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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 683 : KR'TNT ! 683 : DON NIX / MAIDA VALE / LARRY WALLIS / LINDA JONES / FONTAINES DC / THE COOPERS / ASHEN / NIGHTSTALKER

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 683

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 03 / 2025

     

    DON NIX / MAIDA VALE

      LARRY WALLIS / LINDA JONES  

    FONTAINES DC /THE COOPERS

     ASHEN / NIGHTSTALKER

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 683

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

     - Superso-Nix

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             Par miracle, le fameux Road Stories And Recipes de Don Nix reparaît sous le titre Living High Laying Low. Non seulement il permet de se replonger dans les souvenirs passionnants de l’un des pères fondateurs du Memphis Sound, mais il permet aussi d’admirer l’une des plus belles photos de signature de contrat qu’on ait pu voir ici-bas : Don change la roue arrière d’une Cadillac tout en signant son contrat posé à terre. Assis par terre devant lui et adossé contre la bagnole, Denny Cordell, boss de Shelter Records, lit un journal et pointe un flingue sur Don. Et debout derrière Don se tient l’un de plus fabuleux dandys de la scène américaine, mister Tonton Leon en personne, en lunettes noires, cigare au bec et vêtu d’un costard croisé à rayures. Wow ! Voilà ce qu’on appelle une image ! Et elle donne bien le ton du livre.

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             Don Nix vient de casser la pipe en bois, aussi recueillons-nous au bord du trou pour un ultime hommage.

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             Comme Robert Gordon et Jim Dickinson, Don Nix fut un touche-à-tout de la scène de Memphis : il a démarré dans les Mar-Keys avec Packy Axton, Steve Cropper et Dickinson, puis il est devenu pote avec John Fry d’Ardent, Jim Stewart de Stax, Furry Lewis du blues et Leon Russell du Wrecking Crew - John Fry was the grandfather of Memphis music. Il y a trois personnages importants dans ma vie, en matière de music business : Leon Russell, John Fry et Jim Stewart. Leon m’a appris à produire, John Fry m’a donné la clé de son studio, de sorte que je pouvais aller y travailler quand je voulais. Jim Stewart m’a engagé comme producteur et compositeur et a fait paraître quatre des albums que j’ai produits - C’est sans doute Jerry Wexler qui donne la meilleure définition du Nix : «A pioneer mover-and-shaker (and one of the finest of the breed) [Nix] came out of the Memphis/Muscle Shoals matrix along with compeers like Steve Cropper, Packy Axton and Jimmy Johnson - These country-friend originals who took the left turn to the blues. And who left their incredible mark on American root music.» Voilà ce qui s’appelle un hommage. Don Nix peut être fier de ce coup de chapeau. Il évoque d’ailleurs le Memphis Sound à sa manière : «C’est un son qu’on ne pouvait pas mettre en boîte pour l’emmener à L.A. ou New York. Ce n’était pas seulement un son. C’était surtout des gens - les écrivains et les musiciens de Memphis - qui l’incarnaient.» Il cite alors les noms de Sam Phillips, Dewey Phillips, Jim Stewart, Estelle Axton et Willie Mitchell - C’est un son qui a explosé à la face du monde, mais dans les années soixante-dix, il était en train de mourir. Si vous me posez la question, je vous répondrai qu’il fut mortellement blessé le jour où Martin Luther King se fit descendre et depuis, le Memphis Sound n’en finit plus d’agoniser - Don raconte qu’après l’attentat qui coûta la vie au Dr King, les rapports de voisinage avec la population noire devinrent compliqués.

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             Il avait aussi d’autres amis, et d’ailleurs, c’est là-dessus qu’il termine son livre : «Mes meilleurs amis sont tous morts - George Harrison, Joe Cocker, Duck Dunn. Et la liste s’allonge. La musique a été toute ma vie. C’est que j’ai le plus aimé. J’ai eu le privilège de jouer avec le Stax band, le Wrecking Crew, avec mes amis à Muscle Shoals et tous les mecs d’Apple. Personne n’a eu une vie meilleure que la mienne. J’aurais pu mourir voici quinze ans, content d’avoir vécu tout cela.» Mais Don vit encore et on trouve son portait dans l’excellent Memphis Soul de Thom Gilbert. Il est même plutôt bien conservé.

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             À la différence de Jim Dickinson, Don Nix n’est pas un écrivain. Mais il fait des photos. Il dispose en outre d’une bonne mémoire et d’un caractère bien trempé : il décide en effet très tôt qu’il fera ce qu’il veut de sa vie et qu’il ne recevra d’ordres de personne. Il traîne avec Packy, Duck Dunn et Steve Cropper et monte sur scène pour la première fois en 1958. Il précise aussi que sa mère avait du sang indien dans les veines et son arrière-grand-père était un métis Cherokee qui servit dans le 5e de Cavalerie de Caroline du Sud pendant la Guerre de Sécession.

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             Il consacre des pages émouvantes aux derniers jours de Dewey Phillips, à Furry Lewis dont il fut particulièrement proche, à Joe Cocker qu’il côtoya pendant des mois, à John Mayall dont il fait un portrait sidérant, celui d’un homme de la Renaissance qui construisit sa maison de Laurel Canyon de ses propres mains. Mayall n’est pas seulement musicien : il est aussi tailleur de pierre, charpentier, il coud lui-même ses vêtements et adolescent, il vécut dans une maison en bois qu’il avait aussi construite de ses propres mains. Dans sa maison de Laurel Canyon se baladaient des filles nues. Comme Tonton Leon et David Crosby, Mayall pratiquait l’hédonisme, un mode de vie dont raffolait aussi Don. Un autre portrait sidérant, celui de Jeff Beck dont il fait la connaissance à l’époque de Beck Bogert Appice. Il ne supporte pas les deux Yankeees et il demande à Jeff comment il fait pour les supporter. Jeff lui répond que c’est une décision de son management, et même s’il n’est pas très content de se projet, il se dit décidé à jouer le jeu. Mais Don remarque que Jeff est un homme infiniment triste. Il paraît déprimé la plupart du temps, sauf quand il joue.

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             Comme Don a commencé par écumer les États-Unis d’Amérique avec les Mar-Keys, il regorge d’anecdotes et de road stories, comme par exemple ce souvenir de Lee Dorsey sur scène qui était tellement bourré qu’il fallait le faire asseoir pour qu’il chante quatre ou cinq chansons. Mais même soûl comme un Polonais, Lee chantait encore mieux que les autres. Les Mar-Keys ont aussi la chance d’accompagner Chuck Berry qui les prend à la bonne, sans jamais leur adresser la moindre parole. Don voit donc la naissance de Stax à Memphis, avec des nouvelles têtes qui traînent dans les parages, un jeune étudiant nommé Booker T. Jones, et un certain Isaac Hayes qui travaille à l’usine d’emballage de viande. C’est aussi l’époque ou Furry Lewis est balayeur municipal. Son parcours va de South Main à Beale Street, il pousse sa poubelle à roulettes et trimbale une guitare. À l’époque où Don réussit à le convaincre de venir enregistrer en Californie, Furry a 73 ans, une patte en moins, il fume à la chaîne et boit comme un trou.

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             Don fait aussi un bout de chemin avec Dale Hawkins qui ne dort jamais et qui ne peut pas rester en place plus de deux minutes. Trop d’amphètes - Il avait une Cadillac Coupe deVille et conduisait comme un dingue. Je n’avais jamais rien vu de tel. Il racontait des histoires et agitait les bras comme un pasteur - Pages fantastiques aussi consacrées à ce vieux Tonton Leon, l’un des producteurs les plus courus d’Hollywood, qui travailla avec Frank Sinatra et les Beach Boys. Don voit germer l’idée de Mad Dogs & Englishmen. Il voit même Tonton Leon voler le show à Joe Cocker qui au départ devait tourner avec le Grease Band, ceux qu’on voit dans Woodstock, mais comme Henry McCulloch et les deux autres n’ont pas pu obtenir leurs visas, Denny Cordell qui manageait Joe demanda à Tonton Leon de monter vite fait un groupe pour la tournée prévue. Pour Don, the Shelter People fut l’un des meilleurs groupes d’Amérique - It was without a doubt the best band west of the Mississippi.

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             Don eut aussi l’immense privilège de produire Albert King. Il ne fallait pas importuner Big Albert, car il écartait le revers de son veston pour montrer qu’il portait un calibre 45. C’était sa façon de dire que la discussion s’arrêtait là. Big Albert ne savait ni lire ni écrire, mais Don réussit à le mettre à l’aise avec ça, d’autant que Big Albert ne voulait pas que ça se sache. Quand Isaac Hayes lui colla les paroles d’une chanson qu’il venait d’écrire sous le nez, Big Albert quitta le studio. Il fallait donc ruser pour travailler avec lui. Un soir, Don lui dit : «Albert, je sais que tu ne sais ni lire ni écrire, mais si je savais jouer de la guitare comme toi, je m’en foutrais de ne pas savoir lire ou écrire.» Big Albert l’observa un moment et Don pensait qu’il allait sortir son flingue pour le descendre. Mais un grand sourire éclaira son visage : «I like you, Don. You all right.» Et Don ajoute : «Je n’oublierai jamais cet instant.» Eh oui, il venait de gagner la confiance de Big Albert, et pour le mettre à l’aise en studio, il se cachait derrière une banquette pour lui souffler les paroles des chansons. Quand Jim Stewart vit ça, il lança : «On aura tout vu !» (Now I’ve seen everything). Big Albert raffolait tellement du stratagème qu’il demanda à Don de mettre les paroles des chansons bien évidence dans la cabine de chant, de sorte que tout le monde pût croire qu’il savait lire, et Don bien sûr continuait de lui souffler les paroles en cachette. L’album de Big Albert que produisit Don Nix et pour lequel il écrivit huit chansons est le fameux Lovejoy. Il existe un autre album de Big Albert enregistré à Muscle Shoals et produit par Don qui n’est jamais sorti. Comme d’ailleurs un album des Swampers aussi produit par Don, et dont il avait l’air d’être fier.

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             Don rappelle qu’il adorait Muscle Shoals, qui se trouvait à trois heures de route de Memphis. Il a aussi la chance de travailler avec l’un de ses héros, Freddie King, a big man with a smile to match that immediately put us at ease.

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             Puis il monte les Alabama State Troupers avec Tarp Tarrant, le batteur qui a joué 13 ans pour Jerry Lee, Clayton Ivey aux keyboards, Wayne Perkins et Tippy Armstrong aux guitares. Il ajoute un deuxième batteur, Fred Prouty, qui jouait chez Rick Hall, et Brenda Patterson aux backing vocals - It was a hell of a band - Pour la photo, ils posent tous devant une église baptiste. Comme l’écriteau indiquait «The Mount Zion Middle Baptist Church», il baptisa son groupe the Alabama State Troupers with the Mount Zion Band And Choir. Le double album The Alabama State Troupers paraît sur Elektra en 1972. Attention, ce n’est pas un album facile. Don Nix propose en effet un capiteux mélange de country blues et de gospel, qui sont pour lui les racines du Memphis Sound. On entend donc Furry Lewis sur une face entière. Ce vétéran du Beale Street Sound joue fin et claque des petits coups de bottleneck. On l’ovationne. L’homme est d’une extraordinaire gentillesse - Hank you - Il chante le blues traditionnel des années vingt - And I went to the gypsy/ To get my hambone done - et il se moque gentiment des racistes dans «I’m Black» - Some people don’t like that colour/ But I sure like mine - On se régale de cette leçon de country-blues et de cette diction à l’ancienne. En D, on tombe sur une série de boogies ‘sudistes’. On y entend ce démon de Tarp battre le beurre et Brenda Patterson chante dans les chœurs de Zion. C’est du gros boogie rock seventies surchargé de chœurs de Zion. On se croirait chez Tonton Leon. Par contre, Don Nix commet une erreur : il met en avant Jeanie Greene pour chanter le gospel rock de «My Father’s House» et ça ne marche pas du tout, mais alors pas du tout. On sent les limites de la voix blanche. Jeanie n’a pas l’allant d’une Mavis. On trouve encore du gospel en B, notamment ce vieux classique repris par les Staples, «Will The Circle Be Unbroken». Don Nix respecte bien les fondamentaux du Memphis Sound System, malheureusement, c’est lui qui chante et pour chanter le gospel batch, il vaut mieux disposer d’une vraie voix et avoir la peau noire. Et quand Jeanie Greene reprend le lead dans «Mighty Time», même chose, elle se vautre. Il lui manque deux choses essentielles : le groove et la Soul. Brenda est un peu plus wild, comme on le constate à l’écoute de «Jesus On The Main Line». Elle s’énerve toute seule et cherche à incendier la plaine, mais tout le monde n’est pas Bonnie Bramlett. Voilà enfin un hit en B : «Yes I Do Understand», un gospel batch poppy joliment amené par la joyeuse assemblée. Excellent ! Et puis en C, Don Nix s’en va chevaucher dans la Sierra. S’ensuit un peu plus loin «Heavy Makes You Happy», un boogie-rock encore une fois digne de Tonton Leon. Ça sent bon la grosse équipe, le surnombre et les vétérans de toutes les guerres. Don Nix termine avec «Iuka», un gros boogie blues dans l’esprit de ce que faisait Johnny Winter. Il y va au guttural. On se croirait presque sur Johnny Winter And Live.

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             Il existe un autre album de Don Nix sur Elektra : l’extraordinaire Living By The Days paru en 1971. Tout est bien, là-dessus, ce qui semble logique étant donné que les Swampers accompagnent le vieux Don qui d’ailleurs dit d’eux : «The best backing-band at the point, maybe the best ever.» Par contre, on se demande pourquoi il porte un uniforme yankee sur la pochette. C’est une véritable insulte aux Rebs. Pur chef-d’œuvre que cet «Olena» qui sonne comme un vieux rock’n’roll, mais Claudia Linnear (sic) et Kathi McDonald font des chœurs de folles. Comme dans Mad Dogs & Englishmen, elles amènent une énergie hors normes. Il faut bien reconnaître que les Alabama State Troupers sont formatés sur Mad Dogs & Englishmen. On assiste à l’envol des guitares de Wayne Perkins et Jimmy Johnson. Un vrai festival ! Et ça continue avec l’«I Saw The Light» de Furry Lewis, fantastique partie de gospel batch avec les Mount Zion Singers derrière. Pure énormité que cette sinner prayer d’Hank Williams. S’ensuit un balladif de rêve intitulé «She Don’t Want A Lover», so solid stuff à l’Américaine, ultra-joué et harcelé par une guitare en embuscade. Quelle ampleur ! Cet album semble relever de l’indéniabilité des choses. Nix ressort le «Going Back To Iuka» qu’il avait composé pour Albert King, c’est joué au wild beat de Muscle Shoals. Ces mecs sonnent comme des punks et David Hood va même jusqu’à doubler dans les virages. Ils partent carrément en mode Stax de killer Stax - I’m going back to Iuka/ Back to where I belong - Ils repassent en mode gospel pour «Three Angels», encore une pure énormité. Les Mount Zion Singers, c’est quand même autre chose que le gospel choir des Stones dans «You Can’t Always Get What You Want» ! Mais ce sont les Stones qui ont décroché la timbale. On tombe ensuite sur un rock de mountain man des Appalaches, «Mary Louise», suis-moi, pilgrim, je vais te montrer le grizzly, pur jus d’Americana à la Nix. On retrouve les filles dans «My Train’s Done Come And Gone». Claudia et Kathi ! C’est du heavy balladif de Lord knows I’ve been gone way too long when I was weak/ She helped to make me strong, avec du solo de slide américain, Nix nique tout et derrière les filles t’explosent la rondelle des annales.

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             Paraît aussi en 1971 sur Shelter Records - le label de Denny Cordell et Tonton Leon - le premier album de Don Nix, In God We Trust. Il pose déguisé en cowboy sur une pochette traitée dans le design du billet vert. Au moins, on sait qu’on est en Amérique. Ce disque très orienté gospel ne pouvait que dérouter les amateurs de rock. Mais il vaut le détour, car Don Nix y réussit un sacré tour de passe-passe, avec le morceau titre qui fait l’ouverture du balda. On a là un vieux coup de country rock joué au violon de saloon. Attention, Don Nix joue avec les mecs de Muscle Shoals : Barry Beckett, Eddie Hinton, David Hood, ils sont tous là. Don Nix sait entretenir la flamme d’un cut, pas de problème. Il dispose de cette puissance intrinsèque. On entend bien David Hood bassliner sur «Golden Mansions» et derrière, les filles de Mount Zion sont superbes. Grâce à ces musiciens exceptionnels, Don Nix trouve l’élan du gospel. «I’ll Fly Away» est sans doute l’hit de l’album. «He Never Lived A Day Without Jesus» sonnerait presque comme du Neil Young, mais en moins pleurnichard. C’est une fois de plus un parti-pris de gospel church chic. On retrouve «Iuka» sur cet album. David Hood y enroule bien sa gamme.     

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                         Paru sur le sous-label de Stax Enterprise, Hobos Heroes And Street Corner Clowns date de 1973. À cette époque, Don Nix voyage à travers le monde et il enregistre un peu partout, à Londres, à Memphis et à Muscle Shoals. Avec cet album, il va plus sur le balladif. Mais il n’hésite pas à taper dans l’heavy blues avec «Black Cat Moan». Sur ce genre de chose, il est extrêmement crédible. Il chante avec un joli sens du raunch. Le coup de génie de l’’album est une version de «When I Lay My Burden Down» qu’il dédie à Fred McDowell. Il propose tout simplement un raccourci du Memphis Sound et même de l’Americana du Deep South. Il démarre en blues de cabane branlante et finit en gospel batch, et comme Claudia Lennear traîne dans les parages, eh bien ça explose. Fantastique exercice de style ! Il faut aussi écouter «Look What The Years Have Done», un balladif très impressionnant. Cet homme sait écrire des chansons, c’est indéniable. Voilà un balladif parfait au plan mélodique et bien saxé sur le pourtour.

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             En 1976, Gone Too Long paraît sur Cream Records, le label d’Al Bennet qui a racheté Hi Records. Attention, c’est un très bel album. Il s’y niche ce qu’on appelle des Beautiful Songs, à commencer par «Goin’ Thru Another Chance» qu’il chante d’une voix de vétéran du Memphis Sound. Il s’arroge toutes les prérogatives. Sa pop ne peut que plaire. Don Nix semble cultiver un goût pour l’envol. Il sait donner de la voile. Il fait partie des grands prêtres de l’Americana, dans ce qu’elle présente de plus rootsy. George Harrison traîne dans les parages et ça s’entend. Autre merveille : «Forgotten Town», un balladif visité par la grâce. Il chante avec brio. La basse enrichit considérablement le backing, avec une excellente enfilade thématique. Le mec joue en continu, avec un sens aigu de l’a-priori. Et puis, Don Nix finit l’album avec l’excellent «A Demain». Il duette avec une Française. Nix explore l’empire du slowah et la fille n’en finit plus d’allumer la romantica - Et puis un beau matin/ Tu recevras ces mots/ Je t’aime, je t’attends, viens - C’est à la fois infernal et somptueux, et elle ajoute - Nous oublierons alors que le temps a passé. Par contre, il se vautre avec une reprise trop empesée du «Feel A Whole Lot Better» des Byrds. Il en fait une sorte de gospel pop avec des chœurs vengeurs. Curieux parti-pris. Il tape aussi dans le «Backstreet Girl» des Stones. Il en fait du gospel avec une basse bien montée dans le mix. Sacré Don, il ne rate pas une seule occasion de se faire remarquer.

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             Skyrider parut en 1979 sur Cream, le label d’Al Bennett. On y retrouve bien sûr l’habituel mélange des genres nixien. Le morceau titre sonne comme un gros boogie-rock richement drapé d’orchestrations et des chœurs southerny. Don chante toujours avec un bel aplomb. On le voit ensuite taper dans la grande prétention poppy avec «Nobody Else». On voit aussi l’idéaliste poindre sous le cuir du desperado buriné par les années de vie sauvage sur la frontière. Et bien sûr, il règne ici un léger parfum de gospel batch. Dans «Maverick Woman Blues», Don évoque la Nouvelle Orleans. Il y rocke son shake et lâche du bon set me free. Disons que ça reste bon esprit, même s’il pompe le riff de «Get Ready». Même chose avec «Do It Again» : le riff est connu comme le loup blanc des steppes, mais on ne s’étonne plus de rien. Don propose ce qu’il a de meilleur en magasin, un funk rock sudiste un peu hybride et intéressant. On y retrouve d’ailleurs les Memphis Horns et tout le tralala. Don joue un petit coup de sax, histoire de nixer le mix. En B, il revient avec «I’ll Be In Your Dreams» à son vieux dada : le slowah de printemps, bien aéré et judicieusement orchestré. Il monte «All For The Love Of A Woman» sur le modèle de «Let’s Work Together», mais il y met une telle énergie qu’on lui donne l’absolution. Don Nix te nique ça bien, c’est un vieux routier, il avait déjà écumé toute l’Amérique au temps des Mar-Kays. Le guitariste est un bon, il s’appelle Rob Kendrick. Guitariste idéal pour un gaillard comme Don qui n’est pas né de la dernière pluie.       

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             Voilà trois bonnes raisons de rapatrier Back To The Well paru en 1993 : la première s’appelle «Out On The Road Again», un vieux boogie blues qui part sur un fantastique dady’s gone fishing. Don is back on the chain gang, il claque le beignet de la caillasse du meilleur son, comme il l’a toujours fait. Ce démon sait déverser un jus de boogie et l’autre démon qui gratte ses poux s’appelle Billy Crain. On a là l’un des meilleurs sons du Deep South. La deuxième raison s’appelle «Waiting For The Help». Don revient à son cher gospel batch, c’est un enragé, un mordu de la racine. Plus elle est sèche et ardue, plus il exulte. C’est ultra-joué. Derrière, les filles gueulent sweet Jesus et ça riffe au cul de slide. La troisième raison s’appelle «Fool’s Paradise», un extraordinaire slowah océanique. Don est à ses heures perdues un charpentier du songwriting, il connaît l’art des mortaises et il sait poser des toits de chœurs, et là, dans ce cas particulier, quel toit ! Encore du son dans «Dance Chaney Dance». Nix nique tout à dix kilomètres à la ronde. Il embarque son monde dans le tout venant, ce qui le rend héroïque et donc sacré. Avec «Plastic Flowers», il avertit : Don’t put plastic flowers on my grave ! Il se met en colère. Il sait aussi taper le vieux coup d’r’n’b, comme le montre «Cruise Control» - You better slow down - Et il termine avec l’excellent «Addicted To You». Il tape ça au vieux jus de nixitude - I don’t drink/ I don’t smoke - mais il a un problème avec le groove de cette fille, surtout son sweet love. Don Nix ne prend pas les choses à la légère, il joue ça au funk de groove de blues.   

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             Paru en 2002, Going Down. Songs of Don Nix est un classique indispensable. Pourquoi ? parce qu’il s’y niche des duos exceptionnels, notamment avec Bonnie Bramlett. Elle commence par venir exploser «Right Where You Want Me». Elle ramène toute son énergie criante de vie. Elle part à l’assaut du groove d’une voix pincée de reine du rodéo. C’est monté sur des accords de Stonesy. Quel fantastique exercice de style ! Elle revient groover le blues de «Same Old Blues». Steve Cropper sort sa plus belle Tele et Dan Penn radine sa fraise. Quel festin de rois ! Tout est allumé de l’intérieur. Steve Cropper joue au clair de lune pendant que Bonnie mouille sa syllabe et l’écrase dans le gras du menton. Elle s’arrache les ovaires et sonne comme une mama black, yeah, elle racle tout dans la salive, elle est bien la pire de toutes, la plus grande chanteuse blanche du monde. Elle revient illuminer «Like A Road Ready Home». Il faut voir comme elle shake son shook. Elle chante ça au meilleur chaud du South, elle chante pour de vrai et Steve Cropper joue comme un dieu grec. Autre duo des enfers avec Dan Penn dans «Palace Of The King». Un black nommé Audley Freed joue lead, il joue à l’exacerbette de la belette. Dan rocke son going down to Dallas. Il sait le faire, mais à la mode black, de l’intérieur du menton, il fait de l’hot de hutte - Going back to Dallas/ Living In The Palace of the King - Leslie West vient jouer le fameux «Going Down» avec Brian May. En fait, ils sont quatre leads sur cette reprise éculée. Bonnie est au fourneau et Max Middleton au piano. Ça tourne au vertige guitaristique, les leads coulent ensemble comme des vieux claquos oubliés. Dommage que Don n’ait pas la voix. Les leads vont se repaître de la charogne de Going Down pendant six minutes. Tous les solos sont gorgés de sève. Sur «Going Back To Iuka», Tony Joe White joue lead et Mayall claque des coups d’harp. Le pompon, c’est Billy Lee Riley. Don a de sacrés potes ! - You know the train that I ride/ I ride it all nite long - Fantastique Billy ! Il amène une autre profondeur. On retrouve Leslie West dans «Lying On The Highway» (il n’a rien perdu de sa grosse niaque), et Billy le héros dans «Everybody Wants To Go To Heaven».  

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             Sur la pochette d’I Don’t Want No Trouble paru en 2006, Don Nix est assis en salopette dans son jardin avec son dalmatien. Il semble posséder une belle petite maison à deux étages équipée du porch traditionnel, cette fameuse avancée qu’on retrouve à tous les coins de rue dans les chansons du Deep South. C’est là que se grattent les jolies mélodies au clair de la lune. Don nous refait le coup de l’heavy blues gospellisé avec «Hurt Somebody». Il ne risque pas de se faire une entorse à la cervelle. Nix n’est pas homme à forcer le destin. Il ramène tout le gospel batch qu’il peut dans son heavy blues et franchement, c’est très bien vu. Il fallait y penser. Il reste encore plus traditionnel dans les autres cuts, comme par exemple «Memphis Man» qu’il tape au vieux boogie de r’n’b rock’n’roll. Il ne risque pas l’embolie. Mais c’est bardé de son. L’animal s’y connaît, en la matière. Boogie rock toujours avec un «Snack Dab» bardé de chœurs de filles. Il est vrai qu’à son âge, Don ne va pas s’amuser à réinventer la poudre et encore moins le fil à couper le beurre. Il faut le voir tartiner son «Hole In The Sky». Ça sonne comme n’importe quel rock de vieux renard sur le retour. C’est même sur-produit. Nix y gueule comme un veau qu’on amène chez le boucher. En écoutant «One Step Ahead», on voit bien qu’il connaît toutes les ficelles du son. Le cut dégouline de son moderne, mais certainement pas de modernité. C’est ultra-joué au bottleneck d’heavy dude. Don y va de bon cœur. C’est ce qui fait sa force. On pourrait même ajouter que ça nous dépasse. Ils se prend aussi parfois pour un pionnier («Just About Had It»), et là ça devient compliqué. Il s’amuse aussi à jouer des boogies qui ne servent strictement à rien («Subject To Change»). On le voit même faire son vieux renard de charme («Crazy From The Heart»). Une fille chante ça avec lui, mais elle se révèle bien meilleure que lui. Il est encore capable de taper du très gros son, comme on le constate à l’écoute d’«Addicted To You» qu’il prend en mode gospel batch. C’est sa came.

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             On trouve aussi dans le commerce un album intitulé Passing Through. Don qui ne se refuse rien l’a enregistré chez Malaco. Il adore butiner toutes les mythologies régionales. Il démarre l’album avec un solide balladif, «Sit Down On Your love». Don a toujours de l’avenant. Il n’a aucun problème ni avec les impôts, ni avec la santé et ni avec Dieu. Il y va du tac au tac. Don est un amateur de big sound et d’horizons. Il adore aller loin vers l’Ouest, là où les montagnes lèchent le cul du ciel. Comme l’hydravion d’Howard Hugues, le cut met du temps à décoller, mais il finit vraiment par s’arracher de la surface du lac. Don tape dans le devenir de l’Americana. Il ne vit que pour l’ampleur, personne ne pourra jamais lui enlever ça. Ses cuts fondent bien en bouche. Comme la plupart de ses chansons, «She’s My Rock» sonne bien, même terriblement bien. Chaque fois, Don frise le Nix universaliste. Sa pop convainc. Et puis voilà «Roads». Il faut comprendre qu’avec Don Nix, on est dans le très gros truc. Une sorte de perfection. Son balladif prend la gorge et on tousse d’aise. C’est une sorte de délire technologique du groove sentimental. Fuck, comme ce mec est bon, même son solo de flûte passe comme une lettre à la poste. On ne peut pas dégommer Don Nix. L’homme est puissamment bon. Il amène le morceau titre au gospel batch. On y sent le poids d’un pathos énorme. Il tape un instro superbe avec l’«I Don’t Know Why I Care About You» joué au Grand Jeu de Malaco. Puis il renoue avec l’art de la grosse compo en s’interrogeant : «Where’s The Problem». Don a un don, indéniablement. Donc, ça semble logique qu’il s’appelle Don. Il boucle avec «I Belong To My Songs». Il y explique qu’il appartient à ses chansons et s’éclipse dans les fumerolles d’un balladif édifiant.

    Signé : Cazengler, Nix ta mère

    Don Nix. Disparu le 31 décembre 2024

    Don Nix. In God We Trust. Shelter Records 1971  

    Don Nix. Living By The Days. Elektra 1971                      

    Don Nix. The Alabama State Troupers. Elektra 1972

    Don Nix. Hobos Heroes And Street Corner Clowns. Enterprise 1973

    Don Nix. Gone Too Long. Cream records 1976

    Don Nix. Skyrider. Cream Records 1979        

    Don Nix. Back To The Well. Appaloosa 1993    

    Don Nix. Going Down. Songs of Don Nix. Evidence 2002   

    Don Nix. I Don’t Want No Trouble. Section Eight Productions 2006

    Don Nix. Passing Trough. Section Eight Productions 2008

    Don Nix. Memphis Man. Living High Laying Low. Mojo Triangle Books 2015

     

     

    L’avenir du rock

     - MaidaVale live in style in Maida Vale

     (Part Two)

             Lorsqu’ils voient arriver l’avenir du rock, les habitués du bar interrompent leur conversation. La ramasse de ce vieux schnock leur fait presque pitié. L’avenir du rock commande son double jaune sans glaçons, le siffle cul sec et en commande un deuxième aussi sec. Il adore faire jaser les cons. Et ça marche à tous les coups. En voici qui s’approche :

             — Dis donc, avenir du rock, dans ton état de décrépitude avancée, tu crois vraiment qu’c’est raisonnable de siffler des jaunes comme ça ?

             L’avenir du rock rote, et en commande un troisième.

             — C’est pas passe que t’es l’avenir du rock qu’y faut mépriser l’peuple !

             L’avenir du rock fait signe au patron :

             — Hep ! Patron ! Chuis à marée basse !

             Un autre habitué vole au secours du premier :

             — Pourquoi qu’tu causes encore à c’te vieux pédé ? Tu vois donc pas qu’il est bon pour la déchetterie ?

             — Non mais r’garde-moi comment qu’il est attifé avec ses godillots et son pal’tot ! C’est-y pas une honte de voir des vieux chtars pareils !

             — Y paraît qu’y va encore aux putes !

             — Arrhhhhh ! Sont pas dégoûtées les putes !

             — Y paraît même qu’y va encore voir des concerts de rock !

             Et là, l’avenir du rock se tourne vers les deux cons et leur balance, histoire de leur clouer le bec :

             — Vale que Vale !

     

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             Lorsqu’il se trouve coincé dans un plan délicat, l’avenir du rock parvient toujours à tirer son épingle du jeu. Et plus c’est délicat, meilleur c’est. MaidaVale, c’est exactement ça : le Vale que Vale du rock. 

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             C’est quand même pas mal de revoir les quatre petites Stockholm girls de MaidaVale dans un endroit plus ramassé, au fond d’une cave. Ça leur donne encore plus de power. Au Club, c’était bien, mais dans la cave, c’est mille fois mieux. Tu retrouves cette section rythmique infernale, directement inspirée de celle de Can, même dynamiques, même goût pour l’hypno explosif, la grande brune sur la Ricken s’appelle Linn, et la fille spirituelle de Jaki Liebezeit au beurre s’appelle Johanna. Rien qu’avec ça, t’as de quoi t’occuper. Johanna bat un beurre à la fois fin et puissant, elle fait parfois des petites grimaces animales, des rictus carnassiers, comme si elle laissait monter en elle un torrent d’adrénaline. T’en finis plus de la voir battre le beurre du diable. Et là-bas au fond, Linn mouline un bassmatic de rêve en secouant quasiment tout le temps les cheveux. Et là, tu sais que t’assistes à un vrai concert de rock. Ça joue ! Pour leurs deux copines, c’est du gâtö, la petite Sofia gratte des poux bien psyché sur sa Strato immaculée, elle tourne comme un manège, tricote des gammes gorgées d’écho et revient sur des power chords de la pire espèce, comme si elle enfonçait son clou dans la paume du beat. Dans le feu de l’action, elle reste incroyablement présente, car c’est bien d’un feu de l’action dont il s’agit avec MaidaVale, elles savent kicker les jams. Le son ricoche bien sous la voûte en briques

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    de la vieille cave. Et puis t’as Matilda au chant, elle montre un goût particulier pour les crises de Méricourt et les coups de tambourin. Tu lui donnerais le bon dieu sans confession, tellement elle est dans le coup, tellement elle rocke le boat, tellement elle shake le souk de la médina, c’est une rockeuse hors normes, elle chante de tout son corps, et là mon gars, ça rocke, t’es plus en face d’un groupe de branleurs à la mode. MaidaVale c’est le real deal, mais pour le savoir, il faut les voir sur scène.

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             Elles tapent bien sûr dans leur dernier album, l’excellent Sun Dog et attaquent avec «Give Me Your Attention» qui n’est peut-être pas le meilleur choix. Sur scène, ça ne marche pas, mais sur l’album, tu les vois foncer en rase-motte. Elles aménagent de grands ponts hantés par la space guitar. Tu n’en finis plus d’admirer la section rythmique. Elles enchaînent sur scène avec un «Control» plus Kraut, et même assez caverneux, Kraut de nez et d’esprit, avec une couche de keyboard par dessus. On sent poindre l’ambition. C’est avec «Wide Smile All Is Fine» que Linn commence à voler le show avec un beau thème de basse. T’as du mal à frémir avec «Daybreak». Elles cherchent la lumière avec «Pretty Places». Elles développent toujours une certaine richesse instrumentale, une réelle prégnance de la pertinence qu’on peut aussi qualifier de latence de l’essence. Voilà pourquoi il faut les prendre très au sérieux. Matilda chante «Faces (Where is Life)» d’une petite voix pointue et enchaîne comme sur l’album avec «Fools», beaucoup trop proggy. Elles visent le Big Atmospherix, mais on préfère quand ça prend feu. Elles finissent leur set avec des cuts de Madness Is Too Pure, «Transe» et «Gold Mind» et un «Perplexity» qui n’est pas sur le CD, uniquement sur l’LP. Bizarrement, elles ne jouent pas «Vultures», le dernier cut de l’album. Dommage, car la ligne de basse est un régal. Linn est la star du groupe, elle nourrit le son sur sa Ricken, elle laboure le Kraut en profondeur. Elle est la Millet du Kraut.

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    Signé : Cazengler, Maida Vain

    MaidaVale. Le Trois Pièces. Rouen (76). 4 mars 2025

    Concert Braincrushing

    MaidaVale. Sun Dog. Silver Dagger 2024

     

     

    Wizards & True Stars

    - Wallis the question ?

     (Part Two)

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             Quand en décembre 2019 Larry Wallis a cassé sa pipe en bois, nous lui avons rendu ici même un hommage en forme de tournée des grands ducs : Pink Fairies, Motörhead, Mick Farren, Deviants, Shagrat et solo. C’était bien le moins qu’on pût faire.

