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CHRONIQUES DE POURPRE 648 : KR'TNT 648 : RUSS WILKINS / NO JAZZ QUARTET /MAX DECHARNE / WAYNE KRAMER / GEORGE SOULE / GHOST HIGHWAY / DOOM DRAGON RISING / ORPHEAN PASSAGE / THUMOS

KR’TNT !

KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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LIVRAISON 648

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR’TNT KR’TNT

06 / 06 / 2024 

 

RUSS WILKINS / NO JAZZ QUARTET

MAX DECHARNé / WAYNE KRAMER

GEORGE SOULE /  GHOST HIGHWAY

 DOOM DRAGON RISING /  ORPHEAN PASSAGE

  THUMOS

 

 

Sur ce site : livraisons 318 – 648

Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

http://krtnt.hautetfort.com/

 

 

Wizards & True Stars

- Russ the Boss 

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         Il existe deux boss dans l’histoire du rock et des wizards : Ross the Boss des Dictators, et Russ the Boss de Lord Rochester, mais aussi d’une palanquée d’autres groupes dont on va causer dans la foulée. Depuis cinquante ans, Russ the Boss Wilkins est l’une des têtes de gondole proéminentes de l’underground britannique, au même titre que Wild Billy Childish, Graham Day, Bruce Brand, Mickey Hampshire, Hipbone Slim, Dan Melchior et Sexton Ming. On retrouve la trace du Russ dans les Pop Rivets, les Milkshakes, le Len Bright Combo, les Delmonas, les Wildebeests, Lord Rochester et dans une multitude d’autres projets. Chaque fois, les disks sont bons, c’est important de le signaler. Les ceusses qui le savent y vont les yeux fermés.

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         Son anti-carrière remonte à 1979. Il était déjà dans la big rock action avec Wild Billy Childish et les Pop Rivets, et un tonitruant premier album baptisé Greatest Hits. Bruce Brand fait aussi ses débuts de légende vivante, car il y bat le beurre, il faut l’entendre battre la chamade de «Fun In The UK». Te voilà au parfum. On entend le Billy s’étrangler de rage dans «Bacon». Il fait du punk primitif, si mal dégrossi qu’on dirait du Dada. Ah quel joli développé de Méricourt ! On sent bien les racines du British beat dans leur punkitude affichée. S’ensuit un gorgeous clin d’œil aux Mods avec «Lambrettavespascoota», gratté à l’hard ska de Brixton, il est complètement fou le Billy, complètement fracassé de la ciboulette. Il s’énerve encore plus avec «Kray Twins», il chante comme une petite fiotte enragée, il est à la fois marrant et impressionnant. À l’aube des temps, les Pop Rivets sont superbes, Billy the kid part bien en vrille sur le bassmatic de Russ the Boss. Avec «Commercial», ils sonnent comme les Buzzcocks, avec la même énergie et le même bassmatic cavaleur. C’est Russ the Boss qui tape le «Disco Fever» en mode «Death Party». Quelle dégelée ! Les Pop Rivets sont effarants de grandeur tutélaire. Billy fait encore sa sale teigne sur «To Start - To Hesitate - To Stop» et Russ the Boss roule sa poule au bassmatic délirant. On entend parfois Billy crier comme un condamné, et ils bouclent cette brillante affaire avec le wild gaga punk de «Pins & Needles». Ils sortent le grand jeu, c’est-à-dire le fast stomp. Merveilleuse énergie des maillots de corps et des peaux adolescentes.

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         On trouve trois covers diaboliques sur l’Empty Sounds From Anarchy Ranch des Pop Rivets : «You Really Got Me», «Wild Thing» et «What’cha Gonna Do About It». Ça chauffe pour de vrai, c’est trashé jusqu’à l’oss de l’ass, il tapent les Small Faces, les Kinks et les Troggs à l’arrache-pied et sur le What’cha, on entend la bassline voyageuse de Russ the Boss. Le reste de l’album va plus sur la grosse dégelée de Medway Punk’s Not Dead, et «Skip Off School» est un real deal de real slab. Heureusement tout n’est pas si bon, ça permet de reposer les oreilles. Avec «Anarchy Ranch», ils font de la wild Americana de Medway. 

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         Le Live In Germany ‘79 est un bel Hangman de 1990. Tu éprouves une certaine fierté à le posséder, comme d’ailleurs tous les Hangman. Ce Live est plus un document sociologique qu’un album live, au sens où on l’entend généralement. Ce n’est ni le Band Of Gyspsys ni le Rockin’ The Fillmore, c’est un doc live un peu âpre, enregistré avec les moyens du bord à Hambourg et à Dusseldorf, en septembre 1979. Les Pop Rivets sont quatre, Wild Billy Childish chante, Bruce Brand gratte ses poux, Big Russ bassmatique, et Little Russ bat le beurre. Au dos, Jack Ketch déclare que ce Live «is an important document in the history of medways premier punk group». Alors ils foncent dans le tas et aussitôt après un «Hippy Shake» mal dégrossi, ils tapent un «Kray Twins» punk as hell. On entend Big Russ monter au front avec son bassmatic sur le ska d’«Hipocrite» et Billy pique sa crise avec la cover du «Watcha Gonna Do» des Small Faces. En B, ils sortent leur vieux «Fun In The UK», le fast punk de «Beatle Boot» vite torché à la torchère, et ils enchaînent avec l’«ATVM Ferry»» d’Alternative TV de Part Time Punks, puis «Steppin’ Sone», cover idéale pour des sales punks. Ils se vautrent ensuite en reprenant le «Jet Boy» de Plastic Bertrand. Ce sera la seule faute de goût dans les immenses carrières de Wild Billy Childish et de Big Russ Wilkins. 

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         En 1982 Russ the Boss se retrouve dans les Milkshakes, une sorte de super-groupe avant la lettre. Pardonnez du peu : Wild Billy Childish, Bruce Brand, Mickey Hampshire et Russ the Boss. Si ce n’est pas un super-groupe, alors qu’est-ce que c’est ? Ils vont enregistrer une petite palanquée d’albums, avec en moyenne trois pépites sur chacun d’eux, ce qui reste une moyenne honorable. Fourteen Rhythm & Beat Greats est un Big Beat de 1982. Belle pochette classique, beau son classique, beau choix de cuts classiques. On en retiendra trois : «Seven Days», «No One Else» et «Red Monkey». «Seven Days», oui, car monté sur les accords des early Kinks, Milky Power avec l’aw qui annonce se solo de la désaille définitive, du pur Mickey Hampshire. Exploit qu’il réédite avec un «Exactly Like You» bien bombé du torse. «No One Else», oui, car bombasté dès l’intro par Big Russ, le demolition man. Fantastique pulsateur devant l’éternel ! Et «Red Monkey», oui, car clin d’œil à Link Wray avec un son de basse délibérément outrageous. Du Wray de Wray.

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         En gros, les Milkshakes sonnent comme les early Beatles et les early Kinks. C’est à la fois leur crédo et leur seuil de référence. Sur After School Sessions, «Shimmy Shake» sonne exactement comme du l’early shimmy des Beatles. Fantastique mimétisme ! Même chose avec «You Can Only Lose» en B, pur early shimmy shake de Beatlemania. Avec «Tell Me Child», ils font le dirty gaga Kinky, Mickey Hampshire gratte les poux de Dave Davies. C’est tellement ultra-dirty que ça mord sur les Pretties. Le reste est plus classique, plus Milkshaky. On entend bien le bassmatic de Russ the Boss dans «I Can Tell», ils diversifient énormément, et Bruce Brand sublime l’instro cavaleur «El Salvador». Ils terminent avec un «Cadillac» plein de jus, battu sec, taillé au cordeau, fourvoyé, mais un peu prévisible. On leur pardonne. 

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         Retour aux Kinks sur The Milkshakes In Germany avec «I’ll Find Another». Pure Kinky motion ‘65 et killer solo trash à la Dave Davies. Merci Mickey ! Retour aussi à l’early Beatlemania échevelée avec «She’s The Kind Of Girl». C’est exactement la même énergie. Ils bouclent leur balda avec «Comes Along Midnight», plus stompy, plus dirty, pas loin des Pretties, mais des Pretties en colère, sonné des cloches au scream et transpercé d’un killer solo trash de Mickey Hampshire ! Si on écoute cet album, c’est uniquement pour rester en bonne compagnie. Ils font encore des étincelles en B avec «I Need Lovin’», un heavy groove milkshaky hanté par un solo de traînasse. Même au ralenti, ils sont éclatants de punkitude sixties. Ils bouclent ce teutonique Germany avec un «Sometimes I Wantcha (For Your Money)» très beatlemaniaque dans l’idée, mais avec une pincée de wild gaga punk. Billy the kid chante vraiment comme John Lennon.

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         Encore une belle pochette classique pour ce 20 Rock & Roll Hits Of The 50’s And 60’s, un Big Beat de 1984 qui te frétille entre les doigts. Il fait même honneur à ton étagère. Big Russ et toute la bande commencent par rendre hommage aux Beatles avec une version en plein dans le mille d’«Hippy Hippy Shake». S’il est un groupe qui a bien pigé le génie des Beatles, c’est eux. Ils trient leurs covers sur le volet et enchaînent avec le «Rip It Up» de Little Richard, mais sans la voix. C’est du tout cuit pour cette bête de Gévaudan qu’est Bruce Brand. Sur cet album, tout est drivé sec par Russ et battu net par Bruce. Ils rendent hommage à Gene Vincent avec une cover claironnante de «Say Mama», et plus loin de «Jezebel», et restent dans le giron des génies de l’humanité avec Buddy Holly et une version de «Peggy Sue» qui leur va comme un gant. Numéro dément de Bruce au beurre. Si tu veux entendre un grand batteur anglais, c’est là. Ils tapent aussi l’imbattable «Jaguar & The Thunderbird» de Chucky Chuckah et en dépotent une version ahurissante d’ampleur et d’élan. T’es vraiment content d’être là, devant ta petite platine de branleur. En B, ils claquent un «Something Else» bien senti, looka here ! C’est gratté dans le sens du poil, tu peux leur faire confiance. Leur «Who Do You Love» est un peu trop bordélique, mal lancé. Ils perdent en route le Bo du Bo. Par contre, ils transforment l’«Hidden Charms» de Wolf en wild protozozo, et ils bouclent la boucle avec une version complètement allumée d’un cut déjà allumé, «I Wanna Be Your Man», qui, t’en souvient-t-il, fut le premier single des Stones, cadeau de John & Paul.

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         Belle pochette que celle de Nothing Can Stop These Men, paru en 1984. Si tu veux voir un vrai super-groupe en photo, c’est là que ça se passe. Attaque de plein fouet avec «You Got Me Girl», heavy gaga britannique, terriblement dirty, traîne-savate et mal intentionné. Bruce Brand vole le show dans «She’s No Good To Me», ce big shoot de gaga buté et bas du front, mais c’est en B que se joue le destin de l’album, avec «The Grim Reaper», un instro digne des Cramps. Puis ils rendent hommage à Johnny Kidd avec «Everywhere I Look». On y entend aussi des échos du «Brand New Cadillac» de Vince Taylor. Puis ils renouent avec la Beatlemania dans «I’m The One For You», poppy en diable, chanté à l’accent clinquant couronné d’harmonies vocales et de claqué de Ricken. Pur magie ! «You’ve Been Lyin’» sent aussi très bon le «Brand New Cadillac» - You’ve been lyin’/ Lyin’ to me - Hard Nut ! 

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         Sous-titré The Legendary Missing 9th album, The Milkshakes’ Revenge paraît en 1987. La bande fut volée au soir de l’enregistrement, nous dit Hasty Bananas au dos de la pochette. Et elle réapparut tout aussi mystérieusement. Tant mieux pour nous, car on peut écouter ce smash d’heavy rumble qu’est «Let Me Love You», une espèce de coup de génie à la Johnny Kidd. Ils enchaînent avec une belle cover d’«I Want You», l’immémorial hit des Troggs, et en B, ils tapent une autre prestigieuse cover, «Pipeline», mais elle n’est pas aussi flamboyante que celle de Johnny Thunders sur So Alone. Wild Billy Childish pique sa crise de gaga-punk des Batignolles avec «She Tells Me She Loves Me», et puis avec «Every Girl I Meet», les Milkshakes font une petite tentative   de putsch rockab. Ils bouclent avec une cover du «Baby What’s Wrong» de Jimmy Reed, qui dans les pattes des Milkshakes devient un heavy stomp gaga mené de main de maître.

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         Wild Billy Childish et Big Russ se retrouvent sur Laughing Gravy, un 25 cm paru en 1987. Pochette bois gravé, sortie des ateliers du graveur Childish. Il n’existe rien de plus underground que ce type d’album. Même à l’époque, il fallait sortir un billet pour l’avoir. Ils attaquent avec une cover du «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed. Ils tapent tout l’album aux poux très secs. Ça sonne comme s’ils se désaccordaient en jouant. Leur volonté d’anti-m’as-tu-vu n’en finit plus de s’afficher, cut après cut. Ils tapent le «Black Girl» de Leadbelly à la corne de brume, ou à l’orgue de barbarie, c’est comme tu veux. Ils sont marrants, tous les deux, on les voit sautiller derrière «Little Bettina», ils grattent comme des sagouins. Pas question d’être numéro un au hit-parade ! Fuck it ! En B, ces deux cats du Kent tapent un heavy boogie downhome de Rochester, «I Need Lovin’». Fabuleuse clameur.

         Ce sont les Milkshakes qui accompagnent les Delmonas sur leurs quatre albums. On y reviendra dans un chapitre à part entière.

         Ce n’est pas un hasard, Balthasar, si on retrouve Russ the Boss dans les deux albums du Len Bright Combo, Len Bright Combo By The Len Bright Combo, et Combo Time, parus tous les deux en 1986 sur le mythique label Ambassador.

