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thumos - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 589: KR'TNT 589 : LUSH / THE CULT / LEE FIELDS / ELIZABETH KING / MUD / THUMOS / DOORS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 589

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 02 / 2023

    LUSH / THE CULT / LEE FIELDS

    ELIZABETH KING / MUD

    THUMOS   / DOORS

    Sur ce site : livraisons 318 – 589

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    The Miki way

     

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             Quand on croisait Miki Berenyi dans les pages du NME ou du Melody Maker, on la prenait volontiers pour une Pakistanaise, une Paki comme on dit à Londres. Avec ses cheveux rouges et son heavy make-up, elle dégageait quelque chose d’extrêmement exotique. On ne faisait même pas l’effort de mémoriser son nom. De toute façon, le son de Lush - dont elle était la chanteuse - ne nous plaisait pas plus que ça. Lush et quelques autres groupes, comme Slowdive, My Bloody Valentine, Moose, Ride ou Chapterhouse, incarnèrent un courant musical, baptisé Shoegazing par la toute puissante presse anglaise de l’époque, un courant qu’on considère, à tort ou à raison, comme l’un des points bas de l’histoire du rock anglais. Un journaliste du Melody Maker qualifiait les shoegazers de STCI (The Scene That Celebrates Itself). Ces groupes proposaient en effet une pop ambiante extrêmement statique qui finissait par générer un bel ennui. Dans les concerts, on bâillait aux corneilles, surtout ceux qui plus jeunes, avaient tété les mamelles du real deal, c’est-à-dire Jerry Lee et les Stooges. On se retrouvait dans ces concerts à cause des buzz que lançaient les journalistes anglais. La crainte de rater le passage d’un bon groupe nous incitait parfois à faire n’importe quoi.

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             Il s’est produit exactement la même chose qu’avec l’autobio de Stuart Braithwaite, le guitariste de Mogwai : dans la presse anglaise, un journaliste pond une chronique élogieuse de l’autobio de Miki Berenyi, et pouf, rapatriement. Cette fois, c’est la crainte de rater un bon book qui déclenche le passage à l’acte. Fingers Crossed: How Music Saved Me From Success arrive 48 h plus tard sous la forme d’un bel objet, bien dodu, sous une jaquette dans les tons pourpres qui s’harmonisent divinement bien avec l’écarlate des cheveux de Miki, un peu plus de 350 pages imprimées sur un bouffant plaisant, avec des choix typo de fonte et d’interligne qui rendent la lecture délicieusement agréable, et plouf, on y plonge. Plonger dans la lecture d’un book, c’est exactement la même chose que plonger dans l’eau du lagon d’argent : tu en éprouves un pur plaisir, tu goûtes à ce que Gide appelait autrefois Les Nourritures Terrestres - ce fantastique texte en prose en forme de chant d’amour, dans lequel il s’adresse à Nathanaël pour le former à la beauté du monde : «Que l’importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée.» - Plonger dans un livre inconnu, c’est une façon de partir à la découverte d’un personnage, d’entendre une voix nouvelle, une façon de voir comment les autres vivent leur vie, voir aussi de quelle façon ils s’accomplissent ou se détruisent. Chaque vie se résume à un destin, parfois tout entier contenu dans un livre. C’est à la fois l’aspect dérisoire d’une vie, mais aussi sa grandeur, dès lors que l’auteur abandonne toute pudeur pour s’offrir aux regards extérieurs. Les grands livres sont parfois comparables à des courtisanes impudiques, celles qui te font bander.

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             L’autobio de Miki présente les deux aspects : dérision et grandeur. L’absence totale de pudeur et un langage de punkette rebelle en font la grandeur. La deuxième partie qui est consacrée à l’histoire de Lush paraît par contre totalement dérisoire, car cette tranche de vie (cinq ans)  se résume à quelques souvenirs de concerts, de tournées et de sessions d’enregistrement. Miki se débat avec les anecdotes, essaye d’éviter les pièges du name dropping et tenter d’éclairer le mieux possible les lecteurs de son book qui sont de toute évidence les anciens fans de Lush.

             L’éclairage le plus important est celui qu’elle donne sur elle-même. Paki ? Pas du tout ! Père hongrois (Ivan) et mère japonaise (Yasuko). Comme Ivan est un womaniser, ce qu’on appelle ici un coureur de jupons, Yasuko se fait la cerise vite fait, et c’est là que Miki entre dans la période trash de sa vie de gamine. Ivan lui apprend très jeune à se débrouiller seule et à se défendre. Elle vit à Londres dans une baraque toute pourrie avec Ivan et la grand-mère hongroise Nora, qui est une malédiction. Miki explique sans détour qu’elle doit dormir avec Nora qui abuse d’elle. Elle apprendra un peu plus tard que Nora a aussi abusé d’Ivan - Coincées  dans notre lit, elle me lit des contes hongrois, mais elle s’endort au milieu des phrases et le livre de contes s’écroule sur la bouse de ses nibards étalés (on the cowpat spread of her breasts). Parfois, quand elle ronfle, j’observe sa bouche ouverte, qui est complètement édentée, et je crève d’envie d’y enfoncer mon poing jusqu’à ce qu’elle en crève - Miki hait Nora qui lui fait chaque soir sa toilette et qui passe un temps infini à lui tripoter l’entre-jambe. Nora hérite même du surnom de Noracula, «qui fait référence à ses origines transylvaniennes mais qui hélas ne couvre pas toute l’étendue de sa nature monstrueuse.» C’est vrai qu’en voyant la photo de Nora dans les pages du cahier central, on comprend tout : une vraie gueule d’empeigne. Et puis il n’y a pas que Nora. Il y a aussi Uncle Sam, un copain d’Ivan, qui dès qu’Ivan ou Nora ont le dos tourné, met la main au panier de Miki. La gamine ne dit rien. Elle croit que c’est normal. Jusqu’au jour où elle en a un peu marre des saloperies d’Uncle Sam et lui dit qu’elle va en toucher un mot à Dad. Alors Uncle Sam disparaît de la circulation.

             Miki finit par comprendre pourquoi Ivan éprouve tellement de difficultés à entretenir des relations suivies avec les femmes : «Fils unique abandonné par son père et abusé par sa mère, il n’avait aucune idée de ce que pouvait être une relation normale. Comme il savait qu’une relation sentimentale pouvait tourner court à chaque instant, il préférait la contrôler plutôt que d’en être la victime. Plutôt quitter que d’être quitté.» Quand il approche de la fin et que Miki lui demande ce qu’il préfère entre le crématoire et le trou au cimetière, Ivan est pris d’un fou rire. Il dit de mettre ses cendres dans un seau «and flush me down the toilet», c’est-à-dire tire la chasse. «What the fuck will I care ?» Il a raison Ivan, ça change quoi, quand on a cassé sa pipe en bois ? Miki ajoute qu’Ivan aimait trop la vie pour se soucier de la mort - It was only ever life - not its aftermath - that engaged him. Miki écrit remarquablement bien. Elle sait restituer l’épaisseur humaine de ses personnages.

             Elle écrit dans un style très direct, qu’on pourrait, pour simplifier les choses, qualifier de punk. Elle n’est pas genre à traîner en chemin. Chez elle, les bollocks et le fuck sont monnaie courante. Nevermind ! Elle perd vite patience avec les cons, ce qui la rend éminemment sympathique.

             Quand dans l’intro, elle évoque la notion de groupe, elle évoque aussi sa naïveté d’antan,  quand elle croyait qu’un groupe pouvait être une famille - I know that’s all bollocks - I know that now - mais à l’époque ça ressemblait à un rêve qui pouvait devenir réalité - Elle parle très bien de l’espoir que génère le fait de monter un groupe : «Le miracle de la musique, c’est de pouvoir fabriquer quelque chose à partir de rien. Assembler des notes, ajouter de la profondeur avec des paroles, insuffler la vie dans une chanson en la jouant avec un groupe, l’enregistrer, puis la partager avec un public, répandre toutes ces émotions et toute cette joie - tout cela étant issu d’une chambre, d’une guitare et d’une voix. Transformer la tristesse en bonheur, sortir de la solitude et du loserdom, s’évader d’une bad place et rejoindre un monde meilleur.» C’est sa façon de dire qu’elle y croyait dur comme fer, et comme cette confession apparaît dans le chapitre d’intro, alors on décide de la suivre et même plus, si affinités. On peut par exemple envisager de réécouter les quatre albums de Lush.

             Comme elle est ado à Londres, elle peut se goinfrer de concerts : 90 en 1983, 150 en 1984. Elle tient sa comptabilité dans un journal intime. Elle baise tant qu’elle peut, elle privilégie ce qu’elle appelle the sex without love - Can be enormous fun when liberated from the hope that it’s the beginning of something bigger. In other words, if you approach it like a man - Miki comprend vite que le sentimalisme n’est pas vraiment l’apanage des mecs, alors elle opte pour la liberté à tout va. Elle opte pour les plans cul, comme on dit aujourd’hui, c’est-à-dire les relations non suivies. Elle dit qu’elle possède «un radar pour repérer les mecs libres et elle ne peut pas l’éteindre». Elle cherche un mec «who’s only after a bit of fun. That way no one gets hurt.» Elle applique la philosophie d’Ivan.

             Sur son tableau de chasse figure Billy Childish, à l’époque des Milkshakes. Il a sept ans de plus qu’elle, mais elle s’accroche à lui, parce qu’il a un groupe, qu’il peint et qu’il écrit des poèmes - I fuck him in the staiwell of Clanricarde Gardens, waiting until my flatmates have gone to bed before sneaking him into my bedrom overnight - Ses phrases sonnent souvent comme des paroles de chanson. Miki est une écrivaine extrêmement rock’n’roll. Elle rend un ultime hommage à Billy avant de le perdre : «Still Billy is an artist, uncompromising in his determination to write the truth. His truth, at least, which I suppose is what’s expected of an artist.»

             Elle avoue aussi perdre patience rapidement - I am belligerent with people I can’t stomach - Elle a raison, c’est une façon de gagner du temps. 

             L’idée d’un groupe commence à germer dans la tête de Miki et dans celle de sa copine Emma. Elles branchent leurs deux guitares dans la stéréo d’Emma et elles se mettent à gratouiller leurs poux. Elles montent Lush avec Chris au beurre et Meriel au chant. C’est Emma qui trouve le nom du groupe. Lush veut dire luxuriant. Puis elles recrutent Steve Rippon pour jouer de la basse. Premier gig au Falcon, à Camden, en mars 1988. Puis Emma veut virer Meriel, trop statique sur scène, alors Miki se charge de la besogne. Lush n’a plus de chanteuse, alors Emma passe une annonce dans le Melody Maker, citant Blondie et de Hüsker Dü comme influences. Chou blanc. En désespoir de cause, Miki est promue chanteuse de Lush. Comme elle n’est pas à l’aise, elle s’envoie des verres de cidre avant de monter sur scène. À la fin du set, Emma la coince pour lui dire : «Don’t you EVER get pissed again before a gig!». Tout au long de son récit, Miki évoque cette relation extrêmement tendue avec Emma. Elles jouent dans le même groupe, mais ne sont pas copines. Emma ne veut pas de l’amitié que lui offre Miki.

             Lush fait un grand bond en avant en signant avec 4AD, contre l’avis d’Howard Cough, l’un des responsables du label qui traite Lush de «worst band I’ve ever seen». Mais Ivo le boss veut Lush et pouf c’est parti. À l’époque, 4AD est un label indé prestigieux. Dans son roster, on trouve les Pixies, Cocteau Twins, Throwing Muses et Bauhaus. John Peel invite Lush une fois, car leur cover d’Abba («Hey Hey Helen») l’amuse bien, mais ce sera la première et la dernière fois. Lush n’est pas la tasse de thé de Peely. Ça n’empêche pas Lush d’aller dérouler son petit parcours de groupe indé, juste avant l’éclosion de la fameuse vague Britpop. Quand Steve Rippon quitte le groupe, c’est Phil King qui le remplace temporairement. Un Phil King qui est déjà un vétéran de toutes les guerres puisqu’il a joué dans Felt, les Servants, Biff Bang Pow, et on le verra beaucoup plus tard à Paris jouer au Trianon avec les Mary Chain.

             Le principal épisode de la vie de Lush, c’est le Lollapalooza de 1991. Lush joue en première partie de Jane’s Addiction qui sont en tournée de promo - A year-long enormodrome tour - pour le double-platinum Ritual De Lo Habitual. Il y a en tout sept groupes à l’affiche de la tournée : Red Hot Chilli Pepers, Ministry, Ice Cube, Soundgarden, les Mary Chain et Pearl Jam. Les seules gonzesses dans le tas, c’est Lush. Elles se retrouvent dans un monde «that agreesively radiated muscle and testosterone», les Peppers et Ice Cube étant les pires. Miki en profite pour se régaler tous les soirs du set des mighty Mary Chain. Elle rend aussi un hommage virulent à Ministry - La seule réponse possible au set de Ministry, c’est l’awe-struck submission. The cacophony of industrial pounding, pile-driving guitars and Al Jourgensen scream-growling like Beelzebuth over nerve-shredding samples is like being crushed by the Apolcalypse - Sa description est criante de véracité. En plein milieu de la tournée, Miki voit débarquer Gibby Haynes, le chanteur des Butthole Surfers. Il vient duetter avec Ministry sur «Jesus Built My Hot Rod». Miki est fan des Botthole et de leur visceral chaos, mais elle n’arrive pas à engager la conversation avec Gibby - All I get for my effort is a yeah-whatever eye-roll and the cut-to-the-chase line: ‘How about we just go up to your hotel room - you can suck my cock while I lick your pussy - Fin de la conversation. Pour l’anecdote, Miki relate tous les excès d’Al Jourgensen dans les hôtels, il y en a deux pages pleines, c’est du mayhem à l’américaine avec des amplis qui passent pas la fenêtre et tout ce qu’on sait déjà. Elle raconte tout ça très bien. Miki est tellement défoncée qu’un soir, elle veut jouer au moshpit et se lance dans le public d’une scène beaucoup trop haute. Les gens s’écartent et elle se retrouve à l’hosto, miraculeusement vivante.

             Mais à Londres, des gens n’aiment pas Lush. Miki rapporte pas mal d’incidents. Un bloke s’adresse à elle : «Are you that bird out of Lush ?», elle opine du chef et le bloke lui dit : «Your band’s fucking shit.» Un autre lui demande un autographe, elle le signe, alors le mec fout le papier dans sa bouche, le mâche et le crache sur les godasses de Miki avec un air de dégoût.

             Une tournée américaine a lieu en 1996 avec Gin Blossoms et les Goo Goo Dolls.  C’est un plan monté par leur manager. Miki et Emma savent qu’elles vont au casse-pipe, car Lush n’est pas fait pour ce type d’affiche. Miki parle d’un complete mismatch. Le seul bon souvenir qu’elle conserve, c’est Imperial Teen - great band and old-school friendly - Elle raconte aussi que Ian Astbury monte sur scène chanter «Ciao!» avec Lush - Mais il y a un léger malentendu, pendant la répète, l’Astbu leur dit qu’«it’s a bit skiffle, isn’t it?», il croit que c’est une cover de l’«Eddie (Ciao Baby)» du Cult. Chris is laughing so hard he can barely play the drum - Elle traîne aussi à cette époque dans les parages de Primal Scream - Bobby Gillespie, high as a kit at some do, me fait taire en me mettant directement la main au panier et me fixe dans le blanc des yeux tout en se pourléchant les babines - Alors elle accepte ce type de comportement, puisque c’est un moyen d’être admise dans le sérail. Mais elle s’aperçoit très vite qu’elle n’est pas faite pour jouer la carefree 24-hour party person. Elle n’est pas de taille pour ce type d’exploit sportif. C’est l’époque de l’ecstasy et ses amis en font une consommation gargantuesque. Elle finit souvent la soirée assise dans un coin, «too far gone to move», incapable de bouger.

             Parmi les groupes qu’elle croise dans les tournées, elle flashe sur Babes In Toyland, «cathartic and compelling on stage, earthy and friendly off.» Miki ajoute qu’après leur set, les Babes picolent sec et tiennent mieux l’alcool que les mecs - they drink enveryone under the table - Et puis bien sûr, nous avons droit à un petit panorama de la scène indé, Miki nous sort les noms des Cranberries, de Belly et de Moose, un Moose qui d’ailleurs va devenir son compagnon et le père de ses deux gosses. Puis arrive la Britpop avec Suede, Blur, the Madchester bands - comme elle les appelle - Elastica, S*M*A*S*H, These Animal Men et Pulp. Au début, cette vague lui plaisait bien - a familiar and friendly environment where I feel comfortably at home - Puis le succès de Blur et d’Oasis change la donne, ces deux groupes cultivent «a new mood of swagger, flag-wavingly British in defiance to American ‘grunge’», le fameux Cool Britania. Miki va voir tous ces groupes sur scène et va même traîner dans tous ces backstages avec, énumère-t-elle, «Suede, Pulp, Oasis, Blur, Elastica, Echobelly, Boo Radleys, Salad, Powder, Menwear and all the rest of it. I can’t get away from these fucking bands. Britpop is happening.» D’autres anecdote encore : «Liam Gallagher circles me, wondering aloud when I’ll be ready to fuck him in the toilets.» Bien sûr, Miki s’offusque - Look, je sais que je ne suis pas Mary Poppins, mais ce n’est pas du flirt, c’est du harcèlement. Et derrière ça, il y a un truc dégueu : ça implique que suis demandeuse, pas lui - Comme elle porte des robes très courtes, elle est constamment sollicitée. Pour elle, c’est la façon qu’ont les mecs de vouloir dire : «Si tu veux avoir la paix, fringue-toi comme une bonne sœur.» Miki n’a qu’une réponse à ça : fuck it !

             Mais la Britpop dégénère assez vite. Miki voit cette scène hijacked by elitist dickheads. Elle finit par ne plus pouvoir supporter cette daube, ni les gens ni les groupes - So sorry for being a party pooper, c’est-à-dire une casseuse d’ambiance, je sais que bon nombre d’entre vous had a blast, but I fucking hate Britpop and I’m glad the whole sorry shit-list ended up imploding. I just wish it hadn’t done so munch damage white it lasted.  

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             Lush on les a vu une fois, peut-être deux, avec les Pale Saints. Grands souvenirs des Pale Saints. Lush ? Pas grand-chose. Miki et ses cheveux rouges. Trop punk anglaise pour un Français. Leur premier album s’appelle Scar et paraît sur le tard en 1989. En fait, c’est un mini-album. Il vaut mieux éviter de le réécouter trente ans plus tard, car c’est un son qui vieillit atrocement mal. Miki amène son «Baby Talk» au fast heavy pop-punk mal chanté, ça se noie dans une sauce de sortilèges, toutes les histoires de Nora et d’Ivan rejaillissant dans ce mix de puberté poubelleuse. Avec «Though Forms», les filles de Lush prennent vraiment les gens pour des cons. Ce n’est pas du rock, c’est de la vapeur. Les voix se perdent dans la buée. Miki taille sa route avec «Bitter», elle gratte à la va-vite, mais c’est Chris qui sauve la mise, au beurre. La pauvre Miki ne chante pas très bien, ça se barre en solo d’infraction prostatique, elle parie sur l’énergie punk. On sent bien l’odeur du trash. Ça se termine avec «Etheriel», une petite pop d’ouate. Rien que du son pour du son. Des cuts qui n’en sont pas. Comme chez Mogwai. Même genre de néant paradoxal.

             À cause de sa dégaine provocante, Miki se fait pas mal choper aux douanes, lorsqu’elle descend d’avion. Elle dit avoir rencontré pas mal de douaniers «fermes mais polis, qui font simplement leur job. Mais j’ai aussi rencontré une sacrée ribambelle de power-abusing cunts et je leur réserve a front row of panoramic-view seats on the kamikaze flight into the mountainside of my vengeful imagination.» C’est bien dit, Miki. Mort aux vaches !

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             Deux ans plus tard paraît Spooky. Ambiance très spooky, très pop anglaise d’époque, hétéro-éthérette, un «Nothing Natural» chanté à la féminine accrochée au plafond, mais pas de truc en plume, juste de l’ouate, un ruisseau d’ouate. Petit son indé ridicule, pubère et drainé, parfois plombé, pas beau, presque féministe. Elles amènent d’ailleurs «Ocean» au petit océan féministe, c’est gorgé de féminité au point que ça ne passe pas, chant trop Lushy, pénible, humide, ridiculous. So ridiculous ! Spooky peine à jouir. L’hyper-féminisme tue la pop dans l’œuf, même si «For Love» remonte le courant, wild as fuck. Joli titre que ce «Superblast». Les filles l’honorent, elles sortent le fast blow avec des voix d’écho et ça devient une pure merveille. Elles peuvent se montrer terrifiques, avec ces voix d’entre deux eaux, c’est l’apanage du Lush-moi-là, énorme tension, ça redevient presque sexuel tellement c’est humide et chaud. Et puis d’autres cuts naviguent dans les méduses, Miki et sa copine Emma traînent dans les eaux troubles de la mauvaise pop d’époque, de la fast pop gorgée d’indie scum, cocktail périlleux de grosses attaques et de voix de femmes. Ça finit par insupporter. Album produit par Robin Guthrie, ceci expliquant cela.

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             Quand Split paraît en 1994, Miki sent bien que Lush est en décalage avec la scène grunge et Oasis - Split est trop fragile et introverti pour rivaliser avec les nouvelles tendances (out of step with the times) - Pourtant l’album est excellent, Miki t’embarque dès «Kiss Chase» avec du big heavy sound. On peut même parler de wall of sound, avec de somptueuses palanquées d’accords, il y a des grattes partout, all over the rainbow, le son vibre de toutes ses fibres. L’autre gros shoot de wall of sound s’appelle «Undertow», amené au bassmatic demented de Phil King, il télescope la gratte de Miki, ça taille à la serpe, le cut sonne comme la marée du siècle, Miki et Emma te plombent ça aux grattes des enfers, elles font un placard total de wall of sound. Et puis tu as une petite triplette de coups de génie, à commencer par le bien nommé «Blackout». Ah comme elles sont bonnes ! C’est explosif et allumé aux voix éthérées, et ce batteur dément qu’est Chris bat tout à la vie à la mort. Elles sont encore dans une énergie considérable pour «Hypocrite», Miki te court sur l’haricot, elle te pèle le jonc, elle te trashe tout l’UK, oh Miki, the wild chick ever ! Elle t’enflamme le British Beat, là tu halètes car elle te le fait avec la langue de feu, c’est du wild punk so far out, cet «Hypocrite» est tellement bon qu’on finit par dire n’importe quoi. Split un album fantastique dont on n’a pas idée tant qu’on ne l’a pas écouté. «Lovelife» est encore du big biz. La Miki, tu lui colles au cul, tu ne la lâches plus. Avec elle, l’incroyable se produit, c’est-à-dire la renaissance des grattes, les pluies de poux, les proliférations de tombées somptueuses, on la suit, la Miki, elle étale ses draps au grand jour. Encore un cut accueilli à bras ouverts : «The Invisible Man». Elle file sous le vent, elle taille sa route à la serpe. C’est un album qu’on écoute jusqu’à plus soif. Et puis tiens, voilà encore un sacré coup de génie : «Lit Up». Allumé direct. Trente-six chandelles. Encore un festival de big fat wild as fuck. Elle parvient à se hisser au sommet du lard fumant, elle te claque les meilleurs accords d’Angleterre, elle injecte un gros shoot d’overdrive, elle maîtrise le placage et finit par te hanter. Te voilà transformé en château d’Écosse. Merci Miki !

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             Le quatrième et dernier album de Lush s’appelle Lovelife et c’est encore un very big album. Miki devient ta reine d’un soir. Gros son dès «Ladykillers» - My attempt at writing a hit - elle chante à la petite retorse, c’est très anglais, très inspiré, bien solidifié au ciment de voix de femmes. Elles injectent des couches de power en dessous du chant. Dans son book, Miki dit que «Ladykillers» «was my one concious effort to give the rabble what they seemed to be asking for.» Ça devient extrêmement impubère avec «500», presque Brill, tellement c’est sucré. Encore de la belle pop candy avec «I’ve Been Here Before». Cette pop est d’une qualité insolente. Miki chante à l’ingénue libertine. Tout est sexué à l’extrême sur cet album. Avec «Single Girl», elles sonnent comme les Pixies, même genre de ferveur, c’est très riche, gorgé de Gorgones. Attention, ce genre d’album devient vite tentaculaire : il te prend tout ton temps. Back to the wild side avec «Runaway». Elles savent lever des vagues de heavy pop, c’est une pure énormité, grattée serrée. Dans leur élan, elles tapent «The Childcatcher» en mode fast London pop, elles jouent au rebondi avec une belle féminité et une incroyable énergie. Le son est là, juste derrière et toujours ce chant impubère d’ingénue libertine. Elles referment la marche avec «Olympia» et une flûte de Pan. Ah quelle belle pop de Brill ! Elles savent guider le candy dans la vulve du Brill, c’est une vocation. Elles distillent des harmonies vocales d’une pureté extrême.

             Miki sent venir le déclin de Lush. La scène a changé depuis les grandes heures de Lollapalooza et de Jane’s Addiction. Pour le public américain, Lush était à l’époque un groupe exotique - an unfamiliar new band - Mais cinq ans ont passé. Pour elle, un macho element s’est installé, les Américains ne réagissent plus qu’aux groupes qui leur parlent et ils ne tolèrent plus de voir deux «sappy English girls qui ne font même pas l’effort d’être sexy». Cette dernière tournée américaine avec Mojave 3 est une catastrophe. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et Emma annonce qu’elle jette l’éponge. Elle a très bien compris que le temps de Lush est révolu et que le groupe n’aura jamais de succès aux États-Unis. L’obsession des deux managers successifs à vouloir forcer le marché américain a fini par avoir la peau du groupe. Pour calmer le jeu, Emma indique que Lush peut continuer sans elle. Elle cite l’exemple de Suede qui a redémarré sans Bernard Butler. Mais Miki n’est pas d’accord : «No Emma, no Lush.»

             C’est la mort de Chris qui aura la peau du groupe. Chris déprime depuis que sa poule l’a quitté et il tente de retrouver le moral en allant se ressourcer chez ses parents à la campagne. C’est là, dans une grange, qu’on le retrouve pendu - Out of sight and hard to find - Son père, inquiet de ne pas le voir revenir de sa promenade, a fini par découvrir le corps de Chris pendu.

             La chute du book est vertigineuse. Miki n’en finit plus de dire que Chris était son préféré. Au commencement de Lush, ils ont vécu un moment ensemble et sont restés très proches après leur séparation - La famille de Chris espère que nous continuerons avec Lush, ils nous donnent leur bénédiction. Mais j’ai su à la seconde où j’ai appris la nouvelle de sa mort qu’il n’y avait aucun avenir. No future. Tout ce temps passé à supporter les crises d’Emma, tout simplement parce que j’avais besoin d’elle. Mais j’avais encore plus besoin de Chris. He was the happy soul of Lush et sans lui, ça n’a plus aucun sens.

             Miki n’est pas si vieille. Elle n’a que 56 ans. Et deux enfants. Elle termine là-dessus. Après la mort de Chris, la vie a repris ses droits. Merci Miki, enchanté d’avoir fait ta connaissance.

    Signé : Cazengler, Louche

    Lush. Scar. 4AD 1989

    Lush. Spooky. 4AD 1991

    Lush. Split. 4AD 1994

    Lush. Lovelife. 4AD 1996

    Miki Berenyi. Fingers Crossed: How Music Saved Me From Success. Nine Eight Books 2022

     

     

    Le feu au Cult - Part Two

     

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             Quand Ian Astbury s’exprime dans la presse, on aurait tendance à ne pas trop le prendre au sérieux. Il vaut mieux le lire après l’avoir écouté, car c’est là qu’on commence à le prendre au sérieux. Ainsi, quand il déclare : «Individually we’ve been through a hell of a lot. It shines in our music», on comprend ce qu’il veut dire. The Cult est un groupe capable d’aligner une série d’albums extrêmement impressionnants, tous chargés de climats délétères et de démesure, quelque part entre Killing Joke et les Afghan Wigs. Deux autres points de repères : Rick Rubin les produit et l’Astbu est obsédé par le shamanisme des Indiens d’Amérique. Le décor est vite planté. On dit d’eux qu’ils transcendent les genres. Pour transcender les genres, il faut une voix et un son. Pas de problème. L’Astbu fournit la voix, Billy Duffy/Rick Rubin le son. «Towering guitar riffs» et «songs to match their bravado», nous dit Vive Le Rock. L’Astbu et Billy Duffy ont des racines : Southern Death Cult pour le premier et Theatre Of Hate pour le second.

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             Ce sont les mecs de Crass qui orientent le jeune Astbu fraîchement débarqué en Angleterre sur les pratiques religieuses des Indiens d’Amérique. Il se souvient même du livre qu’on lui a prêté dans le squat de Crass : Black Elk Speaks, de John Neihardt, un ouvrage sur les rites sacrés des Sioux Ogala. Quant à Billy Duffy, il en pince pour les Gretsch White Falcon.  

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             Paru en 1984, Dreamtime est un album qui ne marche pas. Déjà, la pochette fout la trouille. Le prêtre aux joues scarifiées te fixe d’un regard mauvais. Il manque sur cet album le souffle qu’on va trouver sur les albums suivants. C’est, disons-le, petitement produit. Rien n’explose dans Dreamtime. L’Astbu cherche le spirit des shamans dans «SpiritWalker», il a raison, il invoque le mythe du body spiritwalker, il chante tout ce qu’il peut, mais la prod n’est pas au rendez-vous, et le Cult sans prod, ça ne marche pas. Encore un cut de heavy singer avec «Butterflies» et il chante «Go West» comme s’il s’en foutait. Il attend des vagues de son qui ne viennent pas. Go West young man ! L’Astbu reste pourtant le seul maître à bord. Il pèse de tout son poids sur toutes les décisions - Everything - Tu te régales de l’écouter chanter, l’Astbu de tous les abus. Mon royaume pour un cheval de son ! Ils attaquent «Gimmick» à l’attaque, l’Astbu ne sait faire que ça dans la vie, attaquer. Alors il attaque. Pas de halte. Droit devant. Tagada tagada voilà l’Astbu. La force de l’album, c’est la pochette.

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             The Cult, c’est avant toute chose l’histoire d’une voix, celle d’Astbury. Sur Love qui date de 1985, «Nirvana» et le morceau titre sont là pour la révéler. One two three four ! Power-chordage all over et un Astbury qui remonte péniblement à la surface de cette mer de son. Sa voix fait partie de celles qu’on n’oublie pas. Il est élancé, fougueux, fumant. Un étalon ! Il va chercher ses effets là-haut sur la montagne. L’Astbu sait chanter. Le gros Cult amène «Love» au stomp de riff raff. De toute évidence, ces mecs en pincent pour la heavyness. Ils jouent dans les règles du gros lard et l’Astbu se bat avec le stomp. Reconnaissons qu’il existe un esprit Cult. S’ensuit un sombre «Brother Wolf». Il est vite dans le décor, l’Astbu. C’est un rôdeur né. Il se fond dans l’ombre, il rôde comme un dieu de l’antiquité. Voilà qu’il pleut des accords dans «Rain». Ça ne surprendra personne. L’Astbu arrive sous un parapluie pour chanter - I’ve been waiting for her - Il s’engage à fond, c’est une ultraïque de la posologie, un concerné de la 25e heure. Les coups de wah qu’on entend dans «Phoenix» sont ceux des Stooges. Ah oui, aussi incroyable que ça puisse paraître ! Tu as là toute la wah de Ron, ça rougeoie, ça joue dans la nuit ! Fire ! Fire ! C’est à partir de ce genre d’épisode que tu décides de suivre un groupe. Il ne faut pas croire ce que les canards de rock français ont pu raconter sur The Cult, qui n’a jamais été un groupe de hard rock. Non seulement les gens étiquettent, mais ils étiquettent mal. L’Astbu est un titan, il jette tout son poids dans la balance, il a le power et l’élégance. La basse est au-devant du mix dans «She Sells Sanctuary». L’Astbu chante de manière extrêmement agressive et pop en même temps. He can sing anything.

             Ils deviennent alors énormes et s’envolent pour une tournée mondiale de neuf mois. C’est à cette époque qu’ils entrent en contact avec Rick Rubin.    

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             Sur Electric, tu trouveras l’imparable cover de «Born To Be Wild» qu’Astbu chante aux charbons ardents. Pur génie. L’Astbu se l’approprie, alors évidemment, Billy Duffy en rajoute, mais ce n’est pas du meilleur effet. La seule valeur ajoutée est le chant de motor running d’Astbu, il enfonce son clou in the highway à coups de marteau sacré, comme le ferait Thor. Alors Electric devient un très grand album. Encore un coup de Jarnac avec «Love Removal Machine» monté sur les accords de «Start Me Up». Ça donne un combat de titans, Jag versus l’Astbu, alors l’Astbu jette tout son corps dans le combat. C’est quand même gonflé de la part du gros Cult que d’aller pomper aussi ouvertement. Mais ça passe, vu qu’Astbu ramène du gusto à la tonne. Même chose dans le «Wildflower» d’ouverture de bal, il force la mesure aussitôt entré en lice, il chante d’une voix d’ouïe de poisse-caille agonisante et il devient tétanique. On reste dans l’énormité avec «Peace Dog», il sculpte son chant dans la glaise du sonic boom, il bosse avec ses pognes, il s’accroche à la matière avec une niaque extravagante, ya yah ! il est le power-shaker ultime, il ne sait faire qu’une seule chose : entrer dans le chou du lard avec tout le gusto de l’undergut. Et dès qu’il peut, il allume, comme le montre encore «Aphrodisiac Jacket», aocch ! C’est vite noyé de son, il chante sous un déluge d’accords terrifiques, cette fois Duffy vole le show, ses descentes d’arpèges sont un chef-d’œuvre, il faut suivre un groupe comme le gros Cult, car ils n’en finissent pas de réserver de bonnes surprises. Sur «Electric Ocean», l’Oh yeah d’Astbu est si pur qu’on l’accueille à bras ouverts, il cultive les clichés, mais il le fait vraiment bien. Leur «King Contrary Men» est un gros boogie-rock digne de Mountain qu’Astbu chante à fond de train, avec un Duffy en embuscade qui s’arrange toujours pour qu’on ne l’oublie pas. Duffy est un vrai renard dont le défaut serait d’être trop bavard. Ils terminent cet album superbe avec «Memphis Hip Shake» qu’Astbu ultra-chante. Il appuie sur la moindre syllabe, yeah-eh et donne des consignes : shake the world.

             Mais le groupe tire trop sur la ficelle. Billy Duffy décide de quitter Londres pour s’installer à Los Angeles et l’Astbu s’installe à Toronto. C’est là qu’ils vont enregistrer Sonic Temple avec Bob Rock, un producteur inexpérimenté.

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             Avec cet album, le gros Cult continue son inexorable progression. Pas de coups de génie sur Sonic Temple, mais des belles énormités, à commencer par le «Sun King» d’ouverture de bal, avec un Astbu qui secoue le cocotier du rock dès son entrée en lice - I’m a sun king baby - Il sait de quoi il parle. L’Astbu ne recule devant aucun excès. Ils font du simili Led Zep avec le «Medecine Train» final. Duffy repart dans le vieux boxing day de big bad strut de Medecine Train et les chœurs font le train. La SNCF devrait prendre le «Medecine Train» comme gimmick pour les annonces dans les gares. Autre coup de semonce : le «Soldier Blue» de Buffy Sainte-Marie qu’ils stompent en mode Gary Glitter. Voilà Buffy au palace glam. Curieux mélange. Quoi que fasse le gros Cult, c’est toujours sur les rails, même si, comme c’est le cas avec «American Horse», on se demande si c’est du lard ou du cochon. Ils ont une notion du son qui nous dépasse complètement. L’Astbu monte bien «Sweet Soul Sister» en neige, mais c’est avec «Soul Asylum» qu’il rafle la mise. La heavyness est son pré carré, il amène ça au so many times et plonge dans un chaudron de sweet soul asylum. Ils tapent ensuite «New York City» avec Iggy en backing vocals, et «Automatic Blues» sonne exactement comme le «Rock’n’Roll» de Led Zep. Même jeu de dupes, avec toute la grandeur élégiaque qu’on peut imaginer.

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             Malgré sa pochette un peu putassière à la U2, Ceremony est un bon album. On vendrait son père et sa mère pour «Heart Of Soul», c’est joué à la surface d’un gratté d’acou et la voix d’Astbu crawle comme le Crawling King Snake, ses écailles luisent dans l’ombre, il se développe dans l’ovaire du rock et devient tentaculaire. Cet homme est une bête fantastique, il chante sous un déluge d’accords, il t’accompagne dans la démesure jusqu’à la fin, il vise le non-retour de big city, tu as peu de choses dans l’histoire du rock qui vont aussi loin. «Full Tilt» vaut aussi le déplacement, ne serait-ce que pour son fabuleux claqué d’accords anglais, c’est même l’une des intros du siècle dernier, avec celles de la Stonesy. Le gros Cult vise en permanence l’éclat mythologique, avec l’Astbu qui tient fabuleusement bien la baraque. Encore une grosse dégelée de heavyness avec «Bangkok Rain». On voit rarement d’aussi belles heavynasseries, surtout lorsqu’elles sont serties d’un Astbu à l’éclate. Il monte toujours par-dessus, même quand c’est noyé de wah. On reste dans la heavyness avec le morceau titre d’ouverture de bal. L’Astbu avance dans le son avec des pieds d’éléphant. On pourrait qualifier ce qu’on entend ici de heavy boogie blues d’ultra rock, mais un heavy boogie blues d’ultra rock ravagé par des vinaigres de disto. Ça te sonne bien les cloches, en attendant. L’Astbu démarre son «Wild Hearted Son» aux chants de guerre indiens. Bel hommage, mais ça ne sert que de prétexte. Les blancs reprennent vite le pouvoir sur les rouges. Tu n’es pas chez Buffy, cette fois, tu es chez le gros Cult. L’Astbu qui est au-devant du mix hurle comme dix. On admire au passage les vents de folie. Dans «Earth Mojo», l’Astbu pousse des petits cris de bête, on le voit monter tout seul en température et pour corser l’affaire, Duffy passe un wild killer solo, alors l’Astbu peut encore pousser des petits cris de bête. Ah on peut dire que les deux font la paire ! Non seulement ils cultivent la démesure, mais ils sont incompressibles. Le destin des cuts se dénoue chaque fois dans un Big Atmospherix avec un Duffy qui pique des crises. Et bien sûr, l’Astbu veille à rester un chanteur hors normes. Il semble conduite l’«If» comme un attelage de char, yeahhh ! On le voit aussi écraser son champignon dans «Sweet Salvation». Comme il est ce qu’on appelle une force de la nature, il peut chanter torse nu au sommet de la montagne. C’est bien pire que de chanter par-dessus les toits. Il vise les vrais sommets, il court les aventures, il tartine tout ce qu’il peut, il est le grand tartineur devant l’éternel. Heavy as hell.

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             La pochette de The Cult paru en 1994 préfigure celle de Choice Of Weapon : figure barbare sur fond blanc. Cette fois, c’est un bouc à quatre cornes. L’album propose en outre un coup de génie et une stoogerie. Par quoi on commence ? La stoogerie ? Elle s’appelle «Be Free». C’est en plein dans l’œuf de Pâques, ce sont les accords de «TV Eye», l’Astbu arrive, sec comme un feu, il se jette à l’assaut comme un guerrier indien, et là tu as tout, la violence du chant et la violence du son, mais l’Astbu ramène en plus ses c’mon c’mon et tout son power barbare. Le coup de génie se trouve vers la fin : «Universal You». L’Astbu monte à l’extrême assaut, on ne peut pas imaginer pire assaut. Sonic genius ! Une vraie marée. Encore une vraie dégelée avec «Emperor’s New Horse», même choc esthétique avec le fabuleux confessionnal qu’est «Saints Are Down». Il redevient le chanteur énorme que l’on sait avec «Sacred Life» - Hey sister/ What is sacred in your life - Il est l’un de ces grands chanteurs qui se savent se confronter aux réalités. «Gone» sonne comme une pluie d’acier, c’est un son qui relève de l’extrême et l’Astbu rôde dans le chaos. C’est sa spécialité. Il tombe sur le râble de sa dégelée. Personne ne peut le battre à ce petit jeu. On le voit encore remonter à la surface de «Coming Down (Drug Tongue)», il surplombe sa propre profondeur, sa voix ouvre des gouffres et cette façon qu’il a de monter au sommet de l’Ararat n’est pas si banale. Il charge bien la barque de son «Black Sun», c’est d’une grande portée, mais pas un coup de génie. Le gros Cult tape parfois dans la prévisibilité sans nom des abysses lovecraftiennes et finit par sacrifier l’émotivité sur l’autel de la Trinité. Duffy pompe les accords de «Cold Turkey» pour «Joy» et retour aux choses sérieuses avec «Star». Quelque chose de monstrueux y prend forme et l’Astbu entre là-dedans au believe in freedom. Il est violemment bon et ça tourne vite à l’insurrection. Il shoote tellement que ça s’auto-télescope dans des chaos de guitares. 

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             L’Astbu et Billy Duffy finissent par se fâcher en 1995. Alors l’Astbu monte les Holy Barbarians et enregistre un seul album Cream. Rrrroooarrr, l’Astbu rugit de plus belle dès «Brother Fights». Si tu as besoin de son, il est là, à profusion. L’Astbu sera un rock’n’roll animal ou ne sera pas. C’est encore une fois du big rockalama extrêmement chanté, percuté d’accords dans l’enfer de l’excelsior. Le guitariste s’appelle Patrick Suggs. L’Astbu ramène tout le power de son autorité, il navigue au niveau des géants comme les Doors ou Led Zep. Et comme tous les géants, il s’accorde un havre de paix, le morceau titre, que Scuggs survole comme un vampire. Retour au power avec «Blind», dans un whirlwind de guitares, l’Astbu chante à l’héroïque homérique, il redevient considérable. Avec «Opium» il tape dans l’opium du peuple et son «Space Junkie» te tombe sur le râble, l’Astbu se montre lourd de conséquences, aw my Gawd comme c’est bon, il t’encadre l’énormité comme seul peut le faire un grand shouter, il est l’égal de Jimbo. Encore plus stupéfiant, voilà «You Are There» qu’il attaque à la force tranquille de François Mitterrand, il module sa mélodie sur le toit du monde, c’est un grimpeur, le cut devient magique tellement il est bien balancé, joué aux accords de rêve, cette fois l’Astbu rejoint les Screamin’ Trees de Dust, même vibe ! Avec un mec comme lui, il ne faut plus s’étonner de rien. Il termine avec une entreprise de démolition, «Bodhisattva», il monte à l’assaut car c’est un vainqueur et comme il n’a rien perdu de ses réflexes, il passe à travers les murailles.

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             Puis il enregistre un album solo, Spirit/Light/Speed. On se doutait bien qu’il s’agissait d’un big album. L’Astbu ne sait faire que ça dans la vie. Des big albums. Il ramène tout de suite du son, dès «Back On Earth», il lance l’assaut très vite, c’est sa raison d’être. Il tape toujours dans le même registre : King Kong, c’est moi le plus fort ! Il est déjà all over tous les autres, rien qu’au chant. On entend des machines dans «High Time Amplifier», mais ça ne l’empêche pas de chanter au tranchant, il chante au génie pur, il passe en force, il en rajoute, il est là pour toi, et ça continue avec «Devil’ Mouth» et «Tonight (Illuminated)», c’est défoncé, alors tu es défoncé, ça devient logique, ça explose sans prévenir, il rôde dans le présent du rock, son ombre plane sur nous et puis voilà «The Witch (Sit Return)» attaqué au riff de fuzz, c’est un push, il peut te balancer le pire heavy fuzz box in the face, oh yeah yeah, voilà même le pire gaga Cult de l’univers. Le pire du pire. On se croirait à l’âge d’or du Cult. Il est chaque fois en plein dans le mille. Encore du fantastique power d’évocation avec «El Ché/Wild Like A Horse». Il monte là-haut sur la montagne, yeah you/ You’re wild as a horse, le chant s’enlace au guitaring, c’est exultant d’and you ! Te voilà encore avec un big album sur les bras.