             Étant donné que vient de paraître une compile Cleopatra aussi gorgée de richesses qu’un galion espagnol en mer des Caraïbes au XVIIIe siècle, nous allons récidiver, car écouter la bombe qu’est Police Car/ The Anthology, ça équivaut à écouter Larry Wallis pour la première fois. Et pour rester dans la facilité des métaphores : attachons nos ceintures.

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             Tiens on va commencer par pondre un nouvel adage : Larry, ça tombe sous le sens. T’as le son d’entrée de jeu, avec le morceau titre et Larry qui feule dans le sonic storm «I’m a police car». Diable, comme on avait adoré le single Stiff à l’époque. D’ailleurs, Cleopatra a repris quasiment le même visuel pour sa pochette, la strato en moins. Dans ses liners, Roger Morton qualifie Lazza de true gentleman - He was one of the last true gentlemen in rock’n’roll - Morton s’échauffe lorsqu’il évoque l’arrivée de Lazza dans les Pink Fairies - Playing one of the most electrifying rock’n’roll guitar of the era, fast, loud and filthy as fuck - Rien de plus vrai. Cette compile ne te laissera pas respirer, car voilà qu’arrive «Leather Forever» qui sonne comme l’hymne du rock anglais, monté sur un glorieux bassmatic. Ça stompe dans toutes les backs alleys de London town. Non seulement Lazza est un crack du boom-hue, mais il compose des hits à la queue-leu-leu. Son «Meatman» en est l’un des exemples les plus frappants, il cisaille son heavy boogaloo à la base, il le fait danser au sommet d’un balancement d’heavy dude. Quel exploit ! Et ça dégénère, ça vire cro-magnon et ça s’envenime salement. Il pose sa wah comme une cerise sur le gâtö. Tout ce qu’il touche, il le transforme en or du rock : il fait d’«Old Enuff To Know Better» un fantastique shoot d’old enuff. C’est vraiment l’Enuff qu’on a envie d’écouter. Il gratte son «Crying All Night» à l’oss de l’ass de Ladbroke Grove. Quelle fantastique démesure underground ! Il s’emballe avec «I Think It’s Coming Back Again» et bat Motörhead à la course avec «Story Of My Life». Il y déboule avec une ferveur spectaculaire ! Ça dépote en permanence, chez Lazza, il sait aussi faire du Saints, mais sans la voix de Chris Bailey («I Can’t See What It’s Got To Do With Me»). Il refait son Pink Fairy dévastateur avec «Don’t Fuck With Dimitri» et fout le feu à la ville avec «Mrs Hippy Burning». Tout prend feu, avec lui. Feu encore avec «When The Freaks Hang Out». Il taillade son «I Love You So You’re Mine» à la scie sauteuse. Wild Lazza joue à la vie à la mort, et cette façon qu’il a de se rattraper au vol ! Son truc, c’est vraiment se cisailler à la base. Il pond une petite stoogerie ici et là («Downtown Jury») et rend un bel hommage aux Stones avec un cover de «Street Fighting Man». La compile s’achève avec un cut de Shagrat (pas le meilleur Shagrat) et un UFO, dont on se serait bien passé. Morton annonce d’autres volumes à paraître. Wait and see.  

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             Dans l’actu, tu retrouves aussi une belle compile Cleopatra de Motörhead, Lemmy & Larry Wallis : The Boys Of Ladbroke Grove. Tu peux te jeter dessus sans problème, car elle grouille de puces. Et des grosses ! T’en vois pas d’aussi grosses tous les jours. À commencer par cette version live at the Roundhouse d’«On Parole», c’est Motörhead à son sommet, avec Phast Eddie et Philthy Animal, c’est l’un des blasts les plus géniaux de l’ère fumante du blasting, et Philthy te bat ça si sec, franchement t’en reviens pas de cet over-power, tu comprends mieux pourquoi Motörhead fait partie des cracks du boom-hue. C’est bien sûr Lemmy qui se tape la part du lion dans cette compile explosive. Il fait une version de «Twist & Shout» qui bat toutes les autres à la course, accompagné cette fois par Scott Ian et Gregg Bissonette. Sans doute a-t-on là l’une des plus grosses covers du siècle passé, et t’as en plus des chœurs de candy avarié ! Stupéfiant ! Avec Mick Green et les Upsetters, Lemmy tape ensuite dans «Blue Suede Shoes», et oh boy, ça joue à la pure Méricourt, Lem is on fire ! Sans doute la plus belle cover de «Blue Suede Shoes», infernale, bien rentre-dedans. Lem fout encore le souk dans la médina avec «Paradise». Mick Green monte au braquo du Paradise. S’ensuit un «Keep Us On The Road», c’est le Motörhead de l’âge d’or, avec Fast Eddie et Philthy, Lem fout le feu au souk de la médina. Live 78, t’as pas idée ! Lem tient la dragée haute au blast. T’as bien sûr ta dose de proto-London punk avec le «Lone Wolf» des Pink Fairies, ce ne sont pas ceux de Lazza, mais ceux de Paul Rudolph, avec Alan Davey et Lucas Fox. Et Lazza dans tout ça ?, demande Jacques Chancel. Lazza arrive avec son «Police Car». Classique intemporel, mais face à Lem, il fait un peu pâle figure. On le retrouve plus loin avec George Butler et Andy Colquhoun pour «Crying All Night», et c’est bien bardé de barda. Bon, t’as deux versions de «Leather Forever», avec la grande clameur invulnérable. Lazza a encore du son à gogo, mais vraiment à gogo, sur «I Think It’s Coming» et plus loin «Seeing Double». Il n’en finit plus de foncer dans le tas. Il brûle de tous ses feux, et cut après cut, il entre dans la légende. Viva Lazza ! 

    Signé : Cazengler, Larry WC

    Larry Wallis. Police Car/ The Anthology. Cleopatra 2024

    Motörhead Lemmy Larry Wallis. The Boys Of Ladbroke Grove. Cleopatra 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Lindanaïde

             Comment s’appelait-elle, déjà ? Ah oui, Baby Jam. On la surnommait la reine de la nuit. Pas très grande, très brune, elle parlait d’une voix un peu rauque et les connaisseurs la qualifiaient de brune sensuelle. Elle était pourtant casée et mère de famille, mais elle aimait trop la vie pour rester tranquille à la maison et regarder des conneries à la télé. Baby Jam couchait les gosses, puis elle annonçait à son mec qu’elle sortait faire un tour avec une copine. Pas de problème. Il était du genre conciliant. Il l’aimait assez pour comprendre qu’elle avait besoin de vivre selon ses besoins. C’était pour lui le seul moyen de ne pas la perdre. Elle prenait l’ascenseur et retrouvait sa copine au pied de l’immeuble. Puis elles partaient toutes les deux en vadrouille. Elles adoraient ça, l’aventure, le hasard des rencontres, la fréquentation des oiseaux de nuit. Personne n’a jamais vu Baby Jam dans les bras d’un autre mec. Les rumeurs allaient bon train, les gens racontaient qu’elle baisait avec n’importe qui, mais il n’existait absolument aucune preuve. Sa copine et elle faisaient une sorte de tournée des grands ducs, retrouvant dans les bars de nuit des copains et des copines, et tout ce petit monde finissait au Gibier de Potence, une sorte de cabaret perché sur la colline qui dominait la ville. Le Gibier fermait à quatre heures du matin et on y buvait du rhum arrangé à volonté. Chacun s’arrangeait avec la vie et profitait de la nuit. Baby Jam trônait au bar et se faisait payer des verres. On l’entendait rire, elle parlait de tout et de rien. Parfois un mec la draguait, ça l’amusait beaucoup, elle laissait faire jusqu’à un certain point, puis pour le calmer, elle lui expliquait gentiment que sa gueule ne lui plaisait pas, alors tout rentrait dans l’ordre. Tout ce cirque a duré quarante ou cinquante ans. Aujourd’hui, Baby Jam a pris un sacré coup de vieux, elle porte des lunettes à monture écaille et du rouge à lèvres. Elle tire ses cheveux bruns vers l’arrière pour se donner un petit air d’assistante de direction, mais sa gouaille est intacte. Tu la trouveras au bar du Gibier en train de siffler des verres de rhum tiède jusqu’à la fermeture. Elle attendra, comme elle l’a fait toute sa vie, qu’une bonne âme veuille bien la prendre en charge pour la déposer chez elle.

     

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             Pendant que Baby Jam savourait sa liberté, Linda Jones tentait de faire carrière. L’accomplissement d’un côté, l’abrègement de l’autre. Destin enviable d’un côté, destin tragique de l’autre.

             Contrairement aux Danaïdes, Linda Jones ne fut pas condamnée à remplir un tonneau percé. Elle fut condamnée à autre chose : l’obscurité. Lorsqu’elle cassa sa pipe en bois en 1972, elle n’avait que 28 balais. Elle était quasiment inconnue aux États-Unis. Seuls les Anglais la vénéraient. C’est la raison pour laquelle on la retrouve sur l’une des meilleures compiles de Northern Soul, celle de Rhino. David Godin parle d’une «enigmatic quality».

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             Son premier album s’appelle Hypnotized, un fat Loma de 1967. Tu donnerais ton père et ta mère en échange de «You Can’t Take It», un heavy r’n’b qu’elle fait décoller à coups d’you can’t take, elle te chante ça à l’efflanquée miraculeuse. Elle est encore très raw sur «I Can’t Stop Loving My Baby», elle est aussi directive que l’Aretha de l’âge d’or. Et en B, tu tombes sur une autre perle noire en forme de Beautiful Song, «If Only (We Had Met Sooner)», une Soul soûlante qui te donne le tournis.

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             Elle sort deux albums en 1972 :  Your Precious Love et Let It Be Me. Le premier est de toute évidence son meilleur album. Il grouille de puces. Elle attaque son morceau titre en ouverture de balda avec une stupéfiante énergie. Linda est la reine de la hurlette de Hurlevent. Elle chante encore «Don’t Go (I Can’t Bear To Be Alone)» au sommet de la Soul, avec une indicible audace. Elle brûle d’authenticité. Elle brasille de Soul, son «Stay With Me Forever» est extravagant d’intensité. Elle brasille à sa façon, ni comme Aretha, ni comme Brenda, c’est encore autre chose. Alors attention, car tout explose en B : si tu veux écouter l’un des plus beaux albums de Soul, c’est là, dès «Not On The Outside». Elle se veut océanique, avec des flux et des nappes d’orchestration, alors elle le devient. Elle tape un beau «Dancing In The Street» et boom, elle te roule le «Let It Be Me» de Gilbert Bécaud dans sa farine. Elle le travaille au corps de manière spectaculaire. Elle te transforme encore la Soul avec «I Can’t Make It Alone», elle en fait un tir de barrage, elle te la plombe en or, elle te la pétrit à Petra, elle te l’élève dans la hiérarchie, bref, elle sait tout faire. Elle se dirige vers la sortie en faisant son Aretha dans «Doggin’ Me Around», mais pas avec le même fruité de glotte, Linda est plus sèche, plus âpre, et plus violente dans sa hurlette. Elle ne laisse aucune chance au hasard, elle pousse à la roue, elle défonce la rondelle des annales, elle a du cran. Logique car c’est une crack. 

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             Et donc sur Let It Be Me, on retrouve fatalement le «Let It Be Me» de l’album précédent. Elle est sans doute la seule à savoir monter au ciel from scratch, c’est-à-dire sans élan. On ne reconnaît pas l’hit de Bécaud. Elle en fait de la Soul. Fantastique présence encore avec «Fugitive From Love». Such impact dit Diamond Jim Sears au dos de la pochette. Eh oui, que peut-on dire de plus ?  Le coup de génie de l’album se planque en B : «I’m So Glad I Found You», un fantastique shoot de Soul des jours heureux, elle rivalise de good timing avec Brenda Holloway, elle ajoute sa tripe au walking beat. Encore jamais vu un truc pareil. Linda forever !

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             Malgré les liners de David Godin et de Tony Rounce, Never Mind The Quality… Feel The Soul n’est pas un très bon album. C’est enregistré dans l’Ohio en 1970. Elle tape un vieux coup d’«If I Had A Hammer» qu’elle attribue à Sam Cooke, alors que c’est signé Pete Seeger. Elle aime bien son Hammer, on sent la vieille Soul Sister pleine de réflexes et pleine de jus. Puis elle fait son éplorée avec «That’s When I’ll Stop Loving You» - my latest recording - Elle gueule dans son micro, c’est la règle du jeu, mais ça devient pénible. Elle reste en mode heavy froti avec «For Your Precious Love». Elle s’y connaît en bosses dans les pantalons serrés, comme Carla quand elle chantait avec un Otis en rut dans la chaleur de Memphis. Elle rappe un peu et déroule son écheveau de lemme tell something I can’t say. Puis elle rend hommage aux Falcons avec une cover d’«You’re So Fine», mais elle est essoufflée. Sa cover ne vaut pas tripette, comparée à celle d’Ike & Tina. Elle finit avec un gros clin d’œil à Wicked Pickett et «I Found A Love».

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             La compile que concocte Kent avec Precious - The Anthology 1963-72 ressemble à un passage obligé. Tony Rounce te sert Linda sur un plateau d’argent - Black American music has never had a singer with the extraordinary vocal power of Linda Jones - Te voilà prévenu. Rounce parle même de full-on fire. Il dit aussi que certains voient Linda comme, «simply, the greatest female soul singer of all time.» Il ajoute qu’on peut la mettre au même niveau qu’Aretha, Gladys Knight, Irma Thomas and others of similar calibre. Parcours classique, gospel dans les églises, puis petits boulots ineptes dans des usines avant de rencontrer George Kerr, un doo-woper new-yorkais qui fit partie des Serenaders. Kerr l’entend chanter et comprend aussitôt qu’elle a du talent. Il rassemble la crème de la crème new-yorkaise pour accompagner Linda en studio, notamment Cornell Dupree au bassmatic et Bernard Pretty Purdie au beurre. En 2014, Rounce demande à Purdie s’il se souvient de Linda - Yeah, Linda Jones. Big gal. Very good. Very loud - Après un premier single sur Atlantic, Linda se retrouve sur Red Bird, en bonne compagnie, puisqu’il s’agit de Leiber & Stoller. Kerr sort l’effarant «You Hit Me Like TNT» sur Red Bird, mais Leiber & Stoller déclarent forfait, à cause des embrouilles de leur associé George Goldner qui joue aux courses et qui doit beaucoup trop d’argent à la mafia. Kerr fait alors la tournée des labels new-yorkais. Il va taper à la porte de Brunswick, mais on lui dit qu’ils sont délocalisés à Chicago et trop occupés à lancer Barbara Acklin. Le mec de Brunswick est gentil, il donne à Kerr l’adresse de Ron Mosseley chez Warner Bros. Kerr fait écouter «Hypnitozed» à Mosseley, et Jerry Ragovoy qui passait dans le couloir entend ça et dit : «That’s a hit!». «Hypnotized» sort sur Loma, un R&B subsidiary de Warner Bros.   

             Dès l’«Hypnotized» d’ouverture de bal, cette coquine de Linda fait vibrer sa glotte effrontément. On trouve hélas à la suite quelques singles de peu d’intérêt, Linda propose une espèce de Soul de MJC mal foutue, elle braille dans son micro. Elle y va de bon cœur. On ne peut pas lui enlever ça. Elle se bat pied à pied avec une Soul de débutante et boom, ça explose enfin avec le fameux «You Hit Me Like TNT» sorti sur Red Bird, un stupéfiant hit de juke, et là on dresse l’oreille. Il faut la voir ponctuer son texte sur le beat. Et voilà que s’ouvre un formidable festin de Soul, avec à la suite du TNT l’effarant «Give My Love A Try». C’est le début de la période Loma qui dure deux ans. Avec «Give My Love A Try», Linda explose autant que Lorraine Ellison ! Elle déborde encore de répondant et de super jus avec «A Last Minute Miracle», un fast r’n’b porté par des chœurs puissants. Elle le porte à la force de la glotte. Elle replonge ensuite dans l’heavy Soul de circonstance avec «What’ve I Done (To Make You Mad)». Elle se bat avec une énergie extraordinaire. Elle chauffe encore son «My Heart Needs A Break» avec un aplomb extraordinaire. Cut après cut, elle se révèle imbattable. C’est avec ce hit que prend fin la période Loma. En 1968, Warners vend plus d’albums que de singles et décide de fermer Loma. Linda est virée avec tous les autres. Kerr reprend son bâton de pèlerin. Il enregistre Linda et vend les cuts à des petits labels. La voilà encore par-delà la Soul avec «I’ll Be Sweeter Tomorrow», sorti sur Neptune, un label monté par Chess avec Gamble & Huff. Elle incarne tout le ruckus du Soul System, elle est dévorante, complètement all over. Elle monte encore à l’apogée de sa clameur avec «That’s When I’ll Stop Loving You», qui est en B-side du single Neptune, elle le porte à l’extrême pointe de la Soul. Elle semble dominer le monde. Pas de chance, Gamble & Huff ferment Neptune pour lancer leur prestigieux Philadelphia International.

             Elle finit par enregistrer sur Turbo, un petit label du New Jersey. On arrive dans le terrain miné des coups de génie avec «Can You Blame Me?», wild Linda y va au yeah yeah, elle ne lâche rien, elle n’en finit plus de remonter le courant, et elle te retombe dessus à bras raccourcis avec «I Do», elle hurle ça dans la plaine, Soul Sister pure et dure, ah il faut l’entendre hurler à la lune. Encore un cut gorgé de son avec «I Can’t Make It Alone» signé Goffin & King, et ça monte encore d’un sacré cran avec «Not On The Outside», elle a cette faculté de s’élever à la force de la glotte, elle se pâme dans un excelsior inexorable, Linda Jones est une géante. Et puis t’as encore cet «I’m So Glad I Found You» extraordinairement groovy, elle y va la cocotte, elle défonce les portes d’airain du palais de la Soul, elle fait la fête à elle toute seule et chante à la folie. Encore une compile dont tu sors rincé. Vraiment rincé.

    Signé : Cazengler, Lindabîmé

    Linda Jones. Hypnotized. Loma 1967

    Linda Jones. Your Precious Love. Turbo Records 1972

    Linda Jones. Let It Be Me. Turbo Records 1972  

    Linda Jones. Never Mind The Quality… Feel The Soul. Sequel Records 1997

    Linda Jones. Precious. The Anthology 1963-72. Kent 2016

     

    L’avenir du rock

     - Fontaines de jouvence

     (Part Two)

             Tous les témoignages concordent. Tous, sans exception. Lawrence d’Arabie, Stanley et Livingstone, Sylvain Tintin, Richard Francis Burton ont tous croisé l’avenir du rock dans le désert et sont catégoriques : il est complètement givré. Irrécupérable. À force de marcher pendant des mois et des années sous un soleil de plomb, il a fini par perdre la boule, ce qui paraît logique.  Tous ont essayé de converser avec lui, de lui redonner le goût des échanges courtois, le goût des petits commérages, tous ont essayé de lui apporter un peu de réconfort moral, de lui redonner foi en lui, foi en l’avenir, foi en Dieu, foi en l’être humain, foi en la gauche républicaine, foi en la science, et quand il répondait qu’il préférait le pâté de foi, nul ne s’en offusquait, car, par 60 degrés à l’ombre, une boutade se dessèche et meurt aussitôt. Tous sont unanimes pour dire qu’il vaut mieux le laisser errer dans son coin, tous affirment que de vouloir lui porter secours ne servirait plus à rien. Les témoins vont même plus loin, affirmant que ça lui rend service de le laisser errer dans le désert, que ça lui donne un certain cachet, car sa peau se parchemine. Son visage est tellement hâlé, disent certain, que ses yeux de fouine paraissent délavés, comme s’ils étaient clairs, ce qui n’est évidemment pas le cas. Cette errance lui permet en outre de conserver sa ligne, au moins il ne risque pas de ventripoter comme la plupart des mâles de son âge, tous ces lascars qui se plaignent de grossir alors qu’ils bouffent comme des vaches, de toute façon, ce n’est pas l’avenir du rock qui ira critiquer les gros lards, car il rate jamais une occasion, même dans le désert, de rappeler que les gros sont les meilleurs, notamment le gros Black et Leslie West. Le pire, c’est qu’il ne parle plus que de Fontaines, dans une région où elles n’existent pas. Bref, tout le monde le croit foutu. Si l’avenir du rock entendait tous ces cons, il serait mort de rire.

     

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             Les Fontaines dont il parle sont bien sûr les Irlandais de Fontaines D.C. Il n’est pas le seul à prêcher dans le désert : Stephen Troussé en tartine six pages dans Uncut. C’est pas rien. Il commence par qualifier leur quatrième album Romance d’astoshing, et parle même  d’«apocalyptic sci-fi stadium rock». Ah ces journalistes ! Ce qui rend les Fontaines éminemment sympathiques, c’est leur trouille de la gloire. Le chanteur Grian Chatten prévient tout de suite : «I’m not mad keen to get that big.» Et il ajoute, haletant : «I really, really don’t want us to turn into dickheads.» On ne sait pas qui il vise à travers ça, mais il vise, c’est sûr. Chacun mettra les noms qu’il voudra. Mais il sait que la gloire arrive. Pourquoi ? «Because we’re really good.» Troussé parle d’un «winning charm and modesty», même s’il frôle l’absurdité.  

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             Quatre albums en cinq ans, ça va vite. Troussé parle d’une «volicity that puts their peers to shame» et de «quantum leap». Il a du vocabulaire, l’ami Troussé, puisqu’il qualifie Dogrel d’«astonoshing rush-and-push debut», A Hero’s Death d’«assured consolidation», puis Skinty de «staggering, surreal letter of love and poison». Mais Troussé se surpasse en qualifiant «Starburster» d’«huge rambling panic attack that sounded like Korn covering Happy Mondays’ ‘Wrote For Luck’». Il qualifie aussi Carlos O’Cornell de «flame-haired guitarist and conceptualist» des Fontaines. Dans son élan, Troussé se met à sortir les comparaisons oiseuses : il compare Romance à l’Ocean Rain des Bunnymen, au Disintegration des Cure, à l’OK Computer de Radiohead, et d’autres qu’on ne va pas citer pour éviter de gaspiller de la place. Il se dit encore frappé par le «Technicolor» des cuts de Romance. Il parle enfin d’un album cinematic.  

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             Il a raison, Romance est vite bardé ! Les DC sont les rois du barda. Comme ils visent la démesure, les Fontaines s’en donnent les moyens. Mais les premiers cuts manquent de magie. Ils labourent la bouillasse d’une pop épaisse. Et puis tout à coup, ça swingue dans les voiles : le mec chante son «Here’s The Thing» au doux tordu et ça percute. Voilà l’Irish power, Grian Chatten chante à la déconnade et ça explose de grandeur. Oh yeah, il chante à l’évaporée dévastatrice et mine de rien, il rentre dans le chou d’un lard très fumant, ça groove dans l’épidermic, ça rocke le booty, aw quel fantastique racket d’Irish finish ! S’ensuit une belle montée en neige nommée «Desire». Ça redevient sérieux, tu commences à te prosterner. T’as pourtant déjà entendu cette surenchère de la démesure chez Adorable, mais les Fontaines plongent très loin au fond du Desire, ils battent tous les records du Grand Bleu. T’es estomaqué. On les voit encore chercher leur voie avec «Big». Grian Chatten appuie bien son chant, il a le bon timbre, pas de problème, un timbre pas trop oblitéré. Il ne manque aucune dent au timbre. Irish power pop ! Ils font les Pixies avec «Death Kink» et tout re-bascule dans l’excès qualitatif avec «Favourite» qui sonne comme un vieux hit insistant. Ah comme Grian Chatten chante bien ! Cette pop ne pardonne pas. Il chante à l’accent tranchant. Pur genius !

             C’est vrai que l’album sonne comme une grande aventure. Conor Curley raconte plus loin dans Uncut qu’il tire son énergie du cinéma, un art qu’il juge plus puissant que le rock et la littérature. Chatten dit aussi qu’il est «bored of talking about music, bored of talking about books.» Il dit chercher une nouvelle voie et se dit obsédé par Mickey Rourke dans Rumble Fish.

             Les Fontaines sont aussi partis en tournée américaine avec Artic Monkeys. C’est drôle comme leurs références ne sont pas bonnes. Chatten dit avoir flashé sur Blur à Wembley. Au moins avec Dean Wareham, on parle des vrais trucs, c’est-à-dire Lou Reed et le Velvet. Là on est dans autre chose. Il s’agit sans doute d’un problème générationnel.

             C’est O’Connell qui sauve les meubles en avouant qu’il a produit le nouvel album de Peter Perrett, The Cleansing. Et Perrett se dit fasciné par la voix de Grian Chatten - They’re lucky to have a singer with such an iconic voice. A Voice is everything - Peter Pan sait de quoi il parle. O’Connell devient rudement intéressant lorsqu’il aborde la question de la culture irlandaise : «Il y a beaucoup plus dans notre histoire que les prêtres et les curés. The weirdness of pagan Ireland.» Puis il fait l’éloge des groupes de sa génération, «us, Gilla Band, Lankrum», et de «something very irish about dissonance as a concept.» Et bien évidemment, l’article finit par se casser la gueule avec l’irruption des Spice Girls et de U2. C’est là que Chatten sort son fameux prêche contre les dickheads. Il se sent devenir narcissique, talking about myself, et bien sûr il sent que c’est le problème.  

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             Avant de conclure, il est bon de rappeler que Skinty Fia est un album raté. Ils font illusion le temps d’un «Big Shot» très Radiohead, mais les compos ne sont pas au rendez-vous. Il ne reste que la voix de Grian Chatten, cette voix intéressante au timbre profond, avec de jolis effets de baryton sur le so cold d’«How Cold Love Is». Mais globalement, rien n’accroche. Ils sont dans le manque à gagner, dans le laissé pour compte, dans le solde de tout compte, ils tentent encore de viser l’horizon avec «Roman Holiday», mais l’album devient un radeau de la Méduse. C’est la damnation du cerf, ils n’ont absolument aucune compo. Rien. Que dalle. C’est le l’arty-gros foutage de gueule et ça ne reprend vie à la fin qu’avec «Nabokov» qui est bien écrasé de son. Quelle tragédie. Cet album a dû traumatiser leur destin. 

    Signé : Cazengler, Fonteigne d’ici

    Fontaines D.C. Skinty Fia. Partisan Records 2021

    Fontaines D.C. Romance. Xl Recordings 2024

    Stephen Troussé : Last of the new romantics. Uncut # 330 - October 2024

     

    *

             La teuf-teuf fonce à donf. Pourquoi donc ? Parce qu’elle emprunte la 619 qui vous emmène à Troyes. Dont on peut dire qu’en France elle est l’équivalente rock de la mythique road 66. Un don des Dieux ! Moins longue que Le Don Paisible de Mikhaïl Cholokov mais au bout de la route, comme à la bataille navale, la case Trois B s’avère gagnante à tous les coups. Comment cela se fait-il, je n’en sais rien, faudrait demander à Béatrice la patronne par quel stratagème elle se débrouille pour ramener systématiquement  de bons groupes. Peut-être a-t-elle la main verte, mais sûrement the main feeling rockabilly.

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             Remarquez ce coup-ci elle avait deux bonnes cartes dans son jeu. Luky Will est déjà venu 3 B...   Le deuxième as depique elle ne le tenait pas dans sa menotte toute mignonnette, elle nichait dans la poigne la plus féroce du rocker le plus intrépide, vous avez reconnu Jerry Lou, le pianiste fou, une photographie sur laquelle l’indomptable Jerry Lee Lewis arborait fièrement le premier CD de Luky Will.

             Autant dire que je ne m’attendais pas une douce veillée de colonie de vacances, mes prédictions ont été comblées au-delà de toute espérance. L’est vrai que 3 B recevait la visite  d’un sacré groupe de coupeurs de têtes.

    THE COOPERS

    3B

    (Troyes / 21 – 03 – 2025)

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                Suis surpris dès mon entrée au 3 B. Peu de monde. La moitié des tables désertes. Une demi-heure plus tard je suis effaré. D’où sort cette foule ! Jamais vu autant, une marée humaine, tellement de presse que l’accès au bar sera interdit pendant tout le concert à ceux qui squattent les places près des musiciens, debout, chaises, et même assis par terre ! Ce n’est tout de même pas une soirée folk qui est prévue.

             Z’arrivent sourire aux lèvres, s’installent sans se presser, la pression monte, profitons du premier instrumental, un Chicago Blues mid tempo, un tantinet funky, ce n’est pas la tornade que l’on attend, mais non de Zeus, pas besoin de sortir de Polytechnique pour se rendre compte que l’on est devant de sacrés musiciens. Tout au fond Kevin, à l’affût derrière ses fûts, frappe mollement, mais quelle étrange décontraction, l’est toujours prompt à ouvrir ou clôturer n’importe quelle séquence, à sa droite c’est plus grave, je ne parle pas du bassiste, l’a une moustache terriblement sympathique, mais chaque fois qu’un de ses doigts touche une corde de sa basse, non, ce n’est pas une upright, plutôt une upsound, vous avez un son profond et moelleux, du chocolat fondu, est-ce pour cela qu’il est surnommé Pepito, juste devant lui, sous son chapeau, Lucky et sa Gretsch rouge-sang, tout ce que l’on peut dire c’est qu’il maîtrise salement sa bécane sanglante. Enfin à droite, Bruno aligné contre le mur, enfoncé dans le recoin vous pouvez ne pas le voir, mais pour l’entendre pas de problème, paisiblement assis sous sa casquette, ses doigts n’arrêtent pas de ricaner, chaque fois qu’il les pose sur son clavier, c’est comme s’il instillait un brin de folie foutraque dans l’ambiance qui ne parle pas à tourner à l’orage dès le deuxième morceau.

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             Faut comprendre, l’amateur très moyen de rockabilly connaît la plupart des morceaux, mais ils ont une manière très spécifique de les interpréter. Ne vous filent pas les titres à tire-larigot à la queue-leu-leu, bonjour-bonsoir voilà le boulot, non ils ne récitent pas leur leçon, ils interviennent à chaque instant, vous les reconstruisent, vous les dégobillent sans retard, mais vous les ressortent totalement métamorphosés. C’est qu’ils possèdent une arme invincible mais souterraine, ils swinguent comme aucun autre groupe de rockabilly, z’ont la pulsation primitive, mais ils ne le montrent pas, partent du principe que chaque morceau doit être mené comme un round de boxe, mais avec quatre boxeurs qui chacun à leur tour sort son uppercut dévastateur.         

     Lucky, il joue la surprise attendue, suspend son jeu, tourne la tête à droite eut à gauche comme s’il ne se rappelait plus de ce qu’il lui faut faire, mais quand il envoie le riff vous supputez dans votre pauvre cervelle la seconde exacte où il va le relâcher, pas maintenant, ni après, ni avant, à l’instant précis où il veut ( ne s’appelle pas Will pour rien), sur son Folsom Prison Blues vous donne une sacrée leçon sur la notion de la liberté de l’artiste, quand il veut, où il veut, il vous pose le bibelot à l’endroit exact où vous n’aurez jamais escompté qu’il soit là. Avec lui chaque écoute d’un seul morceau devient une aventure sonique.

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    Autre tactique. Celle de Kevin. Il tapote dans son coin. Vous pensez qu’il joue à la belote avec un comparse imaginaire. Le gars loin de tout, retranché dans son quant à soi. Ses camarades se retournent vers lui. Qu’est-ce que tu fous Kevin, on ne voudrait pas te déranger mais si tu faisais un petit truc ça nous aiderait bien, alors il leur adresse un petit sourire, le même que Napoléon avait jeté à Murat pour lui signifier qu’il pouvait mener la charge de ses douze mille cavaliers contre l’infanterie russe à Eylau, mais Kevin c’est la décharge, la canonnade en quinze secondes il vous jette le morceau par terre, l’emporte tout sur son élan,  rasé rasibus, et hop il vous refigure le building qui sort de terre transfiguré de pied en cap, vous impose sa vision du monde, et vous convenez qu’elle est beaucoup plus efficace que la vôtre. Ensuite mine de rien, il joue l’élève innocent qui n’a rien fait, ni vu, ni pris, l’œil aux aguets, prêt à repartir en guerre dès que nécessaire.

    Bruno, sur son piano Yamaha, l’est comme vous qui de temps en temps parsemez du parmesan sur votre plat de pâtes, distribue quelques notes pour accompagner, c’est sans préavis qu’il lance la galopade effrénée sur son clavier, ce qui ne l’empêche pas parfois, un doigt à demi replié de s’obstiner sans trêve sur une note qu’il doit avoir envie de détruire l’on ne sait pas trop pourquoi, c’est un peu comme l’étincelle, chère au président Mao Tsé Toung, qui était censée mettre le feu à toute la plaine, en tout cas avec lui, ça marche à tous les coups, le morceau accélère comme une fusée interplanétaire, z’avez l’impression qu’il penche d’un côté et que dans la seconde qui suit tout va s’effondrer happé par cette maudite descente vertigineuse, d’autant plus que l’air de rien Kevin tout en continuant à battre son beurre, attrape le clavier d’une main et le soulève pour accentuer la pente fatale, genre de facétie qui n’empêche pas Bruno de  continuer sa dégringolade de notes infinies.

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    Pépito met le paquet, à sa façon. N’attaque jamais de face. L’est comme ces motards qui se positionnent au cul de votre voiture et vous poussent à accélérer sans fin. Choisit un de ses camarades, et hop il se colle à lui, en toute innocence, un véritable boutefeu, vous avez l’impression qu’il suit la cadence, il l’englobe d’une sonorité voluptueuse, il suscite le désir d’une course éperdue et c’est parti jusqu’au bout de l’avenue, quand l’autre s’arrête il stoppe aussi sec pour mieux rappuyer sur l’accélérateur, l’a une préférence pour les Gretsch de Lucky, il passe à l’orange et la rouge ne l’arrête pas. 

    Le cercle se referme. Will ne se contente pas de sa guitare. Il mène le jeu. Au vocal, faut l’entendre débouler Good Golly Miss Molly, l’a le gosier de fer et de foudre, parfait pour  arracher les dégringolades sublimes, descendre les torrents foudroyants de Blue Suede Shoes et éparpiller  les éclats de grenade de Great Balls of Fire aux quatre coins du monde. En plus un véritable entertainer, en trois réparties il dope la salle qui n’en finit plus de hurler. D’un geste souverain il arrête la furie générale pour la catapulter un quart de seconde plus tard dans un grandiose tumulte.

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    Trois sets de feu. Etourdissants. Effervescents. Excaliburants. L’ordonne à tous de se lever et de danser. Et tout le monde obéit Dinguerie absolue le You Never Can tell de Chuck Berry avec Bruno et son piano bordel-line…. Béatrice la Patronne indique que l’heure… il est temps d’arrêter l’émeute. Les instruments sont posés à terre. Lucky s’empare du micro court se réfugier dans la densité du public, s’empare du micro et pratiquement a cappella il entonne I Saw The Light le gospel sacrilège d’Hank Williams que nous reprenons tous en chœur… c’est reparti pour trois classiques, l’on termine comme dans les années 70 avec un petit Johnny B. (very) Goode

    C’était la fin. Pas du tout, maintenant l’on passe aux riffs les plus célèbres, genre l’on fait feu de tout bois de Téléphone à Smoke on the Water

    Je m’arrête ici, pour que vous ne soyez pas jaloux. Merci à Béatrice et  aux Coopers. Ce n’était pas une soirée inoubliable mais un rock-choc immémorial.

    Damie Chad.

