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  • CHRONIQUES DE POURPRE 545 : KR'TNT 545 : STANLEY BOOTH / BEVIS FROND / MCLUSKY / ASHEN / CERBERE / MARIE DESJARDINS / ILLICITE / JAMES BALDWIN / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 545

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    10 / 03 / 2022

    STANLEY BOOTH  / BEVIS FROND

    MCLUSKY / ASHEN / CERBERE

    MARIE DESJARDINS / ILLICITE

    JAMES BALDWIN / ROCKAMBOLESQUES

    This Booth are made for walking

     

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             Dans la richissime bibliographie d’It Came From Memphis, Robert Gordon nous renvoie sur Rythm Oil, un fantastique recueil d’articles du trop discret Stanley Booth. Encore une sorte de passage obligé ! Stanley Booth fait partie de cette caste d’esthètes locaux qu’on pourrait appeler les Southern Gentlemen. Sur l’illusse, on le voit en compagnie de Keef. Booth est le grand spécialiste américain des Stones qu’il accompagnait en tournée à l’âge d’or et auxquels il a consacré trois ouvrages de référence, dont une bio de Keef.

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             L’édition 1991 de Rythm Oil est déjà en soi un petit chef-d’œuvre typographique : format choisi, belle main du bouffant, marges confortables et grande élégance des équilibres typo. Le contenu se hisse à la hauteur du contenant. Comme Robert Gordon, Stanley Booth va trouver les gens chez eux et donc, il propose ici une fabuleuse galerie de portraits. À commencer par Furry Lewis qui raconte les conditions dans lesquelles il perdit sa jambe : «Started going about, place to place, catching the freights. That’s how I lost my leg. Goin’ down a grade outside Du Quoin, Illinois, I caught my foot in a coupling» (le pauvre Furry s’est pris le pied dans un attelage et on lui a coupé la jambe sous le genou). Stanley emmène Furry à l’enterrement de Mississippi John Hurt et Furry fait un discours : «This is Furry Lewis talking. We come clean from Memphis to be with you today. I knew John Hurt from the old days. Me and him used to play together on Beale Street.» Pour Furry, John Hurt était l’un des meilleurs, «but he was so ugly. I swear ‘fore God he was.» Pour rencontrer Fred McDowell, il fallait prendre la route après Hernando, traverser Love et Coldwater et arriver dans un bled nommé Como. C’est là qu’on trouvait le meilleur des jeunes guitaristes (en dessous de la soixantaine) qui jouaient le vieux Delta blues : il servait de l’essence au Stuckey’s Candy Store. Fred avait passé sa vie en tant que sharecropper (métayer) et comme il ne s’en sortait pas, il décida d’arrêter les frais : il remboursa tout ce qu’il devait à son boss (pour la terre, les semences, les engrais, le loyer de la cabane et la mule) et pour solde de tout compte, il ne lui restait plus que 30 dollars. Il prit alors le job de pompiste qui rapportait mieux.

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             Quand Stanley Booth s’attaque à Elvis, ça donne des pages superbes. C’est de la sociologie, au sens où l’entend Bourdieu. Booth explique en effet qu’Elvis vient en direct du personnage que Brando incarne dans The Wild One - Les jeunes filles du Sud appelaient ces mecs the hoods, c’est-à-dire les voyous. «Tous des marginaux, avec leurs duck-tails, leurs Levis sales, leur bottes de bikers, leurs T-shirts et leurs blousons de cuir. Ils portaient des rouflaquettes qui exprimaient leur mépris de l’American dream. Ils étaient trop pauvres pour s’en payer une tranche. Quiconque écrit sur Elvis devrait se souvenir qu’il lui fallut un courage énorme pour faire partie des hoods et chanter. Un mec comme lui pouvait être mécanicien, peintre en bâtiment, chauffeur de bus ou même flic, mais pas chanteur.» Stanley Booth revient aussi sur le Colonel Parker pour insinuer que cette crapule fit tout ce qu’il put pour empêcher Elvis d’évoluer dans quelque domaine que ce fut. Stanley Booth rencontre aussi les Bar-Keys avant leur disparition, et les MGs. Il brosse de très beaux portraits de Steve Cropper («Steve is an enigma») et de Donald Duck Dunn («Duck, short and plump, seems more of a good ole boy than anyone at Stax, but he is the only one who has been influenced by the hippies»). Booth le voit jouer de la basse des deux doigts, les deux autres tenant une cigarette. C’est la raison pour laquelle le Booth book est essentiel : Booth observe.

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             Il rencontre bien sûr Isaac Hayes : «Il porte une toque russe, un pull-over blanc à rayures vertes, un pantalon vert vif, des chaussettes transparentes et des chaussures brillantes en lézard vert. Il porte un sac rempli de tissu zèbre dont il compte de faire un costume.» Puis voilà Chips Moman qu’on considère comme «the living embodiment of the Memphis Sound». Et ça continue de décoller avec Charlie Freeman : «Quand Freeman était ado, Memphis était une ville gérée par des groupes religieux fondamentalistes et ségrégationnistes qui incarnaient très exactement ce contre quoi Freeman voulait se révolter.» Mais, ajoute Booth, de l’autre côté du fleuve, à West Memphis, il y avait the Plantation Inn et «Freeman and every other punk alive were doing what the neon sign said, Having Fun With Morris.» Booth rappelle que Charlie Freeman était un guitariste de session très réputé, qu’il accompagna des gens comme Chuck Berry, Slim Harpo, et Bobby Blue Bland. Charlie adore tirer des coups de feu dans le plafond du studio - Anyone knew he was, if not an indian, at least a real renegade riding the owlhoot trail (un voyou en cavale) - Avec les Dixie Flyers, Charlie va accompagner tous les géants d’Atlantic et d’ailleurs. On surnommait Charlie «the Mozart of self-destruction». Jerry Wexler était fasciné par son jeu : «Listen to that Charlie Freeman. High as a kite and playing like a bird». Booth ajoute : «Il sortait du studio à Miami, après des heures de boisson, de dope et de musique. On le voyait lever les yeux vers le ciel, puis regarder sa montre et dire : ‘Hell, man, il est onze heures de l’après-midi.» En guise d’épitaphe : « Quand il mourut, Charlie portait son jean favori, sa chemise en flanelle rouge, et même son caleçon rouge. Dans sa poche se trouvaient sa pointe de flèche, son médiator en or et le couteau de son grand-père. Il est mort avec ses bottes aux pieds. Remember the Alamo. FUCK YOU.» Autour de la tombe de Charlie, tout le monde chialait : il y avait des proches, des musiciens, des dealers, des gangsters, des fous, c’était nous dit Booth, un sacré spectacle.

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             Il se fend aussi de petits passages éclairs qui font de lui un écrivain du même niveau que Dickinson : «L’alligator est mon animal totem. J’en avais tué un, mais je n’en avais jamais mangé. J’ai donc acheté de la bière et de l’alligator et me suis assis sous un chêne. Comme le dit un jour Brian Jones qui se préparait à déguster du mouton, it was like a communion.» Booth tire aussi des coups de chapeau à Miles Davis, aux Staple Singers, à Roy Orbison et aux Neville Brothers. Autant de bonnes raisons de lire ce livre. Booth consacre aussi un beau chapitre à Al Green et rappelle qu’en 1976, Green rencontra tellement d’hostilité en devenant pasteur qu’il dut acheter sa propre église. Booth profite de ce chapitre haut en couleurs pour revenir bien sûr sur Willie Mitchell, le boss d’Hi. Il salue aussi William Bell qu’il voit sur scène et il se demande comment une boîte comme Stax, avec autant de talents, a pu se casser la gueule. Tiens puisqu’on parlait des hoods, voilà Billy Gibbons et la fameuse Memphis connection. Billy eut beaucoup de chance : son père Fred Gibbons lui offrit une Gibson Melody Maker et une ampli Fender Champ pour Noël en 1963. Il avait 14 ans. Fred Gibbons encourageait son fils à faire ce qui lui plaisait, contrairement à ce que faisait alors la grande majorité des parents qui préféraient les métiers sûrs. Fred Gibbons savait qu’un musicien pouvait vivre très confortablement de sa musique. Bill Ham, le manager de ZZ Top, avait étudié les méthodes du Colonel Parker : il protégeait le trio des médias, mais à l’inverse de Parker, Ham s’intéressait de très près à la musique. Ce qui fait toute la différence. «The important thing is, Ham and ZZ Top knew what they wanted to hear.» Booth rappelle les conditions dans lesquelles ZZ Top explose avec Fandango : 75 tonnes de matériel en tournée, et sur scène, on amenait un bison, un longhorn du Texas, un loup, cinq vautours et un nid de serpents que les vibrations des amplis ont fait crever. Ils gagnèrent alors tellement de fric qu’ils arrêtèrent de bosser pendant cinq ans. Ils titrèrent l’album suivant De Guello en souvenir d’Alamo : Davy Crockett et Jim Bowie entendirent les Mexicains crier ‘De Guello’, qui signifie ‘Pas de quartier’. Billy Gibbons rappelle que si son groupe a tenu si longtemps, c’est parce qu’il existe chez eux un amour profond de la musique et un robuste respect mutuel. Pas mal, n’est-ce pas ?

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             Booth termine sa galerie de portraits avec les Stones et James Brown. Ce qu’il dit des Stones est passionnant : «J’avais vu les Beatles, mais je trouvais que Chuck Berry chantait mieux ses chansons. Les Stones retinrent mon attention car ils ramenaient Howlin’ Wolf.» Booth va en Angleterre rencontrer les Sones en 1968 et il tombe sur Jo Bergman, une secrétaire américaine qui a lu Henry James, et un publiciste, Les Perrin, qui avait travaillé pour Louis Armstrong et Frank Sinatra - Bergman and Perrin, in other words, possessed frames of reference - the kind of thing you still need to understand Keith Richards and what in time he would become - Et là il tire l’overdrive : «Keith’s inensity of focus and his obvious rejection of middle-class values almost made me speechless» (l’intelligence de Keith et son mépris des valeurs de la classe moyenne m’ont laissé sans voix) -  Dans le chapitre extraordinaire qu’il consacre à James Brown, Booth narre les démêlés du Godfather avec la justice, dus à une forte consommation de PCP. Le flic Taylor raconte que James Brown conduisait avec les bras en l’air. Il était complètement incohérent et ne tenait pas debout. La prise de sang révéla une forte présence de PCP. Dans ce chapitre fameux, Booth raconte aussi l’histoire de la relation entre James Brown et Jacque Daughtry, une blanche qui tomba follement amoureuse de Mr Dynamite. Encore un chapitre à lire impérativement, quand on aime les vraies histoires.

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             L’ombre de Jim Dickinson plane bien sûr sur Rythm Oil, qui en fait est le nom d’un breuvage qu’on vendait sur Beale Street. Dickinson donne une troublante définition de la Soul music : «Le marché semble s’effondrer par moments, mais ça revient toujours, parce que la musique intègre va survivre. On dit que la Soul music parle d’oppression et de pauvreté, c’est en partie vrai - aucun Soul man n’est né riche - mais ça va beaucoup plus loin que ça. C’est une façon de dire : je suis fier de mon peuple, de mes origines. Voilà ce qu’est la Soul.» Dickinson rappelle qu’everybody learned it from the yard man - tout le monde a appris la musique avec le jardinier, «et c’est aussi vrai pour les grands, y compris Jimmie Rogers, Hank Williams et Sam Phillips.» Et grâce à Booth, on apprend que Billy Gibbons craignait Dickinson qu’il voyait comme un shaman.

             Et bien sûr, le vrai héros de ce classique littéraire, c’est le Memphis Sound : «Durant ces décennies qui vont de la fin des années 40 à la fin des années 50, la vie a changé dans le monde entier, grâce à quelques non-conformistes de Memphis. Ce changement s’est opéré en presque trois décennies, avec Stax, Goldwax, Sonic, Royal, American, Fretone, Onyx, Ardent et d’autres studios. Qui allait-on croiser par une nuit pluvieuse à Memphis ?» Et Booth en rajoute une louche plus loin : «The Memphis Soul Sound grows out of a very special environment.» Quand il rencontre Dan Penn, il lui pose la question :

             — Dan, qu’y a-t-il de spécial à propos de Memphis ?

             — Ce n’est pas Memphis, c’est le Sud

             — Oui, mais que veux-tu dire ?

             — Ici les gens ne supportent pas qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire.

             Et l’ami Booth repart de plus belle avec un texte d’intro : «Having written about Furry Lewis, Elvis Presley, Otis Redding and B.B. King, I slowy awoke to the realization that I was describing the progress of something, a kind of sexy, subversive music.» (Il réalise qu’en consacrant des articles à B.B. King Otis, Elvis et Furry Lewis, il était en train d’expliquer le développement d’un phénomène musical à la fois subversif et sexy). Et pour illustrer son propos, il raconte la déconfiture de Janis Joplin sur scène à Memphis. En effet, le public de Memphis était habitué à autre chose : «Elle avait bien chanté et tout était en place. Mais ça n’est pas passé. Elle retourna dans sa chambre au Lorraine Motel, où B.B. King et d’autres chanteurs de blues avaient eux aussi passé des soirées malheureuses.»

    Signé : Cazengler, Stanley Bide

    Stanley Booth. Rythm Oil. Pantheon Books 1992

     

    L’avenir du rock

     - Thierry la Frond (Part One)

            

    L’avenir du rock voit de temps en temps un vieux copain à lui devenu producteur de séries télévisées. Ils vont casser la croûte ensemble Chez Paul, rue de Charonne, comme ils l’ont toujours fait, depuis le temps de leurs études. Ils ont très bien connu les anciens propriétaires, un petit vieux qui accueillait les clients et qui servait le vin, et une petite vieille qui cuisinait elle-même ses pommes de terres sautées à l’ail. Ils s’installent à leur table, une table qu’il faut désormais réserver car les gens font la queue pour manger là : les nouveaux propriétaires ont su maintenir la tradition de cuisine familiale. Ils attaquent avec leur vieux cru de Pinot Noir.

             — Alors avenir du rock, où en es-tu de tes tribulations ?

             — Je fais en sorte qu’elles restent dans le rang...

             — Ah oui, je te vois venir, tu vas me ressortir le plan des Tribulations d’un Chinois en Chine, ha ha ha, tu ne changeras donc jamais. Tu admires toujours autant ce grand futuriste que fut Jules Verne ?

             — Je trouve qu’on manque un peu de visionnaires par les temps qui courent. Et toi où en es-tu de tes projets révolutionnaires ?

             — J’envisage un remake de Thierry la Fronde. Mais les comédiens que je sollicite déclinent l’offre les uns après les autres. Ils trouvent le personnage trop typé, c’est le syndrome de Belphégor. On ne peut pas réinventer ce type de personnage. Les remakes sont généralement voués à l’échec.

             — J’ai peut-être une idée, mais te plaira-t-elle ?

             — Je t’écoute...

             L’avenir du rock remplit les verres de Pinot alors qu’on amène les entrées :

             — Imagine que Thierry la Fronde soit devenu très vieux, qu’il se soit laissé pousser de grands cheveux blancs et qu’il se soit mis à jouer de la guitare électrique, histoire de rester synchrone avec son temps...

             — Ah oui, pas mal... Vraiment pas mal... Avec le médaillon et le costume d’époque ?

             — Oui, bien sûr.

             — Et tu connais l’acteur ?

             — Oui bien sûr. Il est anglais. Il s’appelle Nick Saloman, mais les gens le connaissent sous le nom de Thierry Bevis Frond. Je suis certain qu’il sera partant. Tiens, je t’écris son numéro de téléphone sur la nappe. Dis-lui bien que c’est de la part de l’avenir du rock.

