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  • CHRONIQUES DE POURPRE 698 : KR'TNT ! 698 : JOHN CALE / BIG BYRD / PRIMAL SCREAM / WILD BILLY CHILDISH / DARANDO / THUMOS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 698

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    10 / 07 / 2025

     

     

    JOHN CALE / BIG BYRD / PRIMAL SCREAM

    WILD BILLY CHILDISH  / DARANDO

    THUMOS

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 698

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    TRISTE NOUVELLE POUR LES ROCKERS

    PRIVES DE LEUR BLOGUE FAVORI

    JUSQU’A LA FIN AOÛT

    HEUREUSE NOUVELLE POUR LES ROCKERS

    LE CAT ZENGLER ET DAMIE CHAD

    REVIENDRONT ENCORE PLUS FORTS

    ENCORE PLUS ROCK !

    BONNES VACANCES !

     

    Wizards & True Stars

    - Cale aurifère

    (Part Six)

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             Comme dirait Arletty, «Paris 1919 est tout petit pour un si grand album.» Arletty parle bien sûr du book que Mark Doyle consacre au Paris 1919 de John Cale. Il vaudrait mieux parler d’un mini-book, celui qui rentre dans toutes les poches et qui plafonne à 120 pages. Arletty a raison : comment peut-on imaginer un book aussi petit pour un si grand album ?

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             Deuxième interrogation : pourquoi aller rapatrier un book qui chante les louanges d’un album dont on sait déjà tout depuis 50 ans ? La réponse est simple : la kro du book dans Record Collector était tellement enthousiaste qu’on a voté le rapatriement immédiat en conseil restreint.

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             Le mini-book arrive aussi sec. Pouf ! Tu le lis d’un trait d’un seul. Tu ressens exactement la même délectation que celle éprouvée en 1973 ou 74 au moment de l’achat. Avec cet album incroyablement littéraire, John Cale te donnait à sa façon un avant-goût du paradis des cervelles : t’avais la beauté des mélodies et Dada. Avec ceux qu’on cite habituellement (Bringing It All Back Home/Highway 61 Revisited/Blonde On Blonde, Let It Bleed, le Piper de Syd, les 3 Velvet, Are You Experienced/Axis Bold As Love/Electric Ladyland, le Live At The Star-Club de Jerry Lee, le White Album, The Spotlight Kid/Clear Spot, les deux premiers Stooges et les deux Dolls), cet album est celui qui t’a le plus marqué, à l’époque. Il ne se passe pas un an sans que tu ne le ressortes de l’étagère pour t’assurer que l’illusion du paradis des cervelles reste palpable.

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             Doyle est un homme fantastiquement documenté. Il sait en plus dire ce qu’il éprouve à la ré-écoute de Paris 1919. C’est toujours ce qu’on recherche quand on lit une kro : voir si ta vision coïncide avec celle du kroniqueur. Quand Doyle dit que «l’album s’améliore à chaque écoute», on est d’accord avec lui - It is a classic grower album - Il s’aperçoit que ça ne fonctionne pas avec tous les groupes qu’il aime bien et qu’il cite (Silver Jews, New Phonographers, TV On The Radio). Peu d’albums tiennent le choc de la ré-écoute. Paris 1919, dit-il, n’a jamais pris une seule ride. Et plus il ré-écoute l’album, plus il le trouve strange.

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             Comme Prévert, Doyle fait l’inventaire de Paris 1919 : «Classical music, avant-garde music, rock’n’roll, highbrow litterature, lowbrow litterature, history, geography, death, drugs, violence, beauty, ugliness, loneliness, and every point on the compass are packed into its thirty-one minutes.» Il a oublié les ratons laveurs, mais c’est pas grave. Et puis t’as cette pochette qui montre Calimero «like the ghost of an Edwardian dandy.» C’est crai qu’il rayonnait. Il passait de l’ombre du Velvet à la lumière de Paris 1919. Dylan avait tenté exactement la même transformation, mais il n’était pas aussi beau que Calimero.

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             En fin stratège, Doyle commence par situer le contexte de l’album. Calimero vient d’arriver en Californie : il passe du statut d’avant-gardiste de choc à celui de salarié chez Warner Bros, «avec un planning, des réunions, un budget, une nouvelle femme, une maison et un chien» - He had kicked heroin and gotten hooked, instead, on cocaine - Doyle dit bien les choses, il est essentiel de rappeler que la coke coulait à flots à cette époque. C’est tout de même drôle que Calimero ait réussi cette transformation, car il venait de Fluxus et fréquentait l’un des meilleurs dealers new-yorkais, La Monte Young, un protégé de John Cage. Eh oui, ça ne rigolait pas au 275 Church Street, avec les ear-twisting drones, les intense light projections and Young’s narcotics, t’avais le cocktail parfait. Un cocktail que t’allais d’ailleurs retrouver dans le Velvet. Le groupe d’avant-gardistes s’appelait The Dream Syndicate.

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             Doyle attaque ensuite l’épisode de la rencontre Lou/Calimero qu’on connaît pas cœur, mais qu’il prend plaisir à redéfinir : d’un côté le Lou avec ses «gritty, literary tales of urban squalor» et de l’autre Calimero avec ses idées d’avant-garde et ses «noise and drones and paranoid dread.» Au contact du Lou, Calimero apprend un truc essentiel : l’art d’écrire des chansons. Et ce qui fascine le plus Calimero chez le Lou, c’est sa réelle dimension littéraire. Calimero découvre que la pop peut être autre chose que du «silly kids’ stuff». Pour lui c’est une révélation. Les chansons du Lou sont tout sauf du silly kids’ stuff. Calimero comprend qu’on peut allier la poésie à la musique. Et puis le Lou sait décrire des personnages sur le temps court d’une chanson, comme le fait si bien Ray Davies en Angleterre. Calimero fait une autre découverte de taille : «For all their reputation as confrontational chaos-merchants, the Velvets were also capable of great beauty and delicacy.» Calimero va s’en souvenir. Il en fera même un fonds de commerce. Paris 1919 est le fruit de cette révélation.

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             Peu avant Paris 1919, Calimero avait bossé avec Nico. Il avait appris à arranger dans un esprit particulier, «weary, sophisticated, European», un esprit qu’on retrouve bien sûr tout au long de Paris 1919. Calimero n’a pas la voix de Nico, mais une voix plus chaude, plus riche, «slightlly (but only slightly) less alien», et Doyle balance ça qui est criant de vérité : «I do think it’s accurate to say that Nico has haunted Cale for much of his life.» Doyle rappelle encore que sur Mercy, son dernier album, Calimero a enregistré «Moonstruck (Nico’s Song)», dont les «swelling strings, eerie harmonium and downbeat lyrics» constituent la preuve «of continuing hauntings». Et Doyle enfonce son clou de manière somptueuse, en indiquant que sur Mercy, les cuts sont tous des collaborations avec d’autres artistes, «but this one is not - unsless perhaps we count Nico’s ghost.» Et là le mini-book prend une dimension faramineuse. Doyle est tellement imprégné du génie de Calimero qu’il transforme son mini-book en chausse-trappe révélatoire.

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             Quand Calimero fait écouter au Lou les albums de Nico qu’il vient de produire, il l’avertit : «Listen to this. This is what you could have had.» Et bien sûr le Lou est bluffé, allant même jusqu’à qualifier ces albums de «most incredible albums ever made.» À ce stade des opérations, on patauge dans la mythologie la plus épaisse : le Lou, Calimero et Nico. T’as très peu de conglomérats aussi intenses dans l’histoire du rock. Il en manque un : Warhol ! Tiens justement le voilà. Doyle le ramène vite fait en citant Calimero : «Andy fut très important dans mon développement à cette époque, parce qu’il montrait l’exemple d’une ‘fervent pursuit of an extraordinary work ethic’. Art is work. Work is art.» Doyle rappelle que l’endroit où bossait Warhol s’appelait la Factory pour une bonne raison : «amid the chaos of gossip, amphetamines and aluminium, Warhol and his collaborators were working all the time. Silkscreens, films, happenings.»

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             Lors d’un voyage à Londres avec Nico, Calimero rencontre Nick Drake et l’accompagne sur deux cuts de Bryter Layter. C’est aussi à cette occasion qu’il rencontre Joe Boyd, qui a aussi bossé avec Nick Drake et Nico sur Desertshore. C’est Boyd qui va ramener Calimero chez Warner Bros. Il réussit à convaincre Mo Austin d’embaucher Calimero pour écrire des Bandes Originales de films. Du coup Calimero découvre un monde étrange de «folkies, hippies, pop singers, top-shelf session musicians, one-off eccentrics like Randy Newman and Van Dyke Parks, troubled geniuses like Phil Spector and Brian Wilson, and outright freaks like Frank Zappa and Captain Beefheart.» Pendant un temps, Calimero vit chez Joe Boyd et sa copine Linda Peters. Ils ne traînent pas trop dans les salons, ils préfèrent rester à la maison pour jouer au ping-pong ou aller voir un concert des Bee Gees dont l’album Trafalgar vient de sortir. Doyle pense que leur influence sur Paris 1919 est palpable. Doyle a raison de s’attarder sur Warner Bros et Reprise, car c’est ce qui appelle «an extremely hip label» - The quintessential Los Angeles record label of the early seventies - C’est un label qui sait prendre des risques (Randy Newman, Zappa, Captain Beefheart). Leur A&R Andy Whickham écume Laurel Canyon. Joni Mitchell, James Taylor et Neil Young sont sur Warner. Les Doobie Brothers, Alice Cooper et America font rentrer les sous. Joe Boyd rappelle que les locaux de Warner à Burbank sont une «cramped old warehouse» et que les transactions se font dans les gogues.

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             Calimero s’est marié avec l’une des GTOs, Cindy Wells - The most destructive relationship I ever had - Pamela Des Barres avait fait entrer Cindy Wells dans les GTOs parce qu’elle apportait «a really important twisted element». Elle est en plus ce qu’on appelle une menteuse pathologique. Elle va faire pas mal de stages en HP.

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             C’est Chris Thomas qui produit Paris 1919. Calimero l’a repéré grâce à au Live With The Edmonton Symphony Orchestra de Procol Harum. Doyle pense que Chris Thomas a réussi à lisser le son de Calimero. Terminé le «reckless  trashing». C’est un nouvel univers qui s’ouvre, avec les «ghosts of his past life - You’re a ghost la la la la - Lou Reed’s literary songcraft, Warhol’s drive, Nico’s droning across a frozen landscape - Oui, le morceau titre de Paris 1919 est la chanson des fantômes, avec un véritable entrain européen, bourré de Tuileries, de Beaujolais et des Champs-Élysées.

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             Doyle claque tout un chapitre sur le thème de Dylan Thomas, un Thomas nous dit Doyle qui fut à Calimero ce que Muddy Waters fut aux Stones et Buddy Holly aux Beatles. Calimero et Dylan Thomas sont tous les deux nés au Sud du Pays de Galles. Calimero pense que c’est la langue musicale de Thomas qui, petit, l’a orienté vers la musique. Un Dylan Thomas dont le cassage de pipe en bois est extrêmement rock - Thomas’ death elevated him from legend to myth - Doyle met soudain le turbo en saluant le «self-destructive wild man» que fut Dylan Thomas, un destructeur d’appartements, «serial affairs, nasty fights, and far too much champagne.» Il fit scandale à New York, mais en même temps, il fascinait les gens. Il est devenu le prototype du «misbehaving celebrity-artist», un modèle pour ceux qui vont suivre. Il est devenu le cliché du «rock’n’roll poet». Il est une rock star avant les rock stars. Et là Doyle prend feu, du moins sa plume : «Non seulement did he live fast and die young d’une manière qui allait elle-même devenir un cliché rock, mais sa vie et ses vers ont inspiré plusieurs générations de musiciens. Bob Dylan lui a emprunté son nom. Et beaucoup d’autres, comme Tom Waits, The Cure ou St Vincent se sont prosternés devant son autel.» Calimero est arrivé à New York dix ans après la mort de Dylan Thomas. Il y croisait son fantôme au Chelsea Hotel. Calimero s’y était installé avec sa femme Betsy Johnson, au temps du Velvet. C’est là au Chelsea Hotel que Dylan Thomas a glissé «into his fatal coma». Doyle souligne enfin la propension qu’avait Calimero à imiter le process d’auto-destruction de son modèle. Il s’agit d’une parenté purement intellectuelle : le mode de vie et la pratique de l’art sont INDISSOCIABLES.   

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             Au moment de Paris 1919, Calimero est devenu un artiste complet : «Il a fait son apprentissage avec the desperados of the classical avant-garde, redéfini le rock’n’roll avec le Velvet, dressé la carte d’un nouvel univers sonique avec Nico.» Doyle retrouve l’influence de Thomas dans les textes de Calimero, c’est pour lui essentiel de le souligner - Thomas is still here in the pacing and rhythm of his songs, in the preference for sound over sense - Voilà qui explique tout : les paroles des chansons de Paris 1919 n’ont souvent pas de sens, mais t’as des tas de mots qui sonnent. Doyle prépare le terrain pour Dada. Dans «Hanky Panky Nowhow», Calimero vante les vertus des «planning lakes» - Those planning lakes/ Will surely calm you down - mais on ne sait pas ce que sont les planning lakes. Dans «Andalucia», il yodelle son amour, mais on sent bien que quelque chose ne va pas - It doesn’t sound like a very happy moment - Comme nous tous, Doyle ressent lui aussi une «vague inquiétude» à l’écoute de cet album.

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             Et boom ! Le mini-book explose ! Dada ! Doyle brosse un portrait en pied de Tzara le héros et rappelle le truc de base : «Dada is a notoriously difficult thing to define.» Pour une fois, on va laisser ça en anglais. Doyle bataille bien avec Dada, il se retrousse les manches et déterre de vastes extraits des manifestes, il rappelle l’importance du nihilisme et de l’urgence à détruire. Doyle rappelle aussi la différence qui existe entre Dada et le Surréalisme - Dada was action, movement and abstraction - par contre, le Surréalisme était «something definite», et surtout, un mouvement doté d’un beau despote. Doyle trace le parallèle évident entre le Paris de Tzara et le New York de Calimero : ils arrivent tous les deux pour révolutionner l’art. New York nous dit Doyle «is where Dada will be reborn». À New York, ça palpite comme une bite au printemps, «Beat Poetry, Bebop, Pop Art», et badaboom voilà Fluxus ! En 1960, George Maciunas défend l’idée d’un art en mouvement constant. Art as movement, art as effervescence. Dans les rangs de Fluxus, on retrouve bien sûr La Monte Young, Terry Riley, Allan Krapow et Yoko Ono. Les gens de Fluxus suivent le modèle de Dada, avec des «provocative, head-scraching performance designed to shake people out of their complacency.» Tout y est : les manifestes, l’excentricité et l’anarchic humor. Maciunas voulait purger le monde du «dead art», «imitation, artificial art, abstract art, illusionistic art, mathematical art.»

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             À son arrivée à New York, Calimero participe à l’interprétation des Vexations d’Erik Satie pendant dix-huit heures. Doyle : «The 1960s in other words, was Cale’s Dada period, his Paris 1919. It reached its apogee with the Velvet Underground. Black-clad and unsmiling, the Velvets  alterned, as the Dadaists had done, between assaulting the audience with ungodly noise and boring them to death with drones and repetition. But it wasn’t just about noise. Often, especially when Warhol was involved, it was about spectacle.» Doyle monte encore d’un cran en évoquant des scènes du Velvets’ Dadaism - The nonsense vocals, the noise, the agression, the Wagnerian catharsis - it was the Dada dance of death updated for the rock’n’roll age - Ce sont des pages tellement intenses et tellement criantes de vérité qu’elles t’envoient au tapis. 

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             Mais le Lou n’aime pas trop la tension de l’art as effervescence. Doyle pense qu’il a viré Calimero pour ça. Il voulait faire des albums plus commerciaux, «but Cale wanted to keep the flux fluxing, so he got the boot. Sans lui, le Velvet est devenu un groupe différent : still edgy but much less Dada. C’est je crois ce que les gens veulent dire quand ils disent que Cale amenait un avant-garde spirit to the band. They mean he brought the Dada spirit.» Tout est dit.

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             En Calimero bouillonnait le Dada spirit, mais aussi l’énergie de Dylan Thomas, sans oublier cette fascination pour Nico, et donc les fantômes. C’est tout cela qu’on retrouve dans Paris 1919. Et dans tous ses autres albums, ajoute Doyle l’extra-lucide. Doyle ajoute que Calimero allait revenir à Dada pendant les seventies avec de la provoc sur scène : masques de hockey, poulets décapités - His unruly stage shows were what happens when you mix Dada with cocaine and booze - Dans What’s Welsh For Zen, Calimero définit Paris 1919 comme «an example of the nicest ways of saying something really ugly.»

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             Doyle finit par lâcher le morceau : Paris 1919 est plus surréaliste que Dada, il parle même d’un «shimmering Surrealism of Cale’s Paris 1919». Il affine en précisant que le Surréalisme est un filet permettant de pêcher l’inconscient, un filet qu’utilisaient aussi George Clinton et Captain Beefheart, «et ce que Cale a pêché is a kind of historical unconscious, the half-suppressed dreams and nihtmares of a wasted cicilization. So of course there are ghosts here.»

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             Comme il a raison, Doyle, Paris 1919 est un album délicieusement européen. «Child Christmas In Wales» ? Grandeur et décadence joyeuse. Et puis t’as ces chansons mélodiquement pures, «Hanky Panky Nohow», «Andalucia» et puis aussi «Half Past France», cette belle ode à la nonchalance qui s’écrase dans un merveilleux nuage misanthropique - People always bored me anyway - Et puis t’as surtout «Paris 1919», «the Everest, the Mona Lisa smile, the masterpiece within the masterpiece.» Doyle n’en finirait plus. Heureusement que c’est un mini-book.

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             Oh et puis t’as deux chroniques de concerts dans la presse anglaise. C’était au mois de mars à Londres, et à Glagow. Belle actu ! Stephen Troussé en trousse une demi-page, et qualifie Calimero d’«octogenarian art-rocker, still at the peak of his piratical powers.» C’est bien troussé ! Même si après, il radote la vieille anecdote du poulet vivant sacrifié sur scène. Tout le monde s’en fout. Troussé estime du haut de sa grandeur magnanime que Calimero a atteint le paradis, loin des excès du passé. Même les journalistes anglais racontent des conneries. Il note toutefois que the old wildness is alive, notamment dans ses deux derniers albums, Mercy et POPtical Illusion. Visiblement, les Londoniens ont plus de chance que les Normands, puisque Calimero les gratifie d’un «Hello London, nice to see you.» Troussé salue aussi Dustin Boyer «on free-roaming guitars». Dressé derrière son clavier, Calimero mène le bal. Troussé le voit comme l’Achab de l’avant-rock, qui sillonne «the seven seas of one of rock’s more confounding back-catalogues». Troussé se fend d’un final magnifique, en référence au «Frozen Warnings» que Calimero sort de l’oubli sur scène : the song at the heart of The Marble Index. Troussé parle d’une glacial masterpiece - The song could be a transmission from the deep dark past - or the distant future - but John Cale has never sounded so thrillingly alive - Wow ! 

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             Grahame Bent rend lui aussi hommage au vieux Calimero. Bent commence par le qualifier d’«one of the most significant survivors of the ‘60s, an important contributor to the decade’s seismic reverberations.» Calimero attaque son set écossais avec le «Shark Shark» tiré de POPtical Illusion. Bent cite les deux clins d’yeux à Nico : «Frozen Warnings» et «Moonstruck (Nico’s Song)». Les Écossais ont du pot, car Calimero revient fracasser une cover de «Waiting For The Man». Et Bent conclut son hommage de manière extrêmement seigneuriale : «John Cale reminds one and all that he’s beyond tidy classification and still ahead of his time.»

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. Paris 1919. Reprise Records 1973

    Mark Doyle. Paris 1919. 33 1/3. Bloomsbury Academic 2025

    Graham Bent : John Cale live at the Pavillon Theatre, Glagow. Shindig! # 163 - May 2025

    Stephen Troussé. John Cale live at Royal Festival Hall, London. Uncut # 336 - May 2025

     

    L’avenir du rock

    - Bye Bye Big Byrd

             Boule et Bill déboulent au bar. Ils encadrent l’avenir du rock qui sirote sa Jupi.

             — Ah bah dis, avenir du rock, on t’a vu hier soir au concert du Brian Jonestown !

             — Bah oui, Bill !

             Boule pose la main sur l’épaule de l’avenir du rock et lui dit :

             — On a vu ta grosse gueule de raie au premier rang. J’parie qu’t’as trouvé ça bien...

             L’avenir du rock retire la main de Boule de son épaule et lâche d’une voix lasse :

             — Bah oui, Boule...

             — On t’a aussi vu acclamer les mecs de la première partie, les Big Byrd, c’est ça ?

             — Bah oui, Bill...

             — Alors on te voit venir avec tes gros sabots... Tu vas essayer de nous les refourguer dans ta putain de rubrique !

             — Bah oui, Boule...

             — Chuis sûr qu’tu vas nous sortir toutes tes vieilles ficelles de caleçon !

             — Bah oui, Bill...

             — Tu vas nous faire le coup du Byrd dans les épinards ?

             — Ou encore le coup du Byrd en broche, ha ha ha ha !

             — Ou alors le coup du Byrd Doggin’, ha ha ha ha !

             — Ou bien le coup du Surfin’ Byrd, ha ha ha ha !

             — Ou encore le Byrd et l’argent du Byrd, ha ha ha ha !

             — Ou tiens, le coup du Ronnie Byrd, ha ha ha ha !

             — Tiens, j’te parie qu’y va essayer l’coup d’l’œil au Byrd noir, ha ha ha ha !

             — Ou alors le coup du Radio Byrdman, ha ha ha ha !

             À les voir se marrer comme des bossus, l’avenir du rock finit par rigoler avec eux :

             — Qu’est-ce que vous pouvez être cons, tous les deux. Vraiment cons comme des bites ! Vous n’avez pas inventé le fil à couper le Byrd !

     

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             Contrairement à ce qu’indique le titre, les Big Byrd n’ont rien à voir avec le «Bye Bye Bird» des Moody Blues. Ni avec le «Big Bird» d’Eddie Floyd. Ils n’ont rien à voir non plus avec les Byrds. Ils se réclameraient plutôt des parkas. Parki ? Parka !

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     Vroom vroom ! Le mec de Big Byrd aurait pu arriver sur scène en scooter. Une vraie dégaine de Mod anglais. On apprendra par la suite que le groupe est suédois, mais en attendant, on tombe sous leur charme, fuck, il faut voir comme ils groovent. Ils jouent en première partie du Brian Jonetown Massacre, donc ce n’est pas une surprise. Ils groovent même divinement bien. Tu t’en pourlèches les babines. Tu ne

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    sais alors pas d’où ils sortent, mais en deux cuts, ils se mettent la Cigale dans la poche. Tu te dis qu’il y a anguille sous roche : c’est impossible ! Des mecs aussi pros, aussi parfaits ? T’apprendras après coup que le parka man s’appelle Joakim Ahlund et qu’il grattait ses poux dans les fantastiques Caesars Palace, devenus les Caesars. Mais tout ça revient après coup. Sur scène, il se passe un truc tout de même assez rare : t’assistes au set d’une première partie révélatoire. En l’espace de 7 ou 8 cuts, ils te gavent comme une oie. My Gawd, comme ce mec est doué ! Comme ça sonne.

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    Te voilà revenu dans le meilleur des mondes. C’est assez vertigineux. Derrière parka man, t’as un mec à la basse, Frans Johansson, un autre aux claviers et encore un autre au beurre, mais on ne voit que parka man. Il porte des lunettes noires. Tu ne

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     sais rien de ses cuts, t’as jamais entendu parler des Big Byrd, mais tous ces cuts sans exception te flattent l’intellect. Tu découvriras encore par la suite que le premier album des Big Byrd est sorti sur A Records, le label d’Anton Newcombe. Il n’y a donc pas de hasard, Balthazar.

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             La première chose que tu fais en rentrant au bercail c’est de réunir un conseil extraordinaire et pour voter à l’unanimité le rapatriement des Big Byrd records. 

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             Pas surprenant que They Worshipped Cats soit sorti sur A Records : on se croirait chez Brian Jonestown ! T’es hooké dès le groove psyché d’«Indian Waves». Joakim et ses Big Byrd ont un sens aigu de l’hypno stratosphérique. Et ça continue avec l’harsh attack de «Tinitus Aeternum», gros shoot de vandalisme protozozo zébré d’éclairs psycho, le tout bien noyé d’écho. Quelle claque ! On retrouve Anton Newcombe dans le morceau titre. T’y retrouves aussi tout le power hypno du monde. Puis ils s’en vont tous chanter «Vi Börde Präta Mën Dët Är För Sënt» au sommet du lärd, ça sonne comme un hït, avec un fil mélodique impäräble. Ça dégouline littéralement de légendarité. T’en reviens pas de tant d’hauteur de vue. Encore de la clameur suprême avec «Just One Time» et de l’harsh attack dans «White Week». Joakim ne vit que pour l’up-tempo. T’entends même des échos de Beatlemania. Puis tu tombes sur le pot-aux-roses : le fast instro de «1,2,3,4 Morte» qui fonce à travers la nuit. Somptueux de power max. Puis ils entrent en vainqueurs dans ton imaginaire avec un nouveau coup de Jarnac, «Back To Bagarmossen». Quelle attaque ! Quelle majesté ! Encore de l’heavy groove de rêve digne d’Hawkwind ! Imbattable ! C’est du roule-ma-poule à travers toute l’histoire du (bon) rock, c’est du tout cuit, t’as le poids du power et le choc des chimères. Tu les laisses venir, alors ils viennent, ils sont tellement les bienvenus que t’en perds ton latin, c’est tout de même incroyable de voir ces demi-dieux se prélasser au soleil du groove marmoréen, et t’as des drones de trash qui traversent la scène, ce mec Joakim a du génie, on l’a bien compris l’autre soir à la Cigale, il aurait pu voler le show d’Anton Newcombe, mais comme Joakim est un mec élégant, il est resté en retrait.

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             Iran Irak IKEA n’est pas l’album du siècle, oh la la, pas du tout, mais on sent le métier derrière la pop, et t’es vite embarqué par l’hypnotique «Tried So Hard». Ils sont à l’aise avec l’hypno à gogo, c’est à la fois puissant et névralgique, tu savoures la qualité de l’hypno, c’est même une hypno de qualité supérieure. Ils vont plus sur Babaluma avec «A Little More Dumb». Ça sonne ! En B, ils vont plus sur le poppy poppah de la barbe à papah («Fucked Up I Was A Child») et avec «Eon», on se croirait chez Taxi Girl. On sent pourtant le métier derrière tout ça.

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             Bel album que cet Eternal Light Brigade. C’est tout de suite sexy, t’entends ronfler le bassmatic de Johansson. Une chose est sûre : t’as du son. Ils tapent en plein dans le Brian Jonestown Massacre avec «I Used To Be Lost But Now I’m Just Gone». C’est même effarant de similitude. Même chose pour le «Desolation Raga». Même école de pensée. Tu te sens sur la terre ferme. Et parka man te claque de beaux arpèges décolorés au sommet du beat. Parka man a un don, c’est indéniable. Il sait allumer un  cut de manière informelle, comme le montre encore cet instro du diable, «Katamaran». Ce bel instro hypno file sous le vent. Parka man sonne comme une superstar, il sait poser sa voix. On tombe plus loin sur un joli blaster nommé «Feels Like Wasting My Life Is Taking Forever». Ils savent allumer la gueule d’une pop. Parka man a du style, il adore les cuts imparables et l’ampleur considérable. Puis t’as Johansson qui embarque tout le monde en voyage intersidéral avec «I Gave It All Up To You». T’étonne pas si tu te sens complètement barré. C’est normal. 

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             Diamonds Rhinestones And Hard Rain ? On peut y aller les yeux fermés. T’as une belle entrée en lice lysergique avec «Mareld». Tu sens bien qu’ils ont un truc, ils se positionnent très vite dans la Mad Psychedelia, celle des géants comme le Brian Jonestown Massacre ou les Bardo Pond. Il faut bien ça pour tenir 10 minutes avec de la crédibilité. «Mareld» est un cut fantastiquement intense et qui monte bien en pression. Te voilà arrimé. Ils passent en mode hypno pour «Lycka Till Pa Farden» et on reste dans l’ambiance des coups de génie avec le morceau titre, amené au groove de swinging bassmatic, et cette fois ce démon de Joakim Ahlund chante. T’entends là l’un des meilleurs groupes de la galaxie moderne. Ces mecs excellent ad nauseam. Ça sonne comme l’un de ces cuts d’avant concert que tu ne connais pas et qui te résonnent dans l’âme. Les Big Byrd sont dans leur monde d’heavy-groove hypnotique, comme s’ils se reposaient après les tempêtes des Caesars. Le groupe est vraiment bon. Il touche à tout. Doigts de fée. Sens aigu. Vraies fines fleurs de Java.

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    Dans la foulée, tu ressors tous tes Caesars de l’étagère. Ces cracks du boom-hue démarraient en trombe en 1997 avec un excellent album, Youth Is Wasted On The Young. L’hit s’appelle «My Abuction Love», un hit chanté à la cantonade effervescente, monté sur un fil mélodique très britannique à la Oasis. C’est solide et terriblement british. Better than Liam. Ces mecs sont des fous. Leur fonds de commerce, c’est l’ultra-power pop, et dès «Sort It Out», ils s’engagent de plein fouet, ils chantent comme des bites en rut, c’est extrêmement exacerbé, axé sur l’énergie sexuelle. Trop de rut. C’est même écrasant de rut. Ils sont dans l’excès du genre, atrocement puissants. Leur son n’en finit plus d’exploser dans «Let’s Go Parking Baby». Leur surplus d’énergie les condamne aux galères. Avec «I’m Gonna Kick You Out», ils ramènent le meilleur son de Suède, ils jouent au riff dévasté, tout est saturé de puissance sonique. Leur puissance repose sur le principe d’un effroyable surplus. S’ensuit un «You’re My Favorite» solidement débouté du bulbe. Ils proposent avec cette nouvelle résurgence un sale garage suédois, une sorte d’abomination idoine cisaillée à vif. On croirait entendre des mecs de Manchester. Ils sont aussi les rois du Big Atmospherix comme le montre «Optic Nerve». Ça chante à l’Anglaise, ils manient l’explosif comme des experts. Ce mec chante à contre-courant avec la puissance d’un saumon d’Écosse. Fantastique chanteur érodé. Ils explosent le plafond de verre de la pop. Quelle fête pour l’esprit ! Avec «Anything You Want», ils foncent dans la nuit urbaine sans ceinture, sans foi ni loi, c’est très sexuel, très suédois. Ils reviennent au burst de power-pop avec «She’s A Planet». C’est mecs n’en finiront plus d’exacerber les choses. On tombe plus loin sur un autre bombe intitulée «You Don’t Mean A Thing To Me». Explosé du beat. Trop de son. Gorgé de graines de violence. Ultra-joué. 

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             Cherry Kicks pourrait bien être l’un des plus grands albums de rock de l’an 2000. Il s’y niche pas moins de cinq classiques power-pop du style «Subburban Girl». L’énergie pulse dans les veines du cut, c’est embarqué à la petite folie. Ces mecs ne font pas n’importe quoi. Ce sont des diables sortis de nulle part. Voilà encore un cut puissant et ravageur. S’ensuit un «Crackin’ Up» demented are go à gogo. Du son rien que du son ! Si on aime le son, c’est eux qu’il faut aller voir. Leur «One Cold Night» est noyé du meilleur son d’attaque frontale. Ils sont déterminés à vaincre l’inertie des oreilles occidentales. Alors ils chargent leurs roueries atroces, les percées se font spectaculaires, au-delà du supportable. Encore de la fuckin’ power pop avec «Spill Your Guts». Ils sont dans l’énergie extravagante, c’est explosé d’avance et sans sommation. Ils sont bons, bien au-delà des expectitudes. Ils frisent en permanence le génie pur. Avec «Oh Yeah», ils reviennent à quelque chose de plus pop, mais ça reste très capiteux, cette pop monte bien au cerveau, elle devient même un peu folle comme souvent chez les Caesars. Ils ne ratent jamais une occasion de tout dévaster. Ils n’ont aucune patience pour la vergogne. «Punk Rocker» se veut plus kraut dans l’esprit. Ils suivent leur petit bonhomme de chemin hypnotique. Encore un cut qui interpelle quelque part : «Fun & Games» qu’ils attaquent avec un Hey girl de bon aloi. La tentative d’envolée psyché est vite écrasée par un troupeau de pachydermes. La puissance de la production renvoie une fois encore à Oasis. On croit qu’ils vont se calmer en approchant de la fin du disk. Pas du tout ! «From The Bughouse» explose littéralement. Ils ont tellement de son que Bughouse devient une horreur congénitale. C’’est un tourbillon de potage instantané. Ils effarent même la revoyure et jouent au vermillon du bon vouloir, ils envoient valser la power-pop dans les orties. Encore plus terrifiant : «Only You». Ils y deviennent impétueux et jouent une sorte de stomp de bottes à clous.

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             Sur Love For The Streets paru en 2002 se trouve un coup de génie intitulé «Do Nothing».  C’est l’apanage emblématique du powerful. Il n’existe rien d’aussi dément sur cette terre. C’est ponctué à la petite note numérique, dans une ambiance heavy et musculeuse - I tied to make her see me - Fabuleux - I’m trying hard to help myself but I just do nothing - Hit fondamental. L’autre grand cut de l’album s’appelle «Jerk It Out». Leur appétit carnassier remonte à la surface, c’est excellent car joué avec des facilités intrinsèques. «Let My Freak Flag Fly» sonne aussi comme un hit. Voilà une pop-song parfaite, chant idoine et accords chatoyants soutenus à l’orgue. On se goinfre aussi de «Candy Kane», et de l’incroyable poppabilité des choses. Ça sonne comme un hit de radio pirate. Ces mecs visent le chart-toppisme d’undergut. On sent la fermeté d’un grand groupe et on savoure leurs orchestrations faisandées. Quand on écoute «Mine All Of The Time», on sent clairement le groupe qui bosse pour percer. Mais ça ne marche pas à tous les coups. Bosser pour percer n’a jamais mené à rien. Ils jouent avec le feu dans «Burn The City Down», cut insurrectionnel traité au poppisme californien ensoleillé - Let’s burn the whole city down/ Burn it to the ground - C’est admirable de parti-pris et ça sonne comme un hit californien. Ces mecs écoutent très certainement des bons disques. 

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             Paper Tigers a failli partir à la revente, mais la réécoute lui a sauvé la mise. Les Caesars ne sont pas des empereurs romains, mais des Suédois. On a un petit problème pour suivre l’ordre des morceaux car la pochette arty brouille un peu les pistes. Mais dès «Spirit» qui ouvre le balda, on sent le souffle d’une pop-psyché de haut rang. C’est bardé de son et ça monte vite en température. Encore de la pop enjouée avec «It’s Not The Fall That Hits». Oui, on peut même parler d’une pop de bonne haleine et de dents soignées. Même chose avec «Out Here», excellent brouet de pop puissante. On peut en dire autant de «May The Rain» et de «My Heart Is Breaking Down». Quant au morceau titre qui referme la marche de l’A, il renvoie aux Beatles. On retrouve cette solide pop de panier garni en B avec «Your Time Is Near». Tout cela tient admirablement bien la route. «Winter Song» évoque les rues de Londres en hiver et la mélodie pince le cœur. S’ensuit un fantastique «We Got To Leave» digne des grands hits de pop californienne, avec son envolée, et voici encore une pure énormité avec «Soul Chaser», solide, tendu, foison à gogo. C’est du niveau des très grands disques de pop américaine, on pense bien sûr aux Beach Boys. Pur génie pop ! Ils bouclent avec «Good And Gone», pur jus de genius cubitus, all along all along, good & gone, avec des unissons vibrés qui renvoient directement au Teenage Fanclub.

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             Très peu de groupes atteignent le niveau d’un album comme Strawberry Weed. Il faut se méfier, les coups de génie y pullulent. À commencer par «Turn It Off», qui sonne encore mieux qu’un hit d’Oasis. C’est joué à la violence pénultième. Le génie des Caesars s’abreuve à l’Oasis. Pur esprit de make me glad. Ils font du pur jus d’Oasis, so empty, so sad, then make me glad, le tout vrillé par un solo démento et bien sûr, des gouttes de notes nous ponctuent tout ça aux petits oignons. D’ailleurs, cet album s’annonce bien, car dès «Fools Paradise», il défoncent le fion du rock paradise. Les Suédois ne rigolent pas avec ça. Souvenez-vous des Vikings. Ils enfilaient tout ce qui avait un trou entre les jambes, comme dirait Dickinson. C’est le géant Ebbot Lundberg qui produit cette horreur poppy avenante. Encore de l’Ebbot avec «Waking Up», gros shoot de pop énervée secoué de falling down et de shame, tout est ramoné dans la cheminée, ça ramone sec, c’est absolument dément d’instance et troué au cœur par un killer solo explosif. On reste dans l’énormité avec «She’s Getting High», shot down in your face de lapin blanc, solide et événementiel, ces mecs tirent le rock vers un vallalah d’excellence, ils ramènent tout l’overtime du monde dans leurs notes suspendues et ça prend de sacrées couleurs ! On va de surprise en surprise, comme d’ailleurs sur tous les albums des Caesars. Voilà qu’on tombe sur «Boo Boo Goo Goo», un cut riffé à la Viking, there you go again, ces mecs ont le diable dans le corps, ils maîtrisent toutes les ficelles de caleçon, impossible de les régenter, ils sont trop parfaits, et le cut se barde d’accidents techniques qui voudraient passer pour des excès de virtuoses. «In My Mind» sonne exactement comme le hit universel inespéré. Ils nous pulsent ça aux power-chords. Ces mecs disposent d’une sorte de génie américain, ils sont dans le blow-out, et visent l’excellence du brio. Quelle révélation ! Ils cultivent une sorte de gourmandise pour le beautiful heavy sound. Ils jouent «Crystal» au garage rampant et se montrent mille fois supérieurs à tous les groupes garage qu’on voudra bien imaginer, sauf les Nomads, évidemment. Avec le morceau titre, ils font de la pop claquée de l’intérieur, hantée par des accords de rêve. Comme c’est un double CD, l’aventure se poursuit avec «New Breed», power-pop martelée au popotin suédois et éclairée par un solo en arpèges de crystal clear. Plus on avance et plus ce groupe fascine. Et voilà «No Tomorrow» saturé de bassmatic. Ils défoncent la gueule des fjords. Encore une fois, ça sonne comme un hit inter-galactique, ça chante à la chevrotante et ils n’en finissent plus de briller au firmament. Ils en deviennent fatigants. Ils maîtrisent les sciences occultes du son et du stomp et s’emploient à délivrer des solos d’embrasement congénital. Ils n’ont que des ressources inépuisables. Ils sont aussi brillants que Jook. Merveilleux cut que cet «Easy Star» béni des dieux : on s’y sent comme dans un lagon, on s’y baigne indéfiniment, tout n’y est que luxe, calme et volupté tahitienne des fjords. Ils nous rament «Up All Night» aux galères du rock. Ils savent traverser un océan à la rame. Ces diables sonnent une fois de plus comme Oasis et sortent pour l’occasion la plus terrible cisaille du monde. Et puis on peut en prendre un petit dernier pour la route : «New Years Day», big shoot d’heavy pop défenestré.

