Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

thumos

  • CHRONIQUES DE POURPRE 694 : KR'TNT ! 694 : LUCAS TROUBLE / CHEMTRAILS / JUDY CLAY / KAIROS CREATURE CLUB / ANTON NEWCOMBE / THUMOS / LOATHFINDER / 2SISTERS / GENE VINCENT /

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 694

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 06 / 2025 

     

    LUCAS TROUBLE / CHEMTRAILS

    JUDY CLAY / KAIROS CREATURE CLUB

    ANTON NEWCOMBE / THUMOS   

    LOATHFINGERS / 2SISTERS

     GENE VINCENT

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 694

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Trouble boy

    (Part One)

             Quand dans «Trouble Boys», Dave Edmunds chantait King of hell raising in the neighborhood, il ne parlait pas de Lucas Trouble. Il aurait pu, mais ce ne fut pas le cas.

    z28720lucastrouble.gif

             Lucas Trouble ne sort pas d’une chanson, mais plus modestement d’un patelin bourguignon du nom de Chagny, près de Chalon-Sur-Saône. C’est là qu’il a bâti sa légende, avec un grand chapeau, une grande gueule et surtout un studio, le Kaiser Studio, de la même façon que Lo’ Spider a bâti la sienne avec Swampland, à Toulouse.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Dans un volume bien dodu, Syned Tonetta brosse un portrait spec-ta-cu-laire du troublant Trouble. Dodu ? Ça veut dire 600 pages extraordinairement bien documentées. L’auteur semble parfois submergé par la démesure de son personnage : il doit gérer Rabelais au pays du rock ! Comment veux-tu faire entrer Rabelais dans notre époque et dans le rock ? Syned s’y attelle, il retrousse ses manches et fait comme fit Rodin, il pétrit l’argile de son golem rabelaisien. Schplifff schplaffff ! Fais gaffe, amigo, si tu mets le nez dans ce big book, tu vas te marrer comme une baleine. Car Rabelais c’est surtout de la grosse poilade. 

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             T’as la bobine du golem en couve, donc pas besoin de le décrire. L’œil allumé. L’a pas l’air commode. On croise souvent Vox dans les pages de ce big book, un Vox qui voit le golem ainsi : «Toujours la même menace dans le regard, le même air de bête prête à mordre.» Grrrrrrrrrrr...Histoire de situer la bête dans la cosmogonie, Syned a rapatrié une palanquée de surnoms, «Le Magnifique, le Mirobolant, Le Majestueux», ça passe par le «Lycanthrope libidineux», par le «Spiderman des consoles», et ça va jusqu’au «Vampire bourguignon», jusqu’au «lou-garou du son» et même jusqu’à «L’ogre de Chagny» et au «Killer of Coiffeur-Sound». Cette pauvre page vibre sous tes doigts tellement elle est chargée. Tu sens le terreau bourguignon et ses caves à pinard. Qui dit Rabelais dit aussi verte langue, alors un peu plus loin, Syned enfile comme des perles quelques expressions du golem. Certaines d’entre-elles en disent plus long sur le rock qu’un claqué d’accords en mi la ré : le golem «jambonne les groupies». Devant une bobine qui ne lui revient pas, il balance : «Qu’est-ce qui va pas ? T’as mangé ta grand-mère ?» Quand il claque le beignet d’un juron, c’est «fumier de bouc !» Chez le golem, tout est prétexte à déconner. Mais quand vient le temps du son, il veille à ce que ça sonne.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Syned annonce dès l’intro qu’il n’a pas fréquenté son golem. Nous non plus d’ailleurs, on eût pu, mais au temps des cerises, on a préféré fréquenter Lo’Spider et Swampland. Parce que Dig It! et parce que Gildas (Hello Gildas). Et pour bien enfoncer son clou dans la paume de la cosmogonie, Syned indique que la grande idole du golem fut Jeffey Lee Pierce, ce qui nous met tout de suite l’eau à la bouche. Eh oui, on adore les golems qui fréquentent le Gun Club. Et la filiation s’établit d’autant plus majestueusement que le cœur battant du book est un chapitre consacré aux Cowboys From Outerspace. Ils incarnent tout bêtement l’apex du Kaiser Sound. Golem/Cowboys, dream team from hell ! Te voilà en confiance, car Syned cite les Cramps, le Gun Club, les Ramones et «l’héritage sulfureux des Stooges et des New York Dolls.» Quand le golem agonise dans son lit médicalisé, c’est Michel Basly, nous dit Syned, qui vient passer trois jours à son chevet - Ils ont joué au petit train (électrique) tout un après-midi comme des enfants - Même là, tu te marres, car t’as l’image. Choo choo train ! 

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Syned consacre des pages fulgurantes aux Cowboys qui sont en partie la création sonique du golem. Eh oui, sans golem, t’auras pas ce son. Les Cowboys tapent dans le dur : Gun Club, Chrome Cranks, Scientists, Cramps. Michel Basly remonte même jusqu’à ceux qu’il appelle «les sauvages» : Jerry Lee et Charlie Feathers. T’as rien sans rien, baby. Personne n’a jamais égalé la sauvagerie du Live At The Star Club Hamburg. Personne n’a jamais égalé la classe d’«One Hand Loose». Syned va loin dans l’apologie du dream team golem/Cowboys : il parle d’une «véritable osmose gravitationnelle» entre Michel Basly et le golem. Et ça va loin cette histoire, car il voit le golem comme le «quatrième Cowboy». Non seulement ça prend du sens, mais ça correspond tellement à la réalité ! Rappelons que les Cowboys sont encore aujourd’hui l’un des trois meilleurs groupes de rock en France, avec les Dum Dum et Weird Omen. Meilleurs parce que très en amont du reste, très modernes dans leur approche et très violents soniquement parlant. So far out ! Syned racle ses fonds de tiroirs pour situer les Cowboys, il parle de «rock crasseux» et de «punk orgastique». C’est bien gentil, mais ça va beaucoup plus loin que ça. T’es dans le beat des catacombes, la White Light/White Heat de la Death Party, dans le no way out apoplectique, quand Michel Basly pique sa crise sur scène, tu recommandes ton âme à Dieu, si t’en as une. Car Basly échappe à tout, il redore le blason de la sauvagerie originelle et on comprend qu’il ait pu crucifier le golem sur l’autel de la fascination. Syned cite dans ce chapitre brûlant la très belle compile/tribute au Gun Club, Salvo Of 24 Gunshots/Tribute To The Gun Club, un double album rouge vif paru en 2005, car on y trouve la cover que font les Cowboys du «Preaching The Blues» qu’avait tapé Jeffrey Lee en son temps. Ce Salvo fut à l’époque une véritable caverne d’Ali-Baba, car on y trouvait aussi l’extraordinaire cover désossée de «Lupita Scream» par les Gories, et puis des tas d’autres choses mirobolantes, les Cool Jerks de Jack Yarber, les Magnetix, les Demoliton Doll Rods, Speedball Baby, DM Bob. Pfffff ! Quelle époque ! T’en as encore les mains qui tremblent.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

    Syned Yonetta

             Et puis tu tombes sur le pot-aux roses : les troublants parallèles. Petit, le golem collectionne les petits drapeaux de pays métalliques qu’on trouvait dans les boîtes de langues de chat. Pouf ! Deuxième parallèle : il collectionne aussi les porte-clés ! Pouf ! Puis les timbres ! T’as fait pareil. En sixième, nous cafte Syned, le petit golem est entré en rébellion contre les professeurs. Pouf ! Au lycée, il redouble deux fois sa seconde. On est frappé par cette série de troublants parallèles. T’as redoublé aussi deux fois. Syned rajoute là-dessus une belle dose d’humour ravageur : le jeune golem va trouver le dirlo du lycée pour lui annoncer qu’il «démissionne», et que lui dit le dirlo ? «Ça tombe bien, j’allais vous virer !».

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Autre troublant parallèle : le jeune golem fait un stage dans une imprimerie locale. Pourquoi une imprimerie ? Parce que son grand-père était typographe ! Tous ces détails revêtent une importance considérable. Le golem ne serait pas devenu le golem si son grand-père avait été charcutier. Pour les ceusses qui n’ont pas l’info, il faut savoir qu’au temps jadis, le métier de typographe rimait joliment avec l’anarchie, la vraie, celle des anars du XIXe. Il faut avoir étudié la typographie pour le savoir. Et avoir chopé le fameux Dictionnaire des Typographes.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Tiens encore un parallèle troublant : le jeune golem se pique de littérature. Et pas n’importe quelle littérature : celle de William Burroughs (il va baptiser son label Nova Express). Et puis voilà-t-y pas qu’on lui prête un livre sur «les pirates libertaires». Alors ça refait tilt. La lecture d’un petit ouvrage intitulé TAZ (Temporary Autonony Zone) nous transforma voici 30 ans de pied en cap : on mit en pratique la TAZ d’Hakim Bey. Quotidiennement. 365 jours par an. D’où ces chroniques. Déclarer son autonomie dans le monde du travail consiste à écrire un texte chaque jour, et à l’illustrer, quelles que soient les contraintes environnementales ou la pression des pics de charge. Tu rétablis ta liberté. Si tu la décrètes inviolable, elle le devient. C’est aussi simple que ça. 

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Le premier LP que le petit golem ramène à la maison est Screamin’ Lord Sutch & Heavy Friends : le disque est pourri, mais la pochette fabuleuse, tu y vois Lord Sutch et sa Rolls Union Jack. On est aussi tombé dans le même panneau, à cause de la pochette. Il est d’ailleurs toujours dans l’étagère, à cause de la pochette. Un peu loin, le petit golem se retrouve avec des Genesis, des Yes et des King Crimson dans les pattes, mais fumier de bouc !, il décroche aussi sec. Patacam patacam !

             On voit donc le golem s’auto-pétrir au fond de la Bourgogne. Il se malaxe tout seul et s’en va la nuit dans la campagne gelée hurler à la lune, tout au moins l’imagine-t-on ainsi. À la différence des autres artistes, il ne crée pas son monde, il se crée. Le golem sort de terre. Quand il récupère une basse pour apprendre à en jouer, il plonge la maisonnée en enfer, nous dit Syned. Il va dans les bals pour se battre, et comme le temps est alors au glam, il porte des platform boots et du maquillage. On lit ces pages et on se fend la gueule en permanence. Un mec maquillé dans les rues de la Bourgogne, ça paraît inconcevable ! Pas pour un golem, fumier de bouc !

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

    Vietnam Vterans : Mark Embatta au centre

             Dans les années 80, il fait de la petite new wave à la mormoille, jusqu’au moment où il rencontre un disquaire de Chalon, Mark Enbatta. Sa boutique s’appelle Sneakers. Avec un nom pareil, tu sais où tu mets les pieds. Le golem découvre (avec 10 ans de retard) Nuggets, mais il va vite rattraper son retard, l’asticot ! Terminé les textes en français, direction 13th Floor Elevators, Seeds et tout le tintouin, et bien sûr les Vietnam Veterans, le groupe de Mark Enbatta, qu’il intègre.     

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Tiens, on va faire un petit break avec les Vietnam Veterans. On commence par rapatrier les deux Lolita, On The Right Track Now et Crawfish For The Notary, histoire de voir ce qu’ils ont dans la culotte. T’es vite happé par l’énergie qui se dégage d’On The Right Track Now et de «Dreams Of Today» que Mark Enbatta gratte sur les accords de Gloria. Il chante d’une voix de Sky bourguignon. Pas de problème. Il tape ensuite une belle cover d’«I Can Only Give You Everything», le vieux standard protozozo des Them. C’est bien raw to the bone. Dommage qu’on entende l’orgue. Ça ne s’y prête pas. Ils tapent une cover du Zombie de Roky qui ne fonctionne pas, mais celle d’«Hey Gyp» passe comme une lettre à la poste. On salue aussi le beau gaga moderne d’«Out From The Night». Globalement, c’est pas mal.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             On retrouve la même teneur en vitamines sur Crawfish For The Notary, et ce dès «Is This Really The Time» qui sent bon le LSD. Tout sent le LSD ici. Retour au raw to the bone avec «This Life Is Your Life», c’est gratté au raw ultime, c’est même assez violent. Mark Enbatta claque les pires accords bourguignons. Le Kaiser shoote ensuite une grosse dose de shuffle dans «Burning Temples» et on revient à l’apothéose druggy avec «My Trip» - I’ll never get out of here - Mark Enbatta rocke encore le boat avec «Liars» et on replonge dans l’LSD sound avec une cover létale du big «Be My Baby» des Ronettes. C’est audacieux, car ils proposent le Wall of Sound bourguignon à base d’orgue. Effet garanti. C’est même assez poilant. Ils ne reculent devant aucune extrémité, ce qui est tout à leur honneur. 

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Green Peas est un double album et la viande psychédélique se trouve sur le disk 2 : en C t’as ce fabuleux brouet lysergique, «Human Love». On sent bien le LSD. Enbatta est très Sky sur ce coup-là, il sort son meilleur raw psych et tiguilite à la mode de 1966. On sent qu’il écoute les bons disques. Et de l’autre côté, tu tombes sur une version qu’il faut bien qualifier d’historique du «Trip» de Kim. Superbe attaque ! Mark Enbatta le prend bien et s’en va naviguer dans l’océan psychédélique, il y va au let’s take a trip et scande LSD ! LSD !, comme le firent les Pretties en leur temps. L’A et la B ne sont pas aussi enthousiasmantes. Sur «You’re Gonna Fall», ils visent le rock symphonique à la Procol et c’est à côté. Quand elle est précieuse, leur pop devient problématique. On sent quelques velléités d’en découdre sur «Liars», et on retrouve enfin une belle dynamique de guitarring dans «Critics». Enbatta est un bon. Il décolle enfin. Il te trashe le cut sur un beat bien dressé vers l’avenir. On le revoit partir à l’aventure sur «Wrinkle Drawer». Dommage que le background soit si précieux. Sur ce disk 1, t’as pas mal de casse et des tentatives non abouties. Il faut attendre «Out Of The Night» au bout de la B pour renouer avec le gaga bourguignon. Enbatta jette tout son dévolu dans la balance et gratte bien ses trois accords. 

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Paru en 1986, In Ancient Times est un petit album qui ne fait pas d’histoires. Mark Enbatta chante son «Let It Rain» d’une belle voix de canard, mais il est vite submergé par les nappes du golem hégémoniste. En Bourgogne, la pop peut vite virer bucolique, comme le montre «Run Baby Run». Si on cherche un bout de viande, il est en B. Le golem perruqué et poudré joue du clavecin sur «Wrinkle Drawer» et voilà qu’arrive un «Next Year» nettement plus décidé à en découdre. C’est même quasi anthemic. Avec ses nappes astrales, le golem se prend pour un cosmonaute. Et ça atteint des proportions considérables avec «Crooked Dealers». Ça devient même passionnant. Les albums des Veterans sont très particuliers. Tu y croises rarement des coups de génie, mais tu les écoutes attentivement. Ils ne se rattachent à rien de particulier, hormis la Bourgogne.   

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Mark Enbatta fait des étincelles sur Catfish Eyes And Tales, notamment dans «Southern Comfort». On entend bien sa guitare psyché, il lâche un beau déluge d’acid freakout. Les Veterans ont la bonne distance pour développer. Le thème crée la tension et les nappes tentaculaires du golem nourrissent bien la Mad Psychedelia, alors tu te régales, c’est un beau délire. Ils raflent bien la mise. Mark Enbatta passe au gaga bourguignon avec «Time Is The Worst». Il fait même du protozozo, c’est un fin renard. Il part en solo d’extension du domaine de la turlutte, et repart même une deuxième fois. Tu sors du cut enchanté. S’ensuit un «Crying» qui se veut paradisiaque et qui l’est. Enbatta est infiniment crédible, il taille bien sa toute. Par contre, rien à tirer de la B. «Days Of Pearly Spencer» ? Écoute plutôt l’original, s’il est encore dans ta caisse de 45 tours.   

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Dernier spasme des Veterans avec une belle compile, The Days Of Pearly Spencer. Ils démarrent d’ailleurs avec cette cover de David McWilliams. Le Kaiser fait les violons à l’orgue. Côté son, pas de problème. Puis ils tapent une autre cover, celle du fameux «500 Miles» qu’on connaît en France sous le nom de «J’entends Siffler Le Train». Belle prod, avec un bassmatic mixé devant, de l’acou en réverb et de l’orgue au fond. On appelle ça une prod de rêve. Et même une prod de rêve aérien, perdue dans l’écho du temps. Le Kaiser fait même entrer une disto sur le tard. S’ensuit un «Is This Really The Time» assez défenestrateur. Ils ont du power sous le pied, c’est tapé au tatapoum local et ça bat bien la campagne. Ils font du Spencer Davis Group in Burgundy avec «Burning Temples» et le Kaiser envoie le shuffle. T’as encore un son plein comme un œuf. Mark Enbatta refait son Sky sur «Don’t Try To Walk On Me», t’as vraiment l’impression d’entendre les Seeds. Il refait son Sky sur «You’re Gonna Fall». Tu as déjà entendu tous ces cuts sur les albums précédents, mais tu te re-régales de les ré-écouter. Et pouf, voilà ce «Dreams Of Today» qui sent si bon le LSD, car gratté aux accords de gaga sixties. Ils terminent avec deux covers de choc : «Be My Baby» (que le Kaiser groove au shuffle d’orgue) et une version longue de l’hymne bourguignon, «The Trip» - It’s time to take a trip - et le Mark y va à coups d’LSD ! LSD!, pendant vingt minutes. 

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             À un moment, Syned essaye de nous rassurer en nous expliquant que le golem a trois facettes : «Lucas Trouble, l’artiste talentueux, prolifique, multiple et unique avec le côté charmeur et malicieux», puis «le Kaiser, le type qui enregistre, insupportable, ‘monstre tortionnaire’, visionnaire», et «Jean-Luc, le gars normal, père de famille qui reçoit ses amis, l’ouvrier en bâtiment qui rénove sa maison (du Levant), supporter du club de rugby du coin.» Mais bon, on ne veut rien savoir de plus : le golem et basta ! Derrière sa Maison du Levant se trouve une carrière en forme de ravin qui devient vite objet de plaisanteries macabres. Il menace d’y jeter les dépouilles de ses ennemis et des gens qu’il aime pas. Quand Philippe Manœuvre propose de venir l’interviewer, le golem grommelle : «Ouais, Manœuvre, je vais le balancer dans la carrière avec les huissiers.» Tout est truculent avec le golem, on se fend la poire en permanence. Bon, il ne va pas jeter Manœuvre dans la carrière, mais lui avouer que son premier 45 tours fut le «Venus» de Shocking Blue, parce qu’il louchait sur les nibards de la chanteuse. S’il aime bien Steppenwolf, c’est à cause dit-il de sa «tronche de barbare intelligent».

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Le golem livre d’épatantes considérations sur le monde. Il constate qu’il y a «beaucoup plus de beaufs que lorsqu’il avait 17 ans», et comme Marc Zermati, qu’il rencontrera un peu plus tard, il affirme que «la France n’est pas faite pour le rock’n’roll.» C’est parce qu’il lit l’article de Manœuvre que Marc débarque à Chagny avec Tony Marlow pour enregistrer Knock Out. Ça a clashé pendant l’enregistrement entre Marc et le golem, mais ils se sont rabibochés pendant le mastering.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Côté admirations, le golem admet un faible pour les grands allumés de service, Birthday Party, Roky Erickson, Davis Thomas, Red Crayola, Peter Hammill et bien sûr Captain Beefheart, tout particulièrement, précise Syned, Safe As Milk. Et puis les Damned. Syned ne rate pas l’occasion de rappeler le lien qui existe entre le Gun Club et les Damned : la coiffure gothique de Patricia Morrison. À cette belle liste, il faut ajouter les noms des Chrome Cranks que lui a fait découvrir Michel Basly, et puis tiens, Jon Spencer.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Le golem dispose de trois armes : le Kaiser studio, sa cave et son label Nova Express. Les trois sont indissociables. Qui dit studio dit prod. Le golem est obsédé par un son, le sien. Nul n’est mieux placé que Vox pour décrire l’art productiviste du golem : «Il élaborait ses hallucinatoires festins en maître queux anthropophage, malaxant, sculptant, tronçonnant, bariolant, balafrant, recollant, incisant, panachant, faucardant, affûtant, ciselant, amalgamant, façonnant jusqu’à obtenir la mixture voulue.»

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Son label reste bien sûr underground. Pas de stratégie commerciale. «Au gré du vent», précise Syned. Producteur, musicien et label boss comme Beat-Man avec Voodoo Rhythm. Ou mieux encore, comme Totor avec son Wall of Sound, ses cuts magiques et Philles Records.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Étant donné que le golem a décidé de vivre du studio et de Nova, «la trésorerie est tendue». Syned rentre bien dans le détail des tarifs, comme il rentre dans le détail du matos et dans le détail des claviers qu’utilise le golem. Les détails sont vitaux si on veut comprendre à quel point ce type d’aventure est périlleux. Et par conséquent glorieux. Fuck les subventions, le golem bosse à l’arrache. «Vive les rebelles !» Plus on avance dans les détails et plus le golem devient sympathique. Tiens voilà ce qu’il déclare : «Si on part du principe que le rock’n’roll est une musique rebelle, c’est un peu bizarre d’être un rebelle subventionné par l’état.» Eh oui, t’as des groupes qui demandent du blé pour financer leurs conneries. Fuck it ! Le golem admet qu’il en bave. En plus, il n’est pas cher : 4 000 euros pour une semaine de studio + 1 000 CD (mixage, mastering et impression pochette compris). Syned rentre aussi dans les détails du graphisme des pochettes. Le golem bosse avec son pote José Womble, et là on se marre bien, car on retrouve nos deux compères devant un écran avec les bouteilles de pinard que le golem ramène de la cave, et les voilà qui se mettent à schtroumpher des typos et des images sur Photoshop, avec «un petit verre de rouge» à chaque tripotage de filtre, à chaque fusionnement de calque, jusqu’à ce qu’ils arrivent à ce que Syned, hilare, appelle «un compromis». Bosser une image à deux sur un écran, c’est un truc qu’on ne fait JAMAIS. Seul le golem s’y autorise, en évitant toutefois de toucher le clavier, car l’ordi reste l’ennemi satanique. Il faut donc partir du principe que les pochettes Nova Express sont le résultat de compromis avinés, ce qui les rend infiniment sympathiques. Et puis Syned aborde le chapitre de la distro et là, pareil, il donne tous les détails, et c’est passionnant de voir à quel point l’exercice est périlleux. Syned : «À la fin, Nova ne prenait que 10% sur les ventes effectuées par leurs soins. ‘Ça payait à peine le téléphone’, soupirait-il.» Et le golem ajoute que son label lui coûtait plus qu’il ne lui rapportait. Ça ne tenait debout que parce que le studio rapportait un peu de blé et qu’Emmanuelle, sa femme, bossait ailleurs. Le label, c’était «du bénévolat»

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Qui dit Nova Express dit compiles. Syned dit sa préférence pour The Most Terrible Songs And Other Terrific Stories. On retrouve aussi Lo’Spider et son Jerry Spider Gang sur The Kaiser Fucks The New French Rock, ainsi que les Holy Curse et les Magnetix. On y revient dans un Part Two. 

             Et les Anglais dans tout ça ? Pas grand-chose. Le golem aurait bien aimé, mais à part un coup de fil de Brian James, rien. Que dalle. Il aurait bien aimé recevoir Jeffrey Lee et les Dum Dum Boys. Sob sob sob, regrets éternels.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Qui dit Chalon dit Jano et Nat et les Screaming Monkeys. On les croise enfin page 337 : vieil ami de Caligula Gibus, Jano fêta ses 40 ans avec un concert des Médiums à la Taverne, un endroit devenu culte, pour ses «bals costumés» et ses concerts. Vox fit de cette fête d’annive un solide compte-rendu dans Dig It!. Le golem, «avenant comme une potence», jouait de la basse ce soir-là. Plus remarquable encore : les Cowboys montèrent sur scène après les Médiums, et selon Vox, ils furent «bons mais nettement en-dessous des Médiums.» Comment est-ce possible ? Vox est aussi «conseiller» du golem : le visuel qui orne la pochette de Kaiser Southern Dark Country, c’est une idée à lui. Il s’agit de l’Écorché Et Son Cavalier d’Honoré Fragonard - Ce document avait été proposé par Vox pour une éventuelle utilisation.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Pour sa dernière séance d’enregistrement, le golem a reçu Tony Marlow. Tony était en trio avec K’ptain Kidd. Fabuleux album que ce More Of The Same, deuxième album tribute à Johnny Kidd. «Goin’ Back Home» t’arrive dans les dents comme un boulet de canon. T’as aussitôt la démesure de la flibuste ! Ça pilonne ! Le trio allume comme vingt bouches à feu. Le golem devait se frotter les mains. Il faut saluer son génie sonique. Encore un boulet dans les dents avec «Some Other Guy». Et puis un troisième, t’es plus à ça près : «Castin’ My Spell», claqué à la clairette de Tele. Tony fait son Barbe-Noire, il ravage tout, avec la bénédiction du golem. Ultime dream team !

             Ce book compte probablement parmi ceux qui font la fierté du Camion Blanc. Avec Lucas Trouble - L’Empereur Du Son Analogique, le métier d’éditeur underground reprend tout son sens. 

    Signé : Cazengler, le cas troublant

    Syned Tonetta. Lucas Trouble - L’Empereur Du Son Analogique. Camion Blanc 2018

     

     

    L’avenir du rock

     - Happy (Chem)trails

             Pas de pot : l’avenir du rock vient de tomber dans les pattes de la Gestapo. Direction la rue Lauriston et la baignoire dans la salle de bain du premier étage. La Gestapo soupçonne à juste titre l’avenir du rock de grenouiller dans la résistance. Klaus Barbock veut des noms. L’avenir du rock fait le malin.

             — Vous n’allez pas faire le malin très longtemps, avenir du rock !

             Deux gestapistes plongent la tête de l’avenir du rock dans la baignoire, pendant qu’un troisième lui introduit une barre à mine rouillée dans l’anus et l’enfonce d’un coup de pied.

             — Glou glou glou...

             L’avenir du rock tombe dans les pommes. Un toubib lui fait une piqûre. L’avenir du rock revient à lui et se met à chanter :

             — Shame Shame Shame/ Hey shame on you !

             Klaus Barbock se tourne vers ses sbires :

             — Ce nom vous dit quelque chose ?

             Les sbires font non de la tête. L’avenir du rock éclate de rire et lance :

             — Smiley Lewis !

             Klaus Barbock fait un signe de la main et les sbires replongent la tête de l’avenir du rock dans la baignoire.

             — Glou glou glou...

             Il retombe dans les pommes. Piqûre. Il ouvre un œil et balance :

             — Ain’t That A Shame !

             Et ajoute aussitôt, au vu des bobines gestapistes qui ne pigent rien :

             — Fats Domino !

             Connaissent pas. Baignoire. Plus chalumeau sur la plante des pieds.

             — Glou glou glou...

             Il retombe dans les pommes. Piqûre. Il ouvre un œil et balance :

             — Shame On You Crazy Diamond !

             Un des sbires glapit :

             — Herr Obersturmführer ! Arch Pink Floyd!

             L’avenir du rock explose de rire. Quelle bande de cons ! Pour les achever, il voulait balancer le nom de Chemtrails, mais il préfère en rester là et mourir de rire.

    Z28717CHEMTRAIL.gif

             Bon d’accord : l’avenir du rock triche un peu : Chem ne se prononce pas «chème» mais «kème». Disons que s’il triche, c’est pour la bonne cause. Et à l’écrit, ça passe.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             T’as deux genres de concerts : ceux des groupes que tu connais et ceux des groupes que tu ne connais pas. Et dans ceux des groupes que tu ne connais pas, t’en as encore deux genres : ceux que tu prépares et ceux que tu ne prépares pas. C’est-à-dire que tu n’écoutes rien en amont. T’anticipes pas. Tu décides d’y aller avec l’oreille fraîche. Chemtrails à la cave, t’y vas donc avec l’oreille fraîche. Tu n’as qu’une seule info : UK. Après leur set, tu apprendras qu’elles viennent de Manchester. Elles, oui, car il s’agit surtout d’elles, les deux cocotes qui grattent et qui chantent : Mia Lust et sa copine la grande Laura Orlova. Grande, il faut l’entre au

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

    sens propre comme au figuré : par la taille, mais aussi par la présence scénique et cette façon qu’elle a de se barrer en vrille de garage-punk lorsqu’elle s’arc-boute pour prendre un solo. Elle a le killy-killy dans la peau. Elles sont accompagnées par une solide section rythmique, un bassmatiqueur de choc et un mec torse nu au beurre qu’on ne voit pas, car plongé dans les ténèbres. Mais lui, c’est le roi du bim bam boum. Les deux cocotes font le show. Dommage qu’il y ait un clavier à la mormoille devant. Elles tapent quasiment tout à deux grattes et mêlent leurs voix pour créer des dynamiques somptueuses. Si tu les vois un jour sur scène, tu vas te régaler, car elles tapent en plein dans l’œil du cyclope, sans la moindre frime. Elles

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

    t’offrent un vrai concert de rock, excitant & sexy. Tu ne connais pas les cuts, mais tu tends bien l’oreille et tu localises les montées en puissance à base de Superhuman, elles entrent quasiment en transe et rockent le boat de la cave. Elles tapent aussi un Apocalyptic apocalyptique, avec une conscience professionnelle qui en dit long sur la pureté de leurs intentions. Elles concentrent toutes les dynamiques. Leur perfection symbiotique te fait baver. Tu n’avais pas vu autant de fraîcheur énergétique depuis des lustres. Chemtrails ! Elles pourraient bien devenir énormes, au moins autant, sinon plus que MaidaVale.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Si tu ramasses The Joy Of Sects au merch, tu vas aller de surprise en surprise.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

    Quel bel album de Chester pop ! Dès «Detritus Andronicus», tu dis oui, car tu sens cette féminité bien collante, bien prégnante, et t’as Mia qui chante au sucre protozozo. C’est du meilleur effet. Mia est plus sucrée que sa collègue Laura, on l’entend mieux encore sur l’album. Si elles virent un peu new wave sur «Sycophant’s Paradise», c’est à cause du clavier, mais elles restent très dynamiques, bien tape-dur, avec du bon son. Elles sont aussi capables d’aller rejoindre Liz Fraser au ciel de la pop anglaise («Mushroom Cloud Nine»). La viande se planque en B, comme le révèle l’imparable «Join Our Death Cult». Chester power ! Joli beat hypno. C’est dans la poche. Elles jouent sur les deux voix. Plus loin, t’as un cut en forme de giclée d’adrénaline, «Superhuman Superhighway», c’est nettement plus Kraut, baby. Au beurre, Liam Steers sait driver un beat ! Et ça continue dans la même veine avec «Apocalypstick». Elles sont fabuleuses d’à-propos. Elles ont de la texture, de la teneur, de l’excellence, elles savent déclencher l’enfer sur la terre et revenir au petit sucre de Manchester. Elles mêlent merveilleusement leurs deux sucres. Et ça bombarde ! Elles dégagent une énergie considérable. Laura chante avec un sucre canaille. Elle adore rentrer dans le chou du lard. Tu t’attaches à ces deux voix si différentes.  

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Attention à Call Of The Sacred Cow : si tu l’écoutes, tu risques fort de tomber de ta chaise. Voilà ce qu’on appelle communément un killer-album ! Premier coup de Jarnac avec «A Killer Or A Punchline» qui sonne comme un hit. T’en reviens pas ! Mia Lust et sa copine la grande Laura Orlova ont un truc que d’autres n’ont pas. Et quand tu lis les crédits sur la pochette intérieure, tu vois que la petite Mia compose tous les cuts. Et le festin se poursuit avec l’incroyable «A Beautiful Cog In The Monolithic Death Machine» : belle énergie cognitive. Ça veut dire qu’elles cognent. Voilà encore un cut bourré à craquer d’énergie pop. Elles bouclent ce brillant balda avec «Lizard Empire», nouvel exploit chanté à l’accent pincé de Manchester, dans une ambiance de Brill. Quelle magnifique ampleur structurelle ! Franchement, t’en perds ton latin. T’as encore trois bombes en B, à commencer par un «Watch Evil Grow» assez apoplectique. Elles naviguent à la pointe de la renaissance pop de Manchester. La qualité des cuts te sidère pour de vrai. Nouveau coup de génie avec «Dead Air» et une stupéfiante attaque. C’est Mia Lust qui chante. Elle est aussi balèze que sa copine, car elle y va au sucre acide. Elles font un petit coup de Wall of Sound pour finir, avec «Overgrown». Cet album sonne comme un délire qualitatif d’un niveau peu commun.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Alors, il ne faut pas en rester là : tu sautes sur The Peculiar Smell Of The Inevitable. T’es estomaqué dès «Blurred Visions» et son tempo sauvage. Elles sont les reines du wild-as-fuck. Leur fonds de commerce est la fantastique tenue de route. Aucun temps mort sur cet album, elles font le canard sur «Rats» et puis elles bouclent le balda avec un «Naked Souls Get Swallowed» qui sonne comme un hit, bien lesté de power-chords. Tu salues la présence de leur prescience. Et ça repart de plus belle en B avec «Frightful In The Sunlight», bien profilé sous le vent et soutenu par un bassmatic grondant. La grande Orlova passe un joli petit killer solo et en prime, t’as des super-développements. Tout cela te met bien l’eau à la bouche. Et voilà qu’elles sonnent comme les Pixies sur «Uncanny Valley», c’est effarant d’attaque incisive et chanté au sucre. Elles jettent encore tout leur dévolu dans la balance de «Brother Connor» et bouclent avec un «Slag Heap Deity» en deux parties, un Heap vraiment joyeux, punchy en diable et de très haut niveau. 

    Signé : Cazengler, Shame trail

    Chemtrails. Le Trois Pièces. Rouen (76). 10 mai 2025

    Concert Braincrushing

    Chemtrails. Call Of The Sacred Cow. PNKSLM 2018

    Chemtrails. The Peculiar Smell Of The Inevitable. PNKSLM 2020

    Chemtrails. The Joy Of Sects. PNKSLM 2024

     

    Inside the goldmine

    - La clé de Judy Clay

             Nous avions tous rendez-vous à Bastille, chez Bofinger, pour une réunion informelle. Oh, nous n’étions pas nombreux, cinq personnes au total, Lady Cœur-de-Lyon qui avait eu l’idée de ce meeting, un couple de jeunes entrepreneurs, Baby Class et moi. Tous quasiment du même âge et membres actifs de la grande révolution technologique qui secoua le monde des arts graphiques, à la fin du siècle dernier. Baby Class avait elle aussi monté son agence, oh pas grand-chose, deux salariés et deux ou trois clients, mais bien située, rue d’Alesia. Nous témoignâmes de nos expériences respectives et échangeâmes quelques informations, notamment sur les fournisseurs, le fameux talon d’Achille de la profession. Baby Class était une jeune femme assez haute, aux cheveux courts, peu maquillée. Pas de bijoux. Elle ne souriait pas, et semblait livrée aux affres d’une indicible mélancolie. Ses très beaux yeux gris étaient comme voilés de tristesse. Cette conversation passionnante semblait néanmoins la divertir. Au sortir du meeting, elle annonça qu’elle prenait le métro, aussi lui proposai-je de la déposer dans son quartier. Elle accepta avec un sourire mystérieux. N’attendait-elle que ça ? Nous descendîmes par le Boulevard de la Bastille et traversâmes la Seine au Pont d’Austerlitz. Elle ne disait rien. Nous roulâmes en silence à travers les rues désertes. Il régnait dans la bagnole une sorte de plénitude. Elle me tutoya pour la première fois en me demandant de la déposer sur la place d’Alesia, et disparut. Quelques années plus tard, après que la tempête eût tout emporté, maison, arbres, business, je vis qu’elle cherchait quelqu’un pour bosser avec elle. Coup de fil. J’allais me présenter, mais elle me coupa sèchement : «Inutile, j’ai reconnu ta voix.» Elle m’accueillit le lundi suivant. Elle bossait toute seule dans un vaste local très bien éclairé. Elle donnait le matin les instructions sur le dossier à traiter, puis elle s’installait pour la journée derrière sa bécane. Pas un mot de la journée. Le cirque dura trois mois. D’un commun accord, nous rompîmes le contrat de travail. Vingt ans plus tard, passant dans le quartier, je vis que l’agence existait toujours. La plaque de cuivre figurait toujours à l’entrée de l’immeuble. J’appelai à l’interphone et elle me fit monter. Elle m’accueillit en souriant dans l’entrée. Elle n’avait pas changé. Elle semblait contente de me voir. Mais je n’en étais pas complètement certain.    

     

    Z28718JUDYCLAY.gif

             Qui de Baby Class ou de Judy Clay est la plus mystérieuse ? On ne le saura jamais, et c’est aussi bien comme ça.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             On se souvient que Judy Clay fit sensation avec Billy Vera sur un bel album Atlantic, Storybook Children. Dans le civil, Judy Clay s’appelle Judith Grace Guions et vient non pas de Memphis, mais de Caroline du Nord. Elle chante très vite du gospel à Harlem et fréquente les Drinkards Singers. La chanteuse lead du groupe Lee Warwick prend Judith, 12 ans, sous son aile et l’installe chez elle, dans le New Jersey, en compagnie de ses deux filles Dionne et Dee Dee. Les Drinkards Singers se retrouvent vite fait au Madison Square Garden avec Clara Ward, Sister Rosetta Tharpe et Mahalia Jackson. Autant dire que Judith traîne déjà dans la cour des grands. Emily Drinkard allait devenir Cissy Houston. Dionne la lionne sera la première à accepter d’entrer dans le «secular world», suivie de près par Judith devenue Judy, qui va commencer à enregistrer en 1960, bien trop tôt. Mais quand elle voit Dionne la lionne devenir une superstar, elle pique une crise de jalousie et prend contact avec Jerry Wexler qui l’aide à sortir de son contrat Scepter pour l’envoyer enregistrer chez Stax qui «appartient» alors à Atlantic. Elle descend à Memphis pour être aussitôt prise en mains par Isaac le prophète. Elle retournera un peu plus tard avec Billy Vera enregistrer un album à Muscle Shoals, mais apparemment, c’est resté dans les étagères. Judy Clay aurait dû faire partie des très grandes Soul Sisters américaines, mais le sort en a décidé autrement. Pour gagner sa vie, elle fera des backings vocals. Elle finira par prendre sa retraite à Fayetteville, en Caroline du Nord et ne chantera plus qu’à l’église.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             On la retrouve sur deux belles compiles : Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four, avec Marie Knight, et The Stax Solo Recordings avec Veda Brown.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             C’est évidemment Marie Knight qui vole le show sur Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four. Mais Judy Clay se défend bien, on apprécie sa fantastique présence dans «My Arms Aren’t Strong Enough», un heavy balladif dégoulinant de détresse sentimentale. C’est tout de même un bonheur que de l’écouter. Elle s’épuise un peu dans la pop de Broadway et revient flamber la Soul new-yorkaise avec «The Way You Look Tonight», une Soul hyper-orchestrée et gorgée de chœurs. Elle sait aussi driver un wild r’n’b comme le montre  «You Busted My Mind» et l’«He’s The Kind Of Guy» tapé aux cloches de la 7e avenue est d’une incroyable musicalité. Elle entre dans les années de braise du r’n’b avec «Your Kind Of Lovin’» et son «Upset My Heart (Get Me So Upset)» est d’une qualité invraisemblable. Ça frise le popotin Stax. Et puis elle jazze son «That’s All» avec une classe sidérante. On passe à Marie Knight avec «Cry Me A River». Elle te crève les tympans. Marie Knight est l’une des pires screameuses de l’univers. Elle joue avec la Soul comme le chat avec la souris. Sur «Comes The Night», elle sonne comme Esther Phillips. Pur genius, feeling de voix et power all over. C’est la reine du par-dessus-les-toits. Encore de la haute voltige de Soul pop avec «That’s No Way To Treat A Girl». Elle fait pas mal de petite pop et renoue avec le génie dans «You Lie So Well», un r’n’b à la Motown motion. Elle y va la Marie !

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Dans les liners de The Stax Solo Recordings, Tony Rounce nous rappelle que Judy est arrivée chez Stax en 1967, c’est-à-dire en plein âge d’or. Rounce raconte qu’en fouinant dans les archives de Stax,  Roger Armstrong a exhumé «My Baby Specializes», qu’on peut donc entendre pour la première fois sur The Stax Solo Recordings.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Sur cette compile, Judy Clay arrive à la fin. Ça permet de découvrir l’excellente Veda Brown et son «Take It Off Her (And Put It On Me)». Niaque et Staxy raunch : tout est parfait. Dans les liners, Tony Rounce nous apprend que Veda est originaire de Kennett, Missouri, et qu’elle a commencé par chanter à l’église. Un certain Jerry Robinson la découvre et Veda se retrouve à Muscle Shoals pour enregistrer ses premiers Stax cuts. Tu tombes ensuite sur «Short Stopping», un fantastique dancing strut. Tu te lèves et tu jerkes avec Veda. Elle est vraiment bien, la petite Veda. Même sur les cuts plus lents, elle sait se montrer pleine est entière, fabuleusement impliquée. Elle tape une mouture de «Fever» au grand battage et ça prend des allures de prophète Isaac, avec les percus du diable. Pur power encore avec «Guilty Of Loving You» et son «That’s The Way Love Is» sonne comme un slowah profondément circonstancié. Avec Veda, tout est bien. Elle a une classe invraisemblable. Elle sait aussi gérer la Soul progressive comme le montre «Who Wouldn’t Love A Man Like This». Et quand Judy arrive avec «Remove These

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

    Clouds», elle passe au gospel batch et t’explose le cortex. Avec «Bed Of Roses», elle fait son Aretha. Même beefsteak ! «It’s Me» est un slow super-frotteur. Elle sait se frotter au mâle. On comprend que Wex ait bandé pour elle. Elle te fracasse vite fait le gros popotin de «Since You Came Along». Avec Aretha, Judy est l’autre reine de la Soul. «It Ain’t Long Enough» sonne comme une tranche de Soul joyeuse et pantelante. Elle fait encore la reine de Stax avec «Your Love Is Good Enough». C’est tout de même incroyable que des Soul Sisters du calibre de Veda et Judy Clay soient passées à la trappe.