     

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             Nick Saloman a derrière lui 25 big shots de Bevis Frond, mais plus que tous ses collègues, il incarne l’avenir de la couronne d’Angleterre. La preuve ? Cet album qui vient de paraître, Little Eden, qui est en fait un double album pour le moins explosif. On y compte pas moins de trois coups de génie, à commencer par ce «Find The Mole» terré en B. C’est quasi-stoogy dans l’attaque - Someone’s talking to me/ I don’t understand a word - Avec un killer solo flash in the flesh. C’est en C qu’on trouve «Here Come The Flies», un fabuleux groove de rock qu’il embarque sous le boisseau et qu’il joue au coulant psyché capiteux. Certainement le meilleur coulé de psyché de l’histoire du coulé psyché. Le troisième coup de génie est le dernier cut de la D, «Dreams Of Flying», embarqué au riff de basse dévorante. Il avale un poème fleuve et profite de son élan pour s’envoler, c’est d’une rare puissance et c’est même imparable. Il passe en mode hypno et là quelle délectation ! Il finit sur des objurgations, hang on to you/ Happy endings/ They may/ Stop your/ Path descending et ça continue au hang on/ To your/ Higher call/ It may/ Catch you/ When you’re/ Falling - Pure genius ! Avec «Cherry Gardens», il frise le Dinosaur. Il n’a rien perdu de ses pouvoirs. Avec «Numb In The Head», il devient gaga de gaga, il connaît ses limites, mais il ne ressent rien, not feeling anything. Sacré Thierry ! Avec le «Start Burning» d’ouverture de bal de D, il revient au heavy rock et le bourre de contenu et d’une volée de wah. Il est en colère, génial et enpowering. Il a deux cuts qui sonnent comme des vieux hits du Teenage Fanclub : «My Own Hollywood» et l’«Everyone Rise» d’ouverture de balda. Il est en plein dans «Everything Flows». Belle envolée avec un thème de guitare avoisinant. Joli shoot d’insidious que l’«You Owe Me» propulsé par un beat excédentaire. Il remet en route sa vieille formule de défilement à l’infini et profite de l’occasion pour passer un wild killer solo flash. Attention au «Do Without Me» qui se planque en B juste derrière the Mole. Thierry remet la pression du rock anglais ultra-chanté et investi par du solo de Frond, l’un des sons les plus purs d’Angleterre, fluide et si électrique, au sens Peter-Greeny de la chose. Le cut le plus spectaculaire de l’album est sans doute l’«As I Lay Down To Die» : un big atmopsherix drivé à la guitare. Il passe un solo de wah entre deux couplets d’agonie - No sickness or injury/ Just an echo asking/ Why I allow this to diminish me/ But this is out of my control - Il sort du sarcophage higher/ Then I will ever be, accompagné d’un solo fluorescent.

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             Pour Shindig!, Roberto Calabro rencontre celui qu’il qualifie de national treasure. Thierry  Bevis Frond a démarré nous dit Calabro le Calabrais en mode one man band et pour Little Eden il y revient.  Il envisageait de faire l’album avec ses copains, mais comme les démos qu’il avait préparées sonnaient bien, elles sont devenues l’album. C’est lui qui a photographiés le HLM qu’on voit sur la pochette, The Ferrier Estate in Kidbrooke, South London qui depuis a été rasé. Calabro dit aussi que Thierry Bevis Frond a rassemblé toute sa paraphernalia pour cet album : nostalgic pop songs, delicate acoustic numbers, guitar-oriented psych tunes, and brillant rockers et il cite le fameux «Find The Mole». Thierry Bevis Frond fête aussi le 35e anniversaire du groupe. Quand le Calabrais lui demande quels sont les albums du groupe les plus représentatifs, Thierry cite Miasma, New river Head, Valedictory Songs and Maybe We’re Your Firends Man. Albums effectivement géniaux sur lesquels nous allons revenir incessamment sous peu.

    Signé : Cazengler, Bavasse Frond

    L’avenir du rock - Thierry la Frond (Part One)

    Bevis Frond. Little Eden. Fire Records 2021

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    Roberto Calabro. Back to the garden. Shindig! # 119 September 2021

    Inside the goldmine

    - Unlucky mclusky

     

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                Pour des raisons esthétiques, on va l’appeler R. Il n’avait pas un prénom très moderne. Disons démodé. Alors va pour R. Copain de lycée. Passionné de bagnoles de sport. Alors qu’on roulait tous en mobylettes, lui roulait en TR4. Une belle TR4 blanche avec le fameux overdrive au tableau de bord. Il adorait aller faire un tour sur le circuit des Essarts. Rrrrrroooommm bam balam. C’est vrai qu’elle tenait bien la route, sa Triumph. Il l’avait refaite entièrement, moteur et carrosserie. Un passionné. Le week-end, on allait faire les cons sur la côte. Vers Honfleur. Une boîte un peu glauque qu’on aimait bien et où on entrait à l’œil. On partait le vendredi soir et on rentrait au bercail le dimanche matin. Si on dormait, on dormait dans la bagnole, mais c’était assez rare. Le seul problème c’est qu’on n’avait pas de blé pour faire le plein. Alors système D : bidon et sifflette pour aller pomper l’essence sur les parkings. Dégueulasse. Car on avalait de l’essence à l’amorçage de la sifflette. On se rinçait la bouche au Ricard. Chacun un flash dans la poche. Ça devenait une routine. Semaine après semaine. Jusqu’au jour où...

             — Bougez plus ! Les mains en l’air !

             Il devait être le seul mec en France qui ne dormait pas et qui surveillait sa voiture depuis la fenêtre de son appart ! Il crevait de trouille. Il pointait un fusil de chasse sur nous.

             — J’ai appelé les flics, y z’arrivent ! Bougez pas j’ai dit !

             R se mit à sourire et quand on le connaît, ce petit sourire carnassier n’est pas bon signe. R baissa lentement les bras et dit au mec en rigolant :

             — Vas-y, tire-moi dessus, ma couille.

             Évidemment, le mec a tiré. Bhaaam ! R reçut la décharge en pleine poitrine. Sa chemise blanche était parsemée de petits points rouges. Il fut le premier surpris de n’être pas mort. Cartouche de gros sel ! R attrapa le bidon rempli d’essence et frappa le mec à la volée, schbounz, en pleine gueule. On eut tout juste le temps de mettre les bouts avant l’arrivée des condés. Au volant, R se marrait :

             — Lucky unlucky, poto, mais tu vois, ça le fait bien...

             Façon de parler.

     

             À leur façon, Andy Falkous et mclusky ont eux aussi joué au petit jeu du lucky unlucky. Mais ils ne sont pas aussi lucky que R. Plutôt unlucky. Comment un trio aussi brillant a-t-il pu disparaître ? Dans deux mille ans, les archéologues se pencheront probablement sur ce mystère.

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             C’est avec mclusky Do Dallas que mclusky est arrivé dans le rond du projecteur. L’album fit sensation dans la presse anglaise. Trois des titres de cet album pourraient figurer sur n’importe quel album des Pixies : «Alan Is A Cowboy Killer», «Gareth Brown Says» et «Chases». Falkous y fait son gros Black, c’est-à-dire qu’il attaque l’Alan à la sauvette et qu’il l’explose aussi sec, il plonge mclusky dans la bassine d’huile bouillante des Pixies, c’est extrêmement saisissant. Ça remonte un temps, Alan is a cowboy killer, et boom, avec à la suite un killer solo flash in the flesh. Même chose avec le Gareth Brown et Chases, ça cogne dans les tibias, ils tapent dans le heavy hardcore du gros, ils courent après leur cut qui s’enfuit, on se goinfre de l’excellence de cet album qui est une véritable orgie de démesure. Nouveau coup de génie avec un «The World Is Over Bitch» plongé dans le chaudron de scream des Pixies, avec un truc plus demented, comme si c’était possible. Ils poussent encore le bouchon de la folie. Viva mclusky ! Le «Lightsabre Cocksucking Blues» d’ouverture de bal est un modèle d’insanité, ils jouent au no way out, c’est d’une beauté désespérante, ça hurle dans le chaos de la fin du monde, ces mecs ont le talent de leur folie. Ça nous guérit des ravages de la médiocrité. Ils repartent de plus belle avec «No New Wave No Fun» dans l’extrême onction de l’insanité, Andy Falkous chante tout au bord du gouffre, c’est extravagant de power destructeur, peu de groupes sont allés aussi loin dans le process de la défenestration. Andy Falkous met le paquet. Ils continuent de chatouiller les cuisses de la muse qui entre en transe avec «Collagen Rock», ils nous emmènent dans le vrai monde, le monde interlope, celui du fard et du beat inexpected, ils cultivent toutes les véroles, toutes les sous-jacences, ils ont des dons atroces, ils flirtent avec la démesure des Pixies et ne vivent que pour la bille en tête. On entend Jonathan Chapple ramoner «Day Of The Deadringers» à la basse underground. Ils passent d’un climat à l’autre sans coup férir, c’est leur apanage, ils jouent bien le jeu dans «Fuck This Band» et on retourne aussi sec en enfer avec «To Hell With Good Intentions». Andy Falkous y perd le contrôle de sa voix.

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             Leur premier album paru en l’an 2000 s’appelle My Pain And Sadness Is More Sad And Painful Than Yours. Il est aussi intense et aussi barré que Do Dallas. Ils font déjà les Pixies avec trois cuts : «Medium Is The Message», «When They Come Tell Them No» et «You Are My Sun».  «Medium Is The Message» est amené comme souvent chez les Pixies par la menace d’un bassmatic et ce démon d’Andy Falkous plonge dès qu’il peut dans sa friture, mais il ressort à sec pour le deuxième couplet. C’est un averti qui en vaut deux, il fait comme le gros, il se réserve pour les apocalypses, même façon d’avancer dans la ville en flammes avec de chant dérangé et mirifique. Le bassmatic de «When They Come Tell Them No» est aussi celui des Pixies, c’est vite livré au délirium et avec «You Are My Sun» Falkous replonge aussi sec en enfer. Il explore tous les replis du gros et ramène de ses explorations du power et de la folie. C’est à peine croyable. «Flysmoke» pourrait aussi sortir d’un album des Pixies, avec ce riff de guitare sur le côté du chant, l’agressivité se joint à la douceur du temps. Il refait encore son gros Black avec «Rock Vs Single Parents», même attaque que celle du gros, à la déconstruction et au scream de brûlé vif, puis redescente dans le doux du son avant d’aller screamer de plus belle. «She Comes In Peace» sonne comme un coup de génie, cet ultra punk blues est littéralement saturé de violence. On dira la même chose de «Problems Posing As Solutions» : ils allument leur pétard d’entrée de jeu et boom !, c’est plein de nappes et plein de clameurs infernales. Ils sonnent comme des saucisses qu’on vient de jeter sur le grill, ils dansent la Saint-Guy des grands brûlés vifs. Ils rôdent dans les cendres de leur légende en devenir. Comme le gros, ils maîtrisent le petit jeu des alternances entre le calme et la tempête. Et si on souhaite entendre une basse dégueulasse, elle est dans «World Cup Drumming». Cette basse cacochyme tousse dans un defeaning blast. C’est l’hymne de la fin du monde, idéal pour finir un album aussi perturbant. Les chorus explosent et les hurlements battent tous les records de Hurlevent.

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             On pourrait qualifier The Difference Between Me And And You Is That I’m Not On Fire d’album des apocalypses pour au moins une raison : «Support Systems». Andy Falkous rôde dans les parages, fais gaffe, il est capable de tout, il développe pour exploser et il explose. Il vise la clameur définitive. «1956 And All That» et «Falco Vs The Young Canoeist» sont encore deux horreurs collatérales. Ils tapent le 1956 au heavy hardcore de youh-youh, ils jouent comme des crabes dans la bassine d’huile bouillante, youh-youh !, et ils explosent Falco dans l’œuf du serpent. Il est un peu comme le diable, cet Andy Falkous, il joue sur tous les tableaux. On comprend dès le «Without You I’m Nothing» d’ouverture de bal qu’on est un big album, ça chante à l’allant, mais pas n’importe quel allant : l’allant définitif. Tu rentres tout de suite dans le monde de mclusky, ils y appliquent les lois du hardcore, mais avec des réserves Pixies/rock/punk qui les rendent accessibles. Ils amènent «She Will Only Bring You Happiness» au pur jus de sunshine pop et c’est béatifiant, explosé de soleil, mais le son a des crocs. Nouvelle alerte avec «Kkkitchens What Were You Thinking?», ils ont le diable au corps, ils dépassent tout ce qu’on peut imaginer. Toutes les falaises de marbre de nos a-prioris s’écroulent au passage de ces mecs-là. Ils collectionnent les exploits soniques, chez eux l’idée prévaut. Ils ne fonctionnent qu’à l’idée, comme le montre «Your Children Are Waiting For You To Die». Encore un cut ultime avec «Slay», l’une des pires explosions de l’histoire des explosions. Anndy Falkous plonge encore son «You Should Be Ashamed Seamus» dans la folie, il semble vouloir rivaliser avec le gros, le gros hurle beaucoup, mais Andy Falkous hurle encore plus.

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             L’idéal serait de commencer par visionner l’excellent Getaway Band (Live In London And Cardiff) paru l’an passé. On a les deux concerts sur le même support avec quasiment la même set-list, mais bon, on n’est pas obligé de voir les deux, car c’est tout de même très spécial. Toute la démesure et l’insanité du groupe est comme démultipliée. Leur hardcore gallois se situe exactement dans le même genre d’insanité que celle des Pixies, au temps où le gros hurlait comme un cochon. On croit que les mclusky sautent en l’air et qu’ils se roulent par terre, pas du tout. Andy Falkous garde le contrôle, il hurle dans son micro tout en grattant savamment sa Les Paul. Il est prodigieusement bien accompagné par Damien Sayell, bassman des enfers et l’encore plus infernal Jack Eggleston au beurre. Tu veux l’enfer sur la terre ? Laisse tomber Motörhead, c’est «Dethink To Survive» qu’il te faut. Falkous hurle tout ce qu’il peut et garde le contrôle. Il papote pas mal avec le public qui envoie des vannes. Falkous joue au petit jeu de l’apocalypse nerfs d’acier, c’est très impressionnant. Sur «Collagen Rock», Sayell saute en l’air. Ça continue de monter en pression jusqu’à «Alan Is A Cowboy Killer» qui explose et ils maîtrisent la folie de «Gareth Brown Says» à la perfection. Pure giclée de hurlette à la Frank Black. Ils jouent «Falco Vs The Young Canoeist» à deux guitares suraiguës, c’est l’attaque des frelons et Sayell chante cette abomination. Ils enchaînent avec l’un des sommets de power rock, «You Should Be Asheamed Seamus». Falkous le chante à l’extrême violence, il n’existe rien d’aussi violemment parfait dans le monde libre. «The World Loves Us And Is Our Bitch» atteint à la démesure des early Pixies. Falkous est la superstar d’un monde de son invention. Attention à ne pas confondre mclusky avec les groupes hardcore américains. 

    Signé : Cazengler, maclèchecul

    Mclusky. My Pain And Sadness Is More Sad And Painful Than Yours. Fuzzbox 2000

    Mclusky. Mclusky Do Dallas. Too Pure Too Pure 2002

    Mclusky. The Difference Between Me And And You Is That I’m Not On Fire. Too Pure Too Pure 2004

    Mclusky. Getaway Band (Live In London And Cardiff). Prescriptions 2021

     

    ASHEN

    C’était dans un temps lointain où l’on pouvait se rendre à un concert sans se cacher derrière un masque, ni présenter un pass de ceci ou de cela. Bref c’était autrefois, ce 19 avril 2019 Ashen prenait d’assaut la scène du Chaudron, et nous éblouissait. Un nouveau groupe, des inconnus, pas tout à fait puisque le scream-vocal était assuré par Clem des Fallen Eight, son ancien combo qui s’était séparé. Un groupe prometteur assurai-je, oui mais plus de nouvelles depuis les débuts de l’ère covidique.

    Ils ont survécu. Sont prêts à remonter sur scène, entre temps ils ont travaillé dur. Tout le long de l’année 2021 ils ont réalisé trois vidéos qui ont marqué les esprits si l’on en juge le nombre astronomique de followers.

    Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud PoulLy ; bass / Tristan Broggeat : drums.

    HIDDEN

    (YT : 19 / 11 / 2021)

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    Esthetic Metalcore. D’abord les images. Le choc. Un boomerang que vous n’avez pas lancé, mais qui revient vers vous. Vous êtes la cible, tenez-vous-le pour dit en regardant cette vidéo. Un récif de corail éblouit votre vision, vous en oubliez la musique, vous ne la saisissez pas en tant que morceau mais en tant qu’articulation rythmique des images, le temps de les apercevoir une seconde en évidence, silhouettes noir cendré retranchées derrière le nom du groupe qui barre l’écran de ses lettres blanches, le code couleur est d’emblée annoncé, il ne s’aventurera jamais hors de ce trismégiste canon alchimique, c’est alors que survient le Tryptik, les clapper boys de Gene Vincent revisités façon hip hop bondissant, sont là pour ainsi dire en contrechant, car, c’est-là que réside le secret du mixage, les images se font musique, et la musique support des images, les musiciens ne jouent pas, sont saisis en tant qu’icones, le ballet est régenté tel un jeu d’échec, les pièces sont immobiles en elles-mêmes, vous êtes propulsé dans la tête d’un joueur, et devant vous défilent les différentes stratégies possibles qui s’offrent à son cerveau, les trois membres du triptyque miment la violence métallique, un son resserré à l’extrême radicalement fragmenté, impossible de vous arrêter mentalement dessus, ce n’est pas que tout va trop vite, c’est que le tout est éparpillé en milliers de minuscules congloméras soniques comprimés à l’extrême, déstabilisation totale, oui c’est violent, elle n’a pas encore explosé, c’est le scream de Clem qui la déchire et en crève l’enveloppe. Image mouvante et basculante. Le centre de gravité de votre iris en est tourneboulé. Le pire c’est qu’ils sont parvenus dans ce tourbillon à insérer un scénario. Une histoire de masque. Pas celui auquel vous pensez. Celui qu’arbore votre figure chaque fois qu’une personne vous aborde et que vous adaptez les mimiques de votre visage, afin de ne pas révéler votre vraie personnalité, non par machiavélisme, mais par peur d’être rejeté pour ce que vous êtes vraiment. Beaucoup de bruit et de fureur, pas en vain, pas gratuitement, pour briser la carapace de tortue derrière laquelle vous vous cachez, vous vous calfeutrez dans la cellule de votre solitude.

