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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 704 : KR'TNT ! 704 :LAISSEZ FAIRS / BOBBY LEE TRAMMEL/ SWALLOW THE RAT / HAROLD BRONSON / OUTSIDERS / ASHEN / AC SAPPHIRE / KRATON / ELVIS PRESLEY / GENE VINCENT+ SLIM JIM PHANTOM

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 704

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 10 / 2025

     

      

    LAISSEZ FAIRS / BOBBY LEE

    SWALLOW THE RAT / HAROLD BRONSON

    OUTSIDERS / ASHEN 

    AC SAPPHIRE  / KRATON / ELVIS PRESLEY  

        GENE VINCENT +  SLIM JIM PHANTOM

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 704

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Il faut toujours Laissez Fairs

     (Part Three)

             Comme tout le monde, l’avenir du rock se fait régulièrement piéger dans des conversations. Boule et Bill prennent un malin plaisir à causer de tout ce qui n’a aucun intérêt : la fucking politique, le fucking football et pire encore, les fucking bagnoles.

             Boule est le plus irascible :

             — T’as vu, les Zémirats, y vont encore augmenter l’prix du diesel à la pomp’ !

             Bill en bave de rage :

             — Sont bons qu’à enculer leurs chameaux ! T’en penses quoi de tout c’merdier, avenir du stock ?

             — Faut toujours Laissez Fairs.

             Après une longue minute de silence, Boule relance la machine :

             — T’as vu, les Zémirats y zont tous des Essuvés et des smartfonnes dernier cri, c’est-y-pas une honte ! Ça a pas l’air de t’choquer, avenir du trock !

             — Faut toujours Laissez Fairs.

             Bill s’en étrangle :

             — Tu trouves ça normal que les Zémirats y roulent dans des gros Essuvés alors que toi t’as qu’un vieux diesel tout pourri ?

             — Faut toujours Laissez Fairs.

             Boule et Bill examinent attentivement la bobine de l’avenir du rock. Ils le considéraient jusqu’alors comme un mec équilibré. Un mec comme eux, un Français de souche, avec des valeurs morales. Cette fois, ils ne cherchent plus à dissimuler leur déception. Boule reprend d’un ton menaçant :

             — Alors t’es d’leur côté ?

             — Vous ne comprenez rien. Faut toujours Laissez Fairs.

     

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             Avant de rentrer dans le vif du sujet, un petit correctif de rubricage s’impose : ce Part Three fait suite aux Parts One & Two qui s’intitulaient ‘Le loup des Steppes’, en mémoire des Steppes, le premier groupe de John Fallon. Mais depuis, la Seine a coulé sous le Pont Mirabeau, les Steppes appartiennent au passé (1984-1997), alors qu’avec les Laissez Fairs, John Fallon montre la direction de l’avenir. Le rock c’est par où ? C’est par là !

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             Cryptic Numbers sera donc le septième album des Laissez Fairs. Les six premiers albums sont épluchés dans les Part One & Two du Loup des Steppes. Si tu demandes à John Fallon ce qu’il écoute, il te répondrait certainement ce qu’a répondu un jour Allan Crockford à la même question : «Syd Barrett and the ‘Hooo.» T’as au moins deux Whoish cuts sur Cryptic, «Steal The Whole World» et «(Live In A) Garbage Can». T’y retrouves l’énergie des Who. Même power explosif. C’est dynamité dans la couenne du lard. Cut vainqueur et glorieux. Tellement anglais ! Même chose avec ce «(Live In A) Garbage Can» qui prend feu. L’incendie des Fairs ! British glorious blow up ! Pire que les Who ! Fallon explose le freakbeat ! Quel démon ! T’as aussi deux cuts directement inspirés de Syd Barrett : «Jennifer Down» et «Living In The Summer». Le Jennifer sonne comme une belle descente aux enfers à la Syd. C’est terriblement barré. Fallon tape au cœur du Syd System, avec un petit Wall of Sound. On retrouve bien sûr l’enfer du paradis dans «Living In The Summer». c’est exactement l’esprit du Piper, avec le wild embrasement et l’éclat de la modernité. Pas de meilleur hommage au génie visionnaire de Syd Barrett. Et puis t’as la Mad Psychedelia du «Chapter Three» d’ouverture de bal. Ça sonne même comme une Mad Psyché à l’agonie, t’as là un son unique au monde, qui va bien au-delà de tes expectitudes. Fallon monte à l’assaut de la surenchère. Il rejette aussi sec tout son dévolu dans la balance pour «Cryptic Friend». Il balaye tout sur son passage, il hisse son Fallon Sound au sommet du rock anglais. Il rivalise de power carnassier avec les Prisoners. On le voit plus loin bourrer le mou de «That Final Road» avec un killer solo de gras double mal embouché. Il lance ensuite une grosse attaque frontale digne de The Attack avec «Idiot Proof». Même sens du punch vinaigré. Et dans les bonus, tu tombes sur un «Primrose Hill» stupéfiant, un shoot d’heavy psychhhh de Fallonmania claironné aux arpèges marmoréens. Les Fairs s’hissent au sommet du genre.

    Signé : Cazengler, John Falot

    The Laissez Fairs. Cryptic Numbers. RUM BAR Records 2025

     

     

    Rockabilly boogie

    - Trammell trame quelque chose

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             Sacré Bobby Lee Trammell  ! Il a 14 ans quand Carl Perkins le fait monter sur scène au Netleton High School Auditorium, Arkansas, pour chanter un cut. Ça se passe bien «and Carl told me I should go and see Sam.» Sam le reçoit, mais il est trop busy. Il lui dit de répéter et de revenir dans deux ou trois semaines. No way ! Bobby Lee est trop impatient. Il décide de partir en Californie tenter sa chance - I didn’t have time to wait for Sun which was very stupid of me - C’est the Country legend Lefty Frizzel qui lui donne sa chance : une residency au Jubilee Ballroom de Baldwin Park, California. Un Country promoter nommé Fabor Robinson lui propose un million de $, et Bobby Lee lui rétorque fièrement que ça ne l’intéresse pas. Il fait 225 $ à l’usine Ford de 75 $ au Ballroom, et ajoute encore plus fièrement qu’il n’aurait jamais gagné tout ce blé en Arkansas ! Ça fait bien marrer Fabor Robinson qui lui file sa carte et qui lui dit qu’il pourra venir le trouver une fois qu’il aura réfléchi. Alors Bobby Lee se renseigne sur Fabor et le lendemain, il va chez lui à Malibu pour auditionner. Un mois plus tard, son premier single sort, «Shirley Lee», enregistré chez Fabor Robinson, avec James Burton et James Kirkland du Bob Luman Band.

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             On peut l’entendre sur une belle compile Bear, You Mostest Girl. «Shirley Lee» ! Wild energy. At the utmost ! Bobby Lee va chercher la pointe du Raz du wild rockab. Il est indomptatable ! Aw shirley Lee you’re the girl for me ! - Dans la foulée, t’as «I Sure Do Love You Baby», gratté au heavy drive de James Burton. Et puis bien sûr, Burton passe un solo acide !

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             Et crack, Bobby Lee part en tournée à travers tout le pays. Il joue au Louisiana Hayride - This was when I really started to tear up on all the shows - Il dit aussi qu’il était «much wilder than Jerry Lee or Little Richard.» Tout le monde veut voir Bobby Lee. Son single s’arrache. Il se retrouve sur ABC. Ricky Nelson adore «Shirley Lee» et en fait une cover. Bobby Lee est invité à chanter au Ricky’s TV show, mais Ozzy, le père de Ricky, le trouve trop rock’n’roll et lui demande de calmer le jeu. Même histoire que celle des Burnette Brothers. Bobby Lee envoie Ozzy sur les roses et commet une grosse erreur. Eh oui, un peu plus tard, il est avec Dorsey Burnette le jour où Dorsey récupère son royalty cheque et c’est le choc : 10 000 $. Bobby Lee comprend qu’il a encore perdu une occasion de fermer sa gueule. À cette époque, 10 000 $, c’est une véritable fortune.  Il comprend qu’il aurait dû composer des cuts pour Ricky Nelson, comme l’ont fait Dorsey et Johnny Burnette.

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             Il enregistre son deuxième single au Western Recorders d’Hollywood, «You Mostest Girl», mais on lui colle un big band et une chorale, et ça ne lui plaît pas, mais alors pas du tout ! - All I did was cut a, $5,000 flop - Alors Fabor Robinson retente le coup dans son home studio et cette fois ça marche. Mais bizarrement, le single ne décolle pas. Alors que c’est une bombe ! Un fabuleux drive d’heavy rockab. L’hit de Bobby Lee. Pur genius ! Aussi génial que Gene Vincent à Nashville ! Bobby Lee y reviendra plus tard pour une deuxième mouture, et cette fois, il va sonner comme Elvis. En B-side de Mostest Girl, on trouve «Uh Oh» un fabuleux rockab insidieux. Quelle merveille sexuelle !

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             Il repart en tournée et choque les gens à travers le pays. On le trouve «downright vulgar, ten times worse than Elvis Presley.» Interdiction de rejouer au Louisiana Hayride. Pas de Grand Ole Opry non plus. Fini la rigolade. Mac Curtis qui s’y connaît en cats de haut rang le qualifie de «real fire and brimstone cat», ce qui vaut pour le plus brillant des compliments. Quand il part en tournée avec Jerry Lee, Bobby Lee entre en concurrence avec le plus sauvage d’entre tous.

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             Et puis pendant les sixties, il devient «the first American Beatle». Ses fans l’accusent de trahison, mais il s’en fout : il survit - I kept working and these Beatles helped me 100% - Il loue des salles pour jouer, car personne ne veut le programmer. Il enregistre «New Dance In France» avec Travis Wammack on lead guitar et Roland Janes à la prod. En 1977, il se retrouve sur Sun, mais pas celui de Sam, celui de Shelby Singleton à Nashville.

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             Ça vaut vraiment la peine de continuer à écouter cette belle compile Bear, You Mostest Girl. Il faut le voir sauter sur Susie Jane dans «My Susie J My Susie Jane», bien relayé au déboulé, mais moins rockab. Puis on le voit glisser petit à petit dans la country et même le convivial atrocement con («Love Don’t Let Me Down»). Il suit son petit bonhomme de chemin, et nous on suit les yeux fermés son petit bonhomme de chemin. Retour à l’excellence avec «Twenty Four Hours» et «Am I Satysfying You», c’mon honey ! Bobby Lee reste le best wild cat de choc in town. Retour fracassant au rockab avec «Come On And Love Me». Il claque son baby comme un punk. Laisse tomber Sid Vicious, écoute plutôt Bobby Lee. 

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             On s’amuse bien avec l’Arkansas Twist de Bobby Lee. L’album est enregistré chez Chips Moman. Les cuts du balda sont assez classiques, mais intentionnels - Carolyn you’re all mine - C’est très cousu de fil blanc. Bobby Lee fait du rock’nroll, pas du rockab. La viande se planque en B. «It’s All Yout Fault» te réveille en fanfare : bel heavy groove d’attaque magique, pur Memphis Beat ! On découvre un grand chanteur avec «Uh Oh» et un jeu  de caisse claire superbe. La B ne sonne pas du tout comme l’A. Plus loin, un orgue à la Augie Meyers challenge «New Dance In France». Extraordinaire ramalama ! Encore de l’heavy groove d’orgue derrière Bobby Lee dans «You Make Me Feel So Fine». Quelle viande extravagante ! Bobby est un prince du Memphis Beat. Il a le meilleur son du monde. Il tape pour finir une cover de «Whole Lotta Shakin’». Bien sûr, il n’a pas la voix de Jerry Lee, mais il a du son et une stand-up énorme. Tu assistes ici à une fabuleuse montée en neige du Memphis Beat, un truc que reprendra à son compte Jim Dickinson. Mais là,  c’est  Chips  qui drive la bête et il transforme Bobby Lee en superstar !

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             Sur Toolie Frollie, Bobby Lee Trammell tape une belle cover de «Chantilly Lace». Grosse pulsion rockab et superbe presta du big Bobby Lee ! Il attaque son morceau titre d’ouverture de balda au pah pah ouh mah mah. Il a un petit côté Hasil Adkins. Bobby Lee reste un rocker assez puissant comme le montre «Betty Jean», tapé au pilon des forges. Il flirte avec le stomp. Son «Skimmy Lou» est plus rock’n’roll, mais avec une belle vitalité. Il ne mégote pas sur l’énergie. Avec «You Make Me Feel So Fine», on retrouve le rumble d’orgue d’Arkansas Twist. Il tape à la suite un fantastique boogie avec «Come On And Love Me». Il chante ça d’une voix de voyou qui guette le pékin moyen au coin de la rue. En B, il tape à l’efflanquée un slow rockab de classe supérieure, «Twenty Four Hours». On retrouve aussi le «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On» de Jerry Lee et sa fantastique pulsion.   

    Signé : Cazengler, Trammell toi de tes oignons

    Bobby Lee Trammell. Arkansas Twist. Atlanta Records 1963

    Bobby Lee Trammell. Toolie Frollie. Dee Jay Jamboree 1984

    Bobby Lee Trammell. You Mostest Girl. Bear Family Records 1995

     

     

    L’avenir du rock

      Rat crawl

             Comme chaque année à la fin de l’été, l’avenir du rock convie ses amis à venir faire bombance sous son toit. Les voici attablés, prêts à festoyer. L’avenir du rock se lève et, s’aidant d’un petit clic-clic-clic de plat de couteau sur le cristal du verre, demande un moment de calme pour prononcer l’allocution de bienvenue :

             — Mes chers potes... Merci d’avoir ramené vos tronches de cakes.

             Les convives sourient mais n’en pensent pas moins. D’ordinaire, le langage de l’avenir du rock est un peu moins vernaculaire. Ceux qui le connaissent bien savent qu’il prépare un coup. Il poursuit, avec un bel accent des faubourgs : 

             — C’est un honneur que d’partager une gamelle avec des lascars d’vot’ acabit !

             Harold Ding ajuste son monocle et lance :

             — Tout l’honneur est pour nous, vieille branche !

             — Trêve de balivernes, les mecs ! Il est grand temps d’annoncer l’thème de la gamelle... Cette année, c’est le rat !

             Les convives s’attendent au pire. L’avenir du rock est tellement friand de trash qu’il est capable de lâcher des rats dans la pièce. Pour briser le silence qui suit l’annonce, Jean-Jean Valjean lance d’une voix de dindon inverti :

             — Dead cats dead rats ! Break on Trou to the river side !

             Jason Zon reprend la balle au bond :

             — Et si tu nous versais un coup de Rat Scabibine ?

             Émerveillé par la rock-inventivité de ses amis, l’avenir du rock éclate de rire. Sans transition, il annonce le plat de résistance, servi par deux putes : elles déposent devant chaque convive une assiette contenant un gros rat bouilli, complet, avec la queue.

             — Fini de rigoler, les gars, Swallow The Rat !   

     

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             Au temps d’avant, Third World War chantait «Doin’ the rat crawl». Le rat est toujours là, mais sous une autre forme : Swallow The Rat, un trio basé en Nouvelle-Zélande. Si tu creuses un peu, tu découvres que le guitariste est un expat texan. Et quand tu le vois jouer, tu sens nettement poindre en lui le vétéran de toutes les

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    guerres. Il s’appelle Brian Purington et il a joué dans des tas de groupes d’Austin, on ne va pas aller se fourvoyer là-dedans, car on y passerait la journée, et c’est un underground beaucoup trop ténébreux qui, comme beaucoup de choses, dépasse nos capacités limitées d’appréhension.

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             Swallow The Rat est un trio dont la loco s’appelle Hayden Fritchley, grand maître de l’hypno beat après Jaki Liebezeit. Fritchley est en plus l’une de ces perles rares qu’on appelle les batteurs chanteurs. Il tient bien la boutique du Rat. Et pour compléter le casting, t’as de l’autre côté de la scène un bassmatiqueur affûté qui fourbit un son rond et parfaitement appareillé au rat crawl. Tu rentres assez rapidement dans leur univers, car ils cultivent l’un des plus beaux Big Atmosphérix qu’on ait vus depuis le temps des Bury, et même le temps des Pixies. Dès qu’il écrase

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    sa grosse pédale Fuzz War, Purington déclenche l’apocalypse. Ce sont des apocalypses dont on raffole, car elles te jettent dans des tourbillons, elles te mettent la compréhension sens dessus sens dessous, elles t’évacuent en vrac dans l’havoc avide, elles te vident de ton vain, elles t’évident les ovaires, elles t’avalent les ovules, elles te volent ton havre, tu subis rubis sur l’ongle et tu dis amen quand ça s’amène,

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    t’es là pour ça, pour te faire éviscérer la cervelle, pour subir la tempête au Cap Horn, pour recevoir des gros paquets de mer en pleine gueule, et le Purington n’y va pas de main morte, il gratte des accords inconnus et se penche sur son manche pour faire jaillir des jus aigres et du poison sonique. S’il avait vécu au Moyen-Age, l’Inquisition l’aurait envoyé au bûcher. Les Swallowers ont le power, ils bâtissent de grandes zones hypno pour mieux sauter dans l’abîme. Sous sa casquette, Purington ourdit de sacrés complots contre l’équilibre sociétal. Il génère à la fois de la beauté et du chaos, c’est un sorcier des temps modernes.

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             Tu ramasses leur dernier album, South Locust, même si tu sais que tu ne vas pas retrouver l’intensité atomique du set. Mais au moins t’auras les carcasses. Et quelles carcasses ! Tu y découvres un truc qui t’a échappé pendant le concert : la

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    proximité avec l’early Sonic Youth. C’est flagrant dans deux cas : «Gravois Park» et surtout le «Cave» qu’ils ont joué dans la cave. C’est noyé d’excelsior, complètement soniqué du bilboquet. T’as du solide vrac d’havoc, ils font le lit du bedlam, ils traînent vraiment sous les jupes de Sonic Youth, mais en beaucoup plus pernicieux. L’autre smash joué dans la cave s’appelle «ZZK», un cut monté sur un mötorik à la Can, mais féroce, avec un bassmatic d’attaque frontale sur lequel Purington verse du vinaigre. Tu raffoles de cette morphologie. Tu retrouves aussi l’agressif «Idea Of South», ils écrasent tout sur leur passage, c’est noyé de big sound, ils te font le coup du flush suprême. Tu les prenais déjà au sérieux, et là c’est encore pire. On sent bien le wild as fuck dès le «Terra Nullius» d’ouverture de bal. Ils sont gavés de son comme des oies, Purington bâtit un gigantesque Wall of Sound. Tu retrouves ce bâtisseur dans «Chain Mail», ça dégouline d’heavyness maléfique, il te barde tout ça d’outrance, t’as l’impression que ça te colle à la peau. «Mind» est encore plus dangereux pour ta santé mentale, car c’est bien heavy, bien sans peur et sans reproche, solidement implanté dans la paume du beat. Fabuleuse essence d’excelsior parégorique ! Les cuts sont parfois très insidieux, comme ce «Small Plates», mais tellement volontaires, tellement rentre-dedans. Le déluge de feu est leur raison d’être.

    Signé : Cazengler, rat d’égout

    Swallow The Rat. Le Trois Pièces. Rouen (76). 15 septembre 2025

    Swallow The Rat. South Locust. Shifting Sounds 2023       

    Concert Braincrushing

     

    Wizards & True Stars

     - Harold on, I’m coming

     (Part Three)

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             Tiens revoilà le p’tit Harold Bronson, légendaire co-fondateur de Rhino. Rhino ? Mais  oui, bien sûr ! Rhino est à l’Amérique ce qu’Ace est à l’Angleterre, un gage de qualité. Aussi s’empresse-t-on de lire tout ce que gribouille le p’tit Harold. On l’aime bien, par ici. 

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             My British Invasion est son troisième book, et comme les deux précédents, c’est un book de fan extrêmement bien documenté. Bon d’accord, le p’tit Harold, c’est pas un styliste de la trempe de Stendhal ou de Louis Aragon, mais on ne lui en demande pas tant. Aussi longtemps qu’il nous racontera des histoires intéressantes, on lui ouvrira les bras.

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             Il procède par chapitres thématiques (Troggs, Spencer Davis Group, Manfred Mann, etc.). Il aborde aussi des thèmes que peu de gens songent à aborder : Emperor Rosko, les radios pirates, Granny Takes A Trip, Mike Chapman de Chinnichap, et quand il débarque à Londres, c’est pour interviewer Mickie Most. Notons aussi que ses chapitres sur le Spencer Davis Group et les Troggs sont pointus. 

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             Dans sa préface, il se plait à rappeler que l’Apple Records des Beatles servit de modèle au concept de Rhino Records - Conçu en août 1968 with high ideals, Apple incarnait la qualité que les fans pouvaient attendre des Beatles - Il cite d’ailleurs l’ouvrage de Richard DiLellos, The Longest Coacktail Party, qui narre le détail du «large number of naïve, absurd, hubristic and delusional projects.» Le p’tit Harold s’empresse d’ajouter que son collègue Foos et lui «did a lot of crazy things, but we always tried to keep our heads on straight.» En plus des disks, Rhino a aussi sorti des films et des books, ce qui n’est pas courant chez les record companies. Et comme Ace, Rhino s’est spécialisé dans les reds - Our goal was to provide an excellent package - des liners bien écrits et des photos rares - and a superior-sounding album.

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             Comme on le sait depuis Time Has Come Today - Rock And Roll Diaries 1967-2007, le p’tit Harold tenait un journal, et pour son panorama de la Brisish Invasion, il démarre en 1971, quelques années après la bataille. Il voit Sabbath sur scène (qui sont d’actualité, puisque l’Ozz vient de casser sa pipe en bois). Il les voit en septembre 1971 au Long Beach Arena. La foule est jeune dit-il et il se sent vieux, alors qu’il n’a que 21 ans - Black Sabbath’s music was simple but solid - Voilà tout est dit. Il est enchanté par le «good-natured demeanor» de l’Ozz, en contraste avec le sérieux des trois autres cavemen. Il aura l’occasion d’interviewer l’Ozz un an plus tard et le trouvera charmant - a willing and engaging conversationnist - qui avoue humblement que les Beatles sont ses chouchous. L’Ozz rêvait même de voir sa sœur épouser Paul McCartney. Puis c’est avec l’«heavy guitar sound» de «Really Got Me» que l’Ozz dit avoir découvert sa vocation.

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    Le p’tit Harold rencontre aussi Emitt Rhodes qui, comme McCartney, vient d’enregistrer un album solo sans titre tout seul. Il avoue ensuite sa déception à l’écoute d’Exile On Main Street - Few tracks were of a high standard - Les «songs» comme il dit sonnent comme des «uninspired jams and the sound was muddy.» Il trouve aussi que Keef chante mal son «Happy». Il voit aussi Ramatam sur scène au Whisky. Il trouve Mitch Mitchell pas très bon, April Lawton charmante, mais ça ne suffit pas à cacher la misère des «mediocre songs and arrangements». Et puis t’as Mike Pinera, l’ex-Iron Butterfly. Toute une époque ! Il règle aussi son compte au School’s Out d’Alice Cooper et ses «many negligible tunes». Mine de rien, on est d’accord avec le p’tit Harold sur pas mal de choses.

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             Après un vaste chapitre consacré aux Herman’s Hermits, il passe enfin aux choses sérieuses avec Manfred Mann. Il commence par demander à son lecteur : quel est le the most proficient British Band ?, c’est-à-dire compétent - Les Beatles ? Les Rolling Stones ? Les Yardbirds ? Les Who ? My answer; Manfred Mann - Il commence par les décrire, Manfred Mann et son collier de barbe, et les autres qui semblent se réveiller d’une nuit passée à dormir sur le plancher, mais, ajoute-il, «comme ils ne sont ni des bad boys comme les Stones, ni aussi charismatiques que les Beatles, ni des flashy showmen comme les Who, alors ils ne retiennent pas l’attention.» Le p’tit Harold rappelle que les deux Jones s’entendaient bien, à l’origine des temps, le Paul et le Brian. Ils enregistrent une cassette pour Alexis Korner, espérant décrocher un job au Ealing Jazz Club. Mais ça ne marche pas. Alors Brian demande à Paul s’il veut bien monter un groupe avec lui et Keef. Paul décline l’offre, car il vient de s’engager avec Manfred Mann. Il va vite devenir une «consumate pop idol». Manfred Mann vient du jazz et il comprend que s’il veut survivre, il doit enregistrer des commercial singles - It was jazz men trying to make a living - Puis Paul Jones quitte Manfred Mann. It was devastating. Il sera remplacé par Mike d’Abo.

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             Le p’tit Harold passe tout naturellement aux Yardbirds - I rank the Yardbirds third to The Beatles and The Rolling Stones on artistic innovation - Quand Clapton quitte le groupe, tout le monde est soulagé. Jeff Beck qui le remplace ne supporte pas de voir l’asthmatique Keith Relf sortir son atomiseur sur scène. «I’m joining an asthmatic blues band», s’exclame-t-il. Beck a tout de même des bons souvenirs des Yardbirds, surtout du soir où Giorgio Gomelsky l’a emmené voir jouer Howlin’ Wolf dans un club : «There were Negroes standing and sitting everywhere eating chicken and rice. And up the stage was Howlin’ Wolf dressed in a black dinner jacket and sitting on a stool playing some battered old guitar.» Les Yardbirds considèrent Giorgio comme le 6e membre du groupe. Ils le surnomment Fidel Castro. Mais il y a un problème de blé. Ils ne pensent pas que Giorgio les arnaque, mais c’est un mauvais gérant - He was bad with finances - Alors ils le virent, et bien sûr, ça lui brise le cœur. Simon Napier-Bell devient alors le manager des Yardbirds en avril 1966. Il les trouve charmants, «gentle souls with good manners». Mais ce n’est pas la même ambiance qu’avec Giorgio, le contact ne se fait pas. C’est là que les Yardbirds enregistrent Roger The Engineer. Puis ils sortent «Over Under Sideways Down» : Jeff Beck sort le riff sur sa fuzz-tone guitar. Pour le p’tit Harold, «Jeff is brillant. In my opinion, the best playing of his carrer was with the Yardbirds.» Et quand Samwell-Smith quitte les Yardbirds, «they lost the creative heart of the band.» C’est là qu’arrive Jimmy Page. Jim McCarthy raconte : «On jouait en Écosse, Beck et Page portaient des vestes militaires avec des German Iron Crosses et on leur a craché dessus. Jimmy seemed interested in instruments of perversion. Every now and then he’d talk about the Marquis de Sade.» Les Yardbirds passent à la vitesse supérieure. Mais Jeff Beck décroche, rate des concerts, et quand il joue, il commence à démolir son ampli. Il ne supporte plus d’entendre l’atomiseur de Keith Relf pendant qu’il passe un solo. À force d’absences et de sulking (c’est-à-dire qu’il boude) Jeff Beck est viré - He was more from a car mechanic background - et Chris Dreja d’ajouter : «He’s a slightly out of control egomaniac.» Les Yardbirds ne sont plus que quatre. Jim McCarthy : «The four of us was the best combination we’d had.» Simon Napier-Bell finit par se laver les mains du groupe, les qualifiant de «miserable bloody lot» et trouve que Paul Samwell-Smith et Jimmy Page sont les plus «troublesome». Il les refourgue à Mickie Most. C’est là que Peter Grant devient leur manager. On connaît la suite de l’histoire.  

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    Rosko sur RTL

             Parmi les objets de curiosité, le p’tit Harold épingle Larry Page qui fut manager des Kinks avant de se faire virer, puis manager des Troggs. Le p’tit Harold le rencontre, le trouve ni flamboyant ni excentrique, but he was a character. Dans le chapitre qu’il consacra à Rosko, il nous apprend que Rosko est américain, qu’il a grandi à Beverly Hills et qu’il fit embaucher Sly Stone dans une radio de San Francisco. Comme il avait appris le français au collège, Rosko s’installa à Paris et fit le DJ pour Eddie Barclay. Il étendit son règne impérial sur Radio Caroline et Rhino rêvait de consacrer un docu aux Radios Pirates. Le p’tit Harold évoque bien sûr Ronan O’Rahilly qui transforma un ferry néerlandais en Radio Pirate qu’il baptisa Caroline, en l’honneur de la fille de JFK récemment dégommé. Il avait paraît-il un buste de JFK dans son burlingue et lorsqu’il voyageait, il le faisait incognito, signant les registres du nom de Bobby Kennedy.

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             Le p’tit Harold rencontre aussi Andrew Lauder à Londres, qui vient tout juste de lancer un «local power trio», the Groundhogs. Il rencontre aussi Roy Wood qui n’est pas un «great concersationalist». Ses réponses sont courtes et conventionnelles. Roy Wood cite John Barry parmi ses références. Il dit aussi admirer Led Zep et les Carpenters. Le p’tit Harold rencontre aussi Hawkwind et trouve Lemmy «amiable despite  his intimidating 1950’ rocker look». Le p’tit Harold trouve le son d’Hawkwind «similar to Black Sabbath’s, mostly based around riffs», avec des hippie folk roots. Il ajoute qu’on qualifie leur son de space rock. Au moment où le p’tit Harold les voit, Robert Calvert vient de les quitter. Bien sûr, Lauder refile au p’tit Harold l’album que vient d’enregistrer Calvert, Captain Lookheed & The Starfighters - I preferred it to Hawkwind which I felt had been diminished by Calvert’s departure.

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              Le p’tit Harold rencontre Spencer Davis en 1971, longtemps après la bataille. Premier rappel : le Spencer Davis Group vient de Birmingham, deuxième ville d’Angleterre après Londres, d’où viennent aussi les Moody Blues, les Move, la moitié de Led Zep et bien sûr Sabbath. Quand il monte le Spencer Davis Group, Spencer Davis est déjà un vieux de la vieille : en 1962, il se produisait dans les coffeehouses berlinoises : il chantait Woody Guthrie, Joan Baez et Ramblin’ Jack Elliott. Puis à Birmingham, il voit le Muff Woody Jazz Band et note que le très jeune Stevie Winwood «played piano like Oscar Peterson, and he was incredible. He played the melodica in addition to singing». Il n’avait pas encore 15 ans et sonnait comme Ray Charles, «and it just knocked me sideways.» C’est là que Spencer Davis lui propose de monter un groupe. Stevie accepte à condition que son frère Muff soit de la partie. Ils récupèrent Peter York qui est un jazz drummer, et le Spencer Davis Group démarre en avril 1963. Tout le monde se met d’accord sur le nom de Spencer Davis Group. C’est toujours mieux que The Rhythm And Blues Quartet. Ils commencent à écumer la scène locale, et dans le public se trouvent des gens comme Robert Plant et Noddy Holder. Chris Blackwell leur décroche un contrat chez Fontana en août 1964. Ça ne traîne pas. Ils commencent par des covers : «Dimples» (John Lee Hooker), «Every Little Bit Hurts» (Brenda Holloway). Mais leurs premiers singles floppent, Puis ils tapent dans le «Keep On Running» du Jamaïcain Jackie Edwards, ils virent le côté ska pour le remplacer par un riff de fuzz inspiré de celui de Keef dans «Satisfaction». Gros succès. Puis attiré par l’hippie folky folkah, Stevie Windwood annonce son départ. Sa décision fait des ravages dans le groupe, alors que leur single «I’m A Man» est encore dans les charts. Et bien sûr, lors de son interview avec le p’tit Harold, Spencer Davis indique qu’il n’a jamais été payé au temps du Spencer Davis Group - On paper I had a lot of money, in the bank I had nothing. Where was it after all those smashes? - Dans la poche de Blackwell, de toute évidence. Classique.

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             On passe aussitôt aux Kinks et à «Really Gor Me», loud and raw comme chacun sait. Le p’tit Harold précise que Ray Davies avait son propre style, comme Dylan avait le sien. Par contre, Nicky Hopkins n’a pas une très haute opinion des Kinks : «Après le Village Green LP, j’ai arrêté de bosser avec eux. Ils ne m’ont pas payé pour les sessions, et j’ai fait aussi pas mal de télés avec eux. Je suis vraiment dégoûté. Sur l’album, Ray est crédité pour le chant, la guitare et le piano. Jeez ! I did seventy-five percent of the keyboard work and I didn’t get the proper credit. Je ne travaillerai plus jamais pour lui. They’re greedy bastards. Ray Davies is so tight his arse speaks when he walks.» Et crack !    

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             Au début de l’histoire des Troggs, on retrouve Larry Page. Après avoir été viré et poursuivi en justice par les Kinks, Larry Page ne rêvait plus que de vengeance. Pour ça, il devait trouver un autre groupe et en faire des hitmakers. On lui recommande les Troglodytes. On lui dit que leur cover de «Really Got Me» est meilleure que la version des Kinks. Page tient sa vengeance. Il signe le groupe et les rebaptise Troggs, comme il avait rebaptisé les Ravens en Kinks. Puis il rebaptise Reginald Maurice en Reg Presley et Ronnie Mullis en Ronnie Bond. Il demande ensuite à la boutique Take 6 de leur tailler des costards. Ce sont les fameux costards rayés qu’on voit sur la pochette du premier album des Troggs. D’une certaine façon, Larry Page a dû reformater ces quatre lascars originaires d’Andover, un bled paumé de l’Hampshire dont on qualifie les habitants de «country bumpkins» ou encore d’«hicks from the sticks». Larry Page leur fait enregistrer leur premier single sur du rab de temps de studio et Reg raconte qu’ils ont dû installer leur matos en un quart d’heure pour enregistrer ensuite «Wild Thing» et «With A Girl Like You» en vingt minutes. Reg dit aussi qu’il fait un solo d’ocarina, parque qu’il y en avait un sur la démo que Page leur a refilé. Les 45 minutes de leftover studio time ont été assez rentables puisque «Wild Thing» et «With A Girl Like You» ont été deux number ones, l’un en Angleterre et l’autre aux États-Unis. Ils enregistrent ensuite leur premier album en trois heures. Les cuts ne sont même pas terminés quand ils entrent en studio. Ronnie Bond raconte que Reg écrivait les paroles pendant que les trois autres enregistraient les backings. Le p’tit Harold indique que, comme les Beatles, les Troggs chantent des chansons d’amour, mais il ne s’agit pas du même amour : les Troggs privilégient un «lust-driven, sexually insatisfied caveman intent on ripping off the dress of the nearest appetizing girl and having a go at it.» Si les Troggs plaisent tellement à une certaine catégorie de la population, c’est sans doute à cause ou grâce à leur «we’re-tough-we-don’t-care punk attitude». On qualifie leur son de «simple» et le p’tit Harold les compare volontiers à Sabbath et aux Ramones. Quand on propose au gros billet aux Toggs pour une tournée américaine et un passage à l’Ed Sullivan Show, Larry Page refuse, car, radin comme il est, il craint de perdre de l’argent sur la tournée. Quand le Troggs apprennent la triste nouvelle, ils sont écœurés car bien sûr la décision a été prise sans eux, alors qu’ils rêvaient d’aller jouer aux États-Unis. Résultat : Page est viré. Ça fait tout de même la deuxième fois qu’il est viré par un groupe qu’il a lancé. Ce qui ne l’empêchera pas de sortir Trogglodynamite sans le consentement du groupe. Le p’tit Harold trouve que cet album est nettement inférieur au premier, ce qui est parfaitement juste. Mais après avoir viré Larry Page, les Troggs n’auront plus jamais un autre hit. Et bien sûr, l’Ozz adorait les Troggs et leur «very sexual» aspect.

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             Le p’tit Harold consacre l’un de ses plus gros chapitres au Dave Clark Five et plus précisément à Dave Clark qui débuta en achetant un drum set pour deux livres à l’Armée du Salut et qui apprit les rudiments. Un Dave qui avait quitté l’école à 15 ans, mais qui avait un sens aigu des affaires. Très tôt, il monte une publishing company pour le Dave Clark Five - Dave was a controlling person - C’est un mec spécialisé dans les arts martiaux, dont le karaté. Dave est aussi le producteur du Dave Clark Five, ce qui est nouveau à l’époque. Il trouve une combine pour avoir de l’écho sur «Glad All Over», son premier big hit. Dave est aussi le manager du groupe. D’instinct, il sait prendre les bonnes décisions et sait choisir ses collègues. Mike Smith est le musical genius du groupe, pianiste formé au conservatoire et co-auteur d’hits avec Dave. En 1964, Dave fait signer un contrat de 5 ans aux membres du groupe. Il les salarie : 50 £ par semaine, quatre semaines de congés payés et pas de royalties sur les ventes de disks. Ils devaient en outre rester disponibles 24 h/24, ils devaient prendre soin de leurs instruments, et suivre les consignes de Dave en matière de look : fringues et coupes de cheveux. Le line-up n’a pas bougé pendant les 9 ans qu’a duré le groupe. Petite cerise sur le gâtö : Dave, que le p’tit Harold surnomme Handsome Dave, est l’épitome du charme, quand il s’adresse à une gonzesse, il lui dit «luv» et se plaint qu’il est impossible de trouver une bonne tasse de thé aux États-Unis. Le Dave Clark Five plait tellement à Ed Sullivan qu’ils seront invités 12 fois dans son show, «more than any other rock band». Pour les tournées américaines, les DC5 rachètent un jet privé aux Rockefeller. Ils font peindre DC5 en grosses lettres sur le côté. Ils font 6 tournées américaines et du coup, le DC5 a plus d’hits aux États-Unis qu’en Angleterre. On qualifie leur son de «Tottenham Sound», ce qui les distingue du Mersey de Liverpool et de Londres. En 1965, ils sont plus populaires que les Herman’s Hermits et les Stones. Dave arrête le groupe en 1967. Bien sûr, Rhino veut leur rendre hommage avec une box, vu que les albums n’ont jamais été réédités. Dave qui avait récupéré les masters refusait de les céder. Il pensait qu’en bloquant les rééditions, la cote du DC5 allait monter. Et Comme il avait investi dans l’immobilier, Handsome Dave n’avait pas besoin de blé. Mais la cote du DC5 n’a jamais monté. Loin des yeux loin du cœur, comme on dit. Le p’tit Harold a beaucoup insisté pour convaincre Handsome Dave de faire une box en hommage au DC5, mais Handsome Dave a toujours dit non. 

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             On retrouve aussi l’interview de Mickie Most publiée dans Time Has Come Today - Rock And Roll Diaries 1967-2007, où Mickie explique qu’il n’a pas voulu produire les Stones car il les trouvait trop indisciplinés, arrivant en studio à minuit, alors qu’il voulait être rentré chez lui de bonne heure pour dîner en famille. L’interview de Mike Chapman est intéressante. Chinninchap ont d’une certaine façon inventé en glam. Mais le hits glam anglais (Mud, Showaddywaddy, Cockney Rebel, Slade et Wizzard) ne sont pas des hits aux États-Unis. Chapman bosse comme barman dans un club qui appartient au père de Nicky Chinn, et c’est là qu’ils se rencontrent. Ils  décident d’écrire des chansons ensemble et en 1971, ils démarrent avec «Funny Funny» pour les Sweet. Mickie Most prend Chinninchap sous son aile et leur demande de pondre des hits pour les glamsters qu’il enregistre sur son label RAK. Alors ils pondent. Cot cot ! Suzi Quatro, Mud, et puis Sweet. Quand ils se mettent au boulot, ils commencent par le titre, puis ils travaillent la mélodie et finissent avec les paroles. Ils composent «Little Wally» pour Sweet - Little Willie Willy won’t go home - Le côté comique de l’histoire, c’est que Willie est le slang de pénis. Chapman pense qu’il faut aller bosser aux États-Unis et il produit des albums pour Rick Derringer, Smokie, Suzi Quatro et Blondie.

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             On garde le meilleur pour la fin : Marc Bolan, John Lydon et les Zombies. C’est là où le p’tit Harold casse bien la baraque. Il est assez fasciné par Marc Bolan, il qualifie son style vocal de «subtle, sensual, direct and snarlingly animalistic.» Il le trouve très anglais, assez proche de Ray Davies, «and a dedicated follower of the fashion, modeling a magnetic gold-threated coat, black satin pants and girls orange Mary Jane shoes.» Quand le p’tit Harold lui demande pourquoi il ne joue pas de solos, Marc lui répond sèchement : «I do. On stage.» Il rappelle que «Get It On» sur scène dure 20 mn - I blow my head off and I play to the audience - Il s’enflamme et lance : «Look out, man, I’m really Marc Hendrix!» Il se calme un peu et rappelle qu’il n’a jamais été un «folkie» - I started with an electric rock band which was called John’s Children. I started with a 1962 Les Paul and a 400-watt stack.» Marc remet les pendules à l’heure : «There were three records: ‘My White Bicyle’ by Tomorrow, ‘Granny Takes A Trip’ by the Purple Gang and ‘Desdemona’ by John’s Chidren. Dynamite records. Dynamite! Those records are what you would call turntable hits. They got mass airplay - mass - but they didn’t sell a fucking record because they were three years too soon. Each one would be a number one, no doubt about it.» Il ajoute que l’underground a mis du temps à s’établir en Angleterre. Marc rappelle qu’il est monté sur scène en première partie de Van Morrison à l’âge de 17 ans. Le p’tit Harold lui demande pourquoi il a quitté les John’s Children et Marc dit qu’ils voulaient faire de lui un Monkee - When I left John’s Children, they took my guitar away. They took my Les Paul and sold it. They took my stack and sold it - Puis Marc va commencer à démystifier le star system - Don’t believe there’s security in being a star - Il indique au passage qu’il n’y a de sécurité nulle part, puisqu’on va tous mourir. Il espère pouvoir conduire le Royal Philharmonic Orchestra «because that’s what I hear in my head. If not, I’ll retreat into my country Welsh island and disappear. I’ll send bootlegs out.»