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             39 Minutes On A Bliss est une sorte de compile, et dans le cas des Caesars, ça vaut le détour. Chez ces gens-là, tout est monstrueux, gonflé, rempli de son jusqu’à la gueule. «Sort It Out» sonne comme une explosion de pop craze. Ces Suédois jouent comme des dingues et ils resplendissent au firmament de la pop. On pourrait même les qualifier du groupe majeur du monde moderne. Ils développent une fabuleuse énergie et nous plongent dans des abysses fructifiantes. Ils pulsent à outrance et se croient invincibles. Voilà leur force. Avec «(I’m Gonna) Kick You Out», ils proposent un garage pop incroyablement qualitatif et explosé aux clameurs d’unisson. Ils pourraient servir de modèle. S’ensuit un «Let’s Go Parking Baby» claqué vite fait. Quelle santé de fer ! Ces mecs se situent au-delà de toute mesure, bien au-delà de la power-pop. Les Caesars balayent tout sur leur passage. On espère secrètement qu’ils vont se calmer, car ce genre de disque n’est pas de tout repos. «Out Of My Hands» sonne comme un coup de génie. Quelle giclée ! Les accords sont grattés dans les règles de l’art caesarien. Ils claquent tout à l’absolue divination et ça tourne vite à la sorcellerie. Encore un coup d’éclat avec «Crackin’ Up». Ils explosent leur power-pop à discrétion, comme si la grenade tardait à exploser. Ils font deux couplets à sec et ça monte. Ils ont cette facilité à gérer les attentes. Un esprit hante ce groupe. «You’re My Favorite» sonne comme l’un des plus violents garage-cuts de l’histoire du garage. C’est chanté sale, mais avec du répondant de son. On entend des accents à la Johnny Rotten dans le chant. Ça se termine avec l’excellent «You Don’t Mean A Thing To Me». Cette fois, ça explose pour de vrai. Ils ont des ressources insoupçonnables. Ce cut rebondit dans les murs. Voilà du vrai garage énervé et incontrôlable, imputrescible et bienvenu dans la confrérie. C’est joué à l’ultimate de la tomate, claqué aux chords de no way out, avec un spectaculaire retour de manivelle dans le corps du texte.

    Signé : Cazengler, Big burne

    Les Big Byrd. La Cigale. Paris XVIIIe. 20 mai 2025

    Caesars Palace. Youth Is Wasted On The Young. Dolores Recordings 1997

    Caesars Palace. Cherry Kicks. Dolores Recordings 2000

    Caesars Palace. Love For The Streets. Dolores Recordings 2002

    Caesars. Paper Tigers. Dolores Recordings 2005

    Caesars. Strawberry Weed. Dolores Recordings 2008 

    Caesars. 39 Minutes On A Bliss. Dolores Recordings 2003

    Les Big Byrd. They Worshipped Cats. A Records 2014

    Les Big Byrd. Iran Irak IKEA. PNKSLM 2018

    Les Big Byrd. Eternal Light Brigade. Chimp Limbs 2022

    Les Big Byrd. Diamonds Rhinestones And Hard Rain. Chimp Limbs Recordings 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Six)

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             Et hop, Big Billy repart à l’aventure en 1985 avec l’ex-Milkshake & boss de la basse John Agnew, et un certain Del au beurre, qui n’est autre que Graham Day. Objectif gaga-blow, c’est-à-dire donner au garage anglais de nouvelles lettres de noblesse. Huit albums en quatre ans, au rythme de deux par an, c’est une bonne moyenne pour un intensiviste acharné comme Big Billy. 

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             Il commence par aplatir la gueule de Beware The Ides Of March à coups d’accords de Dave Davies dans «It Ain’t No Sin». Big Billy adore gratter les accords des early Kinks. Et en B, il recrée le mythe du proto-punk avec «Give It To Me». Il est obsédé par le protozozo, il n’en démordra jamais, et il inaugure sa nouvelle marotte : le wouahhhhhhhh qui lance un killer solo flash. Magnifique ! Et puis, tu croises aussi des clins d’œil à Linky Link («Rumble») et à Bo (version endiablée de «Road Runner»).

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             La même année sort l’album sans titre Thee Mighty Caesars. On les voit déguisés en empereurs romains. Bruce Brand remplace provisoirement Del au beurre. Quelle blague ! Par contre, on ne rigole plus avec le real wild deal de «Wily Coyote», ce shoot d’early British rock’n’roll. Puis Big Billy te gratte «It’s A Natural Fact» à la sourde, mais pas n’importe quelle sourde, la sourde féroce ! En B, ils ramènent tout le poids de l’Antiquité dans un instro dramatique, «Death Of A Mighty Caesar» et Big Billy revient à son obsession protozozo avec «Why Don’t You Try My Love». Ça barde sec ! Wouaaahhhh et puis t’as le solo d’ultra-fuzz qui s’étrangle dans sa bave.  

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             Les Caesars montent encore en puissance avec Acropolis Now. Big Billy reste fabuleusement déluré, il adore perdre le contrôle dans les virages, Wouaaahhhh ! Le balda reste assez classique jusqu’au moment où «You Make Me Die» te tombe sur la gueule. En vrai. Big Billy te monte ça sur les accords de Dave Davies. Il fait du post-protozozo. Ça marche à tous les coups. Pur esprit. La viande se planque en B. Petite coquine... Bam !, dès «Loathsome ‘n’ Wild». Big Billy taille la pire des routes, la route wild as fuck, t’en perds le contrôle des mots. Il monte plus loin «Despite All This» sur la carcasse de «Pushing Too Hard», mais au ralenti et on observe un violent retour au protozozo avec «I Don’t Need No Baby», un stomp de Medway. Tout le protozozo d’Angleterre est au rendez-vous. Il monte ensuite son «Dictator Of Love» sur un beau Diddley beat et sort le big fuzz out pour «I Was Led To Believe». Ça te nettoie les bronches. Big Billy creuse un tunnel sous le Mont Blanc avec sa fuzz et ça bascule dans la folie par inadvertance. Il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie. C’est du très grand art.  

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             Au dos de Thee Caesars Of Trash, tu peux lire : «For the last III years Billy, John and Graham have been at the forefront of the British garage scene influencing all who see and here (sic) them play, with over XVII LPs of experience between them they truly are Thee Caesars of Trash, play this records now and play it loud - Punk from Pompay.» Signé : William Loveday, nov ‘85. C’est l’album des covers de choc, à commencer par «Oh Yeah», magnifique clin d’œil aux Shadows of Knight, she loves me, tout y est, oh yeah, she’s my babe. En B, t’as «Not Fade Away», big Buddy/Bo flash-back via les early Stones, et puis une cover excédée de «Psycho». Saluons aussi ce pur gaga de la menace qu’est «It’s You I Hate To Lose», gorgé de tout le power de Dave Davies et serti d’un acre killer solo flash.

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             Big Billy repart de plus belle avec Wise Blood : dans «I Can’t Find Pleasure», il passe l’un de ses pires killer solos trash. S’ensuit «Come Into My Life», un heavy schloufff des Puissants Caesars. Pure heavyness impériale ! Avec «Signals Of Love», tu renoues tout simplement avec le pur génie d’Angleterre, et il repasse en mode dark gaga avec «I Self Destroy», et il y va à coups de yeah yeah I self destroy. Encore une sévère leçon de maintien avec le morceau titre. Si tu vas en B, tu vas tomber sur un bel hommage à Bo avec un «Kinds Of Women» bien allumé et riffé à la vie à la mort. Ce brillant album s’achève sur un «Signals Of Love (Slight Return)» qui tape en plein dans la première époque des Stones. Big Billy est le plus complet des artistes complets. Au dos, William Loveday, aka Big Billy, déclare : «It takes us under 2 days and under £300 to record an album... we were brought up in Punk Rock, that’s where our Rock’n’Roll comes from. The resulting music is raw and irreverent, shining out as a beacon of human decency against the over produced, over sophisticated, over commercialised, computerised pop that predomines todays airwaves.» Belle déclaration d’intention.  

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             Et si le Live In Rome était l’un des plus beaux albums live de l’histoire du rock ? Va-t-en savoir. Au dos, William Loveday rappelle que lui, John et Del ont toujours été «into Rome» : «The early Clash, Link Wray, Leadbelly and ancient Rome». Et donc, ils ambitionnaient d’enregistrer à Rome, puisqu’ils passionnés de Rome. Ils y tapent des covers du diable : le «Neat Neat Neat» des Damned (bien drivé par ce démon de John Agnew) et «Submission» (Big Billy fait bien son Rotten et tape en plein dans le mille de la Pistolmania). Mais il y a aussi du wild as fuck avec «Wily Coyote» et sa ferveur maximaliste, suivi de l’incroyable shout de «Give It To Me», claqué à l’Hofner Gibson copy. Wouahhhhh ! et Big Billy plonge dans les enfers d’un killer solo flash. «I’ve Got Everything Indeed» n’a aucune pitié pour les canards boiteux et Big Billy lance le killer solo flash de «Devious Means» non pas au wouahhhhhh mais au yahhh yahhh. Il a des variantes ! Et ça termine avec un «Baby What’s Wrong» qui pulvérise tout. Wild as Mighty Caesar fuck !  C’est stompé dans la paume du beat, en mode High Heel Sneakers.               

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             John Lennon’s Corpse Revisited est le premier d’une série de trois albums sur Crypt (les deux autres sont des compiles). Les trois albums bénéficient de pochettes fantastiques, bien soutenues aux tons primaires. Le cyan et le yellow flattent l’œil. Pour le Lennon’s Corpse, ils ont imaginé une parodie du montage de Sgt Pepper’s, et nos trois Caesars portent déjà les headcoats du projet suivant, Thee Headcoats. Démarrage en trombe sur le «Lie Detector» qui sonne d’office comme un immense classique gaga. Big Billy recycle les accords de «Louie Louie» dans «Confusion» et passe à la vitesse nettement supérieure avec un «Home Grown» digne des Who. On croise aussi deux covers du diable sur cet album, «Beat On The Brat» (bien troussée à la hussarde de what can you do) et «Career Opportunities» (Big Billy adore le premier album des Clash). Puis il fait éclater son génie gaga au firmament avec un vieux shoot d’early British Beat, «Because Just Because», sacrément cavalé, et «Somebody Like You», fantastique chasse à courre d’accords sauvages. Imbattable. 

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             Les deux belles compiles Crypt (English Punk Rock Explosion! et Surely They Were The Sons Of God) valent bien sûr le détour. Parce qu’on y retrouve tout ce qui fait le génie de Wild Billy Childish : «I Don’t Need No Baby», «I Was Led To Believe» (overdose de fuzz), «Now I Know» (monté sur le «New Rose» des Damned), «I’ve Been Waiting» (épais protozozo), «Loathsome ‘N’ Wild», et Kinds Of Women», qui est du pur Bo.

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             Sur Surely They Were The Sons Of God, tu retrouves «Signals Of Love» (fantastique profondeur), «I’ve Got Everything Indeed» (radical), «It Ain’t No Sin» (monté sur les accords de Dave Davies), «Why Don’t You Try My Love» (immense classique), «She’s Just 15» (les descentes de couplets sont typiques d’I wanna be anarchy/ In the city), «Don’t Say It’s A Lie» (monté sur la carcasse de «Brand New Cadillac») et «Give It To Me», monté sur une carcasse des Seeds, avec une belle diction à la Sky.

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             Un peu plus tard, Big Billy va sortir Caesars Remains, sous-titré Punk From The Vaults Of Suave. Pochette marrante : on voit Big Billy et John Agnew sauter en l’air avec leurs grattes. T’es content d’avoir rapatrié l’album car Big Billy y fait une cover sauvage d’un classique sauvage, le «1977» des Clash qui n’est pas sur leur premier album : Clashmania à la Big Billy ! Vertigineux de justesse ! Tu ne peux pas rêver mieux, c’est impossible. Et en B, ils reviennent aux early Kinks avec «Your Love» - The more I have/ The more I want - Le ‘baby’ de Big Billy est le modèle absolu. Tu veux chanter dans un groupe de rock ? Alors écoute comment se prononce ‘baby’.

    Signé : Cazengler, Mighty Cœnnard

    Thee Mighty Caesars. 39 Minutes On A Bliss. Dolores Recordings 2003

    Thee Mighty Caesars. Thee Mighty Caesars. Milkshakes Records 1985

    Thee Mighty Caesars. Acropolis Now. Milkshakes Records 1986

    Thee Mighty Caesars. Thee Caesars Of Trash. Milkshakes Records 1986

    Thee Mighty Caesars. Wise Blood. Ambassador 1987

    Thee Mighty Caesars. Live In Rome. Big Beat Records 1987                    

    Thee Mighty Caesars. John Lennon’s Corpse Revisited. Crypt Records 1989

    Thee Mighty Caesars. Caesars Remains. Hangman Records 1992

    Thee Mighty Caesars. English Punk Rock Explosion! Crypt Records 1988

    Thee Mighty Caesars. Surely They Were The Sons Of God. Crypt Records 1990

     

     

    L’avenir du rock

     - Baby Gillespie

    (Part Two)

             — Dis donc, avenir du rock, t’en as pas marre des vieilles lanternes ?

             — Ben non. C’est dans les vieilles lanternes qu’on fait les meilleures soupes !

             — Tu nous soûles avec tes pirouettes à la mormoille !

             — C’est fait pour !

             — Non mais franchement, t’en as pas marre de ramener tous ces vieux crabes, les John Cale et les Childish et les Newcombe et les Perrett ?

             — T’oublie les pot-au-lait, mon poto laid !

             — T’arriverais presque à nous faire marrer si t’étais pas aussi pathétique...

             — Pathénique ta mère !

             — Plus on t’enfonce l’épée dans le garrot, plus tu rues...

             — Je suis né dans la rue par une nuit d’orage, oh oui je suis né dans la rue !

             — Voilà qu’y nous fait le Johnny, maintenant ! T’as vraiment pas d’figure !

             — Tu te gures, mauvais augure ! J’ai plus de chasses dans la figure, Horachiotte, que n’en imagine ta pilosité !

             — On s’épuise à t’écouter déblatérer, alors qu’est-ce que ça doit être pour toi ! T’es pas rincé par tout ce débit de conneries ?

             — Pffffff ! C’est toi qui devrais être rincé par le sentiment ton inutilité. Franchement, j’aimerais pas du tout être à la place d’un mec de ton niveau.

             — T’inquiète pas pour ça avenir du rock. Si t’es content d’être un guignol, alors tant mieux pour toi. 

             — Le guignol te salue bien, mon con joli, et s’en va de ce pas à la Cigale pour aller se prosterner devant une autre vieille lanterne, Baby Gillespie.

             — Gillespitoyable !

             — Faux ! Gillespygmalion !

     

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             La statue que caresse Baby Gillespygmalion est en fait celle de Primal Scream, qu’il aura passé vie à conduire à la gloire. Quarante ans de Primal Scream, c’est pas rien. C’mon ! Alors les voilà, sous les ors et les stucs de la Cigale, Baby Gillespie et toute sa bande, une basswoman d’un côté et Neil Ines de l’autre, vétéran parmi les vétérans, sous un petit chapeau, arborant une belle liquette LAMF. Il joue tellement

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     fort qu’il couvre la voix du pauvre Baby Gillespie, qui n’a jamais eu de voix, mais qui a toujours été là, qui a toujours su danser derrière un micro, et ce depuis la nuit des temps du Scream. Et tu vas assister pendant quasiment deux heures au plus gros festin de Stonesy qui se puisse imaginer, Baby Gillespie rocke le boat de la Cigale et

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    la foule fait ouuuh-ouuh/ Ouuuh-ouuh oui, les ouuuh-ouuh/ Ouuuh-ouuh de «Sympathy For The Devil», les Parisiens adorent la vieille Stonesy et ça va atteindre des sommets avec «Medication» et plus loin l’imparable «Movin’ On Up», l’un des plus beaux hommages jamais rendus aux Stones, l’un de ces cuts que Keef aurait bien aimé pondre, mais trop tard, Baby Gillespie et ses amis sont passés par là. Oh et puis t’as encore ce «Country Girl» qu’on dirait sorti tout droit d’Exile On Main Street. Une vraie piqûre de rappel. L’un des pires shoots de Stonesy qu’on ait vu ici-bas depuis «Tumbling Dice», même genre de magie chaude, même genre d’appel à l’émeute des sens, même genre de message direct à ta cervelle. Et en rappel, Baby

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    Gillespie va atteindre le sommet de l’Ararat avec un puissant shoot de «Rocks», il n’a même plus besoin de chanter, on chante tous pour lui - Get your rocks off/ Get your rocks off honey/ Shake it now now/ Get ‘em off downtown - comme une profonde clameur sortie des bulbes inféodés, comme une sourde pulsion issue des profondeurs de la conscience collective, l’incarnation populaire de la Stonesy, toute la foule rock scande le sourd spirit de Rocks, Get your rocks off/ Get your rocks off/ Honey, comme une primitive respiration atrabilaire, ça sort du ventre rock, ça respire par les

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    bronches rock, ça pulse entre les reins du rock, ça gronde de plaisir sous la surface des peaux rock agglutinées, ça s’applique à swinguer la Soul de Shake it now now, le now now n’a jamais été aussi pur, aussi viscéral, le Get ‘em off downtown remonte loin aux sources, il faut imaginer des tribus tapies dans l’ombre des ruines des capitales, Shake it now now, et Baby Gillespie tend son micro, il en rit car ça sonne comme un miracle, on vit tous une sorte de moment d’éternité. T’as la Soul du rock. Now now.

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             S’il faut écouter le nouveau Primal Scream, Come Ahead ? Bonne question. La réponse est comme d’usage dans la question. Mais si t’as pas envie, t’es vraiment pas obligé. En réalité, tu le fais seulement par sympathie, car ça fait un bail que les albums de Primal Scream ne valent quasiment pas un clou. Baby Gillespie attaque avec un gospel qui bascule dans le diskö-beat : «Ready To Go Home» sonne en effet comme un étrange mélange évolutif. Il passe au funk avec «Love Insurrection» :

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    Baby Gillespie s’en va traîner dans le ghetto pour bricoler un funk blanc. Tu en penses ce que tu veux. Il retombe systématiquement dans les plans prévisibles, mais dans l’ensemble, les cuts sont bien foutus, noyés de son et de chœurs. Les deux blackettes qui l’accompagnent sur scène sonnent merveilleusement bien. Il atteint son sommet avec «Innocent Money». Il a énormément de son, ça groove bien dans la couenne du son, on peut qualifier la prod d’intense et revancharde, avec des belles pointes de chaleur. Puis l’album va perdre de l’altitude. Baby Gillespie bouffe à tous les râteliers : l’africain avec «Cursus Of Life» (percus de «Sympathy For The Devil» + les chœurs du funk), la romantica («False Flags», mais il n’a pas de voix), le groove interlope («Deep Dark Waters») et l’acid house («The Centre Cannot Hold», il a toujours du goût pour la sautillade sous ecstasy, ça n’a aucun strictement intérêt). Le niveau de l’album est tout de même relativement bas. C’est un album que tu ne recommanderais pas, même à ton pire ennemi.  Par contre, il faut aller voir Primal Scream sur scène pour ce moment d’éternité : Get your rocks off/ Get your rocks off honey/ Shake it now now/ Get ‘em off downtown !

    Signé : Cazengler, Primate script

    Primal Scream. La Cigale. Paris XVIIIe. 10 juin 2025

    Primal Scream. Come Ahead. BMG 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Darando a bon dos

     

             Durando avait un gros avantage sur nous autres, les pouilleux du lycée : il avait du blé. Non seulement il portait toutes les sapes à la mode, mais il avait en outre les cheveux longs, de beaux cheveux blonds coiffés comme ceux des Brian Jones. Ses parents lui foutaient la paix avec ça, ce qui n’était pas le cas des nôtres : ils passaient chez le coiffeur du quartier pour donner la consigne, «les oreilles bien dégagées». C’était une façon de nous castrer. Avec ces coupes à la con, on n’avait aucune chance auprès des gonzesses. Elles allaient naturellement vers les mecs à cheveux longs. La mode yé-yé battait son plein, et comme le disait si joliment Yves Adrien, «tous les garçons s’appelaient Ronnie», sauf nous, les pouilleux du lycée, affublés de nos hideux cabans et de ces pantalons de tergal qu’on nous forçait à porter, alors qu’on ne rêvait que de Levis en velours côtelé. Durando s’habillait chez Happening et se baladait dans les rues en costard noir à fines rayures blanches. Il complétait son look de dandy avec le col roulé blanc que portait Brian Jones dans Salut Les Copains. C’est à cette époque qu’on réalisa pleinement la différence qui existe entre le fait d’être bien né et celui d’être mal né. Nous devînmes des pouilleux envieux, et c’était pas terrible. Histoire de bien attiser nos frustrations, Durando organisait chaque week-end une surboum chez lui. Ses parents partaient en week-end à l’étranger et lui laissaient cette belle villa située sur la côte, pas très loin de Deauville. Il organisait ses surboums dans la cave et y passait les albums qu’il avait ramenés d’Angleterre. Il était dingue de James Brown, alors la cave devenait une étuve. Bien sûr, les gonzesses étaient là pour baiser, mais elles ne baisaient pas avec nous autres, les pouilleux du lycée. Malades de frustration, on restait agglutinés au bar et on vidait toutes les bouteilles pour bien se schtroumpher. Et ça nous rendait encore plus malades de voir Durando rouler des grosses pelles aux gonzesses qui l’approchaient pour danser avec lui. C’était plus qu’on ne pouvaient en supporter. Nous quittâmes la cave, sortîmes dans le jardin et fracassâmes la mobylette toute neuve de Durando.

     

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             Pendant que Durando éblouissait toutes les petites gonzesses de la côte normande, Darando sommeillait dans le marigot de l’underground. Ce n’est pas exactement le même destin, mais les becs fins auront une préférence bien marquée pour celui de Darando, fantastique pouilleux de l’underground le plus ténébreux.

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             C’est Alec Palao qui s’y colle. Au dos du booklet de Listen To My Song - The Music City Sessions, tu vois un doc signé : «To Alec from Darando». Alors qui est ce mystérieux Darando ? Un certain William Daron Puilliam originaire de Berkeley, dans la Baie de San Francisco. Darondo commence par idolâtrer les jazzmen et les Isley Brothers, Ray Charles, les Dells, et puis Motown. Bien sûr, Palao fouine dans les archives et digresse longuement sur le premier groupe de Darando, The Witnesses.

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             Darando montre très vite un penchant pour la flamboyance. Il roule en «white Rolls Royce Silver Cloud, complete with phone and hot plate». Il va dans les clubs, donne des gros pourboires aux serveuses qui le surnomment Daran-dough. Puis Palao arrive très vite aux fameuses Music City sessions et commence à jongler avec les «breathless teasing vocals» et les «gravelly baritone to wailing falsetto in the space of a measure». C’est vrai, si tu écoutes l’«I Don’t Understand It» qui ouvre le bal de Listen To My Song - The Music City Sessions, t’es frappé par la sauvagerie du chant et du son. C’est du proto-punk de black rock, vicieux, ravageur, unique ! Avec la pulsion demented du bassmatic. Il met encore la pression avec «I’m Gonna Love You», il la crée et l’alimente à coups d’in the morning et d’ouh when the sun goes down. Coups de génie encore avec «King’s Man» - I’m a king’s Man/ Do the boogaloo/ If you wanna doo - Il est complètement génial, il pousse le bouchon de la modernité à coups d’I feel good in the morning et de Get down baby, c’est une vraie pétaudière, funky beat suivi là l’harp, king’s man get down, il paraît épuisé. Ça continue avec «Qualified», amené aux petits accords funky, il pose son énorme voix sur le big fat beat de bass/drum. Durando est l’un des rois inconnus du Soul System. S’ensuit l’heavy downhome groove de «Sexy Mama», il s’étale comme un trave sur le beat, baby talk to me/ Love your sexy way, il fait les deux voix, la grave tranchante et la féminine, il crée du bright climax et du hot sex. T’as encore «Didn’t I», le slowah lubrique, même là, il est bon. Il sait feuler entre tes reins. Immédiate qualité de l’intermezzo encore avec «Luscious lady», il y rentre à l’accent incroyablement tranchant, c’est une Soul urbaine de classe supérieure. Puis il vire hard funk avec «Get Up Off Your Butt», mais c’est le Durando hard funk, il crée son monde au get up, il y va au get on down, avec un beurre historique. Quelle révélation ! Suite du festin royal avec «Gimme Some». Il se coule dans ta culotte comme le serpent du jardin d’Eden. Quel fantastique artiste ! Son «Do You Really Love Me» est incroyablement moderne, et «The Wolf» n’en finit plus de t’interloquer, car voilà un cut tellement étrange et lancinant, monté sur un fat bassmatic. Il sait aussi groover les sentiments, comme le montre «Listen To My Song». Il reste étrangement beau, même au lit.

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             Et puis t’as cet album extravagant de qualité, Let My People Go. Tu vois toutes les bagues de Darando et ses yeux injectés de sang. Et c’est rien en comparaison du morceau titre d’ouverture de balda, ce shoot d’heavy swamp-blues bien raw qui va tout de suite sous ta peau. Darando fait le Marvin des marécages, avec derrière lui une basse bourbeuse et des chœurs fantômes. Et ça continue avec «Legs (Part 1)», encore plus muddy, il fait la folle à la James Brown et les brrrrrrr de Screamin’ Jay. Le son est bourbeux, mais à un point dont on n’a pas idée. Darando groove le muddy, il n’existe pas de son plus primitif et plus vermoulu. Il travaille encore le groove de «Didn’t I» au corps, il feule pendant que ça violonne dans la couenne du lard. Avec «I Want Your Love So Bad», tu retrouves ce sens aigu de la dérive à la Marvin, mais avec un son incroyablement bourbeux. On entend même des échos magiques de «What’s Going On». La B s’ouvre sur «How I Got Over», un groove monté sur une pompe manouche, une véritable merveille d’exotica romanichelle, et ça vire big funk out avec «My Momma & My Poppa», c’est même jazzé dans l’âme. Darando combine James Brown avec le free. Admirable démon ! Et il se barre une fois encore dans le groove de «What’s Going On» avec «Listen To My Song». Il termine avec «Jive», un fantastique groove bourbeux, il chante ça à la glotte fêlée, bien perché sur son chat malingre, il défie toutes les lois, surtout celles de la pesanteur, baby you’re true/ True to me !

    Signé : Cazengler, Darandose

    Darando. Listen To My Song. The Music City Sessions. BGP Records 2011

    Darando. Let My People Go. Luv N’ Haight 2006

     

     

    *

    Dès que nous avons eu connaissance des premières œuvres de Thumos nous avons compris que nous étions face à un grand groupe. Une tentative musicale qui soit en même temps une expérience de pensée philosophique. Un art synesthésiste  novateur, révolutionnaire, puisque la musique est censée traduire par les sons ce que l’on ne peut pas dire avec le philtre trop grossier des mots. La musique serait donc l’art de l’indicible. C’est à l’auditeur de comprendre, de déchiffrer, l’intention du musicien. D’ailleurs très vite la musique s’est alliée avec le chant pour mieux se faire entendre. Thumos adopte une démarche inverse : sa musique, sans parole ajoutée, se charge, non pas de mettre en musique mais de de traduire  une pensée. Non pas une pensée toute simple, toute quotidienne, mais une pensée qui soit fondatrice de notre rattachement intellectif au monde. 

    Avec ce nouvel opus, Thumos s’est lancée dans une étonnante gageure, puisqu’il s’agit d’une immersion explorative, au travers du personnage de Socrate dans tout un pan de la pensée de Platon.

    Sans plus attendre lançons nous, en commençant par regarder les pochettes,  extérieure et intérieures, des deux CDs :

    THE TRIAL OF SOCRATES

    THUMOS

    (Snow Wolf Records / 04 -07 -2025)

    S’il fut un peintre politique en France c’est bien David. La vie l’avantagea : né en en 1748 et mort en  1825 , il connut la monarchie de droit divin, la Révolution, le Directoire, l’Epopée Napoléonienne et le retour des Bourbons… David qui avait voté la mort de Louis XVI, qui soutint Marat et Robespierre, refusa de rallier la cause royale, s’exila en Belgique. Où il mourut. Il reste aujourd’hui encore un personnage controversé, la modernité artistique n’est point trop friande de l’école Néo-Classique dont il fut le maître incontesté, son radicalisme révolutionnaire n’est plus à la mode.

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    Son tableau La mort de Socrate date de 1787. Il est à noter que le poëte André Chénier - il initia par la nerveuse souplesse facturielle de ses vers la flambée poétique de la grande lyrique française  du dix-neuvième siècle – est par ses conseils à l’origine de la force du tableau. Socrate n’est pas en train de porter la coupe de cigüe à ses lèvres, il tend vers elle une main quasi distraite, alors qu’au bout de son bras levé un doigt impératif  souligne sa volonté persuasive… Face à l’imminence de sa mort le calme royal exemplaire de Socrate contraste avec l’attitude atterrée et désespérée de ses disciples en pleurs. 

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    Pour se persuader de la force du tableau, il suffit de comparer avec la reproduction intérieure de  Mort de Socrate (1802), due au pinceau d’un ancien élève de David, François-Wavier Fabre (1766 – 1837).  Son Socrate assis sur son lit, la barbe blanchie n’est plus le maître impérieux, il présente l’aspect pitoyable d’un malade qui s’apprête à avaler une détestable potion médicamenteuse…

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    La deuxième couve intérieure est une reproduction de La Mort de Socrate de Charles-Alphonse Dufresnoy (1611 – 1668). Très différente des deux précédentes. Socrate assis boit la cigüe avec la même indifférence que vous avalez une tasse de café le matin en vous levant. Certes cela est censé démontrer que Socrate ne craint pas la mort. Celle-ci n’étant qu’un passage vers le monde des Idées… voire la vie éternelle. Cette toile nous semble avant tout établir un parallélisme de Socrate avec le Christ. Le disciple endormi n’est pas sans évoquer  la nuit de la Passion. Buvez ceci est mon sang a dit le Christ. Je bois, ceci est mon immortalité semble nous enseigner Socrate

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    Nous prendrons pour base l’édition Platon. Oeuvres Complètes publiées en français par les Editions Flammarion (sous la direction de Luc Brisson, 2008).  Au cours des vicissitudes de l’Histoire quarante-cinq dialogues, dont seize sont réputés douteux et même plus qu’incertains, nous sont parvenus…

    Sur les vingt-neuf qui restent Thumos n’en utilise apparemment  que seize. Comment ce choix opéré se justifie-t-il. Nous ne pouvons offrir qu’une réponse aussi incertaine que les ombres de la Caverne. Cette sélection a-telle été entreprise en axant principalement la focale sur le personnage de Socrate (qui n’a laissé, rappelons-le aucun écrit) ou sur le déploiement de la pensée de Platon dont le pivot essentiel reste le personnage de Socrate. Platon a été son élève, mais il était absent au moment de sa mort.

      Qui sont les musiciens de Thumos :   Δ (delta) / Ζ (zeta) / Θ (theta) / Μ (mu). Pour la petite histoire : les pages des Cahiers de Paul Valéry qui sont consacrées aux’’ choses divines’’ ont été réunies sous l’appellation Theta, la lettre T étant la première du mots Theos (dieu).

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    The Parmenide : en français, Parménide (Sur les idées) : ce n’est pas le premier dialogue écrit par Platon, alors pourquoi débuter par celui-ci.  Les exégètes s’accordent sur le fait qu’en cet ouvrage Platon devient vraiment Platon, avant sa rédaction, notre philosophe n’est qu’un épigone de Socrate qui fait ses classes. Pour Platon il ne s’agit pas de sauver le soldat Parménide (né au sixième siècle et mort au milieu du cinquième) mais de le tuer. Sa pensée est incapacitante. Résumons-là en quelques mots : à la question qu’y a-t-il ? il répond :  l’Un. Pour ceux qui ne pigent pas il rajoute : rien d’autre. Circulez, il n’y a rien à voir. En fait vous ne pouvez même pas circuler car l’Un est Un et ne peut être soumis à aucune variation. Sans quoi il n’est plus le Un mais l’Autre. Platon trouve la parade : certes il y a le Un, ombreusement matériel, mais il y a aussi le concept du Un qui permet à votre intelligence de l’appréhender. Bref il existe le Un et le Un intelligible. Ne soyez pas bébête, ne dites pas que :  UN + Un = 2. L’on n’additionne pas des veaux et des cochons. Il y a l’Un et l’Autre. Le tout est de savoir : si l’Un est, l’Autre est-il ou n’est-il pas. Vous avez quarante minutes pour répondre, à la fin du cours je ramasse les copies. Le son est grave, pas du tout majestueux, des espèces de sonorité orientales, sans doute pour rappeler les origines égyptiennes de la pensée platonicienne, mais le morceau prend de l’ampleur nous avons assisté au miroitement ensorcelant du multiple, nous abordons l’obstacle principal le Tout cosmologique impénétrable et unifié, comment résoudre cette aporie de l’aporie parfaite qui nie le mouvement, la flèche de Zénon qui ne quitte pas son arc, même si vous avez l’impression qu’elle vole et atteint sa cible, la batterie se fait plus lourde, elle doit fracasser le bouclier inamovible, donner son essor à la fragmentation du monde tout en faisant être le non-être de cet éparpillement mutilatoire. Ce n’est pas le To  Be or Not To Bede du prince d’Elseneur mais le To(ut) Be et le Not To(ut) Be en même temps. Dernières notes en point de suspension, le temps que l’assassin se rende compte de la portée de son crime. The Protagoras : en français, (Sur les sophistes) : Protagoras (490-420) est un

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    sophiste redoutable. Son principe de base est difficilement contournable : L’homme est la mesure de toutes choses de celles qui sont et de celles qui ne sont pas. Au siècle précédent on disait bien : tout est relatif, en nos temps présents nous employons la formule : les choses n’ont que la valeur qu’on leur donne. Socrate bataille ferme, il sera obligé de se servir d’un argument avancé par Protagoras pour prouver qu’il a tort. En fait si l’on suit Protagoras, l’on ne peut pas prouver grand-chose. Tout dépend de ce que l’on pense d’une chose. Lors du précédent morceau l’oreille n’était pas insensible à cette angoisse sourde, celle qui vous assaille au moment où vous entreprenez une action difficile, elle a totalement disparu, une musique clinquante et souveraine, est-ce la force imbattable de la pensée protagorienne qui serait à l’honneur ou la victoire oratoire de Socrate, il a touché mais il n’a rien coulé, peu importe ce que vous dites, si vous dites la vérité vous n’énoncez que votre définition de la vérité qui n’est que votre propre jugement individuel qui ne vaut pas plus que celle de quiconque. The Gorgias : en français, Gorgias (Sur la Rhétorique) : Gorgias (480-380) est un grand

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    esprit, bien plus redoutable que Protagoras. Qui s’y frotte s’y pique. Platon s’en méfiait. Il se permet de démontrer que rien n’existe. Ne vous esclaffez pas bruyamment, lisez son traité du non-être. Protagoras propose un instrument de mesure : l’Homme. Gorgias n’en propose aucun, il refuse tout critère de vérité, ne serait-ce qu’une vérité relative. Personnellement je me réclame de Gorgias. Rhéteur, artisan et poëte, Gorgias est un personnage fascinant. Le ton change, Gorgias est un redoutable  beau parleur, la musique se charge d’angoisse et de profondeur, celle du néant, Socrate est aussi un beau parleur non moins redoutable, mais selon Gorgias il n’évoque que l’écume de choses inexistantes, la joute se  poursuit, elle tombe dans des évocations sonores de l’abîme du silence, ferraillements de stériles coups d’épées sans réel motif, Socrate reprend confiance, il sait maintenant qu’au rien de Gorgias c’est une certaine idée de l’unité cosmique du monde qu’il défend. D’ailleurs affirmer que tout est rien n’est-ce pas révéler une certaine unité cosmique…The Phaedrus : en français, Phèdre (Sur le

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    beau) : nous avons déjà rencontré Phèdre dans leur version du Symposium, (voir Kr’tnt 583 du 21 / 02 / 2023) en français Le Banquet, qui traitait de l’amour. Beaucoup de chercheurs proposent que Phèdre a été composé juste après  Le Banquet. Le personnage de Phèdre ne possède pas l’envergure de Parménide, ni de Protagoras, ni de Gorgias. Il a été suspecté d’avoir, en compagnie d’Alcibiade et de fils de riches familles,  démembré des statues d’Hermès et aussi de s’être livré à des parodies des Mystère d’Eleusis. Est-ce vraiment un hasard si ce dialogue ressemble à une partie de drague entre Socrate et Phèdre. Comme l’on dit dans le sud, faut avoir la tchatche pour parvenir à ses fins… Plus philosophiquement nous parlerons de la fonction érotique de la rhétorique. (Bien entendu ce Phèdre n’a rien à voir avec la Phèdre de Racine amoureuse de son beau-fils.) : discordances sonores - c’est comme dans les trilogies dramatiques souvent suivies d’une comédie - les trois premiers penseurs évoqués nous dispenseraient de tout effort intellectuel, grossièrement ils nous disent qu’il ne sert à rien de discuter des choses, de celles qui sont comme de celles qui ne sont pas, comment redonner sa valeur à un dialogue philosophique, en vantant les bienfaits de la conversation, du badinage si l’on se veut héréditaire de notre littérature du dix-huitième siècle, en laissant l’Eros, dieu redoutable s’il en est un, ses traits ne ressemblant-ils pas à la foudre de Zeus, mener la danse. Musique rieuse, parfois elle se perd en chuchotements que l’on devine intime, la batterie fait du pied durant un bon moment, la sagesse ne s’étendrait donc pas à l’intégrité de l’Individu pétri de désir et d’intellect… The Meno : en français, Menon (Sur la vertu) : : Menon est un élève de

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    Gorgias, de par ses responsabilités militaires et sa connaissance des chevaux, il est ce que l’on pourrait nommer un pragmatique. Ce qui ne l’empêche pas de se poser des questions et d’offrir des réponses, ainsi il affirme que l’excellence est l’art de commander les hommes, l’on voit (à peu près) très bien ce que c’est l’art de commander les hommes d’une façon excellente, mais qu’est-ce que l’excellence en tant que telle. Il ne s’agit pas ici de s’approcher au plus près des choses mais au plus près des mots. D’ailleurs comment peut-on connaître quelque chose si on ne connaît pas cette chose... Que cette chose soit un objet ou un concept. Socrate sort sa carte maîtresse : certes si je cherche c’est que je ne connais pas mais mon âme connaît. Elle est immortelle, elle a contemplé l’Hadès, disons l’abîme des choses de celles qui sont et de celles qui ne sont pas. La réminiscence est le chemin intellectuel qui nous permet de définir une chose parce que nous l’avons déjà vue et acquise, nous l’avons oubliée, mais il suffit de chercher. Scène célèbre d’un esclave qui ne connaît pas la géométrie mais sous le questionnement de Socrate il parvient à retrouver et à produire par déduction des règles logiques de géométrie… Nous avons ici un parfait exemple de la méthode socrato-platonicienne, il ne faut pas seulement connaître une chose mais savoir pourquoi et comment l’on parvient à connaître cette chose. Le chemin conceptuel d’une chose est supérieur à la  connaissance de la nature de la chose elle-même. Reprise de ces motifs un tantinet circonvolutifs que j’ai déjà nommés orientaux, ils ne durent pas, une avalanche sonore fond sur vous, déboule en votre tête toute la pensée humaine, encore faut-il savoir s’en servir et pour cela connaître et comprendre son fonctionnement,  dans Le Phèdre nous nous laissions enivrer par les sens et les sentiments, ici nous sommes initiés au jeu subtil de l’intelligence, un véritable broyeur de concepts illusoires, la formation intellectuelle est pratiquement militaire, il faut pulvériser l’adversaire, trouver la bonne tactique et ne jamais perdre l’écho de la marche de la Connaissance qui avance dans le labyrinthe des fausses pensées, ne jamais perdre sa trace…The theaetetus : en français, Thééthète