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             L’Astbu et Billy Duffy se rabibochent en 1999 pour enregistrer un nouvel album : Beyond Good And Evil. Force est de constater qu’il s’agit une fois encore d’un very big album. Au moins deux coups de génie : «Take The Power» et «My Bridge Burn». Avec Power, ils se noient dans le son, tout est submergé de son, l’Astbu a encore des réflexes de niaque, il parvient à survivre à cet enfer, c’est allumé sous le feu, ce cut est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, avec un Astbu qui parvient à chanter au-dessus de cette immense fournaise. Il attaque «My Bridge Burn» de front. Voilà encore une fabuleuse dégelée, le son est comme gorgé de retours de manivelle et de coups de wah, les coups de manivelle sont ceux de Ron Asheton et Duffy part en maraude comme un requin, celui des Dents De La Mer. Tout est beau comme un incendie urbain sur cet album, tiens comme cet «Ashes & Ghosts», un vrai blast, cette façon qu’il a de hurler dans la tempête fait de l’Astbu un génie, il blaste de plein fouet le Wall of Sound. Puisqu’on en parle, on le retrouve dans «War (The Process)», le Wall of Sound t’écrabouille d’entrée de jeu et tu as là la pire bass fuzz de l’histoire du rock, avec en plus un Astbu qui screame dans la soupe, woh-oh-oh, les vagues de son te submergent, tout explose. The Cult ! Wall of Sound encore dans «Speed Of Light», bien tartiné à la main lourde, woof, ça s’abat sur toi comme un énorme cataplasme de son, ces mecs sont d’épouvantables diables cornus, ils truffent le chou du lard de tous raffinements de l’enfer et Duffy asticote le brasier à la wah. C’est d’une rare violence sonique. Et comme d’habitude, l’Astbu chante au-dessus de tout ce bordel. On a aussi un «Shape The Sky» surchargé de son, d’accords et de drumbeat, de chant et de ressac de chant, et balayé par les vents de Duffy. Avec «The Saint», l’Astbu tape dans l’heavy brutalité du son, ces mecs naviguent hors des normes, bien au-delà du bien et du mal, comme l’indique le titre de l’album. L’Astbu s’en va chanter à la pointe du Raz, tout est monté en mayo pourrie, tout ici tue les mouches. Leur «Rise» se raye des cadres à coups d’accords, ils continuent de flirter avec le pouvoir absolu. L’écoute en soi est une expérience, tout est démesuré, tout tangue dans la cambuse. Sur «Nico», l’Astbu chante un peu comme Bono, c’est pas terrible, mais soudain, le cut prend feu, oui, le feu au Cult - Hey Nico stay strong in this world/ My girl - Rien d’aussi grandiose - I watched your spirit fly/ Across the velvet sky - et ça plonge dans le straight to hell. Seul l’Astbu peut monter un coup pareil

             Comme leur relation avec Atlantic se détériore, l’Astbu reprend son vol, c’est-à-dire son indépendance et rejoint Kreiger et Manzarek dans Riders On The Storm. Mais le projet est vite ratatiné par la famille de Jimbo d’un côté, et John Densmore de l’autre.

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             C’est Youth de Killing Joke qui va produire Born Into This. Avec cet album, l’Astbu n’en finit plus d’évoluer. Il envoie des déluges dès le morceau titre, il chante au sommet des désastres, c’mon, il ne tient plus la rampe qui s’est écroulée avec l’immeuble, mais le son tient bien la rampe. L’Astbu ramène même des chœurs de Dolls pour faire bonne mesure. On reste dans la destruction avec l’un des trois coups de génie de l’album, «Sound Of Destruction». Il entre en lice avec une niaque unique au monde, il est wild as fuck, le wild king of the Cult, cette façon qu’il a d’awiter est vraiment unique. «Diamonds» ? Okay, c’est du big heavy rock inspiré - She got diamond here - Tout chez le gros Cult relève d’une puissance inexorable. L’Astbu rebondit dans la vie et se passe volontiers des commentaires. Encore un coup de génie avec «Citizens», pas de problème, puisque l’Astbu bénéficie de l’un des meilleurs sons de la galaxie. Il se goinfre de cette masse en fusion et chante comme un dieu. Prod exemplaire. L’Astbu ramène du power jusqu’au bout du Citizen. Et voilà «Dirty Little Rockstar» attaqué à la basse de Néandertal, t’es foutu d’avance. Puis il éclate un pauvre balladif, «Holy Mountain». Il l’éclate à la classe pure. Il chante son gut out. Comme l’indique son nom, «Illuminated» est joué aux accords lumineux. L’Astbu passe en overdrive et lance son shine on. Power absolu ! Avec «Savages», il transplante son art dans l’épaisseur du son. Born Into This s’adjoint un mini-LP quatre titres. Tu dois te débrouiller, car tu as zéro info, pas de track-list, pas de rien. L’Astbu refait des siennes avec «Stand Alone». Il se projette aussitôt au sommet des possibilités. Il balaye tout son spectre. On l’admire. Impossible de faire autrement. «War Pony Destroyer» est le son des heavy exécuteurs. On entend glisser les lames. Mais ce qui frappe le plus, c’est le gusto de l’Astbu. Il entraîne son cut à travers une mer de flammes. On trouve une nouvelle mouture d’«I Assasin» - Me & my darkness/ Alone oh-ohh - Il remonte à contre-courant du son malade, comme un baron de l’An Mil, il festoie seul à sa table, avec des clameurs qui font peur. Nouvelle version de «Sound Of Destruction» où il sonne comme Iggy, mais avec son propre style. Il monte vite dans l’excès - I don’t feel anymore - Il s’éclate bien dans les vagues et ce n’est qu’une démo ! On tombe ensuite sur la full version de «Savages», l’Astbu reste un shouter exceptionnel, un pusher de push, n’allez pas prendre le gros Cult pour un groupe de série B.

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             Croisée du regard dans un bac de Gibert, la pochette de Choice Of Weapon ne laissait pas indifférent. Ce fut même le coup de foudre. Avec une pochette pareille, l’album ne pouvait être que bon. C’est un raisonnement qu’on a souvent tenu au fil du temps. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Dans ce cas, on peut dire que ça a marché. L’Astbu s’est déguisé en sachem indien, de ceux qui font vraiment peur et qu’on n’aurait pas aimé rencontrer au coin du bois à une certaine époque. Mais ce qui fait vraiment peur, c’est la suite de l’image à l’intérieur du gatefold : l’Astbu bandit un couteau de chasse indien. Ce n’est pas un opinel. D’ailleurs le cut d’ouverture de balda s’appelle «Honey For A Knife» et on sent tout de suite la présence de ce chanteur impressionnant. Il dispose d’une fantastique énergie du chant. Avec ce Knife, le Cult vise l’absolu cultissime, le power des tribus primitives d’Amérique. L’Astbu finit par avoir des faux accents de Screaming Trees. Il est le seul à pouvoir approcher cet art suprême. Il se bat pied à pied avec les vertiges, il vise l’immensément épique tout ici est porté par le chant. Avec «Life Death», il s’en va chanter là-haut sur la montagne, il en devient élégiaque. On entend encore les accords des Screaming Trees dans «For Animals». Incroyable consanguinité. Astbu chante le wild des prairies et des montagnes sauvages, il est le dernier mountain man de notre époque, comme le montre la pochette. Tout sur cet album est aussi épais qu’ambiancier, comme sculpté dans l’argile. C’est une masse. Avec «Lucifer» en B, l’Astbu durcit encore le tom, il va chercher des accents de plus en plus profonds, you are my Lucifer, il ne rigole plus, il nous entraîne dans des abîmes de perdition, on savait qu’il ne fallait pas lui faire confiance. «A Pale Horse» est une histoire de combat, you don’t stand a chance et il redevient l’un des plus grands hurleurs devant l’éternel avec «The Night In The City Forever». On trouve un deuxième disk dans le gatefold, c’est un EP quatre titres et le côté Screaming Trees revient avec «Every Man And A Woman Is A Star». S’ensuit le magnifique «Embers» et ses clameurs souveraines, c’est incroyablement drivé sous le heavy boisseau des légendes anciennes. Si on en pince pour la grandiloquence, alors le Cult est le groupe idéal. Il devient impressionnant à force de grandiloquence. Le côté élégiaque reprend le dessus avec «Siberia», ce qui paraît logique, vue l’étendue du territoire. 

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             Attention à Hidden City. C’est l’un des plus brillants albums de ce début de XXIe siècle.  Tu prends n’importe quel cut au hasard et tu es content du voyage. Tiens, on va prendre par exemple «Deepley Ordered Chaos». Ces mecs te tombent tout de suite dessus et tu ne peux rien faire. Tu entres en saturation comme d’autres entrent en religion, le gros Cult ne fait plus du rock mais du concassage extraordinaire avec un Astbu coulé dans la craie, il pèse de tout son poids sur cette fantastique débauche de plâtras, les accords sont beaux comme des haches qui s’abattent, tu ne peux pas échapper à ce carrousel d’extrême violence, l’Astbu est partout dans le ciel, il sonne comme un fléau biblique et Duffy abat ses haches d’accords avec une régularité qui fout la trouille, cette façon qu’il a de filocher à travers le son est unique au monde, tu passes sous les fourches Caudines du gros Cult, alors tiens-toi bien ! Un autre exemple avec «Hinterland». Hey ! Il rentre dans le chou du lard comme une épée. C’est à la fois une épée et une explosion. Te voilà suspendu dans les arcanes du son, et l’Astbu chante comme un beau diable, il amène des dimensions qu’on croit connaître, mais non, il crée un monde, il prend son temps, il chante par en dessous et soudain il tape dans l’Hinterland et ça dégringole de partout, tu as là l’un des plus beaux shakages de l’univers, with you/ Forever with you, il s’exacerbe, c’est un cut plein d’épisodes, il remonte à la surface des nuées avec des remugles plein la bouche, ça explose dans une soupe infâme de solos morts-nés, dans un océan d’avanie larvaire, Duffy fait tout ce qu’il peut pour survivre, c’est overwhelming et terrific, l’Astbu continue de monter son with you dans l’Hinterland, son poignant with you my love, c’est du génie pur, vibré comme du béton dans la gueule de Moloch. Et puis tu as «Birds Of Paradise» et sa belle profondeur de champ, beaucoup d’espace, idéal pour un déclameur hugolien comme l’Astbu. Il répand son souffle, il pose son chant comme s’il posait ses conditions et ça devient l’enfer sur la terre. C’est parce qu’il chante le Paradise que ça devient génial. Des chœurs des Dolls accompagnent cette descente aux enfers du Paradise. On descend littéralement dans la cave du Cult, mais l’Astbu veut la lumière du Paradise, alors il explose comme Lucifer, c’est d’une beauté tétanique. Il incarne l’ange déchu et fait glisser les accords dans la lumière, et là-bas, au loin, les chœurs qu’on entend ne sont pas ceux des anges, mais ceux des Dolls. L’Astbu pose sa voix sur l’acier en fusion. Des arpèges le transpercent, on sent le souffle de sa voix au dessus du brasier et là tu as certainement l’un des plus beaux cuts de l’histoire du rock. L’Astbu crée l’émotion des précipices. Et le redémarrage est une merveille unique au monde. Rien qu’avec ces trois cuts («Hinterland», «Birds Of Paradise» et «Deepley Ordered Chaos»), on est gavé. Pourtant, on trouve d’autre briseurs de noix sur cet album, comme par exemple «No Love Lost». L’Astbu y est le Chanteur Contre Le Pacifique. C’est le seul mec à savoir le faire. Son power dépasse celui des mots, comme chez Duras. Il pleut du feu. Alors tu te prosternes. Le «Dark Energy» d’ouverture de bal est aussi un passage obligé, car wild as fuck, avec un Astbu debout sous une pluie d’accords. Comme il est avant toute chose un seigneur, il se relève dans les décombres, c’est son numéro préféré, il sait faire le phénix du rock, le voilà dressé au beau milieu des décombres pour chanter. Et puis tu as encore «Dance The Night», visité par la grâce barbare, ce démon d’Astbu bénéficie de toutes les largesses de l’apocalypse. C’est encore une fois noyé de son. Il monte toujours à la rencontre d’un cut comme un sous-marin, et le plus souvent, il le torpille, mais c’est pour son bien. Tu vas tomber de ta chaise en écoutant le heavy sludge de «GOAT» et avec «Lilies», tu verras l’Astbu monter son chant par dessus la muraille de Chine d’un Wall of Sound, c’est gorgé de climats, terriblement texturé, taillé dans l’albâtre sonique. Encore de l’inexorable avec «Heathens». Ça te frise les moustaches. Sa voix vibre, jusque dans le cœur de l’atome. On note que Bob Rock produit tous ces albums géniaux.  

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             Sur Pure Cult. The Singles 1984-1995, on croise pas mal de vieilles connaissances, comme par exemple «Star», tiré de Choice Of Weapon et saturé de son, ou «Love Removal Machine», tiré d’Electric et saturé de Stonesy, ou encore «Heart Of Soul», tiré de Ceremony, ou encore «Wild Hearted Son», tiré lui aussi de Ceremony, et puis aussi «Sun King» dont on a déjà dit tout le bien qu’il faut en penser, au moment de Sonic Temple. L’Astbu propose en permanence un mélange de pleasant et d’unpleasant, il a des réflexes de wild rocker, comme Iggy Pop ou Roy Loney. Ce sont des gens qui savent chevaucher un wild beat. Le gros Cult sort du lot comme les Doors sortaient du lot, par la seule aura du chanteur. Ian Astbury est le prince des clameurs. Cette compile de Singles est très bien faite, elle permet de faire le tour du propriétaire et d’écrémer la crème de la crème. Le gros Cult mise tout sur le heavy sound. C’est un autre monde. Ils amènent «The Witch» à la basse fuzz. Une bénédiction !  L’Astbu explose «In The Clouds» au pur power d’hardcore king. Il se fond ensuite dans le bad ass groove de «Coming Down», c’est du sérieux et ça bascule une fois encore dans le limon de tes rêves inavouables. Il emmène «Wild Flower» au sommet du lard fumant, il monte vite sur ses grands chevaux et ça atteint une fois encore le sommet du lard fumant.

    Signé : Cazengler, peigne-Cult

    The Cult. Dreamtime. Beggars Banquet 1984

    The Cult. Love. Beggars Banquet 1985    

    The Cult. Electric. Beggars Banquet 1987   

    The Cult. Sonic Temple. Beggars Banquet 1989

    The Cult. Ceremony. Beggars Banquet 1991

    The Cult. The Cult. Beggars Banquet 1994  

    The Cult. Beyond Good And Evil. Atlantic 2001

    The Cult. Born Into This. Roadrunner Records 2007

    The Cult. Choice Of Weapon. Mystic Production 2012

    The Cult. Hidden City. Cooking Vinyl 2016  

    The Cult. Pure Cult. The Singles 1984-1995. Beggars Banquet 2000

    Holy Barbarians. Cream. Beggars Banquet 1996

    Ian Astbury. Spirit/Light/Speed. Beggars Banquet 1999

    Lee Powell & Duncan Seaman : All glory/ Electric. Vive Le Rock # 91 - 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Battle Fields (Part Four)

     

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             Il se pourrait fort bien que Lee Fields soit la dernière superstar de la Soul américaine, ce qu’Ahmet Ertegun appelait autrefois the original black American music. Dès que Lee Fields arrive sur scène, tu réalises qu’il est l’héritier direct de James Brown. Bootsy booty. Une vraie bête de Gévaudan. Chaque fois qu’il revient en France, il donne l’impression d’être encore plus vorace. Son secret ? Le wild as fuck, c’est-à-dire le raw de la Soul. Comme Sharon Jones, il concentre tous les pouvoirs, à commencer par le Black Power. Il vient en direct de l’I’m Black and I’m Proud, des poings levés de Tommie Smith et John Carlos à Mexico, du Doctor King et de Malcolm X, de Solomon et de Wicked Pickett, de Sly Stone et de Sam & Dave, du prophète Isaac et d’Aretha, il hérite de la spacio-génétique de Funkadelic, il dit et redit, pour les ceusses qui ne l’auraient pas encore compris, la grandeur du peuple noir, une grandeur qui passe par le pont des arts. La Soul est l’art nègre par excellence.

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             Lee ramène tout le saint-frusquin : la revue, les pas de danse, l’hot sax, les boots, les screams, la sueur, le juju, le mojo, les Flames, le funk, le feel, le fool, le fame, le feu, l’Afro, Lee t’enlise, Lee te lie à lui, Lee te lilipute, Lee luit dans les spots, Lee boit le calice jusqu’à la lie, Lee creuse le lit de la Soul, Lee voit loin, Lee ne pâlit pas, Lee verse des larmes, Lee te donne la lune, Lee Lady Lay, Lee lime, Lee t’élit, Lee t’allume, Lee t’allonge, Lee t’ilote, et soudain, Lee te ramène aux réalités avec un numéro de funk digne des grandes heures de son mentor, Jaaaaaaaames Brown :

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    il bloque le funk dans ses starting-blocks, le doigt sur la couture du pantalon, alors la gratte tinguelite et déclenche l’enfer du funk sur la terre avec «Money I$ King», Brother ! Il te harangue et te harponne - sad sad world where money is king - alors la nef des fous bascule dans l’enfer du paradis. What the hell ! Hey, t’auras jamais ça ailleurs. Il sort aussi le vieux «Standing By Your Side» d’Emma Jean pour rocker sa Soul, cette Soul progressiste qui te marche dessus comme une armée de l’antiquité lancée à la conquête des continents, c’est à ça et à vraiment ça qu’on mesure l’immense power de Lee Fields, c’est son côté mitterrandien, cette merveilleuse force tranquille black qui n’en finit plus de résonner sous ton crâne de mort, ça bat comme un pouls, ça bat comme un cœur.

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    Le fameux heartbeat d’Eric Burdon, tu l’entendras chez Lee de la terre. Et tu ne t’en lasseras jamais. Encore un numéro de cirque avec «Two Jobs», tiré du nouvel album, il raconte son histoire et la revue se met en ordre de marche, c’mon babe, diable comme ces mecs sont bons, rien que des petits culs blancs, mais des bons, bassman hocheur de tête, gratteux sobre mais claquemureur, sax man wild and frantic, beurreman milord-l’arsouille, shuffleman à la Georgie Fame, et Lee ergote comme un funkster, han ! sa femme lui dit Lee ramène du blé et Lee tape two jobs, joli prétexte à groover cette nef qui valse dans les grasses Sargasses de la Soul, Lee égrène les heures d’o’clock, c’mon baby, si tu veux danser sur le beat, c’est là que ça se passe.

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    Et puis, la cerise sur le gâtö, c’est bien sûr le coup du lapin : «Honey Dove» en rappel et là Lee te tue, mais tu meurs de bonheur, il revient en gilet jaune et tape dans le dur de sa Dove, l’un des plus grands hits des temps modernes - My baby love/ My honey dove - Lee la tire à l’infini, sa Dove - You’re hurting me honey/ Right down to the bone - il en rajoute des minutes et des minutes qui sonnent comme des minutes de Sable Mémoriel, il multiplie les faux adieux et n’en finit de demander à la foule si elle est heureuse, alors la foule rugit bien, Lee veut l’entendre encore rugir, alors la foule fait yeah yeah, Ooh, baby My baby love, tu en veux encore ?, tiens en voilà encore, il part mais ne part pas, il fait son cirque jusqu’au bout de ses forces, profite bien du bout de ses forces, car t’es pas près d’en voir d’autres des bouts de ses forces pareils, Lee t’en vas pas, mais il faut bien qu’elle aille au lit, notre True Star. Eh oui, mon gars, Lee a 72 balais. Vénérable. C’est pour ça qu’on le vénère. 

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             Alors qu’on le croyait un peu usé par le temps, il refait la une de l’actu avec un album superbe, Sentimental Fool. D’où cette tournée de promo.

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    Sur la pochette, il pose au milieu des cocotiers et il casse aussitôt la baraque avec «Save Your Tears For Someone New». Comme il vient de confier son destin à Daptone, il ne pouvait espérer de meilleur catchin’ up. Les Dap-Kings soignent Lee jusqu’au délire, le Save Your Tears sonne comme une merveille apocalyptique, c’est l’accumulation des forces qui rend le cut surnaturel : genius de Lee + genius de Daptone, ça donne de l’extraballe gorgée de power sous-jacent. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Without A Heart», un vrai shoot de Daptone shuffle. Lee grimpe à cheval et part à la conquête de l’Ouest. Il est rompu à tous les arts, surtout celui du wild as fuck. Les Dap-Kings drivent ça bien, tu as encore le génie de Lee Fields qui court sur la crête - Summer rain in my heart - Rien de plus expressif, de plus pressant, ça roule avec des percus de caboche et un extraordinaire relentless de shuffle d’orgue. Absolument demented ! Avec «Forever», il est tout de suite en selle, il va droit sur la Soul intense et moite. On est là pour ça et Lee Fields ne te déçoit jamais. Il faut aussi comprendre que cette heavy Soul ne parle pas à tout le monde. Son concert en Normandie n’affiche pas complet. Lee Fields fait de la heavy Soul, écrasée comme une prune sous le soleil exactement. Ça commence à groover sérieusement avec «Two Jobs», sur fond de shuffle d’orgue, et Lee ramène sa voix de James Brown, alors il t’éclate le Sénégal et tape un fantastique shoot de jive. Puis il te plonge dans le chaudron de la pire Soul de froti avec «Just Give Me Your Time». On n’avait pas vu un tel chaudron depuis le temps de «Please Please Please». Derrière, ça joue fabuleusement, aux notes déliées, don’t worry baby. Prod magique, comme d’habitude chez Daptone. Encore une merveille avec «The Door», les violons te happent, don’t leave me, c’est du big biz claqué derrière dans le mix. Ça se joue à un autre niveau, avec des couches supérieures et des effets de claquettes. Il fait encore merveille dans «Ordinary Lives», il fait du heavy Lee, il plante ses crocs dans la Soul, c’est un vrai scorcher, une fantastique présence, il incendie son crépuscule. Il passe au plus dansant avec «Your Face Before My Eyes», Lee est un vétéran, il sait mener un bal, il sait allumer la belle Soul de Daptone au plus haut point. Et puis cette fantastique aventure s’achève avec «Extraordinary Man», il fait sa prière, il n’est pas celui qu’elle croit, c’est bien plombé. Cet homme admirable se plie aux aléas du destin et c’est orchestré rubis sur l’ongle.

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             Oh et puis le voilà en couve de Soul Bag. Et six pages à l’intérieur. Dans l’interview, il parle bien sûr de son retour chez Daptone, après la fin de son contrat chez Big Crown. Gabe Roth  ? Il le connaît depuis belle lurette et s’entend bien avec lui. Pas de problème. Lee explique que Gabe lui présente des chansons, et il choisit. Lee confirme que Sentimental Fool a été enregistré au nouveau studio Daptone de Riverside, en Californie. Il évoque bien sûr ses vieux souvenirs de l’early Daptone en 1996, il évoque aussi ses vieux amis Sharon Jones et Charles Bradley. Mais au fond Lee n’a pas grand-chose à dire. Ce n’est pas un baratineur.

    Signé : Cazengler, Lee figue, Lee raisin

    Lee Fields. Le 106. Rouen (76). Le 11 février 2023

    Lee Fields. Sentimental Fool. Daptone Records 2022

     

    L’avenir du rock - La reine Elizabeth

     

             Pour se changer les idées, l’avenir du rock décide d’aller faire un tour à dos de chameau dans la Vallée des Rois. Avec sa chéchia, son nez courbe, sa barbe miteuse et son accent arabe, le guide est tellement caricatural qu’il semble avoir été dessiné par Hergé. Il précède l’avenir du rock de quelques mètres, juché sur un petit âne dont il bourre les flancs de coups de talons pour le faire avancer.

             — Li glande pylamide qué tu chouffle, sahib, ci celle du BiBi Kingue !

             — Diable, elle est deux fois plus grosse que les autres !

             — Les plêtles d’Anoubis pas ligoler avé Bibi Kingue, sahib ! Lui guitaliste pléfélé du gland Osilis.

             — J’aurais jamais cru que les dieux avaient aussi bon goût. Et la plus petite, à côté ?

             — Ci la pylamide dé Fleddie Kingue, sahib ! Lui guitaliste pléfélé du gland Holus.

             — Franchement, Mohammed, cette Vallée des Rois est du meilleur goût ! J’imagine que la pyramide suivante qui ressemble à une grosse glace fondue est celle d’Albert King...

             — Blavo Sahib ! Ci bien la pylamide d’Albelle Kingue, lé loi de la blouse-loque ! Lété fondu passe qui lé le pléfélé du gland Lâ. Tlop chauffé la caboche, hi hi hi !

             — Et toutes ces petites pyramides qu’on voit alignées par derrière ?

             — Cille là, Sahib, ci la pylamide du gland Eal Kingue di la Nivelle Ourlian, et a coti, ti as la pylamide du gland Ben I-Kingue, les pléfélés d’Anoubis.

             — Et celle qui est en construction, là bas ?

             — Ci celle d’Ilizibite Kingue, mais les ouvliers sont lentlés au village.

             — Pourquoi donc ?

             — Y faut attendle qu’Ilizibite casse la pipe, Sahib ! Ilizibite elle chante encole dans son village. Si tou veux Sahib, yé peu te vendle son delnié alboumme. Ci pas cher !

     

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             L’avenir du rock n’en revient toujours pas d’avoir trouvé le nouvel album d’Elizabeth King dans le désert. Il l’a eu en plus pour pas cher.

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    Il s’appelle I Got A Love, et sort sur Bible & Tire Recording Co., un label qu’on a salué ici-même voici quelques mois. Cette fois, la Reine Elizabeth opte pour une pochette psychédélique. On croit tenir dans les pattes un bootleg californien de Captain Beefheart, mais rassurons-nous, c’est bien elle, et elle attaque au fast heavy groove de Bible & Tire avec «What You Gotta Do». Si on aime le heavy gospel, on est servi. Elle enchaîne avec un pur r’n’b, «Stand By Me», elle te drive ça droit dans le mille, elle chante à la clameur du oh no de stand by me, le beat est d’une rare violence et ça bascule dans la folie cavalante. Il secoue les colonnes du temple. S’ensuit «I Got A Love», le truc de Jimbo Mathus, d’une rare intensité, ça sent bon la mainmise - Like a haunting stroll through the dark Memphis streets/ With a desperate cry of love and affection - Elle passe sans crier gare au gospel rock avec «I Need The Lord». Elle t’allume ça dans la lucarne au heavy gospel batching ball et Will Sexton gratte ses poux. On retrouve sur cet album la même équipe que sur l’album précédent, avec Sexton, tu as Mark Edgar Stuart (bass), George Stuppick (beurre) et Matt Ross-Spang, (second guitar). Le Master of Ceremony reste bien sûr Pastor Juan D. Shipp, personnage de légende dans le monde du gospel local. «My Robe» dégage bien les bronches, oh my robe ! , elle te monte ça vite fait en neige, oh my robe !, elle le danse dans l’entre-deux, aw, la classe de la Reine Elizabeth, elle le perpétue jusqu’à la fin des temps, oh my robe !, te voilà arrivé dans l’art sacré. Avec «I Know I’ve Been Changed» elle remercie Jésus de l’avoir changée. Et ça se termine en heavy loco de gospel des seventies avec «My Time Ain’t Long», une divine apocalypse. 

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             Lors de leur passage en Normandie, les Como Mamas avaient tellement marqué les cervelles au fer rouge qu’on est resté sur le qui-vive. Dès que paraît un Bible & Tire Recording, on lui saute dessus. Tiens justement, en voilà un de taille : The D-Vine Spiritual Recordings. Les liners nous indiquent qu’Elizabeth King est restée 33 ans avec ses Gospel Souls et qu’elle a élevé 15 gosses. The D-Vine Spiritual Recordings est une compile de Memphis Gospel batch, mais à l’ancienne. Ça démarre avec un «I Heard The Voice» enregistré en 1972, fantastique alliage de sensibilité et de power qui fut, nous dit le producteur Juan D. Shipp, un gros succès. Il avait demandé à Elizabeth King de chanter comme si elle faisait l’amour à Dieu - Nobody could sing like the original - Puis comme sait si bien le faire le gospel, ça explose avec «Wait On The Lord». Le coup de génie de l’album s’appelle «Here Waiting». Elle allume la gueule du gospel et ça tourne à la magie pure, elle détient le power d’Aretha - I find in Him sweet rest - Elle explose le batch, le gang joue heavy et les Gospel Souls chantent à la criée avec tout le jus du doo wop. Elle profite de «Jesus Is My Captain» pour amener Jésus en feulant dans la nef des fous de l’église en bois. Elle chante ça sous le boisseau de l’autel, elle rampe un temps pour mieux rejaillir et éclater dans la rosace d’une cathédrale imaginaire. Quel boulot ! On est encore plus effaré par «I Found Him» : c’est la classe du gospel croon de Broadway in Memphis, elle se barre en heavy groove de gospel jazz - I found him to be my hellbound chaser/ I found him to be my midnight rider - Incroyable tension du batch. Tout est beau sur cet album miraculé. La reine Elizabeth fait de la Soul de gospel, elle chante à la vie à la mort, comme une lionne, elle est l’Aretha des pauvres, la Soul Queen de Memphis, même si on sait qu’Aretha est elle aussi originaire de Memphis. Elle fait du r’n’b primitivo-spirituel. 

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             En 2021, la reine Elizabeth est devenue une vieille dame quand elle enregistre Living In The Last Days. Elle n’a plus la même voix. L’album décolle avec «He Touched Me». Les Vaughn Sisters font les chœurs, c’est très fin, quasi-chirurgical, tellement précis, à l’ozone près. Elle enfile une série de gospels classiques (gospel d’orgue avec «Living In The Last Days», Memphis beat avec «Mighty Good God» et heavy shuffle avec «A Long Journey»). Puis ça se met à rocker avec «Reach Out And Touch», monté sur un beau bassmatic ballochard. Avec «Walk With Me», elle demande beaucoup à Lawd - Lawd be my friend/ Don’t leave me alone - Elle attaque «Cal On Him» à la Sam Cooke. La reine Elizabeth termine cet album attachant avec l’a capella de «Blessed Be The Name Of The Lord», la voilà pure et dure, et elle enchaîne sur le plus beau des hommages : «You’ve Got To Move», le vieux classique de Mississippi Fred McDowell. Mister Jag et tous les repreneurs, prenez des notes.  

    Signé : Cazengler, Elizabête comme ses pieds

    Elizabeth King. Living In The Last Days. Bible & Tire Recording Co. 2021

    Elizabeth King & The Gospel Souls. The D-Vine Spiritual Recordings. Bible & Tire Recording Co. 2019

    Elizabeth King. I Got A Love. Bible & Tire Recording Co. 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - In the Mud for love

     

             Personne n’aurait pu dire ce que Mad avait au fond du crâne. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé de comprendre. Pendant des années, nous avons chevauché ensemble, mais il demeurait impénétrable, même lorsqu’il affichait son prodigieux sourire de gamin. Il ne parlait jamais de lui, sauf pour indiquer qu’il avait toujours eu les cheveux blancs, depuis sa plus tendre enfance. Lors des bivouacs, il grattait sa guitare à la folie, il torturait à n’en plus finir des thèmes de flamenco et nous avions beau lui répéter qu’il fallait garder le silence pour des raisons de sécurité, rien n’y faisait. Il grattait deux fois plus fort. On devait nous entendre à des kilomètres à la ronde et c’est un miracle que les chasseurs de primes ne nous soient pas tombés dessus. Mad ne craignait pas la mort, il avait déjà traversé le miroir. Il semblait observer les vivants comme on observe des curiosités. On se méfait un peu de lui, car il pouvait avoir un côté très dangereux. On l’avait vu à l’œuvre dans des saloons, il provoquait des rixes pour un rien. Il ne sortait son six coups que pour tuer à coup sûr, et souvent pour des prétextes bénins, du genre un malencontreux échange de regard ou simplement une tête qui ne lui revenait pas. Un vrai crotale. Il valait mieux être son ami que son ennemi. Mais personne dans le gang n’était vraiment sûr de lui à cent pour cent. Il chevauchait avec nous, c’est tout. Nous avions besoin d’hommes de sa trempe pour monter des coups sur les villes de la frontière, et peu de gens osaient encore risquer leur peau pour un sac d’or. L’or n’intéressait même pas Mad. Il nous laissait sa part et retournait gratter sa gratte. Quand il ne grattait pas, il fabriquait de l’alcool de cactus. Il en trimballait toujours des bidons accrochés en travers de sa selle et nous en offrait de grandes lampées lorsqu’on fêtait la réussite d’un casse. Son alcool de cactus montait droit au cerveau et pouvait assommer un bœuf. Mad pouvait en boire de grandes lampées au goulot de son bidon et rester de marbre. Un matin, on s’est réveillés et Mad avait disparu. Avait-il seulement existé ?

     

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             De la même façon que Mad, Mud fait partie des compagnons de route qui sont aussi des anomalies, et c’est justement parce qu’ils sont des anomalies qu’on se souvient d’eux avec autant de précision. Dans le courant des early seventies, les champions du glam savaient défrayer la chronique, mais d’une certaine façon, Mud raflait la mise. Ils intriguaient. Leurs pochettes ne laissaient pas indifférent. Ils flirtaient avec le pastiche, comme d’ailleurs les Rubettes, mais ils excellaient dans un genre purement britannique : le hit glam. Dans Vive Le Rock, le bassman Ray Stiles raconte l’histoire de Mud. Oh, cette histoire n’apporte rien de plus que les autres histoires, elle est celle de tous les groupes anglais qui rament pendant des années, qui jouent dans le circuit des cabarets et qui décident un jour de passer pros. En 1968, ils vont tourner en Suède, ils enregistrent deux ou trois singles qui ne marchent pas et se retrouvent au point de départ. Mickie Most les repère, leur conseille de changer de nom, leur propose Hot Chocolate, une idée soufflée par John Lennon, et leur dit de revenir le voir quand ils auront cassé le contrat qui les lie à leur agence. Retour au point de départ. Tournées en Angleterre. Mais comme tout le monde parle de Mud, Mickie Most dresse l’oreille. Il les signe en 1973 et les met dans les pattes de Chinnichap, le duo de compositeurs maison qui bosse pour RAK et qui fournit des hits à Sweet et à Suzi Quatro. Et pouf c’est parti !

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             En 1974, Mud fait sensation avec Mud Rock, paru sur RAK. Les Mud boys démarrent avec un hit signé Chinnichap, «Rocket», bien glissé sous le boisseau. C’mon now ! Son de rêve. Ils tapent ensuite une double cover «Do You Love Me/Sha La La La Lee» dans une fantastique ambiance. Big glam sound encore avec «Running Bear», le plus beau son de glam de l’an de grâce 1974. On retrouve cette grâce glammy en B avec «Dyna-Mite/The Cat Crept In/Tiger Feet», un véritable chef-d’œuvre. Ray Stiles indique que Sweet n’a pas voulu de «Dyna-Mite». Le reste de l’album tourne bizarrement en eau de boudin. Mais bon, à l’époque, l’amateur de glam savait se satisfaire de trois hits. C’est au moment de l’enregistrement de ce premier album que les Mud boys se posent la question du look. Comme son oncle est un Ted, Ray Stiles propose le look Ted, mais Rob Davis l’arrange à son goût. Le résultat de leurs cogitations se trouve sur la pochette de Mud Rock.

             Ray Stiles précise en outre que dans le duo Chinnichap, Mike Chapman était le real deal. Il était en studio avec les groupes. Nicky Chinn était plus un hustler, il négociait des coups, notamment les passages à Top Of The Pops. «Nicky pour le business, Mike pour la musique, ils s’entendaient bien», nous dit Stiles.

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             Il faudrait accrocher quelque part un écriteau disant : «Merci de ne pas prendre Mud pour des clowns». C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute du Mud Rock Vol. 2 paru en 1975. «Living Doll» est du pur glam rock de Chinnichap. Ils tentent l’Elvisserie avec «One Night» et c’est du solide. Tout est solide chez Mud, le chant, le solo de Rob Davis. Ils font aussi une belle cover de «Tallahassee Lassie». Power pur ! C’est la prod RAK, bien rik et rak, c’mon baby ! Mais le chef-d’œuvre de l’album est la cover d’«Oh Boy» en B, une gospel cover de Buddy Holly, un suprême hommage, tapé à la perfection harmonique, when you’re with me Oh boy ! Ces gens-là sont des démons. Tous ceux qui ont entendu cette version d’«Oh Boy» à l’époque en sont restés marqués. Ils terminent avec une version kitschy kitschy de «Diana» et Rob Davis ulule dans le son avec des notes grasses et sirupeuses.

             Puis ils font une grosse connerie : il quittent RAK et Chinnichap, car Private Stock leur propose un gros paquet de blé. Quatre fois plus que Chinnichap, nous dit Ray Stiles.

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             Leur premier album pour Private Stock s’appelle Use Your Imagination. En ce temps-là, on savait faire des pochettes. Ah il faut voir leurs dégaines dans leurs costards bleus, ce sont de vrais glamsters. Ils démarrent l’album sur le pur glam d’«R.U. Man Enough», c’est-à-dire «Are You Man Enough», mais il faut attendre «Hair Of The Dog» pour renouer avec le vrai glam anglais : énergie, chaleur des chœurs, tout est là. Et la pulsion du beurre ! Ils tentent aussi le diable avec «Don’t Knock It», ça reste altier, pas trop maniéré et joué avec maestria. Ils font aussi des pastiches de rock’n’roll, comme ce «43792» monté sur le riff de «Something Else». Avec l’«L’L’Lucy» qui ouvre le bal de la B, ils sonnent comme Ziggy. C’est encore une fois excellent, plein de jus, battu sec et net. C’est avec le morceau titre qu’ils créent la surprise : ils tapent dans un groove de pop de très haut niveau, ce groove de good time music semble tomber du ciel. Beau comme un cœur. Ils virent plus poppy avec «Under The Moon Of Love». Rien de surprenant car c’est signé Tommy Boyce. Si tu es assez fan de Mud pour aller rapatrier la Mud Box sortie chez Cherry Red, tu vas tomber sur des bonus extraordinaires : «My Love Is Your Love» (une étonnante smooth pop, et là Mud devient un groupe passionnant qui sait se fondre dans le fondu) et «Don’t You Know» (Pop de charme, pure magie).

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             Depuis qu’ils ont quitté RAK, ils perdent de l’altitude. Ils rencontrent le même problème que les Monkees : en voulant leur indépendance, les Monkees se sont coupés de Don Kirshner et de Boyce & Hart, donc d’une source inépuisable de hits. It’s Better Than Working est un album nettement moins dense, et la pochette n’est pas du meilleur goût. Une sortie d’usine n’est pas un objet de plaisanterie. Tu trouveras un peu de glam en B avec «Note Of The Tiles», mais ils le jouent un peu trop vite et finalement, le compte n’y est pas. Puis ils basculent dans la putasserie avec «How Many Times» et «Don’t Talk To Me». Leurs atroces kitscheries n’ont aucun avenir. Dommage, car l’«It Don’t Mean A Thing» s’annonçait bien, aux frontières de la pop et du glam. C’est encore le son de l’Angleterre heureuse, juste avant Thatcher. Mais on remarque très vite une grave carence compositale. Ray Stiles & Rob Davis, ce n’est pas la même chose que Chinnichap. Ray Stiles & Rob Davis se lancent à l’assaut des charts et ça ne marche pas. Ils tentent de revenir au glam pur avec «Blagging Boogie Blues», mais ça bascule vite fait dans le fast n’importe quoi. Même remarque que précédemment : tu vas trouver dans les bonus de le Mud Box un «Time & Again» digne des Beatles de «Rocky Racoon». Et comme le dit si bien Phil Hendricks, Mud perd avec cet album ce sense of fun and bonhomie qui les caractérisait si bien, à quoi Les Gray ajoute : «I think we got too big for our boots. We were thinking we were Steely Dan.»

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             Retour au glam sur Rock On avec deux cuts : «Who You Gonna Love» et en ouverture de bal de B, «Careless Love». C’est le heavy boogie down d’Angleterre, bien porté par un bassmatic chevrotant. Les Gray chante «Careless Love» au tremblé émotif, porté par l’excellent stomping ground de Mud, et Rob Davis tire son solo à quatre épingles, oh c’mon, le son est tellement parfait ! On retrouve le Mud qui pondait jadis des hits glam intemporels. Cet album pourrait bien être le grand retour de Rob Davis qui éclaire «Burn On Marlon» d’un solo luminescent et «Let Me Get (Close To You)» d’un solo d’urgence claquante. Le reste des cuts n’est pas très convaincant. Dommage qu’ils n’aient pas capitalisé sur leur stock de glam attitude. Ils terminent l’album avec un gros clin d’œil à Eddie Cochran : ils reviennent au rock’n’roll avec une belle version de «Cut Across Shorty». Ils devraient le faire plus souvent, ils amènent leurs couplets aux clap-hands, dans leur environnement glam et ça redevient étonnant. Côté Mud Box et bonus, on se doit de saluer «Let Me Out», un puissant instro. Avec Rob Davis, c’est forcément du tout cuit. Ils font aussi une cover du «Just Try (A Little Tenderness)» d’Otis, mais en mode glam, it’s over/ tonite, c’est très bon esprit.          

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            Et puis voilà la chant du cygne : As You Like It, qui sort en 1979 avec une pochette voluptueusement illustrée. Ça part en mode diskö-pop avec «Dream Lover» et on est un peu triste, car Mud restait un groupe à fort potentiel. Ils se sont épuisés. On sauve «1-2 Love» sur cet album, qui bascule dans le glam après un mauvais départ. Ils font même du funk avec «As You Like It», puis du reggae avec «You’ll Like It», puis du gospel avec «So Fine». C’est toujours très solide au niveau son, et même assez beau. Ils font aussi de la pop incertaine avec «Right Between The Eyes». Ils sont parfaitement à l’aise dans tous les styles, puisqu’ils finissent l’album avec du doo-wah-doo-wah des fifties, une belle reprise du «Why Do Fools Fall In Love / Book Of Love» de Frankie Lymon. On salue une dernière fois Rob Davis et son «Roly Pin», planqué dans les bonus, car il crée autant de magie que Peter Green.

             Mud splitte en 1979. Les Gray monte Les Gray’s Mud, Rob Davis joue dans les Darts et Ray Stiles rejoint les Hollies en 1985.

    Signé : Cazengler, Mud alors !

    Mud. Mud Rock. RAK 1974

    Mud. Use Your Imagination. Private Stock 1975

    Mud .Mud Rock Vol. 2. RAK 1975  

    Mud. It’s Better Than Working. Private Stock 1976

    Mud. Rock On. RCA Victor 1978                    

    Mud. As You Like It. RCA Victor 1979 

    Mark McStea : Tiger feet. Vive Le Rock # 91 - 2022

     

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    Lorsque Thumos a annoncé vers la mi-juillet que son prochain opus serait Symposium, j’étais encore sous le choc esthétique de Course of the Empire, voir la chronique in Kr’tnt ! 562 du 07 / 07 2022, je n’ai pas eu le réflexe de ramener ce nouveau titre aux antérieures réalisations du groupe. A Course of Empire est une série de toiles du peintre américain Thomas Cole sur le sujet du destin de tout empire, il n’est pas interdit d’y voir une préfiguration pessimiste de la destinée des Etats-Unis… La version metallo-symphonique de l’œuvre de Thomas Cole opérée par Thumos peut ouvrir le champ à de similaires inquiétudes… J’ai passé tout l’été en me demandant à quel évènement, nommé Symposium, de l’histoire des States ce nouveau projet était consacré. Evidemment je m’étais enlisé dans une fausse piste. Je plaide coupable, je n’ai pour toute excuse que celui d’être français, car par chez nous il est très rare de nommer le Symposium selon son vocable original, il répond à un titre nettement plus évocateur : Le Banquet. Non pas le Beggars Banquet des Rolling Stones, mais de celui dont les abeilles de l’Hymette venaient butiner le miel de ses lèvres, j’ai nommé Le Banquet de Platon. En France tout le monde connaît ce titre sans même l’avoir lu, personne n’ignore, notre vieux fond gaulois attaché à la gaudriole aidant, que Le Banquet de Platon parle de l’amour. Evidemment c’est un agréable raccourci, peut-être convient-il avant d’écouter le Symposium de Thumos de nous attarder quelque peu sur le Symposium de Platon.