    Signé : Cazengler, Clay-bar

    Judy Clay/ Marie Knight. Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four. Westside 2001

    Judy Clay/Veda Brown. The Stax Solo Recordings. Kent/Ace records 2008

     

    Road to Kairos

    z28719kairos.gif

             Finalement, t’auras passé une bonne soirée avec Kairos Creature Club, un trio venu tout droit de Jacksonville, en Floride, jusque dans la cave. Pas d’hit interplanétaire dans leur set, mais la réalité de leur verdeur artistique te conforte dans l’idée que l’underground résiste bien à la nécrose de médiocratisation rampante qui menace le monde moderne.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Le trio te met tout de suite à l’aise car zéro prétention et zéro frime. T’as deux petites gonzesses (beurre et poux) et un mec au bassmatic. Celle qui bat le beurre s’appelle Lena Simon. On sent qu’elle a du métier. Elle vient de La Luz. Celle qui gratte ses poux s’appelle Glenn Michael Van Dyke. Contrairement à ce qu’indique son nom, c’est une gonzesse et elle gratte une belle SG bordeaux, elle se planque sous une casquette et porte un futal en tartan écossais. Fière allure, mais surtout fière fluidité, elle sait filer le train d’un killer solo à rallonges, elle n’a aucun problème pour développer l’extension du domaine de la loose, et le groove du trio s’y prête plutôt bien. Ils sont tellement originaux qu’on ne peut les comparer à rien de

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

    particulier, sauf peut-être aux shoegazers. Sur certains cuts, les Kairos sonnent très anglais. Il remonte de leurs ébats de curieux remugles shoegazy, de vagues échos de My Bloody Valentine ou des Pales Saints, dirons-nous, surtout quand ça vient de la batteuse. Elle adore laisser sa voix flotter en suspension. Elles se partagent le chant, tantôt c’est Glenn (qui se fait aussi appeler Billy Creature), tantôt c’est Lena (qui se fait aussi appeler Kairos). Sous sa casquette, le petite Glenn Michael Van Dyke joue pas mal sur les ambiguïtés et t’as intérêt à vérifier les choses pour éviter de raconter des conneries. 

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

              Bon, leur début de set est problématique, comme il l’est généralement avec les groupes qu’on découvre, parce qu’on ne sait rien d’eux. Si on arrive avec les oreilles fraîches et zéro info, il faut un petit temps d’acclimatation. Le temps de rentrer dans leur jeu. Le temps que ça clique. Et on est content quand ça clique, car il arrive que ça ne clique pas. Soit tu t’ennuies, soit c’est pas bon, et tu montes au bar siffler ta Jupi. Cette fois, ça clique. T’es vraiment content d’être là et de partager ce moment avec la petite faune habituelle. Il reste une poignée de gens vraiment intéressants en Normandie et c’est là que tu les croises. On a tous en commun cette curiosité passionnée pour l’underground. On a tous envie de voir ces groupes inconnus exploser. On a tous envie de mettre le grappin sur l’album le plus fabuleux de l’underground le plus ténébreux. C’est presque une obsession. Et chaque fois, tu vois un groupe sorti de nulle part taper le Grand Jeu pour une assistance minimale, c’est-à-dire la poignée de gens intéressants. Alors forcément ça t’en bouche un coin. Au fil des cuts, les Kairos montent bien leur Club-out en neige et ça finit par culminer. Quoi de plus sexy que de voir un groupe inconnu culminer ?   

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Alors culminons. L’album KCC luit d’un éclat rouge au cœur du merch des ténèbres. Tu y retrouves le point culminant du set, «Deleuzean». Lena y pose bien les bases de son univers. Te voilà en plein Bloody Valentine, ça sonne comme un hit et ça prend vite de l’ampleur. Elles sont encore très anglaises avec «Good Company», pur éther poppy poppah, et «Exile». La Luz rôde dans cette pop qui se veut américaine et qui ne l’est pas, et là t’as la Glenn qui part en wild solo de wah. En A, leur «Doom Funk» part d’un bon sentiment et prend sa petite vitesse de croisière groovytale. La belle pop de «Strangers» vise le frais-comme-un-gardon, même en mode shoegaze. Elle passe en force, mais non sans grâce. Et puis t’as l’excellent cut du mec à la basse, «Self Portrait». Il sait placer sa voix et faire l’imposition. Ça tient debout. T’as là un joli shoot de pop-rock. C’est la Glenn qui boucle l’affaire avec un «UK Club» instro qu’elle tape au bassmatic. Elle y fait un fantastique numéro de bassmataz.

    Signé : Cazengler, Craignos Creature Club

    Kairos Creature Club. Le Trois Pièces. Rouen (76). 26 mai 2025

    Concert Braincrushing

    Kairos Creature Club. KCC. Greenaway Records 2024

     

    Wizards & True Stars

     - Massacre à la ronronneuse

     (Part Four)

    Z28716ANTON.gif

             Le génie d’Anton Newcombe se trouve dans les albums. T’as une belle palanquée d’albums, donc une belle palanquée de coups de génie. Anton passe sa vie à composer. Pour le suivre, il faut des moyens. Ses albums sont tous très beaux. Ces gros vinyles coûtent la peau des fesses. Pour ceux qui n’ont ni le temps ni les moyens d’entrer de plain-pied dans l’œuvre d’Anton Newcombe, le plus simple est d’écouter cette fabuleuse rétrospective, Tepid Peppermint Wonderland, parue en 2004 et récemment rééditée. Anton y sort des cuts de tous ses albums, ce qui permet de voyager avec lui à travers les époques et de constater une chose : il reste en permanence dans le haut de gamme. Ce double album regorge d’énormités. «Who»

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

    est un fantastique hommage druggy à Brian Jones, LE dandy du XXe siècle. On se régale du beat descendant de «Servo», une prophetic-song donavanesque, groove malsain de Californie, à la fois violent et enchanteur, la mort et le soleil, le doux rêve qui cajole l’horreur sanglante, pas de contraste plus dangereux. Il faut se souvenir que des tas de satanistes sont allés se faire dorer la pilule en Californie, devenant ainsi la honte du diable. Joel nous tambourine ce beau psycho-beat qu’est «If Love Is The Drug» dans une belle ambiance cauchemardesque chargée de fuzz distante et hantée par des voix de filles défoncées et des voix d’hommes émasculés. La force du collectif est de savoir monter en puissance. Salutaire et clinquant, «Straight Up And Down» claque aux accords du diable. Ça pue les drogues à dix kilomètres à la ronde. Cette psychedelia californienne se montre extravagante de puissance traversière, montée sur une mélodie hasardeuse digne des Stones, s’ils avaient osé aller jusque là. Nul doute que Brian Jones aurait osé. Alors Anton donne la main à son héros Brian Jones, la main dont il rêvait, et cette débauche psyché qu’il a incarnée avec tellement, oh tellement de flamboyance. Que tous les ennemis de Brian Jones aillent rôtir en enfer. Anton part en solo en l’honneur de son héros. «Anemone» s’installe dans le lent et le beau. On s’est grillé la cervelle, alors on a le temps de déconner et de laisser couler des accords pour jouer le groove de la ramasse. Voilà encore une pièce fabuleuse de décadence qui tombe vers l’avant - you should have picked me up - elle parle au ralenti, on est dans le break rouge d’un trip avancé, la raison échappe au regard, on ne sait plus où poser le pied, et c’est monstrueux de toxicité.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Le disk 2 est encore plus déterminant. Anton prend «That Girl Suicide» au chat perché puis ça part dans les impudeurs, avec des pointes de violence. C’est admirable de fourberie psychédélique. Anton a des idées fantastiques. Il redouble d’inspiration sauvage, avec un solo dégueulasse qui traverses les couches comme le ver la pomme. Heavy psyché avec «Evergreen», somptueux, emmêlé des crayons, rampé plus que rampant, signifiant le fin de l’élégance. Encore un hit fabuleux accroché à la gloire du quotidien avec «In My Life», plombé d’énormité et de riffs gluants. Rien qu’avec ça, il mérite sa couronne de superstar. Son rock est naturellement trashy. Il n’a pas besoin d’en rajouter. Avec «Mary Please», il s’amuse à sonner comme Oasis, dans le descendant et le druggy. C’est fabuleusement écroulé contre le mur, dément, lazy et pas pressé. Doucement. Quand on est défoncé, on y va doucement. Voilà ce que raconte la musique d’Anton Newcombe : le vertige sublime de la défonce. Comme Lou Reed, il en fait de l’art. Mais pas de l’art à la petite semaine. Puissance pure avec «Talk Action Shit», tambourin, sale garage, pur génie. Tout est là. Le rampage. Sourd et terrible. Il peut aussi sonner comme les Byrds si ça lui chante, et il le fait avec «This Is Why You Love Me» et on retombe sur l’un des hits du siècle, «Not If You Were The Last Dandy On Earth», la clameur - and you look good - suivie par une guitare aux abois, rien que la partie de guitare, c’est de la folie douloureuse, un rush d’héro dans le cerveau. Sur ce disk, tout est énorme, comme ce «Feel So Good», avec sa progression démente sur des violons, encore un hit psychédélique, encore une idée qui fait le moine. Anton Newcombe est un géant. Une voix ingénue sur prod sur une violonade à la «Walk On The Wild Side», et un solo suit comme un chien fidèle. Anton reprend la barre, aussi défoncé qu’elle. L’ambiance reste mortellement bonne, on s’habitue - I want to feel so good - à s’en faire péter la cervelle plutôt que la rate. Et puis arrive ce solo-chien malade de distorse. Et ça monte encore. Valencia rappelle que l’idée de Tepid Peppermint Wonderland était de capitaliser sur l’effet Dig!

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Spacegirl & Other Favorites est le premier album du groupe sorti en 1995. Dès «Crushed», le premier morceau, on plonge dans l’heavy psychout. La caravane s’ébranle à travers les sables verts de Zabriskie, jusqu’à l’horizon où flotte le rond du soleil levant. Mystère des sables et puissance de la résonance, avec des lignes de basse errantes, magnificence crépusculée d’avance. Cette basse caoutchouteuse rôde comme une hyène, alors on l’observe avec l’air neutre qu’il faut toujours afficher, pour ne pas effrayer les hommes de la patrouille. Le souffle du Massacre est tellement puissant que le sable se ride en surface comme la peau d’une vieille pensionnaire de harem. Basse hyène de rêve dont la silhouette court sur l’horizon. On glisse assurément vers les lointaines régions de non-retour. C’est sur cet album que ce trouve «That Girl Suicide», monté comme un standard des Byrds, avec cette même insistance du son sacré. «When I Was Yesterday» est un autre groove à la Masssacre, amené doucement et versé dans des lacs tièdes, en amont des fourches caudines, là où nul humain n’est encore jamais allé, là où la perception atteint les limites de la transversalité, là où l’embellissement devient purement latéral. Mal dégrossi, Spacegirl ne fera que préparer le terrain pour Methodrone. D’ailleurs, ces deux chefs-d’œuvre de space-rock doom que sont «That Suicide Girl» et «Crushed» profiteront des deux voyages.  

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Methodrone sort dans la foulée. Dès «Wisdom», on assiste à une belle montée en masse des accords sur le front de l’Est. Voilà encore un groove d’une rare puissance. Greg Shaw devait être ravi d’entendre ça. Valencia avoue qu’il est tombé sous le charme du BJM grâce à «She’s Gone» - Ça groove, ça secoue, ça voyage et ça s’entend à l’infini - C’est vrai, le BJM développe un fantastique sens du groove psychédélique qui n’est pas sans rappeler celui des 13th Floor. Pièce de groove éléphantesque, «She’s Gone» commence par traverser les jardins et puis devinez ce qui se passe ensuite ? «She’s Gone» entre dans le magasin de porcelaine, mais comme ce cut est raffiné, il ne casse rien. Il se glisse comme un chat entre les neurones de porcelaine. Anton baptise l’album Methodrone en l’honneur de Peter Kember, c’est-à-dire Sonic Boom, qu’il rencontre en studio à l’époque, ‘Peter, son jar de methadone and his drone band’. Sur le même album se trouve «Hyperventilation» qu’Anton voulait titrer «Iggy Pop Sonic Boom», avec un son qui dit-il est celui de «1969» à vitesse réduite. C’est du pur Spacemen 3, un groove méchant et sournois. Anton chante ça l’œil mauvais, il geint comme un voyou pasolinien qui prépare un mauvais coup, et puis ça explose. Des éclairs zèbrent le background du morceau. Notez enfin que Graham Bonnar de Swervedriver bat le beurre sur cet album. 

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             En 1996 paraissent trois albums : Their Satanic Majesties Second Request, Thank God For The Mental Illness et Take It From The Man. Anton met les bouchées doubles avec un Satanic Majesties rempli à ras bord de grooves infectueux. «All Around You» et «Cold On The Couch» groovent lentement et sûrement. On a là le vrai groove californien, bien huilé sous le soleil ardent et qui ne se nourrit que d’hallucinations. Les drogues sont bien meilleures sous le soleil exactement, comme chacun sait. Avec «Jesus», ils renouent avec le groove du Dandy, beau et dramatique, un peu hanté et légèrement ralenti. Avec un solo en note à note, Anton fabrique l’archétype de la drug-song parabolique, le politiquement druggy parfait. Doomé jusqu’à l’os et sonné au tambourin provençal, «Anemone» se niche sur cet album. Dans cette extraordinaire pièce d’à-propos, Anton veut demander quelque chose à sa copine, mais il ne se souvient plus quoi. Il essaye d’atteindre un objet de la main, mais il ne se souvient plus quel objet ni quelle main. Alors il écoute ce qu’elle dit, mais il ne sait pas de quoi elle parle. On est dans le groove de la vape. Anton raconte qu’il a fait venir un van rempli de gens drogués pour faire les chœurs d’«All Around You».

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Quand on ouvre le gatefold de Take It From The Man, on tombe sur un petit texte d’Anton : il jure que le fantôme de Brian Jones est venu le trouver dans le studio pour lui demander de faire cet album. Brian lui a aussi demandé d’aller casser la gueule à Keef et à Mick parce qu’ils lui ont piqué son groupe, sa musique, sa fiancée et son blé. En prime, ils l’ont fait buter. Pour enregistrer cet album, Anton étudie les photos des Stones en studio. Il tente de reproduire leur technique de sonorisation des instruments. Il est obsédé par la magie des sixties. L’album est enregistré live. Quelle merveille psyché que ce «Who» rendu sauvage par des youihhh jetés en l’air, et doublé d’un riff incroyablement classieux ! Avec «Caress», on reste au centre du cercle des dolmens sacrés de la tradition écarlate du garage psyché, dans la quadrature du cercle magique Bomp. C’est d’une précieuse véracité. Le génie coule à flots dans les veines d’Anton Newcombe. Il passe au garage sévère avec le morceau titre. Il chante avec du venin plein la bouche et derrière, on entend des chœurs incroyablement défaits, des ouh-yeah incertains, posés au hasard des pulsions libidinales et ça continue pendant le solo d’harmo. Tout aussi garage mais plus ardu, «Monkey Puzzle» prend la gorge. Ils nous saupoudrent tout ça d’un son digne des Byrds. Album idéal pour les ceusses qui sont en manque de fascination. Valencia parle d’énergie atomique. Il compare même l’album au Raw Power des Stooges et aux early Beatles - That youthful hormonr-driven energy - Pour Joel, Take It From The Man est un ‘December’s Children nuts and bolts rhythm & blues sound’.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Et voici le troisième BJM de 1996, Thank God For The Mental Illness. C’est bien sûr Joel qu’on voit sur la pochette. L’album renferme un joli clin d’œil à Dylan avec un «13» digne de «Highway 61», bourré de gros gimmicks bloomiques à la sauce Newcombe. Voilà encore une énormité qui vaut le détour. Encore plus dylanesque, lancé à l’harmo des enfers, «Ballad Of Jim Jones» revisite par son épaisseur le mythe du folk-rock dylanesque. Avec ce son grandiose. Anton Newcombe renoue avec l’éclat des sixties compatissantes. Retour au heavy groove avec «Too Crazy To Care» : le regard embué, l’harmo dans la mélasse, le groove titube, il avance d’un pas hésitant en s’appuyant contre le mur. Pure druggy motion. Now next one, lance-t-il d’un ton sec. «Talk Action Shit» arrive. Avec cette jolie pièce de garage californien, violente et malsaine, Anton fait sa carne, alors que claque le tambourin. Anton shoote de la violence dans sa Stonesy. Que peut-on demander de plus au garage ? Rien. Juste sonner comme «Talk Action Shit». C’est pourtant pas compliqué. Thank God For The Mental Illness est d’autant plus admirable qu’on lit ceci sur la pochette : «Enregistré live le 11 juillet 1996 à la maison pour un coût total de 17,36 $. Pas de shit. Si vous n’appréciez pas, pas de pelle non plus pour ramasser le shit.» Anton Newcombe ne fournit pas la pelle à merde. C’est sa façon de vous dire d’aller vous faire cuire un œuf si vous n’aimez pas sa musique.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Give It Back parait l’année suivante et s’ouvre sur «Supersonic», un groove psyché de haut vol orientalisant. En s’inspirant des Byrds pour «This Is Why You Love Me», ils pondent un beau hit sixties joliment fileté à la mélodie et arpéggié en moderato cantabilisant. Ah l’excellence de la fragrance ! S’ils riffent si salement «Satellite», c’est pour en faire un coup de Jarnac malsain. Anton Newcombe s’ingénie en permanence à hanter les esprits. Il va là où ne vont pas les autres. C’est un tuteur d’aisance malodorante à la Maldoror. Pourquoi «Satellite» est un vrai hit pop sale ? Parce qu’il traîne des pieds. Et on retombe dans la magie du Last Dandy On Earth, le hit imparable amené à la hurlette de guitare, chanté à l’essoufflement, construit comme une lente montée inexorable qui finit par exploser en pah-pah-pah doublés de chœurs de Sioux - She’s like a sixties movie/ You know what I mean/ And you look so good/ And you look so wasted/ And baby I know why - S’ensuit un autre hit, «Servo», plus pop, dans l’esprit des plus grands hits californiens. On est en plein tournage de Dig! et Ondi Timor filme un Anton sûr de lui. Il sait qu’il a les hits, et il lance : «Move on over Dandy !», mais les Dandy Warhols ne parviendront jamais à ce niveau d’excellence.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Quand l’album Strung Out In Heaven est sorti en 1998, on faisait la fine bouche. La presse américaine en vantait les mérites, mais on trouvait l’album un peu mou du genou. Et pourtant, trois ou quatre bombes se nichent sur ce disque. «Going To Hell» est un gros hit psyché qui, bizarrement, ne figure pas sur la rétrospective. C’est un cut flamboyant remué par des explosions d’accords acides sous le soleil - I live in a dream but you’re living in hell - et ça enchaîne avec un solo en note à note, ça coule des cuisses, ça explose à l’horizon, c’est toujours du druggy rock conquérant sans concurrence. Belle intro à la note hurlante pour «Got My Eye On You», bien battu au beat, hommage aux diables dorés de Californie. Anton y va de bon cœur, son groove provoque toujours l’admiration et on entend un mec pianoter à l’envers. Vraiment dingue, comme si les flammes du brasier avaient des yeux bleus. «Love» est une bluesy love song lysergique à la Spiritualized avec un départ de fin de journée compliquée, poussif et lourd, ah non pas envie, péniblement poussé au beat et le morceau se remplit comme la baignoire de la mort. Et puis on a cette pièce de doom californien, «Wisdom», heavy en diable, l’autre hit de l’album, un rock qui descend en longueur et qu’Anton partage avec une fille. Alors ça devient sérieux, car elle amène de la sensualité psyché à cette affaire qui prend une ampleur fantasmagorique particulière. C’est claqué d’accords ralentis qui tombent tous les uns après les autres du haut de la falaise de marbre. Alors Anton reprend la main d’une voix ferme - but he said there’s no way - c’est puissant et dramatique - don’t you kill you - Effarant. Pour lui, c’est pas si compliqué d’effarer. Il pousse le bouchon, comme d’usage et il ramasse au passage toutes les brebis égarées. Sex drugs & rock’n’roll, baby. Dans le book de Valencia, Strung Out est peut-être l’album qui suscite le plus de commentaires. Comme il vient de signer sur TVT, Anton a du blé et sa conso d’héro augmente vertigineusement. La manager Dutcher transpire à grosse gouttes, car l’enregistrement de l’album financé par TVT n’avance pas. Valencia décrit le process laborieux. Les gens de TVT voient Strung Out comme un bon album, mais pas un hit album - It lacked the revved-up energy, attitude and big rock sound - Dutcher attribue cet échec à la pression qu’on mettait sur Anton à l’époque. TVT misait gros et la pression écrasa Anton.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Jim Jarmush apparaît sur la pochette de Bravery Repetition & Noise, paru en 2001. Comme Jarmush a choisi «Not The Last Dandy On Earth» pour figurer dans la Bande originale de Broken Flowers, Anton a voulu le remercier en choisissant cette photo pour la pochette de l’album. On y trouve le groove le plus druggy de la troisième dimension : «Open Eye Surgery». On voit rarement des grooves qui ont autant de mal à marcher droit. Celui-là titube. Son pas hésite. Il ne sait pas dans quelle direction aller. Le riff si adroitement joué semble lui aussi en décalage total. Mais le reste de l’album refuse obstinément d’avancer.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Pas mal de bonnes choses sur And This Is Our Music, paru en 2002, et notamment «Geezers» qui évoque les Stones de Satanic Majesties : même ambiance, mêmes bouquets de chœurs, tout nous renvoie à cet album maudit. L’ardeur groovy d’Anton Newcombe ne connaît pas de limites. «Here It Comes» est un balladif heavy et ralenti du bulbe. Anton va chercher ses frissons dans la gélatine du paradoxe. Le reste ne l’intéresse pas. C’est un égaré qui adore s’égarer. Une sorte de torpeur règne sur cet album et c’est pour cette raison qu’on le respecte et qu’on l’admire. C’est un pourvoyeur de non-lieux, un fabuleux diseur de non-aventure. «A New Low In Getting High» est digne de Buffalo Springfield. Bon beat, sévèrement embarqué, chant à la ramasse intestine. On retrouve la chaleur du californian hell. Voilà encore une petite merveille de groove dégingandé, parfaitement capable de sauver un album peu soigneux. 

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Enregistré en Islande, My Bloody Underground commence mal. Anton demande qu’on lui apporte la tête de Paul McCartney. «Bring Me The Head Of Paul McCartney» est encore du psyché à la ramasse, bien pentu et très fumeux. Anton erre parmi les tournesols et les azurs marmoréens. Il coule une belle cascade psyché mirobolante. Retour à la mad psychedelia avec «Infinite Wisdom Tooth», allez les gars, tapez dans le pink du gras. C’est à la fois embarqué et embarquant. Jolie pièce de groove perturbé, avec une sorte de précipitation au niveau de la circulation sanguine, un vrai rush folâtre et brumâtre. On ne sait pas trop quoi penser. Tous les morceaux sont longs sur ce bloody disk, Anton est un mec qui a le temps. Pour lui, rien ne presse, il n’est pas comme les autres, ceux qui sont en prod. Notons au passage que le Mark Gardener de Ride joue sur l’album. Anton est fan du «Drive Blind» de Ride. On trouve aussi sur cet album une belle pièce de piano chopinée et étalée dans le temps : «We Are The Niagara Of The World». Anton tient ses fans par la barbichette. Pour les filles, on ne sait pas par quoi il les tient. Psyché toujours avec «Who Cares Why», vraie apologie des drogues et de la druggy motion, pas loin de l’exotisme hypnotique, bande-son du bon vieux trip, on la reconnaît dès les premières mesures. On entend son cœur battre. Le trip reste certainement l’expérience la plus insolite qu’on puisse faire dans une vie. God comme on adorait ça. La cervelle est faite pour la surchauffe et pour la chimie. Elle s’y prête bien. Anton a tout compris. Garage violent et grosse basse effervescente dans «Golden Frost», monstrueux space-rock à décrocher la lune. Et retour insolent à la Mad Psychedelia avec «Just Like Kicking Jesus», pièce extravagante et énorme, verte et mauve, à la ramasse de la mélasse, univers d’absorption, drug-song évanescente qui te coule dans le cerveau comme la speed-dance des dieux, une mer de bénédiction esquintée au LSD, probablement la plus belle drug-song de tous les temps. Plus la peine de prendre un acide, il suffit juste d’écouter ce cut pour partir au diable Vauvert en compagnie d’Anton le diable vert. Vraiment digne de Spiritualized. Et puis quoi encore ? «Monkey Powder», co-écrit avec Mark Gardener, nouvel univers, invitation au voyage en calèche à travers les Carpathes psychédéliques sous un ciel rouge de sang. Cet album signe le retour aux sources du BJM. Music first, songs later.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Paru en 2010, Who Killed Sgt. Pepper? est le premier album berlinois d’Anton. Il s’ouvre sur un tempo jive de zone B bien allumé qui s’appelle «Tempo 116.7 (reaching for dangerous levels of sobriety)», dans l’ambiance d’un studio abandonné des dieux. Pire encore, «Hunger Hnifur» semble chanté depuis le fond du studio. On ne sait pas trop qui joue sur cet album et on s’en fout éperdument. Le bon Samaritain Valencia nous apprend toutefois que Will Carruthers donne un petit coup de main spacemanien sur un «Let’s Go Fucking Mental» qui stagne dans les mêmes eaux que «Hunger Hnifur» : cet heavy jamming met un temps fou à gagner la surface. Anton va chercher des grooves druggy toujours plus exceptionnels. Au moins, il ne fait pas semblant. Let’s go fucking mental, la la la. Et puis on tombe sur «This Is The First Of Your Last Warnings», une espèce de druggy groove arabisant de la médina de la soute du souk à la dérive des derviches dessoudés. On assiste à l’arrivée de grosses notes de basse soutenues par des claquages d’accords acoustiques - eh oh - De la même manière que Jim Dickinson avec les Trashed Romeos, Anton Newcombe sait faire monter une grosse note de basse au moment opportun. On peut aussi qualifier «Super Fucked» de groove hypnotique à la ramasse de la rascasse. Anton chante ça de cette voix pâteuse qu’on dit idéale pour célébrer l’immanence de la décadence. 

             Même s’il est désormais installé à Berlin, le BJM continue de tourner dans le monde entier. Tous les gigs sont sold-out. Mais en 2011, il doit se faire interner suite à un violent épisode schizophrénique. Deux mois d’internement à St Joseph. Il ressort de l’hosto soigné et le crâne rasé. C’est là qu’il décide de se calmer. Il est mentalement et physiquement rincé.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Le deuxième album berlinois s’appelle Aufheben et paraît deux ans plus tard. Il choisit ce mot allemand signifiant à la fois détruire et préserver pour en faire un concept philosophique : la société doit détruire pour se construire, et donc se préserver, et il cite l’Allemagne en exemple. Au plan musical, il continue le travail de sape commencé depuis bientôt vingt ans : orientalisme groovitant («Panic In Babylon»), groove de machine à la noix de coco («Gaz Hilarant»), et groove Massacre pur avec «I Want To Hold Your Hand». Anton ne se casse pas la tête. Il groove, comme il sait si bien le faire. On reste en terrain de connaissance. Pas de surprise. Il nous refait le coup du vieux groove détaché du rivage qui part doucement à la dérive, monté sur le même vieux plan d’échappée et chanté à la voix mal réveillée d’une descente de trip. Il opère aussi un beau retour à la Stonesy avec «Stairway To The Party In The Universe» : on y entend poindre le thème de «Paint It Black», mais d’une manière fabuleusement subtile. Pas de gros sabots chez Anton Newcombe. C’est là où il se distingue. Il suggère. Dans «Seven Kinds Of Wonderful», on entend chanter des femmes de l’Irak antique. Quelle étonnante foison d’exotisme psyché ! Le joli groove de «Waking Up To Hand Grenades» se met en route pour le bonheur des petits et des plus grands. Il semble qu’Anton Newcombe soit entré dans un univers de rêveries hermétiques dignes de Paracelse.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             Revelation sort en 2014, sous une pochette ornée d’un joli photo-montage psychédélique. Encore un double album. Anton ne lésine pas. Il veut que ses fans aient des beaux objets dans les pattes, alors il fait travailler des artisans sérieux. Sur ce nouvel album, on trouve pas mal de bonnes choses, et notamment «What You Isn’t», bien poundé, bien marqué en termes de territoire. Anton nous fait le coup de la pop qui prend son l’envol. Alors attention. C’est un hit. Un de plus. Oh, il n’est plus à ça près. On entend rôder une belle ligne de basse. Elle descend et elle remonte. On appelle ça une bassline de rêve. On entend les mêmes chez Baby Woodrose ou The Bevis Frond. Un hasard ? Mais non, il n’y a pas de hasard, Balthazar. Tous ces gens-là sont passés maîtres dans l’art de faire du bon psyché et des disques parfaits. Rien à voir avec les Black Angels et autres pompeurs de 13th Floor Elevators. Anton Newcombe vit le rock psyché de l’intérieur depuis plus de vingt ans, et après autant de bons disques, il n’a vraiment plus rien à prouver. La seule chose qui l’intéresse, hormis Brian Jones, c’est l’art suprême du groove. C’est ce que montre cette grosse basse lourde qui voyage dans le fond du cut. Bien sûr, il faut en plus un thème musical lancinant, comme c’est ici le cas. Ce groove est tellement bien foutu qu’on souhaiterait qu’il se déroule à l’infini et qu’il ne s’arrête jamais. «Memory Camp» est aussi une pièce de groove à la ramasse de la rascasse. Anton travaille ses beaux thèmes au doigt. Il gratte ses notes de bas en haut, contrairement à ce que font tous les autres guitaristes, qui grattent du haut vers le bas. Il est passé maître dans l’art d’inverser. Il continue d’explorer les arcanes de l’âtre suprême, celui qui ronfle en la demeure, avec des pointes de pâleur dans l’éclat des flammes. Ce Grand Œuvre psyché-philosophal n’appartient qu’à lui. Il est le maître des châteaux d’Espagne, riche comme mille Crésus et perclus de magies indolentes. Il revient au dandysme pour «Fool For Clouds». C’est de bonne guerre. Quand on dispose d’un si beau thème, autant en profiter et l’utiliser dans d’autres variations. Et puis il conclut son affaire avec un nouveau clin d’œil magistral aux Stones : «Goodbye (Buterfly)». Anton Newcombe manie une fois de plus l’excellence avec brio. Pendant que ses copains envoient les chœurs de «Sympathy For The Devil», il envisage de mourir, mais il risque de continuer à vivre pour l’éternité, comme son cousin Dracula. Son adieu aux armes est d’une classe terrifiante.  

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             En 2016, le BJM entre en studio pour des sessions qui vont donner deux albums, Third World Pyramid et Don’t Get Lost. Une véritable merveille de groove psyché se niche sur Pyramid : «Governement Beard». Back to the big sound, baby, le jingle jangle californien atrocement bien foutu, monté sur le sempiternel drive de basse. Tout l’art d’Anton est de savoir faire sonner un cut sixties aujourd’hui, et ça marche, bien au-delà des expectitudes. Et ça continue avec l’heavy grooves de «Don’t Get Lost», puis celui d’«Assigment Song Sequence». Druggy foggy motion. Encore un album de rêve ! En B, on tombe sur «Oh Brother», un instro groovy doucettement doucéreux et plutôt envoûtant. On apprécie pleinement cette compagnie. Anton Newcombe dégage tellement d’épaisseur humaine ! Une fille fait sa Hope Sandoval sur le morceau titre, petite merveille de groove d’anticipation fictionnelle. «The Sun Ship» referme la marche en sonnant comme le White Satin des Moody Blues, sans doute à cause de la flûte. Vieux relent d’ambiance familière. Comme c’est curieux...

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             On pourrait discourir à l’infinie de l’incontinence des critiques : dans l’un de ces fameux canards de rock, un critique avisé s’autorise à démolir le nouvel album d’Anton Newcome, Don’t Get Lost, sous prétexte de non-renouvellement ou d’on ne sait quoi. On a presque envie de dire à ce malheureux : «Tiens mon gars, voilà une guitare, montre-nous ce que tu sais faire.» Ce genre de mec est dangereux, car certains lecteurs n’achèteront pas l’album et passeront à côté d’un classique. Le pire dans cette histoire, c’est que ce nouvel album du BJM est fabuleux. Quand on suit Anton Newcombe à la trace depuis l’époque Bomp!, on s’épate de le voir encore capable de créer de la magie psychout. Tiens, d’ailleurs, il démarre ce double album avec «Open Minds Now Close», un groove atmosphérique impérial, monté sur le typical BJM beat. Le BJM renoue avec l’inconsolable méprise d’assise majeure. Et ça continue avec «Melody’s Actuel Echo Chamber», monté sur un beat du même acabeat. Wow the bass vibrations ! Paracelse Newcombe a percé tous les secrets de l’alchimie du son, alors bienvenue au paradis ! On connaissait le Keith Hudson Dub. Il faut désormais compter avec l’Anton Newcombe Dub, baby. Il finit cette face chargée avec «Resist Much Obey Little». Anton Newcombe crée l’événement en permanence. Il tape encore une fois dans le registre d’une belle pop hypno. L’heavy «Groove Is In The Heart» ouvre la B des anges. Une fille rejoint l’Anton qui se fend d’un solo déboîté du cartilage. Il passe au groove suspensif pour «One Slow Breath». Il navigue dans les eaux d’un «Murder Mystery» de type Velvet, mais rongé de résonances de bassmatic. Comme ce disque est fascinant ! Tiens, il termine sa B avec «Throbbing Gristle» et opère un superbe retour à l’hypno. Anton Newcombe reste le grand maître du groove. On sent des relents de Satanic Majestic planer dans ce cut, quelque chose d’implacable et d’ancien, au sens lovecraftien du terme, des rumeurs qui remontent comme des remugles d’antiques canalisations. Quelle puissance ténébreuse ! Anton serait-il un démon échappé d’un bréviaire ? Oh attendez, ce n’est pas fini ! Voilà qu’en C, il remet son bassmatic en avant du mix dans «Fact 67». Le sorcier du son se met à l’œuvre. Son cut est rempli à ras bord de good vibes. Et en D, il passe au groove urbain avec «Geldenes Heaz Menz», mais pas n’importe quel groove urbain : il se paye le luxe d’une ambiance à la Bernard Hermann, avec un taxi jaune qui glisse dans la nuit berlinoise. Fabuleux clin d’œil ! Même avec un brin de techno, ça passe comme une lettre à la poste. La preuve ? «Acid 2 Me is No Worse Than War». Anton Newcombe est un chef de meute, une rock star fondamentale, il ramène même l’Orient des portes d’Orion dans son orbite groovytale. Il passe à l’heavy rock pour «Nothing New To Trash Like You». C’est aussi sérieux qu’un hit, car monté à l’hypno et réhaussé au psychout. Anton Newcombe reste l’un des plus grands explorateurs d’univers soniques de notre époque.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

     

             Something Else paraît en 2018. Pour rien au monde, on ne voudrait rater un cut aussi parfait qu’«Hold That Thought». Ce qui frappe le plus, c’est la spectaculaire épaisseur du son. Anton Newcombe chante à la traînasserie de la Reine Pédauque, son cut sonne comme une évidence, c’est un hit, monté sur l’ultra-présence du bassmatic. Autre cut de bassman : «Skin & Bones». Anton joue des figures psychédéliques en surface, mais diable comme la basse gronde bien en dessous. C’est même une imprescriptible sarabande de miséricordes graves. Génie à l’état le plus pur ! On voit de nos yeux horrifiés la basse dévorer le son vivant. Il fait aussi sonner son «Animal Wisdom» comme du jingle-jangle monté sur un heavy groove délibéré. On retrouve ici cette capiteuse essence de psychedelia californienne à laquelle les premiers albums du BJM nous accoutumèrent. Anton insuffle sa vieille énergie dans «Psychic Lips» et libère un fantastique brouet de figures libres à la surface du pudding. L’Anton excelle de bout en bout, il se fond en permanence dans une fantastique résurgence. En B, on tombe sur l’excellent «Fragmentation» qu’il chante avec un détachement scandaleux, il ne fait aucun effort pour plaire, il s’éloigne toujours plus des contingences. Il termine cet album profondément jonestownien avec un «Silent Dream» qui sonne exactement comme l’«All Tomorrows’ Parties» du Velvet. Glacial, même ambiance, même mélodie, même sorcellerie. Sans doute ne l’a-t-il pas fait exprès. Exprès ou pas exprès, ça n’a strictement aucune importance.

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

             2019 voit paraître un album titré The Brian Jonestown Massacre. Album magique ! Dès «Drained», on reconnaît le son à l’ancienne du BJM, cette belle basse dans le mix, juste sous la surface. C’est tout de suite de l’heavy stuff, car ça sonne comme un groove prédestiné. Le rock d’Anton Newcombe a toujours eu une dimension tragique, très littéraire, une profondeur de champ que n’ont pas forcément les autres groovers. Il joue dans l’état profond du son. Il joue dans l’épaisseur de la coalition. On reste dans l’heavy stuff psychédélique à la Newcombe avec «My Mind Is Filled With Stuff». On a là un tempo lourd visité par le vent léger d’un solo de guitare éthéré. «Cannot Be Saved» s’enfonce encore dans l’heavyness psychologique. Anton Newcombe est sans doute l’un des derniers à pouvoir sonner ainsi. Avec «A Word», le groove vole si bas qu’il flatte les fondements de la morale. Anton Newcombe est devenu un shaman berlinois. En B, il profite de ce long balladif qu’est «We Never Had A Chance» pour passer un beau solo à l’éthérée, parfaitement libre dans le ciel mauve de sa jeunesse enfuie. «Remember Me This» nous renvoie directement aux premiers albums du BJM. Même son bien tendu et bien dense, admirable cohérence de la prestance. Anton est à la fête et le psyché aussi. On a là tout le son dont on peut rêver, à la fois moderne et ancien. Il termine avec un «What Can I Say» qui se situe dans la veine des heavy grooves de l’Anton d’antan, à la fois calibré, balancé et solide, taillé pour l’éternité, chanté à l’extrême plaintive de vétéran de toutes les guerres salutaires. Wow !

    Signé : Cazengler, Newcon tout court

    Brian Jonestown Massacre. Spacegirl & Other Favorites. Candy Floss 1995

    Brian Jonestown Massacre. Methodrone. Bomp 1995    

    Brian Jonestown Massacre. Their Satanic Majesties Second Request. Tangible 1996

    Brian Jonestown Massacre. Take It From The Man. Bomp 1996

    Brian Jonestown Massacre. Thank God For Mental Illness. Bomp 1997

    Brian Jonestown Massacre. Give It Back. Bomp 1997

    Brian Jonestown Massacre. Strung Out In Heaven. TVT Records 1998

    Brian Jonestown Massacre. Bravery Repetition & Noise. Commettee To Keep Music Evil 2001

    Brian Jonestown Massacre. And This Is Our Music. Tee Pee Records 2002

    Brian Jonestown Massacre. My Bloody Underground. A Records 2007

    Brian Jonestown Massacre. Who Killed Sgt. Pepper? A Records 2010

    Brian Jonestown Massacre. Aufheben. A Records 2012

    Brian Jonestown Massacre. Revelation. A Records 2014

    Brian Jonestown Massacre. Tepid Peppermint Wonderland : A Retrospective. Tee Pee Records 2004

    Brian Jonestown Massacre. Third World Pyramyd. A Records 2016

    Brian Jonestown Massacre. Don’t Get Lost. A Records 2017

    Brian Jonestown Massacre. Something Else. A Records 2018

    Brian Jonestown Massacre. The Brian Jonestown Massacre. A Records 2019

    lucas trouble,chemtrails,judy clay,kairos creature club,anton newcombe,thumos,loathfingers,2sisters,gene vincent

    Jesse Valencia. Keep Music Evil. The Brian Jonestown Massacre Story. Jawbone Press 2019

     

    *

    z28700logodudisque.jpg

             Un morceau inédit de Thumos. Qui nécessite quelques explications. Thumos défend la cause animale. Il abandonne volontiers les droits d’un morceau pour soulager la souffrance animale. Il s’agit pour cette fois d’une compilation numérique de cinquante-deux morceaux de différents artistes à tonalités metalliques, concoctée par Fiadh Production, label New-Yorkais produit en l’honneur  de la Journée dédiée aux droits des animaux. L’intégralité des fonds récoltés seront versés au Fawns Fortress Animals Sanctuary situé dans le New Jersey. Refuge qui recueille les chiens de grande taille qui ont besoin d’abri et de bien-être.

             Le morceau de Thumos intitulé Charmides se trouve donc sur la compilation From The Plough… To The Stars.

    z28689cdCharmides.jpg

             Le quatre juillet 2025 sortira le prochain CD de Thumos intitulé The Trial de Socrates. La date n’est pas choisie au hasard. Le quatre juillet 2022, Thumos avait fait paraîtra The Curse of Empire, réflexion musicale sur la naissance et la chute des empires tout en remarquant que le futur de Etats-Unis qui se profilait à l’horizon les inquiétait quelque peu. L’intention de cette date symbolique de la parution de The Trial de Socrates (Le procès de Socrates) nous semble s’inscrire dans une même crainte quant à la trajectoire politique adoptée par leur pays.

             The Trial de Socrates, nous le chroniquerons lors de sa parution, est composé de seize titres, qui sont autant de titres de dialogues de Platon. Charmides est une piste ‘’ unrealeased’’ issue des sessions d’enregistrement de ce Procès de Socrate. Très logiquement le lecteur aura reconnu que Charmides est aussi le titre d’un dialogue de Platon.

