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thumos - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 611 : KR'TNT 611 : LOU REED / DANIEL ROMANO / LESTER CHAMBERS / CASH SAVAGE / JOE HICKS / THUMOS SPACESEER / X RAY CAT TRIO / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 611

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 09 / 2023

     

    LOU REED / DANIEL ROMANO

    LESTER CHAMBERS / CASH SAVAGE

    JOE HICKS / THUMOS / SPACESEER

    X RAY CAT TRIO

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 611

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Le grand méchant Lou - Part Two

     

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             Le grand méchant Lou renaît de ses cendres en 1972 avec un premier album solo, le tant décrié Lou Reed. Et pourtant quel album ! Enregistré à Londres avec un ramassis de mercenaires, dont deux mecs de Yes, Wakeman et Howe. C’est Richard Robinson qui pousse à la roue et qui a décroché le contrat chez RCA pour un Lou qui ne voulait plus trop sortir du bois. Lou y es-tu ? Grrrrr, répond le Lou, «I Can’t Stand It» ! Il te fait là du pur Velvet de pur genius, il faut bien appeler un Lou un Lou. Ça sonne comme un classique.

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    Il fait aussi de l’ultra-clairette de petit matin blême sur «Walk & Talk It» et boucle son balda avec le mélodiquement pur «Berlin» - You’re right/ And I’m wrong/ You know I’m gonna miss you/ When you’re gone - Et puis voilà qu’en B il réédite l’exploit de «Pale Blue Eyes» avec «I Love You», un chef-d’œuvre de délicatesse chanté à l’accent fêlé. Il passe ensuite au classic Lou avec «Wild Child», une rock-song à la Lou grattée aux accords majeurs, et toujours cette fantastique présence vocale. Toute la teigne est intacte. Encore une bonne surprise avec «Ride Into The Sun», fantastique balladif de la désaille, mais une désaille de haut de gamme, pas accessible à tous.

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             On a déjà chanté les louanges de Transformer. Rechantons-les ! Le son ! Bowie & Ronno, le summum de l’époque. «Vicious» - You do it every hour/ Oh baby you’re so vicious - Klaus ou Herbie on bass. Il existe aussi sur le marché une édition DVD de la série «Classic Albums» consacrée à Transformer. Indispensable, car le Lou sort du bois. Après une belle giclée de footage Velvet, il déclare : «I’ve always known we were the best. And I still doooo.» Il évoque aussi son premier album solo qui n’a pas marché : «The first record was a flop. So let’s do another one.» L’another one est donc Transformer. Back to London with David & Ronno. New stuff. Le Lou rappelle l’origine de «Vicious».

             Andy : «Je veux une chanson vicious».

             Lou : «What kind of vicious ?»

             Andy : «Vicious, you hit me with a flower.

             Lou : «Ahhhh. What a good idea.»

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             Sur Transformer, tu as aussi «Perfect Day» et sa texture parfaite, puis «Hangin’ Round», harsh rock gratté à l’anglaise, le big power du boogie anglais mêlé au Lou, ça donne un mélange divin. C’est Ken Scott qui enregistre. Et puis «Walk On The Wild Side», le groove définitif de New York City. Le mec qui fait le docu interviewe Joe Dalessandro, et Holly Woodlawn qui se plaint de se retrouver dans «Walk On The Wild Side», alors qu’elle ne connaît pas le Lou. Herbie Flowers raconte qu’il touchait 12 £ pour 3 heures, alors pour doubler son cachet, il a proposé de doubler sa piste de bassmatic. C’est de l’humour anglais. En attendant, on voit l’Herbie jouer la bassline à la stand-up - Upright first, with the guitar & the percussions. Puis j’ai demandé à Ken si je pouvais descendre d’une octave et enregistrer la basse électrique en intervalles de dix. Je voulais donner au cut a little bit more atmosphere of character - La classe de l’Herbie ! Ken Scott demande au batteur de jouer avec des balais. Voilà le travail. Le Lou a du mal à comprendre ce que lui dit Ronno : that Hull accent. Ronno apparaît aussi à l’écran, pour évoquer la guitare du Lou, way out of tune. Puis on voit le Lou rendre hommage au Bowie de Satellite - Very few people can do that - Il insiste beaucoup sur la note aiguë qui chante Bowie à la fin. On trouve aussi des chœurs déments sur «I’m So Free» : pur genius combinatoire de chœurs d’artichauts et de heavy chords. Dans le docu, le Lou reprend la parole pour bien situer les choses : «Je n’écris pas pour vous, j’écris pour moi. Et comme vous n’êtes pas si différent de moi, si ça me plait, alors ça peut vous plaire.» Et pouf, il gratte quelques bricoles à coups d’acou, «Waiting For The Man», «Sweet Jane», et il croasse : «It’s only 3 chords. If I can do that, you can do that.»

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              Pour Wally et beaucoup d’autres gens, Berlin «would both become his masterpiece and effectively end his carreer as a major recording star.» Berlin est effectivement a very depressing album - interesting but very depressing, déclare Aynsley Dunbar - I believe Lou was doing heroin, and what came out of it was depression - Dans «The Bed», Jim et Caroline se tranchent les veines dans leur lit. «Alors que Bowie enregistre des crowd-pleasers comme Aladdin Sane, Lou sabote délibérément sa carrière in the name of... what? Art? Arrogance? Disdain? That and more?». Comme d’usage, Wally pose les bonnes questions. Wally ajoute que Berlin fut l’album «le plus profond, au plan émotionnel, le plus challenging au plan musical, et le plus monumentally despised and misunderstood.» Lou devra attendre 20 ans avant de revoir un de ses albums entrer au hit-parade, car bien sûr, Berlin est un énorme flop. Dans Creem, nous dit Wally, Robert Christgrau refuse d’être choqué par Berlin, il disait simplement s’ennuyer. C’est vrai qu’on s’y ennuie. Le Lou y fait de la valse à trois temps à la manière de Jimbo/Kurt Weil («Lazy Day»). On entend le bassmatic pouet pouet de Jack Bruce sur «Caroline Says I» - She’s a German queen -  et Dick Wagner sature «How Do You Think It Feels» de guitare, comme il l’a toujours fait. Ce mec n’arrête jamais. En B, le Lou chante «The Bed» jusqu’à l’extrême délicatesse du feeling, ça donne une dentelle de Calais horriblement macabre. La meilleure chanson de cet album résolument anti-commercial est le «Sad Song» du bout de la B, cut mélodiquement puissant, chargé de tout le pâté du Lou. Il a des chœurs de cathédrale, de l’écho à gogo et le Wagner qui turbine son chocolat. 

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             Les gens ne supportent pas non plus Sally Can’t Dance. «The second-most reviled of his career», c’est-à-dire vilipendé, après Berlin. Lou est au sommet de sa «blond-nazi Lou mania», il y règle des comptes avec du «glam-rock-by-numbers trash». Sally Can’t Dance est, selon Wally, le plus gros hit record qu’il ait jamais eu en Amérique, home of the slave, as Lou saw it. Laugh? He never did more anyway. Avec Transformer, Lou pouvait devenir superstar, mais il en a décidé autrement, «he was out to become the world triple-champion of slamming the door on your own success. Et il allait le faire avec un style que ses fans les plus dévoués n’étaient plus capables d’encaisser.» Tu sauves un cut sur Sally : «Ennui», un très beau mélopif océanique. Donny Weis et Prakash John ramènent du son dans «Kill Your Son», son d’époque avec la basse qui pouette, comme celle de Jack Bruce et «Billy» sonne un peu comme «We’re Gonna Have A Good Time Together», même volonté d’entrain. Mais le Lou n’y est pas. 

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             Au yeux du Lou, Rock N Roll Animal «is still one of the best live recordings ever done». Pour une fois, nous ne sommes pas d’accord avec lui. On s’y ennuie. Les cuts sont tartinés et retartinés par Dick Wagner et Steve Hunter. Défaut d’époque, guitaristes trop bavards. Ils dénaturent l’esprit originel d’«Heroin». L’And I guess I just don’t know devient ennuyeux. On peut même parler de long délire ennuyeux suicidaire. Le Lou chante son «White Light White heat» au gut de vieux Lou de mer.

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              Le Lou Reed Live paru à la suite souffre des mêmes carences. Prakash John vole le show sur «Vicious» avec son bassmatic. Avec «Satellite Of Love», le Lou sonne exactement comme Bowie, même accent, même sens aigu de la décadence. Prakash reste mixé très haut dans le son. Puis ils s’en vont taper «Walk On The Wild Side». Sans Bowie, Ronno et l’Herbie, c’est risqué. Alors Prakash fait son Herbie et les autres font doo dodoo, mais ce n’est pas la même chose. En B, ils tapent «I’m Waiting For The Man», mais on perd complètement l’essence de la version originale. La voix, d’accord, mais pas le backing.

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             Metal Music Machine : pas de paroles, pas de chant, pas d’instruments - A shit-storm of feedback distorsion and high-frequency noise - Un mec d’RCA qualifie la bête de «torture music», mais le Lou reste impassible et indique qu’il y bosse depuis 5 ans. Wally : «Nothing to do with music, but everything to do with Lou Reed wanting to stick it to the man.» Le man c’est RCA et Dennis Katz. L’idée du Lou était qu’avec cet album personne ne puisse être heureux ni faire du blé. RCA retire l’album de la vente au bout de trois semaines, après que les disquaires se soient plaints de trop de «dissatisfied customers». Outragé par les réactions, le Lou piqua une crise, qualifiant Metal Music Machine de ‘giant fuck-you’ «to all those fucking assholes» qui venaient à ses concerts et qui réclamaient «Vicious» et «Walk On The Wild Side». Du pur grand méchant Lou. 

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             Bizarrement, RCA accepte de financer l’album suivant, Coney Island Baby, «the most-listener-friendly collection of post-Velvets songs since Transformer, mais sans les totemeic album touches of musical genius from Bowie and Ronson, of course.» Le Lou compose «Crazy Feeling» pour Rachel, the queen of the scene - And you/ You’re such a queen - Wally compare «Kicks» à «Sister Ray» - the dark, down-at-heel and dangerous to know «Kicks» - Wally a raison de s’extasier sur «Kicks», amené par le plus deepy deep des bassmatics. Le Lou entre en ville conquise. Il est capable de sombres miracles, ‘cause I need kicks ! Ça sort tout droit du Velvet. On retrouve la descente de couplet de «Walk On The Wild Side» et le même type de cha-la-la des coloured girls sur «Charley’s Girl». Le Lou se prend pour un cadeau dans l’«A Gift» - I’m just a gift/ To the women of the world - Puis il monte «Ooohhh Baby» sur les accords de «Sweet Jane». Toujours la même dynamique et la même autorité. Wally rappelle que Mick Rock, l’homme des pochettes iconiques (Transformer et Raw Power) signe la pochette de Coney Island Baby. On l’applaudit bien fort.    

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             En 1976, le Lou signe avec Clive Davis. Début de la période Arista avec Rock And Roll Heart. Bon album, avec la trogne du grand méchant Lou blueté en gros plan. Deux belles énormités sur cet Arista d’aristo : «Banging On My Drum» et «Follow The Leader». Le Banging est très Velvet dans l’esprit. Même son, fast and hard, et belle résonance. Le Leader est plus confus, mais agité par un sax free, c’est vraiment excellent, avec un bassmatic virtuose de Bruce Yaw et le beurre de Suchorsky. Avec «Ladies Pay», la magie du grand méchant Lou opère toujours - Night and day I’m a ladies’ pay - et ses musiciens assurent comme des bêtes de Gévaudan. Environnement idéal. Les lyrics sont fascinants, tiens par exemple ceux du morceau titre - I guess that I’m dumb/ Cause I know I ain’t smart/ But deep down inside/ I got a rock’n’roll heart - Tu ne bats pas ça à la course.  On retrouve l’élan vital du grand méchant Lou en B avec «Senselessly Cruel». Ça sonne comme un classique. Un de plus. Avec «Temporary Thing», on est bien obligé de parler de présence intensive. L’album est excellent. Pourquoi Wally ne l’aime pas ? Mystère et boules de gomme !  

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             Wally décrète que Street Hassle contient «some of the most audacious work for years» et il a raison. Le Lou enregistre les cuts live on stage, because it was more punk - Lou was talking fast again. This had better be good - Le Lou recrache du venin - They’d eat shit and say it tasted good/ If there was some money in it for them - Street Hassle est l’un de ses meilleurs albums, ça grouille de coups de génie, à commencer par «Gimme Some Good Times», heavy Lou System, gimme gimme gimme some good times, il écrase sa tartine à coups de power chords et te précipite dans l’absolu concomitant du pur rock genius. Wow ! C’est d’une rare puissance ! Il gorge son «Dirt» de grosse disto - You’re just dirt - Tu t’en goinfres comme un porc. Et il remet ça en B avec «Shooting Star», rien de plus heavy que ce «Shooting Star» noyé de disto, avec un grand méchant Lou qui navigue à la surface. Son «Real Good Time Together» renoue avec le Velvet, et après le break des chœurs de filles, le cut explose, embarqué par le beurre de Suchorsky. Le morceau titre est un mélopif attachant, aussi attachant que tout ce que peut faire le grand méchant Lou, c’est monté sur un thème insistant et porté par une section de cordes. Un véritable coup de maître. Et puis tu as aussi «I Wanna Be Black», plein comme un œuf, pur New York City Sound. Avec «Leave Me Alone», le grand méchant Lou reste dans l’épaisseur du riff raff métabolique, il te fait là un véritable coup de Jarnac : un stomp new-yorkais primitif doublé au sax. 

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             «Take No Prisoners was the live summation of everything the post-Velvets Lou Reed had been and become over the past near-decade». Lou y provoque le public. Il cite Yeats : «The best lack all conviction while the worst are filled with a passion and intensity. Now you figure out where I am.» Une vraie profession de foi. Il s’en prend nous dit Wally à «fucking Barbra Streisand pour avoir remercié all the little people lors de son discours aux Academy Awards.» Lou : «Fuck short people and tall people, man? I like middle people. People from Wyoming.» Take No Prisoners vaut sacrément le détour. Ça démarre sur les heavy chords de «Sweet Jane». Tu as tout de suite le Lou qui fait son cirque et des cons dans le public font «yeah !». Le Lou y va au fast talk. Tu chopes ce que tu peux. Son Sweet Jane est un prétexte au n’importe quoi. Il fait aussi un «Satellite Of Love», mais il vaut mieux écouter l’original sur Transformer. Bien sûr la voix, bien sûr l’accroche mélodique, mais on perd la magie. On perd la concision. Version pourrie de «Pale Blue Eyes». On perd la pureté. Michael Fonfara er Stuart Heinrich coulent le cut. Le backing est catastrophique. Le pauvre Lou se débat, il flingue sa poule aux œufs d’or, mais il sauve les meubles avec une version démente de «Berlin». Il recouvre les désastres précédents avec une belle couche de trash, il t’explose Berlin au chant du seigneur. Pas de plus beau seigneur de l’An Mil que le Lou. À travers Berlin, il rejoint le Moyen-Age et ses ténèbres. Il a ce pouvoir, il est capable de prodiges et de Sad Café, il remonte son fleuve à la force du chant et finit par devenir lumineux, il devient le temps de ce Berlin-là le plus grand chanteur d’Amérique, il doit être épuisé, un sax le suit comme un chien. L’autre merveille de cet album live est la version de «Coney Island Baby». C’est un orage. Le grand méchant Lou sait provoquer les foudres. Ses hits ne sont que des prétextes à défier les dieux. Il crée du climat à gogo, le Lou sort du bois une fois encore, c’est extravagant, monté en neige, le Lou s’implique à outrance. Il enchaîne avec un «Street Hassle» relentless, idéal pour un ténor du barreau. Il transforme tous ses cuts en grosses tartes à la crème et nous les balance en pleine gueule. Il refait six minutes de «Walk On The Wild Side». Il fait ce qu’il veut, alfter all. Il abuse cependant du street talking. Il attaque «Leave Me Alone» au drone de Velvet. C’est complètement apocalyptique. Il refait «Sister Ray», avec un sax in tow. Même énergie ! Sept minutes d’hot as hell. Bonne pioche. On est content de pouvoir écouter ça. Le Lou fait son Hiroshima Mon Amour.

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             Wally voit The Bells comme «a disjointed jazz-rock mix of songs», et Growing Up In Public comme un «open-hearted if musically underwhelming collaboration with Michael Fonfara». Lester Bangs voit The Bells comme «the only true jazz-rock fusion anybody’s come up with since Miles Davis’s On the Corner.» Deux belles merveilles sur The Bells : «I Want To Boogie With You» et «Families».  le Boogie sonne comme un heavy nonchalama de l’immense Lou de mer. C’est noyé de sax. Et de l’autre côté, tu as «Families» bien contrebalancé par une trompette lancinante et des chœurs de lads désabusés. Pur jus d’hypno, le Lou vise la vieille transe du Velvet. «Disco Mystic» sonne  comme le «Night Clubbing» d’Iggy, en plus lourd. Attention à l’«All Trought The Night» co-écrit avec Don Cherry. On l’entend même souffler dans sa trompette lancinante. Le Lou adore les trompettes lancinantes. Et nous aussi. Et puis tu as le morceau titre. Comme Django Reinhardt, le Lou vise l’absolu de la conservation organique.

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             Growing Up In Public est un album intéressant. Le Lou peut redevenir impérieux comme pas deux avec un cut comme «Keep Away» et il chante «Standing On Ceremony» du haut de sa superbe. C’est excellent, avec un côté Bowie indéniable, mais ce n’est pas un hit. Le hit se planque en B et s’appelle «Smiles». Envoûtement garanti à 100 %. Son Smile se faufile sous la peau. Son Smile est beau comme un Walk On The Wild Side. Il finit d’ailleurs avec une resucée de doo doobe doo doo. Il termine cet album qui-aurait-pu faire-mieux avec un gospel monté sur les accords de «Sweet Jane» : «Teach The Gifted Children» - Take me to the river/ And put me in the water - Le Lou tourne en rond. C’est son problème, pas le nôtre.

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             Un jour, Sylvia Reed emmène le Lou rencontrer Robert Quine, dont elle est l’amie. Robert dit à Lou qu’ils se sont déjà rencontrés à San Francisco, en 1969, au temps du Velvet. Robert Quine avait enregistré le Velvet, et depuis, les Quine Tapes ont été commercialisées. Le Lou et Robert commencent à jammer et ils vont enregistrer The Blue Mask ensemble. Wally estime que «The Blue Mask ranks in the upper echelon of Lou Reed’s greatest works.» Parfaitement d’accord avec Wally, The Blue Mask est une merveille absolue, pour au moins quatre raisons d’acier, à commencer par le morceau titre, une stupéfiante énormité hantée par le Quine, et tu as le Lou qui chante le Blue Mask à la colère rouge. Le Quine te claque encore  des heavy chords sur «Underneath The Bottle», ça devient tentaculaire - Ouuuh ouuuh wee/ Son of a bitch - On voit aussi Fernando Saunders voler sur show sur «My House» avec son bassmatic. Et le Quine carillonner dans «Women». C’est un enchantement de tous les instants. On entend encore le Quine saturer «The Gun» de dissonances, pendant que le grand méchant Lou chante à la menace sourde. Tu ne battras jamais ces deux mecs-là à la course. Encore du heavy Lou en B avec «Waves Of Fear». Le Quine joue comme un dieu, il s’en va inventer des atonalités de sulfure, il joue des vagues d’outer-space, et le Lou renoue enfin avec la grandeur avant-gardiste du Velvet. Il termine cet album génial avec «Heavenly Arms», un puissant balladif hanté par le jingle jangle du Quine. C’est du grand lard fumant.  

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             Sur Legendary Hearts, le Lou explore «the emotional terrain». On le voit avec cette moto dont il est très fier à l’époque, une Suzuque. D’ailleurs il chante ses louanges en B sur «Bottoming Out» - I’m cruising fast on a motorcycle/ Down this windy country road - Excellence du songwriting et du jeu en clair de transparence du Quine. La tension pop est à son maximum. On retrouve le Quine sur le morceau titre qui ouvre la balda. Gros son et grosse compo, tout est là. Les mêmes dynamiques resurgissent dans «Don’t Talk To Me About Work». La période Quine semble aussi féconde que celle du Velvet. Le Quine joue en cisaille de Strato et injecte du venin sonique dans le cul du cut. «Make Up Mind» est encore un exemple de mariage heureux. Le Quine joue en dégradé et le Lou fait le plein. En fait, le Quine multiplie les impertinences. Avec «Home Of The Brave», Bob Quine et Saunders tissent en dentelle infernale, ils s’entrelacent dans le Brave ciel du Lou. C’est d’une musicalité hallucinante.

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             Wally se marre avec New Sensations et son «almost hit single», «I Love You Suzanne», «grown-up Lou sounds like he’s actually faving FUN.» Effectivement, «I Love You Suzanne» te saute au paf. Fernando Saunders fait la pluie et le beau temps chez le Lou, bassmatic plus slap, il devient inexorable. Et puis comme toujours, la voix fait tout. «Turn To Me» a un léger parfum de Stonesy. Saunders entre au deuxième couplet. Que peut-on en dire de plus ? Rien. En B, «Doin’ The Things That We Want To» sonne comme une belle déclaration d’intention et le Lou vire un brin reggae avec «High In The City», soutenu par des jolis chœurs de femmes espiègles et une trompette mariachi, pour faire bonne mesure. 

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             Le Live In Italy est un big one, parce que le Quine y gratte ses poux. On sent que le Quine s’émerveille de gratter derrière son idole, il gratte «Sweet Jane» et «Waiting For The Man» aux accords purs. Il doit être au paradis. Sur «Martial Law», il bâtit un mur du son. Il faut entendre ce ramdam de random. «Satellite Of Love» reste une chanson parfaite, hantée par Fernando Saunders et les arpèges du Quine. En B, il faut entendre le Quine s’extraire de la mélasse de «Kill Your Sons» pour passer un solo mentalement retardé. Pour le Lou, le Quine est le guitariste idéal, aussitôt après Sterling Morrison. Il monte chaque fois un petit mur du son. Ils attaquent la C avec «White Light White Heat». Pour le Quine, c’est la suite du rêve. Tous les guitaristes rêvent ce jouer cet énorme classique. Le Quine gratte tout le Velvet qu’il peut. Ça donne une version explosive. Par contre, ils font un «Some Kinda Love/Sister Ray» un peu popotin. Soudain, le rythme s’emballe et tout bascule dans le chaos de Sister Ray. C’est Saunders qui fait l’Herbie sur «Walk On The Wild Side». Il en a les moyens. Et derrière, ça gratouille sec. 

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             Wally n’a rien à dire de spécial sur Mistrial. Un RCA de 1986, avec un Lou qui gratte ses poux. Il envoie une belle dégelée dans le morceau titre d’ouverture de balda et le Saunders n’est pas en reste. Le Lou est en forme, il fait maintenant des albums de big hard rock. Saunders est omniprésent dans le son. En plus, il produit, alors t’as qu’à voir ! Le Lou reste dans les structures simples du Velvet, mais il a perdu l’avant-garde de Calimero. Il fait du bon vieux story-telling avec «Video Violence». Saunders soigne le son. Pas de batteur, mais une boîte à rythme. Le Lou fait du rap de New York City avec «The Original Wrapper». Diction parfaite. Le Lou est avec Dylan le grand chanteur d’Amérique. Ambiance «Sweet Jane» pour «Mama’s Got A Lover». Le Lou a toujours le même swagger - The essence of urban decay - C’est excellent - I wish she was on the last page

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             C’est John Cale qui passe un coup de fil au Lou «out of the blue» en 1988, pour lui demander s’il veut bien prêter une «oreille critique to his now completed Andy Warhol memorial piece.» Et là Mick Wall exulte : «Lou was more than ready.» Alors il demande poliment à John Cale s’il peut ajouter quelques paroles ici et là. C’est au tour de Calimero d’être soulagé et ravi. Wally utilise le mot «delighted». Toute l’hostilité a disparu et Wally se lâche : «Ils ont de nouveau rassemblé leurs forces pour produire something meaningful.» On n’est pas loin du «something new and even dangerous» des débuts. Songs For Drella est un album prodigieusement littéraire. Calimero y joue ses valses à trois temps et le Lou fait son cirque. Premier coup de génie avec un «Open House» fascinant d’Open House, on y retrouve les pentes de «Walk On The Wild Side», quelques coups de gratte et les notes de piano de Calimero. Dans «Style It Takes», le Lou évoque the Velvet days - You do movie portraits out of the camera - c’est violonné, fantastiquement Velvetty - This is a rock group called The Velvet Underground - Hommage suprême à Andy. Nouvel hommage suprême avec «Trouble With Classiscists» - The trouble with a classicist/ He looks at a tree/ That’s all he sees/ He paints a tree - Même chose avec le sky. Le Lou et Calimero ont le diable au corps, ils indiquent la voie du monde moderne. Cut après cut, l’album devient fascinant. Le Lou attaque «Starlight» à la big disto. Si tu cherches un vrai punk, il est là, c’est le Lou. Lou y es-tu ? Il balaye tout du revers de la main, everybody’s a star. Ils marchent ensuite sur des œufs avec un «Faces & Names» admirable de retenue, et boom, ils te refont le coup du lapin Velvet avec «Images», bien gratté dans la plaie, c’est la spécialité du Lou, il gratte à la sévère, il ramène tout le Velvet dans le son, c’est plein d’accidents, de congestion et de Calimero. Le Lou fait gicler le pus et Calimero travaille sous la peau du son, c’est du Velvet pur, de l’hypno des temps modernes. Le Lou fait encore son vampire dans «It Wasn’t Me» et il s’enfonce dans la mort avec «A Dream». Calimero prend enfin le micro avec «Forever Changed». Il est encore plus exacerbé que le Lou. Cet album somptueux s’achève avec «Hello It’s Me» - I wished to talk to you when you were alive - Le Lou fait ses adieux - I really miss you - Il paraît sincère. Quelle oraison ! On peut parler d’album mythique.

             Alors qu’ils terminent leur messe pour Andy, le 18 juillet 1988, ils reçoivent un coup de fil macabre : Nico s’est cassée la gueule. Accident de vélo à Ibiza. Tombée sur un gros caillou. Kaput.

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             Le grand méchant Lou compose les chansons de New York à la suite de la disparition d’Andy. Il voulait que New York soit «the first big musical statement in years.» L’album reçoit nous dit Wally le même accueil triomphal que les ‘comeback’ albums de Bob Dylan. C’est tout simplement l’un de ses meilleurs albums. Il est déjà très Velvet avec «Romeo & Juliette» et il l’est encore plus avec le «Busload of Faith» qui ouvre le bal de la B des anges. C’est à peu près la même attaque que celle de «Sister Ray» - You can depend on your family/ You can depend on your friends = Doc and Sally inside/ They’re cooking for the down five - c’est exactement le même fabuleux entrain, et il amène son refrain avec un brio inégalable - You need a busload of faith to get by - Il continue de bien gratter ses poux avec «Good Evening Mr. Waldheim», le Lou est en forme, il recrée son vieil hypno tentaculaire. Avec «Sick Of You», il fait du Dylanex à l’état le plus pur. Back to the heavy rockalama avec «There is No Time» battu par Fred Maher. Ça ne rigole pas. Le Lou fait des ravages et il ramène la grosse stand-up de «Walk On The Wild Side» sur «The Last Great American Whale». Et tiens, encore un coup de génie : «Beginning Of A Great Adventure», jazzé à la stand-up. Le Lou te refait le coup du big New York City groove.

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             Avec le «beautiful» Magic And Loss, le Lou rend hommage à deux «dearly departed old friends» : Doc Pomus et Rotten Rita, «the opera-and-speed freak who was always known at the Factory as the Mayor.» Doc Pomus, ça remonte à l’enfance : Lou adorait ses hits. Plus tard, il le fréquentera assidûment, lui rendant visite dans la chambre qu’il occupe à l’hôtel. Le Lou dédie donc Magic And Loss à Doc. On y entend des cuts extraordinaires, à commencer par «Power & Glory» où chante Little Jimmy Scott, l’un des chouchous de Doc. Il y a un Part II de «Power & Glory» que le Lou chante en mode Velvet, c’est noyé de guitares et stupéfiant de grandeur totémique. Avec «Magician» il ramène sa présence inexorable - I want some magic to sweep me away - puis il atteint le cœur du dark avec «Dreamin’» - If I close my eyes I see your face - Il monte «Gassed & Stoked» au sommet du lard, il est probable que ce soit dédié à Doc - This is no longer a working number, baby - Le Lou parle de cendres dispersées sur la mer - You had your ashes scattered at sea - et puis bien sûr le morceau titre, le Lou y va. Lou y es-tu ?

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             Dans Set The Twilight Reeling, le Lou rend cette fois hommage à son vieil ami Sterling Morrison. Et Wally ajoute que l’album est assez gai, car le cœur du Lou bat pour Laurie Anderson. Wally parle carrément de love affair. Mais il doit d’abord divorcer de Sylvia. À 54 ans, le Lou semble avoir trouvé «the perfect-day relationship». Il se pourrait bien que Set The Twilight Reeling soit l’un des meilleurs albums du Lou et comme c’est dédié à Sterling, c’est vite noyé de disto, et ce dès l’affreusement beau «Egg Cream». Wild as Lou. C’est lui qui gratte. Le Lou devient le roi de la purée. Si tu aimes la belle disto, c’est là. Encore un coup fatal avec un «Trade In» complètement désespéré. Sa gratte surmonte le chant, l’idée est fantastique. L’autre coup de génie de l’album est le «Riptide» du bout de la nuit, le Lou plonge dans l’heavy downtown rock des seventies, il atteint un niveau d’intensité assez rare, il retient son cut par l’élastique du pantalon, c’est trop lourd, il éclate dans le rayonnement de ses accords, il grave son génie dans la falaise de marbre, il noie son Riptide dans la purée de disto, c’est très faramineux, le Lou sort du bois une fois encore, il enfonce tous ses clous à la fois, il s’en étrangle, in the riptide, il compte les secondes de son, les secondes de Soul, tu as la mélodie qui fond dans le gratté de poux, c’est quasi-hendrixien. Il rend aussi hommage à New York City avec «NYC Man» qu’il attaque à la Transformer - I’m a NYC man baby ! - La classe de la voix fait tout. Cet album bleu nuit est un so very big album. Le Lou n’en finit plus de faire autorité. Il tape «Sex With Your Parents (Motherfucker) Part II» à l’heavy groove provocateur. Il arrose ça de disto piss off, et ça donne un gros mix de Velvet d’antho à Toto et de NYC rap. Il descend ensuite au barbu avec «Hooky Wooky». Le Lou is on the run, spectacle fascinant. Il n’a pas l’air de s’affoler. Il joue de tous les effets. Sa gratte scintille under the wheels of a car. Il se place encore au-devant du chant avec «Adventurer». Il sonne comme une superstar. C’est l’apanage du Lou que d’être imparable.

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             Pour Wally, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’album suivant s’appelle Ecstasy. L’happy Lou vit désormais sur son petit nuage et enregistre un «cool album». Pas moins de quatre coups de génie sur ce cool album, et ce dès «Paranoia Key Of E», énorme ramshackle, avec Fernando derrière. On croirait entendre Larry Graham au temps de Sly. Le Lou brille dans la nuit, Mick Rathke titille dans son coin et Fernando gronde comme le dragon des légendes obscures. Deuxième coup de semonce avec «Modern Dance», quasi-Dylanex dans le gratté de poux. Le Lou va au Van Gogh Museum d’Amsterdam et en fait une merveille - Doin’ a modern dance - Il te titille ça au mieux. Il ramène sa disto dans «Rock Mindset» et son chant du haut du crâne. Il rétablit la continuité avec le Velvet, il reste dans l’impertinence sonique, avec une prodigieuse gourmandise d’anti-conformisme, il noie son Mindset dans la graisse de disto - When you dance to the rock mindset - Et il enchaîne avec «Like A Possum», qu’il tape encore à la disto maximaliste et au chant noyé. C’est là que ça se passe : si tu veux comprendre quelque chose au Lou, alors écoute le Velvet et «Like A Possum». Ce cut est sans doute son testament, il te tient déjà en haleine depuis douze minutes avec de la disto et du chant d’hallali, ça donne l’un des moments rock les plus spectaculaires, tu n’entendras jamais une telle disto ailleurs. C’est du génie sonique à l’état pur. Tu crois que tu vas craquer à mi-chemin et le cut te berce, c’est infernal. Il règne sans partage sur toutes les régions de ta cervelle. Il revient toujours au chant, comme au temps du Velvet, cette fois sans Calimero, comme s’il voulait prouver que Calimero ne servait à rien. «Like A Possum» sonne comme l’extrême apanage du rock américain. Tu as le Lou en odeur de sainteté. En chair et en os. Tu renoues avec l’ampleur mirifique du Velvet. Au bout de 18 minutes, tu y es encore. Le Lou t’écrase sous sa prégnance indéfectible, et tu en voudrais toujours plus. Il descend du cut comme on descend d’un train dans un Western. On se régale encore de «Mystic Child», bien monté en neige. Leur parti-pris est le ramshakle. Rathke part en vrille et Fernando bassmatique au Love Supreme. Le Lou fait la part des choses dans «Tatters» - Some couples live in harmony/ Some do not - et il tape «Future Farmers Of America» au wild rockalama. Le Lou adore remonter au front. C’est sa raison d’être. Il chante sous un déluge de feu. Il déploie toute son envergure. Le Lou reste une artiste passionnant. Il sort une dernière fois du bois pour «Big Sky». Cut conventionnel, mais avec du power. Six minutes de Lou in the big sky. Tu n’apprends rien de plus que ce que te dit le Lou. Sa voix vibre de plaisir. Ce cut ordinaire dégage quelque chose de spécial. Ses amis lui sont très dévoués. Ils reviennent sans fin. C’est dingue ce qu’ils lui sont dévoués. 

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             Il ne reste pas cool très longtemps. Typical Lou. Il passe du septième ciel à Edgar Allan Poe avec The Raven. Un album dédié à Damie Chad - A series of extraordinary musical set-pieces inspirées des nouvelles et des poèmes de son vieux héros littéraire - Le Lou invite Ornette Coleman, David Bowie et bien sûr Laurie Anderson. Prends ton temps, car c’est un double CD. Il lit les poèmes d’Edgar Allan Poe. Il faut attendre «Prologue» pour commencer à claquer des dents. Le Lou descend dans l’émotion poétique - Oh pitiful soul - Il sort son meilleur baryton - The bed of death & the emotional corpses - La poésie de Poe rebondit dans la glotte du Lou. C’est très spectaculaire. Il passe en mode heavy boogie pour «Edgar Allan Poe». Le Lou semble brouiller les pistes, car Poe est tout le contraire du boogie. C’est comme si tu rendais hommage à Baudelaire avec de la diskö. Avec «The City In The Sea/Shadow», Willem Dafoe et Steve Buscemi font de la poésie cinématographique. Et voilà le coup de génie tant attendu : «A Thousand Departed Friends». C’est du Lou travaillé à la serpe, avec Paul Shapiro au sax, c’est à la fois demented et vénéneux, chargé des grattes du diable et tapé à la fanfare du village. Le Lou ramène tout son power et son gratté de poux inexorable. Puis ça devient purement littéraire avec «The Fall Of The Usher House» - And then I had a vision - On se croirait dans Les Tréteaux De La Nuit, tellement c’est bien foutu. Le Lou fait du théâtre, Poe est l’Hugo américain - Music is a projection of our inner self - Il reste au sommet du lard poétique avec «The Raven». Il crache méthodiquement ses syllabes. Tous les amateurs de poésie doivent écouter cet album.

             Le disk 2 est encore plus spectaculaire. C’est un pèlerinage interminable. Le Lou sort du bois avec «Burning Embers». Il choisit d’en faire un cut brutal et tribal. Il chante avec des glaires plein la glotte. Il bave du sang et des nurses volent à son secours. Il dialogue avec une goule dans «Imp Of The Perverse». On se croirait au Théâtre de la Cruauté. Tous les cuts sont longs, aventureux et intellectuels. On perd définitivement le Velvet mais on gagne un Lou qui prend ses distances avec son passé. Il fait de l’experiment littéraire avec «Vanishing Act», il barytonne pendant cinq bonnes minutes - Looking fort a kiss - Il recherche une certaine forme de pureté - With the young lady - Sa quête de modernité semble aboutir avec «Guilty». Ornette Coleman entre en scène et ça change la donne. Tu n’auras jamais mieux que «Guilty» avec Ornette. Il amène l’énergie du free dans le groove du Lou et ça tourne au miracle - Guilty what can I do - et Ornette pulse son free dans le call on my head. Le free fait bon ménage avec le Lou - Don’t do that - Puis le Lou continue de naviguer dans les mystères de la Boîte Oblongue avant de renouer avec l’éternité pour «I Wanna Know (The Pit & The Pendulum)», avec les Blind Boys Of Alabama qui te groovent le Gospel blues. Cette fois, le génie du Lou consiste à donner le micro aux Blind Boys. Puis il invite Bowie sur «Hop Frog» et ça donne en cut encore plus mythique, car c’est une sorte de réconciliation. Nouveau coup de génie avec «Who Am I? (The Tripitena’s Song)». Il plie son cut comme on plie un roseau. Nouveau shoot de Poe Power, le Lou donne toute sa mesure, l’orchestration démultiplie ses injonctions, il jette tout son poids de superstar dans la balance, il n’en finit plus d’écraser son champignon, il n’a jamais été aussi puissant - Who started this ? - Cet album faramineux s’achève avec «Guardian Angel», l’un des cuts les plus émouvants du Lou, un cut qu’il faut associer avec les magnifiques photos de l’album, l’épée, le Poe, le pacte.

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             S’il fallait résumer Animal Serenade en une seule phrase, ce serait : «Lou Reed est un magnifique artiste.» Magnifique dès «Tell It To Your Heart». Le Lou est capable de beauté intrinsèque. Il y va au Tell It. Avec le Lou, tu as la Chanson. Et la Voix. Avec des majuscules. Il t’en fait six minutes sans problème. Derrière, tu as Anthony et Fernando Saunders. Il enchaîne avec une magnifique mouture de «Men Of Good Fortune», puis son «How Do You Think It Feel» vire «Sister Ray», avec un vieux gratté de poux de Mike Rathke, le Lou ramène sa vieille niaque de Velvet craze. Pure émanation de «Sister Ray» ! Le Lou remonte au sommet de son lard fumant avec «Vanishing Act» - I hope you like it/ It must be nice to disappear/ To have a vanishing act - C’est poignant de beauté profonde. On se goinfre encore d’un «Ecstasy» claqué au Brazil du Lou et éclaté par un solo trash de Mike Rathke. Un Rathke qui refait des étincelles dans «Street Hassle», le Lou cite Tennesse Williams and maybe Raymond Chander. Mais quand Fernando Saunders chante («Reviens Cherie»), on perd tout. Le Lou boucle le bouclard du disk 1 avec l’indémodable «Venus In Furs». Profond et magnifique de shiny shiny boots of leather et ça retombe sur ses pattes d’I am tired et d’I could sleep for a thousand years, avec un solo étranglé d’agonie définitive, Anthony vient faire sa Nico, et le Lou claque son hit pour l’éternité. Le disk 2 est encore plus spectaculaire, car voilà «Sunday Morning» et «All Tomorrow’s Parties» qu’il chante à la glotte Velvet. Attaque sérieuse de bille en tête sur Tomorrow’s. On perd le violon de Calimero, c’est autre chose. Le Lou en fait un blast. Il annone plus loin «The Raven» - This is from the great American writer called Edgar Allan Poe and this is The Raven - Pur Poe sound. Groove morbide. Lecture du poème électrique - Some visitor intruding - Le Lou n’en finit plus de sortir du bois. Il attaque «Set The Twilight Reeling» au gratté victorieux, ça devient du big biz, pire encore, du big Lou. C’est Anthony qui chante «Candy Says», alors on perd le Lou. Il sort une dernière fois du bois pour «Heroin» - I - On sait tout de suite. C’est lui - Don’t know - Il revient faire son cirque - Just where I’m going - La foule chante avec lui - I’m gonna try/ For the kingdom/ If I can - Clameur populaire d’I just don’t know, c’est sans doute le hit du siècle dernier, le hit emblématique de toutes les dérives, avec «Like A Rolling Stone». Le Lou t’expédie ça dans l’enfer du paradis. Il connaît son bois par cœur. Il est le maître du guess I Just don’t know. Il joue de tous les climats d’I/ I wish that, il connaît tous les pourtours de l’excellence du when I’m rushing on my run et du when I put the spike into my vein, il combine toutes les dégelées d’Here/ Roin, il est le fabuleux Impersonator d’it’s my wife and it’s my life, il en fait un hit universel, il transcende tous les a-priori, il balaye tous les pères-la-morale, tous les rois de la petite semaine, le Lou sort du bois avec le plus bel art du monde, il est le full bloom de l’apologie des paradis artificiels et du my blood is in my head, le Lou est le Rimbaud du XXe siècle, il est à l’apogée du Just don’t know, à l’apogée d’une sorte de poésie définitive, la poésie rimbaldienne électrique.

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             Avec Hudson River Wind Meditations, Lou propose «an appealing collection of ambiant sound and noise.» Wally n’a encore rencontré personne qui ait réussi à méditer sur ces «collections d’ambiant sound & noise». Bon alors laisse tomber. Tu n’es pas obligé de tout écouter. Surtout pas ce machin-là.

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             Le dernier album du grand méchant Lou s’appelle Lulu, enregistré avec Metallica. Bon, là, il y a du boulot. Un sacré boulot. Pas seulement parce que c’est un double CD, mais parce que le mythe se mord la queue. On va essayer de dire pourquoi. Admettons que le premier soir, on écoute le disk 1. Ça commence bien ou ça commence mal, tout dépend comment on est luné et de ce qu’on s’est déjà mis dans le cornet. Avec «Brandenburg Gate», le Lou plonge dans l’insanité, ce n’est pas lui qui sort du bois, mais le son. Une énorme purée macabre, tu as un environnement funèbre balayé par des mauvaises odeurs - I would cut my leg and tits off/ Thinking of Boris Karloff and Kinski/ In the dark of the moon - Le Lou paraît à son avantage, il gueule par-dessus le chaos. On écoute son testament, il faut en rester conscient. Le Lou chante jusqu’à la dernière goutte de son. Dommage que ce soit avec ces mecs-là. «This View» ? Voilà pourquoi on ne voulait pas écouter cet album à sa parution. Le Lou est traîné dans la boue du metal. C’est la défaite d’un empereur. Commencer avec le Velvet et finir en compagnie de ces mecs atroces, quelle déconfiture ! Le Lou fait son biz, mais c’est trop metal, trop fucking metal, on n’est pas là pour ça - I am the table/ I am the view - Le vieux Lou de mer s’auto-détruit en explosant. «Pumping Blood» est une insulte à l’injury, ça devient blasphématoire. Ce disk 1 s’enfonce dans le metal. Le Lou renie ses racines, il brouille les pistes. Et soudain, alors qu’on commençait à perdre tout espoir, il revient aux trois accords avec «Iced Honey», bien gratté à la cocote malovelante. Derrière lui, les Metallica se prennent pour le Velvet. C’est assez comique. Le Lou mène le bal - If I can’t trap a butterfly or a bee/ If I can’t keep my heart/ When I want it to be - Il tartine son Iced Honey et réussit à domestiquer ces brutes horribles de Metallica. Avec «Cheat On Me», le Lou veut savoir - Why do you cheat on me ? - C’est normal - I have the loves of many men/ But I don’t love any of them - C’mon ! Et les Metallica s’autorisent à chanter, alors ça frôle la catastrophe.

             Curieusement, le disk 2 laisse une impression mille fois plus favorable. Les quatre cuts sont superbes ! «Frustration» et «Little Dog» sont dignes de Velvet. Le Lou t’enfonce son Frustration dans la gorge. La clameur metal vire Velvet, c’est très spectaculaire. Le Lou taille sa dernière route. Il la taille incroyablement. Il avance dans l’enfer de la ferveur. Il rétablit les équilibres anciens. Les Metallica fourbissent l’heavy redémarrage de la Frustration, ils fourbissent une authentique fournaise et du coup ça devient génial. Le Lou transforme le plomb du metal en or du Velvet. «Little Dog» est du pur Velvet. C’est travaillé dans un son pas violon électrique, mais c’est autre chose. Le Lou rôde encore. Le Lou travaille son mythe jusqu’au bout. Quand on écoute «Dragon», on comprend pourquoi le Lou a choisi Metallica : pour pouvoir plonger. Il avait besoin de replonger dans du son, comme au temps du Velvet. Le Lou est aux abois, c’est l’hallali du Lou, c’est ainsi qu’il faut l’entendre, il chante comme s’il allait mourir, il balance tout ce qu’il peut avant la fin - Ain’t it another way of dying ? - Solo de Metallica, purée surnaturelle, la purée rebondit ! La purée vit sa vie et le Lou revient dedans, le «Dragon» se noie dans le génie sonique. Ils ont réussi à dépasser les bornes, ça cogne dans les digues, c’est incroyable comme le Lou y revient, ça devient de l’immense intensité du Lou mythique, il chevrote à force de présence et de so rejected, c’est pulsé dans la purée des reins, du coup le Lou se retrouve avec une drôle de fière équipe derrière lui, what a flash et quelle leçon ! Aw my Gawd ! Le «Dragon» est tellement bon que tu le réécoutes dans la foulée. Puis il nous fait ses adieux avec «Junior Dad». Les Metallica travaillent bien les atmosphères, comme s’ils remettaient les compteurs du Velvet à zéro. Et là, tu as un son qui singe le violon de Calimero, c’est assez perturbant. Le Lou sort une dernière fois du bois. Sa voix prévaut dans tous les cas. Même avec Metallica. C’est d’autant Velvet que c’est Metallica. Difficile à expliquer, mais c’est ce qu’on ressent. On finit par comprendre que le Lou sait. Que le Lou fait. Et que ça devient sérieux. Because of Metallica. Pur genius. Tout le poids du Lou est là. Magie pure. 

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             Et pour finir en beauté, un petit coup d’Ace : What Goes On - The Songs Of Lou Reed, une compile parue en 2021 dans la prestigieuse collection ‘Songwriter Series’. Comme si la grandeur du grand méchant Lou ne suffisait pas, Ace te colle en plus la grandeur d’interprètes comme Alenjadro Escovedo, Iggy Pop ou encore les Swervedriver. Escovedo se tape «Pale Blue Eyes», il se risque sur le chemin du sometimes I feel so happy, il est pur, alors il s’y colle, il linger on pale blue eyes. Avec Swervedriver, tu as tout de suite du son. Leur mouture de «Jesus» est à tomber dans les pommes. Ils ont autant de profondeur que Yo La Tengo. Ce fabuleux crocodile qu’est Iggy se tape «We Are The People» - We are the people without land/ We are the people without traditions - Il swingue le poème du Lou - We are the people without rights/ Without a country/ A voice/ Or a mirror - Iggy rend hommage au peuple noir - Beyond emotion - Une sorte de poème définitif. Iggy : «The poem is a statement. Lou Reed’s statement.» C’est l’hommage final. «We Are The People» sort de l’album Free. La version de «Walk On the Wild Side» est celle des Dynamics, «reggae dub from France». Ils sont complètement à côté, mais c’est osé. Le choix d’Ace est judicieux. Ils ont tapé dans une cover aussi éloignée que possible de la perfection. Yo La Tengo a choisi «I’m Set Free». L’Ira sait y faire. Il gratte ça au mieux des possibilités. Il gratte au cœur du mythe, il va là où c’est bien. On retrouve aussi le «Rock’n’Roll» de Detroit, le groupe de Mitch Ryder. Ça baigne dans la graisse. Il rend un hommage greasy au grand méchant Lou. On le connaît par cœur. On a tellement écouté cet album dur comme fer. Mitch Ryder pousse on petit scream. Sacré Mitch. C’est à Beck que revient l’honneur d’ouvrir le bal de la compile avec «I’m Waiting For Thr Man». Écoute plutôt l’original. Laisse tomber le Beck dans l’eau. Bryan Ferry s’en sort mieux avec «What Goes On». Le Bryan sait allumer son Lou. Il sait s’affirmer. C’est dingue comme tous ces mecs à la mode ont pompé le Lou. Bon il y a pas mal de plantards (Lloyd Cole, Kristy McCall & Evan Dando, Tracey Horn, Rachel Sweet), même Nico se plante avec «Wrap Your Troubles In Dreams». Elle est sculpturale et pénible. La compile reprend du poil de la bête avec les Primitives et «I’ll Be Your Mirror». Pure merveille hommagière. Tu as enfin le vrai truc, parfait dosage d’ingénuité et de big sound. On savait les Primitives fameux, mais là, ils rayonnent. Quel shoot de Velveting ! Le «Run Run Run» d’Echo & The Bunnymen est assez balèze, car chanté à la niaque de Liverpool. Autre merveilleux hommage britannique : le «Train Round The Bend» des Soft Boys. Ils te l’aplatissent vite fait. Sans la voix mais avec l’esprit. Les Delmonas font une version délinquante de «Why Don’t You Smile Now». Classic Childism. Rien que du beau monde. 