    LE BANQUET DE PLATON

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    Rappelons que Thumos a attiré l’attention de moult amateurs de musique rock par son adaptation – nous reviendrons sur ce terme peu précis – de La République de Platon (voir notre chronique 541 du 10 / 02 / 2022 ). Ces deux dialogues sont dissemblables : comparé au Banquet, La République est beaucoup plus austère, elle évoque un sujet que l’on qualifiera de théorique et que l’on définira grossièrement par la question suivante : quelle sorte de gouvernement pour une Cité idéale ? Selon les catégories platoniciennes du juste et du bon Le Banquet s’intéresse au Beau, qui dit beau pense à beauté et qui dit beauté pense au désir et à l’amour. Tout lecteur se sent directement interpellé…alors que les ratiocinations sur le meilleur des régimes politiques suscite davantage de méfiance et de scepticisme, surtout par nos temps troublés…

    Un banquet était composé de deux parties, l’on mangeait dans la première, l’on buvait dans la seconde nommée Symposium. Le banquet dont il est question dans le dialogue de Platon est terminé depuis plusieurs années lorsque débute l’œuvre. Nous n’y assistons pas en direct si l’on nous passe l’expression. Mais il est resté célèbre non parce que la boisson et les libations aux Dieux se succédant il aurait dégénéré, disons en orgie romaine, mais pour les discours qui y avaient été prononcés. Rappelons que si nous vénérons les textes de la Grèce Antique, l’enseignement était avant tout oral. Le savoir était transmis directement du maître aux disciples. Par exemple beaucoup de textes d’Aristote qui nous sont parvenus sont à l’origine des cours dispensés en salle de classe ou en marchant, une fois la leçon terminée les élèves se retiraient et notaient les paroles du professeur. Ecouter et mémoriser était primordial. L’on ne s’étonnera donc pas qu’Apollodore le narrateur puisse de tête reproduire les longs discours, ou du moins l’essentiel, qui avaient été tenus par les principaux convives tels que les lui avaient révélés Aristodème qui lui avait assisté à ces agapes intellectuelles et duquel la justesse des propos furent plus tard confirmés à Apollodore par Socrate lui-même…

             Pour la petite histoire Apollodore fut un élève de Socrate, il tentera de convaincre Socrate de plaider coupable et de payer une amende dont il se portait caution. Xénophon raconte qu’Apollodore assista à la fameuse scène de Socrate buvant la cigüe mais qu’il fut incapable de retenir ses pleurs… preuve ô combien évidente qu’il n’avait pas encore intégré l’enseignement de son maître…

             Le banquet est donné par Agathon pour fêter sa victoire au concours dramatique en l’honneur des fêtes Lénéennes (fin janvier-début février) dédiés à Dionysos, à Athènes. Après le repas proprement dit vint le moment de boire. Les convives sont fatigués, la veille Agathon a déjà offert à ses amis et invités une grande fête très arrosée… la proposition d’Eryximaque de boire modérément mais d’égayer la soirée en demandant aux participants de prononcer chacun à leur tour un éloge au Dieu Eros est acceptée par tous. 

    Sept discours se succèderont durant cette soirée mémorable. Ce n’est pas un hasard si le Symposium de Thumos comporte huit morceaux.  Pour les personnages évoqués par Thumos nous utiliserons la transcription française de leur nom.

              Un dernier avertissement à l’auditeur qui ne lève pas la nuit pour relire quelques pages de Platon :  malgré le sujet nous ne sommes pas en présence d’un ouvrage joyeux, laissons de côté les représentations romaines du Dieu Eros sous les traits d’un enfant facétieux qui s’amuse à vous percer le cœur de ses flèches redoutables qui peuvent vous rendre heureux ou malheureux si votre amour est, ou n’est pas, exaucé par la personne vers qui se porte vos désirs… Que le lecteur ne soit donc pas surpris par la tonalité grave ou dramatique de cette œuvre.

    SYMPOSIUM

    THUMOS

    ( Snowwolf records / 14 – 02 – 23 )

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    Thumos a découpé en huit parties le dialogue de Platon en suivant l’ordre de son déroulement chronologique, il faut avoir écouté l’œuvre en son entier pour en saisir l’unité organique, elle n’est pas composée de huit morceaux indépendants les uns des autres, elle est parcourue de la même tension qui ordonne l’enchaînement des discours successifs, l’on suit une gradation  qui par paliers emmène l’auditeur du plus simple au plus complexe, de l’évidence à l’idée, nous empruntons une courbe élémentale qui nous permet de gravir les échelons qui de la zone terrestre nous conduisent à l’espace éthéré. L’éther est le cinquième élément réservé aux Dieux, c’est son inconnaissance qui influe sur le destin des hommes et le transforme en déclin.  Le Banquet n'est compréhensible que si on le lit selon l’enseignement parménidien du double chemin, celui de la vérité et celui de l’erreur, pour employer des termes plus subtils celui de celui de l’être et celui du non-être. Sans doute Le Banquet doit-il être considéré comme la réponse de Platon à ce que l’on surnomme de nos jours le Traité du Non-être de Gorgias.

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    Phaedrus :  ce n’est pas un hasard si Eryximaque a proposé de parler d’Eros, il ne cache pas que ce sujet intéresse au plus haut point Phèdre, celui-ci est un féru de mythologie, les Dieux l’interrogent, il fut toutefois accusé d’avoir participé aux mutilations des statues d’Hermès et à une parodie des Mystères d’Eleusis, toute l’ambiguïté grecque envers les Dieux dans cette dichotomie intellectuelle et comportementale, les Dieux fascinent et révulsent… Plus prosaïquement le procès qui fut intenté aux coupables de ces deux crimes religieux (relevant de la peine de mort) est aussi la résultante d’un féroce combat politique entre les clans politiques qui se disputent le pouvoir, mais ceci est une autre histoire entre démagogie et tyrannie… Mais que déclare Phèdre dans son discours :   il est important de faire l’éloge du dieu Eros proclame-t-il car il est un des premiers Dieux qui soient apparus, ce qui prouve qu’il est un dieu fondamental… Mais pour en revenir aux hommes Eros oblige l’amant et l’aimé à se bien conduire, comment commettre une action honteuse dont on aurait à rougir devant son aimé ou son amant. Eros oblige à se surpasser et même à mourir non pas spécialement pour sauver celui qui survivra mais pour démontrer aux yeux de tous que l’Eros vous a donné le courage de de vous sacrifier pour être exemplaire aux yeux du survivant. Ce raisonnement se comprend parfaitement si l’on se souvient que la société grecque antique provenait de tribus guerrières doriennes dont la guerre était la modalité sine qua non de leur existence. Choisissons deux exemples parmi ceux proposés par Phèdre : après sa mort les Dieux accueillent Achille dans l’île des Bienheureux, il ne s’est pas écroulé après la mort de Patrocle son aimé, non seulement il l’ a vengé en tuant Hector mais par la suite il  a continué à se battre contre les troyens, rien à voir avec Orphée le pleurnicheur qui descend aux Enfers pour qu’on lui rende son Eurydice chérie, les Dieux ne lui permettent pas de la ramener, honte suprême il sera plus tard tuer par des femelles en rut…   Ecoutons maintenant comment Thumos évoque ce discours : l’auditeur à l’âme naïve et fleur bleue sera surpris par la gravité de ce début, l’amour n’est pas un tendre sentiment, la violence de la batterie digne des coups d’épée sur les boucliers de bronze démontrent à l’excès que l’éros est une affaire d’hommes et des plus graves, le morceau dépasse à peine cinq minutes mais la charge lyrique s’amplifie à chaque seconde, pour rester sur une image antique nous avons l’impression d’être au premier rang d’une phalange qui cède et plie sous la poussée ennemie, l’instant crucial où tout, défaite out victoire, est encore possible mais demande un surcroît de courage et d’engagement total de son être. Ne pas confondre éros et amourette. Pausanius : nous savons peu de choses de Pausanias sinon qu’il connaissait Prodicos, sophiste réputé pour sa réflexion sur le langage dont Socrate aurait suivi les enseignements et qu’il fut l’amant d’Agathon celui qui offre le banquet : Ecoutons Pausanias : son discours pourrait être qualifié de plus réaliste, il ne prend pas à témoin les héros de la haute antiquité, il s’intéresse aux hommes de son temps. Il y a Eros et Eros tout comme il existe deux Aphrodites. L’une céleste et l’autre vulgaire. Ceux qui aiment les femmes relèvent de la seconde, ceux qui aiment les hommes pour la simple jouissance de leurs corps aussi. Ceux qui suivent l’Aphrodite céleste sont les amants et les aimés qui entretiennent des rapports non pour une simple jouissance physique mais pour se comporter vertueusement chacun selon son rôle défini par la société. Il entre dans les détails, l’aimé doit être jeune ( et passif ) l’amant plus âgé ( et actif ) , le premier ne cède que pour progresser dans sa manière d’être un bon citoyen, le deuxième pour que son désir ait une action pour ainsi dire pédagogique et sur l’ami et sur lui-même… le rapport aimé-amant ne doit pas ressembler à la domination qui soumet l’esclave à son propriétaire, car ces soumissions sont celles des sociétés barbares et des cités commandées par un tyran. L’arrière-plan politique des représentations amoureuses apparaît nettement dans ce discours. Ecoutons Thumos : le rythme se ralentit mais très vite l’ampleur sonore reprend son incessante intumescence, nous ne sommes plus dans une société guerrière mais dans une cité policée, les jeux de la guerre cèdent la place aux préceptes sociétaux, aux lois, aux règlements, aux usages, à la manière dont sont perçus les bonnes actions et les mauvais comportements, tout se complique, le déploiement de l’influx instrumental devient luxuriant, ce n’est plus les épées et la force qui prédominent mais les regards de tous qui sont peut-être encore plus pesants et inquisiteurs que le choc du bronze et de l’airain, subitement la pression disparaît comme si au total en y réfléchissant tout  ne dépendait que de notre seule bonne conduite individuelle, un simple leurre, une illusion chassée par le doute, ce serait trop facile, la musique devient plus forte, l’on ne plie plus sous la poussée de ses ennemis mais sous le poids de sa propre responsabilité écrasante. Eryximachus : médecin de son état, ami de Phèdre : Lisons l’ordonnance du docteur Eryximaque : commence par critiquer le discours de Pausanias par trop schématique et incomplet. Il n’y a pas d’un côté la bonne Aphrodite et de l’autre la mauvaise, en toutes choses, en toutes sciences, l’on retrouve un mélange des deux Aphrodites, l’art du médecin est de rétablir l’équilibre des contraires entre ce qui dans le corps est en bonne santé et ce qui est malade. L’art du musicien sera de rétablir l’équilibre entre ce qui est trop aigu et ce qui est trop grave. C’est cet équilibre réalisé qui est la marque de l’Eros. L’Eros est comme le remède universel capable de réguler toutes choses, les humaines comme les divines. Eryximaque parle en praticien mais il offre à l’éros la première place, celle de premier régulateur du monde. Comment les praticiens musicaux de Thumos vont-ils ils mettre en pratique l’ordonnance d’Eryximaque ? : en offrant à Eryximaque un background musical d’une plénitude extraordinaire, font comme si Aristote avait décrété que le moteur immobile qui met en mouvement le monde était la musique, Thumos touche en ce morceau au grandiose en le sens où tout est là et rient n’est en trop ni en moins, si ce n’était l’amplitude enthousiasmante de ce court morceau spécifiquement humaine l’on pourrait dire que l’on atteint au domaine souverain des Idées. Aristophanes : l’on ne présente pas ce bouffon prodigieux que fut Aristophane, il n’a jamais rien respecté dans ses comédies, pour ce qui nous concerne, ni Agathon qu’il ne se gênera pas dans ce même dialogue de traiter d’inverti, comprenons de mâle passif, ni Socrate dont dans Les Nuées il trace un portrait à charge corrosif… Pour une fois Aristophane ne nous fera pas rire, ses propos ont fait rêver bien des générations : Aristophane raconte ce que nous nommons le mythe de l’Androgyne. Ces êtres humains primitifs qui possédaient soit un sexe soit les deux sexes, mâle et femelle, que Zeus coupa en deux, si bien qu’au travers de nos amours nous recherchons la moitié perdue… Comment Thumos a-t-il transcrit ce mythe ? : remarquons d’abord que les propos d’Aristophane sont en totale contradiction avec ceux d’Eryximaque qui affirmait que l’on retrouvait en toutes choses la présence de l’Eros alors qu’Aristophane déplore son absence en le lieu que nous privilégions par excellence : nous-mêmes. L’on pourrait accroire que le morceau souffrirait d’une quelconque disparité, qu’il serait comme boiteux, c’est bien ce qui arrive en ses débuts, mais ce vide va prendre une ampleur si démesurée qu’il devient aussi important que la plénitude précédente, mais là où ça sonnait plein, ici ça résonne creux, la musique semble cheminer sur une jambe, tantôt elle court et se hâte comme si elle avait aperçu sa chère moitié pas très loin mais elle a beau presser le pas, gagner en assurance, la voici encore une fois qui claudique, cahin-caha, le son se tortille telle une torpille qui ne sait plus où aller, elle marche comme un clown désespéré, toutefois le désespoir n’est pas sans atteindre à  une certaine grandeur humaine.  

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    ( Agathon )

    Agathon : aimé de Pausanias, élève de Prodicos et de Gorgias, sophiste envers lequel Socrate marque quelque déférence, chose rare chez lui, rappelons que c’est Agathon qui offre le banquet. Il passera les dernières années de sa vie à la cour du roi de Macédoine Archélaos, ce qui est le signe d’un engagement peu démocratique… Agathon parle moins des hommes que d’Eros : exactement de sa nature, c’est le Dieu le plus jeune, qui est venu après le règne de la Nécessité qui pendant longtemps soumit les Dieux à ses terribles lois qui engendrèrent conflits et violences entre les Dieux qui se disputèrent le pouvoir. Eros est le plus beau de tous, il fréquente les jeunes hommes qui sont à son image, il est le plus fort sans avoir besoin d’user de sa force,   il triomphe des hommes et des Dieux, il se glisse dans le cœur et l’esprit des hommes et des Dieux et aucun ne le chasse, tous l’accueillent avec plaisir. Il est le véritable guide des hommes. Autour de Thumos de transcrire le panégyrique d’Eros prononcé par Agathon : notes scintillantes de vives couleurs en introduction pour évoquer l’Eros d’Agathon, après les quatre premiers morceaux tempétueux pour la première fois Thumos nous livre un espace de grâce quasi virgilienne, mais cet instant de calme ne dure pas, la musique s’alourdit, certes elle reste éclatante mais elle se doit de montrer la puissance de ce Dieu hyper persuasif à qui personne ne songerait à s’opposer, un Dieu qui n’apporte que plaisir et volupté, ne le regrettons-nous pas lorsqu’il nous quitte, la musique se déploie telle une teinture de pourpre qui nous donne l’illusion d’être investi de la tranquillité et du rire des olympiens, en se glissant en nous, ne nous apporte-t-il pas l’intime conviction que nous vivons dans un monde de beauté et que nous tutoyons les Dieux, l’Eros est un songe que nous refusons de quitter. Thumos nous offre la plénitude du bonheur. Socrates : encre un que l’on ne présente pas. Le super héros qui a toujours raison, quoique vous ayez dit puisqu’il arrive à vous mettre en contradiction avec vous-même. Méfiez-vous s’il commence par vous couvrir de compliments. Ainsi commence Socrate : avouant qu’il est subjugué par la beauté du discours d’Agathon, lui trousse même un fameux compliment puisqu’il le compare aux paroles que prononce ou écrit habituellement Gorgias ( dont il admire l’aisance mais déteste la suffisance, ajoutons-nous).  Socrate ne se livre pas à proprement parler à un discours, il met en marche sa machine à concassage tous azimuts qu’il dirige contre Agathon. Par un jeu de questions-réponses habilement mené il le met en contradiction avec lui-même : Eros ne peut pas être amoureux de lui-même, donc Eros souffre de l’absence de ce qu’il est, de sa beauté et de sa bonté, donc Eros n’est ni bon ni beau. CQFD ! Gros challenge à relever pour Thumos : comme une dissonance en introduction et quelques chuintements de mauvais augure, coups de boutoirs de pelles mécaniques qui s’abattent sur des murs, écrasement total, avance incoercible de rouleaux compresseurs qui réduisent les débris en miettes, immédiatement suivis de tractopelles qui déblaient le terrain comme s’ils repoussaient des jouets d’enfants, mise en œuvre d’une puissance incoercible à laquelle rien ne saurait s’opposer, la musique baisse d’un cran le temps que les auditeurs prennent conscience de la victoire de Socrates sur la branlante faiblesse de tous ceux qui l’ont précédé. Les dernières notes comme le signe de désolation qui s’est emparé des adversaires convaincus de la supériorité éminente de leur adversaire.

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    ( Socrate recevant l'enseignement de Diotime )

    Diotima : Socrate ne se vante guère de sa victoire, il ne sait pas (l’hypocrite) s’il sera capable de faire mieux que ceux qui l’ont précédé, il prononce tout de même son discours, mais ce n’est pas le sien, il avertit qu’il ne fera que rapporter un discours qu’il a entendu de la bouche d’une prêtresse de Mantinée qui se nomme Diotima. Evidemment   c’est la Diotima du Banquet qui donnera son nom à l’héroïne du roman Hyperion d’Hölderlin. (Voir notre chronique suivante sur Les Doors.). L’enseignement de Diotima : Diotima tire les conclusions de la démonstration de Socrate qu’elle partage, si Eros n’est ni beau, ni bon il n’est pas un Dieu car les Dieux sont naturellement beaux et bons, il n’est pas un homme, il n’est pas un Dieu, il est mortel et immortel, il est un Démon, ces êtres qui servent d’intercesseur entre les Dieux et les hommes. Eros est pauvre, laid, et peu savant, tel est-il, sans quoi il serait un Dieu, mais de par sa nature il recherche le beau qu’il ne possède pas et nous devons l’imiter. Si nous trouvons l’être aimé nous atteignons un faux bonheur puisque tout être est mortel. Si l’être que nous aimons est beau, il faut s’apercevoir que d’autres jeunes gens aussi sont beaux et comprendre que puisque ces jeunes mortels sont beaux nous nous devons de rechercher  la beauté en tant que telle, dont nos jeunes gens ne présentent que des reflets, nous devons chercher à tomber en contemplation amoureuse à l’intérieur de nous de l’idée de la Beauté… Il est un aspect du discours de Diotime que nous avons occulté, ce qui unit la création poétique à l’immortalité, nous laissons à Thumos le soin de se charger de cette tâche : ce n’est pas la musique des sphères qu’ils nous offrent, se placent  à la fin du discours de Diotime, ce moment absolu où toute tension est abolie, puisque l’Idée apparaît, nous ne voyons pas l’Idée mais ils décrivent la sensation de calme, de quiétude et d’extase libératoire qui vous saisit, ils ne dévoilent pas l’Idée mais la musique claironne brusquement, un éclat de feu inonde nos oreilles, nous n’avons jamais été aussi proches des Dieux.

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    ( Entrée d'Alcibiade )

    ( Tableau d'Anselm Feuerbach : Le Banquet de Platon - 1873 )

    Alcibiades : si l’on omet les penseurs et les poëtes de la Grèce antique, les deux personnages historiaux les plus fascinants que les Grecs nous aient laissés sont Alexandre et Alcibiade. Ce dernier est moins connu du grand public, si les Dieux ont poussé Alexandre pour reprendre une citation célèbre sur la pente fatale de la victoire, ils ont jeté Alcibiade sur le toboggan du scandale. Il était beau, jeune et riche, tout lui souriait, il fut un stratège redoutable et sur terre et sur mer, mais il se joua des hommes, de sa patrie et des Dieux sans vergogne. Ne fut-il pas, entre autres, lui aussi impliqué dans le scandale de la mutilation des Hermès… Le voici qui débarque totalement ivre chez Agathon, heureux et horrifié de rencontrer Socrate, il n’hésite pas une seconde à se risquer dans un discours : il ne se lance pas dans un éloge à Eros mais à Socrate : Athènes compte de grands orateurs mais le seul qui retienne son attention c’est Socrate, il aime à l’entendre discuter, Socrate parle vrai et juste, Alcibiade reconnaît qu’au lieu d’avoir de grandes visées politiques il ferait mieux de rester assis à ses côtés pour suivre son enseignement. Alcibiade avoue qu’il est amoureux de Socrate et qu’il aurait volontiers été son aimé, à plusieurs reprises il aura tenté de faire en sorte que Socrate cède à ses avances (très) rapprochées, mais rien ne se passa comme il le voulut. Ces déconvenues érotiques ne l’empêchent pas de décrire l’imperturbable courage, la vaillance et la modestie de Socrate lors des campagnes militaires, et de souligner qu’il n’est pas différent sous les armes que dans les rues d’Athènes… L’on peut se demander si dans ce dernier titre Thumos se laissera séduire par la brillante franchise de d’Alcibiade ou par le panégyrique de Socrate : l’on est surpris par l’intensité sonore et la tension dramatique du morceau, les dernières pages du Banquet ne déparerait  pas dans une scène de comédie ( si Platon est un grand philosophe, il est aussi un littérateur émérite ), par ce final grandiose d’une force extraordinaire Thumos entend sans doute nous avertir de ne pas prendre Le Banquet pour une œuvre légère, mais une œuvre écrite au plus près de tout individu qui se sent envahir par une énergie et un désir si absolus que les Grecs ne pouvaient se résoudre à expliciter son surgissement en notre corps et notre esprit seulement par notre animalité primordiale, dont ils préféraient dire que seuls les Dieux en étaient les dispensateurs originels.

             L’on peut évidemment écouter Symposium en tant que simple œuvre musicale. Les amateurs de Metal n’en sortiront pas déçus. Loin de là ! Toutefois ce serait passé à côté du projet si particulier de Thumos. Stéphane Mallarmé, évoquant Richard Wagner, affirmait que la musique avait volé son bien à la poésie, commencerait-elle grâce à Thumos à voler son bien à la philosophie…

    Damie Chad.

     

     

    THE DOORS

    PHILIPPE MARGOTIN

    (H.S. Collection Rock & Folk N° 24 / Février 2023)

     

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    Philippe Margotin s’est chargé à lui tout seul du Hors-Série Rock & Folk sur les Doors. L’a l’habitude, l’a déjà signé un gros tas de monographies aux grands noms, disons gros vendeurs du rock, en vrac : U2, Amy Winehouse, Rolling Stones, Muse, Radio Head, Police, AC/DC, Pink Floyd, Lennon, Elvis Presley, Clapton, et j’en passe… L’est aussi directeur de collections, notamment de ces gros pavés, La Totale, en compagnie de Jean-Michel Guesdon, qui propose l’intégrale des morceaux de Dylan, de Led Zeppelin, des Beatles, et autres monstres du même acabit… bref pas tout à fait un public de niche, plutôt de chenil… les chiens perdus sans collier du rock ‘n’roll, ce n’est pas son truc.

    Que penser de ce dernier opus, les admirateurs des Doors qui ne sont pas nés du dernier orage sur Los Angeles n’apprendront pas grand-chose, les néophytes y trouveront pitance roborative. Margotin fait preuve d’honnêteté intellectuelle, il produit un magazine, comme son titre l’indique, sur les Doors et non pas sur JIM MORRISON et les Doors. Bien sûr il ne néglige ni ne cache la personnalité hors-norme de Jim, mais il ne réduit pas ses partenaires à la portion congrue. Ils sont quatre en tout et il partage le gâteau en quatre. Il analyse les six albums studio du groupe, titre par titre, n’oublie personne, chacun est crédité et loué pour son apport. Donne même envie de réécouter tel ou tel titre pour se focaliser sur telle ou telle partie de l’instrumentation à laquelle l’on n’aura prêté qu’une maigre attention. Ne rate ainsi jamais pour relever dans le blues-rock fondamental qui forme le terreau des Doors les relents de jazz et de musique classique. L’on ne crée pas à partir de rien. Mais de tout ce qui a précédé. Imitation et rupture sont les deux mamelles de toute action créatrice.

    Son principal mérite est d’analyser l’œuvre du groupe, et principalement cet aspect : l’on a dû couper la moitié, j’exagère seulement le quart, de la forêt amazonienne pour produire le papier consacré au procès qui sera mené contre Jim pour exhibition de ses parties sexuelles lors du  concert du 1er mars 1969 à Miami… Margotin mégote un max, pas plus de trente lignes, car ce qui l’intéresse c’est juste la musique, car music is your only friend til the end… Idem, il donne en moins de cinquante lignes les deux versions de la mort de Jim sans embaucher un cabinet de détectives privés pour reconstituer la scène finale.

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    Bien sûr Margotin replace la formation du groupe dans son contexte, les années soixante sont celles d’une explosion culturelle, les vieux codes issus du puritanisme chrétien qui régissaient les corps et les esprits volent en éclats, augmentation des consciences et libération sexuelle marchent de pair avec un désir anarchisant de liberté et le refus des violences institutionnelles et étatiques… Le rock‘n’roll est le principal véhicule de cette nouvelle sensibilité. Car davantage que d’autres pratiques artistiques c’est en lui et par lui que la jeunesse reconnaît l’expression signifiante de son mal-être intime et sociétal. N’en ratons pas pour autant l’occasion de parler de Jim Morrison.

    C’est dans ce chaudron en ébullition que va se jouer le destin de Jim Morrison. Il en est, de par sa place de meneur charismatique d’un des plus importants groupes de rock du moment, l’un des leaders reconnus. Il fait partie intégrante de cette réalité donnée, mais à l’intérieur de celle-ci il se sent totalement étranger. Il a tout compris, mais il se sait incapable d’y apporter la moindre remédiation. L’est comme un extra-terrestre qui du haut de sa soucoupe volante comprendrait les errements de l’espèce humaine, qui saurait comment les contradictions qui agitent ces animalcules pourraient être unifiées, mais qui doit d’abord se préoccuper de résoudre les siennes.

    Le problème de Jim Morrison c’est d’être une pièce essentielle de l’échiquier mais placée sur une mauvaise case. Il possède toutes les caractéristiques d’un musicien, et pas n’importe lequel, lui il joue de l’instrument le plus proche de l’être humain, tous les autres (violons, guitares, tubas, pianos…) ne sont que des béquilles, le sien est directement hanté sur sa chair : la voix.

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    La voix détient cet étrange privilège d’être le vecteur du son et du sens du chant et dire, de la musique et de la poésie. Or Morrison le sait. Il ne provient pas de la musique mais de la poésie. C’est ainsi. C’est son histoire personnelle. Il n’y peut rien, puisqu’il s’est sciemment construit ainsi. Par les coïncidences du hasard affirmeront les uns, par sa propre nécessité intérieure. 

    Reste à savoir comment l’on considère Jim Morrison. Au pire un parolier particulièrement (très) doué au-dessus de la moyenne des producteurs de lyrics rock, mais pas davantage. D’ailleurs son œuvre ne donne-t-elle pas l’impression d’un vaste chantier inachevé ? Il suffit de lire l’Anthologie Jim Morrison parue en octobre 2021 pour en être persuadé.

    Philippe Margotin ne partage pas cet avis, il classe Morrison parmi l’un des poètes les plus importants de l’Amérique. Mais il ne dit pas pourquoi et en quoi.  La réponse à ses questions n’est pas des plus faciles et ne rentre pas dans le champ désigné par le titre du numéro. Essayons d’y voir plus clair.

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    Un poëte américain ? La réponse est évidente. Oui Morrison évoque la réalité de l’Amérique de son époque, oui il s’inscrit dans la continuité de la Beat Generayion, mouvement poétique aux thèmes profondément américains, la route et la frontière, le premier n’étant que la résultante du second, la frontière ne peut aller plus loin que le Pacifique, désormais la route tourne en rond et se mord la queue, l’Amérique est devenue le lieu fermé de la contemplation de sa finitude. En quelque sorte le neuvième cercle de l’enfer de Dante.

    Nous n’avons pas choisi le terme platonicien de contemplation au hasard. Qui regarde au juste ? : celui qui regarde ou ce qui est regardé ? L’Idée, la forme regardée du spectacle du monde physique ou idéel, ne construit-elle pas la vision de celui qui regarde qui ne peut regarder que son propre miroir. Dont il est le reflet.

    Le monde de Morrison est strictement délimité, à un bout le sexe à l’autre bout la mort. Ces deux limites sont intangibles, aucune n’illimite l’autre. Ce ne sont que les deux points cardinaux des catégories qui cernent l’essence de tout ce qui est selon Aristote : production et destruction ou génération et corruption.

    Il existe des moments historiaux lors desquels ces abysses qui bordent toute présence au monde apparaissent plus prégnants… Les années soixante furent de ceux-ci. Certains individus le ressentent plus fortement que d’autres. En d’autres termes le monde n’est plus qu’un champ de ruines entre ce qui s’écroule et ce qui ne parvient pas à être. Vision des plus pessimistes que l’on retrouve par exemple en Europe chez Hölderlin qui nous laisse une œuvre en lambeaux et sa revendication désespérée à fonder ce qui demeure. Margotin insiste notamment sur l’aspect décalé de Morrison par rapport à son époque, à son public, à tous ceux qui se revendiquaient de lui sans rien comprendre à sa démarche.

    Or ce qui fonde ce qui demeure ne peut-être pour Hölderlin que le chant du poëte. Etudiant Hölderlin, Heidegger a longuement réfléchi sur ce qui empêche, hors de toute anecdote historiale, la poésie de remplir cette mission, que lui le philosophe attribuait à la pensée. Dont il reconnaît le même échec de toute tentative d’accomplissement fondamental. Il en vient à souhaiter la mise en place d’une pensée qui ne soit plus pensée mais qui emprunte les modalités de son Dire au Chant de la poésie. Cette position est réversible : le Chant de la poésie se doit d’emprunter les armes du Dire de la pensée. Notons que Morrison fut un grand lecteur de Nietzsche, dont le destin se joua selon la trilogie de la musique, de la poésie et de la pensée. Certes Morrison n’a jamais possédé l’armature intellectuelle de ces trois européens héritiers d’une longue réflexion vieille de plusieurs siècles dont ils ont su devenir les dépositaires. Mais il eut le pressentiment des falaises abîmales au-haut desquelles il se tenait. Il tenta de substituer au Chant et au Dire le Mythe et ainsi de dépasser ses propres contradictions. Penser selon les Dieux – Apollon ou Dionysos - est dangereux. Ce sont des concepts certes opératoires mais qui vous enferment en vos propres limitations. Au lieu de pérorer sur le groupe des 27, il conviendrait plutôt de regretter le temps qui a manqué à Jim Morrison.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 562 : KR'TNT 562 : JONATHAN RICHMAN / CHEATER SLICKS / PIXIES / ANDY PALEY / ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 22 ) / T BAKER TRIO / IENA / VINCENT BRICKS / THUMOS /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 562

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 07 / 2022

    JONATHAN RICHMAN/ CHEATER SLICKS

    PIXIES  / ANDY PALEY

    ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 22 )

    T BECKER TRIO/ IENA / VINCENT BRICKS

    THUMOS

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 561

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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     TERRIBLE DECEPTION POUR LES KR’TNTREADERS !

    ENCORE UNE FOIS CES IGNOBLES INDIVIDUS

    QUE SONT LE CAT ZENGLER ET DAMIE CHAD

    PRENNENT LEURS VACANCES !

    IMMENSE JOIE POUR LES KR’TNTREADERS !

    LA LIVRAISON 563

    ARRIVERA AU PLUS TÔT LE 25 / 08 / 2022

    AU PLUS TARD LE 01 / 09 / 2022

    KEEP ROCKIN’ TILL NEXT TIME !

     

    Spécial Boston

     

    Les Pixies, les Cheater Slicks, Jonathan Richman et Andy Paley ont un point commun. Lequel ? Boston ! Cette fournée constitue le premier volet d'un spécial Boston, imaginé pour my friend Jacques, en écho à ce qu'il écrivit un jour : "Boston est la Mecque du rock."

     

    Baby you’re a Richman

     

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             Les relations qu’on entretient avec Jonathan Richman depuis plus de quarante ans ne sont pas toujours très cordiales. On l’a adoré un temps puis détesté. Pourquoi ? Parce qu’il évoluait bizarrement. Oh il n’est pas tombé dans l’horreur diskoïdale comme Blondie («Heart Of Glass») ou encore pire, dans le rock FM commercial comme Patti Smith («Because The Night»), non il a opté pour le foutage de gueule, le rock potache, réussissant là où Jimbo et Syd Barrett avaient échoué : en se coulant artistiquement. Il échappait ainsi au star-system qui menaçait de le transformer en machine à fric, comme les deux collègues citées ci-dessus. Les seuls qui aient réussi à exister artistiquement dans ce qu’on appelle le grand public sans se faire enfiler sont assez rares. Citons les noms de Dylan, de Van Morrison ou encore de Ray Davies. Pour les blancs. Chez les Noirs, ils sont plus nombreux, beaucoup plus nombreux, James Brown en tête, et George Clinton aussitôt derrière. 

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             Le diable sait si on adorait ce premier album des The Modern Lovers qui n’avait pas de nom. The Modern Lovers était écrit en ultra-bold ital sur un fond noir, et dès «Roadrunner», Jojo et ses amis d’alors nous replongeaient dans un bain de jouvence qui s’appelle «Sister Ray» : même énergie dévastatrice, même minimalisme fondateur d’empire des sens, même ampleur catégorielle, même souffle éolien et les nappes d’orgue de Jerry Harrison nous léchaient les cuisses. Ce n’était pas un hasard, Balthazar, si le nom de John Cale apparaissait au dos de la pochette. Avec «Old World» et «Pablo Picasso», ils tâtaient de l’hypno à nœud-nœud, un bel hypno d’orgue monté sur bassmatic ventru. Ce démon de John Cale savait que la messe était dite depuis le Velvet, mais Jojo et ses amis avaient tellement envie de s’amuser qu’il n’allait pas les contrarier. Embarqué par un riff de basse génial, Picasso se répandait comme la marée du siècle. En B, ils allaient plus sur les Stooges avec «Someone To Care About». Jojo n’avait aucun problème, il pouvait sonner comme Iggy et lâcher des awite d’une troublante authenticité. La voix fait tout, on le sait. John Cale ramène même des clap-hands comme sur le premier album des Stooges et le petit shoot de frenzy fuzz, sans oublier le break de basse. Ils terminent cet album devenu classique avec un gros clin d’œil au Velvet : «Modern World». Ils sont en plein dedans, And I love the USA, avec le petit gratté de gratte à la surface du son et ces incursions intestines typiques du grand méchant Lou. Ça excellait au-delà de toute attente. 

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             Les Modern Lovers ont attiré un autre géant de l’époque : Kim Fowley. On trouve les démos qu’il produisit sur The Original Modern Lovers, paru en peu plus tard en 1981 - One two three four five six - voilà «Road Runner #1» avec le son des origines, plus garage sixties, affichant une volonté de belle dépouille, histoire de laisser monter le vocal au sommet du mix. The Fowley way. «She Cracked» est encore plus gaga, et la volonté de découdre la dépouille s’affiche de plus belle. La descente d’accords est complètement délinquante, Jojo bouffe son gaga tout cru, sans moutarde. Il était alors le chanteur gaga idéal, avec une gouaille unique, une présence terrible et un style invasif sans l’être. Toute l’A grouille de petits classiques gaga. On se régale encore de «Wanna Sleep» en B, et du génie productiviste de Kim Fowley.

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             Avec Jonathan Richman & The Modern Lovers, Jojo entame en 1976 sa petite période Beserkley. Ces Californiens ont monté un label et misent sur quelques canassons, dont Jojo, qu’ils estiment à juste titre indomptable. On l’entend hennir across the USA. C’est avec cet album qu’il commence à faire des farces. Il voit par exemple l’Abominable Homme des Neiges dans un Market. C’est extrêmement joyeux et le market du coin de la rue est très pratique car moins éloigné que le Tibet. D’ailleurs Jojo adore les grandes surfaces, car il ouvre son bal d’A avec «Rockin’ Shopping Center», du rockab pour rire, let’s rock ! alors on rocke. C’est très awity avec des jolis breaks de stand-up et le copain Radcliffe sur la Gretsch. On retrouvait ce hit sur tous les jukes en bois. Bon, il rend aussi un bel hommage à Chucky Chuckah avec «Back In The USA», ahh, oh yeah, et tous ces jolis chœurs d’artiches. Globalement, les Modern Lovers sont passés du proto-punk à la good time music docile, c’est-à-dire l’easy-going. Sa mère dirait : «Oooooh Jojo is sooo friendly !». Et elle aurait raison. Il nous fait même du comedy act de MJC avec «New England». Pour Picasso, tintin.

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             Berserkley commence à capitaliser sur le canasson Jojo en sortant l’année suivante un Live. Personne ne fut surpris à l’époque d’y retrouver les petits rocks innocents et pré-pubères du jeune Jojo. Il joue bien la carte du fool around dans «Hey There Little Insect» que gratte sévèrement le copain Radcliffe. Les autres ne se cassent pas trop la nénette. Puis avec «Ice Cream Man», ça tourne à la mauvaise plaisanterie. Bon, le principal c’est qu’ils s’amusent. Le rock sert aussi à ça, pas vrai ? Jojo est très cruel car il planque ses belles chansons au fond des albums. C’est un miracle si on écoute «The Morning of Our Lives» qui est un vrai petit moment de magie. Il fait participer la salle. 

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             Rock’n’Roll With The Modern Lovers fait partie des albums vendus puis rachetés au hasard des virées dans les salons. C’est vrai que la pochette donne envie, mais en 1977, on avait d’autres chats à fouetter, car les gros albums fourmillaient. Le raisonnement était simple : on se disait tiens, du Modern Lovers avec une contrebasse, ça doit bien sonner. Pouf, on ramenait l’objet à la maison et le malaise ne tardait pas à s’installer. Jojo prenait trop les choses à la légère. Il se prenait pour Tintin au pays du rock dans «Rockin’ Rockin’ Leprechauns» et passait ensuite en revue toute sa collection d’exotica. On ne sauvait que deux cuts en B, «Roller Coaster By The Sea», bien monté sur la stand-up, et «Dodge Veg-O-Matic» qui sonnait comme du doo-wop gaga, alors forcément une question se posait : pourquoi le reste de l’album n’était pas du même niveau ? On attend toujours la réponse.

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             Son dernier album Beserkley paraît deux ans plus tard et s’appelle Back In Your Life. L’affreux Jojo se livre à ses amusettes préférées d’aouuuh/aouuuh dès «(She’s Gonna) Respect Me» et fait un peu de rock’n’roll, oh mais pas trop, avec «Lover Please». En fait, il cultive un style champêtre dans la joie et la bonne humeur. C’est sa façon de dire qu’il se sent bien dans ses godasses et qu’il n’a besoin de personne en tondeuse à gazone. Il s’efforce de se montrer plaisant et de chanter d’un ton détaché, pas question de plonger dans le pathos du rock et les cauchemars urbains. Il préfère conter fleurette à «Lydia». L’absence de bonnes chansons finit par plomber l’ambiance. On sait l’art de Jojo austère, mais là, il pousse un peu trop le bouchon, même s’il fait le gai luron. Il faudra savoir attendre pour voir apparaître les grands albums.   

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             En 1983, Jonathan Sings ramène sa fraise sous une très belle pochette : voilà l’affreux Jojo peint torse nu devant la foule qui l’acclame. Mais au lieu de taper dans ses veux classiques des Modern Lovers, il propose une petite rumba, the kind I like, dit-il dans «This Kind Of Music», et les deux filles font des ooh-wahh-ooh. Voilà, c’est pas compliqué. Puis dans «The Neighbors», il nous explique qu’il n’a pas besoin de laisser les voisins gérer sa vie. Il a raison. Il s’enfonce dans la forêt profonde pour attaquer «The Conga Drums», avec une belle intention de nuire, car c’est assez punk, avec de vieux boon & boom & plum plum. Ça sent bon les early Modern Lovers. En B, on le verra continuer de faire son numéro de gentil troubadour, et avec «Give Paris One More Chance», il rend un bel hommage à Paname. Ah comme c’est bien embarqué et mon Dieu c’est trop cool. Le son est au rendez-vous, il est bien accompagné. Il revient à sa chère romantica avec «You’re The One For Me». Il adore tartiner son miel au clair de la lune et les deux filles derrière en rajoutent une petite couche. 

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             Jojo continue de cultiver la désuétude lénifiante avec Rockin’ And Romance, un album léger et pépère paru en 1985, et, détail capital, produit par Andy Paley. Globalement, c’est bon esprit mais surtout bien chanté. Jojo propose une espèce de laid-back à la ramasse et quelques petits coups de kitsch comme «Down In Bermuda». Jojo se prend pour l’équivalent bostonien de Kevin Ayers. Comme il dispose d’une vraie voix, il conquiert aisément l’Asie Mineure, d’autant plus aisément qu’il pratique l’intimisme patenté. La preuve ? Elle est dans «I Must Be King». C’est tellement mélancolique qu’on se fait rouler dans sa farine. Comme il se prend pour un artiste marginal, il s’intéresse par solidarité à la souffrance de Van Gogh - Have you heard about the pain of Vincent Van Gogh ? - Et dans son élan, il refait le Modern Lover avec «Walter Johnson», prenant de soin de rester à la croisée du laid-back et du doo-wop. Andy Paley prend un solo de batterie rigolo dans «I’m Just Beginning To Live». Comme ils s’amusent bien ! Jojo chante si bien qu’il peut se permettre n’importe quoi, c’est d’ailleurs pour ça qu’on l’écoute. Ok let’s rock ! Toujours prêt à driver son petit shitty shitty bikini de «Chewing Gum Wrapper». C’est même du petit bopety-bopety bop. Ça reste joyeux et chapeau-pointu. Jojo nous incite à claquer des mains, ce qu’on fait. Sa pop fifties passe comme une lettre à la poste. Jojo est le genre de mec qu’on prend pour argent comptant dès qu’il ouvre le bec. Il chante avec tellement d’entrain. Il crée une sorte de rockalama humaniste, une bebopalama généreuse et tiède, on se croirait au lit avec lui, on sent le chaud de son haleine et le soyeux de sa peau, et même le doux de sa petite glotte humide et rose. Sacré Jojo.

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             Avec It’s Time For paru l’année suivante - encore produit par Andy Paley - on reste dans le monde merveilleux de Jojo, Zette et Jocko. Oh il adore les vieux hits de juke comme «Let’s Take A Trip». Andy Paley sort un son extrêmement intéressant. Il restitue parfaitement l’ambiance du studio, avec toute la bande de copains, dont Barrence Whitfield. Bienvenue au Paley royal avec l’«It’s You» d’ouverture de bal. It’s Time For est un album d’ambiance pure. Là-dedans, tout le monde gratte des grattes et couine des chœurs. On s’y croirait. Ils sortent parfois les guitares électriques pour se taper des petites flambées de violence, comme le montre «Yo Jo Jo». «When I Dance» est une merveille. Jojo a de la jugeote. Il faut le prendre très au sérieux, au moins autant que Lou Reed. Il tente de se faire passer pour un franc-tireur toxique au charme fatal. La moindre de ses chansonnettes tape dans le mille. Oh my taylor is so Richman ! Le beurre-man vole le show dans «Double Chocolate Malted». Jojo vend les charmes d’une glace au chocolat et derrière les mecs font yeah yeah yeah ! Rien ne peut résister à un fantaisiste comme Jojo. Il nous repose la cervelle. Il a tellement de talent qu’il se permet n’importe quel délire, même celui de «Desert». Jojo sait rester à sa place. Il est trop bon enfant pour le dandysme.

