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elvis presley - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 688 : KR'TNT ! 688 : ALICIA F / ELVIS PRESLEY / A PLACE TO BURY STRANGERS / DEAN WAREHAM / TYRONE DAVIS / BLAINE BALEY / CONTINUUM

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 688

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 05 / 2025

     

    ALICIA F / ELVIS PRESLEY

    A PLACE TO BURY STRANGERS

    DEAN WAREHAM / TYRONE DAVIS

    BLAINE BAILEY / CONTINUUM

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 688

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - Alicia au pays des merveilles

    (Part Two)

             C’est par pure anglophilie que l’avenir du rock lia voici vingt ans son destin à celui d’une Anglaise. Comme elle avait grandi en France, elle parlait très bien le français et ne conservait de ses racines qu’un léger accent, à l’opposé de Jane Birkin. Elle était en plus physiquement parfaite, auréolée d’une crinière châtain clair, et le délicieux ovale de son visage était comme serti d’yeux d’un bleu tellement clair qu’il semblait transparent. L’avenir du rock adorait se noyer dans son regard. Comme en plus elle vivait de son intelligence littéraire, elle ne fit aucune opposition à ce qu’on la surnommât Baby Brain. Elle avait encore de la famille à Cannes et dans le Kent. Les voyages étaient donc fréquents. Étant tous deux stériles, Baby Brain et l’avenir du rock se virent contraints d’adopter des animaux. Elle ramena un jour un beau lapin blanc aux yeux roses, vêtu d’une redingote et d’un chapeau claque. L’animal sortait continuellement sa montre à gousset et s’écriait : «I’m late! I’m late!», ce qui amusait beaucoup l’avenir du rock. Celui-ci finit par baptiser l’étrange animal White Rabbit en hommage à l’Airplane. Un autre jour, Baby Brain ramena un chat grimaçant qu’elle appelait the Cheshire Cat. L’avenir du rock ne l’aimait pas trop, mais Baby Brain eut raison de ses réticences en lui expliquant que le Cheshire Cat avait appartenu à la Duchesse...

             — Norma-Jean Wofford ?

             — Yeah ! Diddy Wah Diddy !

             Et ils se mirent à jerker sur le Diddley Beat avec le lapin blanc et le Cheshire Cat dans leur grande et belle maison située sur le bord du fleuve. Baby Brain ramena ensuite d’autres animaux, toujours plus fantastiques, Bill the Lizard, que l’avenir du rock baptisa Lizard King en hommage à Jimbo, puis elle lui présenta un curieux animal en forme de canard, aussi haut qu’elle, brandissant une canne à pommeau et doté d’un bec singulièrement tarabiscoté. L’avenir du rock s’interloqua :

             — Bon, là Baby Brain, tu dérailles... C’est quoi ce machin-là ?

             — Un dodo !

             — Bon d’accord, mais il sort d’où ton dodo ?

             — D’Alice au Pays des Merveilles !

             — Désolé Baby Brain, je préfère Alicia au Pays des Merveilles.

     

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             C’était pas gagné : jouer dans un pub irlando-caennais un soir de match de foot, voilà qui ressemblait à un pari perdu d’avance. L’endroit est une sorte de long couloir large d’environ dix mètres, avec au fond, le bar et la fucking télé murale, et au milieu, t’as une petite scène qui avec sa rambarde, prend des allures de pont de bateau. Tu y accèdes par quelques marches. C’est là sur cette petite scène qu’Alicia, Tony Marlow, Amine et Gérald vont pendant trois fois une heure batailler avec la pire des indifférences. Deux univers qui se côtoient mais ne se croisent pas. Et pourtant, sur scène, ça joue !

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             Bien sûr, les gens ne savent pas qui est Tony Marlow. Une poignée d’amis de Tony sont venus assister au show et c’est cette poignée de gens qui va constituer le public du groupe. Dommage, car le groupe dégage une énergie considérable et taille bien sa route, les cuts sont fantastiquement en place, ça démarre en trombe avec les Ramones, puis ça passera par les Runaways, Alice Cooper, Black Sabbath, le Fought The Law des Clash, et même le «Wanna Be Your Dog» des Stooges dans le troisième set, mais attention, leur version tape en plein dans l’œil du cyclope, car Tony y prend un solo incroyablement original, complètement stoogé dans l’essence, et Gérald claque lui aussi un break-beat de powerhouse à faire baver d’envie Scott ‘Rock Action’ Asheton. Ce «Wanna Be Your Dog» spectaculaire couronne un set riche en grosses surprises.

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             Alicia mène bien la meute. Elle sort tout le chien de sa chienne pour driver ce groupe qui tourne comme une Rolls. Eh oui, Gérald battait le beurre dans les Jones et tous ceux qui ont vu Tony Marlow sur scène connaissent Amine, le slappeur fou. Et tous les ceusses qui connaissent ses albums savent que Tony Marlow compte parmi les meilleurs guitaristes de rock/rockab contemporains.

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             Alicia ramène un sucre de Soul dans sa voix qui renvoie à celui de Ronnie Spector ou de Diana Ross au temps des Supremes, autant dire que ça swingue merveilleusement. Mais elle opte plus pour les classiques glam et punk. C’est elle nous dit Tony qui choisit les cuts. Elle va injecter son énergie punk aux trois sets sans jamais baisser de régime. Quand arrive le troisième set, le match de foot est fini et le groupe récupère quelques spectateurs supplémentaires. Alors, le groupe tire l’overdrive, avec notamment cet hommage à Marc Z, «Skydog Forever», monté sur un riff de Tony qu’il faut bien qualifier de diabolique. Cet hommage se trouve d’ailleurs sur le premier album d’Alicia, Welcome To My F... World. Ça sonne comme un classique. Alicia pousse le bouchon Skydog assez loin, puisqu’elle s’est fait tatouer le logo Skydog à l’arrière de la cuisse.

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             Elle est en tournée pour la parution de son deuxième album, Sans Détour. Elle boucle le set avec la cover punk d’Edith Piaf qui se trouve sur l’album, «Non Je Ne Regrette Rien». C’est extrêmement bien foutu, très bon esprit, tapé en mode up-tempo, riffé à la Steve Jones, ça file sous le vent, pure magie, t’as Piaf et les Pistols. Tony fond sur Piaf comme l’aigle sur la belette et Alicia se fout du passé ! Cette merveille que tu retrouves sur l’album te renvoie aussi à ce que fit Joey Ramone avec «What A Wonderful World». Et là tu dis bravo, car ça tape encore une fois en plein dans l’œil du cyclope. Toutes les covers du set sont bonnes, tout sonne incroyablement juste, et les cuts du nouvel album passent tous comme des lettres à la poste. Alicia reste ultra-concentrée dans ses parties chant, mais elle se laisse aller lors des solos, car s’il est un mec qui sait électriser un cut avec un killer solo flash, c’est bien Tony Marlow. Là t’as tout : le cut et l’argent du cut.

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             Avec la grosse attaque d’«Abortion», Alicia tape en plein punk 77. Ça ne tient que par l’énergie punk. Puis elle passe en mode trash avec «La Vie Est Une Pute» - la vie est une pute qui t’uppercute - et Tony passe un solo de no way out. Avec ses attaques en heavy drum-beat, Gérald vole le show sur «Cielo Drive Love Song» et «Baltringue». Voilà ce qu’on appelle des attaques en règle, et c’est vite repris en main par Tony et Alicia. Un Tony qui passe encore un solo écœurant de classe sur «Teenager In Grief», et ça rebascule dans l’Hey Ho des Ramones avec «Love Is Like A Switchblade». Les cuts sont enrichis à outrance, ça ruisselle de gimmicking, de back-beat et de basslines. Il faut aussi saluer ce «Joe Merrick» monté sur un beat revanchard, vraiment battu à la diable, gorgé de démesure, il faut voir comme c’est troussé ! Alicia n’a plus qu’à se laisser porter. L’album se termine sur la cover de Piaf, Alicia repart à zéro, on assiste à un incroyable hold-up, Gérald te bat ça comme le ferait Paul Cook, ça joue à l’extrême power. 

    Signé : Cazengler, Aliscié

    Alicia F. Pub O’Donnell. Caen (14). 11 avril 2025

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    Alicia F. Sans Détour. La Face Cachée 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu

    (Part Five)

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             S’il est un auteur qu’il faut saluer jusqu’à terre, c’est bien Peter Guralnick. S’installer dans le confort des 1 200 pages qu’il consacre à Elvis, c’est s’installer dans le fin du fin, pour des heures et des jours. Guralnick dispose d’un pouvoir d’évocation tellement puissant que Sam et Elvis, les héros de cette somme, deviennent aussi tangibles que Robert De Niro et Harvey Keitel dans Mean Streets, aussi palpables que Kris Kristofferson et Christopher Walken dans Gates Of Heaven, que Patrick Deweare et Gérard Depardieu dans Les Valseuses. Oui, Guralnick réussit ce prodige évocatif, mot à mot, page à page. On assiste à la résurrection d’Elvis comme d’autres assistèrent à celle du Christ. Guralnick s’obnubile tellement sur Elvis qu’il en oublie d’évoquer les collègues du calibre de Johnny Cash, Jerry Lee ou Carl Perkins. Guralnick mène là un authentique travail de bénédictin de la samaritaine, il reconstitue un à un de grands pans de vie, nous installe dans Graceland pour participer aux fêtes d’anniversaires, à Las Vegas pour la piste aux étoiles, et souvent dans la chambre d’Elvis pour le voir butiner la gueuse en toute innocence. Si on aime assez le rock pour lire certains livres, alors Last Train To Memphis - The Rise Of Elvis Presley et Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley sont deux passages obligés. Deux immenses classiques. De l’ordre de Gone With The Wind, avec tout le souffle, tout le pathos et tout le génie panoramique qu’on puisse imaginer. Comptez environ deux mois de lecture, au rythme de deux ou trois heures par jour. Il est des passages si beaux qu’ils coupent non pas le souffle, mais le rythme de lecture. Il faut y revenir pour soupeser l’impact émotionnel. Guralnick ne nous parle que de ça, d’émotion.

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             Il existe en fait quatre figures de proue dans cette saga mythologique : Elvis, Sam, et puis bien sûr le Colonel et l’argent. Dans un premier temps, Sam et Elvis sont indissociables, puis très vite le trio Elvis/Colonel/Dollar prend le pouvoir et ce, jusqu’à la fin tragique de l’histoire. Guralnick ne s’y trompe pas. Sam Phillips apparaît dès les premières pages comme un personnage révolutionnaire : comme Uncle Sam voit que personne n’a la moindre considération pour les artistes nègres, il décide de prendre le taureau par les cornes : «I set up a studio just to make records with some of those GREAT Negro artists !» C’est pour pouvoir les enregistrer qu’il monte son studio. Sam s’intéresse surtout à la musique que diffuse son ami Dewey Phillips à la radio. Il est essentiel de savoir qu’on apprécie Sam pour sa grande indépendance d’esprit - I was shooting for that damn row that hadn’t been plowed - Oui, il voulait labourer ces terres que personne n’avait encore labourées. Il travaillait dix-huit heures par jour, pourtant il ne roulait pas sur l’or. Il devait en outre encaisser les sarcasmes des blancs croisés dans la rue et qui insinuaient qu’à force de fréquenter des nègres, il n’allait pas sentir très bon. Mais Sam avançait, avec sa foi de charbonnier et son regard clair.

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    (Peter Guralnick & Sam Phillps)

             Guralnick fait très vite d’Elvis une sorte de saint homme, incapable du moindre mal. Ses parents sont très pauvres. Vernon Presley : «Poor we were. But trash we weren’t.» Et Vernon ajoute que les Presley n’ont jamais médit de personne - We never put anybody down. Neither did Elvis.

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             Voilà la clé d’Elvis. Sa bonté d’âme intrinsèque. Dans les premiers temps, Sam voit très bien qu’Elvis a du potentiel. Son coup de génie est de comprendre qu’il doit l’aider à le matérialiser. Sam va loin dans l’approche qu’il fait du caractère d’Elvis : «Elvis Presley may not have been able to verbalize it, and he damn sure had an appreciation for the total spirituality of the human existence. That was what he cared about.» Le constat que fait Sam va loin : il voit en Elvis un être extrêmement pur et c’est ce qui va le rendre tellement unique. Sa beauté et sa voix viennent en plus comme la cerise sur le gâtö. Sam voit d’abord l’extraordinaire qualité spirituelle de cet homme. Mais c’est une spiritualité qu’Elvis ne sait pas exprimer. Les premiers journalistes qui approchent ce jeune débutant ne comprennent pas bien sa courtoisie à toute épreuve. Le mec du Billboard pense qu’Elvis doit être soit incroyablement smart, soit con comme une bite (dumb as hell), et il ajoute qu’en fait, il est très loin d’être con (and you know he wasn’t dumb), alors c’est dans la poche. Elvis va bâtir tout son environnement relationnel sur la base d’un respect mutuel. Et très vite, Elvis croit qu’il doit tout à God, principalement son talent et sa réussite. Il déclarait volontiers qu’il devait être bon avec les gens, sinon God lui aurait tout repris. Logique infaillible. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il ne se fâchera jamais avec le Colonel - We’re the perfect combination - Et la raison pour laquelle il va rester loyal et disponible avec ses fans. Elvis répétait à tout bout de champ qu’il était devenu Elvis grâce à ses fans, alors il sortait tous les jours à six heures de Graceland pour signer des autographes. Même chose avec sa famille : Elvis couvrait de cadeaux ses oncles, ses tantes, ses cousins et ses potes. Des maisons, des voitures, des bijoux. Il n’a jamais cessé de prodiguer ses largesses, tel un roi de conte de fées, généreux et bienveillant.

             Avec les femmes, il recherche plus la compagnie que le sexe. Pour une poule, passer la nuit avec Elvis revenait à regarder la télé, manger et discuter, et à l’aube, on pouvait éventuellement baiser un coup.