    Signé : Lou Ridé

    Lou Reed. Lou Reed. RCA Victor 1972

    Lou Reed. Transformer. RCA Victor 1972

    Lou Reed. Berlin. RCA Victor 1973

    Lou Reed. Sally Can’t Dance. RCA Victor 1974

    Lou Reed. Rock N Roll Animal. RCA Victor 1974

    Lou Reed. Lou Reed Live. RCA Victor 1975

    Lou Reed. Coney Island Baby. RCA Victor 1975 

    Lou Reed. Rock And Roll Heart. Arista 1976

    Lou Reed. Take No Prisoners. Arista 1978

    Lou Reed. Street Hassle. Arista 1978

    Lou Reed. The Bells. Arista 1979      

    Lou Reed. Growing Up In Public. Arista 1980

    Lou Reed. The Blue Mask. RCA 1982

    Lou Reed. Legendary Hearts. RCA 1983

    Lou Reed. New Sensations. RCA 1984 

    Lou Reed. Live In Italy. RCA 1984

    Lou Reed. Mistrial. RCA 1986  

    Lou Reed. New York. Sire 1989

    Lou Reed/ John Cale. Songs For Drella. Sire 1990

    Lou Reed. Magic And Loss. Sire 1992

    Lou Reed. Set The Twilight Reeling. Warner Bros Records 1996

    Lou Reed. Ecstasy. Reprise Records 1998

    Lou Reed. The Raven. Sire 2003 

    Lou Reed. Animal Serenade. Sire 2004 

    Lou Reed. Hudson River Wind Meditations. Sounds True 2007

    Lou Reed & Metallica. Lulu. Warner Bros. Records 2011

    What Goes On. The Songs Of Lou Reed. Songwriter Series. Ace Records 2021

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    Mick Wall. Lou Reed: The Life. Orion 2014

    Lou Reed. Transformer. Classic Albums. DVD 2001

     

     

     Romano n’est pas un romanichel

     - Part One

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             Bon alors Daniel Romano devait installer sa roulotte dans le coin, et finalement, il n’est pas venu. Dommage. On peut se consoler avec une poignée d’albums, en attendant son retour.

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             Avec le petit Romano du Canada, on est dans la strong pop et la country d’adoption. Il s’est fait une tête d’Américain du XIXe siècle pour la pochette de Workin’ For The Music Man. Il est bon, il fait son petit storytelling. On se croirait à Nashville. Son «Losing Song» plane comme un coucher de soleil sur la plaine du Far West - It’s so easy to have a losing song - Il chante d’un très beau tranchant. Il y va doucement, alors on le suit. On est là pour ça. Il tourne un peu en rond sur cet album, mais on l’aime bien le petit Romano dans sa roulette. Il nous fait penser à Reda Kateb dans Django. Une ravissante petite gonzesse vient le retrouver dans «On The Night» avec sa petite glotte humide. Même chose dans «So Free», elle arrive comme une prune offerte, elle duette, c’est très sexuel cette affaire-là. Cette folle de sexe continue de duetter avec le petit Romano dans «She Was The World To Me». Ils n’en finissent plus de choquer le bourgeois. Sa complainte est belle comme une langue à la sauce piquante. Et puis soudain, le petit Romano passe au heavy drive avec «Poor Girls Of Ontario». La roulotte danse toute seule. Il a l’orgue de Bob Dylan derrière lui. Puis il va commencer à s’enfoncer dans la routine de la roulotte. Il tape son «Joseph Arthur» au tatapoum des Memphis Three de Cash. Il s’amuse bien le petit Romanao avec ses roots.

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             Rien qu’à voir la pochette de Come Cry With Me, on sait qu’on est dans un album de country pure. Le petit Romano s’est déguisé en cowboy d’opérette. L’album est insupportable de country, une vraie collection de clichés. Et pourtant le petit Romano chante d’une voix dévorante. Le cut Saint-Bernard sauveur d’album s’appelle «Chicken Bill», shoot de wild country, il y va au baryton de desperado. Sinon, le reste est à pleurer de country despair, pleurer dans sa bière, bien sûr. So please take my heart.  

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             Il s’est fait une tête de jeune Tom Waits pour la pochette d’If I’ve Only One Time Askin’. C’est encore un album country qu’il tape à l’accent tranchant. Comme il a une vraie voix, il tartine. Cette fois, il propose de la heavy country avec du son. Il impose son incroyable présence vocale. Il tente de passer en force, à la manière de Geno qui lui ne passait jamais en force. Le petit Romano ramasse ses suffrages à coups de présence vocale intense. Il attaque «Strange Faces» en mode wild country, et c’est passionnant, car très chanté. Il fait même de la country de rêve avec «All The Way Under The Hill». Il dispose d’un son épais et sec, à la Hazlewood. Mais ce type d’album est dur à driver, il s’enfonce de plus en plus dans sa routine country et s’enlise. Heureusement qu’il a du son et une vraie voix, car ça pourrait devenir pénible. Il bourre la heavy country sexuelle de «Learning To Do Without Me» de violons et de larmes de crocodile. Il fait son big Romano avec «Two Word Joe», encore un shoot de heavy country qui passe comme une lettre à la poste. Le petit Romano est bien trop pur. Il t’épuise avec sa country de Canadien mal embouché. Il est encore pire que Gram Parsons.

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             En 2016, il arrête les conneries et passe aux choses extrêmement sérieuses avec Mosey. Il se fait une tête de Dylan 65 et jette sa country aux orties pour passer à la fast pop de fast ride. D’ailleurs son «One Hundred Regrets Avenue» est du Dylanex pur jus, il chante du nez, avec la pince à linge, et s’accompagne au piano. Il est à l’aise, pas de problème. Il profite d’«I Had To Hide Your Poem In A Song» pour se fondre dans le groove avec une voix de crotale, le petit Romano devient un surdoué de la ténèbre. Il est un peu comme Lou Reed, il tartine dans l’underground. Il est intense et incroyablement underground. Il s’en va ensuite groover «Toulouse» au you got me smiling. C’est bardé de son et de swing. Le petit Romano sait driver une diligence, comme le montre encore «Hunger Is A Dream You Die In». Il chante ça au doux du menton, sa pop est monstrueusement bien en place, il chante tout en plein dans le mille. Chaque cut est spectaculairement bon. Encore une énormité avec «Mr. E. Me», cette pop âcre et belle te prend à la gorge. Quel cirque ! Il chante toujours à l’accent tranchant, comme au temps de ses albums country, mais désormais, il vise la cosmic Americana avec «I’m Alone Now». Il profite de «Sorrow (For Leonard Cohen And William)» pour descendre dans sa cave chercher des accents à la Cohen et rendre hommage à Leonard. Il bâtit une sorte de bonne petite mythologie, avec «(Gone Is) All but A Quarry Of Stone» : c’est le cabaret de la cosmic Americana au soleil couchant, juste derrière les cactus. Le petit Romano est un effarant caméléon, un génie du do it all. Il visite le haut de sa toile avec «The Collector», il adore se brûler les ailes. Ici, tout n’est que chant, grosse compo, essai, bon album, il en remplirait des tonnes, et il termine cet album indomptable avec un «Dead Medium» tapé aux heavy chords. Il sait très bien éclater un Sénégal, pas besoin de lui faire un dessin. Il chante toujours à la voix de nez et veille à ce que le son reste énorme. À l’intérieur du digi, on le voit en T-shirt avec les bras couverts de tatouages.         

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            Ça se corse encore avec Modern Pressure. Quel album ! Il revient au Dylanex pur jus avec le morceau titre et «Dancing With Ladies In The Moon». Il pousse le jeu de la pince à linge à fond. Avec «The Pride Of Queens», il tape une country pop de haut vol, bien portée par l’orgue Hammond. Il reste dans le même son pour «Sucking The Old World Dry». Que de son, my son ! Le petit Romano finit par devenir aussi puissant que Geno. C’est un bonheur que de l’écouter chanter son Sucking. Il tape «When I Learned Your Name» en mode fast boogie par-dessus la jambe. Le petit Romanao est un fier à bras. Il enfile les cuts comme des perles, tout est alerte et clean, sur cet album. Son «Ugly Woman Heart Pt 2» sonne sec et net, ce cut se faufile comme une couleuvre de printemps. Le petit Romano remonte le courant du country rock. D’ailleurs, il n’en finit plus de remonter le courant de son album, avec un talent mirobolant. Ce petit veinard a tout : la voix, la liberté, l’horizon, l’underground. Il finit avec une petite merveille de country dylanesque, «What’s Become Of The Meaning Of Love». Il t’en bouche encore un coin, car le cut est assez pur et dur, on peut même parler de Beautiful Country Song, c’est somptueux, enduit de son, gorgé d’excellence, très impressionnant. 

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             Tiens encore un big album : Finally Free. Le Romano n’a que des chansons. Cette fois il prend le parti de chanter d’une voix d’hermaphrodite ajourné, mais belle voix au demeurant, et son «Empty Husk» d’ouverture de bal finit en big schlouff d’exaction météorique. C’est important de le souligner. Cet album fonctionne comme un sortilège, car il propose une pop d’entre-deux, une sorte de Fairport romanichel à la crème anglaise, généreux et foisonnant. Le petit Romano a les coudées franches et les dents longues, il vise la Cosmic Americana avec «The Long Mirror Of Time». Il flirte dangereusement avec la perfection, comme le montre encore «Celestial Manis», il va chercher d’extraordinaires textures anatoliennes, il groove dans les racines du ciel. Son art paraît si ancien. C’est d’une certaine façon l’album des tourbillons inespérés. Avec «Between The Blades of Grass», Romano travaille des climats complètement magiques, il y va à la Lennon, il pose sa voix aux portes du paradis. Finally Free est un album fondateur. Les échos de Beatlemania sont superbes, il les tempère à la spatule. Il orchestre encore de sacrées dérives d’orientalisme psychédélique avec «Gleaming Sects Of Aniram», il tisse des climax richissimes, sa technique consiste à traîner dans la longueur.

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             Il attaque sa période Daniel Romano’s Outfit en 2021 avec Cobra Poems. Il va encore créer la surprise avec deux cuts glam, «Animals Above Our Town» et «Baby If We Stick It Out». L’Animals est même assez wild. Le petit Romano peur provoquer des dégâts considérables. Il passe un solo en roue libre et revient dans sa bonne bourre. Il tape son Stick It Out aux congas de Santana. Il sait ce qu’il fait. Il sait chauffer le cul d’un cut et c’est tellement bon que ça vire glam. Ce cut est une merveille d’évolution intrinsèque, il bascule dans le meilleur glam d’après la bataille. Tu vois très peu de gens capables d’un tel exploit sportif. Le petit Romano charge sa barque à la Méricourt. Il chante encore son «Still Dreaming» au sommet des seventies. Il a du génie, il faut le voir gratter sa fin de «Camera Varda» à la débine. Pur Grevious Angel, d’autant qu’il s’agit d’un hommage à l’Agnès de la rue Daguerre. Nouveau clin d’œil à Dylan avec «Tragic Head». Il s’y coule comme un camembert trop fait. Le petit Romano reste incroyablement véridique, c’est puissant, gorgé d’esprit, en plein Dylan 65. Encore du glam avec «Nocturne Child». Bel exercice de style glam. Après, s’il se fait traiter de caméléon, il l’aura bien cherché. Retour au heavy boogie blues avec «Holy Trumpeteer». Pur jus de seventies sound, quasi Stonesy. C’est Juliana Riolino qui chante «Tears Through A Sunrise». Elle y va la mémère, elle a du monde derrière, alors elle y va au la la la. Quelle belle dérive des continents.    

    Signé : Cazengler, romanichel

    Daniel Romano. Workin’ For The Music Man. You’ve Changed Records 2010

    Daniel Romano. Come Cry With Me. Normaltown Records 2013   

    Daniel Romano. If I’ve Only One Time Askin’. New West Records 2015 

    Daniel Romano. Mosey. New West Records 2016                  

    Daniel Romano. Modern Pressure. You’ve Changed Records 2017

    Daniel Romano. Finally Free. New West Records 2018

    Daniel Romano’s Outfit. Cobra Poems. You’ve Changed Records 2021 

     

     

    Wizards & True Stars –

     Musique de Chambers (Part Two)

     

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             À quoi tient la grandeur de l’histoire d’un groupe ? Parfois à bien peu de chose. Une poignée de souvenirs. Le meilleur exemple est l’histoire des Chambers Brothers qu’éclaire le modeste book que vient de faire paraître, quasiment à compte d’auteur, Lester Chambers, Time Has Come. Revelations Of A Mississippi Hippie. On chope l’info de cette parution dans Mojo qui fait un petit focus sur «Time Has Come Today», et en parcourant ces trois pages, on se pose tout naturellement la question : qui s’intéresse encore aujourd’hui aux Chambers Brothers ?

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             Et pourtant, le diable sait si les Chambers Brothers ont frappé les imaginations en 1968 avec «Time Has Come Today», ce single sorti sur CBS dans la fameuse collection Gemini et qu’on est tous allés barboter au Monoprix du quartier. Toute la réputation du groupe est bâtie sur ce hit superbe, réparti sur les deux faces du single, ponctué par la fameuse cowbell de Lester Chambers. Pour les petits culs blancs de France et de Navarre, les Chambers Brothers s’auréolaient de mystère, on les croyait puissants, primitifs et psychédéliques, ils naviguaient au même niveau que Jimi Hendrix et Sly & The Family Stone. Ils sont restés pendant plus de cinquante ans de mystérieuses superstars dont on ne savait pas grand-chose, et c’était bien comme ça. Dans l’expo consacrée au Velvet, New York Extravaganza, à la Villette, on pouvait voir un plan filmé complètement explosif : les Chambers Brothers sur scène chez Ondine’s. 

             Dans un Part One, quelque part en 2019, on a rendu hommage à George Chambers, l’aîné des Brothers, qui venait de casser sa pipe en bois. L’occasion était trop belle de dresser un autel de fortune pour saluer l’œuvre des Chambers Brothers. Leur discographie reste un don des dieux. Dans son book, Lester Chambers ne s’attarde pas trop sur les albums, il raconte quelques souvenirs, comme le font tous les vieux nègres au soir de leur vie, et ces souvenirs valent tout l’or du Rhin. Lester Chambers n’est pas n’importe qui. On le considère comme un sage. D’ailleurs, il suffit d’examiner la photo qui orne la couve. Lester semble rayonner de sagesse psychédélique.

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             Sa préface est un modèle du genre. Il commence par raconter qu’il a joué devant des centaines de milliers de personnes au festival d’Atlanta et au fameux Newport Folk Festival, histoire de rappeler que les Chambers Brothers étaient durant les sixties un groupe extrêmement populaire aux États-Unis. Il enchaîne aussi sec avec le biz : «J’ai reçu mon premier chèque de royalties en 1994, mais entre 1967 et 1994 : rien. Les music giants avec lesquels j’ai enregistré ne m’ont payé que pour 7 albums, je n’ai jamais reçu un penny pour les 10 autres.» Et il conclut le chapitre biz ainsi : «À 79 ans, j’essayais de vivre avec 1200 $ par mois. Un fond de soutien nommé Sweet Relief m’a donné de quoi vivre. Seulement 1% des artistes peuvent engager des poursuites. I am the 99%.»  

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             À l’origine, Lester, George, Joe et Willie Chambers sont un quatuor de gospel, mais ils sont capables de jouer du folk et surtout du rock, ce qui va les rendre inclassables et terriblement en avance sur leur époque - The Brothers had no home. Ils étaient too Rock for Folk, too secular for Gospel, and too raw, real and passionate for Rock - Robert Darden les classe dans les great Soul shouters, qui selon lui, inclut le plus grand d’entre eux, Archie Brownlee des Blind Boys Of Mississippi. Il ajoute que la musique des Chambers «still confronts listeners», au même titre que celle de Sly & The Family Stone et d’Andrae Crouch & the Disciples. Pete Sears voit Lester Chambers comme un pionnier : «Lester Chambers is the real deal. Il fait partie d’une élite d’artistes comme Otis Redding, Sam Cooke et Curtis Mayfield qui ont cassé le moule et inventé une musique nouvelle qu’on appelle la Soul Music.» 

             Au début était non pas le Verbe, mais une pauvre ferme de Carthage, in Echo Hills, Mississippi. La famille Chambers compte 13 enfants, 8 garçons et 5 filles. L’aîné s’appelle George, comme son père, puis viennent Willie, qui sera le guitariste du groupe, Lester et Joe. Le père George est sharecropper, c’est-à-dire métayer, pour le compte d’un patron blanc, Mr. Doug, qui est aussi Grand Dragon du KKK. Mais il protège ses nègres, car ils bossent pour lui. Comme dans toutes ces histoires-là, le patron blanc vient voir le chef de famille une fois l’an pour lui donner ce qu’il a gagné dans son année aux champs : 50 cents - That’s all you cleared this year, George. Mais réfléchis bien, ta famille a un toit sur la tête et tu sais que tu peux avoir tout ce que tu veux au magasin - Toujours la même histoire, Fred McDowell racontait exactement la même, une vie de travail aux champs pour rien. Endetté à vie. C’est le patron blanc qui s’enrichit et le nègre s’endette, car il doit acheter ses semences, ses engrais et tout le reste. Un jour, Daddy George va en ville faire deux trois courses et des gamins blancs commencent à l’embêter, du genre let’s have some fun with the nigger, mais Daddy George a du métier, il sort son couteau. Il rentre chez lui et dit à toute la famille de se planquer dans la pièce de fond, car les blancs vont rappliquer et ça va chauffer. Ils rappliquent le soir même avec des torches et une corde. Daddy George sort sur le perron avec son flingue et leur dit qu’il va y avoir des morts. Alors les blancs se barrent, car ils n’ont pas d’arme. Voilà en gros ce que Lester raconte de son enfance. Le Mississippi dans les années 40 est un endroit extrêmement dangereux pour les nègres. La vie d’un nègre ne vaut pas cher, sauf dans les champs pour bosser à l’œil.

             Le frère aîné George sera le premier à échapper à cet enfer en s’engageant dans l’armée. À sa démobilisation, il va directement s’installer en Californie. Pas question de revenir dans l’enfer raciste du Mississippi. Avec ses deux beaux-frères, il organise l’évasion de la famille. Les deux beaux-frères dont l’un s’appelle Arthur Lee, embarquent nuitamment Willie, Joe et Lester. Ils font gaffe, car Mr. Doug surveille la ferme. Les parents ne partent pas tout de suite. Daddy George préfère négocier son départ avec Mr. Doug. Comme tous les garçons sont partis, Mr. Doug va finir par lâcher prise. Il trouvera facilement une autre famille de nègres à exploiter dans les champs. En gros, Hound Dog Taylor a vécu la même chose et il est allé vers le Nord. Les Chambers vers l’Ouest.  

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             En Californie, les Chambers Brothers commencent à se produire sur scène et chantent du Gospel. Puis on leur demande d’électriser leur set, alors okay, fait Lester - We like Jimmy Reed. We like Hank Ballard. We like Lightnin’ Hopkins as well as Brownie and Sonny. Alors on a décidé de jouer those slow Blues, speed ‘em up and turn them into Blues rock. So, in my opinion, we invented the genre of Blues Rock and never got credit for it - Ils s’électrifient. Grâce à leur relation avec Barbara Dane qu’ils accompagnent en tournée, ils entrent en contact avec Pete Seeger et se retrouvent au Newport Folk Festival en 1965, devant 54 000 personnes, en remplacement de Josh White qui est malade. Ils font du Jimmy Reed with gospel harmonies. Dylan les voit. C’est l’année où il s’électrifie, lui aussi.

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             Eh oui, Dylan flashe sur les Chambers. Il les fait venir à New York car il les veut comme backing singers sur Highway 61 Revisited. Mais Columbia finit par virer les backing vocals, donc on n’entend pas les Chambers. Pour les entendre, il faut choper un bootleg d’Highway. Après la session, Dylan les emmène chez Ondine où il joue. C’est là qu’ils rencontrent Brian Keenan qui va devenir leur batteur et le «5th Chambers Brother». Puis les Chambers vont devenir pendant six mois the house band at Ondine’s - We became the in thing in New York - Berry Gordy vient les trouver pour leur proposer un deal, mais ils gagnent déjà plus que ce que propose Gordy. Il les fait cependant attendre dans la limousine et quand il ressort du club avec Diana Ross, elle ouvre la porte de la limousine et s’exclame : «Mais qui sont ces nègres in my car ?». Fin de l’épisode Gordy. Pendant qu’ils vivent à Greenwich Village, ils voient beaucoup Jimi Hendrix sur scène, et Jimi vient beaucoup les voir. Alors ils se mettent à papoter et deviennent super friends - We did a lot of hangin’ out, girl chasin’ and catchin’ you know? All that good stuff! - Pas mal, non, pour quatre blackos échappés de l’enfer du Mississippi ? Ils sont potes avec deux des plus grands artistes de leur époque : Dylan et Jimi Hendrix.

             C’est grâce à la Dylan connection qu’ils rencontrent John Hammond Sr. Hammond les signe sur Columbia, l’un de ses derniers «coups» avant la fin de son contrat d’A&R chez Columbia. Mais Lester découvre vite que ce contrat est une nouvelle forme de sharecropping. Columbia les exploite et ne leur verse rien : «On devait financer nos propres enregistrements et les musiciens qui jouaient avec nous.» Ils ont en plus le taux de royalties le plus bas, car on les considère comme des nègres des champs. En prime, ils font peur au staff de Columbia.

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    ( David Rubinson)

             Les Chambers connaissent leur âge d’or avec «Time Has Come Today» - Everything on Time Has Come Today was done in one take. Not the first take, mais une fois qu’on a démarré sur la bonne, on ne s’est plus arrêtés - L’idée de la chanson leur est venue en voyant des tas de jeunes faire du stop sans savoir où ils allaient - The times were very psychedelic. People were taking a lot of acid - C’est grâce à David Rubinson que le hit existe. Le boss de Columbia Clive Davis ne veut pas de «Time Has Come Today», c’est hors de question, alors Rubinson décide de l’enregistrer en cachette. Il propose de l’enregistrer live, pas d’overbud, pas de rien, direct. Clive Davis n’est pas au courant, et quand le single sort, il vire Rubinson qui a une femme et deux enfants. Lester dit aussi que Rubinson a battu le beurre pour eux quand Brian Kennan était malade. Profitons de cette belle parenthèse pour rappeler que David Rubinson aida Skip Spence à enregistrer Oar. C’est aussi lui qui produit les premiers albums légendaires de Taj Mahal, de Moby Grape et de Santana. On retrouve son nom au dos des pochettes d’un paquet d’albums de Taj Mahal et de quasiment tous ceux de Moby Grape. Plus The Voices of East Harlem. Enfin bref, avec des mecs comme lui, on n’en finirait plus.

             Les Chambers se produisent at Steve Paul’s Scene, le club le plus hip de New York, Lester fréquent tout le gratin dauphinois de l’époque - Tu pouvais voir John Lennon ou George Harrison. George Harrison was quite the cat. Not Ringo or Paul. They had a different mindset. Jimi Hendrix, the McCoys, the Winter Brothers, Johnny and Edgar, Tim Leary et Donovan traînaient at the Scene - Lester y découvre aussi l’acide - I believed in living life to the fullest - Il en parle merveilleusement bien - You could do everything you wanted to do. You had to see it at first. You could sit and visualize things - Il dit avoir tellement adoré ça qu’il a pris de l’acide chaque jour pendant trois ans et demi. Un soir, sur scène au Fillmore, il sent qu’il quitte son corps - Je me suis envolé, j’ai plané au-dessus du public et j’ai vu mon corps sur scène - Lester dit qu’il doit tout ça à God. Une nuit, son téléphone sonne. C’est l’une de ses copines du Connecticut. Elle lui demande où il se trouve. Il lui répond qu’il est à Los Angeles. Mais elle lui dit qu’il était là, avec elle - I think we were both astral traveling - Il dit avoir vécu ses plus beaux trips while having sex - It’s a great connection. I give God all the credit. I’m a living miracle - Il va loin : «Life can be extended. I’ve been granted an extension.» Il dit être l’un de hommes les plus heureux sur cette terre. C’est Owsley en personne qui lui donne de l’acide. Avec ses frères, ils organisent des parties et tout le monde est sous acide - It was just so peaceful - Chez Steve Paul, Lester rencontre Andy Warhol et Timothy Leary. Et soudain, la coke arrive - True hippies hated it - Il préfère rester sous acide.

             Puis ils font une expérience malheureuse avec Gamble & Huff - The chemistry wasn’t there - L’album ne sort pas. Et Willie Chambers accuse Gamble & Huff d’avoir pompé les Chambers pour alimenter les O’Jays. Et soudain, le monde des Chambers s’écroule : Columbia les lâche. Ils perdent tout : les bagnoles et les maisons. Ils se retrouvent à la rue.

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             Lester indique aussi que Johnny Otis l’a contacté à une époque pour lui demander de produire son fils Shuggie, mais Lester a décliné, «cuz Shoggie had a problem with taking direction at the time.» Lester dit ailleurs qu’il n’aime pas Wilson Pickett, parce qu’il maltraite ses musiciens. Et puis un soir, après un concert, Lester voit ses musiciens remballer et il leur demande où ils vont : Wicked Pickett «had stolen my whole band». Quand Jimi Hendrix casse sa pipe en bois, Lester n’en croit pas ses oreilles. Pour lui, ce n’est possible : «how could a man so well designed mistakenly take too much medication?». Il n’est pas si loin de la vérité. S’il lisait Two Riders Were Approaching, le book de Mick Wall, il serait effaré de voir à quel point il avait raison de se poser cette question. Lester rend plus loin hommage à Steve Cropper : «Steve Cropper is a genius.» Ils ont joué pas mal de fois ensemble - He plays hard and he lives hard - Lester ajoute que Cropper met le volume de son Twin Reverb à fond - He says that’s the only way he can play - Et hop; il passe à Miles et Betty Davis. Il rappelle qu’il a présenté Betty Malbry à Miles. Il fait une grande apologie de Betty, she was the deal - Un jour elle vient trouver les Chambers pour leur dire qu’elle a composé une chanson pour eux, «Uptown» - I just wrote this song for Lester cuz I know he can sing it - Then she started singing it, «I’m goin’ uptown to Harlem» - Miles la repère et demande à Lester de la lui présenter. «Oh man, I like her. That’s my kind of woman. Who does she belongs to?», et Lester lui répond qu’elle n’appartient à personne, «we’re just good friends.» Miles va l’épouser puis la répudier. Miles veut aussi enregistrer avec Lester. Il veut l’harmo de Lester sur «Red China Blues». Mais sur le crédit, il change le nom de Lester en Wally. Alors Lester lui demande pourquoi il a changé son nom. «Who is Wally?», et Miles lui dit que Wally n’existe pas. Qu’il est rien. Wally ain’t got nothing. Lester le prend mal et lui dit qu’il n’est qu’un cold-blood motherfucker. Il se lève et s’en va. Il ne reverra jamais Miles. Lester a compris beaucoup plus tard : Miles voulait que Lester quitte les Chambers Brothers pour partir en tournée avec lui. Il avait tenté de lui expliquer que ses frères n’étaient pas à son niveau - I need you with me - Mais Lester avait refusé son offre - I can’t do that to my brothers. I am a Chambers Brother - Miles a encore essayé de l’avoir avec un salaire de 50 000 $ par mois, mais ça n’a pas marché. Alors Miles l’a éradiqué. Wally Chambers. 

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             On trouve aussi dans le book une fabuleuse interview de Mike Wilhelm. Il remonte jusqu’en 1963, au temps où Brownie McGhee lui apprenait des licks, et où Sonny Terry enseignait des coups d’harp à Lester. Wilhelm apprend aussi des licks avec Mance Lipscomb qui vient du Texas. Pour lui, Lipscomb descend d’une lignée royale africaine - Amazing skin, I thought this guy’s gotta be descended from African royalty. He had that tremendous dignity about him, ya know? His manner was regal - Puis il indique que les Chambers se sont fait plumer - Well boy, nobody got messed over worse than the Chambers - Il fait bien sûr référence à «Time Has Come Today», the gigantic hit qu’on a mis à toutes les sauces. Et il ajoute pour conclure : «They’re friends of mine.»

             L’un des témoignages fondamentaux rassemblés dans ce book est celui de la superfan Janet Davis. Elle explique qu’elle a toujours eu beaucoup d’admiration pour les quatre frères, et surtout pour Lester. Elle a découvert une grande tolérance chez lui, notamment pour les blancs, une tolérance qui lui vient de son père, car dit-elle, c’est ainsi qu’il les a élevés - Peu importe la façon dont ils avaient été traités, ils savaient que ce n’était pas bien. Mais si vous étiez bons avec eux, alors ils étaient bons avec vous - Janet en veut un peu à Lester de ne pas l’avoir appelée à l’aide quand il avait des problèmes de blé - On l’aurait aidé. Ce qu’on a fait quand on a su - Leur manager les a complètement plumés, ajoute-t-elle.

             Un autre témoignage captivant, celui de Jewel Chambers, l’une des sœurs de Lester. Elle raconte que Daddy George avait du sang indien et qu’il savait soigner les gens avec des herbes. Lui et sa femme ont vécu très vieux, presque 100 ans. Elle dit que selon les registres, Daddy George serait né en 1885, mais il était peut être né avant. Elle raconte aussi qu’au temps de la ferme du Mississippi, la famille était très unie. En rentrant le soir des champs, tout le monde se lavait et mangeait ce qu’il y avait à manger, milk and cornbread, et après manger, toute la famille s’asseyait au coin du feu pour chanter - Sing and harmonize - Willie Chambers raconte qu’il a appris à gratter à l’âge de 4 ans - It’s a funny thang. I never had to learn how to play it. I could already - Il explique ça avec une extraordinaire simplicité. Pas besoin d’apprendre, je savais déjà jouer. Il explique que son frère George a appris à jouer de la basse with a washtub bass, et plus tard, sur une Dan Electro. 

             Lester a des enfants, mais il adopte aussi Andre, surnommé Dre. Dre se souvient qu’ado il marchait dans Manhattan avec Lester, et c’était «comme si la Mer Rouge s’ouvrait devant eux. He was such a big star.» Il décrit Lester portant un grand manteau et un chapeau en cuir noir, des bijoux en or et en turquoise, «et les gens s’inclinaient comme s’il était un dieu». Pour Dre, les Chambers Brothers ont vraiment marqué leur temps. Afin d’illustrer son propos, il rappelle qu’une semaine avant de casser sa pipe en bois, Prince est allé chez un disquaire de Minneapolis acheter ses six derniers albums : Talking Book de Stevie Wonder, Hejira de Joni Mitchell, The Best Of Missing Persons des Missing Persons, Santana IV, Inspirational Classics des Swan Silvertones et The Time Has Come des Chambers Brothers.

             Puis Dylan, le fils de Lester, rappelle que Yoko Ono a fait un don à Lester, via Sweet Relief, pour qu’il puisse payer ses factures d’hôpital. Elle lui a aussi avancé un an de loyer - Dad and John were really great friends back in the day - et Lester ajoute : «God bless you, Yoko.»

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             Dans Mojo, Lester conclut le jeu des questions croisées ainsi : «Il y a eu Arthur Lee & Love, Jimi Hendrix, Sly & The Family Stone, but we did it first.»

    Signé : Cazengler, Chambête comme ses pieds

    Lester Chambers With T. Watts. Time Has Come. Revelations Of A Mississippi Hippie. Amazon 2022

    Lois Wilson : Time Has Come Today. Mojo # 355 - June 2023

     

     

    L’avenir du rock –

    Cash est cash (Part One)

             L’avenir du rock a parfois la folie des grandeurs. Il se pointe dans un magasin et remplit son caddy : une pierre, deux maisons, trois ruines, quatre fossoyeurs, un jardin, des fleurs, un raton laveur, une douzaine d’huîtres, un citron, un pain, un rayon de soleil, une lame de fond, six musiciens, une porte avec son paillasson, un monsieur décoré de la légion d’honneur, un autre raton laveur, un sculpteur qui sculpte des napoléon, la fleur qu’on appelle souci, deux amoureux sur un grand lit, un receveur des contributions, une chaise, trois dindons, un ecclésiastique, un furoncle, une guêpe, un rein flottant, une écurie de courses, un fils indigne, deux frères dominicains, trois sauterelles, un strapontin, deux filles de joie, un oncle Cyprien, une Mater dolorosa, trois papas gâteau, deux chèvres de Monsieur Seguin, un talon Louis XV, un fauteuil Louis XVI, un buffet Henri II, deux buffets Henri III, trois buffets Henri IV, un tiroir dépareillé, une pelote de ficelle, deux épingles de sûreté, un monsieur âgé, une Victoire de Samothrace, un comptable, deux aides comptables, un homme du monde, deux chirurgiens, trois végétariens, un cannibale, une expédition coloniale, un cheval entier, une demi-pinte de bon sang, une mouche tsé-tsé, un homard à l’américaine, un jardin à la française, deux pommes à l’anglaise, un face-à-main, un valet de pied, un orphelin, un poumon d’acier, un jour de gloire, une semaine de bonté, un mois de marie, une année terrible, une minute de silence, une seconde d’inattention, et cinq ou six ratons laveurs, un petit garçon qui entre à l’école en pleurant, un petit garçon qui sort de l’école en riant, une fourmi, deux pierres à briquet, dix-sept éléphants, un juge d’instruction en vacances assis sur un pliant, un paysage avec beaucoup d’herbe verte dedans, une vache, un taureau, deux belles amours, trois grandes orgues, un veau marengo, un soleil d’Austerlitz, un siphon d’eau de Seltz, un vin blanc citron, un Petit Poucet, un grand pardon, un calvaire de pierre, une échelle de corde, deux sœurs latines, trois dimensions, douze apôtres, mille et une nuits, trente-deux positions, six parties du monde, cinq points cardinaux, dix ans de bons et loyaux services, sept péchés capitaux, deux doigts de la main, dix gouttes avant chaque repas, trente jours de prison dont quinze de cellule, cinq minutes d’entracte et plusieurs ratons laveurs.

             Voyant le caddy surchargé, la caissière acariâtre demande d’un ton sec:

             — Comment comptez-vous payer tout ça ?

             — Cash Savage !

     

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             Oh bien sûr, il n’est pas utile de chercher un lien entre Jacques Prévert et Cash Savage. Il n’en existe pas. Prévert sert uniquement de prétexte. Une occasion en or de saluer un vieil ami. L’adoration de Prévert et de son Inventaire remonte à la petite enfance, à peu près en même temps que Tintin & Milou : cadeau d’annive d’un grand-père génial qui vendait des livres d’occasion à la Bastille. Et puis il y a Drôle D’Immeuble. Et puis il y a Gildas qui lui aussi connaissait bien les ratons laveurs.

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             On voit Cash Savage trois jours de suite. Le premier soir, c’est un peu compliqué, car on cherche des gens dans la foule. Mais bon, on entend des échos favorables. Le deuxième jour, on les voit faire leur sound check et soudain, on comprend mieux ce qui fait la particularité de leur son : la violoniste amène une énergie considérable. Deux guitares et un clavier, oui, d’accord, mais c’est le crin-crin qui jette de l’huile sur le feu. On se moquait jadis du violon, jusqu’au jour où on entendit celui de John Cale. Pas de Velvet sans violon électrique. Pas de Cash Savage sans la violoniste sauvage.

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     Pendant le set, dans les temps forts, on la voit danser, comme emportée par le tourbillon, ces gens-là sont de gros cultivateurs de climax, ils donnent du temps au temps et leurs cuts finissent par engendrer une sorte de heavy transe australienne, c’est très particulier. Ils ont beaucoup de mérite, car ils doivent faire oublier la réputation bourre-et-bourre et ratatam du rock australien, surtout le rock des bars de Melbourne, un rock qu’on pourrait appeler le rock-aligot, bien bourratif. Quand tu y plonges ta fourchette, tu as du mal à la retirer. Avec le rock-aligot, tu colmates les fissures dans les murailles d’un donjon. Si tu avales bêtement du rock-aligot au repas de midi et qu’après tu vas te baigner, tu coules à pic, comme si on t’avait scellé les pieds dans une bassine de béton. Mais curieusement, les Cash font décoller le rock-aligot. Et ça marche. C’est un phénomène physique assez fascinant.

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    Et tu as la Cash qui drive tout ça en fixant la foule d’un air mauvais. Certains croient même que c’est un mec, avec ses cheveux courts et ses bras de docker. Rien de féminin chez Cash. Elle est là pour rocker la Bretagne. Alors elle te la rocke de plein fouet. Elle coule son corps dans le groove des Last Drinks. Le deuxième soir, Cash Savage se produit sur la grande scène. Et ça marche encore mieux. La foule les adore. Binic’s burning ! Les revoir une troisième fois ne pose aucun problème, d’autant qu’ils mettent un point d’honneur à proposer des sets différents. L’ambiance reste la même, les deux guitaristes cavalent dans la pampa, la rythmique-turbo-compresseur propulse tout ça entre tes reins et la petite violoniste superstar mène la gigue du rock-aligot, ça prend des proportions faramineuses, ils grimpent au sommet du lard fumant, comme s’ils étaient ivres de popularité. Cash Savage allume la gueule du Folk Blues Festival qui adore ça.    

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             Mais ce n’est pas fini. Jacques a entendu dire qu’il existait un book sur Cash au merch. Alors on s’y rend. Effectivement, ça se passe au fond d’un merch noir de monde. Il faut jouer des coudes pour s’y rendre. L’auteur propose quelques exemplaires d’un petit polar intitulé Dans Les Yeux De Cash Savage. Barbu, petit, Xavier Le Roux est en plus très sympathique. Il se fend de deux belles dédicaces pour les deux ex qu’on lui achète. Très belle dédicace : «Toi qui connaît la musique, on a dû te dire qu’elle adoucissait les mœurs. Vraiment ?». Il propose qu’on aille siffler une bière tous les trois le lendemain, mais on ne retrouvera pas sa trace. Dommage. Il reste le book. Il se lit d’un trait d’un seul. L’auteur réussit un petit coup de maître en situant l’intrigue à Binic, justement, et ce qu’il décrit correspond exactement à ce qui se passe quand on y séjourne et qu’on y fait la fête. La plage, l’alcool, la bonne ambiance et la musique. Le personnage principal s’appelle Niels, et il flashe sur Cash Savage qui se produit sur la grande scène, la Banche. Il s’approche de Cash pour la voir de plus près et retrouve dans son regard celui de sa sœur Paule disparue dans d’étranges circonstances 20 ans plus tôt. Le Roux parle en fait très peu de Cash Savage. Juste deux petites allusions. C’est un polar, pas un rock book. Niels mène l’enquête. Il veut savoir ce qui est arrivé à sa frangine 20 ans plus tôt, chez les punks de Saint-Brieuc. L’ambiance du polar est très punks à chiens, la bande son aussi. Le Roux écoute essentiellement du punk-rock. On n’apprendra rien de particulier sur Cash Savage. Peut-être n’y a-t-il rien de particulier à apprendre. Contentons-nous des concerts et des disks encore disponibles.

             Le dimanche, on cassait la graine sur le port et qui qu’on voit arriver ? Cash Savage. Alors on lui court après, on la rattrape et on la voit de près. Très beau regard. Fascinant personnage. Elle dédicace le book de Jacques. Moment extrêmement émouvant.

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             Le dernier album de Cash Savage & The Last Drinks s’appelle So This Is Love. Le graphiste a essayé de faire du faux enfantin pour décorer la pochette. Bon enfin bref, on ne va pas épiloguer sur le faux enfantin. Par contre, on va pouvoir épiloguer sur deux sacrés coups de génie : «Push» et «Keep Working At Your Job». C’est un peu comme à Binic, le premier coup, on se force un peu, et le troisième coup, on commence à adorer. Parce que c’est à Binic ? En tous les cas, le «Push» est wild as Cash, elle est dessus, avec une réelle compassion pour la désaille, elle te plonge son Push de Cash dans la bassine d’huile bouillante et en ressort un beignet d’une grandeur marmoréenne, c’est-à-dire démesurée - I’m not feeling too hot today ! Push ! - Elle pousse son Push à la roue. Les Last Drinks tapent dans un registre différent avec «Keep Working At Your Job». Il n’y a rien d’australien dans ce rock, ils se montrent très ambitieux, avec un côté anglais, très têtu. Mid-tempo hypnotique, très combinatoire, capable de conquérir des empires. C’est le genre de cut qu’on réécoute dans la foulée. Cette façon de poser les accords est très anglaise, très get it, très control, c’est chanté de biais, avec des notes frelatées introduites dans la vulve, ça s’envenime, I’m doing my best, ça éclate comme un fruit trop mûr, et là ils raccrochent les wagons et ça prend une tournure à la Méricourt du keep working at his job, il y a des nappes de crème anglaise et du heavy dub de dumb. Le cut percute. L’autre grosse surprise de l’album est un clin d’œil au Velvet : «Everyday Is The Same». Elle enflamme tous ses cuts avec entrain, et cette façon de poser les choses est très Velvet. Avec «So This Is Love», elle joue sur les effets. Ça met du temps à monter et ça monte au pulsatif, les Last Drinks sont les maîtres du pulsatif d’Ararat, rien ne peut entraver leur ascension, la Cash vise le summum du sommet, dans une fantastique clameur d’Elseneur. Tous ces musiciens ne sont pas là pour rien. Et comme le montre «Hold On», on voit tout de suite qu’elle sait descendre dans l’arène. Elle a vraiment un truc. Elle est précise et killeuse. Une vraie Russell Crowe. Elle transforme le big Cash System en fonds de commerce. Globalement, Cash Savage se confronte avec ses cuts. Elle y va et elle est bonne. Son heavy boogie ne laisse jamais indifférent. 

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             On se doutait qu’ils avaient un truc sur scène. Figure-toi que sur Good Citizen, Cash et ses amis ont un «Pack Animals» qui sonne comme un vieux cut des Modern Lovers, rien que ça. Voilà pourquoi ça marche sur scène, il suffit d’avoir les bonnes références. Ce Pack Animal est du pur hypno Velvet, via Pablo Picasso. En plein dedans ! - I’m not being too sensitive - pur Modern Lovers de dot dot dot exploiting me. Elle t’explose ça au everything gonna be right. On se souviendra de son not being too sensitive. L’autre point fort de l’album est l’«Human I Am» d’ouverture de bal. Elle y ramène toute sa morgue de docker. Ça manque de crin-crin mais que de son ! Par contre, la violoniste amène des relents de Velvet dans «Sunday», mais juste des relents, faut pas exagérer. Et Cash repart vite à l’assaut avec «Found You», c’est du gros Last Drinking. Des fois, elle fait un peu mal aux oreilles. Elle tente encore de faire du lard avec «Kings», elle rentre dans le chou du cut avec un voix vibrante et pleine d’avenir, et ça se noie dans de fabuleux éclats de poux. On croit entendre une dérive mal assurée. Elle chante au heavy glissando, devient vaguement maniérée et tape sans le vouloir dans une sorte d’extrême décadentisme. Elle termine cette belle affaire en nous prévenant : the collapse is coming. Elle fait son job, la petite Cash et se barre dans un beau délire de she don’t be afraid/ Dont be afraid of the violence.  

    Signé : Cazengler, coche sauvage

    Cash Savage & The Last Drinks. Binic Folk Blues Festival (22). 28/29/30 juillet 2023

    Cash Savage & The Last Drinks. Good Citizen. Milstetone 2018

    Cash Savage & The Last Drinks. So This Is Love. Glitterhouse Records 2023

    Xavier Le Roux. Dans Les yeux De CashSavage. La Geste 2022

     

     

    Inside the goldmine –

    Hicks Hicks Hourrah !

     

             Nix ne payait pas de mine. Le cheveu rare, le visage mal dessiné, la barbe mangée aux mites, des lunettes de pauvre rafistolées avec du sparadrap rose et un peu sale, il semblait collectionner toutes les avanies physiologiques. Pour un mec qui sortait tout juste de l’adolescence, il offrait le spectacle d’une désolation précoce. Sa maigreur n’arrangeait rien. Il était même déjà légèrement voûté. Il offrait toutes les apparences d’une proie idéale. Il incarnait parfaitement le souffre-douleur tel qu’il a existé dans toutes les écoles, dans toutes les colos, dans tous les collèges et certainement dans toutes les casernes. Quand les vannes commençaient à pleuvoir, Nix était le premier à se marrer. C’était l’occasion pour nous d’apercevoir ses dents pourries. On aurait dit qu’il en faisait exprès d’avoir tout faux. Et il rigolait de bon cœur. Même quand on le traitait de face de cul. Il attendait juste la suite. Il savait qu’après les mots venaient les gestes. La petite bourrade d’épaule, le petit coup de pied au cul. Il connaissait tout ça par cœur. Il alla s’asseoir au soleil sur un banc et posa son sac près de lui. Il en sortit une cannette de bière qu’il décapsula avec ses dernières dents, puis un paquet de tabac gris et un carnet de feuilles. Il commença à rouler sa clope. Il mit un temps infini à la rouler, il la voulait parfaite, il en tortilla l’extrémité avant de la coincer entre ses lèvres. Avant qu’il n’ait eu le temps de sortir son briquet, l’un des houspilleurs s’approcha et lui demanda s’il voulait du feu. Il avança la main et d’une pichenette, il délogea la clope des lèvres de Nix. Éclat de rire général ! Ah qu’il est con ce Nix ! Ah la tâche ! Alors Nix se leva, il retroussa les manches de son gros pull marin. Les rires cessèrent immédiatement. Nix portait sur chaque avant-bras un énorme tatouage. Celui qui couvrait son avant-bras gauche figurait un calvaire, semblable à ceux qu’on voit aux carrefours des routes, dans les campagnes. Autour du calvaire dansaient des crânes horribles et des inscriptions en caractères gothiques. Celui de l’avant-bras droit figurait un immense poignard. Deux serpents s’enlaçaient autour de la lame. Leurs yeux et le manche du poignard étaient colorés en rouge. Avant que les houspilleurs n’aient eu le temps de revenir de leur surprise, Nix leur était tombé dessus. Il commença par en choper un par le col et le frappa dix fois au visage, puis il lui brisa des os. Crack ! Crack ! Il en chopa un deuxième puis un troisième. Tout ça en un éclair ! Les autres s’enfuirent, terrorisés. Nix aurait pu défoncer la porte d’un coffre-fort d’un seul coup de poing. C’est à l’école de la vie qu’on apprend à ne pas se fier aux apparences.  