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             Le p’tit Harold est fan du Lydon’s book, No Irish No Blacks No Dogs. Il rêve de tourner un film adapté du book. Il rencontre Lydon à Santa Monica. Lydon a grossi. Le p’tit Harold le qualifie de «good conversationalist». Il faut trouver un scénariste pour adapter le book. C’est Jeremy Drysdale. Il passe 8 heures avec John Lydon et ils descendent 36  bières. Mais le projet va se casser la gueule. John Lydon demande si son personnage peut être joué par une femme, ou un gosse black, ou un vioque. Sur le moment c’est perçu comme une mauvaise idée, sauf que Todd Hayes va l’utiliser dans son portrait de Dylan, I’m Not There - I guess John was ahead of his time.

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              Autre groupe fétiche : les Zombies - Low budget horror movies were the rage with teens in the early sixties, so it was no surprise that original bassist Paul Arnold sugested ‘The Zombies’ - En 1964, ils ont déjà un problème de look - They looked like erudite schoolboys. Two even wore glasses - Le p’tit Harold se marre bien quand il ajoute que s’ils avaient été managés par Larry Page, celui-si les aurait déguisés en chimistes avec des blouses de laboratoire et des éprouvettes fumantes.   Comme «She’s Not There» se retrouve dans le Top Five américain, les Zombies sont expédiés vite fait au Murray the K’s Christmas Show at the Brooklyn Fox Theater. Ils se retrouvent à la même affiche que «Chuck Jackson, Ben E. King & The Drifters, The Shirelles, Dick & Dee Dee, The Shangri-Las, Patti LaBelle & The Bluebells, The Vibrations, Dionne Warwick, The Nashville Teens and The Hullabaloos.» Difficile à croire nous dit le p’tit Harold, mais les Zombies ont une grosse influence sur des gens comme les Byrds, Vanilla Fudge et Left Banke qui jouent des Zombies covers sur scène. Peu de temps après, nos cinq Zombies sont de retour aux États-Unis pour participer au Dick Clark Caravan of Stars, en compagnie de «Del Shannon, Tommy Roe, The Shangri-Las et dix autres artistes.» Ils arrivent aux Philippines pour jouer devant 10 000 personnes à l’Arenata Coliseum et on leur donne 300 $ à se partager en cinq. Ils sentent qu’il y a une petite arnaque. Puis on leur confisque leurs passeports et on leur donne des gardes du corps, pour soit-disant assurer leur sécurité. Les Zombies craignent pour leur vie. Rentrés au bercail sains et saufs, ils enregistrent Odessey & Oracle pour 4 000 $ (alors que les Beatles en avaient claqué 75 000 sur Sgt Pepper) et le p’tit Harold trouve que les chansons des Zombies sont bien meilleures que celles de Sgt Pepper. C’est le graphiste Terry Quirk qui s’est vautré en dessinant le titre : Odessey plutôt qu’Odyssey, mais personne ne l’a vu. Comme Rod Argent et Chris White empochent des royalties de compositeurs, les autres sont jaloux. Ils se plaignent de devoir prendre le métro alors et Rod et Chris roulent en bagnoles de sport. Et c’est là que le groupe splitte. Les trois autres sont obligés de prendre des jobs pour manger et payer leur loyer, car le groupe en tant que tel ne rapporte pas assez. Colin Blunstone bosse comme agent d’assurance, Hugh Grandy vend des bagnoles, et Paul Atkinson bosse dans une banque. Deux ans plus tard, ils sont tous de retour dans le music biz, Colin avec sa carrière solo, Hugh chez CBS, et Paul comme A&R chez CBS. L’un des premiers groupes que signe Paul n’est autre qu’Abba. De passage à Londres, Al Kooper achète quelques albums d’occasion sur King’s Road et flashe sur Odessey & Miracle qui «stuck like a rose in a garden of weeds». Comme il est A&R chez CBS, il parvient à convaincre son boss Clive Davis de rééditer l’album. Mais Odessey & Oracle ne se vend pas aux États-Unis. Tout le monde trouve l’album génial, mais il n’est pas assez commercial. Le groupe va se reformer en 2001 et en 2015, ils ont joué Odessey sur scène. Et voilà, c’est tout ce que le p’tit Harold peut en dire à l’époque. C’est déjà pas si mal.

    Signé : Cazengler, Bronson of a bitch

    Harold Bronson. My British Invasion. Vireo Book 2017

     

     

    Inside the goldmine

     - L’outsiding des Outsiders

             Tox portait bien son nom. Rien à voir avec les drogues. Ce qui était toxique en lui, c’était tout simplement sa connerie. Le pauvre ! Toutes les formules de Jacques Audiard le concernaient directement, à commencer par la plus célèbre, «Les cons, ça ose tout ! C’est même à ça qu’on les reconnaît.» Ou encore celle-ci, «Quand on mettra les cons sur orbite, t’as pas fini de tourner.» Dommage qu’Audiard n’ait pas connu Tox, car il se serait régalé. Il aurait pu dire de Tox un truc du genre : «Dommage qu’on ne taxe pas la connerie. Tox rapporterait une fortune à l’État.» Ou encore celle-ci : «Si la vie était bien faite, Tox serait élu roi des cons.» C’est vrai qu’on reconnaît Tox à sa connerie, car il osait tout. C’est vrai qu’il semblait tourner en orbite. C’est vrai qu’à chaque rencontre, il réveillait l’Audiard qui sommeille en nous. Ça devenait presque automatique. «Si les cons n’existaient pas, alors il faudrait inventer Tox.» Tox n’en finissait plus d’inspirer ton imaginaire. Au point où on en était, on finissait même par parodier Audiard : «Après la mort, l’esprit quitte le corps, sauf chez Tox.» Ou encore : «Si Tox pouvait se mesurer, il servirait de mètre-étalon.» Ou encore : «Quand on est con comme Tox, on porte un écriteau, on prévient.» Le pauvre Tox, il ne semblait se douter de rien. Il rentrait dans les conversations en prenant la posture d’un mec intelligent et tatoué, il gueulait un peu pour imposer un point de vue, sa petite voix criarde sonnait tellement creux qu’il nous faisait de la peine. Pire que ça : il nous faisait pitié. Mais bizarrement, quand les gens commencent à nous inspirer de la pitié, on les voit autrement. L’angle change. Le doute s’installe. On se sent devenir con. Le con n’est pas toujours celui qu’on croit. Et comme le disait si justement Audiard, «Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche.» C’est tellement vrai. Il faut parfois toute une vie pour le comprendre.

     

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             Pendant que Tox défraie la chronique, Tax règne sur l’underground néerlandais des mid-sixties. Tox et Tax sont tous les deux victimes de quiproquos, alors après avoir élucidé le mystère de Tox, penchons-nous sur celui de Tax.

             On  a longtemps considéré Wally Tax, le chanteur des Outsiders, comme l’équivalent de Phil May. Alors on a traqué les albums. Ça n’a pas toujours été très facile.

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             On avait à l’époque ramené de Londres une belle compile des Outsiders, Touch. Un Touch qui démarrait avec l’excellent «Story 16» et sa belle tension protozoaire. Cut aussi très Seeds, par son côté insistant. Plus loin, «Lying All The time» sonnait comme un cut des Byrds et il fallait attendre «That’s Your Problem» pour renouer avec les Pretties et les fameuses virées de wild bassmatic signée John Stax. En B, le morceau titre renouait avec la belle tension sixties agrémentée de coups d’harp et tout allait finir un mode dylanesque avec «Ballad Of John B» et «Thinking About Today». Du coup, on éprouvait une légère déception.

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             Puis t’as Pseudonym qui s’est mis à rééditer tout l’Outsidering, à commencer par C.Q. devenu C.Q. Mythology, un fat double album. Très bel emballage mais rien dans la culotte. Tu croises les cuts en version chantée et en version instro, mais tu ressors bredouille des quatre faces. Même déception qu’avec les reds Pseudonym de Q65.

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             Chaque fois que tu croises un bel Outsiders dans le bac de Born Bad, tu le sors et c’est un Pseudonym. Tu te fais encore avoir avec Afraid Of The Dark, un live enregistré en 1967 qui démarre sur «Bird In A Cage» et les coups d’harp de Wally Tax. Ils ont un son assez confus, animé par le bassmatic dynamique d’Appie Rammers. La viande est en B, avec «Story 16». Les coups d’harp de Wally Tax valent bien ceux d’Arthur Lee. Wally fait les Pretties et reprend toute la transe de Van the Man dans le pont de «Gloria» - So tight/ Awite - Il te chauffe ça au c’mon, c’est puissant et c’est même un fleuron du protozozo, ça monte bien en température. Dommage que tout ne soit pas de ce niveau chez les Outsiders. Ils se tirent une balle dans le pied avec la poppy popette d’«I Wish I Could». Ils sauvent les meubles en bout de la B avec un «Won’t You Listen» ramoné à la fuzz, c’est un gros ventre à terre, ils ne rigolent plus, Wally fait ton protozozo, et derrière, Appie Rammers fait de la haute voltige.

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             C’est avec Monkey On Your Back: Their 45s qu’ils s’en sortent le mieux. Ce fat double album rassemble tout le protozozo des Outsiders, à commencer par l’imparable «You Mistreat Me», même harsh, même désaille de la voyoucratie vocale que celle des Pretties. Pretties encore avec «Felt Like I Wanted To Cry» et «That’s Your Problem» : ils sont en plein dans les dynamiques des early Pretties. Pretties encore en D avec «Touch». On re-croise aussi le «Lying All The Time» qui sonne comme un hit des Byrds, et le «Ballad Of John B» plus dylanesque. Et puis en D, t’as ce «Talk To Me» qu’on dirait sorti d’un EP des Them : on y retrouve la tension de «Gloria» et de «Story 16». Le reste n’est pas bon.

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             Alors t’as aussi le photo sound book d’Hans Van Vuuren, The Outsiders - Beat Legends, paru en 2010. D’ailleurs, c’était le seul book au merch du Beatwave à Hastings. À l’époque de sa parution, Crypt le proposait dans son catalogue, alors on l’a rapatrié, car on s’attendait à monts et merveilles. Ni grand format, ni petit format, il se situe entre les deux. Autre avantage : c’est un photo book, c’est écrit dessus, comme le Port-Salut. T’as tout juste une introduction de deux pages en néerlandais et en anglais, donc t’as pas grand chose à te mettre sous la dent. Tu ne perds donc pas ton temps à lire les louanges d’un groupe que tu sais limité à une poignée de singles,  «That’s Your Problem», «Story 16» et «You Mistreat Me».

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    (1965)

             Quand il débute en 1961, le groupe s’appelle Jimmy Ravon & The Outsiders. Wally Tax y gratte ses poux. C’est en 1964 qu’ils deviennent les Outsiders avec Wally au chant et aux poux.  Le batteur Leendert Buzz Busch porte un collier de barbe et des lunettes à grosses montures noires, comme Manfred Mann. Ah l’esthétique des early sixties ! Tout un poème ! Par contre, Wally a déjà une bonne coupe de douilles, comme on disait alors. Et en 1965, il a les cheveux sur les épaules, comme son idole Phil May. Les Outsiders n’ont tenu que grâce au look et au timbre de Wally Tax. Alors évidemment, on tourne les pages et ça grouille de photos. Ils passaient leur temps à se faire photographier. Wally était un petit mec extrêmement photogénique. Il y a notamment un photo session dans un parc à Amsterdam. Ils commencent à enregistrer en 1965. On suit tout le déroulement de carrière page à page, en se demandant quel intérêt peut avoir ce genre de photo book. Sortie de leur premier single, «You Mistret Me» sur Op Art. Au catalogue d’Op Art, on voit aussi les Bintangs, et Peter  & the Blizzards. Tiens et les Zipps ! On les avait oubliés, ceux-là !

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             En 1966, les Outsiders ont le look parfait. On n’a d’yeux que pour le wild Wally, qui n’en finit plus d’afficher sa mélancolie néerlandaise. En 1966 sort «Lying All The Time». Ça a l’air de bien marcher pour eux, on les retrouve même en première partie d’un concert des Rolling Stones au Brabanthallen, Den Bosch. En 1966, ils viennent jouer à la Locomotive. En 1966, sort un autre single protozozo, «That’s Your Problem».

             De l’image, toujours de l’image, encore de l’image.

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             En 1966, ils jouent en première partie de Little Richard à l’Olympia. En 1967, les cheveux continuent de pousser. Ils apparaissent dans pas mal de petits canards pop anglais. On les voit aussi dans la caisse suspendue en l’air, dans le Port d’Amsterdam, où ya des marins qui dansent en se frottant la panse sur la panse des femmes, ils tournent, ils dansent comme des soleils crachés dans le son déchiré d’un accordéon rance.

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             Et soudain, on ne voit plus que Wally Tax, le voilà tout seul en couverture de Kink, avec un bouzouki. Et tout rentre dans l’ordre, les Outsiders reviennent au grand complet. Oh pas longtemps. Wally est trop photogénique. T’as des doubles entières consacrées au trop beau Wally, et crack, il enregistre On My Own en 1967.

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             Comme tous les autres à l’époque, les Outsiders se mettent à porter des grands chapeaux et deviennent des hippies. Fini les Pretties, ils sortent les flûtes et «Bird In A Cage». C’est foutu. Ils se déguisent avec des cols pelle à tarte comme les Young Rascals. Chute de l’empire Taxien. Pour chanter son single «Come Closer» à la télé, Wally se fait couper les cheveux. Enfin un petit peu. Il a l’air de porter une perruque.

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    1968 Amsterdam

             Sur les photos de 1968, ils ont encore de faux airs de Pretties. On voit même une photo de promo où ils ont l’air méchants. Sauf que Wally tient une flûte. Puis tout va s’écrouler avec le LP CQ. Et les barbes d’Appie et de Leendert se mettent à pousser. Pas si grave au fond, c’est même arrivé aux Kinks et aux Who.        

    Signé : Cazengler, taxé

    Outsiders. Touch. Emidisc 1976

    Outsiders. Afraid Of The Dark. Pseudonym 2010

    Outsiders. C.Q. Mythology. Pseudonym 2011

    Outsiders. Monkey On Your Back: Their 45s. Pseudonym 2012

    Hans Van Vuuren. The Outsiders - Beat Legends. Centertainnment 2010

     

    *

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            Nous le souhaitions depuis longtemps. Le premier album d’Ashen est arrivé. Nous suivons Ashen depuis plusieurs années, depuis leur début et même avant. Voici donc la chimère tant attendue.

    CHIMERA

    ASHEN

    (Out Of Line Music / 12 – 09 – 2025)

    Les chimères ne sont plus ce qu’elles étaient, elles ont bien changé.  Heureusement qu’il existe des artistes comme Mathieu Boudot, trafiquant d’images 3 D, pour nous donner accès à l’imaginaire de notre modernité. Ni pire, ni meilleure que les époques qui nous ont précédés ou de celles qui viendront après nous. C’est que les chimères ne procèdent pas de nous, elles sortent de notre cervelle dans laquelle elles nidifiaient, venues d’on ne sait où, comme l’indomptable Athéna surgit casquée, bottée, étincelante du chef fendu de Zeus. Mathieu Boudot sait les saisir en plein vol afin de les recouvrir d’une armure protectrice.

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    La couve de Chimera ressemble à ces groupes de statues qui parfois hantent les monuments aux morts de nos cités. Ce n’est sûrement pas la Victoire ailée qui marche en avant conduisant des essaims de soldats vers une mort inscrite sur les monumentales pierres granitiques des cimetières. Pourtant dans la gangue de son scaphandre intersidéral elle est si loin de ses petits hommes pétris d’argile rouge qui s’agrippent à sa haute stature dans le vain espoir qu’elle les emporte avec elle. L’Humanité s’accroche à son rêve comme l’âne à sa carotte… Au loin tout au bout d’une route s’ouvre une porte étroite… Il n’est pas interdit de rêver, c’est le rêve qui est interdit.

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    Clem Richard : vocal / Antoine Zimer : guitares / Niels Tozer : guitares / Tristan Broggia : batterie / 

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    You were always here : elle était là depuis toujours, des pas de palombes qui s’approchent, des coques d’œufs qui se brisent de l’intérieur, des notes qui tombent comme des gouttes d’eau dans la vasque qui les accueille, un souffle instrumental de gravité, comme un rideau inquiétant à la fenêtre qui s’agite en signe d’on ne sait quoi… Meet again : deux jours avant la sortie du disque est apparue une vidéo, intitulée Meet Again qui débute par la courte introduction précédente. Ashen nous a habitués à  de somptueuses vidéos inséparables de la sortie, étalée sur plus d’une année, de cinq titres en annonce de l’album sur lequel ils figurent. Le court film de Bastien Sablé proposé est moins esthétisant que les précédents et d’une  compréhension  davantage évidente. L’on y aperçoit le groupe en train de jouer mais l’on suit avant tout la marche d’un chevalier, d’ailleurs est-il deux ou sont-ils un, l’accoutrement est juste symbolique, une longue épée et une armure de pacotille, qui cherche-t-il, vers quel ennemi marche-t-il, pourquoi dégaine-t-il son arme trop grande pour lui, pourquoi tant de moulinets désordonnés contre l’invisiblee, quelle est cette épée plantée en terre, serait-ce une résurgence arthurienne d’Excalibur, ou  appartenait-elle à un ami dont elle désignerait la tombe. Peut-être même la tombe de notre chevalier… Nous n’en saurons pas davantage. La musique déboule, une espèce de flot symphonicco-post-metallicore, travaillé au corps par les assomptions batteriales, elle n’est qu’un faux-semblant absolument nécessaire et fondationnel, le déroulement éclosif de la tragédie, ramassée, exprimée, mimée par le chant de Clem Richard, elle est l’écrin chatoyant et hérissé, il est l‘écran noir et translucide de l’ubiquité de la parole qui révèle et recèle sans discontinuer.  Piétinement incessant d’une solitude romantisée qui se bat contre les fantômes du réel et du rêve. Cette brisure segaléenne entre le tigre du réel et le dragon de l’imaginaire, cet espace entre les deux mufles collés l’un à l’autre, cette lutte sans merci de l’autre contre l’un porte un nom, certains l’appellent porte de la folie, d’autres la nomment chimère. Chimera : déchirement, concassage sonore, vocal râpé,

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    crise de folie subite, l’instrumentation comme un feu qui monte et retombe  braise calcinante pour des retours de flammes d’une hauteur spectaculaire, le morceau sonne comme un appel au secours, à soi, à l’autre et au monde, la chimère est au-dedans, la pieuvre se bat contre elle-même et contre le roi absolu de moi-même que je suis et que je ne suis pas, empereur fou de soi-même qui rêve de meurtre et de sang, de crimes et de règlements de comptes, je suis le bourreau de moi-même et  l’Imperator de tous ceux qui ne sont pas moi, qui sont contre moi, si contre qu’ils sont en moi-même, qu’ils sont moi-même, que je suis eux, leur époux ou leur épouse, ils veulent me clouer de leurs glaives au dossier de mon trône sur la plus haute montagne de l’univers, je ne suis plus qui je suis, j’ignore mon nom, car je ne sais plus si je suis le monstre chimérique de moi-même, ou bien le sujet de mes sujets assujettis à leur haine de moi. Je suis l’œuvre au rouge de mes angoisses, j’ignore si elles viennent de moi ou si elles viennent de tout ce qui ne serait pas moi.  Crystal

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    tears : comme le précédent ce morceau a fait l’objet d’une vidéo. La précédente se déroulait au sommet d’une montagne, levez-vous orages désirés aurait pu être son titre, elle est l’appel à l’incandescence, elle défie la foudre et les Dieux, elle est la manifestation destructrice de la fureur mégalomaniaque humaine, elle en appelle à la destruction du monde et à l’auto-destruction de soi-même. Crystal Tears est tout le contraire. La scène se passe dans les antres terrestres, c’est la vidéo des profondeurs infernales, là où l’on expie  ses propres crimes en tâtonnant sans fin dans le labyrinthe de ses terreurs intimes. Moins d’exaltation, davantage de violence, musique compactée en bloc ténébreux d’anthracite, un vocal qui laboure ses propres entrailles, fracas intérieurs, sirènes d’alarmes, une boule de regrets qui dévale la pente de la folie sans frein, jusqu’à l’illumination intérieure, régression vers l’œuvre au blanc, le signe que quelque chose est en train de se révéler, une espèce de clarté étincelante qui pourrait vous servir de miroir si sa lumière n’était pas si aveuglante qu’elle vous empêche d’y voir, de reconnaître ce que vous savez déjà, une larme de cristal solidifié que l’on ne peut fendre ou fondre, qui ne coule pas qui restera toujours inaltérable figée en elle-même, fichée en vous comme une dent cariée. Une douleur inaltérable qui n’est pas sans rappeler la porte ouverte de la couve de l’opus. OblivionCe qu’il y a de terrible avec l’oubli c’est que l’on n’est jamais aussi près de ce que dont on voudrait se rappeler, une musique beaucoup moins torturée que les deux morceaux précédents, un chant ample signe d’espoir, l’on n’a jamais été aussi proche de l’extérieur de soi, des innombrables merveilles que nous offre la nature, un paradis certes encore à notre image, peuplé d’oiseaux de proie qui attendent que nous soyons dehors pour se précipiter sur nous et se disputer les morceaux pantelants de notre chair et de nos pensées, mais toutefois la promesse de nous extraire de notre bourbier, un magnifique et long solo de guitare nous berce dans cette illusion qui dure assez pour espérer que le plus dur soit derrière nous, mais la voix reprend, plus ample, insistante, ce n’est pas encore le retour de l’angoisse mais l’appel au secours à la Mère engendreuse et primordiale, pour qu’elle nous révèle les deux moitiés de l’œuf cosmique dont nous sommes issus, et nous persuade que les anges dinosauriens ne sont pas tous morts, que l’oubli n’est qu’un suaire que nous pourrions facilement déchirer. Chimera’s theme : instrumental, si l’on n’était pas qu’à la moitié du film, l’on pourrait aux premières secondes qui courent  croire à une happy end, que le prisonnier Zéro qui était si près de la porte de sortie s’évaderait si facilement de ses ennuis que ce n’est même pas la peine de nous le dire, mais quelques tapotements insistants nous alertent, la musique s’enraye avec ce bruit caractéristique d’une bande magnétique qui se bloque. Nous ne sommes pas naïfs, Wagner nous a appris que tout intermède lyrique n’est propice qu’à de proximales menaces.  Cover me red : Retour à la case départ. Encore plus violent. Encore plus déchiré. Davantage

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    une inclusion qu’une couche de peinture. Non plus le rouge alchimique mais le rouge du sang des blessures intimes et de l’hémoglobine suscitée par les agressions externes, selon cette musique qui s’entrechoque sur elle-même qui s’entasse, qui se recouvre, qui n’est plus qu’un hachis d’auto-grondements, qu’un grouillement de froissements comme si l’on appelait toutes les vipères du monde à venir nous recouvrir.  Altering : serait-ce le plus beau titre de l’opus, une intro style chevauchée des Walkyries, double partition, celle musicale et celle schizophrénique exposée par le vocal, suspendu sur l’abîme qui sépare ce que l’on est de ce que l’on pourrait être, deux rivages si éloignés que l’on ne sait plus sur lequel des deux bords de la faille l’on se tient, suspension de quelques notes, fragilité d’être dans l’entre-deux de soi-même, la voix s’élève pour plonger au fond de la chair qui l’émet, au sein du sang qui l’irrigue, symbiose instable en état de modification permanente, l’alternative insidieuse a pris les commandes, les deux mâchoires se refermeront sur moi et me dévoreront. Du sang sur les mains du meurtrier en puissance, la musique spongieuse glougloute comme un torrent qui se presse. Desire : à l’origine une vidéo de Bastien

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     Sablé, celle du désir rampant en soi, hors de soi, dans l’impossibilité de la solitude, à moins que ce ne soit le désir de l’autre, chimère extérieure de chair et de consomption, serpent musical furtif qui se lève brutalement pour mordre ou se fondre en moi, tous deux partagé par le même gouffre, vocal supplication, rejoins-moi, entre dans mon monde ou moi dans le tien, ce que je ne suis pas capable de faire, mais peut-être es-tu partagé par la même incapacité à t’exhaler de toi-même, rejoignons-nous, n’habitons plus qu’un même éspace-temps, mais n’es-tu pas qu’un phantasme solipsiste issu de mon esprit démembré, intensité musique et voix ne sont plus qu’un cri de haine ou de désir, es-tu ma chimère, es-tu inscrite dans le réel, es-tu mon désir, mais mon désir le plus vif n’est-il ma propre chimère, ne me désiré-je pas moi-même. Ne suis-je pas l’abysse dans lequel je plonge. Sacrifice (with Ten56) : être seul et si dépendant de sa souffrance, suite logique, après l’échec de l’autre, ne reste plus que la tentation du suicide, totalement cacophonique, grognements, grondements, mais peut-être sont-ce mes tourments qui désirent faire de moi une victime expiatoire de moi-même, même lorsque je suis enfermé dans le vase clos de moi-même je subis encore le déchirement métaphysique de ne pas être tout à fait moi-même et tout à fait autre. Habité par mes propres démons chimériques, expulsé de moi-même par ces mêmes démons. Clone of a clone : l’acceptation de soi et la non-acceptation de ne pas être soi, la première postulation comme un chant sous la voûte étoilée, sonorités éthérées alternent avec la pulsation râpée de se battre contre soi-même dans le seul but d’être le soi que l’on n’est pas. La situation est exposée, chacune des deux entités la répète à tour de rôle, à plusieurs reprises, pas de discussions, pas de tentatives de rapprochement. Chacun n’est que le clone de l’autre, ils s’auto-engendrent l’un et l’autre, si l’un des deux prenait le dessus, le vainqueur ne survivrait pas puisqu’il n’est que par cette béance qui les lie et les délie sans fin. Living in reverse : this is the end, cette fois c’est bien le générique de fin, non le héros ne meurt pas, c’est le metalcore qui cède le pas à l’ampleur lyrique, chaque instrument nous fait son petit numéro pour nous dire aurevoir, quant au chanteur il chante de toute son âme, il sait qu’il n’a rien réussi, il nous promet de s’améliorer, le pathos habituel de l’ivrogne qui jure qu’il arrêtera l’alcool, mais il n’y croit pas lui-même, lorsque la cassette s’arrête, un déclic et hop elle recommence, comme avant, comme après. Le héros retourne à sa solitude, ô combien peuplée de lui-même, il ne lui reste que son chien qui mourra avant lui, mais avec ou sans le canidé, tout recommencera, le serpent ne se mord pas la queue mais lorsqu’il est parvenu au bout de sa queue il remonte vers sa tête. Sempiternel aller-retour. L’on ne va jamais plus loin que soi-même. Plus loin que sa propre brisure.

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             Chimera est un chef-d’œuvre. Existe-t-il à l’heure actuelle un groupe français qui soit capable d’atteindre à une telle excellence. L’opus se tient en lui-même. Il ne court pas après de chimériques propensions à ne pas être soi. La voix, les paroles, l’instrumentation, collent parfaitement au concept qui les ont guidées et gardées de toute embardée. L’œuvre est une, enserrée dans la tour d’ivoire de sa beauté. Ashen peut être fier, quoi qu’ils fassent par la suite, musicalement parlant ou dans leur vie privée, ils ont déjà accompli quelque chose, ils ont créé une citadelle, un point de ralliement, d’orientation, que personne ne pourra jamais leur enlever.

    Damie Chad.

     

     

    *

            Toujours de petites perles sur Western AF, ce coup-ci deux d’un coup. L’une après l’autre, très différentes, je vous réserve la première pour la semaine prochaine. En priorité nous écoutons la deuxième Une véritable pierre précieuse, un saphir, aux yeux azuréens, des lèvres coquelicots, une peau de  lait, qui pourrait résister à une telle merveille. Pas moi.

    WEED MONEY

    AC SAPPHIRE

    (Bandcamp / 2024)

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             Elle ne chante pas encore. Elle n’est même pas sur la vidéo. A la place un van stationné au bord d’une route. Quand elle arrive elle explique qu’elle a pris soin de s’habiller en essayant de se mettre en accord avec le motif peint sur  la carrosserie  de son van préféré. Il appartient à une personnalité connue de Laramie (Wyoming) Shawn Hess, est-ce lui qui   l’accompagne à la guitare électrique soulignant de notes nostalgiques le chant de Sapphire. Quand elle ferme les yeux elle ressemble à une gamine, mais non elle est née en 1985, sa voix nous l’indique elle est marquée de toute la sage désillusion qu’apporte l’existence. Non pas que la vie soit particulièrement dure car tout dépend de soi, de ce que l’on a voulu traverser. Aucune plainte, un simple constat, sans haine ni ressentiment, juste le sentiment d’être ailleurs, de refuser d’être dupe de l’autre et de soi-même. Un vocal aérien, mais ce bluegrass est teinté de la tristesse indéfectible de ce qui pourrait se nommer le blues le plus gras. Son accoutrement prêterait à rire, un peu hippie, un peu pantalon rayé de clown, ses grosses bretelles, ses tatouages un peu trop kitch, presque un rythme envolé de valse, un tournoiement d’hirondelles dans le ciel qui parle de lui, qui parle d’elle, pas spécialement de lui et d’elle, il n’est plus là, elle est déjà partie, ce n’était qu’une escale, pas pire qu’une autre peut-être même mieux, mais les chemins qui se croisent sont destinés à se séparer. Pas un drame, pas une tragédie, tout dépend de la nature, pas les arbres ou les plantes qui nous entourent, la nôtre, celle qui fait que l’on est ainsi que l’on est, seul parmi les autres, seul parmi soi-même ? Deux mots qui qualifient la sienne, le miel des jouissances terrestres, la lune des songes et des rêves. Entre eux, entre tous, le lien ombilical de l’argent, une fumée d’herbe qui ne monte ni vers le ciel ni ne descend vers l’enfer. Juste une vie qui se consomme qui se consume doucement. Un bon moment qui passe et s’évanouit. Une voix qui berce et qui réveille. Qui vous tient éveillé pour mieux vous faire rêver. Et continuer à vivre.

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             Il existe aussi une Official Video du même morceau. Un peu décevante. Un peu trop réaliste. Un peu ménagère, un peu bobonne. Du moins à ses débuts, car si l’on reste dans le même décor, sweet home familial, tout se dérègle, plus rien ne coïncide, l’on se retrouve entre soi et soi, entre Sapphire et elle-même, entre la fumée du rêve et des œufs au plat que l’on qualifiera de brouillés. Il est indéniable que la magie opère, que le monde semble se décentrer de lui-même, sur lui-même.

             L’on reviendra plusieurs fois explorer le monde un peu labyrinthique d’AC Sapphire qui s’avère plein de surprises

    Damie Chad.

     

    *

    Vu le nom j’ai cru que c’étaient des grecs, vous connaissez  ma prédilection pour la péninsule hellénique, en plus des grecs qui font l’effort de s’exprimer en français, ben non, viennent du Luxembourg et comme tant d’autres ils parlent en anglais. J’ai hésité, mais ça avait tout de même l’air assez sombre, j’aime les trucs tordus, et puis dans les nouveautés il n’y avait rien de bien nouveau. Alors fonçons sur le Kraton. Grattons un peu.

    SPIRITUALITE SOMBRE

    KRATON

    (Bandcamp / Septembre 2025)

             Kraton vient du grec – en français l’on écrit ‘’craton’’, une phonétique un peu fragile pour ce mot qui chez le peuple d’Aristote signifie ‘’force’’. Les gratons définissent les aires géologiques continentales constituées des pierres les plus dures, il fut un temps on les désignait sous l’appellation (impropre) de boucliers hercyniens, les premiers gratons sont apparus voici deux milliard et demi d’années. Certes nous sommes encore loin de l’originelle formation de notre planète, mais demandez-vous pourquoi un groupe a pu choisir un tel nom. L’on imagine facilement une dimension primordiale, quelque chose de noir, de solide, de dangereux… Le titre de ce single n’incitant pas à l’optimisme l’on se dit que l’humanité, du moins ses êtres les plus sensibles, les plus éveillés, doivent être capables de ressentir les sombres émanations de cette puissance élémentale. Serait-ce un privilège ? Serait une malédiction intérieure ?

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             La couve tend à nous incliner vers la deuxième interrogation. L’Homme n’apparaît pas royalement installé à sa place, la centrale que souvent habituellement il s’adjuge, l’est mis à l’écart, sur l’espace libre rien de bien enthousiasmant, un fond grisâtre gercé de taches noires, pas davantage de couleur pour ce représentant de notre espèce qui est censée demeurer tout en haut de la pyramide animale. L’est sûr qu’il n’est pas heureux, l’est refermé sur lui-même, en proie à de sombres pensées qui l’obsèdent, dont son intelligence ne peut se rendre maître.

             Patrick Kettenmeyer : bass / Jacques Zahlen :  guitar / Mike Bertemes : vocals, / Ken Poiré : guitar / Véronique Conrardy : drums.

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             La photo du groupe est à l’unisson de la pochette. Donne envie de citer le titre Sombre comme la tombe où repose mon ami de Malcolm Lowry, ne sont peut-être pas nos amis mais sont sombres comme des cadavres, enfin des morts-vivants, leur esprit ne repose pas non plus, sont comme habités d’une idée monstrueuse, peut-être métaphysique, peut-être ultra-métaphysique. 

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    Spiritualité sombre : peut-être vaut-il mieux se passer de la vidéo sur YT, ce n’est pas qu’elle soit mauvaise ou trop minimaliste. Elle possède une force inhérente à sa mise en place. Les quatre boys formant un carré parfait, the girl sur sa batterie au fond, parfois l’angle de vue du montage change et s’attarde sur elle, surtout dans l’intro dans laquelle elle frappe incessamment les trois coups théâtraux du destin, pas du tôt beathoveniens, plutôt l’annonce d’une catastrophe qui a déjà eu lieu, entrée majestueuse mais une espèce de mélodie souterraine coulant lentement comme l’un des fleuves des enfers vient se greffer sur ces coups de semonce comme le serpent noir du désespoir qui ne vous quitte jamais, même si une mini-seconde il se pare de couleurs luminescentes,  Mike a crié le silence de sa solitude, il exècre cette impossibilité - est-elle native - à ne pas savoir voir la lumière, et tout se tait, un interlude de quelques notes lentes, des secondes qui se suivent et se ressemblent même si elles se teintaient d’une inexorabilité mélodique qui finit par s’effriter sous les pas lourds du vocal qui maintenant explose comme un rejet volcanique qui dégringole la pente fatidique de l’anéantissement du désir et de l’incompréhension humaine.  Si vous éteignez les images, le noir de l’ampleur sonore envahit votre pièce mentale, la vue relève de l’anecdotique, elle ne révèle rien de votre propre sort. La musique n’arrive pas qu’aux autres.

             En 2011, le groupe a sorti un mini-album Ker dont nous reparlerons.

    Damie Chad.

     

     

     *

             Dans la vie il faut choisir, par exemple entre Elvis : 350 photos inédites ou Unseen Elvis, candids of the King. Trois cent cinquante - l’on veut vraiment nous convaincre que l’on va nous en mettre plein la vue, quel déplorable esprit comptable et bourgeois qui sous-entend que l’on en aura pour notre argent. En plus des photos inédites, rien de mieux appâter le client ! Le titre original est beaucoup plus fort : Unseen Elvis, une promesse de mystère, presque un fantôme que personne n’a jamais vu, certes une approche d’Elvis, autant dire que l’on ne l’atteindra jamais, que nous ne serrerons jamais dans nos bras l’idole royale…

    Quant à traduire ‘’candids’’  par ‘’photos inédites’’ c’est ne pas jouer avec les fausses similitudes germinatives de l’anglais et du français, ce terme ne contient-il pas l’aveu d’une naïve fragilité destinée à finir brisée… Arrêtons de rêver à une langue des oiseaux poétique, contentons-nous de :

    ELVIS

    350 PHOTOS INEDITES

    JIM CURTIN

    (France Loisirs / 1992)

             Jim Curtin se présente comme un fan d’Elvis. Depuis toujours, depuis ses sept ans, depuis le jour où son père lui a offert son premier 45 tours d’Elvis : Return to Sender. Par la suite il a systématiquement acheté tous les disques, 45 et 33 Tours qui sortaient… L’a grandi, l’a fait une découverte : les pressages étrangers n’offraient pas les mêmes couves, ni même les mêmes titres, bref il s’est retrouvé avec cinq mille albums du King, vous y ajoutez tout le marketing imaginativement délirant: stylos, mugs, agendas, et les photos. Celles qu’il achetait, celles des magazines, celles qu’il s’est procurées auprès des fans… S’est débrouillé pour voir Elvis, sur scène bien sûr, mais aussi en privé, lui a offert une guitare acoustique modèle unique, puis une superbe ceinture… Oui il avoue que cette passion dévorante lui a coûté cher… Rien n’indique que c’est après avoir entendu Eddy Mitchell dans L’Epopée du Rock proclamer : ‘’ Le rock est notre vice / C’est la faute à Elvis’’ qu’il n’a pas hésité à monter sur scène pour interpréter les morceaux d’Elvis, avec les costumes adéquats…

    Traitez-le de collectionneur, de clone, ou de fou, de maniaque, pour ma part j’ai connu un clone de Claude François qui était bien plus heureux dans son rêve que bien de ses contemporains… D’ailleurs le fait de rédiger chaque semaine depuis des années des chroniques rock ne serait-il pas le signe d’un excessif dérangement obsessif…

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    Jim Curtin ne s’est pas arrêté à ce premier bouquin, l’a successivement, à ma connaissance, donné : Elvis And The Stars (1993), Elvis : Unknown Story Behind The Legend (1998), Elvis, The Early Years (1999), Christmas With Elvis (1999)… un passionné.

    Les photos occupent la majeure partie du livre, z ‘auraient pu inscrire la légende juste sous les clichés, nous ne les regarderons qu’en fin de chronique. La vie d’Elvis est découpée en cinq grandes périodes : Les années cinquante / L’Armée / Hollywood / Las Vegas, le retour, / La descente aux enfers. Chacune d’elles est précédée de quelques pages évoquant cette partie du parcours de l’idole. Je m’attendais à une hagiographie de fan transi. Il n’en est rien. Jim Curtin n’est pas dupe de son idole. Passion froide. Il ne tarit pas d’éloges sur les débuts d’Elvis, ce garçon a été un révélateur, de quelque chose de plus grand que lui : de la mutation de la société américaine, il est une espèce de marqueur social, toutes les contradictions historiales de l’après-guerre ont été relevées par l’apparition de ce garçon tranquille qui n’en demandait pas tant, il s’est retrouvé dans un tourbillon qui l’a emporté et dépossédé de lui-même. C’est grâce aux tempêtes de l’Atlantique que l’ancienne Rome a rencontré les premiers américains. Qu’ils ont pris pour des indiens, provenant de l’Inde… Z’en ont simplement conclu que la terre était ronde, ce qu’ils savaient déjà puisque la mythologie leur enseignait que l’Okeanos entourait la terre…  Remarquons qu’Elvis n’a pas empêché la terre de tourner, mais qu’un grand charivari s’est installé dans sa tête.

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    Le départ à l’Armée a été la première cassure dans la vie d’Elvis, approfondie par la mort de sa mère. Avant l’Allemagne tout était merveilleux pour Elvis, il volait de succès en succès, il n’avait même pas le temps de se demander quand cet ouragan triomphal s’arrêterait. On y a pensé pour lui. Le Colonel Parker et l’Establishment, les forces réactionnaires voyaient d’un mauvais œil ce garçon sans cause qui incarnait le désir de rébellion de toute une génération. Elvis a joué le rôle de l’idiot utile, le bon boy manipulé prêt à mourir pour sa patrie… C’est outre-Rhin qu’Elvis connaît les affres de la solitude, la mort de sa mère et  la peur de sa carrière arrêtée net par ce passage sous les drapeaux… En apparence tout se passe bien, beaucoup de bidasses aimeraient avoir fait le service militaire qu’a effectué Elvis, certes les manœuvres, les entraînements d’un côté, mas de l’autre sa maison personnelle, les amis et les filles autour de lui… Cadeau inespéré, Pricilla, le substitut de la maman morte, la pure et chaste jeune fille aimante à qui il peut se confier. Curtin nous présente une Pricilla beaucoup moins nunuche et beaucoup plus pragmatique que bien des biographes… L’Allemagne c’est aussi le moment durant lequel s’installe une espèce de faille tridimensionnelle dans l’esprit d’Elvis, l’amour romantique avec Priscilla, le besoin de continuer sa vie de garçons auquel les filles ne sauraient résister, jusque-là tout est normal pourrait-on dire, mais circonstance aggravante Elvis s’aperçoit de son incapacité à joindre  les deux bouts du sexe et de l’amour. Il aurait pu faire comme tout le monde naviguer au coup par coup entre la chair et le sentiment, mais l’inquiétude le ronge, le fait de ne pas pouvoir concilier ces deux postulations érotiques le plongent dans un sentiment d’angoisse, comment pourra-t-il  retrouver sa place de chanteur numéro 1 s’il n’est pas capable de surmonter cette contradiction intime, il n’est pas comme les autres, il se sent différent, un sentiment d’immense solitude l’accable... Pour mieux comprendre le désarroi d’Elvis il suffit de se rappeler qu’avant d’être l’inventeur du rock il ambitionnait de devenir chanteur de gospel. Nous voici face à un prétendant à l’amour du seigneur qui a opté pour la musique du diable. Toutefois nostalgique de sa native innocence.