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             L’épisode sexuel le plus stupéfiant se déroule dans la chambre d’Elvis. Priscilla et lui ne sont encore que fiancés. Elle a l’autorisation de passer la nuit avec lui, mais en toute régularité. Ils papotent toute la nuit et aux premières lueurs de l’aube, ils se roulent des pelles à gogo. Mais Priscilla crève d’envie de baiser. Elvis doit la recadrer : «Wait a minute baby. This can get out of hand.» Oui, Elvis ne veut rien précipiter. Il veut l’épouser et la baiser quand il estimera le moment venu. Ça ne l’empêche pas de passer ses nuits avec d’autres femmes, comme il le fera toute sa vie. 

     

     

     

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    ( Sam Phillips, Elvis, Marion Keisker)

             Les débuts d’Elvis chez Sam constituent le moment magique de cette saga. En fait, Sam ne connaît pas le nom de ce jeune débutant qu’il voit traîner dans les parages et qui l’intrigue. Il doit le demander à Marion Keisker. Elvis Presley ? Le nom étonne. Pour Scotty Moore, ça sonne comme un nom de science-fiction ! Sam demande à Scotty de contacter Elvis pour lui proposer une répète avant une première audition. Elle a lieu le 4 juillet 1954 chez Scotty, sur Belz. Bill Black qui habite à deux pas ramène sa stand-up. Elvis arrive au volant de sa vieille Lincoln. Il porte une chemise noire, un pantalon rose avec une bande noire sur le côté, des chaussures blanches et ses cheveux sont gominés. Bobbie Moore, la femme de Scotty, ouvre la porte et Elvis lui demande : «Is this the right place ?» La répète se passe bien et quand c’est fini, Elvis s’en va. Alors, Scotty demande à Bill ce qu’il pense du gamin. Bill n’est pas très impressionné : «Ce morveux qui débarque ici avec ses drôles de fringues et tout le bataclan ! - Snotty-nosed kid coming in here with those wild clothes and eveything.» Mais Scotty a une impression nettement plus positive. Il veut savoir ce que Bill pense vraiment de la voix du gamin. Oh, Bill ne crie pas au loup, mais bon, il y a quelque chose, I mean, but the cat can sing - Et tout part de là, the cat can sing. Eh oui, mine de rien, Elvis va devenir le plus grand chanteur de rock de tous les temps.

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             Sam va retrouver chez Elvis les traits de caractère des grands nègres du blues qui sont à la fois fiers et demandeurs. Arrive le jour de l’audition chez Sam. Entre deux essais infructueux, Bill, Scotty et Elvis s’amusent avec l’All Right Mama de Big Boy Crudup. Soudain, Elvis se met à sauter partout, alors Bill se met lui aussi à faire le con sur sa stand-up. Surpris par ce ramdam, Sam leur demande :

             — Qu’est-ce que vous fabriquez ?

             — On ne sait pas !

             — Reprenez-moi ce truc au départ, il faut que je l’enregistre !

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             Et TOUT part de là. Sam pige le truc dans l’instant. Il est même étonné de voir qu’Elvis connaît Big Boy Crudup. C’est la musique que Sam apprécie le plus et comme il le dit si bien, this is where the soul of a man nerver dies. Sam est enchanté par le son qu’amène Bill, le slap beat et le tonal beat en même temps. Sam : «Bill est l’un des plus mauvais bassistes du monde, techniquement parlant, but man, could he slap that thing !» On a là une conjonction extraordinaire : quatre hommes qui inventent rien de moins que le rock’n’roll : Elvis, Sam, Bill et Scotty. It was the chemistry. Le Grand Œuvre du rock’n’roll. Bill et Scotty sortent le son dont Sam rêvait mais qu’il ne parvenait pas à imaginer. Quand Sam leur fait ensuite écouter ce qu’ils viennent d’enregistrer, Scotty, Bill et Elvis n’en reviennent pas, it just sounded sort of raw and ragged, c’est-à-dire brut et déglingué. Mais c’est tellement nouveau qu’ils ne savent pas ce qu’ils ont mis en boîte. Something, mais quoi ? Personne n’a encore jamais entendu un son pareil. Le rockab sauvage ! Sam flippe. Il se demande s’il pourra réussir à vendre un truc aussi excitant, aussi vivant. Quand le soir-même il amène l’acetate à Dewey Phillips pour qu’il le diffuse dans son émission de radio, Dewey craque sur le champ. C’est le coup de foudre ! Dewey n’en revient pas ! Il ouvre son micro et annonce qu’il a un nouveau disque, and it’s gonna be a hit, dee-gaw, ain’t that right Myrtle - Moo font les vaches ! Et pouf ! The King is born. La conjonction magique Elvis/Sam/Scotty/Bill comprend désormais Dewey. C’est sur scène que tout va exploser, Elvis shakes his leg et c’est l’enfer sur la terre, et plus Elvis secoue les jambes et plus le public devient fou - The more I did, the wildest they went - Sam qui le voit jouer depuis le côté de la scène n’en revient pas. Quand il amène Elvis au Grand Ole Opry, Mr Denny dit à Sam qu’Elvis ne correspond pas à l’esprit plus country de l’Opry, mais il ajoute : «This boy is not bad !», ce qui vaut pour le plus austère des compliments. Bob Luman n’a encore que dix-sept ans quand il voit Elvis sur scène pour la première fois à Kilgore, au Texas : «This cat came out in red pants and a green coat and a pink shirt and socks and he had a sneer on his face and he stood behind the mike for five minutes, I’ll bet, before he made a move - Bob raconte le cat comme s’il chantait, son texte swingue - Le cat débarque sur scène en pantalon rouge, veste verte, chemise et chaussettes roses, avec un rictus au coin des lèvres et il reste là cinq minutes sans bouger - Il claque un accord sur sa guitare et pète deux cordes. Il est là, avec les cordes qui pendouillent, et il n’a encore rien fait et toutes les filles hurlent et viennent s’agglutiner au bord de la scène, alors Elvis commence à remuer les hanches doucement, comme s’il copulait avec sa guitare. Pendant que Scotty se concentre sur son jeu de guitare, Bill mâche du chewing gum et gueule go go go !

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             Elvis attaque sa série de singles Sun, sans doute les singles les plus mythiques de l’histoire du rock. Voilà «Mystery Train» dont Sam est très fier : «It was the greatest thing I ever did on Elvis.» - Train I ride/ Sixteeen coaches long - It was pure rhythm and at the end Elvis was laughing cause he didn’t think it was a take, but I’m sorry, it was a fucking masterpiece !»

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             Elvis se fait vite des ennemis chez les beaufs d’Amérique. On l’accuse d’obscénité - And who do they say is obscene ? Me ! - Elvis est profondément choqué. Car il est persuadé du contraire. Il remet les pendules à l’heure : il fait cette musique pour gagner de l’argent. Et il rappelle aussi que cette musique était là bien avant lui : «Les gens de couleur chantent et jouent cette musique depuis beaucoup plus longtemps que moi, man. Ils la jouaient bien avant que je sois né, dans leurs juke-joints et leurs cabanes et personne n’y faisait attention. Cette musique que je fais vient d’eux. Down in Tupelo, Mississippi, j’entendais le vieux Arthur Crudup bang his box comme je le fais aujourd’hui, et je me suis toujours dit que si un jour j’arrivais à sonner comme le vieil Arthur, alors je serais un music man comme on n’en a encore jamais vu !» Voilà toute la grandeur d’Elvis, cette fabuleuse simplicité et cette façon extraordinaire de rendre hommage à ses pairs, the coloured people des cabanes et des juke-joints. Et Elvis ajoute : «When I sing this rock’n’roll, my eyes won’t stay open and my legs won’t stand still. I don’t care what they say, it ain’t nasty - Aussi longtemps que je chanterai ce rock’n’roll, j’aurai les yeux fermés et je secouerai mes jambes. Je me fous de ce qu’ils disent, ça n’a rien d’obscène.»

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             Partout des foules en délire. Nous autres Européens ne pouvons imaginer ce que furent les tournées d’Elvis, une vraie traînée de poudre à travers les USA, tsssssss... Boum ! - I saw him bring the crowds to hysterics - Partout c’est le pandemonium - He ended up with ‘Hound Dog’ naturally at which point pandemonium broke loose - Guralnick n’en finit plus d’amonceler les échos des journalistes, il en fait cent pages, c’est du double concentré d’out of control, de crazy crowds, avec un Elvis en veste vert émeraude, pantalon bleu marine qui n’en finit plus de tomber sur ses genoux et de casser baraque après baraque, scary night after scary night et la foule qui n’en finit plus de grimper sur scène pour tout piller. Madness !

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             Alors le Colonel entre très vite dans la danse. Il flaire le jackpot. Il commence par se débarrasser du premier manager d’Elvis et d’un Sam Phillips qui ne l’aime pas. C’est viscéral et immédiat, dès le premier rendez-vous dans un restaurant sur Poplar. L’aversion est réciproque. Fin renard, Guralnick explique que le Colonel est un peu sentimental, mais pas du tout philosophe. Alors que Sam est un humaniste. Ils ne s’aiment pas, mais ils ont besoin l’un de l’autre. Menacé par la faillite, Sam a besoin de blé et le Colonel a ses entrées dans le business. Très vite, le Colonel cherche à se débarrasser aussi de Scotty et de Bill. Il propose qu’Elvis soit accompagné par le backing band d’Hank Snow. Catastrophe ! Il réussira aussi à se débarrasser de Leiber & Stoller qui avaient les faveurs d’Elvis. Comment ? En essayant de leur faire signer un document en blanc. On ne fait pas ce genre de coup à Leiber & Stoller. Côté Colonel, Guralnick s’en sort merveilleusement bien. On veut continuer de croire que le Colonel est une ordure, mais Guralnick parvient à lui tailler un costard sur mesure, celui d’un businessman singulièrement visionnaire. Il devient sous la plume de Guralnick le personnage clé de toute cette histoire, le mauvais génie d’Elvis Presley. Le tome deux de la saga qui raconte the unmaking d’Elvis (le déclin) lui est quasiment consacré. Tout au moins prend-il le pas sur un Elvis qui n’est plus que l’ombre de lui-même.

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             Le Colonel commence par reprendre en main la carrière de celui qu’il appelle my boy. Pour les premières tournées qu’il organise, il octroie un cachet de 200 $, ‘including the musicians’. Le Colonel pousse RCA à investir 35 000 $ dans le rachat du contrat d’Elvis à Sam. À l’époque, ça représente une somme énorme, mais tellement dérisoire en comparaison de ce qu’Elvis va rapporter au label ET au Colonel. Et c’est là que le Colonel va déployer ses ailes de vampire pour se consacrer à 100% à son poulain - The Colonel slept, ate and breathed Elvis - comme il l’avait fait auparavant pour Eddy Arnold, son précédent poulain. Pour sécuriser son investissement, le Colonel comprend très vite qu’il faut écarter tout ce qui peut présenter des risques : le sexe, le scandale, la familiarité et la perte de confiance en soi. Ça s’appelle une stratégie commerciale. Quand Bill Black fait un peu trop le con sur scène et qu’il capte l’attention du public, le Colonel le prend à part pour lui expliquer que c’est désormais interdit. Bill ne refera jamais plus le con sur scène avec Elvis. Quand le Colonel amène son poulain pour la première fois au New Frontier Hotel de Las Vegas, il demande les 8 000 $ de cachet en cash, car dit-il, les chèques ne valent rien dans cette région où l’on pratique des essais de bombes atomiques.

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             Très vite commence le travail de purification d’Elvis. Lorsqu’il passe à la télé, il porte une queue de pie et une cravate blanche. On lui interdit toute extravagance. Elvis tente de résister - You know those people in New York are not gonna change me none - Mais il finira par se faire baiser en beauté, jusqu’au 68 Comeback. Il se voit très vite contraint d’entrer dans le moule que lui bricole le Colonel. 

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             Guralnick consacre pas mal de place au business, l’apanage du Colonel. On voit comment ce stratège atrocement doué fait monter les prix et décide des priorités. Quand les disques et les tournées ne rapportent plus assez, il se tourne vers Hollywood qui devient pour Elvis ET pour lui une véritable vache à lait. Et quand le filon des films s’épuisera, le Colonel en inventera un tout neuf : Las Vegas. En parallèle, le Colonel négocie ferme avec RCA qui est propriétaire du contrat d’Elvis. Il obtient du label un revenu de 1 000 $ par semaine pendant vingt ans. RCA gagne beaucoup de blé avec Elvis : dix millions de singles sont vendus en un rien de temps. Et le cachet du premier film se monte à 250 000 $, cachet que le Colonel va s’empresser de faire grimper et qui finira par atteindre le million de dollars, du jamais vu à Hollywood. Le plus drôle de toute cette histoire, c’est que Scotty et Bill sont toujours payés 200 $ par semaine, quand ils tournent. Entre deux tournées, pas un rond et interdiction absolue d’aller jouer ailleurs. Le piège ! En plus, les frais d’hôtel et de restaurant restent à leur charge quand ils sont en tournée avec Elvis. Ils sont les deux gros baisés de l’histoire. Alors que de son côté Elvis ramasse des millions. Scotty et Bill ont des dettes, ils ont besoin d’aide et réclament surtout ce qu’ils appellent the fucking respect. Ils mettent ça dans une lettre qu’ils envoient à Elvis. Il la reçoit, la lit et s’exclame : «Aw shit !» Il voit cette lettre comme une humiliation. Il ne comprend pas qu’on puisse lui adresser des reproches. En fait, RCA voulait qu’Elvis soit accompagné par de meilleurs musiciens. Mais quand des mecs de Nashville accompagnent Elvis sur scène, ce n’est plus du tout la même chose. La magie est perdue. Elvis le sent nettement.

    Signé Cazengler, El tournevis

    Peter Guralnick. Last Train To Memphis. The Rise Of Elvis Presley. Little, Brown 1994

     

     

    L’avenir du rock

     - Bury me dead

    (Part Two)

             L’avenir du rock est ravi : il est allé Quai de la Mégisserie se payer un singe savant. L’animal s’appelle Jocko et ne mange que des bananes.

             — Alors Jocko, dis-moi, aimes-tu le rock ?

             — Buri ! Buri ! Buri !

             — Ah bah dis donc !

             — Oliver ! Oliver ! Oliver !

             L’avenir du rock n’a pas le temps d’en placer une... Jocko jacte :

             — Ackerman ! Ackerman ! Ackerman !

             — Mais tu sais tout, petit coquin !

