Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

thumos

  • CHRONIQUES DE POURPRE 671 : KR'TNT ! 671 :JESUS AND MARY CHAIN / HARLEM GOSPEL TRAVELERS / TINDERSTICKS / DAMNED / BOBBY PATTERSON / SPUNYBOYS / THE RED CLAY STRAYS / THUMOS / EMMANUEL LASCOUX

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 671

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 12 / 2024

     

    JESUS AND MARY CHAIN / HARLEM GOSPEL TRAVELERS

    TINDERSTICKS / DAMNED / BOBBY PATTERSON

    SPUNYBOYS / THE RED CLAY STRAYS

    THUMOS / EMMANUEL LASCOUX

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 671

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    AVIS A LA POPULATION KR’TNTIQUE

    LA DIRECTION SOUCIEUSE DE L’ETAT DEPLORABLE

    DANS LEQUEL NOS LECTEURS SERONT PLONGES

    AU SORTIR D’UNE EPROUVANTE SEMAINE

    DE LIBATIONS EFFRENEES

    AVERTIT SES FIDELES ADMIRATEURS

     QUE LA LIVRAISON 673

    PARAÎTRA LE 08 / 01 /2025

    KEEP ROCKIN’ ! 

     

    Wizards & True Stars

    - The wind cries Mary Chain

    (Part Four)

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             La parution d’une autobio des frères Reid bat tous les records d’inespérette. L’événement revêt un aspect particulièrement significatif, car il s’agit d’un retour aux sources. Tu bois les paroles des frères Reid à la source, comme ce fut le cas avec Iggy dans Total Chaos. Plus de filtres, plus d’intermédiaires, plus d’articles douteux dans la presse, tu t’assois dans ton fauteuil, tu installes ce beau pavé entre tes mains moites et les frères Reid te parlent. Oui, ils te parlent à toi, pauvre pêcheur, et tu vis ça comme une sorte de privilège. L’essence d’une autobio, quand elle est réussie, est la proximité. Ce bon book t’apporte cette certitude. Ce sont leurs vrais mots, leur vraie voix, leur vrai humour. Et comme le premier à te parler de The Jesus & Mary Chain fut Jean-Yves (qui dans ces mid-eighties venait de se faire teindre les cheveux en rouge-orangé), alors ces retrouvailles avec le groupe relèvent du sacré.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Never Understood - The Jesus & Mary Chain fait 300 pages. Bonne couve, bon choix de papier, bon équilibre typo, un cahier central d’images, mais pas trop, et l’arme secrète du book est sa conception : il s’agit d’une oral history, Jim et William Reid racontent leur histoire, chacun à leur tour, et ça donne vie au book. D’où ce sentiment de proximité. Les frères McDonald ont utilisé le même procédé pour raconter leur histoire (Now You’re One Of Us - The Incredible Story of Redd Kross). Jim et William n’ont pas le même style. Jim qui est le cadet va plus sur le narratif pur et dur. William préfère la singularité et n’hésite pas à digresser pour éclairer à sa façon. Personnage fascinant. Mais ça on le savait déjà, grâce à ses compos.

             C’est Jim qui rappelle qu’avant toute chose, ils sont frères - We were misfits clinging together, It was us against the world, and it felt like we’d be that way for life - Dès le début, ils se considèrent comme des outsiders, et c’est ce qui va faire leur grandeur, comme elle a fait celles des Stooges et du Velvet. Comme tous les frères, ils passent leur temps à se chamailler, mais jamais quand il s’agissait d’art ou de musique, car ils se passionnaient pour les mêmes choses. William redit tout cela à sa façon, qui est prodigieusement espiègle : «Me and Jim were the elite, at least in our own minds. In the eighties, we used to feel like our joint opinion was the best opinion in the world, and sometimes we were right.» William revient aussi sur l’histoire des crédits des chansons, il rappelle que Jim a composé «Upside Down» et «Never Understand», mais quand dans le backstage, les gens félicitaient Jim pour «Reverence», William attendait que Jim corrige le tir, «but it seemed like he never did», et il met ça sur le compte de la coke - It’s not a drug that makes people inclined to share the credit - Tout n’est pas rose chez les frères Reid, comme d’ailleurs dans la plupart des fratries.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Côté roots, les frères Reid nagent dans l’opulence. Petit, William s’éprend pour les Beach Boys - an engine of sunshine - et il ajoute ça : «My mind opened up like a flower when I listened to them, but most of all it was the Beatles I grew up with.» Et dans la même page, il révèle qu’il a 64 balais at the time of writing, et il affirme qu’il va continuer, I’m always gonna make music, mais il se demande qui sera son public, just old men and women ? Eh oui, William, c’est ce qui te pend au nez. À l’Élysée Montmartre, la dernière fois, la moyenne d’âge semblait singulièrement élevée.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Anyway, les frères Reid sont tellement pauvres quand ils sont petits qu’ils n’ont même pas de tourne-disques. Alors ils vont chez des voisins écouter les Beatles et Bob Dylan. Puis en 1971, Ma & Da achètent enfin un tourne-disques, et pour Noël, William reçoit son premier cadeau, un single de Cher, «Gypsies Tramps & Thieves», suivi de «Without You» d’Harry Nilsson - Who I still think is a fucking genius - Pour Jim, en 1972-73, «Slade was the best band in the world», mais il dit que William en pinçait plus pour Bowie. William se souvient d’un copain d’école, Robert McArthur que tout le monde haïssait à cause de ses cheveux gras et de son big nose, mais Gawd, McArthur avait the Velvet Underground banana record, «and the first time I saw the cover of the Stooges was through him.» Alors William lui demande «What’s this?», et McArthur lui répond «This is Andy Warhol’s The Velvet Underground» et «This is Iggy and the Stooges.» William avoue qu’il ne comprendra que cinq ou dix ans plus tard, «when I was dancing round my bedroom to these records.» Jim, toujours plus linéaire dans son narratif, récapitule, d’abord les Beatles, puis le glam, puis le punk-rock et enfin le Velvet. Pour Jim, le Velvet banana «is the best record I’ve ever heard in my life and nothing else matters.» Puis il flashe sur Raw Power en 1977. Jim écoute Raw Power dans la piaule, «with dad shouting up the stairs ‘Turn that fucking racket down’.» Les deux frères passent leur temps à parler de musique, surtout de punk-rock. Ils en pincent particulièrement pour Suicide. Plus tard, ils vont en pincer pour les Orange Juice de Glasgow - They made amazing music - William cite aussi les Fire Engines d’Edimbourg - They still made a couple of my favourite records - Il cite «Candyskin» en particulier. Il dit même qu’il va l’emmener sur l’île déserte. Et William étend son cercle : «As well as the Pistols, The Clash and Subway Sect, there were The Velvet Undergound, The Thirteen Floor Elevators, Love and The Seeds.»  

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

            Pas étonnant que les petits Jesus soient devenus ce qu’ils sont devenus, un cult band. Des princes du real deal. L’infaillibilité des choses plonge ses racines dans les disques cultes, c’est une évidence qui s’impose une fois de plus. On va retrouver le même processus dans l’autobio de Steve Wynn, comme on l’a retrouvé dans celle des frères McDonald.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             William rappelle à plusieurs reprises qu’ils étaient très pauvres et que pour écouter les cuts qu’il aimait, il les enregistrait à la radio sur des cassettes - I used to buy boxes of ten awful cassettes for 99p to tape songs off the top 40 at my friend’s house - Il rappelle aussi que ce n’était pas évident de se cultiver à East Kilbride, en banlieue de Glasgow, parce que le seul film qu’on pouvait voir au cinéma d’East Kilbride, c’était Star Wars, «but I didn’t want to see Star Wars.» Un peu plus loin, Jim dit qu’on passait aussi Rambo au cinoche d’East Kilbride, «and it felt like everybody liked it except us.» Ouf, enfin quelqu’un qui trouve tout ça nul ! À la bibliothèque municipale, William découvre Can et Savador Dali. Il flashe aussi sur Lenny Bruce, qu’il trouve aussi rock’n’roll que Marlon Brando, James Dean, Andy Warhol et William Burroughs - I don’t know about you, but I include them all in the rock’n’roll family - Puis il cite Bryon Gysin, précisant au passage qu’il ne sait pas comment se prononce son nom, ne l’ayant jamais entendu prononcé par quiconque. Seulement lu. Puis William poursuit sa réflexion, et à travers tous les exemples qu’il cite, il commence à se dire qu’il n’est pas obligé de bosser à l’usine ou dans un fucking bureau, et il pense même qu’on peut survivre sa vie entière en restant créatif, quel que soit le domaine d’expression - You don’t have to lie in a pit of dispair, which at that point looked to be our only option - Et bien sûr, c’est le punk-rock qui leur montre la voie. Arrivent les Pistols et John Peel - Il passait une vingtaine de cuts que tu ne voudrais jamais ré-entendre et soudain il en passait un that would completely hook you - William ne rate pas une si belle occasion de rappeler le rôle qu’a joué Peely dans l’éducation des kids britanniques.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Jim rend un bel hommage à Johnny Rotten - Then he was everything we wanted to be - même si après, il s’est un peu perdu - He’s become a caricature of himself, like Morrisey - Jim ajoute plus loin qu’il n’était pas vraiment fan des Jam - I’m still not, to be honest - Il préfère nettement les Rezillos - That was a much better night out - Il se dit surtout fier d’avoir invité Fay Fife 45 ans plus tard sur l’enregistrement de Glasgow Eyes. Jim adore aussi Subway Sect et What’s The Matter Boy. Et l’un des meilleurs concerts qu’il dit avoir vu fut Buzzcocks at the Glasgow Apollo, à l’automne 1979, avec Joy Division en première partie. En fait, William explique que lui et Jim ont flashé sur Joy Division parce qu’ils étaient «so fucking uncomplicated and yet the whole thing was incredibly powerful.» Même chose avec Public Image - a great drum sound and incredibly simple bass and guitar sounds that made up this huge complex thing - Il trouve Jah Wobble et Keith Levene «talented to the level of genius». Jim dit qu’il est aussi allé voir les Cure à la même époque et qu’il s’est endormi pendant le concert.

             Côté dope, ils démarrent de bonne heure avec les magic mushrooms, surtout Douglas Hart et Jim. Jim rappelle qu’on en trouvait partout à East Kilbride et espère que c’est encore le cas. Jim aime bien se rappeler ses trips avec Douglas. Un jour, ils sont assis et ne se sentent pas bien. Ils commencent à croire qu’ils se sont empoisonnés et soudain, Jim dit à Douglas : «Wow Douglas, you’re glowing.» Jim avoue aussi qu’il a besoin d’être stoned pour approcher les filles, alors il va s’en donner à cœur joie - alcohol and cocaine were lying in wait for me - et de se trouver dans un groupe n’allait rien arranger. Plus loin, Jim évoque l’ecstasy, a lot of good times, mais au bout du compte, «it changed our brain chemistry in a negative way.» William compare les effets des drogues par rapport à la musique : avec le LSD c’est bien pendant quelques minutes, après ça se barre en sucette, avec les magic mushrooms, on tient une heure avant que ça ne se barre aussi en sucette, mais l’ecstasy «is probably the best drug in terms of being complementary to music, in that it just pounds the songs into your fucking brain.» Et William conclut en rappelant que, comme beaucoup de gens à l’époque, ils subissaient des dépressions qui pouvaient durer des semaines entières. Aussi recommande-t-il de ne pas approcher ces machins-là.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Saluons le style des deux frères. Jim dit à un moment que Laurence Verfaillie «would become the girlfriend who helped me make the transition from scruffy herbert to international gallery-going sophisticate.» Pas question de se prendre au sérieux. Encore faut-il savoir le dire.

             Quand William annonce à ses parents qu’il va quitter son job de misère pour faire du rock, ses parents poussent des hurlements, surtout que William, toujours un peu provocateur, leur dit : «This man in the bondage trousers has shown me the way.» Comment voulez-vous que des parents ultra pauvres de la banlieue de Glasgow y comprennent quelque chose ?

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Les frères Reid tiennent bon. Ils vont former un groupe. Jim dit qu’ils sont fans de garage rock and sixties pop, mais il se demande pourquoi avant eux personne n’avait pensé à ça : «to put the most offensive, loud, screaming guitars over the top of the bittersweet melodies of The Shangri-Las.» C’est la grande idée des frères Reid. Jim qualifie l’idée de vision. Et il a raison.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             La pauvreté. Parlons-en. Quand leur père est viré de son job à l’usine, il reçoit une indemnité. Alors il leur file three hundred quid each, 300 balles à chacun. C’est pas non plus une fortune.  Il pense que ses fils vont s’acheter une mobylette et se payer quelques leçons pour passer leur permis. Pas du tout ! Ils se payent un Portastudio, c’est-à-dire un Tascam quatre pistes rudimentaire. Leur père n’en revient pas. Il est même choqué. Un tape recorder ? Mais c’est avec le Portastudio qu’ils vont démarrer. Ils enregistrent des four-track demos et ce seront les cuts de Psychocandy. William s’achète une Gretsch Tennessean et une «Shin-ei fuzz pedal for a tenner». Et Jim te balance ça qui vaut pour parole d’évangile : «The Gretsch Tennessean, the Shin-ei pedal and the Portastudio from my dad’s redudancy payment, that was our roadmap out of hell.» Évidemment, dad ne va jamais retrouver de boulot. Ce qui va le détruire socialement.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Puis les frères Reid voient Kid Creole en couverture du NME - We thought ‘fuck this!’ We are not going to have this, we are going to start a band to get rid of this kind of shite! - Mais ils doivent d’abord se mettre d’accord entre eux. Jim ne voulait pas être le chanteur au départ - We basically had a big fight about who was gonna sing and he (Jim) lost - Ils ont joué à pile ou face - William won. I was the singer - Mais pour Jim, c’est pas évident. Il se dit l’être le plus timide du monde. Il va souvent tourner le dos au public, comme à l’Élysée Montmartre dans les années 80.

             C’est William qui propose le nom du groupe : «Oh what about The Jesus and Mary Chain?», et Jim lui répond : «That’s fucking brillant.» C’est en effet un nom original. Personne ne dira le contraire.

             Bon, le plus gros reste à faire. Ils ont un nom, des cuts, un son. Il faut maintenant trouver tout le reste : un batteur, un bassman, un label, un manager et des concerts. Pas si simple quand on sort d’un HLM de la banlieue de Glasgow. Ils jouent une première fois à Glasgow, branchent leurs guitares - It was just screeching feedback that filled the room - Ils ont quelques reprises, «Ambition» de Subway Sect, «Love Battery» de Buzzcocks, et «Vegetable Man» de Syd Barrett, mais Jim dit que dans le chaos de feedback, il était impossible de les reconnaître. Ils montent sur scène bourrés et n’en finissent plus de se chamailler. Ça fait partie du show. Jim : «Le fait qu’on savait ce qu’on faisait et qu’en même temps, on n’en savait rien, nous a donné the perfectly unsure foundation on which to construct our rickety edifice.» Les fondations du château de cartes ! Fantastique concept. Jim explique qu’à partir de ce premier show au Roebuck jusqu’à celui de Los Angeles 14 ans plus tard, lorsque le groupe s’est désintégré sur scène, il a toujours été défoncé (off my tits) - Or if not fully off my tits, certainly very much under the influence of something - William dit qu’il n’aime pas se mettre en avant et qu’il préfère rester dans l’ombre - Being the frontman wasn’t for me. Jim was born for that role, even though he would never admit it - Pour compléter le staff, t’as Douglas Hart with his two-string bass et Bobby Gillespie standing just behind us with two drums. Voilà les early Mary Chain, nous dit Jim, «stripped down to the bone, it looked great and it sounded great.»

             C’est Alan McGee qui les prend sous son aile. Il leur décroche un contrat avec Warners, mais ils auraient préféré rester sur Rough Trade, «just as it was for the Smiths, but there’s no going back, so fuck it», tranche Jim. Ce sera le bras de fer permanent avec Warners qui trouve que le son des Mary Chain n’est pas très commercial. Un mec du marketing de Warners leur dit : «If there wasn’t feedback, there would be really commercial songs.» Jim et William vont devoir se battre contre l’incompétence des gens de Warners pour s’imposer. Problème aussi avec McGee qui se prend pour McLaren et qui essaye de transformer les Mary Chain en nouveaux Pistols. Jim : «We wanted to be rock’n’roll stars like Marc Bolan and make the best music anyone had ever heard, whereas Alan wanted to be Malcolm McLaren Mk 2.» Jim avoue qu’il s’est un peu pris au jeu en faisant des déclarations fracassantes dans la presse anglaise : «Yeah we’re fantastic and eveybody knows it.» Et William corrige vite le tir en avouant qu’ils n’étaient pas faits pour la célébrité - I think we were meant for some weird outlier version of celebrity where we were too shy for people to actually look at us - Les analyses de William sont toujours d’une extrême finesse. Le mec qui a fait les choix typo du book a d’ailleurs choisi un Garamond pour composer les propos de William, et un Helvetica pour composer ceux de Jim. De la finesse dans la finesse. On avait rarement vu ça dans l’univers éditorial, sauf bien sûr au temps de Mallarmé (la haute voltige du Coup de Dés) et de Dada (l’exercice ultime de la liberté de composer). 

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

    ( Le Coup de Dés /brouillon)

             Les Mary Chain se retrouvent en studio à Londres avec l’ex-Vibrator Pat Collier. Quand ils écoutent la cassette de l’enregistrement de Pyschocandy sur un lecteur normal, les frères Reid trouvent que ça sonne comme Dire Straits. Alors William retourne en studio rajouter des couches de feedback, «and it sounded much better». Quand les frères Reid font écouter Psychocandy aux gens de Warners, ceux-ci tirent la gueule, du genre «Is it a joke ?».

             L’obsession de Warners est de les associer avec ce qu’on appelle the world-class producers, les producteurs à la mode. Warners les colle dans les pattes de Stephen Street qui a produit les Smiths. Alors Jim et William poussent des cris : «This guy is trying to turn us into a fucking pub rock band.» Jim dit que ça sonne bien quand ils enregistrent, il va faire un tour au gogues et quand il revient, «all the guitars had been turned down.» Donc fuck it ! Puis Warners essaye de leur faire rencontrer Daniel Lanois et Jim se fend la gueule : «Warners even tried to put us in a room with Daniel Lanois, but that union was never written in the stars.»

             Puis Jim raconte le légendaire gig du Liverpool Poly, lorsqu’ils arrivent complètement défoncés sur scène - On avait tellement bu qu’on avait dû prendre des tonnes de speed pour dessoûler, but the industrial quantity wasn’t our smartest move so we went onstage totally off our tits and played ‘Jesus Fuck’ for about half an hour. It wasn’t music in any recognisable sense, just pure agression, but we were happy with the way it turned out - Jim résume en trois lignes le génie sonique des Mary Chain. Ils traversent aussi la pire des époques, l’époque Thatcher/Reagan/Madonna, où tous les groupes veulent devenir aussi célèbres que U2, mais Jim dit que les Mary Chain étaient déterminés to keep things scaled down and do our thing, et rester aussi éloignés que possible du bordel de «l’arena-friendly template». Ce qui leur vaut des inimitiés. Jim voit approcher un mec qui lui demande s’il fait partie des Mary Chain, Jim croit qu’il vient lui demander un autographe, mais le mec lui colle un pain dans la gueule. Pur jus de haine - The whole situation was started to feel dangerously out of control - C’est l’histoire des Pistols qui se répète. Tout le monde se souvient que Johnny Rotten a été attaqué à coups de machette dans la rue. L’Angleterre est un pays extrêmement dangereux pour les outsiders révolutionnaires, il ne faut jamais l’oublier. Les Mary Chain sont obligés de se faire oublier pendant quelques mois, le temps de calmer le jeu et de se débarrasser du «hooligan element» qui s’était rattaché à leurs concerts. Il leur fallait aussi se débarrasser d’Alan McGee qui capitalisait sur tout ce bordel dans la presse. Jim dit que McGee ne l’a pas trop mal pris. Leur troisième décision est de confier les rênes du groupe à Mick Houghton, et tout va changer, surtout l’ambiance des concerts. Les Mary Chain arrivent à l’heure, jouent leur full show et le public adore leur musique.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Pour évoquer l’enregistrement de «Some Candy Talking», William indique que Jim est un excellent bassman - It’s actually him on most of the records - Pour Darklands, William voulait Ian Broudie, mais ce fut Bill Price, qui avait produit Never Mind The Bollocks, un Bill Price génial qui leur dit que ce ne sera pas l’album de Bill Price, mais celui des Mary Chain. Il les met à l’aise et c’est d’autant plus crucial que William fait un peu de parano et se méfie de Warners comme de la peste.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Après avoir su résister aux fameux world-class producers que voulait leur imposer Warners, voilà qu’arrive sur le marché, à la fin des années 80, les rois de la noise américaine, Sonic Youth, Pixies et Dinosaur Jr, «all things that weren’t sonically a million miles away from what we’d been doing», s’amuse Jim. Puis c’est Nirvana. Et du coup les Mary Chain sont «à la mode». À la même époque, l’Angleterre voit l’avènement des Smiths et de My Bloody Valentine - I’d nerver really liked the Smiths, but I loved the Valentines, précise Jim le bec fin. Il ajoute que les Valentines ont la même fuzz pedal ! Pour enregistrer Honey’s Dead, les frères Reid investissent leur avance dans un studio, The Drugstore, «which was in Amelia Street in Elephant and Castle.» Jim rend aussi hommage aux Pixies qui ont repris «Head On» - a nice tip of the hat - Il rappelle dans la foulée qu’il s’est toujours méfié des journalistes anglais et qu’il n’a jamais copiné avec eux - The sad fact about music journalists is a lot of them are dicks - D’où le fameux «I Hate Rock’n’Roll» en 1995.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Jusqu’au bout, les Mary Chain auront constamment l’impression de nager à contre-courant et à la fin, dit Jim, la marée nous a emportés. Warners va bien sûr les lâcher. Le label n’est pas chaud pour sortir Munki, et leur dit que si quelqu’un d’autre veut le faire, alors ça sera très bien comme ça. Jim : «We were fully out in the cold. No record deal, no management. Happy fucking Christmas.»

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

    (House of Blues)

             Et puis bien sûr t’as les shoote légendaires. C’est un classique des fratries : on les retrouve chez Ray et Dave Davies, chez Liam et Noel Gallagher. William se rappelle d’un épisode bien gratiné, avec la poule de Jim, la fameuse Laurence. Ça se passe dans le backstage à Tokyo et Laurence est en train de bouloter, nous dit William, all the macadamia nuts, c’est-à-dire toutes les noix de macadamia. Alors William ramasse le reste et vide le bol. Il dit ne pas se moquer de son accent, mais il la cite quand même : «You took all ze last of zose nuts!» et s’ensuit une grosse shoote entre elle et lui. En représailles, Jim ne lui a plus adressé la parole pendant trois mois. Cet épisode tragi-comique annonçait la fin du groupe. De toute façon, les relations sont compliquées, parce que, nous dit William, on était tout le temps bourrés et il prenait de la coke - And I was stoned, there was no way of us really reaching out to each other. Everything was broken - On sent chez lui une profonde amertume. Parce qu’ils sont issus d’un milieu très pauvre et qu’ils ont détruit tout ce qu’ils avaient réussi à construire. Alors Jim entre dans les détails. William et lui se sont engueulés dans le van, après un show à San Diego. Jim : «William voulait conduire le van alors qu’il était dans un état de cosmic inebriation, et j’ai menacé de le frapper.» Mais c’est Ben Lurie qui le devance. Et ça se termine en bagarre générale dans le van, Ben Lurie saute sur William, alors William saute sur lui, et Jim est en dessous des deux fighters, il prend des coups, un vrai carnage, mais en même temps, c’est assez comique - The shit had totally hit the fan - Les shootes des frères Reid sont assez burlesques. Le lendemain soir, Jim est tellement défoncé sur scène, at the House Of Blues à Los Angeles, qu’il ne sait plus où il est. Soudain, il aperçoit l’ennemi, c’est-à-dire son frangin, «There’s the bastard», pense-t-il, et il se met à l’interpeller : «You cunt! You fucking cunt!». Puis il se retourne et voit tous ces gens qui le regardent. Il réalise soudain qu’il est sur scène et que ces gens sont le  public. C’est le dernier concert des Mary Chain. Le lendemain, William quitte le groupe. 

             William trouve une explication à ce chaos final : «Did I mention that when Jim discovered cocaine he became a fucking asshole?» Les deux frères avaient toujours réussi à se réconcilier, mais avec la coke, c’était devenu impossible. Et pendant un an, Jim n’a pas cessé d’agresser son frère. L’arrivée de Ben Lurie dans les Mary Chain n’a fait qu’aggraver les choses : Lurie était du côté de Jim, et William devait en affronter deux à la fois. En studio, Jim et Laurie prenaient William pour leur larbin. Un coup de guitare par ci par là.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Pour Jim, la fin des Mary Chain est un énorme soulagement. Il ne roule pas sur l’or et il vit de loyers qu’il perçoit, il a de quoi se payer ses bières et ses pizzas, c’est le principal. Il monte Freeheat avec Ben Lurie, Nick Sanderson et Romi Mori qui avait bassmatiqué pour le Gun Club. Ils n’ont enregistré qu’un EP et un mini-album, mais ces deux-là valent largement le détour, à commencer par Don’t Worry Be Happy sur lequel se niche l’excellent «Nobody’s Gonna Trip My Wire» riffé à la vie à la mort et délibérément spasmatique ! Pure stoogerie, jouée dans les clameurs et les solos d’alerte rouge. Jim retrouve le chemin des voies impénétrables, les riffs gouttent de gras.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

     Le mini-album Retox est une perle noire, un véritable chef-d’œuvre inconnu. Dès «The Two Of Us», on retrouve le power-drive des Mary Chain, avec de la folie dans le son. S’ensuit un «Facing Up The Facts» effarant d’adversité, joué à l’heavy punk-rock d’Écosse. Ces gens-là sont dans une autre dimension. Jim joue la carte de l’heavyness maximaliste. Les solos de Ben Lurie sont aussi allumés que ceux de William, on rôtit dans le même enfer, c’est absolument dévasté de l’intérieur, on voit vraiment brûler la carcasse de la sidérasse Ils font aussi subir à «Shining On Little Star» les pires sévices de la marychiennerie. C’est claqué dans la douceur d’une chaude journée de violence urbaine, fabuleusement infectueux et ravagé jusqu’à la racine du thème. Jim chante cette horreur gluante avec une délectation morose et sauve l’honneur des Mary Chain. Le jus coule comme du venin le long de son cou.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Les frères Reid ne rentrent pas trop dans le détail de leurs vies privées respectives. William avoue cependant avoir essayé d’avoir des relations sentimentales stables. Quand il se lasse des tournées, il devient casanier. Sa poule Rona et lui ont deux chats qui s’appellent Jim et William. Et puis, William sort une fabuleuse anecdote. Il raconte que son père - my da - a pris l’habitude d’écouter le John Peel Show, bien sûr dans l’espoir d’y entendre ses deux fils. Mais il craque sur Billy Bragg et un soir qu’il passe à la téloche, da dit  : «Oh, this is a good one.» Alors les deux frères échangent un regard ahuri. Alors da leur dit : «He’s on John Peel a lot.» Ah bon, t’écoutes John Peel ? «Yeah I listen a couple of times a week to see if he plays youse (sic).»

             Jim en profite pour saluer deux ou trois ennemis, comme Paul Weller qui leur fait un beau doigt d’honneur on les croisant dans le studio de Top Of The Pops, ou encore David Gilmour qui est choqué de voir que William a peint sa Gretsch Tennessean en noir pour une émission de télé. William : «When David Gilmour walked by he was absolutely disgusted.» William voulait que sa gratte matche avec le noir des fringues qu’il portait. C’est pourtant pas difficile à comprendre. Apparemment ce n’est pas à la portée de tout le monde.

             William part s’installer en Californie. Il en a marre de se faire agresser dans le métro par des mecs qui s’en prennent à sa coupe de cheveux : «Oh you’ve got funny hair, why don’t you get your hair cut, mate?». Pour éviter que ça ne tourne mal, William se barre. Il se marie avec Dawn, une Américaine. Il installe sa famille à Redondo Beach, mais ça se passe mal, car les gens du coin n’acceptent pas Dawn qui est tatouée et qui a un anneau dans le pif.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Pour s’occuper intelligemment, William enregistre deux albums solo sous le nom de Lazycame : Saturday The Fourteenth et Finbegin. On n’y sent pas vraiment de volonté compositale. On les écoute si et seulement si on considère William comme un génie. Mais tout y est irrémédiablement privé d’avenir. William fait le con et saborde le navire. Il fait son super sucker. On entend à un moment un «Kissaround» gratté au coin du feu chez les hippies. William avait tout simplement décidé de nous courir sur l’haricot. Avec «Tired Of Fucking», il fait claquer ses vieux accords de Stonesy dans un lointain d’absurdité congénitale. Ah quelle belle arnaque ! William devient un génie de la crotte de nez. Il se croit même autorisé à faire du Schönberg.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Quant à Finbegin, c’est encore pire. Il gratte à coups d’acou et coupe à travers champs. Il tente un petit retour à l’electrak de la détraque avec «Rokit», et fait du bruitisme à la petite semaine dans «Fornicate». Il cherche les petites ambiances délétères et orientalise sa fucking daube.

             Quand Chevrolet utilise «Happy When It Rains» pour une pub, les frères Reid récupèrent un gros billet. Jim dit qu’il a remboursé son emprunt «and William bought a fancy car. I can’t remember what kind that was either - I’ve never owned a fancy car in my life.» William corrige le tir : «I didn’t buy a car, I bought a house - 6938 Camrose Drive in Hollywood, baby.» William va se taper «two Californian divorces», qui dit-il coûtent cher car il faut refiler à la divorcée la moitié de tout ce qu’on possède, même si le mariage n’a duré que quelques mois. Mais bon, comme il dit, «I had a good time and I’ve got my memories.» Merci William Reid de ces beautiful memories.

             Puis c’est la reformation, avec Phil King et Loz from Ride on drums, qu’on verra sur scène à Paris à deux reprises, puis une troisième fois sans Phil King. Ainsi va la vie.   

    Signé : Cazengler, fort Mary

    William & Jim Reid. Never Understood - The Jesus & Mary Chain. White Rabbit 2024

    Freeheat. Don’t Worry Be Happy. Hall Of Records 2000

    Freeheat. Retox. Outafocus Recordings 2001

    Lazycame. Saturday The Fourteenth. Hot Tam 2000

    Lazycame. Finbegin. Hall Of Records 2001

     

     

    L’avenir du rock

     - Travelers check

    (Part Two)

             Pourtant habitué aux hallucinations, l’avenir du rock n’en revenait pas : il vit descendre de la grande dune une gonzesse sur une moto. Elle portait du cuir noir et un gilet ouvert jusqu’au nombril. Ses grands cheveux rouges flottaient au vent. Elle portait des lunettes d’aviateur et du rouge à lèvres. Depuis des années qu’il errait dans le désert, l’avenir du rock n’aurait jamais imaginé voir arriver un truc pareil. Lawrence d’Arabie, oui, mais une amazone aux cheveux rouges sur une grosse moto, certainement pas ! Elle approcha rapidement et s’arrêta à quelques mètres de l’avenir du rock. Brrrrm bahbahbah... Brrrrm bahbahbah...

             — Elle a un joli bruit votre grosse moto...

             — C’est une Harley, mon chou.

             Brrrrm bahbahbah... Brrrrm bahbahbah...

             Elle parlait d’une voix d’homme, comme Amanda Lear. Bien que dans un piteux état, l’avenir du rock en fut troublé, mais comme il était complètement cramé, il ne pouvait pas rougir. Puis elle ajouta d’une voix encore plus douteuse :

             — 100 la pipe, 200 l’amour !

             — Ça m’aurait intéressé, mais il faut que je trouve une tirette. J’ai pas assez de liquide.

             Elle était très maquillée. L’avenir du rock qui n’y voyait plus très clair s’approcha pour l’examiner de près. Elle avait du poil sur la poitrine.

             — Zêtes pas une gonzesse ?

             — Si tu veux savoir, faut payer, mon chou.

             — Je suis l’avenir du rock, vous pourriez me faire crédit !

             — Harley Grosse Pelle Travelo ne fait pas de crédit, minable !

             — Ça tombe bien ! Je préfère Harlem Gospel Travelers ! Et de loin, pouffiasse !

     

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             On se souvient encore du set des Harlem Gospel Travelers comme si c’était hier. Les voici de nouveau à l’honneur avec un fabuleux troisième album, Rhapsody.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

    Et c’est d’autant plus un événement qu’ils tapent dans l’une des mirifiques compiles Numero Group, Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Ifedayo Thomas Gatling s’est réduit de lui-même à Ifedayo, il mène la danse du son le plus moderne de Brooklyn, avec Eli Paperboy à la gratte et Jesse Barnes au bassmatic. Et t’as les chœurs d’anges du paradis, c’est-à-dire George Marage et Dennis Keith Bailey III. Choc esthétique dès «We Don’t Love Enough», une cover des Triumphs qu’on retrouve sur la compile  Good God!. On reste dans le génie éblouissant avec «Ever Since», un autre fabuleux shakedown de power Soul. Black Power ! Avec du Gospel batch in the mood. Ifedayo est un allumeur de première catégorie, un artiste fondamental, il dispose d’une voix colorée et d’un son. C’est tout de même incroyable que Paperboy soit mêlé à ça ! Ils reprennent le «God’s Been Good To Me» des Mighty Walker Brothers. Un nom pareil, ça ne s’invente pas. Ifedayo y ramène tout le power des Tempts, même développement d’I try ! I try ! On assiste encore à un carnage surnaturel dans «How Can I Lose», shoot de wild gospel avec des tambours, des tambourins et toute l’énergie du diable. Ifedayo chauffe ensuite son «Jesus Rhapsody Pt 1» au feu sacré de Junior Walker, c’est comme gorgé de Motor City Sound, mais sans le Sax. On trouve l’original de «Jesus Rhapsody Pt 1» sur Good God!, par Preacher & The Saints. Et puis t’as «Searching For The Truth», un gros fondu de gospel Soul fabuleusement conditionné, atrocement bien chanté, chaud et vivant, il y va au searching. Ifedayo est l’un des géants de notre époque.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Alors attention ! Il se pourrait bien que Good God! - A Gospel Funk Hymnal soit l’une des plus belles compiles de tous les temps. La moitié des 18 cuts sont de la pure dynamite. Pas étonnant que les Harlem Gospel Travelers aient louché là-dessus. Tiens, rien qu’avec le dernier cut, «Thoughs Were The Days» par LaVice & Company, t’es rassasié. Le mec chante comme un démon, il sonne comme un vrai génie démoniaque, un brin here comes the judge, à l’intro du hit de Shorty Long. Et juste avant, t’as le «Look Where He Brought Us» des Apostles Of Music, avec des filles qui font freedom, c’est du Richie Havens en plus hot. Quelle clameur ! La compile démarre avec Preacher & The Saints et «Jesus Rhapsody Part 1», que reprennent les mighty Travellers. Quel big sound ! C’est pas loin des Tempts. Il faut voir ça comme un sommet du Black Power. Puis t’as les 5 Spiritual Ones qui te fracassent «Bad Situation» : encore pire ! T’as les Tempts dans l’église en bois. Ils ont le power dans les reins, la bassline descend dans le couplet comme un Jamerson en folie, bad bad situation ! Bizarre que les Travelers n’aient pas retenu ce «Bad Situation». Car quel scorch ! Par contre, ils tapent le «God’s Been Good To Me» des Mighty Walker Brothers. Power immédiat. Encore pire que les Tempts. Dé-vas-ta-teur ! C’est le power de James Brown avec l’incognito en plus. Gospel genius ensuite avec Masonic Wonders et «I Call Him». Plus classique, mais terriblement insistant. Genius toujours avec l’«I Thank The Lord» des Mighty Voices Of Wonder. T’as le beat et l’argent du beat. Là, t’as Stax dans l’église en bois qui s’écroule, et une grosse black en roue libre qui te ravage tous les potagers. The Voices Of Conquest t’amènent «Oh Yes My Lord» au tribal antique. Stupéfiant ! T’as la démesure du son et l’oh yes my Lawd ! C’est avec la cover du «We Don’t Love Enough» des Triumphs que les Travelers ouvrent le balda de leur Rhapsody. Fantastique entourloupe ! Digne des Edwin Hawkins Singers. Même clameur de gospel black power. Et t’as plein d’autres cuts surprenants de qualité, Brother John Witherspoon t’explose «That’s Enough» au heavy popotin, en mode prêcheur, à coups de give up. Ce sont les Universal Jubileers qui sont sur la pochette de la compile, avec leurs vestes à carreaux. Il tapent leur «Chidhood Days» en mode wild gospel Soul de raw r’n’b. Ils te chauffent ça à blanc, t’en reviens pas de les voir à l’œuvre, t’en perds ton latin, tu ne sais plus où t’habites. Tout cela est à peine exagéré.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Intrigué par LaVice & Company, tu dig un peu et tu découvres l’existence d’un album sorti sur un petit label anglais, Jazzman Records : Two Sisters From Bagdad. C’est un objet curieux, t’as trois Soul Sisters et un mec déguisé en diable, LaVice Hendricks. Pendant les 3 ou 4 premiers cuts, tu essaies de savoir où ils veulent en venir. Le morceau titre se noie dans l’underground black. C’est même assez incompréhensible, tellement c’est underground. Leur «Fantasy» est weird, mais pas inintéressant. On retrouve le «Thoughs Were The Days» choisi par Numero Group pour son Good God! - A Gospel Funk Hymnal et c’est en fait la première apparition de LaVice Hendricks. Et puis le reste retombe dans la drouille. Tu t’attendais à un big album de gospel funk et tu tombes sur un mauvais artefact. Leur «Satan Baby» ne vaut pas un clou, mais l’album original paru en 1973 doit s’arracher pour une fortune.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Nouvelle caisse de dynamite : Good God! - Born Again Funk. Suite logique et donc explosive de Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Pas compliqué : tu sautes de génie en génie (de JL Barrett et «Like A Ship» aux Gospel Soul Revivals et «If Jesus Came Today» (c’est-à-dire d’un heavy groove avec des chœurs demented d’Edwin Hawkins Singers au power de Black Power avec une bassline à faire baver James Jamerson, les Gospel Soul Revivals pulsent à la vie à la mort), tu sautes d’inconnu en inconnu (de Lucy Sister Soul Rogers et «Pray A Little Longer» aux Inspirational Gospel Singers et «The Same Thing I Took» (c’est-à-dire d’une Lucy qui sonne comme Aretha à une Inspirational Gospel Singer qui sonne encore plus comme Aretha). Tu sautes des Gospel Comforters et «Yes God Is Real» (r’n’b d’église en bois) au Golden Echoes et «Packing A Grip» (wild gospel d’église en feu). Tu sautes de Brother Samuel Cheatham et «Troubles Of The World» aux Jordan Travelers et un «God Will Answer» drivé à la basse funk. Et tu bascules enfin dans une apothéose de coups de génie avec Holy Disciples Of Chicago et «I Know Him» (pur Aw Lawd power, le groove des crocodiles), puis avec Little Chris & the Righteous Singers et «I Thank You Lord» (chant d’harmonies frisées avec une wah d’une sidérante modernité) et enfin  The Sensational Five avec «Coming On Strong Staying Long», un heavy r’n’b, c’est même du pur Junior Walker d’église en bois, tellement c’est incendiaire.

