Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

ashen - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 627 : KR'TNT 627 : GENE VINCENT / FOMIES / COLIN ESCOTT / SAM COOMES / RONNIE DYSON / ARCHE / ACROSS THE DIVIDE / BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 627

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 01 / 2024

     

    GENE VINCENT / FOMIES / COLIN ESCORT

    SAM COOMES / RONNIE DYSON

    ARCHE / ACROSS THE DIVIDE

    BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 627

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Là où il y a du Gene, il y a du plaisir

    (Part Three)

     

    z22768genevincent.gif

             Avec un tout petit peu d’imagination, on verra la Ford Consul rouler dans la nuit à tombeau ouvert, sur la route de Bath qui longe l’A4, en direction de Chippenham. George Martin est toujours au volant, et, assis à la place du mort, se trouve Patrick Thompkins, le mec de la Fosters, l’agence qui organise la tournée. Serrés comme des sardines sur la banquette arrière, on retrouve bien sûr Gene Vincent, Kim Fowley et Mick Farren. La Ford fonce dans la nuit éternelle.

             Gene boit du Jack au goulot et feuillette un canard.

             — Sont sympas, les cats de Rockabilly Generation ! Font un hors-série sur bibi ! Hey, Kim, z’en ont déjà fait un, non ?

             — T’as raison, c’est le deuxième. Pour un mec qu’a pas de chance, t’es gâté, mon poto.

    z22804generation.jpg

             — Attends voir ! Ya Damie Chad qui m’tire un sacré coup d’chapeau, yeah ! Écoutez-ça les mecs : «L’on dit que parfois, un étrange volatile vient se poser sur l’ardoise délavée qui porte son nom. Ce serait l’âme de son frère d’ombre, celle du grand poète Edgar Allan Poe et l’on entend alors une merveilleuse clameur que la brise de la nuit se dépêche de dissoudre... La grande Amérique utilitariste s’est de toujours détournée de ce chant alterné de destins brisés qui mêle l’amertume des sanglots et les brillances des désirs insatisfaits.»

             Un ange passe. Mick rompt le silence :

             — Damie donne du doom.

             — C’est quoi du doom ?

             — Un glacis littéraire ! Damie Chad a pigé qui tu étais, Gene. Il est l’un des rares. Peut-être même le seul. Il t’associe à Edgar Allan Poe et ça, c’est du real deal d’ultra-fan qui te voit dans le cosmos et qui connaît ta musique par cœur. C’est du so far out à travers les genres et les époques, c’est en plein dans le mille de la cyber-structure alluvionnaire, il va cueillir l’exactitude au cœur même de l’infini des connaissances... T’as vraiment une veine de pendu, Gene, Damie te Pym le pion en beauté, il te Raven la façade à l’evermore, il t’Usher au Roderick et rac, à la Madeline de Proust, il t’Ovalise le portrait et t’oblate à l’Oblong, ce qui n’est pas rien, si tu y réfléchis bien...

             — Oh Mick, je pige rien à ton délire de speed-freak. Tu m’courais déjà sur l’haricot avec ton baratin sur Richard III !

    Z22805OLIVER.jpg

             — Mais c’était pas du baratin, poto ! Quand tu portais du cuir noir et tes gants noirs, avec ton col relevé et ton gros médaillon en or, t’étais la réplique exacte du Richard III qu’incarna Laurence Olivier dans ce cult-movie tourné en 55. Mon hommage vaut bien celui de Damie. T’es un cat trop ultime, Gene. Too far out ! On est obligé de t’associer à des gens comme Poe ou Richard III, parce qu’on ne peut t’associer à rien d’autre.

             Kim éclate de rire :

             — Le Richard III du rock’n’roll ! Coincé dans ce rôle, tu ne pouvais vraiment pas sourire ! T’étais complètement baisé, Gene. Un mauvais garçon ne peut pas être gentil.

             Mick ajoute :

             — Tu collais parfaitement au portrait qu’on a fait de Lord Byron, un mec cinglé, mauvais et dangereux à fréquenter... T’étais un peu Dracula en Harley Davidson !

             — T’as tout faux mon gars ! Jamais eu d’Harley ! J’roulais en Triumph Tiger 500 cm3, celle qu’a Johnny Strabler dans The Wild One.

             — Quand cette bonne femme t’est rentrée dedans avec sa Chrysler, t’es devenu une sorte d’Achille en cuir noir, un demi-dieu trahi par sa condition de mortel.

             — On pourrait pas parler d’aut’ chose que d’ma patte folle ? Et puis vous pouvez bien la ramener tous les deux ! Question bad boys of rock’n’roll, vous êtes pas mal non plus ! Toi Mick avec ta passion pour les amphètes et l’anarchie, et toi Kim, avec tes petites arnaques et tes tonnes d’histoires de cul...

             — On t’arrivera jamais à la cheville, Gene. C’est pour ça qu’on t’admire. Avec Damie Chad, on forme un fan-club de choc.

             — Vous oubliez Jimbo, les mecs. On s’piquait la ruche ensemble au Shamrock, ce rade de Silver Lake, au bout d’Santa Monica Boulevard, à Hollywood. Ce rade est dev’nu ensuite le repaire des punks de L.A. Jimbo me disait qu’y m’devait tout, le cuir noir, la posture au pied de micro ! Tu t’souviens du grand Jimbolaya, Kim ?

             — Yep, mais j’aimais pas trop le voir débouler au studio avec sa faune, quand on enregistrait I’m Back And I’m Proud.

             — Un drôle de plan....

    z22797disque.jpg

             — Oui, mais vachement intéressant ! Clive Selwood et John Peel venaient de monter Dandelion Records. Selwood ratissait le secteur de Los Angeles et Peely celui de Londres. Selwood s’est aperçu que t’avais plus de contrat, et comme Peely était l’un de tes plus gros fans en Angleterre, ils t’ont proposé le deal du siècle, et comme ils voulaient le meilleur producteur de la West Coast, ils m’ont contacté. L’idée était de sortir un smash, et d’exploser la rondelle des charts. Quand t’es arrivé au studio, t’avais drôlement changé, tu ne ressemblais plus à un vampire, mais à un moine jovial.

             Mick éclate de rire :

             — Avec un p’tit côté Guy Debord, ce qui n’est pas si mal, au fond, pas vrai Kim ?

             — T’avais pris du poids, poto. Pour te faire honneur, j’avais rassemblé la crème de la crème du gratin dauphinois : Skip Battin des Byrds, toujours en taille basse rouge, Red Rhodes, le roi de la pedal steel, Jim Gordon, qui a battu le beurre sur Pet Sounds, mais aussi derrière Gene Clark et dans Mad Dogs & Englishmen, et puis ton ancien cat des Blue Caps, Johnny Meeks. 

             — Franchement, Kim, j’ai pas du tout aimé ta façon de m’accueillir quand j’me suis pointé au studio. Tu m’as r’gardé du haut de tes deux mètres de grande chipolata et tu m’as dit : «Alors, c’est toi Gene Vincent ?». T’as eu du cul mon pote que j’le prenne pas d’traviole !

    z22806kimfowley.jpg

             — C’était pour te faire monter l’adréaline au cerveau, Byron de mes deux ! Je sais que tu m’as pris en grippe. C’était fait pour. 

             — Ah le pire, c’est quand tu m’as interdit d’boire !

             — Ah ouais, tu trimballais ton fucking attaché-case et tes trois bouteilles de Martini. T’étais pathétique. Glink glink. On t’entendait marcher dans la rue avec tes litrons. 

             — Alors tu m’as balancé d’un air mauvais : «Personne ne boit dans ce studio !». T’es un fucking tyran ! T’es pire qu’Hitler ! Personne n’a jamais osé m’parler comme ça ! 

             Kim éclate de rire.

             — Moi si, ma poule !

             Alors Gene se tourne vers Mick et lui dit :

             — Tu sais pas c’qu’il a encore osé m’balancer, à moi, Gene Vincent, cet enfoiré de chipolata ?

             — Vazy...

             — Il m’a fixé dans le blanc des yeux et m’a dit : «Hey toi, tu vas me chier une de tes grosses merdes pour teenagers !». C’est un miracle qu’il soit encore en vie, ce fucking bâtard ! J’ai failli lui balancer un coup de béquille en travers de sa gueule !

             — Plains-toi pas, Gene, il fallait bien planter le décor.

    z22795couvertureaméricaine.jpg

             — Ah tu parles d’un décor ! Quand j’y r’pense, c’est vrai qu’c’était un bon deal, même avec un cat aussi crazy que toi. J’avais un vrai plan de bataille. C’est moi qu’a choisi l’titre, I’m Back And I’m Proud. Je trouvais que ça sonnait juste. Je voulais faire un disque très commercial, pour rev’nir dans les charts, et montrer que Gene Vincent n’était pas cuit aux patates. J’ai choisi trois cuts que j’aime bien : «Rockin Robin» de Bobby Day, «Sexy Ways» d’Hank Ballard et le «White Lightning» du Big Bopper. Mais avec Kim, on roulait pas à la même vitesse.

             — C’est sûr ! Skip Battin disait que t’étais un fucking perfectionniste, alors que moi, j’aimais bien aller vite. Une prise et au suivant ! Tu prétextais toujours que la première prise n’était pas bonne et tu voulais en faire d’autres.

             — J’en fais en général une vingtaine...

             — C’était hors de question, et tu veux savoir pourquoi ?

             — Vazy dis...

             — Parce que je m’ennuyais à crever T’avais l’air de te complaire dans une variété pathétique. Tu devenais atrocement conventionnel. Comme Elvis. On t’avait limé les crocs. T’avais perdu la niaque de «Bird Doggin’» et de «Woman Love». Je hais le ventre mou du rock américain ! Je te vois encore te trémousser sur ton tabouret quand tu chantais «Rainbow Of Midnight». Des légendes ramollo comme toi, j’en ponds dix chaque matin ! J’avais plus qu’une envie : t’attraper par le colback pour te faire bouffer ta béquille, ton cran d’arrêt et tes trois bouteilles de Martini.

             Mick ajoute, d’une voix sourde :

             — Johnny Meeks a même dit que vous avez tous les deux massacré cet album. Pourquoi t’as pas tapé dans Hank Williams, Gene ?

    z22807williams.jpg

             — Mais si, j’ai tapé dans l’Hank ! Ya «No. 9 (Lonesome Whistle)» sur I’m Back, et avant ça, j’avais déjà tapé des sacrément bonnes covers d’«Hey Good Lookin’» et d’«Your Cheatin’ Heart».

             — L’Hank c’est capital, car t’en es l’héritier direct ! Tu sais qu’à l’âge de quatorze ans, l’Hank tournait déjà avec les Drifting Cowboys, et qu’il buvait comme un trou.

             — Ouais, tout l’monde le sait...

             — Puis il est passé à la benzedrine et à l’hydrate de chloral, pour tenir le choc des tournées. Il s’est allumé la tirelire aux amphètes, comme Elvis.

             — Ça c’est ton rayon, Mick ! Mais tout c’que tu rabaches, on l’sait déjà...

             — Voilà où je veux venir : c’est lui, l’Hank, qu’a inventé le mythe romantique de l’auto-destruction systématique, en cassant sa pipe en bois à 29 ans sur la banquette arrière de sa Cadillac bleue, alors qu’il taillait la route pour Canton, Ohio. Bien avant Chucky Chuckah et Moonie, il baisait des mineures et tirait des coups de feu dans des chambres d’hôtel. Le monde de la country fourmillait d’ivrognes, de bagarreurs, et de fouteurs de merde qui ne furent pas excommuniés, mais l’Hank le fut. Tu sais pourquoi ?

             — Parce que c’était en vampire en Harley Davidson ?

             — Pfffff ! Parce qu’il injectait dans sa country du sexe pur, en plus d’une pointe de blues que lui avait transmise Tee-Tot, le mentor black de son enfance. L’Hank préfigurait le rock’n’roll. Au début des fifties, il terrorisait Nashville, mais des gosses comme toi, Gene, et comme Elvis, vous le dévoriez déjà des yeux. Toi et l’Hank vous avez le même look, l’œil hagard et le visage émacié des petits loubards à la dérive. Vous êtes tous les deux parfaitement incapables de gérer vos démons. Alors, vous vous laissez aller, drivés par l’alcool, la dope et le hurlement des guitares électriques.

    z22796dospochette.jpg

             — Dès fois, Mick, je trouve que t’en fais un peu trop. C’est vrai qu’Hank est un crack, mais l’Hank c’est l’Hank, et moi c’est moi. Chais pas pourquoi vous avez tous la manie d’vouloir me rattacher à d’autre zigs ? Pour montrer l’étendue de votre culture ? J’aimerais mieux qu’on m’calcule comme un p’tit mec de Virginie, capable de rocker des salles et d’enregistrer des chouettes 45 tours. Mick, je me souviens d’un passage que t’as écrit sur moi dans ton book, que j’ai bien aimé, comme le passage de Damie Chad, tout à l’heure. J’l’ai tellement bien aimé que j’l’ai appris par cœur, tu sais, c’est ton passage sur le show au London Palladium : «Cette fois, ce sont les Teddy Boys anglais qui par leur présence et la force de leurs acclamations créèrent les conditions d’un concert exceptionnel et purent pendant une demi-heure revivre leur jeunesse enfuie. Les Teds étaient sur leur 31, portant des vestes longues, des pantalons serrés, des creepers à semelles compensées. Ils sifflèrent les Impalas et les Nashville Teens qui jouaient en première partie, puis, quand Gene Vincent arriva sur scène, ils se mirent à hurler et à danser dans les allées, exactement comme en 1959, okay ?» Là, oui, ça m’va bien. C’est nickel-chrome. Ça colle à la réalité.

    z22809farren.jpg

             — Ouais, mais attends Gene, t’as raison, mais à côté de ça, tu ne peux pas empêcher les gens de te voir sous un autre angle. En devenant Gene Vincent, t’as pris pied dans c’que j’appelle la tragédie d’essence antique du rock’n’roll. Comprends bien que dans l’univers du rock - et avant ça, dans l’monde du jazz et du blues - y a eu des personnages comme Robert Johnson, Charlie Parker, Johnny Ace, puis des mecs comme Jimbo, Moonie et Sid Vicious, dont la personnalité se situait bien au-delà d’la musique qu’ils jouaient. Certains d’entre-eux furent pleinement acceptés comme étant représentatifs de leur époque et sont devenus les dieux de c’qu’il faut bien appeler des tribus des temps modernes, dont les racines plongent dans la nuit des temps et qui parviennent à s’adapter à notre époque.

             — J’pige rien à ton délire. Franchement, j’entrave que dalle. T’es trop intello pour moi, Mick. Je préfère Kim quand il m’insulte. Là, oui, je pige tout d’suite.

             — Bon d’accord, je vais te le dire autrement : sur le papier, Jimbo semble mille fois plus important, en termes de starisation, que tu ne l’as jamais été. Et pourtant, vos destins vous rendent égaux. Mais c’est toi Gene qui a inventé ce personnage du rocker qui donne tout son sens au rock’n’roll. Sans cet esprit à la fois destroy et romantique, le rock n’est plus qu’une simple musique de danse, comprrrrendo ? Pour te l’dire autrement, ta légende est absolument ir-ré-pro-cha-ble. Ça te va comme ça ?

             — Je l’savais déjà, Mick. Tu vas t’faire une entorse à la cervelle, si tu continues à délirer comme ça. Tiens bois un coup, tu dois avoir la gorge sèche, à force de baratiner.

             — Quand j’t’ai vu pour la première fois sur scène, c’était en 1961, à l’Essoldo de Brighton. T’as changé ma vie. Comme t’as changé celle de David Lynch. Tu sais pourquoi ?

             — Parce qu’il était un vampire en Harley Davidson ?

    z22810lynch.jpeg

             — Non, poto, parce que dans Wild At Heart, il te rend l’hommage définitif : il utilise  «Be-Bop-A-Lula» comme un motif musical et fait monter Sailor et Lula à bord d’une Cadillac El Dorado 1975 décapotable. Sailor porte la veste en peau de serpent que portait ton idole Marlon Brando dans The Fugitive Kind. Avec ce road movie, David Lynch a fait d’toi l’une des grandes icônes du kitsch démoniaque. À l’Essoldo de Brighton, ton col relevé encadrait ton visage cadavérique. T’étais aussi blanc que Dracula et des mèches trempées de sueur s’écroulaient sur son front. Tu levais les yeux vers un point imaginaire, perdu dans la voûte de l’auditorium, comme si tu fixais les anges malveillants qui tournoyaient et qu’on ne pouvait voir.

    Signé : Cazengler, madame sans gêne

    Rockabilly Generation Hors Série # 4 Spécial Gene Vincent - Janvier 2024

    Mick Farren. Gene Vincent: There’s One In Every Town. Do-Not Press 2004

    Gene Vincent. I’m Back And I’m Proud. Dandelion Records 1970

     

     

    L’avenir du rock

     - Travail de Fomies

    z22767fomies.gif

             Côté folies, l’avenir du rock en connaît un rayon. C’est même l’un de ses moteurs, il pousserait bien le bouchon jusqu’à s’en couronner l’épitaphe, s’il ne se retenait pas, ces folies qu’il sent rouler en lui comme des fleuves en furie, ces folies qu’il adore comme des déesses antiques, il se jette à leurs pieds, les Bergères et les Méricourt, et puis on le verra encore se prosterner jusqu’à terre devant les érudits aberrés, les stratèges de la science de la patate chaude jadis dénombrés par Charles Nodier, les quadrateurs du cercle et les Christs des oliviers nervaliens, le Raymond-la-science-inexacte de Locus Solus et le plein-chant des Chants de Maldoror d’un Ducasse qui cassa les caciques, les Contes Immoraux du colosse Pétrus pétri de Borel, oh et puis la Lettre À Dieu de l’incompatible Xavier Forneret qu’il faut bien sûr accoupler avec les hennissements d’Artaud le Momo, livré à lui-même avec Pour En Finir Avec le Jugement de Dieu, lors d’une si scélérate radiodiffusion, voilà tout ce qui captive profondément l’avenir du rock, voilà l’ensemble des mille pieuvres dont son crâne s’envahit, jusqu’à la fin des temps, il restera à l’écoute de ce bouillonnement souterrain de l’esprit libre, il jouira d’entendre cette pression mirifique lui battre les tempes, bah-boom, bah-boom, il acclamera encore tous ces antihéros qui surent arracher leurs chaînes et renier toute pudeur et toute mesure, toute espèce de contrainte morale ou esthétique, tout sentiment et tout matérialisme, pour enfin exister à la folie, et il replongera sans fin dans ce festin de destins mirifiques, au nombre desquels il compte l’ineffable Moonie d’au clair de la lune, et bien d’autres fabuleux hétéroclites du rock comme Roky le roquet, Syd Barrett-m’était-conté, Skip on-rolling-Spence, Vince my-Taylor-is-not-rich, et lorsqu’enfin, tel un Des Esseintes épuisé, il atteindra le fond de son filon de folies, l’avenir du rock abandonnera les folies pour passer aux Fomies.

    z22771troisetunquart.jpg

             Alors t’es là en train de siffler ta mousse au bar et soudain tu entends une explosion. Alors tu files vite fait à la cave voir ce qui se passe. Le groupe s’appelle Fomies. Cinq mecs entassés sur la petite scène, deux qui grattent leurs poux sur des bêtes à cornes, un bassman en plein élan cathartique, un steady beurreman, et derrière, noyé dans l’ombre, un mec claviote comme un damné. Dire que ces mecs sont explosifs, c’est un euphémisme. Ils cultivent une science du décollage qui en impose, ils arrachent littéralement leurs heavy krauty cuts du sol, comme le fit Howard Hughes avec son monstrueux hydravion, c’est exactement le même power, ils jouent vite et fort, mais ils ont en plus des réserves considérables, et leur jeu consiste à faire exploser le cut en plein ciel, ce qu’ils font avec une facilité déconcertante ! C’est à la fois sidérant et complètement réjouissant, leur power a quelque chose de surréaliste, c’est peut-être la première fois qu’on voit un groupe cultiver le meilleur hypno du monde, le Kraut, et soudain déclencher une explosion pour aller crever le ciel, bien sûr ils ne crèvent rien, car il se cognent à la voûte de la petite cave, mais leur élan est pur, et la maigre assistance saute partout. Impossible de résister à leur assaut. Dans un tel moment, tu assistes au twist des planètes. Le rock reprend tout son sens. Il redevient la forme d’art la plus immédiate, celle qui te saute à la gorge. Les Suisses font de l’art moderne exubérant, te voilà happé et happy. 

    z22772quatreetqart.jpg

             En plus, ces mecs sont d’une modestie parfaite, quand on leur dit qu’ils sont vraiment bons, ils disent merci. De toute évidence, ils savent qu’ils sont bons, mais ils ne la ramènent pas.  Ce sont des Suisses, basés à Vevey, pas très loin de Montreux, et bien sûr, ils écoutent les Osees. C’est la même énergie, et le petit mec au beurre vaut bien les deux batteurs de John Dwyer. Lui et son collègue bassman constituent une fière rythmique, ces rythmiques qu’ont dit invincibles et qui ont fait les beaux jours de Can et d’Hawkwind. Les Suisses tapent exactement au même niveau. Can et Hawkwind nous ont souvent fait sauter en l’air, alors avec Fomies, c’est exactement la même chose. La surprise est de taille.

    z22773bat+org+chant.jpg

    Ils sont en deuxième position sur une prog de trois groupes, et bien sûr, il faut craindre pour la santé mentale du troisième groupe, les Italiens de Giöbia. D’ailleurs, ils sont dans la cave et assistent au carnage. Ils vont devoir redoubler d’efforts pour surpasser le power des Suisses, ce qui paraît bien sûr impossible. Personne ne peut jouer après Fomies. C’est tout de même dingue de tomber sur des groupes parfaitement inconnus qui sont aussi bons.   

    z22792proeminence.jpg

             Alors on fait une razzia au merch. Le bassman précise qu’ils ont joué essentiellement les cuts d’Ominous Prominence, leur dernier album. On espère retrouver les explosions du set. Ils démarrent d’ailleurs leur set avec le «Glass Pyramid» d’ouverture de bal d’Ominous Prominence, un cut travaillé au heavy doom suisse. Crédible. Visité par un solo à l’étranglée. Bardé de bon son. Et boom !, ils embarquent «Lakeside Fever» en mode Kraut. Énorme ! Dans la poche. De vrais diables. Ils développent avec frénésie, c’est exactement ce qu’on a vu sur scène. Belle dégelée de dévolu. C’est à toute épreuve. Plein d’accidents et de redémarrages. Hypno magique. Digne des grandes heures du duc de Dwyer. On retrouve aussi le «See» du set, bien arrosé de heavy riff raff. Ils s’inspirent encore du premier Sabbath, avec un son frais comme un gardon de Birmingham.Ils sont en plein Sab, ils concentrent les explosions pour mieux exploser. Mais ça traîne un peu en longueur et ça se dilapide. Ils renouent avec le génie dans «Barren Mind». Belle ampleur du geste. Ces mecs savent bâtir un petit empire. Ils restent sur la brèche. Puissants et toujours intéressants. Curieux cut que ce «Confusion» attaqué en mode Talking Heads, avec un riff de Stonesy. Ils reprennent la main avec un chant en lousdé. C’est vite torché, avec les Suisses. Et toujours ce beurre du diable. Fin d’album spectaculaire avec «The Eyewall» et «Chermabag», deux des hits du set, cavalés tous les deux à l’haricot du kraut, leur «Eyewall» file ventre à terre en territoire des spoutnicks, c’est brillant, plein comme un œuf, bourré de relances, une véritable aubaine. «Chermabag» repart de plus belle, ils tapent ça upfront, ça défonce les barrages et tu as même un solo de destruction massive dans la matière en fusion. Ils détruisent tout sur leur passage. L’herbe ne repousse pas après le passage de Fomies.

    z22791suddenlag.jpg

               L’album précédent s’appelle Sudden Lag. Le morceau titre est l’un des cuts les plus explosif du set de Fomies. On retrouve bien le passage à l’acte dans la version studio. Ça sonne même comme un hit dès l’intro. Pure furia del sol. Les deux bêtes à cornes foutent le feu. Tu ne bats pas Sudden Lag à la course. Ces mecs ont tellement de souffle qu’ils te collent au mur. C’est extraordinairement bon. Les poux tombent à bras raccourcis sur le beat. Quel carnage ! Ils virent hypno Kraut histoire d’endormir la méfiance, tu commences à somnoler, ça gratte des poux dans la pénombre et le bassmatic commence à grignoter le foie du cut, c’est le moment que choisit ce démon du beurre pour relancer, mais il relance comme un porc, avec une animalité terrifiante, alors ça explose dans le ciel ! C’est leur truc. Et ça continue de monter par étapes, avec une sorte d’imparabilité des choses, on assiste sidéré au retour du couplet, ça joue dans l’ass de l’oss et ça monte encore pour exploser. Ils ne vivent que pour ça, l’explosion. Et les poux foutent le feu. Le «Noise Less Noise» d’ouverture de bal est lui aussi fougueux comme pas deux, bien propulsé dans l’orbite du Kraut, le mec bat à la bonne mesure, et à un moment, ils décollent. Ils font du pur Can. Comme Can, ils ont l’énergie du beat. Même chose avec «Foggy Disposition». C’est vite noyé de poux et ça explose. Ils montent leur «Ego Trip» sur un riff tiré du premier album de Sabbath. Fantastique clin d’œil ! Ils font sauter le compteur des distos. Avec «A9», ils filent en plein dans les Osees. C’est merveilleusement bien expédié, ils montent leur frénésie en neige, c’est très spectaculaire, ils vont s’encastrer délibérément dans des platanes à coups de solos transgressifs. Tu ne perds pas ton temps à écouter ces mecs-là.

    z22790surf.jpg

             Et puis tiens, cadö ! Oh merci ! Un petit EP. On ne crache pas dessus. Fakie Homie Surfboard. 5 Titres. Quelle belle aubaine, car en 2017, les Suisses étaient déjà dans l’énormité. Leur «Paul» est bien gorgé de gras double, bien dérouillé. Ils tapent encore dans l’excellence du patrimoine gaga sixties avec «Complication». C’est même violemment bon. Ils refont «Farmer John» à la dure. Ils optent pour le wild roll over. Sans doute l’un des meilleurs shoot de gaga d’Europe. Ils te jettent ça en l’air et ça retombe sur ses pattes. Uns merveille ! S’ensuit un «West Ocean Sunday» complètement bousillé du bât flanc, trituré au gras double, on entend les bêtes à cornes, c’est énorme, ils sont agiles et puissants, et le départ en solo vaut tout Johnny Thunders. C’est complètement inexpected. Donc génial. Suite de la fête au village avec «River». Ça taille la route ! Et pour finir, ils t’explosent «Primus», et ça chante à la vie à la mort. Ces mecs sont avec les Monsters les rois du wild Swiss gaga, et même du gaga tout court.

    Signé : Cazengler, Fomironton mirontaine

    Fomies. Le Trois Pièces. Rouen (76). 13 décembre 2023

    Fomies. Fakie Homie Surfboard. 2017

    Fomies. Sudden Lag. Hummus Records 2022

    Fomies. Ominous Prominence. Taxi Gauche Records 2023

     

     

    The Memphis Beat - Escott me, partner !

     

    z22766escott.gif

             S’il est un grand Sunologue devant l’Éternel, c’est bien sûr Colin Escott. Son Good Rockin’ Tonight ressemble étrangement à un passage obligé. C’est en tous les cas l’ouvrage qui permet d’écouter tous les Sun cats en parfaite connaissance de cause. L’Escott les passe tous en revue, un par un, ils sont venus, ils sont tous là, comme dirait Charlot dans «La Mama». Le plus bel hommage est bien sûr celui que rend l’auteur à Sam Phillips, et Peter Guralnick se joint à lui dans la préface pour saluer le génie d’Uncle Sam. Il cite Cowboy Jack Clement : «Si Elvis était une star, alors Sam Phillips était une superstar.» En seulement une décennie, et en tant que one-man operation, Sam a selon Guralnick créé un monde auquel rien ne peut être comparé, the stylistic bedrock not just for rock’n’roll but for much of modern blues as well. Guralnick va loin, car il parle de vision historique, et c’est de cela dont il faut se souvenir. Guralnick re-cite cette phrase de Sam qu’on aime à croiser, lorsqu’il évoque Wolf : «This is where the soul of man never dies», et Guralnick ajoute dans la foulée : this is what Sun records was about. On ne peut espérer plus beau mélange de magie et de légende, ce sont les vraies racines du rock, tout vient de cet homme et des amis. It was in the Sun studio that rock’n’roll was born. L’Escott rappelle aussi que l’instinct de Sam était infaillible : en huit ans, il a découvert B.B. King, Wolf, Ike Turner, Rufus Thomas, Elvis, Johnny Cash, Jerry Lee, Carl Perkins, Charlie Rich, Roy Orbison et beaucoup d’autres. Une fois installé à Memphis, Sam se sentit environné par des gens de talent. Sa seule préoccupation fut de capter le feeling de tous ces gens. L’expertise musicale ne l’intéressait pas. Des professionnels auraient foutu Elvis et Johnny Cash à la porte. Par contre, Sam vit en eux deux diamants bruts. À part Sam, le raw n’intéressait pas les gens du business. Jim Dickinson rappelle que les yeux de Sam brillaient étrangement - You could look into his eyes and see whirling pools of insanity. You knew that he was looking down into your guts - C’est comme ça qu’il observait Wolf. Qu’il observait Elvis. Avec le feu sacré. Dévoré par la passion. Et Dickinson conclut : «Someting happened. That’s what he does that’s magic.» Chez Uncle Sam, tout marchait à l’adrénaline. Un bon chanteur ne l’intéressait pas plus que ça. Il voulait quelque chose de distinctif. Pour lui le plus important était la spontanéité. Quand en 1982, il évoque les techniques modernes et les overdubs, il traite tout ça de bullshit - I don’t go for it - Et il s’investit tellement dans ses artistes qu’il invente même la notion de producteur. Il crée un son à partir d’une atmosphère.

    z22816sam.jpg

             Pour évoquer le Memphis Sound, l’Escott cite Willie Mitchell qui avait remarqué qu’à Memphis, les musiciens jouaient légèrement en retard sur le beat - Behind the beat a little bit - Même le Bill Black Combo et Otis Redding, ajoute-t-il. Il y avait un demi-temps de retard sur le beat et il semblait que tout le monde allait se planter, mais ils balançaient pour se remettre sur le beat. Pour Willie Mitchell, on trouve aussi ce behind the beat dans le Memphis blues et chez Al Green.

    z22810joehill.jpg

             L’Escott passe en revue toute l’équipe des pionniers blacks de Sun, Joe Hill Louis, Jackie Brenston & Ike Turner, Roscoe Gordon et bien sûr Wolf. Sam redit qu’il n’avait jamais vu des pieds aussi grands que ceux de Wolf - And I tell you, the greatest sight you could see today would be Chester Burnett doing one of those sessions in my studio. God what it would be worth to see the fervor in that man’s face when he sang - Sam fait une description apocalyptique de Wolf en studio - When the beat got going in the studio, he would sit there and sing, hypnotizing himself. Wolf was one of those raw people. Dedicated. Natural - Les blackos se passent le mot. B.B. King dit à Ike Turner qu’un blanc enregistre les nègres à Memphis. Sam tente de monter des deals avec Jules et Saul Bihari, puis avec Leonard Chess, mais c’est pas facile de faire des affaires avec des gens qui raisonnent plus en termes de profit qu’en termes de qualité artistique. L’un des premiers modèles de Sam est le «Boogie Chilling» De John Lee Hooker et son vrai premier coup d’éclat est bien sûr «Rocket 88» que dynamite Ike en studio derrière son Wurlitzer. Mais Sam avoue que Phil et Leonard le renard ne sont pas très honnêtes avec lui. Il finit par en avoir marre de se faire rouler la gueule par les frères Chess et les frères Bihari. Alors il monte Sun. Son frère Jud vient faire le promo-man. Little Milton est l’un des premiers à enregistrer sur Sun. Mais Milton est un caméléon, il fait du Fats Domino, du Elmore James, du B.B. King et du Guitar Slim. Ce n’est pas vraiment ce que Sam recherche. Il trouve plus de raw dans la guitare de Pat Hare qui accompagne James Cotton sur «Cotton Crop Blues». L’Escott parle d’un solo of extraordinary violence and passion. Ça date de 1954. Jusqu’à son départ de Memphis en 1954 avec Junior Parker, Pat Hare devint an early Sun trademark as well. Sam parle d’un mismatch of impedence sur son ampli, un Fender amp. Entre l’ampli crevé des Rhythm Kings d’Ike Turner et le mismatch de Pat Hare, Sam se régale.

    z22811train.jpg

             1954, c’est aussi la naissance d’un mythe : Elvis. L’Escott rappelle qu’en 1954, la musique d’Elvis échappait à toutes les normes - How alien his music was - L’Escott s’émerveille encore de «Mystery Train» : il y a seulement trois instruments sur le disk, mais il sonne aussi bien que n’importe quel autre chart-topper. Elvis ne réussira plus jamais à sonner aussi bien qu’au temps de Sam - as fresh, as wild, as loose - Edwin Howard parle de la vie d’Elvis comme d’une tragédie : «Il aurait pu évoluer, étudier et voyager, mais il préférait rester dans le monde de son enfance, en louant des salles de cinéma, des manèges et en badinant avec des poupées. La quarantaine ne lui a pas réussi et le troisième âge aurait été obscène. Sa vie était devenue si lamentable qu’à mes yeux, sa mort l’est moins.» Mais grâce à Sam, Elvis a révolutionné le XXe siècle en donnant vie au rock’n’roll. Roy Orbison se souvient de la première fois qu’il vit Elvis sur scène : «First thing, he came out and spat out a piece of gum onto the stage. He was a punk kid. A weird-looking dude.»  Sam admire aussi le style de Bill Black - It was a slap beat and a tonal beat at one and the same time - C’est important, car il n’y a pas de batterie dans le studio. Sam rajoute de l’écho pour graisser le son. Et sur scène, Bill fait le show, alors que Scotty reste concentré sur sa guitare. Mais en 1955, Sam n’a plus un rond. Il vient de racheter les parts de Jud dans Sun et il se retrouve sur la paille, avec le Colonel qui rôde autour de lui comme une hyène. Sam doit se résoudre à vendre le contrat d’Elvis pour éviter de couler. Il craint surtout les poursuites du Colonel qui est devenu manager d’Elvis, en cas de défaut de paiement des royalties.

    z22812folsom.jpg

             C’est là que débarque Johnny Cash, un artiste très limité aussi bien côté voix que côté jeu. Mais Sam fait une force de ces faiblesses. Cash ne s’embarrasse pas avec les scrupules. Il propose très vite son «Folsom Prison Blues» qui est un pompage note pour note du «Creshent City Blues» de Gordon Jenkins. Ce que Sam apprécie le plus chez Cash & the Tennessee Two, c’est l’originalité de leur son. Sam lance Cash et puis un jour il entend des rumeurs. Cash aurait signé un pré-accord avec Columbia qui prendrait effet à la fin de son contrat Sun. Sam n’y croit pas. En avril 1958, Sam va chez Cash, il sonne à la porte - Je l’ai fixé dans le blanc des yeux. John, on me dit que tu as signé un accord avec un autre label qui prend effet le jour de l’expiration du contrat Sun. Je veux que tu me répondes d’homme à homme : est-ce que c’est vrai ? J’ai su au moment où il ouvrait la bouche qu’il mentait. C’est la seule putain de fois où Johnny Cash m’a menti, et je savais la vérité ! Ça fait mal ! Ça fait très mal ! - Sam rappelle qu’il a consacré énormément de temps à Cash, et à Carl Perkins qui va lui faire le même coup. Il pense que Cash et Carl étaient jaloux de Jerry Lee auquel Sam consacrait alors énormément de temps et de moyens - Ils étaient tous très jeunes et il y avait énormément de jalousie - Sam avait réussi à faire du son de Cash, Luther Perkins et Marshall Grant le son le plus innovant et le plus original en country music depuis la mort d’Hank Williams. 

    z22812harmonica.jpg

             Sam tente aussi de faire une star d’Harmonica Frank, a modern-day hobo, un one-man band qui chantait d’un côté de sa bouche avec un harmo coincé de l’autre côté de la bouche, et qui s’accompagnait à la guitare. Sam avoue que s’il en avait eu les moyens financiers, il aurait fait de Frank Floyd une institution. Par contre, ça ne marchait pas avec Charlie Feathers. Un mélange de mauvais caractère, de poisse et d’erreurs d’appréciation lui firent prendre le chemin des bars minables, alors qu’il pouvait prétendre au rond du projecteur comme Carl Perkins, Elvis et Cash. Et à force de réécrire l’histoire, nous dit l’Escott, il est finalement devenu une star de la réécriture de l’histoire. L’Escott n’y va pas par quatre chemins ! Et puis se montrer impatient avec Sam n’était peut-être pas la meilleure chose à faire. D’ailleurs Sam dit que Charlie était quelqu’un de difficile - a little difficult to work with - Sam ajoute que Charlie racontait des histoires et qu’il finissait par y croire. À ses yeux, le talent de Charlie était dans la country - the blues feeling he put into a hillbilly song - Il aurait pu être the George Jones of his day. Par contre, Carl Perkins, c’est du pur honky-tonk - But you could never take the country out of Carl Perkins - L’Escott affirme que Carl travaillait dur pour échapper à un destin de fermier. En jouant son honky-tonk avec un blues feel, Carl allait inventer un son hybride qu’on allait appeler le rockabilly. Lui et Elvis étaient les seuls à savoir le faire, en 1954. C’est la femme du Carl qui un jour entend Elvis chanter «Blue Moon Over Kentucky» à la radio, dans la cuisine, et qui s’exclame : «Carl, that sounds just like y’all !» Et quand Sam voit débarquer Carl pour la première fois à Memphis, il voit tout de suite le paysan : «One of the greatest plowhands in the world !» Carl adore chanter bourré. L’Escott souligne que Carl en a un sacré coup dans le nez quand il enregistre «Her Love Rubbed Off». Il va même comparer le style douteux de Carl à celui de Jimmy Reed. Carl est comme Hank Williams, un poète rural, ses racines sont les Tennessee barrooms. L’Escott rapporte aussi des incidents de tournée avec Jerry Lee : dans la loge, il y avait Carl, Warren Smith et Jerry Lee qui parce qu’il venait de sortir l’un de ses big records annonçait qu’il passait en dernier. Alors Clayton Perkins qui sifflait une rasade de whisky et lança à Jerry Lee : «If you’re going on last, we’re gonna fight !» Et puis comme Cash, Carl est secrètement pré-signé par Columbia, alors que son contrat Sun n’a pas encore expiré. Mais comme tous ceux qui ont quitté Sam, Carl ne put jamais renouer avec la magie de ses débuts - We were trying 100 percent and Sam Phillips captured it - L’Escott rappelle aussi qu’aux yeux de gens comme les Beatles, Carl était un vrai héros.