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         Magnifique album que ce Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Trio en forme de formule magique : Wreckless Eric, Russ the Boss et Bruce Brand. On y trouve deux clins d’yeux à Syd Barrett : «Selina Through The Windshield» et «Lureland». Pour Selina, l’Eric ramène un brillant panache de psyché, et il place un gros solo trash de dérive abdominale. C’est éclatant, pur jus de Piper, il explose The Gates Of Dawn. Fantastique résurgence ! «Lureland» est aussi très Barrett, même complètement barré de la Barrett. Le coup de génie est le cut d’ouverture de balda : «You’re Gonna Screw My Head Off». Très British, éclatant, développé, surprenant, imparable. Une solace de psychout so far out. En B, on tombe sur «Sophie (The Dream Of Edmund Hirondelle Barnes)». Il faut leur reconnaître une certaine grandeur, une belle affirmation, une volonté réelle d’éclater le Sénégal d’Angleterre. Que de son, my son ! «The Del Barnes Sound», nous dit-on au dos de la pochette. Tout aussi puissant, voici «The Golden Hour Of Farry Secombe», un cut qui va se fracasser dans le mur du son. Et ce magnifique album s’achève avec «Shirt Without A Heart», un power de tous les instants monté sur une pure structure pop, l’Eric bâtit son petit Wall of Sound avec une troublante efficacité. Il monte son cut en neige prodigieuse.

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         Le deuxième Len Bright Combo sort la même année, en 1986 et s’appelle Combo Time.  Il s’ouvre sur l’assez puissant «Comedy Time». L’Eric charge bien sa barcasse de comedy time. Son «Pleasant Valley Wednesday» n’a rien à voir avec les Monkees, mais ça dérape dans la Méricourt de Big Russ. Comme on l’a vu sur le premier Combo, l’Eric sait créer les conditions du foutoir psychédélique, c’est en tous les cas ce que montre une fois de plus «Swimming Against The Tide Of Reason». Il dispose d’une pente naturelle à l’esbrouffe, il sait finir en beauté. Il dispose bien sûr du personnel idéal pour ça. «The House Burned Down» sonne comme un petit boogie décidé à en découdre. Alors il en découd. Une fois encore, nous trois amis chargent bien la barcasse et ça grimpe très vite en température. C’est vraiment excellent, toujours inspiré, soutenu aux chœurs de lads. Comme si Syd avait mangé des épinards. En B, ils partent en monde «Lust For Life» pour «The Awakening Of Edmund Hirondelle Barnes». Assez gonflé. Pur Russ power ! Bruce Brand vole le show avec «Club 18-30», un petit ramshakle original et l’album se termine en beauté avec «Ticking In My Corner», un heavy country blues de Medway, c’est brillant, joué au bord du fleuve. On exulte en écoutant le bright downhome blues du Combo. Méchante allure ! L’Eric est un crack, un vrai boum-hue-hue. Il explose le country blues, il en fait une montagne de pâté de foi, et il y jette toute sa petite niaque.   

         En 1996, Russ the Boss monte les Wildebeests avec John Gibbs (qui a joué avec Hipbone Slim et les Masonics) et Lenny Helsing au beurre.

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         Dimbo Party sort sur le label d’Hipbone Slim, Alopecia Records, en 1997. Donc gage de qualité. Russ the Boss annonce la couleur dès «Trust In Me», heavy shoot de gaga-punk britannique, juteux, frais comme un gardon et lourd de sens. On sent que ces trois mecs prennent du plaisir à shaker le shook. Avec «Come On now», ils passent au classic Beatles jive de l’aube des temps, puis ils claquent «Hey Cassandra» au swing de Gévaudan, Big Russ fout le feu à la ville pendant que Gibbs claque un bassmatic monumental. Wild Wildebeests jive ! Ils attaquent leur B de plein fouet avec «You Were Wrong», c’est du Chucky à l’anglaise, claqué au riff hésitant, typique des Pretties, et Gibbs perpétue le grand art du bassmatic à la John Stax. Diable, comme ces trois mecs vénèrent les Pretties ! Ils swingent encore comme des démons sur «Mind Blender» et «BMC», et bouclent cet album qu’il faut bien qualifier de chaud-devant avec «Bubblegum Fuzz». Ils s’y entendent en dégelées royales. Joli shoot de wild as Beests !

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         Pas étonnant que Go Wilde In The Countrye soit paru sur Sympathy For The Record Industry. C’est un wild album qui grouille de puces, une sorte d’apanage du power trio underground pur, et ça claque derrière les oreilles dès «I Need You» en mode Trogglodynamite, c’est-à-dire bouillon de culture gaga-punk. Ils embarquent «Frogboy» au one two three, au fast on the run. Comme ils chantent en anglais, on s’exprime en anglais, pour essayer d’être un peu cohérent. Dans la vie, un peu de cohérence ne fait jamais de mal. Russ et ses sbires vont vite en besogne et te remontent la sauce avec des chœurs de Dolls. Plus loin, ils attaquent «Standing Alone» en Kinky motion, bel hommage au génie punk de Dave Davies, Russ et ses Beests ont le power, ils claquent le Kinky KO. Ils regrattent les accords des Kinks de 65 dans «This Is My Year» et Russ the Boss passe un violent killer solo. Ils tapent une très violente cover de «Parchman Farm». C’est complètement punked-out, ils gèrent bien le calme avant la tempête. Ils sont les Wildebeests de Gévaudan. Pour couronner le tout, voilà une belle dégelée psyché, «Couldn’t You Say You Were Wrong», avec une incroyable profondeur de champ, ils font du Syd Barrett sous amphètes, ça spurge dans la stratosphère, ils explosent tout, c’est un violent shoot de Mad Psyché évangélique, ça traverse les siècles et le blindage des coffres, ça t’explose la bulbosphère, et le Russ n’en finit plus de charger la barcasse du diable.

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         Il est possible que le perruqué qui orne la pochette d’Annie Get Your Gnu soit le mec des Snobs, un combo britannique des sixties qu’on croise sur les meilleures compiles Mods, notamment Searching In The Wilderness. Annie Get Your Gnu est ce qu’on appelle un album endiablé. Boom dès «Your Mind». Boom car explosif ! Quasi protozoaire, affreusement claqué du beignet par Russ the Boss. Killer solo, bien sûr. Une fois de plus, les Beests de Gévaudan dévorent les abscisses et les ordonnées du rock anglais. Le petit stomp d’«I Can’t Change» sonne très Beatles au Star Club de Hambourg et puis avec «No No No», ils font du simili 13th Floor Elevators, avec une cruche électrique. Bel hommage ! Retour en fanfare à Dave Davies avec «Til Sun Up». En plein dans le mille du Really Got Me. Russ the Boss n’en finit plus d’être fasciné par ce son, comme au temps des Milkshakes. Retour au Really Got Me en B avec «Lucinda», ce sont exactement les mêmes accords, aw Lucinda/ Luncinda/ Why don’t you set me free - Russ passe un killer solo flash aussi beau et définitif que celui de Dave Davies. Plus loin, ils tapent une cover inexpected, l’«I Did You No Wrong» des Pistols. Bien sûr, ils n’ont pas la voix, mais le feu sacré est là, et bien là. Ils finissent en beauté avec «Who’s Sorry Now», un superbe shoot de gaga jeté par dessus la jambe, avec les chœurs des Who, c’est brillant, braillé au who’s sorry now.

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         L’une des spécialités des Wildebeests est de démarrer les albums avec le dirty punk le plus sale et le plus méchant. The Gnus Of Gnavarone n’échappe pas à la règle. Russ the Boss explose «You Lied To Me» avec un wild killer solo trash. Dans le genre, il est aussi bon que Mickey Hamshire. Le hard boogie de «Nothing’s Gonna Change Me» est encore un pur coup de génie bestial. «Face» est encore bien chargé du bulbique et chanté au raw gut de just to see your face. Tout le reste de la viande est parqué en B, boom dès «Why Don’t You Come Home», attaqué en mode Pretties, aussi wild que «Don’t Bring Me Down», c’est exactement la même niaque de morve délinquante et le même fondu de killer killah. Ils tapent chaque fois en plein dans le mille, comme le montre encore la belle pop psyché de «That Man». Tout est brillant, chez ces mecs-là. «Save My Soul» sonne comme un hit des Creation. Ils ont ce profil d’ultra-freakbeat. Russ the Boss boucle avec «You Can Get Together Again», monté sur un heavy stomp de base et de rigueur, et noyé de killer killah  à la Big Russ, c’est une aubaine pour les oreilles.

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         Comme son père spirituel Nuggets, Gnuggets est un double album, et même un sacré double album, le genre de double album auquel personne ne peut résister. Russ the Boss et ses deux amis ont rassemblé tous les singles des Wildebeests, et ça rock the boat ! Douze bombes sur les 4 faces, dont d’incroyables covers, comme le «Gorilla Got Me» de Jesse Hector, le «She Lives In A Time Of Her Own» du 13th Floor, le «Mongoloid» de Devo que Big Russ gratte à la cisaille, le «Public Image» de PIL attaqué à la basse de Jah, Hallo ! Hallo!, le «Down In The Bottom» de Big Dix avec les fantastiques descentes au barbu de John Gibbs, l’«I Feel Alright» des Stooges tapé au bassmatic des Trogglodynamics, le «Just Like Me» de Paul Revere & The Raiders qu’ils font sonner comme du Dave Davies, l’«I’m Rowed Out» des Eyes, classic gaga-punk de l’âge d’or gratté encore une fois à la Dave Davies, le «Mellow Down Easy» et l’«Hidden Charms» de Big Dix, groové en profondeur pour le premier et transpercé par un killer solo flash pour le second, et puis tu as encore le «Please Go Home» des Stones, l’«All Aboard» de Chucky Chuckah, le «Don’t Gimme No Lip» de Dave Berry, quasi protozoaire, joué à la main lourde de l’heavy stomp. Tu vas aussi retrouver l’effarant «Parchman Farm» proto-punkish de Mose Allison, l’«I Wanna Be Loved» des Heartbreakers, suprême hommage, le «Commanche» de Link Wray, «You Lie», un hit obscur des Lynx, digne des Downliners, et en fin de D, on tombe sur des compos à eux, comme «One + One», heavy slab de gaga sauvage, «1996», solide et wild, gratté à la vie à la mort, et «Pointless» pur jus de Stonesy, pas loin de l’«Under-Assistant West Coast Promotion Man». 

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         En 1987, Russ the Boss s’associe avec Sexton Ming pour monter les Mindreaders. Boom direct avec Ban The Mindreaders. C’est l’un des grands albums inconnus de l’Underground Britannique. Ils démarrent avec un «We’re Gonna Have» wild as fuck, qui est une cover du «We’re Gonna Have A Real Good Time Together». C’est claqué si sec ! En B, ils restent dans les parages du Velvet avec une cover du «She Cracked» des Modern Lovers. Nouvel hommage de taille avec le «Love Comes In Spurts» de Richard Hell. Explosif ! Sur «Anna», Russ the Boss passe un solo à deux notes, comme Pete Shelley le fit dans «Boredom», au temps  béni de Spiral Scratch. Ces trois mecs sont supérieurs en tout. Même niaque que celle des Cheater Slicks. Encore un terrific gaga blaster avec «Girl I Kill You». Tu as là la disto la plus sale d’Angleterre. Pure giclée de protozoaire ! Puis il tapent dans le saint des saints avec l’«Are You Experienced» de l’ami Jimi. Alors, aussi incroyable que celui puisse paraître, ils l’explosent ! Ils osent exploser l’hendrixité des choses ! Russ the Boss est coutumier de ce genre d’exploit. C’est à lui qu’on doit la grandeur du premier album de Len Bright Combo. Il faut aussi saluer l’«I Don’t Care» planqué en B et pulsé aux chœurs de fiottes. 

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         Un deuxième album des Mindreaders a fait surface récemment sur Spinout Nuggets. Il s’appelle Continuation et bénéficie d’une belle pochette voodoo. Apparemment, le trio a survécu, comme l’indique Vic Templar au dos de la pochette. Tant mieux pour nous, pauvres pêcheurs, car voilà (encore) un album béni des dieux du rock anglais, et ça te saute à la gueule dès l’hard gaga boueux bien cracra d’«It’s Bagtime», c’est même carrément Beefheartien, un vrai coup de génie underground. Tu t’en remets difficilement. Plus loin, ils passent à l’experiment avec «Fractures Of Your Face», un cut processionnaire qui ondule sous la lune, mais ils opèrent un retour aux brutalités avec «Take You Slow», ça chante à la meute de chasse avec le sax d’X Ray Spex. Incroyable power de la modernité ! Ça paraît logique avec des gens comme Sexton Ming et Russ the Boss. En B, tu as un beau câdö qui t’attend : une triplette de Belleville avec «I’m Alright Jack», «She’s My Sausage Girl» et «M2 Bridge 67». Alors, punk rawk d’Edimburg avec le Jack, rawk beefheartien avec la Sausage Girl, c’est même pire que du Beefheart, complètement demented, excédé, avide de confrontation, et puis voilà l’M2, un fascinant balladif monté en neige. Ils basculent dans l’excellence ambiancière. On n’en attendait pas moins d’eux. 

Signé : Cazengler, Russtique

Pop Rivets. Greatest Hits. Hipocrite Music 1979

Pop Rivets. Empty Sounds From Anarchy Ranch. Hipocrite Music 1979

Pop Rivets. Live In Germany ‘79. Hangman Records 1990

Milkshakes. Fourteen Rhythm & Beat Greats. Big Beat Records 1982

Milkshakes. After School Sessions. Upright Records 1982

Milkshakes. The Milkshakes In Germany. Upright Records 1983

Milkshakes. 20 Rock & Roll Hits Of The 50’s And 60’s. Big Beat Records 1984

Milkshakes. Nothing Can Stop These Men. Milkshake Records 1984

Milkshakes. The Milksakes Revenge. Hangman Records 1987

Wild Billy Childish + Big Russ Wilkins. Laughing Gravy. Empire Records 1987

Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Empire Records 1986

Len Bright Combo. Combo Time. Ambassador 1986

The Wildebeests. Dimbo Party. Alopecia Records 1997

The Wildebeests. Go Wilde In The Countrye. Sympathy For The Record Industry 1997

The Wildebeests. Annie Get Your Gnu. Screaming Apple 2006

The Wildebeests. The Gnus Of Gnavarone. Dirty Water Records 2009

The Wildebeests. Gnuggets. Dirty Water Records 2010

Mindreaders. Ban The Mindreaders. Empire Records 1987

Mindreaders. Continuation. Spinout Nuggets 2021

 

 

L’avenir du rock

 - Quartet gagnant

         S’il est un reproche que l’avenir du rock ne supporte pas, c’est qu’on le traite de positiviste. Il éprouve pour le positivisme une profonde aversion. Ça le fait gerber, rien que d’y penser. Pire que le mal de mer. Pire que de voir une grosse rombière réactionnaire déguster des biscottes de foie gras dans un fucking réveillon. Des exemples comme celui-là, il en a d’autres, ça pullule, chaque fois que l’avenir du rock s’approche de secteurs comme la politique, la religion ou les médias, il frise l’overdose de gerbe rien que d’y penser. Alors il s’en éloigne rapidement. Par contre, si tu le branches sur le négativisme, alors tu vas voir sa bobine s’illuminer. Rien de tel que le négativisme ! Sa tournure préférée reste le fameux No Future, l’hymne des jours pas heureux, ceux qu’il préfère. C’est justement le paradoxe du No Future qui fascine tant l’avenir du rock. Pourquoi ? Parce qu’avec sa formule, Johnny Rotten renoue avec la véracité véracitaire de l’utopie anarchiste. Des cakes comme Zo d’Axa clamaient au XIXe siècle qu’elle était l’avenir du genre humain. Johnny et Zo font bicher l’avenir du rock. Il adore aussi la formule No Way Out, elle dit tout ce qu’il y a à savoir d’une impasse. Rien de tel qu’une bonne impasse pour te retrouver au pied du mur. Pour te sentir bien baisé. Que tu t’en sortes ou pas n’est pas le problème, de toute façon, ta vie est un no way out, il ne faut jamais perdre ça de vue. L’avenir du rock éprouve encore un faible pour le No Sell Out, c’est-à-dire la caste des groupes qui ne vendent pas leur cul. En son temps, le NME avait publié un spécial No Sell Out dont la tête de gondole était Fugazi, et dont la meilleure incarnation reste Wild Billy Childish. Quand l’avenir du rock observe la voûte étoilée, il se régale du spectacle de cette belle constellation : Zo d’Axa, Johnny Rotten et Wild Billy Childish, auxquels il ne manque pas d’ajouter les mighty No Jazz Quartet, nouveaux tenants de l’aboutissant.    