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    (Sur la science) : ce dialogue peut être entrevu comme un approfondissement du présent ; Théétète serait un mathématicien réputé dont on ne garde la trace que dans ce dialogue. Thééthète affirme que la Science en tant que telle correspond à la somme de toutes les sciences. Mais qu’est-ce que la Science en elle-même ? demande Socrate. En bon admirateur de Protagoras Théétète répond que la science correspond à nos sensations. La sensation nous renseigne sur les choses mais elle ne permet pas de répondre à la connaissance d’une chose. Par rapport à la sensation la connaissance est vérité. Théétète répond que la science est une opinion vraie. Oui mais comment sait-on que cette opinion est vraie. Il faut comprendre que ce qui est en jeu dans ce dialogue c’est la différence ontologique entre les sophistes qui enseignent des choses et cette nouvelle forme de sophistique que Platon nommera philosophie qui essaie non pas d’enseigner les choses mais comment l’on peut acquérir la connaissance de ces choses. La connaissance n’est pas un savoir pragmatique, elle s’appuie sur un discours vrai, entendre logique (en le sens de l’irréfutabilité des mathématiques), le logos est le discours vrai. Ce dialogue est particulièrement difficile. Il ne peut être compris que si l’on a en tête  l’ensemble du parcours de la connaissance platonicienne. Les sophistes répondront que pour comprendre Platon il faut connaître Platon, en posséder la connaissance, concèderont-ils en souriant… voire en riant aux éclats. Tsunami intellectuel, teneur roborative, nous sommes au plus profond et au plus haut du développement de la pensée humaine, sur ses pointes sommitales  et en ses fosses abyssales, au fondement de la science qui n’a rien à voir avec la définition que nous en donnons en la décrétant falsifiable, Platon évoque un savoir ne varietur, un discours vrai non pas parce qu’il dit la vérité mais parce qu’il est la vérité structurelle du monde en action. Il ne s’agit plus d’échanger des opinions de discutailler sans fin, la pensée est irréversible, en avoir pris conscience, la tonitruance de ce morceau – en certains passages il prend les apparences fascinantes et aveuglantes d’une peau de serpent qui serait la robe même du soleil – est au service de la brillance irréversible de la pensée platonicienne.  The Eutyphro : en

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    français, Eutyphron (Sur la piété) : Socrate qui vient d’apprendre qu’il est accusé d’avoir corrompu la jeunesse demande à Eutyphron - qui n’a pas hésité à porter plainte contre son propre père responsable par des circonstances indépendantes de sa volonté de la mort d’un esclave assassin - l’interroge sur la notion de piété. En quoi consiste-t-elle, à obéir aux lois des dieux promulguées par la Cité pour le culte qu’on leur doit, ou de la propre idée que l’individu peut se faire du respect que l’on doit aux Dieux. Attention, il ne s’agit pas ici d’une tentation athéique, l’idée est d’en faire plus que ce que n’exige la loi. Eutyphron un peu buté répond que la piété consiste à faire ce que les Dieux demandent, cuisiné pat Socrate il finit par répondre que la piété participe de ce qui est juste, Socrate aimerait savoir comment il définit ce qui est juste, Eutyphron qui n’aime pas couper les cheveux en quatre répond qu’il a à faire ailleurs… Le respect que l’on doit aux Dieux participe de la cohésion de la Cité, mais ce que peut faire l’individu en s’interrogeant et en interrogeant les autres sur une définition précise des mots, aide à maintenir  des relations entre les citoyens Retour aux réalités. Attention le discours vrai de Socrate ne porte-t-il pas en lui la négation des Dieux. N’est-ce pas une pensée capable de corrompre la jeunesse en lui donnant l’illusion d’être au-dessus des Dieux, des hommes, de la Cité. Nous sommes au cœur du procès de Socrate. Musique entrechoquante, vagues tempétueuses, sirènes alarmistes, Socrate tente de remettre de l’ordre, ne passe-t-il pas son temps à pousser les citoyens à bien  réfléchir afin que la Cité jouisse de la protection des Dieux. Mais  l’éclairante pensée socratique peut-elle percer l’obscurité des âmes vulgaires enténébrées  entichées de leur bonne foi… The Cratylus : en

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    français, Cratyle, (sur le langage) : un des dialogues les plus fascinants de Platon. En disciple de Protagoras, Hermogène assure que les noms des choses ne participent en rien de la nature, ils sont pures conventions, appellerez-vous votre chien Médor ou Arthur ? De même quelle différence y aurait-il si nos ancêtres avaient nommé chiens les chats et chats les chiens. Cratyle affirme que les noms ont un rapport avec la chose qu’ils nomment, mais que seuls les Dieux peuvent connaître ce rapport. Comme les choses et les hommes changent sans cesse, incapables de saisir la totalité du devenir depuis son origine ils ont perdu le lien qui unit chaque mot à la nature de la chose qu’il désigne. Socrate est d’un autre avis, n’importe qui a donné leurs noms aux choses, que ce soit les Dieux ou les hommes, ils ont avec intelligence attribué à la chose le nom que la chose appelait par sa nature. L’étymologie et la sonorité des lettres nous permettent de retrouver l’explication qui aide à comprendre pourquoi un mot se prononce ainsi et quel rapport il existe entre sa nature et sa signification. Pour mieux comprendre, lisez Les Mots Anglais de Stéphane Mallarmé. Socrate explique que les mots sont comme des images des mots, plus ou moins bien peintes. Ainsi dans nos critiques des images musicales que Thumos donne des choses dialogiques platoniciennes, nous pouvons nous demander si chaque image évoque au plus près la nature du dialogue qu’elle représente ! : Peut-être le plus beau morceau de l’opus chargé de mystère et de drame, prédominance de la basse et tutti orchestral comme brouillé, s’ouvrant sur des clairières heideggeriennes. Musique forte, tempo lent, il semble que le Cratyle pose un problème essentiel : toute parole qu’elle soit stupide ou intelligente, sensorielle ou intellectuelle est faite de mots : mais quels rapports les mots entretiennent-ils avec la nature de ce qui est, signifie-t-ils ou sont-ils sans effet comme des cataplasmes sur une jambe de bois. Socrate déblatère-t-il ou ses propos portent-ils en filigrane une espèce de message constitutif de l’ordre du monde. L’on commence à comprendre que l’ordre des dialogues choisi par Thumos repose sur une dramaturgie longuement méditée. The Sophist : en français, Le

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    Sophiste, (Sur l’Être) : Ce dialogue qui est la suite du Théétète est vraisemblablement le dialogue le plus pertinent et de ce fait le plus difficile de Platon. Dans le Cratyle Platon s’interroge sur le rapport existant entre une chose et le mot qui la désigne, ici l’interrogation porte sur le rapport qui existe entre la chose et l’idée de la chose. Platon en profite pour établir la différence entre le sophiste et le philosophe. Nous en revenons à Parménide qui nous dit que l’Être est Un et le Non-Être n’existe pas. Or le Sophiste qui parle de tout (ne pas confondre avec le Un) peut dire la vérité quand il parle de ce qui est, mais prononce des mensonges quand il parle du Non-Être qui n’existe pas. Toutefois une chose peut être en relation avec l’Être par rapport à une autre chose, mais ne pas Être en relation avec une autre chose. Toutes ces relations entre choses, Être et Non-Être sont régies par le logos. Le sophiste  peut parler de tout et de n’importe qui : il prononce des discours plus ou moins vrais plus ou moins faux. Le logos du philosophe lui permet de parler autant des choses qui ne changent pas (les Idées) que de celles qui sont soumis au changement du devenir. Le philosophe peut donc parler de l’Être et du non-Être, des choses qui sont éternelles et de celles qui ne sont pas puisqu’elles ne sont pas éternelles. En résumé le sophiste parle de la concrétude du monde et pour lui les Dieux ne sont que des formes transitives destinées à périr comme un vulgaire caillou, alors que le philosophe peut parler des choses transitives et des formes éternelles qui ne bougent pas. Vous comprenez pourquoi Platon a consacré un dialogue à la piété, qui parle de l’attitude que l’homme doit avoir envers les choses divines… Le logos est ce discours qui utilise les modalités de l’Un mais aussi les modalités de l’Autre. Un peu de repos dans ce monde de brute, une paisible clarté dans la confusion des incohérences sophistiques, la batterie enchaîne une charge frénétique, elle se doit de faire la différence avec la prétention des sophistes, amplification lyrique apparition sur l’écran du justicier sans peur ni reproche, le philosophe qui avec l’épée de son discours opère la coupure ontologique qui sépare le monde en deux, désormais vous avez l’intuition qu’il faut dédaigner les zone grises et rejoindre l’adret zénithal de la pensée.

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    The stateman : en français, Le Politique (Sur la Royauté) : Ce dialogue est la suite du Sophiste. Il est aussi beaucoup plus limpide ! Si tout le monde a son mot à dire dans le gouvernement de la Cité cela équivaut à donner le pouvoir de décision à une majorité de citoyens qui n’ont aucune connaissance politique. Platon n’était pas un démocrate convaincu…Il vaut mieux confier le pouvoir à une groupe restreint d’hommes instruits qui connaissent les techniques du politique. Notamment la rhétorique qui est l’art par excellence de capable de convaincre les citoyens et les empêche de céder à leurs emportements. Tout est question de mesure. Retour parmi les ombres, la pensée juste, bonne et belle, se doit de porter en elle une sérénité sans équivoque quant au royaume des hommes animal des plus turbulents, voici pourquoi cette musique gant de velours ne cache pas une  poigne de fer, les hommes sont incapables d’appréhender une pensé droite, livrés à leurs seules décisions il est à craindre que les plus funestes seraient prises, seule une élite clairvoyante est capable de faire régner l’ordre et la concorde parmi les citoyens… The philosopher : en français : ne

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    (Texte d'Olivier Battistini)

    cherchez pas ce dialogue, ni en langue grecque, ni en anglais, ni en français, ni en tout autre idiome. Ne vous lamentez pas non plus sur la disparition de ce texte. Il n’a vraisemblablement jamais été rédigé. Platon aurait eu le projet de former une trilogie augmentée qui aurait été formée par le Théétète, le Sophiste et le  Politique qui se serait conclu par le couronnement du Philosophe. Platon a-t-il été rattrapé par la mort avant de se lancer dans sa rédaction, ou a-t-il pensé que le lecteur était à même de définir les qualités nécessaires à acquérir le statut de philosophe. Peut-être même espérait-il en secret qu’un kr’tntreader aiguillonné par la lecture de cette livraison 698 de ces Chroniques de Pourpre se lançât dans cette aventure… Je dois avec l’honnêteté intellectuelle qui me caractérise reconnaître que cette troisième possibilité n’est guère partagée par la majorité des chercheurs qui travaillent depuis vingt-cinq siècles sur les œuvres de Platon. Une guitare comme échoïfiée. Thumos a déjà consacré tout un album à La République dans lequel Platon définit le philosophe comme celui qui est à mieux de présenter le philosophe comme le personnage destiné à diriger la Cité. Thumos vous offre une partition qui serait comme l’écho de votre rêverie sur les bienfaits de cette réalité… Même pas trois minutes, ce qui n’a pas eu lieu peut-il avoir droit de cité ? The apology : en français, Apologie de Socrate : ce dialogue donne à lire les discours

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    prononcés par Socrate lors de son procès et les conversations privées qu’il aura entretenues avec les juges qui ont voté sa mort et puis ceux qui ne l’ont pas votée. Socrate ne se renie pas, il reste lui-même rappelant même qu’il s’était senti obligé de questionner les gens puisque par l’entremise de la pythie de l’Oracle de Delphes Apollon avait décrété qu’il n’y avait pas d’homme plus intelligent que Socrate. Il ajoute qu’à force de prouver aux Athéniens qu’ils ne savaient rien il s’était fait beaucoup d’ennemis… le cœur du drame, une espèce de western intellectuel filmé par Thumos, du grandiose et de l’épique, le héros est impitoyable envers et les autres et surtout envers lui-même refusant d’être dupe de sa pensée expliquant que son destin est logique, qu’il correspond au discours vrai qu’il tenait à ses proches et à des inconnus, si vous élevez un serpent mortel dans votre tête il est dans l’ordre des choses que la première personne qu’il piquera un jour ou l’autre : ce soit vous ! Ironie de l’Histoire son venin est le seul antidote qui servira plus tard  guérir des erreurs humaines, parfois le morceau semble s’amenuiser comme s’il voulait nous avertir que l’étroit chemin suivi par Socrate était rempli d’embûches. The Phileus : en français, Philèbe (Sur les

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    plaisirs) : une vie de plaisir est une joy for ever pour parodier Keats. Le lecteur aura intuité que les jouissances physiques ne peuvent être le summum du bien pour un homme digne de son statut d’homme. Le plaisir suprême consiste à s’approcher du Bien par l’exercice de l’esprit… Le problème n’est pas de mourir mais de perdre la vie. Et tous les plaisirs qu’elle procure, jamais la musique de Thumos n’a été aussi tapageuse et effervescente même si dans la deuxième partie du morceau le tumulte s’alentit quelque peu, gagnant en contrepartie en brillance, malgré les saccades procurées par les orgies et les beuveries les plaisirs intellectuels procurent peut-être des joies plus fortes. Si c’est Platon qui le dit… The Crito : en français, Criton (Sur la justice) : Ami

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    d’enfance de Socrate Criton lui rend visite dans sa prison pour l’exhorter à s’évader. Les amis de Socrate sont prêts à fournir l’argent   afin d’acheter les complicités nécessaires à sa fuite. Socrate refuse, certes il a été condamné à mort injustement, mais ne pas obéir à une loi, même appliquée à tort, revient à saper le contrat moral qui relie tous les citoyens. S’enfuir serait une manière de nuire à la cohésion de la Cité. Une guitare confrontée à elle-même. Cheminement d’une pensée confrontée à son propre reniement. Abdiquer, se sauver ou mourir pour ses idées, dilemme métaphysique, l’orchestre est devenu plus lourd, il pèse sur votre âme, il accélère, ne vous laisse plus le temps de réfléchir tension maximale, instant crucial, le sens d’une vie… Socrate a pris sa décision, tout se calme, quelques jeux de cordes attardées, ni fanfare, ni mélodrame, comme si de rien n’était, pas la peine de s’attarder sur une chose aussi futile. The Phaedo : en français, Phédon (Sur l’âme) : Phédon qui a assisté aux derniers moments de

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    Socrate conte les circonstances éternelles pour reprendre une expression de Mallarmé par lesquelles Socrate a enseigné comment un philosophe doit savoir mourir. La mort n’est pas la mort, elle permet à l’âme de quitter la prison du corps et d’accomplir un périple qui lui permettra d’être jugée digne d’accéder à la contemplation des ides suprêmes du beau, du bon, et du juste. Socrate boit la cigüe sans trembler. Dix siècles plus tard ce texte largement inspiré par les doctrines égyptiennes et pythagoriciennes exercera une profonde influence sur le  christianisme… Instant décisif la coupe n’attend plus que Socrate, musique sombre toutefois empreinte d’une certaine sérénité. Sonorité pratiquement silencieuse, Socrate va parler, la batterie éclate et noie de soleil l’ambiance, Socrate dévoile les ultimes vérités, l’ultime révélation, ces mots ne sauraient être murmurés, ils éclosent comme graines de victoire, ils ouvrent des horizons nouveaux, maintenant si le son baisse c’est que les amis de Socrates sont perdus dans leurs pensées, pensent peut-être même davantage à eux-mêmes qu’à Platon, la prescience du chemin qu’ils parcourront un jour ou l’autre leur a été accordée, la musique reprend son envol, elle monte haut, comme l’âme délivrée de ses attaches terrestres, elle se transforme en un long cri d’exaltation infinie, un chant de triomphe,  le disque semble s’enrayer, la coupe tombe des mains de Socrate qui calmement entre en agonie…maintenant il est temps d’aller sacrifier un coq au dieu Esculape pour le remercier d’avoir guéri Socrate de la maladie de la vie. The Menescenus : en français, Ménexène (Sur l’oraison

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    funèbre) : quoi de plus naturel que de prononcer une oraison funèbre après la mort de Socrate. Il n’en est rien Platon s’en prend avant tout à Gorgias. Platon ne s’attaque pas directement à l’enseignement de Gorgias selon lequel rien n’existe, donc même pas un argument capable de réfuter la thèse du sophiste… Platon préfère se moquer du beau parleur qu’était Gorgias, son style n’est-il pas une rhétorique aussi artificielle et convenue que les discours officiels que l’on débite à la gloire des hommes qui sont morts pour leur patrie. Il est vrai que les cimetières sont remplis de gens irremplaçables ! Musique grave. Platon ne parle plus directement de Socrate. Il s’en prend à son ennemi, Gorgias, le négateur par excellence pour qui les enseignements de Socrate ne sont  que fariboles… Thumos offre un dernier catafalque à Socrate et à Platon son disciple… Tissus noirs et ombragés… Générique de fin. Digne du drame.

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             Un opus qui demande écoute et réflexion. Les premieres chroniques sur   ce chef-d’œuvre insistent sur l’agréabilité de la chose. Sans doute leurs auteurs veulent-ils signifier qu’elle n’est ni abstruse ni complexe. Sans doute veulent-ils dire qu’elle ressemble en tous points à l’écriture de Platon. Une prose exceptionnelle, d’une extraordinaire fluidité, elle vous emporte, vous ne pouvez plus vous en détacher, vous voulez savoir, vous désirez comprendre, à tout instant vous êtes sûr que le ‘’paragraphe’’ suivant vous apportera une meilleure compréhension, les dialogues se dévorent comme des romans policiers, à chaque page l’obscurité de l’énigme racontée s’assombrit d’une noirceur étincelante, néanmoins elle vous mène par le bout du nez, elle vous induit à poursuivre, vous êtes au plus près de l’intellection, vous en ressortez ébloui et quelque peu insatisfait. Le prochain dialogue vous apportera la solution… Vous êtes un fan, vous y revenez, tant de beauté et de subtilité vous séduisent, vous remplissent… Les merveilles de Platon. Trop de soleil aveugle. La rutilance stylistique de Platon vous donne l’illusion d’être intelligent. Platon est un grand philosophe, peut-être est-il encore un plus grand écrivain.

             Ne nous méprenons pas. Thumos ne surfe pas sur la magie musicale. Qui entraîne et emporte. Qui se substitue à l’effort de la pensée. L’œuvre de Platon est ardue. Celle de Thumos n’est pas à prendre à la légère. Certes elle s’inscrit encore dans une nomenclature descriptive des ombres de la caverne, mais leurs pourtours sont si clairement reproduits qu’ils permettent d’entrevoir conceptuellement l’idée des formes intangibles. Cette évocation sonologique exige lenteur et méditation. Ce Trial of Socrates demande écoute prolongée, les ramages soyeux de ses sonorités dévoilent un labyrinthe qui engage à une longue audition explorative, vous avez l’impression que la musique pense pour vous. Evidemment ce n’est qu’un leurre. Une apparence. Une invitation que Thumos vous lance : un jour ou l’autre, il convient de se mesurer au minotaure de la pensée…

             Une expérience de pensée musicienne jamais tentée…

             Un projet auditif d’une ampleur démesurée.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 694 : KR'TNT ! 694 : LUCAS TROUBLE / CHEMTRAILS / JUDY CLAY / KAIROS CREATURE CLUB / ANTON NEWCOMBE / THUMOS / LOATHFINDER / 2SISTERS / GENE VINCENT /

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 694

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 06 / 2025 

     

    LUCAS TROUBLE / CHEMTRAILS

    JUDY CLAY / KAIROS CREATURE CLUB

    ANTON NEWCOMBE / THUMOS   

    LOATHFINGERS / 2SISTERS

     GENE VINCENT

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 694

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Trouble boy

    (Part One)

             Quand dans «Trouble Boys», Dave Edmunds chantait King of hell raising in the neighborhood, il ne parlait pas de Lucas Trouble. Il aurait pu, mais ce ne fut pas le cas.

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             Lucas Trouble ne sort pas d’une chanson, mais plus modestement d’un patelin bourguignon du nom de Chagny, près de Chalon-Sur-Saône. C’est là qu’il a bâti sa légende, avec un grand chapeau, une grande gueule et surtout un studio, le Kaiser Studio, de la même façon que Lo’ Spider a bâti la sienne avec Swampland, à Toulouse.

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             Dans un volume bien dodu, Syned Tonetta brosse un portrait spec-ta-cu-laire du troublant Trouble. Dodu ? Ça veut dire 600 pages extraordinairement bien documentées. L’auteur semble parfois submergé par la démesure de son personnage : il doit gérer Rabelais au pays du rock ! Comment veux-tu faire entrer Rabelais dans notre époque et dans le rock ? Syned s’y attelle, il retrousse ses manches et fait comme fit Rodin, il pétrit l’argile de son golem rabelaisien. Schplifff schplaffff ! Fais gaffe, amigo, si tu mets le nez dans ce big book, tu vas te marrer comme une baleine. Car Rabelais c’est surtout de la grosse poilade. 

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             T’as la bobine du golem en couve, donc pas besoin de le décrire. L’œil allumé. L’a pas l’air commode. On croise souvent Vox dans les pages de ce big book, un Vox qui voit le golem ainsi : «Toujours la même menace dans le regard, le même air de bête prête à mordre.» Grrrrrrrrrrr...Histoire de situer la bête dans la cosmogonie, Syned a rapatrié une palanquée de surnoms, «Le Magnifique, le Mirobolant, Le Majestueux», ça passe par le «Lycanthrope libidineux», par le «Spiderman des consoles», et ça va jusqu’au «Vampire bourguignon», jusqu’au «lou-garou du son» et même jusqu’à «L’ogre de Chagny» et au «Killer of Coiffeur-Sound». Cette pauvre page vibre sous tes doigts tellement elle est chargée. Tu sens le terreau bourguignon et ses caves à pinard. Qui dit Rabelais dit aussi verte langue, alors un peu plus loin, Syned enfile comme des perles quelques expressions du golem. Certaines d’entre-elles en disent plus long sur le rock qu’un claqué d’accords en mi la ré : le golem «jambonne les groupies». Devant une bobine qui ne lui revient pas, il balance : «Qu’est-ce qui va pas ? T’as mangé ta grand-mère ?» Quand il claque le beignet d’un juron, c’est «fumier de bouc !» Chez le golem, tout est prétexte à déconner. Mais quand vient le temps du son, il veille à ce que ça sonne.

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             Syned annonce dès l’intro qu’il n’a pas fréquenté son golem. Nous non plus d’ailleurs, on eût pu, mais au temps des cerises, on a préféré fréquenter Lo’Spider et Swampland. Parce que Dig It! et parce que Gildas (Hello Gildas). Et pour bien enfoncer son clou dans la paume de la cosmogonie, Syned indique que la grande idole du golem fut Jeffey Lee Pierce, ce qui nous met tout de suite l’eau à la bouche. Eh oui, on adore les golems qui fréquentent le Gun Club. Et la filiation s’établit d’autant plus majestueusement que le cœur battant du book est un chapitre consacré aux Cowboys From Outerspace. Ils incarnent tout bêtement l’apex du Kaiser Sound. Golem/Cowboys, dream team from hell ! Te voilà en confiance, car Syned cite les Cramps, le Gun Club, les Ramones et «l’héritage sulfureux des Stooges et des New York Dolls.» Quand le golem agonise dans son lit médicalisé, c’est Michel Basly, nous dit Syned, qui vient passer trois jours à son chevet - Ils ont joué au petit train (électrique) tout un après-midi comme des enfants - Même là, tu te marres, car t’as l’image. Choo choo train ! 

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             Syned consacre des pages fulgurantes aux Cowboys qui sont en partie la création sonique du golem. Eh oui, sans golem, t’auras pas ce son. Les Cowboys tapent dans le dur : Gun Club, Chrome Cranks, Scientists, Cramps. Michel Basly remonte même jusqu’à ceux qu’il appelle «les sauvages» : Jerry Lee et Charlie Feathers. T’as rien sans rien, baby. Personne n’a jamais égalé la sauvagerie du Live At The Star Club Hamburg. Personne n’a jamais égalé la classe d’«One Hand Loose». Syned va loin dans l’apologie du dream team golem/Cowboys : il parle d’une «véritable osmose gravitationnelle» entre Michel Basly et le golem. Et ça va loin cette histoire, car il voit le golem comme le «quatrième Cowboy». Non seulement ça prend du sens, mais ça correspond tellement à la réalité ! Rappelons que les Cowboys sont encore aujourd’hui l’un des trois meilleurs groupes de rock en France, avec les Dum Dum et Weird Omen. Meilleurs parce que très en amont du reste, très modernes dans leur approche et très violents soniquement parlant. So far out ! Syned racle ses fonds de tiroirs pour situer les Cowboys, il parle de «rock crasseux» et de «punk orgastique». C’est bien gentil, mais ça va beaucoup plus loin que ça. T’es dans le beat des catacombes, la White Light/White Heat de la Death Party, dans le no way out apoplectique, quand Michel Basly pique sa crise sur scène, tu recommandes ton âme à Dieu, si t’en as une. Car Basly échappe à tout, il redore le blason de la sauvagerie originelle et on comprend qu’il ait pu crucifier le golem sur l’autel de la fascination. Syned cite dans ce chapitre brûlant la très belle compile/tribute au Gun Club, Salvo Of 24 Gunshots/Tribute To The Gun Club, un double album rouge vif paru en 2005, car on y trouve la cover que font les Cowboys du «Preaching The Blues» qu’avait tapé Jeffrey Lee en son temps. Ce Salvo fut à l’époque une véritable caverne d’Ali-Baba, car on y trouvait aussi l’extraordinaire cover désossée de «Lupita Scream» par les Gories, et puis des tas d’autres choses mirobolantes, les Cool Jerks de Jack Yarber, les Magnetix, les Demoliton Doll Rods, Speedball Baby, DM Bob. Pfffff ! Quelle époque ! T’en as encore les mains qui tremblent.

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    Syned Yonetta

             Et puis tu tombes sur le pot-aux roses : les troublants parallèles. Petit, le golem collectionne les petits drapeaux de pays métalliques qu’on trouvait dans les boîtes de langues de chat. Pouf ! Deuxième parallèle : il collectionne aussi les porte-clés ! Pouf ! Puis les timbres ! T’as fait pareil. En sixième, nous cafte Syned, le petit golem est entré en rébellion contre les professeurs. Pouf ! Au lycée, il redouble deux fois sa seconde. On est frappé par cette série de troublants parallèles. T’as redoublé aussi deux fois. Syned rajoute là-dessus une belle dose d’humour ravageur : le jeune golem va trouver le dirlo du lycée pour lui annoncer qu’il «démissionne», et que lui dit le dirlo ? «Ça tombe bien, j’allais vous virer !».

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             Autre troublant parallèle : le jeune golem fait un stage dans une imprimerie locale. Pourquoi une imprimerie ? Parce que son grand-père était typographe ! Tous ces détails revêtent une importance considérable. Le golem ne serait pas devenu le golem si son grand-père avait été charcutier. Pour les ceusses qui n’ont pas l’info, il faut savoir qu’au temps jadis, le métier de typographe rimait joliment avec l’anarchie, la vraie, celle des anars du XIXe. Il faut avoir étudié la typographie pour le savoir. Et avoir chopé le fameux Dictionnaire des Typographes.

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             Tiens encore un parallèle troublant : le jeune golem se pique de littérature. Et pas n’importe quelle littérature : celle de William Burroughs (il va baptiser son label Nova Express). Et puis voilà-t-y pas qu’on lui prête un livre sur «les pirates libertaires». Alors ça refait tilt. La lecture d’un petit ouvrage intitulé TAZ (Temporary Autonony Zone) nous transforma voici 30 ans de pied en cap : on mit en pratique la TAZ d’Hakim Bey. Quotidiennement. 365 jours par an. D’où ces chroniques. Déclarer son autonomie dans le monde du travail consiste à écrire un texte chaque jour, et à l’illustrer, quelles que soient les contraintes environnementales ou la pression des pics de charge. Tu rétablis ta liberté. Si tu la décrètes inviolable, elle le devient. C’est aussi simple que ça. 

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             Le premier LP que le petit golem ramène à la maison est Screamin’ Lord Sutch & Heavy Friends : le disque est pourri, mais la pochette fabuleuse, tu y vois Lord Sutch et sa Rolls Union Jack. On est aussi tombé dans le même panneau, à cause de la pochette. Il est d’ailleurs toujours dans l’étagère, à cause de la pochette. Un peu loin, le petit golem se retrouve avec des Genesis, des Yes et des King Crimson dans les pattes, mais fumier de bouc !, il décroche aussi sec. Patacam patacam !

             On voit donc le golem s’auto-pétrir au fond de la Bourgogne. Il se malaxe tout seul et s’en va la nuit dans la campagne gelée hurler à la lune, tout au moins l’imagine-t-on ainsi. À la différence des autres artistes, il ne crée pas son monde, il se crée. Le golem sort de terre. Quand il récupère une basse pour apprendre à en jouer, il plonge la maisonnée en enfer, nous dit Syned. Il va dans les bals pour se battre, et comme le temps est alors au glam, il porte des platform boots et du maquillage. On lit ces pages et on se fend la gueule en permanence. Un mec maquillé dans les rues de la Bourgogne, ça paraît inconcevable ! Pas pour un golem, fumier de bouc !

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    Vietnam Vterans : Mark Embatta au centre

             Dans les années 80, il fait de la petite new wave à la mormoille, jusqu’au moment où il rencontre un disquaire de Chalon, Mark Enbatta. Sa boutique s’appelle Sneakers. Avec un nom pareil, tu sais où tu mets les pieds. Le golem découvre (avec 10 ans de retard) Nuggets, mais il va vite rattraper son retard, l’asticot ! Terminé les textes en français, direction 13th Floor Elevators, Seeds et tout le tintouin, et bien sûr les Vietnam Veterans, le groupe de Mark Enbatta, qu’il intègre.     

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             Tiens, on va faire un petit break avec les Vietnam Veterans. On commence par rapatrier les deux Lolita, On The Right Track Now et Crawfish For The Notary, histoire de voir ce qu’ils ont dans la culotte. T’es vite happé par l’énergie qui se dégage d’On The Right Track Now et de «Dreams Of Today» que Mark Enbatta gratte sur les accords de Gloria. Il chante d’une voix de Sky bourguignon. Pas de problème. Il tape ensuite une belle cover d’«I Can Only Give You Everything», le vieux standard protozozo des Them. C’est bien raw to the bone. Dommage qu’on entende l’orgue. Ça ne s’y prête pas. Ils tapent une cover du Zombie de Roky qui ne fonctionne pas, mais celle d’«Hey Gyp» passe comme une lettre à la poste. On salue aussi le beau gaga moderne d’«Out From The Night». Globalement, c’est pas mal.

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             On retrouve la même teneur en vitamines sur Crawfish For The Notary, et ce dès «Is This Really The Time» qui sent bon le LSD. Tout sent le LSD ici. Retour au raw to the bone avec «This Life Is Your Life», c’est gratté au raw ultime, c’est même assez violent. Mark Enbatta claque les pires accords bourguignons. Le Kaiser shoote ensuite une grosse dose de shuffle dans «Burning Temples» et on revient à l’apothéose druggy avec «My Trip» - I’ll never get out of here - Mark Enbatta rocke encore le boat avec «Liars» et on replonge dans l’LSD sound avec une cover létale du big «Be My Baby» des Ronettes. C’est audacieux, car ils proposent le Wall of Sound bourguignon à base d’orgue. Effet garanti. C’est même assez poilant. Ils ne reculent devant aucune extrémité, ce qui est tout à leur honneur. 

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             Green Peas est un double album et la viande psychédélique se trouve sur le disk 2 : en C t’as ce fabuleux brouet lysergique, «Human Love». On sent bien le LSD. Enbatta est très Sky sur ce coup-là, il sort son meilleur raw psych et tiguilite à la mode de 1966. On sent qu’il écoute les bons disques. Et de l’autre côté, tu tombes sur une version qu’il faut bien qualifier d’historique du «Trip» de Kim. Superbe attaque ! Mark Enbatta le prend bien et s’en va naviguer dans l’océan psychédélique, il y va au let’s take a trip et scande LSD ! LSD !, comme le firent les Pretties en leur temps. L’A et la B ne sont pas aussi enthousiasmantes. Sur «You’re Gonna Fall», ils visent le rock symphonique à la Procol et c’est à côté. Quand elle est précieuse, leur pop devient problématique. On sent quelques velléités d’en découdre sur «Liars», et on retrouve enfin une belle dynamique de guitarring dans «Critics». Enbatta est un bon. Il décolle enfin. Il te trashe le cut sur un beat bien dressé vers l’avenir. On le revoit partir à l’aventure sur «Wrinkle Drawer». Dommage que le background soit si précieux. Sur ce disk 1, t’as pas mal de casse et des tentatives non abouties. Il faut attendre «Out Of The Night» au bout de la B pour renouer avec le gaga bourguignon. Enbatta jette tout son dévolu dans la balance et gratte bien ses trois accords. 

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             Paru en 1986, In Ancient Times est un petit album qui ne fait pas d’histoires. Mark Enbatta chante son «Let It Rain» d’une belle voix de canard, mais il est vite submergé par les nappes du golem hégémoniste. En Bourgogne, la pop peut vite virer bucolique, comme le montre «Run Baby Run». Si on cherche un bout de viande, il est en B. Le golem perruqué et poudré joue du clavecin sur «Wrinkle Drawer» et voilà qu’arrive un «Next Year» nettement plus décidé à en découdre. C’est même quasi anthemic. Avec ses nappes astrales, le golem se prend pour un cosmonaute. Et ça atteint des proportions considérables avec «Crooked Dealers». Ça devient même passionnant. Les albums des Veterans sont très particuliers. Tu y croises rarement des coups de génie, mais tu les écoutes attentivement. Ils ne se rattachent à rien de particulier, hormis la Bourgogne.   

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             Mark Enbatta fait des étincelles sur Catfish Eyes And Tales, notamment dans «Southern Comfort». On entend bien sa guitare psyché, il lâche un beau déluge d’acid freakout. Les Veterans ont la bonne distance pour développer. Le thème crée la tension et les nappes tentaculaires du golem nourrissent bien la Mad Psychedelia, alors tu te régales, c’est un beau délire. Ils raflent bien la mise. Mark Enbatta passe au gaga bourguignon avec «Time Is The Worst». Il fait même du protozozo, c’est un fin renard. Il part en solo d’extension du domaine de la turlutte, et repart même une deuxième fois. Tu sors du cut enchanté. S’ensuit un «Crying» qui se veut paradisiaque et qui l’est. Enbatta est infiniment crédible, il taille bien sa toute. Par contre, rien à tirer de la B. «Days Of Pearly Spencer» ? Écoute plutôt l’original, s’il est encore dans ta caisse de 45 tours.   

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             Dernier spasme des Veterans avec une belle compile, The Days Of Pearly Spencer. Ils démarrent d’ailleurs avec cette cover de David McWilliams. Le Kaiser fait les violons à l’orgue. Côté son, pas de problème. Puis ils tapent une autre cover, celle du fameux «500 Miles» qu’on connaît en France sous le nom de «J’entends Siffler Le Train». Belle prod, avec un bassmatic mixé devant, de l’acou en réverb et de l’orgue au fond. On appelle ça une prod de rêve. Et même une prod de rêve aérien, perdue dans l’écho du temps. Le Kaiser fait même entrer une disto sur le tard. S’ensuit un «Is This Really The Time» assez défenestrateur. Ils ont du power sous le pied, c’est tapé au tatapoum local et ça bat bien la campagne. Ils font du Spencer Davis Group in Burgundy avec «Burning Temples» et le Kaiser envoie le shuffle. T’as encore un son plein comme un œuf. Mark Enbatta refait son Sky sur «Don’t Try To Walk On Me», t’as vraiment l’impression d’entendre les Seeds. Il refait son Sky sur «You’re Gonna Fall». Tu as déjà entendu tous ces cuts sur les albums précédents, mais tu te re-régales de les ré-écouter. Et pouf, voilà ce «Dreams Of Today» qui sent si bon le LSD, car gratté aux accords de gaga sixties. Ils terminent avec deux covers de choc : «Be My Baby» (que le Kaiser groove au shuffle d’orgue) et une version longue de l’hymne bourguignon, «The Trip» - It’s time to take a trip - et le Mark y va à coups d’LSD ! LSD!, pendant vingt minutes. 

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             À un moment, Syned essaye de nous rassurer en nous expliquant que le golem a trois facettes : «Lucas Trouble, l’artiste talentueux, prolifique, multiple et unique avec le côté charmeur et malicieux», puis «le Kaiser, le type qui enregistre, insupportable, ‘monstre tortionnaire’, visionnaire», et «Jean-Luc, le gars normal, père de famille qui reçoit ses amis, l’ouvrier en bâtiment qui rénove sa maison (du Levant), supporter du club de rugby du coin.» Mais bon, on ne veut rien savoir de plus : le golem et basta ! Derrière sa Maison du Levant se trouve une carrière en forme de ravin qui devient vite objet de plaisanteries macabres. Il menace d’y jeter les dépouilles de ses ennemis et des gens qu’il aime pas. Quand Philippe Manœuvre propose de venir l’interviewer, le golem grommelle : «Ouais, Manœuvre, je vais le balancer dans la carrière avec les huissiers.» Tout est truculent avec le golem, on se fend la poire en permanence. Bon, il ne va pas jeter Manœuvre dans la carrière, mais lui avouer que son premier 45 tours fut le «Venus» de Shocking Blue, parce qu’il louchait sur les nibards de la chanteuse. S’il aime bien Steppenwolf, c’est à cause dit-il de sa «tronche de barbare intelligent».

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             Le golem livre d’épatantes considérations sur le monde. Il constate qu’il y a «beaucoup plus de beaufs que lorsqu’il avait 17 ans», et comme Marc Zermati, qu’il rencontrera un peu plus tard, il affirme que «la France n’est pas faite pour le rock’n’roll.» C’est parce qu’il lit l’article de Manœuvre que Marc débarque à Chagny avec Tony Marlow pour enregistrer Knock Out. Ça a clashé pendant l’enregistrement entre Marc et le golem, mais ils se sont rabibochés pendant le mastering.

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             Côté admirations, le golem admet un faible pour les grands allumés de service, Birthday Party, Roky Erickson, Davis Thomas, Red Crayola, Peter Hammill et bien sûr Captain Beefheart, tout particulièrement, précise Syned, Safe As Milk. Et puis les Damned. Syned ne rate pas l’occasion de rappeler le lien qui existe entre le Gun Club et les Damned : la coiffure gothique de Patricia Morrison. À cette belle liste, il faut ajouter les noms des Chrome Cranks que lui a fait découvrir Michel Basly, et puis tiens, Jon Spencer.

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             Le golem dispose de trois armes : le Kaiser studio, sa cave et son label Nova Express. Les trois sont indissociables. Qui dit studio dit prod. Le golem est obsédé par un son, le sien. Nul n’est mieux placé que Vox pour décrire l’art productiviste du golem : «Il élaborait ses hallucinatoires festins en maître queux anthropophage, malaxant, sculptant, tronçonnant, bariolant, balafrant, recollant, incisant, panachant, faucardant, affûtant, ciselant, amalgamant, façonnant jusqu’à obtenir la mixture voulue.»

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             Son label reste bien sûr underground. Pas de stratégie commerciale. «Au gré du vent», précise Syned. Producteur, musicien et label boss comme Beat-Man avec Voodoo Rhythm. Ou mieux encore, comme Totor avec son Wall of Sound, ses cuts magiques et Philles Records.