    z22813harris.jpg

             Par contre Sam ne sait pas quoi faire de Roy Orbison. Il est obligé de le laisser partir, mais il avoue regretter de ne pas avoir essayé d’en faire un rocker. Sam engage Roland Janes car il voit en lui un allié précieux : un guitariste privé d’ego. Malcolm Yelvington réussit à passer son audition chez Sun grâce à «Drinkin’ Wine Spo-Dee-O-Dee», un vieux coucou qu’il joue en tournée depuis longtemps, mais il est beaucoup trop vieux pour la gloriole. Ray Harris veut lui aussi sa part du gâteau et prend le parti d’être le rockab le plus sauvage d’Amérique. Sam croit que Ray va faire une crise cardiaque en studio, tellement il s’excite. «Come On Little Mama» date de 1956. Les paroles sont incompréhensibles, les musiciens limités, la production douteuse, mais la performance est irrésistible. Du pur jus de Sam. L’autre grand mystère Sun, c’est Billy Lee Riley, que Sam cantonna dans le rôle de house-band member avec Roland Janes et J.M. Eaton. L’Escott ajoute que Riley avait l’un des hottest working bands in the mid-South. Sam : «Riley was just a damn good rocker, but man he was so damn weird in many ways.» Sam dit que Riley l’intéressait, mais ce n’était pas facile de travailler avec lui. Quand il buvait un coup, il devenait quelqu’un d’autre - I was disapointed we never broke him into the big time. His band was just a rockin’ mother ! - Le vrai problème c’est que Billy Lee Riley n’a pas de style personnel. C’est un caméléon, comme Little Milton, doté d’un talent indéniable mais qui manque de direction. Il commence par faire le hillbilly singer, puis il veut faire le Little Richard blanc, puis des instros, du blues, des Whiskey-a-Go-Go albums, de la country soul, et donc tout et n’importe quoi. Warren Smith n’a pas non plus décroché le jackpot. Il a le look et la volonté de réussir, mais ça ne suffit pas. Il arrive malheureusement au moment où Sam met le paquet sur Jerry Lee. Warren le vit si mal que dès qu’il tombe sur un disk de Jerry Lee, il le casse en mille morceaux.

    z22814jerry.jpg

             Alors justement, Jerry Lee. Sam et lui étaient destinés à grimper au sommet ensemble - And together they defined all that is best in rock’n’roll - On croyait avoir atteint des sommets avec Carl Perkins et Elvis. Eh bien non, c’est avec Jerry Lee que tout explose. Quand Jerry Lee cite les stylistes, il déclare : «Al Jolson is Number One. Jimmie Rogers is Number Two. Number Three is Hank Williams. And Number Four is Jerry Lee Lewis.» Quand Jerry Lee débarque pour la première fois à Memphis avec son père Elmo qui a vendu treize douzaines d’œufs pour financer le voyage, Sam est en déplacement. C’est donc Jack Clement qui reçoit un Jerry Lee qui prétend jouer du piano comme Chet Atkins. Jack le voit jouer et en effet, c’est très impressionnant. Il enregistre une bande pour la faire écouter à Sam. Quand de retour à Memphis Sam écoute la bande, il entend quelque chose de spirituel dans le son. Il dit à Jack : «Va me chercher ce mec immédiatement !» Lorsque le scandale du mariage de Jerry Lee avec Myra éclate en Angleterre, Sam prend sa défense. Il est outré par la violence de l’acharnement médiatique. Roland Janes affirme que Jerry Lee veillait à montrer que le scandale ne l’affectait pas : «He’s a very deep person. He could be hurting and never let it show.» Pour Roland Janes, Jerry Lee est un homme extrêmement honnête qui pensait que les gens s’intéressaient surtout à sa musique, et non à sa vie privée. Erreur fatale qui va presque lui coûter sa carrière. Mais même si Jerry Lee se sent trahi, mais il sait garder la tête haute. Roland Janes ajoute qu’il aimait Jerry Lee comme un frère. Il était son guitariste en tournée, ne l’oublions pas. Il conclut qu’il ne trouve personne qu’on puisse comparer à Jerry Lee, et là-dessus, on est tous bien d’accord avec lui - I don’t think even he knows how great he is.

    z22815frost.jpg

             Sam reprend son bâton de pèlerin pour saluer Charlie Rich : «I don’t think I ever recorded anyone who was better as a singer, writer and player than Charlie Rich. It is all so effortless, the way he moves from rock to country to blues to jazz.» La saga Sun se termine en 1962 avec Frank Frost, le dernier grand artiste de blues enregistré à Memphis. Un DJ de Nashville affirme que l’album de Frost est le meilleur album de blues qu’il ait entendu, mais c’est un désastre commercial. Dernier spasme de Sun avec les Jesters et «Cadillac Man». Grosse équipe : Dickinson, Teddy Paige, et Jerry, le fils cadet de Sam.

    z22816shelby.jpg

             Et puis voilà, Sam en a marre, il vend Sun à Shelby Singleton qui maintient Sun en vie au long des années soixante-dix, avec des gens comme Sleepy LaBeef qui arrive vingt ans trop tard. Et Jimmy Ellis, plus connu sous le nom d’Orion Eckey Darnell et que l’Escott étripe - His style began and ended with affectation - Après avoir vendu Sun, Sam reste un peu dans le business, mais pas trop. Il manage des stations de radio et gère son portefeuille d’actions. Il se dit intéressé à produire Bob Dylan et aide Knox et Jerry à produire John Prine en 1978. C’est là que Dickinson raconte l’anecdote du projet qu’il monte avec Knox et B.B. King. Knox demande à son père s’il veut bien assister à la session d’enregistrement de B.B. King et Sam refuse. No. Knox veut savoir pourquoi il refuse. Et Sam répond : «Tu ne peux pas aller voir Picasso et lui demander de peindre une petite toile vite fait.» Dickinson dit que sa réponse peut paraître présomptueuse, mais c’est la façon dont il voit les choses. Une fois qu’on sort d’une aventure créative, il est difficile d’y revenir - Everything in recording is input and output and when you lose that signal flow, you never get it back - Rien de plus vrai.

    Signé : Cazengler, Escocott minute

    Colin Escott & Martin Hawkins. Good Rockin’ Tonight. St. Martin’s Press 1991

     

     

    Sam Coomes is coming

     - Part Two

    z22770samcoomes.gif

             Il serait bon d’installer Sam Coomes sur le trône d’American Popland. Hélas, deux rois se partagent déjà le royaume d’American Popland : Robert Pollard et Frank Black. Sam le sait, il est condamné aux ténèbres de l’undergound, mais comme il dispose des lumières d’un esprit bien tourné, il fait contre mauvaise fortune bon cœur.

             Il assoit sa réputation sur une ribambelle d’excellents albums, ceux de Quasi qu’on ne cesse de recommander à tout va. Quasi est un duo basé à Portland dans l’Oregon. Aux côtés de Sam Coomes, on retrouve Janet Weiss, qui bat aussi le beurre dans Sleater-Kinney. Le déroulé d’albums qui suit va montrer à quel point ce duo constitue l’une des forces vives de la nation américaine.

    z22781transmortification.jpg

             Qui aurait acheté leur premier album, le mystérieux R&B Transmogrification paru en 1997 ? Pas grand monde. Spin a dû faire le buzz, à l’époque. Très vite, Sam Coomes impose un style unique, un mélange de libertarisme littéraire et de libéralisme mélodique. «Ghost Vs Vampire» relève du pur génie. Pourquoi ? Parce que c’est un cut digne des Beach Boys et hanté par des renvois d’accords qui évoquent l’âge d’or du Teenage Fanclub, c’est-à-dire Bandwagonesque. Sam précise que le fantôme n’est pas le rival du vampire - It’s not mine to choose if I win or lose/ But he who last laughs the loudest - C’est à celui qui rira le plus fort ! L’autre coup de génie s’appelle «Chocolate Rabbit», perdu au fond de la B et claqué aux accords du Teenage. Voilà encore une extraordinaire shoote d’ambivalence prévalente, ou de prévalence ambivalente, c’est la même chose - On Easter I got a rabbit/ The biggest I ever saw - Il lui croque la tête et trouve le chocolat du lapin de Pâques dégueulasse. Oh mais ce n’est pas fini ! Sam met en place avec cet album sa principale obsession : la mort. Si on retourne la pochette, on voit le dessin d’un piano-cercueil. Ça tombe bien, car il chante «My Coffin», une chanson lancinante dans laquelle il raconte nonchalamment qu’il construit le cercueil dans lequel on l’enterrera un beau jour, et il espère, dans pas longtemps - One day I shall die & I should hope it won’t be long - Dès «Ghost Dreaming» qui ouvre ce bal de vampires, Sam crée les conditions de l’étrangeté maximaliste. Il chante d’une voix de pinson argentique et implante le weird dans le ness latéral, créant ainsi la weirdness latérale. On a là du pur dada montagneux. Dans «The Ballad Of The Mechanical Man», il rappelle que soon, on sera tous morts, et cette idée le détend - Soon we’ll be all dead/ It makes me feel so comfortable - Il relativise même ses relations sentimentales, comme on le voit dans «In The First Place». Sur le mode d’un balladif traîne-savate extraordinairement décadent, Sam explique qu’au début, il croyait qu’elle lui appartenait, il croyait même que cette possession était réelle, mais au fond, si on y réfléchit bien, ce genre de chose n’a strictement aucune importance - But now it’s no big deal/ It doesn’t matter - Puis on entend Janet pulser le beat dans l’énorme «Two Faced». En B, Sam rappelle dans «When I’m Dead» que quand il sera mort, vous serez tous en vie, debout dans le funeral home, à vous demander ce que vous allez faire de ce dead body. Fantastique poète morbide ! Sam pourrait bien être le Maurice Rollinat du royaume de Popland.

    z22782featuringbirds.jpg

             L’année suivante sort Featuring Birds. C’est encore un disque bourré de coups de génie du calibre d’«I Never Want To See You Again». Sam s’y envole. On se croirait dans le White Album des Beatles - We purshase pleasure/ Pay for it with hurt/ And we rarely get our money’s worth - On se ruine à s’acheter du plaisir et c’est souvent pour des prunes, comme dirait Gide. Et ça continue avec «The Poisoned Well», ou il raconte qu’on a le choix entre deux solutions : soit mourir de soif, soit boire l’eau du puits empoisonné. Il en profite pour lâcher une petite confidence - You don’t live long but you may write the perfect song - Voilà sa deuxième obsession, après la mort : écrire la chanson parfaite. Avec «Our Happiness Is Guaranteed», Sam chante l’absurdité de son temps - Fed by TV, we rarely need to sleep - et il rappelle que le bonheur de l’Américain moyen est garanti et que les rêves ne servent à rien. Il fait avec «Sea Shanty» une fantastique dérive musicologique - You and I go drifting by the abandonned vessel of the everyday - Il décrit sa vie quotidienne comme une errance à bord d’un vaisseau abandonné. On tombe en B sur un chef-d’œuvre de désespoir latent, «You Fucked Yourself», joué sur une valse à deux temps. C’est dégoulinant d’auto-dérision - You changed your mind when it’s too late/ Self deceit is your worst mistake - Oui, il ne fallait pas changer d’avis, il était trop tard de toute façon, et te mentir à toi-même est la pire des erreurs. Il tape encore dans le registre de l’inutilité des choses avec «I Give Up» - It’s gone so wrong/ So long - Il arrête les frais. On prend ensuite «Repetition» en pleine poire, Janet et Sam duettent et ça se fond dans le lagon d’argent. Ils chantent sur un heavy groove désespérément beau - Tell me now/ What’s the use of a brain - C’est gorgé de son jusqu’à l’oss de l’ass, Sam et Janet pondent là une sorte d’apoplexie musicologique digne d’un Brian Wilson qui serait l’enfant caché d’Oscar Wilde et de la fée Morgane. Une façon comme une autre de dire qu’il s’agit d’un disk magick.

    z22783fieldstories.jpg

             Field Studies est un album à trois faces, comme l’immortel Second Winter. Il s’y niche une petite merveille intitulée «The Stars You Left Behind». On croit entendre le Mercury Rev de Deserter’s Songs, the sound of the Catskill Montains, noyé dans des brumes d’harmonies somptueuses - Far away from everything/ Far away from everywhere/ No one hears you sing - Tiens, encore une Beautiful Song avec «The Golden Egg» où il explique que ses chansons n’ont absolument aucun sens - Don’t believe a word I sing/ Because it’s only a song and it don’t mean a thing - On trouve en B l’«Under A Cloud» franchement digne des Beatles, et d’une grande fraîcheur de ton. Avec «Bon Voyage», il chante une ode à la dérive des continents. Même quand il joue la carte du bastringue, comme c’est le cas avec «Birds», Sam garde l’œil rivé sur la mélodie. Et on se régalera de cette fable intitulée «A Fable With No Moral», dans laquelle il veut vendre son âme au diable pour avoir de quoi payer son loyer. Mais le diable n’envoie pas le chèque. Alors il décide d’aller vendre son âme dans la rue avec un écriteau. Soudain, le diable arrive au volant d’une Land Rover et dit à Sam que ce n’est pas à lui de vendre son âme. 

    z22784hotshit.jpg

             Paru en 2003, Hot Shit est certainement l’album de Quasi le plus connu. Ça démarre en fanfare avec le morceau titre qui encore une fois a tous les atours d’un coup de génie. Sam amène ça au slinging du Delta et Janet rentre dans le chou du cut en mode powerhouse weisspasienne. Ça donne un cut d’étrangement délicieux - Hot shit on a silver platter - On y assiste à une fantastique déglingue orchestrale ! Et ça continue dans une veine plus décadente avec un «Seven Years Gone» qui sonne comme un hit dès la première mesure. Une fois encore, Sam y crée un monde. Janet et lui se tapent ensuite une belle tranche de rock’n’roll avec «Good Time Rock’n’roll» - You got your crocodile boots/ I got my John The Conqueror root - Ils swinguent avec autant de classe que Chuck Prophet, et c’est pas peu dire ! Ils enchaînent avec «Master & Dog», une comptine d’une finesse remarquable, et qui bascule sans prévenir dans l’heavy fried-drenched psych à la Blue Cheer. Bam Bam, on entend même passer les éléphants de Scipion. Et pour finir le balda, voici «Drunken Tears» qui sonne comme le hit dont rêve Sam - So what if you’re not the genius/ You always thought you were - Il prend assez de distance avec son génie pour le tourner en dérision, et ça, les amis, ça vaut tout l’or du monde. Par contre, la B est complètement insignifiante.

    z22785goingdark.jpg

             Une joli petit coup de génie se cache sur l’album jaune intitulé When The Going Gets Dark : c’est le morceau titre, qui sonne comme un fantastique shoot de chanson à boire across the milky way. Sam le chante à la revoyure tarabiscopique. Il est vraiment le seul à pouvoir se permettre ce genre d’exhalaison. L’aut’hot hit de l’album se trouve au bout de la B des cochons : «Death Culture Blues». Sam et Janet cassent bien leur baraque. Sam joue comme un fou de Dieu - I’ve done my time/ I took my bath/ I’m back on track down the shining path - Et ça rime, en prime. On retrouve sa fameuse obsession morbide dès l’«Alice The Goon» d’ouverture de balda - Pull the plug/ Watch him die - Sam n’en finit plus d’étendre son empire sur la poésie avec des trucs du genre Sailing to the moon with Alice the Goon/ I’m Popeye the sailor man/ I live in a garbage can - Il est vraiment le Poe du rock (Hello Damie). On fait difficilement mieux en matière d’inventivité poétique. Avec «The Rhino», Sam va chercher l’insoutenable légèreté du hêtre. Il n’hésite pas non pas à taper dans le heavy groove hendrixien pour «Peace And Love», histoire de bien installer un texte terriblement désabusé. En B, on retombe sur le parallélisme avec Mercury Rev, grâce à «Poverty Sucks». Sam insinue même que ce n’est pas un péché que d’être pauvre.

    z22786americangong.jpg

             American Gong pourrait bien être l’un des meilleurs albums du duo, ne serait-ce que pour «Repulsion» qui ouvre le balda. Oui, car voilà un hit pop bien battu en brèche, et Sam fait de la haute voltige sur le manche de sa guitare. Mine de rien, il bat tous les records. Il enchaîne avec un nouveau coup de génie intitulé «Little White Horse», qui raconte l’histoire d’un mec ordinaire, mais c’est délicieusement sur-orchestré. Il va de coup de maître en coup de maître avec «Everything & Nothing At All» puis «Bye Bye Blackbird» qui au premier abord se présente comme un hommage aux Beatles du White Album, mais Sam le pousse à un niveau purement exutoire. Il tire le rock de sa pop dans une vraie dimension poétique, et va puiser dans sa mélancolie des ressources insoupçonnables. Sam Coomes est un artiste ahurissant. Chaque fois, c’est un peu comme s’il divinisait sa parole - Bye bye blackbird/ Days are getting cold - Il swingue sa langue à outrance - Bye bye blackbird/ Fly into the sun - et à la fin, lorsqu’il arrive à l’article de la mort, il réclame la fameuse blanket of light, c’est-à-dire le linceul de lumière. Il se prépare à explorer l’au-delà dans «Death Is Not The End» - You’re off the hook/ But not for good - et se glisse dans la peau d’un suicidaire pour écrire les paroles de sa chanson - Everyday you cry like a child/ After a while you just get used to it - C’est tellement criant de vérité ! Et il met une mélodie chant superbe au service d’un texte épouvantablement explicite. Encore du texte de rêve dans un «Rockabilly Party» bardé de clameurs, joué au heavy riff et au mid-tempo dévastateur, avec un Humpty Dumpy assis on a fence, or on a wall as I recall/ It still don’t make no sense - Comme d’habitude, Sam ne parvient pas à donner du sens à sa vie. Il termine cet album fantasmagorique avec un clin d’œil aux Cajuns intitulé «Laissez les Bons Temps Rouler», mélodique en diable et donc parfait. Il revient en permanence sur l’à-quoi-bon, sur le lay the burden down pour renaître in le centre du soleil qu’il prononce en Français, évidemment.

    z22787molecity.jpg

             Sam se lance en 2013 dans l’aventure risquée du double album avec Mole City. On ne peut pas dire que ce soit un album déterminant, ce serait exagérer. Par contre, tous les Dadaïstes sont unanimes pour se régaler du plantureux «Headshrinker» qu’on trouve en B. Oui car voilà du pur Dada sound - I think I must be blind/ Cause I never saw a word you said - Il pense qu’il est aveugle car il n’a jamais vu un seul des mots qu’elle prononce, et il ajoute que ce n’est pas compliqué de voir la lumière si c’est ce qu’on décide de faire. Voilà un chef-d’œuvre d’absurdité littéraire parfait et monté sur un tempo intriguant digne des pas de danse de Jean Arp au doux cacadou du Cabaret Voltaire, celui de Munich, évidemment. Avec «You Can Stay But You Gotta Go», Sam s’interroge encore une fois sur le sens de la vie, et constate la profonde vanité des choses - What it’s all about ?/ Haven’t got a clue - Quel sens ça peut avoir, il n’en a pas la moindre idée. On retrouve son goût pour la dérive surannée dans «See You On Mars» - I’m sailing on a slowboat to China/ Why should I care - On se croirait du côté de chez Swan. En B, on tombe sur un fantastique «Fat Fanny Land» joliment clap-handé - With her black leather boots & her Kevlar riot gear - et ça se termine comme d’habitude avec du game over. Sam renoue avec le grand art pour «Nostalgia Kills», un modèle de heavy rock américain, celui qui emporte la bouche et tous les suffrages de Suffragette City. On se croirait presque dans la démesure d’«Helter Skelter» et ce n’est pas peu dire ! En C, on tombe sur l’excellent «The Goat» joué au gras insistant et avec une aisance toujours aussi insupportable. Ce mec modélise son son comme J. Mascis, mais avec une approche plus plastique à la Rodin - I’ll be the goat any time you need it baby - Il se livre avec «Gnot» à un nouvel exercice de style à la Henri Michaux - I lead my life like it’s out on lean/ I guess my mind got a mind of its own - Il faut aller jusqu’à la dernière face, car c’est là que se niche l’effarant «New Western Way» dans lequel Sam prône le drop-out, c’est-à-dire fuir ce monde pourri des Mickey Mouse et autres gadgets des temps modernes pour retrouver les ciels et Raging Bull. C’est extrêmement littéraire, fabuleusement bien écrit et d’une justesse qui laisse rêveur.

    z22788burgerme.jpg

             Et puis voilà-t-y pas que Sam se fend d’un album solo, histoire d’ouvrir la brèche à de nouvelles fringales. L’album s’appelle Bugger Me et s’accompagne d’une beau douze pages, prétexte à déraison fictionnelle. Souvenons-nous d’une chose : Sam est un organiste, donc nous avons un album d’orgue et de strombolis electro, mais, car il y a un mais, la mélodie qui reste son arme fatale finit toujours par dominer la situation, et c’est exactement ce qui se passe dans «Stride On», l’étrangement beau cut d’ouverture de bal des Laze : envoûtement garanti. C’est même fabuleusement underground. On n’en attendait pas moins d’un loustic aussi éthique. Avec «Tough Times In Plastic Land», Sam passe au pur jus de tiptop Dada et tintinnabule sous la pleine lune au long de la rue de la Lune. You can’t argue with a crocodile, nous dit-il et il ajoute plus loin Ghost rider & Doctor Strange/ Hanging out on the astral plane - Voici donc le décor planté. Sam bâti un bel univers d’orgue. Il rebondit sur le dos du Dada Leg System. En B, on retrouve avec «Cruisin’ Thru» un faux air d’orge de barbarie, mais avec un objectif, comme dirait Bourdieu : la mélodie. Il se plaît à envoûter l’imprudent voyageur - Chuck out the old/ Suck in the new/ A stranger in my old town - Avec «Fordana», il épouse le galbe de la beauté antique et se répand à la surface du monde.  

    Signé : Cazengler, coomique troupier

    Quasi. R&B Transmogrification. Up Records 1997

    Quasi. Featuring Birds. Up Records 1998

    Quasi. Field Studies. Up Records 1999

    Quasi. Hot Shit. Touch And Go 2003

    Quasi. When The Going Gets Dark. Touch And Go 2006

    Quasi. American Gong. Kill Rock Stars 2010

    Quasi. Mole City. Kill Rock Stars 2013

    Sam Coomes. Bugger Me. Domino 2016

     

     

    Inside the goldmine

     - Dyson ardent

             Parce qu’il s’appelait Bison, on le surnommait Bison Futé. Mais en réalité, il n’était pas très futé. Pas fute-fute, comme on dit familièrement. N’importe qui à sa place aurait mal vécu d’être aussi mal surnommé. Bison l’acceptait plutôt bien, sans doute parce qu’il n’était pas très futé, donc moins susceptible que les gens qui se croient intelligents et qui ne le sont pas. L’avantage qu’avait Bison sur tous les cons, c’est qu’il n’avait aucune distance par rapport à lui-même : il se vivait en direct, d’homme à homme, pourrait-on dire. Il n’était pas du genre à s’observer dans un miroir et à ajuster des petites mèches noires. À sa façon, Bison avait compris un truc essentiel : ne jamais tourner autour du pot, c’est-à-dire son nombril, ce qui permet bien entendu de foncer. Alors Bison a toujours foncé. Chez lui, c’est génétique. Ce qui lui a permis de commettre quelques erreurs, qui sont, comme chacun sait, les clés de la connaissance. Bison a toujours fonctionné à l’instinct, il n’a jamais cultivé aucune idée de sa valeur, ça ne pouvait d’ailleurs pas lui traverser l’esprit. Bison sortait de chez lui, c’est-à-dire de sa tête, pour s’intéresser aux autres, mais à sa façon, très sommaire, très basique. Il créait ainsi des équilibres qui lui permettaient de vivre en paix avec les autres. Il devenait une sorte d’anti-Sartre, un surnom qui l’aurait bien fait marrer. De toute façon, il rigolait facilement : Bison futé ou anti-Sartre, c’est du pareil au même. Rencontrer Bison dans la rue et aller boire un café ou une mousse avec lui était chaque fois l’occasion de passer un moment paisible, pour ne pas dire agréable. Oh pas un moment de grâce, n’exagérons tout de même pas, mais on aurait échangé dix autres rencontres contre celle-ci. Le pur simplisme de son propos dessinait le cadre de la conversation et rien n’était plus jouissif que de veiller à ne pas le briser. Bison établissait à sa manière une sorte d’espace intermédiaire dans lequel il faisait bon fondre son propos, son temps, enfin tout ce qu’on peut offrir en de telles circonstances. On y goûtait cette plénitude qu’on ressent parfois, lorsqu’on contemple le ciel et que le temps s’arrête.

    z22769ronniedison.gif

             Pas de danger que surnomme Ronnie Dyson ‘Dyson Futé’. Dyson ardent lui va comme un gant. C’est sur Ready Or Not (Thom Bell Philly Soul Arrangements & Productions 1965-1978), la belle compile Kent consacrée à Thom Bell, qu’on a croisé la piste de Ronnie Dyson. Quand tu entends la voix du Dyson ardent, tu pars immédiatement à sa découverte. Il fit ses débuts dans Hair à Broadway. Son premier album parut sur Columbia, produit bien sûr par Thom Bell. Ce petit Soul Brother offre un rare mélange d’ingénuité et de maturité. 

    z22774ifyouletme.jpg

             Ingénu, comme le montre le portrait qui orne la pochette d’(If You let Me Make Love To You Then) Why Can’t I Touch You. Il a ce qu’on appelle un regard dévorant, ses deux grands yeux noirs plongent en toi. Il attaque son fantastique festin de Soul avec «I Don’t Wanna Cry». Il jette ses bras vers le ciel et s’impose comme un petit géant. Sa première cover est celle d’un cut de Laura Nyro «Emmie». Il en fait une belle tarte à la crème. Avec «I Just Can’t Help Believin’», il sert une grosse tranche palpitante de Soul des jours heureux. Quel tempérament ! Il chante d’une voix extrêmement colorée. Il peut monter très haut, comme le montre «She’s Gone». Ronnie Dyson est un fabuleux interprète. Il tape ensuite une cover de «Band Of Gold», un hit de Freda Payne signé Holland/Dozier/Holland. C’est plein d’allure et d’allant, plein d’all along the bay d’Along. Il boucle ce vaillant petit album avec une autre cover, celle du big «Bridge Over Toubled Water», idéal pour un brillant Soul Brother en herbe. Il en fait du gospel. C’est assez dément ! Soul on sailor ! Il mène bien sa barcasse.

    z22775onenanband.jpg

             C’est bien sûr Thom Bell qui produit One Man Band, un Columbia paru en 1973. Et là, wow !, oui, wow dès la pochette avec ce portrait du Dyson ardent à peine sortie de l’adolescence, et la fascination qu’il exerce s’accroît encore avec le morceau titre d’ouverture de balda, une pièce de Soul bien sentie, très orchestrée, qu’il chante à pleins poumons. Le Dyson ardent tape une Soul de bon aloi, pas très éloignée de Broadway. On sent la patte de Bell, le Gershwin black. Cette Soul est même un petit peu trop orchestrée, comme le fut celle de Brook Benton. En B, il tape une belle reprise du «Something» de George Harrison. On admire la fabuleuse attaque du Dyson ardent et les orchestrations du mentor Bell. Le Dyson ardent chante à la folie éperdue de la Soul. Il termine avec «The Love Of A Woman», un cut de fantastique allure embarqué aux percus, à la fois puissant et d’une élégance stupéfiante, un vrai coup de génie, le Dyson ardent chante tout ce qu’il peut, à la furie enchanteresse.  

    z22776themoreyoudo.jpg

             Les deux meilleurs albums du Dyson ardent sont sans conteste The More You Do It et Love In All Flavors. Ils sont aussi énormes et aussi indispensables l’un que l’autre. The More You Do It grouille de pépites, tiens comme ce «Won’t You Come Stay With Me» planqué au bout de la B, un énorme groove signé Charles Jackson. Le Dyson ardent est un fabuleux Soul Brother, il expurge la pulpe du jus, ou le jus de la pulpe, c’est comme on veut. Fascinant Soul Brother. Comme il est ardent, il redouble d’intensité. Il attaque son balda avec l’«A Song For You» de Tonton Leon. Il chante ça à la prescience divine, celle qui ne pardonne pas. Il creuse sa Soul avec insistance. Le Dyson ardent chante d’une voix perçante et les compos de Charles Chuck Jackson & Marvin Yancy sont épatantes. Ce Jackson-là n’a rien à voir avec le grand Chuck Jackson. Charles Chuck Jackson est aussi le lead singer des Independants sur lesquels nous reviendrons dès que possible. Fantastique shoot de Soul des jours heureux avec «The More You Do It (The More I Like It)». C’est littéralement saturé de soleil et de Soul, il balance une Soul présente, étincelante, il chante au perçant pur avec une énergie de tous les diables. Il finit son balda avec un groove de 6 minutes, «You Set My Spirit Free», groove puissant et bien tempéré, nourri par des chœurs de filles délurées. Quelle virée ! Quel incroyable power ! De l’autre côté, «You And Me» sonne comme du Stevie Wonder, yeah yeah yeah, c’est du roule ma poule de première catégorie, une fast pop de Soul écarlate. Il tartine encore «Love Won’t Let Me Wait» dans le haut du panier, il se veut profondément intense, aux frontières du round midnite. Il sait aussi poser un yeah, comme on le voit faire dans «Lovin’ Feelin’». Il sonne comme un vétéran de toutes les guerres. Ronnie forever !

    z22777allflavors.jpg

             La pochette de Love In All Flavors est un peu bizarre : le visage de Ronnie Dyson est mal éclairé, alors sous son chapeau blanc, il est tout noir. Des petites putes noires se pressent autour de lui. Elles ont raison, car le Dyson est plus ardent que jamais. Boom dès «Ain’t Nothing Wrong». Il se couronne empereur du Groove à la cathédrale de Reims, il lève autour de lui des masses de chœurs chaleureux, sa Soul se fond dans la clameur de la Chandeleur. Il en fait une merveille suspensive, c’est probablement le groove de tes rêves inavouables, là tu entres dans l’artistry pure du Black Power. À sa façon, il survole toute l’histoire de la Soul avec une grandeur d’âme extraordinaire. Le Dyson ardent est un conquérant, aucune Asie Mineure ne saurait lui résister, surtout pas la tienne. Il dégouline de présence impériale. Encore un groove de qualité infiniment supérieure avec «Don’t Be Afraid». On peut même parler de qualité épouvantablement supérieure. Il y va au dur comme fer, il a le génie Soul chevillé au corps. Dommage qu’il soit passé à la diskö un peu plus tard. Il règne encore sur la Soul éternelle avec «I Just Want To Be There». Puis il attaque sa B avec le «Sara Smile» d’Hall & Oates, il s’enfonce dans ce délicieux dédale d’heavy Soul, il est mordant et présent à la fois, il chante sa Sara à tue tête, il devient un seigneur des annales de la Soul. C’mon ! Avec «Just As You Are», il est plus propulsif, le bassmatic va et vient entre ses reins, c’est définitivement énorme. Tout ce qu’il fait relève de la fantasmatique énormité catégorielle. «I Can’t Believe That» sonne comme la Soul d’un vrai héros. Il est magnifique et son album n’en finit plus de stupéfier. Il reprend la barre du groove avec «You’re Number One» et derrière les filles deviennent complètement folles, ah il faut voir ce lupanar ! Ronnie Dyon reste le seul maître à bord, il te drive ça d’une poigne de fer, il est l’un des grands drivers de son temps. Oui, il faut écouter «You’re Number One», Ronnie te groove ça dans le bas des reins, il te fond dans son beurre, il est ardent jusqu’au bout des ongles.  

    z22778iftheshoes.jpg

             Paru en 1979, If The Shoe Fits est un album résolument diskö. On sauve «Couples Only», la diskö des jours heureux, et le good time de «Long Distance Lover», car cet excellent chanteur qu’est le Dyson ardent dispose d’un timbre très précis, très oblitérant.

    z22779phase2.jpg

             On reste dans le diskö avec Phase 2. Sur la pochette, Ronnie garde sa bouille d’enfant. Il chante d’une voix colorée et bien mûre. Il attaque sa B avec «Expressway To Your Heart», un petit shoot de diskö funk gentillet. Ronnie Tysonne bien son beat. C’est excellent. On sauve aussi «Foreplay», un petit soft groove. Ronnie propose une belle Soul de my my my. Il tient tête.

    z22780brandnewdays.jpg

             Son dernier album s’appelle Brand New Day, un Cotillon de 1983, beaucoup trop diskö pour les gueules à fuel, mais on se régale néanmoins d’«I Need Just A Little More», monté sur un beat sec comme un olivier. Fantastique ardeur ardente. Ah quel dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Il termine avec «You Better Be Fierce». Il tente sa chance et sa tentative est belle. Il s’agit de Ronnie Dyson, after all.

    Signé : Cazengler, Ronnie Bidon

    Ronnie Dyson. (If You let Me Make Love To You Then) Why Can’t I Touch You. Columbia 1970

    Ronnie Dyson. One Man Band. Columbia 1973   

    Ronnie Dyson. The More You Do It. Columbia 1976

    Ronnie Dyson. Love In All Flavors. Columbia 1977

    Ronnie Dyson. If The Shoe Fits. Columbia 1979  

    Ronnie Dyson. Phase 2. Cotillon 182

    Ronnie Dyson. Brand New Day. Cotillon1983

     

    *

    En voiture Simone, c’est reparti, première chronique rock de l’année, KR’TNT ! va encore rouler sa bosse. Pardon son Bossi. Car oui il s’appelle Simone Bossi. Non il n’a pas enregistré un disque mais une de ses photos m’a arraché l’œil. Le frontal, celui qui voit plus profond que les couleurs superficielles du monde.

    Remarquez ce n’est pas de sa faute. Je peux vous livrer les noms des coupables : Alexis Tytelman et Léo Leyzerowitz. From Paris (France). A eux deux ils forment Arche. Z’ont utilisé une de ses photographies pour la couve de leur premier opus. Ils l’ont un peu détournée, ceci n’est pas un reproche mais fait partie des aléas réceptionnels de toute œuvre livrée au public, en rajoutant au bas du cliché et le nom du groupe et le titre de l’album.

    EVERYTHING WILL DISAPPEAR

    ARCHE

    (Bandcamp - 23 / 12 / 2023)

    , gene vincent, fomies, colin escort, sam coomes, ronnie dyson, arche, ashen, bill crane, rockambolesques,

             A première vue l’entrée bétonnée d’un site militaire antiatomique. Un blockhaus de commandement et de survie. D’ailleurs l’appellation d’Arche ne participe-t-elle pas de cette notion de survivance post-apocalyptique, tout juste si l’on n’entrevoit pas la barbe blanche de Noé roupillant entre un tigre et un lion couchés à ses pieds. S’impose un sacré bémol à cette vision rassurante, la porte grand-ouverte de notre abri laisse à supposer qu’il n’est guère hermétique… Les trois termes du titre anglais dissipent la moindre parcelle d’espérance : rien ne subsistera ! Difficile d’être davantage nihiliste.

             Essayons de nous raccrocher aux petites herbes : ainsi sur YT la mention : leur projet : ‘’ Ils ( Alexis & Théo) ont à leur tour décidé de  prédire une période de grande désolation’’ n’incite point à l’optimisme… sur bandcamp leur succincte introduction : ‘’ Au commencement était le drone’’ veut-elle qualifier que leur structure musicale de base serait la répétition ou que l’utilisation militaire des drones aux frontières de l’Ukraine n’est qu’un avant-goût de notre futur immédiat…

             Rendons au neveu de César ce qui est à Auguste et à Simone ce qui est à Bossi. C’est bien l’empereur romain qui a donné l’ordre de fortifier l’éperon rocheux qui domine la ville suisse de Bellinzone.  L’idée était bonne. Elle bloquait un passage des Alpes qui permettrait à une armée ennemie de débouler par surprise sur l’Italie, au cours des siècles suivants elle fut sans cesse reprise. Au treizième siècle fut bâtie sur l’éminence l’immense forteresse de Castelgrande. Aujourd’hui transformée en musée. Les touristes devaient faire un super détour pour y accéder. En 1989 l’architecte Aurelio Galfetti aménagea et construisit au bas de l’amoncellement rocheux un ascenseur qui vous monte directement à l’intérieur du château. C’est l’entrée de cet ouvrage monumental qui est représentée sur la photo de Simone Bossi.

             Elle fait partie d’une série de dix clichés que vous retrouverez facilement. Un tour sur son instagram et sur son site s’impose. Bossi se définit par un seul mot : photographe. L’on aurait envie de préciser : photographe d’architecture. Mauvais aiguillage. Il ne photographie pas des monuments. Mais des morceaux d’habitation. Un bout de pièce, l’angle formé par deux murs, quelques marches d’escalier, une fenêtre. Ne vous file pas le plan d’ensemble. Ce qui l’intéresse c’est l’espace, et pour être plus précis le vide qu’englobe cet espace. Curieuse manière de procéder. Ne cherche pas à donner à voir. Sa motivation première, c’est de créer son espace, de le prendre au piège de sa présence. Ne confondez pas : pas la présence de l’espace en tant que tel ou telle, mais sa présence à lui, lorsqu’il clique sur son instamatic, c’est lui qui emprisonne toute sa personnalité, tout son passé, tous les instants accumulés depuis son enfance, qui se résument en quelque sorte par cette extimité vidique de son intimité existentielle. Une méthode mallarméenne d’abolir le hasard car ce qu’il photographie ce n’est pas un lieu quelconque ou exotique mais le lieu de sa propre présence reflétée par sa propre absence dans l’ici et l’éternité de l’instant. Rien n’aura eu lieu que son absence physique d’un lieu métamorphosé en espace métaphysique.

             Quand on y pense un tantinet le cliché est bien choisi, illustrer la future disparition de toute chose par une présence qui n’est qu’absence équivaut à doter le non-être de toute chose de sa propre êtralité. La vôtre et celle du non-être.

    Part 1 : ce n’est rien, un souffle sombre, issu de la bouche d’ombre, profond, lent, une exhalaison lointaine qui se perd d’elle-même avant de renaître d’elle-même, une corde de guitare, résonnance mélodique de deux secondes, ensuite comme une insistance à vouloir vivre, à ne pas disparaître, un éloignement vibratoire de plus en plus présence, une onde sonore qui semble s’enfler sans aucun apport extérieur, une espèce de vrombissement de mouche vibrionnée, infinie en le sens que chacune de ses parties ne saurait avoir d’autre présence que sa volonté à se maintenir, un vagissement de turpitude originaire de lointains confins, et cette note qui s’exalte, mais qui ne pourrait tenir que dans son déchirement, un truchement sonore indistinct, une onde qui voyagerait dans les confins du monde et dont on entend des remugles vibrationnels lorsqu’elle se heurte au mur de sa propre finitude. Part 2 : pas une entrée fracassante plutôt une sortie, qui ne tarde pas à s’agoniser de sa propre rumeur, glissements chuintés sur une corde de guitare, une espèce d’aller sans retour qui finit par revenir sur lui-même, un millepatte rampant dont les pattes explosent en un feu d’artifice de lumière noire, ce qui produit une espèce d’effulgence dramatique de dépliement, de reploiement sur soi-même, un écho comme d’une voix qui ne fut jamais prononcée, la matière sonore se voudrait-elle imitation humaine, un roulement de galets dans une gorge profonde, une faille sans fin dans laquelle elle réfugierait à la manière d’un serpent malade qui chercherait en vain sa queue lézardique dont il n’a jamais été doté.