             Ce n’est peut-être pas un hasard si ce dialogue a été écarté de la sélection finale de l’œuvre de Thumos. Les deux CD remplis à ras-bord ne pouvaient peut-être pas accueillir une piste de plus. Si ce fut le cas la question reste entière : pourquoi est-ce spécialement ce dialogue qui a été omis et pas un autre…

    z28703book.jpg

    Le Charmide est une œuvre de jeunesse de Platon, notre philosophe n’avait pas encore acquis sa merveilleuse maturité. Toutefois l’on conçoit qu’un dialogue qui tente de répondre à la question qu’est-ce que la sagesse ? ait pu être utilisé par Thumos comme élément  en faveur de Socrate pour cette espèce de contre-procès posthume par lequel le groupe tente de laver des accusations portées contre le maître de Platon.

    Toutefois le procès intenté contre Socrate n’est pas un procès philosophique ou pour employer un terme davantage moderne un procès purement idéologique. C’est avant tout un procès politique, pour être plus précis : de vengeance politique.

    Charmide et son oncle Critias sont les principaux interlocuteurs qui répondent au questionnement de Socrate. Or la mère de Platon est la sœur de Charmide et la cousine de Critias. Charmide est donc l’oncle de Platon mais aussi le neveu de Critias (2) auquel il est apparenté par son grand-père qui s’appelait aussi Critias(1)

    z28704critias.jpg

    Critias

    Charmide, Critias, et Platon auront à des époques diverses été élèves de Socrate. Pour leur part Charmide et Critias feront aussi partie des trente     tyrans qui durant deux ans exerceront ce que pour faire vite nous appellerons une tyrannie au cours de laquelle ils décideront de détenir les rênes du pouvoir en ne  reculant devant aucune condamnation à mort et diverses exactions… Le parti démocrate ennemi des aristocrates accuseront Socrate d’avoir corrompu la jeunesse, surtout celle de Critias et de Charmide… Tous deux finiront par être tués lors d’une rixe entre rivaux politiques…

    Que dans son dialogue Platon fasse demander  par l’entremise de Socrate à Charmide puis à Critias de définir la sagesse, est pour lui une manière de démontrer que Socrate enseignait la sagesse à ses élèves, et d’un autre côté que malgré leurs passifs politiques Critias et Charmide n’étaient pas insensibles au problème de la sagesse qui selon Socrate consiste à savoir séparer le bien et le mal…

    Le problème, c’est que dans ce dialogue Charmide et Critias ne répondent pas par des inepties à Socrate et que sur la fin Socrate gagne la partie en utilisant des thèses avancées par ses deux interlocuteurs qu’il avait en premier temps juger nulles et non advenues. Le sage Socrate se comporte comme un vulgaire sophiste !

    Peut-être touchons-nous là à la raison pour laquelle Thumos n’a pas retenu leur évocation du Charmides de Platon.

    Charmides : Difficile de commenter ce morceau sans avoir entendu le reste de l’album afin de le situer dans la ligne d’avancée circonstancielle de l’album. L’impact sonore, cette ouverture battériale suscite l’idée de quelque chose de grave. Il est sûr que de s’interroger sur la nature de la sagesse induit le désir que cette réflexion aide à définir notre comportement, en d’autres termes selon nous-mêmes certes, mais surtout vis-à-vis des autres, de l’entière collectivité humaine que constitue la Cité. En sous-main est posée une question cruciale : comment gouverner la République d’une manière sage. L’enjeu est de taille car l’Etat doit agir selon le juste. Il semble que le riff initial ne progresse pas. Il avance, mais c’est comme s’il se perdait dans la propre répétition de sa recherche. Peu d’anicroches, aucune anfractuosité dialectique, au contraire à l’orée de son troisième tiers le morceau semble s’éterniser dans l’inanité non plus d’une parturience en acte mais dans une conversation un tantinet oiseuse qui ne progresse pas. La fin est brutale, comme si Socrate clôturait au plus vite, ayant compris que le dialogue est mal parti, mal abouti, et que parfois lorsque l’on est sur une mauvaise piste il est préférable d’arrêter les frais. Inutile d’accoucher d’un enfant mort-né. Un coup pour rien.

    Damie Chad.

     

    *

    Je l’avoue, c’est plus fort que moi, j’aime les tordus. Ce n’est peut-être pas plus grave qu’on ne le pense, mais soyons francs, peut-être êtes-vous porteurs de tares beaucoup plus profondes que les miennes. Non, ce n’est pas sûr, coupons la poire en deux, ça se discute. Mais le titre de cet album avec ses ‘’ torn roots’ m’a poussé à ma pencher sur ce cas qui m’a paru tout de même assez tourmenté. Je n’ai pas été déçu.

    BROKEN BRANCHES AND TORN ROOTS

    LOATHFINDER

    ( Gods ov War Productions / 30 - 05 - 2025)

    Taisent sur Bandcamp leur pays d’origine. En farfouillant sur leur FB vous découvrez sans trop de peine qu’ils sont polonais. Je ne sais pas pourquoi – en fait je le sais mais ne donnerai aucune explication à cette attirance – je tombe souvent sur des groupes originaires de Pologne.

    Je n’ai lu le titre qu’après avoir été happé par la pochette. L’artwork de Mirella Jaworska m’a interpellé. J’ai senti une artiste. Jeune encore, vingt-quatre ans et déjà un style que j’ai situé entre les icônes russes et Balthus.  La forte troublance de ses nus relève d’une peinture que je qualifierais de métaphysique. Le nom de Balthus évoque immédiatement Rainer Maria Rilke - suivez la piste des Lettres françaises à Merline de 1919 à 2922. Dans ses portraits Mirella Jaworska vise la transcription non pas du sujet représenté mais la survenue de la personne en tant que masque d’elle-même, Une œuvre qui se livre par les interstices séparatifs invisibles qui unit la présence à une autre réalité. Je ne vous renvoie pas à son Instagram, recueillez-vous et inclinez-vous.

    Z286889cdloathfingers.jpg

    A première vue, j’ai pensé à la dernière scène de 2001 Odyssée de l’Espace, la cohabitation entre le fœtus et la mort, entre l’origine et l’accomplissement.

    Pour les noms, le groupe, se cache derrière des chiffres. Sortez votre règle à calcul et engagez-vous dans la résolution de cette étrange non-équation afin de rentrer en adéquation avec vous-même.  Selon une transcription numérologique. Cela va de soi.

    XVIII :  vocals & lyrics  / IX : guitars / XI : Bass  / XIX / Drums.

    Grey Pilmigrage : Etrange morceau. D’ailleurs est-ce vraiment un morceau Ne serait-ce pas plutôt une profération. Certes il y a de la musique, grinceuse et grinçante, mais il est nécessaire de ne pas la considérer comme de la musique mais comme un accompagnement. C’est rugueux comme des pieds-nus qui se confrontent aux cailloux tranchants du chemin. Le titre ne nous l’indique-t-il pas, n’est-ce pas un pèlerinage, en route vers la chapelle périlleuse. Mais pourquoi celui-ci serait-il gris. Les pénitents ne portent pas ce costume médiéval. Ce sont leurs âmes qui sont grises. La scène se passe à notre époque. Ils le précisent, dans le présent immédiat, la chute de tous nos idéaux, la tiède pâleur de nos imaginations, nous sommes déjà loin de la valeur que l’on donnait à toutes choses, le vocal se transforme en ultime grognement de groin de cochon qui fouille en vain la terre à la recherche de la moindre nourriture, nous sommes à la fin, inutile de presser le pas, il est temps de reconnaître que nous sommes au bout de l’impasse. Peut-être faudrait opérer cette espèce de hara-kiri dorsal comme sur la pochette. Constat glacial. Cul-de-sac de notre

    z287116loatgh.jpg

    humanité. Difference : oui c’est différent, à la marche lourde et impavide succède une tornade, normal, acculés comme nous le sommes nous devons trouver une issue. Ne s’agit de jeter des plans sur le programme d’une prochaine humanité. Le dernier recours, la seule exit qui se présente est celle de notre humanité. Une métamorphose alchimique à l’intérieur de notre corps. Trouver la tangente, aspirer à cette spirale opérative qui nous permettra de ne plus être nous, de déboucher en un autre état d’être. Ne visons pas les étoiles imaginatives, soyons charnel, de plus en plus charnel, il suffit de s’insinuer en soi, d’exercer de violentes pressions ou de subtiles exactions, trouver un chemin entre nos organes, entre nos tissus, œuvrer dans l’infiniment petit, ce n'est pas notre petite personne que nous devons quitter, nous ne devons pas muer comme les serpents, abandonner une vieille peau pour une toute neuve, mais devenir serpents, que l’espèce humaine devienne une espèce animale, tel est notre but, une fois que nous serons un animal nous nous accouplerons et nous nous reproduirons comme des bêtes. Peel it of me : changer n’empêche pas de penser, il faut d’abord gérer le mouvement, ce n’est pas facile, le chant solitaire se multiplie, vitesse maximale, il faut marcher au pas de course, tous ensemble, tous ensemble, à la réflexion changeons-nous vraiment, la chair animale n’est-elle pas voisine de celle de l’animal humain, cette proximale consanguinité, n’entraîne-t-elle pas un même comportement qui se résoudra par l’arrivée en un nouveau cul-de-sac, faut-il continuer ce processus hautement mutilatoire quand on y pense, urgence ! urgence ! le vocal s’enflamme, la musique se déchaîne, ne sommes-nous pas enfermés dans une nouvelle folie qui n’est que de la commune démence humaine. Quand nous serons tous des bêtes deviendrons-nous les prédateurs que nous avons toujours été, ou serons-nous victimes de prédateurs supérieurs… Le doute destructeur s’empare de mon esprit. Les valeurs dont tu te réclames ont-elles un jour rapporté quelque chose, ne t’ont-elles pas jeté dans l’impasse dont tu essaies de t’extirper sans savoir à quoi tu t’engages… la mort ne sera-t-elle pas au bout de chemin, pareillement à ton état antérieur. Dead dogs : musique terreuse inéluctable, hurlements, confrontation avec la mort qui n’est autre que nous-mêmes, que nous soyons humain ou animal. Et si j’étais un chien comment agirais-je, mordrais-je la main du maître comme je peux mordre mon semblable ou ma femelle. Que serait ma chair de chien. Quel serait mon désir de chien. Serait-il inhumain. Ressentirais-je seulement mon désir de chien. Ne me manquerait-il pas le souffle canin. Pire encore, que feront ceux qui ne parviendront pas à se transformer en chien, ne donneraient-ils pas la chasse à tous les chiens. Est-ce pour cela qu’il y a tant de chiens morts autour de moi, ou alors peut-être que les hommes transformés en chiens ne peuvent vivre, étouffés de l’intérieur dans ce corps de chien qu’ils habitent mais dans lequel ils ne peuvent insuffler l’âme originelle de l’animal qu’ils sont devenus mais qu’ils ne sont pas, car originellement ce sont des hommes. Above the water : quelques grincements, le tourment sonore revient-il dans ma tête, il tourne dans ma caboche de cabot comme une fronde qui ne lâche pas son caillou. Il suffit de passer la ligne. Marx ne dit-il pas que l’homme a connu le goût de la pomme en la goûtant, n’est-ce point pareil, personne, aucune bête, ne connaîtra le goût du sang humain tant qu’elle n’aura pas mordu l’homme. Mais si je mords l’homme, ne suis-je pas en train de mordre le maître que j’étais, quel charivari dans ma tête d’homme ou de chien, je ne sais plus, compressage neuronal maximal, démesure de la folie et exaltation de la morsure de ce sang chaud que je bois avec avidité, ne me suis-je pas accompli charnellement en goûtant à cette transsubstantiation canine. Avez-vous déjà entendu un vocal qui ressemble tant aux aboiements d’une meute de chiens. Flies know first : bourdonnements monstrueux, les mouches sont dépositaires de la connaissance ultime, ne sont-elles les premières à se poser, amplitude de l’essaim des guitares, sur les cadavres, elles connaissent la fin de l’histoire tellement évidente qu’il n’est nul besoin de savoir le début, puisqu’elles ont toutes la même fin. L’homme se croit le supérieur inconnu, il n’est qu’un handicapé de la chaîne animale, sa carcasse est vouée à devenir le trône des mouches. Ne sont-elles pas au plus près de sa chair. Davantage que n’importe quelle femelle, ne pondent-elles pas leurs yeux à l’intérieur de sa peau, ne sont-elles pas les pourvoyeuses des larves qui le dévoreront, qu’ils soient simples chiens ou humains supérieurs ! La roue des existences tourne mais elle revient et s’arrête au même point. Moment d’alanguissement, de découragement, il n’est pas d’autre solution, pas de troisième voie entre la mort d’un chien ou la vie d’un homme. Ou vice-versa. Vous comprenez maintenant pourquoi après le constat d’une telle ultimité le vocal devient d’une violence extrême. En toute vanité. Broken branches and torn roots : accords tordus, exprès pour vous faire comprendre que vous arrivez au bout de chemin, non vous n’êtes pas encore morts, mais cela viendra. Inutile de chercher à vous déguiser en chien ou en autre chose pour échapper à votre sort funeste. Le vocal ne hurle pas, il est grave, c’est celui de l’acceptation, au cas où vous ne comprendriez pas, il commence à vous crier dessus, est-ce pour couvrir votre angoisse ou la sienne, peu importe, la situation est pourrie, elle ressemble à un arbre aux branches brisées dont on aurait arraché les racines, contente-toi de ce que tu as, de ce corps qui s’offre à toi et qui se pâme de toi comme toi tu te t’apothéoses dans cette chair complice. Ne cherche pas ailleurs. Que trouveras-tu de plus ? Rien de plus.

             Une réflexion métaphysique originale. L’on y reconnaît tout de même tout un soubassement biblique à la différence près que Dieu n’est pas prévu au programme. Les textes sont aussi beaux que la musique est violente.

             Une réussite. Sans commune mesure.

    Damie Chad.

     

    *

             Certains achètent des disques sur listes. Parmi eux, les plus enragés flashent sur le nom des groupes. Ainsi quand ils repèrent la mention  2Sisters leur esprit fantasmatique se met en branle. Ils se voient déjà entre Emina et Zibeddé dans Le Manuscrit Trouvé à Saragosse de Jean Potocki. Ecrivain polonais né en 1762, mort en 1815. Ils arrachent le paquet des mains du facteur, déchirent l’enveloppe et poussent un terrible cri d’insatisfaction, sur la couverture du disque, il n’y a pas deux filles, mais un homme et une fille. La moitié de leur rêve se brise. Illico ils envisagent-de mettre fin à leur existence en se tirant une balle de pistolet dans la tête.

             Heureusement avant de presser la détente ils jettent un coup d’œil de mépris sur ce couple inattendu et abhorré. In extremis un sourire se dessine sur leurs lèvres. Car que fomente notre tandem d’amoureux, certes un individu de sexe féminin et l’autre de sexe, hélas, masculin, mais détail d’importance il appert qu’ils sont en train de partager une tasse de café. Du coup ils ne ressentent plus d’animosité envers la pochette de l’album. 

             Lecteurs n’en déduisez pas trop vite qu’eux aussi aiment le café. Non, ils pensent seulement qu’ils ont failli commettre un geste éminemment Potockiste. Jean Potocki a passé la dernière année de sa vie à limer soigneusement le bouchon supérieur du couvercle de sa cafetière métallique, des historiens assurent qu’il s’agissait d’une théière, qu’il a pris soin de délicatement séparer du reste de l’ustensile. Au bout d’une longue année de travail assidu, ayant jugé que la bille parfaite qu’il avait obtenue pouvait parfaitement glisser dans le canon de son pistolet. Il s’est froidement tiré un coup de pistolet dans la cervelle.

             Je vous ai raconté cette histoire pour vous prévenir qu’un semblable coup de foudre démantibulera votre propre cerveau si vous vous apprêtez à écouter :

    SHE LIKES MONSTERS

    TWO SISTERS

    (M&O Music / Cd : 01 / 2025Vinyl : 05 / 2025)

             Donc la couve. Un peu Tea for Two. Et plus si affinité. Dans le style glamour années cinquante. La photo prend tout son sens quand on écoute le disque, toute la différence entre l’image policée extérieure et la bestialité qui rugit au fond de l’être humain.

    z28704couvesisters.jpg

    Marchand Sébastien : basse / Miquel Nicolas : guitar / Azzam Charbel  : drums / Chazeau André : chant.

    Go ! Go ! : go!ûtez les trois premières secondes, si vous aimez les histoires de petite princesse parce qu’après c’est parti, ils envoient la purée dans la passoire de vos oreilles, les guitares déferlent, la batterie casse la baraque, et le vocal matraque, ensuite ils vous font le coup, pas du tout doux, ils s’amusent à s’arrêter brutalement, ce qui a l’air d’énerver le Chazz au chant, du coup les autres remettent le couvert, et vous assistez à l’écroulement de la Tour de Pise du côté par où elle penchait, la fin est superbe. Ces quatre gars maîtrisent l’énergie punk. Mais ce n’est pas fini. Vous avez la suite des aventures de la petite princesse. Death : tiens un nouveau disque de Presley, moi qui croyais qu’il était death, c’est dif de le croire, d’ailleurs ça dégénère en rockabilly déjanté, un psychobilly débilitant qui vous pousse à marcher sur le plafond de la salle-à-manger, non de Zeus à quoi qu’ils jouent, ils maîtrisent aussi le bon good old rock’n’roll. Normal il n’est jamais mort. She likes monsters : je ne sais si c’est vraiment la petite princesse du début qui aime les monstres, par contre le morceau en lui-même est carrément monstrueux, c’est à cause du dégel du permafrost, le fantôme du rock’n’roll des années 70 assoiffé et dégoulinant  de sang  reprend son œuvre destructrice des valeurs nauséabondes du vieux monde. Your song : je ne voudrais pas dire mais le Charbel n’arrête pas de foutre le bordel depuis le début, carrément insupportable, manie ses baguettes sur les drums comme s’il s’amusait à esclaffer des agrumes avec des grumes  de séquoias, à toutes fins utiles je signale que la fin du morceau est totalement dévastatrice, remarquez c’est une de leurs habitudes, vous déposent toujours une bombe atomique à la place de la cerise sur le gâteau. Ce chacal de Chazeau est particulièrement dangereux, chaque fois qu’il ouvre la bouche il allume un incendie. Quant à la guitare de Micky elle part à vrille, toujours au moment où on ne l’attend pas, genre je descends les pentes de l’Annapurna en skate. Bref, cette song est pour les rockers. Ske’s on hell of a lover :

    z28707sister3.jpg

    Dessin : Sylvain Cnudde

    on retrouve notre princesse en galante compagnie, si vous ne comprenez pas, le Chazz vous commente le film à haute voix, le Micky vous mousse une escapade guitarite gratuite, on ne lui demandait rien et il vous sert le dessert d’une fulgurance soloïque. Vous croyez que vous allez vous en tirer sans trop de mal, pas de chance, c’est Seb, celui qui depuis le début vous fait ses coups basse en douce qui vous déboule une espèce de reptation épileptique qui vous pétrifie sur place. Hélas Charbel remet une pièce dans le jukebox et Charbel éructe comme une chamelle qui baraque. Shake Shake : au début vous vous dites, ils se reposent, ils vous refilent un truc comme il y en a toujours un bien-planplan-la-balance-monotone  dans tous les bons disques de rock’n’roll. Ben non, ces gars sont des inventifs, z’ont de l’imagination à revendre, c’est pour cela qu’ils vous signent un shake, en blanc et en couleur.  Toutes les dix secondes ils vous pondent patatrac un œuf de pâque. Mais où vont-ils dénicher leurs inventions. Burn : là vous hésitez, vous compulsez les encyclopédies, chaud brûlant dans vos neurones, quels sont les pourcentages exacts des ingrédients de ce tumulte, oui c’est du rock ‘n’roll, mais c’est tout autant du rhythm’n’blues. En tout cas un mix drôlement bien foutu. Les lecteurs sont assez grands pour décider par eux-mêmes. Moi j’écoute. Ce Burn vous file les burnes. Hammer : avec un tel titre vous vous attendez à un festival batterial, certes mais aucun des quatre ne veut laisser l’autre tirer les marrons du feu, prenons de la hauteur, ils jouent bien, mais ce n’est pas ce qui fait leur originalité. Si j’étais dans un groupe, je serais jaloux, je séquencerais les morceaux puis je scruterais comment ils agencent leurs séquences, comment les plans se suivent et ne se ressemblent jamais, mais le pire c’est qu’ils s’assemblent à merveille. Frunk bop a lula : attention les gars, chez Kr’tnt ! on est des fans de Gene Vincent, ils tapent dans l’alternatif, le frunk est-il du punk de traviole, retrouvent l’esprit de Dactylo Rock des Chaussettes Noires, z’ont tout compris, ou alors c’est l’instinct qui les guide. Ils s’en tirent comme des chefs… d’œuvre. That’s the way : au début je pensais qu’ils étaient partis pour un instrumental, mais quand on a un bon chanteur autant le faire bosser, de toutes les façons ils ont l’art et la manière. Les rayonnages de la bibliothèque sont remplis de bibelots. Une véritable ménagerie de verre. Made in Tennessee. Clinquant et incassable. They feel all rigth. Nous aussi. Walker : dernier morceau. Ils se lâchent. Les précédents stagnaient au-dessus de deux minutes. Ils doublent la mise. Ne pariez pas, ils sont les maîtres de la banque. Vous allez perdre. Ecoutez plutôt les pas qui s’éloignent et se perdent dans la nuit noire du rock’n’roll. N’oubliez pas le retour.

             Exceptionnel.

     

    *

             Je n’ai pas pu résister. Je comptais continuer avec des images. Mais j’ai trop parlé dans le précédent épisode des enregistrements de Gene Vincent recherchés et retrouvés par David Dennard pour ne pas les réécouter. Attention ce qui suit est FOR FANS ONLY !

    THE LOST DALLAS SESSIONS

    GENE  VINCENT

    AND HIS BLUE CAPS

    1957 - 58

    (Legends Of Big ‘’D’’ Jamboree  Series)

    (Roller Coaster Record1998)

    z28707dallas.jpg

    My love : (In Love again) : une véritable démo. Gene seul, sans doute est-ce lui-même qui s’accompagne à  l’acoustique. La voix est d’une pureté infinie, l’on en oublie le diddley beat qui sera nettement plus marqué sur la version enregistrée à la Capitol Tower le 16 octobre 1958 et sera publiée sur le 33 tours Sounds like Gene Vincent qui paraîtra le 6 juin 1959. Gene chantonne plus qu’il ne chante, un magnifique petit bijou, une ciselure. Le morceau est de Grady Owens. (Voir plus bas). Hey Mama : (featuring Ronnie Dawson à la guitare : démo du même jour. Sorti en single en 1958

    z28712dawson.jpg

    et en Angleterre le 11 novembre 1958 couplé avec Be Bop boogie boy. Ecoute un peu frustrante, rien  voir avec la version enregistrée chez Capitol, le 16 octobre 1958 il manque la force percussive et peut-être le savoir-faire de Ken Nelson. Ken Cobb est à la basse et Micky Williams à la batterie. Cette maquette est pratiquement décevante car il manque les célèbres oh ! oh !  oh ! improvisé de abrupto par Gene lors  de la session. L’air de rien le S glissant et propulsif de Say Mama qui remplacera le H aspirant et retenant de Hey Mama, c’est toute la différence d’un capot de deux-chevaux et le dessin de l’avant d’une Alpine Renault, pour rester dans des marques

    Z287111LcLemore.jpg

    Ed McLemore

    françaises. Lonesome boy : (Company Recording Studio de Dallas Sellers – Dallas. Texas ) : enregistré en septembre 58 sous la houlette d’ Ed McLemore, le patron, avec Johnny Meeks à la lead, Clifton Simmons qui se taille la part du lion sur ce morceau, Grady Owens à la basse et Clyde Pennington à la batterie. Le morceau sera publié pour la première fois sur le 33 Tours Gene Vincent Crazy Beat, sorti en mars 1963 en Angleterre et en France. Mais pas aux USA… Cette fois nous préférons cette version. Plus roots, plus épurée et pourtant porteuse d’une indicible tristesse. En 1963, le rock américain perd du terrain, quoique enregistré aux States cet album d’une indéniable qualité arrondit on ignore par quel miracle quelque peu les angles. In my dream : (Studio Version, ou plutôt en une chambre d’hôtel le 7 mai 1957 in Dallas) :

    z28712peek.jpg

    le morceau est de  Bernice Bedwell. Gene est avec Johnny Meeks, Dickie Harrel , Tommy Facenda et Paul Peek. La même équipe augmentée de Bobby Lee Jones à  la basse le 20 juin 1957 le mettra en boîte à la Capitol Tower. Il paraîtra sur l’album Gene Vincent Rocks ! And the Blue Caps Roll. Les deux versions, le slow plattersien par excellence qui tue, sont similaires. Je préférons la Capitol. Lotta lovin’ : (Studio version) : un des grands succès de Gene que l’on ne présente pas. Même lieu et même équipe que le précédent, toujours de Bernice Bedwell qui le recommandera à Ken Nelson. Un truc pas facile à chanter qui demande une super mise en place, pas étonnant qu’ils s’y reprennent à deux fois. Une véritable outtake ! Sortira en single couplé avec Wear my ring en juillet 1957. Lady Bug : même topo que pour les précédents… à part que le morceau dormira longtemps dans les tiroirs. Peut-être un peu trop de cymbales, reprise chez Capitol cette Lady un peu mieux équilibrée et parachevée aurait donné un très bon morceau. The night is so lonely (Version 1) / The night is so lonely (Version 2) : le titre enregistré le 14 octobre 1958 mais ne fut proposé à la vente en single, couplé avec Right now qu’en juin 1959.  Clifton Simmons

    z28714clifton.jpg

    (Clifton Simmons debout au piano

    qui se défend très bien sur le morceau précédent a co-signé celui-ci avec Gene Vincent. Faut aimer ce style de ballade très lente, totalement dénudée. Perso je les surnomme le blues des white trash peoples. Attention si surdose : risque de suicide ; La deuxième prise ici proposée nous semble un peu trop maniérée, et un tantinet geignarde. Blue Jean Bop : (Live 58) : ce morceau et les trois suivants sont enregistrés live  au Big ‘’ D’’ Jamboree, je pense que le set est donné en intégralité, le jeu consistant à faire passer un maximum d’artistes en un minimum de temps, le public ne doit pas avoir le temps de s’ennuyer ou de se révolter si par hasard le chanteur ne lui plaisait pas. Pour Gene pas de de problème, il est présenté comme le chanteur rockabilly N° 1, il dégosille et dégobille son rock’n’roll à toute vitesse pour

    z28715gene+jerry.jpg

    Gene & Jerry Lou

    enchaîner sur Whole lotta shakin’ goin’ on : (live 58) : Gene et Jerry Lee s’appréciaient, le cat des villes et le rat des champs ont passé des nuitées particulièrement arrosées, Gene a gardé dans ses lives pratiquement jusqu’à la fin ce standard de Jerry Lou, sa structure permet de relancer l’ambiance à volonté, Gene se lance à plusieurs reprises dans des accélérations triumphiques, manière de survolter la foule qui n’en a pas besoin. Sans doute est-ce  Clifton Simmons au piano, il n’essaie pas de rivaliser avec Lewis, joue à la manière de Little Richard un doigt enfoncé à plusieurs reprises sur une touche. Dance to the bop : ( live 58) : est-ce cette même prestation dont nous avons vu les images muettes dans notre chronique de la semaine précédente mais agrémentée d’une bande sonore, il y a de fortes chances toutefois dans cette version-ci la batterie nous semble bien plus lourde comme si elle voulait s’adjuger tout l’espace, ce qui ne se renouvelle pas dans Lotta lovin’ : (live 58) : le morceau est bien parti, il clôturera en d’aussi parfaites condition… malheureusement le disc-jockey blablate tout fort sur l’entre deux long comme un désert sans fin…In my dreams : (home version) : ce morceau et les trois suivants sont enregistrés au 5921 Sherry Lane dans l’appartement qu’occupait Gene. Tom Fleeger qui cherche à récupérer les droits d’édition des morceaux dirige les opérations. Cette fois Gene entonne la macadam à pleine voix, il laisse les autres loin derrière, ce n’est pas souvent que l’on entend Gene chanter comme tout le monde à plein gosier, Facenda et Peek ne claquottent pas trop fort et Dickie ne s’emballe pas, le patron sort son bel canto, doucement les mouettes ! Lotta Lovin : (home version) : c’est lotta lov-in-vain, les clappers et Dickie sont à l’œuvre, mais devront tous s’y reprendre à deux fois avant que le robinet de bain moussant remplisse la baignoire sans se tromper. Nervous : (home version) : sont tous partis ne reste que Gene et Meeks.  Ils essaient un nouveau morceau, Gene nous réserve une nouvelle surprise, la prend à la Elvis, évidemment il se plante, alors que le titre aurait été parfait pour lui. Au finish c’est Gene Summers qui en héritera. On my mind : (home version) : Gene toujours

    z28713meeks.jpg

    avec Meeks ne sait plus quoi inventer. Il ne chante plus, il siffle. En tout bien tout honneur. Pourquoi n’insistera-t-il pas ? Peut-être parce qu’il a compris que son sifflement ne possède aucun grain, aucune tessiture qui le distinguerait de tous les autres. Who’s pushing your swing ? :  (Darrell Glenn). Gene a aussi interprété ce titre d’Artie Shaw qui l’avait composé pour son fils Darrell Glenn. La version de Darrell ici proposée n’est pas mauvaise, s’en sort très bien

    z28709glenn.jpg

    Darrell Glenn

    malgré sa voix un peu trop country, la voix plus coupante de Vincent agrémentée du saxo ténor de Jackie Kelso  du sax  baryton de Plas Johnson donne à ce morceau un petit côté jazz non négligeable. Il paraîtra en janvier 1960 couplé avec Over the Rainbow. Né en 1935 Darrell mourra en 1990. Son nom reste lié à Crying in the Chapel composé par son père, reprise par Elvis Presley. Git it  / Somebody help me / (Bob Kelly) : ce morceau et le suivant sont parus en septembre 1959 sur l’album A gene Vincent record Date. Eddie Cochran non-crédité a participé à ces

    z28710kelly.jpg

    enregistrements. Tous deux écrits et ici chantés par leur auteur : Bob Kelly. Disc-jokey, compositeur, interprète Bob Kelly se débrouille comme un chef. Les deux versions de Gene sont, disons très proches de Kelly, mais décisives ;  I don’t feel like

    z28708grady owwen.jpg

    rockin’ tonight : Grady Owens débarque pratiquement du jour au lendemain chez les Blue Caps pour remplacer au pied levé Paul Peek. L’amalgame se fera, Grady peut occuper pratiquement tous les postes. En plus d’In love again il signera aussi Lovely Rita et I love you pour Gene. Il continuera sa carrière accompagnant par exemple Johnny Carroll. Je ne me lèverai pas la nuit pour écouter ce morceau. Vous lui préfèrerez de beaucoup son 36 From Dallas. Lotta lovin’ : il s’agirait de la démo de présentation qui aurait été présentée à Gene. En tout cas Norton Johnson ne lui a pas présenté un produit sous-vitaminé, mais Gene en a fait autre chose : sa chose à lui.

    Damie Chad.

    Avec les précieux concours de Gene Vincent Dieu du rock’n’roll de Jean-William Thoury et de Gene Vincent : The story behind his songs de Thierry Liesenfeld.

    A suivre.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 671 : KR'TNT ! 671 :JESUS AND MARY CHAIN / HARLEM GOSPEL TRAVELERS / TINDERSTICKS / DAMNED / BOBBY PATTERSON / SPUNYBOYS / THE RED CLAY STRAYS / THUMOS / EMMANUEL LASCOUX

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 671

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 12 / 2024

     

    JESUS AND MARY CHAIN / HARLEM GOSPEL TRAVELERS

    TINDERSTICKS / DAMNED / BOBBY PATTERSON

    SPUNYBOYS / THE RED CLAY STRAYS

    THUMOS / EMMANUEL LASCOUX

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 671

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    AVIS A LA POPULATION KR’TNTIQUE

    LA DIRECTION SOUCIEUSE DE L’ETAT DEPLORABLE

    DANS LEQUEL NOS LECTEURS SERONT PLONGES

    AU SORTIR D’UNE EPROUVANTE SEMAINE

    DE LIBATIONS EFFRENEES

    AVERTIT SES FIDELES ADMIRATEURS

     QUE LA LIVRAISON 673

    PARAÎTRA LE 08 / 01 /2025

    KEEP ROCKIN’ ! 

     

    Wizards & True Stars

    - The wind cries Mary Chain

    (Part Four)

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             La parution d’une autobio des frères Reid bat tous les records d’inespérette. L’événement revêt un aspect particulièrement significatif, car il s’agit d’un retour aux sources. Tu bois les paroles des frères Reid à la source, comme ce fut le cas avec Iggy dans Total Chaos. Plus de filtres, plus d’intermédiaires, plus d’articles douteux dans la presse, tu t’assois dans ton fauteuil, tu installes ce beau pavé entre tes mains moites et les frères Reid te parlent. Oui, ils te parlent à toi, pauvre pêcheur, et tu vis ça comme une sorte de privilège. L’essence d’une autobio, quand elle est réussie, est la proximité. Ce bon book t’apporte cette certitude. Ce sont leurs vrais mots, leur vraie voix, leur vrai humour. Et comme le premier à te parler de The Jesus & Mary Chain fut Jean-Yves (qui dans ces mid-eighties venait de se faire teindre les cheveux en rouge-orangé), alors ces retrouvailles avec le groupe relèvent du sacré.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Never Understood - The Jesus & Mary Chain fait 300 pages. Bonne couve, bon choix de papier, bon équilibre typo, un cahier central d’images, mais pas trop, et l’arme secrète du book est sa conception : il s’agit d’une oral history, Jim et William Reid racontent leur histoire, chacun à leur tour, et ça donne vie au book. D’où ce sentiment de proximité. Les frères McDonald ont utilisé le même procédé pour raconter leur histoire (Now You’re One Of Us - The Incredible Story of Redd Kross). Jim et William n’ont pas le même style. Jim qui est le cadet va plus sur le narratif pur et dur. William préfère la singularité et n’hésite pas à digresser pour éclairer à sa façon. Personnage fascinant. Mais ça on le savait déjà, grâce à ses compos.

             C’est Jim qui rappelle qu’avant toute chose, ils sont frères - We were misfits clinging together, It was us against the world, and it felt like we’d be that way for life - Dès le début, ils se considèrent comme des outsiders, et c’est ce qui va faire leur grandeur, comme elle a fait celles des Stooges et du Velvet. Comme tous les frères, ils passent leur temps à se chamailler, mais jamais quand il s’agissait d’art ou de musique, car ils se passionnaient pour les mêmes choses. William redit tout cela à sa façon, qui est prodigieusement espiègle : «Me and Jim were the elite, at least in our own minds. In the eighties, we used to feel like our joint opinion was the best opinion in the world, and sometimes we were right.» William revient aussi sur l’histoire des crédits des chansons, il rappelle que Jim a composé «Upside Down» et «Never Understand», mais quand dans le backstage, les gens félicitaient Jim pour «Reverence», William attendait que Jim corrige le tir, «but it seemed like he never did», et il met ça sur le compte de la coke - It’s not a drug that makes people inclined to share the credit - Tout n’est pas rose chez les frères Reid, comme d’ailleurs dans la plupart des fratries.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Côté roots, les frères Reid nagent dans l’opulence. Petit, William s’éprend pour les Beach Boys - an engine of sunshine - et il ajoute ça : «My mind opened up like a flower when I listened to them, but most of all it was the Beatles I grew up with.» Et dans la même page, il révèle qu’il a 64 balais at the time of writing, et il affirme qu’il va continuer, I’m always gonna make music, mais il se demande qui sera son public, just old men and women ? Eh oui, William, c’est ce qui te pend au nez. À l’Élysée Montmartre, la dernière fois, la moyenne d’âge semblait singulièrement élevée.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Anyway, les frères Reid sont tellement pauvres quand ils sont petits qu’ils n’ont même pas de tourne-disques. Alors ils vont chez des voisins écouter les Beatles et Bob Dylan. Puis en 1971, Ma & Da achètent enfin un tourne-disques, et pour Noël, William reçoit son premier cadeau, un single de Cher, «Gypsies Tramps & Thieves», suivi de «Without You» d’Harry Nilsson - Who I still think is a fucking genius - Pour Jim, en 1972-73, «Slade was the best band in the world», mais il dit que William en pinçait plus pour Bowie. William se souvient d’un copain d’école, Robert McArthur que tout le monde haïssait à cause de ses cheveux gras et de son big nose, mais Gawd, McArthur avait the Velvet Underground banana record, «and the first time I saw the cover of the Stooges was through him.» Alors William lui demande «What’s this?», et McArthur lui répond «This is Andy Warhol’s The Velvet Underground» et «This is Iggy and the Stooges.» William avoue qu’il ne comprendra que cinq ou dix ans plus tard, «when I was dancing round my bedroom to these records.» Jim, toujours plus linéaire dans son narratif, récapitule, d’abord les Beatles, puis le glam, puis le punk-rock et enfin le Velvet. Pour Jim, le Velvet banana «is the best record I’ve ever heard in my life and nothing else matters.» Puis il flashe sur Raw Power en 1977. Jim écoute Raw Power dans la piaule, «with dad shouting up the stairs ‘Turn that fucking racket down’.» Les deux frères passent leur temps à parler de musique, surtout de punk-rock. Ils en pincent particulièrement pour Suicide. Plus tard, ils vont en pincer pour les Orange Juice de Glasgow - They made amazing music - William cite aussi les Fire Engines d’Edimbourg - They still made a couple of my favourite records - Il cite «Candyskin» en particulier. Il dit même qu’il va l’emmener sur l’île déserte. Et William étend son cercle : «As well as the Pistols, The Clash and Subway Sect, there were The Velvet Undergound, The Thirteen Floor Elevators, Love and The Seeds.»  

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

            Pas étonnant que les petits Jesus soient devenus ce qu’ils sont devenus, un cult band. Des princes du real deal. L’infaillibilité des choses plonge ses racines dans les disques cultes, c’est une évidence qui s’impose une fois de plus. On va retrouver le même processus dans l’autobio de Steve Wynn, comme on l’a retrouvé dans celle des frères McDonald.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             William rappelle à plusieurs reprises qu’ils étaient très pauvres et que pour écouter les cuts qu’il aimait, il les enregistrait à la radio sur des cassettes - I used to buy boxes of ten awful cassettes for 99p to tape songs off the top 40 at my friend’s house - Il rappelle aussi que ce n’était pas évident de se cultiver à East Kilbride, en banlieue de Glasgow, parce que le seul film qu’on pouvait voir au cinéma d’East Kilbride, c’était Star Wars, «but I didn’t want to see Star Wars.» Un peu plus loin, Jim dit qu’on passait aussi Rambo au cinoche d’East Kilbride, «and it felt like everybody liked it except us.» Ouf, enfin quelqu’un qui trouve tout ça nul ! À la bibliothèque municipale, William découvre Can et Savador Dali. Il flashe aussi sur Lenny Bruce, qu’il trouve aussi rock’n’roll que Marlon Brando, James Dean, Andy Warhol et William Burroughs - I don’t know about you, but I include them all in the rock’n’roll family - Puis il cite Bryon Gysin, précisant au passage qu’il ne sait pas comment se prononce son nom, ne l’ayant jamais entendu prononcé par quiconque. Seulement lu. Puis William poursuit sa réflexion, et à travers tous les exemples qu’il cite, il commence à se dire qu’il n’est pas obligé de bosser à l’usine ou dans un fucking bureau, et il pense même qu’on peut survivre sa vie entière en restant créatif, quel que soit le domaine d’expression - You don’t have to lie in a pit of dispair, which at that point looked to be our only option - Et bien sûr, c’est le punk-rock qui leur montre la voie. Arrivent les Pistols et John Peel - Il passait une vingtaine de cuts que tu ne voudrais jamais ré-entendre et soudain il en passait un that would completely hook you - William ne rate pas une si belle occasion de rappeler le rôle qu’a joué Peely dans l’éducation des kids britanniques.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Jim rend un bel hommage à Johnny Rotten - Then he was everything we wanted to be - même si après, il s’est un peu perdu - He’s become a caricature of himself, like Morrisey - Jim ajoute plus loin qu’il n’était pas vraiment fan des Jam - I’m still not, to be honest - Il préfère nettement les Rezillos - That was a much better night out - Il se dit surtout fier d’avoir invité Fay Fife 45 ans plus tard sur l’enregistrement de Glasgow Eyes. Jim adore aussi Subway Sect et What’s The Matter Boy. Et l’un des meilleurs concerts qu’il dit avoir vu fut Buzzcocks at the Glasgow Apollo, à l’automne 1979, avec Joy Division en première partie. En fait, William explique que lui et Jim ont flashé sur Joy Division parce qu’ils étaient «so fucking uncomplicated and yet the whole thing was incredibly powerful.» Même chose avec Public Image - a great drum sound and incredibly simple bass and guitar sounds that made up this huge complex thing - Il trouve Jah Wobble et Keith Levene «talented to the level of genius». Jim dit qu’il est aussi allé voir les Cure à la même époque et qu’il s’est endormi pendant le concert.

             Côté dope, ils démarrent de bonne heure avec les magic mushrooms, surtout Douglas Hart et Jim. Jim rappelle qu’on en trouvait partout à East Kilbride et espère que c’est encore le cas. Jim aime bien se rappeler ses trips avec Douglas. Un jour, ils sont assis et ne se sentent pas bien. Ils commencent à croire qu’ils se sont empoisonnés et soudain, Jim dit à Douglas : «Wow Douglas, you’re glowing.» Jim avoue aussi qu’il a besoin d’être stoned pour approcher les filles, alors il va s’en donner à cœur joie - alcohol and cocaine were lying in wait for me - et de se trouver dans un groupe n’allait rien arranger. Plus loin, Jim évoque l’ecstasy, a lot of good times, mais au bout du compte, «it changed our brain chemistry in a negative way.» William compare les effets des drogues par rapport à la musique : avec le LSD c’est bien pendant quelques minutes, après ça se barre en sucette, avec les magic mushrooms, on tient une heure avant que ça ne se barre aussi en sucette, mais l’ecstasy «is probably the best drug in terms of being complementary to music, in that it just pounds the songs into your fucking brain.» Et William conclut en rappelant que, comme beaucoup de gens à l’époque, ils subissaient des dépressions qui pouvaient durer des semaines entières. Aussi recommande-t-il de ne pas approcher ces machins-là.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Saluons le style des deux frères. Jim dit à un moment que Laurence Verfaillie «would become the girlfriend who helped me make the transition from scruffy herbert to international gallery-going sophisticate.» Pas question de se prendre au sérieux. Encore faut-il savoir le dire.

