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ashen - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 626 : KR'TNT 626 : KEITH MOON / NICK WATERHOUSE / SAM COOMES / BILLY BUTLER / HOLLY GOLIGHTLY / ASHEN / ERIC HOBSBAWM / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 626

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    04 / 01 / 2024

     

    KEITH MOON / NICK WATERHOUSE

    SAM COOMES / BILLY BUTLER

    HOLLY GOLIGHTLY / ASHEN / ERIC HOBSBAWM

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 626

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

    - Fly me to the Moon

     

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             Le Moon The Loon qui traîne ici est une petite édition de poche fatiguée. Elle date de 1981. Elle a bien vécu sa vie de book et a sans doute fait rigoler sa palanquée de lecteurs. Keith Moon est généralement qualifié de lunatic dans la presse anglaise, mais le portrait qu’en fait Dougal Butler dans Moon the Loon: The Amazing Rock And Roll Life Of Keith Moon va bien au-delà du lunatic.

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    C’est l’équivalent littéraire de Las Vegas Parano, le trash-movie de Terry Gilliams : l’ouvrage nage en permanence dans les inondations de suites royales et des raz de marée d’outrages aux bonnes mœurs, dans des amas pharaoniques de giggles et dans du Monthy Pyton exponentiel. Contaminé par Moonie, Dougal devient un écrivain extrêmement drôle : il maîtrise l’art insensé de préparer le lecteur à l’imminence d’une catastrophe, celle qui germe dans le cerveau en surchauffe du prince des lunatics. Keith Moon et les Who ont incarné mieux que quiconque le mythe du rock’n’roll mayhem. S’ils ont su porter au pinacle l’esprit du sex and drugs and rock’n’roll mieux que tous les autres candidats au désastre, c’est parce qu’ils disposent d’un moteur que n’ont pas forcément les autres : l’humour. Mais un humour spécial, cet humour anglais dévastateur qui ne fait pas de quartier.

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             L’idéal pour accompagner cette lecture est de voir en parallèle le film de Jeff Stein, The Kids Are Alright. C’est une manière de combiner les plaisirs des sens, de joindre l’utile à l’agréable, de réunir le yin et le yang des Who, une manière de relancer le cœur battant du rock anglais, car les Who ne sont que ça. On redevient aussi dingue des Who qu’on l’était en 1965, quand passait à la radio «My Generation». Ça tombe bien, le film de Jeff Stein démarre sur «My Generation», bing bang ptoooff t’es baisé, Moonie tape au poignet cassé le haut du hit-hat, The ‘Hooo !, les rois du monde en jabots blancs, c’est ce que montre Stein dans son film, break de basse, roll over de Moonie, double grosse caisse, il bat déjà tout le freakout de London town et les ‘Hoooo cassent tout, bing bang ptooff ! Au bout de trois minutes, la messe du rock est dite. Les ‘Hoooo allaient déjà plus loin que tous les autres, et en matière de destroy, Townshend est un pionnier étincelant. Il était donc logique que Moonie développe sa propre succursale de destroy oh-boy. C’est ce que Dougal raconte.

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             À travers le bruit et la fureur du chaos prémédité, Dougal réussit à brosser un portrait de Moonie d’un réalisme sidérant. C’est tellement bien maîtrisé qu’on s’en effare au fil des pages. Pourquoi ? Bonne question ! Pourquoi accorderait-on le moindre crédit à ce mec qui détruit systématiquement ses chambres d’hôtels, ses vies de couple et ses voitures de luxe ? Dougal nous donne la réponse petit à petit : il fait remonter à la surface du tas de débris et de fumées un personnage incroyablement pur et drôle, juvénile et attachant, incapable de la moindre méchanceté, ni de la moindre vulgarité. Son camp, c’est Père Ubu et pas Hitler, son camp c’est Dada à la puissance 1000, c’est-à-dire Dada rock, il est le seul et unique fer de lance du Dada rock, avec Vivian Stanshall, qui, comme par hasard, sur le Pont des Arts, devient son copain et participe à quelques raids destroy, le plus connu étant l’épisode où, sanglés tous les deux dans des uniformes noirs de SS nazis, ils sont allés provoquer des vieux dans un asile. C’est la suite de Charlot, Moonie exploite exactement les mêmes travers, il fonce exactement dans le même tas. Il va mettre dix ans à se détruire et à casser sa pipe en bois, mais ces dix années comptent parmi les plus festives de l’histoire du rock. Ce sont ces dix années que raconte Dougal. Accroche ta ceinture.

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             Dougal est embauché par Moonie comme «chauffeur». Mais bien sûr, c’est du 24/24, il participe aux tournées, aux orgies et aux abus d’alcool et de dope. Et bien sûr à ce qu’il appelle les «jolly-ups». Il utilise tellement de slang dans son book qu’il donne à la fin trois pages de lexique. On est chez les ‘Hooo, et on parle le Shepherd Bush slang, dear boy. Et on joue le Shepherd Bush rock, comme l’indique Townshend dans le Stein movie : «Just musical sensationalism. We do something big on the stage. It’s just basic Shepherd Bush enjoyment.» Voilà sa définition des ‘Hooo sur scène. Et boom, «Can’t Explain», early ‘Hooo en noir et blanc, Moonie en cocarde, l’air ahuri, frappe sèche, wild rolls, il est précis et dingue à la fois, il décuple en permanence. L’art moderne, c’est Moonie. Tous les Dadaïstes savent ce que signifie précisément la notion d’art moderne. Tu réalises soudain que l’art moderne des ‘Hooo ne vieillira jamais.

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             Tiens, pour s’amuser un peu, on peut prendre un épisode au hasard : la tournée des Who avec The Herd en 1967. Le batteur des Herd est un vieux batteur qui joue avec un gong : «Le gong est là pour un effet dramatique, mais cet effet devient comique quand Moonie et Entwistle tirent sur les fils qu’ils ont attaché au gong au moment où le batteur gériatrique doit frapper dessus.» Dougal ajoute que lui, Moonie et Entwistle sont tellement pliés de rire qu’ils manquent de se casser la gueule du perchoir où ils sont postés pour tirer les fils. Ils n’en restent pas là. Pour le dernier concert de la tournée, ils installent des pétards avec des détonateurs électroniques sur l’orgue d’Andy Bown et son set ressemble, nous dit Dougal hilare, «plus à Pearl Harbour qu’à un Ava Gardner rock number.» C’est pas compliqué : tout le book est de ce niveau, avec une légère tendance à l’aggravation des dégâts. Dougal dit en gros que de 1967 à 1977, il a passé son temps à se fendre la gueule. Bien sûr, il parle aussi des autres ‘Hooo : «Quand il n’est pas en tournée, John Entwhistle se montre apte au calme, mais en tournée, stimulé par the magic ingredients, il peut sauter partout. Pete Townshend est plus enclin à la philosophie et peut communiquer avec des présences divines qui me restent invisibles, mais il est aussi capable de rivaliser avec Moonie pour le trône de King of Hotel Wreckers.»

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             Moonie fait tellement la fête qu’il est toujours en retard le matin quand il faut prendre l’avion pour le prochain concert. Le job de Dougal est de le rapatrier à temps. Il trouve Moonie à poil sur son lit - Je lui crie dessus, je le secoue, je le frappe, je le fais rouler, il finit par émerger. «Ah dear boy, what is the matter? What’s the time? Get me a brandy, there’s a good chap» - Moonie démarre le matin au cognac. Puis il réclame sa mallette à dope, exactement comme dans Las Vegas Parano. Il s’envoie une grosse poignée de pills dans le cornet puis il coiffe la toque avec les cornes de bison qu’il vient d’acheter chez Nudie’s, the western shop. Pas question d’aller nulle part sans les fucking buffalo horns - Las Vegas Parano suite - Aujourd’hui, Moonie démarre la journée ensommeillé et complètement à côté de ses pompes. Puis il se réveille et se conduit d’une façon étrange et même incohérente à ses propres yeux. Il parle par à-coups, il chante, il grogne. Il accélère soudain. Puis il retombe dans la stupeur. Finalement, le voilà plus ou moins habillé, coiffé de ses cornes de bison, on monte dans la limo et on fonce à l’aéroport - Bien sûr Moonie ne tient pas debout. Dougal le met dans un fauteuil roulant. Moonie pendouille d’un côté avec ses cornes de bison. Un mec lui lance  :

             — Hey Mr. Moon! How you’re doing man?

             — Ooooooooooarrrrrrhggggghhhh, replied Moonie.

             Dougal reproduit bien les répliques comateuses de Moonie. L’entrée dans cette salle de concert à San Francisco est extraordinairement drôle et destroy. Bien sûr, Moonie n’est pas en état de jouer. Sur scène, il ne joue pas à la bonne vitesse. Townshend se rapproche de lui et lance : «Play faster, you cunt. Faster!». Dougal sait qu’il doit trouver un toubib. Un mec accepte d’intervenir sur scène et de lui injecter une potion miracle dans les deux chevilles pendant qu’il joue. Okay, mais pendant l’injection, Moonie doit lâcher ses pédales de grosses caisses - Stop playing the fucking bass drums, lui crie Dougal qui s’est glissé à 4 pattes derrière la batterie. Le toubib et Dougal arrivent à faire les deux injections en même temps, et du coup Moonie repart de plus belle - He’s drumming such a storm that Townshend turns round and screams to him : ‘PLAY SLOWER, YOU CUNT, SLOWER! - À travers cette scène hilarante, on observe un détail qui n’est pas neutre : Dougal n’aime pas trop Townshend, d’ailleurs, il ajoute : «There’s no pleasing some people», ce qui peut vouloir dire : il y a des gens qui ne seront jamais contents.

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             Moonie est un fabuleux clown tragique, l’ultime clown tragique du rock. Il paye son art de sa vie. Son mode de fonctionnement est ce que les Anglais appellent the oblivion, une façon d’ignorer le réel en vivant à cent à l’heure. Alors Moonie vit l’oblivion à cent à l’heure.

             Dougal décrit une autre scène : Moonie réclame du liquide à une vieille dame qui tient un kiosque. Elle commence par lui lancer : «Êtes-vous le hooligan qui fait tout ce bruit dans les parages, jeune homme ?», et Moonie lui répond :

             — C’est moi, misérable vieille moutte ! Donne-moi some fucking money !» Et il sort son pistolet en plastique et le colle au nez de la vieille.

             — Arrrrrrgggggghhhhhh !, et elle tombe dans les pommes.

             Moonie, c’est ça en permanence, du délire au kilo-tonne, une pression de tous les instants dans un nuage d’alcool, de dope et d’inventivité à tout prix. Pour bien comprendre ce que ça signifie, le plus simple est de lire ce book. Moonie, c’est Dada rock à la puissance 1000.

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             Quand il veut un truc, il le lui faut tout de suite. On the spot, dit Dougal. Une Mercedes, une Rolls Corniche, une Lincoln Continental, un camion pour livrer le lait, et maintenant une Excalibur. Amusé, Dougal reconnaît à Moonie un réel manque de talent pour la conduite automobile. En plus, il a rarement son permis sur lui. Il collectionne bien sûr les crash, mais il s’en sort toujours sans dégâts corporels - But of couse, this is all part of Moonie’s practically miraculous ability to survive - Mais pour se payer l’Excalibur SS - une réplique of 1930’s Mercedes sports tourer, the kind of car, ajoute Dougal, that even Herman Goering would find a bit flash - Moonie doit sortir du cash, 40 000 $, chez un agent de change américain, Greenback & Schtum. Dougal accompagne Moonie dans l’immeuble de Greenback & Schtum. Une secrétaire dit que Greenback est en voyage, alors, Moonie cherche Schtum. Il cherche à sa façon, il ouvre toutes les portes des bureaux et aboie : «Schtum ?», jusqu’au moment où un mec lui répond «Yes ?». Et là, Moonie hurle : «Give me my fucking money !». Le mec essaye de lui expliquer qu’on ne peut pas sortir autant de cash sur le champ, alors Moonie monte en température : «Now, listen to me, you cunt. Je sais que toi et tes larbins en costards rayés avez 40 000 $ qui m’appartiennent, alors je suis venu les récupérer, va au coffre et file-moi mon blé, de préférence en billets bien neufs. Puis je partirai avant que tu aies pu dire : profits et pertes.» Ça tourne à l’apocalypse parce que le Schtum résiste encore, mais Moonie emploie les grands moyens, c’est du cirque dans la vie réelle et on se marre comme un bossu en lisant ces pages.

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             Bon, il achète l’Excalibur cash, mais elle ne dure pas longtemps, car il repère la légendaire Liberace Excalibur, encore plus flashy. Il se paye aussi l’AC Frua 428, une bombe dotée d’un moteur V8, mais comme Moonie roule dans les petites rues à 150 à l’heure, l’AC retourne vite au garage. Le plus souvent, c’est Dougal qui conduit, mais certains soirs, Moonie demande les clés, un moment que Dougal appréhende, car c’est un présage de «mechanised disaster». Et puis voilà l’épisode avec Ted et sa jambe de bois dans un local pub. Tout le monde picole au pub et Moonie propose à Ted de le ramener chez lui. Bien sûr, Ted refuse. Il préfère marcher. Mais on ne dit pas non à Moonie. Un Moonie, précise Dougal qui assiste à la scène, drunker than a skunk. Le véhicule cette fois est un Bucket T Street Rod, dont le moteur est encore plus gros que celui de l’AC 428. Tout est drôle dans ce book, même la démesure est drôle. Elle fait tellement partie du jeu. Alors Moonie met le contact. Vrooom vrroaaaaammm. Dougal dit que ça fait autant de bruit que le Concorde. Le moteur est en échappement libre. Ted est en alerte rouge. Dougal croit qu’il va sauter de la voiture, mais avant qu’il n’ait pu faire le moindre geste, Moonie enclenche le clutch - Le moteur est si puisant que la caisse se lève sur les roues arrière et vroaaaaaaarr, c’est parti à fond dans Chertsey High Street - Les hurlements du moteur sont à peine couverts par ceux de Ted - Dougal parle de banshee wailing, pour décrire les hurlements, ce qui n’est pas rien. Si Ted pousse des cris de banshee, c’est parce que sa jambe de bois s’est décrochée. Il la récupère au moment où Dougal s’aperçoit que Moonie roule du mauvais côté de la rue et qu’un camion arrive en face. On entend les crissements des freins du camion - Moonie of course is pissing himself with laughter et ne montre aucune intention de tourner le volant pour éviter la collision - Alors Ted frappe Moonie sur le crâne à coups de jambe de bois et Dougal décrit le bruit que ça fait : BOFF ! L’épisode est à hurler de rire. On ne se croirait pas dans un rock book, et pourtant si. Keith Moon, batteur des ‘Hooo.

             Retour au film. «Baba O’Riley», heavy beat, Townshend en mode power chords et l’extravagant rolling power de Moonie et ses coups de gong ! Et puis tu as les early ‘Hooo de «Shout & Shimmy», avec the Ox sur une Dan Electro, Moonie sur un drumkit simple - logo avec la flèche - et bien sûr, il bat le beurre de tous les diables.  

             Quand il est à Londres, Moonie traîne dans des clubs comme Tramp. Bien sûr, il se fout à poil juste avant d’entrer, et comme il s’appelle Keith Moon, on le laisse entrer à condition d’enfiler un calbut. Il l’enlève aussitôt entré, il repère Jagger à Bianca et file droit sur eux - «Hello my dears» - et comme la bite de Moonie traîne près des steaks, Jagger et Bianca se lèvent aussitôt et quittent la table. Dougal ajoute que la Bianca abreuve Moonie d’insultes. Il pense que Bianca is a very snotty lady, une morveuse, dirait-on par ici. En même temps, il reconnaît que ça ne doit pas être très agréable de voir traîner la bite de Moonie sur la table. Un appendice qu’il surnomme the Moon dong

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             «Young Man Blues», Townshend en combinaison blanche, heavy 70s, classic stuff, démembrement de Mose Allison - chant, puis gratte/Moonie, et voilà le «See Me Feel Me» emblématique, Townshed combi blanche et bête à cornes, et Moonie bouche ouverte. Puis la scène finale de Woodstock, lorsque Townshend jette sa bête à cornes pour l’offrir au public. The ‘Hooo.

             Dougal rappelle aussi un trait fondamental du caractère de Moonie : sa sympathie pour les clochards et les damnés de la terre. C’est même essentiel. Tiens, en voilà quatre dans la rue. Pas le droit d’entrer au pub voisin ? Pas de problème, les gars, suivez-moi. Droit au bar. Paf, Moonie sort l’oseille et commande une tournée of very large brandies. Quand le patron lui dit qu’après ça, il doit vider les lieux - I want you lot out, understand? - Dougal dit qu’il commet une TRÈS grave erreur - S’il avait su à qui il s’adressait, il aurait choisi de parler sur un autre ton - Moonie ne dit rien - Le pub est silencieux, et ça ressemble plus à une scène de western qu’une scène dans un pub anglais. Je vois soudain les yeux de Moonie briller. Il fixe le plateau où le patron place les verres qu’il va servir. Et quand le plateau est bien rempli de verres, Moonie le soulève et balance les verres dans le mur derrière le bar, les projectiles fracassent toutes les bouteilles et avec le plateau vide, Moonie frappe le patron sur le crâne, et ça fait DING ! - Instant chaos - Les clodos sautent et chantent. Le patron veut appeler les perdreaux. Moonie, c’est Robin des Bois.

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             Dans un hôtel, Moonie demande à Dougal de faire venir six masseuses pour faire la fête dans la chambre. Elles se foutent à poil, mais elles ne sont pas là pour baiser, Moonie veut faire la fête, alors il propose une bataille d’oreillers. Le champagne coule à flots, et Moonie essaye d’enfoncer les bouteilles vides dans le cul des masseuses, mais elles ne veulent pas. Alors Moonie propose un autre jeu. Il a un garde du corps nommé Isadore - Vous devez visualiser le contexte : il s’agit d’une chambre d’hôtel où tout est détruit, avec des plumes partout et des bouteilles de champagne vides. Le lit est écroulé, les rideaux sont en lambeaux, pas un seul meuble n’est entier, les filles sont à poil et couvertes de plumes, Moonie est aussi à poil mais sans plumes car rincé au champagne. C’est là que j’appelle Isadore dans sa chambre. ‘Isadore ?’ ‘Yeah? Dougal?’. ‘Écoute mec, tu devrais te lever et venir immédiatement. Moonie est hors de contrôle. Il est... Christ... Pour l’amour de Dieu, ramène-toi. Il a violé une femme de ménage. Je crois qu’elle est morte, man, il y a du sang qui coule de sa bouche. Et là, je commence à chialer, alors Isadore rapplique immédiatement. Il entre en trombe dans la chambre et découvre tout le bordel : la fille par terre, les jambes ouvertes, avec du ketchup plein la figure, Moonie recroquevillé dans un coin, se cognant la tête contre le mur et grognant, moi et cinq autres filles hystériques et en pleurs - Voilà le genre de coup que monte Moonie. Et chaque fois ça marche. 

             Dans un restau, Moonie fait venir 12 masseuses, leur demande d’enlever leurs knickers, de s’asseoir sur le comptoir et d’ouvrir les jambes. Alors il parle d’une voix de magicien au moment où il prépare son numéro : «Et maintenant pour votre délectation et votre plaisir, the one and only, the great, the astonishing, the astounding Moonio will perform his world famous multi-clitoral stimulation - before your very eyes and entirely without a safety net!». Puis il plonge dans la première beaver pie et titille le clito. Et il continue en allant de plus en plus vite. Les filles coopèrent in a most delightful manner

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             Jeff Stein mélange bien les époques. Après Woodstock, il revient au ramshakle d’«Anyway, Anyhow, Anywhere», Moonie en cocarde, freakout ! Puis «Substitute», dynamite !  et bien sûr c’est encore Moonie qui propulse le «Magic Bus». Et ça continue d’exploser au Rock Roll Circus avec «A Quick One While He’s Away», Moonie bombarde, the Ox bombarde, you are forgiven, Moonie bat à l’éperdue, il explose en gerbes de joie dionysiaque, il n’existe aucun batteur comparable à Moon the Loon. Absolument aucun.

             Moonie commence à faire du cinéma. Il est bon pour ça. C’est un acteur né. Le voilà sur le tournage de That’ll be The Day. Le réalisateur s’appelle Claude Whatham. Moonie joue le rôle du batteur des Stray Cats. Mais il trouve que l’ambiance est mauvaise sur le plateau. Alors il monte un coup. Il attend que Whatham demande le calme pour lancer sa première attaque. Soudain, dans la sono du plateau de tournage, une voix énorme annonce : «Les Allemands bombardent Neasden. Une bombe atomique va tomber sur Neasden. Courez immédiatement aux abris avec votre masque à gaz. Je répète...» Whatham hurle. Cut ! Cut ! Cut ! Il explose : «Find the loony ! Find the bastard !» Alors Moonie lance son deuxième raid : «N’essayez pas de me trouver. Je répète : N’essayez pas de me trouver. J’ai une mitraillette et je n’hésiterai pas à m’en servir. Je suis armé et très dangereux.» Whatham hurle de plus belle : «Trouvez-le ! Jesus-Christ, sortez-moi ce bâtard d’ici !». Alors Moonie envoie le troisième raid : «S’il y a des flics ici, sachez et que je fume un joint et que je me fais un shoot d’héro dans l’artère principale. Tous ceux qui jouent dans ce film ont la chtouille et des morpions. Chacun est prié de se rendre dans la clinique la plus proche. Toutes les filles de l’île de Wight sont des putes et elles vont enlever leurs knickers à la première occasion.» Whatham devient fou. Moonie continue : «Notez que Claude Whatham va être remplacé par un autre réalisateur. Un autre réalisateur est en route. On ne veut plus de Claude Whatham sur ce tournage parce qu’il encule le directeur de casting, ne niez pas, Claude, parce qu’on vous a vu. On vous a vu enculer le directeur de casting.» Quand on trouve enfin Moonie, tout ce qu’il trouve à dire, c’est qu’il a redonné vie à ce plateau de tournage.

             Sur le tournage de Stardust, Moonie refout le souk. La scène se déroule dans un restaurant, et soudain, il y a beaucoup d’animation. Stop the cameras !, crie le patron du restaurant. Car quelqu’un a modifié le menu affiché au mur sur la grande ardoise :

             — Fried Shit and Ships

             — Prunes and Piss

             — Bollocks on Toast

             «Inevitably, Moonie is absolutely convulsed with laughter and he can hardly stand up.»

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             Alors bien sûr, il faut voir ces deux films, That’ll Be The Day et Stardust, qui sont les deux parties d’une même histoire, celle de Jim MacLaine, interprété par David Essex. Le casting des deux films est somptueux, Ringo et Billy Fury jouent des rôles clés dans le premier, Adam Faith et Dave Edmunds dans le deuxième. Il existe une parenté entre ces deux films et Quadrophenia, car l’approche sociologique sonne juste : David Essex grandit dans un milieu working class (sa mère tient une petite épicerie et son père s’est fait la cerise). Il quitte l’école - Got enough of schooling school - pour aller zoner dans une station balnéaire - So I gave up, ran away and hitched to a roller-coaster ride in search of fish & chips & freedom - Il trouve une piaule - Two pounds ten in advance - et pour vivre, il loue des transats - I might finish up being the first British rock’n’roll deckchair selling millionaire tycoon - Il devient pote avec Ringo qui est effarant de justesse dans son rôle de Teddy boy. Et puis voici le moment de vérité : Whatman filme un groupe de rock dans une petite salle. Première apparition de Moonie au beurre derrière Stormy Tempest, interprété par l’effarant Billy Fury. On voit aussi Graham Bond au sax et certainement Manfred Mann aux keys. On voit aussi un concours de danse et Ringo fait un vrai numéro de cirque. Moonie aussi. La petite scène qu’il fait avec sa batterie vaut tout l’or du monde. Puis Jim MacLaine rentre chez sa mère, se marie et fait un gosse. Jusqu’au jour où, comme son père, il quitte sa femme, son fils et sa mère, qui n’est pas surprise. Il va s’acheter une guitare. C’est la fin du premier épisode. C’est bien de pouvoir revoir ce film, c’est l’un des grands classiques du ciné rock britannique.

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             L’idéal est de pouvoir enchaîner aussitôt avec Stardust. Jim McLaine a monté un groupe nommé Stray Cats (rien à voir avec les Stray Cats américains) avec Dave Edmunds, Moonie et deux autres mecs, et il demande à Mike Menary (l’excellent Adam Faith) de faire le road manager. Okay then, Adam Faith fait des prodiges : il finance un van plus confortable, il négocie un contrat avec un label boss interprété par Marty Wilde. Moonie fait des apparitions plus fréquentes, mais en tant que pitre, et il n’est pas aussi bon que Ringo. Il redevient le légendaire Moonie lorsqu’il bat le beurre de glam pour David Essex sur «You Kept Me Waiting» et là, on voit le beurreman physique extravagant. Magnifique plan rock. Puis on les voit en costards gris exploser la scène avec «Some Other Guy» et là tu vois Moonie battre les bras en l’air, les cheveux au vent, le groupe est #1 en Angleterre, alors Moonie bat le beurre du diable, il saute sur son tabouret, c’est un joli mélange Who/Beatles, et tout le film est monté sur le modèle de la Beatlemania, avec les girls qui hurlent et les poursuites dans la rue. Puis le groupe tombe dans les pattes d’un investisseur texan, Porter Lee Austin, et devient une grosse machine à fric. Adam Faith et le Texan misent tout sur David Essex, donc le groupe est viré. Il est arrivé la même chose à Elvis. David Essex va finir par s’isoler dans un spanish castle avec Adam Faith. Pour connaître la fin, il faut voir le film.

             Retour à Stein qui réussit à filmer les ‘Hooo en répète. Moonie chante «Barbara Ann» au chat perché, c’est un fan inconditionnel des Beach Boys et de Jan & Dean. Il porte la barbe taillée et un débardeur rayé rouge et blanc. Un journaliste lui demande de raconter la vérité. Moonie : «Tell the truth ? I can’t do that. You can’t afford me.»

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    ( Dougal  & Keith in 1977 )

             Dougal donne la clé de Moonie : «Observez bien ce mec. C’est une catastrophe ambulante. Il a un ego démesuré, complètement démesuré. Mais en plus de tout, ça, c’est un homme généreux qui a besoin d’un exutoire, et comme il ne trouve pas d’exutoire au sens conventionnel du terme, il explose all over the place into outrageous behaviour. Et dans la plupart des cas, je suis là pour ramasser les morceaux.» Voilà donc la clé de Moonie. Quand Dougal décide de quitter Moonie pour aller bosser avec Jeff Stein et devenir assistant réalisateur, ça se passe très mal. On arrive à la fin du book. Moonie commence par lui interdire de le quitter, puis il l’insulte et finit par le frapper. Dougal répond et envoie Moonie au tapis. Bing bang ptooof. Dougal parle d’un épisode traumatic. Sa décision est prise : il rentre à Londres avec Stein. Alors Moonie embauche Keith Allison pour le remplacer. Mais il reste attaché à Dougal. Peu de temps après, il envoie Keith Allison le chercher pour le faire monter dans la limo et tenter une dernière fois de le convaincre de rester à son service. Moonie commence par s’excuser. Puis, il lui propose 50 % de tout ce qu’il gagne, Dougal dit non. Alors Moonie chiale toutes les larmes de son corps. Te voilà très exactement au cœur de ce que Robert Wyatt appelait the rock bottom. La vulnérabilité.

             Moonie va casser sa pipe en bois un an plus tard. Bizarrement, les ‘Hooo vont continuer sans lui.

    Signé : Cazengler, Keith Mou

    Dougal Butler. Moon the Loon: The Amazing Rock And Roll Life Of Keith Moon. Star 1981

    Jeff Stein. The Kids Are Alright. DVD 2003

    Claude Whatham. That’ll Be The Day. DVD 2020

    Michael Apted. Stardust DVD 2019

     

    Bridge over troubled Waterhouse

     - Part Two

     

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             Sur la grande scène, l’an passé, Nick Waterhouse sortait le Grand Jeu : costard d’American corporate, section de cuivres, allure de Revue, un set taillé au cordeau, immensément pro, quasi-Daptone. Big showtime d’American showman. Par contre, dans cette petite salle havraise, il fait tout l’inverse : Nick tombe la veste, il se pointe en chemise blanche, petit fute de tergal et mocassins.

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    Et là, ça joue, sans doute plus qu’avec tout le bataclan de la grande scène. Il est fantastiquement accompagné, ça jazze sec et net au beurre, ça slappe au round midnite sur la stand-up, un petit gros keyboarde à babord, et un Texas guy gratte des contreforts à la Chet Atkins sur sa Gretsch.

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    Te voilà arrivé au royaume du groove, sans doute le meilleur groove blanc qui se puisse concevoir de nos jours. Le Nick te nique tout, il claque des gimmicks parcimonieux avec la sagesse d’un vieux blackos, il pose sa voix avec un talent surnaturel, ce mec bat tous les records du genre, il fait corps avec son groove, il se bat pied à pied avec toutes ses structures biscornues et coule au final un bronze magnifique, tu passes une grande heure au pied d’un artiste qu’il faut bien qualifier de parfait.

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             Nick Waterhouse est l’héritier direct de Roogalator, le groupe de Danny Adler qui fut l’un des groupes les plus excitants, à Londres, en 1976. Wow la gratte vert pailleté de Danny Adler ! Et l’héritier le plus direct de Nick est P.M. Warson qu’on eut la chance de voir dans la région l’été dernier, Warson dont l’idole n’est autre que James Hunter. Tous ces mecs ont des racines dans le funk et dans la mélodie, ils combinent un son qui n’est jamais putassier, ils maîtrisent la science exacte du groove black telle qu’on la trouve chez Leroy Hutson ou encore Al Green & the Hi Rhythm, un sens aigu du smooth et du rythme, eh oui, Nick Waterhouse cultive cette élégance. Il attaque son set avec «High Tiding», tiré d’Holly qui n’est pas son meilleur album, et boom il embraye sur «I Feel An Urge Coming On», groové sec dans les règles du lard fumé. Il tape dans tous ses albums, voilà qu’il tire ensuite «Santa Ana» de Promenade Blue, cet album qu’on avait trouvé si décevant.

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    Mais comme il tourne pour la promo de son petit dernier, il se montre assez insistant avec «(No) Commitment». Le cut qu’on a repéré sur The Fooler s’appelle «Late In The Garden», Nick le cale plus loin dans le set, on le repère immédiatement, car il le tape aux heavy chords de gaga angelino, c’est un heavy groove infesté de réverb et ce démon de Nick se met à sonner comme Thee Midnighters, un combo chicano quasi-mythique arraché jadis à l’oubli par Norton. Et là, tu réalises que tu as le vrai truc. L’autre gros cut du Fooler s’appelle «Hide & Seek», Nick le claque sur scène, il le prend en mode joli groove dansant, il fait la java bleue de Los Angeles et n’en finit plus de nous en boucher des coins. C’est dingue comme ce mec sait rebondir dans ses aventures.

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             Après l’affreux Promenade Blue, il revient en force avec l’excellentissime The Fooler.

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    Là, tu peux y aller les yeux fermés. On y retrouve ce cœur de set, «Late In The Garden», bien allumé aux heavy chords, c’est infesté de réverb, fantastique clin d’œil aux Midnighters - It’s a testament to all the grace & work - Pur genius. L’autre coup de maître s’appelle «Unreal Immaterial», attaqué en mode stomp. Incroyable rebondissement ! Les chœurs font «ships in bottles» et le sax chauffe ça hot. Ce genre de cut dépasse l’entendement. Wild as Nick ! Ça joue avec l’énergie du «Gloria» des Them, mais avec de la démesure. Le Nick rentre dans le chou du rap gaga and dry land lies. Il attaque ce bel album avec «Looking For A Place», un heavy groove de bonne fortune qu’il chante à la menace - You said/ You were looking fir a place - Et paf, il te passe le solo spatial de réverb dans la moiteur de la nuit. «Hide & Seek» fait partie du set, c’est un joli groove dansant, presque poppy poppah. Avec cette Beautiful Song, il fait la java bleue de Los Angeles. Il rehausse cette merveille de good time music d’espagnolades. Chez Nick tout n’est que luxe, calme et espagnolades. «Play To Win» fait aussi partie du set, encore un wild groove, du full blown Waterhousing. Ah il faut le voir groover son every gamble game ! Il y va au don’t you deal me a hand et ça swingue à coups de trompettes. Plus loin, on recroise l’excellent «It Was The Style», un heavy cha cha cha, il y ramène toute la prestance kitschy dont il est capable, il shake son ass off sur ce heavy groove de toréador. Il finit avec un «Plan For Leavin’» assez dylanex, très bizarre, très orienté, accompagné aux trompettes mariachi.

    Signé : Cazengler, Nick Water-closet

    Nick Waterhouse. Le Tétris. Le Havre (76). Le 15 novembre 2023

    Nick Waterhouse. The Fooler. Pres Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - Sam Coomes is coming

     (Part One)

             Quand l’avenir du rock se fâche avec une copine, c’est qu’il a une idée derrière la tête. Il ne fait jamais rien gratuitement. S’il décide d’engager une embrouille, c’est à des fins très précises. Il faut bien le connaître pour comprendre. À ses yeux, la vie est un jeu qui peut s’apparenter à une partie d’échecs. S’il admire tant Marcel Duchamp, ce n’est pas un hasard. S’il admire tant l’adepte de Clausewitz que fut Guy Debord, ce n’est pas non plus un hasard. Dans un cas comme dans l’autre, les petites mécaniques mentales génèrent plus d’excitation que n’en générera jamais la pratique des vices. Tout joueur d’échecs sait cela. Tu n’avances pas tes pions impunément. Tu joues, tu perds, tu joues, tu gagnes, mais tu joues toujours, même si tu ne le sais pas. Prendre une décision, c’est une façon de déplacer un pion, c’est-à-dire un acte qui peut entraîner des conséquences. Mais les conséquences restent dans le jeu. La vie et la mort font partie du jeu. Tu nais, tu gagnes, tu meurs, tu perds, entre les deux, tu joues des coups, les coups que tu peux. On comprend qu’un être supérieurement intelligent comme le fut Marcel Duchamp ait pu être fasciné par les coups d’échecs. Au plus secret de sa vie intérieure, l’avenir du rock fomente de délicieux complots. Il voit très bien le moyen d’obtenir le mat en trois coups, il suffit de prendre le temps de le préparer. Premier coup : il boit l’apéro seul dans son coin avec le casque sur la tête. La copine s’énerve. «Tu te crois où ?». Deuxième coup : un peu plus tard dans la soirée, il sort et va passer la soirée en ville, sans donner aucune explication. La copine est sciée. Troisième coup : il rentre le matin à l’aube réveille brutalement toute la baraque en passant un album des Stooges, avec le volume de l’ampli à fond. La copine sort de la chambre, excédée. Elle ne lui demande même pas d’où il vient. Elle fait sa valise et annonce qu’elle se barre de cette baraque de dingue. Alors l’avenir du rock lui lance, avec un petit sourire en coin :

             — Baby Coomes back !

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             Il faut s’appeler l’avenir du rock pour oser des coups pareils. Et ça marche à tous les coups.  Sam Coomes serait ravi d’apprendre qu’il a servi les desseins de l’avenir du rock.

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             L’autre jour dans Mojo, Victoria Segal annonçait le grand retour de Quasi qui fut, t’en souvient-il, le fer de lance de la grande pop américaine des noughties avec les Guided et Yo La Tengo. Sam Coomes et Janet Weiss ont longtemps cassé la baraque avec des albums faramineux, et malgré tout ça, ils ne font toujours pas la une des magazines. Bon, une page dans Mojo, c’est mieux que rien, alors on ne va pas aller se plaindre.

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    ( Sleater Kinney )

             En dehors de Quasi, Sam Coomes accompagne maintenant Jon Spencer & The Hitmakers. Janet Weiss a battu le beurre dans Sleater Kinney jusqu’en 2019, et dans d’autres groupes encore plus underground. Ils ont tous les deux un parcours aventureux qui s’étend sur plus de 30 ans. Ils vivent tous les deux à Portland, Oregon, mais séparément. Ils savent qu’ils sont cultes, mais ils ne la ramènent pas. Sam Coomes : «A Lot of people escape our cult, or avoid it.» C’est sa façon d’en rigoler. Chaque fois qu’ils sortent un album, ils pensent qu’ils vont devenir énormes, mais heureusement, la gloire les épargne, ce qui permet à Sam Coomes de philosopher : «La musique tient plus de la quête spirituelle que du job ou de la carrière.» À la fin des années 80, au terme d’un concert de Donner Party, son premier groupe, Sam Coomes a rencontré Janet Weiss. Ils se sont mariés et installés à Portland, puis séparés en 1997. Mais ils ont su conserver le plus important : la musique, c’est-à-dire Quasi. Leur grandeur, nous dit la victorieuse Segal, est de savoir transformer «life’s bitterest twists into pop euphoria», devenant, ajoute-t-elle, «the cult band’s cult band». En plus de Sleater Kinney et de Quasi, Janet Weiss battait aussi le beurre dans Stephen Malkmus’s Jicks. Quasi accompagnait aussi Elliott Smith. Ils se sont toujours bien débrouillés pour rester au cœur d’une scène passionnante. Rien de plus intense qu’Elliott Smith et Stephen Malkmus ! Ils ont aussi accompagné, nous dit Segal, les Go-Betweens sur leur come-back album, The Friends Of Rachel Worth. Ça s’appelle un parcours prestigieux. 

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             Breaking The Balls Of History est donc le dixième album de Quasi. Au premier abord, l’album sonne un peu pop indé, mais comme Sam Coomes n’est pas avare de poudre de Perlimpinpin, il faut s’attendre à un bon régal. Première estocade avec «Queen Of Ears». Comme ce mec est bon, on lui lèche les bottes. Il ramène dans son Queen toute la modernité dont il est capable. En fait, la modernité est la botte secrète de Quasi. Puis l’album va commencer à grouiller de puces. Il te balaye la pop d’un revers de la main avec «Shitty Is Pretty», Sam Coomes fait la meilleure pop d’Amérique, une pop pleine de jus qui ne craint ni la mort ni le diable. Pur Coomes power ! Et ça repart de plus belle avec «Riots & Jokes». Janet Weiss lance cette horreur, les voilà au cul du bottom, c’est une pure décharge de printemps, Sam Coomes te travaille ça au shuffle explosif, personne n’est jamais allé aussi loin dans la prévalence de l’évanescence, les vagues de shuffle t’arrivent en pleine gueule comme des paquets de mer, et les descentes d’accords sont mirifiques ! Cette pop innervée flirte en permanence avec le génie. Et ça continue avec «Doomscrollers», heavy pop monumentale, drivée dans la fibre. Ah il faut les voir amener «Nowheresville» au petit pouet de Sam, avec le tatapoum de Janet juste derrière - Shoot-ouff-ouff/ Get it - Sam te roule ça dans sa farine. Cet album a une pêche qui donne à voir et qui donne surtout du fil aux rotors, quelle niaque, c’est du cosmic Coomes, et là tu as un killer solo flash à faire pâlir d’envie Jon Spencer. Ils tapent leur «Rotten Wrock» aux casseroles de la misère et bouclent avec «The Losers Win» qui élargit à l’extrême leur pop évangélique. Sam Coomes joue de l’orgue, mais ça prend une dimension universelle. Sam Coomes is coming ! Il veille à tout, il est bien plus puissant que Paul McCartney.    