             Deux guitares, un enregistrement live en studio. Un coup de dés dont les faces ne portent la gravure d’aucun chiffre. N’est-ce pas l’unique manière non pas de gagner mais de ne pas perdre à tous les coups. Douze minutes, douze secondes. Un chiffre typiquement mallarméen.

             Une arche prometteuse.

    Damie Chad.

     

    *

            Un petit tour sur le FB d’Across The Divide, nous suivons ce groupe depuis plusieurs années, que deviennent-ils, pas grand-chose à voir depuis plusieurs mois, ah si, un post d’une ligne, travaillent sur de nouvelles surprises, merci pour la précision ! Ah, non, sont tout de même gentils, pour nous faire patienter ils nous offrent une vidéo que nous nous nous dépêchons de regarder car elle date du 05 septembre 2003.

    ANOTHER DAY

    ACROSS THE DIVIDE

    (Official Music Video / YT / Septembre 2023)

    Another Day est le sixième et dernier morceau de l’EP Eternal, que nous avons chroniqué dans notre livraison 593 du 23 / 03 / 2023. Rappelons aux esprits distraits que rien n’est plus près de l’éternité que la mort. La musique d’Across The Divide n’est en rien joyeuse. Elle se tient aux bords les plus extrêmes de la fracture. Celle qui sépare ce qui a été de ce qui n’est plus. Sur quel bord exactement ? A vous de choisir. Dans notre présentation de l’EP nous assurions qu’Another Day était une chanson d’amour. Nous encouragions les partisans de la vie en rose de la considérer ainsi. Nous n’aimons guère chagriner les âmes tendres. Par honnêteté intellectuelle nous indiquions que l’on pouvait aussi la considérer autrement.

    La vidéo est créditée à Regan Macdowan, j’ignore tout de lui, je ne sais s’il en est le réalisateur ou l’un des personnages. Quoi qu’il en soit je n’ai jamais vu une vidéo qui permette d’écouter aussi bien une chanson. Généralement les clips permettent au mieux de voir la musique en la noyant sous un flot d’images, les clips miment, ici la vidéo interprète le morceau, un peu comme un orchestre interprète une symphonie de Brahms ou une danseuse étoile Le lac des Cygnes. Que de références classiques pour du rock’n’roll maugréeront les intelligences étroites.

    Je me hâte d’ajouter que nous sommes en pleine théâtralité classique française, respect absolu de la règle des trois unités, lieu, temps, action. Les trois offertes en un seul paquet bien ficelé. De plus comme il s’agit de musique nous sommes plus près de la gestualité d’un ballet classique que des allées et venues de personnages sur une estrade de bois. Enfonçons le clou pour qu’il fasse davantage mal, s’il fallait mettre cette vidéo en relation avec une autre œuvre ce serait avec l’opéra Madame Butterfly de Puccini.

    , gene vincent, fomies, colin escort, sam coomes, ronnie dyson, arche, ashen, bill crane, rockambolesques,

    Une pièce. Grande, quelconque. Ajourée. De nombreuses fenêtres. Une cage de verre dont on ne s’évade pas. Ils sont trois. Eliminons : Lui. A peine le verrons-nous traverser la pièce. De fait il n’est pas là. Il est absent. Il est parti. Celui par qui le malheur est arrivé. L’amant si vous voulez que nous lui accrochions une pancarte sur le dos. Donc ils ne sont plus que deux. Débarrassons-nous de celle qui restera jusqu’à la fin. Il est parti. Elle le regrette. Soyons dur et cruel, laissons-là à son triste sort. Enfin il y a Lui. Non ce n’est pas le même que le premier. C’est un danseur. Une projection du cerveau de l’esseulée. Il est beau, il danse comme un Dieu ( grec, évidemment), il traduit le chagrin, il se métamorphose en désespoir, c’est le chant du cygne, le cygne noir qui s’allonge à terre, replie ses bras comme des ailes, le voici refermé sur lui-même, recroquevillé, derniers soubresauts d’agonie d’un rêve qui ne survit pas à lui-même. Normal, dans le théâtre classique, il est interdit de faire mourir un personnage sur scène, alors c’est le rêve qui se charge d’incarner cette monstrueuse action.

    Maintenant rajoutons un soupçon d’ambiguïté, nous l’avons déjà dit, le clip est extrêmement dépouillé réduit à presque rien, à presque personne, du coup l’on entend beaucoup plus le vocal, c’est un homme qui chante, y a une seconde voix toute aussi virile en duo qui assombrit par moments l’atmosphère, l’on peut donc s’amuser (souvenez-vous de notre parti pris de cruauté) à permuter les rôles. Nous faisons confiance à nos lecteurs pour se livrer à ce petit jeu permutatif. En tous les cas souvenez-vous que quel que soit le côté de la fosse béante sur laquelle vous vous trouvez les chants les plus désespérés sont les plus beaux. Merci Musset.

    Damie Chad.

     

    *

            Amis rockers que feriez-vous si vous étiez à l’autre bout du monde ? Je vous entends rugir : du rock ‘n’ roll ! Félicitations, la seule bonne réponse attendue ! Prenons un exemple au hasard. Enfin presque, parce que des amis qui se sont exilés à plusieurs milliers de kilomètres de notre douce France, je les compte sur un seul doigt de mes deux mains. Je vous parle souvent de lui, d’Eric Calassou, là-bas en Thaïlande.  D’apparence il n’a pas changé ses habitudes, il écrivait en France, il écrit en Thaïlande, il prenait des photos en France, il prend des photos en Thaïlande, il peignait en France, il peint en Thaïlande, il composait de la musique en France, il compose de la musique en Thaïlande. Bref l’a continué à être ce qu’il était. Juste un petit truc qui cloche (à la façon d’Edgar Poe) il avait un groupe de rock en France, il ne l’a plus en Thaïlande. Bref chaque fois que je vous parle de ces dernières réalisations made in Thaïland, dans mon petit chapeau introductif je vous rappelle qu’Eric Calassou était aussi le meneur du groupe Bill Crane, or, voici : tout nouveau, tout beau :

    BABY CALL MY NAME

    BILL CRANE

    (You Tube)

             J’en conviens, si l’image correspond bien au titre de l’album se dégage d’elle un parfum suranné, à l’heure du portable invasif nous voici ramenés aux combinés gris à roulettes du siècle dernier. Esthétique que je me plais à qualifier de spartiate. Le minimum vital, rien de plus. Justement question minimal Bill Crane s’avère un groupe un soupçon tantinet squelettique. Pas de bassiste. Pas de batteur. N’évoquons même pas la possibilité d’un organiste ou, soyons fous, d’un trompettiste. Le trio de base du rock‘n’roll réduit à une seule personne. Après tout on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Apparemment les musiciens de rock ne courent pas les rues en Thaïlande. Et puis il aurait fallu qu’ils s’approprient l’esprit Bill Crane, ce qui doit demander un certain effort. L’en faut davantage pour décourager un rocker isolé en pays asiate. Calassou n’a pas fait appel à l’Intelligence Artificielle, s’est branché sur l’application Garageband.

             Si vous en déduisez qu’Eric Calassou vous a fignolé un disque de rock ‘n’roll qui ressemble à un véritable disque de rock ‘n’ roll, à partir d’ ersatz sonores de seconde main, vous êtes dans l’erreur. Un disque de Bill Crane ne saurait être du simili Bill Crane. Certes du nouveau dans le stock Bill Crane mais pas du Bill Crane toc.

             Eric Calassou, n’est pas toc-toc. Je l’imagine assis devant son appli, sa guitare sur les genoux, l’a dû méditer un moment, ou peut-être a-t-il agi d’instinct. Je ne sais pas, mais le résultat est-là.  

    , gene vincent, fomies, colin escort, sam coomes, ronnie dyson, arche, ashen, bill crane, rockambolesques,

    Baby call my name : c’est un peu comme ces filles toute nues qui s’habillent avec trois fois rien, un peu de rouge à lèvres sur le bout rose de leurs seins. Et tout de suite c’est beaucoup mieux. Bon, la fille n’est pas là, ce n’est pas le problème. Je ne vous parle pas de la fille mais de la manière dont est composé le morceau. Derrière vous avez la machine, elle fait le minimum, vous savez ces couches de peinture monochrome que les peintres passent sur leurs toiles avant de commencer leur tableau. On arrive au plus dur, Eric n’a pas de pinceau, mais il l’a une voix, c’est elle qui va dessiner les arabesques qui donnent formes à la chose représentée. Difficile de la faire apparaître puisqu’elle est absente, justement le vocal vous dessine l’absence. Pas facile de représenter une chose qui n’est plus là. Faut utiliser la technique du trompe-l’œil, ici avantageusement remplacée par le trémolo du désespoir. Tout est dans la manière de répéter baby, call my name. Ne faut surtout pas exagérer non plus. L’on ne va tout de même pas se suicider pour une fille. Les rockers n’ont pas le cœur en pain de mie. Suffit de jouer le jeu. Pour les lyrics pas besoin de fignoler des alexandrins à la Lamartine, suffit d’y mettre un peu d’influx répétitif, tragediante y comediante, le larynx qui tremble ou s’énerve, les mots n’ont aucune importance, tout est dans l’intonation, le gamin devant son électrophone qui se prend pour Jagger, ou Robert Plant, n’atteint pas le rock’n’roll mais l’essence du rock ‘n’ roll. La fièvre sans la température. Juste l’attitude rock, ou vous l’avez ou vous ne l’avez pas. La gerce peut aller se rhabiller, si elle avait le bon feeling elle serait restée.  Retenez la leçon, vous ne trouverez pas meilleur professeur que Bill Crane. Hold me tight :  qu’est-ce que je disais, l’option suicide était inenvisageable, serre moi fort, elle s’est dépêchée de revenir, alors le gars lui sort le grand jeu, l’a investi sur sa voix de séducteur N°4, aussi forte que les grandes orgues de Saint-Sernin ( Toulouse), grandiose, pas croque-mort à la Johnny Cash, plutôt croque-motte si vous voyez ce que je veux dire, vous enduit le corps de la jeune fille d’un truc aussi gluant et lubrifiant que la bave de cobra en rut, la boîte à rythme clopine un peu à cloche-pied, elle vous gongue comme thanatos et vous ensuave comme éros,  mais c’est la guitare qui se tape tout le boulot, des espèces de feulements serpentiques auxquels personne ne résiste, d’ailleurs le Calassou oublie les paroles et vous sort le la-la-la du gosier de l’Iguane, le coup du charme obnubilant, l’est sûr de son effet, une espèce de slow-blues visqueux dans lequel on adore patauger. Move me : ce morceau est un peu la saison 2 du précédent. La basse vous creuse une tombe assez profonde pour contenir toute la famille, la batterie y va lentamente pero seguramente comme dicen los espagnolitos, sans se presser, utile mais futile, le Calassou prend son pied, vous l’entendez déglutir, le pire ce sont ses hoquets, venus tout droit du rockab, que vous ne reconnaîtrez pas parce qu’il les allonge démesurément en sifflets interminables de train qui résonnent sur les murs du tunnel dans lequel il s’est engagé. Vous ne savez pas si c’est du caviar ou des œufs de lump, vous en reprenez, vous vous goinfrez. Petite mort. Dance to the music : tiens un vrai bruit de machine vite écrasé par une basse de profundis, c’est la saison 3, en pire ou en mieux, tout dépend de la dose de stress-dance que vous vous pouvez supporter, en plus violent, en plus assourdissant, le Calassou vous le fait de temps en temps à la voix mentholée et très souvent à la résonnance marbrée au brou de noix, maintenant en arrière-fond  un gars fait du morse à moins que ce ne soit une grand-mère qui tricote une mantille de deuil, vous vous en moquez, il y a ces vlangs de guitares tranchants comme des couperets de guillotine qui vous découpent en tranches fines. L’on était parti sur un trip typiquement rock’n’roll, faut se l’avouer dans le genre blues funèbre vous êtes aux premières loges. Au fur et à mesure que s’écoulent les morceaux Calassou maîtrise de mieux en la machine, une percu tam-tameuse sonne le glas de vos oreilles fissurées, vous m’en direz des nouvelles. Am breaking now : vous croyez avoir tout vu, tout lu, tout entendu, ici c’est la voix de Jim Morrison en train de péter le câble qui le retenait à l’univers, le Calassou il ne fait pas dans la compromission, déjà au morceau précédent la valse binaire de l’histoire d’amour sur chaise bancale n’incitait pas à l’optimisme, l’on dirait qu’il a enregistré le bruit de fond d’une tempête mentale, à chaque seconde l’on descend six pieds sous terre, et l’on suit la marche nuptiale vers le néant, l’on a compris que si nous perdons la procession, c’en était fini de nous et surtout de tout. C’mon baby : respiration, de retour à l’ambiance du premier morceau, il nous le fait à la Presley, I want you, I need you, I love you, parfois ça fait du bien de se raccrocher aux valeurs sûres, des bruits de moteurs, une frappe de bûcheron canadien, l’on s’amuse comme des fous, délire rock, guitares klaxonnante. Clin d’œil à Cochran, cocard à la Bo Diddley. L’on est de retour chez nous dans la terre du rock’n’roll foutraque. I got the blues : pas besoin de vous faire un dessin, retour à l’essence du Delta, une autre forme de foutraquie, plus inquiétante, le blues est un crotale qui se réveille chaque matin dans votre cerveau, ne faut pas dormir la bouche ouverte aux rêves roses, le blues descend sur vous comme la nuit mentale sur le monde, si vous ne savez pas ce qu’est le blues écoutez ce seul morceau vous saurez tout : des percus africaines aux digues rompues du Mississippi. On ne le savait pas, mais apparemment il coule aussi en Thaïlande. Down on the corner : ah, un titre qui fleure bon le rockabilly et le country, écoutez-le et l’évidence s’imposera à vous, à l’origine venus de continents différents le blues et le country sont une seule et même pulsation née dans le sang des hommes. Issue d’une même résidence en un monde hostile. Les deux faces du même couteau que l’on s’enfonce dans la chair pour conjurer le malheur de vivre, ou la tentation d’exister. World without gun : c’est-y-quoi ? Un truc que vous n’avez jamais entendu, un chant d’espérance, une prière à qui vous voulez ( sauf à Dieu ) une espèce d’un nouveau genre en mutation, perso je le définirai comme une espèce mutante, un noise-gospel de la dernière génération. Avec un bruitage d’orgue de barbarie pour conjurer la barbarie humaine.  Déchirant. My life : l’a décidé de ne pas nous faire de cadeau, ne s’en fait pas non plus puisque à l’origine ce morceau s’intitulait In the darkness, une longue plainte, un cheval fourbu qui marche à l’amble, dans le désert de l’existence, son écurie ne sera qu’un squelette à moitié recouvert dans un désert de sable, tempo lent et voix ténébreuse expirante, la prière n’a été en rien exaucée… Magnifique. A ne pas écouter si vous êtes dépressif.  Get out of this town : retombée et désillusion. Le même thème que We ‘ve gotta get out of this place des Animals mais en plus désespéré, la ville est partout, le gars n’en sortira jamais, marche d’un bon pas, rien n’y fait, de fait il tourne en rond dans sa solitude, de temps en temps il imite le long cri du train qu’il ne prendra jamais. Il y a longtemps qu’il ne s’arrête plus dans sa caboche. Voix gravissime. Il hurle. Move me : Chinese Modern Remix : la surprise du chef, n’oublions pas que nous sommes en Thaïlande, version orientale. Au premier coup de gong peut-être évoquerez-vous le Schéhérazade de Rimski-Korsakov, erreur fatale, nous ne sommes plus à la même époque, le bruit recouvre la splendeur du rêve, une percu jacasse comme cent mille perroquets, et des stridences vous traversent la tête, un véritable cauchemar, la voix d’Eric tente de dompter le brouhaha, est-ce une façon de nous dire qu’il y a trop d’hommes sur notre planète.

             Ces onze titres sont une splendeur, Bill Crane touche aux origines et à l’essence du rock’n’roll. Génialement novateur.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    , gene vincent, fomies, colin escort, sam coomes, ronnie dyson, arche, ashen, bill crane, rockambolesques,

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    10

             Le Chef semblait soucieux, il s’écoula un long temps (cinq secondes) avant qu’il n’allumât un Coronado :

             _ Agent Chad, inutile de nous perdre en raisonnements oiseux, nous devons nous livrer à quelques primaires vérifications expérimentales afin d’éclaircir quelque peu ce mystère insondable. Je prends le double des clefs de votre habitation provinoise, pendant ce temps volez-moi une voiture que vous stationnerez sur le trottoir devant l’entrée du service. Dès que je serai parti, procurez-vous un autre véhicule, laissez s’écouler deux heures de temps et retournez chez vous. A vitesse modérée, ne conduisez pas comme un fou selon votre mauvaise habitude, n’attirez en aucune façon l’attention sur votre personne, nous nous devons d’être discrets. Une fois à la maison, filez au lit, tirez les verrous de votre porte, allongez-vous et attendez-moi.

    11

             J’ai roulé tranquillou jusqu’ Provins. Molossa et Molossito allongés sur la banquette arrière. Un œil dans le rétro et l’autre sur mon Rafafos déposé sur mes genoux. Ses précautions se révélèrent vaines. Aucun incident notable ne survint. Je stationnai dans une rue adjacente de mon domicile et regagnai la porte d’entrée mes deux clebs sur les talons.

             _ Ho, les chiens, je sais que ce n’est pas l’heure, nous allons nous coucher !

             A peine eus-je ouvert la porte de ma chambre que les deux braves bêtes se précipitèrent sous le lit en aboyant frénétiquement. J’entendis un mouvement de reptation sous ma couche, mon Rafalos à la main je m’apprêtai à tirer lorsque la tête du Chef émergea :

             _ Agent Chad, point de nervosité la première de nos expériences vient de se terminer. J’allume un Coronado, au moins trois bons quarts d’heure que je m’en suis abstenu, un supplice odieux tout cela pour anéantir une possibilité qu’au fond de moi-même je jugeai improbable ! Nous pouvons désormais éliminer la proposition jaune.

             _ Chef vous supposiez que c’était la maffia chinoise qui nous s’était chargé d’enlever nos chiens !

             _ Agent Chad, vous me décevez, vous n’avez jamais lu Le mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux, cette tentative de meurtre commise dans une pièce hermétiquement close !

             _ Donc vous supposiez que le ravisseur de Molossito et Molossa était caché sous le lit lorsque nous nous sommes couchés !

             _ Agent Chad, arrêtons de discutailler, ce n’est pas le cas, nous venons d’établir que les chiens l’auraient découvert, il est temps de vérifier l’hypothèse bleuâtre.

    12

             L’expérimentation dura près de trois heures. Mon rôle ne me demanda pas beaucoup d’efforts. A part tirer les trois verrous intérieurs de ma chambre et rester à bouquiner en compagnie de mes deux fidèles compagnons, ce ne fut pas très fatigant, mais lorsque le Chef tambourina sur la porte en hurlant que je pouvais ouvrir, à peine l’eus-je entrebâillée qu’un épais nuage de fumée bleuâtre m’assaillit. Au loin j’entrevis dans un halo bleuté la silhouette du Chef :

             _Agent Chad j’avoue que j’avais davantage d’espoir avec ma seconde hypothèse, notre ravisseur aurait pu par le trou de votre serrure insuffler un soporifique dans votre chambre, mais le clapet de sécurité dont vous avez équipé votre serrure s’est avéré totalement hermétique…

             _ Chef comment serait-il rentré puisque les verrous intérieurs étaient tirés !

             _ Agent Chad, très facilement, il vous aurait d’abord endormi vous et les chiens avec l’aide d’un narcotique quelconque, dans un deuxième temps grâce à ce que l’on appelle un Injonctif de Volonté il vous aurait inculqué l’ordre de tirer les verrous et de vous recoucher. Il serait alors rentré, aurait capturé les chiens puis avec l’aide du même IDV il vous aurait intimé l’ordre de de refermer les verrous et de vous rendormir.

             _ Chef, j’ai un soudain trou de mémoire pourriez-vous me rappeler ce que c’est que l’IDV, je ne sais comment mon système neuronal confond avec IGV…

             _ Agent Chad, en tant qu’Agent du Renseignement vous devriez vous tenir au courant des avancées de la science, un IDV est un produit qui s’administre sous différentes formes, gélules, solutions buvables, ou spray. Il permet à un patient d’être non seulement privé de toute forme de volonté mais surtout de devenir sensible à toute injonction donnée par une autre personne.

             _ Un peu comme les zombies du vaudou, Chef ?

             _ Exactement mais l’effet est loin d’être aussi efficace, il ne dure que deux ou trois minutes. Bref, trois ou quatre gros pschitt par le trou de la serrure et un ordre hurlé au travers de la porte, par exemple au mégaphone, pour que votre oreille le réceptionne et le transmette au cerveau, et le tour est joué !

             _ Chef, j’ai donc échappé à ce traitement diabolique !

             _ Exactement Agent Chad, ce qui ne résout pas notre affaire, il est temps de rentrer au Service et de méditer à tête reposée sur cette mystérieuse affaire.

    13

             Nous discutâmes longuement. Nous tombâmes rapidement d’accord sur un premier point : nos modestes personnes n’étaient pas dans la mire de nos ennemis, en tant que telles. Au travers de nous et nos chiens c’était le rock ‘n’ roll qui était visé. Pour quel mobile, nous n’en savions rien.

             Il était maintenant près de minuit et nous n’avions pas progressé d’un millionième de millimètre.

             _ Agent Chad, j’allume un dernier Coronado et nous partons nous coucher. A moins que vous n’ayez une dernière réflexion particulièrement pertinente à me proposer.

             _ Hélas Chef, à moins d’être le passe-muraille de la nouvelle de Marcel Aymé, je ne vois pas qui aurait pu rentrer dans ma chambre fermée à clef en traversant le mur !

             _ Bon sang, Agent Chad, pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt, cela nous aurait fait gagner du temps ! Pour sûr vous avez raison, ces gens-là connaissent le moyen de traverser les murs. Ils ne doivent pas être légion en France, nous les repèrerons assez facilement, faites-moi confiance, quelques heures tout au plus, le premier gars qui traverse un mur, il suffit de courir à toute vitesse de l’autre côté du mur pour le cueillir à sa sortie !

             _ Chef, vous êtes trop optimiste ! Jamais de ma vie je n’ai vu personne entrer dans un mur devant moi !

             _ Arrêtez d’énoncer de stupides évidences Agent Chad, tenez du coup…

    Le Chef sortit un Coronado hors de sa poche, le contempla avec vénération durant trois longues minutes, avant de se résoudre à le porter à sa bouche et de craquer une allumette.

             _ Agent Chad vous n’avez jamais vu quelqu’un qui marchait devant vous entrer dans un des murs qui bordaient le trottoir que vous suiviez pour la simple et bonne raison que vous n’aviez jamais imaginé que cela fût possible en ce bas-monde, l’on ne trouve que ce que l’on cherche, un peu comme le hasard objectif d’André Breton, qu’entre nous je n’aime pas du tout, un peu trop directif dans sa gestion du mouvement Surréaliste, une âme, non pas de dictateur, cette expression est trop élogieuse, bien plus petite que cela, une âme… une âme… de petit-chef ! Oui c’est bien le mot que je cherchais ! D’ailleurs existe-t-il un document quelconque d’après lequel on pourrait interférer qu’il ait eu l’occasion d’allumer une seule fois, un Coronado ?

             _ Non Chef, je n’ai jamais vu une photo de Breton en train de savourer un Coronado, je vous l’accorde, par contre je persiste à déclarer que je n’ai jamais un homme entrer dans un mur !

             _ Certes Agent Chad, je veux bien vous croire, pourtant dans cette même pièce pour ma part j’en connais au moins un.

             _ Quoi, Chef, vous en avez vu un ?

             _ Agent Chad, me prenez-vous pour un jocrisse, si j’en avais vu un je l’aurais immédiatement abattu d’un coup de Rafalos, n’oubliez pas que certaines munitions de mon Rafolos sonts capable de s’enfoncer de cinquante centimètres dans une épaisseur de béton précontraint, je ne vous parle même pas des façades de briques !

             _ Chef vous n’en avez pas vu, moi non plus, qui donc dans cette pièce aurait pu en voir !

             _ Agent Chad, pourquoi croiriez-vous que l’on s’en soit pris à Molossa et Molossito, nous tenons-là enfin une piste sérieuse !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 626 : KR'TNT 626 : KEITH MOON / NICK WATERHOUSE / SAM COOMES / BILLY BUTLER / HOLLY GOLIGHTLY / ASHEN / ERIC HOBSBAWM / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 626

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    04 / 01 / 2024

     

    KEITH MOON / NICK WATERHOUSE

    SAM COOMES / BILLY BUTLER

    HOLLY GOLIGHTLY / ASHEN / ERIC HOBSBAWM

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 626

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

    - Fly me to the Moon

     

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Le Moon The Loon qui traîne ici est une petite édition de poche fatiguée. Elle date de 1981. Elle a bien vécu sa vie de book et a sans doute fait rigoler sa palanquée de lecteurs. Keith Moon est généralement qualifié de lunatic dans la presse anglaise, mais le portrait qu’en fait Dougal Butler dans Moon the Loon: The Amazing Rock And Roll Life Of Keith Moon va bien au-delà du lunatic.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

    C’est l’équivalent littéraire de Las Vegas Parano, le trash-movie de Terry Gilliams : l’ouvrage nage en permanence dans les inondations de suites royales et des raz de marée d’outrages aux bonnes mœurs, dans des amas pharaoniques de giggles et dans du Monthy Pyton exponentiel. Contaminé par Moonie, Dougal devient un écrivain extrêmement drôle : il maîtrise l’art insensé de préparer le lecteur à l’imminence d’une catastrophe, celle qui germe dans le cerveau en surchauffe du prince des lunatics. Keith Moon et les Who ont incarné mieux que quiconque le mythe du rock’n’roll mayhem. S’ils ont su porter au pinacle l’esprit du sex and drugs and rock’n’roll mieux que tous les autres candidats au désastre, c’est parce qu’ils disposent d’un moteur que n’ont pas forcément les autres : l’humour. Mais un humour spécial, cet humour anglais dévastateur qui ne fait pas de quartier.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             L’idéal pour accompagner cette lecture est de voir en parallèle le film de Jeff Stein, The Kids Are Alright. C’est une manière de combiner les plaisirs des sens, de joindre l’utile à l’agréable, de réunir le yin et le yang des Who, une manière de relancer le cœur battant du rock anglais, car les Who ne sont que ça. On redevient aussi dingue des Who qu’on l’était en 1965, quand passait à la radio «My Generation». Ça tombe bien, le film de Jeff Stein démarre sur «My Generation», bing bang ptoooff t’es baisé, Moonie tape au poignet cassé le haut du hit-hat, The ‘Hooo !, les rois du monde en jabots blancs, c’est ce que montre Stein dans son film, break de basse, roll over de Moonie, double grosse caisse, il bat déjà tout le freakout de London town et les ‘Hoooo cassent tout, bing bang ptooff ! Au bout de trois minutes, la messe du rock est dite. Les ‘Hoooo allaient déjà plus loin que tous les autres, et en matière de destroy, Townshend est un pionnier étincelant. Il était donc logique que Moonie développe sa propre succursale de destroy oh-boy. C’est ce que Dougal raconte.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             À travers le bruit et la fureur du chaos prémédité, Dougal réussit à brosser un portrait de Moonie d’un réalisme sidérant. C’est tellement bien maîtrisé qu’on s’en effare au fil des pages. Pourquoi ? Bonne question ! Pourquoi accorderait-on le moindre crédit à ce mec qui détruit systématiquement ses chambres d’hôtels, ses vies de couple et ses voitures de luxe ? Dougal nous donne la réponse petit à petit : il fait remonter à la surface du tas de débris et de fumées un personnage incroyablement pur et drôle, juvénile et attachant, incapable de la moindre méchanceté, ni de la moindre vulgarité. Son camp, c’est Père Ubu et pas Hitler, son camp c’est Dada à la puissance 1000, c’est-à-dire Dada rock, il est le seul et unique fer de lance du Dada rock, avec Vivian Stanshall, qui, comme par hasard, sur le Pont des Arts, devient son copain et participe à quelques raids destroy, le plus connu étant l’épisode où, sanglés tous les deux dans des uniformes noirs de SS nazis, ils sont allés provoquer des vieux dans un asile. C’est la suite de Charlot, Moonie exploite exactement les mêmes travers, il fonce exactement dans le même tas. Il va mettre dix ans à se détruire et à casser sa pipe en bois, mais ces dix années comptent parmi les plus festives de l’histoire du rock. Ce sont ces dix années que raconte Dougal. Accroche ta ceinture.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Dougal est embauché par Moonie comme «chauffeur». Mais bien sûr, c’est du 24/24, il participe aux tournées, aux orgies et aux abus d’alcool et de dope. Et bien sûr à ce qu’il appelle les «jolly-ups». Il utilise tellement de slang dans son book qu’il donne à la fin trois pages de lexique. On est chez les ‘Hooo, et on parle le Shepherd Bush slang, dear boy. Et on joue le Shepherd Bush rock, comme l’indique Townshend dans le Stein movie : «Just musical sensationalism. We do something big on the stage. It’s just basic Shepherd Bush enjoyment.» Voilà sa définition des ‘Hooo sur scène. Et boom, «Can’t Explain», early ‘Hooo en noir et blanc, Moonie en cocarde, l’air ahuri, frappe sèche, wild rolls, il est précis et dingue à la fois, il décuple en permanence. L’art moderne, c’est Moonie. Tous les Dadaïstes savent ce que signifie précisément la notion d’art moderne. Tu réalises soudain que l’art moderne des ‘Hooo ne vieillira jamais.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Tiens, pour s’amuser un peu, on peut prendre un épisode au hasard : la tournée des Who avec The Herd en 1967. Le batteur des Herd est un vieux batteur qui joue avec un gong : «Le gong est là pour un effet dramatique, mais cet effet devient comique quand Moonie et Entwistle tirent sur les fils qu’ils ont attaché au gong au moment où le batteur gériatrique doit frapper dessus.» Dougal ajoute que lui, Moonie et Entwistle sont tellement pliés de rire qu’ils manquent de se casser la gueule du perchoir où ils sont postés pour tirer les fils. Ils n’en restent pas là. Pour le dernier concert de la tournée, ils installent des pétards avec des détonateurs électroniques sur l’orgue d’Andy Bown et son set ressemble, nous dit Dougal hilare, «plus à Pearl Harbour qu’à un Ava Gardner rock number.» C’est pas compliqué : tout le book est de ce niveau, avec une légère tendance à l’aggravation des dégâts. Dougal dit en gros que de 1967 à 1977, il a passé son temps à se fendre la gueule. Bien sûr, il parle aussi des autres ‘Hooo : «Quand il n’est pas en tournée, John Entwhistle se montre apte au calme, mais en tournée, stimulé par the magic ingredients, il peut sauter partout. Pete Townshend est plus enclin à la philosophie et peut communiquer avec des présences divines qui me restent invisibles, mais il est aussi capable de rivaliser avec Moonie pour le trône de King of Hotel Wreckers.»

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Moonie fait tellement la fête qu’il est toujours en retard le matin quand il faut prendre l’avion pour le prochain concert. Le job de Dougal est de le rapatrier à temps. Il trouve Moonie à poil sur son lit - Je lui crie dessus, je le secoue, je le frappe, je le fais rouler, il finit par émerger. «Ah dear boy, what is the matter? What’s the time? Get me a brandy, there’s a good chap» - Moonie démarre le matin au cognac. Puis il réclame sa mallette à dope, exactement comme dans Las Vegas Parano. Il s’envoie une grosse poignée de pills dans le cornet puis il coiffe la toque avec les cornes de bison qu’il vient d’acheter chez Nudie’s, the western shop. Pas question d’aller nulle part sans les fucking buffalo horns - Las Vegas Parano suite - Aujourd’hui, Moonie démarre la journée ensommeillé et complètement à côté de ses pompes. Puis il se réveille et se conduit d’une façon étrange et même incohérente à ses propres yeux. Il parle par à-coups, il chante, il grogne. Il accélère soudain. Puis il retombe dans la stupeur. Finalement, le voilà plus ou moins habillé, coiffé de ses cornes de bison, on monte dans la limo et on fonce à l’aéroport - Bien sûr Moonie ne tient pas debout. Dougal le met dans un fauteuil roulant. Moonie pendouille d’un côté avec ses cornes de bison. Un mec lui lance  :

             — Hey Mr. Moon! How you’re doing man?

             — Ooooooooooarrrrrrhggggghhhh, replied Moonie.

             Dougal reproduit bien les répliques comateuses de Moonie. L’entrée dans cette salle de concert à San Francisco est extraordinairement drôle et destroy. Bien sûr, Moonie n’est pas en état de jouer. Sur scène, il ne joue pas à la bonne vitesse. Townshend se rapproche de lui et lance : «Play faster, you cunt. Faster!». Dougal sait qu’il doit trouver un toubib. Un mec accepte d’intervenir sur scène et de lui injecter une potion miracle dans les deux chevilles pendant qu’il joue. Okay, mais pendant l’injection, Moonie doit lâcher ses pédales de grosses caisses - Stop playing the fucking bass drums, lui crie Dougal qui s’est glissé à 4 pattes derrière la batterie. Le toubib et Dougal arrivent à faire les deux injections en même temps, et du coup Moonie repart de plus belle - He’s drumming such a storm that Townshend turns round and screams to him : ‘PLAY SLOWER, YOU CUNT, SLOWER! - À travers cette scène hilarante, on observe un détail qui n’est pas neutre : Dougal n’aime pas trop Townshend, d’ailleurs, il ajoute : «There’s no pleasing some people», ce qui peut vouloir dire : il y a des gens qui ne seront jamais contents.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Moonie est un fabuleux clown tragique, l’ultime clown tragique du rock. Il paye son art de sa vie. Son mode de fonctionnement est ce que les Anglais appellent the oblivion, une façon d’ignorer le réel en vivant à cent à l’heure. Alors Moonie vit l’oblivion à cent à l’heure.

             Dougal décrit une autre scène : Moonie réclame du liquide à une vieille dame qui tient un kiosque. Elle commence par lui lancer : «Êtes-vous le hooligan qui fait tout ce bruit dans les parages, jeune homme ?», et Moonie lui répond :

             — C’est moi, misérable vieille moutte ! Donne-moi some fucking money !» Et il sort son pistolet en plastique et le colle au nez de la vieille.

             — Arrrrrrgggggghhhhhh !, et elle tombe dans les pommes.

             Moonie, c’est ça en permanence, du délire au kilo-tonne, une pression de tous les instants dans un nuage d’alcool, de dope et d’inventivité à tout prix. Pour bien comprendre ce que ça signifie, le plus simple est de lire ce book. Moonie, c’est Dada rock à la puissance 1000.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Quand il veut un truc, il le lui faut tout de suite. On the spot, dit Dougal. Une Mercedes, une Rolls Corniche, une Lincoln Continental, un camion pour livrer le lait, et maintenant une Excalibur. Amusé, Dougal reconnaît à Moonie un réel manque de talent pour la conduite automobile. En plus, il a rarement son permis sur lui. Il collectionne bien sûr les crash, mais il s’en sort toujours sans dégâts corporels - But of couse, this is all part of Moonie’s practically miraculous ability to survive - Mais pour se payer l’Excalibur SS - une réplique of 1930’s Mercedes sports tourer, the kind of car, ajoute Dougal, that even Herman Goering would find a bit flash - Moonie doit sortir du cash, 40 000 $, chez un agent de change américain, Greenback & Schtum. Dougal accompagne Moonie dans l’immeuble de Greenback & Schtum. Une secrétaire dit que Greenback est en voyage, alors, Moonie cherche Schtum. Il cherche à sa façon, il ouvre toutes les portes des bureaux et aboie : «Schtum ?», jusqu’au moment où un mec lui répond «Yes ?». Et là, Moonie hurle : «Give me my fucking money !». Le mec essaye de lui expliquer qu’on ne peut pas sortir autant de cash sur le champ, alors Moonie monte en température : «Now, listen to me, you cunt. Je sais que toi et tes larbins en costards rayés avez 40 000 $ qui m’appartiennent, alors je suis venu les récupérer, va au coffre et file-moi mon blé, de préférence en billets bien neufs. Puis je partirai avant que tu aies pu dire : profits et pertes.» Ça tourne à l’apocalypse parce que le Schtum résiste encore, mais Moonie emploie les grands moyens, c’est du cirque dans la vie réelle et on se marre comme un bossu en lisant ces pages.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Bon, il achète l’Excalibur cash, mais elle ne dure pas longtemps, car il repère la légendaire Liberace Excalibur, encore plus flashy. Il se paye aussi l’AC Frua 428, une bombe dotée d’un moteur V8, mais comme Moonie roule dans les petites rues à 150 à l’heure, l’AC retourne vite au garage. Le plus souvent, c’est Dougal qui conduit, mais certains soirs, Moonie demande les clés, un moment que Dougal appréhende, car c’est un présage de «mechanised disaster». Et puis voilà l’épisode avec Ted et sa jambe de bois dans un local pub. Tout le monde picole au pub et Moonie propose à Ted de le ramener chez lui. Bien sûr, Ted refuse. Il préfère marcher. Mais on ne dit pas non à Moonie. Un Moonie, précise Dougal qui assiste à la scène, drunker than a skunk. Le véhicule cette fois est un Bucket T Street Rod, dont le moteur est encore plus gros que celui de l’AC 428. Tout est drôle dans ce book, même la démesure est drôle. Elle fait tellement partie du jeu. Alors Moonie met le contact. Vrooom vrroaaaaammm. Dougal dit que ça fait autant de bruit que le Concorde. Le moteur est en échappement libre. Ted est en alerte rouge. Dougal croit qu’il va sauter de la voiture, mais avant qu’il n’ait pu faire le moindre geste, Moonie enclenche le clutch - Le moteur est si puisant que la caisse se lève sur les roues arrière et vroaaaaaaarr, c’est parti à fond dans Chertsey High Street - Les hurlements du moteur sont à peine couverts par ceux de Ted - Dougal parle de banshee wailing, pour décrire les hurlements, ce qui n’est pas rien. Si Ted pousse des cris de banshee, c’est parce que sa jambe de bois s’est décrochée. Il la récupère au moment où Dougal s’aperçoit que Moonie roule du mauvais côté de la rue et qu’un camion arrive en face. On entend les crissements des freins du camion - Moonie of course is pissing himself with laughter et ne montre aucune intention de tourner le volant pour éviter la collision - Alors Ted frappe Moonie sur le crâne à coups de jambe de bois et Dougal décrit le bruit que ça fait : BOFF ! L’épisode est à hurler de rire. On ne se croirait pas dans un rock book, et pourtant si. Keith Moon, batteur des ‘Hooo.