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             Étant donné que le golem a décidé de vivre du studio et de Nova, «la trésorerie est tendue». Syned rentre bien dans le détail des tarifs, comme il rentre dans le détail du matos et dans le détail des claviers qu’utilise le golem. Les détails sont vitaux si on veut comprendre à quel point ce type d’aventure est périlleux. Et par conséquent glorieux. Fuck les subventions, le golem bosse à l’arrache. «Vive les rebelles !» Plus on avance dans les détails et plus le golem devient sympathique. Tiens voilà ce qu’il déclare : «Si on part du principe que le rock’n’roll est une musique rebelle, c’est un peu bizarre d’être un rebelle subventionné par l’état.» Eh oui, t’as des groupes qui demandent du blé pour financer leurs conneries. Fuck it ! Le golem admet qu’il en bave. En plus, il n’est pas cher : 4 000 euros pour une semaine de studio + 1 000 CD (mixage, mastering et impression pochette compris). Syned rentre aussi dans les détails du graphisme des pochettes. Le golem bosse avec son pote José Womble, et là on se marre bien, car on retrouve nos deux compères devant un écran avec les bouteilles de pinard que le golem ramène de la cave, et les voilà qui se mettent à schtroumpher des typos et des images sur Photoshop, avec «un petit verre de rouge» à chaque tripotage de filtre, à chaque fusionnement de calque, jusqu’à ce qu’ils arrivent à ce que Syned, hilare, appelle «un compromis». Bosser une image à deux sur un écran, c’est un truc qu’on ne fait JAMAIS. Seul le golem s’y autorise, en évitant toutefois de toucher le clavier, car l’ordi reste l’ennemi satanique. Il faut donc partir du principe que les pochettes Nova Express sont le résultat de compromis avinés, ce qui les rend infiniment sympathiques. Et puis Syned aborde le chapitre de la distro et là, pareil, il donne tous les détails, et c’est passionnant de voir à quel point l’exercice est périlleux. Syned : «À la fin, Nova ne prenait que 10% sur les ventes effectuées par leurs soins. ‘Ça payait à peine le téléphone’, soupirait-il.» Et le golem ajoute que son label lui coûtait plus qu’il ne lui rapportait. Ça ne tenait debout que parce que le studio rapportait un peu de blé et qu’Emmanuelle, sa femme, bossait ailleurs. Le label, c’était «du bénévolat»

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             Qui dit Nova Express dit compiles. Syned dit sa préférence pour The Most Terrible Songs And Other Terrific Stories. On retrouve aussi Lo’Spider et son Jerry Spider Gang sur The Kaiser Fucks The New French Rock, ainsi que les Holy Curse et les Magnetix. On y revient dans un Part Two. 

             Et les Anglais dans tout ça ? Pas grand-chose. Le golem aurait bien aimé, mais à part un coup de fil de Brian James, rien. Que dalle. Il aurait bien aimé recevoir Jeffrey Lee et les Dum Dum Boys. Sob sob sob, regrets éternels.

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             Qui dit Chalon dit Jano et Nat et les Screaming Monkeys. On les croise enfin page 337 : vieil ami de Caligula Gibus, Jano fêta ses 40 ans avec un concert des Médiums à la Taverne, un endroit devenu culte, pour ses «bals costumés» et ses concerts. Vox fit de cette fête d’annive un solide compte-rendu dans Dig It!. Le golem, «avenant comme une potence», jouait de la basse ce soir-là. Plus remarquable encore : les Cowboys montèrent sur scène après les Médiums, et selon Vox, ils furent «bons mais nettement en-dessous des Médiums.» Comment est-ce possible ? Vox est aussi «conseiller» du golem : le visuel qui orne la pochette de Kaiser Southern Dark Country, c’est une idée à lui. Il s’agit de l’Écorché Et Son Cavalier d’Honoré Fragonard - Ce document avait été proposé par Vox pour une éventuelle utilisation.

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             Pour sa dernière séance d’enregistrement, le golem a reçu Tony Marlow. Tony était en trio avec K’ptain Kidd. Fabuleux album que ce More Of The Same, deuxième album tribute à Johnny Kidd. «Goin’ Back Home» t’arrive dans les dents comme un boulet de canon. T’as aussitôt la démesure de la flibuste ! Ça pilonne ! Le trio allume comme vingt bouches à feu. Le golem devait se frotter les mains. Il faut saluer son génie sonique. Encore un boulet dans les dents avec «Some Other Guy». Et puis un troisième, t’es plus à ça près : «Castin’ My Spell», claqué à la clairette de Tele. Tony fait son Barbe-Noire, il ravage tout, avec la bénédiction du golem. Ultime dream team !

             Ce book compte probablement parmi ceux qui font la fierté du Camion Blanc. Avec Lucas Trouble - L’Empereur Du Son Analogique, le métier d’éditeur underground reprend tout son sens. 

    Signé : Cazengler, le cas troublant

    Syned Tonetta. Lucas Trouble - L’Empereur Du Son Analogique. Camion Blanc 2018

     

     

    L’avenir du rock

     - Happy (Chem)trails

             Pas de pot : l’avenir du rock vient de tomber dans les pattes de la Gestapo. Direction la rue Lauriston et la baignoire dans la salle de bain du premier étage. La Gestapo soupçonne à juste titre l’avenir du rock de grenouiller dans la résistance. Klaus Barbock veut des noms. L’avenir du rock fait le malin.

             — Vous n’allez pas faire le malin très longtemps, avenir du rock !

             Deux gestapistes plongent la tête de l’avenir du rock dans la baignoire, pendant qu’un troisième lui introduit une barre à mine rouillée dans l’anus et l’enfonce d’un coup de pied.

             — Glou glou glou...

             L’avenir du rock tombe dans les pommes. Un toubib lui fait une piqûre. L’avenir du rock revient à lui et se met à chanter :

             — Shame Shame Shame/ Hey shame on you !

             Klaus Barbock se tourne vers ses sbires :

             — Ce nom vous dit quelque chose ?

             Les sbires font non de la tête. L’avenir du rock éclate de rire et lance :

             — Smiley Lewis !

             Klaus Barbock fait un signe de la main et les sbires replongent la tête de l’avenir du rock dans la baignoire.

             — Glou glou glou...

             Il retombe dans les pommes. Piqûre. Il ouvre un œil et balance :

             — Ain’t That A Shame !

             Et ajoute aussitôt, au vu des bobines gestapistes qui ne pigent rien :

             — Fats Domino !

             Connaissent pas. Baignoire. Plus chalumeau sur la plante des pieds.

             — Glou glou glou...

             Il retombe dans les pommes. Piqûre. Il ouvre un œil et balance :

             — Shame On You Crazy Diamond !

             Un des sbires glapit :

             — Herr Obersturmführer ! Arch Pink Floyd!

             L’avenir du rock explose de rire. Quelle bande de cons ! Pour les achever, il voulait balancer le nom de Chemtrails, mais il préfère en rester là et mourir de rire.

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             Bon d’accord : l’avenir du rock triche un peu : Chem ne se prononce pas «chème» mais «kème». Disons que s’il triche, c’est pour la bonne cause. Et à l’écrit, ça passe.

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             T’as deux genres de concerts : ceux des groupes que tu connais et ceux des groupes que tu ne connais pas. Et dans ceux des groupes que tu ne connais pas, t’en as encore deux genres : ceux que tu prépares et ceux que tu ne prépares pas. C’est-à-dire que tu n’écoutes rien en amont. T’anticipes pas. Tu décides d’y aller avec l’oreille fraîche. Chemtrails à la cave, t’y vas donc avec l’oreille fraîche. Tu n’as qu’une seule info : UK. Après leur set, tu apprendras qu’elles viennent de Manchester. Elles, oui, car il s’agit surtout d’elles, les deux cocotes qui grattent et qui chantent : Mia Lust et sa copine la grande Laura Orlova. Grande, il faut l’entre au

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    sens propre comme au figuré : par la taille, mais aussi par la présence scénique et cette façon qu’elle a de se barrer en vrille de garage-punk lorsqu’elle s’arc-boute pour prendre un solo. Elle a le killy-killy dans la peau. Elles sont accompagnées par une solide section rythmique, un bassmatiqueur de choc et un mec torse nu au beurre qu’on ne voit pas, car plongé dans les ténèbres. Mais lui, c’est le roi du bim bam boum. Les deux cocotes font le show. Dommage qu’il y ait un clavier à la mormoille devant. Elles tapent quasiment tout à deux grattes et mêlent leurs voix pour créer des dynamiques somptueuses. Si tu les vois un jour sur scène, tu vas te régaler, car elles tapent en plein dans l’œil du cyclope, sans la moindre frime. Elles

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    t’offrent un vrai concert de rock, excitant & sexy. Tu ne connais pas les cuts, mais tu tends bien l’oreille et tu localises les montées en puissance à base de Superhuman, elles entrent quasiment en transe et rockent le boat de la cave. Elles tapent aussi un Apocalyptic apocalyptique, avec une conscience professionnelle qui en dit long sur la pureté de leurs intentions. Elles concentrent toutes les dynamiques. Leur perfection symbiotique te fait baver. Tu n’avais pas vu autant de fraîcheur énergétique depuis des lustres. Chemtrails ! Elles pourraient bien devenir énormes, au moins autant, sinon plus que MaidaVale.

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             Si tu ramasses The Joy Of Sects au merch, tu vas aller de surprise en surprise.

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    Quel bel album de Chester pop ! Dès «Detritus Andronicus», tu dis oui, car tu sens cette féminité bien collante, bien prégnante, et t’as Mia qui chante au sucre protozozo. C’est du meilleur effet. Mia est plus sucrée que sa collègue Laura, on l’entend mieux encore sur l’album. Si elles virent un peu new wave sur «Sycophant’s Paradise», c’est à cause du clavier, mais elles restent très dynamiques, bien tape-dur, avec du bon son. Elles sont aussi capables d’aller rejoindre Liz Fraser au ciel de la pop anglaise («Mushroom Cloud Nine»). La viande se planque en B, comme le révèle l’imparable «Join Our Death Cult». Chester power ! Joli beat hypno. C’est dans la poche. Elles jouent sur les deux voix. Plus loin, t’as un cut en forme de giclée d’adrénaline, «Superhuman Superhighway», c’est nettement plus Kraut, baby. Au beurre, Liam Steers sait driver un beat ! Et ça continue dans la même veine avec «Apocalypstick». Elles sont fabuleuses d’à-propos. Elles ont de la texture, de la teneur, de l’excellence, elles savent déclencher l’enfer sur la terre et revenir au petit sucre de Manchester. Elles mêlent merveilleusement leurs deux sucres. Et ça bombarde ! Elles dégagent une énergie considérable. Laura chante avec un sucre canaille. Elle adore rentrer dans le chou du lard. Tu t’attaches à ces deux voix si différentes.  

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             Attention à Call Of The Sacred Cow : si tu l’écoutes, tu risques fort de tomber de ta chaise. Voilà ce qu’on appelle communément un killer-album ! Premier coup de Jarnac avec «A Killer Or A Punchline» qui sonne comme un hit. T’en reviens pas ! Mia Lust et sa copine la grande Laura Orlova ont un truc que d’autres n’ont pas. Et quand tu lis les crédits sur la pochette intérieure, tu vois que la petite Mia compose tous les cuts. Et le festin se poursuit avec l’incroyable «A Beautiful Cog In The Monolithic Death Machine» : belle énergie cognitive. Ça veut dire qu’elles cognent. Voilà encore un cut bourré à craquer d’énergie pop. Elles bouclent ce brillant balda avec «Lizard Empire», nouvel exploit chanté à l’accent pincé de Manchester, dans une ambiance de Brill. Quelle magnifique ampleur structurelle ! Franchement, t’en perds ton latin. T’as encore trois bombes en B, à commencer par un «Watch Evil Grow» assez apoplectique. Elles naviguent à la pointe de la renaissance pop de Manchester. La qualité des cuts te sidère pour de vrai. Nouveau coup de génie avec «Dead Air» et une stupéfiante attaque. C’est Mia Lust qui chante. Elle est aussi balèze que sa copine, car elle y va au sucre acide. Elles font un petit coup de Wall of Sound pour finir, avec «Overgrown». Cet album sonne comme un délire qualitatif d’un niveau peu commun.

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             Alors, il ne faut pas en rester là : tu sautes sur The Peculiar Smell Of The Inevitable. T’es estomaqué dès «Blurred Visions» et son tempo sauvage. Elles sont les reines du wild-as-fuck. Leur fonds de commerce est la fantastique tenue de route. Aucun temps mort sur cet album, elles font le canard sur «Rats» et puis elles bouclent le balda avec un «Naked Souls Get Swallowed» qui sonne comme un hit, bien lesté de power-chords. Tu salues la présence de leur prescience. Et ça repart de plus belle en B avec «Frightful In The Sunlight», bien profilé sous le vent et soutenu par un bassmatic grondant. La grande Orlova passe un joli petit killer solo et en prime, t’as des super-développements. Tout cela te met bien l’eau à la bouche. Et voilà qu’elles sonnent comme les Pixies sur «Uncanny Valley», c’est effarant d’attaque incisive et chanté au sucre. Elles jettent encore tout leur dévolu dans la balance de «Brother Connor» et bouclent avec un «Slag Heap Deity» en deux parties, un Heap vraiment joyeux, punchy en diable et de très haut niveau. 

    Signé : Cazengler, Shame trail

    Chemtrails. Le Trois Pièces. Rouen (76). 10 mai 2025

    Concert Braincrushing

    Chemtrails. Call Of The Sacred Cow. PNKSLM 2018

    Chemtrails. The Peculiar Smell Of The Inevitable. PNKSLM 2020

    Chemtrails. The Joy Of Sects. PNKSLM 2024

     

    Inside the goldmine

    - La clé de Judy Clay

             Nous avions tous rendez-vous à Bastille, chez Bofinger, pour une réunion informelle. Oh, nous n’étions pas nombreux, cinq personnes au total, Lady Cœur-de-Lyon qui avait eu l’idée de ce meeting, un couple de jeunes entrepreneurs, Baby Class et moi. Tous quasiment du même âge et membres actifs de la grande révolution technologique qui secoua le monde des arts graphiques, à la fin du siècle dernier. Baby Class avait elle aussi monté son agence, oh pas grand-chose, deux salariés et deux ou trois clients, mais bien située, rue d’Alesia. Nous témoignâmes de nos expériences respectives et échangeâmes quelques informations, notamment sur les fournisseurs, le fameux talon d’Achille de la profession. Baby Class était une jeune femme assez haute, aux cheveux courts, peu maquillée. Pas de bijoux. Elle ne souriait pas, et semblait livrée aux affres d’une indicible mélancolie. Ses très beaux yeux gris étaient comme voilés de tristesse. Cette conversation passionnante semblait néanmoins la divertir. Au sortir du meeting, elle annonça qu’elle prenait le métro, aussi lui proposai-je de la déposer dans son quartier. Elle accepta avec un sourire mystérieux. N’attendait-elle que ça ? Nous descendîmes par le Boulevard de la Bastille et traversâmes la Seine au Pont d’Austerlitz. Elle ne disait rien. Nous roulâmes en silence à travers les rues désertes. Il régnait dans la bagnole une sorte de plénitude. Elle me tutoya pour la première fois en me demandant de la déposer sur la place d’Alesia, et disparut. Quelques années plus tard, après que la tempête eût tout emporté, maison, arbres, business, je vis qu’elle cherchait quelqu’un pour bosser avec elle. Coup de fil. J’allais me présenter, mais elle me coupa sèchement : «Inutile, j’ai reconnu ta voix.» Elle m’accueillit le lundi suivant. Elle bossait toute seule dans un vaste local très bien éclairé. Elle donnait le matin les instructions sur le dossier à traiter, puis elle s’installait pour la journée derrière sa bécane. Pas un mot de la journée. Le cirque dura trois mois. D’un commun accord, nous rompîmes le contrat de travail. Vingt ans plus tard, passant dans le quartier, je vis que l’agence existait toujours. La plaque de cuivre figurait toujours à l’entrée de l’immeuble. J’appelai à l’interphone et elle me fit monter. Elle m’accueillit en souriant dans l’entrée. Elle n’avait pas changé. Elle semblait contente de me voir. Mais je n’en étais pas complètement certain.    

     

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             Qui de Baby Class ou de Judy Clay est la plus mystérieuse ? On ne le saura jamais, et c’est aussi bien comme ça.

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             On se souvient que Judy Clay fit sensation avec Billy Vera sur un bel album Atlantic, Storybook Children. Dans le civil, Judy Clay s’appelle Judith Grace Guions et vient non pas de Memphis, mais de Caroline du Nord. Elle chante très vite du gospel à Harlem et fréquente les Drinkards Singers. La chanteuse lead du groupe Lee Warwick prend Judith, 12 ans, sous son aile et l’installe chez elle, dans le New Jersey, en compagnie de ses deux filles Dionne et Dee Dee. Les Drinkards Singers se retrouvent vite fait au Madison Square Garden avec Clara Ward, Sister Rosetta Tharpe et Mahalia Jackson. Autant dire que Judith traîne déjà dans la cour des grands. Emily Drinkard allait devenir Cissy Houston. Dionne la lionne sera la première à accepter d’entrer dans le «secular world», suivie de près par Judith devenue Judy, qui va commencer à enregistrer en 1960, bien trop tôt. Mais quand elle voit Dionne la lionne devenir une superstar, elle pique une crise de jalousie et prend contact avec Jerry Wexler qui l’aide à sortir de son contrat Scepter pour l’envoyer enregistrer chez Stax qui «appartient» alors à Atlantic. Elle descend à Memphis pour être aussitôt prise en mains par Isaac le prophète. Elle retournera un peu plus tard avec Billy Vera enregistrer un album à Muscle Shoals, mais apparemment, c’est resté dans les étagères. Judy Clay aurait dû faire partie des très grandes Soul Sisters américaines, mais le sort en a décidé autrement. Pour gagner sa vie, elle fera des backings vocals. Elle finira par prendre sa retraite à Fayetteville, en Caroline du Nord et ne chantera plus qu’à l’église.

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             On la retrouve sur deux belles compiles : Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four, avec Marie Knight, et The Stax Solo Recordings avec Veda Brown.

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             C’est évidemment Marie Knight qui vole le show sur Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four. Mais Judy Clay se défend bien, on apprécie sa fantastique présence dans «My Arms Aren’t Strong Enough», un heavy balladif dégoulinant de détresse sentimentale. C’est tout de même un bonheur que de l’écouter. Elle s’épuise un peu dans la pop de Broadway et revient flamber la Soul new-yorkaise avec «The Way You Look Tonight», une Soul hyper-orchestrée et gorgée de chœurs. Elle sait aussi driver un wild r’n’b comme le montre  «You Busted My Mind» et l’«He’s The Kind Of Guy» tapé aux cloches de la 7e avenue est d’une incroyable musicalité. Elle entre dans les années de braise du r’n’b avec «Your Kind Of Lovin’» et son «Upset My Heart (Get Me So Upset)» est d’une qualité invraisemblable. Ça frise le popotin Stax. Et puis elle jazze son «That’s All» avec une classe sidérante. On passe à Marie Knight avec «Cry Me A River». Elle te crève les tympans. Marie Knight est l’une des pires screameuses de l’univers. Elle joue avec la Soul comme le chat avec la souris. Sur «Comes The Night», elle sonne comme Esther Phillips. Pur genius, feeling de voix et power all over. C’est la reine du par-dessus-les-toits. Encore de la haute voltige de Soul pop avec «That’s No Way To Treat A Girl». Elle fait pas mal de petite pop et renoue avec le génie dans «You Lie So Well», un r’n’b à la Motown motion. Elle y va la Marie !

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             Dans les liners de The Stax Solo Recordings, Tony Rounce nous rappelle que Judy est arrivée chez Stax en 1967, c’est-à-dire en plein âge d’or. Rounce raconte qu’en fouinant dans les archives de Stax,  Roger Armstrong a exhumé «My Baby Specializes», qu’on peut donc entendre pour la première fois sur The Stax Solo Recordings.

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             Sur cette compile, Judy Clay arrive à la fin. Ça permet de découvrir l’excellente Veda Brown et son «Take It Off Her (And Put It On Me)». Niaque et Staxy raunch : tout est parfait. Dans les liners, Tony Rounce nous apprend que Veda est originaire de Kennett, Missouri, et qu’elle a commencé par chanter à l’église. Un certain Jerry Robinson la découvre et Veda se retrouve à Muscle Shoals pour enregistrer ses premiers Stax cuts. Tu tombes ensuite sur «Short Stopping», un fantastique dancing strut. Tu te lèves et tu jerkes avec Veda. Elle est vraiment bien, la petite Veda. Même sur les cuts plus lents, elle sait se montrer pleine est entière, fabuleusement impliquée. Elle tape une mouture de «Fever» au grand battage et ça prend des allures de prophète Isaac, avec les percus du diable. Pur power encore avec «Guilty Of Loving You» et son «That’s The Way Love Is» sonne comme un slowah profondément circonstancié. Avec Veda, tout est bien. Elle a une classe invraisemblable. Elle sait aussi gérer la Soul progressive comme le montre «Who Wouldn’t Love A Man Like This». Et quand Judy arrive avec «Remove These

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    Clouds», elle passe au gospel batch et t’explose le cortex. Avec «Bed Of Roses», elle fait son Aretha. Même beefsteak ! «It’s Me» est un slow super-frotteur. Elle sait se frotter au mâle. On comprend que Wex ait bandé pour elle. Elle te fracasse vite fait le gros popotin de «Since You Came Along». Avec Aretha, Judy est l’autre reine de la Soul. «It Ain’t Long Enough» sonne comme une tranche de Soul joyeuse et pantelante. Elle fait encore la reine de Stax avec «Your Love Is Good Enough». C’est tout de même incroyable que des Soul Sisters du calibre de Veda et Judy Clay soient passées à la trappe.

    Signé : Cazengler, Clay-bar

    Judy Clay/ Marie Knight. Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four. Westside 2001

    Judy Clay/Veda Brown. The Stax Solo Recordings. Kent/Ace records 2008

     

    Road to Kairos

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             Finalement, t’auras passé une bonne soirée avec Kairos Creature Club, un trio venu tout droit de Jacksonville, en Floride, jusque dans la cave. Pas d’hit interplanétaire dans leur set, mais la réalité de leur verdeur artistique te conforte dans l’idée que l’underground résiste bien à la nécrose de médiocratisation rampante qui menace le monde moderne.

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             Le trio te met tout de suite à l’aise car zéro prétention et zéro frime. T’as deux petites gonzesses (beurre et poux) et un mec au bassmatic. Celle qui bat le beurre s’appelle Lena Simon. On sent qu’elle a du métier. Elle vient de La Luz. Celle qui gratte ses poux s’appelle Glenn Michael Van Dyke. Contrairement à ce qu’indique son nom, c’est une gonzesse et elle gratte une belle SG bordeaux, elle se planque sous une casquette et porte un futal en tartan écossais. Fière allure, mais surtout fière fluidité, elle sait filer le train d’un killer solo à rallonges, elle n’a aucun problème pour développer l’extension du domaine de la loose, et le groove du trio s’y prête plutôt bien. Ils sont tellement originaux qu’on ne peut les comparer à rien de

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    particulier, sauf peut-être aux shoegazers. Sur certains cuts, les Kairos sonnent très anglais. Il remonte de leurs ébats de curieux remugles shoegazy, de vagues échos de My Bloody Valentine ou des Pales Saints, dirons-nous, surtout quand ça vient de la batteuse. Elle adore laisser sa voix flotter en suspension. Elles se partagent le chant, tantôt c’est Glenn (qui se fait aussi appeler Billy Creature), tantôt c’est Lena (qui se fait aussi appeler Kairos). Sous sa casquette, le petite Glenn Michael Van Dyke joue pas mal sur les ambiguïtés et t’as intérêt à vérifier les choses pour éviter de raconter des conneries. 

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              Bon, leur début de set est problématique, comme il l’est généralement avec les groupes qu’on découvre, parce qu’on ne sait rien d’eux. Si on arrive avec les oreilles fraîches et zéro info, il faut un petit temps d’acclimatation. Le temps de rentrer dans leur jeu. Le temps que ça clique. Et on est content quand ça clique, car il arrive que ça ne clique pas. Soit tu t’ennuies, soit c’est pas bon, et tu montes au bar siffler ta Jupi. Cette fois, ça clique. T’es vraiment content d’être là et de partager ce moment avec la petite faune habituelle. Il reste une poignée de gens vraiment intéressants en Normandie et c’est là que tu les croises. On a tous en commun cette curiosité passionnée pour l’underground. On a tous envie de voir ces groupes inconnus exploser. On a tous envie de mettre le grappin sur l’album le plus fabuleux de l’underground le plus ténébreux. C’est presque une obsession. Et chaque fois, tu vois un groupe sorti de nulle part taper le Grand Jeu pour une assistance minimale, c’est-à-dire la poignée de gens intéressants. Alors forcément ça t’en bouche un coin. Au fil des cuts, les Kairos montent bien leur Club-out en neige et ça finit par culminer. Quoi de plus sexy que de voir un groupe inconnu culminer ?   

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             Alors culminons. L’album KCC luit d’un éclat rouge au cœur du merch des ténèbres. Tu y retrouves le point culminant du set, «Deleuzean». Lena y pose bien les bases de son univers. Te voilà en plein Bloody Valentine, ça sonne comme un hit et ça prend vite de l’ampleur. Elles sont encore très anglaises avec «Good Company», pur éther poppy poppah, et «Exile». La Luz rôde dans cette pop qui se veut américaine et qui ne l’est pas, et là t’as la Glenn qui part en wild solo de wah. En A, leur «Doom Funk» part d’un bon sentiment et prend sa petite vitesse de croisière groovytale. La belle pop de «Strangers» vise le frais-comme-un-gardon, même en mode shoegaze. Elle passe en force, mais non sans grâce. Et puis t’as l’excellent cut du mec à la basse, «Self Portrait». Il sait placer sa voix et faire l’imposition. Ça tient debout. T’as là un joli shoot de pop-rock. C’est la Glenn qui boucle l’affaire avec un «UK Club» instro qu’elle tape au bassmatic. Elle y fait un fantastique numéro de bassmataz.

    Signé : Cazengler, Craignos Creature Club

    Kairos Creature Club. Le Trois Pièces. Rouen (76). 26 mai 2025

    Concert Braincrushing

    Kairos Creature Club. KCC. Greenaway Records 2024

     

    Wizards & True Stars

     - Massacre à la ronronneuse

     (Part Four)

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             Le génie d’Anton Newcombe se trouve dans les albums. T’as une belle palanquée d’albums, donc une belle palanquée de coups de génie. Anton passe sa vie à composer. Pour le suivre, il faut des moyens. Ses albums sont tous très beaux. Ces gros vinyles coûtent la peau des fesses. Pour ceux qui n’ont ni le temps ni les moyens d’entrer de plain-pied dans l’œuvre d’Anton Newcombe, le plus simple est d’écouter cette fabuleuse rétrospective, Tepid Peppermint Wonderland, parue en 2004 et récemment rééditée. Anton y sort des cuts de tous ses albums, ce qui permet de voyager avec lui à travers les époques et de constater une chose : il reste en permanence dans le haut de gamme. Ce double album regorge d’énormités. «Who»

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    est un fantastique hommage druggy à Brian Jones, LE dandy du XXe siècle. On se régale du beat descendant de «Servo», une prophetic-song donavanesque, groove malsain de Californie, à la fois violent et enchanteur, la mort et le soleil, le doux rêve qui cajole l’horreur sanglante, pas de contraste plus dangereux. Il faut se souvenir que des tas de satanistes sont allés se faire dorer la pilule en Californie, devenant ainsi la honte du diable. Joel nous tambourine ce beau psycho-beat qu’est «If Love Is The Drug» dans une belle ambiance cauchemardesque chargée de fuzz distante et hantée par des voix de filles défoncées et des voix d’hommes émasculés. La force du collectif est de savoir monter en puissance. Salutaire et clinquant, «Straight Up And Down» claque aux accords du diable. Ça pue les drogues à dix kilomètres à la ronde. Cette psychedelia californienne se montre extravagante de puissance traversière, montée sur une mélodie hasardeuse digne des Stones, s’ils avaient osé aller jusque là. Nul doute que Brian Jones aurait osé. Alors Anton donne la main à son héros Brian Jones, la main dont il rêvait, et cette débauche psyché qu’il a incarnée avec tellement, oh tellement de flamboyance. Que tous les ennemis de Brian Jones aillent rôtir en enfer. Anton part en solo en l’honneur de son héros. «Anemone» s’installe dans le lent et le beau. On s’est grillé la cervelle, alors on a le temps de déconner et de laisser couler des accords pour jouer le groove de la ramasse. Voilà encore une pièce fabuleuse de décadence qui tombe vers l’avant - you should have picked me up - elle parle au ralenti, on est dans le break rouge d’un trip avancé, la raison échappe au regard, on ne sait plus où poser le pied, et c’est monstrueux de toxicité.

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             Le disk 2 est encore plus déterminant. Anton prend «That Girl Suicide» au chat perché puis ça part dans les impudeurs, avec des pointes de violence. C’est admirable de fourberie psychédélique. Anton a des idées fantastiques. Il redouble d’inspiration sauvage, avec un solo dégueulasse qui traverses les couches comme le ver la pomme. Heavy psyché avec «Evergreen», somptueux, emmêlé des crayons, rampé plus que rampant, signifiant le fin de l’élégance. Encore un hit fabuleux accroché à la gloire du quotidien avec «In My Life», plombé d’énormité et de riffs gluants. Rien qu’avec ça, il mérite sa couronne de superstar. Son rock est naturellement trashy. Il n’a pas besoin d’en rajouter. Avec «Mary Please», il s’amuse à sonner comme Oasis, dans le descendant et le druggy. C’est fabuleusement écroulé contre le mur, dément, lazy et pas pressé. Doucement. Quand on est défoncé, on y va doucement. Voilà ce que raconte la musique d’Anton Newcombe : le vertige sublime de la défonce. Comme Lou Reed, il en fait de l’art. Mais pas de l’art à la petite semaine. Puissance pure avec «Talk Action Shit», tambourin, sale garage, pur génie. Tout est là. Le rampage. Sourd et terrible. Il peut aussi sonner comme les Byrds si ça lui chante, et il le fait avec «This Is Why You Love Me» et on retombe sur l’un des hits du siècle, «Not If You Were The Last Dandy On Earth», la clameur - and you look good - suivie par une guitare aux abois, rien que la partie de guitare, c’est de la folie douloureuse, un rush d’héro dans le cerveau. Sur ce disk, tout est énorme, comme ce «Feel So Good», avec sa progression démente sur des violons, encore un hit psychédélique, encore une idée qui fait le moine. Anton Newcombe est un géant. Une voix ingénue sur prod sur une violonade à la «Walk On The Wild Side», et un solo suit comme un chien fidèle. Anton reprend la barre, aussi défoncé qu’elle. L’ambiance reste mortellement bonne, on s’habitue - I want to feel so good - à s’en faire péter la cervelle plutôt que la rate. Et puis arrive ce solo-chien malade de distorse. Et ça monte encore. Valencia rappelle que l’idée de Tepid Peppermint Wonderland était de capitaliser sur l’effet Dig!

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             Spacegirl & Other Favorites est le premier album du groupe sorti en 1995. Dès «Crushed», le premier morceau, on plonge dans l’heavy psychout. La caravane s’ébranle à travers les sables verts de Zabriskie, jusqu’à l’horizon où flotte le rond du soleil levant. Mystère des sables et puissance de la résonance, avec des lignes de basse errantes, magnificence crépusculée d’avance. Cette basse caoutchouteuse rôde comme une hyène, alors on l’observe avec l’air neutre qu’il faut toujours afficher, pour ne pas effrayer les hommes de la patrouille. Le souffle du Massacre est tellement puissant que le sable se ride en surface comme la peau d’une vieille pensionnaire de harem. Basse hyène de rêve dont la silhouette court sur l’horizon. On glisse assurément vers les lointaines régions de non-retour. C’est sur cet album que ce trouve «That Girl Suicide», monté comme un standard des Byrds, avec cette même insistance du son sacré. «When I Was Yesterday» est un autre groove à la Masssacre, amené doucement et versé dans des lacs tièdes, en amont des fourches caudines, là où nul humain n’est encore jamais allé, là où la perception atteint les limites de la transversalité, là où l’embellissement devient purement latéral. Mal dégrossi, Spacegirl ne fera que préparer le terrain pour Methodrone. D’ailleurs, ces deux chefs-d’œuvre de space-rock doom que sont «That Suicide Girl» et «Crushed» profiteront des deux voyages.  

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             Methodrone sort dans la foulée. Dès «Wisdom», on assiste à une belle montée en masse des accords sur le front de l’Est. Voilà encore un groove d’une rare puissance. Greg Shaw devait être ravi d’entendre ça. Valencia avoue qu’il est tombé sous le charme du BJM grâce à «She’s Gone» - Ça groove, ça secoue, ça voyage et ça s’entend à l’infini - C’est vrai, le BJM développe un fantastique sens du groove psychédélique qui n’est pas sans rappeler celui des 13th Floor. Pièce de groove éléphantesque, «She’s Gone» commence par traverser les jardins et puis devinez ce qui se passe ensuite ? «She’s Gone» entre dans le magasin de porcelaine, mais comme ce cut est raffiné, il ne casse rien. Il se glisse comme un chat entre les neurones de porcelaine. Anton baptise l’album Methodrone en l’honneur de Peter Kember, c’est-à-dire Sonic Boom, qu’il rencontre en studio à l’époque, ‘Peter, son jar de methadone and his drone band’. Sur le même album se trouve «Hyperventilation» qu’Anton voulait titrer «Iggy Pop Sonic Boom», avec un son qui dit-il est celui de «1969» à vitesse réduite. C’est du pur Spacemen 3, un groove méchant et sournois. Anton chante ça l’œil mauvais, il geint comme un voyou pasolinien qui prépare un mauvais coup, et puis ça explose. Des éclairs zèbrent le background du morceau. Notez enfin que Graham Bonnar de Swervedriver bat le beurre sur cet album. 

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             En 1996 paraissent trois albums : Their Satanic Majesties Second Request, Thank God For The Mental Illness et Take It From The Man. Anton met les bouchées doubles avec un Satanic Majesties rempli à ras bord de grooves infectueux. «All Around You» et «Cold On The Couch» groovent lentement et sûrement. On a là le vrai groove californien, bien huilé sous le soleil ardent et qui ne se nourrit que d’hallucinations. Les drogues sont bien meilleures sous le soleil exactement, comme chacun sait. Avec «Jesus», ils renouent avec le groove du Dandy, beau et dramatique, un peu hanté et légèrement ralenti. Avec un solo en note à note, Anton fabrique l’archétype de la drug-song parabolique, le politiquement druggy parfait. Doomé jusqu’à l’os et sonné au tambourin provençal, «Anemone» se niche sur cet album. Dans cette extraordinaire pièce d’à-propos, Anton veut demander quelque chose à sa copine, mais il ne se souvient plus quoi. Il essaye d’atteindre un objet de la main, mais il ne se souvient plus quel objet ni quelle main. Alors il écoute ce qu’elle dit, mais il ne sait pas de quoi elle parle. On est dans le groove de la vape. Anton raconte qu’il a fait venir un van rempli de gens drogués pour faire les chœurs d’«All Around You».

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             Quand on ouvre le gatefold de Take It From The Man, on tombe sur un petit texte d’Anton : il jure que le fantôme de Brian Jones est venu le trouver dans le studio pour lui demander de faire cet album. Brian lui a aussi demandé d’aller casser la gueule à Keef et à Mick parce qu’ils lui ont piqué son groupe, sa musique, sa fiancée et son blé. En prime, ils l’ont fait buter. Pour enregistrer cet album, Anton étudie les photos des Stones en studio. Il tente de reproduire leur technique de sonorisation des instruments. Il est obsédé par la magie des sixties. L’album est enregistré live. Quelle merveille psyché que ce «Who» rendu sauvage par des youihhh jetés en l’air, et doublé d’un riff incroyablement classieux ! Avec «Caress», on reste au centre du cercle des dolmens sacrés de la tradition écarlate du garage psyché, dans la quadrature du cercle magique Bomp. C’est d’une précieuse véracité. Le génie coule à flots dans les veines d’Anton Newcombe. Il passe au garage sévère avec le morceau titre. Il chante avec du venin plein la bouche et derrière, on entend des chœurs incroyablement défaits, des ouh-yeah incertains, posés au hasard des pulsions libidinales et ça continue pendant le solo d’harmo. Tout aussi garage mais plus ardu, «Monkey Puzzle» prend la gorge. Ils nous saupoudrent tout ça d’un son digne des Byrds. Album idéal pour les ceusses qui sont en manque de fascination. Valencia parle d’énergie atomique. Il compare même l’album au Raw Power des Stooges et aux early Beatles - That youthful hormonr-driven energy - Pour Joel, Take It From The Man est un ‘December’s Children nuts and bolts rhythm & blues sound’.

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             Et voici le troisième BJM de 1996, Thank God For The Mental Illness. C’est bien sûr Joel qu’on voit sur la pochette. L’album renferme un joli clin d’œil à Dylan avec un «13» digne de «Highway 61», bourré de gros gimmicks bloomiques à la sauce Newcombe. Voilà encore une énormité qui vaut le détour. Encore plus dylanesque, lancé à l’harmo des enfers, «Ballad Of Jim Jones» revisite par son épaisseur le mythe du folk-rock dylanesque. Avec ce son grandiose. Anton Newcombe renoue avec l’éclat des sixties compatissantes. Retour au heavy groove avec «Too Crazy To Care» : le regard embué, l’harmo dans la mélasse, le groove titube, il avance d’un pas hésitant en s’appuyant contre le mur. Pure druggy motion. Now next one, lance-t-il d’un ton sec. «Talk Action Shit» arrive. Avec cette jolie pièce de garage californien, violente et malsaine, Anton fait sa carne, alors que claque le tambourin. Anton shoote de la violence dans sa Stonesy. Que peut-on demander de plus au garage ? Rien. Juste sonner comme «Talk Action Shit». C’est pourtant pas compliqué. Thank God For The Mental Illness est d’autant plus admirable qu’on lit ceci sur la pochette : «Enregistré live le 11 juillet 1996 à la maison pour un coût total de 17,36 $. Pas de shit. Si vous n’appréciez pas, pas de pelle non plus pour ramasser le shit.» Anton Newcombe ne fournit pas la pelle à merde. C’est sa façon de vous dire d’aller vous faire cuire un œuf si vous n’aimez pas sa musique.

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             Give It Back parait l’année suivante et s’ouvre sur «Supersonic», un groove psyché de haut vol orientalisant. En s’inspirant des Byrds pour «This Is Why You Love Me», ils pondent un beau hit sixties joliment fileté à la mélodie et arpéggié en moderato cantabilisant. Ah l’excellence de la fragrance ! S’ils riffent si salement «Satellite», c’est pour en faire un coup de Jarnac malsain. Anton Newcombe s’ingénie en permanence à hanter les esprits. Il va là où ne vont pas les autres. C’est un tuteur d’aisance malodorante à la Maldoror. Pourquoi «Satellite» est un vrai hit pop sale ? Parce qu’il traîne des pieds. Et on retombe dans la magie du Last Dandy On Earth, le hit imparable amené à la hurlette de guitare, chanté à l’essoufflement, construit comme une lente montée inexorable qui finit par exploser en pah-pah-pah doublés de chœurs de Sioux - She’s like a sixties movie/ You know what I mean/ And you look so good/ And you look so wasted/ And baby I know why - S’ensuit un autre hit, «Servo», plus pop, dans l’esprit des plus grands hits californiens. On est en plein tournage de Dig! et Ondi Timor filme un Anton sûr de lui. Il sait qu’il a les hits, et il lance : «Move on over Dandy !», mais les Dandy Warhols ne parviendront jamais à ce niveau d’excellence.