             Signé : Cazengler, coomique

    Quasi. Breaking The Balls Of History. Sub Pop 2023

    Victoria Segal : Quasi fight back, again. Mojo # 352 - March 2023

     

    Inside the goldmine

     - Butler de rien

             Ballo venait d’un univers complètement différent, celui de la petite bourgeoisie de banlieue verte. On le sait, la banlieue verte et la banlieue rouge n’ont jamais fait bon ménage. Mais cette fois, il s’agissait de bosser ensemble. Comme on avait des clients en com ressources humaines dans les groupes bancaires, c’est Ballo qui allait au charbon pour assurer le suivi commercial. Fréquenter les DRH des groupes bancaires ne lui posait aucun problème : il venait exactement du même monde. Au café du lundi matin, Ballo racontait souvent qu’il avait passé le week-end dans un mariage de 200 personnes, et qu’il avait rempli un nouveau carnet d’adresses. Il ne fonctionnait que par réseautage et tous les gens qu’il fréquentait bossaient eux aussi dans le petit monde privilégié des tours de la Défense. Certainement pas à l’usine. À son expertise technico-commerciale, Ballo ajoutait celle des cravates. Il avait le visage très large, le cheveu coiffé et plaqué au gel, de grands yeux verts et une bouche pincée qui en disait plus sur son caractère que tout ce qu’il voulait bien nous confier. Ballo était en quelque sorte un modèle de conformisme et il ne ménageait pas ses efforts pour s’adapter aux rigueurs de notre fréquentation, on sentait en tous les cas que notre façon d’être ne le laissait pas indifférent. Il respectait surtout notre créativité, car elle était source de richesse. On le payait pour la vendre à des gens qu’on ne voulait pas fréquenter. Ballo en tirait un double avantage : d’une part, il éprouvait de la fierté à surprendre ses clients en les déroutant : le conformiste vendait de l’anticonformisme à des conformistes, et comme ça marchait à tous les coups, il en redemandait. Et d’autre part, il s’enrichissait rapidement, car il savait parfaitement bien gérer un effet boule de neige. En quelques années, cette relation extrêmement mal embouchée devint objet de fierté, car basée sur le respect mutuel, ce qui n’est pas si courant dans ce monde de brutes qu’est le monde des affaires.

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             Pendant que Ballo vendait du vent, Billy charmait sa muse à Chicago. Vu d’avion, c’est exactement le même travail de fourmi. Ballo et Billy méritent tous les deux qu’on leur consacre un peu de temps et qu’on leur rende hommage. On a découvert Billy Butler dans une extraordinaire compile Chicago Soul, The Class Of Mayfield High, le Mayfield en question était bien sûr Curtis Mayfield. Une compile Kent lui rend aussi hommage : The Right Tracks. The Complete Okeh Recordings 1963-1966. C’est bien sûr Tony Rounce qui prend Billy en charge.

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             Comme le faisait si justement remarquer Hank Williams Jr, ce n’est jamais facile de faire carrière dans l’ombre d’un very famous one. Billy Butler est le petit frère du Soul icon Jerry Butler. Billy nous dit Rounce avait la chance d’être un chanteur et un guitariste talentueux, et la malchance de vouloir entamer une carrière alors que son grand frère était à l’apogée de la sienne.  Rounce va loin lorsqu’il affirme que le petit Billy a fait some of the best Soul records ever, sous la haute autorité de géants comme Carl Davis, Curtis Mayfield et Gerald Sims. Comme chacun sait, Jerry Butler fit carrière avec The Impressions et Billy n’avait que 13 ans quand Jerry connut la gloire avec «For Your Precious Love». Carl Davis signe Billy & The Four Enchanters en 1963 sur OKeh. Pour leur première session, Billy et ses amis enregistrent «Does It Matter», un cut chouchouté par les fans de Northern Soul, mais Rounce a un faible pour «Found True Love», qui ouvre le bal de la compile. On a là une big Soul primitive avec des harmonies vocales de rêve. Globalement, Billy fait une Soul de doo-wop. Rounce prend de l’élan pour déclarer qu’avec «The Monkey Time» de Major Lance et l’«It’s All Right» des Impressions, «Found True Love» constitue le trio de choc du «Chicago Soul’s golden era». Puis, comme il fait habituellement, Rounce nous ennuie avec ses chipoti-chipotas de découvreur de bandes inédites, ce qui fait qu’on se retrouve avec des doublons («Found True Love», «Does It Matter» et «Lady Love»). Lors d’une deuxième session, Billy et ses amis enregistrent «Fighting A Losing Battle», un autre cut chouchouté par Rounce. Il n’empêche que le résultat n’est pas très probant : un an de contrat et toujours pas de hits. Carl Davis renouvelle quand même le contrat du jeune Billy qui repart à l’assaut du ciel avec une compo de Curtis Mayfield, «Gotta Get Away». En 1964, il enregistre une autre compo de Papa Curtis, «Nevertheless», un solide r’n’b de yeah yeah I love you, Billy arrose de ses chunky guitar chords, mais c’est encore un flop. Lors de la même session, il met en boîte «Tomorrow Is Another Day», la Soul de la miséricorde. Et c’est en 1965 que Billy enregistre ses deux plus grands hits, «Right Track» et «Boston Monkey» que Rounce qualifie de dance floor classics. Il a raison le Rounce, Billy devient the king of it all avec son «Right Track», pur genius d’I believe - I believe I’m on the right track - Même magie avec «Boston Monkey», the Major Lance’s compulsive dance workout. Impossible de rester assis. C’est Dave Godin et son Soul City label qui font connaître le fabuleux «Right Track» en Angleterre. Godin envisage de sortir l’album du même nom paru sur OKeh, mais son label coule. Carl Davis quitte OKeh et le contrat de Billy prend fin. Davis est nommé big boss de Brunswick à Chicago et remonte une nouvelle équipe. Billy le rejoint. Mais le temps de la belle Soul de doo-wop est révolu. Le pauvre Billy rentre dans le rang.  

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             En 1973 paraît un album de Billy Butler & Infinity, Hung On You. Big album - How should I start this conversation ? - Billy t’explose la conversation dès «I’m So Hung Up On You». C’est extrême, il pousse la Soul dans le dos pour qu’elle avance plus vite, il explose les cadences de sex on you. «I Don’t Want To Love You» tombe du ciel. Il fait de la heavy Soul de charme chaud. Billy est un Brother intense, il tartine la Soul à l’infini. Il a derrière lui des chœurs de folles, on les entend bien dans «Whatever’s Fair», puis il fait claquer l’orage dans «Storm», Billy l’attaque au heavy groove, comme dans «Season Of The Witch». C’est saturé de feeling, ça groove sous les éclairs. «Free Yourself» ? Wild as fuck. Tu comprends pourquoi Billy est recherché. Il éclate ensuite «Dip Dip I’ve Got My Hands Full» au Sénégal, c’est énorme car bien fondé - I’ve got my hands full/ Of you - Il groove le heavy r’n’b. Il va chercher les grosses orchestrations pour donner du poids à «Now You Know» et là il s’envole par-dessus les toits - I’m on your side - Billy est puissant, il peut aller très loin. Il t’allume encore la chaudière avec «You Can’t Always Tell», il est le crack des cracks, il te fait du pur jus de wild r’n’b.

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             Paru pourtant sur Curtom en 1977, Sugar Candy Lady n’est pas l’album du siècle. Billy y propose une Soul de satin jaune curtomisée. Dans «I Know The Feeling Well», des petites gonzesses chantent get yourself together en chœur. Billy se la coule douce et va danser un petit coup avec «Play My Music». Il sait gérer son destin. Il fait de la belle Soul («Feel The Magic»), mais sans magie. Pourtant tout est là : les violons, le beat, les chœurs, la wah. Encore du très beau satin jaune avec «Alone At Last (Pt1 & 2)», il est dans l’énergie de Marvin, avec de très beaux arrangements orchestraux. Il tente sa chance jusqu’au bout de la B avec «My Love For You Grows». Il a raison. Billy a du talent.

    Signé : Cazengler, chat botlé

    Billy Butler. Billy Butler & Infinity. Hung On You. Pride 1973 

    Billy Butler. Sugar Candy Lady. Curtom 1977

    Billy Butler. The Right Tracks. The Complete Okeh Recordings 1963-1966. Kent Soul 2007

     

     

    Holly ne met pas le hola

     - Part Two

     

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             Fraîchement émoulue de l’Institut Supérieur de Formation du Garage Britannique (Thee Headcoatees), Holly s’est lancée dans une carrière solo. Elle jouait sur du velours car deux labels prestigieux la soutenaient : Damaged Goods en Grande-Bretagne et Sympathy For The Record Industry aux États-Unis. Quand on a des atouts comme ceux-là en main, la partie est gagnée d’avance. D’autant qu’Holly a basé sa légende sur une autre légende, celle de Breakfast At Tiffany’s, l’extraordinaire nouvelle de Truman Capote porté à l’écran par Blake Edwards au début des sixties. Bon nombre de jeunes coqs tombèrent sous le charme d’Audrey Hepburn qui campe à merveille le rôle d’Holly. Ah, il faut voir Audrey chanter « Moon River » assise la nuit sur le rebord de sa fenêtre : pur moment de magie. Et tout l’art d’Holly l’Anglaise vient de là, de ce pur moment de bonheur cinématographique.

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             Elle entame sa carrière solo en 1995 avec The Good Things qui reste bien dans la lignée des prestigieux albums des Headcoatees. Ouverture de balda avec un « Virtually Happy » monté sur un beat tribal de Bruce Brand. Pure présence apostolique ! Le garage d’Holly reste à la fois très vinaigré et très Shangri-La. Elle enchaîne avec un « Listen » chanté du nez. On sent qu’elle brigue la couronne, et que chaque morceau est dûment réfléchi, pesé et soupesé. Belle énormité que ce « Comedy True » rampé sur le pavé. Fantastique car progressif dans la charge de trash-guitar. Ce cut fait partie des hauts lieux d’Holly. Elle frise le génie avec un « Without You » monté sur un riff très violent. Elle tape là l’un des gagas les plus explosifs d’Angleterre. Ça riffe à outrance, on se croirait presque chez les Troggs, les Kinks et tous les autres, c’est trash explosif à l’état le plus pur. Le guitar slinger s’appelle Ed Shadoogie. Le dernier big time de l’album s’appelle « Every Word », ambitieux et cavaleur, revisité par ce démon d’Ed Shadoogie. Et voilà le travail. Sur chacun des (nombreux) albums d’Holly vont se nicher systématiquement deux ou trois merveilles. Il n’est donc pas question d’en rater un, car quand on a commencé à goûter aux charmes de « Without You », on souhaite voir la suite. 

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             Un an plus tard paraît The Main Attraction. Comme prévu, deux bombes s’y nichent. À commencer par « So Far Up There », de type gaga insidieux. Voilà qu’Holly traîne dans les caniveaux. Il ne faut ni l’approcher ni lui faire confiance. Elle n’est rien d’autre qu’une traînée des faubourgs, l’une des pires, celle qui chante du nez, une sale petite garce vénéneuse. Elle sort là une pure merveille de malveillance. L’autre bombe s’appelle « King Of Everything », amené comme un hit des Walker Brothers. Holly coule là un fantastique bronze d’extrapolation du mythe sixties - You’re the king of everything and I belong to you - Tout est joué à la basse. On trouve deux autre cuts magistraux sur The Main Attraction, « I Thought Wrong » (qui sonne comme du Velvet, insistant et vénéneux) et « If I Should Ever Leave » (qu’elle chante comme un Dylan tombé dans la lessiveuse, tout est poussé dans les retranchements, même l’orchestration, et ça donne un cut étonnant de ferveur incongrue).

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             On trouve un joli duo d’antho à Toto sur Laugh It Up, paru en 1996 : il s’agit d’une reprise du « Sand » de Lee Hazlewood chanté en duo avec Brian Nevill. On sent bien qu’après le carnage des Headcoatees, Holly aspire à plus de charité chrétienne. Alors elle tape dans le boogie de Big Dix à deux reprises, d’abord avec « Mellow Down Easy », joué à la bonne insistance de Toe Rag et sablé comme chez Ike, et avec le cut final, « Hold Me Baby » dont certains passages de guitares renvoient aux early Stones. On se régale de « Don’t Lie To Me », véritablement hanté par un solo trash d’une effroyable saleté sonique. Elle tape dans Ike en B avec « Troubles On My Mind » qu’elle prend au douceâtre angélique et elle humilie un mec avec « You Ain’t No Big Thing Baby ». Les albums d’Holly sont tous passionnants.      

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             Elle enregistre Painted On l’année suivante. En plus de Bruce Brand, on aperçoit Brian Nevill et Dan Melchior dans le studio de Liam Watson. Elle attaque avec « Run Cold », un groove de suburb classique qui sent bon la négligence féminine, un fumet que Napoléon Bonaparte appréciait particulièrement. Mais on sent qu’Holly s’éparpille un peu au fil des cuts : elle va du bastringue de bord de fleuve au heavy balladif peu déterminant, en passant par la country de pacotille. Avec « A Lenght Of Pipe », elle danse devant son juke. Elle inaugure un genre nouveau, le beat des antiquaires avec « Snake Eyed » qui sonne comme un fracas de vieilles casseroles ternies et poussiéreuses, mais elle y trouve une sorte de dynamique ancienne.

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             Elle redresse un peu la barre avec Up The Empire l’année suivante. Dan Melchior et Brian Nevill l’accompagne sur la scène de l’Empire Ballroom, Bridgetown’s premier nightspot. Deux belles choses sur ce petit disque sans prétention : « Trouble On My Mind », merveilleux hit de juke, juste de ton, vrillé par un solo énorme, et « Believe Me », tapé à la ramasse par Brian Nevill et qui sonne comme un groove des bas-fonds londoniens. Il règne une très belle ambiance sur cette petite scène. On se régale aussi d’une belle version de « Big Boss Man », d’un « Look For Me Baby » bien chaud et bien ouvragé, et d’une reprise de « It’s All Over Now » bien senti. Concert de rock anglais classique des années 90. Avec cet album, on atteint le cœur de l’underground britannique le plus magique.

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             Holly semble atteindre une sorte de vitesse de croisière avec Serial Girlfriend. Elle démarre en trombe avec « I Can’t Be Twisted », pur gaga brut de Brit tiré de l’avant. Arrive un solo fatidique, du pur jus de modernité classique, furibard et dément, encore pire que le solo de « Bird Doggin’ ». On trouve un autre killer solo sur « Down Down Down », battu au fond du bois de Toe Rag par Brian Nevill et arrosé de sauce sixties. Holly adore ces ambiances moody des clubs de Soho finement parfumés dandysme. Et soudain le solo surgit ! Voilà le secret d’Holly, elle peut rameuter le pire killer solo flash de l’histoire du rock anglais. On ne sait pas qui de Dan Melchior, Bruce Brand, Ed Deegan ou George Sueret passe le killer solo, mais on s’en fout. Puis elle s’éparpille avec les autres titres, passant de la petite rumba cacochyme (« Want No Other ») au heavy blues (« Come The Day ») en passant par la BO d’anticipation merveilleusement cinéphilique (« Serial Girlfriend »). L’ultime gros cut de l’album est « Til I Get », violent, noyé de son, et demented. On s’en repaît, d’autant qu’Holly fait sa gothique à la marée montante.

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             Elle revient se jeter dans les bras de Wild Billy Childish pour enregistrer cet album fabuleux qu’est In Blood. Dans ses notes de pochette, Billy annonce : « This album uses one chord ! And it’s simple and dumb ! ». Pour lui, trois accords c’est beaucoup trop. On peut garer le gaga sur un seul accord, et il le prouve avec le stomp rural de « Step Out ». Ces deux-là taillent bien la route. Le rock anglais leur doit une fière chandelle. Le jeu de gratte de Billy compte parmi les plus radicaux de l’échiquier politique. C’est un bretteur exemplaire. Ils enchaînent avec un morceau titre bien secoué du cocotier. Dans ses notes, Billy donne une extraordinaire leçon de morale et il va même jusqu’à prophétiser : « The future belongs to the glorious amateur ! One chord, one song, one sound ! ». Ils ramonent la cheminée du rock. Attention à « Demolition Girl » : c’est un vieux beat turgescent à la Pretties, monstrueux d’allant et complètement dévastateur, une vraie saleté endémique. Billy s’énerve, il secoue la tête en jivant son tintouin, c’est d’autant plus violent que c’est cadencé - Demolition baby ! - Billy et Holly mériteraient de passer la nuit dans le grand lit royal du palais de Buckhingham. Il faut l’entendre tirer ses morves de solo. Encore du British Beat d’excelsior avec « You Move Me », puis Holly s’en va foutre le souk dans la médina avec « It’s Natural Fact ». Elle y fait sa Bessie Smith, et là, ça prend une tournure énorme, car elle glisse. Nous voilà plongés dans les conditions optimales du rock anglais, avec une Holly qui nasille sur un groove de jazz contrebalancé au riff-raff. Rock genius à l’état pur. Tout aussi terrifiant, voilà « I’m The Robber », monté sur un vieux beat connu comme le loup blanc - It’s a hold up ! Hold up your arms ! - Coups d’harp par dessus, ils sont complètement dingues. Et ils bouclent In Blood avec « Hold Me ». Coups d’harp et brandy brash au comptoir. Quelle leçon !

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             Holly s’est fait peindre le portrait pour God Don’t Like It paru en l’an 2000. C’est un album moyen. On y trouve deux beaux cuts d’antho à Toto, à commencer par « I Hear You », qui est amené au petit groove de fête foraine. Dan Melchior y joue de la guitare fantôme et crée une présence fantastique. Ça groove à la racine du mythe. Il faut ensuite attendre « Second Place » pour renouer avec le gaga gagnant et plombé de fuzz. Holly chante d’autorité et ça donne un nouveau joyau pour la couronne de l’Underground Britannique. Qui saura dire l’éclat interplanétaire d’Holly ? Puis elle fait exactement comme sur les autres albums, elle s’éparpille. Elle tape dans le tintouin bluesy avec « I Don’t Know » et ça nasille au fond du fond. Son « Nothing You Can Say » est un groove de nez pincé joué à la stand-up amateur. Elle boucle avec un petit coup d’excitation final, « Use Me », chanté en mode amateur, comme ces girl-groups qui ne savaient pas chanter, mais leur candeur finira par s’imposer sous les lampions de la postérité.

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             Elle enregistre Desperate Little Town en 2001 avec Dan Melchior. Attention, c’est bardé d’énormités. Ils attaquent avec « Directly From My Heart » dans une fantastique ambiance à la Little Richard, avec un claqué d’accords poussiéreux. Extraordinaire ! On sent le génie gaga galeux de Dan Melchior. Sur « I’ll Follow Her », Dan chante comme un démon. Il gratte son vieux débris de dobro. Il gratte un blues d’élégance suprême. Et ça continue avec « Why Don’t You Love Me », et un retour sur le sentier de la guerre. Sacré Dan, quel fouteur de souk ! Il peut raser une ville tout seul. On passe au gaga gavé avec « Lifering ». Dan Melchior a le diable au corps. La pauvre Holly suit en tirant la langue. Dan se livre à un fantastique battage d’accords et le double de tortillettes de slide. Écoutez Dan Melchior les gars, c’est lui le king of the kong, le grimpé du sommet, celui qui chope les biplans pour les broyer. Quel gaga God ! Dan revient sonner les cloches du gaga gold avec le morceau titre. Il sort toujours ces petits riffs dont on raffole. On sent bien que ce mec ne vit que pour ça. Il ne mégote pas. Il faut aussi écouter « Don’t Pass The Hat Around », un heavy blues tamisard. Toute la mud coule des doigts de Dan la bête. En plus, c’est signé Tony McPhee.

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             S’il ne fallait conserver qu’un seul album de ce personnage faramineux qu’est Holly, ce serait sans le moindre doute le Singles Round-Up paru en 2001. Sur les 24 titres compilés, on a 12 bombes. Elle attaque avec « Virtually Happy », amené comme une grosse purge de gaga grind. Elle tient bien son rang de gaga Queen et chante d’une voix incroyablement pointue, d’un pointu qui frise la délinquance. Ça sonne comme un hit sixties, mais avec le poids d’une voix en plus. « No Big Thing » est aussi un énorme hit garage - You ain’t no big thing baby ! - Pure perle rare de gaga galvaudé. Le festival se poursuit avec « My Own Sake » épais et groovy, si épais que ça devient irrespirablement génial. Elle prend aussi « Til I Get » à la violence des bas-fonds, c’est aussi furieusement embarqué qu’un vieux hit des Pretties. « Waiting Room » sonne comme le meilleur gaga gogol. Elle chante d’une voix de gras double et pèse sur ses accents avec mauvaiseté, puis elle se hisse au sommet des explosions. Tout est roulé dans une farine de fuzz. Encore un hit de juke avec « I Can Be Trusted », vrillé d’un wild killer solo flash. Sur cette compile, tout est bon, il n’y a rien à jeter. Encore un hit avec « No Hope Bar » qu’elle gère à la meilleure embardée qui soit. Tiens, encore une extravagance avec « In You », shootée de solos intraveineux, c’est dingue, et même affolant de son sale et de proto-souffle d’audace. Elle reste dans le hard beat avec « Believe #2 » chargé de son à ras-bord et vrillé par l’un des meilleurs killer solos de l’histoire du kill kill kill. Il s’appelle Ed Deegan, c’est un redoutable interventionniste. Elle ondule des hanches sur « Too Late Now » et chante d’une voix trempée comme l’acier, puis elle tape le « Sand » de Lee Hazlewood en duo avec Max Décharné. C’est Dan Melchior qui reprend l’« Your Love Is Mine » d’Ike avec elle. Ils forment un couple rempli de hargne atrocement malveillante. Dan Melchior prend le lead sur « Laughing To Keep From Crying ». Il peut chanter comme un bluesman borgne de cabane et Holly le rejoint à l’unisson du saucisson. Sacré Dan, il sait lui aussi rester en alerte rouge. On aurait aimé qu’Holly fasse ses Brokeoffs avec lui plutôt qu’avec Lawyer Dave. Puis elle duette avec son vieux compagnon de route Bruce Brand sur un « Listen » admirable de bassmatic. Le dernier cut de cette superbe compile est une reprise de Pavement, « Box Elder » qu’elle explose dans les règles du lard fumant. Ça lui va comme un gant. Elle règne sur son empire.

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             Truly She Is None Other est probablement l’album d’Holly le plus connu. C’est aussi à l’occasion de sa parution en 2003 qu’elle vint jouer à Paris, au Café de la Danse. Pas mal de très bons cuts sur cet album, à commencer par le fameux « Walk A Mile » - Walk a mile in my shoes - pur dandysme écarlate de cramoisi, comme sur la pochette. Holly brode ça à l’or fin. Elle enchaîne avec « All Around The Houses », un petit groove rantanplan qui tournicote autour des maisons. L’indomptable Sir Bald Diddley joue là-dessus et ça s’entend dans le secret des tornades. Quelle magnifique ambiance ! Joli coup de British Beat avec « Time Will Tell », bien tapé par l’ineffable Bruce Bash Brand. Voilà du bon garage anglais sur deux accords bien décidés. Holly adore se secouer le popotin sur du vieux jive de juke, en souvenir du temps béni des Headcoatees. Encore une pièce de choix avec « It’s All Me » groovité aux guitares lumineuses, d’une exemplarité sans pareil. On croise plus loin « You Have Yet To Win », un classique de twisted jukebox. Holly sait traiter la chose à l’ancienne. Il faut entendre ces claqués de guitare infectueux, ce violent solo et l’esbroufe des clap-hands. Et Sir Bald touille bien la braise. Ah le bougre ! 

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             Down Gina’s At 3 fait partie des très grands albums live de l’histoire du rock. Tout est bon là-dessus. Bruce Brand et deux membres des Greenhornes accompagnent Holly : Jack Lawrence et Eric Stein. Ça commence vraiment à chauffer avec « Lenght Of Pipe », drivé au bassmatic. Quand tu as un mec comme Jack Lawrence à la basse, ça s’entend. Il sait groover. Eric Stein passe un killer solo furibard. Elle tape ensuite dans le beau « Walk A Mile »  de l’album précédent. Plus loin, elle bascule dans l’heavy blues avec « Further On Up The Road » et on revient au gaga gut avec « Won’t You Got Out ». Jack Lawrence joue ça à la mortadelle du petit cheval, il nous swingue ça à la barbaresque. Voilà comment on joue le gaga gold : au swing, comme le jouaient les Groovies. Killer solo d’Eric le viking. On notera la violence de la montée dans « Nothing You Can Say », digne des pires tensions de la Guerre Froide. On tape là dans l’inexorable. Derrière Eric et Holly, Jack Lawrence et Bruce Brand veillent au grain du grind. Quel gang ! Ça explose d’un côté et Jack Lawrence reste de marbre. On revient aux Headcoatees avec « No Big Thing ». Admirable ! On se croirait dans un album de rêve. Et ça continue comme ça jusqu’au bout avec « Run Cold » gros gaga-mambo de Londres qu’ils font rissoler à coups de killer solos, et « Shot Down Explosion », dans une version définitive. Boom ! Ça explose.

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             Slowly But Surely est le dernier album qu’elle enregistre en tant qu’Holly. The Bongolian vient donner u petit coup de main au shuffle. Holly jazze « My Love » jusqu’à l’oss de l’ass. Elle bénéficie d’un joli son de stand-up, rond et profond, et même carrément vulvique - My love is a deep blue sea - Avec « Dear John » on comprend qu’Holly prend une direction plus rootsy. Elle s’intéresse aux racines de l’Americana, ce qui est parfaitement absurde, de la part d’une Anglaise aussi anglaise qu’elle. Elle revient heureusement au gaga guilleret avec « In Your Head », arrosé de piano gadget par le petit Nasser Bouzida. Holly retrouve ses marques dans le bon vieux gaga gig à la noix de coco, mais prise entre deux feux : le balancement des hanches et le solo trash. Elle renoue avec le succès et sauve un album assez mal embouché, mal foutu et mal pensé. Plus loin, elle chante « Through Sun & Wine » avec la voix de Vanessa Paradis. C’est horrible de candeur factice. C’est vrai qu’il faut faire l’effort d’entrer dans sa cuisine remplie de petites boîtes à sucre en fer, car ça permet de bien apprécier sa version d’« All Grown Up », d’autant que c’est bardé de solos joués à l’élastique. Encore une jolie pièce avec un « Won’t Come Between » noyé d’orgue. Holly ne fait pas n’importe quoi.

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             On trouve pas mal de hits de juke sur My First Holly Golightly Album, à commencer par « Wherever You Were » chanté au petit sucre. Holly est vénéneuse. Son cut est à la fois terrible de tenue et choquant d’irrévérence. On retrouve l’excellent « You Ain’t A Big thing ». Son « Won’t Go Out » sonne comme une vieux rumble de gaga grivois et une stand-up embarque « Nothing You Can Say ». On se régale de « Further Up The Road » joué au boogie insistant et de « Run Cold » dégoulinant de décadence. Elle tape plus loin un « My Love Is » superbe de stand-up motion et chanté d’une voix de rêve - My love for you is a mountain ride - On rêve tous d’avoir une poule qui nous dise des choses comme ça.

             On voit la suite dans un Part Three.

    Signé : Cazengler, Holy shit !

    Holly Golightly. The Good Things. Damaged Goods 1995

    Holly Golightly. The Main Attraction. Damaged Goods 1996

    Holly Golightly. Laugh It Up. Vinyl Japan 1996     

    Holly Golightly. Painted On. Sympathy For The Record Industry 1997

    Holly Golightly. Up The Empire. Sympathy For The Record Industry 1998

    Holly Golightly. Serial Girlfriend. Damaged Goods 1998

    Holly Golightly. In Blood. Wabana 1999

    Holly Golightly. God Don’t Like It. Damaged Goods 2000

    Holly Golightly. Desperate Little Town. Sympathy For The Record Industry 2001

    Holly Golightly. Singles Round-Up. Damaged Goods 2001

    Holly Golightly. Truly She Is None Other. Damaged Goods 2003

    Holly Golightly. Down Gina’s At 3. Sympathy For The Record Industry 2003

    Holly Golightly. Slowly but Surely. Damaged Goods 2004

    Holly Golightly. My First Holly Golightly Album 2005

     

    *

    Ashen nous semble un groupe de metalcore précieux. Non pas parce qu’il est français mais parce que sa production et son parcours empruntent un chemin original. Se contentent d’envoyer leurs vidéos sur les plates-formes de streaming musical, qu’elles soient payantes ou en accès libre. Le bouche à oreille suffit pour drainer les fans vers les concerts.

    Nous les suivons de près : ainsi dans notre livraison 545 du10 / 03 / 2002 nous avions chroniqué : Sapiens, Hidden, Outler. Nowhere dans la 595 du 6 juin 2023, Angel et Smells like teen spirit (reprise hommagiale à Nirvana), voici à peine trois mois, dans notre 610, le 07 septembre de cette année.

    Aux seuls titres de ces vidéos le lecteur aura compris que l’univers d’Ashen est un peu à part…

    CHIMERA

    ASHEN

    (Official Lyric Vidéo / 7 -12 – 2023)

    ( Production Out of Line Music)

    Directeur : Bastien Sablé / Effets spéciaux : Alban Lavaud / Maquillage : Jade Maret / Nails : @jessiculottes : sur son instagram Jess est aussi tatoueuse et vous intime l’ordre d’aller voir la vidéo Angel d’Ashen.

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    Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud Poully :  bass / Tristan Broggeat : drums.

             Chimera, le titre est prometteur, instinctivement l’on pense à Gérard de Nerval, une fausse piste dès que l’on évoque le prince à la tour abolie, c’est plus complexe que cela. El desdichado souffre d’une absence, il est un trou béant, une étoile effondrée sur elle-même mais en dehors de lui. Ce que pleure Nerval c’est l’absence des Dieux, il aimerait en créer un autre, plus exactement une autre, une nouvelle, un impossible alliage qui réunirait la matière des Dieux des antiques mythologies et celle du christianisme, la Mère originelle et géologique, les vénus kallipyges préhistoriales à la diaphanéité de la Vierge catholique.

             Certains se demanderont pourquoi je présente pour évoquer cette vidéo d’Ashen une explication que je m’empresse de déclarer fausse. Pour deux raisons : la première parce que je tiens à démontrer la qualité intrinsèque de cette vidéo en la comparant à un des textes poétiques les plus brillants, en d’autres mots qui émet une lumière si vive que la nuit dans laquelle nous nous débattons paraît encore plus obscure. L’on ne peut comparer que des objets de même intensité.

             Le deuxième réside en cette constatation. Si le poème de Nerval évoque d’une manière toute nervalienne la mort des Dieux, Nietzsche aura la sienne, la Chimera d’Ashen est à regarder et à écouter comme la suite du poème de Nerval. Ne pas entendre le mot suite comme le deuxième épisode d’un récit dans lequel on retrouve plus ou moins les mêmes personnages, nos contemporains les plus immédiats parleront de Saison 1 et 2. Plutôt l’imaginer selon Aristote d’après qui toute cause engendre une conséquence.

             Les Dieux sont morts reste l’Homme. Si l’Homme ne peut plus parler aux Dieux, il ne peut s’adresser qu’à lui-même. Les âmes charitables affirmeront qu’il trouvera son bonheur à échanger avec ses semblables. Oui mais si les autres me ressemblent à quoi bon discuter le morceau de gras. Je connais déjà les réponses.  Mieux vaut s’adresser à Dieu qu’à ses saints ! Tout Homme qui se respecte ne parlera qu’à lui-même. Pas à un miroir. Pas à un clone.

             Evidemment la situation se complexifie. Relisez la troisième ligne de ce texte. Nous retombons sur nos pattes. Par la même occasion sur Nerval. Le doux Gérard en appelle aux Dieux extérieurs. L’Homme moderne ne peut susciter qu’un être qui soit non pas au-dehors de lui, mais en lui-même. L’Homme moderne engendre des monstres qui naissent et vivent au-dedans de lui. Les cliniciens nomment ce phénomène délire schizophrénique.

             Le mot délire est rassurant. Si vous délirez c’est que ce n’est pas vrai. Le problème c’est que ce délire vous coupe en deux, ou plutôt vous multiplie par deux. Coupé en deux vous êtes encore la moitié de vous deux, multiplié par deux vous n’êtes plus seul chez vous. La lutte commence. A mort. Êtes-vous sûr de la gagner.

             Après toute cette longue vidéo, vous demanderez-vous pourquoi l’on ne voit que Clem Richard ? Les quatre autres n’ont pas été retenus par le casting. Ne vous inquiétez pas dans les notes ils précisent que texte et musique sont bien l’œuvre commune de leurs cinq individualités créatrices.

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             Fond noir. Clem assis sur un tabouret. Vêtu de gris. La couleur la plus impersonnelle qui soit. Cheveux bleus. Rien à voir avec un coin de ciel bleu. Ses yeux sont dirigés vers vous. Il ne vous regarde pas. Sa voix dégobille une vomissure de sludge, quand elle redevient à peu près ( soyons gentil ) normale il chante pour lui-même, l’a l’air de réciter un mantra que lui seul peut comprendre, sa bouche se tord, l’est en pleine crise de folie, dure et pure, il hurle, ce pauvre gars dans sa cellule est à plaindre, vous aimeriez qu’on lui refile un calmant, vous vous apprêtez à téléphoner à une association anti-psychiatrique, reposez votre téléphone, c’est inutile, non il n’est pas mort la situation a changé, certes il est toujours aussi agité, mais le voici tel un empereur romain sur sa chaise curule, le plaid de pourpre qui l’enveloppe laisse entrevoir la blancheur d’un haut de toge, l’est assis sur le toit du monde, derrire lui une chaîne de montagne, des éclaire déchirent le ciel rouge sang, ce n’est plus un malade mental enfermé dans le cachot d’un asile mais le maître du monde qui hurle son mécontentement à la face du monde qui oserait lui résister, maintenant il vous regarde, évitez de regarder ses ongles effilés comme les serres d’un oiseau de proie, vous pensez à Caligula, oui c’est comme cela qu’il devait s’adresser au vil troupeau des êtres humains, il se calme sa main soutient sa tête qui s’incline, la caméra s’abaisse l’on aperçoit la plaque de marbre qui soutient son trône, horreur elle est jugée sur une pyramide de têtes de mort, un peu à la manière de Tamerlan le conquérant, (un poème d’Edgar Poe porte son nom), mais notre prince à la tour maboulie n’en veut pas à l’humanité entière, uniquement à lui-même, et plus exactement cette chimère qui l’habite, le visite de temps en temps et va jusqu’à prendre sa place, dans sa confusion il en appelle à Dieu, qui ne répond pas, à moins qu’il ne se prenne pour Dieu le taiseux, ne se prend-il pas lui-même pour Chimera, à moins que ce ne soit sa Chimera qui se prenne et pour lui et pour Dieu, trop de confusion, n’est-il qu’un gamin poignardé, égorgé par sa propre folie, ne s’est-il pas drapé dans la pourpre impériale et divine de son propre sang, qui est-il au juste, qui sera capable de le lui dire en prononçant juste son nom. Son nom juste.

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             De toutes les vidéos d’Ashen celle-ci est la plus belle, la plus violente, la plus puissante. Outre l’outrance de son vocal, Clem ne donne pas l’illusion de jouer, il est ce qu’il dit qu’il est. Il vocifère, on y croit dur comme du fer. L’on en oublie la musique, elle est là comme un fleuve de sang fertile, un sombre terreau dans lequel la voix démesurée de Clem trouve force er racine.

             Un clip de folie. Ô insensés qui croyez qu’elle n’exprime pas le plus intimement profond de ce que vous cachez en vous.

    Damie Chad.

     

     

    REBELLIONS

    ERIC HOBSBAWM

    (Editions Aden / 2011)

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    Un tel titre plaît d’emblée aux rockers. Qui risquent de déchanter. Nous ne parlerons pas de rock’n’roll mais de jazz. Pourquoi ? La réponse est à trouver dans la première partie du sous-titre :

    LA RESISTANCE DES GENS ORDINAIRES

    Attention ne pas confondre les gens ordinaires au sens où l’emploie Eric Hobsbawm avec ce que l’on nomme communément Monsieur Tout-le-Monde ou le citoyen lambda. Les gens ordinaires tels que les définit Hobsbawm ne sont pas des moutons. Ils possèdent une forte personnalité. Ils prennent fait et cause pour leurs propres goûts et leurs propres idées. A tel point qu’ils parviennent à fédérer autour de leurs jugements quelques personnes aux penchants similaires dont le rassemblement forme les embryons de ce que l’on a défini dans les années soixante-dix comme les minorités agissantes.

    Gardons-nous de tout romantisme. Les gens ordinaires ne font pas l’Histoire. Ils agissent dans les interstices. Eric Hobsbawm n’est pas un idéaliste, il est resté toute sa vie (1917-2012) un marxiste convaincu. Ce sont les lentes métamorphoses des rapports de production qui induisent les grandes ruptures historiales.

    Si Hobsbawn fut un historien respecté par les élites britanniques il ne cacha jamais ses sympathies actives pour le Parti Communiste Soviétique qu’il soutint jusqu’à l’intervention russe en Tchécoslovaquie. Par la suite il glissa progressivement à l’idée d’un communisme moins dictatorial et mena une réflexion qui posa les bases de l’élaboration des principes politiques de l’émergence de ce qui fut nommé tant aux USA qu’en Angleterre la deuxième gauche. L’on sait que cette nouvelle gauche fut le cheval de Troie de l’entrée de la pensée libérale dans les milieux politiques de gauche. Il resta toutefois jusqu’à la fin un penseur marxiste convaincu. En France on ne l’aime guère pour cela. D’autant plus que l’on peut relire son œuvre comme une pensée dans laquelle se retrouve l’ancienne coupure épistémologique fondationnelle des mouvements révolutionnaires partagés entre communisme et anarchisme.

    Ceci posé il est temps de s’intéresser à la deuxième partie du sous-titre :

    JAZZ, PAYSANS ET PROLETAIRES

             Notons que dans son livre de près de six cent pages, les chapitres dévolus au jazz ne viennent qu’en troisième position. Nous ne commenterons que ceux-ci :

    LE CARUSO DU JAZZ

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             Le titre perd son mystère quand l’on sait que Sidney Bechet (1897 - 1959) se vantait de s’être inspiré des enregistrements d’Enrico Caruso le célèbre ténor italien (1873-1921) pour mettre au point son célèbre falsetto qui fit beaucoup pour sa réputation. Hobsbwam se demande pourquoi et comment Sydney Bechet fut reconnu comme l’un des tout premiers jazzmen.

             Hobsbwam ne néglige pas les talents de Bechet, une voix reconnaissable entre mille et une maîtrise du saxophone soprano incontestable, ce ne sont pas ses qualités qui lui permirent d’être intégré dans la liste des incontournables fondateurs du jazz. L’avait un sacré défaut : son caractère, il n’était pas aimé de ceux qui ont joué avec lui. Il n’aimait pas musiciens talentueux, voulait être le maître de la formation, n’accordait pas à tout le monde son solo, son petit quart d’heure de gloire, faisait montre sur scène et en dehors d’un comportement égoïste peu plaisant… Les témoignages se recoupent, mais la jalousie n’est-elle pas aussi le premier ressort du ressentiment.

             Bechet est un créole de la New Orleans. Jusqu’à la fin de la guerre de Sécession, après laquelle ils furent remis au rang des noirs, les créoles formaient un milieu cultivé (très) relativement favorisé. Bechet a tout juste vingt ans lors de la fermeture en 1917 de Storyville le quartier sex, alcool, jeu and jazz de New Orleans. Comme la plupart des musiciens il émigrera vers le nord et l’est des Etats-Unis. C’est ainsi que le jazz devint une musique non plus régionale mais en quelque sorte nationale.

             La crise de vingt-neuf ne fut pas sans conséquence pour les musiciens de jazz. Les disques ne se vendent plus, le public se détourne du hot et porte ses préférences vers une musique moins rugueuse et davantage festive. Duke Ellington, Armstrong ne font que maigre recette. Bechet qui au début des années vingt est considéré comme un musicien de pointe ouvre un magasin de rafistolage de vêtements en 1933.

