche qui donnent des couleurs aux joues du cut, elle lui donne vie, et comme si tout cela ne suffisait pas, t’as des trompettes de Jéricho.

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    Damon & Noami

             Le real Dean appelle Damon & Noami pour leur dire qu’il veut quitter le groupe. Mais il reste encore un peu, pour quelques concerts. Et ça va tourner à l’obsession. Il ne peut plus les supporter - I want to live my life without you in it - Il répète encore qu’il aimait «Damon’s fluid, jazzy style on the drums, and Naomi’s simple and melodic bass parts. I liked Damon’s poetry and Naomi’s miniature paintings. But they were driving me crazy.»  

             Des dates sont bookées au Japon et Damon appelle le real Dean pour le lui annoncer, mais il reçoit une fin de non-recevoir : le real Dean quitte les Galax. Damon & Naomi sont choqués.

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             Le quatrième et ultime album des Galax s’appelle Copenhagen. C’est une sorte de best live et fatalement on retrouve ces merveilles que sont «Fourth Of July» qu’ils jouent à cœur ouvert, sans cacher leurs sentiments, «Summertime» où on croit entendre Nico chanter, «Sorry», monté sur un bush de beurre et un bassmatic minimaliste, «When Will You Come Home» où le bassmatic crée encore de l’enchantement et bien sûr le real Dean part en vrille d’excelsior. Tu retrouves aussi le sublime «Listen The Snow Is Falling», très Pale Blue Eyes, pur ô so pur ! Et bien sûr ils tapent une cover du Velvet : «Here She Comes Now». Ils y vont doucement mais sûrement, ils en font un traitement d’une pureté sidérale, et le real Dean revient en plein Nico avec «Don’t Let Your Youth Go To Waste», tiré de Today, cut signé Jonathan Richman, c’est du pur gothic Velvet, ils récréent exactement les conditions du gothique new-yorkais, tas le Grand Jeu warholien et t’as la basse de Naomi Yang qui descend en travers dans le mood, alors la température monte et le real Dean déclenche une fois de plus son champignon atomique.

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             Les Galax sont eux aussi passés par les Peel Sessions. On y retrouve toutes ces merveilles velvétiennes que sont «When Will You Come Home», «Flowers» et «Dont’ Let Your Youth Go To Waste», le real Dean refait sa Nico et passe des grands solos de wah, avec une fébrilité délibérée, quel pâté de foi ! Ça flirte en permanence avec le voile de la Factory, et l’acid freakout de Lou Reed. Ils poussent même le bouchon jusqu’à sonner comme un power trio, et après le dernier couplet de «Dont’ Let Your Youth Go To Waste», le real Dean part en vrille délétère, en Velvétien accompli. On trouve aussi sur ces Peel Sessions une cover du «Submission» des Pistols, d’où l’intérêt des Peel Sessions. Cover dévastatrice, mais sans la voix, bien sûr. Ils tentent l’ampleur. L’autre coup de génie est ce «Blue Thunder» sorti de nulle part et d’une beauté purpurine, bien monté aux harmonies vocales et que ne manque pas d’exploser l’atomique real Dean.

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             Si tu veux aller au fond de la Galaxie, c’est avec Uncollected (Rareties) paru en 1996. C’est vraiment le fond de la Galaxie. Tu y retrouves toute cette mélasse compassionnelle et ces harmoniques de basse qui te plaisaient tant dans les albums. Tu y croises «Blue Thunder» et son fantastique relent velvétique, tu le sens dès les premières mesures, et la belle bassline de Naomi Yang vient te caresser l’intellect, ils chantent à deux et font éclater leur Sénégal avec un sax in tow, et puis bien sûr le real Dean claque un solo final en forme de débinade apoplectique. Le real Dean a toujours cette voix de nez, cette voix de Nico masculin, il est encore pointu sur «Song In 3», il fait son Perlimpinpin et te tire-bouchonne un final explosif. Il challenge encore le Velvet avec «I Can’t Believe It’s Me», il sort des entourloupes à la Lou, il devient tellement Velvetien que ça finit par te troubler. C’est Naomi qui chante «The Other Side». Elle est magnifique, dommage qu’elle ne chante pas plus souvent. Et bien sûr, ça se barre en crouille-marteau de Dean machine. Il collectionne toutes les variations extraordinaires, et la rose n’en finit plus d’éclore au matin. Et voilà le pot aux roses de Ronsard : une version live de «Rain/Don’t Let Your Youth Go To Waste». D’où l’intérêt d’aller chercher ces petites compiles de fonds de tiroirs, car c’est là que se trouvent les vraies pépites. Comme par exemple la version d’«Anarchy In The UK» sur l’album live de Wild Billy Childish & the Blackhands, ou encore la version live at the Roundhouse d’«On Parole» par Motörhead, sur The Boys From Ladbroke Grove. Le «Rain» du real Dean est un sommet du genre - The first time in New York, dit-il avant d’attaquer directement en mad psyché, I don’t mind, et il part en killer killah killoh de mad freakout surnaturel. Il révolutionne le genre, il surjoue l’excelsior, le real Dean est un géant des catacombes, le Golem de la Mad, puis il bascule dans son Youth et ça prend des tournures pourfendues, des allures pantelantes, ça moud les épithètes, c’est exponentiel de panache, t’en suffoques d’extase, et ils font ça à trois ! Et le real Dean se livre une fois encore à une lutte finale explosive. Il est véritablement l’un des génies soniques du XXe siècle, qu’on se le dise !

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             Et pour surenchérir sur le thème «fond de la Galaxie», vient de paraître le mighty Uncollected Noise New York ‘88-’90, qu’on pourrait presque qualifier de tribute au Velvet. On n’y trouve qu’une seule cover du Velvet, «Here She Comes Now», sur le disk 2, bien amenée à l’élan lysergique. Le real Dean est un inconditionnel, il soigne sa Velvetude, il épouse le Lou au chant, il recrée les dynamiques infernales et ça menace d’exploser sous la cendre. Le real Dean fait d’«Here She Comes Now» un monstre d’élégance gothique, un chef-d’œuvre d’intégrisme Velvetique, et Damon Kurkowski bim-bam-boome au beurre, il bat bien la coulpe du Velvet, et t’as en plus ce bassmatic éhonté de Naomi Yang derrière, et petite cerise sur le gâtö, le real Dean qui te gratte les poux du diable, il ressuscite les basses œuvres du Velvet, il tisonne le cœur du pâté de foi et ça prend feu sous tes yeux, c’est de la dévotion extrême qui bascule dans le surnaturel, dans une clameur de la chandeleur. Il n’y a que le real Dean (et Glenn Mercer) pour rendre ainsi hommage au Velvet. Sur le même disk, tu retrouves «Blue Thunder» qui pourrait très bien être un cut du Velvet. Les accords d’intro et la mélodie chant sont typiques du Lou, en plus c’est saxé dans l’âme. Le real Dean réussit son coup avec cette mélopée sublime et il passe un solo de dingoïde en fin de cut. T’entends encore le bassmatic génial de Naomi Yang dans «Fourth Of July». Toujours du très haut niveau, avec le final inflammatoire. Le real Dean se met en branle dans la stratosphère. Il refait encore sa Nico dans «Moonshot». Il retrouve tout l’éclat gothique de l’égérie warholienne. Ne manque plus que l’harmonium. Il te gave comme une oie. C’est d’une densité extraordinaire. Sur le disk 1, tu trouves pas mal d’inédits, tiens, par exemple de «See Through Glasses» qui tape en plein Velvet, gratté dans l’absolu, avec le feu sacré du final explosif. Pareil avec «On the Floor» : inédit et wild as fuck, avec son final apocalyptique. Tu crois entendre le Lou dans «Can’t Believe It’s Me». Lou y es-tu ? Le real Dean est en plein dedans. On retrouve aussi le «King Of Spain» du premier album, Today. Le real Dean refait son Lou d’accent pincé. Et plus loin, sur «Song In 3», il refait le coup double, c’est-à-dire sa Nico et le final de poux demented. Tu retrouves encore cette voix de Nico devenue folle dans «I Will Walk», un autre inédit. Il retombe en plein dans le Lou avec «Cold Night» et la Méricourt entre en lice comme d’habitude à la fin du cut. Et pour finir ce faramineux disk 1, le real Dean sort «Ceremony» de sa manche, la cover de Joy Division, mais ça se met en route exactement comme un hit du Lou, et le real Dean rajoute sa mélodie chant au sommet du mimétisme. Si ce n’est pas de l’art, alors qu’est-ce que c’est ?

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             Dans son book, le real Dean évoque des tas de gens intéressants, à commencer par Calvin Johnson, le mec des Beat Happening, «qu’on appelait the Andy Warhol of Olympia, Washington, an unrepentant punk rocker and leader of the International Pop Underground. Calvin’s punk did not mean wearing a leather jacket and playing loud and fast.» Il ajoute que Calvin avait «a magnetic stage presence and a unique rock voice and wrote great songs that were both innocent and rebellious, but not twee.» Le real Dean voit aussi à l’époque Pussy Galore, «with four guitarists and no bass player», et Bob Bert qui bat le beurre sur un réservoir d’essence. Mais ce qui frappe le plus notre cher real Dean, c’est la tension qui règne dans le groupe - comme s’ils ne supportaient pas d’être ensemble dans la même pièce. Depuis j’ai appris qu’il y avait de la tension dans tous les groupes - Il voit aussi GG Allin dans la rue - Certaines personnes le voyaient comme the essence of rock and roll, a true bad boy, the second coming of Hank Williams. But Hank Williams n’a jamais pris de laxatifs avant de monter sur scène, so he could strip naked and poop on the stage - Il rencontre aussi un journaliste du Melody Maker, Bob Stanley - He was in a band too. They were called St. Etienne - Quand le real Dean lui demande quel instrument il joue, PolyBob lui répond : «It’s hard to explain.»