    Signé : Cazengler, Travelo

    Harlem Gospel Travelers. Rhapsody. Colemine Records 2024

    Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Numero Group 2006

    Good God! - Born Again Funk. Numero Group 2010

    LaVice & Company. Two Sisters From Bagdad. Jazzman Records 2017

     

     

    Tindersticks en stock

    - Part Two

     

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Toujours un bonheur que de revoir Stuart Staples & ses mighty Tindersticks sur scène. Deux heures de voyage dans l’ombilic des limbes garanties. Le dandy d’antan a pris du ventre, mais la voix est toujours là. Le voilà coiffé d’un petit chapeau mou, mais son élégance naturelle reprend le dessus et tu entres dans le monde qu’il crée pour toi au fil des cuts.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

    Et c’est un monde merveilleux. Pendant deux heures tu te sens protégé de l’autre monde, celui qui va pas bien, avec ses beaufs au pouvoir et les manipulations d’opinion qui vont avec. Le romantisme comme dernier rempart face à l’abominable marée d’intolérance qui monte jour après jour ? Faut pas rêver, le romantisme n’est qu’un songe, fragile par définition, et celui de Stuart Staples se limite à sauver deux heures de ta vie. Rien de plus. C’est déjà pas mal. Pendant ce concert qu’il faut bien qualifier d’hautement merveilleux, tu songes à tous ceux qui n’ont pu ou qui n’ont su en profiter. Car c’est là, à portée de tes yeux et de ta cervelle, deux heures de mélancolie urbaine distillée par cinq mecs d’apparence banale.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

    Les Tindersticks sont des anti-rock stars. Ils s’effacent au profit de leur art. Ils laissent le champ libre aux chansons et à la fabuleuse interprétation qu’en fait Stuart Staples, d’une voix fêlée, toujours colorée, tantôt d’essence préraphaélite, tantôt d’essence pointilliste, il ponctue et tisse des voiles, il module l’éther et irise l’affaire, il fait éclore et cueille pour offrir, Stuart Staples est l’un des artistes les plus intéressants à observer. Tu crois qu’il ne se passe rien, mais il est toujours en mouvement immobile. Son récital a la grandeur d’un long métrage d’Abel Gance. L’insondable teneur d’un tome de Zola. La classe de l’Importance Of Being Earnest d’Oscar Wilde. Il chante la plupart du temps les yeux fermés, comme s’il lisait à l’intérieur de lui-même pour diriger ses pas. Tu l’observes comme tu aurais observé Verlaine lorsqu’il déclamait ses vers au François 1er, sur le boulevard Saint-Michel. Stuart Staples est de cet ordre -là.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Oh et puis t’as les chansons, quasiment toutes celles du dernier album, Soft Tissue. L’heavy Tinder Sound de «The Secret Of Breathing» qu’il enchaîne avec «Turned My Back». Il se bat jusqu’au bout avec le Turn my back. Et toujours cette merveilleuse façon de caresser l’intellect. Dans le début su set, il tape un «Falling The Light» éclairé par un refrain lumineux - Falling the light on the grace of the day - qu’il enchaîne avec «Nancy», bercé par un léger parfum de calypso - Nancy/ Answer me - Big Tinder Sound de tension maximale - Nancy/ Nancy answer me - Vers la fin du set, on retrouve aussi ce «New World» bassmatiqué dans l’âme. Il groove comme Oscar Wilde, tel qu’Oscar Wilde grooverait s’il était de notre temps. Vers la fin du set, on retrouve aussi ce «Don’t Walk Run», et cette façon qu’il a de poser sur le groove son you need a place to fall et d’ajouter I need a place to hide. Alors il anticipe, it’s moving inside/ Me/ It’s moving inside me now/ Pulling on my strings babe, on sent le balancement du groove dans le pulling on my strings, c’est chargé d’Oh why’d you leave me babe, et il repart au need a place to hide qu’il susurre entre deux portes. En fin de set, il se perd avec «Soon To Be April», il tend la main alors que le courant l’emporte, il atteint le sommet du désespoir mélodique, la beauté inversée, il élève la mélancolie au rang d’art majeur.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             En rappel, ils tapent «Pinky In The Daylight» et «For The Beauty» tirés de No Treasure But Hope, histoire de t’arracher un dernier spasme de félicité. Avec «For The Beauty», il semble vouloir se battre contre la maladie that’s killing me - For the beauty/ Give me something to ease - La guitare sonne comme une mandoline dans «Pinky In The Daylight», pareil, ça tient par le refrain magique - Pinky in the daylight/ Crimson at night/ Yeah I love you - Et là t’entends ce batteur black de jazz dément qu’on a vu à l’œuvre sur scène. Il s’appelle Earl Harvin, tu trouves son nom dans la kro d’un set des Tinder à Manchester, dans la page ‘Lives’ de Record Collector. Mais Beauty et Pinky ne sont pas les coups de génie de l’album. Les voilà : le premier s’appelle «The Amputees», Stuart y fait vibrer le bad d’I miss you so/ bad, et derrière, les Tinder swinguent le jazz. Pire encore : «Trees Fall», que Stuart tape en début de set, il le chante en suspension dans une très belle lumière préraphaélite. C’est du pur Tinder Sound haleté - Shall we sit in the dark and tell our old stories?, et il rebondit merveilleusement, and oh, it’s so dark in the stairs, il relance toujours au ‘and oh’, are we tied to those moments for good?, c’est de la poésie musicale, une authentique merveille respiratoire - Has the juice run out again - L’again enivre - The salt of our skin and the smell of the ocean - Stuart Staples offre avec son art poétique l’équivalent exact de ce qu’on amené en leur temps Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, pour n’en citer que trois. Troisième coup de génie : «See My Girls». Ses filles prennent des pictures with their cameras/ they see the world and they sent it me home. Hallucinant. Ses filles voyagent dans le monde entier, et les vers de Stuart Staples ruissellent de richesses, Eiffel Tower, Grand Canal, Amazonia, the gates of Birkenau, the great Damascus, South Yemen, Jerusalem, the dolphins of Donegal, autant de mots qui scintillent d’une musicalité sans fin. Il swingue encore son chant dans «Tough Love» - This tough love changed me/ This tough love made me - C’est quasiment de l’heavy funk. Ah, les Tindersticks nous en auront fait voir de toutes les couleurs ! 

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Ils tiraient un seul cut de l’avant-dernier album Distractions, «The Bough Bends», où l’on entend chanter les oiseaux. Cut épais et bien doux, coiffé par un thème musical très aérien. Ils visitent la stratosphère. C’est bien, les gars ! Mais s’il faut saluer un cut sur Distractions, c’est le «Man Alone» d’ouverture de bal, un cut interminablement bon, une vraie sinécure, montée sur le petit tribal Tinder. Stuart colle bien au heartbeat, il sait épouser une situation et la mettre à son avantage. Avec «Lady With The Braid», les Tinder passent en mode mambo et c’est vite effarant d’élégance. Stuart cueille les mots à la pointe du beat, l’effet est saisissant. Encore du Tinder Sound typique avec «You’ll Have To Scream Louder». Ça reste une samba d’aube mortelle et de chairs usées, d’essences félines sentant la jupe et de sang frelaté. Stuart Staples est le Des Esseintes des temps modernes. Ne l’a-t-on pas encore compris ?

    Signé : Cazengler, Pinderstick

    Tindersticks. Théâtre des Arts. Rouen (76). 26 novembre 2024

    Tindersticks. No Treasure But Hope. Lucky Dog 2019

    Tindersticks. Distractions. Lucky Dog 2021

    Tindersticks. Soft Tissue. Lucky Dog 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Au bonheur des Damned

    (Part Two)

             Politiquement parlant, l’avenir du rock a toujours penché du bon côté, c’est-à-dire du côté des damnés de la terre. Chaque matin, sous la douche, il entonne «Debout les Damned de la terre» à tue-tête. Il en fait vibrer les carrelages, la robinetterie et la porte vitrée. L’avenir du rock est tellement fasciné par le destin des Damned de la terre qu’il s’est fait tatouer une New Rose autour de l’anus et une Machine Gun sur la zigounette, comme ça au moins, aucune ambiguïté n’est possible. Mais étant donné que l’avenir du rock reste un concept, aucune interaction n’est possible, et par conséquent personne ne peut témoigner de la présence de ces deux tattoos insolites. Il faut donc le croire sur parole. Il met aussi un point d’honneur à se laver les mains avant chaque repas pour rester Neat Neat Neat, et il met un soin maniaque à répondre aux lettres qu’il reçoit au Fan Club. Lorsqu’il se rend dans un bal costumé, il porte un casque Born To Kill, non pas en hommage au Full Metal Jacket de Kubrick, mais en bon Damned de la terre qui se respecte, et si un imbécile d’antimilitariste vient l’insulter au bar, alors l’avenir du rock s’empare du pic à glace et lui court après en hurlant Stab Your Back ! L’avenir du rock n’a jamais fait dans la demi-mesure, et ce n’est pas aujourd’hui qu’il va s’y mettre. Il est trop tard. Au moindre coup de blues, il se fend d’un So Messed Up, et s’il se sent la proie d’une petite crise de mélancolie, il opte pour un petit coup d’I Can’t Be Happy Today. Par contre, quand tout va bien et qu’il sent les énergies telluriques bouillonner en lui, alors il éructe I Feel Alright. Au nom des Damned de la terre, il est capable de tout, comme par exemple de Smash It Up. Se calmer ? Lui ? L’avenir du rock ? C’est pas demain la veille.      

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Il a raison de s’exciter l’avenir du rock, car vient de paraître Darkadelic, le nouvel opus des Damned de la terre. En 2017, les Damned fêtaient leur quarantième anniversaire. Pour des gens qu’on considérait comme les princes du chaos, c’est inespéré.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

    Dans le beau panorama qu’il leur consacre dans Vive le Rock, Nick Tesco rappelle qu’on les considérait comme les poor cousins des Clash et des Pistols. Dick Porter va beaucoup plus loin en disant qu’au pays des non-conformistes, les Damned sont les rois - Within a subculture that espouses non-conformity as a core value, the Damned represent the ultimate outsiders. Il rappelle aussi que tous les journalistes qui leur crachaient dessus ont depuis longtemps disparu alors qu’eux, les Damned, sont toujours là, fidèles à leur engagement originel : the fundamental idea of doing your own thing.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Le point de départ s’appelle Brian James, fan des Stooges, de Dolls et du MC5, qui tente de démarrer avec les Bastards à Bruxelles, mais il se sent seul, car personne ne connaît les groupes dont il parle. Même à Londres, excepté les Pink Fairies, qui savent que quoi parle Brian. Quand il revient vivre à Londres, il traîne un peu avec les fameux London SS et rencontre Rat qui a répondu à une annonce du Melody Maker. McLaren propose à Dave Vanian, qu’il a repéré, de chanter dans les Masters Of The Backside avec une guitariste nommée Chrissie Hynde. Le batteur, c’est Rat. Il faut aussi un bassman, alors Rat ramène Ray Burns qui à l’époque porte les cheveux longs et ressemble à Marc Bolan. Le futur Captain est alors timide et un peu nerveux. McLaren n’en veut pas dans le groupe : il le traite de bloody hippie. Le groupe commence à répéter. Ils font des reprises garage des Shadows Of Knight et ça ne se passe pas très bien. Rat dit : «This is going nowhere» et il indique à Dave qu’il connaît un mec intéressant, un visionnaire qui parle d’une nouvelle forme de musique. C’est Brian James. 

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Dans un numéro d’Uncut de 2016, Peter Watts dresse un panorama complet des exploits du groupe en matière de destruction de chambres d’hôtels. C’est en France qu’ils se découvrirent un talent fou pour cet art habituellement réservé à des géants comme Keith Moon. Lors du premier festival punk qu’organisa Marc Zermati à Mont-de-Marsan, Jake Riviera et Nick Lowe découvrirent les Damned qui n’étaient encore que des débutants puisqu’ils ne montaient sur scène que pour la sixième fois. Riviera les voulait absolument sur Stiff.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Paru en 2023, Darkadelic est l’un de leurs meilleurs albums. Ça grouille de puces, tu vas te gratter pendant une heure, dès «The Invisible Man». Les Damned n’ont jamais sonné aussi sludge, avec le Vanian qui hurle comme un crucifié du Golgotha. C’est battu à la diable, noyé de son, ça coule de partout, le Vanian émerge à peine du chaos. Ah il faut le voir se débattre ! Nouvelle dégelée avec «Girl I’ll Stop At Nothing», wild punk des Damned de la terre, back to the basics, on se croirait sur le premier album, en 1977 ! Même énergie qu’au temps des premiers jours. Les Damned ont toujours su sonner le tocsin de London town, et le Captain fout le feu à l’immeuble. Ils passent sans ménagement au wild gaga avec «Leader Of The Gang», ils te déboulent dessus, tu reviens au point de départ, ils renouent avec leur fantastique élasticité, Paul Gray joue en roue libre dans le fond du son, et le Captain fait son Wayne Kramer, il n’en finit plus de faire son cirque dans ce rebondi paroxysmique. Cet album est assez explosif, ça mérite d’être noté, car les explosions se raréfient. Darkedelic est un gros tas de purée. Le Vanian trouve toujours une ouverture, quel que soit le cut. Il s’accroche au mur du son de «Bad Weather Girl», il agit en wild geezer, à mains nues. Bon, il faut reconnaître que certains cuts laissent perplexe : «You’re Gonna Realise» et «Beware Of The Clown» sonnent comme de la petite pop. Depuis que Brian James n’est plus là, c’est le bordel au dortoir. Et le Captain ne fait plus bander personne, comme au temps des tutus. Il faut attendre «Wake The Dead» pour voir l’album se réveiller. Big Vanian chante comme Hadès, le dieu des enfers. Il semble chanter du fond d’une caverne. Les Damned profitent de cette occasion en or pour rallumer le brasier, Paul Gray bousine une bassline demented et ils atteignent l’orgasme avec «Motorcycle Man». 

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Les Damned ont fait un beau cadeau à leurs fans avec le double DVD Machine Gun Etiquette 25 Tour. On y trouve en effet tout ce qu’un fan des Damned peut espérer en ce bas monde. Les Damned attaquent leur concert du 25e anniversaire avec «Love Song» et «Machine Gun Etiquette» - Second Time Around - deux versions explosives. Peu de groupes savent blaster comme les Damned. Ah il faut les voir jouer «New Rose», puis Captain introduit une autre bombe atomique - It’s the MC5, God bless ‘em ! It’s called Looking At You ! - Il n’existe rien d’aussi dynamité dans l’univers du rock moderne. Captain se roule par terre à la fin du cut. Il n’a rien perdu de sa folie. Il faut aussi l’entendre jouer dans «Would You Be So Hot» : il sonne comme Peter Green ! Nouveau coup de blast nucléaire avec «Ignite», extraordinaire vitalité de ton vibrillonnée par un Captain Kramer débridé. S’ensuit une version absolument somptueuse d’«Eloise», bien soutenue à l’orgue. On a là du grand art de pop anglaise porté à son sommet par la dynamique des Damned et l’incroyable talent de Dave Vanian. Encore plus explosif : «Melody Lee», joué au blast damné pour l’éternité. On ne parle même pas de la version dévastatrice de «Neat Neat Neat» introduite par le vieux riff de basse. Sacré coup de génie tutélaire, et ça plonge dans la folie du punk-rock de London town. Et c’est pas fini, car ils tapent dans le «Break On Through» des Doors, Dave fait son Jim Morrison et ça tient admirablement bien la route. Les bonus pullulent sur le disque 2, à commencer par un concert filmé au Japon et des versions absolument démentes d’«Eloise», puis de «New Rose». Il faut bien dire que ces deux cuts sont des sommets de la pop anglaise. Au menu des bonus, on trouve aussi pas mal de petits films où Captain se laisse filmer : voyage en Allemagne, on a aussi des scènes de backstage, le making of de la vidéo de «Wot». On ne se lasse pas de voir ce mec qui est en fait l’héritier direct de Keith Moon : même ampleur, même odeur de soufre, même charme et surtout même explosivité scénique. 

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             En 2017, ça recommence à buzzer autour des Damned, avec notamment la parution de Don’t You Wish That We Were Dead, le film de Wes Orshoski, le réalisateur qui s’était occupé de Lemmy. Tout fan des Damned doit impérativement voir ce film. On a là un docu riche et dense, bardé de conneries de Captain et d’extraits de concerts anciens et modernes, on voit des témoins de la vague punk, même les cancéreux, les ex-members, on voit Rat Scabies écraser une larme, et puis un plan plutôt rare de Captain chez lui avec ses trois gosses. On nous rappelle au passage que les Damned, contrairement à la majorité des groupes punk, savaient jouer de leurs instruments - The Damned could play - Ils jouaient le rock’n’roll le plus incendiaire de leur temps - That’s rock’n’roll as Jerry Lee Lewis is rock’n’roll - Tiens et puis t’as Roger Armstrong qui rend hommage à Captain - A punk-rock Jimi Hendrix ! - Par contre, on voit l’autre moitié des Damned, Brian James et Rat Scabies avec Texas Terri, et au chant, Texas Terri est une véritable catastrophe ! L’un des passages les plus hilarants de ce docu est celui de la reformation du groupe originel Vanian/Scabies/James/Captain : sur scène, Captain annonce que «New Rose» est une compo de Guns’n’Roses. Brian James quitte la scène immédiatement. Fin de la reformation. Captain dit aussi un truc admirable : We should have died after making one fantastic album - Mais avec lui, on ne sait jamais si c’est pour rire ou pas. Sacré passage aussi dans les bonus, lors de l’évocation du fameux Anarchy Tour - Weird vibes - Brian James rappelle que personne ne leur adressait la parole. Comme l’Anarchy Tour démarrait le lendemain du Grundy Show, les Pistols étaient à la une de tous les canards et McLaren n’avait plus besoin des Damned qu’il a virés. Autre grand moment de rigolade : Captain nous fait visiter les chiottes de la salle des fêtes de Croydon qu’il nettoyait à une époque. Il raconte qu’il y vit T. Rex sur scène - What a fabulous job !, pensa-t-il. Il voyait les filles trépigner aux pieds de Marc Bolan - I want this job !

    Signé : Cazengler, damé du pion

    The Damned. Darkadelic. Ear Music 2023

    Born To Kill by Nick Tesco. Vive le Rock #41. 2017

    We’re Horrible English Hooligans by Peter Watts. Uncut #235 - December 2016

    Damned. Machine Gun Etiquette 25 Tour. DVD 2005

    Wes Orshoski. The Damned. Don’t You Wish That We Were Dead. DVD Cleopatra 2016

     

     

    Inside the goldmine

     - Patter noster

             Dans la vie, on rencontre rarement des personnages aussi épris d’eux-mêmes. Ivanoff cultivait bien son auto-culte. On l’imaginait dressé devant un miroir à se contempler tout en se caressant la barbe, une barbe qu’il taillait court, sans doute pour goûter l’indicible plaisir de s’entendre la gratouiller. On devinait tout cela en l’observant, et il n’y avait aucune malveillance à l’imaginer ainsi. Sa prodigieuse intelligence semblait exacerber son narcissisme jusqu’au délire. Tout le monde croit que l’intelligence aide à corriger les travers, mais chez lui, ça ne se passait pas du tout ainsi, bien au contraire. Ivanoff avait pendant vingt ans accumulé des connaissances qu’il sublimait et synthétisait pour les faire passer pour des visions. Lorsqu’on s’adressait à lui, on s’adressait à l’oracle des nouvelles technologies. Il semblait voir l’avenir, enfin, il voyait ce que personne ne pouvait voir. Il pouvait fasciner. On se noyait dans l’eau bleue de son regard. Il inspirait en même temps une sorte de confusion. On ne savait plus s’il fallait rire (tout en prenant garde de se retenir), ou s’il fallait cautionner l’homérique envolée de son discours. Il y avait quelque chose d’Hugolien en lui. Il ânonnait sur un ton monocorde qui finissait par devenir fluide, presque mélodique, semblable aux airs de flûte que jouent les charmeurs de serpents sur la place Jemaa el-Fna, à Marrakech. On ne savait plus s’il fallait se sentir fier de le fréquenter ou au contraire le fuir comme on fuit généralement les moi-je les plus détestables. Un jour que nous étions en réunion, il se produisit un incident qui permit d’en finir définitivement avec ce paradoxe. Pendant une pose, la conversation vint malencontreusement déraper sur une belle peau de banane : l’insécurité dans certains quartiers de Paris. C’est à ce moment-là qu’on réalisa qu’Ivanoff portait un pantalon couleur kaki de combattant, avec des poches à soufflets sur les côtés, car il en sortit un énorme cran d’arrêt. Face à nos mines consternées, il relança sa routine pédagogique pour nous expliquer qu’à notre époque il fallait se montrer prêt à tout, à tout moment, et que de toute façon, il n’y avait pas d’autre solution que la violence pour répondre à la violence. Il recyclait la téhorie de Malcolm X. Personne ne mouftait. Il ajouta, pour rassurer les dames présentes dans la salle, qu’il ne fallait pas se fier aux apparences et qu’il connaissait «des guerriers doux comme des agneaux».

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Rien de tel que de passer d’un oracle à l’autre. Alors on dit adieu à l’oracle des nouvelles technologies pour introduire l’oracle de l’heavy funk de Soul, Bobby Patterson. On devrait dire l’immense Bobby Patterson. C’est grâce à The Heritage Of A Black Man, une compile Sam Dees, qu’on s’est intéressé à Bobby Patterson. John Ridley y rappelait que Sam Dees avait confié «What Goes Around Comes Around» à Bobby Patterson. Alors il n’en fallut pas davantage pour aller fouiner du côté de Bobby Patterson. Belle série d’albums, forte personnalité, on peut facilement le comparer à Bobby Parker. Au fil des albums, Bobby Patterson prend toutes les apparences d’une révélation. On découvre aussi que ce black Texan de Dallas sait tout faire : composer, produire et tourner pour la promo de ses singles.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Pas étonnant du coup que son premier album, It’s Just A Matter Of Time, soit devenu culte. Et si tu veux choper le pressage Paula Records, fais gaffe, il coûte la peau des fesses, comme dirait le Marquis de Sade. Une bonne red fera l’affaire. Patter attaque son album en mode hard r’n’b avec «If You Took A Survey». C’est un féroce, un admirable warrior, fantastique présence, grosse insistance. Les fans de Patter ne jurent que par «How Do You Spell Love», un slab d’heavy funk, il fait le show, pas de problème. Il rugit comme une panthère noire, à la façon de Wilson Pickett. L’autre hot spot de l’album se planque en B : «Right On Jody», encore très Pickett dans l’esprit, très back of my mind, Patter est précis, exact au rendez-vous. Pour un premier album, c’est coup de maître. Patter entre dans la galaxie des grands Soul Brothers.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Pas question de prendre un mec comme Patter à la légère, surtout quand on a dans les pattes un album comme Second Coming. Il y fait du big Patter, solid as hell, il y va au yeah ‘cos I’m down, il cadre bien son boogie-groove de blues («If He’s Getting The Thrills»). Patter te montre la voie, yeahh, il s’implique dans son process, il te tombe encore sur le râble avec «All We Have In Common», même si ça reste du cousu de fil blanc. Et voilà qu’il te groove la cage thoracique avec «You Can’t Steal Something», il plonge dans un lagon de good time, une vraie merveille. Et puis voilà la surprise du chef : «Right Place Wrong Time». Il a tout, le Patter : la classe et les orchestrations, il te groove tes nuits chaudes de Harlem, il ramène tout le gusto du Patterson de right place. Il passe au funk avec «Keep Your Hand To Yourself» et se couronne roi du groove avec «I’ll Take Care Of You». Il promet de faire gaffe à elle, son now now est sincère, il y va au groove d’oooh baby. Il se fond comme une anguille dans le slow groove d’«I’ve Just Got To Forget You», aw my Gawd, Patter est géant du fondu, il flirte en permanence avec l’épouvantable génie, quel album ! Il termine avec un «Fingers Do The Walking» plus funky. Mais pas n’importe quel funk, t’es chez Bobby, il te fait un funk de get down on the floor/ I’m gonna get my fingers do the walking/ I’ll get your love, c’est du niveau supérieur, il y va au I’ll get your love, pur jus de make the scene !   

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Sur la pochette d’I’d Rather Eat Soup, Patter porte un beau costard blanc assorti à sa Les Paul blanche. Il se fend d’un duo d’enfer avec Lois Peoples sur «Charity Begins At Home». Il sort encore le grand jeu pour «It Ain’t All About The Sex», une espèce d’heavy check it out, Patter fait son heavy Bobby au now now now, il affirme que tout ne tourne par uniquement autour du sexe, now now now, ils touille bien son fonds de commerce à la Johnny Guitar Watson, il joue cette carte à plein, il ramène de la ferraille dans son groove, ça sent bon le Patter no-stair. Il a tout le répondant dont on peut rêver, il fait même du funk avec «Drink From Your Own Well», Patter n’est pas un amateur, son funk est sauvage, pas du tout maîtrisé, ah ah ah, il rigole entre deux rasades. Et sans transition, il passe au heavy blues avec «Talk Slow Blues», c’est du sérieux, il ne laisse rien au hasard, Patter est un pote, chez lui, une note est une note. Il chante son «When The Licking Stops» les jambes écartées, sa voix porte loin vers l’horizon. Il renoue avec Johnny Guitar Watson dans «My Weakness Is You», il a le même sens de la descente dans le weakness, my weakness is you girl.    

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Fantastique album que ce Storyteller qui n’est pas si vieux, puisqu’il date de 1998. C’est un bel album de Black Power («Bricklayer», il te groove le dancing strut d’entrée de jeu - I’m a brick/ Brick/ layer), mais aussi de funk («I Got To Get Over» et «Yellow Pages», l’hard funk de Patter qui fait son JeeBee), mais il est surtout l’un des rois de la good time music («Let’s Do Something Diferent», «If Every Man Had A Woman Like You» et «It’s Got To Be Mellow», il adore la Soul des jours heureux, il t’emmène littéralement au paradis). Au paradis encore avec deux Beautiful Songs : ««I Fell Asleep (One Time Too Many)» et «I Can Help You Get Even With Him», merveilleux balladifs de satin jaune, ses slowahs collent bien au papier. Quel beau crooner ! Il sait se montrer intense en matière de dramaturgie. Et comme le montre «I’ll Take Care Of You», Patter sait aussi faire de l’art moderne.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Live At The Longhorn Ballroom aurait pu s’appeler Hot & Sexy. Patter chauffe la salle au scream, pulsé par la rythmique de James Brown. Il est ce que les Anglais appellent un performer of choice. Il joue le blues d’«I’ll Play The Blues For You» avec un niaque effroyable. Dans les zones de répit, il jazze ses notes, il joue liquide. Patter est un cake extraordinaire. Il rend hommage à la Nouvelle Orleans avec «Let The Good Times Roll», il ramène de l’accordéon dans le son. Tu veux savoir à quoi ressemble l’extrême beauté d’un heavy groove ? Alors écoute «Right Place Wrong Time». Patter est l’artiste suprême, il faut le voir se couler dans la Soul, les chœurs font «somebody !», et Patter reprend la main. Il rend ensuite hommage à James Brown avec «When Lickin’ Stops», il est partout, ah !. La grande force de Patter c’est d’allumer le funk sur la durée et de rester powerful. Au cœur de l’action, il se marre, ah ah, il crée les conditions de l’heavy funk long distance operator. Il termine avec l’un de ses vieux hits, «I’d Rather Eat Soup», il te swingue ça au long cours, il reste passionnant pendant 7 minutes, il est bel et bien le Patter Noster, il groove jusqu’au bout de la nuit au somebody else, une vraie merveille.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Patter grimpe sur sa moto pour la pochette de ce big album qu’est Back Out Here Again. Ce n’est pas une petite moto. Au moins une Harley. Patter tient sa Les Paul noire dans les bras et au dos, on le voit porter son blouson marqué Bobby Patterson. C’est donc un homme complet. On peut dire la même chose de l’album, cet album complet démarre en trombe avec le morceau titre, un shoot de wild boogie d’une rare violence. S’ensuit un pur coup de génie, «I Got Yo Hoochie», Patter l’amène avec une classe incroyable, il groove l’heavy blues et ouvre la Mer Rouge pour offrir le passage à un solo de sax. Il passe à l’heavy funk de Soul avec «Big Thigh Cutie Pie», c’mon Bobby, il te shake le juke vite fait ! Il atteint encore une profondeur de funk extraordinaire avec «A Good Man», il est tellement pur dans sa démarche qu’il frise le génie en permanence - A good man is hard to find - Il tranche encore dans le lard de la matière avec «How Do You Spell Love», hey, il force bien le passage ! Il a en plus un jeu très agressif qui l’absout de tous ses péchés. Avec «Must Be The Hood In Me», il bascule dans l’intimisme - I’m just the same old man/ Doin’ the best I can/ Yeahhhhh - Il te souffle son yeahhhh dans le cou et il termine avec une retake de «Big Thigh Cutie Pie», c’mon pie, ah hah, il est sur tous les fronts, Patter est le vainqueur suprême, il te fend le lard du groove en deux, il a cette énergie du c’mon baby et du yeahh, et des blackettes viennent rapper sur le butt du cut. Pur genius !        

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Paru en 2014, I Got More Soul est encore un big album. Patter y fait du gospel avec «Everybody’s Got A Little Devil In Their Soul», il est just perfect, everybody ! Il groove le gospel, avec des chœurs de mecs. Il amène «Your Love Belongs Under A Rock» au heavy bassmatic, ça devient vite une merveille inexorable. Chez Patter, on se régale à chaque instant. On entend aussi un joli coin-coin de sax. Il fait plus loin de la petite pop de Soul avec «I Feel The Same Way». C’est dans l’esprit de Sam Cooke. Il est à l’aise dans tous les genres. Non seulement il est à l’aise, mais il excelle à tous les coups. Retour au groove de swamp avec «Can You Feel Me». Il passe en rampant et ne laisse bien sûr aucune chance au hasard. Il taille dans l’épaisseur du son. Il est l’un des rois méconnus du groove. Perché sur ton épaule, il croasse le groove des potences et te rappe la mort. Il replonge plus loin dans l’heavy funk avec «It’s Hard To Get Back», mais il le fait à la manière de Jimi Hendrix, au temps de «Killing Floor». Il gratte ça à la folie. S’ensuit un vieux slowah typique des surboums de 67, «I Know How It Feels». Il chante avec des mains baladeuses, Patter te ramène au jardin d’Allah, qui est le paradis sur cette terre. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier d’album classique avec «The Entertainer Pt 1». Il est à la fois Johnny Guitar Watson et Spike Lee, il est là pour te donner du wild bonheur, il groove au petit bonheur la chance, fabuleux Patter, il te sert une ultime rasade d’heavy groove, celui qu’on destine généralement aux heavy groovers. 

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Le petit conseil qu’on pourrait donner aux amateurs de grosses compiles serait de rapatrier celle que Westside consacre à Patter, How Do You Spell Love? (The Paula Recordings 1971-73). Rien que pour l’«Everything Good To You (Just Don’t Have To Be Good For You)», cut de Soul de rêve, Patter s’y montre puissant et solaire, il y va au aw no !, il n’en démord pas. Il fait aussi de l’excellent funk : «If Love Can’t Do It (It Can’t Be Done)», «Make Sure You Can Handle It» et «If You Took A Survey», il s’y montre digne de James Brown, c’est gratté et cuivré à outrance. Il attaque son Suvey au hey lookin’ In !, et rend un hommage spectaculaire à James Brown. Belle énormité encore que ce «What Goes Around Comes Around», son groove décolle très vite, Patter ne traîne pas en chemin. La dominante reste bien sûr le r’n’b, comme l’excellent «Right On Jody» - I got the feeling/ In the back of my mind ! - Patter touche à tout, surtout aux vulves, comme le montrent «Take Time To Know The Truth» ou le sexy «I Got My Groove From You», une merveille de groove ondulatoire. Il reste au paradis du groove pour «It Takes Two To Do Wrong» et nous re-pond un hit de juke avec «How Do You Spell Love». Une vraie merveille : scream + nappes de cuivres = la recette du bonheur. Il passe au wild r’n’b avec «Quiet Do Not Disturb», ça joue au raw primitif. Avec le vieux slowah «She Don’t Have To See You (To See Through You)», il se prend pour les Stones. Il prend «This Whole Funky World Is A Ghetto» à la petite attaque de pelle à tarte, il danse le cul en arrière, il y va à reculons, il yeah-ehhhhhte, il ergote comme un coq en pâte.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Si on veut se payer un dernier spasme royal, alors il faut écouter Taking Care Of Business, une belle compile Kent illuminée par le sourire de Patter. Ça grouille tellement de puces là-dedans ! Ses hits sont d’une fraîcheur garantie à 100%, il sonne comme Wilson Pickett et tout Stax avec «Soul Is Our Music», puis «I’m Leroy I’ll Take Her» t’envoie directement au tapis, c’est un heavy r’n’b à la «Tighteen Up» - Hey I’m li-Roy ! - Encore du pur jus de Wilson Pickett avec «Broadway Ain’t No Funky No More» et «Don’t Be So Mean», il a ce power, il shoute à outrance, encore du classic raw avec «Busy Busy Me», suivi à la trace par une horde de cuivres, et il calme le jeu avec un heavy balladif de Soul incendiaire, «Sweet Taste Of Love». Puis il fait son Sly avec «TCB Or TYA». Screamo primo ! Son génie explose au grand jour. Encore une Soul de prodigieuse qualité avec «Keeping It In The Family», suivi d’un heavy stomp de r’n’b chanté à la voix d’ange, «My Baby’s Coming Back To Me». Il est encore le roi du monde avec «Guess Who». Patter est une bête, c’est important de le signaler. Il sait aussi draguer au fond d’un lit comme le montre «You Taught Me How To Love» et son «I’m In Love With You» est exceptionnel de joie et de bonne humeur. Quel artiste ! Même trempe que Darrow Fletcher. Génie pur.

    Signé : Cazengler, Bobby Chatterton

    Bobby Patterson. It’s Just A Matter Of Time. Paula Records 1970

    Bobby Patterson. Second Coming. Proud Records 1996             

    Bobby Patterson. I’d Rather Eat Soup. Big Bidness Records 1998    

    Bobby Patterson. Storyteller. Good Times Records 1998

    Bobby Patterson. Live At The Longhorn Ballroom. Proud Records 2003

    Bobby Patterson. Back Out Here Again. Proud Records 2012    

    Bobby Patterson. I Got More Soul. Omnivore Recordings 2014

    Bobby Patterson. How Do You Spell Love? (The Paula Recordings 1971-73). Westside 2001

    Bobby Patterson. Taking Care Of Business. Kent Records 1991

     

    *

    Les Spuny sont de retour ! N’étaient pas partis. Un peu, oui si l’on veut, sont allés à Las Vegas, ont écumé l’Europe, z’ont même été au Japon, bref vous les trouviez un peu partout en concert. Plus de treize cents à leur actif. Par contre leur discographie n’est pas aussi longue que le pont de Tancarville, que voulez-vous vous ne pouvez pas être en même temps au four du studio et aux moulins de la scène. Trois ans et demi qu’ils n’avaient pas sortis un album, comme tout arrive en ce bas-monde, viennent de concocter une petite merveille.

    DESTINATION UNKNOWN

    SPUNYBOYS

    (BA ZIQUE / Novembre 2024)

             Faut avoir vu au minimum une fois les Spuny sur scène, au moins après vous savez que vous pouvez mourir sans regret. Une tuerie. Au fond Guillaume, chaque fois qu’il tape vous vous dites qu’il pourfend un coffre de pirates rempli de sequins, l’écho vous les éparpille sur le coin du museau et une pluie d’or tombe sur vous. Ô Danané ! Ô Zeus ! Oui, il abuse des obus perforants, mais quelle performance. Devant Rémi. Lui il ne fait strictement rien. C’est sa contrebasse qui se charge de tout le boulot, il essaie de la retenir, il lui monte dessus pour qu’elle ne s’enfuie pas, peine perdue, il la tient d’une main, elle tournoie, lui échappe, vire, virevolte et finit par s’envoler. Pour se donner une contenance devant un instrument si désobéissant, il chante, un peu à la peau-rouge, énervé du comportement déluré de son bâton de jeunesse, je me demande si je ne devrais pas dire de vieillesse car ça plus de quinze ans qu’ils sont ensemble. Enfin Eddie à la guitare. Ni devant, ni derrière. Ni sur le côté. L’est partout. Donnez-moi un guitariste comme lui, et je ferais aussi bien que les deux autres. Enfin, presque. Non, il n’a pas une guitare à six cordes comme tout guitariste bien élevé, il s’en sert comme d’un arc à six cordes.  Vous pouvez liker chacun de ses licks, les lance comme des flèches, toutes blessent et la dernière vous transperce, c’est simple chaque fois, dans l’interstice ténu qui sépare deux notes de ses commères, dans la vibration qui les unit, son trait pointe et cartonne, et quand ils ne lui laissent pas une place pour s’imposer, il s’en fiche et fiche son dard dare-dare sans retard  dans la cible impossible.

    z25863spunyscène.jpg

             Dès que nos trois hallebardiers sont sur scène instantanément ils se transforment en rock machine. Poussent l’outrecuidance à ne jamais être une rock-mécanique. Certes ils jouent avec le rythme, et ils mumusent avec la mélodie, mais ils s’amusent avec les aléas, maîtrisent les accidents du terrain, les embardées, les sorties de route, le pot aux roses c’est qu’ils sont des virtuoses.