             Les petits blancs intellos jouèrent le rôle du Septième de Cavalerie pour sauver le soldat Bechet sinon perdu du moins oublié. Ces jeunes gens s’aperçurent à la fin des années trente qu’ils avaient raté les débuts du jazz. Devaient d’après eux se trouver entre Congo Square et Storyville, en plein cœur de la Nouvelle-Orléans.

             Ce mouvement antiquarianiste – de retour aux ‘’antiquités’’ du jazz toucha aussi bien les ricains que les européens. Une des figures les plus marquantes par chez nous fut Hugues Panassié. Nombreux furent les musiciens noirs qui dès les années 20 vinrent en Europe. Durant quatre ans Sydney Bechet partagea à Paris avec Joséphine Baker le succès (et même plus) de La Revue Nègre. Bechet qui s’était déjà fait expulser d’Angleterre subit le même sort par chez nous après une violente bagarre en 1928.

             En 1938 Sydney Bechet reçoit une sorte de reconnaissance américaine pour sa participation aux côtés de Count Basie, de Benny Goodman et ( bonjour le rock’n’roll) de Big Joe Turner, nous sommes dans le même mouvement de reconnaissance de l’apport de la musique noire à la culture du vingtième siècle, qui se matérialisa dans le retentissement du concert From gospel to swing organisé par John Hammond (Bob Dylan lui doit beaucoup) au Carnegie Hall in la Grosse Pomme.

             En 1949, Bechet s’installe en France, accompagné de groupes français, il devient le propagateur de ce renouveau du Jazz New Orleans, ce dixieland qui connut un énorme succès populaire qui perdure encore aujourd’hui. C’est une forme passéiste et ossifiée du jazz à l’écart de l’évolution de cette musique qui culmina dans l’explosion Be Bop et se désintégra dans la magnificence du free-jazz.

             A la fin de son article, Hobsbawm modère quelque peu les critiques virulentes par lesquelles il débuta sa présentation. L’on sent qu’il eût aimé un artiste qui soit resté tout le long de sa vie un défricheur novateur de formes sonores révolutionnaires. Idéologie et réalité ne concordent pas toujours.

    COUNT BASIE

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            Ça commence mal pour le jazz. Hobsbawm cite un extrait des mémoires de Count Basie qui s’aperçoit que les gamins qui viennent écouter le jazz n’accrochent plus, qu’ils sont en attente d’autre chose. Hobsman résume le phénomène : la musique populaire américaine vient de commettre un crime : le fils a tué le père. Le rock’n’roll a tué le jazz. Il se rattrape aux petites branches, l’article est publié en 1986, il reproche à Count ( 1904 -1984) que certes le rock a éclipsé le jazz mais que ce dernier a atteint son intronisation depuis la fin des années cinquante n’est-il pas devenu sans contestation possible la grande musique américaine classique. J’appellerais cela la consolation du pauvre. Démuni de ses biens.

             Hobsbawm reproche à Count d’être un peu frigide dans son Good Morning Blues. L’esquive un peu trop les réalités. A ses débuts le Big Band de Basie issu de Kansas City est une fabuleuse machine à rythmes, l’on joue à fond la caisse, sans partition, l’on baise à tous vents, l’on boit comme des trous, poker et whisky sont les deux mamelles du swing. Mais lors des années soixante des intellectuels s’emparent du jazz  en le qualifiant de musique révolutionnaire. Ce lumpen-prolétariat très mauvais genre est prié de ne plus porter des pantalons rapiécés, d’adopter des attitudes moins sauvages, ok pour le chic, ko pour le choc. Count débuta comme pianiste itinérant, naviguant à la petite semaine entre embauches dans un bar ou dans une tournée burlesque. Les noirs ne sont pas naturellement des accros du blues, z’aiment la danse, la baise, la bouffe, le chambard et autres saloperies du même acabit. Basie n’était même pas un grand pianiste. Tout ce qu’il savait faire c’était marquer le tempo, une fois la base établie, créait un riff (souvent inspiré d’un morceau connu) pour les sax, qui le refilaient aux trombones, qui le refilaient aux trompettes et vogue la galère, tout le monde se retrouvait, vent en poupe dans un tutti de tous les devils de l’enfer. Un baltringue qui vous foutait le feu au croupions des danseuses et des danseurs. Vingt ans plus tard, avec un super-big orchestra Basie s’est moderato, les copains lui refilent des arrangement tout faits, les musicos ont des partoches, ça rutile encore, mais ça ne brutalise plus. Le jazz s’est gauchisé, l’est devenu un objet culturel   d’intronisation. Une cause morale à défendre. Pourquoi d’après vous les rockers se sont-ils passionnés pour Rebel without a cause.

    DUKE ELLINGTON

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             Si l’on pouvait retrouver Count Basie ivre mort après un concert, ce n’était pas le cas du Duke. Certains le défendront en disant qu’il était d’une nature apollinienne et point dionysiaque. Les plus méchants assèneront qu’il ressemblait davantage à un cul-blanc qu’à un nègre. Duke issu de la petite-bourgeoisie noire fut un enfant gâté et en grandissant il se persuada qu’il était un être destiné à un destin supérieur.  Pas étonnant qu’il se considérât comme un artiste. Un compositeur, le mec hiérarchiquement situé un cran (voire plusieurs) au-dessus du chef d’orchestre.

             Entre nous soit dit, si à ses débuts il agissait en corsaire en signant les morceaux de ses musiciens il a par la suite endossé le rôle d’armateur.  Il se faisait aider par son directeur musical. Notons que ces pratiques étaient monnaie courante (et trébuchante) dans les milieux de la musique populaire américaine…

             Bizarrement sa façon de procéder, de mener son orchestre présente quelques analogies, me semble-t-il, avec James Brown, l’emmène un bout de mélodie, deux ou trois rythmes, qu’il joue au piano et les musiciens doivent se les approprier, chacun rajoute un peu, beaucoup, de soi mais en respectant le code initial imposé par le Maître. Evidemment on imagine mal Beethoven jouant son pom-pom-pom-pom au piano et demandant à son premier violon de proposer une suite… Ellington apportait une couleur inimitable qui poussait les musiciens à se dépasser. Il n’aimait guère garder les partitions, pour lui la musique se conservait par sa pratique. Dans la dernière partie de sa vie, la vogue du jazz étant dépassée, il n’hésita pas à reflouer les caisses de son very big bazar avec ses royalties.

             De fait l’orchestre d’Ellington était un peu onaniste, il jouait pour lui-même, les musiciens s’écoutaient et se répondaient. Dans la plupart du temps les danseurs se moquaient dukalement de la qualité de la musique. L’important était la danse.

             Plus tard lorsque l’orchestre visitait Europe, l’est même passé par Provins, Duke donnait aux auditeurs qui le vénéraient ce qu’ils attendaient, il l’avait spécialement un tuba qui vous sortait un son jungle à juguler un tigre mangeur d’hommes.

             L’est difficile d’inscrire Ellington dans une perspective révolutionnaire. Tant politiquement que musicalement. Sa musique serait à considérer plutôt une mise non pas en abyme mais en acmé de toutes les pratiques instrumentales noires qui l’ont précédée. Une marée d’équinoxe dont l’étale aurait atteint un niveau jusqu’à lui inégalé et insurpassable pour les nouvelles générations de musiciens jazz biberonnés à la musique classique européenne. Autre temps, autres mœurs.

    LE JAZZ ARRIVE EN EUROPE

             Le jazz a très tôt traversé l’Atlantique. Dès 1908 la comédie musicale Corindy : the origine of cakewalk est jouée à New York et à Londres. C’est son créateur Will Marion Cook qui fera venir Sidney Bechet in London. 1914 : le foxtrot fait son apparition aux States, en 1915, via la Grande-Bretagne il débarque en Belgique. En 1917 des premiers groupes de jazz font leur apparition en tant que tel sur notre continent. A la fin des années vingt des amateurs de la deuxième génération jazz commencent à développer une nostalgie des débuts du jazz qu’ils n’ont pas connus et qui engendrera un véritable revival dixieland. Au mois de novembre dernier la célèbre fête de la niflette de Provins (gâteau local) était animée par un groupe français de New Orleans.

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    ( Martial Solal + Jean Cocteau)

             Les premiers livres d’importance sur le jazz sont édités en 1926, mais l’avant-garde artistique de Jean Cocteau à David Milhaud s’intéresse à cette musique dès 1918. Le jazz fut aussi un outil émancipateur et quelque peu transgressif sous forme de danse pour l’aristocratie et la bourgeoisie anglaises. Il est vrai que dès 1900 des danses comme le boston avaient commencé à déverrouiller les attitudes guindées des corps. Les femmes en furent les premières bénéficiaires.

             En 1930 se constituent des groupes d’amateurs passionnés qui collectionnent les disques, et qui parfois se risquent à s’emparer d’un instrument. L’arrivée des disques de blues en Angleterre engendra… le rock anglais… qui ne tarda pas à déferler par un juste retour des choses aux States…

             Le jazz fut davantage accepté en Angleterre qu’en France. Accepté et joué. Certes l’impasse sur le Be bop se traduisit par le développement de groupe de jazz trad. En France, hormis une minorité de passionnés, le jazz hormis en ses débuts grâce à la danse, n’atteignit jamais à une grande popularité. Pays davantage marqué à gauche que nos voisins d’outre-Manche le blues et le jazz devinrent les musiques de minorités oppressées par l’ordre capitaliste. On les révéra, on les écouta, mais la pratique instrumentale ne suivit pas.

    LE SWING DU PEUPLE

             Ce chapitre bien plus intéressant que le précédent explore les rapports entretenus par le jazz, principalement les grands orchestres et la gauche durant les deux présidences de Roosevelt du New Deal à la fin de son deuxième mandat en 1941. Roosevelt décéda en 1945. Il y eut une alliance objective entre le jazz et la gauche américaine. Une alliance beaucoup plus culturelle que politique.  En le sens que si bien sûr les musiciens de jazz ne sont pas insensibles aux idées d’égalité raciale ils ne sont pas des militants encartés ni au Parti Démocrate, ni au Parti Communiste.  John Hammond s’avère être le symbole de cette période, il organise de nombreux concerts de jazz qui sont retransmis en direct dans tous les états et qui seront surtout écoutés par les jeunes et les étudiants. Hammond encourage la composition d’orchestres mixtes, sans trop de succès.

             De fait le jazz possède désormais pignon sur rue, mais le public ne se renouvelle pas. En 1946, sous la présidence de Truman se produit une espèce de cassure générationnelle. Par manque de public tous les grands orchestres s’arrêtent. Seul Ellington continuera sur ses propres deniers.  Le public en majorité blanc se reconnaît davantage dans cette musique qui est en train de devenir le country & western. Les grandes heures du jazz ont sonné.

    LE JAZZ DEPUIS 1960

             Ce n’est pas tout à fait vrai. Entre 1950 et 1960 le Be Bop connut une glorieuse décennie, vrai succès et fausse donne, le Be Bop est une musique métaphysique, elle parle au corps, elle parle à l’âme, elle parle de leurs misères et de leurs splendeurs, elle est la musique d’une génération née dans les années trente, un pied dans les années noires un pied sur le seuil des années heureuses. Hobsbawm consacre de nombreuses pages à la naissance du rock. Je n’insiste pas. Nous connaissons cela. Sixties et seventies seront des années économiquement opulentes.  Des millions d’adolescents sont maintenant en capacité d’acheter des disques. L’industrie du showbiz engrange des profits colossaux.

             Le public jazz se rétracte, il joue à la citadelle assiégée. Il refuse toute compromissions avec le rock. Il acceptera du bout de l’oreille Miles Davis lui reprochant sa fusion… Les artistes de jazz-rock à la Chick Correa ont beaucoup plus d’adeptes dans le public provenant du rock que des derniers résistants jazz.

             Les musiciens continuent le combat. Le Be Bop a démonté les structures du jazz, l’a mis le moteur en pièce détachées et a démontré avec brio ce que l’on pourrait attendre de chacune d’elle, il a désarticulé les structures de base du jazz, mais il n’a touché à rien. John Coltrane de son seul souffle a démantelé la tuyauterie. Ses successeurs ne la remonteront pas, ils la désintègrent, le free-jazz ne connaît plus de limite. Les nouveaux jazzmen flirtent avec la musique classique d’avant-garde, ils empruntent les sentiers du noise, ils vont loin, très loin… du public. Seule une infime minorité les suit, les autres réécoutent les disques du passé.

             Cet article est écrit en 1993, Eric Hobsbawm oublie de faire référence à son concept de rébellion. L’en oublie de citer les émeutes de Watts, les Black Panthers, l’espoir généré par la lutte et la défaite amère…

    BILLIE HOLLIDAY

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             Un court article hommagial qu’ Eric Hobsbawm écrivit à la demande de John Hammond en 1959 à la mort de Billie Holliday. Il rappelle en introduction que sur son lit de mort John Hammond lui avoue que la chose dont il est le plus fier de toute son existence fut d’avoir découvert Billie Holliday…

    *

              Ces chapitres sont intéressants, j’avoue que je m’attendais à mieux. Les trois premiers sont les mieux écrits. Trop étreint qui mal embrasse me contenterai-je d’ajouter pour les trois suivants. Trop généralistes pour que puisse s’y déployer une pensée cohérente.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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     6

    A peine avions-nous passé les bandes plastiques rouges et blanches qui délimitaient une zone d’accès interdit le long du trottoir du Chat qui pêche un os à moelle un gros homme manifestement un commissaire de police s’interposa l’air furioso. A sa décharge je me dois de signaler la sympathique facétie du Chef qui s’était emparé du ruban et l’avait sectionné en s’aidant du clair baiser de feu de son Coronado.

             _ Messieurs reculez immédiatement, trois de mes hommes vont vous coffrer sur le champ en garde-à-vue, pour qui vous prenez vous ?

    Le visage du commissaire s’empourpra quand de son air le plus placide le Chef exhiba sa carte d’Agent Secret. Un sourire moqueur aux lèvres je lui tendis à mon tour mon sésame. A ma grande surprise il s’en saisit vivement, l’examina longuement et se tourna vers le Chef :

    _ Excusez-moi cher collègue, j’admets volontiers que mon interpellation ait été un peu rogue, je n’avais pas compris que vous m’emmeniez votre subalterne pour interrogatoire. En tant que simple policier je m’incline… que vous qui êtes d’un niveau et d’un grade bien plus élevé que le mien dans les services de sécurité de notre nation ne tente pas de soustraire des lois de notre République un de ses agents sous sa responsabilité dénote une rectitude professionnelle qui vous honore. Je vous prie de me suivre, j’ai le regret de vous avertir que les faits ne plaident pas en sa faveur.

    La scène n’était pas ragoûtante, le patron du Chat qui pêche un os à moelle était étendu nu au milieu de la salle. A ses côtés gisaient également déudés les cadavres du cuisinier et de la serveuse, c’était elle qui la veille nous avait servis, Molossa, Molossito (mon cœur se serra lorsque leurs noms surgirent dans ma pensée) et moi-même, nos entrecôtes garnies. Les assassins s’étaient amusés. Ils avaient éventré les trois malheureuses victimes. Leurs intestins avaient été prélevés ils étaient suspendus, un peu comme des guirlandes de Noël, au plafond. 

    Le commissaire se tourna vers moi :

    _ Pourriez-vous Monsieur Damie Chad, nous expliquer les motifs de cette abominable mise en scène, à toutes fins utiles je préciserai que l’équipe de rugby de la ville de Provins qui rentrait en autobus d’un entraînement nocturne vous ont vu quitter l’établissement d’un pas pressé. Pire ce matin vous êtes revenu sur les lieux de votre crime, trois témoins qui vous connaissent, Provins est une petite ville, vous ont aperçu sortir du restaurant pour vous engouffrer dans votre voiture à toute vitesse.

    Je n’eus pas le temps d’ouvrir la bouche. Le Chef me devança :

    _ Cher Commissaire, je ne peux que vous remercier pour la rapidité et les résultats de votre enquête. Nous ne sommes pas venus ici par hasard, j’ai le regret de vous apprendre que vous ne voyiez que la pointe de l’iceberg. J’ai reçu cette nuit une notification de l’Elysée qui m’enjoignait de leur amener au plus vite le sieur Damie Chad. Sachez qu’il aurait ce matin même trucidé un innocent automobiliste qui s’accrochait désespérément à son automobile que cet ignoble individu tentait de lui voler. Sous l’agent Chad se cache un des serial killers les plus monstrueux que la terre ait porté. Un être assoiffé de sang et de meurtres. Sachez que cette matinée, sur ordre, j’étais venu le chercher à Provins, en passant dans la rue il a manifesté l’envie de prendre un café dans cet établissement. Je comprends désormais ses raisons, il voulait revenir se repaître une nouvelle fois du spectacle de son triple crime. Mais ce n’est pas tout…

    Le Chef se rapproche du commissaire et lui souffle à l’oreille :

    _ Entre nous c’est encore plus grave, nous le tenons à l’œil depuis quelque temps… entre nous son rôle de tueur en série ne serait qu’une couverture… il est certainement à la tête d’une organisation terroriste ultra-secrète qui serait en train d’infiltrer nos services secrets mais aussi nos forces de police et de gendarmerie… un conseil vérifiez tous vos subordonnés, leur identité, leurs parcours leurs comportements pendant le travail et leurs fréquentations dans leur vie privée.

    Les yeux exorbités du commissaire trahissent sa sidération :

    _ Puis-je faire quelque chose pour vous aider ?  

    _ Si vos hommes pouvaient le menotter et l’attacher solidement à son siège dans ma voiture. Je le livre dans l’heure qui suit à la CIM, la Cellule d’Interrogatoire Musclé des sous-sols de l’Elysée. Soyez sûr qu’après une bonne séance nous en saurons davantage.  Pour ma part je m’empresserai de rapporter à notre Président, qui suit personnellement ce dossier, votre intervention décisive. Comme tout homme notre dirigeant n’est pas exempt de défauts, je vous l’accorde, mais il sait reconnaître, féliciter et récompenser et surtout ne jamais oublier tous ceux qui œuvrent à la sécurité de notre pays.

    7

    A peine avions nous dépassé de quelques kilomètres la ville de Provins, le Chef m’avait détaché et délivré de mon inconfortable situation. Je repris ma place de chauffeur et me hâtai de rejoindre Paris.

    Le Chef avait allumé un Coronado. Il ne disait rien, il réfléchissait. Moi aussi. Cette affaire s’annonçait mystérieuse. Un véritable guet-apens. Une machination. Il était sûr que j’avais été suivi. Par qui ? Pour quoi ? Dans quel but ? Il était fort improbable que mes chiens aient été visés pour eux-mêmes. Mais qui visait-on au juste ? Ma modeste personne, le Chef, le service, le rock’n’roll ! Par acquis de conscience je jetais un coup d’œil au rétro. Dix minutes plus tard ma conviction était faite, deux voitures à tour de rôle nous suivaient.

    La nuit était tombée. Le Chef alluma un Coronado.

    • Agent Chad c’est un peu bête, j’ai envie de faire pipi, une envie irrésistible, dès que vous apercevez un arbre solitaire au bord de la route, arrêtez-moi, je me dépêche, ne m’attendez pas, continuez votre route, revenez me prendre dans quelques minutes, j’ai mes pudeurs de jeune fille, je n’aime guère que l’on m’aperçoive faire pipi, même vous, c’est bête mais je n’y peux rien, ma mère se moquait de moi, je m’enfermais à clef dans les WC et je n’ouvrai ma braguette que lorsque je l’avais entendue descendre les escaliers. Croyez-vous que je devrais entamer une psychanalyse ?

    Nous papotâmes sur les bienfaits d’une analyse, le Chef était partisan de Lacan, personnellement je tenais pour Young, nous tombâmes d’accord pour médire de Freud…

    Je freinai brutalement pile devant un ormeau solitaire. Le Chef sortit prestement et alla se cacher derrière le tronc assez imposant de l’arbre. Je redémarrai d’un coup sec, puis insensiblement diminuai ma vitesse… De loin sur cette ligne droite j’apercevais le bout du cigare incandescent du Coronado. Une voiture vint me coller au cul, pardon au parechoc. Une autre s’arrêta juste en face de l’arbre derrière lequel urinait le Chef. Dans ma tête Je comptais à voix basse : un, deux, trois ! Les gars regretteront toute leur mort le fait d’avoir ouvert leurs portières, un trait de feu traversa le bas-côté de la route, une boule de feu explosa, le Chef avait lancé un Coronado 117 surnomme El dynamitero…

    J’accélérai à fond et effectuai sur place un demi-tour, la voiture en face à qui je venais de couper la route s’encastra instinctivement si j’ose écrire dans celle de mes poursuivants. Quelques instants plus tard le Chef traversait la route pour prendre place à mes côtés.

    • Agent Chad c’est terrible avec ces gaziers je n’ai même pas eu le temps de faire pipi !

    9

    Nous fîmes demi-tour et rentrâmes en devisant fièrement :

             _ Chef, l’on ne peut pas dire que votre envie de faire pipi a été un acte manqué !

             _ Agent Chad je suis assez fier de nous, nous avons éléminé nos ennemis, mais là n’est pas la question. Nous avons réussi à créer un nouveau concept psychanalytique qui parachève cette théorie : nous venons de créer le concept d’acte réussi. Une véritable réussite !

             _ Je garai la voiture au bas du local. A peine avions nous mis les pieds sur la première marche que des aboiements retentirent. Deux boules de poils sautèrent sur nous. Ils étaient fous de joie de nous retrouver. Nous échangeâmes mille caresses.

    Ce n’est qu’une fois en haut que nous trouvâmes l’inscription à la craie sur la porte du local

    1 à 1

    A CHARGE DE REVANCHE !

    Ces messieurs sont beaux joueurs s’exclama le Chef et il alluma un Coronado !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 610 : KR'TNT 610 : LINDA LEWIS / REVEREND PEYTON / HOUND DOG TAYLOR / EHPAD / JEAN KNIGHT / CRASHBIRDS / ASHEN / EVIL'S DOGS / IN DER WELT / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 610

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 09 / 2023

     

    LINDA LEWIS / REVEREND PEYTON

    HOUND DOG TAYLOR / EHPAD / JEAN KNIGHT

    CRASHBIRDS / ASHEN

    EVIL’S DOGS / IN DER WELT

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Shakin’ with Linda

    - Part Two

     

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             On peut se contenter d’écouter Funky Bubbles, cette délicieuse box pleine à ras bord de Linda Lewis, ou, plus simplement, se contenter de caresser son souvenir, une attention qui se révèle idéale lorsqu’on est un peu pingre ou gêné aux entournures. Mais on peut aussi plonger dans le vaste lagon d’argent de sa discographie. Ce serait dommage de se priver d’un tel plaisir. Remember, my friend, life is short !

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             Au commencement était non pas le verbe, mais The Ferris Wheel, un mixed race group comme on savait si bien les fabriquer en Angleterre. Et contrairement à ce qu’on croit tous, ce n’est pas Linda Lewis qui chante sur le premier album de Ferris Wheel, mais Diane Ferraz. Can’t Break The Habit est un très bon Pye de 1967, lesté de deux belles énormités : «Something Good (Is Going To Happen To You)» et «Number One Guy». Avec Diane, tu peux jerker sans crainte, d’autant que le Something Good est un cut d’Isaac. Avec «Number One Guy», les Ferris font du Motown in London town. Côté covers, ça ne chôme pas : ils retentent le coup du Vanilla Fudge avec «You Keep Me Hanging On». Ils la jouent heavy, mais ce n’est pas aussi assommant. Par contre, la cover du «B-A-B-Y» de Carla est fantastique, ils n’ont pas vraiment de son, c’est Diane qui fait tout le boulot. Il faut aussi saluer le duo d’enfer qui illumine «It’s Been A Long Way Home», le mec pousse Diane au top de cette Soul pop d’entre deux mers. Ça sonne comme une tentative désespérée. On dirait qu’ils vont se noyer.

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             Diane Ferraz quitte les Ferris pour élever ses deux gosses. Marsha Hunt la remplace, mais pas longtemps, et c’est Linda Lewis qui entre en lice pour le deuxième album sans titre, un Polydot de 1970. Ce Ferris est nettement moins dense que le premier. Il est surtout un peu proggy, un peu folky folkah, on s’attend à un bel album de Soul anglaise et pouf, c’est raté. Les sauveurs d’album se planquent en B, à commencer par «I Know You Well», belle pop ponctuée par le chat perché de Linda. On a un peu de Soul rock avec «Sunday Times» - Sunday times is on my mind - mais c’est avec «The Ugly Duckings» qu’on se régale, Michael Snow l’attaque, des vents d’orgue magique hantent le cut, et Linda entre à la fin pour le porter aux nues, à la note perlée de lumière, c’est là qu’elle devient notre héroïne.

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             Elle démarre sa belle carrière solo avec Say No More, un Reprise de 1971. Linda fait partie des artistes qu’on suit, comme on dit, au même titre que Joni Mitchell ou Laura Nyro, parce qu’il se passe des choses extraordinaires sur chaque album. Et pas seulement au niveau de l’interprétation. Linda Lewis compose et gratte ses poux. C’est une artiste complète qu’on est ravi de fréquenter une vie entière. Il y a du beau monde sur cet album : Chris Spedding, et Louis Cenamo, un bassman qu’on retrouve dans Renaissance avec Keith Relf, dans Colosseum et Steamhammer. L’ingé son n’est autre que le fameux Ken Scott qui est derrière Ziggy et Hunky. Cenamo groove «Come Along People» en profondeur, et Linda chante «The Same Song» au fil d’or fin. Elle est éclatante de bonté divine, quasi-évangélique. Quant à Sped, il rentre dans l’eau douce d’«Hampstead Way» avec un gros riff agressif qui lui permet de jouer sur les contrastes. La perle noire de l’album se planque en B : «I Dunno», elle y fait le petit train d’all my love/ I’m gonna give you all my love. Elle s’y connaît en magie, la coquine. 

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             Bel album que ce Lark, un Reprise de 1972. On y trouve deux de ses hits, «It’s The Frame» et «Rock A Doodle Do». On s’effare de la pureté de son fil mélodique, elle chante son Frame à la nubilité absolue, accompagnée par un arpège de cristal. C’est avec son Doodle qu’elle attaque la B et tu vas la voir éclater le Doodle. Globalement, elle tape dans le groove exubérant. Cet album est enregistré chez Apple (celui des Beatles) et produit par Jim Cregan. Elle conduit son lard au feeling pur dans «Feeling Feeling» et redore le blason du groove avec «Old Smokey» - I was born east of Old Smokey - Sa voix est à l’image de ses intentions : pure. Elle s’en va gratter «Waterbaby» sous le boisseau, à l’aquatique, et elle termine avec l’excellent «Little Indians».            

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                  Elle attaque son Fathoms Deep au «Fathoms Deep», c’est-à-dire au filet de voix pop et ça bascule aussi sec dans le groove de jazz. Pure merveille ! Elle groove toujours merveilleusement, dans la joie et la bonne humeur. En B, elle tape un «Guffer» à la Nick Drake, avec une stand-up, et puis voilà encore un hit : «On The Stage», elle attaque en poussant un petit cri de plaisir et pouf, un bassmatic exubérant l’embarque pour Cythère. Ce cut respire une fois encore la joie de vivre, elle est si magnifique quand elle fait exploser de joie.      

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             Et voilà, les albums vont se succéder, année après année. En 1974, elle débarque sur Arista avec Not A Little Girl Anymore. Elle est très sexy sur la pochette, et comme le veut la loi de l’époque, elle fait un peu de diskö, mais sa diskö n’est pas vulgaire, au contraire, «It’s In His Kiss» sonne comme de la diskö lumineuse. D’ailleurs, elle attaque l’album en mode pop lumineuse avec «(Remember The Days Of) The Old Schoolyard», elle groove sa pop au funky breaking down. On ne se lasse plus de son petit chat perché, il est si pointu sur «Rock And Roller Coaster». Elle attaque sa B avec un joli coup de génie, «Love Where Are You Now», soft groove infectueux. Elle reste fabuleusement douce et douée, elle s’en va éclater son chat perché au Sénégal. Encore de la pop enchantée avec «I Do My Best To Impress». Cet Arista d’aristo nage dans le bonheur. Linda te transforme en ville conquise. Alors merci Linda.

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             Si tu veux la voir à poil, sors la pochette de Woman Overbooard. Elle a des seins magnifiques. Attention, l’album est en partie produit par Allen Toussaint, alors fini de rigoler. Le hit se planque au bout du balda : «Dreamer Of Dreams», l’élégance suprême d’Allen Toussaint. Linda tape aussi dans un cut de Van McCoy, «Come Back And Finish What You Started», le dancing cut des jours heureux, comme toujours avec Van the man. En B, Linda signe ce hit fabuleux, «My Love Is Here To Stay». Elle a un sens aigu de la beauté, elle est virtuose en la matière, elle flirte avec Broadway, avec une fantastique assise de fantastique artiste. Elle termine cet album impressionnant avec «So Many Mysteries To Find». Linda reste la reine du soft groove sucré. Ses cuts n’en finissent plus de capter l’attention. Elle va et elle vient entre les reins de l’or du Rhin.    

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             Diable comme elle est belle, et ce des deux côtés de la pochette d’Hacienda View, un Ariola de 1979. Musicalement, elle s’y montre superbe de petite fraîcheur. Bon, c’est vrai, ce n’est pas un album indispensable, mais on l’écoute parce que Linda se casse le cul à composer des cuts, alors on lui doit un minimum de respect. Et quand on respecte un artiste, on l’écoute. Elle fait un petit dancing strut d’I’m so alone/ oh mama/ I’m comin’ home dans «109 Jamaica Highway» et elle groove son jazz dans «My Aphrodisiac Is You». Elle revient à Broadway en B avec «It Seemed Like A Good Idea At The Time», elle en a les moyens et les épaules, et elle tape un hommage à Doc Pomus avec une version up-tempo de «Save The Last Dance For Me». Bien vu, Linda ! Elle garde tout le jus de Doc. Et puis voilà qu’elle illumine la nuit avec «Sleeping Like A Baby», mais elle l’illumine au sucre pur. Linda est une fantastique petite souris noire, fluide et fluette, espiègle et sexy.        

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            Tu vas tomber sur une belle cover de «Take Me For A Little While», si d’aventure tu t’aventures sur A Tear And A Smile, un bel Epic de 1983. Ce «Take Me For A Little While» de l’excellent Trade Martin fut un hit pour Jackie Ross en 1965, puis repris par Evie Sands, puis par le Vanilla Fudge. Linda le tape avec de faux accents de Supreme, c’est dire si ça sent bon le Motown Sound. Elle redevient une divertisseuse de choc avec «Why Can’t I Be The Other Woman» et finit cette belle B en mode slow groove avec «I Can’t Get Enough».     

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             Le Second Nature de 1995  pourrait bien être l’un de ses meilleurs albums. C’est là qu’on trouve «Do Ya Know Dino», elle entre dans le Dino darling au prix d’un sexy groove. Son «Love Inside» est une merveille d’exotica, elle se prend pour Astrud Gilberto, elle a quelque chose d’inexorable dans sa façon d’approcher le Brazil. Elle tape ensuite son «Sideway Shuffle» au r’n’b d’hey now now, elle l’éclate vite fait, elle monte chercher le Soul Sister Summit dans le groove, il fallait y penser. Elle fait du wild groove avec «What’s All That About», elle y revient par derrière, à la voix grave, se hausse sur la pointe des pieds et revient au sucre magique. Ah comme on se sent bien en compagnie de Linda. Elle pourrait être une petite fiancée. Ou la mère de  l’univers, ce qui revient au même. Elle enchaîne avec un «Soon Come» assez puissant, très innervé, très intériorisé, et le finit en bouquet explosif. Fabuleuse artiste ! Chaque cut sonne comme une délicieuse aventure. Elle chante encore «Born Performer» au rentre-dedans. Il faut aussi la voir gratter ses coups d’acou dans «For Love Sake», à moitié renversée dans le groove - For love sake/ He touches me - Elle irradie le bonheur, il faut la voir au dos gratter son acou. Quelle image ! Encore une petite merveille avec «Love Plateau» - Take me to the left/ Take me to the right/ Take me to love plateau - Real deal de Brazil.

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             Elle sort deux double-albums en 1996, Whatever et On The Stage - Live In Japan. C’est l’occasion pour elle comme pour nous de réviser les leçons. Surtout sur le Live In Japan, car elle tape dans tous ses vieux hits, «My Love Is Here To Stay» (un vrai festival), «Old Smokey» (un enchantement), «Do Ya Know Dino» (coup de génie, elle chante la perfection du sucre subliminal - Dino darling/ You’re so charming), «On The Stage» (son entrain est très contagieux, elle sucre son groove de calypso), «Love Inside» (elle va loin, aussi loin que Joni Mitchell) et «Funky Chicken», qu’elle gratte toute seule et qu’elle groove à la Bobbie Gentry.

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             Whatever est aussi un double qui grouille de puces, suivant le même mode opératoire : groove, sucre de chat perché et douce exotica. Linda propose une belle petite pop tropicale qu’elle saupoudre de swing. Elle remplit ses quatre faces de groove coconut et de vibes exotiques. En C, elle groove sa chique à l’exotica humide avec «Doin’ The Right Thing», et elle passe au funk léger avec «Mr. Respectable». Son «Reach For The Truth» est fabuleusement groovy, drivé par un bassmatic têtu comme une mule. Il faut la voir l’emmener au sommet, en mode gospel batch ! Elle orne sa D d’une version calypso d’«He’s A Diamond» et tient son rang jusqu’au bout avec «Don’t Come Cryin’». Superbe, attachante, magique, elle a toutes les qualités.

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             La meilleure façon de refermer la marche est certainement de rapatrier deux beaux albums panoramiques, Live In Old Smokey et Hampstead Days (The BBC Recordings). Les deux albums sont des espèces de must-be musters. Live, Linda semble plus pétillante. Elle entre dans «For Love’s Sake» et «I Don’t Do Don’t» au petit sucre de prédilection. Elle monte son lard au plus pointu du chat perché. Elle est superbe, resplendissante d’ahhh yeah. Elle ne dit jamais non dans «Don’t Do Don’t». Plus loin, elle attaque «I Keep A Wish» au fil magique. Elle semble sortir d’Alice Au Pays des Merveilles, elle est terrifiante de candeur candy, une vraie juvenile d’under the pillow. Elle passe au Brazil avec «Love Plateau», elle ramène l’exotica des îles - Take me to the love/ To the love plateau - Elle groove dans l’ass des îles et elle enchaîne avec une autre merveille, «Do Ya Know Dino», ce soft groove d’élégance suprême qu’elle chantait déjà au Japon. Linda est une virtuose de la glotte humide et rose. Elle a 55 balais quand elle enregistre cet album chez Ronnie Scott. Elle annonce «Rock A Doodle Do» - This is a song I wrote back in the seventies. That was a hit - Ça sonne toujours comme un hit. Puis elle gratte «Grandaddy’s Calypso», elle charge bien sa barque de sucre, et pour finir, elle s’en va rejoindre les reines de Broadway avec «Can’t Help Lovin’ That Man Of Mine». Elle le power de Lisa, elle pousse sa romance assez loin, elle finit par éclater sa noix à force de génie vocal et de man of mine

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             Hampstead Days (The BBC Recordings) est un album d’une rare intensité. On y retrouve ses super-hits, «It’s The Frame» et «Rock A Doodle Doo», avec un Doo qui cette fois prend deux o. Elle entre dans sa magie avec une réelle ingénuité. Elle incarne ce qui est indivisible, par exemple la beauté. «More Than A Fool» est une grosse compo, elle éclate la rondelle du Sénégal, elle monte dans l’upper-class. Avec «Red Light Ladies», elle t’éclaire la lanterne, elle te rafraîchit à coups de lay lay, elle est fantastique de chlorophylle, elle gratte ses poux à la dure, elle est dans le Love Supreme, comme Coltrane, et s’en va tortiller son chant là-haut sur les remparts de Varsovie. Linda est franchement irréelle de beauté. Elle peut faire le show toute seule, avec sa gratte. «What Are You Asking Me For» est l’une des raisons pour lesquelles il faut écouter Linda : l’artiste fraîche et géniale par excellence. Elle monte directement au chat perché. Elle dégage une énergie considérable, elle est clairvoyante et écœurante de spirit, elle est pire qu’Alexandre le Grand, elle te prend pour l’Anatolie et te conquiert sans te demander ton avis. Linda est l’une des artistes les plus fondamentales de son époque, elle couvre tous les territoires, rien que par sa virtuosité vocale. «Lark» illustre parfaitement ce postulat. Elle attaque son «Funky Chicken» à coups d’acou et passe au fast groove congénital avec «On The Stage». Elle le prend littéralement à la pointe fine. Elle revient au Brazil avec «Gladly Give My Hand», et se bat pied à pied avec «What Are You Asking Me For», comme elle l’a toujours fait. Tout est beau sur cet album. Elle développe son «Waterbaby» à coups de développements subliminaux. Elle traîne dans la voie lactée avec «Not A Little Girl Anymore», elle sonne comme une Soul Sister perdue dans le jazz, elle a le power du Love Supreme, elle honore le job de Soul Sister. Elle repart fraîche et rose avec «I Do My Best To Impress». Cut sophistiqué, mais sa fraîcheur de ton l’impose. Linda superstar annonce «Love Where Are You Now» au petit sucre. Ah il faut la voir gueuler son love. Elle est au-dessus des lois et des toits. Elle part en mode fast groove pour «The Cordon Blues» - It’s about you, eatin’, drinkin’ or mixin’up together - fast groove de jazz, mais à un point qui te dépasse, elle le pointe au chant comme le fait Ella Fitzgerald, elle a ces réflexes d’un autre temps, dans un environnement de surdoués du jazz, elle tient bien la rampe et te swingue le Cordon Blues à la Méricourt, c’est effarant de power. Elle présente ses musiciens. Les applaudissements te pètent les oreilles. Elle termine avec «It’s In His Kiss», un vieux diskö hit qui date de Not A Little Girl Anymore, mais cette fois, elle explose le dancing beat, elle te tape ça au fast r’n’b, elle court elle court la Méricourt, elle fait les Ronettes sous amphètes, si tu ne veux pas mourir idiot, écoute cette mouture du Kiss, Linda est possédée par les démons, elles pousse des cris d’orfraie, ça patauge dans la déréliction, dans une Berezina d’endives trop cuites, ça part en pointe d’apoplexie, tu ne verras jamais rien de plus explosif que Linda avec un pétard dans le cul.

    Signé : Cazengler, Linda Levice

    The Ferris Wheel. Can’t Break The Habit. Pye Records 1967 

    The Ferris Wheel. Ferris Wheel. Polydor 1970  

    Linda Lewis. Say No More. Reprise Records 1971  

    Linda Lewis. Lark. Reprise Records 1972                

    Linda Lewis. Fathoms Deep. Raft Records 1973    

    Linda Lewis. Not A Little Girl Anymore. Arista 1974 

    Linda Lewis. Woman Overboard. Arista 1977    

    Linda Lewis. Hacienda View. Ariola 1979                

    Linda Lewis. A Tear And A Smile. Epic 1983    

    Linda Lewis. Second Nature. Turpin Records 1995  

    Linda Lewis. Whatever. Sony 1996                                                  

    Linda Lewis. On The Stage. Live In Japan. Turpin Records 1996

    Linda Lewis. Live In Old Smokey. Market Square 2005

    Linda Lewis. Hampstead Days (The BBC Recordings). Troubadour 2014

     

    Peyton c’est du beyton - Part Two

     

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             On ne se lasse plus d’écouter le Reverend Peyton. Voilà encore quatre albums absolument déterminants, deux albums de hard punk-blues et deux superbes albums de pure Americana.