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             Nix ne paye pas de mine ? Il n’est pas le seul dans ce cas. Joe Hicks ne paye pas de mine non plus. Hicks a des faux airs de rasta et au dos de la pochette de son seul album, on le retrouve assis sous une véranda, avec, semble-t-il, des chaussettes bleues trouées. C’est tout ce qu’on a :  la pochette de cet album. On ne trouvera rien d’autre sur Joe Hicks. Il faut donc se contenter de ce portrait mal éclairé. Mais comme dans le cas de Nix, ce serait commettre une grave erreur que de ne pas prendre Joe Hicks au sérieux.

             Comment croise-t-on la piste de Joe Hicks ? Dans les parages de Sly Stone. Joe Hicks a enregistré un single sur l’éphémère label de Sly Stone, Sun Flower («Life & Death In G&A»), une petite merveille qu’on retrouve d’ailleurs sur l’une des compile qu’Ace consacre à l’early Sly, Listen To The Voices (Sly Stone In The Studio 1965-70), une sorte de passage obligé pour tout amateur de wizards et de true stars. C’est à l’aune de ces compiles qu’on mesure les hauteurs totémiques. On trouve aussi sur cette compile deux autres cuts de Joe Hicks, «I’m Going Home» et «Home Sweet Home».

             Aucun de ces trois cuts produits par Sly Stone ne figure sur le seul album de Joe Hicks, Mighty Joe Hicks, sorti en 1973 sur un sous-label de Stax, Enterprise. Les albums d’Isaac Hayes sont aussi parus Enterprise.

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             Quand on écoute Mighty Joe Hicks, on regrette qu’il n’y ait eu qu’un seul album, car l’Hicks vaut sacrément le déplacement. Dès «The Team», tu tombes sur une énormité rampante. Stax sound, bien sûr, mais on sent l’énorme influence de Sly. Hicks est une bête de Gévaudan. Planquez-vous ! Il tape ensuite «Nobody Knows You When You’re Down And Out» au heavy blues classique mais il sort un beau chat perché bien gras, et il n’hésite pas à pousser le bouchon. On sent chez une lui fantastique liberté d’expression. «Train Of Thought» sonne presque comme un hit, logique car co-écrit par Hicks et Freddy Stone. Jusqu’au bout de son balda, Hicks fait corps avec sa matière, il rentre dans le chou de l’interprétation, il s’en empare pour l’enrichir. Il chante au cœur de lion. En B, il s’en va bouffer le slow blues d’«Allin» tout cru, up and down, il groove exactement comme Stephen Stills dans «Season Of The Witch», même génie interprétatif. Le guitariste s’appelle Ken Khristian. Puis il chante «Water Water» en suspension et clôt l’affaire avec un «Ruby Dream» frelaté aux relents de reggae, ce qui paraît logique vu que Bob Marley et lui se ressemblent comme deux gouttes d’eau.  

    Signé : Cazengler, gros hic

    Joe Hicks. Mighty Joe Hicks. Enterprise 1973

     

    *

    Thumos nous semble un des groupes de post-métal les plus intéressants, une musique forte, une vision intellectuelle du monde, une démarche difficile et osée. Tout pour nous plaire. Voici les deux EP qu’ils ont sortis cet été.

    TYRANTS AT THE FORUM

    THUMOS / SPACESEER

    ( K7 / Bandcamp / 4 Juillet 2023 )

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    La pochette est sans appel. Une photo du forum romain des restes de la basilique Julia. Pour la petite histoire une basilique romaine n’était pas un bâtiment religieux. Ce sont les chrétiens en quête de lieux assez larges pour accueillir une vaste foule venue assister à la messe qui à la fin de l’Empire squattèrent ce genre d’édifice qui offrait de grandes salles dévolues à plusieurs types d’activités, très souvent c’est-là où se déroulaient les procès. La colonnade de la basilique Julia se retrouve dans les guides touristiques vantant la beauté de Rome. Ici c’est un peu raté, la photographie, largement sous-exposée, aux tons quasi-cadavériques, présente un aspect peu engageant.

    Le titre est sans équivoque. Les tyrans gouvernent la cité. Les noms se pressent à nos lèvres, Marius, Sylla, César, Caligula, Commode… Dénoncer les despotes disparus depuis plus de deux mille ans ne mange pas de pain, un passe-temps sans danger, il est des symboles qui ne trompent pas, ce n’est pas un hasard si Tyrants at the forum est sorti le quatre juillet, jour de fête nationale de l’Indépendance Américaine, non les dictateurs ne siègent pas au Sénat Romain, ils résident à la Maison-Blanche. Thumos sort un EP politique.

    Ce n’est pas la première fois. N’avait-il pas déjà le quatre juillet 2022, voici à peine un an, grâce à la sortie de The Course of Empire initié à partir d’une série de tableaux de Thomas Cole une longue réflexion sur le destin des empires de leur naissance à leur écroulement… (Voir notre chronique 562 du 07 / 07 / 2022). Certes l’on pensait à Rome, l’iconographie nous y poussait, aussi un peu aux Etats-Unis car le passé n’a d’importance que par son influence sur le présent, toutefois le propos pouvait être pris sur un plan beaucoup plus général, comme une méditation philosophique sur l’inéluctabilité de la fin de toute chose en ce bas-monde… Mais cette fois les notes de pochette s’avèrent des plus explicites : le déclin des USA se précise, peut-être même se précipite-t-il, la Cour Suprême a défait ou promulgué des lois qui protégeaient minorités marginalisées (LGBTQ), classes sociales inférieures, femmes, personnes racisées… Les divisions sociétales s’accentuent, l’ensemble tient encore   mais pas pour très longtemps si l’on n’y remédie point…  

    The Course of Empire avait été réalisé avec l’aide de Spaceseer. Très naturellement ce disque qui s’inscrit dans la continuation de l’opus regroupe les mêmes participants, cette fois ils ne mêlent pas leur action, chacun bénéficie de deux plages de ce split d’un nouveau genre car il s’agit d’écrire à deux mains des chapitres qui ne n’expriment qu’une seule et même idée.

    Spaceseer : Pseudonomas : le lecteur qui aura lu notre introduction risque d’être surpris, nous lui avons promis un drame et la musique de Spaceseer n’est en rien dramatique. Ceux qui connaissent Spaceseer ou qui auront lu chronique que nous lui avons consacrée (livraison 538 du 29 / 09 / 2022) le seront moins. Spaceseer évoque des univers fabuleux, cette œuvre évoque un conte merveilleux empli de rebondissements qui se déroulerait dans un monde féérique et de songe… Soyons logique, ce morceau se situe avant la catastrophe en gestation avancée. Une musique fluide, légère, allègre qui donne envie de danser, d’exulter, des synthétiseurs coule une eau pure, cristalline, euphorisante, un peu comme la pluie germinative qui tomba sur Woodstock porteuse de promesses non pas de liberté mais de libération, qui indique que le champ des possibles est en train de s’ouvrir… elle semble se transformer en torrent sonore mais la musique glougloute, ne reste plus maintenant que l’eau qui coule, qui ruisselle, porteuse d’espoir encore, mais qui se disperse, s’amenuise, se subdivise en minces filets invisibles, ils disparaissent goutte à goutte… absorbés par le sable de la réalité. Le rêve est terminé, éteint, mort.  Un conseil mettez le son très fort afin que vous puissiez entendre sur la fin les ultimes susurrements agoniques. Thumos : He spake thus : qui parle ? On s’en moque, d’autant plus que Thumos est un groupe instrumental, un tyran parle, ils disent tous la même chose, vous savez avant même qu’ils ouvrent la bouche. Les premières notes raviront ceux qui aiment les sagas grandioses et  les péplums tumultueux, cela vous a de la gueule, ça brille, vous vous calez dans votre fauteuil, vous voulez en prendre plein les oreilles, oui mais ça ne se passe pas comme vous le désirez, peu d’action, le rythme s’appesantit, c’est lourd, c’est noir, le son s’éternise, la batterie vous assomme avec la grâce d’un troupeau de pachydermes claudicants, refusent de disparaître, prennent un malin plaisir à tourner en rond autour de vous, vous comprenez que vous subissez les affres d’un ennui mortel, il tombe sur vous telle une chappe de plomb, mais vous ne saurez tenter de vous échapper, une grande menace plane sur vous et vous oblige à rester aux aguets, à vous méfier, à craindre, est-ce enfin la fin ce rebondissement et ce tintamarre qui vous strie les oreilles, silence, non le son revient, il tinte comme une berceuse funèbre, une nuit nauséeuse vous recouvre lentement. La structure finale de He spake thus est parallèle à celle de Pseudonomas, à une différence près : Spaceseer vous abandonne tout nu au milieu du désert, Thumos vous englue dans un cercueil de goudron. Thumos : Sophrosyne : une guitare davantage onctueuse, point du tout poisseuse, traversée de lumière mais des notes plus fortes viennent s’y greffer, pas destructrices, mais titillantes, inquiétantes, des éclairs, attention ils sont le signe de la foudre dévastatrice, avancez pas à pas, la sagesse n’est pas un acquis sous les lauriers de laquelle vous reposez, elle est une recherche, elle est une quête, une prudente avancée, danger les chausse-trappes et les coups tordus sont partout, surtout en vous-même,  la paix de l’esprit n’est pas pour vous, le voile de la vérité ne se nomme-t-il pas l’erreur,  vous ne triompherez de la grand menace incapacitante qui vous emprisonne que si vous parvenez à discerner ses faiblesses et à entrevoir la manière de la vaincre. N’espérez rien, contentez-vous de vous battre. La fin ressemble aux précédentes. La coupure n’est pas franche. L’entaille saigne. Vous n’êtes pas encore sorti de l’auberge. Ni de la caverne. Dans laquelle votre intelligence est engluée. Spaceseer : Hericium Hephaestus : Le titre peut paraître énigmatique. Il existe un ordre de champignons nommés Hericium. Au mois de janvier de cette année Spaceseer a sorti un opus dont la belle couve de Christopher Robert Andreasen représente un Héricium Crinière de Lion. Cet album numérique s’inscrit dans une suite dont les titres et les couves ne sont pas sans évoquer le monde des champignons : Pleurotos Djamora ( Pink Oyster Mushroom ), Pleurotos Ostreatos ( Blue Oyster Mushroom ), rajoutons Basileus Cerbensus, ces quatre albums content une étrange histoire, celle de deux peuples qui vivent en paix, mais cette entente osmosique résistera-t-elle au développement des mystérieux Colosses… le lecteur cartésien jugera ce récit un tantinet étrange, qu’il se souvienne des hallucinatoires vertus des champignons et qu’il se rende compte que ce conte cramoisi n’est pas sans rapport avec le thème de la désintégration des empires qui nous préoccupe.  A ma connaissance il n’existe pas dans le genre des Hericiaceae un Hericium Hephaestus. De même rien dans les légendes mythologiques consacrés à Héphaïstos ne me semble entretenir un rapport quelconque avec le monde des champignons. Puisque Hericium vient du latin hericius qui signifie qui porte des piquants, voir les formes des champignons qui appartiennent à cet ordre, notre Héphaïstos hérissé nous apparaîtra comme un Dieu contrefait d’autant plus redoutable qu’hérissé de pointes de feu. Intro hélicoïdale, grondements, souffles, un vent capable d’araser la terre, de balayer tout ce qui vit, tout ce qui existe, infiniment inextinguible, par en dessous peut-être une espèce d’écho indéfinissable, un moteur de désarticulation du monde agrémenté d’un sifflement si insidieux qu’il refuse de vous crisser les oreilles, un chaos sonore qui ne fait que passer, l’idée que vous ne pourrez rien bâtir sur cette base mouvante, elle semble maintenant si loin que le son faiblit, qu’elle vous a oublié, qu’elle ne se préoccupe pas de vous, une nuée d’orage, un aquilon insatiable qui vous a dédaigné, qui vous abandonne, qui vous laisse seul, terrible comme vous n’êtes qu’un grain de poussière pour des éléments déchaînés, si Héphaïstos est un habile artisan, la philosophie à coups de marteaux de Nietzsche n’en est pas moins redoutable. Ce n’est pas les dieux qui sont morts, c’est l’Empire qui a disparu emporté dans un tourbillon, identique à la tornade qui emmène Dorothy Gale au pays irréel du Magicien d’Oz. La musique s’arrête pour ne pas continuer indéfiniment. Ce morceau est bâti comme une traîne de queue de comète, à la manière de la coda des trois titres précédents. Des points de suspension qui laissent ouvert le domaine du possible…

    Notre interprétation est des plus pessimistes. Il n’est pas sûr que Thumos et Spaceseer partagent notre analyse. Les américains ne sont-ils pas un peuple fondamentalement optimiste.

     

    MUSICA UNIVERSALIS

    THUMOS

    Initiales grecques du prénom ou du nom des membres de Thumos : Δ ( delta) / Z ( zéta ) / M ( Mu) / Θ ( Théta).

    Quelle pochette disharmonieuse, qu’est-ce que cette cuvette de WC, quelle horreur, ne cédons pas à notre première répulsion, bien sûr tout le monde connaît ce truc innommable, ni plus ni moins qu’une représentation de notre deux pièces-cuisines que nous habitons, comprenez l’univers. Thumos nous surprendra toujours, après un EP politique, en voici un autre que nous qualifierons d’essai métaphysico-scientifico-musical. N’ont peur de rien, puisqu’ils se sont déjà attaqués (avec succès) à Platon pourquoi ne jetteraient-ils pas leur dévolu sur l’illustre astronome Johannes Kepler qui vécut à cheval sur les seizième et dix-septième siècles.

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    Attention il ne s’agit pas d’une biographie musicale, c’eût été facile, ce pauvre gamin rachitique peu aimé de ses parents, qui prétend devenir astronome alors que ses pauvres yeux ne voient pas très bien, c’était le succès assuré, pathétique bio musicale d’un handicapé persévérant qui réussit ce que les autres n’ont même pas pensé à faire, un sujet porteur comme l’on dit dans les rédactions,  non ils ont préféré se pencher sur la pensée de Kepler, ce n’est pas qu’elle n’est pas simple, c’est qu’elle est difficile. Rien que les illustrations de la pochette demandent de sérieuses connaissances pour prétendre la comprendre.  Thumos s’est seulement intéressé à seulement trois ouvrages de Kepler qui en a publié une quarantaine, oui mais les plus complexes.

    Mysterium cosmographycum : ( Le secret du monde, 1596: toute science procède des avancées qui l’ont précédée. Pour Kepler son prédécesseur est encore aujourd’hui célèbre il s’agit de Copernic qui lui-même n’a fait que confirmer par des calculs que oui Galilée avait raison la Terre tourne autour du Soleil et n’est donc plus au centre du monde… Reste à expliciter comment les planètes tournent autour du Soleil. Car apparemment ça ne tourne pas rond ! Kepler réfute la représentation du monde donnée par Ptolémée (deuxième siècle AP JC) basée sur le fait que la Terre était au centre du monde. Dans Le secret du Monde il avance une explication fausse qui ne demande qu’à être affinée… Comment et pourquoi se fait-il que toutes les planètes ne tournent pas sur une même orbite. Kepler ira chercher la réponse dans le Timée de Platon. Vraisemblablement son dialogue le plus difficile. Platon a établi une échelle de supériorité entre les différents solides le meilleur étant celui qui se rapproche le plus de la sphère conçue comme la forme parfaite d’où la gradation suivante : cube, tétraède, dodécaèdre, isocaèdre, octaèdre.

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    Ainsi s’explique l’image de la couverture que nous avons fort impertinemment décrit comme une cuvette de WC, chacun des polyèdres délimite les rapports de distances entre les orbes de deux planètes puisque ces polyèdres s’enchâssent les uns dans les autres. Ce qu’il faut retenir de cette sommaire présentation c’est que l’univers n’est pas soumis au hasard mais répond à des lois géométriques et arithmétiques. Son organisation est la preuve de la grandeur de Dieu… pour la plus grande gloire de l’Eglise catholique. A moins que vous n’y voyiez une preuve du génie de l’Homme capable d’ordonner mentalement l’univers. L’impression d’une équipe de constructeurs au travail, la batterie a ce mouvement incessant de charpentiers qui ne cessent une seconde de taper en cadence, avec derrière une onde majestueuse de recouvrement lent qui prend de plus en plus d’importance au fil du morceau, ruptures, un abattement qui ne dure que très peu de temps, et tout de suite s’établit un autre rythme, plus violent mais tout aussi ordonné, laissons-nous guider par l’image, l’on s’affaire à une étrange charpente, l’un après l’autre l’on s’attaque aux polyèdres de bois que l’on enchâsse dans le suivant, au fur et à mesure l’on tend la toile goudronnée de la voûte céleste que l’on a peinte par-dessus, évidemment ce n’est qu’une image qui représente le travail du cerveau humain qui fabrique et ajuste les concepts les uns aux autres, et exerce ainsi une mentale possession du monde. Musique un peu sèche, une espèce de taylorisme de neurones attelés à une tâche commune qui les obsède et les manipule. Astronomia nova : ( Astronomie nouvelle, 1609) : certes le monde est organisé et chaque planète possède son orbite mais cde quelle manièr au juste. Comment se fait-il qu’à l’observation les planètes semblent ne pas tourner totalement rondement autour du soleil. J’espère que vous êtes plus fort que moi en math pour comprendre comment Kepler formule sa première loi qui démontre que les planètes ne tournent pas en rond autour du Soleil mais qu’elles établissent leur rotation selon une trajectoire elliptique. L’en formule une deuxième : il prouve la régularité de ce mouvement elliptique. Non seulement ce n’est pas le hasard qui commande l’univers mais l’on peut désormais savoir et prévoir tout phénomène observable. Et même inobservable. Gazouillement printanier, qui n’est pas sans rappeler la Vita Nova de Dante, rythme allège, roulement incessant de battements, l’on a peine le temps de saisir l’allégresse triomphale de ce morceau qu’il est terminé, à peine plus d’une minute, pourquoi en rajouter, est-ce la peine, l’Homme grâce à son cerveau s’est donné les outils qui lui permettront de prendre mesure sur l’Univers. Harmonices mundi : ( Harmonie du Monde, 1619 ) : dans cet ouvrage Kepler expose sa troisième loi qui permet de comprendre pourquoi et comment les planètes ne tournent pas à la même vitesse. Pour lui ce n’est pas l’essentiel de son traité qui selon lui réside en cette constatation qu’il existe des similitudes entre ces calculs mathématiques et les lois de la musique. Il ne fait que reprendre le vieux concept de la musique des sphères établie par Pythagore selon lequel il existe une corrélation harmonique entre les intervalles qui séparent les planètes et l’intervalle de silence qui sépare les notes de musique. La silencieuse musique du cosmos que l’on n’entend pas, mais dont le sage est capable d’observer la partition en train de s’écrire dans le ciel, produite par le mouvement des planètes peut être nommée harmonie du monde. Ce concept d’harmonie du monde ne peut pas laisser insensible des musiciens. D’autant plus Thumos dont la musique instrumentale s’efforce de traduire et d’exprimer des pensées abstraites. Mais un tel projet demande un surpassement. Avec ce morceau Thumos nous donne la première véritable symphonie métallifère. Les impressions sont à leur maximum, il semble qu’il est impossible d’ajouter une seule note à ce morceau, tout l’espace sonore est occupée. C’est d’autant plus remarquable que nous sommes dans une espèce de connivence avec la musique spartiate de Mysterium Cosmosgraphycum. Seulement la sécheresse est ici remplacée par une profusion irrémédiable. Ce morceau a toutes les chances d’être écouté par les groupes qui voudront aller de l’avant. Anima Mundi : ce quatrième morceau ne se trouve pas sur l’EP présenté sur Bandcamp, il s’inscrit dans la suite logique de l’opus,  le concept d’âme du monde provient du Timée ( il n’y a pas de hasard ) pour employer un concept davantage moderne nous dirons que l’âme du monde est pour employer une notion chère à Gino Sandri l’égrégore, la force vitale dégagée par l’ensemble des éléments du monde réunis en une espèce de puissance agissante, indépendante du monde dont elle est l’émanation substantielle qui agit sur ce monde même. Fille du monde l’âme du monde est plus forte que le monde, Thumos se doit en quelque sorte obligé de surpasser l’occupation totalitaire de l’espace sonore exercé dans Harmonices Mundi. Imaginez un coureur qui vient de courir les cent mètres en zéro seconde et qui doit courir encore plus vite pour battre ce record insurpassable. Anima Mundi reprend la même amplitude sonore que Harmonices Mundi, mais il ménage dans l’intumescence maximale du flot sonore de brèves ruptures qui peuvent passer pour inaudibles. Ils donnent même au tout début l’impression de vouloir frapper plus fort, mais la problématique n’est pas là : si l’âme du monde est davantage que la totalité du monde, elle ne pourra être signifiée que par son absence, en d’autres termes il leur faut orchestrer la fin du morceau. Exercer sa décroissance, tout comme notre coureur se doit de courir en moins de zéro seconde, de sortir du temps pour battre son record. La gageure consiste maintenant à sortir de la totalité musicale en organisant une lente dégradation. Musique fragmentale qui prône la dissociation de la totalité. Peut-être l’équivalent de la dyade cette notion qui permettait à Platon de passer du Un au Deux. D’ouvrir les chemins du Multiple.

             Thumos vient de créer la musique metalphysique.

    Damie Chad.

     

    *

    Pire que le chat de Shrödringer qui peut être et ne pas être, une variante d’Hamlet que Shakespeare n’avait pas imaginé, celui-ci est bien vivant, il est vrai qu’il est anglais et que depuis les aventures d’Alice nous avons appris qu’il faut se méfier des britanniques matous, l’est apparu depuis près de trois ans, à première vue il semble inoffensif, ne cédez pas à la tentation de le caresser, un véritable réacteur nucléaire ambulant, l’irradiation des neurones que son miaulement provoque est irréversible.

    LIVE AT HOHM

    X RAY CAT TRIO

    ( Numérique Bandcamp / Vidéos YT  / Août 2023 )lou reed,daniel romano,lester chambers,joe hiks,thumos,spaseer,xray cat trio,rockambolesques

    Lied : Attention c’est du spartiate. Un studio, une prise, enregistrement direct sur K7, guitare + chant, basse, batterie. Filmé pour YT. Le trio du chat irradié ne donne pas pour cela dans le minimum syndical, vous les classerez en zone rouge entre garage et rockabilly, question lyrics ils aggravent leur cas, ne donnent pas dans le romantisme, ‘’quand je t’ai dit que je t’aimais j’ai menti’’, c’est le démenti éternel, carré, d’équerre, droit dans ses bottes. OK, la Gretch d’El Nico vous vlangue à la figure, une petite frappe, c’est Ric Howlin, ne perd pas son temps à faire des moulinets, frappe dur et sec, vous êtes déjà grimpé en haut des rideaux, c’est là que l’appartement se met à tanguer salement comme un bateau un jour de tempête, vous identifiez le fautif, Adam Richards, planté comme un if dans un cimetière il porte si haut le manche de sa basse sur son cœur que vous lui ouvrez illico les portes de l’enfer, de lui s’échappent de monstrueux rouleaux qui vous désossent la colonne vertébrale, sous sa moustache gauloise El Nico ne mâchonne pas son vocal, vous faudra réécouter le morceau plusieurs fois pour saisir toutes les subtilités soniques qu’ils vous assènent si rapidement que vous n’y voyez rien, heureusement que vos oreilles ont d’instinct reconnu que la bête malfaisante est aussi fascinante.  Sir Gawan and the Green Knight : aussi fort et violent que le précédent, mais changement d’ambiance. Un instrumental, notre chat triolique fut d’abord renommé pour être un groupe de surf, oui mais ce n’est pas une mince planche de polyuréthane qu’ils font glisser sur les vagues mais un char d’assaut qui crache du feu, lourd comme un cachalot et agile comme un dauphin, Nico a la dalle il vous bouffe Dick Dale tout cru, essayer aussi de choper la mince mimique de satisfaction d’Howlin lorsqu’il réalise sa rupture rythmique en catimini, pas vu pas pris, le pickpocket qui vient de vous chouraver votre portefeuille et qui vous sourit just for fun. Si vous avez déjà lu les aventures de Gauvain et du chevalier vert, dites-vous bien que cette version d’estoc et de taille est d’un vert particulièrement foncé. Morticia : Changement de braquet pour Adam Richards, jusqu’ à lors sa Big Mama était le seul objet du décor, mais rockabilly oblige ! Ne pas confondre avec Rawkabilly.  Ça sautille gentiment, c’est plus poppy que tout ce qui précède, Morticia nous rappelle Peggy Sue et Buddy Holly. Ne pas se fier aux apparences. L’on chantonne les paroles sans y prendre garde, pas tout à fait une bluette, du désir d’amour au désir de mort phonétiquement il n’y a pas une grande distance, c’est tout doux et tout enjoué mais notre Morticia est una noticia funebra. Certains acides qui ne bouillonnent pas sont aussi dangereux que le cyanure, vous avez la mort à vos côtés sur la photo, imitez-la, souriez. En plus avec les espèces d’hoquets ratés terminaux, vous avez l’impression que X Ray Cat Trio vous avertit du mauvais tour qu’ils vous ont joué.

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     Get a long gang :  vous remettent les pendules à l’heure, après la chanson d’amour vicieuse ils s’adonnent à ce qu’ils préfèrent : la chanson de haine, du genre je ne vous l’envoie pas dire, le rythme sautille aussi mais bien plus lourdement, chaque fois qu’ils touchent un instrument ( relativement souvent ) vous recevez une gifle, l’Howlin vous roule sur les pieds sans ménagement et vous enroule si fort  dans ses loopings battériaux  que vous commencez à croire qu’il a envie de casser ses baguettes de bois sur votre dos, vous n’êtes pas contre, à rock sado, fan maso. My mistake : Une reprise des Kingsbees,  l’est des fautes que l’on revendique tout fort, El Nico s’en charge très bien, vous aboie en pleine figure, c’est que, attention dans la vie, parfois les choix sont cruciaux, vous n’allez peut-être pas le croire, trouver la chose irréalisable, mais ils ont jeté leur dévolu sur le rock’n’roll et comptent s’y tenir, n’ont eu besoin de personne pour apprendre, ne regrettent rien et s’en donnent à cœur joie, Adam tape sur sa big mama comme s’il était le dernier des hommes à pouvoir le faire, Les éclats riffiques d’El Nico vous éblouissent et quand il essaie de filer un solo de derrière les fagots Ric prend un sacré plaisir à y taper dessus pour l’aiguiser afin qu’il vous perfore l’âme que vous n’avez pas.

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    Mad man on the loose : deuxième reprise, il me semble que les Flat Duo Jets sont moins mythiques que les Kingsbees ils ont pourtant lancé la vague des groupes à deux musiciens qui subsiste encore de nos jours. Très belle manière de terminer un disque. Profitez-en bien, le morceau ne dure pas deux minutes, c’est envoyé à fond les manettes, un El Nico apocalyptique qui répète les deux courtes lignes du vocal comme s’il récitait à gorge déployée un mantra réservé aux seuls serial-killers, et l’instrumentation qui sonne à la manière d’une batucada épileptique. Tout, tout de suite. Si vous n’aimez ni la défonce ni la déjante, abstenez-vous ce morceau n’est pas pour vous. Votre capacité intellectuelle n’aura jamais la puissance nécessaire pour l’appréhender à sa juste valeur.

    Que voulez-vous, it’s only rock ‘n’ roll !

    But we like it !

    Damie Chad.

    C’est la dernière parution du X Ray Cat Trio, ils en ont commis d’autres sur lesquelles nous reviendrons. N’oubliez pas que dans la nuit du monde tous les chats irradiés sont rock…

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 38 ( Paf-Pif ) :

    199

    Le Chef a déclaré qu’il allait fumer un Coronado car il avait besoin de méditer sur les mystérieuses intrications de cette préoccupante affaire.

              _ Agent Chad suivez mon exemple, prenez vos cabotos et promenez-les dans les rues adjacentes. Ces bêtes sont exceptionnellement intelligentes, capables de trouver un chaton abandonné en plein Paris, fiez-vous à leur flair, je suis sûr qu’elles découvriront une piste avant vous !

    Question rues adjacentes le Chef s’était trompé sur toute la ligne, z’ont posé le museau sur le bitume et les bestioles ont filé tout droit à toute vitesse. J’avais un mal fou à les suivre, apparemment elles tenaient une piste alors j’ai cavalé après elles sans trop me poser de question. Brutalement les cabotos se sont arrêtés, se sont assis sur leur derrière et m’ont regardé d’un air attentionné. Les sens en éveil j’ai jeté un regard circonspect autour de moi. L’endroit était des plus banals. Voitures stationnées, trottoir rectilignes, immeubles sans attraits. Etonnamment Molossa et Molossito ne prêtaient aucune attention à ce qui se passait autour d’eux. Leurs yeux restaient fixés sur moi avec obstination. Le danger serait-il derrière moi, je me suis retourné : rien de notable !

             _ Quéquya ?

    Ils n’ont pas répondu, Molossito a posé ses deux pattes sur la poche droite de mon jeans, à l’instant j’ai ressenti la vibration de mon portable, non de Zeus le Chef avait trouvé le chaînon manquant qui permettrait de débrouiller le mystère !

              _ Dix minutes que je vous appelle et vous ne répondez pas !

              _ Euh ! Oui…

              _ C’est moi c’est Alice !

              _ Alice !

              _ Venez me voir, 10 rue Championnet !

    Elle avait déjà raccroché ! Je n’eus pas le temps de vérifier où se trouvait la rue Championnet, les cabots filaient ventre à terre. Ils galopèrent sur deux cents mètres, et s’arrêtèrent inopinément à un croisement, je levais les yeux sur une plaque : Rue Championnet. Les chiens refusèrent d’y poser la patte. Je m’aventurai seul !

    Numéro 10, Tout pour le Matou ! Alice m’attendait à l’entrée de l’animalerie :

              _ Papa m’a donné deux billets de cinquante euros pour que j’achète une panière pour Alicia, c’est le nom du chaton, qui est une fille !

              _ Alice ton papa est un chic type !

              _ Il était trop content !

              _ D’Alicia !

              _ Non, du coup de fil qu’il a reçu ce matin, j’ai tout entendu, c’était la police, ils disaient qu’ils avaient retrouvé le corps de la sœur de Maman et qu’ils le replaceraient dans la tombe à 14 heures. Mais ce n’est pas tout, j’ai aussi entendu parler les employés !

              _ Du cimetière !

              _ Mais non, vous ne comprenez rien, de l’animalerie, ils disaient que hier soir quelqu’un leur a volé un chaton, de la même couleur qu’Alicia, ce serait marrant que ce soit elle ! En tout cas, vous pourriez m’offrir un coca !

    200

    J’ai hélé un taxi pour renter au local le plus vite. Quand le chauffeur a vu les chiens il a refusé de les prendre. Pas de temps à perdre pour discutailler. Je lui envoyé une balle de rafalos dans la tête, je sais ce n’est pas une balle juste, c’est juste une balle, juste pour lui apprendre à vivre, son cadavre éjecté sur la chaussée j’ai rejoint en toute hâte le Chef.

              _ Etrange !

    Le Chef ne partageait pas mon enthousiasme, il alluma un Coronado, puis un deuxième :

              _ Agent Chad, je n’y crois guère, téléphonez à Carlos qu’il passe nous prendre, bien sûr nous monterons la garde, mais croyez-en mon flair cela ne me dit rien qui vaille !

    201

             _ Agent Chad vous restez en faction dans la voiture à l’entrée du cimetière, que les chiens soient tapis à vos pieds, ils sont trop reconnaissables, vous nous prévenez par téléphone si vous remarquez quelque chose d’intéressant. Il n’est pas encore midi, Carlos et moi nous approcherons de l’objectif sans nous faire remarquer.

    Carlos et le Chef étaient méconnaissables. Le noir de leurs chapeaux de feutre jurait avec la blancheur de leur barbe et de leurs favoris, avec leur manteau sombre et le modique bouquet de roses qu’ils serraient contre leur cœur, ces deux petits veufs à la mine inconsolable ne pouvaient qu’arracher un sourire de pitié à quiconque les croiserait. Un par un ils rentrèrent dans le Père Lachaise et pas très loin de la tombe d’Oecila, ils s’abîmèrent dans la contemplation d’une pierre tombale… les rares personnes qui passèrent près d’eux respectant leur chagrin baissèrent la voix pour ne pas rompre leur méditation.

    Il était près de treize heures lorsque je les bipai par trois fois. Le père D’Alice entrait dans le cimetière. Les ordres sont les ordres, mais des ordres ne sont-ils pas aussi désordre, je suis sorti de la voiture et l’ai suivi de loin. Il paraissait nerveux et n’arrêta pas de faire les cent pas devant la pierre d’Oecila. A partir de treize heures trente, il ne manqua pas toutes les cinq minutes de sortir sa montre et de vérifier l’heure… 

    202

    A quatorze heures, il ne se passa rien. Gabriel tournoyait sur lui-même, se tordait le cou au moindre bruit dans l’espoir d’apercevoir un corbillard s’approcher. Quinze heures trente. Toujours rien. Tout dans son attitude trahissait l’incertitude. A plusieurs reprises il avait sorti son téléphone et tenté de rentrer en communication, en vain, ses gestes de dépit et son énervement croissant traduisaient son exaspération.

    Je pensais être invisible tapi entre deux gros tombeaux, il y eut comme de furtifs glissements pas très loin de moi, mon poing se referma sur la crosse de mon Rafalos, quelque chose déboula en silence dans mes jambes, je faillis pousser un cri de surprise : Molossa et Molossito ! Mais le pire ce fut cette main qui se posa sur mon épaule :

              _ N’ayez pas peur, c’est moi Alicia, je leur ai ouvert la porte de la voiture pour vous retrouver !

              _ Alicia, ce n’est pas la place d’une petite fille !

              _ Je n’ai pas peur moi, c’est Papa qui a peur d’Oecila, j’y vais !

    Avant que j’aie pu la retenir et elle courut vers son père :

              _ Papa, Papa, je suis là ! Tu ne crains plus rien maintenant !

    Gabriel se retourna et la saisit vivement dans ses bras :

              _ N’aie pas peur Alicia, il ne se passera plus rien maintenant !

              _ Mais je n’ai pas peur Papa, Maman m’a tout expliqué !

    Il voulut répondre mais il resta abasourdi, du monde qui l’entourait, moi, le Chef, Carlos – ils avaient retrouvé leur apparence habituelle - plus les aboiements sonores de Molossa et Molossito !

              _ C’est super tout le monde  est là, il ne manque plus qu’Alicia, je vais la chercher je l’ai laissée dans la voiture de Damie, j’avais trop peur qu’elle se perde dans le cimetière !

             _ Non Alice, je ne veux pas que tu me quittes, tu restes avec moi !

             _ Mais Papa elle va s’ennuyer si elle reste trop longtemps toute seule, c’est encore un bébé chat !

    Psychologue averti le Chef qui était en train d’allumer un Coronado prit la bonne décision :

             _ Ne vous chamaillez pas, vous avez raison tous les deux, nous partons tous ensemble à la voiture, plus vite nous y serons plus vite tu retrouveras ta minette, et plus vite nous pourrons enfin parler de choses intéressantes avec ton père !

    Toute heureuse Alice gambadait à une quinzaine de mètres devant nous, elle fit un bond pour ouvrir une portière mais elle poussa un cri et revint toute tremblante se jeter dans mes bras en hurlant :

              _ Il y a quelqu’un dans la voiture, à la place du chauffeur !

    Nous nous précipitâmes, il n’y avait personne à l’exception d’Alicia qui dormait sur la lunette arrière.

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 589: KR'TNT 589 : LUSH / THE CULT / LEE FIELDS / ELIZABETH KING / MUD / THUMOS / DOORS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 589

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 02 / 2023

    LUSH / THE CULT / LEE FIELDS

    ELIZABETH KING / MUD

    THUMOS   / DOORS

    Sur ce site : livraisons 318 – 589

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    The Miki way

     

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             Quand on croisait Miki Berenyi dans les pages du NME ou du Melody Maker, on la prenait volontiers pour une Pakistanaise, une Paki comme on dit à Londres. Avec ses cheveux rouges et son heavy make-up, elle dégageait quelque chose d’extrêmement exotique. On ne faisait même pas l’effort de mémoriser son nom. De toute façon, le son de Lush - dont elle était la chanteuse - ne nous plaisait pas plus que ça. Lush et quelques autres groupes, comme Slowdive, My Bloody Valentine, Moose, Ride ou Chapterhouse, incarnèrent un courant musical, baptisé Shoegazing par la toute puissante presse anglaise de l’époque, un courant qu’on considère, à tort ou à raison, comme l’un des points bas de l’histoire du rock anglais. Un journaliste du Melody Maker qualifiait les shoegazers de STCI (The Scene That Celebrates Itself). Ces groupes proposaient en effet une pop ambiante extrêmement statique qui finissait par générer un bel ennui. Dans les concerts, on bâillait aux corneilles, surtout ceux qui plus jeunes, avaient tété les mamelles du real deal, c’est-à-dire Jerry Lee et les Stooges. On se retrouvait dans ces concerts à cause des buzz que lançaient les journalistes anglais. La crainte de rater le passage d’un bon groupe nous incitait parfois à faire n’importe quoi.

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             Il s’est produit exactement la même chose qu’avec l’autobio de Stuart Braithwaite, le guitariste de Mogwai : dans la presse anglaise, un journaliste pond une chronique élogieuse de l’autobio de Miki Berenyi, et pouf, rapatriement. Cette fois, c’est la crainte de rater un bon book qui déclenche le passage à l’acte. Fingers Crossed: How Music Saved Me From Success arrive 48 h plus tard sous la forme d’un bel objet, bien dodu, sous une jaquette dans les tons pourpres qui s’harmonisent divinement bien avec l’écarlate des cheveux de Miki, un peu plus de 350 pages imprimées sur un bouffant plaisant, avec des choix typo de fonte et d’interligne qui rendent la lecture délicieusement agréable, et plouf, on y plonge. Plonger dans la lecture d’un book, c’est exactement la même chose que plonger dans l’eau du lagon d’argent : tu en éprouves un pur plaisir, tu goûtes à ce que Gide appelait autrefois Les Nourritures Terrestres - ce fantastique texte en prose en forme de chant d’amour, dans lequel il s’adresse à Nathanaël pour le former à la beauté du monde : «Que l’importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée.» - Plonger dans un livre inconnu, c’est une façon de partir à la découverte d’un personnage, d’entendre une voix nouvelle, une façon de voir comment les autres vivent leur vie, voir aussi de quelle façon ils s’accomplissent ou se détruisent. Chaque vie se résume à un destin, parfois tout entier contenu dans un livre. C’est à la fois l’aspect dérisoire d’une vie, mais aussi sa grandeur, dès lors que l’auteur abandonne toute pudeur pour s’offrir aux regards extérieurs. Les grands livres sont parfois comparables à des courtisanes impudiques, celles qui te font bander.

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             L’autobio de Miki présente les deux aspects : dérision et grandeur. L’absence totale de pudeur et un langage de punkette rebelle en font la grandeur. La deuxième partie qui est consacrée à l’histoire de Lush paraît par contre totalement dérisoire, car cette tranche de vie (cinq ans)  se résume à quelques souvenirs de concerts, de tournées et de sessions d’enregistrement. Miki se débat avec les anecdotes, essaye d’éviter les pièges du name dropping et tenter d’éclairer le mieux possible les lecteurs de son book qui sont de toute évidence les anciens fans de Lush.

             L’éclairage le plus important est celui qu’elle donne sur elle-même. Paki ? Pas du tout ! Père hongrois (Ivan) et mère japonaise (Yasuko). Comme Ivan est un womaniser, ce qu’on appelle ici un coureur de jupons, Yasuko se fait la cerise vite fait, et c’est là que Miki entre dans la période trash de sa vie de gamine. Ivan lui apprend très jeune à se débrouiller seule et à se défendre. Elle vit à Londres dans une baraque toute pourrie avec Ivan et la grand-mère hongroise Nora, qui est une malédiction. Miki explique sans détour qu’elle doit dormir avec Nora qui abuse d’elle. Elle apprendra un peu plus tard que Nora a aussi abusé d’Ivan - Coincées  dans notre lit, elle me lit des contes hongrois, mais elle s’endort au milieu des phrases et le livre de contes s’écroule sur la bouse de ses nibards étalés (on the cowpat spread of her breasts). Parfois, quand elle ronfle, j’observe sa bouche ouverte, qui est complètement édentée, et je crève d’envie d’y enfoncer mon poing jusqu’à ce qu’elle en crève - Miki hait Nora qui lui fait chaque soir sa toilette et qui passe un temps infini à lui tripoter l’entre-jambe. Nora hérite même du surnom de Noracula, «qui fait référence à ses origines transylvaniennes mais qui hélas ne couvre pas toute l’étendue de sa nature monstrueuse.» C’est vrai qu’en voyant la photo de Nora dans les pages du cahier central, on comprend tout : une vraie gueule d’empeigne. Et puis il n’y a pas que Nora. Il y a aussi Uncle Sam, un copain d’Ivan, qui dès qu’Ivan ou Nora ont le dos tourné, met la main au panier de Miki. La gamine ne dit rien. Elle croit que c’est normal. Jusqu’au jour où elle en a un peu marre des saloperies d’Uncle Sam et lui dit qu’elle va en toucher un mot à Dad. Alors Uncle Sam disparaît de la circulation.

             Miki finit par comprendre pourquoi Ivan éprouve tellement de difficultés à entretenir des relations suivies avec les femmes : «Fils unique abandonné par son père et abusé par sa mère, il n’avait aucune idée de ce que pouvait être une relation normale. Comme il savait qu’une relation sentimentale pouvait tourner court à chaque instant, il préférait la contrôler plutôt que d’en être la victime. Plutôt quitter que d’être quitté.» Quand il approche de la fin et que Miki lui demande ce qu’il préfère entre le crématoire et le trou au cimetière, Ivan est pris d’un fou rire. Il dit de mettre ses cendres dans un seau «and flush me down the toilet», c’est-à-dire tire la chasse. «What the fuck will I care ?» Il a raison Ivan, ça change quoi, quand on a cassé sa pipe en bois ? Miki ajoute qu’Ivan aimait trop la vie pour se soucier de la mort - It was only ever life - not its aftermath - that engaged him. Miki écrit remarquablement bien. Elle sait restituer l’épaisseur humaine de ses personnages.

             Elle écrit dans un style très direct, qu’on pourrait, pour simplifier les choses, qualifier de punk. Elle n’est pas genre à traîner en chemin. Chez elle, les bollocks et le fuck sont monnaie courante. Nevermind ! Elle perd vite patience avec les cons, ce qui la rend éminemment sympathique.

             Quand dans l’intro, elle évoque la notion de groupe, elle évoque aussi sa naïveté d’antan,  quand elle croyait qu’un groupe pouvait être une famille - I know that’s all bollocks - I know that now - mais à l’époque ça ressemblait à un rêve qui pouvait devenir réalité - Elle parle très bien de l’espoir que génère le fait de monter un groupe : «Le miracle de la musique, c’est de pouvoir fabriquer quelque chose à partir de rien. Assembler des notes, ajouter de la profondeur avec des paroles, insuffler la vie dans une chanson en la jouant avec un groupe, l’enregistrer, puis la partager avec un public, répandre toutes ces émotions et toute cette joie - tout cela étant issu d’une chambre, d’une guitare et d’une voix. Transformer la tristesse en bonheur, sortir de la solitude et du loserdom, s’évader d’une bad place et rejoindre un monde meilleur.» C’est sa façon de dire qu’elle y croyait dur comme fer, et comme cette confession apparaît dans le chapitre d’intro, alors on décide de la suivre et même plus, si affinités. On peut par exemple envisager de réécouter les quatre albums de Lush.

             Comme elle est ado à Londres, elle peut se goinfrer de concerts : 90 en 1983, 150 en 1984. Elle tient sa comptabilité dans un journal intime. Elle baise tant qu’elle peut, elle privilégie ce qu’elle appelle the sex without love - Can be enormous fun when liberated from the hope that it’s the beginning of something bigger. In other words, if you approach it like a man - Miki comprend vite que le sentimalisme n’est pas vraiment l’apanage des mecs, alors elle opte pour la liberté à tout va. Elle opte pour les plans cul, comme on dit aujourd’hui, c’est-à-dire les relations non suivies. Elle dit qu’elle possède «un radar pour repérer les mecs libres et elle ne peut pas l’éteindre». Elle cherche un mec «who’s only after a bit of fun. That way no one gets hurt.» Elle applique la philosophie d’Ivan.

             Sur son tableau de chasse figure Billy Childish, à l’époque des Milkshakes. Il a sept ans de plus qu’elle, mais elle s’accroche à lui, parce qu’il a un groupe, qu’il peint et qu’il écrit des poèmes - I fuck him in the staiwell of Clanricarde Gardens, waiting until my flatmates have gone to bed before sneaking him into my bedrom overnight - Ses phrases sonnent souvent comme des paroles de chanson. Miki est une écrivaine extrêmement rock’n’roll. Elle rend un ultime hommage à Billy avant de le perdre : «Still Billy is an artist, uncompromising in his determination to write the truth. His truth, at least, which I suppose is what’s expected of an artist.»

             Elle avoue aussi perdre patience rapidement - I am belligerent with people I can’t stomach - Elle a raison, c’est une façon de gagner du temps. 

             L’idée d’un groupe commence à germer dans la tête de Miki et dans celle de sa copine Emma. Elles branchent leurs deux guitares dans la stéréo d’Emma et elles se mettent à gratouiller leurs poux. Elles montent Lush avec Chris au beurre et Meriel au chant. C’est Emma qui trouve le nom du groupe. Lush veut dire luxuriant. Puis elles recrutent Steve Rippon pour jouer de la basse. Premier gig au Falcon, à Camden, en mars 1988. Puis Emma veut virer Meriel, trop statique sur scène, alors Miki se charge de la besogne. Lush n’a plus de chanteuse, alors Emma passe une annonce dans le Melody Maker, citant Blondie et de Hüsker Dü comme influences. Chou blanc. En désespoir de cause, Miki est promue chanteuse de Lush. Comme elle n’est pas à l’aise, elle s’envoie des verres de cidre avant de monter sur scène. À la fin du set, Emma la coince pour lui dire : «Don’t you EVER get pissed again before a gig!». Tout au long de son récit, Miki évoque cette relation extrêmement tendue avec Emma. Elles jouent dans le même groupe, mais ne sont pas copines. Emma ne veut pas de l’amitié que lui offre Miki.

             Lush fait un grand bond en avant en signant avec 4AD, contre l’avis d’Howard Cough, l’un des responsables du label qui traite Lush de «worst band I’ve ever seen». Mais Ivo le boss veut Lush et pouf c’est parti. À l’époque, 4AD est un label indé prestigieux. Dans son roster, on trouve les Pixies, Cocteau Twins, Throwing Muses et Bauhaus. John Peel invite Lush une fois, car leur cover d’Abba («Hey Hey Helen») l’amuse bien, mais ce sera la première et la dernière fois. Lush n’est pas la tasse de thé de Peely. Ça n’empêche pas Lush d’aller dérouler son petit parcours de groupe indé, juste avant l’éclosion de la fameuse vague Britpop. Quand Steve Rippon quitte le groupe, c’est Phil King qui le remplace temporairement. Un Phil King qui est déjà un vétéran de toutes les guerres puisqu’il a joué dans Felt, les Servants, Biff Bang Pow, et on le verra beaucoup plus tard à Paris jouer au Trianon avec les Mary Chain.