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         Toujours un bonheur que de retrouver sur scène l’ex-Holy Curse et ex-Keith Richards Overdose, Sonic Polo. On l’a vu en 2015 au Havre avec l’excellente Overdose (dont on a dit ici tout le bien qu’il fallait en penser), et des tas de fois au temps où les Holy Curse ouvraient pour tous les groupes gaga anglo-américains qui déboulaient à Paris. Jamais en tête d’affiche, alors ça finissait par devenir scandaleux, car les Holy Curse battaient pas mal de têtes d’affiches à la course. Les mighty Holy Curse avaient deux armes secrètes : Sonic Polo sur sa Tele bleue, et au chant, un brillant gaillard qui aurait pu remplacer Chris Bailey dans les Saints, pas de problème. Dans ce monde idéal dont on parle souvent, les Holy Curse auraient dû exploser.  

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         Sonic Polo reprend tout à zéro avec No Jazz Quartet, alors on va les voir sur scène.  C’est le genre de résurrection sur laquelle on ne crache pas. On en attend même des miracles. Le décorum de la Boule Noire s’y prête bien, puisqu’ils apparaissent dans la fumée. Le Quartet émerge du fog, deux grattes à l’avant et James McClellan tape tout de suite dans le dur en faisant son Captain Beefheart, ou son Tex Perkins, si tu préfères, il growle son «Lost Trail» à s’en esquinter la glotte et nous voilà partis à l’aventure, dans la meilleure des compagnies. Le Quartet joue en formation serrée, les deux grattes croisent le fer en permanence, Sonic Polo et Captain James nouent des accords bilatéraux dilapidés sur le champ, ils développent des combinaisons toxiques, ils trafiquent d’atroces sortilèges, ils tissent des trames insidieuses et plongent la pauvre vieille Boule Noire dans un ténébreux chaos de no way out, mais sans en rajouter des caisses, ce qui est admirable. Comme s’ils parvenaient à tenir leur chaos en laisse. Ils cultivent les Fleurs du Mal d’un rock à la fois ancien et moderne, on revoit ce qu’on a déjà vu cent fois, et en même temps, ils shakent l’orgone accumulator comme des cracks. Tu revois Sonic Polo sur scène et t’es dans la machine à remonter le temps, mais tu le vois mettre le grappin sur le matérialisme dialectique du rock, sa façon de dire : «c’est là, maintenant !». Quand il est bon, le rock te fait vivre l’instant présent mieux que toute autre forme d’art. Ce sont tous les instants présents ajoutés les uns aux autres qui constituent l’avenir du rock. Cut après cut, le Quartet bâtit sa version de l’avenir du rock. Tu peux y aller les yeux fermés.

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         Sonic Polo prend le chant sur «Thermondynamic Love», un cut qui cavale à travers la plaine. Hot as hell. On sent le punk en lui et bien sûr ça explose en plein vol. Ils adorent tramer leurs complots dans l’ombre, comme le montre «The Flower On The Wall». Mais toujours pas de hit. Ce n’est pas leur propos. Le vent noir souffle sur «The Dark Wind», alors ils duettent dans les vapeurs de l’enfer du boulevard, ils se payent des petites crises de hurlette de Hurlevent et claquent des accords mort-nés. Sonic Polo annonce un cut du prochain album, «Ramshackle», puis Captain James revient s’arracher la glotte sur «The Last Man On Earth». Ils n’en finissent plus de chercher des noises à la noise, ils repartent de plus belle avec «And Then I Saw The Bird» enchaîné avec «Three Kinds Of Snakes», heavy boogie et heavy sludge, il y va de bon cœur le Captain James. Full blow ! Ils atteignent le sommet du bottom, ils noient cette merveille dans le son des grattes. «Three Kinds Of Snakes» est le tenant de l’aboutissant. Sonic Polo glisse un tournevis dans ses cordes pour attaquer «Good Riddance». Ça sonne un peu comme du Horsepower, mais avec du doom en plus. 

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         L’occasion est trop belle de plonger à nouveau dans Holy Curse. Tu devrais commencer toutes affaires cessantes par Take It As It Comes, un mighty Turborock de 2011. En plus ce fut un cadeau, lors d’une convention, au Havre. Quel album !

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Ça t’emporte la bouche dès «Johnny’s Day (It Wasn’t)». D’habitude, c’est bardé de barda, mais là, c’est saturé de barda. Mad Eric pose son chant sur la marmite, c’est bien Detroit dans l’esprit, avec les solos en intraveineuse. Ça joue à ras-bord, t’as un solo compressé, enragé et ballonné et tu vois l’Eric remonter sur le dragon. Demented ! Le «Died Ugly» qui suit est encore plus saturé, ça bascule en plein dans les Saints. T’es pas sorti de l’auberge avec ces mecs-là ! Ils héritent de toute la grandeur de l’heavy sound et des ponts flottants de l’invasion barbare. Sonic Polo te tombe sur le râble en permanence. Sa fournaise est ambulatoire. Il devrait faire école. Pur sonic genius, ses notes flottent dans la fournaise. Il invente le sonic trash flottant. Puis sa gratte devient une gratte vampire dans «Man With The Heavy Hand». Il plane sur le cut. Oh l’incroyable qualité de la menace ! Il entre par la fenêtre et joue le jeu de l’heavy load. Mad Eric re-vole ensuite le show avec «The Bellbirds Song», une espèce de rentre-dedans digne des Saints : tu y croises du take me down et un killer solo trash.

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         Paru en 1999, Hereafter vaut sacrément le détour. Tu y retrouves tout ce que tu aimes : le riff raff bien posé à plat et la voix d’autorité. Ils sont déjà les rois de la dégelée. Avec eux, t’auras jamais froid en hiver. Ils rendent très vite hommage aux Saints avec «Recurrence». Après des petits arpèges de brouillage de piste, ils repartent à l’harsh fondamental, ils n’en finissent plus d’étaler leur miel brûlant sur la tartine, ils partent en mode Saints à coups de giclées de dégelée. Plus loin, ils vont encore sonner comme les Saints dans «Dehumanized» (sic) et «Insane Alive», ils y vont à coups d’and the world is going wild, primal Sainty blow, ils te claquent ça au non retour de no way out. «Dehumanized» est chargé de tout le pathos d’Eternally Yours. Quant à «Insane Alive», ça te renvoie en cœur de «Nights In Venice», dans cette culmination de l’enfer sur la terre, les poux s’en donnent à cœur joie, ça gratte à la folie, t’en vois pas tous les jours des poux aussi tentaculaires, aussi profite-zen, et les Curse n’en finissent plus de relancer leur banco, ça bascule dans une fournaise qui doit autant aux Saints qu’aux Stooges. Tout l’album est bourré à craquer, notamment ce «Terra Incognita» qui plonge Moctezuma dans le pire climax qui se puise imaginer, et dans «Days Like Minutes», ils te font le coup de l’invasion des killer solos flash. Deux dans le même cut ! C’est une bénédiction. Et puis voilà le coup de génie qui arrive sans prévenir : «It’s In My Nature», avec sa belle entrée en lice d’I need you to love me, alors ça gratte à la cocote sévère, ça monte en neige et ça bascule dans une ahurissante stoogerie, avec un final soloté à la vie à la mort. Sonic Polo ne joue pas encore dans Holy Curse. Il arrive sur l’album suivant.

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         Ils enregistrent Bluer Than Red chez Lucas Trouble. C’est le bim bam boom garanti. L’album est noyé d’ultra-sound et l’Eric pose bien son chant sur la pétaudière de deux grattes. Dans «(Give Yourself Up To) Rock’n’Roll», ça tortille d’un côté et ça cisaille de l’autre, ça ondule en permanence a bord du gouffre de la stoogerie. Il y est question de save your soul. Mais le kick some ass with rock’n’roll n’est pas du meilleur goût. Ils reviennent dans le giron des Saints avec «Long Gone». Il y va l’Eric Bailey, il tape en plein dans le mille du mythe brisbanais, il remonte le courant comme un saumon de Brisbane. Sur «Las Vegas On Sea», il pose bien les éléments, yeah yeah, et sous lui, ça bouillonne dans la marmite du Kaiser. Mad Etic chante comme le Seigneur des Annales au-dessus du fleuve de lave. Ils plongent l’«Enough» vivant dans la friteuse, c’est un cut qui va craquer sous la dent et le Kaiser pousse bien la sature dans les orties. «I Feel Free» te tombe dessus comme une grosse tarte à la crème. Ils inventent le concept du pathos saturé de sature. Ils battent tous les records, même ceux d’In The Red. Si tu écoutes ça sous le casque, t’as les oreilles en chou-fleur et c’est très bien. Ça continue de monter en température avec «Rivers Of Blood», look out mama ! On entend à peine Mad Eric dans la fournaise. Les attaques de double chorus sont uniques au monde. Ils battent les Stooges à la course. Mais le pire est à venir et il s’appelle «Superfortress». Ça sent bon l’enfer sur la terre, t’es dans Rosemary’s Baby avec le son de Motörhead. Le cut rôtit littéralement en broche, et toi avec, et qui tourne la broche ? Satan Polo et ses tiguilis. Et soudain, ça bascule dans le neuvième cercle du so messed up I want to be, oui, ils sont cette capacité d’exploser le face to face de «Wanna Be Your Dog», quel hommage et quel tenant tenace de l’aboutissant, aw c’mon, ça devient une fournaise exemplaire et ça part en vrille de wah absolutiste, now I’m ready to close my mind, il est devenu fou le Mad Eric, il est ready to feel the pain, ils font tout simplement une cover géniale de l’un des plus gros hits de tous les temps. 

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         L’autre Turborock s’appelle Feed The Dogs et date de 2007. Trois prods différentes : une du Kaiser sur deux cuts, une en Australie sur deux cut aussi, et le reste chez Jim Diamond au Ghetto Recorders de Detroit. Maintenant, Polo est tout seul, mais il joue comme dix. Il est enragé sur «Bye Bye Preacherman», il transperce le blindage du preacherman. Puis il passe «Cash Machine» au vitriol. Les Curse bouclent leur balda avec un heavy «Shit Happens» noyé d’oh shit happens. Suite de la viande en B avec «The Music & The Noise», ils renouent cette fois avec leur chère apocalypse, c’est un hommage claironnant au power - Set the stage on fire/ I say power ! - Mad Eric s’en étrangle. Mais le pire est à venir avec «Universal Children», encore plus magnifique d’heavyness et traversé d’incursions méphistophéliques. Sonic Polo est le plus sonic de tous. Ici, il perce un tunnel sous le Mont-Blanc, il faut le voir entrer en quinconce dans cette couenne fumante, épaulé par Gary Ratmunsen on «psychedelic guitar».  

         Et voilà la cerise sur le gâtö : l’autobio de Sonic Polo, Nous Étions De Jeunes Punks Innocents. Un récit sans prétention, qu’on pourrait presque qualifier de candide, parfaitement à l’image de l’auteur qu’on sent extrêmement timide, au point qu’il faut tendre l’oreille pour capter ce qu’il dit. Il l’écrit d’ailleurs dans son book : «Sitôt que le nombre de mes interlocuteurs dépasse le nombre de deux ou trois, ma voix ne porte plus s’éteignant comme une petite flamme.»

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         Ce récit couvre un parcours qui va d’une ZUP d’Aix-en-Provence jusqu’à la scène alternative parisienne et le ‘Pari Bar Rock’ des années 80, récit drivé par une passion dévorante pour le punk-rock, notamment les Ruts et Stiff Little Fingers. Son groupe s’appelait Spoiler. Le book s’avale d’un trait, Polo écrit comme s’il te racontait l’histoire. Il restitue à sa façon la nostalgie des jours heureux, il restitue admirablement bien le contexte ZUP de ses origines modestes, et rend hommage à tous ses potos, ceux du groupe et les autres. Il écrit dans un style alerte - L’après-midi arrivait enfin et nous filions plein ouest, la poignée dans le coin, à travers les champs et les vignes de la route de Galice - Et comme il est à la fois motard et rocker, il se fend de cette petite chute : «Je lâchai le guidon de la Suzuki pour le manche de la Rickenbacker.» Ça passe comme une lettre à la poste. Il prend un soin particulier à évoquer le parcours initiatique qui est celui de la création d’un premier groupe de rock. C’est dans une vie un moment aussi vital que celui que tu partages avec ta première gonzesse.