              Cachet de cire pour le nom du groupe, nos trois boys sont assis sur les marches qui mènent à une porte fermée dont ils ont l’air de se moquer. Ny portent aucune attention, ne sont pas en train de knockin’ on the heaven’ door, peut-être parce que le paradis c’est eux ! Remarquez le cadre dentelé, rêvent-ils d’un timbre à leur effigie ! L’artwork est de Jake Smithies.

    z25862discspuny.jpg

    A la console, Phil Almosnino a pris le rôle. Les boys n’ont pas choisi le dernier des tocards, z’ont opté pour le brocard, parsemé d’or et d’argent, a officié à la guitare avec les Dogs, les Wampas, Hallyday, plus une multitude d’autres… A première écoute l’on a envie de s’écrier, Destination Inconnue, se foutent de nous ils savent très bien où ils vont, ces gars ne sont pas perdus dans le brouillard, z’ont les yeux fixés sur la ligne bleue de l’herbe américaine. Faut comprendre, vont vous en faire voir de toutes les couleurs, vous allez visiter du pays, un groupe de rockab certes, mais le rockab n’est pas apparu par miracle un beau matin, il vient de loin, l’est né dans tous les Etats du pays, l’est vrai que certains ont été davantage prolifiques et essentiels que d’autres, l’a fallu du temps pour que le rockab se cristallise, si vous jetez votre cristallin dans sa transparence vous apercevrez la draperie diaprée de toutes ses origines, blues, jazz, folk, country, je vous épargne la panoplie, l’Afrique, l’Europe, les particularités régionales, et caetera, et caetera dixit Marcus Tullius Cicero, z’avez intérêt à avoir toute la palette en tête pour goûter au mieux cet album… 

    Fame in vain : vous refilent tout un  dictionnaire en deux minutes et vingt- deux secondes, un régal, n’avez pas repéré un truc que ça passe déjà à une autre surprise, attention ça se bouscule sur la bascule, ne soyez pas captivé par le galop, ils passent la ligne d’arrivée avant vous, vous êtes obligé de vérifier la pellicule  car vous avez raté le plus important, ne serait-ce que ces trois rattellements de contrebasse non électrifiée au tout-début, le glissement des pattes sur le parquet ciré d’une souris que le chat tire en arrière, ses incisives décisives refermées sur la queue du pauvre rongeur. Fame en vingt séquences. Good man deep down : ah ! cette guitare qui sonne comme les cloches de l’église de Carcassonne, l’on quitte l’efficacité rockab pour la suffisance égoïste du country, bien sûr au milieu vous avez ces broderies pas pickée au hanneton, une autre façon de raconter la même histoire, un peu moins glorieuse, mais quel régal que ces rodomontades du gars qui a tout vécu et qui détient la sagesse absolue, image de redneck réac, conservateur, con et stupide. Bref un homme comme les autres, comme nous. Better son since I’m dad : le même que le précédent. Exactement la même chose. Mais après la face nord, voici du côté du sud, la voix de Rémi resplendissante comme le soleil, la batterie de  Guillaume qui trotte gentiment, et la  guitare d’Eddie qui vous fout son grain de sel sur l’oiseau du bonheur qui s’envole. Que l’on regarde monter dans le ciel, l’on sait qu’il va s’évanouir dans l’immensité azurée, mais l’on garde l’illusion qu’il reviendra et acceptera de s’enfermer dans la cage de notre cœur. Blowin in the holwin wind : changement de programme. Hien quoi ? What it is ! Un scandale ! Une hérésie. Un truc interdit ! Qui ne devrait pas exister ! Ils ont osé, qu’on les colle contre un mur, avec de la glue extra-forte, qu’ils ne puissent pas s’échapper, et qu’on les fusille immédiatement ! Vous ne me croirez pas, vous direz que je mens. Pas du tout ! Ils se sont permis, en plein milieu d’un disque de rockabilly, d’introduire du jazz ! Du jazz oui ! Bon, sachons comme les philosophes grecs modérer notre courroux, transformer notre ire en juste réflexion, réfréner  notre colère mauvaise conseillère. Du jazz, soyons précis, exactement du swing. Remarquons, pas n’importe lequel, sont allés directement à l’essence de cette musique de nègres délurés, du swing ! En plus ça ne valse pas mal. L’est vrai que le swing a donné naissance au beat, et le beat est le cœur beattant du rockabilly. Qu’on leur pardonne, surtout qu’ils ne recommencent pas. En cachette, repassez-moi ce morceau, s’en sortent bien de cette avanie, il faut le reconnaître, en plus la voix de Rémi qui monte et descend à toute blinde dans l’ascenseur, c’est très bien. Coffee tox : enfin un rock’n’roll, un vrai, une guitare cochranesque, un piano démantibulé c’est Guillaume qui y touche, normal c’est un instrument à percussion, que dis-je à persécution, quand il vous tient il ne vous lâche plus, un vocal à la Little Richard, connaissent leurs classiques, en plus ils font durer le plaisir, remettent le couvert pour un second service, l’Eddie il poinçonne des hameçons sur sa gratte. Jugez de ma mansuétude, moi qui suis un intox au café je passe sous silence qu’ils terminent en réclamant une tasse de lait !

    z25871spuny.jpg

    Destination unknown :  on était dans les cinquante, on pousse le curseur sur les sixties, vous font le coup du slow, quoi les Spuny un slow, ouvrez la fenêtre que je me défenestre, un slow aux racines blues et à l’arrache vocale. Tout dans l’intensité. Vous avez une vidéo qui vous explique : deux gaminos, deux frères de sang, deux tout jeunes rockers en herbe, deux flamboyants, un poteau d’Eddie qui a disparu. Un alter égo. L’autre moi qui n’a pas eu lieu. Un hommage, lancé comme une bouteille à la mer sur l’océan de la mort. Poignard poignant. Eddie a le mauvais rôle, celui de la poste restante. In dreams : morceau composé par PC Van Der Erf, chanteur, vous le connaissez sous le nom de Jake Smithies, voir plus haut : sur les premières notes vous parieriez la dernière chemise de votre voisin, à coup sûr un instrumental, ben non Rémi n’oublie pas de chanter. Un rock léger à la Buddy Holly, qui n’est pas sans rappeler Temptation Baby de Gene Vincent, ça sautille, ça grapille, ça file droit tranquille comme une torpille, l’air de rien avec trois petits coups de rien du tout Guillaume signale qu’il mène la cavalcade, Eddie imite le bruit de la machine à coudre électrique de votre grand-mère.  Et si la vie n’était qu’un rêve ? King of Royal Street : dans le même style que le précédent, côté rockab, une petite fille qui joue à la corde dans la cour de récréation, attention, changement de tempo, côté country pour le refrain, le jeune loup aux dents longues qui se la joue et se prend pour le président de la République, j’adapte car par ici on décapite les rois, le gars s’y croit, n’empêche que les instruments s’en foutent, sont tous les trois en train de tressauter à l’élastique. Prennent leur temps. Lily May : un rock gentillet, un peu passe-partout, n’y a qu’à se laisser porter, on écoute la bluette, se terminera-telle bien ou mal. On s’en fout. On se contente d’engranger dans nos neurones auditifs la symphonie rockab, n’arrêtent pas de se repasser le mistigri, une partie de tennis à trois, car la Lily May, elle n’est qu’un prétexte, elle compte pour du beurre, Rémi fait bien le joli cœur pour donner le change, mais l’on n'y croit pas une seconde. Two flames boogie : l’on repasse aux choses sérieuses, un peu de boogie pour effacer l’impression poppy du précédent, un vocal survolté, est-ce vraiment Rémi qui chante, ne s’y sont-ils pas mis à deux, une gratte qui fait le gros dos, une bat’ qui ronronne tel un tigre, le plaisir de jouer, la joie d’offrir, une guit’ qui défrise sa moustache, Guillaume qui enfonce les clous, Eddie qui envoie des signes de détresse, la contrebasse qui trace son chemin, Rémi joue à Jimmy Rodgers, tout va bien, le train peut dérailler, on s’en fout c’est trop bien. Two pizza in a row : deux pizzas (seraient-ce deux  objets transactionnels symbolique) yes, but very hot, on the rock, tout compte fait je me demande, le premier mouvement est souvent le meilleur, si on n’aurait pas dû les fusiller tout à l’heure, là ils se défoncent, sont partis, ne se retiennent plus, c’est un peu la charge de la cavalerie légère, foncent comme des madurles, nous on s’empiffre, on bouffe ces bienheureuses pizzas jusqu’à la boîte en carton, on en raffole. Do right do write : z’ont la recette, facile, vous faites ce qu’il faut et le morceau s’écrira tout seul. C’est le même tour de main que pour les pizzas précédentes, vous enlevez le morceau au triple galop, et vous laissez filer. A fond de train. Ah les fripons, ils n’ont aucun mérite, ils savent jouer, z’ont le rock au bout des doigts, au fond du gosier, entre nous soit dit si vous connaissez un groupe de rockab aussi bon, téléphonez-moi tout de suite. Je suis preneur. Meilleur inutile de chercher, vous ne trouverez pas. Driven by blues : ouf enfin un blues, un peu simili, c’est un blues qui sent un peu  le rock’n’roll, c’est congénital chez eux, ne peuvent pas échapper à leur malédiction congénitale, c’est leur destin, ils n’y peuvent rien, ils y peuvent tout. Dang me : tiens il y a deux semaines le Cat Zengler évoquait l’adaptation française par Hugues Aufray de  King of the road de Roger Miller, les Spuny reprennent ici un autre grand succès de Miller : une belle réussite, pas facile ces passages moitié chantés, moitié parlés, une gageure, Rémi se joue des difficultés, vous imite la pie qui chante comme s’il appartenait au cercle du 3,14, parvient même à nasiller un poil de plus que l’original, sont très fidèles, z’ont réussi à renforcer l’ossature du morceau, sans que rien n’y transparaisse, leur interprétation tient toute seule. Ils n’imitent pas, ils se réapproprient. Sont doués, ou plus exactement ils ont intégré l’esprit de la musique populaire américaine, comme s’ils étaient nés et avaient grandi outre-Atlantique. Pas de panique, des petits gars bien de chez nous !

             Cet opus est une merveille.

    Damie Chad.

     

     *

             L’assassin revient toujours sur les lieux de son crime. Je n’ai pas l’envie particulière de tuer quelqu’un ce soir, quoique l’on ne sait jamais, vous connaissez les gouffres intérieurs de l’âme humaine, simplement la semaine dernière, j’ai pris un grand plaisir à parcourir les vidéos de la chaîne Western AF, alors j’y reviens. J’ai hésité entre plusieurs artistes, cela peut être fatiguant, les country boys ont souvent le cœur en mille morceaux, par la faute d’une fille, ces sales garces, enfin un peu de tenue, messieurs, soyez des hommes, des purs, des durs, des comme moi. J’en ai enfin trouvé un peu différent, alors on écoute.

    THE RED CLAY STRAYS

    (FULL PERFORMANCE – LIVE AF / 30 – 07 – 2024)

    Ils ont commencé petit, en 2016 ils étaient un simple trio de reprises de bar en bar bars, là-bas en Alabama. Deux premiers albums auto-produits en 2022, un troisième en 2024 chez RCA, jugez du chemin parcouru, suivi d’un live de la même crèmerie. Le morceau Wondering why issu de  leur first album Moment of truth devenu viral sur Tik-Tok explique ce changement de statut XXL.

             Ne sont pas du tout au même endroit que Two Runner, sont dans un bar au Callaghan’s Irish Social Club de Mobile.

    Brandon Coleman : lead vocals ,guitar / Drew Nix : vocals, electric guitar  / Zach Rishel: electric guitar / Andrew Bishop : bass / John Hall : drums Sevans Henderson : keys.

             La vidéo commence en blanc et noir, l’on ne voit pas grand-chose mais la voix Brandon raconte qu’ils ont commencé à se produire dans ce bar, avec très peu de spectateurs et une frousse bleue voici six ans, le Callaghan’s est une institution vieille de soixante-dix-huit ans dans lequel il faut avoir jouer (même si vous venez en papamobile) à Mobile. Les voici tous les six qui se dirigent l’entrée éclairée…

    z25864xhanteurseul.jpg

    Wanna be loved : les voilà sur scène, y vont tout doux, la caméra passe sur chacun, elle s’arrête souvent sur Brandon elle a raison, la mélodie s’installe, tout le monde attend une pause, l’est tout beau, ne vous fiez pas aux paroles, qu’est-ce que c’est ce demi-sel qui a besoin d’être aimé, encore un pleurnichard, non sa façon de se tenir, rien de bien original, mais de lui émane une force, et son visage, un peu en lame de couteau, n’ayez crainte il va vous l’enfoncer profond dans le cœur, pose les mots comme quand sur la paroi d’une montagne  l’on bascule des blocs de rocher sur ceux qui essaient de vous suivre, quant aux paroles elles ne sont pas si gnan-gnan que cela, prennent une dimension métaphysique, pas parce qu’il cite Dieu, parce qu’il doute de Dieu, ce qui n’est pas très grave, mais de lui, il est au fond du trou, il ne se fait plus confiance, il ne crie pas, il hausse la voix, il n’implore pas, il retourne le coutelas du scepticisme de soi-même contre lui-même. Tous arrêtent de jouer. Silence absolu. On entendrait voler un ptérodactyle mort depuis soixante millions d’années. Devil in my ear : attention, question ambiance, le précédent vous a des allures de bourrée auvergnate, les musiciens sont au taquet, Henderson caresse son clavier de la peau de ses doigts, une coulée de guitare, Brandon brandit son vocal, il ne hurle pas, il pose les maux et derrière l’orchestration colle au plus près de la montée en puissance et des glissades en descente, l’est loin, Brandon l’est tout seul, autre part, ailleurs, comme un vers tout nu traversé par l’hameçon de la douleur, le diable dans son oreille, l’a plutôt dans le sang, dans les veines, dans les brumes de son esprit, il crie une fois, l’est dans le vertige des médicaments, produisent des effets désastreux, il titube, il tient debout par miracle, en appelle encore une fois à Dieu qui le laisse se détruire tout seul, l’est le seul qui pourra se tirer de son marasme, c’est dur à dire et d’être franc, on ne parierait pas un dollar sur sa réussite. Lui-même n’hasarderait  pas un cent. No one else like me : un cas psychique, se prend pour un cas à part, les gars derrière ne poussent pas la roue, ce n’est pas qu’il pense qu’il n’existe pas un individu aussi exceptionnel que lui sur la planète, c’est qu’il est persuadé qu’il est le pire de tous les êtres humains, alors les copains l’accompagnent, parfois faut faire semblant d’être d’accord avec les grands malades, il crie, il s’accuse de tous les mots, alors derrière la symphonie éclate, les guitares glapissent comme un lot de renard pris au piège, mais maintenant c’est John Hall qui pique une crise, joue à l’infirmier taillé comme un malabar qui dans les lunatic asylums se charge des patients impatients, vous tape sur le récalcitrant comme s’il était le grand timbalier déchaîné du Berliner Philamorniker Orkestra interprétant La Chevauchée des Walkiries, tout le reste de la section lui emboîte le galop, le Brandon n’en moufte plus une, et les autres continuent sur leur lancée… Drowning : vous me faîtes rire avec la grande dépression de 29, c’est repartir pour les fonds souterrains, le Brandon l’a une voix blanche comme un cadavre, le band ne fait pas bande à part, pour un peu pour le consoler ils se transformeraient en un harmonium au fin-fond d’une église perdue, la basse aussi tubéreuse qu’un tubercule, font tous ce qu’ils peuvent, mais Brandon vous a de ces crises de délires à vous faire peur, les copains essaient de l’envelopper d’ouate, peine perdue il hurle comme un chien à qui vous venez de marcher sur la queue, folie du gospel. Silence absolu. Il doit être mort. Pas le chien. Brandon.

    z25865tous.jpg

             Sont sympas pour vous remettre de vos émotions il vous offre un générique de fin. Blanc et noir. Les trognes épanouies du groupe, agapes après concert. Après ce que vous venez d’entendre vous avez du mal à penser que ce sont de joyeux drilles. Cachent bien leur jeu. Jouent leur rôle à la perfection.

    THE RED CLAY STRAYS

     (Full Performance  / Live AF / Août 2023)

    Beaucoup apprécié leur prestation. On ne change pas une équipe qui gagne. Même personnel que sur la Performance précédente, ne manquent que les claviers de Sevans Anderson.

    Sont dans la Cité de Laramie. Cet enregistrement ressemble davantage à celui de Two Runner, le groupe seul dans une vaste pièce.  Sa diffusion sur le canal Western AF a concrétisé  le succès initial de Wondering Why sur Tik Tox.

    Un simili générique en noir et blanc, le groupe en train de rouler son matos. Une atmosphère beaucoup plus roots que la précédente session, n’oublions pas qu’elle se déroule un an après celle première, ne serait que par l’apparente froideur du lieu et le ton gris-bistre de l’ensemble.

    z25866tous.jpg

    Stone’s Throw :  un doigt sur une corde de basse, Brandon au micro pratiquement a capella, l’a une belle gueule, rappelle un peu celle d’Eddie Cochran, tout le morceau repose sur le vocal, les autres y vont mollo, mais pas mollasson, c’est un régal d’écouter les fuselages électriques des guitares,  interviennent avec des doigts de fées, la voix gagne en puissance, du pur country, une chanson type, sur la route du retour à la maison, nous ne les verrons pas arriver, nous les laisserons à un jet de pierre de la bicoque, juste la route et la fatigue, d’où viennent-ils dans quel village débarquent-ils, on ne le sait pas, juste un instant d’éternité, la route, et rien d’autre. Avant. Après. Aucune importance. L’immensité américaine. Killers : une ballade américaine. Finie l’immensité. Juste une vie. De misère. Il est né dans la rue, il retourne à la rue. American beauty, american reality comme disaient les autres… Une vie exemplaire, le Vietnam, la mort d’un gamin, la prison, j’abrège pour ne pas vous faire pleurer ou éclater… de rire, passer à côté de son existence. Que de temps perdu… Dieu n’est pas pressé de le rappeler. Glaçant.  Une voix qui mord, des guitares qui glissent tout doucement comme des serpents venimeux qui ne veulent pas se faire remarquer.

    z25867surscène.jpg

    Wondering Why : lisez le texte. Une bluette à l’eau de rose. Pas étonnant que sur Tik Tox les fillettes aient adoré. Ben vous allez être déçus. Une espèce de blues qui pue des pieds, complètement déglingué. Vous raconte qu’il adore cette fille qui l’aime, l’a même un peu de mal à croire à son rêve, mais de la manière dont il plante ses mots, cous croiriez qu’il est en train d’enfoncer encore et encore un couteau dans son cadavre encore chaud.  A l’entendre chanter l’on se dit que ce mec doit être inapte au bonheur. Don’t Care : dans ce dernier morceau, tout est normal, la fille est partie, et lui n’est plus qu’une épave qui n’attend plus que la mort. L’est un tantinet désespéré. Elève la voix. Derrière ils font grincer les instrus comme l’enseigne rouillée de la maison du bonheur abandonnée. Certes c’est désolant. Mais le pire c’est que l’on est obligé de constater que les trois morceaux précédents, quelle que soit la situation, elle n’est pas souvent brillante, c’est toujours la même ambiance, la même déprime, l’histoire d’in gars qui n’arrive pas à coller avec le monde qui l’entoure, avec la vie, avec sa propre existence, avec lui-même.  Chante, s’exprime, avec un tel accent de véracité que vous croyez dur comme du fer à ce qu’il raconte. Si vous rajoutez que le reste du groupe n’en fait jamais trop, jamais trop peu, qu’ils collent à son vocal comme la poisse. Comme la mort à la vie. Vous êtes obligés de reconnaître que ces maraudeurs de l’argile rouge laissent derrière eux des traces inquiétantes. Très fort.

    Damie Chad.

     

    *

    Parfois la vie vous fait de drôles de cadeaux, je sais bien que c’est Noël mais ce n’est pas une raison pour exagérer ! Bien sûr le mythe de l’Atlantide est un gouffre sans fin, mais voici qu’un courriel me met en présence d’un deuxième continent totalement inconnu. Heureusement qu’un lien internet me permet d’aborder ce mystérieux rivage en quinze secondes, mais commençons par le commencement, je vous révèle sans plus tarder l’origine de cette invitation :

    THUMOS

    z25868atlantis.jpg

             J’ouvre l’image. Je reconnais : la couve de l’EP Atlantis que j’ai chroniqué dès sa sortie au mois d’avril de cette année. Etrange, z’auraient-ils réenregistré l’opus, ajouté un ou deux inédits… A première vue, rien de spécial. Nous suivons Thumos depuis longtemps. Rappelons que Thumos est un groupe instrumental post-metal, si cette étiquette désigne vraiment quelque chose, américain. Un des plus originaux, engagé dans une bizarre aventure musicale et intellectuelle qui consiste à rendre compte dans ses opus de la pensée philosophique de Platon. Ainsi nous a été donnée leur interprétation de La République et du Banquet deux des plus prestigieux dialogues de notre philosophe.

             Par ce paragraphe nous ouvrons une parenthèse pour ceux qui s’étonnent de ce type de projet, se demandant comment l’on peut donner une idée d’ouvrages platoniciens juste par l’emploi d’une musique dépourvue de toute parole. Nous les invitons à lire la chronique suivante sur Emmanuel Lascoux qui pose et propose une méthode, c’est ainsi qu’il faut la lire, de transposition d’une œuvre en un autre langage, avec d’autant plus d’intérêt qu’il s’agit de passer d’un texte grec vieux de deux mille cinq cents ans à notre français moderne…

             Avant de quitter Thumos, bien que ce soit le sujet principal de cette Kronic, notons que Thumos ne se livre pas à une tâche stérile à prétention étroitement culturelle. Il s’agit de lire Platon pour mieux comprendre notre propre relation à notre présence au monde, à notre civilisation qui n’est pas au mieux de sa forme, nous savons depuis Valéry qu’elles sont toutes mortelles, qu’en évoquant Atlantis, Platon  pose la problématique cyclique de la disparition de toute culturalité continentale… Plusieurs disques de Thumos font référence à ce questionnement fondamental en empruntant d’autres sujets à des ouvrages qui ne sont pas directement liés aux livres de Platon.

    GBHDL

    (autrement dit)

    GAMES, BRRRAAAINS & HEAD-BANGING LIFE

             Un site d’amateurs de jeux-vidéos et de fans de musique qui vous font bouger la tête, et de par la loi aristotélicienne de la causalité ce qui s’y trouve dedans : votre cerveau. Un sacré remue-méninge. Si vous désirez vous rendre tout de suite sur cette plate-forme tentaculaire munissez-vous d’un paquet de biscuits car il y a lire et à regarder. Or chaque année GBHDL livre son palmarès : les dix meilleurs albums de metal de  l’année et le top ten des dix meilleurs EP de l’année. Vous avez deviné : l’ EP Atlantis de Thumos remporte la première place.

    z25869émission.png

             Je me méfie toujours des hit-parades, que n’importe quel groupe soit plébiscité par des milliers voire des centaines de milliers de personnes, n’est pas selon moi un gage absolu  de qualité supérieure.... Je proviens du Symbolisme, je pense à Pierre Louÿs qui ne prévoyait d’imprimer sa revue de poésie La Conque à cent exemplaires pour cent lecteurs qu’il choisissait en envoyant les bons de souscription uniquement à ceux qu’il pensait être capables de lire les douze  livraisons prévues pour une seule année.

             GBHDL me surprend agréablement. D’abord il y a deux Tops Ten chacun établi par un seul individu : Brendan et Carl. Bref sont nominés en tout vingt EPs. En numéro 1 Brendan pose Tren Kills pour Blood for the Crown. Un titre qui immédiatement fait penser à Sex Pistols. Carl, vous l’avez deviné dépose une couronne de laurier sur l’EP Atlantis de Thumos.

             Un titre a motivé ma curiosité : des français, Ways et leur EP Are Wee Still Alive ? Nous les chroniquerons dans notre prochaine livraison.

    Damie Chad.

     

    *

             Ce n’est pas un rocker, l’on se demande bien d’ailleurs pourquoi les Dieux lui ont laissé la permission de vivre, il joue même du piano Mozart, Beethoven, Brahms et tout le bataclan, oui toute la clique classique, certes c’est un esprit ouvert, une qualité qui ne lui octroyait tout de même aucune chance d’avoir une chronique à son nom dans un blogue rock, z’oui mais il a l’âme grecque, et vous connaissez mon parti pris immodéré pour la Grèce, bref on l’écoute…

    EMMANUEL LASCOUX

            Dans la vie civile il exerce la noble profession, en voie de disparition, de professeur de grec. Vient de faire paraître une traduction de L’Illiade, un dangereux récidiviste, en 2021 il s’était attaqué à L’Odyssée. Chez POL. Comme il est musicien en ce mois d’octobre il a sorti un drôle de récit intitulé Le Poids des Pianos. Inutile de vous ruer dessus, ce n’est pas une bio sur Jerry Lou. Revenons à ses homériques traductions. Elles posent problème, ce ne sont pas des traductions. Attention ce n’est pas un tricheur, il est fidèle au texte, il n’en supprime pas des passages, il ne rajoute pas des épisodes non plus. Lui, il dit qu’il en propose une version. La sienne, il ne prétend pas qu’elle est meilleure ou supérieure à toutes les autres.

             Le mot version vous a fait pâlir, de mauvais souvenirs scolaires remontent à la surface de votre mémoire, parfois la mer recrache les débris de naufrages oubliés, entendez le mot version autrement. Prenons un exemple précis : si je vous dis que les Spunyboys (voir chronique supra) vous présentent sur leur tout nouvel album une version de Dang Me de Roger Miller, le mot ‘’version’’ ne suscite en vous aucun effroi, vous êtes en pays de connaissance, la reprise est un des éléments fondationnels du rock’n’roll.

             Les textes d’Homère c’est un peu comme le texte de Be Bop A Lula, l’un est écrit en grec et l’autre en anglais. Prenez le temps d’écouter la version des Chaussettes Noires du hit de Gene Vincent. Chinoisons un peu, Homère n’a jamais écrit ses deux méga-poèmes, à l’époque de leur conception, les Grecs ne savaient pas écrire, il les composait, les imaginait dans sa tête, il les récitait, il les chantait, il s’accompagnait d’une  lyre non électrifiée. Comme l’ensemble des deux poèmes comptent plus de vingt-cinq mille vers, vous imaginez le boulot. Négligeons tous ceux qui ont participé à cette œuvre collective…

             Essayez de réciter de tête deux cens vers de Victor Hugo au dîner de communion du petit dernier. Pas facile. Vous avez dans les tirades d’Homère des trucs, on dit des moyens mnémotechniques, pour réactiver la mémoire défaillantes, des répétitions, les fameuses épithètes homériques, Achille au pied léger, par exemple.

    z25870lacoux.png

    Emmanuel Lascoux part du principe qu’il y en avait d’autres qui n’apparaissent pas dans le texte en notre possession, les variations de timbre du récitant-chanteur, le débit plus ou moins rapides, les mimiques qui aident l’aéde, vraisemblablement diverses positions théâtrales du corps… Les Grecs écoutaient-ils religieusement l’artiste dans un silence absolu, Emmanuel Lascoux n’est pas en accord avec cette image d’Epinal, le vin circulait, certes les récits mythiques étaient captivants mais pour maintenir l’attention du public, le texte devait aussi emprunter des expressions et des moyens élocutoires en vigueur à l’époque de ces satanées récitations. Prenez exemple sur moi, puisque j’écris pour un public de rocker je me permets de glisser dans un texte portant sur les problèmes de traduction d’Homère une allusion au pumpin’piano de Jerry Lou.

    Emmanuel Lascoux s’est lancé dans une démarche similaire. L’a décidé d’utiliser le français qui se parle aujourd’hui. Un français qui suit les rythmiques des musiques qui nous entourent, les syncopes du jazz, les accentuations slamiques, l’impact sonore du rock, il n’hésite pas non plus a utiliser le langage sonore et interjectionnel des BD onomatopiques, bim, bam, boum ! Crac, boum, hue !

    Bref il nous livre une version peu académique de l’Illiade et de l’Odyssée. Certains adorent, d’autres se bouchent le nez. Lorsque les premières traductions d’Homère ont paru à la fin de la Renaissance, les littératures grecques et latines que l’on redécouvrait étaient considérées comme des modèles insurpassables, on les révérait, on drapait les textes originaux en les styles ampoulés, les plus déclamatoires les plus châtiés, les plus respectueux, les plus grandiloquents, dignes des Dieux et des Héros… Cette tradition s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui même si des parodies de ces épopées ont assez vite vu le jour…

    Vous trouverez très facilement sur le net de multiples vidéos dans lesquelles Emmanuel Lascoux explique sa démarche. A un niveau théorique, mais aussi pratique. Il lit le texte grec, il lit plusieurs traductions d’un même fragment effectuées par plusieurs auteurs qui l’ont précédé, et donne de multiples extraits de son propre travail. Il prend soin de mêler à ses lectures le texte grec originel, dont il essaie par la même occasion de retrouver la musicalité originelle. Tentative peu évidente, aucun enregistrement sonore ne nous est parvenu de l’Antiquité ! Actuellement, c’est un peu la mode, l’on demande à l’Intelligence Artificielle de retrouver la prononciation ‘’ originelle’’ de langues ensevelies dans les catacombes du silence dont il ne nous reste que des écrits.

    Certains s’étonneront de cette chronique consacrée à Emmanuel Lascoux, c’est oublier un peu vite les années de tâtonnements que le rock’n’roll français a tenté avec beaucoup plus d’échecs que de réussites à adapter les textes américains et anglais des artistes d’outre-Manche et de l’autre bord de l’ Atlantique. Le passage d’une langue à l’autre n’est pas évident, créer des équivalences crédibles n’est pas une sinécure. Une simple évidence : beaucoup de groupes français utilisent l’anglais…  Ecoutez voir !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 648 : KR'TNT 648 : RUSS WILKINS / NO JAZZ QUARTET /MAX DECHARNE / WAYNE KRAMER / GEORGE SOULE / GHOST HIGHWAY / DOOM DRAGON RISING / ORPHEAN PASSAGE / THUMOS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 648

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 06 / 2024 

     

    RUSS WILKINS / NO JAZZ QUARTET

    MAX DECHARNé / WAYNE KRAMER

    GEORGE SOULE /  GHOST HIGHWAY

     DOOM DRAGON RISING /  ORPHEAN PASSAGE

      THUMOS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 648

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Russ the Boss 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il existe deux boss dans l’histoire du rock et des wizards : Ross the Boss des Dictators, et Russ the Boss de Lord Rochester, mais aussi d’une palanquée d’autres groupes dont on va causer dans la foulée. Depuis cinquante ans, Russ the Boss Wilkins est l’une des têtes de gondole proéminentes de l’underground britannique, au même titre que Wild Billy Childish, Graham Day, Bruce Brand, Mickey Hampshire, Hipbone Slim, Dan Melchior et Sexton Ming. On retrouve la trace du Russ dans les Pop Rivets, les Milkshakes, le Len Bright Combo, les Delmonas, les Wildebeests, Lord Rochester et dans une multitude d’autres projets. Chaque fois, les disks sont bons, c’est important de le signaler. Les ceusses qui le savent y vont les yeux fermés.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Son anti-carrière remonte à 1979. Il était déjà dans la big rock action avec Wild Billy Childish et les Pop Rivets, et un tonitruant premier album baptisé Greatest Hits. Bruce Brand fait aussi ses débuts de légende vivante, car il y bat le beurre, il faut l’entendre battre la chamade de «Fun In The UK». Te voilà au parfum. On entend le Billy s’étrangler de rage dans «Bacon». Il fait du punk primitif, si mal dégrossi qu’on dirait du Dada. Ah quel joli développé de Méricourt ! On sent bien les racines du British beat dans leur punkitude affichée. S’ensuit un gorgeous clin d’œil aux Mods avec «Lambrettavespascoota», gratté à l’hard ska de Brixton, il est complètement fou le Billy, complètement fracassé de la ciboulette. Il s’énerve encore plus avec «Kray Twins», il chante comme une petite fiotte enragée, il est à la fois marrant et impressionnant. À l’aube des temps, les Pop Rivets sont superbes, Billy the kid part bien en vrille sur le bassmatic de Russ the Boss. Avec «Commercial», ils sonnent comme les Buzzcocks, avec la même énergie et le même bassmatic cavaleur. C’est Russ the Boss qui tape le «Disco Fever» en mode «Death Party». Quelle dégelée ! Les Pop Rivets sont effarants de grandeur tutélaire. Billy fait encore sa sale teigne sur «To Start - To Hesitate - To Stop» et Russ the Boss roule sa poule au bassmatic délirant. On entend parfois Billy crier comme un condamné, et ils bouclent cette brillante affaire avec le wild gaga punk de «Pins & Needles». Ils sortent le grand jeu, c’est-à-dire le fast stomp. Merveilleuse énergie des maillots de corps et des peaux adolescentes.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             On trouve trois covers diaboliques sur l’Empty Sounds From Anarchy Ranch des Pop Rivets : «You Really Got Me», «Wild Thing» et «What’cha Gonna Do About It». Ça chauffe pour de vrai, c’est trashé jusqu’à l’oss de l’ass, il tapent les Small Faces, les Kinks et les Troggs à l’arrache-pied et sur le What’cha, on entend la bassline voyageuse de Russ the Boss. Le reste de l’album va plus sur la grosse dégelée de Medway Punk’s Not Dead, et «Skip Off School» est un real deal de real slab. Heureusement tout n’est pas si bon, ça permet de reposer les oreilles. Avec «Anarchy Ranch», ils font de la wild Americana de Medway. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Le Live In Germany ‘79 est un bel Hangman de 1990. Tu éprouves une certaine fierté à le posséder, comme d’ailleurs tous les Hangman. Ce Live est plus un document sociologique qu’un album live, au sens où on l’entend généralement. Ce n’est ni le Band Of Gyspsys ni le Rockin’ The Fillmore, c’est un doc live un peu âpre, enregistré avec les moyens du bord à Hambourg et à Dusseldorf, en septembre 1979. Les Pop Rivets sont quatre, Wild Billy Childish chante, Bruce Brand gratte ses poux, Big Russ bassmatique, et Little Russ bat le beurre. Au dos, Jack Ketch déclare que ce Live «is an important document in the history of medways premier punk group». Alors ils foncent dans le tas et aussitôt après un «Hippy Shake» mal dégrossi, ils tapent un «Kray Twins» punk as hell. On entend Big Russ monter au front avec son bassmatic sur le ska d’«Hipocrite» et Billy pique sa crise avec la cover du «Watcha Gonna Do» des Small Faces. En B, ils sortent leur vieux «Fun In The UK», le fast punk de «Beatle Boot» vite torché à la torchère, et ils enchaînent avec l’«ATVM Ferry»» d’Alternative TV de Part Time Punks, puis «Steppin’ Sone», cover idéale pour des sales punks. Ils se vautrent ensuite en reprenant le «Jet Boy» de Plastic Bertrand. Ce sera la seule faute de goût dans les immenses carrières de Wild Billy Childish et de Big Russ Wilkins. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             En 1982 Russ the Boss se retrouve dans les Milkshakes, une sorte de super-groupe avant la lettre. Pardonnez du peu : Wild Billy Childish, Bruce Brand, Mickey Hampshire et Russ the Boss. Si ce n’est pas un super-groupe, alors qu’est-ce que c’est ? Ils vont enregistrer une petite palanquée d’albums, avec en moyenne trois pépites sur chacun d’eux, ce qui reste une moyenne honorable. Fourteen Rhythm & Beat Greats est un Big Beat de 1982. Belle pochette classique, beau son classique, beau choix de cuts classiques. On en retiendra trois : «Seven Days», «No One Else» et «Red Monkey». «Seven Days», oui, car monté sur les accords des early Kinks, Milky Power avec l’aw qui annonce se solo de la désaille définitive, du pur Mickey Hampshire. Exploit qu’il réédite avec un «Exactly Like You» bien bombé du torse. «No One Else», oui, car bombasté dès l’intro par Big Russ, le demolition man. Fantastique pulsateur devant l’éternel ! Et «Red Monkey», oui, car clin d’œil à Link Wray avec un son de basse délibérément outrageous. Du Wray de Wray.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             En gros, les Milkshakes sonnent comme les early Beatles et les early Kinks. C’est à la fois leur crédo et leur seuil de référence. Sur After School Sessions, «Shimmy Shake» sonne exactement comme du l’early shimmy des Beatles. Fantastique mimétisme ! Même chose avec «You Can Only Lose» en B, pur early shimmy shake de Beatlemania. Avec «Tell Me Child», ils font le dirty gaga Kinky, Mickey Hampshire gratte les poux de Dave Davies. C’est tellement ultra-dirty que ça mord sur les Pretties. Le reste est plus classique, plus Milkshaky. On entend bien le bassmatic de Russ the Boss dans «I Can Tell», ils diversifient énormément, et Bruce Brand sublime l’instro cavaleur «El Salvador». Ils terminent avec un «Cadillac» plein de jus, battu sec, taillé au cordeau, fourvoyé, mais un peu prévisible. On leur pardonne. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Retour aux Kinks sur The Milkshakes In Germany avec «I’ll Find Another». Pure Kinky motion ‘65 et killer solo trash à la Dave Davies. Merci Mickey ! Retour aussi à l’early Beatlemania échevelée avec «She’s The Kind Of Girl». C’est exactement la même énergie. Ils bouclent leur balda avec «Comes Along Midnight», plus stompy, plus dirty, pas loin des Pretties, mais des Pretties en colère, sonné des cloches au scream et transpercé d’un killer solo trash de Mickey Hampshire ! Si on écoute cet album, c’est uniquement pour rester en bonne compagnie. Ils font encore des étincelles en B avec «I Need Lovin’», un heavy groove milkshaky hanté par un solo de traînasse. Même au ralenti, ils sont éclatants de punkitude sixties. Ils bouclent ce teutonique Germany avec un «Sometimes I Wantcha (For Your Money)» très beatlemaniaque dans l’idée, mais avec une pincée de wild gaga punk. Billy the kid chante vraiment comme John Lennon.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Encore une belle pochette classique pour ce 20 Rock & Roll Hits Of The 50’s And 60’s, un Big Beat de 1984 qui te frétille entre les doigts. Il fait même honneur à ton étagère. Big Russ et toute la bande commencent par rendre hommage aux Beatles avec une version en plein dans le mille d’«Hippy Hippy Shake». S’il est un groupe qui a bien pigé le génie des Beatles, c’est eux. Ils trient leurs covers sur le volet et enchaînent avec le «Rip It Up» de Little Richard, mais sans la voix. C’est du tout cuit pour cette bête de Gévaudan qu’est Bruce Brand. Sur cet album, tout est drivé sec par Russ et battu net par Bruce. Ils rendent hommage à Gene Vincent avec une cover claironnante de «Say Mama», et plus loin de «Jezebel», et restent dans le giron des génies de l’humanité avec Buddy Holly et une version de «Peggy Sue» qui leur va comme un gant. Numéro dément de Bruce au beurre. Si tu veux entendre un grand batteur anglais, c’est là. Ils tapent aussi l’imbattable «Jaguar & The Thunderbird» de Chucky Chuckah et en dépotent une version ahurissante d’ampleur et d’élan. T’es vraiment content d’être là, devant ta petite platine de branleur. En B, ils claquent un «Something Else» bien senti, looka here ! C’est gratté dans le sens du poil, tu peux leur faire confiance. Leur «Who Do You Love» est un peu trop bordélique, mal lancé. Ils perdent en route le Bo du Bo. Par contre, ils transforment l’«Hidden Charms» de Wolf en wild protozozo, et ils bouclent la boucle avec une version complètement allumée d’un cut déjà allumé, «I Wanna Be Your Man», qui, t’en souvient-t-il, fut le premier single des Stones, cadeau de John & Paul.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Belle pochette que celle de Nothing Can Stop These Men, paru en 1984. Si tu veux voir un vrai super-groupe en photo, c’est là que ça se passe. Attaque de plein fouet avec «You Got Me Girl», heavy gaga britannique, terriblement dirty, traîne-savate et mal intentionné. Bruce Brand vole le show dans «She’s No Good To Me», ce big shoot de gaga buté et bas du front, mais c’est en B que se joue le destin de l’album, avec «The Grim Reaper», un instro digne des Cramps. Puis ils rendent hommage à Johnny Kidd avec «Everywhere I Look». On y entend aussi des échos du «Brand New Cadillac» de Vince Taylor. Puis ils renouent avec la Beatlemania dans «I’m The One For You», poppy en diable, chanté à l’accent clinquant couronné d’harmonies vocales et de claqué de Ricken. Pur magie ! «You’ve Been Lyin’» sent aussi très bon le «Brand New Cadillac» - You’ve been lyin’/ Lyin’ to me - Hard Nut ! 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sous-titré The Legendary Missing 9th album, The Milkshakes’ Revenge paraît en 1987. La bande fut volée au soir de l’enregistrement, nous dit Hasty Bananas au dos de la pochette. Et elle réapparut tout aussi mystérieusement. Tant mieux pour nous, car on peut écouter ce smash d’heavy rumble qu’est «Let Me Love You», une espèce de coup de génie à la Johnny Kidd. Ils enchaînent avec une belle cover d’«I Want You», l’immémorial hit des Troggs, et en B, ils tapent une autre prestigieuse cover, «Pipeline», mais elle n’est pas aussi flamboyante que celle de Johnny Thunders sur So Alone. Wild Billy Childish pique sa crise de gaga-punk des Batignolles avec «She Tells Me She Loves Me», et puis avec «Every Girl I Meet», les Milkshakes font une petite tentative   de putsch rockab. Ils bouclent avec une cover du «Baby What’s Wrong» de Jimmy Reed, qui dans les pattes des Milkshakes devient un heavy stomp gaga mené de main de maître.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Wild Billy Childish et Big Russ se retrouvent sur Laughing Gravy, un 25 cm paru en 1987. Pochette bois gravé, sortie des ateliers du graveur Childish. Il n’existe rien de plus underground que ce type d’album. Même à l’époque, il fallait sortir un billet pour l’avoir. Ils attaquent avec une cover du «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed. Ils tapent tout l’album aux poux très secs. Ça sonne comme s’ils se désaccordaient en jouant. Leur volonté d’anti-m’as-tu-vu n’en finit plus de s’afficher, cut après cut. Ils tapent le «Black Girl» de Leadbelly à la corne de brume, ou à l’orgue de barbarie, c’est comme tu veux. Ils sont marrants, tous les deux, on les voit sautiller derrière «Little Bettina», ils grattent comme des sagouins. Pas question d’être numéro un au hit-parade ! Fuck it ! En B, ces deux cats du Kent tapent un heavy boogie downhome de Rochester, «I Need Lovin’». Fabuleuse clameur.