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             Avec Modern Lovers 88, Jojo attaque sa période Rounder qui va durer sept ans, soit sept albums. Cette période Rounder va durer jusqu’en 1995, à la suite de quoi il va entamer sa période Vapor, plus vaporeuse, jusqu’en 2010, comme nous le verrons tout à l’heure. On trouve sur Modern Lovers 88 une belle énormité : «California Desert Party». C’est Jojo qui souffle dans le saxophone, ce que montre la pochette. Il flirte avec la mélodie dans «When Harpo Played His Harp» et avec «New Kind Of Neighborhood», on peut parler de vraie musicalité. Ils réussissent à chauffer leur petite pop juvénile à trois. «African Lady» vaut pour une jolie pièce d’exotica enchanteresse. C’est là où Jojo excelle, en marinière, dans le son des îles. Il flirte avec la calypso. L’album est extrêmement dense. Jojo semble avoir trouvé sa vitesse de croisière en pédalo. Il ouvre son bal de B avec un «I Love Hot Nights» assez groovy, bourré de guitarras. Il amène son «Circles» comme un hit de juke. Musicalité et fraîcheur à tous les étages en montant chez Jojo. Il règne sur cet album une sorte de son idéal, tout y est extrêmement bien contrebalancé et swingué des rotules.

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             L’année suivante, Jojo laisse tomber les Modern Lovers, devient Jonathan Richman tout court et enregistre Jonathan Richman tout court. Belle pochette. Sa strato bleue lui illumine le visage et d’ailleurs il lui dédie un cut : «Fender Stratocaster», qui sonne comme un hommage à Buddy Holly. L’autre merveille de l’album est un hommage à Charles Trenet. Jojo reprend «Que Reste-t-il De Nos Amours» et fait rouler ses r - Le soir le vent qui frrrrape à ma porrrte/ Me parrrrle des amourrrs morrrtes - Fabuleux Jojo, il peut taper dans les plus belles chansons de la France profonde - Que rrrreste-t-il de ces choses-là, dites-le moi - Sinon il fait son cirque habituel, du flamenco à la mormoille («Malaguena De Jojo»), de la petite pop exacerbée («Action Packed»), de l’instro sucré («Blue Moon»). Il gratte sa gratte à l’excès dans «A Mistake Today For Me». On a l’impression d’avoir déjà entendu tout ça. Il faudrait que quelqu’un de proche lui explique sans le choquer. Car on pourrait finir par ne l’écouter que par gentillesse. Comme Tim Buckey d’ailleurs. Mais ils ont en commun un certain mépris des convenances, ce qui, d’une certaine façon, les sauve.    

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             Comme l’indique le titre, Jojo pique sa crise de country avec Jonathan Goes Country. Mais on s’y ennuie un peu. C’est le problème avec Jojo, au bout d’un moment, on n’a plus envie de jouer. Il faut attendre «I Must Be King» pour sentir une épaule bouger. Il transforme sa country en good time music et là du coup l’album reprend des couleurs. Il raconte ensuite une belle traversée des USA dans «You’re Crazy For Taking The Bus», il s’amuse avec les histoires de tickets, Salt Lake City eveybody out ! Jody Ross duette avec Jojo sur «The Neighbors» et c’est excellent. Puis on le voit naviguer aux confins du kitsch dans «Man Walks Among Us». Il roule n’importe quel cut dans sa farine et ça peut devenir extrêmement beau. Et plus on avance dans l’album et plus on s’effare, comme devant cet «I Can’t Stay Mad At You», une vraie démonstration de force grattée au move de rumba, une espèce d’instro de rêve. Voilà le secret de Jojo : il fait son truc, et ça finit pas fasciner, qu’on soit d’accord ou pas.      

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             Ce qui caractérise les pochettes Rounder, c’est l’absence totale d’informations. Une façon de nous dire : débrouillez-vous avec les chansons. Alors on se débrouille avec les chansons d’Having A Party With Jonathan Richman. L’album propose le cocktail habituel de vieux rumble et d’intimisme patenté. Jojo gratte en solitaire, il n’a besoin de personne sur son pédalo. Il fait son cabaretier de la belle aventura dans «My Career As A Home Wrecker». Il saute sur tous ses cuts comme un fou. En fait Jojo est un peu timbré, c’est pour ça que les gens l’aiment bien. Ils achètent même ses disques. Il revient à sa chère rumba de juke avec «When She Kisses Me» et la tartine de confiture à la groseille. Il refait son Buddy Holly avec «At Night» et montre qu’il peut pédaler tout seul à travers l’océan. On ne sait pas qui joue de la batterie. Cet album nous propose du petit Jojo sans histoires. Pas de révolution. Il ramène un brin de Modern Lovers dans «Monologue About Bermuda», well she cracked, et fait un joli numéro d’exotica avec «Our Swingin’ Pad». C’est l’album d’un modeste artisan bostonien. 

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             La pochette d’I Jonathan s’orne d’un beau portrait de notre Jojo préféré. Belle lumière. On sent le mec serein. Ce que confirme «Parties In The USA». Cette façon de faire one two three four n’appartient qu’à lui. Et pouf, il part en mode laid-back avec du Louie Louie à la ramasse, il danse le sloopy sloopy hang on. Plus loin, il rend hommage à un vieux mythe avec «Velvet Underground», mais de façon très light. Belle tranche, néanmoins, sideways, c’est Sister Ray, awite. Vas-y Jojo ! Il revient à son petit rock gratouillé par derrière avec «I Was Dancing In The Lesbian Bar». Il ne change rien à sa vieille recette. Nonchalance à tous les étages en montant chez Jojo. L’album propose toujours la même formule : balladif + exotica + nonchalance + big voice. Si on aime bien la petite pop, alors forcément, on se régale avec cet album. Mais «Twilight In Boston» peut finir par insupporter. Il faudrait que quelqu’un dise à Jojo de mettre un peu de niaque dans ses chansons.      

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                 Rounder continue d’épouser la cause de Jojo en sortant Jonathan Te Va A Emocionar. Avec sa fleur à la boutonnière, il nous fait le coup de la belle romantica dans «Pantomima De El Amor Brujo». Si tu n’es pas espagnol, t’es mal barré. Les fans des Modern Lovers peuvent commencer à se ronger l’os du genou en attendant des jours meilleurs. Jojo fait son Jojo, sa petite rumba habituelle. Si on vient pour du «Roadrunner», c’est cuit. Bon, comme tous les artistes, Jojo a dû évoluer, mais c’est une évolution qui trompe énormément. Il devient atrocement exotique et chante même un truc en duo avec une Spanish girl. Il sonne parfois comme un stentor argentin et toutes ces conneries finissent par gâcher le plaisir. Et puis soudain, sans qu’on sache pourquoi, voilà que surgit le cut qui rocke, «Reno». Jojo fait son Spanish Modern Lover et c’est violemment bon. Il va finir l’album avec ses vieilles lunes. Il flirte avec le tango, mais il n’est pas aussi bon que Tav Falco à ce petit jeu. Jojo est trop baveux, trop séducteur. Du coup, il brouille un peu les pistes.

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             L’ère Rounder s’achève donc en 1995 avec You Must Ask The Heart. Pas de surprise, cirque habituel. L’histoire d’un mec qui vit au bord du fleuve. Il fait le choix de la paix de l’esprit et du petit tatapoum avec «Vampire Girl». Cet album va intéresser tous les amateurs de weird gratté sans avenir. Jojo fait un peu de pompe manouche dans «That’s How I Feel». Il aura tout essayé. Globalement l’album se tient, disons que Jojo sonne comme un collégien boutonneux qui a une bonne voix, mais il n’y a pas là de quoi se prosterner jusqu’à terre. Il envoie une belle giclée de country rock avec «The Rose». La voix fait tout. Comme le montre encore «You Must Ask The Heart», plus orchestré, plus océanique. Il revient à sa belle exotica avec «Amorcito Corazon». Jojo est le champion du kitsch à deux balles, vas-y Jojo, on est tous avec toi ! Parfois, on sent monter des éclairs de génie, comme dans «City Vs Country» : il vise le big country sky mais il ne transmet aucune émotion. Il revient au petit comedy act inexorable et devient une sorte de spécialiste du suicide commercial. Rounder finit par le lâcher. 

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             Début donc de l’ère Vapor l’année suivante avec Surrender To Jonathan, un album nettement plus solide. C’est le troisième album que produit Andy Paley pour Jojo. Pochette délicieuse : Jojo s’y déguise en Pirate des Caraïbes. Inespéré ! Sur cet album tout est très simple. Jojo drive sa pop bon enfant à la régalade. Pas de son dans «Surrender», il n’y a que sa voix. Il refait le cirque d’«I Was Dancing In The Lesbian Bar» et nous ressert la vieille tarte à la crème d’«Egyptian Reggae». Et puis voilà le Jojo tant espéré avec la belle pop de «When She Kisses Me» qu’il allume à coups de yeah yeah et qui émerveille comme au premier jour. Il amène encore de la pop énorme avec «Satisfy». Jojo fait son petit mic-mac, comme tout le monde. Il faut bien vivre. Et comme il dispose d’une vraie voix, ça crée des liens. Il termine cet album très Jojo avec «Floatin’». Il finit par imposer sa présence, comme savent si bien le faire les ténors du barreau américain.

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             Et puis voilà qu’il entame un cycle d’albums pour le moins extraordinaires, à commencer par I’m So Confused. Il tape son «Nineteen In Naples» d’une voix de shouter. Retour inespéré du big beat, voilà le rockab de Jojo, avec Tommy Larkins au beurre. Jojo laisse glisser sa voix dans le gras du beat, ahhh et il appelle la guitare : Guitah ! C’est lui la guitah ! Du coup, le vaisseau Jojo reprend la mer. Il transforme le petit excerpt d’«I’m So Confused» en énormité. Il ne vise pas les sommets mais les sommets le visent. Il tient tout à la voix et cet album nous réjouit. Il crée les conditions de la confusion. Et c’est parce qu’il crée les conditions de la confusion qu’on se sent redevable envers lui. Il a du pot d’avoir Tommy Larkins derrière. Il nous conte encore fleurette avec «Love Me Like I Love». Sa petite pop déjantée n’en finit plus de recommander son âme à Dieu. Jojo crée des liants extraordinaires. Il revient à sa chère rumba avec «The Lonly Little Thrift Store» que frappe l’excellent Tommy Larkins. Jojo nous gratte ça au mieux des possibilités de la rumba. Puis il amène «I Can Hear Her Flying With Herself» au heavy funk-rock de la planète black. Fantastique ambiance ! Belle plongée dans un univers qui n’appartient qu’à Jojo l’homme grenouille. On reste dans l’allégresse avec «The Night Is Still Young». Il y va de bon cœur à sa manière qui est la bonne, il fait maintenant du Modern Jojo, l’artiste idéal pour le twisted jukebox. Il termine cet album de la résurrection avec «I Can’t Find My Best Friend» qu’il chante avec une candeur qui l’honore. Ce mec est paumé dans la pop, il est tellement paumé qu’il chante de toute sa voix et ça nous fend le cœur. Il est trop sincère, cette fois. Il jerke sa pop à sa façon, loin de feux de la rampe, il s’en fout et du coup, il redevient ardemment culte. Cet album est beau comme du Jojo.

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             Suite du cycle des grands albums avec Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow. Pochette extrêmement insolite, presque voodoo. Jojo démarre avec le slow groove du morceau titre, il gratte ça à l’humeur vagabonde. Comme c’est beau ! She rocks, she screams, il lui rend hommage et les hommages de Jojo valent tout l’or du monde. Il rend ensuite hommage au printemps new-yorkais, il chante ça comme un va-nu-pieds verlainien sans aucun avenir. Il joue avec des coquillages. Jojo s’amuse bien, il ne veut rien prendre au sérieux, c’est absolument hors de question ! Il tape dans tous les registres de la romantica et balance soudain une espèce de cut magique, «Maybe A Walk Home From Natick High School», puis il passe au dadaïsme avec «Give Paris One More Chance». Il y va comme Tzara, à dada. Dada est mort, vive Dada ! Serait-il le dernier Dada boy in town ? Va-t-en savoir ! Avec «Yo Tango Una Novia», il passe au heavy sludge et invente le Jojo stomp. À peine croyable ! Voilà une horreur de stomp d’exotica, le Jojo power ! Il joue encore la carte de l’exotica avec «Con El Meregue», mais il la joue au maximum des possibilités de l’exotica et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Quel album ! Il flirte avec le punk d’exotica. Il boucle avec un nouveau coup de génie qui s’appelle «Vampiresa Mujer». Jojo y va de bon cœur. Il redevient le Modern Lover des Batignolles et nous envoie tous au tapis.   

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             Si on croit qu’il va se calmer ou refaire des mauvais albums comme au temps de Rounder, c’est raté. Not So Much To Be Loved As To Love vaut largement le détour, ne serait-ce que pour ce bel hommage à Salvador Dali qu’il joue au big beat des Modern Lovers, comme d’ailleurs le «My Baby Love Love Loves Me» qui nous replonge dans l’art ancien du Roadrunner, et cette façon unique de lancer son one two three. Il ressort aussi son vieux Vincent Van Gogh et évoque the loud colours, c’est vrai il a raison. Jojo raconte ses souvenirs du musée d’Amsterdam. On entend Tommy Larkins casser la baraque dans «He Gave Us The Wine To Taste». Et on retrouve une belle pulsion d’exotica dans «Cosi Veloce». C’est même une merveille d’exotica festive. On dira la même chose d’«In Che Modo Viviamo» : fantastique énergie ! Il chante «Les Étoiles» en français, il est marrant. Sans doute est-ce le plus beau cut de l’album - Autrement elles seraient fatiguées avec le ciel et tout cela - Chaque fois, il va chercher l’âme du chant. Il amène «Abu Jamal» à l’orgue de barbarie et boucle cette affaire avec «On A Du Soleil», Il groove en profondeur notre Jojo, poulquoi s’énerver, c’est excellent, mais ici dans l’après-midi je souis content parce qu’on a dou soleil.

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             Pochette mystérieuse pour ce Because Her Beauty Is Raw And Wild qu’il enregistre en 2008 avec Tommy Larkins. Il revient à sa passion pour la chanson française avec «Le Printemps des Amoureux Est Venu» - Les amoureux/ Qui n’ont pas besouin/ De dormir/ La nouit - Il est tellement rigolo. Back to the Moden Lovers avec «Old World», I said bye bye old world. On le voit aussi danser autour de son mythe en chaloupant des hanches dans «Because Her Beauty Is Raw & Wild». Ce vieux Jojo est un éternel amoureux. Il gratte toujours sa gratte, comme le montre «Our Drab Ways», mais la qualité du laid-back est exceptionnelle. Il refait sa samba avec «When We Refuse To Suffer». Jojo fait son bal à Jo. Il est encore pire que Tav Flaco dans «The Romance Will Be Different For Me». Il va chercher la pureté d’une très belle exotica. On tombe vers la fin sur une nouvelle mouture de «When We Refuse To Suffer», une sorte de rock de samba et là ça explose. Big Jojo stuff monté sur un drive de basse génial. Jojo vire sa cutie et nous shake un groove demented secoué de pointes inespérées. Puis Jojo fait une reprise d’«Here It Is» en hommage à Leonard Cohen. Il claque ça au solo ottoman.

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             Nouveau chef-d’œuvre exotique avec A Qué Venimos Sino A Caer et son gros tas d’espagnolades de romantica. Dès l’imprononçable morceau titre, on est conquis. Jojo fait le joyeux, alors on se lève et on danse. No problemo, Jojo. C’est un joyeux drille en vérité, il chante in tongues comme les possédées de Loudun et ça tourne assez vite à l’ultra-merveille d’extra super-nova avec des congas et de la timbale, ça coule tout seul au la la la, ce mec a réellement de génie. En fait, cet album est une compile et il nous ressert des cuts d’Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow, comme l’excellent «Vampiresa Mujer», ce vieux mambo du dios Jojo. Il fait de l’exotica un art majeur, comme dirait Gainsbarre. Il nous ressert aussi «Le Printemps Des Amoureux Est Venu», tiré de l’album à la porte. C’est comme dirait Charles Trenet un poète extraordinaire, on se croirait au XIXe et ça vire même Brazil, t’as qu’à voir. «Cosi Veloce» sort de l’album au chien et même si on le connaît bien, on danse sur ce vieux shoot de Jojo mambo. Cet enfoiré nous fait danser à tous les coups. Et une fois encore, ça dégénère en Brazil. «Es Como El Plan» sort aussi de l’album à la porte et il chante ça en Spanish comme s’il était le Fagin de la cour des miracles. Il chante tout ce qu’il peut et gratte sa gratte, pendant que Tommy Larkins bat le beurre. «El Joven Se Estremece» sort aussi d’Her Mystery. Cet album compilatoire est stupéfiant de richman-mania. Il crée son monde de liberté totale, il chante tout au corps à corps et gratte à la folie. C’est un vrai délire. Il nous ressert aussi ce stomp fatal qu’est «Yo Tengo Una Novia» et qu’il gratte au banjo. Ça vaut toutes les énormités du monde. Tout sur cet album tape dans le mille. Jojo nous fait même le coup de la belle coulée de French groove avec «Silence Alors Silence». Il adore les langues -  Silence le signal de la mort - Il est très catégorique. Il termine avec l’extraordinaire numéro de charme qu’est «Ha Muerto La Rosa». Comme il maîtrise bien le Spanish, alors ça coule de source. Il chope même les accords de flamenco. Sacré Jojo, sans lui que deviendrions-nous ?

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             Dernier coup de Vapor avec O Moon Queen Of The Earth. Il y fait du Velvet pour rigoler avec «My Altered Accent» - Forty years later/ I apologize for my altered accent - Il revient au French  groove avec «Sa Voix M’Attise» - Elle joue avec les couleurs/ Elle joue avec le temps - C’est dingue comme ce mec est doué pour la polyglotterie. On se régalera surtout de «Winter Afternoon By BU In Boston», car c’est joué à l’African beat. Du coup ça repart dans la cinquième dimension. Jojo dodeline sur le beat de Tommy Larkins et ça vire assez tribal. Il chante son morceau titre à l’article de la vie. Tout est tellement laid-back sur cet album qu’on pense à celui qu’enregistra Roky au Holiday Inn. Ils font tout à deux, ici. Jojo chante au cœur de ses chansons, avec une autorité indéniable.

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             Avec Ishkode! Ishkode!, il entame en 2016 un nouveau cycle : le cycle de la flèche bleue. Plus il vieillit et plus il impressionne. Il chante de plus en plus comme Brel, à la petite désespérance. Dans «Woa How Different We All Are», des filles chantent derrière lui. C’est une fois encore très laid-back, il cherche la dérive non-évolutive, il s’en fout, il chante comme un Romanichel, c’est très pur, très weird, sans aucun espoir. Il reste dans le groove de laid-back pour le morceau titre, elle s’appelle Lisa Marie, enfin on ne sait pas. Ça joue quelque part dans le Jojoland et ça reste powerful. Tommy Larkins fait toujours partie de l’aventura. Petit retour aux Modern Lovers avec «Without The Heart For Chaperone» et on revient aux choses sérieuses avec l’exotica d’«A Nnammaruta Mia». On entend de l’accordéon et Jojo fait son gros numéro de charme. C’est d’ailleurs le ressac d’accordéon qui fait la grandeur du Mia et aussitôt après, Jojo secoue les colonnes du temple avec «Let Me Do This Right». Il faut bien dire que la qualité du laid-back sur les autres cuts est extrême, les filles renvoient bien la balle. Jojo cultive l’apanage du lo-fi avec «Outside O Duffy’s», il ramone son vieux rumble de Modern Lover et les filles font ah-ah ? Et voilà que cet enfoiré s’en va taper dans Kosma et là on ne rigole plus : sur «Longtemps», un accordéon l’accompagne. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de faraminé avec «Mother I Give You My Soul Call», une espèce de psychedelia asiatique. C’est le Jojo thing qui peut aller loin et qui finit toujours par fasciner. On goûte aux plaisirs de la connaissance par les gouffres de la profondeur artistique.

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             Sur SA! paru en 2018, il fait un gros clin d’œil aux fans des Modern Lovers avec «A Penchant For The Stagnant». Il chante toujours comme une star. Mais cet album réserve d’autres grosses surprises, comme par exemple cet «And Do No Other Thing» qu’il chante au sommet du lard fumant. C’est ce qu’on appelle une posture de voix. «And Do No Other Thing» devient une merveille qui dicte sa loi. Chanson après chanson, il nous enfarine. L’autre merveille inexorable s’appelle «O Mind Just Dance». Ça sent bon l’artiste culte, il hante sa chanson dès l’abord, il solarise sa glotte, ça va très loin. Il revient au let’s go home de big heavy déglingue, il explore les régions inconnues du now we can just dance, il développe un tantric beat et nous entraîne dans une aventure psychédélique stupéfiante. Il claque «My Love Is From Somewhere Else» à la claquemure de la revoyure, Jojo does it right. Puis il nous embarque avec «The Fading Of An Old World» dans un raga de bringueballe, mais avec une voix de punk - I don’t want go back to the rigid old world - C’est même du raga de vieille cabane. On a là un album complètement barré, il faut le savoir. On le voit aussi chanter «This Lovers’ Lane Is Very Narrow» comme ces Marocains qu’on voit se produire dans les restos de Marrakech. Jojo n’en finira donc pas de nous épater.

    Signé : Cazengler, Jonathan Poorman

    The Modern Lovers. The Modern Lovers. Home Of The Hits 1976

    The Modern Lovers. The Original Modern Lovers. Mohawk Records 1981

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Beserkley 1976

    Modern Lovers. Live. Berserkley 1977

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rock’n’Roll With The Modern Lovers. Beserkley 1977

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Back In Your Life. Beserkley 1979

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Jonathan Sings. Sire 1983

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rockin’ And Romance. Twin/Tone 1985

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. It’s Time For. Upside Records 1986

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Modern Lovers 88. Rounder Records 1987

    Jonathan Richman. Jonathan Richman. Rounder Records 1989    

    Jonathan Richman. Jonathan Goes Country. Rounder Records 1990    

    Jonathan Richman. Having A Party With Jonathan Richman. Rounder Records 1991

    Jonathan Richman. I Jonathan. Rounder Records 1992           

    Jonathan Richman. Jonathan Te Va A Emocionar. Rounder Records 1994  

    Jonathan Richman. You Must Ask The Heart. Rounder Records 1995

    Jonathan Richman. Surrender To Jonathan. Vapor Records 1996

    Jonathan Richman. I’m So Confused. Vapor Records 1998   

    Jonathan Richman. Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow. Vapor Records 2001 

    Jonathan Richman. Not So Much To Be Loved As To Love. Vapor Records 2004

    Jonathan Richman. Because Her Beauty Is Raw And Wild. Vapor Records 2008

    Jonathan Richman. A Qué Venimos Sino A Caer. Vapor Records 2008

    Jonathan Richman. O Moon Queen Of The Earth. Vapor Records 2010

    Jonathan Richman. Ishkode! Ishkode!. Blue Arrow Records 2016

    Jonathan Richman. SA! Blue Arrow Records 2018

     

     

    Don’t give a Cheater, Slick !

     

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             Quand on demande aux frères Shannon quelles sont leurs influences, la réponse ne surprend pas : Stooges, Velvet, Cramps, ce que tout le monde écoute. Tom Shannon vénère tout ce qui est fucked up et il cite encore des exemples : Alex Chilton, Roky Erickson. Et il ajoute ceci : «In terms of what we do, we just want it to be completely over the top and insane, and we’re groove-oriented. We like to do things, play things, extend them a little bit.» Les frères Shannon et Dana Hatch on fait du déséquilibre caractériel un fonds de commerce. C’est la raison pour laquelle on les adore.

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             L’aventure commence à Boston avec trois albums : On Your Knees, Destination Lonely et Whiskey. Le premier album est un classique du genre avec des cuts comme «I Won’t Last Another Day» (pure stoogerie à l’«I’m Loose», vélocité à tous les étages, David joue exactement comme Ron Asheton, ils avancent dans une ville en flammes, Motor City’s burning baby), «The Hunch» (ultra-slab de trash blasté aux quatre vents), «On Your Knees» (meilleur trash disponible sur le marché, indéfectible modèle de purée, superbement allumé par un thème de guitare lumineux, on les sent fiers de leur slick), «Chaos» (encore un joli slab de trash déterminé et même déterminant, chanté au cro-magnon et battu au Dana beat) et dans «I’ve Been Had», Dave Shannon joue en solo sur toute la distance. Ces mecs montrent qu’ils savent ramoner une cheminée. Autre merveille : «Weirdo On A Train», joué au tordu de son absolument maximaliste, hanté à l’unisson du saucisson sec de Slick, ils sont les rois du trash américain. Oh il faut aussi écouter «Golddigger», atrocement mal chanté, ce qui fait partie de leur charme, c’est très poussé dans les orties, ils adorent s’enfoncer dans leur mayhem. Et puis voilà «Why», monté sur les accords de «Gloria» avec un big aw baby d’intro. Pour un début, c’est un grand album. Le hit s’appelle «Run Away From You», un cut assez long travaillé au big atmospherix sur une belle structure mélodique du grand David Shannon. Ils se révèlent excellents sur les cuts longs et ambianciers. 

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             Le deuxième album des Slicks, Destination Lonely, compte parmi les grands classiques du trash-rock, notamment pour «Murder», pur jus ce Slick Sound System chanté à l’atrocité, joué au filet de trash, hurlé à la hurlette, c’est-à-dire à la vie à la mort. Plus vrai que nature. Leur «Can’t Explain» n’est pas celui des Who, heureusement, ils font leur soupe, hurlent dans les coins, David fait des miracles sur sa guitare. Les Slicks sont vraiment les Byrds du trash. Ils jouent «Look Out World» aux accords de «Gloria». Ils sont marrants, ils s’amusent avec les vieux mythes. Tom fait son Van et il l’explose. Il a ce pouvoir d’exploser le Van en plein vol. Il claque tout son beat dans le cul du cut, à coups de Look out de Van, alors Van va jouir. Le hurlement qu’on entend n’est pas innocent. L’autre grosse bombe de l’album s’appelle «In And Out», le cut d’ouverture de bal d’A. Un petit conseil : écoute ces dingues au casque si tu veux récupérer tout le jus. Ils vont droit au but, c’est joué sec, à l’admirabilité des choses, avec un sens aigu de la dépouille. David part en solo comme d’autres partent à l’aventure. Ils sont excellents. Le «Hear What I Say» qui suit se veut plus lancinant, pas très bienveillant. Et comme le Capitaine Flint, les Slick adorent le rhum. La preuve ? «Rum Drunk». Ils grattent dans les bas-fonds avec tout le bravado du Boston bash boom. Ils chantent «And I Cried» à la pire mélancolie agricole et ils tartinent leur «If Heaven Is Your Home» all over the bread, Brad. Quant au morceau titre, c’est encore une autre histoire. Ils claquent ça aux clameurs sourdes. C’est invraisemblable, ils s’y livrent à un festival de désaille expiatoire. Dans leur genre, ils sont les champions du monde.

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             Whiskey sort sur In The Red en 1993. Dès «Possession», Dana donne bien. C’est chanté à la hurlette de Hurlevent et pour l’époque, c’est admirable. Il la veut, il est possédé, arrhhhhhhh ! Dès qu’ils se fâchent, ils battent tous les records, comme on le voit avec «Leave My Home». Ce garage punk osseux ne peut que plaire au petit peuple. Idéal pour danser le mashed potatoes en attendant la mort. De l’autre côté, «Thinkin’ Some More» occupe toute la face. C’est une longue aventure, un genre de Tintin au pays des serviettes, très Velvet dans l’esprit, on a là une belle dérive chargée de white heat. Ils s’en donnent à cœur joie. Ils ne se connaissent pas de limites, ni de dieux, ni de maîtres, ils font absolument ce qu’ils ont envie de faire et on ne peut que les encourager. Rien ne les fera entrer dans des fucking cages à la mormoille. Vive la liberté !

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             Joli coup de Trafalgar que ce Don’t Like You paru en 1995. Titre parfait. Sur la pochette, les Slicks affichent des mines bien renfrognées, histoire d’enfoncer le clou du titre. C’est enregistré au Funhouse de Jerry Teel et produit par Jon Spencer qui se trouve alors au pinacle de sa famous fame underground. Et pour couronner le tout, ça sort sur In The Red qui est encore à cette époque LE grand label de référence, avec Crypt et SFTRI. On est donc avec cet album dans les conditions optimales du garage punk dont on se goinfrait tous à cette époque, il y a de cela vingt ans. Ils nous plongent dans leur friture dès «Feel Free». C’est emblématique d’emblée et chanté avec toute la petite hargne slicky. Ils savent créer un monde borgne et mal venu, et David Shannon en profite pour passer un solo killer flash de flush avec une surcouche de fuzz absolument dégueulasse. Ces mecs ont le génie du son qui tâche. L’autre grosse tarte à la crème se trouve en B et s’appelle «Spanish Rose». Ils jouent comme des diables à ressorts sur un fantastique beat rebondi. Quelle rythmique de rêve et quelle purulence dans la purée du solo ! Ils jouent ça à l’écharpée gangrenée, la pire qui soit. Tiens, encore un blast d’antho à Toto avec «Poor Me». C’est joué au pire gaga punk de l’univers connu, avec des renvois de tilik-tilik qui rappellent ceux de Magazine dans Shot. Avec ça, ils sont les rois du scumbag et le Shannon repasse un killer solo flash en surcouche de scam de scum. On note leur goût pour le chaos bien tempéré et une volonté rockab dans l’épais «Motherlode». C’est joué au fast beat, how crazy ! «Destroy You» fait aussi partie de leurs classiques. Ils graissent leur gras-double à outrance, aw, put you down ! Il reste à écouter «Sadie Mae», oui, car c’est encore une fois saturé de distorse libératrice. Ils jouent ça à l’apanage du panache de la nage, c’est âprement noyé de son altéré et privé de fonctions vitales, on a là un blast cosmique joué à la dégoulinade d’étalonnage dénaturé.  

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             Les Slicks quittent Boston pour s’installer à Columbus, dans l’Ohio. Ils cherchaient un coin moins cher. Le double album Forgive Thee sort du bois en 1997 et il pullule de coups de génie et de stoogeries, tout est claqué à la bonne claquouille et embarqué dans une pure frénésie de bringueballe. Ils tapent «My Friends» au foutraque de Columbus, sans foi ni loi, sans regard pour les classes sociales inférieures, pas de sentiment, juste du stripped-down low-trash-punk mal chantouillé. Avec «I’m Coming Home», ils tapent dans la Stonesy avec un battage de petite vertu. Chez eux, le baroque reste négligé et ça joue à la va-comme-je-te-pousse de gueule de bois. Et voilà le premier coup de génie : «Used Illusion» - Walking in the rain - Ils nous claquent ça aux accords processionnaires poilus et aménagent de violentes montées en température. C’est Mick Collins qui souffle dans un trombone. On croit entendre un éléphant ! Il souffle dans l’œil du typhon et provoque un déploiement sur-dimensionné d’extase parabolique. En tous les cas, on s’en effare. Tous les cuts sans exception sont hantés par le son, ravagés par des marées noirâtres et de sordides dérives comportementales, harcelés par des incursions impavides. Les Slicks jouent avec l’intention permanente de nuire à la morale. Avec «I Can Go On», ils se montrent capables de belles envolées mélodiques, mais ils veillent à soigner la désaille. Alors forcément, ça finit par sonner comme un coup de génie. Il n’existe pas de cocktail plus capiteux que celui-ci. Avec «Arm Yourself», ils amènent un struggle de bad bad sound, c’est tordu à l’extrême et chanté à la taverne des pirates. On a là le meilleur gaga-punk de tous les temps. C’est presque du Beefheart de «Woe-Is-Uh-Me-Bop», en tous les cas, on a  la même insistance cabalistique. Si on aime bien la violence intrinsèque, alors il faut écouter «This Ain’t For You», car c’est joué au claqué d’accords vénéneux et le chant va si mal qu’il frise la stoogerie inversée. La force des Slicks est qu’ils se montrent présents dans tous les cuts. Spectaculaire de slickness, voilà «Dignity And Grace». Ils jouent ça à la vie à la mort. Mick Collins fait des backing derrière dans un vrai vent de folie. Tout bascule dans la démesure. Avec «Ghost», ils vont loin, bien au-delà de la crédibilité. Ils sur-jouent leur groove ad nauseum et ça devient monstrueux, surtout quand David Shannon part en killer solo trash. Pas de répit sur le disk 2. Tu n’auras jamais rien de plus sec et net que «Retribution». Les Slicks réinventent le rock sauvage, celui qui palpite à l’ombre des jeunes filles en fleur, c’est claqué à l’outrance de la fucking démence, ils visent la démesure de l’outrepassement de tout ce qui est admis dans notre pauvre monde, ils montent à deux au créneau et s’en vont exploser dans le néant. Il n’existe rien de plus trash ici bas que «Southern Breeze». C’est atrocement mal chanté. On a là du pur Slicky strut de trash prémédité et hurlé à la dégueulade. C’est comme si Allen Toussaint venait de tomber dans une bassine de friture de crayfish. C’est atroce ! Ils continuent dans le même esprit avec «It’s OK What You Weight». Ils dégueulent dans les mains des croyants prosternés à leurs pieds. Une nouvelle religion émerge en Palestine, fabuleux shoot de weird shit all over Beethleem ! Ça chante à l’agonie et ça coule dans les pantalons, en tous les cas ça pue le trash à des kilomètres à la ronde. Ils font une belle cover du «Child Of The Moon» des Stones, mais ils la tapent à la Slicky motion. Ils créent un monde qui dépasse largement celui des Stones. Ce cut si insipide à l’origine sonne comme un hit dans les pattes des Slicks. David Shannon part en solo de vrille, ce que les Stones n’ont jamais su faire, sauf dans Sympathy. Mais le solo de Shannon sonne comme la perceuse d’un dentiste nazi qui entre dans une mâchoire juive. Pure horreur ! Ça burn in hell avec «Everybody Know One». Il semble parfois que les Slicks aient inventé l’enfer. Ces gens explosent toutes les idées préconçues et réinventent même la notion de violence sonique. On se demande comment ils parviennent à tenir sept minutes à ce train d’enfer. Ils nous projettent dans le royaume des cieux de l’apocalypse. Ils vont au-delà de tout. Ils tapent une autre reprise, le «Lonely Planet Boy» des Dolls et on retrouve la Slicky motion avec un «Didn’t You» bardé de montées en température. On ne se méfie pas, ils grattent doucement en ouverture et au refrain, ils montent pour atteindre le génie garage, et là on a de nouveau le vrai truc, claqué aux gémonies des pires accords slicky et relancé par Dana le dingo. Ils terminent cet album faramineux avec «Night Life» qu’il faut ben qualifier de saloperie trashy. Il s’y montrent odieux. Ça chante faux dans une friture de désaille guitaristique.

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             Sorti sur Crypt, Skidmarks est une compile des deux premiers albums et des fameuses Alpo Sessions qui seront rééditées en 2012.

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             Refried Dreams réserve quelques bonnes surprises. Par exemple «One Life Story», solide groove gaga à consonance stoogienne. Tom Shannon patauge dans l’heavy liquid des Stooges de 69. Joli blast que ce «Munchen Gretchen». On se croirait dans le white trash du Velvet. Ils font aussi une cover de Lee Hazlewood, «I Think I’m Coming Down». Les Shannon Bros jouent leur va-tout avec ce heavy balladif balayé par les vents d’Ouest. L’album peine pourtant à décoller avec «In This Town» et un «Another Stab» désordonné et mal fichu, gratté à la désaille. Manque de caractère. Mauvaise peau. Sale rock. En B, le morceau titre fait mal aux oreilles, car c’est atrocement mal chanté. On dirait Indochine. Ils reviennent heureusement au grand beat de la désaille avec «George Washington». Ils font presque du funk. Ils tapent «Deep Beneath The Sand» au low-down de free ride et le relancent au lance-flammes shannonique. Ils terminent avec «Last Call», un prestigieux balladif de fin de non recevoir. Ce cut est si beau qu’il finit par te fasciner comme un serpent.

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             Il semble que Yer Last Record paru en 2002 soit leur dernier album studio. On y trouve un chef-d’œuvre trash intitulé «Green Light». Ils tombent là dans l’audace de la putasse, un truc qui dépasse même la notion de trash. C’est dégueulé. Idéal quand on aime voir les immeubles s’écrouler dans les flammes. Les Slicks sont capables de chanter à la vomissure extrême et Dave Shannon revient tout exploser à coups de notes pincées. Tout aussi énorme, voilà «Pants Down», claqué aux pires accords d’American gaga. Ils montent ça en épingle et secouent des squelettes de Stonesy. C’est extravagant de flash de flush. Il n’existe rien d’aussi radical que le son des Slicks. Attention à «Stop Breeding», c’est du pur jus de demolition trash, énorme car hurlé dans le storm. Les Slicks n’en finissent plus de créer leur monde. David Shannon passe un modèle de solo trash dans «Momentary Muse» et roule «It’s Not Your Birthday» dans sa farine. Cet album est un ramassis de raffut slické de slickos. Ils dédient «Miss Q» à Andre Williams. Ils tapent là dans le suburbain, c’est cisaillé au shannonique, violent, acéré et gras. Ça gueule dans les escarres. Ils sont les champions du monde d’un genre difficile : le cut mal né, celui qui est automatiquement privé d’avenir. Ils terminent avec cette admirable fin de non-recevoir qu’est «Goodbye». Pas de retour possible, ils sont dans l’exaction du why why. 

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             Si tu sors Bats In The Dead Trees du bac, remets-le immédiatement à sa place : cet album d’impro est une arnaque. Dommage, car les Slicks sont capables de merveilles.

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             Avec Guttural (Live Vol. 1 2010) s’ouvre une nouvelle ère slicky : celle des grands albums live parus sur Columbus Discount Records, un label sur lequel ont aussi échoué les Bassholes. On trouve sur ce live une très belle version de «Motherload» claquée à la colère rouge et battue au train fou. Ils sont capables de prodiges blastiques de la meilleure catégorie. C’est du Dana pur et dur. L’autre merveille se trouve en fin de B : «Leave My Haouse» redore le blason du trash, c’est joué à la scie. L’empire du trash règne sans partage sur ce live abandonné des dieux. D’autant qu’ils tapent dans le vieux «Feel Free», vrai déballage de morve sonique, et ça part en solo il faut voir comme, sans réfléchir. Tout est joliment noyé de son, ici, notamment ce «Destroy You». Ah on peut dire que les Slicks auront bien slické leur époque. «Destination Lonely» sonne comme un modèle de trash-punk dégondé du châssis. Ils jouent ça avec un mépris total de la bienséance. Tout est exceptionnellement balèze là-dessus, comme ce «Bruno’s Night Out» qui s’implante solidement en terre sonique. Les Slicks sont vraiment les rois du genre. Tout est joué dans le raunch, comme «My Position On Nothingness», dans l’esprit de non-retour et dans l’éclat du trash de dégoulinade. Les paquets de son s’écrasent dans l’écho du temps. Et voilà un «Ghost» terriblement présent, incroyablement fantasque, ils nous grattent ça au delà du Cap de Bonne Espérance, sans la moindre prétention.

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             Sur le même label, voilà l’infernal Reality Is A Grape. Il est bon d’insister sur la principale qualité des Cheater Slicks qui est la cohérence. Cet album en est la preuve vivante et ce dès le morceau titre, embarqué au drumbeat sévère par ce dingo de Dana. David Shannon joue en solo d’exacerbation totale tout au long du cut. Ils vont au bout de leur dévoiement et c’est admirable de non-respect. Avec «Love Ordeal», ils martèlent le beat sans se préoccuper du qu’en-dira-t-on. Ils jouent ce qu’ils ont toujours joué, le sonic trash expansif. On note l’extraordinaire énergie de leur cohérence. On les sent investis dans leur mission, même dans des balladifs comme «Hold On To Your Soul» et «Jesus Christ». Ça repart de plus belle en B avec un «Half Past High» martelé au big beat sans rémission. Ils chantent à plusieurs voix et restent solidement implantés sur leur terre d’élection. David Shannon n’en finit plus de passer des solos d’exception. «Whyenhow» se situe au même niveau d’excellence, tout se tient, tout se lie dans un sonic hell soigneusement entretenu et ce démon de David Shannon n’en finit plus de multiplier les incursions divinatoires. Il est constamment en roue libre. Les mighty Slicks restent dans la fragrance de la latence avec l’extraordinaire «Current Reflexion». Et ils bouclent ce fastueux festin avec «Apocalypse» - Where you gonne be/ For the apocalypse - C’est trashé à souhait et joué dans le move d’une mélodie crépusculaire. David Shannon n’en finit plus d’émerveiller. Ce disque pourrait bien figurer parmi les très grands disques du XXIe siècle.

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             Voici le petit frère de Grape : Live Vol. 2 2010. On y retrouve une violente reprise de «Used Delusions» tapée au bon beat. Dommage que Mick Collins ne soit pas de la partie. Live, les Slicks impressionnent encore plus car on entend David jouer en filigrane de gras. Mais globalement, ça reste un énorme gargarisme punkoïde. Ils tapent ensuite une belle version de «Possession» (qu’on trouve sur Whiskey). Pur jus de Slicky motion, Dana martèle bien le beat et David joue la pire note à note de désaille qu’on ait vu de ce côté-ci du no man’s land. Ils ramènent des chœurs de cathédrale et l’ami David d’amuse à partir en vrille de dingue. Tout cela relève de la clameur. Ils attaquent la B avec le fabuleux ramshakle de «Stop Breeding». Ils n’en peuvent plus. C’est chanté à la pire désespérance, ils vont loin, au-delà du permissible, c’est de l’ultimate à la tomate, de la patate de non-retour, les Slicks sont les champions du monde, mais tout le monde s’en bat l’œil. On tombe plus loin sur une version fatidique de «Murder» que David vrille dans le sens du poil et ça joue à la désaille extrême.

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             Our Food Is Chaos propose les fameuses Allen Paulino Sessions qui datent de 1989. Alpo était l’Alpo des Real Kids et là, il joue de la basse avec les Slicks. On trouve de sacrément bonnes choses dans cette session, à commencer par «Dark Night», une vraie stoogerie bien coulée sur la descente d’accords. Ils font aussi une version littéralement crampsy de «Please Give Me Something». Et on se régale de la bassline d’Alpo, toute secouée de divines congestions. Autre merveille : une reprise de «Rollercoaster», admirable de heavyness et le côté cro-magnon amène vraiment de l’énergie à cette version sinistrée.

             Of course, this one is for Lo’ Spider.

    Signé : Cazengler, Cythère Sick

    Cheater Slicks. On Your Knees. Gawdawful Records 1989

    Cheater Slicks. Destination Lonely. Dog Meat 1991

    Cheater Slicks. Whiskey. In The Red Recordings 1993

    Cheater Slicks. Don’t Like You. In The Red Recordings 1995

    Cheater Slicks. Forgive Thee. In The Red Recordings 1997

    Cheater Slicks. Skidmarks. Crypt Records 1998

    Cheater Slicks. Refried Dreams. In The Red Recordings 1999

    Cheater Slicks. Yer Last Record. Secret Keeper Records 2002

    Cheater Slicks. Bats In The Dead Ttrees. Lost Treasures Of The Underworld Records 2009

    Cheater Slicks. Guttural (Live Vol. 1 2010). Columbus Discount Records 2011

    Cheater Slicks. Our Food Is Chaos. The Allen Paulino Sessions. Almost Ready Records 2012

    Cheater Slicks. Reality Is A Grape. Columbus Discount Records 2012

    Cheater Slicks. Live Vol. 2 2010. Columbus Discount Records 2012

     

     

    L’avenir du rock

    - Have you seen the little Pixies crawling in the dirt ?