         Oh et puis cet humour ravageur ! Quand il attaque un chapitre «road-trip» dans les basses Alpes, il dit au lecteur que s’il n’aime ni les road-trips ni la montagne, il peut sauter le chapitre. Ce serait dommage de le sauter, car on y trouve l’épisode du saucisson qui est hilarant. Ils roulent en moto et campent la nuit. Et crack, «je ne sais plus lequel d’entre-nous avait eu la brillante idée d’acheter un saucisson, mais toujours est-il que personne n’avait de couteau.» Et il explique à la suite qu’ils passèrent la soirée à charcuter le saucisson avec «un tournevis cruciforme». On voit la gueule du saucisson d’ici. Encore plus drôle : ça se passe avant Spoiler, Polo roule en vélo et va chez un copain de classe nanti, à Puyricard, au nord d’Aix. Ses parents viennent de lui payer trois albums, un vrai luxe intérieur ! Le copain commence par faire écouter à Polo Never Mind The Bollocks, il lui fait écouter trente secondes d’«Holidays In The Sun», puis un bout de «Bodies», et «déclarait que ouais, c’est pas mal mais bof, ça cassait pas trois pattes à un canard, y avait même pas de solos...» Ce mec qui est son «meilleur copain de classe» lui annonce ensuite qu’il va lui faire écouter «le blues le plus abominable et le plus nul qu’il ait jamais entendu», et ajoute «que ce groupe atroce avait même osé, ô sacrilège, baptiser son blues ‘L.A. Blues’». C’est bien sûr Fun House des Stooges. Bravo le meilleur copain de classe ! Mais Polo a tendu l’oreille. Il rentre chez lui sur son «vélo à double-plateau», «chargé du feu stoogien».

         Quand il devient punk avec ses amis, il raconte comment lui et sa petite bande débarquent sur le cours Mirabeau, «la plus belle avenue du monde», en perfecto, «jeans noirs feu au plancher, soquettes blanches et creepers rouges, bracelets de force comme ce con de Sid Vicious.» Le «con de Sid Vicious» revient souvent dans le récit. Polo n’aime pas les cons et il a raison. Plus tard à Paris, il joue dans un bar avec un groupe qui s’appelle The Satanic Majesties. Mais ces mec-là n’adressent pas la parole aux Spoilers. Polo n’en revient pas, «même pas bonjour, pas un regard, nada.» Bien fringués, à la mode. Du coup, à la page suivante, Polo les re-qualifie de «majestés sataniques ta mère». Par contre, il rend hommage à Little Bob et à Dominique Laboubée. 

         Il rend aussi deux très beaux hommages, le premier à Marc Zermati, qui entre un jour dans son bouclard Sonic Machine pour lui proposer des disques. Pour rigoler, Polo dit prendre le risque de perdre «la moitié de ses lecteurs» en citant Marc Z et Philippe Debris, boss de Closer, tous deux «sujets à controverse», mais non seulement il cite, mais il salue bien bas : «Deux caractères bien trempés». Il termine le court paragraphe Marc Z en disant être resté en bons termes avec lui. Hommage encore aux Cowboys From Outerspace et à Michel Basly «grand, mince, genre dandy, gominé, sapé comme un lord, le regard inquisiteur, les oreilles légèrement décollées, le nez aquilin.» - Les fantastiques Cowboys From Outerspace que tout l’univers nous envie, eh oui, quoi de plus vrai. Les Cowboys sont avec les Dum Dum Boys, Weird Omen et Holy Curse ce qui est arrivé de mieux à la France des vingt dernières années. Polo raconte aussi comment il est allé acheter sa Ricken 480 à Marseille. Épisode capital de son parcours initiatique. Il raconte aussi le désastre des studios français et des ingés-son qui ne pigent rien et qui lissent le son des groupes. Pour sa première expérience, Polo raconte que les Spoiler entrent en studio avec Stiff Little Finger en tête et ressortent gros-Jean-comme-devant «lisses comme les Spandau Ballet du quartier Mazarin.» Il dit avoir été dégoûté «pour de longues années.» Tous ceux qui ont fait des groupes en France ont été confrontés au même problème : tu tombes sur un mec qui n’écoute pas les mêmes disques que les tiens, alors t’es baisé. Il trafique ton son. Tu te fais baiser, une fois, deux fois, parfois trois fois. Alors tu finis par piger : le jeu consiste à trouver LE mec qui écoute les mêmes disques. Ça peut être Lucas Trouble ou Lo’Spider.

         À la fin de son récit, Polo monte à Paris en moto et débarque au Parking 2000, à Crimée, dont le quatrième sous-sol est aménagé en studios de répète. 200 ou 300 groupes y répètent. Pour dormir, Polo et son pote louent une piaule miteuse dans un hôtel de passe de la rue Rambuteau. Les autres ont trouvé une piaule rue Ordener. On se croirait dans Les Illusions Perdues ! Polo de Rubempré monte à Paris. Mais Polo est bien plus balèze que Lucien : il n’est pas dévoré par l’ambition et il ne lui viendrait jamais à l’idée de frimer. Alors on attend la suite avec impatience.    

         Signé : Cazengler, Quartête de veau

No Jazz Quartet. La Boule Noire. Paris XVIIIe. 12 mai 2024

No Jazz Quartet. You’re Gonna Leave The Building Soon. Closer Records 2023

Holy Curse. Hereafter. Whiz Recordings 1999

Holy Curse. Bluer Than Red. Nova Express 2004

Holy Curse. Feed The Dogs. Turborock Records 2007

Holy Curse. Take It As It Comes. Turborock Records 2011

Paul Milhaud. Nous Étions De Jeunes Punks Innocents. The Melmac 2024

 

 

Max le ferrailleur

 - Part Three

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         À la suite d’A Rocket In My Pocket et de Teddy Boys, l’idéal serait de lire King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World. Paru en 2005 et tout juste réédité, King’s Road constitue le troisième volet de ce qu’on pourrait appeler la trilogie rock de Max Décharné. Alors attention, ce n’est pas un rock book à proprement parler. Comme dans Teddy Boys, Max le ferrailleur brasse large, il documente à outrance, se prête aux fièvres citatoires, il creuse profondément pour aller explorer les racines du thème, il fait la R&D du rock, c’est-à-dire qu’il en examine scientifiquement le contexte socio-culturel, il se livre à un authentique travail de recherche, comme le fit en son temps Mick Farren avec son Black Leather Jacket book et son Speed Speed Speedfreak book. La parenté crève les yeux. Mais Max le ferrailleur pousse son bouchon encore plus loin. C’est d’une certaine façon l’hommage d’un géant à un autre géant.

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         Pour le fan de rock ordinaire, King’s Road en 1976, ça voulait dire sortir du métro à Sloane Square et remonter jusqu’au 430 pour voir Sex, le bouclard de McLaren. Pour Max le ferrailleur, King’s Road ne commence pas avec Sloane Square, mais avec Charles II, un roi d’Angleterre, qui au XVIIe siècle, fit aménager l’artère pour son usage personnel, d’où le nom. Puis ça va passer par la mode, le théâtre, la littérature et le cinéma, Max fait tout avancer en même temps, et pour donner du poids à ses investigations, il fait intervenir des témoins de choc : Mick Farren, John Peel, Ted Carroll, Wreckless Eric et quelques autres. Il est essentiel à ce stade des opérations de savoir que King’s Road n’est pas un book uniquement consacré aux Sex Pistols. Mary Quant, John Osborne et Andrew Loog Oldham y volent le show.

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         Tu t’engages dans un book dense : 350 pages composées dans un corps de texte minimaliste, du 9 ou du 10, justifié serré, quasi impénétrable, t’as intérêt à ajuster tes binocles, il règne dès l’intro une tension terrible, Max te transmet sa passion dévorante, comme s’il te contaminait. Pour gérer ce prodigieux fleuve de connaissances, il avance chronologiquement, année par année. Il est obligé, sinon ce serait le chaos. Il épluche tous les canards d’époque, les quotidiens, les revues, les magazines, tout, absolument tout, il relit toutes les critiques de cinéma, de théâtre et de littérature, ça grouille d’infos, c’est Fantasia et ses balais, pas chez les ploucs mais chez les punks, il va chercher le Bazaar de Mary Quant dans la presse spécialisée, il situe le top départ de la modernité anglaise à la fin de 1954, lorsqu’arrivent «le rock’n’roll, la télé commerciale, Look Back In Anger et l’ouverture de Bazaar au 138a» - The revolution starts here - Et en 1955, apparaissent les premiers Teds - These people looked seriously sharp. Ce n’est pas pour rien que l’un des premiers surnoms d’Elvis était The Memphis Flash - Les Teds sont là bien avant le rock’n’roll, mais les médias s’intéressent à eux lorsqu’éclate la révolution, c’est-à-dire le rock’n’roll. Max profite de son détour chez les Teds pour rappeler qu’en 1971, au moment où McLaren ouvre sa boutique Let It Rock sur King’s Road, ils sont allés accueillir Gene Vinvent à Heathrow. Autour de Mary Quant traîne aussi Andrew Loog Oldham. S’il veut bosser pour elle, c’est tout bonnement parce qu’elle incarne à ses yeux la pop qui fait le lien entre le rock’n’roll des années 50 et le rock des Beatles - He wanted to be where the action was, and as far as he was concerned, in 1960 that meant Bazaar, 138a King’s Road - Quand au bout de six mois il démissionne, c’est pour aller un peu plus tard manager les Rolling Stones.

         Un certain John Stephens vient aussi loucher sur la vitrine de Bazaar. Il va transformer un peu plus tard une back alley nommée Carnaby Street en phénomène de mode à portée encore plus internationale, ce que Max appelle a worldwide brand. Ces choses-là sonnent toujours mieux en anglais.

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         Sur King’s Road déboule tout le gratin dauphinois de l’époque, ceux que Max appelle «les acteurs du changement in popular music, film, fashion, photography, drama and art of the day» - people like Stanley Kubrick, David Hockney, Marianne Faithfull, Michael Caine, Syd Barrett, Twiggy, David Bowie, Julie Christie, Samuel Beckett, Francis Bacon, Keith Richards, Siouxie Sioux, John Lennon, David Hemmings, Billie Holiday, Quentin Crisp, Jimi Hendrix and John Lydon - Dick Bogarde et James Fox descendent King’s Road jusqu’à Royal Avenue, où Joseph Losey tourne The Servant. Fondamentalement, King’s Road est l’endroit où les Stones et les Pistols ont démarré, où les mini-jupes sont apparues et où, nous dit Max, traînent encore les fantômes de John Osborne, Mary Quant, Brian Jones, Marc Bolan et Sid Vicious - People are still looking for them and their kind down the King’s Road.

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         King’s Road voit aussi passer les modes. À la fin des sixties, Mick Farren n’ose plus mettre ses fringues de guérillero, power-to-the-people, c’est terminé - Everybody got a bit bored with Che Guevara, you know? - car voilà qu’arrivent l’année suivante Marc Bolan et le glam. Puis Alex et ses Droogs déboulent, suivi de Jack Carter, celui de Get Carter. Bolan s’habille chez Granny Takes A Trip, au 488 King’s Road, ou chez Alkasura, au 304 de la même rue. Flash clothes. On en trouvait aussi au Kensington Market. En 1975, Nils Stevenson, futur tour manager des Pistols, vend des fringues de Teds à Beaufort Market, à deux pas de King’s Road, et devient pote avec McLaren et Vivienne Westwood - Punk rock was a high-speed collision just waiting to happen - Et puis voilà qu’arrive 1976, un chapitre qu’introduit brillamment Max le ferrailleur : «Nineteen seventy-six, like 1956 and 1966 fut l’année qui remit the King’s Road à la une de tous les journaux. Vingt ans auparavant, la cause de tout ce fuss était the Angry Young Men, la fois d’après, il s’agissait de Mary Quant, Granny’s et tout la mythologie du Swinging London. Cette fois, il s’agissait d’Anarchy In The UK.» Et Max titre son chapitre : ‘It’s the buzz, cock.’ Johnny Rotten parade dans les canards avec ce gros titre : «Don’t look over your shoulder, but the Sex Pistols are coming.» Fantastique ! Wild as fuck. L’effet est bien plus radical qu’au temps des Rolling Stones. Les Pistols foutent vraiment la trouille à l’Anglais moyen. Et ça atteint l’apothéose avec la fameuse formule : «Actually, we’re not into music, we’re into chaos.» L’essence même du rock.

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         Quand tu te ballades dans Chelsea, tu as l’impression que les rues sont lisses et qu’elles n’ont pas vraiment d’histoire, à la différence des rues de Paris dont tous les quartiers te renvoient à des épisodes de l’histoire littéraire, politique ou artistique. Max t’ouvre les yeux. Dans les années 70, les kids français n’ont qu’une idée partielle de l’histoire des rues de Londres. Ça se limite à quelques endroits comme Portobello, Chelsea, Wardour Street, South Kensington ou Camden, car c’est directement lié aux clubs et aux disquaires. Max te rappelle qu’à deux pas de King’s Road se trouve Edith Grove où ont vécu les early Stones en 1962, et à deux pas de Gunter Grove où John Lydon s’est acheté une baraque au temps de P.I.L. Fait historique encore : Max rappelle que Dan Treacy et Ed Ball des Television Personalities ont enregistré «Where’s Bill Grundy Now» au 355 King’s Road, à deux pas du bouclard de McLaren qui s’appelle alors Seditionaries.

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         Ah il en parle de McLaren ! Avant Sex et Seditionaries, McLaren débaptise son bouclard Let It Rock et le rebaptise Too Fast To Live Too Young To Die en hommage à James Dean. Avant de s’appeler McLaren, il s’appelait encore Malcolm Edwards et fut comme des tas d’autres kids anglais fasciné par le show des Crickets au Finsbury Park Astoria en 1958. Max rappelle encore qu’en Angleterre, Gene Vincent was God et Billy Fury venait aussitôt après - something like the second coming - De la même manière que Luke la Main Froide, Max le ferrailleur est fasciné par Gene Vincent, qu’il qualifie d’«one of the greatest of them all», un Gene qui débarque en Angleterre en 1959 avec «a killer double-sided rock single called «Wild Cat/Right Here On Earth» et qui s’acoquine avec Jack Good, le producteur d’Oh Boy et de Six-Five Special. C’est Good qui conseille à Gene de porter du cuir noir de la tête aux pieds pour apparaître dans son nouveau show, Boy Meets Girls. Voilà le genre de détail dont grouille le Max book.