             Le principal épisode de la vie de Lush, c’est le Lollapalooza de 1991. Lush joue en première partie de Jane’s Addiction qui sont en tournée de promo - A year-long enormodrome tour - pour le double-platinum Ritual De Lo Habitual. Il y a en tout sept groupes à l’affiche de la tournée : Red Hot Chilli Pepers, Ministry, Ice Cube, Soundgarden, les Mary Chain et Pearl Jam. Les seules gonzesses dans le tas, c’est Lush. Elles se retrouvent dans un monde «that agreesively radiated muscle and testosterone», les Peppers et Ice Cube étant les pires. Miki en profite pour se régaler tous les soirs du set des mighty Mary Chain. Elle rend aussi un hommage virulent à Ministry - La seule réponse possible au set de Ministry, c’est l’awe-struck submission. The cacophony of industrial pounding, pile-driving guitars and Al Jourgensen scream-growling like Beelzebuth over nerve-shredding samples is like being crushed by the Apolcalypse - Sa description est criante de véracité. En plein milieu de la tournée, Miki voit débarquer Gibby Haynes, le chanteur des Butthole Surfers. Il vient duetter avec Ministry sur «Jesus Built My Hot Rod». Miki est fan des Botthole et de leur visceral chaos, mais elle n’arrive pas à engager la conversation avec Gibby - All I get for my effort is a yeah-whatever eye-roll and the cut-to-the-chase line: ‘How about we just go up to your hotel room - you can suck my cock while I lick your pussy - Fin de la conversation. Pour l’anecdote, Miki relate tous les excès d’Al Jourgensen dans les hôtels, il y en a deux pages pleines, c’est du mayhem à l’américaine avec des amplis qui passent pas la fenêtre et tout ce qu’on sait déjà. Elle raconte tout ça très bien. Miki est tellement défoncée qu’un soir, elle veut jouer au moshpit et se lance dans le public d’une scène beaucoup trop haute. Les gens s’écartent et elle se retrouve à l’hosto, miraculeusement vivante.

             Mais à Londres, des gens n’aiment pas Lush. Miki rapporte pas mal d’incidents. Un bloke s’adresse à elle : «Are you that bird out of Lush ?», elle opine du chef et le bloke lui dit : «Your band’s fucking shit.» Un autre lui demande un autographe, elle le signe, alors le mec fout le papier dans sa bouche, le mâche et le crache sur les godasses de Miki avec un air de dégoût.

             Une tournée américaine a lieu en 1996 avec Gin Blossoms et les Goo Goo Dolls.  C’est un plan monté par leur manager. Miki et Emma savent qu’elles vont au casse-pipe, car Lush n’est pas fait pour ce type d’affiche. Miki parle d’un complete mismatch. Le seul bon souvenir qu’elle conserve, c’est Imperial Teen - great band and old-school friendly - Elle raconte aussi que Ian Astbury monte sur scène chanter «Ciao!» avec Lush - Mais il y a un léger malentendu, pendant la répète, l’Astbu leur dit qu’«it’s a bit skiffle, isn’t it?», il croit que c’est une cover de l’«Eddie (Ciao Baby)» du Cult. Chris is laughing so hard he can barely play the drum - Elle traîne aussi à cette époque dans les parages de Primal Scream - Bobby Gillespie, high as a kit at some do, me fait taire en me mettant directement la main au panier et me fixe dans le blanc des yeux tout en se pourléchant les babines - Alors elle accepte ce type de comportement, puisque c’est un moyen d’être admise dans le sérail. Mais elle s’aperçoit très vite qu’elle n’est pas faite pour jouer la carefree 24-hour party person. Elle n’est pas de taille pour ce type d’exploit sportif. C’est l’époque de l’ecstasy et ses amis en font une consommation gargantuesque. Elle finit souvent la soirée assise dans un coin, «too far gone to move», incapable de bouger.

             Parmi les groupes qu’elle croise dans les tournées, elle flashe sur Babes In Toyland, «cathartic and compelling on stage, earthy and friendly off.» Miki ajoute qu’après leur set, les Babes picolent sec et tiennent mieux l’alcool que les mecs - they drink enveryone under the table - Et puis bien sûr, nous avons droit à un petit panorama de la scène indé, Miki nous sort les noms des Cranberries, de Belly et de Moose, un Moose qui d’ailleurs va devenir son compagnon et le père de ses deux gosses. Puis arrive la Britpop avec Suede, Blur, the Madchester bands - comme elle les appelle - Elastica, S*M*A*S*H, These Animal Men et Pulp. Au début, cette vague lui plaisait bien - a familiar and friendly environment where I feel comfortably at home - Puis le succès de Blur et d’Oasis change la donne, ces deux groupes cultivent «a new mood of swagger, flag-wavingly British in defiance to American ‘grunge’», le fameux Cool Britania. Miki va voir tous ces groupes sur scène et va même traîner dans tous ces backstages avec, énumère-t-elle, «Suede, Pulp, Oasis, Blur, Elastica, Echobelly, Boo Radleys, Salad, Powder, Menwear and all the rest of it. I can’t get away from these fucking bands. Britpop is happening.» D’autres anecdote encore : «Liam Gallagher circles me, wondering aloud when I’ll be ready to fuck him in the toilets.» Bien sûr, Miki s’offusque - Look, je sais que je ne suis pas Mary Poppins, mais ce n’est pas du flirt, c’est du harcèlement. Et derrière ça, il y a un truc dégueu : ça implique que suis demandeuse, pas lui - Comme elle porte des robes très courtes, elle est constamment sollicitée. Pour elle, c’est la façon qu’ont les mecs de vouloir dire : «Si tu veux avoir la paix, fringue-toi comme une bonne sœur.» Miki n’a qu’une réponse à ça : fuck it !

             Mais la Britpop dégénère assez vite. Miki voit cette scène hijacked by elitist dickheads. Elle finit par ne plus pouvoir supporter cette daube, ni les gens ni les groupes - So sorry for being a party pooper, c’est-à-dire une casseuse d’ambiance, je sais que bon nombre d’entre vous had a blast, but I fucking hate Britpop and I’m glad the whole sorry shit-list ended up imploding. I just wish it hadn’t done so munch damage white it lasted.  

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             Lush on les a vu une fois, peut-être deux, avec les Pale Saints. Grands souvenirs des Pale Saints. Lush ? Pas grand-chose. Miki et ses cheveux rouges. Trop punk anglaise pour un Français. Leur premier album s’appelle Scar et paraît sur le tard en 1989. En fait, c’est un mini-album. Il vaut mieux éviter de le réécouter trente ans plus tard, car c’est un son qui vieillit atrocement mal. Miki amène son «Baby Talk» au fast heavy pop-punk mal chanté, ça se noie dans une sauce de sortilèges, toutes les histoires de Nora et d’Ivan rejaillissant dans ce mix de puberté poubelleuse. Avec «Though Forms», les filles de Lush prennent vraiment les gens pour des cons. Ce n’est pas du rock, c’est de la vapeur. Les voix se perdent dans la buée. Miki taille sa route avec «Bitter», elle gratte à la va-vite, mais c’est Chris qui sauve la mise, au beurre. La pauvre Miki ne chante pas très bien, ça se barre en solo d’infraction prostatique, elle parie sur l’énergie punk. On sent bien l’odeur du trash. Ça se termine avec «Etheriel», une petite pop d’ouate. Rien que du son pour du son. Des cuts qui n’en sont pas. Comme chez Mogwai. Même genre de néant paradoxal.

             À cause de sa dégaine provocante, Miki se fait pas mal choper aux douanes, lorsqu’elle descend d’avion. Elle dit avoir rencontré pas mal de douaniers «fermes mais polis, qui font simplement leur job. Mais j’ai aussi rencontré une sacrée ribambelle de power-abusing cunts et je leur réserve a front row of panoramic-view seats on the kamikaze flight into the mountainside of my vengeful imagination.» C’est bien dit, Miki. Mort aux vaches !

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             Deux ans plus tard paraît Spooky. Ambiance très spooky, très pop anglaise d’époque, hétéro-éthérette, un «Nothing Natural» chanté à la féminine accrochée au plafond, mais pas de truc en plume, juste de l’ouate, un ruisseau d’ouate. Petit son indé ridicule, pubère et drainé, parfois plombé, pas beau, presque féministe. Elles amènent d’ailleurs «Ocean» au petit océan féministe, c’est gorgé de féminité au point que ça ne passe pas, chant trop Lushy, pénible, humide, ridiculous. So ridiculous ! Spooky peine à jouir. L’hyper-féminisme tue la pop dans l’œuf, même si «For Love» remonte le courant, wild as fuck. Joli titre que ce «Superblast». Les filles l’honorent, elles sortent le fast blow avec des voix d’écho et ça devient une pure merveille. Elles peuvent se montrer terrifiques, avec ces voix d’entre deux eaux, c’est l’apanage du Lush-moi-là, énorme tension, ça redevient presque sexuel tellement c’est humide et chaud. Et puis d’autres cuts naviguent dans les méduses, Miki et sa copine Emma traînent dans les eaux troubles de la mauvaise pop d’époque, de la fast pop gorgée d’indie scum, cocktail périlleux de grosses attaques et de voix de femmes. Ça finit par insupporter. Album produit par Robin Guthrie, ceci expliquant cela.

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             Quand Split paraît en 1994, Miki sent bien que Lush est en décalage avec la scène grunge et Oasis - Split est trop fragile et introverti pour rivaliser avec les nouvelles tendances (out of step with the times) - Pourtant l’album est excellent, Miki t’embarque dès «Kiss Chase» avec du big heavy sound. On peut même parler de wall of sound, avec de somptueuses palanquées d’accords, il y a des grattes partout, all over the rainbow, le son vibre de toutes ses fibres. L’autre gros shoot de wall of sound s’appelle «Undertow», amené au bassmatic demented de Phil King, il télescope la gratte de Miki, ça taille à la serpe, le cut sonne comme la marée du siècle, Miki et Emma te plombent ça aux grattes des enfers, elles font un placard total de wall of sound. Et puis tu as une petite triplette de coups de génie, à commencer par le bien nommé «Blackout». Ah comme elles sont bonnes ! C’est explosif et allumé aux voix éthérées, et ce batteur dément qu’est Chris bat tout à la vie à la mort. Elles sont encore dans une énergie considérable pour «Hypocrite», Miki te court sur l’haricot, elle te pèle le jonc, elle te trashe tout l’UK, oh Miki, the wild chick ever ! Elle t’enflamme le British Beat, là tu halètes car elle te le fait avec la langue de feu, c’est du wild punk so far out, cet «Hypocrite» est tellement bon qu’on finit par dire n’importe quoi. Split un album fantastique dont on n’a pas idée tant qu’on ne l’a pas écouté. «Lovelife» est encore du big biz. La Miki, tu lui colles au cul, tu ne la lâches plus. Avec elle, l’incroyable se produit, c’est-à-dire la renaissance des grattes, les pluies de poux, les proliférations de tombées somptueuses, on la suit, la Miki, elle étale ses draps au grand jour. Encore un cut accueilli à bras ouverts : «The Invisible Man». Elle file sous le vent, elle taille sa route à la serpe. C’est un album qu’on écoute jusqu’à plus soif. Et puis tiens, voilà encore un sacré coup de génie : «Lit Up». Allumé direct. Trente-six chandelles. Encore un festival de big fat wild as fuck. Elle parvient à se hisser au sommet du lard fumant, elle te claque les meilleurs accords d’Angleterre, elle injecte un gros shoot d’overdrive, elle maîtrise le placage et finit par te hanter. Te voilà transformé en château d’Écosse. Merci Miki !

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             Le quatrième et dernier album de Lush s’appelle Lovelife et c’est encore un very big album. Miki devient ta reine d’un soir. Gros son dès «Ladykillers» - My attempt at writing a hit - elle chante à la petite retorse, c’est très anglais, très inspiré, bien solidifié au ciment de voix de femmes. Elles injectent des couches de power en dessous du chant. Dans son book, Miki dit que «Ladykillers» «was my one concious effort to give the rabble what they seemed to be asking for.» Ça devient extrêmement impubère avec «500», presque Brill, tellement c’est sucré. Encore de la belle pop candy avec «I’ve Been Here Before». Cette pop est d’une qualité insolente. Miki chante à l’ingénue libertine. Tout est sexué à l’extrême sur cet album. Avec «Single Girl», elles sonnent comme les Pixies, même genre de ferveur, c’est très riche, gorgé de Gorgones. Attention, ce genre d’album devient vite tentaculaire : il te prend tout ton temps. Back to the wild side avec «Runaway». Elles savent lever des vagues de heavy pop, c’est une pure énormité, grattée serrée. Dans leur élan, elles tapent «The Childcatcher» en mode fast London pop, elles jouent au rebondi avec une belle féminité et une incroyable énergie. Le son est là, juste derrière et toujours ce chant impubère d’ingénue libertine. Elles referment la marche avec «Olympia» et une flûte de Pan. Ah quelle belle pop de Brill ! Elles savent guider le candy dans la vulve du Brill, c’est une vocation. Elles distillent des harmonies vocales d’une pureté extrême.

             Miki sent venir le déclin de Lush. La scène a changé depuis les grandes heures de Lollapalooza et de Jane’s Addiction. Pour le public américain, Lush était à l’époque un groupe exotique - an unfamiliar new band - Mais cinq ans ont passé. Pour elle, un macho element s’est installé, les Américains ne réagissent plus qu’aux groupes qui leur parlent et ils ne tolèrent plus de voir deux «sappy English girls qui ne font même pas l’effort d’être sexy». Cette dernière tournée américaine avec Mojave 3 est une catastrophe. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et Emma annonce qu’elle jette l’éponge. Elle a très bien compris que le temps de Lush est révolu et que le groupe n’aura jamais de succès aux États-Unis. L’obsession des deux managers successifs à vouloir forcer le marché américain a fini par avoir la peau du groupe. Pour calmer le jeu, Emma indique que Lush peut continuer sans elle. Elle cite l’exemple de Suede qui a redémarré sans Bernard Butler. Mais Miki n’est pas d’accord : «No Emma, no Lush.»

             C’est la mort de Chris qui aura la peau du groupe. Chris déprime depuis que sa poule l’a quitté et il tente de retrouver le moral en allant se ressourcer chez ses parents à la campagne. C’est là, dans une grange, qu’on le retrouve pendu - Out of sight and hard to find - Son père, inquiet de ne pas le voir revenir de sa promenade, a fini par découvrir le corps de Chris pendu.

             La chute du book est vertigineuse. Miki n’en finit plus de dire que Chris était son préféré. Au commencement de Lush, ils ont vécu un moment ensemble et sont restés très proches après leur séparation - La famille de Chris espère que nous continuerons avec Lush, ils nous donnent leur bénédiction. Mais j’ai su à la seconde où j’ai appris la nouvelle de sa mort qu’il n’y avait aucun avenir. No future. Tout ce temps passé à supporter les crises d’Emma, tout simplement parce que j’avais besoin d’elle. Mais j’avais encore plus besoin de Chris. He was the happy soul of Lush et sans lui, ça n’a plus aucun sens.

             Miki n’est pas si vieille. Elle n’a que 56 ans. Et deux enfants. Elle termine là-dessus. Après la mort de Chris, la vie a repris ses droits. Merci Miki, enchanté d’avoir fait ta connaissance.

    Signé : Cazengler, Louche

    Lush. Scar. 4AD 1989

    Lush. Spooky. 4AD 1991

    Lush. Split. 4AD 1994

    Lush. Lovelife. 4AD 1996

    Miki Berenyi. Fingers Crossed: How Music Saved Me From Success. Nine Eight Books 2022

     

     

    Le feu au Cult - Part Two

     

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             Quand Ian Astbury s’exprime dans la presse, on aurait tendance à ne pas trop le prendre au sérieux. Il vaut mieux le lire après l’avoir écouté, car c’est là qu’on commence à le prendre au sérieux. Ainsi, quand il déclare : «Individually we’ve been through a hell of a lot. It shines in our music», on comprend ce qu’il veut dire. The Cult est un groupe capable d’aligner une série d’albums extrêmement impressionnants, tous chargés de climats délétères et de démesure, quelque part entre Killing Joke et les Afghan Wigs. Deux autres points de repères : Rick Rubin les produit et l’Astbu est obsédé par le shamanisme des Indiens d’Amérique. Le décor est vite planté. On dit d’eux qu’ils transcendent les genres. Pour transcender les genres, il faut une voix et un son. Pas de problème. L’Astbu fournit la voix, Billy Duffy/Rick Rubin le son. «Towering guitar riffs» et «songs to match their bravado», nous dit Vive Le Rock. L’Astbu et Billy Duffy ont des racines : Southern Death Cult pour le premier et Theatre Of Hate pour le second.

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             Ce sont les mecs de Crass qui orientent le jeune Astbu fraîchement débarqué en Angleterre sur les pratiques religieuses des Indiens d’Amérique. Il se souvient même du livre qu’on lui a prêté dans le squat de Crass : Black Elk Speaks, de John Neihardt, un ouvrage sur les rites sacrés des Sioux Ogala. Quant à Billy Duffy, il en pince pour les Gretsch White Falcon.  

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             Paru en 1984, Dreamtime est un album qui ne marche pas. Déjà, la pochette fout la trouille. Le prêtre aux joues scarifiées te fixe d’un regard mauvais. Il manque sur cet album le souffle qu’on va trouver sur les albums suivants. C’est, disons-le, petitement produit. Rien n’explose dans Dreamtime. L’Astbu cherche le spirit des shamans dans «SpiritWalker», il a raison, il invoque le mythe du body spiritwalker, il chante tout ce qu’il peut, mais la prod n’est pas au rendez-vous, et le Cult sans prod, ça ne marche pas. Encore un cut de heavy singer avec «Butterflies» et il chante «Go West» comme s’il s’en foutait. Il attend des vagues de son qui ne viennent pas. Go West young man ! L’Astbu reste pourtant le seul maître à bord. Il pèse de tout son poids sur toutes les décisions - Everything - Tu te régales de l’écouter chanter, l’Astbu de tous les abus. Mon royaume pour un cheval de son ! Ils attaquent «Gimmick» à l’attaque, l’Astbu ne sait faire que ça dans la vie, attaquer. Alors il attaque. Pas de halte. Droit devant. Tagada tagada voilà l’Astbu. La force de l’album, c’est la pochette.

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             The Cult, c’est avant toute chose l’histoire d’une voix, celle d’Astbury. Sur Love qui date de 1985, «Nirvana» et le morceau titre sont là pour la révéler. One two three four ! Power-chordage all over et un Astbury qui remonte péniblement à la surface de cette mer de son. Sa voix fait partie de celles qu’on n’oublie pas. Il est élancé, fougueux, fumant. Un étalon ! Il va chercher ses effets là-haut sur la montagne. L’Astbu sait chanter. Le gros Cult amène «Love» au stomp de riff raff. De toute évidence, ces mecs en pincent pour la heavyness. Ils jouent dans les règles du gros lard et l’Astbu se bat avec le stomp. Reconnaissons qu’il existe un esprit Cult. S’ensuit un sombre «Brother Wolf». Il est vite dans le décor, l’Astbu. C’est un rôdeur né. Il se fond dans l’ombre, il rôde comme un dieu de l’antiquité. Voilà qu’il pleut des accords dans «Rain». Ça ne surprendra personne. L’Astbu arrive sous un parapluie pour chanter - I’ve been waiting for her - Il s’engage à fond, c’est une ultraïque de la posologie, un concerné de la 25e heure. Les coups de wah qu’on entend dans «Phoenix» sont ceux des Stooges. Ah oui, aussi incroyable que ça puisse paraître ! Tu as là toute la wah de Ron, ça rougeoie, ça joue dans la nuit ! Fire ! Fire ! C’est à partir de ce genre d’épisode que tu décides de suivre un groupe. Il ne faut pas croire ce que les canards de rock français ont pu raconter sur The Cult, qui n’a jamais été un groupe de hard rock. Non seulement les gens étiquettent, mais ils étiquettent mal. L’Astbu est un titan, il jette tout son poids dans la balance, il a le power et l’élégance. La basse est au-devant du mix dans «She Sells Sanctuary». L’Astbu chante de manière extrêmement agressive et pop en même temps. He can sing anything.

             Ils deviennent alors énormes et s’envolent pour une tournée mondiale de neuf mois. C’est à cette époque qu’ils entrent en contact avec Rick Rubin.    

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             Sur Electric, tu trouveras l’imparable cover de «Born To Be Wild» qu’Astbu chante aux charbons ardents. Pur génie. L’Astbu se l’approprie, alors évidemment, Billy Duffy en rajoute, mais ce n’est pas du meilleur effet. La seule valeur ajoutée est le chant de motor running d’Astbu, il enfonce son clou in the highway à coups de marteau sacré, comme le ferait Thor. Alors Electric devient un très grand album. Encore un coup de Jarnac avec «Love Removal Machine» monté sur les accords de «Start Me Up». Ça donne un combat de titans, Jag versus l’Astbu, alors l’Astbu jette tout son corps dans le combat. C’est quand même gonflé de la part du gros Cult que d’aller pomper aussi ouvertement. Mais ça passe, vu qu’Astbu ramène du gusto à la tonne. Même chose dans le «Wildflower» d’ouverture de bal, il force la mesure aussitôt entré en lice, il chante d’une voix d’ouïe de poisse-caille agonisante et il devient tétanique. On reste dans l’énormité avec «Peace Dog», il sculpte son chant dans la glaise du sonic boom, il bosse avec ses pognes, il s’accroche à la matière avec une niaque extravagante, ya yah ! il est le power-shaker ultime, il ne sait faire qu’une seule chose : entrer dans le chou du lard avec tout le gusto de l’undergut. Et dès qu’il peut, il allume, comme le montre encore «Aphrodisiac Jacket», aocch ! C’est vite noyé de son, il chante sous un déluge d’accords terrifiques, cette fois Duffy vole le show, ses descentes d’arpèges sont un chef-d’œuvre, il faut suivre un groupe comme le gros Cult, car ils n’en finissent pas de réserver de bonnes surprises. Sur «Electric Ocean», l’Oh yeah d’Astbu est si pur qu’on l’accueille à bras ouverts, il cultive les clichés, mais il le fait vraiment bien. Leur «King Contrary Men» est un gros boogie-rock digne de Mountain qu’Astbu chante à fond de train, avec un Duffy en embuscade qui s’arrange toujours pour qu’on ne l’oublie pas. Duffy est un vrai renard dont le défaut serait d’être trop bavard. Ils terminent cet album superbe avec «Memphis Hip Shake» qu’Astbu ultra-chante. Il appuie sur la moindre syllabe, yeah-eh et donne des consignes : shake the world.

             Mais le groupe tire trop sur la ficelle. Billy Duffy décide de quitter Londres pour s’installer à Los Angeles et l’Astbu s’installe à Toronto. C’est là qu’ils vont enregistrer Sonic Temple avec Bob Rock, un producteur inexpérimenté.

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             Avec cet album, le gros Cult continue son inexorable progression. Pas de coups de génie sur Sonic Temple, mais des belles énormités, à commencer par le «Sun King» d’ouverture de bal, avec un Astbu qui secoue le cocotier du rock dès son entrée en lice - I’m a sun king baby - Il sait de quoi il parle. L’Astbu ne recule devant aucun excès. Ils font du simili Led Zep avec le «Medecine Train» final. Duffy repart dans le vieux boxing day de big bad strut de Medecine Train et les chœurs font le train. La SNCF devrait prendre le «Medecine Train» comme gimmick pour les annonces dans les gares. Autre coup de semonce : le «Soldier Blue» de Buffy Sainte-Marie qu’ils stompent en mode Gary Glitter. Voilà Buffy au palace glam. Curieux mélange. Quoi que fasse le gros Cult, c’est toujours sur les rails, même si, comme c’est le cas avec «American Horse», on se demande si c’est du lard ou du cochon. Ils ont une notion du son qui nous dépasse complètement. L’Astbu monte bien «Sweet Soul Sister» en neige, mais c’est avec «Soul Asylum» qu’il rafle la mise. La heavyness est son pré carré, il amène ça au so many times et plonge dans un chaudron de sweet soul asylum. Ils tapent ensuite «New York City» avec Iggy en backing vocals, et «Automatic Blues» sonne exactement comme le «Rock’n’Roll» de Led Zep. Même jeu de dupes, avec toute la grandeur élégiaque qu’on peut imaginer.

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             Malgré sa pochette un peu putassière à la U2, Ceremony est un bon album. On vendrait son père et sa mère pour «Heart Of Soul», c’est joué à la surface d’un gratté d’acou et la voix d’Astbu crawle comme le Crawling King Snake, ses écailles luisent dans l’ombre, il se développe dans l’ovaire du rock et devient tentaculaire. Cet homme est une bête fantastique, il chante sous un déluge d’accords, il t’accompagne dans la démesure jusqu’à la fin, il vise le non-retour de big city, tu as peu de choses dans l’histoire du rock qui vont aussi loin. «Full Tilt» vaut aussi le déplacement, ne serait-ce que pour son fabuleux claqué d’accords anglais, c’est même l’une des intros du siècle dernier, avec celles de la Stonesy. Le gros Cult vise en permanence l’éclat mythologique, avec l’Astbu qui tient fabuleusement bien la baraque. Encore une grosse dégelée de heavyness avec «Bangkok Rain». On voit rarement d’aussi belles heavynasseries, surtout lorsqu’elles sont serties d’un Astbu à l’éclate. Il monte toujours par-dessus, même quand c’est noyé de wah. On reste dans la heavyness avec le morceau titre d’ouverture de bal. L’Astbu avance dans le son avec des pieds d’éléphant. On pourrait qualifier ce qu’on entend ici de heavy boogie blues d’ultra rock, mais un heavy boogie blues d’ultra rock ravagé par des vinaigres de disto. Ça te sonne bien les cloches, en attendant. L’Astbu démarre son «Wild Hearted Son» aux chants de guerre indiens. Bel hommage, mais ça ne sert que de prétexte. Les blancs reprennent vite le pouvoir sur les rouges. Tu n’es pas chez Buffy, cette fois, tu es chez le gros Cult. L’Astbu qui est au-devant du mix hurle comme dix. On admire au passage les vents de folie. Dans «Earth Mojo», l’Astbu pousse des petits cris de bête, on le voit monter tout seul en température et pour corser l’affaire, Duffy passe un wild killer solo, alors l’Astbu peut encore pousser des petits cris de bête. Ah on peut dire que les deux font la paire ! Non seulement ils cultivent la démesure, mais ils sont incompressibles. Le destin des cuts se dénoue chaque fois dans un Big Atmospherix avec un Duffy qui pique des crises. Et bien sûr, l’Astbu veille à rester un chanteur hors normes. Il semble conduite l’«If» comme un attelage de char, yeahhh ! On le voit aussi écraser son champignon dans «Sweet Salvation». Comme il est ce qu’on appelle une force de la nature, il peut chanter torse nu au sommet de la montagne. C’est bien pire que de chanter par-dessus les toits. Il vise les vrais sommets, il court les aventures, il tartine tout ce qu’il peut, il est le grand tartineur devant l’éternel. Heavy as hell.

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             La pochette de The Cult paru en 1994 préfigure celle de Choice Of Weapon : figure barbare sur fond blanc. Cette fois, c’est un bouc à quatre cornes. L’album propose en outre un coup de génie et une stoogerie. Par quoi on commence ? La stoogerie ? Elle s’appelle «Be Free». C’est en plein dans l’œuf de Pâques, ce sont les accords de «TV Eye», l’Astbu arrive, sec comme un feu, il se jette à l’assaut comme un guerrier indien, et là tu as tout, la violence du chant et la violence du son, mais l’Astbu ramène en plus ses c’mon c’mon et tout son power barbare. Le coup de génie se trouve vers la fin : «Universal You». L’Astbu monte à l’extrême assaut, on ne peut pas imaginer pire assaut. Sonic genius ! Une vraie marée. Encore une vraie dégelée avec «Emperor’s New Horse», même choc esthétique avec le fabuleux confessionnal qu’est «Saints Are Down». Il redevient le chanteur énorme que l’on sait avec «Sacred Life» - Hey sister/ What is sacred in your life - Il est l’un de ces grands chanteurs qui se savent se confronter aux réalités. «Gone» sonne comme une pluie d’acier, c’est un son qui relève de l’extrême et l’Astbu rôde dans le chaos. C’est sa spécialité. Il tombe sur le râble de sa dégelée. Personne ne peut le battre à ce petit jeu. On le voit encore remonter à la surface de «Coming Down (Drug Tongue)», il surplombe sa propre profondeur, sa voix ouvre des gouffres et cette façon qu’il a de monter au sommet de l’Ararat n’est pas si banale. Il charge bien la barque de son «Black Sun», c’est d’une grande portée, mais pas un coup de génie. Le gros Cult tape parfois dans la prévisibilité sans nom des abysses lovecraftiennes et finit par sacrifier l’émotivité sur l’autel de la Trinité. Duffy pompe les accords de «Cold Turkey» pour «Joy» et retour aux choses sérieuses avec «Star». Quelque chose de monstrueux y prend forme et l’Astbu entre là-dedans au believe in freedom. Il est violemment bon et ça tourne vite à l’insurrection. Il shoote tellement que ça s’auto-télescope dans des chaos de guitares. 

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             L’Astbu et Billy Duffy finissent par se fâcher en 1995. Alors l’Astbu monte les Holy Barbarians et enregistre un seul album Cream. Rrrroooarrr, l’Astbu rugit de plus belle dès «Brother Fights». Si tu as besoin de son, il est là, à profusion. L’Astbu sera un rock’n’roll animal ou ne sera pas. C’est encore une fois du big rockalama extrêmement chanté, percuté d’accords dans l’enfer de l’excelsior. Le guitariste s’appelle Patrick Suggs. L’Astbu ramène tout le power de son autorité, il navigue au niveau des géants comme les Doors ou Led Zep. Et comme tous les géants, il s’accorde un havre de paix, le morceau titre, que Scuggs survole comme un vampire. Retour au power avec «Blind», dans un whirlwind de guitares, l’Astbu chante à l’héroïque homérique, il redevient considérable. Avec «Opium» il tape dans l’opium du peuple et son «Space Junkie» te tombe sur le râble, l’Astbu se montre lourd de conséquences, aw my Gawd comme c’est bon, il t’encadre l’énormité comme seul peut le faire un grand shouter, il est l’égal de Jimbo. Encore plus stupéfiant, voilà «You Are There» qu’il attaque à la force tranquille de François Mitterrand, il module sa mélodie sur le toit du monde, c’est un grimpeur, le cut devient magique tellement il est bien balancé, joué aux accords de rêve, cette fois l’Astbu rejoint les Screamin’ Trees de Dust, même vibe ! Avec un mec comme lui, il ne faut plus s’étonner de rien. Il termine avec une entreprise de démolition, «Bodhisattva», il monte à l’assaut car c’est un vainqueur et comme il n’a rien perdu de ses réflexes, il passe à travers les murailles.

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             Puis il enregistre un album solo, Spirit/Light/Speed. On se doutait bien qu’il s’agissait d’un big album. L’Astbu ne sait faire que ça dans la vie. Des big albums. Il ramène tout de suite du son, dès «Back On Earth», il lance l’assaut très vite, c’est sa raison d’être. Il tape toujours dans le même registre : King Kong, c’est moi le plus fort ! Il est déjà all over tous les autres, rien qu’au chant. On entend des machines dans «High Time Amplifier», mais ça ne l’empêche pas de chanter au tranchant, il chante au génie pur, il passe en force, il en rajoute, il est là pour toi, et ça continue avec «Devil’ Mouth» et «Tonight (Illuminated)», c’est défoncé, alors tu es défoncé, ça devient logique, ça explose sans prévenir, il rôde dans le présent du rock, son ombre plane sur nous et puis voilà «The Witch (Sit Return)» attaqué au riff de fuzz, c’est un push, il peut te balancer le pire heavy fuzz box in the face, oh yeah yeah, voilà même le pire gaga Cult de l’univers. Le pire du pire. On se croirait à l’âge d’or du Cult. Il est chaque fois en plein dans le mille. Encore du fantastique power d’évocation avec «El Ché/Wild Like A Horse». Il monte là-haut sur la montagne, yeah you/ You’re wild as a horse, le chant s’enlace au guitaring, c’est exultant d’and you ! Te voilà encore avec un big album sur les bras.

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             L’Astbu et Billy Duffy se rabibochent en 1999 pour enregistrer un nouvel album : Beyond Good And Evil. Force est de constater qu’il s’agit une fois encore d’un very big album. Au moins deux coups de génie : «Take The Power» et «My Bridge Burn». Avec Power, ils se noient dans le son, tout est submergé de son, l’Astbu a encore des réflexes de niaque, il parvient à survivre à cet enfer, c’est allumé sous le feu, ce cut est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, avec un Astbu qui parvient à chanter au-dessus de cette immense fournaise. Il attaque «My Bridge Burn» de front. Voilà encore une fabuleuse dégelée, le son est comme gorgé de retours de manivelle et de coups de wah, les coups de manivelle sont ceux de Ron Asheton et Duffy part en maraude comme un requin, celui des Dents De La Mer. Tout est beau comme un incendie urbain sur cet album, tiens comme cet «Ashes & Ghosts», un vrai blast, cette façon qu’il a de hurler dans la tempête fait de l’Astbu un génie, il blaste de plein fouet le Wall of Sound. Puisqu’on en parle, on le retrouve dans «War (The Process)», le Wall of Sound t’écrabouille d’entrée de jeu et tu as là la pire bass fuzz de l’histoire du rock, avec en plus un Astbu qui screame dans la soupe, woh-oh-oh, les vagues de son te submergent, tout explose. The Cult ! Wall of Sound encore dans «Speed Of Light», bien tartiné à la main lourde, woof, ça s’abat sur toi comme un énorme cataplasme de son, ces mecs sont d’épouvantables diables cornus, ils truffent le chou du lard de tous raffinements de l’enfer et Duffy asticote le brasier à la wah. C’est d’une rare violence sonique. Et comme d’habitude, l’Astbu chante au-dessus de tout ce bordel. On a aussi un «Shape The Sky» surchargé de son, d’accords et de drumbeat, de chant et de ressac de chant, et balayé par les vents de Duffy. Avec «The Saint», l’Astbu tape dans l’heavy brutalité du son, ces mecs naviguent hors des normes, bien au-delà du bien et du mal, comme l’indique le titre de l’album. L’Astbu s’en va chanter à la pointe du Raz, tout est monté en mayo pourrie, tout ici tue les mouches. Leur «Rise» se raye des cadres à coups d’accords, ils continuent de flirter avec le pouvoir absolu. L’écoute en soi est une expérience, tout est démesuré, tout tangue dans la cambuse. Sur «Nico», l’Astbu chante un peu comme Bono, c’est pas terrible, mais soudain, le cut prend feu, oui, le feu au Cult - Hey Nico stay strong in this world/ My girl - Rien d’aussi grandiose - I watched your spirit fly/ Across the velvet sky - et ça plonge dans le straight to hell. Seul l’Astbu peut monter un coup pareil

             Comme leur relation avec Atlantic se détériore, l’Astbu reprend son vol, c’est-à-dire son indépendance et rejoint Kreiger et Manzarek dans Riders On The Storm. Mais le projet est vite ratatiné par la famille de Jimbo d’un côté, et John Densmore de l’autre.

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             C’est Youth de Killing Joke qui va produire Born Into This. Avec cet album, l’Astbu n’en finit plus d’évoluer. Il envoie des déluges dès le morceau titre, il chante au sommet des désastres, c’mon, il ne tient plus la rampe qui s’est écroulée avec l’immeuble, mais le son tient bien la rampe. L’Astbu ramène même des chœurs de Dolls pour faire bonne mesure. On reste dans la destruction avec l’un des trois coups de génie de l’album, «Sound Of Destruction». Il entre en lice avec une niaque unique au monde, il est wild as fuck, le wild king of the Cult, cette façon qu’il a d’awiter est vraiment unique. «Diamonds» ? Okay, c’est du big heavy rock inspiré - She got diamond here - Tout chez le gros Cult relève d’une puissance inexorable. L’Astbu rebondit dans la vie et se passe volontiers des commentaires. Encore un coup de génie avec «Citizens», pas de problème, puisque l’Astbu bénéficie de l’un des meilleurs sons de la galaxie. Il se goinfre de cette masse en fusion et chante comme un dieu. Prod exemplaire. L’Astbu ramène du power jusqu’au bout du Citizen. Et voilà «Dirty Little Rockstar» attaqué à la basse de Néandertal, t’es foutu d’avance. Puis il éclate un pauvre balladif, «Holy Mountain». Il l’éclate à la classe pure. Il chante son gut out. Comme l’indique son nom, «Illuminated» est joué aux accords lumineux. L’Astbu passe en overdrive et lance son shine on. Power absolu ! Avec «Savages», il transplante son art dans l’épaisseur du son. Born Into This s’adjoint un mini-LP quatre titres. Tu dois te débrouiller, car tu as zéro info, pas de track-list, pas de rien. L’Astbu refait des siennes avec «Stand Alone». Il se projette aussitôt au sommet des possibilités. Il balaye tout son spectre. On l’admire. Impossible de faire autrement. «War Pony Destroyer» est le son des heavy exécuteurs. On entend glisser les lames. Mais ce qui frappe le plus, c’est le gusto de l’Astbu. Il entraîne son cut à travers une mer de flammes. On trouve une nouvelle mouture d’«I Assasin» - Me & my darkness/ Alone oh-ohh - Il remonte à contre-courant du son malade, comme un baron de l’An Mil, il festoie seul à sa table, avec des clameurs qui font peur. Nouvelle version de «Sound Of Destruction» où il sonne comme Iggy, mais avec son propre style. Il monte vite dans l’excès - I don’t feel anymore - Il s’éclate bien dans les vagues et ce n’est qu’une démo ! On tombe ensuite sur la full version de «Savages», l’Astbu reste un shouter exceptionnel, un pusher de push, n’allez pas prendre le gros Cult pour un groupe de série B.

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             Croisée du regard dans un bac de Gibert, la pochette de Choice Of Weapon ne laissait pas indifférent. Ce fut même le coup de foudre. Avec une pochette pareille, l’album ne pouvait être que bon. C’est un raisonnement qu’on a souvent tenu au fil du temps. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Dans ce cas, on peut dire que ça a marché. L’Astbu s’est déguisé en sachem indien, de ceux qui font vraiment peur et qu’on n’aurait pas aimé rencontrer au coin du bois à une certaine époque. Mais ce qui fait vraiment peur, c’est la suite de l’image à l’intérieur du gatefold : l’Astbu bandit un couteau de chasse indien. Ce n’est pas un opinel. D’ailleurs le cut d’ouverture de balda s’appelle «Honey For A Knife» et on sent tout de suite la présence de ce chanteur impressionnant. Il dispose d’une fantastique énergie du chant. Avec ce Knife, le Cult vise l’absolu cultissime, le power des tribus primitives d’Amérique. L’Astbu finit par avoir des faux accents de Screaming Trees. Il est le seul à pouvoir approcher cet art suprême. Il se bat pied à pied avec les vertiges, il vise l’immensément épique tout ici est porté par le chant. Avec «Life Death», il s’en va chanter là-haut sur la montagne, il en devient élégiaque. On entend encore les accords des Screaming Trees dans «For Animals». Incroyable consanguinité. Astbu chante le wild des prairies et des montagnes sauvages, il est le dernier mountain man de notre époque, comme le montre la pochette. Tout sur cet album est aussi épais qu’ambiancier, comme sculpté dans l’argile. C’est une masse. Avec «Lucifer» en B, l’Astbu durcit encore le tom, il va chercher des accents de plus en plus profonds, you are my Lucifer, il ne rigole plus, il nous entraîne dans des abîmes de perdition, on savait qu’il ne fallait pas lui faire confiance. «A Pale Horse» est une histoire de combat, you don’t stand a chance et il redevient l’un des plus grands hurleurs devant l’éternel avec «The Night In The City Forever». On trouve un deuxième disk dans le gatefold, c’est un EP quatre titres et le côté Screaming Trees revient avec «Every Man And A Woman Is A Star». S’ensuit le magnifique «Embers» et ses clameurs souveraines, c’est incroyablement drivé sous le heavy boisseau des légendes anciennes. Si on en pince pour la grandiloquence, alors le Cult est le groupe idéal. Il devient impressionnant à force de grandiloquence. Le côté élégiaque reprend le dessus avec «Siberia», ce qui paraît logique, vue l’étendue du territoire. 

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             Attention à Hidden City. C’est l’un des plus brillants albums de ce début de XXIe siècle.  Tu prends n’importe quel cut au hasard et tu es content du voyage. Tiens, on va prendre par exemple «Deepley Ordered Chaos». Ces mecs te tombent tout de suite dessus et tu ne peux rien faire. Tu entres en saturation comme d’autres entrent en religion, le gros Cult ne fait plus du rock mais du concassage extraordinaire avec un Astbu coulé dans la craie, il pèse de tout son poids sur cette fantastique débauche de plâtras, les accords sont beaux comme des haches qui s’abattent, tu ne peux pas échapper à ce carrousel d’extrême violence, l’Astbu est partout dans le ciel, il sonne comme un fléau biblique et Duffy abat ses haches d’accords avec une régularité qui fout la trouille, cette façon qu’il a de filocher à travers le son est unique au monde, tu passes sous les fourches Caudines du gros Cult, alors tiens-toi bien ! Un autre exemple avec «Hinterland». Hey ! Il rentre dans le chou du lard comme une épée. C’est à la fois une épée et une explosion. Te voilà suspendu dans les arcanes du son, et l’Astbu chante comme un beau diable, il amène des dimensions qu’on croit connaître, mais non, il crée un monde, il prend son temps, il chante par en dessous et soudain il tape dans l’Hinterland et ça dégringole de partout, tu as là l’un des plus beaux shakages de l’univers, with you/ Forever with you, il s’exacerbe, c’est un cut plein d’épisodes, il remonte à la surface des nuées avec des remugles plein la bouche, ça explose dans une soupe infâme de solos morts-nés, dans un océan d’avanie larvaire, Duffy fait tout ce qu’il peut pour survivre, c’est overwhelming et terrific, l’Astbu continue de monter son with you dans l’Hinterland, son poignant with you my love, c’est du génie pur, vibré comme du béton dans la gueule de Moloch. Et puis tu as «Birds Of Paradise» et sa belle profondeur de champ, beaucoup d’espace, idéal pour un déclameur hugolien comme l’Astbu. Il répand son souffle, il pose son chant comme s’il posait ses conditions et ça devient l’enfer sur la terre. C’est parce qu’il chante le Paradise que ça devient génial. Des chœurs des Dolls accompagnent cette descente aux enfers du Paradise. On descend littéralement dans la cave du Cult, mais l’Astbu veut la lumière du Paradise, alors il explose comme Lucifer, c’est d’une beauté tétanique. Il incarne l’ange déchu et fait glisser les accords dans la lumière, et là-bas, au loin, les chœurs qu’on entend ne sont pas ceux des anges, mais ceux des Dolls. L’Astbu pose sa voix sur l’acier en fusion. Des arpèges le transpercent, on sent le souffle de sa voix au dessus du brasier et là tu as certainement l’un des plus beaux cuts de l’histoire du rock. L’Astbu crée l’émotion des précipices. Et le redémarrage est une merveille unique au monde. Rien qu’avec ces trois cuts («Hinterland», «Birds Of Paradise» et «Deepley Ordered Chaos»), on est gavé. Pourtant, on trouve d’autre briseurs de noix sur cet album, comme par exemple «No Love Lost». L’Astbu y est le Chanteur Contre Le Pacifique. C’est le seul mec à savoir le faire. Son power dépasse celui des mots, comme chez Duras. Il pleut du feu. Alors tu te prosternes. Le «Dark Energy» d’ouverture de bal est aussi un passage obligé, car wild as fuck, avec un Astbu debout sous une pluie d’accords. Comme il est avant toute chose un seigneur, il se relève dans les décombres, c’est son numéro préféré, il sait faire le phénix du rock, le voilà dressé au beau milieu des décombres pour chanter. Et puis tu as encore «Dance The Night», visité par la grâce barbare, ce démon d’Astbu bénéficie de toutes les largesses de l’apocalypse. C’est encore une fois noyé de son. Il monte toujours à la rencontre d’un cut comme un sous-marin, et le plus souvent, il le torpille, mais c’est pour son bien. Tu vas tomber de ta chaise en écoutant le heavy sludge de «GOAT» et avec «Lilies», tu verras l’Astbu monter son chant par dessus la muraille de Chine d’un Wall of Sound, c’est gorgé de climats, terriblement texturé, taillé dans l’albâtre sonique. Encore de l’inexorable avec «Heathens». Ça te frise les moustaches. Sa voix vibre, jusque dans le cœur de l’atome. On note que Bob Rock produit tous ces albums géniaux.  

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             Sur Pure Cult. The Singles 1984-1995, on croise pas mal de vieilles connaissances, comme par exemple «Star», tiré de Choice Of Weapon et saturé de son, ou «Love Removal Machine», tiré d’Electric et saturé de Stonesy, ou encore «Heart Of Soul», tiré de Ceremony, ou encore «Wild Hearted Son», tiré lui aussi de Ceremony, et puis aussi «Sun King» dont on a déjà dit tout le bien qu’il faut en penser, au moment de Sonic Temple. L’Astbu propose en permanence un mélange de pleasant et d’unpleasant, il a des réflexes de wild rocker, comme Iggy Pop ou Roy Loney. Ce sont des gens qui savent chevaucher un wild beat. Le gros Cult sort du lot comme les Doors sortaient du lot, par la seule aura du chanteur. Ian Astbury est le prince des clameurs. Cette compile de Singles est très bien faite, elle permet de faire le tour du propriétaire et d’écrémer la crème de la crème. Le gros Cult mise tout sur le heavy sound. C’est un autre monde. Ils amènent «The Witch» à la basse fuzz. Une bénédiction !  L’Astbu explose «In The Clouds» au pur power d’hardcore king. Il se fond ensuite dans le bad ass groove de «Coming Down», c’est du sérieux et ça bascule une fois encore dans le limon de tes rêves inavouables. Il emmène «Wild Flower» au sommet du lard fumant, il monte vite sur ses grands chevaux et ça atteint une fois encore le sommet du lard fumant.

    Signé : Cazengler, peigne-Cult

    The Cult. Dreamtime. Beggars Banquet 1984

    The Cult. Love. Beggars Banquet 1985    

    The Cult. Electric. Beggars Banquet 1987   

    The Cult. Sonic Temple. Beggars Banquet 1989

    The Cult. Ceremony. Beggars Banquet 1991

    The Cult. The Cult. Beggars Banquet 1994  

    The Cult. Beyond Good And Evil. Atlantic 2001

    The Cult. Born Into This. Roadrunner Records 2007

    The Cult. Choice Of Weapon. Mystic Production 2012

    The Cult. Hidden City. Cooking Vinyl 2016  

    The Cult. Pure Cult. The Singles 1984-1995. Beggars Banquet 2000

    Holy Barbarians. Cream. Beggars Banquet 1996

    Ian Astbury. Spirit/Light/Speed. Beggars Banquet 1999

    Lee Powell & Duncan Seaman : All glory/ Electric. Vive Le Rock # 91 - 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Battle Fields (Part Four)

     

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             Il se pourrait fort bien que Lee Fields soit la dernière superstar de la Soul américaine, ce qu’Ahmet Ertegun appelait autrefois the original black American music. Dès que Lee Fields arrive sur scène, tu réalises qu’il est l’héritier direct de James Brown. Bootsy booty. Une vraie bête de Gévaudan. Chaque fois qu’il revient en France, il donne l’impression d’être encore plus vorace. Son secret ? Le wild as fuck, c’est-à-dire le raw de la Soul. Comme Sharon Jones, il concentre tous les pouvoirs, à commencer par le Black Power. Il vient en direct de l’I’m Black and I’m Proud, des poings levés de Tommie Smith et John Carlos à Mexico, du Doctor King et de Malcolm X, de Solomon et de Wicked Pickett, de Sly Stone et de Sam & Dave, du prophète Isaac et d’Aretha, il hérite de la spacio-génétique de Funkadelic, il dit et redit, pour les ceusses qui ne l’auraient pas encore compris, la grandeur du peuple noir, une grandeur qui passe par le pont des arts. La Soul est l’art nègre par excellence.