             Ce sont les Milkshakes qui accompagnent les Delmonas sur leurs quatre albums. On y reviendra dans un chapitre à part entière.

             Ce n’est pas un hasard, Balthasar, si on retrouve Russ the Boss dans les deux albums du Len Bright Combo, Len Bright Combo By The Len Bright Combo, et Combo Time, parus tous les deux en 1986 sur le mythique label Ambassador.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Magnifique album que ce Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Trio en forme de formule magique : Wreckless Eric, Russ the Boss et Bruce Brand. On y trouve deux clins d’yeux à Syd Barrett : «Selina Through The Windshield» et «Lureland». Pour Selina, l’Eric ramène un brillant panache de psyché, et il place un gros solo trash de dérive abdominale. C’est éclatant, pur jus de Piper, il explose The Gates Of Dawn. Fantastique résurgence ! «Lureland» est aussi très Barrett, même complètement barré de la Barrett. Le coup de génie est le cut d’ouverture de balda : «You’re Gonna Screw My Head Off». Très British, éclatant, développé, surprenant, imparable. Une solace de psychout so far out. En B, on tombe sur «Sophie (The Dream Of Edmund Hirondelle Barnes)». Il faut leur reconnaître une certaine grandeur, une belle affirmation, une volonté réelle d’éclater le Sénégal d’Angleterre. Que de son, my son ! «The Del Barnes Sound», nous dit-on au dos de la pochette. Tout aussi puissant, voici «The Golden Hour Of Farry Secombe», un cut qui va se fracasser dans le mur du son. Et ce magnifique album s’achève avec «Shirt Without A Heart», un power de tous les instants monté sur une pure structure pop, l’Eric bâtit son petit Wall of Sound avec une troublante efficacité. Il monte son cut en neige prodigieuse.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Le deuxième Len Bright Combo sort la même année, en 1986 et s’appelle Combo Time.  Il s’ouvre sur l’assez puissant «Comedy Time». L’Eric charge bien sa barcasse de comedy time. Son «Pleasant Valley Wednesday» n’a rien à voir avec les Monkees, mais ça dérape dans la Méricourt de Big Russ. Comme on l’a vu sur le premier Combo, l’Eric sait créer les conditions du foutoir psychédélique, c’est en tous les cas ce que montre une fois de plus «Swimming Against The Tide Of Reason». Il dispose d’une pente naturelle à l’esbrouffe, il sait finir en beauté. Il dispose bien sûr du personnel idéal pour ça. «The House Burned Down» sonne comme un petit boogie décidé à en découdre. Alors il en découd. Une fois encore, nous trois amis chargent bien la barcasse et ça grimpe très vite en température. C’est vraiment excellent, toujours inspiré, soutenu aux chœurs de lads. Comme si Syd avait mangé des épinards. En B, ils partent en monde «Lust For Life» pour «The Awakening Of Edmund Hirondelle Barnes». Assez gonflé. Pur Russ power ! Bruce Brand vole le show avec «Club 18-30», un petit ramshakle original et l’album se termine en beauté avec «Ticking In My Corner», un heavy country blues de Medway, c’est brillant, joué au bord du fleuve. On exulte en écoutant le bright downhome blues du Combo. Méchante allure ! L’Eric est un crack, un vrai boum-hue-hue. Il explose le country blues, il en fait une montagne de pâté de foi, et il y jette toute sa petite niaque.   

             En 1996, Russ the Boss monte les Wildebeests avec John Gibbs (qui a joué avec Hipbone Slim et les Masonics) et Lenny Helsing au beurre.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Dimbo Party sort sur le label d’Hipbone Slim, Alopecia Records, en 1997. Donc gage de qualité. Russ the Boss annonce la couleur dès «Trust In Me», heavy shoot de gaga-punk britannique, juteux, frais comme un gardon et lourd de sens. On sent que ces trois mecs prennent du plaisir à shaker le shook. Avec «Come On now», ils passent au classic Beatles jive de l’aube des temps, puis ils claquent «Hey Cassandra» au swing de Gévaudan, Big Russ fout le feu à la ville pendant que Gibbs claque un bassmatic monumental. Wild Wildebeests jive ! Ils attaquent leur B de plein fouet avec «You Were Wrong», c’est du Chucky à l’anglaise, claqué au riff hésitant, typique des Pretties, et Gibbs perpétue le grand art du bassmatic à la John Stax. Diable, comme ces trois mecs vénèrent les Pretties ! Ils swingent encore comme des démons sur «Mind Blender» et «BMC», et bouclent cet album qu’il faut bien qualifier de chaud-devant avec «Bubblegum Fuzz». Ils s’y entendent en dégelées royales. Joli shoot de wild as Beests !

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Pas étonnant que Go Wilde In The Countrye soit paru sur Sympathy For The Record Industry. C’est un wild album qui grouille de puces, une sorte d’apanage du power trio underground pur, et ça claque derrière les oreilles dès «I Need You» en mode Trogglodynamite, c’est-à-dire bouillon de culture gaga-punk. Ils embarquent «Frogboy» au one two three, au fast on the run. Comme ils chantent en anglais, on s’exprime en anglais, pour essayer d’être un peu cohérent. Dans la vie, un peu de cohérence ne fait jamais de mal. Russ et ses sbires vont vite en besogne et te remontent la sauce avec des chœurs de Dolls. Plus loin, ils attaquent «Standing Alone» en Kinky motion, bel hommage au génie punk de Dave Davies, Russ et ses Beests ont le power, ils claquent le Kinky KO. Ils regrattent les accords des Kinks de 65 dans «This Is My Year» et Russ the Boss passe un violent killer solo. Ils tapent une très violente cover de «Parchman Farm». C’est complètement punked-out, ils gèrent bien le calme avant la tempête. Ils sont les Wildebeests de Gévaudan. Pour couronner le tout, voilà une belle dégelée psyché, «Couldn’t You Say You Were Wrong», avec une incroyable profondeur de champ, ils font du Syd Barrett sous amphètes, ça spurge dans la stratosphère, ils explosent tout, c’est un violent shoot de Mad Psyché évangélique, ça traverse les siècles et le blindage des coffres, ça t’explose la bulbosphère, et le Russ n’en finit plus de charger la barcasse du diable.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il est possible que le perruqué qui orne la pochette d’Annie Get Your Gnu soit le mec des Snobs, un combo britannique des sixties qu’on croise sur les meilleures compiles Mods, notamment Searching In The Wilderness. Annie Get Your Gnu est ce qu’on appelle un album endiablé. Boom dès «Your Mind». Boom car explosif ! Quasi protozoaire, affreusement claqué du beignet par Russ the Boss. Killer solo, bien sûr. Une fois de plus, les Beests de Gévaudan dévorent les abscisses et les ordonnées du rock anglais. Le petit stomp d’«I Can’t Change» sonne très Beatles au Star Club de Hambourg et puis avec «No No No», ils font du simili 13th Floor Elevators, avec une cruche électrique. Bel hommage ! Retour en fanfare à Dave Davies avec «Til Sun Up». En plein dans le mille du Really Got Me. Russ the Boss n’en finit plus d’être fasciné par ce son, comme au temps des Milkshakes. Retour au Really Got Me en B avec «Lucinda», ce sont exactement les mêmes accords, aw Lucinda/ Luncinda/ Why don’t you set me free - Russ passe un killer solo flash aussi beau et définitif que celui de Dave Davies. Plus loin, ils tapent une cover inexpected, l’«I Did You No Wrong» des Pistols. Bien sûr, ils n’ont pas la voix, mais le feu sacré est là, et bien là. Ils finissent en beauté avec «Who’s Sorry Now», un superbe shoot de gaga jeté par dessus la jambe, avec les chœurs des Who, c’est brillant, braillé au who’s sorry now.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’une des spécialités des Wildebeests est de démarrer les albums avec le dirty punk le plus sale et le plus méchant. The Gnus Of Gnavarone n’échappe pas à la règle. Russ the Boss explose «You Lied To Me» avec un wild killer solo trash. Dans le genre, il est aussi bon que Mickey Hamshire. Le hard boogie de «Nothing’s Gonna Change Me» est encore un pur coup de génie bestial. «Face» est encore bien chargé du bulbique et chanté au raw gut de just to see your face. Tout le reste de la viande est parqué en B, boom dès «Why Don’t You Come Home», attaqué en mode Pretties, aussi wild que «Don’t Bring Me Down», c’est exactement la même niaque de morve délinquante et le même fondu de killer killah. Ils tapent chaque fois en plein dans le mille, comme le montre encore la belle pop psyché de «That Man». Tout est brillant, chez ces mecs-là. «Save My Soul» sonne comme un hit des Creation. Ils ont ce profil d’ultra-freakbeat. Russ the Boss boucle avec «You Can Get Together Again», monté sur un heavy stomp de base et de rigueur, et noyé de killer killah  à la Big Russ, c’est une aubaine pour les oreilles.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Comme son père spirituel Nuggets, Gnuggets est un double album, et même un sacré double album, le genre de double album auquel personne ne peut résister. Russ the Boss et ses deux amis ont rassemblé tous les singles des Wildebeests, et ça rock the boat ! Douze bombes sur les 4 faces, dont d’incroyables covers, comme le «Gorilla Got Me» de Jesse Hector, le «She Lives In A Time Of Her Own» du 13th Floor, le «Mongoloid» de Devo que Big Russ gratte à la cisaille, le «Public Image» de PIL attaqué à la basse de Jah, Hallo ! Hallo!, le «Down In The Bottom» de Big Dix avec les fantastiques descentes au barbu de John Gibbs, l’«I Feel Alright» des Stooges tapé au bassmatic des Trogglodynamics, le «Just Like Me» de Paul Revere & The Raiders qu’ils font sonner comme du Dave Davies, l’«I’m Rowed Out» des Eyes, classic gaga-punk de l’âge d’or gratté encore une fois à la Dave Davies, le «Mellow Down Easy» et l’«Hidden Charms» de Big Dix, groové en profondeur pour le premier et transpercé par un killer solo flash pour le second, et puis tu as encore le «Please Go Home» des Stones, l’«All Aboard» de Chucky Chuckah, le «Don’t Gimme No Lip» de Dave Berry, quasi protozoaire, joué à la main lourde de l’heavy stomp. Tu vas aussi retrouver l’effarant «Parchman Farm» proto-punkish de Mose Allison, l’«I Wanna Be Loved» des Heartbreakers, suprême hommage, le «Commanche» de Link Wray, «You Lie», un hit obscur des Lynx, digne des Downliners, et en fin de D, on tombe sur des compos à eux, comme «One + One», heavy slab de gaga sauvage, «1996», solide et wild, gratté à la vie à la mort, et «Pointless» pur jus de Stonesy, pas loin de l’«Under-Assistant West Coast Promotion Man». 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             En 1987, Russ the Boss s’associe avec Sexton Ming pour monter les Mindreaders. Boom direct avec Ban The Mindreaders. C’est l’un des grands albums inconnus de l’Underground Britannique. Ils démarrent avec un «We’re Gonna Have» wild as fuck, qui est une cover du «We’re Gonna Have A Real Good Time Together». C’est claqué si sec ! En B, ils restent dans les parages du Velvet avec une cover du «She Cracked» des Modern Lovers. Nouvel hommage de taille avec le «Love Comes In Spurts» de Richard Hell. Explosif ! Sur «Anna», Russ the Boss passe un solo à deux notes, comme Pete Shelley le fit dans «Boredom», au temps  béni de Spiral Scratch. Ces trois mecs sont supérieurs en tout. Même niaque que celle des Cheater Slicks. Encore un terrific gaga blaster avec «Girl I Kill You». Tu as là la disto la plus sale d’Angleterre. Pure giclée de protozoaire ! Puis il tapent dans le saint des saints avec l’«Are You Experienced» de l’ami Jimi. Alors, aussi incroyable que celui puisse paraître, ils l’explosent ! Ils osent exploser l’hendrixité des choses ! Russ the Boss est coutumier de ce genre d’exploit. C’est à lui qu’on doit la grandeur du premier album de Len Bright Combo. Il faut aussi saluer l’«I Don’t Care» planqué en B et pulsé aux chœurs de fiottes. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Un deuxième album des Mindreaders a fait surface récemment sur Spinout Nuggets. Il s’appelle Continuation et bénéficie d’une belle pochette voodoo. Apparemment, le trio a survécu, comme l’indique Vic Templar au dos de la pochette. Tant mieux pour nous, pauvres pêcheurs, car voilà (encore) un album béni des dieux du rock anglais, et ça te saute à la gueule dès l’hard gaga boueux bien cracra d’«It’s Bagtime», c’est même carrément Beefheartien, un vrai coup de génie underground. Tu t’en remets difficilement. Plus loin, ils passent à l’experiment avec «Fractures Of Your Face», un cut processionnaire qui ondule sous la lune, mais ils opèrent un retour aux brutalités avec «Take You Slow», ça chante à la meute de chasse avec le sax d’X Ray Spex. Incroyable power de la modernité ! Ça paraît logique avec des gens comme Sexton Ming et Russ the Boss. En B, tu as un beau câdö qui t’attend : une triplette de Belleville avec «I’m Alright Jack», «She’s My Sausage Girl» et «M2 Bridge 67». Alors, punk rawk d’Edimburg avec le Jack, rawk beefheartien avec la Sausage Girl, c’est même pire que du Beefheart, complètement demented, excédé, avide de confrontation, et puis voilà l’M2, un fascinant balladif monté en neige. Ils basculent dans l’excellence ambiancière. On n’en attendait pas moins d’eux. 

    Signé : Cazengler, Russtique

    Pop Rivets. Greatest Hits. Hipocrite Music 1979

    Pop Rivets. Empty Sounds From Anarchy Ranch. Hipocrite Music 1979

    Pop Rivets. Live In Germany ‘79. Hangman Records 1990

    Milkshakes. Fourteen Rhythm & Beat Greats. Big Beat Records 1982

    Milkshakes. After School Sessions. Upright Records 1982

    Milkshakes. The Milkshakes In Germany. Upright Records 1983

    Milkshakes. 20 Rock & Roll Hits Of The 50’s And 60’s. Big Beat Records 1984

    Milkshakes. Nothing Can Stop These Men. Milkshake Records 1984

    Milkshakes. The Milksakes Revenge. Hangman Records 1987

    Wild Billy Childish + Big Russ Wilkins. Laughing Gravy. Empire Records 1987

    Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Empire Records 1986

    Len Bright Combo. Combo Time. Ambassador 1986

    The Wildebeests. Dimbo Party. Alopecia Records 1997

    The Wildebeests. Go Wilde In The Countrye. Sympathy For The Record Industry 1997

    The Wildebeests. Annie Get Your Gnu. Screaming Apple 2006

    The Wildebeests. The Gnus Of Gnavarone. Dirty Water Records 2009

    The Wildebeests. Gnuggets. Dirty Water Records 2010

    Mindreaders. Ban The Mindreaders. Empire Records 1987

    Mindreaders. Continuation. Spinout Nuggets 2021

     

     

    L’avenir du rock

     - Quartet gagnant

             S’il est un reproche que l’avenir du rock ne supporte pas, c’est qu’on le traite de positiviste. Il éprouve pour le positivisme une profonde aversion. Ça le fait gerber, rien que d’y penser. Pire que le mal de mer. Pire que de voir une grosse rombière réactionnaire déguster des biscottes de foie gras dans un fucking réveillon. Des exemples comme celui-là, il en a d’autres, ça pullule, chaque fois que l’avenir du rock s’approche de secteurs comme la politique, la religion ou les médias, il frise l’overdose de gerbe rien que d’y penser. Alors il s’en éloigne rapidement. Par contre, si tu le branches sur le négativisme, alors tu vas voir sa bobine s’illuminer. Rien de tel que le négativisme ! Sa tournure préférée reste le fameux No Future, l’hymne des jours pas heureux, ceux qu’il préfère. C’est justement le paradoxe du No Future qui fascine tant l’avenir du rock. Pourquoi ? Parce qu’avec sa formule, Johnny Rotten renoue avec la véracité véracitaire de l’utopie anarchiste. Des cakes comme Zo d’Axa clamaient au XIXe siècle qu’elle était l’avenir du genre humain. Johnny et Zo font bicher l’avenir du rock. Il adore aussi la formule No Way Out, elle dit tout ce qu’il y a à savoir d’une impasse. Rien de tel qu’une bonne impasse pour te retrouver au pied du mur. Pour te sentir bien baisé. Que tu t’en sortes ou pas n’est pas le problème, de toute façon, ta vie est un no way out, il ne faut jamais perdre ça de vue. L’avenir du rock éprouve encore un faible pour le No Sell Out, c’est-à-dire la caste des groupes qui ne vendent pas leur cul. En son temps, le NME avait publié un spécial No Sell Out dont la tête de gondole était Fugazi, et dont la meilleure incarnation reste Wild Billy Childish. Quand l’avenir du rock observe la voûte étoilée, il se régale du spectacle de cette belle constellation : Zo d’Axa, Johnny Rotten et Wild Billy Childish, auxquels il ne manque pas d’ajouter les mighty No Jazz Quartet, nouveaux tenants de l’aboutissant.    

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Toujours un bonheur que de retrouver sur scène l’ex-Holy Curse et ex-Keith Richards Overdose, Sonic Polo. On l’a vu en 2015 au Havre avec l’excellente Overdose (dont on a dit ici tout le bien qu’il fallait en penser), et des tas de fois au temps où les Holy Curse ouvraient pour tous les groupes gaga anglo-américains qui déboulaient à Paris. Jamais en tête d’affiche, alors ça finissait par devenir scandaleux, car les Holy Curse battaient pas mal de têtes d’affiches à la course. Les mighty Holy Curse avaient deux armes secrètes : Sonic Polo sur sa Tele bleue, et au chant, un brillant gaillard qui aurait pu remplacer Chris Bailey dans les Saints, pas de problème. Dans ce monde idéal dont on parle souvent, les Holy Curse auraient dû exploser.  

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sonic Polo reprend tout à zéro avec No Jazz Quartet, alors on va les voir sur scène.  C’est le genre de résurrection sur laquelle on ne crache pas. On en attend même des miracles. Le décorum de la Boule Noire s’y prête bien, puisqu’ils apparaissent dans la fumée. Le Quartet émerge du fog, deux grattes à l’avant et James McClellan tape tout de suite dans le dur en faisant son Captain Beefheart, ou son Tex Perkins, si tu préfères, il growle son «Lost Trail» à s’en esquinter la glotte et nous voilà partis à l’aventure, dans la meilleure des compagnies. Le Quartet joue en formation serrée, les deux grattes croisent le fer en permanence, Sonic Polo et Captain James nouent des accords bilatéraux dilapidés sur le champ, ils développent des combinaisons toxiques, ils trafiquent d’atroces sortilèges, ils tissent des trames insidieuses et plongent la pauvre vieille Boule Noire dans un ténébreux chaos de no way out, mais sans en rajouter des caisses, ce qui est admirable. Comme s’ils parvenaient à tenir leur chaos en laisse. Ils cultivent les Fleurs du Mal d’un rock à la fois ancien et moderne, on revoit ce qu’on a déjà vu cent fois, et en même temps, ils shakent l’orgone accumulator comme des cracks. Tu revois Sonic Polo sur scène et t’es dans la machine à remonter le temps, mais tu le vois mettre le grappin sur le matérialisme dialectique du rock, sa façon de dire : «c’est là, maintenant !». Quand il est bon, le rock te fait vivre l’instant présent mieux que toute autre forme d’art. Ce sont tous les instants présents ajoutés les uns aux autres qui constituent l’avenir du rock. Cut après cut, le Quartet bâtit sa version de l’avenir du rock. Tu peux y aller les yeux fermés.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sonic Polo prend le chant sur «Thermondynamic Love», un cut qui cavale à travers la plaine. Hot as hell. On sent le punk en lui et bien sûr ça explose en plein vol. Ils adorent tramer leurs complots dans l’ombre, comme le montre «The Flower On The Wall». Mais toujours pas de hit. Ce n’est pas leur propos. Le vent noir souffle sur «The Dark Wind», alors ils duettent dans les vapeurs de l’enfer du boulevard, ils se payent des petites crises de hurlette de Hurlevent et claquent des accords mort-nés. Sonic Polo annonce un cut du prochain album, «Ramshackle», puis Captain James revient s’arracher la glotte sur «The Last Man On Earth». Ils n’en finissent plus de chercher des noises à la noise, ils repartent de plus belle avec «And Then I Saw The Bird» enchaîné avec «Three Kinds Of Snakes», heavy boogie et heavy sludge, il y va de bon cœur le Captain James. Full blow ! Ils atteignent le sommet du bottom, ils noient cette merveille dans le son des grattes. «Three Kinds Of Snakes» est le tenant de l’aboutissant. Sonic Polo glisse un tournevis dans ses cordes pour attaquer «Good Riddance». Ça sonne un peu comme du Horsepower, mais avec du doom en plus. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’occasion est trop belle de plonger à nouveau dans Holy Curse. Tu devrais commencer toutes affaires cessantes par Take It As It Comes, un mighty Turborock de 2011. En plus ce fut un cadeau, lors d’une convention, au Havre. Quel album !

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Ça t’emporte la bouche dès «Johnny’s Day (It Wasn’t)». D’habitude, c’est bardé de barda, mais là, c’est saturé de barda. Mad Eric pose son chant sur la marmite, c’est bien Detroit dans l’esprit, avec les solos en intraveineuse. Ça joue à ras-bord, t’as un solo compressé, enragé et ballonné et tu vois l’Eric remonter sur le dragon. Demented ! Le «Died Ugly» qui suit est encore plus saturé, ça bascule en plein dans les Saints. T’es pas sorti de l’auberge avec ces mecs-là ! Ils héritent de toute la grandeur de l’heavy sound et des ponts flottants de l’invasion barbare. Sonic Polo te tombe sur le râble en permanence. Sa fournaise est ambulatoire. Il devrait faire école. Pur sonic genius, ses notes flottent dans la fournaise. Il invente le sonic trash flottant. Puis sa gratte devient une gratte vampire dans «Man With The Heavy Hand». Il plane sur le cut. Oh l’incroyable qualité de la menace ! Il entre par la fenêtre et joue le jeu de l’heavy load. Mad Eric re-vole ensuite le show avec «The Bellbirds Song», une espèce de rentre-dedans digne des Saints : tu y croises du take me down et un killer solo trash.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Paru en 1999, Hereafter vaut sacrément le détour. Tu y retrouves tout ce que tu aimes : le riff raff bien posé à plat et la voix d’autorité. Ils sont déjà les rois de la dégelée. Avec eux, t’auras jamais froid en hiver. Ils rendent très vite hommage aux Saints avec «Recurrence». Après des petits arpèges de brouillage de piste, ils repartent à l’harsh fondamental, ils n’en finissent plus d’étaler leur miel brûlant sur la tartine, ils partent en mode Saints à coups de giclées de dégelée. Plus loin, ils vont encore sonner comme les Saints dans «Dehumanized» (sic) et «Insane Alive», ils y vont à coups d’and the world is going wild, primal Sainty blow, ils te claquent ça au non retour de no way out. «Dehumanized» est chargé de tout le pathos d’Eternally Yours. Quant à «Insane Alive», ça te renvoie en cœur de «Nights In Venice», dans cette culmination de l’enfer sur la terre, les poux s’en donnent à cœur joie, ça gratte à la folie, t’en vois pas tous les jours des poux aussi tentaculaires, aussi profite-zen, et les Curse n’en finissent plus de relancer leur banco, ça bascule dans une fournaise qui doit autant aux Saints qu’aux Stooges. Tout l’album est bourré à craquer, notamment ce «Terra Incognita» qui plonge Moctezuma dans le pire climax qui se puise imaginer, et dans «Days Like Minutes», ils te font le coup de l’invasion des killer solos flash. Deux dans le même cut ! C’est une bénédiction. Et puis voilà le coup de génie qui arrive sans prévenir : «It’s In My Nature», avec sa belle entrée en lice d’I need you to love me, alors ça gratte à la cocote sévère, ça monte en neige et ça bascule dans une ahurissante stoogerie, avec un final soloté à la vie à la mort. Sonic Polo ne joue pas encore dans Holy Curse. Il arrive sur l’album suivant.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ils enregistrent Bluer Than Red chez Lucas Trouble. C’est le bim bam boom garanti. L’album est noyé d’ultra-sound et l’Eric pose bien son chant sur la pétaudière de deux grattes. Dans «(Give Yourself Up To) Rock’n’Roll», ça tortille d’un côté et ça cisaille de l’autre, ça ondule en permanence a bord du gouffre de la stoogerie. Il y est question de save your soul. Mais le kick some ass with rock’n’roll n’est pas du meilleur goût. Ils reviennent dans le giron des Saints avec «Long Gone». Il y va l’Eric Bailey, il tape en plein dans le mille du mythe brisbanais, il remonte le courant comme un saumon de Brisbane. Sur «Las Vegas On Sea», il pose bien les éléments, yeah yeah, et sous lui, ça bouillonne dans la marmite du Kaiser. Mad Etic chante comme le Seigneur des Annales au-dessus du fleuve de lave. Ils plongent l’«Enough» vivant dans la friteuse, c’est un cut qui va craquer sous la dent et le Kaiser pousse bien la sature dans les orties. «I Feel Free» te tombe dessus comme une grosse tarte à la crème. Ils inventent le concept du pathos saturé de sature. Ils battent tous les records, même ceux d’In The Red. Si tu écoutes ça sous le casque, t’as les oreilles en chou-fleur et c’est très bien. Ça continue de monter en température avec «Rivers Of Blood», look out mama ! On entend à peine Mad Eric dans la fournaise. Les attaques de double chorus sont uniques au monde. Ils battent les Stooges à la course. Mais le pire est à venir et il s’appelle «Superfortress». Ça sent bon l’enfer sur la terre, t’es dans Rosemary’s Baby avec le son de Motörhead. Le cut rôtit littéralement en broche, et toi avec, et qui tourne la broche ? Satan Polo et ses tiguilis. Et soudain, ça bascule dans le neuvième cercle du so messed up I want to be, oui, ils sont cette capacité d’exploser le face to face de «Wanna Be Your Dog», quel hommage et quel tenant tenace de l’aboutissant, aw c’mon, ça devient une fournaise exemplaire et ça part en vrille de wah absolutiste, now I’m ready to close my mind, il est devenu fou le Mad Eric, il est ready to feel the pain, ils font tout simplement une cover géniale de l’un des plus gros hits de tous les temps. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’autre Turborock s’appelle Feed The Dogs et date de 2007. Trois prods différentes : une du Kaiser sur deux cuts, une en Australie sur deux cut aussi, et le reste chez Jim Diamond au Ghetto Recorders de Detroit. Maintenant, Polo est tout seul, mais il joue comme dix. Il est enragé sur «Bye Bye Preacherman», il transperce le blindage du preacherman. Puis il passe «Cash Machine» au vitriol. Les Curse bouclent leur balda avec un heavy «Shit Happens» noyé d’oh shit happens. Suite de la viande en B avec «The Music & The Noise», ils renouent cette fois avec leur chère apocalypse, c’est un hommage claironnant au power - Set the stage on fire/ I say power ! - Mad Eric s’en étrangle. Mais le pire est à venir avec «Universal Children», encore plus magnifique d’heavyness et traversé d’incursions méphistophéliques. Sonic Polo est le plus sonic de tous. Ici, il perce un tunnel sous le Mont-Blanc, il faut le voir entrer en quinconce dans cette couenne fumante, épaulé par Gary Ratmunsen on «psychedelic guitar».  

             Et voilà la cerise sur le gâtö : l’autobio de Sonic Polo, Nous Étions De Jeunes Punks Innocents. Un récit sans prétention, qu’on pourrait presque qualifier de candide, parfaitement à l’image de l’auteur qu’on sent extrêmement timide, au point qu’il faut tendre l’oreille pour capter ce qu’il dit. Il l’écrit d’ailleurs dans son book : «Sitôt que le nombre de mes interlocuteurs dépasse le nombre de deux ou trois, ma voix ne porte plus s’éteignant comme une petite flamme.»

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ce récit couvre un parcours qui va d’une ZUP d’Aix-en-Provence jusqu’à la scène alternative parisienne et le ‘Pari Bar Rock’ des années 80, récit drivé par une passion dévorante pour le punk-rock, notamment les Ruts et Stiff Little Fingers. Son groupe s’appelait Spoiler. Le book s’avale d’un trait, Polo écrit comme s’il te racontait l’histoire. Il restitue à sa façon la nostalgie des jours heureux, il restitue admirablement bien le contexte ZUP de ses origines modestes, et rend hommage à tous ses potos, ceux du groupe et les autres. Il écrit dans un style alerte - L’après-midi arrivait enfin et nous filions plein ouest, la poignée dans le coin, à travers les champs et les vignes de la route de Galice - Et comme il est à la fois motard et rocker, il se fend de cette petite chute : «Je lâchai le guidon de la Suzuki pour le manche de la Rickenbacker.» Ça passe comme une lettre à la poste. Il prend un soin particulier à évoquer le parcours initiatique qui est celui de la création d’un premier groupe de rock. C’est dans une vie un moment aussi vital que celui que tu partages avec ta première gonzesse.

             Oh et puis cet humour ravageur ! Quand il attaque un chapitre «road-trip» dans les basses Alpes, il dit au lecteur que s’il n’aime ni les road-trips ni la montagne, il peut sauter le chapitre. Ce serait dommage de le sauter, car on y trouve l’épisode du saucisson qui est hilarant. Ils roulent en moto et campent la nuit. Et crack, «je ne sais plus lequel d’entre-nous avait eu la brillante idée d’acheter un saucisson, mais toujours est-il que personne n’avait de couteau.» Et il explique à la suite qu’ils passèrent la soirée à charcuter le saucisson avec «un tournevis cruciforme». On voit la gueule du saucisson d’ici. Encore plus drôle : ça se passe avant Spoiler, Polo roule en vélo et va chez un copain de classe nanti, à Puyricard, au nord d’Aix. Ses parents viennent de lui payer trois albums, un vrai luxe intérieur ! Le copain commence par faire écouter à Polo Never Mind The Bollocks, il lui fait écouter trente secondes d’«Holidays In The Sun», puis un bout de «Bodies», et «déclarait que ouais, c’est pas mal mais bof, ça cassait pas trois pattes à un canard, y avait même pas de solos...» Ce mec qui est son «meilleur copain de classe» lui annonce ensuite qu’il va lui faire écouter «le blues le plus abominable et le plus nul qu’il ait jamais entendu», et ajoute «que ce groupe atroce avait même osé, ô sacrilège, baptiser son blues ‘L.A. Blues’». C’est bien sûr Fun House des Stooges. Bravo le meilleur copain de classe ! Mais Polo a tendu l’oreille. Il rentre chez lui sur son «vélo à double-plateau», «chargé du feu stoogien».

             Quand il devient punk avec ses amis, il raconte comment lui et sa petite bande débarquent sur le cours Mirabeau, «la plus belle avenue du monde», en perfecto, «jeans noirs feu au plancher, soquettes blanches et creepers rouges, bracelets de force comme ce con de Sid Vicious.» Le «con de Sid Vicious» revient souvent dans le récit. Polo n’aime pas les cons et il a raison. Plus tard à Paris, il joue dans un bar avec un groupe qui s’appelle The Satanic Majesties. Mais ces mec-là n’adressent pas la parole aux Spoilers. Polo n’en revient pas, «même pas bonjour, pas un regard, nada.» Bien fringués, à la mode. Du coup, à la page suivante, Polo les re-qualifie de «majestés sataniques ta mère». Par contre, il rend hommage à Little Bob et à Dominique Laboubée. 

             Il rend aussi deux très beaux hommages, le premier à Marc Zermati, qui entre un jour dans son bouclard Sonic Machine pour lui proposer des disques. Pour rigoler, Polo dit prendre le risque de perdre «la moitié de ses lecteurs» en citant Marc Z et Philippe Debris, boss de Closer, tous deux «sujets à controverse», mais non seulement il cite, mais il salue bien bas : «Deux caractères bien trempés». Il termine le court paragraphe Marc Z en disant être resté en bons termes avec lui. Hommage encore aux Cowboys From Outerspace et à Michel Basly «grand, mince, genre dandy, gominé, sapé comme un lord, le regard inquisiteur, les oreilles légèrement décollées, le nez aquilin.» - Les fantastiques Cowboys From Outerspace que tout l’univers nous envie, eh oui, quoi de plus vrai. Les Cowboys sont avec les Dum Dum Boys, Weird Omen et Holy Curse ce qui est arrivé de mieux à la France des vingt dernières années. Polo raconte aussi comment il est allé acheter sa Ricken 480 à Marseille. Épisode capital de son parcours initiatique. Il raconte aussi le désastre des studios français et des ingés-son qui ne pigent rien et qui lissent le son des groupes. Pour sa première expérience, Polo raconte que les Spoiler entrent en studio avec Stiff Little Finger en tête et ressortent gros-Jean-comme-devant «lisses comme les Spandau Ballet du quartier Mazarin.» Il dit avoir été dégoûté «pour de longues années.» Tous ceux qui ont fait des groupes en France ont été confrontés au même problème : tu tombes sur un mec qui n’écoute pas les mêmes disques que les tiens, alors t’es baisé. Il trafique ton son. Tu te fais baiser, une fois, deux fois, parfois trois fois. Alors tu finis par piger : le jeu consiste à trouver LE mec qui écoute les mêmes disques. Ça peut être Lucas Trouble ou Lo’Spider.

             À la fin de son récit, Polo monte à Paris en moto et débarque au Parking 2000, à Crimée, dont le quatrième sous-sol est aménagé en studios de répète. 200 ou 300 groupes y répètent. Pour dormir, Polo et son pote louent une piaule miteuse dans un hôtel de passe de la rue Rambuteau. Les autres ont trouvé une piaule rue Ordener. On se croirait dans Les Illusions Perdues ! Polo de Rubempré monte à Paris. Mais Polo est bien plus balèze que Lucien : il n’est pas dévoré par l’ambition et il ne lui viendrait jamais à l’idée de frimer. Alors on attend la suite avec impatience.    

             Signé : Cazengler, Quartête de veau

    No Jazz Quartet. La Boule Noire. Paris XVIIIe. 12 mai 2024

    No Jazz Quartet. You’re Gonna Leave The Building Soon. Closer Records 2023

    Holy Curse. Hereafter. Whiz Recordings 1999

    Holy Curse. Bluer Than Red. Nova Express 2004

    Holy Curse. Feed The Dogs. Turborock Records 2007

    Holy Curse. Take It As It Comes. Turborock Records 2011

    Paul Milhaud. Nous Étions De Jeunes Punks Innocents. The Melmac 2024

     

     

    Max le ferrailleur

     - Part Three

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             À la suite d’A Rocket In My Pocket et de Teddy Boys, l’idéal serait de lire King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World. Paru en 2005 et tout juste réédité, King’s Road constitue le troisième volet de ce qu’on pourrait appeler la trilogie rock de Max Décharné. Alors attention, ce n’est pas un rock book à proprement parler. Comme dans Teddy Boys, Max le ferrailleur brasse large, il documente à outrance, se prête aux fièvres citatoires, il creuse profondément pour aller explorer les racines du thème, il fait la R&D du rock, c’est-à-dire qu’il en examine scientifiquement le contexte socio-culturel, il se livre à un authentique travail de recherche, comme le fit en son temps Mick Farren avec son Black Leather Jacket book et son Speed Speed Speedfreak book. La parenté crève les yeux. Mais Max le ferrailleur pousse son bouchon encore plus loin. C’est d’une certaine façon l’hommage d’un géant à un autre géant.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Pour le fan de rock ordinaire, King’s Road en 1976, ça voulait dire sortir du métro à Sloane Square et remonter jusqu’au 430 pour voir Sex, le bouclard de McLaren. Pour Max le ferrailleur, King’s Road ne commence pas avec Sloane Square, mais avec Charles II, un roi d’Angleterre, qui au XVIIe siècle, fit aménager l’artère pour son usage personnel, d’où le nom. Puis ça va passer par la mode, le théâtre, la littérature et le cinéma, Max fait tout avancer en même temps, et pour donner du poids à ses investigations, il fait intervenir des témoins de choc : Mick Farren, John Peel, Ted Carroll, Wreckless Eric et quelques autres. Il est essentiel à ce stade des opérations de savoir que King’s Road n’est pas un book uniquement consacré aux Sex Pistols. Mary Quant, John Osborne et Andrew Loog Oldham y volent le show.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Tu t’engages dans un book dense : 350 pages composées dans un corps de texte minimaliste, du 9 ou du 10, justifié serré, quasi impénétrable, t’as intérêt à ajuster tes binocles, il règne dès l’intro une tension terrible, Max te transmet sa passion dévorante, comme s’il te contaminait. Pour gérer ce prodigieux fleuve de connaissances, il avance chronologiquement, année par année. Il est obligé, sinon ce serait le chaos. Il épluche tous les canards d’époque, les quotidiens, les revues, les magazines, tout, absolument tout, il relit toutes les critiques de cinéma, de théâtre et de littérature, ça grouille d’infos, c’est Fantasia et ses balais, pas chez les ploucs mais chez les punks, il va chercher le Bazaar de Mary Quant dans la presse spécialisée, il situe le top départ de la modernité anglaise à la fin de 1954, lorsqu’arrivent «le rock’n’roll, la télé commerciale, Look Back In Anger et l’ouverture de Bazaar au 138a» - The revolution starts here - Et en 1955, apparaissent les premiers Teds - These people looked seriously sharp. Ce n’est pas pour rien que l’un des premiers surnoms d’Elvis était The Memphis Flash - Les Teds sont là bien avant le rock’n’roll, mais les médias s’intéressent à eux lorsqu’éclate la révolution, c’est-à-dire le rock’n’roll. Max profite de son détour chez les Teds pour rappeler qu’en 1971, au moment où McLaren ouvre sa boutique Let It Rock sur King’s Road, ils sont allés accueillir Gene Vinvent à Heathrow. Autour de Mary Quant traîne aussi Andrew Loog Oldham. S’il veut bosser pour elle, c’est tout bonnement parce qu’elle incarne à ses yeux la pop qui fait le lien entre le rock’n’roll des années 50 et le rock des Beatles - He wanted to be where the action was, and as far as he was concerned, in 1960 that meant Bazaar, 138a King’s Road - Quand au bout de six mois il démissionne, c’est pour aller un peu plus tard manager les Rolling Stones.