             Retour au film. «Baba O’Riley», heavy beat, Townshend en mode power chords et l’extravagant rolling power de Moonie et ses coups de gong ! Et puis tu as les early ‘Hooo de «Shout & Shimmy», avec the Ox sur une Dan Electro, Moonie sur un drumkit simple - logo avec la flèche - et bien sûr, il bat le beurre de tous les diables.  

             Quand il est à Londres, Moonie traîne dans des clubs comme Tramp. Bien sûr, il se fout à poil juste avant d’entrer, et comme il s’appelle Keith Moon, on le laisse entrer à condition d’enfiler un calbut. Il l’enlève aussitôt entré, il repère Jagger à Bianca et file droit sur eux - «Hello my dears» - et comme la bite de Moonie traîne près des steaks, Jagger et Bianca se lèvent aussitôt et quittent la table. Dougal ajoute que la Bianca abreuve Moonie d’insultes. Il pense que Bianca is a very snotty lady, une morveuse, dirait-on par ici. En même temps, il reconnaît que ça ne doit pas être très agréable de voir traîner la bite de Moonie sur la table. Un appendice qu’il surnomme the Moon dong

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             «Young Man Blues», Townshend en combinaison blanche, heavy 70s, classic stuff, démembrement de Mose Allison - chant, puis gratte/Moonie, et voilà le «See Me Feel Me» emblématique, Townshed combi blanche et bête à cornes, et Moonie bouche ouverte. Puis la scène finale de Woodstock, lorsque Townshend jette sa bête à cornes pour l’offrir au public. The ‘Hooo.

             Dougal rappelle aussi un trait fondamental du caractère de Moonie : sa sympathie pour les clochards et les damnés de la terre. C’est même essentiel. Tiens, en voilà quatre dans la rue. Pas le droit d’entrer au pub voisin ? Pas de problème, les gars, suivez-moi. Droit au bar. Paf, Moonie sort l’oseille et commande une tournée of very large brandies. Quand le patron lui dit qu’après ça, il doit vider les lieux - I want you lot out, understand? - Dougal dit qu’il commet une TRÈS grave erreur - S’il avait su à qui il s’adressait, il aurait choisi de parler sur un autre ton - Moonie ne dit rien - Le pub est silencieux, et ça ressemble plus à une scène de western qu’une scène dans un pub anglais. Je vois soudain les yeux de Moonie briller. Il fixe le plateau où le patron place les verres qu’il va servir. Et quand le plateau est bien rempli de verres, Moonie le soulève et balance les verres dans le mur derrière le bar, les projectiles fracassent toutes les bouteilles et avec le plateau vide, Moonie frappe le patron sur le crâne, et ça fait DING ! - Instant chaos - Les clodos sautent et chantent. Le patron veut appeler les perdreaux. Moonie, c’est Robin des Bois.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Dans un hôtel, Moonie demande à Dougal de faire venir six masseuses pour faire la fête dans la chambre. Elles se foutent à poil, mais elles ne sont pas là pour baiser, Moonie veut faire la fête, alors il propose une bataille d’oreillers. Le champagne coule à flots, et Moonie essaye d’enfoncer les bouteilles vides dans le cul des masseuses, mais elles ne veulent pas. Alors Moonie propose un autre jeu. Il a un garde du corps nommé Isadore - Vous devez visualiser le contexte : il s’agit d’une chambre d’hôtel où tout est détruit, avec des plumes partout et des bouteilles de champagne vides. Le lit est écroulé, les rideaux sont en lambeaux, pas un seul meuble n’est entier, les filles sont à poil et couvertes de plumes, Moonie est aussi à poil mais sans plumes car rincé au champagne. C’est là que j’appelle Isadore dans sa chambre. ‘Isadore ?’ ‘Yeah? Dougal?’. ‘Écoute mec, tu devrais te lever et venir immédiatement. Moonie est hors de contrôle. Il est... Christ... Pour l’amour de Dieu, ramène-toi. Il a violé une femme de ménage. Je crois qu’elle est morte, man, il y a du sang qui coule de sa bouche. Et là, je commence à chialer, alors Isadore rapplique immédiatement. Il entre en trombe dans la chambre et découvre tout le bordel : la fille par terre, les jambes ouvertes, avec du ketchup plein la figure, Moonie recroquevillé dans un coin, se cognant la tête contre le mur et grognant, moi et cinq autres filles hystériques et en pleurs - Voilà le genre de coup que monte Moonie. Et chaque fois ça marche. 

             Dans un restau, Moonie fait venir 12 masseuses, leur demande d’enlever leurs knickers, de s’asseoir sur le comptoir et d’ouvrir les jambes. Alors il parle d’une voix de magicien au moment où il prépare son numéro : «Et maintenant pour votre délectation et votre plaisir, the one and only, the great, the astonishing, the astounding Moonio will perform his world famous multi-clitoral stimulation - before your very eyes and entirely without a safety net!». Puis il plonge dans la première beaver pie et titille le clito. Et il continue en allant de plus en plus vite. Les filles coopèrent in a most delightful manner

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Jeff Stein mélange bien les époques. Après Woodstock, il revient au ramshakle d’«Anyway, Anyhow, Anywhere», Moonie en cocarde, freakout ! Puis «Substitute», dynamite !  et bien sûr c’est encore Moonie qui propulse le «Magic Bus». Et ça continue d’exploser au Rock Roll Circus avec «A Quick One While He’s Away», Moonie bombarde, the Ox bombarde, you are forgiven, Moonie bat à l’éperdue, il explose en gerbes de joie dionysiaque, il n’existe aucun batteur comparable à Moon the Loon. Absolument aucun.

             Moonie commence à faire du cinéma. Il est bon pour ça. C’est un acteur né. Le voilà sur le tournage de That’ll be The Day. Le réalisateur s’appelle Claude Whatham. Moonie joue le rôle du batteur des Stray Cats. Mais il trouve que l’ambiance est mauvaise sur le plateau. Alors il monte un coup. Il attend que Whatham demande le calme pour lancer sa première attaque. Soudain, dans la sono du plateau de tournage, une voix énorme annonce : «Les Allemands bombardent Neasden. Une bombe atomique va tomber sur Neasden. Courez immédiatement aux abris avec votre masque à gaz. Je répète...» Whatham hurle. Cut ! Cut ! Cut ! Il explose : «Find the loony ! Find the bastard !» Alors Moonie lance son deuxième raid : «N’essayez pas de me trouver. Je répète : N’essayez pas de me trouver. J’ai une mitraillette et je n’hésiterai pas à m’en servir. Je suis armé et très dangereux.» Whatham hurle de plus belle : «Trouvez-le ! Jesus-Christ, sortez-moi ce bâtard d’ici !». Alors Moonie envoie le troisième raid : «S’il y a des flics ici, sachez et que je fume un joint et que je me fais un shoot d’héro dans l’artère principale. Tous ceux qui jouent dans ce film ont la chtouille et des morpions. Chacun est prié de se rendre dans la clinique la plus proche. Toutes les filles de l’île de Wight sont des putes et elles vont enlever leurs knickers à la première occasion.» Whatham devient fou. Moonie continue : «Notez que Claude Whatham va être remplacé par un autre réalisateur. Un autre réalisateur est en route. On ne veut plus de Claude Whatham sur ce tournage parce qu’il encule le directeur de casting, ne niez pas, Claude, parce qu’on vous a vu. On vous a vu enculer le directeur de casting.» Quand on trouve enfin Moonie, tout ce qu’il trouve à dire, c’est qu’il a redonné vie à ce plateau de tournage.

             Sur le tournage de Stardust, Moonie refout le souk. La scène se déroule dans un restaurant, et soudain, il y a beaucoup d’animation. Stop the cameras !, crie le patron du restaurant. Car quelqu’un a modifié le menu affiché au mur sur la grande ardoise :

             — Fried Shit and Ships

             — Prunes and Piss

             — Bollocks on Toast

             «Inevitably, Moonie is absolutely convulsed with laughter and he can hardly stand up.»

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Alors bien sûr, il faut voir ces deux films, That’ll Be The Day et Stardust, qui sont les deux parties d’une même histoire, celle de Jim MacLaine, interprété par David Essex. Le casting des deux films est somptueux, Ringo et Billy Fury jouent des rôles clés dans le premier, Adam Faith et Dave Edmunds dans le deuxième. Il existe une parenté entre ces deux films et Quadrophenia, car l’approche sociologique sonne juste : David Essex grandit dans un milieu working class (sa mère tient une petite épicerie et son père s’est fait la cerise). Il quitte l’école - Got enough of schooling school - pour aller zoner dans une station balnéaire - So I gave up, ran away and hitched to a roller-coaster ride in search of fish & chips & freedom - Il trouve une piaule - Two pounds ten in advance - et pour vivre, il loue des transats - I might finish up being the first British rock’n’roll deckchair selling millionaire tycoon - Il devient pote avec Ringo qui est effarant de justesse dans son rôle de Teddy boy. Et puis voici le moment de vérité : Whatman filme un groupe de rock dans une petite salle. Première apparition de Moonie au beurre derrière Stormy Tempest, interprété par l’effarant Billy Fury. On voit aussi Graham Bond au sax et certainement Manfred Mann aux keys. On voit aussi un concours de danse et Ringo fait un vrai numéro de cirque. Moonie aussi. La petite scène qu’il fait avec sa batterie vaut tout l’or du monde. Puis Jim MacLaine rentre chez sa mère, se marie et fait un gosse. Jusqu’au jour où, comme son père, il quitte sa femme, son fils et sa mère, qui n’est pas surprise. Il va s’acheter une guitare. C’est la fin du premier épisode. C’est bien de pouvoir revoir ce film, c’est l’un des grands classiques du ciné rock britannique.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             L’idéal est de pouvoir enchaîner aussitôt avec Stardust. Jim McLaine a monté un groupe nommé Stray Cats (rien à voir avec les Stray Cats américains) avec Dave Edmunds, Moonie et deux autres mecs, et il demande à Mike Menary (l’excellent Adam Faith) de faire le road manager. Okay then, Adam Faith fait des prodiges : il finance un van plus confortable, il négocie un contrat avec un label boss interprété par Marty Wilde. Moonie fait des apparitions plus fréquentes, mais en tant que pitre, et il n’est pas aussi bon que Ringo. Il redevient le légendaire Moonie lorsqu’il bat le beurre de glam pour David Essex sur «You Kept Me Waiting» et là, on voit le beurreman physique extravagant. Magnifique plan rock. Puis on les voit en costards gris exploser la scène avec «Some Other Guy» et là tu vois Moonie battre les bras en l’air, les cheveux au vent, le groupe est #1 en Angleterre, alors Moonie bat le beurre du diable, il saute sur son tabouret, c’est un joli mélange Who/Beatles, et tout le film est monté sur le modèle de la Beatlemania, avec les girls qui hurlent et les poursuites dans la rue. Puis le groupe tombe dans les pattes d’un investisseur texan, Porter Lee Austin, et devient une grosse machine à fric. Adam Faith et le Texan misent tout sur David Essex, donc le groupe est viré. Il est arrivé la même chose à Elvis. David Essex va finir par s’isoler dans un spanish castle avec Adam Faith. Pour connaître la fin, il faut voir le film.

             Retour à Stein qui réussit à filmer les ‘Hooo en répète. Moonie chante «Barbara Ann» au chat perché, c’est un fan inconditionnel des Beach Boys et de Jan & Dean. Il porte la barbe taillée et un débardeur rayé rouge et blanc. Un journaliste lui demande de raconter la vérité. Moonie : «Tell the truth ? I can’t do that. You can’t afford me.»

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

    ( Dougal  & Keith in 1977 )

             Dougal donne la clé de Moonie : «Observez bien ce mec. C’est une catastrophe ambulante. Il a un ego démesuré, complètement démesuré. Mais en plus de tout, ça, c’est un homme généreux qui a besoin d’un exutoire, et comme il ne trouve pas d’exutoire au sens conventionnel du terme, il explose all over the place into outrageous behaviour. Et dans la plupart des cas, je suis là pour ramasser les morceaux.» Voilà donc la clé de Moonie. Quand Dougal décide de quitter Moonie pour aller bosser avec Jeff Stein et devenir assistant réalisateur, ça se passe très mal. On arrive à la fin du book. Moonie commence par lui interdire de le quitter, puis il l’insulte et finit par le frapper. Dougal répond et envoie Moonie au tapis. Bing bang ptooof. Dougal parle d’un épisode traumatic. Sa décision est prise : il rentre à Londres avec Stein. Alors Moonie embauche Keith Allison pour le remplacer. Mais il reste attaché à Dougal. Peu de temps après, il envoie Keith Allison le chercher pour le faire monter dans la limo et tenter une dernière fois de le convaincre de rester à son service. Moonie commence par s’excuser. Puis, il lui propose 50 % de tout ce qu’il gagne, Dougal dit non. Alors Moonie chiale toutes les larmes de son corps. Te voilà très exactement au cœur de ce que Robert Wyatt appelait the rock bottom. La vulnérabilité.

             Moonie va casser sa pipe en bois un an plus tard. Bizarrement, les ‘Hooo vont continuer sans lui.

    Signé : Cazengler, Keith Mou

    Dougal Butler. Moon the Loon: The Amazing Rock And Roll Life Of Keith Moon. Star 1981

    Jeff Stein. The Kids Are Alright. DVD 2003

    Claude Whatham. That’ll Be The Day. DVD 2020

    Michael Apted. Stardust DVD 2019

     

    Bridge over troubled Waterhouse

     - Part Two

     

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Sur la grande scène, l’an passé, Nick Waterhouse sortait le Grand Jeu : costard d’American corporate, section de cuivres, allure de Revue, un set taillé au cordeau, immensément pro, quasi-Daptone. Big showtime d’American showman. Par contre, dans cette petite salle havraise, il fait tout l’inverse : Nick tombe la veste, il se pointe en chemise blanche, petit fute de tergal et mocassins.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

    Et là, ça joue, sans doute plus qu’avec tout le bataclan de la grande scène. Il est fantastiquement accompagné, ça jazze sec et net au beurre, ça slappe au round midnite sur la stand-up, un petit gros keyboarde à babord, et un Texas guy gratte des contreforts à la Chet Atkins sur sa Gretsch.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

    Te voilà arrivé au royaume du groove, sans doute le meilleur groove blanc qui se puisse concevoir de nos jours. Le Nick te nique tout, il claque des gimmicks parcimonieux avec la sagesse d’un vieux blackos, il pose sa voix avec un talent surnaturel, ce mec bat tous les records du genre, il fait corps avec son groove, il se bat pied à pied avec toutes ses structures biscornues et coule au final un bronze magnifique, tu passes une grande heure au pied d’un artiste qu’il faut bien qualifier de parfait.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Nick Waterhouse est l’héritier direct de Roogalator, le groupe de Danny Adler qui fut l’un des groupes les plus excitants, à Londres, en 1976. Wow la gratte vert pailleté de Danny Adler ! Et l’héritier le plus direct de Nick est P.M. Warson qu’on eut la chance de voir dans la région l’été dernier, Warson dont l’idole n’est autre que James Hunter. Tous ces mecs ont des racines dans le funk et dans la mélodie, ils combinent un son qui n’est jamais putassier, ils maîtrisent la science exacte du groove black telle qu’on la trouve chez Leroy Hutson ou encore Al Green & the Hi Rhythm, un sens aigu du smooth et du rythme, eh oui, Nick Waterhouse cultive cette élégance. Il attaque son set avec «High Tiding», tiré d’Holly qui n’est pas son meilleur album, et boom il embraye sur «I Feel An Urge Coming On», groové sec dans les règles du lard fumé. Il tape dans tous ses albums, voilà qu’il tire ensuite «Santa Ana» de Promenade Blue, cet album qu’on avait trouvé si décevant.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

    Mais comme il tourne pour la promo de son petit dernier, il se montre assez insistant avec «(No) Commitment». Le cut qu’on a repéré sur The Fooler s’appelle «Late In The Garden», Nick le cale plus loin dans le set, on le repère immédiatement, car il le tape aux heavy chords de gaga angelino, c’est un heavy groove infesté de réverb et ce démon de Nick se met à sonner comme Thee Midnighters, un combo chicano quasi-mythique arraché jadis à l’oubli par Norton. Et là, tu réalises que tu as le vrai truc. L’autre gros cut du Fooler s’appelle «Hide & Seek», Nick le claque sur scène, il le prend en mode joli groove dansant, il fait la java bleue de Los Angeles et n’en finit plus de nous en boucher des coins. C’est dingue comme ce mec sait rebondir dans ses aventures.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Après l’affreux Promenade Blue, il revient en force avec l’excellentissime The Fooler.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

    Là, tu peux y aller les yeux fermés. On y retrouve ce cœur de set, «Late In The Garden», bien allumé aux heavy chords, c’est infesté de réverb, fantastique clin d’œil aux Midnighters - It’s a testament to all the grace & work - Pur genius. L’autre coup de maître s’appelle «Unreal Immaterial», attaqué en mode stomp. Incroyable rebondissement ! Les chœurs font «ships in bottles» et le sax chauffe ça hot. Ce genre de cut dépasse l’entendement. Wild as Nick ! Ça joue avec l’énergie du «Gloria» des Them, mais avec de la démesure. Le Nick rentre dans le chou du rap gaga and dry land lies. Il attaque ce bel album avec «Looking For A Place», un heavy groove de bonne fortune qu’il chante à la menace - You said/ You were looking fir a place - Et paf, il te passe le solo spatial de réverb dans la moiteur de la nuit. «Hide & Seek» fait partie du set, c’est un joli groove dansant, presque poppy poppah. Avec cette Beautiful Song, il fait la java bleue de Los Angeles. Il rehausse cette merveille de good time music d’espagnolades. Chez Nick tout n’est que luxe, calme et espagnolades. «Play To Win» fait aussi partie du set, encore un wild groove, du full blown Waterhousing. Ah il faut le voir groover son every gamble game ! Il y va au don’t you deal me a hand et ça swingue à coups de trompettes. Plus loin, on recroise l’excellent «It Was The Style», un heavy cha cha cha, il y ramène toute la prestance kitschy dont il est capable, il shake son ass off sur ce heavy groove de toréador. Il finit avec un «Plan For Leavin’» assez dylanex, très bizarre, très orienté, accompagné aux trompettes mariachi.

    Signé : Cazengler, Nick Water-closet

    Nick Waterhouse. Le Tétris. Le Havre (76). Le 15 novembre 2023

    Nick Waterhouse. The Fooler. Pres Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - Sam Coomes is coming

     (Part One)

             Quand l’avenir du rock se fâche avec une copine, c’est qu’il a une idée derrière la tête. Il ne fait jamais rien gratuitement. S’il décide d’engager une embrouille, c’est à des fins très précises. Il faut bien le connaître pour comprendre. À ses yeux, la vie est un jeu qui peut s’apparenter à une partie d’échecs. S’il admire tant Marcel Duchamp, ce n’est pas un hasard. S’il admire tant l’adepte de Clausewitz que fut Guy Debord, ce n’est pas non plus un hasard. Dans un cas comme dans l’autre, les petites mécaniques mentales génèrent plus d’excitation que n’en générera jamais la pratique des vices. Tout joueur d’échecs sait cela. Tu n’avances pas tes pions impunément. Tu joues, tu perds, tu joues, tu gagnes, mais tu joues toujours, même si tu ne le sais pas. Prendre une décision, c’est une façon de déplacer un pion, c’est-à-dire un acte qui peut entraîner des conséquences. Mais les conséquences restent dans le jeu. La vie et la mort font partie du jeu. Tu nais, tu gagnes, tu meurs, tu perds, entre les deux, tu joues des coups, les coups que tu peux. On comprend qu’un être supérieurement intelligent comme le fut Marcel Duchamp ait pu être fasciné par les coups d’échecs. Au plus secret de sa vie intérieure, l’avenir du rock fomente de délicieux complots. Il voit très bien le moyen d’obtenir le mat en trois coups, il suffit de prendre le temps de le préparer. Premier coup : il boit l’apéro seul dans son coin avec le casque sur la tête. La copine s’énerve. «Tu te crois où ?». Deuxième coup : un peu plus tard dans la soirée, il sort et va passer la soirée en ville, sans donner aucune explication. La copine est sciée. Troisième coup : il rentre le matin à l’aube réveille brutalement toute la baraque en passant un album des Stooges, avec le volume de l’ampli à fond. La copine sort de la chambre, excédée. Elle ne lui demande même pas d’où il vient. Elle fait sa valise et annonce qu’elle se barre de cette baraque de dingue. Alors l’avenir du rock lui lance, avec un petit sourire en coin :

             — Baby Coomes back !

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Il faut s’appeler l’avenir du rock pour oser des coups pareils. Et ça marche à tous les coups.  Sam Coomes serait ravi d’apprendre qu’il a servi les desseins de l’avenir du rock.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             L’autre jour dans Mojo, Victoria Segal annonçait le grand retour de Quasi qui fut, t’en souvient-il, le fer de lance de la grande pop américaine des noughties avec les Guided et Yo La Tengo. Sam Coomes et Janet Weiss ont longtemps cassé la baraque avec des albums faramineux, et malgré tout ça, ils ne font toujours pas la une des magazines. Bon, une page dans Mojo, c’est mieux que rien, alors on ne va pas aller se plaindre.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

    ( Sleater Kinney )

             En dehors de Quasi, Sam Coomes accompagne maintenant Jon Spencer & The Hitmakers. Janet Weiss a battu le beurre dans Sleater Kinney jusqu’en 2019, et dans d’autres groupes encore plus underground. Ils ont tous les deux un parcours aventureux qui s’étend sur plus de 30 ans. Ils vivent tous les deux à Portland, Oregon, mais séparément. Ils savent qu’ils sont cultes, mais ils ne la ramènent pas. Sam Coomes : «A Lot of people escape our cult, or avoid it.» C’est sa façon d’en rigoler. Chaque fois qu’ils sortent un album, ils pensent qu’ils vont devenir énormes, mais heureusement, la gloire les épargne, ce qui permet à Sam Coomes de philosopher : «La musique tient plus de la quête spirituelle que du job ou de la carrière.» À la fin des années 80, au terme d’un concert de Donner Party, son premier groupe, Sam Coomes a rencontré Janet Weiss. Ils se sont mariés et installés à Portland, puis séparés en 1997. Mais ils ont su conserver le plus important : la musique, c’est-à-dire Quasi. Leur grandeur, nous dit la victorieuse Segal, est de savoir transformer «life’s bitterest twists into pop euphoria», devenant, ajoute-t-elle, «the cult band’s cult band». En plus de Sleater Kinney et de Quasi, Janet Weiss battait aussi le beurre dans Stephen Malkmus’s Jicks. Quasi accompagnait aussi Elliott Smith. Ils se sont toujours bien débrouillés pour rester au cœur d’une scène passionnante. Rien de plus intense qu’Elliott Smith et Stephen Malkmus ! Ils ont aussi accompagné, nous dit Segal, les Go-Betweens sur leur come-back album, The Friends Of Rachel Worth. Ça s’appelle un parcours prestigieux. 

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Breaking The Balls Of History est donc le dixième album de Quasi. Au premier abord, l’album sonne un peu pop indé, mais comme Sam Coomes n’est pas avare de poudre de Perlimpinpin, il faut s’attendre à un bon régal. Première estocade avec «Queen Of Ears». Comme ce mec est bon, on lui lèche les bottes. Il ramène dans son Queen toute la modernité dont il est capable. En fait, la modernité est la botte secrète de Quasi. Puis l’album va commencer à grouiller de puces. Il te balaye la pop d’un revers de la main avec «Shitty Is Pretty», Sam Coomes fait la meilleure pop d’Amérique, une pop pleine de jus qui ne craint ni la mort ni le diable. Pur Coomes power ! Et ça repart de plus belle avec «Riots & Jokes». Janet Weiss lance cette horreur, les voilà au cul du bottom, c’est une pure décharge de printemps, Sam Coomes te travaille ça au shuffle explosif, personne n’est jamais allé aussi loin dans la prévalence de l’évanescence, les vagues de shuffle t’arrivent en pleine gueule comme des paquets de mer, et les descentes d’accords sont mirifiques ! Cette pop innervée flirte en permanence avec le génie. Et ça continue avec «Doomscrollers», heavy pop monumentale, drivée dans la fibre. Ah il faut les voir amener «Nowheresville» au petit pouet de Sam, avec le tatapoum de Janet juste derrière - Shoot-ouff-ouff/ Get it - Sam te roule ça dans sa farine. Cet album a une pêche qui donne à voir et qui donne surtout du fil aux rotors, quelle niaque, c’est du cosmic Coomes, et là tu as un killer solo flash à faire pâlir d’envie Jon Spencer. Ils tapent leur «Rotten Wrock» aux casseroles de la misère et bouclent avec «The Losers Win» qui élargit à l’extrême leur pop évangélique. Sam Coomes joue de l’orgue, mais ça prend une dimension universelle. Sam Coomes is coming ! Il veille à tout, il est bien plus puissant que Paul McCartney.    

             Signé : Cazengler, coomique

    Quasi. Breaking The Balls Of History. Sub Pop 2023

    Victoria Segal : Quasi fight back, again. Mojo # 352 - March 2023

     

    Inside the goldmine

     - Butler de rien

             Ballo venait d’un univers complètement différent, celui de la petite bourgeoisie de banlieue verte. On le sait, la banlieue verte et la banlieue rouge n’ont jamais fait bon ménage. Mais cette fois, il s’agissait de bosser ensemble. Comme on avait des clients en com ressources humaines dans les groupes bancaires, c’est Ballo qui allait au charbon pour assurer le suivi commercial. Fréquenter les DRH des groupes bancaires ne lui posait aucun problème : il venait exactement du même monde. Au café du lundi matin, Ballo racontait souvent qu’il avait passé le week-end dans un mariage de 200 personnes, et qu’il avait rempli un nouveau carnet d’adresses. Il ne fonctionnait que par réseautage et tous les gens qu’il fréquentait bossaient eux aussi dans le petit monde privilégié des tours de la Défense. Certainement pas à l’usine. À son expertise technico-commerciale, Ballo ajoutait celle des cravates. Il avait le visage très large, le cheveu coiffé et plaqué au gel, de grands yeux verts et une bouche pincée qui en disait plus sur son caractère que tout ce qu’il voulait bien nous confier. Ballo était en quelque sorte un modèle de conformisme et il ne ménageait pas ses efforts pour s’adapter aux rigueurs de notre fréquentation, on sentait en tous les cas que notre façon d’être ne le laissait pas indifférent. Il respectait surtout notre créativité, car elle était source de richesse. On le payait pour la vendre à des gens qu’on ne voulait pas fréquenter. Ballo en tirait un double avantage : d’une part, il éprouvait de la fierté à surprendre ses clients en les déroutant : le conformiste vendait de l’anticonformisme à des conformistes, et comme ça marchait à tous les coups, il en redemandait. Et d’autre part, il s’enrichissait rapidement, car il savait parfaitement bien gérer un effet boule de neige. En quelques années, cette relation extrêmement mal embouchée devint objet de fierté, car basée sur le respect mutuel, ce qui n’est pas si courant dans ce monde de brutes qu’est le monde des affaires.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Pendant que Ballo vendait du vent, Billy charmait sa muse à Chicago. Vu d’avion, c’est exactement le même travail de fourmi. Ballo et Billy méritent tous les deux qu’on leur consacre un peu de temps et qu’on leur rende hommage. On a découvert Billy Butler dans une extraordinaire compile Chicago Soul, The Class Of Mayfield High, le Mayfield en question était bien sûr Curtis Mayfield. Une compile Kent lui rend aussi hommage : The Right Tracks. The Complete Okeh Recordings 1963-1966. C’est bien sûr Tony Rounce qui prend Billy en charge.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Comme le faisait si justement remarquer Hank Williams Jr, ce n’est jamais facile de faire carrière dans l’ombre d’un very famous one. Billy Butler est le petit frère du Soul icon Jerry Butler. Billy nous dit Rounce avait la chance d’être un chanteur et un guitariste talentueux, et la malchance de vouloir entamer une carrière alors que son grand frère était à l’apogée de la sienne.  Rounce va loin lorsqu’il affirme que le petit Billy a fait some of the best Soul records ever, sous la haute autorité de géants comme Carl Davis, Curtis Mayfield et Gerald Sims. Comme chacun sait, Jerry Butler fit carrière avec The Impressions et Billy n’avait que 13 ans quand Jerry connut la gloire avec «For Your Precious Love». Carl Davis signe Billy & The Four Enchanters en 1963 sur OKeh. Pour leur première session, Billy et ses amis enregistrent «Does It Matter», un cut chouchouté par les fans de Northern Soul, mais Rounce a un faible pour «Found True Love», qui ouvre le bal de la compile. On a là une big Soul primitive avec des harmonies vocales de rêve. Globalement, Billy fait une Soul de doo-wop. Rounce prend de l’élan pour déclarer qu’avec «The Monkey Time» de Major Lance et l’«It’s All Right» des Impressions, «Found True Love» constitue le trio de choc du «Chicago Soul’s golden era». Puis, comme il fait habituellement, Rounce nous ennuie avec ses chipoti-chipotas de découvreur de bandes inédites, ce qui fait qu’on se retrouve avec des doublons («Found True Love», «Does It Matter» et «Lady Love»). Lors d’une deuxième session, Billy et ses amis enregistrent «Fighting A Losing Battle», un autre cut chouchouté par Rounce. Il n’empêche que le résultat n’est pas très probant : un an de contrat et toujours pas de hits. Carl Davis renouvelle quand même le contrat du jeune Billy qui repart à l’assaut du ciel avec une compo de Curtis Mayfield, «Gotta Get Away». En 1964, il enregistre une autre compo de Papa Curtis, «Nevertheless», un solide r’n’b de yeah yeah I love you, Billy arrose de ses chunky guitar chords, mais c’est encore un flop. Lors de la même session, il met en boîte «Tomorrow Is Another Day», la Soul de la miséricorde. Et c’est en 1965 que Billy enregistre ses deux plus grands hits, «Right Track» et «Boston Monkey» que Rounce qualifie de dance floor classics. Il a raison le Rounce, Billy devient the king of it all avec son «Right Track», pur genius d’I believe - I believe I’m on the right track - Même magie avec «Boston Monkey», the Major Lance’s compulsive dance workout. Impossible de rester assis. C’est Dave Godin et son Soul City label qui font connaître le fabuleux «Right Track» en Angleterre. Godin envisage de sortir l’album du même nom paru sur OKeh, mais son label coule. Carl Davis quitte OKeh et le contrat de Billy prend fin. Davis est nommé big boss de Brunswick à Chicago et remonte une nouvelle équipe. Billy le rejoint. Mais le temps de la belle Soul de doo-wop est révolu. Le pauvre Billy rentre dans le rang.  

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             En 1973 paraît un album de Billy Butler & Infinity, Hung On You. Big album - How should I start this conversation ? - Billy t’explose la conversation dès «I’m So Hung Up On You». C’est extrême, il pousse la Soul dans le dos pour qu’elle avance plus vite, il explose les cadences de sex on you. «I Don’t Want To Love You» tombe du ciel. Il fait de la heavy Soul de charme chaud. Billy est un Brother intense, il tartine la Soul à l’infini. Il a derrière lui des chœurs de folles, on les entend bien dans «Whatever’s Fair», puis il fait claquer l’orage dans «Storm», Billy l’attaque au heavy groove, comme dans «Season Of The Witch». C’est saturé de feeling, ça groove sous les éclairs. «Free Yourself» ? Wild as fuck. Tu comprends pourquoi Billy est recherché. Il éclate ensuite «Dip Dip I’ve Got My Hands Full» au Sénégal, c’est énorme car bien fondé - I’ve got my hands full/ Of you - Il groove le heavy r’n’b. Il va chercher les grosses orchestrations pour donner du poids à «Now You Know» et là il s’envole par-dessus les toits - I’m on your side - Billy est puissant, il peut aller très loin. Il t’allume encore la chaudière avec «You Can’t Always Tell», il est le crack des cracks, il te fait du pur jus de wild r’n’b.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Paru pourtant sur Curtom en 1977, Sugar Candy Lady n’est pas l’album du siècle. Billy y propose une Soul de satin jaune curtomisée. Dans «I Know The Feeling Well», des petites gonzesses chantent get yourself together en chœur. Billy se la coule douce et va danser un petit coup avec «Play My Music». Il sait gérer son destin. Il fait de la belle Soul («Feel The Magic»), mais sans magie. Pourtant tout est là : les violons, le beat, les chœurs, la wah. Encore du très beau satin jaune avec «Alone At Last (Pt1 & 2)», il est dans l’énergie de Marvin, avec de très beaux arrangements orchestraux. Il tente sa chance jusqu’au bout de la B avec «My Love For You Grows». Il a raison. Billy a du talent.

    Signé : Cazengler, chat botlé

    Billy Butler. Billy Butler & Infinity. Hung On You. Pride 1973 

    Billy Butler. Sugar Candy Lady. Curtom 1977

    Billy Butler. The Right Tracks. The Complete Okeh Recordings 1963-1966. Kent Soul 2007

     

     

    Holly ne met pas le hola

     - Part Two

     

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Fraîchement émoulue de l’Institut Supérieur de Formation du Garage Britannique (Thee Headcoatees), Holly s’est lancée dans une carrière solo. Elle jouait sur du velours car deux labels prestigieux la soutenaient : Damaged Goods en Grande-Bretagne et Sympathy For The Record Industry aux États-Unis. Quand on a des atouts comme ceux-là en main, la partie est gagnée d’avance. D’autant qu’Holly a basé sa légende sur une autre légende, celle de Breakfast At Tiffany’s, l’extraordinaire nouvelle de Truman Capote porté à l’écran par Blake Edwards au début des sixties. Bon nombre de jeunes coqs tombèrent sous le charme d’Audrey Hepburn qui campe à merveille le rôle d’Holly. Ah, il faut voir Audrey chanter « Moon River » assise la nuit sur le rebord de sa fenêtre : pur moment de magie. Et tout l’art d’Holly l’Anglaise vient de là, de ce pur moment de bonheur cinématographique.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Elle entame sa carrière solo en 1995 avec The Good Things qui reste bien dans la lignée des prestigieux albums des Headcoatees. Ouverture de balda avec un « Virtually Happy » monté sur un beat tribal de Bruce Brand. Pure présence apostolique ! Le garage d’Holly reste à la fois très vinaigré et très Shangri-La. Elle enchaîne avec un « Listen » chanté du nez. On sent qu’elle brigue la couronne, et que chaque morceau est dûment réfléchi, pesé et soupesé. Belle énormité que ce « Comedy True » rampé sur le pavé. Fantastique car progressif dans la charge de trash-guitar. Ce cut fait partie des hauts lieux d’Holly. Elle frise le génie avec un « Without You » monté sur un riff très violent. Elle tape là l’un des gagas les plus explosifs d’Angleterre. Ça riffe à outrance, on se croirait presque chez les Troggs, les Kinks et tous les autres, c’est trash explosif à l’état le plus pur. Le guitar slinger s’appelle Ed Shadoogie. Le dernier big time de l’album s’appelle « Every Word », ambitieux et cavaleur, revisité par ce démon d’Ed Shadoogie. Et voilà le travail. Sur chacun des (nombreux) albums d’Holly vont se nicher systématiquement deux ou trois merveilles. Il n’est donc pas question d’en rater un, car quand on a commencé à goûter aux charmes de « Without You », on souhaite voir la suite. 

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Un an plus tard paraît The Main Attraction. Comme prévu, deux bombes s’y nichent. À commencer par « So Far Up There », de type gaga insidieux. Voilà qu’Holly traîne dans les caniveaux. Il ne faut ni l’approcher ni lui faire confiance. Elle n’est rien d’autre qu’une traînée des faubourgs, l’une des pires, celle qui chante du nez, une sale petite garce vénéneuse. Elle sort là une pure merveille de malveillance. L’autre bombe s’appelle « King Of Everything », amené comme un hit des Walker Brothers. Holly coule là un fantastique bronze d’extrapolation du mythe sixties - You’re the king of everything and I belong to you - Tout est joué à la basse. On trouve deux autre cuts magistraux sur The Main Attraction, « I Thought Wrong » (qui sonne comme du Velvet, insistant et vénéneux) et « If I Should Ever Leave » (qu’elle chante comme un Dylan tombé dans la lessiveuse, tout est poussé dans les retranchements, même l’orchestration, et ça donne un cut étonnant de ferveur incongrue).

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             On trouve un joli duo d’antho à Toto sur Laugh It Up, paru en 1996 : il s’agit d’une reprise du « Sand » de Lee Hazlewood chanté en duo avec Brian Nevill. On sent bien qu’après le carnage des Headcoatees, Holly aspire à plus de charité chrétienne. Alors elle tape dans le boogie de Big Dix à deux reprises, d’abord avec « Mellow Down Easy », joué à la bonne insistance de Toe Rag et sablé comme chez Ike, et avec le cut final, « Hold Me Baby » dont certains passages de guitares renvoient aux early Stones. On se régale de « Don’t Lie To Me », véritablement hanté par un solo trash d’une effroyable saleté sonique. Elle tape dans Ike en B avec « Troubles On My Mind » qu’elle prend au douceâtre angélique et elle humilie un mec avec « You Ain’t No Big Thing Baby ». Les albums d’Holly sont tous passionnants.      

