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wild billy childish

  • CHRONIQUES DE POURPRE 698 : KR'TNT ! 698 : JOHN CALE / BIG BYRD / PRIMAL SCREAM / WILD BILLY CHILDISH / DARANDO / THUMOS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 698

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    10 / 07 / 2025

     

     

    JOHN CALE / BIG BYRD / PRIMAL SCREAM

    WILD BILLY CHILDISH  / DARANDO

    THUMOS

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 698

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    TRISTE NOUVELLE POUR LES ROCKERS

    PRIVES DE LEUR BLOGUE FAVORI

    JUSQU’A LA FIN AOÛT

    HEUREUSE NOUVELLE POUR LES ROCKERS

    LE CAT ZENGLER ET DAMIE CHAD

    REVIENDRONT ENCORE PLUS FORTS

    ENCORE PLUS ROCK !

    BONNES VACANCES !

     

    Wizards & True Stars

    - Cale aurifère

    (Part Six)

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             Comme dirait Arletty, «Paris 1919 est tout petit pour un si grand album.» Arletty parle bien sûr du book que Mark Doyle consacre au Paris 1919 de John Cale. Il vaudrait mieux parler d’un mini-book, celui qui rentre dans toutes les poches et qui plafonne à 120 pages. Arletty a raison : comment peut-on imaginer un book aussi petit pour un si grand album ?

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             Deuxième interrogation : pourquoi aller rapatrier un book qui chante les louanges d’un album dont on sait déjà tout depuis 50 ans ? La réponse est simple : la kro du book dans Record Collector était tellement enthousiaste qu’on a voté le rapatriement immédiat en conseil restreint.

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             Le mini-book arrive aussi sec. Pouf ! Tu le lis d’un trait d’un seul. Tu ressens exactement la même délectation que celle éprouvée en 1973 ou 74 au moment de l’achat. Avec cet album incroyablement littéraire, John Cale te donnait à sa façon un avant-goût du paradis des cervelles : t’avais la beauté des mélodies et Dada. Avec ceux qu’on cite habituellement (Bringing It All Back Home/Highway 61 Revisited/Blonde On Blonde, Let It Bleed, le Piper de Syd, les 3 Velvet, Are You Experienced/Axis Bold As Love/Electric Ladyland, le Live At The Star-Club de Jerry Lee, le White Album, The Spotlight Kid/Clear Spot, les deux premiers Stooges et les deux Dolls), cet album est celui qui t’a le plus marqué, à l’époque. Il ne se passe pas un an sans que tu ne le ressortes de l’étagère pour t’assurer que l’illusion du paradis des cervelles reste palpable.

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             Doyle est un homme fantastiquement documenté. Il sait en plus dire ce qu’il éprouve à la ré-écoute de Paris 1919. C’est toujours ce qu’on recherche quand on lit une kro : voir si ta vision coïncide avec celle du kroniqueur. Quand Doyle dit que «l’album s’améliore à chaque écoute», on est d’accord avec lui - It is a classic grower album - Il s’aperçoit que ça ne fonctionne pas avec tous les groupes qu’il aime bien et qu’il cite (Silver Jews, New Phonographers, TV On The Radio). Peu d’albums tiennent le choc de la ré-écoute. Paris 1919, dit-il, n’a jamais pris une seule ride. Et plus il ré-écoute l’album, plus il le trouve strange.

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             Comme Prévert, Doyle fait l’inventaire de Paris 1919 : «Classical music, avant-garde music, rock’n’roll, highbrow litterature, lowbrow litterature, history, geography, death, drugs, violence, beauty, ugliness, loneliness, and every point on the compass are packed into its thirty-one minutes.» Il a oublié les ratons laveurs, mais c’est pas grave. Et puis t’as cette pochette qui montre Calimero «like the ghost of an Edwardian dandy.» C’est crai qu’il rayonnait. Il passait de l’ombre du Velvet à la lumière de Paris 1919. Dylan avait tenté exactement la même transformation, mais il n’était pas aussi beau que Calimero.

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             En fin stratège, Doyle commence par situer le contexte de l’album. Calimero vient d’arriver en Californie : il passe du statut d’avant-gardiste de choc à celui de salarié chez Warner Bros, «avec un planning, des réunions, un budget, une nouvelle femme, une maison et un chien» - He had kicked heroin and gotten hooked, instead, on cocaine - Doyle dit bien les choses, il est essentiel de rappeler que la coke coulait à flots à cette époque. C’est tout de même drôle que Calimero ait réussi cette transformation, car il venait de Fluxus et fréquentait l’un des meilleurs dealers new-yorkais, La Monte Young, un protégé de John Cage. Eh oui, ça ne rigolait pas au 275 Church Street, avec les ear-twisting drones, les intense light projections and Young’s narcotics, t’avais le cocktail parfait. Un cocktail que t’allais d’ailleurs retrouver dans le Velvet. Le groupe d’avant-gardistes s’appelait The Dream Syndicate.

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             Doyle attaque ensuite l’épisode de la rencontre Lou/Calimero qu’on connaît pas cœur, mais qu’il prend plaisir à redéfinir : d’un côté le Lou avec ses «gritty, literary tales of urban squalor» et de l’autre Calimero avec ses idées d’avant-garde et ses «noise and drones and paranoid dread.» Au contact du Lou, Calimero apprend un truc essentiel : l’art d’écrire des chansons. Et ce qui fascine le plus Calimero chez le Lou, c’est sa réelle dimension littéraire. Calimero découvre que la pop peut être autre chose que du «silly kids’ stuff». Pour lui c’est une révélation. Les chansons du Lou sont tout sauf du silly kids’ stuff. Calimero comprend qu’on peut allier la poésie à la musique. Et puis le Lou sait décrire des personnages sur le temps court d’une chanson, comme le fait si bien Ray Davies en Angleterre. Calimero fait une autre découverte de taille : «For all their reputation as confrontational chaos-merchants, the Velvets were also capable of great beauty and delicacy.» Calimero va s’en souvenir. Il en fera même un fonds de commerce. Paris 1919 est le fruit de cette révélation.

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             Peu avant Paris 1919, Calimero avait bossé avec Nico. Il avait appris à arranger dans un esprit particulier, «weary, sophisticated, European», un esprit qu’on retrouve bien sûr tout au long de Paris 1919. Calimero n’a pas la voix de Nico, mais une voix plus chaude, plus riche, «slightlly (but only slightly) less alien», et Doyle balance ça qui est criant de vérité : «I do think it’s accurate to say that Nico has haunted Cale for much of his life.» Doyle rappelle encore que sur Mercy, son dernier album, Calimero a enregistré «Moonstruck (Nico’s Song)», dont les «swelling strings, eerie harmonium and downbeat lyrics» constituent la preuve «of continuing hauntings». Et Doyle enfonce son clou de manière somptueuse, en indiquant que sur Mercy, les cuts sont tous des collaborations avec d’autres artistes, «but this one is not - unsless perhaps we count Nico’s ghost.» Et là le mini-book prend une dimension faramineuse. Doyle est tellement imprégné du génie de Calimero qu’il transforme son mini-book en chausse-trappe révélatoire.

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             Quand Calimero fait écouter au Lou les albums de Nico qu’il vient de produire, il l’avertit : «Listen to this. This is what you could have had.» Et bien sûr le Lou est bluffé, allant même jusqu’à qualifier ces albums de «most incredible albums ever made.» À ce stade des opérations, on patauge dans la mythologie la plus épaisse : le Lou, Calimero et Nico. T’as très peu de conglomérats aussi intenses dans l’histoire du rock. Il en manque un : Warhol ! Tiens justement le voilà. Doyle le ramène vite fait en citant Calimero : «Andy fut très important dans mon développement à cette époque, parce qu’il montrait l’exemple d’une ‘fervent pursuit of an extraordinary work ethic’. Art is work. Work is art.» Doyle rappelle que l’endroit où bossait Warhol s’appelait la Factory pour une bonne raison : «amid the chaos of gossip, amphetamines and aluminium, Warhol and his collaborators were working all the time. Silkscreens, films, happenings.»

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             Lors d’un voyage à Londres avec Nico, Calimero rencontre Nick Drake et l’accompagne sur deux cuts de Bryter Layter. C’est aussi à cette occasion qu’il rencontre Joe Boyd, qui a aussi bossé avec Nick Drake et Nico sur Desertshore. C’est Boyd qui va ramener Calimero chez Warner Bros. Il réussit à convaincre Mo Austin d’embaucher Calimero pour écrire des Bandes Originales de films. Du coup Calimero découvre un monde étrange de «folkies, hippies, pop singers, top-shelf session musicians, one-off eccentrics like Randy Newman and Van Dyke Parks, troubled geniuses like Phil Spector and Brian Wilson, and outright freaks like Frank Zappa and Captain Beefheart.» Pendant un temps, Calimero vit chez Joe Boyd et sa copine Linda Peters. Ils ne traînent pas trop dans les salons, ils préfèrent rester à la maison pour jouer au ping-pong ou aller voir un concert des Bee Gees dont l’album Trafalgar vient de sortir. Doyle pense que leur influence sur Paris 1919 est palpable. Doyle a raison de s’attarder sur Warner Bros et Reprise, car c’est ce qui appelle «an extremely hip label» - The quintessential Los Angeles record label of the early seventies - C’est un label qui sait prendre des risques (Randy Newman, Zappa, Captain Beefheart). Leur A&R Andy Whickham écume Laurel Canyon. Joni Mitchell, James Taylor et Neil Young sont sur Warner. Les Doobie Brothers, Alice Cooper et America font rentrer les sous. Joe Boyd rappelle que les locaux de Warner à Burbank sont une «cramped old warehouse» et que les transactions se font dans les gogues.

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             Calimero s’est marié avec l’une des GTOs, Cindy Wells - The most destructive relationship I ever had - Pamela Des Barres avait fait entrer Cindy Wells dans les GTOs parce qu’elle apportait «a really important twisted element». Elle est en plus ce qu’on appelle une menteuse pathologique. Elle va faire pas mal de stages en HP.

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             C’est Chris Thomas qui produit Paris 1919. Calimero l’a repéré grâce à au Live With The Edmonton Symphony Orchestra de Procol Harum. Doyle pense que Chris Thomas a réussi à lisser le son de Calimero. Terminé le «reckless  trashing». C’est un nouvel univers qui s’ouvre, avec les «ghosts of his past life - You’re a ghost la la la la - Lou Reed’s literary songcraft, Warhol’s drive, Nico’s droning across a frozen landscape - Oui, le morceau titre de Paris 1919 est la chanson des fantômes, avec un véritable entrain européen, bourré de Tuileries, de Beaujolais et des Champs-Élysées.

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             Doyle claque tout un chapitre sur le thème de Dylan Thomas, un Thomas nous dit Doyle qui fut à Calimero ce que Muddy Waters fut aux Stones et Buddy Holly aux Beatles. Calimero et Dylan Thomas sont tous les deux nés au Sud du Pays de Galles. Calimero pense que c’est la langue musicale de Thomas qui, petit, l’a orienté vers la musique. Un Dylan Thomas dont le cassage de pipe en bois est extrêmement rock - Thomas’ death elevated him from legend to myth - Doyle met soudain le turbo en saluant le «self-destructive wild man» que fut Dylan Thomas, un destructeur d’appartements, «serial affairs, nasty fights, and far too much champagne.» Il fit scandale à New York, mais en même temps, il fascinait les gens. Il est devenu le prototype du «misbehaving celebrity-artist», un modèle pour ceux qui vont suivre. Il est devenu le cliché du «rock’n’roll poet». Il est une rock star avant les rock stars. Et là Doyle prend feu, du moins sa plume : «Non seulement did he live fast and die young d’une manière qui allait elle-même devenir un cliché rock, mais sa vie et ses vers ont inspiré plusieurs générations de musiciens. Bob Dylan lui a emprunté son nom. Et beaucoup d’autres, comme Tom Waits, The Cure ou St Vincent se sont prosternés devant son autel.» Calimero est arrivé à New York dix ans après la mort de Dylan Thomas. Il y croisait son fantôme au Chelsea Hotel. Calimero s’y était installé avec sa femme Betsy Johnson, au temps du Velvet. C’est là au Chelsea Hotel que Dylan Thomas a glissé «into his fatal coma». Doyle souligne enfin la propension qu’avait Calimero à imiter le process d’auto-destruction de son modèle. Il s’agit d’une parenté purement intellectuelle : le mode de vie et la pratique de l’art sont INDISSOCIABLES.   

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             Au moment de Paris 1919, Calimero est devenu un artiste complet : «Il a fait son apprentissage avec the desperados of the classical avant-garde, redéfini le rock’n’roll avec le Velvet, dressé la carte d’un nouvel univers sonique avec Nico.» Doyle retrouve l’influence de Thomas dans les textes de Calimero, c’est pour lui essentiel de le souligner - Thomas is still here in the pacing and rhythm of his songs, in the preference for sound over sense - Voilà qui explique tout : les paroles des chansons de Paris 1919 n’ont souvent pas de sens, mais t’as des tas de mots qui sonnent. Doyle prépare le terrain pour Dada. Dans «Hanky Panky Nowhow», Calimero vante les vertus des «planning lakes» - Those planning lakes/ Will surely calm you down - mais on ne sait pas ce que sont les planning lakes. Dans «Andalucia», il yodelle son amour, mais on sent bien que quelque chose ne va pas - It doesn’t sound like a very happy moment - Comme nous tous, Doyle ressent lui aussi une «vague inquiétude» à l’écoute de cet album.

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             Et boom ! Le mini-book explose ! Dada ! Doyle brosse un portrait en pied de Tzara le héros et rappelle le truc de base : «Dada is a notoriously difficult thing to define.» Pour une fois, on va laisser ça en anglais. Doyle bataille bien avec Dada, il se retrousse les manches et déterre de vastes extraits des manifestes, il rappelle l’importance du nihilisme et de l’urgence à détruire. Doyle rappelle aussi la différence qui existe entre Dada et le Surréalisme - Dada was action, movement and abstraction - par contre, le Surréalisme était «something definite», et surtout, un mouvement doté d’un beau despote. Doyle trace le parallèle évident entre le Paris de Tzara et le New York de Calimero : ils arrivent tous les deux pour révolutionner l’art. New York nous dit Doyle «is where Dada will be reborn». À New York, ça palpite comme une bite au printemps, «Beat Poetry, Bebop, Pop Art», et badaboom voilà Fluxus ! En 1960, George Maciunas défend l’idée d’un art en mouvement constant. Art as movement, art as effervescence. Dans les rangs de Fluxus, on retrouve bien sûr La Monte Young, Terry Riley, Allan Krapow et Yoko Ono. Les gens de Fluxus suivent le modèle de Dada, avec des «provocative, head-scraching performance designed to shake people out of their complacency.» Tout y est : les manifestes, l’excentricité et l’anarchic humor. Maciunas voulait purger le monde du «dead art», «imitation, artificial art, abstract art, illusionistic art, mathematical art.»

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             À son arrivée à New York, Calimero participe à l’interprétation des Vexations d’Erik Satie pendant dix-huit heures. Doyle : «The 1960s in other words, was Cale’s Dada period, his Paris 1919. It reached its apogee with the Velvet Underground. Black-clad and unsmiling, the Velvets  alterned, as the Dadaists had done, between assaulting the audience with ungodly noise and boring them to death with drones and repetition. But it wasn’t just about noise. Often, especially when Warhol was involved, it was about spectacle.» Doyle monte encore d’un cran en évoquant des scènes du Velvets’ Dadaism - The nonsense vocals, the noise, the agression, the Wagnerian catharsis - it was the Dada dance of death updated for the rock’n’roll age - Ce sont des pages tellement intenses et tellement criantes de vérité qu’elles t’envoient au tapis. 

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             Mais le Lou n’aime pas trop la tension de l’art as effervescence. Doyle pense qu’il a viré Calimero pour ça. Il voulait faire des albums plus commerciaux, «but Cale wanted to keep the flux fluxing, so he got the boot. Sans lui, le Velvet est devenu un groupe différent : still edgy but much less Dada. C’est je crois ce que les gens veulent dire quand ils disent que Cale amenait un avant-garde spirit to the band. They mean he brought the Dada spirit.» Tout est dit.

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             En Calimero bouillonnait le Dada spirit, mais aussi l’énergie de Dylan Thomas, sans oublier cette fascination pour Nico, et donc les fantômes. C’est tout cela qu’on retrouve dans Paris 1919. Et dans tous ses autres albums, ajoute Doyle l’extra-lucide. Doyle ajoute que Calimero allait revenir à Dada pendant les seventies avec de la provoc sur scène : masques de hockey, poulets décapités - His unruly stage shows were what happens when you mix Dada with cocaine and booze - Dans What’s Welsh For Zen, Calimero définit Paris 1919 comme «an example of the nicest ways of saying something really ugly.»

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             Doyle finit par lâcher le morceau : Paris 1919 est plus surréaliste que Dada, il parle même d’un «shimmering Surrealism of Cale’s Paris 1919». Il affine en précisant que le Surréalisme est un filet permettant de pêcher l’inconscient, un filet qu’utilisaient aussi George Clinton et Captain Beefheart, «et ce que Cale a pêché is a kind of historical unconscious, the half-suppressed dreams and nihtmares of a wasted cicilization. So of course there are ghosts here.»

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             Comme il a raison, Doyle, Paris 1919 est un album délicieusement européen. «Child Christmas In Wales» ? Grandeur et décadence joyeuse. Et puis t’as ces chansons mélodiquement pures, «Hanky Panky Nohow», «Andalucia» et puis aussi «Half Past France», cette belle ode à la nonchalance qui s’écrase dans un merveilleux nuage misanthropique - People always bored me anyway - Et puis t’as surtout «Paris 1919», «the Everest, the Mona Lisa smile, the masterpiece within the masterpiece.» Doyle n’en finirait plus. Heureusement que c’est un mini-book.

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             Oh et puis t’as deux chroniques de concerts dans la presse anglaise. C’était au mois de mars à Londres, et à Glagow. Belle actu ! Stephen Troussé en trousse une demi-page, et qualifie Calimero d’«octogenarian art-rocker, still at the peak of his piratical powers.» C’est bien troussé ! Même si après, il radote la vieille anecdote du poulet vivant sacrifié sur scène. Tout le monde s’en fout. Troussé estime du haut de sa grandeur magnanime que Calimero a atteint le paradis, loin des excès du passé. Même les journalistes anglais racontent des conneries. Il note toutefois que the old wildness is alive, notamment dans ses deux derniers albums, Mercy et POPtical Illusion. Visiblement, les Londoniens ont plus de chance que les Normands, puisque Calimero les gratifie d’un «Hello London, nice to see you.» Troussé salue aussi Dustin Boyer «on free-roaming guitars». Dressé derrière son clavier, Calimero mène le bal. Troussé le voit comme l’Achab de l’avant-rock, qui sillonne «the seven seas of one of rock’s more confounding back-catalogues». Troussé se fend d’un final magnifique, en référence au «Frozen Warnings» que Calimero sort de l’oubli sur scène : the song at the heart of The Marble Index. Troussé parle d’une glacial masterpiece - The song could be a transmission from the deep dark past - or the distant future - but John Cale has never sounded so thrillingly alive - Wow ! 

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             Grahame Bent rend lui aussi hommage au vieux Calimero. Bent commence par le qualifier d’«one of the most significant survivors of the ‘60s, an important contributor to the decade’s seismic reverberations.» Calimero attaque son set écossais avec le «Shark Shark» tiré de POPtical Illusion. Bent cite les deux clins d’yeux à Nico : «Frozen Warnings» et «Moonstruck (Nico’s Song)». Les Écossais ont du pot, car Calimero revient fracasser une cover de «Waiting For The Man». Et Bent conclut son hommage de manière extrêmement seigneuriale : «John Cale reminds one and all that he’s beyond tidy classification and still ahead of his time.»

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. Paris 1919. Reprise Records 1973

    Mark Doyle. Paris 1919. 33 1/3. Bloomsbury Academic 2025

    Graham Bent : John Cale live at the Pavillon Theatre, Glagow. Shindig! # 163 - May 2025

    Stephen Troussé. John Cale live at Royal Festival Hall, London. Uncut # 336 - May 2025

     

    L’avenir du rock

    - Bye Bye Big Byrd

             Boule et Bill déboulent au bar. Ils encadrent l’avenir du rock qui sirote sa Jupi.

             — Ah bah dis, avenir du rock, on t’a vu hier soir au concert du Brian Jonestown !

             — Bah oui, Bill !

             Boule pose la main sur l’épaule de l’avenir du rock et lui dit :

             — On a vu ta grosse gueule de raie au premier rang. J’parie qu’t’as trouvé ça bien...

             L’avenir du rock retire la main de Boule de son épaule et lâche d’une voix lasse :

             — Bah oui, Boule...

             — On t’a aussi vu acclamer les mecs de la première partie, les Big Byrd, c’est ça ?

             — Bah oui, Bill...

             — Alors on te voit venir avec tes gros sabots... Tu vas essayer de nous les refourguer dans ta putain de rubrique !

             — Bah oui, Boule...

             — Chuis sûr qu’tu vas nous sortir toutes tes vieilles ficelles de caleçon !

             — Bah oui, Bill...

             — Tu vas nous faire le coup du Byrd dans les épinards ?

             — Ou encore le coup du Byrd en broche, ha ha ha ha !

             — Ou alors le coup du Byrd Doggin’, ha ha ha ha !

             — Ou bien le coup du Surfin’ Byrd, ha ha ha ha !

             — Ou encore le Byrd et l’argent du Byrd, ha ha ha ha !

             — Ou tiens, le coup du Ronnie Byrd, ha ha ha ha !

             — Tiens, j’te parie qu’y va essayer l’coup d’l’œil au Byrd noir, ha ha ha ha !

             — Ou alors le coup du Radio Byrdman, ha ha ha ha !

             À les voir se marrer comme des bossus, l’avenir du rock finit par rigoler avec eux :

             — Qu’est-ce que vous pouvez être cons, tous les deux. Vraiment cons comme des bites ! Vous n’avez pas inventé le fil à couper le Byrd !

     

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             Contrairement à ce qu’indique le titre, les Big Byrd n’ont rien à voir avec le «Bye Bye Bird» des Moody Blues. Ni avec le «Big Bird» d’Eddie Floyd. Ils n’ont rien à voir non plus avec les Byrds. Ils se réclameraient plutôt des parkas. Parki ? Parka !

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     Vroom vroom ! Le mec de Big Byrd aurait pu arriver sur scène en scooter. Une vraie dégaine de Mod anglais. On apprendra par la suite que le groupe est suédois, mais en attendant, on tombe sous leur charme, fuck, il faut voir comme ils groovent. Ils jouent en première partie du Brian Jonetown Massacre, donc ce n’est pas une surprise. Ils groovent même divinement bien. Tu t’en pourlèches les babines. Tu ne

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    sais alors pas d’où ils sortent, mais en deux cuts, ils se mettent la Cigale dans la poche. Tu te dis qu’il y a anguille sous roche : c’est impossible ! Des mecs aussi pros, aussi parfaits ? T’apprendras après coup que le parka man s’appelle Joakim Ahlund et qu’il grattait ses poux dans les fantastiques Caesars Palace, devenus les Caesars. Mais tout ça revient après coup. Sur scène, il se passe un truc tout de même assez rare : t’assistes au set d’une première partie révélatoire. En l’espace de 7 ou 8 cuts, ils te gavent comme une oie. My Gawd, comme ce mec est doué ! Comme ça sonne.

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    Te voilà revenu dans le meilleur des mondes. C’est assez vertigineux. Derrière parka man, t’as un mec à la basse, Frans Johansson, un autre aux claviers et encore un autre au beurre, mais on ne voit que parka man. Il porte des lunettes noires. Tu ne

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     sais rien de ses cuts, t’as jamais entendu parler des Big Byrd, mais tous ces cuts sans exception te flattent l’intellect. Tu découvriras encore par la suite que le premier album des Big Byrd est sorti sur A Records, le label d’Anton Newcombe. Il n’y a donc pas de hasard, Balthazar.

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             La première chose que tu fais en rentrant au bercail c’est de réunir un conseil extraordinaire et pour voter à l’unanimité le rapatriement des Big Byrd records. 

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             Pas surprenant que They Worshipped Cats soit sorti sur A Records : on se croirait chez Brian Jonestown ! T’es hooké dès le groove psyché d’«Indian Waves». Joakim et ses Big Byrd ont un sens aigu de l’hypno stratosphérique. Et ça continue avec l’harsh attack de «Tinitus Aeternum», gros shoot de vandalisme protozozo zébré d’éclairs psycho, le tout bien noyé d’écho. Quelle claque ! On retrouve Anton Newcombe dans le morceau titre. T’y retrouves aussi tout le power hypno du monde. Puis ils s’en vont tous chanter «Vi Börde Präta Mën Dët Är För Sënt» au sommet du lärd, ça sonne comme un hït, avec un fil mélodique impäräble. Ça dégouline littéralement de légendarité. T’en reviens pas de tant d’hauteur de vue. Encore de la clameur suprême avec «Just One Time» et de l’harsh attack dans «White Week». Joakim ne vit que pour l’up-tempo. T’entends même des échos de Beatlemania. Puis tu tombes sur le pot-aux-roses : le fast instro de «1,2,3,4 Morte» qui fonce à travers la nuit. Somptueux de power max. Puis ils entrent en vainqueurs dans ton imaginaire avec un nouveau coup de Jarnac, «Back To Bagarmossen». Quelle attaque ! Quelle majesté ! Encore de l’heavy groove de rêve digne d’Hawkwind ! Imbattable ! C’est du roule-ma-poule à travers toute l’histoire du (bon) rock, c’est du tout cuit, t’as le poids du power et le choc des chimères. Tu les laisses venir, alors ils viennent, ils sont tellement les bienvenus que t’en perds ton latin, c’est tout de même incroyable de voir ces demi-dieux se prélasser au soleil du groove marmoréen, et t’as des drones de trash qui traversent la scène, ce mec Joakim a du génie, on l’a bien compris l’autre soir à la Cigale, il aurait pu voler le show d’Anton Newcombe, mais comme Joakim est un mec élégant, il est resté en retrait.

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             Iran Irak IKEA n’est pas l’album du siècle, oh la la, pas du tout, mais on sent le métier derrière la pop, et t’es vite embarqué par l’hypnotique «Tried So Hard». Ils sont à l’aise avec l’hypno à gogo, c’est à la fois puissant et névralgique, tu savoures la qualité de l’hypno, c’est même une hypno de qualité supérieure. Ils vont plus sur Babaluma avec «A Little More Dumb». Ça sonne ! En B, ils vont plus sur le poppy poppah de la barbe à papah («Fucked Up I Was A Child») et avec «Eon», on se croirait chez Taxi Girl. On sent pourtant le métier derrière tout ça.

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             Bel album que cet Eternal Light Brigade. C’est tout de suite sexy, t’entends ronfler le bassmatic de Johansson. Une chose est sûre : t’as du son. Ils tapent en plein dans le Brian Jonestown Massacre avec «I Used To Be Lost But Now I’m Just Gone». C’est même effarant de similitude. Même chose pour le «Desolation Raga». Même école de pensée. Tu te sens sur la terre ferme. Et parka man te claque de beaux arpèges décolorés au sommet du beat. Parka man a un don, c’est indéniable. Il sait allumer un  cut de manière informelle, comme le montre encore cet instro du diable, «Katamaran». Ce bel instro hypno file sous le vent. Parka man sonne comme une superstar, il sait poser sa voix. On tombe plus loin sur un joli blaster nommé «Feels Like Wasting My Life Is Taking Forever». Ils savent allumer la gueule d’une pop. Parka man a du style, il adore les cuts imparables et l’ampleur considérable. Puis t’as Johansson qui embarque tout le monde en voyage intersidéral avec «I Gave It All Up To You». T’étonne pas si tu te sens complètement barré. C’est normal. 

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             Diamonds Rhinestones And Hard Rain ? On peut y aller les yeux fermés. T’as une belle entrée en lice lysergique avec «Mareld». Tu sens bien qu’ils ont un truc, ils se positionnent très vite dans la Mad Psychedelia, celle des géants comme le Brian Jonestown Massacre ou les Bardo Pond. Il faut bien ça pour tenir 10 minutes avec de la crédibilité. «Mareld» est un cut fantastiquement intense et qui monte bien en pression. Te voilà arrimé. Ils passent en mode hypno pour «Lycka Till Pa Farden» et on reste dans l’ambiance des coups de génie avec le morceau titre, amené au groove de swinging bassmatic, et cette fois ce démon de Joakim Ahlund chante. T’entends là l’un des meilleurs groupes de la galaxie moderne. Ces mecs excellent ad nauseam. Ça sonne comme l’un de ces cuts d’avant concert que tu ne connais pas et qui te résonnent dans l’âme. Les Big Byrd sont dans leur monde d’heavy-groove hypnotique, comme s’ils se reposaient après les tempêtes des Caesars. Le groupe est vraiment bon. Il touche à tout. Doigts de fée. Sens aigu. Vraies fines fleurs de Java.

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    Dans la foulée, tu ressors tous tes Caesars de l’étagère. Ces cracks du boom-hue démarraient en trombe en 1997 avec un excellent album, Youth Is Wasted On The Young. L’hit s’appelle «My Abuction Love», un hit chanté à la cantonade effervescente, monté sur un fil mélodique très britannique à la Oasis. C’est solide et terriblement british. Better than Liam. Ces mecs sont des fous. Leur fonds de commerce, c’est l’ultra-power pop, et dès «Sort It Out», ils s’engagent de plein fouet, ils chantent comme des bites en rut, c’est extrêmement exacerbé, axé sur l’énergie sexuelle. Trop de rut. C’est même écrasant de rut. Ils sont dans l’excès du genre, atrocement puissants. Leur son n’en finit plus d’exploser dans «Let’s Go Parking Baby». Leur surplus d’énergie les condamne aux galères. Avec «I’m Gonna Kick You Out», ils ramènent le meilleur son de Suède, ils jouent au riff dévasté, tout est saturé de puissance sonique. Leur puissance repose sur le principe d’un effroyable surplus. S’ensuit un «You’re My Favorite» solidement débouté du bulbe. Ils proposent avec cette nouvelle résurgence un sale garage suédois, une sorte d’abomination idoine cisaillée à vif. On croirait entendre des mecs de Manchester. Ils sont aussi les rois du Big Atmospherix comme le montre «Optic Nerve». Ça chante à l’Anglaise, ils manient l’explosif comme des experts. Ce mec chante à contre-courant avec la puissance d’un saumon d’Écosse. Fantastique chanteur érodé. Ils explosent le plafond de verre de la pop. Quelle fête pour l’esprit ! Avec «Anything You Want», ils foncent dans la nuit urbaine sans ceinture, sans foi ni loi, c’est très sexuel, très suédois. Ils reviennent au burst de power-pop avec «She’s A Planet». C’est mecs n’en finiront plus d’exacerber les choses. On tombe plus loin sur un autre bombe intitulée «You Don’t Mean A Thing To Me». Explosé du beat. Trop de son. Gorgé de graines de violence. Ultra-joué. 

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             Cherry Kicks pourrait bien être l’un des plus grands albums de rock de l’an 2000. Il s’y niche pas moins de cinq classiques power-pop du style «Subburban Girl». L’énergie pulse dans les veines du cut, c’est embarqué à la petite folie. Ces mecs ne font pas n’importe quoi. Ce sont des diables sortis de nulle part. Voilà encore un cut puissant et ravageur. S’ensuit un «Crackin’ Up» demented are go à gogo. Du son rien que du son ! Si on aime le son, c’est eux qu’il faut aller voir. Leur «One Cold Night» est noyé du meilleur son d’attaque frontale. Ils sont déterminés à vaincre l’inertie des oreilles occidentales. Alors ils chargent leurs roueries atroces, les percées se font spectaculaires, au-delà du supportable. Encore de la fuckin’ power pop avec «Spill Your Guts». Ils sont dans l’énergie extravagante, c’est explosé d’avance et sans sommation. Ils sont bons, bien au-delà des expectitudes. Ils frisent en permanence le génie pur. Avec «Oh Yeah», ils reviennent à quelque chose de plus pop, mais ça reste très capiteux, cette pop monte bien au cerveau, elle devient même un peu folle comme souvent chez les Caesars. Ils ne ratent jamais une occasion de tout dévaster. Ils n’ont aucune patience pour la vergogne. «Punk Rocker» se veut plus kraut dans l’esprit. Ils suivent leur petit bonhomme de chemin hypnotique. Encore un cut qui interpelle quelque part : «Fun & Games» qu’ils attaquent avec un Hey girl de bon aloi. La tentative d’envolée psyché est vite écrasée par un troupeau de pachydermes. La puissance de la production renvoie une fois encore à Oasis. On croit qu’ils vont se calmer en approchant de la fin du disk. Pas du tout ! «From The Bughouse» explose littéralement. Ils ont tellement de son que Bughouse devient une horreur congénitale. C’’est un tourbillon de potage instantané. Ils effarent même la revoyure et jouent au vermillon du bon vouloir, ils envoient valser la power-pop dans les orties. Encore plus terrifiant : «Only You». Ils y deviennent impétueux et jouent une sorte de stomp de bottes à clous.

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             Sur Love For The Streets paru en 2002 se trouve un coup de génie intitulé «Do Nothing».  C’est l’apanage emblématique du powerful. Il n’existe rien d’aussi dément sur cette terre. C’est ponctué à la petite note numérique, dans une ambiance heavy et musculeuse - I tied to make her see me - Fabuleux - I’m trying hard to help myself but I just do nothing - Hit fondamental. L’autre grand cut de l’album s’appelle «Jerk It Out». Leur appétit carnassier remonte à la surface, c’est excellent car joué avec des facilités intrinsèques. «Let My Freak Flag Fly» sonne aussi comme un hit. Voilà une pop-song parfaite, chant idoine et accords chatoyants soutenus à l’orgue. On se goinfre aussi de «Candy Kane», et de l’incroyable poppabilité des choses. Ça sonne comme un hit de radio pirate. Ces mecs visent le chart-toppisme d’undergut. On sent la fermeté d’un grand groupe et on savoure leurs orchestrations faisandées. Quand on écoute «Mine All Of The Time», on sent clairement le groupe qui bosse pour percer. Mais ça ne marche pas à tous les coups. Bosser pour percer n’a jamais mené à rien. Ils jouent avec le feu dans «Burn The City Down», cut insurrectionnel traité au poppisme californien ensoleillé - Let’s burn the whole city down/ Burn it to the ground - C’est admirable de parti-pris et ça sonne comme un hit californien. Ces mecs écoutent très certainement des bons disques. 

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             Paper Tigers a failli partir à la revente, mais la réécoute lui a sauvé la mise. Les Caesars ne sont pas des empereurs romains, mais des Suédois. On a un petit problème pour suivre l’ordre des morceaux car la pochette arty brouille un peu les pistes. Mais dès «Spirit» qui ouvre le balda, on sent le souffle d’une pop-psyché de haut rang. C’est bardé de son et ça monte vite en température. Encore de la pop enjouée avec «It’s Not The Fall That Hits». Oui, on peut même parler d’une pop de bonne haleine et de dents soignées. Même chose avec «Out Here», excellent brouet de pop puissante. On peut en dire autant de «May The Rain» et de «My Heart Is Breaking Down». Quant au morceau titre qui referme la marche de l’A, il renvoie aux Beatles. On retrouve cette solide pop de panier garni en B avec «Your Time Is Near». Tout cela tient admirablement bien la route. «Winter Song» évoque les rues de Londres en hiver et la mélodie pince le cœur. S’ensuit un fantastique «We Got To Leave» digne des grands hits de pop californienne, avec son envolée, et voici encore une pure énormité avec «Soul Chaser», solide, tendu, foison à gogo. C’est du niveau des très grands disques de pop américaine, on pense bien sûr aux Beach Boys. Pur génie pop ! Ils bouclent avec «Good And Gone», pur jus de genius cubitus, all along all along, good & gone, avec des unissons vibrés qui renvoient directement au Teenage Fanclub.