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    Elvis s’effrayait du pire. Le pire fut qu’il obtint le meilleur. Les fans ne l’ont pas oublié, ses nouveaux morceaux se classent en tête du hit-parade, il vend des millions de disques, il engrange des millions de dollars. Le cinéma dont il a tant rêvé lui ouvre ses portes, Priscilla à ses côtés joue le rôle de la chaste fiancée, ou de la sainte vierge, substitut symbolique de la mère, bonjour doctor Freud, à Hollywood il enchaîne, actrices, starlettes, et amourettes de passage. Pour Curtin le responsable de la désagrégation de Presley porte un nom : Parker. Elvis engrange tant de succès qu’il vit sur une illusion. A tel point qu’il se pense assez fort pour consommer le mariage avec Priscilla, coup double puisque neuf mois plus tard, jour pour jour après la consommation, la sainte vierge enceinte se métamorphose en mère d’un ravissant bébé…  Il déteste les navets qu’il tourne, alors il compense par des achats compulsifs : voitures, chevaux, camions, ranchs… Le roi du rock a déserté son royaume, l’est devenu le paladin pâli d’une daube nauséeuse. Il n’est plus numéro 1, son compte en banque s’épuise…

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    Elvis se réveille, nouveaux enregistrements de qualité, le sursaut du retour sur scène éblouissant… Le King est de nouveau le King. Hélas renaissance inespérée, la machine à cash tourne à plein régime, la vache sera traite jusqu’à la dernière goutte de lait… Elvis ne vit plus sur un nuage doré, son ciel est orageux, Priscilla s’en va avec son amant, il dort mal, il grossit, il se bourre de cachets pour ne plus ressentir son insatisfaction chronique, sa solitude est immense, son découragement aussi, il prend conscience que sa vie lui a échappé, la mort prend sa place.

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    Reste les photos, la couleur ne devient prépondérante qu’à partir de la moitié des années soixante, je n’en retiens qu’une en blanc et noir, la pleine page 52, c’est fou comme il ressemble à Eddie Cochran !  Il y en a de très belles, de magnifiques portraits d’une beauté sauvage, mais ce ne sont pas les plus nombreuses.  Ni les plus parlantes.  Celles pléthoriques qui retiennent l’attention sont des photographies d’amateurs, des clichés parfois un peu flous, souvent maladroits, Elvis entouré de ses fans. De grandes quantités de filles, à plusieurs autour de lui, l’englobant de près, des enfants, des grandinettes prépubères, des jeunes filles, des femmes dont certaines qui ne sont pas là par hasard, le flot ininterrompu semble n’avoir jamais baissé. Preuve évidente de la proximité d’Elvis avec ses fans. Un fait étonnant : les grands absents sont les amateurs de rock’n’roll. Un signe révélateur. Je vous laisse l’interpréter.

    Damie Chad

                           

    *

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             Il est inutile de présenter Slim Jim Phamtom batteur des Strat Cats, le groupe au début des années quatre-vingt a ravivé les brandons du rockabilly qui couvaient sous la cendre. Un bel incendie qui quarante ans après refuse encore de s’éteindre… Slim Jim n’a jamais rencontré Gene Vincent mais son témoignage est important, tout comme Brian Setzer et Lee Rocker, ils en sont les héritiers. Le portrait qu’il en trace est des plus émouvants, des plus intuitifs et des plus respectueux.

    The Gene Vincent Files #9 : Slim Jim Phantom

    on the impact Gene & the Blue Caps had on the Stray Cats

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    Salut, Slim Jim Phantom des Stary Cats et dis-moi tout ce que tu veux savoir sur Gene Vincent (petit rire malicieux dans la série Return To Sender). Il y avait un jukebox au Max’s Kansas City, un  fameux club de rock’n’roll de New York, je suppose depuis les années cinquante là, Dylan y a débuté, tout un tas de gens ont joué durant la période Andy Warhol, c’était encore une grande sçène pour le punk rock durant les seventies, en 79, il y avait un jukebox et Be Bop A Lula et nous étions-là, nous faisions partie de la scène de New York, et nous avons entendu le titre, et je pense qu’il y avait aussi That’All Rifght Mama, Blue Moon of the Kentucky, Be Bop A Lula couplés à tout un tas de hits ultra-célèbres, que pour ma part je n’avais jamais entendus, c’était tout pareil pour Brian, et nous ne connaissions pas du tout cette musique, c’était époustouflant, qui étaient-ils et ce Gene Vincent, je ne connaissais pas réellement qui il était, en Amérique tout ce truc n’était pas aussi bien connu alors que plus tard nous avons découvert que c’était bien connu en Europe. Alors tu te précipites chez les boutiques de disques, Gene Vincent ils ne le possédaient pas dans leur assortiment, alors tu te rends dans un petit magasin de musique populaire qu’une ancienne greaser tenait chez elle... Gene Vincent c’était si essentiel si séminal,  que nous étions balayés comme par une tornade, je n’avais jamais entendu quelque chose comme cela, ce fut une énorme influence pour Brian,

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     je pense que Cliff Gallup était probablement le plus grand guitariste de tous les temps, et il eut une influence tellement énorme, vraiment énorme, qu’immédiatement du jour au lendemain, vous avons voulu ressembler à ça, nous avons voulu sonner pareillement, nous avons voulu tout connaître sur ce sujet. Ce fut de même pour Eddie Cochran, Elvis, Buddy Holly, Chuck Berry, Carl Perkins, et tous les autres. Mais Gene Vincent spécialement eut une énorme, énorme influence, immédiatement nous l’avons accaparé, c’était très rock et c’était très sauvage, et surtout il était un si grand chanteur, c’est comme cette veste ( Slim agrippe le col de sa veste), c’est pour cela que je la porte aujourd’hui, comme la veste de cowboy sur la couverture de son premier album, une boutique au centre-ville  en possédait une,  nous n’avions pas les moyens de l’acheter, la veste de Gene Vincent, nous avons fini par en avoir une, et nous la portions à tour de rôle, c’était  qui a porterait la veste de Gene Vincent, certains jours vous aviez les cheveux lissés, rabattus en arrière, et la touffe toute graisseuse sur le front  ‘’ Oh aujourd’hui tu te prends pour Gene Vincent, c’est super !’’   désormais il faisait partie de notre langage, une partie de toutes les choses que nous faisions étaient très, très influencées par Gene Vincent.

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    J’avais étudié et je savais jouer, mais nous étions à fond dans le jazz, nous étions de ces gamins studieux, on essayait d’apprendre la bon chemin et nous étions aussi autant à fond dans le punk rock que dans le blues, quant à moi en tant que drummer, le style de Dickie Harrel a tout englobé, il était encore swing tout en appuyant fortement sur les contretemps, techniquement il savait comment jouer, mais ça coulait de source et en même temps c’était très rudimentaire, c’était bon, je ne savais pas vraiment que ce style existait, soit tu tapais jazz, soit tu tapais rock, ça m’a totalement façonné cette manière de jouer sur les deux premiers disques, cette façon a résonné en moi  , c’était ce que je voulais faire dans telle partie du morceau, ça faisait sens pour moi, et vous savez les hurlements sur les breaks de guitare, nous étions-là-dedans, nous aimions cela si fort que nous le faisions sur tous les morceaux quand nous passions dans les bars de New York… quand nous sommes entrés en rockabilly, nous avons repris toutes ses chansons, toutes celles de ses deux premiers et géniaux albums, et toutes les Sun Sessions que nous connaissions, et tout ce que nous connaissions de cette music, et nous hurlions chaque fois que c’était possible et nous adorions cela. Nous avons rencontré les Blue Caps plus tard lorsque nous sommes revenus d’Europe, ce devait être en 82 ou 83 peut-être, et tout un tas de ces guys originaux, quelle chance ce fut, ce fut un frisson et un grand honneur, ils sont en quelque sorte heureux de nous de nous rencontrer, et nous avons joué, c’était probablement à Norfolk ou dans les environs, ce devait être à Norfolk en Virginie, Portsmouth , quelque endroit par-là, tous ces gars sont venus, Tommy Facenda, Bubba Facenda, Bebop Harrell, je pense à Johnny Meeks était-il là aussi, une fois ou l’autre j’ai rencontré la plupart des gars, mais je me souviens de la première fois qu’ils sont venus voir le show, ils étaient émus et ils nous remercièrent de garder cette musique vivante, parce que nous avions repris plusieurs morceaux de Gene sur le premier disque des Stray Cats et cela leur avait boosté leur carrière, ils avaient reçu de nombreux coups de téléphone ce qui leur avait permis de travailler davantage car il y avait un nouvel intérêt pour toute cette scène, que j’y sois parvenu ou non, en tant que musicien je voudrais continuer à jouer et aimer cette musique si j’avais pu obtenir un job régulier, je voudrais encore faire ça, si j’arbore encore cette veste c’est que j’aimerais encore avoir cette coiffure, quoi qu’il arrive ces gars étaient la meilleure preuve de cela, d’être ainsi capable de les aider de n’importe quelle manière c’était fantastique, et c’étaient vraiment de bons et fidèles cats, ils étaient encore branchés et volontaires, c’étaient des soldats du feu volontaires, tous les soldats du feu  volontaires de la caserne des pompiers se sont jetés sur le gâteau, c’est grandiose, moi aussi je suis un combattant du feu, ainsi je suis en quelque sorte

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    5Stray Cats sur scène interprétant Gene and Eddie

    relié à cela…  La chanson Gene and d’Eddie est trop belle, nous ne voulions pas reprendre une fois de plus leurs chansons, ces chansons dont nous manquions, nous jouions chaque Gene Vincent, chaque Eddie Cochran, mais nous avions envie de composer notre propre morceau et rendre en même temps hommage à ces deux gars. Gene and Eddie vous le savez sont ces deux gars, je me souviens c’était sur la route quelque part, Brian et moi étions en train de gratter notre  guitare lorsque nous avons eu l’idée que ce que nous faisions c’était comme jeter des citations issues de toutes les grandes chansons de Gene and Eddie, nous les découpions et nous les couchions sur le plancher de l’hôtel et essayons de voir lesquelles marchaient avec lesquelles, et ensuite nous est venue l’extraordinaire idée d’apposer la signature du riff de la guitare à chaque parole, c’était un procédé vraiment marrant, car c’était notre propre chanson que nous écrivions mais en même temps nous rendons notre hommage à ces gars, puis nous avons fait une vidéo et nous avons pu consulter l’ensemble des archives, ce fut un moyen de de visionner tous les vieux clips vidéos, je me souviens combien Dick Clark a été utile il nous a envoyé tout un lot de bandes d’American Bandstand, tout le monde aimait cette musique et  pour ainsi dire a fait ses débuts grâce à cela… comme tout un tas de rockers, je pense spécialement à ce second album, c’est probablement le plus grand album de rock’n’roll jamais enregistré, certainement tout en haut, certainement un de ceux que j’emporterais sur une île déserte je suppose avec le Sun Session… le second album de Gene Vincent

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    c’est quelque chose, Be Bop A Lula est indubitablement le titre le plus célèbre, le plus connu, mais n’importe quoi du second album, du premier aussi, mais comme il y a ce truc comme Race with The Devil, c’est tellement, tellement, tellement dur, si raide, si glissant, c’est, c’est, ça n’a jamais été dépassé, non ça ne l’a jamais été… je sais qu’en Europe, au Japon, en Australie, dans le monde entier,  Gene est le type est considéré comme le plus pur de l’americana, le produit américain par excellence, il est une sorte de légende, ayant une grande influence, et encore grandement aimé, beaucoup moins en Amérique, je ne sais pas pourquoi, nous ne l’avons jamais statufié… il existe une certaine scène ici maintenant, je pense que c’est l’effet des Stray Cats,  il existe davantage de sortes de rockabilly que quand nous avons été les premiers à commencer, disons les choses de cette manière, tout un tas de ces rock’n’rollers  des premiers temps ont été redécouverts, Gene naturellement puisqu’il était un des principaux, mais je ne sais pourquoi je vois ces kids japonais

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    avec des tatouages de Gene Vincent, et j’ignore pourquoi pas les kids américains, je ne sais pas vraiment pourquoi, ayant dit cela, il existe une scène ici, les choses ont changé davantage qu’avant, mais ce n’est pas la même chose qu’en Europe où il est une figure légendaire révérée, il a dû travailler dur, vraiment dur, Gene est actuellement plus chanceux que tout un tas de ces gars parce que Gene était toujours capable de jouer en France, en Allemagne, en Angleterre, il était une légende il avait la possibilité de s’y rendre et de jouer, tout un tas de ces chanteurs de rockabilly avaient cessé de jouer, je pense que d’une certaine manière Gene était favorisé, mais c’était parce qu’il avait exercé un tel impact, il était un symbole pour ces rockers, ces français, ces Teddy Boys, il était un symbole, je n’ignore rien de la méchanceté,  il a toujours bien chanté, même s’il n’a jamais forcé sa voix, je sais qu’il était accompagné par différents orchestres, et qu’il se démenait pour payer son loyer, comme tout un chacun,, mais il n’a jamais perdu sa voix, il chantait toujours bien mais l’industrie avait changé et des gars comme lui étaient laissés à l’arrière, il lui est arrivé ce qui arrive à pratiquement tous, à très peu d’exceptions près, chacun a ses hauts et ses bas dans le business de la musique, mais il a réussi à bosser malgré tout, je pense qu’il a connu une vie rude, je pense qu’il a beaucoup souffert avec sa jambe et je pense qu’il a vu des tas de gens qu’il avait influencés peut-être lui passer devant, mais il a toujours eu des contrats d’enregistrement, il a toujours joué et il a eu une certaine quantité de gens qui croyaient en lui, si je ne l’ai pas connu je ne suis pas sûr

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    qu’il était  le plus facile des cats à vivre, je ne sais pas, j’ai seulement entendu des rumeurs selon lesquelles il était difficile à vivre, d’après ce que j’ai lu que et que je n’ai pas aimé, je dis que je ne l’ai jamais rencontré, mais j’ai entendu qu’il vivait durement, qu’il était plein de tristesse, j’ai l’impression que sa vie ne s’est pas déroulée comme il aurait voulu, je pense que ce genre de problème vous sape le moral et vous gâte tout ce que vous faites, je pense qu’il ressentait une forme de tristesse, qui vous tombe dessus quand vous passez votre temps à accumuler des gigs pour parvenir à payer vos factures, et croyez-moi aussi bon que vous soyez, et quel que soit l’impact que vous ayez sur les gens, ou sur les musiciens qui vous ont quittés pour occuper une meilleure place sous les spotlights sous lesquels vous pensez que vous auriez dû être, je pense qu’il a eu ce qui peut facilement vous tomber dessus dans ce business, si tu deviens amer, il est difficile de remonter la pente, je pense au sommet qu’il avait atteint, vraisemblablement sans prendre soin de lui-même, je ne suis pas surpris, cela revêt l’espèce de mythe qu’il était devenu d’une teinte tragique, ainsi que tout le déroulement de sa vie. J’en prends acte, je le comprends, car je n’ai pas encore rencontré un seul rock’n’roller, un seul véritable gars, des  Beatles aux Rolling Stones, jusqu’aux Kinks, jusqu’aux Clash, jusqu’aux Sex Pistols, jusqu’à Lemmy, pas un seul de ces grands et authentiques rock’n’rollers parmi tous ceux que j’ai rencontrés dans ma vie, qui n’ait pas mentionné Gene Vincent comme l’une de leurs deux plus fortes influences.

    Transcription Damie Chad.

    Notes :

    Max’s Kansas City : restaurant, night-club qui de sa création en 1965 à sa fermeture  en 1981 fut fréquenté par toute la faune culturelle et underground de New York (et d’ailleurs). Les amateurs de rock possèdent souvent dans leur discothèque le disque du Velvet Underground :

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    Gene and Eddie : le morceau sur trouve sur l’album Blast Off sorti en 1989. Sur la photo ci-dessous les Stray Cats interprétant sur scène le morceau hommagial à Gene et Eddie : 

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    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 703 : KR'TNT ! 703 : BARON FOUR / GRAHAM DEE / ROBERT PALMER / STEADYBOY RECORDS / EDDY GILES / EDDIE GAZEL AND THE FAMILY ECHOES / ROBERT PLANT / KRAMPOT / JEAN MICHELIN / GENE VINCENT+ CHAS HODGES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 703

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    25 / 09 / 2025

     

     

    BARON FOUR / GRAHAM DEE / ROBERT PALMER

    STEADYBOY RECORDS / EDDY GILES

    EDDIE GAZEL AND THE FAMILY ECHOES

    ROBERT PLANT / KRAMPOT / JEAN MICHELIN 

        GENE VINCENT +  CHAS HODGES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 703

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - Red Barons

             Comme il se sent d’humeur badine, l’avenir du rock soumet une devinette à ses amis Boule et Bill. C’est l’heure de l’apéro et tous les coups sont permis :

             — Si vous trouvez la réponse, je paye la tournée. Si vous ne la trouvez pas, vous payez la tournée. D’accord ?

             Boule et Bill jettent sur l’avenir du rock un regard éminemment suspicieux.

             — Bon d’accord...

             — Qu’est-ce qui est noble et qui est quatre ? C’est enfantin...

             L’avenir du rock voit les trognes de Boule et Bill se rembrunir, leurs sourcils se froncer, on entendrait presque leurs méninges grincer, le spectacle qu’ils offrent est atroce.

             — Comment k’ta dit, nob’ et quoi ?

             — Qu’est-ce qui est noble et qui est quatre ?

             Les deux trognes se rembrunissent de plus belle et de grosses veines bleues affleurent sur leurs tempes. Jamais ils n’ont autant réfléchi de leur vie. Boule se jette à l’eau :

             — Les frères Dalton ?

             — Sont pas vraiment nobles...

             Bill vole au secours de Boule :

             — Les quat’ mousquetaires !

             — Tu brûles, Bill...

             Boule saute en l’air :

             — Les sept mercenaires !

             — T’en as trois en trop, Boule...

             — Les quat’ quat’ !

             — Les go quat’ go !

             — Les quat’ vérités !

             Fatigué par leur connerie, l’avenir du rock leur donne un indice :

             — C’est un groupe de rock...

             — Ah fallait l’dire plus tôt ! Les Quat’ Onoma !

             — Les Stray Quat’ !

             — Les Quat’ Stevens ?

             — Bon on arrête. C’était pourtant pas compliqué : Baron Four. Sont nobles et sont quatre.

             — Putain quelle arnaque ! Tu nous as encore bien roulé la gueule, avenir du froc !

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             Contrairement à ce qu’indique le titre, les Baron Four ne sont pas Red, ils sont quatre. Mais ils arrivent en piqué sur le Pig. C’est leur côté Red, tacatatacatac, ils mitraillent sec. C’est même pire que ça. Ils chauffent leur Merseybeat à blanc. Pour

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    des Red, c’est pas mal. No mercy for the Mersey ! Nobody beats les Barons à la course. T’es beaté au Beatwave. Tu ne peux pas rêver meilleure prévalence de la cohérence. T’es dans la quadrature du cercle. T’as dans les pattes la clavicule de Salomon. Tu touches la vérité du doigt. Tu veux du rock anglais ? Cours voir les Baron Four. Ou plutôt les Fab (Baron) Four. Car là t’as tout : le freakbeat, le bulldobeat, l’extrabeat, l’ultrabeat, le beat à l’air, les chœurs d’arrache, les claqués de clairette, les foldingueries, le no way back dont t’as toujours rêvé, l’énergie brute, les références, les racines, l’horizon, l’ambiance, t’es chez Ali Babeat, ça dégouline d’or du Rhin, ça ruisselle de son, ça secoue les colonnes du temple, ça joue simple mais in the face, ils te calent même un gros clin d’œil à Bo en plein cœur de set («I Can Tell»), un autre clin d’œil encore plus appuyé au Stones de December’s Children («She Said Yeah»), et t’as tout le reste du saint-frusquin, une véritable aubaine

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    d’inespérette, t’as l’impression qu’il pleut des hits tellement leurs cuts sont frais comme des gardons, tellement ça grouille de vie, tellement ces mecs ne friment pas, tellement ils incarnent le pur spirit du British Beat, l’originel, l’intouchable, le pur parmi les purs, et une fois du plus, tu vois le gouffre qui sépare les groupes anglais des groupes français, t’as une élégance, une aisance, une prestance naturelle qui n’existe pas ailleurs qu’en Angleterre, ne serait-ce que dans la diction, mais t’as tout le reste, les 5 mn pour se brancher, pas de connard qui accorde les grattes pendant une plombe, t’as tout de suite le tac tac de départ et bam !, ça part sur «Trying», le cut d’ouverture de balda d’Outlying, leur dernier album en date. Tu prends ça en pleine poire. Le petit mec à la basse et au chant s’appelle Mike Whittaker et vient des Vicars, qui, t’en souvient-il, sonnaient comme les Buzzcocks. Il est encadré par deux fiévreux guitar slingers, CK Smith et Joe Eakins. Eakins paraît encore très jeune, il est sapé freakbeat anglais et gratte sa Tele. Par contre CK Smith porte une

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    casquette de chantier, une veste et des lunettes à grosses montures, et c’est un real wild cat, il gratte ses plans à l’ancienne, le manche en l’air. Et derrière, t’as la réincarnation de Keith Moon, l’invulnérable Mole. Quand t’as un batteur comme

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    Mole derrière, tu ne crains plus ni le diable ni la mort. Mole pétarade en permanence. On l’avait vu à l’œuvre dans Galileo 7. Avec l’âge, ça ne s’arrange pas. Un jour, il finira par exploser sur scène, splassshhhh !, et chacun voudra récupérer un bout de chair ou un os pour en faire une relique, car Mole est le saint homme du rock anglais. Il partage son génie avec des tas de copains. Tous ses groupes sont des groupes devenus mythiques grâce à lui, à commencer par les Baron Four, les Embrooks, Galileo 7, les Mystreated, The Higher State et tous les autres. 

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             Silvaticus va tout seul sur l’île déserte. C’est quasiment un album de proto-punk. Tout est wild as fuck sur cet album, dès «It’s Alright» et sa belle énergie d’early British beat. Mole te bat ça à la vie à la mort, t’as toute l’énergie des early

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    Stones et des Pretties. Complètement foutraque ! Ils tapent dans Bo avec une cover protozozo d’«I Can Tell» Awite ! Ils sont furax ! Encore du foutraque pur avec «Certain Type Of Girl», ils te propulsent leur Certain Type au firmament de l’underground, le wouahhhh est digne de ceux que pousse Wild Billy Childish avec CTMF. Encore du wild attack avec «I Gotta Know». Les Barons sont les rois du wild attack, Mike Whittaker est un vrai protozozo. Ils attaquent leur B au «I Know» avec un kilo de killer incendiaire. Le foutraque règne en maître chez les rois du wild attack. Et pouf, voilà une fantastique dégelée de jingle jangle avec «I Don’t Mind». Tu crois rêver. Mon manège à moi, c’est toi Baron ! Mole bat «Walking Out» comme plâtre. Ça tape encore en plein dans l’œil du colimateur, woouuuahhh et un kilo de killer. Leur cover de «Wild Angel» explose de protozozotisme, ça gratte à deux grattes.

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             C’est Lois Tozer, la Moonette des Embrooks, qui te vend l’Outlying. Ça grouille de vie là-dessus, mais pas autant que sur scène, ce qui semble logique. Mole is on fire dès «Trying». Le son est plus clean que sur scène, mais t’assistes à de belles flambées de violence pop. Certains cuts sont traversés par des éclairs de beauté purpurine («Is This Real»). Tu vas de cut en cut, le nez au vent, au fil de cette petite pop anglaise qui a chaud au cul. T’as pas d’hit mais t’as le beurre et l’argent du beurre de Mole. Tu retrouves le fantastique «That Beat When You Walk» tapé dans le premier quart de set, un cut assez déterminé à vaincre et boum !, tu tombes aussitôt après sur le real deal du rock psyché, «Hypnotized». Pourquoi real deal ? Parce que digne du 13th Floor. Pur genius pop ! La B n’est pas en reste, t’as un «Never Feeling Blue» sacrément secoué du cocotier, ils te swinguent carrément les entrailles du psyché, et Joe Eakins claque sa belle clairette de Tele. Un dernier coup de génie pour la route avec «You Need Me», freakbeat de haut rang, ils te claquent de la niaque à la volée. Baron Four, amigo ! S’ils passent dans ton coin, arrange-toi pour pas les rater.

    Signé : Cazengler, Baron comme une queue de pelle

    The Baron Four. Beatwave 9. The Pig. Hastings (UK). 19 juillet 2025

    The Baron Four. Silvaticus. Get Hip Recordings 2017

    The Baron Four. Outlying. Soundflat Records 2024

     

     

    In Mod We Trust

     - Dee donc Graham !

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             Sur la pochette intérieure de Carnaby Street Soul West Coast Vibes, Richard Searle nous raconte l’histoire détaillée de Graham Dee qui est bien sûr inconnu du grand public. Par contre, Eddie Piller et Acid Jazz le connaissent bien, et l’aiment assez pour proposer deux compilations, la pré-citée et The Graham Dee Connection. On en reparle un peu plus loin. Dee nous dit Searle est né pendant la guerre, à Whitechapel, East London, sous les bombes allemandes, et comme bon nombre de kids de sa génération, il a vite décidé qu’il serait musicien. Il commence par le commencement, une petite guitare et des airs de skiffle, un dad compatissant et des concerts au pub. Il joue dans des embryons de groupes embryonnaires dont Searle s’amuse à citer les noms, histoire de nous faire bâiller aux corneilles, puis arrivent les premiers contacts intéressants, notamment Steve Marriott & The Moments. Dee nous dit Seale est session-man sur «What’cha Gonna Do About It». Puis il se met à composer, monte les Storytellers, et pouf, c’est parti. Il propose ses compos aux Fleur de Lys et à Sharon Tandy. C’est Frank Fenter, le mari/impressario de Sharon Tandy qui dirige l’antenne européenne d’Atlantic. Fenter propose à Dee un job d’A&R chez Atlantic. En 1968, Dee signe des groupes et les produit. En studio, il fait jouer toutes les pointures de l’époque, Big Jim Sullivan, Little Jimmy Page, Andy White, John Paul Jones. Dee frôle la gloire avec le «Two Can Make It Together» de Tony & Tandy. Il fréquente tout le gratin dauphinois en devenir : David Bowie, Elkie Brooks, Mike Berry, il joue aussi pas mal sur scène, accompagnant les Walker Brothers, Carl Perkins, les Drifters et allant même jusqu’à remplacer le Syd Barrett absent du Floyd.

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             À la fin des sixties, Dee nous dit Searle devient bizarre. Il joue avec un flingue dans le studio et tire des balles à blanc. L’ingé-son lui demande d’arrêter, car ça abîme les micros. Alors il achète un arc et tire des flèches dans les meubles, mais l’arc est trop puissant. Il perce un radiateur et tout le monde à la trouille. En 1971, Dee nous dit Searle émigre au Wyoming pour s’amuser avec son nouveau Colt. Il zigzague un peu à travers les USA et débarque à Macon, Georgie, où est installé Frank Fenton. Il grenouille un moment avec les Allman Brothers Band. Roger Hawkins lui suggère de traverser la frontière de l’état pour descendre à Muscle Shoals, ce que fait Dee puis il compose pour Prince Phillip Mitchell. Il reprend ensuite la route vers l’Ouest, se bagarre avec des Navajos et finit par perdre son passeport et sa guitare. Il rentre à Londres composer «Sea Music» avec Gerry Shury puis il repart au Japon et aux Philippines. Il revient à Londres enregistrer «Sampaguita» et repart aussi sec à Los Angeles. Dee a la bougeotte. Il ne fait rien pendant les années 80, mais dans les années 90, il retourne au Japon apprendre l’art du sabre japonais. C’est Acid Jazz qui commence à déterrer ses légendaires productions via la série Rare Mod. «This album, nous dit Searle, is our tribute to an eccentric, a charmer, an unsung sixties hero... who still has soul.» Dee nous dit Searle est maintenant un vieux crabe entré dans ses seventies. Il rejoue sur scène avec les Fleur de Lys & Sharon Tandy, et compose à nouveau.

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             Pour savourer le génie de Graham Dee, il est fortement recommandé d’aller fourrer son nez dans les deux compiles pré-citées : Carnaby Street Soul West Coast Vibes et The Graham Dee Connection. C’est du pur jus d’Acid Jazz. Graham Dee a produit pas mal de groupes et c’est une véritable caverne d’Ali Baba qu’Acid Jazz met à notre portée. Le point fort de Carnaby Street Soul West Coast Vibes est l’«It’s A Hard Way But It’s My Way» de Razor, un fabuleux shoot de Dee-gaga. «Sampaguita» sonne comme de la petite exotica de London town. L’«A Love I Believe In» de Maxine est bizarrement co-écrit avec Donnie Elbert. C’est tout de même incroyable de croiser ici le nom de Donnie Elbert ! Graham Dee produit aussi Mike Berry. Quant à sa «Carrie», elle est tellement bourrée d’harmonies vocales qu’elle ne peut que plaire à Eddie Piller. En fait, les cuts de la compile reflètent surtout la grande habileté sélective d’Acid Jazz. Le «Tomorrow’s Children» de Tony Rivers est quasi californien. Voilà donc la magie du grand Dee : recréer les harmonies vocales de la légende dorée.

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             Mais c’est surtout avec The Graham Dee Connection qu’on tombe de sa chaise, et ce dès l’effarant «Two Can Make It Together» de Tony & Tandy, c’est-à-dire Dave Anthony & Sharon Tandy. Pur génie productiviste. Vraiment digne des géants de la prod américaine, ça explose en mode duo dévastateur avec des orchestrations ultra dynamiques signées Gerry Shury. Impossible d’espérer mieux. Compo + duo d’enfer + prod + swingin’ London, c’est l’équation magique de Graham Dee. On retrouve en B le Gerry Shury Orchestra pour cet instro vertigineux qu’est «Sea Music». On retrouve aussi Sharon Tandy avec les Fleur de Lys sur «Love Them All». C’est l’une des meilleures conjonctions de London Town : Sharon la douce + les Wild Fleur de Lys. Autre bombe : Lenny White et «Friday Night», pur jus de r’n’b de Mod club scene. On vendrait encore son père et sa mère pour Tony Rivers & The Castaways et la sunshine pop d’«Out Of This World». On reste au niveau supérieur de la Mod club scene avec Maxine et son «Who Belongs To You». Dennis Lotis est plus américain avec son «Celebration», c’est très pro, extraordinairement orchestré, une aubaine pour des oreilles qui n’en demandaient pas tant.

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             Graham Dee a enregistré trois albums solo. Le premier date de 1977, sort sur Pye et s’appelle Make The Most Of Every Moment. On y trouve deux Beautiful Songs : «If You Feel The Way That I Do» et «Slow Down». Dee en devient quasi-américain. On croirait entendre Jimmy Webb. «Slow Down» marque un fantastique retour aux sources chaudes du Beautiful Songwriting. Alors que d’autres adorent se lover dans le giron de la Gironde, l’ami Dee préfère se lover dans le giron d’une chanson douce et belle. Sur le reste de l’album il fait de la Dee pop, bien groovy, jamais éloignée de l’exotica urbaine de Steely Dan. C’est encore dans le Brazil qu’il excelle, comme le montre «Too Good To Last», pur jus d’Acid Jazz. Graham Dee convoite un univers, comme le montre encore «Stepping Out In Style», plus rétro. Il semble conduire le convoi dans les dunes du temps passé. Puis avec «We Spoke Of Love», il entre en résonance avec la persistance persique.

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             Sur la pochette de Something Else, l’ami Dee pilote une voiture de course. Sorti sur Pye, l’album date de 1978. Dès les premiers cuts, il nous plonge dans son pré carré, qui est le groove, mais un groove très soft, très beau, très dirigé, une Soul de rêve, mais blanche. Il en pince aussi pour l’exotica, comme on le voit avec «Love Where Are You Now». Il flirte avec les îles, c’est le son qui l’attire et il rehausse tout ça d’un beau solo de sax. Le hit de l’album s’appelle «As Long As I’m Close To You», il t’emmène dans son monde, un monde de groove de close to you, le groove des jours heureux, avec à la clé un solo jazz de sax. Tout aussi fantastiquement amené, voici «Couldn’t Believe My Eyes», une Soul de pop qui n’en croit pas ses yeux. L’ami Dee fait encore son petit numéro avec «Starlight Starlight», on perd le Mod mais on gagne du groove. Son «Another Night Alone» est très adulte. On sent qu’il est barré dans son trip, comme le montre encore le morceau titre de fin de parcours, c’est très loin de tout, sa pop de Soul redouble de finesse avec l’arrivée du timpani, il fait de l’Acid Jazz, c’est du groove de racines vivantes.

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             Et puis voilà cet énorme album qu’est The Thirteenth Man. Retour à l’exotica avec «Duckin ‘N’ Divin». L’ami Dee adore les tropiques, les maracas et Coconut Beach. Son exotica reste over the tip top - Never give up and I’ll never go down - On se sent bien en compagnie de l’ami Dee et de son exotica de never go down. Sur les autres cuts, il navigue en eaux claires, à la façon de Steely Dan, avec une voix très anglaise. Dee dit bien les choses et il a des chœurs de rêve. «Distracted» est un fabuleux shoot de slow groove à la Dee, ça dérive au long cours, de manière élégante, ça va de soi, l’ami Dee cherche en permanence un passage vers le paradis, distracted by your love. S’il fait du glam avec «Dark Night», c’est juste pour frapper les imaginations. Cette fois, il va chercher une diction et un groove de basse américains. L’ami Dee est un finaliste, il va toujours au bout des choses. Son «Cheatin’ On Love» est en fait du cheatin’ on me, du pur jus de satin jaune. Il redevient le temps d’un cut le roi du groove, il tape là une Philly Soul à la voix éreintée, son groove sort de la cuisse d’on ne sait qui, pas de Jupiter, mais d’un autre. L’ami Dee dégouline de ce talent rare en Angleterre qui est celui de la Soul blanche inspirée de Gamble & Huff. Retour à l’exotica de brazil avec «Notice Me Notice You». C’est son dada, il groove à l’excellence patentée, à l’esprit de rêve humide - I know it’s you/ You know it’s me - Toujours la même histoire. Il termine ce beau voyage avec «(All I Wanna Say Is) What About Me», encore un extrait de fine fleur du groove, il navigue pour toi, alors laisse-le faire. Il est blanc, mais il groove comme le plus beau des blacks, il y a du Leroy Hutson en lui.

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             En 2025, Eddie Piller sort un nouveau Graham Dee, Mr Super Cool, et signe les liners, au dos - Graham Dee had something of a charming life - Eddie rappelle que Graham Dee grattait ses poux derrière les early Small Faces, puis il fut repéré par Frank Fenter, l’A&R Atlantic pour l’Angleterre, qui le fit bosser pour Sharon Tandy, les Fleur De Lys et Mike Berry - He developped a unique ‘British Soul’ sound - En 1971, il s’installe brièvement aux États-Unis et bosse avec Prince Philip Mitchell. Et voilà que, comme dit Eddie, the story got weird : en 2019, Graham Dee entre en contact avec Eddie pour lui proposer l’acetate d’un album qui n’est jamais sorti. Eddie dit à Dee qu’on ne peut rien en faire : trop abîmé - And this is where it gets really weird - Coup de pot, un mec retrouve les master tapes dans la maison abandonnée d’un certain Gerry Shury, disparu en 1978, qui fut arrangeur et compositeur. La maison était complètement vide, il ne restait que 15 master tapes dans une back bedroom. L’agent immobilier qui les trouve les propose à un record dealer qui fait des recherches et ses recherches le conduisent à Eddie - Would I be interested in some of Graham’s tapes? - Well I was. Forcément, Eddie voit Mr Super Cool comme le Graal. C’est un album de groove urbain, le morceau titre est assez imparable, Dee sonne comme un dandy super cool. Et t’as un beau final cuivré de frais. Puis ça vire petite pop, bien fraîche et bien née, accueillie à bras ouverts. On pourrait presque la qualifier de coup de Syd au pays des merveilles. C’est une pop qui va bien, qui est en bonne santé, mais ce n’est pas l’album du siècle. En B, il revient au groove urbain avec «Answer Man». Ça lui va comme un gant. Il a en plus les violons de Marvin. Graham Dee s’amuse bien, il en a les moyens. Il regagne la sortie avec l’heavy funk de «So Much I Want You». Fantastique allure ! 

    Signé : Cazengler, Graham Dit tout

    Graham Dee. Make The Most Of Every Moment. Pye Records 1977 

    Graham Dee. Something Else. Pye Records 1978

    Graham Dee. The Thirteenth Man. Tin-kan Records 2014

    Graham Dee. Carnaby Street Soul West Coast Vibes. Acid Jazz 2020

    Graham Dee. Mr Super Cool. Acid Jazz 2025

    The Graham Dee Connection. Acid Jazz 2011

     

     

    Wizards & True Stars

    - Palmer qu’on voit danser le long des golfes clairs

    (Part Two)

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             En 1995, c’est-à-dire au siècle dernier, Robert Palmer publiait l’un des grands classiques de la rock culture : Rock & Roll: An Unruly History. Voilà encore un ouvrage qu’il faut bien qualifier de fondamental. C’est l’œil américain qui parle. Palmer a vécu l’émergence de la rock culture de l’intérieur, c’est-à-dire de l’Arkansas où il a grandi, et ça donne l’un des meilleurs panoramas jamais imaginés. C’est sans doute parce qu’il est fan de blues et de jazz qu’il rend hommage aux vrais pionniers de la rock culture : Bo Diddley, Sam Phillips, Alan Freed, le Velvet, Little Richard, et il rétablit des vérités élémentaires en consacrant des pages hallucinantes de vénération véracitaire à Pat Hare, Guitar Slim, Gatemouth Brown, Ike Turner, Lowman Pauling (Five Royales) et Tarheel Slim. Il consacre aussi un chapitre explosif aux funksters : James Brown, Bootsy Collins, George Clinton, puis il revient aux blancs en passant par le Cleveland des early seventies (Ubu, Peter Laughner), le rockab et les Dolls. Ça s’appelle trier sur le volet.

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             On savait Palmer exigeant. S’il consacre un ouvrage au blues, il ne citera pas B.B. King ni aucun bluesman de Chicago, il va leur préférer Junior Kimbrough et T Model Ford. Les ruraux. Cette histoire du rock est donc l’une de celles qu’il faut lire, car on y croise tous les gens qu’on aime bien, ceux déjà cités et beaucoup d’autres.

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             Le book tient bien en main, c’est un grand format quasi-carré, imprimé sur un solide satimat, allez on va dire un 170 g, richement illustré, et soigné quant aux choix typo (Minion pour le corps de texte, Franklin Gothic pour la titraille). Quant à la mise en page, quelle embellie ! Le designer n’a pas lésiné sur le barouf graphique des têtes de chapitre et sur ces larges colonnes de blanc qui aèrent si bien la lecture. C’est un livre d’art majeur. Au propre comme au figuré.

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             Petite cerise sur le gâtö : Palmer écrit remarquablement bien, mais ça, on le savait déjà depuis Deep Blues et Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer, deux ouvrages essentiels épluchés dans des Parts précédents. Palmer injecte du swing dans sa prose. Quand il veut définir la pop et le rock’n’roll, il commence par rappeler que la pop music est la musique qui devient populaire. Mais le rock’n’roll va plus loin - rock and roll is not what’s just popular, nor it is the sum of its own tradition - Il précise sa pensée, le rock and roll nous dit «something fundamental about the music it describes: The music wants to rock you.» Il va développer cette idée sur 300 pages d’une densité effarante. Ça vaut vraiment la peine d’apprendre à lire l’anglais pour pouvoir se taper ce book. Si on raisonne à l’envers, on peut aussi dire qu’il vaut mieux écouter Bo Diddley en ayant lu Robert Palmer. On sait à l’écoute que Bo est un génie, mais Palmer décrit la nature de ce génie : «Bo Diddley a adapté les children’s game songs et l’oral street culture, comme par exemple l’échange rituel d’insultes connu sous le nom the dozens pour en faire un humorous wordplay et il créa un larger-than-life personna. La plupart des albums de Bo Diddley, depuis Bo Diddley et I’m A Man (1955) jusqu’à Say Man et Who Do You Love chroniquent les aventures de Bo Diddley superhero. Jouant avec sa own seasoned rhythm section, il a ramené les traditional African-derived rhythms into rock and roll.» Palmer rend au passage un hommage au «deep-voiced sparring partner» et maracas player Jerome Green. Voilà comment Palmer résume en quelques phrases l’art d’un des géants de la rock culture. Il indique aussi qu’une des influences de Bo fut le «Boogie Chillen» de John Lee Hooker, «a hard-rocking stomp with a chant-like melody, no chord change, heavily amplified guitar and shoot-like percussion provided by Hooker’s stomping feet.» Encore une façon de définir le rock.  

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             La grande force de Palmer est de s’intéresser à ceux qu’on appelle les unsung heroes du rock : Billy Lee Riley, Charlie Feathers, Mickey & Sylvia, Don & Dewey, Frankie Lymon & The Teenagers, les Collins Kids, et d’autres dont on a encore jamais entendu parler : the jiving Turbans, les El Dorados, les Moonglows and the rougher Cadillacs. Il reste encore des tas de pistes à creuser. Et Palmer n’en finit plus de rappeler à quel point le rock’n’roll était, à l’époque de son émergence dans la culture américaine, «a music with a future». Ce qu’elle est restée, comme nous le rappelle ici-même chaque semaine l’avenir du rock. La modernité est l’essence même du (bon) rock.