             — Guitare !

             — Quoi guitare ?

             — Jeté guitare deuxième morceau !

             L’avenir du rock se frotte les mains. Il a vraiment fait une bonne affaire. Jocko repart de plus belle :

             — Nouille York !

             — C’est vague...

             — Brouklinne !

             — Tu connais le numéro de la rue ?

             — Def by audio !

             — Quoi def by audio ?

             — Pédale !

             — Pédale toi même !

             Croyant s’être fait insulter, l’avenir du rock jette Jocko dans sa cage de transport et le ramène chez le marchand d’animaux. Le rock et les singes savants ne font décidément pas bon ménage.

     

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             On vit A Place To Bury Strangers - c’est-à-dire Oliver Ackerman - tuer le rock l’an passé à Binic. Ce concert avait des allures de cérémonie sacrificielle. Impossible d’imaginer qu’il eût pu rééditer cet exploit ailleurs, notamment sur la petite scène du club. Eh bien si. Il peut recréer les conditions du chaos et de la fin du rock n’importe où, même dans une petite salle. 

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             Il s’y éver-tue plus qu’il ne s’y emploie. Il tue le rock à hue et à dia, dès le deuxième cut, il fait tournoyer sa silhouette dans les white lights du chaos, et sa gratte vole autour de lui, en bout de bandoulière, comme une fronde devenue folle. Il s’inscrit dans l’indescriptibilité des choses, alors tu ravales ta salive. Tuer le rock, ça veut dire tournoyer dans le chaos sonique, ça veut dire échapper aux couplets, aux refrains et aux charts, ça veut dire aller là où personne ne va, il orchestre sa vision du chaos et l’incarne, il te fait oublier jusqu’au souvenir des références, te voilà devant l’œuvre d’un visionnaire/destructeur livré à lui-même, il largue les amarres et réinvente ce qu’on appelait autrefois la colère des dieux, parce qu’on ne savait pas ce que c’était. Il se fait l’instigateur des mystères qui nous dépassent, il transforme la violence en spectacle, t’en perds ton latin et t’es bien content, ça fait du bien de perdre son latin de temps en temps, en attendant le jour où on le perdra pour de bon. Oliver Twist te donne un avant-goût de la mort qui est blanche, qui est exactement à l’image de cette lumière violentée par des coups de boutoir. Une petite gonzesse bat là-bas au fond du néant, et la vague silhouette d’un bassman hante un coin de la scène. La scène ? Non, plutôt un no man’s land perdu dans la civilisation, perdu dans la Normandie repue et cossue, un no man’s land en forme d’incongruité qu’on aurait enfoncée comme un coin dans la bien-pensance catégorielle, un no man’s land sous le feu des smartphones dernier cri qui tentent d’en sucer la substantifique moelle, un no man’s land qui se déverse aussitôt dans le torrent numérique qui court à travers le monde et dont personne ou à peu près ne se pose la question de savoir s’il a du sens. Les questions de sens font peur. Car bien sûr, le torrent numérique n’a absolument aucun sens. Ça filme pour des prunes, comme dirait Gide lorsqu’il évoque la poésie.    

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            En cet instant précis, la seule chose qui ait du sens, c’est le chaos sonique du no man’s land qui te donne une idée précise de la mort. Ou si tu préfères, la vie de la mort.

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             Et pendant que ça filme pour des prunes, Oliver Twist tue le rock. Le sacrifice dure on va dire une bonne heure. Comme l’an passé à Binic, les Bury quittent la scène pour aller œuvrer au cœur du peuple. Ça fait partie du rituel : la mort au cœur du peuple. T’entends soudain la bassline du «Death Party» du Gun Club. Vue de l’esprit ? Va-t-en savoir. Puis les Bury regagnent le no man’s land pour achever ce rituel qui finit par prendre des allures d’agonie, tellement ça n’en finit plus. Oliver

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    Twist malmène le matériel, mais ne le détruit pas, car il est en début de tournée.  Il n’a même pas cassé de guitare. Dommage. Il s’en prend aux petits stroboscopes et les fait voltiger autour de lui. Il soulève son ampli mais ne nous le jette pas sur la gueule. Dommage. Il est précautionneux dans son extrémisme. Pete Townshend, Keith Moon et Kurt Cobain allaient un peu plus loin dans l’exercice de la fonction destructrice, c’est vrai. On peut en témoigner. Oliver Twist donne sa version du chaos qui est intéressante. Il n’est encore qu’en début de carrière. Logiquement il devrait faire évoluer son rituel, aller vers plus de violence, l’extrémisme ne se nourrit que de surenchère. Il faut aller toujours plus loin dans le so far out. Oliver Twist ne peut décemment pas continuer de faire semblant. Un jour, ou peut-être une nuit, devra-t-il aller jusqu’au bout de la mort du rock. You know what I mean.

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             Bon le dernier Bury s’appelle Synthesizer, et en sous titre on pourrait imaginer lire : «Pas l’album du siècle.» Pour l’anecdote : le digi qui est ici est complètement explosé, comme si un éléphant avait marché dessus. Miraculeusement, le CD fonctionne dans le lecteur. On s’est demandé si le plastique explosé faisait partie du concept.

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             T’as trois blasters sur Synthesizer, le bien nommé «Disgust», «Bad Idea» et «It’s Too Much». «Disgust» te saute dessus et te broie la gorge. Littéralement. Oliver Bury est toujours aussi défenestrateur. Il bat la campagne comme plâtre, ça bombarde et ça taille à la serpe. T’as pas trop de mots pour décrire ce qui se passe sous le casque. Encore un blast épouvantable avec «Bad Idea». Oliver Bury travaille sa matière sonique à la forge dans les flammes de l’enfer, avec des vents terribles. «It’s Too Much» te tombe bien sur le râble. Comme t’es là pour ça, tu ne vas pas te plaindre. Et puis comme son nom l’indique, c’est saturé de trash. Mais en dehors de ces trois blasters, Oliver flirte avec la new wave. Il lui arrive de se prendre pour les Cure et tous ces bons à nib. Il recharge la barcasse d’«Have You Ever Been In Love», ça ressemble à un blast, mais tu restes prudent, vu ses accointances avec la new wave. Comme il charge trop sa barcasse, elle finit par couler. Glou glou.

             Le fin mot de l’histoire : le Bury Akerman fabrique et vend des pédales d’effets au merch. Joko ne s’était pas trompé. Sacré Jocko !

    Signé : Cazengler, complètement Bury

    A Place To Bury Strangers. Le 106. Rouen (76). 10 avril 2025

    A Place To Bury Strangers. Synthesizer. Dedstrange 2024

     

     

    Wareham câline

     - Part Two

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             Après les fastes de Galaxie 500, Dean Wareham s’embarque dans l’aventure Luna et une série d’albums qu’on peut bien qualifier d’exceptionnels. Il nous donne tous les détails dans sa superbe autobio, Black Postcards: A Memoir. Il commence par contacter Justin Harwood qui se trouve en Nouvelle Zélande et qui vient de quitter les Chills. Il était nous dit le real Dean fatigué des Chills. Il était une sorte de mec idéal : excellent bassiste, il ne fume pas, il ne boit pas. 

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             Les quatre premiers albums sortent sur Elektra, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire. Lunapark dégage encore de forts relents velvétiens. Ils sont en plein dans le Velvet dès «Anesthesia». C’est fabuleusement intrinsèque, bien dans la veine de Pale Blue Eyes. Le cut brille d’un éclat mystérieux. L’autre Velvet tune est «I Can’t Wait», pure Velvet craze en up-tempo, chanté d’une voix grave. «Slash Your Tires» se montre encore plus déterminé à vaincre. Le real Dean sait exciter les zones érogènes de la pop. D’ailleurs que fait la pop ? Elle se livre à ses doigts experts, et du coup, elle dégage des parfums toxiques. Le real Dean reste très présent, même sous le boisseau de «Crazy People», et il nous aménage l’une de ces envolées demented dont il a le secret. Sur «Smile», il suit son chant au gras double, suivi par le bassmatic dévorant de Justin Harwood. Le real Dean est un artiste passionnant, car il diversifie énormément, et chaque fois, il gratte des poux bien gras. Avec «I Want Everything», il revient à son modèle : le Lou sweet melody. Il chante dans la couenne de l’intimisme. Il fait encore bien le tour du propriétaire avec la fast pop lunaire de «Time To Quit» et refait du pur jus de Lou Reed à la perfe avec «Goodbye». Tout est assez héroïque sur cet album, tout est fantastiquement élancé et bardé de son, d’élans vitaux et de gras double.

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             Comme par hasard, Sterling Morrison vient jouer sur deux cuts de Bewitched : «Friendly Advice» et «Great Jones Street». C’est surtout sur l’Advice qu’on entend Sterling le héros - the stellar guitar playing of Sterling Morrison - Là oui, ça devient sérieux. Le cut pue la légendarité à des kilomètres à la ronde. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «This Time Around», un cut très pur, au plan mélodique. Le real Dean chante âprement et joue comme un dieu. «Going Home» est aussi assez pur, une fois de plus dans la veine de Pale Blue Eyes. Solide et bien troussé. Cet album sera le best seller de Luna, nous dit le real Dean.

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             Encore un album très Velvet : Penthouse, un Elektra de 1995. Il sonne comme le Lou sur ce «Freakin’ & Peakin’» merveilleusement amené aux deux grattes velvétiennes, c’est en plein dans le mille du Lou, il cisèle en plus un solo serpentin qui remonte dans le cerveau, et t’as comme d’usage la fin apocalyptique, il part en vrille d’excelsior catégoriel, ça te court délicieusement sur l’haricot. Le real Dean est vraiment l’héritier de Sister Ray et de tous les grands écarts du Velvet. Et t’en as encore au moins quatre qui sonnent comme une suite au Velvet, à commencer par «Chinatown», bien lunaire, bien dans le moule Velvet. Itou avec «Sideshow By The Seashore», le real Dean chante du coin du menton, bien à la Lou, en grattant des poux somptueux. Chez lui tout n’est que Lux, calme et volupté. T’as des bouquets de notes ralenties, des flammèches velvétiennes dans la normalité, avec un vent terrible qui se lève sur le tard du cut. Il essaye de devenir aussi mythique que Pere Ubu avec un «23 Minutes In Brussels» qui renvoie au «30 Seconds Over Tokyo». Même démarche unilatérale, il attaque au left my hotel in the city, et t’as le vrai poids des accords de «Sweet Jane». Il te sert encore le Lou sur un plateau d’argent avec «Lost In Space». Quelle merveille de délectation morose, et t’entends encore les accords de «Sweet Jane». Tu te régales encore de «Double Feature», battu sec avec énormément de son et une belle insistance. Et t’as le fast Luna d’«Hedgehog» - Do you care anymore - Le real Dean n’a pas froid aux yeux, il sait filer dans la nuit.  

             Le real Dean rappelle que Luna était «a much better live band than Galaxie 500.» Il dit aussi qu’ils n’emmenaient jamais de drogues en tournée - The drugs showed up when someone from the record company showed up - they were the ones who could afford to party every night - Il précise que quand on prend du LSD, on peut avaler des tas d’autres drogues sans les sentir - The acid trumps them all. It makes you superhuman - Quand on propose à Luna de faire la première partie de Lou Reed sur sa tournée Hooky Wooky, Stanley Demeski refuse d’y participer - Stanley had already opened for Lou Reed, when he was in the Feelies. He didn’t want to do it again - Lors d’un concert à Malmö, en Suède, un fan entre dans la loge et lance à Dean : «Dean! You are my heroes. I want to kiss you, while Sean fucks me in the ass... ha ! ha ! Just kidding!». Le real Dean adore ces épisodes incongrus.

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             Pup Tent s’ouvre sur un authentique coup de génie warehamien : «Ihop», fast & wild, avec des poux malingres et vinaigrés, le real Dean rentre bien dans le chou du lard, et Justin Harwood gratte une basse fuzz ! C’est absolument bardé de barda, les retours de manivelle sont d’une rare violence et au bout t’as un sax de combat. Le real Dean calme aussitôt le jeu avec «Beautiful View», il bronze sous les alizés, au bord de son lagon d’argent. Plus loin, tu vas croiser une autre merveille : «Beggar’s Bliss» et son joli refrain mélancolique de strange fascination/ It’s a bliss/ it’s a beggar’s bliss - Tu l’as dans la peau. Il trafique encore des relents du Velvet dans «Tracy I Love You», avec une slide et de la reverb sur le beat pressé. Il ramène de la fuzz dans «Whispers» et combine une belle explosion à la Sterling Morrison, c’est littéralement saturé de Méricourt, le son est crade à gogo, can you hear the whisper, il faut écouter le real Dean si on s’intéresse à la Méricourt car il en est l’un des experts. Ses fins de cuts comptent parmi les plus belles apocalypses de l’histoire du rock. «The Creep» démarre l’air de rien, mais le real Dean te gratte les raisins de la colère, et ça donne un festival d’accords en folie, le temps d’une pointe to the very last time. Et voici le coup du lapin : «Fuzzy Wuzzy» et l’incroyable santé des guitares, ça frôle le glam et le real Dean y va au I could see you Fuzzy Wuzzy/ Say goodbye to the frogs, c’est fascinant car ça se barre en plein délire Velvétien.

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             Sur The Days Of Our Nights, on retrouve le fameux «Superfreaky Memories» qui fit les choux gras de la pop indépendante au temps jadis. C’est tellement profondément mélodique que ça glisse dans l’intemporalité. Le real Dean décroche enfin son hit marmoréen. L’autre coup de génie de l’album est le «Dear Diary» d’ouverture de bal qu’il chante à la Lou, au timbre distinctif. Pas de danger qu’on le confonde avec un autre. Et t’as toujours le bassmatic voyageur de Justin Harwood dans le lard fumant. Cette grande pop voyage véritablement par dessus les toits. Il est aussi très Lou sur «Hello Little One». Oh l’incroyable qualité du mimétisme ! Tout ce qu’il entreprend est de qualité supérieure, chant, solos. Il fait sonner son solo de carillon dans l’écho du temps et il imagine en plus des développements de dernière minute ! Sur «Seven Steps To Satan», il part en solo mirobolant, et ça devient extrêmement diabolique. Sa pop racée est constamment visitée par des vents d’Ouest, «Math Wiz» reste vivant, alerte, aéré, il joue même les arpèges du diable. D’une certaine façon, le real Dean prolonge le génie mélodique du Lou. Il orne encore «The Rustler» d’un final en forme de Gorgone sonique, avec des serpents mirifiques qui fuient en tous sens. Et son «US Out Of My Pants» bascule dans la Mad Psychedelia ! Par contre, il commet la grave erreur de finir avec une cover de Guns N’ Roses, «Sweet Child O’ Mine». N’importe quoi.