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             Très peu de groupes atteignent le niveau d’un album comme Strawberry Weed. Il faut se méfier, les coups de génie y pullulent. À commencer par «Turn It Off», qui sonne encore mieux qu’un hit d’Oasis. C’est joué à la violence pénultième. Le génie des Caesars s’abreuve à l’Oasis. Pur esprit de make me glad. Ils font du pur jus d’Oasis, so empty, so sad, then make me glad, le tout vrillé par un solo démento et bien sûr, des gouttes de notes nous ponctuent tout ça aux petits oignons. D’ailleurs, cet album s’annonce bien, car dès «Fools Paradise», il défoncent le fion du rock paradise. Les Suédois ne rigolent pas avec ça. Souvenez-vous des Vikings. Ils enfilaient tout ce qui avait un trou entre les jambes, comme dirait Dickinson. C’est le géant Ebbot Lundberg qui produit cette horreur poppy avenante. Encore de l’Ebbot avec «Waking Up», gros shoot de pop énervée secoué de falling down et de shame, tout est ramoné dans la cheminée, ça ramone sec, c’est absolument dément d’instance et troué au cœur par un killer solo explosif. On reste dans l’énormité avec «She’s Getting High», shot down in your face de lapin blanc, solide et événementiel, ces mecs tirent le rock vers un vallalah d’excellence, ils ramènent tout l’overtime du monde dans leurs notes suspendues et ça prend de sacrées couleurs ! On va de surprise en surprise, comme d’ailleurs sur tous les albums des Caesars. Voilà qu’on tombe sur «Boo Boo Goo Goo», un cut riffé à la Viking, there you go again, ces mecs ont le diable dans le corps, ils maîtrisent toutes les ficelles de caleçon, impossible de les régenter, ils sont trop parfaits, et le cut se barde d’accidents techniques qui voudraient passer pour des excès de virtuoses. «In My Mind» sonne exactement comme le hit universel inespéré. Ils nous pulsent ça aux power-chords. Ces mecs disposent d’une sorte de génie américain, ils sont dans le blow-out, et visent l’excellence du brio. Quelle révélation ! Ils cultivent une sorte de gourmandise pour le beautiful heavy sound. Ils jouent «Crystal» au garage rampant et se montrent mille fois supérieurs à tous les groupes garage qu’on voudra bien imaginer, sauf les Nomads, évidemment. Avec le morceau titre, ils font de la pop claquée de l’intérieur, hantée par des accords de rêve. Comme c’est un double CD, l’aventure se poursuit avec «New Breed», power-pop martelée au popotin suédois et éclairée par un solo en arpèges de crystal clear. Plus on avance et plus ce groupe fascine. Et voilà «No Tomorrow» saturé de bassmatic. Ils défoncent la gueule des fjords. Encore une fois, ça sonne comme un hit inter-galactique, ça chante à la chevrotante et ils n’en finissent plus de briller au firmament. Ils en deviennent fatigants. Ils maîtrisent les sciences occultes du son et du stomp et s’emploient à délivrer des solos d’embrasement congénital. Ils n’ont que des ressources inépuisables. Ils sont aussi brillants que Jook. Merveilleux cut que cet «Easy Star» béni des dieux : on s’y sent comme dans un lagon, on s’y baigne indéfiniment, tout n’y est que luxe, calme et volupté tahitienne des fjords. Ils nous rament «Up All Night» aux galères du rock. Ils savent traverser un océan à la rame. Ces diables sonnent une fois de plus comme Oasis et sortent pour l’occasion la plus terrible cisaille du monde. Et puis on peut en prendre un petit dernier pour la route : «New Years Day», big shoot d’heavy pop défenestré.

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             39 Minutes On A Bliss est une sorte de compile, et dans le cas des Caesars, ça vaut le détour. Chez ces gens-là, tout est monstrueux, gonflé, rempli de son jusqu’à la gueule. «Sort It Out» sonne comme une explosion de pop craze. Ces Suédois jouent comme des dingues et ils resplendissent au firmament de la pop. On pourrait même les qualifier du groupe majeur du monde moderne. Ils développent une fabuleuse énergie et nous plongent dans des abysses fructifiantes. Ils pulsent à outrance et se croient invincibles. Voilà leur force. Avec «(I’m Gonna) Kick You Out», ils proposent un garage pop incroyablement qualitatif et explosé aux clameurs d’unisson. Ils pourraient servir de modèle. S’ensuit un «Let’s Go Parking Baby» claqué vite fait. Quelle santé de fer ! Ces mecs se situent au-delà de toute mesure, bien au-delà de la power-pop. Les Caesars balayent tout sur leur passage. On espère secrètement qu’ils vont se calmer, car ce genre de disque n’est pas de tout repos. «Out Of My Hands» sonne comme un coup de génie. Quelle giclée ! Les accords sont grattés dans les règles de l’art caesarien. Ils claquent tout à l’absolue divination et ça tourne vite à la sorcellerie. Encore un coup d’éclat avec «Crackin’ Up». Ils explosent leur power-pop à discrétion, comme si la grenade tardait à exploser. Ils font deux couplets à sec et ça monte. Ils ont cette facilité à gérer les attentes. Un esprit hante ce groupe. «You’re My Favorite» sonne comme l’un des plus violents garage-cuts de l’histoire du garage. C’est chanté sale, mais avec du répondant de son. On entend des accents à la Johnny Rotten dans le chant. Ça se termine avec l’excellent «You Don’t Mean A Thing To Me». Cette fois, ça explose pour de vrai. Ils ont des ressources insoupçonnables. Ce cut rebondit dans les murs. Voilà du vrai garage énervé et incontrôlable, imputrescible et bienvenu dans la confrérie. C’est joué à l’ultimate de la tomate, claqué aux chords de no way out, avec un spectaculaire retour de manivelle dans le corps du texte.

    Signé : Cazengler, Big burne

    Les Big Byrd. La Cigale. Paris XVIIIe. 20 mai 2025

    Caesars Palace. Youth Is Wasted On The Young. Dolores Recordings 1997

    Caesars Palace. Cherry Kicks. Dolores Recordings 2000

    Caesars Palace. Love For The Streets. Dolores Recordings 2002

    Caesars. Paper Tigers. Dolores Recordings 2005

    Caesars. Strawberry Weed. Dolores Recordings 2008 

    Caesars. 39 Minutes On A Bliss. Dolores Recordings 2003

    Les Big Byrd. They Worshipped Cats. A Records 2014

    Les Big Byrd. Iran Irak IKEA. PNKSLM 2018

    Les Big Byrd. Eternal Light Brigade. Chimp Limbs 2022

    Les Big Byrd. Diamonds Rhinestones And Hard Rain. Chimp Limbs Recordings 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Six)

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             Et hop, Big Billy repart à l’aventure en 1985 avec l’ex-Milkshake & boss de la basse John Agnew, et un certain Del au beurre, qui n’est autre que Graham Day. Objectif gaga-blow, c’est-à-dire donner au garage anglais de nouvelles lettres de noblesse. Huit albums en quatre ans, au rythme de deux par an, c’est une bonne moyenne pour un intensiviste acharné comme Big Billy. 

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             Il commence par aplatir la gueule de Beware The Ides Of March à coups d’accords de Dave Davies dans «It Ain’t No Sin». Big Billy adore gratter les accords des early Kinks. Et en B, il recrée le mythe du proto-punk avec «Give It To Me». Il est obsédé par le protozozo, il n’en démordra jamais, et il inaugure sa nouvelle marotte : le wouahhhhhhhh qui lance un killer solo flash. Magnifique ! Et puis, tu croises aussi des clins d’œil à Linky Link («Rumble») et à Bo (version endiablée de «Road Runner»).

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             La même année sort l’album sans titre Thee Mighty Caesars. On les voit déguisés en empereurs romains. Bruce Brand remplace provisoirement Del au beurre. Quelle blague ! Par contre, on ne rigole plus avec le real wild deal de «Wily Coyote», ce shoot d’early British rock’n’roll. Puis Big Billy te gratte «It’s A Natural Fact» à la sourde, mais pas n’importe quelle sourde, la sourde féroce ! En B, ils ramènent tout le poids de l’Antiquité dans un instro dramatique, «Death Of A Mighty Caesar» et Big Billy revient à son obsession protozozo avec «Why Don’t You Try My Love». Ça barde sec ! Wouaaahhhh et puis t’as le solo d’ultra-fuzz qui s’étrangle dans sa bave.  

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             Les Caesars montent encore en puissance avec Acropolis Now. Big Billy reste fabuleusement déluré, il adore perdre le contrôle dans les virages, Wouaaahhhh ! Le balda reste assez classique jusqu’au moment où «You Make Me Die» te tombe sur la gueule. En vrai. Big Billy te monte ça sur les accords de Dave Davies. Il fait du post-protozozo. Ça marche à tous les coups. Pur esprit. La viande se planque en B. Petite coquine... Bam !, dès «Loathsome ‘n’ Wild». Big Billy taille la pire des routes, la route wild as fuck, t’en perds le contrôle des mots. Il monte plus loin «Despite All This» sur la carcasse de «Pushing Too Hard», mais au ralenti et on observe un violent retour au protozozo avec «I Don’t Need No Baby», un stomp de Medway. Tout le protozozo d’Angleterre est au rendez-vous. Il monte ensuite son «Dictator Of Love» sur un beau Diddley beat et sort le big fuzz out pour «I Was Led To Believe». Ça te nettoie les bronches. Big Billy creuse un tunnel sous le Mont Blanc avec sa fuzz et ça bascule dans la folie par inadvertance. Il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie. C’est du très grand art.  

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             Au dos de Thee Caesars Of Trash, tu peux lire : «For the last III years Billy, John and Graham have been at the forefront of the British garage scene influencing all who see and here (sic) them play, with over XVII LPs of experience between them they truly are Thee Caesars of Trash, play this records now and play it loud - Punk from Pompay.» Signé : William Loveday, nov ‘85. C’est l’album des covers de choc, à commencer par «Oh Yeah», magnifique clin d’œil aux Shadows of Knight, she loves me, tout y est, oh yeah, she’s my babe. En B, t’as «Not Fade Away», big Buddy/Bo flash-back via les early Stones, et puis une cover excédée de «Psycho». Saluons aussi ce pur gaga de la menace qu’est «It’s You I Hate To Lose», gorgé de tout le power de Dave Davies et serti d’un acre killer solo flash.

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             Big Billy repart de plus belle avec Wise Blood : dans «I Can’t Find Pleasure», il passe l’un de ses pires killer solos trash. S’ensuit «Come Into My Life», un heavy schloufff des Puissants Caesars. Pure heavyness impériale ! Avec «Signals Of Love», tu renoues tout simplement avec le pur génie d’Angleterre, et il repasse en mode dark gaga avec «I Self Destroy», et il y va à coups de yeah yeah I self destroy. Encore une sévère leçon de maintien avec le morceau titre. Si tu vas en B, tu vas tomber sur un bel hommage à Bo avec un «Kinds Of Women» bien allumé et riffé à la vie à la mort. Ce brillant album s’achève sur un «Signals Of Love (Slight Return)» qui tape en plein dans la première époque des Stones. Big Billy est le plus complet des artistes complets. Au dos, William Loveday, aka Big Billy, déclare : «It takes us under 2 days and under £300 to record an album... we were brought up in Punk Rock, that’s where our Rock’n’Roll comes from. The resulting music is raw and irreverent, shining out as a beacon of human decency against the over produced, over sophisticated, over commercialised, computerised pop that predomines todays airwaves.» Belle déclaration d’intention.  

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             Et si le Live In Rome était l’un des plus beaux albums live de l’histoire du rock ? Va-t-en savoir. Au dos, William Loveday rappelle que lui, John et Del ont toujours été «into Rome» : «The early Clash, Link Wray, Leadbelly and ancient Rome». Et donc, ils ambitionnaient d’enregistrer à Rome, puisqu’ils passionnés de Rome. Ils y tapent des covers du diable : le «Neat Neat Neat» des Damned (bien drivé par ce démon de John Agnew) et «Submission» (Big Billy fait bien son Rotten et tape en plein dans le mille de la Pistolmania). Mais il y a aussi du wild as fuck avec «Wily Coyote» et sa ferveur maximaliste, suivi de l’incroyable shout de «Give It To Me», claqué à l’Hofner Gibson copy. Wouahhhhh ! et Big Billy plonge dans les enfers d’un killer solo flash. «I’ve Got Everything Indeed» n’a aucune pitié pour les canards boiteux et Big Billy lance le killer solo flash de «Devious Means» non pas au wouahhhhhh mais au yahhh yahhh. Il a des variantes ! Et ça termine avec un «Baby What’s Wrong» qui pulvérise tout. Wild as Mighty Caesar fuck !  C’est stompé dans la paume du beat, en mode High Heel Sneakers.               

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             John Lennon’s Corpse Revisited est le premier d’une série de trois albums sur Crypt (les deux autres sont des compiles). Les trois albums bénéficient de pochettes fantastiques, bien soutenues aux tons primaires. Le cyan et le yellow flattent l’œil. Pour le Lennon’s Corpse, ils ont imaginé une parodie du montage de Sgt Pepper’s, et nos trois Caesars portent déjà les headcoats du projet suivant, Thee Headcoats. Démarrage en trombe sur le «Lie Detector» qui sonne d’office comme un immense classique gaga. Big Billy recycle les accords de «Louie Louie» dans «Confusion» et passe à la vitesse nettement supérieure avec un «Home Grown» digne des Who. On croise aussi deux covers du diable sur cet album, «Beat On The Brat» (bien troussée à la hussarde de what can you do) et «Career Opportunities» (Big Billy adore le premier album des Clash). Puis il fait éclater son génie gaga au firmament avec un vieux shoot d’early British Beat, «Because Just Because», sacrément cavalé, et «Somebody Like You», fantastique chasse à courre d’accords sauvages. Imbattable. 

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             Les deux belles compiles Crypt (English Punk Rock Explosion! et Surely They Were The Sons Of God) valent bien sûr le détour. Parce qu’on y retrouve tout ce qui fait le génie de Wild Billy Childish : «I Don’t Need No Baby», «I Was Led To Believe» (overdose de fuzz), «Now I Know» (monté sur le «New Rose» des Damned), «I’ve Been Waiting» (épais protozozo), «Loathsome ‘N’ Wild», et Kinds Of Women», qui est du pur Bo.

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             Sur Surely They Were The Sons Of God, tu retrouves «Signals Of Love» (fantastique profondeur), «I’ve Got Everything Indeed» (radical), «It Ain’t No Sin» (monté sur les accords de Dave Davies), «Why Don’t You Try My Love» (immense classique), «She’s Just 15» (les descentes de couplets sont typiques d’I wanna be anarchy/ In the city), «Don’t Say It’s A Lie» (monté sur la carcasse de «Brand New Cadillac») et «Give It To Me», monté sur une carcasse des Seeds, avec une belle diction à la Sky.

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             Un peu plus tard, Big Billy va sortir Caesars Remains, sous-titré Punk From The Vaults Of Suave. Pochette marrante : on voit Big Billy et John Agnew sauter en l’air avec leurs grattes. T’es content d’avoir rapatrié l’album car Big Billy y fait une cover sauvage d’un classique sauvage, le «1977» des Clash qui n’est pas sur leur premier album : Clashmania à la Big Billy ! Vertigineux de justesse ! Tu ne peux pas rêver mieux, c’est impossible. Et en B, ils reviennent aux early Kinks avec «Your Love» - The more I have/ The more I want - Le ‘baby’ de Big Billy est le modèle absolu. Tu veux chanter dans un groupe de rock ? Alors écoute comment se prononce ‘baby’.

    Signé : Cazengler, Mighty Cœnnard

    Thee Mighty Caesars. 39 Minutes On A Bliss. Dolores Recordings 2003

    Thee Mighty Caesars. Thee Mighty Caesars. Milkshakes Records 1985

    Thee Mighty Caesars. Acropolis Now. Milkshakes Records 1986

    Thee Mighty Caesars. Thee Caesars Of Trash. Milkshakes Records 1986

    Thee Mighty Caesars. Wise Blood. Ambassador 1987

    Thee Mighty Caesars. Live In Rome. Big Beat Records 1987                    

    Thee Mighty Caesars. John Lennon’s Corpse Revisited. Crypt Records 1989

    Thee Mighty Caesars. Caesars Remains. Hangman Records 1992

    Thee Mighty Caesars. English Punk Rock Explosion! Crypt Records 1988

    Thee Mighty Caesars. Surely They Were The Sons Of God. Crypt Records 1990

     

     

    L’avenir du rock

     - Baby Gillespie

    (Part Two)

             — Dis donc, avenir du rock, t’en as pas marre des vieilles lanternes ?

             — Ben non. C’est dans les vieilles lanternes qu’on fait les meilleures soupes !

             — Tu nous soûles avec tes pirouettes à la mormoille !

             — C’est fait pour !

             — Non mais franchement, t’en as pas marre de ramener tous ces vieux crabes, les John Cale et les Childish et les Newcombe et les Perrett ?

             — T’oublie les pot-au-lait, mon poto laid !

             — T’arriverais presque à nous faire marrer si t’étais pas aussi pathétique...

             — Pathénique ta mère !

             — Plus on t’enfonce l’épée dans le garrot, plus tu rues...

             — Je suis né dans la rue par une nuit d’orage, oh oui je suis né dans la rue !

             — Voilà qu’y nous fait le Johnny, maintenant ! T’as vraiment pas d’figure !

             — Tu te gures, mauvais augure ! J’ai plus de chasses dans la figure, Horachiotte, que n’en imagine ta pilosité !

             — On s’épuise à t’écouter déblatérer, alors qu’est-ce que ça doit être pour toi ! T’es pas rincé par tout ce débit de conneries ?

             — Pffffff ! C’est toi qui devrais être rincé par le sentiment ton inutilité. Franchement, j’aimerais pas du tout être à la place d’un mec de ton niveau.

             — T’inquiète pas pour ça avenir du rock. Si t’es content d’être un guignol, alors tant mieux pour toi. 

             — Le guignol te salue bien, mon con joli, et s’en va de ce pas à la Cigale pour aller se prosterner devant une autre vieille lanterne, Baby Gillespie.

             — Gillespitoyable !

             — Faux ! Gillespygmalion !

     

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             La statue que caresse Baby Gillespygmalion est en fait celle de Primal Scream, qu’il aura passé vie à conduire à la gloire. Quarante ans de Primal Scream, c’est pas rien. C’mon ! Alors les voilà, sous les ors et les stucs de la Cigale, Baby Gillespie et toute sa bande, une basswoman d’un côté et Neil Ines de l’autre, vétéran parmi les vétérans, sous un petit chapeau, arborant une belle liquette LAMF. Il joue tellement

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     fort qu’il couvre la voix du pauvre Baby Gillespie, qui n’a jamais eu de voix, mais qui a toujours été là, qui a toujours su danser derrière un micro, et ce depuis la nuit des temps du Scream. Et tu vas assister pendant quasiment deux heures au plus gros festin de Stonesy qui se puisse imaginer, Baby Gillespie rocke le boat de la Cigale et

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    la foule fait ouuuh-ouuh/ Ouuuh-ouuh oui, les ouuuh-ouuh/ Ouuuh-ouuh de «Sympathy For The Devil», les Parisiens adorent la vieille Stonesy et ça va atteindre des sommets avec «Medication» et plus loin l’imparable «Movin’ On Up», l’un des plus beaux hommages jamais rendus aux Stones, l’un de ces cuts que Keef aurait bien aimé pondre, mais trop tard, Baby Gillespie et ses amis sont passés par là. Oh et puis t’as encore ce «Country Girl» qu’on dirait sorti tout droit d’Exile On Main Street. Une vraie piqûre de rappel. L’un des pires shoots de Stonesy qu’on ait vu ici-bas depuis «Tumbling Dice», même genre de magie chaude, même genre d’appel à l’émeute des sens, même genre de message direct à ta cervelle. Et en rappel, Baby

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    Gillespie va atteindre le sommet de l’Ararat avec un puissant shoot de «Rocks», il n’a même plus besoin de chanter, on chante tous pour lui - Get your rocks off/ Get your rocks off honey/ Shake it now now/ Get ‘em off downtown - comme une profonde clameur sortie des bulbes inféodés, comme une sourde pulsion issue des profondeurs de la conscience collective, l’incarnation populaire de la Stonesy, toute la foule rock scande le sourd spirit de Rocks, Get your rocks off/ Get your rocks off/ Honey, comme une primitive respiration atrabilaire, ça sort du ventre rock, ça respire par les

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    bronches rock, ça pulse entre les reins du rock, ça gronde de plaisir sous la surface des peaux rock agglutinées, ça s’applique à swinguer la Soul de Shake it now now, le now now n’a jamais été aussi pur, aussi viscéral, le Get ‘em off downtown remonte loin aux sources, il faut imaginer des tribus tapies dans l’ombre des ruines des capitales, Shake it now now, et Baby Gillespie tend son micro, il en rit car ça sonne comme un miracle, on vit tous une sorte de moment d’éternité. T’as la Soul du rock. Now now.

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             S’il faut écouter le nouveau Primal Scream, Come Ahead ? Bonne question. La réponse est comme d’usage dans la question. Mais si t’as pas envie, t’es vraiment pas obligé. En réalité, tu le fais seulement par sympathie, car ça fait un bail que les albums de Primal Scream ne valent quasiment pas un clou. Baby Gillespie attaque avec un gospel qui bascule dans le diskö-beat : «Ready To Go Home» sonne en effet comme un étrange mélange évolutif. Il passe au funk avec «Love Insurrection» :

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    Baby Gillespie s’en va traîner dans le ghetto pour bricoler un funk blanc. Tu en penses ce que tu veux. Il retombe systématiquement dans les plans prévisibles, mais dans l’ensemble, les cuts sont bien foutus, noyés de son et de chœurs. Les deux blackettes qui l’accompagnent sur scène sonnent merveilleusement bien. Il atteint son sommet avec «Innocent Money». Il a énormément de son, ça groove bien dans la couenne du son, on peut qualifier la prod d’intense et revancharde, avec des belles pointes de chaleur. Puis l’album va perdre de l’altitude. Baby Gillespie bouffe à tous les râteliers : l’africain avec «Cursus Of Life» (percus de «Sympathy For The Devil» + les chœurs du funk), la romantica («False Flags», mais il n’a pas de voix), le groove interlope («Deep Dark Waters») et l’acid house («The Centre Cannot Hold», il a toujours du goût pour la sautillade sous ecstasy, ça n’a aucun strictement intérêt). Le niveau de l’album est tout de même relativement bas. C’est un album que tu ne recommanderais pas, même à ton pire ennemi.  Par contre, il faut aller voir Primal Scream sur scène pour ce moment d’éternité : Get your rocks off/ Get your rocks off honey/ Shake it now now/ Get ‘em off downtown !

    Signé : Cazengler, Primate script

    Primal Scream. La Cigale. Paris XVIIIe. 10 juin 2025

    Primal Scream. Come Ahead. BMG 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Darando a bon dos

     

             Durando avait un gros avantage sur nous autres, les pouilleux du lycée : il avait du blé. Non seulement il portait toutes les sapes à la mode, mais il avait en outre les cheveux longs, de beaux cheveux blonds coiffés comme ceux des Brian Jones. Ses parents lui foutaient la paix avec ça, ce qui n’était pas le cas des nôtres : ils passaient chez le coiffeur du quartier pour donner la consigne, «les oreilles bien dégagées». C’était une façon de nous castrer. Avec ces coupes à la con, on n’avait aucune chance auprès des gonzesses. Elles allaient naturellement vers les mecs à cheveux longs. La mode yé-yé battait son plein, et comme le disait si joliment Yves Adrien, «tous les garçons s’appelaient Ronnie», sauf nous, les pouilleux du lycée, affublés de nos hideux cabans et de ces pantalons de tergal qu’on nous forçait à porter, alors qu’on ne rêvait que de Levis en velours côtelé. Durando s’habillait chez Happening et se baladait dans les rues en costard noir à fines rayures blanches. Il complétait son look de dandy avec le col roulé blanc que portait Brian Jones dans Salut Les Copains. C’est à cette époque qu’on réalisa pleinement la différence qui existe entre le fait d’être bien né et celui d’être mal né. Nous devînmes des pouilleux envieux, et c’était pas terrible. Histoire de bien attiser nos frustrations, Durando organisait chaque week-end une surboum chez lui. Ses parents partaient en week-end à l’étranger et lui laissaient cette belle villa située sur la côte, pas très loin de Deauville. Il organisait ses surboums dans la cave et y passait les albums qu’il avait ramenés d’Angleterre. Il était dingue de James Brown, alors la cave devenait une étuve. Bien sûr, les gonzesses étaient là pour baiser, mais elles ne baisaient pas avec nous autres, les pouilleux du lycée. Malades de frustration, on restait agglutinés au bar et on vidait toutes les bouteilles pour bien se schtroumpher. Et ça nous rendait encore plus malades de voir Durando rouler des grosses pelles aux gonzesses qui l’approchaient pour danser avec lui. C’était plus qu’on ne pouvaient en supporter. Nous quittâmes la cave, sortîmes dans le jardin et fracassâmes la mobylette toute neuve de Durando.

     

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             Pendant que Durando éblouissait toutes les petites gonzesses de la côte normande, Darando sommeillait dans le marigot de l’underground. Ce n’est pas exactement le même destin, mais les becs fins auront une préférence bien marquée pour celui de Darando, fantastique pouilleux de l’underground le plus ténébreux.

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             C’est Alec Palao qui s’y colle. Au dos du booklet de Listen To My Song - The Music City Sessions, tu vois un doc signé : «To Alec from Darando». Alors qui est ce mystérieux Darando ? Un certain William Daron Puilliam originaire de Berkeley, dans la Baie de San Francisco. Darondo commence par idolâtrer les jazzmen et les Isley Brothers, Ray Charles, les Dells, et puis Motown. Bien sûr, Palao fouine dans les archives et digresse longuement sur le premier groupe de Darando, The Witnesses.

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             Darando montre très vite un penchant pour la flamboyance. Il roule en «white Rolls Royce Silver Cloud, complete with phone and hot plate». Il va dans les clubs, donne des gros pourboires aux serveuses qui le surnomment Daran-dough. Puis Palao arrive très vite aux fameuses Music City sessions et commence à jongler avec les «breathless teasing vocals» et les «gravelly baritone to wailing falsetto in the space of a measure». C’est vrai, si tu écoutes l’«I Don’t Understand It» qui ouvre le bal de Listen To My Song - The Music City Sessions, t’es frappé par la sauvagerie du chant et du son. C’est du proto-punk de black rock, vicieux, ravageur, unique ! Avec la pulsion demented du bassmatic. Il met encore la pression avec «I’m Gonna Love You», il la crée et l’alimente à coups d’in the morning et d’ouh when the sun goes down. Coups de génie encore avec «King’s Man» - I’m a king’s Man/ Do the boogaloo/ If you wanna doo - Il est complètement génial, il pousse le bouchon de la modernité à coups d’I feel good in the morning et de Get down baby, c’est une vraie pétaudière, funky beat suivi là l’harp, king’s man get down, il paraît épuisé. Ça continue avec «Qualified», amené aux petits accords funky, il pose son énorme voix sur le big fat beat de bass/drum. Durando est l’un des rois inconnus du Soul System. S’ensuit l’heavy downhome groove de «Sexy Mama», il s’étale comme un trave sur le beat, baby talk to me/ Love your sexy way, il fait les deux voix, la grave tranchante et la féminine, il crée du bright climax et du hot sex. T’as encore «Didn’t I», le slowah lubrique, même là, il est bon. Il sait feuler entre tes reins. Immédiate qualité de l’intermezzo encore avec «Luscious lady», il y rentre à l’accent incroyablement tranchant, c’est une Soul urbaine de classe supérieure. Puis il vire hard funk avec «Get Up Off Your Butt», mais c’est le Durando hard funk, il crée son monde au get up, il y va au get on down, avec un beurre historique. Quelle révélation ! Suite du festin royal avec «Gimme Some». Il se coule dans ta culotte comme le serpent du jardin d’Eden. Quel fantastique artiste ! Son «Do You Really Love Me» est incroyablement moderne, et «The Wolf» n’en finit plus de t’interloquer, car voilà un cut tellement étrange et lancinant, monté sur un fat bassmatic. Il sait aussi groover les sentiments, comme le montre «Listen To My Song». Il reste étrangement beau, même au lit.

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             Et puis t’as cet album extravagant de qualité, Let My People Go. Tu vois toutes les bagues de Darando et ses yeux injectés de sang. Et c’est rien en comparaison du morceau titre d’ouverture de balda, ce shoot d’heavy swamp-blues bien raw qui va tout de suite sous ta peau. Darando fait le Marvin des marécages, avec derrière lui une basse bourbeuse et des chœurs fantômes. Et ça continue avec «Legs (Part 1)», encore plus muddy, il fait la folle à la James Brown et les brrrrrrr de Screamin’ Jay. Le son est bourbeux, mais à un point dont on n’a pas idée. Darando groove le muddy, il n’existe pas de son plus primitif et plus vermoulu. Il travaille encore le groove de «Didn’t I» au corps, il feule pendant que ça violonne dans la couenne du lard. Avec «I Want Your Love So Bad», tu retrouves ce sens aigu de la dérive à la Marvin, mais avec un son incroyablement bourbeux. On entend même des échos magiques de «What’s Going On». La B s’ouvre sur «How I Got Over», un groove monté sur une pompe manouche, une véritable merveille d’exotica romanichelle, et ça vire big funk out avec «My Momma & My Poppa», c’est même jazzé dans l’âme. Darando combine James Brown avec le free. Admirable démon ! Et il se barre une fois encore dans le groove de «What’s Going On» avec «Listen To My Song». Il termine avec «Jive», un fantastique groove bourbeux, il chante ça à la glotte fêlée, bien perché sur son chat malingre, il défie toutes les lois, surtout celles de la pesanteur, baby you’re true/ True to me !

    Signé : Cazengler, Darandose

    Darando. Listen To My Song. The Music City Sessions. BGP Records 2011

    Darando. Let My People Go. Luv N’ Haight 2006

     

     

    *

    Dès que nous avons eu connaissance des premières œuvres de Thumos nous avons compris que nous étions face à un grand groupe. Une tentative musicale qui soit en même temps une expérience de pensée philosophique. Un art synesthésiste  novateur, révolutionnaire, puisque la musique est censée traduire par les sons ce que l’on ne peut pas dire avec le philtre trop grossier des mots. La musique serait donc l’art de l’indicible. C’est à l’auditeur de comprendre, de déchiffrer, l’intention du musicien. D’ailleurs très vite la musique s’est alliée avec le chant pour mieux se faire entendre. Thumos adopte une démarche inverse : sa musique, sans parole ajoutée, se charge, non pas de mettre en musique mais de de traduire  une pensée. Non pas une pensée toute simple, toute quotidienne, mais une pensée qui soit fondatrice de notre rattachement intellectif au monde. 

    Avec ce nouvel opus, Thumos s’est lancée dans une étonnante gageure, puisqu’il s’agit d’une immersion explorative, au travers du personnage de Socrate dans tout un pan de la pensée de Platon.

    Sans plus attendre lançons nous, en commençant par regarder les pochettes,  extérieure et intérieures, des deux CDs :

    THE TRIAL OF SOCRATES

    THUMOS

    (Snow Wolf Records / 04 -07 -2025)

    S’il fut un peintre politique en France c’est bien David. La vie l’avantagea : né en en 1748 et mort en  1825 , il connut la monarchie de droit divin, la Révolution, le Directoire, l’Epopée Napoléonienne et le retour des Bourbons… David qui avait voté la mort de Louis XVI, qui soutint Marat et Robespierre, refusa de rallier la cause royale, s’exila en Belgique. Où il mourut. Il reste aujourd’hui encore un personnage controversé, la modernité artistique n’est point trop friande de l’école Néo-Classique dont il fut le maître incontesté, son radicalisme révolutionnaire n’est plus à la mode.

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    Son tableau La mort de Socrate date de 1787. Il est à noter que le poëte André Chénier - il initia par la nerveuse souplesse facturielle de ses vers la flambée poétique de la grande lyrique française  du dix-neuvième siècle – est par ses conseils à l’origine de la force du tableau. Socrate n’est pas en train de porter la coupe de cigüe à ses lèvres, il tend vers elle une main quasi distraite, alors qu’au bout de son bras levé un doigt impératif  souligne sa volonté persuasive… Face à l’imminence de sa mort le calme royal exemplaire de Socrate contraste avec l’attitude atterrée et désespérée de ses disciples en pleurs. 

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    Pour se persuader de la force du tableau, il suffit de comparer avec la reproduction intérieure de  Mort de Socrate (1802), due au pinceau d’un ancien élève de David, François-Wavier Fabre (1766 – 1837).  Son Socrate assis sur son lit, la barbe blanchie n’est plus le maître impérieux, il présente l’aspect pitoyable d’un malade qui s’apprête à avaler une détestable potion médicamenteuse…

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    La deuxième couve intérieure est une reproduction de La Mort de Socrate de Charles-Alphonse Dufresnoy (1611 – 1668). Très différente des deux précédentes. Socrate assis boit la cigüe avec la même indifférence que vous avalez une tasse de café le matin en vous levant. Certes cela est censé démontrer que Socrate ne craint pas la mort. Celle-ci n’étant qu’un passage vers le monde des Idées… voire la vie éternelle. Cette toile nous semble avant tout établir un parallélisme de Socrate avec le Christ. Le disciple endormi n’est pas sans évoquer  la nuit de la Passion. Buvez ceci est mon sang a dit le Christ. Je bois, ceci est mon immortalité semble nous enseigner Socrate

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    Nous prendrons pour base l’édition Platon. Oeuvres Complètes publiées en français par les Editions Flammarion (sous la direction de Luc Brisson, 2008).  Au cours des vicissitudes de l’Histoire quarante-cinq dialogues, dont seize sont réputés douteux et même plus qu’incertains, nous sont parvenus…

    Sur les vingt-neuf qui restent Thumos n’en utilise apparemment  que seize. Comment ce choix opéré se justifie-t-il. Nous ne pouvons offrir qu’une réponse aussi incertaine que les ombres de la Caverne. Cette sélection a-telle été entreprise en axant principalement la focale sur le personnage de Socrate (qui n’a laissé, rappelons-le aucun écrit) ou sur le déploiement de la pensée de Platon dont le pivot essentiel reste le personnage de Socrate. Platon a été son élève, mais il était absent au moment de sa mort.

      Qui sont les musiciens de Thumos :   Δ (delta) / Ζ (zeta) / Θ (theta) / Μ (mu). Pour la petite histoire : les pages des Cahiers de Paul Valéry qui sont consacrées aux’’ choses divines’’ ont été réunies sous l’appellation Theta, la lettre T étant la première du mots Theos (dieu).