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             Le real Dean qui a du goût rappelle que les Screaming Trees était son «favorite Seattle band» - They were far more melodic than their peers - Et pouf il embraye sur l’apologie de Lanegan qu’il compare à Jimbo - Like Morrison, Lanegan  was a handsome and charismatic drunk, with long brown hair - Il ajoute que Lanegan était déjà ivre au sound-check de 16 h, et il adorait la cover que faisait Luna du «Don’t Let Your Youth Go To Waste» de Jonathan Richman.

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             On croise dans le book un petit paragraphe sur le mythe du premier perfect album. Le real Dean cite deux exemples : l’Is This It? des Strokes et le Marquee Moon de Television. Et crack, il embraye aussi sec sur le Velvet qui, après le premier perfect album, en ont fait «three more perfect, yet different.»  Oh et puis Lee Hazlewood ! - J’ai rencontré Lee Hazlewood quelques années plus tard et lui ai demandé comment il obtenait his great vocal sound. He said you put echo on the reverb (or was it reverb on the echo?), instead of on the voice itself, so that the voice retains its presence while still having a huge echo sound... like the voice of God - Par contre, le real Dean n’aime pas 16 Horsepower, avec lesquels il joue en Suisse - I’d never heard of them, and I confess I didn’t like them. I mean, I didn’t know them personallly, and I didn’t like their music or their instruments or their porkpie hats - Avec lui, c’est vite réglé. Par contre, il adore Stereolab, avec lesquels il joue à Barcelone - Sterolab was one of the best live bands in the world, one of those bands that comes along once in a while and changes the whole music scene (...) They were derivative on the one hand, but also startingly original - Il rend hommage à Carol Kaye qu’on entend jouer de la basse sur tous les gros hits californiens d’antan, et plus loin à Sonic Boom qu’il rencontre à Cleveland - Sonic was one of the two brillant minds behind Spacemen 3 - et il ajoute ça qui vaut son pesant de pesos : «Sonic is definetively a hedgehog», c’est-à-dire un hérisson. Ils vont d’ailleurs enregistrer ensemble tous les trois avec Britta un EP de remixes de L’Avventura - Sonic said thaht L’Avventura was one of the all time great albums - On voit tout ça dans le Part Two.

             Le real Dean est aussi pote avec David Berman qui sort tout juste de rehab «for addiction to crack» - Berman told of his descent into crack hell, qui en fait s’est terminée au Vanderbilt Hotel, où il prit une suite, ingested large quantities of crack and Dilaudid and Xanax, and contemplated suicide.

             Et puis cette façon qu’il a de régler leur compte aux cons : «Assis dans mon lit, je regardais le documentaire sur Metallica, Some Kind Of Monster. It was painful to watch. Le film montre ce qu’il y a de pire dans un groupe : l’impossibilité de prendre des décisions, le vote permanent, les discussions, les réunions. Metallica écrit des lyrics en comité. C’est dur à regarder. James Hatfield et ses bandmates ne sont pas des gens très sympathiques.» Et plus loin, il ajoute que «Metallica and U2 and REM are far more than rock and roll bands. They are institutions, corporations. And corporations have lives of their own.»  

             On n’en finit plus de croiser l’écrivain Wareham dans Black Postcards: A Memoir. On reconnaît souvent les grands écrivains à cette façon qu’ils ont de nous faire revenir deux pages en arrière pour relire un passage intriguant. Si tu veux remettre le souvenir du passage au carré, il faut revenir sur l’exacte formulation. L’exacte formulation est l’apanage des grands écrivains. Et derrière sa modestie, se cache le grand écrivain Wareham. Ceci par exemple : «But I don’t know culture from counterculture. Questions like that confuse me, and they don’t help when writing songs. Let the rock ctitics read Adorno and Anthusser. I will study Pops Staples and the Chocolate Watchband.» T’es plus dans Rock&Folk, amigo, t’es dans les pages du book d’un real deal nommé real Dean. Ça change tout. Pour «parler» du rock, il faut une certaine distance, disons une certaine hauteur. Tu l’as non seulement dans les pages du real Dean, mais tu l’as en plus dans ses albums. Fascinant personnage.

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    Terry Tolkin

             Il évoque sa rencontre avec Terry Tolkin, l’A&R de Rough Trade aux États-Unis - I liked Terry instantly. We liked a lot of the same music - Wire, Joy Division, the Comsat Angels, New Order, Lydia Lunch and Sonic Youth - Monsieur le bec fin continue de faire feu de tout bois. Il a aussi la chance d’être invité à faire la première partie du Velvet reformé, et la façon dont il évoque cet épisode te fait autant rêver que ça l’a fait rêver : «Recevoir le coup de fil pour faire la première partie du Velvet Underground fut un moment étrange. Je croyais avoir rêvé. Mais quelques semaines plus tard, je me suis retrouvé dans un dressing room à l’Edimburg Playhouse, avec Lou Reed, John Cale, Moe Tucker et Sterling Morrison qui répétaient ‘Venus In Furs’.» C’est pour lui une façon d’exprimer un accomplissement. Il le couronne un peu plus loin d’un autre souvenir, cette fois à Berlin, où il passe la soirée avec Sterling Morrison : «Notre soundman Gordon nous avait trouvé de l’ecstasy, which made the night even more special. Je me souviendrai toujours de ce retour à l’hôtel en Mercedes taxicab, on écoutait un live Velvets bootleg on German radio, enjoying the strange confluence of events, et je savourais la chance que j’avais d’être sur cette tournée.» Voilà ce qu’est le véritable écrivain rock, il te fait monter avec lui dans le Mercedes taxicab pour écouter le Velvet dans la nuit berlinoise. Ce book n’est fait que de ça : de souvenirs triés sur le volet et écrits dans un anglais parfait. 

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             Pour les besoins d’une meilleure compréhension, le real Dean cite Isaiah Berlin et sa théorie sur la différence qui existe entre le renard et le hérisson : «Le renard sait beaucoup de choses, dit Berlin, mais le hérisson ne sait qu’une seule chose, one big thing.» Alors notre real Dean développe : «Certains artistes sont des renards, Aristote, Pouchkine, Goethe, Picasso, Paul McCartney, Beck, they can do all kinds of dazzling things. Mais d’autres artistes sont des hérissions : Hegel, Nietzsche, Dostoïevski, Jackson Pollock, and Keith Richards. They stick with one idea.»

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             Quand avec Luna, il enregistre son cinquième album, il sait que c’est pas très bon. Il sort alors la théorie du cinquième album : tous les groupes se vautrent, sauf les Beatles - We were not the Beatles. No we were not - Il ajoute que la plupart des groupes ont de la chance quand ils passent le cap des deux premiers albums, et il développe : «Vos albums ne peuvent pas tous être great. Si vous avez de la chance et du talent, vous pouvez sortir une série d’albums remarquables, comme l’ont fait Bob Dylan, les Rolling Stones ou Stereolab. But it can’t continue forever.» Il propose ici une expertise, et s’appuie sur les bons exemples. 

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    Peter Hook concert hommage à Joy Division

             Mais ce qui te rassure le plus, en fait, c’est son humour. Un humour très très très sharp. Il se souvient par exemple d’un des premiers concerts des Galax au 9:30 Club à D.C., et là, pas de pot, il casse une corde dès le premier cut. Il doit alors emprunter la Les Paul Junior de Dave Rick which sounded all wrong. «I had a revelation at that moment. I would buy a second guitar, to be used in the event that I broke a string. That’s what the pros do.» Et ça qui est encore plus hilarant : les Galax font une cover du «Ceremony» de Joy Division, et Peter Hook montre à Naomi «the correct way to play ‘Ceremony’. Then, he gave Kramer a ride back to the hotel in his Jaguar XII2. Apparemment, il avait reconduit Ian Curtis chez lui le soir de son suicide. I wondered if it was the same Jag.»

             Plus loin, il se fend bien la gueule avec le fameux Josuah Tree. U2 a dit-il a passé un an en studio à expérimenter des trucs avec Daniel Lanois, Eno et Steve Lillywhite. Pas de problème pour des millionnaires. Et puis il te balance ça, alors que tu ne t’y attends pas : «I have a theory : if you put four monkeys in the studio for a year with Lanois and Eno and Lillywhite, they would make a pretty good record, too.»

             Il évoque aussi le bordel des backstage passes et l’after-show, et des «stupid questions about what kind of distorsion pedals we use», et crack, il lâche le morceau : «Certains groupes confient à un crew member la mission d’aller distribuer des backstage passes aux filles les plus jolies, mais pour nous, se livrer à ce type de pratique était une façon de mordre le trait. We may have been dogs, but we were not pigs.» Il se souvient aussi des insultes dont sont capables les Anglais, en concert - There are always a couple of English blokes who want to lob funny insults at you : «Don’t let your midle age go to waste!».