             Il évoque d’ailleurs cette cover pourrie dans son book : «Justin ne voulait pas qu’on l’enregistre. He hated Guns N’ Roses. I didn’t like them, either, but it’s a great song. I am of the opinion that a bunch of pigs can occasionally write a beautiful song together. Oasis dit it, too with ‘Wonderwall’.»

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             Alors forcément, un Live de Luna ne peut que te sonner les cloches. D’autant que c’est globalement un hommage au Velvet : «Friendly Advice» est en plein dedans, embarqué au bassmatic Velvetic, le pah pah pah est du pur Velvet sixties. Le real Dean chante encore comme le Lou dans «4000 Days». Quel mimétisme ! Et t’as en prime la tempête de wah et le bassmatic en folie de Justin Harwood. Le real Dean reste dans le Lou avec «Hello Little One». Il crée sa magie dans le prolongement exact du Lou, avec cette fois la trompette du diable et une explosion de poux sulfureux. Pur Velvet encore avec «Lost In Space», il se barre en vrille d’extrême clarté disto, c’est incroyable de violence sonique ! On reste dans l’ombre du Velvet avec «23 Minutes In Brussels», le real Dean est en plein délire de résurrection du Velvet, avec toute la violence intrinsèque de revienzy dont il est capable. Et tu crois entendre Lou Reed sur «4th of July». Le real Dean est en plein dedans ! Il faut aussi saluer «Sideshow By The Seashore», cette pure folie de fondu sublime et sa belle attaque de riffs psyché. C’est rien de dire que le real Dean dispose de ressources naturelles inépuisables. Tout est plein comme un œuf sur ce Live, avec le plus souvent un final en forme de maelström. Et voilà la cerise sur le gâtö : «Bonnie & Clyde». D’où l’intérêt de tout écouter. Cet hommage à Gainsbarre relève du mythe, d’autant plus que le real Dean le chante en français, «écoutééz l’histoière de Bonnie & Clyde» et bien sûr Britta vient faire sa Bonnie, «il faut croière que cé la sociétéé», avec l’accent US. Tu nages en plein bonheur et ça se barre en solace d’excelsior, puisque le real Dean te gratte des poux exacerbés. Wow ! Il te rocke le boat du mythe !

             Justin Harwood finit par quitter Luna. Ils songent à cette petite gonzesse qui jouait de la basse avec Ben Lee, Britta Phillips. Elle vient passer l’audition et ça marche. Le real Dean prévient les deux autres, Lee et Sean : «Listen, no hanky-panky. If anyone gets involved with her, they’re out of the band.» Évidemment c’est lui, le real Dean qui va craquer pour Britta et garder le secret aussi longtemps qu’il le pourra. 

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               Encore un très bel album avec une pochette ratée : Romantica. Bel album parce que «Black Champagne» et «Renee Is Crying», deux Beautiful Songs émérites, avec deux mélodies chant parfaites. Le real Dean soigne les cervelles de ses fans, il vise en permanence la perfection mélodique issue de Lou Reed et il gratte des poux qui se distordent dans le crépuscule, alors tu sors ton plus bel accent anglais pour dire : «Awsome !». Il les amène toutes les deux au ton de proximité et ça devient extrêmement tentaculaire. Dès que le real Dean ramène sa fraise avec «Lovedust», ça prend du sens, car il sonne comme Lou Reed. La pop de «Weird & Weezy» prend vite le dessus, magnifiée par les deux guitares. Quel power Lunatic ! Tout est embarqué dans l’une de ces cavalcades dont le real Dean a le secret. Encore un coup de génie avec «Black Postcards» (qui est aussi le titre de son autobio). C’est le genre de cut qui vient se bercer dans ton giron. Good old real Dean ! C’est bardé de Velvet, avec un balancement extraordinaire, et une mélodie intégrée dans la couenne du lard. Tu ne battras jamais le real Dean à la course. Il mène encore une belle opération de charme avec «Mermaid Eyes», toujours dans l’esprit de Lou Reed. Quelle ampleur ! Il est le roi de la permanence. Il retente le coup de la pop magique avec «Rememories», il y est presque, et il replonge dans le Lou Reed spirit avec «Orange Peel». Il termine avec son morceau titre et va puiser pour ce faire dans ses profondeurs. Encore un Luna final, une apothéose absolue. C’est son truc.      

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                Belle pochette sexy pour ce Rendezvous de 2004. Elle se tient dans l’ombre, la coquine. Le real Dean sonne vraiment comme Lou Reed sur «Malibu Love Nest». Il reste bien sous le boisseau du Lou, avec ce balladif en fast tempo. Il gratte des gros poux bien gras et c’est d’une élégance suprême. Il reste dans la même veine avec «Cindy Tastes Of Barbecue». Il se rapproche même de plus en plus de Lou Reed, dans l’intimisme et la clarté de clairette. Le real Dean est un artiste fascinant, et il finit comme toujours en beauté. Il reste dans l’esprit pur et dur avec «Speedbumps», il travaille ça à la folie, il est décidément increvable. Pure merveille encore que ce «The Out & The Pussycat». Il ramène un beau climax et groove dans le doux du doom. Quelle délectation ! Il chante toujours avec un petit côté rassurant. Après tant d’années, il s’amuse encore à fabriquer des chansons avec la même matière. La petite pop-rock de «Buffalo Boots» n’est pas sans charme. Il déploie tous ses fastes de clairette pénultième, ça joue au défonce-moi baby, ça devient même assez wild. Puis il retourne au mystère avec «Rainbow Babe» et te balance ça : «Two and two makes twenty two, Rainbow Babe.» T’es pas forcé d’être d’accord.         

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             A Sentimental Education est un album de covers, doublé d’un mini-album d’instros. Dans les covers, tu retrouves l’excellente cover du «Most Of The Time» de Bob Dylan et là tu dis oui. Le real Dean te chante ça au deepy deep et c’est puissant. L’autre grosse poissecaille de l’Éducation Sentimentale est la cover du «Car Wash Hair» de Mercury Rev. Il y a même Jonathan Donahue et Grasshopper sur le coup. C’est un hit underground d’obédience faramineuse, ça joue dans l’exemplarité d’un monde sublime et les grattes partent bien en vrille. Le choix des autres covers n’est pas jojo : le «Fire In Cairo» de Cure, le «Gin» Willie Loco Alexander, il tape même dans le «Friends» de Doug Yule qui n’est pas très Velvet, un Fleetwood Mac («One Together»), un Yes (mais si !) («Sweetness»), un Jagger/Richards tout pourri («Walking Thru’ The Sleepy City»), et un Willy DeVille. Enfin bref, tu sors de là très déçu.

             Puis d’un commun accord, Luna décide d’arrêter les frais - It was time. We would disband - Ils n’annonceront la nouvelle qu’après la sortie de Rendezvous. Ignacio, un ami espagnol, dit au real Dean au cours d’une interview : «I am glad that Luna is breaking up. You don’t want to turn into the Flamin’ Groovies. It’s time for a new beginning.»

    Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Luna. Lunapark. Elektra 1992

    Luna. Bewitched. Elektra 1993

    Luna. Penthouse. Elektra 1995       

    Luna. Pup Tent. Elektra 1997        

    Luna. The Days Of Our Nights. Jericho 1999   

    Luna. Live. Arena Rock 2001         

    Luna. Romantica. Jetset Records 2002    

    Luna. Rendezvous. Jetset Records 2004            

    Luna. A Sentimental Education. Double Feature Records 2017

     

    Inside the goldmine

    - Tyrone n’est pas un tyran

             Si Tyrone n’était pas un tyran, Tyzoar l’était. La maisonnée subissait le joug de ce gros géniteur affublé d’un triple menton. Comme tous les autocrates et tous les despotes à la petite semaine, il n’était préoccupé que d’une seule chose : son nombril, et accessoirement, le vermicelle qui chez lui faisait office de bite. Il dictait ses ordres. Passe-moi le sel. Ferme ta gueule. Il siégeait chaque soir au bout de la grande table de la salle à manger et imposait le silence, pour pouvoir suivre le journal télévisé. Cette putain de téloche trônait dans l’axe de la grande table et déversait son torrent de poison médiatique. On était en pleine guerre du Vietnam. Les «repas de famille» tournaient au cauchemar. Interdiction bien sûr de quitter la table avant la fin du repas et la fin du journal télévisé. Fermez vos gueules. Après, il fallait aller se coucher et extinction des feux à 21 h, pour ne pas «dépenser d’électricité». Tyzoar restait au salon et se faisait tripoter le vermicelle par cette pute qu’il avait ramassée dans un bar de la côte et qu’il avait ramenée avec sa marmaille pour remplacer l’épouse qu’il avait répudiée pour cause disait-il «de frigidité». Ce mélange de lubricité et d’obscurantisme attaquait nos adolescences comme l’acide attaque le métal. On subissait ça au quotidien. Chaque jour on rentrait du lycée en se demandant ce qui allait nous tomber sur la gueule. Car bien sûr, la pute qu’il avait ramassée nous haïssait, et elle allait se plaindre en permanence auprès de Tyzoar : «Il n’a pas fait son lit !», «Il cache des revues sous son matelas !», «Il m’a mal répondu», alors Tyzoar nous convoquait dans son bureau, il demandait des comptes et comme on n’avait pas le droit de parler, on gardait le regard fixé au sol en attendant le premier coup qui ne tardait jamais. Bing ! «Alors tu caches des revues sous ton matelas ?» Bong ! «Alors tu parles mal à Jacquotte ?» Bang ! Pour quitter cet enfer, nous envisageâmes sérieusement de nous suicider.

     

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             Tyrone arrive dans cette chronique comme une bouffée d’air frais. Il chasse le souvenir de l’abominable Tyzoar.

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             En 1967, Carl Davis monte Dakar Records - ‘Da’ from Davis and ‘Car’ from Carl - Pour éviter la confusion avec Decca, il remplace le ‘c’ par un ‘k’. C’est là qu’il s’installe dans les anciens locaux de Vee-Jay. Il démarre avec Shirley Karol et Major Lance, puis il lance l’ancien chauffeur de B.B. King et ancien road manager d’Harold Burrage, Tyrone Fettson. Carl n’aime pas le nom de Fettson. Alors Tyrone demande s’il peut utiliser le nom de Carl et devient Tyrone Davis. En 1968, Tyrone Davis décroche un hit avec «Can I Change My Mind». Et comme Carl n’a pas les reins assez solides pour lancer Tyrone Davis, il passe un deal avec Jerry Wexler chez Atlantic - Tyrone was Dakar’s flagship as long as we ran the label.

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             «Can I Change My Mind» donne son titre au premier album de Tyrone. Il a du mal à percer les blindages, c’est pourquoi il opte pour le soft groove du Chi Sound. Il le brosse dans le sens du poil. L’autre grosse poissecaille de ce premier album est la cover du «She’s Looking Good» de Wilson Pickett - Lookin’ so good mama - Il y flirte avec le power de Clarence Carter. Il fait une autre cover, cette fois complètement ralentie de «Kock On Wood». En B, «Open The Door To Your Heart» confirme la tendance : c’est dans le soft groove qu’il est bon, sacrément bon. Son «Call On Me» s’axe sur un tiguili funky suavement trompetté à Jericho. Il tape encore dans le Staxy Staxa d’Eddie Floyd et Steve Cropper avec «Just The One I’ve Been Looking For». Il s’y adonne avec une ferveur de satin.

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             T’as trois authentiques coups de génie sur Turn Back The Hands Of Time, un Dakar de 1970 : le morceau titre (que reprendra Pat Todd avec ses mighty Rankoutsiders - ce Hand of time est une véritable Motownisation des choses de Chi, Tyrone jette toutes ses forces dans la bataille du Black Power, oh darling et tu assistes à l’envol considérable de l’ooooh baby), «Let Me Back In» (il est incroyablement détendu du gland, à la fraîche de Bertrand Blier, ah quelle classe et quelle liberté de ton, c’est invraisemblable de groovytude), et «Love Bones», un wild r’n’b de popotin, Tyrone est un véritable seigneur des annales, et c’est achevé à coups de baryton de lôv bôn ! Il faut aussi saluer «The Waiting Was Not In Vain», un groove de big time co-signé Carl Davis et Eugene Record. Il finit sa B des anges avec un «I’ll Keep Going Back» à la Sam Cooke, il fait sonner son I wanna leave you comme l’I was born by the river

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             Encore un Dakar d’enfer avec Without You In My Life. T’es hooké dès la pochette, et le costard rouge que porte Tyrone. Il fait du slow rumble d’heavy popotin et mélange le Stax et le Chi («There It Is»), tape bien l’incruste dans le gros popotin (morceau titre), il se rapproche encore de Sam Cooke avec «You Wouldn’t Believe», puis fait un festival de Soul des jours heureux avec «I Had It All The Time». En B, il tape une cover de l’«I Got A Sure Thing» de Booker T, encore du haut vol de haut rang, heavy Chi Sound rampant. Il reste dans son péché mignon (le gros popotin) avec «If You Had A Change In Mind», il enchaîne avec une évidence, «True Love Is Hard To Find», eh oui, tu ne trouves pas le True love comme ça, sous le sabot d’un cheval, et il finit avec une belle énormité, «Honey You Are My Sunshine», montée sur un bassmatic bien rond. 