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         Ted Carroll vend des rockab singles dans son Rock On market stall, qui va devenir un vrai lieu de pèlerinage. C’est lui nous dit Max qui alimente McLaren en singles rares. On entre chez Sex pour acheter des fringues mais aussi pour écouter les singles qui se trouvent dans le juke-box. Puis quand les Pistols explosent en Angleterre, McLaren louche plus sur Andrew Loog Oldham, le Colonel Parker et Larry Parnes que sur Sam Phillips : il veut des gros moyens, pas d’artisanat mythique à la mormoille. Pas question de faire du Sun Records. Alors que dans leur grande majorité, les groupes punk optent pour l’artisanat. Simple question d’éthique. C’est toute la différence entre les Buzzcocks et les Clash, entre les Damned et les Jam. Moyens du bord d’un côté pour Spiral Scratch et «New Rose», gros billets de l’autre pour des résultats nettement moins percutants. L’exception reste bien sûr Nevermind The Bollocks, l’un des albums parfaits de l’histoire du rock anglais. McLaren achève sa trajectoire avec The Great Rock’n’Roll Swindle, réussissant l’exploit de raconter l’histoire des Pistols sans jamais montrer John Lydon, ce qui à l’époque en a éberlué plus d’un, à commencer par Max. Selon lui, McLaren ne voyait aucun intérêt dans les Pistols, le film chante plutôt les louanges de sa stratégie médiatique, alors que «John Lydon was one of the most charismatic and gueninely inspired frontmen in the history of popular music». De toute évidence, Max pèse ses mots.

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         Oh et puis cet humour ravageur. Il évoque le Blow Up d’Antonioni, sorti en 1967 et le soupçonne d’avoir cassé la baraque non pas à cause des Yardbirds ou de l’intrigue policière, mais grâce au cul de Jane Birkin - It was the first mainstream film in Britain to show a glimpse of pubic hair - C’est plutôt ça qui attirait les foules, comme d’ailleurs le big pubic hair de Stacia dans les concerts d’Hawkwind. Les kids venaient d’abord pour se rincer l’œil. Max rapporte une autre anecdote hilarante : Johnny Rotten et Sid Vicious se firent virer de leur appart à Chelsea parce que McLaren avait «oublié» de payer le loyer - No one said the revolution would be easy.   

         Au fil des pages, Max fait quelques recommandations, notamment l’Introducing Eddie & The Falcons de Wizzard, mais aussi The Diary Of A Rock’n’Roll Star de Ian Hunter (One of the most entertaining insider accounts of the business), mais le gros du troupeau des recommandations se trouve bien sûr dans A Rocket In My Pocket.

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         Dans Ugly Things, Mike Stax a tellement adoré lire King’s Road qu’il propose une interview fleuve de quatre pages de Max le ferrailleur. Ugly Things est taillé pour ça, pour faire la route.  T’es prié de croire qu’avec Stax, c’est toujours passionnant. Et bien sûr Stax demande à Max : Why the King’s Road ? Alors Max dit à Stax qu’au début des années 80, il vivait à Battersea, de l’autre côté du pont de Chelsea, dont l’artère principale est King’s Road, alors il s’y baladait, et comme il n’avait pas de blé - on the dole - il léchait les vitrines. L’idée du book lui est venue en 2004 quand il a réalisé que «two of the best bands from England - the Stones and the Pistols - both started their careers down at the tatty end of the King’s Road.» Puis il explique qu’il s’est appuyé sur les tonnes de stuff accumulées pendant des années. La première édition de King’s Road date de 2005 - celle dont on parle plus haut - et depuis, il l’a updatée pour en faire un gros patapouf - It’s now useful for a hand-to-hand combat: si tu balances the new 520-page sur la tête d’un mec, il y a peu de chance pour qu’il se relève - Max le ferrailleur adore rigoler. Il adore aussi les bibles. Il ne fait pas dans la dentelle, ce qui semble logique pour un ferrailleur. 520 pages ! Bon courage, les gars ! Max revient à ses recherches et explique qu’il est entré en contact avec des tas de gens, à l’époque, et qu’il a lu TOUS les canards, d’OZ à Zigzag en passant par le NME et tout le saint-frusquin, mais ça ne s’arrête pas là : il a hanté les bibliothèques à Londres et à Berlin et a lu TOUT, Time, Newsweek, tous les canards des ‘50s, ‘60s and ‘70s, TOUT, TOUT, TOUT et le reste, comme on disait autrefois dans Salut Les Copains. Il a traqué tout ce qui évoquait Chelsea & the King’s Road, et en plus il a écouté tous les disques et vu tous les films - Le book aurait pu être cinq fois plus gros, mais je serais encore en train de l’écrire - On savait son humour ravageur, mais là, il bat tous les records. Il est fier d’avoir pu interviewer Mary Quant, avec laquelle il a fini par sympathiser. Max dit à Stax avoir reçu une lettre manuscrite d’elle après la parution du book, lui avouant qu’elle en avait apprécié la lecture, «which made my day».

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         L’épisode John Peel est hilarant : Peely invite Max chez lui, à Peel Acres, à la campagne. Peely vient récupérer Max à la gare. Il conduit une «strange experimental car», dont le tableau de bord ressemble à celui d’un vaisseau spatial, et dont les boutons et les clignotants restent un mystère aussi bien pour Max que pour Peely. Alors Peely lui explique qu’on lui a prêté cette «strange experimental car» pour quelques semaines, ce qui l’amuse beaucoup. Il en existe quelques une et Stong paraît-il en conduit aussi une. Après manger, Peely emmène Max dans sa pièce à disques et lui fait écouter une démo des Misunderstood enregistrée au Gold Star dans les sixties, et comme chacun sait, Peely avait flashé sur eux alors qu’il séjournait aux États-Unis et leur avait proposé de s’installer à Londres, pour six mois, chez sa mère, qui ajoute-t-il, ne lui a jamais pardonné - Five big Californian lads in a small flat in Notting Hill - Peely rivalise d’humour ravageur avec Max. Un Max qui rencontre aussi Christopher Lee, qui, dit-il, est encore plus grand que lui qui fait déjà quasiment deux mètres de haut. Christopher Lee indique à Max qu’à l’époque où il s’est installé dans le coin de King’s Road, Boris Karloff habitait sur le même square.

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         Max revient sur les racines du punk-rock à Londres : Dr. Feelgood (1975, first band I ever saw live) et le premier album des Ramones en 1976. Il cite aussi les racines glam, avec Slade, T Rex et Mott, tous ces groupes qu’écoutaient les punk-rockers quand ils avaient 12 ans, puis Iggy & The Stooges qui vivaient just off the King’s Road while recording Raw Power in London. Il cite aussi les Dolls at Biba’s. Max flashe aussi sur le concert des Ramones au jour de l’an 1977, avec Generation X et les Rezillos à la même affiche. Mais quand la semaine suivante, il achète le NME avec les Ramones à la une, il est écœuré par l’article de Tony Parsons qui ose descendre les Ramones. Alors le NME perd tout crédit à ses yeux. Comment ont-ils osé ? 

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         La fin de King’s Road est un peu tristounette. On arrive au bout du book comme on arrivait jadis au bout de King’s Road pour découvrir qu’il n’y avait plus rien à voir. World’s End. Alors pour se remonter le moral, on va se taper avec un Part Four un petit panorama des Flaming Stars, un groupe que Philippe encensait en 1996, et il était bien le seul à le faire en France. Ça se passait dans le N°8 de Dig It!. Il interviewait Max le ferrailleur. Lequel rend hommage à ses deux guitaristes, l’ex-Sting-Rays Mark Hosking et l’ex-Headcoats Johnny Johnson. Max évoque aussi sa passion pour les films Hammer et les acteurs comme Christopher Lee ou Peter Cushing, ainsi que sa passion pour les romans noirs des années 30 et 40 et «les affiches de films peintes par des gens comme Tom Chantrell». D’où les pochettes d’albums des Flaming Stars. Les deux stars citées dans l’interview sont David Allen Coe et Guy Clark. Pas mal, non ? Philippe termine sa double avec une belle apologie du real deal, sa façon de dire : choisis ton camp, camarade.

Signé : Cazengler, Max la limace

Max Décharné. King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World. Weidenfeld & Nicolson  2005

Philippe Migrenne. The Flaming Stars. Dig It! # 8 - Hiver 1996

Mike Stax : An interview with Max Décharné. Ugly Things # 64 - Winter 2023

 

 

Kramer tune

 (Part Four)

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         Et voilà qu’une page d’histoire se tourne : Dennis ‘Machine Gun’ Thompson vient de casser sa pipe en bois, refermant ainsi le chapitre MC5. Finito. MC5 ? Kapout. Est-ce une coïncidence, toujours est-il qu’au même moment, dans le numéro de mai de Mojo, Bob Mehr consacrait huit pages au MC5. Une sorte de dernier spasme, avec en double d’ouverture, la fameuse photo bien connue d’un Five dégoulinant de sueur, prise dans un backstage quelconque. C’est de cette séance que sort l’image qui orne la pochette de Back In The USA.  Ils sont à la fois superbes et très laids.

         Mehr va se baser sur l’autobio de Wyane Kramer (The Hard Stuff: Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities) et opter pour un angle un peu bizarre : la rédemption qui suit la résurrection du guitariste, dans les années 90. C’est vrai que cette histoire est troublante et qu’elle vaut bien 8 pages.

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         Mehr fait tout simplement de Wayne Kramer un héros, un homme profondément soucieux des autres et qui croit aux nouveaux départs. C’est assez con à dire, mais ça s’entend dans sa façon de jouer. Kramer est un mec franc du collier. Il croit en l’intégrité. Avec de l’intégrité, on peut tout faire. Mehr cite John Sinclair : «Wayne was just a beautiful cat.» Tout est dit. Don Was ajoute qu’on pouvait tout savoir de Kramer en jouant simplement avec lui.

         Puis Mehr revient sur la formation du typical Midwest garage outfit MC5, «with matching hairdos and suits», vite propulsés par ce qu’il appelle «the twin influences of mind-expanding drugs and avant-jazz.» Car c’est bien là que se niche le génie du MC5, dans cette façon d’aller explorer les frontières. Kramer cherche tout de suite à se différencier. Chuck Berry fast and loud ? En disto ? Et je vais où après ? - And when I heard John Coltrane and Sun Ra and Albert Ayler, I said, Oh, that’s where you go frome there. You leave the key and the beat behind and go into a kinetic, more purely sonic dimension, where you’re trying to reproduce human emotion in sound - Ce que font couramment les crack du free : reproduire l’émotion dans leur son. Comme l’a fait Jeffrey Lee Pierce avec «(The Creator Has A) Masterplan» de Pharoah Sanders.

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         John Sinclair file un sacré coup de main dans cette évolution. Sinclair flashe surtout sur «Black To Comm», le dernier cut que claque le Five sur scène. Sinclair devient leur manager. Le MC5 veut alors devenir le plus grande groupe de rock américain. Sinclair : «They were better than  any band I’ve ever seen.» Un autre cake flashe sur eux : Danny Fields, qui bosse pour le compte de Jac Holzman, boss d’Elektra. Comme Jac fait du blé avec les Doors, il cherche d’autres groupes de rock et Danny lui ramène le MC5 ET les Stooges. Danny n’en revient pas de voir Wayne Kramer danser sur scène, au Grande Ballroom de Detroit : «He was a real guitar dancer - like Fred & Ginger, him and his guitar.» Et Kramer lui recommande bien sûr les Stooges, ce qui émeut profondément Danny - In every way he was a classy guy - Et cette façon ajoute Danny qu’il avait de sourire quand tu lui adressais la parole et d’être curieux des gens. Les témoignages sont tous confondants. Ils jettent une sacrée lumière sur l’autobio. John Sinclair, Bob Mehr et Danny Fields font de Wayne Kramer un être lumineux et explorateur de frontières. Ça ne te rappelle rien ? Elvis 54, bien sûr.

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         La suite de l’histoire du MC5, on la connaît par cœur. Kick Out The Jams Motherfuckers retiré des ventes suite au «Fuck Hudson» que publie le Five dans la presse, Danny Fields et le Five virés d’Elektra, le Five qui se retrouve sur Atlantic mais dans les pattes de John Laudau, un Landau qui veut transformer le Five en machine à fric et donc virer le «political shit and the avant-garde shit», alors comme John Sinclair veut maintenir le lien entre le Five et son White Panther Party, il est viré. Et c’est la fin des haricots. Back In The USA et High Time ne se vendent pas. Glou glou. Michael David et Dennis Thompson quittent le navire. Wayne Kramer tente de sauver le groupe, il monte un nouveau line-up, mais en même temps, il a le museau dans la dope. Il s’écroule comme un château de cartes - J’ai alors perdu le moyen de gagner ma vie. J’ai perdu mes amis, mon statut social, mon avenir. Je ne savais pas quoi faire pour survivre. Alors ça m’a semblé plus facile de me défoncer - Il sombre dans la délinquance, «into a mafia-backed drug operation» et atterrit au ballon - In a way, I was destined to prison - C’était son destin, yo ! Cinq piges. Ça va, c’est pas trop violent. Ça se fait sur une jambe, comme on dit.

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         Et c’est au ballon que sa vie va basculer, au bon sens du terme, avec une rencontre, celle de Red Rodney, un trompettiste blanc qui avait accompagné Charlie Parker. Wayne se reconstruit grâce à Red, il retrouve une identité - I was the white boy with the wah-wah - C’est le cœur battant de l’autobio. Wayne n’est plus un gangster, mais un mec dont les taulaurds apprécient la musique. Au même moment, le punk-rock explose en Angleterre. Wayne est considéré comme godfather du punk-rock, au même titre qu’Iggy. Libéré, il se retrouve embarqué dans l’épisode Gang War avec Johnny Thunders, mais il sait que ça ne peut pas marcher - You can’t be in business with active addicts, they have other priorities - Dommage. Il fait ensuite équipe avec Don Was dans Was (Not Was). Il joue sur leur premier album. On en reparle.

         Pour vivre, Wayne devient charpentier, il s’installe en Floride, puis à Nashville. Lorsque Rob Tyner casse sa pipe en bois en 1991, Wayne se réveille en sursaut. Il réunit les autres Five  pour jouer un tribute à Rob à Detroit. Puis deux ans après, Fred Sonic Smith casse lui aussi sa pipe en bois. C’est le déclic : Wayne se dit qu’il lui reste 20 ou 30 ans à vivre, alors «I better get to work making music». Et boom, il se réinstalle à Los Angeles et enregistre The Hard Stuff. Il entame sa résurrection.