    (Part Two)

     

                Comme il aime bien les gros, l’avenir du rock mange des gâteaux à la crème. Une façon comme une autre de leur rendre hommage. C’est dingue ce qu’il peut les aimer, tous ces gros lards qui ventripotent depuis cinquante ans dans les canards de rock. Quand il a su que Leslie West bouffait cinquante dounuts à la crème au beurre par jour, il est allé chez le boulanger de la rue Saint-Jean acheter un gros sac de donuts pour écouter «Blood Of The Sun» dans les conditions idéales, c’est-à-dire avec de la crème qui coule sur le shetland et les doigts qui collent. Quand il a appris que Crocus Behemoth pétait sur scène en l’honneur de Père Ubu, alors l’avenir du rock a fait réchauffer une très grosse boîte de pois chiches en sauce pour s’entraîner à péter sur fond de «Final Solution» - The girls won’t touch me/ Cause I got a misdirection/ Prout prout - L’avenir du rock sait que si on ne fait les choses qu’à moitié, ça ne marche pas. Il faut les faire pour de vrai, pas pour de faux. Tiens, et puis Buddy Miles ! Pour ça il est obligé d’aller au MacDo, ce dont il a horreur, mais s’il veut écouter «Them Changes» dans de bonnes conditions, il doit engloutir six triple big macs d’affilée avec une grande bouteille de coca-cola, et interdiction de dégueuler, même si c’est à cause de ses vieux réflexes d’anti-américanisme primaire. Il préfère nettement s’exploser la panse sur les hits magiques de Fatsy en cuisinant de grandes casseroles de pieds de cochon en sauce piquante, comme le faisait Fatsy dans sa chambre d’hôtel lorsqu’il était en tournée. Étant donné que Fatsy invitait ses musiciens à béqueter ses pieds de cochon, l’avenir du rock invite ses voisins, qui, en plus, aiment bien entendre «Walking To New Orleans» et «Blueberry Hill», des hits qui leur rappellent leur lointaine jeunesse. Le plus grand fantasme de l’avenir du rock est à peine avouable. Bon tant pis, on y va : il n’a toujours rêvé que d’une seule chose : récupérer la baignoire remplie de haricots en sauce qu’on voit sur la pochette de The Who Sell Out, virer bien sûr cette gueule d’empeigne de Daltrey pour le remplacer par Mama Cass, une Mama Cass à poil, avec ses mamelles et ses bourrelets qui flic-floquent dans la bouillasse un peu sucrée, l’occasion rêvée de donner libre cours à toutes les fantaisies libidinales, d’autant plus sûrement qu’on savait Mama Cass experte en la matière. Pire encore, l’avenir du rock a récupéré la table de Beggars Banquet et il attend son invité, le héros des temps modernes, le rabelaisien Frank Black, et ils vont ensemble taper dans les cochonailles du Rouergue, les brunoises d’asperges vertes, les viandes blanches et rouges, les aiguillettes de canard en compotées, les pâtés en croûte, les miches et les tomes, les pattes de fruits et les mousses à la cannelle, tout cela bien sûr en hommage à Marco Ferreri et à sa Grande Bouffe

     

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             Tu ne verras pas beaucoup d’artistes du calibre de Frank Black dans ta vie. Oh tu as peut-être pu voir ces grands dévoreurs saturniens que sont Jaz Coleman, Ian Astbury ou Iggy Pop, ou encore ces immenses chanteurs que sont Lanegan, Greg Dulli, Chris Bailey, Jerry Lee ou Lee Fields, mais aucun d’eux n’a jamais atteint ou n’atteindra jamais la démesure d’un screamer comme Frank Black. Le scream apoplectique du gros est resté le même que celui de ses débuts, quand, à l’Olympia, il allait se positionner sous son micro pour hurler son De-baser comme un goret. La musique du gros, c’est d’abord ça, une certaine idée de la folie qu’on appelle aussi la démesure. Et il met cette démesure au service de chansons dont la modernité, trente ans après, coupe toujours le souffle. Tu ne sais pas pourquoi il te parle du chien andalousia dans «Debaser», mais il est là, bien là, le chien andalousia, et à la suite, tu as le scream le plus dévolu de l’histoire du rock. Tu l’as aussi dans «Wave Of Mutilation», et dans «Gouge Away», tous ces vieux hits qui ne prennent pas une ride.

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             Le problème avec les Pixies - tout au moins en France - c’est qu’on les a enfermés (avec les Mary Chain) dans un bocal qui porte l’étiquette «rock indé», et ça reste l’une des pires façons de voir le rock, alors qu’outre-Manche, les Pixies ont toujours fait partie - avec les Screaming Trees - des rares groupes de rock américains encensés par la presse rock anglaise. Les Anglais savent reconnaître ce qui est bon. Choisis ton camps camarade : tu avais le choix entre le NME, Sounds et le Melody Maker d’un côté, Rock&Folk et Best de l’autre, et le choix était vite fait. Le rock est une chose très sérieuse qui ne devrait pas tomber aux pattes des amateurs. En France, la presse rock catalogue, et les Pixies qui sont l’un des meilleurs groupes de l’histoire du rock se sont retrouvés catalogués «rock indé». Le plus drôle, c’est que tu ne vois pas les mêmes gens au concert de Jim Jones et au concert des Pixies. Alors qu’il s’agit exactement de la même chose : un pur concert de rock. Les Pixies ont une dimension artistique qui leur permet de transgresser les genres. Ça se sent quand tu te retrouves aux pieds du gros. Il chante pas loin de deux heures, comme il l’a toujours fait, et comme Chuck Berry, il fonctionne comme un juke-box à roulettes, parce qu’il n’a que des hits, et ce sont des hits sortis de sa cervelle infestée de rock’n’roll, et dis-toi qu’elle l’est depuis sa plus tendre enfance. Il fait rarement des reprises, mais quand il tape dans l’«Head On» des Mary Chain, il en fait du gros Black, et à une autre époque, sa cover nous fascinait tant qu’on s’est crus autorisés à la reprendre, parce qu’on avait le chanteur qui nous permettait ce luxe inouï. Mais l’autre soir, en voyant le gros l’attaquer et la monter en neige, on comprenait bien que nous ne pouvions pas aller aussi loin que lui, lorsqu’il bascule dans l’insanité - And I’m taking myself/ To the dirty part of town/ Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found - car c’est là que ça se joue, dans le tourbillon fatal du dirty part of town, dans la chute fracassante et la remontée vers la lumière qu’induit le motif de guitare imaginé par William Reid et transgressé par Joey Santiago. Là, tu comprends, tu n’es plus dans le «rock indé», tu es au cœur ardent du mythe. Le «Head On» des Pixies, c’est exactement la même chose que «Gimme Shelter», «You’re Gonna Miss Me», «Looking At You», «Bird Doggin’», «Purple Haze» ou «Great Balls Of Fire», une sorte de petite apothéose passagère et définitive à la fois.

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             Alors tu le vois arriver sur scène. Première chose, il a perdu du poids. Il est beaucoup moins rond qu’avant, même du visage. Il a maintenant une tête de fœtus, surtout avec cette manie qui a de fermer les yeux en permanence, comme s’il était aveugle. Le peu de fois où il ouvre les yeux, c’est pour regarder le public d’une manière un peu étrange. On est obligé de mettre ça sur le compte de la timidité. On apprend en outre très vite que les photos sont interdites, alors avec l’habitude, on se débrouille pour en faire quand même. Il porte un T-shirt noir à col en V et un jean noir délavé assez moulant, qui met en valeur l’étrange architecture boudinée de ses petites jambes. Du coup, le gros passe du stade de boule de suif à celui de créature dadaïste, ce qui lui va comme un gant. Et dans les pattes, la sempiternelle Tele, avec un son d’une incroyable agressivité. On croit toujours que les cuts des Pixies sont complexes, mais quand on le voit passer ses accords, on voit que les structures sont extrêmement simples, il passe ses accords avec une lenteur spéciale, et il les plaque de ses petits boudinés, parfois de trois doigts, parfois des quatre. Il exerce en tant qu’artiste une fascination de chaque seconde. Rien dans ce qu’il fait n’est ordinaire. Il jette rarement un coup d’œil à sa main gauche, tout ce qu’il joue et bien sûr tout ce qu’il chante est intériorisé à l’extrême. Ses filets mélodiques remontent en lui comme des sources, il est dans cette prodigieuse intelligence du rock qui fait la différence avec le troupeau bêlant d’Épicure. Il est aussi pur mélodiste que le fut John Lennon, c’est la raison pour laquelle les chansons de ces deux mecs-là entrent si facilement dans l’inconscient collectif. On se surprend parfois à fredonner «Caribou» ou «Velouria», parce que ces airs si purs sont installés dans l’inconscient, comme le sont depuis longtemps «Strawberry Fields Forever» et «Penny Lane». Et de voir le gros chanter «Caribou» sur scène est une sorte de don du ciel, car c’est une chanson ancienne dont il pourrait finir par se lasser, mais non, il module son cariboooo avec une passion ardente, le visage perlé de sueur. Le gros en action, c’est l’incarnation du vif argent, c’est l’intensité à deux pattes, un fantasme béni des dieux du rock, l’un des vrais génies du monde moderne, il est fantastiquement vivace et certainement aussi littéraire que son idole Bob Dylan. Bizarrement, le public n’a pas l’air de connaître les textes. Lors du concert des Stooges au Zénith de la Villette, tous les gens des premiers rangs reprenaient les paroles en chœur avec Iggy. Là c’est autre chose. Quand le gros pique sa rituelle crise de hardcore, ça pogote sur la barrière et il faut jouer des coudes pour essayer de rester concentré sur le concert. Pas simple.

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             Ils font une set-list à la volée. Le gros dispose d’une grande set-list plastifiée posée sur l’estrade de batterie et éclairée par une petite lampe basse tension, il choisit un titre et l’annonce dans un micro de service relié aux oreillettes des autres. Parfois, il n’annonce rien, mais les autres savent tout de suite entrer dans la danse. C’est l’apanage des grands groupes, c’est-à-dire ceux qui n’ont fait que des grands albums et qui ont un bon historique, c’est-à-dire zéro compromission.

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    Parfois, c’est Paz Lenchantin qui lance un cut sur le riff de basse, comme elle le fait avec «Gigantic». Elle est marrante, la petite Paz, en jupe plissée et en chemisier à jabot, elle fait un contrepoint idéal à la présence faramineuse du gros, elle semble prendre plaisir à jouer des drives de basse qui sont eux aussi d’une simplicité enfantine. Tu crois qu’«Here Comes Your Man» est un truc tarabiscoté, mais non, c’est joué sur quelques accords bien senti, le swing vient du chant et des fantaisies vocales du gros, avec bien sûr les chœurs délicieux. L’autre contrepoint, c’est bien sûr Joey Santiago qui passe son temps à grimacer, comme s’il se demandait où était passé le gros avec ses accords. Santiago est resté le même, avec son pif écrasé de boxeur, il ne joue que sur des Les Paul en or et cultive l’art des stridences excédentaires. C’est un fabuleux expérimentateur sonique, le contrepoint idéal pour un géant punitif comme le gros.

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             Ils ne jouent qu’un seul cut en rappel, pour remercier le public, le fameux «Bone Machine» qui remonte aux années quatre-vingt, toujours aussi tordu et irrépressible. Le gros est l’un des seuls qui sache faire passer en force un cut mélodiquement biscornu, mais il le malaxe si joliment que ça devient une œuvre d’art moderne. À leur façon, les Pixies sont un groupe Dada, le chien andalousia n’est pas là par hasard. Et tu ne peux pas faire plus Dada que «Where Is My Mind?» - Where is my mind/ Way out in the water/ See it swimming - ou pire encore, ce «U-Mass» qu’ils jouent longtemps à vide sur l’accord avant de partir en vrille de Mass et de basculer dans l’exaction extrême - Oh don’t be shy/ Oh kiss me cunt/ Oh kiss me cock/ Oh kiss the world/ Oh kiss the sky/ Oh kiss my ass/ Oh let it rock - Le gros n’en perd pas une miette et nous non plus d’ailleurs. Et on le revoit plonger dans un abîme de scream épouvantable, il est le plus beau screamer qui se puisse imaginer sur cette terre. Le scream le transfigure, il passe de l’état de laideur relative à celui de beauté iconique, il dégage une odeur de sainteté, son visage perlé de sueur renvoie à tout ce fatras iconique de la sanctification, du dépassement qu’induit (théoriquement) l’état de martyre. Le gros ne te lave pas de tous tes péchés, mais pendant deux heures, il te fait oublier le monde pourri qui t’entoure. Le rock ne sert qu’à ça. Depuis le début, il n’a toujours servi qu’à ça.

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    Singé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Le 106. Rouen (76). Le 23 juin 2022

     

     Inside the goldmine - Paley royal

     

             De tous les géants de la carambouille, Didi était le plus grand. Rien à voir avec les mecs de la Porte de Clignancourt ou ceux de Barbès. Avec Didi, tout était simple. Tu lui demandais n’importe quoi, une plaquette de shit afghan, un faux passeport, un disque des Amboy Dukes, une fiole de poudre de corne de rhino, il te répondait : «Okay ! Demain midi !». Tu lui aurais demandé un flingue, ça ne lui posait aucun problème. Il demandait toujours 50 % à la commande, en cash. Ou en marchandise, mais c’est lui qui évaluait. Il connaissait la valeur des bijoux. Il n’avait jamais besoin de calculette, il comptait comme on compte en Asie, avec une agilité mentale qui laisse toujours penser que ça cache une arnaque. Il tenait toujours sa parole, il savait que sa réputation reposait entièrement sur sa fiabilité. Il mettait un point d’honneur à ne jamais décevoir l’un de ses clients. Son petit sourire en coin laissait penser qu’il faisait de sa virtuosité une sorte de jeu. On pouvait voir Didi comme un enfant enfermé dans le corps d’un jeune homme. Sous une mèche de cheveux noirs de jais dardait un regard incroyablement direct et quand il souriait, son visage semblait irradier. Il inspirait une sorte de fascination, car ce mélange de roublardise et de candeur n’était pas commun, surtout dans ce monde interlope fréquenté par tous les aventuriers et les trafiquants que l’on peut bien imaginer. Il parlait plusieurs langues, ce qui épaississait encore le mystère de ses origines. On le voyait de loin en loin, chaque fois qu’on cherchait quelque chose de spécial. On savait où le trouver, au rez-de-chaussée d’un vieux bâtiment, il suffisait de taper à la porte et s’il était là, il ouvrait pour répondre, avec cet incroyable sourire. Et puis un jour, il demanda un service en échange d’une commande. Stupéfaction ! Besoin d’une planque pour deux mois, le temps que les choses se tassent. Un deal qui a mal tourné, disait-il sans rentrer dans les détails. Pas de problème. Il vint se planquer à la maison. Nous passions les soirées à fumer de l’herbe et il commença doucement à parler de son enfance, là-bas au Cambodge. Père américain pilote d’hélico abattu au-dessus de la frontière. Mère cambodgienne exécutée par les troupes de libération. Didi petit, en plein dans Apocalypse Now. Capturé par des guerilleros alors qu’il s’enfuyait dans la jungle. Attaché à un arbre, torse nu et cisaillé en quinconce à la machette sur toute la hauteur du torse. Traits croisés à 45°. Cinq d’un côté, cinq de l’autre. Une œuvre d’art. Laissé pour mort. Il souleva son T-shirt pour montrer cette épouvantable cicatrice. Chaque balafre mesurait deux centimètres de large. Il souriait.  

     

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             Pendant qu’on charcutait Didi au Cambodge, Andy grandissait peinard à Boston. Ils n’ont pas que le Di en commun, ils ont aussi des physiques extrêmement avantageux et des profils d’aventuriers extrêmement pointus. Tu es ravi d’avoir pu croiser dans ta vie des gens comme Andy et Didi.

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             Andy Paley et son frère Jonathan forment les Paley Brothers au début des années 70. Le boss de Sire Records Seymour Stein les découvre en 1975, via une démo. Il écoute et trouve ça bien, real pop, bordering on bubblegum. À ses yeux, ça frise le Brill, lots of two-parts harmony, great hooks. Stein les voit jouer dans un bar de Boston et décide de les signer sur Sire, en même temps que les Ramones, Richard Hell, les Talking Heads et les Dead Boys. Andy et son frère Jonathan vont travailler avec les meilleurs producteurs de l’époque, Jimmy Iovine, Earle Mankey et Phil Spector.

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             The Paley Brothers paraît en 1978. Andy et Jonathan sont tellement fans des Beach Boys qu’ils demandent à Earle Mankey de produire leur album au Brother Studio des Beach Boys. Pourquoi Mankey ? Parce qu’il a déjà produit au même endroit l’album Beach Boys Love You. Dès «You’re The Best», ils font l’unanimité parmi les oreilles. Ils mélangent leur adoration pour les Beach Boys avec leur énergie bostonienne. Mais la dominante chez eux reste la power-pop. Ils renouent avec le Beach Boys craze dans «Turn The Tide». Ils délivrent ici un shoot paranormal de sunny groove et d’entrain d’allant suprême. Si tu aimes la grande pop américaine, elle est là, dans «Turn The Tide». Ils font une reprise du «Down The Line» de Buddy Holly & Bob Montgomery assez musclée. On y croise même un solo en dérapage contrôlé. On retrouve bien sûr tout l’album dans la compile The Complete Recordings parue en 2013. Si on veut faire le tour du propriétaire, cette compile est un passage obligé. Les inédits sont tous plus spectaculaires les uns que les autres. Stein a sorti des archives et on en prend plein les mirettes. Tiens, par exemple avec ce «Meet The Invisible Man» enregistré en 1979 en Californie. C’est encore plus dingue que les Beach Boys, comme si c’était possible. L’Invisible Man sonne comme un sunny hit qui relève d’une certaine inexorabilité des choses. C’est claqué à l’arpège salvateur. Et dire que ces merveilles sont restées inédites ! Encore du Beach Boys Sound avec «Boomerang». Brian Wilson chante derrière. Fabuleux et explosif. Sabré au killer solo flash. C’est littéralement bardé de guitares, les retours de chœurs sont exactement les mêmes que ceux des Beach Boys. On tombe ensuite sur un «Felicia» enregistré live au Madison Square garden. Ces mecs sont extrêmement aguerris. Ils enregistrent «Running In The Rain» chez Ardent à Memphis. Serait-ce un clin d’œil à Big Star ? Va savoir ! Ils enregistrent aussi le vieux «Come On Let’s Go» de Ritchie Valens avec les Ramones, one two three four, Earle Mankey produit, ils foncent tous dans le mur, mais pas n’importe quel mur : le Beach Boys Wall of Sound. C’est exactement la même énergie. Nouveau coup de Jarnac avec «Spring Fever» puis voilà enfin le coup de génie : «Jacques Cousteau». Les frères Paley tapent une fois encore dans la mad frenzy des Beach Boys - Jack Jack/ Jack Cousteau - merveilleux délire - L’Atlantic c’est fantastic/ le Pacific c’est terrific - Il faut encore signaler la présence d’une pépite : «Theme From Fireball XL-5», assez poppy mais bien vu, in my imagination - My heart will be a fireball/ And you’ll be my Venus of the stars.

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             Sur The Complete Recordings, on peut surtout entendre le «Baby Let’s Stick Together» produit par Phil Spector au Gold Star de Los Angeles. Les Ramones allaient enregistrer End Of The Century aussitôt après. Ce «Baby Let’s Stick Together» est du pur Beach Boys power. Gene Sculatti raconte que Phil Spector appela Andy Paley en pleine nuit pour lui proposer une session d’enregistrement à Los Angeles. Ils envisageaient d’ouvrir le bal de leur deuxième album avec cette merveille, mais il n’y eut pas de deuxième album. Andy Paley ne s’en formalisa pas. Il joua un peu avec le Patti Smith Group et développa un goût pour la production.

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             Bon, les Paley Brothers, c’est bien gentil, mais Andy Paley n’en était pas à son coup d’essai. Il avait déjà enregistré un album avec les Sidewinders, un quintet de Boston qui aurait dû exploser en 1972 avec son album sans titre. On connaissait son existence grâce à Creem. Belle pochette, on les voit photographiés tous les cinq dans un salon du Chelsea Hotel. Dès «Bad Dreams», on sent une petite pop allègre et bien entreprenante. Ces mecs visent le clair de pop, comme les Nerves vont le faire un peu plus tard. Le lead guitar Eric Rosenberg sort un son agile et fiévreux. Le hit de l’album s’appelle «Told You So». Ce shoot de Stonesy nous renvoie à Exile. On sent bien qu’ils tentent le big hit avec ce joli coup de Soul pop qui renvoie aussi aux Box Tops. Avec «Moonshine», ils se livrent au petit jeu du balladif paradisiaque. Ils s’y sentent bien, alors nous aussi. Eric Rosenberg se tape une fois encore la part du lion avec sa dentelle de Calais. Bizarrement on les voit aussi jouer du garage surf («The Bumble Bee»). Alors et la B ? Oh pas de quoi casser trois pattes à un canard. «O Miss Mary» vaut pour un petit slab de pop énervée. Ils jouent ça à l’échevelée avec une bassline effervescente et un Rosenberg parti à vau-l’eau. La belle pop de «Got You Down» fait dresser l’oreille, mais il manque l’étincelle. Voilà un cut typique de cette époque où on aimait cavaler sans réfléchir. On trouve plus loin un autre petit slab de power pop qui s’appelle «Reputation». Même s’il se veut bien énervé, ça n’en fait pas un hit pour autant.

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             En 1985, Andy Paley produit Rockin’ And Romance, un album léger de Jonathan Richman & The Modern Lovers. Ça se passe entre Bostoniens et comme toujours avec Jojo, c’est bon esprit et bien chanté, avec quelques pitreries à roulettes comme «Down In Bermuda». Jojo y rivalise de désinvolture avec Kevin Ayers, c’est dire s’il est balèze. Comme il dispose d’une vraie voix, il rafle tous les suffrages. On se fait tous avoir. Il nous branche plus loin sur la souffrance de Van Gogh - Have you heard about the pain of Vincent Van Gogh ? - puis refait son Modern Lover avec «Walter Johnson», à la croisée du laid-back et du doo-wop. Andy Paley passe un solo de batterie pasticheur dans «I’m Just Beginning To Live». Jojo s’amuse comme un gamin, Ok let’s rock ! Pas étonnant qu’il devienne culte. Il crée une sorte de rockalama bon enfant.

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             L’année suivante, Andy Paley produit It’s Time For. On reste dans le Jojo Fricotin, avec Bibi et ses vieux hits de juke de type «Let’s Take A Trip». Andy Paley amène un son extrêmement intéressant, il veille à préserver l’ambiance du studio. Dès l’«It’s You» d’ouverture de bal, ça sent bon le Paley royal. Grosse d’ambiance, tout le monde gratte des grattes et chante en chœur. Ils sortent les guitares électriques pour «Yo Jo Jo». Jojo a de la jugeote. Même s’il fait tout pour se déconsidérer, il faut le prendre très au sérieux, au moins autant que Lou Reed. Il tente de se faire passer pour le raté de service, mais la moindre de ses chansonnettes tape dans le mille. Avec «Double Chocolate Malted», il vend les charmes d’une glace au chocolat et derrière les mecs font yeah yeah yeah. Comment résister à ça ? Impossible. Il a tellement de talent qu’il se permet n’importe quel délire, même celui de «Desert». Mais Jojo est trop bon enfant pour le dandysme.

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             Dix ans plus tard, Andy Paley produit un troisième album pour Jonathan Richman : Surrender To Jonathan. Pochette délicieuse : l’ex-Modern Lover s’y déguise en pirate. Jojo, c’est un peu l’équivalent américain de Kevin Ayers : une vraie voix et un goût prononcé pour le balladif magique. Le problème avec Jojo est qu’il a souvent fait de la petite pop aigrelette et même du balloche. Des mecs vont dire : «Ah c’est culte !». Oui, c’est aussi culte que le cul de ta voisine. Sur cet album tout est très simple. Jojo n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il drive sa pop bon enfant à la petite semaine et Andy-Oh-Andy adore ça. Pas de son dans «Surrender», il n’y a que la voix de Jojo. Il fait encore son cirque dans «I Was Dancing In The Lesbian Bar». A-t-il vraiment besoin d’un mec comme Andy-Oh-Andy derrière ? On retrouve la vieille tarte à la crème d’«Egyptian Reggae». Et puis voilà le Jojo tant espéré avec «When She Kisses Me», une belle pop qu’il allume à coups de yeah yeah et qui émerveille pour de vrai. Il amène encore de la pop énorme avec «Satisfy». Il faut bien dire que ce genre d’album est très spécial. On l’écoute par sympathie, mais ça ne va pas plus loin. Jojo fait son business comme tout le monde. Et comme il dispose d’une vraie voix, ça facilite les choses. Il termine cet album profondément Jojotique avec «Floatin’». Il finit par imposer sa présence. Il fait quand même partie des grands chanteurs américains.

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             En 1989, Andy-Oh-Andy produit le Wild Weekend de NRBQ. On retrouve bien sûr le bassmatic de Joey Spampitano dans le morceau titre, juste derrière la cocotte d’Al Anderson. Ces mecs sont assez carrés. Andy-Oh-Andy vieille à monter la basse dans le mix. Mais le son de l’album est globalement trop propre. La pop de «Fireworks» n’est pas bonne, elle est trop passe-partout avec hélas de faux accents de Costello. On voit «Bozoo That’s Who» virer Cajun grâce à un accordéon et c’est en B qu’on trouve un peu de viande, avec notamment «Fraction Of Action». Ils renouent là avec le hard drive auquel ils nous avaient habitués. C’est un fantastique shoot de tension hérissé de gimmicks de basse. Ils terminent en fanfare avec «Like A Locomotive». L’excellence de ce groove ferroviaire leur sauve la mise. C’est habilement mené, bien arrondi par Spampi, ce crack du bassmatic que voulait embaucher Keith Richards.

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             Grâce à Seymour Stein, Andy-Oh-Andy peut travailler en 1988 avec son idole : Brian Wilson. Sur la pochette de Brian Wilson paru en 1988, Brian Wilson paraît soucieux. Il ne devrait pas s’inquiéter car Andy-Oh-Andy veille au bon grain de l’ivraie, notamment en B, avec un «Let It Shine» co-écrit avec Jeff Lyne. Forcément pop, forcément what you be - There come a burning fire/ It fills me with desire - Pur pop genius - Your words are magic to my ears - Nous voilà dans l’univers sacré des Beach Boys. Et ça continue avec «Meet Me In My Dreams Tonight», véritable festival de pounding pop, c’est du grand art digne de l’âge d’or de la civilisation de la plage, puissant et gorgé de sunny sound. C’est avec «Rio Grande» que Brian Wilson renoue avec ce qui le caractérise le mieux : le génie composital. Il va recréer sous nos yeux globuleux l’émotion de son California Saga (Holland) avec ce Cherokee trail/ I’m ridin’ all alone et il fait souffler des vents de Chimes, alors on plonge dans l’overflow de magie wilsonienne, whaooo yeah yeah yeah - I want the river to take me home/ Can’t ride the river no more all alone - Et ça explose au nez de la Saga d’éternité, ce mec crée de la magie all along, depuis le début de l’histoire du rock. On assiste à la fantastique éclosion du whole wide world. Alors évidemment, l’A paraît bien falote en comparaison, même si la pop de «Love And Mercy» reste parfaite. On retrouve aussi des échos du grand art des Beach Boys dans «Walkin’ The Line». Brian Wilson n’est pas un ré-inventeur, c’est un perpétuateur patenteur. On voit aussi qu’avec «Melt Away», il ne lâche pas sa vieille rampe. Il tartinera vraisemblablement jusqu’à la fin de ses jours. Andy Paley reste fidèle et dedicated. «Baby Let Your Hair Grow Long» est certainement le cut le plus Boyish de l’A, on s’effare de les voir tortiller aussi facilement cette grande pop californienne. 

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             Andy-Oh-Andy aura l’occasion de retravailler avec son idole Brian Wilson sur l’album Gettin’ In Over My Head, paru en 2004. C’est l’album des collaborations. Ça commence assez mal avec Elton John puis ça s’arrange avec Carl Wilson dans «Soul Searchin’», pur jus de Beachy Sound. Ils n’en finissent plus de rallumer leur vieux flambeau et un solo de sax vient resplendir dans l’embrasement du crépuscule. Le hit de l’album c’est bien sûr «Desert Drive», avec Andy Paley qui ramène la brebis Brian Wilson dans le droit chemin - We’re gonna have some fun - C’est infesté de c’mon effervescents. Andy intervient une fois encore dans «Saturday Morning In The City» et sur le morceau titre. Ils tournent pas mal autour du pot et tentent de recréer la magie des jours anciens, mais ce n’est pas si simple. Brian Wilson manque de conviction. Il prend «You’ve Touched Me» par-dessus la jambe et le chante à l’édentée. On croise d’autres invités sur l’album, comme Paul McCartney, mais il ne se passe rien de plus que ce qu’on sait déjà.

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             Après Brian Wilson, l’autre grand coup d’Andy-Oh-Andy, c’est Jerry Lee Lewis. Comment va-t-on pouvoir célébrer la grandeur d’un album comme Young Blood ? Jerr refait surface après dix ans de silence. Il a soixante balais. Il pose au bord du lac, assis en smoking dans une banquette rococo. Beat that ! Pas possible. Pas non plus possible de beater le cut d’ouverture de bal, «I’ll Never Get Out Of This World Alive». Il a raison, ni Jerr ni personne ne quittera ce monde vivant, mais quand c’est dit par un cat comme Jerr, ça change tout. Alors faut-il célébrer le génie de Jerr, ou celui d’Andy Paley qui produit cet album qu’il faut bien compter parmi les plus grands disques de l’histoire du rock ? Oui, Jerr chante, mais il a du son et c’est autre chose que le son de Jerry Kennedy à Nashville. Andy-Oh-Andy amène de l’eau au moulin de Jerr, c’est-à-dire le Memphis Beat original. Il faut dire qu’Andy Paley a fait ses preuves avec Brian Wilson et Jonathan Richman. Il n’y a pas plus de hasard sur le crâne de Mathieu qu’il n’y a de cheveu dans ta philosophie, Horatio. Rappelons l’équation fondamentale : une vraie voix + une bonne chanson + une prod de crack = un hit éternel. Des choses comme «River Deep Mountain High», «MacArthur Park» ou encore «California Girls» en sont le résultat, et il en existe beaucoup d’autres, si l’on sort les noms de Mickie Most, de Chips Moman, d’Uncle Sam ou encore de Shel Talmy. Il faut désormais ajouter «I’ll Never Get Out Of This World Alive» à ce palmarès. Jerr chevauche à la cravache, il rue comme un dieu, et voilà qu’arrive un solo d’éclat magique, alors ça grimpe directement au pinacle. Il est fort probable qu’on entende Joey Spampitano au bassmatic. Andy-Oh-Andy le connaît bien car il a produit l’un des albums de NRBQ (Wild Weekend). Font aussi partie de l’aventure James Burton et Kenny Lovelace. Andy-Oh-Andy n’a qu’une idée en tête : renouer avec le Memphis Beat des origines, celui d’Uncle Sam. Et ça marche ! Il y a encore pire à venir, et il faut y être préparé, car le génie peut frapper comme la foudre, ce qui va être le cas avec «Miss The Mississippi & You» - I’m growing tired of these big city lights - Jerr veut rentrer au pays, alors il se laisse aller en éclatant son piano bar et remonte le courant mélodique comme un saumon shakespearien. Il chante à la plus belle revoyure d’Amérique. Il pousse même une tyrolienne qui va faire le tour du monde. C’est l’une des plus belles chansons de tous les temps. Au passage, il pond deux hits de juke : «Goosebumps» et «Crown Victoria Custom 51». Il les bouffe tout crus, c’est une manie, yeah ! Il claque le cul de son boogie et déverse sur son clavier une rivière de diamants, juste pour montrer comment on finit un cut en beauté. C’est au heavy rumble de Memphis qu’il amène son Crown Victoria, rrrrrrrrrrrr, Jerr est sur le coup. Ça donne une deep merveille de deep rumble, Jerr fracasse son clavier comme le dentier d’un yank qui lui manque de respect et comme si cela ne suffisait pas, un solo rattlesnake croise son chemin à la furia del sol. Jerr sort du ring une nouvelle fois invaincu, sous les acclamations. Oh il faut aussi l’entendre éclater «Thang» au slang de sling, Southern class, baby, yeah, il faut entendre ce diable de Jerr tarauder le mur du son rien qu’avec son accent perçant. On ne remerciera jamais assez Andy Paley d’avoir réussi à ressusciter le Killer, comme Chips avait su ressusciter le King en lui proposant «Suspicious Minds». On voit aussi Jerr driver le morceau titre à la poigne d’acier. Il drive son cut comme s’il drivait un Apaloosa sauvage. Hang on ! Chez lui, tout n’est que dévotion à l’art suprême qui est celui de la culbute. Baiser une chanson pour la faire jouir, c’est la même chose que de baiser un cul de Southern bitch. Il boucle son cut à coups de mercy. Existe-t-il un shouter plus sexuel que Jerr ? Non. Il rend plus loin hommage à Huey Piano Smith avec une belle cover d’«High Blood Pressure». Jerr vénère Huey. Il le joue au piano de bastringue et ça tourne à la révélation spirituelle. Ah si Bernadette pouvait voir ça ! Jerr écrase son honey on your mind et pianote dans le vent d’Ouest, la crinière en feu. Sacré Jerr, il n’en finira plus de semer le vent pour récolter la tempête. Il se tape encore un joli coup de shake avec «Gotta Travel On». Cet homme sait embarquer une farandole. C’est fouetté à la racine des dents. Quel son ! Le bassmatic qu’on entend rouler sous la peau de «Down The Road A Piece» ne peut être que celui de Joey Spampitano, tellement ça groove.

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             En 1984, le Paley royal monte Between Meals avec quelques amis, dont Jad Fair et Maureen Tucker. On sait donc à quoi s’attendre en posant I Just Knocked Over A Cup Of Coffee sur la platine : de l’inconoclastic et du dada dodu. Du bien barré et du sans espoir pour la soif. Ils font donc une version trash-punko-déconstructiviste de «Matchbox». Ils jouent vraiment comme des brêles et c’est bien ce qui fait le charme du Between Meals. On assiste dans «Sink Or Swim» à une admirable désorganisation de l’ensemble. Et puis avec «What’d I Say», ils se rapprochent du Velvet, on croit entendre le violon grinçant de John Cale. Étonnant mélange de dada et de Velvet. Appelons ça une fantastique réussite artistique, si vous le voulez bien. La B est en fait beaucoup plus intéressante, on y entend Moe Tucker battre «How Will I Know» à la ramasse habituelle et on assiste à la belle déroute de «Route 66». Ils s’amusent comme des gamins, ça finit par devenir excellent.

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             Parmi les groupes que produit le Paley royal pour Sire, on trouve aussi John Wesley Harding. The Name Above The Title date de 1991. Autant le dire tout de suite, c’est de la petite pop à la Costello. Quand on n’aime pas Costello, c’est comme qui dirait baisé d’avance. En tous les cas, c’est très produit, très Sire-moi les pompes. La B est un peu plus ragoûtante, car on entend les Paley Brothers faire des harmonies vocales sur deux ou trois cuts comme «The Person You Are». Andy-Oh-Andy joue de l’harmo sur «Backing Out» et ils font une belle cover d’un classique de Roky Erickson, «If You Have Ghosts».

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             Dans ses mémoires, Siren Song - My Life In Music, Seymour Stein avoue qu’ Andy Paley fut l’un de ses grands espoirs. Mais ça n’a pas marché, en dépit de moyens considérables : «L’une de mes plus grosses déceptions fut de ne pas voir percer les Paley Brothers pour lesquels j’avais engagé Phil Spector.» Quand Stein rencontre Andy Paley pour causer production, Andy propose le nom de Jimmy Iovine, un protégé d’Ellie Greenwich qui avait travaillé avec Phil Spector sur l’album Rock’n’Roll de John Lennon. Et voilà. C’est à peu près tout ce que Stein dit d’Andy. On ne risque pas l’indigestion.

    Signé : Cazengler, Palette de beauf

    Paley Brothers. The Paley Brothers. Sire 1978

    Paley Brothers. The Complete Recordings. Real Gone Music 2013

    Sidewinders. RCA Victor 1972

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rockin’ And Romance. Twin/Tone Records 1985

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. It’s Time For. Upside Records 1986

    Jonathan Richman. Surrender To Jonathan. Vapor Records 1996

    NRBQ. Wild Weekend. Virgin 1989

    Brian Wilson. Brian Wilson. Sire 1988

    Between Meals. I Just Knocked Over A Cup Of Coffee. Indescence Records 1984

    John Wesley Harding. The Name Above The Title. Sire 1991

    Jerry Lee Lewis. Young Blood. Sire 1995

    Brian Wilson. Gettin’in Over My Head.

    Seymour Stein. Siren Song. My Life In Music. St. Martin’s Press 201

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 22

    JUILLET- AOÛT - SEPTEMBRE

     

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     Faudrait mettre un ‘S’ à Génération, au gré des interviewes c’est une histoire du rock ‘n’ roll français que raconte la revue. Cette fois-ci grâce à Jean-Claude Coulonge c’est à l’introduction du rock en notre pays, à la toute première génération des rockers que nous remontons, Coulonge n’est pas un témoin, mais un activiste, un sacré batteur, je ne l’ai entendu qu’une fois en concert, voici une dizaine d’années, ce n’était pas avec les Vinyls, remplaçait au pied levé un musicos absent, vous a filé une sacrée déverrouillée à la grosse caisse, quelques jours auparavant Guillaume des Spunyboys me le citait comme une référence, le genre de gars tout sourire qui vous déclenche le tonnerre de Thor, n’en est pas pour autant sorti de la cuisse de Jupiter, un petit gars mal parti ( je vous rassure bien arrivé ), la polio, les privations de la guerre ( né en 1945 ) la France n’était pas en ces temps-là un pays de cocagne, pas d’électricité, les cabinets au fond du jardin… s’inscrit à la fanfare pour rééduquer son bras estropié, finira batteur, connaîtra le Golf et Johnny que tout le monde appelait Jean-Philippe, je vous laisse découvrir le reste de la saga, je n’en retiendrai qu’un détail qui me touche personnellement, sa participation sur scène avec les Fingers groupe instrumental dont le morceau Spécial blue-jeans servait d’indicatif à l’émission du même nom sur Radio-Andorre… Huit pages passionnantes, et un rocker qui a su tracer son chemin dans sa vie sans renoncer à sa passion…

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    Le retour des Ghost Highway ! Ah, les Ghost, un groupe pas tout à fait comme les autres, c’est un peu grâce à eux et à Burning Dust que la modeste feuille de papier très intermittente qu’était KR’TNT est devenue le blogue hebdomadaire que vous êtes en train de lire, les Burning furent un bon groupe, mais ce n’était que la partie immergée de l’iceberg, z’avaient un fan club de followers qui les suivaient un peu partout, beaucoup de groupes reçoivent de l’estime de la part de leurs fans mais pour les Ghost c’était autre chose, il y avait un plus indéfinissable, le groupe aimantait, et stimulait les énergies, hélas la magie s’est délitée, trop de pression ou peut-être leur a-t-il manqué une structure de soutien, le do it yourself est une belle philosophie, c’est celle qui anime notre blogue, mais pour mettre une fusée en orbite faut aussi bénéficier d’une orga solide et clairvoyante… mais les revoici, interview, premier concert, couve du magazine photo double-page, Phil n’a pas changé,  fidèle à lui-même, peut-être est-il celui qui a le plus regretté le split, Jull a maigri, affiche un air décidé prometteur, Arno arbore en même temps un profil de jeune homme et de patriarche, dernier venu enfin le nouveau Bryan, méfiez-vous c’est le d’Artagnan des trois vieux bretteurs, ne sera pas le dernier pour s’engager dans de nouvelles aventures…

    Un grand saut pour la chronique Les Racines de Julien Bollinger, cette fois-ci consacrée à Emmett Miller, une mystérieuse figure de ce chaudron de sorcières que furent les années 20 aux States, documents et témoignages sont rares, Miller n’était plus qu’une ombre lointaine lorsque Nick Tosches a ressuscité son fantôme dans son livre Blackface, Editions Allia (chroniqué dans Kr’tnt ! évidemment) , pour ceux qui ne connaîtraient pas il suffit de dire que  la filiation Emmett Miller – Hank Williams est certaine, question généalogie rock ‘n’ roll vous ne trouverez pas mieux… Julien Bollinger use de formules heureuses pour expliciter cela. Le plus simple est de suivre ses conseils et de se précipiter sur You Tube, pour écouter, attention rencontre avec ce que Edgar Poe appelait l’ange du bizarre.

    Les Blakfaces ont mauvaise réputation, l’idéologie woke pense que cette pratique qui remonte aux plantations esclavagistes est une des pires abominations du racisme. Lors de réunions festives qui réunissaient maîtres et esclaves les maîtres blancs ( Emmett était blanc et  était socialement loin de posséder le statut de propriétaire d’une ferme cotonnière ) se noircissaient le visage pour imiter de façon burlesque les manières de chanter, de se mouvoir, de parler de leurs esclaves, sans aucun doute un geste de charité chrétienne empli de condescendance, mais aussi une façon esthétique pour les noirs d’accéder à leur propre représentation, c’est ici que l’on retrouve Edgar Poe et son concept de grotesque, par la suite beaucoup d’artistes noirs qui jouaient dans les vaudevilles n’hésitaient pas à  grimer leur visage et à proposer des sketches de tonalité humoristique… Une analogie est à faire avec les monologues comiques que jouaient les poëtes symbolistes comme Charles Cros lors des fiévreuses soirées du Chat Noir… Depuis une vingtaine d’années la bourgeoisie noire américaine s’éloigne du blues, ce sont maintenant les élites intellectuelles qui font pression pour vilipender toute une partie du long chemin de résistance entrepris par les générations précédentes, à mon humble avis cette acculturation programmée et ce reniement systématique du passé me paraissent dangereux…

    Interview d’un contrebassiste, Axel Richard, vous le connaissez, nous parlions de lui voici deux semaines, il est aussi présent dans cette même livraison, voir ci-après chronique du disque de T Becker Trio dont il est l’un des musiciens. On retrouve son ineffable sourire sur la photo de Sergio Katz. Ont intérêt à lire ces trois pages les curieux qui se posent des questions quant aux mérites comparés de la basse et de la contrebasse.

    Pour les amateurs de musique live, quatorze pages dévolues au report au festival Good Rockin’ tonight d’Attignat, du Boogie Bop Show de Mesnard la Barotière et le Rock Dance Party de Quimper, drôlement bien fait, jour après jour avec photos et commentaire de chaque concert, c’est comme si vous y étiez, enfin presque…

    Encore une fois un superbe numéro de Rockabilly Generation News, depuis sa lancée voici cinq années la revue de Sergio Katz réalise un parcours sans faute, ne l’oublions pas, le jour où le rockabilly mourra, ce sera aussi la mort du rock ‘n’ roll ! But rock ‘n’ roll never dies !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (  1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,15 Euros + 4,00 de frais de port soit 9, 15 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

     

    THE BEST IS YET TO COME…

    T BECKER TRIO

    ( Crazy Times Records / 2022 )

     

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    Beau titre. Comment faut-il le comprendre, comme la promesse d’un deuxième opus meilleur ? Ou alors : que si le meilleur est sur le point de survenir c’est parce qu’il est déjà là, tout prêt, depuis longtemps, qu’il suffit de se pencher, de gratter l’écorce de la modernité pour s’apercevoir que l’aubier du passé affleure dans la présence du monde. Le T Becker Trio l’affirme, si l’old style never dies, l’hillbilly est là pour toujours.

    Axel : double bass / Tof : vocals & guitar / Did : lead guitar.