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Elle enregistre Painted On l’année suivante. En plus de Bruce Brand, on aperçoit Brian Nevill et Dan Melchior dans le studio de Liam Watson. Elle attaque avec « Run Cold », un groove de suburb classique qui sent bon la négligence féminine, un fumet que Napoléon Bonaparte appréciait particulièrement. Mais on sent qu’Holly s’éparpille un peu au fil des cuts : elle va du bastringue de bord de fleuve au heavy balladif peu déterminant, en passant par la country de pacotille. Avec « A Lenght Of Pipe », elle danse devant son juke. Elle inaugure un genre nouveau, le beat des antiquaires avec « Snake Eyed » qui sonne comme un fracas de vieilles casseroles ternies et poussiéreuses, mais elle y trouve une sorte de dynamique ancienne.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Elle redresse un peu la barre avec Up The Empire l’année suivante. Dan Melchior et Brian Nevill l’accompagne sur la scène de l’Empire Ballroom, Bridgetown’s premier nightspot. Deux belles choses sur ce petit disque sans prétention : « Trouble On My Mind », merveilleux hit de juke, juste de ton, vrillé par un solo énorme, et « Believe Me », tapé à la ramasse par Brian Nevill et qui sonne comme un groove des bas-fonds londoniens. Il règne une très belle ambiance sur cette petite scène. On se régale aussi d’une belle version de « Big Boss Man », d’un « Look For Me Baby » bien chaud et bien ouvragé, et d’une reprise de « It’s All Over Now » bien senti. Concert de rock anglais classique des années 90. Avec cet album, on atteint le cœur de l’underground britannique le plus magique.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Holly semble atteindre une sorte de vitesse de croisière avec Serial Girlfriend. Elle démarre en trombe avec « I Can’t Be Twisted », pur gaga brut de Brit tiré de l’avant. Arrive un solo fatidique, du pur jus de modernité classique, furibard et dément, encore pire que le solo de « Bird Doggin’ ». On trouve un autre killer solo sur « Down Down Down », battu au fond du bois de Toe Rag par Brian Nevill et arrosé de sauce sixties. Holly adore ces ambiances moody des clubs de Soho finement parfumés dandysme. Et soudain le solo surgit ! Voilà le secret d’Holly, elle peut rameuter le pire killer solo flash de l’histoire du rock anglais. On ne sait pas qui de Dan Melchior, Bruce Brand, Ed Deegan ou George Sueret passe le killer solo, mais on s’en fout. Puis elle s’éparpille avec les autres titres, passant de la petite rumba cacochyme (« Want No Other ») au heavy blues (« Come The Day ») en passant par la BO d’anticipation merveilleusement cinéphilique (« Serial Girlfriend »). L’ultime gros cut de l’album est « Til I Get », violent, noyé de son, et demented. On s’en repaît, d’autant qu’Holly fait sa gothique à la marée montante.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Elle revient se jeter dans les bras de Wild Billy Childish pour enregistrer cet album fabuleux qu’est In Blood. Dans ses notes de pochette, Billy annonce : « This album uses one chord ! And it’s simple and dumb ! ». Pour lui, trois accords c’est beaucoup trop. On peut garer le gaga sur un seul accord, et il le prouve avec le stomp rural de « Step Out ». Ces deux-là taillent bien la route. Le rock anglais leur doit une fière chandelle. Le jeu de gratte de Billy compte parmi les plus radicaux de l’échiquier politique. C’est un bretteur exemplaire. Ils enchaînent avec un morceau titre bien secoué du cocotier. Dans ses notes, Billy donne une extraordinaire leçon de morale et il va même jusqu’à prophétiser : « The future belongs to the glorious amateur ! One chord, one song, one sound ! ». Ils ramonent la cheminée du rock. Attention à « Demolition Girl » : c’est un vieux beat turgescent à la Pretties, monstrueux d’allant et complètement dévastateur, une vraie saleté endémique. Billy s’énerve, il secoue la tête en jivant son tintouin, c’est d’autant plus violent que c’est cadencé - Demolition baby ! - Billy et Holly mériteraient de passer la nuit dans le grand lit royal du palais de Buckhingham. Il faut l’entendre tirer ses morves de solo. Encore du British Beat d’excelsior avec « You Move Me », puis Holly s’en va foutre le souk dans la médina avec « It’s Natural Fact ». Elle y fait sa Bessie Smith, et là, ça prend une tournure énorme, car elle glisse. Nous voilà plongés dans les conditions optimales du rock anglais, avec une Holly qui nasille sur un groove de jazz contrebalancé au riff-raff. Rock genius à l’état pur. Tout aussi terrifiant, voilà « I’m The Robber », monté sur un vieux beat connu comme le loup blanc - It’s a hold up ! Hold up your arms ! - Coups d’harp par dessus, ils sont complètement dingues. Et ils bouclent In Blood avec « Hold Me ». Coups d’harp et brandy brash au comptoir. Quelle leçon !

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Holly s’est fait peindre le portrait pour God Don’t Like It paru en l’an 2000. C’est un album moyen. On y trouve deux beaux cuts d’antho à Toto, à commencer par « I Hear You », qui est amené au petit groove de fête foraine. Dan Melchior y joue de la guitare fantôme et crée une présence fantastique. Ça groove à la racine du mythe. Il faut ensuite attendre « Second Place » pour renouer avec le gaga gagnant et plombé de fuzz. Holly chante d’autorité et ça donne un nouveau joyau pour la couronne de l’Underground Britannique. Qui saura dire l’éclat interplanétaire d’Holly ? Puis elle fait exactement comme sur les autres albums, elle s’éparpille. Elle tape dans le tintouin bluesy avec « I Don’t Know » et ça nasille au fond du fond. Son « Nothing You Can Say » est un groove de nez pincé joué à la stand-up amateur. Elle boucle avec un petit coup d’excitation final, « Use Me », chanté en mode amateur, comme ces girl-groups qui ne savaient pas chanter, mais leur candeur finira par s’imposer sous les lampions de la postérité.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Elle enregistre Desperate Little Town en 2001 avec Dan Melchior. Attention, c’est bardé d’énormités. Ils attaquent avec « Directly From My Heart » dans une fantastique ambiance à la Little Richard, avec un claqué d’accords poussiéreux. Extraordinaire ! On sent le génie gaga galeux de Dan Melchior. Sur « I’ll Follow Her », Dan chante comme un démon. Il gratte son vieux débris de dobro. Il gratte un blues d’élégance suprême. Et ça continue avec « Why Don’t You Love Me », et un retour sur le sentier de la guerre. Sacré Dan, quel fouteur de souk ! Il peut raser une ville tout seul. On passe au gaga gavé avec « Lifering ». Dan Melchior a le diable au corps. La pauvre Holly suit en tirant la langue. Dan se livre à un fantastique battage d’accords et le double de tortillettes de slide. Écoutez Dan Melchior les gars, c’est lui le king of the kong, le grimpé du sommet, celui qui chope les biplans pour les broyer. Quel gaga God ! Dan revient sonner les cloches du gaga gold avec le morceau titre. Il sort toujours ces petits riffs dont on raffole. On sent bien que ce mec ne vit que pour ça. Il ne mégote pas. Il faut aussi écouter « Don’t Pass The Hat Around », un heavy blues tamisard. Toute la mud coule des doigts de Dan la bête. En plus, c’est signé Tony McPhee.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             S’il ne fallait conserver qu’un seul album de ce personnage faramineux qu’est Holly, ce serait sans le moindre doute le Singles Round-Up paru en 2001. Sur les 24 titres compilés, on a 12 bombes. Elle attaque avec « Virtually Happy », amené comme une grosse purge de gaga grind. Elle tient bien son rang de gaga Queen et chante d’une voix incroyablement pointue, d’un pointu qui frise la délinquance. Ça sonne comme un hit sixties, mais avec le poids d’une voix en plus. « No Big Thing » est aussi un énorme hit garage - You ain’t no big thing baby ! - Pure perle rare de gaga galvaudé. Le festival se poursuit avec « My Own Sake » épais et groovy, si épais que ça devient irrespirablement génial. Elle prend aussi « Til I Get » à la violence des bas-fonds, c’est aussi furieusement embarqué qu’un vieux hit des Pretties. « Waiting Room » sonne comme le meilleur gaga gogol. Elle chante d’une voix de gras double et pèse sur ses accents avec mauvaiseté, puis elle se hisse au sommet des explosions. Tout est roulé dans une farine de fuzz. Encore un hit de juke avec « I Can Be Trusted », vrillé d’un wild killer solo flash. Sur cette compile, tout est bon, il n’y a rien à jeter. Encore un hit avec « No Hope Bar » qu’elle gère à la meilleure embardée qui soit. Tiens, encore une extravagance avec « In You », shootée de solos intraveineux, c’est dingue, et même affolant de son sale et de proto-souffle d’audace. Elle reste dans le hard beat avec « Believe #2 » chargé de son à ras-bord et vrillé par l’un des meilleurs killer solos de l’histoire du kill kill kill. Il s’appelle Ed Deegan, c’est un redoutable interventionniste. Elle ondule des hanches sur « Too Late Now » et chante d’une voix trempée comme l’acier, puis elle tape le « Sand » de Lee Hazlewood en duo avec Max Décharné. C’est Dan Melchior qui reprend l’« Your Love Is Mine » d’Ike avec elle. Ils forment un couple rempli de hargne atrocement malveillante. Dan Melchior prend le lead sur « Laughing To Keep From Crying ». Il peut chanter comme un bluesman borgne de cabane et Holly le rejoint à l’unisson du saucisson. Sacré Dan, il sait lui aussi rester en alerte rouge. On aurait aimé qu’Holly fasse ses Brokeoffs avec lui plutôt qu’avec Lawyer Dave. Puis elle duette avec son vieux compagnon de route Bruce Brand sur un « Listen » admirable de bassmatic. Le dernier cut de cette superbe compile est une reprise de Pavement, « Box Elder » qu’elle explose dans les règles du lard fumant. Ça lui va comme un gant. Elle règne sur son empire.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Truly She Is None Other est probablement l’album d’Holly le plus connu. C’est aussi à l’occasion de sa parution en 2003 qu’elle vint jouer à Paris, au Café de la Danse. Pas mal de très bons cuts sur cet album, à commencer par le fameux « Walk A Mile » - Walk a mile in my shoes - pur dandysme écarlate de cramoisi, comme sur la pochette. Holly brode ça à l’or fin. Elle enchaîne avec « All Around The Houses », un petit groove rantanplan qui tournicote autour des maisons. L’indomptable Sir Bald Diddley joue là-dessus et ça s’entend dans le secret des tornades. Quelle magnifique ambiance ! Joli coup de British Beat avec « Time Will Tell », bien tapé par l’ineffable Bruce Bash Brand. Voilà du bon garage anglais sur deux accords bien décidés. Holly adore se secouer le popotin sur du vieux jive de juke, en souvenir du temps béni des Headcoatees. Encore une pièce de choix avec « It’s All Me » groovité aux guitares lumineuses, d’une exemplarité sans pareil. On croise plus loin « You Have Yet To Win », un classique de twisted jukebox. Holly sait traiter la chose à l’ancienne. Il faut entendre ces claqués de guitare infectueux, ce violent solo et l’esbroufe des clap-hands. Et Sir Bald touille bien la braise. Ah le bougre ! 

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Down Gina’s At 3 fait partie des très grands albums live de l’histoire du rock. Tout est bon là-dessus. Bruce Brand et deux membres des Greenhornes accompagnent Holly : Jack Lawrence et Eric Stein. Ça commence vraiment à chauffer avec « Lenght Of Pipe », drivé au bassmatic. Quand tu as un mec comme Jack Lawrence à la basse, ça s’entend. Il sait groover. Eric Stein passe un killer solo furibard. Elle tape ensuite dans le beau « Walk A Mile »  de l’album précédent. Plus loin, elle bascule dans l’heavy blues avec « Further On Up The Road » et on revient au gaga gut avec « Won’t You Got Out ». Jack Lawrence joue ça à la mortadelle du petit cheval, il nous swingue ça à la barbaresque. Voilà comment on joue le gaga gold : au swing, comme le jouaient les Groovies. Killer solo d’Eric le viking. On notera la violence de la montée dans « Nothing You Can Say », digne des pires tensions de la Guerre Froide. On tape là dans l’inexorable. Derrière Eric et Holly, Jack Lawrence et Bruce Brand veillent au grain du grind. Quel gang ! Ça explose d’un côté et Jack Lawrence reste de marbre. On revient aux Headcoatees avec « No Big Thing ». Admirable ! On se croirait dans un album de rêve. Et ça continue comme ça jusqu’au bout avec « Run Cold » gros gaga-mambo de Londres qu’ils font rissoler à coups de killer solos, et « Shot Down Explosion », dans une version définitive. Boom ! Ça explose.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             Slowly But Surely est le dernier album qu’elle enregistre en tant qu’Holly. The Bongolian vient donner u petit coup de main au shuffle. Holly jazze « My Love » jusqu’à l’oss de l’ass. Elle bénéficie d’un joli son de stand-up, rond et profond, et même carrément vulvique - My love is a deep blue sea - Avec « Dear John » on comprend qu’Holly prend une direction plus rootsy. Elle s’intéresse aux racines de l’Americana, ce qui est parfaitement absurde, de la part d’une Anglaise aussi anglaise qu’elle. Elle revient heureusement au gaga guilleret avec « In Your Head », arrosé de piano gadget par le petit Nasser Bouzida. Holly retrouve ses marques dans le bon vieux gaga gig à la noix de coco, mais prise entre deux feux : le balancement des hanches et le solo trash. Elle renoue avec le succès et sauve un album assez mal embouché, mal foutu et mal pensé. Plus loin, elle chante « Through Sun & Wine » avec la voix de Vanessa Paradis. C’est horrible de candeur factice. C’est vrai qu’il faut faire l’effort d’entrer dans sa cuisine remplie de petites boîtes à sucre en fer, car ça permet de bien apprécier sa version d’« All Grown Up », d’autant que c’est bardé de solos joués à l’élastique. Encore une jolie pièce avec un « Won’t Come Between » noyé d’orgue. Holly ne fait pas n’importe quoi.

    keith moon,nick waterhouse,sam coomes,billy butler,holly golightly,ashen,eric hobsbawm,rockambolesques

             On trouve pas mal de hits de juke sur My First Holly Golightly Album, à commencer par « Wherever You Were » chanté au petit sucre. Holly est vénéneuse. Son cut est à la fois terrible de tenue et choquant d’irrévérence. On retrouve l’excellent « You Ain’t A Big thing ». Son « Won’t Go Out » sonne comme une vieux rumble de gaga grivois et une stand-up embarque « Nothing You Can Say ». On se régale de « Further Up The Road » joué au boogie insistant et de « Run Cold » dégoulinant de décadence. Elle tape plus loin un « My Love Is » superbe de stand-up motion et chanté d’une voix de rêve - My love for you is a mountain ride - On rêve tous d’avoir une poule qui nous dise des choses comme ça.

             On voit la suite dans un Part Three.

    Signé : Cazengler, Holy shit !

    Holly Golightly. The Good Things. Damaged Goods 1995

    Holly Golightly. The Main Attraction. Damaged Goods 1996

    Holly Golightly. Laugh It Up. Vinyl Japan 1996     

    Holly Golightly. Painted On. Sympathy For The Record Industry 1997

    Holly Golightly. Up The Empire. Sympathy For The Record Industry 1998

    Holly Golightly. Serial Girlfriend. Damaged Goods 1998

    Holly Golightly. In Blood. Wabana 1999

    Holly Golightly. God Don’t Like It. Damaged Goods 2000

    Holly Golightly. Desperate Little Town. Sympathy For The Record Industry 2001

    Holly Golightly. Singles Round-Up. Damaged Goods 2001

    Holly Golightly. Truly She Is None Other. Damaged Goods 2003

    Holly Golightly. Down Gina’s At 3. Sympathy For The Record Industry 2003

    Holly Golightly. Slowly but Surely. Damaged Goods 2004

    Holly Golightly. My First Holly Golightly Album 2005

     

    *

    Ashen nous semble un groupe de metalcore précieux. Non pas parce qu’il est français mais parce que sa production et son parcours empruntent un chemin original. Se contentent d’envoyer leurs vidéos sur les plates-formes de streaming musical, qu’elles soient payantes ou en accès libre. Le bouche à oreille suffit pour drainer les fans vers les concerts.

    Nous les suivons de près : ainsi dans notre livraison 545 du10 / 03 / 2002 nous avions chroniqué : Sapiens, Hidden, Outler. Nowhere dans la 595 du 6 juin 2023, Angel et Smells like teen spirit (reprise hommagiale à Nirvana), voici à peine trois mois, dans notre 610, le 07 septembre de cette année.

    Aux seuls titres de ces vidéos le lecteur aura compris que l’univers d’Ashen est un peu à part…

    CHIMERA

    ASHEN

    (Official Lyric Vidéo / 7 -12 – 2023)

    ( Production Out of Line Music)

    Directeur : Bastien Sablé / Effets spéciaux : Alban Lavaud / Maquillage : Jade Maret / Nails : @jessiculottes : sur son instagram Jess est aussi tatoueuse et vous intime l’ordre d’aller voir la vidéo Angel d’Ashen.

    z22723groupeashen.jpg

    Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud Poully :  bass / Tristan Broggeat : drums.

             Chimera, le titre est prometteur, instinctivement l’on pense à Gérard de Nerval, une fausse piste dès que l’on évoque le prince à la tour abolie, c’est plus complexe que cela. El desdichado souffre d’une absence, il est un trou béant, une étoile effondrée sur elle-même mais en dehors de lui. Ce que pleure Nerval c’est l’absence des Dieux, il aimerait en créer un autre, plus exactement une autre, une nouvelle, un impossible alliage qui réunirait la matière des Dieux des antiques mythologies et celle du christianisme, la Mère originelle et géologique, les vénus kallipyges préhistoriales à la diaphanéité de la Vierge catholique.

             Certains se demanderont pourquoi je présente pour évoquer cette vidéo d’Ashen une explication que je m’empresse de déclarer fausse. Pour deux raisons : la première parce que je tiens à démontrer la qualité intrinsèque de cette vidéo en la comparant à un des textes poétiques les plus brillants, en d’autres mots qui émet une lumière si vive que la nuit dans laquelle nous nous débattons paraît encore plus obscure. L’on ne peut comparer que des objets de même intensité.

             Le deuxième réside en cette constatation. Si le poème de Nerval évoque d’une manière toute nervalienne la mort des Dieux, Nietzsche aura la sienne, la Chimera d’Ashen est à regarder et à écouter comme la suite du poème de Nerval. Ne pas entendre le mot suite comme le deuxième épisode d’un récit dans lequel on retrouve plus ou moins les mêmes personnages, nos contemporains les plus immédiats parleront de Saison 1 et 2. Plutôt l’imaginer selon Aristote d’après qui toute cause engendre une conséquence.

             Les Dieux sont morts reste l’Homme. Si l’Homme ne peut plus parler aux Dieux, il ne peut s’adresser qu’à lui-même. Les âmes charitables affirmeront qu’il trouvera son bonheur à échanger avec ses semblables. Oui mais si les autres me ressemblent à quoi bon discuter le morceau de gras. Je connais déjà les réponses.  Mieux vaut s’adresser à Dieu qu’à ses saints ! Tout Homme qui se respecte ne parlera qu’à lui-même. Pas à un miroir. Pas à un clone.

             Evidemment la situation se complexifie. Relisez la troisième ligne de ce texte. Nous retombons sur nos pattes. Par la même occasion sur Nerval. Le doux Gérard en appelle aux Dieux extérieurs. L’Homme moderne ne peut susciter qu’un être qui soit non pas au-dehors de lui, mais en lui-même. L’Homme moderne engendre des monstres qui naissent et vivent au-dedans de lui. Les cliniciens nomment ce phénomène délire schizophrénique.

             Le mot délire est rassurant. Si vous délirez c’est que ce n’est pas vrai. Le problème c’est que ce délire vous coupe en deux, ou plutôt vous multiplie par deux. Coupé en deux vous êtes encore la moitié de vous deux, multiplié par deux vous n’êtes plus seul chez vous. La lutte commence. A mort. Êtes-vous sûr de la gagner.

             Après toute cette longue vidéo, vous demanderez-vous pourquoi l’on ne voit que Clem Richard ? Les quatre autres n’ont pas été retenus par le casting. Ne vous inquiétez pas dans les notes ils précisent que texte et musique sont bien l’œuvre commune de leurs cinq individualités créatrices.

    z22715ashengris.jpg

             Fond noir. Clem assis sur un tabouret. Vêtu de gris. La couleur la plus impersonnelle qui soit. Cheveux bleus. Rien à voir avec un coin de ciel bleu. Ses yeux sont dirigés vers vous. Il ne vous regarde pas. Sa voix dégobille une vomissure de sludge, quand elle redevient à peu près ( soyons gentil ) normale il chante pour lui-même, l’a l’air de réciter un mantra que lui seul peut comprendre, sa bouche se tord, l’est en pleine crise de folie, dure et pure, il hurle, ce pauvre gars dans sa cellule est à plaindre, vous aimeriez qu’on lui refile un calmant, vous vous apprêtez à téléphoner à une association anti-psychiatrique, reposez votre téléphone, c’est inutile, non il n’est pas mort la situation a changé, certes il est toujours aussi agité, mais le voici tel un empereur romain sur sa chaise curule, le plaid de pourpre qui l’enveloppe laisse entrevoir la blancheur d’un haut de toge, l’est assis sur le toit du monde, derrire lui une chaîne de montagne, des éclaire déchirent le ciel rouge sang, ce n’est plus un malade mental enfermé dans le cachot d’un asile mais le maître du monde qui hurle son mécontentement à la face du monde qui oserait lui résister, maintenant il vous regarde, évitez de regarder ses ongles effilés comme les serres d’un oiseau de proie, vous pensez à Caligula, oui c’est comme cela qu’il devait s’adresser au vil troupeau des êtres humains, il se calme sa main soutient sa tête qui s’incline, la caméra s’abaisse l’on aperçoit la plaque de marbre qui soutient son trône, horreur elle est jugée sur une pyramide de têtes de mort, un peu à la manière de Tamerlan le conquérant, (un poème d’Edgar Poe porte son nom), mais notre prince à la tour maboulie n’en veut pas à l’humanité entière, uniquement à lui-même, et plus exactement cette chimère qui l’habite, le visite de temps en temps et va jusqu’à prendre sa place, dans sa confusion il en appelle à Dieu, qui ne répond pas, à moins qu’il ne se prenne pour Dieu le taiseux, ne se prend-il pas lui-même pour Chimera, à moins que ce ne soit sa Chimera qui se prenne et pour lui et pour Dieu, trop de confusion, n’est-il qu’un gamin poignardé, égorgé par sa propre folie, ne s’est-il pas drapé dans la pourpre impériale et divine de son propre sang, qui est-il au juste, qui sera capable de le lui dire en prononçant juste son nom. Son nom juste.

    z22716ashenroug.jpg

             De toutes les vidéos d’Ashen celle-ci est la plus belle, la plus violente, la plus puissante. Outre l’outrance de son vocal, Clem ne donne pas l’illusion de jouer, il est ce qu’il dit qu’il est. Il vocifère, on y croit dur comme du fer. L’on en oublie la musique, elle est là comme un fleuve de sang fertile, un sombre terreau dans lequel la voix démesurée de Clem trouve force er racine.

             Un clip de folie. Ô insensés qui croyez qu’elle n’exprime pas le plus intimement profond de ce que vous cachez en vous.

    Damie Chad.

     

     

    REBELLIONS

    ERIC HOBSBAWM

    (Editions Aden / 2011)

    z22717rebellions.jpg

    Un tel titre plaît d’emblée aux rockers. Qui risquent de déchanter. Nous ne parlerons pas de rock’n’roll mais de jazz. Pourquoi ? La réponse est à trouver dans la première partie du sous-titre :

    LA RESISTANCE DES GENS ORDINAIRES

    Attention ne pas confondre les gens ordinaires au sens où l’emploie Eric Hobsbawm avec ce que l’on nomme communément Monsieur Tout-le-Monde ou le citoyen lambda. Les gens ordinaires tels que les définit Hobsbawm ne sont pas des moutons. Ils possèdent une forte personnalité. Ils prennent fait et cause pour leurs propres goûts et leurs propres idées. A tel point qu’ils parviennent à fédérer autour de leurs jugements quelques personnes aux penchants similaires dont le rassemblement forme les embryons de ce que l’on a défini dans les années soixante-dix comme les minorités agissantes.

    Gardons-nous de tout romantisme. Les gens ordinaires ne font pas l’Histoire. Ils agissent dans les interstices. Eric Hobsbawm n’est pas un idéaliste, il est resté toute sa vie (1917-2012) un marxiste convaincu. Ce sont les lentes métamorphoses des rapports de production qui induisent les grandes ruptures historiales.

    Si Hobsbawn fut un historien respecté par les élites britanniques il ne cacha jamais ses sympathies actives pour le Parti Communiste Soviétique qu’il soutint jusqu’à l’intervention russe en Tchécoslovaquie. Par la suite il glissa progressivement à l’idée d’un communisme moins dictatorial et mena une réflexion qui posa les bases de l’élaboration des principes politiques de l’émergence de ce qui fut nommé tant aux USA qu’en Angleterre la deuxième gauche. L’on sait que cette nouvelle gauche fut le cheval de Troie de l’entrée de la pensée libérale dans les milieux politiques de gauche. Il resta toutefois jusqu’à la fin un penseur marxiste convaincu. En France on ne l’aime guère pour cela. D’autant plus que l’on peut relire son œuvre comme une pensée dans laquelle se retrouve l’ancienne coupure épistémologique fondationnelle des mouvements révolutionnaires partagés entre communisme et anarchisme.

    Ceci posé il est temps de s’intéresser à la deuxième partie du sous-titre :

    JAZZ, PAYSANS ET PROLETAIRES

             Notons que dans son livre de près de six cent pages, les chapitres dévolus au jazz ne viennent qu’en troisième position. Nous ne commenterons que ceux-ci :

    LE CARUSO DU JAZZ

    z22718dydneybechett.jpg

             Le titre perd son mystère quand l’on sait que Sidney Bechet (1897 - 1959) se vantait de s’être inspiré des enregistrements d’Enrico Caruso le célèbre ténor italien (1873-1921) pour mettre au point son célèbre falsetto qui fit beaucoup pour sa réputation. Hobsbwam se demande pourquoi et comment Sydney Bechet fut reconnu comme l’un des tout premiers jazzmen.

             Hobsbwam ne néglige pas les talents de Bechet, une voix reconnaissable entre mille et une maîtrise du saxophone soprano incontestable, ce ne sont pas ses qualités qui lui permirent d’être intégré dans la liste des incontournables fondateurs du jazz. L’avait un sacré défaut : son caractère, il n’était pas aimé de ceux qui ont joué avec lui. Il n’aimait pas musiciens talentueux, voulait être le maître de la formation, n’accordait pas à tout le monde son solo, son petit quart d’heure de gloire, faisait montre sur scène et en dehors d’un comportement égoïste peu plaisant… Les témoignages se recoupent, mais la jalousie n’est-elle pas aussi le premier ressort du ressentiment.

             Bechet est un créole de la New Orleans. Jusqu’à la fin de la guerre de Sécession, après laquelle ils furent remis au rang des noirs, les créoles formaient un milieu cultivé (très) relativement favorisé. Bechet a tout juste vingt ans lors de la fermeture en 1917 de Storyville le quartier sex, alcool, jeu and jazz de New Orleans. Comme la plupart des musiciens il émigrera vers le nord et l’est des Etats-Unis. C’est ainsi que le jazz devint une musique non plus régionale mais en quelque sorte nationale.

             La crise de vingt-neuf ne fut pas sans conséquence pour les musiciens de jazz. Les disques ne se vendent plus, le public se détourne du hot et porte ses préférences vers une musique moins rugueuse et davantage festive. Duke Ellington, Armstrong ne font que maigre recette. Bechet qui au début des années vingt est considéré comme un musicien de pointe ouvre un magasin de rafistolage de vêtements en 1933.

             Les petits blancs intellos jouèrent le rôle du Septième de Cavalerie pour sauver le soldat Bechet sinon perdu du moins oublié. Ces jeunes gens s’aperçurent à la fin des années trente qu’ils avaient raté les débuts du jazz. Devaient d’après eux se trouver entre Congo Square et Storyville, en plein cœur de la Nouvelle-Orléans.

             Ce mouvement antiquarianiste – de retour aux ‘’antiquités’’ du jazz toucha aussi bien les ricains que les européens. Une des figures les plus marquantes par chez nous fut Hugues Panassié. Nombreux furent les musiciens noirs qui dès les années 20 vinrent en Europe. Durant quatre ans Sydney Bechet partagea à Paris avec Joséphine Baker le succès (et même plus) de La Revue Nègre. Bechet qui s’était déjà fait expulser d’Angleterre subit le même sort par chez nous après une violente bagarre en 1928.

             En 1938 Sydney Bechet reçoit une sorte de reconnaissance américaine pour sa participation aux côtés de Count Basie, de Benny Goodman et ( bonjour le rock’n’roll) de Big Joe Turner, nous sommes dans le même mouvement de reconnaissance de l’apport de la musique noire à la culture du vingtième siècle, qui se matérialisa dans le retentissement du concert From gospel to swing organisé par John Hammond (Bob Dylan lui doit beaucoup) au Carnegie Hall in la Grosse Pomme.

             En 1949, Bechet s’installe en France, accompagné de groupes français, il devient le propagateur de ce renouveau du Jazz New Orleans, ce dixieland qui connut un énorme succès populaire qui perdure encore aujourd’hui. C’est une forme passéiste et ossifiée du jazz à l’écart de l’évolution de cette musique qui culmina dans l’explosion Be Bop et se désintégra dans la magnificence du free-jazz.

             A la fin de son article, Hobsbawm modère quelque peu les critiques virulentes par lesquelles il débuta sa présentation. L’on sent qu’il eût aimé un artiste qui soit resté tout le long de sa vie un défricheur novateur de formes sonores révolutionnaires. Idéologie et réalité ne concordent pas toujours.

    COUNT BASIE

    z22719countbasie.jpg

            Ça commence mal pour le jazz. Hobsbawm cite un extrait des mémoires de Count Basie qui s’aperçoit que les gamins qui viennent écouter le jazz n’accrochent plus, qu’ils sont en attente d’autre chose. Hobsman résume le phénomène : la musique populaire américaine vient de commettre un crime : le fils a tué le père. Le rock’n’roll a tué le jazz. Il se rattrape aux petites branches, l’article est publié en 1986, il reproche à Count ( 1904 -1984) que certes le rock a éclipsé le jazz mais que ce dernier a atteint son intronisation depuis la fin des années cinquante n’est-il pas devenu sans contestation possible la grande musique américaine classique. J’appellerais cela la consolation du pauvre. Démuni de ses biens.

             Hobsbawm reproche à Count d’être un peu frigide dans son Good Morning Blues. L’esquive un peu trop les réalités. A ses débuts le Big Band de Basie issu de Kansas City est une fabuleuse machine à rythmes, l’on joue à fond la caisse, sans partition, l’on baise à tous vents, l’on boit comme des trous, poker et whisky sont les deux mamelles du swing. Mais lors des années soixante des intellectuels s’emparent du jazz  en le qualifiant de musique révolutionnaire. Ce lumpen-prolétariat très mauvais genre est prié de ne plus porter des pantalons rapiécés, d’adopter des attitudes moins sauvages, ok pour le chic, ko pour le choc. Count débuta comme pianiste itinérant, naviguant à la petite semaine entre embauches dans un bar ou dans une tournée burlesque. Les noirs ne sont pas naturellement des accros du blues, z’aiment la danse, la baise, la bouffe, le chambard et autres saloperies du même acabit. Basie n’était même pas un grand pianiste. Tout ce qu’il savait faire c’était marquer le tempo, une fois la base établie, créait un riff (souvent inspiré d’un morceau connu) pour les sax, qui le refilaient aux trombones, qui le refilaient aux trompettes et vogue la galère, tout le monde se retrouvait, vent en poupe dans un tutti de tous les devils de l’enfer. Un baltringue qui vous foutait le feu au croupions des danseuses et des danseurs. Vingt ans plus tard, avec un super-big orchestra Basie s’est moderato, les copains lui refilent des arrangement tout faits, les musicos ont des partoches, ça rutile encore, mais ça ne brutalise plus. Le jazz s’est gauchisé, l’est devenu un objet culturel   d’intronisation. Une cause morale à défendre. Pourquoi d’après vous les rockers se sont-ils passionnés pour Rebel without a cause.

    DUKE ELLINGTON

    z22720ellington.jpg

             Si l’on pouvait retrouver Count Basie ivre mort après un concert, ce n’était pas le cas du Duke. Certains le défendront en disant qu’il était d’une nature apollinienne et point dionysiaque. Les plus méchants assèneront qu’il ressemblait davantage à un cul-blanc qu’à un nègre. Duke issu de la petite-bourgeoisie noire fut un enfant gâté et en grandissant il se persuada qu’il était un être destiné à un destin supérieur.  Pas étonnant qu’il se considérât comme un artiste. Un compositeur, le mec hiérarchiquement situé un cran (voire plusieurs) au-dessus du chef d’orchestre.

             Entre nous soit dit, si à ses débuts il agissait en corsaire en signant les morceaux de ses musiciens il a par la suite endossé le rôle d’armateur.  Il se faisait aider par son directeur musical. Notons que ces pratiques étaient monnaie courante (et trébuchante) dans les milieux de la musique populaire américaine…

             Bizarrement sa façon de procéder, de mener son orchestre présente quelques analogies, me semble-t-il, avec James Brown, l’emmène un bout de mélodie, deux ou trois rythmes, qu’il joue au piano et les musiciens doivent se les approprier, chacun rajoute un peu, beaucoup, de soi mais en respectant le code initial imposé par le Maître. Evidemment on imagine mal Beethoven jouant son pom-pom-pom-pom au piano et demandant à son premier violon de proposer une suite… Ellington apportait une couleur inimitable qui poussait les musiciens à se dépasser. Il n’aimait guère garder les partitions, pour lui la musique se conservait par sa pratique. Dans la dernière partie de sa vie, la vogue du jazz étant dépassée, il n’hésita pas à reflouer les caisses de son very big bazar avec ses royalties.

             De fait l’orchestre d’Ellington était un peu onaniste, il jouait pour lui-même, les musiciens s’écoutaient et se répondaient. Dans la plupart du temps les danseurs se moquaient dukalement de la qualité de la musique. L’important était la danse.

             Plus tard lorsque l’orchestre visitait Europe, l’est même passé par Provins, Duke donnait aux auditeurs qui le vénéraient ce qu’ils attendaient, il l’avait spécialement un tuba qui vous sortait un son jungle à juguler un tigre mangeur d’hommes.

             L’est difficile d’inscrire Ellington dans une perspective révolutionnaire. Tant politiquement que musicalement. Sa musique serait à considérer plutôt une mise non pas en abyme mais en acmé de toutes les pratiques instrumentales noires qui l’ont précédée. Une marée d’équinoxe dont l’étale aurait atteint un niveau jusqu’à lui inégalé et insurpassable pour les nouvelles générations de musiciens jazz biberonnés à la musique classique européenne. Autre temps, autres mœurs.

    LE JAZZ ARRIVE EN EUROPE

             Le jazz a très tôt traversé l’Atlantique. Dès 1908 la comédie musicale Corindy : the origine of cakewalk est jouée à New York et à Londres. C’est son créateur Will Marion Cook qui fera venir Sidney Bechet in London. 1914 : le foxtrot fait son apparition aux States, en 1915, via la Grande-Bretagne il débarque en Belgique. En 1917 des premiers groupes de jazz font leur apparition en tant que tel sur notre continent. A la fin des années vingt des amateurs de la deuxième génération jazz commencent à développer une nostalgie des débuts du jazz qu’ils n’ont pas connus et qui engendrera un véritable revival dixieland. Au mois de novembre dernier la célèbre fête de la niflette de Provins (gâteau local) était animée par un groupe français de New Orleans.

    z22721cocteau+martial solal.jpg

    ( Martial Solal + Jean Cocteau)

             Les premiers livres d’importance sur le jazz sont édités en 1926, mais l’avant-garde artistique de Jean Cocteau à David Milhaud s’intéresse à cette musique dès 1918. Le jazz fut aussi un outil émancipateur et quelque peu transgressif sous forme de danse pour l’aristocratie et la bourgeoisie anglaises. Il est vrai que dès 1900 des danses comme le boston avaient commencé à déverrouiller les attitudes guindées des corps. Les femmes en furent les premières bénéficiaires.

             En 1930 se constituent des groupes d’amateurs passionnés qui collectionnent les disques, et qui parfois se risquent à s’emparer d’un instrument. L’arrivée des disques de blues en Angleterre engendra… le rock anglais… qui ne tarda pas à déferler par un juste retour des choses aux States…

             Le jazz fut davantage accepté en Angleterre qu’en France. Accepté et joué. Certes l’impasse sur le Be bop se traduisit par le développement de groupe de jazz trad. En France, hormis une minorité de passionnés, le jazz hormis en ses débuts grâce à la danse, n’atteignit jamais à une grande popularité. Pays davantage marqué à gauche que nos voisins d’outre-Manche le blues et le jazz devinrent les musiques de minorités oppressées par l’ordre capitaliste. On les révéra, on les écouta, mais la pratique instrumentale ne suivit pas.

    LE SWING DU PEUPLE

             Ce chapitre bien plus intéressant que le précédent explore les rapports entretenus par le jazz, principalement les grands orchestres et la gauche durant les deux présidences de Roosevelt du New Deal à la fin de son deuxième mandat en 1941. Roosevelt décéda en 1945. Il y eut une alliance objective entre le jazz et la gauche américaine. Une alliance beaucoup plus culturelle que politique.  En le sens que si bien sûr les musiciens de jazz ne sont pas insensibles aux idées d’égalité raciale ils ne sont pas des militants encartés ni au Parti Démocrate, ni au Parti Communiste.  John Hammond s’avère être le symbole de cette période, il organise de nombreux concerts de jazz qui sont retransmis en direct dans tous les états et qui seront surtout écoutés par les jeunes et les étudiants. Hammond encourage la composition d’orchestres mixtes, sans trop de succès.

             De fait le jazz possède désormais pignon sur rue, mais le public ne se renouvelle pas. En 1946, sous la présidence de Truman se produit une espèce de cassure générationnelle. Par manque de public tous les grands orchestres s’arrêtent. Seul Ellington continuera sur ses propres deniers.  Le public en majorité blanc se reconnaît davantage dans cette musique qui est en train de devenir le country & western. Les grandes heures du jazz ont sonné.

    LE JAZZ DEPUIS 1960

             Ce n’est pas tout à fait vrai. Entre 1950 et 1960 le Be Bop connut une glorieuse décennie, vrai succès et fausse donne, le Be Bop est une musique métaphysique, elle parle au corps, elle parle à l’âme, elle parle de leurs misères et de leurs splendeurs, elle est la musique d’une génération née dans les années trente, un pied dans les années noires un pied sur le seuil des années heureuses. Hobsbawm consacre de nombreuses pages à la naissance du rock. Je n’insiste pas. Nous connaissons cela. Sixties et seventies seront des années économiquement opulentes.  Des millions d’adolescents sont maintenant en capacité d’acheter des disques. L’industrie du showbiz engrange des profits colossaux.

             Le public jazz se rétracte, il joue à la citadelle assiégée. Il refuse toute compromissions avec le rock. Il acceptera du bout de l’oreille Miles Davis lui reprochant sa fusion… Les artistes de jazz-rock à la Chick Correa ont beaucoup plus d’adeptes dans le public provenant du rock que des derniers résistants jazz.

             Les musiciens continuent le combat. Le Be Bop a démonté les structures du jazz, l’a mis le moteur en pièce détachées et a démontré avec brio ce que l’on pourrait attendre de chacune d’elle, il a désarticulé les structures de base du jazz, mais il n’a touché à rien. John Coltrane de son seul souffle a démantelé la tuyauterie. Ses successeurs ne la remonteront pas, ils la désintègrent, le free-jazz ne connaît plus de limite. Les nouveaux jazzmen flirtent avec la musique classique d’avant-garde, ils empruntent les sentiers du noise, ils vont loin, très loin… du public. Seule une infime minorité les suit, les autres réécoutent les disques du passé.