    Et la musique au juste ? Je vous invite à regarder pour ceux qui aiment mettre les mains dans le cambouis de la machine la vidéos suivante : Ashen – Hidden ( Guitar playthrough ) : Niels Tozer et Antoine Zimer, en plan fixe jouer leur partie, magnifique occasion de comprendre la subtilité et la technicité de  la composition. Passionnant. Tout autant que la vidéo précédente.

    OUTLIER

    (YT : 26 / 08 / 2021)

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    Déstabilisant. Le genre de vidéo dont on ne sort pas indemne. Rien à voir avec la précédente qui du coup s’apparente à un exercice de style. Ce qui est injuste car porté à un haut niveau de virtosité artistique. Sans doute faut-il la lire comme une suite à Hidden. Pas un nouvel épisode à l’histoire ancienne. Une étape, plus loin. Quand on ne parvient pas à sortir de soi-même, à s’extérioriser, l’on s’enferme en soi-même. On recule d’une case. Ecran noir, Clem vous fixe. Cheveux courts bleuâtres, teint blafard, le groupe derrière lui, en blanc infirmier, le monde se grise, la réalité se diffracte, Clem nous regarde, il est dans l’écran que regarde Clem, il danse, tel un épouvantail qui gesticule sous les poussées d’un vent de folie, rythmique incessante, il est assis dans la grisaille qui embrume son esprit, il parle, il s’explique, il se confesse à lui-même, d’une voix chantée mais blanche et creuse, il est las, éteint fatigué de lui-même, le décor change, déjeuner en famille, ambiance bourgeoise, bien élevée, l’on fait comme si, il explose à l’intérieur de lui, sa voix grimpe dans la plus haute tour, celle dont on ne descend pas, l’orchestre derrière lui déchaîné, il crie, il hurle, des mains l’agrippent, dans la famille, les visages esquissent des sourires, plutôt en rire qu’en pleurer, on le repousse au fond de soi, alors crise, rupture des digues de la folie, les guitares s’étirent à la poursuite de la note grise, des hauts et des bas, le désarroi est-il un asile, maintenant il est vêtu comme un prince en exil, Hamlet moderne, il se redresse, marche et s’empare du micro, Ashen fracture les portes de la catharsis, adhérence à l’aberrance.  

    Epoustouflant. Les amateurs de théâtre sont priés d’aller prendre une leçon de mise en scène. Sublime prestation de Clem.

    Tryptik est composé de trois danseurs émérites : Steven Deba, Adrien Larrazet, Kenj’y Keas.

    SAPIENS

    (YT : 19 / 11 / 2021)

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    Cauchemar . Sapiens. L’homme réduit à sa plus simple expression. Lui-même. Pas nous. Pas vous. Je vous le souhaite. Vous en connaissez tous. Ces épaves, enfermées en elles-mêmes, qui n’ont même plus la force de tendre la main pour mendier. N’attirent plus que le mépris et la haine. Le seul bouclier de la peur qui nous agresse. Vision glauque. Quelque part dans un passage souterrain du périphérique, une loque humaine seule avec son néant et sa parano. Scénario minimal. Tout est dans le mixage et l’interprétation. Des trois clips c’est celui qui laisse entendre l’importance du background musical. Ashen ne mise pas sur l’ampleur sonore, celle-ci s’apparente trop à une vision lyrique du monde, musique sèche, squelettique, mais incandescente, du bois qui brûle mais qui ne fume pas. Une combustion destructrice, qui interdit toute respiration. Vous tombe dessus, vous ensevelit sous les os des fosses communes que l’on vide au tractopelle dans les cimetières pour faire de la place aux futurs nouveaux venus. Les cris de Clem sont de cette rage contenue dont se consument les colères muettes, celles qui se retournent contre vous et vous auto-détruisent encore plus sûrement que le système social qui n’a plus besoin de vous. Ashen les cendres froides d’un monde glacé devenu inhabitable. Pour les sapiens que nous sommes.

    Reste à regarder la vidéo Ashen-Sapiens ( One take drum playtrough ) : l’occasion de voir Tristan Broggia en action éruptive et de mieux entendre l’osmose entre la batterie et la voix de Clem. Un bijou fulminant de haute précision. Prière d’enchaîner sur Ashen-Sapiens ( Bass playtrough ), Thibaud Poully qui nous donne à entendre le bruit de fond du groupe, qui n'est pas sans ressemblance avec le mystérieux et inquiétant bruit de l’espace que recueillent les physiciens. L’a des froissés étonnants, et une technique dans son travail sur la corde du haut qui n’est pas sans rappeler les primitifs fils de fer tendus sur un mur des cabanes de bois à l’origine du blues rural. Pour en savoir un peu plus sur le groupe, le visionnage de la vidéo-interview Thierry présente le groupe Ashen.

    Vous l’avez compris : Ashen, un groupe avec qui il va falloir compter.

    Damie Chad.

     

    CERBERE

    CERBERE

    ( EP / mars 2021 )

    Aimer les chiens ne suffit pas pour apprécier Cerbère, faut aussi aimer déambuler dans les méandres des Enfers. La légende raconte que c’est-là que les anciens Dieux et les Héros de la Grèce Antique fourbissent leurs armes et préparent leur retour. Quoi qu’il en soit le Chien à trois têtes garde l’entrée, un tantinet patibulaire le monstre ! Pour savoir si vous êtes prêt à l’affronter l’écoute du premier Ep de Cerbère s’avère être une très bonne préparation mentale. Si vous ne supportez pas, n’insistez pas. Ce n’est pas pour vous. La pochette de Thom Dezelus est un remarquable carton d’invitation. A peine ai-je entrevu les deux parois granitiques du souterrain, je n’ai pas pu résister. A mon humble avis elles vous filent davantage la frousse que les yeux et les museaux menaçants qui évoquent davantage la vie que la mort.

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    Cerbère, le groupe, possède trois têtes à savoir : Baptiste P. guitariste, Baptiste Reig, batteur, Thom Dezelus bassiste. Ne sont pas nés dans les champs phlégréens, proviennent tout simplement des alentours de Paris, soi-disant ville lumière. Nous supposons qu’ils doivent hanter les antres obscurs. Il ne semble pas que le groupe soit encore en activité en 2022, il se peut qu’ils soient en train de ruminer de noirs desseins. Que voulez-vous attendre de plus d’un trio maléfique qui se définit lui-même en trois mots : heavy-sludge-doom. Pas besoin de longs discours pour comprendre que l’on ne met pas les oreilles n’importe où. Vous ressentez un petit frisson dans le dos, rien de plus normal, ne citent-ils pas Abbath dans leur influence, groupe et / ou musicien de Norvège pays de glace et de neige.

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    Julia : ça commence exactement comme finissent la plupart des concerts rock, par une apocalypse, ensuite ça ne faiblit pas. Vocal extrême, essayez de chanter la traviata alors qu’une main de fer s’introduit dans vote anus, remonte dans votre intestin agrippe votre estomac et entame une reculade reptatrice pour opérer son extraction par voie anale. Ne riez pas, musique lourde et empesée, qui au milieu du morceau se met à grincer très fort, si vous cherchez le noise, vous finissez par le trouver, le plus terrible c’est que vous ne pouvez pas vous détacher de l’engluement sonore, votre esprit est littéralement aspiré et ne répond plus à vos commandes mentales. Aliéné : pour bien comprendre où nous en sommes nous dirons que le morceau précédent était une douce romance sentimentale pour jeune nonne enfermée depuis dix ans dans un couvent, ici vous êtes plongé dès la première seconde dans la fournaise de l’aliénation, ponctuée des cris de goret que devait pousser le bébé Achille lorsque sa mère Thétis le tenait au-dessus de la flamme sacrée pour brûler les parties humainement mortelles de son corps, question quel est l’instrument qui frappe le plus fort : la guitare, la basse, la batterie, passent toutes les trois la ligne d’arrivée en vainqueur, c’est ensuite après l’énorme grincement proto-final que la basse vous assourdit d’un riff aussi monstrueux qu’une flatulence de dinosaure, que la guitare s’enflamme, et que le dernier coup de gong de la batterie stoppe le tohu-bohu si brutalement que vous pensez être devenu sourd. Cerbère : oubliez tout ce qui précède, des hors-d’œuvre, avariés nous le concédons, mais voici la confrontation finale, comment avec vos deux seules mains parviendrez-vous à fermer les trois gueules du chien infernal ? Difficile à expliquer, mais cette introduction qui semble galoper en toute innocence vous glace les sangs. Surgissent des cris inaudibles, de ceux dont on n’aime pas se souvenir et quand ils se taisent c’est encore pire, vous dévalez une pente sans fin, vous ne courez plus, vous êtes happé en apesanteur dans un trou d’ombre noire et bientôt un vrombissement incessant vous enferme dans une spirale meurtrière, plus de bruit, un sifflement de turbo-réacteur qui vous avale et vous fait subir le sort de ces oiseaux que les moteurs des avions recrachent sous forme de purée sanglante, vous n’êtes plus qu’une pluie charnelle de hachis parmentier qui se désagrège et se dissout dans le vide, les hurlements qui suivent ne sortent pas de votre bouche, ils flottent dans l’espace comme l’algorithmique projection mathématique de votre terreur, basse gourde, batterie sourde, guitare lourde, et ces grincement qui vous percent les tympans que vous n’avez plus, vous descendez encore plus lentement, ces cris sludgéens ne sont-ils pas les nodosités sémantiques des crissement des crocs de Cerbère en train de déchirer le filigrane de votre âme, la torture ne cessera donc jamais, l’impression lors de ces bruits de cymbale de passer par une infinité de sas de décompression, de paliers d’anéantissement préparé et incoercible, et vous sombrez hors de vous-même, toujours plus, vous ne vous obéissez plus, vous n’êtes plus que l’inconscience de votre absence au monde, la musique est désormais si noire qu’elle en devient illuminescente, vous n’êtes plus rien, un souffle ténu qui se dilue en traversant les pales d’un ventilateur.

    Prodigieux. Le genre de disque que vous n’écouterez pas une deuxième fois. A moins que vous ne l’écoutiez en tant que métaphore de la disparition de quelque chose. De l’Europe par exemple.

    Damie Chad.

     

     

    LE GRAND CAFE, C’ETAIT JEAN-CHARLES

    MARIE DESJARDINS

    ( La metropole.com )

    Un article de quelques pages qui risquent de donner le vertige aux petits français qui s’imaginent que Paris est le centre du monde. Dans cet hommage à Jean-Charles, les kr’tntreaders reconnaîtront un nom, grâce à leur blogue favori, celui de Vic Vogel à qui Marie Desjardins a consacré un livre que nous avons chroniqué dans notre livraison, 482 du 30 / 04 / 2020. Rappelons que Marie Desjardins est canadienne et romancière.

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    Nous sommes rue Saint-Denis, pas à Paris, à Montréal. C’est-là en 1981 que Jean-Charles Guinant et Louis Royet, venus de Saint-Etienne ( France ) reprennent Le Grand Café. Misent surtout sur la vie nocturne. Savent, avec l’aide de Jean Caron, un ami, se faire respecter des différentes pègres locales qui aiment bien prélever un petit impôt sécuritaire... Nous sommes dans le monde interlope de la nuit, dans cette faune particulière qu’attirent ce genre de lieux très vite apparaissent Vic Vogel jazzman (voir livraison 482 du 30 / 04 / 2020 ) et Gerry Boulet chanteur d’Offenbach groupe pop canadien qui connut ses heures de gloire de 1969 à 1985. Beaucoup de musiciens gravitent autour du Grand Café et autres établissements similaires de la rue. A tel point que Jean-Charles organise le festival Session Blues Session, onze jours de folie printanière qui se répètera durant treize années.

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    Marie Desjardins restitue toute une époque aujourd’hui disparue, une ambiance, musique, alcool, sexe, la vie, la grande, la belle, nous croisons des gens célèbres chez nos cousins, qui par ici sont de parfaits inconnus, ce n’est pas grave ce qui est embêtant c’est de savoir que l’on a raté un moment d’extraordinaire convivialité, et ce sentiment de nostalgie qui nous poigne pour n’avoir pas su, pas pu y participer. C’est cela Marie Desjardins en quelques lignes grâce à sa plume elle ouvre une fenêtre sur un monde ignoré et restitue dans l’éternel présent de notre imaginaire des fragments d’un passé lointain que le temps a emporté dans ses abîmes. Nous la remercions.

    Damie Chad.

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    P.S. 1 : Outre cet article Marie Desjardins a signé l’éditorial Le convoi de l’évidence, consacré au Convoi de la Liberté qui bloque depuis trois semaines la bonne ville de Québec. Un mauvais exemple qui a suscité bien des ferveurs un peu partout, notamment en France où la police s’est montrée particulièrement violente. Nous partageons ses analyses, à force de maltraiter le peuple le gouvernement a récolté ce qu’il a semé, un mouvement de protestation populaire, largement suivi et soutenu par la population. Nous invitons nos lecteurs à (re)regarder Le Convoi film de Sam Peckinpah, sorti en 1978, terriblement prophétique, que je tiens pour l’œuvre cinématographique la plus anarchisante que je n’ai jamais vue.

    P.S. 2 : nous avons consacré quatre autre chroniques (440, 442, 447, 449) à quatre romans de Marie Desjardins.

     

    ILLICITE 2

    AUTOPORTRAIT COMPLAISANT

    Je suis un sophiste. Les mots nous obéissent, ils disent ce que l’on désire. Tout dépend de la manière dont on les agence. Moi qui ai écrit des milliers de chroniques sur des sujets variés – de préférence rock et littérature- ne pense point qu’il y ait en elles une once de ce que les imbéciles parent du beau nom de vérité. Ce ne sont point pour cela des mensonges. Disons des points de vue. Irradiants. Les choses portent en elles non pas une objectivité mais une signifiance. Celle que nous leur accordons. Personnellement en règle générale je préfère mes appréhensions à celles des autres. Ainsi ai-je l’impression de me regarder dans mon propre miroir. Parfois je me déguise. Dans les deux cas, j’ai mes stratégies.

    Damie Chad

     

    MEURTRES A ATLANTA

    JAMES BALDWIN

    ( Editions Stock / Février 2020 )

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             Le livre qui ne vous attend pas. Certes les lecteurs qui n’auraient jamais lu un livre de James Baldwin auraient le droit, vu le titre, de s’apprêter à dévorer un roman policier.  Ce n’est pas un roman, ce qui ne l’empêche pas d’être très noir. L’émotion suscitée par la mort de George Floyd délicatement assassiné par un policier blanc de Minneapolis en 2020 a raffermi par chez nous le renouveau d’intérêt autour de l’œuvre de Baldwin déjà amorcé par l’adaptation cinématographique de son roman Si Beale Street pouvait parler par Barry Jenkins en 2018.

    Pour faire court, nous dirons que dans les années soixante, James Baldwin fut avec Martin Luther King et Malcom X une des trois grandes voix de la révolte noire. Pour ne pas connaître le sort funeste des deux derniers il s’exila en France en 1970. C’est un peu au titre de grande conscience morale du peuple noir qu’il est invité à se rendre au début des années 80 à Atlanta pour enquêter sur une abominable série de meurtres de vingt-cinq enfants noirs. Il arrive après la bataille. L’assassin – un individu noir peu sympathique - est arrêté et déjà condamné. L’on peut manifester quelques doutes sur sa culpabilité. N’a-t-il pas été jugé uniquement pour l’assassinat de deux adultes ? Contrairement à toute attente, le livre ne se transforme pas en contre-enquête dans le but d’innocenter un homme injustement accablé et de démasquer le véritable coupable. Nous ne sommes pas dans un film grand public où le bien finit toujours par triompher. Baldwin se contente des faits. Il a une très grande confiance en la justice de son pays, il sait qu’il ne la fera jamais changer, qu’elle a pour fonction de masquer la réalité, de s’aligner sur l’idéologie et les représentations dominantes.  