    I’ll do it on my way : dès les premières notes de la guitare rythmique l’on est projeté quelques décennies en arrière dans les Appalaches, l’intitulé respire l’affirmation rockabilly, mais l’ensemble fleure bon la campagne, l’on est plus près des chevaux au pré que des broncos au rodéo, n’empêche que c’est  prenant, tout le rockabilly est là dans le chant et le solo de guitare, mais point encore vagissant, flegmatique si l’on veut Come close to me : l’a une belle voix Tof, un peu Hillbilly Cat dans les coins mais aussi suave que Presley quand il devait chanter ce genre de ballade  le soir dans sa chambre, l’instrumentation est à l’unisson, de légères interventions en solo qui ne bousculent pas le morceau mais confortent cet aspect satiné si doux que l’on a envie de tapoter doucement les fesses de la contrebasse d’Axel pour la féliciter de savoir être omni-présente dans le marquage du tempo avec ce naturel si affolant.  The biggest mistake I’ve made : attention une entrée un peu fracassante, un pas vers le rockabilly, mais sans aucune rudesse, l’on admire la guitare de Did d’une précision absolue, le genre de morceau sur lequel l’on devait danser dans les bals du samedi soir dans les campagnes, un peu de fièvre provoque la montée du désir. Devait se passer d’étranges remuements dans les granges d’alentour. Do you remember ? : guitares nostalgiques, tout de même un petit côté pré-sixties étonnant, quel son ! Quelle beauté !  Quelles rondeurs ! et Tof qui en fait des tonnes, vous transforme une bluette amoureuse en drame shakespearien, rien qu’avec quelques intonations, Axel en sous-main repeint le crépuscule, mais l’on ne sait si c’est celui du matin ou du soir, toutefois les guitares sont si belles qu’on les laisse courir toute la fin du morceau. Can’t love you anymore : une bouffée de désespoir paisible, la voix s’amuse entre tendresse et désir perdu, elle dit tout le non-dit des relations qui unissent deux êtres humains, une atmosphère country, Did s’en donne à cœur joie, les cordes sautillantes un peu moqueuses, un peu ironiques, si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie nous susurre-t-il à l’oreille, une sagesse qui permet de bercer l’âme et de relativiser les avanies de l’existence.  Why ? : soft rockabilly, tout y est, mais une certaine retenue empêche le trio de casser la baraque et d’en jeter les planches dans un feu de joie crépitant, ah ! ce jeu de Did qui couve sous la cendre, vous en ressentez la morsure dans votre chair, le shuffle  tapoté d’Axel est parti pour traverser l’Amérique dans les deux sens sans s’arrêter, quant à Tof il assume à la perfection le rôle de chanteur de rockabilly sans trop se prendre au sérieux, l’on sent le détachement, le jeu impeccable du comédien, davantage wogie que boogie. Ain’t got no money : un morceau idéal pour établir la communion avec le public, sur la scène de la Rock ‘n’ roll party II ils ne s’en étaient pas privés, tout ce qu’il faut, Tof vous miaule le titre avec un superbe accent de bouseux américain, et la musique suit derrière, tantôt devant, tantôt à trois kilomètres, font tout ce qu’il faut pour avoir une superbe mécanique prête à l’emploi. I was wrong : l’est désabusé le Tof, l’a adopté la voix du beautiful loser qui fait acte de contrition, l’on en est ravi, l’on adore entendre la guitare de Did pleurer à petites larmes, attention au crocodile, il mord quand même, ce n’est plus un titre, mais une comédie parodique tellement ressemblante qu’elle semble être vraie. On n’y croit pas, on ne marche pas. On court. Rockabilly is a state of mind : vous voulez du rockabilly, en voici, en voilà, tout ce que vous attendez est là, une véritable démonstration, toute en finesse car si on allumait le feu, les flammes vous empêcheraient d’apprécier les nuances. Attention, une réflexion   philosophique, par l’exemple, sur la nature profonde du rockab, alors on ils y vont doucement mais sûrement pour que vous compreniez mieux, Axel tape à plusieurs reprises sur le bois de la contrebasse afin que la leçon rentre profond dans votre tête. Compris, OK ! Santa Mondega : l’on descend un peu plus dans le Sud, sur la frontière mexicaine, un parfait générique pour un western fabuleux, pas trop tex-mex, mais quand on écoute l’on voit le film et il est superbe. Vous resterez pour la deuxième séance. Boogie Beat : un peu de boogie n’a jamais tué personne, ceux qui en sont morts ne sont plus là pour s’en plaindre, un boogie teinté de bop mais qui remue à merveille, Tof en profite pour hoqueter, sans trop pousser le son, mais c’est à croire que chez lui c’est une seconde nature, Axel caresse un peu sa basse et Did vous pique ses notes comme vous ramassez les olives avec votre cure-dents à l’apéritif. L’on sent que les tournées vont se succéder. Can’t get you out of my head : déjà le dernier morceau, un peu d’emphase, un peu de pression, des guitares qui accaparent l’attention et l’intensité, le vocal précipité et le manche de la big mama se balance comme le pendule du destin. Fin rapide. Faut-il compter les morts ? Pas vraiment très grave, c’est la preuve que nous sommes les survivants !

    Damie Chad.

     

     

    DES DESIRS DES ENVIES

    IENA

    JYB : chant, harmo  / Erick Erick : guitare, chant / Stéphanie Derbhey : basse / Michel Dutot : batterie.

    Y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette couve, c’est cette bouche carrée, carrément agressive, pire qu’un tigre affamé, l’on a plutôt envie de prendre les jambes à son cou, la belle a un collier et un harnais de pitbull, les dents aussi longues que des crocs de caïmans, des yeux aigus comme des flèches mortelles, à part cela, somme toute la chair des épaules est très désirable.

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    Nightmare : trois petits coups de baguettes, promptement les guitares remuent le menuet, bienvenue dans le cauchemar, ne vous attendez pas à un trampoline peuplé de monstres surréalistes ou d’extra-terrestres mortifères  cherchant à s’emparer de notre planète, pas besoin de fermer les yeux pour l’imaginer, Iéna vous le décrit, très terre à terre, puisqu’il n’est autre que le monde dans lequel nous vivons. Z’appuient fort, le Jyb martèle et répète les mots, au cas où vous seriez lents d’esprit ils opèrent par surprise de courts arrêts brutaux, une seconde de temps en temps pour que vous preniez conscience de la situation, pollution et guerre sont les deux mamelles de notre perdition, quand ils évoquent les combats la guitare tire des coups de canon, la batterie se charge de la mitrailleuse lourde, non ce n’est pas joyeux, Un simple constat réaliste. Mais implacable. Traverses :  la basse de Stéphanie gambade, entrerions-nous dans un monde de douceur, le couperet de la guitare d’Erick rabote nos espoirs, se permet même un petit riff impertinent qui nous tire la langue, pour la batterie aussitôt pesé aussitôt emballé, Jyb joue avec des mots de lumière et d’ombre, il tire sur le fil à merde et ce qui vient n’est pas nécessairement excrémentiel, car l’homme est un alchimiste qui peut changer l’ordure en or dur, la métamorphose est imminente et réversible, la distance entre  douceur et douleur ne nécessite qu’un coup d’aile. Parfois les cauchemars sont traversés par les oiseaux fugaces du rêve. Très beau morceau, un fouillis d’interstices qui sont autant d’échappatoires. Des désirs, des envies : titre éponyme, un peu la suite, disons une variante de Black Out des True Dukes, normal ce sont des groupes amis qui partagent batteur et bateleur, mais dans la sainte trilogie du rock ‘n’ roll la carte dominante a changé, ici l’addiction à l’alcool cède la place aux pulsions du sexe, dans les deux cas une question de soif, dont une s’étanche simplement, mais dont l’autre est parfois une denrée qui se fait rare, le morceau roule et tangue comme un bon vieux rock ‘n’ roll, les paroles tournent un peu au délire dans lequel on retrouve l’humour des textes du grand Schmoll. Une belle réussite d’auto-dérision gauloise, dans laquelle El Jyb excelle. A nos âmes : ce n’est pas Sainte Cécile jouant de la harpe sur l’aile d’un séraphin, juste une guitare et une voix. Retour à l’évocatoire pureté de l’enfance, une superbe coupure aristotélicienne avec le morceau précédent, de l’attirance physique l’on passe à la notion métaphysique d’innocence.  De l’attrait de l’Enfer l’on saute au regret paradisiaque du passé. Faut un certain courage pour chanter un tel texte. Toi et moi : la traversée du pont, soyons sérieux, ce titre encore plus surprenant que le précédent, Iéna nous invite à un drôle de voyage, question rock rien de mieux calibré, un accompagnement qui balance et un vocal des plus clairs et distincts mais le sujet est étonnant, celle de la sortie de l’âme hors du corps, non pas un simple voyage dans l’astral mais le saut définitif dans le royaume de la mort. Le Jyb vous conte cela avec un naturel confondant, un peu comme s’il nous apprenait qu’il allait ouvrir une boîte de petits pois pour son déjeuner.

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    L’hymne : apparemment vu les guitares ce n’est pas le national, eh bien si, aux armes citoyens et tutti frutti, eh bien non, c’est bien lui, mais modifié, musicalement je ne vous dis pas, mais les paroles, elles sont actualisées, les enfants de la patrie, de couleurs chatoyantes se révoltent, que les nantis se rancissent dans leur médiocrité, feraient mieux de pleurer sur eux-mêmes, le vieux monde est près de s’écrouler. Deadikass : la suite du précédent, dédié à ces millions de pauvres qui peuplent nos campagnes et nos villes, à ceux que l’on casse pour que la mort arrive plus vite mais aussi à ceux en qui le rêve et la révolte grondent, n’en disent pas plus mais le background parle pour eux, une machine inexorable qui roule et que rien n’arrêtera, deadtermination ! Les masques : c’est-là qu’ils imaginent la fin de l’oppression, un monde débarrassé de tous les masques que l’on revêt pour faire profil bas, être  libéré, devenir enfin soi-même, la guitare se met à chanter, la batterie boute les derniers résidus, Waiting : n’y a pas que le titre qu’est in englishe, tradition rock oblige, l’on en profite pour écouter le rouleau-compresseur de la musique d’Iéna, une locomorock bien réglée, à peine démarrée, elle atteint sa vitesse de croisière, la basse de Stéphanie pousse en avant par-dessous  l’air de rien, la guitare d’Erick  se charge de la dentelle phonique, l’emploie surtout du câble d’acier plutôt que du fil de coton-tige sale, la batterie de Michel, infatigable hale le navire sur terre comme sur mer. Produisent un son, gras et mobile, une véritable machine de guerre, tous terrain. Partout où elle passe l’herbe de la colère corollaire des vies gâchées pousse plus drue. Un rock d’aujourd’hui et de demain.

    Damie Chad.

    *

    Des hasards rock, comme il n’en existe que dans le rock. Damie, tu peux garder quelques affaires d’un ami chez toi jusqu’à lundi, je les lui redescends in the south / No problemo, il n’a qu’à les porter. C’est quand les deux gars ont commencé à décharger que j’ai eu comme un pressentiment, amplis, disques, pieds de micros, je ne vous fais pas un dessin. Bref l’on a passé l’après-midi à discuter de rock, et quand il est reparti, il m’a refilé un CD… Je ne connaissais pas mais rien de mieux et de plus enrichissant que d’ajouter another Bricks in the rock ‘n’roll wall.

    THE PERFECT SADNESS

    VINCENT BRICKS

    ( Décembre 2021 )

    Vincent Bricks a enregistré un premier EP en Angleterre ( Stockholm / My little being ) en 2017, l’était bien parti, le Covid confinatoire est arrivé trop vite, l’en a profité pour écrire, composer, tourner des vidéos, puis l’a recommencé les concerts, bref l’a repris la rock ‘n’roll road, avec toutes les difficultés françaises qui vont ( plutôt qui ne vont pas ) avec… Quand je dis rock ‘n’ roll lui-même se revendique de la mouvance psyché / pop, cite par exemple Brian Wilson dans ses admirations. N’est pas non plus insensible au Velvet Underground…

    La pochette de Carl Fantin nous offre une vision parfaite du bonheur, farniente et amour sur une plage de sable doré, à part que cet état idyllique n’est pas offert à tout le monde, vous faudra attendre d’être mort pour que le fantôme de votre squelette puisse jouir de ces instants sublimes… Est-ce pour cela que l’opus s’intitule Parfaite Tristesse, pour nous rappeler que dans notre vie si all the good n’est pas déjà gone ou enfui, c’est parce qu’il n’est jamais arrivé… Soyons sardonique ! Relisons Colloque Sentimental de Verlaine.

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    Stockholm : c’est vrai que l’influence Velvet saute aux oreilles mais les premières mesures rythmiques passées  le morceau devient aérien, prend de l’ampleur, s’envole dans une autre dimension, une belle voix fluide qui se coule à tel point dans l’instrumentation, que l’on peut dire qu’elle en fait partie, toutefois c’est elle qui crée les climats et mène la diligence, morceau très riche formé d’une mosaïque de petites séquences enchaînées les unes aux autres, pas le temps de s’ennuyer, l’impression à tout instant de prendre un train en marche et de savoir que le paysage qui nous attend sera encore plus beau et plus surprenant que le précédent. Yawnsville : la ville de l’ennui, un bâillement qui avalerait le monde dixit Baudelaire, pour Vincent Bricks cette cité mortelle c’est Sète, immortalisée par Le Cimetière marin de Paul Valéry, un rythme plus soutenu, une voix dont les inflexions ne sont pas sans évoquer le phrasé légèrement désabusé de Ray Davies des Kinks, elle se charge des intermèdes si j’ose dire, car les instants magiques sont dans ces envolées irréelles, dans cette neige qui tombe des étoiles du rêve ou des paradis artificiels, la beauté éblouissante n’est parfois que le paravent de la solitude humaine. The idle guilt : une guitare redondante de slow sixties en introduction, tout s’adoucit, comment la voix si légère de Vincent peut-elle être si cruelle, elle est un poignard qui perce et sépare en deux le voile de la fragilité du monde, elle détruit nos illusions mais aussi nos désillusions, ne nous laisse rien, aucun rempart dérisoire contre l’inutilité de l’existence, sur la plage de l’innocence il ne reste plus d’innocence et même plus de plage. Désespoir absolu de la nudité hominienne. The new pulp : plus enlevé, la vie n'est peut-être plus possible après la traversée du nihilisme, le ton essaie de crâner un peu – les crânes des morts ne rigolent-ils pas de toutes leurs dents – céder à de nouveaux vertiges de la chair pulpeuse du monde n’est pas un mal en soi, ni un bien d’ailleurs, le tout est de continuer à vivre sans être dupe, un ton légèrement persifleur envers soi-même, qui s’empêche de courir après l’idéal, l’important est de survivre dans une certaine désolation et de parvenir à sourire du désagrément d’exister. Parallel universe : petites notes de boîte à musique, la voix prend le dessus, elle mène le bal, des chœurs féminins planent dans le lointain, si nous sommes seuls, le monde est peuplé de couloirs parallèles au nôtre qui se côtoient et qui peut-être finiront par s’enchevêtrer. Rien n’est définitivement perdu. Du moins est-il loisible de le penser.

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             En cinq morceaux Vincent Bricks a su susciter un monde à lui, une vision harmonieuse et poétique, une toile d’araignée transparente tendue sur l’abîme du néant. Il faut espérer qu’un véritable album pourra sortir bientôt, il est à la tête d’un univers musical et mental qui n’attend que l’instant propice pour se déployer.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Dans notre chronique 559 du 13 / 06 / 2022 nous évoquions le premier morceau offert an avant-première du prochain CD de Thumos qui vient de paraître ce 04 juillet 2022. Après The Republic dans lequel Thumos alliait musique instrumentale à la philosophie de Platon, voici que pour son nouvel opus il tente de transcrire selon son instrumentation rock la suite de tableaux peints par Thomas Cole sous le titre générique de The Course of Empire. Apparemment les deux projets n’ont rien à voir, plus de vingt siècles séparent Platon de Thomas Cole, mais le kr’tntreader aura déjà remarqué que les deux œuvres dont Thumos propose un commentaire synesthésique s’inscrivent dans une méditation historiale sur le destin humain, individuel et collectif…

    THE COURSE OF EMPIRE

    THOMAS COLE

    Nous ne répèterons pas ici ce que nous avons déjà dit dans note livraison 459 au sujet de Thomas Cole ( 1801 – 1848 ), peintre américain connu pour ces paysages. Nous nous intéressons d’abord à cette bizarrerie : The Course of Empire de Thomas Cole est un ensemble de cinq tableaux mais le CD de Thumos comporte huit titres. Un dessin très schématique de Cole destiné à Luman Reed, son mécène collectionneur, peut expliquer cette bizarrerie. Les cinq tableaux sont surmontés de trois panneaux symboliques : lever, zénith, et coucher du soleil à mettre en relation avec la naissance, l’apogée et la ruine de l’Empire, sous ces trois esquisses sont alignés The Arcadian State, The Consummation, Destruction. A gauche au-dessous de l’Arcadian, The Savage State, à droite au-dessous de Destruction : Desolation.  Au-dessous de Consummation la place était à l’origine occupée par une cheminée, rappelons que le verbe consumer dans notre langue signifie être détruit par le feu.  

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    Le principe unificateur des cinq tableaux est très simple : sur les cinq toiles c’est exactement le même lieu qui est représenté. Ce n’est pas évident si l’on n’y fait pas attention car il est à chaque fois envisagé sous des angles différents…

    THE COURSE OF EMPIRE

    THUMOS

    ( YT / Bandcamp )

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     Introduction : on s’attend à une ouverture d’opéra, du grandiose, de la grandiloquence, pas du tout, l’impression d’une mécanique implacable qui se met en route, le bruit prend de l’ampleur, l’on croit entendre des chasseurs à réaction en pleine mission destructrice qui filent droit vers leur objectif, musicalement cela n’a rien à voir mais l’on pense, surtout à un niveau symbolique, à la scène des hélicoptères d’Apocalypse Now, car la fin de l’arbre est déjà au cœur de la graine, c’est dans le dernier tiers du morceau qu' apparaissent des notes chargées de mélancolie automnale, feuilles rousses que le vent éparpille, emporte, et disperse l’on ne sait où…

    Thomas Cole / The Savage State

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    Ne nous méprenons pas le monde sauvage évoqué par ce tableau n’a rien à voir avec la préhistoire encore moins avec l’ère des dinosaures, lorsque Thomas Cole peint il est plus ou moins consciemment influencé par les représentations du dix-huitième siècle calquées sur l’idéologie de Jean-Jacques Rousseau, l’état de sauvagerie évoqué est celle du bon sauvage, ces civilisations naturellement bonnes, innocentes en quelque sorte, que le philosophe a dépeintes d’après les relations des découvreurs des contrées lointaines et ignorées… nous serions plutôt aux débuts du néolithique, les hommes chassent et élèvent des hutte de peau, cette toile que Cole nomme aussi les débuts de l’Empire, marque la naissance de l’entraide humaine chère au philosophe anarchiste Kropotkine…

    Commencement : dès les premières notes l’on est convaincu du parti-pris de Thumos, ambiance metal, ont évité le piège du symphonisme romantique, pas de langueurs qui évoqueraient le paradis des amours enfantines du commencement du monde, l’homme est un animal violent qui essaie de construire sa niche écologique de survie dans un milieu hostile, ce n'est pas Caïn qui tue Abel mais le parcours de l’humanité est parsemé de meurtres, certes en tant qu’hommes nous ne l’envisageons pas ainsi, le sang  des animaux versé par les cruels chasseurs est à entrevoir comme le suc nourricier des paisibles cueilleurs, les hommes se regroupent mais leur existence si elle en est facilitée n’en est pas pour autant de tout repos, roulements de tambours et rythme pesant d’une marche en avant pour rappeler que le chemin à parcourir dont on ne sait rien ne sera pas une partie de plaisir. C’est en ces époques lointaines et précaires que se mettent en place les outils les plus meurtriers des hommes, l’amélioration des armes et les rudiments de la poésie. Le morceau se termine sur des bruits qui sont autant de points de suspension, tous les chemins sont ouverts.  

    Thomas Cole / The Arcadian or Pastoral State

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     Etait-il possible à l’époque de Thomas Cole d’évoquer les différents stades de l’Humanité sans être influencé par les représentations de l’Antiquité Gréco-romaine ? L’Arcadie a réellement existé, elle était située dans la partie montagneuse du Péloponnèse, plus tard elle passera en partie sous la domination de Sparte. Mais nous sommes déjà dans l’Histoire officielle. Les Grecs eux-mêmes eurent très vite une vision mythique de l’Arcadie, elle était le pays idéal qui avait trouvé le parfait équilibre entre les bienfaits libertaires de la vie naturelle et les agréments procurés par les toutes premières institutions sociétales. Aujourd’hui nous inspirant de la boutade d’Alphonse Allais nous dirions que les arcadiens avaient réussi à transporter la tranquillité de la vie campagnarde dans de minuscules localités à dimension humaine. L’âge d’Or en quelque sorte. Plus pessimiste Karl Marx y verrait plutôt la gestation de la partition classiste engendrée par la spécialisation des individus, ceux qui chassent, ceux qui cultivent, ceux qui dansent, ceux qui bâtissent des temples, ceux qui préparent la guerre de conquête… Il est clair que la vision de Thomas Cole reste marquée par l’héritage de la Grèce…

    Arcadian : résonnances en tintements de cloches ou de guimbardes, musique encore plus forte, lourds de promesses sont les fruits arcadiens, à première vue tout va au mieux mais l’on ignore tout de la bête qui sortira de cette période de gésine, dans le brouhaha l’on discerne les rythmes d’une danse joyeuse, les progrès prométhéens de l’Humanité sont immenses, labourages et pâturages, commerces et sciences, pour le bien de tous, mais il faut se méfier des eaux paisibles, quelles monstruosités sont-elles capables d’engendrer en leur sein, certes il semble que par moments le temps suspende son vol, qu’il s’écoule plus lentement, que l’Arcadie aimerait à se figer en elle-même, mais le devenir entéléchique du monde qui est celui de l’Empire, l’emporte en un torrent passionné, la course s’accélère, le fracas terminal est-il de bon augure…

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    Interlude I : deux interludes encadrent le summum de l’Empire, celui-ci de moins de deux minutes synthétise tout ce que le tableau suivant tait, des armes se heurtent, des chevaux hennissent, ce sont les temps de la Conquête, toute la geste guerrière sur laquelle repose la gloire, la force et la majesté de l’Empire.

     Thomas Cole / The Consummation of Empire

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    L’Apogée le titre français habituellement donné à ce troisième tableau rend parfaitement compte de la munificence de l’Empire Romain.   L’influence de la Rome Antique est patente, au premier regard retentit en notre mémoire  la phrase d’Auguste selon laquelle il s’enorgueillit ‘’ d’avoir trouvé une Rome de pierre et d’en laisser une de marbre’’, la profusion marmoréenne architecturale nous brûle les yeux, la puissance de l’Empire - triomphe militaire, navires de guerre, trône de l’ Imperator - est manifeste, en une seule toile Thomas Cole a synthétisé les  siècles impérieux de la capitale du monde, pour la délimiter nous dirons la période qui court de Néron à Marc Aurèle… Tant de fastes et de richesses ne finiront-ils pas par amoindrir les âmes, ce n’est pas le ver qui est dans le fruit c’est le fruit qui se métamorphose en ver, mais personne ne le sait.

    Consummation : barrissements de guitares, éléphants entravés participant aux triomphes des généraux vainqueurs, la musique nous en met  plein la vue et les oreilles, la batterie en deviendrait assourdissante, les guitares claironnent comme les buccins des légions, ce n’ est pas l’éclat intangible de la beauté des monuments que tente de décrire Thumos, mais la puissance inouïe de l’Empire, le faste n’étant que le visage de la force brute et abrupte qui domine le monde, brutalement l’atmosphère change, elle était dominatrice, elle respire le faux-semblant du vide, l’on a envie de s’écrier comme Cavafy dans son poème En attendant les barbares ‘’ Pourquoi cette inquiétude soudaine et ce trouble ? comme les visages ont l’air grave !’’ , pourquoi la musique devient-elle si assourdissante, de quoi a-t-on besoin de se persuader, une cigarette se consume lentement, mais au bout du bout elle vous brûlera les lèvres et peut-être encore plus profondément que vous ne le croyez… quand la confiance en soi s’effondre…

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    Interlude II : commence le second interlude celui de l’effroi inexorable qui glace le cœur et les énergies, un immense tumulte se dirige vers le centre d’Empire.

    Thomas Cole / Destruction

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    Une toile pour synthétiser ce que l’on a nommé les invasions barbares, Rome a bien été pillée en 410 par les troupes d’Alaric mais la Ville n’a pas été détruite… Sur l’ensemble du territoire de l’Empire bien des cités ont été néanmoins saccagées, Thomas Cole a-t-il pensé à la prise de Byzance par les turcs en 1453 dont les remparts furent détruits par les canons de Mehmed II, le fait que deux factions du peuple de l’Empire soient en train de se battre, les couleurs de leurs bannières rouges et  vertes ne sont pas sans évoquer les émeutes qui secouèrent à plusieurs reprises les partisans des équipes ( rouge et bleue ) des cochers de l’Hippodrome de Constantinople, quoi qu’il en soit Thomas Cole nous dresse une scène de grande violence, incendies, viols, pillages, meurtres, guerre civile entre partisans des envahisseurs et des fidèles de l’Empire… Faut-il voir en ces dissensions intestines de la  population une allusion discrète à la partition entre païens et chrétiens – ceux-ci pactisant avec les barbares christianisés - qui précipita la fin de l’Empire… Il est clair que Thomas Cole, vu le milieu cultivé de son époque, ne pouvait reprendre ouvertement les idées défendues par Edward Gibbon dans son livre Histoire de la Décadence et la Chute de l’Empire Romain qui inspira son projet.

    Destruction : gongs d’angoisses, le danger est partout, tempo de convoi funèbre, l’Empire se délite pan par pan, un suaire de finitude s’abat sur la Ville, la Caput Mundi que l’on croyait, même tranchée, immortelle comme la tête de l’Hydre renaissante ne renaîtra plus, les temps de l’inéluctable sont venus, l’on entendait le cri des égorgements, maintenant résonnent la plainte des vents qui parcourent les rues jonchées de cadavres, la Mort repue avance d’un pas lent, elle quitte la Cité, ici il n’y a presque plus personne à tuer, le drame se clôt ainsi, la nouvelle horrifie le monde, elle devient une clameur insupportable, mais elle décroit, plus personne ne l’entend, plus personne ne l’écoute, le monde a-t-il déjà fait son deuil de l’Empire...

    Thomas Cole / Desolation

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    La dernière toile est sans appel, l’Empire est mort, il ne reste que des ruines, un peu comme les vestiges du forum romain, que vous pouvez visiter aujourd’hui, à part que Thomas Cole signale non seulement la mort de l’Empire mais la disparition des hommes. Que veut-il nous signifier ? Nous pourrions lui opposer que depuis des siècles bien des empires se sont écroulés, que partout à leur place d’autres nations les ont remplacées et que l’engeance humaine n’a   cessé de proliférer… Les Empires ne sont-ils pas comme toutes les choses vivantes condamnées à mourir. Certes c’est triste mais pas dramatique, cela reste dans l’ordre des choses… A moins que le terme de désolation ne soit comme un haillon de pourpre discrètement agité pour signaler que la fin de l’Empire est une perte irréparable, qu’il ne s’agit pas seulement d’un cycle parmi tant d’autres qui s’accomplit en naissant, en se développant, en se désagrégeant, en mourant… mais d’une irrémédiable catastrophe civilisationnelle qui remet en question la survie de l’essence de cet animal grégaire qui s’est hissé au statut d’être humain.

    Désolation : comme les rugissements des siècles éteints, la mer de l’oubli monte indéfiniment, le drame revêt une dimension cosmique, ce n’est pas l’Empire qui est mort, c’est l’Homme en tant que lumière intelligente du cosmos, ce qui est grave ce n’est pas la perte mais le fait que plus personne ne s’en souvienne, ne soit capable d’entrevoir ce qui était en jeu dans cette perte, la musique est d’autant plus violente qu’elle est à entendre comme l’ultime tentative à ne pas oublier l’oubli de l’Empire, tout se calme, le son déferle comme ces vagues qui ont recouvert l’Atlantide…

    Thomas Cole, Thumos, Nous, et Moi…

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             En peignant ses cinq toiles Thomas Cole ne s’est pas dit qu’il tenait un sujet particulièrement intéressant. Lui le peintre paysagiste, art considéré comme mineur, élevait son statut, grâce à ces cinq tableaux  il inscrivait son nom dans ce qui était honoré à son époque comme le plus haute sommité catégoriale à laquelle pouvait atteindre un peintre, celle de la peinture historique, le géographe changeait de statut, il devenait historien, c’est ainsi que l’ont compris ses contemporains.

             Il n’en était rien, The Course of Empire est un acte politique, au début du dix-neuvième siècle l’Amérique prenait conscience de sa puissance, le mercantilisme libéral devenait l’idéologie des élites, le pays était considéré comme un immense gisement à exploiter au plus vite, en commençant par l’extermination des peuples indiens… L’Empire américain en était encore à ses premiers pas, mais la route qu’il empruntait notamment sous l’injonction du président Andrew Jackson ( l’idole de Trump ) n’était pas selon Cole le bon chemin, ses tableaux sont un avertissement, une démonstration historiale adressée au peuple américain, dans un premier temps l’asservissement impérialiste des nations limitrophes apportait certes puissance et richesse, mais cette politique prédatrice était destinée un jour ou l’autre, un siècle ou l’autre, à se retourner contre elle et à la mener à la ruine…

             Sorti le quatre juillet, fête de l’Indépendance, de cette année The Course of Empire de Thumos participe d’une même gestuelle politique, elle invite tout un chacun, les Américains en premier, à réfléchir sur la nature de la politique (intérieure et extérieure) menée par les Etats Unis…  Pour faire le lien avec le précédent opus de Thumos, The Republic, exposition et méditation sur l’ouvrage de Platon, le groupe nous demande cette fois-ci à nous interroger sur la notion de République et ce pourquoi et comment elle est emmenée à se transformer ( progrès ou dégénérescence ) en Empire…

             Nous autres européens, outre le fait que nous ayons tout de suite eu le réflexe de considérer Thumos comme un groupe essentiel, et ce dernier opus nous le confirme, nous pouvons nous interroger sur les soubresauts politiques et militaires qui agitent depuis quelques mois notre continent…

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             Quant à moi, je ne saurais que vous recommander de lire les Poèmes de Constantin Cavafy, traversés, articulés sur ce que les Grecs désignent par l’expression : la grande catastrophe.

    Damie Chad.

     P.S. : à la rentrée nous nous pencherons sur Spaceseer qui a collaboré à cet enregistrement.  

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 559 : KR'TNT 559 : GENE VINCENT / ETHAN MILLER / BUTTSHAKER / THE EYES / TWO RUNNER / THUMOS / COSSE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 559

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 06 / 2022

    GENE VINCENT / ETHAN MILLER

    BUTTSHAKERS / THE EYES

    TWO RUNNER / THUMOS / COSSE

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 559

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

     http://krtnt.hautetfort.com/

    Là où il y a du Gene, il y a du plaisir

    - Part Two

     

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             On papotait paisiblement avec Damie quand, à un moment donné, la conversation est revenue sur Gene Vincent. Ça tombait à pic, car un journaliste anglais venait tout juste de créer la sensation avec six pages dans Record Collector ET un nouvel angle, une façon toute neuve d’exprimer son admiration pour Gene Vincent. En matière de presse rock, l’angle c’est capital : c’est ce qui détermine le fait qu’on lit ou qu’on ne lit pas. Yves Adrien ajoutait du style à l’angle, ce qui fait qu’on le relisait. Avec Mick Farren et Nick Kent, il fait partie du triumvirat des grands stylistes.

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             Le nouvel apologue de Gene Vincent s’appelle Jack Watkins. C’est un tour de force que de trouver un nouvel angle alors que la messe est dite depuis un bail, principalement par Mick Farren (There’s One In Every Town), par Luke Haines (dans l’une de ses columns) et par Damie Chad dans le Spécial Gene Vincent de Rockabilly Generation. Pour être tout à fait franc, il faut bien dire qu’on attaquait l’article du pauvre Watkins en craignant le pire, c’est-à-dire l’assoupissement. Quand on attaque des séances de lecture à des heures indues, on compte essentiellement sur l’excitation pour rester sur le qui-vive.

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             En six lignes de chapô, Watkins définit Gene Vincent comme personne ne l’a fait avant lui. Il commence par rappeler qu’on surnommait Gene the Screaming End et embraye avec ça : «Il a su rajouter une couche par-dessus le showmanship et les catchy hooks de Bill Haley & the Comets, les guitar licks et l’élégance ingénieuse de Chuck Berry, l’extravagance outrancière de Little Richard, le sex appeal et la musicalité d’Elvis. En retour, il n’a pas eu beaucoup de hits, mais il a obtenu en retour une loyauté à toute épreuve, notamment en Angleterre et en Europe.» La loyauté, c’est le cœur battant du mythe de Gene Vincent. C’est un truc précieux et fragile qui marche dans les deux sens. Watkins explique que Gene a continué de tourner en Europe avec le même son et le même look, alors que tous les autres avaient arrêté depuis longtemps - Vincent flew the flag for the primitive 50s rock when everyone else had abandonned - Watkins dit que c’est extra-special. On revient donc au cœur du mythe rock : la relation entre l’artiste et ses fans. C’est l’angle qu’a trouvé Watkins pour dire en quoi Gene Vincent est un artiste exceptionnel. En Angleterre, on a eu tendance à mettre Chuck Berry (les Stones) et Buddy Holly (les Beatles) en avant, mais Gene Vincent a influencé des tas de gens, Ritchie Blackmore, Ian Dury, Robert Plant et surtout Jeff Beck, qui dans une interview avoue qu’il n’appréciait pas trop Elvis, parce qu’il le trouvait «trop parfait», et qu’il préférait Gene Vincent pour son uglyness, c’est-à-dire sa laideur, et son ugly rock’n’roll - He was pure rebellion, the first punk - Voilà, les chiens sont lâchés, le mythe prend ses jambes à son cou.

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             Loyauté et ugly rock’n’roll. En lisant ça, tout s’éclaire. On sait pourquoi on a toujours vénéré Gene Vincent, depuis soixante ans : loyalty and ugly rock’n’roll. Bon, Watkins essaye de rattraper le coup en expliquant qu’au fond, Gene Vincent n’était pas vraiment laid, mais plutôt pâle et maigre comme un clou, skinny. C’est justement le côté ordinaire de son physique qui attirait les gens vers lui. Au moment du Rockabilly Revival des années 80, il réussit l’incroyable exploit de redevenir culte. Il refascine de plus belle, notamment Shakin’ Stevens et les Matchbox guys.

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             Watkins a aussi une façon assez originale d’évoquer «Be-Bop-A-Lula» - un hit qui est devenu un tel cliché qu’on a oublié how alien the record originally sounded - Il parle d’une production «sparse and echoey», c’est-à-dire légère et pleine d’écho, avec un tempo «très lent pour un rock» et le son de guitare de Cliff Gallup est «tellement précis qu’il en devient presque gracieux» - The frantic elements come from Vincent’s hipcupping, hyperventilating delivery of the puzzling lyric et des cris du batteur Dickie Harrell - Watkins a raison de dire que Be-Bop est devenu un cliché, alors que c’est un chef-d’œuvre d’ugly rock, comme le sera d’ailleurs la B-Side «Woman Love», encore plus porté sur le dirt sex - Vocal pornography, déclare le NME en Angleterre - Watkins est surtout impressionné par le professionnalisme des Blue Caps qui ne jouaient ensemble que depuis quelques semaines. Et Gene Vincent n’a alors que vingt ans.

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             Puis après, Watkins tombe dans la routine, avec l’accident de moto, la patte folle et le recours à l’alcool et aux pain-killers pour contenir la douleur. Il est un peu obligé de redonner tous ces détails, car en 2022, il est possible que certains lecteurs de Record Collector parmi les plus jeunes ne sachent pas qui est Gene Vincent. Si Gene Vincent atterrit chez Capitol, c’est uniquement parce que le label avait besoin d’un artiste pour soutenir la concurrence avec RCA qui venait de récupérer Elvis. Alors en 1956, Gene et les Blue Caps enregistrent 35 cuts à Nashville avec Ken Nelson. Watkins est dithyrambique : «Ces 35 cuts constituent l’un des most consistently excellent and beautifully recorded bodies of work of the early rock’n’roll era.»

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             Bluejean Bop et Gene Vincent & The Blue Caps sont deux des grands albums classiques du rockab. Pochettes parfaites, quatre faces hantés par l’un des meilleurs slap sounds de l’époque - oh la rondeur du slap sur «I Flipped» ! - avec un Gene qui chante en douceur et en profondeur. Il faut voir les Blue Caps jazzer la pop d’«Ain’t She Sweet», quand on réécoute ça soixante ans après la bataille, ça produit toujours le même effet et tu as Gene qui minaude en guise de cerise sur le gâtö. «Bluejean Bop» est le pur rockab de Capitol, avec tout l’écho du temps. Le bop s’articule comme un numéro de trapèze au cirque, break de caisse claire et solo de clairette. On reste dans le pur jus avec «Who Slapped John», pulsé au beat des reins. On entend Dick Harrell battre le big bad beat sur «Jump Back Honey Jump Back» et les Blue Caps recréent de la légende à gogo sur «Jump Giggles & Shorts», magnifique exercice de style de rock steady go à gogo. Sur le deuxième album de Gene avec les Blue Caps, le «Red Bluejeans & A Pony tail» d’ouverture de balda est un authentique coup de génie. On a là le vrai beat rockab original. Gene a une façon très spectaculaire de lancer ses Blues Caps à l’assaut, c’est tapé à la caisse claire et chanté à la délectation. Tout est beau ici, le groove de slap («You Told A Fib»), le «Cat Man» insidieux monté sur un Diddley beat, yeah, et la belle explosion de Blue Cap Bop sur «You Better Believe». Mais c’est encore en B qu’on se régale le plus avec la fantastique allure groovy de «Blues Stay Away from Me». On entend aussi les Blue Caps déclencher des tourbillons dans «Double Talkin’ Baby» - Please make up your mind - et quand Gene envoie «Pretty Pretty Baby» au firmament à coups de never saw a gal like you, les Blue Caps font «Pretty pretty baby» !». Ces mecs swinguent comme des démons.

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             Watkins parle d’un rockabilly holy grail. Il a du mal à préférer un cut, étant donné l’abondance de merveilles sur ces deux albums, «though Cat Man is Vincent at his most eerie». Alors après l’ugly, voilà l’eerie, c’est-à-dire le sinistre. Mick Farren avait bien perçu la dimension tragique de son héros, il en fit même un personnage shakespearien. Watkins ajoute : «Vincent and the Blue Caps swing like crazy on Jumps Giggles And Shouts». Crazy, ugly, eerie, tout est là.

             Watkins dit aussi que les cuts plus pop («Jezebel», «Peg O’My Heart» ou «Ain’t She Sweet») furent probablement choisis par Ken Nelson, mais, ajoute Watkins, «Gene les chante beautifully, with total commitment. Like Presley, he was a superb balladeer.» Ces deux albums sont tellement solides qu’ils se vendent bien, à une époque où le marché reste dominé par les singles.

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             Galloping Cliff Gallup quitte les Blues Caps fin 56. Gene et les Blue Caps vont enregistrer au Capitol Tower de Los Angeles. Watkins note que le son est fuller. C’est Johnny Meeks qui remplace Gallup. Le groupe passe aussi à la basse électrique, un piano et un sax entrent dans la danse. Ce n’est plus du tout le même son. Watkins parle de poppier sound. «Dance To The Bop» sera pour Gene sa dernière visite dans le charts américains et «Rocky Road Blues» est l’un de ses greatest, most representative vocals

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             Le son change, bien sûr, mais la voix ne change pas. Le Gene Vincent Rocks! And The Blue Caps Roll qui paraît en 1958 est encore un big album, pochette magnifique, Gene en vert pistache et la fabuleuse tension du «Brand New Beat» d’ouverture de balda. Il chante ça du coin des lèvres et derrière lui gronde le vieux beat rockab. Sur cet album, le coup de génie est sa version de «Frankie & Johnnie» swingué aux clap-hands, Gene interpelle Johnny Meeks - Oh Johnny - qui passe un solo d’éclate tragiquement désenchanté. On tombe plus loin sur un «Flea Brain» wild as fuck, un absolute beginner, rock it now !, et Johnny Meeks te passe dessus avec son killer solo flash.

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             La même année paraît A Gene Vincent Record Date avec un Gene en gros plan sur la pochette. Le son, la voix, tout est là dès «Five Feet Of Lovin’», mais c’est «Somebody Help Me» qui fait vraiment des étincelles. La qualité de la prod bat tous les records. On a une fantastique profondeur de son et des basses bien rondes. Il boucle son balda avec «Git It», un joli shoot de dance craze avec des chœurs de doo-wop and a diamond ring - I’ll do the best I can do to/ Git it/ Git ! - Et pour illuminer une B qui sent le filler, Gene nous claque «Look What You Gone And Done To Me», un wild & frantic rock’n’roll. Il y met toute sa niaque de Virginien.

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             Mais on sent bien au fil des albums que l’intensité baisse. En 1959, le rockab est mort et Capitol, comme tous les autres barons de l’industrie musicale, vise un son plus commercial. Ça va donner deux albums plus poppy, Sounds Like Gene Vincent et Crazy Times. On perd complètement le Gene du rock. Capitol lui a mimé les dents. «I Might Have Known» est encore un peu rocky road mais aussi cha cha cha, et avec le solo de piano, la niaque disparaît. Sa version de «Reddy Teddy» est un peu ridicule, il fait du sautillant, il est complètement aseptisé. Il faut attendre «I Got To Get To Yet» pour renouer avec le swing et il sauve son Sounds Like avec une version bien endiablée de «Maybelline».

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    Sur Crazy Times, «She She Little Shorta» fait office de Saint-Bernard sauveur d’album, un vrai délice de deepy deep, mais le morceau titre est trop poppy pour un artiste qui nous a habitués aux miracles. Il passe au heavy blues subtilement orchestré avec «Darlene» et on finit par s’ennuyer en B, car les cuts sont très produits, un peu à la limite de la variété. Et bizarrement, sur «Accentuate The Positive», sa voix est mixée à l’arrière des chœurs.

             C’est l’époque où Gene commence à faire le con. Il disparaît en Alaska et les Blues Caps qui ne sont pas payés se font la cerise. Comme sa carrière bat de l’aile aux États-Unis, Gene entame sa carrière anglaise. Joe Brown qui l’accompagne sur scène est très impressionné par Gene : «He had this evil eye he used to fix on you.» Ugly, eerie, crazy, evil. Ça ne s’arrange pas. Tant mieux.

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             Selon Watkins, Gene redémarre sa carrière à Abbey Road en 1961, accompagné sur un remake de «Pistol Packing Mama» par les Beat Boys, Colin Green (guitar) et Georgie Fame (piano), et «I’m Goin’ Home (To See My Baby)», accompagné par Sounds Incorporated. Fin 1962, Gene est le roi du circuit rock en Angleterre. Il va bientôt être détrôné par les Beatles. Gene est alors vu comme outdated. T’es passé de mode, pépère.

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             En 1964, Gene enregistre Shakin’ Up A Storm avec The Shouts, un groupe de Liverpool. Ce n’est pas l’album du siècle, Gene y propose une série de classiques, comme le faisaient tous les pionniers à l’époque. Il tape principalement dans Little Richard («Hey Hey hey Hey», «Slippin’ & Slidin’», un «Long Tall Sally» embarqué au fouette cocher, et «Good Golly Miss Molly»), il est bien énervé, mais cet Anapurna appartient à Little Richard. Et puis le son est trop anglais. Sur ces classiques, on est habitués au son de la Nouvelle Orleans. C’est avec «Private Detective» qu’il rafle la mise, car il chante ça au big raw, puis il se lance à l’assaut de «Shimmy Shammy Shingle» avec un courage qui l’honore, mais bon, il arrive après la bataille et les gens sont passés à autre chose.