             Un certain John Stephens vient aussi loucher sur la vitrine de Bazaar. Il va transformer un peu plus tard une back alley nommée Carnaby Street en phénomène de mode à portée encore plus internationale, ce que Max appelle a worldwide brand. Ces choses-là sonnent toujours mieux en anglais.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sur King’s Road déboule tout le gratin dauphinois de l’époque, ceux que Max appelle «les acteurs du changement in popular music, film, fashion, photography, drama and art of the day» - people like Stanley Kubrick, David Hockney, Marianne Faithfull, Michael Caine, Syd Barrett, Twiggy, David Bowie, Julie Christie, Samuel Beckett, Francis Bacon, Keith Richards, Siouxie Sioux, John Lennon, David Hemmings, Billie Holiday, Quentin Crisp, Jimi Hendrix and John Lydon - Dick Bogarde et James Fox descendent King’s Road jusqu’à Royal Avenue, où Joseph Losey tourne The Servant. Fondamentalement, King’s Road est l’endroit où les Stones et les Pistols ont démarré, où les mini-jupes sont apparues et où, nous dit Max, traînent encore les fantômes de John Osborne, Mary Quant, Brian Jones, Marc Bolan et Sid Vicious - People are still looking for them and their kind down the King’s Road.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             King’s Road voit aussi passer les modes. À la fin des sixties, Mick Farren n’ose plus mettre ses fringues de guérillero, power-to-the-people, c’est terminé - Everybody got a bit bored with Che Guevara, you know? - car voilà qu’arrivent l’année suivante Marc Bolan et le glam. Puis Alex et ses Droogs déboulent, suivi de Jack Carter, celui de Get Carter. Bolan s’habille chez Granny Takes A Trip, au 488 King’s Road, ou chez Alkasura, au 304 de la même rue. Flash clothes. On en trouvait aussi au Kensington Market. En 1975, Nils Stevenson, futur tour manager des Pistols, vend des fringues de Teds à Beaufort Market, à deux pas de King’s Road, et devient pote avec McLaren et Vivienne Westwood - Punk rock was a high-speed collision just waiting to happen - Et puis voilà qu’arrive 1976, un chapitre qu’introduit brillamment Max le ferrailleur : «Nineteen seventy-six, like 1956 and 1966 fut l’année qui remit the King’s Road à la une de tous les journaux. Vingt ans auparavant, la cause de tout ce fuss était the Angry Young Men, la fois d’après, il s’agissait de Mary Quant, Granny’s et tout la mythologie du Swinging London. Cette fois, il s’agissait d’Anarchy In The UK.» Et Max titre son chapitre : ‘It’s the buzz, cock.’ Johnny Rotten parade dans les canards avec ce gros titre : «Don’t look over your shoulder, but the Sex Pistols are coming.» Fantastique ! Wild as fuck. L’effet est bien plus radical qu’au temps des Rolling Stones. Les Pistols foutent vraiment la trouille à l’Anglais moyen. Et ça atteint l’apothéose avec la fameuse formule : «Actually, we’re not into music, we’re into chaos.» L’essence même du rock.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Quand tu te ballades dans Chelsea, tu as l’impression que les rues sont lisses et qu’elles n’ont pas vraiment d’histoire, à la différence des rues de Paris dont tous les quartiers te renvoient à des épisodes de l’histoire littéraire, politique ou artistique. Max t’ouvre les yeux. Dans les années 70, les kids français n’ont qu’une idée partielle de l’histoire des rues de Londres. Ça se limite à quelques endroits comme Portobello, Chelsea, Wardour Street, South Kensington ou Camden, car c’est directement lié aux clubs et aux disquaires. Max te rappelle qu’à deux pas de King’s Road se trouve Edith Grove où ont vécu les early Stones en 1962, et à deux pas de Gunter Grove où John Lydon s’est acheté une baraque au temps de P.I.L. Fait historique encore : Max rappelle que Dan Treacy et Ed Ball des Television Personalities ont enregistré «Where’s Bill Grundy Now» au 355 King’s Road, à deux pas du bouclard de McLaren qui s’appelle alors Seditionaries.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ah il en parle de McLaren ! Avant Sex et Seditionaries, McLaren débaptise son bouclard Let It Rock et le rebaptise Too Fast To Live Too Young To Die en hommage à James Dean. Avant de s’appeler McLaren, il s’appelait encore Malcolm Edwards et fut comme des tas d’autres kids anglais fasciné par le show des Crickets au Finsbury Park Astoria en 1958. Max rappelle encore qu’en Angleterre, Gene Vincent was God et Billy Fury venait aussitôt après - something like the second coming - De la même manière que Luke la Main Froide, Max le ferrailleur est fasciné par Gene Vincent, qu’il qualifie d’«one of the greatest of them all», un Gene qui débarque en Angleterre en 1959 avec «a killer double-sided rock single called «Wild Cat/Right Here On Earth» et qui s’acoquine avec Jack Good, le producteur d’Oh Boy et de Six-Five Special. C’est Good qui conseille à Gene de porter du cuir noir de la tête aux pieds pour apparaître dans son nouveau show, Boy Meets Girls. Voilà le genre de détail dont grouille le Max book.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ted Carroll vend des rockab singles dans son Rock On market stall, qui va devenir un vrai lieu de pèlerinage. C’est lui nous dit Max qui alimente McLaren en singles rares. On entre chez Sex pour acheter des fringues mais aussi pour écouter les singles qui se trouvent dans le juke-box. Puis quand les Pistols explosent en Angleterre, McLaren louche plus sur Andrew Loog Oldham, le Colonel Parker et Larry Parnes que sur Sam Phillips : il veut des gros moyens, pas d’artisanat mythique à la mormoille. Pas question de faire du Sun Records. Alors que dans leur grande majorité, les groupes punk optent pour l’artisanat. Simple question d’éthique. C’est toute la différence entre les Buzzcocks et les Clash, entre les Damned et les Jam. Moyens du bord d’un côté pour Spiral Scratch et «New Rose», gros billets de l’autre pour des résultats nettement moins percutants. L’exception reste bien sûr Nevermind The Bollocks, l’un des albums parfaits de l’histoire du rock anglais. McLaren achève sa trajectoire avec The Great Rock’n’Roll Swindle, réussissant l’exploit de raconter l’histoire des Pistols sans jamais montrer John Lydon, ce qui à l’époque en a éberlué plus d’un, à commencer par Max. Selon lui, McLaren ne voyait aucun intérêt dans les Pistols, le film chante plutôt les louanges de sa stratégie médiatique, alors que «John Lydon was one of the most charismatic and gueninely inspired frontmen in the history of popular music». De toute évidence, Max pèse ses mots.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Oh et puis cet humour ravageur. Il évoque le Blow Up d’Antonioni, sorti en 1967 et le soupçonne d’avoir cassé la baraque non pas à cause des Yardbirds ou de l’intrigue policière, mais grâce au cul de Jane Birkin - It was the first mainstream film in Britain to show a glimpse of pubic hair - C’est plutôt ça qui attirait les foules, comme d’ailleurs le big pubic hair de Stacia dans les concerts d’Hawkwind. Les kids venaient d’abord pour se rincer l’œil. Max rapporte une autre anecdote hilarante : Johnny Rotten et Sid Vicious se firent virer de leur appart à Chelsea parce que McLaren avait «oublié» de payer le loyer - No one said the revolution would be easy.   

             Au fil des pages, Max fait quelques recommandations, notamment l’Introducing Eddie & The Falcons de Wizzard, mais aussi The Diary Of A Rock’n’Roll Star de Ian Hunter (One of the most entertaining insider accounts of the business), mais le gros du troupeau des recommandations se trouve bien sûr dans A Rocket In My Pocket.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Dans Ugly Things, Mike Stax a tellement adoré lire King’s Road qu’il propose une interview fleuve de quatre pages de Max le ferrailleur. Ugly Things est taillé pour ça, pour faire la route.  T’es prié de croire qu’avec Stax, c’est toujours passionnant. Et bien sûr Stax demande à Max : Why the King’s Road ? Alors Max dit à Stax qu’au début des années 80, il vivait à Battersea, de l’autre côté du pont de Chelsea, dont l’artère principale est King’s Road, alors il s’y baladait, et comme il n’avait pas de blé - on the dole - il léchait les vitrines. L’idée du book lui est venue en 2004 quand il a réalisé que «two of the best bands from England - the Stones and the Pistols - both started their careers down at the tatty end of the King’s Road.» Puis il explique qu’il s’est appuyé sur les tonnes de stuff accumulées pendant des années. La première édition de King’s Road date de 2005 - celle dont on parle plus haut - et depuis, il l’a updatée pour en faire un gros patapouf - It’s now useful for a hand-to-hand combat: si tu balances the new 520-page sur la tête d’un mec, il y a peu de chance pour qu’il se relève - Max le ferrailleur adore rigoler. Il adore aussi les bibles. Il ne fait pas dans la dentelle, ce qui semble logique pour un ferrailleur. 520 pages ! Bon courage, les gars ! Max revient à ses recherches et explique qu’il est entré en contact avec des tas de gens, à l’époque, et qu’il a lu TOUS les canards, d’OZ à Zigzag en passant par le NME et tout le saint-frusquin, mais ça ne s’arrête pas là : il a hanté les bibliothèques à Londres et à Berlin et a lu TOUT, Time, Newsweek, tous les canards des ‘50s, ‘60s and ‘70s, TOUT, TOUT, TOUT et le reste, comme on disait autrefois dans Salut Les Copains. Il a traqué tout ce qui évoquait Chelsea & the King’s Road, et en plus il a écouté tous les disques et vu tous les films - Le book aurait pu être cinq fois plus gros, mais je serais encore en train de l’écrire - On savait son humour ravageur, mais là, il bat tous les records. Il est fier d’avoir pu interviewer Mary Quant, avec laquelle il a fini par sympathiser. Max dit à Stax avoir reçu une lettre manuscrite d’elle après la parution du book, lui avouant qu’elle en avait apprécié la lecture, «which made my day».

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’épisode John Peel est hilarant : Peely invite Max chez lui, à Peel Acres, à la campagne. Peely vient récupérer Max à la gare. Il conduit une «strange experimental car», dont le tableau de bord ressemble à celui d’un vaisseau spatial, et dont les boutons et les clignotants restent un mystère aussi bien pour Max que pour Peely. Alors Peely lui explique qu’on lui a prêté cette «strange experimental car» pour quelques semaines, ce qui l’amuse beaucoup. Il en existe quelques une et Stong paraît-il en conduit aussi une. Après manger, Peely emmène Max dans sa pièce à disques et lui fait écouter une démo des Misunderstood enregistrée au Gold Star dans les sixties, et comme chacun sait, Peely avait flashé sur eux alors qu’il séjournait aux États-Unis et leur avait proposé de s’installer à Londres, pour six mois, chez sa mère, qui ajoute-t-il, ne lui a jamais pardonné - Five big Californian lads in a small flat in Notting Hill - Peely rivalise d’humour ravageur avec Max. Un Max qui rencontre aussi Christopher Lee, qui, dit-il, est encore plus grand que lui qui fait déjà quasiment deux mètres de haut. Christopher Lee indique à Max qu’à l’époque où il s’est installé dans le coin de King’s Road, Boris Karloff habitait sur le même square.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Max revient sur les racines du punk-rock à Londres : Dr. Feelgood (1975, first band I ever saw live) et le premier album des Ramones en 1976. Il cite aussi les racines glam, avec Slade, T Rex et Mott, tous ces groupes qu’écoutaient les punk-rockers quand ils avaient 12 ans, puis Iggy & The Stooges qui vivaient just off the King’s Road while recording Raw Power in London. Il cite aussi les Dolls at Biba’s. Max flashe aussi sur le concert des Ramones au jour de l’an 1977, avec Generation X et les Rezillos à la même affiche. Mais quand la semaine suivante, il achète le NME avec les Ramones à la une, il est écœuré par l’article de Tony Parsons qui ose descendre les Ramones. Alors le NME perd tout crédit à ses yeux. Comment ont-ils osé ? 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             La fin de King’s Road est un peu tristounette. On arrive au bout du book comme on arrivait jadis au bout de King’s Road pour découvrir qu’il n’y avait plus rien à voir. World’s End. Alors pour se remonter le moral, on va se taper avec un Part Four un petit panorama des Flaming Stars, un groupe que Philippe encensait en 1996, et il était bien le seul à le faire en France. Ça se passait dans le N°8 de Dig It!. Il interviewait Max le ferrailleur. Lequel rend hommage à ses deux guitaristes, l’ex-Sting-Rays Mark Hosking et l’ex-Headcoats Johnny Johnson. Max évoque aussi sa passion pour les films Hammer et les acteurs comme Christopher Lee ou Peter Cushing, ainsi que sa passion pour les romans noirs des années 30 et 40 et «les affiches de films peintes par des gens comme Tom Chantrell». D’où les pochettes d’albums des Flaming Stars. Les deux stars citées dans l’interview sont David Allen Coe et Guy Clark. Pas mal, non ? Philippe termine sa double avec une belle apologie du real deal, sa façon de dire : choisis ton camp, camarade.

    Signé : Cazengler, Max la limace

    Max Décharné. King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World. Weidenfeld & Nicolson  2005

    Philippe Migrenne. The Flaming Stars. Dig It! # 8 - Hiver 1996

    Mike Stax : An interview with Max Décharné. Ugly Things # 64 - Winter 2023

     

     

    Kramer tune

     (Part Four)

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Et voilà qu’une page d’histoire se tourne : Dennis ‘Machine Gun’ Thompson vient de casser sa pipe en bois, refermant ainsi le chapitre MC5. Finito. MC5 ? Kapout. Est-ce une coïncidence, toujours est-il qu’au même moment, dans le numéro de mai de Mojo, Bob Mehr consacrait huit pages au MC5. Une sorte de dernier spasme, avec en double d’ouverture, la fameuse photo bien connue d’un Five dégoulinant de sueur, prise dans un backstage quelconque. C’est de cette séance que sort l’image qui orne la pochette de Back In The USA.  Ils sont à la fois superbes et très laids.

             Mehr va se baser sur l’autobio de Wyane Kramer (The Hard Stuff: Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities) et opter pour un angle un peu bizarre : la rédemption qui suit la résurrection du guitariste, dans les années 90. C’est vrai que cette histoire est troublante et qu’elle vaut bien 8 pages.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Mehr fait tout simplement de Wayne Kramer un héros, un homme profondément soucieux des autres et qui croit aux nouveaux départs. C’est assez con à dire, mais ça s’entend dans sa façon de jouer. Kramer est un mec franc du collier. Il croit en l’intégrité. Avec de l’intégrité, on peut tout faire. Mehr cite John Sinclair : «Wayne was just a beautiful cat.» Tout est dit. Don Was ajoute qu’on pouvait tout savoir de Kramer en jouant simplement avec lui.

             Puis Mehr revient sur la formation du typical Midwest garage outfit MC5, «with matching hairdos and suits», vite propulsés par ce qu’il appelle «the twin influences of mind-expanding drugs and avant-jazz.» Car c’est bien là que se niche le génie du MC5, dans cette façon d’aller explorer les frontières. Kramer cherche tout de suite à se différencier. Chuck Berry fast and loud ? En disto ? Et je vais où après ? - And when I heard John Coltrane and Sun Ra and Albert Ayler, I said, Oh, that’s where you go frome there. You leave the key and the beat behind and go into a kinetic, more purely sonic dimension, where you’re trying to reproduce human emotion in sound - Ce que font couramment les crack du free : reproduire l’émotion dans leur son. Comme l’a fait Jeffrey Lee Pierce avec «(The Creator Has A) Masterplan» de Pharoah Sanders.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             John Sinclair file un sacré coup de main dans cette évolution. Sinclair flashe surtout sur «Black To Comm», le dernier cut que claque le Five sur scène. Sinclair devient leur manager. Le MC5 veut alors devenir le plus grande groupe de rock américain. Sinclair : «They were better than  any band I’ve ever seen.» Un autre cake flashe sur eux : Danny Fields, qui bosse pour le compte de Jac Holzman, boss d’Elektra. Comme Jac fait du blé avec les Doors, il cherche d’autres groupes de rock et Danny lui ramène le MC5 ET les Stooges. Danny n’en revient pas de voir Wayne Kramer danser sur scène, au Grande Ballroom de Detroit : «He was a real guitar dancer - like Fred & Ginger, him and his guitar.» Et Kramer lui recommande bien sûr les Stooges, ce qui émeut profondément Danny - In every way he was a classy guy - Et cette façon ajoute Danny qu’il avait de sourire quand tu lui adressais la parole et d’être curieux des gens. Les témoignages sont tous confondants. Ils jettent une sacrée lumière sur l’autobio. John Sinclair, Bob Mehr et Danny Fields font de Wayne Kramer un être lumineux et explorateur de frontières. Ça ne te rappelle rien ? Elvis 54, bien sûr.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             La suite de l’histoire du MC5, on la connaît par cœur. Kick Out The Jams Motherfuckers retiré des ventes suite au «Fuck Hudson» que publie le Five dans la presse, Danny Fields et le Five virés d’Elektra, le Five qui se retrouve sur Atlantic mais dans les pattes de John Laudau, un Landau qui veut transformer le Five en machine à fric et donc virer le «political shit and the avant-garde shit», alors comme John Sinclair veut maintenir le lien entre le Five et son White Panther Party, il est viré. Et c’est la fin des haricots. Back In The USA et High Time ne se vendent pas. Glou glou. Michael David et Dennis Thompson quittent le navire. Wayne Kramer tente de sauver le groupe, il monte un nouveau line-up, mais en même temps, il a le museau dans la dope. Il s’écroule comme un château de cartes - J’ai alors perdu le moyen de gagner ma vie. J’ai perdu mes amis, mon statut social, mon avenir. Je ne savais pas quoi faire pour survivre. Alors ça m’a semblé plus facile de me défoncer - Il sombre dans la délinquance, «into a mafia-backed drug operation» et atterrit au ballon - In a way, I was destined to prison - C’était son destin, yo ! Cinq piges. Ça va, c’est pas trop violent. Ça se fait sur une jambe, comme on dit.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Et c’est au ballon que sa vie va basculer, au bon sens du terme, avec une rencontre, celle de Red Rodney, un trompettiste blanc qui avait accompagné Charlie Parker. Wayne se reconstruit grâce à Red, il retrouve une identité - I was the white boy with the wah-wah - C’est le cœur battant de l’autobio. Wayne n’est plus un gangster, mais un mec dont les taulaurds apprécient la musique. Au même moment, le punk-rock explose en Angleterre. Wayne est considéré comme godfather du punk-rock, au même titre qu’Iggy. Libéré, il se retrouve embarqué dans l’épisode Gang War avec Johnny Thunders, mais il sait que ça ne peut pas marcher - You can’t be in business with active addicts, they have other priorities - Dommage. Il fait ensuite équipe avec Don Was dans Was (Not Was). Il joue sur leur premier album. On en reparle.

             Pour vivre, Wayne devient charpentier, il s’installe en Floride, puis à Nashville. Lorsque Rob Tyner casse sa pipe en bois en 1991, Wayne se réveille en sursaut. Il réunit les autres Five  pour jouer un tribute à Rob à Detroit. Puis deux ans après, Fred Sonic Smith casse lui aussi sa pipe en bois. C’est le déclic : Wayne se dit qu’il lui reste 20 ou 30 ans à vivre, alors «I better get to work making music». Et boom, il se réinstalle à Los Angeles et enregistre The Hard Stuff. Il entame sa résurrection.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Puis il va se consacrer à la postérité du MC5 - I started the band, et même si je n’ai pas su le contrôler, it was my baby - En 2002 sort un docu (The Hard Stuff: Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities) qui disparaît aussi sec, suite à une embrouille entre Wayne et les réalisateurs. Pas grave, Wayne reprend son bâton de pèlerin : il débarque à Londres au 100 Club et invite sur scène la crème de la crème du gratin dauphinois : Lemmy, Dave Vanian, Ian Astbury. Puis c’est la tournée de DTK/MC5, c’est-à-dire Davis/Thomson/Kramer, les trois survivants, avec Mark Arm au chant. Arm est fasciné par Wayne : «Wayne was great at getting people who were sympathetic.» Et il cite les noms de Lisa Kekaula et Dick Manitoba. Mais il y a des tensions parmi les survivants, ce qui attriste Wayne. Et puis voilà que Michael Davis casse sa pipe en bois en 2012. Fin du DTK. Alors Wayne monte Jail Guitar Doors USA, une association destinée à aider les taulards à s’en sortir via la guitare. Wayne fournit les grattes et les cours. Il visite des centaines de taules. Le voilà en mission. Et ça monte encore d’un cran dans la résurrection avec la naissance de son fils Francis en 2013. Il a 65 balais. Il sait maintenant pourquoi il ne s’est pas auto-détruit. Et en 2018, il sort l’autobio que salue son vieux mentor John Sinclair : «His autobiography was a tremendous work of art.» Pour les 50 ans du MC5, il monte le MC50 qu’on a pu voir à Paris, à l’Élysée, avec le mec de Zen Guerilla au chant. Puis il remonte un nouveau MC5 avec Brad Brooks (chant), Winston Watson (beurre) et Vicki Randle (bassmatic), pour enregistrer le quatrième album du MC5, cinquante ans après High Time. Il doit - ou devait - s’appeler Heavy Lifting. Mehr ne dit pas s’il va sortir un jour. C’est Bob Ezrin qui devait le produire. On y entend aussi paraît-il Vernon Reid de Living Colour, Dennis Thompson, Tom Morello et Don Was. Wayne nous dit Ezrin tentait avec cet album de re-capturer le spirit du Five. Alors on va se gratter l’os du genou en attendant des nouvelles d’Heavy Lifting. Était prévu avec la sortie d’Heavy Lifting une tournée mondiale et un nouveau book sur le Five, sous forme d’oral history. Pareil, on attend Godot. Wayne commençait à faire la promo dans la presse quand un petit cancer du pancréas l’a envoyé au tapis. Comme la vie, le MC5 ne tient qu’à un fil.

    Signé : Cazengler, MCFayot

    Dennis Thompson. Disparu le 9 mai 2024

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Bob Mehr : It wasn’t enough to play Kick Out The Jams, you had to live it. Mojo # 366 - May 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - George Soul

             Il portait le même nom qu’un célèbre tableur, Excel, l’outil préféré des esprits calculateurs et des forts en thème. Excel n’était pas calculateur, ni fort en thème, il avait d’autres défauts mais aussi des qualités. On pouvait par exemple lui faire confiance. Sauf si un disque rare traînait dans les parages. Posséder, telle était son obsession. La seule vue d’un gros cartonné US le rendait malade. Vraiment malade. Il transpirait et peinait à calmer sa respiration. Il subissait une sorte de pulsion libidinale. Chez certains hommes, la vue d’une belle paire de seins ou d’une toison ardente peut provoquer de violents troubles comportementaux : mains moites, grosse érection, passage à l’état bestial. Mais rares sont ceux qui perdent la tête à la seule vue d’une pochette de disque. De ce point de vue, Excel était un spécimen très rare, une véritable aubaine pour les scientifiques qui travaillent sur les pulsions et les dangers afférents. Alors bien sûr, nous ne trouvâmes rien de mieux pour nous distraire que de jouer à le mettre en transe. Le jeu consistait à sortir d’un sac quelques beaux cartonnés US et à les montrer rapidement. Ce jour-là, on exhiba sous ses yeux ronds comme des soucoupes quelques petites merveilles : Bettye Swann sur Capitol, l’Open Mind, Birtha, les Godz sur ESP. Excel demanda d’une voix blanche quel était leur prix. Bien sûr, ils n’étaient pas à vendre. Comme il approchait les mains, on l’acheva d’une seule phrase : «Bas les pattes ! On ne touche qu’avec les yeux !». On aurait dit que la foudre l’avait frappé et qu’un filet de fumée s’échappait de ses oreilles. Il réfléchissait comme on réfléchit dans les moments de panique pour trouver une solution, et avant qu’il n’ait pu dire un seul mot, les disques disparurent au fond du sac, anéantissant définitivement tout espoir en lui. Comme il était incapable de renoncer, il sortit son porte-monnaie et le fouilla fébrilement. Bien sûr, Excel n’avait pas un rond, à peine quelques pièces. Le spectacle fut si désolant qu’un des disques ressortit du sac. «Tiens, cadeau !». Il tenait le Birtha dans ses mains tremblantes et pleurait toutes les larmes de son corps. On n’avait encore jamais vu un homme chialer comme ça.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Les albums de George Soule n’auraient eu aucun effet sur Excel, car ce sont des CDs. Même pas la peine de lui dire à quel point George Soule est un bon, qu’il fait partie du noyau atomique de Malaco et qu’il groove comme un cake, à partir du moment où Take A Ride n’est pas un gros cartonné US, ça ne l’intéresse pas. Ah comme les gens peuvent être parfois bizarres !

             George Soule a trois cuts sur la petite compile Soulscape, Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule - Malaco Soul Brothers, dont bien sûr le fameux «Talkin’ About Love» révélatoire qui figure en bonne place dans la box Malaco. Il y tape le heavy romp de Malaco. Avec «That’s Why I’m A Man», il y va, c’est du sérieux. Comme Nino Ferrer, il voudrait être noir, il cherche la blackitude, avec une certaine réussite. 

             George Soule est l’artiste complet : il compose, bat le beurre et produit. Il a bossé pendant quarante ans avec d’énormes pointures comme Mavis Staples, Z.Z. Hill, Bobby Womack et Candi Staton. Il vit à Nashville, mais il se réinstalle à Jackson au moment où Wolf Stevenson et Tommy Couche démarrent Malaco. On pourrait presque le comparer à Dan Penn : même genre d’envergure, même qualité des compos et même passion pour la musique noire. Il a 8 ans quand son père lui offre un drum kit, puis il prend des cours de piano. Ado, il flashe sur Ray Charles et Etta James. Puis il flashe sur l’Otis Blue d’Otis. Plus tard il aura la chance de faire des backing pour Etta James, grâce à Jerry Wexler. C’est Jimmy Johnson à Muscle Shoals qui présente George à Jerry Wexler, en 1969. Wexler cherche des démos pour Judy Clay et ça tombe bien, George en a plein. Wexler les écoute. Des gens comme Wilson Pickett, Esther Phillips et Percy Sledge vont taper ses compos. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             La compile Let Me Be A Man sort sur Soulscape, un bon équivalent de Kent/Ace. Dans ses liners, John Ridley n’y va pas de main morte : «George Soule, the essence of Country Soul.» Toutes ces démos sont enregistrées à Muscle Shoals, on retrouve le fat thumping de Muscle Shoals dès «Walking On Water Over Our Heads», heavy r’n’b de Southern punch, George est un vrai white nigger, un authentique imparable. On réalise très vite qu’il est aussi est un compositeur de génie, «So Glad You Happened To Me» sonne comme un hit interplanétaire, il atteint les couches supérieures du lard fumant. «You Can’t Stop A Man In Love» bat tous les records d’énergie compositale, c’est extravagant de puissance, il atteint des sommets insoupçonnés. Wilson Pickett adorait ce Can’t Stop, mais bon, il a enregistré autre chose. George chante «Better Make Use Of What You Got» à la glotte tracassée et il lâche ensuite une bombe : «Catch Me I’m Falling», qui sera un hit pour Esther Phillips. Encore du solide groove d’excelsior avec «Let It Come Naturally». Tout est extrêmement balèze sur cette compile. Jeune, George ressemble à un jeune black. Il reste très intense dans sa façon de chanter, très déjeté de l’épaule, si black d’esprit, si dévoué à la Soul. Comme les Tempts, il entre avec «Sitting On Top Of The World» dans le territoire sacré de la Soul. «It’s Just A Matter Of Time» est exceptionnel de grandeur. Il pulse sa good time music au firmament. Il sonne comme une superstar. Il compose «Shoes» avec Don Convay pour Brook Benton. «I Can’t Stop It» est solide sur ses pattes, un vrai hit de r’n’b, même chose avec «24 Hours A Day», derrière George, ça joue énormément. Et pour finir, voilà «Poor Boy Blue», un heavy groove d’excelsior. George est un bon. Sa Soul est pure. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il enregistre Take A Ride en 2006. Dans ses liners, Nial Briggs le compare à Dan Penn, Spooner Oldham, Bobby Womack et George Jackson. En studio, on retrouve Greg Cartwright. Inutile de dire qu’avec ce Take A Ride, tu te retrouves une fois de plus avec un big album entre les pattes. Et ça ne traîne pas, George fait son white niggah d’entrée de jeu avec «Something Went Right», il va chercher le smooth de Malaco, c’est une véritable bombe de Soul et de spirit. George chante une Soul de crack, son «I’ll Be Your Everything» est un deepy deep d’extrême onction, il est just perfect, en plein dans l’œil de Coco Bel-œil le cyclone. Greg Cartwright gratte bien ses poux dans le morceau titre. C’est claqué tellement sec que ce take a ride entre dans la légende de l’apanage, le groove de Malaco te groove les mots, il y va le George, c’est du solide, et ce démon de Cartwright gratte à tire-larigot. George tape bien sûr son vieux «Shoes», co-écrit jadis avec Don Covay. Ce mec a tout bon, c’est bien saqué du raw, bien monté au smooth de groove. Mooove with the grooove, n’oublie jamais ça. Le Cartwright passe à la wah sur «Find The Time» qui sonne comme un groove gluant de Leon Ware. George fait encore son white niggah dans «My World Tumbles Down», il vise en permanence l’excelsior du Soul System. Son «Bent Over Backwards» sonne comme du James Carr, et dans «Come On Over», les chœurs font come on over / there’s a party going on. Cet album superbe gagne la sortie avec «A Man Can’t Be A Man». George a du son jusqu’au bout des ongles.

             Il est aussi mêlé à une sombre histoire : les compiles Casual. Sombre parce que complètement underground. On en connaît trois : Country Got Soul, volumes One & Two et le Testifying de The Country Soul Revue. Dans les trois cas, tu peux y aller les yeux fermés, car George y côtoie la crème de la crème du gratin dauphinois, Donnie Fritts, Dan Penn, Bobbie Gentry, Eddie Hinton, Tony Joe White, Jim Ford, Bonnie Bramlett et des tas d’autres luminaries. C’est de toute évidence le moyen le plus sûr de situer le niveau de George Soule : parmi les géants.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il n’a qu’un seul cut sur Country Got Soul (Volume One) : «Get Involved». Il est à l’aise, black jusqu’au bout de la nuit, avec du heavy R&B. Sinon, cette compile grouille de puces. Avec des lascars comme Dan Penn et Donnie Fritts, c’est pas étonnant. Le Penn, tu le retrouves avec «If Love Was Money». Il sort le grand big badaboum et la voix d’ange blanc, c’est explosif de Soul, le Penn se coule dans toutes les couches de température, il pose ses couplets à plat et choisit l’éruption pour signifier sa passion de la Soul, c’est ultra-cuivré, il joue avec tes nerfs, Dan te dame le pion. Il ne Penn pas à jouir. Eddie Hinton te sonne les cloches avec «Come Running Back To You», et Donnie Fritts te groove l’oss de l’ass avec «Short End Of The Stick». C’est de la heavy frite de Fritts - They let me know/ I was at the short end of the stick/ yeah - On reste chez les poids lourds avec Tony Joe White et «Did Somebody Make A Fool Out Of You», bien gratté sous le boisseau vermoulu, et avec Travis Wammack et «You Better Move On», joli shoot de Memphis Soul-pop. Big one encore avec Delaney & Bonnie et «We Can Love», summum de la Soul blanche, et quand Bonnie entre dans la danse, alors ça groove au-delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. Coup de génie encore avec Razzy Bailey et «I Hate Hate». Il fait tout simplement «Tighteen Up». Oh et puis voilà Jim Ford avec «I’m Gonna Make You Love Me». Tu ne peux pas résister à un tel battage. C’est lui le cake de service. Oh et puis ce démon de Bobby Hatfield sonne comme un black avec «The Feeling Is Right». Fantastique swinger !

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Tu prends les mêmes et tu recommences avec Country Got Soul (Volume Two). Même si George Soule n’y est pas, tu l’écoutes quand même. Parce que Dan Penn & Chuck Prophet avec «Heavy Duty» (haut de gamme imputrescible, heavy groove d’Alabama avec un Prophet in tow qui gratte ses poux de Tele). Parce que Bonnie Bramlett et «Your Kind Of Kindness» (la reine du rodéo, la vraie, chant d’Ikette blanche). Parce que Bobbie Gentry et «Fancy» (l’autre reine du rodéo). Parce que Donnie Fritts et «Muscle Shoals» (il fait la vraie country Soul et en tombe à la renverse - There must be something in the air down there/ To make ‘em play like that - hommage sidérant aux Swampers). Parce que Jim Ford et Harlan County» (c’est lui la superstar. Power immédiat). Parce que Sandra Rhodes et «Sewed Love And Reaped The Heartache» (elle est bien dans l’esprit du Casual, la petite Sandra, elle est bien cuivrée et soutenue par des chœurs astucieux). Parce que Larry Jon Wilson et «Ohoopee River Bottomland» (il fait du Tony Joe avec une voix plus grave, c’est assez magique). Parce qu’Eric Quincy Tate et «Stonehead Blues» (les Dixie Flyers jouent sur ce cut demented tiré de leur premier album sur Cotillon).

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Tu reprends les mêmes et tu recommences avec The Country Soul Revue et Testifying. George y fait trois apparitions, d’abord avec «Jaguar Man» (fantastique groove de white nigger), «I’m Only Human» (encore une échappée de Soul merveilleusement belle) et «It’s Over». On recroise aussi l’excellent Larry Jon Wilson avec «Friday Night Fight At Al’s» (il va chercher le baryton qui claque). Dan Penn a deux cuts : «Chicago Afterwhile» et «Best Of My Life» (tu sais tout de suite que ça va te couler dans la manche. Dan est un doux). Deux cuts aussi pour Donnie Fritts, «Adios Amigo’s» (il fait honneur aux apanages) et «Sumpin’ Funkin’ Goin’ On» (funky booty de la frite, il groove comme un cake). Deux cuts aussi pour Tony Joe White, «Who You Gonna Hoo Doo Now», imparable, et «Drifter», qui sauve bien l’honneur des blancs du Deep South. La palme revient à Bonnie Bramlett avec «Where’s Eddie». Bonnie est aux ladies d’Amérique ce que Lanegan est aux lads : la plus grande shouteuse. Elle explose la country Soul et l’Amérique toute entière. Elle s’en va swinguer au sommet de son Ararat de power pur. Wow Lady Bonnina, lying on the bed/ Listen to the music playing in your head !

    Signé : Cazengler, tu nous soûles

    George Soule. Let Me Be A Man. Soulscape Records 2011 

    George Soule. Take A Ride. Zane Productions 2006

    Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule. Malaco Soul Brothers. Soulscape 2006

    Country Got Soul (Volume One). Casual Records 2003

    Country Got Soul (Volume Two). Casual Records 2003

    The Country Soul Revue. Testifying. Casual Records 2004

     

    *

    Attention le retour de Ghost Highway ! Pas un groupe comme les autres pour notre blogue. Et pour beaucoup de fans de la première heure. Dès notre  première livraison du  01 / 05 / 2009 consacrée à Old School et Burning Dust, Jull et Zio qui furent le noyau initial de Ghost Highway étaient présents…   Avec Alain nous assistâmes à un des tout premiers concerts de Ghost Highway au Saint-Sauveur de Ballainvilliers ( livraison 26 du 11 / 11 / 2010) formation initiale, Zio, Jull , Arno, Phil… Epoque lointaine, le rockab français est en train de vivre un second âge d’or, Ghost Highway va incarner cette renaissance, il y a le groupe certes, mais aussi la constitution d’un groupe de followers qui suit la formation dans toutes ses pérégrinations rock’n’rollesques, peu de formations en notre pays peuvent se vanter d’avoir suscité un tel mouvement, l’on suit Ghost Highway avec ferveur, car intuitivement l’on comprend que c’est une chance inespérée de survie pour le rock’n’roll en notre pays…

    Les groupes de rock sont souvent des formations cristallisatoires évaporatrices, la vie ne fait pas de cadeau, après de nombreux concerts dont un à l’Olympia en première partie d’Imelda May et deux albums le rêve s’effilochera et se terminera… laissant un goût amer dans l’âme des fans… et l’espoir insensé d’une reformation… Ces deux dernières années il y eut des rumeurs diverses, des envies, des rencontres… jusqu’à cette reformation en laquelle personne ne croyait mais que tout le monde espérait, notons l’amicale contribution de Rockabilly Generation  l’ indispensable magazine de Sergio Kazh … A la vieille garde Arno, Jull and Phil s’est ajoutée la contrebasse de Brayan

    Pour Noël, nous trouverons au pied du sapin un nouvel album de Ghost Highway, c’est bien mais c’est loin. Devant la demande pressante et l’impatience généralisée, le groupe a improvisé  une session acoustique que nous nous empressons de découvrir.

    ACOUSTIC SESSION

    GHOST HIGHWAY

    (ASO1 / 1Records Production Ghost HighwayMai 2024)

    Arno : vocal, rhythm guitar / Phil : drums / Brayan : double bass / Jull : vocal, lead guitar.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

                    Seulement sept titres. Des reprises, les surprises novatrices seront sur l’album, retour vers le passé, dans une ère que l’on pourrait nommer le proto-rock’n’roll, tous les ingrédients du rock’n’roll  sont là, en ordre dispersé,  la génération des pionniers ne tardera pas à surgir pour se saisir de toutes ces racines et les rassembler…

    Blackberry wine : j’en connais une version par Big Sandy and his Fly-rite boys, une espèce de hillbilly-jazz peu convaincant,  lorsque était paru le premier numéro de Rockabilly Generation avec Big Sandy, ne te force pas avait décrété Alain, comme je te connais Damie jamais tu n’aimeras Big Sandy, par contre là ça claque sec, l’on est projeté en une fraction de seconde en une autre dimension, les Ghosts délimitent l’espace mental de la giboulée hillbillyenne, faut avoir l’oreille partout, trois pincées d’une guitare grêle, le vocal déboule, puis s’amuse au cheval à bascule, l’est pas tout seul, toutes dix les secondes retombe la pincée de grêle, ne vous laissez pas distraire, la basse trottine comme les sabots d’un zèbre têtu, le drummin tombe pile atomique, et tous ces moments délicieux dans lesquels les guitares se lancent dans des djangleries époustouflantes, de temps en temps ricochent des cartouches de chœurs, et le morceau défile si vite que vous êtes obligé de réécouter pour comprendre les tours fulgurants de pase-passe. Cherokee boogie :  en règle générale la prudence vous conseille de vous abstenir quand vous n’avez pas Moon Mullican dans le studio pour assurer le piano - vous l’excuserez, l’avait une bonne excuse pour ne pas être présent, lui qui est né en 1909 est mort en 1967, ce morceau est sorti en 1951, sachez que Jerry Lee Lewis a toujours revendiqué ce toqueur fou aux confluences hillbilly-country-boogie comme l’une de ses principales inspirations - oui mais ils s’appellent Ghost Highway et rien ne leur fait peur, au tout début vous avez un subtil frottis vaginal de big mama et c’est parti pour la danse de Saint Guy, vous refilent cette douce quiétude, cet impressionnant sentiment de sécurité qui vous saisit alors que votre chauffeur s’est endormi au volant et que vous lui faites confiance, rien ne pourra vous arriver, les Ghosts assurent sans problème, z’ont dû capter l’âme du Mullican pour jouer avec tant de tact rythmique, le bateau tangue rapide mais tout  en douceur, tout est en place, rien de trop, rien de moins, l’univers est en ordre, un vocal qui ressemble à l’arôme qui s’élève tel un rêve de votre tasse de café au petit matin… Motus et perfecto comme disent les rockers qui n’aiment pas être dérangés lorsqu’ils ont atteint le nirvana. Burning love : combien de fois n’ai-je pas été victime de cette fièvre ardente lorsque sur scène Ghost Highway reprenait  cet hymne al amor caliente d’Elvis, oui mais là ils n’ont pas pensé à régler la douloureuse d’EDF, du coup ils le font à l’énergie écologique,  se débrouillent mieux que mieux, un vocal très preleysien qui emporte le morceau comme le chien se saisit du gigot en laissant l’os pour les invités, alors on se régale à écouter les accoups de guitares, ces sursauts de flammes hautes qui se greffent sur les tamponnements imperturbables de Phil et Brayan, méfiez-vous de ces deux-là si vous les suivez ils vous mèneront jusqu’au bout du monde, pour aller ça ira, mais retrouverez-vous le chemin pour revenir… Ne restera de vous que des cendres. Big river : Johnny Cash avec Luther Perkins et Marshall Grant dans la Mecque créatrice du rock’n’roll le Studio Sun de Memphis, les Ghosts faites gaffe, ne s’agit pas de frapper fort mais de frapper juste, que Brayan ne débraye jamais et que le Phil file au métronome, pour les fioritures de guitare confiance à Jull, quant à Arno voix de croquemort N° 4, walkez the line du début à la fin, sinon l’on vous enferme à Folsom à perpète ! Inutile de vous cotiser pour leur apporter des oranges, je confirme s’en tirent comme des chefs indiens devant Custer, sont libres même qu’ils n’ont pas eu une caution à fournir, tellement c’est bon.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Good rockin’ tonight : tiens un second Presley, l’on ne prête qu’aux riches, s’il vous plaît une piécette d’argent pour Roy Brown qui écrivit et enregistra le morceau et une autre d’or pur  pour Wynonie Harris qui le magnifia, ma pauvre Dame comment ces nègres dégénérés ont-ils pu produire de tels chef d’œuvres, que voulez-vous mon bon Monsieur, tout le monde peut faire des erreurs, même notre Seigneur, l’on était chez Sun au morceau précédent mais l’on a encore un pied dans le studio de Sam Phillips pour cette interprétation, les Ghost jouent banco bronco, se la donnent à cœur joie, chacun nous montre ce qu’il sait faire dans son coin et ils y prennent un sacré plaisir, festival instrumental dans les interstices du vocal. Cold cold heart : une voix qui tire-bouchonne mais chaque fois qu’il ouvre la bouteille de son vocal Hank Williams vous loge une balle en plein cœur, un chanteur de country, une vie de rock’n’roll star, les Ghosts ne s’y sont pas trompés le plus dur ce n’est pas l’accompagnement, mais la voix, s’y mettent en chœur, n’ont pas le chevrotement inimitable de l’agneau pris dans les barbelés mais en s’entraidant ils parviennent sans problème à apitoyer les jeunes filles au cœur tendre. Gone Gone Gone : Carl Perkins le puriste du rockabilly, en bon américain sorti de sa cambrouse il vous donne l’impression de chanter en mâchouillant son chewing gum, jamais vous n’arriverez à prononcer gone gone gone avec ce ton de chaton perdu qui miaule, oui mais à la fin il vous met le feu à la grange et la ferme brûle, les Ghosts vous le prennent un peu plus haut, un peu à la Good Rockin’ , mettent la gomme gomme gomme sur le gone, gone, gone, y vont à l’arrache-rock, question zigmuc vous avez de petites broderies guitariques  au caramel salé qui valent le détour. Vous le déclinent en octogone.