             Cet article est écrit en 1993, Eric Hobsbawm oublie de faire référence à son concept de rébellion. L’en oublie de citer les émeutes de Watts, les Black Panthers, l’espoir généré par la lutte et la défaite amère…

    BILLIE HOLLIDAY

    z22722billieholiday+++.jpg

             Un court article hommagial qu’ Eric Hobsbawm écrivit à la demande de John Hammond en 1959 à la mort de Billie Holliday. Il rappelle en introduction que sur son lit de mort John Hammond lui avoue que la chose dont il est le plus fier de toute son existence fut d’avoir découvert Billie Holliday…

    *

              Ces chapitres sont intéressants, j’avoue que je m’attendais à mieux. Les trois premiers sont les mieux écrits. Trop étreint qui mal embrasse me contenterai-je d’ajouter pour les trois suivants. Trop généralistes pour que puisse s’y déployer une pensée cohérente.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    a30000molosa.jpg

     6

    A peine avions-nous passé les bandes plastiques rouges et blanches qui délimitaient une zone d’accès interdit le long du trottoir du Chat qui pêche un os à moelle un gros homme manifestement un commissaire de police s’interposa l’air furioso. A sa décharge je me dois de signaler la sympathique facétie du Chef qui s’était emparé du ruban et l’avait sectionné en s’aidant du clair baiser de feu de son Coronado.

             _ Messieurs reculez immédiatement, trois de mes hommes vont vous coffrer sur le champ en garde-à-vue, pour qui vous prenez vous ?

    Le visage du commissaire s’empourpra quand de son air le plus placide le Chef exhiba sa carte d’Agent Secret. Un sourire moqueur aux lèvres je lui tendis à mon tour mon sésame. A ma grande surprise il s’en saisit vivement, l’examina longuement et se tourna vers le Chef :

    _ Excusez-moi cher collègue, j’admets volontiers que mon interpellation ait été un peu rogue, je n’avais pas compris que vous m’emmeniez votre subalterne pour interrogatoire. En tant que simple policier je m’incline… que vous qui êtes d’un niveau et d’un grade bien plus élevé que le mien dans les services de sécurité de notre nation ne tente pas de soustraire des lois de notre République un de ses agents sous sa responsabilité dénote une rectitude professionnelle qui vous honore. Je vous prie de me suivre, j’ai le regret de vous avertir que les faits ne plaident pas en sa faveur.

    La scène n’était pas ragoûtante, le patron du Chat qui pêche un os à moelle était étendu nu au milieu de la salle. A ses côtés gisaient également déudés les cadavres du cuisinier et de la serveuse, c’était elle qui la veille nous avait servis, Molossa, Molossito (mon cœur se serra lorsque leurs noms surgirent dans ma pensée) et moi-même, nos entrecôtes garnies. Les assassins s’étaient amusés. Ils avaient éventré les trois malheureuses victimes. Leurs intestins avaient été prélevés ils étaient suspendus, un peu comme des guirlandes de Noël, au plafond. 

    Le commissaire se tourna vers moi :

    _ Pourriez-vous Monsieur Damie Chad, nous expliquer les motifs de cette abominable mise en scène, à toutes fins utiles je préciserai que l’équipe de rugby de la ville de Provins qui rentrait en autobus d’un entraînement nocturne vous ont vu quitter l’établissement d’un pas pressé. Pire ce matin vous êtes revenu sur les lieux de votre crime, trois témoins qui vous connaissent, Provins est une petite ville, vous ont aperçu sortir du restaurant pour vous engouffrer dans votre voiture à toute vitesse.

    Je n’eus pas le temps d’ouvrir la bouche. Le Chef me devança :

    _ Cher Commissaire, je ne peux que vous remercier pour la rapidité et les résultats de votre enquête. Nous ne sommes pas venus ici par hasard, j’ai le regret de vous apprendre que vous ne voyiez que la pointe de l’iceberg. J’ai reçu cette nuit une notification de l’Elysée qui m’enjoignait de leur amener au plus vite le sieur Damie Chad. Sachez qu’il aurait ce matin même trucidé un innocent automobiliste qui s’accrochait désespérément à son automobile que cet ignoble individu tentait de lui voler. Sous l’agent Chad se cache un des serial killers les plus monstrueux que la terre ait porté. Un être assoiffé de sang et de meurtres. Sachez que cette matinée, sur ordre, j’étais venu le chercher à Provins, en passant dans la rue il a manifesté l’envie de prendre un café dans cet établissement. Je comprends désormais ses raisons, il voulait revenir se repaître une nouvelle fois du spectacle de son triple crime. Mais ce n’est pas tout…

    Le Chef se rapproche du commissaire et lui souffle à l’oreille :

    _ Entre nous c’est encore plus grave, nous le tenons à l’œil depuis quelque temps… entre nous son rôle de tueur en série ne serait qu’une couverture… il est certainement à la tête d’une organisation terroriste ultra-secrète qui serait en train d’infiltrer nos services secrets mais aussi nos forces de police et de gendarmerie… un conseil vérifiez tous vos subordonnés, leur identité, leurs parcours leurs comportements pendant le travail et leurs fréquentations dans leur vie privée.

    Les yeux exorbités du commissaire trahissent sa sidération :

    _ Puis-je faire quelque chose pour vous aider ?  

    _ Si vos hommes pouvaient le menotter et l’attacher solidement à son siège dans ma voiture. Je le livre dans l’heure qui suit à la CIM, la Cellule d’Interrogatoire Musclé des sous-sols de l’Elysée. Soyez sûr qu’après une bonne séance nous en saurons davantage.  Pour ma part je m’empresserai de rapporter à notre Président, qui suit personnellement ce dossier, votre intervention décisive. Comme tout homme notre dirigeant n’est pas exempt de défauts, je vous l’accorde, mais il sait reconnaître, féliciter et récompenser et surtout ne jamais oublier tous ceux qui œuvrent à la sécurité de notre pays.

    7

    A peine avions nous dépassé de quelques kilomètres la ville de Provins, le Chef m’avait détaché et délivré de mon inconfortable situation. Je repris ma place de chauffeur et me hâtai de rejoindre Paris.

    Le Chef avait allumé un Coronado. Il ne disait rien, il réfléchissait. Moi aussi. Cette affaire s’annonçait mystérieuse. Un véritable guet-apens. Une machination. Il était sûr que j’avais été suivi. Par qui ? Pour quoi ? Dans quel but ? Il était fort improbable que mes chiens aient été visés pour eux-mêmes. Mais qui visait-on au juste ? Ma modeste personne, le Chef, le service, le rock’n’roll ! Par acquis de conscience je jetais un coup d’œil au rétro. Dix minutes plus tard ma conviction était faite, deux voitures à tour de rôle nous suivaient.

    La nuit était tombée. Le Chef alluma un Coronado.

    • Agent Chad c’est un peu bête, j’ai envie de faire pipi, une envie irrésistible, dès que vous apercevez un arbre solitaire au bord de la route, arrêtez-moi, je me dépêche, ne m’attendez pas, continuez votre route, revenez me prendre dans quelques minutes, j’ai mes pudeurs de jeune fille, je n’aime guère que l’on m’aperçoive faire pipi, même vous, c’est bête mais je n’y peux rien, ma mère se moquait de moi, je m’enfermais à clef dans les WC et je n’ouvrai ma braguette que lorsque je l’avais entendue descendre les escaliers. Croyez-vous que je devrais entamer une psychanalyse ?

    Nous papotâmes sur les bienfaits d’une analyse, le Chef était partisan de Lacan, personnellement je tenais pour Young, nous tombâmes d’accord pour médire de Freud…

    Je freinai brutalement pile devant un ormeau solitaire. Le Chef sortit prestement et alla se cacher derrière le tronc assez imposant de l’arbre. Je redémarrai d’un coup sec, puis insensiblement diminuai ma vitesse… De loin sur cette ligne droite j’apercevais le bout du cigare incandescent du Coronado. Une voiture vint me coller au cul, pardon au parechoc. Une autre s’arrêta juste en face de l’arbre derrière lequel urinait le Chef. Dans ma tête Je comptais à voix basse : un, deux, trois ! Les gars regretteront toute leur mort le fait d’avoir ouvert leurs portières, un trait de feu traversa le bas-côté de la route, une boule de feu explosa, le Chef avait lancé un Coronado 117 surnomme El dynamitero…

    J’accélérai à fond et effectuai sur place un demi-tour, la voiture en face à qui je venais de couper la route s’encastra instinctivement si j’ose écrire dans celle de mes poursuivants. Quelques instants plus tard le Chef traversait la route pour prendre place à mes côtés.

    • Agent Chad c’est terrible avec ces gaziers je n’ai même pas eu le temps de faire pipi !

    9

    Nous fîmes demi-tour et rentrâmes en devisant fièrement :

             _ Chef, l’on ne peut pas dire que votre envie de faire pipi a été un acte manqué !

             _ Agent Chad je suis assez fier de nous, nous avons éléminé nos ennemis, mais là n’est pas la question. Nous avons réussi à créer un nouveau concept psychanalytique qui parachève cette théorie : nous venons de créer le concept d’acte réussi. Une véritable réussite !

             _ Je garai la voiture au bas du local. A peine avions nous mis les pieds sur la première marche que des aboiements retentirent. Deux boules de poils sautèrent sur nous. Ils étaient fous de joie de nous retrouver. Nous échangeâmes mille caresses.

    Ce n’est qu’une fois en haut que nous trouvâmes l’inscription à la craie sur la porte du local

    1 à 1

    A CHARGE DE REVANCHE !

    Ces messieurs sont beaux joueurs s’exclama le Chef et il alluma un Coronado !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 610 : KR'TNT 610 : LINDA LEWIS / REVEREND PEYTON / HOUND DOG TAYLOR / EHPAD / JEAN KNIGHT / CRASHBIRDS / ASHEN / EVIL'S DOGS / IN DER WELT / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 610

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 09 / 2023

     

    LINDA LEWIS / REVEREND PEYTON

    HOUND DOG TAYLOR / EHPAD / JEAN KNIGHT

    CRASHBIRDS / ASHEN

    EVIL’S DOGS / IN DER WELT

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Shakin’ with Linda

    - Part Two

     

    , linda lewis, reverend peyton, hound dog taylor, ehpad, jean knight, crashbirds, ashen, evil's dogs, in der welt, rockambolesques

             On peut se contenter d’écouter Funky Bubbles, cette délicieuse box pleine à ras bord de Linda Lewis, ou, plus simplement, se contenter de caresser son souvenir, une attention qui se révèle idéale lorsqu’on est un peu pingre ou gêné aux entournures. Mais on peut aussi plonger dans le vaste lagon d’argent de sa discographie. Ce serait dommage de se priver d’un tel plaisir. Remember, my friend, life is short !

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Au commencement était non pas le verbe, mais The Ferris Wheel, un mixed race group comme on savait si bien les fabriquer en Angleterre. Et contrairement à ce qu’on croit tous, ce n’est pas Linda Lewis qui chante sur le premier album de Ferris Wheel, mais Diane Ferraz. Can’t Break The Habit est un très bon Pye de 1967, lesté de deux belles énormités : «Something Good (Is Going To Happen To You)» et «Number One Guy». Avec Diane, tu peux jerker sans crainte, d’autant que le Something Good est un cut d’Isaac. Avec «Number One Guy», les Ferris font du Motown in London town. Côté covers, ça ne chôme pas : ils retentent le coup du Vanilla Fudge avec «You Keep Me Hanging On». Ils la jouent heavy, mais ce n’est pas aussi assommant. Par contre, la cover du «B-A-B-Y» de Carla est fantastique, ils n’ont pas vraiment de son, c’est Diane qui fait tout le boulot. Il faut aussi saluer le duo d’enfer qui illumine «It’s Been A Long Way Home», le mec pousse Diane au top de cette Soul pop d’entre deux mers. Ça sonne comme une tentative désespérée. On dirait qu’ils vont se noyer.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Diane Ferraz quitte les Ferris pour élever ses deux gosses. Marsha Hunt la remplace, mais pas longtemps, et c’est Linda Lewis qui entre en lice pour le deuxième album sans titre, un Polydot de 1970. Ce Ferris est nettement moins dense que le premier. Il est surtout un peu proggy, un peu folky folkah, on s’attend à un bel album de Soul anglaise et pouf, c’est raté. Les sauveurs d’album se planquent en B, à commencer par «I Know You Well», belle pop ponctuée par le chat perché de Linda. On a un peu de Soul rock avec «Sunday Times» - Sunday times is on my mind - mais c’est avec «The Ugly Duckings» qu’on se régale, Michael Snow l’attaque, des vents d’orgue magique hantent le cut, et Linda entre à la fin pour le porter aux nues, à la note perlée de lumière, c’est là qu’elle devient notre héroïne.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Elle démarre sa belle carrière solo avec Say No More, un Reprise de 1971. Linda fait partie des artistes qu’on suit, comme on dit, au même titre que Joni Mitchell ou Laura Nyro, parce qu’il se passe des choses extraordinaires sur chaque album. Et pas seulement au niveau de l’interprétation. Linda Lewis compose et gratte ses poux. C’est une artiste complète qu’on est ravi de fréquenter une vie entière. Il y a du beau monde sur cet album : Chris Spedding, et Louis Cenamo, un bassman qu’on retrouve dans Renaissance avec Keith Relf, dans Colosseum et Steamhammer. L’ingé son n’est autre que le fameux Ken Scott qui est derrière Ziggy et Hunky. Cenamo groove «Come Along People» en profondeur, et Linda chante «The Same Song» au fil d’or fin. Elle est éclatante de bonté divine, quasi-évangélique. Quant à Sped, il rentre dans l’eau douce d’«Hampstead Way» avec un gros riff agressif qui lui permet de jouer sur les contrastes. La perle noire de l’album se planque en B : «I Dunno», elle y fait le petit train d’all my love/ I’m gonna give you all my love. Elle s’y connaît en magie, la coquine. 

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Bel album que ce Lark, un Reprise de 1972. On y trouve deux de ses hits, «It’s The Frame» et «Rock A Doodle Do». On s’effare de la pureté de son fil mélodique, elle chante son Frame à la nubilité absolue, accompagnée par un arpège de cristal. C’est avec son Doodle qu’elle attaque la B et tu vas la voir éclater le Doodle. Globalement, elle tape dans le groove exubérant. Cet album est enregistré chez Apple (celui des Beatles) et produit par Jim Cregan. Elle conduit son lard au feeling pur dans «Feeling Feeling» et redore le blason du groove avec «Old Smokey» - I was born east of Old Smokey - Sa voix est à l’image de ses intentions : pure. Elle s’en va gratter «Waterbaby» sous le boisseau, à l’aquatique, et elle termine avec l’excellent «Little Indians».            

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

                  Elle attaque son Fathoms Deep au «Fathoms Deep», c’est-à-dire au filet de voix pop et ça bascule aussi sec dans le groove de jazz. Pure merveille ! Elle groove toujours merveilleusement, dans la joie et la bonne humeur. En B, elle tape un «Guffer» à la Nick Drake, avec une stand-up, et puis voilà encore un hit : «On The Stage», elle attaque en poussant un petit cri de plaisir et pouf, un bassmatic exubérant l’embarque pour Cythère. Ce cut respire une fois encore la joie de vivre, elle est si magnifique quand elle fait exploser de joie.      

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Et voilà, les albums vont se succéder, année après année. En 1974, elle débarque sur Arista avec Not A Little Girl Anymore. Elle est très sexy sur la pochette, et comme le veut la loi de l’époque, elle fait un peu de diskö, mais sa diskö n’est pas vulgaire, au contraire, «It’s In His Kiss» sonne comme de la diskö lumineuse. D’ailleurs, elle attaque l’album en mode pop lumineuse avec «(Remember The Days Of) The Old Schoolyard», elle groove sa pop au funky breaking down. On ne se lasse plus de son petit chat perché, il est si pointu sur «Rock And Roller Coaster». Elle attaque sa B avec un joli coup de génie, «Love Where Are You Now», soft groove infectueux. Elle reste fabuleusement douce et douée, elle s’en va éclater son chat perché au Sénégal. Encore de la pop enchantée avec «I Do My Best To Impress». Cet Arista d’aristo nage dans le bonheur. Linda te transforme en ville conquise. Alors merci Linda.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Si tu veux la voir à poil, sors la pochette de Woman Overbooard. Elle a des seins magnifiques. Attention, l’album est en partie produit par Allen Toussaint, alors fini de rigoler. Le hit se planque au bout du balda : «Dreamer Of Dreams», l’élégance suprême d’Allen Toussaint. Linda tape aussi dans un cut de Van McCoy, «Come Back And Finish What You Started», le dancing cut des jours heureux, comme toujours avec Van the man. En B, Linda signe ce hit fabuleux, «My Love Is Here To Stay». Elle a un sens aigu de la beauté, elle est virtuose en la matière, elle flirte avec Broadway, avec une fantastique assise de fantastique artiste. Elle termine cet album impressionnant avec «So Many Mysteries To Find». Linda reste la reine du soft groove sucré. Ses cuts n’en finissent plus de capter l’attention. Elle va et elle vient entre les reins de l’or du Rhin.    

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Diable comme elle est belle, et ce des deux côtés de la pochette d’Hacienda View, un Ariola de 1979. Musicalement, elle s’y montre superbe de petite fraîcheur. Bon, c’est vrai, ce n’est pas un album indispensable, mais on l’écoute parce que Linda se casse le cul à composer des cuts, alors on lui doit un minimum de respect. Et quand on respecte un artiste, on l’écoute. Elle fait un petit dancing strut d’I’m so alone/ oh mama/ I’m comin’ home dans «109 Jamaica Highway» et elle groove son jazz dans «My Aphrodisiac Is You». Elle revient à Broadway en B avec «It Seemed Like A Good Idea At The Time», elle en a les moyens et les épaules, et elle tape un hommage à Doc Pomus avec une version up-tempo de «Save The Last Dance For Me». Bien vu, Linda ! Elle garde tout le jus de Doc. Et puis voilà qu’elle illumine la nuit avec «Sleeping Like A Baby», mais elle l’illumine au sucre pur. Linda est une fantastique petite souris noire, fluide et fluette, espiègle et sexy.        

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

            Tu vas tomber sur une belle cover de «Take Me For A Little While», si d’aventure tu t’aventures sur A Tear And A Smile, un bel Epic de 1983. Ce «Take Me For A Little While» de l’excellent Trade Martin fut un hit pour Jackie Ross en 1965, puis repris par Evie Sands, puis par le Vanilla Fudge. Linda le tape avec de faux accents de Supreme, c’est dire si ça sent bon le Motown Sound. Elle redevient une divertisseuse de choc avec «Why Can’t I Be The Other Woman» et finit cette belle B en mode slow groove avec «I Can’t Get Enough».     

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Le Second Nature de 1995  pourrait bien être l’un de ses meilleurs albums. C’est là qu’on trouve «Do Ya Know Dino», elle entre dans le Dino darling au prix d’un sexy groove. Son «Love Inside» est une merveille d’exotica, elle se prend pour Astrud Gilberto, elle a quelque chose d’inexorable dans sa façon d’approcher le Brazil. Elle tape ensuite son «Sideway Shuffle» au r’n’b d’hey now now, elle l’éclate vite fait, elle monte chercher le Soul Sister Summit dans le groove, il fallait y penser. Elle fait du wild groove avec «What’s All That About», elle y revient par derrière, à la voix grave, se hausse sur la pointe des pieds et revient au sucre magique. Ah comme on se sent bien en compagnie de Linda. Elle pourrait être une petite fiancée. Ou la mère de  l’univers, ce qui revient au même. Elle enchaîne avec un «Soon Come» assez puissant, très innervé, très intériorisé, et le finit en bouquet explosif. Fabuleuse artiste ! Chaque cut sonne comme une délicieuse aventure. Elle chante encore «Born Performer» au rentre-dedans. Il faut aussi la voir gratter ses coups d’acou dans «For Love Sake», à moitié renversée dans le groove - For love sake/ He touches me - Elle irradie le bonheur, il faut la voir au dos gratter son acou. Quelle image ! Encore une petite merveille avec «Love Plateau» - Take me to the left/ Take me to the right/ Take me to love plateau - Real deal de Brazil.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Elle sort deux double-albums en 1996, Whatever et On The Stage - Live In Japan. C’est l’occasion pour elle comme pour nous de réviser les leçons. Surtout sur le Live In Japan, car elle tape dans tous ses vieux hits, «My Love Is Here To Stay» (un vrai festival), «Old Smokey» (un enchantement), «Do Ya Know Dino» (coup de génie, elle chante la perfection du sucre subliminal - Dino darling/ You’re so charming), «On The Stage» (son entrain est très contagieux, elle sucre son groove de calypso), «Love Inside» (elle va loin, aussi loin que Joni Mitchell) et «Funky Chicken», qu’elle gratte toute seule et qu’elle groove à la Bobbie Gentry.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Whatever est aussi un double qui grouille de puces, suivant le même mode opératoire : groove, sucre de chat perché et douce exotica. Linda propose une belle petite pop tropicale qu’elle saupoudre de swing. Elle remplit ses quatre faces de groove coconut et de vibes exotiques. En C, elle groove sa chique à l’exotica humide avec «Doin’ The Right Thing», et elle passe au funk léger avec «Mr. Respectable». Son «Reach For The Truth» est fabuleusement groovy, drivé par un bassmatic têtu comme une mule. Il faut la voir l’emmener au sommet, en mode gospel batch ! Elle orne sa D d’une version calypso d’«He’s A Diamond» et tient son rang jusqu’au bout avec «Don’t Come Cryin’». Superbe, attachante, magique, elle a toutes les qualités.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             La meilleure façon de refermer la marche est certainement de rapatrier deux beaux albums panoramiques, Live In Old Smokey et Hampstead Days (The BBC Recordings). Les deux albums sont des espèces de must-be musters. Live, Linda semble plus pétillante. Elle entre dans «For Love’s Sake» et «I Don’t Do Don’t» au petit sucre de prédilection. Elle monte son lard au plus pointu du chat perché. Elle est superbe, resplendissante d’ahhh yeah. Elle ne dit jamais non dans «Don’t Do Don’t». Plus loin, elle attaque «I Keep A Wish» au fil magique. Elle semble sortir d’Alice Au Pays des Merveilles, elle est terrifiante de candeur candy, une vraie juvenile d’under the pillow. Elle passe au Brazil avec «Love Plateau», elle ramène l’exotica des îles - Take me to the love/ To the love plateau - Elle groove dans l’ass des îles et elle enchaîne avec une autre merveille, «Do Ya Know Dino», ce soft groove d’élégance suprême qu’elle chantait déjà au Japon. Linda est une virtuose de la glotte humide et rose. Elle a 55 balais quand elle enregistre cet album chez Ronnie Scott. Elle annonce «Rock A Doodle Do» - This is a song I wrote back in the seventies. That was a hit - Ça sonne toujours comme un hit. Puis elle gratte «Grandaddy’s Calypso», elle charge bien sa barque de sucre, et pour finir, elle s’en va rejoindre les reines de Broadway avec «Can’t Help Lovin’ That Man Of Mine». Elle le power de Lisa, elle pousse sa romance assez loin, elle finit par éclater sa noix à force de génie vocal et de man of mine

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Hampstead Days (The BBC Recordings) est un album d’une rare intensité. On y retrouve ses super-hits, «It’s The Frame» et «Rock A Doodle Doo», avec un Doo qui cette fois prend deux o. Elle entre dans sa magie avec une réelle ingénuité. Elle incarne ce qui est indivisible, par exemple la beauté. «More Than A Fool» est une grosse compo, elle éclate la rondelle du Sénégal, elle monte dans l’upper-class. Avec «Red Light Ladies», elle t’éclaire la lanterne, elle te rafraîchit à coups de lay lay, elle est fantastique de chlorophylle, elle gratte ses poux à la dure, elle est dans le Love Supreme, comme Coltrane, et s’en va tortiller son chant là-haut sur les remparts de Varsovie. Linda est franchement irréelle de beauté. Elle peut faire le show toute seule, avec sa gratte. «What Are You Asking Me For» est l’une des raisons pour lesquelles il faut écouter Linda : l’artiste fraîche et géniale par excellence. Elle monte directement au chat perché. Elle dégage une énergie considérable, elle est clairvoyante et écœurante de spirit, elle est pire qu’Alexandre le Grand, elle te prend pour l’Anatolie et te conquiert sans te demander ton avis. Linda est l’une des artistes les plus fondamentales de son époque, elle couvre tous les territoires, rien que par sa virtuosité vocale. «Lark» illustre parfaitement ce postulat. Elle attaque son «Funky Chicken» à coups d’acou et passe au fast groove congénital avec «On The Stage». Elle le prend littéralement à la pointe fine. Elle revient au Brazil avec «Gladly Give My Hand», et se bat pied à pied avec «What Are You Asking Me For», comme elle l’a toujours fait. Tout est beau sur cet album. Elle développe son «Waterbaby» à coups de développements subliminaux. Elle traîne dans la voie lactée avec «Not A Little Girl Anymore», elle sonne comme une Soul Sister perdue dans le jazz, elle a le power du Love Supreme, elle honore le job de Soul Sister. Elle repart fraîche et rose avec «I Do My Best To Impress». Cut sophistiqué, mais sa fraîcheur de ton l’impose. Linda superstar annonce «Love Where Are You Now» au petit sucre. Ah il faut la voir gueuler son love. Elle est au-dessus des lois et des toits. Elle part en mode fast groove pour «The Cordon Blues» - It’s about you, eatin’, drinkin’ or mixin’up together - fast groove de jazz, mais à un point qui te dépasse, elle le pointe au chant comme le fait Ella Fitzgerald, elle a ces réflexes d’un autre temps, dans un environnement de surdoués du jazz, elle tient bien la rampe et te swingue le Cordon Blues à la Méricourt, c’est effarant de power. Elle présente ses musiciens. Les applaudissements te pètent les oreilles. Elle termine avec «It’s In His Kiss», un vieux diskö hit qui date de Not A Little Girl Anymore, mais cette fois, elle explose le dancing beat, elle te tape ça au fast r’n’b, elle court elle court la Méricourt, elle fait les Ronettes sous amphètes, si tu ne veux pas mourir idiot, écoute cette mouture du Kiss, Linda est possédée par les démons, elles pousse des cris d’orfraie, ça patauge dans la déréliction, dans une Berezina d’endives trop cuites, ça part en pointe d’apoplexie, tu ne verras jamais rien de plus explosif que Linda avec un pétard dans le cul.

    Signé : Cazengler, Linda Levice

    The Ferris Wheel. Can’t Break The Habit. Pye Records 1967 

    The Ferris Wheel. Ferris Wheel. Polydor 1970  

    Linda Lewis. Say No More. Reprise Records 1971  

    Linda Lewis. Lark. Reprise Records 1972                

    Linda Lewis. Fathoms Deep. Raft Records 1973    

    Linda Lewis. Not A Little Girl Anymore. Arista 1974 

    Linda Lewis. Woman Overboard. Arista 1977    

    Linda Lewis. Hacienda View. Ariola 1979                

    Linda Lewis. A Tear And A Smile. Epic 1983    

    Linda Lewis. Second Nature. Turpin Records 1995  

    Linda Lewis. Whatever. Sony 1996                                                  

    Linda Lewis. On The Stage. Live In Japan. Turpin Records 1996

    Linda Lewis. Live In Old Smokey. Market Square 2005

    Linda Lewis. Hampstead Days (The BBC Recordings). Troubadour 2014

     

    Peyton c’est du beyton - Part Two

     

    , linda lewis, reverend peyton, hound dog taylor, ehpad, jean knight, crashbirds, ashen, evil's dogs, in der welt, rockambolesques

             On ne se lasse plus d’écouter le Reverend Peyton. Voilà encore quatre albums absolument déterminants, deux albums de hard punk-blues et deux superbes albums de pure Americana.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Attaquons si vous le voulez bien par les deux bombes atomiques, The Whole Fam Damnily et Between The Ditches. Pochette graphique pour le premier, pochette photo-symbole pour le deuxième. Alors boom et même badaboom dès «Can’t Pay The Bill». Ah t’as voulu voir The Whole Fam Damnily, alors tu vas voir Vesoul, dans l’Indiana, tu ne peux pas résister à ça, le Rev te déloge d’une seule rafale de hard punk blues, le Rev, c’est Victor le Nettoyeur dans Nikita, il te déblaye tout, il fait du so far-out à la voix de gras double et au stomp des forges. Il sait déclencher l’enfer sur la terre avec deux fois rien, un beat tribal et son prodigieux présentiel apocalyptique. Sa voix résonne comme un tremblement de terre. Écho terrible ! Dis-toi bien une chose : le Rev ne débande pas, tout l’album est sur le même ton, hot as hell. Il t’explose les frites de «Mama’s Fried Potatoes» vite fait. Le Rev est un acteur de la révolution. Il convole en justes noces avec l’apocalypse. Il n’existe pas de pire punk que le Rev. En plus, il te claque du bottleneck à tire-larigot. Et ça continue avec «Worn Out Shoes» qu’il allume à coups d’harp. Là tu as un héros. Un vrai. Quand tu entends «DT’s Or The Devil», tu comprends que le Rev est un punk dans l’âme, mais enraciné dans le real deal du hard blues. Tout est wild as fuck sur cet album, «Your Cousin’s On Cops» te tombe dessus à bras raccourcis, le Rev ponctue l’enfer, mesure après mesure, c’est un délire de rage permanent, il s’oublie et ça n’en finit plus de basculer dans le génie. Il s’oublie à volonté. Il fait de la fast Americanana avec «The Creeks Are All Bad», c’est battu à la diable. Le Rev est le Nabuchodonosor du punk-blues. «Them Old Days Are Gone» prouve encore son écrasante supériorité. Oh la puissance du démarrage et du gratté, il chante ça à pleine gueule. Son pouvoir est considérable. Il attaque tout de front, il ne craint ni la mort ni le diable. Nouveau coup de génie avec «What’s Mine Is Yours», il est encore pire que Bukka White. Cet album est un chef d’œuvre de wild Americana, l’un des plus beaux hommages à la culture primitive du peuple noir.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             On reste dans le même esprit avec Between The Ditches. Il te sonne les cloches dès «Devils Look Like Angels», il est déjà grimpé au sommet du genre, il tape au cœur du heavy punk blues, au heavy stomp des bois, avec une voix qui te coupe la chique, il actionne son heavy trash tout seul, on entend vaguement Breezy gratter derrière, mais le Rev bouffe toute la devanture. Ici, il devient Gargantua. Même topo avec «Something For Nothing», il t’explose tout ça vite fait à coups de bottleneck. Le Rev est l’un des mecs les plus violents du punk-blues. Il sait couver sous la cendre, il sait faire le nègre qui va se révolter, il sait faire monter la pression, c’est son cœur de métier. Encore un coup de génie avec «Shake ‘Em Off Like Fleas», il amène ça à la Fred McDowwell, au wild craze de Como, pur genius, il reprend toute la Méricourt des blacks à son compte, il monte tout au pire niveau d’alerte rouge, mais pour comprendre ce qui se passe, il faut l’écouter, et certainement pas sur un téléphone. Ce mec a du son, alors il faut du son. Il tape encore «The Money Goes» au heavy punk-blues et aux coups d’harp. S’il est un mec qu’il faut croire sur parole, c’est bien le Rev. Il te combine là une bonne séance de transe. Il réussit à calmer le jeu histoire de mieux exploser. C’est un modèle du genre. Il ramène le pulsatif du fleuve dans «Broke Down Everywhere». C’est cavalé à outrance. Il fait carrément du wild as Rev, avec toute l’énergie de l’Americana. Avec «Big Blue Chevy», il sonne comme Creedence, c’est presque trop rock’n’roll. Il rend hommage à Fog le héros. Il a aussi ce pouvoir. C’est d’une hauteur de vue indescriptible. Il faut le voir gratter la cocote de Creedence ! Son «Shut The Screen» sonne comme l’Americana du diable. Te voilà renseigné. 

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Avec Peyton On Patton, le Rev rend hommage à Charlie Patton. Donc, on se retrouve en pleine Americana, du côté de Dockery, dans les années vingt. Le rev a même glissé un 78 tours, en plus du LP, dans la pochette, c’est dire s’il fait bien les choses. Dès «Jesus Is A Dying Bed Maker», tu sais où tu te trouves : aux racines du blues, mais le Rev a du génie, il te modernise les roots avec le fantastique balancement du chant, il joue à deux notes avec des libellules de bottleneck. Et ça repart de plus belle avec «Some Of These Days I’ll Be Gone». En B, il fait une version banjo de «Some Of These Days I’ll Be Gone». Il claque ça d’une grosse voix d’Indiana. Tout est beau sur cet album, si on aime le blues primitif. Le Rev chante à la vraie voix, avec une gourmandise non feinte. On sent que chez lui le blues est quelque chose de purement spirituel. Avec «A Spoonful Blues», il opère une magnifique descente au barbu. Le Rev n’a pas son pareil.   

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Avec The Gospel Album, le Rev tape au cœur de l’Americana, celle du grand peuple noir.  Il tape une version énorme d’«I Shall Not Be Moved», il invente pour l’occasion le gospel trash-punk, il te blaste littéralement le gospel batch. C’est à la fois spectaculaire et fait maison. L’autre coup de Jarnac est sa cover de «Rock Island Line». Il te l’explose. Ne lui confie jamais ton Rock Island Line. Il gratte «Amazin Grace» à l’hawaïenne sur sa National, et prend «Let Your Light Shine» au chat perché de gros barbu. Il fait encore une version demented de «Glory Glory Hallelujah». Pas de chœurs, rien que de l’huile de coude. C’est battu à la diable. Le mec au beurre est un bon. Il tagadate le beat, et le Rev te chante ça à la revoyure extravagante. Il faut aussi saluer le «Blow That Horn» d’ouverture de bal. Typical Rev des enfers, voix grave, beat tribal, ça sort du plus profond des Amériques. On croit entendre le beat du «Fast Line Rider» de Johnny Winter. Petite cerise sur le gâtö : le label a packagé l’album dans une jolie petite boîte en fer. Tu as donc au total un bel objet, avec un contenu en cohérence avec le contenant. 

    Signé : Cazengler, Révérend Péteux

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Gospel Album. Family Owned Records 2006 

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Whole Fam Damnily. SideOne Dummy Records 2007

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. Peyton On Patton. SideOne Dummy Records 2011

    Reverend Pyeton’s Big Damn Band. Between The Ditches. SideOne Dummy Records 2012

     

    Wizards & True Stars –

    My Hound Dog Taylor is rich

     

    , linda lewis, reverend peyton, hound dog taylor, ehpad, jean knight, crashbirds, ashen, evil's dogs, in der welt, rockambolesques

             Sans Hound Dog Taylor, pas de Gories, pas d’Oblivians, pas de Cheater Slicks, pas de JSBX, pas de rien. C’est lui, Hound Dog, qui invente la formule gratte/gratte/beurre, le raw du raunch, le punk-blues - ferocious blues rock played on cheap guitars - Avec Goodnight Boogie - A Tale Of Guns Wolves & The Blues Of Hound Dog Taylor, Matt Rogers rend hommage à ce blackos qui avant d’inventer le power-trio à deux grattes, réussit l’exploit d’échapper aux cagoulards du Ku Klux Klan. Ça s’est passé dans le Mississippi, l’état le plus raciste d’Amérique, avec l’Alabama.

             Quand il a vu le jour en 1915, à Natchez, Mississippi, Hound Dog Taylor avait six doigts à chaque main. Sa mère passait son temps à recompter. Six et six ! Shit ! Ce genre de malformation est répertoriée, comme le sont les double bites ou les double têtes. Forcément, ça attire la curiosité. Tout le monde allait voir Hound Dog Taylor sur scène à Chicago pour recompter ses doigts. Nous en France, on examinait les pochettes de ses albums parus sur Alligator pour recompter ses doigts et effectivement, sur la pochette du troisième album posthume, Beware The Dog, on voit un sixième doigt à sa main gauche, celle qui tient la clope. Hound Dog a fini par en avoir tellement marre qu’un soir de cuite, il s’est coupé le sixième doigt de la main droite avec une lame de rasoir.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Hound Dog n’a pas eu la vie facile. En 1924, il a neuf ans et son beau-père met ses affaires  dans un sac en papier brun, sort un flingue de sa poche, le braque sur lui et lui dit de se tirer vite fait. Le gosse se barre avec sa sœur. Devenu adulte, Hound Dog fait comme les autres nègres, il bosse aux champs et ferme sa gueule. Il apprend à jouer du piano, puis il commande une gratte chez Sears Roebuck pour 3,25 $, nous dit Rogers qui est bien renseigné. Hound Dog a 20 ans, il admire Lonnie Johnson et Blind Lemon Jefferson. Il est haut et maigre. Il rencontre Elmore James dans le juke circuit. Hound Dog lui montre un cut qui vient de Robert Johnson, «Dust My Broom». C’est Elmore James qui deviendra célèbre avec «Dust My Broom», pas Hound Dog, qui le joue au bottleneck - Wasn’t no silver thing, just a broken off bottleneck. I was playing «Dust My Broom» in 1935. That’s my song. He (James) got the idea from me and put his own words to it. Everybody will say that I play like Elmore, but I don’t play like no damn Elmore. I taught myself everything I know. Started off playin’ slide. Listened to Blind Lemon, Lonnie Johnson, a whole bunch of cats - Et il termine son évocation d’Elmore ainsi : «Elmore was a nice guy, but in his younger days he was mean - just like I was mean - fight, shoot, do anything.»

             Au Mississippi, Hound Dog réussit à faire son petit bonhomme de chemin et à se faire connaître. En 1941, il est invité à jouer au King Biscuit Time, une émission diffusée par une station de radio située à Helena, en Arkansas, juste de l’autre côté de la frontière. L’émission est réputée, grâce à Sonny Boy Williamson II et Robert Lockwood. C’est là que B.B. King fera ses débuts. Hound Dog vit à Tchula, dans une ferme qui appartient à des blancs. Il conduit un tracteur, puis les patrons blancs lui proposent un job de chauffeur. Il doit conduire les gosses des patrons blancs aux surboums locales et les attendre dans la bagnole pour les ramener à la maison. Et bien sûr arrive ce qui doit arriver : une jeune blanche a envie d’une belle bite noire. Comme chacun sait, les relations inter-raciales sont punies de mort dans le coin. Une nuit, les mecs du KKK viennent planter une croix devant la cabane branlante d’Hound Dog et y mettent le feu. Il a juste le temps de se barrer par derrière et de se planquer dans les bois. Hound Dog sait que s’ils le chopent, ils le pendront. Strange fruit. Alors il prend la fuite vers le Nord - He ran like wolves had caught his scent.  

             Il prend un bus et débarque en 1942 chez sa sœur à Chicago. Il doit tout recommencer à zéro. Il a perdu le peu qu’il avait. Il doit trouver un job pour vivre. C’est là, à Chicago, que démarre la grande aventure musicale des HouseRockers, l’un des trios les plus wild de l’histoire musicale des Amériques.

             Rogers réussit l’exploit de nous transmettre avec son petit book toute l’énergie d’Hound Dog. Si le book est tellement spectaculaire, c’est bien sûr parce qu’Hound Dog Taylor est un homme spectaculaire, un homme qui joue une musique spectaculaire, mais aussi un homme traumatisé par la violence des racistes blancs, et qui sut, comme tous les grands artistes noirs, transcender cette terreur du blanc pour en faire de l’art. C’est une leçon qui mérite d’être méditée. Hound Dog invente littéralement le punk blues, il dépouille le blues de tout ce qui ne sert à rien pour ne conserver que le groove, le swing et le grit, il fait, nous dit Rogers, ce que les punks ont fait avec le rock’n’roll - He found ferocity in simplicity - et donc, il fallait inventer un nouveau son et une nouvelle façon de jouer. Kaboom !