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             Quand l’album Strung Out In Heaven est sorti en 1998, on faisait la fine bouche. La presse américaine en vantait les mérites, mais on trouvait l’album un peu mou du genou. Et pourtant, trois ou quatre bombes se nichent sur ce disque. «Going To Hell» est un gros hit psyché qui, bizarrement, ne figure pas sur la rétrospective. C’est un cut flamboyant remué par des explosions d’accords acides sous le soleil - I live in a dream but you’re living in hell - et ça enchaîne avec un solo en note à note, ça coule des cuisses, ça explose à l’horizon, c’est toujours du druggy rock conquérant sans concurrence. Belle intro à la note hurlante pour «Got My Eye On You», bien battu au beat, hommage aux diables dorés de Californie. Anton y va de bon cœur, son groove provoque toujours l’admiration et on entend un mec pianoter à l’envers. Vraiment dingue, comme si les flammes du brasier avaient des yeux bleus. «Love» est une bluesy love song lysergique à la Spiritualized avec un départ de fin de journée compliquée, poussif et lourd, ah non pas envie, péniblement poussé au beat et le morceau se remplit comme la baignoire de la mort. Et puis on a cette pièce de doom californien, «Wisdom», heavy en diable, l’autre hit de l’album, un rock qui descend en longueur et qu’Anton partage avec une fille. Alors ça devient sérieux, car elle amène de la sensualité psyché à cette affaire qui prend une ampleur fantasmagorique particulière. C’est claqué d’accords ralentis qui tombent tous les uns après les autres du haut de la falaise de marbre. Alors Anton reprend la main d’une voix ferme - but he said there’s no way - c’est puissant et dramatique - don’t you kill you - Effarant. Pour lui, c’est pas si compliqué d’effarer. Il pousse le bouchon, comme d’usage et il ramasse au passage toutes les brebis égarées. Sex drugs & rock’n’roll, baby. Dans le book de Valencia, Strung Out est peut-être l’album qui suscite le plus de commentaires. Comme il vient de signer sur TVT, Anton a du blé et sa conso d’héro augmente vertigineusement. La manager Dutcher transpire à grosse gouttes, car l’enregistrement de l’album financé par TVT n’avance pas. Valencia décrit le process laborieux. Les gens de TVT voient Strung Out comme un bon album, mais pas un hit album - It lacked the revved-up energy, attitude and big rock sound - Dutcher attribue cet échec à la pression qu’on mettait sur Anton à l’époque. TVT misait gros et la pression écrasa Anton.

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             Jim Jarmush apparaît sur la pochette de Bravery Repetition & Noise, paru en 2001. Comme Jarmush a choisi «Not The Last Dandy On Earth» pour figurer dans la Bande originale de Broken Flowers, Anton a voulu le remercier en choisissant cette photo pour la pochette de l’album. On y trouve le groove le plus druggy de la troisième dimension : «Open Eye Surgery». On voit rarement des grooves qui ont autant de mal à marcher droit. Celui-là titube. Son pas hésite. Il ne sait pas dans quelle direction aller. Le riff si adroitement joué semble lui aussi en décalage total. Mais le reste de l’album refuse obstinément d’avancer.

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             Pas mal de bonnes choses sur And This Is Our Music, paru en 2002, et notamment «Geezers» qui évoque les Stones de Satanic Majesties : même ambiance, mêmes bouquets de chœurs, tout nous renvoie à cet album maudit. L’ardeur groovy d’Anton Newcombe ne connaît pas de limites. «Here It Comes» est un balladif heavy et ralenti du bulbe. Anton va chercher ses frissons dans la gélatine du paradoxe. Le reste ne l’intéresse pas. C’est un égaré qui adore s’égarer. Une sorte de torpeur règne sur cet album et c’est pour cette raison qu’on le respecte et qu’on l’admire. C’est un pourvoyeur de non-lieux, un fabuleux diseur de non-aventure. «A New Low In Getting High» est digne de Buffalo Springfield. Bon beat, sévèrement embarqué, chant à la ramasse intestine. On retrouve la chaleur du californian hell. Voilà encore une petite merveille de groove dégingandé, parfaitement capable de sauver un album peu soigneux. 

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             Enregistré en Islande, My Bloody Underground commence mal. Anton demande qu’on lui apporte la tête de Paul McCartney. «Bring Me The Head Of Paul McCartney» est encore du psyché à la ramasse, bien pentu et très fumeux. Anton erre parmi les tournesols et les azurs marmoréens. Il coule une belle cascade psyché mirobolante. Retour à la mad psychedelia avec «Infinite Wisdom Tooth», allez les gars, tapez dans le pink du gras. C’est à la fois embarqué et embarquant. Jolie pièce de groove perturbé, avec une sorte de précipitation au niveau de la circulation sanguine, un vrai rush folâtre et brumâtre. On ne sait pas trop quoi penser. Tous les morceaux sont longs sur ce bloody disk, Anton est un mec qui a le temps. Pour lui, rien ne presse, il n’est pas comme les autres, ceux qui sont en prod. Notons au passage que le Mark Gardener de Ride joue sur l’album. Anton est fan du «Drive Blind» de Ride. On trouve aussi sur cet album une belle pièce de piano chopinée et étalée dans le temps : «We Are The Niagara Of The World». Anton tient ses fans par la barbichette. Pour les filles, on ne sait pas par quoi il les tient. Psyché toujours avec «Who Cares Why», vraie apologie des drogues et de la druggy motion, pas loin de l’exotisme hypnotique, bande-son du bon vieux trip, on la reconnaît dès les premières mesures. On entend son cœur battre. Le trip reste certainement l’expérience la plus insolite qu’on puisse faire dans une vie. God comme on adorait ça. La cervelle est faite pour la surchauffe et pour la chimie. Elle s’y prête bien. Anton a tout compris. Garage violent et grosse basse effervescente dans «Golden Frost», monstrueux space-rock à décrocher la lune. Et retour insolent à la Mad Psychedelia avec «Just Like Kicking Jesus», pièce extravagante et énorme, verte et mauve, à la ramasse de la mélasse, univers d’absorption, drug-song évanescente qui te coule dans le cerveau comme la speed-dance des dieux, une mer de bénédiction esquintée au LSD, probablement la plus belle drug-song de tous les temps. Plus la peine de prendre un acide, il suffit juste d’écouter ce cut pour partir au diable Vauvert en compagnie d’Anton le diable vert. Vraiment digne de Spiritualized. Et puis quoi encore ? «Monkey Powder», co-écrit avec Mark Gardener, nouvel univers, invitation au voyage en calèche à travers les Carpathes psychédéliques sous un ciel rouge de sang. Cet album signe le retour aux sources du BJM. Music first, songs later.

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             Paru en 2010, Who Killed Sgt. Pepper? est le premier album berlinois d’Anton. Il s’ouvre sur un tempo jive de zone B bien allumé qui s’appelle «Tempo 116.7 (reaching for dangerous levels of sobriety)», dans l’ambiance d’un studio abandonné des dieux. Pire encore, «Hunger Hnifur» semble chanté depuis le fond du studio. On ne sait pas trop qui joue sur cet album et on s’en fout éperdument. Le bon Samaritain Valencia nous apprend toutefois que Will Carruthers donne un petit coup de main spacemanien sur un «Let’s Go Fucking Mental» qui stagne dans les mêmes eaux que «Hunger Hnifur» : cet heavy jamming met un temps fou à gagner la surface. Anton va chercher des grooves druggy toujours plus exceptionnels. Au moins, il ne fait pas semblant. Let’s go fucking mental, la la la. Et puis on tombe sur «This Is The First Of Your Last Warnings», une espèce de druggy groove arabisant de la médina de la soute du souk à la dérive des derviches dessoudés. On assiste à l’arrivée de grosses notes de basse soutenues par des claquages d’accords acoustiques - eh oh - De la même manière que Jim Dickinson avec les Trashed Romeos, Anton Newcombe sait faire monter une grosse note de basse au moment opportun. On peut aussi qualifier «Super Fucked» de groove hypnotique à la ramasse de la rascasse. Anton chante ça de cette voix pâteuse qu’on dit idéale pour célébrer l’immanence de la décadence. 

             Même s’il est désormais installé à Berlin, le BJM continue de tourner dans le monde entier. Tous les gigs sont sold-out. Mais en 2011, il doit se faire interner suite à un violent épisode schizophrénique. Deux mois d’internement à St Joseph. Il ressort de l’hosto soigné et le crâne rasé. C’est là qu’il décide de se calmer. Il est mentalement et physiquement rincé.

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             Le deuxième album berlinois s’appelle Aufheben et paraît deux ans plus tard. Il choisit ce mot allemand signifiant à la fois détruire et préserver pour en faire un concept philosophique : la société doit détruire pour se construire, et donc se préserver, et il cite l’Allemagne en exemple. Au plan musical, il continue le travail de sape commencé depuis bientôt vingt ans : orientalisme groovitant («Panic In Babylon»), groove de machine à la noix de coco («Gaz Hilarant»), et groove Massacre pur avec «I Want To Hold Your Hand». Anton ne se casse pas la tête. Il groove, comme il sait si bien le faire. On reste en terrain de connaissance. Pas de surprise. Il nous refait le coup du vieux groove détaché du rivage qui part doucement à la dérive, monté sur le même vieux plan d’échappée et chanté à la voix mal réveillée d’une descente de trip. Il opère aussi un beau retour à la Stonesy avec «Stairway To The Party In The Universe» : on y entend poindre le thème de «Paint It Black», mais d’une manière fabuleusement subtile. Pas de gros sabots chez Anton Newcombe. C’est là où il se distingue. Il suggère. Dans «Seven Kinds Of Wonderful», on entend chanter des femmes de l’Irak antique. Quelle étonnante foison d’exotisme psyché ! Le joli groove de «Waking Up To Hand Grenades» se met en route pour le bonheur des petits et des plus grands. Il semble qu’Anton Newcombe soit entré dans un univers de rêveries hermétiques dignes de Paracelse.

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             Revelation sort en 2014, sous une pochette ornée d’un joli photo-montage psychédélique. Encore un double album. Anton ne lésine pas. Il veut que ses fans aient des beaux objets dans les pattes, alors il fait travailler des artisans sérieux. Sur ce nouvel album, on trouve pas mal de bonnes choses, et notamment «What You Isn’t», bien poundé, bien marqué en termes de territoire. Anton nous fait le coup de la pop qui prend son l’envol. Alors attention. C’est un hit. Un de plus. Oh, il n’est plus à ça près. On entend rôder une belle ligne de basse. Elle descend et elle remonte. On appelle ça une bassline de rêve. On entend les mêmes chez Baby Woodrose ou The Bevis Frond. Un hasard ? Mais non, il n’y a pas de hasard, Balthazar. Tous ces gens-là sont passés maîtres dans l’art de faire du bon psyché et des disques parfaits. Rien à voir avec les Black Angels et autres pompeurs de 13th Floor Elevators. Anton Newcombe vit le rock psyché de l’intérieur depuis plus de vingt ans, et après autant de bons disques, il n’a vraiment plus rien à prouver. La seule chose qui l’intéresse, hormis Brian Jones, c’est l’art suprême du groove. C’est ce que montre cette grosse basse lourde qui voyage dans le fond du cut. Bien sûr, il faut en plus un thème musical lancinant, comme c’est ici le cas. Ce groove est tellement bien foutu qu’on souhaiterait qu’il se déroule à l’infini et qu’il ne s’arrête jamais. «Memory Camp» est aussi une pièce de groove à la ramasse de la rascasse. Anton travaille ses beaux thèmes au doigt. Il gratte ses notes de bas en haut, contrairement à ce que font tous les autres guitaristes, qui grattent du haut vers le bas. Il est passé maître dans l’art d’inverser. Il continue d’explorer les arcanes de l’âtre suprême, celui qui ronfle en la demeure, avec des pointes de pâleur dans l’éclat des flammes. Ce Grand Œuvre psyché-philosophal n’appartient qu’à lui. Il est le maître des châteaux d’Espagne, riche comme mille Crésus et perclus de magies indolentes. Il revient au dandysme pour «Fool For Clouds». C’est de bonne guerre. Quand on dispose d’un si beau thème, autant en profiter et l’utiliser dans d’autres variations. Et puis il conclut son affaire avec un nouveau clin d’œil magistral aux Stones : «Goodbye (Buterfly)». Anton Newcombe manie une fois de plus l’excellence avec brio. Pendant que ses copains envoient les chœurs de «Sympathy For The Devil», il envisage de mourir, mais il risque de continuer à vivre pour l’éternité, comme son cousin Dracula. Son adieu aux armes est d’une classe terrifiante.  

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             En 2016, le BJM entre en studio pour des sessions qui vont donner deux albums, Third World Pyramid et Don’t Get Lost. Une véritable merveille de groove psyché se niche sur Pyramid : «Governement Beard». Back to the big sound, baby, le jingle jangle californien atrocement bien foutu, monté sur le sempiternel drive de basse. Tout l’art d’Anton est de savoir faire sonner un cut sixties aujourd’hui, et ça marche, bien au-delà des expectitudes. Et ça continue avec l’heavy grooves de «Don’t Get Lost», puis celui d’«Assigment Song Sequence». Druggy foggy motion. Encore un album de rêve ! En B, on tombe sur «Oh Brother», un instro groovy doucettement doucéreux et plutôt envoûtant. On apprécie pleinement cette compagnie. Anton Newcombe dégage tellement d’épaisseur humaine ! Une fille fait sa Hope Sandoval sur le morceau titre, petite merveille de groove d’anticipation fictionnelle. «The Sun Ship» referme la marche en sonnant comme le White Satin des Moody Blues, sans doute à cause de la flûte. Vieux relent d’ambiance familière. Comme c’est curieux...

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             On pourrait discourir à l’infinie de l’incontinence des critiques : dans l’un de ces fameux canards de rock, un critique avisé s’autorise à démolir le nouvel album d’Anton Newcome, Don’t Get Lost, sous prétexte de non-renouvellement ou d’on ne sait quoi. On a presque envie de dire à ce malheureux : «Tiens mon gars, voilà une guitare, montre-nous ce que tu sais faire.» Ce genre de mec est dangereux, car certains lecteurs n’achèteront pas l’album et passeront à côté d’un classique. Le pire dans cette histoire, c’est que ce nouvel album du BJM est fabuleux. Quand on suit Anton Newcombe à la trace depuis l’époque Bomp!, on s’épate de le voir encore capable de créer de la magie psychout. Tiens, d’ailleurs, il démarre ce double album avec «Open Minds Now Close», un groove atmosphérique impérial, monté sur le typical BJM beat. Le BJM renoue avec l’inconsolable méprise d’assise majeure. Et ça continue avec «Melody’s Actuel Echo Chamber», monté sur un beat du même acabeat. Wow the bass vibrations ! Paracelse Newcombe a percé tous les secrets de l’alchimie du son, alors bienvenue au paradis ! On connaissait le Keith Hudson Dub. Il faut désormais compter avec l’Anton Newcombe Dub, baby. Il finit cette face chargée avec «Resist Much Obey Little». Anton Newcombe crée l’événement en permanence. Il tape encore une fois dans le registre d’une belle pop hypno. L’heavy «Groove Is In The Heart» ouvre la B des anges. Une fille rejoint l’Anton qui se fend d’un solo déboîté du cartilage. Il passe au groove suspensif pour «One Slow Breath». Il navigue dans les eaux d’un «Murder Mystery» de type Velvet, mais rongé de résonances de bassmatic. Comme ce disque est fascinant ! Tiens, il termine sa B avec «Throbbing Gristle» et opère un superbe retour à l’hypno. Anton Newcombe reste le grand maître du groove. On sent des relents de Satanic Majestic planer dans ce cut, quelque chose d’implacable et d’ancien, au sens lovecraftien du terme, des rumeurs qui remontent comme des remugles d’antiques canalisations. Quelle puissance ténébreuse ! Anton serait-il un démon échappé d’un bréviaire ? Oh attendez, ce n’est pas fini ! Voilà qu’en C, il remet son bassmatic en avant du mix dans «Fact 67». Le sorcier du son se met à l’œuvre. Son cut est rempli à ras bord de good vibes. Et en D, il passe au groove urbain avec «Geldenes Heaz Menz», mais pas n’importe quel groove urbain : il se paye le luxe d’une ambiance à la Bernard Hermann, avec un taxi jaune qui glisse dans la nuit berlinoise. Fabuleux clin d’œil ! Même avec un brin de techno, ça passe comme une lettre à la poste. La preuve ? «Acid 2 Me is No Worse Than War». Anton Newcombe est un chef de meute, une rock star fondamentale, il ramène même l’Orient des portes d’Orion dans son orbite groovytale. Il passe à l’heavy rock pour «Nothing New To Trash Like You». C’est aussi sérieux qu’un hit, car monté à l’hypno et réhaussé au psychout. Anton Newcombe reste l’un des plus grands explorateurs d’univers soniques de notre époque.

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             Something Else paraît en 2018. Pour rien au monde, on ne voudrait rater un cut aussi parfait qu’«Hold That Thought». Ce qui frappe le plus, c’est la spectaculaire épaisseur du son. Anton Newcombe chante à la traînasserie de la Reine Pédauque, son cut sonne comme une évidence, c’est un hit, monté sur l’ultra-présence du bassmatic. Autre cut de bassman : «Skin & Bones». Anton joue des figures psychédéliques en surface, mais diable comme la basse gronde bien en dessous. C’est même une imprescriptible sarabande de miséricordes graves. Génie à l’état le plus pur ! On voit de nos yeux horrifiés la basse dévorer le son vivant. Il fait aussi sonner son «Animal Wisdom» comme du jingle-jangle monté sur un heavy groove délibéré. On retrouve ici cette capiteuse essence de psychedelia californienne à laquelle les premiers albums du BJM nous accoutumèrent. Anton insuffle sa vieille énergie dans «Psychic Lips» et libère un fantastique brouet de figures libres à la surface du pudding. L’Anton excelle de bout en bout, il se fond en permanence dans une fantastique résurgence. En B, on tombe sur l’excellent «Fragmentation» qu’il chante avec un détachement scandaleux, il ne fait aucun effort pour plaire, il s’éloigne toujours plus des contingences. Il termine cet album profondément jonestownien avec un «Silent Dream» qui sonne exactement comme l’«All Tomorrows’ Parties» du Velvet. Glacial, même ambiance, même mélodie, même sorcellerie. Sans doute ne l’a-t-il pas fait exprès. Exprès ou pas exprès, ça n’a strictement aucune importance.

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             2019 voit paraître un album titré The Brian Jonestown Massacre. Album magique ! Dès «Drained», on reconnaît le son à l’ancienne du BJM, cette belle basse dans le mix, juste sous la surface. C’est tout de suite de l’heavy stuff, car ça sonne comme un groove prédestiné. Le rock d’Anton Newcombe a toujours eu une dimension tragique, très littéraire, une profondeur de champ que n’ont pas forcément les autres groovers. Il joue dans l’état profond du son. Il joue dans l’épaisseur de la coalition. On reste dans l’heavy stuff psychédélique à la Newcombe avec «My Mind Is Filled With Stuff». On a là un tempo lourd visité par le vent léger d’un solo de guitare éthéré. «Cannot Be Saved» s’enfonce encore dans l’heavyness psychologique. Anton Newcombe est sans doute l’un des derniers à pouvoir sonner ainsi. Avec «A Word», le groove vole si bas qu’il flatte les fondements de la morale. Anton Newcombe est devenu un shaman berlinois. En B, il profite de ce long balladif qu’est «We Never Had A Chance» pour passer un beau solo à l’éthérée, parfaitement libre dans le ciel mauve de sa jeunesse enfuie. «Remember Me This» nous renvoie directement aux premiers albums du BJM. Même son bien tendu et bien dense, admirable cohérence de la prestance. Anton est à la fête et le psyché aussi. On a là tout le son dont on peut rêver, à la fois moderne et ancien. Il termine avec un «What Can I Say» qui se situe dans la veine des heavy grooves de l’Anton d’antan, à la fois calibré, balancé et solide, taillé pour l’éternité, chanté à l’extrême plaintive de vétéran de toutes les guerres salutaires. Wow !

    Signé : Cazengler, Newcon tout court

    Brian Jonestown Massacre. Spacegirl & Other Favorites. Candy Floss 1995

    Brian Jonestown Massacre. Methodrone. Bomp 1995    

    Brian Jonestown Massacre. Their Satanic Majesties Second Request. Tangible 1996

    Brian Jonestown Massacre. Take It From The Man. Bomp 1996

    Brian Jonestown Massacre. Thank God For Mental Illness. Bomp 1997

    Brian Jonestown Massacre. Give It Back. Bomp 1997

    Brian Jonestown Massacre. Strung Out In Heaven. TVT Records 1998

    Brian Jonestown Massacre. Bravery Repetition & Noise. Commettee To Keep Music Evil 2001

    Brian Jonestown Massacre. And This Is Our Music. Tee Pee Records 2002

    Brian Jonestown Massacre. My Bloody Underground. A Records 2007

    Brian Jonestown Massacre. Who Killed Sgt. Pepper? A Records 2010

    Brian Jonestown Massacre. Aufheben. A Records 2012

    Brian Jonestown Massacre. Revelation. A Records 2014

    Brian Jonestown Massacre. Tepid Peppermint Wonderland : A Retrospective. Tee Pee Records 2004

    Brian Jonestown Massacre. Third World Pyramyd. A Records 2016

    Brian Jonestown Massacre. Don’t Get Lost. A Records 2017

    Brian Jonestown Massacre. Something Else. A Records 2018

    Brian Jonestown Massacre. The Brian Jonestown Massacre. A Records 2019

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    Jesse Valencia. Keep Music Evil. The Brian Jonestown Massacre Story. Jawbone Press 2019

     

    *

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             Un morceau inédit de Thumos. Qui nécessite quelques explications. Thumos défend la cause animale. Il abandonne volontiers les droits d’un morceau pour soulager la souffrance animale. Il s’agit pour cette fois d’une compilation numérique de cinquante-deux morceaux de différents artistes à tonalités metalliques, concoctée par Fiadh Production, label New-Yorkais produit en l’honneur  de la Journée dédiée aux droits des animaux. L’intégralité des fonds récoltés seront versés au Fawns Fortress Animals Sanctuary situé dans le New Jersey. Refuge qui recueille les chiens de grande taille qui ont besoin d’abri et de bien-être.

             Le morceau de Thumos intitulé Charmides se trouve donc sur la compilation From The Plough… To The Stars.

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             Le quatre juillet 2025 sortira le prochain CD de Thumos intitulé The Trial de Socrates. La date n’est pas choisie au hasard. Le quatre juillet 2022, Thumos avait fait paraîtra The Curse of Empire, réflexion musicale sur la naissance et la chute des empires tout en remarquant que le futur de Etats-Unis qui se profilait à l’horizon les inquiétait quelque peu. L’intention de cette date symbolique de la parution de The Trial de Socrates (Le procès de Socrates) nous semble s’inscrire dans une même crainte quant à la trajectoire politique adoptée par leur pays.

             The Trial de Socrates, nous le chroniquerons lors de sa parution, est composé de seize titres, qui sont autant de titres de dialogues de Platon. Charmides est une piste ‘’ unrealeased’’ issue des sessions d’enregistrement de ce Procès de Socrate. Très logiquement le lecteur aura reconnu que Charmides est aussi le titre d’un dialogue de Platon.

             Ce n’est peut-être pas un hasard si ce dialogue a été écarté de la sélection finale de l’œuvre de Thumos. Les deux CD remplis à ras-bord ne pouvaient peut-être pas accueillir une piste de plus. Si ce fut le cas la question reste entière : pourquoi est-ce spécialement ce dialogue qui a été omis et pas un autre…

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    Le Charmide est une œuvre de jeunesse de Platon, notre philosophe n’avait pas encore acquis sa merveilleuse maturité. Toutefois l’on conçoit qu’un dialogue qui tente de répondre à la question qu’est-ce que la sagesse ? ait pu être utilisé par Thumos comme élément  en faveur de Socrate pour cette espèce de contre-procès posthume par lequel le groupe tente de laver des accusations portées contre le maître de Platon.

    Toutefois le procès intenté contre Socrate n’est pas un procès philosophique ou pour employer un terme davantage moderne un procès purement idéologique. C’est avant tout un procès politique, pour être plus précis : de vengeance politique.

    Charmide et son oncle Critias sont les principaux interlocuteurs qui répondent au questionnement de Socrate. Or la mère de Platon est la sœur de Charmide et la cousine de Critias. Charmide est donc l’oncle de Platon mais aussi le neveu de Critias (2) auquel il est apparenté par son grand-père qui s’appelait aussi Critias(1)

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    Critias

    Charmide, Critias, et Platon auront à des époques diverses été élèves de Socrate. Pour leur part Charmide et Critias feront aussi partie des trente     tyrans qui durant deux ans exerceront ce que pour faire vite nous appellerons une tyrannie au cours de laquelle ils décideront de détenir les rênes du pouvoir en ne  reculant devant aucune condamnation à mort et diverses exactions… Le parti démocrate ennemi des aristocrates accuseront Socrate d’avoir corrompu la jeunesse, surtout celle de Critias et de Charmide… Tous deux finiront par être tués lors d’une rixe entre rivaux politiques…

    Que dans son dialogue Platon fasse demander  par l’entremise de Socrate à Charmide puis à Critias de définir la sagesse, est pour lui une manière de démontrer que Socrate enseignait la sagesse à ses élèves, et d’un autre côté que malgré leurs passifs politiques Critias et Charmide n’étaient pas insensibles au problème de la sagesse qui selon Socrate consiste à savoir séparer le bien et le mal…

    Le problème, c’est que dans ce dialogue Charmide et Critias ne répondent pas par des inepties à Socrate et que sur la fin Socrate gagne la partie en utilisant des thèses avancées par ses deux interlocuteurs qu’il avait en premier temps juger nulles et non advenues. Le sage Socrate se comporte comme un vulgaire sophiste !

    Peut-être touchons-nous là à la raison pour laquelle Thumos n’a pas retenu leur évocation du Charmides de Platon.

    Charmides : Difficile de commenter ce morceau sans avoir entendu le reste de l’album afin de le situer dans la ligne d’avancée circonstancielle de l’album. L’impact sonore, cette ouverture battériale suscite l’idée de quelque chose de grave. Il est sûr que de s’interroger sur la nature de la sagesse induit le désir que cette réflexion aide à définir notre comportement, en d’autres termes selon nous-mêmes certes, mais surtout vis-à-vis des autres, de l’entière collectivité humaine que constitue la Cité. En sous-main est posée une question cruciale : comment gouverner la République d’une manière sage. L’enjeu est de taille car l’Etat doit agir selon le juste. Il semble que le riff initial ne progresse pas. Il avance, mais c’est comme s’il se perdait dans la propre répétition de sa recherche. Peu d’anicroches, aucune anfractuosité dialectique, au contraire à l’orée de son troisième tiers le morceau semble s’éterniser dans l’inanité non plus d’une parturience en acte mais dans une conversation un tantinet oiseuse qui ne progresse pas. La fin est brutale, comme si Socrate clôturait au plus vite, ayant compris que le dialogue est mal parti, mal abouti, et que parfois lorsque l’on est sur une mauvaise piste il est préférable d’arrêter les frais. Inutile d’accoucher d’un enfant mort-né. Un coup pour rien.

    Damie Chad.

     

    *

    Je l’avoue, c’est plus fort que moi, j’aime les tordus. Ce n’est peut-être pas plus grave qu’on ne le pense, mais soyons francs, peut-être êtes-vous porteurs de tares beaucoup plus profondes que les miennes. Non, ce n’est pas sûr, coupons la poire en deux, ça se discute. Mais le titre de cet album avec ses ‘’ torn roots’ m’a poussé à ma pencher sur ce cas qui m’a paru tout de même assez tourmenté. Je n’ai pas été déçu.

    BROKEN BRANCHES AND TORN ROOTS

    LOATHFINDER

    ( Gods ov War Productions / 30 - 05 - 2025)

    Taisent sur Bandcamp leur pays d’origine. En farfouillant sur leur FB vous découvrez sans trop de peine qu’ils sont polonais. Je ne sais pas pourquoi – en fait je le sais mais ne donnerai aucune explication à cette attirance – je tombe souvent sur des groupes originaires de Pologne.

    Je n’ai lu le titre qu’après avoir été happé par la pochette. L’artwork de Mirella Jaworska m’a interpellé. J’ai senti une artiste. Jeune encore, vingt-quatre ans et déjà un style que j’ai situé entre les icônes russes et Balthus.  La forte troublance de ses nus relève d’une peinture que je qualifierais de métaphysique. Le nom de Balthus évoque immédiatement Rainer Maria Rilke - suivez la piste des Lettres françaises à Merline de 1919 à 2922. Dans ses portraits Mirella Jaworska vise la transcription non pas du sujet représenté mais la survenue de la personne en tant que masque d’elle-même, Une œuvre qui se livre par les interstices séparatifs invisibles qui unit la présence à une autre réalité. Je ne vous renvoie pas à son Instagram, recueillez-vous et inclinez-vous.

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    A première vue, j’ai pensé à la dernière scène de 2001 Odyssée de l’Espace, la cohabitation entre le fœtus et la mort, entre l’origine et l’accomplissement.

    Pour les noms, le groupe, se cache derrière des chiffres. Sortez votre règle à calcul et engagez-vous dans la résolution de cette étrange non-équation afin de rentrer en adéquation avec vous-même.  Selon une transcription numérologique. Cela va de soi.

    XVIII :  vocals & lyrics  / IX : guitars / XI : Bass  / XIX / Drums.

    Grey Pilmigrage : Etrange morceau. D’ailleurs est-ce vraiment un morceau Ne serait-ce pas plutôt une profération. Certes il y a de la musique, grinceuse et grinçante, mais il est nécessaire de ne pas la considérer comme de la musique mais comme un accompagnement. C’est rugueux comme des pieds-nus qui se confrontent aux cailloux tranchants du chemin. Le titre ne nous l’indique-t-il pas, n’est-ce pas un pèlerinage, en route vers la chapelle périlleuse. Mais pourquoi celui-ci serait-il gris. Les pénitents ne portent pas ce costume médiéval. Ce sont leurs âmes qui sont grises. La scène se passe à notre époque. Ils le précisent, dans le présent immédiat, la chute de tous nos idéaux, la tiède pâleur de nos imaginations, nous sommes déjà loin de la valeur que l’on donnait à toutes choses, le vocal se transforme en ultime grognement de groin de cochon qui fouille en vain la terre à la recherche de la moindre nourriture, nous sommes à la fin, inutile de presser le pas, il est temps de reconnaître que nous sommes au bout de l’impasse. Peut-être faudrait opérer cette espèce de hara-kiri dorsal comme sur la pochette. Constat glacial. Cul-de-sac de notre

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    humanité. Difference : oui c’est différent, à la marche lourde et impavide succède une tornade, normal, acculés comme nous le sommes nous devons trouver une issue. Ne s’agit de jeter des plans sur le programme d’une prochaine humanité. Le dernier recours, la seule exit qui se présente est celle de notre humanité. Une métamorphose alchimique à l’intérieur de notre corps. Trouver la tangente, aspirer à cette spirale opérative qui nous permettra de ne plus être nous, de déboucher en un autre état d’être. Ne visons pas les étoiles imaginatives, soyons charnel, de plus en plus charnel, il suffit de s’insinuer en soi, d’exercer de violentes pressions ou de subtiles exactions, trouver un chemin entre nos organes, entre nos tissus, œuvrer dans l’infiniment petit, ce n'est pas notre petite personne que nous devons quitter, nous ne devons pas muer comme les serpents, abandonner une vieille peau pour une toute neuve, mais devenir serpents, que l’espèce humaine devienne une espèce animale, tel est notre but, une fois que nous serons un animal nous nous accouplerons et nous nous reproduirons comme des bêtes. Peel it of me : changer n’empêche pas de penser, il faut d’abord gérer le mouvement, ce n’est pas facile, le chant solitaire se multiplie, vitesse maximale, il faut marcher au pas de course, tous ensemble, tous ensemble, à la réflexion changeons-nous vraiment, la chair animale n’est-elle pas voisine de celle de l’animal humain, cette proximale consanguinité, n’entraîne-t-elle pas un même comportement qui se résoudra par l’arrivée en un nouveau cul-de-sac, faut-il continuer ce processus hautement mutilatoire quand on y pense, urgence ! urgence ! le vocal s’enflamme, la musique se déchaîne, ne sommes-nous pas enfermés dans une nouvelle folie qui n’est que de la commune démence humaine. Quand nous serons tous des bêtes deviendrons-nous les prédateurs que nous avons toujours été, ou serons-nous victimes de prédateurs supérieurs… Le doute destructeur s’empare de mon esprit. Les valeurs dont tu te réclames ont-elles un jour rapporté quelque chose, ne t’ont-elles pas jeté dans l’impasse dont tu essaies de t’extirper sans savoir à quoi tu t’engages… la mort ne sera-t-elle pas au bout de chemin, pareillement à ton état antérieur. Dead dogs : musique terreuse inéluctable, hurlements, confrontation avec la mort qui n’est autre que nous-mêmes, que nous soyons humain ou animal. Et si j’étais un chien comment agirais-je, mordrais-je la main du maître comme je peux mordre mon semblable ou ma femelle. Que serait ma chair de chien. Quel serait mon désir de chien. Serait-il inhumain. Ressentirais-je seulement mon désir de chien. Ne me manquerait-il pas le souffle canin. Pire encore, que feront ceux qui ne parviendront pas à se transformer en chien, ne donneraient-ils pas la chasse à tous les chiens. Est-ce pour cela qu’il y a tant de chiens morts autour de moi, ou alors peut-être que les hommes transformés en chiens ne peuvent vivre, étouffés de l’intérieur dans ce corps de chien qu’ils habitent mais dans lequel ils ne peuvent insuffler l’âme originelle de l’animal qu’ils sont devenus mais qu’ils ne sont pas, car originellement ce sont des hommes. Above the water : quelques grincements, le tourment sonore revient-il dans ma tête, il tourne dans ma caboche de cabot comme une fronde qui ne lâche pas son caillou. Il suffit de passer la ligne. Marx ne dit-il pas que l’homme a connu le goût de la pomme en la goûtant, n’est-ce point pareil, personne, aucune bête, ne connaîtra le goût du sang humain tant qu’elle n’aura pas mordu l’homme. Mais si je mords l’homme, ne suis-je pas en train de mordre le maître que j’étais, quel charivari dans ma tête d’homme ou de chien, je ne sais plus, compressage neuronal maximal, démesure de la folie et exaltation de la morsure de ce sang chaud que je bois avec avidité, ne me suis-je pas accompli charnellement en goûtant à cette transsubstantiation canine. Avez-vous déjà entendu un vocal qui ressemble tant aux aboiements d’une meute de chiens. Flies know first : bourdonnements monstrueux, les mouches sont dépositaires de la connaissance ultime, ne sont-elles les premières à se poser, amplitude de l’essaim des guitares, sur les cadavres, elles connaissent la fin de l’histoire tellement évidente qu’il n’est nul besoin de savoir le début, puisqu’elles ont toutes la même fin. L’homme se croit le supérieur inconnu, il n’est qu’un handicapé de la chaîne animale, sa carcasse est vouée à devenir le trône des mouches. Ne sont-elles pas au plus près de sa chair. Davantage que n’importe quelle femelle, ne pondent-elles pas leurs yeux à l’intérieur de sa peau, ne sont-elles pas les pourvoyeuses des larves qui le dévoreront, qu’ils soient simples chiens ou humains supérieurs ! La roue des existences tourne mais elle revient et s’arrête au même point. Moment d’alanguissement, de découragement, il n’est pas d’autre solution, pas de troisième voie entre la mort d’un chien ou la vie d’un homme. Ou vice-versa. Vous comprenez maintenant pourquoi après le constat d’une telle ultimité le vocal devient d’une violence extrême. En toute vanité. Broken branches and torn roots : accords tordus, exprès pour vous faire comprendre que vous arrivez au bout de chemin, non vous n’êtes pas encore morts, mais cela viendra. Inutile de chercher à vous déguiser en chien ou en autre chose pour échapper à votre sort funeste. Le vocal ne hurle pas, il est grave, c’est celui de l’acceptation, au cas où vous ne comprendriez pas, il commence à vous crier dessus, est-ce pour couvrir votre angoisse ou la sienne, peu importe, la situation est pourrie, elle ressemble à un arbre aux branches brisées dont on aurait arraché les racines, contente-toi de ce que tu as, de ce corps qui s’offre à toi et qui se pâme de toi comme toi tu te t’apothéoses dans cette chair complice. Ne cherche pas ailleurs. Que trouveras-tu de plus ? Rien de plus.

             Une réflexion métaphysique originale. L’on y reconnaît tout de même tout un soubassement biblique à la différence près que Dieu n’est pas prévu au programme. Les textes sont aussi beaux que la musique est violente.

             Une réussite. Sans commune mesure.

    Damie Chad.

     

    *

             Certains achètent des disques sur listes. Parmi eux, les plus enragés flashent sur le nom des groupes. Ainsi quand ils repèrent la mention  2Sisters leur esprit fantasmatique se met en branle. Ils se voient déjà entre Emina et Zibeddé dans Le Manuscrit Trouvé à Saragosse de Jean Potocki. Ecrivain polonais né en 1762, mort en 1815. Ils arrachent le paquet des mains du facteur, déchirent l’enveloppe et poussent un terrible cri d’insatisfaction, sur la couverture du disque, il n’y a pas deux filles, mais un homme et une fille. La moitié de leur rêve se brise. Illico ils envisagent-de mettre fin à leur existence en se tirant une balle de pistolet dans la tête.

             Heureusement avant de presser la détente ils jettent un coup d’œil de mépris sur ce couple inattendu et abhorré. In extremis un sourire se dessine sur leurs lèvres. Car que fomente notre tandem d’amoureux, certes un individu de sexe féminin et l’autre de sexe, hélas, masculin, mais détail d’importance il appert qu’ils sont en train de partager une tasse de café. Du coup ils ne ressentent plus d’animosité envers la pochette de l’album. 

             Lecteurs n’en déduisez pas trop vite qu’eux aussi aiment le café. Non, ils pensent seulement qu’ils ont failli commettre un geste éminemment Potockiste. Jean Potocki a passé la dernière année de sa vie à limer soigneusement le bouchon supérieur du couvercle de sa cafetière métallique, des historiens assurent qu’il s’agissait d’une théière, qu’il a pris soin de délicatement séparer du reste de l’ustensile. Au bout d’une longue année de travail assidu, ayant jugé que la bille parfaite qu’il avait obtenue pouvait parfaitement glisser dans le canon de son pistolet. Il s’est froidement tiré un coup de pistolet dans la cervelle.

             Je vous ai raconté cette histoire pour vous prévenir qu’un semblable coup de foudre démantibulera votre propre cerveau si vous vous apprêtez à écouter :

    SHE LIKES MONSTERS

    TWO SISTERS

    (M&O Music / Cd : 01 / 2025Vinyl : 05 / 2025)

             Donc la couve. Un peu Tea for Two. Et plus si affinité. Dans le style glamour années cinquante. La photo prend tout son sens quand on écoute le disque, toute la différence entre l’image policée extérieure et la bestialité qui rugit au fond de l’être humain.

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    Marchand Sébastien : basse / Miquel Nicolas : guitar / Azzam Charbel  : drums / Chazeau André : chant.