     

    *

    Ashen continue sa route. Profitent du printemps pour déposer un œuf dinosaurien dans nos pupilles, une nouvelle vidéo explosive. On ne les compte plus, sans compter Smell like Teen Spirit, ce fut Sapiens, Hidden, Outler, Nowhere, Angel, Chimera, Desire, toujours pas d’album, mais une stratégie qui porte ses fruits, Outler, commis par un groupe français, vient d’être crédité d’un million de vues sur Spotify. Voici donc le dernier opus, le dernier obus :

    CRYSTAL TEARS

    ASHEN

    (Official Music Video / Mars 2025)

    OUT OF LINE MUSIC

    Bastien Sablé a dirigé la vidéo qu’il a scénarisée en compagnie d’Ashen. Le site de Bastien Sablé est à visiter. Il a réalisé de multiples clips pour de nombreux (et nombreuses) artistes de la nouvelle variété française. De mirifiques décors, des mises en scène inspirées, dommage, selon mes goûts de rocker endurci, que les musiques ne soient pas souvent à la hauteur images qui les accompagnent.

    Mais pour celle-ci, la transcription mouvante de la  beauté formelle des hallucinations cryptiques échevelées est si parfaitement adaptée à l’univers spirituel darkside et à la violence fragmentale de la musique du groupe, que l’ensemble symbiotique s’inscrit sur les murs charbonneux de  notre nuit mentale en traits de feu sanglants significativement aussi éphémères qu’éternels…

    Où sommes-nous ? Dans une des sombres galeries des Indes Noires de Jules Verne, ou en un endroit encore plus dangereux, à ras-de-terre et de cendres des Champs Phlégréens, juste à la l’orée du porche de la caverne qui selon les Anciens conduisaient aux Enfers, au Royaume de la Mort, à moins que cette ombre noire qui chemine précautionneusement, son bras levé supportant un flambeau de lumière indistincte, ne soit un être humain vivant déjà mort. Cette ombre animale que l’on entraperçoit une demi-seconde ne serait-elle pas celle de Cerbère, le chien obturateur rendant impossible toute remontée.

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    Devant une muraille de schiste noir, le groupe joue, se démène, se trémousse assène la musique sous forme de lingots de plomb noircis, il crie, il hurle, il clame, il geint, il gesticule, il joue… son rôle de chambre noire de Chenonceau, Clem, l’Orphée mythique, n’est déjà plus qu’une âme, les vestiges remuants de ce qui a eu lieu, le vertige rampant de ce qui n’est plus, la dague est plantée dans le sol, en éclat de quartz, un éclair blanc de robe de reine morte, l’épée où se jeter et se percer le cœur, le groupe en transe paroxystique, et Clem qui s’approche précautionneusement, de la fleur de lys, de l’incisive géante d’un monstre antédiluvien, la forme blanche de la lance du Graal, folie noire, fantôme de pierre, albâtre qui grandit démesurément, le toucher, la toucher, est-ce lui, est-ce elle, cette Excalibur proéminente dont la lame froide arde et illumine, mais avant se reposer, se concentrer en soi, se poser les bonnes questions, faut-il s’adresser à lui, à elle, à soi-même, à cette énigme translucide, alors que l’on dit que la Mort est blanche, et ce menhir illuminatif, qui est-il ? Pourquoi ne serait-il pas moi. Serait-il l’autre. De l’autre côté du miroir. N’aurait-il pas la forme d’un cœur. Immortel puisqu’il ne bat plus. Confrontation avec l’autre de soi-même. Gerçure et brûlure à la jointure. L’orchestre exorcise sa fureur. Bersek de lui-même. Hurlement. Qui meurt là, qui tombe et s’affale sur la pierre druidique, qui titube et s’appuie sur le pilier christique. Communion. Extrême-onction sacrificielle. Le groupe massacre-t-il de désespoir sa musique noisique. Plus personne. Ne reste plus, sublime, immarcessible, que l’épée blanche qui semble s’élever vers le ciel. Serait-elle la représentation de l’aile d’un ange rilkéen. Celui élémental qui descend.

    Damie Chad.

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    Nota-Bene : L’œuvre au noir, la forme blanche n’évoque-telle pas la forme oblongue d’un cercueil, peut-elle être éblouissance. En quoi le tout se résorbe-t-il ! La forme blanche est-elle l’épée de la séparation ? De cet autre côté de nous-même que nous sommes et ne sommes point. Notre somme additionnelle n’est-elle égale qu’à la silhouette du 1 maladroitement tracée, cette frontière qui ne délimite qu’un même et unique royaume. Toute la douleur existentielle de cette dichotomie de nous-même qu’aucun scalpel de pierre ne parviendra jamais à séparer de nous-même car notre vie s’apparente si bien à notre mort que nous sommes tout aussi bien que nous ne sommes pas, ce tout que l’on voudrait ne pas être ou ce rien que l’on voudrait être.

    Une lecture plus simple, l’adieu à l’androgynie que l’on a été, que l’on a cru être et que l’on n’est plus. Cette coupure de l’autre qui n’est que la coupure de soi-même d’avec l’autre. Vouloir être dans une unique solitude et n’être plus que la solitude de soi-même. Un moins Un égale toujours Un. L’illusion posthume du 2. Le Un est toujours seul, séparé de sa propre multiplicité.

    Pour aider à réparer la fracture, Platon disait que l’on ne pouvait passer du Un au Deux, sans quoi le Un reste seul. L’a préconisé le principe de la dyade qui n’est autre que la reconnaissance du Deux, non pas en son unité, mais en sa dépendance à l’autre qui reste l’Un, ce qui de fait de la dyade le principe de la reconnaissance de la multiplicité infinie, qui n’est autre que le ravalement du Un, non pas en sa Unicité, mais en simple fraction élémentale de la répétition du Même.

    Le Même n’étant que la négation de l’unicité du Un. Or un Un qui n’est pas unique nous oblige à vivre  l’équivoque relationnel avec tout autre. A nous atomiser avec le n’importe quoi. Une espèce de suicide collectif métaphysique en quelque sorte. Commis par un seul.

    Damie Chad.

     

    *

    Vous avez des mots et des titres qui vous attirent plus que d’autres. J’avoue avoir pas mal barjoté sur le Midnight Rambler des Stones mais là je suis servi : un groupe qui se nomme Nightstalker, mais qui très vite aggrave son cas, ils sont grecs, d’Athènes, sont cités dans la mouvance de Rotting Christ, quant au titre de l’album jugez-en par vous-même,

    RETURN FROM THE POINT OF NO RETURN

    NIGHTSTALKER

    (Heavy Psych Sounds Sounds Records / Mars 2025)

             En langue anglaise ‘’starlker’’ désigne un rôdeur dont il vaut mieux se méfier, l’on ne sait ce qu’il manigance mais vous êtes sûr qu’il ne travaille pas au bonheur de l’humanité, il désigne aussi un chasseur lancé sur une piste qui n’appartient qu’à lui. Stalker c’est aussi le film du réalisateur soviétique – il eut quelques ennuis avec le régime – Andréi Tarkowski. Une étrange histoire d’un stalker mystérieux qui guide au travers d’une zone désolée et interdite deux voyageurs, un écrivain et un professeur, vers une mystérieuse cellule où vous atteindriez l’horizon zénithal de  l’absolu de vos désirs profonds… Le film est sorti en 1979, il a trouvé une étrange résonnance dans la zone interdite située autour de la centrale nucléaire de Tchernobyl explosée en 1986 dans laquelle certaines espèces animales semblent avoir développé une espèce d’armure biologique contre les radiations atomiques… Si vous partez du principe que l’Homme n’est qu’une espèce animale parmi tant d’autres, toutes les cogitations vous sont permises… Stalker est aussi le nom du blogue littéraire de Juan Asensio adonné à la dissection du cadavre de la littérature…  

             Le retour au point de non-retour doit-il être considéré comme une régression ou une avancée. Une deuxième chance ou la peur de s’enfoncer dans la logique d’un cheminement. De toutes les manières l’idée du retour n’implique pas-t-elle la notion de l’origine quel que soit le sens de votre marche qui, même si vous revenez sur vos pas, en reposant systématiquement chacun de vos pas dans vos propres empreintes vous oblige à dessiner l’idéelle figure d’un cercle nietzschéen…

             La pochette vaut le détour. Cette espèce de ville endômée, endoomée par une calotte humaine protectrice et emblématique – appréciez au-dessous l’espèce de péristyle morcelé, ces colonnes qui furent la fierté des cités grecques antiques et par-dessus le capillaire village rural  exhaussé sur les déclivités crâniennes du crâne, poussé tel un rêve, qui ne veut pas mourir et s’accroche désespérément aux superstructures de cet exo- squelette tombal et génital.   

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    Cette couve est d’Alexander Von Wieding, un illustrateur qui a beaucoup travaillé en  packaging et notices diverses en relation avec la production industrielle, amateur de blues depuis 2006 il s’est spécialisé pour la production de pochettes d’albums. Son Instagram regorge de photos de couves pour des groupes et des chanteurs dont j’ignorais l’existence. Idéal pour mesurer le gouffre de votre ignorance, car l’intérêt pour les images vous empêche de vous attrister sur vos manques de connaissances.

    Nightwalker fut fondé en 1989. Ce disque est leur septième album, ( + deux lives et quelques simples),

    Andreas Lagios : bass / Dinos Roulos : drums, percussions / Tolis Motsios : guitares / Argy : vocal, lyrycs, percussions.

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    Dust : si vous vous  attendez à une sereine méditation sur la poussière que vous êtes et sur la poussière que vous deviendrez, c’est râpé, la batterie bouscule vos synapses, des tourbillons sonores précipitent vos circuits cérébraux en une espèce de surdopéisation de vos neurones préférés.  Plus de chair  vous êtes comme sur la couve réduit à l’os de vos prétentions, comme quoi tout se passe dans votre tête, au-dehors tout se rétrécit, Argy vous prévient, tout a une fin, même ces jours que vous avez longtemps crus heureux. En quatre courtes strophes il vous indique le début de la catastrophe. Une seule consolation la guitare de Tolis, toujours ça de pris sur l’ennemi. Heavy Trippin’ : dur, dur docteur Arthur, un peu de méditation, la basse de d’Andreas vous y invite, mais les camarades haussent le niveau sonore, l’introspection silencieuse c’est terminé, pratiquement une confession publique obligatoire, modulée d’un vieux fond bluesy salement malmené, c’est beau comme du Verlaine mais ça remue comme Le Bateau Ivre de Rimbaud, vous avez vécu dans un rêve, du toc de chez toc-toc qui refuse la réalité, qui oublie le malheur de ses congénères, qui ne pense qu’à sa petite quiétude personnelle, c’est fou comme le temps s’allonge indéfiniment lorsque l’on tourne et retourne en soi-même, alors qu’autour de vous tout se désagrège à une vitesse supersonique. Il est temps de prendre les décisions qui s’imposent. Pour vous consoler les quinze dernières secondes du morceau sont superbes. Jamais entendu une semblable coda à décoder.

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    Uncut : je vous rassure, ils ne sont pas tombés dans un trip à l’acoustique, l’électricité ronronne à fond, à gros flocons, si vous ne me croyez pas vous avez une vidéo, en studio et sur scène, de vrais rockers ils jouent au billard à trois boules, pas à l’amerlok, toute la différence entre un traité d’Aristote et un roman naturaliste, ce dernier est bien plus simple mais nécessite moins d’aptitude intellectuelle, s’amusent aussi au flipper et z’ont des groupies à foison. Ce qui est un peu à contre-courant du scénario aujourd’hui fortement  conseillé parce qu’après qu’Andras nous a appris ce que l’on peut faire avec une basse, l’Argy, ce n’est pas de l’argile, l’est dur comme du granit, vous congédie sa copine sans fioriture, le temps des simagrées et des faux-semblants c’est terminé, pour les féministes concentrez-vous sur la machine de guerre de ce groupe, ils n’ont peut-être pas inventé le lait en poudre, mais c’est si puissant et si beau que dans vos cerveaux ils font pousser l’herbe qui nourrit les vaches.  Return from the Point of No Return : encore une vidéo, vous voyez l’Argy se livrer à ses petites activités matinales un peu de sport, un peu de bourbon, finit par se rouler un joint aussi gros qu’un bâton de maréchal, vous voyez le groupe jouer et

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    surtout vous entendez la mayonnaise, elle vous emporte sur le haut sommet de l’Empyrée, le Dinos, l’a la frappe dinosaurienne, vous berce dans les roulements incessants de ses toms, ne cédez pas à l’hypnose musicale, Argy est en train de mettre de l’ordre dans son existence, confond un peu son balai avec un char d’assaut, mais faut ce qu’il faut, ou vous êtes capable de retourner au point de non-retour ou vous ne l’êtes pas. Sachez repérer les cris en sourdine. L’art du hurlement souterrain n’est pas donné à tout le monde. Un morceau qui fait place nette. Shipwecked Powder Monkey : attention de l’eau dans les écoutilles, sont comme fatigués d’écoper, se reprennent vite, z’ont intérêt maintenant à se magner car ça entre par gros paquets, voici les temps de l’incertitude le moment où l’on s’aperçoit de l’équivalence de nos actes, que l’on fasse ceci ou cela, le résultat est identique, maintenant le groupe fonce en piqué et en escadrille, les choses t’échappent, vous filent les derniers enseignements, tu n’y peux rien, l’existe un point où l’avant devient l’après, à moins que ça ne soit juste le contraire, tu te dois avancer, mais c’est le temps qui te rattrape et te dépasse.  Guitare en chappe de plomb te percent les oreilles, te bercent dans ton incomplétude, dans ton impuissance programmée. Shallow Grave : cette basse trop grave, plus basse que la terre que tu as creusée pour enfouir tes rêves et ta volition,  voici donc le slow des grandes glaciations, la musique dodeline, au bout de la mort une renaissance, un rite de passage, les tisons de la guitare te réchauffent la musiquen se redressent tel un serpent prêt à se battre, fais le tour de tes anneaux mémoriels, ne te laisse pas enfermer dans le cercle vicieux de tes habitudes. Reviens à toi. Extrais-toi de ta propre tombe. Falling Inside : le retour en soi, une pierre qui dévale la colline, qui tombe, qui n’en finit pas de tomber, de plus en plus vite, le rythme s’accélère, il est trop impétueux pour que tu aies le temps d’avoir peur, le groupe explose littéralement, un élan dévastateur, créateur, tout au fond tu trouves ce que tu cherchais en vain depuis longtemps. En toi-même. Te voici redevenu toi-même. Tout voyage est intérieur. Tu es le retour et tu es en même temps le non-retour pour ne pas stagner. Flying Mode : le son est lourd, il ne trébuche pas, il s’amplifie, le tout est de ne pas s’appesantir en soi, de ne pas se confiner en une morale étriquée du bien et du mal, la zique prend son envol, faut savoir s’envoler, le chant devient encombré de parcelles de gai savoir, vivre ses rêves c’est déjà vivre, le cheval fou de la batterie trottine allègrement, bientôt il galope ardemment, rejoint par le reste de la horde, crinières pâmoisantes de guitares, toujours de l’avant, cris de joie, de victoire et de triomphe. Si vous restez à les écouter vous ne les rattraperez jamais.

             Enthousiasmant. A écouter attentivement, peuplé d’idées musicales inédites. Un groupe au sommet de son art. Testamentaire en le sens où les héritiers viendront boire. Source vive.

             Tellement bon que j’ai voulu en écouter davantage, j’ai choisi un titre choc :

    DEAD ROCK COMMANDOS

    (Small Stone Records / 2012)

    Pas tout à fait au hasard, d’abord une pochette d’Alexander Von Wieding qui n’est pas sans préfigurer un demi-quart de siècle à l’avance celle de Return from the point of no return, un peu moins réussie toutefois, quel sens donner à ce trognon de pomme déposé entre les mâchoires de cet animal monstrueux aux dents hyper développées de tyrannosaure, si ce n’est celle d’une éthique rock qui consiste à croquer la vie à pleines incisives mais en privilégiant uniquement les  meilleurs morceaux. N’est-ce pas normal que Kr(tnt ! qui vous propose chaque semaine les aventures de l’Avenir du Rock dans le désert d’Egypte se penchât aussi sur ces commandos du rock décédé, un titre d’autant plus énigmatique que si l’on en croit nos oreilles le cadavre en pleine forme s’agite beaucoup pour un moribond. 

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    Go get some : choc de zinc dézinguant, z’en remettent une couche et c’est parti pour le rock’n’roll, le vocal qui klaxonne comme une trompe pour vous avertir que l’avalanche déboule sur vous, trop tard vous êtes déjà enseveli dans les neiges éternelles, une guitare non décarbonée signale l’endroit de votre passage, de l’autre côté de la montagne noire. N’ayez crainte seulement une métaphore afin de vous inculquer la rudesse de l’art tonitruant de vivre rock’n’roll. Pas difficile vous cherchez à crever la gueule ouverte mais vous recracher les pépins de la mort pour ceux qui les ramasseront et s’en nourriront. Codicille de dernière importance : ou le rock ou le néant. La vie appartient aux excités. Soma : nouvelle somation. Vous la lancent à la balle dum-dum.  Très agréable, musicalement parlant si vous aimez le rentre-dedans, délectable aussi si vous suivez les conseils, pardon les ordres. Un combat au corps à corps, jouissance sexuelle tous azimuts, une guitare qui hennit de plaisir et le reste e la bande qui enfonce le clou dans les cercueils de chair. Dead Rock

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    Commandos : vous avez une vidéo pour vous aider à comprendre, le printemps qui s’éveille, la nature presque frémissante, déboulent en courant, tous habillés de noir, un moment pour comprendre qu’ils sont poursuivis, qu’ils sont vont être rattrapés, on se saisit d’eux, on leur recouvre la tête d’un voile blanc, sont emmenés sur les lieux de leur exécution, brutalement on les libère et on les place derrière leurs instruments, morale de l’Histoire, il y a commandos et commandos, les uns détruisent la planète et lobotomisent les populations et les autres se servent de leur musique pour se défendre et survivre. Riffs noirs et sombres à grandes enjambées vous assomment, eux aussi sont des commandos, les commandos du rock. Ceux qui cherchent à tuer le rock, ceux qui se battent pour qu’il survive. Le texte est beaucoup plus politique qu’il n’y paraît. One million broken promises : pompent plus vite et plus énergiquement que les shadocks, normal ce sont des shadrock, n’en profitent pas pour rejeter la faute exclusive sur le reste du monde, reconnaissent leurs torts, ils boivent, ils se droguent, reconnaissent qu’ils ont peur, qu’ils se dépatouillent mal, parce l’ombre de la mort les terrorise et que l’on meurt toujours seul. Rarement entendu une si grande probité intellectuelle chez les groupes heavy et metalleux. En plus ils vous l’assènent sans ambages et surtout sans repentir ni fausse honte.

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    Children of the sun : la vidéo vous évitera de croire qu’après une crise mystique subite le groupe se soit converti à l’idéologie hippie. Musique franche et directe assénée à pleines bouches, à pleins instruments, vidéo superbement mise en scène, toute simple mais pétillante d’intelligence, rock bien sûr mais avant tout une superbe pantomime des relations humaines, une traduction de cette complicité entre les individus qui les relie tels qu’ils sont avec toutes leurs différences. Les petites ironies de la vie, pour reprendre un titre de Thomas Hardy. Suffit de ne pas croire en la petite fleur bleue. Back to dirt : face B. Une lettre de bienvenue à un nouveau-né, elle n’est pas rédigée par Madame de Sévigné, la batterie vous met les points sur les i, la basse froisse le papier, le vocal bien fort pour que l’on n’ait pas besoin de le lui répéter quand il aura grandi, la guitare lui scie les planches pour son futur concert, on ne lui cache rien au petitou, il sort du trou de sa mère, il finira dans un trou de la terre, pour le reste débrouille-toi comme tu veux, un conseil fais-toi tout petit, et essaie de vivre jusqu’au jour de ta mort. Tu y passeras comme nous tous. Une tendresse en fer forgé. Keystone : une seule clef de voûte pour tenir une vie à peu près droite : le rock’n’roll. Qui balance pas mal avec des appuyés au forceps. Parce que t’es rock, t’en prends plein la gueule, tu t’en fous tu as toujours un temps d’avance sur les autres, mais surtout sur toi-même. C’est ainsi que je ne suis plus moi-même puisque je suis devenu moi-même. Me reste encore à apprendre à aimer. Rockaine : une guitare torturée, elle a dû écouter Jimi Hendrix, quel kaos dans sa tête, le moment du doute, tu t’es sorti de l’enfer pour entrer dans un autre, la batterie joue à l’éléphant dans le magasin de porcelaine, la basse repeint les murs en noir, obstination d’un pachyderme dans la toundra glacée qui essaie de trouver en lui-même un pâturage d’herbe fraîche, l’est pas près de brouter tout à son aise. The boogie man plan : mauvais plan. Encore plus violent que le précédent. Fait le point, l’a peur de tout, du quotidien et de l’exceptionnel. Un coup de projecteur sur Dead Rock Commando, encore une fois le groupe se démarque des autres, certes les instrus vous baladent dans un hachis parmentier saignant, vous aurez du mal à reconnaître vos oreilles embringuées dans ce vortex, mais au contraire de tous les groupes, il ne se cache pas derrière les mots, l’a la trouille de lui-même et encore plus des talibans. Talibang, le mot résonne, un défi civilisationnel, la déjante du rock’n’roll  face à la laideur du monothéisme sociétal. The underdog : entrée en fanfare, accueillez le héros, l’outsider que plus personne n’attendait plus, le voici, le voilà, il revient du vingt-quatrième dessous, faut entendre comme la batterie tape des mains, la guitare exulte, la basse monte haut, attention, les acclamations se voilent, l’outsider vous donne sa propre leçon de survie, vivez cachés, faites-vous oublier, rentrer dans un trou de souris, de toutes les manières pour les jeunes générations c’est trop tard. Affirmatif . Cinq sur cinq. Elles ne survivront pas.

             Musicalement, très brut de décoffrage. Du solide. Du résistant. Du béton armé. Peu d’imagination, mais c’est avec des pierres unidimensionnelles que l’on a bâti les pyramides. Question moral, il va descendre plus bas que les talons de vos santiags. Noir de chez noir. Ne vous reste plus rien à vous mettre sous la dent. Ah ! si un vieux trognon de pomme fossilisé. N’espérez rien. Claque rock. C’est que l’on appelle l’énergie du rock’n’roll ! A vous injecter en intraveineuse chaque soir, même dose au petit matin. Vous aurez de quoi opposer au cauchemar qui se profile à l’horizon. Médicamentation rock’n’roll du bon docteur :

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 682 : KR'TNT ! 682 : JOHN CALE / BRIAN JAMES / PETER MEADEN / SWEET INSPIRATIONS / KIM GORDON / BUDDY RED BOW / THE FENDERS / KEN POMEROY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 682

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 03 / 2025

     

    JOHN CALE / BRIAN JAMES

    PETER MEADEN / SWEET INSPIRATIONS

    KIM GORDON / BUDDY RED BOW

    THE FENDERS / KEN POMEROY

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 682

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Cale aurifère

     (Part Five)

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                C’était presque rassurant de voir qu’on avait installé une batterie et des amplis au fond de la grande scène. Comme le programme annonçait un «concert tout assis», on s’attendait à un récital de piano bien pépère. Fausse alerte. Restait à savoir si John Cale allait rocker le boat normand comme au bon vieux temps du Sabotage.

             Il fait bien sûr partie de ceux qu’on attend comme on attendait le messie, autrefois, sur les chemins de Palestine. Calimero se paye le luxe de monter sur scène auréolé d’une légende qui s’étale sur soixante ans. Ils ne sont plus très nombreux à pouvoir se payer un tel luxe : Keef, Colin Blunstone, Iggy et lui. Après, t’as la seconde vague : Peter Perrett, Billy Childish, Frank Black, Anton Newcombe. Ils ont encore un peu plus de marge, car ils sont arrivés dix ans après. Calimero n’a plus trop de marge : 82 ans, pour un rocker d’avant-garde, ça ressemble un peu au dernier carat.

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             Et pourtant, il est là. Toujours aussi petit. La voix est intacte. Il est remarquablement bien accompagné, notamment pas cet incroyable guitar singer nommé Dustin Boyer qui là-bas au fond fait la pluie et le beau temps avec la pire des aisances, celle qui t’écœure. Il enrichit considérablement les structures sophistiquées des cuts de Cale, et des mecs comme Boyer, t’en croises pas tous les jours.

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             T’es donc là, assis comme un con à quelques mètres de Calimero. Tu n’as d’yeux que pour lui. Sa tête dépasse du clavier derrière lequel il est assis. Il lit ses textes sur un écran et regarde rarement le public. Tu sais que t’assistes à un concert hors normes, mais tu sombres assez rapidement dans une sorte de confusion. Le plaisir cède très vite au sentiment d’une fin des haricots. Une semaine après Peter Perrett, Calimero sonne le glas d’une époque. Fin de la rigolade. Dépêche-toi de bien les regarder tous les deux, car tu ne les reverras sans doute jamais. T’as même l’impression que toute ta vie va partir avec eux. Bon, tu te rattrapes aux branches, tu vis les secondes de set une par une, tu tends bien l’oreille pour attraper les mots que Calimero prononce encore d’une voix d’Empereur romain, tu l’observes pour fixer son image dans la psyché du temps, mais tu ne perds rien des signes d’affaiblissement de son corps, lorsque par exemple il quitte son clavier pour aller au micro voisin et passer la bandoulière d’une guitare. Il a du mal, c’est compliqué, il doit se faire aider, et tu ne peux pas l’accepter. John Cale n’est pas un pépère : c’est un héros, le bassiste du Velvet. 

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             La fin d’une époque est l’idée contre laquelle on se bat chaque jour de toutes nos forces. Le rock t’a servi de fil rouge toute ta vie, et tu continues de conformer tes pensées et tes actes sur ce modèle. Ça veut dire quoi le rock ? Liberté, pour commencer. Et donc refus catégorique de toute forme d’autorité. Puis plaisir sans entrave. Tous tes héros t’ont servi le rock sur un plateau d’argent. On a connu six décennies de bonheur parfait grâce à ces gens-là. Le rock a même réussi à balayer le souvenir de tes naufrages. Liberté, refus de l’autorité, mais aussi invincibilité. Il ne peut rien t’arriver, puisque tu écoutes du rock. Il ne peut rien arriver non plus à tes amis, puisqu’ils sont rock. Et si par malheur un de tes héros casse sa pipe en bois, tu fais quoi ? Tu pleures ? Non, tu lui dresses un autel de fortune pour célébrer sa mémoire et tu t’aperçois qu’il n’a jamais été aussi vivant. Elvis et Syd Barrett sont toujours parmi nous. On ira même jusqu’à dire qu’ils font partie de nous. Le rock pourrait bien être devenu la seule religion des temps modernes.

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             À leur façon, Peter Perrett et John Cale repoussent eux aussi les frontières. Ils donnent l’exemple. Ils taillent la route. C’est aussi ça le rock, tailler la route. Ils kickent the jams, motherfucker ! Il faut voir John Cale kicker les jams de «Ship Of Fools» ! Il faut voir Peter Perrett rocker «The Beast» ad vitam aeternam ! Ces vieux crabes rockent encore comme des démons ! Avec son weird «Ship Of Fools», Calimero avoisine dangereusement le «Sister Ray», ça riffe dans les brancards, ça flirte avec le wild as fuck - The Ship of Fools is coming in - Calimero gratte ses deux accords et derrière lui, t’as Dustin Boyer qui fait son Sterling Morrison, et qui gratte des riffs en travers, alors là tu bascules dans l’extase, car c’est en plein dans l’esprit du Velvet, mais sans feedback. Cette version de «Ship Of Fool» n’a strictement rien à voir avec la version originale qui se trouve sur Fear.

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             D’ailleurs, pour revenir à des aspects plus techniques, Calimero tape pas mal dans Fear pour ce set. Il claque une version bien sentie du morceau titre, «Fear Is A Man’s Best Friend» et jute avant la fin du set, il ressort aussi le vieux «Barracuda» qu’on aimait pas trop à l’époque, à cause de son côté balloche, mais là, sur scène, ça prend une autre allure, avec un léger côté heavy in tow. Le deuxième cut qu’il gratte sur sa Strato blanche est le «Cable Hogue» tiré d’un autre album Island, Helen Of Troy. Dommage qu’il n’ait pas préféré reprendre «Pablo Picasso». Le seul cut qu’il tire de Mercy est «Moonstruck (Nico’s Song)». Il met aussi son vieux Sabotage à contribution, avec trois cuts : «Captain Hook», fantastique entrée en matière, il en fait de l’avant-rock qui te laisse littéralement sur le cul, rien à voir avec la version originale. Version longue, fabuleusement intrigante, pas de meilleure entrée en matière. Puis il fait une version bien rampante d’un cut pas très connu, «Rosegarden Funeral Of Sores», qu’on trouve en bonus sur la red de Sabotage, et là, crois-le bien, ça rampe sec. Et bien sûr, il tape en rappel la vieille cover ratée d’«Heartbreak Hotel» qui ouvrait le bal de la B sur Slow Dazzle et qui sonnait comme un pétard mouillé. L’idée était bonne, mais ça ne fonctionnait pas. Il est aussi allé piocher «Villa Alabani» dans un album des années 80, Caribbean Sunset. Pas la meilleure époque. Dommage qu’il n’ait pas opté pour ce «Model Beirut Recital» complètement sonné des cloches d’all fall down. On espérait aussi un petit coup d’«Hanky Panky Nowhow» ou d’«Andalucia». Tintin. Zéro Paris 1919

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             Contrairement à ce que font la plupart des artistes, il ne tournait pas pour la promo de son dernier album, Poptical Illusion (il n’en a joué qu’un seul cut, «Davies & Wales»). Il a préféré servir sur son vieux plateau d’argent un panaché rétrospectif d’une carrière extraordinairement riche, l’une des plus riches qui soient, car il a couvert tous les registres avec un souci permanent de qualité avant-gardiste, que ce soit dans l’expérimentation (Mercy) ou dans la pop mélodique (Paris 1919). John Cale n’a jamais vendu son cul. Il a toute sa vie navigué à la pointe de l’intellect, il a toute sa vie veillé à rassurer ses fidèles, cet homme extraordinairement pur n’a jamais trahi sa parole. What’s Welsh for genius ?     

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. Le 106. Rouen (76). 25 février 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Au bonheur des Damned

    (Part Four)

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             La dernière fois que Brian James est monté sur scène avec son groupe, les Damned, c’était à l’Apollo de Manchester en 2022, pour deux concerts, les 3 et 5 novembre. On peut voir celui du 3 sur le DVD d’une petite box : AD 2022. Bien pratique pour les ceusses qui n’y étaient pas.

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             Le DVD sur un grand écran, ça passe encore à peu près, c’est moins pire que cette catastrophe de YouTube, mais ça ne vaut quand même pas le groupe en chair et en os. Disons qu’avec un DVD, on se documente, on ne vibre pas. Et avec YouTube, on débande. 

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             Bon, c’est vrai, on n’est pas là pour parler de nos pannes de secteur. On est là pour rendre hommage à Brian James qui vient tout juste de casser sa pipe en bois et qui fut jusqu’au bout de sa vie le fils spirituel de Wayne Kramer. Sans lui, pas de Damned. Sans «New Rose», pas de punk.

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             La petite box AD 2022 est parue l’an passé. Inutile de préciser qu’elle est indispensable à tout fan des Damned. Brian James a dû donner des consignes à la caméra, car elle ne s’approche jamais de lui. Il joue dans son coin, sous son vieux chapeau. On ne voit jamais son visage qui reste dans l’ombre. Il porte une barbe blanche, un gilet, un grand jean flottant et des baskets. Pas question de faire un effort vestimentaire. Il gratte sa vieille SG rouge. Tranquille. Pas de gestes particuliers. Pendant une heure trente, il reste en mode wall of sound/statue de sel. Il doit se demander ce qu’il fout là, cinquante ans après la bataille, à gratter les mêmes vieux poux. Il doit avoir besoin de blé, c’est la seule explication valable. Car refaire les Damned à l’âge de 70 balais, c’est un peu compliqué. Mais ça passe, parce que ce sont les Damned. Ils ont un truc que les autres groupes anglais n’ont pas : l’énergie de Detroit et une petite brochette de hits.

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             Pour ces deux concerts à Manchester, ils ne jouent que les cuts des deux premiers albums, ceux de Brian James, et quelques reprises. D’ailleurs, ils démarrent sur un cut de fin, «I Feel Alright». Brian James ressort toute la vieille riffalama des Stooges. Captain porte une marinière et bombarde sur une Hofner. Assis derrière, le vieux Rat bat son beurre, mais on sent comme un léger ralentissement. Il a l’air tout crouni. Quant à Dave Vanian, il s’est peint les lèvres en noir. Brian James reste planté sur son tapis d’Orient. Seules ses mains bougent. Ils tapent une version d’«Help» que Brian James surjoue comme si c’était un cut du MC5. Il reste fidèle à ses racines. Il lance «Born To Kill» au riffing des enfers, mais on voit bien que le Rat n’a plus de punch.

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             Brian James reste le boss des Damned, son guitar-slinging ressemble à un déluge de feu. Les early Damned sont vraiment un cas unique en Angleterre. Mais leur set-list comporte quand même pas mal de déchets : «Stretcher Case», «I Fall», «Alone», «Fish», «Sick Of Being Sick», «See Her Tonight» ne sont pas beaux. Brian James gratte ses milliards de tiguilis à la Kramer. «Fan Club» sort du lot, avec son riff magique, et t’as cette grosse machine qui se met en route : sans doute l’un des plus beaux cuts des Damned, avec cette fuite sous le vent. Même quand les cuts ne sont pas bons («One Of The Two», «Problem Child»), il y a une dynamique. Et soudain Captain annonce le pot aux roses : «This one is a Lemmy favourite!» Dear ole Lem...» Boum ! «Neat Neat Neat», Captain fonce au dah dah dah dah-dah-doum, train fou dans la nuit, et t’as le solo déluge de feu - I can’t afford a gun at all - Et ça continue avec la démolition de «Stab Your Back». Captain indique qu’ils jouaient déjà ça en 1977 à Manchester avec Marc (Bolan pas l’autre). Ils font un «New Rose» approximatif, pas en place, c’est dur, ils ont perdu la félicité de la fluidité, la véracité de la vélocité. C’est le vieux Rat qui n’est plus bon à rien. Le cut se termine en eau de boudin. Puis ils tapent dans le «Pills» des Dolls, avec un sax qui fait les coups d’harp de David Jo. Brian James fait son Johnny T. Pas de problème. Puis il fait son Brian Jones sur «The Last Time». Sans doute est-ce la dernière fois que Brian James fait son Brian Jones. Ils terminent leur set avec un pur Damned hit, «So Messed Up» - Face is a mess - et le vieux Rat fout le feu à ses cymbales - She hadn’t even got a grain - Alors Dave Vanian détruit la basse Hoffner à coups de pied de micro. Sacré Dave ! Le seul qui ne soit pas pathétique est bien sûr Brian James qui a quitté la scène vite fait.

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             Pour retrouver Brian James, il existe un autre passage obligé : Final Damnation, le concert de reformation des Damned au Town & Country Club en 1988. Il vient tout juste d’être réédité. Ouf ! On avait ça sur VHS, mais pas de lecteur.