             Hound Dog commence par prendre sa gratte et aller faire la manche à Maxwell. Rogers nous dépeint le Chicago des années 40, où tous les blackos jouent du blues au coin des rues pour quelques pièces de monnaie. Hound Dog se fait plus de blé qu’il n’en avait jamais vu - You know, you used to get out here on a good Sunday morning and pick you up a good spot, babe. Damnit, we’d make more money than I ever looked at - Il ajoute que tous les autres étaient là, «Muddy Waters was down there. Wolf was down there. Little Walter was down there. I’m over here. Jimmy Rogers too... And I had the biggest crowd.» Eh oui, Hound Dog n’est pas n’importe qui. Il sait gratter un gritty blues. Il picole, il adore le Canadian Club Rye Whisky, et il drague Freddie qui va devenir sa poule, enfin l’une de ses poules. Il propose de la ramener chez elle un soir - Miraculeusement he didn’t crash the car - Puis il se paye une gratte électrique - A hollow-body Harmony qu’il appelle «Old Mike» - et il devient un bluesman de Chicago.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Il devient pote avec Kid Thomas qui vient lui aussi du Mississippi et qui enregistre sur Federal. Mais ça ne se vend pas. Il demande à Hound Dog de jouer de la basse pour lui. En 1956, le groupe part jouer à Wichita, Kansas. À la fin de set, Thomas disparaît avec le blé du groupe. Baisé. Hound Dog appelle sa sœur Lucy à l’aide. Elle lui envoie les sous pour prendre un bus et rentrer à Chicago. Rogers nous apprend qu’un peu plus tard, Kid Thomas, réinstallé à Los Angeles, allait renverser accidentellement un gosse et le tuer. Quelques mois plus tard, le père du gosse allait choper Kid Thomas dans le parking du tribunal et lui coller une balle dans le crâne.   

             Robert Christgau qualifiait les HouseRockers de «Ramones of Chicago blues». On peut même parler de phénomène unique dans l’histoire du rock américain. Hound Dog, okay, mais aussi Brewer Phillips et Ted Harvey. Pendant des années, Hound Dog cherche des gens pour jouer avec lui. On lui balance le nom de Brewer. Il bosse dans le bâtiment. Il est costaud. Il a des grosses mains. Il joue sur une Tele, avec un son mordant - Sharp metallic edge and crunch - C’est exactement ce que recherche Hound Dog, «the perfect contrepoint to his fuzzy boogie.» Maintenant, il lui faut un beurre-man. C’est à l’enterrement d’Elmore James en 1963 qu’il le rencontre : Ted Harvey qui justement était le beurre-man d’Elmore. Harvey a 45 ans, un an plus jeune qu’Hound Dog. Comme son boss a cassé sa pipe en bois, Harvey est au chômage. Il file son numéro à Hound Dog. Mais il sait que son style trop jazzy ne colle pas avec le rocking blues style d’Hound Dog. Alors il demande conseil à Fred Below, the big-name blues drummer in Chicago (et accessoirement idole de Charlie Watts) : «Man you got to teach me the backbeat.» Below taught him well, ajoute Rogers. Hound Dog est fier de son nouveau beurre-man - He is about the best now - Il a évolué du «fast beat», the jazz drumming, vers le backbeat. Ce genre de détail n’a l’air de rien, comme ça, vu d’avion, mais quand on entend jouer Ted Harvey sur les trois albums des HouseRockers, on comprend mieux.

             Les HouseRockers vont casser la baraque pendant 10 ans à Chicago et ailleurs - Hey! Let’s have some fun! I’m wit’cha baby!», lance Hound Dog pour lancer le set. Une gorgée de Canadian Club, puis un cocktail, et une bière pas dessus et c’est parti ! - À force de fréquenter des génies, Matt Rogers devient un génie : «Taylor and the HoueRockers were big drinkers. They’d get loose, they’d get high, they’d get drunk, and they’d play.» En 1965, ça fait 23 ans qu’Hound Dog est à Chicago et ça fait 8 ans qu’il survit comme musicien pour une poignée de dollars chaque soir. Mais avec les HouseRockers, il devient le roi du monde. 

             La violence est omniprésente dans la vie d’Hound Dog. Parce que le KKK, et parce que Chicago, la ville la plus violente d’Amérique à l’époque où il y vit. On y dégomme des gens tous les jours. Il a toujours un flingue ou un rasoir sur lui. Tom Waits : «Dans le South Side of Chicago, au Cherckerboard Lounge, Hound Dog Taylor jouait pour un public chahuteur. Au premier rang, un poivrot l’asticotait, alors Hound Dog sortit un calibre 38 de sa poche, lui tira une balle dans le pied, remit le calibre dans sa poche et finit la chanson.» Rogers ajoute, tous mots bien pesés : «He was a troubled man in a troubled world.» L’autre plan classique : le patron de bar qui refuse de payer les musiciens. Rogers cite l’exemple d’Old Duke qui sort un flingue et qui leur dit : «You’re not getting any money.» En plus, il tient un chien méchant en laisse. Alors il ne reste plus qu’à partir. Rogers évoque aussi les shootes entre Hound Dog et son premier batteur, Levi Warren. Ils jouent à Florence’s et commencent par s’engueuler. C’est l’escalade verbale. Hound Dog prend sa gratte, Old Mike, et frappe Warren sur le crâne. Il frappe si fort qu’il casse Old Mike. Warren est sonné mais il réagit et file une rouste à Hound Dog. Brewer Phillips intervient et les séparer. Hound Dog est tellement furieux qu’il téléphone à Freddie pour lui dire d’amener son flingue. Pendant ce temps, Warren va dans sa bagnole chercher le sien. Heureusement, quelqu’un a appelé les flics. Rogers nous explique que ce type de soirée qui tourne mal est courante. Levi Warren quitte ensuite la ville pour aller accompagner Willie Mabon à Kansas City. Matt Rogers fait un excellent travail avec son book, il nous fait entrer dans le bar pour assister aux shootes entre Hound Dog et ses musiciens.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Chaque fois qu’Hound Dog et Brewer s’engueulent sur scène, ils posent leurs grattes et vont se battre dans la rue. Ils se crient dessus et frappent. Pour Iglauer, «c’était un mélange d’amour fraternel, de rivalité infantile et de Canadian Club.» Ils ne pouvaient pas s’empêcher de se battre. C’était leur façon d’être. Jusqu’au jour où Brewer quitte le groupe et là c’est la catastrophe, car personne ne peut le remplacer. Il reviendra, bien sûr. Il existe aussi des tensions entre Hound Dog et Iglauer, qui lui non plus, n’a pas de patience. Des ennuis aussi avec Big Mama Thornton qui sort un cran d’arrêt lorsqu’elle croise Brewer Phillips dans un sound check. Elle le confond avec Hubert Sumlin. Et puis un soir, dans une petite fête, Brewer balance des vannes, du genre, «j’ai vu ta femme faire la pute sur la 43e rue», alors Hound Dog sort de la pièce et revient avec un flingue. Hey Brewer ! Bam ! Une première balle dans la jambe. Brewer gueule : «Hound Dog what you shoot me for?», bam, une deuxième balle dans l’épaule, bam, une troisième. Le flingue s’enraye. Il y a de la fumée, du sang par terre, des gens choqués. L’ambulance et les flics arrivent. Hound Dog va au trou, Phillips à l’hosto. Brewer raconte la scène : «Hound Dog m’a tiré dessus trois fois. On commence par s’engueuler. Ça dégénère. And we go to war. Il sait que je peux lui casser la gueule. Si le flingue ne s’était pas enrayé, il m’aurait tué. Le premier coup de feu devait me faire peur. Mais ça ne m’a pas fait peur. Il voyait que je n’avais pas peur. Il m’a tiré dans la jambe. Juste là. La deuxième fois dans l’épaule. Et la troisième fois, dans le doigt.» En fait personne n’est surpris de cet incident. Ça faisait longtemps qu’Hound Dog menaçait de buter Brewer. Tout le monde le savait.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             De tous les blackos de Chicago, le plus violent est sans doute Little Walter. En 1967, Hound Dog est invité à se joindre au American Folk Blues Festival qui tourne en Europe. Il est sixième sur l’affiche et tout seul sur scène. Puis il doit accompagner Little Walter et Koko Taylor, avec Odie Payne on beurre et Dillard Crume on bass. Mais ça se passe mal avec Little Walter. Toujours la même chose : alcool, dope, Little Walter est en plus irascible and quick to fight. Il a le visage couvert de cicatrices. Il porte une bague dont le diamant a la taille d’un glaçon. Little Walter se plaint d’Hound Dog à un journaliste : «Them damn country coons. What’s he doing with me? He ain’t no use at all... damn southern coon!». Quatre mois après la tournée, en février 1968, Little Walter casse sa pipe en bois, suite à une grosse shoote. Internal injuries. Il avait 37 balais. 

             Hound Dog et Brewer Phillips ont pour habitude de se battre. Ça revient constamment dans le récit. Un soir, Hound Dog tente de coller un coup de pied de micro à Brewer qui parvient miraculeusement à l’éviter. C’est le gros pied de micro rond en fonte qui pèse une tonne. Le pied nous dit Rogers fit un énorme trou dans le mur. Ils se tapent dessus, ils sortent les rasoirs, mais ils ne peuvent pas se priver l’un de l’autre sur scène. Ils savent qu’ensemble ils font des étincelles. Mais le succès tarde à venir. Ça fait 18 ans qu’Hound Dog est à Chicago quand il enregistre enfin son premier single «My Baby Is Coming Home»/«Take Five» sorti sur Bea & Baby, Hound Dog a déjà plus de quarante balais.

             Son surnom lui est donné par des potes qui le chambrent gentiment. Comme Hound Dog est toujours en train de draguer, les autres lui disent «You’re always on the hunt, like a hound dog.» Une autre version dit que c’est Magic Sam qui l’a surnommé Hound Dog. Il s’appelle en réalité Theodore Roosevelt Taylor.

             Freddie King est tellement impressionné par son «Taylor’s Boogie» qu’il va pomper le riff pour le recycler dans son «Hide Away» paru en 1961, et sur lequel les guitaristes de blues anglais vont se faire les dents. Hound Dog est plus déterminé que jamais à réussir : si Freddie King peut décrocher un hit with a Taylor tune, alors Taylor peut aussi.

             Hound Dog ne prend pas les blancs du blues au sérieux, ni Mike Bloomcield ni Paul Butterfield qui eux aussi écument les clubs de Chicago : «Can’t no white man sing the blues, and can’t no Negro sing no love song. He can play it. Oh hell yeah. I know some white cats who play some blues. It’ll make you stand up and look... but he can’t sing shit. He just can’t sing it.» Hound Dog nous dit Rogers a fière allure. Il porte toujours des pantalons trop grands, un petit chapeau de jazzman qu’on appelle the pork pie hat, et une chaîne autour du cou. Il fume des Pall Mall à la chaîne. Il enregistre un single avec Marshall Chess, mais ça n’est jamais sorti, car c’est le moment où Leonard le renard casse sa pipe en bois et où Chess disparaît.

             Bon les HouseRockers, c’est bien gentil, mais ça ne suffit pas. Pour faire de l’alchimie, il faut d’autres clavicules, mon petit Salomon. Alors deux blancs vont entrer dans l’athanor : Wesley Race et Bruce Iglauer, deux fans inconditionnels de blues, et surtout des HouseRockers. Race va même réussir à devenir l’ami d’Hound Dog. Race et Iglauer bossent tous les deux chez Delmark, le gros label de blues de Chicago.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Iglauer vient du Michigan et débarque à Chicago en 1969. Il est obsédé par le blues. Pourquoi débarque-t-il à Chicago ? Parce que dans un canard nommé Hoot, un mec dit que pour voir du vrai blues, il faut aller chez Jazz Record Mart et demander Bob Koester. C’est exactement ce que fait Iglauer. Koester et lui deviennent amis. Koester l’emmène dans les clubs. Et comme Koester est aussi boss de Delmark, il fait bosser Iglauer.

             Tout va bien jusqu’au jour où Iglauer voit Hound Dog sur scène at Florence’s - The sounds were so raw and distorded - Il est fasciné - He played fast shuffles, slow shuffles, and medium-tempo Jimmy Reed-style shuffles (known as lump-de-lumps), alternating with driving boogies, grinding stomps and romping up-tempo songs - C’est la fête au village ! Pour Iglauer, c’est «the happiest music I ever heard in my life. It was so infectuous, so rhythmic, it was so much fun. People were dancing in the aisles in front of the band. I fell in love with that band.» Un autre blanc vient assister à TOUS les concerts de HouseRockers, c’est Wesley Race. Hound Dog l’a repéré. Ils deviennent ami, et avec Freddie, Lucy (la sœur d’Hound Dog), la femme de Race, ils créent the HouseRockers Social Club. Il y a de la magie dans cette histoire.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Race et Iglauer papotent. Ils commencent à se dire qu’il faudrait enregistrer les HouseRockers. Et pas pour faire un petit single à la mormoile : non, ils rêvent d’un album. Ils soumettent le projet à Bob Koester qui les envoie sur les roses - It’s not going to happen - Alors que fait-on dans ces cas-là ? On casse sa tirelire et on crée un label. C’est exactement ce que vont faire ces deux petits culs blancs. Ils vont se saigner aux quatre veines. Il reste encore une étape importante : demander à Hound Dog s’il est d’accord pour enregistrer un album. Iglauer pose la question et Hound Dog répond cette phrase magique : «I’m wit’ you, baby, I’m wit’ you.» Iglauer amène les HouseRockers chez Sound Studios, sur Michigan Avenue. Il faut aussi trouver des titres pour les instros qui n’en ont pas. Matt Rogers sort le Grand Jeu : il donne tous les détails : Hound Dog gratte une Kingston guitar branchée sur un Sears Roebuck Silvertone amplifier, le même ampli que celui du grand Reverend Peyton. Brewer gratte sa vieille Tele et Ted Harvey bat son beurre sur son Slingerland drum set. L’ingé-son est un vétéran de toutes les guerres, un crack nommé Stu Black qui a bossé pour Chess et Delmark - I’ve done it all, from Howlin’ Wolf to Steppenwolf - Il presse le bouton «record» et bam, c’est parti ! Comme Hound Dog a besoin d’un public pour jouer, Race sort de la cabine de contrôle et prend une chaise, pour s’asseoir près de lui. Alors les HouseRockers se sont mis à jouer «like it was a wild Sunday». Merci Matt Rogers de nous amener dans le studio. En deux sessions, ils enregistrent 25 cuts.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Premier album absolument dément. Il sort en 1971. Il n’a coûté que 970 $. En plus, Iglauer verse 480 $ à Hound Dog pour les sessions (à quoi vont s’ajouter les royalties à venir) et 240 $ chacun, à Ted Harvey et Brewer. Après avoir payé les HouseRockers, il crée Alligator Records. Pour lui, le son d’Hound Dog est unique - Personne ne peut jouer comme lui, tous ces mecs peuvent jouer ses licks, mais pas sa musique. Car ils n’ont pas conduit un tracteur dans le Mississippi ou vu une croix en feu dans leur jardin ou dormi dans un fossé de drainage. Et je suis prêt à parier qu’aucun autre musicien ne peut jouer en buvant du Canadian Club du matin au soir - Toujours dans l’émerveillement, Iglauer ajoute : «Hound Dog était incroyablement fier. Le projet l’enchantait : enregistrer un album entier, avoir sa photo sur la pochette, voir des gens venir le trouver pour signer des autographes. He was sitting on top of the world. Il n’en revenait pas quand je lui ai versé les royalties.» Pour une fois, un petit cul blanc bosse proprement et ne prend pas les nègres pour des vaches à lait. C’est important de le signaler. Et c’est toute la différence avec les frères Chess qui ont d’abord pensé à leur gueule.

             Hound Dog Taylor And The HouseRockers est l’un des grands albums magiques de l’histoire du rock. À cause du contexte décrit ci-dessus, mais aussi et surtout à cause des cuts. Quelle pétaudière ! Iglauer est très fier d’en vendre 9 000 exemplaires la première année. Hound Dog nous met aussitôt à l’aise avec «She’s Gone», un boogie saturé joué à deux guitares. Ils rockent leur chique hard. Du vrai trash. Hound Dog pouvait jouer trois heures d’affilée sans s’arrêter. Ils tapent plus loin un heavy blues pleurnichard, «Held My Baby Last Night» et le plongent dans une friture de sature immature. C’est joué sur la corde basse et slidé crade. Mais vraiment crade. Ça sent bon l’Elmore. Hound Dog adore jouer hard and loud, selon son expression. Il adore aussi le Canadian Club, les armes et les femmes. On n’entend que ça dans sa musique. Il arrose «It’s Alright» de grosses giclées de trash guitar. Ils gorgent leur dirty boogie de dirty disto. Les solos sont concassés dans la structure. Hound Dog invente tout. Les rockers blancs n’ont fait qu’essayer de l’imiter, sans jamais y parvenir. Retour à l’Elmore avec «Wild About Baby», mais avec encore plus de panache. Hound Dog tape «I Just Can’t Make It» à la sauvette, il chante à la volée et on a bien le son des deux grattes vérolées. Puis il nous refait le coup du Heartbreaking Blues avec «It Hurts Me Too». Véritable apanage des alpages du heavy blues vinaigré à la disto. Ils te swinguent ensuite «44 Blues» à la Méricourt. Ted Harvey le bat si sec ! Perle rare. S’ensuit le gros classique d’Hound Dog, «Give Me Back My Wig», emmené à train d’enfer. Quel ramshakle ! Jamais vu un tel bordel ! Phillips passe un solo demented en morse. Ces trois blackos sont les vrais punks. 

             Hound Dog respecte tellement Iglauer qu’un soir, il lui dit : «Don’t spend your whole life hanging around with peopel like us.» Hound Dog pensait qu’Iglauer méritait de meilleures fréquentations que ce trio de trashers black incultes et alcooliques. Iglauer dit que ça lui a brisé le cœur qu’Hound Dog lui fasse un tel aveu. Matt Rogers dit qu’Hound Dog continue de faire des cauchemars, poursuivi par des loups et des chiens, alors il dort avec la télé allumée.  Il n’est bien que sur scène, avec les HouseRockers et un public venu faire la fête.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             En tournée, c’est souvent Brewer qui conduit, car Hound Dog ne sait pas trop lire les panneaux. Et puis il est tout le temps en train de siffler son Canadian Club. Il ne bouffe rien. Brewer sait lire une carte. Ils roulent dans la Cadillac de Ted Harvey - They were doing it in style - Tous les trois, avec Iglauer. Direction la côte Est. C’est magnifiquement raconté. Matt Rogers donne une foule de détails tragi-comiques. On se croirait dans l’On The Road de Jack Kerouac. Des détails du genre : Hound Dog rentre de tournée et un gros paquet l’attend chez lui. C’est sa guitare Teisco qui lui avait été barbotée à Gary, dans l’Indiana, le mois précédent. Il y avait un petit mot dans le paquet qui disait que la guitare était too hard do play, so they were returning it.

             Hound Dog s’est forgé une réputation de bad ass guy. Quand il arrive en ville, les gens disent «Hound Dog’s coming». Les gens avaient un peu peur de lui. Même Wolf disait ça : «Hound Dog’s coming». Matt Rogers note aussi qu’il existe une connexion entre Hound Dog et Wolf. Wesley Race a une explication : «Wolf était traumatisé à l’armée, et on l’a laissé partir pour des raisons psychiatriques. Alors il se voyait comme une sorte de misfit. Et comme il voyait les deux mains à six doigts d’Hound Dog, ça créait un lien.» Wolf voyait Hound Dog comme un misfit. George Thorogood note que sur scène, Hound Dog et Brewer vont parfois jouer derrière leurs amplis. Il ne comprend pas. Il n’a encore jamais vu ça. Alors il leur demande pourquoi ils font ça et Hound Dog lui répond : «You don’t want to sit in front of the amplifier. It’s too fucking loud.» Thorogood dit aussi qu’il ne connaît personne qui puisse jouer sur scène avec autant d’alcool dans le sang. Lors d’un concert à Boston, Brewer est tellement rôti qu’Hound Dog demande à Thorogood de le remplacer. Pour Thorogood, c’est le moment le plus important de sa vie : taper avec Hound Dog et Ted Harvey une cover de «Boogie Chillen». Sur scène, Hound Dog adore présenter son groupe : «I want to introduce you to our drummer, Ted Harvey. And my guitar player, lead and bass, Mister Brewer Phillips. And honey, eveybody know the Hound!». La classe. L’épouvantable classe !  

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Le deuxième HouseRockers s’appelle Natural Boogie. Les choses sont claires. On sait où on va. Robert Christgau dit d’Hound Dog qu’il est «a spiritual and cultural miracle». Ça commence à chauffer avec «See Me In The Evening». Les HouseRockers rockent the house, pas de problème. C’est une violente démonstration de swing, avec un côté cabane branlante dans le son. Hound Dog attaque son solo violemment, très bas. Chapeau, chaussettes, tout est là. Comme chez Wolf et John Lee Hooker, on ne voit que les chaussettes. Et dire qu’ils n’en portaient pas quand ils étaient gosses. Hound Dog est un fabuleux boogie man. Nouvel Heartbreaking Blues avec «Sitting At Home Alone», son de rêve, incroyablement sale. Un vrai cœur de métier. Ils redeviennent les rois de la désaille avec «One More Time». Nouveau shoot d’hysper-fast boogie en B avec «Roll Your Moneymaker», wild at heart, puis boogie déjanté avec «Buster’s Boogie». Il sait aussi faire le rampant, avec «Sadie» - I don’t love no one but you/ Dog cry I cry all night long - Il rend encore hommage à Elmore avec «Talk To My Baby», un look-alike de «Dust My Blues», mais ils ont une façon d’entrer dans le son qui vaut tout l’or du Rhin. Structure classique mais attaque géniale.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Avec ses trois coups de feu, Hound Dog envoie donc Brewer à l’hosto. Hound Dog sort du trou sous caution et veut continuer à jouer. Il demande à Iglauer de trouver un remplaçant. Iglauer propose à Magic Sam de remplacer Brewer, mais Magic Sam décline l’offre. Il a déjà son groupe. Mais c’est là qu’Hound Dog tombe malade. Il s’est chopé un petit cancer du poumon. La picole et les clopes. Ça va lui permettre d’échapper au tribunal pour homicide. Tous ses amis viennent le voir à l’hosto, Iglauer, Race, Harvey, et puis aussi Freddie et Lucy. Tout le monde sauf Brewer. Hound Dog insiste pour le voir, mais quand il était lui-même à l’hosto plus tôt dans l’année, Hound Dog n’est pas venu le voir. Alors Brewer fait pareil. Puis il finit par avoir pitié d’Hound Dog et il va le voir pour lui accorder son pardon.  

             — Nous ne sommes pas des chiens !, lance Brewer

             — Moi si !, répond Hound Dog.

             En le voyant dans cet état, Brewer comprend qu’Hound Dog ne sortira pas vivant de l’hosto. Hound Dog lui dit qu’il a une idée pour le groupe et lui demande de revenir avec Ted. Brewer lui dit qu’il revient avec Ted jeudi. Ils se serrent la main. Brewer dit :

             — I’ll see you, Jack. Hang in there.

             — Don’t worry. I’ll be around.

             Hound Dog ouvre les bras pour une accolade. Brewer se penche et le serre dans ses bras. Fantastique. La scène te fout par terre. Tu n’es plus dans le rock, tu es dans l’humain, dans ce qu’il y a de plus important au monde. Hound Dog a encore assez d’énergie pour serrer Brewer très fort contre lui. Brewer sent les ongles d’Hound Dog s’enfoncer dans son dos. Instinctivement, il comprend que c’est la dernière fois - It was the hug of a dying man - Matt Rogers fait là des pages spectaculaires, il tente de décrire les derniers instants d’Hound Dog qui voit défiler tout le chaos de sa vie - les loups, la croix du KKK, la violence urbaine de Chicago, la pauvreté, l’alcoolisme, la colère, le chaos, toujours le chaos, et il sombre dans le coma - Le 17 décembre 1975, Hound Dog s’en alla retrouver Kid Thomas et Little Walter et Elmore James et Robert Johnson et Peetie Wheastraw et Charley Patton - Et Rogers ajoute à la suite un autre symbole, celui qu’on entend sur Natural Boogie à la fin de «Goodnight Boogie», c’est-à-dire le dernier cut qu’il enregistra : on l’entend dire effectivement «Goodnight baby». Last words, of a kind.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

              Hound Dog : «When I die, don’t make a funeral. Have a party.» Alors, pour se remonter le moral, on peut écouter Beware The Dog. Hound Dog a cassé sa pipe en bois quand paraît Beware The Dog en 1976. C’est un album live. Boom ! «Give Me Back My Wig» ! Il faut entendre ce démon de Ted Harvey battre le beurre ! Hound Dog passe ensuite au big bad blues avec «The Sun Is Shining» et laisse son empreinte digitale dans le gamut spatio-temporel. Il sort une telle bouillie de son ampli crevé ! Il joue à la solace du grand Elmore. Attention avec «Kitchen Sink Boogie» ! Brewer joue lead. Il va partout, il rajoute des notes dans sa fluidité. Il en rajoute encore et encore. Une vraie plaie. Un jour sans fin. Une véritable incontinence. Un pluvieux, un déréglé, un pied dans la porte, celui-là ! Ils passent au country boogie blues avec «Comin’ Around The Mountain». Personne ne savait que ce genre existait. On trouve encore deux énormités en B. «Let’s Get Funky», proto-punk de Chicago, retentissant masterstroke, fabuleux de tension hypnotique, du Dog des enfers, joué à l’emporte-pièce. Hound Dog connaît forcément le North Mississippi Hill Country Blues pour jouer un truc comme ça. Il est tellement en avance sur son temps, il se marre - you alright ? Yeah ! - L’«It’s Alright» qui suit est une leçon de swing suprême donnée par le power-trio des origines du monde. C’est le boogie raw to the bone à deux grattes. Ted Harvey te bat ça souple. Les HouseRockers sont faramineux. Ils ne se connaissent pas de frontières. Pour eux, seul compte le son. Punk blues and attitude. On comprend qu’Iglauer se soit englué dans les HouseRockers. Et puis tu as les pochettes. Ça fait donc trois places réservées sur l’île déserte.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Les jusqu’au-boutistes d’Hound Dog iront aussi écouter la Deluxe Edition du premier album parue en 1999, pour se régaler du son remasterisé. C’est l’un des plus beaux disks qu’on puisse s’offrir. Puisque tout l’art du trio repose sur le son, le remastering donne des ailes aux vieux cuts d’Alligator. Il suffit simplement d’écouter «Wild About You Baby» pour tomber de sa chaise. Le son est sali à l’extrême. On retrouve la splendeur frelatée de «The Sun Is Shining» et «Roll Your Your Moneymaker» prend une allure de monstruosité cavalante. On retrouve aussi le swing outrancier de «Give Me Back My Wig» et «See Me In The Evening» est encore plus sournoisement beau que dans la version de 1974. On y goûte l’exemplarité de l’insidieux, le blues à ras la motte, très inspiré, contrôlé, humide et vibrant de pulsions animales. Leur version du «What’d I Say» de Ray Charles est rockée jusqu’à l’oss de l’ass. Avec «Rock Me», Hound Dog embarque tout le monde au foutoir. C’est un primitif qui sait rouler un heavy blues dans sa farine, voilà tout. Abominables giclées de slide dans «Take Five», puis boogie blues à la Hooky avec «She’s Gone» et enfin clin d’œil à Elmore avec «Ain’t Got Nobody». Hound Dog Taylor nous aura fait les quatre cents coups.

    Signé : Cazengler, Hound Dog t’aï l’heure ou t’aï pas l’heure ?

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. ST. Alligator Records 1973

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. Natural Boogie. Alligator Records 1974

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. Beware of The Dog. Alligator Records 1976

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. De Luxe Edition. Alligator Records 1999

     

     

    L’avenir du rock –

    EHPAD problème

     

             De temps en temps, l’avenir du rock se rend dans l’EHPAD du rock pour passer un moment avec quelques vieux copains. Ce sont toujours des moments joyeux. Pas de pathos. Rien que de l’énergie et des puits de connaissance. S’il t’accorde sa confiance, l’avenir du rock te dira que ces visites lui remontent le moral. Chaque fois, il a nettement l’impression d’entrer dans la cambuse d’une frégate de flibuste, ah il faut les voir, ces accidentés de la route du rock, ils ont les pattes qui flageolent un peu, le petit filet de bave aux lèvres, les mains qui bloblotent, mais côté ciboulot, ça turbine comme un réacteur de centrale nucléaire. Eh oui, ce carré d’as concentre un sacré morceau de la légende du rock : Dave Brock, Ian Hunter, David Thomas et Paul Simon savent encore se tenir. Ils savent qu’ils sont entrés dans la zone rouge, mais pas de problème, ils attaquent l’apéro au rhum et trinquent à la santé du Capitaine Flint. L’avenir du rock adore trinquer avec eux. Ils rigolent de bon cœur et racontent des souvenirs d’aventures tous plus extraordinaires les uns que les autres. Ils ont fait la légende du rock et le plus étonnant, c’est qu’ils continuent de l’alimenter. Chacun à sa façon. En bon débonnaire, l’avenir du rock leur dit qu’ils ont encore tout l’avenir devant eux. Puis il leur demande s’ils avancent sur de nouveaux projets, ce qui les fait bien marrer, car ils ne savent faire que ça, lancer des projets, alors ils remplissent les verres et charrient l’avenir du rock :

             — Ah ce que tu peux être con, avenir du rock ! T’as de ces questions !

             — Pas facile d’être au niveau de vieux crabes comme vous...

             — Mais non, t’as rien compris. Regarde-nous ! Est-ce qu’on la ramène ?

             L’avenir du rock comprend qu’il a encore perdu une occasion de fermer sa gueule. Il ne faut jamais faire semblant de s’inquiéter pour des gens qui n’ont pas besoin de ça. C’est une insulte à leur intelligence. Alors les quatre vieux crabes lèvent leurs verres et lancent à l’unisson :

             — EHPAD problème !

     

    , linda lewis, reverend peyton, hound dog taylor, ehpad, jean knight, crashbirds, ashen, evil's dogs, in der welt, rockambolesques

             L’avenir du rock quitte l’EHPAD du rock sacrément ragaillardi. D’autant plus ragaillardi que ses quatre amis lui ont filé leurs derniers albums respectifs. Donc fauteuil, casque, rasade, écoute.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Comme chacun sait (ou ne sait pas), Ubu n’est jamais loin de Dada. Il en est même le Daddy. Boby (Lapointe) se serait bien amusé avec le Daddy de Dada, lui qui clamait haut et fort qu’avanie et framboise étaient les mamelles du destin. Ubu ramène son gros cul frippé et ses yeux pochés avec Trouble On Big Beat Street, du Dada pur et dur. Ubu travaille à l’artistique élastique exacerbée, l’apanage du Dada strut. Il travaille son argile au vinaigre. Il se veut âcre, le vieil empoté. Si tu n’es pas convaincu de la pureté de son dadaïsme, alors écoute «Nyah Nyah Nyah», qui est beaucoup plus grotesque. Ça a la forme d’un chou-fleur, avec un chant atroce. Oh mais ce n’est rien à côté de «Let’s Pretend», il croone comme un Bryan Ferry qui aurait un balai dans le cul, alors ça dépasse vite les capacités de ta sagacité. Encore plus weird : «Nothing But A Pimp» joué aux accords brutalement rabotés et ça continue de se déliter avec «From Adam», real deal de tourne-pas-rond. C’est pour ça qu’on est là, alors on ne va pas aller se plaindre. Globalement, Ubu règne encore en despote sur sa cavalerie de vieux crabes. Michele Temple est toujours là. Et les autres aussi. Ubu est tellement con qu’il s’imagine que le post-punk exacerbé intéresse encore les gens. Alors ça s’arrête et ça repart, comme à la pire époque. Mais mine de rien, tu plonges avec ravissement dans sa littérature frelatée d’hanging around. C’est malheureux à dire, mais ce gros escogriffe est essentiellement littéraire, comme le montre «Movie In My Head» - You see me coming/ You see me walking down the street - C’est très américain. Il rend hommage à Robert Johnson avec «Worried Man Blues», il chante à la pure Méricourt. Ubu, c’est toujours très spécial. Quand il plonge dans le satanisme sonique avec «Satan’s Hamster», ça fume. C’est plein de bad vibes à la Polanski. Pure hell ! Tu entends la voix du diable dans le chaos des enfers d’Ubu. Avec «Crazy Horses», il passe en mode heavy tagada Ubu, il chante d’une voix de vieux bouc dégoûtant, mais avec la force tranquille de François Mitterrand. Ah tu peux lui faire confiance, il te coule un bronze fumant quand il veut. 

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Rien qu’à le voir sucrer les fraises, on ne le soupçonnerait jamais d’enregistrer encore à son âge d’aussi bons albums : Ian Hunter aura passé sa longue vie à édifier les édifices et à horrifier les orifices. D’où le titre de son nouvel album : Defiance Part 1. Un Part 1 qui en annonce un suivant, miam miam, et, petite cerise sur le gâtö, ça sort sur un label Sun ressuscité d’entre les morts. Avant de commencer à l’écouter, pince-toi pour être bien certain de ne pas rêver. L’Hunter-minable attaque son morceau titre en mode brillant fast rock. Le seul défaut, c’est qu’on y entend Slosh. Slosh, c’est encore pire que Stong ou Bonobo. Après, ça va mieux. L’Hunter-continental trempe dans le Dylanex avec «Bed Of Roses», comme au temps béni de Guy Stevens. Le vieux est braqué sur le passé, tare classique chez les vieux schnoques. Il invite Johnny Depp et Jeff Beck à jouer sur «No Hard Feeling». Le Beck tape son coup, il passe un solo de roi des îles, il sort le grand jeu, coups de wah et descente au barbu. L’Hunter de Milan bascule dans la magie. Il revient à Mott et à sa chère vieille Stonesy avec «Pavlov’s Dog». Guy Stevens voulait un cross Dylan/Stones et l’Hunter-national l’a incarné on peut dire à merveille. Et puis voilà Todd Rundgren sur «Don’t Tread On Me». Incroyable que Todd soit de la partie ! L’Hunter-marché allume bien au chant et Todd amène le surplus. Franchement, l’Hunter-cité sait composer. Tout est énorme sur cet album. Il y va le vieux crabe. L’«I Hate Hate» flirte avec le pur genius. Il invite Waddy Watchel à jouer sur «Angel». L’Hunter-mittent sait caler sa chique. Watchel joue les arpèges du paradis, ça s’élève largement au-dessus de la moyenne, même si, mélodiquement, c’est cousu de fil blanc. Voilà le hit de l’album : «Kiss N’ Make Up» avec Billy Gibbons. C’est tout suite allumé du Zizi. Ils vont bien ensemble, les vieux pépères. On assiste à l’alliance incertaine du British punter et du Texas rambler. Et là tu as le vrai son. Le Zizi enfonce son clou râpeux. L’Hunter-ligne finit en mode heavy boogie avec «This Is What I’m Here For», c’est son cœur de métier, le sel de sa terre, la prunelle de ses yeux globuleux, ah comme il est bon, il a toujours su chauffer le cul d’un cut, Guy Stevens l’avait bien compris.  

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Il a l’air lui aussi complètement gâteux, le vieux Brock, mais si tu écoutes le dernier album d’Hawkwind, tu vas dresser l’oreille. The Furure Never Waits compte parmi les merveilles révélatoires de l’an 2023. Quel album ! Ça grouille de poux et d’outer-space, l’Hawk continue de fourbir son vieux bizz de buzz et pouf, voilà «The End», pur jus de Brock, ça gratte sec, Brock te refait le coup du big Hawk et ça vire proto, poto, t’en reviens pas ! Back to Notting Hill Gate 69, back to the wild as fuck des dopes et des domes, des ducks et des dudes, du doom et du moon, il faut voir l’Hawk plonger ses racines dans le vieux proto, ils connaissent par cœur l’équation magique : proto + punk = trente-six chandelles. C’est inespéré de pur genius d’Hawk sur le tard, ils descendent au barbu du meilleur rock anglais. Ces mecs vont vite en besogne, malgré leur âge avancé. Si tu te fais du souci pour l’avenir du rock, laisse tomber, tu as là du grand art de vieux briscards. Voilà qu’ils tapent le jazz-funk avec «They’re So Easily Distracted». Aucun problème d’articulation ni de circulation. Hawkwind reste aussi un groupe extrêmement sophistiqué. Ces mecs-là ne rigolent pas. Retour au proto avec «Rama (The Prophecy)», mais du proto de space rock, leur cœur de métier. Le vieux Brock reste dans l’esthétique Notting Hill Gate. Il reste un adepte de la prescience, alors à 80 balais, il y va de bon cœur. Prends exemple, amigo. C’est vite emballé et flanqué de tout le son du monde libre, tu ne battras jamais l’Hawk à la course. Ils finissent encore une fois par sonner comme des punks, ils grattent sans fin le ramalama d’Angleterre. Te voilà plongé dans le real deal. L’«USB1» rejoint les grands cuts de l’Hawk au paradis du space-rock et «Outside Of Time» explose littéralement sous tes yeux. Ils font du lard total, ça devient énorme, sidéral, avec des descentes spectaculaires, tu peux même écouter ça à jeun, tu voyages, c’est vertigineux, une authentique échappée belle, l’Hawk reste un groupe passionnant, aussi passionnant qu’au premier jour. C’est stupéfiant de grandeur marmoréenne, et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Tu entres à nouveau sur le territoire de l’Hawk avec «I’m Learning To Live Today», c’est taillé dans une haie de riffs énormes, ça vibre de génie sonique, ils te fondent ça au mou dans l’œuf du serpent, back to Notting Hill, baby, mais avec de la grandeur apoplectique, ils t’envoient directement dans l’espace en perpétuant le riff ad vitam. Le vieux Brock termine cet album ahurissant avec «Trapped In This Modern Age» qu’il te claque en direct. Il n’en a plus rien à foutre. Il est entré dans la légende.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Et puis voilà l’autre asticot, Paul Simon. L’un des canards anglais a collé un 10/10 à son dernier album Seven Psalms, alors on est allé voir. Toujours la même voix et les grattés de poux sophistiqués. Il trace sa trace. Il attaque avec «The Lord» - The Lord is a virgin forest - Rien de plus que ce qu’on sait déjà. Pour la magie, il faudra repasser un autre jour. Il fait son petit biz. Ça peut durer une éternité, avec des mecs comme lui. Il enchaîne avec «Love Is Like A Bread» qu’il chante à l’agonie. On le sent aux abois. Mais aucune magie à l’horizon. Ça commence à sentir l’arnaque avariée. Avec les vieux, il faut faire gaffe. Ils peuvent te claquer dans les pattes. Tu veux zapper. Impossible. Ça reste sur le 1 ! T’es baisé. T’es obligé de tout écouter, même si ça ne te plaît pas. Tu maudis le journaliste anglais qui a collé 10/10 à ce tas de mormoille. Du coup on est obligé d’écouter toutes les conneries de cette vieille moute, et ça devient vite insupportable. Plus rien à voir avec «The Sound Od Silence» et «Homeward Bound». Il entre dans la forgiveness avec «Your Forgiveness», mais on ne lui fait pas confiance. Vieux pépère pitoyable, ridicule, avec sa vieille guitare. Rien que de la pipe en bois en devenir. On s’ennuie comme un rat mort. Popaul est d’un ennui mortel. Quelle arnaque intolérable ! Mine de rien, le label qui a tout mis sur la piste 1 a réussi à couler un Popaul en panne d’inspiration. Coulé, comme à la bataille navale.