             A déguster sans modération. Sept petites merveilles, sept pépites sonores pour nous rappeler rockabilly for ever !

    Damie Chad.

     

    *

    Fujiyama Mama, vous connaissez ? Bien sûr Damie, de Wanda Jakson. Très bien, vous savez au moins un mot de japonais, je peux donc vous emmener au pays du Soleil Levant  et de La Fureur du Dragon ! Heu, Damie, Bruce Lee n’était pas particulièrement japonais. Essayez d’intuiter un peu les gars, ce n’est pas Bruce Lee qui nous intéresse mais le dragon !

    DOOM DRAGON RISING

    (Split / Doom Fujiyama / Mai 2004)

    Doom Fuliyama est un label japonais. Z’ont déjà sorti quatre albums anthologiques, sobrement intitulés Doom Fujiyiama  Volumes 1, 2, 3, 4, ornés de pochettes en noir et blanc, style manga économique produit à la chaîne qui ne vous incite guère à vous porter acheteur de la marchandise. Au bout de deux ans le staff s’est réuni et a décidé de changer son sabre de samouraï d’épaule, l’album dix titres est remplacé par un EP quatre titres, mais une pochette qui pète le feu et qui en jette un maximum, ce n’est pas le Réveil de Godzilla mais l’Eveil du Dragon du Doom, tout de suite vous sentez interpelé par les forces du mal :

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Attention, trois groupes, par ordre alphabétique : Abiuro, Green Tripe et Heteropsy.

    GREEN TRIPE  ouvre le bal avec : Bong surfing : bruits de voitures, voix off filigranée et la sorcière aux dents vertes vous sourit de toutes les dents de ses guitares, la basse en écho à la lead, le titre n’est pas mal choisi, l’est vrai que l’on est dans une espèce de surfin’ doom assez inédit, et puis y a le dégueulis du vocal qui vous saute au visage et vous embourbe les oreilles, une coulée diarrhétique qui vous empuante les tympans mais que c’est bon, et boumg plus personne, seule la basse vous fait une espèce de salto arrière assez incongru, mais le gars au micro se recolle à sa parole pourrie et c’est reparti pour une longue giclée d’imprécations purulentes, le mec dégueule toutes ses tripes sur vos pieds et vous pataugez là-dedans avec la joie d’un canard heureux de retrouver sa mare natale, les rêves ne durent qu’un temps, basse et batterie se taillent une petite bavette entre eux, cela vous permet de vous rendre compte de tout ce qui vous manque sans ce vocal, maintenant ils se concoctent un petit solo à trois, puis ils arrêtent. Pourquoi continueraient-ils à vivre puisque la voix  s’est tue ? ABIURO s’adjuge la part du dragon, deux titres. Masaki Ikuta : guitare, vocal / Yuki Tanaka : basse / Yap : drums.  Inherited : Encore une fois, tout dans la voix, serait-ce un truc typiquement japonais, en tout cas on n’écoute qu’elle, un bon accompagnement, mais lorsque vous ouvrez une huitre c’est la perle qui est dedans qui vous intéresse, mais là aussi vous avez la basse qui vient faire son numéro de trapèze volant, qui ne dure pas trop longtemps car la voix revient en grondant. Ce n’est pas de sa faute, le gars vient de se faire buter et son âme s’envole comme un papillon. Du typique qui pique cent pour cent nippon. Miasma : une facture heavy-metal davantage classique, la voix baisse d’un ton, sludge en berne, la guitare la recouvre quelque peu, des paroles un peu plus philosophiques, dans ce monde de stupre et de vices  la luminosité d’une âme trop pure rend la nuit encore plus noire, la batterie s’abat comme si l’innocence était un moucheron qu’il faut à tout prix écraser, imaginez la gentille petite âme animaliste qui souffre beaucoup. N’ayez pas peur, son chagrin est évacué en moins de trente secondes. HETEROPSY : Old friends : les cymbales giclent, la batterie tonitrue et le vocal hurle à mort, la réunion des vieux amis n’a pas l’air de se dérouler fraternellement, la guitare grince, la chasse d’eau des WC glougloute fort méchamment, la voix imite l’ogre des contes d’enfants sages, ce n’est pas tout à fait le chaos, disons le bordel pour rester poli, l’on dirait que les musicos jouent à se démarquer l’un de l’autre, et clac changement de film, ce n’est le slow de l’été mais celui de l’automne avec ses arpèges larmoyants qui vous rappellent que tout finit un jour ou l’autre, tiens le climat change encore ce coup-ci c’est le général hiver qui lance un ouragan dévastateur, portez vos mains à vos oreilles pour les protéger du méchant loup qui vous les arracherait avec plaisir. Il a réussi le bruit que votre cerveau perçoit c’est le torrent du sang qui coule de vos oreilles à gros flocons. Vous ne sentez plus rien, normal vous êtes mort. Ce n’est pas grave, le morceau est fini.

             La couleur du heavy-metal, le bruit du heavy-metal, avec cette petite différence anthropologique qui change la donne : la texture de l’élocution japonaise, même quand ils chantent en anglais, sonne différemment, z’ont au fond de leur gorge un gravier gargouilleux qui n’appartient qu’à eux, un truc atrocement suave qui l’emporte sur bien des tortures auditives occidentales. Si Octave Mirbeau était encore en vie il n’aurait pas hésité à l’inclure dans une version augmentée de son Jardin des Supplices. Ce qui est étrange c’est qu’ils semblent davantage rechercher une singularité instrumentale qu’une cohésion d’ensemble.

             Quand le dragon s’éveillera, le soleil deviendra rouge…

    Damie Chad.

     

    *

    Orphée est un des tout premiers héros grecs, mais là où la plupart d’entre eux s’honorèrent par leur vaillance physique et leurs exploits guerriers, ses seules armes furent la poésie et la musique. Son chant lui permit d’entrouvrir les portes d’ivoire et de corne de la mort et du rêve… Qu’un groupe de dark metal se soit paré de son nom ne pouvait me laisser indifférent, écoutons donc ces cadences funéraires…

    APART

    ORPHEAN PASSAGE

    (Album Digital / Bandcamp / 30- 04 -2024)

    Groupe originaire de Cape Town, Le Cap, capitale de l’Afrique du Sud. Plusieurs de ses membres font aussi partie d’autres groupes dark metal.

    Julien Bedford : basse / François Meyer : drums / Malcolm McArb : guitars / Patrick Davidson : guitars / Nicole Potgieter : claviers / Ryan Higgo : chant.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Belle couve : paysage d’eau et de brume, éléments inconsistants, que vous ne pouvez saisir ou retenir dans votre main, de même structure que les rêves et la mort… Seraient-ce les rives désolées du Styx, dans beaucoup de mythologies, notamment arthurienne, il suffit de traverser une étendue d’eau pour entrer dans le royaume immémorial de la mort…

    Prelude : ne passez pas rapidement sur cette ouverture, elle donne le la, le ton, d’une infinie tristesse, d’une langueur souveraine, d’une procession funéraire, non pas celle que l’on fait en suivant un cercueil ou en allumant un bûcher, celle que l’on parcourt à l’intérieur de soi, car la mort réside aussi bien dans les corps inanimés des cadavres que dans les pensées des vivants. A tout instant, demandez-vous si vous êtes celui qui regarde le miroir ou celui qui est dans le miroir. Adomed in midnight : souvenez-vous du titre de l’album, qui est à part, qui est séparé, cette voix bourrue, refermée sur elle-même, vous doutiez-vous avant d’être parvenu au bout du morceau que c’était elle toute seule qui prendrait en charge le muet dialogue des amants qui ne se parlent pas, mais qui parlent à l’autre depuis l’intérieur de l’autre, car le fait d’être dans l’autre est la preuve irrémédiable de cette séparation éternelle, éternelle en le sens où depuis le minuit lugubre où des lèvres se sont posées de chaque côté du miroir, tous deux ne font que reculer sans fin dans la présent de la présence de leur absence, à tel point qu’il se tait pour nous prouver que la musique continue toute seule dans une solitude effroyablement insupportable, alors il reprend la parole car il vaut mieux dire l’absence que laisser l’absence triompher. Le chant qui tue la mort n’est-il pas aussi criminel que la mort. Situation bloquée, fardeau de la culpabilité. Une dernière noté étranglée, point final qui ne veut pas finir, sur le clavier silencieux de cet oratorio magnifique.  Bereft in requiem : il est question d’inspiration, celle qui vient des Dieux, celle qui transforme la fiancée crépusculaire en un long mensonge, la musique grogne, le riff se boursouffle et il grogne comme un loup que la colère de son impuissance énerve, guitares  en piqué qui tombent, rasent et arrasent la cime des arbres, maintenant il dit ce qu’il ne faut pas dire que la mort n’est rien, que le temps est tout, car la mort peut mourir mais le temps perdu est semblable au temps gagné, tous deux sont sas repos, car le temps qui s’arrête dure encore. Ashen veil : voile de cendres, de rêves, de souvenirs emmêlés, un chemin, un long chemin de vie dans un passé qui ne veut pas mourir, qui les a conduits dans la mort, celle de l’un et celle de l’autre, car celui qui meurt tue aussi l’autre, marche crépusculaire, la batterie écrase les mottes de terre, celles du chemin et celles de la tombe, la voix se fait profonde, plus profonde qu’une fosse mortuaire, car si elle ne contient qu’un cadavre elle s’est refermée sur deux corps vivants.  The scarlet mirror : attention puisque je ne peux te donner la vie tu peux me donner la mort, il suffit de briser le miroir, qu’il devienne écarlate, cramoisi de mon sang, en saisir un éclat et se taillader les veines, l’échange du premier sang sur tes lèvres exsangues comme un premier baiser charnel, mais le miroir aux eaux glacées  retient les vols du cygne qui ne fuiront pas, il ne chantera pas son chant le plus beau au moment de mourir puisqu’il est déjà mort, le chant empli de ressentiment est aussi beau que le texte, le morceau se termine sur une musique qui s’éloigne aussi funeste que le finale de Lohengrin. Eclipse : ce n’est pas Lohengrin qui s’éloigne, c’est le rêve qui ne veut pas mourir, il suffit de s’attendre, jusqu’à la fin des temps, jusqu’à la fin des Dieux, jusqu’à la fin de la mort, car si la mort est la fin de tout elle est aussi sa propre fin, la musique le susurre longtemps jusqu’à ce que le chant s’élève, elle a préparé un tapis rouge pour accueillir le Poème afin qu’il s’unisse à la Poésie, ce n’est pas l’éclipse du soleil noir mais celle du temps effacé par l’atemporalité du Rêve, keyboard en marche nuptiale.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Wreaths for the wretched : retour à la réalité, pitié pour les misérables condamnés à vivre, le tempo adopte une ampleur inégalée, face à la réalité seule la révolte, inutile et perverse, est nécessaire, si l’homme est mortel qu’il devienne un Dieu, qu’il redonne vie à l’enfant dans le corps qui l’a porté, tout est excusable, tout est permis, puisque ceux qui sont sur les tombes sont aussi malheureux que ceux qui sont dessous. Tous coupables puisque tous innocents. Her wounds can’t be seen : dessus comme dessous, à l’intérieur comme à l’extérieur, gratter la terre du souvenir et gratter celle de la tombe jusqu’à pénétrer en ses souvenirs, jusqu’à savoir et comprendre les fragiles barrières opposées à la mort, souvenir du vivre et remembrances mortelles sont de même indissoluble matière, une même structure entrelacées dans les aitres de laquelle chacun se ménage ses minuscules refuges, ses petits mensonges, toute cette pacotille de déréliction pour faire semblant de contrecarrer l’inéluctable irréparable. La rage aux cœurs l’affrontement est inévitable. Keket : elle est la Perséphone égyptienne, celle qui permet de mesurer l’immensité de l’éternité lorsque le cadran solaire privé de soleil ne peut plus indiquer  la course du retour de l’astre solaire, si tu ne peux pas tuer la mort, il reste encore une possibilité, celle d’être la mort elle-même, se joindre à elle pour être elle, ne plus être séparé, que les chairs séparées comme celles déchirées de l’enfant Dionysos qui lui ont permis d’accéder à l’immortalité, ne dites pas que c’est impossible, puisque une fois que vous êtes mort vous ne pouvez plus mourir. Pourquoi ce clavier ou cette guitare sonnent-ils comme un tocsin, un glas funèbre et joyeux qui annonce que la mort est morte.

             L’on ne peut être qu’émerveillé par une telle réussite. Un groupe qui dès son premier enregistrement accouche d’un tel chef-d’œuvre est promis à un grand avenir. Tout est parfait dans ce disque, un lamento musical redondant qui n’est jamais répétitif mais qui vous englobe dans une espèce de suaire protecteur, un chanteur qui ne cherche jamais l’emphase et ne tente à aucun moment d’attirer l’attention sur sa voix, omniprésent mais d’une humilité évocatoire dont seuls sont capables les plus grands, de somptueux lyrics et une pochette ouverte aux aléas des rêves de ceux qui la regarderont, plus l’ombre lumineuse de la mort… Si vous trouvez mieux, prévenez-moi.

    Damie Chad.

             En attendant leur chaîne YT offre nombreuses vidéos de ce premier album enregistrées en public…

     

    *

    Le hasard fait bien les choses  mais peut-être vaudrait-il mieux incriminer les Dieux de l’ancienne Hellade. Nous venions d’achever notre chronique précédente lorsque dans le courrier je remarque, avec quelque retard, un envoi de Bandcamp signalant sur une compilation Metal la présence d’un morceau inédit de Thumos destiné à la face B De leur prochain album. Donc après le précédent Passage d’Orphée nous  voici en présence d’un dialogue de Platon relatif à la nature de la poésie.

    ION

    THUMOS

    ( Mind Over Metal VOL 1

    Cave Dweller Metal / Mai 2024)

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Goethe, le grand Goethe, mettait en doute l’attribution d’Ion, dialogue qualifié de jeunesse, à Platon. Il est inutile de nous lancer dans une polémique stérile, qu’il soit ou pas de Platon, ce dialogue consacré à l’essence de la Poésie, évoque évidemment le personnage d’Orphée même s’il est loin d’en être la référence principale.

    Notons que Thumos prévient qu’il a déjà donné en exclusivité à une précédente anthologie de Cave Dweller Metal, un précédent morceau de cette face B de leur prochain opus, Lachès que nous avons chroniqué dans notre livraison 636 du 14 / 03 / 2024. Sans vouloir préjuger du contenu du futur disque nous rappelons que Lachès est un dialogue de Platon mené par Socrate qui discute avec deux généraux athéniens d’éducation, de courage, et de guerre…  Mais il est temps de nous pencher sur l’œuvre ionique pour tenter de comprendre la lecture musicale que Thumos opère de cet ouvrage.

    Une première constatation sur laquelle je ne m’étendrai pas, dans   Platon. Œuvres Complètes de l’édition (de référence pour la France) dirigée par Luc Brisson, parue chez Flammarion en 2008 Ion est séparé de Lachès par l’ensemble des treize Lettres d’authenticité douteuse, preuve que le travail que Thumos effectue sur Platon est animé d’une certaine logique. Et même d’une logique certaine. Logos en grec.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Dans ION Socrate interpelle Ion le rhapsode, qui se vante d’être le meilleur de tous les rhapsodes spécialisés dans la récitation des poèmes d’Homère et le meilleur de tous les commentateurs de l’illustre aède… Il déclare qu’il ne sait pas pourquoi cette supériorité ne vient pas de sa propre personne mais de la Muse, comprendre de la Divinité qui a inspiré Homère. Socrate explique que l’inspiration agit comme un aimant qui transmet  son aimantation à un anneau de fer (Homère) qui à son tour la communique à un autre anneau de fer (Ion) qui à son tour la confère à un autre anneau de fer que représente le public subjugué par la beauté du texte homérique… Ion ne peut que remercier Socrate de son explication qui fait de lui un réceptacle et un transmetteur du souffle divin.

    Je me permets de vous adresser un petit conseil, si par hasard vous rencontriez Socrate, avec ce diable d’homme l’on ne sait jamais, et qu’il reconnaît en vous d’inestimables qualités, méfiez-vous, il ne va pas tarder à reprendre de l’hémisphère gauche de son cerveau ce dont son hémisphère droit vous a gratifié. Certes les récitations de notre rhapsode sont empreintes de beauté, mais sont-elles justes ? D’ailleurs les Lettres sont précédées d’un minuscule dialogue qui n’est manifestement pas de Platon, même s’il lui a été attribué, intitulé Sur le Juste

    Ainsi si Ion récite un passage dans lequel Homère parle de course de char, qui sera le plus à même de juger de la justesse de ce passage : un guerrier meneur de char ou Ion lui-même ? Le malheureux est obligé de répondre que les critiques ou les éloges d’un cocher professionnel seront supérieures à ses propres jugements. Socrate s’amuse à plusieurs reprises à faire admettre à Ion qu’il laissera systématiquement l’avantage à un ‘’spécialiste’’ suite à l’examen de plusieurs situation décrites par Homère. Une manière pour Socrate de sous-entendre que si déjà Homère a commis quelques erreurs dans ses descriptions, notre poëte et à fortiori un rhapsode qui récite ses textes, n’ont qu’imparfaitement retransmis l’inspiration divine. 

    Socrate laisse une petite chance à Ion : y aurait-il seulement un sujet sur lequel il serait  à même de posséder une compétence qui le mettrait à égalité avec les ‘’ spécialistes’’ de la question. A la grande surprise des lecteurs Ion revendique une totale adéquation entre son jugement des choses militaires et le savoir des plus grands stratèges. Se reportant aux  évocations des nombreux combats et multiples batailles qu’Homère décrit dans l’Illiade et l’Odyssée, Socrate se demande pourquoi Ion n’a pas été choisi par la cité athénienne pour diriger ses troupes lors des guerres qu’elle a l’habitude de mener…   Quand Ion se rend ridicule en décrétant que l’art du Rhapsode est égal à l’art du Stratège, Socrate enfonce le clou en affirmant que si Ion ne veut pas être un menteur, il vaut mieux  le considérer comme un homme divin  puisqu’il transmet par son art les poèmes d’Homère qui fut un homme divin puisque inspiré par la Muse…

    Certes le lecteur moderne goûtera le sel de l’ironie socratique mais il pourra aussi s’interroger sur l’étrange proximité établie par Ion (et Platon) de la poésie avec la guerre.  Comme si le schème de l’aimantation des anneaux de fer pouvait se résumer ainsi : les Dieux / la Poésie / la Guerre / les Hommes… Une juste vision très agonique (et nietzschéenne) de la Grèce Antique…

    ION : le morceau ne dépasse pas les quatre minutes, une orchestration que je qualifierais de serrée, un peu comme quand vous fermez avec force votre bouche pour réfréner une envie de rire incoercible, un rythme joyeux, nous sommes loin de cette idée de gravité et de sérieux que suscite communément le nom de Platon, peut-être faut-il discerner, trahie par la basse et les roulements de la batterie, l’indication que ce qui est en jeu dans ce recueil serait beaucoup plus sérieux que ne le laisserait accroire cette sensation de légèreté dégagée par la première moitié de ce titre, ne survient-il pas d’ailleurs une accélération drummique comme pour rappeler que l’on parle des Dieux, mais que signifie cette disparition sonore au profit d’un bourdonnement de mouche dont on ne sait si elle monte vers les demeures olympiennes ou descend vers l’incohérence théorique des êtres humains. Brutale amplification instrumentale, le rythme ralentit pour reprendre aussitôt, une effusion lyrique transparaît sans doute pour nous mettre en mémoire que le rire est aussi l’apanage des Immortels. Une espèce de coup de gong final, la plaisanterie humaine aurait-elle duré trop longtemps ?

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 641: KR'TNT 641 : MUDDY WATERS / SLIFT / EDDIE AND ERNIE / RICH JONES / BILL CALLAHAN / CLAUDE PIRON / THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 641

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 04 / 2024

     

    MUDDY WATERS / SLIFT / EDDIE AND ERNIE

    RICH JONES / BILL CALLAHAN

    CLAUDE PIRON /  THUMOS 

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 641

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    Wizards & True Stars

     - M le Muddy

     

    z23928muddy.gif

             Vous pouvez entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters de cinq façons différentes (il en existe certainement bien d’autres, mais pour des raisons pratiques, on se limitera à cinq).

             La première façon d’entrer dans cette vie extraordinaire, c’est par le film de Marc Levin, Godfathers & Sons, sixième épisode de la série de films consacrés au blues, sous l’égide de Martin Scorsese. On y voit Marshall Chess raconter sa vie, depuis son enfance à Chicago jusqu’à l’époque où il vint en Angleterre s’occuper des affaires de Rolling Stones.

    z23911robertgordon.jpg

             Marshall est le fils de Leonard le renard. Comme Muddy était toujours fourré dans les pattes  de son père, Marshall a fini par bien le connaître. Voilà comment dans le film (et dans le livre de Robert Gordon - Can’t Be Satisfied - The Life and Times of Muddy Waters) il raconte sa première rencontre avec Muddy Waters : « Je jouais dans le jardin et une grosse voiture s’est garée devant la maison. Le type en est descendu. Il portait un costume brillant vert chartreuse. Puis je vis ses chaussures, elles étaient faites en vraie peau de vache, blanche, avec des taches noires et brunes. J’ai levé la tête et j’ai vu son chapeau à larges bords. J’étais trop petit pour savoir ce qu’était un bluesman. Ça aurait pu être un extra-terrestre. Il avança tranquillement, baissa les yeux sur moi et dit : ‘Tu dois être le fils de Chess. Est-ce que ton daddy est là ?’ » 

    z23945marshall.jpg

             Tout petit, Marshall le veinard fut plongé dans le monde du blues et des bluesmen noirs de Chicago. C’est la raison pour laquelle il peut se permettre de dire « Le blues, c’est mon ADN ! », comme il fait devant la caméra de Levin. Dans ce film fascinant, Marshall évoque deux grands albums de Muddy Waters : Electric Mud et Fathers And Sons.

    z23902electric.jpg

             Electric Mud est la seconde façon d’entrer dans l’histoire de Muddy Waters, car c’est un album d’une modernité fascinante et qui date de l’époque où Marshall, devenu adulte, voulut relancer la carrière des vieux bluemen qui étaient en perte de vitesse. En 1968, les temps étaient durs pour les vétérans du blues. Les disques de blues ne se vendaient plus. Le public américain préférait les groupes de la scène psychédélique californienne, comme l’Airplane, les Byrds, le Dead, Country Joe, Janis et toute la bande. Marshall décida de réagir en créant une filiale de Chess Records - Cadet Concept - et en sortant deux albums de blues psychédélique, l’un avec Muddy Waters, et l’autre avec Wolf (mais apparemment, ni l’un ni l’autre n’ont aimé ces disques - Wolf détestait cet album. On lisait, composé en gros caractères sur la pochette : « This is Howlin’ Wolf new album. He doesn’t like it » et quelque part dans une interview, Muddy traite Electric Mud de « dog shit »). Paradoxalement, ces deux albums remirent à l’époque nos vieux pépères dans le circuit. 

    z23902bis.jpg

             Quand on ouvre le gatefold d’Electric Mud, on tombe sur l’une des photos du siècle : Muddy en robe blanche de prêtre, pieds nus dans des sandales en cuir, coiffé d’une extravagante pompadour et tenant une gratte électrique. L’album est à l’avenant, dérangeant, stupéfiant, lourd de conséquences et marqueur de mémoire au fer rouge.

             OK, alors Muddy tapa dans le groove des origines et fit du bourbeux incendiaire. La version de « Let’s Spend The Night Together » qui se trouve là-dessus est une véritable merveille, une sorte de retour à l’envoyeur (les Stones) mais il les passe à la moulinette et sa guitare jute de jus de bout en bout. Le son qui en coule est un son de rêve. « She’s All Right » est un pur jus de blues hendrixien bourbeux en diable et doté d’un bassmatic furibard. C’est l’archétype du blues punk bourbeux à l’affût, le blues bulbax de fait, le blues boulbique à la Taras - Said awite, said awite - Mélasse de rêve, celle qu’on voit couler sur les cuisses du destin, celle qui réchauffe le cœur, celle qui rétablit la suprématie voodoo de la race noire. C’est un alarmisme de fait qui pulse le sang noir des anciens dieux. Muddy plonge l’Afrique dans la friteuse psyché. Imparable et martial. Oh yeahhh ! « I’m A Man » - Everything’s gonna be allright this morning ! - Retour aux sources du Muddy Nil. Voilà le groove le plus épais du monde - I’m a rollin’ stone, I’m a hoochie coochie man - Muddy est le roi des origines. Il est le Mannish Boy de l’éternelle jeunesse du blues des blacks de la bonne bourre. « Herbert Harpers Free Press » est encore plus entreprenant et plus psyché, funkoïde et frappant. Grosse lessive de Chicago Blues à l’ancienne, celle qu’on fait bouillir sur un feu de bois. « Tom Cat » va sur une coloration plus jazz, mais free, joli groove de fin des temps flûté à l’acide et il termine avec « Same Thing » qu’il farcit de grosses guitares dévastatrices. Heavy à souhait, soutenu par des chorus agressifs. Rien de plus coloré que cette énormité cavalante, ce trésor d’ordure liquide, cette avance putréfiée. Muddy chante avec une telle grandeur qu’on se prosterne jusqu’à terre.

    z23903afterrain.jpg

             Un autre album du même acabit suivit de peu : After The Rain. Voilà une nouvelle dose de psyché blues incendiaire. Ouverture de balda avec ce chef-d’œuvre d’heavy blues psychédélique qu’est « I Am The Blues ». Il a le meilleur son de Chicago. Il enchaîne avec un autre heavy blues chanté à la bravado, « Ramblin’ Mind », encore du psyché de haut vol. Son « Rumblin’ And Tumblin’ » bringuebale et il traite « Bottom Of The Sea » à l’admirabilité des choses. On sent le cut qui se déroute, comme livré au hasard. Quelle ivresse ! En B, il traite « Blues And Trouble » au groove décousu. Muddy semble respirer. Le Cadet Concept lui va comme un gant. Le hit du disk pourrait bien être « Screamin’ And Cryin’ » que Muddy avale tout cru. Il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il fait l’ogre.

    z23905hardagain.jpg

             Troisième façon d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters : par Johnny Winter, et donc on saute à la décennie suivante. En 1977, Johnny Winter relança une nouvelle fois la carrière de Muddy avec ce fabuleux album qu’est Hard Again, façon ironique pour Muddy qui est alors un vieux pépère de dire qu’il bande encore. Le premier morceau de l’album est une version ahurissante de « Mannish Boy ». C’est le mélange le plus explosif qui soit : le raw de Muddy et la hargne de Johnny. On entend la clameur du studio, c’est du legendary stuff, yeah ! Woooow ! Il règne dans le studio de Dan Hartmann une grosse ambiance junky-jivy de juke joint d’enfer. Magie pure. Voilà le delta de la folie et les forces invisibles des pierres qui roulent et qui n’amassent pas mousse. Que vienne enfin le règne des albinos et des hoochie coochie men ! Il est important de préciser que Muddy Waters était l’idole d’un Johnny Winter qui, las du rock’n’roll et de ses excès, voulait revenir à ses premières amours, le blues, et Muddy Waters. C’est donc un disque de fan qu’on a dans les pattes, comme l’était d’ailleurs Electric Mud. Petite précision : Johnny n’aimais pas Electric Mud, ni d’ailleurs les frères Chess qu’il accusait de s’être enrichis sur le dos de Muddy et de quelques autres.

             La fête continue sur Hard Again avec « Bus Driver », où James Cotton envoie sa belle purée d’harmo. Derrière, le foutre gicle. Muddy, c’est le sexe pur, l’énergie primitive. Grosse ambiance renversée et gondolée, magnifique non-sens ultime de la bouillie du blues orchestrée par le grand maître albinos de l’univers intermédiaire. « Crosseyed Cat » sera monté sur un riff accrocheur et un drumming solide et bien sec comme Johnny les aime.

    z23906imready.jpg

             Dans la foulée, Johnny produit I’m Ready, toujours sur Blue Sky, le label monté par Steve Paul pour Johnny Winter, Edgar Winter et Rick Derringer. On retrouve la grosse énergie du blues, la belle épaisseur d’équipe. Ils ont là pour abattre de la mesure avec tout le génie bluesique et mathématique des multiples de douze. Pour Johnny et Muddy, c’est du gâteau. Ils jouent les mêmes vieux coucous depuis la nuit des temps, alors pour eux tout va bien.

    z23907kingbee.jpg

             Le troisième album de Muddy produit par Johnny s’appelle King Bee. On y trouve une version bien déterminée du fameux classique de Slim Harpo. Tout est dit. Muddy reste le maître des ruches. Dès qu’il voit une cuisse, il envoie son crawling king snake s’y glisser. « Forever Lonely » est une fabuleuse pièce de heavy blues. Muddy adore tripoter le good ole heavy blues du delta. Ça lui rappelle le jour où il est monté dans le train à Clarksdale pour se rendre à Chicago, là où l’attendait son destin. « Champagne & Reefer » reste dans le style du heavy blues et ressemble à tous les autres heavy blues, c’en est même troublant. Mais ce n’est pas grave. « Well I’ll stay with my reefer, don’t show me no cocaine. » L’autre merveille de ce disque s’appelle « My Eyes Keep Me In Trouble », joliment wintérisée à la guitare. Johnny suit le chant avec de belles variantes décoratives du meilleur effet. On ne trouvera certainement pas ça ailleurs.  

    z23926rollingstone.jpg

             Quatrième façon d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters : par « Rolling Stone » enregistré au studio Chess de Chicago en 1950. Muddy est tout seul avec Big Crawford à la contrebasse - I weeesh I was a catfish - C’est l’invention du mythe. Muddy Waters est le punk originel. Toute l’histoire du rock vient de là en direct. Et pas seulement les Rolling Stones qui sont nés de ce morceau. Tous les groupes de heavy blues anglais viennent de là, tous sans exception. Avec « Rolling Stone », Muddy le punk du delta avait écrit les tables de la loi et montré le chemin à toute une génération de musiciens, qui n’auront de cesse de recréer cette sauvagerie sans JAMAIS y parvenir. Pour chanter comme ça, mon gars, il faut avoir grandi dans le Deep South où ta vie ne valait pas un clou si t’avais la peau noire. T’étais moins que rien, et les patrons blancs te fouettaient au sang pour se divertir. Muddy et Wolf sont les seuls vrais punks de l’histoire du rock. Il faut arrêter de nous bassiner avec cette cloche de Sid Vicious. À cinq ans, Sid Vicious n’était certainement pas dans un champ de coton, de l’aube jusqu’à la tombée de la nuit.

    z23937rollin'.jpg

             En 1950, tout était déjà en place, chez Muddy. Il suffit d’écouter sa version de « Rollin’ And Tumblin’ » enregistrée le même jour que « Rolling Stone ». Avec le renfort de Little Walter, autre personnage mythique, ils tapent un effarant shuffle qui s’appelle « Evans Shuffle ». Big Crawford tient le slap métronomique. Pour l’anecdote, c’est ce rat de Leonard le renard qu’on entend taper sur un tom bass dans « She Moves Me ». Il est souvent à côté, mais Muddy qui a grandi dans une plantation ne dit rien, car Chess, c’est le patron blanc, celui qui donne le « furnish ». T’as besoin de quelque chose, mon gars ? Tiens voilà cinq dollars. Leonard le renard ne faisait pas signer de contrat. La parole suffisait. Ceux qui avaient besoin d’argent allaient lui en demander. Mais ils n’avaient aucune idée du blé que Chess se faisait sur les ventes. Leonard le renard se défendait en disant que les affaires étaient dures et qu’il prenait des risques chaque fois qu’il sortait un nouveau disque : « Je fais de l’argent sur le dos des nègres et je veux le dépenser sur eux. » L’anecdote concernant le lancement de Chucky Chuckah  est édifiante et même dangereuse pour le mythe Chess, car elle fait apparaître une évidence : les frères Chess n’étaient rien de plus que des boutiquiers polonais arrivés en Amérique pour se faire du blé. Chucky Chuckah  doit tout à Muddy, mais certainement pas à Leonard le renard. C’est Muddy qui envoya le jeune Chucky Chuckah chez Chess - Yeah, vas voir Leonard Chess, yeah Chess Records, c’est à l’angle de Cottage et de la 47e rue - Dans son livre, Robert Gordon montre à quel point le pauvre Leonard pouvait être nul : « Le blues était le fonds de commerce de Leonard. Il savait qu’un single de blues allait se vendre à 20 000 ou 50 000 exemplaires, ce qui lui permettait de financer la suite. ‘Fuck the hits !’ avait-il coutume de dire. Mais avec Chuck Berry, ce n’était plus la même histoire ». Chucky Chuckah enregistra chez Chess une première démo d’« Ida Red » qui devint « Maybellene », mais Leonard le renard restait sceptique. Muddy : « Quand je suis arrivé le lendemain matin, Leonard ne comprenait toujours pas l’intérêt d’un morceau comme ‘Maybellene’. Je lui ai dit de sortir ce disque, car il y avait quelque chose de nouveau là-dedans. » Leonard suivit le conseil de Muddy et « Maybellene » s’est vendu à quelques millions d’exemplaires. Leonard le renard était un drôle de coco. Il traitait tout le monde de motherfucker. C’était sa façon de saluer les gens. Chez Chess, ceux qui n’insultaient pas les autres n’étaient pas pris au sérieux. Muddy se sentit tout de suite à l’aise avec ça, car le patron blanc de la plantation où il avait grandi et s’était «épanoui», le colonel Stovall, se comportait de la même manière.

    z23946famillechess.jpg

             Quand Leonard le renard a cassé sa pipe en bois, Muddy a déclaré : « On s’est rencontrés en 46, et on était devenus très proches. Je pense que s’il vivait encore, je lui dirais ce que je vais dire maintenant : il m’a fait et je l’ai fait. Aussi je perds un bon ami. »

             Wolf, Muddy et Willie Dixon mettront des années et des années à récupérer une partie de ce qui leur était dû. Ils durent intenter des procès contre ce qui restait de l’empire Chess pour récupérer leur blé. Tous ces morceaux qui avaient rapporté des millions de dollars étaient signés McKinley Morganfield - nom de Muddy à l’état civil - et c’est Arc, la société d’édition créée par les frères Chess à New York, qui avait empoché la pluie d’or. Ce sont les frères Chess qui sont devenus millionnaires, pas Muddy, ni Willie. L’histoire de Chess est à la fois une histoire mythique et un véritable scandale. Le seul qui soit resté intraitable sur la question des royalties, c’était Willie Dixon, sans doute parce qu’il avait vu la mort de plus près, étant gosse, dans le Deep South. Quand il en a eu marre de se faire plumer, il est allé voir un avocat. Avant lui, jamais un nègre n’aurait osé s’attaquer au patron blanc. Willie Dixon avait beaucoup de courage.

    z23938pleasedontgo.jpg

             En 1951, Muddy préfigurait Jimi Hendrix avec « Still A Fool ». Muddy fut bel et bien l’inventeur du rock à travers le blues, comme le fut Sister Rosetta Tharpe à travers le gospel. Dans ce classique, on sent la vraie niaque des noirs du Sud, et Muddy chante comme un dieu. Il faut aussi écouter la version originale de « Baby Please Don’t Go », enregistrée en 1953 et rendue célèbre par les Them de Van Morrison. C’est l’origine des sources fondamentales - down in New Orleans I love you so - il faut voir Elgin battre le beurre du diable. « Standing Around Crying » est d’une lenteur inexorable. Certainement le blues le plus lent de l’histoire. Little Walter souffle comme un dingue dans son harmo et Otis Spann frappe comme un sourd sur ses touches de clavier. Mais tout cela n’est rien à côté de la version originale de « Mannish Boy ». On est en 1955, Little Walter, Willie Dixon, le guitariste Jimmy Rogers et le batteur Francis Clay accompagnent Muddy. Ils font littéralement sauter la baraque. C’est le pur génie du delta. Pur sexe. Pure arrogance primitive. On entend des hurlements salvateurs - I’m a rolling stone ! - tu parles Mick ! Et ce sont ces cinq petits Anglais qui sont devenus milliardaires à la place de Muddy ! Sur « Trouble No More », Willie dandine son gros cul et slappe comme un démon. Et cette version de « Rock Me » ! La source du heavy rock, le rock me all night long, le vrai truc - Muddy peut baiser toute la nuit. C’est l’époque où Pat Hare joue de la guitare dans le groupe de Muddy, mais on ne l’entend pas. Dommage, car il traîne une réputation de sauvage de disto king. Tav Falco le cite à trois reprises dans son roman sur Memphis. Par contre, on entend Earl Hooker sur quelques morceaux et là on ne rigole plus. Il joue comme un diable sur « You Shook Me » et fait de merveilleuses incursions dans un « You Need Love » joliment nappé d’orgue. Au fil des ans, Muddy change souvent de guitariste. On retrouve à une certaine époque un certain Luther Tucker qui joue les virtuoses effarants avec un jeu pétrifié à la Stan Webb. On se régalera aussi d’une version plus tardive, toujours sur Chess, de « Good Morning Little Schoolgirl », un morceau tellement repris par les groupes anglais qu’on ne pouvait plus le supporter. Un conseil, écoutez la version originale, swinguée et slappée à la bonne franquette par Willie Dixon. Dans la bouche gourmande de Muddy, la little schoolgirl c’est autre chose, car Muddy, ne l’oublions pas, est un chaud lapin, il adore la cuisse de poulette. Même marié avec Geneva avec des gosses à la maison, il a plusieurs fiancées et des gosses avec elles, et sa chance, c’est que Geneva l’accepte. Visiblement, les blacks sont moins cons que les blancs. Eux savaient d’où ils venaient, et être en vie devait déjà leur sembler miraculeux. Ils n’imaginaient même pas qu’ils auraient un jour une vraie maison en pierres, pas en planches, une voiture et un frigidaire. L’extrême pauvreté, ça rend généralement humble. Cette femme noire Geneva a eu l’intelligence de comprendre que son pauvre miraculé de mari avait besoin de fréquenter d’autres femmes et elle a su l’accepter. Muddy emmenait ses fiancées en tournée, mais une fois la tournée terminée, il rentrait toujours à la maison. Geneva connaissait l’existence de tous les enfants que Muddy avait faits à droite et à gauche. Elle fut toujours à la hauteur de la situation, elle recevait royalement les amis de Muddy et chaque fois, elle leur préparait un festin. C’est elle qui est morte la première, atteinte d’un cancer, et c’est l’une des rares fois où on a vu Muddy pleurer.

    z23947house.jpg

             L’histoire de Muddy Waters n’est pas seulement l’histoire d’un père fondateur du blues électrique, c’est aussi et surtout l’histoire d’un être humain hors du commun qui inspirait autour de lui certainement autant de respect qu’en inspirait Babou Gandhi à ses proches, dans son ashram. Muddy avait acheté une grande maison, et il y logeait spontanément tous les gens qu’il pouvait y loger, des rescapés du Deep South comme lui. Parce qu’ils avaient vécu l’enfer dans leur enfance, ces gens étaient d’une générosité qui nous dépasse complètement.

    z23909chessbox1.jpg

             Comme la discrographie de Muddy Waters est aussi impénétrable que la forêt primitive de ses ancêtres, le conseil qu’on pourrait vous donner serait de choper la Chess Box. C’est un bon compromis. Trois disques proposent un choix de morceaux de Muddy par étapes (1947-1953, la plus riche, 1945-1962 et 1963-1972). C’est un très bel objet au format d’un LP, et dedans, on trouve un beau livre avec de grandes photos en noir et blanc du géant Muddy Waters.

    z23910chess2.jpg

             Blues fantôme à la Skip James, « She’s All Right » ne se trouve pas sur ce coffret, dommage, car c’est l’occasion d’entendre le légendaire Elgin à l’œuvre sur ses fûts.