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             Attaquons si vous le voulez bien par les deux bombes atomiques, The Whole Fam Damnily et Between The Ditches. Pochette graphique pour le premier, pochette photo-symbole pour le deuxième. Alors boom et même badaboom dès «Can’t Pay The Bill». Ah t’as voulu voir The Whole Fam Damnily, alors tu vas voir Vesoul, dans l’Indiana, tu ne peux pas résister à ça, le Rev te déloge d’une seule rafale de hard punk blues, le Rev, c’est Victor le Nettoyeur dans Nikita, il te déblaye tout, il fait du so far-out à la voix de gras double et au stomp des forges. Il sait déclencher l’enfer sur la terre avec deux fois rien, un beat tribal et son prodigieux présentiel apocalyptique. Sa voix résonne comme un tremblement de terre. Écho terrible ! Dis-toi bien une chose : le Rev ne débande pas, tout l’album est sur le même ton, hot as hell. Il t’explose les frites de «Mama’s Fried Potatoes» vite fait. Le Rev est un acteur de la révolution. Il convole en justes noces avec l’apocalypse. Il n’existe pas de pire punk que le Rev. En plus, il te claque du bottleneck à tire-larigot. Et ça continue avec «Worn Out Shoes» qu’il allume à coups d’harp. Là tu as un héros. Un vrai. Quand tu entends «DT’s Or The Devil», tu comprends que le Rev est un punk dans l’âme, mais enraciné dans le real deal du hard blues. Tout est wild as fuck sur cet album, «Your Cousin’s On Cops» te tombe dessus à bras raccourcis, le Rev ponctue l’enfer, mesure après mesure, c’est un délire de rage permanent, il s’oublie et ça n’en finit plus de basculer dans le génie. Il s’oublie à volonté. Il fait de la fast Americanana avec «The Creeks Are All Bad», c’est battu à la diable. Le Rev est le Nabuchodonosor du punk-blues. «Them Old Days Are Gone» prouve encore son écrasante supériorité. Oh la puissance du démarrage et du gratté, il chante ça à pleine gueule. Son pouvoir est considérable. Il attaque tout de front, il ne craint ni la mort ni le diable. Nouveau coup de génie avec «What’s Mine Is Yours», il est encore pire que Bukka White. Cet album est un chef d’œuvre de wild Americana, l’un des plus beaux hommages à la culture primitive du peuple noir.

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             On reste dans le même esprit avec Between The Ditches. Il te sonne les cloches dès «Devils Look Like Angels», il est déjà grimpé au sommet du genre, il tape au cœur du heavy punk blues, au heavy stomp des bois, avec une voix qui te coupe la chique, il actionne son heavy trash tout seul, on entend vaguement Breezy gratter derrière, mais le Rev bouffe toute la devanture. Ici, il devient Gargantua. Même topo avec «Something For Nothing», il t’explose tout ça vite fait à coups de bottleneck. Le Rev est l’un des mecs les plus violents du punk-blues. Il sait couver sous la cendre, il sait faire le nègre qui va se révolter, il sait faire monter la pression, c’est son cœur de métier. Encore un coup de génie avec «Shake ‘Em Off Like Fleas», il amène ça à la Fred McDowwell, au wild craze de Como, pur genius, il reprend toute la Méricourt des blacks à son compte, il monte tout au pire niveau d’alerte rouge, mais pour comprendre ce qui se passe, il faut l’écouter, et certainement pas sur un téléphone. Ce mec a du son, alors il faut du son. Il tape encore «The Money Goes» au heavy punk-blues et aux coups d’harp. S’il est un mec qu’il faut croire sur parole, c’est bien le Rev. Il te combine là une bonne séance de transe. Il réussit à calmer le jeu histoire de mieux exploser. C’est un modèle du genre. Il ramène le pulsatif du fleuve dans «Broke Down Everywhere». C’est cavalé à outrance. Il fait carrément du wild as Rev, avec toute l’énergie de l’Americana. Avec «Big Blue Chevy», il sonne comme Creedence, c’est presque trop rock’n’roll. Il rend hommage à Fog le héros. Il a aussi ce pouvoir. C’est d’une hauteur de vue indescriptible. Il faut le voir gratter la cocote de Creedence ! Son «Shut The Screen» sonne comme l’Americana du diable. Te voilà renseigné. 

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             Avec Peyton On Patton, le Rev rend hommage à Charlie Patton. Donc, on se retrouve en pleine Americana, du côté de Dockery, dans les années vingt. Le rev a même glissé un 78 tours, en plus du LP, dans la pochette, c’est dire s’il fait bien les choses. Dès «Jesus Is A Dying Bed Maker», tu sais où tu te trouves : aux racines du blues, mais le Rev a du génie, il te modernise les roots avec le fantastique balancement du chant, il joue à deux notes avec des libellules de bottleneck. Et ça repart de plus belle avec «Some Of These Days I’ll Be Gone». En B, il fait une version banjo de «Some Of These Days I’ll Be Gone». Il claque ça d’une grosse voix d’Indiana. Tout est beau sur cet album, si on aime le blues primitif. Le Rev chante à la vraie voix, avec une gourmandise non feinte. On sent que chez lui le blues est quelque chose de purement spirituel. Avec «A Spoonful Blues», il opère une magnifique descente au barbu. Le Rev n’a pas son pareil.   

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             Avec The Gospel Album, le Rev tape au cœur de l’Americana, celle du grand peuple noir.  Il tape une version énorme d’«I Shall Not Be Moved», il invente pour l’occasion le gospel trash-punk, il te blaste littéralement le gospel batch. C’est à la fois spectaculaire et fait maison. L’autre coup de Jarnac est sa cover de «Rock Island Line». Il te l’explose. Ne lui confie jamais ton Rock Island Line. Il gratte «Amazin Grace» à l’hawaïenne sur sa National, et prend «Let Your Light Shine» au chat perché de gros barbu. Il fait encore une version demented de «Glory Glory Hallelujah». Pas de chœurs, rien que de l’huile de coude. C’est battu à la diable. Le mec au beurre est un bon. Il tagadate le beat, et le Rev te chante ça à la revoyure extravagante. Il faut aussi saluer le «Blow That Horn» d’ouverture de bal. Typical Rev des enfers, voix grave, beat tribal, ça sort du plus profond des Amériques. On croit entendre le beat du «Fast Line Rider» de Johnny Winter. Petite cerise sur le gâtö : le label a packagé l’album dans une jolie petite boîte en fer. Tu as donc au total un bel objet, avec un contenu en cohérence avec le contenant. 

    Signé : Cazengler, Révérend Péteux

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Gospel Album. Family Owned Records 2006 

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Whole Fam Damnily. SideOne Dummy Records 2007

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. Peyton On Patton. SideOne Dummy Records 2011

    Reverend Pyeton’s Big Damn Band. Between The Ditches. SideOne Dummy Records 2012

     

    Wizards & True Stars –

    My Hound Dog Taylor is rich

     

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             Sans Hound Dog Taylor, pas de Gories, pas d’Oblivians, pas de Cheater Slicks, pas de JSBX, pas de rien. C’est lui, Hound Dog, qui invente la formule gratte/gratte/beurre, le raw du raunch, le punk-blues - ferocious blues rock played on cheap guitars - Avec Goodnight Boogie - A Tale Of Guns Wolves & The Blues Of Hound Dog Taylor, Matt Rogers rend hommage à ce blackos qui avant d’inventer le power-trio à deux grattes, réussit l’exploit d’échapper aux cagoulards du Ku Klux Klan. Ça s’est passé dans le Mississippi, l’état le plus raciste d’Amérique, avec l’Alabama.

             Quand il a vu le jour en 1915, à Natchez, Mississippi, Hound Dog Taylor avait six doigts à chaque main. Sa mère passait son temps à recompter. Six et six ! Shit ! Ce genre de malformation est répertoriée, comme le sont les double bites ou les double têtes. Forcément, ça attire la curiosité. Tout le monde allait voir Hound Dog Taylor sur scène à Chicago pour recompter ses doigts. Nous en France, on examinait les pochettes de ses albums parus sur Alligator pour recompter ses doigts et effectivement, sur la pochette du troisième album posthume, Beware The Dog, on voit un sixième doigt à sa main gauche, celle qui tient la clope. Hound Dog a fini par en avoir tellement marre qu’un soir de cuite, il s’est coupé le sixième doigt de la main droite avec une lame de rasoir.

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             Hound Dog n’a pas eu la vie facile. En 1924, il a neuf ans et son beau-père met ses affaires  dans un sac en papier brun, sort un flingue de sa poche, le braque sur lui et lui dit de se tirer vite fait. Le gosse se barre avec sa sœur. Devenu adulte, Hound Dog fait comme les autres nègres, il bosse aux champs et ferme sa gueule. Il apprend à jouer du piano, puis il commande une gratte chez Sears Roebuck pour 3,25 $, nous dit Rogers qui est bien renseigné. Hound Dog a 20 ans, il admire Lonnie Johnson et Blind Lemon Jefferson. Il est haut et maigre. Il rencontre Elmore James dans le juke circuit. Hound Dog lui montre un cut qui vient de Robert Johnson, «Dust My Broom». C’est Elmore James qui deviendra célèbre avec «Dust My Broom», pas Hound Dog, qui le joue au bottleneck - Wasn’t no silver thing, just a broken off bottleneck. I was playing «Dust My Broom» in 1935. That’s my song. He (James) got the idea from me and put his own words to it. Everybody will say that I play like Elmore, but I don’t play like no damn Elmore. I taught myself everything I know. Started off playin’ slide. Listened to Blind Lemon, Lonnie Johnson, a whole bunch of cats - Et il termine son évocation d’Elmore ainsi : «Elmore was a nice guy, but in his younger days he was mean - just like I was mean - fight, shoot, do anything.»

             Au Mississippi, Hound Dog réussit à faire son petit bonhomme de chemin et à se faire connaître. En 1941, il est invité à jouer au King Biscuit Time, une émission diffusée par une station de radio située à Helena, en Arkansas, juste de l’autre côté de la frontière. L’émission est réputée, grâce à Sonny Boy Williamson II et Robert Lockwood. C’est là que B.B. King fera ses débuts. Hound Dog vit à Tchula, dans une ferme qui appartient à des blancs. Il conduit un tracteur, puis les patrons blancs lui proposent un job de chauffeur. Il doit conduire les gosses des patrons blancs aux surboums locales et les attendre dans la bagnole pour les ramener à la maison. Et bien sûr arrive ce qui doit arriver : une jeune blanche a envie d’une belle bite noire. Comme chacun sait, les relations inter-raciales sont punies de mort dans le coin. Une nuit, les mecs du KKK viennent planter une croix devant la cabane branlante d’Hound Dog et y mettent le feu. Il a juste le temps de se barrer par derrière et de se planquer dans les bois. Hound Dog sait que s’ils le chopent, ils le pendront. Strange fruit. Alors il prend la fuite vers le Nord - He ran like wolves had caught his scent.  

             Il prend un bus et débarque en 1942 chez sa sœur à Chicago. Il doit tout recommencer à zéro. Il a perdu le peu qu’il avait. Il doit trouver un job pour vivre. C’est là, à Chicago, que démarre la grande aventure musicale des HouseRockers, l’un des trios les plus wild de l’histoire musicale des Amériques.

             Rogers réussit l’exploit de nous transmettre avec son petit book toute l’énergie d’Hound Dog. Si le book est tellement spectaculaire, c’est bien sûr parce qu’Hound Dog Taylor est un homme spectaculaire, un homme qui joue une musique spectaculaire, mais aussi un homme traumatisé par la violence des racistes blancs, et qui sut, comme tous les grands artistes noirs, transcender cette terreur du blanc pour en faire de l’art. C’est une leçon qui mérite d’être méditée. Hound Dog invente littéralement le punk blues, il dépouille le blues de tout ce qui ne sert à rien pour ne conserver que le groove, le swing et le grit, il fait, nous dit Rogers, ce que les punks ont fait avec le rock’n’roll - He found ferocity in simplicity - et donc, il fallait inventer un nouveau son et une nouvelle façon de jouer. Kaboom !

             Hound Dog commence par prendre sa gratte et aller faire la manche à Maxwell. Rogers nous dépeint le Chicago des années 40, où tous les blackos jouent du blues au coin des rues pour quelques pièces de monnaie. Hound Dog se fait plus de blé qu’il n’en avait jamais vu - You know, you used to get out here on a good Sunday morning and pick you up a good spot, babe. Damnit, we’d make more money than I ever looked at - Il ajoute que tous les autres étaient là, «Muddy Waters was down there. Wolf was down there. Little Walter was down there. I’m over here. Jimmy Rogers too... And I had the biggest crowd.» Eh oui, Hound Dog n’est pas n’importe qui. Il sait gratter un gritty blues. Il picole, il adore le Canadian Club Rye Whisky, et il drague Freddie qui va devenir sa poule, enfin l’une de ses poules. Il propose de la ramener chez elle un soir - Miraculeusement he didn’t crash the car - Puis il se paye une gratte électrique - A hollow-body Harmony qu’il appelle «Old Mike» - et il devient un bluesman de Chicago.

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             Il devient pote avec Kid Thomas qui vient lui aussi du Mississippi et qui enregistre sur Federal. Mais ça ne se vend pas. Il demande à Hound Dog de jouer de la basse pour lui. En 1956, le groupe part jouer à Wichita, Kansas. À la fin de set, Thomas disparaît avec le blé du groupe. Baisé. Hound Dog appelle sa sœur Lucy à l’aide. Elle lui envoie les sous pour prendre un bus et rentrer à Chicago. Rogers nous apprend qu’un peu plus tard, Kid Thomas, réinstallé à Los Angeles, allait renverser accidentellement un gosse et le tuer. Quelques mois plus tard, le père du gosse allait choper Kid Thomas dans le parking du tribunal et lui coller une balle dans le crâne.   

             Robert Christgau qualifiait les HouseRockers de «Ramones of Chicago blues». On peut même parler de phénomène unique dans l’histoire du rock américain. Hound Dog, okay, mais aussi Brewer Phillips et Ted Harvey. Pendant des années, Hound Dog cherche des gens pour jouer avec lui. On lui balance le nom de Brewer. Il bosse dans le bâtiment. Il est costaud. Il a des grosses mains. Il joue sur une Tele, avec un son mordant - Sharp metallic edge and crunch - C’est exactement ce que recherche Hound Dog, «the perfect contrepoint to his fuzzy boogie.» Maintenant, il lui faut un beurre-man. C’est à l’enterrement d’Elmore James en 1963 qu’il le rencontre : Ted Harvey qui justement était le beurre-man d’Elmore. Harvey a 45 ans, un an plus jeune qu’Hound Dog. Comme son boss a cassé sa pipe en bois, Harvey est au chômage. Il file son numéro à Hound Dog. Mais il sait que son style trop jazzy ne colle pas avec le rocking blues style d’Hound Dog. Alors il demande conseil à Fred Below, the big-name blues drummer in Chicago (et accessoirement idole de Charlie Watts) : «Man you got to teach me the backbeat.» Below taught him well, ajoute Rogers. Hound Dog est fier de son nouveau beurre-man - He is about the best now - Il a évolué du «fast beat», the jazz drumming, vers le backbeat. Ce genre de détail n’a l’air de rien, comme ça, vu d’avion, mais quand on entend jouer Ted Harvey sur les trois albums des HouseRockers, on comprend mieux.

             Les HouseRockers vont casser la baraque pendant 10 ans à Chicago et ailleurs - Hey! Let’s have some fun! I’m wit’cha baby!», lance Hound Dog pour lancer le set. Une gorgée de Canadian Club, puis un cocktail, et une bière pas dessus et c’est parti ! - À force de fréquenter des génies, Matt Rogers devient un génie : «Taylor and the HoueRockers were big drinkers. They’d get loose, they’d get high, they’d get drunk, and they’d play.» En 1965, ça fait 23 ans qu’Hound Dog est à Chicago et ça fait 8 ans qu’il survit comme musicien pour une poignée de dollars chaque soir. Mais avec les HouseRockers, il devient le roi du monde. 

             La violence est omniprésente dans la vie d’Hound Dog. Parce que le KKK, et parce que Chicago, la ville la plus violente d’Amérique à l’époque où il y vit. On y dégomme des gens tous les jours. Il a toujours un flingue ou un rasoir sur lui. Tom Waits : «Dans le South Side of Chicago, au Cherckerboard Lounge, Hound Dog Taylor jouait pour un public chahuteur. Au premier rang, un poivrot l’asticotait, alors Hound Dog sortit un calibre 38 de sa poche, lui tira une balle dans le pied, remit le calibre dans sa poche et finit la chanson.» Rogers ajoute, tous mots bien pesés : «He was a troubled man in a troubled world.» L’autre plan classique : le patron de bar qui refuse de payer les musiciens. Rogers cite l’exemple d’Old Duke qui sort un flingue et qui leur dit : «You’re not getting any money.» En plus, il tient un chien méchant en laisse. Alors il ne reste plus qu’à partir. Rogers évoque aussi les shootes entre Hound Dog et son premier batteur, Levi Warren. Ils jouent à Florence’s et commencent par s’engueuler. C’est l’escalade verbale. Hound Dog prend sa gratte, Old Mike, et frappe Warren sur le crâne. Il frappe si fort qu’il casse Old Mike. Warren est sonné mais il réagit et file une rouste à Hound Dog. Brewer Phillips intervient et les séparer. Hound Dog est tellement furieux qu’il téléphone à Freddie pour lui dire d’amener son flingue. Pendant ce temps, Warren va dans sa bagnole chercher le sien. Heureusement, quelqu’un a appelé les flics. Rogers nous explique que ce type de soirée qui tourne mal est courante. Levi Warren quitte ensuite la ville pour aller accompagner Willie Mabon à Kansas City. Matt Rogers fait un excellent travail avec son book, il nous fait entrer dans le bar pour assister aux shootes entre Hound Dog et ses musiciens.

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             Chaque fois qu’Hound Dog et Brewer s’engueulent sur scène, ils posent leurs grattes et vont se battre dans la rue. Ils se crient dessus et frappent. Pour Iglauer, «c’était un mélange d’amour fraternel, de rivalité infantile et de Canadian Club.» Ils ne pouvaient pas s’empêcher de se battre. C’était leur façon d’être. Jusqu’au jour où Brewer quitte le groupe et là c’est la catastrophe, car personne ne peut le remplacer. Il reviendra, bien sûr. Il existe aussi des tensions entre Hound Dog et Iglauer, qui lui non plus, n’a pas de patience. Des ennuis aussi avec Big Mama Thornton qui sort un cran d’arrêt lorsqu’elle croise Brewer Phillips dans un sound check. Elle le confond avec Hubert Sumlin. Et puis un soir, dans une petite fête, Brewer balance des vannes, du genre, «j’ai vu ta femme faire la pute sur la 43e rue», alors Hound Dog sort de la pièce et revient avec un flingue. Hey Brewer ! Bam ! Une première balle dans la jambe. Brewer gueule : «Hound Dog what you shoot me for?», bam, une deuxième balle dans l’épaule, bam, une troisième. Le flingue s’enraye. Il y a de la fumée, du sang par terre, des gens choqués. L’ambulance et les flics arrivent. Hound Dog va au trou, Phillips à l’hosto. Brewer raconte la scène : «Hound Dog m’a tiré dessus trois fois. On commence par s’engueuler. Ça dégénère. And we go to war. Il sait que je peux lui casser la gueule. Si le flingue ne s’était pas enrayé, il m’aurait tué. Le premier coup de feu devait me faire peur. Mais ça ne m’a pas fait peur. Il voyait que je n’avais pas peur. Il m’a tiré dans la jambe. Juste là. La deuxième fois dans l’épaule. Et la troisième fois, dans le doigt.» En fait personne n’est surpris de cet incident. Ça faisait longtemps qu’Hound Dog menaçait de buter Brewer. Tout le monde le savait.

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             De tous les blackos de Chicago, le plus violent est sans doute Little Walter. En 1967, Hound Dog est invité à se joindre au American Folk Blues Festival qui tourne en Europe. Il est sixième sur l’affiche et tout seul sur scène. Puis il doit accompagner Little Walter et Koko Taylor, avec Odie Payne on beurre et Dillard Crume on bass. Mais ça se passe mal avec Little Walter. Toujours la même chose : alcool, dope, Little Walter est en plus irascible and quick to fight. Il a le visage couvert de cicatrices. Il porte une bague dont le diamant a la taille d’un glaçon. Little Walter se plaint d’Hound Dog à un journaliste : «Them damn country coons. What’s he doing with me? He ain’t no use at all... damn southern coon!». Quatre mois après la tournée, en février 1968, Little Walter casse sa pipe en bois, suite à une grosse shoote. Internal injuries. Il avait 37 balais. 

             Hound Dog et Brewer Phillips ont pour habitude de se battre. Ça revient constamment dans le récit. Un soir, Hound Dog tente de coller un coup de pied de micro à Brewer qui parvient miraculeusement à l’éviter. C’est le gros pied de micro rond en fonte qui pèse une tonne. Le pied nous dit Rogers fit un énorme trou dans le mur. Ils se tapent dessus, ils sortent les rasoirs, mais ils ne peuvent pas se priver l’un de l’autre sur scène. Ils savent qu’ensemble ils font des étincelles. Mais le succès tarde à venir. Ça fait 18 ans qu’Hound Dog est à Chicago quand il enregistre enfin son premier single «My Baby Is Coming Home»/«Take Five» sorti sur Bea & Baby, Hound Dog a déjà plus de quarante balais.

             Son surnom lui est donné par des potes qui le chambrent gentiment. Comme Hound Dog est toujours en train de draguer, les autres lui disent «You’re always on the hunt, like a hound dog.» Une autre version dit que c’est Magic Sam qui l’a surnommé Hound Dog. Il s’appelle en réalité Theodore Roosevelt Taylor.

             Freddie King est tellement impressionné par son «Taylor’s Boogie» qu’il va pomper le riff pour le recycler dans son «Hide Away» paru en 1961, et sur lequel les guitaristes de blues anglais vont se faire les dents. Hound Dog est plus déterminé que jamais à réussir : si Freddie King peut décrocher un hit with a Taylor tune, alors Taylor peut aussi.

             Hound Dog ne prend pas les blancs du blues au sérieux, ni Mike Bloomcield ni Paul Butterfield qui eux aussi écument les clubs de Chicago : «Can’t no white man sing the blues, and can’t no Negro sing no love song. He can play it. Oh hell yeah. I know some white cats who play some blues. It’ll make you stand up and look... but he can’t sing shit. He just can’t sing it.» Hound Dog nous dit Rogers a fière allure. Il porte toujours des pantalons trop grands, un petit chapeau de jazzman qu’on appelle the pork pie hat, et une chaîne autour du cou. Il fume des Pall Mall à la chaîne. Il enregistre un single avec Marshall Chess, mais ça n’est jamais sorti, car c’est le moment où Leonard le renard casse sa pipe en bois et où Chess disparaît.

             Bon les HouseRockers, c’est bien gentil, mais ça ne suffit pas. Pour faire de l’alchimie, il faut d’autres clavicules, mon petit Salomon. Alors deux blancs vont entrer dans l’athanor : Wesley Race et Bruce Iglauer, deux fans inconditionnels de blues, et surtout des HouseRockers. Race va même réussir à devenir l’ami d’Hound Dog. Race et Iglauer bossent tous les deux chez Delmark, le gros label de blues de Chicago.

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             Iglauer vient du Michigan et débarque à Chicago en 1969. Il est obsédé par le blues. Pourquoi débarque-t-il à Chicago ? Parce que dans un canard nommé Hoot, un mec dit que pour voir du vrai blues, il faut aller chez Jazz Record Mart et demander Bob Koester. C’est exactement ce que fait Iglauer. Koester et lui deviennent amis. Koester l’emmène dans les clubs. Et comme Koester est aussi boss de Delmark, il fait bosser Iglauer.

             Tout va bien jusqu’au jour où Iglauer voit Hound Dog sur scène at Florence’s - The sounds were so raw and distorded - Il est fasciné - He played fast shuffles, slow shuffles, and medium-tempo Jimmy Reed-style shuffles (known as lump-de-lumps), alternating with driving boogies, grinding stomps and romping up-tempo songs - C’est la fête au village ! Pour Iglauer, c’est «the happiest music I ever heard in my life. It was so infectuous, so rhythmic, it was so much fun. People were dancing in the aisles in front of the band. I fell in love with that band.» Un autre blanc vient assister à TOUS les concerts de HouseRockers, c’est Wesley Race. Hound Dog l’a repéré. Ils deviennent ami, et avec Freddie, Lucy (la sœur d’Hound Dog), la femme de Race, ils créent the HouseRockers Social Club. Il y a de la magie dans cette histoire.

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             Race et Iglauer papotent. Ils commencent à se dire qu’il faudrait enregistrer les HouseRockers. Et pas pour faire un petit single à la mormoile : non, ils rêvent d’un album. Ils soumettent le projet à Bob Koester qui les envoie sur les roses - It’s not going to happen - Alors que fait-on dans ces cas-là ? On casse sa tirelire et on crée un label. C’est exactement ce que vont faire ces deux petits culs blancs. Ils vont se saigner aux quatre veines. Il reste encore une étape importante : demander à Hound Dog s’il est d’accord pour enregistrer un album. Iglauer pose la question et Hound Dog répond cette phrase magique : «I’m wit’ you, baby, I’m wit’ you.» Iglauer amène les HouseRockers chez Sound Studios, sur Michigan Avenue. Il faut aussi trouver des titres pour les instros qui n’en ont pas. Matt Rogers sort le Grand Jeu : il donne tous les détails : Hound Dog gratte une Kingston guitar branchée sur un Sears Roebuck Silvertone amplifier, le même ampli que celui du grand Reverend Peyton. Brewer gratte sa vieille Tele et Ted Harvey bat son beurre sur son Slingerland drum set. L’ingé-son est un vétéran de toutes les guerres, un crack nommé Stu Black qui a bossé pour Chess et Delmark - I’ve done it all, from Howlin’ Wolf to Steppenwolf - Il presse le bouton «record» et bam, c’est parti ! Comme Hound Dog a besoin d’un public pour jouer, Race sort de la cabine de contrôle et prend une chaise, pour s’asseoir près de lui. Alors les HouseRockers se sont mis à jouer «like it was a wild Sunday». Merci Matt Rogers de nous amener dans le studio. En deux sessions, ils enregistrent 25 cuts.

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             Premier album absolument dément. Il sort en 1971. Il n’a coûté que 970 $. En plus, Iglauer verse 480 $ à Hound Dog pour les sessions (à quoi vont s’ajouter les royalties à venir) et 240 $ chacun, à Ted Harvey et Brewer. Après avoir payé les HouseRockers, il crée Alligator Records. Pour lui, le son d’Hound Dog est unique - Personne ne peut jouer comme lui, tous ces mecs peuvent jouer ses licks, mais pas sa musique. Car ils n’ont pas conduit un tracteur dans le Mississippi ou vu une croix en feu dans leur jardin ou dormi dans un fossé de drainage. Et je suis prêt à parier qu’aucun autre musicien ne peut jouer en buvant du Canadian Club du matin au soir - Toujours dans l’émerveillement, Iglauer ajoute : «Hound Dog était incroyablement fier. Le projet l’enchantait : enregistrer un album entier, avoir sa photo sur la pochette, voir des gens venir le trouver pour signer des autographes. He was sitting on top of the world. Il n’en revenait pas quand je lui ai versé les royalties.» Pour une fois, un petit cul blanc bosse proprement et ne prend pas les nègres pour des vaches à lait. C’est important de le signaler. Et c’est toute la différence avec les frères Chess qui ont d’abord pensé à leur gueule.

             Hound Dog Taylor And The HouseRockers est l’un des grands albums magiques de l’histoire du rock. À cause du contexte décrit ci-dessus, mais aussi et surtout à cause des cuts. Quelle pétaudière ! Iglauer est très fier d’en vendre 9 000 exemplaires la première année. Hound Dog nous met aussitôt à l’aise avec «She’s Gone», un boogie saturé joué à deux guitares. Ils rockent leur chique hard. Du vrai trash. Hound Dog pouvait jouer trois heures d’affilée sans s’arrêter. Ils tapent plus loin un heavy blues pleurnichard, «Held My Baby Last Night» et le plongent dans une friture de sature immature. C’est joué sur la corde basse et slidé crade. Mais vraiment crade. Ça sent bon l’Elmore. Hound Dog adore jouer hard and loud, selon son expression. Il adore aussi le Canadian Club, les armes et les femmes. On n’entend que ça dans sa musique. Il arrose «It’s Alright» de grosses giclées de trash guitar. Ils gorgent leur dirty boogie de dirty disto. Les solos sont concassés dans la structure. Hound Dog invente tout. Les rockers blancs n’ont fait qu’essayer de l’imiter, sans jamais y parvenir. Retour à l’Elmore avec «Wild About Baby», mais avec encore plus de panache. Hound Dog tape «I Just Can’t Make It» à la sauvette, il chante à la volée et on a bien le son des deux grattes vérolées. Puis il nous refait le coup du Heartbreaking Blues avec «It Hurts Me Too». Véritable apanage des alpages du heavy blues vinaigré à la disto. Ils te swinguent ensuite «44 Blues» à la Méricourt. Ted Harvey le bat si sec ! Perle rare. S’ensuit le gros classique d’Hound Dog, «Give Me Back My Wig», emmené à train d’enfer. Quel ramshakle ! Jamais vu un tel bordel ! Phillips passe un solo demented en morse. Ces trois blackos sont les vrais punks. 

             Hound Dog respecte tellement Iglauer qu’un soir, il lui dit : «Don’t spend your whole life hanging around with peopel like us.» Hound Dog pensait qu’Iglauer méritait de meilleures fréquentations que ce trio de trashers black incultes et alcooliques. Iglauer dit que ça lui a brisé le cœur qu’Hound Dog lui fasse un tel aveu. Matt Rogers dit qu’Hound Dog continue de faire des cauchemars, poursuivi par des loups et des chiens, alors il dort avec la télé allumée.  Il n’est bien que sur scène, avec les HouseRockers et un public venu faire la fête.

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             En tournée, c’est souvent Brewer qui conduit, car Hound Dog ne sait pas trop lire les panneaux. Et puis il est tout le temps en train de siffler son Canadian Club. Il ne bouffe rien. Brewer sait lire une carte. Ils roulent dans la Cadillac de Ted Harvey - They were doing it in style - Tous les trois, avec Iglauer. Direction la côte Est. C’est magnifiquement raconté. Matt Rogers donne une foule de détails tragi-comiques. On se croirait dans l’On The Road de Jack Kerouac. Des détails du genre : Hound Dog rentre de tournée et un gros paquet l’attend chez lui. C’est sa guitare Teisco qui lui avait été barbotée à Gary, dans l’Indiana, le mois précédent. Il y avait un petit mot dans le paquet qui disait que la guitare était too hard do play, so they were returning it.

             Hound Dog s’est forgé une réputation de bad ass guy. Quand il arrive en ville, les gens disent «Hound Dog’s coming». Les gens avaient un peu peur de lui. Même Wolf disait ça : «Hound Dog’s coming». Matt Rogers note aussi qu’il existe une connexion entre Hound Dog et Wolf. Wesley Race a une explication : «Wolf était traumatisé à l’armée, et on l’a laissé partir pour des raisons psychiatriques. Alors il se voyait comme une sorte de misfit. Et comme il voyait les deux mains à six doigts d’Hound Dog, ça créait un lien.» Wolf voyait Hound Dog comme un misfit. George Thorogood note que sur scène, Hound Dog et Brewer vont parfois jouer derrière leurs amplis. Il ne comprend pas. Il n’a encore jamais vu ça. Alors il leur demande pourquoi ils font ça et Hound Dog lui répond : «You don’t want to sit in front of the amplifier. It’s too fucking loud.» Thorogood dit aussi qu’il ne connaît personne qui puisse jouer sur scène avec autant d’alcool dans le sang. Lors d’un concert à Boston, Brewer est tellement rôti qu’Hound Dog demande à Thorogood de le remplacer. Pour Thorogood, c’est le moment le plus important de sa vie : taper avec Hound Dog et Ted Harvey une cover de «Boogie Chillen». Sur scène, Hound Dog adore présenter son groupe : «I want to introduce you to our drummer, Ted Harvey. And my guitar player, lead and bass, Mister Brewer Phillips. And honey, eveybody know the Hound!». La classe. L’épouvantable classe !  

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             Le deuxième HouseRockers s’appelle Natural Boogie. Les choses sont claires. On sait où on va. Robert Christgau dit d’Hound Dog qu’il est «a spiritual and cultural miracle». Ça commence à chauffer avec «See Me In The Evening». Les HouseRockers rockent the house, pas de problème. C’est une violente démonstration de swing, avec un côté cabane branlante dans le son. Hound Dog attaque son solo violemment, très bas. Chapeau, chaussettes, tout est là. Comme chez Wolf et John Lee Hooker, on ne voit que les chaussettes. Et dire qu’ils n’en portaient pas quand ils étaient gosses. Hound Dog est un fabuleux boogie man. Nouvel Heartbreaking Blues avec «Sitting At Home Alone», son de rêve, incroyablement sale. Un vrai cœur de métier. Ils redeviennent les rois de la désaille avec «One More Time». Nouveau shoot d’hysper-fast boogie en B avec «Roll Your Moneymaker», wild at heart, puis boogie déjanté avec «Buster’s Boogie». Il sait aussi faire le rampant, avec «Sadie» - I don’t love no one but you/ Dog cry I cry all night long - Il rend encore hommage à Elmore avec «Talk To My Baby», un look-alike de «Dust My Blues», mais ils ont une façon d’entrer dans le son qui vaut tout l’or du Rhin. Structure classique mais attaque géniale.

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             Avec ses trois coups de feu, Hound Dog envoie donc Brewer à l’hosto. Hound Dog sort du trou sous caution et veut continuer à jouer. Il demande à Iglauer de trouver un remplaçant. Iglauer propose à Magic Sam de remplacer Brewer, mais Magic Sam décline l’offre. Il a déjà son groupe. Mais c’est là qu’Hound Dog tombe malade. Il s’est chopé un petit cancer du poumon. La picole et les clopes. Ça va lui permettre d’échapper au tribunal pour homicide. Tous ses amis viennent le voir à l’hosto, Iglauer, Race, Harvey, et puis aussi Freddie et Lucy. Tout le monde sauf Brewer. Hound Dog insiste pour le voir, mais quand il était lui-même à l’hosto plus tôt dans l’année, Hound Dog n’est pas venu le voir. Alors Brewer fait pareil. Puis il finit par avoir pitié d’Hound Dog et il va le voir pour lui accorder son pardon.  

             — Nous ne sommes pas des chiens !, lance Brewer

             — Moi si !, répond Hound Dog.

             En le voyant dans cet état, Brewer comprend qu’Hound Dog ne sortira pas vivant de l’hosto. Hound Dog lui dit qu’il a une idée pour le groupe et lui demande de revenir avec Ted. Brewer lui dit qu’il revient avec Ted jeudi. Ils se serrent la main. Brewer dit :

             — I’ll see you, Jack. Hang in there.

             — Don’t worry. I’ll be around.

             Hound Dog ouvre les bras pour une accolade. Brewer se penche et le serre dans ses bras. Fantastique. La scène te fout par terre. Tu n’es plus dans le rock, tu es dans l’humain, dans ce qu’il y a de plus important au monde. Hound Dog a encore assez d’énergie pour serrer Brewer très fort contre lui. Brewer sent les ongles d’Hound Dog s’enfoncer dans son dos. Instinctivement, il comprend que c’est la dernière fois - It was the hug of a dying man - Matt Rogers fait là des pages spectaculaires, il tente de décrire les derniers instants d’Hound Dog qui voit défiler tout le chaos de sa vie - les loups, la croix du KKK, la violence urbaine de Chicago, la pauvreté, l’alcoolisme, la colère, le chaos, toujours le chaos, et il sombre dans le coma - Le 17 décembre 1975, Hound Dog s’en alla retrouver Kid Thomas et Little Walter et Elmore James et Robert Johnson et Peetie Wheastraw et Charley Patton - Et Rogers ajoute à la suite un autre symbole, celui qu’on entend sur Natural Boogie à la fin de «Goodnight Boogie», c’est-à-dire le dernier cut qu’il enregistra : on l’entend dire effectivement «Goodnight baby». Last words, of a kind.

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              Hound Dog : «When I die, don’t make a funeral. Have a party.» Alors, pour se remonter le moral, on peut écouter Beware The Dog. Hound Dog a cassé sa pipe en bois quand paraît Beware The Dog en 1976. C’est un album live. Boom ! «Give Me Back My Wig» ! Il faut entendre ce démon de Ted Harvey battre le beurre ! Hound Dog passe ensuite au big bad blues avec «The Sun Is Shining» et laisse son empreinte digitale dans le gamut spatio-temporel. Il sort une telle bouillie de son ampli crevé ! Il joue à la solace du grand Elmore. Attention avec «Kitchen Sink Boogie» ! Brewer joue lead. Il va partout, il rajoute des notes dans sa fluidité. Il en rajoute encore et encore. Une vraie plaie. Un jour sans fin. Une véritable incontinence. Un pluvieux, un déréglé, un pied dans la porte, celui-là ! Ils passent au country boogie blues avec «Comin’ Around The Mountain». Personne ne savait que ce genre existait. On trouve encore deux énormités en B. «Let’s Get Funky», proto-punk de Chicago, retentissant masterstroke, fabuleux de tension hypnotique, du Dog des enfers, joué à l’emporte-pièce. Hound Dog connaît forcément le North Mississippi Hill Country Blues pour jouer un truc comme ça. Il est tellement en avance sur son temps, il se marre - you alright ? Yeah ! - L’«It’s Alright» qui suit est une leçon de swing suprême donnée par le power-trio des origines du monde. C’est le boogie raw to the bone à deux grattes. Ted Harvey te bat ça souple. Les HouseRockers sont faramineux. Ils ne se connaissent pas de frontières. Pour eux, seul compte le son. Punk blues and attitude. On comprend qu’Iglauer se soit englué dans les HouseRockers. Et puis tu as les pochettes. Ça fait donc trois places réservées sur l’île déserte.

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             Les jusqu’au-boutistes d’Hound Dog iront aussi écouter la Deluxe Edition du premier album parue en 1999, pour se régaler du son remasterisé. C’est l’un des plus beaux disks qu’on puisse s’offrir. Puisque tout l’art du trio repose sur le son, le remastering donne des ailes aux vieux cuts d’Alligator. Il suffit simplement d’écouter «Wild About You Baby» pour tomber de sa chaise. Le son est sali à l’extrême. On retrouve la splendeur frelatée de «The Sun Is Shining» et «Roll Your Your Moneymaker» prend une allure de monstruosité cavalante. On retrouve aussi le swing outrancier de «Give Me Back My Wig» et «See Me In The Evening» est encore plus sournoisement beau que dans la version de 1974. On y goûte l’exemplarité de l’insidieux, le blues à ras la motte, très inspiré, contrôlé, humide et vibrant de pulsions animales. Leur version du «What’d I Say» de Ray Charles est rockée jusqu’à l’oss de l’ass. Avec «Rock Me», Hound Dog embarque tout le monde au foutoir. C’est un primitif qui sait rouler un heavy blues dans sa farine, voilà tout. Abominables giclées de slide dans «Take Five», puis boogie blues à la Hooky avec «She’s Gone» et enfin clin d’œil à Elmore avec «Ain’t Got Nobody». Hound Dog Taylor nous aura fait les quatre cents coups.

    Signé : Cazengler, Hound Dog t’aï l’heure ou t’aï pas l’heure ?