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             Palmer s’enivre de la multitude de belles voix qui ont enchanté les fifties et les early sixties : Sam Cooke, Jackie Wilson, Jesse Belvin, Marv Johnson, les Falcons ou encore Hank Ballard & The Midnighters, et dans la page d’en face, il tombe à genoux devant Totor - a Leiber & Stoller protégé - et ses works of art qu’il qualifiait lui-même de «little symphonies for the kids». Et paf, il cite les Ronettes, les Crystals, Darlene Love, the Righteous Brothers et Bob B. Soxx & the Blue Jeans. Totor choisissait des black singers with gospel roots. Brian Wilson est subjugué par ces «little symphonies for the kids» : non seulement il dit les entendre, mais il dit les envier. Et hop, Palmer bascule habilement dans la surf culture, d’abord avec Dick Dale - Dale’s guitar playing was fast, twangy and metallic, with long-lined Middle Eastern melodies slithering along atop shimmering Spanish-inflected chording, punctuated by slamming slides up the neck - Palmer peut rentrer dans la technique, car il est musicien de jazz et il sait de quoi il parle. Dans ses textes consacrés à Joujouka, il décrit bien les particularismes du rythme nord-africain, en établissant un lien avec l’Antiquité et la pratique des religions antiques. Les master musicians of Joujouka célèbrent encore aujourd’hui le culte du dieu Pan. Pas de dieu Pan en Californie, mais deux autres dieux plus récents : Dick Dale et Brian Wilson. Un Brian Wilson qui est tellement fasciné par Totor qu’il va utiliser les mêmes musiciens : le Wrecking Crew - Wilson creates ever-more-elaborate settings for his sagas of surf and sun. Like Spector, like Leiber & Stoller, he didn’t wrire songs, he wrote records

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             Palmer passe aussi sec à un autre géant : Uncle Sam. À l’époque de la guerre froide, Uncle Sam trouvait que le pouvoir américain traitait mal Fidel Castro. Alors un soir, il décide de l’appeler au téléphone et il tombe sur Raul, le frère de Fidel pour lui dire : «Raul, they just didn’t treat you folks right up there in New York. You tell Fidel the next time he comes to the United States, he can come to Memphis, Tennessee, and stay with Sam C. Phillips. And maybe we can straighten this thing out.» Fantastique Uncle Sam et surtout fantastique Palmer qui est allé chercher cette anecdote pour bien définir le degré d’indépendance d’esprit d’Uncle Sam. Il n’acceptait pas qu’on traite mal Fidel de la même façon qu’il n’acceptait pas qu’on traite mal les blackos, et c’est la raison pour laquelle il les accueillait dans son petit studio. Palmer veut dire que la modernité du rock passe aussi par l’indépendance d’esprit. Fuck it ! On fait comme il nous plait. C’est exactement ce qu’Uncle Sam a fait. À son idée. Sans lui, nous n’aurions pas tout ce que nous avons aujourd’hui. Wolf, Elvis et Ike Turner ne seraient jamais devenus des superstars. Uncle Sam : «We were all beginners, just beginners, and we were making history.» Il est persuadé que le rock a donné aux gosses une «individualité». Il est convaincu que le rock’n’roll a changé l’Amérique - which was for the better, I don’t give a damn what anydody says - Fuck le qu’en-dira-t-on ! Palmer rattrape la balle au bond : «Rock was our religion. But what kind of religion was it?»

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             Il répond aussi sec : «Les Grecs anciens ont inclus le dualisme philosophique dans leur hiérarchie de dieux et de mythes, identifiant deux courants de forces spirituelles qui incarnaient deux tendances de base dans la société et la culture : the ‘balanced, rational’ Apollo, et the ‘intoxicated, irrational’ Dionysus. Le culte de Dionysos fait partie des plus anciens, avec des racines dans l’encore plus ancien culte pré-aryen de Shiva. On a donné des surnoms à Shiva et Dionysos. Shiva was the Howler, the Noisy One, the Ithyphallic (god with a hard-on), or Skanda, literally ‘the jet of sperm’.» Sex & drugs & rock’n’roll. Tout devient clair. Il harangue encore son lecteur un peu plus loin : «As rockers, we are heirs to one of our civilisation’s richest, most time-honored spiritual traditions.» Il fait un saut de ligne pour ajouter ça qui sonne comme un dicton : «We must never forget our glorious Dionysian heritage.» La messe est dite. C’est un peu comme si tu choisissais entre Dieu et le diable. Le choix est vite fait. Et alors que tu navigues au gré de ces pages en frisant l’overdose intellectuelle, Palmer t’injecte une nouvelle dose de mythe pur, en citant Hakim Bey, «a self-described poetic terrorist» : «Au fil du temps, les concerts de rock allaient devenir ce qu’Hakim Bey appelle des ‘Temporary autonomous zones’. Une TAZ est une zone de liberté, une sorte d’anarchie fonctionnelle qui existe à l’intérieur d’une culture mainstream plus ou moins répressive. Une tournée rock is a portable TAZ, creating a temporary Dionysian community in a different location night after night.»

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             Palmer revient longuement sur la spécificité du studio Sun et notamment son plafond. Uncle Sam y avait installé des tuiles ondulées qui maximalisaient la qualité du son. Il avait aussi imaginé un système entièrement original de slap-back tape echo : le signal rentrait dans une tape machine puis dans une deuxième tape machine with an infinitesimal delay. Uncle Sam avait en plus l’oreille : il savait équilibrer les instruments et les voix, et faisait en sorte de donner à ses artistes «the influence... to be free in their expression.» Palmer parle ici d’un «customary live sound».

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             C’est aussi Uncle Sam qui découvre Willie Johnson, le wild guitariste de Wolf et ses «slashing rhythm licks and jazzy fill-in runs», qui bien avant tous les petits culs blancs, savait foutre son ampli à fond pour le faire craquer, «slamming out dense and distorded power chords.» Et Palmer exulte, il voit «Johnson’s slamming power chords crashing like thunder», et il cite Wolf qui, en pleine session chez Sun («House Rockers»), «catapulted Johnson into his guitar solo by hollering, ‘Play that guitar, Willie Johnson, till it smoke... blow your top, blow your top, blow your TOP!» (L’harangue rappelle celle de Captain Beefheart quand, dans «Big Eye Beans From Venus, il lance : «Mister Zoot Horn Rollo, hit that long lunar note and let it float»). Les Sun Sessions de Wolf font partie de ce qui s’est fait de mieux en matière de rock. Et quand Uncle Sam enregistre Wolf, il n’a pas encore de label, alors il cède ses enregistrements sous licence à Chess, et comme Leonard le Renard voit en Wolf un jackpot, il le barbote à Uncle Sam - For Phillips, losing Jackie Breston and Wolf to Chess, and Rosco Gordon and B.B. King to Modern/RPM, was devastating - C’est là qu’Uncle Sam décide de monter un label, alors qu’il ne roule pas sur l’or. Son premier label s’appelle Phillips Records, un seul single : «Boogie In The Park», «one of the loudest, most overdriven and distorded guitar stomp ever recorded», «by Memphis one-man-band Joe Hill Louis».  Et crack, deux autres cakes se pointent chez Uncle Sam : James Cotton et Junior Parker, qui vont enregistrer avec un guitariste black qu’Uncle Sam a repéré en 1952, alors qu’il jouait dans le Walter Bradford’s combo : Pat Hare. Pat Hare et Willie Johnson même combat - Johnson and Hare were originators of one of the most basic gambits in the rock and roll guitarist arsenal, the power chord - Il faut entendre Pat Hare gratter ses power chords sur le «Cotton Crop Blues» de James Cotton paru en 1954. Entre 1952 et 1954, Pat Hare est le power chord king chez Sun - Rarely has a grittier, nastier, more ferocious electric-guitar sound been captured on record, before or since -  On va retrouver Pat Hare avec Muddy Waters sur Muddy Waters Sings Big Bill et Muddy Waters At Newport. Tout cela relève du mythe pur. On retrouvera Pat Hare prochainement. Où ça ? Inside the goldmine.

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    Al Jackson

             Palmer est un cabri : il saute d’un pic à l’autre, de Sun à Motown. ll commence par saluer James Jamerson, «the most influential bassist of the sixties». Un Jamerson qui avoue des influences orientales - My feel was always an Eastern feel, a spiritual thing - Comme chez Stax et à Muscle Shoals, Berry Gordy a mis en place une «house rhythm section to build records from scratch.» Mais Steve Cropper estime que «Motown was white music», alors que Stax «was a form of community music that spoke for the black person. And it was a step above what people call the blues. It was slicker, but it wasn’t too slick.» John Fogerty qualifiait Booker T & The MGs de «world’s greatest rock and roll band». De son côté, Dylan qualifiait Smokey Robinson d’«America’s greatest poet». Et Palmer boucle ‘Respect’, le chapitre qu’il consacre à la Soul, en l’enterrant - The Soul era was over en 1975, le jour où Al Jackson s’est fait buter chez lui par un cambrioleur, et en 1979, quand Al Green s’est retiré du music biz pour chanter le gospel dans son église.

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             Palmer attaque aussi sec ‘A Rolling Stone’, un court chapitre consacré à Dylan. Pour nous mettre dans l’ambiance, il évoque la première rencontre des Beatles et de Dylan qui eut lieu dans un hôtel new-yorkais, le Delmonico, sur Park Avenue. La scène se passe en 1964 et c’est Al Aronowitz qui en donne tous les détails. Palmer cite Al car il fut à ses yeux «one of the first journalists to specialize in writing intelligently about popular music.» C’est aussi Aronowitz qui allait brancher Andy Warhol sur le Velvet, un peu plus tard. Donc Dylan et son road manager Victor déboulent dans la suite des Beatles au Delmonico. Ils sifflent des verres, Dylan demande du cheap wine, puis ils abordent la question des drogues. Dylan propose un joint de marijuana. Les Beatles ne connaissent pas. Dylan tend le joint à John qui répond que Ringo est son royal taste tester. Ringo fume le joint et il se met à rigoler. Alors tout le monde rigole - and that’s all it was, one big laugh - Paul fume et croit que c’est la première fois dans sa vie qu’il fait du real thinking. Aronowitz indique en outre que cette rencontre fut déterminante, «Bob went electric and the Beatles started to write much grittier lyrics.» Palmer a raison de dire que Dylan a cassé la baraque avec Bringing It All Back Home - His electric music was not guitar-band pop rock; it was wildly original, high-energy brand of electric blues, as gritty and unpolished as the rural folk music that had inspired his earlier acoustic work - Al Kooper rappelle de son côté que Dylan «was not a Gershwin» et qu’il était en fait très primitif. Durant l’enregistrement de «Like A Rolling Stone», Dylan a demandé à Tom Wilson de monter l’orgue de Kooper, «turn up the organ», et Tom Wilson lui a répondu : «Oh man, that guy’s not an organ player», and Dylan said : «I don’t care, turn the organ up.» Palmer n’en finit plus de se prosterner devant la triplette de Belleville, «Bringing It All Back Home, the luminous, from-the-hip Highway 61 Revisited (with Kooper and Bloomfield), and the epic Blonde On Blonde, cut with Kooper, Robbie Robertson, and a crew of ace Nashville session men and described by Dylan himself as ‘that wild mercury sound’.» Et Palmer de conclure son chapitre en rappelant que Dylan et les Beatles ont créé «a kind of rock and roll art music, explicitly designed for listening and thinking rather than dancing and romancing.» De là vont naître les Byrds, qui s’inspirent de Dylan pour les textes, et des Beatles pour les harmonies vocales.

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             Palmer consacre quelques pages aux Anglais : Jeff Beck, qui est traumatisé par Jimi Hendrix - He was doing things so up front, so wild and unchained, and that’s sort of what I wanted to do, but being British and the product of these poxy little schools I used to go to, I couldn’t do what he did - Oui, Hendrix avait déjà «alchemized his many blues influences into an approach that was unmistakably his own.» Et Paf, ce démon de Palmer embraye sur l’Experience - The Experience took blues-based, improvisional rock to perhaps its ultimate level of development. Hendrix himself expanded the tonal and sonic resources of the electric guitar so spectacularly that his work remains definitive a quarter-century after his death - Palmer adresse aussi un gros clin d’œil à Keef, rappelant que quoi qu’il fasse sur une guitare, personne ne sonnera jamais comme lui. Par contre, Muddy remet bien les pendules à l’heure : il voit des blancs jouer le blues - They got all these white kids now. Some of them can play good blues. They play so much, run a ring around you playin’ guitar, but they cannot vocal like the black man - Palmer abonde dans le même sens : si vous ne grandissez pas avec cette culture, votre chant va passer pour ce qu’il est : une imitation. Il n’ose pas dire une pâle imitation, mais on le devine.

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              Palmer consacre des pages émouvantes à Alan Freed, l’un des personnages clés de la rock culture américaine. Son boss lui demande un jour de signer un papelard comme quoi il n’aurait pas touché de blé au noir, et bien sûr Freed refuse de signer, considérant que ce papelard est une insulte à son intégrité. Pouf, viré ! Puis il est arrêté et jugé. C’est le fameux scandale du payola. Il s’en tire avec 300 $ d’amande, mais il est mentalement rincé. Il a continué un temps d’animer un radio show, mais dans l’obscurité. Il est malade. Urémie. Il casse sa pipe en bois en 43 ans. C’est une tragédie.

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             Palmer passe du coq à l’âne, c’est-à-dire d’Alan Freed à Leonard le renard, pour nous raconter l’une de ces fascinantes anecdotes dont il s’est fait une spécialité : apparemment, la mafia de Chicago s’intéressait de près au Chess business. Mais Leonard le renard avait grandi dans le ghetto juif polonais et s’était endurci. Les mafieux chopaient Leonard et le tabassaient de temps en temps. Ils menaçaient même de le buter. Mais Leonard était têtu comme une bourrique. Il a tenu tête. Comment ? En envoyant un émissaire à New York, chargé de rencontrer Mr. Big, dont les liens avec la mafia sont connus comme le loup blanc. Palmer ne cite pas de nom, mais on en déduit qu’il s’agit de Morris Levy. Mr. Big passe quelques coups de fil. Les mafieux de Chicago foutent enfin la paix à Leonard le renard. Pendant les années suivantes, les stations de radio que possèdent les frères Chess vont consacrer pas mal de temps à la promotion des «records from Mr. Big’s family of labels. Naturally, this was purely coincidental.»

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             Petit hommage vite fait à Little Richard qui reste avec «the rable-rouser Alan Freed» le pionnier «of what we might call the rock and roll lifestyle.» Au détour d’une page, Palmer rappelle qu’à l’âge de 15 ans, en 1960, il assista à un sacré show - some arcadian dream - À la même affiche, t’avais Sam Cooke, Jackie Wilson, Jesse Belvin et Marv Johnson. Et pouf, Palmer te claque l’anecdote de choc : c’était la dernière fois que Jesse Belvin montait sur scène. Plus tard dans la nuit, «he died in a flaming collision on a dark Arkansas highway, and some of us missed him as much as we missed Holly and Valens.» Il faut lire ces pages, car elles sont grandioses.

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             De la même façon qu’il restaure le culte de Dionysos, Palmer restaure celui du LSD 25 - un cadeau que fit la CIA to the burgeonning youth culture of the sixties - Il rappelle que le LSD fut synthétisé en 1938 sous le nom de lysergic acid diethylamide. Il fallut des cobayes et Ken Kesey en fit partie : «Je suis allé au Stanford Research Institute chaque mardi  pendant des semaines. Il me donnaient du LSD 25, du LSD 6 ou de la mescaline et me payaient vingt dollars.» Puis quand la CIA a stoppé les tests, les cobayes se sont révoltés. Kesey : «Well if you guys don’t have the balls to carry on with this, we’ll do it on our own. And it’s still going on.» Alors Kesey et ses amis les Merry Pranksters ont lancé des LSD parties à San Francisco. Et toute la scène de San Francisco est partie de là. Plus bas, à Los Angeles, David Crosby et les Byrds vont rendre hommage à cette drug-culture avec «Eight Miles High» - We had a strong feeling about drugs, or rather psychedelics and marijuana. We thought they would help us blast our generation loose from the fifties. Personnaly, I don’t regret my psychedelic experiences. I took psychedelics as a sort of sacrament.

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             Palmer continue se surfer sur les mythes avec le Velvet - En 1965, deux des founding members of the Velvet Underground, Lou Reed & original percussionist Angus MacLise décrivaient leur groupe comme «the Western equivalent of the cosmic dance of Shiva. Playing as Babylon goes up in flames.» - Le Lou se souvient aussi des recommandations d’Andy Warhol - Keep it rough - Le Lou : «Andy wanted it to disturb people and shake ‘em up, so did we.» Calimero parle d’une «punk attitude» basée sur la haine et la dérision. Le meilleur exemple de cette punk attitude est «Sister Ray». Palmer rentre dans les détails de «Sister Ray», rappelant pour le cas où on l’aurait oublié, que «Partway through, Cale’s organ took off with a tremendous surge of power amid the guitarist’s howling feedback. Il était le vainqueur de cette bataille sonique, mais il perdit la guerre  quelques mois plus tard quand Reed, malgré les protestations de Sterling Morrison et Maureen Tucker, lui demanda de quitter le groupe.» Calimero va devenir le producteur que l’on sait, en produisant deux des plus importants punk-rock precursors, Jonathan Richman et Patti Smith - mais il avait déjà anticipé the shape of punk to come avec les Stooges - Le jeune Palmer avait déjà bien frémi durant ses high school years avec le «Louie Louie» des Kingsmen et le «Farmer John» des Premieres - It was a transcendental experience - Palmer revient aussi sur the Ostrich guitar du Lou, avec ses six cordes accordées sur une seule note - in order to get a harmonic-rich drone sound - un détail qui avait frappé Calimero. La Monte Young étudiait lui aussi la drone music et avait demandé à Calimero et à Tony Conrad d’accorder leurs instruments respectifs - the electric violin and electric viola - sur la même note. L’influence de La Monte Young sur l’early Velvet était donc manifeste, comme le souligne Palmer : «the drome and shimmering harmonics of Indian music, the distinctive melodic language of the blues, the classical avant-garde of Weber, Stockhausen and Cage, and an affinity for volume levels surpassing anything previously heard in rock.» Et Palmer entre de plus belle dans le chou du détail : «John Cale put heavy-gauge guitar strings on his electric viola, played it through an amplifier stack, and achieved a sound he favorably compared to that of a jet taking off.» Ce démon de Palmer se met ensuite à analyser : «Voici l’une des façons de voir le rock tel que le conçoit le Velvet : les paroles montrent le monde tel qu’il est, alors que la musique rend la souffrance plus supportable en incarnant la géométrie sacrée d’un paradis sonique imaginaire.» Palmer rappelle aussi que les Stooges furent les premiers à capter le message du Velvet et que David Bowie ramena la dimension du «demi-monde» warholien dans le British rock. Palmer rappelle encore que «Television carried on the Velvet’s legacy of street-real lyrics and harmonic clang-and-drone, with approrpiate nods to John Coltrane’s modal jazz and the Byrds’ resonating raga-rock from lead guitarist Tom Verlaine.» C’est dingue ce que Palmer peut être précis. Et quand Danny Fields découvre les Stooges sur scène à Detroit, il déclare : «They were by far the most interesting band since the Velvet Underground.»

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             C’est là que Palmer embraye sur le chapitre le plus hot de son book, ‘The Church of the Sonic Guitar’, déjà évoqué via Willie Johnson et Pat Hare. L’autre géant qu’il épingle est bien sûr T-Bone Walker. Il épingle aussi Goree Carter, un guitariste d’Houston, inspiré par T-Bone Walker. Selon Palmer, le «Rock Awhile» de Goree Carter est un sérieux candidat pour le titre de «first rock and roll record». Et puis voilà le Texan Clarence Gatemouth Brown - One of the flashier, and perhaps the most resourceful explorer of the electric guitar’s sonic resources. Ses early and mid-fifties singles abound in volume and sustain effects, deliberate amplifier overloading, wildly stuttering scrambles up the neck, screaming high-note sustain, and other proto-rock-and-roll devices - C’est vrai que Gatemouth Brown est un sauvage. Il faut le suivre à la trace. On en reparle.

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             Comme si c’était possible, Palmer monte encore d’un cran avec Guitar Slim. Selon Jeff Hammusch, Guitar Slim est le prototype du «live fast/die young» rock’n’roll comet - He was the best! Slim just wouldn’t take care of himself. He lived fast. Different women every night - Quand on lui demandait de se reposer et de prendre soin de lui, Guitar Slim répondait : «I live three days to y’all’s one. The world don’t owe me a thing when I’m gone.» Il casse sa pipe en bois à New York à l’âge de 32 ans. Gros mélange d’alcool et de pneumonie. Palmer embraye aussi sec sur Ike : «If Guitar Slim was the  patron saint of our Church of the Sonic Guitar, Ike Turner can only be its fallen angel, the dark prince, who is also Lucifer, the ‘light-bringer’.» Grâce à Ike, on reste chez Dionysios. Palmer rappelle au passage que St. Louis was a mecca for black southeners. C’est une sorte de capitale du country blues et du sophisticated jazz. En 1955, la concurrence est rude entre les Kings Of Rhythm d’Ike et le Chuck Berry’s trio. Albert King traîne aussi dans les parages. Quand Uncle Sam voit débarquer Ike dans son studio à Memphis, il sait tout de suite ce qui se passe : «Ike had the best-prepared band that ever came in and asked me to work with them.» Ike est aux yeux de Palmer le plus wild d’entre tous - Turner unleashed his full power, wrestling twisted, tortured, bent and shattered blue notes and chords out of his guitar, not just for empahis, but practically every bar of every solo. On n’avait encore jamais entendu une telle sauvagerie, il était tellement en avance sur son temps - Puis Palmer remet un peu les pendules à l’heure, car après son divorce avec Tina Turner, le pauvre Ike a fait la une des canards qui puent - Il y eut cette séparation dûment médiatisée, des accusations et des arrestations. It’s too bad because Ike Turner deserves a prominent place in rock and roll history, and not just as a guitarist whose wild-man strategies were rarely heard again until the advent of the Velvet Underground and later punk groups like Richard Hell & The Voidoids, with resourceful gonzo-guitar inheritor Robert Quine - La parenté Ike/Velvet/Quine est parfaite. Par ici, on appelle ceux-là des triplettes de Belleville essentielles.

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             Palmer consacre ensuite des pages indécentes de classe à Lowman Pauling, des Five Royales, et à Tarheel Slim qui est quasiment inconnu - Lowman made his mark as the musical director of one of the most accomplished and consistently innovative of fifties vocal groups, the «5» Royales - Quand Hank Ballard veut appeler son groupe Hank Ballard & The Royals, on lui dit : impossible. La réputation des Five Royales est trop bien établie. Palmer rappelle aussi que Pauling était le moins connu des greatest r&b guitarists de l’époque : Chuck Berry, Bo Diddley et New York sessionman supreme Mickey Baker. Lowman savait tout faire : gratter ses cordes avec les dents, gratter derrière sa tête. Steve Cropper le cite comme sa principale influence. Doctor John vénérait aussi les Five Royales. «The Slummer The Slum» est Pauling’s masterpiece - It begins  with Pauling unleashing some of the most ferocious lead-guitar riffs heard on record up to that time - Les royales sont sur King, mais il y a du tirage avec James Brown qui est aussi sur King, alors les Royales doivent quitter King. Ils se retrouvent sur le label Home Of The Blues et bossent avec Willie Mitchell. Et bizarrement, leurs singles ne marchent pas. Les Royales se séparent et sombrent dans l’oubli. Lowman Pauling casse sa pipe en bois en 1974 - Recognition for his achievments has long been overdue - Heureusement que t’as des mecs comme Palmer qui écrivent des books, mais si personne ne les lit, alors tout ça ne sert à rien.

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             Palmer passe aussi sec à un autre géant inconnu du grand public, Tarheel Slim. On peut le croiser inside the goldmine. Avec l’immense Tarheel Slim, on passe au black blues-rockabilly. Slim enregistre avec un autre démon, the redoutable Wild Jimmy Spruill. Palmer connaît tous les gens qu’il faut connaître. En 1959, Slim et Spruill sortent «the cataclysmic two-sided nonhit single» «Wildcat Tamer»/«Number 9 Train», sur le label Fire du grand Bobby Robinson. Robinson enregistrait déjà Elmore James - the most thunderous electric-guitar records of the decade - Palmer souligne en outre que ce single de Tarheel Slim et Wild Jimmy Spruill définit le son à deux guitares que vont développer Hound Dog Taylor et les Gories - Both players mix tremolo, twang, slamming runs, and crazed lead playing.

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             Palmer salue aussi bien bas le «Down On The Farm» de Big Al Drowning, «backed by a white rockabilly combo under the leadership of one Bobby Poe - it was Little Richard-meets-Carl Perkins in flavor.» Palmer s’enthousiasme facilement. Il prend feu à la moindre étincelle. Rares sont les pages qui n’explosent pas. Il boucle ce chapitre hors du temps avec les Falcons qui comprenaient Joe Stubbs (le frère le Levi Stubbs, lead des Four Tops), et Eddie Floyd qui allait donner à Stax ses lettres de noblesse. Le baritone des Falcons n’est autre que Mack (later Sir Mack) Rice, qui allait composer «Mustang Sally», un hit qui allait rendre célèbre le remplaçant de Joe Stubbs dans les Falcons, Wilson Pickett. Quand les Falcons décrochent un hit avec «I Found A Love», Wicked Pickett quitte les Falcons pour signer sur Atlantic - If any fifties vocal group was a school for future soul stars, it was the Falcons. Comme les «5» Royales, Nolan Strong & The Diablos, and other gospel-soul vocal groups, ils ont aussi contribué au développement de la guitare électrique - Et Palmer cite le nom du guitariste des Falcons, Lance Finnie. 

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             Il passe aussi sec au funk avec Bootsy en face du titre : ‘Brand new bag’. Comme c’est bien vu, Palmer ! Il commence par rappeler l’origine du mot funk : «In black vernacular, le mot funk se référait à une odeur, une odeur impolie. Funk était l’odeur de la sueur, l’odeur du sexe, l’odeur de...». Il n’ose pas dire du cul, mais il cite le funky butt. Et de rappeler dans la foulée que personne n’a mis autant de sueur dans un show que James Brown - Add to this Ki-Kongo concept of positive sweat, the Yoruba concept of ashé, or ‘cool’, and what have you got? ‘Cold Sweat’ - Et voilà James Brown qui part en quête du Graal, c’est-à-dire «l’ultimate groove». Palmer consacre des pages hallucinées à James Brown, «playing drums with his larynx», «Audiences dig go crazy, making ‘Bag’ one of Brown’s biggest hits so far - Even Brown was surprised by what he had created.» Le sujet échappe au maître, c’est bien connu. Et Palmer y retourne à coup de «Bag» qui electrified the musical community, et t’as Jerry Wexler affolé qui déclare au coin d’un paragraphe : «‘Cold Sweat’ deeply affected the musicians I knew. It just freaked them out. For a time, no one could get a handle on what to do next.» Oui, James Brown brouillait les pistes, il était devenu en son temps l’artiste le plus moderne, le plus puissant du monde. Au même moment, à Detroit, Norman Whitfield «crafted a series of revolutionary singles that synthetized both the James Brown and Sly Stone versions of funk.» Palmer évoque bien sûr les Temptations - The Whitfield/Temptations collaborations of 1967-72 are among rock ans roll’s most consistently creative and adventuesome bodies of work - S’ensuit un hommage fulgurant à Bootsy - Bootsy had truly taken to heart Brown’s practice of accenting «on the one» which reversed the rhythmic priorities that had long been standard in jazz, rock and r&b - Il redéfinissait le funk. Puis George Clinton récupère Bootsy - If Bootsy was taking some weird new drug, George didn’t necessarily want him to stop; he wanted to try some himself - Et pouf, Palmer part droit sur Parliament-Funkadelic, c’est-à-dire P-Funk, qui tournait à l’époque avec les Stooges - In their early years, P-Funk incorporated all the volume a Marshall stack could crank out, all the onstage brinkmanship an Iggy Pop could munster, and all the drugs in the rocker’s pharmacopoeia - Nous voilà parmi les géants - Clinton developped a more positive mythology involving outer space, black tribalism and the whole-system integrity of the funk itself. «If you fake the funk» warned Clinton, «your nose will grow.» - Pour beaucoup de gens, Earth Wind & Fire était les «black Beatles» et P-Funk les «black Rolling Stones».

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             Quoi de plus naturel que de passer au punk après le funk ? Le chapitre s’appelle ‘Blank Generation’ et s’ouvre avec les Dolls. Palmer n’y va pas de main morte, puisqu’il attaque par la racine du punk, le rockab - Rock and roll has always had a «punk» underground of sorts. In the fifties, there were rockabilly wild men who played hard and fast, leaving a trail of pandemonium and wreckage behind them - Et pouf, il cite Billy Lee Riley, Sonny Burgess et ses «flaming red suits, socks and shoes, with guitar ans hair to match.» Et puis bien sûr Gene Vincent (hello Damie), qui «with his black leather jacket, his sneer, and his frenzied, amphetamine-stoked stage shows, was a fifties punk who greatly influenced the wilder side of John Lennon.» Sans oublier Eddie Cochran et ses teenage anthems repris par les garage bands et les Who.

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             Palmer fait un focus sur Cleveland - an unlikely hotspot for early protopunk activity - Il rappelle que les Stooges et le Velvet ont joué à Cleveland et qu’ils ont bien marqué les gens - The Velvets the thinkers and the Stooges the thugs - Oui, car Palmer dit aussi quelque part dans le book que pour mener une révolution, il faut à la fois des thinkers pour l’imaginer et des thugs pour la mettre en œuvre. Cleveland, ça commence avec Rocket From The Tombs dont font partie Peter Laughner et David Thomas, qui vont ensuite former Pere Ubu, «injecting a healthy dose of Captain Beefheart’s mutant blues strains into their Velvets/Stooges/glitter influences.» Palmer rend bien sûr hommage à «Final Solution» et à ses lyrics, un «cleverly twisted teenage-wasteland psychodrama.»

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             Par contre, il ne trouve pas grand-chose à se mettre sous la dent dans les années 80, à part The Fall, «an abrasive, ratchety-sounding agitprop outfit», Public Image Limited, Birthday Party et The Jesus & Mary Chain, «an unlikely hybrid of the Velvet Underground and the Beach Boys.» Bizarre qu’il oublie de citer les Cramps et le Gun Club. Étant américain il cite bien sûr Sonic Youth qui aurait inspiré My Bloody Valnetine, the Wedding Present et Swervedriver. Il retombe finalement sur ses pattes en rappelant que les Dolls, vus comme un rip-off des Stones, «was a fundamental inspiration for the entire New York punk movement.»

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             Il faut aussi voir le petit docu qu’il consacra à Trane en 1990, et paru sur DVD en 2010 : The World According To John Coltrane. Tu vois Trane souffler et Elvin Jones de dos battre le beurre du diable. Tu sens la puissance de ces deux locomotives de l’ultra-freedom : larges épaules et racines du beat. Les anecdotes pullulent, la plus savoureuse étant celle-ci : Trane apprend que Bird se balade avec une partition de L’Oiseau De Feu, alors il va dans une bibliothèque municipale de Philadelphie écouter Stravinsky. On voit Trane jouer avec Miles, puis en 1960, Trane quitte Miles pour explorer le modal. Mais tu risques l’overdose de modernité. Trane joue les yeux fermés, il tortille son free à l’infini. Trane joue toujours, avant, pendant et après le concert. Robert Palmer a l’intelligence de ne pas couper les cuts. Palmer dit aussi que Trane a influencé les Byrds («Eight Miles High»). C’est juste, Croz est un fan de Trane. Il raconte un bel épisode dans son autobio : il est dans les gogues d’un club à Chicago et soudain, il entend un sax. C’est Trane. Trane jouait même dans les gogues. En visionnant ces images, tu comprends un truc élémentaire : la musique de Trane parle toute seule. Pas besoin de commentaires. Tu assistes à la glorification du peuple noir via sa spiritualité. Trane devient fou sur scène. Alice pianote. Trane se tortille. Robert De Niro/Jimmy Doyle va s’inspirer des fabuleuses contorsions de Trane pour saxer son set dans New York New York. Et petite cerise sur le gâtö, Palmer nous ramène au Maroc avec Roscoe Mitchell qui réussit à jouer avec les derviches marocains, ce que Trane voulait faire et qu’il n’a pas réussi à faire de son vivant. Merci Palmer pour cet hommage au Love Supreme.  

    Signé : Cazengler, Pied Palmer

    Robert Palmer. Rock & Roll: An Unruly History. Harmony Books 1995

    Robert Palmer. The World According To John Coltrane. DVD 2010

     

     

    Label bel bel comme le jour

    - Ready SteadyBoy

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             Tiens tiens... Tu feuillettes Record Collector et tu tombes sur un petit article illustré par des pochettes d’albums recommandables : Rocky Erickson & The Explosives et Bob Mosley. Et t’as la photo d’un mec chapeauté de frais, un certain Freddie Knoc. Il se trouve que ce Knoc est boss d’un label, SteadyBoy Records. Wow quel label ! Tu lis la short-list du bas de la page et tes yeux dansent la rumba : Peter Lewis, Mike Wilhelm, Charlatans, The Explosives, Doug Sahm, Davie Allen & The Arrows, plus les deux pré-cités, Roky et Bob Mosley. Il enregistre aussi ses propres albums sous le nom de Freddie Steady.

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             Freddie le crack est un Texan. On s’en serait douté. Un Texan d’Austin. Il a choisi de s’appeler Steady parce qu’on le dit régulier, c’est-à-dire steady, au beurre. Freddie est multi-instrumentiste. Quand Nick Dalton lui demande quels sont ses modèles, il cite Immediate, Sundazed, Chess, Sun, Stax - Immediate seemed the most creative and adventurous - Il rêve de rencontrer Andrew Loog Oldham pour un chat. L’une de ses fiertés est d’avoir sorti Halloween II de Roky Erickson & The Explosives. Et paf, il indique que «The Explosives were my band from 1979 to 1981 and then 2005-2008.» Il dit aussi avoir eu la chance de produire Sal Valentino. Mais aussi de co-produire le Just Like Jack de Peter Lewis, l’ex-Moby Grape. La chance encore de rééditer le True Blue de Bob Mosley, un autre ex-Moby Grape. Puis il a profité d’une belle tranche de vie à Londres dans les année 80 pour sortir le Dangerous Ground des Downliners Sect. Et quand Dalton lui demande quel album il aurait aimé publier, il répond sans hésitation le premier Moby Grape. Et la réédition de ses rêves ? Moby Grape’s second album Wow. Il prévoit de publier son autobio, Freddie Steady Go! A Journeyman’s Guide To A Life In Music. Le coco est assez complet.  

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             Alors bien sûr, tu vas fourrer ton nez dans les affaires de Freddie Steady. Ça tombe bien, il réédite son Lucky 7. Le groupe s’appelle Freddie Steady’s Wild Country. Te voilà donc au Texas, Amigo ! L’album est trop country pour être honnête, tu te retrouves coincé dans le saloon, mais tu persévères. Freddie Steady ne jure que par le tradi. Tu ne l’écoutes que parce qu’on lui rend hommage dans Record Collector. Ça s’arrange quand il va traîner dans le Bayou avec «Night Time». Et ça devient passionnant lorsqu’il passe au Cajun wild as fuck avec «Love You Tonight» et l’accordéon. Sinon, il campe sur ses positions et propose une belle country texane sans histoire. Il va plus sur le r’n’b avec «I’ve Been Framed» : il tape dans la veine de Wolf à coups d’oooh-oooh oooh. T’as des bonus à la pelle et tu vas te régaler de «Midnight Special», un boogie rock texan bien claqué du beignet, il y va à coups de shine a light on me !     

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             Que dire du Dangerous Ground des Downliners Sect sinon que c’est encore un disque énorme ? En plus, l’ami Art Wood a peint la pochette. Les Downliners proposent pas moins de cinq bombes sur ce disque, à commencer par «Keep On Rocking», une énormité cavalante. On sent les Anglais bien formés à Richmond. Ils sonnent comme les Pirates. Voilà ce qu’on peut appeler a high octane blend of r’n’b.  Ils rendent hommage à Bo avec «Escape From Hong Kong» et «In The Pit». Puis on tombe sur la bombe suivante qui est en fait le morceau titre, un gaga-cut bien plié au bombast d’ambiance rampante. S’ensuit une autre bombe intitulée «Lucy’s Bar Room». Del Dwyer fait un véritable festival, il chauffe le cut à blanc. Il arrose cette somptueuse rythmique de guitar licks éclatants. Encore deux belles bombes pour finir : «Quicksand» et «Deamon Lover». «Quicksand» pourrait sortir du Crusade de Mayall. Les Downliners vont chercher le guttural pour honorer ce boogie blues d’excellence définitive. Tu vas aussi te régaler de «Deamon Lover», fantastique shoot de rocky road pulsé au beat anglais et plein de son. Pur jus de rave-up. Les Downliners ont du génie.

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             Il a eu raison Freddie Steady de rééditer cette petite merveille qu’est le True Blue de Bob Mosley. Petite merveille car «Lazy Me», balladif à la Gene Clark de qualité supérieure. Suprême dérive abdominale. Et puis t’as ce coup de génie, «Rainbows End (Used To Be My Friend)», un autre balladif de rang princier. T’es frappé par la stupéfiante qualité du cut. Bob adore le boogie, comme le montrent «Come Back Woman» et «Sad & Blue». C’est le boogie de San Pedro, celui qu’on appelle l’heavy boogie down bien sanglé. Tout aussi impressionnant, voici «Never» un heavy balladif circonstanciel. Bob tape ça au pur power vocal. Bob est un bon. L’intensité n’a décidément aucun secret pour lui.

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             Peter Lewis ? T’y vas parce qu’il jouait dans Moby Grape. Dans les liners de Just Like Jack, David Fricke nous explique que Peter Lewis «could sing in a voice of deep-velvet warmth and gently commanding force, play intricate, effervescent rhythm guitar in a unique finger picking tangle of folk-blues roots, bluegrass facility and the drive’n’sheen of the Byrds gone surfin’.» Il nous rappelle aussi que Peter Lewis est le fils de Loretta Young. Qui bat le beurre derrière lui ? Freddie Steady, le vétéran des Explosives, bien sûr ! Peter Lewis attaque Just Like Jack avec la jolie country pépère de «Be With Me», enrichie jusqu’au délire par du picking texan d’Austin. La température monte au fil des cuts, on sent vraiment les vieux restes légendaires, Peter Lewis n’est pas né de la dernière pluie. «Last Chance» sonne comme une belle énormité. Il chante son heavy boogie blues d’une voix blanche. T’en reviens pas de toute cette qualité. Il sonne comme Tony Joe White sur «Valley Music Festival». Il remonte jusqu’à 1967 et rend hommage à Neil Young et au temps de Mister Soul. Il attaque sa B avec un «Sailing» co-écrit avec Skip Spence. C’est tout simplement somptueux et traversé d’éclairs de killer solo flash d’éclat majeur. Tout se tient admirablement sur cet album qui sonne comme une belle suite à Moby Grape. Il boucle avec «These Blues», well okay, il gratte ses gros coups d’acou d’Austin, I mean these blues for you.

    Signé : Cazengler, Steady oui

    Freddie Steady’s Wild Country. Lucky 7. SteadyBoy Records 2003

    Downliners Sect. Dangerous Ground. SteadyBoy Records 2011

    Peter Lewis. Just Like Jack. Shagrat Records 2017

    Bob Mosley. True Blue. SteadyBoy Records 2024

    Nick Dalton : label of love. Record Collector # 566 - January 2025

     

     

    Inside the goldmine

    - Eddy sois bon

             Avec Adi, on s’amusait bien. Disons qu’on s’amusait à ses frais. Adi donc ! Adi quoi ? Ça nous venait naturellement. Il faisait le canard. Celui qui n’entendait pas. Adi peut ! Adi Baba ! Il tournait la tête de l’autre côté. On sentait qu’il avait de l’entraînement. Ça avait dû commencer très tôt, à l’école. Adi mentaire ! Adi Xion ! Dans la vie, c’est toujours la même chose : on choisit chaque fois la facilité. Dès qu’on sent une faille, on s’y engouffre. C’est plus facile de s’engouffrer que de réfléchir. Adi Bouti ! Adi Gaga ! Comme il ne réagissait pas, on prenait ça pour une invitation à continuer. Adi Quat ! Adi Lescent ! On en rajoutait. Adi Das ! Adi Boron ! Il n’existait plus de limites, on battait tous les records d’automatisme psychique de la pensée. Adi Solu ! Adi Plôme ! Évidemment, tout ça se déroulait au moment le plus opportun, alors que nous étions en route pour un braquo. Adi s’installait toujours à l’avant, à la place du mort. On ne trouvait rien de mieux que de se divertir aux frais d’Adi pour faire baisser la tension. Adi Vague ! Adi Fâme ! Parfois, on rigolait de nos conneries. Adi veillait à rester de marbre. Il n’était pas question pour lui de s’abaisser à notre niveau. C’est comme si on lisait dans ses pensées. On se demandait parfois pourquoi il restait dans le gang. Il devait bien se douter que ça n’allait pas s’arranger. À sa façon, il savonnait la pente. Nous entrâmes à trois dans l’agence, comme d’usage. Le chauffeur restait à l’extérieur et laissait tourner le moteur. Ce jour-là, il y eut un gros hic. Le caissier était enfouraillé et il se mit à canarder comme un cow-boy, bam babam bababam ! Gégé la Guigne prit un pruneau en plein tête et tomba raide mort. J’en pris un dans le ventre et fis un sacré vol plané, allant exploser la porte d’entrée en verre. Adi riposta et calma le cow-boy d’une balle dans la tête. Il regagna la sortie, et passa près de moi. Il vit que j’étais blessé, mais au lieu de m’aider à me relever pour me ramener jusqu’à la bagnole, il souleva sa cagoule et me dit, avec un drôle de sourire en coin : Adi Os ! 