    Signé : Cazengler, bon pour la casse

    Pere Ubu. Trouble On Big Beat Street. Cherry Red 2023

    Ian Hunter. Defiance Part 1. Sun 2023

    Hawkwind. The Furure Never Waits. Cherry Red 2023

    Paul Simon. Seven Psalms. Owl Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Strangers in the Knight

     

             Rendez-vous avait été fixé par elle sur la place d’un village perdu au fond de l’Essonne, quelque part au diable Vauvert. Comme il venait du grand Ouest francilien, le périple représentait plus d’une centaine de kilomètres. Il faillit bien arriver en retard. Il fit son entrée dans le village à grande vitesse et à l’heure dite. Il trouva sans mal la place de la mairie et aperçut au loin cette très jolie blonde négligemment adossée à sa voiture de sport. Ses yeux clairs dardaient. Son front lisse quasiment dépourvu de sourcils accentuait jusqu’au délire le côté extrêmement perçant de son regard. Elle avait un petit côté slave à la Marina Vlady. Elle dégoulinait tellement de sensualité qu’elle frisait l’image d’Épinal. Leur premier échange de regards fut celui de bêtes fauves. Ils se toisèrent longuement, à courte distance. Il s’en fallut de peu qu’ils n’allassent se flairer. Se dressait là une belle louve dans la pertinence de sa quarantaine. Ses cheveux blonds étaient tirés vers l’arrière et le manteau sombre qu’elle portait enveloppait son corps de mystère. Sans transition, il exprima le désir de boire un verre, car disait-il, la traversée de la Sierra Das Mortes avait été un enfer - J’ai le gosier aussi sec que le cul du diable ! - ce qui la fit sourire. Elle indiqua qu’à cette heure, la seule taverne des alentours avait fermé ses portes et donc, elle proposa d’aller boire un verre chez elle - J’habite à deux pas ! - Alors d’accord ! Les deux voitures prirent la direction du soleil couchant et allèrent s’échouer mollement devant une maison isolée qui ressemblait à celle d’un garde-barrière. Ils entrèrent et furent accueillis par une belle odeur de moisi. Les murs de l’entrée étaient littéralement rongés par une lèpre d’humidité. Les pas y résonnaient. Le salon se fit plus accueillant, tout en longueur, douillet, bien chaud. De grosses poutres anciennes en ornaient le plafond, campagne oblige, et une banquette cossue tendait ses bras de chêne verni. Impossible de lui résister. Elle proposa l’habituelle collection d’apéritifs en tous genres. Il opta pour le scotch. Elle prit place en vis-à-vis et la conversation roula gaiement sur les collines rebondies de sujets variés. Elle se trémoussait en jupe de cuir assez courte. Au troisième verre de scotch, il lui proposa de changer de côté pour venir s’installer à côté de lui sur la banquette. Elle ne se fit pas prier. Dix secondes plus tard, il indiqua qu’il crevait d’envie de lui rouler une pelle. Il mit tant de sincérité dans sa requête qu’elle accepta sans discuter. Puis les langues s’en mêlèrent. Il perçut en elle l’imminence d’un orage. Pour corser l’affaire, elle offrait le spectacle d’un décolleté vertigineux. Elle bomba même le torse pour faciliter les initiatives. En matière de  préliminaires, elle pulvérisait tous les records. Les deux libidos rissolaient dans leur jus. Il s’octroya une reconnaissance sous le cuir de la jupe. Elle desserra les cuisses et il glissa un doigt sous la dentelle d’une culotte minimale. Il s’arrêta immédiatement - Tu es rasée ? - Elle plongea son regard perçant dans le sien - Ben oui. T’aime pas ? - Il se versa un verre de scotch et le remplit à ras bord, avant de s’élancer dans un couplet alchimique sur le thème de la Toison d’Or - Hermès Trismégiste insiste beaucoup sur ce point dans ses Tables d’Émeraude ! - Elle ne comprenait rien. Il vida son verre, se leva et avant de quitter la pièce, lui dit : «Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. N’oublie jamais ça !»

    , linda lewis, reverend peyton, hound dog taylor, ehpad, jean knight, crashbirds, ashen, evil's dogs, in der welt, rockambolesques

             Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Jean Knight n’est pas un mec. Elle n’est pas non plus alchimiste, même si son nom la relie plus ou moins directement à la chevalerie et donc à l’âge d’or de la Toison d’Or.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             La confusion vient de la pochette de Mr Big Stuff. Chaque fois qu’on croisait cet album dans un bac Soul/funk, on croyait que Jean Knight était le gros lard qui se pavane sur la pochette. Non, Jean Knight est une petite blackette originaire de la Nouvelle Orleans, découverte par Wardell Quezergue et lancée par les cocos de Malaco. «Mr Big Stuff» fut d’ailleurs l’un des premiers hits enregistrés chez Malaco, avec le «Groove Me» de King Floyd. La particularité de «Mr Big Stuff» est d’être monté sur les accords de «Walk On The Wild Side», même torpeur groovytale - Who do you think you are ? - La jeune Jean remet le gros lard en place. On trouve un petit coup de génie en fin de balda, «Take Him (You Can Have My Man)», heavy Soul de Malaco r’n’b claqué au riff vengeur. La jeune Jean flirte avec le génie du Black Power. On la voit aussi à l’œuvre sur «Don’t Talk About Jody». La jeune Jean est une bonne Soul Sister, une fière danseuse. On retrouve l’excellent Malaco r’n’b en B avec «Call Me Your Fool (If You Want To)», un r’n’b bien foutu et qui n’a pourtant rien à voir avec celui des voisins d’Hi ou de Stax. Il sonne différemment : la jeune Jean amène tout simplement une coloration New Orleans. On se régale aussi d’«One Way Ticket To Nowhere», ça reste de très haut niveau.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

              Malgré sa belle pochette, l’album de Jean Knight & Premium Keep It Comin’ est raté. Trop diskö pour les gueules à fuel. Il faut attendre «What Are We Waiting For» pour revenir au groove de la Nouvelle Orleans, mais ça vire atrocement diskö. Au vu de la pochette, on croit choper un bel album de Soul, mais pas du tout. On chope surtout une belle déconvenue. Le cut sauveur d’album se planque en B : «Anything You Can Do». C’est le funk qui sauvera le monde ! 

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             My Toot Toot paraît en 1985. Allen Toussaint est dans le coup, alors c’est du tout cuit. On a là un pur album New Orleans. Le morceau titre en est l’un des emblèmes - Dont mess with my toot toot - Fantastique beat cajun ! Elle retape son «Mr Big Stuff» au ah-ah yeah et les chœurs font ouuuh ! Ah il faut voir Jean rapper son fromage de who do you think you are. Puis elle rend hommage à Shirley & Lee avec une belle cover de «Let The Good Times Roll», d’autant plus somptueuse que jouée à l’accordéon. Si tu en pinces pour le beat Cajun, te voilà au paradis. 

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Shaki De Boo-Tee ? On peut y aller les yeux fermés, même si avec «Bus Stop», ça démarre sur la diskö de la Nouvelle Orleans, mais c’est forcément bien foutu. Bien joué, Miss Jean ! Elle arrache son arrache au groove de heavy Bus Stop, elle est superbe, c’est même violemment bon. Elle tient la rampe de l’all nite long. Son «Bill» est un heavy slowah qui sent bon les origines de la racine. Mais c’est avec l’exotica du morceau titre qu’elle va rafler la mise. Schlooof ! Dans le genre, c’est assez puissant. Pur jus de New Orleans ! Elle passe au Cajun boogie avec «Rockin’ Good Way» et duette avec un sacré lascar. On ne sait pas comment il s’appelle, mais bon, c’est pas grave. Elle reste dans le Cajun avec «Lover Please», groove des enfers joué à l’accordéon, ça jerke chez les Cajuns, ne l’oublie jamais. Jean Knight ramène la fabuleuse persistance du groove Cajun. Nouveau temps fort de l’album avec «Who Is She (And What Is She To You)». Elle ramène du son à chaque cut, elle te groove ça à la Knight, tout l’album est bon, elle ne lâche rien, elle chante à la vie à la mort, elle gère sont «Don’t Break My Heart» au heavy groove de break my heart. On sent la black d’âge mur dans «Gonna Getcha Back», elle pèse ses mots - Out of my mind - et elle finit cette excellente virée avec deux enregistrements live, son vieux «Mr Big Stuff» qu’elle rappe, et «My Toot Toot» qu’elle tape en mode Cajun avec une énergie démesurée - Don’t mess with my Toot Toot !

    Signé : Cazengler, knight in white sauterne

    Jean Knight. Mr Big Stuff. Stax 1971   

    Jean Knight & Premium. Keep It Comin’. Cotillon 1981

    Jean Knight. My Toot Toot. Mairage 1985       

    Jean Knight. Shaki De Boo-Tee. Ichiban records 199

     

    *

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

    La première chronique de la rentrée ne sera ni longue ni joyeuse. L’annonce du concert du 27 juin dernier était le dernier des Crashbirds. Les cui-cui ne voleront plus ensemble. A la croisée des chemins Delphine Viane et Pierre Lehoulier ne suivent plus le même sentier. . Un coup au cœur, cela doit faire dix ans que nous les suivions, concerts, disques, vidéos, illustrations… Une image, un son, un concept : les trois clefs nécessaires à l’existence d’un grand groupe. Ils avaient tout, nous n’aurons plus rien. Certes un dernier album Unicorn devrait sortir… nous en avions déjà chroniqué les premiers morceaux… il nous reste un goût amer dans la bouche. Ce n’est pas la fin du monde, sûrement celle de la fin d’un monde, le nôtre puisque nous le partagions avec eux deux, leur talent, leurs sourires, leur ironie… Nous souhaitons à Delphine et à Pierre que leurs nouvelles vies soient douces.

    Damie Chad.

     

    *

    Deux formations françaises ont sorti en plein mois d’août une vidéo sur YT, deux sons différents, deux univers psychologiques divergents, deux groupes que nous aimons et suivons. Il est temps de regarder et d’écouter, Paul Claudel n’a-t-il pas décrété que l’œil écoute.

    ASHEN

    Reprenons le récit de l’histoire en train de se dérouler. Dans notre livraison 545 du 10 /03 / 2022 nous chroniquions quatre vidéos d’Ashen, : Sapiens, Hidden, Outler, le 18 / 05 / 2023 (in 595) c’était avec quelque retard au tour de Nowhere. Erreur fatale au mois de mai dernier nous avons fait l’impasse sur Angel.

    ANGEL

    ( Production : Ashen + Bastien Sablé )

    ( Official Music Video / 11 - 05 - 2023)

    Poully : bass / Tristan Broggeat : drums / Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

    Ne soyez pas déçus comme moi lorsque se profile les silhouettes noires du groupe après les quinze premières secondes cramoisies de l’intro, non ce n’était pas de la déception, mais de la peur, que ce cinquième opus d’Ashen ne soit pas au niveau des quatre précédents, après la foudre, après la chute de l’ange, après le foudroiement, un simple orchestre de rock, ils veulent rire, ce que l’on attend c’est du drame, de l’épopée, du grandiose. C’est exactement ce que nous offre Ashen. Attention, pas du pompier, pas du rutilant, pas du toc, non, du déchiré, du mythe, et pire que cela de l’amour. Donc un truc risible et cucul la praline, dans le texte anglais ils emploient un mot plus fort, non pas pour remplacer le mot love mais le mot armor qui signifie armure, désormais tout est dit. La vidéo peut se dérouler.

    Je ne crois pas que Bowie nous ait donné un clip aussi fort. La violence du rock’n’roll et la démesure humaine. L’ange n’est pas tombé bien loin, l’est enraciné dans la chair de Clem, avez-vous déjà entendu un mime hurler aussi fort. Superbe performance, l’ange est emmailloté dans le lange du corps de Clem, l’ange est folie, il est l’autre moitié de soi-même, celui qu’il faut tuer à moins que ce ne soit lui qui ne vous tue. Qui tient la flèche, qui tombe, n’est-ce pas vous qui forcez les portes du paradis dans lequel vous vous êtes enfermé ? Inversion des valeurs dirait Nietzsche. La métaphysique du désir psychique au tir à l’arc d’Apollon.

    Autrement dit dans le miroir où la démence furieuse se contemple vous n’apercevez que des éclats de beauté. Vous recevez la puissance du son et l’image, mouvante, d’une plénitude incertaine, des visions purpurales et des entailles d’engrammes… un montage d’une dextérité époustouflante, Bastien Sablé a su rendre l’impact sonore d’Ashen, chaque plan cisaille vos yeux et s’efface pour mieux s’incruster en vous comme une graine dont vous êtes incapable de prévoir à quels futurs excès elle vous conduira.

              Ashen est un groupe à part qui se distingue de tous les autres par une démarche créatrice originale d’une grande exigence formelle sans rien renier de l’essence libératoire du rock. Ashen témoigne d’une époque où les espaces de liberté collective s’amenuisent subrepticement, à tel point que l’individu surpris et désemparé se retrouve enfermé en une extrême solitude.  

    SMELLS LIKE TEEN SPIRIT

    ( Official Music Video / 04 - 08 – 2023 )

    ( Réalisation Alexis Fontaine)

    Dans la vie il faut s’attendre à tout, mais pas à ça. Sixième vidéo : Ashen se permet une reprise, pas un antique morceau de blues que seuls de par le monde douze ou quinze fanatiques connaissent et dont l’attribution est des plus incertaines.  Faut un culot certain pour s’attaquer au titre phare de Nirvana. C’est comme la porte du paradis vous pouvez cogner dessus de toutes vos forces sans qu’elle s’ouvre.  Aux âmes bien trempées dans le métal depuis leur plus tendre adolescence il n’est aucune formule d’orichalque qui ne soit interdite. Sur leur FB, dans un reels, Clem s’en explique en quelques mots vindicatifs : ‘’ Nirvana was the band that got me into rock music. So we decided to do a cover.’’ Rien à rajouter. Clair net et précis.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

             Une reprise ne saurait être une copie conforme. Une couve de Nirvana par Ashen doit d’abord avant tout ressembler au niveau sonore à du Ashen. Pas de déception le son est dans le droit fil des vidéos précédentes. Ashen ne singe pas et ne songe pas à se renier. Pour vous en convaincre regardez d’abord l’Official Music Video de Nirvana, celle avec les pom pom girls. Pour les images, Alexis Fontaine puise à la bonne source, celle de la dernière tournée d’Ashen avec While She Sleeps et Resolve, l’a réalisé l’irréalisable, une espèce de structure sonore dont l’arête des images s’estompe à peine apparues, un tourbillon tempétueux, il témoigne de sa présence par le fait même qu’elle s’absente         alors que la réalisation de Nirvana reste tributaire d’un art encore engoncé dans les représentations des tournages-télévisés. Ashen exhale un côté arty parfaitement assumé.

             Kurt crève l’écran, Clem le creuse. Question de personnalité, question d’époque. La rage désespérée de Kurt est encore un signe sinon d’espoir mais de rébellion, Clem est le reflet d’une génération qui n’y croit plus, les idéaux sont morts, il ne subsiste que des blessures, des trous béants dans lesquels l’individu se tapit et se réfugie dans une atonie de souffrance infinie. Les vers fourmillent généralement dans les cadavres, mais avant la mort l’on arrive à ce stade ultime où ils vous bouffent la tête du temps de votre vivant. Ce n’est pas que le futur n’existe plus, c’est que l’on traverse le vide de son absence. Et que l’on continue à vivre. Malgré tout. Malgré rien.

             Pas vraiment une adaptation. Une relecture éblouissante.

    Damie Chad.

     

    *

    Dans notre livraison 602, nous accueillions pour la première fois The Evil’s Dogs pour Havi destiné à être le titre d’ouverture de leur EP : Tales of the Ragnarock. Ils n’ont pas chômé cet été puisqu’ils présentent le deuxième titre :

    THUNDER

    THE EVIL’S DOGS

    ( Official Ia Music Video  / 13 - 08 – 2023)

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

                 Des acharnés de la mythologie nordique – elle se prête à merveille aux grandes épopées sonore des groupes de hardrock - Havi était une ode de bruit et de fureur élevée à Odin le dieu des dieux, celui qui sacrifia un de ses yeux pour accéder à la connaissance, celle qui prédit la fin des Dieux lors du Ragnaröck, ultime combat qui opposera les Dieux, parmi tant d’autres monstres, à Fenrir le loup et aux ‘’chiens du mal’’…            

               Thunder est un chant élevé à la gloire de Thor, le dieu dont le marteau déclenche la foudre et le tonnerre dès qu’il le lance sur ses ennemis. Thor appelle tous les vikings morts à la guerre pour s’entraîner pour le dernier combat le Ragnaröck dont il annonce la venue. Au vu de la thématique l’on pressent que le morceau ne s’écoulera pas tel un long fleuve tranquille…

    Alex Lordwood : chant / Nico Petit : guitare / Agathe Bonford : basse / Michel Dutot : drums. Izo Diop : guest guitar ( From Trust ).

             Petite notification avant de commencer : peut-être aimez-vous le changement. Les douze premières secondes de la vidéo vous présentent la même image employée pour leur premier titre, patientez à la treizième fatidique vous changez d’univers. Peut-être pensez-vous que la mythologie scandinave c’est bien mais que depuis le monde a évolué. Vous ne pouvez trouver plus moderne. A la pointe de la technologie, utilisation de l’Intelligence artificielle pour illustrer le sujet. Trois sociétés ont apporté leur savoir-faire technologique. Les images produites me semblent procéder de deux sources différentes, des décors des premiers jeux-vidéo des années quatre-vingt-dix eux-mêmes issus des dessins pour livres documentaires historiques géographiques et animaliers destinés aux enfants in the seventies et de la peinture historique du dix-neuvième siècle que l’on qualifie hâtivement de pompière alors que son imagerie est aujourd’hui à la base de nos représentations imaginaires. L’influence filmique et de la BD ne sont pas non plus à dédaigner. Les tressautements infligés à ces images d’Epinal emmagasinés dans notre cerveau sont-ils à interpréter comme l’indication que nous avons affaire à des leurres qui ne reposent que sur des intuitions médiumniques ou d’hypothétiques réalisations humaines… Première vidéo rock de ce type que je visionne. Je suppose que ce ne sera pas la dernière.

             Par contre pour la musique il n’y a pas photo, trois coups de caisse claire et vous avez un nappé onctueux de guitare qui recouvre toute la plaine d’Asgard, le type d’intro dont vous rêvez, pour le coup vous ne faites plus gaffe aux images, une basse bourdonnante noyée dans un flot d’électricité, vous n’en demandez pas plus vous êtes comblé, vous avez simplement oublié qu’avec cette meute de chiennerie le mieux est toujours certain, trois nouveaux  petits coups de baguette magique, et hop vous réalisez qu’il manque un truc important, à la première syllabe prononcée Alex Lordwood vous envoûte, vous attendez un vocal enragé un tumulus de haine froide, une stridence sanguinaire, oui vous avez tout cela mais sans effusion de laryngite, sa voix détient tout cela comme la graine contient Yggdrasil, d’une amplitude extraordinaire elle se colle aux guitares comme l’écaille au serpent, mais cette chasse sauvage apporte en plus ce sentiment de la réversibilité des choses, cette nostalgie que ce qui est aujourd’hui, un jour, bientôt, ne sera plus, vous attendiez une brute sanguinaire, et c’est la sagesse d’un scalde qui s’impose,

    Encore trois petits tapotements du destin et la course frénétique reprend et flamboie, une guitare s’élève pointue comme la cime glacée d’un pic étincelant, que domine les derniers rayons d’un soleil déjà éteint de la voix lordwoodienne, surgit en final une apothéose de guitares  menée au triple galop sleipnirique d’une batterie qui depuis le début mène et scande la charge.

             Superbe. Si vous trouvez mieux passez moi un coup de fil. Electrique.

    Damie Chad.

     

    *

    Un mail de Lionel Beyet m’annonce la sortie d’un disque du groupe In Der Welt sur le label P.O.G.O. Records, In Der Welt, j’aurais certainement été au courant tout seul puisque je fais régulièrement un tour sur le site du label, le nom m’aurait interpellé, de l’allemand certes, ils sont français de Clermont Ferrand, mais pour les amateurs de philosophie, j’en suis un, la formule sonne aux oreilles, serait-ce un hasard, non puisque deux titres de l’album ne sont pas non plus sans résonnances heideggerriennes. 

    Heidegger n’est pas en odeur de sainteté parmi nos élites. Il est vrai qu’avant tout le monde il a clairement énoncé et annoncé l’arraisonnement de la pensée humaine et de la nature par la technologie. Il a aussi tracé une ligne de démarcation essentielle entre la pensée philosophique et la croyance (usez du terme ‘’pensée’’ si vous préférez) religieuse. C’est dans ce retour au fondement de la pensée philosophique dans l’originelle pensée grecque, comprenez une pensé a-chrétienne, qui lui a valu au début des années quatre-vingt une espèce de mise en accusation idéologique masquée sous des reproches politiques. J’ai pour ma part, en d’autres lieux, beaucoup écrit sur ce sujet. 

    Mais il est temps d’écouter In Der Welt.

    L’album est sorti en février 2023 sous forme d’une K7 (Les Disques Bleus). N’ayant pas laissé les amateurs indifférents la sortie en CD sur un label plus important s’est imposée.

    IN DER WELT

    ( Pogo 176 / Août 2023 )

    Thomas : guitare / Arno : voix / Aurélien : basse / Julien : batterie, artwork.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

    Persona : quel vocal, attendez-vous à être haché dans les mandibules d’un insecte géant, heureusement qu’à la fin une voix vous parle et vous réconforte en affirmant que vous êtes infini, de quoi vous redonner confiance  après ce déluge sonique qui vient  de s’abattre sur vous, post-metal hardcore si vous voulez, avec des instants de rémission, basse élastique, éboulements battériaux, lentes agonies, emphases atterrantes, ne portez aucun espoir en ces oasis, le sable du désert les a déjà ensevelies et la tempête reprend de plus belle, pas de panique votre avenir est certain, rien de bon ne peut vous arriver en ce monde. Ou dans le monde. Vous n’êtes personne, qu’un humain parmi des millions d’humains, vous portez tous le même masque, vous jouez tous le même rôle, interchangeables, le nihilisme serait donc l’essence de l’homme, la violence de ce premier morceau vous enjoint de répondre oui. Solace : ce n’est pas un morceau lent, disons qu’il se déplace lentement, une espèce de dinosaure freiné par son propre poids et qui se traîne en saccageant tout sur son passage, l’instrumentation s’en charge, pour vous aider à comprendre ils ont sorti une vidéo, non il n’y a pas de mastodonte antédiluvien, simplement un homme qui marche dans un désert sans fin, l’est étrangement accoudé sous son espèce de cape vampirique, ressemble au portrait caché du dernier des hommes nietzschéens revenu de tous ses accaparements, un peu comme vous quand la jeunesse s’effiloche, que tout fout le camp, que vous ne savez plus quoi devenir et que vous avancez vers vous ne savez quoi. Le morceau ne s’appelle pas Réconfort par hasard, notre dernier des survivant à lui-même trouve un cristal de roche, par réfraction il allumera un feu, qui le rassérènera, il s’incline vers la terre, il la salue, le monde lui insuffle son infinitude. Watchtower : il est devenu le gardien de la tour de guet, marche militaire quasi guillerette au début, vocal enragé, notre homme est prêt à bouffer le monde, à l’avaler d’un seul coup comme une pomme mal cuite, il semble qu’au bout de moment, il doute, la musique ralentit, mais il repart comme en quarante, l’est prêt à tous les combats, car vous ne vaincrez jamais si vous ne combattez pas, la musique devient assourdissante, elle froisse vos tympans, pourquoi tant de haine, d’appetite for the auto-destruction, une interview radiophonique vous apporte la solution, l’homme cède à sa propre pulsion de mort, il a besoin de mourir puisqu’il est une créature mortelle. Dans votre tour de guet le seul évènement notable qui apparaîtra sera la grande faucheuse qui se dirige vers vous… C’est-elle que vous attendiez. Dasein : terme ô combien Heideggerien, vous pourriez le traduire par existence, par votre manière d’être-là dans votre existence, en d’autres termes votre dasein est votre destin, In Der Welt n’a jamais joué aussi fort, aussi rapide, aussi percutant, voix et instruments pressés, atomisés, dans le mixer de la vie, tout passe trop vite, à la fin vous n’êtes plus là et la bobine biographique du film de votre vie tourne à vide. L’on n’échappe pas à ce que l’on est. Vous ne rajouterez rien de plus. Totem : un peu de répit dans ce monde de bruit et de fureur. Est-ce da la pluie revivifiante qui tombe, qui trombe, imaginez un théâtre d’ombre, un peu comme la caverne platonicienne, c’est vous qui agitez vos propres figurines, au début le jeu est plaisant, bientôt vous vous apercevez de l’inanité de votre occupation, même vos poupées totémiques deviennent harpies et se transforment en oiseaux de proie, qui vous attaquent, la musique fonce sur vous en piqué pour vous vous crever les yeux et vous défoncer la cabosse, n’oubliez pas ce qui vous tue est plus fort que vous, pas la peine de s’exciter. Certains jouets ne sont pas à mettre dans toutes les mains, non recommandés tant que vous n’êtes pas mort. Bye anxiety : cri libérateur, il est inutile de céder à l’angoisse heideggerienne qui étreint l’homme que la mort prive de son âme, hurlements orgasmiques, danse nietzschéenne, guitare, basse et batterie se détendent, elles atteignent à une plénitude encore jamais atteinte sur l’album, sûr une voix off nous prédit qu’après 2030 ce sera trop tard, et alors ? L’important n’est-il pas de vivre intensément tous les moments de notre vie, fussent-ils les derniers ou les avant-derniers. Well  done friends : feast of friends, acceptation nietzschéenne, amor fati, amour du destin qui nous est imparti, que nous nous sommes impartis, violence et grandiloquence, générique final de notre existence, une voix chuchote, que dit-elle, cela n’a pas d’importance, quelques bruits d’enfants de chiens peut-être… peut-être pas… il faut prendre ce qui est donné… Control : prendre le contrôle de sa vie, la voix ne hache plus, elle chante, joie et triomphe, intumescence backgroundale, ramdam total, le vent déferle, il emporte l’univers en une bourrasque vertigineuse, désormais vous êtes la guerre. Slow motion : changement de donne, et si tout cela n’était qu’illusion, n’est-il pas nécessaire de regarder le monde tel qu’il est, un désert de glace pétrifié, un antre obscur, aucune lumière dans la caverne de Platon, sursauts violents de vitalité, notes égrenées ambigües, tristes, nostalgiques, ironiques, la voix off est recouverte, engluée par le magma sonique, tout à la fin l’on n’entend qu’un seul mot. Vide. Le nihilisme n’aurait-t-il pas été surmonté. Serait-il insurmontable.

             De toute beauté, une musique noire, enfiévrée mais glaçante, un art qui se rapproche du dressage équin, qui exige maîtrise et dextérité, du post-metal hardcore philosophique. Une espèce rare, donc précieuse. Du grand art.

    Damie Chad.

     

    ROCKFLEXIONS ( 1 )

     

    Pour Madame Bellas,

    Les idées, quand elles ne sont pas platoniciennes, vont et viennent. Font trois petits tours dans notre cerveau, en règle générale, à part quelques unes qui nous sont chères, elles se tapissent dans un coin et se font oublier. Une pensée est le résultat d’un phénomène beaucoup plus élaboré. Elles naissent du télescopage de deux idées entre lesquelles nous n’avions jamais établi la moindre corrélation. Jusqu’au jour où se produit le déclic fatidique. La foudre qui surgit de l’entrechoc de deux gros nuages porteurs d’électricité statique n’agit pas autrement.

    Fin juillet dernier ( voir livraison 609 ) après la fin du concert de Juke Joints Blues nous discutions, quelle surprise,  de rock ‘n’roll avec Chris Papin… Une thématique connue : pourquoi notre génération avait-elle été à ce point traumatisée par cette musique. Vous connaissez la réponse : à l’époque il n’y avait rien d’autre. Et tous deux de raconter à preuve comment le soir dans notre lit, l’oreille sur le transistor nous attendions les fameuses séquences blues et rock de Pierre Lattès dans le Pop Club de José Arthur sur France Inter…

    Souvenirs, souvenirs. Oui, c’est quelques jours plus tard, alors que je ne pensais pas particulièrement à cette conversation qu’une évidence fulgurante s’est imposée à mon esprit. Alors que Chris et moi avions affirmé haut et fort qu’aucune autre génération avant nous n’avait faute de moyens technologiques appropriés pu expérimenter un tsunami musical aussi dévastateur, un démenti cinglant me fut infligé… par moi-même.

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

    Comment depuis des lustres avais-je pu faire une telle impasse mentale alors que je n’ignorais rien d’un tel tohu-bohu intellectuel similaire qui s’était déroulé au dix-neuvième siècle notamment en France. La musique wagnérienne en fut la cause. Certes l’on ne pouvait écouter la musique de Richard Wagner à la radio ou acheter ses disques. Mais l’élite artistique européenne, peintres, musiciens, poëtes, comprirent que l’inouï venait de se produire. Je ne veux pas dire que l’on n’avait encore jamais entendu une musique si tonitruante, certes la rutilance des cuivres emplissait les oreilles, c’était autre chose qui était en jeu, de par sa magnificence l’écriture et le projet wagnériens imposaient un diktat existentiel aux auditeurs.

    Le monde n’en n’avait pas été changé, simplement désormais l’on ne pouvait plus continuer de vivre comme avant, votre vision du monde et votre attitude sous l’impulsion dévastatrice de cette entreprise musicale titanesque devenaient différentes, sur l’échiquier du vécu vous n’étiez plus un pion qui subissait votre destin, mais vous deveniez votre destin-même puisque vous vous imposiez l’obligeance de prendre en main la totalité des paramètres de votre existence. La vie devenait une suprême exigence.

    Ainsi le rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

                                                                                                            

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    linda lewis,reverend peyton,hound dog taylor,ehpad,jean knight,crashbirds,ashen,evil's dogs,in der welt,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 34 ( strombolif ) :

    192

    L’interphone de l’ascenseur grésille :

              _ Papa, sauve le petit chat, ne le laisse pas faire !

              _ Alice ne te mêle pas de ça, raccroche cet interphone et file au lit !

              _ Non Papa, je descends par les escaliers, je viens sauver le petit chat, essaie de te faire tuer avant le petit chat, je le récupèrerai !

               _ Ne vous donnez pas tant de mal, nous vous apportons tout de suite le chaton !

               _ Merci Monsieur, vous êtes trop gentil.

    193

    Quand nous entrons dans l’appartement, Alice arrache le chaton des mains de son père et s’enfuit dans sa chambre :

              _ Je m’occupe de lui, seuls Molossito et Molossa ont le droit de me suivre. Ce sont des héros ! Ce sont les copines qui vont être jalouses !

    La porte se referme vivement sur elle et les animaux.

    194

    Le père d’Alice assis sur un des canapés du salon a besoin de reprendre ses esprits. Tout sourire Carlos qui s’est adjugé le rôle de barman lui tend un grand verre de whisky empli à ras-bord :

              _ Buvez cela, vous avez besoin d’un petit remontant, excusez-moi pour la mise en scène mais sans cela vous n’auriez jamais voulu nous recevoir !

              _ J’avoue que les évènements se sont enchaînés si vite depuis que j’ai ramassé cette bestiole que je n’y comprends rien, si quelqu’un voulait bien m’expliquer !

             _ Avec plaisir Monsieur, le temps que j’allume un Coronado, je laisse l’agent Chad vous expliciter le coup du chat !

    195

    Je m’éclaircis la voix, je sens que ça va mal se passer, tant pis j’assume :

              _ C’est très simple, en début d’après-midi j’ai passé un coup de fil à votre fille ! Pour le numéro, celui de votre appartement est dans l’agenda interne du personnel de la Bibliothèque François Mitterrand, dont vous êtes le directeur, je me permets de vous le rappeler.

              _ Comment avez-vous osé, téléphoner à une enfant, c’est un scandale de quel droit, je me permets de préciser que si elle est en troisième, elle a deux ans d’avance, c’est une honte !

              _ Une enfant douée certes mais malheureuse, son rêve serait d’avoir un chat et vous ne vouliez pas, alors nous lui en avions procuré un !

              _ Je n’avais pas besoin de vous j’en ai trouvé un tout seul !

              _ Pas tout à fait Monsieur, j’ai chargé mes deux chiens de trouver un chaton abandonné et de le glisser derrière vous quand vous rentriez chez vous, ils ont magnifiquement rempli leur mission, vous pouvez les féliciter, sans eux votre fille serait malheureuse et pleurerait en cachette dans son lit comme tous les soirs comme elle me l’a confié au téléphone !

             _ Moi c’est la Brigade des Mineurs que je vais appeler, à l’instant !

    196

    Le Chef a manifestement terminé d’allumer son Coronado :

              _ Ne vous donnez pas cette peine, c’est inutile, le SSR, Service Secret du Rock ‘n’Roll, est hiérarchiquement au-dessus de tous les services de police et de gendarmerie du pays, seules les autorités suprêmes de l’Etat ont barre sur nous, laissons votre fillette en-dehors de cette affaire, peut-être voudrait-il mieux que vous parliez de sa mère !

    Le père d’Alice est devenu livide, il s’effondre sur son siège, Carlos se hâte de lui tendre une nouvelle médicamentation, il se tait un long moment, avant de se mettre à parler à voix basse :

              _ Quand je vous ai vu arriver en trombe dans la bibliothèque pour exiger le bouquin d’Oecila, j’ai compris que vous finiriez par tout savoir. J’ai essayé de me renseigner sur vous, c’est pour cela que nous avons fini par nous rencontrer sur le parking de Disney…

    Le chef emprunte une voix de psychanalyste éprouvé :

              _ Oui, oui, nous comprenons, mais votre épouse, parlez-nous d’elle, vous verrez, cela vous fera du bien !

              _ Quand je suis sorti premier de l’Ecole des Chartes, le ministère m’a proposé un stage à Moscou, j’ai accepté,  j’ai vite repéré dans le groupe d’étudiants à qui je donnais des cours de paléographie, une jolie étudiante, vive, intelligente, souriante, joyeuse… Ecila… j’en suis tombé amoureux, elle n’était pas insensible à mon charme, je le dis sans me vanter, mais au bout de deux ans si elle acceptait avec plaisir mes invitations, musées, spectacles, cinémas, promenades, nous étions toujours ensemble, mais je n’en étais pas plus avancé, pas le moindre baiser…

    Je sens que Carlos se prépare à intervenir, je lui fais signe de se taire, ce n’est pas le moment de nous expliquer que dans la Légion l’on tombe les filles comme l’on saute sur Kolwezy.

              _ Lors de mon départ elle m’a accompagné à l’aéroport, je m’apprêtais à lui faire la bise, elle n’a pas voulu, ses paroles m’ont suffoqué, figurez-vous qu’elle m’a dit : ‘’ j’espérais que vous m’auriez demandée en mariage et emmenée en France, je vois que c’est impossible, adieu Gabriel’’.

    Carlos lève les yeux au ciel, toutefois il s’abstient de tout commentaire. Après un moment répit Gabriel reprend son récit :

              _ Je ne suis pas parti, je l’ai demandé en mariage aussitôt, elle a souri puis elle a rajouté : j’accepte à condition que vous emmeniez ma sœur avec moi. C’est ce que j’ai fait. Nous avons été heureux, nous avons eu Alice, elle est morte voici deux ans. Voilà c’est tout.

    197

    Pour détendre l’atmosphère Carlos prépare une tournée apéritive. Le Chef fourrage dans sa poche pour en extirper un Coronado qu’il s’empresse d’allumer :

              _ Au nom du SSR Gabriel, je vous présente mes condoléances et celles de tout le service, je crois que vous avez besoin de repos, nous allons vous quitter au plus vite, mais avant une toute petite question, pas bien longue.

    Le Chef prend le temps d’exhaler un nuage de fumée :

              _ Et Oecila !

    Gabriel sursaute comme s’il avait été piqué par un serpent, ses yeux flamboient de colère, il se reprend :

    • Nous sommes allés la chercher… un voyage interminable… en train… nous avons traversé des forêts sans fin, si vous ne l’avez pas vue, il est impossible de se représenter l’immensité de la taïga russe. Nous avons débarqué dans un village perdu. Je pensai que le lendemain elle m’emmènerait visiter sa famille. Non, elle m’a emmené dans un cimetière, devant la tombe d’Oecila… Oui c’est étrange les deux sœurs avaient à peu près le même nom… Nous l’avons ramenée en France, un mal fou pour en avoir le droit, une chance le haut-fonctionnaire qui m’avait proposé le poste à Moscou était entre temps devenu conseiller du Président de la République…

    198

    Le Chef allume un cigare. Il est huit heures du matin et nous venons d’ouvrir le local. Tard dans la nuit, nous avons laissé Gabriel, manifestement brisé par sa confession. Il était inutile de continuer, il était incapable de rejouter le moindre mot. J’ai récupéré Molossa et Molossito pelotonnés contre Alice, le chaton endormi sur son épaule. Elle ne s’est pas réveillée quand les cabotos ont sauté du lit pour me rejoindre, nous sommes rentrés tous les trois chacun chez nous…  

              _ Agent Chad, je ne suis pas mécontent de notre dernière soirée. Les pièces du puzzle commencent à s’assembler.

             _ Un grand pas en avant Chef, je le concède, l’abîme de la perplexité reste toutefois grand ouvert devant nous. Prenons le cas de Gabriel par exemple.

             _ Agent Chad sans l’avoir consulté je suis sûr que Carlos classe ce type de bonhomme parmi les chifonnettes. Méfions-nous, il n’a pas tout dit, il serait bon que vous puissiez obtenir de sa fille quelques renseignements complémentaires.

             _ Oui, mais Carlos n’a pas tort, ce type n’est pas un rocker, nous sommes dans une drôle d’affaire, mais pas un seul mot de Gabriel ne laisse à penser en quoi cette histoire concerne le rock ‘n’ roll.

             _ Agent Chad je partage votre questionnement, je suis certain que nous allons bientôt finir par le savoir.

    A suivre…