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. ST. Alligator Records 1973

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. Natural Boogie. Alligator Records 1974

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. Beware of The Dog. Alligator Records 1976

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. De Luxe Edition. Alligator Records 1999

     

     

    L’avenir du rock –

    EHPAD problème

     

             De temps en temps, l’avenir du rock se rend dans l’EHPAD du rock pour passer un moment avec quelques vieux copains. Ce sont toujours des moments joyeux. Pas de pathos. Rien que de l’énergie et des puits de connaissance. S’il t’accorde sa confiance, l’avenir du rock te dira que ces visites lui remontent le moral. Chaque fois, il a nettement l’impression d’entrer dans la cambuse d’une frégate de flibuste, ah il faut les voir, ces accidentés de la route du rock, ils ont les pattes qui flageolent un peu, le petit filet de bave aux lèvres, les mains qui bloblotent, mais côté ciboulot, ça turbine comme un réacteur de centrale nucléaire. Eh oui, ce carré d’as concentre un sacré morceau de la légende du rock : Dave Brock, Ian Hunter, David Thomas et Paul Simon savent encore se tenir. Ils savent qu’ils sont entrés dans la zone rouge, mais pas de problème, ils attaquent l’apéro au rhum et trinquent à la santé du Capitaine Flint. L’avenir du rock adore trinquer avec eux. Ils rigolent de bon cœur et racontent des souvenirs d’aventures tous plus extraordinaires les uns que les autres. Ils ont fait la légende du rock et le plus étonnant, c’est qu’ils continuent de l’alimenter. Chacun à sa façon. En bon débonnaire, l’avenir du rock leur dit qu’ils ont encore tout l’avenir devant eux. Puis il leur demande s’ils avancent sur de nouveaux projets, ce qui les fait bien marrer, car ils ne savent faire que ça, lancer des projets, alors ils remplissent les verres et charrient l’avenir du rock :

             — Ah ce que tu peux être con, avenir du rock ! T’as de ces questions !

             — Pas facile d’être au niveau de vieux crabes comme vous...

             — Mais non, t’as rien compris. Regarde-nous ! Est-ce qu’on la ramène ?

             L’avenir du rock comprend qu’il a encore perdu une occasion de fermer sa gueule. Il ne faut jamais faire semblant de s’inquiéter pour des gens qui n’ont pas besoin de ça. C’est une insulte à leur intelligence. Alors les quatre vieux crabes lèvent leurs verres et lancent à l’unisson :

             — EHPAD problème !

     

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             L’avenir du rock quitte l’EHPAD du rock sacrément ragaillardi. D’autant plus ragaillardi que ses quatre amis lui ont filé leurs derniers albums respectifs. Donc fauteuil, casque, rasade, écoute.

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             Comme chacun sait (ou ne sait pas), Ubu n’est jamais loin de Dada. Il en est même le Daddy. Boby (Lapointe) se serait bien amusé avec le Daddy de Dada, lui qui clamait haut et fort qu’avanie et framboise étaient les mamelles du destin. Ubu ramène son gros cul frippé et ses yeux pochés avec Trouble On Big Beat Street, du Dada pur et dur. Ubu travaille à l’artistique élastique exacerbée, l’apanage du Dada strut. Il travaille son argile au vinaigre. Il se veut âcre, le vieil empoté. Si tu n’es pas convaincu de la pureté de son dadaïsme, alors écoute «Nyah Nyah Nyah», qui est beaucoup plus grotesque. Ça a la forme d’un chou-fleur, avec un chant atroce. Oh mais ce n’est rien à côté de «Let’s Pretend», il croone comme un Bryan Ferry qui aurait un balai dans le cul, alors ça dépasse vite les capacités de ta sagacité. Encore plus weird : «Nothing But A Pimp» joué aux accords brutalement rabotés et ça continue de se déliter avec «From Adam», real deal de tourne-pas-rond. C’est pour ça qu’on est là, alors on ne va pas aller se plaindre. Globalement, Ubu règne encore en despote sur sa cavalerie de vieux crabes. Michele Temple est toujours là. Et les autres aussi. Ubu est tellement con qu’il s’imagine que le post-punk exacerbé intéresse encore les gens. Alors ça s’arrête et ça repart, comme à la pire époque. Mais mine de rien, tu plonges avec ravissement dans sa littérature frelatée d’hanging around. C’est malheureux à dire, mais ce gros escogriffe est essentiellement littéraire, comme le montre «Movie In My Head» - You see me coming/ You see me walking down the street - C’est très américain. Il rend hommage à Robert Johnson avec «Worried Man Blues», il chante à la pure Méricourt. Ubu, c’est toujours très spécial. Quand il plonge dans le satanisme sonique avec «Satan’s Hamster», ça fume. C’est plein de bad vibes à la Polanski. Pure hell ! Tu entends la voix du diable dans le chaos des enfers d’Ubu. Avec «Crazy Horses», il passe en mode heavy tagada Ubu, il chante d’une voix de vieux bouc dégoûtant, mais avec la force tranquille de François Mitterrand. Ah tu peux lui faire confiance, il te coule un bronze fumant quand il veut. 

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             Rien qu’à le voir sucrer les fraises, on ne le soupçonnerait jamais d’enregistrer encore à son âge d’aussi bons albums : Ian Hunter aura passé sa longue vie à édifier les édifices et à horrifier les orifices. D’où le titre de son nouvel album : Defiance Part 1. Un Part 1 qui en annonce un suivant, miam miam, et, petite cerise sur le gâtö, ça sort sur un label Sun ressuscité d’entre les morts. Avant de commencer à l’écouter, pince-toi pour être bien certain de ne pas rêver. L’Hunter-minable attaque son morceau titre en mode brillant fast rock. Le seul défaut, c’est qu’on y entend Slosh. Slosh, c’est encore pire que Stong ou Bonobo. Après, ça va mieux. L’Hunter-continental trempe dans le Dylanex avec «Bed Of Roses», comme au temps béni de Guy Stevens. Le vieux est braqué sur le passé, tare classique chez les vieux schnoques. Il invite Johnny Depp et Jeff Beck à jouer sur «No Hard Feeling». Le Beck tape son coup, il passe un solo de roi des îles, il sort le grand jeu, coups de wah et descente au barbu. L’Hunter de Milan bascule dans la magie. Il revient à Mott et à sa chère vieille Stonesy avec «Pavlov’s Dog». Guy Stevens voulait un cross Dylan/Stones et l’Hunter-national l’a incarné on peut dire à merveille. Et puis voilà Todd Rundgren sur «Don’t Tread On Me». Incroyable que Todd soit de la partie ! L’Hunter-marché allume bien au chant et Todd amène le surplus. Franchement, l’Hunter-cité sait composer. Tout est énorme sur cet album. Il y va le vieux crabe. L’«I Hate Hate» flirte avec le pur genius. Il invite Waddy Watchel à jouer sur «Angel». L’Hunter-mittent sait caler sa chique. Watchel joue les arpèges du paradis, ça s’élève largement au-dessus de la moyenne, même si, mélodiquement, c’est cousu de fil blanc. Voilà le hit de l’album : «Kiss N’ Make Up» avec Billy Gibbons. C’est tout suite allumé du Zizi. Ils vont bien ensemble, les vieux pépères. On assiste à l’alliance incertaine du British punter et du Texas rambler. Et là tu as le vrai son. Le Zizi enfonce son clou râpeux. L’Hunter-ligne finit en mode heavy boogie avec «This Is What I’m Here For», c’est son cœur de métier, le sel de sa terre, la prunelle de ses yeux globuleux, ah comme il est bon, il a toujours su chauffer le cul d’un cut, Guy Stevens l’avait bien compris.  

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             Il a l’air lui aussi complètement gâteux, le vieux Brock, mais si tu écoutes le dernier album d’Hawkwind, tu vas dresser l’oreille. The Furure Never Waits compte parmi les merveilles révélatoires de l’an 2023. Quel album ! Ça grouille de poux et d’outer-space, l’Hawk continue de fourbir son vieux bizz de buzz et pouf, voilà «The End», pur jus de Brock, ça gratte sec, Brock te refait le coup du big Hawk et ça vire proto, poto, t’en reviens pas ! Back to Notting Hill Gate 69, back to the wild as fuck des dopes et des domes, des ducks et des dudes, du doom et du moon, il faut voir l’Hawk plonger ses racines dans le vieux proto, ils connaissent par cœur l’équation magique : proto + punk = trente-six chandelles. C’est inespéré de pur genius d’Hawk sur le tard, ils descendent au barbu du meilleur rock anglais. Ces mecs vont vite en besogne, malgré leur âge avancé. Si tu te fais du souci pour l’avenir du rock, laisse tomber, tu as là du grand art de vieux briscards. Voilà qu’ils tapent le jazz-funk avec «They’re So Easily Distracted». Aucun problème d’articulation ni de circulation. Hawkwind reste aussi un groupe extrêmement sophistiqué. Ces mecs-là ne rigolent pas. Retour au proto avec «Rama (The Prophecy)», mais du proto de space rock, leur cœur de métier. Le vieux Brock reste dans l’esthétique Notting Hill Gate. Il reste un adepte de la prescience, alors à 80 balais, il y va de bon cœur. Prends exemple, amigo. C’est vite emballé et flanqué de tout le son du monde libre, tu ne battras jamais l’Hawk à la course. Ils finissent encore une fois par sonner comme des punks, ils grattent sans fin le ramalama d’Angleterre. Te voilà plongé dans le real deal. L’«USB1» rejoint les grands cuts de l’Hawk au paradis du space-rock et «Outside Of Time» explose littéralement sous tes yeux. Ils font du lard total, ça devient énorme, sidéral, avec des descentes spectaculaires, tu peux même écouter ça à jeun, tu voyages, c’est vertigineux, une authentique échappée belle, l’Hawk reste un groupe passionnant, aussi passionnant qu’au premier jour. C’est stupéfiant de grandeur marmoréenne, et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Tu entres à nouveau sur le territoire de l’Hawk avec «I’m Learning To Live Today», c’est taillé dans une haie de riffs énormes, ça vibre de génie sonique, ils te fondent ça au mou dans l’œuf du serpent, back to Notting Hill, baby, mais avec de la grandeur apoplectique, ils t’envoient directement dans l’espace en perpétuant le riff ad vitam. Le vieux Brock termine cet album ahurissant avec «Trapped In This Modern Age» qu’il te claque en direct. Il n’en a plus rien à foutre. Il est entré dans la légende.

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             Et puis voilà l’autre asticot, Paul Simon. L’un des canards anglais a collé un 10/10 à son dernier album Seven Psalms, alors on est allé voir. Toujours la même voix et les grattés de poux sophistiqués. Il trace sa trace. Il attaque avec «The Lord» - The Lord is a virgin forest - Rien de plus que ce qu’on sait déjà. Pour la magie, il faudra repasser un autre jour. Il fait son petit biz. Ça peut durer une éternité, avec des mecs comme lui. Il enchaîne avec «Love Is Like A Bread» qu’il chante à l’agonie. On le sent aux abois. Mais aucune magie à l’horizon. Ça commence à sentir l’arnaque avariée. Avec les vieux, il faut faire gaffe. Ils peuvent te claquer dans les pattes. Tu veux zapper. Impossible. Ça reste sur le 1 ! T’es baisé. T’es obligé de tout écouter, même si ça ne te plaît pas. Tu maudis le journaliste anglais qui a collé 10/10 à ce tas de mormoille. Du coup on est obligé d’écouter toutes les conneries de cette vieille moute, et ça devient vite insupportable. Plus rien à voir avec «The Sound Od Silence» et «Homeward Bound». Il entre dans la forgiveness avec «Your Forgiveness», mais on ne lui fait pas confiance. Vieux pépère pitoyable, ridicule, avec sa vieille guitare. Rien que de la pipe en bois en devenir. On s’ennuie comme un rat mort. Popaul est d’un ennui mortel. Quelle arnaque intolérable ! Mine de rien, le label qui a tout mis sur la piste 1 a réussi à couler un Popaul en panne d’inspiration. Coulé, comme à la bataille navale.

    Signé : Cazengler, bon pour la casse

    Pere Ubu. Trouble On Big Beat Street. Cherry Red 2023

    Ian Hunter. Defiance Part 1. Sun 2023

    Hawkwind. The Furure Never Waits. Cherry Red 2023

    Paul Simon. Seven Psalms. Owl Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Strangers in the Knight

     

             Rendez-vous avait été fixé par elle sur la place d’un village perdu au fond de l’Essonne, quelque part au diable Vauvert. Comme il venait du grand Ouest francilien, le périple représentait plus d’une centaine de kilomètres. Il faillit bien arriver en retard. Il fit son entrée dans le village à grande vitesse et à l’heure dite. Il trouva sans mal la place de la mairie et aperçut au loin cette très jolie blonde négligemment adossée à sa voiture de sport. Ses yeux clairs dardaient. Son front lisse quasiment dépourvu de sourcils accentuait jusqu’au délire le côté extrêmement perçant de son regard. Elle avait un petit côté slave à la Marina Vlady. Elle dégoulinait tellement de sensualité qu’elle frisait l’image d’Épinal. Leur premier échange de regards fut celui de bêtes fauves. Ils se toisèrent longuement, à courte distance. Il s’en fallut de peu qu’ils n’allassent se flairer. Se dressait là une belle louve dans la pertinence de sa quarantaine. Ses cheveux blonds étaient tirés vers l’arrière et le manteau sombre qu’elle portait enveloppait son corps de mystère. Sans transition, il exprima le désir de boire un verre, car disait-il, la traversée de la Sierra Das Mortes avait été un enfer - J’ai le gosier aussi sec que le cul du diable ! - ce qui la fit sourire. Elle indiqua qu’à cette heure, la seule taverne des alentours avait fermé ses portes et donc, elle proposa d’aller boire un verre chez elle - J’habite à deux pas ! - Alors d’accord ! Les deux voitures prirent la direction du soleil couchant et allèrent s’échouer mollement devant une maison isolée qui ressemblait à celle d’un garde-barrière. Ils entrèrent et furent accueillis par une belle odeur de moisi. Les murs de l’entrée étaient littéralement rongés par une lèpre d’humidité. Les pas y résonnaient. Le salon se fit plus accueillant, tout en longueur, douillet, bien chaud. De grosses poutres anciennes en ornaient le plafond, campagne oblige, et une banquette cossue tendait ses bras de chêne verni. Impossible de lui résister. Elle proposa l’habituelle collection d’apéritifs en tous genres. Il opta pour le scotch. Elle prit place en vis-à-vis et la conversation roula gaiement sur les collines rebondies de sujets variés. Elle se trémoussait en jupe de cuir assez courte. Au troisième verre de scotch, il lui proposa de changer de côté pour venir s’installer à côté de lui sur la banquette. Elle ne se fit pas prier. Dix secondes plus tard, il indiqua qu’il crevait d’envie de lui rouler une pelle. Il mit tant de sincérité dans sa requête qu’elle accepta sans discuter. Puis les langues s’en mêlèrent. Il perçut en elle l’imminence d’un orage. Pour corser l’affaire, elle offrait le spectacle d’un décolleté vertigineux. Elle bomba même le torse pour faciliter les initiatives. En matière de  préliminaires, elle pulvérisait tous les records. Les deux libidos rissolaient dans leur jus. Il s’octroya une reconnaissance sous le cuir de la jupe. Elle desserra les cuisses et il glissa un doigt sous la dentelle d’une culotte minimale. Il s’arrêta immédiatement - Tu es rasée ? - Elle plongea son regard perçant dans le sien - Ben oui. T’aime pas ? - Il se versa un verre de scotch et le remplit à ras bord, avant de s’élancer dans un couplet alchimique sur le thème de la Toison d’Or - Hermès Trismégiste insiste beaucoup sur ce point dans ses Tables d’Émeraude ! - Elle ne comprenait rien. Il vida son verre, se leva et avant de quitter la pièce, lui dit : «Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. N’oublie jamais ça !»

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             Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Jean Knight n’est pas un mec. Elle n’est pas non plus alchimiste, même si son nom la relie plus ou moins directement à la chevalerie et donc à l’âge d’or de la Toison d’Or.

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             La confusion vient de la pochette de Mr Big Stuff. Chaque fois qu’on croisait cet album dans un bac Soul/funk, on croyait que Jean Knight était le gros lard qui se pavane sur la pochette. Non, Jean Knight est une petite blackette originaire de la Nouvelle Orleans, découverte par Wardell Quezergue et lancée par les cocos de Malaco. «Mr Big Stuff» fut d’ailleurs l’un des premiers hits enregistrés chez Malaco, avec le «Groove Me» de King Floyd. La particularité de «Mr Big Stuff» est d’être monté sur les accords de «Walk On The Wild Side», même torpeur groovytale - Who do you think you are ? - La jeune Jean remet le gros lard en place. On trouve un petit coup de génie en fin de balda, «Take Him (You Can Have My Man)», heavy Soul de Malaco r’n’b claqué au riff vengeur. La jeune Jean flirte avec le génie du Black Power. On la voit aussi à l’œuvre sur «Don’t Talk About Jody». La jeune Jean est une bonne Soul Sister, une fière danseuse. On retrouve l’excellent Malaco r’n’b en B avec «Call Me Your Fool (If You Want To)», un r’n’b bien foutu et qui n’a pourtant rien à voir avec celui des voisins d’Hi ou de Stax. Il sonne différemment : la jeune Jean amène tout simplement une coloration New Orleans. On se régale aussi d’«One Way Ticket To Nowhere», ça reste de très haut niveau.

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              Malgré sa belle pochette, l’album de Jean Knight & Premium Keep It Comin’ est raté. Trop diskö pour les gueules à fuel. Il faut attendre «What Are We Waiting For» pour revenir au groove de la Nouvelle Orleans, mais ça vire atrocement diskö. Au vu de la pochette, on croit choper un bel album de Soul, mais pas du tout. On chope surtout une belle déconvenue. Le cut sauveur d’album se planque en B : «Anything You Can Do». C’est le funk qui sauvera le monde ! 

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             My Toot Toot paraît en 1985. Allen Toussaint est dans le coup, alors c’est du tout cuit. On a là un pur album New Orleans. Le morceau titre en est l’un des emblèmes - Dont mess with my toot toot - Fantastique beat cajun ! Elle retape son «Mr Big Stuff» au ah-ah yeah et les chœurs font ouuuh ! Ah il faut voir Jean rapper son fromage de who do you think you are. Puis elle rend hommage à Shirley & Lee avec une belle cover de «Let The Good Times Roll», d’autant plus somptueuse que jouée à l’accordéon. Si tu en pinces pour le beat Cajun, te voilà au paradis. 

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             Shaki De Boo-Tee ? On peut y aller les yeux fermés, même si avec «Bus Stop», ça démarre sur la diskö de la Nouvelle Orleans, mais c’est forcément bien foutu. Bien joué, Miss Jean ! Elle arrache son arrache au groove de heavy Bus Stop, elle est superbe, c’est même violemment bon. Elle tient la rampe de l’all nite long. Son «Bill» est un heavy slowah qui sent bon les origines de la racine. Mais c’est avec l’exotica du morceau titre qu’elle va rafler la mise. Schlooof ! Dans le genre, c’est assez puissant. Pur jus de New Orleans ! Elle passe au Cajun boogie avec «Rockin’ Good Way» et duette avec un sacré lascar. On ne sait pas comment il s’appelle, mais bon, c’est pas grave. Elle reste dans le Cajun avec «Lover Please», groove des enfers joué à l’accordéon, ça jerke chez les Cajuns, ne l’oublie jamais. Jean Knight ramène la fabuleuse persistance du groove Cajun. Nouveau temps fort de l’album avec «Who Is She (And What Is She To You)». Elle ramène du son à chaque cut, elle te groove ça à la Knight, tout l’album est bon, elle ne lâche rien, elle chante à la vie à la mort, elle gère sont «Don’t Break My Heart» au heavy groove de break my heart. On sent la black d’âge mur dans «Gonna Getcha Back», elle pèse ses mots - Out of my mind - et elle finit cette excellente virée avec deux enregistrements live, son vieux «Mr Big Stuff» qu’elle rappe, et «My Toot Toot» qu’elle tape en mode Cajun avec une énergie démesurée - Don’t mess with my Toot Toot !

    Signé : Cazengler, knight in white sauterne

    Jean Knight. Mr Big Stuff. Stax 1971   

    Jean Knight & Premium. Keep It Comin’. Cotillon 1981

    Jean Knight. My Toot Toot. Mairage 1985       

    Jean Knight. Shaki De Boo-Tee. Ichiban records 199

     

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    La première chronique de la rentrée ne sera ni longue ni joyeuse. L’annonce du concert du 27 juin dernier était le dernier des Crashbirds. Les cui-cui ne voleront plus ensemble. A la croisée des chemins Delphine Viane et Pierre Lehoulier ne suivent plus le même sentier. . Un coup au cœur, cela doit faire dix ans que nous les suivions, concerts, disques, vidéos, illustrations… Une image, un son, un concept : les trois clefs nécessaires à l’existence d’un grand groupe. Ils avaient tout, nous n’aurons plus rien. Certes un dernier album Unicorn devrait sortir… nous en avions déjà chroniqué les premiers morceaux… il nous reste un goût amer dans la bouche. Ce n’est pas la fin du monde, sûrement celle de la fin d’un monde, le nôtre puisque nous le partagions avec eux deux, leur talent, leurs sourires, leur ironie… Nous souhaitons à Delphine et à Pierre que leurs nouvelles vies soient douces.

    Damie Chad.

     

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    Deux formations françaises ont sorti en plein mois d’août une vidéo sur YT, deux sons différents, deux univers psychologiques divergents, deux groupes que nous aimons et suivons. Il est temps de regarder et d’écouter, Paul Claudel n’a-t-il pas décrété que l’œil écoute.

    ASHEN

    Reprenons le récit de l’histoire en train de se dérouler. Dans notre livraison 545 du 10 /03 / 2022 nous chroniquions quatre vidéos d’Ashen, : Sapiens, Hidden, Outler, le 18 / 05 / 2023 (in 595) c’était avec quelque retard au tour de Nowhere. Erreur fatale au mois de mai dernier nous avons fait l’impasse sur Angel.

    ANGEL

    ( Production : Ashen + Bastien Sablé )

    ( Official Music Video / 11 - 05 - 2023)

    Poully : bass / Tristan Broggeat : drums / Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud.

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    Ne soyez pas déçus comme moi lorsque se profile les silhouettes noires du groupe après les quinze premières secondes cramoisies de l’intro, non ce n’était pas de la déception, mais de la peur, que ce cinquième opus d’Ashen ne soit pas au niveau des quatre précédents, après la foudre, après la chute de l’ange, après le foudroiement, un simple orchestre de rock, ils veulent rire, ce que l’on attend c’est du drame, de l’épopée, du grandiose. C’est exactement ce que nous offre Ashen. Attention, pas du pompier, pas du rutilant, pas du toc, non, du déchiré, du mythe, et pire que cela de l’amour. Donc un truc risible et cucul la praline, dans le texte anglais ils emploient un mot plus fort, non pas pour remplacer le mot love mais le mot armor qui signifie armure, désormais tout est dit. La vidéo peut se dérouler.

    Je ne crois pas que Bowie nous ait donné un clip aussi fort. La violence du rock’n’roll et la démesure humaine. L’ange n’est pas tombé bien loin, l’est enraciné dans la chair de Clem, avez-vous déjà entendu un mime hurler aussi fort. Superbe performance, l’ange est emmailloté dans le lange du corps de Clem, l’ange est folie, il est l’autre moitié de soi-même, celui qu’il faut tuer à moins que ce ne soit lui qui ne vous tue. Qui tient la flèche, qui tombe, n’est-ce pas vous qui forcez les portes du paradis dans lequel vous vous êtes enfermé ? Inversion des valeurs dirait Nietzsche. La métaphysique du désir psychique au tir à l’arc d’Apollon.

    Autrement dit dans le miroir où la démence furieuse se contemple vous n’apercevez que des éclats de beauté. Vous recevez la puissance du son et l’image, mouvante, d’une plénitude incertaine, des visions purpurales et des entailles d’engrammes… un montage d’une dextérité époustouflante, Bastien Sablé a su rendre l’impact sonore d’Ashen, chaque plan cisaille vos yeux et s’efface pour mieux s’incruster en vous comme une graine dont vous êtes incapable de prévoir à quels futurs excès elle vous conduira.

              Ashen est un groupe à part qui se distingue de tous les autres par une démarche créatrice originale d’une grande exigence formelle sans rien renier de l’essence libératoire du rock. Ashen témoigne d’une époque où les espaces de liberté collective s’amenuisent subrepticement, à tel point que l’individu surpris et désemparé se retrouve enfermé en une extrême solitude.  

    SMELLS LIKE TEEN SPIRIT

    ( Official Music Video / 04 - 08 – 2023 )

    ( Réalisation Alexis Fontaine)

    Dans la vie il faut s’attendre à tout, mais pas à ça. Sixième vidéo : Ashen se permet une reprise, pas un antique morceau de blues que seuls de par le monde douze ou quinze fanatiques connaissent et dont l’attribution est des plus incertaines.  Faut un culot certain pour s’attaquer au titre phare de Nirvana. C’est comme la porte du paradis vous pouvez cogner dessus de toutes vos forces sans qu’elle s’ouvre.  Aux âmes bien trempées dans le métal depuis leur plus tendre adolescence il n’est aucune formule d’orichalque qui ne soit interdite. Sur leur FB, dans un reels, Clem s’en explique en quelques mots vindicatifs : ‘’ Nirvana was the band that got me into rock music. So we decided to do a cover.’’ Rien à rajouter. Clair net et précis.

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             Une reprise ne saurait être une copie conforme. Une couve de Nirvana par Ashen doit d’abord avant tout ressembler au niveau sonore à du Ashen. Pas de déception le son est dans le droit fil des vidéos précédentes. Ashen ne singe pas et ne songe pas à se renier. Pour vous en convaincre regardez d’abord l’Official Music Video de Nirvana, celle avec les pom pom girls. Pour les images, Alexis Fontaine puise à la bonne source, celle de la dernière tournée d’Ashen avec While She Sleeps et Resolve, l’a réalisé l’irréalisable, une espèce de structure sonore dont l’arête des images s’estompe à peine apparues, un tourbillon tempétueux, il témoigne de sa présence par le fait même qu’elle s’absente         alors que la réalisation de Nirvana reste tributaire d’un art encore engoncé dans les représentations des tournages-télévisés. Ashen exhale un côté arty parfaitement assumé.

             Kurt crève l’écran, Clem le creuse. Question de personnalité, question d’époque. La rage désespérée de Kurt est encore un signe sinon d’espoir mais de rébellion, Clem est le reflet d’une génération qui n’y croit plus, les idéaux sont morts, il ne subsiste que des blessures, des trous béants dans lesquels l’individu se tapit et se réfugie dans une atonie de souffrance infinie. Les vers fourmillent généralement dans les cadavres, mais avant la mort l’on arrive à ce stade ultime où ils vous bouffent la tête du temps de votre vivant. Ce n’est pas que le futur n’existe plus, c’est que l’on traverse le vide de son absence. Et que l’on continue à vivre. Malgré tout. Malgré rien.

             Pas vraiment une adaptation. Une relecture éblouissante.

    Damie Chad.

     

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    Dans notre livraison 602, nous accueillions pour la première fois The Evil’s Dogs pour Havi destiné à être le titre d’ouverture de leur EP : Tales of the Ragnarock. Ils n’ont pas chômé cet été puisqu’ils présentent le deuxième titre :

    THUNDER

    THE EVIL’S DOGS

    ( Official Ia Music Video  / 13 - 08 – 2023)

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                 Des acharnés de la mythologie nordique – elle se prête à merveille aux grandes épopées sonore des groupes de hardrock - Havi était une ode de bruit et de fureur élevée à Odin le dieu des dieux, celui qui sacrifia un de ses yeux pour accéder à la connaissance, celle qui prédit la fin des Dieux lors du Ragnaröck, ultime combat qui opposera les Dieux, parmi tant d’autres monstres, à Fenrir le loup et aux ‘’chiens du mal’’…            

               Thunder est un chant élevé à la gloire de Thor, le dieu dont le marteau déclenche la foudre et le tonnerre dès qu’il le lance sur ses ennemis. Thor appelle tous les vikings morts à la guerre pour s’entraîner pour le dernier combat le Ragnaröck dont il annonce la venue. Au vu de la thématique l’on pressent que le morceau ne s’écoulera pas tel un long fleuve tranquille…

    Alex Lordwood : chant / Nico Petit : guitare / Agathe Bonford : basse / Michel Dutot : drums. Izo Diop : guest guitar ( From Trust ).

             Petite notification avant de commencer : peut-être aimez-vous le changement. Les douze premières secondes de la vidéo vous présentent la même image employée pour leur premier titre, patientez à la treizième fatidique vous changez d’univers. Peut-être pensez-vous que la mythologie scandinave c’est bien mais que depuis le monde a évolué. Vous ne pouvez trouver plus moderne. A la pointe de la technologie, utilisation de l’Intelligence artificielle pour illustrer le sujet. Trois sociétés ont apporté leur savoir-faire technologique. Les images produites me semblent procéder de deux sources différentes, des décors des premiers jeux-vidéo des années quatre-vingt-dix eux-mêmes issus des dessins pour livres documentaires historiques géographiques et animaliers destinés aux enfants in the seventies et de la peinture historique du dix-neuvième siècle que l’on qualifie hâtivement de pompière alors que son imagerie est aujourd’hui à la base de nos représentations imaginaires. L’influence filmique et de la BD ne sont pas non plus à dédaigner. Les tressautements infligés à ces images d’Epinal emmagasinés dans notre cerveau sont-ils à interpréter comme l’indication que nous avons affaire à des leurres qui ne reposent que sur des intuitions médiumniques ou d’hypothétiques réalisations humaines… Première vidéo rock de ce type que je visionne. Je suppose que ce ne sera pas la dernière.

             Par contre pour la musique il n’y a pas photo, trois coups de caisse claire et vous avez un nappé onctueux de guitare qui recouvre toute la plaine d’Asgard, le type d’intro dont vous rêvez, pour le coup vous ne faites plus gaffe aux images, une basse bourdonnante noyée dans un flot d’électricité, vous n’en demandez pas plus vous êtes comblé, vous avez simplement oublié qu’avec cette meute de chiennerie le mieux est toujours certain, trois nouveaux  petits coups de baguette magique, et hop vous réalisez qu’il manque un truc important, à la première syllabe prononcée Alex Lordwood vous envoûte, vous attendez un vocal enragé un tumulus de haine froide, une stridence sanguinaire, oui vous avez tout cela mais sans effusion de laryngite, sa voix détient tout cela comme la graine contient Yggdrasil, d’une amplitude extraordinaire elle se colle aux guitares comme l’écaille au serpent, mais cette chasse sauvage apporte en plus ce sentiment de la réversibilité des choses, cette nostalgie que ce qui est aujourd’hui, un jour, bientôt, ne sera plus, vous attendiez une brute sanguinaire, et c’est la sagesse d’un scalde qui s’impose,

    Encore trois petits tapotements du destin et la course frénétique reprend et flamboie, une guitare s’élève pointue comme la cime glacée d’un pic étincelant, que domine les derniers rayons d’un soleil déjà éteint de la voix lordwoodienne, surgit en final une apothéose de guitares  menée au triple galop sleipnirique d’une batterie qui depuis le début mène et scande la charge.

             Superbe. Si vous trouvez mieux passez moi un coup de fil. Electrique.

    Damie Chad.

     

    *

    Un mail de Lionel Beyet m’annonce la sortie d’un disque du groupe In Der Welt sur le label P.O.G.O. Records, In Der Welt, j’aurais certainement été au courant tout seul puisque je fais régulièrement un tour sur le site du label, le nom m’aurait interpellé, de l’allemand certes, ils sont français de Clermont Ferrand, mais pour les amateurs de philosophie, j’en suis un, la formule sonne aux oreilles, serait-ce un hasard, non puisque deux titres de l’album ne sont pas non plus sans résonnances heideggerriennes. 

    Heidegger n’est pas en odeur de sainteté parmi nos élites. Il est vrai qu’avant tout le monde il a clairement énoncé et annoncé l’arraisonnement de la pensée humaine et de la nature par la technologie. Il a aussi tracé une ligne de démarcation essentielle entre la pensée philosophique et la croyance (usez du terme ‘’pensée’’ si vous préférez) religieuse. C’est dans ce retour au fondement de la pensée philosophique dans l’originelle pensée grecque, comprenez une pensé a-chrétienne, qui lui a valu au début des années quatre-vingt une espèce de mise en accusation idéologique masquée sous des reproches politiques. J’ai pour ma part, en d’autres lieux, beaucoup écrit sur ce sujet. 

    Mais il est temps d’écouter In Der Welt.

    L’album est sorti en février 2023 sous forme d’une K7 (Les Disques Bleus). N’ayant pas laissé les amateurs indifférents la sortie en CD sur un label plus important s’est imposée.

    IN DER WELT

    ( Pogo 176 / Août 2023 )

    Thomas : guitare / Arno : voix / Aurélien : basse / Julien : batterie, artwork.

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    Persona : quel vocal, attendez-vous à être haché dans les mandibules d’un insecte géant, heureusement qu’à la fin une voix vous parle et vous réconforte en affirmant que vous êtes infini, de quoi vous redonner confiance  après ce déluge sonique qui vient  de s’abattre sur vous, post-metal hardcore si vous voulez, avec des instants de rémission, basse élastique, éboulements battériaux, lentes agonies, emphases atterrantes, ne portez aucun espoir en ces oasis, le sable du désert les a déjà ensevelies et la tempête reprend de plus belle, pas de panique votre avenir est certain, rien de bon ne peut vous arriver en ce monde. Ou dans le monde. Vous n’êtes personne, qu’un humain parmi des millions d’humains, vous portez tous le même masque, vous jouez tous le même rôle, interchangeables, le nihilisme serait donc l’essence de l’homme, la violence de ce premier morceau vous enjoint de répondre oui. Solace : ce n’est pas un morceau lent, disons qu’il se déplace lentement, une espèce de dinosaure freiné par son propre poids et qui se traîne en saccageant tout sur son passage, l’instrumentation s’en charge, pour vous aider à comprendre ils ont sorti une vidéo, non il n’y a pas de mastodonte antédiluvien, simplement un homme qui marche dans un désert sans fin, l’est étrangement accoudé sous son espèce de cape vampirique, ressemble au portrait caché du dernier des hommes nietzschéens revenu de tous ses accaparements, un peu comme vous quand la jeunesse s’effiloche, que tout fout le camp, que vous ne savez plus quoi devenir et que vous avancez vers vous ne savez quoi. Le morceau ne s’appelle pas Réconfort par hasard, notre dernier des survivant à lui-même trouve un cristal de roche, par réfraction il allumera un feu, qui le rassérènera, il s’incline vers la terre, il la salue, le monde lui insuffle son infinitude. Watchtower : il est devenu le gardien de la tour de guet, marche militaire quasi guillerette au début, vocal enragé, notre homme est prêt à bouffer le monde, à l’avaler d’un seul coup comme une pomme mal cuite, il semble qu’au bout de moment, il doute, la musique ralentit, mais il repart comme en quarante, l’est prêt à tous les combats, car vous ne vaincrez jamais si vous ne combattez pas, la musique devient assourdissante, elle froisse vos tympans, pourquoi tant de haine, d’appetite for the auto-destruction, une interview radiophonique vous apporte la solution, l’homme cède à sa propre pulsion de mort, il a besoin de mourir puisqu’il est une créature mortelle. Dans votre tour de guet le seul évènement notable qui apparaîtra sera la grande faucheuse qui se dirige vers vous… C’est-elle que vous attendiez. Dasein : terme ô combien Heideggerien, vous pourriez le traduire par existence, par votre manière d’être-là dans votre existence, en d’autres termes votre dasein est votre destin, In Der Welt n’a jamais joué aussi fort, aussi rapide, aussi percutant, voix et instruments pressés, atomisés, dans le mixer de la vie, tout passe trop vite, à la fin vous n’êtes plus là et la bobine biographique du film de votre vie tourne à vide. L’on n’échappe pas à ce que l’on est. Vous ne rajouterez rien de plus. Totem : un peu de répit dans ce monde de bruit et de fureur. Est-ce da la pluie revivifiante qui tombe, qui trombe, imaginez un théâtre d’ombre, un peu comme la caverne platonicienne, c’est vous qui agitez vos propres figurines, au début le jeu est plaisant, bientôt vous vous apercevez de l’inanité de votre occupation, même vos poupées totémiques deviennent harpies et se transforment en oiseaux de proie, qui vous attaquent, la musique fonce sur vous en piqué pour vous vous crever les yeux et vous défoncer la cabosse, n’oubliez pas ce qui vous tue est plus fort que vous, pas la peine de s’exciter. Certains jouets ne sont pas à mettre dans toutes les mains, non recommandés tant que vous n’êtes pas mort. Bye anxiety : cri libérateur, il est inutile de céder à l’angoisse heideggerienne qui étreint l’homme que la mort prive de son âme, hurlements orgasmiques, danse nietzschéenne, guitare, basse et batterie se détendent, elles atteignent à une plénitude encore jamais atteinte sur l’album, sûr une voix off nous prédit qu’après 2030 ce sera trop tard, et alors ? L’important n’est-il pas de vivre intensément tous les moments de notre vie, fussent-ils les derniers ou les avant-derniers. Well  done friends : feast of friends, acceptation nietzschéenne, amor fati, amour du destin qui nous est imparti, que nous nous sommes impartis, violence et grandiloquence, générique final de notre existence, une voix chuchote, que dit-elle, cela n’a pas d’importance, quelques bruits d’enfants de chiens peut-être… peut-être pas… il faut prendre ce qui est donné… Control : prendre le contrôle de sa vie, la voix ne hache plus, elle chante, joie et triomphe, intumescence backgroundale, ramdam total, le vent déferle, il emporte l’univers en une bourrasque vertigineuse, désormais vous êtes la guerre. Slow motion : changement de donne, et si tout cela n’était qu’illusion, n’est-il pas nécessaire de regarder le monde tel qu’il est, un désert de glace pétrifié, un antre obscur, aucune lumière dans la caverne de Platon, sursauts violents de vitalité, notes égrenées ambigües, tristes, nostalgiques, ironiques, la voix off est recouverte, engluée par le magma sonique, tout à la fin l’on n’entend qu’un seul mot. Vide. Le nihilisme n’aurait-t-il pas été surmonté. Serait-il insurmontable.

             De toute beauté, une musique noire, enfiévrée mais glaçante, un art qui se rapproche du dressage équin, qui exige maîtrise et dextérité, du post-metal hardcore philosophique. Une espèce rare, donc précieuse. Du grand art.

    Damie Chad.

     

    ROCKFLEXIONS ( 1 )

     

    Pour Madame Bellas,

    Les idées, quand elles ne sont pas platoniciennes, vont et viennent. Font trois petits tours dans notre cerveau, en règle générale, à part quelques unes qui nous sont chères, elles se tapissent dans un coin et se font oublier. Une pensée est le résultat d’un phénomène beaucoup plus élaboré. Elles naissent du télescopage de deux idées entre lesquelles nous n’avions jamais établi la moindre corrélation. Jusqu’au jour où se produit le déclic fatidique. La foudre qui surgit de l’entrechoc de deux gros nuages porteurs d’électricité statique n’agit pas autrement.

    Fin juillet dernier ( voir livraison 609 ) après la fin du concert de Juke Joints Blues nous discutions, quelle surprise,  de rock ‘n’roll avec Chris Papin… Une thématique connue : pourquoi notre génération avait-elle été à ce point traumatisée par cette musique. Vous connaissez la réponse : à l’époque il n’y avait rien d’autre. Et tous deux de raconter à preuve comment le soir dans notre lit, l’oreille sur le transistor nous attendions les fameuses séquences blues et rock de Pierre Lattès dans le Pop Club de José Arthur sur France Inter…

    Souvenirs, souvenirs. Oui, c’est quelques jours plus tard, alors que je ne pensais pas particulièrement à cette conversation qu’une évidence fulgurante s’est imposée à mon esprit. Alors que Chris et moi avions affirmé haut et fort qu’aucune autre génération avant nous n’avait faute de moyens technologiques appropriés pu expérimenter un tsunami musical aussi dévastateur, un démenti cinglant me fut infligé… par moi-même.