     

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             Espérons qu’Eddy a mené une vie plus pépère que celle d’Adi. On ne sait pas comment s’est terminée la carrière d’Adi, mais on sait comment s’est terminée celle d’Eddy : par de très bons enregistrements.

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             Ace propose une belle compile pour découvrir l’excellent Eddy Giles : Southern Soul Brother. The Murco Recordings 1967-1969. Dean Rudland se tape les liners. Il commence par nous expliquer qu’Eddy est devenu sur le tard le Reverend Eddie Giles hosting his Old Time religion Show.  On voit une photo du vieil Eddy en train de prêcher. Dans les années 60, Eddy enregistrait sur le label de Dee Marais, Murco, à Shreveport, en Louisiane. 18 cuts en tout, que Rudland rassemble sur cette compile. Puis il donne la parole à Eddy qui raconte son incroyable histoire de pauvre black né en 1938 et qui ne vit que pour la gratte. Il traverse toutes sortes de galères, joue dans un groupe itinérant de gospel, revient au bercail et finit par se faire connaître à Shreveport. C’est là qu’il capte l’attention de Dee Marais qui lui propose d’enregistrer un single. Mais Eddy n’a pas de chanson. Alors il dit qu’il va s’en composer une  - I’m going to write me a song and I’m going to write me a hit song - Incroyable détermination ! Il attrape un bloc et un crayon - I got out a pad and a pencil and wrote down the title, «Lonely Boy». I said, «That’s not strong enough». Then I wrote «Losin’ Boy». After writing the title, I started asking myself questions - Eh oui, Eddy n’a jamais écrit de chansons auparavant. Il sait juste qu’il faut un couplet et un refrain. Alors il se demande ce qu’est un Losin’ Boy, «and the words came out.» - I’m a Losing Boy, because my baby’s gone - En gros Eddy raconte l’histoire de tous les blackos qui ont cherché à faire de la musique à cette époque. Et c’est extrêmement bien raconté. Rudland a bien respecté le ton d’Eddy. «Losin’ Boy» ouvre le bal de la compile. Puis Eddy va enregistrer chez Stax, avec Al Bell, mais ça ne marche pas. 

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             Sacré Eddy ! Il est très Wilson-Pickett dans sa démarche. Sur «Don’t Let Me Suffer», il est délicieusement conventionnel. L’époque veut ça. 1967 est l’âge d’or de la Southern Soul. Son «Eddy’s Go-Go Train» est assez hot, il y va au c’mon ride with me ! Pur Black Power ! Il alterne avec des slowahs de haute volée bien enracinés dans le gospel («Happy Man»). Il refait son wicked Pickett avec «Music», mais il est bien meilleur dans les slowahs, comme le montre encore «Love With A Feeling» : excellent de lourd de sens. Ah il est bon l’Eddy ! Faut pas le prendre pour une brêle. Il fait encore du classic Pickett jerk de 1967 avec «Soul Feeling Pt 1» et «Soul Feeling Pt 2», il y va au sock it to me babe et au black scream, soutenu par un beat fabuleusement primitif. Mais Eddy reste le roi du satin jaune. Il perce davantage sur les slowahs, comme le montre encore «That’s How Strong My Love Is», l’un des hits d’O.V. Wright. Il ne fait aucun effort pour échapper à l’influence de wicked Pickett («Pins & Needles»), et il revient à son fonds de commerce avec «It Takes More», un groove suspendu en l’air, oooh baby, un cut extrêmement intéressant, tellement moderne dans sa structure.

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             Tant qu’on y est, on peut aller voir ce qu’il y a sous les jupes de Murco : Shreveport Southern Soul. The Murco Story. T’y retrouves le bon Eddy Sois Bon, c’est sûr, avec «Losin’ Boy» et «That’s The Way My Love Is», où il pousse bien son bouchon. T’as aussi son «Love With A Feeling», cet heavy slowah de séduction massive et rose, c’est même un Southern hit un peu spongieux. Côté découvertes, t’as trois choses. La première s’appelle Ann Alford, avec «Got To Get Me A Job». Big funk out ! Elle est hard on the beat. Quand t’entends ça, tu sors ta pelle et ta pioche pour aller creuser. La deuxième chose s’appelle Reuben Bell avec «Action Speaks Louder Than Words», un vieux ramshakle communautaire : organ + cœurs de louves, quasi église en bois. Reuben Bell est très présent sur la compile, mais tout n’est hélas pas au niveau d’Action Speak. Troisième chose : Dori Grayson. Et là, jackpot ! C’est elle qu’on voit sur la pochette. Elle a au moins quatre hits sur la compile, à commencer par «Got Nobody To Love». Dori forever ! Soul Sister de choc, même si on la sent un peu verte. Elle est tellement sincère avec «I Can’t Fix That For You» qu’elle te fend le cœur. Elle fait du real deal de Soul impubère. Dori se dore encore la tranche avec «Sweet Lovin’ Man» et elle redevient fantastique d’opportunisme avec «Be Mine Sometimes», elle y va de tout son corps, elle s’essouffle facilement, c’est d’ailleurs ce qui la rend touchante, elle chante comme une ingénue libertine à peine éclose. Elle reste très tendue avec «Try Love», elle chante le cul entre deux chaises, la puberté et l’hot as hell. Elle reste délicieusement imparfaite avec «Never Let Go». Ce miracle d’imperfection aurait tellement fasciné Uncle Sam ! Et bien sûr, Dori n’a enregistré que deux singles sur Murco. Pas d’album, rien d’autre. Encore une fois : merci Ace.

    Signé : Cazengler, Eddy donc

    Eddy Giles. Southern Soul Brother. The Murco Recordings 1967-1969. Kent/Ace Records 2014

    Shreveport Southern Soul. The Murco Story. Kent/Ace Records 2000

     

    *

    Quand je vais à Troyes, la teuf-teuf connaît le chemin, je la laisse faire, je ferme les yeux et roulez jeunesse, non je ne dors pas, je regarde mon cerveau (fertile) travailler.  L’est en train d’inventer un nouveau jeu de cartes, Les Sept Familles, non ce n’est pas celui que vous connaissez, celui-ci ne possède que trois cartes, attention trois as, non pas une de plus, oui trois as ça suffit amplement, je ne vous explique pas la règle, l’on commence la partie tout de suite, bon, dans la famille rockabilly je veux : le père, le fils, non surtout pas le Saint-Esprit, tout simplement l’oncle. Voilà, c’est parti, je place les cartes sur le plateau de jeu, nous allons passer une soirée passionnante !

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    EDDIE GAZEL  AND THE FAMILY ECHOES

    3 B

    (Troyes / 19 – 09 – 2025)

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    Admirez le Père, c’est Thierry Gazel, l’est sur notre droite, tout de noir vêtu tout comme sa big mama, au centre le Fils Eddie Gazel, sur notre gauche lui aussi tout de noir vêtu Stéphane Gazel, oui c’est l’Oncle, non il ne vient pas d’Amérique, celui qui en revient c’est le fils, parti depuis trois ans, l’a vécu bien des aventures, nous les raconterons une autre fois, l’est revenu faire coucou à la famille, et comme c’est une famille Rockabilly, par un hasard (pas du tout) extraordinaire, les voici aux 3B, pour un concert  que nous nous pourrions nommer  : Festives retrouvailles musicales de la famille Gazel.

    Z’ont fait les choses en grand. Je n’avais jamais vu de set-lists aussi magnifiques, aussi grandes que des affiches, striées de rouge pétant et de jaune trompettant, les titres des chansons aussi larges que des manchettes de journaux à sensation, un coloré tapis de corolles éblouissant écloses sur le carrelage.  Terrible question métaphysique : à quoi peut servir une set-lists si ce n’est de l’utiliser à coups d’œil discrets pour se remémorer le titre qui suivra celui que l’on est en train d’interpréter ! Pourquoi faire simple quand c’est si facile de faire compliqué. La Gazel Family n’a pas osé user d’un tel subterfuge qui ne trompe personne. Se penchent dessus, méditent, s’interrogent, jettent leur dévolu sur l’un d’entre eux, hésitent, se concertent, finalement ils se mettent d’accord sur le numéro Quatre. Ouf c’est parti jusqu’au prochain morceau. Parfois changement de braquets, ils en interprètent trois à la suite qui manifestement ne sont pas sur la liste… Ce pourrait être pénible, pas du tout, parfois on se prend à se demander comment va se dérouler le prochain épisode du sketch interludique. En fait c’est un magnifique objet transactionnel pour emprunter un terme au jargon des psychologues. C’est ainsi que très vite se noue une grande complicité entre le public et le groupe.

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    Pour le premier plat nous mijotent un succulent gumbo, plus qu’un titre d’Hank Williams hommagial c’est une déclaration d’intention, plus tard ce sera le tour de Your Cheatin Heart, Eddie se hâtant de spécifier que c’est le dernier morceau composé par Hank, juste avant sa mort. Une manière de nous présenter le programme, après Hank la prochaine star sera Elvis. Le tour de chant oscillera dans l’interzone, entre country et l’orée du rock’n’roll ce qui nous vaudra quelques raids audacieux  dans les contrées sauvages du rockabilly.  Du rock’n’slow à la Conway Twitty aux farouches chevauchées de Charlie Feathers. C’est qu’Eddie Gazel n’a pas qu’une corde vocale à son arc. Un véritable chanteur capable de plier sa voix aux exigences de bien des courants de la musique populaire américaine.

    Ny avait pas qu’Eddie, y avait aussi ma modeste personne. Tout devant, voluptueusement assis à quarante centimètres de la contrebasse de Thierry Gazel. J’étais au mieux je ressentais les ondes sonores de la big mama que Thierry traitait, il faut l’avouer, un tant soit peu abruptement, une véritable balnéothérapie, j’étais délicieusement heurté par les apports incessants de la houle de cette mer sans cesse recommencée, mes yeux subjugués ne quittaient pas les cordes, lorsque la grosse mémère nous fit le coup Du Titanic, même pire car sans l’aide d’un iceberg elle explosa littéralement, le chevalet s’envola et tout le cordier s’effondra comme s’affaient les voiles d’un trois-mâts qu’une bordée de canons ennemis a sans préavis démâtés. C’est dans ces moments que l’on reconnaît les grands capitaines, sans la trace du moindre affolement, Thierry se saisit des débris du naufrage, se faufila derrière ses deux camarades pour remettre de l’ordre dans ses abattis. Moins de dix minutes plus tard il était de retour, sa big mama prête à reprendre le combat.

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    L’ingratitude humaine est sans limite. Les deux survivants changèrent illico leurs fusils d’épaule. Je ne peux pas dire leurs guitares car les deux bandoulières ne bougèrent pas. Nous eûmes un magnifique lot de consolation, un petit Comin’ Home de Gene Vincent. Moment adéquat pour présenter Stéphane Gazel dont nous n’avons pour l’instant qu’entrevu la noire silhouette. Nous l’agrémentons d’une Gretsch, un coloris London Grey si je ne m’abuse, c’est étrange quand il ne joue pas Stéphane regarde sa Gretsch d’un regard suspicieux comme s’il ne lui faisait pas confiance. Mais quand il joue ! D’abord il ne joue pas, il la touche à grande parcimonie du bout des doigts, il  l’effleure, à peine s’il la frôle, et tout de suite vous ne percevez ni les notes, ni la musique, ni la sonorité, ce qui coule comme du miel dans vos oreilles, c’est une espèce de musicalité arachnéenne, un son comme nous n’en n’avez jamais entendu jusqu’ à lors. Une espèce de suavité rock inédite, un prestidigitateur, ses mains survolent sa guitare comme des hirondelles qui choisissent le fil et l’emplacement précis sur lesquels elles vont s’appesantir comme un soupir rapidement évanoui, et toujours cette ambroisie musicale qui englobe et vous transporte tout en haut de l’empyrée. De l’empyrock.

    En plus il sait se servir d’un harmonica d’une façon diabolique et en  surplus l’est nanti d’un à-propos et d’un humour pince-sans-rire interjonctif dévastateur, un seul exemple : son adaptation d’Eddie Sois Bon ! des mythiques Chaussettes Noires, pour  presser le choix d’un morceau.

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    Eddie toujours à fond sur son Epiphone, n’en est pas pour autant aphone. S’il vous plaît ne confondez pas bruit de fond et mur du son. Eddie se redresse et s’approche du micro, l’a l’étrange besoin qu’il soit deux centimètres plus haut que sa bouche, ses doigts battent le beurre, j’emprunte cet expression à notre Cat Zengler national, pas la tambouille à la je-t-embrouille, z’engendrent à chaque morceau un espace sonore différent, et puis il jette le vocal, plus exactement il se jette sur le vocal comme s’il voulait le bouffer, à n’importe quelle sauce,  sucré pour le doo wop – ses deux acolytes  et le public se chargeant des chœurs - mélasse aigre-douce pour les slows déchirés, rasade de piment de cayenne pour le rockab, mais surtout ce qui vous surprend toujours ce sont ses accélérations vocales foudroyantes, un étalon qui s’enfuit du corral et que personne ne pourra rattraper, ou encore cette façon de poser la voix juste là où il faut, perso vous n’en avez aucune idée, mais vous vous reconnaissez que c’est exactement à cette hauteur, à cet élan, à cette vitesse, à cet instant précis qu’il faut la mettre.

    Le pire c’est que quand c’est terminé, c’est fini. Entente familiale. Chacun coupe le robinet de son instrument en même temps que les autres. Pas un centimètre de plus ou de moins. Coupure abrupte. Désintégration sonore surprenante. L’on vous supprime le gâteau que vous comptiez savourer. Vous auriez envie de rouspéter, mais au fond de vous ? vous reconnaissez que vous êtes repu. A satiété.

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    ( Photos : Rocka Billy)

    Revenons à Thierry. Faudrait peut-être disséquer nos trois malandrins  pour savoir comment percer le mystère : pourquoi une certaine ressemblance dans leur manière de jouer, est-ce de l’inné ou de l’acquis, Eddie a avoué que c’est son père qui l’a initié aux sortilèges de doo wap, mais seule une étude scientifique de haut niveau pourrait répondre à cette angoissante question.  Quoi qu’il en soit Thierry ne frappe comme un madurle sur son cordier. Il ne passe pas en force. Pas aux poings. Mais à point. Une précision grondante, big mama en tant que chat noir hérissé, du swing, mais sans verbiage, une espèce de métronome ondulaloire, une mécanique quantique en ébullition mais par-dessous existe un ordre inapparent, une structure invisible, qui joue sue le fait que les mêmes causes produisent les mêmes effets mais que les effets ne sont pas nécessairement dus aux mêmes causes. Un jeu cérébralement instinctif comme si l’outrance du rockabilly prévalait sur la variabilité du swing.

    Bref l’on a beaucoup ri. Et pris beaucoup de plaisir. Un public réceptif et un groupe éruptif. Sont allés chercher Pascal Lambert pour qu’il joue deux morceaux sur scène. Il nous a offert un Mystery Train dans lequel l’on serait tous montés sans vouloir redescendre. A la réflexion Elvis a été un peu le contrefort musical auquel se sont acculés les trois sets. Lorsqu’ils ont fini, Béatrice la patronne en personne est intervenue à la demande générale pour que la fête continue encor un peu(beaucoup). Pour un concert pratiquement improvisé la famille Gazel a visé dans le mille. Cœur de cible.

     

    Damie Chad.

     

    *

    Certains cherchent de l’or, moi je cherchais l’origine. Du blues.  J’ai trouvé. Je vous en reparlerai bientôt. Rien ne sert d’avoir trouvé, encore faut-il continuer à chercher. Bref, je me suis retrouvé à tourner, autour de la petite Minnie. En tout bien et tout honneur, ai-je besoin de le préciser. Mais quand vous vous intéressez à une fille, vous ne tardez pas à tomber nez à nez avec un autre gars.  Qui n’est jamais là par hasard.  L’a eu de la chance. Je le connaissais. Depuis un demi-siècle et plus. Vous aussi, je vous refile son nom, au cas où vous ne le reconnaîtriez pas sur la photo. L’a vieilli. Le pauvre.   Vous voudriez  son blaze : Robert Plant !

    Au total trois vidéos en annonce de son prochain album. A paraître dans deux jours !

    SAVING GRACE

    ROBERT PLANT

    And SUZI DIAN

    (Nonesuch Records / 26 – 09 – 2025)

             Sûr que la photo veut être belle : le chromo nature écologique parfait, avec sous-entendu accusatoire, toutes les espèces animales que nous avons décimées… Maintenant, soyons futé, j’avons rien contre les bisons, mais celui-ci qui accapare le premier plan vous a un petit air de descente de lit usée, peut-être pas anguille sous roche mais sûrement bison sur la plaine.

             Je ne vous fais pas l’injure de présenter Robert Plant.

    Robert Plant : vocal, harmonica / Suzi Dian : vovals, accordéon / Oli Jefferson : drums, percussions / Tony Kelsey : acoustic or electric guitar / Barney Morse-Brown : violoncelle / Matt Worley : banjo, vocal, acoustic guitar, cuatro (petite guitare à quatre cordes).

    CHEVROLET

    (Official Music Video)

    Je connais ce truc, je ne regarde pas la vidéo, je cherche dans ma tête, ah oui Hey Gyp des Animals, tiens un led Zeppe qui reprend Eric Burdon, c’est étonnant, l’est vrai que l’original est de  Donovan. Les anglais étant tous des voleurs, vérifions, pour sûr c’est de Memphis Minnie, une des plus grandes chanteuses de blues, le Zeppelin lui a déjà subtilisé When The Levee Breaks sur le IV, le dernier morceau de la Face B, au début je stationnais sur la Face A de Black Dog à Stairway to Heaven et à la fin je ne quittais plus ces maudites digues que le Mississippi avait emportées… Je file écouter Minnie, elle n’est pas seule, décidément encore un gars autour d’elle, cette fois c’est son mari Kansas Joe McCoy, l’auteur de When the Levee… Le titre original qui nous préoccupe est Can I do it for you ? le pauvre gars ne sait pas quoi faire pour séduire la fille, lui offre des tas de trucs jusqu’à une collection de voitures, et la girl refuse tout. Suis étonné que les féministes ne l’aient pas pris pour hymne. En tout cas le morceau est superbe, comme tout ce que fait Minnie, l’est long, s’étale sur les deux faces d’un Vocalion, d’où les parties 1 et 2. Ce qu’il y a de bien avec Led Zeppe c’est qu’il faut farfouiller un peu… Maintenant que nous avons à chacun rendu son bien, regardons la vidéo. N’oublions pas de l’écouter, ce

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     n’est pas le screamin’ Plant de la belle époque, mais l’est bien plus en forme qu’il y a quelques années, dans certains concerts avec Alison Kraus, Plant murmurait, ici  la voix est douce mais presque rauque, un sortilège, quant à la zique un délice, très zeppeline, très folk. Avant d’être le titre de ce nouvel album Saving Grace est le nom du groupe qui depuis plusieurs années accompagne Plant. Une osmose parfaite, le chant d’Alison écrasait celui de Plant, a contrario la voix de Suzi Dian possède ce privilège de conforter, d’enlacer et de soutenir celle de notre ancien shouter man. Faut l’écouter plusieurs fois pour saisir la richesse de la cavalcade de l’orchestration, nous sommes loin du country, dans une espèce de tourbillon musical, quasi symphonique tant la diversité des timbres et leurs entrecroisements incessants s’avère multiforme. La vidéo tient du conte de fée, une version moderne, enfin c’est moi qui l’affirme l’histoire de Rapunzel avec ses longs cheveux blonds, mais vous n’êtes pas obligés de me suivre sur cette piste… surtout qu’au début nous sommes dans un paysage typiquement américain, disons symboliquement car par du tout naturel, plutôt dans un dessin animé constitué d’images de synthèses, si bien faites que la fille semble vivante, sans doute incrustée, nous subodorons qu’elle est jolie, car l’on ne voit pas, l’est cachée par ses cheveux, pas vraiment une longue chevelure, imaginez-la plutôt enfermée comme le premier des trois petits cochons dans sa maison de paille, pas de méchant loup pour venir souffler sa fragile demeure, une maîtresse femme, Plant a mis toutes les chances de son côté, survient à toute vitesse dans sa Chevrolet décapotable, l’est beau comme le prince de l’histoire de La Belle et la bête, s’est déguisé en lion. Entre nous soit dit, le royal animal est en aussi mauvais état que le bison de la couve. L’est pas seul, toute une ménagerie, de pacotille, des jouets usés de gamin peu soigneux, un élan, un aigle, le fameux bison… Ce clip ressemble à de maladroites manipulations d’objets sur les tréteaux d’un théâtre de Guignol. La princesse n’arrête pas d’agiter son index, comme un doigt d’honneur, rien ne lui plaît…

    Si vous ne me croyez pas, allez-y voir par vous-même, vous en ai livré une description cryptée, c’est qu’avec Led Zepe vous avez des symboles cachés un peu partout à déchiffrer. N’oubliez pas que selon Edgar Poe ce qui est caché est intentionnellement posé au premier plan. Si vous n’avez pas envie de vous prendre la tête jetez un œil sur le site de Manu Viquera, c’est lui le créateur : un véritable Artiste.

    GOSPEL PLOUGH

    (Official Audio)

    La version de ce traditionnel, parue en 1962 sur le premier trente-trois tours de Bob Dylan,  est un crachat lancé à la face de Dieu qui métamorphose la lourde plainte de l’esclave le dos ployé sur sa charrue en cri de haine, en envie nietzschéenne de tuer le Seigneur esclavagiste des âmes.

    Difficile de faire mieux. Certes vous avez une version de Mahalia Jackson, la diva du gospel, qui vous en offre une cover totalement déjantée, une espèce de cavalcade, avec un piano qui hennit comme un étalon qui s’apprête à honorer la plus belle des juments du troupeau, je ne voudrais pas insinuer des faussetés mais quand vous l’écoutez, vous en tirez la conclusion qu’elle et ses musiciens, l’orchestre de Ducke Ellington, sont totalement  ivres.

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    Face à Dylan et à Mahalia, le Plant n’a que sa voix, diminuée tout de même, et son orchestre.  L’est mal parti, c’est vrai faut arriver au troisième tiers morceau pour comprendre comment ils vous retournent l’âme comme une crêpe au rhum. Premier tiers : les musicos au boulot, c’est beau comme un arbre de Noël, vous retirez vos pataugas pour ne pas faire de bruit, de la belle ouvrage, au fond un bourdon, devant une guitare qui n’ose pas être totalement espagnole. Deuxième tiers : Plant et Suzi au chant, magnifiques, les musicos font les zigouigouis attendus, mais vous ne leur prêtez aucune attention, une brise de printemps vous frôle l’échine et vous insuffle la force de vivre. Troisième tiers : instrumental, mettent la gomme  au début, le barouf d’honneur, pas du tout, une espèce d’apocalypse sonore fond sur vous, elle ne fait que passer, elle s’éloigne et bourdonne au fond de l’horizon. C’est Dieu qui s’éloigne de vous. Définitivement.

    EVERYBODY’S SONG

    (Official Music Video)

    A l’origine une chanson du groupe Low. Pourquoi Plant l’a-t-il choisi. J’ai ma réponse : parce que ce morceau ressemble à un morceau de Led Zeppelin, très mal joué, une imitation grossière, y mettent tout leur cœur mais leur manque la grâce. La maîtrise aussi. Trop brouillon. Des idées jetées pêle-mêle. Rien de structuré. Rien de digéré.

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    La vidéo n’est pas un chef d’œuvre, elle recycle un peu des idées de Chevrolet. L’on est content au début de retrouver le bison qui court qui semble vouloir nous emmener dans les vertes prairies de l’Eden, l’est vite rejoint toujours en surimpression par toute la faune du paradis… Là où ça se gâte c’est quand vous vous retrouvez dans votre salle à manger à visionner une émission animalière, sur TV couleur grand écran, de belles images d’animaux sur sites naturels, tellement vues et revues que l’on a envie d’arrêter.

    Ce serait dommage car maître Plant vous remet de l’ordre dans la bouillie à gros gruaux d’avoine de Low. Désormais le morceau est high. Et allégé. Extermination des gluances marécageuses Luxe, calme charliphores et volupté baudelairienne à tous les étages.

    Damie Chad.

     

    *

    Sur le coup le nom du groupe ne m’a rien dit, ma mémoire est certes infaillible mais là toute mon attention était monopolisée par le son des guitares, une marmelade de bon augure. C’est en parcourant leur discographie que j’ai sursauté, j’ai reconnu la couve, le lion ailé, j’ai vite retrouvé la chronique de l’album Ouroboros de Krampot dans la livraison 573 du 03 / 11 / 2022. Donc trois après ils sévissent encore, illico je kronico. Je ne suis pas un escargot.

    DIS

    KRAMPOT

    (Bandcamp / Août 2025)

    N’ont pas changé : Claudia Mühlberger : vocals, guitar / Andrea Klein : guitar /Georg Schiffer : drums /Julian Kirchner : bass.

    Viennent de Vienne, pas notre antique Vienna située sur le territoire gaulois des Allobroges, mais la capitale de l’Autriche. Ne sont pas des stakhanovistes : trois singles en trois ans, Dis est le premier titre de leur futur album… à venir à une date indéterminée.

    Ils se définissent comme une formation  Pagan Desert Doom mais leur emblème incite à penser qu’ils se réfèrent davantage à l’infâme créature dominatrice des mondes souterrains et ténébreux qu’aux lumineuses divinités de la Grèce antique. Si vous êtes une âme sensible ne jetez pas un seul regard à l’Instagram d’Andrea Klein peuplé de monstre voraces et inquiétants. Si vous visitez l’Instagram de Krampot vous vous apercevrez qu’elle n’ignore point qu’il existe des couleurs moins angoissantes que le blanc et le noir.

    Le single est précédé d’une courte notule du groupe : l’album projeté raconte un voyage vers la Cité de Dis. Ne vous précipitez pas pour vous inscrire : la Cité de Dis appartient à Pluton, le dieu des enfers, ainsi surnommé le Riche (dives en latin) puisqu’il règne sur l’innombrable peuple des morts. Dante cornaqué par Virgile nous la fait visiter. Elle s’étend sur les derniers cercles des Enfers, les plus profonds qui renferment les âmes les plus exécrables non pas parce qu’elles auraient commis le plus grand nombre d’assassinats mais parce que leurs crimes révèlent leurs bassesses naturelles : elles ont menti, volé, trahi… sachant qu’elles commettaient le mal en toute connaissance de cause… Le voyage devrait s’achever dans la zone du froid absolu de la souffrance…

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    Ne vous fiez pas à la première impression lorsque vous regarderez la couve. La couleur rouge ne représente pas la joie de vivre mais la souffrance des supplices. Les volutes torsadées ne représentent pas les dentelles d’une robe de princesse, elles sont les émanations glacées du cœur gelé de Dis. Toi qui te diriges vers ce concentré de haine froide abandonne tout espoir. La bestiole verdâtre qui semble parfaitement à l’aise dans ces eaux polaires n’est pas votre amie !

    Dis : les lignes précédentes n’incitent guère à l’optimisme, la voix de Claudia est sans pitié, aussi froide qu’un couteau qui s’enfonce dans votre cœur très doucement pour que vous souffriez éternellement. Les vingt premières secondes, guitares et batterie sont comme toutes les guitares et toutes les batteries de tous les groupes de stoner doom, vous respirez, vous êtes en terrain connu, rien de plus brûlant et réconfortant que le rock, hélas, elles deviennent insupportables, ce n’est pas qu’elles hurlent et pilonnent, pas du tout, elles ne cherchent pas atteindre le noise industriel grinçant et insupportable, elles restent dans le domaine mélodique, elles s’appesantissent, elles deviennent aussi lourdes qu’une calotte d’iceberg, elles vous englobent, elles vous phagocytent, elles s’emparent de vous, il y a longtemps que Claudia s’est tue, que dire d’autre que cette sensation d’être enfermé vivant ad vitam aeternam dans un des tiroirs de la morgue de votre esprit. Imaginez le parcours d’une âme avide de savoir, de voir, de se fondre, voire de se morfondre dans l’absolu de la mort, lorsque résonnent les derniers mots prononcés en latin, la créature ressuscitera. La créature qui est la mort : oui. Mais toi : non.

             Un morceau sibérien ! La curiosité n’est pas nécessairement un vilain défaut. Ce dernier titre nous a donné envie d’écouter l’avant dernier.

    LORD OF DARKNESS

    (Bandcamp / Octobre 2023)

    Reprise d’une démo parue en 2017. La couve de ce tout premier opus représentait sur un fond mauve les trois gueules de Cerbère beaucoup plus proches du loup que des molosses de l’iconographie grecque traditionnelle. 

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    La couve de cette reprise préfigure celle du single qui suivra. Un peu plus mystérieuse, peut-être est-ce dû qu’au fond d’une obscurité érébéenne s’agitent des formes transversales, seraient-ce des larves, la vivacité de l’orange qui tranche superbement sur ce tableau noir inciteraient, malgré le titre, à l’optimisme, mais les longues mâchoires de crocodile sans corps qui les enserrent nous aident à comprendre que nous faisons fausse route. Les grosses majuscules du titre semblables à un panneau d’affichage nous le confirment.

    Sur YT la présentation de la couve est davantage explicite : les larves orange se révèlent être les langues serpentines des trois gueules de Cerbère et les mâchoires orphelines des crocodiles se transforment en la caninique et terrible dentition  dans le dessin au trait fin des trois têtes du gardien des Enfers. 

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    Lord of Darkness : rythmique lancinante, le chemin sera long et peu voluptueux, franchement on n’est pas là pour rigoler, la traversée de cercles infernaux s’avère harassante, des morts partout qui essaient de mourir ou de vivre, ce genre de postulations se ressemblent, le pire c’est le Seigneur des Ténèbres lui-même, ne paraît prendre aucun plaisir à son rôle, donne l’impression qu’il accueille les âmes mourantes parce qu’il ne peut pas faire autrement, certes la rythmique s’éparpille un tantinet quand elles se retrouvent au plus près de lui, Krampot fait tous ses efforts pour nous dissuader de quelque espoir, les morts essaient d’attirer son attention, peine perdue… la partie qui se joue se passe ailleurs, les Dieux se meurent, ils sont engloutis dans l’oubli et cèdent la place aux Titans, ce n’est pas dit mais sans doute le Seigneur des obscurités suppute-t-il que lui aussi, un millénaire ou l’autre devra périr, ne serait-il pas nécessaire de l’écrire sur les vitres du néant avec le sang des morts…

    SLAVIA DIVINORUM 

    (Bandcamp / Mai 2023)

    De l’avant dernier nous passons sans complexe à l’antépénultième comme dirait Stéphane Mallarmé. Pas besoin d’être un spécialiste en musique classique pour savoir d’où provient l’inspiration d’Andrea Klein pour cette couve si différente des deux précédentes.

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    Nommons le coupable : le grand compositeur russe Modeste Moussorgski qui pour rendre hommage à son ami peintre Viktor Hartmann décédé en 1873 composa l’année suivante une série de dix pièces pour piano intitulées : Tableaux d’une exposition. Ainsi nommée car le musicien s’est inspiré de tableaux ou d’aquarelles de son ami, notamment de l’une  d’entre elles nommée la Cabane Aux Pattes de Poule qui n’est autre que la maison d’un des personnages les plus célèbres des contes russes : la sorcière Baba Yaga.

    Slavia divinorum : encore une reprise d’un des quatre  morceaux de leur premier opus Odyssea :  l’auditeur qui aura écouté les deux morceaux précédents sera surpris. Certes c’est du doom, mais un doom qui mériterait d’être qualifié de joyeux, les guitares ronchonnantes jouent un peu à l’ogre de nos contes d’enfant mais la batterie imite à merveille la démarche claudiquante de l’isba aux pattes de poules. Nous sommes à mille lieues des antres obscurs plutoniens. Le problème, c’est qu’à la moitié de l’opus tout change. La batterie brinqueballe un petit peu  moins mais encore une fois  c’est la voix de Claudia qui vous glace le chant, les paroles s’inscrivent sur la vidéo, pas bien longues, de très courts vers, morphologiquement vous avez l’impression d’une comptine pour endormir les enfants, mais avec ce vocal qui résonne sous les voûtes des cités interdites vous vous dites qu’il y a quelque chose qui cloche, vous voulez en avoir le cœur net d’autant plus que lorsque la voix se tait après une apothéose chorale qui se termine par deux stridences, les instruments abandonnent leur allure sympathique  pour s’adonner à un doom de la mort qui se termine sur un long grondement d’orage… Vous demandez à votre traducteur de vous traduire les paroles, sans doute du russe, peut-être de l’ukrainien, c’est tout mignon, avec un gentil renard, parfait pour une classe de maternelle, ben non, le renard n’est que l’image de la mort… Serait-ce une illustration de l’âme slave, de son infinie tristesse… mais cette maison aux pattes de poule ne repose-t-elle pas sur une large tache verte à laquelle on pourrait prêter la forme d’une feuille de sauge (salvia), plante médicinale par excellence, la mort médicament des dieux…

             Un groupe qui vous vous apporte des réponses aux questions que vous ne leur posiez pas. La poudre noire qui reste au fond du creuset.

             Je pensais en avoir fini avec Krampot pour cette kronic, mais voici qu’en cherchant j’ai trouvé deux autres titres. Sont-ce deux morceaux qui se retrouveront sur l’album à venir, je n’en sais rien, toutefois leur visionnage apporte non pas quelques lueurs mais quelques noirceurs.

             Le premier est une démo-vidéo sur laquelle le groupe interprète :

    HADAL HYBRIS

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             Osons le dire cette vidéo est bien plus puissante que les trois titres précédents. Les quatre membres de Krampot sont enfermés dans un local, image grise, ne jouant aucunement sur les ruptures expressionnistes du noir et du blanc. La musique est la même mais totalement différente, cette assertion  n’est pas aussi absurde qu’il pourrait le paraître de prime abord, le même inclut le retour or le retour n’est déjà plus le même, pensez au titre de leur premier album Ouroboros… dès les premières secondes vous vous trouvez projeté en une dimension orientale (évacuez de votre esprit l’Orient typique pour ne pas employer le terme de touristique à la Led Zeppelin), pensez à la notion d’intemporalité de la musique indienne qui semble avancer infiniment tout en laissant par de rares modulations qu’elle reste toujours dans le même confort acoustique d’une zone dont elle ne s’échappe pas. A part que nous avons affaire à un véritable groupe de rock, deux guitares, une basse, une batterie, et une voix, féminine puisque proférée par un être féminin, mais ô combien d’outre-sexe, d’autre part, venue d’ailleurs, une mélopée atemporelle qui serait fichée dans un gosier pour prendre pied dans notre monde. La section rythmique s’active méchamment, les images le prouvent, mais leur action semble n’avoir aucune action efficiente sur le rythme du morceau, j’ai envie d’écrire que ce groupe ne produit pas de la musique mais de l’intensité sonore, une lampe qui éclaire d’elle-même sans être branchée sur une source d’électricité quelconque et dont parfois la luminosité devient plus forte sans qu’elle semble en être la responsable car n’obéissant qu’à ses propres injonctions. Musique fascinatoire. De quelle hybridité ce morceau rend-il compte ? De celle des Dieux et des Titans s’engouffrant dans les profondeurs abyssales, rappelons que toute glace n’est que de l’eau, que l’abîme n’est que l’image renversée du soleil mort, que la lumière se congèle aussi facilement que de l’eau de vie métamorphosée en eau de mort. Toute alchimie n’est-elle pas réversible. D’où cette impression d’immobilité parcourue de tempêtes sans frein… Comme si musique et poésie s’équivalaient sans cesse sans parvenir à un équilibre fondationnel.

             Deuxième vidéo :

    MARENA

    (Music vidéo / Krampot / 21-12 -2021)

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              La vidéo portée par la voix de Claudia permet d’entrevoit le groupe en train d’interpréter sa chanson, la primauté est toutefois accordée aux images. Les premières sont magnifiques, grandioses paysages de forêts recouvertes de neige, arbres le tronc engoncé en leur carapace de glace. Splendeurs naturelles figées en une immobilité morbide.  Elles sont bientôt suivies de vues ravissantes mais beaucoup moins fortes, écureuils, cerfs, loup… toute une faune qui s’éveille ou qui sort de ses tanières pour se réchauffer. Après l’hiver, le printemps. Après la mort, la vie. Dans une note sous la vidéo il est nous est expliqué que dans les pays d’Europe de l’Est  le titre Marena désigne la déesse de l’hiver, de la mort et de la renaissance. Parfois une effigie de Marena était noyée ou brûlée pour fêter le printemps. Le mythe païen a survécu au christianisme, les villageois expliquant que ce n’était pas une déesse que l’on brûlait mais une sorcière.

             Ce titre fait partie du premier album de Krampot : Odyssea. Le titre est à lui tout seul une revendication paganiste. L’odyssée en question ne conte pas les aventures du héros grec mais évoque le cycle de la nature, qui paraît s’teindre, puis qui renaît de ses cendres tel un phénix immortel.

             Le lecteur n’aura pas été sans remarquer que ce titre contient à lui seul la vision du monde développée par Krampot dans son œuvre.

    Damie Chad.

     

    *

    Il y a des mots que l’on préfère à d’autres. Excusez-moi de cette introductive évidence. J’entends la radio sans l’écouter. L’on déblatère sur un roman qui s’intitule Nous Les Moches. Qui pourrait s’intéresser à la mocheté des hommes et du monde, certains auteurs doivent détester avoir des lecteurs, enfin ça les regarde, des bribes parviennent à mes oreilles, tiens un romancier, normal la séquence porte sur les romans de la rentrée littéraire de septembre, tiens en plus c’est un militaire, drôle de zèbre une rayure noire pour la guerre une blanche pour l’écriture, je ne vais pas critiquer, un  de mes livres préférés ne se nomme-t-il pas Les Sept Piliers de la Sagesse de T.E Lawrence plus connu sous la prestigieuse nomination de Lawrence d’Arabie, qu’importe de toutes les manières pour moi la littérature s’est arrêté au dix-neuvième siècle, après la génération 1870 - 1930 je ne suis que très rarement preneur, j’ai terminé mes ablutions matinales, mes doigts s’apprêtent à retirer le cordon de la prise lorsque surgit un mot incroyablement incongru, aurais-je mal compris, ne serait-ce pas mon cerveau compatissant qui voulant me préserver de la laideur actualitoire  m’aurait fait accroire qu’il aurait été prononcé par le journaliste, mais non, je ne suis pas fou, je ne suis pas en train de prendre mes désirs pour la réalité, pas du tout, le speaker le répète : Norfolk !

    Norfolk ! La ville de Gene Vincent !

    Bref, je me suis précipité chez ma libraire préférée et j’ai acheté le bouquin.

    NOUS LES MOCHES

    JEAN MICHELIN

    (Editions Héloïse Michelin / Août 2025)

             Evidemment je m’y attendais, pas la moindre trace de Gene Vincent in the book. Dommage d’ailleurs, car c’est un peu la même histoire, de grandes similarités si l’on se donne la peine de réfléchir. Donc un roman. La trame est simple. Quatre gamins américains qui rêvent de devenir des Rock’n’roll Stars. L’histoire est racontée du début à la fin. Ce qui ne veut pas dire chronologiquement. Narrativement c’est beaucoup plus complexe que ça n’en a l’air. Jean Michelin n’est pas retors. Ne fait pas ses coups en douce. Vous avertit en toutes lettres chaque fois que le récit est victime (consentante) de ce  que j’appellerais un désencadrement, imaginez un tableau qui vous montrerait un paysage différent de celui que vous êtes en train d’admirer ? Entre parenthèse du paysage vous allez en bouffer, de toutes sortes, nos quatre héros ne traversent-ils pas les Etats-Unis en voiture, paysages géographiques à gogo, paysages mentaux à vous rendre gaga.

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             Retournons à nos rockers. Utilisons un terme précis : des metalleux, z’étaient gamins quand ils ont été percutés par Metalicca, Iron Maiden, Megadeth, vous entrevoyez la tribu à laquelle ils appartiennent. Marx ne l’a pas dit ainsi : mais dans chaque tribu rock il y a une sacrée lutte de classe. Pas de chance ils ne font pas parti de l’upper class, ne sont pas tout-à-fait non plus des soutiers à fond de cale. En France on dirait des bénéficiaires des aides sociales, celles-ci n’existant pratiquement pas dans la Grande Amérique  ils seront obligés de se fader toute leur vie des petits boulots de merde, de durée volatile… Bref la colère vous habite. Une seule solution. Non ce n’est pas la révolution. C’est la formation. A l’école certes, mais aux USA faut avoir les moyens intellectuels (un peu) et financiers (beaucoup). Donc ils opteront pour la formation d’un groupe.