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             Lee ramène tout le saint-frusquin : la revue, les pas de danse, l’hot sax, les boots, les screams, la sueur, le juju, le mojo, les Flames, le funk, le feel, le fool, le fame, le feu, l’Afro, Lee t’enlise, Lee te lie à lui, Lee te lilipute, Lee luit dans les spots, Lee boit le calice jusqu’à la lie, Lee creuse le lit de la Soul, Lee voit loin, Lee ne pâlit pas, Lee verse des larmes, Lee te donne la lune, Lee Lady Lay, Lee lime, Lee t’élit, Lee t’allume, Lee t’allonge, Lee t’ilote, et soudain, Lee te ramène aux réalités avec un numéro de funk digne des grandes heures de son mentor, Jaaaaaaaames Brown :

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    il bloque le funk dans ses starting-blocks, le doigt sur la couture du pantalon, alors la gratte tinguelite et déclenche l’enfer du funk sur la terre avec «Money I$ King», Brother ! Il te harangue et te harponne - sad sad world where money is king - alors la nef des fous bascule dans l’enfer du paradis. What the hell ! Hey, t’auras jamais ça ailleurs. Il sort aussi le vieux «Standing By Your Side» d’Emma Jean pour rocker sa Soul, cette Soul progressiste qui te marche dessus comme une armée de l’antiquité lancée à la conquête des continents, c’est à ça et à vraiment ça qu’on mesure l’immense power de Lee Fields, c’est son côté mitterrandien, cette merveilleuse force tranquille black qui n’en finit plus de résonner sous ton crâne de mort, ça bat comme un pouls, ça bat comme un cœur.

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    Le fameux heartbeat d’Eric Burdon, tu l’entendras chez Lee de la terre. Et tu ne t’en lasseras jamais. Encore un numéro de cirque avec «Two Jobs», tiré du nouvel album, il raconte son histoire et la revue se met en ordre de marche, c’mon babe, diable comme ces mecs sont bons, rien que des petits culs blancs, mais des bons, bassman hocheur de tête, gratteux sobre mais claquemureur, sax man wild and frantic, beurreman milord-l’arsouille, shuffleman à la Georgie Fame, et Lee ergote comme un funkster, han ! sa femme lui dit Lee ramène du blé et Lee tape two jobs, joli prétexte à groover cette nef qui valse dans les grasses Sargasses de la Soul, Lee égrène les heures d’o’clock, c’mon baby, si tu veux danser sur le beat, c’est là que ça se passe.

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    Et puis, la cerise sur le gâtö, c’est bien sûr le coup du lapin : «Honey Dove» en rappel et là Lee te tue, mais tu meurs de bonheur, il revient en gilet jaune et tape dans le dur de sa Dove, l’un des plus grands hits des temps modernes - My baby love/ My honey dove - Lee la tire à l’infini, sa Dove - You’re hurting me honey/ Right down to the bone - il en rajoute des minutes et des minutes qui sonnent comme des minutes de Sable Mémoriel, il multiplie les faux adieux et n’en finit de demander à la foule si elle est heureuse, alors la foule rugit bien, Lee veut l’entendre encore rugir, alors la foule fait yeah yeah, Ooh, baby My baby love, tu en veux encore ?, tiens en voilà encore, il part mais ne part pas, il fait son cirque jusqu’au bout de ses forces, profite bien du bout de ses forces, car t’es pas près d’en voir d’autres des bouts de ses forces pareils, Lee t’en vas pas, mais il faut bien qu’elle aille au lit, notre True Star. Eh oui, mon gars, Lee a 72 balais. Vénérable. C’est pour ça qu’on le vénère. 

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             Alors qu’on le croyait un peu usé par le temps, il refait la une de l’actu avec un album superbe, Sentimental Fool. D’où cette tournée de promo.

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    Sur la pochette, il pose au milieu des cocotiers et il casse aussitôt la baraque avec «Save Your Tears For Someone New». Comme il vient de confier son destin à Daptone, il ne pouvait espérer de meilleur catchin’ up. Les Dap-Kings soignent Lee jusqu’au délire, le Save Your Tears sonne comme une merveille apocalyptique, c’est l’accumulation des forces qui rend le cut surnaturel : genius de Lee + genius de Daptone, ça donne de l’extraballe gorgée de power sous-jacent. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Without A Heart», un vrai shoot de Daptone shuffle. Lee grimpe à cheval et part à la conquête de l’Ouest. Il est rompu à tous les arts, surtout celui du wild as fuck. Les Dap-Kings drivent ça bien, tu as encore le génie de Lee Fields qui court sur la crête - Summer rain in my heart - Rien de plus expressif, de plus pressant, ça roule avec des percus de caboche et un extraordinaire relentless de shuffle d’orgue. Absolument demented ! Avec «Forever», il est tout de suite en selle, il va droit sur la Soul intense et moite. On est là pour ça et Lee Fields ne te déçoit jamais. Il faut aussi comprendre que cette heavy Soul ne parle pas à tout le monde. Son concert en Normandie n’affiche pas complet. Lee Fields fait de la heavy Soul, écrasée comme une prune sous le soleil exactement. Ça commence à groover sérieusement avec «Two Jobs», sur fond de shuffle d’orgue, et Lee ramène sa voix de James Brown, alors il t’éclate le Sénégal et tape un fantastique shoot de jive. Puis il te plonge dans le chaudron de la pire Soul de froti avec «Just Give Me Your Time». On n’avait pas vu un tel chaudron depuis le temps de «Please Please Please». Derrière, ça joue fabuleusement, aux notes déliées, don’t worry baby. Prod magique, comme d’habitude chez Daptone. Encore une merveille avec «The Door», les violons te happent, don’t leave me, c’est du big biz claqué derrière dans le mix. Ça se joue à un autre niveau, avec des couches supérieures et des effets de claquettes. Il fait encore merveille dans «Ordinary Lives», il fait du heavy Lee, il plante ses crocs dans la Soul, c’est un vrai scorcher, une fantastique présence, il incendie son crépuscule. Il passe au plus dansant avec «Your Face Before My Eyes», Lee est un vétéran, il sait mener un bal, il sait allumer la belle Soul de Daptone au plus haut point. Et puis cette fantastique aventure s’achève avec «Extraordinary Man», il fait sa prière, il n’est pas celui qu’elle croit, c’est bien plombé. Cet homme admirable se plie aux aléas du destin et c’est orchestré rubis sur l’ongle.

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             Oh et puis le voilà en couve de Soul Bag. Et six pages à l’intérieur. Dans l’interview, il parle bien sûr de son retour chez Daptone, après la fin de son contrat chez Big Crown. Gabe Roth  ? Il le connaît depuis belle lurette et s’entend bien avec lui. Pas de problème. Lee explique que Gabe lui présente des chansons, et il choisit. Lee confirme que Sentimental Fool a été enregistré au nouveau studio Daptone de Riverside, en Californie. Il évoque bien sûr ses vieux souvenirs de l’early Daptone en 1996, il évoque aussi ses vieux amis Sharon Jones et Charles Bradley. Mais au fond Lee n’a pas grand-chose à dire. Ce n’est pas un baratineur.

    Signé : Cazengler, Lee figue, Lee raisin

    Lee Fields. Le 106. Rouen (76). Le 11 février 2023

    Lee Fields. Sentimental Fool. Daptone Records 2022

     

    L’avenir du rock - La reine Elizabeth

     

             Pour se changer les idées, l’avenir du rock décide d’aller faire un tour à dos de chameau dans la Vallée des Rois. Avec sa chéchia, son nez courbe, sa barbe miteuse et son accent arabe, le guide est tellement caricatural qu’il semble avoir été dessiné par Hergé. Il précède l’avenir du rock de quelques mètres, juché sur un petit âne dont il bourre les flancs de coups de talons pour le faire avancer.

             — Li glande pylamide qué tu chouffle, sahib, ci celle du BiBi Kingue !

             — Diable, elle est deux fois plus grosse que les autres !

             — Les plêtles d’Anoubis pas ligoler avé Bibi Kingue, sahib ! Lui guitaliste pléfélé du gland Osilis.

             — J’aurais jamais cru que les dieux avaient aussi bon goût. Et la plus petite, à côté ?

             — Ci la pylamide dé Fleddie Kingue, sahib ! Lui guitaliste pléfélé du gland Holus.

             — Franchement, Mohammed, cette Vallée des Rois est du meilleur goût ! J’imagine que la pyramide suivante qui ressemble à une grosse glace fondue est celle d’Albert King...

             — Blavo Sahib ! Ci bien la pylamide d’Albelle Kingue, lé loi de la blouse-loque ! Lété fondu passe qui lé le pléfélé du gland Lâ. Tlop chauffé la caboche, hi hi hi !

             — Et toutes ces petites pyramides qu’on voit alignées par derrière ?

             — Cille là, Sahib, ci la pylamide du gland Eal Kingue di la Nivelle Ourlian, et a coti, ti as la pylamide du gland Ben I-Kingue, les pléfélés d’Anoubis.

             — Et celle qui est en construction, là bas ?

             — Ci celle d’Ilizibite Kingue, mais les ouvliers sont lentlés au village.

             — Pourquoi donc ?

             — Y faut attendle qu’Ilizibite casse la pipe, Sahib ! Ilizibite elle chante encole dans son village. Si tou veux Sahib, yé peu te vendle son delnié alboumme. Ci pas cher !

     

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             L’avenir du rock n’en revient toujours pas d’avoir trouvé le nouvel album d’Elizabeth King dans le désert. Il l’a eu en plus pour pas cher.

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    Il s’appelle I Got A Love, et sort sur Bible & Tire Recording Co., un label qu’on a salué ici-même voici quelques mois. Cette fois, la Reine Elizabeth opte pour une pochette psychédélique. On croit tenir dans les pattes un bootleg californien de Captain Beefheart, mais rassurons-nous, c’est bien elle, et elle attaque au fast heavy groove de Bible & Tire avec «What You Gotta Do». Si on aime le heavy gospel, on est servi. Elle enchaîne avec un pur r’n’b, «Stand By Me», elle te drive ça droit dans le mille, elle chante à la clameur du oh no de stand by me, le beat est d’une rare violence et ça bascule dans la folie cavalante. Il secoue les colonnes du temple. S’ensuit «I Got A Love», le truc de Jimbo Mathus, d’une rare intensité, ça sent bon la mainmise - Like a haunting stroll through the dark Memphis streets/ With a desperate cry of love and affection - Elle passe sans crier gare au gospel rock avec «I Need The Lord». Elle t’allume ça dans la lucarne au heavy gospel batching ball et Will Sexton gratte ses poux. On retrouve sur cet album la même équipe que sur l’album précédent, avec Sexton, tu as Mark Edgar Stuart (bass), George Stuppick (beurre) et Matt Ross-Spang, (second guitar). Le Master of Ceremony reste bien sûr Pastor Juan D. Shipp, personnage de légende dans le monde du gospel local. «My Robe» dégage bien les bronches, oh my robe ! , elle te monte ça vite fait en neige, oh my robe !, elle le danse dans l’entre-deux, aw, la classe de la Reine Elizabeth, elle le perpétue jusqu’à la fin des temps, oh my robe !, te voilà arrivé dans l’art sacré. Avec «I Know I’ve Been Changed» elle remercie Jésus de l’avoir changée. Et ça se termine en heavy loco de gospel des seventies avec «My Time Ain’t Long», une divine apocalypse. 

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             Lors de leur passage en Normandie, les Como Mamas avaient tellement marqué les cervelles au fer rouge qu’on est resté sur le qui-vive. Dès que paraît un Bible & Tire Recording, on lui saute dessus. Tiens justement, en voilà un de taille : The D-Vine Spiritual Recordings. Les liners nous indiquent qu’Elizabeth King est restée 33 ans avec ses Gospel Souls et qu’elle a élevé 15 gosses. The D-Vine Spiritual Recordings est une compile de Memphis Gospel batch, mais à l’ancienne. Ça démarre avec un «I Heard The Voice» enregistré en 1972, fantastique alliage de sensibilité et de power qui fut, nous dit le producteur Juan D. Shipp, un gros succès. Il avait demandé à Elizabeth King de chanter comme si elle faisait l’amour à Dieu - Nobody could sing like the original - Puis comme sait si bien le faire le gospel, ça explose avec «Wait On The Lord». Le coup de génie de l’album s’appelle «Here Waiting». Elle allume la gueule du gospel et ça tourne à la magie pure, elle détient le power d’Aretha - I find in Him sweet rest - Elle explose le batch, le gang joue heavy et les Gospel Souls chantent à la criée avec tout le jus du doo wop. Elle profite de «Jesus Is My Captain» pour amener Jésus en feulant dans la nef des fous de l’église en bois. Elle chante ça sous le boisseau de l’autel, elle rampe un temps pour mieux rejaillir et éclater dans la rosace d’une cathédrale imaginaire. Quel boulot ! On est encore plus effaré par «I Found Him» : c’est la classe du gospel croon de Broadway in Memphis, elle se barre en heavy groove de gospel jazz - I found him to be my hellbound chaser/ I found him to be my midnight rider - Incroyable tension du batch. Tout est beau sur cet album miraculé. La reine Elizabeth fait de la Soul de gospel, elle chante à la vie à la mort, comme une lionne, elle est l’Aretha des pauvres, la Soul Queen de Memphis, même si on sait qu’Aretha est elle aussi originaire de Memphis. Elle fait du r’n’b primitivo-spirituel. 

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             En 2021, la reine Elizabeth est devenue une vieille dame quand elle enregistre Living In The Last Days. Elle n’a plus la même voix. L’album décolle avec «He Touched Me». Les Vaughn Sisters font les chœurs, c’est très fin, quasi-chirurgical, tellement précis, à l’ozone près. Elle enfile une série de gospels classiques (gospel d’orgue avec «Living In The Last Days», Memphis beat avec «Mighty Good God» et heavy shuffle avec «A Long Journey»). Puis ça se met à rocker avec «Reach Out And Touch», monté sur un beau bassmatic ballochard. Avec «Walk With Me», elle demande beaucoup à Lawd - Lawd be my friend/ Don’t leave me alone - Elle attaque «Cal On Him» à la Sam Cooke. La reine Elizabeth termine cet album attachant avec l’a capella de «Blessed Be The Name Of The Lord», la voilà pure et dure, et elle enchaîne sur le plus beau des hommages : «You’ve Got To Move», le vieux classique de Mississippi Fred McDowell. Mister Jag et tous les repreneurs, prenez des notes.  

    Signé : Cazengler, Elizabête comme ses pieds

    Elizabeth King. Living In The Last Days. Bible & Tire Recording Co. 2021

    Elizabeth King & The Gospel Souls. The D-Vine Spiritual Recordings. Bible & Tire Recording Co. 2019

    Elizabeth King. I Got A Love. Bible & Tire Recording Co. 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - In the Mud for love

     

             Personne n’aurait pu dire ce que Mad avait au fond du crâne. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé de comprendre. Pendant des années, nous avons chevauché ensemble, mais il demeurait impénétrable, même lorsqu’il affichait son prodigieux sourire de gamin. Il ne parlait jamais de lui, sauf pour indiquer qu’il avait toujours eu les cheveux blancs, depuis sa plus tendre enfance. Lors des bivouacs, il grattait sa guitare à la folie, il torturait à n’en plus finir des thèmes de flamenco et nous avions beau lui répéter qu’il fallait garder le silence pour des raisons de sécurité, rien n’y faisait. Il grattait deux fois plus fort. On devait nous entendre à des kilomètres à la ronde et c’est un miracle que les chasseurs de primes ne nous soient pas tombés dessus. Mad ne craignait pas la mort, il avait déjà traversé le miroir. Il semblait observer les vivants comme on observe des curiosités. On se méfait un peu de lui, car il pouvait avoir un côté très dangereux. On l’avait vu à l’œuvre dans des saloons, il provoquait des rixes pour un rien. Il ne sortait son six coups que pour tuer à coup sûr, et souvent pour des prétextes bénins, du genre un malencontreux échange de regard ou simplement une tête qui ne lui revenait pas. Un vrai crotale. Il valait mieux être son ami que son ennemi. Mais personne dans le gang n’était vraiment sûr de lui à cent pour cent. Il chevauchait avec nous, c’est tout. Nous avions besoin d’hommes de sa trempe pour monter des coups sur les villes de la frontière, et peu de gens osaient encore risquer leur peau pour un sac d’or. L’or n’intéressait même pas Mad. Il nous laissait sa part et retournait gratter sa gratte. Quand il ne grattait pas, il fabriquait de l’alcool de cactus. Il en trimballait toujours des bidons accrochés en travers de sa selle et nous en offrait de grandes lampées lorsqu’on fêtait la réussite d’un casse. Son alcool de cactus montait droit au cerveau et pouvait assommer un bœuf. Mad pouvait en boire de grandes lampées au goulot de son bidon et rester de marbre. Un matin, on s’est réveillés et Mad avait disparu. Avait-il seulement existé ?

     

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             De la même façon que Mad, Mud fait partie des compagnons de route qui sont aussi des anomalies, et c’est justement parce qu’ils sont des anomalies qu’on se souvient d’eux avec autant de précision. Dans le courant des early seventies, les champions du glam savaient défrayer la chronique, mais d’une certaine façon, Mud raflait la mise. Ils intriguaient. Leurs pochettes ne laissaient pas indifférent. Ils flirtaient avec le pastiche, comme d’ailleurs les Rubettes, mais ils excellaient dans un genre purement britannique : le hit glam. Dans Vive Le Rock, le bassman Ray Stiles raconte l’histoire de Mud. Oh, cette histoire n’apporte rien de plus que les autres histoires, elle est celle de tous les groupes anglais qui rament pendant des années, qui jouent dans le circuit des cabarets et qui décident un jour de passer pros. En 1968, ils vont tourner en Suède, ils enregistrent deux ou trois singles qui ne marchent pas et se retrouvent au point de départ. Mickie Most les repère, leur conseille de changer de nom, leur propose Hot Chocolate, une idée soufflée par John Lennon, et leur dit de revenir le voir quand ils auront cassé le contrat qui les lie à leur agence. Retour au point de départ. Tournées en Angleterre. Mais comme tout le monde parle de Mud, Mickie Most dresse l’oreille. Il les signe en 1973 et les met dans les pattes de Chinnichap, le duo de compositeurs maison qui bosse pour RAK et qui fournit des hits à Sweet et à Suzi Quatro. Et pouf c’est parti !

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             En 1974, Mud fait sensation avec Mud Rock, paru sur RAK. Les Mud boys démarrent avec un hit signé Chinnichap, «Rocket», bien glissé sous le boisseau. C’mon now ! Son de rêve. Ils tapent ensuite une double cover «Do You Love Me/Sha La La La Lee» dans une fantastique ambiance. Big glam sound encore avec «Running Bear», le plus beau son de glam de l’an de grâce 1974. On retrouve cette grâce glammy en B avec «Dyna-Mite/The Cat Crept In/Tiger Feet», un véritable chef-d’œuvre. Ray Stiles indique que Sweet n’a pas voulu de «Dyna-Mite». Le reste de l’album tourne bizarrement en eau de boudin. Mais bon, à l’époque, l’amateur de glam savait se satisfaire de trois hits. C’est au moment de l’enregistrement de ce premier album que les Mud boys se posent la question du look. Comme son oncle est un Ted, Ray Stiles propose le look Ted, mais Rob Davis l’arrange à son goût. Le résultat de leurs cogitations se trouve sur la pochette de Mud Rock.

             Ray Stiles précise en outre que dans le duo Chinnichap, Mike Chapman était le real deal. Il était en studio avec les groupes. Nicky Chinn était plus un hustler, il négociait des coups, notamment les passages à Top Of The Pops. «Nicky pour le business, Mike pour la musique, ils s’entendaient bien», nous dit Stiles.

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             Il faudrait accrocher quelque part un écriteau disant : «Merci de ne pas prendre Mud pour des clowns». C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute du Mud Rock Vol. 2 paru en 1975. «Living Doll» est du pur glam rock de Chinnichap. Ils tentent l’Elvisserie avec «One Night» et c’est du solide. Tout est solide chez Mud, le chant, le solo de Rob Davis. Ils font aussi une belle cover de «Tallahassee Lassie». Power pur ! C’est la prod RAK, bien rik et rak, c’mon baby ! Mais le chef-d’œuvre de l’album est la cover d’«Oh Boy» en B, une gospel cover de Buddy Holly, un suprême hommage, tapé à la perfection harmonique, when you’re with me Oh boy ! Ces gens-là sont des démons. Tous ceux qui ont entendu cette version d’«Oh Boy» à l’époque en sont restés marqués. Ils terminent avec une version kitschy kitschy de «Diana» et Rob Davis ulule dans le son avec des notes grasses et sirupeuses.

             Puis ils font une grosse connerie : il quittent RAK et Chinnichap, car Private Stock leur propose un gros paquet de blé. Quatre fois plus que Chinnichap, nous dit Ray Stiles.

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             Leur premier album pour Private Stock s’appelle Use Your Imagination. En ce temps-là, on savait faire des pochettes. Ah il faut voir leurs dégaines dans leurs costards bleus, ce sont de vrais glamsters. Ils démarrent l’album sur le pur glam d’«R.U. Man Enough», c’est-à-dire «Are You Man Enough», mais il faut attendre «Hair Of The Dog» pour renouer avec le vrai glam anglais : énergie, chaleur des chœurs, tout est là. Et la pulsion du beurre ! Ils tentent aussi le diable avec «Don’t Knock It», ça reste altier, pas trop maniéré et joué avec maestria. Ils font aussi des pastiches de rock’n’roll, comme ce «43792» monté sur le riff de «Something Else». Avec l’«L’L’Lucy» qui ouvre le bal de la B, ils sonnent comme Ziggy. C’est encore une fois excellent, plein de jus, battu sec et net. C’est avec le morceau titre qu’ils créent la surprise : ils tapent dans un groove de pop de très haut niveau, ce groove de good time music semble tomber du ciel. Beau comme un cœur. Ils virent plus poppy avec «Under The Moon Of Love». Rien de surprenant car c’est signé Tommy Boyce. Si tu es assez fan de Mud pour aller rapatrier la Mud Box sortie chez Cherry Red, tu vas tomber sur des bonus extraordinaires : «My Love Is Your Love» (une étonnante smooth pop, et là Mud devient un groupe passionnant qui sait se fondre dans le fondu) et «Don’t You Know» (Pop de charme, pure magie).

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             Depuis qu’ils ont quitté RAK, ils perdent de l’altitude. Ils rencontrent le même problème que les Monkees : en voulant leur indépendance, les Monkees se sont coupés de Don Kirshner et de Boyce & Hart, donc d’une source inépuisable de hits. It’s Better Than Working est un album nettement moins dense, et la pochette n’est pas du meilleur goût. Une sortie d’usine n’est pas un objet de plaisanterie. Tu trouveras un peu de glam en B avec «Note Of The Tiles», mais ils le jouent un peu trop vite et finalement, le compte n’y est pas. Puis ils basculent dans la putasserie avec «How Many Times» et «Don’t Talk To Me». Leurs atroces kitscheries n’ont aucun avenir. Dommage, car l’«It Don’t Mean A Thing» s’annonçait bien, aux frontières de la pop et du glam. C’est encore le son de l’Angleterre heureuse, juste avant Thatcher. Mais on remarque très vite une grave carence compositale. Ray Stiles & Rob Davis, ce n’est pas la même chose que Chinnichap. Ray Stiles & Rob Davis se lancent à l’assaut des charts et ça ne marche pas. Ils tentent de revenir au glam pur avec «Blagging Boogie Blues», mais ça bascule vite fait dans le fast n’importe quoi. Même remarque que précédemment : tu vas trouver dans les bonus de le Mud Box un «Time & Again» digne des Beatles de «Rocky Racoon». Et comme le dit si bien Phil Hendricks, Mud perd avec cet album ce sense of fun and bonhomie qui les caractérisait si bien, à quoi Les Gray ajoute : «I think we got too big for our boots. We were thinking we were Steely Dan.»

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             Retour au glam sur Rock On avec deux cuts : «Who You Gonna Love» et en ouverture de bal de B, «Careless Love». C’est le heavy boogie down d’Angleterre, bien porté par un bassmatic chevrotant. Les Gray chante «Careless Love» au tremblé émotif, porté par l’excellent stomping ground de Mud, et Rob Davis tire son solo à quatre épingles, oh c’mon, le son est tellement parfait ! On retrouve le Mud qui pondait jadis des hits glam intemporels. Cet album pourrait bien être le grand retour de Rob Davis qui éclaire «Burn On Marlon» d’un solo luminescent et «Let Me Get (Close To You)» d’un solo d’urgence claquante. Le reste des cuts n’est pas très convaincant. Dommage qu’ils n’aient pas capitalisé sur leur stock de glam attitude. Ils terminent l’album avec un gros clin d’œil à Eddie Cochran : ils reviennent au rock’n’roll avec une belle version de «Cut Across Shorty». Ils devraient le faire plus souvent, ils amènent leurs couplets aux clap-hands, dans leur environnement glam et ça redevient étonnant. Côté Mud Box et bonus, on se doit de saluer «Let Me Out», un puissant instro. Avec Rob Davis, c’est forcément du tout cuit. Ils font aussi une cover du «Just Try (A Little Tenderness)» d’Otis, mais en mode glam, it’s over/ tonite, c’est très bon esprit.          

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            Et puis voilà la chant du cygne : As You Like It, qui sort en 1979 avec une pochette voluptueusement illustrée. Ça part en mode diskö-pop avec «Dream Lover» et on est un peu triste, car Mud restait un groupe à fort potentiel. Ils se sont épuisés. On sauve «1-2 Love» sur cet album, qui bascule dans le glam après un mauvais départ. Ils font même du funk avec «As You Like It», puis du reggae avec «You’ll Like It», puis du gospel avec «So Fine». C’est toujours très solide au niveau son, et même assez beau. Ils font aussi de la pop incertaine avec «Right Between The Eyes». Ils sont parfaitement à l’aise dans tous les styles, puisqu’ils finissent l’album avec du doo-wah-doo-wah des fifties, une belle reprise du «Why Do Fools Fall In Love / Book Of Love» de Frankie Lymon. On salue une dernière fois Rob Davis et son «Roly Pin», planqué dans les bonus, car il crée autant de magie que Peter Green.

             Mud splitte en 1979. Les Gray monte Les Gray’s Mud, Rob Davis joue dans les Darts et Ray Stiles rejoint les Hollies en 1985.

    Signé : Cazengler, Mud alors !

    Mud. Mud Rock. RAK 1974

    Mud. Use Your Imagination. Private Stock 1975

    Mud .Mud Rock Vol. 2. RAK 1975  

    Mud. It’s Better Than Working. Private Stock 1976

    Mud. Rock On. RCA Victor 1978                    

    Mud. As You Like It. RCA Victor 1979 

    Mark McStea : Tiger feet. Vive Le Rock # 91 - 2022

     

    *

    Lorsque Thumos a annoncé vers la mi-juillet que son prochain opus serait Symposium, j’étais encore sous le choc esthétique de Course of the Empire, voir la chronique in Kr’tnt ! 562 du 07 / 07 2022, je n’ai pas eu le réflexe de ramener ce nouveau titre aux antérieures réalisations du groupe. A Course of Empire est une série de toiles du peintre américain Thomas Cole sur le sujet du destin de tout empire, il n’est pas interdit d’y voir une préfiguration pessimiste de la destinée des Etats-Unis… La version metallo-symphonique de l’œuvre de Thomas Cole opérée par Thumos peut ouvrir le champ à de similaires inquiétudes… J’ai passé tout l’été en me demandant à quel évènement, nommé Symposium, de l’histoire des States ce nouveau projet était consacré. Evidemment je m’étais enlisé dans une fausse piste. Je plaide coupable, je n’ai pour toute excuse que celui d’être français, car par chez nous il est très rare de nommer le Symposium selon son vocable original, il répond à un titre nettement plus évocateur : Le Banquet. Non pas le Beggars Banquet des Rolling Stones, mais de celui dont les abeilles de l’Hymette venaient butiner le miel de ses lèvres, j’ai nommé Le Banquet de Platon. En France tout le monde connaît ce titre sans même l’avoir lu, personne n’ignore, notre vieux fond gaulois attaché à la gaudriole aidant, que Le Banquet de Platon parle de l’amour. Evidemment c’est un agréable raccourci, peut-être convient-il avant d’écouter le Symposium de Thumos de nous attarder quelque peu sur le Symposium de Platon.

    LE BANQUET DE PLATON

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    Rappelons que Thumos a attiré l’attention de moult amateurs de musique rock par son adaptation – nous reviendrons sur ce terme peu précis – de La République de Platon (voir notre chronique 541 du 10 / 02 / 2022 ). Ces deux dialogues sont dissemblables : comparé au Banquet, La République est beaucoup plus austère, elle évoque un sujet que l’on qualifiera de théorique et que l’on définira grossièrement par la question suivante : quelle sorte de gouvernement pour une Cité idéale ? Selon les catégories platoniciennes du juste et du bon Le Banquet s’intéresse au Beau, qui dit beau pense à beauté et qui dit beauté pense au désir et à l’amour. Tout lecteur se sent directement interpellé…alors que les ratiocinations sur le meilleur des régimes politiques suscite davantage de méfiance et de scepticisme, surtout par nos temps troublés…

    Un banquet était composé de deux parties, l’on mangeait dans la première, l’on buvait dans la seconde nommée Symposium. Le banquet dont il est question dans le dialogue de Platon est terminé depuis plusieurs années lorsque débute l’œuvre. Nous n’y assistons pas en direct si l’on nous passe l’expression. Mais il est resté célèbre non parce que la boisson et les libations aux Dieux se succédant il aurait dégénéré, disons en orgie romaine, mais pour les discours qui y avaient été prononcés. Rappelons que si nous vénérons les textes de la Grèce Antique, l’enseignement était avant tout oral. Le savoir était transmis directement du maître aux disciples. Par exemple beaucoup de textes d’Aristote qui nous sont parvenus sont à l’origine des cours dispensés en salle de classe ou en marchant, une fois la leçon terminée les élèves se retiraient et notaient les paroles du professeur. Ecouter et mémoriser était primordial. L’on ne s’étonnera donc pas qu’Apollodore le narrateur puisse de tête reproduire les longs discours, ou du moins l’essentiel, qui avaient été tenus par les principaux convives tels que les lui avaient révélés Aristodème qui lui avait assisté à ces agapes intellectuelles et duquel la justesse des propos furent plus tard confirmés à Apollodore par Socrate lui-même…

             Pour la petite histoire Apollodore fut un élève de Socrate, il tentera de convaincre Socrate de plaider coupable et de payer une amende dont il se portait caution. Xénophon raconte qu’Apollodore assista à la fameuse scène de Socrate buvant la cigüe mais qu’il fut incapable de retenir ses pleurs… preuve ô combien évidente qu’il n’avait pas encore intégré l’enseignement de son maître…

             Le banquet est donné par Agathon pour fêter sa victoire au concours dramatique en l’honneur des fêtes Lénéennes (fin janvier-début février) dédiés à Dionysos, à Athènes. Après le repas proprement dit vint le moment de boire. Les convives sont fatigués, la veille Agathon a déjà offert à ses amis et invités une grande fête très arrosée… la proposition d’Eryximaque de boire modérément mais d’égayer la soirée en demandant aux participants de prononcer chacun à leur tour un éloge au Dieu Eros est acceptée par tous. 

    Sept discours se succèderont durant cette soirée mémorable. Ce n’est pas un hasard si le Symposium de Thumos comporte huit morceaux.  Pour les personnages évoqués par Thumos nous utiliserons la transcription française de leur nom.

              Un dernier avertissement à l’auditeur qui ne lève pas la nuit pour relire quelques pages de Platon :  malgré le sujet nous ne sommes pas en présence d’un ouvrage joyeux, laissons de côté les représentations romaines du Dieu Eros sous les traits d’un enfant facétieux qui s’amuse à vous percer le cœur de ses flèches redoutables qui peuvent vous rendre heureux ou malheureux si votre amour est, ou n’est pas, exaucé par la personne vers qui se porte vos désirs… Que le lecteur ne soit donc pas surpris par la tonalité grave ou dramatique de cette œuvre.

    SYMPOSIUM

    THUMOS

    ( Snowwolf records / 14 – 02 – 23 )

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    Thumos a découpé en huit parties le dialogue de Platon en suivant l’ordre de son déroulement chronologique, il faut avoir écouté l’œuvre en son entier pour en saisir l’unité organique, elle n’est pas composée de huit morceaux indépendants les uns des autres, elle est parcourue de la même tension qui ordonne l’enchaînement des discours successifs, l’on suit une gradation  qui par paliers emmène l’auditeur du plus simple au plus complexe, de l’évidence à l’idée, nous empruntons une courbe élémentale qui nous permet de gravir les échelons qui de la zone terrestre nous conduisent à l’espace éthéré. L’éther est le cinquième élément réservé aux Dieux, c’est son inconnaissance qui influe sur le destin des hommes et le transforme en déclin.  Le Banquet n'est compréhensible que si on le lit selon l’enseignement parménidien du double chemin, celui de la vérité et celui de l’erreur, pour employer des termes plus subtils celui de celui de l’être et celui du non-être. Sans doute Le Banquet doit-il être considéré comme la réponse de Platon à ce que l’on surnomme de nos jours le Traité du Non-être de Gorgias.

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    Phaedrus :  ce n’est pas un hasard si Eryximaque a proposé de parler d’Eros, il ne cache pas que ce sujet intéresse au plus haut point Phèdre, celui-ci est un féru de mythologie, les Dieux l’interrogent, il fut toutefois accusé d’avoir participé aux mutilations des statues d’Hermès et à une parodie des Mystères d’Eleusis, toute l’ambiguïté grecque envers les Dieux dans cette dichotomie intellectuelle et comportementale, les Dieux fascinent et révulsent… Plus prosaïquement le procès qui fut intenté aux coupables de ces deux crimes religieux (relevant de la peine de mort) est aussi la résultante d’un féroce combat politique entre les clans politiques qui se disputent le pouvoir, mais ceci est une autre histoire entre démagogie et tyrannie… Mais que déclare Phèdre dans son discours :   il est important de faire l’éloge du dieu Eros proclame-t-il car il est un des premiers Dieux qui soient apparus, ce qui prouve qu’il est un dieu fondamental… Mais pour en revenir aux hommes Eros oblige l’amant et l’aimé à se bien conduire, comment commettre une action honteuse dont on aurait à rougir devant son aimé ou son amant. Eros oblige à se surpasser et même à mourir non pas spécialement pour sauver celui qui survivra mais pour démontrer aux yeux de tous que l’Eros vous a donné le courage de de vous sacrifier pour être exemplaire aux yeux du survivant. Ce raisonnement se comprend parfaitement si l’on se souvient que la société grecque antique provenait de tribus guerrières doriennes dont la guerre était la modalité sine qua non de leur existence. Choisissons deux exemples parmi ceux proposés par Phèdre : après sa mort les Dieux accueillent Achille dans l’île des Bienheureux, il ne s’est pas écroulé après la mort de Patrocle son aimé, non seulement il l’ a vengé en tuant Hector mais par la suite il  a continué à se battre contre les troyens, rien à voir avec Orphée le pleurnicheur qui descend aux Enfers pour qu’on lui rende son Eurydice chérie, les Dieux ne lui permettent pas de la ramener, honte suprême il sera plus tard tuer par des femelles en rut…   Ecoutons maintenant comment Thumos évoque ce discours : l’auditeur à l’âme naïve et fleur bleue sera surpris par la gravité de ce début, l’amour n’est pas un tendre sentiment, la violence de la batterie digne des coups d’épée sur les boucliers de bronze démontrent à l’excès que l’éros est une affaire d’hommes et des plus graves, le morceau dépasse à peine cinq minutes mais la charge lyrique s’amplifie à chaque seconde, pour rester sur une image antique nous avons l’impression d’être au premier rang d’une phalange qui cède et plie sous la poussée ennemie, l’instant crucial où tout, défaite out victoire, est encore possible mais demande un surcroît de courage et d’engagement total de son être. Ne pas confondre éros et amourette. Pausanius : nous savons peu de choses de Pausanias sinon qu’il connaissait Prodicos, sophiste réputé pour sa réflexion sur le langage dont Socrate aurait suivi les enseignements et qu’il fut l’amant d’Agathon celui qui offre le banquet : Ecoutons Pausanias : son discours pourrait être qualifié de plus réaliste, il ne prend pas à témoin les héros de la haute antiquité, il s’intéresse aux hommes de son temps. Il y a Eros et Eros tout comme il existe deux Aphrodites. L’une céleste et l’autre vulgaire. Ceux qui aiment les femmes relèvent de la seconde, ceux qui aiment les hommes pour la simple jouissance de leurs corps aussi. Ceux qui suivent l’Aphrodite céleste sont les amants et les aimés qui entretiennent des rapports non pour une simple jouissance physique mais pour se comporter vertueusement chacun selon son rôle défini par la société. Il entre dans les détails, l’aimé doit être jeune ( et passif ) l’amant plus âgé ( et actif ) , le premier ne cède que pour progresser dans sa manière d’être un bon citoyen, le deuxième pour que son désir ait une action pour ainsi dire pédagogique et sur l’ami et sur lui-même… le rapport aimé-amant ne doit pas ressembler à la domination qui soumet l’esclave à son propriétaire, car ces soumissions sont celles des sociétés barbares et des cités commandées par un tyran. L’arrière-plan politique des représentations amoureuses apparaît nettement dans ce discours. Ecoutons Thumos : le rythme se ralentit mais très vite l’ampleur sonore reprend son incessante intumescence, nous ne sommes plus dans une société guerrière mais dans une cité policée, les jeux de la guerre cèdent la place aux préceptes sociétaux, aux lois, aux règlements, aux usages, à la manière dont sont perçus les bonnes actions et les mauvais comportements, tout se complique, le déploiement de l’influx instrumental devient luxuriant, ce n’est plus les épées et la force qui prédominent mais les regards de tous qui sont peut-être encore plus pesants et inquisiteurs que le choc du bronze et de l’airain, subitement la pression disparaît comme si au total en y réfléchissant tout  ne dépendait que de notre seule bonne conduite individuelle, un simple leurre, une illusion chassée par le doute, ce serait trop facile, la musique devient plus forte, l’on ne plie plus sous la poussée de ses ennemis mais sous le poids de sa propre responsabilité écrasante. Eryximachus : médecin de son état, ami de Phèdre : Lisons l’ordonnance du docteur Eryximaque : commence par critiquer le discours de Pausanias par trop schématique et incomplet. Il n’y a pas d’un côté la bonne Aphrodite et de l’autre la mauvaise, en toutes choses, en toutes sciences, l’on retrouve un mélange des deux Aphrodites, l’art du médecin est de rétablir l’équilibre des contraires entre ce qui dans le corps est en bonne santé et ce qui est malade. L’art du musicien sera de rétablir l’équilibre entre ce qui est trop aigu et ce qui est trop grave. C’est cet équilibre réalisé qui est la marque de l’Eros. L’Eros est comme le remède universel capable de réguler toutes choses, les humaines comme les divines. Eryximaque parle en praticien mais il offre à l’éros la première place, celle de premier régulateur du monde. Comment les praticiens musicaux de Thumos vont-ils ils mettre en pratique l’ordonnance d’Eryximaque ? : en offrant à Eryximaque un background musical d’une plénitude extraordinaire, font comme si Aristote avait décrété que le moteur immobile qui met en mouvement le monde était la musique, Thumos touche en ce morceau au grandiose en le sens où tout est là et rient n’est en trop ni en moins, si ce n’était l’amplitude enthousiasmante de ce court morceau spécifiquement humaine l’on pourrait dire que l’on atteint au domaine souverain des Idées. Aristophanes : l’on ne présente pas ce bouffon prodigieux que fut Aristophane, il n’a jamais rien respecté dans ses comédies, pour ce qui nous concerne, ni Agathon qu’il ne se gênera pas dans ce même dialogue de traiter d’inverti, comprenons de mâle passif, ni Socrate dont dans Les Nuées il trace un portrait à charge corrosif… Pour une fois Aristophane ne nous fera pas rire, ses propos ont fait rêver bien des générations : Aristophane raconte ce que nous nommons le mythe de l’Androgyne. Ces êtres humains primitifs qui possédaient soit un sexe soit les deux sexes, mâle et femelle, que Zeus coupa en deux, si bien qu’au travers de nos amours nous recherchons la moitié perdue… Comment Thumos a-t-il transcrit ce mythe ? : remarquons d’abord que les propos d’Aristophane sont en totale contradiction avec ceux d’Eryximaque qui affirmait que l’on retrouvait en toutes choses la présence de l’Eros alors qu’Aristophane déplore son absence en le lieu que nous privilégions par excellence : nous-mêmes. L’on pourrait accroire que le morceau souffrirait d’une quelconque disparité, qu’il serait comme boiteux, c’est bien ce qui arrive en ses débuts, mais ce vide va prendre une ampleur si démesurée qu’il devient aussi important que la plénitude précédente, mais là où ça sonnait plein, ici ça résonne creux, la musique semble cheminer sur une jambe, tantôt elle court et se hâte comme si elle avait aperçu sa chère moitié pas très loin mais elle a beau presser le pas, gagner en assurance, la voici encore une fois qui claudique, cahin-caha, le son se tortille telle une torpille qui ne sait plus où aller, elle marche comme un clown désespéré, toutefois le désespoir n’est pas sans atteindre à  une certaine grandeur humaine.  

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    ( Agathon )

    Agathon : aimé de Pausanias, élève de Prodicos et de Gorgias, sophiste envers lequel Socrate marque quelque déférence, chose rare chez lui, rappelons que c’est Agathon qui offre le banquet. Il passera les dernières années de sa vie à la cour du roi de Macédoine Archélaos, ce qui est le signe d’un engagement peu démocratique… Agathon parle moins des hommes que d’Eros : exactement de sa nature, c’est le Dieu le plus jeune, qui est venu après le règne de la Nécessité qui pendant longtemps soumit les Dieux à ses terribles lois qui engendrèrent conflits et violences entre les Dieux qui se disputèrent le pouvoir. Eros est le plus beau de tous, il fréquente les jeunes hommes qui sont à son image, il est le plus fort sans avoir besoin d’user de sa force,   il triomphe des hommes et des Dieux, il se glisse dans le cœur et l’esprit des hommes et des Dieux et aucun ne le chasse, tous l’accueillent avec plaisir. Il est le véritable guide des hommes. Autour de Thumos de transcrire le panégyrique d’Eros prononcé par Agathon : notes scintillantes de vives couleurs en introduction pour évoquer l’Eros d’Agathon, après les quatre premiers morceaux tempétueux pour la première fois Thumos nous livre un espace de grâce quasi virgilienne, mais cet instant de calme ne dure pas, la musique s’alourdit, certes elle reste éclatante mais elle se doit de montrer la puissance de ce Dieu hyper persuasif à qui personne ne songerait à s’opposer, un Dieu qui n’apporte que plaisir et volupté, ne le regrettons-nous pas lorsqu’il nous quitte, la musique se déploie telle une teinture de pourpre qui nous donne l’illusion d’être investi de la tranquillité et du rire des olympiens, en se glissant en nous, ne nous apporte-t-il pas l’intime conviction que nous vivons dans un monde de beauté et que nous tutoyons les Dieux, l’Eros est un songe que nous refusons de quitter. Thumos nous offre la plénitude du bonheur. Socrates : encre un que l’on ne présente pas. Le super héros qui a toujours raison, quoique vous ayez dit puisqu’il arrive à vous mettre en contradiction avec vous-même. Méfiez-vous s’il commence par vous couvrir de compliments. Ainsi commence Socrate : avouant qu’il est subjugué par la beauté du discours d’Agathon, lui trousse même un fameux compliment puisqu’il le compare aux paroles que prononce ou écrit habituellement Gorgias ( dont il admire l’aisance mais déteste la suffisance, ajoutons-nous).  Socrate ne se livre pas à proprement parler à un discours, il met en marche sa machine à concassage tous azimuts qu’il dirige contre Agathon. Par un jeu de questions-réponses habilement mené il le met en contradiction avec lui-même : Eros ne peut pas être amoureux de lui-même, donc Eros souffre de l’absence de ce qu’il est, de sa beauté et de sa bonté, donc Eros n’est ni bon ni beau. CQFD ! Gros challenge à relever pour Thumos : comme une dissonance en introduction et quelques chuintements de mauvais augure, coups de boutoirs de pelles mécaniques qui s’abattent sur des murs, écrasement total, avance incoercible de rouleaux compresseurs qui réduisent les débris en miettes, immédiatement suivis de tractopelles qui déblaient le terrain comme s’ils repoussaient des jouets d’enfants, mise en œuvre d’une puissance incoercible à laquelle rien ne saurait s’opposer, la musique baisse d’un cran le temps que les auditeurs prennent conscience de la victoire de Socrates sur la branlante faiblesse de tous ceux qui l’ont précédé. Les dernières notes comme le signe de désolation qui s’est emparé des adversaires convaincus de la supériorité éminente de leur adversaire.

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    ( Socrate recevant l'enseignement de Diotime )

    Diotima : Socrate ne se vante guère de sa victoire, il ne sait pas (l’hypocrite) s’il sera capable de faire mieux que ceux qui l’ont précédé, il prononce tout de même son discours, mais ce n’est pas le sien, il avertit qu’il ne fera que rapporter un discours qu’il a entendu de la bouche d’une prêtresse de Mantinée qui se nomme Diotima. Evidemment   c’est la Diotima du Banquet qui donnera son nom à l’héroïne du roman Hyperion d’Hölderlin. (Voir notre chronique suivante sur Les Doors.). L’enseignement de Diotima : Diotima tire les conclusions de la démonstration de Socrate qu’elle partage, si Eros n’est ni beau, ni bon il n’est pas un Dieu car les Dieux sont naturellement beaux et bons, il n’est pas un homme, il n’est pas un Dieu, il est mortel et immortel, il est un Démon, ces êtres qui servent d’intercesseur entre les Dieux et les hommes. Eros est pauvre, laid, et peu savant, tel est-il, sans quoi il serait un Dieu, mais de par sa nature il recherche le beau qu’il ne possède pas et nous devons l’imiter. Si nous trouvons l’être aimé nous atteignons un faux bonheur puisque tout être est mortel. Si l’être que nous aimons est beau, il faut s’apercevoir que d’autres jeunes gens aussi sont beaux et comprendre que puisque ces jeunes mortels sont beaux nous nous devons de rechercher  la beauté en tant que telle, dont nos jeunes gens ne présentent que des reflets, nous devons chercher à tomber en contemplation amoureuse à l’intérieur de nous de l’idée de la Beauté… Il est un aspect du discours de Diotime que nous avons occulté, ce qui unit la création poétique à l’immortalité, nous laissons à Thumos le soin de se charger de cette tâche : ce n’est pas la musique des sphères qu’ils nous offrent, se placent  à la fin du discours de Diotime, ce moment absolu où toute tension est abolie, puisque l’Idée apparaît, nous ne voyons pas l’Idée mais ils décrivent la sensation de calme, de quiétude et d’extase libératoire qui vous saisit, ils ne dévoilent pas l’Idée mais la musique claironne brusquement, un éclat de feu inonde nos oreilles, nous n’avons jamais été aussi proches des Dieux.