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             I Had It All The Time pourrait bien être l’un de ses meilleurs albums. Tu retrouves le morceau titre au bout de la B, ce big drive de Chi Sound cuivré de frais et tu le vois se développer en heavy rumble de basse. Et là tu te dis que t’as pas fini de flasher sur Tyrone ! Trois autres coups de génie : «Your Love Keeps Haunting Me» (tu sens bien la pulpe du Chi Sound, en motion at the junction, et puis t’as cette ouverture considérable), «How Could I Forget You» (fantastique shoot de Soul des jours heureux, il peut t’enchanter vite fait, le Tyrone) et «After All This Time». Il campe sur ses positions, il creuse son lit, il ramone le Chi Sound. Il a exactement la même classe qu’Eugene Record, comme le montre «Was I Just A Fool». Le producteur Willie Henderson tortille des nappes de violons et crée de l’atonalité. Avec le Chi Sound, ça repart toujours du bon pied. Incroyable vélocité de la véracité («Come & Get This Ring») !  

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             Pochette plus romantique pour It’s All In The Game. Ce Dakar de 1973 est encore un very big album, avec notamment cette cover océanique de Burt, «I Wake Up Crying», Tyrone œuvre ici un peu à la manière d’Isaac le Prophète, bien étendu dans la durée, avec une gratte-fouine qui rôde partout et quelques trompettes de Jéricho, coco. Retour au solide popotin avec «I Can’t Make It Without You», prod de Willie Hendereon, belle tranche de Chi Sound bien claquée du beignet, ce joli shoot de mid-tempo flirte avec l’up-tempo. Encore de la viande en B avec «You Don’t Have To Beg Me To Stay», Tyrone creuse son Chi avec force et talent, oooh baby. Back to the popotin avec «What Goes Up (Must Come Down)» de fantastique allure, et vient à la suite la grosse machine de «There’s Got To Be An Answer», Tyrone fais la loco, il a le beat à sa pogne, fucking great artist ! Il est vraiment le roi de la Soul des jours heureux.   

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             Home Wrecker est une sorte de Best Of. On y retrouve tous les gros hits d’antan, à commencer par «After All This Time», «How Could I Forget You» et «Was I Just A Fool» tirés d’I Had It All The Time. Tyrone semble régner sur la ville - Look at the teardrops in my eyes - C’est un artiste passionnant, pressant et capable de suavité à la fois, et puis il tortille son Just a Fool dans les vagues de chaleur, il vibre le son dans l’effet, comme le fait parfois Eugene Records avec les Chi-Lites. Son morceau titre est flagrant de popotinage, et «This Time» bat bien des records de Soul sophistiquée. On retrouve aussi sur cet album sa cover de l’«I Got A Sure Thing»» de Booker T, et on le voit plus loin passer en force, comme le fait Edwin Starr, sur «A Woman Needs To Be Loved». Mais c’est avec «How Could I Forget You» qu’il rafle vraiment la mise, cette belle Soul des jours heureux, t’en peux plus de bonheur, Tyrone s’ouvre à l’univers tout entier, il donne du volume, il gonfle les voiles du Dakar.

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             Son dernier Dakar s’appelle Turning Point. Belle pochette. Le popotin du morceau titre tourne au coup de génie - It’s the turning point/ In my life/ Lawd Lawd - Voilà du vrai popotin de boisseau, un chef-d’œuvre de finesse et de groove. Le reste de l’album est un peu faiblard, mais Tyrone a du tirant.

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             C’est encore à Kent que revient le privilège de pondre une compile de Tyrone Davis, The Tyrone Davis Story. «One Way Ticket To Nowhere» sonne un peu comme l’«I Was Made To Love Her» de Little Stevie Wonder. Même éclat et même énergie. Encore une belle énormité avec «I Wish It Was Me» et son «Afeter All This Time» vaut tout le Stax et tout le Motown du monde. Tyrone sonne comme un inexorable. Et voilà qu’il sonne encore comme les Supremes dans «I Had It All The Time», c’est étonnant de qualité, avec des chœurs de rêve. On retrouve en B l’imparable «Turn Back The Hands Of Time». Il fait les Miracles à lui tout seul avec une grâce infinie. Il reste dans l’esprit de Motown avec «Have You Ever Wondered Why» et il montre encore qu’il a de la suite dans les idées avec «There’s Got To Be An Answer», et son «Keep Me Hangin’ On» est franchement glorieux.

    Signé : Cazengler, Tyran d’eau

    Tyrone Davis. I Can Change My Mind. Dakar 1969 

    Tyrone Davis. Turn Back The Hands Of Time. Dakar 1970  

    Tyrone Davis.  Without You In My Life. Dakar 1972  

    Tyrone Davis. I Had It All The Time. Dakar 1972 

    Tyrone Davis. It’s All In The Game. Dakar 1973  

    Tyrone Davis. Home Wrecker. Dakar 1974 

    Tyrone Davis. Turning Point. Dakar 1975  

    Tyrone Davis. The Tyrone Davis Story. Kent/Ace Records 1985

     

    *

             Toujours des surprises sur Western AF.  Aucune idée préconçue, avec ses cheveux longs, je ne sais si l’individu au centre de la scène, son chapeau  lui cache une partie du visage, est une fille ou un garçon, oui mais il y a ce flux de guitare qui me vrille le cerveau, un son tellement accompli que l’étonnement me saisit, mais ce n’est pas du country, Western AF briserait-il ses propres codes, et puis ce mec sur ma droite ressemble à un indien, pas d’affolement Damie, tu remets au début et tu écoutes, zieute bien, pour les oreilles pas de problème, c’est un nectar suprême qui les visite.

    WESTERN AF  / FULL PERFORMANCE

    BLAINE BALEY

    (YT / Avril 2025)

             La session est enregistrée au Cain’s Ballroom de Tulsa. Ancien garage construit en 1924, transformé en 1930 par Daddy Cain en Cain Dance Academy.  Tulsa est une cité de 700 000 et plus habitants, située au nord-est de l’Oklahoma dont le nom est tiré de deux mots indiens : okla et homa qui signifient ! Homme Rouge.

    Sont quatre sur la scène qui ne mérite en rien le qualificatif d’exigüe, tout au fond un visage pâle à la batterie, blond comme un beau gosse il arbore même une croix chrétienne, à droite un peau rouge, n’est plus tout jeune, sur son visage l’on peut trouver tous les tomahawks qu’il a déterrés sur les sentiers de son existence, à gauche assis derrière sa pedal steel, un beau meuble, me rappelle la pose pleine de patience et de sagesse de ma grand-mère à sa machine à coudre, encore un beau mec, je dirais un white man, brun, mais cela n’a guère d’importance, ce qu’il faut regarder chez les individus c’est la couleur intérieure, je ne donne pas leur nom car je ne les ai trouvés nulle part, enfin au centre, à la guitare électrique, Blaine Baley 

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    Cigarettes and roses : : il chante un truc inintéressant, mais primordial, la ballade de la dernière chance, celle du gars qui a fait la connerie de sa vie, non il n’a tué personne, s’est simplement disputé avec sa copine, l’a claqué la porte, l’est parti sans oublier sa guitare, elle, elle ne fait jamais la tronche, mais il regrette, il revient sa dernière clope au bec et un bouquet de roses, l’avait pas un dollar de plus pour ramener davantage… les gars ne faites pas semblant de vous essuyer les yeux dans les rideaux, retenez aussi vos hurlements de rite, faut écouter, l’histoire n’est pas terminée, il ne rajoute pas un mot, c’est le son terne, dépassé, de sa voix, et la musique, cette guitare et les trois autres qui amplifient au carré, au cube, à la puissance quatre percutante, le poids de la misère humaine qui vous tombe dessus, nous voici prisonniers de notre propre incapacité humainoïdes predatorii à surmonter nos propres insuffisances. Toute une critique sociale métaphysique aussi, l’esclave qui tourne sa meule tout en sachant très bien que rien ne s’améliorera jamais. T-Shirt : quoi de plus inoffensif qu’un T-shirt, celui de Blaine porte uns inscription : Merchess Indian Sauvage, en tout cas la rythmique trotte comme un appaloosa, tiens aujourd’hui,  Blaine sort de la réserve dans laquelle les offensés et les humiliés se tiennent habituellement cois, lance des mots aigus comme des flèches, la bonne conscience blanche qui s’en vient porter consolation aux malheureux indiens il y crache dessus, les indiens n’étaient pas une civilisation de sauvages, incapables de s’adapter à la modernité blanche, qui auraient encore besoin d’aide et de compréhension,  imprime ma gueule sur un T-shirt pour gagner du fric, ne serait-ce que pour récolter des subsides pour les aides sociales, toi qu’on a exilé d’Europe et qui as pris nos terres, n’oublie que le combat n’est pas terminé. Tu as promis et tu n’as rien tenu. L’esprit indien persiste. Loblolly Pines : (les pins loblolly exhalent une

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    saveur de romarin) : est-ce parce que Blaine a déclaré dans le morceau précédent qu’il n’y a pas de violon cherokee que la pedal Steel est abandonnée au profit du violon, le rythme est échevelé, cette fois-ci Blaine chevauche au grand galop, en vérité il fonce en voiture en pleine nature, et surtout contre lui-même, se reproche tous ses errements passés, il comprend que sa famille est sa vraie richesse et qu’il doit devenir un exemple pour son fils, les indiens (ils ne sont pas les seuls) sont dans l’ensemble assez traditionalistes, moraline rouge certes, l’on pense aussi au mouvement des white re-borns dans les années quatre-vingt-dix aux USA, l’orchestration effrénée est certes séduisante, mais ce repli vers les valeurs religieuses conservatrices ne me convainc guère. Likes of me : quelle intro mélodramatique, le tambour tape fort et les guitares étincellent, deux histoires qui se contredisent, l’est poursuivi par une fille – dans ces cas-là je me laisse facilement rattraper surtout si elle belle, intelligente, gentille et très riche, j’arrête de plaisanter, c’est lui qu’elle veut et pas moi, l’a son aura d’artiste et lui ses scrupules religieux, les Evangrilles en Enfer le taraudent, vous avez les paroles et vous continuez à écouter because la guitare est de toute beauté, pauvres de nous, c’est un indien, l’est rempli de ruses, les épines de ses ruses ce sont ses mots, tireur d’élite, pour vous endormir la pedal steal vous envoie sa marmelade, mais la voix lente et fatiguée vous promène en longe, il ne le dit pas, mais il nous en persuade, l’est aussi fautif que l’apprenti pêcheresse, mais ce n’est ni de sa responsabilité à lui ou à elle, c’est le destin. Personne n’y peut rien, ni lui, ni elle. Une force plus puissante que les Le Christ peut agoniser sur sa croix tant qu’il veut, les êtres humains se débattent et se chauffent avec un bois bien plus odorant et plus brûlant.

             J’ai voulu en savoir plus. Alors j’ai su davantage. Blaine BaiIley n’est pas l’étoile montante du country. La chance l’a favorisé, sa chanson Cigarettes and Roses a été remarquée par les producteurs de la série Reservation Dog, n’ayant pas de télé j’ignorais jusqu’à son existence. J’avais bien entendu Reservation Dog par ci par là, j’en avais hâtivement (et bêtement) conclu que c’était une série policière particulièrement violente. Dans ma tête je confondais avec Reservoir Dog de Tarentino. Ce n’est même pas un western. Mais c’est rempli d’indiens. Donc une série américaine confiée à un autochtone et à un native, un Séminole, et un Maori. La série raconte les rêves et les aventures de quatre adolescents d’une quinzaine d’années qui rêvent de se rendre en Californie du Nord pour échapper à une vie sans envergure dans la réserve Creek de la nation Muscogee in Oklahoma. Il y eut trois saisons 2021, 2022, 2023. Je ne critiquerai pas parce que je n’ai pas vu, Wikipedia affirme que c’est drôle et subtil et que cela a contribué à  faire tomber les clichés sur les Natives Américain… Je me méfie…

    Bill Blaine a sorti son premier album en 2021.

    LOST CITY

    (Mai 2021)

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    Belle pochette typiquement indienne. Un titre d’album qui pue le cowboy à plein tube. La pluie tombe. Métaphore pluvieuse. L’indien a mis sa tenue de cérémonie. Ou son masque de carnaval. Choisissez, la plupart du temps l’on est ce que l’on est dans sa tête. Dans Sa tombe aussi. Parfois l’on est forcé d’enfiler ses habits du dimanche. Ou de revêtir ses effets  de guerre. C’est un beau costume pour mourir. Parfois aussi l’on est déjà mort, mais l’on ne s’en aperçoit pas. Comme ça il nous reste à continuer à vivre.