             Quand William annonce à ses parents qu’il va quitter son job de misère pour faire du rock, ses parents poussent des hurlements, surtout que William, toujours un peu provocateur, leur dit : «This man in the bondage trousers has shown me the way.» Comment voulez-vous que des parents ultra pauvres de la banlieue de Glasgow y comprennent quelque chose ?

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Les frères Reid tiennent bon. Ils vont former un groupe. Jim dit qu’ils sont fans de garage rock and sixties pop, mais il se demande pourquoi avant eux personne n’avait pensé à ça : «to put the most offensive, loud, screaming guitars over the top of the bittersweet melodies of The Shangri-Las.» C’est la grande idée des frères Reid. Jim qualifie l’idée de vision. Et il a raison.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             La pauvreté. Parlons-en. Quand leur père est viré de son job à l’usine, il reçoit une indemnité. Alors il leur file three hundred quid each, 300 balles à chacun. C’est pas non plus une fortune.  Il pense que ses fils vont s’acheter une mobylette et se payer quelques leçons pour passer leur permis. Pas du tout ! Ils se payent un Portastudio, c’est-à-dire un Tascam quatre pistes rudimentaire. Leur père n’en revient pas. Il est même choqué. Un tape recorder ? Mais c’est avec le Portastudio qu’ils vont démarrer. Ils enregistrent des four-track demos et ce seront les cuts de Psychocandy. William s’achète une Gretsch Tennessean et une «Shin-ei fuzz pedal for a tenner». Et Jim te balance ça qui vaut pour parole d’évangile : «The Gretsch Tennessean, the Shin-ei pedal and the Portastudio from my dad’s redudancy payment, that was our roadmap out of hell.» Évidemment, dad ne va jamais retrouver de boulot. Ce qui va le détruire socialement.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Puis les frères Reid voient Kid Creole en couverture du NME - We thought ‘fuck this!’ We are not going to have this, we are going to start a band to get rid of this kind of shite! - Mais ils doivent d’abord se mettre d’accord entre eux. Jim ne voulait pas être le chanteur au départ - We basically had a big fight about who was gonna sing and he (Jim) lost - Ils ont joué à pile ou face - William won. I was the singer - Mais pour Jim, c’est pas évident. Il se dit l’être le plus timide du monde. Il va souvent tourner le dos au public, comme à l’Élysée Montmartre dans les années 80.

             C’est William qui propose le nom du groupe : «Oh what about The Jesus and Mary Chain?», et Jim lui répond : «That’s fucking brillant.» C’est en effet un nom original. Personne ne dira le contraire.

             Bon, le plus gros reste à faire. Ils ont un nom, des cuts, un son. Il faut maintenant trouver tout le reste : un batteur, un bassman, un label, un manager et des concerts. Pas si simple quand on sort d’un HLM de la banlieue de Glasgow. Ils jouent une première fois à Glasgow, branchent leurs guitares - It was just screeching feedback that filled the room - Ils ont quelques reprises, «Ambition» de Subway Sect, «Love Battery» de Buzzcocks, et «Vegetable Man» de Syd Barrett, mais Jim dit que dans le chaos de feedback, il était impossible de les reconnaître. Ils montent sur scène bourrés et n’en finissent plus de se chamailler. Ça fait partie du show. Jim : «Le fait qu’on savait ce qu’on faisait et qu’en même temps, on n’en savait rien, nous a donné the perfectly unsure foundation on which to construct our rickety edifice.» Les fondations du château de cartes ! Fantastique concept. Jim explique qu’à partir de ce premier show au Roebuck jusqu’à celui de Los Angeles 14 ans plus tard, lorsque le groupe s’est désintégré sur scène, il a toujours été défoncé (off my tits) - Or if not fully off my tits, certainly very much under the influence of something - William dit qu’il n’aime pas se mettre en avant et qu’il préfère rester dans l’ombre - Being the frontman wasn’t for me. Jim was born for that role, even though he would never admit it - Pour compléter le staff, t’as Douglas Hart with his two-string bass et Bobby Gillespie standing just behind us with two drums. Voilà les early Mary Chain, nous dit Jim, «stripped down to the bone, it looked great and it sounded great.»

             C’est Alan McGee qui les prend sous son aile. Il leur décroche un contrat avec Warners, mais ils auraient préféré rester sur Rough Trade, «just as it was for the Smiths, but there’s no going back, so fuck it», tranche Jim. Ce sera le bras de fer permanent avec Warners qui trouve que le son des Mary Chain n’est pas très commercial. Un mec du marketing de Warners leur dit : «If there wasn’t feedback, there would be really commercial songs.» Jim et William vont devoir se battre contre l’incompétence des gens de Warners pour s’imposer. Problème aussi avec McGee qui se prend pour McLaren et qui essaye de transformer les Mary Chain en nouveaux Pistols. Jim : «We wanted to be rock’n’roll stars like Marc Bolan and make the best music anyone had ever heard, whereas Alan wanted to be Malcolm McLaren Mk 2.» Jim avoue qu’il s’est un peu pris au jeu en faisant des déclarations fracassantes dans la presse anglaise : «Yeah we’re fantastic and eveybody knows it.» Et William corrige vite le tir en avouant qu’ils n’étaient pas faits pour la célébrité - I think we were meant for some weird outlier version of celebrity where we were too shy for people to actually look at us - Les analyses de William sont toujours d’une extrême finesse. Le mec qui a fait les choix typo du book a d’ailleurs choisi un Garamond pour composer les propos de William, et un Helvetica pour composer ceux de Jim. De la finesse dans la finesse. On avait rarement vu ça dans l’univers éditorial, sauf bien sûr au temps de Mallarmé (la haute voltige du Coup de Dés) et de Dada (l’exercice ultime de la liberté de composer). 

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

    ( Le Coup de Dés /brouillon)

             Les Mary Chain se retrouvent en studio à Londres avec l’ex-Vibrator Pat Collier. Quand ils écoutent la cassette de l’enregistrement de Pyschocandy sur un lecteur normal, les frères Reid trouvent que ça sonne comme Dire Straits. Alors William retourne en studio rajouter des couches de feedback, «and it sounded much better». Quand les frères Reid font écouter Psychocandy aux gens de Warners, ceux-ci tirent la gueule, du genre «Is it a joke ?».

             L’obsession de Warners est de les associer avec ce qu’on appelle the world-class producers, les producteurs à la mode. Warners les colle dans les pattes de Stephen Street qui a produit les Smiths. Alors Jim et William poussent des cris : «This guy is trying to turn us into a fucking pub rock band.» Jim dit que ça sonne bien quand ils enregistrent, il va faire un tour au gogues et quand il revient, «all the guitars had been turned down.» Donc fuck it ! Puis Warners essaye de leur faire rencontrer Daniel Lanois et Jim se fend la gueule : «Warners even tried to put us in a room with Daniel Lanois, but that union was never written in the stars.»

             Puis Jim raconte le légendaire gig du Liverpool Poly, lorsqu’ils arrivent complètement défoncés sur scène - On avait tellement bu qu’on avait dû prendre des tonnes de speed pour dessoûler, but the industrial quantity wasn’t our smartest move so we went onstage totally off our tits and played ‘Jesus Fuck’ for about half an hour. It wasn’t music in any recognisable sense, just pure agression, but we were happy with the way it turned out - Jim résume en trois lignes le génie sonique des Mary Chain. Ils traversent aussi la pire des époques, l’époque Thatcher/Reagan/Madonna, où tous les groupes veulent devenir aussi célèbres que U2, mais Jim dit que les Mary Chain étaient déterminés to keep things scaled down and do our thing, et rester aussi éloignés que possible du bordel de «l’arena-friendly template». Ce qui leur vaut des inimitiés. Jim voit approcher un mec qui lui demande s’il fait partie des Mary Chain, Jim croit qu’il vient lui demander un autographe, mais le mec lui colle un pain dans la gueule. Pur jus de haine - The whole situation was started to feel dangerously out of control - C’est l’histoire des Pistols qui se répète. Tout le monde se souvient que Johnny Rotten a été attaqué à coups de machette dans la rue. L’Angleterre est un pays extrêmement dangereux pour les outsiders révolutionnaires, il ne faut jamais l’oublier. Les Mary Chain sont obligés de se faire oublier pendant quelques mois, le temps de calmer le jeu et de se débarrasser du «hooligan element» qui s’était rattaché à leurs concerts. Il leur fallait aussi se débarrasser d’Alan McGee qui capitalisait sur tout ce bordel dans la presse. Jim dit que McGee ne l’a pas trop mal pris. Leur troisième décision est de confier les rênes du groupe à Mick Houghton, et tout va changer, surtout l’ambiance des concerts. Les Mary Chain arrivent à l’heure, jouent leur full show et le public adore leur musique.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Pour évoquer l’enregistrement de «Some Candy Talking», William indique que Jim est un excellent bassman - It’s actually him on most of the records - Pour Darklands, William voulait Ian Broudie, mais ce fut Bill Price, qui avait produit Never Mind The Bollocks, un Bill Price génial qui leur dit que ce ne sera pas l’album de Bill Price, mais celui des Mary Chain. Il les met à l’aise et c’est d’autant plus crucial que William fait un peu de parano et se méfie de Warners comme de la peste.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Après avoir su résister aux fameux world-class producers que voulait leur imposer Warners, voilà qu’arrive sur le marché, à la fin des années 80, les rois de la noise américaine, Sonic Youth, Pixies et Dinosaur Jr, «all things that weren’t sonically a million miles away from what we’d been doing», s’amuse Jim. Puis c’est Nirvana. Et du coup les Mary Chain sont «à la mode». À la même époque, l’Angleterre voit l’avènement des Smiths et de My Bloody Valentine - I’d nerver really liked the Smiths, but I loved the Valentines, précise Jim le bec fin. Il ajoute que les Valentines ont la même fuzz pedal ! Pour enregistrer Honey’s Dead, les frères Reid investissent leur avance dans un studio, The Drugstore, «which was in Amelia Street in Elephant and Castle.» Jim rend aussi hommage aux Pixies qui ont repris «Head On» - a nice tip of the hat - Il rappelle dans la foulée qu’il s’est toujours méfié des journalistes anglais et qu’il n’a jamais copiné avec eux - The sad fact about music journalists is a lot of them are dicks - D’où le fameux «I Hate Rock’n’Roll» en 1995.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Jusqu’au bout, les Mary Chain auront constamment l’impression de nager à contre-courant et à la fin, dit Jim, la marée nous a emportés. Warners va bien sûr les lâcher. Le label n’est pas chaud pour sortir Munki, et leur dit que si quelqu’un d’autre veut le faire, alors ça sera très bien comme ça. Jim : «We were fully out in the cold. No record deal, no management. Happy fucking Christmas.»

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

    (House of Blues)

             Et puis bien sûr t’as les shoote légendaires. C’est un classique des fratries : on les retrouve chez Ray et Dave Davies, chez Liam et Noel Gallagher. William se rappelle d’un épisode bien gratiné, avec la poule de Jim, la fameuse Laurence. Ça se passe dans le backstage à Tokyo et Laurence est en train de bouloter, nous dit William, all the macadamia nuts, c’est-à-dire toutes les noix de macadamia. Alors William ramasse le reste et vide le bol. Il dit ne pas se moquer de son accent, mais il la cite quand même : «You took all ze last of zose nuts!» et s’ensuit une grosse shoote entre elle et lui. En représailles, Jim ne lui a plus adressé la parole pendant trois mois. Cet épisode tragi-comique annonçait la fin du groupe. De toute façon, les relations sont compliquées, parce que, nous dit William, on était tout le temps bourrés et il prenait de la coke - And I was stoned, there was no way of us really reaching out to each other. Everything was broken - On sent chez lui une profonde amertume. Parce qu’ils sont issus d’un milieu très pauvre et qu’ils ont détruit tout ce qu’ils avaient réussi à construire. Alors Jim entre dans les détails. William et lui se sont engueulés dans le van, après un show à San Diego. Jim : «William voulait conduire le van alors qu’il était dans un état de cosmic inebriation, et j’ai menacé de le frapper.» Mais c’est Ben Lurie qui le devance. Et ça se termine en bagarre générale dans le van, Ben Lurie saute sur William, alors William saute sur lui, et Jim est en dessous des deux fighters, il prend des coups, un vrai carnage, mais en même temps, c’est assez comique - The shit had totally hit the fan - Les shootes des frères Reid sont assez burlesques. Le lendemain soir, Jim est tellement défoncé sur scène, at the House Of Blues à Los Angeles, qu’il ne sait plus où il est. Soudain, il aperçoit l’ennemi, c’est-à-dire son frangin, «There’s the bastard», pense-t-il, et il se met à l’interpeller : «You cunt! You fucking cunt!». Puis il se retourne et voit tous ces gens qui le regardent. Il réalise soudain qu’il est sur scène et que ces gens sont le  public. C’est le dernier concert des Mary Chain. Le lendemain, William quitte le groupe. 

             William trouve une explication à ce chaos final : «Did I mention that when Jim discovered cocaine he became a fucking asshole?» Les deux frères avaient toujours réussi à se réconcilier, mais avec la coke, c’était devenu impossible. Et pendant un an, Jim n’a pas cessé d’agresser son frère. L’arrivée de Ben Lurie dans les Mary Chain n’a fait qu’aggraver les choses : Lurie était du côté de Jim, et William devait en affronter deux à la fois. En studio, Jim et Laurie prenaient William pour leur larbin. Un coup de guitare par ci par là.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Pour Jim, la fin des Mary Chain est un énorme soulagement. Il ne roule pas sur l’or et il vit de loyers qu’il perçoit, il a de quoi se payer ses bières et ses pizzas, c’est le principal. Il monte Freeheat avec Ben Lurie, Nick Sanderson et Romi Mori qui avait bassmatiqué pour le Gun Club. Ils n’ont enregistré qu’un EP et un mini-album, mais ces deux-là valent largement le détour, à commencer par Don’t Worry Be Happy sur lequel se niche l’excellent «Nobody’s Gonna Trip My Wire» riffé à la vie à la mort et délibérément spasmatique ! Pure stoogerie, jouée dans les clameurs et les solos d’alerte rouge. Jim retrouve le chemin des voies impénétrables, les riffs gouttent de gras.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

     Le mini-album Retox est une perle noire, un véritable chef-d’œuvre inconnu. Dès «The Two Of Us», on retrouve le power-drive des Mary Chain, avec de la folie dans le son. S’ensuit un «Facing Up The Facts» effarant d’adversité, joué à l’heavy punk-rock d’Écosse. Ces gens-là sont dans une autre dimension. Jim joue la carte de l’heavyness maximaliste. Les solos de Ben Lurie sont aussi allumés que ceux de William, on rôtit dans le même enfer, c’est absolument dévasté de l’intérieur, on voit vraiment brûler la carcasse de la sidérasse Ils font aussi subir à «Shining On Little Star» les pires sévices de la marychiennerie. C’est claqué dans la douceur d’une chaude journée de violence urbaine, fabuleusement infectueux et ravagé jusqu’à la racine du thème. Jim chante cette horreur gluante avec une délectation morose et sauve l’honneur des Mary Chain. Le jus coule comme du venin le long de son cou.

    jesus & mary chain,harlem gospel travelers,tindersticks,damned,bobby patterson,spuny boys,the red clay strays,thumos,emmanuel lascoux

             Les frères Reid ne rentrent pas trop dans le détail de leurs vies privées respectives. William avoue cependant avoir essayé d’avoir des relations sentimentales stables. Quand il se lasse des tournées, il devient casanier. Sa poule Rona et lui ont deux chats qui s’appellent Jim et William. Et puis, William sort une fabuleuse anecdote. Il raconte que son père - my da - a pris l’habitude d’écouter le John Peel Show, bien sûr dans l’espoir d’y entendre ses deux fils. Mais il craque sur Billy Bragg et un soir qu’il passe à la téloche, da dit  : «Oh, this is a good one.» Alors les deux frères échangent un regard ahuri. Alors da leur dit : «He’s on John Peel a lot.» Ah bon, t’écoutes John Peel ? «Yeah I listen a couple of times a week to see if he plays youse (sic).»

             Jim en profite pour saluer deux ou trois ennemis, comme Paul Weller qui leur fait un beau doigt d’honneur on les croisant dans le studio de Top Of The Pops, ou encore David Gilmour qui est choqué de voir que William a peint sa Gretsch Tennessean en noir pour une émission de télé. William : «When David Gilmour walked by he was absolutely disgusted.» William voulait que sa gratte matche avec le noir des fringues qu’il portait. C’est pourtant pas difficile à comprendre. Apparemment ce n’est pas à la portée de tout le monde.

             William part s’installer en Californie. Il en a marre de se faire agresser dans le métro par des mecs qui s’en prennent à sa coupe de cheveux : «Oh you’ve got funny hair, why don’t you get your hair cut, mate?». Pour éviter que ça ne tourne mal, William se barre. Il se marie avec Dawn, une Américaine. Il installe sa famille à Redondo Beach, mais ça se passe mal, car les gens du coin n’acceptent pas Dawn qui est tatouée et qui a un anneau dans le pif.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Pour s’occuper intelligemment, William enregistre deux albums solo sous le nom de Lazycame : Saturday The Fourteenth et Finbegin. On n’y sent pas vraiment de volonté compositale. On les écoute si et seulement si on considère William comme un génie. Mais tout y est irrémédiablement privé d’avenir. William fait le con et saborde le navire. Il fait son super sucker. On entend à un moment un «Kissaround» gratté au coin du feu chez les hippies. William avait tout simplement décidé de nous courir sur l’haricot. Avec «Tired Of Fucking», il fait claquer ses vieux accords de Stonesy dans un lointain d’absurdité congénitale. Ah quelle belle arnaque ! William devient un génie de la crotte de nez. Il se croit même autorisé à faire du Schönberg.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Quant à Finbegin, c’est encore pire. Il gratte à coups d’acou et coupe à travers champs. Il tente un petit retour à l’electrak de la détraque avec «Rokit», et fait du bruitisme à la petite semaine dans «Fornicate». Il cherche les petites ambiances délétères et orientalise sa fucking daube.

             Quand Chevrolet utilise «Happy When It Rains» pour une pub, les frères Reid récupèrent un gros billet. Jim dit qu’il a remboursé son emprunt «and William bought a fancy car. I can’t remember what kind that was either - I’ve never owned a fancy car in my life.» William corrige le tir : «I didn’t buy a car, I bought a house - 6938 Camrose Drive in Hollywood, baby.» William va se taper «two Californian divorces», qui dit-il coûtent cher car il faut refiler à la divorcée la moitié de tout ce qu’on possède, même si le mariage n’a duré que quelques mois. Mais bon, comme il dit, «I had a good time and I’ve got my memories.» Merci William Reid de ces beautiful memories.

             Puis c’est la reformation, avec Phil King et Loz from Ride on drums, qu’on verra sur scène à Paris à deux reprises, puis une troisième fois sans Phil King. Ainsi va la vie.   

    Signé : Cazengler, fort Mary

    William & Jim Reid. Never Understood - The Jesus & Mary Chain. White Rabbit 2024

    Freeheat. Don’t Worry Be Happy. Hall Of Records 2000

    Freeheat. Retox. Outafocus Recordings 2001

    Lazycame. Saturday The Fourteenth. Hot Tam 2000

    Lazycame. Finbegin. Hall Of Records 2001

     

     

    L’avenir du rock

     - Travelers check

    (Part Two)

             Pourtant habitué aux hallucinations, l’avenir du rock n’en revenait pas : il vit descendre de la grande dune une gonzesse sur une moto. Elle portait du cuir noir et un gilet ouvert jusqu’au nombril. Ses grands cheveux rouges flottaient au vent. Elle portait des lunettes d’aviateur et du rouge à lèvres. Depuis des années qu’il errait dans le désert, l’avenir du rock n’aurait jamais imaginé voir arriver un truc pareil. Lawrence d’Arabie, oui, mais une amazone aux cheveux rouges sur une grosse moto, certainement pas ! Elle approcha rapidement et s’arrêta à quelques mètres de l’avenir du rock. Brrrrm bahbahbah... Brrrrm bahbahbah...

             — Elle a un joli bruit votre grosse moto...

             — C’est une Harley, mon chou.

             Brrrrm bahbahbah... Brrrrm bahbahbah...

             Elle parlait d’une voix d’homme, comme Amanda Lear. Bien que dans un piteux état, l’avenir du rock en fut troublé, mais comme il était complètement cramé, il ne pouvait pas rougir. Puis elle ajouta d’une voix encore plus douteuse :

             — 100 la pipe, 200 l’amour !

             — Ça m’aurait intéressé, mais il faut que je trouve une tirette. J’ai pas assez de liquide.

             Elle était très maquillée. L’avenir du rock qui n’y voyait plus très clair s’approcha pour l’examiner de près. Elle avait du poil sur la poitrine.

             — Zêtes pas une gonzesse ?

             — Si tu veux savoir, faut payer, mon chou.

             — Je suis l’avenir du rock, vous pourriez me faire crédit !

             — Harley Grosse Pelle Travelo ne fait pas de crédit, minable !

             — Ça tombe bien ! Je préfère Harlem Gospel Travelers ! Et de loin, pouffiasse !

     

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             On se souvient encore du set des Harlem Gospel Travelers comme si c’était hier. Les voici de nouveau à l’honneur avec un fabuleux troisième album, Rhapsody.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

    Et c’est d’autant plus un événement qu’ils tapent dans l’une des mirifiques compiles Numero Group, Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Ifedayo Thomas Gatling s’est réduit de lui-même à Ifedayo, il mène la danse du son le plus moderne de Brooklyn, avec Eli Paperboy à la gratte et Jesse Barnes au bassmatic. Et t’as les chœurs d’anges du paradis, c’est-à-dire George Marage et Dennis Keith Bailey III. Choc esthétique dès «We Don’t Love Enough», une cover des Triumphs qu’on retrouve sur la compile  Good God!. On reste dans le génie éblouissant avec «Ever Since», un autre fabuleux shakedown de power Soul. Black Power ! Avec du Gospel batch in the mood. Ifedayo est un allumeur de première catégorie, un artiste fondamental, il dispose d’une voix colorée et d’un son. C’est tout de même incroyable que Paperboy soit mêlé à ça ! Ils reprennent le «God’s Been Good To Me» des Mighty Walker Brothers. Un nom pareil, ça ne s’invente pas. Ifedayo y ramène tout le power des Tempts, même développement d’I try ! I try ! On assiste encore à un carnage surnaturel dans «How Can I Lose», shoot de wild gospel avec des tambours, des tambourins et toute l’énergie du diable. Ifedayo chauffe ensuite son «Jesus Rhapsody Pt 1» au feu sacré de Junior Walker, c’est comme gorgé de Motor City Sound, mais sans le Sax. On trouve l’original de «Jesus Rhapsody Pt 1» sur Good God!, par Preacher & The Saints. Et puis t’as «Searching For The Truth», un gros fondu de gospel Soul fabuleusement conditionné, atrocement bien chanté, chaud et vivant, il y va au searching. Ifedayo est l’un des géants de notre époque.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Alors attention ! Il se pourrait bien que Good God! - A Gospel Funk Hymnal soit l’une des plus belles compiles de tous les temps. La moitié des 18 cuts sont de la pure dynamite. Pas étonnant que les Harlem Gospel Travelers aient louché là-dessus. Tiens, rien qu’avec le dernier cut, «Thoughs Were The Days» par LaVice & Company, t’es rassasié. Le mec chante comme un démon, il sonne comme un vrai génie démoniaque, un brin here comes the judge, à l’intro du hit de Shorty Long. Et juste avant, t’as le «Look Where He Brought Us» des Apostles Of Music, avec des filles qui font freedom, c’est du Richie Havens en plus hot. Quelle clameur ! La compile démarre avec Preacher & The Saints et «Jesus Rhapsody Part 1», que reprennent les mighty Travellers. Quel big sound ! C’est pas loin des Tempts. Il faut voir ça comme un sommet du Black Power. Puis t’as les 5 Spiritual Ones qui te fracassent «Bad Situation» : encore pire ! T’as les Tempts dans l’église en bois. Ils ont le power dans les reins, la bassline descend dans le couplet comme un Jamerson en folie, bad bad situation ! Bizarre que les Travelers n’aient pas retenu ce «Bad Situation». Car quel scorch ! Par contre, ils tapent le «God’s Been Good To Me» des Mighty Walker Brothers. Power immédiat. Encore pire que les Tempts. Dé-vas-ta-teur ! C’est le power de James Brown avec l’incognito en plus. Gospel genius ensuite avec Masonic Wonders et «I Call Him». Plus classique, mais terriblement insistant. Genius toujours avec l’«I Thank The Lord» des Mighty Voices Of Wonder. T’as le beat et l’argent du beat. Là, t’as Stax dans l’église en bois qui s’écroule, et une grosse black en roue libre qui te ravage tous les potagers. The Voices Of Conquest t’amènent «Oh Yes My Lord» au tribal antique. Stupéfiant ! T’as la démesure du son et l’oh yes my Lawd ! C’est avec la cover du «We Don’t Love Enough» des Triumphs que les Travelers ouvrent le balda de leur Rhapsody. Fantastique entourloupe ! Digne des Edwin Hawkins Singers. Même clameur de gospel black power. Et t’as plein d’autres cuts surprenants de qualité, Brother John Witherspoon t’explose «That’s Enough» au heavy popotin, en mode prêcheur, à coups de give up. Ce sont les Universal Jubileers qui sont sur la pochette de la compile, avec leurs vestes à carreaux. Il tapent leur «Chidhood Days» en mode wild gospel Soul de raw r’n’b. Ils te chauffent ça à blanc, t’en reviens pas de les voir à l’œuvre, t’en perds ton latin, tu ne sais plus où t’habites. Tout cela est à peine exagéré.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Intrigué par LaVice & Company, tu dig un peu et tu découvres l’existence d’un album sorti sur un petit label anglais, Jazzman Records : Two Sisters From Bagdad. C’est un objet curieux, t’as trois Soul Sisters et un mec déguisé en diable, LaVice Hendricks. Pendant les 3 ou 4 premiers cuts, tu essaies de savoir où ils veulent en venir. Le morceau titre se noie dans l’underground black. C’est même assez incompréhensible, tellement c’est underground. Leur «Fantasy» est weird, mais pas inintéressant. On retrouve le «Thoughs Were The Days» choisi par Numero Group pour son Good God! - A Gospel Funk Hymnal et c’est en fait la première apparition de LaVice Hendricks. Et puis le reste retombe dans la drouille. Tu t’attendais à un big album de gospel funk et tu tombes sur un mauvais artefact. Leur «Satan Baby» ne vaut pas un clou, mais l’album original paru en 1973 doit s’arracher pour une fortune.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Nouvelle caisse de dynamite : Good God! - Born Again Funk. Suite logique et donc explosive de Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Pas compliqué : tu sautes de génie en génie (de JL Barrett et «Like A Ship» aux Gospel Soul Revivals et «If Jesus Came Today» (c’est-à-dire d’un heavy groove avec des chœurs demented d’Edwin Hawkins Singers au power de Black Power avec une bassline à faire baver James Jamerson, les Gospel Soul Revivals pulsent à la vie à la mort), tu sautes d’inconnu en inconnu (de Lucy Sister Soul Rogers et «Pray A Little Longer» aux Inspirational Gospel Singers et «The Same Thing I Took» (c’est-à-dire d’une Lucy qui sonne comme Aretha à une Inspirational Gospel Singer qui sonne encore plus comme Aretha). Tu sautes des Gospel Comforters et «Yes God Is Real» (r’n’b d’église en bois) au Golden Echoes et «Packing A Grip» (wild gospel d’église en feu). Tu sautes de Brother Samuel Cheatham et «Troubles Of The World» aux Jordan Travelers et un «God Will Answer» drivé à la basse funk. Et tu bascules enfin dans une apothéose de coups de génie avec Holy Disciples Of Chicago et «I Know Him» (pur Aw Lawd power, le groove des crocodiles), puis avec Little Chris & the Righteous Singers et «I Thank You Lord» (chant d’harmonies frisées avec une wah d’une sidérante modernité) et enfin  The Sensational Five avec «Coming On Strong Staying Long», un heavy r’n’b, c’est même du pur Junior Walker d’église en bois, tellement c’est incendiaire.

    Signé : Cazengler, Travelo

    Harlem Gospel Travelers. Rhapsody. Colemine Records 2024

    Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Numero Group 2006

    Good God! - Born Again Funk. Numero Group 2010

    LaVice & Company. Two Sisters From Bagdad. Jazzman Records 2017

     

     

    Tindersticks en stock

    - Part Two

     

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Toujours un bonheur que de revoir Stuart Staples & ses mighty Tindersticks sur scène. Deux heures de voyage dans l’ombilic des limbes garanties. Le dandy d’antan a pris du ventre, mais la voix est toujours là. Le voilà coiffé d’un petit chapeau mou, mais son élégance naturelle reprend le dessus et tu entres dans le monde qu’il crée pour toi au fil des cuts.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

    Et c’est un monde merveilleux. Pendant deux heures tu te sens protégé de l’autre monde, celui qui va pas bien, avec ses beaufs au pouvoir et les manipulations d’opinion qui vont avec. Le romantisme comme dernier rempart face à l’abominable marée d’intolérance qui monte jour après jour ? Faut pas rêver, le romantisme n’est qu’un songe, fragile par définition, et celui de Stuart Staples se limite à sauver deux heures de ta vie. Rien de plus. C’est déjà pas mal. Pendant ce concert qu’il faut bien qualifier d’hautement merveilleux, tu songes à tous ceux qui n’ont pu ou qui n’ont su en profiter. Car c’est là, à portée de tes yeux et de ta cervelle, deux heures de mélancolie urbaine distillée par cinq mecs d’apparence banale.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

    Les Tindersticks sont des anti-rock stars. Ils s’effacent au profit de leur art. Ils laissent le champ libre aux chansons et à la fabuleuse interprétation qu’en fait Stuart Staples, d’une voix fêlée, toujours colorée, tantôt d’essence préraphaélite, tantôt d’essence pointilliste, il ponctue et tisse des voiles, il module l’éther et irise l’affaire, il fait éclore et cueille pour offrir, Stuart Staples est l’un des artistes les plus intéressants à observer. Tu crois qu’il ne se passe rien, mais il est toujours en mouvement immobile. Son récital a la grandeur d’un long métrage d’Abel Gance. L’insondable teneur d’un tome de Zola. La classe de l’Importance Of Being Earnest d’Oscar Wilde. Il chante la plupart du temps les yeux fermés, comme s’il lisait à l’intérieur de lui-même pour diriger ses pas. Tu l’observes comme tu aurais observé Verlaine lorsqu’il déclamait ses vers au François 1er, sur le boulevard Saint-Michel. Stuart Staples est de cet ordre -là.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Oh et puis t’as les chansons, quasiment toutes celles du dernier album, Soft Tissue. L’heavy Tinder Sound de «The Secret Of Breathing» qu’il enchaîne avec «Turned My Back». Il se bat jusqu’au bout avec le Turn my back. Et toujours cette merveilleuse façon de caresser l’intellect. Dans le début su set, il tape un «Falling The Light» éclairé par un refrain lumineux - Falling the light on the grace of the day - qu’il enchaîne avec «Nancy», bercé par un léger parfum de calypso - Nancy/ Answer me - Big Tinder Sound de tension maximale - Nancy/ Nancy answer me - Vers la fin du set, on retrouve aussi ce «New World» bassmatiqué dans l’âme. Il groove comme Oscar Wilde, tel qu’Oscar Wilde grooverait s’il était de notre temps. Vers la fin du set, on retrouve aussi ce «Don’t Walk Run», et cette façon qu’il a de poser sur le groove son you need a place to fall et d’ajouter I need a place to hide. Alors il anticipe, it’s moving inside/ Me/ It’s moving inside me now/ Pulling on my strings babe, on sent le balancement du groove dans le pulling on my strings, c’est chargé d’Oh why’d you leave me babe, et il repart au need a place to hide qu’il susurre entre deux portes. En fin de set, il se perd avec «Soon To Be April», il tend la main alors que le courant l’emporte, il atteint le sommet du désespoir mélodique, la beauté inversée, il élève la mélancolie au rang d’art majeur.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             En rappel, ils tapent «Pinky In The Daylight» et «For The Beauty» tirés de No Treasure But Hope, histoire de t’arracher un dernier spasme de félicité. Avec «For The Beauty», il semble vouloir se battre contre la maladie that’s killing me - For the beauty/ Give me something to ease - La guitare sonne comme une mandoline dans «Pinky In The Daylight», pareil, ça tient par le refrain magique - Pinky in the daylight/ Crimson at night/ Yeah I love you - Et là t’entends ce batteur black de jazz dément qu’on a vu à l’œuvre sur scène. Il s’appelle Earl Harvin, tu trouves son nom dans la kro d’un set des Tinder à Manchester, dans la page ‘Lives’ de Record Collector. Mais Beauty et Pinky ne sont pas les coups de génie de l’album. Les voilà : le premier s’appelle «The Amputees», Stuart y fait vibrer le bad d’I miss you so/ bad, et derrière, les Tinder swinguent le jazz. Pire encore : «Trees Fall», que Stuart tape en début de set, il le chante en suspension dans une très belle lumière préraphaélite. C’est du pur Tinder Sound haleté - Shall we sit in the dark and tell our old stories?, et il rebondit merveilleusement, and oh, it’s so dark in the stairs, il relance toujours au ‘and oh’, are we tied to those moments for good?, c’est de la poésie musicale, une authentique merveille respiratoire - Has the juice run out again - L’again enivre - The salt of our skin and the smell of the ocean - Stuart Staples offre avec son art poétique l’équivalent exact de ce qu’on amené en leur temps Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, pour n’en citer que trois. Troisième coup de génie : «See My Girls». Ses filles prennent des pictures with their cameras/ they see the world and they sent it me home. Hallucinant. Ses filles voyagent dans le monde entier, et les vers de Stuart Staples ruissellent de richesses, Eiffel Tower, Grand Canal, Amazonia, the gates of Birkenau, the great Damascus, South Yemen, Jerusalem, the dolphins of Donegal, autant de mots qui scintillent d’une musicalité sans fin. Il swingue encore son chant dans «Tough Love» - This tough love changed me/ This tough love made me - C’est quasiment de l’heavy funk. Ah, les Tindersticks nous en auront fait voir de toutes les couleurs ! 

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Ils tiraient un seul cut de l’avant-dernier album Distractions, «The Bough Bends», où l’on entend chanter les oiseaux. Cut épais et bien doux, coiffé par un thème musical très aérien. Ils visitent la stratosphère. C’est bien, les gars ! Mais s’il faut saluer un cut sur Distractions, c’est le «Man Alone» d’ouverture de bal, un cut interminablement bon, une vraie sinécure, montée sur le petit tribal Tinder. Stuart colle bien au heartbeat, il sait épouser une situation et la mettre à son avantage. Avec «Lady With The Braid», les Tinder passent en mode mambo et c’est vite effarant d’élégance. Stuart cueille les mots à la pointe du beat, l’effet est saisissant. Encore du Tinder Sound typique avec «You’ll Have To Scream Louder». Ça reste une samba d’aube mortelle et de chairs usées, d’essences félines sentant la jupe et de sang frelaté. Stuart Staples est le Des Esseintes des temps modernes. Ne l’a-t-on pas encore compris ?

    Signé : Cazengler, Pinderstick

    Tindersticks. Théâtre des Arts. Rouen (76). 26 novembre 2024

    Tindersticks. No Treasure But Hope. Lucky Dog 2019

    Tindersticks. Distractions. Lucky Dog 2021

    Tindersticks. Soft Tissue. Lucky Dog 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Au bonheur des Damned

    (Part Two)

             Politiquement parlant, l’avenir du rock a toujours penché du bon côté, c’est-à-dire du côté des damnés de la terre. Chaque matin, sous la douche, il entonne «Debout les Damned de la terre» à tue-tête. Il en fait vibrer les carrelages, la robinetterie et la porte vitrée. L’avenir du rock est tellement fasciné par le destin des Damned de la terre qu’il s’est fait tatouer une New Rose autour de l’anus et une Machine Gun sur la zigounette, comme ça au moins, aucune ambiguïté n’est possible. Mais étant donné que l’avenir du rock reste un concept, aucune interaction n’est possible, et par conséquent personne ne peut témoigner de la présence de ces deux tattoos insolites. Il faut donc le croire sur parole. Il met aussi un point d’honneur à se laver les mains avant chaque repas pour rester Neat Neat Neat, et il met un soin maniaque à répondre aux lettres qu’il reçoit au Fan Club. Lorsqu’il se rend dans un bal costumé, il porte un casque Born To Kill, non pas en hommage au Full Metal Jacket de Kubrick, mais en bon Damned de la terre qui se respecte, et si un imbécile d’antimilitariste vient l’insulter au bar, alors l’avenir du rock s’empare du pic à glace et lui court après en hurlant Stab Your Back ! L’avenir du rock n’a jamais fait dans la demi-mesure, et ce n’est pas aujourd’hui qu’il va s’y mettre. Il est trop tard. Au moindre coup de blues, il se fend d’un So Messed Up, et s’il se sent la proie d’une petite crise de mélancolie, il opte pour un petit coup d’I Can’t Be Happy Today. Par contre, quand tout va bien et qu’il sent les énergies telluriques bouillonner en lui, alors il éructe I Feel Alright. Au nom des Damned de la terre, il est capable de tout, comme par exemple de Smash It Up. Se calmer ? Lui ? L’avenir du rock ? C’est pas demain la veille.      

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Il a raison de s’exciter l’avenir du rock, car vient de paraître Darkadelic, le nouvel opus des Damned de la terre. En 2017, les Damned fêtaient leur quarantième anniversaire. Pour des gens qu’on considérait comme les princes du chaos, c’est inespéré.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

    Dans le beau panorama qu’il leur consacre dans Vive le Rock, Nick Tesco rappelle qu’on les considérait comme les poor cousins des Clash et des Pistols. Dick Porter va beaucoup plus loin en disant qu’au pays des non-conformistes, les Damned sont les rois - Within a subculture that espouses non-conformity as a core value, the Damned represent the ultimate outsiders. Il rappelle aussi que tous les journalistes qui leur crachaient dessus ont depuis longtemps disparu alors qu’eux, les Damned, sont toujours là, fidèles à leur engagement originel : the fundamental idea of doing your own thing.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Le point de départ s’appelle Brian James, fan des Stooges, de Dolls et du MC5, qui tente de démarrer avec les Bastards à Bruxelles, mais il se sent seul, car personne ne connaît les groupes dont il parle. Même à Londres, excepté les Pink Fairies, qui savent que quoi parle Brian. Quand il revient vivre à Londres, il traîne un peu avec les fameux London SS et rencontre Rat qui a répondu à une annonce du Melody Maker. McLaren propose à Dave Vanian, qu’il a repéré, de chanter dans les Masters Of The Backside avec une guitariste nommée Chrissie Hynde. Le batteur, c’est Rat. Il faut aussi un bassman, alors Rat ramène Ray Burns qui à l’époque porte les cheveux longs et ressemble à Marc Bolan. Le futur Captain est alors timide et un peu nerveux. McLaren n’en veut pas dans le groupe : il le traite de bloody hippie. Le groupe commence à répéter. Ils font des reprises garage des Shadows Of Knight et ça ne se passe pas très bien. Rat dit : «This is going nowhere» et il indique à Dave qu’il connaît un mec intéressant, un visionnaire qui parle d’une nouvelle forme de musique. C’est Brian James. 

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Dans un numéro d’Uncut de 2016, Peter Watts dresse un panorama complet des exploits du groupe en matière de destruction de chambres d’hôtels. C’est en France qu’ils se découvrirent un talent fou pour cet art habituellement réservé à des géants comme Keith Moon. Lors du premier festival punk qu’organisa Marc Zermati à Mont-de-Marsan, Jake Riviera et Nick Lowe découvrirent les Damned qui n’étaient encore que des débutants puisqu’ils ne montaient sur scène que pour la sixième fois. Riviera les voulait absolument sur Stiff.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Paru en 2023, Darkadelic est l’un de leurs meilleurs albums. Ça grouille de puces, tu vas te gratter pendant une heure, dès «The Invisible Man». Les Damned n’ont jamais sonné aussi sludge, avec le Vanian qui hurle comme un crucifié du Golgotha. C’est battu à la diable, noyé de son, ça coule de partout, le Vanian émerge à peine du chaos. Ah il faut le voir se débattre ! Nouvelle dégelée avec «Girl I’ll Stop At Nothing», wild punk des Damned de la terre, back to the basics, on se croirait sur le premier album, en 1977 ! Même énergie qu’au temps des premiers jours. Les Damned ont toujours su sonner le tocsin de London town, et le Captain fout le feu à l’immeuble. Ils passent sans ménagement au wild gaga avec «Leader Of The Gang», ils te déboulent dessus, tu reviens au point de départ, ils renouent avec leur fantastique élasticité, Paul Gray joue en roue libre dans le fond du son, et le Captain fait son Wayne Kramer, il n’en finit plus de faire son cirque dans ce rebondi paroxysmique. Cet album est assez explosif, ça mérite d’être noté, car les explosions se raréfient. Darkedelic est un gros tas de purée. Le Vanian trouve toujours une ouverture, quel que soit le cut. Il s’accroche au mur du son de «Bad Weather Girl», il agit en wild geezer, à mains nues. Bon, il faut reconnaître que certains cuts laissent perplexe : «You’re Gonna Realise» et «Beware Of The Clown» sonnent comme de la petite pop. Depuis que Brian James n’est plus là, c’est le bordel au dortoir. Et le Captain ne fait plus bander personne, comme au temps des tutus. Il faut attendre «Wake The Dead» pour voir l’album se réveiller. Big Vanian chante comme Hadès, le dieu des enfers. Il semble chanter du fond d’une caverne. Les Damned profitent de cette occasion en or pour rallumer le brasier, Paul Gray bousine une bassline demented et ils atteignent l’orgasme avec «Motorcycle Man». 