    Go ! Go ! : go!ûtez les trois premières secondes, si vous aimez les histoires de petite princesse parce qu’après c’est parti, ils envoient la purée dans la passoire de vos oreilles, les guitares déferlent, la batterie casse la baraque, et le vocal matraque, ensuite ils vous font le coup, pas du tout doux, ils s’amusent à s’arrêter brutalement, ce qui a l’air d’énerver le Chazz au chant, du coup les autres remettent le couvert, et vous assistez à l’écroulement de la Tour de Pise du côté par où elle penchait, la fin est superbe. Ces quatre gars maîtrisent l’énergie punk. Mais ce n’est pas fini. Vous avez la suite des aventures de la petite princesse. Death : tiens un nouveau disque de Presley, moi qui croyais qu’il était death, c’est dif de le croire, d’ailleurs ça dégénère en rockabilly déjanté, un psychobilly débilitant qui vous pousse à marcher sur le plafond de la salle-à-manger, non de Zeus à quoi qu’ils jouent, ils maîtrisent aussi le bon good old rock’n’roll. Normal il n’est jamais mort. She likes monsters : je ne sais si c’est vraiment la petite princesse du début qui aime les monstres, par contre le morceau en lui-même est carrément monstrueux, c’est à cause du dégel du permafrost, le fantôme du rock’n’roll des années 70 assoiffé et dégoulinant  de sang  reprend son œuvre destructrice des valeurs nauséabondes du vieux monde. Your song : je ne voudrais pas dire mais le Charbel n’arrête pas de foutre le bordel depuis le début, carrément insupportable, manie ses baguettes sur les drums comme s’il s’amusait à esclaffer des agrumes avec des grumes  de séquoias, à toutes fins utiles je signale que la fin du morceau est totalement dévastatrice, remarquez c’est une de leurs habitudes, vous déposent toujours une bombe atomique à la place de la cerise sur le gâteau. Ce chacal de Chazeau est particulièrement dangereux, chaque fois qu’il ouvre la bouche il allume un incendie. Quant à la guitare de Micky elle part à vrille, toujours au moment où on ne l’attend pas, genre je descends les pentes de l’Annapurna en skate. Bref, cette song est pour les rockers. Ske’s on hell of a lover :

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    Dessin : Sylvain Cnudde

    on retrouve notre princesse en galante compagnie, si vous ne comprenez pas, le Chazz vous commente le film à haute voix, le Micky vous mousse une escapade guitarite gratuite, on ne lui demandait rien et il vous sert le dessert d’une fulgurance soloïque. Vous croyez que vous allez vous en tirer sans trop de mal, pas de chance, c’est Seb, celui qui depuis le début vous fait ses coups basse en douce qui vous déboule une espèce de reptation épileptique qui vous pétrifie sur place. Hélas Charbel remet une pièce dans le jukebox et Charbel éructe comme une chamelle qui baraque. Shake Shake : au début vous vous dites, ils se reposent, ils vous refilent un truc comme il y en a toujours un bien-planplan-la-balance-monotone  dans tous les bons disques de rock’n’roll. Ben non, ces gars sont des inventifs, z’ont de l’imagination à revendre, c’est pour cela qu’ils vous signent un shake, en blanc et en couleur.  Toutes les dix secondes ils vous pondent patatrac un œuf de pâque. Mais où vont-ils dénicher leurs inventions. Burn : là vous hésitez, vous compulsez les encyclopédies, chaud brûlant dans vos neurones, quels sont les pourcentages exacts des ingrédients de ce tumulte, oui c’est du rock ‘n’roll, mais c’est tout autant du rhythm’n’blues. En tout cas un mix drôlement bien foutu. Les lecteurs sont assez grands pour décider par eux-mêmes. Moi j’écoute. Ce Burn vous file les burnes. Hammer : avec un tel titre vous vous attendez à un festival batterial, certes mais aucun des quatre ne veut laisser l’autre tirer les marrons du feu, prenons de la hauteur, ils jouent bien, mais ce n’est pas ce qui fait leur originalité. Si j’étais dans un groupe, je serais jaloux, je séquencerais les morceaux puis je scruterais comment ils agencent leurs séquences, comment les plans se suivent et ne se ressemblent jamais, mais le pire c’est qu’ils s’assemblent à merveille. Frunk bop a lula : attention les gars, chez Kr’tnt ! on est des fans de Gene Vincent, ils tapent dans l’alternatif, le frunk est-il du punk de traviole, retrouvent l’esprit de Dactylo Rock des Chaussettes Noires, z’ont tout compris, ou alors c’est l’instinct qui les guide. Ils s’en tirent comme des chefs… d’œuvre. That’s the way : au début je pensais qu’ils étaient partis pour un instrumental, mais quand on a un bon chanteur autant le faire bosser, de toutes les façons ils ont l’art et la manière. Les rayonnages de la bibliothèque sont remplis de bibelots. Une véritable ménagerie de verre. Made in Tennessee. Clinquant et incassable. They feel all rigth. Nous aussi. Walker : dernier morceau. Ils se lâchent. Les précédents stagnaient au-dessus de deux minutes. Ils doublent la mise. Ne pariez pas, ils sont les maîtres de la banque. Vous allez perdre. Ecoutez plutôt les pas qui s’éloignent et se perdent dans la nuit noire du rock’n’roll. N’oubliez pas le retour.

             Exceptionnel.

     

    *

             Je n’ai pas pu résister. Je comptais continuer avec des images. Mais j’ai trop parlé dans le précédent épisode des enregistrements de Gene Vincent recherchés et retrouvés par David Dennard pour ne pas les réécouter. Attention ce qui suit est FOR FANS ONLY !

    THE LOST DALLAS SESSIONS

    GENE  VINCENT

    AND HIS BLUE CAPS

    1957 - 58

    (Legends Of Big ‘’D’’ Jamboree  Series)

    (Roller Coaster Record1998)

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    My love : (In Love again) : une véritable démo. Gene seul, sans doute est-ce lui-même qui s’accompagne à  l’acoustique. La voix est d’une pureté infinie, l’on en oublie le diddley beat qui sera nettement plus marqué sur la version enregistrée à la Capitol Tower le 16 octobre 1958 et sera publiée sur le 33 tours Sounds like Gene Vincent qui paraîtra le 6 juin 1959. Gene chantonne plus qu’il ne chante, un magnifique petit bijou, une ciselure. Le morceau est de Grady Owens. (Voir plus bas). Hey Mama : (featuring Ronnie Dawson à la guitare : démo du même jour. Sorti en single en 1958

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    et en Angleterre le 11 novembre 1958 couplé avec Be Bop boogie boy. Ecoute un peu frustrante, rien  voir avec la version enregistrée chez Capitol, le 16 octobre 1958 il manque la force percussive et peut-être le savoir-faire de Ken Nelson. Ken Cobb est à la basse et Micky Williams à la batterie. Cette maquette est pratiquement décevante car il manque les célèbres oh ! oh !  oh ! improvisé de abrupto par Gene lors  de la session. L’air de rien le S glissant et propulsif de Say Mama qui remplacera le H aspirant et retenant de Hey Mama, c’est toute la différence d’un capot de deux-chevaux et le dessin de l’avant d’une Alpine Renault, pour rester dans des marques

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    Ed McLemore

    françaises. Lonesome boy : (Company Recording Studio de Dallas Sellers – Dallas. Texas ) : enregistré en septembre 58 sous la houlette d’ Ed McLemore, le patron, avec Johnny Meeks à la lead, Clifton Simmons qui se taille la part du lion sur ce morceau, Grady Owens à la basse et Clyde Pennington à la batterie. Le morceau sera publié pour la première fois sur le 33 Tours Gene Vincent Crazy Beat, sorti en mars 1963 en Angleterre et en France. Mais pas aux USA… Cette fois nous préférons cette version. Plus roots, plus épurée et pourtant porteuse d’une indicible tristesse. En 1963, le rock américain perd du terrain, quoique enregistré aux States cet album d’une indéniable qualité arrondit on ignore par quel miracle quelque peu les angles. In my dream : (Studio Version, ou plutôt en une chambre d’hôtel le 7 mai 1957 in Dallas) :

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    le morceau est de  Bernice Bedwell. Gene est avec Johnny Meeks, Dickie Harrel , Tommy Facenda et Paul Peek. La même équipe augmentée de Bobby Lee Jones à  la basse le 20 juin 1957 le mettra en boîte à la Capitol Tower. Il paraîtra sur l’album Gene Vincent Rocks ! And the Blue Caps Roll. Les deux versions, le slow plattersien par excellence qui tue, sont similaires. Je préférons la Capitol. Lotta lovin’ : (Studio version) : un des grands succès de Gene que l’on ne présente pas. Même lieu et même équipe que le précédent, toujours de Bernice Bedwell qui le recommandera à Ken Nelson. Un truc pas facile à chanter qui demande une super mise en place, pas étonnant qu’ils s’y reprennent à deux fois. Une véritable outtake ! Sortira en single couplé avec Wear my ring en juillet 1957. Lady Bug : même topo que pour les précédents… à part que le morceau dormira longtemps dans les tiroirs. Peut-être un peu trop de cymbales, reprise chez Capitol cette Lady un peu mieux équilibrée et parachevée aurait donné un très bon morceau. The night is so lonely (Version 1) / The night is so lonely (Version 2) : le titre enregistré le 14 octobre 1958 mais ne fut proposé à la vente en single, couplé avec Right now qu’en juin 1959.  Clifton Simmons

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    (Clifton Simmons debout au piano

    qui se défend très bien sur le morceau précédent a co-signé celui-ci avec Gene Vincent. Faut aimer ce style de ballade très lente, totalement dénudée. Perso je les surnomme le blues des white trash peoples. Attention si surdose : risque de suicide ; La deuxième prise ici proposée nous semble un peu trop maniérée, et un tantinet geignarde. Blue Jean Bop : (Live 58) : ce morceau et les trois suivants sont enregistrés live  au Big ‘’ D’’ Jamboree, je pense que le set est donné en intégralité, le jeu consistant à faire passer un maximum d’artistes en un minimum de temps, le public ne doit pas avoir le temps de s’ennuyer ou de se révolter si par hasard le chanteur ne lui plaisait pas. Pour Gene pas de de problème, il est présenté comme le chanteur rockabilly N° 1, il dégosille et dégobille son rock’n’roll à toute vitesse pour

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    Gene & Jerry Lou

    enchaîner sur Whole lotta shakin’ goin’ on : (live 58) : Gene et Jerry Lee s’appréciaient, le cat des villes et le rat des champs ont passé des nuitées particulièrement arrosées, Gene a gardé dans ses lives pratiquement jusqu’à la fin ce standard de Jerry Lou, sa structure permet de relancer l’ambiance à volonté, Gene se lance à plusieurs reprises dans des accélérations triumphiques, manière de survolter la foule qui n’en a pas besoin. Sans doute est-ce  Clifton Simmons au piano, il n’essaie pas de rivaliser avec Lewis, joue à la manière de Little Richard un doigt enfoncé à plusieurs reprises sur une touche. Dance to the bop : ( live 58) : est-ce cette même prestation dont nous avons vu les images muettes dans notre chronique de la semaine précédente mais agrémentée d’une bande sonore, il y a de fortes chances toutefois dans cette version-ci la batterie nous semble bien plus lourde comme si elle voulait s’adjuger tout l’espace, ce qui ne se renouvelle pas dans Lotta lovin’ : (live 58) : le morceau est bien parti, il clôturera en d’aussi parfaites condition… malheureusement le disc-jockey blablate tout fort sur l’entre deux long comme un désert sans fin…In my dreams : (home version) : ce morceau et les trois suivants sont enregistrés au 5921 Sherry Lane dans l’appartement qu’occupait Gene. Tom Fleeger qui cherche à récupérer les droits d’édition des morceaux dirige les opérations. Cette fois Gene entonne la macadam à pleine voix, il laisse les autres loin derrière, ce n’est pas souvent que l’on entend Gene chanter comme tout le monde à plein gosier, Facenda et Peek ne claquottent pas trop fort et Dickie ne s’emballe pas, le patron sort son bel canto, doucement les mouettes ! Lotta Lovin : (home version) : c’est lotta lov-in-vain, les clappers et Dickie sont à l’œuvre, mais devront tous s’y reprendre à deux fois avant que le robinet de bain moussant remplisse la baignoire sans se tromper. Nervous : (home version) : sont tous partis ne reste que Gene et Meeks.  Ils essaient un nouveau morceau, Gene nous réserve une nouvelle surprise, la prend à la Elvis, évidemment il se plante, alors que le titre aurait été parfait pour lui. Au finish c’est Gene Summers qui en héritera. On my mind : (home version) : Gene toujours

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    avec Meeks ne sait plus quoi inventer. Il ne chante plus, il siffle. En tout bien tout honneur. Pourquoi n’insistera-t-il pas ? Peut-être parce qu’il a compris que son sifflement ne possède aucun grain, aucune tessiture qui le distinguerait de tous les autres. Who’s pushing your swing ? :  (Darrell Glenn). Gene a aussi interprété ce titre d’Artie Shaw qui l’avait composé pour son fils Darrell Glenn. La version de Darrell ici proposée n’est pas mauvaise, s’en sort très bien

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    Darrell Glenn

    malgré sa voix un peu trop country, la voix plus coupante de Vincent agrémentée du saxo ténor de Jackie Kelso  du sax  baryton de Plas Johnson donne à ce morceau un petit côté jazz non négligeable. Il paraîtra en janvier 1960 couplé avec Over the Rainbow. Né en 1935 Darrell mourra en 1990. Son nom reste lié à Crying in the Chapel composé par son père, reprise par Elvis Presley. Git it  / Somebody help me / (Bob Kelly) : ce morceau et le suivant sont parus en septembre 1959 sur l’album A gene Vincent record Date. Eddie Cochran non-crédité a participé à ces

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    enregistrements. Tous deux écrits et ici chantés par leur auteur : Bob Kelly. Disc-jokey, compositeur, interprète Bob Kelly se débrouille comme un chef. Les deux versions de Gene sont, disons très proches de Kelly, mais décisives ;  I don’t feel like

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    rockin’ tonight : Grady Owens débarque pratiquement du jour au lendemain chez les Blue Caps pour remplacer au pied levé Paul Peek. L’amalgame se fera, Grady peut occuper pratiquement tous les postes. En plus d’In love again il signera aussi Lovely Rita et I love you pour Gene. Il continuera sa carrière accompagnant par exemple Johnny Carroll. Je ne me lèverai pas la nuit pour écouter ce morceau. Vous lui préfèrerez de beaucoup son 36 From Dallas. Lotta lovin’ : il s’agirait de la démo de présentation qui aurait été présentée à Gene. En tout cas Norton Johnson ne lui a pas présenté un produit sous-vitaminé, mais Gene en a fait autre chose : sa chose à lui.

    Damie Chad.

    Avec les précieux concours de Gene Vincent Dieu du rock’n’roll de Jean-William Thoury et de Gene Vincent : The story behind his songs de Thierry Liesenfeld.

    A suivre.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 671 : KR'TNT ! 671 :JESUS AND MARY CHAIN / HARLEM GOSPEL TRAVELERS / TINDERSTICKS / DAMNED / BOBBY PATTERSON / SPUNYBOYS / THE RED CLAY STRAYS / THUMOS / EMMANUEL LASCOUX

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    LIVRAISON 671

    A ROCKLIT PRODUCTION

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    26 / 12 / 2024

     

    JESUS AND MARY CHAIN / HARLEM GOSPEL TRAVELERS

    TINDERSTICKS / DAMNED / BOBBY PATTERSON

    SPUNYBOYS / THE RED CLAY STRAYS

    THUMOS / EMMANUEL LASCOUX

     

     

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     QUE LA LIVRAISON 673

    PARAÎTRA LE 08 / 01 /2025

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    Wizards & True Stars

    - The wind cries Mary Chain

    (Part Four)

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             La parution d’une autobio des frères Reid bat tous les records d’inespérette. L’événement revêt un aspect particulièrement significatif, car il s’agit d’un retour aux sources. Tu bois les paroles des frères Reid à la source, comme ce fut le cas avec Iggy dans Total Chaos. Plus de filtres, plus d’intermédiaires, plus d’articles douteux dans la presse, tu t’assois dans ton fauteuil, tu installes ce beau pavé entre tes mains moites et les frères Reid te parlent. Oui, ils te parlent à toi, pauvre pêcheur, et tu vis ça comme une sorte de privilège. L’essence d’une autobio, quand elle est réussie, est la proximité. Ce bon book t’apporte cette certitude. Ce sont leurs vrais mots, leur vraie voix, leur vrai humour. Et comme le premier à te parler de The Jesus & Mary Chain fut Jean-Yves (qui dans ces mid-eighties venait de se faire teindre les cheveux en rouge-orangé), alors ces retrouvailles avec le groupe relèvent du sacré.

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             Never Understood - The Jesus & Mary Chain fait 300 pages. Bonne couve, bon choix de papier, bon équilibre typo, un cahier central d’images, mais pas trop, et l’arme secrète du book est sa conception : il s’agit d’une oral history, Jim et William Reid racontent leur histoire, chacun à leur tour, et ça donne vie au book. D’où ce sentiment de proximité. Les frères McDonald ont utilisé le même procédé pour raconter leur histoire (Now You’re One Of Us - The Incredible Story of Redd Kross). Jim et William n’ont pas le même style. Jim qui est le cadet va plus sur le narratif pur et dur. William préfère la singularité et n’hésite pas à digresser pour éclairer à sa façon. Personnage fascinant. Mais ça on le savait déjà, grâce à ses compos.

             C’est Jim qui rappelle qu’avant toute chose, ils sont frères - We were misfits clinging together, It was us against the world, and it felt like we’d be that way for life - Dès le début, ils se considèrent comme des outsiders, et c’est ce qui va faire leur grandeur, comme elle a fait celles des Stooges et du Velvet. Comme tous les frères, ils passent leur temps à se chamailler, mais jamais quand il s’agissait d’art ou de musique, car ils se passionnaient pour les mêmes choses. William redit tout cela à sa façon, qui est prodigieusement espiègle : «Me and Jim were the elite, at least in our own minds. In the eighties, we used to feel like our joint opinion was the best opinion in the world, and sometimes we were right.» William revient aussi sur l’histoire des crédits des chansons, il rappelle que Jim a composé «Upside Down» et «Never Understand», mais quand dans le backstage, les gens félicitaient Jim pour «Reverence», William attendait que Jim corrige le tir, «but it seemed like he never did», et il met ça sur le compte de la coke - It’s not a drug that makes people inclined to share the credit - Tout n’est pas rose chez les frères Reid, comme d’ailleurs dans la plupart des fratries.

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             Côté roots, les frères Reid nagent dans l’opulence. Petit, William s’éprend pour les Beach Boys - an engine of sunshine - et il ajoute ça : «My mind opened up like a flower when I listened to them, but most of all it was the Beatles I grew up with.» Et dans la même page, il révèle qu’il a 64 balais at the time of writing, et il affirme qu’il va continuer, I’m always gonna make music, mais il se demande qui sera son public, just old men and women ? Eh oui, William, c’est ce qui te pend au nez. À l’Élysée Montmartre, la dernière fois, la moyenne d’âge semblait singulièrement élevée.

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             Anyway, les frères Reid sont tellement pauvres quand ils sont petits qu’ils n’ont même pas de tourne-disques. Alors ils vont chez des voisins écouter les Beatles et Bob Dylan. Puis en 1971, Ma & Da achètent enfin un tourne-disques, et pour Noël, William reçoit son premier cadeau, un single de Cher, «Gypsies Tramps & Thieves», suivi de «Without You» d’Harry Nilsson - Who I still think is a fucking genius - Pour Jim, en 1972-73, «Slade was the best band in the world», mais il dit que William en pinçait plus pour Bowie. William se souvient d’un copain d’école, Robert McArthur que tout le monde haïssait à cause de ses cheveux gras et de son big nose, mais Gawd, McArthur avait the Velvet Underground banana record, «and the first time I saw the cover of the Stooges was through him.» Alors William lui demande «What’s this?», et McArthur lui répond «This is Andy Warhol’s The Velvet Underground» et «This is Iggy and the Stooges.» William avoue qu’il ne comprendra que cinq ou dix ans plus tard, «when I was dancing round my bedroom to these records.» Jim, toujours plus linéaire dans son narratif, récapitule, d’abord les Beatles, puis le glam, puis le punk-rock et enfin le Velvet. Pour Jim, le Velvet banana «is the best record I’ve ever heard in my life and nothing else matters.» Puis il flashe sur Raw Power en 1977. Jim écoute Raw Power dans la piaule, «with dad shouting up the stairs ‘Turn that fucking racket down’.» Les deux frères passent leur temps à parler de musique, surtout de punk-rock. Ils en pincent particulièrement pour Suicide. Plus tard, ils vont en pincer pour les Orange Juice de Glasgow - They made amazing music - William cite aussi les Fire Engines d’Edimbourg - They still made a couple of my favourite records - Il cite «Candyskin» en particulier. Il dit même qu’il va l’emmener sur l’île déserte. Et William étend son cercle : «As well as the Pistols, The Clash and Subway Sect, there were The Velvet Undergound, The Thirteen Floor Elevators, Love and The Seeds.»  

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            Pas étonnant que les petits Jesus soient devenus ce qu’ils sont devenus, un cult band. Des princes du real deal. L’infaillibilité des choses plonge ses racines dans les disques cultes, c’est une évidence qui s’impose une fois de plus. On va retrouver le même processus dans l’autobio de Steve Wynn, comme on l’a retrouvé dans celle des frères McDonald.

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             William rappelle à plusieurs reprises qu’ils étaient très pauvres et que pour écouter les cuts qu’il aimait, il les enregistrait à la radio sur des cassettes - I used to buy boxes of ten awful cassettes for 99p to tape songs off the top 40 at my friend’s house - Il rappelle aussi que ce n’était pas évident de se cultiver à East Kilbride, en banlieue de Glasgow, parce que le seul film qu’on pouvait voir au cinéma d’East Kilbride, c’était Star Wars, «but I didn’t want to see Star Wars.» Un peu plus loin, Jim dit qu’on passait aussi Rambo au cinoche d’East Kilbride, «and it felt like everybody liked it except us.» Ouf, enfin quelqu’un qui trouve tout ça nul ! À la bibliothèque municipale, William découvre Can et Savador Dali. Il flashe aussi sur Lenny Bruce, qu’il trouve aussi rock’n’roll que Marlon Brando, James Dean, Andy Warhol et William Burroughs - I don’t know about you, but I include them all in the rock’n’roll family - Puis il cite Bryon Gysin, précisant au passage qu’il ne sait pas comment se prononce son nom, ne l’ayant jamais entendu prononcé par quiconque. Seulement lu. Puis William poursuit sa réflexion, et à travers tous les exemples qu’il cite, il commence à se dire qu’il n’est pas obligé de bosser à l’usine ou dans un fucking bureau, et il pense même qu’on peut survivre sa vie entière en restant créatif, quel que soit le domaine d’expression - You don’t have to lie in a pit of dispair, which at that point looked to be our only option - Et bien sûr, c’est le punk-rock qui leur montre la voie. Arrivent les Pistols et John Peel - Il passait une vingtaine de cuts que tu ne voudrais jamais ré-entendre et soudain il en passait un that would completely hook you - William ne rate pas une si belle occasion de rappeler le rôle qu’a joué Peely dans l’éducation des kids britanniques.

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             Jim rend un bel hommage à Johnny Rotten - Then he was everything we wanted to be - même si après, il s’est un peu perdu - He’s become a caricature of himself, like Morrisey - Jim ajoute plus loin qu’il n’était pas vraiment fan des Jam - I’m still not, to be honest - Il préfère nettement les Rezillos - That was a much better night out - Il se dit surtout fier d’avoir invité Fay Fife 45 ans plus tard sur l’enregistrement de Glasgow Eyes. Jim adore aussi Subway Sect et What’s The Matter Boy. Et l’un des meilleurs concerts qu’il dit avoir vu fut Buzzcocks at the Glasgow Apollo, à l’automne 1979, avec Joy Division en première partie. En fait, William explique que lui et Jim ont flashé sur Joy Division parce qu’ils étaient «so fucking uncomplicated and yet the whole thing was incredibly powerful.» Même chose avec Public Image - a great drum sound and incredibly simple bass and guitar sounds that made up this huge complex thing - Il trouve Jah Wobble et Keith Levene «talented to the level of genius». Jim dit qu’il est aussi allé voir les Cure à la même époque et qu’il s’est endormi pendant le concert.

             Côté dope, ils démarrent de bonne heure avec les magic mushrooms, surtout Douglas Hart et Jim. Jim rappelle qu’on en trouvait partout à East Kilbride et espère que c’est encore le cas. Jim aime bien se rappeler ses trips avec Douglas. Un jour, ils sont assis et ne se sentent pas bien. Ils commencent à croire qu’ils se sont empoisonnés et soudain, Jim dit à Douglas : «Wow Douglas, you’re glowing.» Jim avoue aussi qu’il a besoin d’être stoned pour approcher les filles, alors il va s’en donner à cœur joie - alcohol and cocaine were lying in wait for me - et de se trouver dans un groupe n’allait rien arranger. Plus loin, Jim évoque l’ecstasy, a lot of good times, mais au bout du compte, «it changed our brain chemistry in a negative way.» William compare les effets des drogues par rapport à la musique : avec le LSD c’est bien pendant quelques minutes, après ça se barre en sucette, avec les magic mushrooms, on tient une heure avant que ça ne se barre aussi en sucette, mais l’ecstasy «is probably the best drug in terms of being complementary to music, in that it just pounds the songs into your fucking brain.» Et William conclut en rappelant que, comme beaucoup de gens à l’époque, ils subissaient des dépressions qui pouvaient durer des semaines entières. Aussi recommande-t-il de ne pas approcher ces machins-là.

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             Saluons le style des deux frères. Jim dit à un moment que Laurence Verfaillie «would become the girlfriend who helped me make the transition from scruffy herbert to international gallery-going sophisticate.» Pas question de se prendre au sérieux. Encore faut-il savoir le dire.

             Quand William annonce à ses parents qu’il va quitter son job de misère pour faire du rock, ses parents poussent des hurlements, surtout que William, toujours un peu provocateur, leur dit : «This man in the bondage trousers has shown me the way.» Comment voulez-vous que des parents ultra pauvres de la banlieue de Glasgow y comprennent quelque chose ?

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             Les frères Reid tiennent bon. Ils vont former un groupe. Jim dit qu’ils sont fans de garage rock and sixties pop, mais il se demande pourquoi avant eux personne n’avait pensé à ça : «to put the most offensive, loud, screaming guitars over the top of the bittersweet melodies of The Shangri-Las.» C’est la grande idée des frères Reid. Jim qualifie l’idée de vision. Et il a raison.

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             La pauvreté. Parlons-en. Quand leur père est viré de son job à l’usine, il reçoit une indemnité. Alors il leur file three hundred quid each, 300 balles à chacun. C’est pas non plus une fortune.  Il pense que ses fils vont s’acheter une mobylette et se payer quelques leçons pour passer leur permis. Pas du tout ! Ils se payent un Portastudio, c’est-à-dire un Tascam quatre pistes rudimentaire. Leur père n’en revient pas. Il est même choqué. Un tape recorder ? Mais c’est avec le Portastudio qu’ils vont démarrer. Ils enregistrent des four-track demos et ce seront les cuts de Psychocandy. William s’achète une Gretsch Tennessean et une «Shin-ei fuzz pedal for a tenner». Et Jim te balance ça qui vaut pour parole d’évangile : «The Gretsch Tennessean, the Shin-ei pedal and the Portastudio from my dad’s redudancy payment, that was our roadmap out of hell.» Évidemment, dad ne va jamais retrouver de boulot. Ce qui va le détruire socialement.

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             Puis les frères Reid voient Kid Creole en couverture du NME - We thought ‘fuck this!’ We are not going to have this, we are going to start a band to get rid of this kind of shite! - Mais ils doivent d’abord se mettre d’accord entre eux. Jim ne voulait pas être le chanteur au départ - We basically had a big fight about who was gonna sing and he (Jim) lost - Ils ont joué à pile ou face - William won. I was the singer - Mais pour Jim, c’est pas évident. Il se dit l’être le plus timide du monde. Il va souvent tourner le dos au public, comme à l’Élysée Montmartre dans les années 80.

             C’est William qui propose le nom du groupe : «Oh what about The Jesus and Mary Chain?», et Jim lui répond : «That’s fucking brillant.» C’est en effet un nom original. Personne ne dira le contraire.

             Bon, le plus gros reste à faire. Ils ont un nom, des cuts, un son. Il faut maintenant trouver tout le reste : un batteur, un bassman, un label, un manager et des concerts. Pas si simple quand on sort d’un HLM de la banlieue de Glasgow. Ils jouent une première fois à Glasgow, branchent leurs guitares - It was just screeching feedback that filled the room - Ils ont quelques reprises, «Ambition» de Subway Sect, «Love Battery» de Buzzcocks, et «Vegetable Man» de Syd Barrett, mais Jim dit que dans le chaos de feedback, il était impossible de les reconnaître. Ils montent sur scène bourrés et n’en finissent plus de se chamailler. Ça fait partie du show. Jim : «Le fait qu’on savait ce qu’on faisait et qu’en même temps, on n’en savait rien, nous a donné the perfectly unsure foundation on which to construct our rickety edifice.» Les fondations du château de cartes ! Fantastique concept. Jim explique qu’à partir de ce premier show au Roebuck jusqu’à celui de Los Angeles 14 ans plus tard, lorsque le groupe s’est désintégré sur scène, il a toujours été défoncé (off my tits) - Or if not fully off my tits, certainly very much under the influence of something - William dit qu’il n’aime pas se mettre en avant et qu’il préfère rester dans l’ombre - Being the frontman wasn’t for me. Jim was born for that role, even though he would never admit it - Pour compléter le staff, t’as Douglas Hart with his two-string bass et Bobby Gillespie standing just behind us with two drums. Voilà les early Mary Chain, nous dit Jim, «stripped down to the bone, it looked great and it sounded great.»

             C’est Alan McGee qui les prend sous son aile. Il leur décroche un contrat avec Warners, mais ils auraient préféré rester sur Rough Trade, «just as it was for the Smiths, but there’s no going back, so fuck it», tranche Jim. Ce sera le bras de fer permanent avec Warners qui trouve que le son des Mary Chain n’est pas très commercial. Un mec du marketing de Warners leur dit : «If there wasn’t feedback, there would be really commercial songs.» Jim et William vont devoir se battre contre l’incompétence des gens de Warners pour s’imposer. Problème aussi avec McGee qui se prend pour McLaren et qui essaye de transformer les Mary Chain en nouveaux Pistols. Jim : «We wanted to be rock’n’roll stars like Marc Bolan and make the best music anyone had ever heard, whereas Alan wanted to be Malcolm McLaren Mk 2.» Jim avoue qu’il s’est un peu pris au jeu en faisant des déclarations fracassantes dans la presse anglaise : «Yeah we’re fantastic and eveybody knows it.» Et William corrige vite le tir en avouant qu’ils n’étaient pas faits pour la célébrité - I think we were meant for some weird outlier version of celebrity where we were too shy for people to actually look at us - Les analyses de William sont toujours d’une extrême finesse. Le mec qui a fait les choix typo du book a d’ailleurs choisi un Garamond pour composer les propos de William, et un Helvetica pour composer ceux de Jim. De la finesse dans la finesse. On avait rarement vu ça dans l’univers éditorial, sauf bien sûr au temps de Mallarmé (la haute voltige du Coup de Dés) et de Dada (l’exercice ultime de la liberté de composer). 

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    ( Le Coup de Dés /brouillon)

             Les Mary Chain se retrouvent en studio à Londres avec l’ex-Vibrator Pat Collier. Quand ils écoutent la cassette de l’enregistrement de Pyschocandy sur un lecteur normal, les frères Reid trouvent que ça sonne comme Dire Straits. Alors William retourne en studio rajouter des couches de feedback, «and it sounded much better». Quand les frères Reid font écouter Psychocandy aux gens de Warners, ceux-ci tirent la gueule, du genre «Is it a joke ?».

             L’obsession de Warners est de les associer avec ce qu’on appelle the world-class producers, les producteurs à la mode. Warners les colle dans les pattes de Stephen Street qui a produit les Smiths. Alors Jim et William poussent des cris : «This guy is trying to turn us into a fucking pub rock band.» Jim dit que ça sonne bien quand ils enregistrent, il va faire un tour au gogues et quand il revient, «all the guitars had been turned down.» Donc fuck it ! Puis Warners essaye de leur faire rencontrer Daniel Lanois et Jim se fend la gueule : «Warners even tried to put us in a room with Daniel Lanois, but that union was never written in the stars.»

             Puis Jim raconte le légendaire gig du Liverpool Poly, lorsqu’ils arrivent complètement défoncés sur scène - On avait tellement bu qu’on avait dû prendre des tonnes de speed pour dessoûler, but the industrial quantity wasn’t our smartest move so we went onstage totally off our tits and played ‘Jesus Fuck’ for about half an hour. It wasn’t music in any recognisable sense, just pure agression, but we were happy with the way it turned out - Jim résume en trois lignes le génie sonique des Mary Chain. Ils traversent aussi la pire des époques, l’époque Thatcher/Reagan/Madonna, où tous les groupes veulent devenir aussi célèbres que U2, mais Jim dit que les Mary Chain étaient déterminés to keep things scaled down and do our thing, et rester aussi éloignés que possible du bordel de «l’arena-friendly template». Ce qui leur vaut des inimitiés. Jim voit approcher un mec qui lui demande s’il fait partie des Mary Chain, Jim croit qu’il vient lui demander un autographe, mais le mec lui colle un pain dans la gueule. Pur jus de haine - The whole situation was started to feel dangerously out of control - C’est l’histoire des Pistols qui se répète. Tout le monde se souvient que Johnny Rotten a été attaqué à coups de machette dans la rue. L’Angleterre est un pays extrêmement dangereux pour les outsiders révolutionnaires, il ne faut jamais l’oublier. Les Mary Chain sont obligés de se faire oublier pendant quelques mois, le temps de calmer le jeu et de se débarrasser du «hooligan element» qui s’était rattaché à leurs concerts. Il leur fallait aussi se débarrasser d’Alan McGee qui capitalisait sur tout ce bordel dans la presse. Jim dit que McGee ne l’a pas trop mal pris. Leur troisième décision est de confier les rênes du groupe à Mick Houghton, et tout va changer, surtout l’ambiance des concerts. Les Mary Chain arrivent à l’heure, jouent leur full show et le public adore leur musique.

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             Pour évoquer l’enregistrement de «Some Candy Talking», William indique que Jim est un excellent bassman - It’s actually him on most of the records - Pour Darklands, William voulait Ian Broudie, mais ce fut Bill Price, qui avait produit Never Mind The Bollocks, un Bill Price génial qui leur dit que ce ne sera pas l’album de Bill Price, mais celui des Mary Chain. Il les met à l’aise et c’est d’autant plus crucial que William fait un peu de parano et se méfie de Warners comme de la peste.

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             Après avoir su résister aux fameux world-class producers que voulait leur imposer Warners, voilà qu’arrive sur le marché, à la fin des années 80, les rois de la noise américaine, Sonic Youth, Pixies et Dinosaur Jr, «all things that weren’t sonically a million miles away from what we’d been doing», s’amuse Jim. Puis c’est Nirvana. Et du coup les Mary Chain sont «à la mode». À la même époque, l’Angleterre voit l’avènement des Smiths et de My Bloody Valentine - I’d nerver really liked the Smiths, but I loved the Valentines, précise Jim le bec fin. Il ajoute que les Valentines ont la même fuzz pedal ! Pour enregistrer Honey’s Dead, les frères Reid investissent leur avance dans un studio, The Drugstore, «which was in Amelia Street in Elephant and Castle.» Jim rend aussi hommage aux Pixies qui ont repris «Head On» - a nice tip of the hat - Il rappelle dans la foulée qu’il s’est toujours méfié des journalistes anglais et qu’il n’a jamais copiné avec eux - The sad fact about music journalists is a lot of them are dicks - D’où le fameux «I Hate Rock’n’Roll» en 1995.

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             Jusqu’au bout, les Mary Chain auront constamment l’impression de nager à contre-courant et à la fin, dit Jim, la marée nous a emportés. Warners va bien sûr les lâcher. Le label n’est pas chaud pour sortir Munki, et leur dit que si quelqu’un d’autre veut le faire, alors ça sera très bien comme ça. Jim : «We were fully out in the cold. No record deal, no management. Happy fucking Christmas.»

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    (House of Blues)

             Et puis bien sûr t’as les shoote légendaires. C’est un classique des fratries : on les retrouve chez Ray et Dave Davies, chez Liam et Noel Gallagher. William se rappelle d’un épisode bien gratiné, avec la poule de Jim, la fameuse Laurence. Ça se passe dans le backstage à Tokyo et Laurence est en train de bouloter, nous dit William, all the macadamia nuts, c’est-à-dire toutes les noix de macadamia. Alors William ramasse le reste et vide le bol. Il dit ne pas se moquer de son accent, mais il la cite quand même : «You took all ze last of zose nuts!» et s’ensuit une grosse shoote entre elle et lui. En représailles, Jim ne lui a plus adressé la parole pendant trois mois. Cet épisode tragi-comique annonçait la fin du groupe. De toute façon, les relations sont compliquées, parce que, nous dit William, on était tout le temps bourrés et il prenait de la coke - And I was stoned, there was no way of us really reaching out to each other. Everything was broken - On sent chez lui une profonde amertume. Parce qu’ils sont issus d’un milieu très pauvre et qu’ils ont détruit tout ce qu’ils avaient réussi à construire. Alors Jim entre dans les détails. William et lui se sont engueulés dans le van, après un show à San Diego. Jim : «William voulait conduire le van alors qu’il était dans un état de cosmic inebriation, et j’ai menacé de le frapper.» Mais c’est Ben Lurie qui le devance. Et ça se termine en bagarre générale dans le van, Ben Lurie saute sur William, alors William saute sur lui, et Jim est en dessous des deux fighters, il prend des coups, un vrai carnage, mais en même temps, c’est assez comique - The shit had totally hit the fan - Les shootes des frères Reid sont assez burlesques. Le lendemain soir, Jim est tellement défoncé sur scène, at the House Of Blues à Los Angeles, qu’il ne sait plus où il est. Soudain, il aperçoit l’ennemi, c’est-à-dire son frangin, «There’s the bastard», pense-t-il, et il se met à l’interpeller : «You cunt! You fucking cunt!». Puis il se retourne et voit tous ces gens qui le regardent. Il réalise soudain qu’il est sur scène et que ces gens sont le  public. C’est le dernier concert des Mary Chain. Le lendemain, William quitte le groupe. 

             William trouve une explication à ce chaos final : «Did I mention that when Jim discovered cocaine he became a fucking asshole?» Les deux frères avaient toujours réussi à se réconcilier, mais avec la coke, c’était devenu impossible. Et pendant un an, Jim n’a pas cessé d’agresser son frère. L’arrivée de Ben Lurie dans les Mary Chain n’a fait qu’aggraver les choses : Lurie était du côté de Jim, et William devait en affronter deux à la fois. En studio, Jim et Laurie prenaient William pour leur larbin. Un coup de guitare par ci par là.

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             Pour Jim, la fin des Mary Chain est un énorme soulagement. Il ne roule pas sur l’or et il vit de loyers qu’il perçoit, il a de quoi se payer ses bières et ses pizzas, c’est le principal. Il monte Freeheat avec Ben Lurie, Nick Sanderson et Romi Mori qui avait bassmatiqué pour le Gun Club. Ils n’ont enregistré qu’un EP et un mini-album, mais ces deux-là valent largement le détour, à commencer par Don’t Worry Be Happy sur lequel se niche l’excellent «Nobody’s Gonna Trip My Wire» riffé à la vie à la mort et délibérément spasmatique ! Pure stoogerie, jouée dans les clameurs et les solos d’alerte rouge. Jim retrouve le chemin des voies impénétrables, les riffs gouttent de gras.

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     Le mini-album Retox est une perle noire, un véritable chef-d’œuvre inconnu. Dès «The Two Of Us», on retrouve le power-drive des Mary Chain, avec de la folie dans le son. S’ensuit un «Facing Up The Facts» effarant d’adversité, joué à l’heavy punk-rock d’Écosse. Ces gens-là sont dans une autre dimension. Jim joue la carte de l’heavyness maximaliste. Les solos de Ben Lurie sont aussi allumés que ceux de William, on rôtit dans le même enfer, c’est absolument dévasté de l’intérieur, on voit vraiment brûler la carcasse de la sidérasse Ils font aussi subir à «Shining On Little Star» les pires sévices de la marychiennerie. C’est claqué dans la douceur d’une chaude journée de violence urbaine, fabuleusement infectueux et ravagé jusqu’à la racine du thème. Jim chante cette horreur gluante avec une délectation morose et sauve l’honneur des Mary Chain. Le jus coule comme du venin le long de son cou.