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    The Parmenide : en français, Parménide (Sur les idées) : ce n’est pas le premier dialogue écrit par Platon, alors pourquoi débuter par celui-ci.  Les exégètes s’accordent sur le fait qu’en cet ouvrage Platon devient vraiment Platon, avant sa rédaction, notre philosophe n’est qu’un épigone de Socrate qui fait ses classes. Pour Platon il ne s’agit pas de sauver le soldat Parménide (né au sixième siècle et mort au milieu du cinquième) mais de le tuer. Sa pensée est incapacitante. Résumons-là en quelques mots : à la question qu’y a-t-il ? il répond :  l’Un. Pour ceux qui ne pigent pas il rajoute : rien d’autre. Circulez, il n’y a rien à voir. En fait vous ne pouvez même pas circuler car l’Un est Un et ne peut être soumis à aucune variation. Sans quoi il n’est plus le Un mais l’Autre. Platon trouve la parade : certes il y a le Un, ombreusement matériel, mais il y a aussi le concept du Un qui permet à votre intelligence de l’appréhender. Bref il existe le Un et le Un intelligible. Ne soyez pas bébête, ne dites pas que :  UN + Un = 2. L’on n’additionne pas des veaux et des cochons. Il y a l’Un et l’Autre. Le tout est de savoir : si l’Un est, l’Autre est-il ou n’est-il pas. Vous avez quarante minutes pour répondre, à la fin du cours je ramasse les copies. Le son est grave, pas du tout majestueux, des espèces de sonorité orientales, sans doute pour rappeler les origines égyptiennes de la pensée platonicienne, mais le morceau prend de l’ampleur nous avons assisté au miroitement ensorcelant du multiple, nous abordons l’obstacle principal le Tout cosmologique impénétrable et unifié, comment résoudre cette aporie de l’aporie parfaite qui nie le mouvement, la flèche de Zénon qui ne quitte pas son arc, même si vous avez l’impression qu’elle vole et atteint sa cible, la batterie se fait plus lourde, elle doit fracasser le bouclier inamovible, donner son essor à la fragmentation du monde tout en faisant être le non-être de cet éparpillement mutilatoire. Ce n’est pas le To  Be or Not To Bede du prince d’Elseneur mais le To(ut) Be et le Not To(ut) Be en même temps. Dernières notes en point de suspension, le temps que l’assassin se rende compte de la portée de son crime. The Protagoras : en français, (Sur les sophistes) : Protagoras (490-420) est un

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    sophiste redoutable. Son principe de base est difficilement contournable : L’homme est la mesure de toutes choses de celles qui sont et de celles qui ne sont pas. Au siècle précédent on disait bien : tout est relatif, en nos temps présents nous employons la formule : les choses n’ont que la valeur qu’on leur donne. Socrate bataille ferme, il sera obligé de se servir d’un argument avancé par Protagoras pour prouver qu’il a tort. En fait si l’on suit Protagoras, l’on ne peut pas prouver grand-chose. Tout dépend de ce que l’on pense d’une chose. Lors du précédent morceau l’oreille n’était pas insensible à cette angoisse sourde, celle qui vous assaille au moment où vous entreprenez une action difficile, elle a totalement disparu, une musique clinquante et souveraine, est-ce la force imbattable de la pensée protagorienne qui serait à l’honneur ou la victoire oratoire de Socrate, il a touché mais il n’a rien coulé, peu importe ce que vous dites, si vous dites la vérité vous n’énoncez que votre définition de la vérité qui n’est que votre propre jugement individuel qui ne vaut pas plus que celle de quiconque. The Gorgias : en français, Gorgias (Sur la Rhétorique) : Gorgias (480-380) est un grand

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    esprit, bien plus redoutable que Protagoras. Qui s’y frotte s’y pique. Platon s’en méfiait. Il se permet de démontrer que rien n’existe. Ne vous esclaffez pas bruyamment, lisez son traité du non-être. Protagoras propose un instrument de mesure : l’Homme. Gorgias n’en propose aucun, il refuse tout critère de vérité, ne serait-ce qu’une vérité relative. Personnellement je me réclame de Gorgias. Rhéteur, artisan et poëte, Gorgias est un personnage fascinant. Le ton change, Gorgias est un redoutable  beau parleur, la musique se charge d’angoisse et de profondeur, celle du néant, Socrate est aussi un beau parleur non moins redoutable, mais selon Gorgias il n’évoque que l’écume de choses inexistantes, la joute se  poursuit, elle tombe dans des évocations sonores de l’abîme du silence, ferraillements de stériles coups d’épées sans réel motif, Socrate reprend confiance, il sait maintenant qu’au rien de Gorgias c’est une certaine idée de l’unité cosmique du monde qu’il défend. D’ailleurs affirmer que tout est rien n’est-ce pas révéler une certaine unité cosmique…The Phaedrus : en français, Phèdre (Sur le

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    beau) : nous avons déjà rencontré Phèdre dans leur version du Symposium, (voir Kr’tnt 583 du 21 / 02 / 2023) en français Le Banquet, qui traitait de l’amour. Beaucoup de chercheurs proposent que Phèdre a été composé juste après  Le Banquet. Le personnage de Phèdre ne possède pas l’envergure de Parménide, ni de Protagoras, ni de Gorgias. Il a été suspecté d’avoir, en compagnie d’Alcibiade et de fils de riches familles,  démembré des statues d’Hermès et aussi de s’être livré à des parodies des Mystère d’Eleusis. Est-ce vraiment un hasard si ce dialogue ressemble à une partie de drague entre Socrate et Phèdre. Comme l’on dit dans le sud, faut avoir la tchatche pour parvenir à ses fins… Plus philosophiquement nous parlerons de la fonction érotique de la rhétorique. (Bien entendu ce Phèdre n’a rien à voir avec la Phèdre de Racine amoureuse de son beau-fils.) : discordances sonores - c’est comme dans les trilogies dramatiques souvent suivies d’une comédie - les trois premiers penseurs évoqués nous dispenseraient de tout effort intellectuel, grossièrement ils nous disent qu’il ne sert à rien de discuter des choses, de celles qui sont comme de celles qui ne sont pas, comment redonner sa valeur à un dialogue philosophique, en vantant les bienfaits de la conversation, du badinage si l’on se veut héréditaire de notre littérature du dix-huitième siècle, en laissant l’Eros, dieu redoutable s’il en est un, ses traits ne ressemblant-ils pas à la foudre de Zeus, mener la danse. Musique rieuse, parfois elle se perd en chuchotements que l’on devine intime, la batterie fait du pied durant un bon moment, la sagesse ne s’étendrait donc pas à l’intégrité de l’Individu pétri de désir et d’intellect… The Meno : en français, Menon (Sur la vertu) : : Menon est un élève de

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    Gorgias, de par ses responsabilités militaires et sa connaissance des chevaux, il est ce que l’on pourrait nommer un pragmatique. Ce qui ne l’empêche pas de se poser des questions et d’offrir des réponses, ainsi il affirme que l’excellence est l’art de commander les hommes, l’on voit (à peu près) très bien ce que c’est l’art de commander les hommes d’une façon excellente, mais qu’est-ce que l’excellence en tant que telle. Il ne s’agit pas ici de s’approcher au plus près des choses mais au plus près des mots. D’ailleurs comment peut-on connaître quelque chose si on ne connaît pas cette chose... Que cette chose soit un objet ou un concept. Socrate sort sa carte maîtresse : certes si je cherche c’est que je ne connais pas mais mon âme connaît. Elle est immortelle, elle a contemplé l’Hadès, disons l’abîme des choses de celles qui sont et de celles qui ne sont pas. La réminiscence est le chemin intellectuel qui nous permet de définir une chose parce que nous l’avons déjà vue et acquise, nous l’avons oubliée, mais il suffit de chercher. Scène célèbre d’un esclave qui ne connaît pas la géométrie mais sous le questionnement de Socrate il parvient à retrouver et à produire par déduction des règles logiques de géométrie… Nous avons ici un parfait exemple de la méthode socrato-platonicienne, il ne faut pas seulement connaître une chose mais savoir pourquoi et comment l’on parvient à connaître cette chose. Le chemin conceptuel d’une chose est supérieur à la  connaissance de la nature de la chose elle-même. Reprise de ces motifs un tantinet circonvolutifs que j’ai déjà nommés orientaux, ils ne durent pas, une avalanche sonore fond sur vous, déboule en votre tête toute la pensée humaine, encore faut-il savoir s’en servir et pour cela connaître et comprendre son fonctionnement,  dans Le Phèdre nous nous laissions enivrer par les sens et les sentiments, ici nous sommes initiés au jeu subtil de l’intelligence, un véritable broyeur de concepts illusoires, la formation intellectuelle est pratiquement militaire, il faut pulvériser l’adversaire, trouver la bonne tactique et ne jamais perdre l’écho de la marche de la Connaissance qui avance dans le labyrinthe des fausses pensées, ne jamais perdre sa trace…The theaetetus : en français, Thééthète

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    (Sur la science) : ce dialogue peut être entrevu comme un approfondissement du présent ; Théétète serait un mathématicien réputé dont on ne garde la trace que dans ce dialogue. Thééthète affirme que la Science en tant que telle correspond à la somme de toutes les sciences. Mais qu’est-ce que la Science en elle-même ? demande Socrate. En bon admirateur de Protagoras Théétète répond que la science correspond à nos sensations. La sensation nous renseigne sur les choses mais elle ne permet pas de répondre à la connaissance d’une chose. Par rapport à la sensation la connaissance est vérité. Théétète répond que la science est une opinion vraie. Oui mais comment sait-on que cette opinion est vraie. Il faut comprendre que ce qui est en jeu dans ce dialogue c’est la différence ontologique entre les sophistes qui enseignent des choses et cette nouvelle forme de sophistique que Platon nommera philosophie qui essaie non pas d’enseigner les choses mais comment l’on peut acquérir la connaissance de ces choses. La connaissance n’est pas un savoir pragmatique, elle s’appuie sur un discours vrai, entendre logique (en le sens de l’irréfutabilité des mathématiques), le logos est le discours vrai. Ce dialogue est particulièrement difficile. Il ne peut être compris que si l’on a en tête  l’ensemble du parcours de la connaissance platonicienne. Les sophistes répondront que pour comprendre Platon il faut connaître Platon, en posséder la connaissance, concèderont-ils en souriant… voire en riant aux éclats. Tsunami intellectuel, teneur roborative, nous sommes au plus profond et au plus haut du développement de la pensée humaine, sur ses pointes sommitales  et en ses fosses abyssales, au fondement de la science qui n’a rien à voir avec la définition que nous en donnons en la décrétant falsifiable, Platon évoque un savoir ne varietur, un discours vrai non pas parce qu’il dit la vérité mais parce qu’il est la vérité structurelle du monde en action. Il ne s’agit plus d’échanger des opinions de discutailler sans fin, la pensée est irréversible, en avoir pris conscience, la tonitruance de ce morceau – en certains passages il prend les apparences fascinantes et aveuglantes d’une peau de serpent qui serait la robe même du soleil – est au service de la brillance irréversible de la pensée platonicienne.  The Eutyphro : en

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    français, Eutyphron (Sur la piété) : Socrate qui vient d’apprendre qu’il est accusé d’avoir corrompu la jeunesse demande à Eutyphron - qui n’a pas hésité à porter plainte contre son propre père responsable par des circonstances indépendantes de sa volonté de la mort d’un esclave assassin - l’interroge sur la notion de piété. En quoi consiste-t-elle, à obéir aux lois des dieux promulguées par la Cité pour le culte qu’on leur doit, ou de la propre idée que l’individu peut se faire du respect que l’on doit aux Dieux. Attention, il ne s’agit pas ici d’une tentation athéique, l’idée est d’en faire plus que ce que n’exige la loi. Eutyphron un peu buté répond que la piété consiste à faire ce que les Dieux demandent, cuisiné pat Socrate il finit par répondre que la piété participe de ce qui est juste, Socrate aimerait savoir comment il définit ce qui est juste, Eutyphron qui n’aime pas couper les cheveux en quatre répond qu’il a à faire ailleurs… Le respect que l’on doit aux Dieux participe de la cohésion de la Cité, mais ce que peut faire l’individu en s’interrogeant et en interrogeant les autres sur une définition précise des mots, aide à maintenir  des relations entre les citoyens Retour aux réalités. Attention le discours vrai de Socrate ne porte-t-il pas en lui la négation des Dieux. N’est-ce pas une pensée capable de corrompre la jeunesse en lui donnant l’illusion d’être au-dessus des Dieux, des hommes, de la Cité. Nous sommes au cœur du procès de Socrate. Musique entrechoquante, vagues tempétueuses, sirènes alarmistes, Socrate tente de remettre de l’ordre, ne passe-t-il pas son temps à pousser les citoyens à bien  réfléchir afin que la Cité jouisse de la protection des Dieux. Mais  l’éclairante pensée socratique peut-elle percer l’obscurité des âmes vulgaires enténébrées  entichées de leur bonne foi… The Cratylus : en

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    français, Cratyle, (sur le langage) : un des dialogues les plus fascinants de Platon. En disciple de Protagoras, Hermogène assure que les noms des choses ne participent en rien de la nature, ils sont pures conventions, appellerez-vous votre chien Médor ou Arthur ? De même quelle différence y aurait-il si nos ancêtres avaient nommé chiens les chats et chats les chiens. Cratyle affirme que les noms ont un rapport avec la chose qu’ils nomment, mais que seuls les Dieux peuvent connaître ce rapport. Comme les choses et les hommes changent sans cesse, incapables de saisir la totalité du devenir depuis son origine ils ont perdu le lien qui unit chaque mot à la nature de la chose qu’il désigne. Socrate est d’un autre avis, n’importe qui a donné leurs noms aux choses, que ce soit les Dieux ou les hommes, ils ont avec intelligence attribué à la chose le nom que la chose appelait par sa nature. L’étymologie et la sonorité des lettres nous permettent de retrouver l’explication qui aide à comprendre pourquoi un mot se prononce ainsi et quel rapport il existe entre sa nature et sa signification. Pour mieux comprendre, lisez Les Mots Anglais de Stéphane Mallarmé. Socrate explique que les mots sont comme des images des mots, plus ou moins bien peintes. Ainsi dans nos critiques des images musicales que Thumos donne des choses dialogiques platoniciennes, nous pouvons nous demander si chaque image évoque au plus près la nature du dialogue qu’elle représente ! : Peut-être le plus beau morceau de l’opus chargé de mystère et de drame, prédominance de la basse et tutti orchestral comme brouillé, s’ouvrant sur des clairières heideggeriennes. Musique forte, tempo lent, il semble que le Cratyle pose un problème essentiel : toute parole qu’elle soit stupide ou intelligente, sensorielle ou intellectuelle est faite de mots : mais quels rapports les mots entretiennent-ils avec la nature de ce qui est, signifie-t-ils ou sont-ils sans effet comme des cataplasmes sur une jambe de bois. Socrate déblatère-t-il ou ses propos portent-ils en filigrane une espèce de message constitutif de l’ordre du monde. L’on commence à comprendre que l’ordre des dialogues choisi par Thumos repose sur une dramaturgie longuement méditée. The Sophist : en français, Le

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    Sophiste, (Sur l’Être) : Ce dialogue qui est la suite du Théétète est vraisemblablement le dialogue le plus pertinent et de ce fait le plus difficile de Platon. Dans le Cratyle Platon s’interroge sur le rapport existant entre une chose et le mot qui la désigne, ici l’interrogation porte sur le rapport qui existe entre la chose et l’idée de la chose. Platon en profite pour établir la différence entre le sophiste et le philosophe. Nous en revenons à Parménide qui nous dit que l’Être est Un et le Non-Être n’existe pas. Or le Sophiste qui parle de tout (ne pas confondre avec le Un) peut dire la vérité quand il parle de ce qui est, mais prononce des mensonges quand il parle du Non-Être qui n’existe pas. Toutefois une chose peut être en relation avec l’Être par rapport à une autre chose, mais ne pas Être en relation avec une autre chose. Toutes ces relations entre choses, Être et Non-Être sont régies par le logos. Le sophiste  peut parler de tout et de n’importe qui : il prononce des discours plus ou moins vrais plus ou moins faux. Le logos du philosophe lui permet de parler autant des choses qui ne changent pas (les Idées) que de celles qui sont soumis au changement du devenir. Le philosophe peut donc parler de l’Être et du non-Être, des choses qui sont éternelles et de celles qui ne sont pas puisqu’elles ne sont pas éternelles. En résumé le sophiste parle de la concrétude du monde et pour lui les Dieux ne sont que des formes transitives destinées à périr comme un vulgaire caillou, alors que le philosophe peut parler des choses transitives et des formes éternelles qui ne bougent pas. Vous comprenez pourquoi Platon a consacré un dialogue à la piété, qui parle de l’attitude que l’homme doit avoir envers les choses divines… Le logos est ce discours qui utilise les modalités de l’Un mais aussi les modalités de l’Autre. Un peu de repos dans ce monde de brute, une paisible clarté dans la confusion des incohérences sophistiques, la batterie enchaîne une charge frénétique, elle se doit de faire la différence avec la prétention des sophistes, amplification lyrique apparition sur l’écran du justicier sans peur ni reproche, le philosophe qui avec l’épée de son discours opère la coupure ontologique qui sépare le monde en deux, désormais vous avez l’intuition qu’il faut dédaigner les zone grises et rejoindre l’adret zénithal de la pensée.

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    The stateman : en français, Le Politique (Sur la Royauté) : Ce dialogue est la suite du Sophiste. Il est aussi beaucoup plus limpide ! Si tout le monde a son mot à dire dans le gouvernement de la Cité cela équivaut à donner le pouvoir de décision à une majorité de citoyens qui n’ont aucune connaissance politique. Platon n’était pas un démocrate convaincu…Il vaut mieux confier le pouvoir à une groupe restreint d’hommes instruits qui connaissent les techniques du politique. Notamment la rhétorique qui est l’art par excellence de capable de convaincre les citoyens et les empêche de céder à leurs emportements. Tout est question de mesure. Retour parmi les ombres, la pensée juste, bonne et belle, se doit de porter en elle une sérénité sans équivoque quant au royaume des hommes animal des plus turbulents, voici pourquoi cette musique gant de velours ne cache pas une  poigne de fer, les hommes sont incapables d’appréhender une pensé droite, livrés à leurs seules décisions il est à craindre que les plus funestes seraient prises, seule une élite clairvoyante est capable de faire régner l’ordre et la concorde parmi les citoyens… The philosopher : en français : ne

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    (Texte d'Olivier Battistini)

    cherchez pas ce dialogue, ni en langue grecque, ni en anglais, ni en français, ni en tout autre idiome. Ne vous lamentez pas non plus sur la disparition de ce texte. Il n’a vraisemblablement jamais été rédigé. Platon aurait eu le projet de former une trilogie augmentée qui aurait été formée par le Théétète, le Sophiste et le  Politique qui se serait conclu par le couronnement du Philosophe. Platon a-t-il été rattrapé par la mort avant de se lancer dans sa rédaction, ou a-t-il pensé que le lecteur était à même de définir les qualités nécessaires à acquérir le statut de philosophe. Peut-être même espérait-il en secret qu’un kr’tntreader aiguillonné par la lecture de cette livraison 698 de ces Chroniques de Pourpre se lançât dans cette aventure… Je dois avec l’honnêteté intellectuelle qui me caractérise reconnaître que cette troisième possibilité n’est guère partagée par la majorité des chercheurs qui travaillent depuis vingt-cinq siècles sur les œuvres de Platon. Une guitare comme échoïfiée. Thumos a déjà consacré tout un album à La République dans lequel Platon définit le philosophe comme celui qui est à mieux de présenter le philosophe comme le personnage destiné à diriger la Cité. Thumos vous offre une partition qui serait comme l’écho de votre rêverie sur les bienfaits de cette réalité… Même pas trois minutes, ce qui n’a pas eu lieu peut-il avoir droit de cité ? The apology : en français, Apologie de Socrate : ce dialogue donne à lire les discours

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    prononcés par Socrate lors de son procès et les conversations privées qu’il aura entretenues avec les juges qui ont voté sa mort et puis ceux qui ne l’ont pas votée. Socrate ne se renie pas, il reste lui-même rappelant même qu’il s’était senti obligé de questionner les gens puisque par l’entremise de la pythie de l’Oracle de Delphes Apollon avait décrété qu’il n’y avait pas d’homme plus intelligent que Socrate. Il ajoute qu’à force de prouver aux Athéniens qu’ils ne savaient rien il s’était fait beaucoup d’ennemis… le cœur du drame, une espèce de western intellectuel filmé par Thumos, du grandiose et de l’épique, le héros est impitoyable envers et les autres et surtout envers lui-même refusant d’être dupe de sa pensée expliquant que son destin est logique, qu’il correspond au discours vrai qu’il tenait à ses proches et à des inconnus, si vous élevez un serpent mortel dans votre tête il est dans l’ordre des choses que la première personne qu’il piquera un jour ou l’autre : ce soit vous ! Ironie de l’Histoire son venin est le seul antidote qui servira plus tard  guérir des erreurs humaines, parfois le morceau semble s’amenuiser comme s’il voulait nous avertir que l’étroit chemin suivi par Socrate était rempli d’embûches. The Phileus : en français, Philèbe (Sur les

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    plaisirs) : une vie de plaisir est une joy for ever pour parodier Keats. Le lecteur aura intuité que les jouissances physiques ne peuvent être le summum du bien pour un homme digne de son statut d’homme. Le plaisir suprême consiste à s’approcher du Bien par l’exercice de l’esprit… Le problème n’est pas de mourir mais de perdre la vie. Et tous les plaisirs qu’elle procure, jamais la musique de Thumos n’a été aussi tapageuse et effervescente même si dans la deuxième partie du morceau le tumulte s’alentit quelque peu, gagnant en contrepartie en brillance, malgré les saccades procurées par les orgies et les beuveries les plaisirs intellectuels procurent peut-être des joies plus fortes. Si c’est Platon qui le dit… The Crito : en français, Criton (Sur la justice) : Ami

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    d’enfance de Socrate Criton lui rend visite dans sa prison pour l’exhorter à s’évader. Les amis de Socrate sont prêts à fournir l’argent   afin d’acheter les complicités nécessaires à sa fuite. Socrate refuse, certes il a été condamné à mort injustement, mais ne pas obéir à une loi, même appliquée à tort, revient à saper le contrat moral qui relie tous les citoyens. S’enfuir serait une manière de nuire à la cohésion de la Cité. Une guitare confrontée à elle-même. Cheminement d’une pensée confrontée à son propre reniement. Abdiquer, se sauver ou mourir pour ses idées, dilemme métaphysique, l’orchestre est devenu plus lourd, il pèse sur votre âme, il accélère, ne vous laisse plus le temps de réfléchir tension maximale, instant crucial, le sens d’une vie… Socrate a pris sa décision, tout se calme, quelques jeux de cordes attardées, ni fanfare, ni mélodrame, comme si de rien n’était, pas la peine de s’attarder sur une chose aussi futile. The Phaedo : en français, Phédon (Sur l’âme) : Phédon qui a assisté aux derniers moments de

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    Socrate conte les circonstances éternelles pour reprendre une expression de Mallarmé par lesquelles Socrate a enseigné comment un philosophe doit savoir mourir. La mort n’est pas la mort, elle permet à l’âme de quitter la prison du corps et d’accomplir un périple qui lui permettra d’être jugée digne d’accéder à la contemplation des ides suprêmes du beau, du bon, et du juste. Socrate boit la cigüe sans trembler. Dix siècles plus tard ce texte largement inspiré par les doctrines égyptiennes et pythagoriciennes exercera une profonde influence sur le  christianisme… Instant décisif la coupe n’attend plus que Socrate, musique sombre toutefois empreinte d’une certaine sérénité. Sonorité pratiquement silencieuse, Socrate va parler, la batterie éclate et noie de soleil l’ambiance, Socrate dévoile les ultimes vérités, l’ultime révélation, ces mots ne sauraient être murmurés, ils éclosent comme graines de victoire, ils ouvrent des horizons nouveaux, maintenant si le son baisse c’est que les amis de Socrates sont perdus dans leurs pensées, pensent peut-être même davantage à eux-mêmes qu’à Platon, la prescience du chemin qu’ils parcourront un jour ou l’autre leur a été accordée, la musique reprend son envol, elle monte haut, comme l’âme délivrée de ses attaches terrestres, elle se transforme en un long cri d’exaltation infinie, un chant de triomphe,  le disque semble s’enrayer, la coupe tombe des mains de Socrate qui calmement entre en agonie…maintenant il est temps d’aller sacrifier un coq au dieu Esculape pour le remercier d’avoir guéri Socrate de la maladie de la vie. The Menescenus : en français, Ménexène (Sur l’oraison

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    funèbre) : quoi de plus naturel que de prononcer une oraison funèbre après la mort de Socrate. Il n’en est rien Platon s’en prend avant tout à Gorgias. Platon ne s’attaque pas directement à l’enseignement de Gorgias selon lequel rien n’existe, donc même pas un argument capable de réfuter la thèse du sophiste… Platon préfère se moquer du beau parleur qu’était Gorgias, son style n’est-il pas une rhétorique aussi artificielle et convenue que les discours officiels que l’on débite à la gloire des hommes qui sont morts pour leur patrie. Il est vrai que les cimetières sont remplis de gens irremplaçables ! Musique grave. Platon ne parle plus directement de Socrate. Il s’en prend à son ennemi, Gorgias, le négateur par excellence pour qui les enseignements de Socrate ne sont  que fariboles… Thumos offre un dernier catafalque à Socrate et à Platon son disciple… Tissus noirs et ombragés… Générique de fin. Digne du drame.

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             Un opus qui demande écoute et réflexion. Les premieres chroniques sur   ce chef-d’œuvre insistent sur l’agréabilité de la chose. Sans doute leurs auteurs veulent-ils signifier qu’elle n’est ni abstruse ni complexe. Sans doute veulent-ils dire qu’elle ressemble en tous points à l’écriture de Platon. Une prose exceptionnelle, d’une extraordinaire fluidité, elle vous emporte, vous ne pouvez plus vous en détacher, vous voulez savoir, vous désirez comprendre, à tout instant vous êtes sûr que le ‘’paragraphe’’ suivant vous apportera une meilleure compréhension, les dialogues se dévorent comme des romans policiers, à chaque page l’obscurité de l’énigme racontée s’assombrit d’une noirceur étincelante, néanmoins elle vous mène par le bout du nez, elle vous induit à poursuivre, vous êtes au plus près de l’intellection, vous en ressortez ébloui et quelque peu insatisfait. Le prochain dialogue vous apportera la solution… Vous êtes un fan, vous y revenez, tant de beauté et de subtilité vous séduisent, vous remplissent… Les merveilles de Platon. Trop de soleil aveugle. La rutilance stylistique de Platon vous donne l’illusion d’être intelligent. Platon est un grand philosophe, peut-être est-il encore un plus grand écrivain.

             Ne nous méprenons pas. Thumos ne surfe pas sur la magie musicale. Qui entraîne et emporte. Qui se substitue à l’effort de la pensée. L’œuvre de Platon est ardue. Celle de Thumos n’est pas à prendre à la légère. Certes elle s’inscrit encore dans une nomenclature descriptive des ombres de la caverne, mais leurs pourtours sont si clairement reproduits qu’ils permettent d’entrevoir conceptuellement l’idée des formes intangibles. Cette évocation sonologique exige lenteur et méditation. Ce Trial of Socrates demande écoute prolongée, les ramages soyeux de ses sonorités dévoilent un labyrinthe qui engage à une longue audition explorative, vous avez l’impression que la musique pense pour vous. Evidemment ce n’est qu’un leurre. Une apparence. Une invitation que Thumos vous lance : un jour ou l’autre, il convient de se mesurer au minotaure de la pensée…

             Une expérience de pensée musicienne jamais tentée…

             Un projet auditif d’une ampleur démesurée.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 695 : KR'TNT ! 695 : LOU REED / GREEN MILK FROM THE PLANET ORANGE / WILD BILLY CHILDISH / DYNAMITE SHAKERS / DAVID WERNER / DAHUZ / GENE VINCENT /

    KR’TNT !

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    LIVRAISON 695

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 06 / 2025

     

     

    LOU REED

    GREEN MILK FROM THE PLANET ORANGE

    WILD BILLY CHILDISH  

     DYNAMITE SHAKER / DAVID WERNER

     DAHUZ  / GENE VINCENT

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 695

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    Wizards & True Stars

    - Le grand méchant Lou

    (Part Three)

     

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             Un tribute à Lou Reed ? Allez on y va. Il s’appelle The Power Of The Heart, et c’est un Light In The Attic de Record Store Day, c’est-à-dire le Grand Jour des Arnaques Planétaires. Tu rapatries le tribute pour trois raisons principales. Un, le

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    «Waiting For My Man» de Keith Richards, ou la rencontre improbable du Velvet et de la Stonesy, 60 ans après l’arrivée de Brian Jones à la Factory, avec Nico à son bras. Keef en fait une cover qu’il faut bien qualifier de mythique. Impossible de la qualifier autrement. Il prend le Waiting à la languide de London town - Hey white boy/ What you do in our town - Keef ramène à sa façon tout le beat urbain de ce vieux hit qui est l’une des racines du monde moderne. Deux, Maxim Ludwig & Angel Olson tapent «I Can’t Stand It» en mode wild-as-fucking-fuck. T’as tout le ramshakle du Velvet qui rapplique. Et trois, Greg Dulli & Afghan Wigs ramènent en B le Wig power dans «I Love You Suzanne». Dulli est l’un des géants du monde moderne. T’as aussi Joan Jett & The Blackhearts qui tapent «I’m So Free» avec tout le glam Angelino dont elle est capable, et Bobby Rush fait une version Deep South de «Sally Can’t Dance». Rickie Lee Jones ratatine «Walk On The Wild Side», elle est trop New Orleans, elle se vautre. Par contre, Lucinda Williams fait une belle cover de «Legendary Hearts». 

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             T’as un autre Light paru cette année qui vaut le déplacement : Why Don’t You Smile Now: Lou Reed At Pickwick Records 1964-65. Comme t’en finis jamais avec le Lou, t’es bien content de rapatrier ce Light. Et de sacrées surprises guettent l’imprudent amateur, à commencer par le protozozo des Roughnecks et «You’re Driving Me Insane». C’est d’une rare violence ! Pré-Velvet. Le Lou a déjà ça dans la peau. C’est lui qui chante, nous dit Richie Unterberger dans ses liners. Encore de l’early Lou avec The Beachnuts et «Cycle Annie», il y a déjà la voix et la stature. Là t’as tout, y compris le tongue-in-cheek. Pareil avec The Primitives et «The Ostrich». C’est noyé dans le Totor de yeah yeah ! Le «Soul City» des Hi-Lifes est assez wild, bien sous-tendu du contrefort, assez coriace. Et tout bascule dans le Totor Sound avec Ronnie Dickerson et «Love Can Make You Cry», elle se prend pour les Ronettes ! I Elle a du répondant la coquine ! On retrouve le Lou primitif dans les Primitives et «Sneaky Pete». Tout le poids du Velvet est déjà là. On se régale encore de Terry Phillips et «Wild One», early New York City rock, le mec est pop, mais il peut se fâcher. Tout ça date de 1964. On sent nettement la modernité. Avec «Why Don’t You Smile», les All Night Workers ne sont pas très loin des Righteous Brothers. Robertha Williams est là avec «Tell Mama Not To Cry», il faut la voir gueuler, mais elle impressionne. En fait, Robertha est Ronnie Dickerson. Les Surfsiders se prennent pour les Beach Boys avec des covers de «Surfin’» et de «Little Deuce Coupe». L’esprit de Brian Wilson rôde encore dans le «Sad Lonely Orphan Boy» des Beachnuts, et avec «I’ve Got A Tiger In My Tank», ils tapent encore dans le Beach Boys Sound. The Beach Boys in New York city ! C’est pour le moins inattendu.

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             Passons aux choses sérieuses : le book. On devrait dire Ze Book. L’auteur : Will Hermes.  Le titre : Lou Reed: The King Of New York. Récent. Jaune. Pas de titre sur la couve. Rien que la bobine du Lou. Il te toise. 500 pages. T’en as pour un moment. Tu vas pas t’en plaindre. T’es là pour ça. Pour lire des livres. Et celui-là sort de l’ordinaire. De façon spectaculaire.

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             Eh oui, amigo, il arrive que le sujet d’un book dépasse l’auteur. Les Anglais ont une expression parfaite pour qualifier ce genre de personnage : larger than life. Le Lou est un personnage hors normes. LA rockstar par excellence. Dépassé par l’hors normes du Lou, Hermes Trismégiste noircit ses 500 pages en pure perte. Le Lou lui échappe comme il nous échappe, on croit le connaître parce qu’on l’écoute depuis 50 ans, mais on ne sait rien. On croit qu’on sait, mais on ne sait rien. La vanité reste bien la pire des tares. La malédiction du genre humain. Plus tu te crois intelligent et plus t’es taré. Et plus on avance vers la mort, plus on mesure l’étendue de la tare. Heureusement, ce cirque va bientôt se terminer.

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    Lou Reed and L.A. and The Eldorados

             Le Lou, c’est d’abord un caractère. Après t’as le Velvet et encore après, quelques personnages en orbite, Delmore Schwartz, Barbara Rubin, Andy Warhol, John Cale, Nico, et Danny Fields, sur lesquels on va revenir. Mais sans le caractère, pas de Velvet. Quand le p’tit Lou prend des cours de guitare, le prof veut lui monter le solfège et le p’tit Lou l’envoie aussitôt sur les roses : «No no no, teach me to play the chords for this record.» Pas la peine de discuter. Quand il joue dans une équipe de basket, le p’tit Lou balance le ballon dans la gueule du coach pour se faire virer. Il monte son premier groupe dans les early sixties, L.A. & The Eldorados, il tape des covers de Ray Charles et de Jimmy Reed, mais il y glisse ses textes et veille toujours à ce qu’il y ait le mot fuck. Très vite le p’tit Lou se dit écrivain : «I’m just going to use music.» Le rock n’est qu’un prétexte. On a cru pendant 50 ans que le Lou était un rocker, alors qu’il était écrivain. Don Fleming qui est le curateur des archives du Lou dit aussi qu’il est écrivain, et non «rock and roll singer». L’idole du p’tit Lou : Delmore Schwartz. Le p’tit Lou boit ses paroles. Schwartz défend une théorie : l’art combine l’expérience vécue et celle qu’on fabrique. Le Lou va incarner cette théorie. Quand il est convoqué pour le draft, c’est-à-dire l’armée, le p’tit Lou avale du Placidyl et menace de buter tout le monde. Et tout le temps, il revient sur une obsession : work. Il dit qu’on a rien sans travail. Andy Warhol et son work ethic lui sert de modèle. Pour arriver quelque part, dit-il, «you should work very very hard. Work is the whole story. Work is litterally everything.» Le métier d’écrivain est celui qui demande le plus de travail. 

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             La télé et le cinéma n’ont aucun effet sur le p’tit Lou. «Movies didn’t do it for me. TV didn’t do it. It was radio that did.» Le premier disque qu’il achète est le «Fat Man» de Fatsy. Puis il flashe sur Hank Ballard, the El Dorados, the Cadillacs - all these bands that were doing four chords music. Four chords, that’s all you had to know - Il épure très vite. Il flashe encore sur le «Maybe» des Chantels, chef d’œuvre de «girl-group pop», «and one of the greatest songs in rock history.» En 1957, nouveau flash avec une cover de Fatsy, «I’m Walking», par Ricky Nelson. Flash encore sur les ritals du Bronx, Dion & the Belmonts et «I Wonder Why». Puis il se paye une Gretch hollow-body electric. Et il se met à composer des chansons. Hermes Trismégiste le dit mieux encore : «And he began figuring out how songs came together.» Tu ne bats pas l’anglais à la course dès lors qu’il s’agit de causer rock. 1958 : il a 16 ans quand il se retrouve pour la première fois dans un studio d’enregistrement, avec un chanteur noir nommé Phil Harris, mais aussi Mickey Baker et King Curtis. On bossant avec des blackos, il comprend immédiatement l’une des règles d’or : «I can’t sing black. I knew that right then. I said don’t ever try.» Les grandes lignes sont là : quatre accords et la voix blanche.