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         Puis il va se consacrer à la postérité du MC5 - I started the band, et même si je n’ai pas su le contrôler, it was my baby - En 2002 sort un docu (The Hard Stuff: Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities) qui disparaît aussi sec, suite à une embrouille entre Wayne et les réalisateurs. Pas grave, Wayne reprend son bâton de pèlerin : il débarque à Londres au 100 Club et invite sur scène la crème de la crème du gratin dauphinois : Lemmy, Dave Vanian, Ian Astbury. Puis c’est la tournée de DTK/MC5, c’est-à-dire Davis/Thomson/Kramer, les trois survivants, avec Mark Arm au chant. Arm est fasciné par Wayne : «Wayne was great at getting people who were sympathetic.» Et il cite les noms de Lisa Kekaula et Dick Manitoba. Mais il y a des tensions parmi les survivants, ce qui attriste Wayne. Et puis voilà que Michael Davis casse sa pipe en bois en 2012. Fin du DTK. Alors Wayne monte Jail Guitar Doors USA, une association destinée à aider les taulards à s’en sortir via la guitare. Wayne fournit les grattes et les cours. Il visite des centaines de taules. Le voilà en mission. Et ça monte encore d’un cran dans la résurrection avec la naissance de son fils Francis en 2013. Il a 65 balais. Il sait maintenant pourquoi il ne s’est pas auto-détruit. Et en 2018, il sort l’autobio que salue son vieux mentor John Sinclair : «His autobiography was a tremendous work of art.» Pour les 50 ans du MC5, il monte le MC50 qu’on a pu voir à Paris, à l’Élysée, avec le mec de Zen Guerilla au chant. Puis il remonte un nouveau MC5 avec Brad Brooks (chant), Winston Watson (beurre) et Vicki Randle (bassmatic), pour enregistrer le quatrième album du MC5, cinquante ans après High Time. Il doit - ou devait - s’appeler Heavy Lifting. Mehr ne dit pas s’il va sortir un jour. C’est Bob Ezrin qui devait le produire. On y entend aussi paraît-il Vernon Reid de Living Colour, Dennis Thompson, Tom Morello et Don Was. Wayne nous dit Ezrin tentait avec cet album de re-capturer le spirit du Five. Alors on va se gratter l’os du genou en attendant des nouvelles d’Heavy Lifting. Était prévu avec la sortie d’Heavy Lifting une tournée mondiale et un nouveau book sur le Five, sous forme d’oral history. Pareil, on attend Godot. Wayne commençait à faire la promo dans la presse quand un petit cancer du pancréas l’a envoyé au tapis. Comme la vie, le MC5 ne tient qu’à un fil.

Signé : Cazengler, MCFayot

Dennis Thompson. Disparu le 9 mai 2024

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Bob Mehr : It wasn’t enough to play Kick Out The Jams, you had to live it. Mojo # 366 - May 2024

 

 

Inside the goldmine

- George Soul

         Il portait le même nom qu’un célèbre tableur, Excel, l’outil préféré des esprits calculateurs et des forts en thème. Excel n’était pas calculateur, ni fort en thème, il avait d’autres défauts mais aussi des qualités. On pouvait par exemple lui faire confiance. Sauf si un disque rare traînait dans les parages. Posséder, telle était son obsession. La seule vue d’un gros cartonné US le rendait malade. Vraiment malade. Il transpirait et peinait à calmer sa respiration. Il subissait une sorte de pulsion libidinale. Chez certains hommes, la vue d’une belle paire de seins ou d’une toison ardente peut provoquer de violents troubles comportementaux : mains moites, grosse érection, passage à l’état bestial. Mais rares sont ceux qui perdent la tête à la seule vue d’une pochette de disque. De ce point de vue, Excel était un spécimen très rare, une véritable aubaine pour les scientifiques qui travaillent sur les pulsions et les dangers afférents. Alors bien sûr, nous ne trouvâmes rien de mieux pour nous distraire que de jouer à le mettre en transe. Le jeu consistait à sortir d’un sac quelques beaux cartonnés US et à les montrer rapidement. Ce jour-là, on exhiba sous ses yeux ronds comme des soucoupes quelques petites merveilles : Bettye Swann sur Capitol, l’Open Mind, Birtha, les Godz sur ESP. Excel demanda d’une voix blanche quel était leur prix. Bien sûr, ils n’étaient pas à vendre. Comme il approchait les mains, on l’acheva d’une seule phrase : «Bas les pattes ! On ne touche qu’avec les yeux !». On aurait dit que la foudre l’avait frappé et qu’un filet de fumée s’échappait de ses oreilles. Il réfléchissait comme on réfléchit dans les moments de panique pour trouver une solution, et avant qu’il n’ait pu dire un seul mot, les disques disparurent au fond du sac, anéantissant définitivement tout espoir en lui. Comme il était incapable de renoncer, il sortit son porte-monnaie et le fouilla fébrilement. Bien sûr, Excel n’avait pas un rond, à peine quelques pièces. Le spectacle fut si désolant qu’un des disques ressortit du sac. «Tiens, cadeau !». Il tenait le Birtha dans ses mains tremblantes et pleurait toutes les larmes de son corps. On n’avait encore jamais vu un homme chialer comme ça.

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         Les albums de George Soule n’auraient eu aucun effet sur Excel, car ce sont des CDs. Même pas la peine de lui dire à quel point George Soule est un bon, qu’il fait partie du noyau atomique de Malaco et qu’il groove comme un cake, à partir du moment où Take A Ride n’est pas un gros cartonné US, ça ne l’intéresse pas. Ah comme les gens peuvent être parfois bizarres !

         George Soule a trois cuts sur la petite compile Soulscape, Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule - Malaco Soul Brothers, dont bien sûr le fameux «Talkin’ About Love» révélatoire qui figure en bonne place dans la box Malaco. Il y tape le heavy romp de Malaco. Avec «That’s Why I’m A Man», il y va, c’est du sérieux. Comme Nino Ferrer, il voudrait être noir, il cherche la blackitude, avec une certaine réussite. 

         George Soule est l’artiste complet : il compose, bat le beurre et produit. Il a bossé pendant quarante ans avec d’énormes pointures comme Mavis Staples, Z.Z. Hill, Bobby Womack et Candi Staton. Il vit à Nashville, mais il se réinstalle à Jackson au moment où Wolf Stevenson et Tommy Couche démarrent Malaco. On pourrait presque le comparer à Dan Penn : même genre d’envergure, même qualité des compos et même passion pour la musique noire. Il a 8 ans quand son père lui offre un drum kit, puis il prend des cours de piano. Ado, il flashe sur Ray Charles et Etta James. Puis il flashe sur l’Otis Blue d’Otis. Plus tard il aura la chance de faire des backing pour Etta James, grâce à Jerry Wexler. C’est Jimmy Johnson à Muscle Shoals qui présente George à Jerry Wexler, en 1969. Wexler cherche des démos pour Judy Clay et ça tombe bien, George en a plein. Wexler les écoute. Des gens comme Wilson Pickett, Esther Phillips et Percy Sledge vont taper ses compos. 

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         La compile Let Me Be A Man sort sur Soulscape, un bon équivalent de Kent/Ace. Dans ses liners, John Ridley n’y va pas de main morte : «George Soule, the essence of Country Soul.» Toutes ces démos sont enregistrées à Muscle Shoals, on retrouve le fat thumping de Muscle Shoals dès «Walking On Water Over Our Heads», heavy r’n’b de Southern punch, George est un vrai white nigger, un authentique imparable. On réalise très vite qu’il est aussi est un compositeur de génie, «So Glad You Happened To Me» sonne comme un hit interplanétaire, il atteint les couches supérieures du lard fumant. «You Can’t Stop A Man In Love» bat tous les records d’énergie compositale, c’est extravagant de puissance, il atteint des sommets insoupçonnés. Wilson Pickett adorait ce Can’t Stop, mais bon, il a enregistré autre chose. George chante «Better Make Use Of What You Got» à la glotte tracassée et il lâche ensuite une bombe : «Catch Me I’m Falling», qui sera un hit pour Esther Phillips. Encore du solide groove d’excelsior avec «Let It Come Naturally». Tout est extrêmement balèze sur cette compile. Jeune, George ressemble à un jeune black. Il reste très intense dans sa façon de chanter, très déjeté de l’épaule, si black d’esprit, si dévoué à la Soul. Comme les Tempts, il entre avec «Sitting On Top Of The World» dans le territoire sacré de la Soul. «It’s Just A Matter Of Time» est exceptionnel de grandeur. Il pulse sa good time music au firmament. Il sonne comme une superstar. Il compose «Shoes» avec Don Convay pour Brook Benton. «I Can’t Stop It» est solide sur ses pattes, un vrai hit de r’n’b, même chose avec «24 Hours A Day», derrière George, ça joue énormément. Et pour finir, voilà «Poor Boy Blue», un heavy groove d’excelsior. George est un bon. Sa Soul est pure. 

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         Il enregistre Take A Ride en 2006. Dans ses liners, Nial Briggs le compare à Dan Penn, Spooner Oldham, Bobby Womack et George Jackson. En studio, on retrouve Greg Cartwright. Inutile de dire qu’avec ce Take A Ride, tu te retrouves une fois de plus avec un big album entre les pattes. Et ça ne traîne pas, George fait son white niggah d’entrée de jeu avec «Something Went Right», il va chercher le smooth de Malaco, c’est une véritable bombe de Soul et de spirit. George chante une Soul de crack, son «I’ll Be Your Everything» est un deepy deep d’extrême onction, il est just perfect, en plein dans l’œil de Coco Bel-œil le cyclone. Greg Cartwright gratte bien ses poux dans le morceau titre. C’est claqué tellement sec que ce take a ride entre dans la légende de l’apanage, le groove de Malaco te groove les mots, il y va le George, c’est du solide, et ce démon de Cartwright gratte à tire-larigot. George tape bien sûr son vieux «Shoes», co-écrit jadis avec Don Covay. Ce mec a tout bon, c’est bien saqué du raw, bien monté au smooth de groove. Mooove with the grooove, n’oublie jamais ça. Le Cartwright passe à la wah sur «Find The Time» qui sonne comme un groove gluant de Leon Ware. George fait encore son white niggah dans «My World Tumbles Down», il vise en permanence l’excelsior du Soul System. Son «Bent Over Backwards» sonne comme du James Carr, et dans «Come On Over», les chœurs font come on over / there’s a party going on. Cet album superbe gagne la sortie avec «A Man Can’t Be A Man». George a du son jusqu’au bout des ongles.

         Il est aussi mêlé à une sombre histoire : les compiles Casual. Sombre parce que complètement underground. On en connaît trois : Country Got Soul, volumes One & Two et le Testifying de The Country Soul Revue. Dans les trois cas, tu peux y aller les yeux fermés, car George y côtoie la crème de la crème du gratin dauphinois, Donnie Fritts, Dan Penn, Bobbie Gentry, Eddie Hinton, Tony Joe White, Jim Ford, Bonnie Bramlett et des tas d’autres luminaries. C’est de toute évidence le moyen le plus sûr de situer le niveau de George Soule : parmi les géants.

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         Il n’a qu’un seul cut sur Country Got Soul (Volume One) : «Get Involved». Il est à l’aise, black jusqu’au bout de la nuit, avec du heavy R&B. Sinon, cette compile grouille de puces. Avec des lascars comme Dan Penn et Donnie Fritts, c’est pas étonnant. Le Penn, tu le retrouves avec «If Love Was Money». Il sort le grand big badaboum et la voix d’ange blanc, c’est explosif de Soul, le Penn se coule dans toutes les couches de température, il pose ses couplets à plat et choisit l’éruption pour signifier sa passion de la Soul, c’est ultra-cuivré, il joue avec tes nerfs, Dan te dame le pion. Il ne Penn pas à jouir. Eddie Hinton te sonne les cloches avec «Come Running Back To You», et Donnie Fritts te groove l’oss de l’ass avec «Short End Of The Stick». C’est de la heavy frite de Fritts - They let me know/ I was at the short end of the stick/ yeah - On reste chez les poids lourds avec Tony Joe White et «Did Somebody Make A Fool Out Of You», bien gratté sous le boisseau vermoulu, et avec Travis Wammack et «You Better Move On», joli shoot de Memphis Soul-pop. Big one encore avec Delaney & Bonnie et «We Can Love», summum de la Soul blanche, et quand Bonnie entre dans la danse, alors ça groove au-delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. Coup de génie encore avec Razzy Bailey et «I Hate Hate». Il fait tout simplement «Tighteen Up». Oh et puis voilà Jim Ford avec «I’m Gonna Make You Love Me». Tu ne peux pas résister à un tel battage. C’est lui le cake de service. Oh et puis ce démon de Bobby Hatfield sonne comme un black avec «The Feeling Is Right». Fantastique swinger !

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         Tu prends les mêmes et tu recommences avec Country Got Soul (Volume Two). Même si George Soule n’y est pas, tu l’écoutes quand même. Parce que Dan Penn & Chuck Prophet avec «Heavy Duty» (haut de gamme imputrescible, heavy groove d’Alabama avec un Prophet in tow qui gratte ses poux de Tele). Parce que Bonnie Bramlett et «Your Kind Of Kindness» (la reine du rodéo, la vraie, chant d’Ikette blanche). Parce que Bobbie Gentry et «Fancy» (l’autre reine du rodéo). Parce que Donnie Fritts et «Muscle Shoals» (il fait la vraie country Soul et en tombe à la renverse - There must be something in the air down there/ To make ‘em play like that - hommage sidérant aux Swampers). Parce que Jim Ford et Harlan County» (c’est lui la superstar. Power immédiat). Parce que Sandra Rhodes et «Sewed Love And Reaped The Heartache» (elle est bien dans l’esprit du Casual, la petite Sandra, elle est bien cuivrée et soutenue par des chœurs astucieux). Parce que Larry Jon Wilson et «Ohoopee River Bottomland» (il fait du Tony Joe avec une voix plus grave, c’est assez magique). Parce qu’Eric Quincy Tate et «Stonehead Blues» (les Dixie Flyers jouent sur ce cut demented tiré de leur premier album sur Cotillon).

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         Tu reprends les mêmes et tu recommences avec The Country Soul Revue et Testifying. George y fait trois apparitions, d’abord avec «Jaguar Man» (fantastique groove de white nigger), «I’m Only Human» (encore une échappée de Soul merveilleusement belle) et «It’s Over». On recroise aussi l’excellent Larry Jon Wilson avec «Friday Night Fight At Al’s» (il va chercher le baryton qui claque). Dan Penn a deux cuts : «Chicago Afterwhile» et «Best Of My Life» (tu sais tout de suite que ça va te couler dans la manche. Dan est un doux). Deux cuts aussi pour Donnie Fritts, «Adios Amigo’s» (il fait honneur aux apanages) et «Sumpin’ Funkin’ Goin’ On» (funky booty de la frite, il groove comme un cake). Deux cuts aussi pour Tony Joe White, «Who You Gonna Hoo Doo Now», imparable, et «Drifter», qui sauve bien l’honneur des blancs du Deep South. La palme revient à Bonnie Bramlett avec «Where’s Eddie». Bonnie est aux ladies d’Amérique ce que Lanegan est aux lads : la plus grande shouteuse. Elle explose la country Soul et l’Amérique toute entière. Elle s’en va swinguer au sommet de son Ararat de power pur. Wow Lady Bonnina, lying on the bed/ Listen to the music playing in your head !