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Les Damned ont fait un beau cadeau à leurs fans avec le double DVD Machine Gun Etiquette 25 Tour. On y trouve en effet tout ce qu’un fan des Damned peut espérer en ce bas monde. Les Damned attaquent leur concert du 25e anniversaire avec «Love Song» et «Machine Gun Etiquette» - Second Time Around - deux versions explosives. Peu de groupes savent blaster comme les Damned. Ah il faut les voir jouer «New Rose», puis Captain introduit une autre bombe atomique - It’s the MC5, God bless ‘em ! It’s called Looking At You ! - Il n’existe rien d’aussi dynamité dans l’univers du rock moderne. Captain se roule par terre à la fin du cut. Il n’a rien perdu de sa folie. Il faut aussi l’entendre jouer dans «Would You Be So Hot» : il sonne comme Peter Green ! Nouveau coup de blast nucléaire avec «Ignite», extraordinaire vitalité de ton vibrillonnée par un Captain Kramer débridé. S’ensuit une version absolument somptueuse d’«Eloise», bien soutenue à l’orgue. On a là du grand art de pop anglaise porté à son sommet par la dynamique des Damned et l’incroyable talent de Dave Vanian. Encore plus explosif : «Melody Lee», joué au blast damné pour l’éternité. On ne parle même pas de la version dévastatrice de «Neat Neat Neat» introduite par le vieux riff de basse. Sacré coup de génie tutélaire, et ça plonge dans la folie du punk-rock de London town. Et c’est pas fini, car ils tapent dans le «Break On Through» des Doors, Dave fait son Jim Morrison et ça tient admirablement bien la route. Les bonus pullulent sur le disque 2, à commencer par un concert filmé au Japon et des versions absolument démentes d’«Eloise», puis de «New Rose». Il faut bien dire que ces deux cuts sont des sommets de la pop anglaise. Au menu des bonus, on trouve aussi pas mal de petits films où Captain se laisse filmer : voyage en Allemagne, on a aussi des scènes de backstage, le making of de la vidéo de «Wot». On ne se lasse pas de voir ce mec qui est en fait l’héritier direct de Keith Moon : même ampleur, même odeur de soufre, même charme et surtout même explosivité scénique. 

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             En 2017, ça recommence à buzzer autour des Damned, avec notamment la parution de Don’t You Wish That We Were Dead, le film de Wes Orshoski, le réalisateur qui s’était occupé de Lemmy. Tout fan des Damned doit impérativement voir ce film. On a là un docu riche et dense, bardé de conneries de Captain et d’extraits de concerts anciens et modernes, on voit des témoins de la vague punk, même les cancéreux, les ex-members, on voit Rat Scabies écraser une larme, et puis un plan plutôt rare de Captain chez lui avec ses trois gosses. On nous rappelle au passage que les Damned, contrairement à la majorité des groupes punk, savaient jouer de leurs instruments - The Damned could play - Ils jouaient le rock’n’roll le plus incendiaire de leur temps - That’s rock’n’roll as Jerry Lee Lewis is rock’n’roll - Tiens et puis t’as Roger Armstrong qui rend hommage à Captain - A punk-rock Jimi Hendrix ! - Par contre, on voit l’autre moitié des Damned, Brian James et Rat Scabies avec Texas Terri, et au chant, Texas Terri est une véritable catastrophe ! L’un des passages les plus hilarants de ce docu est celui de la reformation du groupe originel Vanian/Scabies/James/Captain : sur scène, Captain annonce que «New Rose» est une compo de Guns’n’Roses. Brian James quitte la scène immédiatement. Fin de la reformation. Captain dit aussi un truc admirable : We should have died after making one fantastic album - Mais avec lui, on ne sait jamais si c’est pour rire ou pas. Sacré passage aussi dans les bonus, lors de l’évocation du fameux Anarchy Tour - Weird vibes - Brian James rappelle que personne ne leur adressait la parole. Comme l’Anarchy Tour démarrait le lendemain du Grundy Show, les Pistols étaient à la une de tous les canards et McLaren n’avait plus besoin des Damned qu’il a virés. Autre grand moment de rigolade : Captain nous fait visiter les chiottes de la salle des fêtes de Croydon qu’il nettoyait à une époque. Il raconte qu’il y vit T. Rex sur scène - What a fabulous job !, pensa-t-il. Il voyait les filles trépigner aux pieds de Marc Bolan - I want this job !

    Signé : Cazengler, damé du pion

    The Damned. Darkadelic. Ear Music 2023

    Born To Kill by Nick Tesco. Vive le Rock #41. 2017

    We’re Horrible English Hooligans by Peter Watts. Uncut #235 - December 2016

    Damned. Machine Gun Etiquette 25 Tour. DVD 2005

    Wes Orshoski. The Damned. Don’t You Wish That We Were Dead. DVD Cleopatra 2016

     

     

    Inside the goldmine

     - Patter noster

             Dans la vie, on rencontre rarement des personnages aussi épris d’eux-mêmes. Ivanoff cultivait bien son auto-culte. On l’imaginait dressé devant un miroir à se contempler tout en se caressant la barbe, une barbe qu’il taillait court, sans doute pour goûter l’indicible plaisir de s’entendre la gratouiller. On devinait tout cela en l’observant, et il n’y avait aucune malveillance à l’imaginer ainsi. Sa prodigieuse intelligence semblait exacerber son narcissisme jusqu’au délire. Tout le monde croit que l’intelligence aide à corriger les travers, mais chez lui, ça ne se passait pas du tout ainsi, bien au contraire. Ivanoff avait pendant vingt ans accumulé des connaissances qu’il sublimait et synthétisait pour les faire passer pour des visions. Lorsqu’on s’adressait à lui, on s’adressait à l’oracle des nouvelles technologies. Il semblait voir l’avenir, enfin, il voyait ce que personne ne pouvait voir. Il pouvait fasciner. On se noyait dans l’eau bleue de son regard. Il inspirait en même temps une sorte de confusion. On ne savait plus s’il fallait rire (tout en prenant garde de se retenir), ou s’il fallait cautionner l’homérique envolée de son discours. Il y avait quelque chose d’Hugolien en lui. Il ânonnait sur un ton monocorde qui finissait par devenir fluide, presque mélodique, semblable aux airs de flûte que jouent les charmeurs de serpents sur la place Jemaa el-Fna, à Marrakech. On ne savait plus s’il fallait se sentir fier de le fréquenter ou au contraire le fuir comme on fuit généralement les moi-je les plus détestables. Un jour que nous étions en réunion, il se produisit un incident qui permit d’en finir définitivement avec ce paradoxe. Pendant une pose, la conversation vint malencontreusement déraper sur une belle peau de banane : l’insécurité dans certains quartiers de Paris. C’est à ce moment-là qu’on réalisa qu’Ivanoff portait un pantalon couleur kaki de combattant, avec des poches à soufflets sur les côtés, car il en sortit un énorme cran d’arrêt. Face à nos mines consternées, il relança sa routine pédagogique pour nous expliquer qu’à notre époque il fallait se montrer prêt à tout, à tout moment, et que de toute façon, il n’y avait pas d’autre solution que la violence pour répondre à la violence. Il recyclait la téhorie de Malcolm X. Personne ne mouftait. Il ajouta, pour rassurer les dames présentes dans la salle, qu’il ne fallait pas se fier aux apparences et qu’il connaissait «des guerriers doux comme des agneaux».

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Rien de tel que de passer d’un oracle à l’autre. Alors on dit adieu à l’oracle des nouvelles technologies pour introduire l’oracle de l’heavy funk de Soul, Bobby Patterson. On devrait dire l’immense Bobby Patterson. C’est grâce à The Heritage Of A Black Man, une compile Sam Dees, qu’on s’est intéressé à Bobby Patterson. John Ridley y rappelait que Sam Dees avait confié «What Goes Around Comes Around» à Bobby Patterson. Alors il n’en fallut pas davantage pour aller fouiner du côté de Bobby Patterson. Belle série d’albums, forte personnalité, on peut facilement le comparer à Bobby Parker. Au fil des albums, Bobby Patterson prend toutes les apparences d’une révélation. On découvre aussi que ce black Texan de Dallas sait tout faire : composer, produire et tourner pour la promo de ses singles.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Pas étonnant du coup que son premier album, It’s Just A Matter Of Time, soit devenu culte. Et si tu veux choper le pressage Paula Records, fais gaffe, il coûte la peau des fesses, comme dirait le Marquis de Sade. Une bonne red fera l’affaire. Patter attaque son album en mode hard r’n’b avec «If You Took A Survey». C’est un féroce, un admirable warrior, fantastique présence, grosse insistance. Les fans de Patter ne jurent que par «How Do You Spell Love», un slab d’heavy funk, il fait le show, pas de problème. Il rugit comme une panthère noire, à la façon de Wilson Pickett. L’autre hot spot de l’album se planque en B : «Right On Jody», encore très Pickett dans l’esprit, très back of my mind, Patter est précis, exact au rendez-vous. Pour un premier album, c’est coup de maître. Patter entre dans la galaxie des grands Soul Brothers.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Pas question de prendre un mec comme Patter à la légère, surtout quand on a dans les pattes un album comme Second Coming. Il y fait du big Patter, solid as hell, il y va au yeah ‘cos I’m down, il cadre bien son boogie-groove de blues («If He’s Getting The Thrills»). Patter te montre la voie, yeahh, il s’implique dans son process, il te tombe encore sur le râble avec «All We Have In Common», même si ça reste du cousu de fil blanc. Et voilà qu’il te groove la cage thoracique avec «You Can’t Steal Something», il plonge dans un lagon de good time, une vraie merveille. Et puis voilà la surprise du chef : «Right Place Wrong Time». Il a tout, le Patter : la classe et les orchestrations, il te groove tes nuits chaudes de Harlem, il ramène tout le gusto du Patterson de right place. Il passe au funk avec «Keep Your Hand To Yourself» et se couronne roi du groove avec «I’ll Take Care Of You». Il promet de faire gaffe à elle, son now now est sincère, il y va au groove d’oooh baby. Il se fond comme une anguille dans le slow groove d’«I’ve Just Got To Forget You», aw my Gawd, Patter est géant du fondu, il flirte en permanence avec l’épouvantable génie, quel album ! Il termine avec un «Fingers Do The Walking» plus funky. Mais pas n’importe quel funk, t’es chez Bobby, il te fait un funk de get down on the floor/ I’m gonna get my fingers do the walking/ I’ll get your love, c’est du niveau supérieur, il y va au I’ll get your love, pur jus de make the scene !   

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Sur la pochette d’I’d Rather Eat Soup, Patter porte un beau costard blanc assorti à sa Les Paul blanche. Il se fend d’un duo d’enfer avec Lois Peoples sur «Charity Begins At Home». Il sort encore le grand jeu pour «It Ain’t All About The Sex», une espèce d’heavy check it out, Patter fait son heavy Bobby au now now now, il affirme que tout ne tourne par uniquement autour du sexe, now now now, ils touille bien son fonds de commerce à la Johnny Guitar Watson, il joue cette carte à plein, il ramène de la ferraille dans son groove, ça sent bon le Patter no-stair. Il a tout le répondant dont on peut rêver, il fait même du funk avec «Drink From Your Own Well», Patter n’est pas un amateur, son funk est sauvage, pas du tout maîtrisé, ah ah ah, il rigole entre deux rasades. Et sans transition, il passe au heavy blues avec «Talk Slow Blues», c’est du sérieux, il ne laisse rien au hasard, Patter est un pote, chez lui, une note est une note. Il chante son «When The Licking Stops» les jambes écartées, sa voix porte loin vers l’horizon. Il renoue avec Johnny Guitar Watson dans «My Weakness Is You», il a le même sens de la descente dans le weakness, my weakness is you girl.    

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Fantastique album que ce Storyteller qui n’est pas si vieux, puisqu’il date de 1998. C’est un bel album de Black Power («Bricklayer», il te groove le dancing strut d’entrée de jeu - I’m a brick/ Brick/ layer), mais aussi de funk («I Got To Get Over» et «Yellow Pages», l’hard funk de Patter qui fait son JeeBee), mais il est surtout l’un des rois de la good time music («Let’s Do Something Diferent», «If Every Man Had A Woman Like You» et «It’s Got To Be Mellow», il adore la Soul des jours heureux, il t’emmène littéralement au paradis). Au paradis encore avec deux Beautiful Songs : ««I Fell Asleep (One Time Too Many)» et «I Can Help You Get Even With Him», merveilleux balladifs de satin jaune, ses slowahs collent bien au papier. Quel beau crooner ! Il sait se montrer intense en matière de dramaturgie. Et comme le montre «I’ll Take Care Of You», Patter sait aussi faire de l’art moderne.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Live At The Longhorn Ballroom aurait pu s’appeler Hot & Sexy. Patter chauffe la salle au scream, pulsé par la rythmique de James Brown. Il est ce que les Anglais appellent un performer of choice. Il joue le blues d’«I’ll Play The Blues For You» avec un niaque effroyable. Dans les zones de répit, il jazze ses notes, il joue liquide. Patter est un cake extraordinaire. Il rend hommage à la Nouvelle Orleans avec «Let The Good Times Roll», il ramène de l’accordéon dans le son. Tu veux savoir à quoi ressemble l’extrême beauté d’un heavy groove ? Alors écoute «Right Place Wrong Time». Patter est l’artiste suprême, il faut le voir se couler dans la Soul, les chœurs font «somebody !», et Patter reprend la main. Il rend ensuite hommage à James Brown avec «When Lickin’ Stops», il est partout, ah !. La grande force de Patter c’est d’allumer le funk sur la durée et de rester powerful. Au cœur de l’action, il se marre, ah ah, il crée les conditions de l’heavy funk long distance operator. Il termine avec l’un de ses vieux hits, «I’d Rather Eat Soup», il te swingue ça au long cours, il reste passionnant pendant 7 minutes, il est bel et bien le Patter Noster, il groove jusqu’au bout de la nuit au somebody else, une vraie merveille.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Patter grimpe sur sa moto pour la pochette de ce big album qu’est Back Out Here Again. Ce n’est pas une petite moto. Au moins une Harley. Patter tient sa Les Paul noire dans les bras et au dos, on le voit porter son blouson marqué Bobby Patterson. C’est donc un homme complet. On peut dire la même chose de l’album, cet album complet démarre en trombe avec le morceau titre, un shoot de wild boogie d’une rare violence. S’ensuit un pur coup de génie, «I Got Yo Hoochie», Patter l’amène avec une classe incroyable, il groove l’heavy blues et ouvre la Mer Rouge pour offrir le passage à un solo de sax. Il passe à l’heavy funk de Soul avec «Big Thigh Cutie Pie», c’mon Bobby, il te shake le juke vite fait ! Il atteint encore une profondeur de funk extraordinaire avec «A Good Man», il est tellement pur dans sa démarche qu’il frise le génie en permanence - A good man is hard to find - Il tranche encore dans le lard de la matière avec «How Do You Spell Love», hey, il force bien le passage ! Il a en plus un jeu très agressif qui l’absout de tous ses péchés. Avec «Must Be The Hood In Me», il bascule dans l’intimisme - I’m just the same old man/ Doin’ the best I can/ Yeahhhhh - Il te souffle son yeahhhh dans le cou et il termine avec une retake de «Big Thigh Cutie Pie», c’mon pie, ah hah, il est sur tous les fronts, Patter est le vainqueur suprême, il te fend le lard du groove en deux, il a cette énergie du c’mon baby et du yeahh, et des blackettes viennent rapper sur le butt du cut. Pur genius !        

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Paru en 2014, I Got More Soul est encore un big album. Patter y fait du gospel avec «Everybody’s Got A Little Devil In Their Soul», il est just perfect, everybody ! Il groove le gospel, avec des chœurs de mecs. Il amène «Your Love Belongs Under A Rock» au heavy bassmatic, ça devient vite une merveille inexorable. Chez Patter, on se régale à chaque instant. On entend aussi un joli coin-coin de sax. Il fait plus loin de la petite pop de Soul avec «I Feel The Same Way». C’est dans l’esprit de Sam Cooke. Il est à l’aise dans tous les genres. Non seulement il est à l’aise, mais il excelle à tous les coups. Retour au groove de swamp avec «Can You Feel Me». Il passe en rampant et ne laisse bien sûr aucune chance au hasard. Il taille dans l’épaisseur du son. Il est l’un des rois méconnus du groove. Perché sur ton épaule, il croasse le groove des potences et te rappe la mort. Il replonge plus loin dans l’heavy funk avec «It’s Hard To Get Back», mais il le fait à la manière de Jimi Hendrix, au temps de «Killing Floor». Il gratte ça à la folie. S’ensuit un vieux slowah typique des surboums de 67, «I Know How It Feels». Il chante avec des mains baladeuses, Patter te ramène au jardin d’Allah, qui est le paradis sur cette terre. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier d’album classique avec «The Entertainer Pt 1». Il est à la fois Johnny Guitar Watson et Spike Lee, il est là pour te donner du wild bonheur, il groove au petit bonheur la chance, fabuleux Patter, il te sert une ultime rasade d’heavy groove, celui qu’on destine généralement aux heavy groovers. 

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Le petit conseil qu’on pourrait donner aux amateurs de grosses compiles serait de rapatrier celle que Westside consacre à Patter, How Do You Spell Love? (The Paula Recordings 1971-73). Rien que pour l’«Everything Good To You (Just Don’t Have To Be Good For You)», cut de Soul de rêve, Patter s’y montre puissant et solaire, il y va au aw no !, il n’en démord pas. Il fait aussi de l’excellent funk : «If Love Can’t Do It (It Can’t Be Done)», «Make Sure You Can Handle It» et «If You Took A Survey», il s’y montre digne de James Brown, c’est gratté et cuivré à outrance. Il attaque son Suvey au hey lookin’ In !, et rend un hommage spectaculaire à James Brown. Belle énormité encore que ce «What Goes Around Comes Around», son groove décolle très vite, Patter ne traîne pas en chemin. La dominante reste bien sûr le r’n’b, comme l’excellent «Right On Jody» - I got the feeling/ In the back of my mind ! - Patter touche à tout, surtout aux vulves, comme le montrent «Take Time To Know The Truth» ou le sexy «I Got My Groove From You», une merveille de groove ondulatoire. Il reste au paradis du groove pour «It Takes Two To Do Wrong» et nous re-pond un hit de juke avec «How Do You Spell Love». Une vraie merveille : scream + nappes de cuivres = la recette du bonheur. Il passe au wild r’n’b avec «Quiet Do Not Disturb», ça joue au raw primitif. Avec le vieux slowah «She Don’t Have To See You (To See Through You)», il se prend pour les Stones. Il prend «This Whole Funky World Is A Ghetto» à la petite attaque de pelle à tarte, il danse le cul en arrière, il y va à reculons, il yeah-ehhhhhte, il ergote comme un coq en pâte.

    jesus & mary chain, harlem gospel travelers, tindersticks, damned,  bobby patterson, spuny boys, the red clay strays, thumos, emmanuel lascoux,

             Si on veut se payer un dernier spasme royal, alors il faut écouter Taking Care Of Business, une belle compile Kent illuminée par le sourire de Patter. Ça grouille tellement de puces là-dedans ! Ses hits sont d’une fraîcheur garantie à 100%, il sonne comme Wilson Pickett et tout Stax avec «Soul Is Our Music», puis «I’m Leroy I’ll Take Her» t’envoie directement au tapis, c’est un heavy r’n’b à la «Tighteen Up» - Hey I’m li-Roy ! - Encore du pur jus de Wilson Pickett avec «Broadway Ain’t No Funky No More» et «Don’t Be So Mean», il a ce power, il shoute à outrance, encore du classic raw avec «Busy Busy Me», suivi à la trace par une horde de cuivres, et il calme le jeu avec un heavy balladif de Soul incendiaire, «Sweet Taste Of Love». Puis il fait son Sly avec «TCB Or TYA». Screamo primo ! Son génie explose au grand jour. Encore une Soul de prodigieuse qualité avec «Keeping It In The Family», suivi d’un heavy stomp de r’n’b chanté à la voix d’ange, «My Baby’s Coming Back To Me». Il est encore le roi du monde avec «Guess Who». Patter est une bête, c’est important de le signaler. Il sait aussi draguer au fond d’un lit comme le montre «You Taught Me How To Love» et son «I’m In Love With You» est exceptionnel de joie et de bonne humeur. Quel artiste ! Même trempe que Darrow Fletcher. Génie pur.

    Signé : Cazengler, Bobby Chatterton

    Bobby Patterson. It’s Just A Matter Of Time. Paula Records 1970

    Bobby Patterson. Second Coming. Proud Records 1996             

    Bobby Patterson. I’d Rather Eat Soup. Big Bidness Records 1998    

    Bobby Patterson. Storyteller. Good Times Records 1998

    Bobby Patterson. Live At The Longhorn Ballroom. Proud Records 2003

    Bobby Patterson. Back Out Here Again. Proud Records 2012    

    Bobby Patterson. I Got More Soul. Omnivore Recordings 2014

    Bobby Patterson. How Do You Spell Love? (The Paula Recordings 1971-73). Westside 2001

    Bobby Patterson. Taking Care Of Business. Kent Records 1991

     

    *

    Les Spuny sont de retour ! N’étaient pas partis. Un peu, oui si l’on veut, sont allés à Las Vegas, ont écumé l’Europe, z’ont même été au Japon, bref vous les trouviez un peu partout en concert. Plus de treize cents à leur actif. Par contre leur discographie n’est pas aussi longue que le pont de Tancarville, que voulez-vous vous ne pouvez pas être en même temps au four du studio et aux moulins de la scène. Trois ans et demi qu’ils n’avaient pas sortis un album, comme tout arrive en ce bas-monde, viennent de concocter une petite merveille.

    DESTINATION UNKNOWN

    SPUNYBOYS

    (BA ZIQUE / Novembre 2024)

             Faut avoir vu au minimum une fois les Spuny sur scène, au moins après vous savez que vous pouvez mourir sans regret. Une tuerie. Au fond Guillaume, chaque fois qu’il tape vous vous dites qu’il pourfend un coffre de pirates rempli de sequins, l’écho vous les éparpille sur le coin du museau et une pluie d’or tombe sur vous. Ô Danané ! Ô Zeus ! Oui, il abuse des obus perforants, mais quelle performance. Devant Rémi. Lui il ne fait strictement rien. C’est sa contrebasse qui se charge de tout le boulot, il essaie de la retenir, il lui monte dessus pour qu’elle ne s’enfuie pas, peine perdue, il la tient d’une main, elle tournoie, lui échappe, vire, virevolte et finit par s’envoler. Pour se donner une contenance devant un instrument si désobéissant, il chante, un peu à la peau-rouge, énervé du comportement déluré de son bâton de jeunesse, je me demande si je ne devrais pas dire de vieillesse car ça plus de quinze ans qu’ils sont ensemble. Enfin Eddie à la guitare. Ni devant, ni derrière. Ni sur le côté. L’est partout. Donnez-moi un guitariste comme lui, et je ferais aussi bien que les deux autres. Enfin, presque. Non, il n’a pas une guitare à six cordes comme tout guitariste bien élevé, il s’en sert comme d’un arc à six cordes.  Vous pouvez liker chacun de ses licks, les lance comme des flèches, toutes blessent et la dernière vous transperce, c’est simple chaque fois, dans l’interstice ténu qui sépare deux notes de ses commères, dans la vibration qui les unit, son trait pointe et cartonne, et quand ils ne lui laissent pas une place pour s’imposer, il s’en fiche et fiche son dard dare-dare sans retard  dans la cible impossible.

    z25863spunyscène.jpg

             Dès que nos trois hallebardiers sont sur scène instantanément ils se transforment en rock machine. Poussent l’outrecuidance à ne jamais être une rock-mécanique. Certes ils jouent avec le rythme, et ils mumusent avec la mélodie, mais ils s’amusent avec les aléas, maîtrisent les accidents du terrain, les embardées, les sorties de route, le pot aux roses c’est qu’ils sont des virtuoses.

              Cachet de cire pour le nom du groupe, nos trois boys sont assis sur les marches qui mènent à une porte fermée dont ils ont l’air de se moquer. Ny portent aucune attention, ne sont pas en train de knockin’ on the heaven’ door, peut-être parce que le paradis c’est eux ! Remarquez le cadre dentelé, rêvent-ils d’un timbre à leur effigie ! L’artwork est de Jake Smithies.

    z25862discspuny.jpg

    A la console, Phil Almosnino a pris le rôle. Les boys n’ont pas choisi le dernier des tocards, z’ont opté pour le brocard, parsemé d’or et d’argent, a officié à la guitare avec les Dogs, les Wampas, Hallyday, plus une multitude d’autres… A première écoute l’on a envie de s’écrier, Destination Inconnue, se foutent de nous ils savent très bien où ils vont, ces gars ne sont pas perdus dans le brouillard, z’ont les yeux fixés sur la ligne bleue de l’herbe américaine. Faut comprendre, vont vous en faire voir de toutes les couleurs, vous allez visiter du pays, un groupe de rockab certes, mais le rockab n’est pas apparu par miracle un beau matin, il vient de loin, l’est né dans tous les Etats du pays, l’est vrai que certains ont été davantage prolifiques et essentiels que d’autres, l’a fallu du temps pour que le rockab se cristallise, si vous jetez votre cristallin dans sa transparence vous apercevrez la draperie diaprée de toutes ses origines, blues, jazz, folk, country, je vous épargne la panoplie, l’Afrique, l’Europe, les particularités régionales, et caetera, et caetera dixit Marcus Tullius Cicero, z’avez intérêt à avoir toute la palette en tête pour goûter au mieux cet album… 

    Fame in vain : vous refilent tout un  dictionnaire en deux minutes et vingt- deux secondes, un régal, n’avez pas repéré un truc que ça passe déjà à une autre surprise, attention ça se bouscule sur la bascule, ne soyez pas captivé par le galop, ils passent la ligne d’arrivée avant vous, vous êtes obligé de vérifier la pellicule  car vous avez raté le plus important, ne serait-ce que ces trois rattellements de contrebasse non électrifiée au tout-début, le glissement des pattes sur le parquet ciré d’une souris que le chat tire en arrière, ses incisives décisives refermées sur la queue du pauvre rongeur. Fame en vingt séquences. Good man deep down : ah ! cette guitare qui sonne comme les cloches de l’église de Carcassonne, l’on quitte l’efficacité rockab pour la suffisance égoïste du country, bien sûr au milieu vous avez ces broderies pas pickée au hanneton, une autre façon de raconter la même histoire, un peu moins glorieuse, mais quel régal que ces rodomontades du gars qui a tout vécu et qui détient la sagesse absolue, image de redneck réac, conservateur, con et stupide. Bref un homme comme les autres, comme nous. Better son since I’m dad : le même que le précédent. Exactement la même chose. Mais après la face nord, voici du côté du sud, la voix de Rémi resplendissante comme le soleil, la batterie de  Guillaume qui trotte gentiment, et la  guitare d’Eddie qui vous fout son grain de sel sur l’oiseau du bonheur qui s’envole. Que l’on regarde monter dans le ciel, l’on sait qu’il va s’évanouir dans l’immensité azurée, mais l’on garde l’illusion qu’il reviendra et acceptera de s’enfermer dans la cage de notre cœur. Blowin in the holwin wind : changement de programme. Hien quoi ? What it is ! Un scandale ! Une hérésie. Un truc interdit ! Qui ne devrait pas exister ! Ils ont osé, qu’on les colle contre un mur, avec de la glue extra-forte, qu’ils ne puissent pas s’échapper, et qu’on les fusille immédiatement ! Vous ne me croirez pas, vous direz que je mens. Pas du tout ! Ils se sont permis, en plein milieu d’un disque de rockabilly, d’introduire du jazz ! Du jazz oui ! Bon, sachons comme les philosophes grecs modérer notre courroux, transformer notre ire en juste réflexion, réfréner  notre colère mauvaise conseillère. Du jazz, soyons précis, exactement du swing. Remarquons, pas n’importe lequel, sont allés directement à l’essence de cette musique de nègres délurés, du swing ! En plus ça ne valse pas mal. L’est vrai que le swing a donné naissance au beat, et le beat est le cœur beattant du rockabilly. Qu’on leur pardonne, surtout qu’ils ne recommencent pas. En cachette, repassez-moi ce morceau, s’en sortent bien de cette avanie, il faut le reconnaître, en plus la voix de Rémi qui monte et descend à toute blinde dans l’ascenseur, c’est très bien. Coffee tox : enfin un rock’n’roll, un vrai, une guitare cochranesque, un piano démantibulé c’est Guillaume qui y touche, normal c’est un instrument à percussion, que dis-je à persécution, quand il vous tient il ne vous lâche plus, un vocal à la Little Richard, connaissent leurs classiques, en plus ils font durer le plaisir, remettent le couvert pour un second service, l’Eddie il poinçonne des hameçons sur sa gratte. Jugez de ma mansuétude, moi qui suis un intox au café je passe sous silence qu’ils terminent en réclamant une tasse de lait !

    z25871spuny.jpg

    Destination unknown :  on était dans les cinquante, on pousse le curseur sur les sixties, vous font le coup du slow, quoi les Spuny un slow, ouvrez la fenêtre que je me défenestre, un slow aux racines blues et à l’arrache vocale. Tout dans l’intensité. Vous avez une vidéo qui vous explique : deux gaminos, deux frères de sang, deux tout jeunes rockers en herbe, deux flamboyants, un poteau d’Eddie qui a disparu. Un alter égo. L’autre moi qui n’a pas eu lieu. Un hommage, lancé comme une bouteille à la mer sur l’océan de la mort. Poignard poignant. Eddie a le mauvais rôle, celui de la poste restante. In dreams : morceau composé par PC Van Der Erf, chanteur, vous le connaissez sous le nom de Jake Smithies, voir plus haut : sur les premières notes vous parieriez la dernière chemise de votre voisin, à coup sûr un instrumental, ben non Rémi n’oublie pas de chanter. Un rock léger à la Buddy Holly, qui n’est pas sans rappeler Temptation Baby de Gene Vincent, ça sautille, ça grapille, ça file droit tranquille comme une torpille, l’air de rien avec trois petits coups de rien du tout Guillaume signale qu’il mène la cavalcade, Eddie imite le bruit de la machine à coudre électrique de votre grand-mère.  Et si la vie n’était qu’un rêve ? King of Royal Street : dans le même style que le précédent, côté rockab, une petite fille qui joue à la corde dans la cour de récréation, attention, changement de tempo, côté country pour le refrain, le jeune loup aux dents longues qui se la joue et se prend pour le président de la République, j’adapte car par ici on décapite les rois, le gars s’y croit, n’empêche que les instruments s’en foutent, sont tous les trois en train de tressauter à l’élastique. Prennent leur temps. Lily May : un rock gentillet, un peu passe-partout, n’y a qu’à se laisser porter, on écoute la bluette, se terminera-telle bien ou mal. On s’en fout. On se contente d’engranger dans nos neurones auditifs la symphonie rockab, n’arrêtent pas de se repasser le mistigri, une partie de tennis à trois, car la Lily May, elle n’est qu’un prétexte, elle compte pour du beurre, Rémi fait bien le joli cœur pour donner le change, mais l’on n'y croit pas une seconde. Two flames boogie : l’on repasse aux choses sérieuses, un peu de boogie pour effacer l’impression poppy du précédent, un vocal survolté, est-ce vraiment Rémi qui chante, ne s’y sont-ils pas mis à deux, une gratte qui fait le gros dos, une bat’ qui ronronne tel un tigre, le plaisir de jouer, la joie d’offrir, une guit’ qui défrise sa moustache, Guillaume qui enfonce les clous, Eddie qui envoie des signes de détresse, la contrebasse qui trace son chemin, Rémi joue à Jimmy Rodgers, tout va bien, le train peut dérailler, on s’en fout c’est trop bien. Two pizza in a row : deux pizzas (seraient-ce deux  objets transactionnels symbolique) yes, but very hot, on the rock, tout compte fait je me demande, le premier mouvement est souvent le meilleur, si on n’aurait pas dû les fusiller tout à l’heure, là ils se défoncent, sont partis, ne se retiennent plus, c’est un peu la charge de la cavalerie légère, foncent comme des madurles, nous on s’empiffre, on bouffe ces bienheureuses pizzas jusqu’à la boîte en carton, on en raffole. Do right do write : z’ont la recette, facile, vous faites ce qu’il faut et le morceau s’écrira tout seul. C’est le même tour de main que pour les pizzas précédentes, vous enlevez le morceau au triple galop, et vous laissez filer. A fond de train. Ah les fripons, ils n’ont aucun mérite, ils savent jouer, z’ont le rock au bout des doigts, au fond du gosier, entre nous soit dit si vous connaissez un groupe de rockab aussi bon, téléphonez-moi tout de suite. Je suis preneur. Meilleur inutile de chercher, vous ne trouverez pas. Driven by blues : ouf enfin un blues, un peu simili, c’est un blues qui sent un peu  le rock’n’roll, c’est congénital chez eux, ne peuvent pas échapper à leur malédiction congénitale, c’est leur destin, ils n’y peuvent rien, ils y peuvent tout. Dang me : tiens il y a deux semaines le Cat Zengler évoquait l’adaptation française par Hugues Aufray de  King of the road de Roger Miller, les Spuny reprennent ici un autre grand succès de Miller : une belle réussite, pas facile ces passages moitié chantés, moitié parlés, une gageure, Rémi se joue des difficultés, vous imite la pie qui chante comme s’il appartenait au cercle du 3,14, parvient même à nasiller un poil de plus que l’original, sont très fidèles, z’ont réussi à renforcer l’ossature du morceau, sans que rien n’y transparaisse, leur interprétation tient toute seule. Ils n’imitent pas, ils se réapproprient. Sont doués, ou plus exactement ils ont intégré l’esprit de la musique populaire américaine, comme s’ils étaient nés et avaient grandi outre-Atlantique. Pas de panique, des petits gars bien de chez nous !

             Cet opus est une merveille.

    Damie Chad.

     

     *

             L’assassin revient toujours sur les lieux de son crime. Je n’ai pas l’envie particulière de tuer quelqu’un ce soir, quoique l’on ne sait jamais, vous connaissez les gouffres intérieurs de l’âme humaine, simplement la semaine dernière, j’ai pris un grand plaisir à parcourir les vidéos de la chaîne Western AF, alors j’y reviens. J’ai hésité entre plusieurs artistes, cela peut être fatiguant, les country boys ont souvent le cœur en mille morceaux, par la faute d’une fille, ces sales garces, enfin un peu de tenue, messieurs, soyez des hommes, des purs, des durs, des comme moi. J’en ai enfin trouvé un peu différent, alors on écoute.

    THE RED CLAY STRAYS

    (FULL PERFORMANCE – LIVE AF / 30 – 07 – 2024)

    Ils ont commencé petit, en 2016 ils étaient un simple trio de reprises de bar en bar bars, là-bas en Alabama. Deux premiers albums auto-produits en 2022, un troisième en 2024 chez RCA, jugez du chemin parcouru, suivi d’un live de la même crèmerie. Le morceau Wondering why issu de  leur first album Moment of truth devenu viral sur Tik-Tok explique ce changement de statut XXL.

             Ne sont pas du tout au même endroit que Two Runner, sont dans un bar au Callaghan’s Irish Social Club de Mobile.

    Brandon Coleman : lead vocals ,guitar / Drew Nix : vocals, electric guitar  / Zach Rishel: electric guitar / Andrew Bishop : bass / John Hall : drums Sevans Henderson : keys.

             La vidéo commence en blanc et noir, l’on ne voit pas grand-chose mais la voix Brandon raconte qu’ils ont commencé à se produire dans ce bar, avec très peu de spectateurs et une frousse bleue voici six ans, le Callaghan’s est une institution vieille de soixante-dix-huit ans dans lequel il faut avoir jouer (même si vous venez en papamobile) à Mobile. Les voici tous les six qui se dirigent l’entrée éclairée…

    z25864xhanteurseul.jpg

    Wanna be loved : les voilà sur scène, y vont tout doux, la caméra passe sur chacun, elle s’arrête souvent sur Brandon elle a raison, la mélodie s’installe, tout le monde attend une pause, l’est tout beau, ne vous fiez pas aux paroles, qu’est-ce que c’est ce demi-sel qui a besoin d’être aimé, encore un pleurnichard, non sa façon de se tenir, rien de bien original, mais de lui émane une force, et son visage, un peu en lame de couteau, n’ayez crainte il va vous l’enfoncer profond dans le cœur, pose les mots comme quand sur la paroi d’une montagne  l’on bascule des blocs de rocher sur ceux qui essaient de vous suivre, quant aux paroles elles ne sont pas si gnan-gnan que cela, prennent une dimension métaphysique, pas parce qu’il cite Dieu, parce qu’il doute de Dieu, ce qui n’est pas très grave, mais de lui, il est au fond du trou, il ne se fait plus confiance, il ne crie pas, il hausse la voix, il n’implore pas, il retourne le coutelas du scepticisme de soi-même contre lui-même. Tous arrêtent de jouer. Silence absolu. On entendrait voler un ptérodactyle mort depuis soixante millions d’années. Devil in my ear : attention, question ambiance, le précédent vous a des allures de bourrée auvergnate, les musiciens sont au taquet, Henderson caresse son clavier de la peau de ses doigts, une coulée de guitare, Brandon brandit son vocal, il ne hurle pas, il pose les maux et derrière l’orchestration colle au plus près de la montée en puissance et des glissades en descente, l’est loin, Brandon l’est tout seul, autre part, ailleurs, comme un vers tout nu traversé par l’hameçon de la douleur, le diable dans son oreille, l’a plutôt dans le sang, dans les veines, dans les brumes de son esprit, il crie une fois, l’est dans le vertige des médicaments, produisent des effets désastreux, il titube, il tient debout par miracle, en appelle encore une fois à Dieu qui le laisse se détruire tout seul, l’est le seul qui pourra se tirer de son marasme, c’est dur à dire et d’être franc, on ne parierait pas un dollar sur sa réussite. Lui-même n’hasarderait  pas un cent. No one else like me : un cas psychique, se prend pour un cas à part, les gars derrière ne poussent pas la roue, ce n’est pas qu’il pense qu’il n’existe pas un individu aussi exceptionnel que lui sur la planète, c’est qu’il est persuadé qu’il est le pire de tous les êtres humains, alors les copains l’accompagnent, parfois faut faire semblant d’être d’accord avec les grands malades, il crie, il s’accuse de tous les mots, alors derrière la symphonie éclate, les guitares glapissent comme un lot de renard pris au piège, mais maintenant c’est John Hall qui pique une crise, joue à l’infirmier taillé comme un malabar qui dans les lunatic asylums se charge des patients impatients, vous tape sur le récalcitrant comme s’il était le grand timbalier déchaîné du Berliner Philamorniker Orkestra interprétant La Chevauchée des Walkiries, tout le reste de la section lui emboîte le galop, le Brandon n’en moufte plus une, et les autres continuent sur leur lancée… Drowning : vous me faîtes rire avec la grande dépression de 29, c’est repartir pour les fonds souterrains, le Brandon l’a une voix blanche comme un cadavre, le band ne fait pas bande à part, pour un peu pour le consoler ils se transformeraient en un harmonium au fin-fond d’une église perdue, la basse aussi tubéreuse qu’un tubercule, font tous ce qu’ils peuvent, mais Brandon vous a de ces crises de délires à vous faire peur, les copains essaient de l’envelopper d’ouate, peine perdue il hurle comme un chien à qui vous venez de marcher sur la queue, folie du gospel. Silence absolu. Il doit être mort. Pas le chien. Brandon.

    z25865tous.jpg

             Sont sympas pour vous remettre de vos émotions il vous offre un générique de fin. Blanc et noir. Les trognes épanouies du groupe, agapes après concert. Après ce que vous venez d’entendre vous avez du mal à penser que ce sont de joyeux drilles. Cachent bien leur jeu. Jouent leur rôle à la perfection.

    THE RED CLAY STRAYS

     (Full Performance  / Live AF / Août 2023)

    Beaucoup apprécié leur prestation. On ne change pas une équipe qui gagne. Même personnel que sur la Performance précédente, ne manquent que les claviers de Sevans Anderson.

    Sont dans la Cité de Laramie. Cet enregistrement ressemble davantage à celui de Two Runner, le groupe seul dans une vaste pièce.  Sa diffusion sur le canal Western AF a concrétisé  le succès initial de Wondering Why sur Tik Tox.