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    Tom Wilson

             Hermes Trismégiste considère le Velvet «to be one of the world’s greatest rock bands, alongside the Beatles, the Stones, Funkadelic and the Grateful Dead.» C’est une façon comme une autre de jeter les dés qui jamais n’aboliront le hasard, dans cet univers de tisane où l’on pleure et l’on rit comme on peut. On connaît l’histoire du Velvet par cœur, mais on y retourne. Ça grouille d’infos, dans Ze Book. Le trio Lou/Cale/Sterling Morrison se donne rendez-vous à deux pas du Columbia Studio A de la Septième Avenue où Bob Dylan enregistre Bringing It All Back Home avec Tom Wilson. Un Tom Wilson que le trio va bientôt rencontrer. C’est Angus MacLise qui ramène un book titré The Velvet Underground et tout le monde trouve que ça ferait un joli nom pour le groupe. Le Velvet est formé, mais personne ne veut chanter. Le Lou compose, mais il n’est pas à l’aise au chant. Il dit très vite à John Cale qu’il ne le considère pas comme un compositeur. Finalement le Lou va chanter. 

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             Le premier grand fan du groupe n’est autre que le journaliste Al Aronowitz. Puis Barbara Rubin entre dans la danse. Dylan traîne dans le coin, ainsi que Robbie Robertson, le guitariste de Ze Band. Cet imbécile de Robertson s’assoit pour écouter le Velvet jouer un cut, «and then he gets up and walks out in disgust.» Voilà pourquoi on a toujours détesté ce frimeur de Robertson : à cause de The Last Waltz et à cause du dégoût que lui inspire le Velvet. L’un des drug buddies d’Aronowitz n’est autre que Brian Jones. Lui, on est content de le croiser dans les parages. C’est vrai qu’à leurs débuts, les Velvet n’y allaient pas de main morte. Rob Norris : «Avant même de comprendre ce qui se passait, everyone was hit by a screeching surge of sound, with a pounding beat louder than anything we had ever heard.» John Cale se souvient que le Velvet jouait tellement fort que les gens s’enfuyaient en courant.

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             Andy Warhol cherchait un groupe pour animer sa Factory. Il avait fait un essai avec les Fugs, mais ça n’a pas marché. Ça ne pouvait pas marcher. Puis il rencontre le Lou au Café Bizarre sur West Third Street. Le Velvet y joue six soirs par semaine. La scène est minuscule et le Velvet joue pour des touristes. Sterling indique que Moe jouait du tambourin : pas de place pour son tom bass. Entrent ensuite en lice Billy Name et Gérard Malanga, puis Nico avec son «teutonic contralto croon» bien contrebalancé par le Diddley Beat de Moe Tucker. Tu te régales à chaque fois que tu relis les détails de cette histoire, car avant d’être l’histoire du Velvet, c’est celle de la Modernité. Et t’as Nico qui allume une bougie avant chaque début de set. John Cale ajoute que chaque set du Velvet est spécial.

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             Le Velvet enregistre un premier acétate au Scepter Sound de Florence Greenberg. Le Lou ne veut pas de Nico, mais Nico chante quand même. Elle est tellement stressée qu’elle pleure entre chaque prise d’«I’ll Be Your Mirror». Puis on envoie l’acétate chez Columbia qui n’en veut pas. No way. L’Ahmet d’Atlantic aime bien certains cuts mais il bloque sur «Venus In Furs». Elektra n’en veut pas non plus. No way. Le seul label qui dit oui est MGM/Verve Records. Pouf, le Velvet signe un contrat. L’A&R qui les signe n’est autre que Tom Wilson qui vient de quitter Columbia après avoir produit l’un des albums les plus prestigieux de l’histoire du rock : Bringing It All Back Home. Il va donc en produire un autre avec le Velvet. Eh oui, Tom Wilson n’est pas n’importe qui. Il a déjà eu dans les pattes Sun Ra, Cecil Taylor, les Mothers (qui haïssent le Velvet) et Van Dyke Parks. Il a aussi fait des stars de Simon & Garfunkel en remixant «The Sound Of Silence». Le Lou a donc du pot d’être tombé sur Tom Wilson. Le Lou profite de l’occasion pour barboter les 3 000 $ de l’avance : pas un sou ni pour Andy ni pour Paul Morrissey qui font pourtant partie du Velvet biz. Le Lou estime qu’il ne leur doit rien. La Modernité, c’est lui. Andy en restera affecté. La relation Andy/Lou est brisée. Il faut être carré avec Andy dès qu’on parle de blé.

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    Yardbirds : Waiting for the man ( live)

             Quand le Velvet débarque en Californie, c’est le choc des civilisations. Mary Woronov l’explique très bien : d’un côté le Velvet sous amphètes et de l’autre les hippies sous acide, d’un côté le Velvet homo et de l’autre les hippies homophobic, d’un côté les Californiennes aux gros nibards qui ouvrent les cuisses pour baiser sans discuter, et de l’autre le Velvet qui ne baise pas et qui préfère le SM, d’un côté les Californiennes qui cuisent leur pain et de l’autre le Velvet qui ne mange pas. Et puis il y a le son : le Velvet is on fire avec du feedback. Les Yardbirds de Jimmy Page sont l’un des rares groupes impressionnés par le Velvet. Jimmy Page les trouve «intenses». Les Yardbirds vont d’ailleurs reprendre «Waiting For The Man» sur scène. Le Velvet n’en finit plus de durcir son son à coups d’«hot-shit rock’n’roll guitar breaks». Hermes Trismégiste parle de «The Gift» comme d’un «two-chord saunter with droning solos that threatens to break into Them’s 1964 single «Gloria» for ten minutes straight.» Et puis t’as le stand-out, «Sister Ray», «a nineteen-minute groove monster that hurled forward with the breathlessness of a meth rush while feedback squalls flashed like heat lightning and Reed hollered out scenes of what sounded like a party to end all parties.» La prose d’Hermes Trismégiste flashe comme un stroboscope, t’auras jamais ce niveau d’intensité en langue française. Il est bon de rappeler que le rock se chante en anglais et qu’il s’écrit en anglais.

             Quand Andy fait asseoir le Lou pour lui expliquer qu’il doit faire évoluer son groupe, et qu’il doit y réfléchir, le Lou le vire sur le champ. Pourquoi ? Parce que, dit-il, la première chose à faire pour évoluer était de le virer - That was one of the things to do if we were going to move away from that - Andy est furieux. Le Lou : «He was really mad. Called me a rat. That was the worst thing he could think of.» Le Lou est plus déterminé que jamais. Il fait monter quatre micros sur sa Gretsch Country Gentleman, utilise une Tone Bender, (Vox distorsion box) et sort sur un AC100 - he was determined to make a noise supreme - Il prend Steve Sesnick comme manager. Calimero ne peut pas schmoquer Sesnick, il le traite de snake et l’accuse d’avoir «fucked up» sa relation avec Lou.

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             Lors de l’enregistrement de «Sister Ray», l’ingé-son Gary Kellgren craque. Il ne supporte pas le «meth-surging intensity», «stroboscopic din» de Sterling Morrison : il sort du studio et leur dit de l’appeler quand ils ont fini. Hermes Trismégiste se régale avec «Sister Ray», il en fait une page entière et raconte que pour finir le cut, «after seventeen breathtaking minutes, they drive the riff over a cliff.» «Sister Ray» restera le cut préféré de Peter Perrett.  

             Puis le Lou convoque Moe et Sterling Morrison au Café Riviera pour leur annoncer que Calimero est viré du Velvet. Il confie au pauvre Sterling la mission d’aller annoncer la bonne nouvelle à Calimero. Tout ceci est parfaitement détaillé dans What’s Welsh For Zen. En seulement un an, le Velvet est passé du stade de «fulcrum of a multimedia art extravaganza with Warhol (...) to a dark-matter psychedelic juggernaut navigating the outer limits of free-form improvisation and lock-groove hypnotcs to their current incarnation: a fairly straightforward rock and jamming in hippie dance hall.» Après l’élimination de Calimero et d’Andy, le Velvet continue d’avancer et le Lou nous dit Hermes Trismégiste «was at a creative peak» : 1969 est l’année du troisième album, avec «Reed’s most enduring songs.» Un an plus tard, ce sera fini.        

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             Voilà la fin des haricots. Moe tombe enceinte et Doug Yule bat le beurre pour enregistrer «Ocean». Ils enregistrent d’ailleurs le quatrième album sans elle - She was heartbroken - Le Velvet sans Moe et son mix de Diddley Beat et de Yoruba Beat n’est plus le Velvet. Doug Yule et son frère Billy n’ont jamais su jouer comme elle. Le Lou voulait un son plus commercial, d’où le retour  aux kits conventionnels. Fin de la Modernité. Le Lou venait de signer sur Atlantic et voulait faire un album «full of hits» - It was one reason the album was titled Loaded - Le Lou a 30 ans et il n’est pas devenu riche. Sterling Morrison prend ses distances, arrête la clope et la dope. Moe est retournée avec sa fille vivre chez ses parents à Long Island. Un soir, elle va voir ce qui reste du Velvet jouer au Max’s Kansas City et trouve le Lou assis dans l’ombre. Elle passe le bras sur ses épaules et lui demande : «Louie. What’s the matter?». Et le Lou lui répond qu’il quitte le Velvet. Moe voit le concert du Velvet ce soir-là, «But it wasn’t the Velvets.»  Le dernier concert du Velvet est celui qu’on trouve sur le Live At Max’s Kansas City, «one of the worst-sounding albums ever released», mais nous dit l’immanquable Hermes Trismégiste, «the music and spirit» de cet album «made Reed’s solo debut seem weak by comparison.»

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    Moe Trucker

             Et puis viendra le temps de la reformation et Billy Name s’extasie : «They sounded so rich and authentic - the same setup with the same tones and everything.» Mais dans le NME, le Lou jure qu’il ne rejouera jamais avec Calimero. Un Calimero qui supplie le Lou de continuer l’aventure du Velvet. En vain.

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    Lou / Sterling

             C’est le Lou et Sterling Morrison qui avaient formé le velvet. Morrison avait commencé par étudier la trompette, puis il s’est mis à la guitare, influencé par Chucky Chuckah, Bo Diddley, T-Bone Walker «and especially Mickey Baker». Il ne pouvait que s’entendre avec le Lou. Quand ils commencent à jouer ensemble, ils démarrent sur une cover d’Ike & Tina Turner, «It’s Gonna Work Out Fine». L’autre grande rencontre déterminante de l’early Lou, c’est l’hero. Il démarre en 1964, alors qu’il est encore étudiant à Syracuse. Puis à la Factory, il va passer au speed, «cheap, easy to get and mostly legal». Andy prend de l’Obetrol et Reed préfère le Dexogyn, «straight methamphetamine, stronger and longer-lasting.» Le Lou dira qu’il était sous amphètes «my whole life».

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             Au temps où il composait pour Pickwick. Terry Phillips lui demandait de composer «10 Californian songs», alors il composait 10 Californian songs. Puis 10 Detroit songs. Puis du surf. Avec les Roughnecks, il enregistre «You’re Driving Me Insane». Puis c’est «The Ostrich» avec les Primitives, qui sont un peu la racine du Velvet. La période Pickwick joue un rôle considérable dans le développement du Lou : il apprend à composer et à enregistrer.  Quand Calimero entre dans la danse, il se découvre un sacré point commun avec le Lou : «The only thing we had in common were drugs and an obsession with risk taking. That was the raison d’être for the Velvet Underground.» Calimero est impressionné par la «fuck-you attitude» du Lou. Ils partagent tout : les idées, les seringues et les hépatites. Le Lou et Calimero envisagent tout simplement de développer «a sort of aggro-avant-garde take on Phil Spector’s pop Wall of Soud - into something both commercially viable and artiscally earth-shaking.» Pas de meilleure définition du Velvet. L’avant-garde, Calimero la connaît par cœur : il vient de passer 18 heures à jouer les Vexations d’Erik Satie, une compo de 80 secondes répétée 840 fois. C’est bien que Satie soit mêlé à cette histoire : on reste au cœur de la Modernité. Et encore une fois, sans Calimero, pas de Velvet ni de Modernité. Calimero est formel : «We created a kind of music that nobody else in the world was making and that nobody had ever heard before.» Quand à Ludlow Street, le Lou dit à Calimero que «The Ostrich» est facile à jouer, «because all the strings are tuned to the same note», Calimero est complètement scié, «because that’s what we were doing with La Monte Young in the Dream Syndicate. It was pretty amazing, we couldn’t beleve it.» Ils ont d’autres points communs : Calimero est fier d’être l’étudiant «le plus haineux» de son école de musique.

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             L’autre acteur clé dans cette histoire est la Factory, un grand loft au quatrième étage du 231 East Forty-seventh Street, qui devient rapidement un «magnet for collabrators, peers, groupies, fame junkies, speed freaks and other hangers-on.» Andy Warhol devient une star, «widly successful, influential, inescapable.» Hermes Trismégiste fait défiler les «Warhol’s superstars», Edie Sedgwick en premier. Ces pages donnent le tournis. En 1965, Andy teste les Fugs pour animer la Factory, mais ça ne colle pas. Par contre, ça va coller avec le Velvet. Et même plus que coller. Super-coller. Bob Dylan passe à la Factory, mais il ne peut pas schmoquer Andy, et Andy le trouve «corny», ce qui n’est pas très flatteur.

             Calimero rappelle qu’au temps de la Factory, on appelait le Lou Lulu - I was Black Jack. Nico was Nico - Danny Fields ajoute que tout le monde était amoureux du Lou, «me, Edie, Andy, everyone.»

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             Et qui dit Factory dit bien sûr Nico, qui est déjà auréolée de légende quand elle débarque à la Factory au bras de Brian Jones : elle a joué pour Fellini et a pris des cours chez Lee Strasberg. Dylan sera aussi frappé par la beauté de Nico, allant jusqu’à l’appeler Rita dans «Motorspycho Nightmare» - Looked like she stepped out of La Dolce Vita - À Londres, elle avait déjà enregistré un single pour Andrew Loog Oldham sur Immediate, «I’m Not Sayin’», accompagnée par Brian Jones et Jimmy Page. Quand elle débarque à New York, elle montre son single à Andy et l’acétate du cut que Dylan a composé pour elle. C’est là qu’Andy a l’idée de la faire entrer dans le Velvet. Le Lou accepte à contre-cœur : «I was just this poor little rock and roller and here was this goddess.» Bien sûr le Lou va tomber amoureux d’elle, même si Sterling Morrison affirme : «Lou Reed in love is a kind of abstract concept.» Jusqu’à la fameuse rupture, lorsque Nico arrive en répète et déclare devant tout le monde : «I cannot make love to jews anymore.» Humilié, dévasté, le Lou va s’envoyer une bouteille entière de Placidyl. On reverra Nico à Monterey au bras de Brian Jones, puis elle va entamer une love affair avec Jimbo, qui commence à peine à décoller avec les Doors.

             Et puis t’as l’after-Velvet. Le Lou solitaire. Il doit se re-positionner. Construire un personnage, «a street punk Everykid». C’est Richard Robinson qui va relancer la carrière du Lou et lui décrocher un contrat chez RCA. Le Lou développe un «glam-ghoul look», celui que va shooter Mick Rock pour Transformer. Il va trimballer ce look de «Phantom of Rock», de «zombie-drag harlequin of decadence» et porter du cuir noir pendant un certain temps. Il monte sur scène complètement défoncé. Il bat tous les records.

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    Lou Reed et Robert Quine

             L’un des personnages clés de la période solo du Lou n’est autre que Robert Quine, l’ex-Voidoid - a lover of Richie Valens, John Lee Hooker, Jeff Beck, the Stones, and jazz, Coltrane in particular - Quine va devenir un «Velvet fanatic» : «White Light White Heat completely changed my life.» Quine est pote avec Lester Bangs et avec Eno avec lequel il explore les restaurants asiatiques. Après la fin des Voidoids, il contacte le Lou et lui propose de l’accompagner, à une condition : que le Lou «start playing guitar again with gusto.» L’idée de Quine était de re-créer «a Velvet Underground-style attack, with himself as a post-punk Sterling Morrison.» Des quatre ans qu’ils vont jouer ensemble, Quine trouve que la première «was really great». Ils enregistrent ensemble The Blue Mask. Puis la relation va se détériorer avec Legendary Heart. Quand Quine entend le mix, il s’aperçoit que le Lou l’a fait disparaître. Terminé.

             Quand le Lou rencontre David Bowie pour la première fois, ils cliquent. Bettye Kronstad : «Lou did kinda fall in love with him.» La même nuit, ils rencontrent Iggy au Max’s, un Iggy que Danny Fields a ramené à New York et dont Calimero vient de produire le premier album, avec les Stooges. Ah comme le monde est petit.

             Dans sa période calme, le Lou épouse un trans, Rachel Humphreys.

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    Lou & Bettye

             Puis il entame une relation mouvementée avec Bettye Kronstad, avec des yeux au beurre noir, aussi bien elle que lui, car elle ne se laisse pas faire. Il la frappe, alors elle le frappe. Le Lou bricole aussi avec Moogy Klingman qui avait auparavant bossé avec le Wizard & True Star Todd Rundgren. Et quand le Lou est attiré par Berlin, c’est surtout de façon littéraire, via le Goodbye To Berlin de Christopher Isherwood, le Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin, et bien sûr le Cabaret de Bob Fosse. Puis il revoit son look et se fait un «Jean genet prisoner haircut», augmenté d’un collier de chien, de cuir clouté, et d’un ceinturon avec une boucle en bec d’aigle - His look was uncut gay leather bar. But to most straight rock fans, it simply read as post-glam hypermachismo - Et bien sûr, sa cote n’en finit plus de monter. Bowie le considère comme «the most important, definitive writer in modern rock.» Et il dit à Burroughs : «New York City is Lou Reed.» Quand le Lou enregistre Sally Can’t Dance, il laisse tomber des metal guitars d’Hunter & Wagner et va sur un son plus dansant, «the sort of music Rachel adored.» Il continue de se goinfrer d’amphètes et ne bouffe presque plus. Il ne vit alors que d’hot-dogs et de whisky. Sur scène, il parle beaucoup aux gens, et remet bien les choses au carré : «What’s wrong with cheap dirty jokes? Fuck you. I never said I was tasteful.» Pur Louism. Quand le Lou demande à Bowie de produire son prochain album, Bowie accepte à une condition : qu’il arrête la dope et la booze. Alors le Lou lui saute dessus, le gifle à deux reprises, l’attrape par le colbac et lui crie ça en pleine gueule : «Don’t you ever say that to me.» On ne fait pas la morale au Lou.

             Quand on lui demande ce qu’il pense des petits jeunes qui débarquent au CBGB, le Lou dit adorer Tom Verlaine, par contre, il déteste Brouce Springsteen : «He’s a shit.» Il trouve les Ramones fantastiques. Quand il entend une démo des Ramones pour la première fois chez Danny Fields, il s’exclame : «That’s the greatest thing I’ve ever heard.»    

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    Clive Davis, Lou Reed

             Puis Clive Davis prend le Lou sous son aile et le signe sur Arista. Davis : «It was good for the label. He was edgy, farsighted, independant and hugely influential.» Au début des années 80, le Lou est un homme neuf. Il fait gaffe à sa santé et pratique les arts martiaux. On passe complètement à autre chose. Il fréquente les réunions du Narcotic Anonymous et un jour un mec l’agresse : «Comment osez-vous vous pointer ici - you’re the reason I took heroin.» Le Lou se met à rouler en moto, il opte d’abord pour une Suzuki, puis pour une Harley V-twin Super Glide.

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             Il va ensuite fréquenter l’un des New-Yorkais les plus légendaires de son temps, Doc Pomus, que fréquentent aussi Dylan et Dr John. Mais la relation ne va pas durer longtemps, car Doc se chope un petit cancer en 1991. Le Lou va le voir à l’hosto et propose de lui ramener une télé couleur, mais Doc lui dit de ne pas se prendre la tête avec ça - Pomus was a black-and-white guy.

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    Lou & Laurie

             Le Lou vit sa dernière love affair avec Laurie Anderson. John Zorn : «It’s the love affair of a lifetime.» Le Lou essaye aussi de bosser avec Scorsese qui compte adapter au cinéma In Dreams Begin Responsabilities de Delmore Schwartz. Mais ça ne débouche pas. Scorsese propose aussi au Lou le rôle de Ponce Pilate dans The Last Temptation Of Christ, mais c’est Bowie qui récupère le rôle.

             Le Lou reconnaît qu’il a du pot d’avoir survécu à tout ce bordel de «substance abuse and the AIDS pandemic» : «I’ve put my dick in every hole avaliable.» Lucky Lou ! Pendant les dernières années de sa vie, il pratique le tai chi. Il balance ça à un journaliste : «Tai chi keeps your dick really big. Haven’t you figured that out yet?».

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             Hermes Trismégiste se penche longuement sur les héritiers du Velvet et notamment sur Peter Laughner qui était littéralement obsédé par le Lou : «Lou was my Woody Guthrie and with enough amphetamine, I would be the new Lou reed.» Mais il n’aura pas le temps. Hermes le miséricordieux cite d’autres héritiers : les Feelies, Yo La Tengo et son «feedback-loving writer-guitarist Ira Kaplan», Steve Wynn et son clin d’œil au Dream Syndicate de La Monte Young, Susanna Hoffs of the Bangles au temps de Rainy Day. Mais dans ses grandes largeurs miséricordieuses, Hermes Trismégiste omet de citer les Subsonics.

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             Les pages sur le déclin physique et la fin du Lou sont terrifiantes. Il faut les lire. Le Lou et Laurie Anderson passent une dernière nuit à papoter et à faire des exercices de respiration. Et puis à l’aube, le Lou demande à aller sur la terrasse - Take me to the light - Ce sont ses derniers mots. On a Sunday morning. Tout a une fin. Même le Lou.

    Signé : Cazengler, Lou ridé

    The Power Of The Heart. A Tribute To Lou Reed. Light In The Attic 2024

    Why Don’t You Smile Now: Lou Reed At Pickwick Records 1964-65. Light In The Attic 2024

    Will Hermes. Lou Reed: The King Of New York. Farrar, Straus & Giroux 2023

     

    L’avenir du rock

     - Green Milk cow blues

             Chaque fois que l’avenir du rock croise un squelette dans le désert, il s’agenouille pour examiner les dents. Il ne récupère que les dents en or. Comme elles sont généralement bien vissées dans la mâchoire, il a dû se fabriquer un petit marteau primitif pour les déloger. Bing ! Bing ! Bing ! En général, elles cèdent au bout de trois coups, quand la mâchoire explose. Il en a déjà pas mal dans sa poche. Ça peut toujours servir.

             — À quoi ? Se demande-t-il...

             — On verra bien, répond-il. L’essentiel est d’avancer. L’occasion fera le larron !

             Il repart d’un pas léger. Comme personne ne lui pose les questions, il se les pose. C’est l’un des luxes de la solitude conjoncturelle :

             — Ça ne te pèse pas trop sur la conscience de détrousser un cadavre ?

             Il réfléchit un court instant et répond :

             — Au contraire ! Avec sa dent en or, ce frimeur n’a eu que ce qu’il méritait !

             — Ta franchise l’honore !

             — Oui, j’en suis très fier.

             Il atteint le sommet d’une dune. Au loin, très loin, il voit quelque chose briller. Intrigué, il repart dans la direction du mystérieux objet brillant. Un jour de marche, et puis deux. Il finit par approcher de ce qui semble être une fourgonnette. Elle ressemble à ces food-trucks qu’on voit aujourd’hui un peu partout, avec un auvent levé et trois tabourets disposés devant le comptoir. Au-dessus de l’auvent est peint en grosses lettres baveuses le nom de ‘Thénardier’. L’avenir du rock approche et demande au gros commerçant :

             — Vous vendez à boire ?

             — Toutes les boissons du monde !

             — Alors servez-moi un verre de Green Milk From The Planet Orange !

             — Vous avez de quoi payer ?

             Alors d’un geste magnanime, l’avenir du rock jette sur le comptoir une poignée de dents en or. 

             — Paye-toi, misérable !

     

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             Green Milk From The Planet Orange ? Par sécurité, tu visionnes un clip vite fait sur YouTube. C’est pas que tu te méfies, mais on ne sait jamais. Le clip est filmé chez un disquaire. Tu les vois assis tous les trois sur des chaises. Le guitariste et le

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    bassiste sont assis de chaque côté du batteur et se font face. Ils mettent leur petit biz en route et tu fais la moue, car ça vire prog. Tu ne fais pas la moue longtemps, car leur prog s’énerve tout seul et soudain, tout explose, ils cultivent la montée en neige qui mène droit à l’apocalypse. Ils valent bien mille groupes garage.

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             Cette fois, c’est pas en marchant que tu descends à la cave, c’est en courant. Et tu retombes exactement sur le plan filmé chez le disquaire : les trois mêmes petits Japonais assis en comité restreint, la neige qui monte et ta mâchoire qui se décroche et qui te pend sur la poitrine comme une lanterne. Le petit batteur s’est mis en short pour jouer. Il s’appelle A. On n’avait encore jamais vu un batteur aussi fou, c’est sans doute le plus grand pétaradeur du mondo bozarro, il démultiplie les roulements à l’infini et shoote dans le cul du prog une énergie jusque-là inconnue. Les Green

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    Milk font du Can à la puissance mille. Leur prog te demande un temps d’acclimatation, mais une fois que t’es hooké, il ne te lâche plus. Si t’es sentimental, tu diras même que c’est pour la vie. Le bassiste n’en finit plus de trépigner sur sa chaise avec sa belle basse verte. Son collègue en face pique des crises de Méricourt qui font passer Damo Suzuki pour un enfant de chœur. Il s’appelle Dead K.

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             La preuve de tout ça se trouve sur Tragedy Overground, un CD d’un seul titre, le cut de 22 minutes qu’ils ont joué en dernier. Tout le set y est, intact : ça met du temps à se mettre en route, mais ça se met bien en route. Dead K te drive ça au long cours, soutenant son chant avec un tiguili avarié joliment délibéré, une gamme qui en dit long sur ses intentions hégémoniques. Et ça monte très vite en température,

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     t’as intérêt à en profiter, car t’es pas près de revoir un truc pareil, et derrière t’as le batteur fou A, un vrai diablotin on fire, il démultiplie ses rapatatata, et, suivant le principe du prog qui est de voyager, ils enquillent des niveaux jusque-là peu empruntés, ils font tout en même temps : ils créent un monde et pulsent dans les bastingages, histoire de créer une explosion infra-nucléaire, Dead K envoie une fuzz qui fond dans le Bessemer de Sister Ray, mais c’est encore autre chose, c’est beaucoup plus dynamique, t’as une sorte de frénésie bulbique, une pathologie uniquement accessible à des Japonais libres de tous leurs mouvements, et crois-le bien, c’est une aubaine que de retrouver cette propulsion infra-nucléaire sur un disk, ils t’explosent tous tes pauvres a priori, leur capacité démonique bat tous les records, Dead K part en vrille de wah et gueule dans son micro comme le mec de Guitar Wolf, yah ! Il est possédé par le diable d’Orient, c’est brillant et ça repart comme si de rien n’était. Ils battent largement Can à la course, ils cultivent une science du parcours prog, mais avec un souci constant d’énergie, ça brasille au plus haut point, ça te laisse comme deux ronds de flan et le fantastique tatapoumage t’envoie valdinguer dans l’apothéose. Tu crois qu’ils vont se calmer, mais non, ça repulse dans l’excès inverse, ils repoussent toutes les limites du genre, ils vont bien au-delà du concept de power-trio, le diablotin charge la chaudière en permanence, c’est du sans appel, Dead K hurle tout ce qu’il peut et ça bascule dans une démesure de Planète Orange. Un seul uh et la messe est dite.

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             Tu ne perdras pas ton temps à écouter le split live qu’ils ont enregistré avec Fuzzwolf, un groupe américain. Ce live s’appelle Let’s Split. Ah ils y vont de bon cœur les trois Milk, le petit diablotin te bourre bien le mou du son et ça part pour 20 minutes de prog intensif. Ils ne te laisseront aucun répit. Les Japonais sont souvent cruels. La férocité intensive est leur fonds de commerce. Ils sont capables d’allumer au plus haut point, de calmer le jeu et de revenir ensuite à la charge de la lutte finale. C’est la loi du prog à roulettes : tu passes par toutes les étapes, tu leur accordes des délais, tu attends qu’ils t’envoient au tapis, t’es là pour ça, tu tends la joue, vazy frappe, Green Milk, frappe si t’es un homme, alors ils frappent, ils sont marrants, ils ne lésinent pas sur la marchandise, surtout le diablotin, il pétarade ses roulements à une vitesse toujours plus accélérée, on se demande d’ailleurs comment il fait, serait-il un robot ? Il est trop rapide, et son collègue Dead K se met à gueuler dans son micro, on ne comprend rien à ce qu’il raconte, mais on est habitué avec les Japs, ils savent claquer le beignet d’un yaourt, c’est l’énergie qui les intéresse. Ils s’expatrient en fanfare, ils sont complètement déjantés, incapables de se rattraper, leur cirque est une merveille, tu crois entendre un groupe de rock vénusien, ça bascule dans un Tannhäuser de cyberspace et t’as évidemment la belle explosion finale battue comme pâtre par ce fou d’A.

    Singé : Cazengler, grise mine d’abonnette Orange

    Green Milk From The Planet Orange. Le Trois Pièces. Rouen (76). 2 juin 2025

    Green Milk From The Planet Orange. Let’s Split. Silver Current Records 2024

    Green Milk From The Planet Orange. Tragedy Overground. Not On Label 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Big ado Dynamite

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             Entre la dynamique et la dynamite, l’avenir du rock n’hésite pas un seul instant. Il commence par aller s’acheter un vieux costume du XIXe siècle aux Emmaüs, gris anthracite, un peu lustré, qu’il complète d’une chemise à col droit et d’une simple lavallière. Il niche dans la poche de son gilet assorti un chronomètre gousset qui lui permettra de calculer précisément la longueur des mèches. Enfin, la mousseline noire du pantalon tombe sur une paire de souliers en cuir verni et assez souples pour permettre la course en cas d’irruption inopinée des féroces inspecteurs de la Sûreté. Il envisage pendant un instant de se peindre le visage en bleu, en hommage à Pierrot Le Fou, mais il n’est pas question de finir aussi bêtement que ce pauvre Pierrot qui, après avoir allumé la mèche du chapelet de bâtons de dynamite qui lui ceinture la tête, cherche en vain à l’éteindre. Boum ! L’avenir du rock trouve ce boum trop Dada. Il préfère Ravachol. Alors là oui, ça a de l’allure ! Il s’est laissé pousser une belle moustache qu’il lustre à n’en plus finir, et comme il connaît bien ses classiques, il a transformé sa cuisine en antichambre des enfers, collectionnant des marmites anciennes récupérées chez des forgerons de villages, noircies par mille ans d’usage, et qu’il remplit jusqu’à la gueule de cloutaille, de vissaille, de mitraille, de limaille, de quincaille, de ferraille, de rocaille, de grenaille, de médailles, de rimailles, de vitrailles, de boustifaille, et schploufff et schplafff, il tasse et entasse en ricanant et en transpirant comme une brute atroce, le visage marbré d’éclats de lumière rouge, les yeux injectés de sang, il rue et il brait, et schploooufff et schplaafff, il arrose toute ça d’une crème de poudre noire, et avec un rire terrible qui s’en va ricocher sous le plafond calciné par les fumées, il plante sur son immonde gâtö des bâtons comme autant de bougies d’anniversaire, mais pas n’importe quels bâtons, amigo, des bâtons de Dynamite Shakers, pour être bien sûr que tout explose et que le capitalisme soit anéanti à tout jamais. Boum !

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             Quand tu les vois arriver sur scène, tu les trouves un peu verts. Tee-teen, oh ma tee-teen. Un concept jadis exploré par d’autres tee-teens : les Undertones, Shirley & Lee, ou encore les Collins Kids. Contexte tee-teen exacerbé par le guitariste du fond et la petite bassiste. Le guitariste du fond s’appelle Calvin, d’une rare maigreur, vêtu d’un short sexy, de collants noirs et d’un petit haut noir, il pèse tout au plus 30 kg, il gratte en jetant fréquemment la patte en l’air, il court énormément sur place et, petit détail capital, il sonne un peu comme Johnny Thunders. Sa gestuelle rappelle celle de Mick Jones qui avait déjà tout pompé sur Pete Townshend. Contrairement à ce qu’indique sa maigreur, il est extrêmement athlétique. On voit rarement des guitaristes aussi ollé-ollé, aussi dégourdis de la gambette. Dans une vie antérieure, il devait danser le French Cancan au Moulin Rouge. En combinant ce côté thunderien, la gambette folle et ce flux constant d’énergie, il menace en permanence de voler le show.

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             La petite bassiste s’appelle Lila-Rose. Elle opte pour un jeu beaucoup plus statique mais pas inintéressant. Elle vise l’efficacité, le radicalisme bassmatique. Le son suit. Derrière, t’as un excellent dynamiteur au beurre, il s’appelle François, et au milieu de tout ça, t’as une petite rock star en herbe, Elouan, qui tape des poses dignes de celles d’Eddie Cochran. Looka here ! Dommage qu’il ne gratte pas une Gretsch, l’illusion serait parfaite. Il met vite le set au carré, sait poser sa voix et partir en vrille de scorch quand il le faut. Si jeune et déjà complet ! 

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             Alors évidemment, les Dynamite Shakers concentrent tous les défauts propres aux groupes français : maladresse du mimétisme, manque de maturité compositale, absence totale d’hit. Ça fait cinquante ans qu’on a fait le tour du problème. Seuls les Cowboys, les Dum Dum et Weird Omen ont su créer un monde et échapper aux pièges du mimétisme. Scéniquement, le set des Shakers tient la route, mais tu sais que t’auras pas d’hit. Tu pourras tout au plus te contenter de secouer la tête. C’est déjà pas mal. Et puis soudain, tout bascule. Tu reconnais l’intro de «Strychnine». Ils

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     en tapent une version dé-vas-ta-trice ! Et là tu dis oui, mille fois oui, car tu vois bien qu’ils jettent toute leur énergie dans le dévolu. Les Shakers deviennent énormes, ils balayent tous les a priori. Leur cover de «Strychnine» est absolument herculéenne, une vraie bénédiction, elle passe en force, pas comme celle des Cramps, ils préfèrent dynamiter la leur, bien lui allumer la gueule, ils l’envoient carrément valser dans la stratosphère, et du coup, on oublie les compos qui ne fonctionnent pas et tous les problèmes liés à la malédiction des groupes français. Ils vont rééditer cet exploit en rappel avec une autre cover du diable, le «Feel Alright» des Stooges, qu’ils tapent en mode white light white heat d’explosion thermonucléaire, en mode aller simple vers le no way out, ils tapent d’ailleurs la magistrale version des Damned qui, t’en souvient-il, visait l’incontrôlabilité des choses. Avec deux covers, les Dynamite Shakers défoncent la rondelle des annales, et c’est à partir de là que tu les vois entrer dans la cour des grands. Vous reprendrez bien une dose de Dynamite ?