    Baldwin enquête. Il rencontre les témoins, discute avec les parents, parle au juge en personne, n’en dit ni du bien ni du mal. Ne découvre aucun nouvel indice – en cherche-t-il seulement - ne nous propose aucune nouvelle théorie sur le déroulement des faits. Certes les crimes se sont déroulés à Atlanta, ville noire dirigée par un maire noir, sans doute faut-il chercher ailleurs. Partout. En Amérique. Baldwin remonte aux origines du problème. Au mouvement qui a conduit la population d’origine européenne des Etats-Unis à qualifier les esclaves importés d’Afrique et leurs descendants de noirs. Une appellation facile à employer et qui occulte une réalité difficile à admettre : s’il existe dans la population noire plus de cinquante nuances de noir, du plus sombre au plus clair, c’est que les européens et les africains se sont mélangés beaucoup plus qu’on ne le dit. L’apartheid idéologique entre les deux provenances ne fut guère étanche…  Ce n’est pas le plus grave. Loin de là. C’est que le fait de stigmatiser socialement les individus à peau plus ou moins noire en tant que noirs, a engendré son propre effet boomerang, s’il existe des noirs, les autres par la force d’une logique binaire se sont retrouvés dans la catégorie des blancs. A refuser l’individuation des êtres humains l’on a créé deux sortes de problèmes : le problème noir et le problème blanc. Une dichotomie à la-je-te-tiens-par-la-barbichette, un nœud gordien qu’il est impossible de trancher par la force.

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    Pourquoi pas après tout. Tuer tous les noirs, ou tuer tous les blancs, le problème s’évapore de lui-même. Malheur aux vaincus. Gloire aux vainqueurs. Ce serait trop beau. Hélas, le problème n’est pas spécialement racial. Chiffon noir ou voile blanc ne sont-là que pour faire oublier les disparités économiques. Baldwin insiste sur un point très particulier : les petites victimes assassinées ont toutes un point commun, ce sont des enfants noirs et pauvres. Pas de manichéisme. Comme par hasard après cette constatation Baldwin   relève une autre évidence : la petite-bourgeoisie noire qui a accédé à une certaine aisance économique ne se sent pas aussi concernée que les masses laborieuses par ces assassinats. Rejoignant en cela la position de la population blanche, terriblement malheureux, mais que peut-on y faire sinon espérer que la police arrête le ou les criminels et que l’on oublie au plus vite ces affreux drames…

    Baldwin élargit la focale. Dans un pays non racial – cette assertion se discute - comme la France il existe aussi une classe pauvre dont les élites ne se soucient que fort modérément… Attention ajoute-t-il, il y a ceux qui n’ont rien à perdre et ceux qui risquent de perdre quelques intérêts s’ils refusaient de collaborer avec l’Etat et le modèle économique dominant. La pensée de Baldwin frise avec la représentation marxiste de la domination capitalistique du monde. Il ne le dit pas ouvertement, il le suggère si fort que son plaidoyer est d’autant plus insidieusement implacable. Laisse au lecteur le soin de tirer les leçons de ses analyses.

    Prodigieux écrivain qui parvient à dire beaucoup plus qu’il n’écrit, n’affronte pas les pouvoirs de face. En cela héritier de la vieille technique des lyrics des premiers bluesmen qui sous-entendaient ce qu’il fallait comprendre. Procède par à-coups. L’air de rien. Accumule les remarques anodines d’apparence aussi peu dangereuses qu’un bâton de dynamite dont on aurait supprimé la mèche. N’empêche qu’en fin de démonstration la crédulité ou la mauvaise foi des lecteurs est des plus chancelantes. Effeuille sans se presser l’artichaut du réel pour finir par en pulvériser le cœur.

    Le pire c’est que Baldwin n’est pas optimiste. Il ne croit guère à la victoire finale. La condition des noirs et des pauvres s’est améliorée, mais fondamentalement rien n’a changé. Meurtres à Atlanta est publié aux USA en 1985, Baldwin disparaît en 1987. Trente-cinq plus tard, malgré la présence d’un Président noir à la Maison Blanche, le malaise est toujours là. Si l’on mesure la pauvreté à l’aune de la croissance exponentielle des richesses, les pauvres sont toujours aussi pauvres et la fracture de la société américaine s’est peut-être élargie. En le sens où l’explosion d’une révolte radicalisée dont Baldwin prophétisait dans les années soixante et soixante-dix – de la mort de Luther King à la défaite des Black Panthers - l’imminence, est restée jugulée.

    Meurtres à Atlanta est un essai des plus incisifs et des plus lucidement désespérés qui ait jamais été écrit sur la société américaine.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Episode 23

    Il faut être franc, l’apparition du Grand Ibis Rouge a jeté un froid chez nos deux interlocuteurs, surtout qu’il affiche une mine peu réjouie, du moins me semble-t-il, je m’empresse toutefois d’ajouter que mes connaissances en ornithologie laissent à désirer. Le Président du Sénat faisant office de Président de la République est blanc comme un linge, son acolyte arbore la même teinte pallide que le buste de Pallas dans le Corbeau, sublime poème d’Edgar Allan Poe. Je suis toutefois heureux de vous annoncer que mon flair de rocker a encore une fois visé juste, je le comprends au ton courroucé avec lequel le volatile rutilant s’adresse à nos deux ennemis :

    • En quoi vous ai-je trompé, n’ai-je pas diligenté un de mes meilleurs drones mortuaires pour assurer les centaines de morts promises afin que votre électorat apeuré se prépare à voter en votre faveur, n’ai-je pas par la même occasion barré de la liste des vivants le préfet de la Vienne en lequel vous entrevoyiez un candidat potentiel dangereux !

    Le chafouin de service s’entremet de son ton qui allie à merveille servilité, obséquiosité et hypocrisie :

    • Ô Grand Ibis Rouge, vous avez tenu vos promesses, hélas, un malheureux grain de sable s’est glissé dans notre entreprise, par notre propre faute, nous voulions être tenus au courant de vos résultats au fur et à mesure que les morts s’amoncelaient, vous nous aviez parlé d’un redoutable agent, tout frais, en pleine forme, un certain Watts, que tous les rockers du monde connaissent aviez-vous précisé, ce nom ne nous disait rien, nous avons cru bien faire en vous envoyant comme renfort supplétif les agents du Service Secret du Rock ‘n’ roll, entre nous soi-dit, un ramassis d’imbéciles profondément tarés dont nous n’avions aucune utilité, nous pensions qu’avec un peu de chance vous nous en auriez du haut de votre sagesse éminemment supérieure, débarrassé !

    Le Grand Ibis Rouge nous jette un regard meurtrier si noir que Molossito ne peut se retenir, un jet d’urine inonde le bureau du Président, occasionnant une nauséabonde auréole.

    • Ne me parlez pas de cette engeance maudite de bras cassés, je les aurais occis avec joie, mais tous tant qu’ils sont : chiens, filles, hommes, sont hors d’atteinte s’étant mis sous la protection d’un contre-rituel initiatique qui les rend insensibles à mes mortelles fureurs, je me demande d’ailleurs comment ils ont appris l’existence de ce contre-feu magique.
    • - C’est pour moi un immense plaisir de vous l’apprendre, cher Grand Ibis Rouge, le Chef relâche un épais panage de fumée noire, l’idée m’est venue comme cela, innocemment, alors que j’allumais un Coronado, Grand Ibis Rouge, vous devriez vous mettre au Coronado, il n’y a rien à dire, c’est le summum existentiel auquel un être vivant, homme ou oiseau, puisse accéder, je…

    Le Grand épouvantail volant cramoisi n’a pas l’air convaincu par les conseils du Chef, il remue les ailes à la manière d’un coq belliqueux qui s’apprête à ensemencer les douze poules glousses de son poulailler.

    • Puisque je ne peux rien contre ces injurieux fifrelins, vous paierez pour eux … d’un terrible coup de bec il perce les crânes du Président intérimaire et de son conseiller occulte, une fricassée de cervelle se répand sur le bureau recouvrant le dégât des eaux précédemment occasionné par le relâchement de Molissito… quant à toi Charlie Watts, tu me dois encore un minimum de trois cents cadavres pour que tu puisses être délié du serment que les Rolling Stones ont signé en bonne et due forme, voici près d’un demi-siècle. Débrouille-toi ! Je te donne jusqu’à ce soir pour accomplir ta mission !

    Un dernier éclair digne d’un camion de pompier et le Grand Ibis Rouge disparaît en une infinitésimale fraction de seconde.

    UN DERNIER EFFORT

    Nous nous sommes discrètement éclipsés du bureau. Ne les dérangez pas tant qu’ils ne vous appellent pas, ils travaillent, glisse à l’oreille du grand huissier qui se précipite vers nous. Dans la voiture Charlie n’est pas en grande forme, il pleure :

    • Où trouver trois cents personnes à tuer d’ici ce soir, se lamente-t-il, quelle tâche ingrate j’en ai assez d’envoyer à la mort tous ces innocents qui ne m’ont rien fait !
    • Charlie… je conduis à toute vitesse en essayant d’écraser les fous  dangereux totalement inconscients qui se croient en sécurité en traversant sur les passages cloutés… n’ayez crainte Charlie, j’ai une idée, nous y sommes dans trois minutes, j’ai ce qu’il vous faut sous la main.

    Je freine à mort devant l’Assemblée Nationale. Les filles ont pris Charlie par la main, Molossa, Molossito, et Rouky découvrent leurs dents lorsque l’on veut nous empêcher d’entrée, mais le Chef exhibe sa carte SSR, les huissiers nous laissent passer sans encombre, nous voici dans la galerie supérieure réservée au public. L’amphithéâtre est plein, l’ensemble des députés écoutent dans le silence l’orateur, l’heure est grave, les visages sont tendus mais fermes, il s’agit de voter la loi d’augmentation des impôts.

    • Vas-y Charlie, tue-moi ces cinq centaines d’irresponsables, tous jusqu’au dernier !
    • Je ne peux pas, répond Charlie, je suis très riche, ma fortune est aux îles Caïman, je ne paie pas d’impôts !
    • Charlie, vous avez perdu combien de millions de dollars depuis le Covid ?
    • Heu… je ne sais pas… en trois ans on aurait dû faire trois tournées à 500 millions de dollars ce bénéfices net, chacune, ce qui fait…
    • Un milliard et demi de dollars Charlie !
    • Oui mais le Covid ces gens-là n’y sont pour rien !
    • Si Charlie, ils ont voté l’interdiction des concerts !

    Sur le coup Charlie est devenu encore plus rouge que le Grand Ibis, il arrache la balustrade et saute au milieu de l’hémicycle, on ne reconnaît plus armé d’un fragment de balustre, il se rue vers les députés, on ne le reconnaît plus, il est partout à la fois, il court, vole et nous venge, poursuit ceux qui essaient de s’enfuir par les couloirs, l’ion ne compte plus les morts, trois cents, quatre cents, cinq cents, lorsqu’il revient vers nous il est tout fier, le rock ‘n’ roll est vengé :

    • Maintenant je repars vers le monde des Morts, je suis en paix avec le Grand Ibis Rouge, mon âme et ma conscience…

    Charlie nous embrasse et nous serre dans ses bras.

    • Merci pour tout mes amis ! Je ne vous oublierai jamais ! Au revoir !

    D’un pas décidé il s’approche du mur et disparaît. Rouky s’élance à sa suite mais le mur l’arrête, il aboie, il geint, il hurle à la mort, il pleure, il gémit… le spectacle est insupportable, le Chef allume un Coronado pour que l’on ne voie pas la larme qui coule de son œil gauche.

    Subitement les mains de Charlie Watts sortent du mur et caressent la tête de Rouky qui lui lèche les doigts et frétille de la queue, les deux mains de Charlie et le tirent vers le mur qui se révèle une frontière insurpassable…

    • Agent Chad !

    Je m’avance vers Rouky, lui flatte l’échine ; il me regarde les yeux implorants,  je m’agenouille près de lui, je sors mon Glock de ma poche, lui colle le canon sur la tempe. Je tire. Rouky n’est plus qu’une ombre. Il donne un coup de langue sur les museaux de Molossa et de Molossito, pose sa patte sur mon genou pour me remercier, les mains de Charlie l’attirent doucement, nous avons l’impression de les voir, de l’autre côté, s’éloigner, tout heureux, Rouky batifolant tout autour de Charlie…

    Fin de l’épisode.  

  • CHRONIQUES DE POURPRE 396 : KR'TNT ! 416 : ERIC BELL / REGGIE YOUNG / CIRCUIT COURT / LE CORE ET L'ESPRIT / ASHEN / WAKING THE MISERY / ABSTRACT MINDED / WILD MIGHTY FREAKS / WISE GUIZ

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 416

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    25 / 04 / 2019

     

    ERIC BELL / REGGIE YOUNG

      CIRCUIT COURT / LE CORE & L'ESPRIT

    ASHEN /WAKING THE MISERY

    ABSTRACT MINDED / WILD MIGHTY FREACKS

    WISEGUYZ

    Bell Bell Bell comme le jour

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    Vous savez que les disquaires français ont une sale manie, celle qui consiste à cataloguer les groupes. Quelle est selon vous la plus belle aberration engendrée par cette sale manie ? Celle qui consiste à ranger Thin Lizzy dans le bac ‘Hard Rock’ ! Or, ce mélodiste exemplaire que fut Phil Lynott ne devait absolument rien au Hard Rock, et cela tout le monde le sait en Angleterre. L’Irlando-brésilien naviguait au même niveau de John Lennon, George Harrison ou Ray Davies, au niveau supérieur d’excellence compositale. Et le diable sait si Eric Bell eut du pot de pouvoir jouer avec un mec aussi brillant que Phil Lynott sur les trois premiers albums de Thin Lizzy.

    Bell Bell Bell ne sort pas d’une chanson de Cloclo, mais du chaudron bouillonnant des early seventies. Dans un bel article doublé d’une interview, Rich Davenport dessine un parallèle entre les Bluesbreakers et Lizzy, deux groupes qui virent passer dans leurs rangs respectifs une ribambelle de grands guitaristes : Clapton, Mick Taylor, Peter Green chez les Bluesbreakers, Gary Moore, Brian Robertson, Scott Gorham, John Sykes et Bell Bell Bell chez Lizzy.

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    Dans l’interview, Bell Bell Bell indique qu’il fit partie du troisième line-up des Them. Il avait rencontré Van Morrison chez Crymbles, un disquaire de Belfast. Il joua en tout et pour tout dix fois avec les Them, avant que Van Morrison ne quitte l’Irlande pour les États-Unis. Bell Bell Bell dit que Van ne supportait plus qu’on l’ignore - I mean the guy was a legend and nobody gave a shit - Bell Bell Bell débarque ensuite à Dublin et rencontre Phil qui lui propose deux choses : monter un groupe et un plan maison à trois avec Brian Downey. Objectif : travailler tous les jours et écouter des disques pour composer. Ils s’immergent alors tous les trois dans Lizzy. À la différence de la grande majorité des guitaristes anglais de l’époque, Bell Bell Bell ne se réclame pas uniquement du blues. Il cite des influences comme Hank Mavin, Wes Montgomery, Django Reinhardt, ce qui ne l’empêche pas d’admirer Hubert Sumlin et Buddy Guy. Il explique que quand le Beano album de John Mayall & the Bluesbreakers parut, tous les guitaristes de Belfast se mirent à vouloir imiter Clapton. Pas Bell Bell Bell - I think I was the only one that didn’t - Bell Bell Bell ne voyait pas l’intérêt de jouer ce que tout le monde jouait. Mais là où Bell Bell Bell est très fort, c’est lorsqu’il invente le fameux twin guitar attack qu’allaient par la suite reprendre à leur compte Scott Gorham et Brian Robertson. Comment ? Grâce aux overdubs. Bell Bell Bell rejouait sur lui-même. Ce son, ajouté aux qualités mélodiques des compos de Phil, allait devenir la Marque Jaune de Lizzy. En fait, le procédé existait déjà. Bell Bell Bell indique que l’idée du twin guitar attack lui vint en écoutant Randy California qui jouait ce qu’il appelle de l’harmony-style guitar. Même chose avec Harvey Mandel qui lui aussi overdubbait pour produire ce genre d’effet.