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             L’encore plus idéal est de voir le real Dean sur scène. Coup de chance, il débarque à Paris ! Alors t’y cours. Sur scène, avec ses vêtements clairs, il a une petite allure de manager, mais un manager décontracté qui bosserait dans une agence de com, une sorte de Directeur Artistique. Looké mais sans en avoir l’air. Il porte des lunettes de vue et ses cheveux grisonnent. Une petite soixantaine. Mais il a toujours fière allure. Sa copine Britta ressemble toujours à une ado, avec son petit nez

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    minuscule et son corps parfait. Elle va passer l’heure à tenter d’imiter Noami Yang dont les basslines enchantèrent jadis nos oreilles, mais ce n’est pas exactement le même jeu. Noami Yang voyageait beaucoup plus sur son manche. Britta tape majoritairement ses lignes au bas du manche et joue avec une infinie délicatesse. Pour le real Dean, c’est extrêmement confortable. Il est comme Lou Reed et le gros Black : il a ses manies. Le Lou voulait Moe et le gros voulait Kim. Comme tout est joué en mélodie, les lignes se croisent. Le bel encorbellement des lignes mélodiques est leur fonds de commerce.

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    Alors, autant l’avouer maintenant : t’es là pour ton shoot de Velvet Sound. Et tu vas l’avoir avec «Friendly Advice», montré sur un riff de basse monolithique, et là tu renoues avec la magie du Velvet. T’as ta dose. Ta big dose ! And I guess that I just don’ know. C’est en plein dans le mille du gonna try for the kingdom. C’est même au-delà de la magie. Tu vis l’instant à mille pour cent. Les notes te roulent sur l’épiderme, tu remercies les dieux du rock de t’offrir un tel festin de frissons, le real Dean est de dernier mec au monde capable te d’offrir ce cadeau insensé : la recréation du Velvet Underground. And I feel like Jesus’ son. Et ça va loin, car au fond là-bas, t’as Matt Popieluch qui fait son Sterling Morrison. «Friendly Advice» tape en plein dans l’œil du cyclope. Comme par hasard, Sterling Morrison jouait sur

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     ce «Friendly Advice» tiré du Bewitched de Luna. On le sait maintenant, le real Dean ne fait jamais rien au hasard. Ce «Friendly Advice» niché au cœur du set restera gravé dans ta mémoire jusqu’à la fin des temps. Le real Dean tire aussi deux cuts du premier Galax, «Flowers», toujours aussi sidérant de classe, et en rappel, «Tugboat», toujours aussi imparable, avec ces montées en température dont le real Dean s’est fait une spécialité. Sur scène, ce sont des cuts qui ne pardonnent pas et qui foutent le feu à ton imaginaire. Ils tirent aussi trois cut d’On Fire, le mighty «Snowstorm», «When Will You Come» et en rappel «Strange». Le real Dean te charge si bien la barcasse que tu coules sans crier gare et t’es bien content. Tu glou-gloutes au paradis. Tu te retrouves un peu plus tard dans les rues du XIIIe ivre de Velvetude. T’en fais des bulles, tellement t’exultes.

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    Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Dean Wareham. Petit Bain. Paris XIIIe. 8 avril 2025

    Galaxie 500. Today. Aurora Records 1988

    Galaxie 500. On Fire. Rough Trade 1989    

    Galaxie 500. This Is Our Music. Rough Trade 1990 

    Galaxie 500. Copenhagen. Rykodisc 1997

    Galaxie 500. Peel Sessions. BBC 1996

    Galaxie 500. Uncollected (Rareties). Rykodisc 1996

    Galaxie 500. Uncollected Noise New York ‘88-’90. Silver Current Records 2024

    Roy Wilkinson : Made of... Mojo # 371 - October 2024

    Dean Wareham. Black Postcards: A Memoir. Penguin Publishing Group 2009

     

     

    Manning depression

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             Qui dit Ardent dit Terry Manning. Et comme Terry Manning vient de casser sa pipe en bois, allons faire un petit tour à Memphis pour lui rendre hommage.

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             Terry Manning arrivait d’El Paso où il avait joué dans le Bobby Fuller Four. Robert Gordon : «Son père était un pasteur qui déménageait souvent et Terry harcela ses parents pour qu’ils s’installassent à Memphis, ce qu’ils finirent par faire. Une semaine après leur installation, Terry se rendit chez Stax, frappa à la porte et dit : ‘Here I am’.»

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             Il va rester 20 ans chez Ardent, où bossa aussi Jim Dickinson. Terry travaille avec la crème de la crème de Stax, les Staple Singers, Booker T. & the MGs, Isaac Hayes. Il est le bras droit de John Fry qui sous-traite alors énormément pour le compte de Stax. John Fry indique que Dickinson cultivait un beau scepticisme envers le music business - which probably provided some guidance for a lot of people - Dans les pages d’It Came From Memphis, on trouve un bel hommage à Reggie Young, dont la façon de tirer les cordes de guitare aurait influencé George Harrison. À 20 ans, le jeune Young était déjà un vétéran. C’est lui qui jouait sur «Rocking Daddy» d’Eddie Bond, avant de jouer dans le Bill Black Combo et de mettre en place de son d’Hi Records. Justement, le Bill Black Combo tourna avec les Beatles et c’est là que le jeune George loucha sur la technique de Reggie.

             Robert Gordon rappelle que Terry Manning introduisit Chris Bell dans le microcosme Ardent de musiciens et de producteurs, tous jeunes, précise l’auteur, tous affamés d’avenir et de son.

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             Quand en 1968 Dickinson quitte Ardent, il prend le prétexte d’une mauvaise ambiance - a prevailing negativity - mais il ajoute que c’était entièrement de sa faute. Dickinson reviendra chez Ardent en 1972 pour finir son album Dixie Fried que John Fry va lui mixer à l’œil. Pour conclure sur sa période ingé-son chez Ardent, Dickinson affirme que John Fry est le meilleur ingé-son qu’il ait connu - He is a brillant tracking engineer and he’s the best mixer - Bon alors évidemment, après on a l’épisode Alex Chilton. Dickinson dit qu’à l’époque il n’a pas flashé sur les deux premiers albums de Big Star, mais il a fait Third en tête à tête - Head to head - avec Alex.

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             Dickinson ajoute qu’il connaît Chris Bell depuis qu’il est gosse. Un Bell qui comme Andy Hummel viendra commencer à traîner chez Ardent, mais après le départ de Dickinson. C’est la genèse de Big Star. Sur la compile Thank You Friends -The Ardent Records Story figure «Psychedelic Stuff» : Bell lui sonne les cloches, et comme tous les Ardent believers, il cherche des noises à la noise. On retrouve aussi Alex Chilton avec un «Free Again» noyé de bénédiction country, joué aux accords d’arc-en-ciel et claqué à la pedal steel aérienne. Terry Manning ramène là-dedans une dimension du son jusque-là inconnue : the Ardent thang. Justement on l’entend le Manning faire le méchant dans «Rocks». Il se met en colère avec sa petite voix anglaise, mais c’est avec «Guess Things Happen This Way» qu’il rafle la mise, car c’est complètement cisaillé du bulbique, Terry saute à l’assaut du rock, c’est shaké à coups d’accords anglais, il barde son cut de big barda, de huge bassmatic et de wild Memphis drive. Du coup, il devient l’un des géants du Memphis Beat.   

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             Terry Manning intervient assez longuement dans le booklet de Thank You Friends -The Ardent Records Story. Il rappelle qu’il est, comme Dickinson, un amateur de British Beat et raconte dans le détail la genèse d’Ardent, sur National Road. Il est d’ailleurs le premier salarié d’Ardent et il doit tout faire : ouvrir le matin, préparer les bandes, passer un coup de balai. La réceptionniste n’est autre que Mary Lindsay, la femme d’un Dickinson que Terry qualifie de director of entertainment. Il devait vraiment régner une belle ambiance là-dedans ! Tout le temps libre est utilisé pour expérimenter - That period was a lot fof fun. We had no rules, and did whatever we wanted, for better of for worse - John Fry laisse volontiers les clés. Il fait confiance à ses amis. Terry Manning apporte aussi un éclairage sur la transition Box Tops/Big Star : au temps des Box Tops, Alex souffrait de l’autorité de Chips Moman et de Dan Penn qui rejetaient systématiquement ses compos, alors Alex voulait un peu d’air, et cet air, il l’a trouvé chez Ardent, avec le copain Terry. Pour finir avec National 1960s, saluons l’immense Sid Selvige et son «Miss Eleana», car voilà un enjôleur de première catégorie. Comme le Penn, il sait tartiner un slowah.

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             En 1970, Terry Manning, enregistre Home Sweet Home sur son petit label Enterprise, qui dépend de Stax. Il démarre sur une grosse version du «Savoy Truffle» des Beatles, comme par hasard. Terry joue ses grosses lignes de basse comme un beau diable. Il joue tous les instruments, comme Todd Rundgren. Et puisqu’il bosse chez Ardent, il croise les pistes ardemment. Il rentre dans le chou des Beatles, mais il rallonge sa soupe à la truffe pendant de longues minutes, c’est dommage, car il ruine tous ses efforts. Chris Bell ramène son grain de sel dans «Guess Things Happen That Way» : technique somptueuse et originale. Chris Bell reste l’un des plus fervents interventionnistes de Memphis. Fabuleuse version du «Trashy Dog» qui sera repris par Alluring Strange, le groupe de Misty White. Big bassmatic. Ah comme c’est bon, joué ainsi à la rude énergie du beat. Terry attaque sa B avec une solide version de «Choo Choo Train». Il la prend plus punk, il la cisaille et la chante à l’énervée de comptoir. Il en fait une version têtue comme une bourrique. On tombe plus loin sur un «Sour Mash» instro assez puissant, et il boucle son bouclard avec un «Wanna Be Your Man» chanté à la force du poignet. Terry tente de créer l’événement. Pas facile. Il y a déjà beaucoup d’événements down there in Memphis.