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             Alors boum ! Don’t Be Boring. Cet album sonne comme une belle collection d’énormités, dont celles qu’ils ont claquées sur scène, «Blow My Mind» et «What’s Going On». Accès direct ! Le Blow est monté sur un beau riff gaga, c’est même riffé à la vie à la mort, bien propulsé. On note au passage que Jim Diamond signe la prod de l’album. Ces cuts sont balèzes et classiques - I say hey what’s going on ! - Éclatants et solides à la fois. Par contre, quand c’est elle qui chante, ça ne fonctionne plus. L’album reprend du poil de la bête avec «Look How Fast It Goes», t’as tout le saint-frusquin, le gros beurre de soutien, le killer solo flash et la belle fin d’apocalypse. On se régale aussi d’«I Can’t Wait For You». Le riff est sain. Ils terminent avec «The Bell Behind The Door» qui est aussi leur cut de fin de set. Il est bien ramoné de la rémona. Ce Bell de fin est massif, riffé à l’oss. Ce sont les guitares qui dictent la loi. Le riff te met sur la voie du seigneur. La leçon de cette histoire ? Composer des hits n’est pas donné à tout le monde. On connaît par cœur le circuit des petites cavalcades françaises qui ne mènent nulle part. Les Shakers n’ont que des énormités, c’est déjà pas mal. Ils gardent les coups de génie pour la scène.

    Signé : Cazengler, dynamiteux

    Dynamite Shakers. Le 106. Rouen (76). 5 juin 2025

    Dynamite Shakers. Don’t Be Boring. Les Disques En Chantier 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Four)

     

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             La branche armée du mouvement révolutionnaire de Wild Billy Childish s’appelle CTMF (Copyright TerMination Front), autrement dit short for Chatham Forts. Fondé en 1974, The Medway Military Research Group donne ensuite naissance aux Chatham Forts. Cette organisation ultra-subversive va lâcher pas moins de 9 bombes en 10 ans, et causer dans le monde occidental des ravages sans précédents. Les trois principaux activistes de cette branche armée sont  Wild Billy Childish et ses deux bras droits, Wolf (le roi du beurre pète-sec) et Nurse Julie (alias JuJu Claudius, alias JuJu Hamper).

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             Leur premier méfait date de 2013 et pour mieux brouiller les pistes, il porte un nom bizarre : Die Hinterstoisser Traverse. Une sombre histoire d’alpinisme. Le mec qu’on voit sur la pochette n’est pas Billy Childish, mais Hinterstoisser, le mec mort pendant la descente d’un sommet qui s’appelle l’Eiger, dans les Alpes suisses. Toutes ces précisions proviennent bien sûr de sources bien informées. Fais gaffe si tu retournes la pochette, car on y voit un cadavre d’alpiniste qui pendouille au bout d’une corde. Wild Billy Childish n’a jamais fait dans la dentelle, ce que vient confirmer «Thatcher’s Children». On se croirait chez les Clash, tu entends même la bassline de London Calling. Puis avec «Joe Strummer’s Grave», il rend hommage à Strum en chantant comme Johnny Rotten - Richard Branson don’t shine ! - Tu l’as dit bouffi ! Et la dérilection se poursuit avec une cover gaga d’«Israelites», il rentre avec ses gros sabots dans le monde délicat de Desmond Dekker. Le résultat est ravissant. Il opère un bouclage de balda avec un fantastique shoot de gaga fantôme, «Dunkum Does As Dinkum Do», bien arrosé des coups d’harp de John Riley qui est aussi l’ingé-son de Rochester où se déroule l’enregistrement. En B, Wild Billy Childish revient à l’objet de sa fascination enfantine : les power chords des early Kinks, avec «The Kids Are All Square». Il n’existe rien de plus Childish que ça en Angleterre. Il te chante ça à pleine gueule. Même les instros sont lourds de conséquences sur cet album alpin : le morceau titre est gorgé d’heavy menace. Il tire le meilleur de l’Allemagne avec «Oh Mein Gott - Baader Meinhof», c’est-à-dire Baader, et puis Joseph Beuys. La fête se termine brutalement avec «Racist Attack» - Sittin’ at the bar/ Sippin’ at the jar - Il situe l’histoire en 1978, il fait sonner son eight en hate et fait du big fat cockney avec Johnny Rotten mister rastafari - Strutting with Johnny Rotten by my side.

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             C’est sur la pochette bizarre d’All Our Forts Are With You qu’on trouve les informations relatives à la création du Medway Military Research Group. On voit d’ailleurs nos quatre activistes en herbe sur la photo. Album bim bam boom car «On Moonlit Heath» ! Heavy chords des Who circa Shel Talmy. They got the power ! Claqué brutal d’«I Can’t Explain». Ils reviennent aux Who au bout de la B avec «All Our Forts Are With You (Reprise)», c’est whoish in the face, chœurs/basse/beurre, the Chatham Forts are with you ! Pur genius ! Wild Billy Childish et Dan Melchior sont des inclassables, des mecs qui à force de te bourrer le mou avec de bons albums finissent par t’épuiser la cervelle et le porte-monnaie. Le porte-monnaie, c’est compliqué, mais la cervelle, c’est bien. Car sinon, elle ne sert pas à grand-chose, si on te l’épuise pas, ta cervelle. Oh et puis tu aussi cette cover ex-plo-sive d’«I Just Wanna Make Love To You» en B, il y ramène tout le JuJu, tout le dark, tout l’écho du monde, c’est l’un des plus beaux hommages à Big Dix. Oh et puis cet «I Should Have Been In Art School» claqué aux heavy chords des early brutes, Wolf te tape ça à la cloche de bois, et c’est gratté à la pure disto du Kent, il appelle la guitar/guitar et ça part en dérapage contrôlé, le gaga protozozo du mighty Childish boy reste flambant neuf. Dans «The Musical Rogues», il sort son meilleur accent cokney pour dénoncer the musical rogues & the padys of the pots, the musical rogues & the handys of the hawk. Tu te débrouilles comme tu peux avec le cockney. Ce sacré Billy se valide tout seul avec «I Validate Myself», il y a au cokney de Chatham avec les chœurs magique de Nurse JuJu. Et re-bim bam boom avec le morceau titre - I know/ You/ Bâillebeee - il tartine son baby sur un riff-raff de Dave Davies, c’est gaga jusqu’à l’oss de l’ass, le bassmatic de Nurse JuJu traverse le cut sans mettre son clignotant, à la déglingue sourde, et Billy passe un solo de fin suspensif complètement délinquant. Inutile d’aller chercher ça ailleurs. Ça n’existe pas.     

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             Tu peux voir Nurse Julie sur la pochette d’Acorn Man. Et tu peux l’entendre chanter «Zero Emission» dans le balda. Le wild ride n’a aucun secret pour elle. Retour en force des coups de génie gaga dès «It’s So Hard To Be Happy». Wild Billy Childish harponne plus qu’il ne gratte, schlakkkk, aw yeah. Il fait encore ses frasques de flamboyant rocker avec «He Wore A Pagan Robe». Il reste l’ultime star de l’underground britannique. Son rock est d’une élégance définitive. Nurse Julie y va au sucre gluant dans «What Is This False Life You’re Leadin». Décadente et juvénile à la fois, et derrière, c’est raw ! Coup de génie encore en B avec «Curious Filters», tapé à l’early sixties gaga-punk de Muddy Waters, bien gorgé de fuzz du Kent. Avec «Punk Rock Enough For Me», Billy dresse son bilan, yeah yeah, au working out for me, et il cite en vrac Dostoïevski, Robert Johnson et Jimmy Reed. Puis il revient à son obsession pour Dave Davies avec «Acorn man (Slight Return)» : riff-raff de Really Got Me et solo trash. Franchement, que demande le peuple ?                 

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             Ah tu crois vraiment qu’ils vont se calmer ? Ha ha ha ha, fait SQ1, c’est-à-dire Square One. Crack-boom ! Retour direct à Dave Davies avec «By The Way Of Love & Hate», encore du Really Got Me revu et corrigé. Et Wolf est toujours exact au rendez-vous. Au bout de la B des cochons, tu vas tomber sur un magnifique clin d’œil à Bo avec «Cadillac». Tu as même les coups d’harp d’époque. Il reprend aussi un vieux groove sixties dans «A Fallen Tree» et l’arrose d’une fuzz tirée d’«I Can Only Give You Everything». Mais la bombe est à l’entrée du balda : «A Song For Kylie Minogue», et là il fait son Spencer Davis Group d’I just don’t know. Il croque la vie à pleines dents et ramène là-dedans le tiff d’orgue de «Gloria». Exactement le même climax. JuJu reste sur les accords de «Gloria» pour «Turn & Run». Tout reste ancré dans la magie des sixties et derrière elle, le Billy gratte sec. Sacrée déclaration d’intention avec «CTMF», not the first of many/ Maybe the last, et il gueule I’ll stand the time ! Cet album est littéralement hanté par les accords de «Gloria», comme le montre encore «When I Think About You».

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             La bobine du young Childish orne la pochette de Brand New Cage. Même chose : t’y vas les yeux fermés, car comme dans le cochon, tout est bon là dedans. Volent retour aux Who avec «You Destabilise Me». C’est encore «Can’t Explain». Pure explosion de crashin’ in. Nurse JuJu s’enhardit et chante pas mal de cuts sur l’album, notamment «Bullet Proof». Ah elle est vénale ! Elle chante aussi «It’s All Gone Wrong» et cet affreux Jojo de Billy y passe le pire et le plus gluant killer solo trash qui soit ici-bas. Il gratte ses vieux accords de protozozo dans «In The Devils Focus, et profite de l’occasion pour chanter comme un démon cockney. Et en B, il s’en va cavaler ventre à terre avec «Something’s Missing Inside», bien propulsé par Wolf et bien sûr, cet affreux Jojo de Billy ne rate pas l’occasion de passer le plus wild des killer solos trash. Il est à la fois incurable et LE modèle du genre

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             In The Devil’s Focus est un mini-album, mais un mini-album explosif. Il monte son «Billy B. Childish» sur le riff-raff d’«Hey Bo Diddley». Suprême auto-hommage - Billy Billy poor/ Billy Billy poor/ Billy Childish can’t teach ! - Il attaque son «You Gotta Lose» au wouaahhh yeah. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais c’est encore un modèle du genre. Il pose son heavy blues rock sur le ravissant bassmatic de JuJu. C’est classique, mais éclatant de génie impénitent. Voilà, le ton du mini-album est donné. Avec le morceau titre, il fait du classic talking jive, bien monté sur le bassmatic pouet pouet de JuJu, et derrière, Wolf fouette la peau des fesses. Quelle leçon d’humilité ! «Empty» colle bien au papier. Billy chante au bord du précipice et gratte comme toujours des poux féroces. Surprise en taille en B avec «I’ve Done Something Rotten». Il y a du psyché dans le son et Wolf y bat la chamade aigrelette. JuJu attaque «Medway Trogglamania» au heavy pouet pouet, et l’heavy Billy y va au ding dong de King Kong, pur genius d’in terms of education. Puis retour au full blow out avec «Rusty Hook». Chaque album du CTMF est une aventure terrifiante. Tu ressors de celui-là en claquant des dents et en recommandant ton âme à Dieu.

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             La cerise sur le gâtö du CTMF est Last Punk Standing And Other Hits, à la fois par le contenant et le contenu. Tu les vois tous les trois, sur la colline et tu sais que l’album va te sonner les cloches. C’est d’ailleurs ce que tu préfères dans la vie : te faire sonner les cloches. JuJu attaque de front avec «It Hurts Me Still», elle est prodigieusement juste et délicieuse, elle est gaga-dirt jusqu’au bout des ongles, elle chante comme la Femme Fatale de l’Underground Britannique. Rien qu’avec ce cut, t’es content d’avoir chopé le Last Man Standing. Mais attends, c’est pas fini. Retour à Dave Davies et aux early Kinks avec «The Darkness Was On Me», les accords craquent comme du bois sec. Mêmes dynamiques ! Et sur «I Can Recall It All», Nurse JuJu claque le bassmatic de «Jumpin’ Jack Flash» ! Pire encore : Sur «Some Unknown Reason», ils jouent l’intro de Wanna Be Your Dog. Exactement la même progression d’accords. Gloups ! Une stoogerie ! Alors si c’est pas un clin d’œil, qu’est-ce que c’est ? Ce démon de Billy chante comme les Buzzcocks de Spiral Scratch sur «You Can’t Capture Time», au cockney des bas-fonds ! Ils finissent «Like An Inexplicable Wheel» en mode mad psyché, et maintenant, place aux coups de génie, à commencer par «Gary’s Song». C’est JuJu qui emmène cette oriflamme des silver sixties en enfer, à une fabuleuse allure. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie, si on ne veut pas mourir idiot. Puis Billy te swappe sur le tard ce wild shoot de childish breakout qu’est «The Happy Place». Te voilà encore sidéré. Il ne te lâche jamais la barbichette. Mais le pire est à venir : «Last Punk Standing», gratté au vieux protozozo de Zanzibar - I’ll give you an understanding ! - Il te roule dans la farine de l’heavy riff des Them. Te voilà une fois de plus au cœur du proto-punk anglais. 

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             La pochette de Where The Wild Purple Iris Grow s’orne d’un magnifique portait de notre héros. Nœud pap, chapeau et gros cigare, le voilà qui joue les dandys. Il en a largement les moyens. Alors attention, c’est encore du condensé de crack-boom-uhue. Ne serait-ce que pour la cover du «Ballad Of Hollis Brown» de Bob Dylan. Il la prend à la wild attack dylanesque, au rumble des enfers avec des coups d’harp véracitaires, c’est stupéfiant d’énergie et de brasillement. Sinon, cet album n’est rien d’autre qu’un gros tas de coups de génie. Désolé d’avoir à le dire, mais c’est vrai. Sans doute est-ce là le meilleur album de rock paru en 2021. La preuve arrive sur le plateau d’argent du morceau titre en ouverture de balda, un shoot faramineux d’heavy psychedelia, Billy cultive l’art gaga jusqu’au délire, il en fait un bouquet d’excelsior et c’est ravagé par du booming de bassmatic demented. Tu tombes à la suite sur un «Mystery Song» qui sonne comme un obscur hit sixties frappé à l’uppercut du far out. Billy chante ça comme s’il chantait le dernier rock du monde. Son rock reste d’une vérité criante, d’une rare authenticité, et il screame son ass off. Tu tombes encore de ta chaise avec ce «She Was Wearing Tangerine» monté sur la fantastique structure percussive d’un bassmatic on tiptoe - I walked out the hopsital - Il boucle ce fumant balda avec «Come Into My Life», un horrible monter bash vitriolé par un jus de disto. Apocalyptique ! C’est vraiment tout ce qu’on peut en dire. En B, il tape une version enflammée du «Train Kept A Rollin’» et il travaille son «You Say That You Love Me» à l’ancienne mode des Downliners Sect. Sans pitié pour les canards boiteux ! Coin coin. Tu t’imagines que le vieux Billy tourne en rond ? Pas du tout. Il réinvente en permanence le garage britannique. Il finit avec «The Same Tree», une pure giclée de British Beat des origines.

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             On retrouve sa fameuse red leatherette Klira guitar sur la pochette de Failure Not Success. Il déborde un peu sur son autre side projet, The William Loveday Intention, car il rend deux hommages à Bob Dylan : «Hanging By A Tenuous Thread» et «Bob Dylan’s Got A Lot To Answer For». Il trempe dans «Like A Rolling Stone», yeah hanging by a tenuous thread, et il embarque le deuxième à la fuzz. Il rend deux autres hommages de taille. Le premier à Richard Hell avec une wild cover de «Live Comes In Spurts», et le deuxième à Jimi Hendrix avec «Fire», un «Fire» qu’il jouait sur scène au Nouveau Casino, voici 20 ans. Il tape en plein dans l’Hendrixité des choses, il prend le Fire au petit chat perché Childishy et derrière tu as les chœurs demented de Nurse JuJu, wouuuhh let me stand/ By your fire, et bien sûr, Wolf bat le beurre du diable. Te voilà encore une  fois plongé dans la mythologie des temps modernes. Il ramène encore tout le power des Chatham Forts dans «Come Into My Life» et y passe un solo atrocement traîne-savate. Cet affreux Jojo de Billy est capable de tout. Comme d’ailleurs l’affreuse Jojote de JuJu.

    Signé : Cazengler, Billy Chaudepisse

    Wild Billy Childish & CTMF. Die Hinterstoisser Traverse. Squoodge Records 2013 

    Wild Billy Childish & CTMF. All Our Forts Are With You. Damaged Goods 2013     

    Wild Billy Childish & CTMF. Acorn Man. Damaged Goods 2014                   

    Wild Billy Childish & CTMF. SQ1. Damaged Goods 2016

    Wild Billy Childish & CTMF. Brand New Cage. Damaged Goods 2017

    Wild Billy Childish & CTMF. In The Devil’s Focus. Damaged Goods 2017

    Wild Billy Childish & CTMF. Last Punk Standing And Other Hits. Damaged Goods 2019

    Wild Billy Childish & CTMF. Where The Wild Purple Iris Grow. Damaged Goods 2021

    Wild Billy Childish & CTMF. Failure Not Success. Damaged Goods 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Werner n’est pas verni

             Varnier s’était taillé une petite réputation dans l’underground franchouillard. Ce sont des réputations qui se mesurent à l’échelle d’une vie. C’était un gentil mec, un peu bavard, mais bon, il y a plus grave. Certains lui reprochaient aussi une certaine inertie. Il avait fanziné à la bonne époque et vendait quelques disques dans sa boutique à la ramasse. On ne se posait même pas la question de son honnêteté, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Dans ce milieu, rares sont ceux qui inspirent une confiance automatique. Et comme il cultivait soigneusement son érudition, on tendait l’oreille lorsqu’au détour d’un interminable monologue, il recommandait un album. Comme on ne partageait pas systématiquement les mêmes goûts, on lui achetait parfois un album pour lui faire plaisir, ce qui est bien sûr la dernière chose à faire. Disons qu’il en pinçait pour le ventre mou du rock américain, une maladie bien française. C’est le travers des disquaires généralistes. En allant chez les disquaires spécialisés, on évitait ce genre de problème. Born Bad ne vendait que des bons disques. Rock On aussi. Alors que Varnier ne posait pas de problème majeur, sa compagne en posait un. On avait rarement vu une créature aussi haineuse, aussi malveillante. Une sorte de Némésis insidieuse. Elle rentrait dans les conversations sans se présenter, et à la première occasion, elle crachait son venin avec une rare violence. Alors on se tournait vers Varnier qui ne disait rien. Il semblait même tolérer cette brutalité verbale. Elle pouvait en outre basculer dans la vulgarité, tout ça dans le cadre d’une espèce de conversation mondaine. Elle retournait le moindre argument en accusation et vitupérait comme une atroce mégère, elle devenait hideuse, et ses longs cheveux bruns se transformaient soudain en serpents qui sifflaient. Alors on prenait la fuite, épouvanté par cette effroyable créature. Le traumatisme ne s’arrêtait pas là. Elle se manifestait la nuit dans des cauchemars. 

     

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             Pendant que Varnier perdait des clients à cause de cette abjecte pouffiasse, Werner cherchait à en gagner grâce à ses tentatives d’osmose avec Ziggy. Apparemment, Brent Rademaker, l’âme des Beachwood Sparks, est le seul qui ait flashé sur David Werner. Tentons d’y voir plus clair.

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             Nous voilà en plein glam avec Whizz Kid, un RCA Victor de 1974. David Werner se prend pour Ziggy. Il y va au seem to feel hazy dans le morceau titre. Apparemment, RCA a misé gros sur lui. La rondelle du label est un gros RCA orange, comme celui de Ziggy et du Transformer. Mais franchement, qui a besoin d’un nouveau Ziggy ? Il force encore le trait sur «The Ballad Of Trixie Silver», aw c’mon ! Il a chopé tous les réflexes et Mark Doyle fait le Ronno. En B, Werner passe au Mott avec «Love Is Tragic». Il se retrouve à la croisée de Mott et de The Hoople, ces deux albums si emblématiques. Il finit par retomber en plein Ziggy avec «The Death Of Me Yet», il a même la grosse cocote glam. C’est admirablement articulé, joué au ralenti glam. Très beau numéro de Mark Doyle - And oh so sweeter/ When I never know/ Never know your regerts - Il flirte avec le génie glam.     

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             Malgré sa belle pochette, Imagination Quota est un album raté. Dommage, car David Werner est un beau mec, comme le montre l’image, au dos de la pochette. Joli chapeau, présence indéniable. Il tente encore le coup avec de faux accents de Ziggy.

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    On sent un parti pris flamboyant. «Cold Shivers» cherche à décoller, mais ça ne décolle pas, en dépit de ces indéniables accents glammy. Il travaille bien son accent, mais il n’a pas les compos. Même problème que Billy Tibbals. Il a du monde derrière lui, des chœurs, du sax, tout le bataclan RCA, mais il lui manque l’essentiel : les compos. Son «When Starlight’s Gone» est assez digne de «Rock’n’Roll Suicide», avec le guitarring dramatique de Mark Doyle. David Werner se rapproche encore de Mott avec «Aggravation Non Stop», mais ça s’arrête là.  

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             Finalement, c’est son troisième album sans titre qui rafle la mise, en dépit de cette pochette très années 80. Cet Epic de 1979 est un très bel album de glam, avec Thom Mooney au beurre, eh oui, le batteur de Nazz ! Dès «What’s Right», t’as les accords de T Rex. Et ça continue avec «What Do You Need To Love», merveilleusement gratté par Mark Doyle. En bout de balda, Thom Mooney te bat «Eye To Eye» bien sec et net. Il drive sa loco comme Jean Gabin drive la sienne, c’est bien vu, ça tape en plein dans l’œil du cyclope ! En B, ils attaquent avec le big sound d’«Hold On Tight» et la fête glam se poursuit avec «Every New Romance». C’est très anglais dans l’approche, légèrement ralenti du bulbe. On peut même parler d’un coup de génie. On retrouve Ian Hunter sur «High Class Blues» et ça devient un heavy stomp Wernerien. C’est chanté à deux voix avec des clap-hands à la Glitter et des coups d’harp. C’est tellement bien senti, bien fourbi, bien garni ! David Werner compte parmi les beaux albums de glam, même s’il est arrivé après la bataille. En 1979, le glam était mort et enterré.

    Signé : Cazengler, Wer vide

    David Werner. Whizz Kid. RCA Victor 1974    

    David Werner. Imagination Quota. RCA Victor 1975  

    David Werner. David Werner. Epic 1979

     

    *

             Je cherchai un groupe, j’en ai trouvé un. Immédiatement. Un signe. Tout droit issu de l’antique Provincia romaine. Sans le savoir j’avais déjà choisi de les chroniquer. Juste une injonction instinctive de  la couve. N’était-ce pas le visage éblouissant d’Alexandre le Grand, l’idée s’est imposée à moi, au prime regard. Il faut toujours se méfier de soi-même. Devrait plutôt s’agir d’Apollon. Quand j’ai vu les titres des morceaux, ce n’était plus du désir, c’était un de ces ordres péremptoires que les Dieux de l’ancienne Grèce adressent à leurs sectateurs. Que voulez-vous tout le monde ne peut pas adorer Cthulhu. Quoique…

    DAHUZ

    (Bandcamp / Septembre 2019)

             Un trio. D’Aix en Provence. Peu de renseignements si ce n’est cette courte phrase de présentation : ‘’en l’honneur des déités oubliées et des boucs’’. A tout hasard rappelons que le Bouc est une incarnation symbolique du Diable. Comme quoi nos provençaux s’intéressent aussi  à la face la plus sombre du Soleil Noir.

             Je ne connais point de déité qui se serait nommée Dahuz. Peut-être ont-ils rajouté un Z à la fin de l’animal mythique bien connu des méridionaux. Ces sudistes célèbres pour leurs galéjades.  Un Z c’est un peu comme le tréma de Blue Öyster Cult. Cela ajoute une note metal. Le Dahu est cette bête  qui hante les flancs montagneux. Hélas comme il a deux pattes du même côté plus courtes que celles de l’autre, il ne peut marcher qu’en suivant les circonvolutions collineuses. Il suffit de les effrayer pour qu’ils perdent leur équilibre… Dahuz veulent-ils signifier par ce Z terminal une certaine défiance par rapport à certaines croyances. Que voulez-vous tous les dieux ne s’appellent pas Ormuz.

             L’artwork est de Jo Riou qui se définit en tant que graphic designer. Un adepte des représentations sinuosidales. Son œuvre toute entière, peut être aperçue et perçue comme un immense labyrinthe mental liquide. A condition de considérer que le métal chauffé à haute température délaisse sa forme solide pour se muer en coulées de feu neptuniennes. Comme par hasard il a commis de nombreuses pochettes et affiches destinées au milieu instrumental metal. Méta-mental-metal pourrait être sa devise.

             La couve du premier opus de Dahuz répond parfaitement à cette devise. Elle entrecroise les rhizomes de plusieurs mythes, celui du roi Arthur, celui de la montagne magique – magistralement repris sous sa forme philosophale par le roman éponyme de Thomas Mann – celui des  profondeurs infernales, celui d’Héphaïstos et de Siegfried, jusqu’à la méditative fonction royale telle qu’elle est exprimée par exemple  dans Le Seigneur des anneaux… Certains diront qu’elle est un accroche-rêves, perso je la définirais au contraire comme un propulseur irradiant de l’énergie noire des rêveries… qui  ne sont que des images dévastatrices en action. Toute méditation n’est qu’une condensation extrême de la volonté. L’arc que l’on bande avant de lâcher la flèche. La nuit n’est-elle pas la plus noire à l’instant où elle réfléchit la lumière. Qu’elle engendre.

             Le logo de Dahuz est de Charlotte Ward. Que signifie-t-il ? Qu’une simple merde, un malencontreux tortillon d’étron, peut se métamorphoser en reptile monstrueux. Et réversiblement. Serait-ce un symbole alchimique liée à la pierre de feu philosophale qui se doit d’être manipulée avec précaution. Gare au Dahu, cette bête handicapée qui claudique comme Satan. Ou Lord Byron.

    Alexandre Culoma : bass / Emmanuel Cadman : guitar, vocals  / Guillaume Spinetta : drums

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    Minos : quatre gros riffs et puis s’en vont. Sur le premier tellement lourd, vous avez l’impression d’être un ver de terre enfoui sous des kilomètres de terre en train de forer la galerie qui s’écroule et s’éboule derrière vous au fur et à mesure de son avancée. Un peu comme si l’on vous avait jeté dans une profonde fosse et que l’on ait rejeté sur votre corps des myriades de pelletées d’humus humide. A moins que vous ne vous trompiez de personne et que vous soyez Pasiphaé enfermée dans son taureau de bois, votre vulve ouverte face à l’orifice par où le taureau introduira son vit turgescent par lequel il vous ensemencera. Mais peut-être, êtes-vous seulement, l’enfant taurin conçu dans votre matrice de mère, fœtus déjà vagissant, et peut-être expulsé des entrailles  des entailles, ou alors êtes-vous enfermé à jamais sous les voûtes sombres du labyrinthe dans lequel vous a enfermé Minos. N’es-tu pas la bête idéale en attente de ton sacrifice. Puisque l’atmosphère change, ô si peu, n’est-ce pas le moment d’évoquer Minos, celui dont l’épouse était la fille du Soleil, et qui refusa de sacrifier le taureau blanc, ralentissement, le temps de clore une mélopée mortuaire et un deuxième riff survient aussi lourd que le précédent mais plus rapide avant de se désagréger en petits fragments comme la pile d’assiettes de Tante Uursule que vous avez exprès laissé tomber sur le plancher ciré, silence, comme des ricochets sur le requiem de la basse, pluie de cymbales, le rythme s’alentit, le riff tressaute, c’est le cœur du Minotaure qui tape, le fil d’Ariane que Thésée lui passe autour du cou l’empêche de respirer, n’écoutant que son courage la bête colérique se rue dans la mort avec la même force que son sperme qui avait jailli dans le vagin de sa mère vagissante de plaisir. Behemoth : instrumental : sombreurs épaisses, la batterie imite la queue du monstre qui se bat les flancs, avec une telle force que résonne la cuirasse de sa peau  plus solide et épaisse qu’un bouclier de bronze.  Vous ne rêvez pas, ces espèces de beuglements assourdissants et ses rires vicieux de la guitare sont bien ceux du monstre. Le Dieu de la Bible lui-même l’a pétri de ses mains, non pas de glaise humaine trop fragile mais de roche granitée coagulée, il ne lui a point insufflé le souffle chétif des petits hommes, mais la force vitale animale, et si le rythme est devenu aussi doux qu’un murmure de printemps, c’est que le frère de Léviathan roule dans sa tête le songe infini de sa violence qui jamais ne s’achève, l’on croirait entendre un poème de Leconte de Lisle, ses pensées pesantes viennent de loin comme ces éléphants impavides qui passent et s’éloignent dans les lointains obscurs du monde.  La tension monte, le groupe joue doucement comme s’il avait peur de tirer la bête énorme de sa léthargie, il est sûr qu’elle les écraserait, sans même peut-être s’en apercevoir, terribles glissandi, les voici sur la  pente fatale des pires cauchemars, qu’ils soient enfantés par la divinité ou nous-mêmes, tous  les rêves sont mortels, maintenant le bonhomme Behemoth charge de toutes ses forces, de tout son poids, il abat et écrase tout ce qui ce qui a malheur de gésir sur son passage, il pourrait être plus méchant, plus cruel, plus stupide, mais sans doute nous tient-il pour portions concises ces négligeables intrusions, il baisse la tête et se met à brouter l’herbe fraîche. Tel un pacifique hippopotame dont l’âme composerait un épithalame. Qu’il récitera le soir où il ira engrosser la sainte vierge. Sekhmet :

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     encore une fille du Soleil, égyptien cette fois, son père lui a donné ses rayons, elle porte crinière de lion, le riff vous prend des contours orientaux, il imite la spirale agressive des serpents, les prêtres entonnent un chant monocorde pour apaiser ces fureurs, le morceau remue, la basse voltige comme une fronde, montée rectiligne vers l’âtre, vers l’astre  de feu, son père lui a fait don de sa puissance, de son ardence destructrice, les guitares sonnent la charge, la batterie tournoie comme un moyeu de feu, elle est la forme et la force malfaisante du Soleil, vous ne trouverez que protection auprès de lui que si comme elle, vous vous allongez à ses pieds comme chien de défense et d’attaque fidèle.

    Dahuz chante la puissance protectrice du Soleil. N’oubliez pas que celui qui détient le pouvoir peut tout aussi bien vous détruire. Tout symbole est réversible. Ambivalence totale.

    CINERES MUNDI

    DAHUZ

    ( 06 - 06 - 2025) 

             Donc d’abord la couve. L’Artwork est signé par : Seek Six Silks. Drôle de signature. A priori ce Cherche Six Soies me semble souscrire à une esthétique japonaise. Je me risque Stick Six Silks, bâton à six soies cadrerait encore mieux avec le geste inspiré d’un maître calligraphe. Je subodore une âme poétique. Je me rends sur son Instagram. Vous y trouvez de tout. Des choses mignonnitoles et gentilles, des petits chats, la couleur rose et des dessins rigolos. Pratique un art auquel je me suis adonné dans ma jeunesse : la sérigraphie, il utilise différents supports. L’est comme le soleil, l’a deux faces, une claire, souriante. L’autre obscure, préoccupante. L’aime les lettrages pointus comme des herses ou des grills, se préoccupe de poésie, qu’il qualifie de bon marché, mais sa mise en page de Rimbaud exige le déplacement.

    Alexandre Culoma : bass / Emmanuel Cadman : guitar, vocals  / Guillaume Chomienne : guitar, backing vocals  / Guillaume Spinetta : drums

             Cinq ans se sont écoulés depuis le premier EP. Reprennent leur thématique ensoleillée. Au travers des mythes grecs, avertissent-ils. Comme s’il en était besoin !

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    Sol invictus : n’ont pas varié. Le morceau est bicéphale. Peut-être même tri-phallique. Faut toujours que l’homme ramène   son grain de sel qu’il veut plus gros et plus long que tous les autres. Une guitare supplémentaire certes, mais aussi une esthétique moins basique et riffique. De véritables compositions. Magnifiquement orchestrées mais sans renier le primitivisme initial. La formule Sol Invictus est lié au culte de Mithra, le Dieu des légions romaines. Sang de Taureau pour ensemencer le monde, et Soleil victorieux qui depuis le solstice de juin dépérit un peu plus chaque jour mais reprend de la force  au solstice de décembre. Un culte qui remonte au néolithique. Le son s’est étoffé, idéal pour marquer la puissance plénipotentiaire de l’astre souverain. Montée progressive, jusqu’au moment où le chant, humain trop humain, se déploie, un hymne à la magnificence, toutefois vanter l’invincible immortalité du Soleil, c’est aussi pour l’homme reconnaître sa propre mortalité, la grandeur de l’un est l’aune par laquelle nous mesurons notre petitesse, sur leur FB, ils ont annoncé la parution de l’album en présentant un extrait de ce titre accompagné d’images mettant en scène l’explosion d’une bombe atomique, la créature humaine n’a pas tardé à imiter son maître, l’on comprend aisément la gravité qu’acquiert l’orchestration, qui n’en continue pas moins sa route, la caravane humaine agrémente le récit de ses actions par les sortilèges de ses mots communicatifs. Plus un mensonge est vêtu de beaux habits, plus on y croit. Phaeton : instrumental : une épopée musicale. L’histoire de Phaéton se prête bien à un poème musical. C’est le drame de l’impétuosité de la jeunesse et de la tentation de la démesure. Comme un bourdonnement d’avion, de par le vrombissement des guitares la ressemblance ne s’arrête jamais, Phaéton désire conduire le char de son père Hélios, le dieu Soleil, qui refuse jusqu’au moment, où lassé par les objurgations de l’adolescent, il cède. Le char tangue un peu mais Phaéton retient les chevaux, la montée vers le zénith se passe tant bien que mal mais parvenu à l’apogée de sa course il tire en vain de toutes ses forces sur le rênes, la descente est vertigineuse, les coursiers prennent le mors aux dents, sentent-ils l’écurie, toujours est-il qu’ils accélèrent, ils s’en donnent à cœur joie, l’ivresse de la vitesse les grise,  Phaéton ne maîtrise plus rien, tantôt le char s’éloigne de la terre et le froid glace et stérilise la terre, tantôt il est trop près du sol, les rivières s’évaporent, les moissons brûlent - voici une succession de changements climatiques bien plus rapides que l’actuel ! -  les hommes  accablés par ces calamités en appellent aux Dieux. Du haut de l’Olympe Zeus dirige un trait de foudre sur l’apprenti ambitieux.  Phaéton bascule dans le vide et tombe dans les flots de l’Eridan. L’on n’ose même pas imaginer le final grandiose qu’aurait composé Wagner pour un tel final crépusculaire.   Dahuz se contente d’arrêter la musique sans effet tonitruant. Sans doute suivent-ils la leçon du tableau de Brueghel l’Ancien (1525 – 1569) intitulé La chute d’Icare. Dans lequel l’on aperçoit d’honnêtes travailleurs vaquer à leurs vaches et à leurs moutons. Point d’Icare. Si tout en bas, sur votre droite, la jambe qui sort de l’eau c’est Icare qui termine son plongeon… La leçon est claire : il y a ceux qui travaillent et ceux qui perdent leur temps à poursuivre des rêves insensés. Une leçon pré-marxiste. Nous préférons la dédicace de Villiers de L’isle Adam aux  lecteurs de ses Contes Cruels : Aux rêveurs ! Aux railleurs ! Hyperion : la mythologie grecque est assez complexe, pourquoi au morceau précédent le Soleil se nomme-il Hélios, au suivant Apollon et dans celui-ci Hyperion. Lenteur et tristesse. Keats conte l’histoire du groupe des titanides qui présidaient aux destinées du monde avant d’être détrônés par la génération des Olympiens  regroupés autour de Zeus, Saturne a été obligé d’abdiquer, Okeanos cède la place à Poseidon, Hyperion possède encore sa place et sa puissance, mais il doit reconnaître qu’Apollon est à même de le remplacer… Keats laissera ce poème inachevé… En Allemagne le premier roman d’Hölderlin porte un titre similaire. C’est aussi un échec, celui de la libération de la Grèce de du joug turc… Il ne s’agit pas d’un roman politique mais d’un roman poétique. Les insurgés ne perdent pas parce que militairement ils sont vaincus, ils sont vaincus parce qu’ils n’ont pas su garder le rayonnement de la pensée Hyperionique de l’antique Grèce… Parfois le Soleil est comme les hommes il subit de longues éclipses. Un background somptueux, sans brusquerie, une flamme, une bougie qui brûle et s’éteint doucement. C’est ainsi que le monde crépusculaire se métamorphose en tapis de cendres. Comme si Pompéi et Herculanum n’étaient qu’une image de l’extinction de toute une civilisation. Funestes cymbales qui résonnent dans les temples désertés.