Signé : Cazengler, tu nous soûles

George Soule. Let Me Be A Man. Soulscape Records 2011 

George Soule. Take A Ride. Zane Productions 2006

Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule. Malaco Soul Brothers. Soulscape 2006

Country Got Soul (Volume One). Casual Records 2003

Country Got Soul (Volume Two). Casual Records 2003

The Country Soul Revue. Testifying. Casual Records 2004

 

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Attention le retour de Ghost Highway ! Pas un groupe comme les autres pour notre blogue. Et pour beaucoup de fans de la première heure. Dès notre  première livraison du  01 / 05 / 2009 consacrée à Old School et Burning Dust, Jull et Zio qui furent le noyau initial de Ghost Highway étaient présents…   Avec Alain nous assistâmes à un des tout premiers concerts de Ghost Highway au Saint-Sauveur de Ballainvilliers ( livraison 26 du 11 / 11 / 2010) formation initiale, Zio, Jull , Arno, Phil… Epoque lointaine, le rockab français est en train de vivre un second âge d’or, Ghost Highway va incarner cette renaissance, il y a le groupe certes, mais aussi la constitution d’un groupe de followers qui suit la formation dans toutes ses pérégrinations rock’n’rollesques, peu de formations en notre pays peuvent se vanter d’avoir suscité un tel mouvement, l’on suit Ghost Highway avec ferveur, car intuitivement l’on comprend que c’est une chance inespérée de survie pour le rock’n’roll en notre pays…

Les groupes de rock sont souvent des formations cristallisatoires évaporatrices, la vie ne fait pas de cadeau, après de nombreux concerts dont un à l’Olympia en première partie d’Imelda May et deux albums le rêve s’effilochera et se terminera… laissant un goût amer dans l’âme des fans… et l’espoir insensé d’une reformation… Ces deux dernières années il y eut des rumeurs diverses, des envies, des rencontres… jusqu’à cette reformation en laquelle personne ne croyait mais que tout le monde espérait, notons l’amicale contribution de Rockabilly Generation  l’ indispensable magazine de Sergio Kazh … A la vieille garde Arno, Jull and Phil s’est ajoutée la contrebasse de Brayan

Pour Noël, nous trouverons au pied du sapin un nouvel album de Ghost Highway, c’est bien mais c’est loin. Devant la demande pressante et l’impatience généralisée, le groupe a improvisé  une session acoustique que nous nous empressons de découvrir.

ACOUSTIC SESSION

GHOST HIGHWAY

(ASO1 / 1Records Production Ghost HighwayMai 2024)

Arno : vocal, rhythm guitar / Phil : drums / Brayan : double bass / Jull : vocal, lead guitar.

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                Seulement sept titres. Des reprises, les surprises novatrices seront sur l’album, retour vers le passé, dans une ère que l’on pourrait nommer le proto-rock’n’roll, tous les ingrédients du rock’n’roll  sont là, en ordre dispersé,  la génération des pionniers ne tardera pas à surgir pour se saisir de toutes ces racines et les rassembler…

Blackberry wine : j’en connais une version par Big Sandy and his Fly-rite boys, une espèce de hillbilly-jazz peu convaincant,  lorsque était paru le premier numéro de Rockabilly Generation avec Big Sandy, ne te force pas avait décrété Alain, comme je te connais Damie jamais tu n’aimeras Big Sandy, par contre là ça claque sec, l’on est projeté en une fraction de seconde en une autre dimension, les Ghosts délimitent l’espace mental de la giboulée hillbillyenne, faut avoir l’oreille partout, trois pincées d’une guitare grêle, le vocal déboule, puis s’amuse au cheval à bascule, l’est pas tout seul, toutes dix les secondes retombe la pincée de grêle, ne vous laissez pas distraire, la basse trottine comme les sabots d’un zèbre têtu, le drummin tombe pile atomique, et tous ces moments délicieux dans lesquels les guitares se lancent dans des djangleries époustouflantes, de temps en temps ricochent des cartouches de chœurs, et le morceau défile si vite que vous êtes obligé de réécouter pour comprendre les tours fulgurants de pase-passe. Cherokee boogie :  en règle générale la prudence vous conseille de vous abstenir quand vous n’avez pas Moon Mullican dans le studio pour assurer le piano - vous l’excuserez, l’avait une bonne excuse pour ne pas être présent, lui qui est né en 1909 est mort en 1967, ce morceau est sorti en 1951, sachez que Jerry Lee Lewis a toujours revendiqué ce toqueur fou aux confluences hillbilly-country-boogie comme l’une de ses principales inspirations - oui mais ils s’appellent Ghost Highway et rien ne leur fait peur, au tout début vous avez un subtil frottis vaginal de big mama et c’est parti pour la danse de Saint Guy, vous refilent cette douce quiétude, cet impressionnant sentiment de sécurité qui vous saisit alors que votre chauffeur s’est endormi au volant et que vous lui faites confiance, rien ne pourra vous arriver, les Ghosts assurent sans problème, z’ont dû capter l’âme du Mullican pour jouer avec tant de tact rythmique, le bateau tangue rapide mais tout  en douceur, tout est en place, rien de trop, rien de moins, l’univers est en ordre, un vocal qui ressemble à l’arôme qui s’élève tel un rêve de votre tasse de café au petit matin… Motus et perfecto comme disent les rockers qui n’aiment pas être dérangés lorsqu’ils ont atteint le nirvana. Burning love : combien de fois n’ai-je pas été victime de cette fièvre ardente lorsque sur scène Ghost Highway reprenait  cet hymne al amor caliente d’Elvis, oui mais là ils n’ont pas pensé à régler la douloureuse d’EDF, du coup ils le font à l’énergie écologique,  se débrouillent mieux que mieux, un vocal très preleysien qui emporte le morceau comme le chien se saisit du gigot en laissant l’os pour les invités, alors on se régale à écouter les accoups de guitares, ces sursauts de flammes hautes qui se greffent sur les tamponnements imperturbables de Phil et Brayan, méfiez-vous de ces deux-là si vous les suivez ils vous mèneront jusqu’au bout du monde, pour aller ça ira, mais retrouverez-vous le chemin pour revenir… Ne restera de vous que des cendres. Big river : Johnny Cash avec Luther Perkins et Marshall Grant dans la Mecque créatrice du rock’n’roll le Studio Sun de Memphis, les Ghosts faites gaffe, ne s’agit pas de frapper fort mais de frapper juste, que Brayan ne débraye jamais et que le Phil file au métronome, pour les fioritures de guitare confiance à Jull, quant à Arno voix de croquemort N° 4, walkez the line du début à la fin, sinon l’on vous enferme à Folsom à perpète ! Inutile de vous cotiser pour leur apporter des oranges, je confirme s’en tirent comme des chefs indiens devant Custer, sont libres même qu’ils n’ont pas eu une caution à fournir, tellement c’est bon.

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Good rockin’ tonight : tiens un second Presley, l’on ne prête qu’aux riches, s’il vous plaît une piécette d’argent pour Roy Brown qui écrivit et enregistra le morceau et une autre d’or pur  pour Wynonie Harris qui le magnifia, ma pauvre Dame comment ces nègres dégénérés ont-ils pu produire de tels chef d’œuvres, que voulez-vous mon bon Monsieur, tout le monde peut faire des erreurs, même notre Seigneur, l’on était chez Sun au morceau précédent mais l’on a encore un pied dans le studio de Sam Phillips pour cette interprétation, les Ghost jouent banco bronco, se la donnent à cœur joie, chacun nous montre ce qu’il sait faire dans son coin et ils y prennent un sacré plaisir, festival instrumental dans les interstices du vocal. Cold cold heart : une voix qui tire-bouchonne mais chaque fois qu’il ouvre la bouteille de son vocal Hank Williams vous loge une balle en plein cœur, un chanteur de country, une vie de rock’n’roll star, les Ghosts ne s’y sont pas trompés le plus dur ce n’est pas l’accompagnement, mais la voix, s’y mettent en chœur, n’ont pas le chevrotement inimitable de l’agneau pris dans les barbelés mais en s’entraidant ils parviennent sans problème à apitoyer les jeunes filles au cœur tendre. Gone Gone Gone : Carl Perkins le puriste du rockabilly, en bon américain sorti de sa cambrouse il vous donne l’impression de chanter en mâchouillant son chewing gum, jamais vous n’arriverez à prononcer gone gone gone avec ce ton de chaton perdu qui miaule, oui mais à la fin il vous met le feu à la grange et la ferme brûle, les Ghosts vous le prennent un peu plus haut, un peu à la Good Rockin’ , mettent la gomme gomme gomme sur le gone, gone, gone, y vont à l’arrache-rock, question zigmuc vous avez de petites broderies guitariques  au caramel salé qui valent le détour. Vous le déclinent en octogone.

         A déguster sans modération. Sept petites merveilles, sept pépites sonores pour nous rappeler rockabilly for ever !

Damie Chad.

 

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Fujiyama Mama, vous connaissez ? Bien sûr Damie, de Wanda Jakson. Très bien, vous savez au moins un mot de japonais, je peux donc vous emmener au pays du Soleil Levant  et de La Fureur du Dragon ! Heu, Damie, Bruce Lee n’était pas particulièrement japonais. Essayez d’intuiter un peu les gars, ce n’est pas Bruce Lee qui nous intéresse mais le dragon !

DOOM DRAGON RISING

(Split / Doom Fujiyama / Mai 2004)

Doom Fuliyama est un label japonais. Z’ont déjà sorti quatre albums anthologiques, sobrement intitulés Doom Fujiyiama  Volumes 1, 2, 3, 4, ornés de pochettes en noir et blanc, style manga économique produit à la chaîne qui ne vous incite guère à vous porter acheteur de la marchandise. Au bout de deux ans le staff s’est réuni et a décidé de changer son sabre de samouraï d’épaule, l’album dix titres est remplacé par un EP quatre titres, mais une pochette qui pète le feu et qui en jette un maximum, ce n’est pas le Réveil de Godzilla mais l’Eveil du Dragon du Doom, tout de suite vous sentez interpelé par les forces du mal :

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Attention, trois groupes, par ordre alphabétique : Abiuro, Green Tripe et Heteropsy.

GREEN TRIPE  ouvre le bal avec : Bong surfing : bruits de voitures, voix off filigranée et la sorcière aux dents vertes vous sourit de toutes les dents de ses guitares, la basse en écho à la lead, le titre n’est pas mal choisi, l’est vrai que l’on est dans une espèce de surfin’ doom assez inédit, et puis y a le dégueulis du vocal qui vous saute au visage et vous embourbe les oreilles, une coulée diarrhétique qui vous empuante les tympans mais que c’est bon, et boumg plus personne, seule la basse vous fait une espèce de salto arrière assez incongru, mais le gars au micro se recolle à sa parole pourrie et c’est reparti pour une longue giclée d’imprécations purulentes, le mec dégueule toutes ses tripes sur vos pieds et vous pataugez là-dedans avec la joie d’un canard heureux de retrouver sa mare natale, les rêves ne durent qu’un temps, basse et batterie se taillent une petite bavette entre eux, cela vous permet de vous rendre compte de tout ce qui vous manque sans ce vocal, maintenant ils se concoctent un petit solo à trois, puis ils arrêtent. Pourquoi continueraient-ils à vivre puisque la voix  s’est tue ? ABIURO s’adjuge la part du dragon, deux titres. Masaki Ikuta : guitare, vocal / Yuki Tanaka : basse / Yap : drums.  Inherited : Encore une fois, tout dans la voix, serait-ce un truc typiquement japonais, en tout cas on n’écoute qu’elle, un bon accompagnement, mais lorsque vous ouvrez une huitre c’est la perle qui est dedans qui vous intéresse, mais là aussi vous avez la basse qui vient faire son numéro de trapèze volant, qui ne dure pas trop longtemps car la voix revient en grondant. Ce n’est pas de sa faute, le gars vient de se faire buter et son âme s’envole comme un papillon. Du typique qui pique cent pour cent nippon. Miasma : une facture heavy-metal davantage classique, la voix baisse d’un ton, sludge en berne, la guitare la recouvre quelque peu, des paroles un peu plus philosophiques, dans ce monde de stupre et de vices  la luminosité d’une âme trop pure rend la nuit encore plus noire, la batterie s’abat comme si l’innocence était un moucheron qu’il faut à tout prix écraser, imaginez la gentille petite âme animaliste qui souffre beaucoup. N’ayez pas peur, son chagrin est évacué en moins de trente secondes. HETEROPSY : Old friends : les cymbales giclent, la batterie tonitrue et le vocal hurle à mort, la réunion des vieux amis n’a pas l’air de se dérouler fraternellement, la guitare grince, la chasse d’eau des WC glougloute fort méchamment, la voix imite l’ogre des contes d’enfants sages, ce n’est pas tout à fait le chaos, disons le bordel pour rester poli, l’on dirait que les musicos jouent à se démarquer l’un de l’autre, et clac changement de film, ce n’est le slow de l’été mais celui de l’automne avec ses arpèges larmoyants qui vous rappellent que tout finit un jour ou l’autre, tiens le climat change encore ce coup-ci c’est le général hiver qui lance un ouragan dévastateur, portez vos mains à vos oreilles pour les protéger du méchant loup qui vous les arracherait avec plaisir. Il a réussi le bruit que votre cerveau perçoit c’est le torrent du sang qui coule de vos oreilles à gros flocons. Vous ne sentez plus rien, normal vous êtes mort. Ce n’est pas grave, le morceau est fini.

         La couleur du heavy-metal, le bruit du heavy-metal, avec cette petite différence anthropologique qui change la donne : la texture de l’élocution japonaise, même quand ils chantent en anglais, sonne différemment, z’ont au fond de leur gorge un gravier gargouilleux qui n’appartient qu’à eux, un truc atrocement suave qui l’emporte sur bien des tortures auditives occidentales. Si Octave Mirbeau était encore en vie il n’aurait pas hésité à l’inclure dans une version augmentée de son Jardin des Supplices. Ce qui est étrange c’est qu’ils semblent davantage rechercher une singularité instrumentale qu’une cohésion d’ensemble.