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    Le premier album de Lizzy fourmille d’idées de son et de libre cours. Pour l’époque, c’est un disque incroyablement novateur. Non seulement Phil compose des choses admirables, mais il sort des basslines exceptionnelles, comme on le constate à l’écoute de «Ray Gun». Le mix monte son bassmatic au premier rang et franchement, c’est un modèle pour tous les bassistes du monde. Cette extraordinaire progression de bassmatic renvoie à celles de Billy Cox. Et Bell Bell Bell dans tout ça ? On l’entend wha-whater dans les sous-bois pseudo-proggy du cut d’ouverture, «The Friendly Ranger At Clontarf Castle». Il fait même le twin guitar attack tout seul. On sent chez lui l’âme du spadassin rompu à toutes les ficelles de caleçon. S’ensuit un «Honesty Is An Excuse» annonciateur des splendeurs lizziques à venir. Fantastique qualité mélodique ! Solide et passionnant, comme tout ce que fera Phil par la suite. Il faut l’entendre chanter «Look What The Wind Blew In» à l’éclat de la revoyure. Dire que ce mec est passionnant serait un euphémisme. À cette époque (1971), il se situe déjà à la pointe du progrès. On le sent parfaitement déterminé à vaincre. Il Dubline tout sur son passage. Il ramène déjà la notion de Dublin Cowboys, l’Americana irlandaise selon Phil Lynott. Bell Bell Bell se taille la part du lion en B dans «Return Of The Farmer’s Son». Brian Downey bat ça si sec. Il tape à tours de bras et jazze le groove à la manière de Mitch Mitchell. Alors on voit Bell Bell Bell entrer en suspensif et jouer la carte de la fusion expansive. À force de tension, ça devient beau comme un jour nouveau. Phil et Brian Downey constituent l’une des plus belles sections rythmiques de l’histoire du rock anglais, ne l’oublions jamais. Encore un balladif spectaculairement bon avec «Clifton Grande Hotel», tellement précurseur des grandes heures à venir. Phil Lynott s’y positionne comme prétendant au trône. Ils terminent ce fantastique coup d’essai avec «Remembering», que Phil tance à sa manière, c’est-à-dire dans un élan d’éclat suprême. Ces trois mecs jouent en vol plané, à la croisée des chemins et wha-whatent leurs rêves de gloire.

    Le plus drôle de toute cette histoire, nous dit Bell Bell Bell, c’est que ce premier album de Lizzy n’intéressait personne, à l’époque. Ils ne sortiront de l’underground irlandais que grâce à Kid Jensen, un DJ de Radio Luxembourg.

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    L’année suivante paraît Shades Of A Blue Orphanage. L’association Lynott/Bell Bell Bell y fait encore pas mal de ravages, notamment avec «Buffalo Gal», balladif lynottien d’une finesse extrême. On voit bien qu’avec ce hit, Phil Lynott ouvre un ère de très grandes chansons. On pourrait en dire autant de ce «Brought Down» qui semble annoncer la suite. Et comme on le voit avec «The Rise And Dear Demise Of The Funky Nomadic Tribes», ces trois-là savent tout jouer. Il faut voir Bell Bell Bell partir en solo et croiser le chemin d’un Phil lui aussi parti en voyage, ils jazzent le funk comme des démons opiniâtres. C’est en B que se joue le destin de Lizzy avec «Chatting Today», un balladif extrêmement mélodique que Bell Bell Bell gratte à l’acou, mais en espagnolades. C’est excellent car ultra-joué à la classe supérieure. Bell Bell Bell est une sorte de virtuose vertigineux. Et puis les choses montent directement au pinacle avec le morceau titre, d’un poids mélodique extraordinaire - And he might have been/ The Magic Politician/ In some kind of tricky position - Véritable coup de génie, à la fois écrit et mélodique - Like an old old pioneer/ From Afghanistan - On retrouve ici le poids du «Blues» D’Aragon orchestré par Leo Ferré - And he might have been/ The Laughing Cavaliero/ The Wise Old Commanchero/ The Desperate Desperado/ The Gigolo from Glasgow - Soudain, le génie de Phil Lynott se met à luire dans le fog.

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    Encore du Lizzy magistral avec l’effarant Vagabonds Of The Western World. C’est là qu’on trouve «Whisky In The Jar», une folk-song traditionnelle irlandaise devenue un classique du groupe, chanté à la pointe du registre. C’est un mid-tempo d’une classe écœurante. Bell Bell Bell joue le thème sur sa petite Strato dublinoise. On l’entend croiser le fer avec Phil dans «Little Girl In Bloom». Ils génèrent une richesse infinie, un peu comme dans Cream, où tout le monde joue la surenchère qualitative, avec bien sûr un Brian Downey hyper actif dans le background. S’ensuit un «Hero & The Madman» travaillé au très beau groove de down below. Voilà un prog aigu et bien déterminant. Ce groupe sait tenir le lapin blanc en haleine. Bell Bell Bell adore partir en solo. Il n’est pas avare de virulences, c’est un maître queue de l’exaction parabolique, il fouille dans l’avenir et Phil l’observe, un sourire au coin des lèvres. Ils savent aussi très bien montrer les dents, comme le montre «The Rocker». C’est même une démonstration de force idyllique. Phil y sort son plus bel accent de Dubliner délinquant, rawk & rawl, et ça fulgure jusqu’au bout du bout. La B réserve son petit lot de bonnes surprises, comme ce «Gonna Creep Up On You», magnifique slab de seventies rock. Bell Bell Bell y whawhate sous le boisseau celtique. Il passe même en mode funk et on assiste à un admirable déploiement d’élégance basse/guitare. Ça joue vraiment comme dans Cream. Phil rivalise d’aisance avec Jack Bruce. Ils tapent dans le boogie avec «Mama Nature Said». Ils sont tellement à l’aise qu’ils développent des poches d’air dans les cervelles des auditeurs. Bell Bell Bell nous joue ça à la slide judicieuse, ça groove en profondeur et on assiste à des envolées surnaturelles. Pure beauté factuelle. On se régalera autant du morceau titre, chargé de son jusqu’à la gueule et orfévré à outrance.

    La belle union prit fin lors d’une soirée du nouvel an 1973 trop alcoolisée - an alcohol-fuelled debacle during a Belfast show - Bell Bell Bell jeta sa guitare en l’air, renversa sa colonne d’amplis et quitta le groupe. Il reconnaît que Lizzy subissait une pression énorme, suite au succès de Whisky. Phil et Brian lui ont-ils pardonné ? Non. Phil et lui ne se reparleront que quelques années plus tard, lors de l’enregistrement d’un hommage à Jimi Hendrix.

    Bell Bell Bell garde le souvenir d’un Phil soft-spoken, romantique et poétique. C’est le plus important. Après Lizzy, Bell Bell Bell enregistre quelques albums, et comme il joue bien de la guitare, on ne résiste guère longtemps à l’envie de les écouter.

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    Album très intéressant que ce Live Tonite paru en 1996. Pour quatre raisons principales : un, Eric Bell joue sur une Strato aussi lessivée que celle de Rory Gallagher : le bois est à nu. Phénomène transpiratoire irlandais ? Allez savoir. Deux, il tape dans les vieux coucous de Freddie King, comme «The Stumble» qui fit les grands jours des Bluesbreakers sur A Hard Road. Il tape d’ailleurs à la suite dans «Oh Pretty Woman» qu’on trouve sur l’autre bel album des Bluesbreakers, Crusade. Trois, Eric Bell a le bec fin car il tape aussi dans le beau hit de Guitar Slim, «Things I Used To Do» - I used to search at night for you darling/ And I search always anything - Eric Bell se prête au jeu du fabuleux shoot de heavy blues. Et quatre, il tape dans les Them avec une version superbe de «Baby Please Don’t Go». Ce diable de Bell Bell Bell n’en finit plus de sonner les cloches. En plus, c’est battu sec à la vie à la mort. Eric Bell joue bien la carte de menace Morganfield et par sa sauvagerie, sa version surpasse celle des Amboy Dukes. On voit bien que Van Morrison exerce une sacrée fascination sur Bell Bell Bell, car s’ensuit une reprise de «Madame George» et il va même terminer l’album avec «Gloria». Version Strato, mais il chante ça de l’intérieur du menton et se fend d’une belle descente de yeah-yeah-yeah-yeah. Rien de plus Irish que l’angst de Gloria. Il tape aussi dans the reverend Buddy Guy avec «Hold That Plane» et salue la mémoire de son vieux complice Phil Lynott avec une belle version de «Whiskey In The Jar» - Way wy way back, that’s an Irish number - Il joue ça au gras mythique, mais sans la voix de Phil. Encore du Lizzy sans Phil avec «The Rocker». Bell Bell Bell le rocke à la vie à la mort, comme un heavy dude. Il tente de récréer la magie de Lizzy, mais sans Phil, c’est impossible. Alors il passe au groove de jazz avec «Just To Get By» et s’y sent plus à l’aise.

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    Paru en 2008, Irish Boy vaut aussi le détour, ne serait-ce que pour le «Days Of Innocence» d’ouverture de bal. Bell Bell Bell cultive une tradition d’Irish high quality. C’est un maître de cérémonie, il n’a plus rien à prouver. Il tape son balladif à la meilleure avancée, il navigue en suspension. L’autre très beau cut de l’album est le «Newcastle Boy» de fermeture. Il joue ça au clairvoyant de Strato. Ce diable de Bell Bell Bell ne lâche jamais la rampe, il joue à l’inspiration des profondeurs, son groove pénètre la peau. Bell Bell Bell est un bon. On a là l’archétype du blues soigné au bassmatic - And the wind blows/ Across Newcastle bay - Il joue au sludge de Strato et s’érige comme un géant de l’underground irlandais. Sur le heavy groove de «Just To Get By», il devient le gaillard avant de l’Irish rock. Il plaque de beaux accords en étain, il sort une sonorité rêveuse de round midnight. Il revient au romp d’excellence avec ce vieux boogie qu’est «Sweet Mystery». On pourrait même qualifier ça de boogie attentiste, car solid as hell, gratté avec les meilleures intentions. Bell Bell Bell est un mec authentique, il ne force jamais l’admiration. Avec le morceau titre, il raconte son histoire et recrée sa petite magie irlandaise infiniment respectable. Il nous coud ça au fil d’or mélodique. Quel soin et quelle présence ! On le voit aussi jazzer son boniment dans «Standing In The Middle», puis il s’en va rocker son jive de swing. C’est un pro. Un mec infiniment recommandable. Pas étonnant qu’on trouve ses disks sur Angel Air.

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    Exile sort du bois en 2015. On a du son, rien que du son dès «Deep In Your Heart». Il joue à la bravado et quand il rentre au chant, on l’accueille à bras ouverts. You’re welcome Eric ! Voilà un candidat au culte qui ne mène nulle part. En tous les cas, il maintient une éthique underground assez magnifique. Il fait son truc dans son coin. Bell Bell Bell sonne bien, très Doug Sahm. Guitaristiquement parlant, il est parfait. Il sait relancer avec du son. On est convaincu d’avance, c’est évident. Chez lui, tout se situe dans la musicalité exhaustive. Bell Bell Bell joue pour le plaisir de jouer, ça se sent. Extraordinaire personnage ! Il excelle dans l’art des renvois de son. On voit bien qu’il joue avec les moyens du bord sur «Don’t Love Me No More», mais il sonne juste. On lui accorde toute notre confiance. Il fait son cirque. Bell Bell Bell est un Pinder à deux pattes. Il joue tout au harsh. C’est un âpre. Et voilà le coup de génie : «Gotta Say Goodbye». Quasi jazz, baby, véritable coup de Jarnac. Il crée tout simplement la sensation. Il part en solo, et quel solo, il joue à l’instantanéité parabolique, il s’élève au dessus de la normalité, Bell Bell Bell sonne bien les cloches, il joue son solo en mode heavy clean et crée une féerie de tramway aérien. Il sonne comme l’Oracle de Delphes. Il zèbre le ciel du rock comme un éclair. On le verra dans les cuts suivants, il se montre imparable lors de ses départs en solo. Il se montre même assez incendiaire dans «Vote For Me». Son «Little Boy Running» est une nouvelle merveille, il claque un solo sharp de clairvoyance, pur son de Strato dévitalisée. Ah l’excellent Bellman ! - See my little boy running/ Running with a ball - Visiblement, il ne s’intéresse qu’à l’excellence. Avec «Song For Gary», Bell Bell Bell raconte qu’il vit un soir Gary Moore arriver sur scène à Hollywood, Northern Ireland. Eric jouait alors dans les Deltones. Gary n’avait que 11 ans et voulait déjà jouer de la guitare avec des musiciens de rock. Puis Bell Bell Bell raconte dans la chanson que Gary est mort à l’âge de 58 ans, et qu’il espère le revoir un jour, dans l’autre monde - I hope someday we’ll meet again - Fabuleux hommage. C’est un passage obligé pour tout amateur de rock anglais. Et bine sûr, Bell Bell Bell passe dans «Song For Gary» un solo incroyablement Moory. On ne fait pas d’hommage sans casser des œufs, n’est-il pas vrai ?

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    Standing At A Bus Stop paraît en 2017. Sur la pochette, le pauvre Bell Bell Bell attend tristement à l’arrêt de bus avec un étui de guitare à la main. Comme la scène se déroule dans les nuages, on en déduit qu’il est déjà arrivé au paradis. Mais si on jette un coup d’œil à l’insert, alors on tombe sur le portrait d’un mec assez beau, un mec d’un certain âge, c’est vrai, mais quelle classe ! Il attaque l’album avec un bel hommage à Wolf : «Back Door Man». Il le prend à pleine voix - Well men don’t know/ But little girls understand - C’est une version qu’il faut bien qualifier d’historique - Cop’s wife cried/ Don’t take him down/ Rather be dead/ Six feet in the ground - Il se frotte plus loin à Django avec «In Memory Of Django». Il en a les moyens, rassurez-vous. Il retrouve le chemin des assonances magiques de ce son qui défie les dieux plutôt que les hommes. Il fait aussi une version balloche de «Mystery Train» - Sixteen coaches long - Son train train n’en finit plus de coming round the bend. Mais la B est un peu faiblarde. Il faut attendre le morceau titre pour renouer avec le frisson, tout au moins au niveau littéraire - Mmmm time has swept it all away/ I just can’t believe I’m standing here today/ Trying to swallow my pride/ Before the fall - Il sur-joue au jazz guitar et c’est tout simplement fabuleux. Il termine avec un «Walking In The Park» qui n’est pas celui qu’on croit, c’est-à-dire celui de Colosseum. Il revire jazz - Time has changed/ And still I find/ I’m flying blind/ But no so often - et ça vire au mood de diabolo jive - And it feels like it’s the end of the world - On est content d’avoir croisé le chemin d’un mec comme Bell Bell Bell.

    Signé : Cazengler, Eric Bêle

    Thin Lizzy. Thin Lizzy. Decca 1971

    Thin Lizzy. Shades Of A Blue Orphanage. Decca 1972

    Thin Lizzy. Vagabonds Of The Western World. Decca 1973

    Eric Bell. Live Tonite. BMA Records 1996

    Eric Bell. Irish Boy. Isol Discus Organization 2008

    Eric Bell. Exile. Cargo Records 2015

    Eric Bell. Standing At A Bus Stop. Of The Edge Productions 2017

    Rich Davenport : Bell Rings Out. Record Collector #478 - April 2018

     

    Ci gît Reggie - Part Two

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    Avant de casser sa pipe en bois, Reggie Young eut heureusement le temps d’enregistrer un album, son seul album solo d’ailleurs, le bien nommé Forever Young. C’est dire la modestie du bonhomme. Il aura passé soixante ans de sa vie en studio à gratter sa gratte pour les autres et jamais pour sa pomme, alors bravo. C’est la première des raisons pour laquelle il est indispensable d’écouter cet album. La deuxième raison est la suivante : comme chez Ace on fait toujours bien les choses, on a demandé à Colin Escott de pondre une petite présentation. Colin Escott ? Mais oui, vous le connaissez : le spécialiste de Sun Records, le sunologue numéro un.

    L’Escott n’y va pas par quatre chemins : il commence par situer le style du Young à la croisée de Coleman Hawkins (pour les structures harmoniques), de Lester Young (pour les melodic lines), d’Hendrix (pour les clusters, c’est-à-dire les grappes de notes), et de B.B. King (pour l’économie). Quand il joue un solo, il le joue tellement à l’extrême qu’il ne peut jamais l’améliorer. Reggie Young ne joue qu’à l’économie, au Soulful et au lyrical. Et s’il est un musicien qui se fout d’être crédité ou pas sur la pochette, c’est bien lui. Pas de problème de m’as-tu-vu chez Reggie Young. La liste des hits sur lesquels on l’entend jouer va loin puisqu’elle s’étend jusqu’à l’horizon, on la trouve sur wiki, d’ailleurs, mais pour les ceusses qui n’ont pas d’ordi, on peut citer les solos de «The Letter» et «Cry Like A Baby» des Box Tops, ou encore «Son Of A Preacher Man» de Dusty chérie, et tiens, tu as aussi le «Midnight Mover» de Wilson Pickett. Et bien sûr «Suspicious Minds» et «In The Ghetto» d’Elvis. L’Escott révèle que Reggie tenait un journal, non pour raconter son histoire, mais pour tenir sa compta et être sûr d’être payé. Et du coup, ce journal intime raconte, comme le dit si bien l’Escott, l’histoire de notre musique favorite.