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             Pourquoi il faut impérativement voir ce DVD ? Parce qu’on y trouve une interview de Brian James. Il re-raconte toute l’histoire du groupe et ramène une foule de détails. Son narratif est le bon, celui qu’il faut écouter. Puis il en vient aux raisons du split des Damned après le départ du Rat : le groupe est retombé à plat - flat - et ça ne l’intéressait plus. Il ajoute qu’il est arrivé la même chose aux Who après la mort de Moonie : flat ! Comme il n’y avait pas d’animosité entre eux, Brian James et des Damned se voyaient et se parlaient. Quand l’idée d’une reformation est arrivée, Brian James a dit oui - A reunion gig? Sure! Why not? - Et les voilà sur scène tous les quatre comme aux plus beaux jours. Le Rat dit que pour lui c’était like in the old days. Intégrés dans le film du concert, on voit aussi pas mal de bouts d’interviews, notamment Roger Armstong qui affirme que les Damned  «were better musicians than Pistols or Clash.» Pour Carol Clerk, le Rat ne peut pas être autre chose que le drummer des Damned. Et les voilà qui arrivent sur scène : Captain en short, avec un masque de femme de harem sur la gueule et une basse sans mécaniques. Brian James porte un chapeau et un T-shirt Alamo, et Dave Vanian frime un peu avec sa banane, sa mèche blanche et cette longue queue de cheval décorée d’un nœud pap.

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             Brian James gratte sur une Tele et aussitôt après «See Her Tonite», ils lancent l’assaut de «Neat Neat Neat». C’est du pur MC5. Brian James se barre en vrille de Kramer. Ils enchaînent avec «Born To Kill» et ça reste dans le Detroit Sound : incroyable moisson de gimmicks, de chords et d’échappées belles, il vise la permanence de la fournaise, il est le maître à bord et donne aux Damned ses lettres de noblesse. «Fan Club» ! Captain allume sa clope. Il n’existe sur cette terre que deux rois de la fournaise : Brian James et Wayne Kramer. Ron Asheton, c’est autre chose, disons le cran au-dessus. Brian James fournit l’extrême fournaise aux Damned. Il mouline sa purée en continu, avec une gestuelle appropriée. Ils tapent une belle cover d’«Help» et enchaînent avec «New Rose». Ils basculent dans la stoogerie avec «I Feel Alright». On voit bien que Brian James est au paradis. Il fait du Ron à la Kramer. 

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             Fin de la première partie. Brian James sort de scène, il est remplacé par deux petits mecs et les Damned MK II tapent dans Machine Gun Etiquette. On mesure à quel point les Damned MK II ne sont plus du tout le même groupe. Le seul cut qui reste dans l’esprit originel, c’est «Love Song». En fin de deuxième partie, Brian James revient pour «Looking At You». Captain prend le premier solo et Brian James le deuxième. Le Rat fout le feu à ses cymbales. Ils terminent avec la cover du diable : «The Last Time».

             34 ans séparent ces deux concerts. Brian James aura tenu son rang jusqu’au bout. Magnifique incarnation du rock.

    Signé : Cazengler, damné du pion

    Damned. Final Damnation. DVD Fabulous Films Limited 2024

    Damned. AD 2022. DVD EarMusic 2024

     

     

    In Mod We Trust

     - King Meaden touch

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    En remerciement d’un service rendu, Dionysos accorda jadis au roi Midas la pouvoir de transformer tout ce qu’il touchait en or. The Midas Touch. Il se pourrait fort bien que Peter Meaden soit la réincarnation de King Midas. Steve Turner ne s’y est pas trompé, en titrant le book qu’il consacre à Peter Meaden King Mod.

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             Très beau book : King Mod. The Story Of Peter Meaden, The Who, And The Birth Of A British Subculture tient bien en main, belle reliure à l’anglaise, choix typo imparables, richement illustré, toute la paraphernalia des Mods est là, depuis les Who jusqu’aux scoots en passant par Major Lance, Guy Stevens, Jimmy James & The Vagabonds et Phil The Greek. Mise en page exemplaire, avec à la coupe de généreuses cheminées dans lesquelles glissent les textes des légendes. Tout s’aère fantastiquement. L’éditeur est un crack. Petite cerise sur le gâtö : t’as un avant-propos d’Andrew Loog Oldham.

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             Le Loog et King Meaden se connaissaient, puisqu’ils ont bossé un peu ensemble, avant de se lancer tous les deux dans les carrières que l’on sait : le Loog va lancer les Rolling Stones et King Meaden va lancer les Who. Pour le Loog, King Meaden connut d’une certaine façon le même destin que Brian Jones. Rise and fall. Brian Jones casse sa pipe en bois à l’âge de 27 ans et King Meaden à l’âge de 37 ans. Le Loog reconnaît qu’à l’époque il y avait dans l’empire naissant des Rolling Stones un petit côté Sa Majesté des Mouches, avec un côté «no mercy», dont Brian Jones fit les frais. C’est Peter Meaden qui a initié le Loog à l’«American Clobber» de The Scene Club.

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             King Meaden n’est pas n’importe qui. Il tente de bosser pour Brian Epstein, mais, se marre Turner, «Epstein qui était gay trouva Peter trop flamboyant à son goût.» Il y aura une petite brouille entre le Loog et King Meaden. Ils s’habillaient de la même manière - trying to outsmart each other - King Meaden tente d’imiter le Loog, nous dit Philip Townshend, «but one was a genius and the other wasn’t.» Et chacun part de son côté. Norman Jopling compare le Loog - Andrew was cool, sharp, very bright, very aware - à King Meaden, son aîné de deux ans - more artistic, a bit mad, a bit brillant, always flailing around - Et quand Meaden «was on», ajoute-t-il, «no-one could touch him.»

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             King Mod est essentiellement un Mod book. Un book de référence sur la Mod culture. Turner fouille dans les racines et exhume un article du Daily Mirror daté de 1958, titrant : ‘Are you a Trad or a Mod?’. Ça cause déjà de cheveux courts et de mohair suits. Puis un article du Guardian daté de 1960 évoque l’émergence des modernists, des jeunes gens qui dansent et qui s’habillent chez des tailleurs. Bowie - que cite King Meaden - indique que le look Mod «came out of the French fashions.» Les autres points clés de la Mod culture sont The Scene Club de Ronan O’Rahily, au 41 Great Windmill Street, Soho, et les amphètes, essentiellement le Drinamyl, qui permet de tenir du vendredi soir au dimanche sans dormir.

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             Première DJ du Scene Club : Sandra Blackstone, puis ce sera Guy Stevens, qui est alors un collectionneur de 45 tours américains. C’est King Meaden qui va transformer The Scene Club en Mod club. Il va créer la Mod craze originelle. Et voilà qu’arrivent les Mod words : la majorité des Mods sont des ‘tickets’, les purs et durs sont des ‘numbers’ et les cracks sont les ‘faces’. D’où les High Numbers, le nom que choisit King Meaden pour les Detours qui vont devenir ensuite les Who. Dans l’esprit de King Meaden, Townshend, Moonie, The Ox et Daltrey sont des «numbers who liked to be high», high on drugs, high on Drinamyl, bien sûr. Mine de rien, c’est toute la dynamique d’une culture que King Meaden met en route à travers les Who. Il n’en finit plus de faire l’apologie de ce mode de vie Mod, tout au long de l’interview qui est le cœur battant du book - The most amazing sort of life you could imagine ! - Pour lui, c’est la plus belle des vies, the finest, les trois jours sans dormir, the Scene Club. King Meaden évoque les années 1964 à 1967, il évoque les 250 000 Mods d’Angleterre, puis Jimmy James & The Vagabonds, «a purist mod band», et les Who qui sont devenus «the focus of mods». Il compare les 250 000 revolutionary kids aux combattants du Vietcong, et là, ça devient très fort.

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             King Meaden explique encore qu’il a sapé les Who, «boxing boots and fashionable  things», t’as des photos des Who qui prouvent qu’ils sont le plus anglais des groupes anglais. Il rappelle aussi que Moonie était un fan des Beach Boys, Daltrey «a straightforward rocker», The Ox «a serious musical student» et Townshend «an art student» parfaitement au courant des tendances de l’époque. King Meaden les emmène chez Guy Stevens qui leur fait découvrir Link Wray, James Brown et des tas de singles Motown, Stax & Sue. Il leur fait même un compile de deux heures sur une K7. King Meaden s’intéresse au moindre détail des futurs Who : leurs coupes de cheveux, leurs pompes, les paroles de leurs chansons. Turner a raison de dire que King Meaden voit les choses exactement de la même façon que les verra dix ans plus tard McLaren : il ne voit pas seulement un groupe, mais un mouvement. Il y a un parallèle évident entre les histoires des Who et des Pistols : sortis de nulle part, gros son, grands cuts et grands looks. Modernité, originalité et immédiateté. En 1964, les High Numbers jouent au Scene Club devant leur public Mod. Ils tapent des covers de Tommy Tucker («Long Tall Shorty»), des Miracles («I Gotta Dance To Keep From Crying») et le «Pretty Thing» de Bo Diddley. Turner livre là de fabuleuses informations - The groups that you loved when you were a mod were the Who - Boom «My Generation» ! - That’s how the song «My Generation» happened, because of the mods - Eh oui, on les voit danser les Mods sur «My Generation» dans Quadrophenia. Ça ne fait pas un pli. T’as l’impression de vivre un moment historique.

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    ( Keith Moon - Kit Lambert )

             Puis King Meaden va se faire évincer. Kit Lambert et Chris Stamp vont reprendre le management des Who et dédommager symboliquement King Meaden qui les a lancés. Lambert propose aux Who un «lucrative deal», alors c’est dans la poche. King Meaden ne fait pas le poids face à ces deux forces de la nature que sont Lambert & Stamp. C’est Daltrey qui annonce la couleur à King Meaden, lui disant qu’ils vont être payés 20 £ par semaine, «plus our cars». Il n’y a rien d’autre à ajouter : King Meaden n’a pas les moyens de suivre. Lambert l’invite au resto et lui propose 500 £ pour le dédommager. King Meaden qui est un gentil mec accepte et dit merci. Il va compenser avec Jimmy James. De toute façon, The Scene Club ferme en 1966, et en 1967, King Meaden passe à Captain Beefheart et à l’acide. Vers la fin du book, King Meaden conclut ainsi le tragique chapitre des Who : «I think Pete is the greatest mod of all time. And myself.»

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             King Meaden va ensuite perdre Jimmy James & The Vagabonds. Plusieurs raisons sont évoquées. Il semble que la plus plausible soit celle du comptable qui a récupéré le management du groupe. En 1967, King Meaden flashe sur la pochette de Safe As Milk qui trône dans la vitrine d’un disquaire de South Moulton Street. Il écoute ça et découvre un «brother in madness». C’est la période où il essaye de «développer des talents», notamment le duo Dave Brock/Mick Slattery qui vont devenir Hawkwind. King Meaden leur fait écouter Captain Beefheart et fout de l’acide dans leurs tasses de thé. Brock dira à Carol Clerck qu’il fut enchanté de ce trip. Puis King Meaden emmène Brock et Slattery en studio enregistrer une cover de l’«Electricity» de Captain Beefheart. Il va aussi tenter de lancer la carrière de l’immense Donnie Elbert en Angleterre. Mais rien ne sort de tout ça.

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             King Meaden cite à la volée des hits de Northern Soul, l’«Ain’t Love Good Ain’t Love Proud» de Tony Clarke, le «Daddy Rolling Stone» de Derek Martin, Major Lance, Curtis Mayfield & The Impressions. Turner ajoute à cette liste le «Let’s Go Baby (Where The Action Is)» de Robert Parker et «The In Crowd» de Dobie Gray.

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             King Meaden fait aussi l’apologie de la volition, c’est-à-dire la volonté, ou le drive - This is what speed gives you and this is what the mods are all about - C’est presque intraduisible. Le mot français le plus appropriée est sans doute ‘énergie’. D’où l’image de la Mod craze. C’est intimement lié au speed, le fameux Drinamyl prescrit par les médecins pour soigner la dépression, ces cachets triangulaires qu’on appelle aussi Purple Hearts ou Frenchies. «A functional drug», qu’il découvre en 1962. Il n’en est pas à son coup d’essai : il teste la Benzedrine après avoir lu Kerouac. Il reste infiniment littéraire, comme l’est Robert Palmer dans sa relation à l’hero, via William Burroughs. Quand on testait le laudanum, c’était bien sûr en référence à Artaud. Et ainsi de suite. King Meaden ajoute que le Drinamyl a disparu et que son toubib lui prescrit de la Dexidrine. Il revient inlassablement sur le kick du speed, qu’il image - It’s like the kick-start on a motorcycle - et revient encore au «move forward», au «keep moving forward, and that’s what the mod thing is.» Avoir ces cachets dans la poche de son Tonik : «You have paradise on hand». C’est King Meaden qui branche Townshend sur le Drynamil et en échange, Townshend le branche sur l’acide en 1967. King Meaden entre fabuleusement bien dans les détails, et on sait que le soin du détail est le cœur de la Mod culture. 

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             T’es Mod, alors tu danses. Tu ne dragues pas. King Meaden insiste beaucoup là-dessus - Free from libido, from sexual drives - T’es là juste pour avoir du bon temps. Pas de compétition. Il débouche sur la notion de liberté. Ne dépendre de personne. Mod pour lui c’est la liberté, «real free living».

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             Il descend au Scene Club avec son ami Brian Jones. Il insiste encore sur le purisme des Mods, «very private» et paf, il te sort la formule magique : «As I say, modism, mod living, is an aphorism for clean living under difficult circumstances.» Pour lui, tout ce qui comptait était de passer du bon temps, «just having a good time with your own drug which would keep you up.» Et paf, au détour d’une page, il t’apprend qu’il a vécu un temps avec Mick & Keef «in Mapesbury Road, in South West Hampstead».

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             Vers la fin du book, David Bowie dit un truc fondamental, qui éclaire bien tout le propos de King Meaden : «Non seulement j’ai été le premier dans le monde à reprendre une chanson du Velvet, mais je l’ai fait aussi avant que l’album du Velvet ne sorte. Now that’s the essence of Mod.» Jean-Yves qui était fasciné par la Mod culture expliquait que les Mods anglais étaient précurseurs en tout. Turner dit qu’un Mod est «at the cutting edge of the youth fashion», mais connaît aussi «all the hottest records, clubs, coffee bars, boutiques, trends and parties.» C’est génialement bien résumé.

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             King Meaden revient dans le cercle des Who en 1978 lorsqu’il bosse pour leur manager Bill Curbishley. Et paf, il tombe en plein dans la préparation du tournage de Quadrophenia, et bien sûr, il s’identifie pleinement au personnage de Jimmy qu’incarne Phil Daniels. Il va filer un sacré coup de main au réalisateur Franc Roddam. S’il en est un qui peut documenter la Mod culture, c’est bien King Meaden ! 

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             Le dernier gros coup de King Meaden sera le Steve Gibbons Band. Pour l’aider à se remettre du choc d’avoir été dépossédé des Who, les Who lui filent un coup de main, via leur structure Trinifold, pour manager financièrement le Steve Gibbons Band. Comme Gibbons est encore sous contrat avec Tony Secunda, Bill Curbishley rachète le contrat de Gibbons pour l’offrir à King Meaden. Musicalement, Gibbons va plus sur Chucky Chuckah que sur la Mod craze, mais c’est pas grave, puisque King Meaden a flashé sur lui. En 1977, Gibbons aura un hit avec une cover de «Tulane». King Meaden fait intervenir son ami Kenny Laguna (futur manager de Joan Jett) sur l’album Rollin’ On.

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             Comme on le craignait, le Rollin’ On du Steve Gibbons Band n’est pas l’album du siècle, même produit pas Kenny Laguna. C’est donc un son très américain, mais d’une banalité sans nom. Aucun espoir. Gibbons tape un country rock affreusement toc. Il se prend pour les Eagles. Au bout du balda tu croises le fameux «Tulane», mais t’en feras pas tes choux gras. En B, il tape une power pop à la mode californienne avec «Please Don’t Say Goodbye», bien éclairée par un big soloing à la mode US. Comme il y a deux lead guitaristes, Dave Carrol et Bob Wilson, tu ne sais pas lequel joue. Te voilà bien avancé.

             Puis King Meaden se fout en l’air. Six mois plus tard, Moonie casse sa pipe en bois suite à une overdose. 

    Signé : Cazengler, Peter Mitaine

    Steve Turner. King Mod. The Story Of Peter Meaden, The Who, And The Birth Of A British Subculture. Red Planet Book 2024

    Steve Gibbons Band. Rollin’ On. Polydor 1977

     

    Inside the goldmine

     - Sweet au prochain numéro

             Pour trouver Baby Sweet, il fallait aller jusqu’à Stalingrad et enfourner la rue du Chaudron, se glisser furtivement sous un porche avachi et grimper deux étages de marches vaincues par le temps. Tout dans cet endroit indiquait le plus absolu des renoncements : marches, murs, odeur, lumière. Drrring ! Elle ouvrit sa porte dès le premier coup de sonnette.

             — Bonjour cher ami !, lâcha-t-elle d’un ton enjoué.

             — Dear Baby Sweet, la gaieté de votre accueil me console des peines infligées par vos deux étages !

             Elle avait le physique très guilleret des petites femmes de Paris, telles qu’on se les représentait dans les années cinquante : corpulence plutôt fluette, taille de guêpe, visage poupon et bien rond, coiffure artificiellement frisée de cheveux châtain coupés courts, lunettes classiques à fines montures métalliques, tout cela enrobé d’une gouaille de type Arletty. Elle portait un chemisier noir négligemment passé dans un pantalon de flanelle noire. Nous prîmes place dans la banquette un peu défoncée du salon. L’appartement paraissait lui aussi avoir renoncé à tout, surtout au ménage. Il se trouvait dans un état de délabrement peu banal : la moquette élimée fourmillait de miettes. Cette nonchalance ménagère cachait peut-être quelque chose d’intéressant. L’explication ne tarda pas à se manifester en la personne d’un chat. Monsieur Mistigri sortit de la pièce voisine et vint renifler les jambes du visiteur. Baby Sweet semblait passionnée par son chat. Elle en décrivit dans le détail le tempérament et les manies, les sautes d’humeur et l’antériorité, les coupures d’appétit et les tentatives de fugue. Monsieur Mistigri ne se nourrissait que de biscuits et de friandises. D’où les miettes. Profitant d’une faille dans le soliloque, il glissa une requête :

             — Que pourrait-on boire pour agrémenter cette charmante conversation ?

             Prise au dépourvu, Baby Sweet s’excusa platement d’avoir manqué à ses devoirs d’hôtesse et proposa au choix de l’eau minérale ou du thé. Alors qu’elle préparait le thé dans la cuisine, il dut se résoudre à mettre les bouts. Pas question pour lui d’explorer les voies impénétrables de Baby Sweet, c’est-à-dire ses métiers, ses ex, ses goûts culturels et, pire encore, ses goûts sexuels, et d’y mélanger les siens, qui ne lui inspiraient que de la honte. 

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             On peut espérer que les Sweet Inspirations faisaient le ménage chez elles. Et qu’elles ont rencontré des mecs plus intéressants que celui cité plus haut. Elles furent longtemps les protégées de Jerry Wexler, puis d’Elvis, à Las Vegas. Elvis avait même réussi à les imposer au Colonel qui ne voulait que des blancs sur scène. Ah ce fucking Colonel !

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             Le premier album des Sweet Inspirations est un bel Atlantic sans titre de 1967. Belle pochette, les chicks te foutent bien l’eau à la bouche. Oh les cuisses, oh les cuisses, elles me rendront marteau ! T’as Cissy impératrice, Myrna Smith, Sylvia Shemwell et Estelle Brown. Tu veux jerker, baby alors tiens, voilà leur vision de «Knock On Wood», elles te gospellisent le Knock au softy du smooth, avec un fabuleux angle d’attaque. Le Kock te fond dans la main. Elles tapent aussi le «Don’t Fight It» de Wilson Pickett, elles sont magnifiques de get up, et d’here you sit yeah !, elles en font un real deal. Cissy remonte encore les bretelles du cut à coups d’I like the way you move et les chœurs de feel it t’explosent littéralement sous le nez. Elles tapent aussi dans Burt en B avec «Reach Out For Me», ce n’est pas le meilleur Burt mais elles te le groovent à merveille. Ça fait boom car la puissance interprétative s’ajoute à la puissance compositale et elles envoient Burt valdinguer par-dessus les toits. Pur Black Power de pouliches offertes ! Elles tapent aussi le «Don’t Let Me Lose This Dream» d’Aretha, elles n’ont aucun problème pour aller gueuler au sommet de l’Ararat d’Aretha. En B, elles tapent le «Sweet Inspiration» de Dan Penn à la clameur de gospel. Il faut les voir monter le Penn en neige. C’est quelque chose, d’autant que c’est produit par Tom Dowd et Tommy Cogbill. Elles tapent aussi l’«I’m Blue» d’Ike au choobeedoo beedoobeedoo, c’est fin et farci de feel à la patte du caméléon. Elles terminent avec «Why (Am I Treated So Bad)», un slow groove de Pops Staple. C’est une plongée dans le deepy deep de la Soul, la pire de toutes, celle des champs de coton. La Soul n’a jamais aussi bien porté son nom. Elles en font leur terrain d’excellence. Bravo les filles !

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             Cissy impératrice reprend son vrai nom (Drinkard) pour Songs Of Faith & Inspiration. C’est le bon gros gospel d’Atlantic. Dès «What A Friend», Cissy t’explose vite fait le gospel, le ciel, l’église en bois, boom ! Elle est la plus puissante du monde. «I Shall Know Him» est encore du pur gospel batch. Cissy impératrice s’échappe dans le ciel. C’est Myrna Smith qui prend «Swing Low», elle n’a pas du tout la même voix, elle est beaucoup plus veloutée. Les quatre Sweet sont d’extraordinaires solistes, comme on le voit ensuite avec Sylvia Shemwell et «Guide Me». Accent plus mûr, un peu fêlé. En B, c’est au tour d’Estelle Brown de charger la barcasse sur «He’ll Fight». Cissy revient avec «Without A Doubt», elle est beaucoup plus directive, elle pèse de tout son poids, elle expurge le gospel de tous ses péchés. On la voit ensuite chauffer son «23rd Psalm» à la folie. Ah, il faut l’entendre screamer dans le round final ! Et puis t’as Estelle Brown qui revient swinguer «Down By The River Side» avec un tambourin. Wild as gospel fuck !      

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                  Elles attaquent What The World Needs Now Is Love avec deux covers de Burt, «Alfie» et le morceau titre. Mais ça ne marche pas, elles chantent trop à la force du poignet, Burt est trop fin pour une femme à poigne comme Cissy. Dommage. Elles prennent le morceau titre à la voix perchée et ça foire lamentablement. Cissy n’est pas assez sexy pour Burt. Elles s’en tirent mieux avec le «Watch The One Who Brings You The News» de Don Covay. Il faut dire de Tom Dowd veille au grain. Elles font un numéro de haute voltige avec «Am I Ever Gonna See My Baby Again», monté sur un bassmatic en escalier et des nappes de violons au fond du son. On ne sait hélas pas qui joue le bassmatic. C’est en B que tu trouves leur fantastique version de «Walk In My Shoes». Pur Black Power ! Le wild r’n’b est leur vrai fonds de commerce. Ce que vient confirmer «I Could Leave You Alone», un r’n’b fabuleusement chaloupé, quasi gospel. Soul éternelle encore avec «You really Don’t Mean It». Ah comme elles sont bonnes pour le rumble ! Voilà un album qu’il faut bien qualifier de passionnant.    

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              Deux petites merveilles sur Sweet For My Sweet : «Get A Little Order» que Cissy mène au poumon d’acier, et «Crying In The Rain», un hit signé Carole King. David Hood se retrouve au devant du mix avec son bassmatic. Bien joué, Hoody boy ! Sa basse pouette savamment. Encore de la fantastique allure avec l’«Always David» d’Eddie Hinton, my yoyo hero/ I love you ! Elles sont irréprochables, de toute façon. Elles font aussi de la petite pop de Brill avec l’«It’s Not Easy» de Barry Mann & Cynthia Weil, et en B, tu vas retrouver le morceau titre signé Doc Pomus/Mort Shuman qui a donné «Biche O Ma Biche» en français. Là il faut remonter au temps de Salut Les Copains et de Frank Alamo. Disons qu’il s’agit d’un album classique, à l’image du «Don’t Go» d’Ashford & Simpson : Soul très chantée, très composée, très orchestrée, très Atlantic. 

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             En dépit de sa belle pochette Soul, Sweet Sweet Soul n’est pas le meilleur album des Sweet. Elles ont quitté Muscle Shoals pour aller enregistrer chez Gamble & Huff. On devra se contenter de «Shut Up». Elles s’y montrent explosives. Elles y font de l’Aretha avec la même niaque fondamentale, mais en mode Philly Soul. On se régale bien sûr du «Give My Love To Somebody» qui suit, car c’est un groove fabuleux de délicatesse, bien coulé dans le moove du Somebody. Là on est au cœur de la Philly Soul, une Soul beaucoup plus racée. Encore de la Soul sophistiquée avec «Two Can Play The Game», Cissy chante ça dans le haut du panier, à l’écarlate. Comme «(Gotta Fiind) A Brand New Lover» est signé Gamble & Huff, on s’incline devant cette incroyable sophistication, tout est joué au délié prémonitoire. Et puis en B, Gamble & Huff récidivent avec «Them Boys» une belle tranche de Soul secouée aux percus, encore du très grand art de look out for them boys. Elles sont magnifiques de docilité.  

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             Plus de Cissy impératrice sur Estelle, Myrna & Sylvia, un bon vieux Stax de 1973. Mais attention, toutes les compos sont signées David Porter/Ronnie Williams, gage de qualité et de sophistication. C’est une Soul très ambitieuse, solidement orchestrée, presque jazzée. «Wishes & Dishes» est un slowah superbe et sculptural. On entend de la belle harangue de Black Power dans «Slipped & Tripped», bien axée sur l’Aretha, et du joli swing de Stax dans «Pity Yourself». Robert Thomas gratte ça à la clairette. Cette Soul vise résolument l’aventure intellectuelle. Ray Griffin signe le bassmatic bien rond d’«All It Takes Is You & Me». En B, «Emergency» s’en va groover sous le boisseau de Porter, un boisseau d’or fin. Elles vont chercher des harmonies vocales troublantes. Porter sait travailler l’esprit d’une Soul audacieuse et d’une éclatante modernité. Il fait aussi de «Call Me When When All Else Fails» une merveille contemplative, montée sur le dos rond de Ray Griffin. Et puis avec «The Whole World Is Out», t’as encore une mélodie chant qui ne tient qu’à un fil, mais quel fil ! Les Sweet sont les crackettes de la haute voltige. C’est noyé d’orgue et chanté à la pointe d’une belle petite glotte rose et humide, avec la meilleure bonne volonté du monde. Et quelle prod !       

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             Sur le dernier album des Sweet, Hot Butterfly, ne restent plus que Myrna Smith et Sylvia Shemwell. Estelle est partie. Elles proposent un diskö-funk urbain et maintiennent un bon niveau de blackitude. Le morceau titre est assez beau, tenu par le chant impeccable de Sylvia. On retrouve Sylvia en B, avec «Love Is On The Way», très beau cut de diskö des jours heureux, et plus loin, Myrna tape dans la good time d’«It’s The Simple Things You Do» et ça lui va comme un gant. C’est un bonheur que de les écouter chanter.

    Signé : Cazengler, Sweet aspirateur

    Sweet Inspirations. Sweet Inspirations. Atlantic 1967   

    Cissy Drinkard & The Sweet Inspirations. Songs Of Faith & Inspiration. Atlantic 1968         

    Sweet Inspirations. What The World Needs Now Is Love. Atlantic 1968     

    Sweet Inspirations. Sweet For My Sweet. Atlantic 1969  

    Sweet Inspirations. Sweet Sweet Soul. Atlantic 1970  

    Sweet Inspirations. Estelle, Myrna & Sylvia. Stax 1973       

    Sweet Inspirations. Hot Butterfly. RSO 1979

     

     

    L’avenir du rock

     - Pour Kim sonne le glas

    (Part Two)

             Si tu souhaites rencontrer des gens intéressants, fais comme l’avenir du rock, va errer dans le désert. Ceux qui croient que le désert est désertique se fourrent le doigt dans l’œil. «Jusqu’au coude», ajouterait l’avenir du rock s’il lui restait un peu d’humour, mais comme il puise dans ses réserves pour continuer d’errer, il se contente du minimum, c’est-à-dire penser avec ses pieds. Un jour, alors qu’il marche vers ce qu’il imagine être l’Est, il voit s’élever devant lui un gigantesque nuage de sable. «Oh une tempête de sable, comme dans Un Taxi Pour Tobrouk !», s’exclame-t-il émerveillé. Hélas, c’est pas ça du tout ! Il s’agit d’une marée humaine. Des millions de guerriers armés de lances, de sabres, de mousquets et de boucliers ! L’avenir du rock se met sur le côté pour les laisser passer et en chope un pour lui demander :

             — Zallez où comme ça ?

             — Zallons faire un cartoon à Khartoum !

             — C’est qui le zig sur la mule avec le turban ?

             — M le Mahdi ! M le Mahdi a dit : «Pas de quartier à Khartoum !»

             Bon. L’avenir du rock ne sait pas quoi répondre, alors il repart vers ce qu’il imagine être l’Est. Quelques semaines plus tard, il revoit s’élever un gigantesque nuage de sable. C’est l’armée d’M le Mahdi qui rentre au bercail. L’avenir du rock se met sur le côté et chope l’un des guerriers pour lui demander :

             — Alors, c’était comment Karthoum ?

             — Karthoum kapout ! Couic les kékés !

             — C’est à qui la tête fichée sur la pique, là-bas ?

             — C’est celle de fucking Gordon Pasha !

             — Pffff, on s’en branle de Gordon Pasha. C’est Kim Gordon qu’y vous faut, les gars.

     

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             En mai dernier, Kim Gordon se produisait au Koko de London town. Elle tournait pour la promo de son No Home Record et Uncut se prosternait jusqu’à terre - Yet such is her allure as art-rock royalty, any appointment with Gordon is well worth keeping - Alors ça, c’est de la formule ! Le mec ajoute qu’elle n’a pas de temps pour le passé - no time for the past - Allez hop, le mec enchaîne aussi sec en passant en revue tous les coups d’éclat de l’art-rock royalty, Glitterbust, Body/Head et bien sûr le book Girl In A Band. À quoi il faut ajouter ses «paintings, video, installation exhibited around the world». Alors maintenant elle challenge l’indie-rock de plus belle et sur scène, les cuts de No Home Record sonnent comme du heavy no-wave grind

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             Et tout ceci s’actualise avec la parution de The Collective, son nouvel album solo. Il ne faut pas perdre de vue que l’art-rock royalty est aujourd’hui une mémère de 70 balais. Tu rapatries l’album vite fait, tu te frottes les mains, et dès «Bye Bye», tu ravales ta bave et tu commences à déchanter. Ah la gueule de l’art-rock royalty ! C’est de l’electro-shit de machine à laver. On perd toute la belle niaque de No Home Record, on perd la gratte et on perd la Kim. Au fil des cuts, elle se traîne dans son electro-shit, ça ne marche pas. Mais alors pas du tout ! Son «I’m A Man» n’est pas celui de Muddy Waters. Elle se noie dans une foutaise d’electro-shit de la pire espèce. On entend enfin une gratte dans «It’s Dark Inside». A-t-elle perdu la raison ? On l’entend un peu chanter, d’une voix de mémère qui s’énerve. On arrive vers la fin de cette merveilleuse arnaque de brouillage électro. Pas de grattes, rien que des machines à coudre de mémère infortunée. Cet album est une injure à sa carrière et à toute sa modernité. C’est foutu. On ne peut plus rien faire pour elle. Même pas l’écouter. Elle finit à la hâte avec «Dream Dollar», le seul écho de New York City sludge.

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             C’est d’autant plus dramatique qu’April Long lui consacre six pages dans Mojo et titre en mode bim bam boom ‘Music Art Revolution’, avec un gros ART en cap blanches d’Helvetica extra-bold. Ah tu parles ! La gueule de la Music Art Revolution ! On dirait que l’April n’a pas écouté The Collective, car elle ose dire qu’avec ça, la Kim «repousse ses frontières créatives to the limit.» Ah la gueule des limits ! C’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de s’offusquer, alors on en profite. Car avec The Collective, elle revient exactement à l’endroit où Sonic Youth a commencé à se foutre de la gueule des gens. Si tu veux faire de l’expérimental, cocote, commence par t’appeler Yannis Xenakis. Après on verra. Mais comme la mémère nous a bluffé avec No Home Record, alors on lit les six pages.

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             Mémère Kim emmène la Mojote en pélerinage dans les rues de New York. C’est un bon angle d’attaque. Ça commence par le 84 Eldridge Street, in downtown Manhattan, où le couple Moore/Gordon a vécu de 1980 à 1990. À deux pas du CBGB, comme par hasard. Alors elle commence à papoter, évoque les smartphones et le son qu’elle recherche, «making things as fucked-up as possible», elle revient au dirty distorded sound dans lequel elle a évolué avec Sonic Youth pour tenter d’en repousser encore les limites, elle dit aimer pousser le bouchon, «she loves to be pushed, challenged, questioned.» C’est là où ça devient intéressant : ça a marché avec No Home Record, pas avec The Collective. Cette pomme de terre d’April Long ose dire que les cuts on The Collective «are three dimensional soundscapes», avec des bruits qui se grattent les uns les autres, et la chute n’en est que plus lamentable : «En clair, c’est une façon de dire à ceux qui croient qu’on ne peut pas faire un album incendiaire à l’âge de 70 ans qu’ils se foutent le doigt dans l’œil.» Ça confirme ce qu’on soupçonnait : l’April n’a pas écouté l’album. Sinon, elle aurait écrit : «En clair, c’est une façon de dire qu’il vaut mieux éviter de faire un album incendiaire à l’âge de 70 ans.» Finalement, on s’amuse bien à lire cet article. Et puis tu as une autre pomme de terre qui déclare que The Collective pourrait bien être «the next Nirvana or something». Là tu commences à te marrer pour de vrai. La lecture devient palpitante. Tu lis rarement des âneries pareilles. 

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             Puis mémère Kim embraye sur Body/Head. C’est une autre histoire. Cette fois, elle fait équipe avec un certain Bill Nace, qu’elle a rencontré quand elle vivait dans le Massachussetts, après le split de Sonic Youth. Mémère Kim n’avait plus rien à perdre, «just go down in a basement with Bill and just start playing music for music’s sake.» Nace fait de la noise. Nace bat le nave. Trois albums dont le premier s’appelle Coming Apart. Digi underground avec photo bien floue à l’intérieur. La pauvre Kim s’y épuise à vouloir faire de la modernité de carton-pâte. Comme son nom l’indique, «Abstract» est très abstrait. Elle y gratte des poux indignes. C’est le genre d’album qui te met en colère. De cut en cut, tu la vois se complaire dans la cacaphonie. On la sent déterminée à ruiner tous ses efforts. Elle est trop barrée. «Everything Left» se barre tout seul. «Can’t Help You» te réveille en sursaut avec ses belles giclées de poux liquides, délétères et imberbes. Une vraie infection. Puis avec «Aint», elle se prend pour Nico. C’est assez liturgique - I got my boots/ I got arms/ I got my sex/ I got my legs - elle est encore plus barrée qu’on ne l’imagine. Ailleurs sa guitare dissone. C’est à qui va craquer le premier : toi ou elle ? Elle s’amuse avec sa gratte et ça finit par devenir pénible. «Free-form waves of shuddering feedback.» Tu parles ! Kim est ravie de cet experiment qu’elle qualifie de «the most pure thing I do.» Elle dit aussi vouloir secouer la poussière de trente ans de Sonic Youth. En soi, c’est admirable. Mais Coming Apart n’est pas bon. Trop complaisant. Rien à voir avec le supremo No Home Record.