             Cinquième façon d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters : par le livre de Robert Gordon : Can’t Be Satisfied. The Life And Times Of Muddy Waters. Ce Gordon n’a rien à voir avec l’autre Robert Gordon, le chanteur. Par contre, il est aussi l’auteur d’It Came From Memphis qui est LE livre à lire en priorité si on s’intéresse à Sam Phillips et au Memphis sound.

    z23911robertgordon.jpg

             Can’t Be Satisfied grouille d’anecdotes hilarantes, comme le font aussi les bios de Wolf et de Bo Diddley. En voici une : Muddy jouait dans un club de Chicago, au Smitty’s Corner, et des blancs sont entrés dans ce club généralement réservé aux noirs. James Cotton raconte que Muddy était inquiet parce qu’il croyait voir débouler des agents du fisc, alors qu’en réalité, il s’agissait de Paul Butterfield, de Nick Gravenites et d’Elvin Bishop, trois banc-becs pétris d’admiration pour l’immense Muddy Waters.

    z23940esclaves.jpeg

             Robert Gordon donne longuement la parole à Muddy, dans son book, et on se régale de l’entendre, sur des tas de sujets variés, comme par exemple le monde du blues à Chicago. Muddy ne perd jamais de vue ses origines : « Je joue le blues des champs de coton, du maïs et du poisson frit. B.B. et Albert jouent un autre blues, un blues de classe supérieure. » À la fin de sa vie, il rigolait quand les journalistes lui parlaient de son succès : « Je n’ai jamais été une célébrité et j’en serai jamais une. Je ne suis que Muddy Waters de Clarksdale, dans le Mississippi. C’est moi qui allais au bureau de Stovall. » Il avait voyagé à travers le monde et il continuait de s’identifier au bureau de la plantation de Stovall, où on lui donnait un peu d’argent pour le coton qu’il avait ramassé. Il faisait comme son père, sa mère, ses frères, ses sœurs, ses cousins, depuis plusieurs générations. Il cueillait le coton sur la terre d’un autre. Pour rien. Et comme tous les gosses de sa condition, il a commencé tôt. À cinq ans, il apportait de l’eau aux cueilleurs qui en réclamaient. Puis à 8 ans, on lui a donné un sac pour le remplir de coton. Quitter la plantation ? « Les personnes âgées comme ma grand-mère ne croyaient pas qu’on pouvait survivre ailleurs, dans une grande ville. Si vous allez dans une grande ville, vous allez mourir de faim. Mais on mourait déjà de faim à la plantation. »

    z23941sonhouse.jpg

             Comme la plupart des gosses des plantations, Muddy est imprégné de blues. « Tous les gosses fabriquaient leurs guitares. J’avais fait la mienne avec une boîte et un bout de bois pour le manche. Je ne pouvais pas faire grand-chose avec, mais c’est comme ça qu’on apprend. » Muddy vénérait Charlie Patton, Robert Johnson et surtout Son House qui frappait comme un dingue sur sa guitare en acier et qui avait une présence extraordinaire. Muddy avait 14 ans quand il vit Son House pour la première fois. Le premier guitariste que Muddy vit jouer sur un ampli, ce fut Robert Lockwood. Il faut savoir que Lockwood avait appris à jouer avec Robert Johnson en 1927.

    z23942johnson.jpg

             Muddy décide de prendre son destin en main. Il a de la famille à Chicago, il a déjà fait un disque avec Lomax pour la bibliothèque du Congrès et il ne veut plus passer son temps à travailler dans les champs pour le compte d’un patron blanc. Il prend le train à Clarskdale. C’est un voyage de 16 heures, avec une étape à Memphis, jusqu’à Chicago. Il se fait héberger, et trouve immédiatement du travail, dans une usine de papeterie. Il n’en revenait pas de gagner autant d’argent : « Dieu tout puissant, tout cet argent ! J’ai cueilli le coton pendant toutes une année et j’ai gagné moins de cent dollars ! »

    z23949muddy.jpg

    ( Muddy Waters à Chicago : portrait tableau de Miki  de Goodaboom)

             Puis il entame sa carrière de bluesman et enregistre des disques dans le studio de Leonard le renard. Il se produit dans les clubs de blues de Chicago et devient vite une grosse vedette locale. Il faut savoir que dans les années 50 et 60, les groupes de blues comme celui de Muddy Waters jouaient toute la nuit dans les clubs. Ils faisaient plusieurs sets (comme Vigon au Méridien qui enchaîne trois sets d’une heure) et donc ils buvaient comme des trous, pour pouvoir tenir le coup. Muddy commença à pisser le sang par le nez, il avait trop de tension et le médecin le mit en garde : soit il arrêtait l’alcool, soit il cassait sa pipe en bois. Muddy passa naturellement au champagne : « Champagne au petit déjeuner, au repas de midi, au repas de soir et champagne avant d’aller au lit. » Muddy s’amusait comme un gosse dans le monde pourri des blancs.

    z23943dixon.jpg

             Robert Gordon nous relate dans le détail le fameux épisode qui se déroule dans les toilettes exiguës du Zanzibar : l’énorme Willie Dixon remplit tout l’espace. Il présente l’« Hoochie Coochie Man » qu’il vient de composer à Muddy qui est coincé entre l’évier et le porte-serviette. Encore plus drôle, on  assiste plusieurs fois à des parties de bras de fer en Muddy et Wolf, les deux héros légendaires de Chicago. Quand il débarque à Chicago en 1954, Wolf vient habiter chez Muddy. Wolf avait fait tout le trajet depuis le Sud au volant de son pick-up, fier comme Artaban. Mais Wolf était aussi un type terriblement jaloux. Muddy : « Je sais que les gens croyaient qu’on se détestait. Mais ce n’était pas vrai. Wolf voulait être le meilleur mais je n’avais pas du tout l’intention de le laisser devenir le meilleur. » D’où une petite rivalité. Même si Muddy savait qu’il ne faisait pas le poids face à Wolf. Il repompait les trucs de Wolf, comme par exemple la cannette de coca dans la braguette. Le coup le plus dur qu’il réussit à porter à Wolf fut de soudoyer Hubert Sumlin, le guitariste de Wolf. Il lui envoya un émissaire chargé de lui proposer de tripler son salaire s’il venait jouer dans son orchestre. Hubert accepta et vint jouer chez Muddy mais ça ne se passa pas très bien. Il y eut une bagarre avec Muddy et Otis Spann tenta de le frapper à coups de chaîne. Hubert passa un coup de fil à Wolf qui accepta son retour. Puis Wolf alla trouver Muddy chez lui pour lui dire dans le blanc des yeux : « La prochaine fois que tu me fais ce coup, mec, je vous tue tous les deux. » Qu’on se rassure, Hubert et Muddy sont redevenus amis un an plus tard. Ça faisait partie du petit jeu entre Wolf et Muddy.

             C’est Chris Barber qui fera venir Muddy en Europe et qui le rendra légendaire en Angleterre. Mais Muddy jouait beaucoup trop fort sur scène et le gens étaient choqués. Ils croyaient entendre du blues et Muddy mettait son ampli à fond. Les « funny » people d’Angleterre l’amusaient beaucoup, mais pour la tournée suivante, il tint compte des remarques et gratta des coups d’acou.

             On trouve mille autres détails passionnants dans ce livre. C’est une lecture vivement conseillée, très revigorante, dès lors qu’on s’intéresse au real deal. Petite cerise sur la gâtö : Robert Gordon met en avant cette épaisseur humaine qui fait hélas cruellement défaut aux pitres qui ornent les couvertures de certains magazines de rock.

    z23944fathers.jpg

             Et puis il faut écouter Fathers And Sons. Muddy s’entoure d’une belle équipe de vétérans de toutes les guerres : Mike Bloomfield, Paul Butterfield, Duck Dunn, et puis Sam Lay au beurre. Ce double album flirte parfois avec l’ennui, car on y retrouve tout ce qui un temps rendait le blues si prévisible, qu’il soit embarqué au rythme du boogie ou joué dans les règles du déchirement. « Mean Disposition » est l’archétype du blues bloomydifié. Mike le soigne aux petits oignons. Pas de surprise. On retrouve cette emphase démonstrative qui fit tellement de mal au blues dans les années soixante-dix. On reste en territoire connu et ça rassure. Muddy fait autorité. Sur « Blow Wild Blow », Bloomy va chercher des notes grasses, comme d’autres fouillent la terre du groin à la recherche des truffes. Dans « Forty Days & Forty Night », Butter donne des coups d’harp de possédé. Mais on reste dans l’heavy blues classique et sans surprise. On notera l’extraordinaire prestation de Buddy Miles dans « I Got My Mojo Working Pt 2 ».

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Il ne te reste plus qu’à choisir l’une des cinq façons d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters. Cet homme fait partie des grands héros du XXe siècle, au même titre que Nelson Mandela, Captain Beefheart, Sam Phillips, Joe Meek, Totor, Francis Picabia et Marcel Duchamp, et il vaut toujours mieux aller se réchauffer dans le giron d’un génie plutôt que de rester planté là à attendre Godot.

    Signé : Cazengler, pouet-pouet muddy

    Muddy Waters. Electric Mud. Cadet Concept Records 1968

    Muddy Waters. After The Rain. Cadet Concept Records 1969

    Muddy Waters. Father And Sons. Chess 1969

    Muddy Waters. Hard Again. Blue Sky 1977

    Muddy Waters. I’m Ready. Blue Sky 1978

    Muddy Waters. King Bee. Blue Sky 1981

    Muddy Waters. Unrealeased In The West. Moon Records 1989

    Muddy Waters. The Chess Box. MCA Records 1989

    Muddy Waters. On Chess Vol. 2 - 1951-1959. Vogue 1984

    Robert Gordon. Can’t Be Satisfied. The Life And Times Of Muddy Waters. Back Bay Books 2002

    Marc Levin. Godfathers And Sons. A Musical Journey Vol 6. DVD 2004

     

     

    Quels sont ces serpents qui Slift sur nos têtes

     - Part Two

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Slift ? C’est simple. Il s’agit tout simplement de l’automatisme psychique de la purée en dehors de toute chorale concrète ou élastique. Slift ? C’est le va-t-en-guerre des boutons de la fleur au nombril. Slift ? C’est Moloch sous LSD, Saturne en 3D panoramique, Hadès télescopé par des stroboscopes.

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

    Slift ? C’est une marmite géante de cassoulet intrinsèque en ébullition. Slift, ça t’emmène et ça oublie de te ramener. Slift c’est un aller simple pour où tu veux, tu peux même choisir ta destination, droit dans un platane ou quelque part dans l’enfer de ta cosmogénie. Slift, ça va vite, t’as à peine le temps de réfléchir, alors réfléchis pas, ça ne sert à rien. Slift, tu perds tes marques et c’est tant mieux, les marques, c’est comme la réflexion, ça ne sert à rien. Slift te lave de tous tes péchés, Slift te redore le plastron, Slift t’exclut des partis, Slift recommande ton âme à Dieu, Slift t’erre dans le désert, Slift te déterre de ta tombe, Slift t’enterre dans tes tares, Slift met un terme à ton bail, Slift t’atterre sur la lune, Slift t’attire dans son thème, Slift t’applique son tarif, après tu peux t’amuser à cataloguer, vazy, psychout so far out du mois d’août, heavy psych qui fait pschittt, drôle de drone ou downhome doom de der, comme la der des der, vazy, catalogue, mais tu vois bien que ça ne sert à rien,

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

     Slift échappe à tous les bocaux, Slift glisse entre les doigts des étiqueteurs, Slift file comme une anguille grasse vers le soleil d’un ovaire psychédélique, Slift enfante des cuts en forme de solaces irrémédiables, Slift réinvente le paganisme salvateur des temps modernes, tu ne verras pas de groupe plus faramineux sur scène cette année, pas de groupe plus psychotropiquement libre, pas de groupe plus étalon-sauvage, pas de groupe plus écumant, pas de groupe plus tchernobilien.

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

    Pas de superstar plus christique que Jean Fossat, dont la carcasse déjetée traverse l’espace et les siècles du set, arraché et recloué sur sa croix en permanence, Fossat est ivre de liberté et de grandeur, il abandonne son corps et s’y rejette, s’extrait et se projette, l’élance et s’abat, il étreint sa SG blanche comme une sainte relique, il est là et soudain, il n’est plus là, comme d’ailleurs sa musique, elle part, revient et repart, et en chemin, le psychout so far out de Slift croise Jean Fossart éperdu de sainte barbarie, trempé d’anarchie, tendu à se rompre et fouetté par des bourrasques de bassmatic et de beurre, oui, car tout est définitivement torrentiel sur cette scène, tout est joué à

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

    l’outrance de la protubérance, sans le moindre respect des mesures ou des lois physiques. Slift t’offre un spectacle hors de temps et hors du rock, comme l’aurait sans doute fait un groupe de rock dans l’antiquité, pour peu qu’il en eût existé, mais ça, on ne se le saura jamais, par contre, on peut l’imaginer, et l’idée que Slift eût pu jouer dans une vie antérieure à la cour du roi Nabuchodonosor, au beau milieu d’une orgie de sexe et de sacrifices rituels, oui, ça tomberait presque sous le sens. Une façon de dire que Slift est trop énorme pour une époque comme la nôtre, une époque qu’il est impossible de prendre au sérieux. Alors on situe Slift dans un contexte plus adapté. Druillet aurait pu dessiner une pochette pour Slift et Flaubert n’aurait pas hésité un seul instant à chanter les louanges de Slift dans Salammbô. Avec des racines qui semblent plonger dans l’imaginaire de l’antiquité et un univers lyrique gorgé de sci-fi spatio-temporelle, Slift campe une fabuleuse incarnation de l’avenir du rock. L’occasion est trop belle de saluer Gildas qui d’une certaine façon fit leur découverte sur la petite scène du Ravelin, à Toulouse. Il ne se fourrait pas le doigt dans l’œil lorsqu’il en disait le plus grand bien dans son mighty Dig It! Radio Show. Et dans son livre, Confessions Of A Garage Cat, il déclare : «Ils sont à fond. Ils vont vraiment devenir énormes. Leur dernier album est un double, avec des morceaux très longs. Ils sont capables d’avoir 40 dates à la suite sans un day off.»

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Après, tu as les disks. On a épluché Ummon dans un Part One quelque part en 2021. Il existe d’autres belles galettes de blé noir, à commencer par La Planète Inexplorée, découverte en 2018. L’album est reparu sous forme de double album avec l’EP Space Is The Key. Heavy dès «Dominator» et départ en vrille de prog, oh-oooh, c’est du pur jus de Swampland, de l’épique épique et colégram bardé d’écho et d’évasions excuriatrices. Ça pulse à Tooloose ! Et le festin de son continue avec un «Sword» bien secoué du bananier. Tout l’immeuble de Swampland résonne de beat fondamental. Nouvelle surprise avec ce «Sound In My Head» quasi-hendrixien, bien posé sur son assise. Il y va le Fossat, il hendrixifie la ville rose. Nos trois larrons enfilent les auréoles et claquent un boléro boréal. Et puis voilà le hit interplanétaire en B, «The Sleeve», avec des développements spectaculaires lancés au wooouhhhhh de rodéo, et ça se déclenche à la moindre étincelle. C’est pulsé par la loco du beurre. Sur sa SG virginale, Jean Fossat passe par tous les stades de la Méricourt sonique, comme le montre le morceau titre. Il rase motte et il outer space dans les étoiles, wahte dans les platanes et vrille sa trame d’émulsion purpurine. Il va dans tous les coins du drone, il est ric et rock, il sature ses saturnales et repart en diligence au fouette cocher dans la sierra. Ce spectaculaire rocker est un fier voyageur, il annonce l’apocalypse d’un coup de verset, revient dire la bonne aventure et repart dans une direction absurdement opposée, et derrière lui bat le cœur du cassoulet intrinsèque en ébullition. Alors, sa belle voix de Christ efflanqué s’accroche à la voûte de la cathédrale comme une chauve-souris repue de sang virginal.

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             «Heavy Load» lance le carnage de La Planète Inexplorée. Ça part en trombe de tagada proggy, c’est même du proggo-punk, avec le Fossat qui hurle dans le fond du minuscule local de Swampland ! Pure giclée d’heavy psych-out, avec une belle tension hypno à la Can et du revienzy de bassmatic. Tout est gorgé d’énergie barbare sur cet album, il faut les voir reprendre au vol leur «Doppler Ganger» avec des volées de bois vert et de fuzz toulousaine. Pour boucler cet effarant balda, ils filent ventre à terre avec «Ant Skull». Le «Frearless Eye» qui ouvre le bal de la B est plus pop, mais visité par la grâce. Il règne en permanence dans cet album un fort parfum de modernité. Les dynamiques de «Trapezohedron» sont encore une fois imparables, portées par le fantastique shuffle de beurre et tu vois ce bassmatic affamé qui maraude dans le lagon.    

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Sur ce fabuleux double album que sont les Levitation Sessions, on recroise tous les hits qui font la légende de Slift, à commencer par la wild ride d’«Heavy Load». Jean Fossat va hurler ça au sommet du lard fumant, ils développent exactement la même énergie que Can, avec la hurlette en prime. On recroise aussi la plupart des cuts d’Ummon, dont le morceau titre - là ils mettent le paquet sur le blow - et «It’s Coming», qui sonne comme du pur Can. On croit entendre Damo et Jaki. L’«Hyperion» qui ouvre le bal de la C sort aussi d’Ummon. Quelle niaque ! En matière d’heavy psych so far-out, on ne peut guère faire mieux. Ils développent un power simple, mais considérable. L’«Altitude Lake» sort aussi d’Ummon. On y entend les power chords de la fin du monde. La B sort aussi tout droit de la pétaudière d’Ummon, avec «Thousand Helmets Of Gold» cavalé ventre à terre, fabuleux psyché psycho de basse fosse, et «Citadel On A Satellite». Ah ils sont bien barrés dans leur monde. Ils voyagent énormément. Les cuts sont longs, ça favorise les explorations. En D, on retrouve l’excellent «Lions Tigers & Bears» qui fait encore la joie d’Ummon. C’est vite embarqué en enfer. Jean Fossat et ses collègues ne traînent pas en chemin. Ça pulse dans les artères, avec un bassmatic brouteur de motte. Quelle allure ! Ah il faut voir ça ! Le thème musical sonne comme un hit pop. Ils jouent en trombe,  avec un bassmatic qui amène un second souffle. Ils arrivent au-dessus de Babaluma, qui est un peu leur cœur de métier. Ils tiennent bien la pression dans la durée et puis ça bascule inévitablement dans l’apocalypse. Les trois Toulousains sont les rois de l’attaque viscérale. 

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Leur dernier album s’appelle Ilion. Encore un double album. C’est Ilion qu’ils jouaient sur scène, l’autre soir. Proggy as hell, mais moins de son qu’à Swampland. Plus lisse, plus monacal. Chanté dans la crypte. Jean Fossat chante comme un apostat pestiféré emmuré dans une crypte. On perd les dynamiques magiques du premier album. On perd «The Sleeve». Quand on entre en B dans «The Words Have Never Been Heard», on comprend que sans le support visuel de la scène, ça ne marche pas. On perd tout le raw de Swampland qui faisait leur force. Et ça continue de tartiner avec «Confluence». Appelle ça l’Ilion et l’Odyssée et tu ne seras pas loin du compte. Ils continuent d’explorer des zones inexplorées, avec l’énergie et le courage qu’il faut aux découvreurs pour accomplir ce genre de mission, que ce soit sur terre, dans l’espace ou dans l’imaginaire. Avec leur «Confluence», ils nous replongent dans les errances de Yes et c’est pas terrible, mais Jean Fossat se fend en bout de B d’un solo apocalyptique qui le lave de tout péché. En C, il s’enfoncent encore  plus loin dans le cérémonial liturgique. Pour entrer là-dedans, il faut se retrousser les manches. On sort définitivement de Swampland et on se dirige tout droit sur Telerama. Et encore, on se demande ce que les Telerameurs vont pouvoir piger à ça. Hey Slift, you’ve lost that lovin’ feelin’. Avec «Uruk», il ne se passe rien de plus que ce que tu sais déjà. C’est un brin mélodie en sous-sol avec un final explosif. La D continue de s’enfoncer dans le cérémonial liturgique. Décidément, c’est une manie. Si on est encore là, c’est uniquement par curiosité. Ils sont entrés dans l’église psychédélique et c’est très bien. Au moins, ils iront au paradis. Les trames interminables qu’ils tissent défilent comme une bande passante, ça joue pour jouer, ils n’ont pas d’autre raison d’être que de jouer et de dérouler sans fin. Tu es content d’être resté jusqu’au bout, car tu assistes éberlué à un final hallucinant en forme de cascade de lumière.

             Tout ceci est bien sûr dédié à Gildas, et à un autre grand laudateur de Slift, my friend Pat Caramba.

    Signé : Cazengler, Shit

    Slift. Le 106. Rouen (76). 16 mars 2024

    Slift. La Planète Inexplorée. Howlin’ Bananas Records 2018

    Slift. Levitation Sessions. The Reverberation Appreciation Society 2022

    Slift. Ilion. Sub Pop 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Hé dis, Eddie, Ernie nie ?

             Rien qu’à le voir, tu lui aurais donné le bon Dieu sans confession. Devenu adulte, Japee conservait dans le regard toute la candeur de son enfance. La qualité du regard est un signe qui ne trompe pas. Et plus tu apprends à le connaître, plus tu t’émerveilles. Le moindre de ses actes, la moindre de ses paroles, le moindre de ses avis entre en cohérence avec l’idée que tu fais de lui. Il fait partie de ces êtres qui avancent dans la vie comme des funambules au-dessus du vide et qui ont la grâce de ne commettre aucun faux pas. Le savoir-vivre naturel peut fasciner. On l’observe souvent dans les romans, notamment chez Proust ou encore chez Drieu, mais assez rarement dans la vie. Si l’occasion se présente, la première chose qu’on fait est de guetter le faux pas, le mot de travers, car on se dit au fond de soi que la perfection n’est pas de ce monde, il va forcément commettre une petite erreur, ce serait même rassurant. Eh bien non. Japee a décidé de ne pas faillir. Il donne à réfléchir. On pourrait presque le jalouser, mais on se connaît trop bien, et de toute façon, les questions de moralité ne sont plus à l’ordre du jour. Il faut donc se résoudre à observer et guetter le faux pas qui ne viendra sans doute jamais. Pour ne pas compliquer les choses, on espace les rencontres. Ce serait tout de même embêtant de voir la perfection se banaliser. Et si tout cela n’était qu’une vue de l’esprit, une fabrication de l’imaginaire ? Ne fabrique-t-on pas inopinément des modèles ? Ne transfère-t-on pas chez d’autres les traits de caractère qui nous font si cruellement défaut ? Et si Japee n’était au fond qu’un imposteur ? Et s’il n’était qu’un personnage de sa composition, un habile manipulateur ? L’idée s’évanouit aussitôt qu’il apparaît en chair et en os. Il est d’un naturel désarmant. Aucune rouerie n’est possible dans ce visage mis à nu, il parle en riant et tout redevient clair comme de l’eau de roche. Alors il ne reste plus qu’à savourer ces moments de félicité. Comme c’est agaçant d’avoir à penser qu’en cet instant la vie reprend son sens. 

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Japee, Eddie, Ernie ? C’est du pareil au même. Japee ne chante pas, c’est la seule différence avec Eddie & Ernie. Oh et puis la couleur de peau. Japee est un petit cul blanc, mais ça n’enlève rien à ses qualités, oh la la, pas du tout.

             Personne ne peut résister à la photo d’Eddie & Ernie qui orne la devanture de cette fabuleuse compile Kent parue en 2002, Lost Friends. Personne ! Ils sont plus beaux que Little Richard, plus anguleux qu’Ike Turner, plus pompadourés qu’Esquerita, on sent un mélange de grâce et d’animalité qui bat tous les records. En plus ils chantent bien. C’est à David Godin que revient l’honneur de signer les liners. Même s’ils sont composés dans un corps 4 ou 5 qui t’explose les yeux, tu es content de pouvoir lire son baratin.

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Ils s’appellent Edgar (Eddie) Campbell et Ernest (Ernie) Johnson. Godin les situe à Lubbock, Texas (Ernie) et Phoenix, Arizona (Eddie). Eddie rencontre Ernie à Phoenix et ils se mettent à duetter ensemble. Hadley Murrell prend le duo en charge et le booke à l’Apollo. En 1966, ils entrent en studio avec Richard Gottehrer pour enregistrer 4 titres. Voilà en gros ce que nous raconte Godin. En fait, il n’a pas grand-chose à nous raconter. Puis Eddie & Ernie finissent par se décourager, alors ils quittent New York pour rentrer à Phoenix, où ils sont tous les deux installés. Eddie est un romantique, sa femme lui manque terriblement. Ernie est un alcoolique qui va se choper une petite cirrhose.

             Premier coup de semonce avec «You Make My Life A Sunny Day», cette fantastique décharge d’heavy Soul, tu as là le big heavy Soul System, c’est à cet endroit précis que l’heavy Soul prend le pas sur le genius. Eddie & Ernie allument au sommet du lard, c’est à la fois puissant et irréversible, ils s’écroulent tous les deux dans des gerbes. Pire encore : «Doggone». Godin est lui aussi sidéré par le power d’Eddie & Ernie : «This is Eddie & Ernie at the very height of their powers and on top of the world. It can make you feel that way too. A true ‘Golden Era’ treasure.» Ils tapent en effet dans l’hot as hell du r’n’b, il n’existe rien de plus puissant, à part Wilson Pickett. S’ensuit l’«Outcast» repris par les Animals sur Animalism - Hey hey hey I’m just an outcast, ces deux blackos te foutent le feu à la compile, il tapent l’heavy popotin du diable, et c’est orchestré à outrance. Rien qu’avec ces trois hits fondamentaux («You Make My Life A Sunny Day», «Doggone» et «Outcast»), t’es repu, et en plus, t’es au paradis. Oh tu peux ajouter «We Try Harder». On se croirait chez Stax, tellement ça percute dans le haut de l’occiput. Ces deux diables chantent ensemble, comme Sam & Dave, et t’explosent tout. Et ce n’est pas fini. On pourrait même dire que ça ne fait que commencer ! Tu tombes plus loin sur la fabuleuse clameur de «Standing At The Crossroads», ils déboulent avec cette énormité digne de Mad Dogs & Englishmen, et c’est divinement explosé aux chœurs de génie. Godin : «A track that is so good it’s breathtaking, and it is worth many times the cost of this whole CD. So there!». Le poêle Godin est encore plus barré que nous. Il est incapable de retenir son enthousiasme. Ils font un duo d’enfer avec «Woman What Do You Do Wrong», ils sont encore plus raw que Sam & Dave, comme si c’était possible ! Et c’est arrosé de sax prévalent, tout éclate au Sénégal, ici, le r’n’b, les grattes, les nappes de cuivres, so baby I’m gonna ask one more time ! Ils enchaînent cette merveille avec une cover de «Lay Lady Lay». Joli clin d’œil à Dylan, ils t’embarquent ça vite fait à l’aw yeah. Ils te tartinent ça en mode fast r’n’b. Quelle rigolade ! - Stay lady stay/ Stay with your man for a while - Ils te bouffent Dylan tout cru ! C’est encore une fois explosif. Ils transforment ce hit en shoot de hard r’n’b. Le poêle Godin raconte qu’il est à l’origine de l’idée de cette cover. Il était alors en contact avec le manager d’Eddie & Ernie, car il sortait des singles sur son label Right On!. Eddie & Ernie étaient en panne de chansons, et comme Godin avait flashé sur l’hommage qu’avait rendu Esther Phillips à Dylan avec «Tonight I’ll Be Staying Here With You», il leur proposa de taper «Lady Lady Lay». Et ça repart de plus belle avec «The Groove She Put Me In», puis «You Turn Me On». Avec Eddie & Ernie, c’est l’enfer sur la terre ! Ils tapent à la suite l’immémorial hit d’Aaron, «Tell It Like It Is», ils travaillent cette merveille à deux voix, ils la biseautent, c’est façonné à l’angle des cuivres, avec tout le balancement dont sont capables ces deux prodigieux requins en sequins, il faut les voir fondre leur Tell Me dans les nappes de cuivres. Et puis tu les vois se diriger vers la sortie avec «It’s A Weak Man That Cries», un heavy groove de fabuleuse occurrence, ils groovent dans l’air de leur temps, à l’unisson de leur saucisson, avec un guitar slinger en embuscade derrière les lignes ennemies, mais le poêle Godin ne nous dit pas qui c’est. Petit cachotier !

    Signé : Cazengler, Ernie discale

    Eddie & Ernie. Lost Friends. Kent Soul 2002

     

     

    L’avenir du rock

     - Rich comme Crésus

     (Part One)

             Contrairement à ce qu’on croit, l’avenir du rock ne roule par sur l’or. Il est même aux abois, c’est-à-dire aux portes de la précarité. Bon, il n’en arrive pas encore au stade où on reprise ses chaussettes, mais il fait gaffe aux dépenses. Il appelle ça des coups de freins. Coup de frein sur la bouffe, coup de frein sur les fringues, et surtout coup de frein sur les vacances. Mais pas de coups de freins sur les lignes budgétaires prioritaires, c’est-à-dire les disques et les concerts. Bon et puis il y a le sac de sport, c’est-à-dire la caisse noire, qui finance les putes et les produits. Il faut bien maintenir un minimum d’équilibre, surtout quand on est un concept aussi à cheval sur l’étiquette. Et finalement tout se passe bien. L’avenir du rock s’est comme qui dirait désurbanisé, plus besoin d’aller foutre les pieds dans ces boutiques de m’as-tu-vus et de claquer des fortunes dans le paraître. Plus besoin d’aller faire le coq dans la basse-cour. De lointains souvenirs de vacances lui restent coincés en travers de la gorge. Quel ennui ! S’allonger sur une plage et y rester des heures illustre parfaitement à ses yeux le comble de l’ennui le plus mortel. L’avenir du rock se demande encore à quoi sert de se faire bronzer. Il préfère le soleil du Brill et les horizons des Byrds, ceux qui nourrissent ton imagination, alors que de voir des grosses rombières réactionnaires déambuler en maillot de bain, ça te la tue, l’imagination. L’avenir du rock conserve encore assez de lucidité pour se savoir coincé dans les rigueurs de son concept, mais il préfère ça mille fois à la brutalité et à la laideur atroce de la réalité du monde extérieur. Depuis des siècles, les artistes font de l’art pour lutter contre cette réalité, mais elle gagne sans cesse du terrain, on assiste même à l’accélération d’une dégradation générale depuis l’avènement du numérique. Alors l’avenir du rock rentre dans son cocon conceptuel, et quand on lui demande si ça va, il répond, bien sûr, puisqu’il est Rich comme Crésus.

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Le Rich que cite l’avenir du rock ne s’appelle pas Crésus, mais Jones. Rich Jones, ce qui revient au même. Rich est riche d’une brillante carrière de guitar slinger.

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Dans Vive Le Rock, Phil Singleton lui rend enfin hommage. Le Canadien Rich Jones est l’homme à tout faire du grittiest punk/glam rock. Depuis vingt ans, il écume les planches en compagnie d’une kyrielle d’«icons of the genre» : Michael Monroe, Ginger Wildheart, Tom Spencer (Loyalties & Yo-Yo’s) et bien sûr les Black Halos dont le nouvel album vient de paraître : How The Darkness Doubled.

             Né à Coventry, Rich a grandi à Toronto. Ado, il s’intéresse au metal puis bascule dans les Dolls, les Dead Boys, les Ramones et les Heartbreakers. Le punk new-yorkais va devenir son cœur de métier.  Au début des années 90, il s’installe à Vancouver et démarre les Black Halos. Au même moment, juste de l’autre côté de la frontière, about two hours away, le grunge explose à Seattle. Les Black Halos vont tenir la route jusqu’au début des années 2000. Ils tournent sans arrêt, mais n’ont pas de blé - it was $5 a day - Rich n’est pas riche, alors il quitte les Black Halos et part jouer avec Amen à Los Angeles. Et puis en 2016, un tourneur espagnol propose un gros billet aux Black Halos pour se reformer et venir jouer en Espagne. Ils sont tellement contents de rejouer ensemble qu’ils décident ensuite d’enregistrer un nouvel album, How The Darkness Doubled, dont le titre est tiré d’un cut de Marquee Moon

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Pourquoi écoute-t-on How The Darkness Doubled en 2022 ? Parce que d’une certaine façon, Rich et ses Halos alimentent la chaudière. Avec cet album, on n’apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà, mais il est difficile de résister au souffle d’une cut comme «Tenement Kids». Billy Hopeless chante comme s’il dégueulait. C’est le même beeeerrrk. Les solos sont beaux, ce sont de vraies gerbes. Les Black Halos restent violemment en place, il remontent sur leur merry-go-round d’antan, même son, même esprit, même niaque tight. On observe même une tentative de mélodie, et globalement, ça reste assez conquérant. Ils pompent goulûment le «Teenage Kicks» des Undertones pour couler le bronze de «Forget Me Not», c’est exactement le même swagger au couplet chant, mais qui va aller le leur reprocher ? Ils sont très en forme, pour des vieux gaga-punksters. En B, ils se moquent de leurs copains avec «All Of My friends Are Like Drugs», et ils se transforment en énorme machine de guerre moyenâgeuse pour «Frankie Came Home». Ils restent bien dans la ligne du parti, avec des chœurs de lads. Le bassmatic de John Kerns dévore tout. Ils bouclent cet album héroïquement classique avec «A Positive Note», belle explosion gaga-punk, extrêmement mélodique, soutenue aux chœurs et battue à la diable.

             Phil Singleton a lui aussi remarqué que Rich comme Crésus avait assidûment fréquenté Tom Spencer, qui, après avoir fait des étincelles avec les Yo-Yo’s puis les Loyalties, en fait maintenant avec la reformation des Professionals. Tom demande à Rich comme Crésus de rejoindre la tournée des Professionals en 2021. Rich dit à Phil qu’il est fier d’avoir pu jouer avec Cookie. Rich précise ensuite que Tom et lui sont potes depuis les années 90, époque où les Black Halos ont joué en même temps que les Yo-Yo’s aux Kerrang! Awards à Londres. Quand Rich est venu s’installer à Londres, Tom lui a demandé de rejoindre les Yo-Yo’s. On l’entend donc sur le deuxième album des Yo-Yo’s dont on va s’occuper dans un Part Two. Rich ajoute que Tom et lui jouent ensemble depuis vingt ans. Pour l’anecdote, Rich raconte qu’ils ont monté ensemble les Loyalties pour aller faire un concert à Venise, sur un bateau.

             En 2012, Rich rejoint Sorry & The Sinatras. Il s’entend bien avec Scott Sorry, ils étaient ensemble dans Amen, we were looking for trouble. Puis l’expérience s’est arrêtée brutalement : «We did some stuff with the Sinatras but unfortunately his personal life stopped him from doing music for a long time.» Il est extrêmement pudique sur cette histoire. Et puis tout un tas d’autres projets, Rich grouille de projets. Il accompagne aussi Ginger sur l’Albion album, juste avant de rejoindre Michael Monroe en 2013. C’est Ginger en quittant le groupe de Michael Monroe qui recommande Rich. Il enregistre Horns & Halos avec Michael Monroe, mais il ne part pas en tournée avec eux car il a trop de casseroles sur le feu. On le retrouve ensuite sur les albums suivants. Rich ajoute qu’il a co-écrit les cuts de l’album solo de Sami Yaffa, The Innermost Journey To Your Outermost Mind. Tu trouveras tous les détails dans un Part Two. 

    Signé : Cazengler, ric et rac  

    Black Halos. How The Darkness Doubled. Stomp Records 2022

    Phil Singleton : Strike it Rich. Vive Le Rock # 92 - 2022

     

     

    Smog on the water

     - Part Three

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             En 2007, Smog devient Bill Callahan avec Woke On A Whaleheart. Au fil des albums, on aura l’impression constante de voir son énorme talent éclore.

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

    Il attaque «From The River To The Ocean» à l’accent tranchant barytoné. C’est du pur Bill et il sait en jouer. Il a une voix et des ouvertures, alors c’est facile d’aller enregistrer des albums d’indie rock troublant. Il enchaîne avec «Footprints», un joli shoot de good time Callahan. Il a des chœurs de filles derrière lui, c’est vraiment plein d’esprit. Plus loin, il sature son «Sycamore» pour en faire une sorte de musicologie tourbillonnaire d’une extrême pugnacité. Bill est l’un des très grands artistes de notre époque. Il allie la pression extraordinaire des arpèges et une voix radieuse. Comme s’il envoyait des giclées de lumière dans le ciel. Fabuleuse présence encore avec «The Wheel». Il fait son La Fontaine dans «Day», disant qu’il faut écouter les animaux et les légumes. C’est aussi du Dylan à l’envers : il donne une leçon de choses. Mais il ne sera jamais Bob Dylan. Il arrive trop tard. Le temps des cerises est passé. Bill bourre sa dinde. C’est de bonne guerre. On l’aime bien, alors on le suit. 