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             Norton fit paraître en 2012 un truc plus ancien du Memphis boy : Terry Manning & The Wild Ones, Border Town Rock N’ Roll 1963. Bon, c’est du document d’archives et la plupart des cuts rassemblés par Norton ne ressemblent à rien. Le jeune Terry fait du garage en parpaing. Avec ce genre de disk, Norton se tire une belle balle dans le pied. Quand on écoute «You’re In Love», on se dit en rigolant que c’est l’une des pires mormoilles qui soit ici-bas. On se demande comme Billy Miller a pu sortir un disk aussi désastreux et le vendre quinze euros. Ça dépasse l’entendement, voyez-vous. Mais il faut cependant écouter ça jusqu’au bout, ne serait-ce que pour voir à quelle sauce ils nous servent «Sweet Little Sixteen». Arnaque parfaite. Si Billy a voulu prendre les gens pour des cons, c’est réussi. On reste dans l’agonie avec «Boney Maronie». Ça fait du bien de temps en temps d’écouter un disk bien pourri. On a là l’une des pires arnaques de tous les temps. Fuck it. On adore la mention : «All titles previoulsy unissued». Et pour cause.

    Signé : Cazengler, Terryne de campagne

    Terry Manning. Disparu le 25 mars 2025

    Terry Manning. Home Sweet Home. Enterprise 1970

    Terry Manning & The Wild Ones. Border Town Rock N’ Roll 1963. Norton Records 2012

    Thank You Friends. The Ardent Records Story. Big Beat Records 2008

    Robert Gordon. It Came From Memphis. Pocket Books 1995

     

     

    Wizards & True Stars

     - Gousse d’Hayes

     (Part Three)

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             Après un Part One consacré à la mighty box The Spirit Of Memphis, puis un Part Two consacré à Wrap It Up - The Isaac Hayes & David Porter Songbook, une compile Ace parue en 2022, Isaac le Prophète est de retour avec un Part Three de nouveau consacré à une compile Ace, Hot Buttered Singles 1969-1972.

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             Tony Rounce se charge des 16 pages du mini-booklet. Il n’a pas grand chose à raconter, hormis le fait que Jim Stewart ne voulait pas laisser Isaac le Prophète chanter, lui disant : «your voice is too pretty». Méchant connard ! Par contre, lorsque le DJ Alvertis Isbell, c’est-à-dire Al Bell, arrive au pouvoir chez Stax en 1968, ce sera un autre son de cloche. Al adore la voix d’Isaac le Prophète. Il voit même un market en lui. Lors d’une party bien arrosée et donc avec un gros coup dans la gueule, Isaac le Prophète, le père Crop, Duck Dunn et Al Jackson entrent en studio et enregistrent Presenting Isaac Hayes, qui n’est pas un album très commercial, loin s’en faut.

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             Après la rupture avec Atlantic et la perte de leur catalogue, Al Bell et Stax décident de repartir à zéro en 1969 avec 27 albums. Oui, 27 albums d’un coup. Allez hop tout le monde au boulot ! Al Bell demande bien sûr à Isaac le Prophète de participer à cette orgie de renaissance et Rounce se marre : «There was little expectation that his second album would change the face of black American music forever.» Eh oui, il évoque bien sûr Hot Buttered Soul, l’un des albums les plus révolutionnaires de l’histoire de la rock culture, avec Highway 61 Revisited, Electric Ladyland, The Velvet Underground & Nico et The White Album. Isaac le Prophète a carte blanche. Comme le studio Stax est over-booké, Isaac le Prophète va chez Ardent avec les Bar-Keys et le fils de Rufus Thomas, Marvell Thomas qui est pianiste. En quelques heures, ils mettent à plat Hot Buttered Soul. C’est là-dessus que tu croises la version longue du «By The Time I Get To Phoenix» de Jimmy Webb, dont une version courte figure que la compile Ace - I’m talking about the power of love, man - C’est un cut historique, c’mon c’mon c’mon, tu rentres dans la profondeur du Black Power, et t’es bien raccord avec la photo d’Isaac le Prophète enchaîné qui orne la pochette. Car c’est monté sur un lourd battement de cœur et un claquement hypnotique de cymbale, tu attends un peu et Isaac t’allume ça au chant, il injecte le power du Black Power dans le petit cul blanc de Jimmy Webb et ça devient mythique. Oui, tu plonges dans les tréfonds d’un paradis, et le Prophète te magnifie cette chanson parfaite à coups de call my name. Comme Phoenix fait un carton, Bell est obligé d’en sortir une version single de 7 minutes. Même chose pour «Walk On By» qui en fait 12 et qui redescend à 4 minutes pour le single. C’est d’ailleurs «Walk On By» qui ouvre le bal de cette compile prophétique. T’as l’immédiateté du Prophète - If you see me walking down the street - Il gronde son walk on by avec le pouvoir terrible d’un dieu de l’Antiquité.

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             Isaac le Prophète tape encore dans Burt avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself» et «The Look Of Love». Il emmène les cuts de Burt en mode Stax avec des chœurs de filles. Tout ici est extrêmement arrangé, très aventureux, Isaac attaque Burt à la sourde, histoire de challenger la mélodie. Il rivalise de génie vocal avec Dusty chérie, tu le vois remonter le courant de la mélodie à la force du poignet. Ses compos ne sont pas en reste, comme le montre «Winter Snow», qu’il module à merveille d’une voix profonde. Il vise la pop par dessus les toits. Il fait aussi un chef-d’œuvre de l’«I Stand Accused» des frères Butler de Chicago. Il prend bien «Never Can Say Goodbye» par en dessous, puis tu tombes nez à nez avec «Theme From Shaft».

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             Isaac le Prophète comptait bien décrocher un rôle dans le film de Gordon Parks, mais comme Parks a déjà confié le rôle à Richard Roundtree, il demande à Isaac de composer la B.O. Boom ! «Theme From Shaft», amené à la cymbale, comme Phoenix, et repris à la wah black. C’est du grand art. On connaît Shaft par cœur, mais le fouetté de cymbale fascine toujours plus, t’y peux rien. Damn right ! Il y va le Prophète, il te groove ça entre les reins et ça te bat la coulpe au right on ! Rounce parle d’une «truly iconic piece of music.» Il a raison, l’asticot. Le double album Shaft reste nous dit encore Rounce LE «Stax’s best-seller and one of the best-selling soundtrack albums ever.» Isaac le Prophète a sauvé Stax. Provisoirement. Les fucking banquiers blancs allaient finir par avoir la peau de ce vaillant label black.

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             Le «Do Your Thing» de la compile est encore une version tronquée, qui passe de 20 minutes à 3, Isaac le Prophète chante ça d’une voix de catacombe. On croise ensuite une cover instro du «Let’s Stay Together» d’Al Green. Isaac y joue du sax et mine de rien, il vise la grandeur totémique urbaine. Il prend ensuite «Soulsville» à la voix mâle. Rounce annonce bien sûr une suite. On piaffe d’impatience. Cui cui cui ! Ou coin coin coin, c’est comme tu veux.

    Signé : Cazengler, Isac à main

    Isaac Hayes. Hot Buttered Singles 1969-1972. Ace Records 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - Compte en Banks

             Durrell n’avait rien à voir avec l’écrivain anglais du même nom, Lawrence Durrell. On lui posait chaque fois la question et il répondait d’un air mauvais, que non, il n’était pas l’écrivain machin, mais par contre, il se forçait à sourire pour ajouter qu’il a-do-rait Francis Carco, qu’il avait chez lui une pièce en-tièèèèèère consacrée à Francis Carco, entière, t’as bien entendu ?, en-tièèèèère !, et il poursuivait en racontant qu’il possédait des traductions de Carco dans toutes les langues, même en japonais, en arabe et en serbo-croate, ben oui, pomme de terre, me regarde pas comme ça, en serbo-croate !, ça t’épate, hein ?, et il donnait tous les détails de ses in-quarto décorés d’eaux fortes, il citait les noms d’obscurs illustrateurs de presse, il se vantait aussi de posséder des tirages de tête dédicacés par l’auteur, il gesticulait, levait les bras au ciel, baragouinait que Carco ceci et cela, et que si t’étais pas content c’était pareil, il se rapprochait de toi et t’attrapait par le col pour te grogner sous le nez d’une voix sourde : ah tu connais pas Carco ?, ben dis donc, on est pas sortis de l’auberge avec une patate comme toi, et il repartait de plus belle, te branchait sur le Lapin Agile, sur Dorgelès et Mac Orlan et paf, il t’expliquait la bohème dans le moindre détail, toute la bohème de Montmartre, et avec un mec comme Durrell, ça durait la nuit entière, on vidait les cubis et on clopait tous les paquets de clopes, plus Durrell buvait et plus il s’agitait, il ressemblait à un volcan équipé d’ailes de moulin, mais un volcan qui menaçait à chaque instant d’entrer en éruption, et soudain, il éruptait, les baies vitrées tremblaient, des flots jaillissaient de sa gueule grande ouverte, et pis t’as Guillaume Apollinaire qui chante son Pont Mirabeau au bout de la table et pis t’as Max Jacob qui réajuste son monocle entre deux crises de rire, et pis t’as Utrillo qui boit comme un trou, oui, comme un trou !, et pis t’as Pascin qui songe déjà à se pendre, mais qui donne la change, le change, oui mon gars, le change ! Et toi espèce de cloporte, sers-moi donc à boire ! ventrebleu, qu’est-ce que c’est qu’cette baraque où ya plus rien à boire !, et soudain, ivre de colère et de délire volcanique, il donna un coup de poing sur la table tellement violent que les verres et les bouteilles tombèrent, il se leva d’un bond, pareil à Poséidon, renversa la table, et décida d’aller boire un dernier verre en ville avant d’aller se coucher.