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    Apollon : un morceau difficile comment rendre compte de la beauté solaire et lumineuse du dieu de la musique. Dahuz ne s’en pas tire mal, le morceau n’est qu’un écho de quelque chose qui a lieu et qui n’a pas encore disparu, qui subsiste… au début l’on entend la voix de La Bruja, elle psalmodie comme la prêtresse subjuguée et habitée par le Dieu qui à Delphes énonçait les sentences du Destin, toujours obscur, car la lumière mentale éblouit et aveugle, n’est-ce pas une réminiscence de l’Apollon loup, Apollon Lykeios descendu des mondes hyperboréens, porteur de la sagesse instinctive, animale, sauvage et destructrice… cliquettements, du Dieu qui s’éloigne, à pas de loup, emportant avec lui la beauté fracassante des choses divines qui ne sont pas accessibles aux hommes, un effleurement de basse tout bas, pour nous habituer à son absence capable d’illuminer notre monde et d’enflammer nos esprits. Un péan immortel qui nous enveloppe dans le souvenir de ce qui n’est plus mais qui subsiste, par-dessus tout. Le plus beau morceau de l’opus. Triomphal. En dépit des dernières notes fêlées. Preuve que l’absence du dieu corrompt encore le monde. Icarus : un deuxième Phaéton qui connaîtra un même destin. Ne cherchez pas Icare ni dans sa chute ni au plus près du soleil, Icare vous ressemble à tel point que vous êtes Icare, que nous sommes tous Icare. C’est Jean Yvon qui nous le dit en citant et récitant Baudelaire, les premiers mots du poème Les plaintes d’Icare des Fleurs du mal, il a voulu coucher avec les astres, c’est un désastre, un background qui tournoie lentement, une hélice d’avion qui pique vers la terre, en contrechant Emmanuel tente le chant alterné, Tu Tityre patulae recubans… joute entre le poëte et le musicien, entre la musique et la poésie, tous deux, toutes deux tombent, de haut, l’un n’est-il pas monté alors que l’autre descendait, peut-être l’abîme s’est-il éployé au moment exact de la jonction croisementale, nous ne saurons jamais ce que chacun a entrevu, peut-être une aile qui faisait signe de monter, peut-être une aile qui faisait signe de descendre. Qu’importe où s’arrête l’ascenseur, en haut ou en bas, vous n’aurez connu que la prostitution d’avoir aspiré à un rêve ensoleillé trop grand pour vous. Finale. Beaucoup de bruit. Pour rien. Rappelons-nous Nerval : Quiconque a regardé le soleil fixement…

             Nous n’avons fait qu’effleurer cette œuvre qui mérite une grande attention.

    Damie Chad.

     

    *

             Pour cette fois-ci, faute de temps personnel, une petite escapade dans les images Gene Vincent 1960 – 1965, dès la semaine prochaine nous revenons aux fifties.

    GENE VINCENT WITH THE BEAT BOYS

    RAI – TV ITALY : ROME / 28 Mai 1960 

             Les débuts sont surprenants, serait-on dans une émission télé pour les enfants ou un programme similaire à notre vieille Piste aux Etoiles, ce défilé de sulkies attelés à de ravissants poneys blancs et noirs (pour la simple raison que la télé-couleur n’existait pas encore en Europe), mais non les trois derniers appariteurs, trompettes et applaudissements, un véritable générique de film, clament en chœur les deux mots magiques : CENE VINCENT !

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             Gene apparaît en gros plan, vêtu de cuir noir, banane frontale embroussaillée  et regard halluciné que près de vingt ans plus tard nos british punks anglais n’ont jamais su teinter d’une même  lueur de folie. Vous coule un regard vicieusement ironique, la même consistance inquiétante qu’un cran d’arrêt qui se faufile dans votre dos, tout cela sur l’intro de Blue Jean Bop : la prestation de Gene est éblouissante, il se dandine comme une marionnette suspendue à un fil, se courbe vers le micro la bouche tordue en une souriante grimace d’ogre qui s’apprête à vous dévorer, penché, courbé en deux, jeu de jambe,  jeu de vilain, micro incliné vers la guitare de Joe Moretti. En moins de trois minutes la quintessence vincenale. Sexy Ways : une reprise d’Hank Ballard, Gene la réinterprètera sur l’album I’m Back and I’m proud ( 1970), un jeu de scène assez similaire au précédent, profitons-en pour admirer les Beat Boys, pas l’ensemble de tous les musicos de l’orchestre qui accompagnait Billy Fury, ne sont présents que Vince Cooze à la basse, souvent oblitéré par Gene en frontman, Red Reece à la batterie, l’a toujours un œil sur Vince ce qui ne l’empêche pas, l’air de ne pas y toucher, de produire un bruit sourd qui est pour beaucoup dans l’ambiance froide et épurée de l’enregistrement – sont tous les deux présents sur Pistol Packin’ Mama -  et bien sûr, l’air de s’amuser comme un gamin, Joe Moretti, ne cherchez pas les soli sur Restless et Shakin All Over  de Johnny Kid, rajoutez le Brand New Cadillac, de Vince Taylor, le It’s not usual de Tom Jones et plus surprenant le Mellow Yellow de DonovanJoe Moretti aura laissé un témoignage émouvant sur la personnalité de Gene…

    IT’S TRAD DAD

    FILM-CLIP / 1962

    SPACESHIP TO MARS

             Le clip est tiré  du film It’sTrad Dad réalisé par Richard Lester qui deux années plus tard deviendra célèbre pour avoir tourné Quatre garçons dans le vent avec les Beatles. Longtemps que je ne l’ai vu et j’en garde un souvenir de profonde insipidité. Il est vrai que je n’aime pas le cinéma, et pas trop les Beatles. Je n’ai pas vu It’s Trad Dad, je n’en dirais donc pas de mal, mais le scénario extrêmement périssable me semble révéler un fort manque d’imagination.  

             J’ai évidemment entendu parler de ce chef d’œuvre périssable pour la séquence, alors introuvable et invisible de Gene Vincent habillé en cuir blanc ! Un véritable tremblement de terre idéologique à l’époque. Difficile pour un artiste  de faire mieux pour casser son image.

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             Un playback à l’économie. L’on passe Spaceship to mars le morceau enregistré  le 30 / 11 / 1961 sous la direction de Norrie Paranor, l’on colle Gene Vincent vêtu de probité candide comme dirait Victor Hugo, tout au fond de l’image légèrement penché sur son micro mais trop pour qu’il n’ait pas l’air d’un prédateur prêt à bondir sur une proie innocente, pour les Sounds Incorporated qui l’accompagnaient en studio, pas de panique, l’on dispose en premier plan un manche de guitare (parce la guitare est l’instrument par excellence, je le dis au cas où quelques lecteurs de Kr’tnt ! ne le sauraient pas) et une courbe de saxo ( parce que peut-être était-ce dans la prude et perfide Albion de l’époque la seule manière de suggérer qu’entre les rondeurs d’un saxo et celles d’un être féminin il y aurait quelques similitudes très rock’n’roll). L’excuse est toute trouvée, le morceau est enregistré avec quatre saxophonistes. Que voulez-vous pour imiter une fusée qui décolle  vers Mars fallait un sacré turbo. L’on dit que Elon Musk a décidé de coloniser la planète rouge après avoir entendu Spaceship to Mars de Gene Vincent. Chers Kr’tntreaders soyez vigilants, I make a fake !

    DOCUMENT INA

    25 / 05 / 1963

             Des images sans son de Gene signant des autographes, est-ce en France ou en Belgique. L’on ne sait. Gene enveloppé dans épais manteau, il ne doit pas faire chaud en ce mois de mai, le climat était-il déjà en train de changer… se déplace avec des béquilles. Est-ce Dany Boy qui marche à ses côtés ? Les jeunes brandissent des 33 tours de Gene, s’amassent en une fervente cohue autour de lui, l’on aperçoit son regard magnétique… Derrière lui un adolescent avec un peu le même regard, comme si tout près de Gene il touchait enfin à sa ligne d’horizon. Qu’est-il devenu ? Le temps est anthropophage...

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    GENE VINCENT AND THE SUNLIGHTS

    BRUSSELS - 10  / 1 0 / 1963

              Un véritable petit film, avec intro et extro. Une voix off, qui s’interroge, cela ressemble à un documentaire sur les pygmées  des forêts africaines ramené par un courageux explorateur. Pas d’éléphants en fond d’écran mais des images qui nous donnent à voir une tribu de drôle de zèbres. Le ton n’est pas mélodramatique mais l’on sent que le speaker se retient, on ne sait jamais à quelles incartades peuvent se livrer ces individus aux mœurs étranges. Pensez, ils vont voir un concert de rock’n’roll ! Il est évident que la jeune génération évolue d’une manière bizarre. Non, je rassure  les lecteurs, ils ne sont pas armés de chaînes de vélos, propres sur eux, polis et, vous n’allez pas me croire, pas une once d’agressivité. Peut-être font-ils semblant, ne serait-ce pas une ruse de sioux… Une dernière précaution, le speaker tient seulement à vous présenter un document. Oui c’est une calamité, que peut-on y faire… Au moins vous aurez été prévenus de l’imminente fin de notre superbe civilisation. Ne venez pas vous plaindre, agissez tant qu’il est encore temps.

             Le spectacle est extraordinaire. Trois morceaux. Gene est accompagné par les Sunligths. Un groupe peu commun. Viennent de Roubaix, débauchent un belge, ce n’est pas une blague, et vogue la galère. A l’origine le groupe se nomme I Cogoni, origines italiennes obligent ! Ne sont pas du tout axés sur le rock’n’roll, ils interprètent des chansons populaires italiennes. Ils enregistrent un 33 tours gentillet chez Az, sont envoyés au Golf Drouot pour participer au Tremplin, et par le concours des circonstances se retrouvent embauchés pour accompagner Gene Vincent. L’on aurait pu s’attendre au pire. En fait ils se donnent à fond, mettent le paquet, ce ne sont pas les Blue Caps, mais presque. Sont jeunes, z’ont la niaque. Un zeste de folie plane sur leur prestation. Pour les fans de Gene, c’était un groupe mythique, on ne les avait pas vus mais ils avaient accompagné Gene. Lorsque en 1966 leur nouveau disque passe en radio, nous sommes une floppée à avoir un arrêt cardiaque, on y voit tout rouge et tout noir, c’est une reprise de Berthe Sylva Les roses blanches… perdus corps et âmes pour le rock’n’roll, oui mais ils sont sur scène derrière Gene Vincent : Serge Cogoni à la guitare, Aldo Cogoni à la guitare, Bruno Cogoni (étrange comme dans cette famille ils s’appellent tous Cogoni) à la guitare Jean-Paul Van Houtte à la basse.

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    Gene, petit nœud pap sur chemise blanche, combinaison de cuir noir largement échancrée se lance dans un Rocky Road Blues dévastateur, un vocal punching bull en furie, tressautent tous comme s’ils étaient au dernier stade de la maladie de Parkinson, les Sunligths vous ont un son ras-de-terre, très raw, d’une efficacité malsaine, garage pour voitures asthmatiques, oui, mais ils filent comme les vélomoteurs aux 24 heures du Mans dopés à l’éther. Gene sourit, lève les yeux au ciel et remue la tête comme s’il agitait l’encensoir sur votre cercueil le jour de votre enterrement. Les Lights sont à genoux autour de lui comme s’ils étaient en train d’adorer la Madone (normal chez les Italiens c’est génétique). Gene chante pour lui, le chant jaillit de l’intérieur, il est à mille galaxies très loin, sur sa propre planète. L’on enchaîne sur Be Bop A Lula, les spectateurs s’agitent, les deux guitares tournoient, la batterie s’effondre, Gene frappe le sol avec son micro, l’est Zeus lançant la foudre, d’ailleurs les trois cordistes entremêlés  gisent à ses pieds, z’ont du mal à se relever, un grand ramdam s’étend sur tout l’univers. Gene quitte la scène en boîtant bas, les jeunes exultent, l’on retrouve Gene dans les coulisses, le visage décomposé, l’est à bout épuisé, respirant difficilement, le revoici, il jette ses cannes s’accroche au micro et tout sourire, la tête sans cesse déhanchée il se lance dans un Long Tall Sally époustouflant, debout sur une seule jambe, l’autre repliée comme un flamant rock, la blessure doit le lancer salement  dès qu’il pose le pied à terre. Jeu de jambes, la lumière du soleil tombe à terre, l’uncle John et la petite Sally montée en graine passent un mauvais quart d’heure, le final est extraordinaire, un guitariste se prend pour un gisant de la Cathédrale de Saint-Denis à moins qu’il n’essaie d’imiter  un cadavre sur la chaussée suite à un accident de voiture, ça se discute, Gene traverse la scène à cloche-pied, s’arrête pour saluer,  et se dirige vers les coulisses récupérant au passage ses béquilles. L’on assiste à trente secondes d’interview. Juste le temps d’apprendre que le festival a été réalisé en son honneur, Yes sir, répond Gene.

             Le film se coupe à cet instant. L’en existe une autre version où l’on interroge les spectateurs à la sortie de salle. Les uns comblés, et l’intello de service qui essaie d’analyser et qui relativise, espérons pour ses subordonnés qu’il ne soit pas devenu cadre dans une entreprise. Il y a des gens vous leur montrer la lune du doigt, et ils ne voient que leur trou du cul.

    LIVE IT UP

    FILM-CLIP, LATE 1963

    TEMPTATION BABY

    (Alternate Film Version)

    Song and film produit by

    JOE MEEK

             Je n’ai pas vu le film, mais les intermèdes musicaux sont peuplés de beau monde, Heinz qui était dans les Tornados - à l’époque tout le monde, toutes générations confondues, a eu droit à Telstar, ce morceau sonne avec dix ans d’avance un peu comme Kraftwer. Heinz reste un des meilleurs artisans de la première génération du rock anglais. Présent aussi Ritchie Blackmore  avec son groupe les Outlaws qui sera appelé à un avenir d’un teinté d’une pourpre profonde, un certain Steve Marriott derrière une batterie et encore un célèbre inconnu, Mitch Mitchell destiné à jouer aux côtés d’un certain Hendrix.

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             Temptation Baby a été enregistré le 14 novembre 1963. La première fois que j’ai vu ce clip j’ai pensé que Gene, encore une fois habillé tout en blanc, s’activait autour d’une locomotive. Aujourd’hui je suis incapable de donner un nom à ce véhicule un tantinet monstrueux. Sur l’engin, vous avez une jolie fille, je me demande quel misogyne a eu l’idée saugrenue de lui faire porter ce chapeau qui lui donne l’air si cloche. Serait-ce le réalisateur Lance Comfort qui devait disparaître en 1966. La vengeance du chapeau, j’en suis sûr.

    LIVE AT THE ALHAMBRA

    Paris08 / 03 /1964

    BABY BLUE

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             Vous allez être déçus. L’image est magnifique, encore plus noire que le cuir le plus noir de Gene, les spectateurs ressemblent à des fantômes revêtus d’un suaire d’une blancheur immaculée, le chant de Gene est un sortilège comment peut-il transformer cette bluette aux paroles simplistes en drame shakespearien, les Shouts se donnent à fond, le batteur un peu trop métronomique si vous cherchez un défaut, bref si ce n’est pas plus-que-parfait c’est parfait. La déception vous tombe sur le coin de la figure à la fin du morceau. Justement à cet endroit précis. Le morceau n’est pas fini. L’est coupé brusquement aux deux-tiers. Juste l’extrait qu’ils ont gardé pour les actualités télévisées. Ils avaient réalisé plusieurs autres titres, rien n’est jamais reparu.  Une perte irréparable.

    LIVE AT THE CAVERN

    LIVERPOOL

    31 MARS 1965

    WHAT’D I SAY / WHOLE LOTTA SHAKIN’ GOIN’ ON

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             Il reste encore deux apparitions de Gene Vincent, l’une qui se situe avant celle-ci et l’autre après. Mais j’ai sauté sur celle-ci. Pour une simple et bonne raison, j’y ai assisté en direct. Non je n’étais pas en Angleterre, je n’ai jamais mis les pieds sur cette île. Par contre j’étais devant mon poste de télévision. Emission Âge tendre et tête de bois, spécial rock, un bon commencement avec Eddy Mitchell et Si tu n’étais pas mon frère. Ensuite gna-gna-gna, jusqu’à ce qu’Albert Raisner annonce un direct avec la Caverne de Liverpool, avec Gene Vincent, je ne saute pas de joie, je ne le connais pas vraiment, je ne le sais pas encore mais les dix minutes qui  suivent vont influer sur le reste de ma vie, j’ai treize ans, je regarde, je suis scotché. Indubitablement c’est le plus grand chanteur de rock’n’roll du monde. Le lendemain au matin je n’y pense plus. Au collège une grande gigue s’approche de moi, l’on ne s’est vraiment jamais parlé, bonjour-bonjour, elle s’approche de moi et tout de go :’’ Tu as vu hier soir ?’’ une fraction de seconde je me demande ce que j’ai pu voir qui apparemment concerne cette fille dont je ne connais rien, je vais lui demander de quoi elle veut parler mais illico elle ajuste le détail révélateur : ‘’ Gene Vincent !’’. C’est le déclic en un quart de seconde j’ai l’électricité à tous les étages…

             C’est une vidéo que je regarde souvent. Que dire aujourd’hui, avec le recul elle m’impressionne beaucoup plus que ce fatidique soir du 31 mars 1965.

             Damie Chad.

    A suivre.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 662 : KR'TNT ! 662 : WILD BILLY CHILDISH / CAMERA OBSCURA / CISSY HOUSTON / LIMINANAS /DEON JACKSON / OUTBACK / BLACK ALEPH / AETERNAL CHAMBERS /THE COALMINER'S GRANDSON

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 662

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 10 / 2024

     

    WILD BILLY CHILDISH / CAMERA OBSCURA

    CISSY HOUSTON / LIMINANAS

    DEON JACKSON / OUTBACK

      BLACK ALEPH / AETERNAL CHAMBERS

    THE COALMINER’S GRANDSON

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 662

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

    - Le rock à Billy

    (Part Two)

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             Ah le Rock à Billy ! Les plus fidèles d’entre-nous vivent cette passion pour le Rock à Billy depuis quarante ans. Et ça va continuer tant que Wild Billy Childish tiendra debout sur ses pattes et qu’il pourra gratter sa gratte. Donc ça va, on a encore un peu de temps.

             Depuis qu’il fait du Dylanex avec The William Loveday Intention, les journalistes anglais s’amusent à le surnommer «the freewheelin’ Billy Childish». Et de préciser dans la foulée qu’il freewheele depuis quarante ans, ce qui ne le rajeunit pas. Nous non plus, d’ailleurs. Peter Watts parle aussi d’un gargantuan body of work qui mélange «R&B, blues infused punk, raucous rockabilly, art, poetry and beyond.» Maintenant Billy tape dans Dylan : «‘Knocking On Heaven’s Door’ est la chanson la plus courte que Dylan ait écrite. J’ai rajouté douze couplets.»

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            Il vit à Chatham, dans un ancien chantier naval qui bossait pour la Royal Navy. Fermé en 1984, le chantier est devenu un musée. C’est dans un ancien entrepôt que the freewheelin’ Billy Childish a installé son atelier de peintre. Son atelier est en fait une ancienne corderie. Le jour où Watts se pointe, Billy peint un swamp monumental, dans un style semi-figuratif, aux frontières de l’abstraction décorative. Il porte un béret et une combinaison de travail de couleur brune. Comme il n’a pas de temps à perdre, il peint pendant l’interview. Il fait partie de ceux qu’on appelle les hyperactifs. Non seulement ses toiles se vendent bien, mais il enregistre de plus en plus : 17 albums ces 18 derniers mois, dont ceux du William Loveday Intention, où il tape dans Dylan. Il s’en explique : «Ce n’est ni un hommage ni une parodie, je m’intéresse à l’esprit des chansons, de façon très sérieuse, et ça m’amuse de le faire si sérieusement. Pour moi, tout est comme si je rentrais de l’école et que je me mettais à jouer. Le jeu cette fois consiste à jouer à être Bob Dylan. Si tu joues à un jeu quand tu es un kid, tu le fais le plus sérieusement possible. C’est un truc que Dylan doit savoir. It’s all nonsense, but you take the joke seriously.» Il explique ensuite que l’idée de ce projet lui est venue via la version que fit Jimi Hendrix d’«All Along The Watchtower». Mais il trouve la cover hendrixienne surfaite, alors il a écouté la version originale (sur YouTube, précise Watts).

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             Pour les gens qui le connaissent bien, the freewheelin’ Billy Childish a toujours eu en lui l’élément du blues, «that Bo Diddley, Link Wray, Son House, Delta Blues thing» - He’s one of the only people who can sing that with real soul, dit Dave Tattersall, le guitariste du William Loveday Intention, qui ajoute : «Il est comme Billie Holiday, dans le sens où il joue avec les phrases et les mélodies mais en dégageant de l’émotion.» Selon Tattersall, Childish s’est approché de Dylan comme il s’était approché auparavant de Son House ou du punk rock.

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             L’autre grande qualité de Billy, c’est le refus définitif de tout compromis. Très jeune, il a fait le choix d’une vie d’artiste indépendant financée par the dole, c’est-à-dire l’allocation chômage. Non seulement il montait des groupes et enregistrait, mais il était aussi éditeur indépendant. Ce qu’il est toujours aujourd’hui - I was living day to day - Pas de famille, pas de biens matériels. Liberté totale - I am essentially a hippie. Tout ce que je fais tient plus du hippie que du punk, avec ces idées sur la pureté de l’art. Dylan a toujours réussi à faire ce qu’il voulait. But he’s one in a million - Et il finit par sortir sa grande phrase : «You have to do something with your life.»

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             C’est l’occasion ou jamais de sortir de l’étagère le petit book de V. Vale ramassé chez Smith voilà 20 ans : Real Conversations. Rollins, Biafra, Ferlinghetti, Childish. C’est là que Billy sort ses quatre vérités, à commencer par l’early punk - Well, I was a punk before I was asked to play in a group. I didn’t like seventies music. I just listened to ‘50s and ‘60s rock’n’roll. I learned how to play guitar by listening to Bo Diddley. When punk rock came along I thought, «This is for me.» - Il raconte ensuite qu’il a rencontré Bruce Brand à un gig des Damned en 1977, «at the Sundown, on Charing Cross Road.» Puis il explique que tous ces groupes avaient une ou deux bonnes chansons, ce qui suffisait. Il parle aussi du volume sonore. Pour lui, pas besoin de jouer fort pour taper dans l’œil - My feeling of punk rock is more like the blues of Robert Johnson, Leadbelly and Bo Diddley thought the rock’n’roll of early Stones and early Kinks - Il rappelle qu’il est resté un gros fan des first two Kinks albums, puis il précise que s’il est fan des Kinks, «it means I like about 5% of their output - just a few things.» Et il ajoute : «I also like Alternative TV, their first album, The Image Is Cracked is one of the greatst rock’n’roll records ever.»

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             Et là, ça commence à chauffer : «Plutôt que d’essayer de changer ma musique, j’essaye de la faire sonner comme si c’était notre premier album, chaque fois qu’on enregistre. Le fait que je ne sois pas très bon techniquement m’aide beaucoup. We don’t ‘develop’ too much or get involved in ‘musicianship’». Il dit aussi que plus un studio est sophistiqué, plus on s’éloigne de sa réalité - I’m not a career artist, I’m an amateur - La phrase est en bold, pour qu’on la voie bien - Je ne vais pas dans les studios sophistiqués et je ne me prends pas la tête avec ma carrière - ‘cuz I don’t want one! - Et il enfonce son clou - Pas question de devenir trop sérieux. You don’t want to be a professional in anything you do because professionals destroy anything - Et voilà, les chiens sont lâchés. Il dit que l’early footage des Stones et des Kinks permet de comprendre ça : they weren’t great. Mais quand ils ont commencé à s’améliorer, c’est là qu’ont commencé les problèmes - You got your Eric Claptons coming along, where people start thinking «I could never play that good.» - Il revient sur les groupes punk pour dire que Johnny Moped était l’un de ses préférés - Johnny Moped was totally, absolutely, naturally strange - Il dit aussi que les Clash n’ont rien fait de très intéressant après leur premier album.

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    ( Kurt Schwitters )

             Il rend aussi hommage à Dada et à Kurt Schwitters - He never took himself seriously - that’s punk rock - And he was a bloody businessman who ran his own printing shop, invented his own art, invented everything himself. He was my hero when I was about 16. That probably says a lot - C’est la clé du Billy. Il va peindre, gratter, coller, sculpter, et même ouvrir un compte en banque au nom de Schwitters pour les Milkshakes. Il rappelle qu’on a toujours le choix dans la vie, par exemple le choix de devenir peintre ou guitariste  - There is always a choice. Always. The only time there isn’t is when you don’t believe there is. Imparable.

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             Dans Uncut, Watts évoque aussi les épisodes ridicules des congratulations, tous ces gens qui saluaient Childish, espérant de la gratitude en retour. Mais c’est mal connaître Wild Billy Childish. La meilleure illustration est le falling out avec Jack White. Mais revenons aux choses sérieuses : Billy tient à ce que les choses soient claires, il n’est pas réellement fan de Dylan : «Je sais pourquoi les gens tiennent Dylan en si haute estime, mais les choses que les gens n’aiment pas chez lui  sont celles qui font sa grandeur et inversement. C’est un chanteur brillant, sa diction est parfaite. Il est extrêmement éloquent et ses interviews faites pendant les sixties sont marrantes. On ne peut que l’admirer. Mais je déteste le côté messianique ou cette façon qu’ont les gens de chercher les messages cachés. Rien ne cloche chez toutes ces rock stars, ce sont les fans qui détruisent tout. Bob est assez fin pour savoir qu’il ne sera pas redéfini par des gens qui ne savent même pas qui il est. Il a essayé de se protéger, parce qu’il n’est pas aussi stupide qu’on le croyait, et il est l’un des rares à avoir su le faire. Les gens ne l’admirent pas pour ça, mais ils le devraient.»

             Alors attention, 12 albums en trois ans, uniquement sur ce projet. Sale temps pour ton porte-monnaie. En plus, si tu ne les chopes pas à la sortie, les prix flambent et après t’es baisé. Ça spécule sec sur le dos de Billy. Mais c’est pas tout. En parallèle, il mène d’autres projets, Wild Billy Childish & The Singing Loins, ou encore Wild Billy Childish & CTMF. On y reviendra, car tous ces albums sont passionnants.

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             Il démarre The William Loveday Intention en 2020 avec People Think They Know Me But They Don’t Know Me. Trois raisons d’écouter cette merveille : «Again & Again», le morceau titre à rallonges, et «Desert’s Flame». L’Again est du heavy Dylanex, hallucinant de power. Le vieux Billy pèse de tout son poids dans la balance. Il tape une extraordinaire confession de foi avec le morceau titre, et puis le Desert va plus sur le western. Il peut recréer la magie déclamatoire de Dylan. On le retrouve à la frontière dans «Sonora’s Death Pow». Il se prend pour le Dylan de Pat Garrett & Billy The Kid, il fait son petit western de pacotille. Il attaque «I’m Hurting» à la dramaturgie des Meteors - My daddy was a vampire - Celui de Bob dans la chanson n’est pas un vampire, mais un drunk. C’est Juju qui chante «You’re The One I Idolize». Elle est superbe de petit sucre de Rochester. Et avec «My Father Was A Railroad Man», le vieux Billy pompe goulûment le «Black Girl» de LeadBelly. 

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             Et pouf, sort en même temps Will There Ever Be A Day That You’re Hung Like A Thief. L’un des meilleurs albums de l’an de grâce 2020. Pur genius dès «100 Yards Of Crash Barrier», et même une certaine violence, ça claironne dans le tonnerre dylanesque. Une fabuleuse attaque en règle. Plus Billy vieillit et plus il a du power. C’est l’un des plus beaux tributes à Bob Dylan qui se puisse écouter ici bas. Le gros son est encore de sortie avec «A La Mort Subite». Le vieux Billy y va à l’anthem. Ça sonne comme «Like A Rolling Stone». Il ramène tout l’éclat et toute la pompe du Dylan 65. C’est puissant, documenté, noyé d’orgue et de coups d’harp. Il nous refait même le coup du poème fleuve. Il reste au somment du lard avec «Celebrating Weakness». Cette évidence mirobolante te crève les yeux. Il fait tellement illusion qu’on croit entendre Dylan. Tout est totémique sur cet album, il relance en permanence sa Méricourt. Il repart en mode hard Dylanex avec «If They’ve Got What They Want They’ve Got You». C’est l’expression d’un die-hard fan - No matter what you do/ They got you - Encore plus explosif, voici «I’ll Tell You Who I’m Not So You’ll Know Who I Am». Il se jette tout entier dans la balance du mythe. Et ça continue de cavaler vers l’horizon jusqu’à la fin, avec cet extraordinaire «Chatham Town Welcomes Desperate Men». Billy accueille le génie dylanesque à bras ouverts.

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             L’année suivante, William Loveday pond deux autres Intentions, cot cot ! Une vraie poule aux œufs d’or : Blud Under The Bridge et The Bearded Lady Also Sells The Candy Floss. Alors attention, on rigole, comme ça, mais ce sont tous des albums extraordinairement denses. Sur Blud Under The Bridge, il récupère son vieux pote Jamie Taylor à l’orgue Hammond, et puis on le voit pincer son chant pour élancer ses fins de couplets dans «Exubarant Me». Il est spectaculaire de véracité dylanesque - Cause I celebrate the exuberant me - Franchement, cette qualité d’approche dylanesque te sidère. Avec «God’s Reason Why», il s’attaque à «Like A Rolling Stone». Qui dira l’incroyable qualité de ce mimétisme ? Il entre en osmose totale avec le génie déclamatoire de Bob Dylan. Jamie Taylor embarque «It Happened Before (Will It Happen Again)» à l’Hammond vainqueur. Billy reste au cœur du Dylan 65 et c’est brillant. Il va bien chercher l’apothéose, il pousse son chant jusqu’au sommet du lard. Le festival se poursuit en B avec «A Simple Twist Of Fate», plus romantique, avec des coups d’harp magiques. L’harper s’appelle John Riley, on le retrouve sur tous les albums de l’Intention. C’est aussi lui qui co-produit et qui enregistre. Avec «White Whale Of Fate», Billy entre avec ses gros sabots dans le Dylanex le plus collet monté à coups d’If you sing the blues/ You gotta be true. Cet incroyable exercice de mimétisme s’achève avec le morceau titre. En tant que Wizard & True Star, Wild Billy Childish fabrique des classiques du rock dans le moule dylanesque.

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             The Bearded Lady Also Sells The Candy Floss est encore pire que le précédent. Dès «To Sing The Blues You Gotta Be Blue», il renoue avec l’esprit cathartique du punk-blues d’«Highway 61 Revisited» sur l’album du même nom, il y va au fabuleux ramshakle, il tape en plein dans le mille du burnin’ spirit de «Just Like Tom Thum’s Blues», c’est le pur dylanex genius arrosé à coups d’harp. Tu débarques une fois de plus dans un very big album. Avec «When The Eagle Became A Hen», il s’enfonce dans le cœur du Dylanex à coups d’orgue Hammond, il pousse le rengainisme exactement comme Dylan, il a tous les atours du pourtour, il retrouve le secret des élans dylanesques et lance ses syllabes à l’assaut du ciel. Il cultive cette magie à outrance et ça rayonne. Nouveau coup de génie Dylanesque avec «Hanging By A Teneus Thread», il y retrouve le vieux compromise de Bob, il enfonce son clou dans la paume du teneus thread, c’est pur et saturé d’harp magique et le voilà qui screame ses fins de theneus threeeeead. Il te scie à la base ! Il tape encore un poème fleuve avec le morceau titre, et tu espères secrètement qu’il va se calmer ou se trouver épuisé en B. Pas du tout. Il repart en mode heavy Dylanex dès «What Kind Of Friend Were You», il pousse un wouaaahhh de werewolf dans son refrain, c’est puissant, bien balancé, du pur Childish, et avec «Eh Sister», il emprunte une trame mélodique à son copain Bob. C’est encore du pur jus. Il reste dans le full blown dylanesque avec «A Dull Blade», bien porté par des nappes d’orgue Hammond, elles embarquent le rock à Billy au sommet du lard séculaire, c’est encore plus brillant et plein d’esprit qu’avant, il faut le voir pousser ses syllabes. Il termine cet album effarant avec «A Rusty Stain», plus heavy, plus gaga, noyé de coups d’harp de John Riley, très haut niveau de Childish brawl - Come down to my pillow/ My darling/ And kiss this rusty stain.

             L’année la plus fastueuse est 2022 : la poule devient folle, Cowboys Are SQ, cot cot, The Baptiser, cot cot, Paralyzed By The Mountains, cot cot et Blud In My Eyes For You, cot cot.

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             Le voilà déguisé en cowboy sur la pochette de Cowboys Are SQ. On peut voir à ses pieds se fameuse Cadillac Guitar rouge fabriquée spécialement pour lui en 1999. Et au dos, tu as Nurse Juju déguisée en Indienne. Au risque de paraître redondant, on dira que cet album grouille de coups de génie. Bon exemple avec «Girl From 62». heavy Billy ! Écœurant de génie présentiel. Il chante sa girl à l’accent traînant de Gaga King. Wild Billy Childish est le roi indétrônable du British garage. On en profite pour écouter son morceau titre qui fait l’ouverture du balda : heavy country de fake americana. Il chante comme un dieu, un violon l’emporte et il pose son yeah comme une cerise sur le gâtö. Retour au wild Dylanex avec «It Ain’t Mine», mais il reste à la lisière du gaga sauvage et ténébreux. Il boucle son balda avec «Cave (Blues)», un blues primitif. Il sait tout faire. Il excelle dans tous les domaines. Attention, en B, il tape une cover de «Like A Rolling Stone». Il y va au didn’t you et c’est impérial. Il reprend le souffle de Dylan au vol et lui redonne des ailes. Comment est-ce possible ? La réponse est dans la question. Mais aussi sur l’album. Il suffit juste de l’écouter. Encore un coup de génie avec «Too Many Things That Mean Too Much To Me (Blues)» : heavy boogie blues dylanesque typique ce deux qu’on trouve sur Bringing It All back Home. Superbe mastering de la matière, avec les coups d’harp fantômes et les coups de slide à la Bloomy. Tu crois rêver, alors tu es bien obligé de te pincer.