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    ( Entrée d'Alcibiade )

    ( Tableau d'Anselm Feuerbach : Le Banquet de Platon - 1873 )

    Alcibiades : si l’on omet les penseurs et les poëtes de la Grèce antique, les deux personnages historiaux les plus fascinants que les Grecs nous aient laissés sont Alexandre et Alcibiade. Ce dernier est moins connu du grand public, si les Dieux ont poussé Alexandre pour reprendre une citation célèbre sur la pente fatale de la victoire, ils ont jeté Alcibiade sur le toboggan du scandale. Il était beau, jeune et riche, tout lui souriait, il fut un stratège redoutable et sur terre et sur mer, mais il se joua des hommes, de sa patrie et des Dieux sans vergogne. Ne fut-il pas, entre autres, lui aussi impliqué dans le scandale de la mutilation des Hermès… Le voici qui débarque totalement ivre chez Agathon, heureux et horrifié de rencontrer Socrate, il n’hésite pas une seconde à se risquer dans un discours : il ne se lance pas dans un éloge à Eros mais à Socrate : Athènes compte de grands orateurs mais le seul qui retienne son attention c’est Socrate, il aime à l’entendre discuter, Socrate parle vrai et juste, Alcibiade reconnaît qu’au lieu d’avoir de grandes visées politiques il ferait mieux de rester assis à ses côtés pour suivre son enseignement. Alcibiade avoue qu’il est amoureux de Socrate et qu’il aurait volontiers été son aimé, à plusieurs reprises il aura tenté de faire en sorte que Socrate cède à ses avances (très) rapprochées, mais rien ne se passa comme il le voulut. Ces déconvenues érotiques ne l’empêchent pas de décrire l’imperturbable courage, la vaillance et la modestie de Socrate lors des campagnes militaires, et de souligner qu’il n’est pas différent sous les armes que dans les rues d’Athènes… L’on peut se demander si dans ce dernier titre Thumos se laissera séduire par la brillante franchise de d’Alcibiade ou par le panégyrique de Socrate : l’on est surpris par l’intensité sonore et la tension dramatique du morceau, les dernières pages du Banquet ne déparerait  pas dans une scène de comédie ( si Platon est un grand philosophe, il est aussi un littérateur émérite ), par ce final grandiose d’une force extraordinaire Thumos entend sans doute nous avertir de ne pas prendre Le Banquet pour une œuvre légère, mais une œuvre écrite au plus près de tout individu qui se sent envahir par une énergie et un désir si absolus que les Grecs ne pouvaient se résoudre à expliciter son surgissement en notre corps et notre esprit seulement par notre animalité primordiale, dont ils préféraient dire que seuls les Dieux en étaient les dispensateurs originels.

             L’on peut évidemment écouter Symposium en tant que simple œuvre musicale. Les amateurs de Metal n’en sortiront pas déçus. Loin de là ! Toutefois ce serait passé à côté du projet si particulier de Thumos. Stéphane Mallarmé, évoquant Richard Wagner, affirmait que la musique avait volé son bien à la poésie, commencerait-elle grâce à Thumos à voler son bien à la philosophie…

    Damie Chad.

     

     

    THE DOORS

    PHILIPPE MARGOTIN

    (H.S. Collection Rock & Folk N° 24 / Février 2023)

     

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    Philippe Margotin s’est chargé à lui tout seul du Hors-Série Rock & Folk sur les Doors. L’a l’habitude, l’a déjà signé un gros tas de monographies aux grands noms, disons gros vendeurs du rock, en vrac : U2, Amy Winehouse, Rolling Stones, Muse, Radio Head, Police, AC/DC, Pink Floyd, Lennon, Elvis Presley, Clapton, et j’en passe… L’est aussi directeur de collections, notamment de ces gros pavés, La Totale, en compagnie de Jean-Michel Guesdon, qui propose l’intégrale des morceaux de Dylan, de Led Zeppelin, des Beatles, et autres monstres du même acabit… bref pas tout à fait un public de niche, plutôt de chenil… les chiens perdus sans collier du rock ‘n’roll, ce n’est pas son truc.

    Que penser de ce dernier opus, les admirateurs des Doors qui ne sont pas nés du dernier orage sur Los Angeles n’apprendront pas grand-chose, les néophytes y trouveront pitance roborative. Margotin fait preuve d’honnêteté intellectuelle, il produit un magazine, comme son titre l’indique, sur les Doors et non pas sur JIM MORRISON et les Doors. Bien sûr il ne néglige ni ne cache la personnalité hors-norme de Jim, mais il ne réduit pas ses partenaires à la portion congrue. Ils sont quatre en tout et il partage le gâteau en quatre. Il analyse les six albums studio du groupe, titre par titre, n’oublie personne, chacun est crédité et loué pour son apport. Donne même envie de réécouter tel ou tel titre pour se focaliser sur telle ou telle partie de l’instrumentation à laquelle l’on n’aura prêté qu’une maigre attention. Ne rate ainsi jamais pour relever dans le blues-rock fondamental qui forme le terreau des Doors les relents de jazz et de musique classique. L’on ne crée pas à partir de rien. Mais de tout ce qui a précédé. Imitation et rupture sont les deux mamelles de toute action créatrice.

    Son principal mérite est d’analyser l’œuvre du groupe, et principalement cet aspect : l’on a dû couper la moitié, j’exagère seulement le quart, de la forêt amazonienne pour produire le papier consacré au procès qui sera mené contre Jim pour exhibition de ses parties sexuelles lors du  concert du 1er mars 1969 à Miami… Margotin mégote un max, pas plus de trente lignes, car ce qui l’intéresse c’est juste la musique, car music is your only friend til the end… Idem, il donne en moins de cinquante lignes les deux versions de la mort de Jim sans embaucher un cabinet de détectives privés pour reconstituer la scène finale.

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    Bien sûr Margotin replace la formation du groupe dans son contexte, les années soixante sont celles d’une explosion culturelle, les vieux codes issus du puritanisme chrétien qui régissaient les corps et les esprits volent en éclats, augmentation des consciences et libération sexuelle marchent de pair avec un désir anarchisant de liberté et le refus des violences institutionnelles et étatiques… Le rock‘n’roll est le principal véhicule de cette nouvelle sensibilité. Car davantage que d’autres pratiques artistiques c’est en lui et par lui que la jeunesse reconnaît l’expression signifiante de son mal-être intime et sociétal. N’en ratons pas pour autant l’occasion de parler de Jim Morrison.

    C’est dans ce chaudron en ébullition que va se jouer le destin de Jim Morrison. Il en est, de par sa place de meneur charismatique d’un des plus importants groupes de rock du moment, l’un des leaders reconnus. Il fait partie intégrante de cette réalité donnée, mais à l’intérieur de celle-ci il se sent totalement étranger. Il a tout compris, mais il se sait incapable d’y apporter la moindre remédiation. L’est comme un extra-terrestre qui du haut de sa soucoupe volante comprendrait les errements de l’espèce humaine, qui saurait comment les contradictions qui agitent ces animalcules pourraient être unifiées, mais qui doit d’abord se préoccuper de résoudre les siennes.

    Le problème de Jim Morrison c’est d’être une pièce essentielle de l’échiquier mais placée sur une mauvaise case. Il possède toutes les caractéristiques d’un musicien, et pas n’importe lequel, lui il joue de l’instrument le plus proche de l’être humain, tous les autres (violons, guitares, tubas, pianos…) ne sont que des béquilles, le sien est directement hanté sur sa chair : la voix.

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    La voix détient cet étrange privilège d’être le vecteur du son et du sens du chant et dire, de la musique et de la poésie. Or Morrison le sait. Il ne provient pas de la musique mais de la poésie. C’est ainsi. C’est son histoire personnelle. Il n’y peut rien, puisqu’il s’est sciemment construit ainsi. Par les coïncidences du hasard affirmeront les uns, par sa propre nécessité intérieure. 

    Reste à savoir comment l’on considère Jim Morrison. Au pire un parolier particulièrement (très) doué au-dessus de la moyenne des producteurs de lyrics rock, mais pas davantage. D’ailleurs son œuvre ne donne-t-elle pas l’impression d’un vaste chantier inachevé ? Il suffit de lire l’Anthologie Jim Morrison parue en octobre 2021 pour en être persuadé.

    Philippe Margotin ne partage pas cet avis, il classe Morrison parmi l’un des poètes les plus importants de l’Amérique. Mais il ne dit pas pourquoi et en quoi.  La réponse à ses questions n’est pas des plus faciles et ne rentre pas dans le champ désigné par le titre du numéro. Essayons d’y voir plus clair.

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    Un poëte américain ? La réponse est évidente. Oui Morrison évoque la réalité de l’Amérique de son époque, oui il s’inscrit dans la continuité de la Beat Generayion, mouvement poétique aux thèmes profondément américains, la route et la frontière, le premier n’étant que la résultante du second, la frontière ne peut aller plus loin que le Pacifique, désormais la route tourne en rond et se mord la queue, l’Amérique est devenue le lieu fermé de la contemplation de sa finitude. En quelque sorte le neuvième cercle de l’enfer de Dante.

    Nous n’avons pas choisi le terme platonicien de contemplation au hasard. Qui regarde au juste ? : celui qui regarde ou ce qui est regardé ? L’Idée, la forme regardée du spectacle du monde physique ou idéel, ne construit-elle pas la vision de celui qui regarde qui ne peut regarder que son propre miroir. Dont il est le reflet.

    Le monde de Morrison est strictement délimité, à un bout le sexe à l’autre bout la mort. Ces deux limites sont intangibles, aucune n’illimite l’autre. Ce ne sont que les deux points cardinaux des catégories qui cernent l’essence de tout ce qui est selon Aristote : production et destruction ou génération et corruption.

    Il existe des moments historiaux lors desquels ces abysses qui bordent toute présence au monde apparaissent plus prégnants… Les années soixante furent de ceux-ci. Certains individus le ressentent plus fortement que d’autres. En d’autres termes le monde n’est plus qu’un champ de ruines entre ce qui s’écroule et ce qui ne parvient pas à être. Vision des plus pessimistes que l’on retrouve par exemple en Europe chez Hölderlin qui nous laisse une œuvre en lambeaux et sa revendication désespérée à fonder ce qui demeure. Margotin insiste notamment sur l’aspect décalé de Morrison par rapport à son époque, à son public, à tous ceux qui se revendiquaient de lui sans rien comprendre à sa démarche.

    Or ce qui fonde ce qui demeure ne peut-être pour Hölderlin que le chant du poëte. Etudiant Hölderlin, Heidegger a longuement réfléchi sur ce qui empêche, hors de toute anecdote historiale, la poésie de remplir cette mission, que lui le philosophe attribuait à la pensée. Dont il reconnaît le même échec de toute tentative d’accomplissement fondamental. Il en vient à souhaiter la mise en place d’une pensée qui ne soit plus pensée mais qui emprunte les modalités de son Dire au Chant de la poésie. Cette position est réversible : le Chant de la poésie se doit d’emprunter les armes du Dire de la pensée. Notons que Morrison fut un grand lecteur de Nietzsche, dont le destin se joua selon la trilogie de la musique, de la poésie et de la pensée. Certes Morrison n’a jamais possédé l’armature intellectuelle de ces trois européens héritiers d’une longue réflexion vieille de plusieurs siècles dont ils ont su devenir les dépositaires. Mais il eut le pressentiment des falaises abîmales au-haut desquelles il se tenait. Il tenta de substituer au Chant et au Dire le Mythe et ainsi de dépasser ses propres contradictions. Penser selon les Dieux – Apollon ou Dionysos - est dangereux. Ce sont des concepts certes opératoires mais qui vous enferment en vos propres limitations. Au lieu de pérorer sur le groupe des 27, il conviendrait plutôt de regretter le temps qui a manqué à Jim Morrison.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 562 : KR'TNT 562 : JONATHAN RICHMAN / CHEATER SLICKS / PIXIES / ANDY PALEY / ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 22 ) / T BAKER TRIO / IENA / VINCENT BRICKS / THUMOS /

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    LIVRAISON 562

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    JONATHAN RICHMAN/ CHEATER SLICKS

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    T BECKER TRIO/ IENA / VINCENT BRICKS

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    Spécial Boston

     

    Les Pixies, les Cheater Slicks, Jonathan Richman et Andy Paley ont un point commun. Lequel ? Boston ! Cette fournée constitue le premier volet d'un spécial Boston, imaginé pour my friend Jacques, en écho à ce qu'il écrivit un jour : "Boston est la Mecque du rock."

     

    Baby you’re a Richman

     

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             Les relations qu’on entretient avec Jonathan Richman depuis plus de quarante ans ne sont pas toujours très cordiales. On l’a adoré un temps puis détesté. Pourquoi ? Parce qu’il évoluait bizarrement. Oh il n’est pas tombé dans l’horreur diskoïdale comme Blondie («Heart Of Glass») ou encore pire, dans le rock FM commercial comme Patti Smith («Because The Night»), non il a opté pour le foutage de gueule, le rock potache, réussissant là où Jimbo et Syd Barrett avaient échoué : en se coulant artistiquement. Il échappait ainsi au star-system qui menaçait de le transformer en machine à fric, comme les deux collègues citées ci-dessus. Les seuls qui aient réussi à exister artistiquement dans ce qu’on appelle le grand public sans se faire enfiler sont assez rares. Citons les noms de Dylan, de Van Morrison ou encore de Ray Davies. Pour les blancs. Chez les Noirs, ils sont plus nombreux, beaucoup plus nombreux, James Brown en tête, et George Clinton aussitôt derrière. 

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             Le diable sait si on adorait ce premier album des The Modern Lovers qui n’avait pas de nom. The Modern Lovers était écrit en ultra-bold ital sur un fond noir, et dès «Roadrunner», Jojo et ses amis d’alors nous replongeaient dans un bain de jouvence qui s’appelle «Sister Ray» : même énergie dévastatrice, même minimalisme fondateur d’empire des sens, même ampleur catégorielle, même souffle éolien et les nappes d’orgue de Jerry Harrison nous léchaient les cuisses. Ce n’était pas un hasard, Balthazar, si le nom de John Cale apparaissait au dos de la pochette. Avec «Old World» et «Pablo Picasso», ils tâtaient de l’hypno à nœud-nœud, un bel hypno d’orgue monté sur bassmatic ventru. Ce démon de John Cale savait que la messe était dite depuis le Velvet, mais Jojo et ses amis avaient tellement envie de s’amuser qu’il n’allait pas les contrarier. Embarqué par un riff de basse génial, Picasso se répandait comme la marée du siècle. En B, ils allaient plus sur les Stooges avec «Someone To Care About». Jojo n’avait aucun problème, il pouvait sonner comme Iggy et lâcher des awite d’une troublante authenticité. La voix fait tout, on le sait. John Cale ramène même des clap-hands comme sur le premier album des Stooges et le petit shoot de frenzy fuzz, sans oublier le break de basse. Ils terminent cet album devenu classique avec un gros clin d’œil au Velvet : «Modern World». Ils sont en plein dedans, And I love the USA, avec le petit gratté de gratte à la surface du son et ces incursions intestines typiques du grand méchant Lou. Ça excellait au-delà de toute attente. 

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             Les Modern Lovers ont attiré un autre géant de l’époque : Kim Fowley. On trouve les démos qu’il produisit sur The Original Modern Lovers, paru en peu plus tard en 1981 - One two three four five six - voilà «Road Runner #1» avec le son des origines, plus garage sixties, affichant une volonté de belle dépouille, histoire de laisser monter le vocal au sommet du mix. The Fowley way. «She Cracked» est encore plus gaga, et la volonté de découdre la dépouille s’affiche de plus belle. La descente d’accords est complètement délinquante, Jojo bouffe son gaga tout cru, sans moutarde. Il était alors le chanteur gaga idéal, avec une gouaille unique, une présence terrible et un style invasif sans l’être. Toute l’A grouille de petits classiques gaga. On se régale encore de «Wanna Sleep» en B, et du génie productiviste de Kim Fowley.

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             Avec Jonathan Richman & The Modern Lovers, Jojo entame en 1976 sa petite période Beserkley. Ces Californiens ont monté un label et misent sur quelques canassons, dont Jojo, qu’ils estiment à juste titre indomptable. On l’entend hennir across the USA. C’est avec cet album qu’il commence à faire des farces. Il voit par exemple l’Abominable Homme des Neiges dans un Market. C’est extrêmement joyeux et le market du coin de la rue est très pratique car moins éloigné que le Tibet. D’ailleurs Jojo adore les grandes surfaces, car il ouvre son bal d’A avec «Rockin’ Shopping Center», du rockab pour rire, let’s rock ! alors on rocke. C’est très awity avec des jolis breaks de stand-up et le copain Radcliffe sur la Gretsch. On retrouvait ce hit sur tous les jukes en bois. Bon, il rend aussi un bel hommage à Chucky Chuckah avec «Back In The USA», ahh, oh yeah, et tous ces jolis chœurs d’artiches. Globalement, les Modern Lovers sont passés du proto-punk à la good time music docile, c’est-à-dire l’easy-going. Sa mère dirait : «Oooooh Jojo is sooo friendly !». Et elle aurait raison. Il nous fait même du comedy act de MJC avec «New England». Pour Picasso, tintin.

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             Berserkley commence à capitaliser sur le canasson Jojo en sortant l’année suivante un Live. Personne ne fut surpris à l’époque d’y retrouver les petits rocks innocents et pré-pubères du jeune Jojo. Il joue bien la carte du fool around dans «Hey There Little Insect» que gratte sévèrement le copain Radcliffe. Les autres ne se cassent pas trop la nénette. Puis avec «Ice Cream Man», ça tourne à la mauvaise plaisanterie. Bon, le principal c’est qu’ils s’amusent. Le rock sert aussi à ça, pas vrai ? Jojo est très cruel car il planque ses belles chansons au fond des albums. C’est un miracle si on écoute «The Morning of Our Lives» qui est un vrai petit moment de magie. Il fait participer la salle. 

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             Rock’n’Roll With The Modern Lovers fait partie des albums vendus puis rachetés au hasard des virées dans les salons. C’est vrai que la pochette donne envie, mais en 1977, on avait d’autres chats à fouetter, car les gros albums fourmillaient. Le raisonnement était simple : on se disait tiens, du Modern Lovers avec une contrebasse, ça doit bien sonner. Pouf, on ramenait l’objet à la maison et le malaise ne tardait pas à s’installer. Jojo prenait trop les choses à la légère. Il se prenait pour Tintin au pays du rock dans «Rockin’ Rockin’ Leprechauns» et passait ensuite en revue toute sa collection d’exotica. On ne sauvait que deux cuts en B, «Roller Coaster By The Sea», bien monté sur la stand-up, et «Dodge Veg-O-Matic» qui sonnait comme du doo-wop gaga, alors forcément une question se posait : pourquoi le reste de l’album n’était pas du même niveau ? On attend toujours la réponse.

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             Son dernier album Beserkley paraît deux ans plus tard et s’appelle Back In Your Life. L’affreux Jojo se livre à ses amusettes préférées d’aouuuh/aouuuh dès «(She’s Gonna) Respect Me» et fait un peu de rock’n’roll, oh mais pas trop, avec «Lover Please». En fait, il cultive un style champêtre dans la joie et la bonne humeur. C’est sa façon de dire qu’il se sent bien dans ses godasses et qu’il n’a besoin de personne en tondeuse à gazone. Il s’efforce de se montrer plaisant et de chanter d’un ton détaché, pas question de plonger dans le pathos du rock et les cauchemars urbains. Il préfère conter fleurette à «Lydia». L’absence de bonnes chansons finit par plomber l’ambiance. On sait l’art de Jojo austère, mais là, il pousse un peu trop le bouchon, même s’il fait le gai luron. Il faudra savoir attendre pour voir apparaître les grands albums.   

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             En 1983, Jonathan Sings ramène sa fraise sous une très belle pochette : voilà l’affreux Jojo peint torse nu devant la foule qui l’acclame. Mais au lieu de taper dans ses veux classiques des Modern Lovers, il propose une petite rumba, the kind I like, dit-il dans «This Kind Of Music», et les deux filles font des ooh-wahh-ooh. Voilà, c’est pas compliqué. Puis dans «The Neighbors», il nous explique qu’il n’a pas besoin de laisser les voisins gérer sa vie. Il a raison. Il s’enfonce dans la forêt profonde pour attaquer «The Conga Drums», avec une belle intention de nuire, car c’est assez punk, avec de vieux boon & boom & plum plum. Ça sent bon les early Modern Lovers. En B, on le verra continuer de faire son numéro de gentil troubadour, et avec «Give Paris One More Chance», il rend un bel hommage à Paname. Ah comme c’est bien embarqué et mon Dieu c’est trop cool. Le son est au rendez-vous, il est bien accompagné. Il revient à sa chère romantica avec «You’re The One For Me». Il adore tartiner son miel au clair de la lune et les deux filles derrière en rajoutent une petite couche. 

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             Jojo continue de cultiver la désuétude lénifiante avec Rockin’ And Romance, un album léger et pépère paru en 1985, et, détail capital, produit par Andy Paley. Globalement, c’est bon esprit mais surtout bien chanté. Jojo propose une espèce de laid-back à la ramasse et quelques petits coups de kitsch comme «Down In Bermuda». Jojo se prend pour l’équivalent bostonien de Kevin Ayers. Comme il dispose d’une vraie voix, il conquiert aisément l’Asie Mineure, d’autant plus aisément qu’il pratique l’intimisme patenté. La preuve ? Elle est dans «I Must Be King». C’est tellement mélancolique qu’on se fait rouler dans sa farine. Comme il se prend pour un artiste marginal, il s’intéresse par solidarité à la souffrance de Van Gogh - Have you heard about the pain of Vincent Van Gogh ? - Et dans son élan, il refait le Modern Lover avec «Walter Johnson», prenant de soin de rester à la croisée du laid-back et du doo-wop. Andy Paley prend un solo de batterie rigolo dans «I’m Just Beginning To Live». Comme ils s’amusent bien ! Jojo chante si bien qu’il peut se permettre n’importe quoi, c’est d’ailleurs pour ça qu’on l’écoute. Ok let’s rock ! Toujours prêt à driver son petit shitty shitty bikini de «Chewing Gum Wrapper». C’est même du petit bopety-bopety bop. Ça reste joyeux et chapeau-pointu. Jojo nous incite à claquer des mains, ce qu’on fait. Sa pop fifties passe comme une lettre à la poste. Jojo est le genre de mec qu’on prend pour argent comptant dès qu’il ouvre le bec. Il chante avec tellement d’entrain. Il crée une sorte de rockalama humaniste, une bebopalama généreuse et tiède, on se croirait au lit avec lui, on sent le chaud de son haleine et le soyeux de sa peau, et même le doux de sa petite glotte humide et rose. Sacré Jojo.

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             Avec It’s Time For paru l’année suivante - encore produit par Andy Paley - on reste dans le monde merveilleux de Jojo, Zette et Jocko. Oh il adore les vieux hits de juke comme «Let’s Take A Trip». Andy Paley sort un son extrêmement intéressant. Il restitue parfaitement l’ambiance du studio, avec toute la bande de copains, dont Barrence Whitfield. Bienvenue au Paley royal avec l’«It’s You» d’ouverture de bal. It’s Time For est un album d’ambiance pure. Là-dedans, tout le monde gratte des grattes et couine des chœurs. On s’y croirait. Ils sortent parfois les guitares électriques pour se taper des petites flambées de violence, comme le montre «Yo Jo Jo». «When I Dance» est une merveille. Jojo a de la jugeote. Il faut le prendre très au sérieux, au moins autant que Lou Reed. Il tente de se faire passer pour un franc-tireur toxique au charme fatal. La moindre de ses chansonnettes tape dans le mille. Oh my taylor is so Richman ! Le beurre-man vole le show dans «Double Chocolate Malted». Jojo vend les charmes d’une glace au chocolat et derrière les mecs font yeah yeah yeah ! Rien ne peut résister à un fantaisiste comme Jojo. Il nous repose la cervelle. Il a tellement de talent qu’il se permet n’importe quel délire, même celui de «Desert». Jojo sait rester à sa place. Il est trop bon enfant pour le dandysme.

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             Avec Modern Lovers 88, Jojo attaque sa période Rounder qui va durer sept ans, soit sept albums. Cette période Rounder va durer jusqu’en 1995, à la suite de quoi il va entamer sa période Vapor, plus vaporeuse, jusqu’en 2010, comme nous le verrons tout à l’heure. On trouve sur Modern Lovers 88 une belle énormité : «California Desert Party». C’est Jojo qui souffle dans le saxophone, ce que montre la pochette. Il flirte avec la mélodie dans «When Harpo Played His Harp» et avec «New Kind Of Neighborhood», on peut parler de vraie musicalité. Ils réussissent à chauffer leur petite pop juvénile à trois. «African Lady» vaut pour une jolie pièce d’exotica enchanteresse. C’est là où Jojo excelle, en marinière, dans le son des îles. Il flirte avec la calypso. L’album est extrêmement dense. Jojo semble avoir trouvé sa vitesse de croisière en pédalo. Il ouvre son bal de B avec un «I Love Hot Nights» assez groovy, bourré de guitarras. Il amène son «Circles» comme un hit de juke. Musicalité et fraîcheur à tous les étages en montant chez Jojo. Il règne sur cet album une sorte de son idéal, tout y est extrêmement bien contrebalancé et swingué des rotules.

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             L’année suivante, Jojo laisse tomber les Modern Lovers, devient Jonathan Richman tout court et enregistre Jonathan Richman tout court. Belle pochette. Sa strato bleue lui illumine le visage et d’ailleurs il lui dédie un cut : «Fender Stratocaster», qui sonne comme un hommage à Buddy Holly. L’autre merveille de l’album est un hommage à Charles Trenet. Jojo reprend «Que Reste-t-il De Nos Amours» et fait rouler ses r - Le soir le vent qui frrrrape à ma porrrte/ Me parrrrle des amourrrs morrrtes - Fabuleux Jojo, il peut taper dans les plus belles chansons de la France profonde - Que rrrreste-t-il de ces choses-là, dites-le moi - Sinon il fait son cirque habituel, du flamenco à la mormoille («Malaguena De Jojo»), de la petite pop exacerbée («Action Packed»), de l’instro sucré («Blue Moon»). Il gratte sa gratte à l’excès dans «A Mistake Today For Me». On a l’impression d’avoir déjà entendu tout ça. Il faudrait que quelqu’un de proche lui explique sans le choquer. Car on pourrait finir par ne l’écouter que par gentillesse. Comme Tim Buckey d’ailleurs. Mais ils ont en commun un certain mépris des convenances, ce qui, d’une certaine façon, les sauve.    

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             Comme l’indique le titre, Jojo pique sa crise de country avec Jonathan Goes Country. Mais on s’y ennuie un peu. C’est le problème avec Jojo, au bout d’un moment, on n’a plus envie de jouer. Il faut attendre «I Must Be King» pour sentir une épaule bouger. Il transforme sa country en good time music et là du coup l’album reprend des couleurs. Il raconte ensuite une belle traversée des USA dans «You’re Crazy For Taking The Bus», il s’amuse avec les histoires de tickets, Salt Lake City eveybody out ! Jody Ross duette avec Jojo sur «The Neighbors» et c’est excellent. Puis on le voit naviguer aux confins du kitsch dans «Man Walks Among Us». Il roule n’importe quel cut dans sa farine et ça peut devenir extrêmement beau. Et plus on avance dans l’album et plus on s’effare, comme devant cet «I Can’t Stay Mad At You», une vraie démonstration de force grattée au move de rumba, une espèce d’instro de rêve. Voilà le secret de Jojo : il fait son truc, et ça finit pas fasciner, qu’on soit d’accord ou pas.      

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             Ce qui caractérise les pochettes Rounder, c’est l’absence totale d’informations. Une façon de nous dire : débrouillez-vous avec les chansons. Alors on se débrouille avec les chansons d’Having A Party With Jonathan Richman. L’album propose le cocktail habituel de vieux rumble et d’intimisme patenté. Jojo gratte en solitaire, il n’a besoin de personne sur son pédalo. Il fait son cabaretier de la belle aventura dans «My Career As A Home Wrecker». Il saute sur tous ses cuts comme un fou. En fait Jojo est un peu timbré, c’est pour ça que les gens l’aiment bien. Ils achètent même ses disques. Il revient à sa chère rumba de juke avec «When She Kisses Me» et la tartine de confiture à la groseille. Il refait son Buddy Holly avec «At Night» et montre qu’il peut pédaler tout seul à travers l’océan. On ne sait pas qui joue de la batterie. Cet album nous propose du petit Jojo sans histoires. Pas de révolution. Il ramène un brin de Modern Lovers dans «Monologue About Bermuda», well she cracked, et fait un joli numéro d’exotica avec «Our Swingin’ Pad». C’est l’album d’un modeste artisan bostonien. 

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             La pochette d’I Jonathan s’orne d’un beau portrait de notre Jojo préféré. Belle lumière. On sent le mec serein. Ce que confirme «Parties In The USA». Cette façon de faire one two three four n’appartient qu’à lui. Et pouf, il part en mode laid-back avec du Louie Louie à la ramasse, il danse le sloopy sloopy hang on. Plus loin, il rend hommage à un vieux mythe avec «Velvet Underground», mais de façon très light. Belle tranche, néanmoins, sideways, c’est Sister Ray, awite. Vas-y Jojo ! Il revient à son petit rock gratouillé par derrière avec «I Was Dancing In The Lesbian Bar». Il ne change rien à sa vieille recette. Nonchalance à tous les étages en montant chez Jojo. L’album propose toujours la même formule : balladif + exotica + nonchalance + big voice. Si on aime bien la petite pop, alors forcément, on se régale avec cet album. Mais «Twilight In Boston» peut finir par insupporter. Il faudrait que quelqu’un dise à Jojo de mettre un peu de niaque dans ses chansons.      

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                 Rounder continue d’épouser la cause de Jojo en sortant Jonathan Te Va A Emocionar. Avec sa fleur à la boutonnière, il nous fait le coup de la belle romantica dans «Pantomima De El Amor Brujo». Si tu n’es pas espagnol, t’es mal barré. Les fans des Modern Lovers peuvent commencer à se ronger l’os du genou en attendant des jours meilleurs. Jojo fait son Jojo, sa petite rumba habituelle. Si on vient pour du «Roadrunner», c’est cuit. Bon, comme tous les artistes, Jojo a dû évoluer, mais c’est une évolution qui trompe énormément. Il devient atrocement exotique et chante même un truc en duo avec une Spanish girl. Il sonne parfois comme un stentor argentin et toutes ces conneries finissent par gâcher le plaisir. Et puis soudain, sans qu’on sache pourquoi, voilà que surgit le cut qui rocke, «Reno». Jojo fait son Spanish Modern Lover et c’est violemment bon. Il va finir l’album avec ses vieilles lunes. Il flirte avec le tango, mais il n’est pas aussi bon que Tav Falco à ce petit jeu. Jojo est trop baveux, trop séducteur. Du coup, il brouille un peu les pistes.

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             L’ère Rounder s’achève donc en 1995 avec You Must Ask The Heart. Pas de surprise, cirque habituel. L’histoire d’un mec qui vit au bord du fleuve. Il fait le choix de la paix de l’esprit et du petit tatapoum avec «Vampire Girl». Cet album va intéresser tous les amateurs de weird gratté sans avenir. Jojo fait un peu de pompe manouche dans «That’s How I Feel». Il aura tout essayé. Globalement l’album se tient, disons que Jojo sonne comme un collégien boutonneux qui a une bonne voix, mais il n’y a pas là de quoi se prosterner jusqu’à terre. Il envoie une belle giclée de country rock avec «The Rose». La voix fait tout. Comme le montre encore «You Must Ask The Heart», plus orchestré, plus océanique. Il revient à sa belle exotica avec «Amorcito Corazon». Jojo est le champion du kitsch à deux balles, vas-y Jojo, on est tous avec toi ! Parfois, on sent monter des éclairs de génie, comme dans «City Vs Country» : il vise le big country sky mais il ne transmet aucune émotion. Il revient au petit comedy act inexorable et devient une sorte de spécialiste du suicide commercial. Rounder finit par le lâcher. 

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             Début donc de l’ère Vapor l’année suivante avec Surrender To Jonathan, un album nettement plus solide. C’est le troisième album que produit Andy Paley pour Jojo. Pochette délicieuse : Jojo s’y déguise en Pirate des Caraïbes. Inespéré ! Sur cet album tout est très simple. Jojo drive sa pop bon enfant à la régalade. Pas de son dans «Surrender», il n’y a que sa voix. Il refait le cirque d’«I Was Dancing In The Lesbian Bar» et nous ressert la vieille tarte à la crème d’«Egyptian Reggae». Et puis voilà le Jojo tant espéré avec la belle pop de «When She Kisses Me» qu’il allume à coups de yeah yeah et qui émerveille comme au premier jour. Il amène encore de la pop énorme avec «Satisfy». Jojo fait son petit mic-mac, comme tout le monde. Il faut bien vivre. Et comme il dispose d’une vraie voix, ça crée des liens. Il termine cet album très Jojo avec «Floatin’». Il finit par imposer sa présence, comme savent si bien le faire les ténors du barreau américain.

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             Et puis voilà qu’il entame un cycle d’albums pour le moins extraordinaires, à commencer par I’m So Confused. Il tape son «Nineteen In Naples» d’une voix de shouter. Retour inespéré du big beat, voilà le rockab de Jojo, avec Tommy Larkins au beurre. Jojo laisse glisser sa voix dans le gras du beat, ahhh et il appelle la guitare : Guitah ! C’est lui la guitah ! Du coup, le vaisseau Jojo reprend la mer. Il transforme le petit excerpt d’«I’m So Confused» en énormité. Il ne vise pas les sommets mais les sommets le visent. Il tient tout à la voix et cet album nous réjouit. Il crée les conditions de la confusion. Et c’est parce qu’il crée les conditions de la confusion qu’on se sent redevable envers lui. Il a du pot d’avoir Tommy Larkins derrière. Il nous conte encore fleurette avec «Love Me Like I Love». Sa petite pop déjantée n’en finit plus de recommander son âme à Dieu. Jojo crée des liants extraordinaires. Il revient à sa chère rumba avec «The Lonly Little Thrift Store» que frappe l’excellent Tommy Larkins. Jojo nous gratte ça au mieux des possibilités de la rumba. Puis il amène «I Can Hear Her Flying With Herself» au heavy funk-rock de la planète black. Fantastique ambiance ! Belle plongée dans un univers qui n’appartient qu’à Jojo l’homme grenouille. On reste dans l’allégresse avec «The Night Is Still Young». Il y va de bon cœur à sa manière qui est la bonne, il fait maintenant du Modern Jojo, l’artiste idéal pour le twisted jukebox. Il termine cet album de la résurrection avec «I Can’t Find My Best Friend» qu’il chante avec une candeur qui l’honore. Ce mec est paumé dans la pop, il est tellement paumé qu’il chante de toute sa voix et ça nous fend le cœur. Il est trop sincère, cette fois. Il jerke sa pop à sa façon, loin de feux de la rampe, il s’en fout et du coup, il redevient ardemment culte. Cet album est beau comme du Jojo.

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             Suite du cycle des grands albums avec Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow. Pochette extrêmement insolite, presque voodoo. Jojo démarre avec le slow groove du morceau titre, il gratte ça à l’humeur vagabonde. Comme c’est beau ! She rocks, she screams, il lui rend hommage et les hommages de Jojo valent tout l’or du monde. Il rend ensuite hommage au printemps new-yorkais, il chante ça comme un va-nu-pieds verlainien sans aucun avenir. Il joue avec des coquillages. Jojo s’amuse bien, il ne veut rien prendre au sérieux, c’est absolument hors de question ! Il tape dans tous les registres de la romantica et balance soudain une espèce de cut magique, «Maybe A Walk Home From Natick High School», puis il passe au dadaïsme avec «Give Paris One More Chance». Il y va comme Tzara, à dada. Dada est mort, vive Dada ! Serait-il le dernier Dada boy in town ? Va-t-en savoir ! Avec «Yo Tango Una Novia», il passe au heavy sludge et invente le Jojo stomp. À peine croyable ! Voilà une horreur de stomp d’exotica, le Jojo power ! Il joue encore la carte de l’exotica avec «Con El Meregue», mais il la joue au maximum des possibilités de l’exotica et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Quel album ! Il flirte avec le punk d’exotica. Il boucle avec un nouveau coup de génie qui s’appelle «Vampiresa Mujer». Jojo y va de bon cœur. Il redevient le Modern Lover des Batignolles et nous envoie tous au tapis.   

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             Si on croit qu’il va se calmer ou refaire des mauvais albums comme au temps de Rounder, c’est raté. Not So Much To Be Loved As To Love vaut largement le détour, ne serait-ce que pour ce bel hommage à Salvador Dali qu’il joue au big beat des Modern Lovers, comme d’ailleurs le «My Baby Love Love Loves Me» qui nous replonge dans l’art ancien du Roadrunner, et cette façon unique de lancer son one two three. Il ressort aussi son vieux Vincent Van Gogh et évoque the loud colours, c’est vrai il a raison. Jojo raconte ses souvenirs du musée d’Amsterdam. On entend Tommy Larkins casser la baraque dans «He Gave Us The Wine To Taste». Et on retrouve une belle pulsion d’exotica dans «Cosi Veloce». C’est même une merveille d’exotica festive. On dira la même chose d’«In Che Modo Viviamo» : fantastique énergie ! Il chante «Les Étoiles» en français, il est marrant. Sans doute est-ce le plus beau cut de l’album - Autrement elles seraient fatiguées avec le ciel et tout cela - Chaque fois, il va chercher l’âme du chant. Il amène «Abu Jamal» à l’orgue de barbarie et boucle cette affaire avec «On A Du Soleil», Il groove en profondeur notre Jojo, poulquoi s’énerver, c’est excellent, mais ici dans l’après-midi je souis content parce qu’on a dou soleil.

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             Pochette mystérieuse pour ce Because Her Beauty Is Raw And Wild qu’il enregistre en 2008 avec Tommy Larkins. Il revient à sa passion pour la chanson française avec «Le Printemps des Amoureux Est Venu» - Les amoureux/ Qui n’ont pas besouin/ De dormir/ La nouit - Il est tellement rigolo. Back to the Moden Lovers avec «Old World», I said bye bye old world. On le voit aussi danser autour de son mythe en chaloupant des hanches dans «Because Her Beauty Is Raw & Wild». Ce vieux Jojo est un éternel amoureux. Il gratte toujours sa gratte, comme le montre «Our Drab Ways», mais la qualité du laid-back est exceptionnelle. Il refait sa samba avec «When We Refuse To Suffer». Jojo fait son bal à Jo. Il est encore pire que Tav Flaco dans «The Romance Will Be Different For Me». Il va chercher la pureté d’une très belle exotica. On tombe vers la fin sur une nouvelle mouture de «When We Refuse To Suffer», une sorte de rock de samba et là ça explose. Big Jojo stuff monté sur un drive de basse génial. Jojo vire sa cutie et nous shake un groove demented secoué de pointes inespérées. Puis Jojo fait une reprise d’«Here It Is» en hommage à Leonard Cohen. Il claque ça au solo ottoman.

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             Nouveau chef-d’œuvre exotique avec A Qué Venimos Sino A Caer et son gros tas d’espagnolades de romantica. Dès l’imprononçable morceau titre, on est conquis. Jojo fait le joyeux, alors on se lève et on danse. No problemo, Jojo. C’est un joyeux drille en vérité, il chante in tongues comme les possédées de Loudun et ça tourne assez vite à l’ultra-merveille d’extra super-nova avec des congas et de la timbale, ça coule tout seul au la la la, ce mec a réellement de génie. En fait, cet album est une compile et il nous ressert des cuts d’Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow, comme l’excellent «Vampiresa Mujer», ce vieux mambo du dios Jojo. Il fait de l’exotica un art majeur, comme dirait Gainsbarre. Il nous ressert aussi «Le Printemps Des Amoureux Est Venu», tiré de l’album à la porte. C’est comme dirait Charles Trenet un poète extraordinaire, on se croirait au XIXe et ça vire même Brazil, t’as qu’à voir. «Cosi Veloce» sort de l’album au chien et même si on le connaît bien, on danse sur ce vieux shoot de Jojo mambo. Cet enfoiré nous fait danser à tous les coups. Et une fois encore, ça dégénère en Brazil. «Es Como El Plan» sort aussi de l’album à la porte et il chante ça en Spanish comme s’il était le Fagin de la cour des miracles. Il chante tout ce qu’il peut et gratte sa gratte, pendant que Tommy Larkins bat le beurre. «El Joven Se Estremece» sort aussi d’Her Mystery. Cet album compilatoire est stupéfiant de richman-mania. Il crée son monde de liberté totale, il chante tout au corps à corps et gratte à la folie. C’est un vrai délire. Il nous ressert aussi ce stomp fatal qu’est «Yo Tengo Una Novia» et qu’il gratte au banjo. Ça vaut toutes les énormités du monde. Tout sur cet album tape dans le mille. Jojo nous fait même le coup de la belle coulée de French groove avec «Silence Alors Silence». Il adore les langues -  Silence le signal de la mort - Il est très catégorique. Il termine avec l’extraordinaire numéro de charme qu’est «Ha Muerto La Rosa». Comme il maîtrise bien le Spanish, alors ça coule de source. Il chope même les accords de flamenco. Sacré Jojo, sans lui que deviendrions-nous ?

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             Dernier coup de Vapor avec O Moon Queen Of The Earth. Il y fait du Velvet pour rigoler avec «My Altered Accent» - Forty years later/ I apologize for my altered accent - Il revient au French  groove avec «Sa Voix M’Attise» - Elle joue avec les couleurs/ Elle joue avec le temps - C’est dingue comme ce mec est doué pour la polyglotterie. On se régalera surtout de «Winter Afternoon By BU In Boston», car c’est joué à l’African beat. Du coup ça repart dans la cinquième dimension. Jojo dodeline sur le beat de Tommy Larkins et ça vire assez tribal. Il chante son morceau titre à l’article de la vie. Tout est tellement laid-back sur cet album qu’on pense à celui qu’enregistra Roky au Holiday Inn. Ils font tout à deux, ici. Jojo chante au cœur de ses chansons, avec une autorité indéniable.

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             Avec Ishkode! Ishkode!, il entame en 2016 un nouveau cycle : le cycle de la flèche bleue. Plus il vieillit et plus il impressionne. Il chante de plus en plus comme Brel, à la petite désespérance. Dans «Woa How Different We All Are», des filles chantent derrière lui. C’est une fois encore très laid-back, il cherche la dérive non-évolutive, il s’en fout, il chante comme un Romanichel, c’est très pur, très weird, sans aucun espoir. Il reste dans le groove de laid-back pour le morceau titre, elle s’appelle Lisa Marie, enfin on ne sait pas. Ça joue quelque part dans le Jojoland et ça reste powerful. Tommy Larkins fait toujours partie de l’aventura. Petit retour aux Modern Lovers avec «Without The Heart For Chaperone» et on revient aux choses sérieuses avec l’exotica d’«A Nnammaruta Mia». On entend de l’accordéon et Jojo fait son gros numéro de charme. C’est d’ailleurs le ressac d’accordéon qui fait la grandeur du Mia et aussitôt après, Jojo secoue les colonnes du temple avec «Let Me Do This Right». Il faut bien dire que la qualité du laid-back sur les autres cuts est extrême, les filles renvoient bien la balle. Jojo cultive l’apanage du lo-fi avec «Outside O Duffy’s», il ramone son vieux rumble de Modern Lover et les filles font ah-ah ? Et voilà que cet enfoiré s’en va taper dans Kosma et là on ne rigole plus : sur «Longtemps», un accordéon l’accompagne. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de faraminé avec «Mother I Give You My Soul Call», une espèce de psychedelia asiatique. C’est le Jojo thing qui peut aller loin et qui finit toujours par fasciner. On goûte aux plaisirs de la connaissance par les gouffres de la profondeur artistique.

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             Sur SA! paru en 2018, il fait un gros clin d’œil aux fans des Modern Lovers avec «A Penchant For The Stagnant». Il chante toujours comme une star. Mais cet album réserve d’autres grosses surprises, comme par exemple cet «And Do No Other Thing» qu’il chante au sommet du lard fumant. C’est ce qu’on appelle une posture de voix. «And Do No Other Thing» devient une merveille qui dicte sa loi. Chanson après chanson, il nous enfarine. L’autre merveille inexorable s’appelle «O Mind Just Dance». Ça sent bon l’artiste culte, il hante sa chanson dès l’abord, il solarise sa glotte, ça va très loin. Il revient au let’s go home de big heavy déglingue, il explore les régions inconnues du now we can just dance, il développe un tantric beat et nous entraîne dans une aventure psychédélique stupéfiante. Il claque «My Love Is From Somewhere Else» à la claquemure de la revoyure, Jojo does it right. Puis il nous embarque avec «The Fading Of An Old World» dans un raga de bringueballe, mais avec une voix de punk - I don’t want go back to the rigid old world - C’est même du raga de vieille cabane. On a là un album complètement barré, il faut le savoir. On le voit aussi chanter «This Lovers’ Lane Is Very Narrow» comme ces Marocains qu’on voit se produire dans les restos de Marrakech. Jojo n’en finira donc pas de nous épater.

    Signé : Cazengler, Jonathan Poorman

    The Modern Lovers. The Modern Lovers. Home Of The Hits 1976

    The Modern Lovers. The Original Modern Lovers. Mohawk Records 1981

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Beserkley 1976

    Modern Lovers. Live. Berserkley 1977

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rock’n’Roll With The Modern Lovers. Beserkley 1977

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Back In Your Life. Beserkley 1979

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Jonathan Sings. Sire 1983

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rockin’ And Romance. Twin/Tone 1985

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. It’s Time For. Upside Records 1986

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Modern Lovers 88. Rounder Records 1987

    Jonathan Richman. Jonathan Richman. Rounder Records 1989    

    Jonathan Richman. Jonathan Goes Country. Rounder Records 1990    

    Jonathan Richman. Having A Party With Jonathan Richman. Rounder Records 1991

    Jonathan Richman. I Jonathan. Rounder Records 1992           

    Jonathan Richman. Jonathan Te Va A Emocionar. Rounder Records 1994  

    Jonathan Richman. You Must Ask The Heart. Rounder Records 1995

    Jonathan Richman. Surrender To Jonathan. Vapor Records 1996

    Jonathan Richman. I’m So Confused. Vapor Records 1998   

    Jonathan Richman. Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow. Vapor Records 2001 

    Jonathan Richman. Not So Much To Be Loved As To Love. Vapor Records 2004

    Jonathan Richman. Because Her Beauty Is Raw And Wild. Vapor Records 2008

    Jonathan Richman. A Qué Venimos Sino A Caer. Vapor Records 2008

    Jonathan Richman. O Moon Queen Of The Earth. Vapor Records 2010

    Jonathan Richman. Ishkode! Ishkode!. Blue Arrow Records 2016

    Jonathan Richman. SA! Blue Arrow Records 2018

     

     

    Don’t give a Cheater, Slick !