    Rain : tiens il pleut comme sur la pochette, mais ce n’est pas la véritable surprise, malédiction Blaine s’est contenté d’une guitare acoustique, ne dites pas c’est une erreur, c’est lorsqu’ils ont eu des Winchesters que les Indiens ont pu se défendre, oui mais la guitare sèche ça pétille aussi sec qu’un feu de bois, il joue bien, le bougre rouge. Remonte jusqu’au blues, sur lequel il rajoute les traits de feu de ses flèches, l’a la voix qui gémit un peu, un glapissement de coyote qui dans la nuit paraît plus tendre, l’est aux racines de la grande musique américaine, raconte ses difficultés à joindre mots et rythmiques, il ne suffit pas de savoir jouer il faut aussi dire, trouver les mots, avec sa voix qui rebondit il trouve le chemin, les cordes grésillent et lorsque sa voix se tait tout nous manque, mais il reste encore la magie de sa présence. Et le sel de son absence. Il ose encore parler d’échec, de solitude, de désespoir, d’agonie et de mort. Cigarettes and roses : diable sans l’électricité les roses qu’il va offrir à sa copine, elles vont scintiller comme la guirlande de Noël rangée au fond de son carton pour l’année prochaine, elle va les lui rejeter en pleine gueule, ben non elle va y enfouir son visage dedans, le bouquet a perdu ses étincelles mais quelle saveur, quel parfum, celui d’un authentique désespoir porté par cette voix, il s’arrache les mots de la bouche comme des joyaux resplendissants de poëte. Quant à la guitare elle suit, elle balaie le plancher pour que la belle ne se salisse point ses pieds dans la poussière du quotidien. Elle nous joue la parade nuptiale du désir qui marche vers sa propre rencontre. Merveilleux. Poker : changement d’ambiance, la poésie et le désir cèdent le pas à l’argent, à la violence, à la peur, un véritable western – moderne parce qu’ils sont en voiture – l’histoire mille fois racontée des apprentis demi-sel engagés dans une partie dont ils ne maîtrisent pas les règles, n’y a plus qu’à se renverser dans son fauteuil et choisir sa chaîne, ce qui est bien c’est qu’elles racontent la même séquence, vous pouvez suivre la voix superbe mais je crois que la guitare est encore plus violente, plus enlevée, plus brutale, davantage dans l’action et en couleur, le vocal porteur d’angoisse , en noir et blanc. Expressionniste en quelque sorte. Church bells : une musique enjouée et en même temps très blues, par contre rien à voir avec du gospel, malgré le titre, la voix traine, elle raconte une tranche de l’histoire de l’Amérique, partagée entre le vice et la vertu, cette dernière étant entendue comme un démenti de la réalité, le mauvais garçon revient chez lui, en retard pour pouvoir se rendre à la messe avec sa maman et sa  famille, pour le vin de messe pas de problème l’est déjà bituré à mort, l’a aussi engrossé la fille du pasteur, faut qu’il lui parle pour qu’elle lui pardonne… promesse d’ivrogne, un exemple parfait de l’âme indienne contemporaine écartelée entre le dieu des blancs, entre le bien et le mal et le déroulement d’une survie de débrouille et de renoncement obligée de constater que le paradis est pavé de mauvaises intentions. Partage d’une âme blessée par la vie et lui-même. Les deux moitiés de l’orange pourries. Hitman : un shoot de guitare sèche en intro et la voix fatiguée qui reprend le flambeau. Une espèce d’auto-confession, un autoportrait de l’artiste en vieux chien sans concession. Le mauvais côté, le tueur, l’homme qui n’hésite pas, qui ne se fait aucune illusion sur lui-même et qui s’en vante, une voix d’assassin presque plaintive mais aussi tranchante que le couteau de cette guitare qu’il vous enfonce entre les côtes. Je ne crois pas qu’il existe un morceau de blues porteur d’une telle froideur, d’un tel détachement, d’une telle violence dirigée autant vers le monde qu’envers soi-même. Country blues au sens étymologique des deux termes de l’expression. Un chef d’œuvre.  Overlooking eye : retour au country, ce sourire désabusé que l’on offre aux autres et à soi-même, l’on n’est pas spécialement fier de soi-même mais l’on tient à ses rêves, la guitare pétille, un véritable feu de joie, la voix conte une autre histoire celle de l’échec, l’on est entre les deux postulations, on cherche de l’or, on trouve de l’os, leur valeur ne vaut que celle qu’on leur accorde. Une subtile philosophie de la vie, l’important est de continuer, l’on ne vit que le rêve de son existence. Pimpin’ ain’t easy : une fable, nous restons dans veine sympathique du country qui vous présente comme du pur sucre candy le dur sel de l’amertume de la vie, pour une fois Blaine  fait preuve d’une voix joyeuse, il raconte l’histoire d’un chanteur parti de rien qui étape après étape construit une carrière ascensionnelle. Côté pile. Quand on regarde en face le côté face, c’est beaucoup moins reluisant. L’on ne fait pas exactement ce que l’on veut. L’entourage vous encourage. Un peu moins de rage et davantage d’argent. Tout nage pour le mieux ! Prostitution mentale et sociale. Sans concession. Likes of me : toujours cette magie de la guitare sèche, bien sûr toujours cette stéréo, cette voix sans effet qui vous fait briller les mots d’une façon incroyable, inimitable, mais cette guitare, normalement elle devrait commencer par se répéter, par devenir monotone, pourquoi pas ennuyeuse, ben non, tour à tour elle creuse des abysses et vous édifie des montagnes,  elle ne vous surprend pas, elle se contente de prouver à chaque note que c’est ainsi qu’elle doit être jouée et non autrement, et vous ne pouvez qu’acquiescer. Wheathering : la brillance du succès et le regard de votre âme qui se prend pour Dieu même si c’est peut-être le contraire, quoi qu’il en soit une terrible partition entre le soi que l’on voudrait être et celui que l’on n’est pas. Profitons-en pour jeter quelques méchancetés sur ceux qui vous critiquent, qu’ils s’occupent d’eux-mêmes, Blaine semble se réconcilier avec lui-même, une guitare éclatée et un vocal plus affirmé, la pluie tombe toujours, que chacun s’arrange comme il veut, comme il peut avec elle, comme il pleut, la vie vous sculpte et vous polit, vous n’y pouvez rien, vous pouvez tout. Blaine n’est ni meilleur ni pire que les autres. A prendre ou à laisser.

             Neuf titres, et pas un seul à rejeter. Cet album est une parfaite réussite.

    Blaine Baley vous estabousie. Aucun effet. Aucun truc. Aucune facilité. Une guitare, une voix. Deux mondes. Le sien. Et le vôtre. Qui du coup vous semble plus terne. Blaine a retrouvé la confluence perdue entre le blues et le country, il a remonté jusqu’au  point de divergence des eaux, et se tient en ce point d’équilibre parfait où tous les contraires affluent et s’annihilent. Un chef-d’œuvre.

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    (Not on Label / Mars 2024)

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             De loin la couve ne paye pas de mine, simpliste et rudimentaire, de près l’on s’aperçoit qu’elle n’est pas si simple qu’elle en a l’air, d’abord le fond rouge éclatant, pas de plus évidente manière d’annoncer sa couleur, un chapeau plat de cowboy mais surmonté d’une plume, et sur le rebord ces quatre petits signes mystérieux  qui vous incitent à penser au Led Zeppe, fausse piste, il s’agit de lettres issues de l’alphabet syllabique Cherokee qui reprennent le titre de l’album. Home le paysage qui apparaît dans les verres des lunettes nous aide à comprendre que si être chez soi est le but, c’est la longue route qui mène à lui qui lui donne son prix.

    Band : Blaine Bailey / Richard Wood / Jace Walker /Additional Musicians : Johnny Mullennax /Tony Spatz, / Kendal Osbourne / Andrew Bair /  Hank Early ; Aucune précision quant aux instruments.

    Don’t waste time : ne perdons pas de temps, cet album n’est pas le double du précédent, ce n’est pas encore le tout électrique de Western AF mais l’on s’en rapproche, l’électricité rallonge le fil, le tempo est lent , il est nécessaire de donner à chaque instrument le temps de s’exprimer, normalement vu la scène de rupture, règlement de compte à OK Darling, les mots et les injures devraient fuser de partout, non toujours le même ton, mise au point sans se presser,  la voix est fluide, time is on my side, méfions-nous, l’on est loin de deux épidermes qui se sont croisés, trois petits tours et puis s’en vont, une différence quasi-ontologique entre deux êtres, ce qui affleure, c’est une grande violence contenue. Il vaut mieux s’arrêter ainsi. Cette discussion pourrait mal tourner. The deep end : la même chose côté soleil. Le rythme balance, le grand fossé est comblé, le pauvre semi-cherokee a su saisir sa chance, la guitare s’enflamme, c’est le moment de dire merci, d’avouer sa réconciliation avec la joie de vivre. Amour et gratitude. Colorado soil : le bonheur de l’un n’efface pas le malheur des autres, plongée dans le blues, l’histoire de Roby qui a su s’en sortir, s’enfuir de da réserve, qui a atteint le pays où l’herbe est plus verte, et qui retourne chez les Cherockees, all the good is gone quand il ne reste plus que la méthadone. Une tranche de vie. Une tronche de vide. Pas d’enjoliveurs sur la carcasse humaine. La musique coule comme de l’eau tiède, celle que dans la Bible le Seigneur recrache. D’ailleurs il n’est pas là dans la chanson. Finally gone : oui il est bien parti, ne vous raconte pas son histoire, vous chante un poème surréaliste, avec les intrus qui klaxonnent dans tous les coins, l’a traversé tous les délires, l’est revenu chez sa mère, mais il s’en fout, l’a tout connu, tout vu, tout pris en plein dans la troche, un feu d’artifice musical, et une explosion poétique, l’est comme Rimbaud-Cherokee, toutes les expériences, tous les débordements, toutes les galères, désormais il est dans le pays d’où l’on revient jamais, tant il éclipse tous les autres. Tant pis pour sa pauvre mère. Lucky AS a 7 : n’est pas tout à fait revenu notre Lucky le chanceux, oui il a été sauvé par une fille peut-être seulement parce qu’il était Lucky le Chanceux et malgré tout ce qu’il lui en a fait voir, ils sont toujours ensemble, preuve qu’il s’est Lucky le Chanceux, le gars s’en tire  bien, mais pourquoi la musique s’incline-t-elle vers le blues, sous le kaléidoscope des paroles y aurait-il quelque chose de plus noir, de plus implacable que le destin, de quelle couleur est-il cet ange que le Seigneur lui a envoyé. T-shirt : avoir parcouru le monde et se souvenir de qui l’on est, cette version est plus triomphale que celle de Western AF, un peu comme tout ce qu’il côtoyé entre temps avait un peu relativisé la partition de l’homme rouge, un peu comme s’il comprenait que tous les hommes portent en eux le même sang rouge. City blues : blues urbain, davantage d’électricité, moins de misère, davantage de désespoir, l’est parti à la poursuite de ses rêves, ne les a pas rattrapés, il voulait changer le monde, le résultat est pitoyable tout ce qu’il a réussi à faire bouger, c’est lui, mais en pire. C’est un peu Rimbaud qui revient à Marseille avec une jambe en moins. Lui ce n’est guère mieux l’a perdu ses illusions en lui et aussi envers les autres. Loblolly pines : après le blues du désespoir voici le boogie de l’espoir, sur la route du retour, tout vous semble beau, c’est au-dessus de l’abîme que l’on se raccroche à ce que vous pouvez, par exemple à la branche pourrie (cet adjectif est de moi) de la religion, en tout cas le morceau regorge d’optimisme. Attention c’est en bois de pin que l’on construit le cercueil de ses illusions. Home again : enfin le voici chez lui. Chez lui, sa mère et ses sœurs l’accueillent, l’est content. Revient aussi sur ses illusions. La terre natale et la famille. Valeurs traditionnelles. Le territoire de la tribu originelle réduit à sa portion congrue.

             L’on a hâte d’écouter son prochain album. Blaine Baley est un superbe compositeur, un super guitariste et un fabuleux lyricist. Son évolution future nous interroge. Nous sommes certains qu’il nous surprendra.

    Damie Chad.

     

    *

            Me suis levé la tête pleine d’idées étranges. Je ne savais pas ce que je voulais. Pour être franc, je ne l’ignorais pas. Un truc tordu qui me traversait la tête. N’exagérons point, pas un rêve irréalisable, restons dans le concret, par exemple trouver une chose impossible pour la simple et bonne raison que ça n’a jamais existé. Je ne vous fais pas languir davantage, tiens par exemple écrire une kronic sur un groupe de rock français métaphysique. J’ai tapé les cinq derniers mots de la phrase précédente sur Bandcamp, en moins de cinq secondes, j’avais trouvé. Ne me restait plus qu’à me mettre au travail. Quelle lourde tâche !

    REVOLUTION METAPHYSIQUE

    CONTINUUM

    ( Bandcamp / Album Numérique / Mai 2019)

             Groupe de Nice. Je cherche quelques photos, tombe pile sur la bibliothèque de la ville qui d’entrée sur son entrée affiche quatre groupes locaux, Carpe Diem en premier. C’est bien, mais ils ont dû se rappeler qu’ils devaient présenter avant tout des livres. Donc à part ces quatre heureux élus qui se battent en duel, plus rien. Pas de panique ils ont un FB, onglet photos, pas grand- chose. La principale étant déjà sur le bandcamp. Attention, une de rabe : le logo d’une émission de Metal local, nommée 1000 Décibels sur Agora Côte d’Azur. Je cours, je vole, et je ne triomphe pas, un dernier post daté de mars 2021 m’indique qu’ils viennent de se faire jeter sans préavis… Agora, ag’aura pas !

             Bon l’on se contentera de la seule photo sur Bandcamp. Chance : on les voit tous : Cony Derenty : vocal / Aieevok  : basse ( shs’s the girl) / Tony : guitares  / Xavier Bosher : guitar solo / Guillauùe Morero : drums (il porte une queue de cheval).

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             Z’ont sorti cinq albums et un EP, dont deux artefacts, leurs premiers enregistrements ont été couverts dans les revues et les blogues metal d’éloges.

             Révolution Métaphysique qui est leur dernier album bénéficie d’une belle couve. Sombre et mystérieuse à souhait. Une procession, pas tout à fait un défilé protestataire même si flotte un drapeau, bicolore, au hasard le noir et le rouge, sont-ils si nombreux que cela, une quarantaine au grand maximum, en fin de manif l’on reconnaît la chevelure blonde d’Aieevok, l’ensemble semble prêt à s’engouffrer dans une ouverture, une espèce de grotte en haut de laquelle se dessinent deux voûtes de pierre sanglantes, ça ressemble un peu à un palais buccal, cela nous autorise-t-il à nommer cette béance bouche d’ombre… Des anneaux de fer encadrent le dessin. Seraient-ils les symboles d’une chaîne à briser.