    Alors attention, car ça grouille de détails marrants. En 1955, Reggie accompagne Eddie Bond sur «Rockin’ Daddy» et pouf, les voilà partis en tournée avec Johnny Horton, Warren Smith, Carl Perkins et Johnny Cash qui empuentait la voiture avec ses Picayune cigarettes (un équivalent des Boyard) mais aussi Roy Orbison qui n’arrêtait pas de dire qu’il voulait une Cadillac. Quand Reggie enregistre le deuxième disk d’Eddie Bond pour Mercury, il gagne 41 dollars et 25 cents. Mais c’est avec Johnny Horton que Reggie passe le plus de temps. Johnny l’emmène un jour voir une voyante. Dans la boule de cristal, elle voit tout, évidemment, et surtout un accident d’avion pour Reggie qui du coup développe une intense phobie de la mort. Il dort avec la lumière allumée. Johnny Horton organise des séances de spiritisme chez lui, dans la fameuse spook room. L’esprit qu’il invoque lui apprend qu’il va mourir dans un accident de bagnole. On est en 1959, Reggie est appelé sous les drapeaux. On l’envoie en Éthiopie. Un matin il apprend que Johnny Horton est mort. Comment ? Dans un accident de bagnole. Reggie comprend que s’il n’était pas parti à l’armée, il serait mort avec son poto Johnny Horton.

    Pendant son service, Reggie est devenu spécialiste du décryptage. La CIA lui propose un job au terme de ses 18 mois de service, mais Reggie préfère aller retrouver son ami Bill Black à Memphis. Reggie fait donc partie du Bill Black’s Combo qui joue en ouverture des Beatles, lors de leur première tournée américaine, en 1964. Le Combo accompagne aussi les autres artistes de la tournée : Clarence Frogman Henry, the Exiters et Jackie DeShannon. C’est là que Reggie et Jackie ont une aventure. La tournée ne se passe pas très bien, car quand le présentateur demande à la foule : «You wanna see Ringo ?», la foule hurle, woooooooah, même chose pour George, woooooah, Paul, wooooooah et John, whoooooah ! Mais quand il demande : «You wanna see Bill Black Combo ?», la foule hue. Booooooo !

    En 1964, Reggie a déjà dix ans de métier et selon l’Escott, il a vécu deux moments clés de l’histoire du rock : la naissance du rock’n’roll et sa transformation en rock. Reggie évoque aussi l’époque où il travaille pour Goldwax, un petit label de Memphis devenu culte. Il accompagne James Carr qui devient célèbre et qui entre dans les charts. Voyant ça, Reggie demande à Doc Russell de le payer et Doc lui répond : «Would 15 bucks be cool with ya man ?» (Ça te va 15 dollars mon pote ?), mais l’associé de Doc Ray Harris casse le prix et dit que dix dollars suffiront largement. Reggie comprend qu’il se fait enculer en beauté et décide de se tirer de là vite fait. Par miracle, il rencontre Chips Moman qui vient tout juste de monter American Sound et qui cherche un guitariste.

    Alors, place à la rigolade. À côté d’American se trouve un resto. Qui dit resto dit rats. On les entend cavaler dans le grenier pendant les séances d’enregistrement. Reggie raconte qu’un joue les Blossoms de Darlene Love sont en studio et un rat se pointe. Les filles hurlent et grimpent toutes les trois sur une chaise. C’est Bobby Emmons qui extermine le rat à coups de pied de micro. La première session de Reggie pour Chips, c’est l’album des Gentrys, Keep On Dancing. C’est aussi l’époque où Chips, Reggie et Tommy Cogbill vont encore régulièrement à New York faire des sessions pour Jerry Wexler. Puis Chips a l’idée d’inverser la tendance et de monter un house-band à Memphis pour faire venir le business. Reggie : «Sounded good to me». Alors Chips embauche son house-band, les Memphis Boys. Entre 1967 et 1972, il sort pas moins de 120 hits des forges célestes d’American. Le clou du spectacle, c’est Elvis qui arrive sapé comme un lord, en cuir bleu - Elvis looked like a brother from another planet - Reggie dit qu’on sentait sa présence avant même qu’il n’entre dans le studio par la porte de derrière et il ajoute : «We just hoped that the rats weren’t running around !» Eh oui, pourvu que les rats ne se pointent pas ! Quand Elvis demande à Reggie ce qu’il pense d’une chanson sélectionnée par son entourage, il répond que bof, c’est pas terrible. Bobby Emmons lui répond la même chose : bof, pas terrible. Alors Jarvis Felton, le producteur d’Elvis, les prend tous les deux à part dans le hall d’entrée et leur demande de fermer leur grande gueule. Chips vole au secours de ses amis et annonce au micro qu’il peut proposer des chansons bien meilleures. L’entourage d’Elvis dit que c’est possible, mais à condition de récupérer les droits. C’est la règle imposée par le Colonel. Tu cèdes tes droits et tu fermes ta gueule. Elvis ne chante que des chansons dont lui et le Colonel possèdent les droits. Quoi ? Céder mes droits ? T’as vu ça où ? Chips se marre. Pas question de céder mes droits. Chips sait qu’il va gagner le cœur d’Elvis car il propose une compo de Mark James intitulée «Suspicious Minds». Il prend le micro et prévient l’assemblée : «Ici, on n’enregistre que des hits, d’accord ? Si Elvis ne veut pas de hits, vous pouvez tous aller vous faire mettre - Y’all can get out !» Elvis dresse l’oreille quand il entend la démo de «Suspicious Minds». Ça le fait bander, évidemment. Il demande à son entourage de sortir du studio. En fait il adore tellement l’équipe de Chips qu’il leur propose de l’accompagner en tournée, mais Chips et Reggie sont devenus très casaniers et ça ne les intéresse pas.

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    L’album qu’Elvis enregistre chez Chips s’appelle From Elvis In Memphis et selon bon nombre de spécialistes, c’est son meilleur album.

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    Pour revenir à nos moutons, la troisième raison d’écouter Forever Young est que c’est tout bonnement excellent. Attention, Reggie Young ne joue que des instros, mais chacun des sept instros proposés ici valent pour des coups de génie, à commencer par «Coming Home To Leipers Fork», un vieux groove swampy de Memphis. Si on aime le Memphis Sound, alors on ne peut qu’adorer cet album. Reggie Young entre dans le son avec du petit diguili de vieux crabe, this the Memphis Soul typecast, baby. Reggie groove derrière les fagots du boisseau, il groove dans la note, il entre dans la matière du raw, Reggie régit le jive. On entend rarement des mecs jouer avec un tel souci de l’intrinsèquement beau. Il installe un groove de charme au long cours et claque les contreforts du jazz dans l’essence même du son. Il shoote du Wes Montgomery dans le Memphis Sound. Il enchaîne avec un «Memphis Grease» de tous les diables cornus réunis. Il claque sa chique dans l’épaisseur du Grease. Il transforme son instro en caverne d’Ali-Baba, il roule le groove dans sa farine, il atteint à l’essence même de l’insurpassable naissance du cool. Il joue à la note perdue, celle qu’on voit suspendue dans le cours de l’éternité. Cet homme semble s’élever avec sa musique, il élève l’âme du groove de manière shamanique. Parler de shamanisme est l’une des manières de le situer. Il te fait entrer dans son monde, comme le ferait un shaman. Encore plus terrifiant de présence, voilà «Soul Love», plus lumineux, et même plus pop. Les nappes de cuivres en disent long sur son bonheur de vivre. Il passe au jazzy cosy avec «Seagrove Place». Reggie va là où il veut, il claque ses accords en accord avec lui-même, il part en groove de jazz comme s’il partait butiner un champ de coquelicots, il joue des gouttes de jazz lumineuses, mais il n’est pas homme à se mettre en avant et s’installe à la lisière de l’ombre. Reggie reste un modèle de discrétion, même dans son jeu. Il devient miraculeux de détermination constitutive, il fait ruisseler quelques diamants, rattrape la queue d’une mélodie au vol, il nous promène dans l’élégance d’un son à petits coups de délassement substantifique et d’écartèlement de gammes débonnaires, qui vont ici et là se perdre dans la torpeur du Tennessee. Il atteint à l’omniscience des figures harmoniques. Tous ses cuts sont des grooves à thèmes bien ficelés. Il fait chauffer «It’s About Time» à la flûte. Dickinson a raison de dire qu’on groove à Memphis comme nulle part ailleurs. Et c’est à cause de mecs comme Reggie Young qu’on finit par tomber en panne d’adjectifs. Sur le tard, il s’efforce de pacifier ses thèmes musicaux. «Exit 209» s’en va paisiblement se fondre dans le poudroiement du crépuscule. On a une idée du monde moderne si dégradée qu’on s’étonne vraiment de croiser le chemin d’un homme si paisible. N’ont-ils pas tous disparu ? Lorsque l’album se termine, on se pose la question : l’apprécie-t-on uniquement parce que Reggie Young est auréolé de légende ? La réponse est dans la question.

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    Et puis comme Ace ne fait jamais les choses à moitié, voici que sort en catastrophe une compile de compétition intitulée Session Guitar Star. Elle propose un choix de 24 hits dans lesquels s’illustre Reggie Young. Bob Dunham nous explique dans une plantureuse intro que cette compile était en germe depuis un bon moment et devait paraître pour le 82e anniversaire de Reggie. Au moment ou Dunham écrit, Reggie vit encore. Dunham apporte quelques petits éclairages complémentaires à ceux de l’Escott. Comme Billy Gibbons, Reggie a la chance d’avoir un père qui lui offre une guitare au bon moment, à l’adolescence. Un an plus tard, il joue dans des groupes locaux de hillbilly. Dunham passe rapidement sur le service militaire en Éthiopie, sur la période Bill Black’s Combo. Joli coup de projecteur aussi sur le fameux Hi’s Royal Studio qui travaille pour des clients extérieurs, notamment Duke Records, basé au Texas. Don Robey leur envoie O.V. Wright, puis Bobby Bland qui enregistre «A Touch Of The Blues», l’un des plus beaux albums de tous les temps. Goldwax envoie aussi James Carr et c’est là qu’il enregistre le fameux «Dark End Of The Street». C’est la période Reggie at Royal, celle où il se fait rouler la gueule. Chips Moman arrive au bon moment et lui propose d’entrer dans son house-band. Bobby Emmons qui travaillait aussi pour Hi le suit. Chips embauche aussi Gene Chrisman, ce vétéran qui battait pour Jerry Lee en tournée. Young/Emmons/Chrisman/Cogbill, ce sont les quatre Mousquetaires d’American. Retenez bien leurs noms. Tommy Cogbill est le veux compagnon de route de Chips : ensemble ils sont allés jouer en session à New York pour Atlantic puis chez FAME à Muscle Shoals. Dickinson dit de Tommy Cogbill qu’il est le meilleur bassman de tous les temps. Viendront s’ajouter aux quatre Mousquetaires le bassman Mike Leech et le clavier Bobby Wood. Ce sont les Memphis Boys. On les entend sur 120 hits et pendant l’âge d’or d’American, ils accompagnent la crème de la crème du gratin dauphinois, Dusty chérie, Wilson Pickett, Elvis, Jackie DeShannon, B.J. Thomas, Joe Tex, Bobby Womack, King Curtis, les Box Tops et des tas d’autres. Ils devaient accompagner Aretha en 1968, mais on venait de buter Martin Luther King et la session fut annulée. Puis c’est la période Nashville, où Reggie croule sous la demande. Il double ses tarifs, mais ça ne sert à rien, on le considère comme le meilleur. Il accompagne les Highwaymen et plus tard Waylon Jennings.

    Si on aime les coups de génie, cette compile en regorge, à commencer par le «Don’t Forget About Me» de Dusty chérie et signé Goffin & King. On y assiste à une fabuleuse progression orchestrale. Ces mecs jouent comme des diables. Reggie nage dans le fond avec un son bien rond qu’il tire d’une overdriven Gibson ES 345. Quelle panade ! Même si Dusty chérie rajoute sa voix plus tard en studio à New York, le résultat est stupéfiant. Tout aussi marquant, voilà le «Morning Glory» de James & Bobby Purify. Les Purify swinguent la Soul de Memphis avec une grandeur d’âme incomparable. Mais attention le Bobby Purify n’est plus celui de la première époque : un certain Ben Moore remplace le Robert Dickey qui se faisait appeler Bobby. Reggie nous entraîne là dans un véritable labyrinthe qualitatif. Il accompagnera de nouveau Bobby trente ans plus tard sur Better To Have It, un album produit par Dan Penn. Encore une belle énormité avec le «Stranger In My Own Home Town» d’Elvis. On sent immédiatement l’immense présence tutélaire. L’ombre d’Elvis plane sur le monde du rock comme nulle autre. Derrière, Reggie joue comme un fou, il dégomme ses gammes comme un virtuose du génie ou si tu préfères, comme un génie de la virtuosité. Au fond c’est la même chose. Il faut entendre ce ramalama mêlé à la voix d’Elvis. C’est le maximum de ce qu’on peut attendre d’un cut de rock. Avec ça et «Suspicious Minds», Chips fut le seul à pouvoir rétablir la crédibilité de rocker d’Elvis - The empathy and music created at American would never be recaptured - Autre grosse surprise avec le «Victim Of Life’s Circumstances» de Delbert McClinton. Reggie joue à la folie du bluegrass. Ah il faut entendre ces digonnades, il joue par derrière, c’est un déconstructeur d’initiatives locales, un taraudeur d’alertes rouges, il va loin car le vent le porte. Il faut aussi le voir illuminer l’«I Wanna Boo You» de Jackie DeShannon. Oui, Reggie illumine le cut (pas le cul) de Jackie (qu’il connaît pourtant bien, le cul, pas le cut). Il joue des tiguiliguili paradisiaques et derrière, les Memphis Boys pulsent le Memphis Sound. Puissant et gorgé de son ! Dunham précise aussi que ces sessions Atlantic avec Jackie (supervisées par Tom Dowd) comptent parmi les dernière d’American in Memphis. Oh il faut aussi entendre Reggie jouer sur le «Rock’n’Roll (I Gave You The Best Years Of My Life)» de Sonny Curtis. Il y sort ses meilleurs arpèges pour l’occasion. Ce dingue de Reggie part en fusée bluegrass et explose en de pulvérulentes merveilles soniques. On l’entend ensuite accompagner des tas de gens dans sa période nashvillaise, Billy Sawn, JJ Cale, Nathalie Merchant, the Highwaymen, Merle Haggard, mais attention, c’est un autre monde, the Nashville sound. Il claque même pour Little Milton un solo éthéré qui n’intéressera jamais personne et c’est avec le «Where Do We Go From Here» de Waylon Jennings qu’on se réveille, car quel raout ! Waylon laisse Reggie aller au fleuve et ça donne un guitar rush exceptionnel sur tapis de cuivres. Si on remonte aux sources, on tombe sur le «Slip Slip Slippin’ In» d’Eddie Bond & His Stompers, un fantastique slab de rockab. C’est l’âge d’or, 1956 et Reggie claque un solo en arpèges de diatoniques adossé au mur, la bouche ouverte. On comprend ici que le rockab était essentiellement l’affaire de mecs déterminés à vaincre. Reggie joue à l’économie sur le «Touch Of The Blues» de Bobby Bland et en mode Tahiti/bluegrass évolutif sur l’«I’m Moving On» des Box Tops. Quel démon ! Avec «The Champion Part 1» de Willie Mitchell, on passe au beat de stomp avec un Reggie qui rentre dans le lard du cut. On l’aura bien compris, cette compile ne craint ni l’ennui ni la mort.

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    Comme l’occasion fait le larron, profitons-en pour ressortir une autre compile Ace parue en 2012, en même temps que le big book de Roben Jones, Memphis Boys. The Story Of American Studio. Eh oui, voilà encore une compile du diable. Ça grouille littéralement de merveilles imprescriptibles. Reggie Young n’est pas toujours mis en avant, mais par contre, on profite pleinement du son des Memphis Boys, et ce dès le «Memphis Soul Stew» de King Curis qui commence par réclamer a little bit of beiss, a big fat drum and some Memphis guitar, et voilà Reggie. Arrivent ensuite l’organ and the horns. Tout le monde est là. Now a big wail ! C’est King Curtis qui se prend pour Junior Walker ! Et ça embraye aussi sec sur «Son Of A Preacher Man» de Dusty chérie. Ah il faut entendre Tommy Cogbill rouler sa bassline derrière Dusty ! Il vole carrément le show avec ses déglutis de bas du manche. On entend aussi James & Bobby Purify faire leur Wicked Pickett dans «Shake A Tail Feather». Hey boy, on n’est pas chez Stax mais chez Chips ! Tommy Cogbill ressort pour l’occasion une bassline gros popotin. Reggie se tape l’intro légendaire de «The Letter», encore un hit increvable. Côté coups de génie, on trouve en rayon l’immense «I’m In Love» de Wicked Pickett. Reggie devait être fier de claquer ses bricolos derrière un tel géant. Son solo remonte le courant comme un saumon togolais. On se régale aussi du «Suspicious Minds» de Mark James : c’est la démo du hit d’Elvis embarquée au bassmatic et soutenue par une fantastique exaltation des cuivres. Chips en fait un chef d’œuvre. Plus loin, on voit Joe Tex twister la Soul avec «Skinny Legs And All». Joe est un chouchou de Chips. Reggie envoie un gimmick ici et là, mais c’est encore Tommy Cogbill qui vole le show avec son bassmatic. On monte encore d’un cran avec le «More Than I Can Stand» de Bobby Womack, qui est le fils adoptif d’American. C’est de la Soul de guitar slingers, une vraie merveille. Il faut voir Chips envoyer les violons dans la Soul aux vermicelles. Quel sublime carnage ! En queue de compile, on croise les Soul Brothers que Chips produisait pour Goldwax et notamment l’excellent Spencer Wiggins avec «Power Of A Woman». C’est à Elvis que revient l’honneur de conclure avec cet «I’m Movin’ On» tapé au Memphis beat. Dommage qu’il n’ait pas continué à bosser avec Chips. Ils étaient faits pour s’entendre. Sinon, la compile propose aussi l’excellent «Born A Woman» de Sandy Posey et on entend Reggie jouer des petits coups du coin de la rue derrière James Carr. Il brode en douceur et en profondeur, comme Steve Cropper. On entend aussi Joe Simon, Merrilee Rush et B.J. Thomas, un autre chouchou de Chips. On croise aussi le fringant «Funky Street» d’Arthur Conley tapé aux clap-hands bien secs de Memphis. Chips savait produire des hits, no problemo. N’oublions pas Solomon Burke et les Soul Bothers plus obscurs comme L.C. Cooke ou Clay Hammond. Mais pas des moindres.