             Evidemment ils partent de rien. Logiquement ils arrivent à pas grand-chose. Ne voyons pas tout en noir, ils ont in niveau déplorable, ils bossent, ils s’améliorent. Ne sont plus des nuls. Ne leur manque qu’un peu de chance pour se faire remarquer. Elle se présente, ils n’oseront pas la prendre. Tant pis pour eux, bien fait pour leurs gueules ! C’est que voyez-vous quand le système pourrait vous accueillir, faut pas hésiter.

             Fatalité sociale ! Ils sont pauvres, ils sont  moches, l’argent, les filles, la gloire ce n’est pas pour eux. Broken dreams ! Les années passent… Et Doug le batteur les rappelle. Notons, c’est écrit sur la quatrième de couverture, l’auteur Jean Michelin est aussi un batteur.

             Doug a un plan. Foireux à l’évidence. Suffit de faire comme si l’on croyait qu’il était réalisable. Je vous rassure, il ne fonctionnera pas. Pourtant Jean Michelin fait tout pour les aider. Partent sur un coup de dés. Pipé à la base. Mais Michelin leur trouve une solution de substitution. Le lecteur n’y croit pas. Eux si. Enfin quand les dés sont lancés il faut les regarder rouler. Alors ils roulent au travers des Etats-Unis, d’est en Ouest, de Norfolk à la Californie.  (Tiens la même trajectoire que Gene Vincent).

             Pour les cartes postales vous irez sur le Net. Nos quatre pieds nickelés ne s’intéressent qu’aux gens. Ne profitent pas du voyage pour devenir des ethnologues. Partout où  ils passent, mégalopoles ou bourgs ruraux ils ne voient que la même chose. Une égalité démocratique parfaite : des jeunes cons et des vieux cons.  American Beauty is not American Reality dirons-nous pour parodier une couve du Grateful Dead. Des vaincus de la vie, le ventre bouffi d’alcool, le cerveau empli de bêtises hideuses. Misère partout : sociale et intellectuelle.

             Soyons justes : il n’y a pas que des pauvres. Il y a aussi des riches. Les vrais riches ils sont rares dans le bouquin. Les riches auxquels se heurtent nos héros, sont des gagne-petit, ne vous louent pas des chambres mais des espèces de galetas… La richesse n’existe pas, ce qui lui sert de substitut c’est le dollar. Alors dès que vous en avez en poche vous faites tout pour les garder… Avarice et égoïsme seraient-ils les deux mamelles de cette société inégalitaire…

             L’Amérique que nous présente Michelin n’est pas attirante. Mais tout cela ce n’est rien, presque un conte de fée, à côté de la face sombre de l’Amérique : la leçon est simple : même si vous êtes riche, vous n’êtes pas libre, vous êtes obligé de pactiser avec le système, de le faire fonctionner. Même si vous ne le voulez pas. Sans quoi il vous rejettera. Prenons un exemple : le rock’n’roll. Doug et ses camarades ont la rage. D’autres l’ont eu avant eux. Metalicca par exemple. Mais si vous percez, si vous émergez, pour rester tout en haut vous êtes obligé de mettre de l’eau tiède dans votre rock. Les idoles se décolorent vite… Metalicca par exemple.

             Nos héros ne sont pas dupes. Même le guitariste qui s’est joint à eux. Plus jeune et peut-être encore plus désespéré. Michelin est assez malin pour nous proposer une fin ‘’heureuse’’. Du moins qui le semble. Elle ne l’est pas du tout. Chacun des personnages retourne dans sa nuit et l’on pressent que la lumière ne sera pas au bout du tunnel.

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             Vous fermez le livre. Je n’aimerais pas vivre aux USA concluez-vous. Remarquez, par chez nous ça y ressemble de plus en plus… Le roman n’incite pas à l’optimisme… Jean Michelin né en 1981 n’est pas un militaire de salon, il a servi au  Kosovo, au Liban, en Afghanistan et bien d’autres… il a travaillé à Norfolk dans les services de l’Otan, un itinéraire de haute responsabilité, je ne m’attendais pas à un tel livre chez un homme officiant à de tels postes…

             En tout cas un roman qui analyse les USA à partir d’un lieu d’observation peu utilisé : le rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

     

    *

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    Le nom de Chas Hodges (1943 – 2018) n’est guère connu du grand public en France. Le seul titre de gloire que nous lui reconnaissons est d’avoir accompagné Gene Vincent  en tant que bassiste des Outlaws.  Sa carrière en Angleterre et aux Etats-Unis ne se limita pas à ce groupe… Pour la petite histoire rappelons que le célèbre John Peel – le rock anglais lui doit beaucoup - animateur et producteur sur Radio One (BBC) décréta que le titre Shake With Me enregistré en 1964 par les Outlaws fut le premier morceau d’heavy Metal apparu sur cett terre… Et les Outlaws et Chas Hodges furent des figures agissantes du rock anglais qui mériteraient davantage de renommée que la réputation de seconds couteaux du rock anglais qui leur est trop souvent attribuée. Ecoutons Chas, ses souvenirs sur Gene Vincent sont essentiels quant aux tribulations de Gene outre-Manche…

    The Gene Vincent Files #8: Chas Hodges reminiscing

     the times he toured with Gene and The Outlaws.

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    Les Outlaws se sont formés, à l’origine ils s’appelaient The Formers, Mike Barry voulait un groupe d’accompagnement, pour enregistrer au studio de Joe Meek en 1961, nous avons donc auditionné et Joe changea notre nom en Outlaws, je tenais la basse, Kenny Ludgren était à la guitare rythmique, Ritchie Blackmore était à la lead, et Mickey Underwood à la batterie, nous avons repéré une annonce sur le Melody Maker selon laquelle Gene Vincent était à la recherche d’un groupe de soutien, le guitariste Kenny Lundgren téléphona à Don Arden et Don Arden vint nous auditionner dans un studio de répétition, nous avons joué quelque chose comme cinq ou six morceaux et il a dit ‘’ Ok les gars vous avez le job’’ nous étions tous contents d’être de cette tournée mais nous sommes arrivés trop tard pour la  tournée, Don Arden a dit, oui il a dit j’ai déjà un groupe pour accompagner Gene Vincent, nous partions, lorsqu’ il a dit, oui  il a dit : Jerry Lee Lewis a besoin d’un groupe d’accompagnement, et c’était parfait parce que nous avons accompagné Jerry Lee sur cette tournée et quand Jerry est rentré chez lui, nous avons pris la route avec Gene Vincent, ainsi tout s’est parfaitement combiné, ainsi vous avez eu les deux bouts du monde ! bien sûr mais je veux dire que quand je regarde cette année 1963 c’est une de mes plus belles années, derrière Jerry Lee et ensuite sur la route avec Gene Vincent et de retour à la maison je me suis mis au piano, Jerry Lee oblige !, oui ce fut

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    une très belle année. Nous avons répété avant le Saturday Club, assez drôle, nous avons couru jusqu’au domicile de Gene, à Muse quelque part dans le West End. Je me souviens de Gene disant nous allons organiser  une cocktail party, j’avais seulement entendu dire cela dans les films, je n’avais aucune idée de quoi il s’agissait, Gene m’expliqua : on y boit, j’étais partant, j’ai bu quelques verres, ainsi nous avons organisé une cocktail party et avons répété en même temps. Il savait ce qu’il aimait. Gene était très bon pour organiser les choses que nous faisions. Nous jouions Baby Blue : I got her name, it’s Baby Blue, well, baby, baby, baby, et nous avons pris l’habitude, je pense que c’était sur sa suggestion, nous étions vraiment agiles en ce temps-là, sur le solo nous sautions sur nos  amplis, le guitariste s’allongeait sur le sol, imaginez des contorsions de tous genres, c’était super, Gene se jetait à terre, nous étions capables de reprendre nos places initiales, de la manière dont nous l’effectuons c’était presque une chorégraphie.  Est-ce que Joe Meek and Gene Vincent travaillaient ensemble ?, oui ils l’ont fait et je ne sais pas avec quel groupe d’accompagnement, j’ai découvert cela après, j’ai été un petit peu déçu que Joe ne m’ait pas embauché comme bassiste, c’est sorti dans un film, Live It Up, dans lequel les Outlaws sont crédités, qui était aussi bien foutu qu’une série A , ce n’était même pas une série B, c’était une C,  ou une D, je dirais même une E, avec Heinz comme star, mais Gene a chanté un morceau appelé Temptation Baby, plutôt bon, il l’a enregistré chez Joe je crois, mais je n’étais malheureusement pas présent lors de cette session.  je pense

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    hélas que Gene avait quelque chose de spécial, je l’ai compris pendant que j’étais en tournée avec lui, pas systématiquement,  il le faisait toutes les nuits, chaque fois qu’ il était de mauvaise humeur, c’était terrible, il  se laissait aller durant le show et je me souviens que je l’encourageais, allons Gene il faut y aller, je n’aimais pas cela, mais s’il y avait quelqu’un qui attendait, si quelqu’un dans le public était venu spécialement pour le voir, comme Johnny Kidd qui avait pris l’habitude de venir le voir ça et là, eh bien si Johnny Kidd était là Gene était capable de donner un show fantastique. Je pense qu’il avait une très grande voix. Il  était le rock’n’roller le plus pointu. Elvis était très bon. Gene était très bon et très pointu. Il était plus pointu qu’Elvis dans son style. Gene avait cette attitude de rock’n’roll agressif et il avait tout ce qui va avec, il avait la voix, et il avait les mouvements sur scène, je veux dire qu’il avait le rythme, la première fois que je l’ai vu sur scène, j’étais derrière lui, nous avions l’habitude de garder le micro en position basse et sa jambe passait par-dessus, c’était exécuté en une seconde, c’était comme un plan coupé dans un film, vous savez il esquissait à peine sa parade et à la seconde suivante ses jambes s’envolaient invisibles, et comme par magie vous les aperceviez à leur place  sur le plancher c’était fantastique, il faisait cela à la perfection, Gene avait l’habitude de dire des choses, je veux dire qu’il a dit alors que nous  rentrions en Angleterre depuis Hambourg, il disait que sa femme, il pensait que sa femme avait une liaison, je ne sais pas si c’était vrai ou pas vrai, il a dit ‘’je rentre à la maison et je  tue ma femme’’, je disais ‘’Ok, veux-tu prendre un verre !’’  ‘’Entends-tu ce que je suis en train de dire sur ma chaise, je rentre à la maison, et je vais descendre Margie ! »  ‘’D’accord Gene, tu veux un café ou quelque chose d’autre ?’’  ‘’ Les copains, vous n’écoutez rien !’’ … Nous sommes  enfin rentrés à la maison, deux jours plus tard j’avisai une grosse manchette sur un journal, il avait réellement pointé son arme sur Margie, mais apparemment, j’ai lu la chose, le pistolet n’était pas en état de fonctionner, ainsi il ne l’a pas réellement tuée, il a juste reçu, je crois, un avertissement. Nous avions une répétition cette après-midi-là à Londres et j’ai pensé qu’il était en train de filer un très mauvais coton, vous savez après ce truc dans le journal, c’était au Din Studio de répétition, in the West End fréquenté par de nombreux groupes et chanteurs, où nous avions l’habitude de répéter, nous sommes arrivés, Gene était dans une pièce, Gene nous a ouvert  la porte et nous regarda, il arborait un très grand sourire sur son visage, ‘’ Je t’ai dit que je jouais aux échecs n’est-ce pas !’’ et il était réellement en train d’y jouer tout seul. Sur ce, il me dit : ‘’

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    Demain, demain je pars à Gênes’’ et il ajouta ‘’ils veulent que je joue avec leur orchestre, je veux que tu viennes avec moi pour que tu leur montres ce qu’il faut faire’’. C’était super ! je me revois écrire un mot dans la maison de ma copine, qui est aujourd’hui ma femme, disant, ‘’S’il te plaît je suis obligé de rester avec Gene, je file chez lui à l’instant, dans le West End, parce que nous partons à cinq heures du matin à Sumit D’’.   Cette nuit-là nous sommes restés éveillés, il a sorti toutes ses armes , je faisais genre parce que je n’étais pas intéressé, ‘’Chas regarde cette arme’’, ‘’oui’’ il disait ‘’c’est un Smith & Wesson’’ ou quelque chose comme ça, et il possédait des brassards, des brassards Nazis, il collectionnait des trucs comme ça, mais je me suis rendu compte que je n’avais rien à craindre, j’ai juste dit d’accord, alors il m’a dit ‘’viens voir mon nouveau bébé’’, sa femme était au lit, il devait être deux heures du matin, ‘’c’est mon nouveau bébé’’, sa femme a dit ‘’Gene tiens-toi tranquille tu es en train de réveiller toute la maison’’, Gene et moi avons fini par nous mettre au lit à quatre heures du matin,  il me réveilla sur les cinq heures, je me souviendrai toujours de Gene sur sa chaise avec cette première cigarette et    cette première bière,  j’ai répondu, je préfèrerais plutôt une tasse de thé ou quelque chose comme ça, de toutes les manières Don Arden a hurlé à la porte sur les cinq heures du matin, je ne sais pas si vous connaissez la voix d’Arden, la plus grosse voix que vous n’ayez jamais entendue ‘’Gene, dépêche-toi, lève-toi’’, je suis debout ma valise à la main, ‘’ô Gene je n’ai pas de costume’’ et Gene Vincent, il était plus petit que moi, déclara ‘’j’ai un costume pour toi ‘’   il me passa un de ses costumes et un de ses pantalons qui m’arrivaient là, je me suis un peu contorsionné  pour me donner une contenance présentable, et je me tenais debout, et certainement Don Arden était déjà dans l’appartement et Don déclama : ‘’dépêche-toi Gene nous allons être en retard’’ et sans même me regarder ils sont passés devant moi : ‘’ Pour le premier groupe,  je pense que Chas pourrait venir !’’  ‘’Nous n’avons besoin de personne d’autre, nous n’avons pas de ticket pour quelqu’un d’autre, le  groupe connaît ton boulot, grouille, monte !’’ Il monta dans la bagnole et ils arrivèrent à l’aéroport et je suis resté là debout, dans cet état en plein milieu de Londres, et le costume de Gene Vincent dans la valise, et je n’avais pas réalisé, je ne sais pas comment je suis revenu chez moi, et je ne peux me souvenir si j’ai évoqué cela avec Gene ou pas, je ne sais pas si je n’ai pas encore probablement par là son costume quelque part. Don Arden était Don Arden, une grosse voix, il semblait totalement insensible, quelle que soit la situation il aboyait ses ordres et il ne savait rien faire d’autre qu’aboyer. Nous avons été payés. Nous avons l’habitude de ces histoires sur Don Arden, cela ne s’est jamais produit avec nous, nous avions une avance de  30 livres par weekend et nous étions payés au plus vite, c’était parfait pour nous. Toutefois  je pense que c’était une honte d’après ce que avons su  il a gagné beaucoup avec Gene qui sur l’alcool a été le meilleur de tous ceux que j’ai jamais connus, j’ai toujours connu dans ma famille de gros buveurs de bière, je peux les traiter de gros buveurs mais pas d’alcooliques, Gene a été au sens propre du mot le premier alcoolique dont je me souvienne, il se levait, il prenait une bouteille de whisky, s’il y avait aussi de la viande, je lui disais ‘’tu n’as rien mangé’’ je n’ai jamais vu quelque chose comme cela, je lui disais ‘’ Tiens, je te ramène un hamburger ou quelque chose qui lui ressemble, si tu veux autre chose, un bol de soupe offert par le voisin’’, ‘’non, non, c’est bon’’ et il a juste vécu seulement avec du whisky. La semaine suivante, je n’ai pas insisté, et il a fait ce qu’il voulait…

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    J’étais dans un groupe avec Albert Lee, les Heads Hands Feets, et Tony Colton avait écrit une chanson Warmin’up in the band ( Alerte rouge dans le groupe) et il a pompé une ligne à la fameuse chanson de Gene Be Bop A lula, Be Bop A Lula To night oh Mama you’re allright et il se produisit que nous étions juste en train de l’enregistrer, et Gene devait jouer au Marquee tout près, j’ai dit au producteur si je pouvais aller chercher Gene pour qu’il vienne chanter ce couplet, j’ai dit je sais que tu aimerais faire cela et ça ferait un petit coup de publicité pour Gene Vincent qu’il chante actuellement ce couplet, maintenant je sais que c’était une excellente idée, donc je suis parti le chercher et on me dit il y a une grosse affiche dehors : En raison de circonstances imprévues Gene Vincent est rentré aux USA pas de show ce soir bla-bla-bla et j’ai cherché pour savoir si c’était vrai ou non, j’ai découvert assez

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    facilement qu’il était en litige pour la pension alimentaire de sa femme, qu’ils sont venus le chercher et qu’il était retourné en Amérique, et je pense qu’il est mort environ un mois plus tard. J’ai lu qu’il est mort alors que j’allais  enregistrer. Jamais vous ne le verrez plus, et c’est une honte terrible que Gene ne soit pas avec nous aujourd’hui, car il serait encore en train de rocker et d’attirer les foules et même davantage, je pense qu’il était englué dans la crise du rock’n’roll  des mid-sixties, ce qui n’a pas été le cas pour moi, mais quand les Beatles éclatèrent et quand la Soul éclata, vous savez que j’aime bien la soul, mais un grand nombre de rock’n’rollers n’ont pas gagné beaucoup d’argent, ils se sont battus, et certains comme Jerry Lee Lewis aujourd’hui, ce n’est pas le Jerry Lee Lewis  des premiers temps  mais il attire les foules et Gene Vincent aurait pu le faire, mais il nous reste ses disques à écouter et Rock A long Time… là c’est moi qui chante avec Gene…

    Transcription Damie Chad.

    Notes :

    Don Arden (1926 - 2007), figure controversée et irremplaçable du rock anglais, il suffit de citer, parmi d’autres, les noms de Gene Vincent, Small Faces, Black Sabbath, pour comprendre que ses activités de ‘’manager’’ ne furent pas sans conséquence sur l’histoire de notre musique.

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    Johnny Kidd ( 1935 – 1966 ) : rocker anglais de la première génération qui ne fut pas submergé par l’arrivée des Beatles… Tony Marlow, grand admirateur de notre pirate a consacré deux albums à son œuvre.

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    Heinz Burt (1942 – 2000) : l’ami Alain Couraud, souvent ici nommé Mister B, qui n’écrivit jamais une ligne dans ce site, mais sans qui ce blog n’aurait jamais existé, tenait Heinz et Billy Fury pour les deux meilleurs rockers anglais de la première génération.

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    Albert Lee (né en Angleterre, en 1943) guitariste rock prodigieux qui participa aux London Sessions de Bo Diddley et Jerry Lee Lewis… Quelle autre caution rock’n’roll avez-vous à offrir… La seule lecture de sa discographie est un émerveillement…

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    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 702 : KR'TNT ! 702 : FIN DEL MUNDO / BEATLES / SHARP PINS / WILD BILLY CHILDISH / FEELIES / THRAEDS / DRONTE / BRONZE AGE VISIONS / GENE VINCENT+ JACK NEAL

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 702

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 09 / 2025

     

     

    FIN DEL MUNDO /  BEATLES

    SHARP PINS / WILD BILLY CHILDISH

    FEELIES  / THRAEDS

       DRONTE / BRONZE AGE VISIONS

        GENE VINCENT + JACK NEAL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 702

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Fin Del Mundo n’est pas la fin du monde

             À force d’errer dans le désert, l’avenir du rock a parfois l’impression d’être arrivé au bout du chemin. Et chaque fois que cette idée effleure sa pensée, il constate que le chemin continue. Soit il s’en agace, soit il s’en désole, ça dépend des jours. Alors il reprend son petit bonhomme de chemin, convaincu qu’un beau jour, il arrivera au bout du chemin. Car enfin, tout chemin a sa fin, se dit-il. Comme le jour ou comme la vie ! Il développe l’idée dans sa tête surchauffée et aboutit au concept de fin en soi. Ah ça lui plaît ! Ça le rassure. Ça lui met du baume au cœur. S’il ne trouve pas le bout du chemin, au moins il a ce beau concept en compensation : la fin en soi. Ça pourrait presque calmer sa soif d’aboutissement. Et donc, chaque fois qu’il croise un erreur, il se vante de chercher une fin en soi. Les autres erreurs ne comprennent pas forcément, mais sous ces latitudes, les finesses dialectiques perdent facilement leur importance. Les déserts ne sont pas des salons où l’on glose. On se contente généralement du strict minimum. Intrigué par cette idée de fin en soi, l’avenir du rock continue de réfléchir. Ça tombe bien, à part marcher, il n’a que ça à faire : réfléchir. Au moins, il ne perd pas son temps. Il se concentre sur les fins. Il décide de les collectionner. Chaque fois qu’il croise un erreur, il lui demande quelle est sa fin et lui propose de l’échanger contre l’une des siennes. Alors pour en avoir en double, il se met à fabriquer des tas de fins. Un jour, au pied d’une dune, il tombe sur un mourant et lui propose une fin qu’il a en double : «La fin justifie les moyens». Alors, dans un dernier râle, le mourant lui cède la sienne : «La fin des haricots». L’avenir du rock repart tout guilleret. Deux jours plus tard, il croise Lawrence d’Arabie. L’avenir du rock essaye de lui refourguer l’une de ses fins en soi, et du haut de son chameau, Lawrence éclate d’un gigantesque rire cristallin : «Le suicide n’est pas une fin en soi. C’est la fin de soi !» Vexé, l’avenir du rock rétorque d’un air mauvais : «Ah ! La fin Del Mundo n’est pas encore pour demain !» 

      

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             L’avenir du rock parle bien sûr de Fin Del Mundo. Elles arrivent d’Argentine. Elles sont quatre. Pas de mec sur scène, donc c’est le groupe parfait. Elles sont très jeunes. Sur les 4, 3 sont tatouées. Elles sortent à peine du collège. Vu les tatouages et des Doc Martens, tu t’attends à du punk latino. Le punk des labyrinthes de Jorge Luis Borges. Tu fantasmes un peu, c’est normal, on ne voit jamais d’Argentines

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    tatouées dans le coin. Formation classique : deux grattes, basse et beurre. Ça commence mal, la petite chanteuse n’a vraiment pas de voix et son cut sonne gnan-gnan. On se croirait à la MJC de Buenos Aires. En plus, elles n’ont pas de son. La petite chanteuse s’appelle Lucia. T’avales ta déconvenue et, philosophiquement, tu te dis que ça va forcément s’arranger. Dans ces cas-là, il faut toujours trouver un moyen de se remonter le moral, car avec l’âge, on s’aperçoit que le moral prend la vilaine habitude de descendre vite fait dans les godasses. Comme tu ne connais pas les cuts, tu fais confiance à tes oreilles. Et voilà que cut après cut, elles font honneur à

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    ta confiance, car elles se mettent à chauffer la cave qui est déjà surchauffée, et ça devient vite extraordinaire, d’autant que la petite vingtaine d’happy few exulte, et l’ambiance devient géniale, alors les Argentines montent d’un cran et on assiste à un phénomène assez rare qui est celui de l’élévation d’un groupe inconnu. Elles s’élèvent toutes les quatre du sol et claquent une pop excitante, révélatoire, même pas exotique, une pop fine et racée, bourrée d’énergie, éclatée par de trop rares harmonies vocales, celles qu’on entend dans Le Temps Des Gitans, les poux prennent du volume, t’en reviens pas de les voir régner sans partage sur cette cave qui en a déjà vu des vertes et des pas mures. La petite guitariste qui est devant toi s’appelle

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     Julieta. Elle porte des lunettes et mine de rien, elle ramène énormément de son. La bassiste Yanina est la plus tatouée des quatre. Et derrière ses fûts t’as une autre Julieta qui lance tous les cuts au tac tac tac. Elles sont tout simplement sidérantes de fraîcheur saumonique, t’as l’impression que cette pop s’adresse directement à toi, cette pop fait de toi le bec fin de service, t’en goûtes chaque seconde avec une délectation dégoulinante de sueur, et si le dieu de l’underground existait, t’irais lui serrer la pince pour le remercier d’avoir mis ensemble dans la cave ces deux groupes géniaux que sont Zement et Fin Del Mundo.   

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             Comme elles n’ont pas de merch, tu réunis le soir même un conseil restreint pour voter les crédits de rapatriement superfétatoire, car cette pop t’intrigue et quand une pop t’intrigue, il faut la tirer au clair. Elles ont deux albums à leur petit

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    palmarès argentin, Hicimos Crecer Un Bosque (qui veut dire en français ‘Nous Avons Fait Pousser Une Forêt’) et une compile, Todo Va Hacia El Mar (qui veut dire ‘Tout Va À La Mer’). Et au vu de la setlist, on constate que ces petites coquines jouent sur scène un mix des deux albums. Le conseil restreint chougne un peu mais finit par voter le budget. 

             Alors attention : avec Hicimos Crecer Un Bosque, t’as un pot-aux-roses. Ces petites coquines d’Argentine ont du son, rien à voir avec celui de la cave. Sur l’album, elles sonnent comme les Pixies, aussitôt «Una Temporada En El Invierno». C’est plein d’élan et plein de vie. Te voilà transfixé. S’ensuit une autre fontaine de jouvence, «Vivimos Lejos». Non seulement les poux sont précis mais voilà qu’elles font les chœurs magiques du Temps Des Gitans, ceux qu’on entend dans la scène des funérailles sur le fleuve. Et ça plonge dans l’inferno du vivid, c’est hot as elles, la plongée est en fait une montée au firmament, elles cultivent leurs harmonies vocales juvéniles et c’est une aubaine pour tes vieilles oreilles, une aubaine fouettée par des vents de poux, t’en reviens pas de tant de maîtrise. Elles grattent des petits poux lumineux, chaque cut est exaltant. T’as un joli Wall of Sound dans ce «Refugio» puissant et comme illuminé de l’intérieur. Elles créent bien leur monde et savent mettre le paquet quand il faut. T’es frappé par la grosse attaque de «Devenir Paisaje». Elles développent des chevaux vapeur, elles déroulent du continuum, elles sabrent les goulots de leurs cuts avec des accords inconnus, elles fourbissent des résonances mystérieuses, tu crois entendre un instro, mais elles arrivent au chant quand tu ne t’y attends plus et ça devient génial. Cut après cut, t’as l’impression de monter dans les échelons, elles se fondent dans «El Dia De Las Flores», elles sonnent quasiment comme les Breeders, tant de power t’éberlue, elles se montrent vertigineuses d’ambition sonique, leurs abysses ressemblent à s’y méprendre à celles des Pixies. Elles regagnent la sortie avec «Vendra La Calma» et se barrent en mode heavy pop. Elles te drivent ça sec, avec des coups d’acou, c’est puissant, et même sur-puissant, saturé de power féminin et de clameurs argentines. Tu les adores.

             Une seule déconvenue : le Todo Va Hacia El Mar commandé en Espagne n’est jamais arrivé. Ainsi va la vie.

    Signé : Cazengler, fan del Mundo

    Fin Del Mundo. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 août 2025

    Fin Del Mundo. Hicimos Crecer Un Bosque. Spinda Records 2024

    Concert Braincrushing

     

     

    Wizards & True Stars

     - Sale petite Beatlemanie (Part One)

     

             — Tu traînes cette sale petite Beatlemanie depuis combien de temps ?

             — Soixante ans...

             — Pourquoi ne tu vas-tu pas te faire soigner ?

             — Certainement pas.

             Les Beatles, c’est comme Elvis : ils sont le tenant de l’aboutissant. Ce sont eux qui ont inventé les hits, qui ont enchanté les radios et par conséquent nos vies de jeunes coqs. On a tous aimé à la folie Lady Madonna et pris la main que John nous tendait pour aller faire un tour dans Strawberry Fields, c’est lui qui t’a expliqué que rien n’était réel - nothing’s real - et que la vie est easy quand tu fermes les yeux. On a vérifié : c’est vrai.

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             Les Beatles ? Zéro défaut et toutes les qualités. Lorsque tu entends des gens cracher sur les Beatles, tu les plains secrètement, non pas pour leur manque de curiosité, mais pour ce sectarisme qui est hélas l’une des formes «culturelles» de l’extrême vulgarité. Et souvent, les qualificatifs sont à l’avenant. Un jour, dans la voiture, alors qu’on roulait avec Janvuc vers un patelin normand, nous échangions nos points de vue sur nos vieux coups de foudre. Après les Zombies, les Small Faces et Syd Barrett, vint le tour des Beatles :

             — Que penses-tu de l’Album Blanc ?

             Avant de répondre, Janvuc prit une profonde inspiration, puis il lâcha avec tout le dégoût dont il était capable :

             — C’est de la merde !

             Au moins les choses étaient claires. Et ce fut la fin de nos échanges «culturels». Nous parlâmes ensuite de la pluie et du beau temps. Puis, tout naturellement, nous nous perdîmes de vue.

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             Ce que cet abruti de Janvuc n’avait pas compris, c’est que le White Album est l’un des albums parfaits de l’histoire du rock. C’est en tous les cas ce que nous ré-explique Opher Goodwin dans son minuscule mini-book : Rock Classics: The Beatles White Album. Il plafonne à 80 pages dans le format qui rentre dans toutes les poches, et t’es bien content de lire sa prose, car il te redit tout ce que tu sais déjà, mais avec la passion dévorante d’un fan resté en phase.

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             L’idéal est de coupler cette lecture avec l’écoute de la box White Album - 50th Anniversary, qui propose les fameuses ‘Esher Demos’. T’es pas surpris de constater que le White Album n’a pas pris une seule ride, que toute sa diversité a gardé sa fraîcheur et que John, aussi bien que Paul, restent des interprètes exceptionnels. La Beatlemanie n’a jamais été une vue de l’esprit.

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             Goodwin commence bien sûr par rappeler le contexte révolutionnaire de 1967 : l’émergence de la psychedelia (The Piper At The Gates of Town, Are You Experienced, Mr. Fantasy et Disraeli Gears), puis l’arrivée de l’acid rock de la West Coast («the strange days of the Doors, Captain Beefheart dropping pout, Frank Zappa freaking out, The Byrds being notorious, Love forever changing, Country Joe & The Fish applying electric music for the mind, and Jefferson Airplane taking off.»). Il rappelle aussi l’évolution spectaculaire des Beatles, à partir de «the folkie essence of Beatles For Sale», suivi du harder pop-rock de la B.O. d’Help, puis Rubber Soul «qui vit the beginning of a new type of songwriting ultimately exploding into full ferocity on Revolver.» Et comme Syd Barrett, Jimi Hendrix et le West Coast acid rock avaient ouvert les portes en grand, la counterculure «was in full swing» et quelques-uns des «vieux groupes», nous dit Goodwin, s’étaient eux aussi engouffrés dans ce full swing : les Rolling Stones, les Who, les Yardbirds et les Pretties. Et bien sûr, les Beatles naviguaient au sommet du full swing avec Sgt. Pepper - They never disappointed lyrically, poetically, thematically, and musically. The Beatles remained right at the forefront of wathever was happening - Sgt Pepper étant alors considéré comme le sommet de 1967, le problème des Beatles était alors d’enregistrer le sommet suivant, celui de 1968. Entre les deux sommets, et contraints par leur contrat, ils allaient enregistrer cinq singles qu’il faut bien qualifier de magiques : «Strawberry Fields Forever»/«Penny Lane», «All You Need Is Love»/«Baby You’re A Rich Man», «Hello Goodbye»/«I’m The Walrus», «Lady Madonna»/«The Inner Light», «Hey Jude»/«Revolution». Pardonnez du peu. 

             C’est aussi à ce moment qu’ils montent Apple Records et qu’ils signent une palanquée de cracks, James Taylor, Jackie Lomax, Mary Hopkins, Doris Troy, Badfinger et Billy Preston. C’est leur vision de full swing. Le full swing bat son plein.

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             Si on a eu la chance de vivre le full swing des sixties en direct, on a le souvenir d’un vertige. La radio déversait son lot quotidien d’hits tous plus magiques les uns que les autres. Et par la force des choses, tu devenais une sorte de pirate en herbe, puisque tu jetais ton grappin sur tous les bateaux, tous les oiseaux, tous les singles, tous les EPs et tous les LPs qui traînaient dans les parages.

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             Pendant ce temps, les Beatles étaient aux Indes, chez le Maharishi. Ils ont profité de ce séjour pour composer une quarantaine de chansons, dont le fameux «Sexie Sadie» qui concerne la libido galopante du Maharishi. Ils bidouillaient des chansons avec leurs copains Donovan et Mike Love qui étaient aussi du voyage. Rentrés en Angleterre, ils sont allés chez le roi George enregistrer 28 demos. Ce sont les fameuses Esher Demos.

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             C’est le CD3 de la box. Et l’un des plus beaux jours de ta vie, quand tu l’écoutes. Ça démarre sur une version grattée à coups d’acou de «Back In The USSR». T’entends un truc unique au monde. Ils formatent ton esprit, ils chantent cette merveille à deux voix et font les cons à la fin. Ils vont pondre leurs démos une à une, comme des œufs d’or. Cot cot ! Les Beatles, amigo. T’as la version démo de «While My Guitar Gently Weeps», sans Clapton (le ton c’est bon). Tout repose sur la qualité des harmonies vocales. Heavy druggy John tape l’«Happiness Is A Warm Gun» au Mother Superior/ Jump the gun et il part en délire de Yoko Ono/ Yoko Oh yes. C’est un peu comme les démos du Parachute des Pretties : tout est déjà là. Encore une belle démo de wanna die avec «Yer Blues» - If I’m dead already/ Girl you know the reason why - Et tu retrouves l’early frénésie d’«Everybody’s Got Something To Hide Except Me And My Monkey», c’mon c’mon such a joy ! T’as aussi le «Revolution» gratté à coups d’acou. Très haut niveau, ils font les chœurs d’you know it’s gonna be, et Lennon ajoute «alrite !». Puis on attaque les inédits avec le «Sour Milk Sea» du roi George, qu’a enregistré par la suite Jackie Lomax. Pure magie vocale, c’est chanté à la petite arrache congénitale, le roi George fait sortir sa voix du virage. Encore une fantastique dérive Beatlemaniaque avec «Child Of Nature». Retour en force du roi George avec «Not Guilty». Ces finesses mélodiques et harmoniques n’existent pas ailleurs. Ils te swinguent ça à coups d’acou et au chant. La cerise sur le gâtö Esher s’appelle «What’s The New Mary Jane». Toute la magie des Beatles tombe du ciel. T’as le fondu des voix d’espolette, une qualité d’osmose de big time de what a shame ! C’est chanté dans l’or de l’âge d’or, dans l’immense torpeur du génie Beatlemaniaque - What a shame Mary Jane/ Had a pain at the party.

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             Nouveau rebondissement dans la vie des Beatles : leur père adoptif Brian Epstein casse sa pipe en bois en août 1967. À partir de là, les Beatles vont dysfonctionner et le White Album  sera l’une des conséquences de ce dysfonctionnement. Le groupe se casse littéralement en deux : d’un côté John et George, de l’autre Paul et Ringo. Et puis t’as Yoko qui entre dans la danse. Impossible pour John et Yoko de rester séparés plus d’une minute. La voilà donc dans les pattes  du White Album. Comme le dit si diplomatiquement Goodwin, Yoko allait amener une nouvelle dynamique et abîmer les relations qui n’étaient pas en très bon état. 

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             Fin mai 1968, ils attaquent l’enregistrement du White Album. Il devait s’appeler A Doll’s House mais le titre fut abandonné car Family venait de sortir Music In A Doll’s House. Pour les Beatles, Richard Hamilton pond le concept d’anti-pochette. Il ne voulait rien sur la pochette, histoire de créer un contraste avec celle de Sgt. Pepper. 

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    au centre : George Emerick

             Pendant les sessions, la tension est palpable. Il y a des engueulades et des portes claquées. L’atmosphère est tellement lourde que George Martin part en vacances et confie les Beatles aux bons soins de l’ingé-son Geoff Emerick. Une chanson du roi George disparaît du track-listing : «Not Guilty». Cut compliqué. 101 takes, nous dit ce brave Goodwin. Les Beatles décident de virer «Not Guilty» du track-listing pendant que le roi George est à New York. Lennon dit aussi que les sessions furent bizarres : «It’s like me and a backing group and Paul and a backing group. I enjoyed it, but we broke up there.» Quand on écoutait le White Album à l’époque on avait le sentiment d’un accomplissement, alors qu’en fait l’album scellait le destin du groupe. Qui l’eût cru ?

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             Puis Goodwin va décortiquer les cuts un par un et nous apprendre une foule de petits détails intéressants. L’influence de Mike Love sur «Back In The USSR» est flagrante. On y retrouve en effet des échos de «California Girls». C’est le cut d’ouverture de balda. T’as là toute la magie plastique des Beatles. Tout swingue, même l’honey disconnect the phone ! C’est l’hymne intemporel que tu vas chanter toute ta vie, You don’t kow how lucky you are boy ! S’ensuit «Dear Prudence» : John Lennon at his melodic best. La Prudence en question est Prudence Farrow, la sœur de Mia - The sun is up/ The sky is blue - Cette magie est effarante de clarté. Tu te re-repais de «Glass Onion», tout y passe : la fabuleuse attaque, le big beat, Strawberry Fields et The Walrus. «Wild Honey Pie» est un cut solo de Paul. Il joue tous les instruments. C’est ce qui se passait lorsqu’on laissait Paul tout seul une heure ou deux dans un studio : il bricolait un hit. Dans «While My Guitar Gently Weeps», la voix du roi George est saturée de chagrin. Il fait pleurer l’I look at you all/ See the love that’s sleepy et l’I don’t know why nobody told you.  

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             «Happiness Is A Warm Gun» est une chanson sexuelle - My finger on your trigger - John surnomme Yoko ‘Mother Superior’. Il rappelle qu’au début, leur relation était extrêmement sexuelle - When we weren’t in the studio, we were in bed - La fuzz qu’on entend est celle du roi George sur sa Bartell fretless. John répète qu’il need a fix because I’m going down, singing in a mournful, desperate voice spanning two octaves. «Piggies» s’inspire de l’Animal Farm de George Orwell. Le roi George ne cachait pas son dégoût de la cupidité des décideurs et du business side du showbiz : il les voit comme «des greedy pigs dressed in their immaculate white shirts», se roulant dans la boue «while stabbing each other in the back.» Paul et Ringo enregistrent «Why Don’t We Do It In The Road». John aurait bien aimé participer à ce festin. Paul voyait que John et George étaient occupés dans leur coin, alors il dit à Ringo «Let’s go and do this». Même chose avec «Revolution 9».

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    Chris Thomas

             C’est «Birthday» qui ouvre la bal de la C. Chris Thomas produit en l’absence de George Martin. Le groupe déboule un soir après avoir vu Little Richard dans The Girl Can’t Help It - Paul was the first in and began thumping out a riff. He was joined by the rest and they improvised the song, delivering it as a wild rocker in the Little Richard style. T’entend bien l’heavy bassmatic de Paul. Il n’existe rien de plus rock‘n’roll que les Beatles dans «Birthday». S’ensuit «Yer Blues». John aimait tellement son «Yer Blues» qu’il a choisi de le jouer dans le Rolling Stones Rock And Roll Circus, accompagné par le Dirty Mac Band (Mitch Mitchell, Keith Richards et Clapton - le ton c’est bon). Nouveau shoot de big rock out avec «Everybody’s Got Something To Hide Except Me And My Monkey» : référence évidente à l’hero, dont John décrochera, comme il en témoigne dans «Cold Turkey». Les Beatles rockent le boat comme nul autre groupe. Tu tombes ensuite sur l’inégalable beauté purpurine de «Sexy Sadie». Ton sens de la beauté vient peut-être de là, ou alors d’un poème d’Apollinaire, tu ne sais plus. En tous les cas, ces vers te hantent encore - Sexy Sadie, you broke the rules/ You laid it down for all to see - Et aussitôt après, t’as le plus gros smash de l’histoire du rock (avec «Sister Ray») : «Helter Skelter». Quand Paul voit que Pete Townshend se vante d’avoir écrit «the raunchiest, loudest, most ridiculous rock’n’roll record you’ve ever heard», il dit aux autres Beatles : «We should do a song like that, something really wild. And I wrote ‘Helter Skelter’.» Goodwin ajoute que de soir-là les Beatles étaient out of their minds. Goodwin dit encore que Paul sonne comme un Little Richard on amphetamines - It’s relentless, crazy, fast and dangerous. Saturé de violence définitive. Macca y va au yeah yeah yeah. Helter Skelter résonne encore dans tes os.

             Puisqu’on est en pleine crise, continuons.

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             Qu’est-ce qu’une compile idéale ? C’est une compile qui propose des chansons parfaites.  Et juste au-dessus, t’as la compile supra-idéale : celle qui propose des chansons parfaites interprétées par des artistes bénis des dieux. Ace en propose trois : Come Together - Black America Sings Lennon & McCartney, Let It Be - Black America Sings Lennon McCartney & Harrison et Here And There And Everywhere - Black America Sings Lennon McCartney & Harrison.

             Des chansons parfaites, ça veut dire quoi ? Les Beatles, bien sûr. Les interprètes bénis des dieux, ça veut dire quoi ? Les blackos, évidemment. Ace ne s’est donc pas trop cassé la nénette. Te voilà avec trois CDs magiques dans les pattes. Ma-gi-ques ! Non seulement tu voyages dans le temps, c’est-à-dire que tu remontes aux sources, mais en plus t’entends tous ces Soul Brothers et toutes ces Soul Sisters sublimer la magie des Beatles. T’es bien obligé de parler de magie. Tu ne peux pas faire autrement.