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             Pour la pochette de The Baptiser, Wild Billy Childish ressort une belle guitare demi-caisse et un beau chapeau. Normalement, avec cet album, tu devrais te rouler par terre. Ce démon de Billy n’arrête pas de battre tous les records du sonic genius cubitus. Il attaque «A Library To You & The Self» au heavy rumble de deep american framed death et aux coups d’harp fantômes, c’est tellement bon qu’on crie au loup, tu as toutes les mamelles du destin : le rebondi, l’harp et l’ace of spades up the sleeve. Avec «A Painted Pantonime», il reprend son bâton de pèlerin avec les élans déclamatoires que l’on sait, et les coups d’harp te donnent des frissons. Il étend l’art dylanesque jusqu’au délire. Il passe le col et te fait découvrir une nouvelle vallée qui serait l’art de chanter Dylan à la Childish. Extraordinaire ! Il enchaîne avec le Mr. Smith de «Mister Smith», you’re talking to me now Mr. Smith, il s’agit bien sûr du Mr. Jones de «Ballad Of A Thin Man». Et la vérité éclate encore en B avec «I’m Good Enough» - I’ve been crushed/ To the ground - Il attaque ça en mode heavy gaga, il brasse large - Waouuuh ! I’m good enough - Tu te prosternes devant ce mec-là. Il retombe dans le pur jus dylanesque avec «A Framed T-Shirt Remnant», porté par des vague d’orgue Hammond, alors c’est en plein dans le mille, suivi d’un autre coup de génie virulent, «Poems of Anxiety & Uncertainty (Blues)» qu’il prend au trash-punk blues d’«Highway 61 Revisited». Wild as fucking wild !

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             Joli portrait alpin pour notre baroudeur préféré sur la pochette de Paralyzed By The Mountains. Bon, l’album est un tout petit peu plus faible que les précédents, mais ce n’est pas une raison pour ne pas l’écouter. Il rend deux fantastiques hommages à Bob avec le morceau titre, en ouverture de balda, et «The Day I Beat My Father Up» en B. Le Paralyzed sonne comme un heavy dylanex sabré à coups d’harp, for a hundred thousand views. Superbe et seigneurial. «The Day I Beat My Father Up» est aussi puisant. Il passe au heavy blues avec «Too Many Things That Mean Too Much To Me (Blues)» et le monte en neige dylanesque. S’ensuit une petite merveille : une cover du «You Gotta Move» de Mississippi Fred McDowell - You may be high/ You may be low/ You may be rich/ You may be poor/ Oh when the Lawd gets ready/ You gotta me - Les Stones peuvent aller se rhabiller.

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             Blud In My Eyes For You, un Hangman de 2022, est moins dylanesque que les autres Intentions. Il se disperse un peu, va sur le blues primitif («I’m The Devil»), l’Americana («Come Into My Kitchen»), ou encore le rétro d’Americana («God Don’t Like It»). On sent le vieux pépère aux prises avec sa moustache. Tout est monté sur la même mouture. Pour une fois, on s’ennuie un peu. Dans «The Walls Of Red Wing», il fait du Pogues avec des coups d’harp dylanesques, et il sauve sa B avec un coup de Jimmy Reed, «Baby What You Want Me To Do», yeah, yeah, yeah. Il termine en mode gospel avec «Since I Lay My Burden Down», il y va de bon cœur au glory glory hallelujah, ah il aime ça le Billy - I’m gonna shake with the angels/ Since I lay my burden down.

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             En en 2023, il change de crémerie pour sortir Secret Intention sur Spinout Nuggets. Et là, on perd tout le Dylanex. Le morceau titre est une resucée de «You Gotta Move». Il ne s’embête pas, le vieux Billy. C’est un album d’heavy blues qu’il chante à l’édentée, et grassement violonné par un démon nommé Richard Moore. Billy boucle son balda avec «Two Trains», un très bel heavy blues. Il y croit dur comme fer. Il fait en B son white nigger dans «Ramblin’ On My Mind», il tape en plein cœur du blues primitif, avec tout l’éclat d’un wild cat du Kent. Et avec sa cover d’«I’m Sitting On Top Of The World», il reste en plein dans le vrai. Il a fait ça toute sa vie : c’est beaucoup de boulot que de rester dans le vrai toute sa vie. Il ne sait faire que ça : taper dans le mille de l’extrême véracité véracitaire, qu’il s’agisse des early Kinks, des early Beatles, de Dylan, du blues, de Bo Diddley, des Who, de Jimi Hendrix, des Downliners Sect et du punk-rock. Tu ne prendras jamais Wild Billy Chidish en défaut. Alors tu peux y aller les yeux fermés et tout écouter.

    Signé : Cazengler, William Loquedu

    The William Loveday Intention. People Think They Know Me But They Don’t Know Me. Damaged Goods 2020

    The William Loveday Intention. Will There Ever Be A Day That You’re Hung Like A Thief. Damaged Goods 2020 

    The William Loveday Intention. Blud Under The Bridge. Damaged Goods 2021

    The William Loveday Intention. The Bearded Lady Also Sells The Candy Floss. Damaged Goods 2021

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    The William Loveday Intention. They Wanted The Devil But I Sang of God. Hangman Records 2021

    The William Loveday Intention. Cowboys Are SQ. Liberation Hall 2022

    The William Loveday Intention. The Baptiser. Damaged Goods 2022

    The William Loveday Intention. Paralyzed By The Mountains. Damaged Goods 2022

    The William Loveday Intention. Blud In My Eyes For You. Hangman Records 2022

    The William Loveday Intention. Secret Intention. Spinout Nuggets 2023

    Peter Watts : Medway Skyline. Uncut # 301 - June 2022

    Vale. Real Conversations. Rollins, Biafra, Ferlinghetti, Childish. RE/Search Publications 2001

     

     

    L’avenir du rock

     - La dame aux Camera Obscura

             — Pourquoi ne sortez-vous pas dans la journée, avenir du rock. Le soleil vous ferait le plus grand bien. Vous avez l’air d’un vampire ! Je prendrais mes jambes à mon cou si je ne savais quel délicieux ami vous êtes en réalité.

             — Vous connaissez pourtant mon goût pour les ténèbres de l’underground, et cette sainte horreur que j’ai des feux de la rampe et de la gloriole.

             — Avec vous, c’est tout l’un ou tout l’autre ! Le jour ou la nuit, le blanc ou le noir. Vous pourriez transiger de temps à autre, ça vous reposerait la cervelle d’écorner un peu vos principes. La lumière du printemps vous ouvrirait de nouveaux horizons, vous n’avez pas idée comme le ciel d’été peut être admirable, comme les aubes et les crépuscules peuvent vous transporter. L’élan lyrique ne nuit en rien à la contemplation, bien au contraire !

             — Vous me faites rire. Vous parlez comme une carte postale. Bientôt vous allez me dire que le jour c’est Dieu, et la nuit le diable. Ne comprenez-vous pas que la nuit soit le seule antidot à cet horrible poison qu’est la réalité ? Ne comprenez-vous pas que le temps de la nuit est infiniment plus long que celui du jour ? Plus précieux ? Plus pur ? Il n’est pas d’espace plus fascinant que le silence de la nuit, propice à toutes les dérives imaginaires !

             — Je vous reconnais bien là, avenir du rock. Le concept, rien que le concept, n’est-ce pas ? Vous n’en démordrez jamais, c’est pourquoi il est illusoire de vouloir vous ramener à la raison. Et pourtant, je sais que vous raffolez d’«A Day In The Life», de «Lucy In The Sky With Diamonds» et de toutes les manifestations de la Sunshine Pop, de Jan & Dean à Curt Boettcher, en passant par Brian Wilson et Big Star.

             — Oui, mais je cultive un petit faible pour l’Obscura. Camera Obscura, bien sûr.

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             C’est grâce à un gros numéro d’annive de Shindig! qu’on a découvert Camera Obscura et Tracyanne Campbell. Ce groupe fait partie de la fameuse scène magic pop de Glasgow et navigue au même niveau que les Fannies, les BMX Bandits, les Pearlfishers et Belle & Sebastian.

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             Non seulement leur nouvel album Look To The East Look To The West vient de sortir, mais ils sont en plus en concert à la maroquiqui, mon kiki. Peut-on parler d’un événement ? Oui, pour les ceusses qui savent. Voir Tracyanne et ses amis en chair et en os, c’est un peu comme voir Alex Chilton sur scène durant les années de braise. T’as un truc qu’on appelle le spirit, un mélange parfait des éléments qui font la grandeur d’un genre qu’on appelle la pop : la voix, le goût de l’envol mélodique et des compos mirifiques. Et tout ça éclate, là, sous tes yeux globuleux, à quelques mètres, t’as l’incarnation plus que symbolique de la magic pop de Glasgow. Les Cameras sont le groupe anti-frime exemplaire.

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    C’est même reposant que de les voir débouler sur scène : Tracyanne anti-frime toute de noir vêtue, sa copine anti-frime au clavier juste à côté, un guitariste anti-frime de l’autre côté, d’autres gens au fond, le beurre et l’argent du beurre, et un ogre anti-frime sur une belle Ricken, juste là, à 50 cm.

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    Pourtant bourrée de talent, Tracyanne bat absolument tous les records de modestie. On lui donne aussitôt le bon dieu sans confession, et dès qu’elle ouvre la bouche pour attaquer «Liberty Print», tu prends ta carte au parti, car c’est tout de suite plein comme un œuf. Te voilà tanké, te voilà embarqué, welcome to Cythère, viva l’Obscura !, elle éclate au grand jour, c’est quasiment mécanique, t’as l’impression de voir jouer l’un des groupes les plus importants de cette époque, et en même temps, ça reste incroyablement statique.

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    Pas de jeu de scène. Tout repose sur la qualité des compos et la voix magique de Tracyanne Campbell. Elle dispose du même talent qu’Isobel Campbell, elle utilise sa voix comme un instrument, elle module et colorie, elle se déploie et s’élève, elle adoucit et embellit, elle règne sur la terre comme au ciel. Plus loin, elle tape l’éminent «Light Nights», suivi de «Pop Goes Pop», tirés tous les deux du nouvel album, et puis tu retrouves toutes ces merveilles tirées de l’album chouchou de Shindig!, My Maudlin Career : «French Navy», «The Sweetest Thing» ou encore «Swans». T’es littéralement saturé de qualité. Comme si tu traversais à la nage un océan de magie pop. Tu bois la tasse en permanence et tu danses avec les requins blancs. Quelle épopée ! En rappel, les Cameras tapent encore dans  leur Maudlin Career avec l’indubitable «Forests & Sands». Même sans le wall of sound, ça passe comme une lettre à la poste. Ils tapent ensuite «Eighties Fan» (tiré de Biggest Bluest Hi-Fi), mais sans le Totor sound, alors c’est très gonflé de leur part, et pourtant ça tient, car c’est construit comme une cathédrale.

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    Et puis voilà qu’ils terminent avec l’apothéose du doux, «Razzle Dazzle Rose» que Tracyanne semble offrir comme un cadeau aux kikis de la maroquiqui qui n’en peuvent plus de tant de beauté.

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             C’était couru d’avance : Look To The East Look To The West est un album lumineux. Tracyanne ramène sa voix de rêve dès «Liberty Print» et ça gratte des poux jusqu’à l’horizon. Et ça continue avec «We’re Going To Make It In A Man’s World». Ça éclate de bonheur. Te voilà au paradis de la grande pop écossaise. Tu as l’envolée à l’orgue et les voix s’élèvent dans le ciel clair d’Écosse. Enfin clair, il faut le dire vite. Nouveau coup de tonnerre avec «The Light Nights», Tracyanne frise le yodell préraphaélite. Les Camera créent les conditions du bonheur surnaturel et tu entends les notes d’un piano divin. Cet album va t’émerveiller, si tu l’écoutes. Encore de la pop stratosphérique avec «Pop Goes Pop», come on for goodness sake ! Quel élan ! - Hearts like ours will get us in trouble - Les Camera tapent dans le mille à chaque fois. Comme ils vont le faire avec Dory Previn, ils rendent hommage à Baby Huey avec «Baby Huey (Hard Times)». Tracyanne crée la magie à la pointe de la glotte. Et puis voilà le morceau titre, elle reste très formelle, elle tient bien son ah-ah-ah, elle le laisse couler au gré d’une pop toujours magique, Be a good girl et t’as le solo qui va avec et elle reprend le balancement de sa pop de rêve - Be a good girl/ And try your best - Final éblouissant, noyé dans l’horizon des Camera. De nos jours, on ne voit plus guère de chansons aussi charnues, aussi parfaites. 

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             Leur premier album Biggest Bluest Hi-Fi date déjà de vingt ans. Very big album ! Pas moins de deux coups de génie : «Eighties Fan» et «Houseboat». Le premier est tapé au Totor sound. Belle envergure ! Et sucre fabuleux. Tu t’habitues aussitôt à Tracyanne. Et ça se développe. T’en reviens pas ! Sucre candy garanti à 100%. Ça vire délire labyrinthique de sucre pop d’I’m gonna tell you something. C’est un mec qui chante sur «Houseboat», mais il est bon. Tracyanne arrive dans le cours du dossier et le duo fait une pop de rêve, ils remontent le courant du riff d’acou du diable, là, amigo, t’as la pop du siècle. Et Tracyanne te remet une couche de sucre candy. Ils sont tellement à l’aise. Tu te crois au paradis. Ils montent «Anti Western» en mode duo d’attachement parabolique. Ils savent duetter comme Jim Reid et Hope Sandoval sur Stoned & Dethroned. Leur pop est tellement délurée qu’elle gambade sur des petites guiboles agiles. «Double Feature» sonne comme une belle pop traînée dans la lumière. C’est à la fois éthéré et de haute voltige. Et puis tu as cet instro du diable, «Arrangements Of Shapes & Space», un instro gorgé de joie et de lumière. L’Obscura fait de la lumière. C’est axé sur l’horizon et t’en prends plein la vue. Paradisiaque !

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             Elles sont drôles sur la pochette d’Underachievers Please Try Harder, avec leur look fifties à l’anglaise. À l’écossaise, devrait-on dire. Tracyanne attaque toujours au petit sucre candy d’incidence juvénile comme le montre «Suspended From Class». Très haut niveau de pop capiteuse. Ça vaut tout le Brill du monde. Elle est encore plus Hope Sandoval sur «Keep it Clean», véritable merveille inaltérable. Pure pop d’excelsior. Elle peut swinguer à la pointe de la glotte. Elle fournit une matière extraordinaire au process de kro. Les Camera font du Brill écossais. C’est Jon Henderson qui chante «Before You Cry» et Tracyanne revient en cours de dossier. Elle refait le show dans «Number One Son». On est en manque quand elle ne chante pas. Son Number One file à travers les plaines d’Écosse, salué par des orchestrations de rêve. Le mec Henderson revient chanter «Let Me Go Home». Ce mec n’a rien compris : quand on a une chanteuse comme Tracyanne dans le groupe, on lui laisse le micro. Sur le Wall of Sound Totorisé de «Knee Deep At The NPL», Tracyanne ramène son sucre magique. Elle est le clou du spectacle, avec une stupéfiante profondeur de champ dans le chant.

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             Tracyanne démarre encore très fort sur Let’s Get Out Of This Country avec «Lloyd I’m Ready To Be Heartbroken» et «Tears For Affairs». Elle part vraiment en trombe, mais c’est la trombe d’Obscura, et elle ramène aussi sec son sucre candy. Elle prend vraiment le taureau par les cornes. Pur genius cubitus. Son Tears est tout aussi groovy en diable, fantastiquement agréable, c’est même un hit pop tentaculaire, avec l’écume d’Oh Happy Days. Elle rend hommage à Dory Previn avec «Dory Previn» et le solo te fend le cœur. Elle est dans Dory et dans Mazzy Star, dans tout ce qu’il y a de plus parfait. «The False Contender» est une valse à trois temps. Les Camera ont l’intensité des Flaming Stars, mais au féminin. Effarant ! Le morceau titre atteint à la grandeur subliminale, ils tapent ça à la bonne franquette d’heavy pop, et elle pose toujours son candy de candeur véracitaire. Tu entends chanter une superstar. Et en guise de cerise sur le gâtö, t’as une fin apocalyptique. Tracyanne crée son monde en permanence. Elle chante comme un ange du paradis. Elle retape dans le Wall of Sound de Totor avec «If Looks Could Kill». Elle se prend littéralement pour les Ronettes. Flabbergasting ! C’est exactement le même punch, la même profondeur de champ, la même intelligence de la vision pop, la Camera voit aussi loin que Totor, c’est bardé de Wall of Sound, tu te pinces car tu crois rêver. Totor est donc toujours d’actualité. Ils réinventent le rêve avec une fantastique démesure de la Wallitude céleste. Pur genius atmospherix ! Elle fait ensuite du Motown de Brill avec «I Need All The Friends I Can Get». Elle est au top du trip. C’est hallucinant de power, ça swingue dans l’écho du temps. Les Camera sont des cracks.Avec «Razzle Dazzle Rose», ils foncent au doux du doux. C’est une merveille de délicatesse, digne de Ronsard, fragile comme l’éclat de la lumière au lever du jour. Mignonne allons voir si la rose de Tracyanne est éclose.

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             Pour son numéro 50, Shindig! avait choisi de célébrer le génie des Camera avec cet album paru en 2009, My Maudlin Career. Tracyanne s’impose dès «French Navy», cette jolie pop de Brill fondue dans l’écho du temps. Que de son ! C’est stupéfiant de justesse et de ferveur Brillique. Camera Obscura est la réponse écossaise au Brill et à Belle & Sebastian. Tracyanne est tout simplement stupéfiante de présence stellaire : elle brille au firmament. On se régale de «The Sweetest Thing», et encore plus de «Swans». Fantastique entrain - Maybe you should travel with me - et elle ajoute, la bouche en cœur - And you’ve never touched a dear/ A deer so deer my dear - Voilà un cut qui sonne comme un passage obligé. On reste dans la fantastique approche avec «James» - James he came to my place/ He said he had to see my face - Magie pure - Oh James you broke me/ I thought I knew you well - Elle a une façon extraordinaire de chanter dans l’écho. Son «Careless Love» est beau et tendu, doté d’un final aux violons éblouissants. Il faut écouter cette petite gonzesse chanter comme on écoute Laura Nyro. Elle revient au Brill Sound pour le morceau titre. Son de rêve - I don’t want to be sad again - On se croirait chez Totor - This maudlin career must come to an end - Maudlin veut dire larmoyant. C’est du pur génie productiviste. «Forests & Sands» vient encore enchanter cet album hautement révélatoire. Ici, la prod vaut pour modèle. Tracyanne chante si divinement. Les Camera jouent au maximum des possibilités de la pop, et Tracyanne chante à la vie à la mort - But if the blood could freeze/ I’d be pleased/ I’d be pleased - Ça se termine en beauté avec «Honey In The Sun», un fan-tas-tique shoot de power pop. Over and over again et voilà que tombe du ciel un extraordinaire refrain, I wish my heart was cold, cuivré à la folie, but it’s warmer than before, le format pop explose sous nos yeux globuleux.

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             Et puis voilà Desire Lines. Tracyanne y est toujours aussi magique. L’album est un peu moins dense que les précédents, mais «William Heart» craque bien sous la dent. Tracyanne Campbell reste alerte et fraîche comme l’eau vive, et elle part en mode sucre magique au coin du couplet. Elle s’accroche à sa pop comme la moule à son rocher, mais quelle Beautiful moule ! Son cut est lumineux comme une aurore boréale. Encore une fois, tu crois rêver. Coup de génie encore avec «Cri Du Cœur» - I know I’m a fuck up/ I know to read tragedy - Avec «Every Weekday», elle sonne comme Fred Neil, on capte même des échos d’«Everybody’s Talking». Ils passent en mode big band pour «I Missed Your Party». Ah il faut voir Tracyanne en photo dans le digi. Elle est superbe.

    Signé : Cazengler, Camerond qu’est pas carré

    Camera Obscura. La Maroquinerie. Paris XXe. 30 septembre 2024

    Camera Obscura. Biggest Bluest Hi-Fi. Andmoresound Records 2001

    Camera Obscura. Underachievers Please Try Harder. Elefant Records 2003

    Camera Obscura. Let’s Get Out Of This Country. Elefant Records 2006

    Camera Obscura. My Maudlin Career. 4AD 2009

    Camera Obscura. Desire Lines. 4AD 2013

    Camera Obscura. Look To The East Look To The West. Merge Records 2024

     

     

    Cissy Impératrice

    - Part One

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             Cissy Houston vient de casser sa pipe en bois. Avec elle se referme un sacré chapitre. Tu en pinces pour la Soul et le gospel ? Alors écoute Cissy Houston. Bon alors, après le tour de chauffe des Sweet Inspirations sur lesquelles on reviendra dans un Part Two, Cissy impératrice décide de bâtir un nouvel empire : une carrière solo !

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             Allez hop, un album sans titre sur Janus en 1970, pour commencer. Elle fait comme les copines, elle tape dans Burt. C’est du tout cuit, avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself». Elle monte si haut qu’on en chope le torticoli, impossible de la suivre du regard, elle explose le génie black. Et comme si ça ne suffisait pas, elle tape ensuite dans Jimmy Webb avec «Didn’t We». Comme Shirley Bassey, elle a de l’ampleur, c’est-à-dire la puissance d’une chanteuse d’opéra. Ah il faut la voir gueuler. Elle gueule encore pour l’«I’ll Be There» de Bobby Darin, aw no baby ! En B, elle s’en va taper dans Totor et Ellie Greenwich, avec une cover de «Be My Baby». Elle la prend à la douce, elle monte doucement, suivie par une trompette molle dans le vent tiède, alors les dynamiques d’Ellie se mettent en route, mais pas de wall of sound. Elle chante en direct, dans le micro. Elle tape aussi «The Long And Winding Road» de McCartney, mais c’est cousu de fil blanc.

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             Malgré sa belle pochette graphique, l’album d’Herbie Mann Featuring Cissy Houston, Surprises, ne crée pas vraiment la surprise. Flûtiste de jazz, Herbie Mann groove sous le boisseau de la Jamaïque pour créer l’ambiance de «Draw Your Breaks». L’Herbie ne fait pas n’importe quoi, il jazze son reggae beat. Pour Cissy impératrice, c’est du gâteau, elle n’a qu’à attendre qu’on lui dise de chanter. Dans «Creepin’», David Newman joue un groove de sax et le vent emmène Cissy impératrice vers l’horizon. Globalement, c’est un bel album de groove flûtiste. Cissy s’y sent comme un poisson dans l’eau. Mais on s’ennuie un peu, il faut bien le dire. Au fond, c’est peut-être une musique qui n’intéresse qu’une seule personne : Herbie. C’est déjà ça. Il s’amuse bien avec sa flûte.     

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             En 1977, Cissy enregistre un nouvel sans titre. La pochette un brin putassière n’inspire pas confiance et pourtant, c’est un big album qui repose sur quatre piliers : une cover, deux coups de génie et du sexe. On commence par le sexe : «Morning Much better». Comme chacun sait, le matin est idéal pour les parties de cul. Cissy tape une belle croupière à sa Soul et elle feule «I like it in the morning» d’un ton qui ne laisse aucune chance au hasard. Son «Love Is Holding On» sonne comme du Burt, elle se fond dans le moove du groove avec une sensualité houstonienne, elle le monte si bien en neige qu’elle finit là-haut sur la montagne. Quelle gueularde ! Elle pousse des pointes surnaturelles, celles des pipes, comme dirait Tav Falco lorsqu’il parle de Bobby Blue Bland. L’autre coup de génie est sa cover d’«He Ain’t Heavy He’s My Brother». Il faut détenir le pouvoir absolu pour chanter cette merveille de mélancolie océanique. Cissy l’a. Non seulement elle s’étend au-dessus de l’océan, mais elle monte sa voix. Elle claque sa Soul à un très haut niveau, épaulée par des orchestrations de luxe. Et puis elle retape dans Burt avec «Make It Easy On Yourself». Elle recoiffe l’Ararat de Burt de neiges encore plus éternelles, elle est capable de chanter très haut sans perdre son souffle.     

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             Graphisme des années 80 pour la pochette de Think It Over. L’album est à l’image de la pochette : raté. Cissy impératrice bascule dans la diskö m’as-tu-vu. Quel gâchis ! Une si belle voix. Les producteurs de l’époque n’avaient aucune fierté. Tu ne sauveras rien sur cet album.

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             La pochette de Warning Danger n’inspire pas non plus confiance. Elle attaque avec le morceau titre, un Afro-beat diskoïde, très bizarre mais pas complètement dédouané. Le seul cut sauvable est l’«Umbrella Song», un bref shoot d’exotica paradisiaque qu’elle chante au mieux de la rondeur des tournures d’umbrella.    

     

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             Back to the bottom avec Step Aside For A Lady et sa hideuse pochette années 80. Rien. Tu l’envoies coucher au panier.

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             Very big album que ce Face To Face paru en 1996. Retour en force de Cissy Impératrice avec un album de gospel batch truffé de coups de génie, à commencer par le morceau titre, orchestré par des chœurs spectaculaires, et une Cissy au top de sa glotte. Elle navigue au dessus de la clameur du gospel choir. C’est une œuvre d’art. L’autre coup de génie est l’«He Is The Music» qui referme la marche. Elle pousse encore une pointe, elle est dure en affaires, elle ne lâche rien. Elle écrase son champignon en permanence. Elle navigue au niveau d’Aretha et de Mahalia Jackson, elle dégouline d’over-power. C’est encore autre chose que l’opéra. Gospel encore avec «God When I See Thee», un bop de gospel joué au rebondi de la foi, un rebondi tight et rock’n’roll, Cissy est une vainqueuse, tout sur cet album est arraché à la victoire suprême du black power. Elle t’explose encore «How Sweet it Is» - Thank you Jesus - Elle s’enflamme, elle bat les Edwin Hawkins Singers à la course, c’est puissant, bien décollé du sol et ça continue avec «I’m Somebody», amené au heavy funk, avec des chœurs de gospel, c’est vite énorme, ils sont 40 derrière Cissy, elle établit le power absolu et définitif. Elle chante «Too Close To Heaven» à s’en exploser la rate - I’m too close/ Now I can’t turn around - elle se noie dans un groove d’orgue. Parfois, on sent qu’elle est dépassée par la clameur («Without God») et pouf, elle te refait un numéro de haute voltige avec «Something’s Bound To Happen», là tu sais que tu écoutes une impératrice - Something’s bound to happen/ When you pray - et elle te défonce encore tous les barrages avec «Just Tell Him» - Let me introduce you to my friend called Jesus - Seuls les blacks savent parler à Jésus.   

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             Elle reste fidèle au gospel batch avec l’album suivant, He Leadeth Me. Deux coups de génie : «Shelter In The Time Of Storm» et «He Changed My Life» - Ummmm Oh Jesus ! - Elle entre dans le groove du doux et les chœurs arrivent par dessus - Oooh my Jesus - alors elle se fond dans le mood de l’excellence. Une fois de plus, elle fait le job, talk about Jesus yeah, et elle t’explose le gospel. Elle reste au sommet du lard avec «He Changed My Life», bien drivé au bassmatic et aux tambourins. Elle semble complètement tourneboulée par le rumble du choir, I’ve been changed, il faut voir comme ça groove, avec un bassmatic qui va et qui vient entre tes reins, elle fait son Aretha, elle allume au point chaud de non-retour. On pense aux malheureux qui passent à côté d’une telle merveille. «Deep River/Campground» sonne comme un fantastique pathos de gospel, par contre, «Prayer Will Change It» est plus r’n’b. Elle le gère à la bonne franquette. C’est une vétérante, elle sait claquer un beignet. Et ça ne tarde pas à exploser à la barbe de Dieu. Avec le morceau titre, elle se fond dans le choir. Elle injecte de la Soul dans le gospel de «Count Your Blessings» et invite tout le mode à monter all aboard the «Glory Train». On la retrouve profondément impliquée dans «In His Arms» et elle se répand dans le just keep me Lawd right by your side d’«Every Day Every Hour». Elle se jette toute entière dans la balance. Elle est magnifique de classe et de trémolo.

    Signé : Cazengler, Cissy Rouston

    Cissy Houston. Disparue le 7 octobre 2024

    Cissy Houston. Cissy Houston. Janus Records 1970

    Herbie Mann Featuring Cissy Houston. Surprises. Atlantic 19765     

    Cissy Houston. Cissy Houston. Private Stock 1977     

    Cissy Houston. Think It Over. Private Stock 1978

    Cissy Houston. Warning Danger. Columbia 1979          

    Cissy Houston. Step Aside Fr A Lady. Columbia 1979

    Cissy Houston. Face To Face. House Of Blues 1996    

    Cissy Houston. He Leadeth Me. House Of Blues 1997 

     

     

    L’avenir du rock

    - Il n’y a pas que des nanas dans les Limiñanas

    - Part Two

             Chaque fois qu’il croise Boule et Bill au bar, l’avenir du rock sait qu’il va se heurter à un mur d’incompréhension. Il tente chaque fois d’ajuster son discours et de veiller à préserver les fragiles équilibres diplomatiques, mais c’est d’une complexité extrême. Boule et Bill sont des équarrisseurs de conversation. Ils travaillent à la hache.

             — Alors ça t’a plu, les Liminunuches, avenir du trock ?

             — Excuse-moi, Boule de pus, mais ya comme une petite crotte qui te pend au nez...

             Bill vole au secours de Boule momentanément déstabilisé :

             — On sait que t’aimes bien les groupes de bobos comme les Liminœud-nœuds !

             — Si j’avais une gueule de raie comme la tienne, mon pauvre Bill, j’irais de ce pas traîner ma mère en justice !

             Boule vole à son tour au secours de Bill qui suffoque de honte :

             — Franchement, avenir du brock, on se demande comment tu fais pour supporter pendant une heure cette honte galactique de Limininis !

             — Tu ferais mieux de fermer ta grande gueule, Boule de pus, on voit tes crocs pourris et ça donne envie de gerber.

             Bill qui s’est repris, re-vole au secours de Boule qui est blanc comme un linge :

             — Honte sur toi, avenir du rock, te voilà éclaboussé par le scandale des Liminoix-noix !

             — Tais-toi donc épluchure humaine ! Fais-toi greffer un cerveau et alors on pourra causer.

             L’avenir du rock vide son verre et affiche le sourire le plus magnanime dont il est capable :

             — C’est normal que vous ne compreniez rien aux Limiñanas. Vous êtes tous les deux des créatures inachevées, et bien que vous soyez atrocement cons, j’éprouve à votre égard une sorte de petite compassion. C’est comme ça, on n’y peut rien.

     

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             Eh oui, on n’y peut rien : les Limiñanas s’imposent. On devrait même parler du fabuleux brouet des Limiñanas. Tu les vois et tu les revois, et ça passe de plus en plus comme une lettre à la poste. Ça s’avale d’un trait. Ça glisse tout seul. Trois grattes et pas des moindres, il faut ça de nos jours pour répandre sur cette pauvre terre abandonnée du Dieu la sainte parole du rock psychédélique. Le fameux psyché dont tout le monde parle, souvent dans le vide, et qui va de Syd Barrett à Anton Newcombe, en passant par l’Howling Rain d’Etan Miller, Bevis Frond et le Bardo Pond des frères Gibbons.

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             Eh oui, amigo, en cœur de set, ils t’enchaînent ces quatre merveilles tirées de Shadow People : le morceau titre, «The Gift», «One Blood Circle» et l’encore plus imparable «Istambul Is Sleepy», quatre merveilles portées par l’incarnation française de Jim Reid, l’excellent Bertrand Belin. Oh no no, Istambul n’est rien d’autre qu’une pure marychiennerie, ça te roule sur l’épiderme et ça te caresse l’intellect. L’Istambul est en plein Velvet. Belin te cale ça dans ton coin, l’underground redevient flamboyant, comme au temps du Velvet et des Mary Chain. Ils ne sont plus très nombreux, les groupes sachant jouer avec le feu sacré. Et t’as des gens qui passent à côté. Sans doute par manque de connaissances. Trouvent ça plat, alors que tu voyages en première classe.

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    L’Istambul réveille tes veilles passions pour l’hypno du Velvet, celui de «Sister Ray», t’as encore tout le poids du Velvet et des Spacemen 3 dans «Shadow People». C’est un rock qui s’installe dans le temps et qui finit par t’avaler, un rock qui te parle au plus haut niveau, qui joue sur les lancinances, les préliminaires de l’amour, mais aussi la connaissance par les gouffres. C’est un rock qui t’adopte plus que tu ne l’adoptes, un rock qui te berce dans son giron, et qui n’attend pas de contrepartie, un rock libre de ses mouvements et de ses idées, donc ça te convient, un rock qui n’appartient qu’à lui-même, à prendre ou à laisser, c’est le principe même de la psychedelia, tyva ou tyvapas, mais si tyva, tu fais un beau voyage.

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    Lionel Limiñana reste un fabuleux maître de céans, il sort du bois et bouge comme un ours sur scène, il parvient rapidement à se fondre dans le son, comme s’il voulait disparaître au profit des autres. Et le son grandit comme une entité, massif et souple à la fois, tétanique et comme suspendu, lancé et statique, coloré et monochrome, il contient à chaque instant tout et son contraire. Les Limiñanas cultivent une sorte d’art total, leur son s’établit, comme s’il asseyait son emprise. Ils fonctionnent exactement comme le Brian Jonestone Massacre : ils posent les conditions du groove. Pas besoin de chercher à comprendre, il suffit de se laisser porter. Ce truc de base est le privilège des géants. Le plus stupéfiant dans cette histoire, c’est que certains cocos ne comprennent pas ce qui relève pourtant d’une évidence. Quand ça groove sous tes yeux, tu n’as plus qu’une seule chose à faire : te féliciter d’être là.

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             Et puis sur scène, t’as du spectacle. Une Sister hoche la tête en permanence sur son bassmatic, et à côté d’elle, Keith Streng des Fleshtones fait le show, comme il le fait depuis 40 ans, en parfaite réincarnation de Nijinsky, il saute et virevolte, c’est à ça qu’on le reconnaît. Et à ses killer solos incendiaires. Comme il a tout l’espace du groove, il les triture à l’infini sur sa belle gratte bleue. Nijinsky mélangé aux deux magiciens sortis du bois avec leurs barbes et leurs regards noirs, ça donne sur scène un mélange parfaitement détonnant, pour ne pas dire déconnant. Et au beau milieu de tout ce ramdam, t’as la Marie qui bat comme bon lui semble. Au concert des Limiñanas, on se sent comme chez soi.

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    Signé : Cazengler, liminanard

    Liminanas. Le 106. Rouen (76). 20 septembre 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Deon tologie

             Michel Dijon était un mec marrant. Il portait un petit chapeau et des lunettes. Il n’avait rien d’un Don Juan, mais il aimait bien faire le coq. Oh ce n’est pas un gros défaut, les gens adoptent souvent ce type de comportement sans même s’en rendre compte. Il s’agirait selon les experts d’un besoin de compensation. Tout cela se déroule bien sûr dans l’abstraction liquide de la cervelle. En conséquence de quoi notre Michel Dijon pérorait dans les salons, il occupait l’espace comme on occupe un pays vaincu, il franchissait les frontières sans demander la permission, il entrait dans des conversations en cours, il déballait son boniment sans ménagement, comme le ferait un hussard au moment de violer une paysanne vendéenne, il assommait plusieurs interlocuteurs d’un seul coup, il éructait, il résumait, il développait, il tonnait, il argumentait et désargumentait ce qu’il argumentait, il transgressait les conventions, surtout les conventions, il ergotait avec de l’argot, il n’avait strictement aucune pudeur, il piochait sans fin dans une immense réserve de formules d’une rare vulgarité, il minaudait pour mieux revenir à la charge, comme le ferait un bourgeois dépeint par Molière, tout cela en même temps, les bras souvent en l’air, d’abord à l’horizontale puis, au moment du climax, à la verticale, signifiant qu’on ne pouvait aller plus loin. Personne n’osa jamais lui tenir tête. Pendant des années, il écuma les réseaux et s’incrusta dans des cercles d’érudits. Quand on lui demandait quelle était sa profession, il répondait : «Écrivain.» Un jour, il créa la sensation en annonçant qu’il allait prendre rendez-vous pour un essayage chez Stark & Sons, le tailleur des Académiciens. 