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    Comment depuis des lustres avais-je pu faire une telle impasse mentale alors que je n’ignorais rien d’un tel tohu-bohu intellectuel similaire qui s’était déroulé au dix-neuvième siècle notamment en France. La musique wagnérienne en fut la cause. Certes l’on ne pouvait écouter la musique de Richard Wagner à la radio ou acheter ses disques. Mais l’élite artistique européenne, peintres, musiciens, poëtes, comprirent que l’inouï venait de se produire. Je ne veux pas dire que l’on n’avait encore jamais entendu une musique si tonitruante, certes la rutilance des cuivres emplissait les oreilles, c’était autre chose qui était en jeu, de par sa magnificence l’écriture et le projet wagnériens imposaient un diktat existentiel aux auditeurs.

    Le monde n’en n’avait pas été changé, simplement désormais l’on ne pouvait plus continuer de vivre comme avant, votre vision du monde et votre attitude sous l’impulsion dévastatrice de cette entreprise musicale titanesque devenaient différentes, sur l’échiquier du vécu vous n’étiez plus un pion qui subissait votre destin, mais vous deveniez votre destin-même puisque vous vous imposiez l’obligeance de prendre en main la totalité des paramètres de votre existence. La vie devenait une suprême exigence.

    Ainsi le rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

                                                                                                            

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 34 ( strombolif ) :

    192

    L’interphone de l’ascenseur grésille :

              _ Papa, sauve le petit chat, ne le laisse pas faire !

              _ Alice ne te mêle pas de ça, raccroche cet interphone et file au lit !

              _ Non Papa, je descends par les escaliers, je viens sauver le petit chat, essaie de te faire tuer avant le petit chat, je le récupèrerai !

               _ Ne vous donnez pas tant de mal, nous vous apportons tout de suite le chaton !

               _ Merci Monsieur, vous êtes trop gentil.

    193

    Quand nous entrons dans l’appartement, Alice arrache le chaton des mains de son père et s’enfuit dans sa chambre :

              _ Je m’occupe de lui, seuls Molossito et Molossa ont le droit de me suivre. Ce sont des héros ! Ce sont les copines qui vont être jalouses !

    La porte se referme vivement sur elle et les animaux.

    194

    Le père d’Alice assis sur un des canapés du salon a besoin de reprendre ses esprits. Tout sourire Carlos qui s’est adjugé le rôle de barman lui tend un grand verre de whisky empli à ras-bord :

              _ Buvez cela, vous avez besoin d’un petit remontant, excusez-moi pour la mise en scène mais sans cela vous n’auriez jamais voulu nous recevoir !

              _ J’avoue que les évènements se sont enchaînés si vite depuis que j’ai ramassé cette bestiole que je n’y comprends rien, si quelqu’un voulait bien m’expliquer !

             _ Avec plaisir Monsieur, le temps que j’allume un Coronado, je laisse l’agent Chad vous expliciter le coup du chat !

    195

    Je m’éclaircis la voix, je sens que ça va mal se passer, tant pis j’assume :

              _ C’est très simple, en début d’après-midi j’ai passé un coup de fil à votre fille ! Pour le numéro, celui de votre appartement est dans l’agenda interne du personnel de la Bibliothèque François Mitterrand, dont vous êtes le directeur, je me permets de vous le rappeler.

              _ Comment avez-vous osé, téléphoner à une enfant, c’est un scandale de quel droit, je me permets de préciser que si elle est en troisième, elle a deux ans d’avance, c’est une honte !

              _ Une enfant douée certes mais malheureuse, son rêve serait d’avoir un chat et vous ne vouliez pas, alors nous lui en avions procuré un !

              _ Je n’avais pas besoin de vous j’en ai trouvé un tout seul !

              _ Pas tout à fait Monsieur, j’ai chargé mes deux chiens de trouver un chaton abandonné et de le glisser derrière vous quand vous rentriez chez vous, ils ont magnifiquement rempli leur mission, vous pouvez les féliciter, sans eux votre fille serait malheureuse et pleurerait en cachette dans son lit comme tous les soirs comme elle me l’a confié au téléphone !

             _ Moi c’est la Brigade des Mineurs que je vais appeler, à l’instant !

    196

    Le Chef a manifestement terminé d’allumer son Coronado :

              _ Ne vous donnez pas cette peine, c’est inutile, le SSR, Service Secret du Rock ‘n’Roll, est hiérarchiquement au-dessus de tous les services de police et de gendarmerie du pays, seules les autorités suprêmes de l’Etat ont barre sur nous, laissons votre fillette en-dehors de cette affaire, peut-être voudrait-il mieux que vous parliez de sa mère !

    Le père d’Alice est devenu livide, il s’effondre sur son siège, Carlos se hâte de lui tendre une nouvelle médicamentation, il se tait un long moment, avant de se mettre à parler à voix basse :

              _ Quand je vous ai vu arriver en trombe dans la bibliothèque pour exiger le bouquin d’Oecila, j’ai compris que vous finiriez par tout savoir. J’ai essayé de me renseigner sur vous, c’est pour cela que nous avons fini par nous rencontrer sur le parking de Disney…

    Le chef emprunte une voix de psychanalyste éprouvé :

              _ Oui, oui, nous comprenons, mais votre épouse, parlez-nous d’elle, vous verrez, cela vous fera du bien !

              _ Quand je suis sorti premier de l’Ecole des Chartes, le ministère m’a proposé un stage à Moscou, j’ai accepté,  j’ai vite repéré dans le groupe d’étudiants à qui je donnais des cours de paléographie, une jolie étudiante, vive, intelligente, souriante, joyeuse… Ecila… j’en suis tombé amoureux, elle n’était pas insensible à mon charme, je le dis sans me vanter, mais au bout de deux ans si elle acceptait avec plaisir mes invitations, musées, spectacles, cinémas, promenades, nous étions toujours ensemble, mais je n’en étais pas plus avancé, pas le moindre baiser…

    Je sens que Carlos se prépare à intervenir, je lui fais signe de se taire, ce n’est pas le moment de nous expliquer que dans la Légion l’on tombe les filles comme l’on saute sur Kolwezy.

              _ Lors de mon départ elle m’a accompagné à l’aéroport, je m’apprêtais à lui faire la bise, elle n’a pas voulu, ses paroles m’ont suffoqué, figurez-vous qu’elle m’a dit : ‘’ j’espérais que vous m’auriez demandée en mariage et emmenée en France, je vois que c’est impossible, adieu Gabriel’’.

    Carlos lève les yeux au ciel, toutefois il s’abstient de tout commentaire. Après un moment répit Gabriel reprend son récit :

              _ Je ne suis pas parti, je l’ai demandé en mariage aussitôt, elle a souri puis elle a rajouté : j’accepte à condition que vous emmeniez ma sœur avec moi. C’est ce que j’ai fait. Nous avons été heureux, nous avons eu Alice, elle est morte voici deux ans. Voilà c’est tout.

    197

    Pour détendre l’atmosphère Carlos prépare une tournée apéritive. Le Chef fourrage dans sa poche pour en extirper un Coronado qu’il s’empresse d’allumer :

              _ Au nom du SSR Gabriel, je vous présente mes condoléances et celles de tout le service, je crois que vous avez besoin de repos, nous allons vous quitter au plus vite, mais avant une toute petite question, pas bien longue.

    Le Chef prend le temps d’exhaler un nuage de fumée :

              _ Et Oecila !

    Gabriel sursaute comme s’il avait été piqué par un serpent, ses yeux flamboient de colère, il se reprend :

    • Nous sommes allés la chercher… un voyage interminable… en train… nous avons traversé des forêts sans fin, si vous ne l’avez pas vue, il est impossible de se représenter l’immensité de la taïga russe. Nous avons débarqué dans un village perdu. Je pensai que le lendemain elle m’emmènerait visiter sa famille. Non, elle m’a emmené dans un cimetière, devant la tombe d’Oecila… Oui c’est étrange les deux sœurs avaient à peu près le même nom… Nous l’avons ramenée en France, un mal fou pour en avoir le droit, une chance le haut-fonctionnaire qui m’avait proposé le poste à Moscou était entre temps devenu conseiller du Président de la République…

    198

    Le Chef allume un cigare. Il est huit heures du matin et nous venons d’ouvrir le local. Tard dans la nuit, nous avons laissé Gabriel, manifestement brisé par sa confession. Il était inutile de continuer, il était incapable de rejouter le moindre mot. J’ai récupéré Molossa et Molossito pelotonnés contre Alice, le chaton endormi sur son épaule. Elle ne s’est pas réveillée quand les cabotos ont sauté du lit pour me rejoindre, nous sommes rentrés tous les trois chacun chez nous…  

              _ Agent Chad, je ne suis pas mécontent de notre dernière soirée. Les pièces du puzzle commencent à s’assembler.

             _ Un grand pas en avant Chef, je le concède, l’abîme de la perplexité reste toutefois grand ouvert devant nous. Prenons le cas de Gabriel par exemple.

             _ Agent Chad sans l’avoir consulté je suis sûr que Carlos classe ce type de bonhomme parmi les chifonnettes. Méfions-nous, il n’a pas tout dit, il serait bon que vous puissiez obtenir de sa fille quelques renseignements complémentaires.

             _ Oui, mais Carlos n’a pas tort, ce type n’est pas un rocker, nous sommes dans une drôle d’affaire, mais pas un seul mot de Gabriel ne laisse à penser en quoi cette histoire concerne le rock ‘n’ roll.

             _ Agent Chad je partage votre questionnement, je suis certain que nous allons bientôt finir par le savoir.

    A suivre…

     

     

     

     

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 595: KR'TNT 595 : TELEVISION / HORRORS / GEORGE HARRISON / INSPECTOR CLUZO / BARRETT STRONG / MARIE DESJARDINS / ROCKABILLY GENERATION NEWS /ASHEN / CÖRRUPT / JHUFUS / ROCKAMBOLESQUES

     KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 595

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 04 / 2023

     

    TELEVISION / HORRORS

    GEORGE HARRISON / INSPECTOR CLUZO

    BARRETT STRONG / MARIE DESJARDINS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 25 )

      ASHEN / CÖRRUPT / JHUFUS

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 595

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Television Personality - Part One

     

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             De tous les punks qui sont arrivés en France en 1977, ceux qui foutaient le plus la trouille étaient certainement les quatre zombies de Television. On tremblait devant la vitrine où se trouvait exposée la pochette macabre de Marquee Moon, suspendue par deux pinces à linge. Les médias de l’époque n’en finissaient plus de décrire l’état de dégénérescence dans lequel la société new-yorkaise avait sombré, mais c’est en voyant la pochette de Marquee Moon qu’on réalisait à quel point c’était grave. On scrutait les peaux grises de ces quatre pauvres hères, leurs mains pleines de veines et leurs regards fixés sur le néant. On connaissait leur premier single Ork, le faramineux «Little Johnny Jewel» chanté d’une voix incroyablement maniérée, et bien sûr, c’est en B-side que le destin du groupe se jouait, grâce à ce solo interminablement délictueux. Mais en dépit de ce signe avant-coureur, rien ne pouvait nous préparer à la séance d’électrochocs que nous réservait Marquee Moon. L’âme de ce quatuor de zombies portait le doux nom de Tom Verlaine. Il partageait les prérogatives guitaristiques de Television avec un certain Richard Lloyd.

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             On se doutait bien que Tom Verlaine n’était pas en bonne santé et qu’il finirait, comme tout le monde, par casser sa pipe en bois, aussi l’heure est-elle venue de lui rendre hommage. L’idéal pour mieux connaître ce singulier personnage est de plonger dans les mémoires de Richard Lloyd qui eut le privilège de le côtoyer pendant de longues années, sans pourtant être son ami et confident. Dans Everything Is Combustible, Lloyd n’en finit plus de rappeler que Verlaine mettait un point d’honneur à garder ses distances. L’ouvrage est passionnant car il permet de pénétrer au cœur du mythe de Television qui fut, au temps de Marquee Moon, un groupe relativement révolutionnaire.

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             Lloyd vit à New York lorsqu’il rencontre pour la première fois Verlaine qui ne s’appelle pas encore Verlaine. Ça se passe au Reno Sweeney’s, un club du Village, on the South side of 13th Street - this house of weirdos - Terry Ork qui héberge Lloyd l’emmène voir jouer un inconnu. Richard Hell est aussi présent ce soir-là, il connaît Verlaine. Ils viennent tous les deux du Delaware. Quand Verlaine arrive dans le bar en trimballant son ampli et sa guitare, Hell lui file un coup de main pour s’installer. Puis Hell arrange son look : il agrandit les trous de son T-Shirt. Verlaine se retrouve avec une épaule et un téton à l’air. C’est le début du look. Verlaine joue trois cuts seul sur scène en s’accompagnant à la guitare électrique. L’une d’elles est «Venus De Milo». Lloyd le trouve intéressant. Il trouve que Verlaine has «it». Les lyrics sont à double, voire à triple sens, et les mains de Verlaine sont trop larges pour le manche. Alors il joue comme Jimi Hendrix, en partie avec le pouce - The thumb way over on the fretboard - Lloyd flashe sur Verlaine. Et comme l’Ork veut rééditer l’exploit d’Andy Warhol avec le Velvet, c’est-à-dire mentorer un groupe à dimension historique, Llyod lui indique, aussitôt après le set de Verlaine, qu’il vient de lui trouver son Velvet. What ? L’Ork ne pige pas. Alors Lloyd explique à l’Ork que «Verlaine a quelque chose de spécial, mais il lui manque quelque chose, et ce quelque chose, c’est lui, Lloyd.» Puis il renverse le raisonnement en expliquant à l’Ork qu’il est lui-même «quelqu’un de spécial mais qu’il lui manque quelque chose, et ce quelque chose, c’est Verlaine.» En conclusion, si l’Ork réussit à les réunir tous les deux, il aura son Velvet.

             L’Ork les réunit et Television commence à bosser dur. Six heures par jour. Verlaine chante quatre cuts, Richard Hell quatre aussi, et Lloyd deux. Llyod dit aussi qu’Hell ne bosse pas du tout sa basse chez lui, il n’en joue qu’aux répètes. Il y déjà une petite rivalité entre Verlaine et Lloyd, chacun voulant jouer les solos. Il se mettent d’accord sur un 50/50, qui va ensuite devenir un 60/40, mais bon, Lloyd n’est pas un chipoteur. Verlaine montre les basslines à Hell, mais comme il ne bosse pas chez lui, ça reste compliqué. Hell ne vit que pour la scène. Lloyd aime bien son style - wacky and loopy - un style qui lui rappelle celui de McCartney, surtout quand il est stoned - Richard amenait un rogut whiskey called Wilson’s qu’on partageait ensemble - Tout le monde s’amuse bien dans Television, sauf Verlaine qui se plaint du poids de sa responsabilité en tant que directeur musical. Pour leur premier concert, début mars 1974, ils louent une salle, the Townhouse Theater. Ils invitent la crème de la crème : Nicholas Ray bourré - You guys are four cats with a passion - Lenny Kaye et d’autres luminaries. Ils ont acheté des bières pour se faire un peu de blé, mais comme ils n’ont pas réussi à tout vendre, ils sifflent le reste du stock à trois, Hell, Lloyd et l’Ork. Bien sûr, Verlaine ne boit pas. Lloyd n’a jamais vu Verlaine fumer d’herbe ni picoler - Je l’ai seulement vu boire un verre ou deux dans toute l’année - Verlaine avait essayé les drogues psychédéliques, mais ça ne lui avait pas plu. Au CBGB, on les prend pour des junkies ! Hell en est un, c’est sûr, mais Lloyd ne l’est pas encore. Et Verlaine jamais de la vie.

             Avant de monter sur scène, Verlaine se mouche. Puis il demande à Lloyd de vérifier qu’il ne reste pas une crotte de nez dans sa narine. C’est sa hantise - He was neurotic about it - Lloyd finit par l’envoyer promener. Verlaine demande ensuite à Hell qui l’envoie aussi promener. Sur scène, Verlaine ordonne à Hell d’arrêter de sauter partout. C’est le commencement de la fin. Après les concerts, Verlaine ne traîne pas avec ses collègues. Lloyd dit être allé en tout et pour tout quatre fois chez Verlaine et Verlaine n’est jamais venu chez lui. 

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             C’est l’Ork qui négocie un set au CBGB avec Hilly Krystal. Premier concert fin mars 1974. L’Ork demande à jouer le dimanche, jour de fermeture, et promet que si la recette n’est pas bonne, il complétera de sa poche. Banco, dit Hilly. Et voilà, c’est ainsi que se font les choses. Il suffit d’avoir l’idée et d’engager les gens. Lloyd rappelle qu’avant Television, deux groupes jouaient au CBGB : les Leather Secret, un groupe SM en cuir noir, et les Stilettos, avec Debbie Harry et Fred Smith qui deviendra un peu plus tard le bassman de Television.

             Au départ, Lloyd joue au milieu de la scène. Puis un jour, Verlaine demande à jouer au milieu de la scène et à chanter toutes les chansons. Lloyd n’aime pas trop le procédé, mais il ira jouer à gauche jusqu’à, dit-il, «la fin de ma carrière dans le groupe». Hell sent qu’il est devenu indésirable et se barre - C’est exactement ce que Tom voulait - Lloyd envisage aussi de se barrer car il considérait Hell comme l’un des moteurs de Television - He had the crazy movie star look and the action to go with - En plus, c’est Hell qui a proposé le nom du groupe.

             C’est avec l’Ork et l’Hell que Lloyd passe à l’héro. L’Ork les emmène chez ses contacts and the three of us would get stoned.

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             L’un des premiers à s’intéresser de près à Television c’est David Bowie. Il propose de produire le groupe - Of course Tom said no - alors Bowie ira produire Iggy avec le succès que l’on sait. De manière générale, Verlaine dit toujours non. Hall And Oates les envoient rencontrer le manager Tommy Mottola. Verlaine se chamaille avec Mottola sur une question de pourcentages. Quand ils sortent du bureau de Mottola, Lloyd demande à Verlaine pourquoi il l’a envoyé promener et Verlaine lui dit qu’il n’a pas envie de finir sur scène à Vegas. Quand McLaren est à New York, il louche sur Richard Hell et sur son look. Il propose à Verlaine de manager Television et Verlaine lui répond : «No way». C’est juste avant la formation des Pistols. Lloyd pense qu’avec McLaren, ils seraient devenus millionnaires, but Tom said no. Donc, pas de manager. Patti Smith tombe amoureuse de Verlaine, mais Verlaine ne tombe pas amoureux d’elle. La relation ne fait pas long feu. Verlaine est antisocial, nous dit Lloyd. Il raconte aussi que Verlaine voyageait sans bagages, juste un sac en plastique - Tout ce que faisait Tom, c’était fumer des clopes, boire du café et ressembler à un clochard. He was an absolute embarrassment to be around, but I had no choice - Autre caractéristique de cet incroyable personnage : il cultivait un mépris souverain pour tout ce qui n’était pas lui, et il croyait que les gens passaient leur temps à le copier, notamment, nous dit Lloyd, David Byrne et Lloyd Cole.

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             C’est Verlaine qui insiste pour que «Little Johnny Jewel» soit le premier single de Television. Lloyd dit jouer très peu là-dessus. Verlaine et Lloyd s’engueulent et Lloyd quitte le groupe. Il va être remplacé par Peter Laughner, l’excellent guitariste de Rocket From The Tombs. Un jour, Laughner arrive chez Verlaine et fait le con avec un flingue chargé. Il fout la trouille à tout le monde. Verlaine is freaked out. Fin de l’épisode Laughner qui de toute façon va casser sa pipe en bois aussitôt après, grâce à une bonne petite cirrhose. Alors Llyod réintègre le groupe, sans plus de formalités.

             En ce qui concerne le CBGB, Lloyd remet les choses au clair : c’est lui et l’Ork qui ont programmé les groupes pendant trois ans au CBGB. Quand l’Ork ne sait pas ce que vaut un groupe inconnu, Lloyd le sait - Terry Ork et moi furent plus responsables du succès du CBGB que ne le furent Tom Verlaine, Richard Hell ou encore Television.

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             Lorsque Television va jouer à Cleveland, ils assistent au sound check des Rocket From The Tombs. Cheetah Chrome qui est sous acide se bat avec Crocus Behemot, a rather large fellow. Quand il les voit jouer, Lloyd les trouve heavy and poweful. Il rêve de se joindre à eux. Il ne le fera que 25 ans plus tard, lorsqu’il deviendra membre du groupe. L’ironie de l’histoire, c’est que Peter Laughner voulait prendre la place de Llyod dans Television, mais c’est Llyod qui prendra la sienne dans Rocket From The Tombs (il joue sur Barfly). Quand il les voit sur scène à Cleveland, Lloyd dit que c’est l’un de leurs derniers shows. En splittant, le groupe donne naissance à Pere Ubu d’un côté, et aux Dead Boys de l’autre.

             Le premier à approcher Television pour un contrat, c’est Seymour Stein, le boss de Sire. Mais son offre est pauvre. Il propose un budget d’enregistrement de 6 500 $ et 1 000 $ d’avance. Il ne prend pas de risques, nous dit Llyod, car il reçoit 2 500 $ d’un label anglais quand il signe un nouveau groupe. C’est comme ça qu’il a eu Talking Heads, les Ramones et les Dead Boys. Il veut aussi Television, mais Verlaine ne veut pas lui adresser la parole. Il dit à Lloyd de se débrouiller avec lui. De toute façon, c’est non. Alors Stein leur prédit qu’ils finiront comme le Grateful Dead : «Rabid audience but very little radio play.» Ce qu’on appelle ici un succès d’estime.

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             Bon, ils finissent par signer avec Elektra. Verlaine veut signer seul, c’est-à-dire en son nom pour le groupe, mais le label dit non. Il doit signer avec Lloyd, Fred Smith et Billy Ficca - On pensait tous qu’on formait un groupe, sauf Tom qui envisageait de prendre le contrôle, petit à petit - Quand ils enregistrent Marquee Moon, ça fait déjà trois ans qu’ils jouent ensemble. Après avoir commencé à bosser avec Brian Eno et Allen Lanier, ils optent pour Andy Johns, le petit frère de Glyn Johns. Andy commence par mettre au point le son de la batterie. Elle sonne comme celle de Led Zep et Verlaine flippe : «Oh no no no, we don’t want big drums. We want small drums without all the effects on.» Andy est vexé car il dit que ce son de batterie est «sa signature». Il menace de rentrer en Angleterre. Il demande aux Television pourquoi ils veulent un son tout pourri. «C’est une spécialité new-yorkaise que de vouloir un son aussi pourri que celui du Velvet Underground ?», demande-t-il aux quatre Television ahuris. Bon, il est en colère, mais il reste pour le bifton. Verlaine réussit à le calmer.  

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            Elektra les prévient qu’il faut plus de temps pour concevoir la pochette que pour enregistrer. Alors ils anticipent et font appel au pote de Patti Smith, le photographe Robert Mapplethorpe. Quand Lloyd va faire des copies de la photo choisie sur un Xerox, il altère accidentellement l’image et c’est cette image altérée qu’on retrouve la pochette de Marquee Moon. À propos de cette image, Lloyd rapporte une anecdote tordante : Billy Ficca ne mangeait que des fruits et  légumes, notamment des carottes. Il en trimballait partout avec lui. «Billy ate so many carrots that he got carrotmania.» Sa peau est devenue orange, comme le montre la pochette de Marquee Moon. C’est la fin de la rigolade quand Llyod écoute l’acétate de Marquee Moon : il éclate en sanglots, car il ne retrouve pas le vrai son de Television - It did not sound as robust as it sounded in the studio - L’album sort en février 1977.   

             Marquee Moon est un album exceptionnel qui affiche le parti-pris d’un groupe à deux guitares clairvoyantes. Et dès «See No Evil», ils installent leur emprise. Ils entrent dans «Venus» comme ils entrent dans «Little Johnny Jewel», par la veine mélodique. De leur malaise et de leur goût pour le néant naît une réelle modernité. On le sait, le monde appartient à ceux qui n’attendent plus rien. Alors Tom Verlaine tombe dans les bras de la Venus de Milo - I feel sideways laughing/ With a friend from many stages - Ils tarabiscotent toutes les circonvolutions et misent sur l’extrême puissance de la prestance, leur son est humide comme le salpêtre d’un mur de cave et sent bon la terre des cimetières. À défaut de patiner merveilleusement, Verlaine déclame merveilleusement. Ils inventent le swing funkoïde avec «Friction», et le développent au tortillon de clairette. Ils sur-jouent aux entrecroisements de guitares d’avant-garde, ça va loin, leur histoire, ils développent l’hyper-ventilation musicologique, ils s’exacerbent à en tomber, ce qui ne doit pas être trop compliqué, vu qu’ils sont gaulés comme des gaufrettes. Cet album se met à sonner comme un monument baroque très spectaculaire, le son semble même se régénérer en permanence, comme s’il était sous perfusion. Et puis bien sûr, c’est avec le morceau titre qu’ils emportent la partie. Les tiguiliguili annoncent le maelström, les ponts réveillent les hideux démons de la prog, ils s’offrent de belles plongées dans les abysses et remontent en épingle au son d’un clairon digne du solo de Johnny Jewel. Par contre, la B édifie moins les édifices. «Elevation» est sans doute leur cut le plus connu, par son leitmotiv Elevation don’t go to my head, mais le côté trop déclamatoire, trop collet-monté les dessert. Trop sharp. Trop stiff. C’est Lloyd qui prend le solo sur «Elevation». Même s’il n’accroche pas véritablement, l’ineffable «Prove It» plait par les qualités mélodiques du solo. C’est une œuvre en soi, emboîtée dans une carcasse de rythmique Soul. Le retour de manivelle chant est une merveille. Ces diables de Verlaine et de Lloyd savent partir en solo, ils savent tirer des bordées vers l’horizon.

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             Dans Vive Le Rock, Duncan Seaman revient sur Marquee Moon et sur le fait que Verlaine et Lloyd jouaient des cuts longs à deux guitares, à la différence des autres groupes qui jouaient des cuts courts - two-minute smash-and-grab numbers - Pour Seaman, c’est cette différence qui fait de Marquee Moon l’un des albums essentiels de cette époque. Seaman fait un bref détour historique pour rappeler qu’Hell, Verlaine et Ficca arrivaient du Delaware et qu’avant de s’appeler Television, ils s’appelaient en 1973 les Neon Boys. On l’a vu, premier concert de Television en mars 1974 chez Hilly Krystal, puis ils commencent à partager l’affiche avec Patti Smith qui est alors poétesse improvisatrice. Pour l’enregistrement de Marquee Moon, Verlaine exige d’en être le producteur, associé à un ingé-son expérimenté qui est comme on l’a vu Andy Johns, fraîchement émoulu de Goat’s Head Soup. Les deux guitares sont multi-tracked ce qui donne ce distinctive interlocking sound qui nous plaisait tant à l’époque. Nick Kent salue l’album en le qualifiant  d’«inspired work of pure genius». Puis après le demi-échec d’Adventure, Verlaine va dissoudre le groupe. 

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             On reviendra sur Adventure dans un Part Two. Ils l’enregistrent avec John Jenson qui a bossé avec Jimi Hendrix à la fin de sa vie. Lloyd dit son exaspération d’avoir à attendre que Môsieur Verlaine ait fini d’écrire en studio les lyrics «for his silly little songs». Il trouve que ses chansons sont devenues «introverties». Il les compare même à des ongles incarnés. En studio, Verlaine devient un «crazy maker - someone who drives me insane with his shenanigans.» Verlaine devient de plus en plus dictatorial. Le groupe a même abandonné sa vieille méthode de vote à la majorité. Verlaine a pris le pouvoir. En puis, à l’été 1978, Lloyd reçoit un coup de fil de Verlaine, ce qui ne se produit jamais. Verlaine appelle pour dire qu’il quitte le groupe. Pour Lloyd c’est à la fois «un choc et un soulagement». Il en profite pour dire à Verlaine qu’il avait lui-même envisagé de quitter le groupe. Chacun part de son côté mais, comme le dit si bien Lloyd, l’idée d’une reformation n’est pas exclue. Elle va se produire en 1992.

             Il y aura donc d’autres albums de Television, comme on va le voir dans le Part Two. En 2007, Lloyd finira par quitter le groupe définitivement. S’il se barre, c’est parce qu’il en a marre que Verlaine fixe le montant de ses honoraires - I was tired of having my income determined by someone else - namely Tom Verlaine - Mais avec le recul, Lloyd se dit fier d’avoir joué dans Television, un groupe qui se moquait de ce que les gens pensaient - Television was a band that just didn’t care - We played our music and all of the rest could go to hell.  

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             Le regard que porte Lloyd sur le rock en général, et Television en particulier, apporte des éclairages passionnants. Richard Lloyd est ce qu’on appelle communément une force de la nature. Verlaine l’est aussi, de toute évidence, mais pas de la même façon. Les gens trop singuliers sont systématiquement critiqués. Lloyd en voulait certainement à Verlaine d’avoir gardé ses distances.  Le cœur de toute cette histoire n’est pas le lien qui unissait Llyod à Verlaine, mais celui qui unissait Hell à Verlaine, arrivés tous les deux à New York pour devenir poètes et conquérir la ville. Hell et Verlaine ont travaillé tous les deux chez Cinemabilia, une librairie spécialisée dans le cinéma, où travaillaient aussi Victor Bockris et Terry Ork. Hell et Verlaine se trouvent très exactement à l’origine de la scène punk new-yorkaise. Il faut relire l’autobio de Richard Hell, I Dreamed I Was A Very Clean Tramp pour se goinfrer de cette histoire passionnante. Dans un texte fascinant, Hell fait de Verlaine «the Mr. America of skulls», et de Llyod «a perfect male whore pretty boy face». Alors qu’Hell veut de la sauvagerie, il voit bien que Verlaine a une autre idée du son en tête, ces cristal-clear crisp sweet-guitar suites, et bien sûr, il voit le son du groupe subordonné à sa guitare. Leurs visions divergent radicalement. C’est pour ça qu’Hell part jouer dans les Heartbreakers avec Johnny Thunders. Lorsqu’on croise les deux lectures, celle de l’Hell book et celle du Lloyd book, on a une vision parfaite des racines de la scène punk new-yorkaise. Diable comme tous ces gens pouvaient être brillants ! Et visionnaires.

             Dans son book, Lloyd évoque souvent l’héro, qu’il commence à tester au lycée - By my late teens I had gone through just about every drug kwown to man - Il devient a full-fledged junkie au temps de Television, en compagnie de Richard Hell et de l’Ork. Contrairement aux autres, l’héro lui donne de l’énergie - I could drink all night and fuck all night and play guitar all night - Dans les toilettes du CBGB, les murs sont couverts de graffitis : on le surnomme ‘Mr Machine’ - I screwed like a machine - À Londres, Peter Perrett lui fait tester some very strong heroin et lui dit de faire gaffe, mais Lloyd se shoote toute la dose d’un coup et overdose. Il teste tout en permanence. Au fil du récit, il revient souvent sur sa passion pour les expériences. Il décrit aussi les effets des amphètes sur son corps. Ça le fascine. Il teste aussi l’homosexualité par curiosité. 

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             L’autre grande passion de Lloyd, c’est Jimi Hendrix, via son ami Velvert Turner. Vers la fin du book, Lloyd rapporte une scène extraordinaire : il va chez Velvert qui est sous angel dust, «one of the worst drugs you can possibly encounter». Rien qu’avec la fumée, t’es stoned, dit Llyod. Velvert est au pieu avec deux filles, en train d’en baiser une qui est aussi sous angel dust et qui lui crie : «Fuck me you black devil.» Tous les chapitres qu’il consacre à Velvert Turner sont des sommets du surréalisme psychédélique. C’est l’autre bonne raison de lire ce book. Velvert jouait aussi avec Arthur Lee. Il vivait même chez lui. Un matin, il se réveille brutalement avec des plumes qui volent autour de lui. Puis il voit Arthur Lee à la porte de la chambre, avec un flingue à la main. Il vient de tirer dans l’oreiller et lance à Velvert : «You stole my crack !». Pris de panique, Velvert sort du lit et saute par la fenêtre du deuxième étage avant qu’Arthur Lee n’ait eu le temps de tirer une deuxième fois. LA is that kind of place, conclut Lloyd.

             L’autre grand lien de Lloyd, c’est Anita Pallenberg qui flashe sur lui au CBGB - It was platonic love at first sight - Pas de sexe, juste du platonic love et du deep, ajoute Lloyd. Comme Anita vit avec Keef dans le Connecticut, Lloyd rencontre un Keef very friendly. Les pages où Lloyd narre cette relation sont aussi passionnantes que celles consacrées à Television. Plus on s’enfonce dans ce book, et plus on se dit qu’on est content d’être là.

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             Côté influences, Lloyd cite Jeff Beck qu’il a la chance de voir sur scène au Fillmore West avec le premier Jeff Beck Group, celui de Rod the Mod et de Ronnie Wood. Il cite aussi Jimi Hendrix, Buddy Guy, Magic Sam, Mike Bloomfield, Roy Buchanan, et les trois Kings, Albert, B.B. et Freddie. Il rencontre aussi John Lee Hooker qui le prend à la bonne et qui lui confie le secret du blues : il peut être joué sur une seule corde, qu’on remonte et qu’on redescend. Lloyd vérifie et découvre que certains solos de Jimi Hendrix sont effectivement joués sur une seule corde. Il donne tous les détails.

             Il rencontre aussi Danny Fields qui est déjà assez célèbre pour avoir managé Iggy & the Stooges et qui managera pas la suite les Ramones. Fields flashe sur Lloyd et l’héberge. Llyod accepte à une condition : no sex. Okay. Mais la condition ne tient pas longtemps et Fields cavale après Lloyd dans la baraque. Lloyd n’a vraiment plus envie de faire ce genre d’expérience et il dit non. Alors Fields lui propose un deal. Tu restes là devant moi et je me branle rien qu’en te regardant. Il n’empêche que Lloyd n’est pas à l’aise et à la fin du chapitre, il demande pardon à Danny. C’est là qu’il va s’installer dans le loft de Terry Ork. L’Ork est aussi homo, mais il fout la paix à Lloyd. La nuit, l’Ork bosse à la Factory d’Andy Warhol. Il fait des sérigraphies que signe Warhol et qui partent ensuite dans les galeries qui commercialisent son œuvre. L’Ork manage aussi la fameuse librairie Cinemabilia où bossent comme déjà dit Richard Hell et Robert Quine.

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             La dernière grande rencontre qu’il évoque dans ce bon book est celle de John Doe. Doe cherche un «New York ace» pour son nouvel album, Meet Joe Doe. Alors Lloyd prend l’avion pour Los Angeles. Meet Joe Doe est un bon album. On en parlait ici, quelque part en 2021. Et sous le pont Mirabeau coule la Seine, faut-il qu’il m’en souvienne...

    Signé : Cazengler, Télé pasteurisé

    Tom Verlaine. Disparu le 28 janvier 2023

    Television. Marquee Moon. Elektra 1977                         

    Richard Llyod. Everything Is Combustible. Beech Hill Publishing Company 2019

     

     

    Horrors boréales

     

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             Dans un vieux Mojo de 2009, Chris Ziegler saluait l’ascension météorique des Horrors, un gang de gamins qui se déclaraient influencés par les Scientists et les Stranglers. Pour leur premier album - Strange House - ils se planquaient derrière leurs coiffures et leur maquillage. Ils revenaient à la charge avec des machines pour un deuxième album, Primary Colours, inspiré cette fois par Joy Division, Neu! et Silver Apples. C’est justement là que se trouve le problème des Horrors : le côté caméléon. Pour savoir jouer à ce petit jeu, il faut s’appeler David Bowie. Car c’est un jeu extrêmement risqué. Si on change de son et qu’on n’a pas les moyens du changement, on perd la confiance des fans. Dommage, car on avait adoré les Horrors de la première heure.

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             Avec Strange House, les Horrors nous faisaient même le coup de la pochette New York Dolls, assis tous les cinq sur une banquette avec des chevelures extravagantes. La photo est en noir et blanc, bien entendu. Au plan musical, ils n’ont hélas rien à voir avec les Dolls. Ils font sensation en démarrant sur une cover du «Jack The Ripper» de Screamin’ Lord Sutch. Ils jouent adroitement la carte du boogaloo, les chœurs sont des horreurs définitives, c’est chanté à la démesure de Lux Interior. Mais après, ça bascule dans le gaga d’orgue bien sevré de pan la la, allez-y les gars, dansez ! «Count In Five» fait le taf, ces petits mecs se prennent pour Nuggets, les aw yeah de Faris Badwan valent bien ceux des Shadows Of Knight. C’est bardé de bonnes intentions, mais ça finit par se paumer sur la longueur («Draw Japan»). Les guitares de «Gloves» sont celles des Dolls et Faris Badwan chante avec des accents de Johnny Rotten. Il domine bien la situation avec «Little Victories», il dispose de ressources vocales inexplorées, il mène bien sa meute. «She Is The New Thing» est amené au mal de mer, c’est un ressac des Pixies. Les mauvaises langues diront qu’ils n’ont pas de patrie. Pareil pour «Sheena Is A Parasite» qui se retrouve à la croisée des chemins, entre gaga et Pixies, avec une dominante folie Pixy-Méricourt. Mais on les voit ensuite se diriger vers la new wave («Thunderclaps») et c’est pas beau. Leur crédibilité fond comme beurre en broche. Dommage, pour un album si bien amené.

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             Pour se remonter le moral, on s’est tous jetés à l’époque sur The Horrors EP, parce qu’il s’y niche une fantastique cover de «Crawdaddy Simone», le hit mythique des Syndicats. Une fille donne la réplique à Faris Badwan, wouahhh ! C’est explosif ! Leur dialogue bat tous les records de ferveur élégiaque. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Wouahhh ! Sinon, on retrouve leur version de «Jack The Ripper» qui reste un modèle de trash boogaloo et l’excellent «Sheena Is A Parasite» amené à la basse fuzz et chanté au scream pur, à cheval entre Frank Black et Peter Aaron. Dommage qu’ils n’aient pas continué d’explorer ce filon, car ils disposent d’une réelle énergie. En réécoutant «Excellent Choice», on découvre qu’ils utilisent les voix doublées du Velvet. «Death At The Chapel» est aussi une belle dégelée déflagratoire. Ils sont capables de tout. Et puis petite cerise sur le gâtö : on les voit tous les cinq au dos du digi avec leurs dégaines de Dolls. Wouaaahhh !

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             Deux ans plus tard arrive dans les bacs Primary Colours, l’album caméléon. Ils changent de son et passent à l’electro. En fait, ils cherchent leur voie, on se croirait chez les Psychedelic Furs, avec des petites virgules de new wave, dommage car Faris Badwan a une bonne voix, mais il fait sa pute, c’est plus fort que lui. Les quatre premiers cuts sont pénibles, ça pue l’arnaque, mais il y a un son et un horizon. Le peu de crédibilité qui leur restait disparaît avec «Do You Remember». Ils jouent avec le feu mais n’en ont pas les moyens. Les seuls capables de lever de telles tempêtes sont les Boo Radleys. Ces saintes Horrors sauvent leur album avec un «New Ice Age» amené au heavy drumbeat. Mais après, ça rebascule dans le sous-New Order, avec des cuts alimentés par des tensions de bassmatic et des synthés. Cette cloche se prend aussi pour Nico dans «I Only Think Of You». L’«I Can’t Control Myself» n’est heureusement pas celui des Troggs, et la suite tourne à la catastrophe. The horror.