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             Quand en 2011 est paru Come Together - Black America Sings Lennon & McCartney, on criait déjà au loup. Eh oui, comment peux-tu résister à la cover que fait le grand Chubby Checker  de «Back In The USSR» ? Toute la niaque des Kremlin girls est là, ça te replonge aussi sec dans la grandeur fiévreuse du White Album, t’en revenais déjà pas à l’époque de toute cette classe Beatlemaniaque, mais là c’est encore pire. Plus loin, t’as Fatsy qui tape l’excellent «Everybody’s Got Something To Hide Except Me & My Monkey» et il te rocke bien le boat du Monkey, comme le fait aussi Jim Jones sur scène - Your outside is in & your inside is out/ Make it easy ! - T’es effaré par la classe invraisemblable du cut, mais tu l’es encore plus par ce qu’en fait ce démon de Fatsy. Et puis voilà Wee Willie Walker avec une version à la dynamite de «Ticket To Ride». Il t’explose ça vite fait et te laisse comme deux ronds de flan. Roy Redmond tape une version heavy de «Good Day Sunshine» et tiens-toi bien, le bassmatic vibre entre tes reins. Plus loin, les anges du paradis arrivent avec «And I Love Her» : ce sont les Vibrations, bien sûr, ils hissent la Beatlemania au sommet de la grâce et ça chante à la glotte de lumière. T’es au sommet d’un art qui s’appelle le rock, amigo. Ace t’emmène ensuite à Chicago retrouver les mighty Chairmen Of The Board et leur cover de «Come Together» qu’ils bouffent toute crue. General Johnson et ses Chairmen tapent ça au chant d’esclaves africains, ils groovent dans le dur de la condition. Avec «Drive My Car», les Black Heat ramènent tout le swagger black, il faut les voir groover leur c’mon baby you can drive my car. t’as le groove des black dudes et des chœurs de blackettes. Tu ne peux décemment pas espérer mieux. Dans la foulée arrive un autre magicien, Junior Parker avec «Lady Madonna» et Linda Jones tartine «Yesterday», elle s’en va groover ça là-haut sur la montagne. Il n’existe rien de plus raw qu’Otis et sa cover de «Day Tripper». Il sonne comme un coup fatal d’I found out, personne n’enfonce un clou dans la paume du beat comme Otis. Et lui, là, le Lowell Fulsom, il amène sa cover de «Why Don’t We Do It In The Road» au proto-black de do it in the road. Tu retrouves l’extraordinaire poids de la Soul dans la cover de «The Long & Winding Road» des New Birth. Le blackos chante à la voix extrêmement fêlée. Et ça se termine en apothéose avec Al Green («I Want To Hold Your Hand», il sonne comme le génie suprême, il fait danser les Beatles sur ses genoux) et pour finir Aretha («Let It Be»). T’as plus rien au-dessus d’elle. C’est l’universalisme des Beatles magnifié par la plus grande chanteuse de tous les temps.   

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             Une fois que t’as retrouvé ton souffle, tu peux attaquer Let It Be - Black America Sings Lennon McCartney & Harrison. Cette fois, Aretha ouvre le bal avec «Eleanor Rigby». Elle tape ça à l’attaque directe de where do you come from, elle a des petits chœurs de Soul Sisters et ça swingue. Elle reste the Queen of Soul. Tu restes au sommet du genre avec Earth Wind & Fire et leur cover de «Got To Get You Into My Life». C’est imbattable. Mary Wells est incroyablement sensuelle avec «Do You Want To Know A Secret». Elle se frotte contre la braguette de John Lennon. Fatsy cloue les Beatles à la porte de l’église avec «Lovely Rita» et Nina Simone bascule dans le surnaturel avec «Here Comes The Sun», elle t’emmène au little darling. Retour de cet effarant groover qu’est Junior Parker avec un «Tomorrow Never Knows» qui préfigure le Prophète Isaac. Il plombe le beat. Pur genius. La fascinante Randy Crawford tape «Don’t Let Me Down» au beat élastique primitif, et The Undisputed Truth rivalisent de grandeur marmoréenne avec Joe Cocker sur «With A Little Help From My friends». Le mec fait de son mieux pour le scream. Gary Us Bonds explose «It’s Only Love», il va le chercher à la force du poignet. Et puis t’as bien d’autres choses : Dionne la lionne, Screamin’ Jay Hawkins, Ella Fitzgerald, et pour finir l’excellent Bill Withers avec un «Let It Be» groové à l’orgue. 

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             La troisième compile Ace vient de sortir : Here And There And Everywhere - Black America Sings Lennon McCartney & Harrison. Fais gaffe à l’overdose. Natalie Cole tape un fantastique «Lucy In The Sky With Diamonds» et le prend très perché. Tu retrouves bien sûr ce démon de Junior Parker avec «Taxman». Il te groove ça dans la couenne du lard et fait de la Soul psychédélique. On passe au petit sucre de Motown avec les Supremes et «You Can’t Do That». Quel punch ! Ça joue derrière la Ross. Le bassmatic du paradis ! T’as tout le son du monde. Carmen McRae te jazze la Beatlemania («Here & There & Everywhere») et Randy Crawford donne une chance au «Give Peace A Chance». Nouveau coup de Jarnac sensuel avec Mary Wells et «He Loves You», elle te feule ça vite fait et te jazze le beat. Les Drifters chantent «Everynight» à la pointe du génie et Margie Joseph nous fait son tour de magie avec «My Love». Elle te le tortille et tu fonds dans sa main. On remonte plus loin au sommet avec les Chiffons et «My Sweet Lord», elles te plongent en plein rêve. Hallelujah ! Elles t’explosent tout au really want to see you Lawd. Pur black power ! Marvin Gaye monte là-haut sur la montagne pour rajouter du doux au doux de «Yesterday». Et cette compile invraisemblable de qualité se termine avec sans doute l’une des covers les plus mytiques de l’histoire du rock, pesons bien les mots : Esther Phillips et «And I Love Her». Elle te fend le cœur à coups d’I gave him/ All my love, fabuleuse Esther Phillips, elle presse le jus des syllabes et elle t’abreuve de magie.  

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             Tant qu’on y est, on peut aussi sauter sur une belle petite box qui date de 2020 :  Looking Through A Glass Onion - The Beatles Psychedelic Songbook 1966-1972. Pareil : trois CDs bourrés de chansons parfaites, mais cette fois, les interprètes sont des petits culs blancs. On n’est pas tout à fait au même niveau. Il n’empêche que ça se laisse écouter. Et qu’on se régale car les chansons sont là. T’as des groupes qui font leur petite sauce (Deep Purple avec «Help» et Yes avec «Every Little Thing»). Bon t’as la chanson et ce que les gens en font. Ils font comme ils peuvent, won’t you pleeeease. Souvent, il vaut mieux écouter les Beatles. On le sait, les Hollies sont presque plus balèzes que les Beatles, et la compile commence à prendre de la hauteur avec The Mirage et un joli «Tomorrow Never Knows». Ça se confirme à la hausse avec Kippington Lodge et «In My Life», c’est à la fois overdosé et intéressant, avec une prod tenace, c’est poignant et bardé de barda à outrance. Nouvelle révélation avec Episode Six et «Here & There & Everywhere». C’est la cover d’une Beautiful Song de rêve. Il n’existe rien de plus parfait sur cette terre. Et ça continue d’atteindre des sommets avec Cliff Bennett & The Rebel Rousers et «Got To Get You Into My Life». En plein dans l’œil du cyclope, wild as Cliff ! Le «Fixing A Hole» de Duffy Power ne passe pas, car trop écorché vif, mais par contre, les Tremoloes passent comme une lettre à la poste avec «Good Day Sunshine», les Trem savent mettre le paquet. C’est la plus belle cover du disk 1. Puis t’as Infinity qui tape un «Taxman» de rêve. Ils taillent un beau costard au Taxman !

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             Le disk 2 est nettement plus dense. Spooky Tooth donne le La avec «I’m The Walrus». Version d’apothéose comme on sait avec un Luther qui vrille sa chique et un Mike de choc au mic. Énorme cover d’«Hey Bulldog» des Gods, le groupe pré-Uriah Heep de l’excellent Ken Hensley. Don Fardon fait son white nigger sur «Day Tripper» et Andy Ellison tape «You Can’t Do That» à l’insidieuse cacochyme. Il dispose des gros moyens du cabaret. On retrouve bien sûr l’excellent Cliff Bennett avec un smash, «Back In The USSR», il a tout le power des réacteurs. Franchement, là t’as tout : le raw, le killer solo et le souffle de l’aéroport. Encore un flash avec The Majority et «Hard Day’s Night», car ils te tapent ça aux harmonies vocales. Magique, car chanté à la traînasse de la rascasse. Retour en fanfare du wild as fuck avec Bo-Street Runners et «Drive My Car», and baby I love you/ Beep Beep/ Aw Beep Beep yeah ! Maggie Bell (et Stone The Crows) fait de la charpie avec «The Fool On The Hill». Elle chante ça à la glotte ensanglantée. En fait, Maggie Bell chante exactement comme Rod The Mod. Et cette belle aventure se termine avec Lol Coxhill et sa version Dada d’«I’m The Walrus». Lol fait chanter des gosses et essaye de détruire le groove en pianotant à l’envers et en pétant.

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             Le disk 3 est nettement moins dense. On ne sauve que trois covers : le «Strawberry Fields Forever» de Tomorrow, le «Taxman» de Loose Ends et l’«I Will» de Real McCoy. La cover de Tomorrow est forcément psyché, Steve Howe y fait des miracles. Loose Ends tape son Taxman en mode fat r’n’b, avec des percus. Et Real McCoy restitue bien la magie des Beatles. Bon t’as d’autres choses, comme par exemple le «Good Day Sunshine» des Eyes et l’«Ob-la-di Ob-la-da» de The Spectrum. Même ça c’est beau. C’est Vera Lynn qui referme la marche avec le «Good Night» qui refermait jadis la marche du White Album.  

    Signé : Cazengler, Beatlemaniaque

    Beatles. White Album. 50th Anniversary. Apple Corps 2018

    Opher Goodwin. Rock Classics: The Beatles White Album. Sonicbond Publishing 2024

    Come Together. Black America Sings Lennon & McCartney. Ace Records 2011

    Let It Be. Black America Sings Lennon McCartney & Harrison. Ace Records 2016

    Here And There And Everywhere. Black America Sings Lennon McCartney & Harrison. Ace Records 2024

    Looking Through A Glass Onion. The Beatles Psychedelic Songbook 1966-1972. Grapefruit Records 2020

     

     

    L’avenir du rock

     - (Sharp) Pins up

             — Bon les gars, je vais vous parler de Sharp Pins !

             Boule et Bill s’interloquent. Leurs quatre sourcils s’arquent de concert.

             — De charp qui ?

             — Sharp Pins !

             Boule et Bill éclatent de rire. Bon, ce n’est pas un rire très fin, c’est le rire gras des rades de banlieue.

             — Wouaf wouaf wouaf !

             — Pourquoi vous rigolez comme des bossus ?

             — Wouaf wouaf wouaf !

             Ils sont pris d’un fou rire. À travers leurs larmes, ils aperçoivent l’air ahuri de l’avenir du rock. Alors ça repart de plus belle !

             — Wouaf wouaf wouaf ! Wouaf wouaf wouaf !

             Boule lance d’une voix hystérique :

             — Arrêtez vos conneriiiiies, les gars, j’vais piiiisser dans mon froc ! Wouaf wouaf wouaf !

             Ils en hurlent de rire. Et plus ils hurlent de rire, plus l’avenir du rock s’ahurit, et plus la crise de fou rire s’aggrave. C’est automatique. Rien de tel qu’une tête de merlan frit pour aggraver les choses. Boule réussit à reprendre le contrôle de ses zygomatiques :

             — Comment qu’y s’appelle déjà ton groupe ?

             Avant que l’avenir du rock n’ait eu le temps de répondre, Bill lance d’une voix stridente :

             — Sharp Piiiiiiiiiiiiiiiiiiine d’alouette ! Wouaf wouaf wouaf !

             — Sharp Piiiiiiiiiiiiiiiiiiine de s’rein ! Wouaf wouaf wouaf !

     

             Chaque fois que la situation dégénère, l’avenir du rock préfère se barrer. De toute façon, il n’y a rien a faire, avec des cons pareils.

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             Sharp Pins, c’est pas de la tarte. L’avenir du rock en sait quelque chose. Eh oui, rien de plus vitalement futuristic que Sharp Pins, c’est-à-dire Kai Slater, un petit mec de Chicago qui reprend tout à zéro, fermement ancré dans un passé trié sur le volet. Dans Shindig!, Tess Carge le coince pour lui faire avouer des noms. Alors il

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    parle : «I tried to do The Ronettes drum sound on it («You Don’t Live Here Anymore»), so I flipped the snare drum upside down and hit it like that.» Oui car c’est lui qui joue tous les instrus sur son Radio DDR qui vient de paraître. Voilà donc le nouveau Todd Rundgren.

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             Côté références, Carge cite aussi Guided By Voices, le Paisley Underground, les Soft Boys et les Mods. Mais ça va beaucoup plus loin. «You Don’t Live Here Anymore» sonne comme du Lennon intimiste. Sur Radio DDR, le Kai fait de la big British pop. Il se lance sur les traces de Syd Barrett avec «Lorelei». T’as tout l’éclat du Swinging London et le jingle jangle des Byrds. «If I Was Ever Lonely» sent bon la Ricken. D’ailleurs, t’en vois une au dos de la pochette. Quel brillant coco ! Il n’en finit plus de prendre de la hauteur avec «Circle All The Dots», il fait une early pop anglaise avec un jingle jangle à la Television Personalities. Nouvel élan pop avec «You Have A way», surgi de nulle part et soudain énorme. Ça sonne comme un hit, pas la peine de tourner autour du pot. En B, impérieux comme pas deux, «Is It Better» est tendu à se rompre, et c’est bardé de tortillettes vénéneuses. Puis ça atteint encore des sommets avec ce «Race For The Audience» allumé par un fantastique battage d’accords et des harmonies vocales qui feraient pâlir les Who d’envie. «I Can’t Stop» sonne comme une pop incroyablement carrée et inspirée. La pop du Kai a le même éclat que celle de Big Star, une pop stupéfiante de clarté harmonique et allumée par des guitares scintillantes.

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             Dans un autre numéro de Shindig!, Jon Mojo Mills a la chance de le voir sur scène à Londres. Le Kai est accompagné par Joe Bass (bass) et Peter Cimbalo (beurre). Mills est flabbergasted - And bam, they’re straight into the buzzsaw pop - Il les décrit sur scène avec leurs pantalons à rayures et leurs casquettes de marins grecs, et il redit sa fascination, lui qui a pourtant du métier, pour ces newcomers : «The audience is transfixed. He (Kai) processes the kind of rock’n’roll frontman star quality that you rarely witness outside of a Lemon Twigs or Daniel Romano gig.» Voilà donc les vraies références. Mills affirme au passage que Radio DDR est un brillant album. Il compare encore Peter Cimbalo à Jody Stephens et à Keith Moon, c’est dire s’il en bave d’admiration - These kids have it - Il dit encore que les harmonies vocales à trois voix captent «an early Beatles-meet-Rubinoos sensibility». Il les a dans le baba. Il parle de «collision of early Fabs, The Who and Television personalities». C’est une évidence qui crève les yeux.

    Signé : Cazengler, Sharp pain rassis

    Sharp Pins. Radio DDR. Perennial 2025

    John Mojo Mills : Live. Shindig! # 165 - July 2025

    Tess Carge : Circle all the dots. Shindig! # 164 - June 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Eight)

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             Toujours avide de nouvelles aventures, notre héros Wild Billy Childish monte en 1998 Billy Childish & The Blackhands et pond Play Capt’n Calypso’s Hoodoo Party. Comme il a un trompettiste et un mec à l’accordéon, Billyl opte pour l’exotica

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    de New Orleans («Rum’n Coca Cola»), l’exotica de Ludella («Underneath The Mango Tree» et «Three Blind Mice»), l’exotica de Screamin’ Jay («I Love Paris»), et l’exotica du zydéco (punk-zydéco avec «Long Tall Shorty», banjo, trompette et hard beat, seul Billy peut sortir un tel son). Puis il tape dans l’Americana avec «Sen’ Me To The ‘Lectric Chair», judge ! My judge ! Et puis en B, il transforme l’«Anarchy In The UK» des Pistols en exotica de banjo, d’accordéon et de beat foutraque. Les Blackhands ont encore la main lourde sur le beat foutraque de «Yella Skinned baby» et Billy t’explose le vieux «Tequila» des Champs, oun, dès, très, quatro, booom !     

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             Les Blackhands re-sévissent en 1992 avec The Original Chatham Jack et sa pochette néo-moderniste signée Billy. Ils restent dans l’exotica de fake Americana, c’est-à-dire un mélange de jazz New Orleans, de zydéco, on entend bien l’accordéon dans «Chatham Jack», et avec «Millionaire, ils font même le chain gang, et là c’est pas terrible, car on ne joue pas avec ça. En B, Billy gratte «Crying Blud» au banjo et chante à la bonne arrache de don’t let me be misunderstood. On entend le slap du tea-chest bass dans «Broken Stone» et il nous surprend encore une fois encore avec cette resucée de «Louis Louie» qui s’appelle «Louis Riel», mais qu’il tape en mode Augie Meyers avec de l’accordéon. En bout de B, il rend hommage à Linky Link avec un petit coup de «Rumble».

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             On retrouve Bruce Brand dans les Blackhands pour une tournée hollandaise et donc le Live In The Netherlands. Un joli bois gravé de Billy orne la pochette. Sur ce live, on croise fatalement les cuts des deux albums précédents, le «Chatham Jack» tapé en mode zydéco, le «Yellow Skinned Baby» tapé en mode fast boogie de ventre à terre, avec un incroyable débraillé énergétique. Belle cover du «Black Girl» de Lead Belly et fantastique apologie du débraillé avec «She’s Fine She’s Mine». En B, t’as le grand retour de «Louis Riel», puis «Lambreth Walk» bascule dans le bal du 14 juillet, c’est absurde et joyeux à la fois, et on en arrive à la viande avec l’«Alabama Song» de Kurt Weil. Billy en fait une version plus joyeuse que celle de Jimbo, il crée les conditions du Bal des Naze et tout cela se termine en apothéose avec l’«Anarchy» des Pistols tapé en mode heavy barroom bash, c’est une version demented, tu crois entendre Augie Meyers & The Sex Pistols, avec un pont à la trompette New Orleans et le beat de la frontière, du côté d’El Paso.

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             En 1993, Wild Billy Cildish monte un nouveau projet de dark gothic country avec Arf Allen et Bob Shepherd, Billy Childish & The Singing Loins. La pochette d’At The Bridge s’orne d’un beau painting post-moderniste de Billy, coiffé de son canotier, comme sur la pochette de The Original Chatham Jack. Bon, c’est pas l’album du siècle. Au dos tu peux lire : «Folk variations and new songs.» Billy explore le folk anglais et on s’ennuie comme un rat mort. On croise Pocahontas dans «Pocahontas Was Her Name.» On la connaît bien, elle, on l’a vue dans Le Nouveau Monde de Terrence Malik. Avec «I Don’t Like The Man I Am», Billy va plus sur le Dylanex. On retrouvera d’ailleurs ce cut dans l’un des albums de The William Loveday Intention - I don’t like you/ Cause I don’t like the man/ I am

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             Le deuxième album de Billy Childish & The Singing Loins paraît dix ans plus tard et s’appelle The Fighting Temeraire, le Temeraire étant un vaisseau. C’est pourquoi les trois Loins portent des chapeaux de marine marqués «Téméraire» et fument des pipes de marin en os de baleine. Sur la pochette, ils sont vieux et ils sont armés, avec l’air de vouloir dire : «On est pas là pour rigoler.» Il faut continuer de comprendre que l’œuvre de Wild Billy Childish est d’essence littéraire. Afin de ne pas tourner en rond, il monte des projets pour styliser à outrance, il est même devenu au fil du temps un virtuose de l’Exercice de Style, une sorte de Raymond Queneau du rock moderne. Il est même d’ailleurs le seul au monde à réussir un tel exploit. Tu écoutes Wild Billy Childish comme tu lis Queneau, car c’est en écoutant qu’on devient liseron, de la même façon qu’on devient écouton en lisant. Et ce Fighting Temeraire est un prodigieux pastiche de Sea Shanty, il faut le voir, le Billy, chanter «A La Mort Subite» à la traînasse de bave et d’édentée, avec derrière l’harp de John Riley qu’on entend aussi avec The William Loveday Intention. Billy the sailor fait aussi de l’early Dylan avec «I Don’t Like The Man That I Am», suivi par un violon mélancolique. Tu savoures chaque seconde de cet exercice de style, tu goûtes au privilège d’écouter l’un des plus beaux artistes de ton époque. Dans «White Whale Blues», il recycle son vieux «to sing the blues, man, you gotta be true», déjà entendu dans The William Loveday Intention. Il sonne encore comme l’early Dylan avec «The Broken & The Lost Of The Old Long Bar», et te mixe ça avec du Sea Shanty à la chantilly, c’est une âpre chanson de taverne, pas loin des Pogues. En B, il recycle encore un vieux coucou du William Loveday Intention, «A Rusty Stain» - Somewhere in the distance/ I hear her calling my name - et on retombe sur ce final devenu légendaire chez les fans de big Billy, ce kiss this rusty stain fabuleusement dylanesque. Plus loin, il fait son McGowan by the factory wall dans «The Walls Of Red Wing», à coups de by the wall of the gas factory. Et puis tu as cette fantastique chanson de marin, «The Jutland Sea», c’mon you sailors ! Don’t you wanna go ! Chaque fois, big Billy t’envoie au tapis.  

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             Pour l’anecdote : vient de sortir un nouvel album des Singing Loins, Twelve, mais sans Big Billy. Bizarrement, l’album est bien meilleur que ceux auxquels a participé Big Billy. T’as là un bel album de folk-pop, tu te régales du joli, frais et vivant «House In The Woods» et de l’excellent «God Bless The Whores Of Rochester». La seule trace de Big Billy est la cover qu’ils font d’«I Don’t Like The Man» qui est en fait l’«I Don’t Like The Man That I Am». «Where’s My Machine Gun» est plus rocky roady, et ils terminent avec un brillant «Angel Of The Medway».

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             Comme il garde la nostalgie du James Taylor Quartet, Big Billy monte en 2022 The Guy Hamper Trio et invite James Taylor sur All The Poisons In the Mud. Derrière Billy, on retrouve Juju Hamper et Wolf, ses deux bras droits de CTMF. T’adores l’orgue Hammond et le James Taylor Quartet ? Alors tu vas tomber de ta chaise dès «All The Poisons In The Mud» qui ouvre le balda au heavy shuffle d’orgue, ça chauffe comme au temps du Spencer Davis Group. Power maximal ! On reste dans l’heavy gaga d’orgue des Prisoners avec «Come Into My Life», c’est l’instro du pouvoir totalitaire aux semelles de plomb. Deux cuts et te voilà déjà gavé. C’est l’apanage du big Billy. Il te prend pour une oie. Il te cale un shuffle comme s’il t’enfonçait un entonnoir dans la gorge. Et il envoie la purée. Encore du lourd de la main lourde avec «Moon of The Popping Trees». Quel tour de force ! Il ressort ensuite un vieux «Girl From 62» du CTMF et big Billy chante «Full Eclipse Of The Sun», un brûlot sournois que les trois autres swinguent jusqu’à plus soif. Le «Step Out» qu’on trouve en B sonne exactement comme un hit de Booker T. & The MGs. Et le «Polygraph Test» qui suit est encore plus rampant que Booker T. Juju joue devant dans le mix, comme Duck Dunn à Memphis. Chez les Hamper, on respecte l’étiquette. Et comme coup du lapin, voilà une version instro de «Fire», ce démon de Billy tape encore une fois dans l’hendrixité des choses, James Taylor fait le can’t stand by your fire au shuffle, et Wolf bat comme une brute. Quel que soit le genre, chaque album de Wild Billy Childish est passionnant.

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             Retour cette année du Guy Hamper Trio avec Dog Jaw Woman. C’est un album d’instros, dans la tradition de ceux du James Taylor Quartet. James Taylor sort le grand jeu, accompagné par Juju Hamper et Guy Hamper. Big Billy raffole des pseudos. Tout ici est tapé au big instro d’anticipation allègre et vindicative. «Young & Able» est monté sur le riff que joue Brian Jones dans «King Bee». Bien vu, très Swingin’ London.

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             Toujours en trio avec Wolf et Juju, big Billy lance en 2005 un nouveau projet : Wild Billy Childish & The Chatham Singers. Avec sa belle pochette primitive, Heavens Journey signe le grand retour au primitif et à Bo. Absolute beginner to begin with, «The Man With The Gallow Eyes», avec Bludy Jim on harp. Big Billy tape ensuite un duo d’enfer avec Juju sur le morceau titre et on bascule dans l’énormité primitive avec «Gods Rain» et là, oui, tu reprends ta carte au parti. Wolf vole le show dans «Ballad Of A Lost Man». Pur Diddley beat ! En B, Billy lit ses poèmes avec une diction de punk. Textes fantastiques, tu te gorges d’échos, dans «I Am A Angry Man» il claque ça : «angry enough to have twelve bad teeth/ Angry enough to say nothing» et dans «I’m Bathed In Forgiveness», il te claque ça : «Walking from God/ I’m walking to God/ I’m kissing your lips» et plus loin, il clame qu’il hait les galeries d’art et les éditeurs. Wild Billy Childish forever ! 

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             Juju et un crâne ornent la pochette de Juju Claudius, deuxième album des Chatham Singers. Au bout du balda, tu vas tomber sur le plus bel hommage qui soit ici bas à Slim Harpo : «Queen Bee». Quelle violente cover, baby ! Big Billy tape ça dans les meilleures formes du lard, avec le buzz dans le son. Nouveau coup de génie en B avec «Demolition Man» gratté au riff pernicieux, Juju te chante ça à la desperate de la rate et ils terminent avec un gros clin d’œil à Jimmy Reed et «Baby What’s Wrong». Big Billy adore torcher ça au I shaid baby/ What’s wrong with you honey.      

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             Pour leur troisième album, Kings Of The Medway Delta, Wild Billy Childish & The Chatham Singers se payent une pochette fantastique. Tu sais tout de suit à quoi t’en tenir. Ils attaquent avec «The Good Times Are Killing Me», un wild blues qu’ils tapent au raw du wouahhhh ! Cette fois, big Billy opte pour l’early Stonesy, car il tape une prestigieuse cover de «Got Love If You Want It» et retrouve le spirit des early Stones de Brian Jones, il est en plein dedans, avec Jim Riley à l’harp. On retrouve tout le côté mystérieux et sauvage des early Stones. Même chose avec le «Wiley Coyote» d’ouverture de bal de B, un heavy blues de type Queen Bee. On croise plus loin un fantastique boogaloo sentimental, «Why Did I Destroy Our Love», gratté aux poux fantômes.

             Et en 2007, le trio Billy/Wolf/Juju se lance dans une nouvelle aventure : Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire, et trois albums, Punk Rock At The British Legion Hall, suivi de Christmas 1979 et de Tatcher’s Children.

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             Ils attaquent Punk Rock At The British Legion Hall avec «Joe Strummer’s Grave», du Clash en real deal d’heavy punk, mais avec de accords de proto-punk. Pur sonic hell ! Au-dessus de ce truc-là, t’as rien en Angleterre. Le ton est donné : c’est un album explosif. Big Billy ne tient pas en place, il fonce dans le tas avec «Dandylion Clock» et claque les accords de Dave Davies sur «Date With Doug», pendant que Nurse Juju t’emmène en enfer. Nouveau coup de Jarnac avec «Bugger The Buffs», this is the story of the Buff Medways, amené au heavy blues d’early Stonesy. Ils bouclent leur balda avec le wild gaga craze de «Walking Off The Map». Tout est bardé de power à ras-bord. Ça repart de plus belle en B avec ce vrai chef-d’œuvre s’anticipation qu’est «Snack Crack», emmené ventre à terre sur un thème efflanqué et t’as à la suite ce «Comb Over Mod» amené au dialogue de dingues et au riff à Billy, repris par l’heavy beat de Wolf. Et cette folle aventure se termine avec le morceau titre monté sur le beat de «The Final Solution». Ah comme big Billy a bon goût !

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             Big Billy & The Musicians Of The British Empire savent aussi dézinguer un Christmas Album, comme le montre Christmas 1979. Woah, comme dirait Bo In The Garage ! 11 bombes sur 12 cuts, pas mal non ? Ça t’éclate à la gueule (désolé, il n’y a pas d’autre mot pour ça) dès «Santa Claus», Hello little girl/ What would you like for Christmas ?, fait Big Billy d’une grosse voix délirante de Santa Claus, et Nurse Juju répond d’une voix d’ingénue libertine en rut qu’elle veut les Sonics. Wouaahhhhhh, alors ça duette dans le garage des dingues au killer kill kill et au yeah yeah yeah. Nurse Juju est la pire de toutes ! Ils sont sur «Farmer John». Et ça continue avec «Christmas Lights» et l’attaque mortelle de big Billy, ça punche à outrance. Tu prends tout en pleine gueule. Tu les vois enfiler les bombes comme des perles, «Knick Knack Daddywach (Chuck In The Bin)», ça bascule dans le gaga-protozozo, big Billy rocks out son «Downland Christmas» sur l’air d’Anarchy In The UK. Guitar ! Guitar ! Guitar ! Clin d’œil à Pete Townshend avec «A Quick One (Pete Townshend’s Christmas)», big Billy tape en plein dans la cocarde des Who, il recrée toute l’effervescence, t’en reviens pas de voir tout ce bordel remonter à la surface et Nurse Juju lui fait les chœurs de Shepherd’s Bush. Compréhension totale des Who, et bien sûr, final explosif. Il fait un pastiche des Ramones avec «Mistleto», oh-oh !, il est en plein dedans et Nurse Juju te claque ensuite «Dear Santa Claus» au sucre avarié. Méchant clin d’œil à Linky Link avec «Comanche (Link Wray’s Christmas)» et plus loin, t’as ce «Christmas Bell» drivé à l’harp du diable. Tu vois big Billy entrer là-dedans un lance-flamme. Pour finir, il amène son morceau titre au cockney de Chrrristmas seventy nâïne, il fait son Rotten. On retrouve là toute la tension des Pistols et la cocote fatale, c’est le rythme d’Anarchy - Merry fucking Christmas to you all – Ah ! il adore le merry fucking !

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             Le troisième album de Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire est un album politique, puisqu’il s’appelle Thatcher’s Children, et ça démarre sur des chapeaux de roues avec le morceau titre, everyone’s a loser !  C’est du protest à la big Billy. Puis ils vont faire de l’heavy pop extrêmement chargée de la barcasse («Little Miss Contrary» et «An Image Of You») et basculer dans les Who avec l’explosif «Rosie Jones». Exactement le même power que celui des early Who ! Juju reprend la main en B avec «Coffee Date», «He’s Making A Tape» et «I’m Depressed». Elle est encore plus wild que les Headcoatees. Elle est effroyablement bonne. Big Billy revient faire corps avec sa matière dans «I Fill All Of Your Dreams», et cette folle virée se termine avec un «Back Amongst The Medway Losers» monté sur le riff de «Summertime Blues». Juju te jacte ça en mode Medway punk, pendant que Big Billy claque son riff et passe vite fait bien fait le plus wild des killer solos flash.

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             Au hasard des autres projets, on croise d’autres albums extrêmement intéressants, comme par exemple le Poets Of England des Vermin Poets, qui sont en fait les Spartan Dreggs dont on va reparler ailleurs. Pochette faramineuse de ce quatuor monté autour de Neil Hereward Palmer, avec Wolf, Big Billy et Nurse Juju. Ils cultivent tous les quatre une esthétique de la bohème anglaise. Wolf et Juju se partagent le beurre et big Billy bassmatique. Neil Hereward Palmer chante et gratte ses poux. C’est d’ailleurs le cut d’ouverture de balda, «Spartan Dregg», qui donne naissance au projet suivant. Autant le dire tout de suite : Poets Of England est un fantastique hommage aux early Who. Ça s’entend dès «He’s Taken His Eye Off The Sparrow». T’as encore quatre hits whoish à la suite, «Like Poets Often Do» (avec un chant à la limite de la rupture), «Baby Booming Bastards» (chargé de cocote lourde comme au temps des Who, et une mélodie chant en surface), «Grandfathering» (power chords à la Townshend et chœurs de folles), et en B, «Vermin Poets» qui rappelle «Can’t Explain». Exactement la même volonté d’en découdre. Whoish pur encore avec «A Cup Of Deadly Cheer». Ça gicle dans tous les coins ! 

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             En 1988, big Billy prend le maquis avec Jack Ketch & The Crowmen et un horrible album punk, Brimfull Of Hate. Au dos, tu vois une illustration gravée de pendaison, avec un bourreau qui tire le pendu par les jambes. L’album sort sur le label de big Billy, Hangman Records. Tu ne perds pas ton temps à l’écouter, car big Billy règle ses comptes avec le punk-rock. Il gratte ses cuts à la cocote sourde et vénéneuse. Il fait du Fall de Medway avec «I’ve Been Wrong», il tape dans le sommet du genre, il se paye ce genre de luxe intérieur. Il gratte la grosse fournaise de «Brimfull Of Hate» à la dure et envoie des coups de wah. Il est enragé, notre Jack Ketch. Encore une fantastique volée de bois vert avec «You Shouldn’t Do That» en B. Punk at its max ! Wild Billy Childish ne peut faire que du wild punk. Mais le pire est à venir et là t’es content d’avoir chopé cet album. Billy Ketch termine avec une cover du «Boredom» des Buzzcocks. Hommage définitif. Mythe pur. Il jette toute sa niaque dans se smash d’early punk et ça t’explose sous le nez, boredom ! Il fait bien le budum budum et le solo sur deux notes, il y jette toute la Méricourt dont il est capable. Wild punk définitif. Budum budum !

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             En 2006, big Billy produit l’album des Buffets. Saucy Jack. Il s’agit d’un trio monté autour de Sister Tiffany Lee Linnes «who flew from Seattle», avec Nurse Juju et Matron Bongo des Headcoatees au beurre. Tiffany Lee Linnes joue dans les Stuck

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    Ups. Elles attaquant avec «Misty Water» qui sonne exactement comme un early cut des Buzzcocks, même si c’est une cover de Ray Davies. Elles tapent ensuite dans le «Troubled Mind» de big Billy et en font une version wild as fucking fuck. Elle est bonne la Tiffany, elle sait claquer des killer solos flash. Matron Bongo vole le show dans «I’m A Lie Detector» et dans «Archive From 1959». On croit vraiment entendre Wolf, mais non, c’est elle. En B, on se régale encore de l’heavy gaga d’«Unable To See The Good». C’est excellent, bien pulsé par le team Juju/Bongo. Grosse tension encore dans «Just 15» et Sister Tiffany Lee Linnes passe un killer solo flash d’étranglement contigu. Elles terminent cet album solide avec une cover de l’«Ivor» de Pete Townshend. C’est donc très Whoish, battu à la diable de Moony par Bongo, et ça devient parfaitement exubérant, avec bien sûr tous les glorieux développements qu’implique ce genre de démarche, t’as même les bouquets de chœurs magiques.    

    Signé : Cazengler, Billy Chaudepisse

    Billy Childish & The Blackhands. Play Capt’n Calypso’s Hoodoo Party. Hangman Records 1988       

    Billy Childish & The Blackhands. The Original Chatham Jack. Sub Pop 1992

    Billy Childish & The Blackhands. Live In The Netherlands. Hangman Records 1993

    Billy Childish & The Singing Loins. At The Bridge. Hangman’s Daughter 1993

    Billy Childish & The Singing Loins. The Fighting Temeraire. Damaged Goods 2022

    The Singing Loins. Twelve. Damaged Goods 2024

    The Guy Hamper Trio. Featuring James Taylor. Hangman Records 2023

    The Guy Hamper Trio. Dog Jaw Woman. Damaged Goods 2024

    The Buffets. Saucy Jack. Damaged Goods 2006 

    Wild Billy Childish & The Chatham Singers. Heavens Journey. Damaged Goods 2005

    Chatham Singers. Juju Claudius. Damaged Goods 2009       

    Wild Billy Childish & The Chatham Singers. Kings Of The Medway Delta. Damaged Goods 2020

    Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire. Punk Rock At The British Legion Hall. Damaged Goods 2007

    Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire. Christmas 1979. Damaged Goods 2007

    Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire. Tatcher’s Children. Damaged Goods 2008

    The Vermin Poets. Poets Of England. Damaged Goods 2010

    Jack Ketch &  The Crowmen. Brimfull Of Hate. Hangman Records 1988

     

     

    Inside the goldmine

     - Feelies all right

             Philip porte des lunettes. Comme autre signe distinctif, il dispose d’une intelligence supérieure. On l’écoute très attentivement lorsqu’il prend la parole. Son discours frise souvent la prophétie. Et quand on bosse dans un domaine aussi sensible que celui de l’e-learning et de ses applications digitales, on tend l’oreille lorsqu’un mec de son acabit énonce un postulat. Il faut toujours essayer de garder une distance avec les gens qu’on admire. Mais ce n’est pas toujours facile, surtout quand on bosse en tandem. Ça crée de relations de proximité extrêmement tendues, au bon sens du terme. Les interactions agissent parfois comme des électrochocs, et ceux qui y sont passés savent de quoi il s’agit. Pour être plus clair, il faut savoir se montrer en permanence à la hauteur, et intellectuellement parlant, c’est aussi épuisant qu’une séance d’électrochocs, surtout quand, dans la conversation, arrive un petit leitmotiv du genre «Tu vois ce que le veux dire ?», ou pire encore, «Tu me suis ?». Philip a pour habitude de jeter les bases d’un dossier par écrit, mais de le retravailler oralement, en direct, afin de tester la faisabilité. Le concept de base est toujours bon - que dis-je, flamboyant ! - mais il doit trouver chaussure à son pied pour devenir un outil pédagogique, et la chaussure se bricole à deux, on la teste, aïe, ça ne marche pas, on la modifie, ou on change de cap, on part dans l’autre sens, plein Sud ? Non, plein Nord ! Petit format ? Non grand format ! Et tout à coup ça devient une nouvelle possibilité excitante, alors on l’explore, et Philip adapte son contenu en conséquence, l’échange monte en température, ça monte ! Ça monte encore ! Il exprime des doutes, «T’es sûr sur ça va marcher ?» et pour garder sa confiance, il faut surtout répondre avec une formule hasardo-mallarméenne à base de coups de dés, ce qui le fait toujours bien rire. Il adore rire ! Soudain le processus créatif nous échappe et devient une sorte de golem destiné à terroriser les réactionnaires pédagogiques, et d’un commun accord, nous décidons de le lâcher dans la nature.

     

             Comme Philip, les Feelies portent des lunettes. Et comme Philip, ils lâchent dans la nature des golems destinés à terroriser les réactionnaires du rock.

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             C’est grâce ou à cause de Garnier qu’on écoute les Feelies. Il en faisait une petite apologie dans Les Coins Coupés. Pourtant, on a longtemps reculé. La pochette de Crazy Rhythms ne faisait pas envie. Les binoclards n’inspiraient pas confiance. C’est une vieille histoire. Il avait tout de même fallu un bon coup de «Reminiscing» et de «Rock A-Bye Rock» pour tomber dans les bras de Buddy Holly. T’avais aussi des binoclards chez les Zombies et Manfred Mann. Pour surmonter les a-priori, tu devais écouter les disks. Puis, de la même façon qu’avec Buddy, tu tombais carrément des nues. Comment de tels binoclards pouvaient-ils être aussi bons ?

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             On la voyait partout cette pochette bleue des binoclards d’Haledon, New Jersey. Ce qui frappe le plus à la première écoute de Crazy Rhythms, c’est l’immédiateté du son. Il apparaît clairement qu’immédiateté et crédibilité non seulement vont de pair, mais sont en plus les deux mamelles des Feelies. T’as de l’énergie dès «The Boy With The Perpetual Nervousness» et «Fa Ce La». Et surtout un beurre de fou. Il s’appelle Anton Fier et vient de Cleveland. Et bien sûr, il a joué avec Electric Eels et Pere Ubu. Anton Fier se trouve à gauche, sur la pochette de Crazy Rhythms. Les principales influences des Feelies sont les Beatles et le Velvet. D’où la cover d’«Everybody’s Got Something To Hide Except Me And My Monkey», qui a forcément tapé dans l’œil de Jim Jones qui la reprend aujourd’hui sur scène. La mouture des Feelies tape en plein dans l’œil du cyclope à coups de take it easy. Fantastique ! Le Velvet apparaît dans «Forces At Work», un cut très axé sur le drone. Le beurre, toujours le beurre ! Très hypno, très bienvenu très clairvoyant. Il faut dire que Glenn Mercer et Bill Million le binoclard grattent des poux de clairette subliminale. On se gave aussi de cet «Original Love» sur-vitaminé et gratté à ce qu’on imagine être deux Teles, et qui ne sont peut-être que des Stratos. On détecte une volonté de clameur dans «Moscow Nights» et un horizon génétiquement complet dans «Raised Eyebrows». Le chant arrive tard et ça monte en petite neige du New Jersey. 