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             Vaut mieux avoir Darrell à sa table que Durrell.

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             Darrell Banks est l’un des princes de la Northen Soul, il est donc logique qu’il s’en vienne briller inside the goldmine. Dans ses liners pour Kent, Tony Rounce parle d’une «short but brillant career» : quatre ans, deux albums et une poignée de singles - Elle commença avec le succès de son premier single, «Open The Door To Your Heart», en juillet 1966, et s’acheva avec la balle d’un flic en civil en février 1970 - En fait Darrell se tapait une certaine Marjorie Bozeman que se tapait aussi le flicard. Un jour, Darrell se pointe chez Marjorie, le flicard est là, une petite shoote éclate, le flicard sort son calibre et bam bam, une balle dans le cou et une autre dans la poitrine. Rounce oublie de nous dire si le flicard est blanc. Par contre, il précise que le flicard n’ira pas au trou, ce qui laisse supposer qu’il est effectivement blanc.

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             Rounce ne tarit pas d’éloges sur le pauvre Darrell, il parle de «best Southern and Northern Soul ever found on tape», et qualifie Darrell d’«one of the hardest acts to follow in the entire history of popular music». Rounce ne mâche pas ses mots et comme c’est l’un des plus grands spécialistes de la Soul, on prend ses paroles pour argent comptant. Parmi les supposées influences de Darrell, Rounce cite les noms qui brûlent les lèvres, ceux d’Archie Brownlee et de Clarence Fountain, les lead singers respectifs des Five Blind Boys Of Mississippi et des Blind Boys Of Alabama.

             Basé sur la côte Est, Darrell commence par écumer la scène de Buffalo, dans l’état de New York, puis il ira enregistrer à Detroit pour le compte d’Atlantic/ATCO. Rounce revient sur «Open The Door To Your Heart» qui pour lui est le hit Soul parfait, un hit qui sera repris par Jackie Wilson, Freddie Scott et Tyrone Davis.

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             C’est d’ailleurs «Open The Door To Your Heart» qui ouvre le bal de B de Darrell Banks Is Here. Ce bel ATCO de 1967 se doit de figurer dans toute discothèque digne de ce nom. Sur les dix cuts de l’albums, tu as huit coups de génie, voilà, c’est aussi simple que ça. Boom dès «I’ve Got That Feeling», un heavy r’n’b, avec Darrell, ça ne traîne pas. FSB ! Fast Soul Brother ! Et ça repart de plus belle avec «Look Into The Eyes Of A Fool», il te claque là un groove d’entre-deux, et il se coule dans la pocket d’«Our Love Is In The Pocket», un wild r’n’b franc du collier. En B, boom dès l’«Open The Door To Your Heart», Tony Rounce a raison de s’exciter sur ce big heavy r’n’b tapé au Darrell Feel de much time for my baby. Véritable crash test, pur r’n’b genius, le Darrell y va au sweet to me. Toute la B rôtit en enfer, le vieux Darrell embarque son «Angel Baby (Don’t You Ever Leave Me)» au yeah yeah yeah. Darrell Banks est un démon. Son «Somebody (Somewhere Needs You)» est plus classique mais wham bam quand même, car quel fast r’n’b, Darrell fonce au triple galop. L’heavy Darrell est de retour avec «Baby Watcha Got (For Me)», il ronfle comme un gros moteur Stax, il développe la même énergie que Sam & Dave, avec le côté aristocratique en plus. Power absolu ! Ça se termine avec «You Better Go». Darrell est une fine lame. Il est même la prunelle des yeux du r’n’b. Il chante comme s’il était un empereur sur son char.

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             Pas la peine d’aller cavaler après Here To Stay, l’album de Banks qui vaut la peau des fesses, il se trouve sur une belle compile Kent, I’m The One Who Loves You - The Volt Recordings. Avec le nom qu’il porte, Darrell Banks est un artiste tout de suite crédible. Il travaille ses grooves au raw, comme le veut la tradition Stax de l’époque. Mais curieusement, il n’a pas de hits. Il s’aventure sur les traces du grand Percy en reprenant «When A Man Loves a Woman». Bon, il n’a pas le même genre de guts, pas du tout. Il reste dans les limites de la bonne interprétation, comme si le génie ne l’intéressait pas. Ça nous fait des vacances. On se repose. Ras le bol des immenses artistes et des creveurs d’écrans. Avec Banks, on est tranquille, comme avec le Crédit Agricole. Il est le bon sens de la Soul près de chez toi. Il faut attendre «Beautiful Feeling» pour le voir enfin monter là-haut, pas à Rio, mais sur l’Ararat. Sa heavy Soul peut devenir stupéfiante. Il y fait un Big Atmospherix violonné à outrance. Tout s’écroule sous le poids de la Soul. On finit par comprendre que Banks navigue à un très haut niveau. Les petits hits de juke ne l’intéressent pas. Dans «Never Alone», il est même dépassé par les Sisters. Les bonus valent le détour, notamment «I’m The One Who Love You», un heavy r’n’b viollonné dans l’axe de l’angle, et comme il ramène toute sa niaque de Soul Brother, ça devient excellent. Il fait un peu de funk avec «Mama Give Me Some Water», mais c’est un funk à la mode Jean Knight et King Floyd, le funk Malaco. Il tape à la porte de derrière avec «My Life Is Incomplete Without You», et il casse la baraque pour de vrai avec «Beautiful Feeling», orchestré dans l’âme de la Soul. 

    Signé : Cazengler, Banks postale

    Darrell Banks. Darrell Banks Is Here. Atco Records 1967  

    Darrell Banks. I’m The One Who Loves You. The Volt Recordings. Kent Soul 2013

     

    *

            En règle générale l’oiseau bâtit son nid là où il se pose. Certains affirmeront que ce lieu mythique se trouve près des eaux puissantes et boueuses puissantes du Mississippi et qu’il se nomme la terre du blues. Ils n’ont pas tort. C’est une belle contrée originaire. D’autres diront que la zone d’élection est plus vaste, qu’elle est partout et nulle part sur pratiquement la moitié d’un continent, ils parlent de country et de folk. Eux non plus n’ont pas tort. Ils désignent un pays mythique par excellence. Mais pour moi, je fais partie de cette génération de jeunes européens pour qui le domaine d’Arhneim d’Edgar Poe qui confine à l’absolu touche à cette terre impalpable et génitrice, surnommée les pionniers du rock.

             Ses frontières sont floues, l’on peut les traverser sans s’en rendre compte où l’on met les pieds. Peu à peu il disparaît des cartes géographiques musicales, les rois du rock ont vite perdu leurs royaumes, en moins de dix ans ils sont devenus des princes en exil. Mais souvent l’on ne sait jamais si l’on marche sur des cendres ou des semences. Toutefois si l’on explore les sables des mémoires ensevelies l’on ne tarde pas à retrouver des traces, des artefacts, et des témoignages des principaux saigneurs de cette époque de gloire tapageuse et fulgurante. Cette semaine ce sera :

    THE MAN YOU COULD SEE ON THE SEA !

    THE MAN YOU COULD SEE ON THE  SKY !

    LITTLE RICHARD !

             C’est une vidéo qui m’est tombée inopinément sous l’œil. Je ne l’avais jamais regardée. Je n’aime pas les blablas officiels, les récupérations posthumes, les votes pour élire le plus grand ceci, le plus grand cela… Soyons franc, une petite dent (de cachalot colérique) contre le Rock’n’roll Hall of Fame. Depuis les premières nominations de l’année 1986. Du beau monde : Elvis Presley, Chuck Berry, James Brown, Ray Charles, Sam Cooke, Fats Domino, The Everly Brothers, Buddy Holly, Jerry Lee Lewis, Little Richard. Je sais bien que Gene Vincent n’a pas bénéficié de la même aura auprès du public américain que du public européen… En plus il n’y a pas non plus Eddie Cochran… Erreur monumentale qui sera réparée l’année suivante, 1987, avec toute une floppée de pionniers, Eddie Cochran bien sûr, mais aussi Bill Haley, Bo Diddley, Carl Perkins, Ricky Nelson, Roy Orbison… Pour Gene Vincent faudra attendre… 1998 !