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Pour ses pochettes, il choisit désormais de belles toiles bucoliques, comme s’il recherchait la paix intérieure. La pochette de Sometimes I Wish We Were An Eagle nous montre des chevaux dans un pré. C’est bien de l’avoir au format vinyle, car on peut l’accrocher au mur pour décorer la pièce. On trouve trois pures merveilles sur l’album, à commencer par le «Jim Cain» d’ouverture de balda - Remember the good things - «The Wind & The Dove» vaut aussi le détour, c’est chanté au grain coloré de Callahan, et vertigineux de descentes de Dove. Il termine l’A avec l’excellent «Too Many Birds» - Too many birds in the tree - assez nonchalant, suivi au violon - If you could/ only/ stop/ your/ heart/ beat/ for/ one/ heartbeat - L’album est visité par la grâce. Il s’achève avec un «Faith/Void» monté sur les accords de «Walk On The Wide Side» - It’s time/ To put gun away - Il groove son time au ah ah de time, il a une façon de monter son couplet en neige qui est une pure merveille, il le fait déboucher sur un paysage orchestral de rêve, pas loin de ce que fait Lou Reed avec le tilili tiptilili, and the colored girls go, Bill le fait avec deux fois rien, avec seulement it’s time/ To put gun away, et il monte encore une quatrième fois, alors quel coup de génie ! 

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Pour Apocalypse, il choisit une montagne. Il vise la pacification bucolique, comme le montre aussi «Baby’s Breath». Il ne fait que du petit intimisme de la vallée. Il s’amuse bien avec sa guitare et ses gentils amis. Il crée son petit monde en permanence comme le montre encore «America» - America/ You’re so grand and golden - Il y rend hommage à Kristofferson, Mickey Newbury et Cash. En B, il vise encore l’apaisement avec «Free’s» - I’m standing in a field/ A field of questions - Il nananate sa descente de couplet, il est parfaitement à l’aise - And the free/ They belong to me.

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Encore une belle montagne sur la pochette de Dream River. Il reste dans son laid-back de velours tiède et dans l’extrême pureté avec son «Small Plane» - I really am a lucky man/ Flying this small plane - Il est en fait beaucoup plus mélodique qu’au temps de Smog. «Spring» sonne comme un slow groove de the spring is you. Il repart en plus belle en B avec «Ride My Arrow». Il a une façon géniale de rouler son ride my arrow dans la farine. Bill Callahan est un chanteur magnifique. Encore une très belle ambiance dans «Summer Painter». Il est suivi dans les prés enchantés par une flûte bucolique.

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Comme son nom ne l’indique pas, Have Fun With God est un album de dub, ou plus exactement, une version dub de l’album précédent, Dream River. Le baryton est idéal pour le dub, il attaque «Thank Dub» au dumb dub, il plonge dans l’entre-deux du rien du tout, il tape le dub de l’espace, au point que sa voix s’y perd, comme celle de Major Tom. Tout n’est pas bon, sur ce dub disk. Il faut attendre «Small Dub» pour frétiller. Son petit biz crée la confusion : il fond son baryton dans le gras du dub. C’est encore plus pertinent avec «Summer Dub». Il surmonte son dub le temps qu’il faut. À travers cet exercice de style, il vise bien sûr la modernité. Il ramène pour ça les composantes indispensables : l’énergie et l’incongru. Tu as donc le beurre et l’argent du beurre. Dans «Call I Dub», on le sent par contre dépassé par les événements. Il perd la trace, il flotte, all day. Le groove le charrie comme une âme en peine. C’est d’un effet très spectral, très fantôme d’Écosse en Jamaïque. Encore plus étrange, voilà «Ride My Dub», il descend des escaliers dans les profondeurs du son, il va à la cave du dub. Et son dub n’a plus rien du dub, ça redevient du Bill. Son biz finit par le rendre prévisible. Mais comme il a beaucoup de chance, il se rattrape au vol, ride my/ ride my. Il s’amuse encore à pousser le concept du dub dans «Transforming Dub».  et il revient à son road is dangerous avec «High In The Mid-40s Dub». Impressionnant.

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Shepherd In A Sheepskin Vest pourrait bien être l’un des meilleurs albums de Bill Smog. Il est en tous les cas chaudement recommandé. Pochette superbe, dessin d’inspiration onirique et rac, et très vite, on tombe sur une authentique Beautiful Song, «Writing». Il approche chacune de ses chansons avec un respect terrifiant, il chante en retrait, il recule dans sa magnificence, il va chercher des résonances on the mountain, il s’interroge, il se demande où sont passées les choses. Avec «The Ballad Of The Hulk», il fait vibrer le sucre de son baryton, il t’éclate doucement l’intimisme au maybe I should know. Il entre encore dans le chou du doux avec «Morning Is My Godmother» - Morning is my godmother/ Loving me like no other - Il semble à certains moments que son excellence nous dépasse. Il cultive ses mélodies à la ramasse de la traînasse. Son baryton devient lumineux sur «Son Of The Sea». Il y berce son fisherman. Avec l’élégie funèbre de «Circles», il sonne comme Nick Drake. Il atteint le sommet de l’apanage du baryton avec «Tugboats & Tumblebleeds», il joue sur toutes les facettes de son diamant noir, c’est-à-dire son baryton - And you/ You’re my tugboat too  !

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

             Grand retour de notre barytoneur préféré avec Gold Record en 2020. Dès «Pigeons», il se prend pour Johnny Cash. Même Lanegan ne descend pas aussi loin dans le deepy deep. Bill Smog tape dans le gras du lard, il en abuse, c’est son fonds de commerce. Lanegan en faisait une œuvre d’art. Bill Smog en fait du Callahan. «Another Song» jette l’ancre dans le baryton. Bill Smog fait même du heavy baryton. Il fait son enchanteur poilu au coin du feu. «35» sonne comme un heavy drive de no way-out, et c’est avec «Protest Song» qu’on retourne dans les profondeurs, dans l’abîme d’aw my Gawd, ça s’éclaire au step aside son/ Somebody must die, il gratte dans la darkness extrême. Il en fait un chant de sorcier. Fascinant ! Tout aussi génial, voici «The Mackenzies». Bill Smog revient comme si de rien n’était. Il crée une magie ambiante assez extraordinaire, il te retourne son album comme une crêpe, tu reviens dans la cabane du sorcier, il te chante son cut du fond d’un baryton hitchcockien, it’s okay, son ! Avec «Breakfast», il n’a jamais été aussi heavy - Breakfast is my favourite meal of the day - Puis il rend hommage à Ry Cooder - Ry Cooder/ Is a real straight shooter - Quel hommage - Aw mister Guitah ! Cette belle parabole se termine avec «As I Wander». Bill Smog y crée du rêve. Avec une telle voix, c’est facile. Il y a de la magie de sorcier en lui. Il chante à la moelle maximale, dans l’essence du magic trick, il est là dans l’ombre, avec son baryton à la main, merveilleux sorcier, viril et si sensuel.

    Signé : Cazengler, Bill Callagland

    Bill Callahan. Woke On A Whaleheart. Drag City 2007

    Bill Callahan. Sometimes I Wish We Were An Eagle. Drag City 2009

    Bill Callahan. Apocalypse. Drag City 2011

    Bill Callahan. Dream River. Drag City 2013

    Bill Callahan. Have Fun With God. Drag City 2014

    Bill Callahan. Shepherd In A Sheepskin Vest. Drag City 2019

    Bill Callahan. Gold Record. Drag City 2020

     

    *

    Routes Of Rock. Les grands esprits se rencontrent toujours. La preuve : le magazine Rockabilly Generation News (N° 29) présente une interview et de superbes photos de Jean-Louis Rancurel consacrée à Danny Boy, je chronique illico dans la livraison 639, piqué par la tarentule de la curiosité et de la veuve noire du regret de cette carrière trop tôt arrêtée notre Cat Zengler préféré, ne cherchez pas les autres il est unique, nous fait un petit topo (livraison 640) sur les morceaux enregistrés par Danny Boy, alors que j’étais en train de méditer une chro sur les premières apparitions discographiques de Danny Boy, sous le nom de Claude Piron. Elle n’est pas restée dans les annales du rock’n’roll français, elle lui a pourtant valu le titre de premier rocker français. La place est prise, vous n’y accèderez jamais.

    CLAUDE PIRON

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

    (Ducretet Thompson /460 V 418 / Mai 1958)

    Ce n’est pas encore la beauté des pochettes des super 45 tours des années 60 que le monde entier ( celui des collectionneurs) nous envie, n’empêche que son fond monochromique bleu n’est pas du tout désagréable, et notre Piron avec son nœud de cravate relâché et son col de chemise dégrafé devait apparaître follement débraillé à l’époque, pour vous en convaincre regardez les photos des surréalistes, l’a un abord des plus cool, l’a dû faire craquer plus d’une minette à l’époque, mais voici venu le temps de l’écoute. Je n’ai rien trouvé de bien précis sur Jany Guiraud et son Orchestre, non ce n’est pas un groupe de rock, au mieux imaginons une formation swing.

    Mon cœur bat : il ne bat pas à cent à l’heure, notre pionnier du rock commence par un slow qui ne casse pas les manivelles. Une belle voix, le meilleur c’est encore les cinq secondes d’intro avec la trompette qui fait whoua-whoua ( orthogaphe revendiquée par Molossa) et l’extro avec ses espèces de coups de cloches xylophoniques. C’est un original de George Aber, bientôt il sera le parolier attitré des yéyé, A coups de dents : beaucoup mieux en rythme, pas rock, mais jazz, des paroles du genre j’ai beaucoup vécu vous pouvez m’en croire, sur la fin il déploie une envie de jeune loup, c’est mieux. Pas non plus la hargne d’un blouson noir. Un coup de chapeau à Jany Guiraud, non ce n’est pas Ellington, mais ça s’écoute avec grand plaisir. George Aber est encore aux lyrics. Allez ! Allez : la preuve qu’il est bon, notre Cat Zengler sur sa chro d’une réédition de Danny Logan et ses pénitents lui applique l’adjectif  magnifique. Le jukebox est en panne : une version bien supérieure à l’original de Castel et Casti parue en 1958, faut dire que la voix de Claude Piron et l’orchestre de Jany Guiraud sont bien au-dessus de nos deux amuseurs.

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

    (Ducretet Thompson /460 V 429 / Septembre 1958)

    Une pochette en régression, par rapport à la première elle paraît assagie, Piron semble avoir été mis au coin. Fais le beau mec coco, et ferme-là. Seul le fond rouge attire la vue.

    Viens ! : toujours  Jany Guiraud, le jazz band semble beaucoup plus rock que la voix de Piron, sans anicroche elle n’accroche pas, chante trop bien mais trop souveraine, il chante sur l’orchestre mais pas avec, mais il y a le sax et le batteur qui s’en donnent à cœur joie, étrangement le morceau sonne plus rock que l’original des Kalin’Twins plus près du jazz. Très en avance sur les productions des early french sixties, l’est vrai que l’on n’en pas est pas loin. Le docteur miracle : adaptation de Witch Doctor de David Seville and the Chipmunks, le genre de morceau rigolo pour ne pas dire stupide à la Itsi Bikini, Piron s’y jette dessus goulument, sa version est aussi bonne que l’originale en plus on comprend les paroles, non ce n’est pas du Flaubert, mais l’on apprécie encore plus. Hé ! Youla : encore un truc à la mords-moi-le-nœud, cette fois Piron articule les paroles sur la musique, l’orchestre balance à fond, est-ce du rock, est-ce du cha-cha, on s’en fout, on s’amuse, on s’éclate. D’où reviens-tu Billy Boy : une belle adaptation d’un traditionnel, le Piron vous la balance rondement, ça roule et ça tourne-boule, décidément ce deuxième disque de Claude Piron est un petit miracle, certes l’on est loin des Chaussettes Noires et des Chats Sauvages, et trop près des pitreries de Boris Vian et d’Henri Salvador, toutefois en huit morceaux l’on peut s’apercevoir du chemin parcouru. 

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

    (Ducretet Thompson /460 V 453 / Mars 1959)

    Quelle pochette ! Pantalon de cuir moulant en premier plan, suggestion : rock ‘n’roll Animal, l’on ne peut pas s’empêcher de penser à Vince Taylor. Autre changement, Jany Guiraud est remplacé par Claude Vasori beaucoup plus connu sous le nom de Caravelli (et son Orchestre). Une de ses créations sera reprise par Frank Sinatra.

    La chanson de Tom Pouce : une niaiserie, Piron prend sa plus petite voix, hélas on le reconnaît, aucune magie fantaisiste n’émane de ce qui voudrait imiter la loufoquerie des nursery’ rhymes, une scie inepte qui ne mord pas dans le bois tendre de l’enfance. Incroyable mais vrai, la mélodie est signée de Peggy Lee. Plus grand : je n’ai pas voulu sur le morceau précédent charger la barque en critiquant l’accompagnement de Caravelli, mais là avec cette lavasse de jazz de prisunic, l’on regrette amèrement Jany Guiraud et son orchestre. Pirock ? : vous voulez rire, Pirogue variété échouée sur une lagune dépourvue du moindre crocodile. Dans la vie : je me suis accroché pour écouter jusqu’au bout. Piron dialogue avec les chœurs, les zamzelles sont enjouées mais l’ensemble sonne vieux, la Caravelli passe, les chiens trépassent. Oui mais plus tard : mais que pourrais-je écrire sur cette bluette insipide ? Rien. Quel contraste avec le précédent avec le disque précédent !

    muddy waters,slift,eddie and ernie,rich jones,bill callahan,claude piron,thumos,rockambolesques

    (Ducretet Thompson /460 V 459 / 1959)

    Sur la pochette Claude Piron a une mèche qui essaie de ressembler à l’accroche-cœur de Bill Haley, je ne pense pas que ce soit voulu, juste un petit côté négligé pour plaire aux filles qu’il regarde en souriant les manches retroussées et les avant-bras poilus.

    Mon amour oublié : attention à la base c’est des Teddy Bears, groupe monté de toute pièces par Phil Spector, au sommet arasé Claude Piron remplace Annette Kleinbard et ce qui au départ n’est pas un des plus étincelants  bijoux spectoriens devient une mièvrerie insupportable. Préférez la version live de Johnny qui n’est pas une merveille inoubliable non plus. Rock et guitare : le problème c’est qu’il n’y a pas de guitare mais Caravelli et ses boys imitent un peu le Fever de Peggy Lee en intro, se la jouent big band, heureusement que sur la fin les musicos se la donnent un peu. Et même beaucoup. Sing,Sing Sing : Piron a enfin compris que la voix doit danser comme le torero devant le taureau de l’orchestre qui déboule sur lui pour le tuer. Pour une fois le Caravelli a la niaque et joue le jeu des banderilles jusqu’au bout. Le big band bande. Faut dire que c’est une reprise de Louis Prima. Cha-cha-choo-choo : Aïe ! Aïe ! Aïe ! Un mambo qui ment beaucoup, du typique qui ne pique pas. Z’ont oublié d’électrifier la ligne du petit train, quant à la locomotive Piron elle fait ce qu’elle peut pour tirer les wagonnets surchargés de paroles insipides. Dans la série je pose zérok et je ne retiens rien ce microsillon est au haut de la pile.

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

    (Ducretet Thompson /460 V 468 / 1959)

    Claude Piron transformé en Rastignac, pose en vainqueur sur les toits de Paris une mise en scène qui manque au Père Goriot de Balzac.

    Carina : l’on s’en doutait malgré l’entrée Big Band l’on tombe vite dans une espanolade très à la mode dans les années cinquante, beau boulot de la section cuivres, un solo de trompette hélas jivaroïsé, des paroles que les féministes d’aujourd’hui pourraient revendiquer, la belle voix de Claude qui surfe sur l’orchestre comme l’écume sur le haut de la vague. Je voudrais retrouver son pardon : une adaptation de Neil Sedaka, Piron aux lyrics, le titre un peu cucu la praline, mais le morceau a de la gueule avec son magnifique solo de trompette digne d’un western, mais non c’est une espèce de gospel-slow improbable, Piron s’en tire comme un chef, fallait oser une prière à la Sainte Vierge. Au final un miracle et une trompette crépusculaire. (On retrouve de temps en temps un vieux fond chrétien dans les lyrics de notre chanteur). Le monde change : l’on ne réussit pas à tous les coups, une énième bluette sans envergure, traduite de l’espagnol, peut-être vérité au-delà des Pyrénées, une erreur de ce côté-ci. Les cheveux roux : se la joue crooner, ni l’orchestre ni Piron n’ont l’air convaincu par cette chevelure bien peu baudelairienne, tiens l’adaptation est de Vline et Buggy qui travailleront pas mal avec Dick Rivers. Vline disparaîtra en 1962. Désormais sa sœur signera : Vline Buggy. Longtemps j’ai cru à une seule personne jusqu’à la lecture d’un article dans la très regretté Jukebox Magazine.

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

    (Ducretet Thompson /460 V 481 / Mai 1960)

    Dernier disque sous le nom de Claude Piron. Nous quitte sur une pochette rock, assis sous des micros, une cigarettes à la main. J’ai bien peur que si ce disque soit réédité à l’identique un jour, la fautive cibiche soit remplacée par une fleur ou un morceau de ficelle. Pensez à notre saine jeunesse !

    Marion : question paroles c’est un peu l’antithèse de Carina, l’orchestre tout doux, des chœurs qui jouent les papillons, une chanson tendre, un original français, certes mais Piron malgré son application ne la rend pas inoubliable. Oh Carol : ni Chuck Berry, ni Rolling Stone, mais Neil Sedaka, Claude s’en tire bien, joue à merveille le romantique fatigué par une fille qui se donne trop vite, thème un peu scabreux, à l’époque la sexualité c’est un pas en avant et deux en arrière. C’est mignon, mais l’amour n’est-il pas un plat tonique. Tilt : tilt and twist, dansons devant le jukebox, pour le flot de guitares vous vous contenterez d’un joli solo de trompette, entraînant. Mais à la fin le flipper fait tilt. Mon amour tu me blesses : encore un de ces slows mid-tempo dont apparemment l’on raffola dans les années soixante… Rien de bien original, Piron a participé à la composition, preuve qu’il n’était pas rétif à ce genre qui a pris un sacré coup de vieux.

             Au total, je suis déçu, je pense   que Ducretet et Thompson ont dû freiner de quatre fers le dynamisme de leur chanteur… Faudra le déclic Hallyday pour balayer les miasmes de la variétoche française. Un gros regret : si au moins il avait pu garder la formation de Jany Guiraud, Caravelli a tendance à arrondir les angles de ses arrangements.      

             Pourquoi  Danny Boy spécialement, longtemps j’ai cru que c’était pour faire américain, puis  ayant entendu Johnny Cash chanter sur son album Orang Special Blossom un morceau intitulé Danny Boy, par des dizaines et des dizaine d’artistes  j’ai fini par apprendre que c’est un air que chantait un joueur de violon aveugle en Irlande dans la rue de Limerick auprès duquel une certaine Jane Ross collecta les notes mais oublia de noter le nom du violoneux… La scène se passait en 1851… en 1912 dans le Colorado une certaine Margaret Weatherly l’entend jouer par des immigrants irlandais, elle note la mélodie et l’envoie en Angleterre à son frère Frederick, compositeur qui avait écrit déjà sur une autre de ses mélodies un texte intitulé Danny Boy, le motif est simple et complexe : Danny Boy quand tu reviendras viens réciter une prière sur ma tombe mais qui est mort au juste : Danny Boy ou la personne qui l’attend… Fred Weatherly mettra ses paroles sur l’air envoyé par sa sœur, publié en 1913 le morceau devient un succès mondial… L’air de Danny Boy est aussi connu sous le nom de Londonderry Air.

             Pourquoi change-t-il de nom ? Est-ce la volonté de sa nouvelle maison de disques Ricordi, sise en  Italie, à l’origine il s’agit d’une maison d’édition dont le fils de l’éditeur deviendra compositeur de musique, la maison éditera des partitions, en 1959 le monde culturel bouge, Ricordi fonde Dishi Ricordi en 1959, ils ont senti le vent, leur premier catalogue sonore. Aujourd’hui il me semble que la maison est retournée à ses premières amours : musique classique.

    muddy waters,slift,eddie and ernie,rich jones,bill callahan,claude piron,thumos,rockambolesques

    A trente-trois ans, Danny Boy jettera l’éponge et reprendra son boulot de poissonnier. Vous avez sur You Tube une vidéo très courte : Interview de Danny Boy, pionnier du rock en France, redevenu poissonnier qui fait mal au cœur, Danny Claude débite ses poissons, il sourit, il reconnaît que la reconversion a été dure, une femme deux enfants, la vraie vie affirmeront certains, je crains qu’il ne soit pas d’accord avec eux.

    Danny reviendra en 2004. Sur la vidéo : Danny Boy ‘’ Au Revoir les Amis’’ de Claude Routhiau le voici sur scène en 2007 à l’Olympia, l’on assiste aux coulisses, aux répètes, à des extraits du film  De la difficulté d’être infidèle, il interprète deux morceaux : C’est tout comme et Danny Boy, l’a les cheveux blancs et un peu grossi, n’a plus la pétulance de sa jeunesse mais il se débrouille bien. Le genre de truc qui ne vous rajeunit pas.

    muddy waters,slift,eddie and ernie,rich jones,bill callahan,claude piron,thumos,rockambolesques

    Pour les nostalgiques regardez : Hommage à Danny Boy au Cirque Pinder. En 1962 Danny Boy et ses Pénitents donnent plus de trois cents représentations avec le Cirque Pinder, rock et cirque deux arts consanguins. Le 4 décembre 2009 il revient chanter, accompagné par le groupe Guitar' Express en hommage à Roger Lanzac, créateur de l’émission tél& La piste aux étoiles. Du beau monde, Moustique, Vic Laurens, Hector, Joe Zitoune…

    Danny Boy né en 1936, un an après Presley, disparaît au mois d’août 2020, l’aura vécu puis perdu son rêve pour finir par le rattraper, ce qui n’est pas donné à tout le monde.

    Damie Chad.

     

     

    THUMOS / COMMUNIQUE

    ( Fond noir : communiqué de Thumos / Fond bleu notre commentaire)

    Thumos est un groupe de metal instrumental et même d’instrumetal. Nous venons de forger ce mot qui nous semble méritoire. Ce n’est pas un jeu de mot valise pour rappeler bêtement que Thumos est un groupe de metal instrumental, étymologiquement parlant il se doit d’être divisé en trois fractions : instru / meta / l. L’élément ‘’ meta’’ est à prendre comme l’élément grec ‘’meta’’ qui signifie ‘’après’’ et qui a servi à forger le mot grec metaphysis, métaphysique en français, inventé pour désigner l’ensemble des écrits d’Aristote qui traitaient de sujets relatifs à la physique mais qui portaient davantage sur des notions idéelles que sur la concrétude des règnes minéral, botanique, animal… Paul Valéry définissait la poésie comme l’alliance du son (musicalité des mots) et du sens.  Thumos ne s’exprime que par le son. Mais qu’y a-t-il après le son ? Normalement devrait sourdre du sens. Comment ? De quelle manière peut-on l’appréhender ? Certes un son violent peut signifier la colère ou la tempête, et un son tout doux la tendresse, le calme et la tranquillité, mais jugez de la difficulté des compositeurs lorsqu’ une œuvre essentiellement instrumentale se présente comme une évocation d’un dialogue de Platon…

    Nous avons parfois des faux départs en adaptant ces dialogues platoniciens en musique instrumentale. Nous avons toujours su que l’Atlantide serait délicate, car parmi tout ce dont Platon parlait, c’est la seule histoire que tout le monde connaît depuis des millénaires. Il a été adapté d’innombrables fois sur différents supports et même s’il est largement accepté comme étant entièrement inventé, cela n’a jamais empêché les gens de le rechercher pendant des milliers d’années.

    Il est une difficulté particulière, souligne Thumos, lorsque l’on décide d’adapter en musique certains dialogues de Platon, tout le monde a entendu parler de l’Atlantise, cette île mirifique, sur laquelle chacun a comme Platon sa petite idée sur le sujet…  Thumos se propose ainsi d’indiquer quelques nouvelles pistes de réflexions et d’écoutes de certains de ses disques.

    muddy waters,slift,eddie and ernie,rich jones,bill callahan,claude piron,thumos,rockambolesques

    Notre EP 2023 « Musica Universalis » n’est pas seulement basé sur Johannes Kepler mais aussi une version alternative du dialogue Timaeus. Timée aborde de nombreuses idées scientifiques que Kepler développera plus tard dans certaines de ses œuvres les plus connues telles que Mysterium Cosmographicum, Astronomia Nova et Harmonices Mundi. Et bien sûr, le titre bonus Anima Mundi est l'âme du monde dont Platon parlait dans le Timée.

    Nous avons évoqué dans notre livraison 611 du 14 / 09 / 2023 Musica Universalis, cette notion de version alternative du Timée nous agrée. C’est un des dialogues les plus difficiles, la réputation n’est pas usurpée, de Platon. Si la rencontre Kepler-Platon était un match de foot, nous ne saurions les départager quant à leur niveau de difficulté, autant de buts pour les deux camps et balle au centre. Si Kepler procède de Platon, notre philosophe procède de Pythagore et celui-ci des nombres. Eclaircissons notre abrupte formule : pour l’inspirateur de Platon toute chose procède d’un nombre, disons qu’une chose donnée n’est que la manifestation d’un nombre. Platon nous dira que toute chose est la manifestation d’une idée. Une idée n’étant qu’une forme la tentation est grande de rechercher dans les choses essentielles et élémentales, non pas le nombre dont elles sont l’expression, non pas l’idée (que seule l’âme humaine peut contempler après la mort du corps dans lequel elle était enfermée) mais la forme géométrique que l’esprit peut appréhender mentalement, dessiner et même construire, par exemple avec du bois pour la représenter. Ainsi dans les petites classes l’on vous apprend à construire à l’aide d’une feuille et un tube de colle un cube. Maintenant amusez-vous à construire un isocaèdre qui possède vingt faces, vous vous rendrez compte que les douze sommets de votre isocaèdre touchent à la paroi de la sphère dans lequel vous l’enfermerez. Or Kepler a travaillé sur les planètes sphériques qui tournent autour du soleil à des vitesses différentes. Son travail a consisté à vous expliquer mathématiquement pourquoi… Vous vous dites que tout cela est plutôt complexe et que vous n’arriverez jamais à comprendre la logique de ces démarches. Platon vous rassure, il existe de par le monde une espèce de réseau intelligible qui englobe toute chose qu’il appelle l’âme du monde. Si votre esprit parvient à appréhender un des ‘’ filaments subtils’’ de ce réseau vous n’avez plus qu’à suivre… Il ne vous reste plus qu’à lire le Timée.

    muddy waters,slift,eddie and ernie,rich jones,bill callahan,claude piron,thumos,rockambolesques

    Notre EP 2021 « Nothing Further Beyond » est une description ancienne de ce que l’on croyait se trouver au-delà du détroit de Gibraltar, alias les piliers d’Hercule. Seulement de l'eau. Cependant, il a également été décrit comme étant l'emplacement général de l'Atlantide. Le titre Nothing Further Beyond ainsi que les deux premiers titres The Ecumene (le monde habitable connu) et The Pillars sont tous des clins d'œil à l'Atlantide. Dans l’ensemble, c’était une première version du dialogue Critias.

    Nous avons pour notre part chroniqué Nothing Further Beyond, ainsi que tous les enregistrements précédents de Thumos et ceux opérés sous le nom de Mono No Aware dans notre livraison 542 du 17 / 02 / 2022. Nous avions bien sûr noté la référence à Atlantis, mais n’avions pas compris explicitement compris qu’il s’agissait d’une première tentative de transcription du Critias. Il s’agit évidemment d’une réflexion sur les limites du monde telles que pouvaient les appréhender un grec du cinquième siècle. Cette notion de limite a obsédé l’antiquité, n’oublions pas la notion de limes consubstantielle à l’étendue de l’Imperium Romanum. Mais je voudrais attirer l’attention sur un auteur espagnol Javier Negrete, il a d’ailleurs écrit (comme par hasard) un roman non traduit en français Atlantida, mais je vous recommande s deux autres de ses livres consacrés au personnage d’Alexandre le Grand, question de repoussage des limites l’élève d’Aristote  fut un spécialiste.  Le premier roman Alexandre et les aigles de Rome ne nous intéresse guère pour notre sujet, quoique si on y pense… par contre le deuxième Le Mythe d’Er, rappelons que la République de Platon se termine sur l’exposition et le développement de ce mythe, est à lire en relation avec ce dialogue et notamment le dernier morceau de Nothing Further Beyond intitulé The Great Best. Le mythe d’Er traite du dernier voyage d’Alexandre Le Grand. Ces deux romans sont publiés aux éditions de L’Atalante. Avec ce dernier mot nous touchons à un autre mythe aussi fascinant que la Cité d’Atlantis, celui de l’Arcadie…

    muddy waters,slift,eddie and ernie,rich jones,bill callahan,claude piron,thumos,rockambolesques

    Le morceau intitulé He Spake Thus de « Tyrants at the Forum » de 2023 est une citation de la fin de Critias. Cela aurait conduit soit à la conclusion de Critias, soit éventuellement à l'hypothétique dialogue d'Hermocrate.

    Nous avons chroniqué Tyrants at the Forum dans notre livraison 611 du 14 / 09 / 2023. Le thème est beaucoup plus facile à comprendre. De la géométrie dans l’espace nous déclinons sur le plan politique. Atlantis est-elle tombée à cause par la faute de ses dirigeants…Pour Platon une Cité ne peut s’écrouler que par l’impéritie de ses élites. Ou la volonté des Dieux, mais ceci est une autre affaire. Il est nécessaire de comprendre que lorsque Platon cherche à définir les lois d’une République idéale, il pense avant tout à Athènes. Chacun balaie devant sa porte, Thumos n’évoque la fin d’Atlantis ou d’Athènes, mais ne parle que de leur pays souvent défini comme  la plus grande démocratie du monde. Selon Thumos, les Etats Unis sont de plus moins en moins démocratiques et de plus en plus mal dirigés…

    muddy waters,slift,eddie and ernie,rich jones,bill callahan,claude piron,thumos,rockambolesques

    Pour aller plus loin en 2022, lorsque nous avons discuté pour la première fois avec notre ami spaceseer d’une collaboration, l’idée initiale était de couvrir l’histoire de l’Atlantide. À un moment donné, l'idée s'est transformée en The Course of Empire et a pris une direction légèrement différente, mais l'expérience globale de cet album collaboratif est toujours essentiellement la même histoire que celle d'Atlantis. L'ascension et la chute d'une puissance mondiale.

    Nous avons chroniqué The Course Of Empire dans notre livraison 563 du 25 / 08 / 2022. Peut-être certains de nos lecteurs sont-ils d’irrémédiables optimistes, les USA traversent une mauvaise période mais cette crise passagère s’arrêtera et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes pensent-ils. Thumos ne partage pas cet optimisme indécrottable. Sont au contraire d’un pessimisme absolu. Les USA ne sont pas entrés en une simple récession, la situation est beaucoup plus grave, le pays aborde la pente d’un déclin civilisationnel, si vous n’y croyez pas remémorez-vous la fin de l’Imperium Romanum...

    Voyez où peut conduire la lecture de Platon, ne versez pas des larmes de crocodile sur la grande Amérique, pensez plutôt au destin de la petite Europe…

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ,muddy waters, slift, eddie and ernie, rich jones, bill callahan, claude piron, thumos, rockambolesques,

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    65

    Le cortège s’ébranle doucement. Plus de deux cents micros et caméras de télévision sont tendus vers Géraldine Loup, j’avoue que j’ignore tout d’elle, dans la bousculade je parviens à saisir la question d’un journaliste :

             _ Géraldine, vous avez tourné dix-huit films et tous les dix-huit ont été au numéro 1 au Box-Office, pour le suivant vous comptez faire mieux ?

             _ Oui bien sûr, je pense que le prochain se classera tout devant, en position Zéro !

    Elle n’a pas l’air bête la manzelle, une fûtée, j’aimerais bien la voir de près, les photos des magazines sont souvent menteuses, elles vous transforment un laideron en princesse. Je me suis déjà rapproché un maximum, je suis dans le deuxième cercle, mais un double rempart de gardes du corps reste infranchissable. Dans ma poche, j’ai la main sur mon Rafalos, j’ai calculé que si j’en abattais quatre, j’aurais assez de place pour me glisser auprès d’elle. Oui je sais c’est risqué, et aléatoire car une fois tout près d’elle me regardera-t-elle seulement. J’entends les lecteurs qui crient : ‘’  N’y va pas Damie, reste avec nous, n’oublie pas que la mort marche à tes côtés !’’ . L’est sympathique le lectorat mais si je n’y vais pas il sera le premier déçu si je ne parviens pas à accomplir le plan Z ! J’essaie de garder la tête froide et de supputer mon taux de réussite, je finis par conclure : même avec une seule chance sur mille il faut le tenter.

    Ne me traitez ni de tête brûlée si je fonce, ni de poule mouillée si je n’ose pas. les cabotos décident de trancher dans le vif de ce dilemme cornélien, Molossa appuie deux fois sur mon mollet. Je comprends qu’ils vont passer à l’action, je défais leur laisse je n’ai pas longtemps à attendre. Molossa plante sauvagement dans le bas de la jambe de la première armoire à glace. Fait Aïe ! Aïe ! AïE ! tout le monde s’en fout car bien plus aigüe, et plus forte qu’une sirène d’usine la voix plaintive de Molossito perce le tumulte : Tchik ! Tchik ! Tchik ! l’a dû être acteur de cinéma dans une autre vie, il s’est lestement faufilé entre les pieds d’un barbouze et traîne la patte comme si le gars lui avait écrasé les coussinets. Il couine, il pleure, des voix s’élèvent :

             _ La pauvre bête ! Blessée par cette grosse brute ! Il l’a fait exprès !

    Le groupe scandalisé a cessé d’avancer, Géraldine Loup tend la main, la foule devient muette comme un banc de carpes dans le grand bassin du parc du Château de Fontainebleau, pas très loin de la Cour des Adieux :

             _ Un petit loup estropié ! c’est terrible mettez le pays en alerte rouge ! mais où est le propriétaire !

    Lorsque je me présente Molossito a déjà posé sa tête sur le décolleté de l’actrice. Eblouissante, mille fois plus que sur la couve du magazine Elle, je le reconnais : avec Molossito ou pas, cette fille a du chien ! Molossa s’accroche à la robe de Géraldine en geignant.

             _ La pauvre maman qui avait perdu son fils, ah c’est instinct maternel ! Ils sont adorables !

    J’en profite pour m’immiscer dans la conversation :

             _ J’avoue qu’ils sont gentils, un peu imprudents aussi, ils voulaient à tout prix vous voir, ils vous aiment tant, normal vous êtes si intelligente et si humaine, quand je pense que vous perdez du temps avec ces deux ostrogoths !

             _ C’est rigolo le surnom que vous employez !

    La glace est rompue, nous discutons à tout vat, sans faire attention au remue-ménage autour de nous…

    66

    Bavardant sans cesse nous arrivons toujours à pied, devant le Ritz, nous partîmes cinq-cents et maintenant par des renforts successifs nous sommes bien cinq mille. D’un geste de la main, une nouvelle fois Géraldine obtient le silence la foule :

             _ Je tiens à remercier le peuple de Paris qui m’a si gentiment reçu. Je vais vous quitter, hélas, je suis un peu fatiguée je vous l’avoue, des deux mains elle envoie des bisous, tenez Monsieur je vous rends votre trésor !

    Elle n’a même pas le temps de décoller de son décolleté Molossito qu’il se met à pousser des cris de détresse à fendre une porte de prison.

             _ Je crois qu’il a soif, venez avec moi Monsieur nous allons lui donner à boire, le pauvre petit !

    Pour la remercier Molossito lui lèche le haut du sein. Je trouve qu’il exagère !

    67

    Je peux en témoigner Géraldine Loup aime les animaux. Les chiens ont bu dans deux coupes de cristal, mais elle a décidé qu’ils avaient faim, depuis l’interphone de sa suite elle a demandé qu’on leur porte deux énormes cuissots de biche. Les canidés les ont dévorés jusqu’à l’os qu’ils n’ont même pas la force de croquer. S’endorment tous les deux les quatre pattes en l’air, sur la moquette aussi épaisse que l’herbe bleue du Kentucky.

             _ Vous ne pouvez pas partir maintenant, ils seraient malheureux si par hasard vous n’étiez pas là demain matin à leur réveil. Je vous invite dans ma chambre. Savez-vous Damie que vous êtes le premier homme qui m’ait dit que j’étais intelligente, et puis dès que je vous ai vu, votre costume, votre coiffure, vos rolex, j’ai compris que vous étiez celui que je cherchais depuis toujours.

    68

    J’acquiesce, mais au fond de moi j’hésite je dois être près du Z du plan Z et la mort marche à mes côtés. Un sophisme rassurant balaie mes appréhensions, tant que nous serons couchés elle ne pourra pas marcher à mes côtés. J’aviserai demain matin.

    Géraldine fut délicieuse, une véritable louve. Pour ma part j’ai tâché d’être à la hauteur, sans forfanterie je puis dire qu’elle a apprécié mon pénis elbow, de ma Durandal j’ai fendu à plusieurs reprises, neuf fois comme Victor Hugo le soir de ses noces, le rocher friable de son sexe.

    69

    A peine avions-nous franchi le seuil du Ritz une meute de journalistes se jeta sur nous, une triple haie de gardes du corps dut s’interposer. En passant devant un kiosque à journaux je fus stupéfait toutes les unes affichaient en gros notre photo surmontée de gros titres style : GERALDINE TROUVE L’AMOUR A PARIS…

    Molossito lui avait retrouvé sa place sur le sein de Géraldine… Je ne savais pas au juste où nous allions mais cela m’importait peu. Premièrement j’étais aux côtés de Géraldine ce qui ne me gênait pas, mais de l’autre côté la mort marchait à mes côtés. Le nez de Molossa ne quittait plus mon jarret.  Je n’étais peut-être pas à le lettre Z, mais certainement au Y. Des passants criaient bonjour, sortaient leur portable pour immortaliser l’instant. Il y avait un truc qui me turlupinait, je cherchai dans ma tête, mais je ne trouvais rien. Si un détail. Les gardes du corps avaient changé. Nous entouraient de près, ne nous laissaient pas d’espace, une équipe de bras cassés qui manque d’entregent et d’habitude.

    70

    La voix de Géraldine me tira de mes réflexions :

             _ Damie, tu as senti cette odeur bizarre, c’est quoi ?

    Je sursautai :

             _ Rien, rien, tu sais les poubelles à Paris… Ce n’est rien, ne t’inquiète pas !

    Molossito avait relevé sa tête. Il avait reconnu le délicat fumet du Coronado. Molossa grogna. Vite mon Rafalos ! Je glissai la main dans ma poche, il n’y était plus. Un des gardes du corps se rapprocha et me glissa à l’oreille :

             _ Ne le cherchez pas, c’est moi qui l’ai !

    Ce furent ces dernières paroles, une balle du Chef lui explosa la tête, Molossa récupéra le Rafalos dans la poche de son cadavre qui était tombé à terre, je me plaçais en protection devant Géraldine, le Chef était juste derrière elle. La fusillade ne dura pas plus de trois minutes. Journalistes et fans de Géraldine disparurent, la vingtaine de gardes du corps qui avaient sorti leur pétoire n’étaient pas des as, des demi-sel résuma plus tard le Chef alors qu’il comptait la vingtaine de morts entassés sur la chaussée. Nous n’étions plus que trois, Géraldine pleurait nerveusement entre mes bras.

             _ Chef, je crois bien que nous sommes arrivés au bout du plan Z !

             _ Agent Chad arrêtez de dire n’importe quoi !

             _ Enfin Chef, nous avons gagné !

             _ Agent Chad je vous ai prévenu que la mort marchait à vos côtés, or je ne la vois pas, cette histoire est loin d’être terminée !

    A suivre…