    Un simili générique en noir et blanc, le groupe en train de rouler son matos. Une atmosphère beaucoup plus roots que la précédente session, n’oublions pas qu’elle se déroule un an après celle première, ne serait que par l’apparente froideur du lieu et le ton gris-bistre de l’ensemble.

    z25866tous.jpg

    Stone’s Throw :  un doigt sur une corde de basse, Brandon au micro pratiquement a capella, l’a une belle gueule, rappelle un peu celle d’Eddie Cochran, tout le morceau repose sur le vocal, les autres y vont mollo, mais pas mollasson, c’est un régal d’écouter les fuselages électriques des guitares,  interviennent avec des doigts de fées, la voix gagne en puissance, du pur country, une chanson type, sur la route du retour à la maison, nous ne les verrons pas arriver, nous les laisserons à un jet de pierre de la bicoque, juste la route et la fatigue, d’où viennent-ils dans quel village débarquent-ils, on ne le sait pas, juste un instant d’éternité, la route, et rien d’autre. Avant. Après. Aucune importance. L’immensité américaine. Killers : une ballade américaine. Finie l’immensité. Juste une vie. De misère. Il est né dans la rue, il retourne à la rue. American beauty, american reality comme disaient les autres… Une vie exemplaire, le Vietnam, la mort d’un gamin, la prison, j’abrège pour ne pas vous faire pleurer ou éclater… de rire, passer à côté de son existence. Que de temps perdu… Dieu n’est pas pressé de le rappeler. Glaçant.  Une voix qui mord, des guitares qui glissent tout doucement comme des serpents venimeux qui ne veulent pas se faire remarquer.

    z25867surscène.jpg

    Wondering Why : lisez le texte. Une bluette à l’eau de rose. Pas étonnant que sur Tik Tox les fillettes aient adoré. Ben vous allez être déçus. Une espèce de blues qui pue des pieds, complètement déglingué. Vous raconte qu’il adore cette fille qui l’aime, l’a même un peu de mal à croire à son rêve, mais de la manière dont il plante ses mots, cous croiriez qu’il est en train d’enfoncer encore et encore un couteau dans son cadavre encore chaud.  A l’entendre chanter l’on se dit que ce mec doit être inapte au bonheur. Don’t Care : dans ce dernier morceau, tout est normal, la fille est partie, et lui n’est plus qu’une épave qui n’attend plus que la mort. L’est un tantinet désespéré. Elève la voix. Derrière ils font grincer les instrus comme l’enseigne rouillée de la maison du bonheur abandonnée. Certes c’est désolant. Mais le pire c’est que l’on est obligé de constater que les trois morceaux précédents, quelle que soit la situation, elle n’est pas souvent brillante, c’est toujours la même ambiance, la même déprime, l’histoire d’in gars qui n’arrive pas à coller avec le monde qui l’entoure, avec la vie, avec sa propre existence, avec lui-même.  Chante, s’exprime, avec un tel accent de véracité que vous croyez dur comme du fer à ce qu’il raconte. Si vous rajoutez que le reste du groupe n’en fait jamais trop, jamais trop peu, qu’ils collent à son vocal comme la poisse. Comme la mort à la vie. Vous êtes obligés de reconnaître que ces maraudeurs de l’argile rouge laissent derrière eux des traces inquiétantes. Très fort.

    Damie Chad.

     

    *

    Parfois la vie vous fait de drôles de cadeaux, je sais bien que c’est Noël mais ce n’est pas une raison pour exagérer ! Bien sûr le mythe de l’Atlantide est un gouffre sans fin, mais voici qu’un courriel me met en présence d’un deuxième continent totalement inconnu. Heureusement qu’un lien internet me permet d’aborder ce mystérieux rivage en quinze secondes, mais commençons par le commencement, je vous révèle sans plus tarder l’origine de cette invitation :

    THUMOS

    z25868atlantis.jpg

             J’ouvre l’image. Je reconnais : la couve de l’EP Atlantis que j’ai chroniqué dès sa sortie au mois d’avril de cette année. Etrange, z’auraient-ils réenregistré l’opus, ajouté un ou deux inédits… A première vue, rien de spécial. Nous suivons Thumos depuis longtemps. Rappelons que Thumos est un groupe instrumental post-metal, si cette étiquette désigne vraiment quelque chose, américain. Un des plus originaux, engagé dans une bizarre aventure musicale et intellectuelle qui consiste à rendre compte dans ses opus de la pensée philosophique de Platon. Ainsi nous a été donnée leur interprétation de La République et du Banquet deux des plus prestigieux dialogues de notre philosophe.

             Par ce paragraphe nous ouvrons une parenthèse pour ceux qui s’étonnent de ce type de projet, se demandant comment l’on peut donner une idée d’ouvrages platoniciens juste par l’emploi d’une musique dépourvue de toute parole. Nous les invitons à lire la chronique suivante sur Emmanuel Lascoux qui pose et propose une méthode, c’est ainsi qu’il faut la lire, de transposition d’une œuvre en un autre langage, avec d’autant plus d’intérêt qu’il s’agit de passer d’un texte grec vieux de deux mille cinq cents ans à notre français moderne…

             Avant de quitter Thumos, bien que ce soit le sujet principal de cette Kronic, notons que Thumos ne se livre pas à une tâche stérile à prétention étroitement culturelle. Il s’agit de lire Platon pour mieux comprendre notre propre relation à notre présence au monde, à notre civilisation qui n’est pas au mieux de sa forme, nous savons depuis Valéry qu’elles sont toutes mortelles, qu’en évoquant Atlantis, Platon  pose la problématique cyclique de la disparition de toute culturalité continentale… Plusieurs disques de Thumos font référence à ce questionnement fondamental en empruntant d’autres sujets à des ouvrages qui ne sont pas directement liés aux livres de Platon.

    GBHDL

    (autrement dit)

    GAMES, BRRRAAAINS & HEAD-BANGING LIFE

             Un site d’amateurs de jeux-vidéos et de fans de musique qui vous font bouger la tête, et de par la loi aristotélicienne de la causalité ce qui s’y trouve dedans : votre cerveau. Un sacré remue-méninge. Si vous désirez vous rendre tout de suite sur cette plate-forme tentaculaire munissez-vous d’un paquet de biscuits car il y a lire et à regarder. Or chaque année GBHDL livre son palmarès : les dix meilleurs albums de metal de  l’année et le top ten des dix meilleurs EP de l’année. Vous avez deviné : l’ EP Atlantis de Thumos remporte la première place.

    z25869émission.png

             Je me méfie toujours des hit-parades, que n’importe quel groupe soit plébiscité par des milliers voire des centaines de milliers de personnes, n’est pas selon moi un gage absolu  de qualité supérieure.... Je proviens du Symbolisme, je pense à Pierre Louÿs qui ne prévoyait d’imprimer sa revue de poésie La Conque à cent exemplaires pour cent lecteurs qu’il choisissait en envoyant les bons de souscription uniquement à ceux qu’il pensait être capables de lire les douze  livraisons prévues pour une seule année.

             GBHDL me surprend agréablement. D’abord il y a deux Tops Ten chacun établi par un seul individu : Brendan et Carl. Bref sont nominés en tout vingt EPs. En numéro 1 Brendan pose Tren Kills pour Blood for the Crown. Un titre qui immédiatement fait penser à Sex Pistols. Carl, vous l’avez deviné dépose une couronne de laurier sur l’EP Atlantis de Thumos.

             Un titre a motivé ma curiosité : des français, Ways et leur EP Are Wee Still Alive ? Nous les chroniquerons dans notre prochaine livraison.

    Damie Chad.

     

    *

             Ce n’est pas un rocker, l’on se demande bien d’ailleurs pourquoi les Dieux lui ont laissé la permission de vivre, il joue même du piano Mozart, Beethoven, Brahms et tout le bataclan, oui toute la clique classique, certes c’est un esprit ouvert, une qualité qui ne lui octroyait tout de même aucune chance d’avoir une chronique à son nom dans un blogue rock, z’oui mais il a l’âme grecque, et vous connaissez mon parti pris immodéré pour la Grèce, bref on l’écoute…

    EMMANUEL LASCOUX

            Dans la vie civile il exerce la noble profession, en voie de disparition, de professeur de grec. Vient de faire paraître une traduction de L’Illiade, un dangereux récidiviste, en 2021 il s’était attaqué à L’Odyssée. Chez POL. Comme il est musicien en ce mois d’octobre il a sorti un drôle de récit intitulé Le Poids des Pianos. Inutile de vous ruer dessus, ce n’est pas une bio sur Jerry Lou. Revenons à ses homériques traductions. Elles posent problème, ce ne sont pas des traductions. Attention ce n’est pas un tricheur, il est fidèle au texte, il n’en supprime pas des passages, il ne rajoute pas des épisodes non plus. Lui, il dit qu’il en propose une version. La sienne, il ne prétend pas qu’elle est meilleure ou supérieure à toutes les autres.

             Le mot version vous a fait pâlir, de mauvais souvenirs scolaires remontent à la surface de votre mémoire, parfois la mer recrache les débris de naufrages oubliés, entendez le mot version autrement. Prenons un exemple précis : si je vous dis que les Spunyboys (voir chronique supra) vous présentent sur leur tout nouvel album une version de Dang Me de Roger Miller, le mot ‘’version’’ ne suscite en vous aucun effroi, vous êtes en pays de connaissance, la reprise est un des éléments fondationnels du rock’n’roll.

             Les textes d’Homère c’est un peu comme le texte de Be Bop A Lula, l’un est écrit en grec et l’autre en anglais. Prenez le temps d’écouter la version des Chaussettes Noires du hit de Gene Vincent. Chinoisons un peu, Homère n’a jamais écrit ses deux méga-poèmes, à l’époque de leur conception, les Grecs ne savaient pas écrire, il les composait, les imaginait dans sa tête, il les récitait, il les chantait, il s’accompagnait d’une  lyre non électrifiée. Comme l’ensemble des deux poèmes comptent plus de vingt-cinq mille vers, vous imaginez le boulot. Négligeons tous ceux qui ont participé à cette œuvre collective…

             Essayez de réciter de tête deux cens vers de Victor Hugo au dîner de communion du petit dernier. Pas facile. Vous avez dans les tirades d’Homère des trucs, on dit des moyens mnémotechniques, pour réactiver la mémoire défaillantes, des répétitions, les fameuses épithètes homériques, Achille au pied léger, par exemple.

    z25870lacoux.png

    Emmanuel Lascoux part du principe qu’il y en avait d’autres qui n’apparaissent pas dans le texte en notre possession, les variations de timbre du récitant-chanteur, le débit plus ou moins rapides, les mimiques qui aident l’aéde, vraisemblablement diverses positions théâtrales du corps… Les Grecs écoutaient-ils religieusement l’artiste dans un silence absolu, Emmanuel Lascoux n’est pas en accord avec cette image d’Epinal, le vin circulait, certes les récits mythiques étaient captivants mais pour maintenir l’attention du public, le texte devait aussi emprunter des expressions et des moyens élocutoires en vigueur à l’époque de ces satanées récitations. Prenez exemple sur moi, puisque j’écris pour un public de rocker je me permets de glisser dans un texte portant sur les problèmes de traduction d’Homère une allusion au pumpin’piano de Jerry Lou.

    Emmanuel Lascoux s’est lancé dans une démarche similaire. L’a décidé d’utiliser le français qui se parle aujourd’hui. Un français qui suit les rythmiques des musiques qui nous entourent, les syncopes du jazz, les accentuations slamiques, l’impact sonore du rock, il n’hésite pas non plus a utiliser le langage sonore et interjectionnel des BD onomatopiques, bim, bam, boum ! Crac, boum, hue !

    Bref il nous livre une version peu académique de l’Illiade et de l’Odyssée. Certains adorent, d’autres se bouchent le nez. Lorsque les premières traductions d’Homère ont paru à la fin de la Renaissance, les littératures grecques et latines que l’on redécouvrait étaient considérées comme des modèles insurpassables, on les révérait, on drapait les textes originaux en les styles ampoulés, les plus déclamatoires les plus châtiés, les plus respectueux, les plus grandiloquents, dignes des Dieux et des Héros… Cette tradition s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui même si des parodies de ces épopées ont assez vite vu le jour…

    Vous trouverez très facilement sur le net de multiples vidéos dans lesquelles Emmanuel Lascoux explique sa démarche. A un niveau théorique, mais aussi pratique. Il lit le texte grec, il lit plusieurs traductions d’un même fragment effectuées par plusieurs auteurs qui l’ont précédé, et donne de multiples extraits de son propre travail. Il prend soin de mêler à ses lectures le texte grec originel, dont il essaie par la même occasion de retrouver la musicalité originelle. Tentative peu évidente, aucun enregistrement sonore ne nous est parvenu de l’Antiquité ! Actuellement, c’est un peu la mode, l’on demande à l’Intelligence Artificielle de retrouver la prononciation ‘’ originelle’’ de langues ensevelies dans les catacombes du silence dont il ne nous reste que des écrits.

    Certains s’étonneront de cette chronique consacrée à Emmanuel Lascoux, c’est oublier un peu vite les années de tâtonnements que le rock’n’roll français a tenté avec beaucoup plus d’échecs que de réussites à adapter les textes américains et anglais des artistes d’outre-Manche et de l’autre bord de l’ Atlantique. Le passage d’une langue à l’autre n’est pas évident, créer des équivalences crédibles n’est pas une sinécure. Une simple évidence : beaucoup de groupes français utilisent l’anglais…  Ecoutez voir !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 648 : KR'TNT 648 : RUSS WILKINS / NO JAZZ QUARTET /MAX DECHARNE / WAYNE KRAMER / GEORGE SOULE / GHOST HIGHWAY / DOOM DRAGON RISING / ORPHEAN PASSAGE / THUMOS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 648

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 06 / 2024 

     

    RUSS WILKINS / NO JAZZ QUARTET

    MAX DECHARNé / WAYNE KRAMER

    GEORGE SOULE /  GHOST HIGHWAY

     DOOM DRAGON RISING /  ORPHEAN PASSAGE

      THUMOS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 648

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Russ the Boss 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il existe deux boss dans l’histoire du rock et des wizards : Ross the Boss des Dictators, et Russ the Boss de Lord Rochester, mais aussi d’une palanquée d’autres groupes dont on va causer dans la foulée. Depuis cinquante ans, Russ the Boss Wilkins est l’une des têtes de gondole proéminentes de l’underground britannique, au même titre que Wild Billy Childish, Graham Day, Bruce Brand, Mickey Hampshire, Hipbone Slim, Dan Melchior et Sexton Ming. On retrouve la trace du Russ dans les Pop Rivets, les Milkshakes, le Len Bright Combo, les Delmonas, les Wildebeests, Lord Rochester et dans une multitude d’autres projets. Chaque fois, les disks sont bons, c’est important de le signaler. Les ceusses qui le savent y vont les yeux fermés.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Son anti-carrière remonte à 1979. Il était déjà dans la big rock action avec Wild Billy Childish et les Pop Rivets, et un tonitruant premier album baptisé Greatest Hits. Bruce Brand fait aussi ses débuts de légende vivante, car il y bat le beurre, il faut l’entendre battre la chamade de «Fun In The UK». Te voilà au parfum. On entend le Billy s’étrangler de rage dans «Bacon». Il fait du punk primitif, si mal dégrossi qu’on dirait du Dada. Ah quel joli développé de Méricourt ! On sent bien les racines du British beat dans leur punkitude affichée. S’ensuit un gorgeous clin d’œil aux Mods avec «Lambrettavespascoota», gratté à l’hard ska de Brixton, il est complètement fou le Billy, complètement fracassé de la ciboulette. Il s’énerve encore plus avec «Kray Twins», il chante comme une petite fiotte enragée, il est à la fois marrant et impressionnant. À l’aube des temps, les Pop Rivets sont superbes, Billy the kid part bien en vrille sur le bassmatic de Russ the Boss. Avec «Commercial», ils sonnent comme les Buzzcocks, avec la même énergie et le même bassmatic cavaleur. C’est Russ the Boss qui tape le «Disco Fever» en mode «Death Party». Quelle dégelée ! Les Pop Rivets sont effarants de grandeur tutélaire. Billy fait encore sa sale teigne sur «To Start - To Hesitate - To Stop» et Russ the Boss roule sa poule au bassmatic délirant. On entend parfois Billy crier comme un condamné, et ils bouclent cette brillante affaire avec le wild gaga punk de «Pins & Needles». Ils sortent le grand jeu, c’est-à-dire le fast stomp. Merveilleuse énergie des maillots de corps et des peaux adolescentes.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             On trouve trois covers diaboliques sur l’Empty Sounds From Anarchy Ranch des Pop Rivets : «You Really Got Me», «Wild Thing» et «What’cha Gonna Do About It». Ça chauffe pour de vrai, c’est trashé jusqu’à l’oss de l’ass, il tapent les Small Faces, les Kinks et les Troggs à l’arrache-pied et sur le What’cha, on entend la bassline voyageuse de Russ the Boss. Le reste de l’album va plus sur la grosse dégelée de Medway Punk’s Not Dead, et «Skip Off School» est un real deal de real slab. Heureusement tout n’est pas si bon, ça permet de reposer les oreilles. Avec «Anarchy Ranch», ils font de la wild Americana de Medway. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Le Live In Germany ‘79 est un bel Hangman de 1990. Tu éprouves une certaine fierté à le posséder, comme d’ailleurs tous les Hangman. Ce Live est plus un document sociologique qu’un album live, au sens où on l’entend généralement. Ce n’est ni le Band Of Gyspsys ni le Rockin’ The Fillmore, c’est un doc live un peu âpre, enregistré avec les moyens du bord à Hambourg et à Dusseldorf, en septembre 1979. Les Pop Rivets sont quatre, Wild Billy Childish chante, Bruce Brand gratte ses poux, Big Russ bassmatique, et Little Russ bat le beurre. Au dos, Jack Ketch déclare que ce Live «is an important document in the history of medways premier punk group». Alors ils foncent dans le tas et aussitôt après un «Hippy Shake» mal dégrossi, ils tapent un «Kray Twins» punk as hell. On entend Big Russ monter au front avec son bassmatic sur le ska d’«Hipocrite» et Billy pique sa crise avec la cover du «Watcha Gonna Do» des Small Faces. En B, ils sortent leur vieux «Fun In The UK», le fast punk de «Beatle Boot» vite torché à la torchère, et ils enchaînent avec l’«ATVM Ferry»» d’Alternative TV de Part Time Punks, puis «Steppin’ Sone», cover idéale pour des sales punks. Ils se vautrent ensuite en reprenant le «Jet Boy» de Plastic Bertrand. Ce sera la seule faute de goût dans les immenses carrières de Wild Billy Childish et de Big Russ Wilkins. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             En 1982 Russ the Boss se retrouve dans les Milkshakes, une sorte de super-groupe avant la lettre. Pardonnez du peu : Wild Billy Childish, Bruce Brand, Mickey Hampshire et Russ the Boss. Si ce n’est pas un super-groupe, alors qu’est-ce que c’est ? Ils vont enregistrer une petite palanquée d’albums, avec en moyenne trois pépites sur chacun d’eux, ce qui reste une moyenne honorable. Fourteen Rhythm & Beat Greats est un Big Beat de 1982. Belle pochette classique, beau son classique, beau choix de cuts classiques. On en retiendra trois : «Seven Days», «No One Else» et «Red Monkey». «Seven Days», oui, car monté sur les accords des early Kinks, Milky Power avec l’aw qui annonce se solo de la désaille définitive, du pur Mickey Hampshire. Exploit qu’il réédite avec un «Exactly Like You» bien bombé du torse. «No One Else», oui, car bombasté dès l’intro par Big Russ, le demolition man. Fantastique pulsateur devant l’éternel ! Et «Red Monkey», oui, car clin d’œil à Link Wray avec un son de basse délibérément outrageous. Du Wray de Wray.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             En gros, les Milkshakes sonnent comme les early Beatles et les early Kinks. C’est à la fois leur crédo et leur seuil de référence. Sur After School Sessions, «Shimmy Shake» sonne exactement comme du l’early shimmy des Beatles. Fantastique mimétisme ! Même chose avec «You Can Only Lose» en B, pur early shimmy shake de Beatlemania. Avec «Tell Me Child», ils font le dirty gaga Kinky, Mickey Hampshire gratte les poux de Dave Davies. C’est tellement ultra-dirty que ça mord sur les Pretties. Le reste est plus classique, plus Milkshaky. On entend bien le bassmatic de Russ the Boss dans «I Can Tell», ils diversifient énormément, et Bruce Brand sublime l’instro cavaleur «El Salvador». Ils terminent avec un «Cadillac» plein de jus, battu sec, taillé au cordeau, fourvoyé, mais un peu prévisible. On leur pardonne. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Retour aux Kinks sur The Milkshakes In Germany avec «I’ll Find Another». Pure Kinky motion ‘65 et killer solo trash à la Dave Davies. Merci Mickey ! Retour aussi à l’early Beatlemania échevelée avec «She’s The Kind Of Girl». C’est exactement la même énergie. Ils bouclent leur balda avec «Comes Along Midnight», plus stompy, plus dirty, pas loin des Pretties, mais des Pretties en colère, sonné des cloches au scream et transpercé d’un killer solo trash de Mickey Hampshire ! Si on écoute cet album, c’est uniquement pour rester en bonne compagnie. Ils font encore des étincelles en B avec «I Need Lovin’», un heavy groove milkshaky hanté par un solo de traînasse. Même au ralenti, ils sont éclatants de punkitude sixties. Ils bouclent ce teutonique Germany avec un «Sometimes I Wantcha (For Your Money)» très beatlemaniaque dans l’idée, mais avec une pincée de wild gaga punk. Billy the kid chante vraiment comme John Lennon.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Encore une belle pochette classique pour ce 20 Rock & Roll Hits Of The 50’s And 60’s, un Big Beat de 1984 qui te frétille entre les doigts. Il fait même honneur à ton étagère. Big Russ et toute la bande commencent par rendre hommage aux Beatles avec une version en plein dans le mille d’«Hippy Hippy Shake». S’il est un groupe qui a bien pigé le génie des Beatles, c’est eux. Ils trient leurs covers sur le volet et enchaînent avec le «Rip It Up» de Little Richard, mais sans la voix. C’est du tout cuit pour cette bête de Gévaudan qu’est Bruce Brand. Sur cet album, tout est drivé sec par Russ et battu net par Bruce. Ils rendent hommage à Gene Vincent avec une cover claironnante de «Say Mama», et plus loin de «Jezebel», et restent dans le giron des génies de l’humanité avec Buddy Holly et une version de «Peggy Sue» qui leur va comme un gant. Numéro dément de Bruce au beurre. Si tu veux entendre un grand batteur anglais, c’est là. Ils tapent aussi l’imbattable «Jaguar & The Thunderbird» de Chucky Chuckah et en dépotent une version ahurissante d’ampleur et d’élan. T’es vraiment content d’être là, devant ta petite platine de branleur. En B, ils claquent un «Something Else» bien senti, looka here ! C’est gratté dans le sens du poil, tu peux leur faire confiance. Leur «Who Do You Love» est un peu trop bordélique, mal lancé. Ils perdent en route le Bo du Bo. Par contre, ils transforment l’«Hidden Charms» de Wolf en wild protozozo, et ils bouclent la boucle avec une version complètement allumée d’un cut déjà allumé, «I Wanna Be Your Man», qui, t’en souvient-t-il, fut le premier single des Stones, cadeau de John & Paul.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Belle pochette que celle de Nothing Can Stop These Men, paru en 1984. Si tu veux voir un vrai super-groupe en photo, c’est là que ça se passe. Attaque de plein fouet avec «You Got Me Girl», heavy gaga britannique, terriblement dirty, traîne-savate et mal intentionné. Bruce Brand vole le show dans «She’s No Good To Me», ce big shoot de gaga buté et bas du front, mais c’est en B que se joue le destin de l’album, avec «The Grim Reaper», un instro digne des Cramps. Puis ils rendent hommage à Johnny Kidd avec «Everywhere I Look». On y entend aussi des échos du «Brand New Cadillac» de Vince Taylor. Puis ils renouent avec la Beatlemania dans «I’m The One For You», poppy en diable, chanté à l’accent clinquant couronné d’harmonies vocales et de claqué de Ricken. Pur magie ! «You’ve Been Lyin’» sent aussi très bon le «Brand New Cadillac» - You’ve been lyin’/ Lyin’ to me - Hard Nut ! 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sous-titré The Legendary Missing 9th album, The Milkshakes’ Revenge paraît en 1987. La bande fut volée au soir de l’enregistrement, nous dit Hasty Bananas au dos de la pochette. Et elle réapparut tout aussi mystérieusement. Tant mieux pour nous, car on peut écouter ce smash d’heavy rumble qu’est «Let Me Love You», une espèce de coup de génie à la Johnny Kidd. Ils enchaînent avec une belle cover d’«I Want You», l’immémorial hit des Troggs, et en B, ils tapent une autre prestigieuse cover, «Pipeline», mais elle n’est pas aussi flamboyante que celle de Johnny Thunders sur So Alone. Wild Billy Childish pique sa crise de gaga-punk des Batignolles avec «She Tells Me She Loves Me», et puis avec «Every Girl I Meet», les Milkshakes font une petite tentative   de putsch rockab. Ils bouclent avec une cover du «Baby What’s Wrong» de Jimmy Reed, qui dans les pattes des Milkshakes devient un heavy stomp gaga mené de main de maître.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Wild Billy Childish et Big Russ se retrouvent sur Laughing Gravy, un 25 cm paru en 1987. Pochette bois gravé, sortie des ateliers du graveur Childish. Il n’existe rien de plus underground que ce type d’album. Même à l’époque, il fallait sortir un billet pour l’avoir. Ils attaquent avec une cover du «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed. Ils tapent tout l’album aux poux très secs. Ça sonne comme s’ils se désaccordaient en jouant. Leur volonté d’anti-m’as-tu-vu n’en finit plus de s’afficher, cut après cut. Ils tapent le «Black Girl» de Leadbelly à la corne de brume, ou à l’orgue de barbarie, c’est comme tu veux. Ils sont marrants, tous les deux, on les voit sautiller derrière «Little Bettina», ils grattent comme des sagouins. Pas question d’être numéro un au hit-parade ! Fuck it ! En B, ces deux cats du Kent tapent un heavy boogie downhome de Rochester, «I Need Lovin’». Fabuleuse clameur.

             Ce sont les Milkshakes qui accompagnent les Delmonas sur leurs quatre albums. On y reviendra dans un chapitre à part entière.

             Ce n’est pas un hasard, Balthasar, si on retrouve Russ the Boss dans les deux albums du Len Bright Combo, Len Bright Combo By The Len Bright Combo, et Combo Time, parus tous les deux en 1986 sur le mythique label Ambassador.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Magnifique album que ce Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Trio en forme de formule magique : Wreckless Eric, Russ the Boss et Bruce Brand. On y trouve deux clins d’yeux à Syd Barrett : «Selina Through The Windshield» et «Lureland». Pour Selina, l’Eric ramène un brillant panache de psyché, et il place un gros solo trash de dérive abdominale. C’est éclatant, pur jus de Piper, il explose The Gates Of Dawn. Fantastique résurgence ! «Lureland» est aussi très Barrett, même complètement barré de la Barrett. Le coup de génie est le cut d’ouverture de balda : «You’re Gonna Screw My Head Off». Très British, éclatant, développé, surprenant, imparable. Une solace de psychout so far out. En B, on tombe sur «Sophie (The Dream Of Edmund Hirondelle Barnes)». Il faut leur reconnaître une certaine grandeur, une belle affirmation, une volonté réelle d’éclater le Sénégal d’Angleterre. Que de son, my son ! «The Del Barnes Sound», nous dit-on au dos de la pochette. Tout aussi puissant, voici «The Golden Hour Of Farry Secombe», un cut qui va se fracasser dans le mur du son. Et ce magnifique album s’achève avec «Shirt Without A Heart», un power de tous les instants monté sur une pure structure pop, l’Eric bâtit son petit Wall of Sound avec une troublante efficacité. Il monte son cut en neige prodigieuse.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Le deuxième Len Bright Combo sort la même année, en 1986 et s’appelle Combo Time.  Il s’ouvre sur l’assez puissant «Comedy Time». L’Eric charge bien sa barcasse de comedy time. Son «Pleasant Valley Wednesday» n’a rien à voir avec les Monkees, mais ça dérape dans la Méricourt de Big Russ. Comme on l’a vu sur le premier Combo, l’Eric sait créer les conditions du foutoir psychédélique, c’est en tous les cas ce que montre une fois de plus «Swimming Against The Tide Of Reason». Il dispose d’une pente naturelle à l’esbrouffe, il sait finir en beauté. Il dispose bien sûr du personnel idéal pour ça. «The House Burned Down» sonne comme un petit boogie décidé à en découdre. Alors il en découd. Une fois encore, nous trois amis chargent bien la barcasse et ça grimpe très vite en température. C’est vraiment excellent, toujours inspiré, soutenu aux chœurs de lads. Comme si Syd avait mangé des épinards. En B, ils partent en monde «Lust For Life» pour «The Awakening Of Edmund Hirondelle Barnes». Assez gonflé. Pur Russ power ! Bruce Brand vole le show avec «Club 18-30», un petit ramshakle original et l’album se termine en beauté avec «Ticking In My Corner», un heavy country blues de Medway, c’est brillant, joué au bord du fleuve. On exulte en écoutant le bright downhome blues du Combo. Méchante allure ! L’Eric est un crack, un vrai boum-hue-hue. Il explose le country blues, il en fait une montagne de pâté de foi, et il y jette toute sa petite niaque.   

             En 1996, Russ the Boss monte les Wildebeests avec John Gibbs (qui a joué avec Hipbone Slim et les Masonics) et Lenny Helsing au beurre.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Dimbo Party sort sur le label d’Hipbone Slim, Alopecia Records, en 1997. Donc gage de qualité. Russ the Boss annonce la couleur dès «Trust In Me», heavy shoot de gaga-punk britannique, juteux, frais comme un gardon et lourd de sens. On sent que ces trois mecs prennent du plaisir à shaker le shook. Avec «Come On now», ils passent au classic Beatles jive de l’aube des temps, puis ils claquent «Hey Cassandra» au swing de Gévaudan, Big Russ fout le feu à la ville pendant que Gibbs claque un bassmatic monumental. Wild Wildebeests jive ! Ils attaquent leur B de plein fouet avec «You Were Wrong», c’est du Chucky à l’anglaise, claqué au riff hésitant, typique des Pretties, et Gibbs perpétue le grand art du bassmatic à la John Stax. Diable, comme ces trois mecs vénèrent les Pretties ! Ils swingent encore comme des démons sur «Mind Blender» et «BMC», et bouclent cet album qu’il faut bien qualifier de chaud-devant avec «Bubblegum Fuzz». Ils s’y entendent en dégelées royales. Joli shoot de wild as Beests !

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Pas étonnant que Go Wilde In The Countrye soit paru sur Sympathy For The Record Industry. C’est un wild album qui grouille de puces, une sorte d’apanage du power trio underground pur, et ça claque derrière les oreilles dès «I Need You» en mode Trogglodynamite, c’est-à-dire bouillon de culture gaga-punk. Ils embarquent «Frogboy» au one two three, au fast on the run. Comme ils chantent en anglais, on s’exprime en anglais, pour essayer d’être un peu cohérent. Dans la vie, un peu de cohérence ne fait jamais de mal. Russ et ses sbires vont vite en besogne et te remontent la sauce avec des chœurs de Dolls. Plus loin, ils attaquent «Standing Alone» en Kinky motion, bel hommage au génie punk de Dave Davies, Russ et ses Beests ont le power, ils claquent le Kinky KO. Ils regrattent les accords des Kinks de 65 dans «This Is My Year» et Russ the Boss passe un violent killer solo. Ils tapent une très violente cover de «Parchman Farm». C’est complètement punked-out, ils gèrent bien le calme avant la tempête. Ils sont les Wildebeests de Gévaudan. Pour couronner le tout, voilà une belle dégelée psyché, «Couldn’t You Say You Were Wrong», avec une incroyable profondeur de champ, ils font du Syd Barrett sous amphètes, ça spurge dans la stratosphère, ils explosent tout, c’est un violent shoot de Mad Psyché évangélique, ça traverse les siècles et le blindage des coffres, ça t’explose la bulbosphère, et le Russ n’en finit plus de charger la barcasse du diable.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il est possible que le perruqué qui orne la pochette d’Annie Get Your Gnu soit le mec des Snobs, un combo britannique des sixties qu’on croise sur les meilleures compiles Mods, notamment Searching In The Wilderness. Annie Get Your Gnu est ce qu’on appelle un album endiablé. Boom dès «Your Mind». Boom car explosif ! Quasi protozoaire, affreusement claqué du beignet par Russ the Boss. Killer solo, bien sûr. Une fois de plus, les Beests de Gévaudan dévorent les abscisses et les ordonnées du rock anglais. Le petit stomp d’«I Can’t Change» sonne très Beatles au Star Club de Hambourg et puis avec «No No No», ils font du simili 13th Floor Elevators, avec une cruche électrique. Bel hommage ! Retour en fanfare à Dave Davies avec «Til Sun Up». En plein dans le mille du Really Got Me. Russ the Boss n’en finit plus d’être fasciné par ce son, comme au temps des Milkshakes. Retour au Really Got Me en B avec «Lucinda», ce sont exactement les mêmes accords, aw Lucinda/ Luncinda/ Why don’t you set me free - Russ passe un killer solo flash aussi beau et définitif que celui de Dave Davies. Plus loin, ils tapent une cover inexpected, l’«I Did You No Wrong» des Pistols. Bien sûr, ils n’ont pas la voix, mais le feu sacré est là, et bien là. Ils finissent en beauté avec «Who’s Sorry Now», un superbe shoot de gaga jeté par dessus la jambe, avec les chœurs des Who, c’est brillant, braillé au who’s sorry now.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’une des spécialités des Wildebeests est de démarrer les albums avec le dirty punk le plus sale et le plus méchant. The Gnus Of Gnavarone n’échappe pas à la règle. Russ the Boss explose «You Lied To Me» avec un wild killer solo trash. Dans le genre, il est aussi bon que Mickey Hamshire. Le hard boogie de «Nothing’s Gonna Change Me» est encore un pur coup de génie bestial. «Face» est encore bien chargé du bulbique et chanté au raw gut de just to see your face. Tout le reste de la viande est parqué en B, boom dès «Why Don’t You Come Home», attaqué en mode Pretties, aussi wild que «Don’t Bring Me Down», c’est exactement la même niaque de morve délinquante et le même fondu de killer killah. Ils tapent chaque fois en plein dans le mille, comme le montre encore la belle pop psyché de «That Man». Tout est brillant, chez ces mecs-là. «Save My Soul» sonne comme un hit des Creation. Ils ont ce profil d’ultra-freakbeat. Russ the Boss boucle avec «You Can Get Together Again», monté sur un heavy stomp de base et de rigueur, et noyé de killer killah  à la Big Russ, c’est une aubaine pour les oreilles.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Comme son père spirituel Nuggets, Gnuggets est un double album, et même un sacré double album, le genre de double album auquel personne ne peut résister. Russ the Boss et ses deux amis ont rassemblé tous les singles des Wildebeests, et ça rock the boat ! Douze bombes sur les 4 faces, dont d’incroyables covers, comme le «Gorilla Got Me» de Jesse Hector, le «She Lives In A Time Of Her Own» du 13th Floor, le «Mongoloid» de Devo que Big Russ gratte à la cisaille, le «Public Image» de PIL attaqué à la basse de Jah, Hallo ! Hallo!, le «Down In The Bottom» de Big Dix avec les fantastiques descentes au barbu de John Gibbs, l’«I Feel Alright» des Stooges tapé au bassmatic des Trogglodynamics, le «Just Like Me» de Paul Revere & The Raiders qu’ils font sonner comme du Dave Davies, l’«I’m Rowed Out» des Eyes, classic gaga-punk de l’âge d’or gratté encore une fois à la Dave Davies, le «Mellow Down Easy» et l’«Hidden Charms» de Big Dix, groové en profondeur pour le premier et transpercé par un killer solo flash pour le second, et puis tu as encore le «Please Go Home» des Stones, l’«All Aboard» de Chucky Chuckah, le «Don’t Gimme No Lip» de Dave Berry, quasi protozoaire, joué à la main lourde de l’heavy stomp. Tu vas aussi retrouver l’effarant «Parchman Farm» proto-punkish de Mose Allison, l’«I Wanna Be Loved» des Heartbreakers, suprême hommage, le «Commanche» de Link Wray, «You Lie», un hit obscur des Lynx, digne des Downliners, et en fin de D, on tombe sur des compos à eux, comme «One + One», heavy slab de gaga sauvage, «1996», solide et wild, gratté à la vie à la mort, et «Pointless» pur jus de Stonesy, pas loin de l’«Under-Assistant West Coast Promotion Man». 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             En 1987, Russ the Boss s’associe avec Sexton Ming pour monter les Mindreaders. Boom direct avec Ban The Mindreaders. C’est l’un des grands albums inconnus de l’Underground Britannique. Ils démarrent avec un «We’re Gonna Have» wild as fuck, qui est une cover du «We’re Gonna Have A Real Good Time Together». C’est claqué si sec ! En B, ils restent dans les parages du Velvet avec une cover du «She Cracked» des Modern Lovers. Nouvel hommage de taille avec le «Love Comes In Spurts» de Richard Hell. Explosif ! Sur «Anna», Russ the Boss passe un solo à deux notes, comme Pete Shelley le fit dans «Boredom», au temps  béni de Spiral Scratch. Ces trois mecs sont supérieurs en tout. Même niaque que celle des Cheater Slicks. Encore un terrific gaga blaster avec «Girl I Kill You». Tu as là la disto la plus sale d’Angleterre. Pure giclée de protozoaire ! Puis il tapent dans le saint des saints avec l’«Are You Experienced» de l’ami Jimi. Alors, aussi incroyable que celui puisse paraître, ils l’explosent ! Ils osent exploser l’hendrixité des choses ! Russ the Boss est coutumier de ce genre d’exploit. C’est à lui qu’on doit la grandeur du premier album de Len Bright Combo. Il faut aussi saluer l’«I Don’t Care» planqué en B et pulsé aux chœurs de fiottes. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Un deuxième album des Mindreaders a fait surface récemment sur Spinout Nuggets. Il s’appelle Continuation et bénéficie d’une belle pochette voodoo. Apparemment, le trio a survécu, comme l’indique Vic Templar au dos de la pochette. Tant mieux pour nous, pauvres pêcheurs, car voilà (encore) un album béni des dieux du rock anglais, et ça te saute à la gueule dès l’hard gaga boueux bien cracra d’«It’s Bagtime», c’est même carrément Beefheartien, un vrai coup de génie underground. Tu t’en remets difficilement. Plus loin, ils passent à l’experiment avec «Fractures Of Your Face», un cut processionnaire qui ondule sous la lune, mais ils opèrent un retour aux brutalités avec «Take You Slow», ça chante à la meute de chasse avec le sax d’X Ray Spex. Incroyable power de la modernité ! Ça paraît logique avec des gens comme Sexton Ming et Russ the Boss. En B, tu as un beau câdö qui t’attend : une triplette de Belleville avec «I’m Alright Jack», «She’s My Sausage Girl» et «M2 Bridge 67». Alors, punk rawk d’Edimburg avec le Jack, rawk beefheartien avec la Sausage Girl, c’est même pire que du Beefheart, complètement demented, excédé, avide de confrontation, et puis voilà l’M2, un fascinant balladif monté en neige. Ils basculent dans l’excellence ambiancière. On n’en attendait pas moins d’eux. 

    Signé : Cazengler, Russtique

    Pop Rivets. Greatest Hits. Hipocrite Music 1979

    Pop Rivets. Empty Sounds From Anarchy Ranch. Hipocrite Music 1979

    Pop Rivets. Live In Germany ‘79. Hangman Records 1990

    Milkshakes. Fourteen Rhythm & Beat Greats. Big Beat Records 1982

    Milkshakes. After School Sessions. Upright Records 1982

    Milkshakes. The Milkshakes In Germany. Upright Records 1983

    Milkshakes. 20 Rock & Roll Hits Of The 50’s And 60’s. Big Beat Records 1984

    Milkshakes. Nothing Can Stop These Men. Milkshake Records 1984

    Milkshakes. The Milksakes Revenge. Hangman Records 1987

    Wild Billy Childish + Big Russ Wilkins. Laughing Gravy. Empire Records 1987

    Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Empire Records 1986

    Len Bright Combo. Combo Time. Ambassador 1986

    The Wildebeests. Dimbo Party. Alopecia Records 1997

    The Wildebeests. Go Wilde In The Countrye. Sympathy For The Record Industry 1997

    The Wildebeests. Annie Get Your Gnu. Screaming Apple 2006

    The Wildebeests. The Gnus Of Gnavarone. Dirty Water Records 2009

    The Wildebeests. Gnuggets. Dirty Water Records 2010

    Mindreaders. Ban The Mindreaders. Empire Records 1987

    Mindreaders. Continuation. Spinout Nuggets 2021

     

     

    L’avenir du rock

     - Quartet gagnant

             S’il est un reproche que l’avenir du rock ne supporte pas, c’est qu’on le traite de positiviste. Il éprouve pour le positivisme une profonde aversion. Ça le fait gerber, rien que d’y penser. Pire que le mal de mer. Pire que de voir une grosse rombière réactionnaire déguster des biscottes de foie gras dans un fucking réveillon. Des exemples comme celui-là, il en a d’autres, ça pullule, chaque fois que l’avenir du rock s’approche de secteurs comme la politique, la religion ou les médias, il frise l’overdose de gerbe rien que d’y penser. Alors il s’en éloigne rapidement. Par contre, si tu le branches sur le négativisme, alors tu vas voir sa bobine s’illuminer. Rien de tel que le négativisme ! Sa tournure préférée reste le fameux No Future, l’hymne des jours pas heureux, ceux qu’il préfère. C’est justement le paradoxe du No Future qui fascine tant l’avenir du rock. Pourquoi ? Parce qu’avec sa formule, Johnny Rotten renoue avec la véracité véracitaire de l’utopie anarchiste. Des cakes comme Zo d’Axa clamaient au XIXe siècle qu’elle était l’avenir du genre humain. Johnny et Zo font bicher l’avenir du rock. Il adore aussi la formule No Way Out, elle dit tout ce qu’il y a à savoir d’une impasse. Rien de tel qu’une bonne impasse pour te retrouver au pied du mur. Pour te sentir bien baisé. Que tu t’en sortes ou pas n’est pas le problème, de toute façon, ta vie est un no way out, il ne faut jamais perdre ça de vue. L’avenir du rock éprouve encore un faible pour le No Sell Out, c’est-à-dire la caste des groupes qui ne vendent pas leur cul. En son temps, le NME avait publié un spécial No Sell Out dont la tête de gondole était Fugazi, et dont la meilleure incarnation reste Wild Billy Childish. Quand l’avenir du rock observe la voûte étoilée, il se régale du spectacle de cette belle constellation : Zo d’Axa, Johnny Rotten et Wild Billy Childish, auxquels il ne manque pas d’ajouter les mighty No Jazz Quartet, nouveaux tenants de l’aboutissant.    