             Otis Redding sera intronisé en 1989, son introducteur sera Little Richard. J’aime beaucoup Otis Redding mais j’avoue que j’ai regardé pour Little Richard. Otis est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Des anglais. Certes l’on adorait les Rolling Stones, les Yardbirds, les Animals et tous les autres Britishs, mais ces englishes malgré leurs éminentes qualités possédaient une tare secrète. Ce n’était pas de leur faute, mais enfin le pays du rock’n’roll c’était quand même l’Amérique, aussi quand a déboulé Otis, ah, cette version de Satisfaction qui remettait la pendule des Stones à l’heure, mais aussi Wilson Pickett, Sam and Dave, Eddie Floyd, Arthur Conley et tous les autres, avec en prime champion toutes catégories James Brown, c’était bien le retour du rock’n’roll ! On l’appelait Rhythm’n’Blues mais ce n’était pas gênant, juste une question d’orchestration, priorité aux cuivres, rien  d’incompatible, ça groovait un max à faire s’effondrer la Tour de Babel sur ses bases… C’était bien parti pour un nouveau tour de piste, hélas tout a recommencé comme avant, un malheureux avion qui s’écrase, exit le rhythm’n’blues, la veine noire et palpitante du rock s’évanouit, ce sont les britains d’outre-manche qui colonisent les terres d’outre-atlantique…

             Que Little Richard soit l’introducteur d’Otis Redding au Hall of Fame tombe sous le sens. Tous deux sont originaires de Macon in Georgia. Le premier 45 tours d’Otis Fat Girl / Shout Bamalama sorti en 1961 est la preuve d’une filiation musicale indéniable…

             Juste quelques dates  qui ont de l’importance pour ce qui suit : Otis est né en 1941, il est mort en 1967. Little Richard est né en 1932. Otis Redding est intronisé en 1989, Little Richard a donc cinquante-six ans.

    LITTLE RICHARD INDUCTS OTIS REDDING

    INTO ROCK’N’ROLL HALL OF FAME

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             L’a de la gueule, de profil sur l’image arrêtée, chevelure bouclée, fine moustache, lunettes teintées, col de chemise noire, l’arrive sur scène sanglé dans une vaste veste de teinte sombre, verreries éparses clignotantes sous les projecteurs, tend la main à Jerry Wexler tous bras ouverts, accolade, le voici devant le pupitre sur lequel repose quelques feuilles de papier, il se penche vers les micros, c’est là que l’on s’aperçoit que les musicos entrevus en deux quarts de seconde ne sont pas là pour sonner de pharamineuses trompettes d’accueil, sans préavis Little Richard entonne I can’t turn you loose, quelle attaque, quelle voix, quel mordant, il n’a pas l’arrière-volupté du timbre d’Otis mais il vous transforme le titre  en un hymne de haute piraterie, s’appuie des deux mains sur le pupitre, et chante avec cette facilité déconcertante avec laquelle vous tournez votre petite cuillère chaque matin dans votre bol, les cuivres freinent à mort derrière comme quand vous faites une queue de poisson sur l’autoroute pour que le poids-lourd verse son chargement sur la voiture qui le suit, l’on sent que l’on va entrer dans le dur, déception, nous n’avons droit qu’au premier couplet ! Pas de panique nous n’allons pas perdre au change avec ce qui suit.

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             L’a terminé sur quatre ou cinq de ces pioulets – c’est ainsi qu’en Ariège que l’on surnomme le cri du poulet qu’un renard attrape par le col – qui firent sa célébrité, s’incline, l’a un de ces sourires de carnassier, oui mais attention c’est un nègre qui tient sa revanche – celle de tout un peuple longtemps soumis en esclavage – longtemps, trente ans qu’il n’avait chanté ainsi, et maintenant vous allez l’entendre pousser ces cris de femme blanche - le peu de public que l’on entrevoit est constitué de blancs – il rigole et la foule s’esclaffe, fermez-là, elles font oh ! et  les noires WHOU ! (comme les louves affamées a-t-on envie d’ajouter), il se sent bien, real dit-il, lui et Otis viennent du même endroit, et hop il enchaîne sur Sittin’ at the dock of the bay (la dernière chanson d’Otis sortie tout de suite après sa mort) je fais remarquer que tout en rigolant de la blancheur de ses dents colgate il a suggéré trois notions importantes, la sujétion, le sexe et la mort,  chante le hit avec le même désenchantement détaché qu’Otis, les lyrics ne sont pas joyeux, fait une drôle de gueule quand il l’interrompt, certains mo(r)ts portent plus que d’autres, alors il éclate de rire, rappelle qu’il n’a pas chanté depuis tant de temps, cite Tina Turner, fermez-la, et moi aussi je devrais chanter comme elle le fait si bien, vous devriez m’enregistrer, et je vis encore, je suis encore présentable, fermez-la, prenez-moi en photo, laissez l’homme noir, appuie sur le bouton que tu me voies tel que je suis, vous savez Otis et moi provenons de la même cité, il farfouille dans ses deux feuilles, non il ne lira rien, car il vient de là lui aussi, pourquoi riez-vous, j’ai été le premier gars de Georgie à devenir célèbre, parce que je suis le plus ancien, l’ancêtre et très jeune, James Brown je l’ai sorti de prison, maintenant il retourne dans le Sud, je pense que je devrais y aller avec lui – James Brown est alors en prison, condamné à six ans, il ressortira au bout de trois ans pour conduite en état d’ivresse et détention d’armes en feu – Vraiment je hais ce qu’ils ont fait à James, il est fantastique, il est le Godfather, si l’on me laissait pourrir autant de temps, il n’y aurait pas d’autre alternative, James doit se ressaisir, nous devons tous nous ressaisir. Vous savez Otis a commencé par Shout Lamabama, vous connaissez cette chanson, le rock’n’roll est all around the world, vous connaissez ma voix un peu haute, vous souvenez-vous, et il entonne I’ve been lovin’ you too long, mais il arrête trop vite, j’aime ses chansons, j’étais son idole, il aimait ces petits roulements dans ma voix, il en donne un exemple mais il ne peut s’empêcher de débloquer le turbo et se lance dans un whooooo ! à réveiller les derniers loups des Appalaches. Je me sens bien mais je n’ai que de l’eau sur ma table ! Rajoute quelques Wloo, celui-ci dédicacé à Phil Spector. Il enchaîne sur Fa-Fa-Fa-Fa…( Sad Song), l’on aimerait qu’il aille jusqu’au bout, mais il revient à Otis, son père était un preacher et lui aussi était un preacher, c’était un grand chanteur, je l’ai rencontré à New York, je ne l’ai pas rencontré à Macon, je lui ai donné cinquante dollars au Statler Hilton Hotel, je lui ai donné un autographe, et je lui ai filé une marque pour venir me voir dans ma chambre, je lui ai dit que j’avais besoin de parler, il m’a dit oui, mais il n’a pas voulu que je ferme la porte, Little Richard

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    explose de rire, je ne voulais rien faire juste l’entendre chanter, il a composé de grands morceaux, j’ai souhaité qu’il soit au Hall od Fame, mais il est parti, il a contribué à la musique du monde, et il est un pilier du rock’n’roll, quand je l’ai entendu interpréter Lucille ( 1964) j’ai cru que c’était moi, il se tourne vers l’orchestre, tiens un petit peu de Lucille, l’en fredonne un demi-couplet, il sonnait comme moi, j’ai cru que c’était moi, et quand j’ai su que c’était lui j’ai su que c’était un des plus grands chanteurs et un des plus grands compositeurs, dans lesquels je m’inclus, et aussi Jimi Hendricks, tous sont avec moi, James Brown, les Beatles, et Mick Jagger que je n’ai jamais rencontré, mais il était avec moi, te souviens-tu Mick que tu étais venu et que tu dormais sur le plancher car il n’y avait pas de lit pour lui, il ne peut pas oublier car c’était dur, il était dans la chambre de Bob Dill car la mienne était pleine comme un œuf, il s’esclaffe, l’était juste en train de faire son intéressant, il n’était pas si mort que ça, parfois il faut savoir s’arrêter, je ne suis pas en train de dire que le gagnant est méchant, ce soir le gagnant c’est Otis, nous tenons à remettre à Otis et à sa famille, elle doit être là, cette grande, grande récompense, et

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    je suis heureux d’être là et que c’est la première fois que j’ai chanté Lucille il y a trente ans et j’ai chanté le rock’n’roll depuis trente ans. Bonne nuit. Bon Dieu, une femme toute menue se glisse dans ses bras. Prenez-moi en photo avec cette lady, elle prend la parole dans quelques instants, tendez la main à ce monsieur, elle prend des mains la statue que Wexler lui remet, encore une photo avec la statuette, Zelma l’épouse d’Otis s’approche du micro, elle parle, pas très longtemps, mais l’on ressent son émotion et son chagrin encore présent si longtemps après la disparition d’Otis. Elle ne peut continuer, Little Richard l’accompagne doucement…

             Sans commentaire.

    Damie Chad.

     

    *

             590, 594, 617, voici un moment que nous suivons Telesterion. Vraisemblablement pas avec une attention soutenue puisque qu’au mois de septembre dernier nous avons laissé passer sa dernière production. Apparemment Demeter ne nous en a pas voulu. En effet Telesterion se donne pour but unique de chanter pour la déesse. Nous avons cru au début que Telesterion était un groupe grec, il s’agirait d’un seul individu qui serait américain. Voici donc, avec Thumos, deux groupes de la grande Amérique qui se consacreraient au legs de la Grèce Antique. Comme par hasard tous deux possèdent la même maison de disques…

    THEMESPHORIA

    TELESTERION

    (Snow Wolf Records / Septembre 2024)

             Les Themesphoria remonteraient-elles à près de mille ans avant notre ère sous forme de pratiques rituelles liées à l’agriculture dans le bassin méditerranéen… Ce qui est certain c’est que les Themestoria étaient des fêtes liées aux cérémonies des Mystères d’Eleusis. Il en reste encore des traces aujourd’hui dans nos sociétés modernes lorsque l’on explique à nos chérubins qui veulent tout savoir, on leur raconte que leur papa a planté une petite graine dans leur maman… Civilisation avancée nous entrevoyons le problème de la génération selon les progrès de nos médicales connaissances gynécologiques… les premiers peuples sédentaires s’inquiétaient davantage de leur survie alimentaire qui dépendait avant tout de la fertilité du blé… pour la problématique enfantine on aviserait plus tard…

             L’on a un peu tendance à rire jaune lorsque l’on prend connaissance des fameux mystères du sanctuaire sacré proche d’Athènes. Tant de bruit et de silence pour des évidences à la portée de nos élèves de CM1 ! Que la graine doive périr pour donner naissance à un épi de blé nous l’admettons, que cette force naturelle qui conduit la graine à périr pour renaître sous forme d’épi porteur de grains qui retombés en terre accepteront leur rôle de graines, la description de ce phénomène nous l’assimilons sans trop de peine, que le processus germinatif de la graine soit assimilé et associé à l’idée de force vitale propulsée par le phallus, nos lointains ancêtres, pas plus bêtes que nous, y ont souscrit sans difficulté. N’étaient point du genre à cacher ce témoin du désir turgescent.