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             Garnier recommandait deux autres albums des Feelies, The Good Earth et Time For A Witness. Alors tu dis «Merci Garnier !». T’es frappé par la présence indéniable d’«On The Roof». Et par le beurre ! Mais ce n’est plus Anton Fier qui est parti rejoindre les Jesus Lizards, mais Stan Demeski. Il te bat ça si sec ! On reste sur une impression très favorable avec «The High Road». Leur fonds de commerce est la tension. Ils ultra-jouent. Ils naviguent très haut avec des grattes Velvet. On les entend dans «Slippin’ (Into Something)». C’est gratté sur les accords de «Gloria», mais ça tourne à la belle virée impérieuse. Ils trafiquent une sorte d’artefact minimaliste sur de beaux accords de clairette. Quel fantastique album ! Idée que vient encore conforter «When Company Comes». Avec «Let’s Go» et sa petite énergie Velvet, ça marche à tous les coups. Le mec Demeski est un cake du beurre. Il te monte «Two Rooms» en neige du New Jersey vite fait. Ils sont aussi denses que Yo La Tengo. Ils adorent monter en neige. «Slow Down» sonne comme du pur Yo La Tengo. On se croirait sur Electropura. Ils ont exactement le même schéma directeur.

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             Time For A Witness est un album encore plus dense. Trois gros points de repère : Dylan, le Velvet et les Stooges ! Stooges avec une cover de «Real Cool Time». Rien de plus véracitaire que cette intro de poux grattés à la sauvage - Can I come over/ Tonite - Belle tentative de stoogerie, même si ça manque cruellement d’Iggy touch. Glenn Mercer fait bien son Ron Asheton, il arrose dans tous les coins et le batteur demented te cloue ça vite fait à la porte de l’église. Velvet avec «Decide», où le filet de Tele croise bien le bassmatic. On trouve aussi du Velvet dans les arpèges lancinants de «Find A Way». Dylan avec le morceau titre, c’est du «Maggie’s Farm» sous amphètes. Pure ecstasy de neige. C’est énorme ! Et les Feelies allument encore avec «Sooner Or Later», puis plus loin avec «Invitation», pulsé à l’outrance de la jouissance. Leur outrecuidance danse entre tes cuisses. Et puis t’as ce «For Now» fin et sournois, bien drivé du bikini.

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             Only Life n’est pas leur meilleur album, loin de là. Ils pompent adroitement le riff d’«Alabama Bound» dans leur morceau titre, mais ils tapent ça avec un léger parfum Velvetien. Puis ils enchaînent une série de cuts à la fois plan-plan, pisse-froid et passe-partout. Tu n’apprendras rien de neuf, inutile d’espérer. Ils peuvent même devenir incroyablement conventionnels. Ils savent très bien tourner en rond. Ça fout un peu la trouille de les voir errer ainsi. Ils se veulent denses, incompressibles, mais ils ne sont pas sexy du tout. Toujours ce beat rapide, un peu âpre, parfois gentillet et sautillé. Leur plan est de faire du post-Velvet. Il faut attendre «Too Far Gone» pour frémir d’une oreille. Belle ferveur des deux grattes, la clairette d’accords d’un côté, et la fuzz tête chercheuse de l’autre. Fast et frais. Tout droit, avec un joli solo introspectif. Ça te rattrape à la course. Ces mecs ont un bon fond, ils s’y entendent, oh-oh yeah ! Ils passent enfin en mode Velvet avec un «Away» bien fouetté au sang, en plein dans l’esprit du drive Velvetien, joué au fouette-cocher de Times Square. Et ils terminent en beauté avec une cover de «What Goes On», amenée au tire-bouchon de disto et reprise au petit chant de what goes on. Ils te grattent ça à la clairette de Die, ils zyvont au zyva, ça file droit sur l’horizon du mythe hypno.

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             Eh oui ! Encore un big album : Here Before. Et même un very big album. On y retrouve le Velvet dans un «On & On» bien enveloppé d’accords ondoyants, c’est une démarche purement velvétienne, ça décolle au nah nah nah et ça vire vite hypno. Le yeah n’a aucun secret pour eux. Coup de génie avec «Change Your Mind», cut joyeux, hit merveilleux, bien en main, Glenn Mercer chante un peu comme Lou Reed, il sait peser de tout son poids. Mais c’est Brenda Sauter qui vole le show avec son bassmatic sur «Nobody Knows», un mid-tempo monté sur un fast drive de clairette. Le bassmatic chatoyant prend vite le dessus. Elle va partout, avec une allégresse qui laisse rêveur. On la retrouve sur «Way Down», un cut encore porté par un bassmatic revigorant et les poux gracieux et bien secs de Glenn Mercer. Mais c’est Brenda Sauter qui vole le show à force de grâce chorégraphique. «Should Be Gone» sonne comme une Beautiful Song. Les Feelies sont un groupe idéal, warm et attentionné. Même chose pour «So Far», avec son thème de guitare qui te fait rêver. Ils troussent encore «When You Know» à la hussarde. Ils ne traînent jamais en chemin. C’est dru et fast, avec un solo liquide en fin de course. Ils savent bien tirer les marrons du feu.

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             Bel album que cet In Between de 2017. Ça sonne Velvet dès le morceau titre d’ouverture de bal. Glenn Mercer et Bill Million sont toujours là, bien rivés dans leur tatapoum à la Moe Tucker. Ils n’ont rien perdu de leur vieux cachet Velvétien. On les retrouve encore plus allumés dans «In Between (Reprise)». Ça repart en mode Sister Ray. En plein dans l’œil de bœuf, avec un départ en bassmatic comme dans le Velvet de Calimero. Ils poussent la mécanique du Velvet encore plus loin avec une vraie architecture de bassmatic. L’In Between s’étend quasiment à l’infini, c’est bardé de départs en vrille et de motifs géométriques de bassmatic vitupérant à la Calimero. On assiste ici à une fantastique réinvention du mythe Velvet. Très beau «Flag Days» aussi, bien amené au hey now/ Hey now, c’est un hit, le claqué est beau comme un cœur et ça monte comme la marée. Avec «Been Replaced», ils revisitent le vieil adage du raw Velvetien. Quelle fantastique assise ! Les grattés de poux restent implicitement délétères. Ils montent leur «Gone Gone Gone» sur un fast beat à la Lou Reed, vite rejoint par une petite fuzz du New Jersey. Et on retrouve avec «Time Will Tell» cette belle ambiance de chant chaud et les poux de clairette. Ils ont l’air contents du résultat. Et voilà une Beautiful Song : «Make It Clean», superbe et lumineuse.

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             Avec Some Kinda Love (Performing The Music Of The Velvet Underground), t’as le meilleur tribute au Velvet. Ça rivalise de power velvetien avec tout ce que font les Subsonics. Ce double album live des Feelies est même un véritable chef-d’œuvre. Ils alignent tous les hits un par un, «Sunday Morning» (en plein dans l’œil du real deal), «Who Loves The Sun» (moins connu, mais vibrant de velvetude, c’est gratté à l’ongle sec, avec une réelle ampleur), et puis ça s’emballe avec «There She Goes Again» (claqué à la clairette flamboyante), «What Goes On», et son évasion fiscale d’accords vers la frontière, «Sweet Jane» (trop classique pour être honnête, mais Glenn Mercer est dessus au chant, un vrai clone), et puis t’as l’«Head Held High» bien dévastateur et attention, tu vas tomber de ta chaise avec «Waiting For The Man» et le bassmatic de Brenda Sauter en roue libre. C’est une cover endiablée. On reste dans l’hot as hell avec les sur-puissantes moutures de «White Light White Heat» et «I Heard Her Call My Name» (les Feelies plongent dans la folie du Velvet. Pur génie interprétatif, c’est saturé de fuzz distoïque, c’est même l’un des sommets du genre), puis ça va se calmer avec «That’s The Story Of My Life» et «All Tomorrow’s Parties» que chante Brenda Sauter, avec en prime un divin bassmatic. Elle part bien en vrille sur la fin de «Rock & Roll» et les Feelies replongent dans la folie avec «We’re Gonna Have A Real Good Time Together», fast one on fire, et Brenda devient folle ! Pur génie sonique ! Tu croises rarement des tribute albums d’un tel niveau). Le «Run Run Run» qui suit est encore plus allumé, avec un solo trash d’extrême onction. Trash définitif ! Ils enfoncent terriblement le clou avec «I Can’t Stand It» et Brenda Sauter chante «After Hours». Magie pure. T’as pas idée. Concert enregistré en 2018, au White Eagle Hall in Jersey City.  Dans les liners, Howard Wuelfing cite Lou Reed qui avait pris les Feelies en première partie d’une tournée : «They remind me of myself, only five times faster.» Wuelfing qualifie aussi le son de Mercer et Million de «suitably scrappy guitar swagger» et salue le «fiercely corrosive lead guitar from Mercer.» Tu sors de cet album complètement ahuri, comme lorsque tu as écouté pour la première fois The Velvet Underground & Nico.

    Signé : Cazengler, Filou

    Feelies. Crazy Rhythms. Stiff America 1980

    Feelies. The Good Earth. Coyote Records 1986

    Feelies. Only Life. A&M Records 1988

    Feelies. Time For A Witness. A&M Records 1991

    Feelies. Here Before. Bar/None Records 2011

    Feelies. In Between. Bar/None Records 2017

    Feelies. Some Kinda Love (Performing The Music Of The Velvet Underground). Bar/None Records 2023

     

    *

             En ce mois d’août, regard sur les nouveautés, pas grand-chose, enfin si, beaucoup de gros riffs sans âme à la chaîne sur thématiques éculées, après maintes recherches mon attention est attirée par un drôle de titre, le genre de mot qui promet le pire comme le meilleur, à première oreille pas de mon goût mais il faut savoir prendre son risque dans ce monde mouvant qui nous entoure…

    IMPERMANENCE

    THRÆDS

    (Bandcamp /Juin 2025)

             Un peu torturé, beaucoup tortueux, normal le projet initial est d’Angelos  Tzamtzis, originaire de Thessalonique, or en règle générale les grecs font preuve d’une intelligence subtile et abstraite qu’ils adaptent à l’esprit de l’époque dans laquelle ils vivent. Tzamtis s’est installé en Allemagne, à Berlin, pour réaliser son projet. Qu’il voulait solo. La chose s’est transformée, Thraeds se présente aujourd’hui comme un groupe à part entière et Impermanence comme leur premier album. Le groupe continuera-t-il sur sa lancée, je ne le certifierai pas car peut-être vous en êtes-vous rendu compte en ce bas monde tout change…

    Thread signifie fil. Ne pas comprendre le fil à couper le beurre qui dénoue en un clin d’œil une situation a priori peu compliquée, avec Threads ce serait plutôt les fils entremêlés de la bobine de la réalité sur lesquels il faut tirer pour tenter, en pure perte, de déceler dans l’inextricable pelote de notre implication personnelle dans le monde ne serait-ce qu’un semblant de signifiance.

             La pochette n’est guère engageante, une silhouette humaine déambulant sans but dans le monde post-industriel de notre modernité aux teintes grises et glauques.

    Celso Borralho : vocals /Angelos Tzamtzis : guitars, synths / Tim Crawford : guitars, backing vocals / Felipe Melo Villarroel : drums / Barnabás Mihály : bass :

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    Timeless : incertitudes sonores, émerge un doux clapotement, la voix ne parle pas, elle chuchote avant de s’allonger comme si elle passait sous un laminoir, elle est comme le titre, elle décrit une temporalité dont on ne sait s’il faut profiter de sa durée illimitée ou  la regretter, car si ce qui a eu lieu n’existe plus, son existence n’est-elle pas encore accessible, directement ne nous pouvons-nous nous y reporter par la force de l’esprit, ne pouvons-nous accéder à ces instants de bonheur suprême où nous avons eu l’impression d’échapper aux serres voraces du temps, est-ce pour cela que la batterie se précipite et que le vocal donne l’impression  d’embrasser le ciel, mais nous voici arpentant sans désir notre société de consommation, prisonniers de notre solitude, hantés par l’immarcessible émerveillement de de notre échec à nous fondre dans le soleil communautaire de l’être. Reflections : musique brillante, ne pensons-plus à la splendeur du soleil mais à des braises rougeoyantes dont nous devinons qu’elles déclinent doucement, scintillements de guitares, vocal éjaculé puis s’étendant en longues ombres, la batterie concasse le gravier de nos rêves, c’est un drame mais d’une telle splendeur qu’il n’est pas encore mort, qu’il se débat, qu’il crie comme une salamandre qui agoniserait dans le feu qui lui fut jadis protecteur, ce n’est pas l’extérieur du monde qui se meurt, mais notre monde intérieur qui s’éteint en beauté  pour disparaître à jamais, nous abandonnant au vide de l’univers.  Nothing Good to Say : pourquoi cette intro si douce alors que nous cheminons dans l’hostilité du monde et de notre vécu, peut-être parce qu’il existe une solution, un autre abandon, la voix gémit et se fait amadouante, il existe un autre monde, une autre réalité, une autre histoire, une autre épopée qui n’est accessible que si on se laisse emporter par le tumulte de l’ultime tentation, quand on n’a plus rien à dire ne reste-il pas autre chose à vivre, un autre appel, colère et angoisse, les vagues de la mer, une nacelle à enjamber pour rejoindre l’autre rive… Clockworks :

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    cliquètements, juste pour se raccrocher aux petites branches qui n’ont pas su nous retenir, les aiguilles de l’horloge avancent doucement nous offrant le cadeau de la beauté des choses, toutes les merveilles que les générations humaines nous ont léguées, ces instants de beauté qui sont comme les supports de notre seule transcendance, et cette leçon des choses de la vie et de la nature, toute cette sagesse d’être au monde dans notre propre émerveillement.  Sole Survivor : petites cascades de notes, se faire à l’idée que l’on est le seul à survivre à son propre anéantissement, hurlements, la mort et la vie ne se ressemblent-elles pas si fort qu’elles soient identiques, une seule et même chose, un espoir et un désespoir absolus, quelques accords de basse jugulent la crise, il suffit d’entrer dans l’acceptance des choses, un jour  ou l’autre la nature   décidera quelle que soit la stase existentielle de notre état de notre égocité. Devolve : background un peu chaotique, à qui déléguer sa propre vie, la proposition mérite qu’on s’y arrête, le vocal scande et puis s’apaise, plus exactement la réflexion mûrit lentement sur sa branche dont est n’est qu’une efflorescence arbitraire, se donner, s’abandonner à la vie ou au contraire s’y soustraire, mettre illico un point final, qui a raison, qui se défend avec davantage d’acharnement, des pensées diffuses s’entrechoquent, il est temps de choisir. Vaut-il mieux être mort ou vivant ?  Einsten Rosen Bridge : vous conviendrez que la question mérite une réponse. A moins que vous ne soyez le chat de Schrödinger. Mais laissons-là ce satané matou. Elaguons, le morceau est très court, très beau, très poétique, très lyrique mais il ne répond qu’imparfaitement à la question : que dans la mort, l’âme se débrouille comme dans la vie ! D’ailleurs Thraeds appelle la cavalerie en renfort, en l’occurrence une curieuse idée : en effet s’il est facile d’imaginer la distance entre un point A et un point B, il existe sûrement ne serait-ce que dans le monde du possible hypothétique un autre chemin plus court, c’est ce raccourci que Albert Einstein et Nathan Rosen  ont baptisé bridge, une espèce de pont qui permet cette liaison rapide. Exemple si le point A et le point B situés sur une pomme sont diamétralement opposés, pour se rendre de A à B il est plus simple de passer par le trou qu’un ver aurait creusé à l’intérieur de la pomme, bien sûr en physique la pomme représente l’univers (n’oubliez point la courbure de l’espace-temps chère à Einstein père de la théorie de la relativité)  et le souterrain créé par le ver d’identifie aux fameux trous noirs dont tout le monde parle sans en avoir jamais vu un… Laissons mathématiciens et physiciens discuter doctement dans leur coin, Thraeds applique cette théorie à leur propre thématique nettement plus métaphysique.  : si le point A représente la vie et le point B la mort, si vous voulez parcourir le chemin qui les sépare plus rapidement achetez-vous un revolver.  Si cette réponse vous apparaît comme trop risquée ou trop radicale voici une autre solution : si vous trouvez un chemin encore plus court, si court que les points A et B se touchent presque, peut-être-mêmes sont-ils si proches  qu’ils sont juste à côté l’un de l’autre et pourquoi n’auraient-ils pas un côté commun, voire aucune séparation qui les différencierait… Et si vous-même cher lecteur étiez déjà en même temps  mort et vivant, voilà de quoi alimenter le fil de la conversation lors de votre prochain

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     petit déjeuner familial… Merci Thraeds ! Story in Reserve : il est une autre façon de lire cet album, non pas le vertige métaphysique d’un individu oscillant entre la vie et la mort, il suffit de comprendre que la mort c’est celle de l’autre, pas de n’importe qui, de l’être aimé. Scénario de secours bien plus romantique ! Mais si l’Un est vivant et l’autre morte, quel étrange paradoxe puisque tous deux sont morts et vivants en mêmes temps, incompréhensible gymnastique positionnelle que d’être séparés dans un même lieu. Et si cette survivance de l’un et cette mort de l’autre n’étaient pas la mort de l’autre mais la mort de l’amour. Comment l’amour peut-il être mort alors qu’il vit encore dans deux êtres séparés qui n’en forment qu’un. Curieux quand on y réfléchit : la physique moderne donnerait-elle raison au mythe de l’Androgyne initial. Etrange embrouille ! Que l’amour meure alors qu’il vit encore ! Le morceau précédent était celui où les contraires s’annulent, un point paradisiaque spirituel ancré dans la science, d’où cette musique rayonnante, mais nous voici revenu dans la vie concrète, dans la chair humaine confrontée à son insuffisance pragmatique, il est une barrière infranchissable entre les choses de l’esprit et l’engoncement strictement existentiel, il suffit de franchir la porte fermée à double-tour dont on possède la clef magique, la musique s’arrête, hésitation ultime, rugissements et apaisements. Définitifs. Dans le Coup de dés de Mallarmé les dés ne sont pas en une suprême hésitation lancés il n’empêche que l’univers salue d’un signe cette possibilité de l’impossible qui n’est que l’autre face de l’impossibilité du possible… ici notre héros refuse de pousser la porte de l’amour, que vous préfériez le Rêve de l’Action à l’Action du Rêve, n’est-ce pas dans les deux cas se confronter à sa propre vie, à sa propre mort… autant dire la mort  de l’Action et la mort du Rêve…

             Attention cet album ne s’écoute pas, il se médite. Vous pensez que vous allez entrer dans un sujet bateau, par exemple l’impermanence de tout ce qui est. Toute chose n’est-elle pas en train de devenir ce qu’elle n’est pas… Encore convient-il de nommer la chose telle qu’elle n’est plus.

             Rock métaphysique. Soyons subtil.

    Damie Chad.

            

     

    *

             Ce n’est pas que je sois particulièrement nationaliste mais ce matin je me suis levé en ayant envie de kroniquer un groupe français. Qui cherche trouve, j’ai découvert la perle rare, un tintouin tordu, un bathyscaphe bizarroïde, un truc qui normalement ne devrait pas exister, ne se présente-t-il pas lui-même comme un groupe de post-metal acoustique. J’avoue que je n’aurais pas dû, mais d’instinct je m’étais entiché d’explorer le catalogue de P.O.G.O Records. Voici quelques mois j’avais jeté mon dévolu sur un objet phoniquement assez redoutable (numéroté : 185) à savoir Ghost : Whale – imaginez le raffut que ferait Moby Dick dans votre bocal à poisson rouge – chez P.O.G.O. vous n’êtes jamais déçu, je n’ai pas eu à farfouiller longtemps, juste la case 184 ! Jugez-en par vous-mêmes !

    LA BÊTE

    DRONTE

    (P.O.G.O. Records  184 / Octobre 2024)

    Z’ont déjà commis deux opus : en premier Quelque part entre la guerre et la lâcheté : magnifique titre, l’on pourrait croire qu’il s’agit d’une description de la situation politique de ces derniers mois mais il est sorti en 2019, suivi en 2023 d’un split avec Thomas Augier intitulé Dés - Astres, titre qui fleure bon Mallarmé.

    Le dronte n’existe pas. Je ne parle pas du groupe mais de ces oiseaux trop gros pour voler, communément appelé dodos sur l’île Maurice qui ont été dévorés par les chiens introduits par le capitalisme colonisateur. Si vous croyez que j’exagère reportez-vous aux titres de l’Ep.

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    Toute une tribu : Benoît Bédrossian : contrebasse / Camille Segouin : vibraphone, percussions / Frédéric Braut : chant, shruti, bâton de pluie / Gregory Tranchant : guitares / Lucas de Geyler : batterie / Nicolas Aubert : guitares. Devaient se sentir seuls puisqu’ils ont demandé la collaboration de Raoul Sinier : clavier. Producteur, musicien, graphiste, écrivain, artiviste, Raoul Sinier mériterait une chronique à lui tout seul.

    Le shruti est un instrument indien bourdonnant, attention certains shrutis se prêtent mieux aux voix féminines et d’autres, carrément masculinistes, aux gosiers virils.

    La couve est de Benoît Bédrossian. Encore un artiviste, dessinateur réalisateur de films et de dessin animés. Nous avons dû rencontrer son nom voici quelques années aux temps heureux de la Comedia à Montreuil puisqu’il a publié dans Kronik, fanzine BD que nous avons kroniké à plusieurs reprises.  Au début l’on n’y voit que du jaune, notez la structure diagonalique de la composition qui répartit  équitablement tout en les séparant la face claire du monde et son  côté obscur. Quant à la bête, être mal dégrossi dont on n’aperçoit que la tête, elle fait sûrement partie de l’espèce la plus dangereuse qui peuple  notre planète. Si vous ne vous êtes pas reconnu c’est que vous êtes un incurable optimiste.

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    Perspective : attention piégeux, un départ coolos et cette voix qui se met à parler, l’on se croirait dans un début de chanson française, et puis c’est insidieux le rythme se met à jazzifier, les voix se croisent, l’on ne comprend pas très bien de quoi ils causent, on se croirait dans un fumoir chez des gens bien, maintenant on lève le pied, le moment où les musicos se la coulent doucereux, z’ouvrent une boîte à sourdine,  du coup tout le monde se tait et l’angoisse fond sur vous, ça djente à mort, font de la parodie metal, c’est au tour de la cavalerie de foncer, galop de générique de film d’aventure, et l’on repart à pas lents et lourds, du coup le mec prend sa voix philosophique de vieux sage, du gars  qui a tout vécu puisqu’il s’est contenté de se complaire en lui-même. N’en déplaise au titre l’on a l’impression que les perspectives sont bouchées, que l’on n’est pas encore sorti de l’auberge. Soyons franc, on se demande si en fait on y est déjà entré. Révolution : ( Feat Raoul Sinier) : quelle est cette note de guitare qui insiste pour se répéter tout en fluctuant sur elle-même, le zigue reprend la parole, quand il se tait l’on peut goûter la beauté de l’accompagnement quand il n’accompagne pas, la plaine est envahie, il vous le répète une vingtaine de fois de plus en plus rapidement, l’on s’attend au pire, c’est le meilleur qui survient, un long passage musical, même sans fermer les yeux vous sentez qu’une engin interplanétaire cherche à se poser sur la terre, évidemment vous pouvez imaginer tout autre scénario, c’est un peu dramatique, et multo intriguant, la musique s’éloigne, le poëte reprend la parole, on l’a échappé belle puisque l’humanité a survécu, auprès de ma blonde qu’il fait bon vivre… Soyons sans crainte : la bête reviendra. Perspective : ne faites pas les malins, vous n’avez rien compris au film, normal c’est juste un disque, alors pour que vous intuitiez mieux, ils vous repassent le premier morceau, à l’identique, enfin presque z’ont coupé la piste du microphone, désormais micraphone, oui c’est juste l’instrumental, ce n’est pas que c’est mieux parce l’on peut apprécier la fluidité de la zique, en fait la musique toute seule nous permet de comprendre que le chanteur, non il ne chantait pas puisqu’il parlait, ne faisait que nous communiquer son angoisse à déblatérer sur son malaise à paraître sur la scène du monde. Révolution : (Feat Raoul Sinier) : donc la reprise instrumentale du deuxième morceau. Bien sûr on déguste la partoche, sans toutes ces bavardages bavassant, mais là n’est pas le problème, vous avez cinq minutes et quelques secondes, pas une de plus, pour résoudre la problématique. Non la perspective ne débouche pas sur la révolution, c’est la révolution qui tourne sur elle-même pour vous renvoyer à votre perspective, vous avez cru accéder au nirvana de l’amour, ben non la bête de l’angoisse est en vous, c’est vous la bête, c’est vous le bête, à peine avez-vous trouvé le bonheur que vous sortez de vous-même afin de mieux vous retrouver en vous-même au cœur de votre angoisse. Terrible incomplétude humaine.

             L’opus est composé de deux miroirs qui se réfléchissent l’un dans l’autre. Bien sûr votre image qui est dans l’un des deux miroirs n’est pas dans l’autre, car cela signifierait que vous auriez atteint à une certaine complétude humaine, mais puisque vous n’y êtes pas c’est que vous n’y êtes pas, vous êtes juste à côté, comme un crottin de cheval sur un chemin vicinal dont la pluie  dissoudra jusqu’au souvenir...

             Cela ressemble à cette littérature fort en vogue dans les années soixante-dix, on n’écrivait pas un livre, on disait que l’on était en train d’écrire un livre. Que le lecteur aurait peut-être le malheur ou le bonheur de tenir un jour entre les mains.

             Curieuse expérience concepto-auditive.

    Damie Chad.

     

    *

             Je reconnais que les deux kronics précédentes peuvent désarçonner la stabilité granitique  des esprits sensés, je m’étais donc juré de présenter un groupe bourré de riffs électriques dévastateurs, j’avais un candidat redoutable sous la main, hélas les Dieux ne l’ont pas voulu. Evidemment je parle des Dieux grecs. Je plaide non coupable car qui pourrait résister à l’appel de Ganymède. Pas moi. Comment vous non ! Quelle folie ! Quelle inconséquence !  C’est votre droit le plus absolu. Par contre je m’interroge sur la nécessité de votre existence sur cette planète.

    Bref encore une embardée musicale hors-norme. Doublement sidérante. Je pensais me trouver face à un groupe grec. Pas du tout. Sont domiciliés à Budapest. Capitale de la Hongrie.

    THE GANYMEDE’S CALLING

    BRONZE AGE VISIONS

    (Bandcamp / 2024)

    Pour les malheureux qui n’auraient pas eu accès à des visions provenant  de l’âge de bronze voici quelques rudiments historiaux. L’âge de Bronze succède à la période néolithique, elle débute au troisième millénaire avant notre ère, se poursuit durant la Proto-histoire et débouche dans l’Histoire. Si le néolithique s’apparente à l’essor de la l’agriculture, si l’Histoire débute par l’invention de l’écriture, l’âge de bronze est celui de l’émergence de la métallurgie, bref une époque tumultueuse et guerrière…

    Ganymède, de sang royal issu de cette lignée qui fondera Troie, fut tout jeune réputé pour sa beauté. Zeus, se métamorphosant en aigle, l’enleva et l’emporta dans les demeures de l’Olympe. Pour remercier son nouvel amant Zeus lui offrit le poste d’échanson des Dieux, chargé de distribuer lors des banquets divins le nectar nécessaire à leur immortalité… Jalouse, Héra somma Zeus de se débarrasser de ce rival insurpassable… Zeus lui conféra l’immortalité en le plaçant dans la voûte céleste. Aujourd’hui il forme la constellation du Verseau. Ce personnage qui partagea le quotidien des Dieux retint l’attention des Grecs, on le retrouve aussi bien chez Homère que chez Platon…

    Kaszas: guitar / A. Marias: bass / B. Bodis : drums / E kaszas-Kosa : vocals.

    La couve représente ce qui doit être un détail d’un tableau de Frans Franken dont le titre serait : La sorcière. Nous sommes loin de Ganymède, mais quand nous ne comprenons pas il faut instinctivement savoir faire confiance et attendre que les visions qui nous semblent floues prennent netteté et consistance.Nous remarquons que l'appel de Ganymède passe par l'intelligence, le livre et le savoir...

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    Come with me : le titre est paru en 2023 sur Bandcamp accompagné d’une couve empruntée à Frans Franken (1581- 1642), le tableau n’est pas représenté en entier, seulement une petite portion sise dans le coin gauche supérieur. Un détail sans importance : un morceau de fenêtre, une applique architecturale, une étagère. Le choix est d’autant plus surprenant que la gravure intitulée La Mort et l’Avare représente notre riche bourgeois endormi et le squelette de la Mort interprétant sur son violon une danse

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    guillerette. Guitare morbide, par bonheur le chant survient, ce n’est pas exactement l’envoûtement de sirènes, mais dans ce bourdonnement riffique nous parlerions plutôt d’un répit salvateur, la voix quoique voilée s’avère douce et mélodique, même lorsqu’elle se change en plainte et que le ronronnement de la guitare reprend sa place, toutefois l’appel indistinct revient pour notre plus grand soulagement, bruit de scie égoïne découpant un cercueil ou un cadavre, l’on ne sait pas mais il faut l’avouer on succombe à la beauté de ce vrombissement d’élytres funéraires. Même si vers la fin on a l’impression de déboucher en un drôle d’endroit. Listen to the Thetis Ocean : beaux accords de guitare, est-ce en l’honneur de Thétys l’ancienne maîtresse des Océans, aussi mère d’Achilles, la batterie exsude le rythme régulier du battement des vagues monotones de la mer, en catimini une guitare aigre rappelle que le sel de la mer est amer, un long solo tortueux étend la monstruosité de ses tentacules de pieuvre, celle que sa propre noirceur efface au regard des hommes, qui n’ont plus droit de cité dans les antres abyssaux qu’éclaire le soleil rayonnant des cymbales. Chalices : une résonnance de conque marine, serait-ce l’adieu définitif des vaisseaux qui ne sont jamais revenus de Troie ou un thrène funéraire en l’honneur d’Achilles mort au combat, ou simplement le regret de ces coupes, de ces calices dans lesquels Ganymède n’a encore versé aucun breuvage revigorant, béance symbolique de l’inhumanité humaine. The Ganymede’s calling : présence du son, le chant mélodieux se glisse sous la guitare tandis que la batterie impavide trace son lourd sillon impavide, ce n’est pas la voix de Ganymède qui appelle mais celle de Io, la douce voix cosmique qui se languit de Zeus, son amant, la guitare se fait lyrique, la voix de Zeus n’apaise-t-elle pas n’importe quelle souffrance, n’importe quel mal, tant pis si la mer se gonfle, le flot impétueux n’emportera-t-il pas sa victime jusqu’en Egypte, terre de rut et d’assomption, l’on entend le mufle de la vache qui mugit de plaisir et se perd en un long râle définitif. Le groupe a joint à ce titre une Official Vidéo dont le déroulement risque de laisser le spectateur dans la plus grande perplexité. Elle semble n’avoir aucun lien avec Ganymède. Les esprits subtils comprendront qu’il s’agit d’une image métaphorique de l’histoire de Zeus bâtie sur le double féminin de notre échanson, Io et Ganymède tous deux amants de Zeus, et si c’étaient eux qui avaient appelé et ravi Zeus par leur seule beauté, la vidéo nous montre deux personnages féminins, affublées du nom de Sorcière, peut-être pour se mettre au diapason des baroques tableaux de Frans Francken, peut-être pour marquer l’évidence d’une relation avec le mouvement féministe actuel qui souvent revendique le pour la femme le titre de sorcière, donc deux femmes l’une en robe indigo et l’autre en robe cramoisi jouée par la même actrice, normal puisque toutes deux incarnent le même personnage, mais chacune des deux à un degré d’initiation désirante différente, l’une plus haut que l’autre, l’indigo qui correspond au noir alchimique et le rouge à la complétude philosophale, je vous laisse non pas regarder mais contempler. Pour ceux qui n’y verraient que du vert naturel, saisissez-vous de la baguette magique des sorcières exhaussé en bâton phallique de grand-papa Freud pour essayer de mettre en place les pièces du puzzle. Other wordly Exhaling : résonnances multiples, les instruments sont fatigués, ils reprennent leur souffle, comme des membres rompus aux plus doux combats qui perdent leur tension et se reposent en leur satisfaction de ce qu’ils viennent de commettre. De connaître aussi. Car il est des actes qui n’ont de sens que s’ils sont pénétrés de leur propre conscience. Repos. Onde berceuse.

             A première vue l’ensemble semble disparate, composé de bric et de broc. Il n’en est rien, il fonctionne par déplacements quasiment poétiques, refusant le verbiage explicite, négligeant les structurations causales.  Des visions de temps anciens et homériques, ayant traversé bien des époques, mais gardant par-delà les représentations culturo-circonstantielles l’actualité primordiale et constitutionelle de notre hominisation.

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              Pour ceux qui veulent en savoir plus Bronze Age Visions a sorti ce 25 août 2025 un EP enregistré en public intitulé … And The Io Too ( Live At Dopamine). A Bucarest.   

    Damie Chad.

     

    *

    Jumpin’ Jack Neal fut le contrebassiste des Blue Caps. Il fit partie des Virginians qui devinrent le groupe de Gene. La carrière américaine de Gene est vite partie à vau l’eau, Capitol ne les a pas pris en main… Peut-être ces amateurs de génie n’étaient-ils guère malléables, en même temps trop jeunes et trop âgés…

             La lecture des propos de Jack Neal n’est guère facile. A l’intérieur d’une même phrase  il change facilement de sujet. Il semble que le montage de la vidéo n’aide pas à s’y retrouver… Quoi qu’il en soit, ce témoignage nous dresse un beau portrait de Gene.

             Il est évident que Jack Neal n’a pas réalisé l’importance de l’aventure qu’il a traversée.

    The Gene Vincent Files #6: Interview with Jack Neal,

    first bass player for Gene and the Blue Caps.

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    Eh bien pour commencer, ils avaient un groupe de studio et ils s’appelaient les Viriginians, et donc nous y sommes allés et tous ceux qui voulaient passer une audition nous les avons accompagnés. Il y avait Dickie, nous : Willie William et Cliff Gallup et moi-même. Je n’ai jamais connu Gene Vincent avant que ce truc maigre n’entre par la porte d’entrée et que je dise que cette maigre brindille devait être Gene Vincent, mais il s’est vite révélé, c’était un bon chanteur, et WCMS l’aimait et c’est comme ça que tout a commencé avec WCMS pour autant que je me souvienne, ils, Gene et le Sheriff Tex Davis, ce dernier  était notre propre manager, ont écrit Be Bop A Lula, donc pour essayer de faire avancer les choses ils ont envoyé la cassette à Capitol Records à Nelson et immédiatement Nelson l’a aimée et donc il a voulu que nous venions l’enregistrer au studio Owen Bradley qui n’existe même plus, et je pense que c’est de là que le bruit a couru que Nelson ne nous voulait pas, ou un truc du même genre, ce n’est pas vrai. Mais pour obtenir ce que Gene voulait faire il nous a mis à part et nous a séparés de Gene, il était comme derrière une porte fermée, mais bien sûr nous pouvions l’entendre, mais c’est comme ça que nous avons enregistré

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    tout ça, c’est-à-dire Race with the Devil, Blue Jean Bop et Up a lazy River. mais avant cela nous avons fait tous nos concerts à Norfolk, nous avons fait le Wilkin Show sur Military Highway, le Old Commodore Theater à Portsmouth, et quel était le nom du Grand dans le Sud, oui le Grand Hotel dans le sud de Norfolk, puis nous sommes allés au  Nags Head Casino. Ensuite nous avons pris la route, nous avons fait le spectacle pour le Perry Como Show. Le groupe était au complet, et quelqu’un vous a-t-il raconté comment cela s’est passé quand nous avons pris la route nous n’étions pas des romanichels.  Nous avions  une Ford, seulement c’était une de ces longues limousines, une sorte de limousine avec un porte-bagages sur le toit, nous avons mis nos affaires sur la galerie, et en avant. Plus tard nous avons changé   le  véhicule contre une Cadillac.  Lorsque nous avons eu  la Cadillac, nous sommes allés de Las Vegas à Nevada.  Je tiens à dire qu’en voiture de chez moi à Las Vegas dans le Nevada c’était alors une véritable aventure mon Dieu ! J’étais vraiment  heureux quand j’en eus terminé avec cette épreuve !  C’est un interminable chemin, nous sommes crevés, l’habitacle sent mauvais, les gars mangent là-dedans et ils font un ramdam du diable, Dickie est devenu fou, Seigneur aie pitié de nous ! il ne voulait même pas s’asseoir sur son siège la plupart du temps, et il est devenu tellement cinglé qu’il a déchiré le fond de son pantalon. Une fois à Los Angeles j’ai cassé le cheviller sur ma basse, ce n’était pas ma basse, elle appartenait à l’endroit où nous jouions et le Sheriff Tex Davis n’aimait pas beaucoup ce genre d’ennui, Gene s’en fichait, eh bien dis-leur

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    comment tu faisais, oh je l’ai juste levée au-dessus de moi et quand je l’ai redescendue et qu’elle a heurté le sol  le cheviller s’est cassé en-dessous, et a brisé l’un des ressorts, les cordes et le chevalet sont tombés en-dessous, et le sheriff Tex Davis n’a pas du tout aimé mais Gene raffolait de cela, il était à fond pour ce genre de truc, mec il devenait totalement dingue chaque fois que nous allions faire un spectacle, il nous disait toujours de ne pas rester immobiles, pour bouger il n’était pas le dernier, il était souvent là, mais la plupart du temps c’était juste parce que l’on aimait la musique. Vous savez il fallait bouger quand on l’aimait. Vous ne pouviez vous empêcher de sauter partout. Gene était quelqu’un de bien, un homme pour qui il était agréable de travailler. Il ne s’est jamais fâché contre l’un de nous. Il était toujours dans le mouve. Il venait toujours nous demander conseil, c’est ainsi que ça se passait. C’était un homme bien. Parfois on pouvait voir qu’il souffrait mais il essayait de ne pas le montrer. Je pense qu’il a assuré. Il m’a toujours bien traité, tout ce genre d’anecdotes que ma femme a racontées, un désastre rapporté dans les livres, j’ai  du mal à croire que c’était ce genre d’homme. Je n'y crois pas, mais c’était un homme bien. N’ai-je pas l’air stupide ! (Jack s’est coiffé d’une casquette bleue) si ça

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    l’est tu peux l’enlever ! Oui, il y avait une raison, ça avait quelque chose avoir avec Eisenhower, ne portait-il pas une caquette bleue ou quelque chose de ce genre. Je ne le crois pas non plus mais ça avait quelque chose à voir avec ce dont tu parles, comme Willie Williams. Eh bien je le pense. Sa femme a été la cause  de son départ. Cliff dès le départ il n’avait pas l’intention de rester. Il était en congé. Eh bien, c’était un guitariste fabuleux. Je peux vous dire que beaucoup de gens ont essayé de l’imiter mais ils n’y sont pas parvenus. Tellement il était bon. Et moi aussi, quand tout, je veux dire quand le fric n’a plus été au rendez-vous je suis parti. Dickie a été le dernier à rester avec lui. Puis il est finalement parti et Gene est parti en Angleterre.

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    J’ai entendu dire qu’il était très populaire là-bas, en fait il était plus populaire là-bas qu’ici.  Pourquoi ? je ne sais pas. Ainsi ils pensent toujours qu’il est Dieu, mais il est devenu célèbre là-bas même une fois mort, il est devenu célèbre depuis le jour de notre départ. Je n’ai jamais eu de ses nouvelles, je ne l’ai jamais contacté. Je pense qu’une fois que tout cela a été fini il est parti en Angleterre, je ne sais pas si Dickie a gardé des contacts avec lui ou non. Je ne pense pas, oui ça m’a surpris qu’après 50 ans des gens comme vous continuent à faire un film sur ce sujet. Après 50 ans, oui ça me surprend, on aurait pu penser que tout cela disparaîtrait au bout de huit ans, mais je ne pense pas que ce sera le cas, peut-être que lorsque j’aurais 90 ans cela continuera encore.

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    Transcription : Damie Chad.

    Notes :

    Jack Neal né en 1930 nous a quittés le 27 septembre 2011.

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    Wilkin Show on Military Highway : peu d’indices sur ce Wilkin Show, par contre voici deux vues de la Military Highway la première de 1954, la seconde prise en 2015 ou 2018.

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    Commodore Theater à Norfolk, ouvert de 1945 à 1975. Aujourd’hui, voir notre photo, transformé en cinéma.

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    The Grand Hotel : sis à Norfolk, plus tard devenu le Continental Hotel. Puis fortement remanié et vendu sous forme d’appartements. La photo a été prise circa 1960.

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    Nags Head Casino, un des haut-lieux de distraction des Outer Banks, situé en Caroline du Nord. La salle de spectacle a reçu dans les années 40 tous les grands noms du jazz. Dans les années cinquante elle s’est ouverte au rock’n’roll, Platters, Fats Domino, Jerry Lee Lewis, Gene Vincent. Dans les années soixante elle s’est ouverte groupes de surf. Le complexe fut détruit en 1970.

    Perry Como Show : Gene participa à cette émission de télévision à New York le 26 juillet 1956.

    A suivre.