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             Tous ses fans attendaient des merveilles de son retour aux affaires. L’album sans titre paru sur London Records en 1967 répondit aux attentes. Car on y trouvait «Bird Doggin», qu’il faut considérer comme l’un des plus beaux hits de l’histoire du rock, puisqu’il illustre le grand retour de Gene Vincent. On le trouvait à l’époque sur un EP Challenge, mais pour les ceusses qui n’eurent pas la chance de choper l’EP, il restait la possibilité de choper le London album. Bon, on a déjà dit ici tout le bien qu’on pensait de «Bird Doggin’», Gene chante ça comme un dieu - All these sleepless nights/  I’m so tired of - pulsé par un beat des reins et fracassé à deux reprises par le wild killer solo de Dave Burgess, avec un retour en tiguili sur le tard. Cut magique. On trouve d’autres énormités sur cet album, comme par exemple «Poor Man’s Prison», un solid romp monté sur une belle structure de boogie, avec un Gene qui chante à l’insidieuse pervertie. Et puis «Ain’t That Too Much», belle giclée de Genetic power, monté sur un drive de basse atrocement dévorant et chanté au sommet du lard fumant. En 1967, Gene pouvait encore mener le bal des vampires.

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             On se souvient d’avoir éprouvé un grosse déception à la parution d’I’m Back And I’m Proud. On s’attendait à la merveille des merveilles, car l’album paraissait sur Dandelion, le label de John Peel, il était produit par Kim Fowley et on avait encore dans l’oreille le mythique «Bird Doggin’». En plus, la pochette du pressage américain était un petit chef-d’œuvre. Mais ce fut une déconvenue aussi sévère que celle occasionnée par Shake Some Action, l’album beatlemaniaque des Groovies : on avait dans les deux cas des versions édulcorées d’artistes qu’on vénérait. Le Shake est passé par la fenêtre et le Gene a été revendu aussi sec, mais racheté à la première occasion, en croisant un pressage anglais dans un bac de Goldborne Road. I’m Back And I’m Proud fait en effet partie des albums qu’il faut réécouter régulièrement, même si la fin de la B indispose toujours autant. On revient toujours à la triplette de Belleville, «Sexy Ways», «Ruby Baby» et «Lotta Lovin’», car Gene est un remarquable interprète, il remplit bien l’espace et derrière, on a l’heavy attack de Skip Battin et de Johnny Meeks. C’est du classic rockalama, mais quel son ! Kim Fowley ne fait pas n’importe quoi. En A, Red Rhodes illumine «Rainbow At Midnight» d’un solo de slide et Johnny Meeks arrose «White Lightning» d’une belle dégelée de wild craze. On le voit aussi rôder dans l’«In The Pines» - Where the sun never shines - Skip Battin y vole le show avec un bassmatic aventureux, ce qui paraît logique pour un Byrd.

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             En 1970, paraissait un nouvel album sans titre de Gene Vincent sur Kama Sutra. C’est l’un de ses meilleurs albums. Il ouvre son balda avec un «Sunshine» signé Mickey Newbury et tu sens aussitôt monter un parfum Tex-Mex, logique puisque Johnny Perez et Augie Meyers jouent derrière. On se croirait sur Mendocino, c’est bourré d’esprit, de feeling et de spiritual spiritus sanctus. Petite cerise sur le gâtö, c’est enregistré par Dave Hassinger à Hollywood et produit par Tom Ayres. Toute la bande embarque «Slow Time Comin’» pour un voyage hypnotique de 9 minutes, à la croisée du Tex-Mex et du Cubist Blues. Bien vu et bien foutu. On trouve un autre cut hypno en bout de B, l’excellent «Tush Hog», chanté à la Gene et allumé par des guitares vicelardes. Gene fait aussi du Cajun avec «Danse Colinda» - Elle dansait pour moi Colinda/ Elle dansait ce soir - Une pure merveille. C’est à ce genre d’exercice qu’on mesure la hauteur d’un géant. Le «500 Miles» qui ouvre le bal de la B sonne comme «J’entends Siffler Le Train». Et Augie Meyers ramène son shuffle sur «I f Only You Could See Me Today». On s’y sent tout de suite en sécurité, c’est fabuleux de Texarcana. 

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             Le deuxième (et ultime) album de Gene Vincent sur Kama Sutra s’appelle The Day The World Turned Blue. Il paraît en 1971, l’année de sa disparition. On a le choix entre deux pochettes : Gene en gros plan à côté d’un lion, et Gene photographié derrière une baie vitrée fracassée, à l’image de sa carrière. On sent qu’il se bat comme un beau diable sur cet album qu’il attaque comme le précédent avec une compo signée Mickey Newbury, «How I Love Them Old Songs». Il ramène encore une fois un parfum de Cajun dans le chant et c’est un délice que de l’entendre chanter. On le sait depuis le début, Gene adore les bluettes, alors il se ramène avec «You Can Make It If You Try» qu’il savoure dans sa bouche. Puis il s’enfonce encore un peu plus dans la romantica avec «Our Souls», une compo signée Jackie Frisco, the beautiful wife. Si on attend un miracle, il est en B, en ouverture de bal, c’est le morceau titre, une compo à lui, une big pop de type «Eve Of Destruction», il ramène pas mal de power dans son turned blue. Puis il rend un bel hommage à son copain Carl avec «Boppin’ The Blues». Il ramène pour ça du piano et des guitares bien rock. 

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             Absolument indispensable à tous les fans de Gene : le coffret Rock’n’Roll Legend, paru en 1977 en France sur Capitol. Très bel objet, quatre LPs et un book de photos, plus un 45 tours d’interview. Il est indispensable car on y trouve tous les hits qui ne figurent pas sur les cinq albums Capitol, tiens comme par exemple «Race With The Devil» ou encore «Crazy Legs», des vraies bombes de bop, uniques et parfaits, avec un joli départ en solo du grand Gallopin’. Pulsatif d’excelsior embarqué au slap de she’s may baby et ça tatapoume dans l’écho du Capitol. Et puis la pureté du slap ! Le son Capitol est capital. On réécoute avec un plaisir sans nom le vieux «Be-Bop-A-Lula». Que de soin apporté à ce hit ! C’est du niveau de ce que fit Uncle Sam avec Elvis. Encore du Capitol Sound avec «Well I Knocked Bim Bam», Gene adore lancer ses Blue Caps à l’assaut de la fête foraine et tu as toujours l’énergie du slap de Capitol. Sur le disk 2, tu vas croiser l’infernal «Lotta Lovin’», bien claqué par le Gallopin’, la classe absolue, solo insidieux comme pas deux. Et puis tu as la haute voltige de «Dance To The Bop» et un Gallopin’ qui croise le slap. À cette époque, tout est solide chez Gene, il est sur tous les fronts. Alors qu’Elvis s’enfonce dans la mouscaille chez RCA, Gene Vincent rocks it hard avec «Right Now» et «I Got A Baby». Sur le disk 3, tu vas te régaler avec «Rocky Road Bues», l’un des rockabs les plus parfaits de l’époque. Il le développe au cri de relance, avec une énergie considérable. Il monte au créneau du ooouh et laisse le champ libre au solo de piano. C’est ce qu’on appelle le pulsatif du diable. «Say Mama» sonne comme un classique intemporel, c’est même le bulldozer de Gene, il enfonce tous les barrages. Il s’en va tester sa voix avec «Over The Rainbow» et fait son Fatsy avec «Wild Cat». Mais c’est «Pistol Packin’ Mama» qui va t’emporter la tête comme le ferait un boulet d’abordage. Fantastique intro de basse et Gene chante à la frénésie exacerbée, c’est d’autant plus explosif que le bassmatic tend ce cut qui flirte avec une certaine exotica. Et puis comme on l’a vu avec les cinq albums Capitol, on perd le Gene qu’on aime sur le disk 4 du coffret. Trop mou du genou.

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             Si on est curieux et qu’on en pince pour le grand art de Gene Vincent, alors on peut se payer le luxe intérieur d’écouter une compile de wannabes, They All Wanna Sound Like Gene. On la trouvait facilement dans les bacs de rock’n’roll, à l’époque. Et tous les groupes qui y figurent s’arrangent pour rendre de vrais hommages à leur idole, tiens, par exemple Mike Waggoner & The Bops, avec un «Hey Mama» bien wild, ou encore les Muleskinners avec une fantastique cover de «Rocky Road Blues», on les voit débouler dans le Rocky Road avec une énergie similaire à celle de Gene. Johnny Carroll fait un Be Bop pas très bon, par contre, en B, The Keil Isles montrent une belle tenue de route avec «Boogie Boy». Et ça repart de plus belle avec Gene Rambo & The Flames et «My Little Mama», ils basculent dans le Gene pur, c’est extrêmement bien exacerbé aw yeah avec du piano à la Jerr. Le mélange monte droit au cerveau ! Le mec des Superphonics chante exactement comme Gene, au petit sucré pointu, son «Teenage Partner» fait illusion. Et on retrouve The Keil Isles avec une explosive version de «Say Mama» ce qui sera en ce qui nous concerne la plus belle des fins de non-recevoir.

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    Signé : Cazengler, Blême Vincent

    Gene Vincent & His Blue Caps. Bluejean Bop. Capitol Records 1956

    Gene Vincent & His Blue Caps. Gene Vincent & The Blue Caps. Capitol Records 1957

    Gene Vincent. Gene Vincent Rocks! And The Blue Caps Roll. Capitol Records 1958

    Gene Vincent & His Blue Caps. A Gene Vincent Record Date. Capitol Records 1958

    Gene Vincent. Sounds Like Gene Vincent. Capitol Records 1959

    Gene Vincent. Crazy Times. Capitol Records 1960

    Gene Vincent & The Shouts. Shakin’ Up A Storm. Columbia 1964

    Gene Vincent. Gene Vincent. London Records 1967

    Gene Vincent. I’m Back And I’m Proud. Dandelion Records 1970

    Gene Vincent. Gene Vincent. Kama Sutra 1970

    Gene Vincent.  The Day The World Turned Blue. Kama Sutra 1971

    Gene Vincent & The Blue Caps. Rock’n’Roll Legend. Capitol Records 1977

    They All Wanna Sound Like Gene. Thunder Records

    Jack Watkins : Be-Bop don’t stop. Record Collector # 526 - Christmas 2021

     

     

    Miller Ethan son empire

     

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             Dans un bel article de Classic Rock, Dave Everley indique qu’Ethan Miller ressemble à sa musique - He looks equally as wild as his music sounds - Avec sa coupe de cheveux improbable, sa barbe d’ostrogoth en rut et son manteau afghan, Ethan Miller semble sortir des bois, comme le fit Jimi Hendrix à une autre époque : avec une classe animale. Si Miller sort des bois, c’est pour rocker la planète à sa façon. Il hume l’air : «On sent qu’il y a de l’espoir et du désespoir en même temps.» Et il ajoute : «I want to echo that.» Bien vu, Mister Miller. Il vient des Redwoods du Nord de la Californie. Située entre San Francisco et Portland, il appelle ça the lost coast. C’est la région des séquoias géants. Il a quinze ans quand il découvre la scène d’Eureka et Buzz Osbourne des Melvins, c’est-à-dire l’apanage de la heavyness. Mais il dit aussi garder un pied dans le rock classique des Beatles, de l’Airplane et de Crosby Stills & Nash. Monsieur a le bec fin. Et c’est à peu près tout ce que nous apprend Dave Everley.

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             Si les Hellacopters furent longtemps considérés comme les rois du blast, ce titre revient désormais à Ethan Miller. Son premier album avec les Comets On Fire est un chef-d’œuvre blastique incomparable. Ethan dit au bassman Ben : «Let’s do a little project where we just blast this thing out.» Alors ils blastent. Disons que Comets On Fire propose une certaine idée du son. Ça saute à la gueule dès «All I Need», trash démentoïdal d’action directe. On gagne beaucoup à connaître cette bande d’activistes. Avec son chant incendiaire, l’Ethan éclaire la plaine. «With the Echoplex, I went bananas», dit-il. Il se comporte comme un puissant défenestrateur, un horrible trasher. Il barde ses cuts de son et de spoutniks. Ce groupe fait plaisir à voir. L’Ethan prend tout à la hurlette contrite, à la grosse gueulante, il braille comme cet hérétique tombé aux mains de la Sainte Inquisition, ouuaaahhh, ça fait mal rien que d’y penser, c’est bardé de coups de wah enragés et ça trash-boome in the face of God. Encore une vraie dégelée avec «Got A Feeling», cut invraisemblable et bourré de son. Ils passent à la heavyness avec «Rimbaud Blues», l’Ethan hurle comme un damné, mais un vrai damné, pas un faux, il joue la carte du malheur définitif, avec le beat des éléphants de Scipion. Ils embarquent «Let’s Take It All» au pire trash-beat de la stratosphère, ils en arrivent au point où les notes ne signifient plus rien, ils livrent un blast liquide, tout est porté à incandescence, c’est du génie de destruction massive. Même chose avec «The Way Down» explosé d’entrée de jeu, au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, et même encore bien au-delà de ça, l’Ethan est un démon, mais un démon avec une vision, celle dont parle Bourdieu, oui, brûler des bagnoles mais avec un objectif. Les comètes sont en feu, tout est battu comme plâtre, tout est poussé au maximum des possibilités, le Miller n’en finira plus d’Ethan son empire. Il explose littéralement le son des seventies. Il règle tous les problèmes à coups de wah techtronique, il retrouve les vraies clameurs des armées d’antan, il manie le son comme une hache de combat. Ses coups de wah vacillent dans la torpeur d’un désastre sonique. Il bouscule même «Days Of Vapours», le dernier cut d’apparence pourtant ordinaire, pour en faire une énormité, un truc qui contient toute la violence d’un combat de plaine, vous savez, cette orgie de violence dont personne n’espère sortir vivant.         

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             Si on lit les notes de pochette au dos de Field Recordings From The Sun, on voit qu’Ethan Miller joue de la Destruction Fuzz Guitar, et ça s’entend dans «Return To Heaven», un simili-cut balayé par des vents violents. En fait, ça sonnerait plus comme une tentative de hold-up, car voilà du violent freakout doté de soubassements dévastateurs. Avec «Unicorn», Ethan et son équipe de desperados trempent dans une invraisemblable bouillasse coactive, et même coaxiale. Ils n’ont aucune chance d’atteindre la tête des charts, mais ils montrent des tendances affirmées et d’authentiques réflexes de violence sonique. Quand on écoute «The Black Poodle» qui ouvre le bal de la B bazire, on comprend que leur style s’apparente plus aux vents de sable du désert qu’au rock traditionnel. Ils cultivent une sorte de violence par rafales et mettent les oreilles d’autrui en danger, ce qui est tout à leur honneur. Cet album dépenaillé est tendu à l’extrême, bousculé dans le son, avec une quête constante de chaos sonique. Et Ethan le destructeur nettoie les tranchées au sonic boom.

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             Bong Voyage : deux faces, deux dégelées. Pas d’infos, pas de rien. Tout ce qu’ils savent faire, c’est démolir un immeuble. Ils ont tout ce qu’il faut pour ça : le foutraque, les puissances des ténèbres, les rognures de wah, la démesure sonique, le nihilisme et toutes les outrances. Ils démolissent le sacro-saint format disk. Il ne reste que le son, rien que le son. Plus de repères, plus de rien. Ils montent leurs cuts sur des modèles parfois hendrixiens, mais avec un côté outrancier. Miller n’en finit plus d’Ethan son empire. Il réduit le live à l’état de clameur improbable. On reconnaît le riff de basse de «Who Knows». Vers la fin de l’A, ils trempent en effet dans le Band Of Gypsys.

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             Il faut suivre l’Ethan à la trace, car il est capable de belles exactions. Blue Cathedral en est la preuve criante. Dès «The Bee And The Cracking Egg», on voit monter la démence d’une virée tourmentée par une basse incontrôlée. Des vents atroces balayent ce pauvre cut. L’Ethan joue au petit jeu de la tempête shakespearo-hawkwinesque, il vise l’ultra de l’au-delà du monde connu. Les oreilles du casque palpitent, tout bouge dans la cambuse, on se croirait au passage du Cap Horn par une nuit de tempête. Les Comets On Fire font carrément leur Fun House. Ils nous proposent une chevauchée sauvage digne des Walkiries. Rien d’aussi dingoïdal. Mais attention, les cuts sont interminables. On risque de décrocher. Ces mecs sont bien gentils, mais ils ne se rendent pas compte. Ils repartent pour sept minutes de «Whiskey River», nouvelle giclée d’expérimentation co-axiale. L’Ethan s’étend à l’infini. Comme Néron, il vise la folie. C’est un amateur d’excès. Il a rassemblé toutes les légions de la prog aux frontières et les fait défiler en hurlant de l’imprécatoire. L’Ethan sait allumer les brasiers. On le sent investi d’une mission divine. Il gueule tout ce qu’il peut dans l’écho du temps. Et ça wahte dans des tourbillons de vents violents. Le seul moyen de s’en sortir avec ce genre de mec, c’est de se prêter à son jeu. Autrement, il vaut mieux s’en aller et donner le disque au voisin qui ne l’écoutera même pas. Avec «The Anthem Of The Midnights», on repart sur du quatre minutes - durée acceptable - mais quatre minutes de violence indescriptible. Ethan Miller est un fou dangereux, un amateur de violentes tempêtes, un Achab de Cap de Bad Espérance. C’est joué sans pitié pour les canards boiteux. Ce mec hurle tout ce qu’il peut hurler et graisse son mayhem aux pires guitares. On croirait entendre hurler la reine emmurée vivante dans le donjon. Trop d’énergie, beaucoup trop d’énergie ! Avec «Wild Whiskey», ils vont là où Syd Barrett n’a jamais osé aller. Too far out, baby. C’est tablé aux tablas et immensément wild. Mais too far out. Ils bouclent cet album d’époque épique avec «Blue Tomb», une pièce de heavyness étalée sur dix minutes. Qui peut résister à ça ? Nobody, baby. Ils partent sur les vieux accords de blues rock de Croz. Le groove est celui de «Cowboy Movie». Ils y plongent comme des dauphins. C’est inspiré par les trous de nez. Pure démence de baby low, heavy comme la tombe, lourd comme l’enfer, dur comme la mort, si bien vu. Bienvenue dans le son de l’au-delà.

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             Si on rapatrie l’Avatar paru deux ans plus tard, c’est uniquement pour écouter ce coup de génie intitulé «Holy Teeth». L’Ethan amène ça à la furia del sol du trash-gaga. On le sent déterminé à vaincre. Quelle tranche de trash ! Une fois de plus, il sort de sa réserve et devient violent. Comme le cut est court, ça reste de la vraie violence d’écho de guitares. Une fois encore, les Comets balayent tout ce qui est autour. Mais attention, les autres cuts valent aussi le détour, à commencer par «Dogwood Rust», jazzé du jive et chanté à plusieurs voix, on a du féminin et du masculin aux barricades, mais ils échappent à tous les formats. Ils continuent de jazzer le jive avec «Jaybird». Ils ne se refusent aucune figure de style et s’amusent une fois de plus à échapper aux formats. L’Ethan fait des bras et des jambes pour se montrer intéressant. Les Comets reviennent aux morceaux longs avec «The Swallow’s Eye». Quand on écoute un album des Comets, il vaut mieux éviter de prévoir des rendez-vous. L’Ethan vire proggy et on se demande ce qu’on fout là, sous le casque. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’on écoute cet album. Ses long cuts intriguent tellement qu’on y revient. Ce sont des fourre-tout gorgés de sonic trash. Plutôt que de chercher à plaire, ils vont dans l’autre sens, ils en rajoutent. Même chose avec «Sour Smoke», 8 minutes de stomp barbare. On croirait entendre une armée antique en marche, celle dont les fantassins frappent leurs boucliers à coups de glaives pour se donner du courage face à un ennemi en surnombre, et soudain, les instruments se livrent à des fantaisies inespérées. Comme tout cela est curieux ! On voit même des pianotis chatouiller le stomp. L’Ethan nous en fait voir des vertes et des pas mûres. Il dit aussi que cet album est un destroyer pour Comets, car ils atteignent leurs limites.

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             L’Ethan conduit une autre meute à travers les plaines : Feral Ohms. Un Live In San Francisco récemment paru témoigne de leurs exactions soniques. Dès «Early Man», la violence s’impose. Ils jouent très vite, dans une sorte de folie incontrôlable avec un son à la Motörhead. C’est un peu comme si Attila avait inventé en son temps le rouleau compresseur. Nouvelle expérience tragique avec «Teenage God Born To Die» : tout est densifié aussi bien dans l’espace que dans le temps. On sent l’air se raréfier. Ethan et ses hommes trépident ventre à terre, ils tâtent du gros son américain. Pour les amateurs de napalm, c’est un bonheur. Tout est démesurément clamé dans la clameur, tout passe dans le rouge du vif de l’action, dans l’excès démentoïde de la furia del sol. Inutile de préciser que le carnage se poursuit en B. Tout y nivelé au plus haut niveau de la banalité du blast. Aucune rémission n’est envisageable. On assiste même au naufrage de «The Glow», noyé de son et destiné au néant psychédélique.

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             Il vient juste de réaffirmer sa tendance au blast définitif avec un nouvel album de Feral Ohms. Il y joue ouvertement la carte du power-trio déblastateur, de type Motörhad/Husker Dü, mais en mode californien, c’est-à-dire hautement énergétique. Dès «Love Damage» et «Living Junkyard», on est fixés sur ce qui nous attend. Il vise le grand large de l’ad vitam aeternam blasmatique. On note au passage qu’il travaille avec le mec du Dock, Chris Woodhouse, comme John Dwyer. Il chauffe toute l’A à blanc avec un chapelet de saucisses fumantes, «God Of Nicaragua», «Value On The Street» et «Super Ape». Chez lui, tout n’est que luxe poilu, calme impossible et volupté stridente. Il ultra-blaste en permanence. On dirait même qu’il parvient à aller plus loin que les autres, alors qu’on croyait ça impossible. Son «Super Ape» paraît extrêmement énervé, c’est une véritable bénédiction pour tous les tympans crevés. Relentless, telle est la morale de cette sombre histoire de blast marmoréen. N’allez pas croire qu’il va se calmer en B. Bien au contraire. Dès «Teenage God Born To Die», on est fixé sur ce qui nous pend au nez : une trombe cyclonique qui emporte tout sur son passage. Ethan pourrait bien être le grand balayeur définitif. Son «Early Man» est tellement blasté de la paillasse qu’il en devient inclassable. On pourrait presque parler de Millerisme. Chez lui, trop de blast ne tue pas le blast, comme on pourrait le croire, mais au contraire, son blast génère du blast. No seulement il le génère, mais il le dégénère. Cet album est plein d’une vie insolite. Il tape dans le heavy blues avec «Sweetbreads» et nous livre une pièce de gros rock coulant et onctueux. Tout y est : le stonage du stoner à la Monster Magnet et la démesure de Blue Cheer, c’est-à-dire l’excellence de l’intemporel. Il boucle cet album pour le moins faramineux avec «The Glow», qui sonne comme une délectation de heavyness considérable. Tout est joué sur le mode du raid d’aviation à la pulsasivité démoniaque, tout est saturé de son oint, de glue jaune. Ce génie de Miller Ethan encore l’empire du sonic trash.

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             La troisième mamelle de l’Ethan s’appelle Howlin Rain. Avec ce groupe, l’Ethan teste un autre son et un autre mode de fonctionnement : Comets est une démocratie, avec Howlin Rain, il est bandleader. Un premier album modestement titré Howlin Rain paraît en 2006. Il y fait des miracles en termes de pop atmosphérique, comme on le constate à l’écoute du premier cut, «Death Prayer In Heaven’s Orchard». C’est à la fois puissant et souverainement emmené. Il hurle sa fin de cut avec toute la puissance dévastatrice d’un Bob Mould frank-blacklisté, mais en plus raunchy, if you see what I mean. La fête se poursuit avec «Calling Lightning With A Scythe», une sorte de balladif possédé par le diable. L’Ethan est l’un des grands génies du songwriting américain contemporain. On a là un cut chargé de son et de texte, complètement ravagé par un solo d’une trashitude définitive. Ce mec a tellement de génie qu’on s’en émeut sincèrement. Il va encore plus loin que William Reid, comme si c’était possible. Avec «Roll On The Rusted Days», il tâte du rock rapide qui file ventre à terre. C’est presque de la Stonesy. L’Ethan est capable de taper dans tous les genres confondus. Il repasse un solo de distorse maximaliste. On sent chez lui une liberté de ton unique au monde et comme il savait si bien le faire au temps des Comets On Fire, il finit en belle apocalypse. Dans «The Happy Heart», on l’entend hurler à la tête de l’escadron et ça se termine évidemment en apothéose de destruction massive. Cet album se montre étonnant de bout en bout. L’Ethan tape dans la heavyness pour «In The Sand And Dirt», mais pas n’importe quelle heavyness, celle de la dernière chance - These beat a new heart in space and soil - Quel fabuleux explorateur d’espaces - Like a choice of rabid hens - C’est vrillé de son, gratté en fond de cale et pianoté dans un recoin de la conscience - Burry with you all of your songs/ All of your death dreams -  et il termine cet album mirobolant avec l’énorme «The Firing Of The Midnight Rain».           

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             Wild Life est un drôle d’album. L’Ethan y propose un cut sur chaque face, une sorte de slow burning heavy jam system of it all. Howlin Rain joue live, comme l’indique l’insert, together and with no overdubs, vocals or otherwise. L’Ethan ajoute que le morceau titre qui remplit toute l’A est une méditation improvisée sur la chanson de McCartney. On a donc un chant de fou dangereux, une espèce de jam immanente et sur la pochette, un painting de Raeni Miller intitulé Cow’s Heads, bien macabre, car les têtes des vaches sont pelées. Rahhhha oui, comme dirait Rahan, on se demande quel intérêt présente un tel album. On fuyait les longues jams jadis, mais on finit par s’intéresser au chant tantrique d’Ethan, qui, comme les prêtres martyrisés d’Andrei Roublev, avance dans la toundra les yeux crevés. De la même façon que l’ineffable Andreï Tarkovski, l’Ethan restera mystique jusqu’à la fin des temps. 

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             Un joli papillon orne la pochette de Magnificient Fiend paru en 2008. Quel album ! L’Ethan s’y révèle prince des apocalypses. Il dédie «Dancer At The End Of Time» à Michael Moorcock. On a donc du prog, mais du prog musculeux. L’Ethan n’est pas un plaisantin, on l’a bien compris. Il semble toujours vouloir se situer aux avant-postes catégoriels. Il cherche en permanence le plein du son et le délié des idées, et ne lésine jamais sur les quantités. Il tape dans la Stonesy de mid-tempo pour «Calling Lightning Pt. 2». Il ne laisse absolument rien au hasard. L’Ethan se veut fervent défenseur des droits du son. Pas question de maltraiter une chanson. Il lui redonne chaque fois un terreau d’élection et une manne nourricière sous forme de texte dodu - We are only slaves to our distant youths and coming graves - Comme il a raison ! Les choses se corsent sévèrement avec «Lord Have Mercy». L’Ethan s’impose en leader accompli. Il grave tout son art dans le meilleur marbre de Carrare. Il officie en vrai chef de guerre, il ne plie jamais devant l’adversité et tient tête quoi qu’il arrive - Lord have mercy on my soul - Il prie intensément. Oui, l’intensité reste son maître-mot, son passe-droit, son Memo from Turner, c’est extrêmement puissant, chargé de son et embarqué au-delà de toute mesure. Tiens, encore une énormité avec «El Ray». On assiste en direct à l’explosion d’un refrain. L’Ethan pulvérise tous les records de qualité intrinsèque. Il chante avec la voix blanche d’un mec qui a trop hurlé dans son micro. Les cuivres explosent le refrain. Il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie - You don’t have to go through any more changes/ It’s all done now - Il revient à sa chère démesure. Il faut vraiment ranger l’Ethan sur l’étagère des seigneurs. Sous ses aspects sauvages, «Goodbye Ruby» reste très classique. C’est tout de même très bardé de son, comme d’ailleurs tout le reste de cet album qui se noie dans l’océan du son.   

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             On retrouve ce chanteur exceptionnel sur The Russian Wilds paru en 2012. Rick Rubin entre dans la danse. L’Ethan est assez critique, car à l’époque Rubin est une superstar qui se mêle de tout et la pré-production dure trop longtemps - Masterpieces can be made in one session, nous dit l’Ethan - L’album est très décousu, car l’Ethan touche à tous les styles. Il attaque avec le heavy blues de «Self Made Man» - You’re a haunted man - C’est assez admirable de stonérisation des choses et une nommée Isaiah Mitchell vient mêler sa salive à celle de l’Ethan - You’re a violent dog/ Like the death squad boys down in Brazil - C’est sûr, ils créent un monde et ça fuit au long du cours d’un beau solo fleuve. Quelle extraordinaire expédition ! L’Ethan monte de sacrées architectures, comme savaient le faire les groupes ambitieux des années de braise, les King Crimson et autres Soft Machine. L’Ethan se veut plus poppy avec «Phantom In The Valley». Et puis on revient au fatras épique avec «Can’t Satisfy Me Now». L’Ethan semble vouloir absolument se disperser. Dommage car on sent en lui la force du géant. Il sait gueuler au moment opportun. Il peut screamer la Soul de pop avec aplomb. Il force la sympathie et vise inlassablement l’ampleur. Avec ce cut, il redevient un fabuleux Soul Man. Et puis avec les derniers titres, on voit qu’il s’efforce d’échapper aux genres. Avec «Dark Star», il revient à sa chère hurlette et passe à la Soul de pop avec «Beneath Wild Things». Il chauffe sa soupe avec un talent certain. Terminus avec «Walking Through Stone» qui a des allures de hit fatal. L’Ethan est une espèce de roi du Soul-baladif de barbu. Il brille comme un phare dans la nuit et se plait à porter les choses à ébullition. Petit conseil d’ami : ne le perdez pas de vue.

             Après la tournée de promo, l’Ethan perd ses copains Joel, Raj et Isiah. Le cirque Rubin et The Russian Wilds leur est fatal.

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             Le problème avec l’Ethan et son petit label Silver Current, c’est qu’il sort des albums tirés à 300 exemplaires et ils disparaissent aussitôt des radars. Et on comprend pourquoi quand on écoute The Griffin, paru en 2013, et qui fait justement partie de ces petits collectors de San Francisco. On y retrouve l’effarant «Calling Lightning PT. 2», pétri d’excellence et doté de toute la prestance des passations d’accords. L’Ethan s’ancre dans le Marriott System, avec une incroyable stature. Il enchaîne ça avec la merveilleuse explosion de «Killing Floor/Evil». Il y gère la folie de l’âge d’or du rock, et il y ramène tout le souffle de sa fournaise. Rien ne peut résister à un tel géant. On entre dans ce disque live comme dans un rêve, et ce dès «Phantom In The Valley», une pop qui attache bien au plat, grattée avec une détermination non feinte. Il sonne vraiment comme Steve Marriott dans «Darkside» et renoue avec la puissance exponentielle dans «Can’t Satisfy Me Now». Il faut vraiment écouter les albums de ce géant, il a toutes les puissances chevillées au corps, il peut prétendre jouer dans la cour des grands. D’ailleurs, il n’a besoin de l’avis de personne, puisqu’il y joue déjà. On retrouve aussi l’extraordinaire «Roll On The Rusted Days», soulfull en diable, ancré dans le meilleur Seventies Sound qui soit ici bas. L’Ethan y refait son Marriott avec un bonheur égal, c’est chargé de son à ras-bord et joué avec une fracassante aménité. Sa bonne foi finit par troubler le lapin banc.

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             En 2016, l’Ethan se retrouve sans groupe et sans label. Il forme un autre groupe, Heron Oblivion. Un album sort sur Sub Pop et encore une fois, c’est un album énorme. Il met une petite chanteuse au centre, une nommée Meg Baird et dans «Sudden Lament», elle se noie dans les vagues de son. L’Ethan ramène des guitares incendiaires dans le flou du cut et joue des notes à la traînasse, c’est un fabuleux tripatouilleur de brasier, et c’est d’autant plus choquant que Meg Baird chante d’une voix paisible. Même ruckus avec «Faro», où Miller Ethan une fois de plus son empire avec des power chords écrasants de béatitude, il défriche des zones de non-retour, il explore des corridors interlopes, il bouscule les limites de l’horreur sonique, il cherche des échappatoires impossibles, c’est un cœur qui bat et qui explose. Violence pure ! Il tire ses notes par les cheveux. Chaque fois, la voix de la petite Meg fonctionne comme un hameçon et t’es baisé, comme avec «Your Hollows», elle aguiche le chaland et l’Ethan se charge de le cueillir ! Et il te wahte dans le chaos. «Oriar» sonne encore comme une violente tempête, il en fait un jeu, une vierge chante et lui sème la chaos sur la terre comme au ciel. Il organise une fabuleuse fournaise de wah et de dévastation. La fête se poursuit avec «Rama», Meg Baird est toujours dans le vif du sujet et l’Ethan aussi, parfois il se met à sonner comme un requin devenu fou, il crée trop de tension, on s’attend au pire à chaque instant, la basse sature, elle va crever sur place, te voilà au milieu de Miller l’absolu dingoïde de freakout.

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             L’Ethan demande ensuite à Heron Oblivion de l’accompagner pour redémarrer Howlin Rain. Il décide cette fois d’improviser, the complete opposite to The Russian Wilds. Ça donne encore un album extraordinaire : Mansion Songs. Il s’y niche une merveille intitulé «Ceiling Far» dans laquelle l’Ethan cite Fellini, Werner Herzog et d’autres géants de la libre pensée - I’m in a white suit on a Herzog river/ Full of insects snakes and honeybees/ Wearing insane eye make-up and a silver gawn - Fantastique chanson littéraire et dans les deuxième et troisième couplets, il va sur Londres et Dylan. L’Ethan tape là dans l’universalisme. On reste dans la chanson d’exception avec «Lucy Fairchild», une histoire qu’il situe en 1895 - Down in Texas found our fight/ My head dripped in Apache blood and smoked in canon fire - Il rêve de revoir Lucy Fairchild’s bed. L’Ethan se situe au niveau de Midlake et des Drive-By Truckers. Oh et puis attention à ce «Big Red Moon» d’ouverture de bal car l’Ethan y fait du gospel batch de bitch. On assiste à une fantastique envolée d’ampleur cosmique - Shine on down - L’Ethan n’en finit plus d’étendre don empire. Il shoote dans son bras toute la démesure du rock américain - Shine on down - Il n’en finit plus de créer des mondes - Bleached in smoke and whiskey and/ Black hole nova eyes with nothing/ Left behind us when we/ Ride the skies - Et dans le «Meet Me In The Wheat» qui suit, les chœurs font hallelujah ! L’Ethan installe le gospel batch dans les champs de blé, c’est bardé de coups de gimmicks de vieille Stonesy et c’est chanté à l’incroyable feeling déflagratoire. Quel créateur d’empires ! Il tape là dans des ardeurs cosmiques de cinépanorama, c’est gorgé de son jusqu’à la nausée salvatrice. L’Ethan chante comme un Raspoutine des plaines d’Amérique, en vrai possédé. On retrouve la démesure du gospel batch dans «Wild Bush» et ça vire à l’exponentiel d’excellence cathartique. L’Ethan recrée un par un tous les bons plans du rock américain. Ici, on croit entendre un énorme classique de rock seventies, un truc qui serait du niveau des grands albums de Delaney & Bonnie.

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             Nouvelle équipe pour The Alligator Bride. On peut dire que l’Ethan s’est calmé. Il passe à une sorte de folk-rock hanté par les démons de la cavale. Ce qui ne l’empêche nullement de renouer avec le génie, comme on peut le constater à l’écoute de «Missouri». Quel shoot d’Americana ! Il part en bonne vrille dans un délire de bassmatic à la Jack Bruce. On peut parler ici de musicalité exponentielle. L’Ethan presse et presse encore, alors ça jugule dans les culbuteurs, jusqu’à l’apothéose des paradis perdus, un peu vieillis, un peu dandys. Comme toujours, ses cuts sont très écrits, il suffit d’écouter «Alligator Bride» pour s’en convaincre définitivement - I just stopped to light a cigarette/ And found a dime in the street - Ça joue à deux guitares, lui et Daniel Cervantes, épaulés par ce diable de Jeff McElroy au bassmatic. On pourrait les comparer aux Drive-By Truckers. Ils tapent le «Rainbow Trout» au boogie classique de type Canned Heat - It’s eating me alive/ And it’s just outside - L’Ethan colle le boogie au poteau pour le fusiller, et il coule in the cold blue sea. Il prévient, believe me, you’re gonna need another day. Très captivant. Il boucle cet album étrangement calme avec «Coming Down», un balladif éperdu - Only the shadows remain - Il a foutrement raison. On assiste à un final flamboyant, mais on sent une légère tendance à ralentir.

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             Annoncé dans Shindig! par un bel article de Johnnie Johnstone, on attendait The Dharma Wheel comme le messie. Un double album en plus ! Johnstone n’y va pas de main morte puisqu’il parle d’une renaissance d’Howlin Rain, de comet-shattering space-psych, de country funk et de down-home southern soul et il redouble de lyrisme en déclarant subitement : «It’s like a sonic ménage à trois between Danny Whitten, Paul Rodgers and Shuggie Otis, moving effortlessly through stadium, space and swamp.» Mais il semblerait que l’Ethan n’étende plus son empire et qu’il ait mis beaucoup d’eau dans son vin d’Howlin. Il va plus sur la country. On se croirait chez les Flying Burrito Bros. On s’ennuie en A et on aborde la B avec circonspection. Le cut s’appelle «Under The Wheels». L’Ethan se veut résolument poignant, juteux, plein de lumière et de vitamines. Il veut darder aux Dardanelles, il déclenche de vieilles averses de son radieux, son truc c’est l’apothéose, alors il se déguise en Saint-Jean pour que ça éclate et ça éclate enfin. Johnstone parle d’un huge sonic leap forward. Il remarque aussi que la musique d’Howlin bascule dans la spiritualité, comme si l’Ethan cherchait son propre dharma, c’est-à-dire la réponse qu’on se pose tous à propos du sens de la vie. L’Ethan se pose des questions, se demandant si l’air est Dieu ou une partie de Dieu ? Pareil pour la musique. Est-elle Dieu ou une partie de Dieu ? Mystère et boules de gomme. Alors Johnstone qui est rusé comme un renard en conclut que la musique d’Howlin Rain incarne l’esprit de ce mystère. Comme ça au moins on est content car on n’a rien compris.

           L’Ethan nous refait le coup de la petite apothéose sur le deuxième cut de la B, «Rotoscope». En C, il ne se passe rien, c’est même un peu mou de genou. On arrive hagard en D pour se farcir le morceau titre. L’Ethan y sonne un peu comme Stephen Stills, il cultive les bouquets d’harmonies vocales. Mais on sent aussi qu’il rêve d’apocalypse, il parie sur le démontage des éléments, il faut que le ciel noircisse, que la menace se précise et surgissent alors les pianotis d’Aladin Sane dans le chaos qui s’annonce. Après une petite accalmie, il refait son Saint-Jean et libère ses fureurs. Mais bon, Miller n’Ethan plus son empire.

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             Par contre, il conclut l’article de Johnstone sur une note d’espoir : «Il y a plus de grande musique et d’excellents albums qu’il n’y en avait auparavant.» Et il ajoute plus loin que les manœuvres sournoises de l’industrie du disque n’altèrent en rien la fantastique explosion de créativité actuelle - The incredible creative explosion happening out there - Il parle d’un infini de possibilités. Avec sa grande barbe, l’Ethan ressemble à un messie.

    Signé : Cazengler, Howlin Ruine

    Comets On Fire. ST. Not On Label.        

    Comets On Fire. Field Recordings From The Sun. Ba Da Bing 2002

    Comets On Fire. Bong Voyage. Bad Glue 2003

    Comets On Fire. Blue Cathedral. Sub Pop 2004

    Comets On Fire. Avatar. Sub Pop 2006

    Feral Ohms. Live In San Francisco. Castle Face 2016

    Feral Ohms. ST. Silver Current Records 2017

    Howlin Rain. Howlin Rain. Birdman Records 2006          

    Howlin Rain. Wild Life. Three Lobbed Recordings 2008

    Howlin Rain. Magnificient Fiend. Birdman Records 2008  

    Howlin Rain. The Russian Wilds. Birdman Records 2012

    Howlin Rain. The Griffin. Silver Current Records 2013

    Howlin Rain. Mansion Songs. Easy Sound 2015

    Heron Oblvion. Heron Oblivion. Sub Pop 2016

    Howlin Rain. The Alligator Bride. Silver Current Records 2018

    Howlin Rain. The Dharma Wheel. Silver Current Records 2021

    Heron Oblivion. Heron Oblivion. Sub Pop 2016

    Dave Everly : Howlin Rain. Classic Rock # 251 - Summer 2018

     

     

    L’avenir du rock

    - Nothing butt the Buttshakers (Part Two)

     

             On frappa à la porte. L’avenir du rock alla ouvrir. Un chevalier en armure rouillée lui tendit sans mot dire un rouleau de parchemin, salua d’un hochement de heaume et remonta péniblement en selle, poussé au cul par un valet ventripotent et court sur pattes. Puis le valet enfourcha sa mule et suivit le percheron de son maître. Avançant au pas, clapota-clapoto, ils s’enfoncèrent tous les deux dans les ténèbres. L’avenir du rock alla s’asseoir près du candélabre et déroula le parchemin. Il s’agissait d’une invitation d’Hugues de Gournay, sis en son domaine castral de Montfort, à venir festoyer de tout son Soul en gente compagnie, le premier samedi de juin de l’an de grâce en cours. L’avenir du rock loua donc un percheron chez Perchavis et prit le chemin de la vallée. Trois jours plus tard, il arriva en vue des ruines de la forteresse. Bien que transparent, Hugues de Gournay faisait un très beau fantôme. Comme l’avenir du rock l’aimait bien, il s’autorisa une petite familiarité :

             — Par Dieu, Seigneur Hughes, l’Anglais vous a citadelle bien démantibulé. Quelle outrecuidance !

             — Hélas oui, avenir du rauque, j’eus bien le malheur de murs livrer à Philippe Auguste, ce qui ne manqua pas d’attiser le courroux de Jean, roi d’Angleterre, lequel envoya ses gens d’armes tours détruire et puits boucher. J’en versai moult larmes de sang.

             — Puisque vous reçûtes Philippe Auguste, vous connaissez donc le preux Marquis Des Barres, lequel vint à la rescousse du roi son maître au plus noir de la bataille de Bouvines ?

             — Ah roi du ciel, certes oui, j’ai de le connaître cet honneur.

             — Savez-vous que son héritier, le 26e Marquis Des Barres, de nos jours rocke la calebasse de la rascasse ?

             — Nous rauquerons la calebasse de la rascasse un autre jour, avenir du rauque, car il est temps de festoyer jusqu’à l’aurore en compagnie des Buttes Chaquères, de hardis ménestrels qui comme le gentil seigneur de Bayart, rauquent la soule sans peur et sans reproche. 

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             Personne n’en voudra à Hugues de Gournay de franciser les noms des gens. On comprend qu’il soit traumatisé par le destroy no future des Anglais. L’avenir du rock est ravi, car il tient les Buttshakers en très haute estime. Ils sont sans doute les derniers en Europe à maintenir la sacro-sainte tradition des Revues, telle qu’elle existait au temps d’Ike & Tina Turner, de James Brown & the Famous Flames, et de Sharon Jones & The Dap-Kings.

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             D’ailleurs, ça la fait bien rire Ciara Thompson quand on lui dit qu’elle est meilleure que Sharon Jones. Elle capte l’humour du trait puis se reprend aussitôt en signe de respect, she’s in the ground, dit-elle, et cette soudaine gravité dans le ton de sa voix nous renvoie au voodoo. Voodoo reste le mot clé, car elle reprend le flambeau de Sharon Jones et danse sur scène pendant plus d’une heure, dans un hallucinant climat de Juju fashion craze, elle danse et elle shoute, elle a tout le Black Power en elle, et comme chez les Dap-Kings, ça swingue tout autour d’elle, rien que des blancs, mais des cracks de la Soul.