             Tous ces processus nous ne les entrevoyons que sous leurs aspects platement réalistes.  La science nous a fait perdre le mystère des choses. Les grecs recouvraient de métaphysique la physique des choses. Humaines, trop humaines, les choses ne possédent que maigre valeur. La graine, symbolisée par Perséphone obligée de passer les mois d’automne et d’hiver sous la terre dans le royaume souterrain d’Hadès son mari, retrouvait le soleil durant  la majeure partie de l’année près de  sa mère, la déesse Déméter. Que trois Dieux soient mêlés au processus germinatif, voilà de quoi lui concéder une certaine majesté…

             Si vous avez du mal à sentir la présence des Dieux rôder autour des choses, consolez-vous, la plupart de vos concitoyens ne discernent point les idées platoniciennes au-dessus du moindre phénomène. Ne soyez pas désespérés, Aristote lui-même n’a jamais manifesté une grande créance aux théories de Platon.

             Si les Mystères d’Eleusis étaient ouverts aux femmes comme aux hommes, les femmes mariées (et peut-être de bonne famille) avaient seules le droit de participer aux Themesphoria. Est-ce à cause de cette suppression de la moitié des témoins que le secret de ces rites nous est mal connu, malgré leur réputation de cancanière à la langue affûtée, peut-être les femmes ont-elles su rester discrètes…

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             En règle générale les Themesphoria se déroulaient fin octobre et duraient trois jours. Certaines cités grecques optaient pour une période pouvant atteindre dix jours… Telesterion a opté pour quatre stases. Toutefois il rajoute cinq rites choisis parmi ceux que pratiquaient les prêtres chargés du culte. Nous y reviendrons.     

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             Différentes lectures de la signification des Themesphoria peuvent être proposées. Il en est une très rassurante :  ce seraient des cérémonies qui siéraient à la majesté des femmes mariées et à leur statut de génitrices. Dans la série ayons de beaux enfants forts et virils ils sont les garants de la survie future de la  Cité, les Grecs étaient très fortiches… Maintenant quand on touche au sexe des femmes une autre version transparaît. Lors de cérémonies liées aux cultes de la fécondité, par exemple durant les Lupercales  romaines, menées par les prêtres du dieu Faunus, les jeunes hommes s’armaient de lanières et se dispersaient dans la ville pour fouetter au hasard les femmes désireuses de tomber enceintes, nous ne sommes pas loin de jeux érotiques sado-érotiques… Pensons au scandale suscité par Jules César pour s’être introduit dans les cérémonies secrètes en l’ honneur de la Bonne Déesse ( = Fauna = Céres = Demeter) interdites aux hommes, durant lesquelles nos Dames de haute vertu s’adonnaient à de fortes libations alcoolisées et à certains jeux érotiques étrangement semblables à des orgies. Pour les curieux nous recommandons la lecture attentive du Dialogue des Courtisanes par Pierre Louÿs, nous ne donnerons pas ici la traduction de ce terme grec de ‘’Bobôn’’ désignant cet ustensile que ces péripapéticiennes utilisaient pour prendre un peu de plaisir dans cette vallée de larmes que serait notre séjour terrestre.

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             Nous pensons que nos lecteurs ont plus ou moins entendu parler de Perséphone fille de Déméter kidnappée par Hadès le Dieu des Enfers. Sa mère en larmes et désespérée s’en vint se plaindre à Zeus. Rappelons-nous que Perséphone est aussi la fille de son père : Zeus. Cette histoire est peu metooesque. Puisque sur les conseils de Zeus, malgré les ignobles épreuves à laquelle le dieu des Enders  soumit son cops innocent, Perséphone consentit à régner en compagnie de son mari sur le monde des morts. Phénomène d’emprise !  Comme quoi Eros et Thanatos…

             Il est toutefois un autre personnage lié de très près à cette histoire. Il s’agit d’une des plus vieilles déesses, Hécate, les rockers la connaissent car elle préside aux carrefours, endroit où toutes le mauvaises, mais aussi les bonnes rencontres peuvent se produire. C’est dans un carrefour que le diable in person apprit à Robert Johnson les adéquates positions des doigts sur les cordes d’une guitare. Dans notre modernité Hécate ne jouit pas d’une bonne réputation… c’est pourtant elle qui a  permis à bébé Zeus de ne pas être englouti dans le ventre de son père Kronos… C’est aussi elle qui servante de Déméter s’occupa du bébé Koré, signifiant jeune fille, premier nom que sa mère lui donna et qu’elle abandonna lorsqu’elle devint Perséphone, l’épouse d’Hadès.

             Lorsque Déméter désemparée ne savait plus quoi faire devant la mystérieuse disparition de sa fille, Hécate prit les choses en main, elle l’emmena chez Hélios le kronide  qui la dirigea vers Zeus… Mais avant que Zeus n’eût donné à Hadès l’ordre de libérer Perséphone, Déméter avait reçu accueil et assistance auprès de la reine Métaneiré à qui elle ordonna de faire bâtir dans la ville d’Eleusis un temple en son honneur. C’est de retour de son entrevue avec Zeus qu’elle initia le roi Kéléos et ses fils Triptolémos, Polyseinos, Eumolpos, Dioclès, aux rites secrets qui seront enseignés dans son temple à EleusisLeconte de Lisle dans ses traductions des Hymnes Homériques emploie le terme orgie pour désigner le contenu de ses rituels secrets…  Ce sont ces cinq rites dont Themesphoria nous indique qu’ils sont accomplis par les prêtresses de Déméter.        

             La couve de l’Ep dont nous n’avons pas réussi à découvrir la provenance nous semble moderne, empruntant autant à l’Art Moderne d’un Aubrey Beardsley  qu’à la bande dessinée, elle tranche avec celles des précédents artefacts de Telesterion.

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    Skira : qui en grec signifie ombre : cela pourrait s’intituler l’angoisse, la descente dans le noir des Enfers de Koré emportée par Hadès, des pas dans une galerie, quelqu’un qui porte un corps pesant, vision auditive toute hominienne, des chœurs incessants pour donner à cette interprétation la grandeur fastueuse de l’évènement en train de se dérouler, une espèce de contre-initiation charnelle, l’ouverture des grenades sanglantes du sexe percé de Perséphone, l’intuition qui lui est prodiguée de la signification de l’acte accompli, en dehors de toute limitation individuelle, la portée symbolique, de ce grain de grenade qu’elle a avalé qui l’a rendue immortelle puisqu’elle ne peut plus mourir, car même les Dieux immortels peuvent mourir s’ils ne peuvent plus se nourrir d’ambroisie et de nectar, nourriture sacrée des Dieux suscitée par les bienfaits de Déméter… Plus que l’épisode mythologique du rapt de Koré, l’ombre ici n’est qu’une des figures de la mort inéluctable. Anodos : joyeuses pincées de cordes et trot percussif, si skira désignait la descente de Perséphone dans la mort, anodos signifie montée, vers le soleil, le retour de Perséphone vers Déméter, le cycle de la vie qui se libère des liens du cycle de la mort, la fleur qui s’offre au soleil, la végétation qui renaît, l’éblouissance des forces de la nature, l’assurance du triomphe de la vie. Ce premier jour des Themesphoria donnait lieu à un défilé triomphal, sans doute y promenait-on les futures victimes animales  offertes à la déesse : chiens (pensez à Hécate et à Cerbère) et porcs (particulièrement utilisés dans des rites de fertilité dont Déméter et Koré  étaient de droit les principales bénéficiaires. Des morceaux de porcelets étaient enfouis dans des fossés creusés dans les champs, pour être récupérés plus tard et servaient alors d’offrandes sur les autels de la déesse afin qu’elle favorise les futures moissons. Tout parallèle avec le grain de blé transformé en épi s’impose naturellement.). Nesteia : rythme sans force. Musique grave et retenue. Ce deuxième épisode des Themesphoria surprend, il s’agit d’un jeûne propice au recueillement et à la réflexion. Toutefois il était conseillé de participer à cette cérémonie en ayant auparavant suivi durant trois journées une abstinence que l’on ne peut qualifier que d’ordre sexuel. Etait-ce pour ne pas se présenter à la cérémonie suivante le corps fatigué, les membres las, les chairs comblées… toujours est-il que l’on ne peut ne pas remarquer que le flux musical se charge d’une certaine tension, d’un tambourin insistant, d’une accumulation organique d’impatience comprimée. Kalligeneia : la troisième journée était vouée à fêter cette déesse censée vous aider à engendrer de beaux enfants, robustes et en pleine santé. S’agissait-il simplement d’offrandes de fleurs, de bijoux, de chevelures, dans l’espoir d’être exaucée ou d’une initiation sexuelle sous forme de mimes, ou de pratiques plus exhaustives. Nous n’en savons rien. Nous notons toutefois que ce morceau accumule séquences d’attente et moments de libération, certes l’ambiance n’est guère priapique et reste cantonnée dans un registre grave et contenu, il s’agit bien d’entrevoir cette initiation comme des instants sacrés et solennels qui confère à des gestes somme toute jouissifs une dimension énigmatique et mystérieuse que les non-initiées étaient censées ne pas connaître…