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             Avec Primary Colours, on avait bien compris qu’ils avaient opté pour la new wave. Ce qui tendrait à confirmer Skying, une album encensé par la presse anglaise. Ils visent les grosses ambiances psychédéliques, c’est un son très anglais, très harmonique, peut-être un peu trop Britpop. Ils ont acheté des machines, c’est vraiment dommage. Ils jouent dans l’épaisseur des effets, ils font du Radiohead mais sans la qualité de Radiohead. Trop de machines. Ils tentent leur chance, cut après cut, et ça ne marche pas. On entend de très beaux chœurs de cathédrale dans «I Can See You Through», ils jouent leur petit va-tout et tartinent ça de prod all over. Ça devient enfin sérieux avec «Endless Blue», vite envenimé. On se croirait chez Grand Mal. Exactement le même son. Les Horrors se prennent pour Bill Whitten et ça devient enfin marrant, avec un son ravagé par des accords. Des accords, oui, mais des Panzani ! Puis ils amènent «Drive In» à la heavy psychedelia et ça marche. Ils ont le ticket to ride, ils jouent ça à la renverse sur canapé d’accords de réverb. Hélas après ça dégénère. Ils renouent avec la fucking Britpop dans «Wild Eyed», c’est délicat d’en parler car on croit se faire baiser à chaque fois et la suite devient carrément insupportable. Ils plongent dans des grooves de boogaloo assez empiriques et on finit par en avoir vraiment marre de leurs conneries.

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             Paru en 2014, Luminous est encore un album de machines. Dès «Chasing Shadows» on assiste au lever du soleil avec un parfum de psychelelia dans l’air et soudain, ça explose. Ils taquinent les cuisses de leur muse. Belle ampleur, en tous les cas. Mais ils retombent vite dans les travers de la Britpop avec «First Day Of Spring», sans doute subissent-ils une forte pression commerciale. Il y a dans leur son trop d’échos de groupes à la mode, dont on ne citera pas les noms pour ne pas salir le blog. «First Day Of Spring» sonne comme un atroce suicide hermaphrodite. En fait, on se demande pourquoi ces fans des Dolls et de Crawdadddy Simone ont viré new wave. C’est une énigme. Ils font du U2 avec un manche à balai dans le cul, et on ne peut vraiment rien faire pour les aider, à part acheter leurs albums et les écouter. Le pauvre Faris Badwan plonge son groupe dans la pire new wave jamais imaginée. Cet album est encore plus catastrophique que les précédents. «Falling Star» est un chef d’œuvre de soupe aux choux. Rrrrrrru ! Rrrrrrrru !

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             La pochette de V n’est pas belle : ils ont fabriqué un cœur avec des masques de cire. Côté son, ça ne s’arrange pas vraiment. Ils jouent la carte de la grosse electro house, c’est assez puissant, il faut bien le reconnaître. C’est la voix de Faris Badwan qui ne va pas. Il est trop britpoppé du ciboulot. Avec «Press Enter To Exit», ils repartent dans les machines. Trop de machines. On s’en doutait un peu, mais pas à ce point-là. Justement, ils ont un cut qui s’appelle «Machine», mais c’est joué à la basse avec des résonances. Ils en profitent pour redresser la barre, car c’est bien envoyé, in the face. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Ils sauvent cet album qui prend l’eau avec un «Weighed Down» amené aux guitares lointaines d’Arizona, celles de la Rivière Sans Retour et Faris Badwan fait sa rivière, alors ça devient un Big Atmospherix bien tempéré, assez convaincu et vite élevé sur les hauteurs. Ils attaquent «It’s A Good Life» aux machines et ils parviennent on ne sait comment à arracher la beauté du ciel. Alors là bravo ! 

    Signé : Cazengler, Horrorripilant

    Horrors. The Horros EP. Stolen Transmission 2006

    Horrors. Strange House. Loog 2007

    Horrors. Primary Colours. XL Recordings 2009

    Horrors. Skying. XL Recordings 2011

    Horrors. Luminous. XL Recordings 2014

    Horrors. V. Wolf Tone 2017

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le roi George

     

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             George Harrison inspire un tel mélange de respect et d’admiration qu’on pourrait presque l’appeler le roi George. Mais lui n’aurait jamais accepté d’être bombardé roi. Tant pis, on va quand même le bombarder roi d’Angleterre. S’il faut un roi dans ce pays, autant que ce soit lui.

             En 2011, Martin Scorsese lui consacrait un film de quatre heures, l’excellent George Harrison: Living In The Material World, qui est du niveau de celui qu’il consacra en 2005 à Dylan, No Direction Home: Bob Dylan. Scorsese fait partie de ceux qui ont tout compris : il sait raconter la vie d’un homme exceptionnel. D’ailleurs, il ne s’intéresse qu’aux êtres exceptionnels, même s’il s’est bien vautré avec The Last Waltz. Peu importe, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. Le portrait qu’il brosse du roi George est une œuvre grandiose, d’une justesse imparable. Scorsese a compris que ce qui caractérisait le mieux le roi George était l’émotion qu’il suscitait à la fois en tant qu’homme et en tant qu’artiste. C’est l’enseignement de ce film. Dylan suscite la fascination, Iggy Pop suscite un sentiment de filiation, John Lydon, Ray Davies et Mark E. Smith suscitent l’anglophilie, la vraie, celle du working class, Godard suscite le sentiment du divin, Gainsbarre l’affection, mais le roi George est un cas unique en Angleterre : on a beau chercher, personne ne suscite autant d’émotion que lui, surtout pas Paul McCartney, encore moins Ringo Starr et malgré tout le respect qu’on lui doit, certainement pas John Lennon. Pendant quatre heures, Scorsese s’applique à montrer cette différence fondamentale qui existe entre George et les trois autres. Des quatre Beatles, George est celui vers lequel on tend naturellement. Il n’est rien sans les trois autres et les trois autres ne sont rien sans lui. Scorsese brosse son portait à petites touches, rappelant par exemple que McCartney - qu’on va appeler Macac pour gagner du temps - se réservait toujours l’A-side des singles, laissant la B-side à Lennon, jusqu’au jour où Lennon a imposé le «Something» du roi George en A-side. Globalement, Macac ne sort pas grandi de ce film. Il parle d’une voix forte de vieil homme. On envisageait de l’introniser dans la série «Wizards & True Stars», mais il suscite une telle antipathie quand il témoigne qu’on doit renoncer à cette initiative. Par contre, Lennon est le grand absent de ce film. Il ne témoigne pas, ce qui semble logique, vu qu’il s’est fait buter. L’autre grand témoin est bien sûr l’invulnérable Ringo - Le rock est notre vice/ C’est la faute à Elvis/ Nous l’avons dans la peau/ C’est la faute à Ringo - C’est lui, le vieux Ringo, qui réussit à nous faire chialer à la fin de cette saga. Il nous explique que le roi George atteint d’un cancer est allé finir ses jours en Suisse, alors Ringo se rend à son chevet. Le roi George est alité, il ne peut plus bouger. Ringo lui explique qu’il doit ensuite se rendre à Boston où sa fille est hospitalisée pour une tumeur au cerveau. Et le roi George lui dit d’une voix faible (que Ringo imite au mieux) : «Do you want me to come with you ?». Le vieux Ringo se met à chialer. «Ce sont ses derniers mots», précise-t-il. Il enlève ses lunettes noires pour s’essuyer les yeux. Cette scène à elle seule résume l’histoire de George Harrison.

             Scorsese se montre à la hauteur de son personnage. Même quand on a déjà vu ce film plusieurs fois, on a chaque fois l’impression de le redécouvrir. Scorsese est passé maître dans l’art de déterrer des images d’archives extraordinaires et de les coupler avec du rock, le meilleur qui soit. Chacun sait qu’il a collé le Jeff Beck Group dans la BO de Casino et les Stones dans celle de Mean Streets. Pour illustrer l’historique de l’après-guerre, Scorsese cale un extrait de «Count Your Blessings And Smile» de George Formby. Comme le roi George est un enfant de la guerre, Scorsese balance des images de bombardiers nazis au-dessus de l’Angleterre. On pense alors à Lemmy qui lui aussi est né sous les bombes, puis c’est la victoire sur fond d’«All Things Must Pass», et Scorsese passe directement aux racines du mythe, avec le cocky little guy qui s’appelle George Harrison et son copain d’école «dickensienne» Macac, un Macac qui nous dit que son poto George avait beaucoup de cheveux, a fucking turban. Tous les deux, ils partagent une passion pour l’art - Art was a great golden vision - Il s’agit bien sûr du rock’n’roll. Comme Macac a commencé à fricoter avec Lennon, il ramène George qui sait jouer de la guitare - He could play the guitah - On connaît l’histoire par cœur, mais ça reste tellement excitant. George rigole parce que Lennon n’a que quatre cordes sur sa guitare et ne sait pas qu’il en faut six. Le jeune roi pratique une sorte d’humour anglais très froid mais irrésistible. Par exemple il indique qu’au début les Beatles n’avaient qu’une seule ambition : «Ballrooms, the big deal.»

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             Et boom, Scorsese envoie tout ce petit monde à Hambourg. Voilà les plans couleur de la Reeperbahn, avec ses grosses putes allemandes, et puis voilà Klaus et puis Astrid la photographe, qui d’ailleurs témoignent tous les deux dans ce film. Klaus c’est Klaus Voorman, bien sûr, qui redit sa fascination pour les Beatles - So much personality - et c’est là qu’ils se mettent à porter du cuir noir, John, Paul, George, Pete Best et Stuart Sutcliffe. Ils dorment un temps dans un placard derrière l’écran d’une salle de ciné puis Astrid leur propose l’hébergement. Elle tombe amoureuse du beau Stuart dont l’histoire est superbement bien racontée dans un autre film, Backbeat, qu’il faut voir et revoir, car c’est probablement le meilleur film consacré aux Beatles. Tout le monde trouve George gracieux - The lovely sweet little George - Astrid trouve Paul et John so different  et pouf, catastrophe, Stuart meurt, en 1962. John qui n’a que 18 ans, est profondément affecté par ce drame. Retour à Liverpool. George place l’une de ses petits vannes mystérieuses : «How many Beatles does it take to change a light bulb ?» Le journaliste attend la réponse. «Four». Oui, il faut quatre Beatles pour changer une ampoule. Ça sent bon le Monty Python. On y reviendra.

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             Et boom badaboom les Beatles explosent, «I Saw Her Stranding There» et tu vois George prendre un solo de clairette exacerbée. Puis tu le vois sortir sa Rickenbacker. Toute l’imagerie du rock anglais est là, dans ces plans faramineux, tout vient de là, de George, son costard, ses boots et sa Ricken, une symbolique que cultiveront les Who comme les Byrds, le son, la classe. Les Beatles ne vieilliront jamais, car quel son ! Quelle énergie ! Autre personnage clé de cette histoire : George Martin, qui les rencontre en 1962. Et pouf, le label met la pression, il faut des hits et des albums, alors Macac et Lennon composent une chanson par jour, pas de problème, on a tout ce qu’il faut. George ne dit rien, il reste en retrait. Jusqu’au jour où il propose une compo, «Don’t Bother Me» - not particularly a good song, précise-t-il. C’est l’époque où Clapton devient copain avec George. Le loup entre dans la bergerie. Le roi George a pour épouse une très jolie petite blonde, Pattie Boyd, qu’on voit aussi témoigner dans le film. Plutôt bien conservée, pour une vieille Anglaise.

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             Le roi George expérimente le LSD par hasard. Il adore ça - I was in love with everything - C’est l’extase. Il décrit ses trips fabuleux. Il embraye directement sur Ravi Shankar et le sitar. Il recherche la perfection à travers la musique orientale. Shankar essaye d’expliquer à un journaliste anglais qui ne pige rien que la musique est une façon de communiquer avec Dieu. Pas besoin des mots, dit-il. Le roi George jubile : «My experience was of the best quality.» C’est ainsi qu’il définit sa quête : une recherche de la perfection. Dans sa façon de vivre, dans ses relations, dans sa musique. La perfection comme un art de vivre. C’est là qu’on commence à le prendre très au sérieux. Peu de gens dans l’histoire de l’art sont aussi résolument engagés dans ce type de quête. Après un épisode compliqué à Haight-Ashbury, le roi George laisse tomber le LSD et passe à la méditation. Il lui faut un maître et ce sera le petit Maharashi et sa voix de canard, de passage en Occident pour quelques conférences.

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             On arrive dans la zone la plus magique de l’histoire des Beatles, celle du White Album et Scorsese nous balance «Savoy Truffle». Les syllabes multicolores éclatent dans le purple haze - Cool cherry cream and a nice apple tart - tu entres dans le jardin magique de ton adolescence - Coconut fudge really blows down those blues - et tu tartines le But you’ll have to have them all pulled out/ After the Savoy truffle jusqu’à l’évanouissement. «Savoy Truffle» est un trip phonétique à part entière. Alors voilà Lennon qui entre dans ton champ de vision en costard blanc, Yoko qui évoque «Number Nine», l’une des clés du paradis, et voilà que Ringo quitte le groupe pendant les sessions du White Album  et qui revient - Reviens Ringo ! - Et puis on attend la plus importante, on sait que les notes vont surgir comme des fées au coin des images de Scorsese - See the love there that’s sleeping/ While my guitar/ Gently weeps - voilà donc l’un de tes morceaux préférés parmi tous les morceaux préférés du White Album - I look at the floor/ And I see it needs sweeping - tu chantais tout cela avec le roi George et ta peau frissonnait, car tout n’était ici que luxe, calme et volupté. «Why My Guitar Gently Weeps», c’était Baudelaire au XXe siècle. Mais à la différence de Baudelaire, George montait dans ses octaves, I don’t know why nobody told you et tu basculais dans un abîme de félicité.

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             Cet épisode magique prend fin lorsque Scorsese évoque la tension qui règne dans le groupe au moment de Let It Be, le roi George compose une merveille nommée «Something», puis «Here Comes The Sun» et ce little darling dansait au coin de ton esprit cette année-là, Little darlin’/ It’s been a long cold lonely winter, et puis voilà, les canards titrent Paul quits, c’est le fin du British Empire. Et George devient le roi d’Angleterre.

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             Il passe directement aux affaires royales : All Things Must Pass et Friar Park, son palais baroque. À disque royal, producteur royal : Totor débarque en costard noir et chemise rouge, il parle d’une voix de tenancière de lupanar et porte une perruque blonde, mais fuck c’est lui qui transforme «My Sweet Lord» en hit intemporel. L’œil brillant, Totor dit que le roi George a des centaines de chansons. C’est un roi, quoi de plus normal ? Ils passent douze heures sur le Sweet Lord, Totor qui se croyait le pire des perfectionnistes et dépassé par le roi George qui est encore pire que lui. Totor : «My Sweet Lord, that’s the hit !». Les autres trouvent la chanson trop religieuse. Totor tient bon. That’s the hit ! Quand un journaliste dit au roi George que cette chanson est intemporelle, il répond : «Oh is it ?». Puis il explique : «First its simplicity, and repetition. A mantra». Voilà la clé : le mantra.

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             C’est toujours un plaisir inégalé que d’ouvrir la box d’All Things Must Pass et d’en sortir ses trésors. On a salué longuement le charme pas discret de cette bourgeoisie fataliste lors de l’hommage à Totor, mais comme nous revenons faire un tour dans la cour des rois, nous allons nous replonger dans ce triple album qui fut, t’en souvient-il, l’un des plus hauts sommets de l’an de grâce 1970, un an pourtant riche en sommets. Aussitôt le balda lancé, force est d’admettre que le style du roi George est unique : mellow yellow, spirited au sens du spirit, de ce qui s’envole. Et puis... Uhm my Lord, le roi George entonne son chant avec une gourmandise distinguée, comme s’il était le vrai roi d’Angleterre, il faut le voir étaler «My Sweet Lord» au really want to show you Lord, il est le roi du gospel blanc et son gospel rivalise d’éclat avec l’Oh Happy Day, car bien monté en neige par l’autre génie de service, le Totor, et ça grimpe très vite au my-y-y Lord, en une belle apothéose de pâté de foi, hallelujah, la rythmique est une merveille de fouillis de beat et le roi George y tartine son miel de gratte. Tout cela est bien sûr joué au maximum des possibilités. Même quand le roi George fout le paquet avec «Wah Wah», c’est beau, mais beau vois-tu comme un paysage de Turner, ou pire encore, une plongée contemplative de Caspar David Friedrich. Beau et vif comme l’un de ces aplats carmins que Paul Gauguin appliquait sur ses toiles aux Marquises. Le roi George retrouve la veine mélodique de la beatlemania pour «Isn’t It A Pity». Totor te violonne ça vite fait bien fait jusqu’à l’horizon et le roi George ramène son pot de miel, tout cela reste très spectaculaire, comme si les génies respectifs de ces deux hommes se fondaient dans un ciel immense d’Eugène Boudin. On retrouve la magie mélodique en B avec «If Not For You», le roi George n’en finit plus de créer son joli monde d’harmonie et de miel de gratte, ce cut te cueille, c’est toi le fruit mûr qui se pose délicatement dans la bouche d’un roi et tu fonds dans ton propre jus sucré. Le roi George gratte la gratte du Paradis. En C, tu vas tomber sur un «Apple Scuffs» très dylanesque, secoué de gros coups d’harp mélangés au miel de gratte. Quel régal ! Tu ne sais plus si tu es le mangeur ou le mangé tellement le roi George te bouleverse les sens. Avec «Ballad Of Frankie Crisp», il propose une belle pop attachante de let it roll. On sent poindre dans sa joie de vivre l’ombre d’une immense mélancolie. Il y a du Goya en lui. «Awaiting On You All» permet de goûter à nouveau au génie productiviste de Totor, il donne à cette pop royale une profondeur incommensurable, une ampleur sans précédent. Tu ne croiseras pas tous les jours de telles convergences de génies. Une conjonction Totor/Roi George ne se produit qu’une fois par siècle. Totor ramène des trompettes mariachi dans l’«Art Of Dying» qui assombrit la D et on revient à la pop de suspension avec «Isn’t It A Pity», un cut tentaculaire qui s’étend aussi loin que porte le regard, et cette fois l’analogie avec Alfred Sisley s’impose naturellement. Le roi George clôt cet album fataliste avec «Hear Me Lord», une nouvelle rasade de purée spirited d’une fantastique ampleur. Sa voix évoque une matière très ancienne, il est à la fois l’océan et la montagne, le sable et l’écume, le vertige et la paix, la pierre et le bois, et Totor lui donne tous les pouvoirs du Wizard.

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             Le roi George a commencé à mépriser le matérialisme. Clapton en profite pour lui barboter Pattie, comme Keef a barboté Anita à Brian Jones. Clapton dit au roi George qu’il est amoureux de sa femme. Alors le roi lui répond : «Prends-là, elle est à toi.» Il n’est même pas fâché avec ce sale mec. Il a d’autres chats à fouetter, comme par exemple le Bengladesh. Le roi George s’engage pour le Bengladesh, il organise un benefit et porte un costard blanc comme celui de Lennon. On voit la belle Claudia Lennear danser dans les chœurs.

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             Dans sa quête de perfection, le roi George peaufine un son qu’on qualifié d’emotional. Il ne vise que la note juste. Puis sa voix se dégrade. On dit qu’il prend beaucoup de drogues. Il épouse Olivia et comme il est très lié aux Monty Python, il hypothèque son palais pour financer le tournage de La Vie De Brian. Quatre millions de dollars. C’est à cette époque que Lennon se fait buter à New York. Le roi George est en colère, angry que John n’ait pas quitté son corps in a better way. Quand Olivia lui annonce qu’on l’attend pour une récompense officielle, il refuse de s’y rendre - Find another monkey - Puis on tombe sur l’épisode tant attendu des Traveling Wilburys : pour le roi George, l’idée est de monter the perfect band. Il rassemble Roy Orbison, Bob Dylan et Jeff Lyne. Roy et lui chantent cette huitième merveille du monde qu’est «Handle With Care» - Everybody’s got somebody to lean on/ Put your body next to mine/ And dream on - Pur jus de roi George, dommage que Tom Petty frime autant. Puis arrive l’épisode dramatique de l’agression, une nuit, vers 4 h du matin, un mec rentre dans le palais du George pour le tuer et le rate. Alors pour le roi Geoge, le message est clair : il annonce qu’il doit se préparer à quitter son corps - À part l’amour du père pour son fils, I don’t see no reason to be here. À quoi bon tout cela, toute cette célébrité ? Toute cette fortune ?

    Signé : Cazengler, George Hérisson

    George Harrison. All Things Must Pass. Box Apple 1970

    Martin Scorsese. George Harrison: Living in the Material World. DVD 2011

     

     

    L’avenir du rock –

    Le culot des zozos de Cluzo

     

             L’avenir du rock aurait très bien pu s’appeler ‘Tu ne crois pas si bien dire’, ou mieux encore ‘Tu l’as dit bouffi’. Quelle relation avec le rock ? Aucune, c’est tout l’intérêt. Il pourrait aussi s’appeler ‘Aide toi et l’évidence t’aidera’, ou encore ‘À bonne évidence salut’. Ou encore ‘Il faut battre l’évidence quand elle est chaude’. Lorsqu’il croise son reflet dans un miroir, l’avenir du rock ne voit qu’une évidence. C’est à la fois son drame et son privilège : sa nature conceptuelle, comme celle de l’amour physique, est sans issue, hormis l’évidence. L’avenir du rock peut regarder en haut, en bas, à droite, à gauche, il retombe toujours sur l’évidence de son évidence. Dans la vraie vie, on appellerait ça un destin tragique. Dans le cas de l’avenir du rock, on appelle ça un schéma conceptuel forcé. Tu ne le sais sans doute pas, mais un concept peut aussi en baver, enfin c’est une façon de parler. Comme Atlas, l’avenir du rock est conçu pour porter le poids des évidences sur son dos. Ça ne paraît pas comme ça, mais les évidences peuvent peser des tonnes. Plus les évidences sont évidentes, plus elles pèsent lourd. Si tu veux chambrer l’avenir du rock, tu peux l’appeler ‘L’Atlas du rock’. Il ne sera pas fâché. Quand il en a marre de porter ses tonnes d’évidences, il fait son Sisyphe et les fait rouler sur la pente abrupte de l’Ararat, un schéma conceptuel d’autant plus cruel que la cause est juste, puisque ce sont des évidences ! Alors pourquoi s’inflige-t-il une telle corvée ? Pourquoi les évidences ne sont-elles pas de gros ballons multicolores flottant dans l’azur marmoréen ? Pourquoi s’épuise-t-il à faire rouler ses tonnes d’évidences sur une pente d’une telle raideur ? Parce qu’il entend bien assumer jusqu’au bout les aléas de son schéma conceptuel. Ça fait partie du job. Lorsqu’il arrive au sommet de l’Ararat et que sa tonne d’évidences lui échappe et bascule de l’autre côté pour dévaler la pente, l’avenir du rock s’assoit, allume sa clope et se dit que finalement une bonne tonne d’évidences dans la gueule de tous ces négativistes agglutinés en bas, c’est la meilleure des choses qui puisse leur arriver. Ça leur fermera une bonne fois pour toutes leur boîte à camembert. Après tout, l’essentiel est dans Lactel.  

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             Commence par dépasser tes a prioris (groupe français, bif baf bof, rock bio élevé à la ferme, baf bif bof, culturalisme régional, bof baf bif, réputation boogie rural, bif bof baf, white striping à la française, bif et baf et ratabof, en gros, tous les maux de la terre). Une fois que tu t’es débarrassé de toutes ces conneries et que tu te sens un peu moins élitiste, c’est-à-dire un tout petit moins con (mais pas trop), ça va mieux. Au pire, tu vas t’ennuyer pendant une heure. Alors, une heure, qu’est-ce donc comparé à l’univers ? Rien. Donc tout va bien dans ta pauvre tête de con.

             Tu retrouves ta chère barrière et les habitués du premier rang, toujours les mêmes. Tu regardes la première partie sans la voir, car tu penses à autre chose, une idée de conte. Il faut faire gaffe quand tu as des idées, elles peuvent t’échapper, il faut les matérialiser rapidement, mais sans ton ordi, c’est compliqué, alors il faut les amarrer dans ta tête, c’est-à-dire les construire, et tu mets en route le jeu des formulations, le premier jet est toujours fluide, tu sais que tu vas en perdre une grosse partie, alors tu reformules plusieurs fois tes phrases pour bien les mémoriser, ça demande un temps fou, ah il faudrait un bout de papier pour noter ça, mais pas de bout de papier, alors tu reprends tout au début, pour sauver ce qui reste de cette formulation d’intro si limpide, car c’est d’elle dont dépend toute la suite, oui car c’est dans les deux premières phrases que tu plantes le décor, que tu crées l’énergie du texte, tu y reviens, tu remanies et soudain les lumières s’allument et on te parle. C’est la fin de la première partie et tu as perdu le fil de ta formulation. Ah comme la vie peut parfois se montrer cruelle.

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             Et voilà qu’arrivent sur la grande scène les zozos de Cluzo. Le petit gros à la gratte s’appelle Malcolm et le maigre au beurre s’appelle Phil. Le petit gros annonce très vite qu’ils vont jouer les cuts de leur nouvel album, Horizon. Et hop, c’est parti ! Le gros gratte une bête à cornes, c’est-à-dire une Gibson SG bordeaux. Il est coiffé comme l’as de pique, autrement dit comme d’Artagnan, mais un d’Artagnan qui serait revu et corrigé par Abel Gance, très XIXe, avec la barbichette belzébutienne de Félix Fénéon, et dans ses tout petits yeux en trous d’aubépine, danse l’éclat vif d’une certaine malice. Non seulement il a du son, mais il aussi de la gueule, et il va vite basculer dans la démesure, et là mon gars, ça devient passionnant car tu as sous les yeux un artiste génial, une sorte de Pantagruel à la Leslie West, un personnage fabuleusement vivant et supra-doué, un petit gros comme on les aime avec des petites mains boudinées comme celles de Frank Black qui génèrent sur la gratte de fières giclées d’apocalypse, d’hallucinants ras-de-marée soniques, des vagues monstrueuses qu’il double d’arraches de glottes atrocement phénoménales, il se dresse dans sa tempête comme une sorte de Poséidon ivre de colère sourde, le cheveu en bataille et la bouche en entonnoir, il screame sa route à travers la jungle, il embrase les imaginaires agglutinés à ses pieds, il aspire le monde et recrache la vie, il illustre parfaitement le mythe des anciens dieux dressés dans les tourmentes, les cheveux dans les yeux, il développe tellement de puissance qu’il en devient surréaliste, mais on est bien embêté, car il n’existe pas de barbichettes chez les Surréalistes, des moustaches tout au plus, alors on va rester sur Abel Gance, car l’esthétique gancienne de la démesure convient parfaitement à notre gros bateleur.

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    Il n’est pas seulement gargantuesque, il est aussi et surtout homérique, tout le passif de la Méditerranée remonte en lui, comme sorti du sol et jaillissant à travers sa bouche grande ouverte, il screame du scream par paquets, il voue tout aux gémonies, il undergutte l’ultra-gut, ce bulldozer à deux pattes déblaye tout sur son passage, il te charrie le ramshakle, il te charrie avant les bœufs, non seulement il exhale des panaches de pur power incendiaire, mais il parvient au prix d’efforts surhumains à les rendre beaux, c’est-à-dire mélodiques. Sa sauvagerie le béatifie. On n’avait pas vu un tel diable depuis un bon moment, c’est-à-dire depuis Frank Black, lors de son dernier passage avec les Pixies. Eh oui, Malcolm Cluzo appartient exactement à la même caste, celle des gros géants géniaux.

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             Bon, d’accord. Son, physique, ça tient superbement la route. À deux, ils font plus de ramdam qu’un groupe à deux guitares. Au beurre, Phil Clouzo fait plaisir à voir. C’est même un bonheur pour l’intellect du spectateur. Il est partout dans le son, avec une exubérance qui rivaliserait presque avec celle de son collègue. Son beurre est une merveille de vivacité cinétique, un perpétuel ramshakle d’excelsior, c’est toujours un bonheur que de voir un vrai batteur à l’œuvre, il tient bon la rampe, il bat la campagne des chœurs, il sait que le gros s’appuie sur lui, alors il en rajoute, mais au bon sens du terme. Ah tu ne battras jamais ces deux mecs-là à la course. Tu as presque envie de dire aux White Stripes d’amener leur calepin et de prendre des notes. Mais aussi à plein d’autres groupes. Tu pourrais presque leur dire : «Notez bien et regardez comment on joue le rock, c’est pas compliqué : petit un, il faut un son, petit deux, une voix, petit trois, du bon beurre et petit quatre, des bonnes compos. C’est bien noté ?». Les zozos de Clouzo ont tout ça, et en plus, une certaine forme de génie, qu’on pourrait qualifier d’agraire, pour rigoler et faire écho aux petits discours de militant bio dont le gros abreuve la salle de temps en temps, une salle urbaine qui bien sûr ne se sent pas concernée par la problématique, mais bon, c’est pas grave, le gros est infiniment crédible, dès qu’il gratte sa gratte, il redevient un héros du rock, c’est -à-dire un hérock, a hero just for one day. On l’adore d’autant plus qu’il lance à un moment : «Tout le monde dit que le rock est mort ! Eh ben non. On prouve le contraire tous les soirs !» Et wham bam, il envoie rouler «Running A Family Farm Is More Rock Than Playing Rock N Roll Music», c’est le boogie rock le plus hot qu’on ait entendu depuis l’âge d’or de Nashville Pussy. Les deux zozos de Cluzo se transforment chaque fois en machine infernale. Il n’y a pas un seul passage à vide dans leur set. Ils maintiennent en permanence un très haut niveau d’intensité et de qualité. Le gros chante en anglais, mais diable comme il est bon. Il sonne comme une superstar, il tape dans l’immédiateté du rock, il hérite de toute cette culture du power et du riff, et il joue de sa voix comme d’un instrument. Il est constamment en équilibre entre ces deux pôles que sont Frank Black et Leslie West, mais avec un truc à lui en plus. C’est l’apanage des géants du rock.

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             Rien qu’avec les cuts d’Horizon, on est gavé comme des oies. Grosse ambiance dans la salle. Phil Clouzo va même faire un petit coup de stage-diving, histoire de rivaliser d’ardeur communicative avec les deux guitaristes d’Idles. On n’arrête plus de se dire : «Aw fuck comme ils sont bons !». Côté reprises, deux bonnes surprises : l’«Hey-Hey My My Rock’n’Roll Will Never Die» de Neil Young, un peu bateau, mais surtout l’extraordinaire «I Almost Cut My Hair» en hommage à Croz que le gros attaque à l’hendrixienne et qu’il sur-gueule dans la tempête des Cyclades, sa version est complètement démontée du bastingage, il hurle à l’accent fracassé, il est dans la divination Crozbique, il va chercher l’extrême de la screaminisation à s’en décrocher la mâchoire, tu ne peux pas aller plus loin dans l’exercice de la fonction sépulcrale, il s’en dilate la rate, il va au-delà de tout, il s’empale au sommet du lard, il s’en-dracularise de fureur abyssale, c’est le plus bel hommage à Croz qui se puisse imaginer ici-bas, il invoque le fantôme de Croz avec tellement de niaque qu’il finit par le matérialiser sous la forme d’un ectoplasme, comme dans une épisode du Professor Bell de Joan Sfar.

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             Et puis ils vont finir ce set mirobolant en mode destroy oh-boy : Phil Cluzo fout sa batterie en l’air, et ils t’explosent le concept de fin de sert à la cavalcade infernale. Tu as là tout le punk des Damned, de Kurt Cobain et de Keith Moon, un vrai concentré de tomate, cette vieille tradition du fuck shit up de fin de set, pareil, tu as presque envie de dire aux apprentis sorciers : «Amenez vos calepins les gars et prenez des notes !». Les zozos de Clouzo ont tout bon. Vivent les culs terreux !

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             Sur Horizon, les zozos de Clouzo ont encore plus de son, comme si c’était possible. Tu y retrouves les fameuses oies dont parlait le gros («Saving The Geese»), les oies qu’il a réussi à sauver quand les escadrons de la mort sanitaire abattaient tous les animaux de la région à cause de la grippe aviaire. Il amène ses oies au big riffing bien gras. C’est violent, d’une grande beauté et battu heavy, il chante son saving the geese à l’accent screamy demented, puis il part en solo d’explosion nucléaire, alors ça sonne comme un hit inter-galactique, il n’y a pas d’autre mot, et lorsque Phil Clouzo double au beurre, ça prend les proportions d’un Pandémonium. Tâte les oies pour voir, ça te donnera une idée de leur power. Il fait aussi du heavy boogie down de route 66 avec «Rockophobia», il opte tout de suite pour l’énormité, il y plonge le premier et tout le cut le suit, rock is dead long live rock, il n’en finit plus de clamer l’évidence de l’avenir du rock, rock ain’t dead, et pour ça, il va chercher un chat perché surnaturel. Il enchaîne ce blast avec «The Armchair Activist», fantastique shoot de punk’s not dead, le gros te rocke ta médina, fucking genius, c’est tellement plein de son que ça t’en bouche le coin, I’m an armchair activist ! Le gros a tous les pouvoirs, il va chercher du gros guttural de traffic jam pour «9 Billion Solutions», il passe encore en force, il porte le poids du monde comme l’avenir du rock porte le poids des évidences. Oh et puis il faut aussi écouter l’«Act Local Think Local» d’ouverture de balda. Il fait son Leslie West, il opte une fois de plus pour le passage en force, mais avec l’incroyable douceur de petits doigts boudinés, ça donne un extraordinaire cocktail de rentre-dedans et d’excellence de la persistance, le tout parfaitement tatapoumé par Phil Clouzo. Tu retrouves aussi sur l’album le fameux «Wolfs At The Door» embarqué au heavy Mountain side, le gros tape ça au gut des Landes et à la voix d’ange. Puis il passe à la bravado de type Nashville Pussy avec «Running A Family Farm Is More Rock Than Playing Rock N Roll Music». Il y va au scorch. C’est du blast à l’état pur, pas loin de ce que faisait Motörhead. Il s’en va ensuite te draper «The Outsider» de big atmospherix, c’est une vraie mine d’or, il a tout le power de Leslie West, il peut aller du grave de gut au pire chat perché. Il embarque son «Swallows» à coups de tasty crunchy little bugs et chauffe son morceau titre aux feux de la Saint-Jean, puis il l’empoisonne à la disto. Il est au-delà de tout.

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             Leur premier album sans titre est encore plus passionnant. Il pourrait même s’agir de l’un des albums du siècle, tellement c’est bien foutu. Ça démarre sur le morceau titre, «The Inspector Cluzo», un blast inexpugnable, ils plongent tout de suite dans les abysses du doom. Le gros envoie son chat perché et claque un riff à la revoyure. Les zozos de Cluzo te plongent littéralement la gueule dans leur soupe aux choux. Il faut les avoir vus sur scène pour comprendre la réalité de leur power. L’autre coup de génie s’appelle «Do You Make It Right», cut quasiment hendrixien, époque Band Of Gypsys. Le gros a déjà toutes les ressources. Il enchaîne avec «Turlulututututu», il te fait danser, il ramène dans son groove un fondu dément à la Lennon, that’s the meaning of love. «Do You Make It Right» est une œuvre d’art. Il donne corps à une autre idée avec «Two Days». Chaque fois, ça suit. Modernité à tous les étages en montant chez Malcolm. Il fait du genius de modernity à l’état le plus pur, il réussit un mélange sidérant d’heavy Al Green avec du riff garage. Fantastique pulsateur ! «Change #1» est très heavy, en plein trip d’à deux-on-y-va. Ce mec Malcolm est un monstre. Il te fait grimper dans les sphères supérieures du tonnerre. Tout dans cet album est bourré de power à l’état pur, tout se passe dans les petits doigts boudinés et dans le gras de la glotte, le gros n’en finit plus d’être aux aguets, on le voit même rapper le groove de Cluzo dans «Mad». Puis il passe au hard funk avec «Fuck The Bass Player» ! C’est un peu comme s’il avait joué dans les Famous Flames. Même énergie ! Il s’en va faire sa folle au sommet d’«US Food», c’est le big heavy funk system de Malcolm le héros. Ses descentes d’accords te donnent le tournis. Laisse tomber les White Stipes, écoute plutôt ces deux mecs-là. L’album est complètement jouissif. Le gros n’arrête jamais, il te remet le couvert avec «Yuppie Way Of Life Blues», il y joue un heavy groove de funk tendancieux, une vraie merveille de prévarication, ah il faut le voir plonger dans sa bouillasse et remonter à la surface !

             La suite au prochain numéro.

    Signé : Cazengler, sacré zozo

    Inspector Cluzo. Le 106. Rouen (76). 23 mars 2023

    Inspector Cluzo. The Inspector Cluzo. Ter A Terre 2008

    Inspector Cluzo. Horizon. Fuck The Bass Player 2022

     

     

     

    Inside the goldmine –

    Barrett de choc, pas de shit

     

             Dans sa vie, Barric n’a pas eu de chance. Pourtant fraîchement émoulu d’une grande école de commerce, bien buriné par un stage au sein d’un régiment de Spahis algériens, il entra dans la vie active par la petite porte, et, comme beaucoup d’autres, en sortit par la grande, après avoir frisé l’overdose de promotions. Il n’eut donc à son actif qu’une sorte de réussite sociale, rien de très appétissant. Le genre de truc dont on ne peut même pas se vanter au soir de sa vie. Un soir donc bien lugubre. La question est toujours la même : peut-on échapper à son destin ? Nous sommes tous bien placés pour savoir que ce n’est guère possible. Et donc, notre pauvre Barric se retrouva au soir de sa vie bien embarrassé, avec pour seule richesse une sorte de réussite sociale qui ressemblait à s’y méprendre à une vie ratée. Fasciné par le spectacle de sa déconvenue, il entreprit de vivre jusqu’à 100 ans pour pouvoir en examiner dans le détail tous les aspects. L’examen d’une vie ratée demande énormément de temps. Il se trouvait en outre dans les conditions idéales pour procéder à cette introspection qu’il voulait exhaustive : sa troisième épouse avait réussi à se débarrasser de lui en le «plaçant» dans un EPHAD, avec à la clé une bonne camisole chimique, histoire de le calmer s’il lui prenait la fantaisie de vouloir se trancher les veines, comme il menaçait régulièrement de le faire. Il passa les trois dernières années de sa vie assis sur le bord de son lit, prostré dans le silence. Il recevait de très rares visites, car il s’ingéniait à décourager les proches qui faisaient encore l’effort de s’intéresser à lui. En approchant de l’âge fatidique des 100 ans, il perdit sa mobilité et son élocution. Il bafouillait des mots incompréhensibles en bavant comme une limace. Il redevenait une sorte de gros bébé, c’était d’autant plus évident qu’il portait des couches. Son état physiologique empira très vite, il se mit à ressembler à un fœtus, sa peau devint un peu mauve, et un matin, alors qu’une aide-soignante lui changeait sa couche, il la renversa sur le lit, lui écarta les cuisses et s’enfourna dans son vagin. On le déclara «disparu sans laisser de traces». 

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             À la différence du pauvre Barric, Barrett a connu une existence beaucoup plus intéressante, puisqu’il appartenait au noyau de base de Motown, comme auteur-compositeur maison. Il bossait essentiellement avec Norman Whitfield. Ces deux poules aux œufs d’or, cot cot, pondaient les hits des Temptations, à commencer par «I Heard It Through The Grapevine», cot cot, mais aussi «Ball Of Confusion» et «Papa Was A Rollin’ Stone». Rien qu’avec ces trois bombasses atomiques, tu situes le niveau. C’est aussi Barrett Strong qui co-signe et qui interprète le fameux «Money (That’s What I Want)», connu comme le loup blanc et que tout le monde a repris.

             L’heure est donc venue de lui rendre hommage, étant donné qu’il vient de casser sa pipe en bois. En guise d’épitaphe, il conviendrait de graver dans le marbre de sa headstone : «Strong, c’est du solide !».