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    Comme le gang de Gabe, ces mec-là sont fiers d’accompagner une Soul Sister aussi puissante, elle peut tout chanter - She can sing anything (Révérend Cleveland à propos d’Aretha) - la Soul, le blues, le funk, le gospel, elle a tout en elle, Ciara Thompson, la Soul Sister aux yeux clairs, she sets the stage on fire, oui, elle te met un show en feu en deux temps trois mouvements, avec une niaque qui vient de loin, puisqu’elle remonte non seulement à Sharon Jones, mais aussi jusqu’à l’early Tina de St-Louis, Missouri, lorsqu’elle s’appelait encore Anna Mae Bullock et qu’Ike venait de la dénicher.

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    Ciara Thompson véhicule cette tradition purement américaine des petites blackettes élevées dans la religion du gospel et de la Soul, alors la voilà comme tombée du ciel sur la petite scène d’un festival exotique, organisé dans les tréfonds de l’Eure, au pied des ruines d’un château du Moyen-Age. Le côté improbable de ce contexte donne à ce concert la touche surréaliste qui fait hélas défaut dans la plupart des événements urbains. Le fait que le concert ait lieu sous un chapiteau de cirque accroît encore ce délicieux sentiment d’incongruité. C’est un festival, d’accord, mais ce n’est pas Woodstock.

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    Il n’empêche que Ciara Thompson va chauffer la petite assistance avec l’énergie qu’elle mit jadis à chauffer la grande salle du Tétris, elle veut de toutes ses forces partager le power de la Soul avec les gens, elle descend de la scène et va les trouver pour danser avec eux, elle fait tout à la force du poignet et remonte sur scène d’un bond, aussi légère qu’une plume. Elle attaque son set avec «What You Say» tiré de Sweet Rewards, grosse dégelée de hard funk, suivi de «Never Enough», pur jus de Stax Sound tiré d’Arcadia. De la voir danser et chanter donne le vertige. Toujours cette impression d’assister au plus beau show du monde, comme au temps de Sharon Jones,

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    c’est un émerveillement de chaque instant, tout est en place, tout est puissant, les pas de danse des musiciens, les solos de trombone et de sax, le bassmatic à la Gabe et cette Soul Sister en mouvement perpétuel, cette Tinguelynette de la Soul. Elle va revenir au hard funk avec «Hypnotized» et «Not In My Name». Ouvre bien tes yeux et tes oreilles, mon gars, car des spectacles aussi intenses et aussi parfaits que celui-là, tu n’en verras pas des masses. Quand on est confronté à des artistes de ce niveau, chaque fois se pose la même question : en est-on vraiment dignes ? Lorsqu’elle est bien faite, la Soul relève du domaine du sacré. Ce n’est pas un produit de consommation.   

             En 2014, on disait déjà le plus grand bien des trois premiers albums des Buttshakers (Headaches & Heartaches, Wicked Woman et Night Shift), alors maintenant on va dire le plus grand bien de Sweet Rewards et Arcadia, qui, comme l’a montré le show, marquent une nette évolution en direction du firmament de la Soul. Comme déjà dit, l’«Hypnotized» qu’ils jouent sur scène sonne comme un classique un hard funk digne de Parliament. Elle est dessus et les Buttboys aussi, ces mecs n’ont pas de problème, ils savent jouer le funk, malgré leur peau blanche. Ciara travaille son «Hypnotized» au corps, elle groove dans le giron du funk avec une fabuleuse ténacité, elle n’en finit plus d’y replonger.

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    Sweet Rewards est un album qui grouille de coups de génie, tiens comme ce dirty motherfucker monté sur un big bassmatic, «Weak Ends». Ciara la tigresse rentre dans le chou du lard fumant, elle shake son sock it, elle explose son Weak avec la niaque de Lisa Kekaula et là tu télescopes la réalité de plein fouet, c’est une démolition en règle, à coups d’I wanna know you now. Nouveau coup de génie avec l’enchaînement «Tax Man» et «Trying To Fool», Ciara est une pro du feel, elle commence par rôder dans l’ombre du groove, mais fais gaffe, elle allume sans prévenir, wow baby this is the tax man, un tax man submergé par un killer solo flash. «Trying To Fool» est plus groovy, elle le prend aux accents sucrés de petite Soul Sister légère comme une plume, elle fait son trying to fool now, elle sait de quoi elle parle, elle est dans la diction définitive. Le hard funk de «What You Say» monte droit au cerveau, à condition d’en pincer pour le funk, bien sûr - She got a mind/ So you better watch out/ Yeah yeah yeah - Wild as fuck, elle mène sa meute au better watch out et relance au c’mon babe. On se croirait sur un album de Lyn Collins ! Le morceau titre de l’album flirte lui aussi avec le génie de la Soul. On a le heavy sound et elle est devant, pulsée par un drive de basse infernal, elle pointe la Soul à la glotte en feu et génère de l’émotion pure. Elle tient tout à la seule force de sa voix. On reste dans les énormités avec «In The City» qu’elle chante à pleine voix. Elle chante avec des accents profonds de Soul Sister engagée dans le combat, sa présence est inexorable, elle chauffe tellement la Soul qu’elle en devient explosive. Elle se bat pied à pied avec ses cuts. Comme Merry Clayton, elle prend feu !

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             La plupart des cuts joués sur scène sont titrés d’Arcadia, paru l’an dernier, comme par exemple le «Back In America» d’ouverture de bal, une heavy Soul bien sciée du cocotier par les tikatics du guitar slinger Sylvain Lorens qu’ils enchaînent, comme sur scène, avec «Not In My Name» et là tu débarques chez les Famous Flames, bombardé au can’t you see/ That I don’t be free, elle est fabuleusement juste, I keep praying for a change, et petite cerise sur le gâtö, tu as un solo de free digne d’Albert Ayler. Avec «Pass You By», on se croirait chez Stax, ça pulse au poumon d’acier, ça gratte à la Cropper et Ciara bouffe tout au chant comme une réincarnation féminisée de Sam & Dave. Ils reprennent aussi sur scène l’excellent «Keep On Pushing», elle est dessus et dévore tout au don’t push me down, il faut voir comme elle écrase la champignon du raw. Sur cet album hanté par l’esprit du funk, on trouve au autre classique, «Daddy Issues», on se croirait chez James Brown. Au beurre, Josselin Soutrenon fait un job fantastique. Vers le fin de l’album, on croise deux des autres temps forts du show, «Never Enough» qu’elle chante au meilleur raw de l’univers et «Gone For Good», plus soft et qui sonne comme un hit.

             En souvenir d’Olivier de Montfort, d’Hugues de Gournay, de Jean Sans Terre et de Philippe Auguste.

     

    Signé : Cazengler, Buttmontmartre

    Buttshakers. Rock Montfort. Montfort-Sur-Risle (27). 4 juin 2022

    Buttshakers. Sweet Rewards. Underdog Records 2017

    Buttshakers. Aracadia. Underdog Records 2021

     

     

    Inside the goldmine - Got my Eyes on you

     

             Toutmésis ouvrit soudain les yeux. Il quitta sa couche et réveilla les esclaves endormis à ses pieds. Debout ! Debout ! Passez-moi le pagne de lin blanc et la cape d’or fin, je dois me rendre sans tarder au temple de Sun Ra ! Ainsi paré, il traversa les salles du palais. Seuls les gardes plantés de chaque côté des larges portes ne dormaient pas. Toutmésis les avait tous fait châtrer, ainsi ne risquaient-ils pas de somnoler après avoir succombé aux avances des esclaves africaines, toutes ces belles nubiennes nues et polies comme l’ébène, aux sexes béants comme des bouches avides. Il se fit aider pour monter sur son char et indiqua la direction du temple, au bout de l’immense avenue déserte. Le jour allait se lever. Le conducteur fouetta l’attelage et le char fit un bond. Toutmésis se cramponnait d’une main à la rampe et de l’autre à l’épaule du conducteur, le seul être humain dans tout l’empire qui fut autorisé à partager les frayeurs de son maître. Le fouet claquait dans l’air chaud et les six chevaux blancs de l’attelage filaient comme l’éclair sur l’avenue mal pavée. L’ossature en bois précieux transmettait fidèlement l’enfer des chocs. En arrivant au pied des marches du temple, le conducteur tira violemment les rênes vers lui et stoppa net l’attelage. Toutmésis gravit les marches d’un pas pressé et s’engouffra dans la bouche d’ombre. Il réveilla les prêtres qui dormaient à même le sol et leur ordonna de peindre sur le mur principal de la grande salle l’image qu’il venait de voir en rêve : un œil symbolique, ouvert sur le néant et vide de toute rétine. Ainsi que le disait le rêve, l’œil accueillerait en son temps l’objet d’un culte circonstancié.

     

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             L’œil qui orne la pochette de My Degeneration s’inspire de toute évidence du songe de Toutmésis. D’autant plus évident que le groupe s’appelle The Eyes et qu’il fait l’objet, comme le voulait Toutmésis, d’un culte circonstancié. Donc, il semble logique qu’une photo ronde des Eyes s’encastre dans l’œil de Toutmésis. Quoi de plus sympathique au fond que la pertinence de la cohérence ? On ne se félicitera jamais assez de célébrer cette union. L’histoire va loin puisque cet album des Eyes qui reproduit le songe de Toutmésis est un bootleg, un album interdit par les préfets de Rome, l’un des objets suspects qu’on croisait à une époque dans les bacs du plus grand disquaire parisien, le Born Bad de la rue Keller. Ah comme ces bacs gaga pouvaient être tentateurs !

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             My Degeneration n’est donc plus en vente. Ce qui n’empêche pas de l’écouter. On croit y retrouver les Who dès «I’m Rowed Out», car les accords tintent bien, tout au moins avec le même aplomb, mais les Eyes ne sont pas les Who. Ce sont les covers des Stones dont est truffé cet album qui vont en faire son charme, car elles sont toutes criantes de véracité, à commencer par ce «Route 66» qu’on dirait sorti tout droit du premier album des Stones paru en 64. Même incidence de l’insidieux. Et ça continue avec «I Wanna Be Your Man». Pur jus d’early Stones. On dira la même chose d’«It’s All Over Now», de «19th Nervous Breakdown», monté au drive rebondi de look around et là on plonge dans la magie de la vieille Stonesy. Ils nous en bouchent encore un coin avec «Get Off My Cloud» et décrochent le pompon avec une version incroyablement racée de «Satisfaction». La fuzz est là, avec toute l’useless information, oh non no no, c’est là, intact, parfaitement restitué. Quand les Eyes enregistrent tous ces classiques des Stones, ils s’appellent les Pupils. Ils font aussi un peu de pop, «Man With Money» et une version de «Good Day Sunshine» qui n’apporte strictement rien. Par contre, le morceau titre se montre digne des Yardbirds, et la basse de Barry Achin sonne exactement comme celle de Paul Samwell Smith, ce qui vaut pour compliment. Ils font en B une version sournoise et mal intentionnée de «Shaking All Over», mais c’est avec «You’re Too Much» qu’ils raflent définitivement la mise. C’est le hit gaga-Brit par excellence, extatique, monté au riff freakbeat, ça sonne comme un classique, on peut même parler de coup de génie.   

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             Toutes ces merveilles sont rassemblées sur un CD, l’hautement recommandable, l’inestimable The Arrival Of The Eyes paru en 1996 sur un label anglais. Un booklet dodu nous conforte dans l’idée qu’il vaut mieux en savoir plus que pas assez dans le cas d’un groupe aussi méconnu que les Eyes. Comme des milliers d’autres groupes anglais, les Eyes ont tenté leur chance. Ils avaient deux gros avantages : ils vivaient à Ealing, un borough du Grand Londres, et avaient un chanteur nommé Terry Nolder qui composait des shokingly good numbers. Et pouf, ils enregistrent leur premier single en 1965 avec Shel Talmy, «When The Night Falls»/«I’m Rowed Out», un single qui aurait dû faire d’eux des instant legends. On retrouve bien sûr ces deux hits sur la compile, avec un son nettement supérieur à celui du boot, car le Rowed Out est amené aux accords de wild gaga, les mêmes que ceux de Really Got Me ou de Can’t Explain, du Talmy pur, du claqué d’accords invincibles, l’absolu modèle du genre. Même chose pour le Night Falls, c’est du freakbeat anglais pur et dur, avec ses coups d’harmo en plein dans le mille, in the face, avec en prime toutes les dynamiques des Yardbirds. On l’aura compris, les Eyes sont un concentré de tout ce qu’il y a de mieux à Londres à l’époque et on a encore rien vu : le pire est à venir, avec les covers des Stones. Les rares mecs qui découvrent le single des Eyes à l’époque n’en peuvent plus, ils parlent de sinewy whiplash lead guitar et de pounding demonic jungle telegraph drums. Ils ont raison : truly unforgettable ! Brash and raw. On dit même que ce premier single capturait the essence of Mod - Look no further - et le mec ajoute : «Two knock-out punches of pure angst expressed with a cocksure swagger.» Alors du swagger, on n’a pas fini d’en trouver chez les Eyes. Et pouf, les voilà en première partie des Kinks, des Move et des Action. Ils tournent pendant trois ans dans toute l’Angleterre. Leur deuxième single est l’insubmersible «The Immediate Pleasure»/«My Degeneration». Encore une fois, il est impératif de les écouter sur ce CD, car le boot aplatit le son, alors que le CD le fait exploser. L’Immediate Pleasure est tout de suite monstrueux, wow comme les Eyes voient clair ! Ils sonnent encore comme les Yardbirds et c’est vraiment le meilleur compliment qu’on puisse leur faire. Ils sont dans l’excellence du rave-up, ils jouent au shaking de clairons, dans l’immaculée conception, ces kids d’Ealing claquent plus de notes que les Byrds, ils sont brillants au-delà de toute expectative, il faut entendre ces descentes d’organes, tout y est. Avec «Degeneration», ils tentent de réactiver non pas la folie des Who, mais celle des Yardbirds. C’est fabuleusement tendu. Et quand ils jouent «I Can’t Get No Resurrection» devant un crucifix, ils sont mis au ban par la BBC. Ils parviennent néanmoins à sortir un troisième single, «Man With Money» / «You’re Too Much». Le Man est une cover des Everly Brothers qu’ils transforment en vieux shoot de power pop, par contre, le Too Much est une compo de Terry Nolder, et attention aux yeux ! Ils attaquent ça au riff insidieux. Il n’existe pas grand-chose qui soit au même niveau. Ils ramènent des chœurs de Yardbirds et bien sûr, on tombe de sa chaise. Le fameux EP des Eyes qui a le même nom et la même pochette que cette compile rassemble les deux premiers singles du groupe. Il paraît en 1966 et ne se vend pas. Si tu le veux, tu devras sortir un billet de mille. Ils sortent encore un single avec une reprise de «Good Day Sunshine», mais bon, leur destin est scellé. Il existe aussi une version de «Shakin’ All Over» qui ne figure pas sur les singles. C’est encore une merveille bien claquée du beignet, claire comme de l’eau de roche, ah il faut voir comme ces mecs taillent bien leur bavette.

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             En 1966, Philips leur demande d’enregistrer un exploitation album of Rolling Stones covers pour 180 £. Ça ne vous rappelle rien ? Oui, les Pretties, avec de Wolfe et l’Electric Banana. Les Eyes changent de nom et deviennent les Pupils. La session d’enregistrement dure 8 heures - session that included flashes of brillance - On peut écouter l’intégralité de l’album qui s’appelle The Pupils Tribute To The Rolling Stones sur cette compile. Et là, wow ! Encore une fois, le son ici est mille fois supérieur à celui du boot, ça claque dès «Wanna Be Your Man», imparable, même énergie, «19th Nervous Breakdown» retrouve ses couleurs avec un puissant bassmatic, tout y est, l’here it comes, ils injectent des tonnes de fuzz dans «As Tears Go By» et vont rôtir dans l’enfer du mythe avec «Satisfaction», certainement la cover le plus wild jamais enregistrée de cet hit séculaire, c’est noyé de fuzz imputrescible, aw my gawd, quel déluge ! Tu ne peux pas lutter contre les Pupils, ils dépasseraient presque les maîtres, ils développent un véritable vent de folie, ils sont effarants d’and I try. Pure violence que celle de leur «Route 66», c’est une authentique leçon de niaque, ils sont dans le Chicago to LA, avec un drive de basse joué au tiguili, ce mec Barry Allchin est un fou dangereux, il rôde dans le son avec des tiguilis de pervers. «The Last Time» ne figure pas sur le boot et les Pupils le bouffent tout cru à l’I told you once I told you twice, c’est en plein dedans. Ils ramènent tout le heavy pounding dont ils sont capables pour «Get Off My Cloud», l’irréprochabilité des choses de la vie ! Hey you ! Ils sont l’œil du typhon, ils dardent au cœur d’un mythe qu’on appelle le Swingin’ London. Ils restent crédibles jusqu’au too lazy to crow for day du «Little Red Rooster», ils se tapent même les coups de slide et ils tirent soudain l’overdrive avec «It’s All Over Now», suprême hommage à la Stonesy, baby used to stay out all nite long, ils sont en plein dans cette exubérance canaille qui fit l’extraordinaire grandeur des Stones. Les Pupils ne font pas que la restituer, ils la subliment, avec un soin extrême. Ça va jusqu’au départ en solo de syncope d’excelsior, un truc de corps qui va tomber et Terry Nolder reprend le contrôle du brûlot dans une frénésie de tiguilis extravagants.

    Signé : Cazengler, coco bel-œil

    Eyes. The Arrival Of The Eyes. ACME 1996

    Eyes. My Degeneration. Emarcy Records (Boot)

     

     

    NEWS ( II ) FROM TWO RUNNER

    HIGHWAY GIRLS

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    Dans notre livraison 541 du 10 / 02 / 2022 nous écoutions Two Runner donner un concert depuis la maison, entre autres elles y interprétaient Highwayman ce classique country que Paige Anderson chérit particulièrement, elle l’écoutait souvent en voiture lorsque ses parents conduisaient leur marmaille de concert en concert. Ce titre la faisait rêver, il est vrai que la chanson écrite par Jimmy Webb est étrange, sur un rythme continu, un peu passe-partout, elle raconte une histoire si bizarre que l’on est obligé de la réécouter pour mieux la comprendre, et bientôt vous cédez à sa magie hypnotique. June Carter affirme que c’est elle qui a révélé à son père que les quatre couplets ne présentent pas quatre personnages différents mais les réincarnations successives d’un seul… Two Runner nous en propose deux interprétations. La première sur YT :

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    Highwayman ( acoustic ) Two Runner. Sont toutes deux assises sur le sable d’un des déserts de Californie, à leur chapeau et à leur tenue l’on comprend que le soleil chauffe, au loin derrière les monts enneigés de la Sierra Nevada. Emilie au violon et Paige au banjo, difficile de trouver une interprétation plus roots et si différente, la voix de Paige plus douce que d’habitude et les brefs coups d’archet d’Emilie Rose, transforment la chanson, elles en gomment l’aspect épique, cet homme de tous les dangers, de toutes les aventures, de toutes les époques qui crie la prochaine victoire de son retour, ne serait-ce que sous la forme d’une goutte d’eau, elles en offrent une interprétation, quasi-nietzschéenne, celle de l’horreur de l’éternel retour de la vie dans les passages les plus sombres d’Ainsi parlait Zarathoustra, l’homme roule sa peine, celle de la pensée la plus lourde, le chant devient poignant, l’implacable trottinement fatidique du banjo poursuit sa route inexorable,  du violon d’Emilie éclosent comme des pétales de larmes et de regrets, la voix de Paige se charge d’une indéfinissable tristesse, une interprétation de toute finesse, de toute beauté.

    Le deuxième aussi sur YT et autres plateformes de chargements.

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    Highwayman. Two Runner : avec Sam Gallagher ( drums ), Drew Beck ( guitar, bass ), Brady McGowan ( keyboard ).  La même équipe qui accompagnait Paige sur Burn it to the ground. Le background saute aux oreilles, surtout si l’on sort de l’écoute de la version acoustique. Omniprésent il réussit le miracle de rester discret tout en étant au premier plan, faut écouter deux ou trois fois avant de repérer le banjo de Paige et le violon d’Emilie, cet accompagnement joue le rôle que tient la musique dans les westerns, il apporte ampleur et se fond dans le paysage. Colle très bien à la photo (de Kaylalili ) qui accompagne  la bande-son, l’on espère un clip pour bientôt, les rares images vidéos que nous avons entraperçues  nous font rêver.  Cette version est sublimée par la voix de Paige, beaucoup plus claire, moins murmurante, elle transcende le morceau, le porte à son plus haut point d’incandescence, c’est une autre manière de rendre sensible l’inexorabilité du Destin, de nous faire réfléchir au sens de la courbe de notre propre vie, il ne s’agit plus de revenir, mais de s’interroger sur le fondement de notre existence, de ce qui nous appartient d’agir et de ce qui nous pousse, le violon d’Emilie Rose, par ces longues giclées fulgurantes indique les moments où nous sommes soumis à ces forces plus grandes que nous qui nous rabattent vers la tombe de nos illusions. Paige et Emilie qui nous regardent et avancent vers nous sont à l’image de tous les desesperados qui font face à la vie. Grandiose. Bluegrass métaphysique.

    Damie Chad.

     

    NEWS FROM THUMOS

             Dans nos livraisons 541 et 542 des 10 et 17 février 2022, nous avons chroniqué la discographie entière parue jusqu’à ce jour de Thumos groupe américain originaire du Kentucky, il semble que Thumos n’ait pas perdu de temps ces derniers trois mois puisque la sortie d’un prochain album est prévue pour le 4 juillet de cette année, toutefois pour calmer notre impatience, un des morceaux du futur opus est déjà sur Bandcamp. Leur Instagram annonce d’autres surprises, essayons donc de procéder avec ordre et méthode.

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    1°) Un titre de Thumos, The divided line apparaît sur la compilation Warband Comp United Together de Razorwire Handcuffs sur Bandcamp qui regroupe soixante-huit morceaux et presque autant de groupes. (Vendue au profit des réfugiés ukrainiens.)

             Rappelons pour ceux qui ne l’auraient jamais entendue que The Republic de Thumos est une œuvre strictement instrumentale. Parler de la philosophie platonicienne sans employer de mots pourrait paraître une entreprise de pure folie, cette démarche s’inscrit toutefois dans cette notion de mimesis chère à Platon selon laquelle un art peut traduire la dynamique d’une autre art, exemple la danse qui permet de visualiser les mouvements de la musique.

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             C’est à la fin du livre 6 de la République que Platon résume les différentes manières de percevoir la réalité, les deux premières très grossières restent prisonnières au pire de l’apparence des choses  au mieux des choses elles-mêmes, nous nous laissons guider par nos imaginations ou nos croyances, pour accéder aux suivantes nous devons quitter nos opinions doxiques non fondées sur une connaissance épistémologique en nous livrant à des hypothèses rationnelles dont la logique nous conduit au quatrième stade de la  connaissance intuitive qui nous permet de reconnaître la nécessité de la présence des Idées qui forment la véritable réalité. En début du morceau se déploie une espèce de fuzz sombre comme des ombres indistinctes qui flotteraient dans l’espace, s’installe un rythme binaire qui s’appuie sur la précaire solidité de choses claudicantes et instables, un long passage dans lequel le son des guitares s’intensifie correspond à ce moment où l’intelligence humaine met en route des stratégies d’appréhension du monde beaucoup plus fines, par lesquelles l’on s’abstrait du domaine du sensible pour entrer dans celui de l’intelligible, une gradation intensive s’amplifie, roulements mathématiques de batterie qui permettent d’entrer dans une dimension supérieure dont les bruissements des cymbales simulent l’éclat idéel et irradiant

    2°) Un autre titre de Thumos, The sun apparaît sur la compilation Cave dweller music com / album / mind over-metal 2 : volume 2 . (Vendue pour récolter des fonds au profit du mois de la sensibilisation à la santé mentale.)

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    Ces deux morceaux créés durant la gestation de The Republic ont été écartés lors du choix final des titres de l’album. Thumos espère bientôt les réunir en une trilogie avec The Cave sélectionné dans The Republic, afin de coller de plus près à l’articulation de la pensée de Platon.  

             Lorsque Platon cite le soleil dans le Livre VI de la République, il ne s’intéresse en rien à l’astre physique que nous connaissons bien. Se pose à lui une question importante : comment faire entendre ce qu’est une Idée, comment donner une idée de cette chose purement intelligible qui par nature n’appartient pas au monde sensible. Il emploie pour cela l’analogie de la lumière. Si notre œil voit un objet c’est grâce à la lumière qui fait le lien entre l’œil et l’objet. Mais d’où provient cette lumière, nous lui trouvons une cause, une origine : le soleil, c’est de la même manière que notre connaissance appréhende la réalité, cette connaissance procède d’un but et d’une origine : l’Idée.

             Musique plastique dans laquelle l’on retrouve les cymbales, nous sommes en voyage, le rythme est lent car la distance à parcourir est longue, plus nous nous rapprochons de cet ailleurs vers lequel nous nous dirigeons le son s’intensifie, l’on imagine facilement que nous voguons dans un vaisseau spatial vers le limites de l’univers, nous atteignons des zones éthérées qui ne sont pas sans danger, comment notre intelligence sensible même dopée par notre intuition se comportera-t-elle, arrivés à destination, comment assumerons-nous cette plénitude illuminante. Très beau morceau.

             L’on comprend mieux ainsi pourquoi Thumos souhaite un jour prochain joindre ces deux morceaux à The cave de The Republic, car tous deux évoquent des étapes intermédiaires et préparatoires qui selon Platon étaient destinées à faciliter la compréhension du mythe de la Caverne.

    3° ) Un renvoi au blog de Julien Voisin qui présente An Abriged History of Painting with Metal Album Covers. Les amateurs s’y reporteront avec délices, nous ne sommes pas si éloignés que cela de Thumos puisque la couve de The Republic y figure, mais surtout parce que le sujet de leur prochain disque est en rapport immédiat avec la peinture.

    4° ) J’ai d’abord aperçu l’image la couve du futur nouvel album de Thumos, sans savoir qu’il s’agissait d’eux, puisque la pochette ne porte aucune inscription, cette espèce de colonne trajane posée comme une tour d’ivoire immarcescible sur un champ de ruines antiques a tout de suite interpellé l’amateur de l’antiquité romaine qui toujours veille en moi. C’est en voulant en savoir plus que je me suis rendu compte qu’il s’agissait du nouveau projet de Thumos intitulé

    COURSE OF THE EMPIRE

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    qui peut se traduire par Cours de l’Empire ce qui n’évoque pas grand-chose en notre langue, il est aussi sous-titré sur You Tube : Course of the empire rewiew ( Revue du cours de l’Empire ) guère plus précis mais qui n’est pas sans évoquer le livre History of the Decline and Fall of the Roman Empire d’Edward Gibbons paru en Angleterre de 1776 à 1788, traduit en français en 1819, remarquons comme ces dates sont par chez nous symboliques, un an avant la Révolution française, un an avec l’éclosion du romantisme ( français ) marqué les Méditations Poétiques de Lamartine, le livre de Gibbons, aujourd’hui critiqué pour son anti-christianisme, nous souscrivons à cette thèse, reste un ouvrage considérable, de fait le premier livre de métapolitique, la première étude de géopolitique de notre époque. C’est d’ailleurs sa lecture qui a inspiré à Thumos leur nouvel opus.

             Le titre de l’album est emprunté à une série de cinq tableaux regroupés par le peintre américain Thomas Cole sous le titre de Course of the Empire que l’on a traduit en notre langue par Le déclin de l’Empire.  Il est important d’en donner les titres : The savage taste / The Arcadian or pastoral state / The consummation of Empire – consummation signifiant accomplissement, apogée  / Destruction / Desolation.

             L’album présente dix morceaux : ( Introduction / Commencement / Arcadian / Interlude 1 / Consummation / Interlude 2 / Destruction / Desolation.

             Nous reviendrons sur les tableaux de Cole lors de notre chronique sur l’album. Sa parution le jour de la fête nationale des Etats-Unis n’est pas fortuite. Quel devenir pour l’Empire américain d’aujourd’hui ? That is the question ! L’idée du tableau est venue à Cole par la lecture d’un poème du philosophe Berkeley : Vers sur la perspective d’implanter les arts et l’apprentissage en Amérique ( 1726) dans lequel Berkeley pronostique le futur développement de la colonie anglaise qui pourrait déboucher sur la création du nouvel empire, celui de l’Amérique.  

             C’est lors d’un voyage de trois années en Europe que se cristallise dans l’esprit de Cole le projet Déclin de l’Empire qui sera terminé aux Etats-Unis en 1836. Cole réalise en visitant les musées et les édifices la richesse du passé prestigieux de l’Europe et est en même temps séduit par le rayonnement contemporain du romantisme, l’on ne s’étonnera pas de l’influence de l’œuvre de Byron sur le peintre. Le romantisme n’est-il pas en même temps une renaissance entée sur la nostalgie de la grandeur humaine passée à retrouver.

             De Course of the empire, Thumos ne dévoile que le troisième titre : Arcadian. Les trois membres de Thumos ne sont pas seuls, ont intégré pour la réalisation de leur album l’artiste Spaceseer, un guetteur de l’espace qui traduit sur sa guitare les vibrations du cosmos. Nous nous intéresserons prochainement à sa démarche.

    ARCADIAN

    ( mis en ligne sur YT et bandcamp le 7 mai 2022 )

    Ce long morceau correspond au deuxième stade de l’Empire, le plus heureux, celui que les Anciens nommaient l’âge d’or, un monde que prophétise Virgile dans sa quatrième églogue, l’homme n’est plus une bête, il a atteint un certain bonheur menant une vie pastorale, nous ne pouvons nous référer à l’Arcadie sans évoquer les deux mystérieux tableaux de Poussin Et in Arcadia ego qui dans leur interprétation la plus platement insipide instillent une idée de fragilité au sein même du bonheur humain… Cette dimension n’apparaît pas dans Arcadian, au contraire la musique remplit son propre espace, pas le moindre trou creusé par la souris du doute, elle n’est que profusion instrumentale, une crête flamboyante que rien ne saurait éteindre, une avancée de plus en plus rapide emportée par une batterie ravageuse, avec en filigrane des motifs de danse populaire et de joyeuses farandoles, le tout est mis comme entre parenthèses par les tintements du début et le bruissement final, comme s’il était nécessaire d’isoler cette île de plénitude terrestre, de la préserver de toute fin dérélictoire, de la fixer dans sa propre êtralité, de sa propre éternité temporelle. Un chef d’œuvre hors du temps.

    Damie Chad.

     

     

    *

    - Damie, n’as-tu pas honte ?

    Je me fais tout petit, je n’en mène pas large, j’ai tout de suite reconnu la voix, non ce n’est pas celle de Dieu, il y a longtemps qu’il est mort, ni celle de ma conscience, je ne sais plus où je l’ai fourrée, c’est la voix de ma prodigieuse mémoire.

    • Euh, non, à première vue, je n’ai pas honte !
    • Damie n’essaie pas de jouer au plus malin avec toi-même, tu vas perdre !
    • Bon, qu’est-ce qu’il y a encore, j’ai oublié de remplir ma déclaration d’impôt ?
    • Damie, moi qui croyais que tu étais un gentleman, tu n’es qu’un goujat, un rebut de l’Humanité, la honte de la nation, la…
    • Bon, bon, dis-moi tout !
    • Tu ne te souviens donc pas Damie, c’était avant le confinement, tu scribouillais une de tes infâmes chroniques sur Pogo Car Crash Control, lorsque tu t’es aperçu que la bassiste Lola Frichet jouait aussi dans un autre groupe : Cosse. J’étais dans ta tête et j’ai entendu ta voix intérieure déclarer : ‘’ Super je vais écrire une chronique sur Cosse’’. Les jours ont passé, les mois se sont entassés, les années s’écoulent et si je n’étais pas là ce sont les siècles et les millénaires atterrés qui attendraient en vain que tu réalises ta promesse.
    • Ö ma divine Mémoire infaillible, mon altière Mnémosyne ! Tu as raison, j’ai failli à mon engagement, heureusement que grâce à toi je vais pouvoir réparer cet intolérable oubli, regarde je m’empare d’une plume de corbeau aussi noire que l’eau du Styx je la trempe dans la noirceur de mon âme et…
    • Plus un mot Damie, tu devrais déjà avoir terminé !
    • Ne me trouble pas, regarde, tel un dromadaire je bosse sur Cosse, c’est désormais une Cosse sacrée !

    *

    Tel un méhari arpentant le désert dans l’espoir hypothétique de rencontrer un puits d’eau croupie asséché je suis parti à la recherche de Cosse. Pour me donner du courage je chantonnais gaillardement l’hymne stirnérien que Long Chris a composé voici un demi-siècle pour Johnny Hallyday :

    Je peux brûler les églises

    Je peux éclater de rire

    Je n’ai besoin de personne

    De personne, de personne !

    ce qui était un mensonge puisque moi j’avais besoin de Cosse, et la première chose sur laquelle je tombe net, cela ne s’invente pas, serait-ce un intersigne du hasard ou du destin, c’est une vidéo  intitulée : Un concert avec Cosse dans l’Eglise du Sacré-Cœur d’Audincourt. Ça m’a fichu un sacré coup au cœur, moi dont un de mes oncles s’était distingué durant la guerre d’Espagne à faire sauter à la dynamite les clochers des maisons de Dieu, j’ai hésité, mais une promesse c’est une promesse, alors j’ai poussé la porte et je suis rentré. C’est tout beau. Voûte de béton à caissons boisés et large abside magnifiée d’un diadème de vitraux modernes de toute beauté conçus par Fernand Leger, et réalisés par le maître-verrier Jean Barillet.

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    Moi j’adore Jean Bazaine, je l’ai rencontré une fois à la Maison de la Poésie de Paris, tout autour de lui les officiels et sa famille étaient offusqués, lui tout joyeux était écroulé de rire, l’on avait accroché un de ses tableaux à l’envers, il trouvait cela génial et ne voulait pas qu’on dérange un manutentionnaire pour le remette à l’endroit. Non, je ne suis pas hors-sujet, cet aparté c’est juste pour regretter qu’avant de rentrer dans l’Eglise la caméra ne se soit pas attardée sur le tympan rectangulaire, qui comme chacun sait, est une mosaïque de Jean Bazaine…

    Pas le temps de nous attarder, dans une demi-obscurité Cosse traverse l’allée centrale de la nef, leurs pas résonnent dans le vide et le silence, je reconnais la silhouette de Lola Frichet, ce sont bien eux. Sont déjà en train d’accorder leurs instruments. Sur un fond d’halo bleuté s’élèvent les premières notes de Sun don’t forget me, silhouettes sombres et gros plans sur les doigts qui s’activent aux derniers réglages… profitons de ce court répit pour adresser nos compliments à l’équipe qui a filmé, mixé et monté, un véritable film, l’on sent que l’on a étudié les plans, un travail de pros qui aiment leur métier, les conditions techniques sont parfaites pas de public, nous sommes le 22 janvier 2021 en triste période coercition confinatoire… 

    Commencent comme finissaient les concerts de musique aux temps de l’antique Rome par une précipitation chaotique instrumentale, mais au lieu d’exploser en une apothéose sonore Cosse débute par une douce précipitation bémolique qui culminerait dans le silence si Nils Bo en solitaire n’égrenait ( on ne s’appelle pas Cosse pour rien ) quelques notes sur sa guitare, ondée sonore générale, rien d’orageux ou de cataclysmique, Nils s’avance, une résonnance de coup feutré de batterie le plie en deux et l’arrête, il s’approche du micro, le chant s’élève, toute l’orchestration suit cette voix frêle et tranchante, torturée, amplifiée par son visage romantique, la musique enfle mais n’éclate jamais, elle redescend comme la vague de la mer s’échoue abruptement sur le sable d’une rive désertique, c’est du précis et du millimétré, plans de coupe sur les musiciens, aux drums Tim Carson gère l’amplitude des temps forts, l’ensemble est assez prenant, l’on a l’impression d’assister à une tempête mais de si haut que le son qui nous parvient en est assourdi, maintenant seule la guitare de Nils frissonne, et le chant perd ses angulosités, la caméra dévoile Lola Frichet, elle double l’amertume du chant de Nils, par-dessous, en sourdine elle dépose un tapis de douceur qui apaise l’âpreté nilsienne, et le morceau prend de l’ampleur, s’élève comme le char d’Apollon surgit de derrière la mer pour atteindre le ciel, le soleil nous oublie, le morceau est terminé, alors que le son s’ébruite, la caméra s’enfuit hors-champ vers le calme du baptistère, est-ce un contraste voulu avec la tension des visages crispés de Tim Carson et de Felipe Sierra, deuxième guitariste,  que l’on nous emmène dans cette salle transpercée de lumière que laissent passer et réchauffent les vitraux dessinés par Jean Bazaine.

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    Après Sun Forget me, Cosse entame Seppuku,  les premiers moments ressemblent un peu trop à l’introduction de toute retenue du morceau précédent, mais le climat change, nous entrons dans un monde de brisures et de saccades, plus grave qui se termine sur quelques notes fragiles de Nils mais le son se vrille et nous voici partis dans une espèce de cavalcade ralentie qui n’est pas sans évoquer les images de Ran d’Akita Kurosawa, et l’on entre dans une transe répétitive de tintements aigrelets agressifs dont la fonction première semble d’être de vous horripiler le cervelet, afin que vous puissiez ressentir un semblant de plénitude lorsque tout s’évanouit en un dernier galop… Cosse enchaîne tout de suite sur le dernier morceau Welcome to the newcommers.

    Toujours Nils à la guitare mais très vite la section rythmique se met en place, le chant est beaucoup plus rock, c’est aussi le moment d’apprécier les interventions de Felipe Sierra à la guitare il impose un soutien abrupt et pousse la musique en des sortes de montées successives qui culmineront en   l’éparpillement zen de quelques notes finales.

    Cosse se définit comme un groupe post-rock noise. Je veux bien mais je réserve le dernier terme de cette étiquette pour des groupes qui ont le noise plus tintamarresque, même si je n’ignore pas que certains définissent le noise en tant que l’a-structuration de leurs composition qui confine, le plus souvent, à ce que j’appellerai le bruissement… quant au post-rock de Cosse je le qualifierai plutôt de post-prog, mais un prog qui tourne le dos à la symphonisation de leurs morceaux pour s’adonner à une espèce de quatuorisation de leur musique, sur la ligne de crête un pied dans  l’unité synthétique du quatuor classique et l’autre dans les ruptures du quatuor jazz, cette ambivalence se remarquant  quand un musicien joue seul il ne donne pas l’impression de se lancer dans un solo performatif mais qu’il prépare les pistes d’envol de ses camardes.

    Il ne nous étonne pas de retrouver Lola Frichet dans ce type de groupe à l’opposé des sauvages tumultes de Pogo Car Crash Control, elle procède du conservatoire et ce n’est pas un hasard si elle a remporté le concours (difficile) de meilleur(e) bassiste organisé par le magazine américain the Shreds. Un esprit ouvert, n’était-elle pas en mars dernier sur la scène de La Comédie Française interprétant le rôle de Marotte dans Les Précieuse ridicules de Molière. Sur scène avec les Pogo, au cœur de la tourmente, elle joue avec fouge et concentration, l’intelligence en éveil.

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    Revenons à Cosse : pour une deuxième vidéo Nuisances Live Session # 7. Cosse :  Pin Skin. En Live en studio ( Pantin ) dans une belle couleur orangée. Moins de mise en scène qu’Audincourt. Chacun rivé à son instrument. L’on a compris le fonctionnement : guitares en intro, signal battérial, entrée de la rythmique, Nils au chant, cède bientôt la place aux modulations de Lola, la musique monte pour s’arrêter bientôt, avec Cosse elle n’atteint jamais les neiges éternelles, l’on redescend vers des zones plus tempérées, pourtant l’on suit sans regimber, de nouveau Nils au chant, et l’on repart pour une gradation, plus sombre, plus appuyée, recoupée par la voix de Niels et soudain les alpages s’enflamment, le feu s’éteint, les cordes vrillent, Niels se tait et la voix de Lola s’évapore , telle une pensée qui perd contact avec sa propre représentation dans Iris et petite fumée le mystérieux roman  de Joë Bousquet.   

             Les quatre morceaux que nous venons d’écouter se retrouvent sur le premier EP de Cosse :

    NOTHIN BELONGS TO ANYTHING

    COSSE

    ( A tant rêver du roi Records / Juin 2020 / Bandcamp )

    Drôle de nom pour un label, de Pau, bientôt vingt ans d’âge, son responsable élude un peu la question que tout le monde se pose en répondant qu’il avait un groupe qui s’appelait Ravaillac, laisse donc la porte ouverte à toutes les suppositions, les plus gratuites, pour ma part j’y vois comme un écho du livre Dans la forêt de Fontainebleau de Jean Parvulesco.

    Que représente la couve, cette flamme de torchère dans le ciel serait-elle une capsule spatiale tombée des astres qui aurait pris feu en rentrant dans notre atmosphère. La terre triste n’a pas l’air très accueillante.

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    Le titre n’est guère encourageant. Que signifie-t-il, ou plutôt que voulons-nous qu’il signifie. Comment recevoir cet adage selon lequel rien n’appartient à rien, faut-il en rire ou s’en désespérer, ricaner cyniquement pour montrer que cette déclaration nihiliste qui nous libère de toute contrainte nous rend plus fort, ou se désespérer de cet atroce constat que l’existence n’a point de sens.

    Welcome Newcomers : un son assez différent de celle du live dans l’église d’Audincourt, plus ramassé et en même temps plus coulant, moins fragile et peut-être plus chaotique, davantage de climax, la voix quelque peu normalisée et les guitares davantage chantantes avec un léger parfum sixties-psyché. Pin Skin : chuintance de calmitude, la batterie en avant, le vocal moins aventuré sur les trapèzes de la mise en danger volontaire, plus rond moins épineux, la basse de Lola jazze en sourdine, les guitares  fuzzent et couvrent la suavité de son timbre, les attaques moins aventurées et plus brutales, très belle partie orchestrale, la voix esseulée de Lola illumine de rose paganité la fin du morceau. Sun forget me : entrée en matière ronde et affirmée, le chant de Nils n’est pas écorché de barbelé, il est interrompu par des clinquances noisy mais toutefois respectueuses des oreilles sans coton, duo Nils-Lola des mieux venus, la musique se teinte de romantisme et se tinte d’une musicalité de plus en plus entreprenante. Seppuku : une intro que l’on nommera civilisée pour des tympans orientaux, feulement de cymbale, Tim Carson tout en douceur tandis que les guitares batifolent, attendent que l’on ait le dos tourné pour marcher avec des gros pataugas cloutés sur le gazon anglais des rêves, s’immobilisent dès qu’on les regarde, doivent jouer à 1, 2, 3, soleil ! , sonorités cristallines qui s’enrouent avant d’éclater en mille pétales que le vent de la mort éparpille. The ground : nous l’écoutons avec la virginité de notre ouïe vite déflorée par cette vrille rouillée qui perce notre audition jusqu’à ce que la voix comme engourdie d’alcool de Nils nous jette dans une ambiance très Velvet, le drame s’éteint, l’on change de dimension nous flottons dans un entonnoir de rêves mais la voix revient et nous angoisse, elle crie dans notre tête, même balayée par une instrumentation de plus en plus violente elle revient, avant que le vaisseau spatial ne vienne en un sifflement de tuyères infernales s’écraser sur le sol. Très mauvais pour les passagers, excellents pour les auditeurs.

             Très différent mais très proche de Bowie, dans cette manière de composer des morceaux qui répondent à une certaine mise en scène intérieure, à une dramaturgie qui refuse les canons extatiques de la libération aristotélicienne. Une musique qui n’extériorise pas, qui se confine en ses tourments, qui exprime et résume à la perfection les indécisions des âmes de notre époque. Musique analytique et intellectuelle. Ces deux adjectifs étant pour moi signes de qualités extérieures.

    *

             - Voilà ô ma sublime mémoire prodigieuse ma mission réparatrice accomplie !

             - Damie ne fais pas le faraud, n’oublie pas que bientôt devrait sortir le prochain album de Cosse, tu n’as pas intérêt à l’oublier, je te tiens à l’œil !

    Damie Chad.