    Signé : Cazengler, Reggie Old

    Reggie Young. Disparu le 17 janvier 2019

    Reggie Young. Forever Young. Ace Records 2017

    Memphis Boys. The Story Of American Studio. Ace Records 2012

    MONTREUIL / 15 – 04 – 2019

    LA COMEDIA

    CIRCUIT COURT / LE CORE ET L'ESPRIT

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    Lundi soir, pas vraiment le monde fou, les rockers auraient-ils fait un peu trop la fête ce week end ou alors les yeux rivés sur la télévision et Notre-Dame qui flambe ont-ils oublié que la seule chose qui brûle en ce bas-monde c'est uniquement le rock'n'roll, en ce cas ils ont eu tort car la soirée fut chaud de braise. Pendant que l'on gobe des crocodiles colorés, Whisky beaucoup plus malin s'allonge sur le carrelage, sûr de lui, immanquablement les filles se précipitent pour se partager l'insigne l'honneur et l'exorbitant privilège de lui caresser amoureusement le ventre. Plus j'observe ce chien philosophe, plus je l'admire, pas cynique pour un poil, pas stoïcien pour un sou, même pas un épicurien, sûrement un hédoniste, et peut-être même un sybarite. Au comptoir Martin Peronard armé d'un stylo bille vous gribouille une de ces affiches qui annoncent les concerts de la Comedia. Faudra un de ces jours consacrer une kronic à cet énergumène qui ne peut voir une surface quelconque sans l'étoiler de son monde intérieur.

    CIRCUIT COURT

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    Viennent d'Epinal. Mais méfiez-vous des clichés, ne sont pas sages comme des images. Nous ont déjà abasourdis à la balance. Ne sont que deux, un gars, une fille. Archimède se vantait de pouvoir soulever le monde si on lui refilait un levier et un point d'appui. Oui mais voilà, tout le monde ne partage pas les mêmes idées. Ottavia Simonin, semble vouloir l'écrabouiller notre planète bien aimée. Tant qu'elle ne s'est pas assise devant ses fûts, l'était une fille comme les autres, fine silhouette et longs cheveux. Qui sur la scène lui cacheront le visage. Elle a levé les bras bien haut, jusque-là on pouvait encore se bercer d'illusions sur le mythe de la douceur romantique des êtres féminins, mais à la première frappe l'on a compris qu'il fallait réviser d'urgence notre welttanschauung comme disent les Allemands. Avec Ottavia ce qu'il y a de bien c'est que vous avez tout en un seul coup : la prise de Ninive, la chute de l'Empire assyrien, l'effondrement de la Tour de Babel, la... j'arrête là car il me faudrait au moins douze pages pour vous faire comprendre, vous croyez stupidement que c'est juste pour marquer le coup, qu'elle va continuer sur un joli drumin', un petit galop soutenu de bon augure. Erreur sur toutes les lignes de bus. Elle vous en remet tout de suite une quinzaine, aussi violents, aussi brutaux, des tamponnades à vous déstabiliser un gouvernement en quinze secondes, en fait, elle ne sait pas faire doucement, personne ne lui a jamais appris, bazooker et exploser des trente-huit tonnes chargé à bloc de dynamite, c'est son péché mignon, elle en a un autre plus grave. Elle en a aussi dans le cerveau. Sait parfaitement coordonner l'hémisphère droit avec le gauche, une science innée du rythme, c'est comme les boxeurs, tous vous écrabouillent la bouille dans la tambouille, de plus rares ont le truc en plus : le swing, la danse, la fulgurance et la grâce. Ne tape pas uniquement pour le plaisir de détruire, la rage de l'orage certes, mais surtout la beauté de l'éclair. La foudre choisit les chênes centenaires et dédaigne les arbrisseaux vermoulus. Car à ses côtés vous avez Laurent Chartier. Chante et joue de la guitare. Les deux très bien. Une voix qui sonne le tocsin de l'urgence et les accords qui comme les étincelles de Mao Tse Toung vous foutent le feu à toute la plaine. Rapide et violent. Pas le gars qui se laisserait intimider par une gamine championne de kick-boxin, lui aussi l'a de l'allonge et de la reprise, l'a la guitare effractive, l'y va carrément au pied de biche, dans le rock garage, on n'a pas le temps de finasser sur la courroie de transmission, on vous la remplace par des boas constrictors, pour le reste du moteur on vous y case dromadaire et en moins de rien vous avez une tout-terrain, avec un tel attelage vous pouvez tenir tête à votre façonneuse de menhirs granités. Pour être franc, je ne sais pas qui enlace l'autre, est-ce Ottavia qui ménage des espaces pour que Laurent puisse laisser choir son épée de Damoclès à l'instant idoine, ou est-ce Laurent qui repousse d'une forte secousse cordique les rochers drumique, je l'ignore, mais le résultat est là, imparable. Une mécanique de précision. C'est sur une forge identique que Nothung fut forgée par Siegfried le tueur de dragons, tapis de braise pour une ordalie rock.

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    Mais ce n'est pas tout. Une calamité ne vient jamais seule. Laurent aboie dans le micro, et subitement Ottavia crie. Elle hurle sans fin, vraisemblablement est-elle soudainement habitée, telle la pythonisse de Delphes, d'une présence divine, car sa clameur stridente embaume le monde, des runes incompréhensibles s'écoulent de sa bouche comme la lave de la gueule de l'Etna, là vous franchissez un cap sensoriel, vous entendez ce que vous n'avez jamais perçu jusqu'à maintenant, c'est la materia prima de l'univers dont vous oyez le ramage strictement interdit aux oreilles humaines. L'image de la pochette et le son du premier disque de Black Sabbath s'est imposée à moi.

    Onze morceaux de mica noir, comme autant d'yeux arrachés par Héra à la face d'Argus pour en consteller la roue cosmique du monde. A croire qu'en rock'n'roll c'est comme en économie, faut privilégier le circuit court. Fascinant.

    LE CORE ET L'ESPRIT

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    Cinq gaillards. Des philosophes à leurs manières eux aussi puisqu'ils qu'ils explorent les méandres du core et de l'esprit – la chair et l'épris ce n'est pas mal non plus - pour bien se faire comprendre, LéO chante en français. Erreur, il fracasse en notre doux parler. Vous crache les vocables en pleine face. Vous met la tête dans le caca de nos existences, avec insistance. Y met du cœur et du corps à l'ouvrage aussi, la scène est trop petite pour lui. Part souvent en exploration, mais ne doit pas trouver mieux, l'herbe n'est pas plus verte ailleurs, car il revient toujours. Gesticule fortement, tend les bras comme des coups de poing, vous cogne avec les mots. N'a pas intérêt à la mettre ne serait-ce qu'une demi-seconde en sourdine, car derrière ça ne chôme pas. Sur les côtés non plus, car Fred à la basse et Cédric à la guitare eux aussi poussés par le démon pervers de la curiosité s'en vont de temps en temps explorer le vaste monde échantillonné dans la Comédia humaine.

    Ô kr'tntreader sois sans crainte, ils n'oublient pas de jouer, peut-être même ont-ils été mis au monde pour cette noble fonction de musicien si louée par Platon. Ne vous ménagent pas les tympans, vous font un super boucan d'enfer. Faites du bruit, et les brontosaures seront bien gardés. Qui dit core dit metal, mais qui verra de quel metal je me forge ! Une drôle de fusion. Réalisent un alliage spécial, la lourdeur du metal, l'énergie du punk et une proportion secrète de funk, cette manière de couper court à tout lyrisme, de briser à tout moment la pâte sonore, de l'empêcher de ronronner béatement sur son auto-satisfaction productiviste, la vie n'est pas un long fleuve paisible, ils ont décidé de ne pas laisser l'auditeur roupiller tranquillement, à tous les instants, du changement, à tout les moments de l'imprévu, faut suivre, pas le temps de rêvasser le long du chemin. Vous happent au passage et vous sentez que votre survie auditive dépend désormais de votre célérité. Ces reitres vous abandonneront agonisant au bord d'un fossé, n'ont pas de temps à perdre avec les demi-soldes, que voulez-vous l'esprit est exigeant. En plus ce n'est pas ennuyant, au contraire, vous voyez du paysage, vous grimpez des montagnes pour les dévaler aussitôt, par contre au sommet l'on ne s'arrête pas pour admirer le point de vue ou le coucher du soleil.

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    Niko n'est pas à la fête. L'a du boulot à abattre. Sa batterie c'est le pont d'un porte-avions dans la bataille du Pacifique, entre catapulter les séquences rythmiques et repousser les kamikazes soniques qui aimeraient vous engluer au fond de la mer des sargasses, pas un instant à perdre. A la manœuvre sempiternelle, doit dépenser en un set autant d'énergie qu'un travailleur de force en huit jours. S'agite comme un dératé, une araignée à vingt-quatre pattes qui tisse la toile des grands désastres.

    David c'est tout le contraire. Avec ces quatre frénétiques autour de lui, il pourrait perdre la tête, être lui aussi contaminé par cette agitation débordante. Un faux sage, semble immobile dans son coin, mais je le soupçonne ( fortement ) de manipuler le comportement du reste de la bande. Les yeux rivés sur sa guitare, le capitaine du vaisseau anglais qui demande un sucre de plus dans son thé quand on lui annonce que le bateau coule, mais les torpilles c'est lui qui les envoie. Les copains cassent les vitrines de la banque, lui il ajuste les balles entre les deux yeux du banquier, l'a une mine de docteur qui écoute soigneusement le cœur du malade, mais il vous sort la combinaison gagnante du coffre-fort sous forme de fracturalités riffiques explosives. L'a l'air de méditer dans son coin mais vous êtes déjà échec et mat. Guitar King.

    Le Core et l'Esprit nous ont donné un de ces sets qui vous essorent le corps. Pour l'esprit, pas de panique, il y a longtemps que nous l'avons perdu.

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    Damie Chad.

    CRUMBLING

    CIRCUIT COURT

    ( Live / Lafalaise / LAF 003 )

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    Ottavia Simonin : drums + vocal / Laurent Chartier : guitar + vocal.

    Z'ont vraisemblablement mis des cadavres de bicyclettes sur la pochette parce que les vôtres sont déjà en état de décomposition avancée.

    Wallet : envoyé rapide. Pas le temps de bayer aux corneilles. Vaut mieux les descendre au tir à pigeons en plein vol. Peu appréciable si vous êtes partisan de la préservation des espèces. Mais c'est un roulé-boulet de canon splendide, guitare grondeuse, voix incisive et batterie qui cogne comme un cadet de Gascogne. Un prototype de garage punk dont vous vous souviendrez. Crumbling : les départs de guitare sont toujours inquiétants, vous ne savez pas ce qui va survenir, mais dix chances sur dix pour que ce ne soit pas agréable. La voix devant est rassurante mais Ottavia en arrière-plan dératise sec et net. C'est elle qui termine au plus vite car il faut une fin à tout. Little sorrow : petit chagrin grand morceau, instant nostalgie, la voix d'Ottavia qui glisse derrière comme des icebergs qui se rapprochent dangereusement pour écraser le navire. Ils le font exprès car il est difficile de croire que le monde est beau. Les lyrics de Laurent ne sont guère rassurants pour la suite de toute existence. M'évoque le premier titre lent du premier Stooges. Cats eyes : ton comminatoire Laurent énonce des condamnations définitives et puis tout s'emballe comme un treuil qui ne maîtrise plus l'enroulement du filin, ça se calme et ça repart, deuxième tentative aussi peu probante que la première, depuis le début la batterie remblaie derrière avec le cadavre de vos illusions. Slaves : une dernière bouffée d'hydrogène pour vous faire exploser la cage thoracique. Sanglots et caillots de voix tragique, la guitare broute de l'arsenic et la batterie se révèle implacable, que voulez-vous nous sommes tous des esclaves.

    Ce petit EP a toutes les chances de devenir culte dans les années qui viennent.

    Damie Chad.

    LE-MEE-SUR-SEINE19 / 04 / 2019

    LE CHAUDRON

    ASHEN / WAKING THE MISERY

    ABSTRACT MINDED

    WILD MIGHTY FREAKS

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    Retour à la marmite du Diable. L'on dit que les forgerons sont les descendants de Tubal-Caïn, la race maudite qui engendra celle que l'on appelle – c'est par humour noir antinomique – homo sapiens sapiens. D'habitude, trois groupes au programme, mais ce soir puisque pour ne pas dérober à sa fâcheuse réputation, l'espèce humaine s'est très mal conduite en son ensemble, nous en avons quatre. Pour la guerre, je vous enjoins de réciter douze fois Les Litanies de Satan, de Baudelaire, vous trouverez le texte dans Les Fleurs du Mal.

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    ASHEN

    Inconnu au bataillon. Pas pour longtemps. Quatre sur scène et dès qu'ils touchent leurs instruments l'on dresse l'oreille. La suite de la prestation le confirmera. Ce combo de quatre guys - n'ayez crainte ils possèdent leur cinquième élément éthérique – nous plongent d'entrée dans un son qui vous tilte les neurones. Basse, deux guitares, une batterie. Resteront de tout le set très concentrés. Diffusent une musique qui exige technicité et énergie. Tout motif à peine traité est délaissé au profit du suivant construit un peu en antithèse. Ruptures incessantes de rythmes qui se déboitent les uns des autres comme des omoplates arrachées de leur cavités scapulaires, mais ils ne nous donnent pas qu'un os à ronger de temps en temps, l'enrobent tout de suite de chair grasse et saignante et n'arrêtent pas de nous en fournir. Comblent les vides qui trouent les brisures désarticulatoires d'un Linkin Park par exemple. Ont compris que les amateurs sont comme des fauves affamés, faut leur apporter une nourriture copieuse et roborative. Passent en première partie et du coup ils maléficient d'un court temps scénique. N'auront droit qu'à quatre ou cinq morceaux. Je n'ai pas compté. Trop occupé à écouter.

    Et le chanteur bondit sur scène micro en main. Pas évident avec ses cheveux courts et sa chemise colorée de reconnaître Clem Richard de feu Fallen Eight, mais il lui est difficile de cacher sa voix. Pourrait se contenter de se reposer sur sa facilité, mais non, il la pousse sans ménagement, pas comme une brute avinée qui tape à grands coups de pied sur son chien pour le faire avancer, la manie comme une arme aiguisée en épéiste convaincu de son savoir faire. Vise le ciel tandis que de ses quatre acolytes s'échappe une sombre et lente avalanche de rocs noirs qui désertifient l'espoir de vivre sur notre planète arasée, mais Clem est au plus haut, au-dessus des décombres et des menaces, parvient à la faire resplendir au-dessus du magma sonore, ne cherche pas à répondre aux canons du genre, préfère être lui, ne force pas, tranche, ne pousse pas, éclate. Vous cloue sur place, vous ne savez pas si c'est la lueur du phare dans la tempête qui indique le port salvateur ou le rayon de la mort qui se fixe sur vous pour ne plus vous lâcher.

    Bref en vingt minutes Ashen a suscité la surprise et l'intérêt, ont esquissé une épure sonore parfaite. Une prestation rapide mais irréprochable, chaleureusement accueillie, l'on aurait aimé davantage, l'on est curieux de savoir la suite, l'est évident qu'Ashen nous réserve des surprises en le sens où nous ne savons pas encore vers quoi au juste se dirige le groupe, où iront-ils, et jusqu'où iront-ils car c'est ainsi que se pose la question du futur du metal, en tout cas ils sont capables de repousser bien des limites. Nous attendons la prochaine étape, prochains concerts certes, mais surtout le futur premier CD qui se doit d'être le témoignage d'une volonté d'affirmation émergeante mais surtout la preuve de l'exploration d'un monde encore inouï.