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Toujours un bonheur que de retrouver sur scène l’ex-Holy Curse et ex-Keith Richards Overdose, Sonic Polo. On l’a vu en 2015 au Havre avec l’excellente Overdose (dont on a dit ici tout le bien qu’il fallait en penser), et des tas de fois au temps où les Holy Curse ouvraient pour tous les groupes gaga anglo-américains qui déboulaient à Paris. Jamais en tête d’affiche, alors ça finissait par devenir scandaleux, car les Holy Curse battaient pas mal de têtes d’affiches à la course. Les mighty Holy Curse avaient deux armes secrètes : Sonic Polo sur sa Tele bleue, et au chant, un brillant gaillard qui aurait pu remplacer Chris Bailey dans les Saints, pas de problème. Dans ce monde idéal dont on parle souvent, les Holy Curse auraient dû exploser.  

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sonic Polo reprend tout à zéro avec No Jazz Quartet, alors on va les voir sur scène.  C’est le genre de résurrection sur laquelle on ne crache pas. On en attend même des miracles. Le décorum de la Boule Noire s’y prête bien, puisqu’ils apparaissent dans la fumée. Le Quartet émerge du fog, deux grattes à l’avant et James McClellan tape tout de suite dans le dur en faisant son Captain Beefheart, ou son Tex Perkins, si tu préfères, il growle son «Lost Trail» à s’en esquinter la glotte et nous voilà partis à l’aventure, dans la meilleure des compagnies. Le Quartet joue en formation serrée, les deux grattes croisent le fer en permanence, Sonic Polo et Captain James nouent des accords bilatéraux dilapidés sur le champ, ils développent des combinaisons toxiques, ils trafiquent d’atroces sortilèges, ils tissent des trames insidieuses et plongent la pauvre vieille Boule Noire dans un ténébreux chaos de no way out, mais sans en rajouter des caisses, ce qui est admirable. Comme s’ils parvenaient à tenir leur chaos en laisse. Ils cultivent les Fleurs du Mal d’un rock à la fois ancien et moderne, on revoit ce qu’on a déjà vu cent fois, et en même temps, ils shakent l’orgone accumulator comme des cracks. Tu revois Sonic Polo sur scène et t’es dans la machine à remonter le temps, mais tu le vois mettre le grappin sur le matérialisme dialectique du rock, sa façon de dire : «c’est là, maintenant !». Quand il est bon, le rock te fait vivre l’instant présent mieux que toute autre forme d’art. Ce sont tous les instants présents ajoutés les uns aux autres qui constituent l’avenir du rock. Cut après cut, le Quartet bâtit sa version de l’avenir du rock. Tu peux y aller les yeux fermés.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sonic Polo prend le chant sur «Thermondynamic Love», un cut qui cavale à travers la plaine. Hot as hell. On sent le punk en lui et bien sûr ça explose en plein vol. Ils adorent tramer leurs complots dans l’ombre, comme le montre «The Flower On The Wall». Mais toujours pas de hit. Ce n’est pas leur propos. Le vent noir souffle sur «The Dark Wind», alors ils duettent dans les vapeurs de l’enfer du boulevard, ils se payent des petites crises de hurlette de Hurlevent et claquent des accords mort-nés. Sonic Polo annonce un cut du prochain album, «Ramshackle», puis Captain James revient s’arracher la glotte sur «The Last Man On Earth». Ils n’en finissent plus de chercher des noises à la noise, ils repartent de plus belle avec «And Then I Saw The Bird» enchaîné avec «Three Kinds Of Snakes», heavy boogie et heavy sludge, il y va de bon cœur le Captain James. Full blow ! Ils atteignent le sommet du bottom, ils noient cette merveille dans le son des grattes. «Three Kinds Of Snakes» est le tenant de l’aboutissant. Sonic Polo glisse un tournevis dans ses cordes pour attaquer «Good Riddance». Ça sonne un peu comme du Horsepower, mais avec du doom en plus. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’occasion est trop belle de plonger à nouveau dans Holy Curse. Tu devrais commencer toutes affaires cessantes par Take It As It Comes, un mighty Turborock de 2011. En plus ce fut un cadeau, lors d’une convention, au Havre. Quel album !

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Ça t’emporte la bouche dès «Johnny’s Day (It Wasn’t)». D’habitude, c’est bardé de barda, mais là, c’est saturé de barda. Mad Eric pose son chant sur la marmite, c’est bien Detroit dans l’esprit, avec les solos en intraveineuse. Ça joue à ras-bord, t’as un solo compressé, enragé et ballonné et tu vois l’Eric remonter sur le dragon. Demented ! Le «Died Ugly» qui suit est encore plus saturé, ça bascule en plein dans les Saints. T’es pas sorti de l’auberge avec ces mecs-là ! Ils héritent de toute la grandeur de l’heavy sound et des ponts flottants de l’invasion barbare. Sonic Polo te tombe sur le râble en permanence. Sa fournaise est ambulatoire. Il devrait faire école. Pur sonic genius, ses notes flottent dans la fournaise. Il invente le sonic trash flottant. Puis sa gratte devient une gratte vampire dans «Man With The Heavy Hand». Il plane sur le cut. Oh l’incroyable qualité de la menace ! Il entre par la fenêtre et joue le jeu de l’heavy load. Mad Eric re-vole ensuite le show avec «The Bellbirds Song», une espèce de rentre-dedans digne des Saints : tu y croises du take me down et un killer solo trash.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Paru en 1999, Hereafter vaut sacrément le détour. Tu y retrouves tout ce que tu aimes : le riff raff bien posé à plat et la voix d’autorité. Ils sont déjà les rois de la dégelée. Avec eux, t’auras jamais froid en hiver. Ils rendent très vite hommage aux Saints avec «Recurrence». Après des petits arpèges de brouillage de piste, ils repartent à l’harsh fondamental, ils n’en finissent plus d’étaler leur miel brûlant sur la tartine, ils partent en mode Saints à coups de giclées de dégelée. Plus loin, ils vont encore sonner comme les Saints dans «Dehumanized» (sic) et «Insane Alive», ils y vont à coups d’and the world is going wild, primal Sainty blow, ils te claquent ça au non retour de no way out. «Dehumanized» est chargé de tout le pathos d’Eternally Yours. Quant à «Insane Alive», ça te renvoie en cœur de «Nights In Venice», dans cette culmination de l’enfer sur la terre, les poux s’en donnent à cœur joie, ça gratte à la folie, t’en vois pas tous les jours des poux aussi tentaculaires, aussi profite-zen, et les Curse n’en finissent plus de relancer leur banco, ça bascule dans une fournaise qui doit autant aux Saints qu’aux Stooges. Tout l’album est bourré à craquer, notamment ce «Terra Incognita» qui plonge Moctezuma dans le pire climax qui se puise imaginer, et dans «Days Like Minutes», ils te font le coup de l’invasion des killer solos flash. Deux dans le même cut ! C’est une bénédiction. Et puis voilà le coup de génie qui arrive sans prévenir : «It’s In My Nature», avec sa belle entrée en lice d’I need you to love me, alors ça gratte à la cocote sévère, ça monte en neige et ça bascule dans une ahurissante stoogerie, avec un final soloté à la vie à la mort. Sonic Polo ne joue pas encore dans Holy Curse. Il arrive sur l’album suivant.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ils enregistrent Bluer Than Red chez Lucas Trouble. C’est le bim bam boom garanti. L’album est noyé d’ultra-sound et l’Eric pose bien son chant sur la pétaudière de deux grattes. Dans «(Give Yourself Up To) Rock’n’Roll», ça tortille d’un côté et ça cisaille de l’autre, ça ondule en permanence a bord du gouffre de la stoogerie. Il y est question de save your soul. Mais le kick some ass with rock’n’roll n’est pas du meilleur goût. Ils reviennent dans le giron des Saints avec «Long Gone». Il y va l’Eric Bailey, il tape en plein dans le mille du mythe brisbanais, il remonte le courant comme un saumon de Brisbane. Sur «Las Vegas On Sea», il pose bien les éléments, yeah yeah, et sous lui, ça bouillonne dans la marmite du Kaiser. Mad Etic chante comme le Seigneur des Annales au-dessus du fleuve de lave. Ils plongent l’«Enough» vivant dans la friteuse, c’est un cut qui va craquer sous la dent et le Kaiser pousse bien la sature dans les orties. «I Feel Free» te tombe dessus comme une grosse tarte à la crème. Ils inventent le concept du pathos saturé de sature. Ils battent tous les records, même ceux d’In The Red. Si tu écoutes ça sous le casque, t’as les oreilles en chou-fleur et c’est très bien. Ça continue de monter en température avec «Rivers Of Blood», look out mama ! On entend à peine Mad Eric dans la fournaise. Les attaques de double chorus sont uniques au monde. Ils battent les Stooges à la course. Mais le pire est à venir et il s’appelle «Superfortress». Ça sent bon l’enfer sur la terre, t’es dans Rosemary’s Baby avec le son de Motörhead. Le cut rôtit littéralement en broche, et toi avec, et qui tourne la broche ? Satan Polo et ses tiguilis. Et soudain, ça bascule dans le neuvième cercle du so messed up I want to be, oui, ils sont cette capacité d’exploser le face to face de «Wanna Be Your Dog», quel hommage et quel tenant tenace de l’aboutissant, aw c’mon, ça devient une fournaise exemplaire et ça part en vrille de wah absolutiste, now I’m ready to close my mind, il est devenu fou le Mad Eric, il est ready to feel the pain, ils font tout simplement une cover géniale de l’un des plus gros hits de tous les temps. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’autre Turborock s’appelle Feed The Dogs et date de 2007. Trois prods différentes : une du Kaiser sur deux cuts, une en Australie sur deux cut aussi, et le reste chez Jim Diamond au Ghetto Recorders de Detroit. Maintenant, Polo est tout seul, mais il joue comme dix. Il est enragé sur «Bye Bye Preacherman», il transperce le blindage du preacherman. Puis il passe «Cash Machine» au vitriol. Les Curse bouclent leur balda avec un heavy «Shit Happens» noyé d’oh shit happens. Suite de la viande en B avec «The Music & The Noise», ils renouent cette fois avec leur chère apocalypse, c’est un hommage claironnant au power - Set the stage on fire/ I say power ! - Mad Eric s’en étrangle. Mais le pire est à venir avec «Universal Children», encore plus magnifique d’heavyness et traversé d’incursions méphistophéliques. Sonic Polo est le plus sonic de tous. Ici, il perce un tunnel sous le Mont-Blanc, il faut le voir entrer en quinconce dans cette couenne fumante, épaulé par Gary Ratmunsen on «psychedelic guitar».  

             Et voilà la cerise sur le gâtö : l’autobio de Sonic Polo, Nous Étions De Jeunes Punks Innocents. Un récit sans prétention, qu’on pourrait presque qualifier de candide, parfaitement à l’image de l’auteur qu’on sent extrêmement timide, au point qu’il faut tendre l’oreille pour capter ce qu’il dit. Il l’écrit d’ailleurs dans son book : «Sitôt que le nombre de mes interlocuteurs dépasse le nombre de deux ou trois, ma voix ne porte plus s’éteignant comme une petite flamme.»

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ce récit couvre un parcours qui va d’une ZUP d’Aix-en-Provence jusqu’à la scène alternative parisienne et le ‘Pari Bar Rock’ des années 80, récit drivé par une passion dévorante pour le punk-rock, notamment les Ruts et Stiff Little Fingers. Son groupe s’appelait Spoiler. Le book s’avale d’un trait, Polo écrit comme s’il te racontait l’histoire. Il restitue à sa façon la nostalgie des jours heureux, il restitue admirablement bien le contexte ZUP de ses origines modestes, et rend hommage à tous ses potos, ceux du groupe et les autres. Il écrit dans un style alerte - L’après-midi arrivait enfin et nous filions plein ouest, la poignée dans le coin, à travers les champs et les vignes de la route de Galice - Et comme il est à la fois motard et rocker, il se fend de cette petite chute : «Je lâchai le guidon de la Suzuki pour le manche de la Rickenbacker.» Ça passe comme une lettre à la poste. Il prend un soin particulier à évoquer le parcours initiatique qui est celui de la création d’un premier groupe de rock. C’est dans une vie un moment aussi vital que celui que tu partages avec ta première gonzesse.

             Oh et puis cet humour ravageur ! Quand il attaque un chapitre «road-trip» dans les basses Alpes, il dit au lecteur que s’il n’aime ni les road-trips ni la montagne, il peut sauter le chapitre. Ce serait dommage de le sauter, car on y trouve l’épisode du saucisson qui est hilarant. Ils roulent en moto et campent la nuit. Et crack, «je ne sais plus lequel d’entre-nous avait eu la brillante idée d’acheter un saucisson, mais toujours est-il que personne n’avait de couteau.» Et il explique à la suite qu’ils passèrent la soirée à charcuter le saucisson avec «un tournevis cruciforme». On voit la gueule du saucisson d’ici. Encore plus drôle : ça se passe avant Spoiler, Polo roule en vélo et va chez un copain de classe nanti, à Puyricard, au nord d’Aix. Ses parents viennent de lui payer trois albums, un vrai luxe intérieur ! Le copain commence par faire écouter à Polo Never Mind The Bollocks, il lui fait écouter trente secondes d’«Holidays In The Sun», puis un bout de «Bodies», et «déclarait que ouais, c’est pas mal mais bof, ça cassait pas trois pattes à un canard, y avait même pas de solos...» Ce mec qui est son «meilleur copain de classe» lui annonce ensuite qu’il va lui faire écouter «le blues le plus abominable et le plus nul qu’il ait jamais entendu», et ajoute «que ce groupe atroce avait même osé, ô sacrilège, baptiser son blues ‘L.A. Blues’». C’est bien sûr Fun House des Stooges. Bravo le meilleur copain de classe ! Mais Polo a tendu l’oreille. Il rentre chez lui sur son «vélo à double-plateau», «chargé du feu stoogien».

             Quand il devient punk avec ses amis, il raconte comment lui et sa petite bande débarquent sur le cours Mirabeau, «la plus belle avenue du monde», en perfecto, «jeans noirs feu au plancher, soquettes blanches et creepers rouges, bracelets de force comme ce con de Sid Vicious.» Le «con de Sid Vicious» revient souvent dans le récit. Polo n’aime pas les cons et il a raison. Plus tard à Paris, il joue dans un bar avec un groupe qui s’appelle The Satanic Majesties. Mais ces mec-là n’adressent pas la parole aux Spoilers. Polo n’en revient pas, «même pas bonjour, pas un regard, nada.» Bien fringués, à la mode. Du coup, à la page suivante, Polo les re-qualifie de «majestés sataniques ta mère». Par contre, il rend hommage à Little Bob et à Dominique Laboubée. 

             Il rend aussi deux très beaux hommages, le premier à Marc Zermati, qui entre un jour dans son bouclard Sonic Machine pour lui proposer des disques. Pour rigoler, Polo dit prendre le risque de perdre «la moitié de ses lecteurs» en citant Marc Z et Philippe Debris, boss de Closer, tous deux «sujets à controverse», mais non seulement il cite, mais il salue bien bas : «Deux caractères bien trempés». Il termine le court paragraphe Marc Z en disant être resté en bons termes avec lui. Hommage encore aux Cowboys From Outerspace et à Michel Basly «grand, mince, genre dandy, gominé, sapé comme un lord, le regard inquisiteur, les oreilles légèrement décollées, le nez aquilin.» - Les fantastiques Cowboys From Outerspace que tout l’univers nous envie, eh oui, quoi de plus vrai. Les Cowboys sont avec les Dum Dum Boys, Weird Omen et Holy Curse ce qui est arrivé de mieux à la France des vingt dernières années. Polo raconte aussi comment il est allé acheter sa Ricken 480 à Marseille. Épisode capital de son parcours initiatique. Il raconte aussi le désastre des studios français et des ingés-son qui ne pigent rien et qui lissent le son des groupes. Pour sa première expérience, Polo raconte que les Spoiler entrent en studio avec Stiff Little Finger en tête et ressortent gros-Jean-comme-devant «lisses comme les Spandau Ballet du quartier Mazarin.» Il dit avoir été dégoûté «pour de longues années.» Tous ceux qui ont fait des groupes en France ont été confrontés au même problème : tu tombes sur un mec qui n’écoute pas les mêmes disques que les tiens, alors t’es baisé. Il trafique ton son. Tu te fais baiser, une fois, deux fois, parfois trois fois. Alors tu finis par piger : le jeu consiste à trouver LE mec qui écoute les mêmes disques. Ça peut être Lucas Trouble ou Lo’Spider.

             À la fin de son récit, Polo monte à Paris en moto et débarque au Parking 2000, à Crimée, dont le quatrième sous-sol est aménagé en studios de répète. 200 ou 300 groupes y répètent. Pour dormir, Polo et son pote louent une piaule miteuse dans un hôtel de passe de la rue Rambuteau. Les autres ont trouvé une piaule rue Ordener. On se croirait dans Les Illusions Perdues ! Polo de Rubempré monte à Paris. Mais Polo est bien plus balèze que Lucien : il n’est pas dévoré par l’ambition et il ne lui viendrait jamais à l’idée de frimer. Alors on attend la suite avec impatience.    

             Signé : Cazengler, Quartête de veau

    No Jazz Quartet. La Boule Noire. Paris XVIIIe. 12 mai 2024

    No Jazz Quartet. You’re Gonna Leave The Building Soon. Closer Records 2023

    Holy Curse. Hereafter. Whiz Recordings 1999

    Holy Curse. Bluer Than Red. Nova Express 2004

    Holy Curse. Feed The Dogs. Turborock Records 2007

    Holy Curse. Take It As It Comes. Turborock Records 2011

    Paul Milhaud. Nous Étions De Jeunes Punks Innocents. The Melmac 2024

     

     

    Max le ferrailleur

     - Part Three

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             À la suite d’A Rocket In My Pocket et de Teddy Boys, l’idéal serait de lire King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World. Paru en 2005 et tout juste réédité, King’s Road constitue le troisième volet de ce qu’on pourrait appeler la trilogie rock de Max Décharné. Alors attention, ce n’est pas un rock book à proprement parler. Comme dans Teddy Boys, Max le ferrailleur brasse large, il documente à outrance, se prête aux fièvres citatoires, il creuse profondément pour aller explorer les racines du thème, il fait la R&D du rock, c’est-à-dire qu’il en examine scientifiquement le contexte socio-culturel, il se livre à un authentique travail de recherche, comme le fit en son temps Mick Farren avec son Black Leather Jacket book et son Speed Speed Speedfreak book. La parenté crève les yeux. Mais Max le ferrailleur pousse son bouchon encore plus loin. C’est d’une certaine façon l’hommage d’un géant à un autre géant.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Pour le fan de rock ordinaire, King’s Road en 1976, ça voulait dire sortir du métro à Sloane Square et remonter jusqu’au 430 pour voir Sex, le bouclard de McLaren. Pour Max le ferrailleur, King’s Road ne commence pas avec Sloane Square, mais avec Charles II, un roi d’Angleterre, qui au XVIIe siècle, fit aménager l’artère pour son usage personnel, d’où le nom. Puis ça va passer par la mode, le théâtre, la littérature et le cinéma, Max fait tout avancer en même temps, et pour donner du poids à ses investigations, il fait intervenir des témoins de choc : Mick Farren, John Peel, Ted Carroll, Wreckless Eric et quelques autres. Il est essentiel à ce stade des opérations de savoir que King’s Road n’est pas un book uniquement consacré aux Sex Pistols. Mary Quant, John Osborne et Andrew Loog Oldham y volent le show.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Tu t’engages dans un book dense : 350 pages composées dans un corps de texte minimaliste, du 9 ou du 10, justifié serré, quasi impénétrable, t’as intérêt à ajuster tes binocles, il règne dès l’intro une tension terrible, Max te transmet sa passion dévorante, comme s’il te contaminait. Pour gérer ce prodigieux fleuve de connaissances, il avance chronologiquement, année par année. Il est obligé, sinon ce serait le chaos. Il épluche tous les canards d’époque, les quotidiens, les revues, les magazines, tout, absolument tout, il relit toutes les critiques de cinéma, de théâtre et de littérature, ça grouille d’infos, c’est Fantasia et ses balais, pas chez les ploucs mais chez les punks, il va chercher le Bazaar de Mary Quant dans la presse spécialisée, il situe le top départ de la modernité anglaise à la fin de 1954, lorsqu’arrivent «le rock’n’roll, la télé commerciale, Look Back In Anger et l’ouverture de Bazaar au 138a» - The revolution starts here - Et en 1955, apparaissent les premiers Teds - These people looked seriously sharp. Ce n’est pas pour rien que l’un des premiers surnoms d’Elvis était The Memphis Flash - Les Teds sont là bien avant le rock’n’roll, mais les médias s’intéressent à eux lorsqu’éclate la révolution, c’est-à-dire le rock’n’roll. Max profite de son détour chez les Teds pour rappeler qu’en 1971, au moment où McLaren ouvre sa boutique Let It Rock sur King’s Road, ils sont allés accueillir Gene Vinvent à Heathrow. Autour de Mary Quant traîne aussi Andrew Loog Oldham. S’il veut bosser pour elle, c’est tout bonnement parce qu’elle incarne à ses yeux la pop qui fait le lien entre le rock’n’roll des années 50 et le rock des Beatles - He wanted to be where the action was, and as far as he was concerned, in 1960 that meant Bazaar, 138a King’s Road - Quand au bout de six mois il démissionne, c’est pour aller un peu plus tard manager les Rolling Stones.

             Un certain John Stephens vient aussi loucher sur la vitrine de Bazaar. Il va transformer un peu plus tard une back alley nommée Carnaby Street en phénomène de mode à portée encore plus internationale, ce que Max appelle a worldwide brand. Ces choses-là sonnent toujours mieux en anglais.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Sur King’s Road déboule tout le gratin dauphinois de l’époque, ceux que Max appelle «les acteurs du changement in popular music, film, fashion, photography, drama and art of the day» - people like Stanley Kubrick, David Hockney, Marianne Faithfull, Michael Caine, Syd Barrett, Twiggy, David Bowie, Julie Christie, Samuel Beckett, Francis Bacon, Keith Richards, Siouxie Sioux, John Lennon, David Hemmings, Billie Holiday, Quentin Crisp, Jimi Hendrix and John Lydon - Dick Bogarde et James Fox descendent King’s Road jusqu’à Royal Avenue, où Joseph Losey tourne The Servant. Fondamentalement, King’s Road est l’endroit où les Stones et les Pistols ont démarré, où les mini-jupes sont apparues et où, nous dit Max, traînent encore les fantômes de John Osborne, Mary Quant, Brian Jones, Marc Bolan et Sid Vicious - People are still looking for them and their kind down the King’s Road.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             King’s Road voit aussi passer les modes. À la fin des sixties, Mick Farren n’ose plus mettre ses fringues de guérillero, power-to-the-people, c’est terminé - Everybody got a bit bored with Che Guevara, you know? - car voilà qu’arrivent l’année suivante Marc Bolan et le glam. Puis Alex et ses Droogs déboulent, suivi de Jack Carter, celui de Get Carter. Bolan s’habille chez Granny Takes A Trip, au 488 King’s Road, ou chez Alkasura, au 304 de la même rue. Flash clothes. On en trouvait aussi au Kensington Market. En 1975, Nils Stevenson, futur tour manager des Pistols, vend des fringues de Teds à Beaufort Market, à deux pas de King’s Road, et devient pote avec McLaren et Vivienne Westwood - Punk rock was a high-speed collision just waiting to happen - Et puis voilà qu’arrive 1976, un chapitre qu’introduit brillamment Max le ferrailleur : «Nineteen seventy-six, like 1956 and 1966 fut l’année qui remit the King’s Road à la une de tous les journaux. Vingt ans auparavant, la cause de tout ce fuss était the Angry Young Men, la fois d’après, il s’agissait de Mary Quant, Granny’s et tout la mythologie du Swinging London. Cette fois, il s’agissait d’Anarchy In The UK.» Et Max titre son chapitre : ‘It’s the buzz, cock.’ Johnny Rotten parade dans les canards avec ce gros titre : «Don’t look over your shoulder, but the Sex Pistols are coming.» Fantastique ! Wild as fuck. L’effet est bien plus radical qu’au temps des Rolling Stones. Les Pistols foutent vraiment la trouille à l’Anglais moyen. Et ça atteint l’apothéose avec la fameuse formule : «Actually, we’re not into music, we’re into chaos.» L’essence même du rock.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Quand tu te ballades dans Chelsea, tu as l’impression que les rues sont lisses et qu’elles n’ont pas vraiment d’histoire, à la différence des rues de Paris dont tous les quartiers te renvoient à des épisodes de l’histoire littéraire, politique ou artistique. Max t’ouvre les yeux. Dans les années 70, les kids français n’ont qu’une idée partielle de l’histoire des rues de Londres. Ça se limite à quelques endroits comme Portobello, Chelsea, Wardour Street, South Kensington ou Camden, car c’est directement lié aux clubs et aux disquaires. Max te rappelle qu’à deux pas de King’s Road se trouve Edith Grove où ont vécu les early Stones en 1962, et à deux pas de Gunter Grove où John Lydon s’est acheté une baraque au temps de P.I.L. Fait historique encore : Max rappelle que Dan Treacy et Ed Ball des Television Personalities ont enregistré «Where’s Bill Grundy Now» au 355 King’s Road, à deux pas du bouclard de McLaren qui s’appelle alors Seditionaries.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ah il en parle de McLaren ! Avant Sex et Seditionaries, McLaren débaptise son bouclard Let It Rock et le rebaptise Too Fast To Live Too Young To Die en hommage à James Dean. Avant de s’appeler McLaren, il s’appelait encore Malcolm Edwards et fut comme des tas d’autres kids anglais fasciné par le show des Crickets au Finsbury Park Astoria en 1958. Max rappelle encore qu’en Angleterre, Gene Vincent was God et Billy Fury venait aussitôt après - something like the second coming - De la même manière que Luke la Main Froide, Max le ferrailleur est fasciné par Gene Vincent, qu’il qualifie d’«one of the greatest of them all», un Gene qui débarque en Angleterre en 1959 avec «a killer double-sided rock single called «Wild Cat/Right Here On Earth» et qui s’acoquine avec Jack Good, le producteur d’Oh Boy et de Six-Five Special. C’est Good qui conseille à Gene de porter du cuir noir de la tête aux pieds pour apparaître dans son nouveau show, Boy Meets Girls. Voilà le genre de détail dont grouille le Max book.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Ted Carroll vend des rockab singles dans son Rock On market stall, qui va devenir un vrai lieu de pèlerinage. C’est lui nous dit Max qui alimente McLaren en singles rares. On entre chez Sex pour acheter des fringues mais aussi pour écouter les singles qui se trouvent dans le juke-box. Puis quand les Pistols explosent en Angleterre, McLaren louche plus sur Andrew Loog Oldham, le Colonel Parker et Larry Parnes que sur Sam Phillips : il veut des gros moyens, pas d’artisanat mythique à la mormoille. Pas question de faire du Sun Records. Alors que dans leur grande majorité, les groupes punk optent pour l’artisanat. Simple question d’éthique. C’est toute la différence entre les Buzzcocks et les Clash, entre les Damned et les Jam. Moyens du bord d’un côté pour Spiral Scratch et «New Rose», gros billets de l’autre pour des résultats nettement moins percutants. L’exception reste bien sûr Nevermind The Bollocks, l’un des albums parfaits de l’histoire du rock anglais. McLaren achève sa trajectoire avec The Great Rock’n’Roll Swindle, réussissant l’exploit de raconter l’histoire des Pistols sans jamais montrer John Lydon, ce qui à l’époque en a éberlué plus d’un, à commencer par Max. Selon lui, McLaren ne voyait aucun intérêt dans les Pistols, le film chante plutôt les louanges de sa stratégie médiatique, alors que «John Lydon was one of the most charismatic and gueninely inspired frontmen in the history of popular music». De toute évidence, Max pèse ses mots.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Oh et puis cet humour ravageur. Il évoque le Blow Up d’Antonioni, sorti en 1967 et le soupçonne d’avoir cassé la baraque non pas à cause des Yardbirds ou de l’intrigue policière, mais grâce au cul de Jane Birkin - It was the first mainstream film in Britain to show a glimpse of pubic hair - C’est plutôt ça qui attirait les foules, comme d’ailleurs le big pubic hair de Stacia dans les concerts d’Hawkwind. Les kids venaient d’abord pour se rincer l’œil. Max rapporte une autre anecdote hilarante : Johnny Rotten et Sid Vicious se firent virer de leur appart à Chelsea parce que McLaren avait «oublié» de payer le loyer - No one said the revolution would be easy.   

             Au fil des pages, Max fait quelques recommandations, notamment l’Introducing Eddie & The Falcons de Wizzard, mais aussi The Diary Of A Rock’n’Roll Star de Ian Hunter (One of the most entertaining insider accounts of the business), mais le gros du troupeau des recommandations se trouve bien sûr dans A Rocket In My Pocket.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Dans Ugly Things, Mike Stax a tellement adoré lire King’s Road qu’il propose une interview fleuve de quatre pages de Max le ferrailleur. Ugly Things est taillé pour ça, pour faire la route.  T’es prié de croire qu’avec Stax, c’est toujours passionnant. Et bien sûr Stax demande à Max : Why the King’s Road ? Alors Max dit à Stax qu’au début des années 80, il vivait à Battersea, de l’autre côté du pont de Chelsea, dont l’artère principale est King’s Road, alors il s’y baladait, et comme il n’avait pas de blé - on the dole - il léchait les vitrines. L’idée du book lui est venue en 2004 quand il a réalisé que «two of the best bands from England - the Stones and the Pistols - both started their careers down at the tatty end of the King’s Road.» Puis il explique qu’il s’est appuyé sur les tonnes de stuff accumulées pendant des années. La première édition de King’s Road date de 2005 - celle dont on parle plus haut - et depuis, il l’a updatée pour en faire un gros patapouf - It’s now useful for a hand-to-hand combat: si tu balances the new 520-page sur la tête d’un mec, il y a peu de chance pour qu’il se relève - Max le ferrailleur adore rigoler. Il adore aussi les bibles. Il ne fait pas dans la dentelle, ce qui semble logique pour un ferrailleur. 520 pages ! Bon courage, les gars ! Max revient à ses recherches et explique qu’il est entré en contact avec des tas de gens, à l’époque, et qu’il a lu TOUS les canards, d’OZ à Zigzag en passant par le NME et tout le saint-frusquin, mais ça ne s’arrête pas là : il a hanté les bibliothèques à Londres et à Berlin et a lu TOUT, Time, Newsweek, tous les canards des ‘50s, ‘60s and ‘70s, TOUT, TOUT, TOUT et le reste, comme on disait autrefois dans Salut Les Copains. Il a traqué tout ce qui évoquait Chelsea & the King’s Road, et en plus il a écouté tous les disques et vu tous les films - Le book aurait pu être cinq fois plus gros, mais je serais encore en train de l’écrire - On savait son humour ravageur, mais là, il bat tous les records. Il est fier d’avoir pu interviewer Mary Quant, avec laquelle il a fini par sympathiser. Max dit à Stax avoir reçu une lettre manuscrite d’elle après la parution du book, lui avouant qu’elle en avait apprécié la lecture, «which made my day».

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             L’épisode John Peel est hilarant : Peely invite Max chez lui, à Peel Acres, à la campagne. Peely vient récupérer Max à la gare. Il conduit une «strange experimental car», dont le tableau de bord ressemble à celui d’un vaisseau spatial, et dont les boutons et les clignotants restent un mystère aussi bien pour Max que pour Peely. Alors Peely lui explique qu’on lui a prêté cette «strange experimental car» pour quelques semaines, ce qui l’amuse beaucoup. Il en existe quelques une et Stong paraît-il en conduit aussi une. Après manger, Peely emmène Max dans sa pièce à disques et lui fait écouter une démo des Misunderstood enregistrée au Gold Star dans les sixties, et comme chacun sait, Peely avait flashé sur eux alors qu’il séjournait aux États-Unis et leur avait proposé de s’installer à Londres, pour six mois, chez sa mère, qui ajoute-t-il, ne lui a jamais pardonné - Five big Californian lads in a small flat in Notting Hill - Peely rivalise d’humour ravageur avec Max. Un Max qui rencontre aussi Christopher Lee, qui, dit-il, est encore plus grand que lui qui fait déjà quasiment deux mètres de haut. Christopher Lee indique à Max qu’à l’époque où il s’est installé dans le coin de King’s Road, Boris Karloff habitait sur le même square.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Max revient sur les racines du punk-rock à Londres : Dr. Feelgood (1975, first band I ever saw live) et le premier album des Ramones en 1976. Il cite aussi les racines glam, avec Slade, T Rex et Mott, tous ces groupes qu’écoutaient les punk-rockers quand ils avaient 12 ans, puis Iggy & The Stooges qui vivaient just off the King’s Road while recording Raw Power in London. Il cite aussi les Dolls at Biba’s. Max flashe aussi sur le concert des Ramones au jour de l’an 1977, avec Generation X et les Rezillos à la même affiche. Mais quand la semaine suivante, il achète le NME avec les Ramones à la une, il est écœuré par l’article de Tony Parsons qui ose descendre les Ramones. Alors le NME perd tout crédit à ses yeux. Comment ont-ils osé ? 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             La fin de King’s Road est un peu tristounette. On arrive au bout du book comme on arrivait jadis au bout de King’s Road pour découvrir qu’il n’y avait plus rien à voir. World’s End. Alors pour se remonter le moral, on va se taper avec un Part Four un petit panorama des Flaming Stars, un groupe que Philippe encensait en 1996, et il était bien le seul à le faire en France. Ça se passait dans le N°8 de Dig It!. Il interviewait Max le ferrailleur. Lequel rend hommage à ses deux guitaristes, l’ex-Sting-Rays Mark Hosking et l’ex-Headcoats Johnny Johnson. Max évoque aussi sa passion pour les films Hammer et les acteurs comme Christopher Lee ou Peter Cushing, ainsi que sa passion pour les romans noirs des années 30 et 40 et «les affiches de films peintes par des gens comme Tom Chantrell». D’où les pochettes d’albums des Flaming Stars. Les deux stars citées dans l’interview sont David Allen Coe et Guy Clark. Pas mal, non ? Philippe termine sa double avec une belle apologie du real deal, sa façon de dire : choisis ton camp, camarade.

    Signé : Cazengler, Max la limace

    Max Décharné. King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World. Weidenfeld & Nicolson  2005

    Philippe Migrenne. The Flaming Stars. Dig It! # 8 - Hiver 1996

    Mike Stax : An interview with Max Décharné. Ugly Things # 64 - Winter 2023

     

     

    Kramer tune

     (Part Four)

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Et voilà qu’une page d’histoire se tourne : Dennis ‘Machine Gun’ Thompson vient de casser sa pipe en bois, refermant ainsi le chapitre MC5. Finito. MC5 ? Kapout. Est-ce une coïncidence, toujours est-il qu’au même moment, dans le numéro de mai de Mojo, Bob Mehr consacrait huit pages au MC5. Une sorte de dernier spasme, avec en double d’ouverture, la fameuse photo bien connue d’un Five dégoulinant de sueur, prise dans un backstage quelconque. C’est de cette séance que sort l’image qui orne la pochette de Back In The USA.  Ils sont à la fois superbes et très laids.

             Mehr va se baser sur l’autobio de Wyane Kramer (The Hard Stuff: Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities) et opter pour un angle un peu bizarre : la rédemption qui suit la résurrection du guitariste, dans les années 90. C’est vrai que cette histoire est troublante et qu’elle vaut bien 8 pages.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Mehr fait tout simplement de Wayne Kramer un héros, un homme profondément soucieux des autres et qui croit aux nouveaux départs. C’est assez con à dire, mais ça s’entend dans sa façon de jouer. Kramer est un mec franc du collier. Il croit en l’intégrité. Avec de l’intégrité, on peut tout faire. Mehr cite John Sinclair : «Wayne was just a beautiful cat.» Tout est dit. Don Was ajoute qu’on pouvait tout savoir de Kramer en jouant simplement avec lui.

             Puis Mehr revient sur la formation du typical Midwest garage outfit MC5, «with matching hairdos and suits», vite propulsés par ce qu’il appelle «the twin influences of mind-expanding drugs and avant-jazz.» Car c’est bien là que se niche le génie du MC5, dans cette façon d’aller explorer les frontières. Kramer cherche tout de suite à se différencier. Chuck Berry fast and loud ? En disto ? Et je vais où après ? - And when I heard John Coltrane and Sun Ra and Albert Ayler, I said, Oh, that’s where you go frome there. You leave the key and the beat behind and go into a kinetic, more purely sonic dimension, where you’re trying to reproduce human emotion in sound - Ce que font couramment les crack du free : reproduire l’émotion dans leur son. Comme l’a fait Jeffrey Lee Pierce avec «(The Creator Has A) Masterplan» de Pharoah Sanders.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             John Sinclair file un sacré coup de main dans cette évolution. Sinclair flashe surtout sur «Black To Comm», le dernier cut que claque le Five sur scène. Sinclair devient leur manager. Le MC5 veut alors devenir le plus grande groupe de rock américain. Sinclair : «They were better than  any band I’ve ever seen.» Un autre cake flashe sur eux : Danny Fields, qui bosse pour le compte de Jac Holzman, boss d’Elektra. Comme Jac fait du blé avec les Doors, il cherche d’autres groupes de rock et Danny lui ramène le MC5 ET les Stooges. Danny n’en revient pas de voir Wayne Kramer danser sur scène, au Grande Ballroom de Detroit : «He was a real guitar dancer - like Fred & Ginger, him and his guitar.» Et Kramer lui recommande bien sûr les Stooges, ce qui émeut profondément Danny - In every way he was a classy guy - Et cette façon ajoute Danny qu’il avait de sourire quand tu lui adressais la parole et d’être curieux des gens. Les témoignages sont tous confondants. Ils jettent une sacrée lumière sur l’autobio. John Sinclair, Bob Mehr et Danny Fields font de Wayne Kramer un être lumineux et explorateur de frontières. Ça ne te rappelle rien ? Elvis 54, bien sûr.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             La suite de l’histoire du MC5, on la connaît par cœur. Kick Out The Jams Motherfuckers retiré des ventes suite au «Fuck Hudson» que publie le Five dans la presse, Danny Fields et le Five virés d’Elektra, le Five qui se retrouve sur Atlantic mais dans les pattes de John Laudau, un Landau qui veut transformer le Five en machine à fric et donc virer le «political shit and the avant-garde shit», alors comme John Sinclair veut maintenir le lien entre le Five et son White Panther Party, il est viré. Et c’est la fin des haricots. Back In The USA et High Time ne se vendent pas. Glou glou. Michael David et Dennis Thompson quittent le navire. Wayne Kramer tente de sauver le groupe, il monte un nouveau line-up, mais en même temps, il a le museau dans la dope. Il s’écroule comme un château de cartes - J’ai alors perdu le moyen de gagner ma vie. J’ai perdu mes amis, mon statut social, mon avenir. Je ne savais pas quoi faire pour survivre. Alors ça m’a semblé plus facile de me défoncer - Il sombre dans la délinquance, «into a mafia-backed drug operation» et atterrit au ballon - In a way, I was destined to prison - C’était son destin, yo ! Cinq piges. Ça va, c’est pas trop violent. Ça se fait sur une jambe, comme on dit.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Et c’est au ballon que sa vie va basculer, au bon sens du terme, avec une rencontre, celle de Red Rodney, un trompettiste blanc qui avait accompagné Charlie Parker. Wayne se reconstruit grâce à Red, il retrouve une identité - I was the white boy with the wah-wah - C’est le cœur battant de l’autobio. Wayne n’est plus un gangster, mais un mec dont les taulaurds apprécient la musique. Au même moment, le punk-rock explose en Angleterre. Wayne est considéré comme godfather du punk-rock, au même titre qu’Iggy. Libéré, il se retrouve embarqué dans l’épisode Gang War avec Johnny Thunders, mais il sait que ça ne peut pas marcher - You can’t be in business with active addicts, they have other priorities - Dommage. Il fait ensuite équipe avec Don Was dans Was (Not Was). Il joue sur leur premier album. On en reparle.

             Pour vivre, Wayne devient charpentier, il s’installe en Floride, puis à Nashville. Lorsque Rob Tyner casse sa pipe en bois en 1991, Wayne se réveille en sursaut. Il réunit les autres Five  pour jouer un tribute à Rob à Detroit. Puis deux ans après, Fred Sonic Smith casse lui aussi sa pipe en bois. C’est le déclic : Wayne se dit qu’il lui reste 20 ou 30 ans à vivre, alors «I better get to work making music». Et boom, il se réinstalle à Los Angeles et enregistre The Hard Stuff. Il entame sa résurrection.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Puis il va se consacrer à la postérité du MC5 - I started the band, et même si je n’ai pas su le contrôler, it was my baby - En 2002 sort un docu (The Hard Stuff: Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities) qui disparaît aussi sec, suite à une embrouille entre Wayne et les réalisateurs. Pas grave, Wayne reprend son bâton de pèlerin : il débarque à Londres au 100 Club et invite sur scène la crème de la crème du gratin dauphinois : Lemmy, Dave Vanian, Ian Astbury. Puis c’est la tournée de DTK/MC5, c’est-à-dire Davis/Thomson/Kramer, les trois survivants, avec Mark Arm au chant. Arm est fasciné par Wayne : «Wayne was great at getting people who were sympathetic.» Et il cite les noms de Lisa Kekaula et Dick Manitoba. Mais il y a des tensions parmi les survivants, ce qui attriste Wayne. Et puis voilà que Michael Davis casse sa pipe en bois en 2012. Fin du DTK. Alors Wayne monte Jail Guitar Doors USA, une association destinée à aider les taulards à s’en sortir via la guitare. Wayne fournit les grattes et les cours. Il visite des centaines de taules. Le voilà en mission. Et ça monte encore d’un cran dans la résurrection avec la naissance de son fils Francis en 2013. Il a 65 balais. Il sait maintenant pourquoi il ne s’est pas auto-détruit. Et en 2018, il sort l’autobio que salue son vieux mentor John Sinclair : «His autobiography was a tremendous work of art.» Pour les 50 ans du MC5, il monte le MC50 qu’on a pu voir à Paris, à l’Élysée, avec le mec de Zen Guerilla au chant. Puis il remonte un nouveau MC5 avec Brad Brooks (chant), Winston Watson (beurre) et Vicki Randle (bassmatic), pour enregistrer le quatrième album du MC5, cinquante ans après High Time. Il doit - ou devait - s’appeler Heavy Lifting. Mehr ne dit pas s’il va sortir un jour. C’est Bob Ezrin qui devait le produire. On y entend aussi paraît-il Vernon Reid de Living Colour, Dennis Thompson, Tom Morello et Don Was. Wayne nous dit Ezrin tentait avec cet album de re-capturer le spirit du Five. Alors on va se gratter l’os du genou en attendant des nouvelles d’Heavy Lifting. Était prévu avec la sortie d’Heavy Lifting une tournée mondiale et un nouveau book sur le Five, sous forme d’oral history. Pareil, on attend Godot. Wayne commençait à faire la promo dans la presse quand un petit cancer du pancréas l’a envoyé au tapis. Comme la vie, le MC5 ne tient qu’à un fil.