     

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             Quand on demande aux frères Shannon quelles sont leurs influences, la réponse ne surprend pas : Stooges, Velvet, Cramps, ce que tout le monde écoute. Tom Shannon vénère tout ce qui est fucked up et il cite encore des exemples : Alex Chilton, Roky Erickson. Et il ajoute ceci : «In terms of what we do, we just want it to be completely over the top and insane, and we’re groove-oriented. We like to do things, play things, extend them a little bit.» Les frères Shannon et Dana Hatch on fait du déséquilibre caractériel un fonds de commerce. C’est la raison pour laquelle on les adore.

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             L’aventure commence à Boston avec trois albums : On Your Knees, Destination Lonely et Whiskey. Le premier album est un classique du genre avec des cuts comme «I Won’t Last Another Day» (pure stoogerie à l’«I’m Loose», vélocité à tous les étages, David joue exactement comme Ron Asheton, ils avancent dans une ville en flammes, Motor City’s burning baby), «The Hunch» (ultra-slab de trash blasté aux quatre vents), «On Your Knees» (meilleur trash disponible sur le marché, indéfectible modèle de purée, superbement allumé par un thème de guitare lumineux, on les sent fiers de leur slick), «Chaos» (encore un joli slab de trash déterminé et même déterminant, chanté au cro-magnon et battu au Dana beat) et dans «I’ve Been Had», Dave Shannon joue en solo sur toute la distance. Ces mecs montrent qu’ils savent ramoner une cheminée. Autre merveille : «Weirdo On A Train», joué au tordu de son absolument maximaliste, hanté à l’unisson du saucisson sec de Slick, ils sont les rois du trash américain. Oh il faut aussi écouter «Golddigger», atrocement mal chanté, ce qui fait partie de leur charme, c’est très poussé dans les orties, ils adorent s’enfoncer dans leur mayhem. Et puis voilà «Why», monté sur les accords de «Gloria» avec un big aw baby d’intro. Pour un début, c’est un grand album. Le hit s’appelle «Run Away From You», un cut assez long travaillé au big atmospherix sur une belle structure mélodique du grand David Shannon. Ils se révèlent excellents sur les cuts longs et ambianciers. 

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             Le deuxième album des Slicks, Destination Lonely, compte parmi les grands classiques du trash-rock, notamment pour «Murder», pur jus ce Slick Sound System chanté à l’atrocité, joué au filet de trash, hurlé à la hurlette, c’est-à-dire à la vie à la mort. Plus vrai que nature. Leur «Can’t Explain» n’est pas celui des Who, heureusement, ils font leur soupe, hurlent dans les coins, David fait des miracles sur sa guitare. Les Slicks sont vraiment les Byrds du trash. Ils jouent «Look Out World» aux accords de «Gloria». Ils sont marrants, ils s’amusent avec les vieux mythes. Tom fait son Van et il l’explose. Il a ce pouvoir d’exploser le Van en plein vol. Il claque tout son beat dans le cul du cut, à coups de Look out de Van, alors Van va jouir. Le hurlement qu’on entend n’est pas innocent. L’autre grosse bombe de l’album s’appelle «In And Out», le cut d’ouverture de bal d’A. Un petit conseil : écoute ces dingues au casque si tu veux récupérer tout le jus. Ils vont droit au but, c’est joué sec, à l’admirabilité des choses, avec un sens aigu de la dépouille. David part en solo comme d’autres partent à l’aventure. Ils sont excellents. Le «Hear What I Say» qui suit se veut plus lancinant, pas très bienveillant. Et comme le Capitaine Flint, les Slick adorent le rhum. La preuve ? «Rum Drunk». Ils grattent dans les bas-fonds avec tout le bravado du Boston bash boom. Ils chantent «And I Cried» à la pire mélancolie agricole et ils tartinent leur «If Heaven Is Your Home» all over the bread, Brad. Quant au morceau titre, c’est encore une autre histoire. Ils claquent ça aux clameurs sourdes. C’est invraisemblable, ils s’y livrent à un festival de désaille expiatoire. Dans leur genre, ils sont les champions du monde.

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             Whiskey sort sur In The Red en 1993. Dès «Possession», Dana donne bien. C’est chanté à la hurlette de Hurlevent et pour l’époque, c’est admirable. Il la veut, il est possédé, arrhhhhhhh ! Dès qu’ils se fâchent, ils battent tous les records, comme on le voit avec «Leave My Home». Ce garage punk osseux ne peut que plaire au petit peuple. Idéal pour danser le mashed potatoes en attendant la mort. De l’autre côté, «Thinkin’ Some More» occupe toute la face. C’est une longue aventure, un genre de Tintin au pays des serviettes, très Velvet dans l’esprit, on a là une belle dérive chargée de white heat. Ils s’en donnent à cœur joie. Ils ne se connaissent pas de limites, ni de dieux, ni de maîtres, ils font absolument ce qu’ils ont envie de faire et on ne peut que les encourager. Rien ne les fera entrer dans des fucking cages à la mormoille. Vive la liberté !

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             Joli coup de Trafalgar que ce Don’t Like You paru en 1995. Titre parfait. Sur la pochette, les Slicks affichent des mines bien renfrognées, histoire d’enfoncer le clou du titre. C’est enregistré au Funhouse de Jerry Teel et produit par Jon Spencer qui se trouve alors au pinacle de sa famous fame underground. Et pour couronner le tout, ça sort sur In The Red qui est encore à cette époque LE grand label de référence, avec Crypt et SFTRI. On est donc avec cet album dans les conditions optimales du garage punk dont on se goinfrait tous à cette époque, il y a de cela vingt ans. Ils nous plongent dans leur friture dès «Feel Free». C’est emblématique d’emblée et chanté avec toute la petite hargne slicky. Ils savent créer un monde borgne et mal venu, et David Shannon en profite pour passer un solo killer flash de flush avec une surcouche de fuzz absolument dégueulasse. Ces mecs ont le génie du son qui tâche. L’autre grosse tarte à la crème se trouve en B et s’appelle «Spanish Rose». Ils jouent comme des diables à ressorts sur un fantastique beat rebondi. Quelle rythmique de rêve et quelle purulence dans la purée du solo ! Ils jouent ça à l’écharpée gangrenée, la pire qui soit. Tiens, encore un blast d’antho à Toto avec «Poor Me». C’est joué au pire gaga punk de l’univers connu, avec des renvois de tilik-tilik qui rappellent ceux de Magazine dans Shot. Avec ça, ils sont les rois du scumbag et le Shannon repasse un killer solo flash en surcouche de scam de scum. On note leur goût pour le chaos bien tempéré et une volonté rockab dans l’épais «Motherlode». C’est joué au fast beat, how crazy ! «Destroy You» fait aussi partie de leurs classiques. Ils graissent leur gras-double à outrance, aw, put you down ! Il reste à écouter «Sadie Mae», oui, car c’est encore une fois saturé de distorse libératrice. Ils jouent ça à l’apanage du panache de la nage, c’est âprement noyé de son altéré et privé de fonctions vitales, on a là un blast cosmique joué à la dégoulinade d’étalonnage dénaturé.  

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             Les Slicks quittent Boston pour s’installer à Columbus, dans l’Ohio. Ils cherchaient un coin moins cher. Le double album Forgive Thee sort du bois en 1997 et il pullule de coups de génie et de stoogeries, tout est claqué à la bonne claquouille et embarqué dans une pure frénésie de bringueballe. Ils tapent «My Friends» au foutraque de Columbus, sans foi ni loi, sans regard pour les classes sociales inférieures, pas de sentiment, juste du stripped-down low-trash-punk mal chantouillé. Avec «I’m Coming Home», ils tapent dans la Stonesy avec un battage de petite vertu. Chez eux, le baroque reste négligé et ça joue à la va-comme-je-te-pousse de gueule de bois. Et voilà le premier coup de génie : «Used Illusion» - Walking in the rain - Ils nous claquent ça aux accords processionnaires poilus et aménagent de violentes montées en température. C’est Mick Collins qui souffle dans un trombone. On croit entendre un éléphant ! Il souffle dans l’œil du typhon et provoque un déploiement sur-dimensionné d’extase parabolique. En tous les cas, on s’en effare. Tous les cuts sans exception sont hantés par le son, ravagés par des marées noirâtres et de sordides dérives comportementales, harcelés par des incursions impavides. Les Slicks jouent avec l’intention permanente de nuire à la morale. Avec «I Can Go On», ils se montrent capables de belles envolées mélodiques, mais ils veillent à soigner la désaille. Alors forcément, ça finit par sonner comme un coup de génie. Il n’existe pas de cocktail plus capiteux que celui-ci. Avec «Arm Yourself», ils amènent un struggle de bad bad sound, c’est tordu à l’extrême et chanté à la taverne des pirates. On a là le meilleur gaga-punk de tous les temps. C’est presque du Beefheart de «Woe-Is-Uh-Me-Bop», en tous les cas, on a  la même insistance cabalistique. Si on aime bien la violence intrinsèque, alors il faut écouter «This Ain’t For You», car c’est joué au claqué d’accords vénéneux et le chant va si mal qu’il frise la stoogerie inversée. La force des Slicks est qu’ils se montrent présents dans tous les cuts. Spectaculaire de slickness, voilà «Dignity And Grace». Ils jouent ça à la vie à la mort. Mick Collins fait des backing derrière dans un vrai vent de folie. Tout bascule dans la démesure. Avec «Ghost», ils vont loin, bien au-delà de la crédibilité. Ils sur-jouent leur groove ad nauseum et ça devient monstrueux, surtout quand David Shannon part en killer solo trash. Pas de répit sur le disk 2. Tu n’auras jamais rien de plus sec et net que «Retribution». Les Slicks réinventent le rock sauvage, celui qui palpite à l’ombre des jeunes filles en fleur, c’est claqué à l’outrance de la fucking démence, ils visent la démesure de l’outrepassement de tout ce qui est admis dans notre pauvre monde, ils montent à deux au créneau et s’en vont exploser dans le néant. Il n’existe rien de plus trash ici bas que «Southern Breeze». C’est atrocement mal chanté. On a là du pur Slicky strut de trash prémédité et hurlé à la dégueulade. C’est comme si Allen Toussaint venait de tomber dans une bassine de friture de crayfish. C’est atroce ! Ils continuent dans le même esprit avec «It’s OK What You Weight». Ils dégueulent dans les mains des croyants prosternés à leurs pieds. Une nouvelle religion émerge en Palestine, fabuleux shoot de weird shit all over Beethleem ! Ça chante à l’agonie et ça coule dans les pantalons, en tous les cas ça pue le trash à des kilomètres à la ronde. Ils font une belle cover du «Child Of The Moon» des Stones, mais ils la tapent à la Slicky motion. Ils créent un monde qui dépasse largement celui des Stones. Ce cut si insipide à l’origine sonne comme un hit dans les pattes des Slicks. David Shannon part en solo de vrille, ce que les Stones n’ont jamais su faire, sauf dans Sympathy. Mais le solo de Shannon sonne comme la perceuse d’un dentiste nazi qui entre dans une mâchoire juive. Pure horreur ! Ça burn in hell avec «Everybody Know One». Il semble parfois que les Slicks aient inventé l’enfer. Ces gens explosent toutes les idées préconçues et réinventent même la notion de violence sonique. On se demande comment ils parviennent à tenir sept minutes à ce train d’enfer. Ils nous projettent dans le royaume des cieux de l’apocalypse. Ils vont au-delà de tout. Ils tapent une autre reprise, le «Lonely Planet Boy» des Dolls et on retrouve la Slicky motion avec un «Didn’t You» bardé de montées en température. On ne se méfie pas, ils grattent doucement en ouverture et au refrain, ils montent pour atteindre le génie garage, et là on a de nouveau le vrai truc, claqué aux gémonies des pires accords slicky et relancé par Dana le dingo. Ils terminent cet album faramineux avec «Night Life» qu’il faut ben qualifier de saloperie trashy. Il s’y montrent odieux. Ça chante faux dans une friture de désaille guitaristique.

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             Sorti sur Crypt, Skidmarks est une compile des deux premiers albums et des fameuses Alpo Sessions qui seront rééditées en 2012.

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             Refried Dreams réserve quelques bonnes surprises. Par exemple «One Life Story», solide groove gaga à consonance stoogienne. Tom Shannon patauge dans l’heavy liquid des Stooges de 69. Joli blast que ce «Munchen Gretchen». On se croirait dans le white trash du Velvet. Ils font aussi une cover de Lee Hazlewood, «I Think I’m Coming Down». Les Shannon Bros jouent leur va-tout avec ce heavy balladif balayé par les vents d’Ouest. L’album peine pourtant à décoller avec «In This Town» et un «Another Stab» désordonné et mal fichu, gratté à la désaille. Manque de caractère. Mauvaise peau. Sale rock. En B, le morceau titre fait mal aux oreilles, car c’est atrocement mal chanté. On dirait Indochine. Ils reviennent heureusement au grand beat de la désaille avec «George Washington». Ils font presque du funk. Ils tapent «Deep Beneath The Sand» au low-down de free ride et le relancent au lance-flammes shannonique. Ils terminent avec «Last Call», un prestigieux balladif de fin de non recevoir. Ce cut est si beau qu’il finit par te fasciner comme un serpent.

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             Il semble que Yer Last Record paru en 2002 soit leur dernier album studio. On y trouve un chef-d’œuvre trash intitulé «Green Light». Ils tombent là dans l’audace de la putasse, un truc qui dépasse même la notion de trash. C’est dégueulé. Idéal quand on aime voir les immeubles s’écrouler dans les flammes. Les Slicks sont capables de chanter à la vomissure extrême et Dave Shannon revient tout exploser à coups de notes pincées. Tout aussi énorme, voilà «Pants Down», claqué aux pires accords d’American gaga. Ils montent ça en épingle et secouent des squelettes de Stonesy. C’est extravagant de flash de flush. Il n’existe rien d’aussi radical que le son des Slicks. Attention à «Stop Breeding», c’est du pur jus de demolition trash, énorme car hurlé dans le storm. Les Slicks n’en finissent plus de créer leur monde. David Shannon passe un modèle de solo trash dans «Momentary Muse» et roule «It’s Not Your Birthday» dans sa farine. Cet album est un ramassis de raffut slické de slickos. Ils dédient «Miss Q» à Andre Williams. Ils tapent là dans le suburbain, c’est cisaillé au shannonique, violent, acéré et gras. Ça gueule dans les escarres. Ils sont les champions du monde d’un genre difficile : le cut mal né, celui qui est automatiquement privé d’avenir. Ils terminent avec cette admirable fin de non-recevoir qu’est «Goodbye». Pas de retour possible, ils sont dans l’exaction du why why. 

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             Si tu sors Bats In The Dead Trees du bac, remets-le immédiatement à sa place : cet album d’impro est une arnaque. Dommage, car les Slicks sont capables de merveilles.

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             Avec Guttural (Live Vol. 1 2010) s’ouvre une nouvelle ère slicky : celle des grands albums live parus sur Columbus Discount Records, un label sur lequel ont aussi échoué les Bassholes. On trouve sur ce live une très belle version de «Motherload» claquée à la colère rouge et battue au train fou. Ils sont capables de prodiges blastiques de la meilleure catégorie. C’est du Dana pur et dur. L’autre merveille se trouve en fin de B : «Leave My Haouse» redore le blason du trash, c’est joué à la scie. L’empire du trash règne sans partage sur ce live abandonné des dieux. D’autant qu’ils tapent dans le vieux «Feel Free», vrai déballage de morve sonique, et ça part en solo il faut voir comme, sans réfléchir. Tout est joliment noyé de son, ici, notamment ce «Destroy You». Ah on peut dire que les Slicks auront bien slické leur époque. «Destination Lonely» sonne comme un modèle de trash-punk dégondé du châssis. Ils jouent ça avec un mépris total de la bienséance. Tout est exceptionnellement balèze là-dessus, comme ce «Bruno’s Night Out» qui s’implante solidement en terre sonique. Les Slicks sont vraiment les rois du genre. Tout est joué dans le raunch, comme «My Position On Nothingness», dans l’esprit de non-retour et dans l’éclat du trash de dégoulinade. Les paquets de son s’écrasent dans l’écho du temps. Et voilà un «Ghost» terriblement présent, incroyablement fantasque, ils nous grattent ça au delà du Cap de Bonne Espérance, sans la moindre prétention.

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             Sur le même label, voilà l’infernal Reality Is A Grape. Il est bon d’insister sur la principale qualité des Cheater Slicks qui est la cohérence. Cet album en est la preuve vivante et ce dès le morceau titre, embarqué au drumbeat sévère par ce dingo de Dana. David Shannon joue en solo d’exacerbation totale tout au long du cut. Ils vont au bout de leur dévoiement et c’est admirable de non-respect. Avec «Love Ordeal», ils martèlent le beat sans se préoccuper du qu’en-dira-t-on. Ils jouent ce qu’ils ont toujours joué, le sonic trash expansif. On note l’extraordinaire énergie de leur cohérence. On les sent investis dans leur mission, même dans des balladifs comme «Hold On To Your Soul» et «Jesus Christ». Ça repart de plus belle en B avec un «Half Past High» martelé au big beat sans rémission. Ils chantent à plusieurs voix et restent solidement implantés sur leur terre d’élection. David Shannon n’en finit plus de passer des solos d’exception. «Whyenhow» se situe au même niveau d’excellence, tout se tient, tout se lie dans un sonic hell soigneusement entretenu et ce démon de David Shannon n’en finit plus de multiplier les incursions divinatoires. Il est constamment en roue libre. Les mighty Slicks restent dans la fragrance de la latence avec l’extraordinaire «Current Reflexion». Et ils bouclent ce fastueux festin avec «Apocalypse» - Where you gonne be/ For the apocalypse - C’est trashé à souhait et joué dans le move d’une mélodie crépusculaire. David Shannon n’en finit plus d’émerveiller. Ce disque pourrait bien figurer parmi les très grands disques du XXIe siècle.

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             Voici le petit frère de Grape : Live Vol. 2 2010. On y retrouve une violente reprise de «Used Delusions» tapée au bon beat. Dommage que Mick Collins ne soit pas de la partie. Live, les Slicks impressionnent encore plus car on entend David jouer en filigrane de gras. Mais globalement, ça reste un énorme gargarisme punkoïde. Ils tapent ensuite une belle version de «Possession» (qu’on trouve sur Whiskey). Pur jus de Slicky motion, Dana martèle bien le beat et David joue la pire note à note de désaille qu’on ait vu de ce côté-ci du no man’s land. Ils ramènent des chœurs de cathédrale et l’ami David d’amuse à partir en vrille de dingue. Tout cela relève de la clameur. Ils attaquent la B avec le fabuleux ramshakle de «Stop Breeding». Ils n’en peuvent plus. C’est chanté à la pire désespérance, ils vont loin, au-delà du permissible, c’est de l’ultimate à la tomate, de la patate de non-retour, les Slicks sont les champions du monde, mais tout le monde s’en bat l’œil. On tombe plus loin sur une version fatidique de «Murder» que David vrille dans le sens du poil et ça joue à la désaille extrême.

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             Our Food Is Chaos propose les fameuses Allen Paulino Sessions qui datent de 1989. Alpo était l’Alpo des Real Kids et là, il joue de la basse avec les Slicks. On trouve de sacrément bonnes choses dans cette session, à commencer par «Dark Night», une vraie stoogerie bien coulée sur la descente d’accords. Ils font aussi une version littéralement crampsy de «Please Give Me Something». Et on se régale de la bassline d’Alpo, toute secouée de divines congestions. Autre merveille : une reprise de «Rollercoaster», admirable de heavyness et le côté cro-magnon amène vraiment de l’énergie à cette version sinistrée.

             Of course, this one is for Lo’ Spider.

    Signé : Cazengler, Cythère Sick

    Cheater Slicks. On Your Knees. Gawdawful Records 1989

    Cheater Slicks. Destination Lonely. Dog Meat 1991

    Cheater Slicks. Whiskey. In The Red Recordings 1993

    Cheater Slicks. Don’t Like You. In The Red Recordings 1995

    Cheater Slicks. Forgive Thee. In The Red Recordings 1997

    Cheater Slicks. Skidmarks. Crypt Records 1998

    Cheater Slicks. Refried Dreams. In The Red Recordings 1999

    Cheater Slicks. Yer Last Record. Secret Keeper Records 2002

    Cheater Slicks. Bats In The Dead Ttrees. Lost Treasures Of The Underworld Records 2009

    Cheater Slicks. Guttural (Live Vol. 1 2010). Columbus Discount Records 2011

    Cheater Slicks. Our Food Is Chaos. The Allen Paulino Sessions. Almost Ready Records 2012

    Cheater Slicks. Reality Is A Grape. Columbus Discount Records 2012

    Cheater Slicks. Live Vol. 2 2010. Columbus Discount Records 2012

     

     

    L’avenir du rock

    - Have you seen the little Pixies crawling in the dirt ?

    (Part Two)

     

                Comme il aime bien les gros, l’avenir du rock mange des gâteaux à la crème. Une façon comme une autre de leur rendre hommage. C’est dingue ce qu’il peut les aimer, tous ces gros lards qui ventripotent depuis cinquante ans dans les canards de rock. Quand il a su que Leslie West bouffait cinquante dounuts à la crème au beurre par jour, il est allé chez le boulanger de la rue Saint-Jean acheter un gros sac de donuts pour écouter «Blood Of The Sun» dans les conditions idéales, c’est-à-dire avec de la crème qui coule sur le shetland et les doigts qui collent. Quand il a appris que Crocus Behemoth pétait sur scène en l’honneur de Père Ubu, alors l’avenir du rock a fait réchauffer une très grosse boîte de pois chiches en sauce pour s’entraîner à péter sur fond de «Final Solution» - The girls won’t touch me/ Cause I got a misdirection/ Prout prout - L’avenir du rock sait que si on ne fait les choses qu’à moitié, ça ne marche pas. Il faut les faire pour de vrai, pas pour de faux. Tiens, et puis Buddy Miles ! Pour ça il est obligé d’aller au MacDo, ce dont il a horreur, mais s’il veut écouter «Them Changes» dans de bonnes conditions, il doit engloutir six triple big macs d’affilée avec une grande bouteille de coca-cola, et interdiction de dégueuler, même si c’est à cause de ses vieux réflexes d’anti-américanisme primaire. Il préfère nettement s’exploser la panse sur les hits magiques de Fatsy en cuisinant de grandes casseroles de pieds de cochon en sauce piquante, comme le faisait Fatsy dans sa chambre d’hôtel lorsqu’il était en tournée. Étant donné que Fatsy invitait ses musiciens à béqueter ses pieds de cochon, l’avenir du rock invite ses voisins, qui, en plus, aiment bien entendre «Walking To New Orleans» et «Blueberry Hill», des hits qui leur rappellent leur lointaine jeunesse. Le plus grand fantasme de l’avenir du rock est à peine avouable. Bon tant pis, on y va : il n’a toujours rêvé que d’une seule chose : récupérer la baignoire remplie de haricots en sauce qu’on voit sur la pochette de The Who Sell Out, virer bien sûr cette gueule d’empeigne de Daltrey pour le remplacer par Mama Cass, une Mama Cass à poil, avec ses mamelles et ses bourrelets qui flic-floquent dans la bouillasse un peu sucrée, l’occasion rêvée de donner libre cours à toutes les fantaisies libidinales, d’autant plus sûrement qu’on savait Mama Cass experte en la matière. Pire encore, l’avenir du rock a récupéré la table de Beggars Banquet et il attend son invité, le héros des temps modernes, le rabelaisien Frank Black, et ils vont ensemble taper dans les cochonailles du Rouergue, les brunoises d’asperges vertes, les viandes blanches et rouges, les aiguillettes de canard en compotées, les pâtés en croûte, les miches et les tomes, les pattes de fruits et les mousses à la cannelle, tout cela bien sûr en hommage à Marco Ferreri et à sa Grande Bouffe

     

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             Tu ne verras pas beaucoup d’artistes du calibre de Frank Black dans ta vie. Oh tu as peut-être pu voir ces grands dévoreurs saturniens que sont Jaz Coleman, Ian Astbury ou Iggy Pop, ou encore ces immenses chanteurs que sont Lanegan, Greg Dulli, Chris Bailey, Jerry Lee ou Lee Fields, mais aucun d’eux n’a jamais atteint ou n’atteindra jamais la démesure d’un screamer comme Frank Black. Le scream apoplectique du gros est resté le même que celui de ses débuts, quand, à l’Olympia, il allait se positionner sous son micro pour hurler son De-baser comme un goret. La musique du gros, c’est d’abord ça, une certaine idée de la folie qu’on appelle aussi la démesure. Et il met cette démesure au service de chansons dont la modernité, trente ans après, coupe toujours le souffle. Tu ne sais pas pourquoi il te parle du chien andalousia dans «Debaser», mais il est là, bien là, le chien andalousia, et à la suite, tu as le scream le plus dévolu de l’histoire du rock. Tu l’as aussi dans «Wave Of Mutilation», et dans «Gouge Away», tous ces vieux hits qui ne prennent pas une ride.

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             Le problème avec les Pixies - tout au moins en France - c’est qu’on les a enfermés (avec les Mary Chain) dans un bocal qui porte l’étiquette «rock indé», et ça reste l’une des pires façons de voir le rock, alors qu’outre-Manche, les Pixies ont toujours fait partie - avec les Screaming Trees - des rares groupes de rock américains encensés par la presse rock anglaise. Les Anglais savent reconnaître ce qui est bon. Choisis ton camps camarade : tu avais le choix entre le NME, Sounds et le Melody Maker d’un côté, Rock&Folk et Best de l’autre, et le choix était vite fait. Le rock est une chose très sérieuse qui ne devrait pas tomber aux pattes des amateurs. En France, la presse rock catalogue, et les Pixies qui sont l’un des meilleurs groupes de l’histoire du rock se sont retrouvés catalogués «rock indé». Le plus drôle, c’est que tu ne vois pas les mêmes gens au concert de Jim Jones et au concert des Pixies. Alors qu’il s’agit exactement de la même chose : un pur concert de rock. Les Pixies ont une dimension artistique qui leur permet de transgresser les genres. Ça se sent quand tu te retrouves aux pieds du gros. Il chante pas loin de deux heures, comme il l’a toujours fait, et comme Chuck Berry, il fonctionne comme un juke-box à roulettes, parce qu’il n’a que des hits, et ce sont des hits sortis de sa cervelle infestée de rock’n’roll, et dis-toi qu’elle l’est depuis sa plus tendre enfance. Il fait rarement des reprises, mais quand il tape dans l’«Head On» des Mary Chain, il en fait du gros Black, et à une autre époque, sa cover nous fascinait tant qu’on s’est crus autorisés à la reprendre, parce qu’on avait le chanteur qui nous permettait ce luxe inouï. Mais l’autre soir, en voyant le gros l’attaquer et la monter en neige, on comprenait bien que nous ne pouvions pas aller aussi loin que lui, lorsqu’il bascule dans l’insanité - And I’m taking myself/ To the dirty part of town/ Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found - car c’est là que ça se joue, dans le tourbillon fatal du dirty part of town, dans la chute fracassante et la remontée vers la lumière qu’induit le motif de guitare imaginé par William Reid et transgressé par Joey Santiago. Là, tu comprends, tu n’es plus dans le «rock indé», tu es au cœur ardent du mythe. Le «Head On» des Pixies, c’est exactement la même chose que «Gimme Shelter», «You’re Gonna Miss Me», «Looking At You», «Bird Doggin’», «Purple Haze» ou «Great Balls Of Fire», une sorte de petite apothéose passagère et définitive à la fois.

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             Alors tu le vois arriver sur scène. Première chose, il a perdu du poids. Il est beaucoup moins rond qu’avant, même du visage. Il a maintenant une tête de fœtus, surtout avec cette manie qui a de fermer les yeux en permanence, comme s’il était aveugle. Le peu de fois où il ouvre les yeux, c’est pour regarder le public d’une manière un peu étrange. On est obligé de mettre ça sur le compte de la timidité. On apprend en outre très vite que les photos sont interdites, alors avec l’habitude, on se débrouille pour en faire quand même. Il porte un T-shirt noir à col en V et un jean noir délavé assez moulant, qui met en valeur l’étrange architecture boudinée de ses petites jambes. Du coup, le gros passe du stade de boule de suif à celui de créature dadaïste, ce qui lui va comme un gant. Et dans les pattes, la sempiternelle Tele, avec un son d’une incroyable agressivité. On croit toujours que les cuts des Pixies sont complexes, mais quand on le voit passer ses accords, on voit que les structures sont extrêmement simples, il passe ses accords avec une lenteur spéciale, et il les plaque de ses petits boudinés, parfois de trois doigts, parfois des quatre. Il exerce en tant qu’artiste une fascination de chaque seconde. Rien dans ce qu’il fait n’est ordinaire. Il jette rarement un coup d’œil à sa main gauche, tout ce qu’il joue et bien sûr tout ce qu’il chante est intériorisé à l’extrême. Ses filets mélodiques remontent en lui comme des sources, il est dans cette prodigieuse intelligence du rock qui fait la différence avec le troupeau bêlant d’Épicure. Il est aussi pur mélodiste que le fut John Lennon, c’est la raison pour laquelle les chansons de ces deux mecs-là entrent si facilement dans l’inconscient collectif. On se surprend parfois à fredonner «Caribou» ou «Velouria», parce que ces airs si purs sont installés dans l’inconscient, comme le sont depuis longtemps «Strawberry Fields Forever» et «Penny Lane». Et de voir le gros chanter «Caribou» sur scène est une sorte de don du ciel, car c’est une chanson ancienne dont il pourrait finir par se lasser, mais non, il module son cariboooo avec une passion ardente, le visage perlé de sueur. Le gros en action, c’est l’incarnation du vif argent, c’est l’intensité à deux pattes, un fantasme béni des dieux du rock, l’un des vrais génies du monde moderne, il est fantastiquement vivace et certainement aussi littéraire que son idole Bob Dylan. Bizarrement, le public n’a pas l’air de connaître les textes. Lors du concert des Stooges au Zénith de la Villette, tous les gens des premiers rangs reprenaient les paroles en chœur avec Iggy. Là c’est autre chose. Quand le gros pique sa rituelle crise de hardcore, ça pogote sur la barrière et il faut jouer des coudes pour essayer de rester concentré sur le concert. Pas simple.

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             Ils font une set-list à la volée. Le gros dispose d’une grande set-list plastifiée posée sur l’estrade de batterie et éclairée par une petite lampe basse tension, il choisit un titre et l’annonce dans un micro de service relié aux oreillettes des autres. Parfois, il n’annonce rien, mais les autres savent tout de suite entrer dans la danse. C’est l’apanage des grands groupes, c’est-à-dire ceux qui n’ont fait que des grands albums et qui ont un bon historique, c’est-à-dire zéro compromission.

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    Parfois, c’est Paz Lenchantin qui lance un cut sur le riff de basse, comme elle le fait avec «Gigantic». Elle est marrante, la petite Paz, en jupe plissée et en chemisier à jabot, elle fait un contrepoint idéal à la présence faramineuse du gros, elle semble prendre plaisir à jouer des drives de basse qui sont eux aussi d’une simplicité enfantine. Tu crois qu’«Here Comes Your Man» est un truc tarabiscoté, mais non, c’est joué sur quelques accords bien senti, le swing vient du chant et des fantaisies vocales du gros, avec bien sûr les chœurs délicieux. L’autre contrepoint, c’est bien sûr Joey Santiago qui passe son temps à grimacer, comme s’il se demandait où était passé le gros avec ses accords. Santiago est resté le même, avec son pif écrasé de boxeur, il ne joue que sur des Les Paul en or et cultive l’art des stridences excédentaires. C’est un fabuleux expérimentateur sonique, le contrepoint idéal pour un géant punitif comme le gros.

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             Ils ne jouent qu’un seul cut en rappel, pour remercier le public, le fameux «Bone Machine» qui remonte aux années quatre-vingt, toujours aussi tordu et irrépressible. Le gros est l’un des seuls qui sache faire passer en force un cut mélodiquement biscornu, mais il le malaxe si joliment que ça devient une œuvre d’art moderne. À leur façon, les Pixies sont un groupe Dada, le chien andalousia n’est pas là par hasard. Et tu ne peux pas faire plus Dada que «Where Is My Mind?» - Where is my mind/ Way out in the water/ See it swimming - ou pire encore, ce «U-Mass» qu’ils jouent longtemps à vide sur l’accord avant de partir en vrille de Mass et de basculer dans l’exaction extrême - Oh don’t be shy/ Oh kiss me cunt/ Oh kiss me cock/ Oh kiss the world/ Oh kiss the sky/ Oh kiss my ass/ Oh let it rock - Le gros n’en perd pas une miette et nous non plus d’ailleurs. Et on le revoit plonger dans un abîme de scream épouvantable, il est le plus beau screamer qui se puisse imaginer sur cette terre. Le scream le transfigure, il passe de l’état de laideur relative à celui de beauté iconique, il dégage une odeur de sainteté, son visage perlé de sueur renvoie à tout ce fatras iconique de la sanctification, du dépassement qu’induit (théoriquement) l’état de martyre. Le gros ne te lave pas de tous tes péchés, mais pendant deux heures, il te fait oublier le monde pourri qui t’entoure. Le rock ne sert qu’à ça. Depuis le début, il n’a toujours servi qu’à ça.

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    Singé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Le 106. Rouen (76). Le 23 juin 2022

     

     Inside the goldmine - Paley royal

     

             De tous les géants de la carambouille, Didi était le plus grand. Rien à voir avec les mecs de la Porte de Clignancourt ou ceux de Barbès. Avec Didi, tout était simple. Tu lui demandais n’importe quoi, une plaquette de shit afghan, un faux passeport, un disque des Amboy Dukes, une fiole de poudre de corne de rhino, il te répondait : «Okay ! Demain midi !». Tu lui aurais demandé un flingue, ça ne lui posait aucun problème. Il demandait toujours 50 % à la commande, en cash. Ou en marchandise, mais c’est lui qui évaluait. Il connaissait la valeur des bijoux. Il n’avait jamais besoin de calculette, il comptait comme on compte en Asie, avec une agilité mentale qui laisse toujours penser que ça cache une arnaque. Il tenait toujours sa parole, il savait que sa réputation reposait entièrement sur sa fiabilité. Il mettait un point d’honneur à ne jamais décevoir l’un de ses clients. Son petit sourire en coin laissait penser qu’il faisait de sa virtuosité une sorte de jeu. On pouvait voir Didi comme un enfant enfermé dans le corps d’un jeune homme. Sous une mèche de cheveux noirs de jais dardait un regard incroyablement direct et quand il souriait, son visage semblait irradier. Il inspirait une sorte de fascination, car ce mélange de roublardise et de candeur n’était pas commun, surtout dans ce monde interlope fréquenté par tous les aventuriers et les trafiquants que l’on peut bien imaginer. Il parlait plusieurs langues, ce qui épaississait encore le mystère de ses origines. On le voyait de loin en loin, chaque fois qu’on cherchait quelque chose de spécial. On savait où le trouver, au rez-de-chaussée d’un vieux bâtiment, il suffisait de taper à la porte et s’il était là, il ouvrait pour répondre, avec cet incroyable sourire. Et puis un jour, il demanda un service en échange d’une commande. Stupéfaction ! Besoin d’une planque pour deux mois, le temps que les choses se tassent. Un deal qui a mal tourné, disait-il sans rentrer dans les détails. Pas de problème. Il vint se planquer à la maison. Nous passions les soirées à fumer de l’herbe et il commença doucement à parler de son enfance, là-bas au Cambodge. Père américain pilote d’hélico abattu au-dessus de la frontière. Mère cambodgienne exécutée par les troupes de libération. Didi petit, en plein dans Apocalypse Now. Capturé par des guerilleros alors qu’il s’enfuyait dans la jungle. Attaché à un arbre, torse nu et cisaillé en quinconce à la machette sur toute la hauteur du torse. Traits croisés à 45°. Cinq d’un côté, cinq de l’autre. Une œuvre d’art. Laissé pour mort. Il souleva son T-shirt pour montrer cette épouvantable cicatrice. Chaque balafre mesurait deux centimètres de large. Il souriait.  

     

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             Pendant qu’on charcutait Didi au Cambodge, Andy grandissait peinard à Boston. Ils n’ont pas que le Di en commun, ils ont aussi des physiques extrêmement avantageux et des profils d’aventuriers extrêmement pointus. Tu es ravi d’avoir pu croiser dans ta vie des gens comme Andy et Didi.

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             Andy Paley et son frère Jonathan forment les Paley Brothers au début des années 70. Le boss de Sire Records Seymour Stein les découvre en 1975, via une démo. Il écoute et trouve ça bien, real pop, bordering on bubblegum. À ses yeux, ça frise le Brill, lots of two-parts harmony, great hooks. Stein les voit jouer dans un bar de Boston et décide de les signer sur Sire, en même temps que les Ramones, Richard Hell, les Talking Heads et les Dead Boys. Andy et son frère Jonathan vont travailler avec les meilleurs producteurs de l’époque, Jimmy Iovine, Earle Mankey et Phil Spector.

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             The Paley Brothers paraît en 1978. Andy et Jonathan sont tellement fans des Beach Boys qu’ils demandent à Earle Mankey de produire leur album au Brother Studio des Beach Boys. Pourquoi Mankey ? Parce qu’il a déjà produit au même endroit l’album Beach Boys Love You. Dès «You’re The Best», ils font l’unanimité parmi les oreilles. Ils mélangent leur adoration pour les Beach Boys avec leur énergie bostonienne. Mais la dominante chez eux reste la power-pop. Ils renouent avec le Beach Boys craze dans «Turn The Tide». Ils délivrent ici un shoot paranormal de sunny groove et d’entrain d’allant suprême. Si tu aimes la grande pop américaine, elle est là, dans «Turn The Tide». Ils font une reprise du «Down The Line» de Buddy Holly & Bob Montgomery assez musclée. On y croise même un solo en dérapage contrôlé. On retrouve bien sûr tout l’album dans la compile The Complete Recordings parue en 2013. Si on veut faire le tour du propriétaire, cette compile est un passage obligé. Les inédits sont tous plus spectaculaires les uns que les autres. Stein a sorti des archives et on en prend plein les mirettes. Tiens, par exemple avec ce «Meet The Invisible Man» enregistré en 1979 en Californie. C’est encore plus dingue que les Beach Boys, comme si c’était possible. L’Invisible Man sonne comme un sunny hit qui relève d’une certaine inexorabilité des choses. C’est claqué à l’arpège salvateur. Et dire que ces merveilles sont restées inédites ! Encore du Beach Boys Sound avec «Boomerang». Brian Wilson chante derrière. Fabuleux et explosif. Sabré au killer solo flash. C’est littéralement bardé de guitares, les retours de chœurs sont exactement les mêmes que ceux des Beach Boys. On tombe ensuite sur un «Felicia» enregistré live au Madison Square garden. Ces mecs sont extrêmement aguerris. Ils enregistrent «Running In The Rain» chez Ardent à Memphis. Serait-ce un clin d’œil à Big Star ? Va savoir ! Ils enregistrent aussi le vieux «Come On Let’s Go» de Ritchie Valens avec les Ramones, one two three four, Earle Mankey produit, ils foncent tous dans le mur, mais pas n’importe quel mur : le Beach Boys Wall of Sound. C’est exactement la même énergie. Nouveau coup de Jarnac avec «Spring Fever» puis voilà enfin le coup de génie : «Jacques Cousteau». Les frères Paley tapent une fois encore dans la mad frenzy des Beach Boys - Jack Jack/ Jack Cousteau - merveilleux délire - L’Atlantic c’est fantastic/ le Pacific c’est terrific - Il faut encore signaler la présence d’une pépite : «Theme From Fireball XL-5», assez poppy mais bien vu, in my imagination - My heart will be a fireball/ And you’ll be my Venus of the stars.

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             Sur The Complete Recordings, on peut surtout entendre le «Baby Let’s Stick Together» produit par Phil Spector au Gold Star de Los Angeles. Les Ramones allaient enregistrer End Of The Century aussitôt après. Ce «Baby Let’s Stick Together» est du pur Beach Boys power. Gene Sculatti raconte que Phil Spector appela Andy Paley en pleine nuit pour lui proposer une session d’enregistrement à Los Angeles. Ils envisageaient d’ouvrir le bal de leur deuxième album avec cette merveille, mais il n’y eut pas de deuxième album. Andy Paley ne s’en formalisa pas. Il joua un peu avec le Patti Smith Group et développa un goût pour la production.

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             Bon, les Paley Brothers, c’est bien gentil, mais Andy Paley n’en était pas à son coup d’essai. Il avait déjà enregistré un album avec les Sidewinders, un quintet de Boston qui aurait dû exploser en 1972 avec son album sans titre. On connaissait son existence grâce à Creem. Belle pochette, on les voit photographiés tous les cinq dans un salon du Chelsea Hotel. Dès «Bad Dreams», on sent une petite pop allègre et bien entreprenante. Ces mecs visent le clair de pop, comme les Nerves vont le faire un peu plus tard. Le lead guitar Eric Rosenberg sort un son agile et fiévreux. Le hit de l’album s’appelle «Told You So». Ce shoot de Stonesy nous renvoie à Exile. On sent bien qu’ils tentent le big hit avec ce joli coup de Soul pop qui renvoie aussi aux Box Tops. Avec «Moonshine», ils se livrent au petit jeu du balladif paradisiaque. Ils s’y sentent bien, alors nous aussi. Eric Rosenberg se tape une fois encore la part du lion avec sa dentelle de Calais. Bizarrement on les voit aussi jouer du garage surf («The Bumble Bee»). Alors et la B ? Oh pas de quoi casser trois pattes à un canard. «O Miss Mary» vaut pour un petit slab de pop énervée. Ils jouent ça à l’échevelée avec une bassline effervescente et un Rosenberg parti à vau-l’eau. La belle pop de «Got You Down» fait dresser l’oreille, mais il manque l’étincelle. Voilà un cut typique de cette époque où on aimait cavaler sans réfléchir. On trouve plus loin un autre petit slab de power pop qui s’appelle «Reputation». Même s’il se veut bien énervé, ça n’en fait pas un hit pour autant.

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             En 1985, Andy Paley produit Rockin’ And Romance, un album léger de Jonathan Richman & The Modern Lovers. Ça se passe entre Bostoniens et comme toujours avec Jojo, c’est bon esprit et bien chanté, avec quelques pitreries à roulettes comme «Down In Bermuda». Jojo y rivalise de désinvolture avec Kevin Ayers, c’est dire s’il est balèze. Comme il dispose d’une vraie voix, il rafle tous les suffrages. On se fait tous avoir. Il nous branche plus loin sur la souffrance de Van Gogh - Have you heard about the pain of Vincent Van Gogh ? - puis refait son Modern Lover avec «Walter Johnson», à la croisée du laid-back et du doo-wop. Andy Paley passe un solo de batterie pasticheur dans «I’m Just Beginning To Live». Jojo s’amuse comme un gamin, Ok let’s rock ! Pas étonnant qu’il devienne culte. Il crée une sorte de rockalama bon enfant.

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             L’année suivante, Andy Paley produit It’s Time For. On reste dans le Jojo Fricotin, avec Bibi et ses vieux hits de juke de type «Let’s Take A Trip». Andy Paley amène un son extrêmement intéressant, il veille à préserver l’ambiance du studio. Dès l’«It’s You» d’ouverture de bal, ça sent bon le Paley royal. Grosse d’ambiance, tout le monde gratte des grattes et chante en chœur. Ils sortent les guitares électriques pour «Yo Jo Jo». Jojo a de la jugeote. Même s’il fait tout pour se déconsidérer, il faut le prendre très au sérieux, au moins autant que Lou Reed. Il tente de se faire passer pour le raté de service, mais la moindre de ses chansonnettes tape dans le mille. Avec «Double Chocolate Malted», il vend les charmes d’une glace au chocolat et derrière les mecs font yeah yeah yeah. Comment résister à ça ? Impossible. Il a tellement de talent qu’il se permet n’importe quel délire, même celui de «Desert». Mais Jojo est trop bon enfant pour le dandysme.

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             Dix ans plus tard, Andy Paley produit un troisième album pour Jonathan Richman : Surrender To Jonathan. Pochette délicieuse : l’ex-Modern Lover s’y déguise en pirate. Jojo, c’est un peu l’équivalent américain de Kevin Ayers : une vraie voix et un goût prononcé pour le balladif magique. Le problème avec Jojo est qu’il a souvent fait de la petite pop aigrelette et même du balloche. Des mecs vont dire : «Ah c’est culte !». Oui, c’est aussi culte que le cul de ta voisine. Sur cet album tout est très simple. Jojo n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il drive sa pop bon enfant à la petite semaine et Andy-Oh-Andy adore ça. Pas de son dans «Surrender», il n’y a que la voix de Jojo. Il fait encore son cirque dans «I Was Dancing In The Lesbian Bar». A-t-il vraiment besoin d’un mec comme Andy-Oh-Andy derrière ? On retrouve la vieille tarte à la crème d’«Egyptian Reggae». Et puis voilà le Jojo tant espéré avec «When She Kisses Me», une belle pop qu’il allume à coups de yeah yeah et qui émerveille pour de vrai. Il amène encore de la pop énorme avec «Satisfy». Il faut bien dire que ce genre d’album est très spécial. On l’écoute par sympathie, mais ça ne va pas plus loin. Jojo fait son business comme tout le monde. Et comme il dispose d’une vraie voix, ça facilite les choses. Il termine cet album profondément Jojotique avec «Floatin’». Il finit par imposer sa présence. Il fait quand même partie des grands chanteurs américains.

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             En 1989, Andy-Oh-Andy produit le Wild Weekend de NRBQ. On retrouve bien sûr le bassmatic de Joey Spampitano dans le morceau titre, juste derrière la cocotte d’Al Anderson. Ces mecs sont assez carrés. Andy-Oh-Andy vieille à monter la basse dans le mix. Mais le son de l’album est globalement trop propre. La pop de «Fireworks» n’est pas bonne, elle est trop passe-partout avec hélas de faux accents de Costello. On voit «Bozoo That’s Who» virer Cajun grâce à un accordéon et c’est en B qu’on trouve un peu de viande, avec notamment «Fraction Of Action». Ils renouent là avec le hard drive auquel ils nous avaient habitués. C’est un fantastique shoot de tension hérissé de gimmicks de basse. Ils terminent en fanfare avec «Like A Locomotive». L’excellence de ce groove ferroviaire leur sauve la mise. C’est habilement mené, bien arrondi par Spampi, ce crack du bassmatic que voulait embaucher Keith Richards.

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             Grâce à Seymour Stein, Andy-Oh-Andy peut travailler en 1988 avec son idole : Brian Wilson. Sur la pochette de Brian Wilson paru en 1988, Brian Wilson paraît soucieux. Il ne devrait pas s’inquiéter car Andy-Oh-Andy veille au bon grain de l’ivraie, notamment en B, avec un «Let It Shine» co-écrit avec Jeff Lyne. Forcément pop, forcément what you be - There come a burning fire/ It fills me with desire - Pur pop genius - Your words are magic to my ears - Nous voilà dans l’univers sacré des Beach Boys. Et ça continue avec «Meet Me In My Dreams Tonight», véritable festival de pounding pop, c’est du grand art digne de l’âge d’or de la civilisation de la plage, puissant et gorgé de sunny sound. C’est avec «Rio Grande» que Brian Wilson renoue avec ce qui le caractérise le mieux : le génie composital. Il va recréer sous nos yeux globuleux l’émotion de son California Saga (Holland) avec ce Cherokee trail/ I’m ridin’ all alone et il fait souffler des vents de Chimes, alors on plonge dans l’overflow de magie wilsonienne, whaooo yeah yeah yeah - I want the river to take me home/ Can’t ride the river no more all alone - Et ça explose au nez de la Saga d’éternité, ce mec crée de la magie all along, depuis le début de l’histoire du rock. On assiste à la fantastique éclosion du whole wide world. Alors évidemment, l’A paraît bien falote en comparaison, même si la pop de «Love And Mercy» reste parfaite. On retrouve aussi des échos du grand art des Beach Boys dans «Walkin’ The Line». Brian Wilson n’est pas un ré-inventeur, c’est un perpétuateur patenteur. On voit aussi qu’avec «Melt Away», il ne lâche pas sa vieille rampe. Il tartinera vraisemblablement jusqu’à la fin de ses jours. Andy Paley reste fidèle et dedicated. «Baby Let Your Hair Grow Long» est certainement le cut le plus Boyish de l’A, on s’effare de les voir tortiller aussi facilement cette grande pop californienne. 