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             L’intérêt de sa discographie est qu’elle est maigre, donc on en fait (relativement) vite le tour. Maigre, mais de bonne qualité. Quand Berry Gordy déménage son bouclard à Los Angeles, Barrett reste à Detroit. Il signe sur Capitol et enregistre en 1975 l’excellent Stronghold. Il a l’air strong sur la pochette. Il attaque son balda au heavy r’n’b avec un «Do You Want My Love» bardé de son. Il a gardé les vieux réflexes Motown, avec des chœurs en place, un beurre solide et un bassmatic persistant. Les musiciens sont des inconnus, mais bons. Barrett finit son cut en groovytude parfaite. Et voilà qu’avec «Surrender», il fait son Marvin. Il est en plein dans «What’s Going On». C’en est troublant. Il a exactement les mêmes accents et la même orchestration. Il referme son balda avec le fantastique groove d’«Is It Time», une vraie merveille d’is it time. On l’aura compris, Stronghold est un album de groove. Il s’en va donc groover «I Wanna Do The Thang» sous le boisseau, en vieil habitué du snakepit et fait de «There’s Something About You» un r’n’b hardiment ramassé, ficelé comme un gigot, bien rond, bien dodu, bien Strong. Il passe au dancing r’n’b avec «Mary Mary You», sa voix éclot comme un chou-fleur dans la clameur d’Elseneur.

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             Barrett enregistre l’année suivante Live & Love. En voyant la pochette, on est un peu inquiet, car Barrett a des allures de diskö boy, mais il nous rassure aussitôt avec «Man Up In The Sky», un heavy groove de classe incontestable. Barrett est barré. Mais c’est avec sa version de «Money (That’s What I Want)» en ouverture de bal de B qu’il rafle la mise. Il fait du heavy Motown, mais tapé au maximum overdrive de Malaco, les filles derrière sont géniales, Dorothy Moore est dans les chœurs. Le fou à la gratte est le gratteur maison de Malaco, le fameux Dino Zimmerman. Il wahte son ass off. L’autre coup de génie de l’album se trouve aussi en B et s’appelle «Gonna Make It Right». Cut d’une rare puissance, Barrett jette tout son Strong dans la Soul, yeah oh yeah !, il remonte le courant à la force de ses écailles. Barrett Strong est un puissant remonteur de courant. Il sait aussi enchanter un balladif, comme le montre «Be My Girl». Encore un joli coup avec le morceau titre en fin de balda, too much confusion, il y va comme au temps des Tempts. Il y va carrément au raw de niaque d’arrache. Il finit avec une superbe cover de «Knock On Wood», il s’en tire avec les honneurs de Malaco, ah comme il est bon, il colle bien au palais. Logique, vu qu’il a un bon timbre. Solide Strong !

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             Avec Love Is You, il va plus sur la dancing Soul. Il conserve ses vieux réflexes, donc tout va bien. C’est quasi-Motown, aspergé de petites giclées de chœurs. On entend Dennis Coffey gratter son funk dans un «You Turn Me On» un brin diskoïde. Et puis voilà la merveille sauveuse d’album : le morceau titre. Et là, oui, mille fois oui, voilà un dancing groove gratté aux petites grattes funk. Fantastique allure, ça sent bon le Coffey chaud. En ce temps-là, on savait gratter ses poux. On entend même le riff de «Papa Was A Rolling Stone».

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             Bon, si tu veux entendre Barrett au temps de Motown, il existe une brave petite compile, The Complete Motown Collection. Alors attention, c’est pas terrible. Il vaut mieux se souvenir du Barrett compositeur de hits séculaires et oublier le Barrett interprète, d’autant que ça démarre sur «Money (That’s What I Want)», une belle tarte à la crème. Pour le reste, Barrett fait du early Motown qui, comme chacun sait, peine à jouir. Il peut parfois coller au palais avec un groove insidieux («You Know What To Do»), mais pas de hit à l’horizon, Capitaine Flint ! Il fait du gros groove de bas-étage avec «Whirlwind» - You know it hit me/ Like a whirlwind/ When your lips/ When your lips came close to mine - Il vire parfois calypso, parfois comedy act un brin cha cha cha, pourtant il est bon, mais il ne transcende pas l’inconscient collectif. À l’aube de Motown, le pauvre Barrett n’offre rien de probant. Avec «Misery», il est vite sur le pont du heavy groove, comme un bon matelot. Il sait carguer la grand-voile et affaler des vergues, pas de problème, il fait même du rock’n’roll avec «Let’s Rock». N’importe quoi ! Ses cuts n’ont pas d’avenir, sa heavy Soul n’accroche pas («Action Speaks Louder Than Words»). Il faut attendre «Who’s Taking My Place» pour sentir un frétillement du côté des naseaux. Et là, oui, il ramène du pur mama know, il devient le temps d’un cut le roi du groove. Mais juste le temps d’un cut. «Who’s Taking My Place» est même une merveille apocalyptique bien méritée, au bout de 15 cuts. Tout aussi dégourdi, voici «Suger Daddy», big Barrett is back in town avec un vrai jerk. Et le dernier joyau de l’époque Motown s’appelle «(I Don’t Need You) You Need Me», monté sur le modèle de Money. C’est du black rock. Ouh ! In the face ! Fantastique punch up de need me !

    Signé : Cazengler, bien barré

    Barrett Strong. Disparu le 28 janvier 2023

    Barrett Strong. Stronghold. Capitol Records 1975

    Barrett Strong. Live & Love. Capitol Records 1976

    Barrett Strong. Love Is You. Coup Records 1980

    Barrett Strong. The Complete Motown Collection. Tamla Motown 2004

     

    *

    Marie Desjardins n’est pas une inconnue pour les lecteurs de nos Chroniques de Pourpre, nous avons déjà chroniqué entre autres, le roman Ambassador Hôtel qui conte la vie imaginaire d’un chanteur de rock et la biographie du jazzman Vic Vogel Histoire de jazz et aussi repris certaines de ses chroniques consacrées à de grandes figures du rock… Voici que les Editions du Mont Royal (éMR), rééditent Ellesmere, roman paru en 2014 que nous n’avions pas hésité à qualifier de chef-d’œuvre dans notre Livraison 447 du 16 / 01 / 2020.

     ELLESMERE

    LA FAUTE

    MARIE DESJARDINS

     ( éMR / 2023 )

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    Un petit côté manga quand vous le prenez en main. Pas de panique, non ce n’est pas une version BD à la japonaise, simplement les éditions du Mont Royal offrent le texte en sa langue originale, le français, et en sa traduction anglaise réalisée par Julie de Belle. Les raisons de cette double entrée ne sont point mystérieuses, Marie Desjardins réside au Canada, et Pierre-André Trudeau éditeur a jugé qu’il était important de ne pas priver le lectorat anglophone canadien d’un texte de cette importance.

    Pour un lecteur français le titre Ellesmere s’avère énigmatique. Ellesmere est une île, aussi grande que le Sénégal, sise tout près du Groenland. Le Danemark qui régente l’ancienne terre verte des vikings a de toujours lorgné sur Ellesmere, le Canada n’a eu de cesse à s’opposer à ces intentions territoriales. En 1953, le gouvernement canadien propose à des familles inuites québécoises de s’installer sur cette île qui leur est présentée comme un territoire de chasse extrêmement giboyeux. Le raisonnement politique des autorités d’Ottawa est facile à comprendre : puisque des inuits de nationalité canadienne habitent sur cette terre il est logique que ce territoire appartienne au Canada…

    Tout est pour le mieux dans le meilleurs des mondes. A ce détail près, que les inuits débarqués sur l’île se retrouvent sous un climat arctique en des conditions déplorables par des températures extrêmes atteignant jusqu’à - 40°, sous des tentes plantées sur un sol de glace… Les souffrances endurées par ces exilés rejoints deux années plus tard par une nouvelle fournée d’immigrants sont atroces… En 1993 le gouvernement canadien se sent obligé de verser dix millions de dollars aux survivants, et de présenter ses excuses en 2008…  Cette nouvelle édition bénéficie d’un sous-titre : La faute, The offense en sa traduction anglaise…

            Nous voici donc partis pour une odyssée humaine, un livre de dénonciation, une charge politique sans concession, une généreuse défense d’un peuple opprimé. Non pas du tout.  Attention pas de méprise, Marie Desjardins ne prend pas fait et cause pour les monstrueux agissements de son pays, surtout pas, elle rappelle et condamne sans rémission les épouvantables traitements subis par ces populations inuites mais là n’est pas le sujet de son roman. L’on ne peut même pas dire que la tragédie d’Ellesmere est la toile de fond de son intrique. Là n’est pas son propos, il est tout autre, ce qu’elle nous montre c’est que la noirceur des âmes humaines est aussi dure et impitoyable que la blancheur gelée du sol d’Ellesmere.

             Le livre débute loin d’Ellesmere dans le cocon d’une maison familiale, le père, la mère et les trois enfants. Des blancs, pas des inuits. Le père est vétérinaire. La mère, parfaite épouse dévouée au tempérament d’artiste a bridé celui-ci pour s’occuper de son mari et de la fratrie. Le père ne se soucie que de Jess son fils aîné. Les deux autres ne sont que quantité négligeable. Dans son esprit Jess devra prendre la suite, il l’élève à la dure, l’emmène avec à toute heure du jour et de la nuit pour soigner vaches et chevaux malades ou décidés à mettre bas… Jess apprend la vie. Il serre les dents, ne se plaint pas. A ce régime il deviendra un enfant différent de tous les autres. Il sait ce qu’il veut. Adolescent il est déjà adulte, il a décidé de ne compter que sur lui-même. Il est un jeune gars, les filles lui courent après, il est un chef naturel, un meneur d’hommes, il ne connaît pas la peur, il ne s’interdit aucun excès, dans sa tête une chose est claire, de toute son existence il ne fera que ce qu’il désirera. A seize ans il partira de la maison.

             Une forte personnalité. Qui n’est pas sans effet sur le reste de la famille. Sa mère l’adore. Son petit frère le regarde vivre, il comprend tout, il intellectualise, il tire les leçons, il voit tout, il ne dit rien, c’est lui qui raconte l’histoire. Un narrateur qui ne croit pas en grand-chose. Ses jugements sur l’humanité sont sans appel. S’il n’est pas dupe des autres, il ne l’est pas non plus de lui-même. Un beau garçon, il attire les filles et les femmes se pâment, non seulement il est beau mais il a encore un atout supplémentaire sur tous les membres de la famille et sur la majorité de tous ses contemporains, il est doué, extrêmement doué. Il a hérité du tempérament artiste de sa mère, de son don pour le dessin et la peinture. Trois coups de crayon suffisent à étaler sa virtuosité. Ne s’en fait pour son avenir, il est tout tracé. Pas besoin de se fatiguer. La vie s’annonce si facile qu’il se rapproche de son oncle écrivain renommé, de son oncle ministre…

             Enfin la sœur, la petite dernière. Un ange empli de naïveté. Avant que vienne l’heure du sommeil Jess se rend dans la chambre des petits, Jess se glisse dans son lit et lui lit des histoires. Le petit frère observe, il écoute, il ne dit rien, il comprend tout, il est déjà revenu de tout. La sœurette adore son grand frère, lorsqu’il quitte la maison elle réfugie dans sa solitude et dans son occupation favorite, le dessin et la peinture, sous l’œil du puiné qui se moque d’elle. Secrète, enfouie en elle-même elle continue ses mièvres études de fleurettes.

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             Nous sommes à plusieurs milliers de kilomètres d’Ellesmere, mais puisque nous n’allons pas à Ellesmere elle arrive à nous. Elle ne se déplace pas comme la montagne du proverbe. Elle se présente à nous sous forme d’un tableau, d’un triptyque. Les enfants ont grandi, Jess vit sa vie, très sex and drugs, la petite sœur continue à peindre dans l’anonymat le plus complet, et notre narrateur dégote enfin une idée de génie. Il a entendu parler du scandale des inuits parqués sur l’île d’Ellesmere, ce sera le sujet de son tableau monumental. Du jour au lendemain, il devient célèbre, l’artiste vivant que l’on compare aux plus grands des siècles précédents. Il est riche à millions, il profite et abuse de la vie, de sa célébrité, des femmes, il boit, baise, fume, habite à la perfection son personnage de génie supérieur de l’humanité. Ce qu’il ne dit pas : sa petite sœur lui a apporté une aide décisive dans la mise en œuvre de son tableau, un jugement sûr, elle voit ce qu’il ne sait pas voir, les défauts de sa réalisation, il se moque d’elle, mais il obéit et corrige…

             Nous avons ici tous les éléments du drame. Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière, dixit Victor Hugo. Un triptyque, trois enfants, trois destins. A part que Marie Desjardins inverse et mélange les problématiques. Elle joue avec le blanc et le noir. L’on a l’impression qu’ici chacun dans sa lumière intérieure s’enfonce dans son ombre. Il n’y a pas de bons et de méchants. Il n’y a que des faibles et des forts. Et parfois les plus faibles se révèleront les plus forts. Est-ce vraiment ce qui importe ? Tout ne finit-il pas par s’égaliser. Tous victimes et tous bourreaux si l’on envisage les choses à l’aune de soi-même. Tout dépend du jugement que le lecteur leur accordera. Que chacun construise, s’il le désire, le chemin de sa rédemption. La seule nécessité est de toujours garder les yeux ouverts, sur les gouffres que l’on côtoie et surtout sur soi-même.

             Marie Desjardins ne pose aucun jugement moral. Elle expose. Elle explose toutes les catégories sociales. Où et quand se situe la faute. Y en a-t-il une seule ? Pourquoi n’y en aurait-il pas plusieurs. A moins que la seule faute soit celle de vivre dans la réalité de sa propre vie. Cynisme et innocence ne sont-ils pas l’avers et le revers de la même mouvance que l’on nomme la vie. En sa nudité, en sa cruauté, en son masochisme, en son sadisme, en sa crudité, en son authenticité.  Ne sommes-nous pas vis-à-vis de nos semblables, de ceux qui nous sont les plus chers, de nos frères et de nos sœurs tantôt humains tantôt inhumains, comme les icebergs d’Ellesmere qui se détachent de la stabilité des banquises, qui dansent dans les courants violents, et s’entrechoquent les uns les autres, dans une espèce de fureur sacrée qui n’a d’autre but que de détruire les autres et de se détruire soi-même. 

             En cent-vingt pages, Marie Desjardins bouscule toutes les convenances, toutes les représentations sur lesquelles repose l’hypocrisie humaine, tant au niveau sociétal qu’individuel. On ne ressort pas indemne d’un tel livre. Le mieux serait de l’oublier, de ne pas s’appesantir sur son implacable déroulement, d’essayer de penser à autre chose, mais il agit tel un maelström, il vous force à vous pencher sur l’abîme du monde et lorsque la spirale vous happe et vous aspire, vous n’avez plus qu’une peur et qu’un espoir, celui de vous connaître enfin tel qu’en vous-même aucune éternité ne vous changera.

             Un chef d’œuvre.

             Merci à Marie Desjardins de nous ouvrir les yeux.

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 25

    AVRIL - MAI – JUIN ( 2023 )

     

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    Un soleil de printemps pour accueillir la vingt-cinquième livraison de Rockabilly Generation News, avec cette fois non pas un mais deux pionniers. Sympa mais pas de quoi pavoiser, Johnny Powers est parti pour l’autre monde, on espère pour lui qu’il est meilleur que le nôtre, le 16 janvier de cette année, précédé de quelques jours par Charlie Gracie qui a plié bagage le 17 décembre 2022. Soyons cyniques, respectivement nés en 1938 et 1936, ils n’ont pas trop à se plaindre, d’autant plus qu’ils ont eu une vie bien remplie, des hauts et des bas bien entendus, mais qui n’en a pas connu, et ce privilège extraordinaire d’avoir fait partie des fondateurs de la plus belle musique du monde. La nôtre, celle des fans de rockabilly.

    J’exagère à peine, il existe d’autres musiques aussi belles et puissantes que le rockabilly, n’empêche qu’au lieu de présenter comme à mon habitude article par article le contenu du magazine, je vais le lire en diagonale, picorant de-ci de-là quelques phrases qui mises bout à bout veulent dire davantage qu’elles ne le paraîtraient lues séparément. Je commence par moi, le mot nôtre sur la dernière ligne du paragraphe précédent. Nôtre n’est pas un mot neutre. Je le retrouve sous d’autres formes par exemple dans l’interview de Lorenzo Chiara, chanteur et guitariste des Rotten Rockers, l’a cinquante-huit berges, quand il parle des fans il les définit comme ‘’ la famille’’, c’est chouette, ça illustre bien le rapport que son groupe ( comme beaucoup d’autres ) entretient avec les fans, mais une famille même élargie c’est tout de même un milieu assez étroit, si en plus on met cette expression en relation avec cette constatation : Un Teddy Boy en 1923 c’est un passionné qui maintient vivant un milieu qui est en danger. Sergio Katz qui mène l’interview remarque pour sa part ‘’ Crazy Cavan décédé, le mouvement Teddy Boy est vieillissant’’. Ce ne sont plus les pionniers qui désertent notre planète, mais la deuxième génération qui commence à prendre du plomb dans l’aile… Lorenzo est optimiste, il rencontre plein de jeunes formations, surtout en France, qui assurent la relève…

    Moi aussi, voici quelques semaines, dans ma série Rockabilly Rules, j’ai failli présenter Haylen, me suis ravisé au dernier moment ne la trouvant ni assez rock, ni assez rockabilly, et plouf ! RGN lui consacre sept pages ! Quelles magnifiques photos ! Merci Sergio ! Un drôle de pédigré tout de même pour une rockabilly girl, elle a participé à The Voice, à cette occasion  sa voix puissante  a fait le choix difficile du rhythm ‘n’ Blues, elle a intégré  un opéra rock, Le Rouge et le Noir, ce n’est pas que je n’aime pas l’opéra, ce n’est pas que je n’aime pas Stendhal mais l’on est plus près d’une comédie musicale à la française que de Quadrophenia des Who… n’empêche qu’elle se débrouille bien dans son interview, un personnage attachant, parle de sa passion pour les années cinquante, de ses origines iraniennes, l’a l’air de mordre la vie à pleines dents, je viens de regarder une vidéo sur un concert du 23 mars 2023, rhythm ‘n’ Blues oui, rockabilly non. J’attends de voir.

    Troisième ( ? ) génération. Déjà morte. La fille d’Elvis. Pas folle la guêpe, n’a pas cherché à faire du rock ‘n’ roll. S’est lancée dans la pop. Pas si mal que cela. Quand je compare avec Haylen, elle me paraît plus authentique.

    Retour aux origines des origines. Pas le blues cette fois, le country. Avec Charline Arthur, née en 1929, je n’apprécie guère sa voix mais elle a dans les années cinquante révolutionné le country par ses attitudes, une outlaw d’avant l’heure, mais féministe, ce qui change tout. L’article de J. Bollinger est passionnant. On y retrouve un personnage bien connu des fans de rock’n’roll, le fameux Colonel, Parker de son faux nom, l’avait les dents longues, et des idées qui rayaient le plancher, dès avant Presley il avait tout prévu et savait ce qu’il voulait faire.

    Ce numéro est passionnant.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,00 de frais de port soit 10 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 40 Euros (Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! Surtout que les numéros 1, 2, et 3 ne seront plus réédités, il en reste une vingtaine d’exemplaires, qu’on se le dise ! Avis aux amateurs !

      

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    Dans notre livraison 545 du 10 / 03 / 2022 nous présentions trois vidéos, Hidden, Outlier, Sapiens, du groupe Aschen dans lequel nous retrouvions Clem Richard, son groupe Fallen Eigh dissout, nous les avions suivis tout le temps de leur ( trop courte ) existence, les mois s’accumulaient et malgré la promesse de Clem de reformer un groupe le temps avait passé, le Covid a joué les prolongations, et quelle surprise de retrouver Clem dans une nouvelle formation, Ashen, preuve que la braise rougeoie toujours sous les cendres.

    ASHEN

    Ashen n’a pas encore sorti de disques. Leur démarche est différente. A ce jour ils ont produit quatre vidéos, les trois que nous avons déjà présentées et une toute dernière, façon de parler puisqu’elle est déjà parue depuis neuf mois. Ils ne sont pas pressés, ils ont opté pour le label Out Of Line / Music, basé à Berlin, tout de suite l’on pense l’on ne sait pourquoi à Low de David Bowie, ces dernières années ce label s’est intéressé à ces nouvelles musiques issues du rock et du metal. Du son certes mais aussi un certain parti-pris esthétique. S’il est un mot caméléon qui ne veut plus rien dire, c’est bien celui d’esthétisme, car il peut être employé pour définir tout genre de style. Disons qu’il s’agit de la recherche d’une beauté qui entretiendrait des relations suivies avec l’Ange du Bizarre, cher à Edgar Poe.

    NOWHERE

    (Dirigée par Ashen, filmée par Aurélien Mariat)

    ( YT / Bandcamp) 

    Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud Poully ; bass / Tristan Broggeat : drums.

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    Mise en scène d’une idée. Noire. Le clip fonctionne à la manière de ces puzzles dont il suffit d’assembler les pièces pour parvenir au résultat final. Je n’évoque en rien une jolie biche dans un sous-bois, pensez simplement à tous ces fragments de votre vécu qui une fois accomplis représenteront votre existence, n’oubliez pas que lorsque le dernier aura trouvé sa place, à l’instant où il sera intégré au reste de votre composition, votre vie sera achevée, car toutes les bonnes choses ont une fin. A cette nuance près qu’ici il n’y a que de mauvaises choses. N’avez même pas besoin de comprendre les lyrics ou de lire les mots qui s’écrivent en grosses lettres pour signifier les étapes du chemin, il suffit d’entendre et de voir Clem chanter. Les quatre musicos derrière lui, tout de noir vêtus, guitares noires et logo noir tatoué sur la grosse caisse, ambiance définitivement sombre. Bien sûr il y a du soleil, ces teintes jaunes et mordorées en toile de fond, pensez au titre du roman Le soleil des morts de Camille Mauclair, et vous comprendrez.  Clem est magnifique, une marionnette enragée transcendée par le désespoir, son vocal aspire la musique mortuaire de ses congénères, une splendeur riffique sans égale, vous n’entendez que lui, il vous conte comment le soleil qui se couche au fond de l’eau n’aspire qu’à la mort, et qu’il ne remontera plus jamais de l’abîme terminal. Vous avez des petites scénettes mélodramatiques, dont une assez surréaliste, vous êtes à la croisée symbolique des chemins de Paul Valéry et Jim Morrison,  avec un peu de chance vous en avez déjà interprété deux ou trois dans votre vie, à votre corps défendant, à votre grand regret, mais Ashen ose ce qu’il ne faut pas faire, le clip séditieux, si vous n’êtes pas trop idiot, vous avez repéré cet insigne métallique, avec sa croix christique inversé, mais ce qu’ils inversent c’est le sacrifice de l’ordre du temple solaire, l’on ne meurt pas pour trouver un monde meilleur mais pour ne plus supporter notre monde actuel. Nihilisme in nihilo. L’ensemble est un pur chef d’œuvre.

             Reste maintenant à regarder Ashen en live. Plusieurs enregistrements amateurs sont à disposition, parfois les prises de vue ne sont pas au top, la voix de Clem et les musicos s’en sortent bien. Mais si l’on compare avec les vidéos chiadées de Out Of Line, l’on se dit que le groupe se défend bien, toutefois la distance avec le produit fini est trop grande, ce n’est pas que le groupe n’est pas capable, ce sont les moyens qui manquent. Le groupe est là, mais le show est absent. Sans doute faudrait-il un véritable metteur en scène et des moyens financiers adéquats. Ils ont le son mais ils n’ont pas l’image. Ce n’est pas de leur faute. Les structures du metal français n’ont malheureusement pas la capacité d’offrir à un groupe comme Ashen, non pas une simple scène pro, mais une machinerie capable de restituer live de véritables créations dignes d’un opéra. D’où l’importance de soutenir un groupe d’un tel niveau.

    Damie Chad.

     

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    Encore un groupe que l’on suit. Depuis leur début. Ce clip ils l’ont gardé au chaud durant un an et demi, c’est un morceau issu de leur Ep sorti au joli mois de mai 2022.

    JEALOUSY

    CÖRRUPT

    ( Clip / Hardcore Worlwide ( Official 4K version HCWW ) / YT  )

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    C’est court. Moins de deux minutes. Oui mais ça vous arrive comme un coup de batte baseball sur le coin de la figure. Idéal pour chasser les idées noires. La preuve c’est qu’au début vous ne voyez que du vert. Des verres aussi, enfin des cannettes et un pack de bières éventré, mais nous étudierons cela après. Pas de panique, aucun besoin de prendre des notes. Bref un beau vert, entre gazon artificiel de terrain de football et tapis de billard. Posons le décor, un semi canapé cuir de vache limousine directement importé de Chine, un reste d’agapes liquides jonchent le plancher, une télévision fracassée. Toute ressemblance avec les rues de Paris durant la grève des éboueurs ne serait pas malvenue, toutefois question précision historique le clip a été tourné avant. C’est tout. Moins de 100 secondes, chronomètre en main. Un haiku hardcore. (traduction française un : Aïe ! coup encore ).

    Nicolas Pignoux n’est pas un pignouf, c’est lui qui sous le nom de NPX Production a eu la charge de réaliser la vidéo. S’est amusé comme un petit fou. Les quatre joyeux drilles de Cörrupt aussi. Ne leur a pas demandé de jouer. Juste de faire semblant. Pas tous ensemble. Pour procéder l’a dû se constituer une collection d’images animées. Des espèces de figurines Panini, joyeuses ou grotesques in action. Ensuite les a montées à la manière d’un prestidigitateur. Hop, t’étais là, t’as disparu. C’est réglé comme un ballet d’opéra. Ne manque que les petits rats parmi les détritus. Une chorégraphie totalement loufoque qui débloque. Un film muet, mais avec une bande son. Les acteurs ne prennent pas leur rôle au sérieux.  S’il fallait trouver un titre ce serait lendemain d’orgie sans nu descendant l’escalier. Pas de panique, il n’y a pas d’escalier. Ne tombez pas des nues. Une soirée de mecs qui a mal tourné, une répète épileptique, une scène de jalousie peu orthodoxe. A moins que ce ne soit un groupe de rock emporté comme fétus de paille par le souffle du morceau qu’ils viennent d’enregistrer.

    Un malin NPX, lorsque le morceau est terminé et que l’on n’entend plus rien, nous refile quelques secondes de rabe, avec Cörrupt qui nettoie le studio à toute blinde. Des garçons bien élevés. Ils lisent même la bible.

    Damie Chad.

     

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    Mister Doom 666 signale sur YT la sortie du nouvel EP de Jhufus, combo madrilène qui depuis 2019 a sorti l’équivalent de six EP, le titre de ce septième nous interpelle, n’avions-nous pas chroniqué dans notre précédente livraison 594 du 30 / 03 / 2023 Myesis de Telesterion premier volet consacré aux Mystères d’Eleusis ? Nous voici donc de retour à Eleusis avant l’heure présumée… 

    BACK TO ELEUSIS

    JHUFUS

    ( Pistes Numériques sur Bandcamp / Mars 2023 )

    Une couve monumentale représentant le propylée donnant accès à la grande salle de réunion télestérique du complexe architectural du sanctuaire d’Eleusis. Il est étrange de remarquer qu’alors que les couves des précédents EP ne se laissent pas facilement décrypter au premier regard, pour ces cérémonies hélas trop mal connues d’Eleusis Jhufus n’hésite pas à nous en mettre plein la vue avec cette entrée cyclopéenne des plus imposantes.  

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    Kykeon recipe : le kykeon est ce breuvage encore non formellement identifié offert aux adeptes lors de l’initiation, était-il fabriqué à base d’orge, d’eau, de lait, de vin, les avis divergent, longtemps il prévalait l’idée que la céréale utilisée était le seigle. Ce qui change tout, l’ergot de seigle est un champignon parasitaire de cette céréale dont les effets sont similaires à ceux du LSD… L’on en déduisait donc que les fidèles étaient ainsi soumis à des visions qui devaient être le moment le plus important de l’initiation… dans les années 70 une autre thèse a prévalu, le kykeon aurait été une boisson inoffensive, les visions étant simplement des hallucinations auto-hypnotiques générées par l’esprit surexcité des fidèles, explication peu convaincante, de nos jours il semble convenu les mystères étaient d’ordre purement symbolique, ce qui se discute : un gargouillis de liquide qui coule dans votre gorge, s’y mêle une basse fuyante scandée de quelques émoluments de tapotements battériels, les guitares se joignent à la course, a-t-on atteint le palier terminal assez décevant, longtemps l’on croit que l’on restera coincé sur ce diapason, surviennent des clinquances sur lesquelles embrayent des halètements distordus de basse, des bourdonnements d’avions s’éloignent dans une autre direction, le trip commence-t-il lorsque les riffs se dispersent en guirlandes fleuries… Back to Eleusis : résonnances de basse hautement feutrées, la batterie imite la démarche des impétrants, le drumming laisse la place à une zizanie zigzagante de guitare, les sons deviennent plus fort comme s’ils traduisaient des éclatements psychiques, ouvertures perceptionnelles, décollement subit, un clavier joue aux grandes orgues, fréquences vibraphoniques en apnée, l’on atteint à un niveau d’être un peu spécial, tous nos sens semblent communiquer entre eux. The mysteries experience : un son venu d’ailleurs, résonnances d’étranges musicalités, pulsation battériale le son se déploie, nos oreilles sont devenues des antennes spéciales, largement déployées pour accueillir l’étrange nouveauté de ces glissements acoustiques, brutalement la musique nous assomme, des ondes radios permettent encore de nous repérer dans un espace coloré qui adopte de multiples formes, de faux tortillements vocaux imitent les chants indiens rapidement balayés par une nouvelle arrivée sonore bousculante, des vents d’espaces violents nous emportent et nous emmènent encore plus haut, nouveau palier de compression auditive, nous ne savons plus où nous sommes, des roulements de batterie nous tourbillonnent comme des feuilles mortes, nous déposent l’on ne sait où. Enlightement : stase finale, les rythmes s’apaisent, redescendrions-nous, ou serions-nous parvenus au faite de notre expérience, couleurs pastels, de doux et féériques tintamarres nous enveloppent de leur soie auditive, le son des guitares s’allongent à l’infini, si vous ne voyez pas Dieu c’est que vous êtes devenus une parcelle du divin, supporterez-vous la cascade fanfarique qui se déverse sur vous, il est des orgies sonores qui essaient de reproduire l’extase de votre mort, peut-être est-ce cela que l’on appelle l’immortalité cette longue fulgurance se déclinant en berceuse définitive.

    Pas du tout désagréable mais l’on est plus près d’un trip hippie à consonnance orientalisante que de l’outrance des Dieux de la Grèce antique. Humain, trop humain.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

    EPISODE 22 ( Allusif  ) :

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    Les derniers conseils du professeur Laffont avaient été clairs :

    _ Evitez les grosses émotions, pas de sport, pas d’exaltation, je vous conseille une soirée calme, pas d’excitation, écoutez de la musique classique, par exemple en buvant une tisane, couchez-vous de bonne heure, dans la nuit votre cerveau vous donnera accès aux souvenirs les plus secrets stockés dans le subconscient de M. Lechef.

    J’ai suivi les prescriptions à la lettre, j’ai tout de même remplacé la tisane par quelques verres de moonshine, je me suis demandé si je n’allais pas écouter le premier disque de Black Sabbath, j’ai résisté à la tentation en optant pour les Gymnopédies d’Eric Satie, bref à minuit je dormais comme un loir, Molossa étirée de tout son long contre mon flanc gauche et Molossito roulé en boule dans le creux de mon aisselle. Avec de tels gardiens à mes côtés, j’étais prêt à me risquer à forcer les portes nervaliennes de corne et d’ivoire des rêves du Chef.

    121

    Bien sûr un agent du SSR ne dort jamais vraiment, il sait qu’à tous moments un danger peut survenir, les ennemis du rock ‘n’ roll sont nombreux sur cette planète, prêts à se débarrasser de ces farouches gardiens de la nation-rock qui jour et nuit montent la garde dans le seul but de préserver de toute attaque ce trésor culturel qu’est le rock ‘n’ roll. Ainsi au plus profond de mon sommeil, je ne perds jamais totalement conscience puisque lorsque je dors quelque part en moi quelque chose me dit que je dors. De même lorsque je rêve je sais que je rêve…

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    J’ai tout de suite eu l’intuition souterraine que l’opération transmutative de nos subconscients n’avait pas marché. J’ai immédiatement reconnu le rêve dans lequel j’étais entré, il me visite souvent, il faut dire qu’il est particulièrement hilarant. Un restaurant huppé fréquenté par l’élite parisienne m’ayant refusé l’entrée à cause de mes deux chiens j’étais revenu une quinzaine de jours plus tard avec Le Chef. La salle fumeur était comble, au milieu du repas le Chef avait allumé un Farso y Atrapo, une nauséabonde odeur de boule puante s’était répandue à la vitesse d’une bombe atomique, alors que nous croulions de rire autour de nous c’était Hiroshima, les serveurs vomissaient dans les assiettes, les enfants suffoquaient, les mères poussaient des cris stridents, courageusement les maris se battaient pour s’échapper en premier de ce cloaque odoriférant… une belle partie de rigolade, que nous nous remémorions souvent le Chef et moi-même lors des heures creuses au local, tiens une variante, le patron s’avance vers nous, en guise d’excuses et de dédommagements il nous emmène visiter sa cave à cigares, c’est moins marrant, nous parcourons des kilomètres et des kilomètres de rayonnages, le patron a disparu, tous les deux mètres le Chef s’arrête, allume un cigare  et commence à commenter d’abondance ‘’ Voyez-vous Agent Chad ce Tornado 47 ne saurait en rien rivaliser avec la saveur d’un Coronado 29…’’ c’est alors que je comprends que Le Chef partage avec moi un même rêve et que je suis bien rentré dans son subconscient…

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    Je crois que désormais je pourrais écrire une thèse de quinze cents pages sur les voluptés coronadiennes, je le confesse je me suis légèrement ennuyé à parcourir les rêves du Chef… au terme de quatre ou cinq heures l’ambiance a changé, je me suis retrouvé à marcher, je dis ‘’je’’, mais ce n’est pas moi, c’est le Chef, j’ai du mal à savoir où je suis, je suis incapable de définir le type d’endroit dans lequel je me trouve, ce n’est que petit à petit que je réalise que mon chemin est bordé d’arbres, de plus en plus resserrés, ce doit être une forêt, je n’arrive pas à m’en persuader, cette forêt me semble factice, pourtant je la parcours, l’herbe est rase, l’air est vif, des suites interminables de bouleaux et des sapins, maintenant uniquement de sombres conifères à perte de vue, pourtant je n’y crois guère, c’est immense mais j’ai l’impression d’un décor de théâtre, une expression s’affiche dans mon esprit, je suis dans une forêt de papier, ma remarque est idiote, ce n’est que peu à peu en faisant la relation bois / papier que l’évidence s’impose à moi, je ne suis pas dans une forêt mais dans un livre, dans la description d’une forêt, celui qui marche c’est moi, en fait je me suis projeté dans la tête du Chef, c’est lui le lecteur et l’homme qui marche c’est bien moi, à chaque mot lu par le Chef une de mes jambes exécute un pas, dans son souvenir le Chef lit un livre et moi je suis comme un personnage off qui n’existe pas dans le souvenir, c’est un peu comme quand un instituteur lit une histoire à ses élèves, l’élève qui écoute dans ma tête vit l’histoire, il l’imagine,  se la représente, il la suit selon une démarche personnelle, dans un univers parallèle. Brusquement je me réveille, Molossa et Molossito à mes côtés hurlent à la mort. J’ai du mal à les calmer. J’ai saisi mon Rafalos sous l’oreiller. Suis-je bête, si j’étais en danger ils n’auraient pas fait de bruit Molossa m’aurait averti en posant son museau sur mon jarret, les chiens me mettent en garde, c’est dans mon rêve que le péril me guette, comment le savent-ils, je n’en sais rien, ils le sentent, je peux leur faire confiance, d’ailleurs comme s’ils voulaient que je replonge dans mon rêve Molossito se pelotonne tout contre mon cœur et Molossa se colle contre ma tête, tous deux au plus près de ces parties de mon corps qui courent de grands risques, frôlerais-je l’accident cardiaque, vais-je devenir fou, tels les spartiates de Léonidas au défilé des Thermopyles un agent du SSR ne recule jamais, je respire profondément et je ferme les yeux.

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    Je me retrouve dans la forêt toujours en train de marcher, toutefois ma perception a changé j’ai la pleine conscience d’être dans un livre, pour une raison objective sur ma droite j’entrevois une bordure blanche, je comprends que c’est le blanc latéral droit qui borde la page, je peux donc continuer à marcher dans la forêt mais aussi me mouvoir sur la page même, je décide  de remonter vers le haut dans l’espoir que le titre de l’ouvrage et pourquoi pas le nom de l’écrivain apparaissent comme en frontispice au-dessus du texte, un usage topographique somme toute courant. Il m’est beaucoup plus difficile de réaliser cette opération, je dois couper ligne par ligne en me faufilant dans les intervalles qui séparent les mots ou en me glissant entre les interstices plus ou moins étroits entre les lettres. Je procède difficilement, le rêve vire au cauchemar, quand je passe sous la barre d’un t elle se transforme en une monstrueuse branche de sapin sur laquelle mon front s’en vient cogner, les jambes des p des j, des y, des q se muent en racines qui s’enroulent autour de mes pieds, les c se transforment en gueule ouvertes qui essaient de me dévorer, les o roulent vers moi comme de monstrueuses barriques qui cherchent à m’écraser, les m se changent en pythons interminables, les nœuds coulant des e  m’enserrent le cou, des X majuscules me barrent le chemin, les i me jettent des coups de point, je ne me décourage pas, je persiste, je me cramponne, je repousse, j’opère détours sur détours, je progresse slowly but surely comme le chante Ray Charles, ça y est j’y suis, je suis tout en haut, les lettres se détachent devant moi, je ne sais pourquoi, je pense au Hollywood sign ces grosses lettres géantes blanches sur les flancs escarpés de la colline Lee à los Angeles qui désignent la ville mythique du cinéma. Attention les images vacillent, je comprends que mon rêve s’estompe, qu’il ne me reste que quelques secondes, je tente un saut désespéré, je vole comme un aigle à la vitesse du vent, me voici sur l’autre page, tout en haut je lève la tête et je déchiffre la deuxième inscription, chance ce n’est pas la même que celle que je viens mémoriser, ce coup-ci c’est le nom de l’auteur, je l’ai, je me réveille, le réveil affiche huit heures du matin.

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    Neuf heures du matin, j’ai roulé comme un fou furieux, essoufflé je pénètre en coup de vent dans le local, le Chef est assis au bureau, il allume un cigare :

              _ Agent Chad pour une fois je vous félicite pour votre exactitude !

              _ Chef, je ramène aussi deux indices, nous tenons enfin une piste sérieuse !

              _ Agent Chad, pas de précipitation, procédons avec ordre et méthode, commencez s’il vous plaît par le commencement !

    Le chef est tout ouïe. Sans cesse il me coupe et exige des détails, il rallume un Coronado, lorsque j’ai fini de raconter la scène du restaurant, l’épisode de visite de la cave à cigares le ravit :

            _ Ai-je vraiment dit qu’un Tornado 47 ne vaut pas un Coronado 29 ? Je devais être dans un bon jour, un Tornado 47 arrive péniblement à se hisser à la hauteur, que dis-je au niveau de cette morne plaine de Waterloo, si bien chantée par Victor Hugo, de ces cigarillos de bas étage confectionnés avec des débris de havanes récupérés dans les centres de tri des ordures cubains et que l’on vend aux fumeurs de pacotilles.

    Pendant trois heures et demie j’ai droit à une étude exhaustive sur les mérites respectifs des différences marques de cigares à notre disposition dans les bureaux de tabac de par notre vaste monde… Mais le Chef ne se laisse point emporter par sa passion :

             _ Enfin Agent Chad, venons-en au fait, arrêtez de pérorer sur les Coronados, vous n’y connaissez rien, quels sont donc ces deux fameux indices ?

    A suivre…