    Signé : Cazengler, MCFayot

    Dennis Thompson. Disparu le 9 mai 2024

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Bob Mehr : It wasn’t enough to play Kick Out The Jams, you had to live it. Mojo # 366 - May 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - George Soul

             Il portait le même nom qu’un célèbre tableur, Excel, l’outil préféré des esprits calculateurs et des forts en thème. Excel n’était pas calculateur, ni fort en thème, il avait d’autres défauts mais aussi des qualités. On pouvait par exemple lui faire confiance. Sauf si un disque rare traînait dans les parages. Posséder, telle était son obsession. La seule vue d’un gros cartonné US le rendait malade. Vraiment malade. Il transpirait et peinait à calmer sa respiration. Il subissait une sorte de pulsion libidinale. Chez certains hommes, la vue d’une belle paire de seins ou d’une toison ardente peut provoquer de violents troubles comportementaux : mains moites, grosse érection, passage à l’état bestial. Mais rares sont ceux qui perdent la tête à la seule vue d’une pochette de disque. De ce point de vue, Excel était un spécimen très rare, une véritable aubaine pour les scientifiques qui travaillent sur les pulsions et les dangers afférents. Alors bien sûr, nous ne trouvâmes rien de mieux pour nous distraire que de jouer à le mettre en transe. Le jeu consistait à sortir d’un sac quelques beaux cartonnés US et à les montrer rapidement. Ce jour-là, on exhiba sous ses yeux ronds comme des soucoupes quelques petites merveilles : Bettye Swann sur Capitol, l’Open Mind, Birtha, les Godz sur ESP. Excel demanda d’une voix blanche quel était leur prix. Bien sûr, ils n’étaient pas à vendre. Comme il approchait les mains, on l’acheva d’une seule phrase : «Bas les pattes ! On ne touche qu’avec les yeux !». On aurait dit que la foudre l’avait frappé et qu’un filet de fumée s’échappait de ses oreilles. Il réfléchissait comme on réfléchit dans les moments de panique pour trouver une solution, et avant qu’il n’ait pu dire un seul mot, les disques disparurent au fond du sac, anéantissant définitivement tout espoir en lui. Comme il était incapable de renoncer, il sortit son porte-monnaie et le fouilla fébrilement. Bien sûr, Excel n’avait pas un rond, à peine quelques pièces. Le spectacle fut si désolant qu’un des disques ressortit du sac. «Tiens, cadeau !». Il tenait le Birtha dans ses mains tremblantes et pleurait toutes les larmes de son corps. On n’avait encore jamais vu un homme chialer comme ça.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Les albums de George Soule n’auraient eu aucun effet sur Excel, car ce sont des CDs. Même pas la peine de lui dire à quel point George Soule est un bon, qu’il fait partie du noyau atomique de Malaco et qu’il groove comme un cake, à partir du moment où Take A Ride n’est pas un gros cartonné US, ça ne l’intéresse pas. Ah comme les gens peuvent être parfois bizarres !

             George Soule a trois cuts sur la petite compile Soulscape, Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule - Malaco Soul Brothers, dont bien sûr le fameux «Talkin’ About Love» révélatoire qui figure en bonne place dans la box Malaco. Il y tape le heavy romp de Malaco. Avec «That’s Why I’m A Man», il y va, c’est du sérieux. Comme Nino Ferrer, il voudrait être noir, il cherche la blackitude, avec une certaine réussite. 

             George Soule est l’artiste complet : il compose, bat le beurre et produit. Il a bossé pendant quarante ans avec d’énormes pointures comme Mavis Staples, Z.Z. Hill, Bobby Womack et Candi Staton. Il vit à Nashville, mais il se réinstalle à Jackson au moment où Wolf Stevenson et Tommy Couche démarrent Malaco. On pourrait presque le comparer à Dan Penn : même genre d’envergure, même qualité des compos et même passion pour la musique noire. Il a 8 ans quand son père lui offre un drum kit, puis il prend des cours de piano. Ado, il flashe sur Ray Charles et Etta James. Puis il flashe sur l’Otis Blue d’Otis. Plus tard il aura la chance de faire des backing pour Etta James, grâce à Jerry Wexler. C’est Jimmy Johnson à Muscle Shoals qui présente George à Jerry Wexler, en 1969. Wexler cherche des démos pour Judy Clay et ça tombe bien, George en a plein. Wexler les écoute. Des gens comme Wilson Pickett, Esther Phillips et Percy Sledge vont taper ses compos. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             La compile Let Me Be A Man sort sur Soulscape, un bon équivalent de Kent/Ace. Dans ses liners, John Ridley n’y va pas de main morte : «George Soule, the essence of Country Soul.» Toutes ces démos sont enregistrées à Muscle Shoals, on retrouve le fat thumping de Muscle Shoals dès «Walking On Water Over Our Heads», heavy r’n’b de Southern punch, George est un vrai white nigger, un authentique imparable. On réalise très vite qu’il est aussi est un compositeur de génie, «So Glad You Happened To Me» sonne comme un hit interplanétaire, il atteint les couches supérieures du lard fumant. «You Can’t Stop A Man In Love» bat tous les records d’énergie compositale, c’est extravagant de puissance, il atteint des sommets insoupçonnés. Wilson Pickett adorait ce Can’t Stop, mais bon, il a enregistré autre chose. George chante «Better Make Use Of What You Got» à la glotte tracassée et il lâche ensuite une bombe : «Catch Me I’m Falling», qui sera un hit pour Esther Phillips. Encore du solide groove d’excelsior avec «Let It Come Naturally». Tout est extrêmement balèze sur cette compile. Jeune, George ressemble à un jeune black. Il reste très intense dans sa façon de chanter, très déjeté de l’épaule, si black d’esprit, si dévoué à la Soul. Comme les Tempts, il entre avec «Sitting On Top Of The World» dans le territoire sacré de la Soul. «It’s Just A Matter Of Time» est exceptionnel de grandeur. Il pulse sa good time music au firmament. Il sonne comme une superstar. Il compose «Shoes» avec Don Convay pour Brook Benton. «I Can’t Stop It» est solide sur ses pattes, un vrai hit de r’n’b, même chose avec «24 Hours A Day», derrière George, ça joue énormément. Et pour finir, voilà «Poor Boy Blue», un heavy groove d’excelsior. George est un bon. Sa Soul est pure. 

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il enregistre Take A Ride en 2006. Dans ses liners, Nial Briggs le compare à Dan Penn, Spooner Oldham, Bobby Womack et George Jackson. En studio, on retrouve Greg Cartwright. Inutile de dire qu’avec ce Take A Ride, tu te retrouves une fois de plus avec un big album entre les pattes. Et ça ne traîne pas, George fait son white niggah d’entrée de jeu avec «Something Went Right», il va chercher le smooth de Malaco, c’est une véritable bombe de Soul et de spirit. George chante une Soul de crack, son «I’ll Be Your Everything» est un deepy deep d’extrême onction, il est just perfect, en plein dans l’œil de Coco Bel-œil le cyclone. Greg Cartwright gratte bien ses poux dans le morceau titre. C’est claqué tellement sec que ce take a ride entre dans la légende de l’apanage, le groove de Malaco te groove les mots, il y va le George, c’est du solide, et ce démon de Cartwright gratte à tire-larigot. George tape bien sûr son vieux «Shoes», co-écrit jadis avec Don Covay. Ce mec a tout bon, c’est bien saqué du raw, bien monté au smooth de groove. Mooove with the grooove, n’oublie jamais ça. Le Cartwright passe à la wah sur «Find The Time» qui sonne comme un groove gluant de Leon Ware. George fait encore son white niggah dans «My World Tumbles Down», il vise en permanence l’excelsior du Soul System. Son «Bent Over Backwards» sonne comme du James Carr, et dans «Come On Over», les chœurs font come on over / there’s a party going on. Cet album superbe gagne la sortie avec «A Man Can’t Be A Man». George a du son jusqu’au bout des ongles.

             Il est aussi mêlé à une sombre histoire : les compiles Casual. Sombre parce que complètement underground. On en connaît trois : Country Got Soul, volumes One & Two et le Testifying de The Country Soul Revue. Dans les trois cas, tu peux y aller les yeux fermés, car George y côtoie la crème de la crème du gratin dauphinois, Donnie Fritts, Dan Penn, Bobbie Gentry, Eddie Hinton, Tony Joe White, Jim Ford, Bonnie Bramlett et des tas d’autres luminaries. C’est de toute évidence le moyen le plus sûr de situer le niveau de George Soule : parmi les géants.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Il n’a qu’un seul cut sur Country Got Soul (Volume One) : «Get Involved». Il est à l’aise, black jusqu’au bout de la nuit, avec du heavy R&B. Sinon, cette compile grouille de puces. Avec des lascars comme Dan Penn et Donnie Fritts, c’est pas étonnant. Le Penn, tu le retrouves avec «If Love Was Money». Il sort le grand big badaboum et la voix d’ange blanc, c’est explosif de Soul, le Penn se coule dans toutes les couches de température, il pose ses couplets à plat et choisit l’éruption pour signifier sa passion de la Soul, c’est ultra-cuivré, il joue avec tes nerfs, Dan te dame le pion. Il ne Penn pas à jouir. Eddie Hinton te sonne les cloches avec «Come Running Back To You», et Donnie Fritts te groove l’oss de l’ass avec «Short End Of The Stick». C’est de la heavy frite de Fritts - They let me know/ I was at the short end of the stick/ yeah - On reste chez les poids lourds avec Tony Joe White et «Did Somebody Make A Fool Out Of You», bien gratté sous le boisseau vermoulu, et avec Travis Wammack et «You Better Move On», joli shoot de Memphis Soul-pop. Big one encore avec Delaney & Bonnie et «We Can Love», summum de la Soul blanche, et quand Bonnie entre dans la danse, alors ça groove au-delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. Coup de génie encore avec Razzy Bailey et «I Hate Hate». Il fait tout simplement «Tighteen Up». Oh et puis voilà Jim Ford avec «I’m Gonna Make You Love Me». Tu ne peux pas résister à un tel battage. C’est lui le cake de service. Oh et puis ce démon de Bobby Hatfield sonne comme un black avec «The Feeling Is Right». Fantastique swinger !

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Tu prends les mêmes et tu recommences avec Country Got Soul (Volume Two). Même si George Soule n’y est pas, tu l’écoutes quand même. Parce que Dan Penn & Chuck Prophet avec «Heavy Duty» (haut de gamme imputrescible, heavy groove d’Alabama avec un Prophet in tow qui gratte ses poux de Tele). Parce que Bonnie Bramlett et «Your Kind Of Kindness» (la reine du rodéo, la vraie, chant d’Ikette blanche). Parce que Bobbie Gentry et «Fancy» (l’autre reine du rodéo). Parce que Donnie Fritts et «Muscle Shoals» (il fait la vraie country Soul et en tombe à la renverse - There must be something in the air down there/ To make ‘em play like that - hommage sidérant aux Swampers). Parce que Jim Ford et Harlan County» (c’est lui la superstar. Power immédiat). Parce que Sandra Rhodes et «Sewed Love And Reaped The Heartache» (elle est bien dans l’esprit du Casual, la petite Sandra, elle est bien cuivrée et soutenue par des chœurs astucieux). Parce que Larry Jon Wilson et «Ohoopee River Bottomland» (il fait du Tony Joe avec une voix plus grave, c’est assez magique). Parce qu’Eric Quincy Tate et «Stonehead Blues» (les Dixie Flyers jouent sur ce cut demented tiré de leur premier album sur Cotillon).

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

             Tu reprends les mêmes et tu recommences avec The Country Soul Revue et Testifying. George y fait trois apparitions, d’abord avec «Jaguar Man» (fantastique groove de white nigger), «I’m Only Human» (encore une échappée de Soul merveilleusement belle) et «It’s Over». On recroise aussi l’excellent Larry Jon Wilson avec «Friday Night Fight At Al’s» (il va chercher le baryton qui claque). Dan Penn a deux cuts : «Chicago Afterwhile» et «Best Of My Life» (tu sais tout de suite que ça va te couler dans la manche. Dan est un doux). Deux cuts aussi pour Donnie Fritts, «Adios Amigo’s» (il fait honneur aux apanages) et «Sumpin’ Funkin’ Goin’ On» (funky booty de la frite, il groove comme un cake). Deux cuts aussi pour Tony Joe White, «Who You Gonna Hoo Doo Now», imparable, et «Drifter», qui sauve bien l’honneur des blancs du Deep South. La palme revient à Bonnie Bramlett avec «Where’s Eddie». Bonnie est aux ladies d’Amérique ce que Lanegan est aux lads : la plus grande shouteuse. Elle explose la country Soul et l’Amérique toute entière. Elle s’en va swinguer au sommet de son Ararat de power pur. Wow Lady Bonnina, lying on the bed/ Listen to the music playing in your head !

    Signé : Cazengler, tu nous soûles

    George Soule. Let Me Be A Man. Soulscape Records 2011 

    George Soule. Take A Ride. Zane Productions 2006

    Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule. Malaco Soul Brothers. Soulscape 2006

    Country Got Soul (Volume One). Casual Records 2003

    Country Got Soul (Volume Two). Casual Records 2003

    The Country Soul Revue. Testifying. Casual Records 2004

     

    *

    Attention le retour de Ghost Highway ! Pas un groupe comme les autres pour notre blogue. Et pour beaucoup de fans de la première heure. Dès notre  première livraison du  01 / 05 / 2009 consacrée à Old School et Burning Dust, Jull et Zio qui furent le noyau initial de Ghost Highway étaient présents…   Avec Alain nous assistâmes à un des tout premiers concerts de Ghost Highway au Saint-Sauveur de Ballainvilliers ( livraison 26 du 11 / 11 / 2010) formation initiale, Zio, Jull , Arno, Phil… Epoque lointaine, le rockab français est en train de vivre un second âge d’or, Ghost Highway va incarner cette renaissance, il y a le groupe certes, mais aussi la constitution d’un groupe de followers qui suit la formation dans toutes ses pérégrinations rock’n’rollesques, peu de formations en notre pays peuvent se vanter d’avoir suscité un tel mouvement, l’on suit Ghost Highway avec ferveur, car intuitivement l’on comprend que c’est une chance inespérée de survie pour le rock’n’roll en notre pays…

    Les groupes de rock sont souvent des formations cristallisatoires évaporatrices, la vie ne fait pas de cadeau, après de nombreux concerts dont un à l’Olympia en première partie d’Imelda May et deux albums le rêve s’effilochera et se terminera… laissant un goût amer dans l’âme des fans… et l’espoir insensé d’une reformation… Ces deux dernières années il y eut des rumeurs diverses, des envies, des rencontres… jusqu’à cette reformation en laquelle personne ne croyait mais que tout le monde espérait, notons l’amicale contribution de Rockabilly Generation  l’ indispensable magazine de Sergio Kazh … A la vieille garde Arno, Jull and Phil s’est ajoutée la contrebasse de Brayan

    Pour Noël, nous trouverons au pied du sapin un nouvel album de Ghost Highway, c’est bien mais c’est loin. Devant la demande pressante et l’impatience généralisée, le groupe a improvisé  une session acoustique que nous nous empressons de découvrir.

    ACOUSTIC SESSION

    GHOST HIGHWAY

    (ASO1 / 1Records Production Ghost HighwayMai 2024)

    Arno : vocal, rhythm guitar / Phil : drums / Brayan : double bass / Jull : vocal, lead guitar.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

                    Seulement sept titres. Des reprises, les surprises novatrices seront sur l’album, retour vers le passé, dans une ère que l’on pourrait nommer le proto-rock’n’roll, tous les ingrédients du rock’n’roll  sont là, en ordre dispersé,  la génération des pionniers ne tardera pas à surgir pour se saisir de toutes ces racines et les rassembler…

    Blackberry wine : j’en connais une version par Big Sandy and his Fly-rite boys, une espèce de hillbilly-jazz peu convaincant,  lorsque était paru le premier numéro de Rockabilly Generation avec Big Sandy, ne te force pas avait décrété Alain, comme je te connais Damie jamais tu n’aimeras Big Sandy, par contre là ça claque sec, l’on est projeté en une fraction de seconde en une autre dimension, les Ghosts délimitent l’espace mental de la giboulée hillbillyenne, faut avoir l’oreille partout, trois pincées d’une guitare grêle, le vocal déboule, puis s’amuse au cheval à bascule, l’est pas tout seul, toutes dix les secondes retombe la pincée de grêle, ne vous laissez pas distraire, la basse trottine comme les sabots d’un zèbre têtu, le drummin tombe pile atomique, et tous ces moments délicieux dans lesquels les guitares se lancent dans des djangleries époustouflantes, de temps en temps ricochent des cartouches de chœurs, et le morceau défile si vite que vous êtes obligé de réécouter pour comprendre les tours fulgurants de pase-passe. Cherokee boogie :  en règle générale la prudence vous conseille de vous abstenir quand vous n’avez pas Moon Mullican dans le studio pour assurer le piano - vous l’excuserez, l’avait une bonne excuse pour ne pas être présent, lui qui est né en 1909 est mort en 1967, ce morceau est sorti en 1951, sachez que Jerry Lee Lewis a toujours revendiqué ce toqueur fou aux confluences hillbilly-country-boogie comme l’une de ses principales inspirations - oui mais ils s’appellent Ghost Highway et rien ne leur fait peur, au tout début vous avez un subtil frottis vaginal de big mama et c’est parti pour la danse de Saint Guy, vous refilent cette douce quiétude, cet impressionnant sentiment de sécurité qui vous saisit alors que votre chauffeur s’est endormi au volant et que vous lui faites confiance, rien ne pourra vous arriver, les Ghosts assurent sans problème, z’ont dû capter l’âme du Mullican pour jouer avec tant de tact rythmique, le bateau tangue rapide mais tout  en douceur, tout est en place, rien de trop, rien de moins, l’univers est en ordre, un vocal qui ressemble à l’arôme qui s’élève tel un rêve de votre tasse de café au petit matin… Motus et perfecto comme disent les rockers qui n’aiment pas être dérangés lorsqu’ils ont atteint le nirvana. Burning love : combien de fois n’ai-je pas été victime de cette fièvre ardente lorsque sur scène Ghost Highway reprenait  cet hymne al amor caliente d’Elvis, oui mais là ils n’ont pas pensé à régler la douloureuse d’EDF, du coup ils le font à l’énergie écologique,  se débrouillent mieux que mieux, un vocal très preleysien qui emporte le morceau comme le chien se saisit du gigot en laissant l’os pour les invités, alors on se régale à écouter les accoups de guitares, ces sursauts de flammes hautes qui se greffent sur les tamponnements imperturbables de Phil et Brayan, méfiez-vous de ces deux-là si vous les suivez ils vous mèneront jusqu’au bout du monde, pour aller ça ira, mais retrouverez-vous le chemin pour revenir… Ne restera de vous que des cendres. Big river : Johnny Cash avec Luther Perkins et Marshall Grant dans la Mecque créatrice du rock’n’roll le Studio Sun de Memphis, les Ghosts faites gaffe, ne s’agit pas de frapper fort mais de frapper juste, que Brayan ne débraye jamais et que le Phil file au métronome, pour les fioritures de guitare confiance à Jull, quant à Arno voix de croquemort N° 4, walkez the line du début à la fin, sinon l’on vous enferme à Folsom à perpète ! Inutile de vous cotiser pour leur apporter des oranges, je confirme s’en tirent comme des chefs indiens devant Custer, sont libres même qu’ils n’ont pas eu une caution à fournir, tellement c’est bon.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Good rockin’ tonight : tiens un second Presley, l’on ne prête qu’aux riches, s’il vous plaît une piécette d’argent pour Roy Brown qui écrivit et enregistra le morceau et une autre d’or pur  pour Wynonie Harris qui le magnifia, ma pauvre Dame comment ces nègres dégénérés ont-ils pu produire de tels chef d’œuvres, que voulez-vous mon bon Monsieur, tout le monde peut faire des erreurs, même notre Seigneur, l’on était chez Sun au morceau précédent mais l’on a encore un pied dans le studio de Sam Phillips pour cette interprétation, les Ghost jouent banco bronco, se la donnent à cœur joie, chacun nous montre ce qu’il sait faire dans son coin et ils y prennent un sacré plaisir, festival instrumental dans les interstices du vocal. Cold cold heart : une voix qui tire-bouchonne mais chaque fois qu’il ouvre la bouteille de son vocal Hank Williams vous loge une balle en plein cœur, un chanteur de country, une vie de rock’n’roll star, les Ghosts ne s’y sont pas trompés le plus dur ce n’est pas l’accompagnement, mais la voix, s’y mettent en chœur, n’ont pas le chevrotement inimitable de l’agneau pris dans les barbelés mais en s’entraidant ils parviennent sans problème à apitoyer les jeunes filles au cœur tendre. Gone Gone Gone : Carl Perkins le puriste du rockabilly, en bon américain sorti de sa cambrouse il vous donne l’impression de chanter en mâchouillant son chewing gum, jamais vous n’arriverez à prononcer gone gone gone avec ce ton de chaton perdu qui miaule, oui mais à la fin il vous met le feu à la grange et la ferme brûle, les Ghosts vous le prennent un peu plus haut, un peu à la Good Rockin’ , mettent la gomme gomme gomme sur le gone, gone, gone, y vont à l’arrache-rock, question zigmuc vous avez de petites broderies guitariques  au caramel salé qui valent le détour. Vous le déclinent en octogone.

             A déguster sans modération. Sept petites merveilles, sept pépites sonores pour nous rappeler rockabilly for ever !

    Damie Chad.

     

    *

    Fujiyama Mama, vous connaissez ? Bien sûr Damie, de Wanda Jakson. Très bien, vous savez au moins un mot de japonais, je peux donc vous emmener au pays du Soleil Levant  et de La Fureur du Dragon ! Heu, Damie, Bruce Lee n’était pas particulièrement japonais. Essayez d’intuiter un peu les gars, ce n’est pas Bruce Lee qui nous intéresse mais le dragon !

    DOOM DRAGON RISING

    (Split / Doom Fujiyama / Mai 2004)

    Doom Fuliyama est un label japonais. Z’ont déjà sorti quatre albums anthologiques, sobrement intitulés Doom Fujiyiama  Volumes 1, 2, 3, 4, ornés de pochettes en noir et blanc, style manga économique produit à la chaîne qui ne vous incite guère à vous porter acheteur de la marchandise. Au bout de deux ans le staff s’est réuni et a décidé de changer son sabre de samouraï d’épaule, l’album dix titres est remplacé par un EP quatre titres, mais une pochette qui pète le feu et qui en jette un maximum, ce n’est pas le Réveil de Godzilla mais l’Eveil du Dragon du Doom, tout de suite vous sentez interpelé par les forces du mal :

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Attention, trois groupes, par ordre alphabétique : Abiuro, Green Tripe et Heteropsy.

    GREEN TRIPE  ouvre le bal avec : Bong surfing : bruits de voitures, voix off filigranée et la sorcière aux dents vertes vous sourit de toutes les dents de ses guitares, la basse en écho à la lead, le titre n’est pas mal choisi, l’est vrai que l’on est dans une espèce de surfin’ doom assez inédit, et puis y a le dégueulis du vocal qui vous saute au visage et vous embourbe les oreilles, une coulée diarrhétique qui vous empuante les tympans mais que c’est bon, et boumg plus personne, seule la basse vous fait une espèce de salto arrière assez incongru, mais le gars au micro se recolle à sa parole pourrie et c’est reparti pour une longue giclée d’imprécations purulentes, le mec dégueule toutes ses tripes sur vos pieds et vous pataugez là-dedans avec la joie d’un canard heureux de retrouver sa mare natale, les rêves ne durent qu’un temps, basse et batterie se taillent une petite bavette entre eux, cela vous permet de vous rendre compte de tout ce qui vous manque sans ce vocal, maintenant ils se concoctent un petit solo à trois, puis ils arrêtent. Pourquoi continueraient-ils à vivre puisque la voix  s’est tue ? ABIURO s’adjuge la part du dragon, deux titres. Masaki Ikuta : guitare, vocal / Yuki Tanaka : basse / Yap : drums.  Inherited : Encore une fois, tout dans la voix, serait-ce un truc typiquement japonais, en tout cas on n’écoute qu’elle, un bon accompagnement, mais lorsque vous ouvrez une huitre c’est la perle qui est dedans qui vous intéresse, mais là aussi vous avez la basse qui vient faire son numéro de trapèze volant, qui ne dure pas trop longtemps car la voix revient en grondant. Ce n’est pas de sa faute, le gars vient de se faire buter et son âme s’envole comme un papillon. Du typique qui pique cent pour cent nippon. Miasma : une facture heavy-metal davantage classique, la voix baisse d’un ton, sludge en berne, la guitare la recouvre quelque peu, des paroles un peu plus philosophiques, dans ce monde de stupre et de vices  la luminosité d’une âme trop pure rend la nuit encore plus noire, la batterie s’abat comme si l’innocence était un moucheron qu’il faut à tout prix écraser, imaginez la gentille petite âme animaliste qui souffre beaucoup. N’ayez pas peur, son chagrin est évacué en moins de trente secondes. HETEROPSY : Old friends : les cymbales giclent, la batterie tonitrue et le vocal hurle à mort, la réunion des vieux amis n’a pas l’air de se dérouler fraternellement, la guitare grince, la chasse d’eau des WC glougloute fort méchamment, la voix imite l’ogre des contes d’enfants sages, ce n’est pas tout à fait le chaos, disons le bordel pour rester poli, l’on dirait que les musicos jouent à se démarquer l’un de l’autre, et clac changement de film, ce n’est le slow de l’été mais celui de l’automne avec ses arpèges larmoyants qui vous rappellent que tout finit un jour ou l’autre, tiens le climat change encore ce coup-ci c’est le général hiver qui lance un ouragan dévastateur, portez vos mains à vos oreilles pour les protéger du méchant loup qui vous les arracherait avec plaisir. Il a réussi le bruit que votre cerveau perçoit c’est le torrent du sang qui coule de vos oreilles à gros flocons. Vous ne sentez plus rien, normal vous êtes mort. Ce n’est pas grave, le morceau est fini.

             La couleur du heavy-metal, le bruit du heavy-metal, avec cette petite différence anthropologique qui change la donne : la texture de l’élocution japonaise, même quand ils chantent en anglais, sonne différemment, z’ont au fond de leur gorge un gravier gargouilleux qui n’appartient qu’à eux, un truc atrocement suave qui l’emporte sur bien des tortures auditives occidentales. Si Octave Mirbeau était encore en vie il n’aurait pas hésité à l’inclure dans une version augmentée de son Jardin des Supplices. Ce qui est étrange c’est qu’ils semblent davantage rechercher une singularité instrumentale qu’une cohésion d’ensemble.

             Quand le dragon s’éveillera, le soleil deviendra rouge…

    Damie Chad.

     

    *

    Orphée est un des tout premiers héros grecs, mais là où la plupart d’entre eux s’honorèrent par leur vaillance physique et leurs exploits guerriers, ses seules armes furent la poésie et la musique. Son chant lui permit d’entrouvrir les portes d’ivoire et de corne de la mort et du rêve… Qu’un groupe de dark metal se soit paré de son nom ne pouvait me laisser indifférent, écoutons donc ces cadences funéraires…

    APART

    ORPHEAN PASSAGE

    (Album Digital / Bandcamp / 30- 04 -2024)

    Groupe originaire de Cape Town, Le Cap, capitale de l’Afrique du Sud. Plusieurs de ses membres font aussi partie d’autres groupes dark metal.

    Julien Bedford : basse / François Meyer : drums / Malcolm McArb : guitars / Patrick Davidson : guitars / Nicole Potgieter : claviers / Ryan Higgo : chant.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Belle couve : paysage d’eau et de brume, éléments inconsistants, que vous ne pouvez saisir ou retenir dans votre main, de même structure que les rêves et la mort… Seraient-ce les rives désolées du Styx, dans beaucoup de mythologies, notamment arthurienne, il suffit de traverser une étendue d’eau pour entrer dans le royaume immémorial de la mort…

    Prelude : ne passez pas rapidement sur cette ouverture, elle donne le la, le ton, d’une infinie tristesse, d’une langueur souveraine, d’une procession funéraire, non pas celle que l’on fait en suivant un cercueil ou en allumant un bûcher, celle que l’on parcourt à l’intérieur de soi, car la mort réside aussi bien dans les corps inanimés des cadavres que dans les pensées des vivants. A tout instant, demandez-vous si vous êtes celui qui regarde le miroir ou celui qui est dans le miroir. Adomed in midnight : souvenez-vous du titre de l’album, qui est à part, qui est séparé, cette voix bourrue, refermée sur elle-même, vous doutiez-vous avant d’être parvenu au bout du morceau que c’était elle toute seule qui prendrait en charge le muet dialogue des amants qui ne se parlent pas, mais qui parlent à l’autre depuis l’intérieur de l’autre, car le fait d’être dans l’autre est la preuve irrémédiable de cette séparation éternelle, éternelle en le sens où depuis le minuit lugubre où des lèvres se sont posées de chaque côté du miroir, tous deux ne font que reculer sans fin dans la présent de la présence de leur absence, à tel point qu’il se tait pour nous prouver que la musique continue toute seule dans une solitude effroyablement insupportable, alors il reprend la parole car il vaut mieux dire l’absence que laisser l’absence triompher. Le chant qui tue la mort n’est-il pas aussi criminel que la mort. Situation bloquée, fardeau de la culpabilité. Une dernière noté étranglée, point final qui ne veut pas finir, sur le clavier silencieux de cet oratorio magnifique.  Bereft in requiem : il est question d’inspiration, celle qui vient des Dieux, celle qui transforme la fiancée crépusculaire en un long mensonge, la musique grogne, le riff se boursouffle et il grogne comme un loup que la colère de son impuissance énerve, guitares  en piqué qui tombent, rasent et arrasent la cime des arbres, maintenant il dit ce qu’il ne faut pas dire que la mort n’est rien, que le temps est tout, car la mort peut mourir mais le temps perdu est semblable au temps gagné, tous deux sont sas repos, car le temps qui s’arrête dure encore. Ashen veil : voile de cendres, de rêves, de souvenirs emmêlés, un chemin, un long chemin de vie dans un passé qui ne veut pas mourir, qui les a conduits dans la mort, celle de l’un et celle de l’autre, car celui qui meurt tue aussi l’autre, marche crépusculaire, la batterie écrase les mottes de terre, celles du chemin et celles de la tombe, la voix se fait profonde, plus profonde qu’une fosse mortuaire, car si elle ne contient qu’un cadavre elle s’est refermée sur deux corps vivants.  The scarlet mirror : attention puisque je ne peux te donner la vie tu peux me donner la mort, il suffit de briser le miroir, qu’il devienne écarlate, cramoisi de mon sang, en saisir un éclat et se taillader les veines, l’échange du premier sang sur tes lèvres exsangues comme un premier baiser charnel, mais le miroir aux eaux glacées  retient les vols du cygne qui ne fuiront pas, il ne chantera pas son chant le plus beau au moment de mourir puisqu’il est déjà mort, le chant empli de ressentiment est aussi beau que le texte, le morceau se termine sur une musique qui s’éloigne aussi funeste que le finale de Lohengrin. Eclipse : ce n’est pas Lohengrin qui s’éloigne, c’est le rêve qui ne veut pas mourir, il suffit de s’attendre, jusqu’à la fin des temps, jusqu’à la fin des Dieux, jusqu’à la fin de la mort, car si la mort est la fin de tout elle est aussi sa propre fin, la musique le susurre longtemps jusqu’à ce que le chant s’élève, elle a préparé un tapis rouge pour accueillir le Poème afin qu’il s’unisse à la Poésie, ce n’est pas l’éclipse du soleil noir mais celle du temps effacé par l’atemporalité du Rêve, keyboard en marche nuptiale.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Wreaths for the wretched : retour à la réalité, pitié pour les misérables condamnés à vivre, le tempo adopte une ampleur inégalée, face à la réalité seule la révolte, inutile et perverse, est nécessaire, si l’homme est mortel qu’il devienne un Dieu, qu’il redonne vie à l’enfant dans le corps qui l’a porté, tout est excusable, tout est permis, puisque ceux qui sont sur les tombes sont aussi malheureux que ceux qui sont dessous. Tous coupables puisque tous innocents. Her wounds can’t be seen : dessus comme dessous, à l’intérieur comme à l’extérieur, gratter la terre du souvenir et gratter celle de la tombe jusqu’à pénétrer en ses souvenirs, jusqu’à savoir et comprendre les fragiles barrières opposées à la mort, souvenir du vivre et remembrances mortelles sont de même indissoluble matière, une même structure entrelacées dans les aitres de laquelle chacun se ménage ses minuscules refuges, ses petits mensonges, toute cette pacotille de déréliction pour faire semblant de contrecarrer l’inéluctable irréparable. La rage aux cœurs l’affrontement est inévitable. Keket : elle est la Perséphone égyptienne, celle qui permet de mesurer l’immensité de l’éternité lorsque le cadran solaire privé de soleil ne peut plus indiquer  la course du retour de l’astre solaire, si tu ne peux pas tuer la mort, il reste encore une possibilité, celle d’être la mort elle-même, se joindre à elle pour être elle, ne plus être séparé, que les chairs séparées comme celles déchirées de l’enfant Dionysos qui lui ont permis d’accéder à l’immortalité, ne dites pas que c’est impossible, puisque une fois que vous êtes mort vous ne pouvez plus mourir. Pourquoi ce clavier ou cette guitare sonnent-ils comme un tocsin, un glas funèbre et joyeux qui annonce que la mort est morte.

             L’on ne peut être qu’émerveillé par une telle réussite. Un groupe qui dès son premier enregistrement accouche d’un tel chef-d’œuvre est promis à un grand avenir. Tout est parfait dans ce disque, un lamento musical redondant qui n’est jamais répétitif mais qui vous englobe dans une espèce de suaire protecteur, un chanteur qui ne cherche jamais l’emphase et ne tente à aucun moment d’attirer l’attention sur sa voix, omniprésent mais d’une humilité évocatoire dont seuls sont capables les plus grands, de somptueux lyrics et une pochette ouverte aux aléas des rêves de ceux qui la regarderont, plus l’ombre lumineuse de la mort… Si vous trouvez mieux, prévenez-moi.

    Damie Chad.

             En attendant leur chaîne YT offre nombreuses vidéos de ce premier album enregistrées en public…

     

    *

    Le hasard fait bien les choses  mais peut-être vaudrait-il mieux incriminer les Dieux de l’ancienne Hellade. Nous venions d’achever notre chronique précédente lorsque dans le courrier je remarque, avec quelque retard, un envoi de Bandcamp signalant sur une compilation Metal la présence d’un morceau inédit de Thumos destiné à la face B De leur prochain album. Donc après le précédent Passage d’Orphée nous  voici en présence d’un dialogue de Platon relatif à la nature de la poésie.

    ION

    THUMOS

    ( Mind Over Metal VOL 1

    Cave Dweller Metal / Mai 2024)

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Goethe, le grand Goethe, mettait en doute l’attribution d’Ion, dialogue qualifié de jeunesse, à Platon. Il est inutile de nous lancer dans une polémique stérile, qu’il soit ou pas de Platon, ce dialogue consacré à l’essence de la Poésie, évoque évidemment le personnage d’Orphée même s’il est loin d’en être la référence principale.

    Notons que Thumos prévient qu’il a déjà donné en exclusivité à une précédente anthologie de Cave Dweller Metal, un précédent morceau de cette face B de leur prochain opus, Lachès que nous avons chroniqué dans notre livraison 636 du 14 / 03 / 2024. Sans vouloir préjuger du contenu du futur disque nous rappelons que Lachès est un dialogue de Platon mené par Socrate qui discute avec deux généraux athéniens d’éducation, de courage, et de guerre…  Mais il est temps de nous pencher sur l’œuvre ionique pour tenter de comprendre la lecture musicale que Thumos opère de cet ouvrage.

    Une première constatation sur laquelle je ne m’étendrai pas, dans   Platon. Œuvres Complètes de l’édition (de référence pour la France) dirigée par Luc Brisson, parue chez Flammarion en 2008 Ion est séparé de Lachès par l’ensemble des treize Lettres d’authenticité douteuse, preuve que le travail que Thumos effectue sur Platon est animé d’une certaine logique. Et même d’une logique certaine. Logos en grec.

    russ wilkins,no jazz quartet,max décharné,wayne kramer,george soule,ghost highway,doom dragon rising,orphean passage,thumos

    Dans ION Socrate interpelle Ion le rhapsode, qui se vante d’être le meilleur de tous les rhapsodes spécialisés dans la récitation des poèmes d’Homère et le meilleur de tous les commentateurs de l’illustre aède… Il déclare qu’il ne sait pas pourquoi cette supériorité ne vient pas de sa propre personne mais de la Muse, comprendre de la Divinité qui a inspiré Homère. Socrate explique que l’inspiration agit comme un aimant qui transmet  son aimantation à un anneau de fer (Homère) qui à son tour la communique à un autre anneau de fer (Ion) qui à son tour la confère à un autre anneau de fer que représente le public subjugué par la beauté du texte homérique… Ion ne peut que remercier Socrate de son explication qui fait de lui un réceptacle et un transmetteur du souffle divin.

    Je me permets de vous adresser un petit conseil, si par hasard vous rencontriez Socrate, avec ce diable d’homme l’on ne sait jamais, et qu’il reconnaît en vous d’inestimables qualités, méfiez-vous, il ne va pas tarder à reprendre de l’hémisphère gauche de son cerveau ce dont son hémisphère droit vous a gratifié. Certes les récitations de notre rhapsode sont empreintes de beauté, mais sont-elles justes ? D’ailleurs les Lettres sont précédées d’un minuscule dialogue qui n’est manifestement pas de Platon, même s’il lui a été attribué, intitulé Sur le Juste

    Ainsi si Ion récite un passage dans lequel Homère parle de course de char, qui sera le plus à même de juger de la justesse de ce passage : un guerrier meneur de char ou Ion lui-même ? Le malheureux est obligé de répondre que les critiques ou les éloges d’un cocher professionnel seront supérieures à ses propres jugements. Socrate s’amuse à plusieurs reprises à faire admettre à Ion qu’il laissera systématiquement l’avantage à un ‘’spécialiste’’ suite à l’examen de plusieurs situation décrites par Homère. Une manière pour Socrate de sous-entendre que si déjà Homère a commis quelques erreurs dans ses descriptions, notre poëte et à fortiori un rhapsode qui récite ses textes, n’ont qu’imparfaitement retransmis l’inspiration divine. 

    Socrate laisse une petite chance à Ion : y aurait-il seulement un sujet sur lequel il serait  à même de posséder une compétence qui le mettrait à égalité avec les ‘’ spécialistes’’ de la question. A la grande surprise des lecteurs Ion revendique une totale adéquation entre son jugement des choses militaires et le savoir des plus grands stratèges. Se reportant aux  évocations des nombreux combats et multiples batailles qu’Homère décrit dans l’Illiade et l’Odyssée, Socrate se demande pourquoi Ion n’a pas été choisi par la cité athénienne pour diriger ses troupes lors des guerres qu’elle a l’habitude de mener…   Quand Ion se rend ridicule en décrétant que l’art du Rhapsode est égal à l’art du Stratège, Socrate enfonce le clou en affirmant que si Ion ne veut pas être un menteur, il vaut mieux  le considérer comme un homme divin  puisqu’il transmet par son art les poèmes d’Homère qui fut un homme divin puisque inspiré par la Muse…

    Certes le lecteur moderne goûtera le sel de l’ironie socratique mais il pourra aussi s’interroger sur l’étrange proximité établie par Ion (et Platon) de la poésie avec la guerre.  Comme si le schème de l’aimantation des anneaux de fer pouvait se résumer ainsi : les Dieux / la Poésie / la Guerre / les Hommes… Une juste vision très agonique (et nietzschéenne) de la Grèce Antique…

    ION : le morceau ne dépasse pas les quatre minutes, une orchestration que je qualifierais de serrée, un peu comme quand vous fermez avec force votre bouche pour réfréner une envie de rire incoercible, un rythme joyeux, nous sommes loin de cette idée de gravité et de sérieux que suscite communément le nom de Platon, peut-être faut-il discerner, trahie par la basse et les roulements de la batterie, l’indication que ce qui est en jeu dans ce recueil serait beaucoup plus sérieux que ne le laisserait accroire cette sensation de légèreté dégagée par la première moitié de ce titre, ne survient-il pas d’ailleurs une accélération drummique comme pour rappeler que l’on parle des Dieux, mais que signifie cette disparition sonore au profit d’un bourdonnement de mouche dont on ne sait si elle monte vers les demeures olympiennes ou descend vers l’incohérence théorique des êtres humains. Brutale amplification instrumentale, le rythme ralentit pour reprendre aussitôt, une effusion lyrique transparaît sans doute pour nous mettre en mémoire que le rire est aussi l’apanage des Immortels. Une espèce de coup de gong final, la plaisanterie humaine aurait-elle duré trop longtemps ?

    Damie Chad.