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             Andy-Oh-Andy aura l’occasion de retravailler avec son idole Brian Wilson sur l’album Gettin’ In Over My Head, paru en 2004. C’est l’album des collaborations. Ça commence assez mal avec Elton John puis ça s’arrange avec Carl Wilson dans «Soul Searchin’», pur jus de Beachy Sound. Ils n’en finissent plus de rallumer leur vieux flambeau et un solo de sax vient resplendir dans l’embrasement du crépuscule. Le hit de l’album c’est bien sûr «Desert Drive», avec Andy Paley qui ramène la brebis Brian Wilson dans le droit chemin - We’re gonna have some fun - C’est infesté de c’mon effervescents. Andy intervient une fois encore dans «Saturday Morning In The City» et sur le morceau titre. Ils tournent pas mal autour du pot et tentent de recréer la magie des jours anciens, mais ce n’est pas si simple. Brian Wilson manque de conviction. Il prend «You’ve Touched Me» par-dessus la jambe et le chante à l’édentée. On croise d’autres invités sur l’album, comme Paul McCartney, mais il ne se passe rien de plus que ce qu’on sait déjà.

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             Après Brian Wilson, l’autre grand coup d’Andy-Oh-Andy, c’est Jerry Lee Lewis. Comment va-t-on pouvoir célébrer la grandeur d’un album comme Young Blood ? Jerr refait surface après dix ans de silence. Il a soixante balais. Il pose au bord du lac, assis en smoking dans une banquette rococo. Beat that ! Pas possible. Pas non plus possible de beater le cut d’ouverture de bal, «I’ll Never Get Out Of This World Alive». Il a raison, ni Jerr ni personne ne quittera ce monde vivant, mais quand c’est dit par un cat comme Jerr, ça change tout. Alors faut-il célébrer le génie de Jerr, ou celui d’Andy Paley qui produit cet album qu’il faut bien compter parmi les plus grands disques de l’histoire du rock ? Oui, Jerr chante, mais il a du son et c’est autre chose que le son de Jerry Kennedy à Nashville. Andy-Oh-Andy amène de l’eau au moulin de Jerr, c’est-à-dire le Memphis Beat original. Il faut dire qu’Andy Paley a fait ses preuves avec Brian Wilson et Jonathan Richman. Il n’y a pas plus de hasard sur le crâne de Mathieu qu’il n’y a de cheveu dans ta philosophie, Horatio. Rappelons l’équation fondamentale : une vraie voix + une bonne chanson + une prod de crack = un hit éternel. Des choses comme «River Deep Mountain High», «MacArthur Park» ou encore «California Girls» en sont le résultat, et il en existe beaucoup d’autres, si l’on sort les noms de Mickie Most, de Chips Moman, d’Uncle Sam ou encore de Shel Talmy. Il faut désormais ajouter «I’ll Never Get Out Of This World Alive» à ce palmarès. Jerr chevauche à la cravache, il rue comme un dieu, et voilà qu’arrive un solo d’éclat magique, alors ça grimpe directement au pinacle. Il est fort probable qu’on entende Joey Spampitano au bassmatic. Andy-Oh-Andy le connaît bien car il a produit l’un des albums de NRBQ (Wild Weekend). Font aussi partie de l’aventure James Burton et Kenny Lovelace. Andy-Oh-Andy n’a qu’une idée en tête : renouer avec le Memphis Beat des origines, celui d’Uncle Sam. Et ça marche ! Il y a encore pire à venir, et il faut y être préparé, car le génie peut frapper comme la foudre, ce qui va être le cas avec «Miss The Mississippi & You» - I’m growing tired of these big city lights - Jerr veut rentrer au pays, alors il se laisse aller en éclatant son piano bar et remonte le courant mélodique comme un saumon shakespearien. Il chante à la plus belle revoyure d’Amérique. Il pousse même une tyrolienne qui va faire le tour du monde. C’est l’une des plus belles chansons de tous les temps. Au passage, il pond deux hits de juke : «Goosebumps» et «Crown Victoria Custom 51». Il les bouffe tout crus, c’est une manie, yeah ! Il claque le cul de son boogie et déverse sur son clavier une rivière de diamants, juste pour montrer comment on finit un cut en beauté. C’est au heavy rumble de Memphis qu’il amène son Crown Victoria, rrrrrrrrrrrr, Jerr est sur le coup. Ça donne une deep merveille de deep rumble, Jerr fracasse son clavier comme le dentier d’un yank qui lui manque de respect et comme si cela ne suffisait pas, un solo rattlesnake croise son chemin à la furia del sol. Jerr sort du ring une nouvelle fois invaincu, sous les acclamations. Oh il faut aussi l’entendre éclater «Thang» au slang de sling, Southern class, baby, yeah, il faut entendre ce diable de Jerr tarauder le mur du son rien qu’avec son accent perçant. On ne remerciera jamais assez Andy Paley d’avoir réussi à ressusciter le Killer, comme Chips avait su ressusciter le King en lui proposant «Suspicious Minds». On voit aussi Jerr driver le morceau titre à la poigne d’acier. Il drive son cut comme s’il drivait un Apaloosa sauvage. Hang on ! Chez lui, tout n’est que dévotion à l’art suprême qui est celui de la culbute. Baiser une chanson pour la faire jouir, c’est la même chose que de baiser un cul de Southern bitch. Il boucle son cut à coups de mercy. Existe-t-il un shouter plus sexuel que Jerr ? Non. Il rend plus loin hommage à Huey Piano Smith avec une belle cover d’«High Blood Pressure». Jerr vénère Huey. Il le joue au piano de bastringue et ça tourne à la révélation spirituelle. Ah si Bernadette pouvait voir ça ! Jerr écrase son honey on your mind et pianote dans le vent d’Ouest, la crinière en feu. Sacré Jerr, il n’en finira plus de semer le vent pour récolter la tempête. Il se tape encore un joli coup de shake avec «Gotta Travel On». Cet homme sait embarquer une farandole. C’est fouetté à la racine des dents. Quel son ! Le bassmatic qu’on entend rouler sous la peau de «Down The Road A Piece» ne peut être que celui de Joey Spampitano, tellement ça groove.

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             En 1984, le Paley royal monte Between Meals avec quelques amis, dont Jad Fair et Maureen Tucker. On sait donc à quoi s’attendre en posant I Just Knocked Over A Cup Of Coffee sur la platine : de l’inconoclastic et du dada dodu. Du bien barré et du sans espoir pour la soif. Ils font donc une version trash-punko-déconstructiviste de «Matchbox». Ils jouent vraiment comme des brêles et c’est bien ce qui fait le charme du Between Meals. On assiste dans «Sink Or Swim» à une admirable désorganisation de l’ensemble. Et puis avec «What’d I Say», ils se rapprochent du Velvet, on croit entendre le violon grinçant de John Cale. Étonnant mélange de dada et de Velvet. Appelons ça une fantastique réussite artistique, si vous le voulez bien. La B est en fait beaucoup plus intéressante, on y entend Moe Tucker battre «How Will I Know» à la ramasse habituelle et on assiste à la belle déroute de «Route 66». Ils s’amusent comme des gamins, ça finit par devenir excellent.

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             Parmi les groupes que produit le Paley royal pour Sire, on trouve aussi John Wesley Harding. The Name Above The Title date de 1991. Autant le dire tout de suite, c’est de la petite pop à la Costello. Quand on n’aime pas Costello, c’est comme qui dirait baisé d’avance. En tous les cas, c’est très produit, très Sire-moi les pompes. La B est un peu plus ragoûtante, car on entend les Paley Brothers faire des harmonies vocales sur deux ou trois cuts comme «The Person You Are». Andy-Oh-Andy joue de l’harmo sur «Backing Out» et ils font une belle cover d’un classique de Roky Erickson, «If You Have Ghosts».

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             Dans ses mémoires, Siren Song - My Life In Music, Seymour Stein avoue qu’ Andy Paley fut l’un de ses grands espoirs. Mais ça n’a pas marché, en dépit de moyens considérables : «L’une de mes plus grosses déceptions fut de ne pas voir percer les Paley Brothers pour lesquels j’avais engagé Phil Spector.» Quand Stein rencontre Andy Paley pour causer production, Andy propose le nom de Jimmy Iovine, un protégé d’Ellie Greenwich qui avait travaillé avec Phil Spector sur l’album Rock’n’Roll de John Lennon. Et voilà. C’est à peu près tout ce que Stein dit d’Andy. On ne risque pas l’indigestion.

    Signé : Cazengler, Palette de beauf

    Paley Brothers. The Paley Brothers. Sire 1978

    Paley Brothers. The Complete Recordings. Real Gone Music 2013

    Sidewinders. RCA Victor 1972

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rockin’ And Romance. Twin/Tone Records 1985

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. It’s Time For. Upside Records 1986

    Jonathan Richman. Surrender To Jonathan. Vapor Records 1996

    NRBQ. Wild Weekend. Virgin 1989

    Brian Wilson. Brian Wilson. Sire 1988

    Between Meals. I Just Knocked Over A Cup Of Coffee. Indescence Records 1984

    John Wesley Harding. The Name Above The Title. Sire 1991

    Jerry Lee Lewis. Young Blood. Sire 1995

    Brian Wilson. Gettin’in Over My Head.

    Seymour Stein. Siren Song. My Life In Music. St. Martin’s Press 201

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 22

    JUILLET- AOÛT - SEPTEMBRE

     

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     Faudrait mettre un ‘S’ à Génération, au gré des interviewes c’est une histoire du rock ‘n’ roll français que raconte la revue. Cette fois-ci grâce à Jean-Claude Coulonge c’est à l’introduction du rock en notre pays, à la toute première génération des rockers que nous remontons, Coulonge n’est pas un témoin, mais un activiste, un sacré batteur, je ne l’ai entendu qu’une fois en concert, voici une dizaine d’années, ce n’était pas avec les Vinyls, remplaçait au pied levé un musicos absent, vous a filé une sacrée déverrouillée à la grosse caisse, quelques jours auparavant Guillaume des Spunyboys me le citait comme une référence, le genre de gars tout sourire qui vous déclenche le tonnerre de Thor, n’en est pas pour autant sorti de la cuisse de Jupiter, un petit gars mal parti ( je vous rassure bien arrivé ), la polio, les privations de la guerre ( né en 1945 ) la France n’était pas en ces temps-là un pays de cocagne, pas d’électricité, les cabinets au fond du jardin… s’inscrit à la fanfare pour rééduquer son bras estropié, finira batteur, connaîtra le Golf et Johnny que tout le monde appelait Jean-Philippe, je vous laisse découvrir le reste de la saga, je n’en retiendrai qu’un détail qui me touche personnellement, sa participation sur scène avec les Fingers groupe instrumental dont le morceau Spécial blue-jeans servait d’indicatif à l’émission du même nom sur Radio-Andorre… Huit pages passionnantes, et un rocker qui a su tracer son chemin dans sa vie sans renoncer à sa passion…

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    Le retour des Ghost Highway ! Ah, les Ghost, un groupe pas tout à fait comme les autres, c’est un peu grâce à eux et à Burning Dust que la modeste feuille de papier très intermittente qu’était KR’TNT est devenue le blogue hebdomadaire que vous êtes en train de lire, les Burning furent un bon groupe, mais ce n’était que la partie immergée de l’iceberg, z’avaient un fan club de followers qui les suivaient un peu partout, beaucoup de groupes reçoivent de l’estime de la part de leurs fans mais pour les Ghost c’était autre chose, il y avait un plus indéfinissable, le groupe aimantait, et stimulait les énergies, hélas la magie s’est délitée, trop de pression ou peut-être leur a-t-il manqué une structure de soutien, le do it yourself est une belle philosophie, c’est celle qui anime notre blogue, mais pour mettre une fusée en orbite faut aussi bénéficier d’une orga solide et clairvoyante… mais les revoici, interview, premier concert, couve du magazine photo double-page, Phil n’a pas changé,  fidèle à lui-même, peut-être est-il celui qui a le plus regretté le split, Jull a maigri, affiche un air décidé prometteur, Arno arbore en même temps un profil de jeune homme et de patriarche, dernier venu enfin le nouveau Bryan, méfiez-vous c’est le d’Artagnan des trois vieux bretteurs, ne sera pas le dernier pour s’engager dans de nouvelles aventures…

    Un grand saut pour la chronique Les Racines de Julien Bollinger, cette fois-ci consacrée à Emmett Miller, une mystérieuse figure de ce chaudron de sorcières que furent les années 20 aux States, documents et témoignages sont rares, Miller n’était plus qu’une ombre lointaine lorsque Nick Tosches a ressuscité son fantôme dans son livre Blackface, Editions Allia (chroniqué dans Kr’tnt ! évidemment) , pour ceux qui ne connaîtraient pas il suffit de dire que  la filiation Emmett Miller – Hank Williams est certaine, question généalogie rock ‘n’ roll vous ne trouverez pas mieux… Julien Bollinger use de formules heureuses pour expliciter cela. Le plus simple est de suivre ses conseils et de se précipiter sur You Tube, pour écouter, attention rencontre avec ce que Edgar Poe appelait l’ange du bizarre.

    Les Blakfaces ont mauvaise réputation, l’idéologie woke pense que cette pratique qui remonte aux plantations esclavagistes est une des pires abominations du racisme. Lors de réunions festives qui réunissaient maîtres et esclaves les maîtres blancs ( Emmett était blanc et  était socialement loin de posséder le statut de propriétaire d’une ferme cotonnière ) se noircissaient le visage pour imiter de façon burlesque les manières de chanter, de se mouvoir, de parler de leurs esclaves, sans aucun doute un geste de charité chrétienne empli de condescendance, mais aussi une façon esthétique pour les noirs d’accéder à leur propre représentation, c’est ici que l’on retrouve Edgar Poe et son concept de grotesque, par la suite beaucoup d’artistes noirs qui jouaient dans les vaudevilles n’hésitaient pas à  grimer leur visage et à proposer des sketches de tonalité humoristique… Une analogie est à faire avec les monologues comiques que jouaient les poëtes symbolistes comme Charles Cros lors des fiévreuses soirées du Chat Noir… Depuis une vingtaine d’années la bourgeoisie noire américaine s’éloigne du blues, ce sont maintenant les élites intellectuelles qui font pression pour vilipender toute une partie du long chemin de résistance entrepris par les générations précédentes, à mon humble avis cette acculturation programmée et ce reniement systématique du passé me paraissent dangereux…

    Interview d’un contrebassiste, Axel Richard, vous le connaissez, nous parlions de lui voici deux semaines, il est aussi présent dans cette même livraison, voir ci-après chronique du disque de T Becker Trio dont il est l’un des musiciens. On retrouve son ineffable sourire sur la photo de Sergio Katz. Ont intérêt à lire ces trois pages les curieux qui se posent des questions quant aux mérites comparés de la basse et de la contrebasse.

    Pour les amateurs de musique live, quatorze pages dévolues au report au festival Good Rockin’ tonight d’Attignat, du Boogie Bop Show de Mesnard la Barotière et le Rock Dance Party de Quimper, drôlement bien fait, jour après jour avec photos et commentaire de chaque concert, c’est comme si vous y étiez, enfin presque…

    Encore une fois un superbe numéro de Rockabilly Generation News, depuis sa lancée voici cinq années la revue de Sergio Katz réalise un parcours sans faute, ne l’oublions pas, le jour où le rockabilly mourra, ce sera aussi la mort du rock ‘n’ roll ! But rock ‘n’ roll never dies !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (  1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,15 Euros + 4,00 de frais de port soit 9, 15 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

     

    THE BEST IS YET TO COME…

    T BECKER TRIO

    ( Crazy Times Records / 2022 )

     

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    Beau titre. Comment faut-il le comprendre, comme la promesse d’un deuxième opus meilleur ? Ou alors : que si le meilleur est sur le point de survenir c’est parce qu’il est déjà là, tout prêt, depuis longtemps, qu’il suffit de se pencher, de gratter l’écorce de la modernité pour s’apercevoir que l’aubier du passé affleure dans la présence du monde. Le T Becker Trio l’affirme, si l’old style never dies, l’hillbilly est là pour toujours.

    Axel : double bass / Tof : vocals & guitar / Did : lead guitar.

    I’ll do it on my way : dès les premières notes de la guitare rythmique l’on est projeté quelques décennies en arrière dans les Appalaches, l’intitulé respire l’affirmation rockabilly, mais l’ensemble fleure bon la campagne, l’on est plus près des chevaux au pré que des broncos au rodéo, n’empêche que c’est  prenant, tout le rockabilly est là dans le chant et le solo de guitare, mais point encore vagissant, flegmatique si l’on veut Come close to me : l’a une belle voix Tof, un peu Hillbilly Cat dans les coins mais aussi suave que Presley quand il devait chanter ce genre de ballade  le soir dans sa chambre, l’instrumentation est à l’unisson, de légères interventions en solo qui ne bousculent pas le morceau mais confortent cet aspect satiné si doux que l’on a envie de tapoter doucement les fesses de la contrebasse d’Axel pour la féliciter de savoir être omni-présente dans le marquage du tempo avec ce naturel si affolant.  The biggest mistake I’ve made : attention une entrée un peu fracassante, un pas vers le rockabilly, mais sans aucune rudesse, l’on admire la guitare de Did d’une précision absolue, le genre de morceau sur lequel l’on devait danser dans les bals du samedi soir dans les campagnes, un peu de fièvre provoque la montée du désir. Devait se passer d’étranges remuements dans les granges d’alentour. Do you remember ? : guitares nostalgiques, tout de même un petit côté pré-sixties étonnant, quel son ! Quelle beauté !  Quelles rondeurs ! et Tof qui en fait des tonnes, vous transforme une bluette amoureuse en drame shakespearien, rien qu’avec quelques intonations, Axel en sous-main repeint le crépuscule, mais l’on ne sait si c’est celui du matin ou du soir, toutefois les guitares sont si belles qu’on les laisse courir toute la fin du morceau. Can’t love you anymore : une bouffée de désespoir paisible, la voix s’amuse entre tendresse et désir perdu, elle dit tout le non-dit des relations qui unissent deux êtres humains, une atmosphère country, Did s’en donne à cœur joie, les cordes sautillantes un peu moqueuses, un peu ironiques, si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie nous susurre-t-il à l’oreille, une sagesse qui permet de bercer l’âme et de relativiser les avanies de l’existence.  Why ? : soft rockabilly, tout y est, mais une certaine retenue empêche le trio de casser la baraque et d’en jeter les planches dans un feu de joie crépitant, ah ! ce jeu de Did qui couve sous la cendre, vous en ressentez la morsure dans votre chair, le shuffle  tapoté d’Axel est parti pour traverser l’Amérique dans les deux sens sans s’arrêter, quant à Tof il assume à la perfection le rôle de chanteur de rockabilly sans trop se prendre au sérieux, l’on sent le détachement, le jeu impeccable du comédien, davantage wogie que boogie. Ain’t got no money : un morceau idéal pour établir la communion avec le public, sur la scène de la Rock ‘n’ roll party II ils ne s’en étaient pas privés, tout ce qu’il faut, Tof vous miaule le titre avec un superbe accent de bouseux américain, et la musique suit derrière, tantôt devant, tantôt à trois kilomètres, font tout ce qu’il faut pour avoir une superbe mécanique prête à l’emploi. I was wrong : l’est désabusé le Tof, l’a adopté la voix du beautiful loser qui fait acte de contrition, l’on en est ravi, l’on adore entendre la guitare de Did pleurer à petites larmes, attention au crocodile, il mord quand même, ce n’est plus un titre, mais une comédie parodique tellement ressemblante qu’elle semble être vraie. On n’y croit pas, on ne marche pas. On court. Rockabilly is a state of mind : vous voulez du rockabilly, en voici, en voilà, tout ce que vous attendez est là, une véritable démonstration, toute en finesse car si on allumait le feu, les flammes vous empêcheraient d’apprécier les nuances. Attention, une réflexion   philosophique, par l’exemple, sur la nature profonde du rockab, alors on ils y vont doucement mais sûrement pour que vous compreniez mieux, Axel tape à plusieurs reprises sur le bois de la contrebasse afin que la leçon rentre profond dans votre tête. Compris, OK ! Santa Mondega : l’on descend un peu plus dans le Sud, sur la frontière mexicaine, un parfait générique pour un western fabuleux, pas trop tex-mex, mais quand on écoute l’on voit le film et il est superbe. Vous resterez pour la deuxième séance. Boogie Beat : un peu de boogie n’a jamais tué personne, ceux qui en sont morts ne sont plus là pour s’en plaindre, un boogie teinté de bop mais qui remue à merveille, Tof en profite pour hoqueter, sans trop pousser le son, mais c’est à croire que chez lui c’est une seconde nature, Axel caresse un peu sa basse et Did vous pique ses notes comme vous ramassez les olives avec votre cure-dents à l’apéritif. L’on sent que les tournées vont se succéder. Can’t get you out of my head : déjà le dernier morceau, un peu d’emphase, un peu de pression, des guitares qui accaparent l’attention et l’intensité, le vocal précipité et le manche de la big mama se balance comme le pendule du destin. Fin rapide. Faut-il compter les morts ? Pas vraiment très grave, c’est la preuve que nous sommes les survivants !

    Damie Chad.

     

     

    DES DESIRS DES ENVIES

    IENA

    JYB : chant, harmo  / Erick Erick : guitare, chant / Stéphanie Derbhey : basse / Michel Dutot : batterie.

    Y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette couve, c’est cette bouche carrée, carrément agressive, pire qu’un tigre affamé, l’on a plutôt envie de prendre les jambes à son cou, la belle a un collier et un harnais de pitbull, les dents aussi longues que des crocs de caïmans, des yeux aigus comme des flèches mortelles, à part cela, somme toute la chair des épaules est très désirable.

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    Nightmare : trois petits coups de baguettes, promptement les guitares remuent le menuet, bienvenue dans le cauchemar, ne vous attendez pas à un trampoline peuplé de monstres surréalistes ou d’extra-terrestres mortifères  cherchant à s’emparer de notre planète, pas besoin de fermer les yeux pour l’imaginer, Iéna vous le décrit, très terre à terre, puisqu’il n’est autre que le monde dans lequel nous vivons. Z’appuient fort, le Jyb martèle et répète les mots, au cas où vous seriez lents d’esprit ils opèrent par surprise de courts arrêts brutaux, une seconde de temps en temps pour que vous preniez conscience de la situation, pollution et guerre sont les deux mamelles de notre perdition, quand ils évoquent les combats la guitare tire des coups de canon, la batterie se charge de la mitrailleuse lourde, non ce n’est pas joyeux, Un simple constat réaliste. Mais implacable. Traverses :  la basse de Stéphanie gambade, entrerions-nous dans un monde de douceur, le couperet de la guitare d’Erick rabote nos espoirs, se permet même un petit riff impertinent qui nous tire la langue, pour la batterie aussitôt pesé aussitôt emballé, Jyb joue avec des mots de lumière et d’ombre, il tire sur le fil à merde et ce qui vient n’est pas nécessairement excrémentiel, car l’homme est un alchimiste qui peut changer l’ordure en or dur, la métamorphose est imminente et réversible, la distance entre  douceur et douleur ne nécessite qu’un coup d’aile. Parfois les cauchemars sont traversés par les oiseaux fugaces du rêve. Très beau morceau, un fouillis d’interstices qui sont autant d’échappatoires. Des désirs, des envies : titre éponyme, un peu la suite, disons une variante de Black Out des True Dukes, normal ce sont des groupes amis qui partagent batteur et bateleur, mais dans la sainte trilogie du rock ‘n’ roll la carte dominante a changé, ici l’addiction à l’alcool cède la place aux pulsions du sexe, dans les deux cas une question de soif, dont une s’étanche simplement, mais dont l’autre est parfois une denrée qui se fait rare, le morceau roule et tangue comme un bon vieux rock ‘n’ roll, les paroles tournent un peu au délire dans lequel on retrouve l’humour des textes du grand Schmoll. Une belle réussite d’auto-dérision gauloise, dans laquelle El Jyb excelle. A nos âmes : ce n’est pas Sainte Cécile jouant de la harpe sur l’aile d’un séraphin, juste une guitare et une voix. Retour à l’évocatoire pureté de l’enfance, une superbe coupure aristotélicienne avec le morceau précédent, de l’attirance physique l’on passe à la notion métaphysique d’innocence.  De l’attrait de l’Enfer l’on saute au regret paradisiaque du passé. Faut un certain courage pour chanter un tel texte. Toi et moi : la traversée du pont, soyons sérieux, ce titre encore plus surprenant que le précédent, Iéna nous invite à un drôle de voyage, question rock rien de mieux calibré, un accompagnement qui balance et un vocal des plus clairs et distincts mais le sujet est étonnant, celle de la sortie de l’âme hors du corps, non pas un simple voyage dans l’astral mais le saut définitif dans le royaume de la mort. Le Jyb vous conte cela avec un naturel confondant, un peu comme s’il nous apprenait qu’il allait ouvrir une boîte de petits pois pour son déjeuner.

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    L’hymne : apparemment vu les guitares ce n’est pas le national, eh bien si, aux armes citoyens et tutti frutti, eh bien non, c’est bien lui, mais modifié, musicalement je ne vous dis pas, mais les paroles, elles sont actualisées, les enfants de la patrie, de couleurs chatoyantes se révoltent, que les nantis se rancissent dans leur médiocrité, feraient mieux de pleurer sur eux-mêmes, le vieux monde est près de s’écrouler. Deadikass : la suite du précédent, dédié à ces millions de pauvres qui peuplent nos campagnes et nos villes, à ceux que l’on casse pour que la mort arrive plus vite mais aussi à ceux en qui le rêve et la révolte grondent, n’en disent pas plus mais le background parle pour eux, une machine inexorable qui roule et que rien n’arrêtera, deadtermination ! Les masques : c’est-là qu’ils imaginent la fin de l’oppression, un monde débarrassé de tous les masques que l’on revêt pour faire profil bas, être  libéré, devenir enfin soi-même, la guitare se met à chanter, la batterie boute les derniers résidus, Waiting : n’y a pas que le titre qu’est in englishe, tradition rock oblige, l’on en profite pour écouter le rouleau-compresseur de la musique d’Iéna, une locomorock bien réglée, à peine démarrée, elle atteint sa vitesse de croisière, la basse de Stéphanie pousse en avant par-dessous  l’air de rien, la guitare d’Erick  se charge de la dentelle phonique, l’emploie surtout du câble d’acier plutôt que du fil de coton-tige sale, la batterie de Michel, infatigable hale le navire sur terre comme sur mer. Produisent un son, gras et mobile, une véritable machine de guerre, tous terrain. Partout où elle passe l’herbe de la colère corollaire des vies gâchées pousse plus drue. Un rock d’aujourd’hui et de demain.

    Damie Chad.

    *

    Des hasards rock, comme il n’en existe que dans le rock. Damie, tu peux garder quelques affaires d’un ami chez toi jusqu’à lundi, je les lui redescends in the south / No problemo, il n’a qu’à les porter. C’est quand les deux gars ont commencé à décharger que j’ai eu comme un pressentiment, amplis, disques, pieds de micros, je ne vous fais pas un dessin. Bref l’on a passé l’après-midi à discuter de rock, et quand il est reparti, il m’a refilé un CD… Je ne connaissais pas mais rien de mieux et de plus enrichissant que d’ajouter another Bricks in the rock ‘n’roll wall.

    THE PERFECT SADNESS

    VINCENT BRICKS

    ( Décembre 2021 )

    Vincent Bricks a enregistré un premier EP en Angleterre ( Stockholm / My little being ) en 2017, l’était bien parti, le Covid confinatoire est arrivé trop vite, l’en a profité pour écrire, composer, tourner des vidéos, puis l’a recommencé les concerts, bref l’a repris la rock ‘n’roll road, avec toutes les difficultés françaises qui vont ( plutôt qui ne vont pas ) avec… Quand je dis rock ‘n’ roll lui-même se revendique de la mouvance psyché / pop, cite par exemple Brian Wilson dans ses admirations. N’est pas non plus insensible au Velvet Underground…

    La pochette de Carl Fantin nous offre une vision parfaite du bonheur, farniente et amour sur une plage de sable doré, à part que cet état idyllique n’est pas offert à tout le monde, vous faudra attendre d’être mort pour que le fantôme de votre squelette puisse jouir de ces instants sublimes… Est-ce pour cela que l’opus s’intitule Parfaite Tristesse, pour nous rappeler que dans notre vie si all the good n’est pas déjà gone ou enfui, c’est parce qu’il n’est jamais arrivé… Soyons sardonique ! Relisons Colloque Sentimental de Verlaine.

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    Stockholm : c’est vrai que l’influence Velvet saute aux oreilles mais les premières mesures rythmiques passées  le morceau devient aérien, prend de l’ampleur, s’envole dans une autre dimension, une belle voix fluide qui se coule à tel point dans l’instrumentation, que l’on peut dire qu’elle en fait partie, toutefois c’est elle qui crée les climats et mène la diligence, morceau très riche formé d’une mosaïque de petites séquences enchaînées les unes aux autres, pas le temps de s’ennuyer, l’impression à tout instant de prendre un train en marche et de savoir que le paysage qui nous attend sera encore plus beau et plus surprenant que le précédent. Yawnsville : la ville de l’ennui, un bâillement qui avalerait le monde dixit Baudelaire, pour Vincent Bricks cette cité mortelle c’est Sète, immortalisée par Le Cimetière marin de Paul Valéry, un rythme plus soutenu, une voix dont les inflexions ne sont pas sans évoquer le phrasé légèrement désabusé de Ray Davies des Kinks, elle se charge des intermèdes si j’ose dire, car les instants magiques sont dans ces envolées irréelles, dans cette neige qui tombe des étoiles du rêve ou des paradis artificiels, la beauté éblouissante n’est parfois que le paravent de la solitude humaine. The idle guilt : une guitare redondante de slow sixties en introduction, tout s’adoucit, comment la voix si légère de Vincent peut-elle être si cruelle, elle est un poignard qui perce et sépare en deux le voile de la fragilité du monde, elle détruit nos illusions mais aussi nos désillusions, ne nous laisse rien, aucun rempart dérisoire contre l’inutilité de l’existence, sur la plage de l’innocence il ne reste plus d’innocence et même plus de plage. Désespoir absolu de la nudité hominienne. The new pulp : plus enlevé, la vie n'est peut-être plus possible après la traversée du nihilisme, le ton essaie de crâner un peu – les crânes des morts ne rigolent-ils pas de toutes leurs dents – céder à de nouveaux vertiges de la chair pulpeuse du monde n’est pas un mal en soi, ni un bien d’ailleurs, le tout est de continuer à vivre sans être dupe, un ton légèrement persifleur envers soi-même, qui s’empêche de courir après l’idéal, l’important est de survivre dans une certaine désolation et de parvenir à sourire du désagrément d’exister. Parallel universe : petites notes de boîte à musique, la voix prend le dessus, elle mène le bal, des chœurs féminins planent dans le lointain, si nous sommes seuls, le monde est peuplé de couloirs parallèles au nôtre qui se côtoient et qui peut-être finiront par s’enchevêtrer. Rien n’est définitivement perdu. Du moins est-il loisible de le penser.

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             En cinq morceaux Vincent Bricks a su susciter un monde à lui, une vision harmonieuse et poétique, une toile d’araignée transparente tendue sur l’abîme du néant. Il faut espérer qu’un véritable album pourra sortir bientôt, il est à la tête d’un univers musical et mental qui n’attend que l’instant propice pour se déployer.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Dans notre chronique 559 du 13 / 06 / 2022 nous évoquions le premier morceau offert an avant-première du prochain CD de Thumos qui vient de paraître ce 04 juillet 2022. Après The Republic dans lequel Thumos alliait musique instrumentale à la philosophie de Platon, voici que pour son nouvel opus il tente de transcrire selon son instrumentation rock la suite de tableaux peints par Thomas Cole sous le titre générique de The Course of Empire. Apparemment les deux projets n’ont rien à voir, plus de vingt siècles séparent Platon de Thomas Cole, mais le kr’tntreader aura déjà remarqué que les deux œuvres dont Thumos propose un commentaire synesthésique s’inscrivent dans une méditation historiale sur le destin humain, individuel et collectif…

    THE COURSE OF EMPIRE

    THOMAS COLE

    Nous ne répèterons pas ici ce que nous avons déjà dit dans note livraison 459 au sujet de Thomas Cole ( 1801 – 1848 ), peintre américain connu pour ces paysages. Nous nous intéressons d’abord à cette bizarrerie : The Course of Empire de Thomas Cole est un ensemble de cinq tableaux mais le CD de Thumos comporte huit titres. Un dessin très schématique de Cole destiné à Luman Reed, son mécène collectionneur, peut expliquer cette bizarrerie. Les cinq tableaux sont surmontés de trois panneaux symboliques : lever, zénith, et coucher du soleil à mettre en relation avec la naissance, l’apogée et la ruine de l’Empire, sous ces trois esquisses sont alignés The Arcadian State, The Consummation, Destruction. A gauche au-dessous de l’Arcadian, The Savage State, à droite au-dessous de Destruction : Desolation.  Au-dessous de Consummation la place était à l’origine occupée par une cheminée, rappelons que le verbe consumer dans notre langue signifie être détruit par le feu.  

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    Le principe unificateur des cinq tableaux est très simple : sur les cinq toiles c’est exactement le même lieu qui est représenté. Ce n’est pas évident si l’on n’y fait pas attention car il est à chaque fois envisagé sous des angles différents…

    THE COURSE OF EMPIRE

    THUMOS

    ( YT / Bandcamp )

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     Introduction : on s’attend à une ouverture d’opéra, du grandiose, de la grandiloquence, pas du tout, l’impression d’une mécanique implacable qui se met en route, le bruit prend de l’ampleur, l’on croit entendre des chasseurs à réaction en pleine mission destructrice qui filent droit vers leur objectif, musicalement cela n’a rien à voir mais l’on pense, surtout à un niveau symbolique, à la scène des hélicoptères d’Apocalypse Now, car la fin de l’arbre est déjà au cœur de la graine, c’est dans le dernier tiers du morceau qu' apparaissent des notes chargées de mélancolie automnale, feuilles rousses que le vent éparpille, emporte, et disperse l’on ne sait où…

    Thomas Cole / The Savage State

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    Ne nous méprenons pas le monde sauvage évoqué par ce tableau n’a rien à voir avec la préhistoire encore moins avec l’ère des dinosaures, lorsque Thomas Cole peint il est plus ou moins consciemment influencé par les représentations du dix-huitième siècle calquées sur l’idéologie de Jean-Jacques Rousseau, l’état de sauvagerie évoqué est celle du bon sauvage, ces civilisations naturellement bonnes, innocentes en quelque sorte, que le philosophe a dépeintes d’après les relations des découvreurs des contrées lointaines et ignorées… nous serions plutôt aux débuts du néolithique, les hommes chassent et élèvent des hutte de peau, cette toile que Cole nomme aussi les débuts de l’Empire, marque la naissance de l’entraide humaine chère au philosophe anarchiste Kropotkine…

    Commencement : dès les premières notes l’on est convaincu du parti-pris de Thumos, ambiance metal, ont évité le piège du symphonisme romantique, pas de langueurs qui évoqueraient le paradis des amours enfantines du commencement du monde, l’homme est un animal violent qui essaie de construire sa niche écologique de survie dans un milieu hostile, ce n'est pas Caïn qui tue Abel mais le parcours de l’humanité est parsemé de meurtres, certes en tant qu’hommes nous ne l’envisageons pas ainsi, le sang  des animaux versé par les cruels chasseurs est à entrevoir comme le suc nourricier des paisibles cueilleurs, les hommes se regroupent mais leur existence si elle en est facilitée n’en est pas pour autant de tout repos, roulements de tambours et rythme pesant d’une marche en avant pour rappeler que le chemin à parcourir dont on ne sait rien ne sera pas une partie de plaisir. C’est en ces époques lointaines et précaires que se mettent en place les outils les plus meurtriers des hommes, l’amélioration des armes et les rudiments de la poésie. Le morceau se termine sur des bruits qui sont autant de points de suspension, tous les chemins sont ouverts.  

    Thomas Cole / The Arcadian or Pastoral State

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     Etait-il possible à l’époque de Thomas Cole d’évoquer les différents stades de l’Humanité sans être influencé par les représentations de l’Antiquité Gréco-romaine ? L’Arcadie a réellement existé, elle était située dans la partie montagneuse du Péloponnèse, plus tard elle passera en partie sous la domination de Sparte. Mais nous sommes déjà dans l’Histoire officielle. Les Grecs eux-mêmes eurent très vite une vision mythique de l’Arcadie, elle était le pays idéal qui avait trouvé le parfait équilibre entre les bienfaits libertaires de la vie naturelle et les agréments procurés par les toutes premières institutions sociétales. Aujourd’hui nous inspirant de la boutade d’Alphonse Allais nous dirions que les arcadiens avaient réussi à transporter la tranquillité de la vie campagnarde dans de minuscules localités à dimension humaine. L’âge d’Or en quelque sorte. Plus pessimiste Karl Marx y verrait plutôt la gestation de la partition classiste engendrée par la spécialisation des individus, ceux qui chassent, ceux qui cultivent, ceux qui dansent, ceux qui bâtissent des temples, ceux qui préparent la guerre de conquête… Il est clair que la vision de Thomas Cole reste marquée par l’héritage de la Grèce…

    Arcadian : résonnances en tintements de cloches ou de guimbardes, musique encore plus forte, lourds de promesses sont les fruits arcadiens, à première vue tout va au mieux mais l’on ignore tout de la bête qui sortira de cette période de gésine, dans le brouhaha l’on discerne les rythmes d’une danse joyeuse, les progrès prométhéens de l’Humanité sont immenses, labourages et pâturages, commerces et sciences, pour le bien de tous, mais il faut se méfier des eaux paisibles, quelles monstruosités sont-elles capables d’engendrer en leur sein, certes il semble que par moments le temps suspende son vol, qu’il s’écoule plus lentement, que l’Arcadie aimerait à se figer en elle-même, mais le devenir entéléchique du monde qui est celui de l’Empire, l’emporte en un torrent passionné, la course s’accélère, le fracas terminal est-il de bon augure…

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    Interlude I : deux interludes encadrent le summum de l’Empire, celui-ci de moins de deux minutes synthétise tout ce que le tableau suivant tait, des armes se heurtent, des chevaux hennissent, ce sont les temps de la Conquête, toute la geste guerrière sur laquelle repose la gloire, la force et la majesté de l’Empire.

     Thomas Cole / The Consummation of Empire

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    L’Apogée le titre français habituellement donné à ce troisième tableau rend parfaitement compte de la munificence de l’Empire Romain.   L’influence de la Rome Antique est patente, au premier regard retentit en notre mémoire  la phrase d’Auguste selon laquelle il s’enorgueillit ‘’ d’avoir trouvé une Rome de pierre et d’en laisser une de marbre’’, la profusion marmoréenne architecturale nous brûle les yeux, la puissance de l’Empire - triomphe militaire, navires de guerre, trône de l’ Imperator - est manifeste, en une seule toile Thomas Cole a synthétisé les  siècles impérieux de la capitale du monde, pour la délimiter nous dirons la période qui court de Néron à Marc Aurèle… Tant de fastes et de richesses ne finiront-ils pas par amoindrir les âmes, ce n’est pas le ver qui est dans le fruit c’est le fruit qui se métamorphose en ver, mais personne ne le sait.

    Consummation : barrissements de guitares, éléphants entravés participant aux triomphes des généraux vainqueurs, la musique nous en met  plein la vue et les oreilles, la batterie en deviendrait assourdissante, les guitares claironnent comme les buccins des légions, ce n’ est pas l’éclat intangible de la beauté des monuments que tente de décrire Thumos, mais la puissance inouïe de l’Empire, le faste n’étant que le visage de la force brute et abrupte qui domine le monde, brutalement l’atmosphère change, elle était dominatrice, elle respire le faux-semblant du vide, l’on a envie de s’écrier comme Cavafy dans son poème En attendant les barbares ‘’ Pourquoi cette inquiétude soudaine et ce trouble ? comme les visages ont l’air grave !’’ , pourquoi la musique devient-elle si assourdissante, de quoi a-t-on besoin de se persuader, une cigarette se consume lentement, mais au bout du bout elle vous brûlera les lèvres et peut-être encore plus profondément que vous ne le croyez… quand la confiance en soi s’effondre…

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    Interlude II : commence le second interlude celui de l’effroi inexorable qui glace le cœur et les énergies, un immense tumulte se dirige vers le centre d’Empire.

    Thomas Cole / Destruction

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    Une toile pour synthétiser ce que l’on a nommé les invasions barbares, Rome a bien été pillée en 410 par les troupes d’Alaric mais la Ville n’a pas été détruite… Sur l’ensemble du territoire de l’Empire bien des cités ont été néanmoins saccagées, Thomas Cole a-t-il pensé à la prise de Byzance par les turcs en 1453 dont les remparts furent détruits par les canons de Mehmed II, le fait que deux factions du peuple de l’Empire soient en train de se battre, les couleurs de leurs bannières rouges et  vertes ne sont pas sans évoquer les émeutes qui secouèrent à plusieurs reprises les partisans des équipes ( rouge et bleue ) des cochers de l’Hippodrome de Constantinople, quoi qu’il en soit Thomas Cole nous dresse une scène de grande violence, incendies, viols, pillages, meurtres, guerre civile entre partisans des envahisseurs et des fidèles de l’Empire… Faut-il voir en ces dissensions intestines de la  population une allusion discrète à la partition entre païens et chrétiens – ceux-ci pactisant avec les barbares christianisés - qui précipita la fin de l’Empire… Il est clair que Thomas Cole, vu le milieu cultivé de son époque, ne pouvait reprendre ouvertement les idées défendues par Edward Gibbon dans son livre Histoire de la Décadence et la Chute de l’Empire Romain qui inspira son projet.

    Destruction : gongs d’angoisses, le danger est partout, tempo de convoi funèbre, l’Empire se délite pan par pan, un suaire de finitude s’abat sur la Ville, la Caput Mundi que l’on croyait, même tranchée, immortelle comme la tête de l’Hydre renaissante ne renaîtra plus, les temps de l’inéluctable sont venus, l’on entendait le cri des égorgements, maintenant résonnent la plainte des vents qui parcourent les rues jonchées de cadavres, la Mort repue avance d’un pas lent, elle quitte la Cité, ici il n’y a presque plus personne à tuer, le drame se clôt ainsi, la nouvelle horrifie le monde, elle devient une clameur insupportable, mais elle décroit, plus personne ne l’entend, plus personne ne l’écoute, le monde a-t-il déjà fait son deuil de l’Empire...

    Thomas Cole / Desolation

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    La dernière toile est sans appel, l’Empire est mort, il ne reste que des ruines, un peu comme les vestiges du forum romain, que vous pouvez visiter aujourd’hui, à part que Thomas Cole signale non seulement la mort de l’Empire mais la disparition des hommes. Que veut-il nous signifier ? Nous pourrions lui opposer que depuis des siècles bien des empires se sont écroulés, que partout à leur place d’autres nations les ont remplacées et que l’engeance humaine n’a   cessé de proliférer… Les Empires ne sont-ils pas comme toutes les choses vivantes condamnées à mourir. Certes c’est triste mais pas dramatique, cela reste dans l’ordre des choses… A moins que le terme de désolation ne soit comme un haillon de pourpre discrètement agité pour signaler que la fin de l’Empire est une perte irréparable, qu’il ne s’agit pas seulement d’un cycle parmi tant d’autres qui s’accomplit en naissant, en se développant, en se désagrégeant, en mourant… mais d’une irrémédiable catastrophe civilisationnelle qui remet en question la survie de l’essence de cet animal grégaire qui s’est hissé au statut d’être humain.

    Désolation : comme les rugissements des siècles éteints, la mer de l’oubli monte indéfiniment, le drame revêt une dimension cosmique, ce n’est pas l’Empire qui est mort, c’est l’Homme en tant que lumière intelligente du cosmos, ce qui est grave ce n’est pas la perte mais le fait que plus personne ne s’en souvienne, ne soit capable d’entrevoir ce qui était en jeu dans cette perte, la musique est d’autant plus violente qu’elle est à entendre comme l’ultime tentative à ne pas oublier l’oubli de l’Empire, tout se calme, le son déferle comme ces vagues qui ont recouvert l’Atlantide…

    Thomas Cole, Thumos, Nous, et Moi…

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             En peignant ses cinq toiles Thomas Cole ne s’est pas dit qu’il tenait un sujet particulièrement intéressant. Lui le peintre paysagiste, art considéré comme mineur, élevait son statut, grâce à ces cinq tableaux  il inscrivait son nom dans ce qui était honoré à son époque comme le plus haute sommité catégoriale à laquelle pouvait atteindre un peintre, celle de la peinture historique, le géographe changeait de statut, il devenait historien, c’est ainsi que l’ont compris ses contemporains.

             Il n’en était rien, The Course of Empire est un acte politique, au début du dix-neuvième siècle l’Amérique prenait conscience de sa puissance, le mercantilisme libéral devenait l’idéologie des élites, le pays était considéré comme un immense gisement à exploiter au plus vite, en commençant par l’extermination des peuples indiens… L’Empire américain en était encore à ses premiers pas, mais la route qu’il empruntait notamment sous l’injonction du président Andrew Jackson ( l’idole de Trump ) n’était pas selon Cole le bon chemin, ses tableaux sont un avertissement, une démonstration historiale adressée au peuple américain, dans un premier temps l’asservissement impérialiste des nations limitrophes apportait certes puissance et richesse, mais cette politique prédatrice était destinée un jour ou l’autre, un siècle ou l’autre, à se retourner contre elle et à la mener à la ruine…

             Sorti le quatre juillet, fête de l’Indépendance, de cette année The Course of Empire de Thumos participe d’une même gestuelle politique, elle invite tout un chacun, les Américains en premier, à réfléchir sur la nature de la politique (intérieure et extérieure) menée par les Etats Unis…  Pour faire le lien avec le précédent opus de Thumos, The Republic, exposition et méditation sur l’ouvrage de Platon, le groupe nous demande cette fois-ci à nous interroger sur la notion de République et ce pourquoi et comment elle est emmenée à se transformer ( progrès ou dégénérescence ) en Empire…

             Nous autres européens, outre le fait que nous ayons tout de suite eu le réflexe de considérer Thumos comme un groupe essentiel, et ce dernier opus nous le confirme, nous pouvons nous interroger sur les soubresauts politiques et militaires qui agitent depuis quelques mois notre continent…

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             Quant à moi, je ne saurais que vous recommander de lire les Poèmes de Constantin Cavafy, traversés, articulés sur ce que les Grecs désignent par l’expression : la grande catastrophe.

    Damie Chad.

     P.S. : à la rentrée nous nous pencherons sur Spaceseer qui a collaboré à cet enregistrement.