             Prenons le temps de nous interroger sur le nom du groupe. Incidemment, ils ne sont pas les seuls à avoir choisi ce nom. Notamment en France, un groupe de jeunes gens actifs entre 1980 et 1981, dont l’un d’entre eux semble-t-il a passé l’arme à gauche…

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    Ouverture : intro totalement déroutante, comme tout prélude qui se respecte on attend un instrumental, un ambianceur qui vous donne le la, le ton de ce qui va suivre. Donc une intro chantée, pas tout à fait, la première scène d’une pièce de théâtre, si vocalement surjouée que l’on se demande si nous sommes dans une comédie ou une tragédie.  Question musique nous sommes dans un drame, mais lorsque l’on a écouté à plusieurs reprises pour être certain de ce que l’on a entendu… certes cette récitation à la Cyrano de Bergerac interprété par un mauvais acteur casse tous les codes du metal fût-il qualifié de prog… ces paroles nous poussent à entrevoir le sens d’une toute autre manière que celle dans laquelle nous poussait l’interprétation de la pochette. C’est que le mot révolution a deux sens, celui d’un soulèvement populaire et celui de rotation, par exemple celle de la Terre autour du Soleil. Sans être allé plus loin l’on pourrait en déduire que l’âme humaine est soumise après notre mort à un retour dans la réalité sans cesse réitérée. Quête du vrai : mettons les choses en ordre. Le chant n’a aucun rapport avec un phrasé rock, quel que soit le sens ou la modulation que l’on puisse accorder à cette expression. Rien à voir non plus avec la chanson française, ni avec la variété. Ce n’est pas non plus du lyrique, nous sommes à des kilomètres de l’opéra. Essayons de tenter une description positive, un ton déclamatoire – rien à voir avec Racine et Corneille tels qu’on les récite à la Comédie française, à la limite du Molière, imaginez les médicastres de son époque avec leur chapeau noir pointu se rengorgeant en donnant un cours de médicamentation à un bourgeois ébahi, le ton haut et roucoulant. Mais c’est à un cours de métaphysique que nous assistons. Une vision très grecque en somme, le mouvement éternel des planètes, ce n’est pas pour rien qu’on leur a attribué des noms de Dieux, tournoiement incorruptible parfait qu’il faut comparer aux errances des âmes humaines perdues en leur propre vacuité, une vision toute platonicienne, notre esprit en un cycle antérieur a déjà eu accès à cette beauté, à cette sagesse, nous en éprouvons la nostalgie c’est pour cela que nous y retournerons… Hyperactive espèce : ce qui est étrange c’est que le texte n’est pas déclamé sur la musique, il semble au contraire que par ses brisures rythmiques et ses séquences instrumentales c’est la musique qui essaie d’imiter le vocal de devenir langage qui fait tout son possible pour ressembler à une émission élocutoire, retournons dans l’amphithéâtre écouter le professeur : première surprise il parle bien des hommes de maintenant esclavagés dans nos usines, abêtis dans nos écoles, unidimensionnalisés, esclaves consentant, autocastrés, dépourvus de toute volition individuelle, robotisés, connectés… un miroir des plus fidèles, en plus ça bouge, la batterie trinque avec nous, on se croirait au carnaval de Rio dans lequel les gens font semblant d’être libres. Credo : un ton moins déclamatoire, marmonne un peu, il en profite pour profiler une critique impitoyable de nos contemporains névrosés, aucun cadeau, aucune excuse, aucune pitié, des bêtes prêtes pour l’abattoir, grand cri de culminance énervée, et la musique pimpante et grandiloquente  pompiérise à mort, c’est le moment où notre hérault exulte son crédo, il n’a de regard que pour le monde supérieur son merveilleux équilibre, sa sérénité souveraine. L’on a envie de lui crier qu’il prend les lampadaires du ciel pour des objets platoniciens, mais on le laisse à ses croyances. Interlude I : pour le coup nous avons droit à notre instrumental, tout beau, tout plein, tout brillant, tout brûlant de joie. On ouvre les bouteilles de champagnes, ne vient-on pas d’énoncer la vérité vraie. Royaume des vanités : viennent-ils de se souvenir qu’ils sont un groupe de rock, en tout cas l’intro bulldozer nous réconcilie avec l’humanité, notre cantaor s’en trouve comme dopé, comme s’il avait reniflé un rail de cinq cents mètres de long de cocaïne, ne se retient plus, joue au prêtre qui du haut de sa chaire vilipende ses fidèles, c’est son moment, son heure de gloire, dresse leur portrait sans complaisance leur reproche tous leurs actes, toutes leurs pensées, leur envie d’éclipser leurs semblables, ils ne rêvent que de pouvoir, d’argent et de sexe, leur faut un maximum de maîtresses, c’est ainsi qu’ils répliquent et reproduisent leur propre espèce, le gonze se prend pour Bossuet, s’identifie à Bourdaloue. Les musiciens derrière s’enflent comme s’ils voulaient imiter la fanfare municipale, ils n’en crèvent pas mais quel charivari. On a l’impression qu’ils ont décidé de s’autoparodier. Ils y réussissent tous avec brio. Une véritable scène d’opérette. On se croirait chez Offenbach ! Désordre existentiel : changement de ton, la musique vole haut, la vile humanité se prend pour Icare, les guitares fusent et imitent à la perfection le bruit d’un avion dont le moteur emballé s’enraye et le voici qui pique du nez, tourne en cercle pour retarder l’instant fatal, peine perdue, le pilote ouvre le cockpit et crie ses ultimes admonestations au peuple égaré des ilotes volontaires sur lesquels il va s’écraser, vanité des vanités, l’on se croirait dans l’Ecclésiaste, les musicos imitent l’avion aux ailes cassées qui perd de l’altitude, et dans un dernier cri de toréador qui s’apprête à occire le taureau imprudent notre Robur maître du bas-monde prédit leur mort imminente… Ce qu’Er a vu : soyons clair, on a bien rigolé, ls deux précédents morceaux ressemblent un peu à la quatrième pièce, une comédie que les auteurs grecs ajoutaient aux trois drames de leur trilogie par lesquels ils avaient exposé un mythe, centré par exemple sur  le personnage d’Œdipe, cela permettait quelque de détendre l’atmosphère et de d’exprimer d’une façon moins ennuyeuse et plus accessible à la large fraction populaire du public de mieux entrevoir la portée des thèmes abordés par leurs trois premières pièces. Le Mythe d’Er n’est pas de la petite gnognote. Vous le trouverez à la fin de la République de Platon. Plus question de plaisanter, la musique devient sérieuse, finie l’opérette, voici du rock, Er raconte ce qu’il a vu, les morts oublient tout ce qu’ils ont vécu et tout ce qu’ils ont vu dans le domaine supérieur, en s’abreuvant au fleuve Amélès, les âmes vides se dirigent vers Lachésis la Parque qui file le fil de la vie, et chacune prend celui qui lui correspond, leur âme reviendra sur leur terre, ils se réincarneront plusieurs fois durant mille ans, au bout de ce temps, soit ils repartiront pour un cycle de mille ans, soit ils auront accès à la contemplation des Idées éternelles… nous échappons à la déclamation, seul le chant rock a le droit d’énoncer de tels enseignements…  Interlude II : ce n’est pas le générique de fin, mais un intermède musical, quelle parole oserait parler apès de tels enseignements, pour les Grecs la musique était l’art suprême, le seul capable de recevoir la poésie, autrement dit l’inspiration soufflée par les Dieux, ce morceau ne saurait pas ne pas pouvoir être grandiloquent. Vérité mensongère : partie 1 : si lourd à entendre une seule fois que l’interlude 2 se prolonge dans ce morceau-ci, lui aussi dépourvu de parole. La vérité de la parole des Dieux est qualifiée de mensongèr , non pas par ce qu’elle provient des Dieux mais parce que si éblouissante, si limpide soit-elle, elle n’est saisie et comprise que par des hommes qui ne sauraient l’entendre et la comprendre qu’imparfaitement. Vérité mensongère : partie 2 : puisque vous ne comprenez pas grand-chose, cette deuxième partie vous explique que la parole des Dieux transmise à l’avidité infinie de l’intelligence humaine est très vite transformée en religion, en croyances, qui permet de manipuler la grande part des hommes dont l’esprit est empli d’ombre et de bêtise. Vous offrez le feu à l’homme pour qu’il se réchauffe et s’éclaire, et certains vous apprendront à mettre le feu à l’abri de votre voisin...Vérité mensongère : partie 3 : un dernier commentaire, une ultime explication, l’a repris son ton déclamatoire, la batterie trépigne pour que vous enfonciez cela dans la tête, dans les synapses, dans le ciboulot, inutile d’essayer la subtilité, vous avez toutefois des chœurs féminins pour rendre votre comprenette un tantinet plus émolliente, l’on sait bien que c’est une cause perdue, que l’échec est inévitable, la guitare vous offre un solo à vous faire verser des larmes, à inonder le plancher à transformer l’escalier en torrent, rien n’y fera, les athées et les agnostiques resteront sourds aux rares sages  qui auront compris et intégré ce message, qu’ils soient placés tout en haut de la hiérarchie humaine ou au plus bas de l’échelle… personne ne les comprendra, personne ne les suivra. La voix se tait, la musique s’éteint doucement. La lumière se retire du monde. Définitivement serait-on tenté d’ajouter.

             Ce n’est pas le chef d’œuvre metallifère du siècle. Mais c’est follement original. Ils osent tout. Ils empruntent à la culture la plus savante comme aux formes les plus populaires. Une espèce de comédie humaine balzacienne en taille réduite. Mais impressionnante.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 667 : KR'TNT ! 667 : REDD KROSS / GURRIERS / LINDA GAIL LEWIS /JAH WOBBLE /JOHN EDWARDS / ROME / ELVIS PRESLEY / SALUT LES COPAINS !

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 667

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    28 / 11 / 2024 

     

    REDD KROSS / GURRIERS / LINDA GAIL LEWIS  

    JAH WOBBLE / JOHN EDWARDS / ROME

    ELVIS PRESLEY / SALUT LES COPAINS ! 

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 667

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

     - A Kross the universe

     (Part One)

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             Plutôt inespéré : Redd Kross à Paris ! T’en reviens pas. Pourquoi inespéré ? Parce que pas très connu et aussi parce que ce genre de groupe pas très connu n’intéresse pas grand monde. Le concert n’est d’ailleurs pas complet. Et pourtant, Redd Kross taille sa route depuis quarante ans, dans la plus parfaite exubérance, avec des albums bourrés de hits dont la plupart sont devenus cultes, tout au moins chez les happy few.

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    Les voilà enfin sur scène. Sur les quatre, t’as deux Melvins, Steven McDonald, basse, et Dale Crover, beurre, plus Jason Shapiro et Jeff McDonald aux grattes. C’est un set explosif, et c’est rien de le dire.

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    Ils te mettent vite sous tension avec ces bombes atomiques que sont «Stunt Queen» et «Emmanuelle Insane», ils naviguent entre exubérance et flamboyance, ils collectionnent les mamelles du destin : le son, la classe, les compos, la niaque, l’ultra-présence, ça joue et ça pulse, Steven McDonald saute un peu en ciseau avec sa basse, et derrière t’as cette faramineuse powerhouse de Dale Crover qui, après avoir allumé quasiment tous les albums des Melvins, veille aujourd’hui au dynamitage des Kross Kuts. Bim bam boom !

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    Te voilà pris dans la frénésie, elle court elle court ta banlieue, même si ce n’est plus tout à fait ta banlieue, te voilà embarqué et même charrié, au point où tu sens que tu ne maîtrises plus rien, oui, charrié comme un pauvre con de fétu par un torrent de Skydog, de Skyblog et de Skydown in the ground, t’es là et t’es déjà plus là, tu nages et ça ne sert à rien de nager dans le tumulte, c’est comme de parler dans le vide, alors laisse les bombes éclater une par une, «Annie’s Gone» tiré de Third Eye, ou encore «Huge Wonder» tiré de Phaseshifter, et pire encore, «Linda Blair 1984», tiré de Teen Babes Fom Monsanto. En fait, ils piochent dans tous ces albums tellement prisés des happy few, et ça ne rate pas : vers la fin, ils tapent le morceau titre de Neurotica, un fantastique album dont les happy few se firent à une époque les gorges chaudes. Alors forcément, sur scène, c’est Noël. Ils jouent tout ce qu’ils peuvent dans leurs tenues de scène blanches tachées de peinture. Ils font tourner leur manège jusqu’au vertige.

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    On sent bien le power des Californiens, ils en font toujours un peu plus que les autres, mais avec Redd Kross, c’est brillant. Extrêmement brillant. Et t’as l’heure qui passe comme un songe, il ne t’en restera rien de plus qu’un bon souvenir, tu croyais tenir un moment d’éternité, et lorsqu’un peu plus tard, tu remontes à pinces la rue de Tolbiac, tu sais qu’il t’a échappé. Pfffff ! Comme tout le reste. T’as vraiment l’impression très nette de t’enfoncer dans la nuit de la mort, même si t’as encore chaud aux oreilles et la mine réjouie. 

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             Par précaution, t’avais écouté leur dernier album sans titre avant de venir les voir jouer. Tu voulais juste vérifier qu’ils étaient toujours aussi géniaux.

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    Double album rouge sans titre en hommage au White Album «that Jeff  and Steven bought back in 1970 avec les sous gagnés sur les consignes de bouteilles de Coca, l’album propose 18 masterfully crafted punk, power pop and psychedelia-tinged bangers.» Voilà ce que Dan Epstein déclare dans Now You’re One Of Us, the Redd Kross book qui vient de paraître et dont on reparle la semaine prochaine. En effet, tu cries au loup dès «Stunt Queen». Envolée stupéfiante, non seulement t’as la grosse assise, mais t’as en plus la liberté totale de wah. Deux autres coups de Jarnac en B : «Terrible Band» et «Stuff» - Inbereable man/ In a terrible Band - C’est du power à toute épreuve. Power d’envers et contre tout. Niaque chevillée au corps. Belle ampleur catégorielle. Ils ont la même longueur d’onde que les Lemon Twigs. Killer solo flash & «Too munch is never/ Enough/ Stuff». Ils claquent l’heavy pop de tes rêves les plus humides. Ils n’ont de leçons à recevoir de personne. En C, ils claquent un «Way Too Happy» qui sonne comme un hit des Byrds, avec le power Redd Kross. On assiste aussi à une belle montée en neige troublée par un bassmatic en folie dans «Too Good To Be True». Avec «The Witches’ Stand», ils rendent hommage à Brian Jones et Jean Harlow. Et tout semble exploser en D avec «The Shaman’s Disappearing Robe» qui semble sonner comme un épouvantable hit. Le refrain et le bassmatic flamboyant t’embarquent le Shaman pour le firmament. S’ensuit un «Emmanuelle Insane» atrocement insidieux, remué ciel et terre par le beat de Kross et balayé par des vents mauvais. Et ils finissent cet édifiant double album en mode power pop de classe intercontinentale avec «Born Innocent». 