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             Mais la curiosité reprend le dessus et bien sûr, on en écoute un autre, No Waves, un Matador de 2016, avec une titraille écrite à la main. Toujours deux grattes. Et toujours expérimental. Et toujours aussi déprimant. Le troisième s’appelle The

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    Switch, orné d’une belle photo de scène. On voit Kim grattant sa gratte dans le dos et accroupie, comme si elle faisait caca, elle fait son G.G. Allin. Au dos, t’as encore une photo de scène avec Bill Nace au premier plan. On retrouve la volonté affichée d’experiment. Franchement, qui va aller écouter ça ? Ils exagèrent. Ils se croient cultes, alors ils font n’importe quoi. Leur «Dark Room» n’est hélas pas celui des Chrome Cranks. C’est autre chose, du genre grosse arnaque. C’est atrocement inutile.

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             Tu ne vas pas le croire : c’est encore pire avec Glitterbust, un autre side project qu’elle mène avec Alex Knost. On ne sait pas d’où sort ce Knost et on ne veut pas le savoir. Le Glitterbust se présente sous la forme d’un double LP, avec en moyenne un cut par face qui se joue en 45 tours. Pour résumer la chose, disons que c’est l’ambiancier de l’inutile. Encore une arnaque. La mémère est en baisse, et ça rabat bien le caquet de l’avenir du rock. Le seul cut écoutable est l’«Erotic Resume» en B, un brave cut. On lui tape dans le dos, merci mon pote ! Mais en C, ça repart en eau de boudin avec un plaintif mordoré. On se croirait chez Sonic Youth. La pauvre mémère, elle ne sait faire rien d’autre dans la vie. Et tu vas voir la gueule de «Nude Economy» en D, sait-on jamais ? Là, t’attige, Tata. Le rock ? Tintin, Titine ! Belle arnaque d’antho à Toto. Tu l’as dans le baba, Bobo. Tu l’as dans le cherry, Bibi. C’est pas jojo sous le tutu. Tu t’es fait enfler, Floflo.

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             On a déjà épluché trois Free Kitten dans un Part One. Voilà le quatrième, Sentimental Education. Pour mémoire, Free Kitten est le duo que Kim a monté avec Julie Cafritz, l’ex-Pussy Galore. Ça vaut le coup d’écouter cet album flaubertien pour trois raisons, dont la principale s’appelle «Never Gonna Sleep». Elles y drivent bien leur biz de pur jus d’inventivité underground, avec un bassmatic au devant du mix, et un gratté de poux fantômes. Elles exploitent leur mine d’or. La deuxième raison est ce fantastique hommage à Gainsbarre en ouverture de bal : «Teenie Weenie Boppie». C’est d’une délicatesse infinie. J. Mascis y bat un beurre bizarre. S’ensuit une pure énormité new-yorkaise, «Top 40». What a rockalama ! «Bouwerie Boy» est une belle pop-punk de type Sonic Youth qui vaut le déplacement. Avec l’instro long et hypno du morceau titre, elles restent dans l’esprit Sonic Youth, et font du girlish goulish. Puis du weirdy weird avec «Eat Cake». Mais tu croises aussi des cuts complètement paumés, bien largués des amarres. Ça fait partie du jeu d’art-rock royalty. Elles donnent du temps au temps et elles font même du jazz de round midnite avec «Daddy Long Legs»

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             Si tu veux compléter le tour du propriétaire, tu peux aussi aller écouter Naked In Garden Hills d’Harry Crews, un groupe qu’elle a monté en 1990 avec Lydia Lunch (gratte) et Sadie Mae (beurre). Il n’est pas facile à choper mais t’es content de pouvoir l’écouter, surtout pour «Man Hates A Man», jolie slab de trash punk, ça dégringole dans les escaliers de l’hardcore punk, c’est une musicalité du chaos vite avalée par le bassmatic glouton de Kim. Mais diable, comme Lydia chante mal ! Nouveau choc esthétique avec «Gospel Singer» qui n’a rien à voir avec le gospel, puisqu’il s’agit d’un heavy groove allumé par derrière. C’est l’hypno du fracas des armes. On sent chez elles un goût pour le chaos total, comme le montre encore «Knock-Out Artist», un slab de wild New York City shuffle, mais quand Lydia chante, elle fait mal aux oreilles. Dans «Car», elle parle d’une Chevrolet Convertible et le rock reprend la main sur l’experiment. Quel envoi et quel punch ! Modèle absolu d’excelsior parégorique, ça y va au deep into my vein. Elles bouclent leur bouclard avec un «Orphans» stompé dans les règles. Mix d’hard nut rock et de pur chaos.

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             C’est à April Long que reviendra le mot de la fin (provisoire), car elle dit en deux phrases tout ce qu’il faut retenir de Kim Gordon. Un, qu’elle fut the most punk-rock in Sonic Youth, puisque, comme elle le dit si bien elle-même, «I was the only one who knew nothing about music.» Et deux : «She is at heart an explorer. Et sa capacité à faire de la musique d’avant-garde abstraite et expressionniste est aussi flagrante sur The Collective qu’elle le fut sur Bad Moon Rising en 1985.» C’est à Nace que revient l’autre mot de la fin (provisoire) : «She never has given a fuck what people think. She never will.» Alors, tu t’inclines respectueusement, même si The Collective te reste coincé en travers de la gorge.

    Signé : Cazengler, Kim Gourdin

    Free Kitten. Sentimental Education. Wiija Records 1997

    Body/Head. Coming Apart. Matador 2013

    Body/Head. No Waves. Matador 2016

    Body/Head. The Switch. Matador 2018

    Glitterbust. Glitterbust. Burger Records 2016

    Harry Crews. Naked In Garden Hills. Widowspeak Productions 1990

    Kim Gordon. The Collective. Matador 2024

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    Piers Martin : Kim Gordon. Koko London May 2023. Uncut # 303 - August 2023

     

    *

             La piste indienne je l’ai souvent empruntée. C’est facile, il suffit de suivre la moindre des sentes qui s’offre à vous. Whathéca Records. Pas à se tromper, cela sonne indien.  Une chaîne You Tube, pas beaucoup de vidéos présentées.  A peine 68. Uniquement des vieux disques ou des cassettes enregistrés sous forme de vidéos fixes dont les musiciens sont d’origine indienne. De toutes les tribus. Pourtant vous avez l’impression d’être tombé sur un site de country and western, sur les photos davantage de cowboys que d’indiens. Phénomène d’acculturation. Si vous écoutez, déception, ce ne sont pas des chants d’origine tribale ne relevant pas d’enregistrements ethnographiques. Ces artefacts ne se sont pas vendus à des milliers d’exemplaire. Si l’on en croit les commentaires sous les vidéos, certains se souviennent d’avoir enfants entendu tel ou tel disque et manifestent leur joie à le réécouter. Le coup de la madeleine de Proust fonctionne donc chez ces sauvages rouges indiens, l’Homme serait-il une race universelle !

             J’ai hésité les Fenders m’ont séduit, remarquez avec leur galopade d’Apache les Shadows ont dû avoir la cote dans les réserves. Peut-être leur consacrerais-je de ma plus belle plume une kronik d’ici peu. Je ne sais pas pourquoi j’ai flashé sur cette pochette, pas particulièrement originale, très country, mais je savais qu’il fallait se focaliser d’abord sur celui-ci. A première écoute je n’ai pas accroché. Mais si tu ne vas  pas chercher l’aigle, l’aigle ne viendra pas à toi.

    BRB

    BUDDY RED BOW

    (First American / 1980)

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             Surpris par la pochette. Me suis demandé trente secondes et demie ce que pouvaient signifier ces trois lettres, simplement les initiales de Buddy Red Bow ! Sans doute un signe de fierté indienne, revendiquer son nom c’est déjà imprimer son efficience sur le monde.

    Né en 1948, mort en 1993. Il est des dates qui ne trompent personne, même pas la mort. Ce n’est pas qu’un bon indien soit un indien mort. L’est mort jeune. A 44 ans. Hélas l’âge moyen de décès dans les réserves indiennes se situe autour de 52 ans. L’alcoolisme ne les aide guère… Or Buddy Red Bow est décédé d’une cirrhose du foie… Les statistiques sont parfois troublantes…

    Warfield Richard, adopté  par Maize et Stephen Red Bow, Buddy Red Bow a vécu dans la réserve lakota dans le Dakota du Sud. C’est devant la porte de la prison de Pline Ridge que sa mère avait abandonné ce bébé de douze mois… Buddy quitte le lycée à dix-sept ans pour devenir acteur. Tous ceux qui ont vu La Conquête de l’Ouest sorti en 1962 - les fans de Led Zeppelin seront heureux d’apprendre que How the West Wass Won était son titre original – ont donc pu apercevoir BRB dans son premier rôle. Il apparaît aussi dans  Young Blood II en 1990, l’est crédité sous le nom de Chef Buddy Redbow suite au film  Powhow Highway (1989)  dont un des personnages qui lutte pour empêcher la délocalisation de sa tribu et se bat pour tirer sa fille de la drogue se nomme Buddy Red Bow…  Thunderheart (1992) est tourné dans la réserve de Pline Ridge et met en scène l’occupation en 1973 par l’American Indian Movement  de Wounded Knee, lieu d’un terrible massacre en 1890. Il est normal que BRB ait trouvé un rôle à sa mesure dans ce film.

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     Les informations sur BRB, sont rares et peu précises. Il se maria avec Hamilton Barb, ils eurent une fille nommée Stardust. Hamilton quittera Buddy, trop de bruit, trop de monde dans la maison, on boit et on chante toute la nuit… Le couple resta en bon terme, aujourd’hui Stardust travaille aux Veterans Affairs le fait qu’elle s’occupe du Black Hills Health Care System n’est sans doute pas dû au hasard, son père est  revenu du Vietnam souffrant de troubles post-traumatiques mais il a toujours refusé de se faire soigner…

    Stardust raconte son père dont elle est fière. Il a connu de grands noms parmi les Outlaws, Willie Nelson et Waylon Jenning par exemple, mais ses disques n’ont pratiquement été diffusés que sur les radios locales des réserves indiennes… Il n’était jamais invité dans les conventions de disques, y entrait en tant que client et se débrouillait pour exposer ses albums sur  un coin de table… L’a dû batailler fort pour recevoir les aides afin de monter son propre label. Stardust avance une autre explication pour expliquer pourquoi sa carrière n’a jamais décollé, au dernier moment Buddy trouvait le moyen de saboter les routes qui s’ouvraient à lui. D’après elle il avait peur de réussir, de se retrouver pris dans un tourbillon qui l’aurait dépassé, qui l’aurait coupé de ses racines indiennes, il ne désirait pas devenir une star ayant crainte d’avoir à renoncer à ses convictions, à édulcorer son combat pour la défense de son peuple. L’était un artiste considéré comme un activiste indien, aujourd’hui par les temps qui courent, n’en doutons pas, il serait catalogué de terroriste.

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    Indian Reservation : (cette chanson écrite par John D Loudermick a été interprété par Marvin Rainwater en 1959, l’anglais Don Fardon et Paul Revere & The Raiders la rendront célèbre. Tout comme Elvis Presley Marvin Rainwater avait du sang cherokee dans ses veines…)   l’original, tout de même intéressant à écouter,  de Marvin Rainwater a des allures un peu indien de pacotille, pour cette reprise, symboliquement quasi-obligatoire,  BRB a gommé tout arrangement pseudo-folklorique, n’en a pas pour autant recherché une authenticité ethnographique, le timbre de sa voix est très différent, tout en s’en rapprochant, de Presley mais son orchestration mélodramatique n’est pas loin des titres grandiloquents d’Elvis style An American Trilogy, BRB  fait avant tout passer le message, le morceau commence par une sombre évocation de la longue marche des Cherokees et de ce qui s’en suivit, la perte de leur identité et de leur culture, mais DRB étend le sort cruel réservé aux Cherokees à celui de toutes les tribus Lakota, Mohawk, Navajo, à l’ensemble du peuple indien. Sur la fin, la flèche de feu du violon est de toute magnificence. Baby’s gone : les   paroles ne sont pas les mêmes mais le thème et le lent tempo sont identiques au morceau de Conway Twitty. Rappelons que Twitty débuta chez Sun, rockabilly boy à ses débuts, dès les années soixante il se tourne vers le country, sa voix rappelle un peu celle d’ElvisBRB reprochait à son premier opus d’être trop conutry and western, les paroles du gars qui se retrouve seul évoque les scénarios de Mickey Newburry.  Myrna : tout ce qu’il faut pour être heureux, premier amour de dix-sept années une pedal steell angélique, des chœurs dignes du paradis, vous ne trouverez pas mieux, évidemment si vous préférez l’enfer vous n’aurez peut-être pas tout à fait tort. … You’re not tne Only One : la voix de l’homme qui a beaucoup vécu, qui sait qu’il n’est ni meilleur ni pire qu’un autre, la sagesse ne consiste-t-elle pas à se satisfaire de ce qui s’offre trop rarement à vous, de ces instants  trop brefs miraculeusement gagnés sur la tristesse de l’existence   des vaincus de la vie, une belle voix grave pour affirmer que ce n’est pas grave de se contenter de peu.  Une mélodie à faire verser de vraies larmes à un crocodile. Indian Love Song : d’apparence une douce, tendre et paisible chanson d’amour, sur un tempo lent une voix chargée d’émotion, il promet, il assure qu’il reviendra, suffit de comprendre, un guerrier qui part à la guerre pour défendre son peuple… qui attendra verra… Standing Alone : à ne pas écouter, l’intro est un véritable générique de film, mais le héros est seul, certes il tient encore debout mais l’intérieur est effondré, coulent les larmes du violon, enfonce la batterie des pieux dans son cœur, à bout de ressource, n’a même plus une joue à offrir pour recevoir une gifle… qui éprouverait le besoin de lui en donner une d’ailleurs ! Si vous êtes cafardeux avant d’écouter achetez la corde au bout de laquelle vous vous pendrez. Pistolero : j’étais content, j’ai cru que

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     c’était la reprise de Pistolero de Dean Reed, le Red Elvis comme on le surnommait. Rouge non pas parce que dans ses veines circulait du sang indien, pas vraiment un activiste rouge, du moins pas à la manière de Buddy, natif du Colorado, Reed s’installa en Argentine où il était davantage célèbre qu’Elvis. Confronté à la misère des  peuples sud-américains il devint un marxiste convaincu et ne tarda pas à passer de la théorie à la pratique, fit une tournée en URSS, c’est comme cela vers 1965-1966 que j’appris son existence par un article paru dans L’Humanité, journal du Parti Communiste Français, il finit par se fixer en RDA (Allemagne de l’Est) et travailla pour les services secrets de la Stasi… on retrouva son corps en 1986 dans un étang, s’est-il suicidé, serait-ce une vengeance de la CIA ou de la Stasi qui jugeait que sa foi en le Socialisme avait plus que vacillé… bref un artiste de country and western que l’on ne porte aux nues aux USA… Dernier clin d’œil Reed tourna comme BRB  à plusieurs reprises dans des westerns…Me faut maintenant évoquer un autre chanteur, qui correspond davantage aux valeurs traditionnelles américaines, Johnny Cash et son Ring of Fire. Le ‘’ Pistolero’’ de Buddy est orchestré de la même manière, mariachi et trompette. Cash and Bow possèdent tous les deux une voix forte et grave, le timbre  de Cash s’avère plus sombre, normal ce n’est pas le man in red mais le man in black ! L’on sent l’ironie et la désillusion de Buddy, la fatigue de vivre et de poursuivre sa route jusqu’au bout de la piste, pour toute arme il ne possède que ses chansons, à chacun son flingue, à chacun sa solitude. Fifth dream : le cinquième rêve c’est un peu comme le cinquième élément, inatteignable, aux grandes questions la grande musique, les grandes orgues du lyrisme, voix ample et majestueuse assez puissante pour aller tutoyer les anges, l’on flirte un tantinet avec le gospel, n’y a plus qu’à se laisser porter, qu’à se laisser emporter. Grandiose. Just can’t take anymore : retour à la vie profane, la prison de la solitude, l’enfermement dans la privation charnelle, le thème mille fois ressassé du chanteur abandonné à lui-même, confronté à ses propres désirs fantomatiques, qui voudrait rentrer à la maison, bien sûr l’on connaît cette thématique jusque par-dessus les oreilles, mais quand il y a la voix qui vous saisit aux tripes, toute cette tristesse du monde vous tombe dessus et ne vous lâche plus.

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    South Dakota Lady ( Tina’s song) : des chants indiens lointains vite noyés par la sempiternelle orchestration country and western,  mais après la pompeuse amplitude du morceau précédent et le sentiment de tristesse déployée par l’ensemble de l’album l’on est surpris par  l’heureuse vélocité rythmique sur laquelle trotte le chant, l’a beau faire la-la-la Buddy donne l’impression qu’il raconte une histoire, l’on peut se laisser chatouiller agréablement les oreilles si l’on ne suit pas, mais si l’on prête un peu attention on est vite perdu, le texte court si rapidement que l’on ne comprend pas trop le sens du récit débité à toute vitesse, faut comprendre que sous une apparente facilité, n’entend-on pas l’harmonie imitative du galop du cheval au moment exact Buddy vous le dit, nous ne sommes pas  dans une simple histoire d’amour, avec le mari qui se hâte de rentrer chez lui pour retrouver son épouse, nous sommes pris dans le sortilège de l’imaginaire amérindien, qui revient, serait-ce l’Oiseau-Tonnerre, lors de l’essor de la Ghost Dance en 1889 - 1890, les Lakotas  répétaient que l’Oiseau-Tonnerre reviendrait rapportant avec lui les âmes mortes des anciens, que les blancs seraient chassés, que les envahisseurs s’enfuiraient, et que les âmes des anciens entraîneraient les tribus survivantes en un repli de la terre, où la civilisation des bisons renaîtrait pour toujours.  Est-ce pour cela que sur le chemin du retour, dans la chambre du motel où il a fait étape le mari se détourne de la Bible posée sur la table de nuit, il a compris que ce livre ne lui sera d’aucun secours, quant à cette femme qui dans le premier couplet semble attendre son mari, qui est-elle, la Mort, ou une ancienne squaw déjà morte en route pour rejoindre le peuple des vivants, est-ce vraiment une histoire d’amour ou un récit métaphorique pour inciter le peuple indien survivant d’aujourd’hui à retourner à ses racines, à sa culture originelle, ne représente-t-elle pas la terre sacrée des Black Hills qui doit être préservée, pour l’obtention de laquelle les Indiens  d’aujourd’hui doivent retrouver leur fierté, recouvrer leur dignité, enseigner les enfants, refonder le Dakota, terre des Lakotas… Est-ce un rêve, une volonté, un projet, une mauvaise période à passer au plus vite, déjà retentissent les chants indiens, présents dès le début, ils reviennent à la fin, comme pour mettre entre parenthèses un cauchemar qui a trop duré.

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             Certes dans ce premier  album de Buddy Red Bow, l’esprit cowboy et sa culture country and western occupent la plus grande partie du territoire, mais les Indiens étaient là dès le premier morceau et ils sont là encore pour clore l’histoire. Qui ne fait que commencer.

    Damie Chad.

     

    *

    Nous reviendrons sur Buddy Red Bow mais je n’ai pas pu résister à en savoir plus sur les Fenders. Nous étions chez les Lakotas, nous voici chez les Navajos. Mais avant de parler des Fenders nous attarderons quelques instants sur un autre groupe :

    LUCINDA

    THE MERLETTES

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    Une vidéo sur You Tube, batterie, contrebasse, guitare, violons, derrière une un truc, pardon un truck  jaune, enregistrée en plein-air, la caméra s’attarde de temps en temps dans le ciel… Une petite notule nous apprend que le groupe basé à Albuquerque est inspiré par le Honky Tonk de Merle Haggard.  Quatre filles : Dair Obenshain : fiddle, Laura Leach-Delvin : upright bass, Sharon Eldridge : drums. Je ne m’attarde pas sur l’interprétation : sachez seulement que cette Lucinda qui manque terriblement n’est pas une tendre amie perdue mais un camion si l’on en croit la chanteuse. C’est elle qui nous intéresse, Kristina Jacobsen. Elle mérite le détour. D’abord parce qu’elle est chanteuse et un de ces jours nous écouterons ses disques, mais aussi parce qu’elle a ajouté une corde particulière à sa guitare : elle est anthropologue musicale, bardée des diplômes les plus prestigieux. Le titre de son

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    premier livre paru en 2017 nous fascine : The Sound of Navajo Country Music. Langage and Diné Belonging. Le terme Diné est le mot qui signifie navajo en langue navajo ! Le book a remporté le prix Woody Guthrie. Je me permets de citer les lignes suivantes : ‘’Ses recherches fusionnent les domaines de l'anthropologie culturelle, de l'anthropologie linguistique et de l'ethnomusicologie, avec des spécialisations en musique et langue, anthropologie de la voix, politiques de l'authenticité, indigénéité et appartenance, musique vernaculaire des autochtones d'Amérique du Nord, de Sardaigne et des Appalaches, race et genre musical, récupération de la langue et cultures expressives de la classe ouvrière.’’  Sujet passionnant, sa lecture doit permettre de mieux comprendre l’appropriation, plus ou moins forcée et rendue nécessaire, effectuée par les peuples dominés de la langue et de la culture du peuple dominateur.  Elle a publié plusieurs articles sur les Navajos notamment sur les Chants de la Réserve.

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    Américaine mais pas de sang navajo Kristina Jacobsen d’origine scandinave a été surprise de cette scène country and western Navajo. Comment se fait-il que cette tribu réputée pour avoir au mieux préservé sa culture originelle goûte particulièrement cette musique. Encore plus stupéfaite de la renommée de Wailon Jennings, il n’est pas rare de trouver des navajos prénommés Wailon !  Elle a enquêté, d’abord elle s’est aperçue que dès les années soixante les navajos appréciaient ce genre de musique, c’est ainsi qu’elle cite les Fenders comme l’un des meilleurs groupes country des années soixante. Reste à savoir pourquoi ! Certes la musique country véhicule des valeurs traditionnelles partagée par toute la culture indienne : l’amour et son corollaire la solitude, la famille, la nature… mais les navajos se sentent aussi un peu cowboys, non pas parce qu’ils auraient adoré les westerns mais pour une raison ethnographique culturelle : le peuple navajo qui a été forcé de se rendre dans sa réserve de l’Arizona, encore une longue marche, vivait dans les plaines du sud-ouest de l’Amérique, il pratiquait la chasse et l’élevage… Dans leur nouvelle ‘’patrie’’ ils ont certes préservé du mieux possible leur identité mais en gardant une nostalgie plus ou moins consciente de leurs jours heureux… Ainsi s’explique cette étrange ferveur envers la musique country… Même si ces dernières années toute une partie de la jeunesse Navajo s’en détache. Musicalement, le rap, le hip hop et le metal exercent une forte influence, les conditions de vie changent, les Navajos ont toujours su s’adapter, notamment en étant très vigilant sur le quantum, la quantité de sang (un quart) que vous devez posséder pour être admis dans la Nation Navajo, d’où des contradictions : avoir du sang navajo ne signifie pas que vous êtes un adepte convaincu de la culture navajo… Ce quantum qui à l’origine était un droit et un devoir d’entraide finit ainsi par être considéré comme un privilège. Qui ne peut que favoriser les sentiments d’exclusion chez les couches les plus précaires, notamment les jeunes, qu’elles accèdent ou pas au quantum… Les sociétés ne restent jamais stables. Elles évoluent, vers le mieux ou vers le pire, les améliorations et les reculs sont aussi ressenties différemment par les individus mais aussi par les classes sociales… les contradictions politiques, culturelles et économiques se chevauchent et se télescopent, avec plus ou moins de violence…

    THE FENDERS

    SECOND TIME ROUND

    (QQ Records / Années Soixante)

    QQ Records fut un petit label basé à Albuquerque dans les années soixante, Si l’on en croit Discogs ne seraient sortis que douze simples et trois 33 Tours parmi lesquels se trouve ce Second Time Round. Le premier simple de QQ r est sorti en 1966, seul un autre single est crédité d’une date de parution (1966). Notre album a dû sortir cette même année. Le terme Second semble indiquer qu’il y eut un premier album. Discogs nous renseigne sur la parution d’un album douze titres The Fenders on Steel. Volume 3 crédité Not on Label  avec date indéterminée. Il y aurait eu un premier album : nommé Introducing The Fenders.

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    Proviennent de la réserve navajo de Window Rock située à plus de deux milles mètres d’altitude et nommée ainsi grâce à un phénomène naturel propre à attirer les touristes, un énorme trou rond dessinée dans une montagne. La localité de trois mille habitants est la capitale de la Nation Navajo.

    Ervin Becenti et Johnny Emerson furent membres des Fenders. Je ne suis  pas sûr de l’identification des autres membres du groupe.

             Lorsque j’ai vu la couve la première fois, trompé par la photo j’ai cru à un groupe instrumental… Erreur de ma part. J’ai repéré sur le Net deux autres titres qui ne sont pas sur  cet album, je poste plus loin la photo en gros plan de la vidéo qui permet de mieux les admirer.

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    Your cheatin heart : difficile de trouver davantage symboliquement country pour un premier titre. Par cotre le son est terriblement sixties, ceux des premiers groupes instrumentaux français par exemple, poussons un cocorico, ils étaient meilleurs, le son de nos Fenders est un tantinet maigrelet. L’est sûr que l’original de Hank Williams n’est pas non plus supersonique toutefois il dégage un tel parfum de bouse rurale que vous ne pouvez que succomber au charme. Les Fenders suivent la ligne sans jamais sortir des rails. Seul le chanteur se permet quelques variations.  It is like more the heaven : une reprise   de Hank Locklin un des piliers durant presque un demi-siècle du Grand Hole Opry. Ont-ils été paralysés par l’ombre impressionnante de Hank Williams toujours est-il que cette reprise leur va comme un ghankt avec cette guitare qui rentre dedans et fait le gros dos, le vocal qui ne lui cède pas un pouce de terrain. Kristina Jacobsen nous avertit les premiers disques de country dimé n’étaient pas mastérisés. Pas pasteurisés non plus, ce son rêche et rustre n’est pas déplaisant. She knows why : prennent de l’assurance à chaque titre, la guitare ronfle et la voix ressemble à un brise-glace qui s’amuse à bousculer les icebergs. Le premier pont musical ressemble davantage à une passerelle branlante, mais on l’oublie dès que l’on pose le pied sur l’autre rive. Wildwood flowers : est-ce qu’ils n’ont pas osé s’attaquer au chant de Maybelle  Carter, doit-on cette version instrumentale à la difficulté de la transcription des paroles, serait-ce de la pudeur indienne, à l’origine c’est une jeune fille qui se donne par dépit à un autre après avoir été séduite par son premier amant. Agréable à écouter, toutefois l’on regrette la version qu’en donnera Johnny Cash. Honky tonk hardwood floor : ne reculent devant rien, après Hank Williams voici Johnny Horton, ce n’est pas la Bérézina mais pas la traversée du Granique par Alexandre non plus, font tout ce qu’ils peuvent, toutefois leur manque le sel hortonien, cet avant-goût prononcé du rock’n’roll. C’est un vieux rocker qui parle, reconnaissons que ce n’est pas mal du tout. All for the love of a girl : encore une reprise d’Horton, une bluette insignifiante, quand le country danse avec la guimauve, nos Fenders suivent le mauvais exemple, mais comme ils n’ont pas de violon à leur disposition, ils ne donnent pas l’impression de pleurnicher dans rideaux de la salle à manger. Font le job, mais l’on devine qu’ils ne vont pas se suicider pour une fille. Un peu de tenue ! Ce sont des guerriers ! I’m walkink the dog : l’on s’en doute ne sont pas inspirés de la version originale de Rufus Thomas que vous préfèrerez si vous êtes un homme de goût ou une lady distinguée, ont écouté la version country de Webb Pierce, mais ils ont dû manger du chien enragé car leur interprétation est nettement moins geignarde que celle de Pierce. Ne s’apitoient pas sur eux-mêmes c’est bien eux qui sont les maître et le chien n’a qu’à obéir.

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    Mule train : original du cowboy en chef numéro : un Frankie Laine, l’immortel auteur de la fantastique chevauchée Rawhide que ce train de mules ne parvient pas à dépasser, sont malins les Fenders s’inspirent de Rawhide, sans l’égaler bien sûr, mais leur interprétation dépasse celle de Frankie. Lui broutent la laine sur le dos. Counterfeit love : décidément ils aiment Johnny Horton, bon il y a Grady Martins à l’accompagnement ça aide à faire passer la pilule surtout que ça prend l’allure d’un slow sixties frétillant, mais ce n’est pas l’Horton que l’on préfère… à la limite cette version des Fenders nous agrée un tantinet, deux voix alternées, une qui nasillarde, l’autre qui entonne à plein poumons, ce n’est pas le Pérou mais l’on s’ennuie moindrement. Don’t let it go : un bel instrumental aux guitares retentissantes, serait-ce le meilleur morceau du disque. Qui dure. Font monter la chantilly jusqu’au plafond. Folsom prison blues : s’enhardissent n’hésite pas à marcher sur les brisées de Johnny Cash, ils s’en tirent bien, très caschien donc ça a du chien, l’on adore. Tout est en place, le vocal et les guitares. Love’s gona live here : crashing test, tiens un morceau de Buck Owens, je me disais c’est étrange l’on n’a pas encore rencontré Waylon Jennings, le voici, pas tout seul, en compagnie de Willie Nelson, vous l’avez aussi avec Johnny Cash, certes l’original est de Buck Owens sorti en 63 ce qui aide à dater ce Second Time Round. Dwight Yoakam, nous l’avons dernièrement rencontré dans notre kronic  de Rock en vrac de Michel Embareck a aussi repris ce morceau, l’était tout comme Buck originaire de Bakersfield, le vocal des Fenders est assez proche de l’original mais les guitares davantage proximales de Johnny Cash. Je vais être franc, ce n’est pas mon morceau de country préféré.

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    One woman man : encore un morceau de Johnny Horton, fut aussi repris par  George Jones (on ne résume pas la vie de George Jones, pour un country boy, il a eu une vie de rocker), ces derniers titres du disque sont les plus réussis, une guitare vraiment country rentre-dedans et un vocal plus que satisfaisant. Take me like I am : quand on a un maître, il faut le tuer, z’ont attendu la dernière piste pour commettre le meurtre du père Horton, une guitare qui fracasse tout, un vocal de guerre par-dessus, peuvent être fiers d’eux. Que voulez-vous de temps en temps les indiens gagnent la bataille !

    Damie Chad.

     

    *

    Impossible de ne pas terminer les deux précédentes kronics sur des artistes indiens par un autre artiste indien, mais actuel celui-ci. J’étais sûr que Western AF m’offrirait une piste à suivre. Le légendaire flair du rocker ne m’a pas trahi, j’avoue cependant que je ne m’attendais pas à tant d’émotion.

    COYOTE

    KEN POMEROY

    (YT / Western AF / 22 Octobre 2024)

             Comment ai-je pu faire l’impasse sur une telle merveille ! Rien que le titre, l’animal mythique des Indiens, un latranide malicieux aux mille ruses certes, toutefois n’oubliez pas que malicieux débute mal.

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            Toute seule, ses longs cheveux, sa guitare. Derrière la futaie sombre, troncs noirs, branches hautes d’un vert sans espérance. La voix, pas du tout mélodieuse, point charmeuse, chaque fois qu’elle l’accentue vous avez l’impression qu’elle vous arrache des lambeaux de chair. Elle vous cloue sur place, vous écoutez. Sans rien comprendre vous sentez qu’elle ne vous dit pas tout, qu’elle garde le plus amer par devers elle, qu’elle ne vous livre que de l’indicible, alors vous vous accrochez aux mots, vous essayez d‘entrer en résonance, de percer le mystère de ce dire qui ne dit pas son nom, quelque chose qui vient de loin, de plus profond. Cette lèvre qui tressaille à peine trahit une plaie ouverte et refermée, résurgente chaque fois qu’elle y pense. Elle y pense toujours. Vous n’avez jamais été aussi près de la solitude d’un être humain. Elle vous enveloppe. C’est sa manière à elle de communiquer. Ne rien donner, tout offrir.

             Illico, c’est la trentième fois que vous écoutez le morceau, vous voulez en savoir plus. Vous cherchez. Sur Bandcamp vous apprenez que son prochain album, sortira au mois de mai. En avance une vidéo du même titre :

    COYOTE

    KEN POMEROY

    (Official Visualizer  /  Ocobre 2024)

             L’est toute gentillette la bébête, restez sur cette image toute mignonnette. Ne cliquez pas dessus. Vous insistez. Tant pis pour vous. Non, il ne se passe rien, oui le coyote à la bougeotte, il remue tout le temps, toujours les deux mêmes mouvements. Un peu monotone, vous dites, alors activez le son, je vous aurais prévenu.

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    Ken Pomeroy : vocals, acoustic guitar / John Moreland :  vocals / Dakota McDaniel ; bass, electric guitar, banjo /Chris Scruggs : pedal steel / Colton Jean : Drums.

             Certes c’est plus doux, plus nuancé, moins roots que la version AF. Miracle de l’orchestration, vous ne perdez rien pour attendre. Un dernier renseignement : Cruel Joke est le titre de l’album.

             Oui la pedal steel guitar allonge le beurre sur la tartine, John Moreland pose le murmure de sa voix, une ballade d’enfant, sur l’image le coyote cligne de l’œil, quand il baisse la tête, il devient irrésistible, vous avez envie de le prendre au creux de vos bras, comme une peluche, ne serait-ce pas une ballade pour endormir les enfants sages, hélas, ils grandissent, vous, moi, nous tous, le Coyote viendra, soyons-en certains, dans la culture Cherokee l’on dit que lorsque vous apercevez le coyote, ce n’est pas bon signe, peut-être pas très grave, pas inoffensif non plus, d’ailleurs la vie n’est-elle pas une suite d’embêtements, n’osons même pas articuler le mot désagrément, sur l’image le Coyote tourne la tête, de quel côté regarde-t-il, vers le passé ou vers le futur, pourquoi reste-t-il assis dans le présent, est-ce pour être auprès de nous, ne pas nous quitter de l’œil, la voix de Ken Pomeroy s’insinue toute douce, toute nue, dans votre chair, comme le couteau ébréché de la vie s’enfonce en vous pour vous retrancher du monde. Dans lequel vous aurez vécu sous la sempiternelle garde du coyote. Ne croyez pas que quelqu’un peut l’écarter de vous. Nous sommes tous le coyote de l’autre.

             Nous nous quitterons sur une dernière vidéo. Un peu bizarre. Pour ne pas gâcher l’ambiance nous ferons semblant de croire qu’elle est surréaliste. C’est juste pour que vous n’ayez pas peur. Peut-être n’est-elle que le reflet exact de ce que nous trouverions dans votre tête si nous l’ouvrions avec un ouvre-boîte.

     PAREIDOLIA

    KEN POMEROY

    (Official Vidéo / Octobre 2023)

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    Le monde selon Ken Pomeroy. Extrospection. Elle chante comme une petite fée, avec un tel allant vous la suivriez en enféer. Que voyons-nous du  monde. La réalité n’est-elle pas paréidolique, en termes moins compliqués n’est-elle pas ce que voudrions ou ce qu’elle n’est pas. Une maison de poupée remplie d’êtres étranges. Furtive apparition, le coyote pousse son museau. Le mieux serait de croire que nous sommes dans un conte de marionnettes à la Alice au pays des merveilles. Depuis Lovecraft nous savons que les merveilles ne sont jamais loin des démons. Pour vous aider à comprendre, le texte vous énumère les figurines que Ken sort de la boîte à jouets de sa cervelle. Vos enfants adoreront, heureusement qu’ils ne comprennent pas l’anglais. Une espèce de nursery rimes, une de ces comptines loufoques dont les anglais raffolent, folle elle ne l’est pas, mais elle chante tout haut ce que d’habitude l’on cache, nos envies de meurtres par exemple, mais  les couleurs sont si belles et si surprenantes que l’on oublie que la vie est une cruelle plaisanterie. Si sordide que parfois l’on aimerait s’extraire du tableau. Ô Cruella !