             — Je vais sûrement entrer à l’Académie Française, alors j’anticipe, histoire de bousculer un peu le destin.

             Un vieillard vermoulu se permit d’interférer :

             — Mais monsieur, vous n’entrez pas ainsi à l’Académie, il faut être désigné par ses pairs... Peut-être ne le saviez-vous pas ?

             Michel Dijon devint écarlate :

             — Tu sais quoi de la grandeur d’un écrivain, espèce de vieille couille molle ?

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             Laissons Michel Dijon à ses rêves de grandeur et penchons-nous sur le cas beaucoup plus intéressant de Deon Jackson, un autre Académicien, mais un Académicien de la Soul. Pour le situer rapidement, Deon Jackson est un black originaire d’Ann Arbor, dans le Michigan, comme les frères Asheton.

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             Tous les amateurs de Northern Soul adorent Deon Jackson. Il est connu comme le loup blanc. One-hit wonder ! Et pour cause ! Il suffit d’aller écouter les hits rassemblés sur la compile Golden Classics parue en 1988. Ouille aïe aïe ! Ouille dès le fameux «Love Makes The World Go Round» qui l’a rendu célèbre dans les discothèques anglaises en 1965, fantastique présence du Deon-tologue, sa voix croustille de feeling, Deon brille comme un néon dans la nuit chaude de Harlem, il est aussi facétieux que délicieux, il dégouline de classe, ouille aïe aïe, et c’est si bien orchestré ! Ah il faut le voir revenir dans le virage du swing ! Pire encore, «Ooh Baby», Deon te fond dans la main, il te swingue l’ooh du bout de la langue et il devient liquide de génie vocal. On s’effare d’une telle qualité du beat et des fontes d’oooh. Tiens, tu as encore un hit d’une classe épouvantable, «Loves Takes A Long Time Growing». Deon Jackson ? Mais c’est l’archange de la sainte Soul ! Il ramène les Caraïbes dans la Soul. Nouveau coup de génie avec «SOS». Il est parfaitement à l’aise dans l’heavy r’n’b. Avec ces chœurs de folles en chaleur, c’est renversant d’have you seen my baby. Tu trouves à la suite «That’s What You Do To Me», une Soul de r’n’b qui colle bien au palais. Encore une merveille ostentatoire ! Deon rebondit dans les cassures. Il faut le voir pour le croire. Cette belle aventure s’achève avec un nouveau shoot de Soul de rêve, «I Can’t Do Without You». Il incarne parfaitement la Soul d’ouate, il fabrique du rêve éveillé, il chante avec une forme de fermeté intentionnelle chamarrée d’écailles, c’est une Soul exotique et sulfureuse, un sulfure de capitolade, une vraie surenchère de la chair corruptible. Bref, il t’épuise.

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             Encore une fabuleuse compile : Love Makes The World Go Round & Many Others. Pas moins de 10 hits intemporels. Sur 23 cuts, c’est une bonne moyenne. La compile reprend l’album du même nom paru sur ATCO en 1966 et bourre la dinde de bonus demented. Elle fait bien sûr double emploi avec la compile saluée plus haut, mais bon c’est pas grave, on ne perd pas son temps à réécouter les hits du grand Deon Jackson. Il te fait tourner la tête dès le morceau titre d’ouverture de bal. Il fait feu de tout son swagger, oh oh oh, il y va au sweet sweet love. La partie est gagnée d’avance. Pas la peine de s’inquiéter pour lui. Le Deon-thologue semble être un spécialiste des coups de génie. Pour le prouver, revoilà «SOS», ce shout de wild Motown, l’accor-Deon rentre dans le chou de lard Motown à coups d’if you see my baby. Retrouvailles encore avec l’imparable «Love Takes A Long Time Growing». Encore plus déterminant : «Ooh Baby», heavy groove à caractère définitif. Et ça continue avec «All On A Sunny Day», il nage en plein rêve de sunny day, baby, sa bonne humeur n’est que la forme la plus généreuse du génie artistique. Il fait du glam de Soul avec un «Not Not Much» frappé d’effets stroboscopiques et saturé de joie. Deon Jackson est un artiste stupéfiant de fraîcheur et d’à-propos. Il groove son «King Of The Road» vite fait et revisite «I’m Telling You» avec tout l’éclat dont il est capable. Il est admirable de don’t you cry dans «Hush Little Baby». Deon Jackson est une fontaine de jouvence à deux pattes. Il t’embarque encore pour Cythère avec «That’s What You Do To Me» et «You Gotta Love» sonne comme le r’n’b des jours heureux. Deon t’enchante à chaque fois, il a tous les cuivres du monde derrière lui, quel merveilleux artiste ! Tout est fait pour t’attraper, sur cette compile, le souffle d’«Hard To Set A Thing Called Love» te plaque au mur, encore un hit vrillé aux chœurs de Sisters. Il te fait chauffer la cervelle jusqu’à la fin, Deon Jackson est un gentil diable, les chœurs d’«I Need The Love Like Yours» te vrillent la cervelle. Deon forever !

    Signé : Cazengler, Deon Deon petit patapon

    Deon Jackson. Love Makes The World Go Round & Many Others. Marginal Records 1997

    Deon Jackson. Golden Classics. Collectables 1988

     

    *

             Un truc bizarre, vous savez, ici en l’occurrence deux mots du vocabulaire de base anglais qui étroitement associés vous posent problème, les translateurs vous répondent immédiatement, j’aurais pu y penser, quel manque de vivacité intellectuelle, quelle ignorance, surgit alors une question méta-géographique : pourquoi un groupe décide-t-il de se nommer ainsi ?

    HYMN OF JUPITER

    OUTBACK

    (BC – YT / Novembre 2023)

    Proviennent de Brighton and Hove, une cité mythique pour les rockers grâce à ces fameuses émeutes d’août 1964… La mer n’a eu le temps d’éroder les galets de la célèbre plage pourtant le temps des mods et des rockers semble aujourd’hui appartenir à l’ère néolithique du rock’n’roll… peut-être sommes-nous en train de vivre des temps crépusculaires… Hove était à l’origine une petite commune aux environs de Brighton, les deux cités forment maintenant une seule entité.

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    Une couve attendue si l’on s’en tient  la vulgate picturale des pochettes doomesques, n’y jetez pas un coup d’œil si vous ne désirez pas être assailli par une foule de questions, à première vue un personnage encapuchonné face à ce qui semble être un monument médiéval, église et château avec sa tour aux sommitales échauguettes. Architecturalement nous ne sommes pas à l’époque jupitérienne, mais quelle est cette immense arche géante qui surplombe le paysage, est-il justement l’arrière-pays  dont se prévaut le groupe… si la pochette est une orange noire les couleurs de cet arrière-pays paraissent inquiétantes…

    Will Graves : vocalist, bassist / Jeff Mosery : guitarist / Archie Lea : drummer

    Nightborn : vous serez vite fixés, cette musique n’est pas gaie, le principe est simple, le riff est lancé, il ne décolle pas à la vitesse d’une fusée, il monte lentement, il s’éteint avec lenteur, une batterie bizarre qui semble comme un peu à part, une basse montagneuse, une guitare obsédante, et une voix  cavitale comme enregistrée au seuil d’une caverne, peut-être platonicienne pour nous avertir que les ondes que nous entendons sont trompeuses et proviennent d’une autre source. Vous parierez qu’ils ne pourraient pas faire plus lentement, vous avez perdu, le rythme s’alentit et la voix résonne d’autant plus étrangement. Attention aux coupures, elles sont là pour avertir d’une nouvelle étape de ce bizarre rituel, il semble se soucier comme d’une guigne de son retentissement sur notre monde, sans doute vise-t-il cet énigmatique arrière-pays dont il ne nous apprend rien. Silence suivi d’un son davantage moderne si cette expression possède quelque pertinence, ce qui est certain c’est qu’il se passe quelque dans cet outre-monde qui nous est interdit. The sorcerer : d’habitude c’est le contraire, d’abord nous avons l’imprécateur et ensuite le rituel, le sorcier serait-il en retard, la batterie imite-t-elle sa démarche saccadée et la guitare scande-t-elle sa marche rapide. Stop. Silence. Ne pas se précipiter. Serait-ce l’expression vocale d’une grande colère, accélération, l’on ne sait pas où l’on va, mais l’on s’y dirige tout droit. Stop. Coupure, regardez où vous marchez, l’on avance avec précaution, sans préavis c’est la grande précipitation, l’on fonce sans regarder devant soi, la machine s’arrêtera toute seule, elle a l’air de connaître le chemin. Rattlesnake : délices de basse résonnante, ne raisonnez point trop, des entrelacs de guitares glissent entre vos jambes, vous êtes dans la fosse aux serpents, le maître se moque de vous, il vous mène dans le pétrin et vous avertit que vous êtes en mauvaise posture, la guitare vous lance un riff aussi pointu qu’un enfant qui tire la langue. Suspension. Respirez. Il vous semble ouïr la musique câlineuse des  anges enjôleurs, c’était un piège des dizaines de crotales détalent vers vous et vous assaillent sans rémission, vous voici transformé en Laocoon sur le rivage de Troie, la voix du Maître les excite, la batterie ponctue les piqûres, vous attendez avec impatience la fin du morceau, il prend son temps pour s’achever… Heaven hangs : d’ailleurs il enchaîne mélodiquement sur le paradis, je n’ai rien de personnel contre Archie Lea mais d’après moi il frappe d’une manière peu civilisée et presque irresponsable sur les fameuses portes si chères à Bob Dylan, quant à ses copains ils mettent le bulldozer en marche pour les défoncer, quant à Graves il prend sa voix tombale la plus grave pour mettre réclamer sa part de bonheur, ou de malheur, car on a l’impression que la nuit s’assombrit encore plus, doit lancer une malédiction sur la terre, le riff devient aussi poisseux que la lèpre qui s’étend sur votre peau, ouf ! repos mérité, respiration, le riff reprend de la vigueur, non Il ne s’élève pas jusqu’au ciel il s’étend à l’horizontale, z’ont envie de saccager tout ce qui se présente à eux, l’en devient presque joyeux, l’ivresse de la destruction bakouninienne… Silence total, plus rien n’oserait s’opposer à eux. Applaudissez vivement !

    THE WYTCH

    ((BC – YT / Octobre 2024)

    Sur ce deuxième opus, Will, Jeff et Archie ne se définissent plus par leur rôle musical respectif dans le groupe mais comme écrivain. Auraient-ils un message à nous communiquer.

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    Apparemment c’est un groupuscule écologiste qui a élaboré cette pochette. Préservons nos forêts. Rien de plus réconfortant que les arbres, alors ils vous confrontent à l’orée d’un bois d’un bois. Profitez-en avant que la nature n’ait disparu. Sympa mais cette interprétation me semble trop positive. Des arbres et des feuilles, impossible de le nier, mais ce trou noir au milieu ne me dit rien qui vaille, qui se cache dans cet antre obscur…

    Circle Psilocybe : avez-vous pensé que l’impression que votre cerveau reçoit passe par des tunnels de réception psychique, et que ce se faisant ce phénomène peut aussi produire un bruit psychoïste que votre ouïe d’humanoïde retardé n’est pas capable d’entendre, je pense que c’est ce bruit inaudible que l’Outback cherche à retranscrire dans les quelques secondes de leur introduction, un mirage perceptif, ne vous laissez pas séduire, il est un bruit beaucoup plus fort qui survient, une chose violente, monstrueuse, elle déracine quelques feuillus centenaires sous chacun de ses pas, le cauchemar vient vers vous, vous n’y échapperez pas, vous percevez son souffle par toutes les pores de votre peau… La sorcière aux dents vertes ! Je me demande si le trou noir de la pochette n’est pas la préfiguration du vide mental de votre esprit que les ondes phoniques de ce groupe sont parvenues à scanner sous forme d’une représentation écologique. L’ennemi est toujours au-dedans de nous. Fern and Henbane : prêtez l’oreille, celui qui marche sur l’innocence des fougères ne craint pas   ses effets, maintenant la musique est si forte que vous en souffrez, quant au jus de jusquiame la fleur préférée des sorcières vous ne l’ignorez pas, Will hurle, il vous avertit, ce qui est dehors n’est dangereux que lorsqu’il entre à l’intérieur de vous, la fougère est un calmant, l’absorption de la jusquiame provoque la folie, est-ce là que ce cheminement d’une lenteur de plus en plus violente vous emmène, derrière les portes d’un arrière-pays mental, vociférations déchirantes, échos impitoyables, vos délirez, vous vomissez les plus sombres mantras qui gisaient au tréfonds de votre immémoire, les guitares bouillonnent d’un flot impur en vortex turgescents. Votre esprit s’enroule sur lui-même comme la bande son d’un magnétoscope détraqué. Malachy IV / Dying sun : Malachy IV n’est pas un roi parthe, quatrième du nom, dont vous n’auriez jamais entendu parler, mais un prophète de la Bible, peut-être le même personnage qu’Ezra qui aurait ramené à Jérusalem  le peuple hébreux de Babylone où il avait été retenu en captivité durant cinq siècles. Les savants modernes lui attribuent la rédaction des cinq premiers livres de la Bible. Le chiffre 4 désigne le quatrième chapitre de son livre qui débute par une sinistre prophétie, le jour de la colère de Dieu, ouf ! les justes seront épargnés et sauvés. Vous vous en doutez l’intro est monumentale, ils élèvent des murailles cyclopéennes, c’est le strict minimum pour remporter la victoire sur les méchantes sorcières qui vous refilent de la mauvaise médicamentation, Will déploie son gosier comme un aigle qui tenterait de passer dans le trou d’ozone, zone interdite, il n’y parvient pas, il se maintient à une belle hauteur, l’est sur la crête du riff qui ne s’arrête jamais, qui s’érige vers le haut et se maintient à sa hauteur, rémission battériale, il ne faut point tenter l’impossible ni le contre-ut, ils élargissent la muraille, lui donnent la largeur des jardins suspendus de Babylone. Arrêt buffet. Profitez de ce que Will gratouille sa basse aidé en sous-main par la guitare claire de Jeff et les cymbales mouillées d’Archie pour admirer le paysage. Z’haussent le ton, à croire qu’ils forment l’orchestre qui annoncent la venue du Messie… Vous ne le verrez pas, le morceau se termine sur un dernier zézaiement d’élytres angéliques.

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             Des deux EP’s je préfère le premier. Leur façon de traiter le riff me semble plus prometteuse.

    Damie Chad.

     

    *

             Imaginez que vous tournez autour d’une fille. Pas en rond car le but est de s’en rapprocher au plus près. Nous appellerons le point de votre plus grand éloignement  de son corps refusant l’apocythère, et le point par lequel vous vous situerez au plus près de son corps consentant le péricythère. Pourquoi Cythère ? Parce que dans l’antiquité l’île de Cythère était associée à Aphrodite, déesse de l’amour. Maintenant si vous croyez que cette chronique vous révèlera des secrets inédits sur les voluptueuses pratiques de l’art vénérien vous êtes dans l’erreur. Ouvrez plutôt un manuel de mathématique supérieure, vous en aurez besoin.

    APSIDES

    BLACK ALEHP

    (BC / Art Catharsis Records)

    Lachlan  Dale: guitar, effects / Peter Hello : violoncelle / Timothy Johannessen : grand tambour d’origine persane, setar  (sitar persan à trois cordes).

     + Jessika Kenney: vocals, pistes 1, 3, 7 / Natalya Bing : violon, piste 2.

             Oh ! Damie, tes lascars avec leurs instruments ils ne sont pas un peu proches de la musique classique. Je salue votre intuition les gars, bien sûr ils s’en rapprochent pour mieux s’en éloigner, le mot ‘’black’’ est un parfait exemple de leur inscription dans le black metal mais à leur manière. Ils crèchent en Australie, le vocable ‘’aleph’’ dénote chez eux, je vous l’accorde volontiers une légère accréditation intellectuelle. Damie ce n’est pas trop clair, explique-nous, s’il te plaît !

             Si vous ramassez un caillou dans votre main, combien y a-t-il d’objets dans votre main ? Facile : un seul. Non deux : le caillou et le ‘’un’’. Ne me dites que je suis fou. Pythagore affirmait qu’un chiffre appartient en même temps au monde concret et au monde mental. La preuve vous avez dans main et le caillou que vous avez ramassé et le fait que vous n’en ayez récolté qu’un.

    Si vous en prenez un deuxième vous vous retrouvez avec deux cailloux, deux pierres et le chiffre deux ;

             Damie tu débloques, ton Pythagore il ne tourne pas rond ! Pas du tout, soyez modestes les copains, Platon s’est emparé de cette réflexion, si vous vous asseyez sur une chaise, vous avez deux chaises, celle sur laquelle vous avez calé votre auguste postérieur et l’autre l’eidos : l’idée de la chaise. Maintenant vous savez ce que c’est qu’un aleph ? La première lettre de l’alphabet hébraïque, tu vois on n’est pas aussi ignorants qu’on en a l’air ! Pour faire simple nous dirons que c’est un nombre plus grand que l’infini. Or notre monde est fini. Donc si vous tracez un point aleph sur un diagramme orthogonal, vous tiendrez dans votre main le monde entier. Dans votre main et dans votre espace mental aussi.

    Heu, oui si tu y tiens… En fait je vous dis cela ce n’est pas pour vous expliquer la nature pour ainsi dire bipolaire des alephs mais pour vous v faire comprendre la notion d’apsides. Ce sont deux points, le plus proche et le plus éloigné qu’un objet peut atteindre par rapport à un autre objet autour duquel il tourne selon une ellipse. Ouais ! un peu comme la lune autour de la terre, parfois plus proche, parfois plus loin.  Parfait les gars, maintenant nous quittons l’espace physique pour l’espace mental. Ne pensez plus à la lune, pensez à une orange. Facile Damie ! C’est bien, votre orange vous la simplifiez, vous l’épurez sous la forme d’une sphère. On veut bien Damie, ce n’est pas facile mais on essaie… c’est bon, on a bien la représentation d’une sphère dans notre cerveau. Bien les gars, essayez de tourner autour, comme si vous vouliez voir la face cachée de la lune. Damie ton truc il est entièrement givré, en plus à quoi ça sert, ce sera pareil si on la voit de l’autre côté !

    Les gars, je vois que vous fatiguez. Sachez toutefois que si vous n’arrivez pas dans votre espace mental à observer une forme simple sous tous ses angles vous ne parviendrez jamais à connaître comment un objet quelconque immobile peut induire, de  par sa propre immobilité et sa seule position, l’espace dans lequel il se tient.  Le problème se complexifie si l’espace lui-même de par sa seule étendue spatiale peut engendrer la probabilité idéelle d’autres positions de lui-même depuis cet objet voué à rester immobile.

    Ce n’est pas pour te vexer Damie, mais dans ton introduction le corps consentant de la fille c’était plus clair. Là, tu nous as un peu embrouillés. Vous avez besoin d’un break, écoutons l’opus, la musique est bonne conseillère.

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    Descent : tambourinade, effets droniques, le rythme ne varie guère mais l’impression de vitesse s’accroît obtenu par la répétition de vagues électroniques, mais le son faiblit, le violoncelle se meurt, l’ensemble devient plus sombre, bientôt juste le tambour comme un dernier message que l’on aurait du mal à saisir, des bribes d’une semblance de guitare, silence. Serait-on perdu. De vue, d’oreille, de nez, de bouche de tout ce que vous voulez et de tout ce que vous ne désirez pas. Ou alors serait-ce le point de non-retour mental. Ambit I et Ambit II : pourquoi deux morceaux pour cette anabase, cette montée en selle, alors que la Descente n’en a eu droit qu’à un seul. Est-il plus difficile de monter que de descendre, plus facile de s’éloigner que de se rapprocher. Soyons concret dans notre réponse : nous regardons une vidéo d’un de leur live dans laquelle les deux morceaux sont interprétés à la suite l’un de l’autre. Sont tous les trois assis, guitare, tambour, violoncelle. Une première surprise et peut-être une première réponse. Le tempo est particulièrement lent. Manquerait-il d’ambition, ou alors, répétons-le, la montée serait-elle plus longue que la descente ce qui mathématiquement est absurde. La coupure entre la Part 1 et la Part 2 reste des plus symboliques puisqu’elle s’effectue durant un long solo de guitare, ce qui nous laisse supposer que la prépondérance du violoncelle, vu la discrétion du tambour, est à considérer comme le marqueur nostalgique de la première partie, d’ailleurs le violoncelle revient mais cette fois il adopte de sublimes tonalités funèbres, étrange de penser que l’on traîne des pieds comme si l’on répugnait à effectuer cette partie du voyage, peut-être parce que cette remontée initie-t-elle l’idée perverse que cette montée n’est que le début du retour. Que si l’on n’a jamais été aussi loin, au moment où l’on atteint cette acmé de l’éloignement débute l’obligatoire début de la fin, que l’on n’a jamais été symboliquement plus proche de la fin.  Separation : de quoi se sépare-t-on, de l’espace ou de nous-même, de notre rêve en le réalisant, nous sommes au moment introspectif du silence où nous songeons à cet arrachement, à cette victoriale extraction de nous-même, à cette déportation de notre espace mental qui est aussi une coupure, une rupture, une négation exhorbitante de nous-même par nous-même, ne sommes-nous pas en train de mourir en nous dessaisissant de notre être pour être autre. Sommes-nous en train de vivre notre défaite, de nous anéantir…

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    Precession : encore une fois nous nous tournons vers la concrétude du live, At Barkerhouse, dû à Samuel Kostevic, magnifique entrée en matière que ce début avec les musiciens pris de dos, resserrés comme un quatuor de musique classique, puis la caméra qui les montre de face, un par un, comme s’ils étaient très éloignés l’un de l’autre, elle tournera ainsi sans fin, le retour de cette circularité visuelle pour coller à l’accélération mélodramatique phonique, cette précession est celle du doute, le moment où la nuit s’égalise au jour, où l’obscurité risque de l’emporter sur la lumière, où l’âme se laisse envahir par la noirceur de la fragilité humaine, la mort s’en vient à pas lents et lourds poser sa main, presque amicale, sur votre épaule, pour vous signifier que toutes vos entreprises ne survivront pas, maintenant elle s’éloigne doucement, elle ne vous veut pas de mal, la musique décroît comme le bruit de ses pas…

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    Return : Il existe une officiel vidéo due à Michel Gasco. Enigmatique. Un homme qui marche dans un paysage de bush australien. Imaginez une immensité rousse d’herbe que l’on dirait avoir été foulée aux pieds par des millions de kangourous, une espèce de désert vide, le retour serait donc un retour en soi-même, une espèce d’extropection intérieure, à part que parfois nous serions dans un objet spatial qui reviendrait sur sa planète originelle, peut-être sont-ce des visions fugitives d’un rêve vernien, de ces scénarios que l’on se monte dans notre tête pour se donner l’illusion de vivre intensément, d’échapper à notre propre prison mentale, à notre propre solitude, pourquoi restè-je fasciné par ces images alors que la musique est euphoniquement belle, parce qu’elle est ne varietur, qu’elle ne semble pas vouloir dépasser sa ligne d’horizon phonique, comme si elle ne voulait ne point départager l’espace mental de l’appropriation aproximante du rêve et de la réalité, peut-être pour ainsi perpétuer la seule idée du retour en l’enfermant dans la closure de sa propre éternité. Occultatum : ce qui est caché ne doit pas être révélé.

             Ho,  Bamie, c’est quand même assez proche de la musique classique ton truc, et assez éloigné de nous. Les gars, je le concède, toutefois ce n’est pas si simple, comment expliquez-vous que parfois ce n’est pas sans évoquer Led Zeppelin, notamment les enregistrements de Page et Plant avec l’Orchestre National du Maroc, les accointances avec les modalités orientales…

    Damie Chad.

    Adresse au lecteur : c’est nous les gars, nous avons laissé Damie pérorer tout seul, le mot oriental nous a donné envie de nous envoyer un  kebab dans l’œsophage. On s’est un peu pris la tête pour décider si les frites étaient meilleures à l’établissement le plus proche ou au plus éloigné… Comme quoi les divagations de Damie ne sont exemptes d’une certaine perspicacité.

     

    *

             Pourquoi tant de groupes purement instrumentaux. Soyons méchant : quand on n’a rien à dire le mieux n’est-il pas de se taire. Soyons hypocritement gentil : la musique n’est-elle pas un ensemble de notes jouées par /sur des instruments. Il doit bien exister un injuste milieu entre ces deux extrémités segmentales. Le silence n’est-il pas une flèche invisible, dont on entend le sifflement, qui finit bien par se ficher dans un coin de l’univers. D’ailleurs le vide n’occupe-t-il pas davantage d’espace que la matière, et le silence davantage d’épaisseur que le bruit…

    AETERNAL CHAMBERS

    AETERNAL CHAMBERS

    ( BC - YT / Octobre 2024)

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    La couve est d’une tristesse infinie. Paysage, coin de campagne perdu, un chemin, un talus, surplombés par ces pylônes en forme de dérisoires Tours Eiffel, relais de passages obligés  par lesquels transitent au travers d’appareils coûteux d’(in)communication des millions de messages, terriblement indispensables… Trois gamins qui se suivent parmi les hautes herbes, le premier, dans la série plus près de toi mon dieu, ne serait-il pas en train de consulter son portable…

             Proviennent du Royaume-Uni, nous n’en savons pas plus.

    Alex Nervo : Bass, Keys, F/X / Neil Dawson : Drums & Percussion  / Raf Reutt / Guitars, Keys, F/X ( samples d’effets sonores).

             L’on peut dire beaucoup en peu de mots. La simple lecture des titres est plus que parlante. Notre trio ne déborde pas d’un optimisme irrépressible quant à l’état de notre société actuelle. Nous non plus. Le titre de l’album nous laisse davantage de latitude interprétative. Lorsque j’ai entraperçu le titre j’ai pensé aux chambres d’éternité. Apparemment, ce n’est pas ce genre d’appartements métaphysiques qu’ils entreprennent d’explorer. Font allusion aux prisons carcérales mentales dans lesquelles le déploiement de la technologie nous enferme. Soyons précis, les portes sont grand-ouvertes, c’est nous-mêmes qui nous nous y établissions à demeure, optant ainsi  pour la réclusion volontaire. Sans même nous rendre compte que pour fuir la réalité existentielle engendrée par la préhension technologique nous nous réfugions dans le cocon préparé spécialement pour nous par la mygale artefactique qui finira par nous tuer le jour où elle n’aura plus besoin de nous.

    Husk of mortal despair : un son s’installe, doucement, sans se presser, tout doux, survient une deuxième vague, tout aussi quiète quoique plus amplifiée,

    Et tombent des larmes de guitare bientôt appuyée de saccades percussives, attention, c’est comme les vagues de plus en plus grosses qui surviennent de derrière vous quand vous nagez, quelque part vous ne vous inquiétez pas, vous êtes englobés dans une matière molle parée de couleurs diaprées, dans cette piscine molletonnée vous ne courez aucun danger, vous êtes en sécurité, ça ballote un tantinet, faut bien vous rendre compte que vous êtes dans la mer des sargasses, elles glissent sur vos jambes, elles caressent votre corps, elles forment un berceau algueux qui ne vous déplaît pas, c’est la houle de la nostalgie qui s’imprègne en vos chairs, qui phagocyte votre tête, c’est parti, le rythme s’accélère les boucles forment des entrelacs de loopings de plus en plus étonnants, tout est bien, tout est beau, plus de retour en arrière possible, d’ailleurs la musique baisse de plus en plus, vous sentez si bien que vous vous endormez. Une petite mort. Drive me to ruin : vous en redemandez, l’orchestration est luxuriante, ne pensez pas à la sauvagerie des couleurs criardes, non une harmonie rubescente, du pastel ondoyant, vous ne demandez qu’à suivre le mouvement, l’accélération répond à vos désirs, pratiquement résonnent les ors d’une fanfare lymphatique, pourtant vous êtes sous influence d’une torpeur agissante, vous devenez victime de la poésie des ruines, c’est bête mais vous ne vous apercevez pas que la ruine que vous admirez n’est autre que votre esprit en état de délabrement avancé, votre volonté châtrée, des rafales de gouttelettes de rosée empoisonnées s’immiscent dans les pores de votre peau. Paved with gold : comme un bruit de moteur, d’atelier d’usine, presque lointain, votre esprit se brouille pour mieux s’illuminer d’une certitude, cet ultraléger bruissement n’est que le fruit à payer, la batterie vous rembourse au centuple, vous pesez le pour et le contre, et la différence penche en votre faveur, ne faites-vous pas partie de ces générations bénéficiant d’une sécurité exemplaire, d’un bien-être que tous vos ancêtres n’ont pas connu, moment de recueillement, attention il est inutile de s’appesantir en une tristesse empreinte de stupide culpabilité, profitez de la situation présente, votre vie est d’une richesse inouïe, vous arpentez une avenue existentielle pavée d’or, mais que sont ces notes claires noyées d’une inexplicable tristesse souterraine. Le sucre du bonheur ne recèle-t-il pas une étrange saveur amère. Glitch in the mist : changement d’ambiance, pourquoi les relents de nostalgie cachés sous le tapis se teintent-ils d’une tristesse infinie qui gagne en intensité alors que la musique se fait plus douce, coup de pédale sur l’accélérateur de la grosse caisse, comme si l’on essayait de s’opposer à la fragmentation évidente de la vitre qui nous sépare de notre propre réalité. Aïe ! Aïe ! Aïe ! La pression de l’extérieur deviendrait-elle trop forte, n’est-elle pas en train de gagner la partie, ouf ! on respire ! peut-être pas pour très longtemps… Qu’importe la musique décroît, elle ralentit, elle s’apaise… Ici tout n’est que calme, luxe et cauchemar insidieux. 

             Pour ceux qui aiment les recommandations autorisées, Steve Howe, le guitariste de Yes (pour moi ce groupe a toujours été No), le recommande chaudement.

    Damie Chad.

     

    *

    Que vient faire un artiste de country dans une playlist : Heavy-Stoner-Sludge-Doom-Metal-Psych-Desert-Drone Rock-Heavy Rock-70's Rock-Acid Rock-Psychedelic Rock-Hard Rock-Heavy Metal ? Pas de quoi déclencher une troisième guerre mondiale, j’en conviens. Mais la question me taraude depuis quelques temps… Ce n’est pas une erreur, elle se répète depuis trop longtemps, même pas une distraction, le nom de l’artiste embaume le country, l’Amérique profonde, le crottin de cheval, l’Agence Pinkerton, avec un peu de chance une révolte indienne, toute la mythologie de l’Ouest résumée en trois mots, jugez-en par vous-même :

    THE COALMINER’S GRANDSON

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             D’où sort-il au juste ce petit-fils du mineur, j’ai toujours eu un doute, trop couleur locale pour être vrai. Alors ce soir j’ai cherché. J’ai trouvé. 666 Mr Doom, mène depuis plusieurs années sur YT un travail de promotion de groupes situés dans l’arc hard-rock/post-metal, l’a recensé et initié à ce jour quinze mille vidéos. Il ne s’en cache pas, ses parents ne l’ont pas baptisé ainsi, il répond au patronyme de George Kellamy, tiens un grec, je ne peux que m’incliner devant un représentant de ce peuple, quant à notre petit-fils de mineur de charbon, lui non plus, il ne s’en cache pas, il se dénomme : Akis Kosmidis, encore un grec, pas étonnant depuis Anaxagore et Parménide ils sont partout, dans toutes les têtes. Le mystère de cette étrange connexion doom-americana est levé.

    Que cela ne nous empêche pas de nous pencher sur quelques opus de notre artiste.  Vous pouvez le rencontrer sous deux appellations, The Coalminer’s Grandson et The Coalminer’s Grandson with the Folk Family.

    Depuis le mois de janvier 2024, notre charbonnier en chef a posté vingt singles sur son Bandcamp et sa chaîne You Tube. Nous n’allons pas les écouter in extenso pour cette première fois. Notre choix a été guidé par notre préférence pour certaines lllusess. Avant de l’oublier : Akis Kosmidis a peut-être, juste une supposition, choisi son pseudonyme en référence au morceau Coal Miner’s Daugther de Loretta Lynn.

    WHISPERWIND

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    Quelle couve ! tout l’Ouest sauvage comme vous l’avez toujours rêvé, même pas dans les westerns, dans les bandes dessinées, ces fascicules économiques que vous voliez dans les kioskes à journaux, certes vous n’aviez pas le panache cruel de Kit Carson, mais c’était déjà s’inscrire dans The Great Robbery, votre première lutte contre la Société, bref un gamin sur un chemin, pas un chef d’œuvre pictural, une simple vignette un peu maladroite, mais un parfait objet de rêve. Un petit trot au banjo et la voix du Petit-fils, d’habitude rocailleuse tente de se faire douce. Normal une déclaration d’amour, non pas à une femme, soyons sérieux nous sommes chez les cowboys, les vrais, les durs, les impitoyables, non à un cheval. N’interprétez pas les paroles à l’envers, ce n’est pas un garçon qui éduque sa monture, c’est un être libre comme le vent qui apprend la liberté à celui qui ne se définit jamais comme un maître. Le morceau est long, l’est vrai qu’ils sont dans une autre dimension, qu’ils galoperont sans fin comme Crin-Blanc et Folco jusqu’au rivage de la mort.

    REGRETS AND REVERIES

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             L’on ne peut pas vivre dans ses rêves sempiternellement. Sans doute sont-ils plus grands que l’horizon que sur l’image notre cowboy essaie d’embrasser. Le ton change, l’est devenu sarcastique, il est vrai qu’il ne s’adresse pas à un être supérieur, comprenez un animal, l’ensemble vous a un petit côté scène autour d’un feu de bois, ou dans un saloon, le gars qui prend son banjo pour s’adresser à des gars qui lui ressemblent comme deux gouttes d’eau qui ont davantage de regrets dans leurs poches que de rêves. Beaucoup de temps perdu avec des gens qui n’en valaient pas la peine, pour sa propre vie il n’a pas toujours parfait, mais en fait il est assez fier d’avoir survécu comme il l’a fait. Au mieux de ses possibilités et de ses manquements. Serait-ce l’ironique consolation du pauvre…

    THE BOY I WAS, THE MAN I’VE BECOME

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             Une imagerie un peu trop pathétique, le petit-garçon dans les bras protecteurs de son grand-père. Non ce n’est pas tout à fait cela. L’écrit bien, notre chanteur. Ses textes ressemblent à ces longs poèmes en vers réguliers auxquels nous ont habitués les poëtes romantiques. Peut-être avez-vous ressenti un souffle schelleyen dans le premier titre, Whisperwind, ici c’est plus proche de Victor Hugo. Une belle mise en scène, au début l’on se croit dans un cimetière, parfois les miroirs réfléchissent beaucoup mieux que nous, ils nous renvoient une image de notre futur. Chante bien aussi. Sait mettre le ton. Ici, il semble qu’il parle, pas à nous mais avec lui-même. Le rythme est lent, piano mélancolique et violon pleureur lui prêtent main-forte. A la fin du morceau, il ne s’est pas passé grand-chose, la mort s’est simplement rapprochée. Quoi dire de plus…

             Très efficace. Très américain. Nous y  reviendrons.

    Damie Chad.