             Cet EP de Telesterion est d’un abord moins évident que les enregistrements précédents. Il demande quelques connaissances de base sans lesquelles il est difficile de pénétrer le sens ultime de cette musique qui reste celle de l’évocation de pratiques cultuelles de l’ancienne Grèce. Aujourd’hui le regard que nous portons sur ces cérémonies bâties à leur époque sur des observations archaïques les plus triviales, plongeant leurs racines dans la période néotlithique, nous les recevons après des siècles d’édification mythologiques d’une grande complexité car constituées de couches historiales diverses, elles-mêmes modulées par toutes ces réflexions raisonnantes léguées par la philosophie et la pensée sophistique du legs de la Grèce Antique.

    Damie Chad.

     

     *

             Sans être un linguiste réputé il y a des noms de groupe qui se traduisent facilement exemple : conifer beard = barbe de conifère.  Ce qui ne vous empêche pas de barjoter : les sapins étant des conifères voici votre barbe de conifère qui se transforme en barbe de sapin, par un subtil glissement vous obtenez barbe de sapeur. Du coup en gambergeant dans votre tête vous imaginez les sapeurs de la Grande Armée entrant dans l’eau froide de la Bérézina pour construire les ponts salvateurs, vous voici transporté en Russie, bingo ! justement le groupe qui porte le nom de Conifer Beard est de nationalité russe. Soyons précis : de Yelabouga (80 000 habitants) située sur un  affluent de la Volga à plus de neuf cents kilomètres de Moscou. Tout concorde, trois grands types costauds nantis d’une barbe, toutefois avouons-le  fièrement, plus modeste que celle des sapeurs de Napoléon, des adeptes de stoner rock. Des brutes épaisses sympathiques. Enfin presque. Sur leur Instagram vous avez une photo tous les trois debout devant une isba recouverte de neige accompagnée d’un texte écrit en Russe. Quand on pense que Tolstoï enfant parlait mieux le français que le russe, l’on se dit que l’on n’aurait pas besoin d’un traducteur pour comprendre. Or justement le texte traduit reste passablement compréhensible. Ce n’est pas que le traducteur soit mauvais, ce n’est pas que nos conifer men soient des analphabètes, c’est que nous sommes en présence d’un texte poétique. Bref des types qui méritent le détour, alors sans plus attendre l’on se penche sur :

    Странствий Сказ

    CONIFER BEARD

    (Février 2025)

             Oui nous les avons déjà rencontrés dans notre livraison 622 du 30 / 11 / 2023, et vous avez raison ce Странствий Сказ signifie bien RECIT DE VOYAGE. Nous sommes donc dans la grande tradition du récit de voyage russe dont le chef-d’œuvre reste  La Steppe (Histoire d’un voyage) d’Anton Tchekhov. Nous voici partis pour un étrange voyage.

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             Je ne suis pas un spécialiste de l’art graphique du vingt-et-unième siècle mais je ne crois pas m’avancer beaucoup en assurant que le 31 décembre 2299 la couve de ce disque ne sera pas élue comme une des dix images totémiques des cent dernières années qui se seront écoulées. Toutefois que signifie cette utilisation du blanc et noir alors que les productions précédentes de Conifer Beard ont toutes bénéficié d’une impression quadrichromique. Il ne faut point d’après moi expliciter que cette absence de couleur soit due à un manque de moyens pécuniers. Le groupe a voulu qu’il y ait une coalescence d’intention entre la pochette et le thème de l’album. Certes des centaines de verstes parcourues dans une sombre forêt recouverte de neige peut être facilement représentées en noir et blanc, mais il est deux sortes de voyages, ceux qui se déroulent en pleine nature et ceux intérieurs que l’âme effectue après le trépas. Le blanc du linceul et le noir funèbre s’imposent alors d’eux-mêmes.

    Artem Kornilov : guitar / Arsenil Kornilov : bass / Robert Nurunov : drums. Se partagent tous les trois le vocal.

    Зачин : Départ : apparemment nous sommes dans un avion, un vieux coucou, les vitres ouvertes, ou dans une voiture puisque l’on entend des cris d’oiseaux, un chœur lointain de femmes éplorées retentit, hurlements de loups, à moins que ce ne soit des chiens qui hurlent à la mort, des talonades de pas pressés, une cloche qui tinte rapidement, et bruits rassurants un combo de rock qui s’en vient tailler la route. Ясный Сокол : Faucon clair : vous avez une belle turbine rock de bon aloi, ça défile à mort, pas le temps de s’ennuyer, la batterie qui scande le rythme et les guitares qui brodent et surfilent à mort, vous êtes heureux, pourvu que ça dure jusqu’à la fin pensez-vous. Justement la voix, pas du tout ennuyeuse, elle se maintient sur la cime de la rythmique sans problème, mais si vous prêtez un tantinet attention à ce que cette voix un peu voilée vous suggère elle vous oblige à vous poser   une question, nous trouvons-nous au début ou à la fin, je sais c’est un peu le mystère de l’âme russe, et ce faucon qui vole vers le ciel et dont les ailes claires cachent la rougeur du soleil naissant, quel est ce dialogue qui s’instaure entre ce qui paraît être un chevalier médiéval et ce faucon de grande sagesse qui instruit l’âme – soyons réaliste avez-vous déjà vu des chevaliers à la pesante armure voler dans le ciel – qui s’envole dans le ciel après un dernier regard jeté vers le souvenir des siens aimés et chéris. Les guitares s’étirent  vers l’infini et le moteur de la vie s’emballe comme s’il savait que le voyage sera encore long. Pour ceux qui ont peur de se morfondre vous avez sur la vidéo un paysage de forêt enneigée qui se déroule sans fin. L’immensité de la taïga russe. С зарёй : L’aube heureuse : l’impression que la guitare joue au billard à trois boules avec la batterie, ne vous inquiétez pas pour savoir qui est la boule rouge, pour poser la question d’une autre manière si celui qui parle est un chevalier blessé qui chevauche à travers la forêt poursuivant un rêve perdu de fidélité, ou alors est-ce son âme en partance vers on ne sait trop quoi  qui se pense représentée en chevalier  cheminant vers le vide de la mort. Doit discuter ferme avec lui-même pour savoir s’il est encore vivant ou déjà mort, c’est que l’on ne peut représenter la mort qu’avec les mots et les images des vivants, ce qui, vous en conviendrez, aide à produire une certaine équivoque. ДухМакабра : L’esprit de mort : La chevauchée continue-t-elle de plus belle, si l’on en croit le rythme imperturbablement appuyé la galopade se poursuit mais le vocal comme légèrement reculé dans la musique, comme un intervenant, qui prend la parole sans se soucier de ceux qui sont en train de parler, tient un discours totalement identique mais pas tout à fait pareil, tiens cette cowbell qui résonne ne nous ordonne-t-elle pas de faire attention au temps qui passe, ne sommes-nous pas dans l’éternel présent d’un éternel retour qui revient incessamment sur lui-même. Mon cercueil n’est-il pas encore un jeune sapin  qui pousse dans la forêt enneigée, combien de fois n’ai-je pas serré la main de Dieu, je suis mort et la mort me suit, elle m’accompagne comme un serviteur fidèle, mais encore une fois voici l’heure fatidique, celle du retour. Пепел Станет Огнем : Feu de cendres : la guitare sonne comme les trompettes qui annoncent le retour du héros, l’est comme le phénix qui renaît de ses cendres, mais le rythme s’avère moins triomphal, comme si le retour n’était pas aussi certain, le retour n’est-il pas aussi le retour de la séparation, ce qui a été perdu une fois, est-il perdu pour toujours, est-ce pour cela que nous ne parvenons jamais à recoller les deux morceaux de la porcelaine la plus précieuse, le feu qui brûle le phénix n’a-t-il pas raison du phénix par le simple fait qu’il soit matière inflammable. Le morceau s’arrête brutalement, serait-ce pour ne pas répondre à la question. L’espoir fait-il vivre ou mourir.  Исход : Résultat : le vent se lève et souffle, quelqu’un aiguise une lame, chœur féminin, est-ce le chevalier qui se prépare au combat, sont-ce les derniers grésillements d’un feu qui finit de se consumer…

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             Nous n’en saurons pas plus. Le mystère du voyage reste ouvert ou fermé. Ce qui revient au même. Une culture russe nous aiderait peut-être à mieux comprendre, par exemple cette cabane sur pilotis est-elle une allusion à l’isba de Baba Yaha sur ses pattes de poulets… Existe-t-il une légende d’un chevalier russe entreprenant un tel périple…

             Ce qui est sûr c’est qu’avec cet EP Conifer Beard nous tient par la barbichette et nous file une tapette à démantibuler un ours.

    Damie Chad.