    C’était juste une entrée dans le monde poétique de Ken Pomeroy. Cherokee girl.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 681 : KR'TNT ! 681 : PETER PERRETT / DAVID JOHANSEN / ROBERT PALMER / P.P. ARNOLD / TARHEEL SLIM & LITTLE ANN / COLONNE IPERBOLICHE / JEAN-PAUL BOURRE / SLEEPING IN SAMSARA

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 681

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 03 / 2025 

      

     PETER PERRETT / DAVID JOHANSEN

    ROBERT PALMER / P.P. ARNOLD

    TARHEEL SLIM & LITTLE ANN

      COLONNE IPERBOLICHE / JEAN-PAUL BOURRE

    SLEEPING IN SAMSARA

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 681

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Perrett et le pot au lait

     (Part Two)

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             Peter Perrett fait partie de ceux qu’on attend comme les messies. Ils ne sont plus très nombreux, car le messianisme suppose une carrière longue de quarante ou cinquante ans. On pourrait citer quelques noms, tiens Frank Black par exemple, Billy Childish, ou encore John Cale, ou bien encore Anton Newcombe. Presque des institutions.

             C’est une véritable rafale d’articles qui salue le grand retour de Peter Perrett. La presse anglaise n’y va pas de main morte : 5 pages dans Shindig!, 6 dans Uncut, 4 dans Vive Le Rock, mais attention, ce sont des interviews, et les interviews de Peter Perrett ont une sacrée particularité : elles sortent du lot. Et sacrément du lot. Et il ne raconte jamais deux fois la même chose.

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             Dans Shindig!, Jon Mojo Mills qualifie Peter Pan de «romantic bohemian punk poet», pas mal, Mills !, avant de lui poser les meilleures questions qui soient ici-bas, attaquant sur le Mod Peter, lui demandant ce que c’est d’être Mod, et il répond du tac au tac : «It’s an appreciation of a certain style.» Tout l’interview est de ce niveau - Steve Marriott was the guy I wanted to look like - Il dit voir les Small Faces live en 1966, au Windsor Jazz & Blues Festival. C’est son premier concert - The sound just blew me away on the wind - Puis il voit Geno Washington au Marquee, «which was sweaty». Et puis ça qui en dit long sur la finesse du bec fin : «Then I heard the Pink Floyd’s ‘Arnold Layne’ and everything changed.» Deuxième connexion : après les Small Faces, Syd. Puis il voit les Creation. Il explique ensuite que les Mods sont devenus soit des hippies, soit des skins et prend l’exemple de Steve Harley devenu un skin. Pour Peter, pas question d’entrer dans une catégorie - By the time I’d got to 15 and a half, almost 16, I wanted to be an individual - Puis c’est la découverte du Velvet - That changed everything, again - Il y découvre l’enfer et le paradis - I became obsessed with them.

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             Il monte son premier groupe, England’s Glory et pour l’anecdote, Mills raconte que ça sonnait comme un bootleg du Velvet, ce que croyait Nick Kent en 1977. Puis c’est le contrat avec CBS - I signed with CBS because Bob Dylan’s on CBS - Dans la foulée, il rend hommage à McLaren et Vivienne Westwood «as being anti-fashion» - They had clothes that were the antithesis of fashion - Il voit les Pistols pour la première fois en 1975 au Chelsea College Of Arts, «and everybody hated them. That’s what was good about it.» Puis une fois que c’est devenu a trend, c’est-à-dire une tendance, avec la une des canards, «it just became fashion». Il évoque rapidement la scène d’alors, et rappelle que la seule personne avec laquelle il est devenu ami, c’est Johnny Thunders. Puis il évoque la tournée américaine en première partie des Who. Les Only Ones se sont fait jeter - Apparently, we weren’t warming up the audiences the right way - Peter raconte qu’on les autorisait à n’utiliser que 5% de la sono, «we weren’t loud enough». Les gens parlaient pendant qu’ils jouaient. Une catastrophe.

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             Puis il évoque son retour dans le rond du projecteur - I stopped smoking everything, including nicotine. I haven’t had one puff since - Il reconnaît que ses «lungs were really damaged. You have to think about where you’re going to take a breath.» Il parle du chant, bien sûr. Il dit aussi qu’il ne voit plus grand chose - I can’t see any of the knobs on the amp - Et Mills qui est assez pince sans rire lui demande «a funny tale from the heavyness of the drug days.» À quoi Peter répond : «This is pretty dark. How about all the times I set the house on fire?» Et il ajoute un peu plus loin : «It was chaos.»

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             Dans Uncut, il répond aux questions de Stephen Troussé qui commence par le titiller avec la re-formation foireuse des Only Ones en 2007. Peter dit qu’il n’était pas en état, qu’il was still using drugs et que sa voix était complètement fucked. Il était mal, car il aime bien faire les choses proprement - When I do thing I like to do it properly - et là ce n’était pas le cas. Il en profite pour dire que les promoteurs payent trois fois plus quand c’est les Only Ones, plutôt que Peter Perrett. Mais pour Peter, il n’y a plus d’Only Ones depuis que Mike Kellie a cassé sa pipe en bois - Without Kellie, it’s not the Only Ones - Et il rentre dans le vif du sujet : «Back in the 1970s, The Only Ones were my favourite band.» Il rappelle aussi que Johnny Thunders et lui étaient plus âgés que les punks. Ils avaient quatre ans de plus. Il adorait jouer avec les Only Ones - They alowed me... to disintegrate onstage - Puis Troussé lui demande : «How long have you been clean?», alors Peter dit qu’il s’est arrêté de fumer le jour de son annive, April 8, 2011. Et il redit ce qu’il a dit à Mills plus haut, mais avec plus de détails : «I haven’t smoked any heroin, crack, nicotine, grass or hasch since then.» Au moins, comme ça c’est clair - I could fucking breath again - Pour stopper l’hero - I’d been taking it for 35 years and you can’t just stop - il est passé à la méthadone et le traitement s’est terminé en 2015. Quant aux roots, il revient bien sûr sur les Small Faces, mais aussi sur les Who - When I was 13 I bought the first Who album - les Stones et les Kinks - But then I heard «Like A Rolling Stone» and it was the next epiphany - et il s’enflamme  : «Music became art for me at that moment, it became life. And it became my escape.» Puis c’est le Velvet, encore pire que Dylan - They were talking to me the same way that Dylan did, but with a sound that blew everything away - Et pouf, il part sur son weapon, «Sister Ray» - And when the second album came out, «Sister Ray» was my weapon - Dans les fêtes, dit-il, les gens le suppliaient d’arrêter de passer «Sister Ray». Il en rigole : Ha ha ha ! Arrêter ça ? - I said I couldn’t hit it sideways/ I said I couldn’t hit it sideways/ Oh, just like Sister Ray said - Impossible ! C’est le détail qu’on retient le mieux de Peter Pan, son obsession pour «Sister Ray». Son autre obsession est l’exigence : «It’s a thing of not wanting to write bad songs.»

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             Il revient bien sûr sur son état de santé. Il rappelle que Zena et lui ont des poumons dans un sale état et pendant le confinement, ils ne sortaient de chez eux que pour des rendez-vous à l’hosto. C’est lors d’un rencart qu’il glisse de sa chaise et qu’il se casse la hanche. Il est resté à l’hosto 13 jours. C’est là qu’il a commencé à rapetisser - I’ve shrunk by three inches - Et il ajoute ça qui sonne comme un vers de chanson : «One more fucking medical problem to add to the litany.» Puis vient le temps de la rééducation. C’est Douglas Hart qui le fait marcher - He single-handedly rehabilited me - Puisqu’on est dans les Mary Chain, Troussé en profite pour évoquer Bobby Gillespie qui chante sur The Cleansing - Bobby lives round the corner - C’est pratique. Peter dit aussi avoir rencontré Lou Reed en 1972, alors qu’il enregistrait avec England’s Glory. Le Lou utilisait le même studio. Il s’est assis à côté de Peter et Zena et suppliait Zena to let him eat her. Peter ne comprenait pas ce que ça voulait dire. Par contre, c’est autre chose avec Johnny Thunders qu’il a rencontré pour première fois au Speakeasy, en 1977 - Johnny est arrivé et a dit : «Hi, I’m Johnny Thunders and I love your voice.» That was a great opening line, that’s the way to a singer’s heart. I’m like, OK, this might be interesting.

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             Le nouvel album de Peter Perrett s’appelle donc The Cleansing. Il porte bien son nom. The Cleansing se présente comme un événement et ça commence par la pochette. Avant d’entrer dans le contenu, tu observes le contenant, comme au temps jadis, quand les pochettes décidaient presque du sort des albums. Tu le vois, en noir et blanc. Il est tellement carré d’épaules que ça te semble bizarre. Les images parfaites te semblent toujours bizarres. Les lunettes sont comme «modernisées», comme les épaules, avec deux ou trois centimètres d’extension de chaque côté du crâne. Le menton est petit et la bouche pincée, le col blanc très aéré autour du cou, la mise est simple, le dépouillement semble vouloir annoncer le contenu. Straight. Au dos, l’image est encore plus troublante, derrière des lunettes encore plus «modernistes», Peter Perrett hausse le sourcil, comme s’il t’observait. Son grain de peau évoque à s’y méprendre celui d’un cadavre vivant. C’est Peter Perrett que tu observes et qui t’observe. T’as clairement l’impression d’observer une superstar. Avec «I Wanna Go With Dignity», tu commences à boire ses paroles, au sens le plus littéral de l’expression. Le big sound t’accueille. Te voilà rendu sur un very big album, et ce sera sans le moindre doute le plus bel album de l’année. Peter Pan demande juste à partir avec dignité, please help me. Te voilà stupéfait. Et t’es happé aussitôt après par «Disinfectant» que Peter chante à la Perrette, avec son kid Jamie au killer solo de lumière intense. Jamie perpétue le grand art instauré jadis par John Perry. Tu t’aperçois très vite que chaque cut est une fin en soi, chaque cut t’accueille à bras ouverts, Peter Pan crée un monde à chaque fois. Il rend un bel hommage à sa poule avec «Fountain Of You» - I drink the juice/ At the fountain of you - Pur genius de romantica perettienne, c’est même l’une des plus belles chansons de tous les temps, comparable à «Pale Blue Eyes» - I stand in line/ A thousand times - The Cleansing est un double album qui va aller se ranger à côté des grands doubles historiques comme le White Abum et Electric Ladyland. Peter Pan amène «Secret Taliban Wife» en mode stomp. C’est une chanson érotique. Tout est précieux et beau sur cet album, comme dans un recueil de vers de Baudelaire. Peter Pan fait rimer black avec whatsApp, ce qu’aurait osé Baudelaire s’il avait vécu à notre époque. Sur le «Woman Gone Bad» qui ouvre le bal de la B, il gratte une fuzz et fait de l’heavy Perrett. Il chante comme un punk à coups de There’s a fortune to be made/ Cos it’s a dangerous condition. Et comme toujours, il a ces chutes abyssales typiques de long lost memory/ Where innoncence died/ It died. Tu vas tomber de ta chaise avec «Survival Mode», car après un couplet, ça explose à coups de seek precision in desire. Sur «Mixed Up Conficius», Jamie fait un véritable festival, il éclaire la terre, il joue sur son père qui ergote - I just wanna fall in love/ One last time - Cet album est un véritable testament artistique, le testament d’une superstar. Et puis t’as encore la voix avec «Do Not Resuscitate» - Just let them know/ Before it’s too late - Ce sont les paroles d’un rock God - I don’t look good/ I’ve had enough/ Just need a friend to give me the stuff - Seul Peter Perrett peut se permettre de jouer ainsi avec le stuff. Et puis avec le morceau titre, il avoue qu’il ne sait rien du futur ni de l’after-life. C’est tellement demented que t’en tomberais presque dans les vapes. Il repart en C avec l’atrocement mélancolique «All That Time» - Took no time to question/ What we’d done - et il passe au supra-power avec «Set The House On Fire», c’est l’absolu du we never slept/ We did it all night/ I’m obsessed with doing it right/ We carried on/ Doing our thing/ When it’s good/ the angels sing - Les déroulés vocaux sont tous effarants. Encore du maudit génie d’ultime dandy dans «There For You» - It’s all I can do/ To be there for you - Il élève sa diction cadavérique au rang d’art majeur et lâche ça, qui en dit long sur la portée de son There For You : «If you recognise me/ Make a sign.» Plus loin, tu vas croiser l’effarant «World In Chains», avec Johnny Marr aux poux et Alice Go qui chante un couplet, mais ça reste du pur jus d’Only One. Quand ça se met en route, c’est stupéfiant de classe. Il revient encore à ses roots avec l’explosif «Back In The Hole» - I got no voice/ Can’t even scream - et Jamie embarque le «Crystal Clear» de fin au firmament. Quelle envolée de crystal clear ! Jamais un cut n’a aussi bien porté son nom.     

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             Dans Vive Le Rock, Duncan Seaman trouve que les chansons de The Cleansing sont un peu dark, et Peter Pan corrige le tir : «Most of my songs are about love and the close relationships that a human being can have with another human being. It counterbalances the darkness.» Il dit aussi avoir approché The Cleansing comme s’il s’était agi de son dernier album. En plus, c’est un double album et Peter Pan reconnaît que c’est gonflé à une époque «when people have got the attention span of thirty seconds or half a song». Et il développe : «Je sais que je ne vais pas intéresser la grande majorité des gens, ils ne vont pas s’asseoir pour écouter un double album. Je ne sais pas si quelqu’un aujourd’hui sait encore s’asseoir pour écouter 20 chansons à la suite, but I hope that there are some people who enjoy absorbing music in that concentrated form.» Il ajoute que pour beaucoup de gens, la musique est devenue une sorte de background, «I don’t think my music is great as background music. It’s something that you have to immerge in, it requires quite an investment of time and concentration, but hopefully it’s a worthwhile for the people to do.» Il a raison, Peter Pan de dire que ça vaut le coup de s’immerger. Ça relève exactement du même process qu’avec Dylan. Tu t’assois et tu t’immerges. Il dit aussi que l’album s’appelle The Cleansing car «it feels like a new awakening to life and the world.» Il dit être tombé amoureux de la nature et adorer le walking in the park. Il dit aussi que «Fountain Of You» concerne Zena qu’il a épousée en 1970 - It’s a life sentence - Et il ajoute : «She is the person that keeps me alive.»

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             C’est alive and well qu’il débarque sur la scène riquiqui de la Maroquiqui. Il paraît flotter dans son costume noir. Sans doute est-ce l’extrême largeur des jambes du pantalon qui donne cette impression. Peter Pan est à présent légèrement voûté, comme le sont globalement tous les ceusses qui passent la barre des soixante-dix balais. Après ce cap, rien ne va en s’arrangeant.

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    Mais Peter Pan semble avoir de bonnes réserves d’énergie, car il tient la scène - et son rang - pendant 90 minutes, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il est extraordinaire de qualité. Moins dandy qu’au Point Éphémère, mais d’une grâce infinie. Voix intacte. Lunettes noires. Look Perrettien. Il incarne mieux que personne le mythe de la légende vivante. Ses deux fils Jamie et Peter Jr l’accompagnent. Il tape essentiellement dans The Cleansing et attaque avec le cut d’ouverture de balda, «I Wanna Go With Dignity» et va finir son rappel avec le «Disinfectant» qui suit dans le balda.

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    Il tape assez rapidement dans son vieux fonds de commerce des Only Ones avec «The Big Sleep» qui n’est pas le meilleur Oner. Par contre il va te broyer le cœur avec «An Epic Story», tiré de l’How The West Was Won paru en 2017. Magie pure ! C’est ce qu’il fait de mieux : caler cette voix ultra-décadente sur une mélodie imparable. Le seul qui ait réussi ce prodige, c’est bien sûr Lou Reed. Et dans une moindre mesure, Kevin Ayers. Il atteint l’autre sommet de son art avec «Fountain Of You». Cut bouleversant sur l’album, alors on imagine ce que ça peut donner sur scène. C’est un moment purement rimbaldien.

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    Tu ne peux rien espérer de mieux d’un concert de rock. T’as tout : le poids de la légende, la crudité de l’instant présent, la perfection artistique, la pureté mélodique, l’extrême beauté de cette voix éculée par tant d’abus, t’as vraiment l’impression de toucher le noyau atomique du rock, l’abstraction devient réalité. Avant le rappel, il balance deux vieux standards : l’inévitable «Another Girl Another Planet» qu’on a tous adoré à l’époque, en 1977, il ressort pour l’occasion tout son vieux panache d’Only One, et il enchaîne avec une version à rallonges de «The Beast», un cut tiré du premier album sans titre des Only Ones et qui, revitalisé, devient une sorte de stormer impavide, tu vois Peter Jr claquer des beaux gimmicks de basse. Ce version démente de «The Beast» va te marquer la mémoire au fer rouge.

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             Peter Pan semble touché par l’accueil du public. Il lui arrive même de sourire, tellement l’accueil est chaleureux. Il s’adresse au public d’une voix cassée et le remercie à sa façon. On le sait, les Anglais ne sont pas très expansifs. Mais cette fois, on le sent ému. On l’observe attentivement, et on se demande ce qu’attend encore un homme de son âge d’un tel événement. Quel sens ça peut avoir ? Besoin de blé ? Besoin de reconnaissance ? Non, c’est pas ça du tout. Soudain, on comprend : il monte sur scène et chante ses compos uniquement parce qu’il aime ça. T’as devant toi un homme qui n’a vécu toute sa vie que pour ça. Il vient d’enregistrer l’un des très grands albums de l’histoire du rock anglais et à 73 ans, il te claque encore un set d’une qualité magistrale. La messe est dite. 

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             Paru en 2019, Humanworld fut le deuxième album du grand retour inespéré. Peter Perrett tapait encore en plein dans le mille. Avec sa marionnette sortie des ténèbres, Humanworld semblait conçu pour hanter les esprits. Cet excellent album chargé d’ambiance s’ouvrait sur «I Want Your Dreams». Peter Pan conservait ses vieux accents perettiens de dandy cocaïnomane des années de braise et ce goût prononcé pour les dynamiques internes. L’affaire se corsait avec «Love Comes On Silent Feet», fantastique swagger de vieux London boy sur la brèche : diction subliminale d’Only One des origines, avec encore plus de swagger dans le ton. Il finissait même parfois par sonner comme Lou Reed, comme on le montrait «The Power Is In You», saturé de nonchalance urbaine. L’hit de l’album se trouvait en B et s’appelait «Walking In Berlin», un hit délicieusement décadent, Peter Pan tartinait ses syllabes comme le fit Lou Reed dans «Walk On The Wild Side» - She walks the day/ She walks the night - Ses fils Jamie et Peter Jr fourbissaient le beat délicat de «War Plan Red» - War plan red/ It’s a shame - Peter Pan n’avait jamais été aussi décadent. Il enchaînait avec «48 Crash», un mambo extraordinairement déliquescent, doté de chœurs venus de l’outerspace - I wanna do something - Tout le psyché d’Angleterre ramenait sa fraise dans «Love’s Inferno» et Peter Pan bouclait son bouclard avec «Carousel» - There’s something with you girl that haunts me - En bon prince des romantiques, il ajoutait qu’it’s like a carousel turning in my heart. Belle déclaration de foi. 

    Signé : Cazengler, Operrett

    Peter Perrett. La Maroquinerie. Paris XXe. 21 février 2025

    Peter Perrett. Humanworld. Domino 2019

    Peter Perrett. The Cleansing. Domino 2024

    Jon Mojo Mills : Set the house on fire. Shindig! # 157 - November 2024

    Stephen Troussé : Terminal lucidity. Uncut # 331 - November 2024

    Duncan Seaman : Blithe spirit. Vive le Rock # 118 - 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Dollse vita

    (Part Three)

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             Que fais-tu quand l’un de tes phares dans la nuit s’éteint ? Tu ressors aussi sec les albums de l’étagère. David Johansen vient de casser sa pipe en bois, alors tu lui rends un dernier hommage en mettant le volume à fond pour écouter les deux albums des Dolls. C’est bien le moins que tu puisses faire.

             Tu vois ces deux albums comme une suite logique. Tu les connais par cœur, mais ils sont comme l’air que tu respires, indispensables à ta pauvre vie de vieux con. Tu les entends en 2025 avec la même oreille qu’en 1974. Cinquante ans ont passé et t’es toujours aussi con, et t’es fier d’être assez con pour être resté fan des Dolls. Ces cinq mecs ont réussi à ne pas se faire avoir et tu les admires pour ça. Ils n’ont jamais vendu leur cul. Alors tu te prosternes une dernière fois. Car c’est bien de cela dont il s’agit : d’un respect infini, quasi-religieux, mais au sens païen. On parle ici de spirit. Le temps des dieux n’a jamais cessé d’exister. Pour une génération entière, les dieux du rock sont une réalité. Ce sont d’ailleurs les seuls que tu honores chaque jour de ta vie. David Jo casse sa pipe en bois, mais son esprit reste parmi nous.

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             Tu peux le palper aussitôt le When I say I’m in love/ You best believe I’m in love/ L/ U/ V de «Looking For A Kiss» et le big bass drum de Jerry Nolan. La prod de Todd installe le trône des Dolls au ciel des dieux. Ça siffle au coin de la rue pour «Personality Crisis», tu peux palper le panache du brio, ça roule tout seul, avec les pianotis de Todd. Sur tout le balda de ce premier album, le son fonce à travers la psyché du temps. Et tout culmine avec cette extraordinaire pièce montée qu’est «Frankenstein». Cul-mine en deux mots ! On disait autrefois que «Frankenstein» tenait debout par la seule vigueur de son élan et de ses clameurs, on dirait aujourd’hui que ça tient debout grâce à la crème de pathos, ils te montent les étages du gâtö et ça tient debout par miracle, avec une extraordinaire combinaison d’audace et de power new-yorkais qu’on appelle aussi le gut - Who’s the one you’re loving/ Misunderstood like a Frankenstein - C’est pas un hit, mais un hallucinant fleuron dégoulinant de pathos. Il est évident qu’un mec comme Todd fut éberlué par l’ampleur compositale de «Frankenstein». Tout le monde, y compris Todd, est dépassé, et toi en premier. Personne n’a jamais aussi bien enfoncé le clou d’un cut de gut - My name is Frankenstein/ Frankenstein/ Frankenstein - C’est là que David Jo est devenu un héros.

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             Et ça repartait de plus belle en B avec le Trash/ Go pick it up de «Trash», et ça rebondissait à coups de take them lights away, avec un Johnny Thunders qui grattait ses poux en crabe dans les descentes de refrains - And please don’t you ask me if I love you/ Cause I don’t know what I do - C’est l’époque où on sortait les paroles pour pouvoir chanter en chœur avec le cut. Maintenant, on n’a plus le temps de faire ça. On n’adore plus les albums de la même façon. Disons qu’on les consomme une fois, et c’est fini. Les Dolls, le Velvet, Electric Ladyland, le White Album et les deux Stooges, The Spotlight Kid, ça durait des années. Et t’as ce final apocalyptique qui fait d’eux des dieux du Trash/Go pick it up. C’est la Marque Jaune des Dolls. Avec «Bad Girl», on reste dans le power à tous les étages en montant chez David Jo. Todd a réussi à leur combiner un power sourd et ramassé sur lequel David Jo le héros peut s’égosiller à coups de what you try to do.

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             Ah, «Subway Train», c’est une autre histoire. Tous les ceusses qui ont joué dans des groupes de reprises se sont cassé les dents sur «Subway Train». Et le diable sait si on a essayé ! Pourquoi ? Parce que ça part en mode balladif et le rythme se casse, you can hear the whistle blowing. Un enfer ! Touche pas à ça ! Impossible à jouer. Il faut être complètement à la ramasse pour jouer ça à la bonne vitesse. Ils attaquent le «Pills» de Bo à gros coups d’harp et d’hospital bed, il faut voir Syl Sylvain et Johnny T gratter leurs accords rock’n’roll ! Quelle street-bravado et quel solo ! Ils enchaînent ça avec le fantastique swagger de «Private World», hop, ils sont déjà sur les rails et tu renoues aussitôt avec cette urgence Dollsy que n’ont jamais eue les Stones. Et puis t’as les dégaines. Tu examines la pochette pendant que t’écoutes David Jo asséner I need a/ Private world! Quel pied de nez à la modernité ! T’es frappé par le poids du sens. Les Dolls rockent le beat pour de vrai et Todd leste leur son. Dernière cerise sur le gâtö : le Jet Boy fly/ Jet Boy gone/ Jet Boy stole my baby de «Jet Boy». C’est l’hit des Dolls. Ils fondent leur empire. Ils font intrusion dans ton imaginaire avec cet up-tempo doublé de clap-hands et de Like he was my baby. On a longtemps cru qu’il s’agissait de Lucky. Alors on chantait Lucky was my baby. Johnny T souligne tout ça en grattant comme un dératé, un tout ça qui paraît décousu, mais non, c’est soudé à la riffalama, à tel point que ça devient l’hymne new-yorkais, au moins autant que «Waiting For The Man». Jet boy stole my baby ! T’es marqué à vie.

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             Aw my Gawd ! On vénérait ce premier album des Dolls, mais avec Too Much Too Soon, ce fut bien pire. Vague souvenir de la première écoute de «Babylon». Quelque chose de l’ordre du choc esthétique. Du choc de civilisation. C’mon boys ! Big time de Babylon ! Les chœurs déboulent et Killer Kane fait ronfler sa basse. On back to Babylon ! Clameur inexorable ! Let’s go to Babylon/ Boys/ Two girls for every boy ! C’est l’album des classiques, «Stranded In The Jungle», meanwhile back in the jungle - et «(There’s Gonne Be A) Showdown», l’autre hit des Dolls, une cover d’ampleur universelle. Personne n’a jamais égalé les Dolls sur ce coup-là. Tu retrouves encore la Marque Jaune des Dolls dans «Who Are The Mystery Girls» et ses chœurs d’artichauts. En B, ils tapent encore en plein dans l’œil du cyclope avec «Puss N Boots», un boogie Dollsy joyeux et puissant. Johnny T prend le chant sur son «Chatterbox» et Shadow Morton monte bien la basse dans le mix. Alors Killer Kane peut bouffer tout cru le foie du cut. Et pour finir, t’as Johnny T qui recouvre tout l’«Human Being» de disto. Il fait un interminable festival.

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             Et voilà, les Dolls, c’est fini. Terminarès. David Jo était le dernier. Au final, on est assez content : les seuls copains qu’on a sont eux aussi des fans des Dolls. Ça simplifie les choses.

             Drôle de coïncidence : Dick Porter nous tartine dix pages de Dolls dans le dernier numéro de Vive Le Rock. Porter est avec Kris Needs et Nina Antonia le grand spécialiste des Dolls. Porter est aussi un Crampologue averti.

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             Dix pages de Dolls ça fait toujours plaisir, même si encore une fois on connaît l’histoire par cœur. Porter attaque son récit par la Floride. Les Dolls sont en train de se désintégrer dans une caravane, puis Porter remonte vite fait jusqu’à McLaren, car c’est lui qui les a amenés là. Un McLaren qui en avait marre de Londres et des Teds et qui cherchait à élargir son horizon : direction New York et les Dolls. Il arrive juste à temps pour ressusciter les Dolls qui sont lâchés par leur management. David Jo l’apprécie énormément, car McLaren ne cherche pas spécialement à se faire du blé sur le dos des Dolls, et en plus, il ramène tout son discours révolutionnaire pompé chez Guy Debord. Alors ça, on peut dire que ça plait à David Jo : «I liked him because for an Englishman, he was full of revolution, and I was especially into the whole sixties demonstration attitude, which is what we came up out of.» Et pouf, McLaren commence par récupérer le loft de Mandrill sur la 23e Rue pour que les Dolls puissent répéter les cuts du troisième album : Syl ramène «On Fire» et Johnny T «Pirate Love». McLaren finance aussi la détox de Killer Kane et propose aux deux zozos Johnny T et Jerry Nolan de se détoxer aussi. Les deux zozos refusent et se mettent à regarder McLaren de traviole. De quoi y’se mêle ciui-là ? Quant à Killer Kane, il va bien sûr replonger après sa détox. Seuls Syl et David Jo s’enthousiasment de la présence de McLaren parmi eux. En plus, McLaren ne fait pas signer de contrat. Il essaye juste de les aider. Il veut vraiment ressusciter les Dolls. Et puis arrive l’épisode «Red Patent Leather» - Indians, the Communists - destiné à rétablir la «subversive credibility» des Dolls. L’idée est de sortir les Dolls d’une image d’«idiotic, silly nonsense» et d’en faire quelque chose d’«a little bit more dangerous».  Vivienne Westwood coud les costumes en cuir rouge. Syl dit qu’ils ont du mal à les enfiler, car trop serrés. Ils doivent mettre du talc. Nouvelles tenues de scène et nouvelles chansons : le moral est au plus haut. McLaren choisit le Little Hippodrome - a drag and comedy club on East 56th Street - pour lancer le projet Red Patent Leather. McLaren sort aussi des slogans fabuleux pour sa campagne de presse : «We are the politics of boredom» et «Better red than dead». Et comme petite cerise sur le gâtö, il est écrit que les New York Dolls sont «produced by Sex originals of London.»

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             Ça se passe en février 1975. C’est un succès. McLaren a réussi son coup. Les Dolls sortent de la tombe, comme Lazare. Et hop, ils partent en tournée, mais personne à part les New-Yorkais ne peut schmoquer les Dolls. Syl résume la situation : «In America you could be gay, commit incest, do anything - but you clould not be a communist.» Le drapeau rouge ne passe pas. Porter sort des détails extraordinaires : le road manager des Dolls à l’époque n’est autre que le cousin de Syl, Roger Mansour, qui fut le batteur des Vagrants. Et comme il fait trop chaud en Floride, ils laissent tomber les costumes en cuir rouge. Et heureusement, on leur a piqué leur drapeau rouge à l’Hippodrome, sinon, Syl pense qu’ils se seraient fait lyncher dans le deep South.

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             McLaren a organisé une tournée de gigs en Floride. Le camp de base des Dolls est le camping qui appartient à la mère de Jerry Nolan. Ils ont deux caravanes, et le soir, ils discutent de l’avenir du groupe avec McLaren. Après la tournée en Floride, McLaren prévoyait un show au Beacon Theater de New York. Mais Johnny T et Jerry Nolan n’arrivaient pas à trouver «a regular heroin connection» en Floride, et ils deviennent irritables. David Jo ne supporte plus de les entendre se plaindre de tout - These guys wanted to be Bela Lugosi - Alors que le trip en Floride se présentait comme un nouveau départ, il se transforme soudain en psychodrame. Toutes les tensions s’aggravent, particulièrement celle qui existe entre David Jo et Johnny T. Johnny T louche sur la poule de David Jo, la fameuse Cyrinda Foxe. Quand on commence à baiser les femmes des autres, c’est la fin des haricots, confesse Syl qui voit tout ça d’un très mauvais œil. Mélangé aux problèmes d’addiction et de fric, ça devient vite incontrôlable. En plus, Johnny T et Jerry Nolan s’en prennent à McLaren, ce qui fout David Jo en rogne. Nolan est le premier à cracher sur McLaren : «Malcolm’s fucking around was too artsy-fartsy.» Ils reprochent aussi à McLaren de les avoir entraînés dans cette tournée pourrie en Floride, loin de tout - This horrible string of gigs in terrible out-of-the-way clubs - Le pire, c’est d’être coupé des approvisionnements. David Jo est le premier à le reconnaître : «As long as they had stuff, everything was OK.» Puis un soir, alors qu’il a trop bu, David Jo déclare qu’il est le singer et que les autres Dolls sont remplaçables. Alors Johnny T et Jerry Nolan se lèvent et quittent la table. Le cœur brisé, Syl les reconduit le lendemain à l’aéroport de Tampa. The Dolls are dead.

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             David Jo, Syl, Killer Kane et Peter Jordan restent en Floride pour finir la tournée. Ils engagent le teenage Steven Duren pour remplacer Johnny T. Puis tout le monde rentre à New York, sauf McLaren et Syl qui se payent un road trip à la Nouvelle Orleans. L’idée de McLaren est de faire venir Syl à Londres pour jouer avec des kids «hanging around my shop.» Mais ça ne se concrétisera pas, car McLaren va dénicher Johnny Rotten.

             David Jo admet que les Dolls ne pouvaient pas tenir éternellement : «I don’t think we could have ever transcended it all. If we did, we could’ve wound up like Kiss and that really would’ve been a drag.»

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             Porter embraye à la suite avec les «carrières» de Syl, Killer Kane et David Jo. Syl qui tente désespérément de remonter les Dolls, mais David Jo marche bien avec Buster Poindexter et il n’a pas envie de se replonger dans le cauchemar des Dolls, il marche tellement bien qu’il passe à la télé et quand Killer Kane, désespéré de ne plus être une rock star, le voit un soir dans une émission de télé, il se jette par la fenêtre du deuxième étage. Il ne meurt pas, mais on lui met des broches dans les genoux. Puis il contacte une secte religieuse, the Church of Jesus Christ of Latter-day Saints et se convertit. Il parle d’un «LSD trip from the Lord».

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             Le Lord se pointe enfin sous l’apparence de Morrisey, oui, le mec des Smiths, que Porter qualifie d’«another English saviour» (après McLaren). Moz veut arracher les Dolls à l’oubli. N’oublions pas qu’il fut en son temps président du fan-club des Dolls en Angleterre. Il était pareillement fasciné par Jobriath, Sparks et les Cramps. En 2004, on lui demande de faire la prog du Meltdown festival, alors évidemment, il propose aux Dolls de se reformer ! David Jo prend la proposition au sérieux, car elle vient de Moz et non de ces «stubby-fingered vulgarians». Syl est ravi. Il n’en finit plus de dire que les Dolls étaient «way ahead of the pack». Pour rentrer dans les godasses de Johnny T, David Jo fait appel à Steve Conte. Tous ses amis musiciens le lui conseillent : «Just call Conte.» Killer Kane a bien sûr du mal à rejouer ses vieilles basslines, mais il finit par y parvenir. En fait, il est déjà très malade. Leucémie. Arrivés à Londres, les Dolls montent sur scène avec le batteur black des Libertines, Gary Powell. Deux shows. On peut voir le Meltdown sur DVD. C’est même chaudement recommandé. Trois semaines plus tard, Killer Kane casse sa pipe en bois. Une fois le coup encaissé, David Jo et Syl décident de continuer, avec Sami Yaffa et Steve Conte. Ce sont les nouveaux Dolls. Trois albums et tout s’arrête en 2021 quand Syl casse sa pipe en bois. Toute pipe en bois finit par se casser. Personne ne passe à travers.         

    Signé : Cazengler, New York Dumb

    David Johansen. Disparu le 28 février 2025

    New York Dolls. New York Dolls. Mercury 1973

    New York Dolls. Too Much Too Soon. Mercury 1974

    Dick Porter : The Lazarus paradox. Vive Le Rock 119 - 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - Palmer qu’on voit danser le long des golfes clairs

     (Part One)

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             C’est un peu grâce à Philippe Garnier, mais surtout grâce à Robert Gordon qu’on est entré un jour dans le monde magique de Robert Palmer. Les deux Robert (le Gordon et le Palmer) ne sont pas ceux que l’on croit. Robert Gordon est l’apologue de Memphis, pas le rockab, et Robert Palmer le journaliste/écrivain, pas le playboy, comme dirait Garnier.