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             Les frères Reid ne rentrent pas trop dans le détail de leurs vies privées respectives. William avoue cependant avoir essayé d’avoir des relations sentimentales stables. Quand il se lasse des tournées, il devient casanier. Sa poule Rona et lui ont deux chats qui s’appellent Jim et William. Et puis, William sort une fabuleuse anecdote. Il raconte que son père - my da - a pris l’habitude d’écouter le John Peel Show, bien sûr dans l’espoir d’y entendre ses deux fils. Mais il craque sur Billy Bragg et un soir qu’il passe à la téloche, da dit  : «Oh, this is a good one.» Alors les deux frères échangent un regard ahuri. Alors da leur dit : «He’s on John Peel a lot.» Ah bon, t’écoutes John Peel ? «Yeah I listen a couple of times a week to see if he plays youse (sic).»

             Jim en profite pour saluer deux ou trois ennemis, comme Paul Weller qui leur fait un beau doigt d’honneur on les croisant dans le studio de Top Of The Pops, ou encore David Gilmour qui est choqué de voir que William a peint sa Gretsch Tennessean en noir pour une émission de télé. William : «When David Gilmour walked by he was absolutely disgusted.» William voulait que sa gratte matche avec le noir des fringues qu’il portait. C’est pourtant pas difficile à comprendre. Apparemment ce n’est pas à la portée de tout le monde.

             William part s’installer en Californie. Il en a marre de se faire agresser dans le métro par des mecs qui s’en prennent à sa coupe de cheveux : «Oh you’ve got funny hair, why don’t you get your hair cut, mate?». Pour éviter que ça ne tourne mal, William se barre. Il se marie avec Dawn, une Américaine. Il installe sa famille à Redondo Beach, mais ça se passe mal, car les gens du coin n’acceptent pas Dawn qui est tatouée et qui a un anneau dans le pif.

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             Pour s’occuper intelligemment, William enregistre deux albums solo sous le nom de Lazycame : Saturday The Fourteenth et Finbegin. On n’y sent pas vraiment de volonté compositale. On les écoute si et seulement si on considère William comme un génie. Mais tout y est irrémédiablement privé d’avenir. William fait le con et saborde le navire. Il fait son super sucker. On entend à un moment un «Kissaround» gratté au coin du feu chez les hippies. William avait tout simplement décidé de nous courir sur l’haricot. Avec «Tired Of Fucking», il fait claquer ses vieux accords de Stonesy dans un lointain d’absurdité congénitale. Ah quelle belle arnaque ! William devient un génie de la crotte de nez. Il se croit même autorisé à faire du Schönberg.

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             Quant à Finbegin, c’est encore pire. Il gratte à coups d’acou et coupe à travers champs. Il tente un petit retour à l’electrak de la détraque avec «Rokit», et fait du bruitisme à la petite semaine dans «Fornicate». Il cherche les petites ambiances délétères et orientalise sa fucking daube.

             Quand Chevrolet utilise «Happy When It Rains» pour une pub, les frères Reid récupèrent un gros billet. Jim dit qu’il a remboursé son emprunt «and William bought a fancy car. I can’t remember what kind that was either - I’ve never owned a fancy car in my life.» William corrige le tir : «I didn’t buy a car, I bought a house - 6938 Camrose Drive in Hollywood, baby.» William va se taper «two Californian divorces», qui dit-il coûtent cher car il faut refiler à la divorcée la moitié de tout ce qu’on possède, même si le mariage n’a duré que quelques mois. Mais bon, comme il dit, «I had a good time and I’ve got my memories.» Merci William Reid de ces beautiful memories.

             Puis c’est la reformation, avec Phil King et Loz from Ride on drums, qu’on verra sur scène à Paris à deux reprises, puis une troisième fois sans Phil King. Ainsi va la vie.   

    Signé : Cazengler, fort Mary

    William & Jim Reid. Never Understood - The Jesus & Mary Chain. White Rabbit 2024

    Freeheat. Don’t Worry Be Happy. Hall Of Records 2000

    Freeheat. Retox. Outafocus Recordings 2001

    Lazycame. Saturday The Fourteenth. Hot Tam 2000

    Lazycame. Finbegin. Hall Of Records 2001

     

     

    L’avenir du rock

     - Travelers check

    (Part Two)

             Pourtant habitué aux hallucinations, l’avenir du rock n’en revenait pas : il vit descendre de la grande dune une gonzesse sur une moto. Elle portait du cuir noir et un gilet ouvert jusqu’au nombril. Ses grands cheveux rouges flottaient au vent. Elle portait des lunettes d’aviateur et du rouge à lèvres. Depuis des années qu’il errait dans le désert, l’avenir du rock n’aurait jamais imaginé voir arriver un truc pareil. Lawrence d’Arabie, oui, mais une amazone aux cheveux rouges sur une grosse moto, certainement pas ! Elle approcha rapidement et s’arrêta à quelques mètres de l’avenir du rock. Brrrrm bahbahbah... Brrrrm bahbahbah...

             — Elle a un joli bruit votre grosse moto...

             — C’est une Harley, mon chou.

             Brrrrm bahbahbah... Brrrrm bahbahbah...

             Elle parlait d’une voix d’homme, comme Amanda Lear. Bien que dans un piteux état, l’avenir du rock en fut troublé, mais comme il était complètement cramé, il ne pouvait pas rougir. Puis elle ajouta d’une voix encore plus douteuse :

             — 100 la pipe, 200 l’amour !

             — Ça m’aurait intéressé, mais il faut que je trouve une tirette. J’ai pas assez de liquide.

             Elle était très maquillée. L’avenir du rock qui n’y voyait plus très clair s’approcha pour l’examiner de près. Elle avait du poil sur la poitrine.

             — Zêtes pas une gonzesse ?

             — Si tu veux savoir, faut payer, mon chou.

             — Je suis l’avenir du rock, vous pourriez me faire crédit !

             — Harley Grosse Pelle Travelo ne fait pas de crédit, minable !

             — Ça tombe bien ! Je préfère Harlem Gospel Travelers ! Et de loin, pouffiasse !

     

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             On se souvient encore du set des Harlem Gospel Travelers comme si c’était hier. Les voici de nouveau à l’honneur avec un fabuleux troisième album, Rhapsody.

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    Et c’est d’autant plus un événement qu’ils tapent dans l’une des mirifiques compiles Numero Group, Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Ifedayo Thomas Gatling s’est réduit de lui-même à Ifedayo, il mène la danse du son le plus moderne de Brooklyn, avec Eli Paperboy à la gratte et Jesse Barnes au bassmatic. Et t’as les chœurs d’anges du paradis, c’est-à-dire George Marage et Dennis Keith Bailey III. Choc esthétique dès «We Don’t Love Enough», une cover des Triumphs qu’on retrouve sur la compile  Good God!. On reste dans le génie éblouissant avec «Ever Since», un autre fabuleux shakedown de power Soul. Black Power ! Avec du Gospel batch in the mood. Ifedayo est un allumeur de première catégorie, un artiste fondamental, il dispose d’une voix colorée et d’un son. C’est tout de même incroyable que Paperboy soit mêlé à ça ! Ils reprennent le «God’s Been Good To Me» des Mighty Walker Brothers. Un nom pareil, ça ne s’invente pas. Ifedayo y ramène tout le power des Tempts, même développement d’I try ! I try ! On assiste encore à un carnage surnaturel dans «How Can I Lose», shoot de wild gospel avec des tambours, des tambourins et toute l’énergie du diable. Ifedayo chauffe ensuite son «Jesus Rhapsody Pt 1» au feu sacré de Junior Walker, c’est comme gorgé de Motor City Sound, mais sans le Sax. On trouve l’original de «Jesus Rhapsody Pt 1» sur Good God!, par Preacher & The Saints. Et puis t’as «Searching For The Truth», un gros fondu de gospel Soul fabuleusement conditionné, atrocement bien chanté, chaud et vivant, il y va au searching. Ifedayo est l’un des géants de notre époque.

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             Alors attention ! Il se pourrait bien que Good God! - A Gospel Funk Hymnal soit l’une des plus belles compiles de tous les temps. La moitié des 18 cuts sont de la pure dynamite. Pas étonnant que les Harlem Gospel Travelers aient louché là-dessus. Tiens, rien qu’avec le dernier cut, «Thoughs Were The Days» par LaVice & Company, t’es rassasié. Le mec chante comme un démon, il sonne comme un vrai génie démoniaque, un brin here comes the judge, à l’intro du hit de Shorty Long. Et juste avant, t’as le «Look Where He Brought Us» des Apostles Of Music, avec des filles qui font freedom, c’est du Richie Havens en plus hot. Quelle clameur ! La compile démarre avec Preacher & The Saints et «Jesus Rhapsody Part 1», que reprennent les mighty Travellers. Quel big sound ! C’est pas loin des Tempts. Il faut voir ça comme un sommet du Black Power. Puis t’as les 5 Spiritual Ones qui te fracassent «Bad Situation» : encore pire ! T’as les Tempts dans l’église en bois. Ils ont le power dans les reins, la bassline descend dans le couplet comme un Jamerson en folie, bad bad situation ! Bizarre que les Travelers n’aient pas retenu ce «Bad Situation». Car quel scorch ! Par contre, ils tapent le «God’s Been Good To Me» des Mighty Walker Brothers. Power immédiat. Encore pire que les Tempts. Dé-vas-ta-teur ! C’est le power de James Brown avec l’incognito en plus. Gospel genius ensuite avec Masonic Wonders et «I Call Him». Plus classique, mais terriblement insistant. Genius toujours avec l’«I Thank The Lord» des Mighty Voices Of Wonder. T’as le beat et l’argent du beat. Là, t’as Stax dans l’église en bois qui s’écroule, et une grosse black en roue libre qui te ravage tous les potagers. The Voices Of Conquest t’amènent «Oh Yes My Lord» au tribal antique. Stupéfiant ! T’as la démesure du son et l’oh yes my Lawd ! C’est avec la cover du «We Don’t Love Enough» des Triumphs que les Travelers ouvrent le balda de leur Rhapsody. Fantastique entourloupe ! Digne des Edwin Hawkins Singers. Même clameur de gospel black power. Et t’as plein d’autres cuts surprenants de qualité, Brother John Witherspoon t’explose «That’s Enough» au heavy popotin, en mode prêcheur, à coups de give up. Ce sont les Universal Jubileers qui sont sur la pochette de la compile, avec leurs vestes à carreaux. Il tapent leur «Chidhood Days» en mode wild gospel Soul de raw r’n’b. Ils te chauffent ça à blanc, t’en reviens pas de les voir à l’œuvre, t’en perds ton latin, tu ne sais plus où t’habites. Tout cela est à peine exagéré.

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             Intrigué par LaVice & Company, tu dig un peu et tu découvres l’existence d’un album sorti sur un petit label anglais, Jazzman Records : Two Sisters From Bagdad. C’est un objet curieux, t’as trois Soul Sisters et un mec déguisé en diable, LaVice Hendricks. Pendant les 3 ou 4 premiers cuts, tu essaies de savoir où ils veulent en venir. Le morceau titre se noie dans l’underground black. C’est même assez incompréhensible, tellement c’est underground. Leur «Fantasy» est weird, mais pas inintéressant. On retrouve le «Thoughs Were The Days» choisi par Numero Group pour son Good God! - A Gospel Funk Hymnal et c’est en fait la première apparition de LaVice Hendricks. Et puis le reste retombe dans la drouille. Tu t’attendais à un big album de gospel funk et tu tombes sur un mauvais artefact. Leur «Satan Baby» ne vaut pas un clou, mais l’album original paru en 1973 doit s’arracher pour une fortune.

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             Nouvelle caisse de dynamite : Good God! - Born Again Funk. Suite logique et donc explosive de Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Pas compliqué : tu sautes de génie en génie (de JL Barrett et «Like A Ship» aux Gospel Soul Revivals et «If Jesus Came Today» (c’est-à-dire d’un heavy groove avec des chœurs demented d’Edwin Hawkins Singers au power de Black Power avec une bassline à faire baver James Jamerson, les Gospel Soul Revivals pulsent à la vie à la mort), tu sautes d’inconnu en inconnu (de Lucy Sister Soul Rogers et «Pray A Little Longer» aux Inspirational Gospel Singers et «The Same Thing I Took» (c’est-à-dire d’une Lucy qui sonne comme Aretha à une Inspirational Gospel Singer qui sonne encore plus comme Aretha). Tu sautes des Gospel Comforters et «Yes God Is Real» (r’n’b d’église en bois) au Golden Echoes et «Packing A Grip» (wild gospel d’église en feu). Tu sautes de Brother Samuel Cheatham et «Troubles Of The World» aux Jordan Travelers et un «God Will Answer» drivé à la basse funk. Et tu bascules enfin dans une apothéose de coups de génie avec Holy Disciples Of Chicago et «I Know Him» (pur Aw Lawd power, le groove des crocodiles), puis avec Little Chris & the Righteous Singers et «I Thank You Lord» (chant d’harmonies frisées avec une wah d’une sidérante modernité) et enfin  The Sensational Five avec «Coming On Strong Staying Long», un heavy r’n’b, c’est même du pur Junior Walker d’église en bois, tellement c’est incendiaire.

    Signé : Cazengler, Travelo

    Harlem Gospel Travelers. Rhapsody. Colemine Records 2024

    Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Numero Group 2006

    Good God! - Born Again Funk. Numero Group 2010

    LaVice & Company. Two Sisters From Bagdad. Jazzman Records 2017

     

     

    Tindersticks en stock

    - Part Two

     

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             Toujours un bonheur que de revoir Stuart Staples & ses mighty Tindersticks sur scène. Deux heures de voyage dans l’ombilic des limbes garanties. Le dandy d’antan a pris du ventre, mais la voix est toujours là. Le voilà coiffé d’un petit chapeau mou, mais son élégance naturelle reprend le dessus et tu entres dans le monde qu’il crée pour toi au fil des cuts.

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    Et c’est un monde merveilleux. Pendant deux heures tu te sens protégé de l’autre monde, celui qui va pas bien, avec ses beaufs au pouvoir et les manipulations d’opinion qui vont avec. Le romantisme comme dernier rempart face à l’abominable marée d’intolérance qui monte jour après jour ? Faut pas rêver, le romantisme n’est qu’un songe, fragile par définition, et celui de Stuart Staples se limite à sauver deux heures de ta vie. Rien de plus. C’est déjà pas mal. Pendant ce concert qu’il faut bien qualifier d’hautement merveilleux, tu songes à tous ceux qui n’ont pu ou qui n’ont su en profiter. Car c’est là, à portée de tes yeux et de ta cervelle, deux heures de mélancolie urbaine distillée par cinq mecs d’apparence banale.

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    Les Tindersticks sont des anti-rock stars. Ils s’effacent au profit de leur art. Ils laissent le champ libre aux chansons et à la fabuleuse interprétation qu’en fait Stuart Staples, d’une voix fêlée, toujours colorée, tantôt d’essence préraphaélite, tantôt d’essence pointilliste, il ponctue et tisse des voiles, il module l’éther et irise l’affaire, il fait éclore et cueille pour offrir, Stuart Staples est l’un des artistes les plus intéressants à observer. Tu crois qu’il ne se passe rien, mais il est toujours en mouvement immobile. Son récital a la grandeur d’un long métrage d’Abel Gance. L’insondable teneur d’un tome de Zola. La classe de l’Importance Of Being Earnest d’Oscar Wilde. Il chante la plupart du temps les yeux fermés, comme s’il lisait à l’intérieur de lui-même pour diriger ses pas. Tu l’observes comme tu aurais observé Verlaine lorsqu’il déclamait ses vers au François 1er, sur le boulevard Saint-Michel. Stuart Staples est de cet ordre -là.

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             Oh et puis t’as les chansons, quasiment toutes celles du dernier album, Soft Tissue. L’heavy Tinder Sound de «The Secret Of Breathing» qu’il enchaîne avec «Turned My Back». Il se bat jusqu’au bout avec le Turn my back. Et toujours cette merveilleuse façon de caresser l’intellect. Dans le début su set, il tape un «Falling The Light» éclairé par un refrain lumineux - Falling the light on the grace of the day - qu’il enchaîne avec «Nancy», bercé par un léger parfum de calypso - Nancy/ Answer me - Big Tinder Sound de tension maximale - Nancy/ Nancy answer me - Vers la fin du set, on retrouve aussi ce «New World» bassmatiqué dans l’âme. Il groove comme Oscar Wilde, tel qu’Oscar Wilde grooverait s’il était de notre temps. Vers la fin du set, on retrouve aussi ce «Don’t Walk Run», et cette façon qu’il a de poser sur le groove son you need a place to fall et d’ajouter I need a place to hide. Alors il anticipe, it’s moving inside/ Me/ It’s moving inside me now/ Pulling on my strings babe, on sent le balancement du groove dans le pulling on my strings, c’est chargé d’Oh why’d you leave me babe, et il repart au need a place to hide qu’il susurre entre deux portes. En fin de set, il se perd avec «Soon To Be April», il tend la main alors que le courant l’emporte, il atteint le sommet du désespoir mélodique, la beauté inversée, il élève la mélancolie au rang d’art majeur.

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             En rappel, ils tapent «Pinky In The Daylight» et «For The Beauty» tirés de No Treasure But Hope, histoire de t’arracher un dernier spasme de félicité. Avec «For The Beauty», il semble vouloir se battre contre la maladie that’s killing me - For the beauty/ Give me something to ease - La guitare sonne comme une mandoline dans «Pinky In The Daylight», pareil, ça tient par le refrain magique - Pinky in the daylight/ Crimson at night/ Yeah I love you - Et là t’entends ce batteur black de jazz dément qu’on a vu à l’œuvre sur scène. Il s’appelle Earl Harvin, tu trouves son nom dans la kro d’un set des Tinder à Manchester, dans la page ‘Lives’ de Record Collector. Mais Beauty et Pinky ne sont pas les coups de génie de l’album. Les voilà : le premier s’appelle «The Amputees», Stuart y fait vibrer le bad d’I miss you so/ bad, et derrière, les Tinder swinguent le jazz. Pire encore : «Trees Fall», que Stuart tape en début de set, il le chante en suspension dans une très belle lumière préraphaélite. C’est du pur Tinder Sound haleté - Shall we sit in the dark and tell our old stories?, et il rebondit merveilleusement, and oh, it’s so dark in the stairs, il relance toujours au ‘and oh’, are we tied to those moments for good?, c’est de la poésie musicale, une authentique merveille respiratoire - Has the juice run out again - L’again enivre - The salt of our skin and the smell of the ocean - Stuart Staples offre avec son art poétique l’équivalent exact de ce qu’on amené en leur temps Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, pour n’en citer que trois. Troisième coup de génie : «See My Girls». Ses filles prennent des pictures with their cameras/ they see the world and they sent it me home. Hallucinant. Ses filles voyagent dans le monde entier, et les vers de Stuart Staples ruissellent de richesses, Eiffel Tower, Grand Canal, Amazonia, the gates of Birkenau, the great Damascus, South Yemen, Jerusalem, the dolphins of Donegal, autant de mots qui scintillent d’une musicalité sans fin. Il swingue encore son chant dans «Tough Love» - This tough love changed me/ This tough love made me - C’est quasiment de l’heavy funk. Ah, les Tindersticks nous en auront fait voir de toutes les couleurs ! 

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             Ils tiraient un seul cut de l’avant-dernier album Distractions, «The Bough Bends», où l’on entend chanter les oiseaux. Cut épais et bien doux, coiffé par un thème musical très aérien. Ils visitent la stratosphère. C’est bien, les gars ! Mais s’il faut saluer un cut sur Distractions, c’est le «Man Alone» d’ouverture de bal, un cut interminablement bon, une vraie sinécure, montée sur le petit tribal Tinder. Stuart colle bien au heartbeat, il sait épouser une situation et la mettre à son avantage. Avec «Lady With The Braid», les Tinder passent en mode mambo et c’est vite effarant d’élégance. Stuart cueille les mots à la pointe du beat, l’effet est saisissant. Encore du Tinder Sound typique avec «You’ll Have To Scream Louder». Ça reste une samba d’aube mortelle et de chairs usées, d’essences félines sentant la jupe et de sang frelaté. Stuart Staples est le Des Esseintes des temps modernes. Ne l’a-t-on pas encore compris ?

    Signé : Cazengler, Pinderstick

    Tindersticks. Théâtre des Arts. Rouen (76). 26 novembre 2024

    Tindersticks. No Treasure But Hope. Lucky Dog 2019

    Tindersticks. Distractions. Lucky Dog 2021

    Tindersticks. Soft Tissue. Lucky Dog 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Au bonheur des Damned

    (Part Two)

             Politiquement parlant, l’avenir du rock a toujours penché du bon côté, c’est-à-dire du côté des damnés de la terre. Chaque matin, sous la douche, il entonne «Debout les Damned de la terre» à tue-tête. Il en fait vibrer les carrelages, la robinetterie et la porte vitrée. L’avenir du rock est tellement fasciné par le destin des Damned de la terre qu’il s’est fait tatouer une New Rose autour de l’anus et une Machine Gun sur la zigounette, comme ça au moins, aucune ambiguïté n’est possible. Mais étant donné que l’avenir du rock reste un concept, aucune interaction n’est possible, et par conséquent personne ne peut témoigner de la présence de ces deux tattoos insolites. Il faut donc le croire sur parole. Il met aussi un point d’honneur à se laver les mains avant chaque repas pour rester Neat Neat Neat, et il met un soin maniaque à répondre aux lettres qu’il reçoit au Fan Club. Lorsqu’il se rend dans un bal costumé, il porte un casque Born To Kill, non pas en hommage au Full Metal Jacket de Kubrick, mais en bon Damned de la terre qui se respecte, et si un imbécile d’antimilitariste vient l’insulter au bar, alors l’avenir du rock s’empare du pic à glace et lui court après en hurlant Stab Your Back ! L’avenir du rock n’a jamais fait dans la demi-mesure, et ce n’est pas aujourd’hui qu’il va s’y mettre. Il est trop tard. Au moindre coup de blues, il se fend d’un So Messed Up, et s’il se sent la proie d’une petite crise de mélancolie, il opte pour un petit coup d’I Can’t Be Happy Today. Par contre, quand tout va bien et qu’il sent les énergies telluriques bouillonner en lui, alors il éructe I Feel Alright. Au nom des Damned de la terre, il est capable de tout, comme par exemple de Smash It Up. Se calmer ? Lui ? L’avenir du rock ? C’est pas demain la veille.      

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             Il a raison de s’exciter l’avenir du rock, car vient de paraître Darkadelic, le nouvel opus des Damned de la terre. En 2017, les Damned fêtaient leur quarantième anniversaire. Pour des gens qu’on considérait comme les princes du chaos, c’est inespéré.

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    Dans le beau panorama qu’il leur consacre dans Vive le Rock, Nick Tesco rappelle qu’on les considérait comme les poor cousins des Clash et des Pistols. Dick Porter va beaucoup plus loin en disant qu’au pays des non-conformistes, les Damned sont les rois - Within a subculture that espouses non-conformity as a core value, the Damned represent the ultimate outsiders. Il rappelle aussi que tous les journalistes qui leur crachaient dessus ont depuis longtemps disparu alors qu’eux, les Damned, sont toujours là, fidèles à leur engagement originel : the fundamental idea of doing your own thing.

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             Le point de départ s’appelle Brian James, fan des Stooges, de Dolls et du MC5, qui tente de démarrer avec les Bastards à Bruxelles, mais il se sent seul, car personne ne connaît les groupes dont il parle. Même à Londres, excepté les Pink Fairies, qui savent que quoi parle Brian. Quand il revient vivre à Londres, il traîne un peu avec les fameux London SS et rencontre Rat qui a répondu à une annonce du Melody Maker. McLaren propose à Dave Vanian, qu’il a repéré, de chanter dans les Masters Of The Backside avec une guitariste nommée Chrissie Hynde. Le batteur, c’est Rat. Il faut aussi un bassman, alors Rat ramène Ray Burns qui à l’époque porte les cheveux longs et ressemble à Marc Bolan. Le futur Captain est alors timide et un peu nerveux. McLaren n’en veut pas dans le groupe : il le traite de bloody hippie. Le groupe commence à répéter. Ils font des reprises garage des Shadows Of Knight et ça ne se passe pas très bien. Rat dit : «This is going nowhere» et il indique à Dave qu’il connaît un mec intéressant, un visionnaire qui parle d’une nouvelle forme de musique. C’est Brian James. 

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             Dans un numéro d’Uncut de 2016, Peter Watts dresse un panorama complet des exploits du groupe en matière de destruction de chambres d’hôtels. C’est en France qu’ils se découvrirent un talent fou pour cet art habituellement réservé à des géants comme Keith Moon. Lors du premier festival punk qu’organisa Marc Zermati à Mont-de-Marsan, Jake Riviera et Nick Lowe découvrirent les Damned qui n’étaient encore que des débutants puisqu’ils ne montaient sur scène que pour la sixième fois. Riviera les voulait absolument sur Stiff.

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             Paru en 2023, Darkadelic est l’un de leurs meilleurs albums. Ça grouille de puces, tu vas te gratter pendant une heure, dès «The Invisible Man». Les Damned n’ont jamais sonné aussi sludge, avec le Vanian qui hurle comme un crucifié du Golgotha. C’est battu à la diable, noyé de son, ça coule de partout, le Vanian émerge à peine du chaos. Ah il faut le voir se débattre ! Nouvelle dégelée avec «Girl I’ll Stop At Nothing», wild punk des Damned de la terre, back to the basics, on se croirait sur le premier album, en 1977 ! Même énergie qu’au temps des premiers jours. Les Damned ont toujours su sonner le tocsin de London town, et le Captain fout le feu à l’immeuble. Ils passent sans ménagement au wild gaga avec «Leader Of The Gang», ils te déboulent dessus, tu reviens au point de départ, ils renouent avec leur fantastique élasticité, Paul Gray joue en roue libre dans le fond du son, et le Captain fait son Wayne Kramer, il n’en finit plus de faire son cirque dans ce rebondi paroxysmique. Cet album est assez explosif, ça mérite d’être noté, car les explosions se raréfient. Darkedelic est un gros tas de purée. Le Vanian trouve toujours une ouverture, quel que soit le cut. Il s’accroche au mur du son de «Bad Weather Girl», il agit en wild geezer, à mains nues. Bon, il faut reconnaître que certains cuts laissent perplexe : «You’re Gonna Realise» et «Beware Of The Clown» sonnent comme de la petite pop. Depuis que Brian James n’est plus là, c’est le bordel au dortoir. Et le Captain ne fait plus bander personne, comme au temps des tutus. Il faut attendre «Wake The Dead» pour voir l’album se réveiller. Big Vanian chante comme Hadès, le dieu des enfers. Il semble chanter du fond d’une caverne. Les Damned profitent de cette occasion en or pour rallumer le brasier, Paul Gray bousine une bassline demented et ils atteignent l’orgasme avec «Motorcycle Man». 

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             Les Damned ont fait un beau cadeau à leurs fans avec le double DVD Machine Gun Etiquette 25 Tour. On y trouve en effet tout ce qu’un fan des Damned peut espérer en ce bas monde. Les Damned attaquent leur concert du 25e anniversaire avec «Love Song» et «Machine Gun Etiquette» - Second Time Around - deux versions explosives. Peu de groupes savent blaster comme les Damned. Ah il faut les voir jouer «New Rose», puis Captain introduit une autre bombe atomique - It’s the MC5, God bless ‘em ! It’s called Looking At You ! - Il n’existe rien d’aussi dynamité dans l’univers du rock moderne. Captain se roule par terre à la fin du cut. Il n’a rien perdu de sa folie. Il faut aussi l’entendre jouer dans «Would You Be So Hot» : il sonne comme Peter Green ! Nouveau coup de blast nucléaire avec «Ignite», extraordinaire vitalité de ton vibrillonnée par un Captain Kramer débridé. S’ensuit une version absolument somptueuse d’«Eloise», bien soutenue à l’orgue. On a là du grand art de pop anglaise porté à son sommet par la dynamique des Damned et l’incroyable talent de Dave Vanian. Encore plus explosif : «Melody Lee», joué au blast damné pour l’éternité. On ne parle même pas de la version dévastatrice de «Neat Neat Neat» introduite par le vieux riff de basse. Sacré coup de génie tutélaire, et ça plonge dans la folie du punk-rock de London town. Et c’est pas fini, car ils tapent dans le «Break On Through» des Doors, Dave fait son Jim Morrison et ça tient admirablement bien la route. Les bonus pullulent sur le disque 2, à commencer par un concert filmé au Japon et des versions absolument démentes d’«Eloise», puis de «New Rose». Il faut bien dire que ces deux cuts sont des sommets de la pop anglaise. Au menu des bonus, on trouve aussi pas mal de petits films où Captain se laisse filmer : voyage en Allemagne, on a aussi des scènes de backstage, le making of de la vidéo de «Wot». On ne se lasse pas de voir ce mec qui est en fait l’héritier direct de Keith Moon : même ampleur, même odeur de soufre, même charme et surtout même explosivité scénique. 

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             En 2017, ça recommence à buzzer autour des Damned, avec notamment la parution de Don’t You Wish That We Were Dead, le film de Wes Orshoski, le réalisateur qui s’était occupé de Lemmy. Tout fan des Damned doit impérativement voir ce film. On a là un docu riche et dense, bardé de conneries de Captain et d’extraits de concerts anciens et modernes, on voit des témoins de la vague punk, même les cancéreux, les ex-members, on voit Rat Scabies écraser une larme, et puis un plan plutôt rare de Captain chez lui avec ses trois gosses. On nous rappelle au passage que les Damned, contrairement à la majorité des groupes punk, savaient jouer de leurs instruments - The Damned could play - Ils jouaient le rock’n’roll le plus incendiaire de leur temps - That’s rock’n’roll as Jerry Lee Lewis is rock’n’roll - Tiens et puis t’as Roger Armstrong qui rend hommage à Captain - A punk-rock Jimi Hendrix ! - Par contre, on voit l’autre moitié des Damned, Brian James et Rat Scabies avec Texas Terri, et au chant, Texas Terri est une véritable catastrophe ! L’un des passages les plus hilarants de ce docu est celui de la reformation du groupe originel Vanian/Scabies/James/Captain : sur scène, Captain annonce que «New Rose» est une compo de Guns’n’Roses. Brian James quitte la scène immédiatement. Fin de la reformation. Captain dit aussi un truc admirable : We should have died after making one fantastic album - Mais avec lui, on ne sait jamais si c’est pour rire ou pas. Sacré passage aussi dans les bonus, lors de l’évocation du fameux Anarchy Tour - Weird vibes - Brian James rappelle que personne ne leur adressait la parole. Comme l’Anarchy Tour démarrait le lendemain du Grundy Show, les Pistols étaient à la une de tous les canards et McLaren n’avait plus besoin des Damned qu’il a virés. Autre grand moment de rigolade : Captain nous fait visiter les chiottes de la salle des fêtes de Croydon qu’il nettoyait à une époque. Il raconte qu’il y vit T. Rex sur scène - What a fabulous job !, pensa-t-il. Il voyait les filles trépigner aux pieds de Marc Bolan - I want this job !

    Signé : Cazengler, damé du pion

    The Damned. Darkadelic. Ear Music 2023

    Born To Kill by Nick Tesco. Vive le Rock #41. 2017

    We’re Horrible English Hooligans by Peter Watts. Uncut #235 - December 2016

    Damned. Machine Gun Etiquette 25 Tour. DVD 2005

    Wes Orshoski. The Damned. Don’t You Wish That We Were Dead. DVD Cleopatra 2016

     

     

    Inside the goldmine

     - Patter noster

             Dans la vie, on rencontre rarement des personnages aussi épris d’eux-mêmes. Ivanoff cultivait bien son auto-culte. On l’imaginait dressé devant un miroir à se contempler tout en se caressant la barbe, une barbe qu’il taillait court, sans doute pour goûter l’indicible plaisir de s’entendre la gratouiller. On devinait tout cela en l’observant, et il n’y avait aucune malveillance à l’imaginer ainsi. Sa prodigieuse intelligence semblait exacerber son narcissisme jusqu’au délire. Tout le monde croit que l’intelligence aide à corriger les travers, mais chez lui, ça ne se passait pas du tout ainsi, bien au contraire. Ivanoff avait pendant vingt ans accumulé des connaissances qu’il sublimait et synthétisait pour les faire passer pour des visions. Lorsqu’on s’adressait à lui, on s’adressait à l’oracle des nouvelles technologies. Il semblait voir l’avenir, enfin, il voyait ce que personne ne pouvait voir. Il pouvait fasciner. On se noyait dans l’eau bleue de son regard. Il inspirait en même temps une sorte de confusion. On ne savait plus s’il fallait rire (tout en prenant garde de se retenir), ou s’il fallait cautionner l’homérique envolée de son discours. Il y avait quelque chose d’Hugolien en lui. Il ânonnait sur un ton monocorde qui finissait par devenir fluide, presque mélodique, semblable aux airs de flûte que jouent les charmeurs de serpents sur la place Jemaa el-Fna, à Marrakech. On ne savait plus s’il fallait se sentir fier de le fréquenter ou au contraire le fuir comme on fuit généralement les moi-je les plus détestables. Un jour que nous étions en réunion, il se produisit un incident qui permit d’en finir définitivement avec ce paradoxe. Pendant une pose, la conversation vint malencontreusement déraper sur une belle peau de banane : l’insécurité dans certains quartiers de Paris. C’est à ce moment-là qu’on réalisa qu’Ivanoff portait un pantalon couleur kaki de combattant, avec des poches à soufflets sur les côtés, car il en sortit un énorme cran d’arrêt. Face à nos mines consternées, il relança sa routine pédagogique pour nous expliquer qu’à notre époque il fallait se montrer prêt à tout, à tout moment, et que de toute façon, il n’y avait pas d’autre solution que la violence pour répondre à la violence. Il recyclait la téhorie de Malcolm X. Personne ne mouftait. Il ajouta, pour rassurer les dames présentes dans la salle, qu’il ne fallait pas se fier aux apparences et qu’il connaissait «des guerriers doux comme des agneaux».

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             Rien de tel que de passer d’un oracle à l’autre. Alors on dit adieu à l’oracle des nouvelles technologies pour introduire l’oracle de l’heavy funk de Soul, Bobby Patterson. On devrait dire l’immense Bobby Patterson. C’est grâce à The Heritage Of A Black Man, une compile Sam Dees, qu’on s’est intéressé à Bobby Patterson. John Ridley y rappelait que Sam Dees avait confié «What Goes Around Comes Around» à Bobby Patterson. Alors il n’en fallut pas davantage pour aller fouiner du côté de Bobby Patterson. Belle série d’albums, forte personnalité, on peut facilement le comparer à Bobby Parker. Au fil des albums, Bobby Patterson prend toutes les apparences d’une révélation. On découvre aussi que ce black Texan de Dallas sait tout faire : composer, produire et tourner pour la promo de ses singles.

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             Pas étonnant du coup que son premier album, It’s Just A Matter Of Time, soit devenu culte. Et si tu veux choper le pressage Paula Records, fais gaffe, il coûte la peau des fesses, comme dirait le Marquis de Sade. Une bonne red fera l’affaire. Patter attaque son album en mode hard r’n’b avec «If You Took A Survey». C’est un féroce, un admirable warrior, fantastique présence, grosse insistance. Les fans de Patter ne jurent que par «How Do You Spell Love», un slab d’heavy funk, il fait le show, pas de problème. Il rugit comme une panthère noire, à la façon de Wilson Pickett. L’autre hot spot de l’album se planque en B : «Right On Jody», encore très Pickett dans l’esprit, très back of my mind, Patter est précis, exact au rendez-vous. Pour un premier album, c’est coup de maître. Patter entre dans la galaxie des grands Soul Brothers.

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             Pas question de prendre un mec comme Patter à la légère, surtout quand on a dans les pattes un album comme Second Coming. Il y fait du big Patter, solid as hell, il y va au yeah ‘cos I’m down, il cadre bien son boogie-groove de blues («If He’s Getting The Thrills»). Patter te montre la voie, yeahh, il s’implique dans son process, il te tombe encore sur le râble avec «All We Have In Common», même si ça reste du cousu de fil blanc. Et voilà qu’il te groove la cage thoracique avec «You Can’t Steal Something», il plonge dans un lagon de good time, une vraie merveille. Et puis voilà la surprise du chef : «Right Place Wrong Time». Il a tout, le Patter : la classe et les orchestrations, il te groove tes nuits chaudes de Harlem, il ramène tout le gusto du Patterson de right place. Il passe au funk avec «Keep Your Hand To Yourself» et se couronne roi du groove avec «I’ll Take Care Of You». Il promet de faire gaffe à elle, son now now est sincère, il y va au groove d’oooh baby. Il se fond comme une anguille dans le slow groove d’«I’ve Just Got To Forget You», aw my Gawd, Patter est géant du fondu, il flirte en permanence avec l’épouvantable génie, quel album ! Il termine avec un «Fingers Do The Walking» plus funky. Mais pas n’importe quel funk, t’es chez Bobby, il te fait un funk de get down on the floor/ I’m gonna get my fingers do the walking/ I’ll get your love, c’est du niveau supérieur, il y va au I’ll get your love, pur jus de make the scene !   

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             Sur la pochette d’I’d Rather Eat Soup, Patter porte un beau costard blanc assorti à sa Les Paul blanche. Il se fend d’un duo d’enfer avec Lois Peoples sur «Charity Begins At Home». Il sort encore le grand jeu pour «It Ain’t All About The Sex», une espèce d’heavy check it out, Patter fait son heavy Bobby au now now now, il affirme que tout ne tourne par uniquement autour du sexe, now now now, ils touille bien son fonds de commerce à la Johnny Guitar Watson, il joue cette carte à plein, il ramène de la ferraille dans son groove, ça sent bon le Patter no-stair. Il a tout le répondant dont on peut rêver, il fait même du funk avec «Drink From Your Own Well», Patter n’est pas un amateur, son funk est sauvage, pas du tout maîtrisé, ah ah ah, il rigole entre deux rasades. Et sans transition, il passe au heavy blues avec «Talk Slow Blues», c’est du sérieux, il ne laisse rien au hasard, Patter est un pote, chez lui, une note est une note. Il chante son «When The Licking Stops» les jambes écartées, sa voix porte loin vers l’horizon. Il renoue avec Johnny Guitar Watson dans «My Weakness Is You», il a le même sens de la descente dans le weakness, my weakness is you girl.    

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             Fantastique album que ce Storyteller qui n’est pas si vieux, puisqu’il date de 1998. C’est un bel album de Black Power («Bricklayer», il te groove le dancing strut d’entrée de jeu - I’m a brick/ Brick/ layer), mais aussi de funk («I Got To Get Over» et «Yellow Pages», l’hard funk de Patter qui fait son JeeBee), mais il est surtout l’un des rois de la good time music («Let’s Do Something Diferent», «If Every Man Had A Woman Like You» et «It’s Got To Be Mellow», il adore la Soul des jours heureux, il t’emmène littéralement au paradis). Au paradis encore avec deux Beautiful Songs : ««I Fell Asleep (One Time Too Many)» et «I Can Help You Get Even With Him», merveilleux balladifs de satin jaune, ses slowahs collent bien au papier. Quel beau crooner ! Il sait se montrer intense en matière de dramaturgie. Et comme le montre «I’ll Take Care Of You», Patter sait aussi faire de l’art moderne.

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             Live At The Longhorn Ballroom aurait pu s’appeler Hot & Sexy. Patter chauffe la salle au scream, pulsé par la rythmique de James Brown. Il est ce que les Anglais appellent un performer of choice. Il joue le blues d’«I’ll Play The Blues For You» avec un niaque effroyable. Dans les zones de répit, il jazze ses notes, il joue liquide. Patter est un cake extraordinaire. Il rend hommage à la Nouvelle Orleans avec «Let The Good Times Roll», il ramène de l’accordéon dans le son. Tu veux savoir à quoi ressemble l’extrême beauté d’un heavy groove ? Alors écoute «Right Place Wrong Time». Patter est l’artiste suprême, il faut le voir se couler dans la Soul, les chœurs font «somebody !», et Patter reprend la main. Il rend ensuite hommage à James Brown avec «When Lickin’ Stops», il est partout, ah !. La grande force de Patter c’est d’allumer le funk sur la durée et de rester powerful. Au cœur de l’action, il se marre, ah ah, il crée les conditions de l’heavy funk long distance operator. Il termine avec l’un de ses vieux hits, «I’d Rather Eat Soup», il te swingue ça au long cours, il reste passionnant pendant 7 minutes, il est bel et bien le Patter Noster, il groove jusqu’au bout de la nuit au somebody else, une vraie merveille.