         Quand le dragon s’éveillera, le soleil deviendra rouge…

Damie Chad.

 

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Orphée est un des tout premiers héros grecs, mais là où la plupart d’entre eux s’honorèrent par leur vaillance physique et leurs exploits guerriers, ses seules armes furent la poésie et la musique. Son chant lui permit d’entrouvrir les portes d’ivoire et de corne de la mort et du rêve… Qu’un groupe de dark metal se soit paré de son nom ne pouvait me laisser indifférent, écoutons donc ces cadences funéraires…

APART

ORPHEAN PASSAGE

(Album Digital / Bandcamp / 30- 04 -2024)

Groupe originaire de Cape Town, Le Cap, capitale de l’Afrique du Sud. Plusieurs de ses membres font aussi partie d’autres groupes dark metal.

Julien Bedford : basse / François Meyer : drums / Malcolm McArb : guitars / Patrick Davidson : guitars / Nicole Potgieter : claviers / Ryan Higgo : chant.

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Belle couve : paysage d’eau et de brume, éléments inconsistants, que vous ne pouvez saisir ou retenir dans votre main, de même structure que les rêves et la mort… Seraient-ce les rives désolées du Styx, dans beaucoup de mythologies, notamment arthurienne, il suffit de traverser une étendue d’eau pour entrer dans le royaume immémorial de la mort…

Prelude : ne passez pas rapidement sur cette ouverture, elle donne le la, le ton, d’une infinie tristesse, d’une langueur souveraine, d’une procession funéraire, non pas celle que l’on fait en suivant un cercueil ou en allumant un bûcher, celle que l’on parcourt à l’intérieur de soi, car la mort réside aussi bien dans les corps inanimés des cadavres que dans les pensées des vivants. A tout instant, demandez-vous si vous êtes celui qui regarde le miroir ou celui qui est dans le miroir. Adomed in midnight : souvenez-vous du titre de l’album, qui est à part, qui est séparé, cette voix bourrue, refermée sur elle-même, vous doutiez-vous avant d’être parvenu au bout du morceau que c’était elle toute seule qui prendrait en charge le muet dialogue des amants qui ne se parlent pas, mais qui parlent à l’autre depuis l’intérieur de l’autre, car le fait d’être dans l’autre est la preuve irrémédiable de cette séparation éternelle, éternelle en le sens où depuis le minuit lugubre où des lèvres se sont posées de chaque côté du miroir, tous deux ne font que reculer sans fin dans la présent de la présence de leur absence, à tel point qu’il se tait pour nous prouver que la musique continue toute seule dans une solitude effroyablement insupportable, alors il reprend la parole car il vaut mieux dire l’absence que laisser l’absence triompher. Le chant qui tue la mort n’est-il pas aussi criminel que la mort. Situation bloquée, fardeau de la culpabilité. Une dernière noté étranglée, point final qui ne veut pas finir, sur le clavier silencieux de cet oratorio magnifique.  Bereft in requiem : il est question d’inspiration, celle qui vient des Dieux, celle qui transforme la fiancée crépusculaire en un long mensonge, la musique grogne, le riff se boursouffle et il grogne comme un loup que la colère de son impuissance énerve, guitares  en piqué qui tombent, rasent et arrasent la cime des arbres, maintenant il dit ce qu’il ne faut pas dire que la mort n’est rien, que le temps est tout, car la mort peut mourir mais le temps perdu est semblable au temps gagné, tous deux sont sas repos, car le temps qui s’arrête dure encore. Ashen veil : voile de cendres, de rêves, de souvenirs emmêlés, un chemin, un long chemin de vie dans un passé qui ne veut pas mourir, qui les a conduits dans la mort, celle de l’un et celle de l’autre, car celui qui meurt tue aussi l’autre, marche crépusculaire, la batterie écrase les mottes de terre, celles du chemin et celles de la tombe, la voix se fait profonde, plus profonde qu’une fosse mortuaire, car si elle ne contient qu’un cadavre elle s’est refermée sur deux corps vivants.  The scarlet mirror : attention puisque je ne peux te donner la vie tu peux me donner la mort, il suffit de briser le miroir, qu’il devienne écarlate, cramoisi de mon sang, en saisir un éclat et se taillader les veines, l’échange du premier sang sur tes lèvres exsangues comme un premier baiser charnel, mais le miroir aux eaux glacées  retient les vols du cygne qui ne fuiront pas, il ne chantera pas son chant le plus beau au moment de mourir puisqu’il est déjà mort, le chant empli de ressentiment est aussi beau que le texte, le morceau se termine sur une musique qui s’éloigne aussi funeste que le finale de Lohengrin. Eclipse : ce n’est pas Lohengrin qui s’éloigne, c’est le rêve qui ne veut pas mourir, il suffit de s’attendre, jusqu’à la fin des temps, jusqu’à la fin des Dieux, jusqu’à la fin de la mort, car si la mort est la fin de tout elle est aussi sa propre fin, la musique le susurre longtemps jusqu’à ce que le chant s’élève, elle a préparé un tapis rouge pour accueillir le Poème afin qu’il s’unisse à la Poésie, ce n’est pas l’éclipse du soleil noir mais celle du temps effacé par l’atemporalité du Rêve, keyboard en marche nuptiale.

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Wreaths for the wretched : retour à la réalité, pitié pour les misérables condamnés à vivre, le tempo adopte une ampleur inégalée, face à la réalité seule la révolte, inutile et perverse, est nécessaire, si l’homme est mortel qu’il devienne un Dieu, qu’il redonne vie à l’enfant dans le corps qui l’a porté, tout est excusable, tout est permis, puisque ceux qui sont sur les tombes sont aussi malheureux que ceux qui sont dessous. Tous coupables puisque tous innocents. Her wounds can’t be seen : dessus comme dessous, à l’intérieur comme à l’extérieur, gratter la terre du souvenir et gratter celle de la tombe jusqu’à pénétrer en ses souvenirs, jusqu’à savoir et comprendre les fragiles barrières opposées à la mort, souvenir du vivre et remembrances mortelles sont de même indissoluble matière, une même structure entrelacées dans les aitres de laquelle chacun se ménage ses minuscules refuges, ses petits mensonges, toute cette pacotille de déréliction pour faire semblant de contrecarrer l’inéluctable irréparable. La rage aux cœurs l’affrontement est inévitable. Keket : elle est la Perséphone égyptienne, celle qui permet de mesurer l’immensité de l’éternité lorsque le cadran solaire privé de soleil ne peut plus indiquer  la course du retour de l’astre solaire, si tu ne peux pas tuer la mort, il reste encore une possibilité, celle d’être la mort elle-même, se joindre à elle pour être elle, ne plus être séparé, que les chairs séparées comme celles déchirées de l’enfant Dionysos qui lui ont permis d’accéder à l’immortalité, ne dites pas que c’est impossible, puisque une fois que vous êtes mort vous ne pouvez plus mourir. Pourquoi ce clavier ou cette guitare sonnent-ils comme un tocsin, un glas funèbre et joyeux qui annonce que la mort est morte.

         L’on ne peut être qu’émerveillé par une telle réussite. Un groupe qui dès son premier enregistrement accouche d’un tel chef-d’œuvre est promis à un grand avenir. Tout est parfait dans ce disque, un lamento musical redondant qui n’est jamais répétitif mais qui vous englobe dans une espèce de suaire protecteur, un chanteur qui ne cherche jamais l’emphase et ne tente à aucun moment d’attirer l’attention sur sa voix, omniprésent mais d’une humilité évocatoire dont seuls sont capables les plus grands, de somptueux lyrics et une pochette ouverte aux aléas des rêves de ceux qui la regarderont, plus l’ombre lumineuse de la mort… Si vous trouvez mieux, prévenez-moi.

Damie Chad.

         En attendant leur chaîne YT offre nombreuses vidéos de ce premier album enregistrées en public…

 

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Le hasard fait bien les choses  mais peut-être vaudrait-il mieux incriminer les Dieux de l’ancienne Hellade. Nous venions d’achever notre chronique précédente lorsque dans le courrier je remarque, avec quelque retard, un envoi de Bandcamp signalant sur une compilation Metal la présence d’un morceau inédit de Thumos destiné à la face B De leur prochain album. Donc après le précédent Passage d’Orphée nous  voici en présence d’un dialogue de Platon relatif à la nature de la poésie.

ION

THUMOS

( Mind Over Metal VOL 1

Cave Dweller Metal / Mai 2024)

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Goethe, le grand Goethe, mettait en doute l’attribution d’Ion, dialogue qualifié de jeunesse, à Platon. Il est inutile de nous lancer dans une polémique stérile, qu’il soit ou pas de Platon, ce dialogue consacré à l’essence de la Poésie, évoque évidemment le personnage d’Orphée même s’il est loin d’en être la référence principale.

Notons que Thumos prévient qu’il a déjà donné en exclusivité à une précédente anthologie de Cave Dweller Metal, un précédent morceau de cette face B de leur prochain opus, Lachès que nous avons chroniqué dans notre livraison 636 du 14 / 03 / 2024. Sans vouloir préjuger du contenu du futur disque nous rappelons que Lachès est un dialogue de Platon mené par Socrate qui discute avec deux généraux athéniens d’éducation, de courage, et de guerre…  Mais il est temps de nous pencher sur l’œuvre ionique pour tenter de comprendre la lecture musicale que Thumos opère de cet ouvrage.

Une première constatation sur laquelle je ne m’étendrai pas, dans   Platon. Œuvres Complètes de l’édition (de référence pour la France) dirigée par Luc Brisson, parue chez Flammarion en 2008 Ion est séparé de Lachès par l’ensemble des treize Lettres d’authenticité douteuse, preuve que le travail que Thumos effectue sur Platon est animé d’une certaine logique. Et même d’une logique certaine. Logos en grec.

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Dans ION Socrate interpelle Ion le rhapsode, qui se vante d’être le meilleur de tous les rhapsodes spécialisés dans la récitation des poèmes d’Homère et le meilleur de tous les commentateurs de l’illustre aède… Il déclare qu’il ne sait pas pourquoi cette supériorité ne vient pas de sa propre personne mais de la Muse, comprendre de la Divinité qui a inspiré Homère. Socrate explique que l’inspiration agit comme un aimant qui transmet  son aimantation à un anneau de fer (Homère) qui à son tour la communique à un autre anneau de fer (Ion) qui à son tour la confère à un autre anneau de fer que représente le public subjugué par la beauté du texte homérique… Ion ne peut que remercier Socrate de son explication qui fait de lui un réceptacle et un transmetteur du souffle divin.

Je me permets de vous adresser un petit conseil, si par hasard vous rencontriez Socrate, avec ce diable d’homme l’on ne sait jamais, et qu’il reconnaît en vous d’inestimables qualités, méfiez-vous, il ne va pas tarder à reprendre de l’hémisphère gauche de son cerveau ce dont son hémisphère droit vous a gratifié. Certes les récitations de notre rhapsode sont empreintes de beauté, mais sont-elles justes ? D’ailleurs les Lettres sont précédées d’un minuscule dialogue qui n’est manifestement pas de Platon, même s’il lui a été attribué, intitulé Sur le Juste

Ainsi si Ion récite un passage dans lequel Homère parle de course de char, qui sera le plus à même de juger de la justesse de ce passage : un guerrier meneur de char ou Ion lui-même ? Le malheureux est obligé de répondre que les critiques ou les éloges d’un cocher professionnel seront supérieures à ses propres jugements. Socrate s’amuse à plusieurs reprises à faire admettre à Ion qu’il laissera systématiquement l’avantage à un ‘’spécialiste’’ suite à l’examen de plusieurs situation décrites par Homère. Une manière pour Socrate de sous-entendre que si déjà Homère a commis quelques erreurs dans ses descriptions, notre poëte et à fortiori un rhapsode qui récite ses textes, n’ont qu’imparfaitement retransmis l’inspiration divine. 

Socrate laisse une petite chance à Ion : y aurait-il seulement un sujet sur lequel il serait  à même de posséder une compétence qui le mettrait à égalité avec les ‘’ spécialistes’’ de la question. A la grande surprise des lecteurs Ion revendique une totale adéquation entre son jugement des choses militaires et le savoir des plus grands stratèges. Se reportant aux  évocations des nombreux combats et multiples batailles qu’Homère décrit dans l’Illiade et l’Odyssée, Socrate se demande pourquoi Ion n’a pas été choisi par la cité athénienne pour diriger ses troupes lors des guerres qu’elle a l’habitude de mener…   Quand Ion se rend ridicule en décrétant que l’art du Rhapsode est égal à l’art du Stratège, Socrate enfonce le clou en affirmant que si Ion ne veut pas être un menteur, il vaut mieux  le considérer comme un homme divin  puisqu’il transmet par son art les poèmes d’Homère qui fut un homme divin puisque inspiré par la Muse…

Certes le lecteur moderne goûtera le sel de l’ironie socratique mais il pourra aussi s’interroger sur l’étrange proximité établie par Ion (et Platon) de la poésie avec la guerre.  Comme si le schème de l’aimantation des anneaux de fer pouvait se résumer ainsi : les Dieux / la Poésie / la Guerre / les Hommes… Une juste vision très agonique (et nietzschéenne) de la Grèce Antique…

ION : le morceau ne dépasse pas les quatre minutes, une orchestration que je qualifierais de serrée, un peu comme quand vous fermez avec force votre bouche pour réfréner une envie de rire incoercible, un rythme joyeux, nous sommes loin de cette idée de gravité et de sérieux que suscite communément le nom de Platon, peut-être faut-il discerner, trahie par la basse et les roulements de la batterie, l’indication que ce qui est en jeu dans ce recueil serait beaucoup plus sérieux que ne le laisserait accroire cette sensation de légèreté dégagée par la première moitié de ce titre, ne survient-il pas d’ailleurs une accélération drummique comme pour rappeler que l’on parle des Dieux, mais que signifie cette disparition sonore au profit d’un bourdonnement de mouche dont on ne sait si elle monte vers les demeures olympiennes ou descend vers l’incohérence théorique des êtres humains. Brutale amplification instrumentale, le rythme ralentit pour reprendre aussitôt, une effusion lyrique transparaît sans doute pour nous mettre en mémoire que le rire est aussi l’apanage des Immortels. Une espèce de coup de gong final, la plaisanterie humaine aurait-elle duré trop longtemps ?

Damie Chad.

 

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