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             Dans Les Coins Coupés, Garnier raconte qu’il s’est rendu à Memphis pour enquêter sur Palmer et découvre qu’il avait aussi joué «de divers saxophones» derrière Furry Lewis ou Bukkah White. Garnier dit encore l’avoir rencontré, «sans faire le rapprochement», alors qu’il était «critique de rock au New York Time, puis comme gourou du blues chez Fat Possum (faisant enregistrer Junior Kimbrough, R.L. Burnside et les Jelly Roll Kings)». Garnier connaît bien sûr Deep Blues. «Ce touche-à-tout jouait même de la clarinette sur «Midnight Sunrise» dans Dancing In Your Head, le disque qu’Ornette Coleman avait fait avec les Flûtes de Jajouka (que Palmer avait fait découvrir à Brian Jones et à William Burroughs lors d’un voyage au Maroc).» Et il repart de plus belle pour expliquer que Palmer et son collègue guitariste Bill Barth «avaient eu tôt fait de jeter leurs douze mesures aux orties.» C’est l’épisode Insect Trust. Les voilà partis à New York pour aller jammer avec Alan Wilson, «la voix de fausset de Canned Heat.» Puis les Insect Trust se retrouvent à l’affiche de l’Electric Circus en première partie de Sly & The Family Stone.

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             Avec It Came From Memphis, Robert Gordon a très tôt suivi la piste de Robert Palmer, via Insect Trust, une espèce de combo hybride de blues et de free. Insect Trust testait en effet le country-blues-inspired free jazz. Ces mecs retravaillaient des chants de marin au banjo des Appalaches et au violon. Dans le groupe, Robert Palmer faisait un peu office de liant, tellement les profils différaient les uns des autres. L’album Insect Trust vaut le détour, ne serait-ce que pour entendre «Special Rider Blues», inspiré du «Blues Rider» d’Elmore James. Nancy Jeffries y chante le blues fantastiquement, elle se laisse porter par d’indicibles vagues de blues et ce diable de Bill Barth joue l’acid rock dans un fracas de free jazz. Quel mélange ! Bill Barth n’en finit plus d’irriter les zones érogènes de l’instinct free du sax et cette folie contribue largement aux frictions salvatrices. Quel freakout ! On comprend que l’album soit devenu culte. Ils reprennent aussi le «World War I Song» de Joe Callicott, avec une clarinette New Orleans. Nancy Jeffries chante le blues d’une belle voix généreuse, elle embarque son monde comme savait si bien le faire Joan Baez avec «Joe Hill». C’est un retour aux racines du blues de Memphis. Autre pièce de choix : «The Skin Game», blues solide et bien cuivré, ambitieux et fouillé par un délire foutraque de saxophones en délire. Bill Barth y gratte des poux divins. On assiste là aussi à une merveilleuse envolée d’impro, ou si vous préférez, une échappée belle délibérée. Tu entres avec cet album dans la cour des grands inconnus. Ils finissent leur B avec trois cuts à dominante folky. Cette femme chante comme une militante, on la sent animée d’une foi de pâté de foi. Et ça se termine avec un «Going Home» joué à la flûte de pan et à coups d’acou magiques, et comme on dit, c’est de la bonne Baez.

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             Leur deuxième album s’appelle Hoboken Saturday Night. Il faut avoir écouté le morceau titre, si on ne veut pas mourir idiot. Nancy Jeffries transforme l’heavy boogie rock en coup de Jarnac, et derrière, t’as le gros bassmatic de choc. C’est encore elle qui fait la pluie et le beau temps sur «Now The Sweet Man» en B, cette belle Americana flûtée et inspirée par les trous de nez. Quelle grande finesse ! Tout n’est pas exceptionnel sur cet album, mais quand ça l’est, ça l’est pour de vrai, comme le montre «Ragtime Millionaire». Les Trust sont les rois du ragtime. Tu entends Elvin Jones au beurre sur «Our Sister The Sun», et sur «Trip On Me», Bill Barth is on fire !

             Après avoir dévoré Deep Blues, on dévore Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer, une compilation d’articles parue en 2011. C’est une bible. Palmer couvre tous les domaines, pas seulement le blues, il couvre aussi le classic rock, le jazz, le punk-rock et Jajouka, qu’on appelle en France Joujouka.

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             Dans son intro, Anthony DeCurtis plante bien de décor. Pour qualifier le style de Palmer, il parle d’«elegance and hipster enthusiasm», il parle aussi d’un mec qui sait creuser et entraîner son lecteur avec lui. Palmer est l’homme qui a su dire l’importance historique du blues - How much history can be transmitted by pressure on a guitar string - DeCurtis rappelle encore que Palmer a consacré des books à Leiber & Stoller, Memphis, la Nouvelle Orleans, Jerry Lee et les Rolling Stones. Tous ces books datent hélas des années 70/80 et sont introuvables ou hors de prix.

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             L’ado Palmer s’est tellement amouraché de la culture black qu’il était souvent le seul blanc dans les concerts de Sam Cooke, d’Otis et de Solomon Burke. Avec «Young Blood» et «Searching», les Coasters ont transformé ce kid né en Arkansas. Il flashe ensuite sur Ray Charles. Puis il enquille sur Ike & Tina Turner, Wolf et Muddy, qui pour lui sont aussi importants qu’Elvis, les Beatles et Dylan. Par contre, les «manufactured pop artists» comme Madonna n’ont pour lui aucun sens. Il dit qu’en plus elle ne chantait pas très bien. Il n’aime pas non plus les Ramones qu’il qualifie d’«one-joke band» - They play dumb in order to look cool.

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             DeCurtis rappelle encore que Palmer prenait de l’hero, mais pas n’importe comment. Palmer : «Well I’m from the William Burroughs school of junkies.» Il faut que ce soit littéraire. Et c’est une petite hépatite qui va l’envoyer six pieds sous terre, en 1997.

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             La première série d’articles concerne le blues, le dada de Palmer. Dans un article concernant le mojo, il évoque une session d’enregistrement avec R.L. Burnside : «En 1993, je produisais une Burnside session pour l’album Too Bad Jim et une série d’incident menaça le projet. Une contrebasse tomba en pièces dans le studio. Puis ce fut un drum kit, après un single light tap. Et une porte vitrée m’est tombée sur la tête. Du coin de l’œil, j’ai vu que R.L. s’amusait comme un kid at a Disney movie.» Plus loin, il revient sur le héros de Deep Blues, Charley Patton - If you define rock & roll as a jacked-up shotgun wedding of blues and hillbilly music, Patton’s music was rock & roll - Palmer rappelle que Patton a tout inventé : gratter sa gratte entre ses jambes et derrière sa tête, jeter sa gratte en l’air et «catching it without missing a beat.» Et voilà l’hommage suprême : «Charley Patton was more than a great American musician. He was an American archetype, the first of a series of hard-living, hard-rocking ramblers that has included artists as musically diverses as Robert Johnson, Hank Williams, Jerry Lee Lewis and Jimi Hendrix.» Au niveau référentiel, Palmer ne se fout jamais le doigt dans l’œil. C’est pour ça qu’on le suit à la trace et qu’on boit ses paroles d’évangile, comme on boit celles de Robert Gordon et de Peter Guralnick. Pour traverser cet immense terrain de connaissance qu’est la rock culture, il faut parfois des guides, c’est-à-dire des gens qui l’ont exploré avant toi, et qui savent. Comme il s’agit d’un domaine sacré, on peut parler de guides spirituels. Citons d’autres guides spirituels : Nick Kent, Mick Farren, Eve Sweet Punk Adrien, John Broven et Bob Stanley.  

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             Retour sur Robert Johnson, l’autre héros de Deep Blues : «Robert Johnson écrivit 29 chansons entre 1936 et 1937. Avec les alternate takes, on en compte 41. Puis il disparut dans le murky Mississippi Delta world of juke-joints, voodoo lore, violence, grand plantation houses for whites et de paysans noirs endettés à vie qui bossaient dans les champs de coton et qui ne plaisantaient pas avec leur samedi soir.» Retour aussi sur l’ugly Robert Pete Williams, dont Captain Beefheart avait repris  le «Grown So Ugly» sur Safe As Milk. Pour Guralnick, Robert Pete Williams est l’un des meilleurs : «Après avoir écouté Robert Pete Williams, il est difficile d’approuver les banalités de la plupart des blues singers.»

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             Palmer monte encore d’un cran avec Muddy. Pourquoi Muddy ? Parce que petit, Muddy aimait se rouler dans la boue et il essayait même d’en manger. Muddy était lui aussi fasciné par Charley Patton : «He had so much showmanship in his thing, all this wild clownin’ with the guitar, and he could holler! Ooh what a voice. But Son House was the top man in my book.» C’est en 1941 qu’Alan Lomax est allé à la plantation Stovall à la recherche de Robert Johnson. Mais il est arrivé trop tard, par contre, on lui dit qu’il en existe un autre, down the road, qui joue comme Robert Johnson. Lomax y va et c’est Muddy, qui dit : «He brought his stuff down and recorded me right in my house.» Lomax y retourne l’année suivant pour l’enregistrer une deuxième fois. Palmer nous rappelle que ces deux enregistrements se trouvent sur Down In Stovall’s Plantation, «on the Testament label and they are phenomenal.» Palmer sait de quoi il parle. Quand en 1943, Muddy demande une augmentation parce qu’il conduit le tracteur - to twenty-five cents an hour - le contremaître pique sa crise de colère. Muddy en parle à sa grand-mère qui lui dit de filer à Chicago avant que ça ne tourne mal - You better go - Muddy : «That was on monday. I worked till that thursday at five o’clock and on friday I came in sick and went to Clarksdale to catch the four o’clock train.» Voilà l’une des racines du monde moderne : le four o’clock train de Clarksdale. Voilà d’où viennent les Rolling Stones et tout le reste du bataclan. Muddy arrive à Chicago. On connaît la suite : Leonard le renard. Muddy joue encore le country blues, but with a beat.

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             On passe directement à Lightning Hopkins, qui derrière ses lunettes noires, réclame son blé au club owner : «I want my money.» L’érudit Palmer rappelle que Lightning Hopkins écumait le South dans les années 30 et qu’il revint s’installer à Houston en 1945. Donc c’est pas un débutant. L’un des héros de Palmer est Junior Kimbrough qui a tout appris à Stan Kesler et à Charlie Feathers, un Charlie qui déclarait en son temps : «Junior Kimbrough is the beginning and the end of music.» On saute directement dans les bras d’un autre héros, Bo Diddley, «a kind of super-hoodoo man, larger-than-life, almost mythic figure with a supernaturel whammy.» Coup de chapeau à Jerome Green, auquel Bo apprend tout, notamment à jouer des maracas. Ah Bo, sans doute l’une des plus belles stars du pays magique, «the hoochie-coochie dude in his cobra-snake necktie and Western boots and ten-gallon hat, cracking that grin, and enduring.» Comme tous les becs fins de la terre, Palmer n’a jamais pu résister au charme fatal de Bo.

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             De Bo à Uncle Sam, il n’y a qu’un pas qu’on franchit avec allégresse. En 1978, Palmer écrit un article pour le Memphis Magazine : ‘Sam Phillips: The Sun King.’ Tout un programme. D’autant plus important que Palmer interviewe Uncle Sam et là on se pourlèche les babines et tout le reste. Voilà Uncle Sam qui lâche ça du haut de son infernale modestie de visionnaire : «I think that if I contribued anything, it was the ability to discern in people a naturel talent, be it unpolished or semi-polished or almost crude - I feel prouder of myself for that ability than for any other achievement.» Uncle Sam précise des points essentiels : «And I never did see white people singing a lot when they were chopping cotton, but the odd part about it is, I never heard a black man that couldn’t sing good. Even off-key, it had a spontaneity about it that would grab my ear.» Uncle Sam se passionne donc pour les artistes noirs, il est ingé son pour une station de radio jusqu’en 1951, puis il bosse pour le Peabody - So I was a pretty busy cat - Il voulait enregistrer des artistes noirs et hop, il sort B.B. King, Wolf, Bobby Blue Bland, Junior Parker, Rufus Thomas, James Cotton et tous les autres. Il parle de sa passion pour la créativité comme d’un évangélisme - My evangelism is, in my own peculiar way, letting people out of themselves. I got pure gratification, far more than recompense - Il rappelle que ce qui l’a frappé le plus en Elvis, ce n’était pas qu’il chantât bien ou qu’il fût beau, c’était le fait qu’il connaisse une chanson d’Arthur Big Boy Crudup - That just knocked me out - Il revient évidemment sur la vente du contrat d’Elvis à RCA et il veut que tout soit bien clair : «I must have been asked a thousand times, did I ever regret it? No, I did not, I do not and I never will.» Puis il passe à la star suivante, Carl Perkins. Un Carl qui prétend avoir joué du rockab avant d’avoir entendu Elvis, et Uncle Sam qui dit qu’il a fallu un peu de temps pour passer du stade de country artist à celui de rocker. Pour Palmer, les Sun records de Carl are some of the best - not country, not blues, not rock & roll, just pure Perkins - Puis Uncle Sam transforme Jerry Lee «into an international phenomenon», avec des singles qui se vendent par millions et le tournage d’un film avec Mamie Van Doren, High School Confidential. Uncle Sam revient toujours à l’essentiel : «Je savais ce que je cherchais lorsque j’entrais en session. Maybe not the lyric, maybe not the melody pattern but the feel. And with this approach and an awful lot of patience, I think that each person developped that feel in working with me. It was a mutual type of thing.» Jimmy Van Eaton révéla à un journaliste anglais que Sun avait commencé à se casser la gueule après qu’Uncle Sam ait viré Jack Clement et Bill Justis - After the hits stopped coming, they started screwing the musicians - Comme tous les empires, celui-ci finit par s’écrouler. Palmer chute ainsi : «And records don’t sound like Sam Phillips’s anymore. A good 99 percent of today’s popular music sound dull and lifeless in comparison.» Il enfonce son clou : «It doesn’t have the soul.» Il espère vraiment qu’un jour des disks sonneront comme les Sun records again.

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             Bon d’accord pour Sun. Mais t’as aussi Litlle Richard, et Palmer n’y va pas par quatre chemins - Little Richard provided  the big bang, that first explosion that made all that followed possible. He was the most influential vocalist and band leader of fifties rock - Pour lui, James Brown et Otis Redding sont des imitateurs qui ont su développer leurs propres styles respectifs. Palmer ne rate pas une si belle occasion de saluer la Nouvelle Orleans et Dave Bartholomew, un Bartho qu’avait imposé Art Rupe. Little Richard voulait enregistrer avec ses Upsetters, heureusement, Rupe a tenu bon.

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             Jerry Lee ! Palmer le vénère. Il lui consacre un bel article en 1979 dans Rolling Stone. Palmer le voit dans un backstage new-yorkais. Jerry Lee sort de scène, il est torse nu et il lance : «I’m the toughtest son of a bitch that ever shat out of a meat ass.» L’un des jeux favoris du Killer consiste à faire semblant de te frapper dans la gueule. Son poing s’arrête juste à quelques millimètres. Il fait le coup à Palmer et à sa femme. Palmer lui demande si ça lui arrive de frapper quand même et le Killer lui répond : «Seulement quand je le veux.» Beaucoup plus intéressant : le killer rappelle que ses parents ont hypothéqué leur maison pour acheter un piano à Jerry Lee - I’ve still got it. There’s no more ivory on the keys. I wore them ‘em down to the wood - C’est probablement le piano qu’on voit sur la pochette du Mean Old Man paru en 2010. Palmer se marre bien avec le piano car il rappelle que Jerry Lee et son paternel Elmo l’ont installé sur le back of a truck pour aller jouer à droite et à gauche et se faire un peu de blé. Jerry Lee a 15 ans quand il épouse une certaine Dorothy Parton, puis il engrosse Jane Mitcham qu’il doit épouser, après avoir divorcé de Dorothy : son fils s’appelle Jerry Lee Lewis Jr. Palmer salue aussi son éclectisme -  He will play Chuck Berry, Hoagy Carmichael, Jim Reeves, Artie Shaw, spirituals, blues, low-down honky-tonk, or all-out rock & roll, as the mood strikes him - avec, ajoute-t-il, une «formidable and entirely idiosyncratic technique (both instrumental and vocal) and sheer bravura.» Sam Phillips ne s’y était pas trompé : «Good God almighty! I’m not talking about voice, piano, any one thing. He is one of the great talents of all time, in any cathegory.» Palmer égrène aussi les drames qui ont émaillé la vie du Killer : Steve Allan Lewis, le fils qu’il eut de Myra, se noie dans la piscine familiale en 1970. Son fils Jerry Lee Lewis Jr. casse sa pipe en bois en 1973 dans un car crash. En 1976, le Killer descend son bassman Butch Owens d’un coup de 357 Magnum. Pour se donner du courage, Palmer siffle un verre d’alcool et demande au Killer si c’était un accident. Il a la réponse qu’il mérite : «Of course it was an accident.» Puis il y a les séjours à l’hosto, pour des trucs assez graves. Le Killer survit à tout. Puis finit par casser sa pipe en bois sur le tard. Le très tard.

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             Palmer reste chez les cakes avec Sam Cooke, «the most gifted pop vocalist of his time, no more no less», il cite ensuite deux albums live en référence, celui du Copa et celui de l’Harlem Square Club, puis Night Beat - a vocal tour de force, et juste en dessous de la gracefully melodious surface de la musique, the emotional waters run deep - Et au sommet de l’Ararat, il place l’album sans titre de Sam Cooke - By far Cooke’s most intimate album - Le musicien Palmer pousse bien le bouchon sur Sam Cooke, en citant Rene Hall : «Sam avait une oreille très étrange, différente de celle des gospel singers, parce que most gospel singers dealt in sevenths, like blues-type changes, and Sam dealt in sixths. Like you hear him do his yoo-hoo-hoo, that’s sixths.» Est-il important de le savoir ? Oui, tout ce qui touche à Sam Cooke est important.

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             Palmer glisse de Sam Cooke à Ernie Isley, c’est-à-dire qu’il ne quitte pas les cakes. Des Isleys qui ont explosé en 1959 avec un «Shout» - a thinly secularized slice of gospel hysteria - que tout le monde a repris, même Elvis et les Beatles, suivi de «Twist & Shout», que les Beatles tapent sur leur premier album. Par contre, nous dit Palmer, les Isleys ne reviennent jamais sur leur vieux hits, pas même «It’s Your Thing» - They remain determinally fresh and contemporary - Palmer rappelle aussi l’«on-again-off-again relation» avec Motown et le young Jimi Hendrix. C’est Ernie qui a pris la suite de Jimi dans les Isleys. Il reste certainement l’un des grands guitaristes américains. Et en guise de chute pour son article, Palmer cite Ronald Isley : «C’est la fondation de tout ce business, the foundation of rock & roll. It had to come from somewhere, and the church is where it all came from.» Tout est dit.

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             Palmer flashe aussi sur Lowman Pauling, le guitariste des ‘5’ Royales, qui cassaient déjà la baraque en 1958 avec «The Slummer The Slum». Palmer se demande d’ailleurs pourquoi le nom de Lowman Pauling ne remonte jamais à la surface quand on s’inquiète de savoir qui sont les plus grands songwriters et les most influential electric guitarists. Le seul à le faire n’est autre que Steve Cropper qui le cite as his major influence. On reparle des 5 Royales, des Isleys et de Sam Cooke dans des tartines à venir.

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             Quand Palmer chronique The Complete Stax/Vox Singles, il ne manque pas de saluer Barbara Stephens, Wendy Rose and the mighty Mabel John (pas Mabel, Palmer, Mable !). Mais il s’extasie aussi de la qualité des 244 cuts, comme le savent d’ailleurs tous les ceusses qui ont eu la glorieuse idée de rapatrier cette magic box. Celle qui est ici est un cadeau de Jean-Yves. Palmer parle d’une douzaine d’«out-and-out bombs» - and the rest ranges from the merely fine to the utterly transcendent - Il se demande d’ailleurs quel autre American label peut se vanter d’un tel palmarès - Not even the Chess and Sun calalogs are so potent, song after song after song - Palmer sait de quoi il parle. Et c’est vraiment bien que ce soit un mec comme lui qui le dise. Palmer cite aussi Willie Mitchell qui en sait un rayon sur «Memphis music’s unique rhythmic peculiarities.» Il s’agit en fait d’un «lazy, behind the beat feel, set by Al Jackson’s outstandingly creative drumming, and the supple, loping Duck Dunn bass lines.»

             Palmer s’étend longuement sur les Hawks et The Band, mais bon, berk. Quand on a vu The Last Waltz, on est vacciné à vie contre Robertson et sa frime de m’as-tu-vu et de proto facebooker. Et puis, il suffit de relire les mémoires de Bill Graham pour bien situer cet asticot. Le vieux Bill avait de bonnes raisons de ne pas supporter cet atroce frimeur.

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             Comme Palmer est l’un des grands spécialistes des Stones, il en sert une grosse tartine, histoire de rappeler que Beggar’s Banquet et Let It Bleed sont de très grands albums - collections of superb rock & roll songs - mais qu’Exile n’est qu’un «defiant chunk of rock & roll noise.» Et puis, il a la chance de rencontrer John & Yoko. Il est invité au Dakota pour papoter dans la kitchen - talking music and indulging ourselves with brownies, milk, and a cheesecake that must have been sent from heaven - Palmer indique qu’il se rend plusieurs fois au Dakota pour des interviews - the talk was fast, intense, mercurial - et pouf, John Lennon se fait descendre dans l’«entrance tunnel». En fait, John & Yoko prennent Palmer à la bonne parce qu’il connaît Fluxus et donc les happenings de Yoko. John & Yoko lui demandent s’il connaît leurs albums et Palmer qui a décidé d’être franc répond qu’il ne les connaît pas tous. S’ensuit un silence bizarre et soudain John & Yoko explosent de rire : «He hasn’t heard it yet!». Alors ils vont tout de suite dans les pièce voisines à la recherche des albums. Ça leur prend une demi-heure. Ils trouvent une copie d’Approximately Infinite Universe, puis tous les albums de Yoko et ceux de John solo. «Here’s your home-work». Ils attendent  des chroniques de Palmer - Listen to Yoko’s first. We’ll be expecting report - Alors Palmer se lance dans l’apologie d’Onobox qui «plays like a suite or a continuous densely woven tapestry of sounds.» Et Palmer de conclure : «To me, this music sounds as contemporary in 1991 as it did when Yoko and John proudly presented it to me at the Dakota in 1980.» Palmer a raison, il faut absolument écouter Yoko Ono, l’une des grandes prêtresses de la modernité. 

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             On reste dans la modernité avec le Velvet. Palmer commence par rappeler qu’il existe  deux sortes de «success» in rock & roll. Le premier est le «standard all-American success story», avec le «take the money and run», celui des «hit records & mass adulation, the way of Elvis & the Beatles, the way of ‘pop’.» L’autre n’est pas aussi funny : «Be an innovator, march to the beat of your own drum, go against the grain of times, make your own statement, sit back and starve and hope you become a legend before you die of old age (or malnutrition).» Palmer rappelle à la suite que le Velvet et les Stooges étaient décrits comme «decadent, crude, dark, negative, abarasive, nihilistic, and incompetent.» On connaît la suite de l’histoire. Et puis ceci, qu’il est bon de rappeler : Lou Reed avait composé «Heroin» quand il était encore en fac, influencé par le Last Exit To Brooklyn d’Hubert Selby Jr., le Naked Lunch de William Burroughs et bien sûr par Delmore Schwartz, son mentor, qui déclarait : «The poet must be prepared to be alienated and indestructible.» Un Lou qui la ramène un peu plus loin : «I took a major in English and a minor in philosophy. I was into Hegel, Sartre, Kierkegard. After you finish reading Kierkegard, you feel like something horrible has happened to you - Fear and Nothing. See, that’s where I’m coming from.» Voilà un bel éclairage sur l’univers du Lou.   

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             On croit que Palmer va se calmer après tous ces textes d’une rare intensité. Eh bien non, au contraire, il remet le turbo avec Jajouka. Bienvenue dans le cœur battant de Blues & Chaos ! Palmer commence par se situer dans la twilight zone, entre On The Road et Woodstock, comme la plupart d’entre-nous. Il dit avoir lu tout William Burroughs, comme la plupart d’entre-nous. Et c’est là qu’il repère le nom de Jajouka, «a mountain village somewhere in Morocco, home of the Master Musicians (who where they?) and the mysterious Rites of Pan (what was that?)».» Le voilà lancé, le Palmer ! En plus, il entend dire que Brian Jones y est allé, alors ça fait boom dans la cervelle de ce «Stones fanatic». Brian Jones in Jajouka ! Puis il découvre que Brion Gysin a consacré The Process à Jajouka. Palmer : «Ils étaient les descendants des musiciens et s’asseyaient tout le jour pour jouer de leurs instruments et fumer du kif et entraînaient des tribesmen possédés into mass Dionysian frenzies. It sounded like my kind of scene.» Alors bien sûr, Palmer chronique le roman de Brion Gysin qui, pour le remercier, l’invite à Tanger : «Drop in any time.» Puis paraît le fameux Brian Jones Presents The Pipes Of Pan At Jajouka. Palmer obtient un budget de Jann Wenner, boss de Rolling Stone magazine, et prend le premier bateau pour le Maroc. Il va retourner plusieurs fois au Maroc, notamment une fois avec Ornette Coleman, avec lequel il enregistre un album sur place, «with the screaming and shrilling of hundreds of hill tribesmen in trance overlaying the elemental ritual music.» Il cite aussi un album produit par Bill Laswell avec the Master Musicians, Apocalypse Across The Sky. Bon bref, il y a de l’écoute dans l’air. On y revient. Palmer cite aussi des books, The Sheltering Sky (adapté à l’écran par Bertolucci), et le Jajouka Rolling Stone: A Fable Of Gods and Heroes de Stephen Davis. On y revient.

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             Pour Rolling Stone, il écrit Up the mountain. Il décrit la transe qui accompagne l’arrivée de Bou Jeloud, «the Father of Skins», dans la danse. Palmer affirme que Bou Jeloud est le «continuing survival of the Horned God of antiquity, the goat-god Pan.» Pan, le dieu cornu ! Sa prose s’enflamme lorsqu’il évoque le passé, et là ça va plaire à Damie Chad : «Quand Marc Antoine revêtu d’une peau de bête fit la couse des Lupercales à Rome, César lui, demanda de frapper Capunia, sa femme stérile, en courant. Aujourd’hui, Bou Jeloud danse dans la peau d’un bouc fraîchement massacré, avec un immense chapeau de paille attaché au-dessus de ses oreilles, son visage, ses mains et ses pieds sont noircis au charbon, et on dit que les femmes qu’il fouette avec sa branche seront enceintes dans l’année.» La prose de Palmer prend feu ! Il faut lire ces pages ardentes ! T’es en plein rock & roll, mais pas celui de la Fnac et de Cure, amigo, celui des origines. Bou Jeloud est le nom de l’esprit, explique Brion Gysin. Celui qui l’incarne s’appelle Slimou, a very wild creature. Personne ne peut l’approcher. Il n’entre jamais dans une maison. Brion Gysin est un érudit, il explique aussi à Palmer qu’Aisha Hamouka danse parmi les arbres. Hamouka, poursuit-il, est le même mot qu’Amok. Il ajoute qu’en langue punique, c’est-à-dire carthaginoise, Aisha veut dire Asharat, ou Astarte. Grâce à son érudition, Gysin décode les rituels musicaux de Jajouka, il y voit la résurgence des Rites of Pan, qui étaient déjà très anciens quand les Romains les adaptèrent dans leur calendrier sous le nom de Lupercales, fêtes annuelles en l’honneur de Faunus, dieu de la forêt et des troupeaux. Lors de l’une de ces fêtes rituelles, Palmer raconte qu’il saute dans un feu sans se brûler. Puis il sombre dans les ténèbres pour se réveiller loin du village, en bas de la montagne - Je n’étais pas blessé. Quand j’ai réussi à rejoindre le village, j’ai remarqué qu’une lumière éclairait encore la maison des musiciens. Le chef Jnuin - dont le nom vient du mot arabe jinn, ou «elemental spirit» - m’attendait, en compagnie d’autres anciens et d’un sherif, c’est-à-dire d’un descendant de Muhammad. «We have seen you though the music. Now you are one of us.» - Jajouka est selon Palmer un haut lieu de la spiritualité depuis l’antiquité. On trouve des ruines de temples phéniciens dans les collines environnantes. Les Master Musicians se reconnectent avec de très anciennes racines. Les contes locaux disent que Bou Jeloud est venu avec eux, mais qu’Aisha Hamouka, c’est-à-dire Astarté, a toujours hanté ces collines. Et Palmer de conclure : «The whole mountaintop is said to be one great storage cell for baraka.»

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    (Brion Gysin)

             On entre ici dans les racines d’une mythologie qu’explorait aussi Jimbo, deep inside the goldmine. Palmer voit jouer les Master Musicians et se demande comment ils tiennent la note aussi longtemps, alors qu’ils ne semblent pas utiliser la technique du circular breathing de Roland Kirk, mais il n’a guère le temps de réfléchir à tout ça, car il s’abandonne à la musique, «the flutes floating free over a piledriver 6/8 rhythm straight down from remotest Near Eastern antiquity and the drummers shouting ‘Aiwa’ - Everything’s groovy.» Il précise plus loin que les Master Musicians sont arabes et non berbères, et qu’un Master Musician ne peut être que le fils d’un Master Musician. Le pionnier de tout ça est bien sûr Brion Gysin, arrivé au Maroc avec Paul Bowles en 1937. Palmer résume bien le phénomène : «The Master Musicians of Jajouka play their rhaitas, flutes, and drums, smoke their kif, guard their chain of secret knowledge unbroken since pagan times, and wonder about their luck and their future.»

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             Pour finir, Palmer claque un texte sur Tanger, un endroit qui fut l’inspiration «for the archetypal world city of Interzone in William Burroughs’s novel Naked Lunch.» Palmer a l’immense privilège de fréquenter Brion Gysin lorsqu’il s’installe à Tanger. On trouve aussi dans Blues & Chaos une longue interview de Williams Burroughs qui ne fonctionne pas. Questionné sur l’apport des drogues, Burroughs dit que le cannabis est la meilleure. «It has the most value. Amphetamines, absolutely none. Barbiturates, absolutely none.» Palmer a un dernier spasme avec Sonny Sharrock, histoire de rappeler que dans l’«early-eighties New York No Wave fracas», des mecs comme le guitariste de Captain Beefheart (il doit parler de Gary Lucas) et Robert Quine «began exploring some of the areas Sharrock had mapped out.» Un Sharrock capable, selon Palmer, de burster «into a paroxysm of six-string mayhem.» Et il enfonce son clou dans la paume du book : «Au temps où le «Shapes Of Things» des Yardbirds semblait être the cutting-edge of electric-guitar music, Sharrock was a true visionary, in a class with nobody but himself.» On croise rarement des esprits aussi aventureux et aussi brillants que celui de Robert Palmer.

    Signé : Cazengler, pied Palmer

    Insect Trust. The Insect Trust. Capitol Records 1968 

    Insect Trust. Hoboken Saturday Night. ATCO Records 1970

    Philippe Garnier. Les Coins Coupés. Grasset 2001

    Robert Palmer. Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer. Scribner 2011

     

     

    L’avenir du rock

     - Arnold Layne

     (Part Two)

     

             — Ça va, Boule ? T’as pas l’air dans ton assiette...

             — Oh mais si tout va béné ! Pourquoi m’dis-tu ça, av’nir du rock ?

             — On dirait que t’as le pâté de foi qu’est pas droit...

             — Quesse tu racontes ? L’a jamais été aussi droit ! R’garde !

             Boule ouvre son veston et bombe le torse.

             — Mais t’aurais pas l’pylori qui s’colore ?

             — Ah ah ah, t’en fais un drôle de pylori, av’nir du toc ! Suis sûr que tu vas m’demander si j’ai l’coccyx qui s’dévisse !

             Alors, Boule se lève, se retourne, baisse son pantalon, puis son caleçon, et se penche en avant.

             — Alors y s’dévisse ?

             — Non, l’a encore l’air à sa place, mais t’aurais pas les genoux un peu mous et les guiboles qui flageolent ?

             — Décidément, av’nir du rock, t’es encore pire qu’un médecin généraliste ! Tiens tâte-moi ça, tu vas voir si ça flageole !

             — Tiens tourne-toi, pour voir. T’aurais pas l’épigastre qui s’encastre et l’thorax qui s’désaxe ?

             Alors Boule déboutonne sa chemise :

             — Tu vois bien que l’thorax y s’encastre pas, et tâte-moi cet épigastre ! Alors y s’désaxe ou y s’désaxe pas ?

             — L’a pas l’air de s’désaxer...

             — Tu m’demandes pas des nouvelles d’Arnold ?

             — C’est qui Arnold ?

             — Ben ma queue...

             — Désolé, Boule, je préfère P.P. Arnold.

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             Et ça fait même une éternité que l’avenir du rock en pince pour P.P. Arnold. Il était déjà à genoux devant l’ex-Ikette en 1968, lorsque parut son premier album, l’ultra-mythique First Lady Of Immediate. L’ultra-mythique va tout seul sur l’île déserte, car il grouille d’énormités. P.P. démarre bien sûr avec le fameux « (If You Think You’re) Groovy » des Small Faces, tapé au power Marriott/Lane et aux descentes de toms de Kenney. Avec « Something Beautiful Happened », P.P. tape dans l’œil du Brill, soutenue par un grand ensemble dévastateur.

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    Sacrée P.P., elle peut monter tellement haut qu’elle devient une sorte de visiteuse des cieux. Elle tape ensuite dans le « Born To Be Together » de Spector/Mann/Weil, alors attention, ça ne rigole plus. C’est énorme et même explosif. Elle fait sauter le couvercle de la voûte, elle chante avec toute la puissance de sa blackitude céleste. Wow ! Quelle shouteuse ! Elle hurle littéralement au sommet du beat. On a là le nec plus ultra du bénéfice des longs termes. Toujours aussi magnifique, voici « Am I Still Dreaming » monté sur un beat solide et embarqueur. C’est d’une énormité sans nom, comme on dit quand on ne sait plus quoi dire. C’est monté à l’adrénaline de mini-jupe, le jerk des enfers. Tu veux danser, baby ? Elle finit son balda avec le fameux « First Cut Is The Deepest », ce vieux balladif d’intensité maladive. Elle y fait un final éblouissant à coups de gotta gotta. Une grosse pelletée d’orchestration ouvre l’« Everything Is Gonna Be Alright » signé Oldham. Pur jus de Swinging London ! Stomp de rêve - hey hey hey - C’est plombé au beat à l’air, un vrai rêve du juke humide. P.P. le chante à bout de voix et l’explose en phase terminale. S’ensuit la pop nerveuse de « Treat Me Like A lady ». Ça part en pur jive de jerk. Très franchement, cet album compte parmi les fleurons des sixties. P.P. n’en finit plus d’exploser. C’est son seul vice. Elle peut driver un cut comme Aretha. Elle revient au jerk du Loog avec « Speak To Me », un hit fait pour le dancefloor, tourbillonnant de violons et P.P. te le chante à pleine gueule. Tu veux quoi en plus ?