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             Patter grimpe sur sa moto pour la pochette de ce big album qu’est Back Out Here Again. Ce n’est pas une petite moto. Au moins une Harley. Patter tient sa Les Paul noire dans les bras et au dos, on le voit porter son blouson marqué Bobby Patterson. C’est donc un homme complet. On peut dire la même chose de l’album, cet album complet démarre en trombe avec le morceau titre, un shoot de wild boogie d’une rare violence. S’ensuit un pur coup de génie, «I Got Yo Hoochie», Patter l’amène avec une classe incroyable, il groove l’heavy blues et ouvre la Mer Rouge pour offrir le passage à un solo de sax. Il passe à l’heavy funk de Soul avec «Big Thigh Cutie Pie», c’mon Bobby, il te shake le juke vite fait ! Il atteint encore une profondeur de funk extraordinaire avec «A Good Man», il est tellement pur dans sa démarche qu’il frise le génie en permanence - A good man is hard to find - Il tranche encore dans le lard de la matière avec «How Do You Spell Love», hey, il force bien le passage ! Il a en plus un jeu très agressif qui l’absout de tous ses péchés. Avec «Must Be The Hood In Me», il bascule dans l’intimisme - I’m just the same old man/ Doin’ the best I can/ Yeahhhhh - Il te souffle son yeahhhh dans le cou et il termine avec une retake de «Big Thigh Cutie Pie», c’mon pie, ah hah, il est sur tous les fronts, Patter est le vainqueur suprême, il te fend le lard du groove en deux, il a cette énergie du c’mon baby et du yeahh, et des blackettes viennent rapper sur le butt du cut. Pur genius !        

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             Paru en 2014, I Got More Soul est encore un big album. Patter y fait du gospel avec «Everybody’s Got A Little Devil In Their Soul», il est just perfect, everybody ! Il groove le gospel, avec des chœurs de mecs. Il amène «Your Love Belongs Under A Rock» au heavy bassmatic, ça devient vite une merveille inexorable. Chez Patter, on se régale à chaque instant. On entend aussi un joli coin-coin de sax. Il fait plus loin de la petite pop de Soul avec «I Feel The Same Way». C’est dans l’esprit de Sam Cooke. Il est à l’aise dans tous les genres. Non seulement il est à l’aise, mais il excelle à tous les coups. Retour au groove de swamp avec «Can You Feel Me». Il passe en rampant et ne laisse bien sûr aucune chance au hasard. Il taille dans l’épaisseur du son. Il est l’un des rois méconnus du groove. Perché sur ton épaule, il croasse le groove des potences et te rappe la mort. Il replonge plus loin dans l’heavy funk avec «It’s Hard To Get Back», mais il le fait à la manière de Jimi Hendrix, au temps de «Killing Floor». Il gratte ça à la folie. S’ensuit un vieux slowah typique des surboums de 67, «I Know How It Feels». Il chante avec des mains baladeuses, Patter te ramène au jardin d’Allah, qui est le paradis sur cette terre. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier d’album classique avec «The Entertainer Pt 1». Il est à la fois Johnny Guitar Watson et Spike Lee, il est là pour te donner du wild bonheur, il groove au petit bonheur la chance, fabuleux Patter, il te sert une ultime rasade d’heavy groove, celui qu’on destine généralement aux heavy groovers. 

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             Le petit conseil qu’on pourrait donner aux amateurs de grosses compiles serait de rapatrier celle que Westside consacre à Patter, How Do You Spell Love? (The Paula Recordings 1971-73). Rien que pour l’«Everything Good To You (Just Don’t Have To Be Good For You)», cut de Soul de rêve, Patter s’y montre puissant et solaire, il y va au aw no !, il n’en démord pas. Il fait aussi de l’excellent funk : «If Love Can’t Do It (It Can’t Be Done)», «Make Sure You Can Handle It» et «If You Took A Survey», il s’y montre digne de James Brown, c’est gratté et cuivré à outrance. Il attaque son Suvey au hey lookin’ In !, et rend un hommage spectaculaire à James Brown. Belle énormité encore que ce «What Goes Around Comes Around», son groove décolle très vite, Patter ne traîne pas en chemin. La dominante reste bien sûr le r’n’b, comme l’excellent «Right On Jody» - I got the feeling/ In the back of my mind ! - Patter touche à tout, surtout aux vulves, comme le montrent «Take Time To Know The Truth» ou le sexy «I Got My Groove From You», une merveille de groove ondulatoire. Il reste au paradis du groove pour «It Takes Two To Do Wrong» et nous re-pond un hit de juke avec «How Do You Spell Love». Une vraie merveille : scream + nappes de cuivres = la recette du bonheur. Il passe au wild r’n’b avec «Quiet Do Not Disturb», ça joue au raw primitif. Avec le vieux slowah «She Don’t Have To See You (To See Through You)», il se prend pour les Stones. Il prend «This Whole Funky World Is A Ghetto» à la petite attaque de pelle à tarte, il danse le cul en arrière, il y va à reculons, il yeah-ehhhhhte, il ergote comme un coq en pâte.

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             Si on veut se payer un dernier spasme royal, alors il faut écouter Taking Care Of Business, une belle compile Kent illuminée par le sourire de Patter. Ça grouille tellement de puces là-dedans ! Ses hits sont d’une fraîcheur garantie à 100%, il sonne comme Wilson Pickett et tout Stax avec «Soul Is Our Music», puis «I’m Leroy I’ll Take Her» t’envoie directement au tapis, c’est un heavy r’n’b à la «Tighteen Up» - Hey I’m li-Roy ! - Encore du pur jus de Wilson Pickett avec «Broadway Ain’t No Funky No More» et «Don’t Be So Mean», il a ce power, il shoute à outrance, encore du classic raw avec «Busy Busy Me», suivi à la trace par une horde de cuivres, et il calme le jeu avec un heavy balladif de Soul incendiaire, «Sweet Taste Of Love». Puis il fait son Sly avec «TCB Or TYA». Screamo primo ! Son génie explose au grand jour. Encore une Soul de prodigieuse qualité avec «Keeping It In The Family», suivi d’un heavy stomp de r’n’b chanté à la voix d’ange, «My Baby’s Coming Back To Me». Il est encore le roi du monde avec «Guess Who». Patter est une bête, c’est important de le signaler. Il sait aussi draguer au fond d’un lit comme le montre «You Taught Me How To Love» et son «I’m In Love With You» est exceptionnel de joie et de bonne humeur. Quel artiste ! Même trempe que Darrow Fletcher. Génie pur.

    Signé : Cazengler, Bobby Chatterton

    Bobby Patterson. It’s Just A Matter Of Time. Paula Records 1970

    Bobby Patterson. Second Coming. Proud Records 1996             

    Bobby Patterson. I’d Rather Eat Soup. Big Bidness Records 1998    

    Bobby Patterson. Storyteller. Good Times Records 1998

    Bobby Patterson. Live At The Longhorn Ballroom. Proud Records 2003

    Bobby Patterson. Back Out Here Again. Proud Records 2012    

    Bobby Patterson. I Got More Soul. Omnivore Recordings 2014

    Bobby Patterson. How Do You Spell Love? (The Paula Recordings 1971-73). Westside 2001

    Bobby Patterson. Taking Care Of Business. Kent Records 1991

     

    *

    Les Spuny sont de retour ! N’étaient pas partis. Un peu, oui si l’on veut, sont allés à Las Vegas, ont écumé l’Europe, z’ont même été au Japon, bref vous les trouviez un peu partout en concert. Plus de treize cents à leur actif. Par contre leur discographie n’est pas aussi longue que le pont de Tancarville, que voulez-vous vous ne pouvez pas être en même temps au four du studio et aux moulins de la scène. Trois ans et demi qu’ils n’avaient pas sortis un album, comme tout arrive en ce bas-monde, viennent de concocter une petite merveille.

    DESTINATION UNKNOWN

    SPUNYBOYS

    (BA ZIQUE / Novembre 2024)

             Faut avoir vu au minimum une fois les Spuny sur scène, au moins après vous savez que vous pouvez mourir sans regret. Une tuerie. Au fond Guillaume, chaque fois qu’il tape vous vous dites qu’il pourfend un coffre de pirates rempli de sequins, l’écho vous les éparpille sur le coin du museau et une pluie d’or tombe sur vous. Ô Danané ! Ô Zeus ! Oui, il abuse des obus perforants, mais quelle performance. Devant Rémi. Lui il ne fait strictement rien. C’est sa contrebasse qui se charge de tout le boulot, il essaie de la retenir, il lui monte dessus pour qu’elle ne s’enfuie pas, peine perdue, il la tient d’une main, elle tournoie, lui échappe, vire, virevolte et finit par s’envoler. Pour se donner une contenance devant un instrument si désobéissant, il chante, un peu à la peau-rouge, énervé du comportement déluré de son bâton de jeunesse, je me demande si je ne devrais pas dire de vieillesse car ça plus de quinze ans qu’ils sont ensemble. Enfin Eddie à la guitare. Ni devant, ni derrière. Ni sur le côté. L’est partout. Donnez-moi un guitariste comme lui, et je ferais aussi bien que les deux autres. Enfin, presque. Non, il n’a pas une guitare à six cordes comme tout guitariste bien élevé, il s’en sert comme d’un arc à six cordes.  Vous pouvez liker chacun de ses licks, les lance comme des flèches, toutes blessent et la dernière vous transperce, c’est simple chaque fois, dans l’interstice ténu qui sépare deux notes de ses commères, dans la vibration qui les unit, son trait pointe et cartonne, et quand ils ne lui laissent pas une place pour s’imposer, il s’en fiche et fiche son dard dare-dare sans retard  dans la cible impossible.

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             Dès que nos trois hallebardiers sont sur scène instantanément ils se transforment en rock machine. Poussent l’outrecuidance à ne jamais être une rock-mécanique. Certes ils jouent avec le rythme, et ils mumusent avec la mélodie, mais ils s’amusent avec les aléas, maîtrisent les accidents du terrain, les embardées, les sorties de route, le pot aux roses c’est qu’ils sont des virtuoses.

              Cachet de cire pour le nom du groupe, nos trois boys sont assis sur les marches qui mènent à une porte fermée dont ils ont l’air de se moquer. Ny portent aucune attention, ne sont pas en train de knockin’ on the heaven’ door, peut-être parce que le paradis c’est eux ! Remarquez le cadre dentelé, rêvent-ils d’un timbre à leur effigie ! L’artwork est de Jake Smithies.

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    A la console, Phil Almosnino a pris le rôle. Les boys n’ont pas choisi le dernier des tocards, z’ont opté pour le brocard, parsemé d’or et d’argent, a officié à la guitare avec les Dogs, les Wampas, Hallyday, plus une multitude d’autres… A première écoute l’on a envie de s’écrier, Destination Inconnue, se foutent de nous ils savent très bien où ils vont, ces gars ne sont pas perdus dans le brouillard, z’ont les yeux fixés sur la ligne bleue de l’herbe américaine. Faut comprendre, vont vous en faire voir de toutes les couleurs, vous allez visiter du pays, un groupe de rockab certes, mais le rockab n’est pas apparu par miracle un beau matin, il vient de loin, l’est né dans tous les Etats du pays, l’est vrai que certains ont été davantage prolifiques et essentiels que d’autres, l’a fallu du temps pour que le rockab se cristallise, si vous jetez votre cristallin dans sa transparence vous apercevrez la draperie diaprée de toutes ses origines, blues, jazz, folk, country, je vous épargne la panoplie, l’Afrique, l’Europe, les particularités régionales, et caetera, et caetera dixit Marcus Tullius Cicero, z’avez intérêt à avoir toute la palette en tête pour goûter au mieux cet album… 

    Fame in vain : vous refilent tout un  dictionnaire en deux minutes et vingt- deux secondes, un régal, n’avez pas repéré un truc que ça passe déjà à une autre surprise, attention ça se bouscule sur la bascule, ne soyez pas captivé par le galop, ils passent la ligne d’arrivée avant vous, vous êtes obligé de vérifier la pellicule  car vous avez raté le plus important, ne serait-ce que ces trois rattellements de contrebasse non électrifiée au tout-début, le glissement des pattes sur le parquet ciré d’une souris que le chat tire en arrière, ses incisives décisives refermées sur la queue du pauvre rongeur. Fame en vingt séquences. Good man deep down : ah ! cette guitare qui sonne comme les cloches de l’église de Carcassonne, l’on quitte l’efficacité rockab pour la suffisance égoïste du country, bien sûr au milieu vous avez ces broderies pas pickée au hanneton, une autre façon de raconter la même histoire, un peu moins glorieuse, mais quel régal que ces rodomontades du gars qui a tout vécu et qui détient la sagesse absolue, image de redneck réac, conservateur, con et stupide. Bref un homme comme les autres, comme nous. Better son since I’m dad : le même que le précédent. Exactement la même chose. Mais après la face nord, voici du côté du sud, la voix de Rémi resplendissante comme le soleil, la batterie de  Guillaume qui trotte gentiment, et la  guitare d’Eddie qui vous fout son grain de sel sur l’oiseau du bonheur qui s’envole. Que l’on regarde monter dans le ciel, l’on sait qu’il va s’évanouir dans l’immensité azurée, mais l’on garde l’illusion qu’il reviendra et acceptera de s’enfermer dans la cage de notre cœur. Blowin in the holwin wind : changement de programme. Hien quoi ? What it is ! Un scandale ! Une hérésie. Un truc interdit ! Qui ne devrait pas exister ! Ils ont osé, qu’on les colle contre un mur, avec de la glue extra-forte, qu’ils ne puissent pas s’échapper, et qu’on les fusille immédiatement ! Vous ne me croirez pas, vous direz que je mens. Pas du tout ! Ils se sont permis, en plein milieu d’un disque de rockabilly, d’introduire du jazz ! Du jazz oui ! Bon, sachons comme les philosophes grecs modérer notre courroux, transformer notre ire en juste réflexion, réfréner  notre colère mauvaise conseillère. Du jazz, soyons précis, exactement du swing. Remarquons, pas n’importe lequel, sont allés directement à l’essence de cette musique de nègres délurés, du swing ! En plus ça ne valse pas mal. L’est vrai que le swing a donné naissance au beat, et le beat est le cœur beattant du rockabilly. Qu’on leur pardonne, surtout qu’ils ne recommencent pas. En cachette, repassez-moi ce morceau, s’en sortent bien de cette avanie, il faut le reconnaître, en plus la voix de Rémi qui monte et descend à toute blinde dans l’ascenseur, c’est très bien. Coffee tox : enfin un rock’n’roll, un vrai, une guitare cochranesque, un piano démantibulé c’est Guillaume qui y touche, normal c’est un instrument à percussion, que dis-je à persécution, quand il vous tient il ne vous lâche plus, un vocal à la Little Richard, connaissent leurs classiques, en plus ils font durer le plaisir, remettent le couvert pour un second service, l’Eddie il poinçonne des hameçons sur sa gratte. Jugez de ma mansuétude, moi qui suis un intox au café je passe sous silence qu’ils terminent en réclamant une tasse de lait !

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    Destination unknown :  on était dans les cinquante, on pousse le curseur sur les sixties, vous font le coup du slow, quoi les Spuny un slow, ouvrez la fenêtre que je me défenestre, un slow aux racines blues et à l’arrache vocale. Tout dans l’intensité. Vous avez une vidéo qui vous explique : deux gaminos, deux frères de sang, deux tout jeunes rockers en herbe, deux flamboyants, un poteau d’Eddie qui a disparu. Un alter égo. L’autre moi qui n’a pas eu lieu. Un hommage, lancé comme une bouteille à la mer sur l’océan de la mort. Poignard poignant. Eddie a le mauvais rôle, celui de la poste restante. In dreams : morceau composé par PC Van Der Erf, chanteur, vous le connaissez sous le nom de Jake Smithies, voir plus haut : sur les premières notes vous parieriez la dernière chemise de votre voisin, à coup sûr un instrumental, ben non Rémi n’oublie pas de chanter. Un rock léger à la Buddy Holly, qui n’est pas sans rappeler Temptation Baby de Gene Vincent, ça sautille, ça grapille, ça file droit tranquille comme une torpille, l’air de rien avec trois petits coups de rien du tout Guillaume signale qu’il mène la cavalcade, Eddie imite le bruit de la machine à coudre électrique de votre grand-mère.  Et si la vie n’était qu’un rêve ? King of Royal Street : dans le même style que le précédent, côté rockab, une petite fille qui joue à la corde dans la cour de récréation, attention, changement de tempo, côté country pour le refrain, le jeune loup aux dents longues qui se la joue et se prend pour le président de la République, j’adapte car par ici on décapite les rois, le gars s’y croit, n’empêche que les instruments s’en foutent, sont tous les trois en train de tressauter à l’élastique. Prennent leur temps. Lily May : un rock gentillet, un peu passe-partout, n’y a qu’à se laisser porter, on écoute la bluette, se terminera-telle bien ou mal. On s’en fout. On se contente d’engranger dans nos neurones auditifs la symphonie rockab, n’arrêtent pas de se repasser le mistigri, une partie de tennis à trois, car la Lily May, elle n’est qu’un prétexte, elle compte pour du beurre, Rémi fait bien le joli cœur pour donner le change, mais l’on n'y croit pas une seconde. Two flames boogie : l’on repasse aux choses sérieuses, un peu de boogie pour effacer l’impression poppy du précédent, un vocal survolté, est-ce vraiment Rémi qui chante, ne s’y sont-ils pas mis à deux, une gratte qui fait le gros dos, une bat’ qui ronronne tel un tigre, le plaisir de jouer, la joie d’offrir, une guit’ qui défrise sa moustache, Guillaume qui enfonce les clous, Eddie qui envoie des signes de détresse, la contrebasse qui trace son chemin, Rémi joue à Jimmy Rodgers, tout va bien, le train peut dérailler, on s’en fout c’est trop bien. Two pizza in a row : deux pizzas (seraient-ce deux  objets transactionnels symbolique) yes, but very hot, on the rock, tout compte fait je me demande, le premier mouvement est souvent le meilleur, si on n’aurait pas dû les fusiller tout à l’heure, là ils se défoncent, sont partis, ne se retiennent plus, c’est un peu la charge de la cavalerie légère, foncent comme des madurles, nous on s’empiffre, on bouffe ces bienheureuses pizzas jusqu’à la boîte en carton, on en raffole. Do right do write : z’ont la recette, facile, vous faites ce qu’il faut et le morceau s’écrira tout seul. C’est le même tour de main que pour les pizzas précédentes, vous enlevez le morceau au triple galop, et vous laissez filer. A fond de train. Ah les fripons, ils n’ont aucun mérite, ils savent jouer, z’ont le rock au bout des doigts, au fond du gosier, entre nous soit dit si vous connaissez un groupe de rockab aussi bon, téléphonez-moi tout de suite. Je suis preneur. Meilleur inutile de chercher, vous ne trouverez pas. Driven by blues : ouf enfin un blues, un peu simili, c’est un blues qui sent un peu  le rock’n’roll, c’est congénital chez eux, ne peuvent pas échapper à leur malédiction congénitale, c’est leur destin, ils n’y peuvent rien, ils y peuvent tout. Dang me : tiens il y a deux semaines le Cat Zengler évoquait l’adaptation française par Hugues Aufray de  King of the road de Roger Miller, les Spuny reprennent ici un autre grand succès de Miller : une belle réussite, pas facile ces passages moitié chantés, moitié parlés, une gageure, Rémi se joue des difficultés, vous imite la pie qui chante comme s’il appartenait au cercle du 3,14, parvient même à nasiller un poil de plus que l’original, sont très fidèles, z’ont réussi à renforcer l’ossature du morceau, sans que rien n’y transparaisse, leur interprétation tient toute seule. Ils n’imitent pas, ils se réapproprient. Sont doués, ou plus exactement ils ont intégré l’esprit de la musique populaire américaine, comme s’ils étaient nés et avaient grandi outre-Atlantique. Pas de panique, des petits gars bien de chez nous !

             Cet opus est une merveille.

    Damie Chad.

     

     *

             L’assassin revient toujours sur les lieux de son crime. Je n’ai pas l’envie particulière de tuer quelqu’un ce soir, quoique l’on ne sait jamais, vous connaissez les gouffres intérieurs de l’âme humaine, simplement la semaine dernière, j’ai pris un grand plaisir à parcourir les vidéos de la chaîne Western AF, alors j’y reviens. J’ai hésité entre plusieurs artistes, cela peut être fatiguant, les country boys ont souvent le cœur en mille morceaux, par la faute d’une fille, ces sales garces, enfin un peu de tenue, messieurs, soyez des hommes, des purs, des durs, des comme moi. J’en ai enfin trouvé un peu différent, alors on écoute.

    THE RED CLAY STRAYS

    (FULL PERFORMANCE – LIVE AF / 30 – 07 – 2024)

    Ils ont commencé petit, en 2016 ils étaient un simple trio de reprises de bar en bar bars, là-bas en Alabama. Deux premiers albums auto-produits en 2022, un troisième en 2024 chez RCA, jugez du chemin parcouru, suivi d’un live de la même crèmerie. Le morceau Wondering why issu de  leur first album Moment of truth devenu viral sur Tik-Tok explique ce changement de statut XXL.

             Ne sont pas du tout au même endroit que Two Runner, sont dans un bar au Callaghan’s Irish Social Club de Mobile.

    Brandon Coleman : lead vocals ,guitar / Drew Nix : vocals, electric guitar  / Zach Rishel: electric guitar / Andrew Bishop : bass / John Hall : drums Sevans Henderson : keys.

             La vidéo commence en blanc et noir, l’on ne voit pas grand-chose mais la voix Brandon raconte qu’ils ont commencé à se produire dans ce bar, avec très peu de spectateurs et une frousse bleue voici six ans, le Callaghan’s est une institution vieille de soixante-dix-huit ans dans lequel il faut avoir jouer (même si vous venez en papamobile) à Mobile. Les voici tous les six qui se dirigent l’entrée éclairée…

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    Wanna be loved : les voilà sur scène, y vont tout doux, la caméra passe sur chacun, elle s’arrête souvent sur Brandon elle a raison, la mélodie s’installe, tout le monde attend une pause, l’est tout beau, ne vous fiez pas aux paroles, qu’est-ce que c’est ce demi-sel qui a besoin d’être aimé, encore un pleurnichard, non sa façon de se tenir, rien de bien original, mais de lui émane une force, et son visage, un peu en lame de couteau, n’ayez crainte il va vous l’enfoncer profond dans le cœur, pose les mots comme quand sur la paroi d’une montagne  l’on bascule des blocs de rocher sur ceux qui essaient de vous suivre, quant aux paroles elles ne sont pas si gnan-gnan que cela, prennent une dimension métaphysique, pas parce qu’il cite Dieu, parce qu’il doute de Dieu, ce qui n’est pas très grave, mais de lui, il est au fond du trou, il ne se fait plus confiance, il ne crie pas, il hausse la voix, il n’implore pas, il retourne le coutelas du scepticisme de soi-même contre lui-même. Tous arrêtent de jouer. Silence absolu. On entendrait voler un ptérodactyle mort depuis soixante millions d’années. Devil in my ear : attention, question ambiance, le précédent vous a des allures de bourrée auvergnate, les musiciens sont au taquet, Henderson caresse son clavier de la peau de ses doigts, une coulée de guitare, Brandon brandit son vocal, il ne hurle pas, il pose les maux et derrière l’orchestration colle au plus près de la montée en puissance et des glissades en descente, l’est loin, Brandon l’est tout seul, autre part, ailleurs, comme un vers tout nu traversé par l’hameçon de la douleur, le diable dans son oreille, l’a plutôt dans le sang, dans les veines, dans les brumes de son esprit, il crie une fois, l’est dans le vertige des médicaments, produisent des effets désastreux, il titube, il tient debout par miracle, en appelle encore une fois à Dieu qui le laisse se détruire tout seul, l’est le seul qui pourra se tirer de son marasme, c’est dur à dire et d’être franc, on ne parierait pas un dollar sur sa réussite. Lui-même n’hasarderait  pas un cent. No one else like me : un cas psychique, se prend pour un cas à part, les gars derrière ne poussent pas la roue, ce n’est pas qu’il pense qu’il n’existe pas un individu aussi exceptionnel que lui sur la planète, c’est qu’il est persuadé qu’il est le pire de tous les êtres humains, alors les copains l’accompagnent, parfois faut faire semblant d’être d’accord avec les grands malades, il crie, il s’accuse de tous les mots, alors derrière la symphonie éclate, les guitares glapissent comme un lot de renard pris au piège, mais maintenant c’est John Hall qui pique une crise, joue à l’infirmier taillé comme un malabar qui dans les lunatic asylums se charge des patients impatients, vous tape sur le récalcitrant comme s’il était le grand timbalier déchaîné du Berliner Philamorniker Orkestra interprétant La Chevauchée des Walkiries, tout le reste de la section lui emboîte le galop, le Brandon n’en moufte plus une, et les autres continuent sur leur lancée… Drowning : vous me faîtes rire avec la grande dépression de 29, c’est repartir pour les fonds souterrains, le Brandon l’a une voix blanche comme un cadavre, le band ne fait pas bande à part, pour un peu pour le consoler ils se transformeraient en un harmonium au fin-fond d’une église perdue, la basse aussi tubéreuse qu’un tubercule, font tous ce qu’ils peuvent, mais Brandon vous a de ces crises de délires à vous faire peur, les copains essaient de l’envelopper d’ouate, peine perdue il hurle comme un chien à qui vous venez de marcher sur la queue, folie du gospel. Silence absolu. Il doit être mort. Pas le chien. Brandon.

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             Sont sympas pour vous remettre de vos émotions il vous offre un générique de fin. Blanc et noir. Les trognes épanouies du groupe, agapes après concert. Après ce que vous venez d’entendre vous avez du mal à penser que ce sont de joyeux drilles. Cachent bien leur jeu. Jouent leur rôle à la perfection.

    THE RED CLAY STRAYS

     (Full Performance  / Live AF / Août 2023)

    Beaucoup apprécié leur prestation. On ne change pas une équipe qui gagne. Même personnel que sur la Performance précédente, ne manquent que les claviers de Sevans Anderson.

    Sont dans la Cité de Laramie. Cet enregistrement ressemble davantage à celui de Two Runner, le groupe seul dans une vaste pièce.  Sa diffusion sur le canal Western AF a concrétisé  le succès initial de Wondering Why sur Tik Tox.

    Un simili générique en noir et blanc, le groupe en train de rouler son matos. Une atmosphère beaucoup plus roots que la précédente session, n’oublions pas qu’elle se déroule un an après celle première, ne serait que par l’apparente froideur du lieu et le ton gris-bistre de l’ensemble.

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    Stone’s Throw :  un doigt sur une corde de basse, Brandon au micro pratiquement a capella, l’a une belle gueule, rappelle un peu celle d’Eddie Cochran, tout le morceau repose sur le vocal, les autres y vont mollo, mais pas mollasson, c’est un régal d’écouter les fuselages électriques des guitares,  interviennent avec des doigts de fées, la voix gagne en puissance, du pur country, une chanson type, sur la route du retour à la maison, nous ne les verrons pas arriver, nous les laisserons à un jet de pierre de la bicoque, juste la route et la fatigue, d’où viennent-ils dans quel village débarquent-ils, on ne le sait pas, juste un instant d’éternité, la route, et rien d’autre. Avant. Après. Aucune importance. L’immensité américaine. Killers : une ballade américaine. Finie l’immensité. Juste une vie. De misère. Il est né dans la rue, il retourne à la rue. American beauty, american reality comme disaient les autres… Une vie exemplaire, le Vietnam, la mort d’un gamin, la prison, j’abrège pour ne pas vous faire pleurer ou éclater… de rire, passer à côté de son existence. Que de temps perdu… Dieu n’est pas pressé de le rappeler. Glaçant.  Une voix qui mord, des guitares qui glissent tout doucement comme des serpents venimeux qui ne veulent pas se faire remarquer.

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    Wondering Why : lisez le texte. Une bluette à l’eau de rose. Pas étonnant que sur Tik Tox les fillettes aient adoré. Ben vous allez être déçus. Une espèce de blues qui pue des pieds, complètement déglingué. Vous raconte qu’il adore cette fille qui l’aime, l’a même un peu de mal à croire à son rêve, mais de la manière dont il plante ses mots, cous croiriez qu’il est en train d’enfoncer encore et encore un couteau dans son cadavre encore chaud.  A l’entendre chanter l’on se dit que ce mec doit être inapte au bonheur. Don’t Care : dans ce dernier morceau, tout est normal, la fille est partie, et lui n’est plus qu’une épave qui n’attend plus que la mort. L’est un tantinet désespéré. Elève la voix. Derrière ils font grincer les instrus comme l’enseigne rouillée de la maison du bonheur abandonnée. Certes c’est désolant. Mais le pire c’est que l’on est obligé de constater que les trois morceaux précédents, quelle que soit la situation, elle n’est pas souvent brillante, c’est toujours la même ambiance, la même déprime, l’histoire d’in gars qui n’arrive pas à coller avec le monde qui l’entoure, avec la vie, avec sa propre existence, avec lui-même.  Chante, s’exprime, avec un tel accent de véracité que vous croyez dur comme du fer à ce qu’il raconte. Si vous rajoutez que le reste du groupe n’en fait jamais trop, jamais trop peu, qu’ils collent à son vocal comme la poisse. Comme la mort à la vie. Vous êtes obligés de reconnaître que ces maraudeurs de l’argile rouge laissent derrière eux des traces inquiétantes. Très fort.

    Damie Chad.

     

    *

    Parfois la vie vous fait de drôles de cadeaux, je sais bien que c’est Noël mais ce n’est pas une raison pour exagérer ! Bien sûr le mythe de l’Atlantide est un gouffre sans fin, mais voici qu’un courriel me met en présence d’un deuxième continent totalement inconnu. Heureusement qu’un lien internet me permet d’aborder ce mystérieux rivage en quinze secondes, mais commençons par le commencement, je vous révèle sans plus tarder l’origine de cette invitation :

    THUMOS

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             J’ouvre l’image. Je reconnais : la couve de l’EP Atlantis que j’ai chroniqué dès sa sortie au mois d’avril de cette année. Etrange, z’auraient-ils réenregistré l’opus, ajouté un ou deux inédits… A première vue, rien de spécial. Nous suivons Thumos depuis longtemps. Rappelons que Thumos est un groupe instrumental post-metal, si cette étiquette désigne vraiment quelque chose, américain. Un des plus originaux, engagé dans une bizarre aventure musicale et intellectuelle qui consiste à rendre compte dans ses opus de la pensée philosophique de Platon. Ainsi nous a été donnée leur interprétation de La République et du Banquet deux des plus prestigieux dialogues de notre philosophe.

             Par ce paragraphe nous ouvrons une parenthèse pour ceux qui s’étonnent de ce type de projet, se demandant comment l’on peut donner une idée d’ouvrages platoniciens juste par l’emploi d’une musique dépourvue de toute parole. Nous les invitons à lire la chronique suivante sur Emmanuel Lascoux qui pose et propose une méthode, c’est ainsi qu’il faut la lire, de transposition d’une œuvre en un autre langage, avec d’autant plus d’intérêt qu’il s’agit de passer d’un texte grec vieux de deux mille cinq cents ans à notre français moderne…

             Avant de quitter Thumos, bien que ce soit le sujet principal de cette Kronic, notons que Thumos ne se livre pas à une tâche stérile à prétention étroitement culturelle. Il s’agit de lire Platon pour mieux comprendre notre propre relation à notre présence au monde, à notre civilisation qui n’est pas au mieux de sa forme, nous savons depuis Valéry qu’elles sont toutes mortelles, qu’en évoquant Atlantis, Platon  pose la problématique cyclique de la disparition de toute culturalité continentale… Plusieurs disques de Thumos font référence à ce questionnement fondamental en empruntant d’autres sujets à des ouvrages qui ne sont pas directement liés aux livres de Platon.

    GBHDL

    (autrement dit)

    GAMES, BRRRAAAINS & HEAD-BANGING LIFE

             Un site d’amateurs de jeux-vidéos et de fans de musique qui vous font bouger la tête, et de par la loi aristotélicienne de la causalité ce qui s’y trouve dedans : votre cerveau. Un sacré remue-méninge. Si vous désirez vous rendre tout de suite sur cette plate-forme tentaculaire munissez-vous d’un paquet de biscuits car il y a lire et à regarder. Or chaque année GBHDL livre son palmarès : les dix meilleurs albums de metal de  l’année et le top ten des dix meilleurs EP de l’année. Vous avez deviné : l’ EP Atlantis de Thumos remporte la première place.

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             Je me méfie toujours des hit-parades, que n’importe quel groupe soit plébiscité par des milliers voire des centaines de milliers de personnes, n’est pas selon moi un gage absolu  de qualité supérieure.... Je proviens du Symbolisme, je pense à Pierre Louÿs qui ne prévoyait d’imprimer sa revue de poésie La Conque à cent exemplaires pour cent lecteurs qu’il choisissait en envoyant les bons de souscription uniquement à ceux qu’il pensait être capables de lire les douze  livraisons prévues pour une seule année.

             GBHDL me surprend agréablement. D’abord il y a deux Tops Ten chacun établi par un seul individu : Brendan et Carl. Bref sont nominés en tout vingt EPs. En numéro 1 Brendan pose Tren Kills pour Blood for the Crown. Un titre qui immédiatement fait penser à Sex Pistols. Carl, vous l’avez deviné dépose une couronne de laurier sur l’EP Atlantis de Thumos.

             Un titre a motivé ma curiosité : des français, Ways et leur EP Are Wee Still Alive ? Nous les chroniquerons dans notre prochaine livraison.

    Damie Chad.

     

    *

             Ce n’est pas un rocker, l’on se demande bien d’ailleurs pourquoi les Dieux lui ont laissé la permission de vivre, il joue même du piano Mozart, Beethoven, Brahms et tout le bataclan, oui toute la clique classique, certes c’est un esprit ouvert, une qualité qui ne lui octroyait tout de même aucune chance d’avoir une chronique à son nom dans un blogue rock, z’oui mais il a l’âme grecque, et vous connaissez mon parti pris immodéré pour la Grèce, bref on l’écoute…

    EMMANUEL LASCOUX

            Dans la vie civile il exerce la noble profession, en voie de disparition, de professeur de grec. Vient de faire paraître une traduction de L’Illiade, un dangereux récidiviste, en 2021 il s’était attaqué à L’Odyssée. Chez POL. Comme il est musicien en ce mois d’octobre il a sorti un drôle de récit intitulé Le Poids des Pianos. Inutile de vous ruer dessus, ce n’est pas une bio sur Jerry Lou. Revenons à ses homériques traductions. Elles posent problème, ce ne sont pas des traductions. Attention ce n’est pas un tricheur, il est fidèle au texte, il n’en supprime pas des passages, il ne rajoute pas des épisodes non plus. Lui, il dit qu’il en propose une version. La sienne, il ne prétend pas qu’elle est meilleure ou supérieure à toutes les autres.

             Le mot version vous a fait pâlir, de mauvais souvenirs scolaires remontent à la surface de votre mémoire, parfois la mer recrache les débris de naufrages oubliés, entendez le mot version autrement. Prenons un exemple précis : si je vous dis que les Spunyboys (voir chronique supra) vous présentent sur leur tout nouvel album une version de Dang Me de Roger Miller, le mot ‘’version’’ ne suscite en vous aucun effroi, vous êtes en pays de connaissance, la reprise est un des éléments fondationnels du rock’n’roll.

             Les textes d’Homère c’est un peu comme le texte de Be Bop A Lula, l’un est écrit en grec et l’autre en anglais. Prenez le temps d’écouter la version des Chaussettes Noires du hit de Gene Vincent. Chinoisons un peu, Homère n’a jamais écrit ses deux méga-poèmes, à l’époque de leur conception, les Grecs ne savaient pas écrire, il les composait, les imaginait dans sa tête, il les récitait, il les chantait, il s’accompagnait d’une  lyre non électrifiée. Comme l’ensemble des deux poèmes comptent plus de vingt-cinq mille vers, vous imaginez le boulot. Négligeons tous ceux qui ont participé à cette œuvre collective…

             Essayez de réciter de tête deux cens vers de Victor Hugo au dîner de communion du petit dernier. Pas facile. Vous avez dans les tirades d’Homère des trucs, on dit des moyens mnémotechniques, pour réactiver la mémoire défaillantes, des répétitions, les fameuses épithètes homériques, Achille au pied léger, par exemple.

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    Emmanuel Lascoux part du principe qu’il y en avait d’autres qui n’apparaissent pas dans le texte en notre possession, les variations de timbre du récitant-chanteur, le débit plus ou moins rapides, les mimiques qui aident l’aéde, vraisemblablement diverses positions théâtrales du corps… Les Grecs écoutaient-ils religieusement l’artiste dans un silence absolu, Emmanuel Lascoux n’est pas en accord avec cette image d’Epinal, le vin circulait, certes les récits mythiques étaient captivants mais pour maintenir l’attention du public, le texte devait aussi emprunter des expressions et des moyens élocutoires en vigueur à l’époque de ces satanées récitations. Prenez exemple sur moi, puisque j’écris pour un public de rocker je me permets de glisser dans un texte portant sur les problèmes de traduction d’Homère une allusion au pumpin’piano de Jerry Lou.

    Emmanuel Lascoux s’est lancé dans une démarche similaire. L’a décidé d’utiliser le français qui se parle aujourd’hui. Un français qui suit les rythmiques des musiques qui nous entourent, les syncopes du jazz, les accentuations slamiques, l’impact sonore du rock, il n’hésite pas non plus a utiliser le langage sonore et interjectionnel des BD onomatopiques, bim, bam, boum ! Crac, boum, hue !

    Bref il nous livre une version peu académique de l’Illiade et de l’Odyssée. Certains adorent, d’autres se bouchent le nez. Lorsque les premières traductions d’Homère ont paru à la fin de la Renaissance, les littératures grecques et latines que l’on redécouvrait étaient considérées comme des modèles insurpassables, on les révérait, on drapait les textes originaux en les styles ampoulés, les plus déclamatoires les plus châtiés, les plus respectueux, les plus grandiloquents, dignes des Dieux et des Héros… Cette tradition s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui même si des parodies de ces épopées ont assez vite vu le jour…

    Vous trouverez très facilement sur le net de multiples vidéos dans lesquelles Emmanuel Lascoux explique sa démarche. A un niveau théorique, mais aussi pratique. Il lit le texte grec, il lit plusieurs traductions d’un même fragment effectuées par plusieurs auteurs qui l’ont précédé, et donne de multiples extraits de son propre travail. Il prend soin de mêler à ses lectures le texte grec originel, dont il essaie par la même occasion de retrouver la musicalité originelle. Tentative peu évidente, aucun enregistrement sonore ne nous est parvenu de l’Antiquité ! Actuellement, c’est un peu la mode, l’on demande à l’Intelligence Artificielle de retrouver la prononciation ‘’ originelle’’ de langues ensevelies dans les catacombes du silence dont il ne nous reste que des écrits.

    Certains s’étonneront de cette chronique consacrée à Emmanuel Lascoux, c’est oublier un peu vite les années de tâtonnements que le rock’n’roll français a tenté avec beaucoup plus d’échecs que de réussites à adapter les textes américains et anglais des artistes d’outre-Manche et de l’autre bord de l’ Atlantique. Le passage d’une langue à l’autre n’est pas évident, créer des équivalences crédibles n’est pas une sinécure. Une simple évidence : beaucoup de groupes français utilisent l’anglais…  Ecoutez voir !

    Damie Chad.