    WAKING THE MISERY

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    Diantre, serait-ce une mode chez les forgerons, un deuxième chanteur – se prénomme Gubs - revêtu d'une chemise colorée quasi-hawaïenne. Par contre il possède une particularité bien à lui, une voix que l'on qualifiera de blanche si on la compare à celle des congénères de son type qui offrent un timbre oblitéré d'un tampeur-growleur typiquement grasseyant ou du moins enrouée. L'a une voix creuse ce qui ne l'incommode pas à voir à la vitesse avec laquelle micro en main il se rue sur le devant de la scène, le guy, tout sourire, est sûr de lui. Et il n'a pas tort. Il pénètre la masse sonore avec facilité, l'on peut discerner en arrière-plan un découpage hip-hopien, mais surtout pas hip-popien, de son phrasé mais qui ne défigure en rien le travail accompli par ses camarades. Agissent par enrobements, successifs, si les deux premiers morceaux, Blutcher et The Last Time, qui établissent un premier palier de chauffe sont des plus conventionnels l'on ne tarde pas à comprendre leur jeu d'interprétation subtile. Sont comme le reptile qui devient de plus en plus impressionnant au fur et à mesure qu'il déplie ses anneaux. L'on dirait que chaque nouveau titre se nourrit de la puissance du précédent. S'étoffe sans arrêt pour mieux vous étouffer. Une stratégie des plus convaincantes. Fascinante est le mot. Au bout d'un moment l'on ne regarde plus que le triangle mystique de la tête du serpent. Toast my Fist, Always Watches sont des joyaux de couronnes mortuaires de lente strangulation qu'il vous passe autour du cou, afin de vous réveiller de la misère crade qui vous emprisonne. Je vous conseille de les imiter, de donner comme eux de l'ampleur à votre existence, le set est identique à une montée inexorable de lave. Cela vient du plus profond et vous soulève. Au-dessus de vous même. Un étrange silence s'est emparé du public subjugué, l'on aclame et l'on tape très fort des mains à la fin des titres, mais ce n'est pas le plus important, l'essentiel est cette ferveur d'écoute que suscite le groupe qui paraît d'autant plus étonnante que l'évidence de l'heureuse décontraction de Gubs s'affirme de plus en plus. Musique sombre et voix claire. Et plus le set s'assombrit – il faut dire que l'éclairage qui alterne des éclairs d'un blanc néontique à des séquences de noir total ultra-rapides aide à répandre cette sensation – plus la voix de Gubs devient illuminative, rayon de soleil germinal sur les parois des grottes préhistoriales les plus profondes. Waking the Misery éveille la face hideuse de nos misères intérieures, fonctionne comme une machine d'analyse spectographique de vos protubérances crâniennes. Vous fracasse l'occiput, puis charitable vous trépane. Il n'est de meilleur sauveur que celui qui vous tend la main pour vous sauver de la mouise dans laquelle il vous a précipité. Sont violemment applaudis.

    Je vous chroniquerai leur premier CD dans la prochaine livraison. Soyez patients.

    ABSTRACT MINDED

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    A entendre, lors de l'installation du groupe, tousser Zivan aussi fort qu'une classe de maternelle atteinte du virus de la coqueluche, je vous file une comparaison sympathique parce que cette raucité caverneuse évoque en vérité une cohorte de tuberculeux grabataires grelottant sous leur maigres couvertures dans le sanatorium de La Montagne Magique de Thomas Mann, à la manière dont il s'assied lourdement sur l'estrade de la batterie, à ses yeux luisants et fiévreux vous vous dites que le set d'Abstract Minded a du plomb dans l'aile. C'est exactement ce qui s'est passé, mais pas dans le sens attendu, plutôt dans le genre full metal jacket. En sortant du concert j'en étais à me maudire jusqu'à la soixante-dix-septième génération d'être resté dans l'ignorance de leur passage précédent aux Dix-Huit Marches de Moissy Cramayel, je me fais l'effet du gars qui passe à côté des portes de l'Enfer et qui oublie stupidement de rentrer. La lumière s'est-elle éteinte que Zivan déploie la torche de sa chevelure se saisit de sa guitare et se cambre devant la scène. Et tout de suite c'est l'explosion atomique.

    Abstract Minded est un groupe prodigieux. Réalisent à eux tout seuls, le rêve wagnérien d'art total, mais uniquement avec leur seule musique. Quatre musiciens et un chanteur. Joey vous a la carrure d'un ours polaire, d'apparence policée, chemise blanche, pantalon à bretelles, le malheur c'est que cela ne dure pas longtemps, quelques secondes, après c'est un cauchemar sans fin, la bête affamée se jette sur un village de malheureux esquimaux et en dévore la population jusqu'au petit dernier nourrisson innocent. L'a inventé à lui tout seul le growl-opéra avec scène de screams perpétuelle. Ne s'arrête pas une seconde, ne reprend jamais son souffle, de bout en bout porte sa voix sur une colonne d'air herculéenne, peut-être qu'il aimerait, que si ça ne tenait qu'à lui, mais non ses camarades ne lui en laissent pas l'occasion. Partagent tous la même éthique, tout et tout de suite. Le passé et le futur ne sont que de vains fantômes, seule la puissance de la présence de l'instant fugace du monde, que l'energeia aristotélicienne empêche de sombrer en sa terrible vacuité, est impérative. Jimmy est le partisan de la frappe sans retour, pousse en avant sans interruption, une forge incandescente, une déforestation infinie, chaque claquement de tom est un brandon de haine pure apposé au cul métaphysique de l'ours septentrionique dont la figure magnifiée par Joey resplendit de fureur infinie.

    Si vous croyez qu'Abstract Minded enfile les morceaux les uns après les autres comme des perles de faux corail sur des colliers de pacotille, c'est que vous n'avez rien compris au drame représenté. Les Abstract-boys s'engouffrent dans de longs mouvements symphoniques tempétueux, vous emportent en un tumulte barbare sans fin, faites abstraction de votre raison, laissez-vous guider par votre démence ( votre de-mens ) intérieure, c'est ainsi que vous percevrez cet ouragan démentiel, cette pluie de feu torrentielle qui s'abat sur vous et vous englobe en ses remous de boue divine. La basse d'Alexis est une fronde, l'envoie à répétition ses projectiles, l'est comme le moteur immobile qui déclenche l'engrenage des rouages incoercibles. Aucun grain de sable n'entravera la machine fatidique qu'il engendre. Car la musique d'Abstract Mind qui se construit sur une logique lyrique qui n'appartient qu'à la folie de son projet se déploie selon sa propre nécessité. Se suffit inébranlablement à elle-même.

    Ce sont les guitares qui fournissent la respiration nécessaire au monstre mis au monde. Se partagent le travail, Louis se charge de l'inspiration, ses riffs aspirent et assimilent le monde, agissent à la manière d'une corne d'abondance qui retire la substantifique moelle de la réalité pour la réingurgiter à l'intérieur d'Abstract, il puise et apporte la lymphe vivifiante, sans lui la bête s'étiolerait très vite. Zivan agit tel l'évent de la baleine qui renvoie à l'océan l'eau, l'écume et le sel expurgés de tout plancton, assure le mouvement rotatif d'échange entre l'intérieur et l'extérieur, le microcosme et le macrocosme. S'approche du public et vous lacère la figure d'un jet de riffs coupants comme des dents d'un cachalot harponné qui emporte le navire assassin au fond des abysses, entendez-vous les plaintes des marins, que vous êtes, que rien ne sauvera !

    Le rêve s'achève. Abstract Minded fut grandiose. Le meilleur concert de l'année.

     

    WILD MIGHTY FREAKS

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    Perso je ne serai jamais passé après les Abstracts. Mais les Wild Mighty Freaks s'en moquent. Z'ont leur public, beaucoup de filles enthousiastes, et sont sûrs d'eux-mêmes. Sont au carrefour incertain d'un étrange et précieux mélange metallifère de hip-hop, d'électro et capable de flirter sans danger avec la dance-music, ont le don charismatique de rassembler autour d'eux bien d'obédiences différentes.

    Un éboulement de batterie, une déjante de clavier, un hululement sourd et continu de basse et Crazy Joe entre en scène, canne à pommeau à tête de mort à la main, chapeau, pas tout à fait haut de forme, sur la tête, l'a l'air d'un monsieur loyal de Médrano issu d'une comédie musicale, sa prestance n'est pas sans évoquer celle d'Al Jolson, et puis il a cette voix, ou plutôt ce grain de voix qui irradie, qui ferait fondre les icebergs, presque un organe tactile qui vient vous caresser en vos zones érogènes préférées. Se meut avec classe, l'aisance d'un showman avisé, heureux d'être-là exprès pour vous. L'est trop heureux d'être en face de vous, et même s'il ne se ménage pas, même s'il reste le point focal d'attention mirifique, il semble avant tout s'amuser.

    En plus il possède son clone. Yaboy, le seul musicien qui sur scène ne se sépare jamais de son sac à dos. Genre héros farfelu de Jules Verne, un explorateur foutraque prêt à partir aux multiples azimuts latitudinesques et longitudinaux de la sphère terrestre, à la première occasion qui ne présente pas. Normalement il est préposé aux claviers. Le mec pas sérieux, s'en fout et contrefout, de toutes les manières ces bidules de nos jours ça marche tout seul, de temps en temps quand il y pense un court bidouillage et en avant la musique. Le mec n'a rien à faire, donc il ne fait rien. Fait semblant de marcher sur scène avec un but précis, mais tout le monde devine qu'il se donne une contenance comme le cancre de la classe apparemment préoccupé par le cours du professeur qui prépare un lâchage d'araignées. Alors il s'amuse. De temps en temps, pas toujours, car le travail est une véritable malédiction. L'a son truc. Se met sur le côté, imite tous les mouvements de Crazy Joe, et répète un ton au-dessous tout ce qu'il chante. Au passage, l'on s'aperçoit qu'il a une belle voix, qu'il est extrêmement doué pour le contrechant, que le jour où Crazy Joe aura une extinction de voix, il pourra assurer à sa place, mais l'est trop relax, ne prend pas son rôle au sérieux, ses mimiques font penser à cette ombre facétieuse qui se glisse derrière vous au restaurant, qui pendant que vous essayez de séduire une jeune fille innocente vous fait à votre insu des oreilles d'âne, prend des airs étonnés ou offusqués lorsque vous débitez votre baratin, et qui comble de tous les irrespects se permet de boire puis de cracher dans votre verre.

    Flex s'occupe de la basse. Doit être un partisan des horaires flexibles. Travaille quand il veut. Laisse bourdonner son engin pratiquement tout seul, et puis ça le prend par secousses, avance d'un pas sur la scène et là vous recevez le son sur tout votre corps, une rude et rêche couverture qui s'abat sur vos épaules et ne tarde pas à produire son effet bienfaisant, doit avoir bossé durement sur les théories sensorielles d'interactions musicales sur le comportement animal et humain, l'a dû trouver l'emplacement exact d'intersection de l'instant T avec le point G de votre organisme, car vous ressentez une douce volupté. Vous fournit l'excitationde la transe à volonté, ne s'en privera pas sur les trois derniers morceaux.

    Bon, il y en a un tout de même qui marne à cent à l'heure. Tonton n'arrête pas, une batterie éruptive et fusionnelle, un étincellement ininterrompu, et l'a intérêt car le Yaboy sur ses pianos mécaniques il vous dégote des sarabandes de trucs pointus comme des langues de vipères, des entrelacements de feux follets à désorganiser une rythmique et puis Crazy Joe ne donne pas dans l'approximation, faut être au rancart de ces breaks et au lancement de ces reprises fulgurantes.

    Wild Mighty Freaks se taille un beau succès. Soulève l'enthousiasme du public qui obtient un dernier rappel. Mais il se fait tard et il faut que nous rentrions chez nous.

    Damie Chad.

    MIDNIGHT CRUISE

    WISE GUYZ

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    Pochette fignolée, artwork des plus classiques dû à Skypala et Youry. Un disque qui ravira les fans obsédés de pureté rockabillyenne même si les Wise Guyz se permettent trois swingantes fantaisies. Que voulez-vous quand les ukrainiens font jeu égal avec les ricains, n'y a plus qu'à se taire et à écouter.

    Do it bop : vous le font bop, mais d'enfer, la voix de Chris papillonne et sa guitare va chercher le son le plus grave au plus profond des tombes, oui mais derrière ils aimeraient faire sauter la cambuse au bromure alors ils s'en vont par deux fois sur des ponts branlants aussi vertigineux que les passerelles de l'Himalaya, et Chris vous escalade cela comme s'il remuait la salade à la maison. ( Alternative version ) Rude bad boy : Quatrième version, c'est cela le rockabilly l'on recherche la solution, car il n'y en a qu'une qui se rapproche de l'Eidos platonicienne du beau, du bon et du juste. Ce coup-ci, une voix légèrement plus traînante que les instruments qui ont l'air pressé. Une légère distorsion aussi subtile que la réverbe de Sun. Et quand l'une prend de la vitesse les autres accélèrent. Un ballet infernal. Franchissent la ligne d'arrivée en se marquant à la roue. Midnigth cruise : ah, ces slaps de big mama, ça vous soulève le cœur comme une crêpe dans la poêle à frire, Chris vous prend l'accent traînant du sud pendant que les autres vous tartinent en rythme la confiture d'airelle. On subodore même une bataille entre les gamins pour avoir le droit de manger le premier beignet. Z'auront une beigne. Johnny boy : changement d'ambiance, fausse ballade cow-boy car le rythme est enlevé, à mi chemin entre nostalgie ironique et noirceur caschienne. Un bijou de plus à la couronne rockabilly. Nobody's Business : Rebel passe le rateau de sa big mama, la guitare de Chris pianote au translucide, et hop tout de suite l'on saute dans le swing le plus pur, les guyz font de courts chœurs les mêmes que l'on entend sur Bill Haley, Ozzy jazifie en secret, puis nous vibraphonise à la Hampton. Dans les années trente, après la crise. Is it love : retour au grand galop au rockabilly, Chris vous prend les intonations adéquates et le combo gronde à la manière d'une locomotive de la Western Union. Une giclée de guitare, une big mama qui résonne, chacun fait son petit numéro, mais en voiture Simone l'on n'a pas le temps de s'arrêter, le rock d'abord. Enough : encore une intro qui résonne dans votre tête creuse, le Chris il en mange les vocaux, vous les recrache aux alentours et tout autour les gars ne se gênent pas pour l'imiter sans limite, un train d'enfer, vous donnent l'impression que c'est parti pour l'éternité et quand ça s'arrête vous vous apercevez que vous y aviez vraiment cru. Sweet loving : calmons-nous, rythmique électrique, il fut un temps où le swing promettait de se métamorphoser en rockabilly, s'en approchait mais n'y réussissait pas encore. Chris scate à la perfection, et les boys donnent dans le rétro, avec cet avantage supplémentaire qu'ils connaissent la suite de l'évolution musicale. Comme quoi tricher c'est aussi jouer. Hi-class mama : stroll coupe au bol, la voix qui drague, la musique qui fait la belle, la fille se pavane et les boys klaxonnent, se déchaînent un peu, elle les a vus mais fine belette fait semblant de rien, pas de souci les souris adorent que les chats leur sautent dessus. Jouent tous leur rôle à la perfection. Beware : guitare pointue et vocal un tout peu plus rauque, la big mama se trimballe, Ozzy charlestonne de la baguette, la guitare s'ouvre comme une devanture de bijouterie, les guiz vous la font tout en douceur. Mais remuante. Juanita :un petit coup d'espagnolade n'a jamais fait de mal à personne, z'ont foufu une robe de gitane à All I Can Do Is Cry, pas mal, mais franchement l'on sent un peu trop le déguisement. Jukebox rock : rock endiablé comme on les aime, aucune hésitation, le combo fonce droit devant et les danseurs sont aux anges, vous le font plus vrai que vrai, Chris se survolte à la guitare, Ozzy cartonne, la big mama doit en perdre ses jupons, Gluck vous donne la mesure démesurée. Finissent tous les doigts sur la couture du pantalon. Swing by C : du swing certes, mais un véritable hommage à Django, Chris se délie les doigts et les gars montrent qu'ils ne sont pas manchots. Rebel décoiffe en douceur sur sa contre-basse, Gluck entremêle ses trilles avec Chris, et Ozzy vous passe le rythme comme les serveurs dans les restos vous lancent de loin les assiettes pile sur votre table. Pour les éclaboussures pas de problème vous lécherez le plancher.

    Ceci n'est pas un CD, ceci est le sang de votre chair de rocker.

    Damie Chad.