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             Quasiment soixante après, elle refait surface avec un Live In Liverpool pour le moins spectaculaire. T’en reviens pas ! On l’a dessinée pour la pochette, elle tient bien le choc, elle a gardé un look très moderne. Good evening Liverpool ! Elle annonce bien la couleur. Et bam ! Elle te groove «Baby Blue» avec une classe extravagante. Elle enchaîne avec «Everything Is Gonna Be Alright», pure Mod craze, yeah yeah yeah ! Quand tu l’entends chanter ça, tu comprends mieux ce qui se passait dans les clubs en 1966. Ça jerkait pour de vrai ! Elle fait une superbe cover du «Different Drum» de Mike Nesmith. Elle l’amène à London town et ça bascule dans le génie pop. L’autre cover de choc est l’«(If You Think You’re) Groovy» des Small Faces - The very special friends of mine - Elle fait aussi la pub de Chip Taylor avec une cover d’«Angel In The Morning», elle s’y fond avec délectation, puis elle tape dans Brian Wilson avec «God Only Knows», et là, mon gars, elle tape dans le haute du panier, comme au temps d’Immediate, elle en a la trempe. C’est un rare mélange de Soul Sisterism et d’On The Beach magique, elle le travaille à la clameur de God only knows de what I’d been without you, et t’as un truc qui se met en route et qui fait toute la différence. Et puis quand elle attaque «Hold On To Your Dreams», tu ne peux pas rester assis. Big dancing beat à l’air ! Comme elle est à Liverpool, elle claque un coup d’«Eleanor Rigby», «déjà enregistré sur mon deuxième album», précise-t-elle. Elle salue Mister Steve Craddock sur «Still Trying». Wow, la classe infernale de cet heavy slowah du Swingin’ London. Elle le monte aussi haut qu’elle peut, et elle enchaîne avec «The Magic Hour», pop Soul de London town, c’est même du Brill de London town, un son unique ! Elle termine bien sûr avec «The First Cut Is The Deeper», un cadeau que lui fit Cat Stevens, dit-elle. Elle en fait son fonds de commerce, mais un brillant fonds de commerce. 

     Signé : Cazengler, P.P. room

    P.P. Arnold. The First Lady of Immediate. Immediate 1968

    P.P. Arnold. Live In Liverpool. Ear Music 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Tarheel ne tarit pas

             Le pauvre Tareau ne pouvait échapper à son destin. Cruel destin en vérité que d’être surnommé Taré parce qu’on s’appelle Tareau. Mais il faisait face, car il disposait de ce qu’on appelle une bonne nature. La méchanceté des autres ne l’affectait pas. Il se contentait de sourire. Il faisait le canard, comme on dit dans les milieux autorisés. Petit, le regard clair, il semblait n’offrir aucune prise. Plus il souriait, et plus l’agressivité des autres augmentait. Certes, il préférait entendre qu’il prenait le Tareau par les cornes, plutôt que de se faire traiter de pauvre Taré, mais bon, il faisait contre mauvaise fortune bon cœur, ce que tentent généralement de faire les gens esquintés par le destin, si l’on considère que de venir au monde avec un tel nom est un destin. Ces esquintés ont-ils le choix ? Bien sûr que non. Se morfondre ne sert à rien, alors autant faire face. C’est l’occasion rêvée de voir les cons développer leurs routines. Plus les cons l’agressaient, et plus Tareau encaissait. Le plus intéressant dans toute cette histoire était de voir certains cons baisser les yeux, ne pouvant soutenir le regard de Tareau. Il avait en effet des yeux extraordinairement grands. Tareau semblait vouloir inviter ses interlocuteurs à plonger dans son regard. Cette lumière qui émanait de lui pouvait réellement déconcerter. En réalité, il fascinait les esprits faibles qui, furieux de se sentir troublés, redoublaient de malveillance. Alors Tareau souriait, mais s’il comprenait que son sourire pouvait aggraver les choses, alors il essayait d’afficher un air neutre. Pas question pour lui d’importuner les gens qui lui voulaient du mal. Et encore moins de les mettre mal à l’aise. Il n’avait pour lui que son regard, mais il ne voulait pas en faire une arme. Il finissait par fermer les yeux, et il souffrait tant de ce malentendu qu’il en pleurait.

     

             Les cons auraient aussi pu surnommer Tarheel Slim Taré, mais ils ne l’ont pas fait. La raison en est simple : c’est un mot qui n’existe pas en anglais. Alors Tarheel a du pot, plus de pot que Tareau.

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             Tu croises Tarheel Slim sur des compiles intéressantes, comme le New York City Blues d’Ace ou encore The Wild Jimmy Spruill Story. C’est toujours la même histoire : voilà un artiste pas très connu, mais on se félicite de croiser sa piste. Tarheel Slim est surtout l’un des artistes phares de Bobby Robinson. On retrouve Tarheel Slim en duo avec Little Ann sur tous les petits labels de Bobby Robinson devenus mythiques, Red Robin, Fire et Fury Records. Tarheel Slim et Little Ann n’ont enregistré que des singles, donc le plus simple est de recourir aux compiles. Il en existe deux, qui sont assez complètes.

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             Lock Me In Your Heart est un Charly de 1989. Les photos de pochette tapent à l’œil : Tarheel Slim est une sorte de grand dandy black, et à côté de lui, un mètre plus bas, Little Ann rigole comme une petite arsouille des Batignolles. C’est ce duo extraordinaire qui va te jerker la paillasse dès «Don’t Ever Leave Me». Puis on voit Little Ann se glisser avec autorité dans le groove de «Forever I’ll Be Yours».Tu veux du rockab ? Tiens, voilà «Wild Cat Tamer» ! Tarheel joue cartes sur table. Encore un hit intemporel avec «Too Much Competition», il tape ça au mellow et son groove vire jazz. Et pour t’achever, Lillte Ann fout le feu à «Security». En B, tu retrouves leur hit le plus connu, le fameux «Number Nine Train», claqué rockab avec Wild Jimmy Spruill derrière. Pur génie. Encore de la fantastique allure avec «Anything For You». C’est ce qu’on appelle un duo d’enfer - I’ll be your baby/ If you be my man - Ils te chantent ça à la vie à la mort. Ils terminent cette compile avec «Can’t Stay Away From You». Ça joue sec derrière Slim et Ann, ça gratte les poux du diable.

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             On retrouve bien sûr tous les coups fumants de Tarheel Slim & Little Ann sur The Red Robin & Fire Years Golden Classics. «Wild Cat Tamer», bien sûr, ce boogie blues de classe supérieure qu’est «Too Much Competition», l’imparable «Number Nine Train» et le wild jump de «Lock me In Your Heart», «Can’t Stay Away (Pt1)» et «Can’t Stay Away (Pt2)» où Little Ann remporte la palme d’or, mais il y a bien d’autres choses, comme ce «You’re Gonna Reap», elle s’y colle au you may do right/ You may do wrong, et ils battent tous les records de duo d’enfer avec un «Much Too Late» qui sonne comme l’«House Of The Rising Sun», puis on retrouve l’«Anything For You» qui est du pur Shirley & Lee, pur jus de New Orleans. Tarheel y va au no more dans «It’s Too Late», fantastique pâté de pathos, et Little Ann entre à sa suite, au petit chat perché d’exception. Fin de parcours avec le retour de l’excellent «Can’t Stay Away From You», l’heavy jump de New York City, fortement orchestré, plein de jus urbain et orbi, et Little Ann fait les chœurs de can’t stay away, c’est bien chargé de la barcasse.

    Signé : Cazengler, Taré Slim

    Tarheel Slim & Little Ann. The Red Robin & Fire Years Golden Classics. Collectables 1989   

    Tarheel Slim & Little Ann. Lock Me In Your Heart. Charly R&B 1989

     

    *

             Ce n’est pas toujours la musique qui m’attire pour écouter un groupe. Parfois c’est un mot, ou une image. Ou les titres des morceaux qui me semblent faire référence à une de mes marottes. Plus l’attrait du mystère. Je l’avoue celui que nous allons écouter coche toutes les cases. Au minimum deux fois plus qu’une. Au début je l’ai pris à la rigolade, non d’un pois chiche c’est quoi ce truc hyperboliche. Chiche, si j’allais voir. J’y suis allé. J’ignore encore si j’en suis revenu.

             Une belle image, une plage de sable fin, Une île perdue au milieu du Pacifique, un être féminin engoncée dans une robe bleue, l’a l’air un peu paumée, hop j’enfile mon maillot de bain, tiens bon, poupée ! j’arrive dans deux minutes, le titre de l’album m’a un peu refroidi, A Letter from the Past, holà Damie réfléchis les filles d’aujourd’hui sont déjà un tantinet embêtantes pourquoi te charger d’une âme d’un autre siècle qui ne partagera pas ta mentalité.  J’ai pris le temps de méditer.

             D’abord le nom du groupe. Deux trucs m’ont laissé perplexe, s’appelle Colonne Hyperboliche, colonne je vois bien ce que c’est, mais quel nom bizarre, y a bien un cocotier sur la couve, mais pas une colonne en vue. N’empêche que ça m’a l’air de l’Italien. J’ai vérifié sur Bandcamp, oui ils viennent d’Italie, mais aucun autre renseignement, ah, tiens c’est leur deuxième album, l’est sorti le premier mars, chers lecteurs avec les Chroniques de Pourpre vous collez à l’actualité comme nulle part ailleurs, z’ont un opus  précédent simplement nommé Colonne Hyperboliche, normal pour un premier album, paru en juin 2024, en plus il y a bien deux colonnes sur la couve, on en reparlera bientôt.

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             Le traducteur a confirmé mon intuition, hyperboliche signifie bien hyperbole, j’ai grimacé les courbes mathématiques et moi, c’est comme les mousquetaires ça fait quatre. J’ai cherché une idée dans l’intitulé des morceaux, des titres de roman de Jules Verne, bingo j’ai tout compris. Je vois c’est en relation avec les sections des méridiens avec les parallèles, des intellos tordus, ils ont sûrement lu Le Mont Analogue le roman de René Daumal, le Mont Analogue n’est marqué sur aucune carte car pour y accéder il faut suivre les méridiens selon leur intersection conique avec les parallèles, suffit de le savoir pour y arriver facilement. Bon il n’y a plus qu’à se laisser glisser. Je me munis de ma casquette de capitaine et l’on embarque immédiatement, larguez les amarres !

    COLONNE IPERBOLICHE

    COLONNE IPERBOLICHE

    (Piste numérique sur Bandcamp)

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             Belle couve. Très romaine. La colonne de gauche évoque le Trophée de la Turbie élevé par Auguste pour remémorer la victoire des légions Romaines opposées aux tribus celtes qui tenaient les passages des Alpes. Elle marquait symboliquement la séparation de la Province Narbonnaise de l’Italie. Question limites, ces deux monuments métaphoriques évoquent les fameuses colonnes d’Hercule, aujourd’hui notre détroit de Gibraltar qui séparait la mer Méditerranée de l’Océan Atlantique. Ayons une pensée émue pour Thumos, le groupe américain que nous suivons depuis ses débuts, fasciné par le mythe de l’Atlantide révélé par les dialogues platoniciens. Je ne cite pas Thumos au hasard, Colonne Hyperboliche et Thumos semblent procéder de manière semblable. Tous deux ne proposent que des instrumentaux. Sont chacun axés sur l’œuvre d’un auteur majeur, Platon pour Thumos, Jules Verne pour Colonne Hyperboliche. Je n’en veux pour preuve que le morceau intitulé Gordon Pym sur ce premier album.

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             Inutile de me faire remarquer qu’Arthur Gordon Pym est un roman d’Edgar Poe et non de Jules Verne. Vous avez complètement tort et totalement raison en même temps. Si Jules Verne a nommé ses livres Voyages Extraordinaires c’est en l’honneur d’Edgar Poe et de ses Histoires  Extraordinaires, traduction de Baudelaire. Avant d’entreprendre sa série d’œuvres, ce très curieux Jules Verne, c’est ainsi que le définissait Stéphane Mallarmé, a commencé par une monographie d’Edgar Poe. Mais ce n’est pas tout, un des plus beaux, hélas pas le plus célèbre, romans de notre auteur s’intitule Le Sphinx des Glaces qui n’est autre que la suite des Aventures d’Arthur Gordon Pym abruptement arrêtées par leur auteur américain…

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    Reset : ( sur la chaîne YT du groupe vous avez le reels d’une image fixe d’une ville en flamme) reinitialisation, soyons moderne, ils ont laissé tomber la formule Il était une fois qui ouvrait livres de contes de l’enfance, quatre mots qui donnaient accès à l’univers du rêve, qui vous projetaient dans un monde impalpable dans lequel vous étiez dans votre vraie maison… Ils ont grandi, alors ils appuient sur la touche magique, surgit un son violent venu de loin mais ample et brutal comme les lames qui frappent la coque de l’esquif de l’esprit en partance,  la zique vous emporte sur les mers intérieures qui sont les plus lointaines. Gordon Pym : ( ce morceau est illustré d’une image symbolique, un bateau chevauchant une mer tempétueuse, parfaite représentation symbolique du parcours d’une vie humaine ) une mer calme, un esprit agité, Arthur Gordon Pym n’est que le personnage revisité d’Edgar Allan Poe, les guitares grincent comme les vergues du mat de hune agitées par la force du vent, mer calme, chuintement de cordes pas encore désaccordées mais s’élèvent les signes d’une grande menace, l’on ne sait si elle est cachée à l’extrême horizon de la mer infinie ou tapie dans la tête du guetteur sans cesse en éveil, sont-ce des nuages noirs ou les vols impassibles des corbeaux totémiques qui président à votre destinée… tout comme Gordon vos étiez un gamin qui aimaient à s’amuser avec les jeunes voyous du quartier, et vous voici dans le silence de l’incertitude, cette sœur d’ombre de toutes les certitudes sur lesquelles vous avez bâti votre personnalité, la batterie marque le rythme de votre ramage s’il se rapporte à votre obstination forcené, vous êtes l’hôte des malheurs du monde, désormais salement embarqué dans la galère de votre existence, c’est parti pour ne plus jamais revenir, vous avez atteint le point du non-retour, tout, vous-même et le reste du monde se sont ligués contre vous, maintenant vous ne pouvez plus reculer même si votre barque s’encalmine en une mer d’huile, la houle vous arrache à cette torpeur, elle vous emporte là où vous avez toujours espéré vous rendre… droit devant pour affronter l’infini de l’inconnu, n’êtes-vous pas le noir héros de votre destinée, la seule qui importe, là où vous sou Southern Limits : ( agrémentée d’une belle image d’Epinal  d’un explorateur qui se lance dans l’exploration de rivages glacés) bruits cristallins de blocs de glace sur lesquels se vautrent l’écume blanche des vagues mouvementées, vous connaissiez la noirceur du monde et de votre âme, vous pensiez qu’il ne saurait y avoir rien de plus sombre et de pire, mais vous voici entré dans le monde blanc, si c’est un processus alchimique il semble être régressif, l’on ne s’attend jamais au pire, l’on pense se diriger vers quelque chose de meilleur, vous tremblez, vous frissonnez, il est inutile de songer à retourner en arrière, il est trop tard depuis la première seconde de votre détachement du rivage et de vous-même, sûrement vous ne le voudriez pas, vous ne le voulez pas, l’inexorable boussole de votre batterie vous entraîne plein sud vers le sud ultime, vous ne l’auriez jamais cru si loin, mais vous ne reculez pas, votre destin est inscrit sur ces fragments d’écumes glacées, noir sur blanc, dommage que vous ne saviez pas lire ces runes intraduisibles. Waters above : (belle image merveilleuse d’une contrée ruisselant d’un fleuve solaire) sont-ce les moments de vérité, avez-vous réfléchi que vous dirigeant toujours vers le Sud vous êtes aimanté vers le nord futur, d’où proviennent ces bruits, sont-ce des signes, des paroles à vous adressées, incertitudes fragmentales de la musique qui se perd en elle-même et qui devient ces formes blanches indistinctes qui se penchent sur vous, il semble que dans son agonie à Baltimore Poe vous ait appelées, vous conjurait-il de vous éloigner ou vous appelait-il, désirait-il s’arrimer pour toujours, pour l’éternité au rocher des Moires, en cet espace magnétique et central où le ciseau des Parques serait incapable de couper le dernier fil de sa condition de mortel… la musique ne vous dira rien de plus. Allez-y voir par vous-même si vous voulez savoir… Restart :

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    ( Surprise l’on renoue avec Thumos, il semble que le navire de la première image, après avoir connu les rigueurs hivernales et découvert un pays merveilleux relâche toute une population sur le rivage de la mythique Cité d’Atlantis) rembobinage de toute la bobine à toute vitesse il ne vous reste plus qu’à appuyer sur le bouton, pour repartir au début et écouter encore une fois cette histoire, pour la mieux entendre, la mieux comprendre, la mieux intégrer en vous, ne croyez point que vous pourrez y échapper, elle est en vous, votre destin est en elle, tant que vous-même vous n’aurez pas vu les formes blanches se pencher pour vous, pour vous dévorer, mais tout amour n’est-il pas la dévoration de l’autre, vous ne saurez rien, il vous faudra attendre la fin de votre histoire.

             Si vous désirez être davantage (mais pas trop) optimiste vous vous dites que les cinq images qui illustrent les morceaux vous racontent une autre histoire (de fait très pessimiste) qui correspond à la pensée désespérée de l’évolution des civilisations  selon Jules Verne, elles retracent très  sommairement la vision historiale d’un retour des cycles de l’Humanité un peu analogue à ce que raconte The Course of Empire de Thumos. Pour ceux qui veulent en savoir plus lire : L’éternel Adam dans Hier et Demain attribuée à Michel Verne, fils de Jules Verne.

    A LETTER FROM THE PAST

    COLONNE IPERBOLICHE

    (Piste numérique sur Bandcamp)

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    Combien de romans d’aventure ne commencent-ils pas par la découverte au fond d’un grenier ou dans le bazar hétéroclite d’une vieille boutique d’antiquaire, d’un journal de bord rédigé par le commandant d’un navire échoué là on ne sait comment mais livrant d’étranges informations… Jules Verne a utilisé à plusieurs reprises ce motif… L’opus nous paraît partagé en deux parties, chacune consacrée à un des romans les plus célèbres de l’écrivain.

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    Captain’s Logbook : étrange introduction, s’en dégage par son rythme tranquille l’impression d’une étrange sérénité emplie d’une espèce de terreur contenue, l’imagination se laisse bercer par ce balancement monotone et aventureux, nous voici dans l’ultime message lancée à la fureur des flots dans le poème d’Alfred de Vigny La Bouteille à la mer ( 1854) l’on sait qu’elle arrivera à la fin du siècle dans le naufrage du Coup de dés mallarméen, à moins qu’elle n’ait été retrouvée dans l’estomac d’un requin au tout début du roman Les Enfants du Capitaine Grant, livre qui recoupe et termine le cycle des aventures du Nautilius… Nemo : évocation d’un des personnages les plus énigmatiques de Jules Verne, un prince anarchiste, un paria devenu le maître des profondeurs, qui poursuit sans pitié une terrible vengeance, traquant ses ennemis sur toutes les mers du globe, un orque sauvage revêtu d’une carapace d’inhumanité, la musique est à son image, forte, violente, empreinte d’une terrible volonté, même si quelques modulations secondaires à la fin du morceau laisse sous-entendre qu’il saura se réconcilier avec les hommes.

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    Nautilius descent : le rythme s’accélère, l’on aimerait que le Nautilius descende et se laissât reposer doucement au fond des abysses océaniens à l’orée des vestiges de l’Atlantide engloutie, mais non le sous-marin trace sa route sans faillir, tente-t-il  de passer sous la calotte glaciaire de l’Antarctique, ne disparaît-il pas à la fin du livre, en suprême hommage vernien à Edgar Poe, en étant pris dans les tourbillons du Maelström, laissez-vous guider par vos préférences imaginatives… le générique du film que vous écoutez semble durer sans fin au moins pendant vingt mille ans…

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    A letter from the past : mystérieuse ambiance, ça cliquette comme la clef du déchiffrement du mystérieux message que le Professor Lidenbrock a découvert dans un vieux livre, et qu’il tente de faire tourner dans la serrure bloquée de son cerveau afin de parvenir à décoder l’énigmatique message,  c’est que toute aventure décisionnelle se précipite d’abord dans votre tête, faut forcer les rouages rouillés de l’ignorance,   tenter de vous faufiler en vain dans le corridor du mystère, vous frappez du poing sur la porte du paradis obstinément fermée dans votre cervelle. The Center of the Earth : en route vers l’incroyable, Lidenbrock aidé de son neveu a réussi à fracturer le message, les voici confrontés à la terrible réalité, le rythme avance à tâtons, à chaque détour des entrailles terrestres les surprises vous assaillent, elles sautent en vous, car le voyage au centre de la terre est aussi une extraordinaire descente en votre cerveau, vous retrouvez en vous toutes les étapes antérieures à votre survenue sur la terre, vous traversez les couches sédimentaires de vos synapses, les strates alluvionnaires des ères enfouies dans votre mémoire neuronale, vous  régressez vers le néolithique, vous voici arrivé aux sédiments dinosauriens, tout ce que vous avez oublié et emmagasiné en vous prend forme devant vous… heureusement que la Terre vous recrachera comme un bouchon de champagne éjecté du goulot du Stromboli… Quelle trombine auriez-vous tirée si vous aviez vu Dieu souffler dans sa statue de glaise inanimée ! L’auriez-vous tué avant qu’il n’accomplisse son terrible forfait ? Losing tecnology : le dernier morceau est à considérer comme une méditation sur l’essence de la technologie. Du temps de Jules Verne elle était un espoir, une promesse en train de s’accomplir, mais quelle est cette eau qui coule dans ce background conquérant, l’on entend la mer, le bruit des vagues, les cris des oiseaux, est-ce une rêverie écologique sur les ravages des technologies de notre modernité actuelle qui est en train de prendre le pas sur nous, des borborygmes incompréhensibles, tout semble être allé trop vite, la bande-son de l’humanité ne délivre plus qu’un bruit de fond… Colonne Iperboliche partagerait-il le pessimisme du vieux Jules Verne, celui qui sur sa tombe a fait dresser une statue d’homme s’extrayant avec difficulté de la glaise de ses errements…

             C’est fou tout ce que l’on peut dire en n’utilisant pas le langage. Comme si la musique était la seule langue nécessaire et suffisante ! Message de musiciens adressés à leurs congénères. Musique de divertissement ou d’avertissement.

             Comme pour leur premier album, sur You Tube, Colonne Iperboliche utilise aussi un autre langage celui des images. Celles de l’album entier et celles de Captain’s Longbook, de Nemo, de Nautilius Descent, d’A letter from the past sont empreintes d’une grande naïveté, qui ne manque pas parfois d’une didactique documentaire, dans leur ensemble elles éveillent en nous des idées d’émerveillements et de curiosité intellectuelle…

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             L’illustration de The Center of the earth s’avère beaucoup plus étrange, le puits d’accès aux profondeurs ressemble à s’y méprendre au tube d’une longue vue, d’un télescope géant braqué vers le cosmos, nous somme-t-on de regarder vers notre passé ou vers notre futur ?

    Damie Chad.

     

    *

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             Nous avons déjà chroniqué Quand j’étais un blouson noir et au moins deux autres ouvrages, sur John Lennon et Michal Jackson, appartenant à la galaxie rock, de Jean-Paul Bourre, un des rares, pour ne pas dire le seul, témoignages d’importance sur les blousons noirs… Jean-Paul Bourre nous a quittés au mois d’octobre 2023. Or voici que m’intéressant ces jours-ci à diverses biographies de Gérard de Nerval, je me suis souvenu du très bel ouvrage qu’il avait consacré à Villiers de L’Isle Adam, par rebond m’est revenu en mémoire qu’il avait au tout début de notre siècle rédigé un ouvrage sur Gérard de Nerval. Bingo ! l’occasion de rendre un hommage à Jean-Paul Bourre et à Gérard de Nerval. Rock et littérature sont à appréhender comme les reflets brisés du miroir du Moi et de l’Etre…

    GERARD DE NERVAL

    JEAN-PAUL BOURRE

    (Bartillat / Septembre 2001)

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    Gérard de Nerval est un poëte fascinant. Peut-être encore plus que son œuvre qui est un des phares de la littérature romantique européenne. Il n’avait que dix-neuf ans lorsqu’il fut adoubé par Goethe qui écrivit qu’il préférait lire Faust dans la traduction de Nerval que de relire son  propre ouvrage dans sa langue allemande. Qui a pu prétendre débuter en littérature sous de tels auspices ? Les contemporains ont cru que Goethe célébrait la naissance d’un jeune écrivain, sans doute voulait-il dire que la prose de ce jeune écrivain illuminait d’une lumière crue le gouffre obscur de l’âme humaine dont il avait tenté par sa farce métaphysique de définir les contours kaotiques… Peut-être même le maître de Weimar avait-il pressenti que cet inconnu sorti de nulle part n’était un innocent qui s’était avancé par hasard sous les voûtes sombre de la psyché humaine, mais un appelé par lui-même, un élu nanti d’une seule certitude, celle d’être un homme averti.  Qui en vaut deux.  

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    Les biographes de Nerval courent après un être insaisissable. Toujours en partance de lui-même. Ils ont exploré les témoignages de ses amis et de ses détracteurs. Ils ont patiemment enquêté sur les dires du poëte, retrouvé et passé au crible l’ensemble de ses textes éparpillés en de de multiples revues éphémères. Un travail de longue patience et de recherches ardues qui au bout d’un siècle et demi a commencé à porter ses fruits. Nous citerons par exemple Gérard de Nerval, le poète et l’œuvre d’Aristide Marie paru en 1917, et Gérard de Nerval L’Inconsolé de Corinne Bayle sorti en 2008.

    Entre ces deux mastodontes le maigre volume de Jean-Paul Bourre, même pas deux cents pages, prête à sourire. Petit format, grosse (toutefois élégante) police, bel interligne qui semble signifier un intersigne de mauvais augure.  Oui mais voilà, Jean-Paul Bourre ne court pas après Nerval. Il ne le prend pas en filature. Use d’une méthode totalement différente. Ses prédécesseurs comme ceux qui ont écrit après lui essaient de rassembler les morceaux, ils scrutent le moindre indice, après quoi ils essaient d’établir le lien logique qui unit ces fragmentations souvent contradictoires. Jean-Paul Bourre est convaincu, il ne parle pas en érudit mais en poëte, que la vie de Nerval répond à une cohérence intime. Qui évidemment se retrouve en son œuvre. Que vie et œuvre se sont déroulées en parfaite symbiose. La poésie est une œuvre de longue patience nous a prévenu Mallarmé.

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    Il va même beaucoup plus loin, assurant que Nerval a totalement maîtrisé la soit-disant incohérence de sa vie et de son œuvre. Du début à sa fin. Il est vrai que les amis de Nerval furent surpris par son suicide. N’aurait-il pas été assassiné, le crime n’aurait-il pas été maquillé en une sordide mise-en-scène. Ont-ils voulu en faisant courir ces bruits épargner sa mémoire, empêcher que l’on incombe cette mort à sa folie… Se sont-ils sentis coupables de ne pas avoir pris soin de cette fragile personnalité…

    Jean-Paul Bourre ne cache rien. Il appuie même comme aucun autre sur les sujets tabous. La folie de Nerval, il ne la nie pas, mais n’hésite pas à relever dans les textes et la correspondance  de Nerval les fréquentes allusions à l’alcool, notamment dans les divagations, terme (ô combien mallarméen) qui regroupe les errements pédestres, dans les rues de Paris comme dans les chemins de campagne, et les délires qui accaparent son esprit… Quant à la douceur de la folie nervalienne il n’occulte pas les crises de violence. Il ne laisse pas supposer que de nos jours grâce aux progrès de la science psychiatrique l’on aurait traité d’une façon bien plus humaine les énervements du poëte…

    Pour appuyer ses analyses, notre auteur insiste sur l’influence de Nerval sur Rimbaud. Le dérèglement de tous les sens promu par le voyou des Ardennes lui semble sorti tout droit de Nerval. La comparaison des textes est éloquente. Vous pouvez trouver en lisant entre les lignes de nombreux critiques littéraires mention de telles occurrences, mais jamais exprimées avec tant de subtile volonté que chez Jean-Paul Bourre.

    Vous pourriez accroire en lisant les paragraphes précédents que Nerval ne maîtrisait ni sa vie, ni ses addictions… La première partie de l’opuscule vous convaincra du contraire. L’on ne choisit pas l’endroit de sa naissance, mais celle de notre mort nous laisse une plus grande indépendance. Evidemment il faut y mettre du sien et avoir une bonne raison pour agir ainsi.

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    Nerval a beaucoup erré. Les difficultés pécuniaires ne l’ont pas aidé. Mais il a conduit sa barque avec une logique qui peut paraître déroutante. L’est venu mourir dans la rue de la Petite Lanterne qui se termine là où commence celle dans laquelle il est né.  Serait-ce pour signifier la fin d’un cycle. Mais est-il vraiment né à l’endroit mentionné dans le registre des naissances, n’est-il pas né plus tard, dans cette petite enfance passée à Mortefontaine, à moins que ce ne soit au retour de son père de la Retraite de Russie, ou alors à la mort de sa mère durant cette même retraite de Russie, ou alors encore plus tard au moment de ses séjours vacanciers à Mortefontaine, ou quand il a essayé de retracer par écrit les heures importantes de son enfance qu’il a peuplées de ceux et celles qu’il fréquenta en ses années paradisiaques,  qu’il a meublées d’autres scènes issues de son imagination, à moins qu’elles n’appartiennent à une autre réalité, celle du rêve de sa propre vie qui a squatté son existence, où qu’elle se soit déroulée, à Paris, en France, en Allemagne, en Italie, en Egypte, en Syrie… à moins, à plus, que ce ne soit en une autre chronologie, en les temps mythiques, en la jointure des Dieux du Paganisme finissant ou du Christ mourant, comme s’il n’y avait, même dans le Mythe, aucune stabilité, aucune certitude, si ce n’est dans le récit mouvant de toutes ces occurrences, de toutes ses incohérences, celle des faits, celles des rêves, celles de sa vie, celles de sa folie, d’où cette nécessité de reprendre sans fin toutes ces structures signifiantes, de les réécrire et de les réécrire encore une fois comme si l’écriture devenait une variable d’ajustement à l’équilibre général de son existence, encore qu’il convenait de savoir si la prose du récit ne serait pas la variable d’adaptabilité à la poésie, ou la variable d’adaptabilité de la poésie elle-même, que de chimères entremêlées, encore faudrait-il y mêler les femmes et les déesses, les premières étant la négation des dernières, à moins que ce ne soit le contraire, comment voulez-vous vivre sereinement dans tout cet imbroglio, comment se diriger durant toute une existence accrochée à ses lourdes et fantomatiques valises à transporter avec peine toujours avec soi… dans sa vie… Mais aussi dans sa mort.

    Mort et vie intimement mêlées. Ne transporte-t-on pas les siècles morts et ceux à naître dans sa vie. Pourquoi Nerval ne s’est-il pas pendu à la fenêtre de sa maison natale. Il n’avait qu’à remonter la rue de la Petite-Lanterne pour revenir chez lui, pour boucler la boucle, sans doute est-ce cela qu’il voulait signifier, selon Jean-Paul Bourre, la nécessité de terminer un cycle, d’apporter une zone de stabilité, un anneau refermé sur lui-même, d’un pourtour si minuscule soit-il dans le monde… Donner un sens à cette vie découpée, morcelée…

    Mais il n’a refermé le cercle que symboliquement. Il n’est pas rentré à la maison. Il n’a pas refermé, il n’a pas décrit l’arabesque d’un cercle parfaitement concentrique qui soit en même temps une représentation du fini idéen et de l’infini humain. Trop humain.  N’a pas voulu, n’a pas pu, l’a voulu, l’a pu, se contenter d’une spirale, soit pour stagner dans l’incompétence marasmique de sa vie et de son œuvre, ou au contraire montrer qu’il passait à un autre stade, à un nouveau cycle, qu’il subsumait tout ce qui avait eu lieu.

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    Une chose est sûre : dans les quatre dernières années de sa vie Nerval publie la version définitive de son œuvre. Qu’avait-il besoin , ce travail accompli, de la vie qui lui restait.

    Ce livre de Jean-Paul Bourre est une plongée dans le gouffre. Qui nous cerne. Qui nous hante. Nous y rencontrons Nerval. Et nous-même. Ce qui est beaucoup moins intéressant et davantage problématique. Peut-on toutefois refuser de se voir dans un miroir qui ne nous reflète pas.

    Merci à Jean-Paul Bourre de cette introspection nervalienne.

    Damie Chad.

     

    *

            Un truc un peu à part qui vient fort à propos à la suite de la chronique consacrée au Gérard de Nerval de Jean-Paul Bourre.

    SLEEPING IN SAMSARA

    SLEEPING IN SAMSARA

    (Bandcamp - YT / Mars 2025)

             La photographie de la couve ne m’a pas enthousiasmé. Certes elle est belle, mais un peu facile. C’est quoi au juste, un faisan doré, une de ces pauvres bestioles lâchées à la veille du jour de l’ouverture de la chasse, complètement perdue au bord des routes qui nous obligent à freiner brutalement lors de leurs intempestives traversées du ruban goudronné, ou alors un paon, dommage qu’il ne soit pas en train d’étaler l’éventail de sa queue que la divine Héra constella des cent yeux parsemés d’Argos, pas de chance je me trompe de mythologie, manifestement nous sommes en Inde, encore un truc de vieux hippies.

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             J’allais passer à autre chose, mais mon esprit toujours en éveil m’a posé une question qui demande réflexion : Damie, tu crois que l’on dort lorsque l’on est dans le Samsara ? J’avoue que je ne me suis jamais réveillé la nuit pour résoudre une telle interrogation. Dear spirit, si pour vous le Samsara est le mot ’’indien’’ pour désigner notre monde l’on y dort et l’on n’y dort pas tout aussi bien, maintenant si par ce vocable vous désignez les tourbillons cosmiques de l’univers cantonnés dans les structures du temps et de l’espace, je ne sais si à votre mort votre âme emportée, en attendant une future réincarnation, dans cette espèce de maelström géant sera paisiblement endormie ou éveillée ! Damie, comme tu es intelligent, presque plus que moi, mais si tu me permets une dernière question, que veut selon toi nous signifier  ce groupe en se nommant Sleeping in Samsara ?

             Quelle perfidie ! J’ai dû me résoudre à déchiffrer le petit laïus qui accompagne l’enregistrement. Une histoire triste. Du moins vue de notre petit coin à nous du Samsara, mais peut-être juste un minuscule fragment de couleur tirant plutôt sur le noir dans l’univers multicolore du Samsara.

             Le texte introductif est de Christian Peters. Reçoit un coup de téléphone de Steffen Wigang. Ils se connaissent un peu, leurs deux groupes, Terraplane, et The Great Escape se sont déjà rencontrés lors de quelques concerts communs. Steffen malade lui parle d’un projet solo et propose à Peters de participer à deux des morceaux qu’il projette pour son futur album. Peters fournit les paroles et la partie guitare. Il doit aussi se charger du mixage. Steffen décède  le 13 juin 2023… Peters a finalement publié ces deux morceaux testamentaires ce 05 mars 2025… Dans son sommeil dans le tourbillon cosmique L’âme de Steffen est-elle bercée par ses deux dernières mélodies…

    Steffen Weigand : drums, keyboards and synthetizers, rhythm guitar in track 1 / Christian Peters : vocals, lead guitar, bass guitar in track 2.

    Twilight Again : sonorités orientales poussées et effilées par la guitare de Peters, lent tempo battérial, un vocal d’enterrement, chanson bas d’un moribond qui rebondit entre le mur du désespoir et l’espoir insensé de trouver un sens à cette vie qui s’enfuit, une méditation funèbre emportée par les anneaux de feu qui semblent s’étirer vers l’infini crépusculaire d’un voyage dont la fin n’est pas entrevue, peut-être parce que le néant l’attend, peut-être en partance pour une grandeur démesurée… Downtime : musique davantage resserrée, occidentale si ce mot signifie quelque chose, paroles d’acceptance apaisées, face à l’inéluctable, à ce coup d’arrêt proximal, se blottir dans le souvenir des jours heureux, et les bras de l’autre pour l’empêcher de s’éloigner dans la vie, tournoiements doucereux, voluptueux, cosmiques et crépusculaires qui vous emportent jusqu’au dernier battement du cœur. Plus rien. Juste un souffle.

             Prégnant.

    Damie Chad.