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             Le premier album des frères McDonald s’appelle d’ailleurs Born Innocent et date de 1982, ce qui ne nous rajeunit pas. Au premier abord, cet album nous laissa perplexe. Il sonnait comme un album de jeunesse, avec sa collection de petites pop-songs punkoïdes. Avec «Everyday There’s Someone New», on avait du petit rock ingrat de petite ramasse illuminé par des éclairs de flash. Les frères McDo jouaient à trois avec Tracy Leaf, la petite brune qu’on voit au dos déconner avec un balai. On les situait assez mal, mais il n’empêche que leur son parlait à l’intellect. Même mal harnaché, ce son s’installait. Cet album ressemblait presque à l’étalage d’un marchand de bonbons : envie de goûter à tout. Le hit de l’album s’appelait «Look On At The Bottom», en B. Les frères McDo multipliaient les idées de son, à la manière de Robert Pollard, et n’en finissaient plus d’épater l’épatable. Franchement bon et joué à la bonne franquette, l’une des meilleures franquettes d’Amérique. Encore une bonne raison de s’extasier : «Cellulite City», joué au berk-punk, mais avec esprit. Il terminaient «Pretty Girl», avec un hommage à Dylan, non indiqué sur la pochette et qui renouait avec la fantastique énergie du Dylan de 65.

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             Avec Teen Babes From Mosanto, les frères McDo vont monter en puissance. Depuis les années 80, la réputation de cet album de reprises n’a cessé de grandir. Car quelles reprises ! Stooges, Bowie, Boyce & Hart et Shangri-Las, c’est un choix de kids américains. D’ailleurs, ils démarrent avec une reprise du «Deuce» de Kiss. Extraordinaire petite débauche d’énergie. Les deux frères savent donner le change. Comme tous les kids américains de leur âge, ils trempent dans la Stonesy et allument le vieux «Citadel». Là, ils tapent dans le sacré. La Stonesy leur va si bien. Ils respectent mêmes les longs breaks silencieux de la version originale. Par contre, leur reprises d’«Heaven Only Knows» (Shangri-las) et d’«Ann» (Stooges) retombent comme des bites molles. C’est en B que se planquent les deux coups de génie, à commencer par l’imparable «Saviour Machine» qu’ils tirent de The Man Who Sold The World. Avec le son de Ronson, ils sont à leur aise. Et le glam leur va comme un gant. C’est joué à la Ronno sévère du Width Of A Circle, psychoutté à outrance et bien enlevé, glammé dans la magnifique altération du décadentisme britannique. Et tout explose avec le brillantissime «Blow You A Kiss In The Wind» de Tommy Boyce et Bobby Hart, les deux mecs qui composaient principalement pour les Monkees. Fantastique shoot de power-pop, pur jus du Redd Kross à venir, ils rallument tous les lampions du bal. C’est là que se niche le génie des frères McDo. Steven : «Plus tard, des gens comme Buzz et Dale from the Melvins, et Mark Arm from Mudhoney nous ont dit que cet album really kind of helped to set in motion what would become the grunge explosion, because we included things like The Stooges and early KISS on the same page.»

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             Paru en 1987, Neurotica passe pour l’album le plus ambitieux des frères McDo. Dans leur book, ils révèlent qu’ils voulaient Sonny Bono comme producteur, mais il faisait de la politique. Puis ils ont opté pour Flo & Eddie, mais ça n’a pas marché non plus. Alors ils ont pensé que Tommy Ramone serait parfait. Mais Jeff et Steven sont déçus du résultat. Ils voulaient se situer «between The Partridge Family and Live At Leeds», mais ils se sont retrouvés avec un son années 80 qui ne leur correspondait pas. Jeff : «By the time you heard it on vinyl, it was several generations down from what you heard in the studio.» Et puis au moment où Redd Kross commence à tourner, leur label se casse la gueule. Pourtant l’album n’est pas si mauvais. On sent le souffle dès le morceau titre. Le souffle, c’est-à-dire une certaine énergie, une certaine allure, un sacré tempérament post-moderniste, une certaine façon de chanter à l’insidieuse, un certain style, une certaine façon de monter les chœurs en épingle et de doubler l’ensemble d’un tricotage de solo continu. On est hooké. Fucking big energy ! L’hit de l’A s’appelle «It’s The Little Things». Voilà la lumière, la pop tendue vers l’avenir, l’expression considérable, la power-pop d’exception. C’est du rêve pop à l’état le plus pur, on se croirait en Angleterre, la prod évoque à la fois Brian Wilson et Phil Spector, on a du mal à y croire tellement c’est bien foutu, big heavy bundle, ces mecs ont le diable au corps. Avec sa power pop inflammatoire, Redd Kross sonne comme le groupe pop américain idéal. Le hit de la B s’appelle «What They Say», petit garage vengeur stupéfiant de niaque, joué à l’envenimée, incapable de se calmer et côté solo, ça coule de partout. C’est un album d’une rare densité, «Play My Song» sonne comme une merveilleuse plâtrée de psyché californien mais très anglais dans la façon de plonger en piqué dans la piquette. La verdeur de leur pop outrepasse celle des Beatles. «Janus, Jeanie, And George Harrison» sonne comme le «Time’s Up» des Buzzcocks, mais avec le son de Blue Cheer. Ils passent même Blue Cheer à la moulinette et proposent en fin de cut un final éblouissant. Par la multiplicité des styles et la qualité des prestations, un parallèle s’impose entre Neurotica et le White Album. On sent cela clairement à l’écoute du fantastique «Peach Kelli Pop». C’est de la power-pop, mais on pourrait aussi parler de pâtés de son, mais des pâtés raffinés. Ils explosent dans l’azur immaculé à coups de yeah yeah yeah. Neurotica n’est rien d’autre qu’une collection de chansons autonomes et captivantes. Le «Beautiful Bye Bye» qui referme la marche renforce encore l’analogie avec le White Album, qui souvenez-vous s’achevait avec «Good Night Sleep Tight».

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             Avec Third Eye, ils débarquent sur Atlantic. À l’époque, Jeff est obsédé par le bugglegum de Kasenetz & Katz. Jeff : «Je disais aux gens que je voulais faire  the bubblegum rock opera.» Third Eye est donc un hard bubblegum concept album. Il rencontre même Gus Dudgeon, mais il ne se sent pas au niveau de ce producteur légendaire. On pourrait presque parler d’album raté. Jeff : «‘The Faith Healer’ is a tribute to the Ohio Express and The 1910 Fruitgum Company - almost on an Oasis level - with a little nod to Brian Wilson thrown in.» Cette fois, la pop des frères McDo ne fonctionne pas aussi bien. Steven dit qu’ils ont le mauvais producteur - We were a garage rock band, like Crazy Horse, and we just needed to have a record that sounded as good as the first Crazy Horse album - Avec «I Don’t Know How To Be Your Friend», ils jouent la carte de l’extrême finesse et du coup ça frise le hit intermédiaire très tendancieux. Il faut attendre un «Shonen Knife» battu à la diable pour trouver un peu de viande - Take me down to the Abba road - et l’album s’éveille enfin avec «Bubblegum Factory». Ils renouent avec leur cœur de métier : la pop séculaire. Ils mettent leur pop en coupe réglée et sonnent comme les Beach Boys. Ils flirtent avec le glam pour «Zira» et quand on écoute «Where I Am Today», on croirait entendre House Of Love. C’est un son très indie-rock britannique monté sur un drumbeat inepte. Back to the très belle pop américaine avec «Love Is Not Love» en B, une pop colorée et sucrée, bien montée en épingle, très inspirée par les Beatles dans la façon de dire like me/ you’re not quite sa-a-aane. Ce pur jus de Beatlemania flirte avec la magie. «Elephant Flares» bénéficie aussi de toutes les qualités du son McDo : l’inflammatoire, le beat exacerbé, le chant qui n’attend rien de son prochain et le final exceptionnel. La grande force des frères McDo c’est de savoir finir en apoplexie suburbaine de wah. Sur la pochette, on voit Sophia Coppola nue et masquée. Et comme l’album ne se vend pas, Atlantic les jette.

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             Phashisfter pourrait bien être le meilleur album des frères McDo. Ils ont John Agnello comme producteur, le mec qui vient de produite le Were You Been de Dinosaur Jr et le Sweet Oblivion des Screaming Trees. Ils attaquent ça avec «Jimmy’s Fantasy», un slab d’heavy psych californien, un extraordinaire dévoiement collatéral. Jeff McDo joue à la Rundgren, aérien et wild, mélodique et suburbain, dans le maximum overdrive de l’ondoyance. Il bat puissamment des ailes et semble dominer le monde, il fait allégeance à la persistance et développe un extravagant power surge. «Jimmy’s Fantasy» saute comme une bombe. Pas de retour possible. C’est arrosé d’un napalm de wah et de tiguili. On reste dans l’exercice de la puissance avec «Lady In The Front Row», ils sont à la puissance dix, dans l’exponentiel sonique, en carrousel de solo d’avant-garde. Exagéré. Intraitable. Irréversible. Vous avez là le meilleur son d’Amérique. Pire encore : c’est digne des Beatles. «Huge Wonder» sonne comme un hit planétaire, pas de doute, c’est une power-pop très chatoyante, avec des guitares latentes qui rayonnent - It’s no wonder - On s’effare de l’incroyable qualité de la densité et ce démon de Jeff part en vrille suspensive. Il crée un véritable spectre psychédélique, un vrai dégouliné d’heavy Kross. On retrouve la tension qui fit la grandeur des Ten Years After et des autres géants de l’early London Scene. Avant de passer en B, on peut aussi se goinfrer de «Monolith», une pop parfaite digne de Brian Wilson, noyée de son, infestée de solos comprimés, et de ce monstrueux «Crazy World» tapé au heavy blues de blues rock, enrobé de miel, gluant de son et digne des dieux du fer travaillé. Le coup de génie se niche en B : c’est bien sûr «Pay For Love». Ils sonnent littéralement comme les Beatles. Il faut savoir le faire. Il faut savoir chanter au ton chaud et mélodique et injecter une bonne dose de so far-out dans l’excellence. On assiste à un extraordinaire balancement de pop intense et ouvragée à gogo, véritable travail d’orfèvre, joué au vibré de biseau mélodique, finement teinté de pianotis dignes de «Lady Madonna». C’est soloté à la rage de vivre. S’ensuit une autre giclée de power-pop intitulée «Saragon» et ça se termine avec une vraie débandade de heavy psych, «After School Special», un cut attaqué du ciboulot, grouillant de relances dignes des «Little Red Lights» de Todd Rundgren, drivé au beat ferroviaire des enfers, laminé à chaud. Too much monkey business. Les frères McDo nous ramènent au cœur du Wizard/True-starisme. «Only A Girl» sonne comme un hit psyché californien allumé au rumble de basse. Chez eux, tout est claqué à l’avenant de la meilleure claquemure. Tout est éminemment rock’n’roll sur cet album. Tout y est joué serré et vaillamment exécuté. Steven : «Musically, we were riffing on both The Stooges and Mudhoney.» Et plus loin, il ajoute : «It’s our equivalent of The Beatles doing ‘Helter Skelter’ as a reaction to The Who’s ‘I Can See For Miles’.» Et puis t’as ça, toujours ce démon de Steven : «I remember I sang it through a Twin Reverb with Shure SM57, because that was what Iggy supposedly did on the early Stooges records to get just the right amount of hair on the vocals.»

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             On trouve de beaux restes sur Show World paru en 1996, à commencer par «Teen Competition», gros brouet de power-pop visité par un fort vent de wah et un killer solo vient s’étrangler en plein centre du cut. Ah comme ils sont bons ! Deux énormités se planquent en B : «Follow The Leader» et «Vanity Mirror». Jeff amène leader à la violente titube de riff. C’est quasi-keefien dans l’esprit, mais la Beatlemania reprend vite le dessus, avec un son d’une exemplaire wilderness. Jeff joue ça aux petits accords intermédiaires de gimmickage bien gras. S’ensuit Vanity avec son beat Krossé et la progression conduit tout naturellement le cut au firmament d’I can’t hide. Avec «Stoned», ils continuent de caresser leur muse beatlemaniaque, et «You Lied Again» sonne comme un shoot d’heavy pop Krossée du meilleur effet. Ils travaillent l’axe Walrus/cocote de pop, et chantent à la meilleure audace de pop de haut vol - High in the wind/ Fresh as a wild ride - Retour à la Beatlemania avec «Mess Around». Les frères McDo sont probablement ce qui se rapproche le plus des Beatles sur cette terre. Leur pop brille d’un éclat si pur sous le soleil exactement. On retourne dans l’enfer du paradis avec «Get Out Of Myself». Ils jouent ça au va-tout sous une brise d’harmonies dignes de Lennon & McCartney. Et «Kiss The Goat» monte tout droit du paradis. Voilà encore un album d’une sublimité sans commune mesure.

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             Avec Researching The Blues, ils s’enfoncent encore un peu plus dans la Beatlemania. «Winter Blues» et «Hazel Eyes» pourraient très bien se trouver sur Revolver. On repère tout de suite l’attaque beatlemaniaque d’envergure de «Winter Blues» - Solar regular daze/ Won’t go away - Franchement, on se croirait sur Revolver. L’impression persiste avec «Hazel Eyes» en fin de B, qui s’inscrit dans la veine magique des Beatles de l’âge d’or. Belle clameur de Kross, avec les départs en fanfare du bassmatic de Steven. Les frères McDo ont une facilité à renouer avec Revolver et Rubber Soul, ces albums du temps béni des voix d’écho perlé et des guitares enchanteresses. N’oublions pas le coup de génie qui se trouve en A : «Meet Frankenstein». Une vraie surprise party ! Ils attaquent ça à la baby you can drive my car, au fondu de voix dans l’âcre accord de pop anglaise - Remodel the star/ The one you know you are/ Not what you used to be - C’est spectaculairement bon - It’s not the end/ Hey Frankenstein/ Don’t Lose your head - Encore un hit destructeur avec «Stay Away From Downtown», ils ont raison de prévenir. Ils enfilent les yeah yeah à la hussarde, leurs shalala sont des modèles absolus. Autre merveille : «The Nu Temptations». Plus rien à voir avec le commun des mortels, ils jouent jusqu’à la fin des haricots. Tout est encore une fois monté en épingle, claqué derrière les oreilles, farci de départs en vrille et couronné de finaux éblouissants. Voilà pourquoi il faut suivre les frères McDo à la trace.

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             Paru en 2017, Hot Issue Vol. 1 propose des turn of the century recordings, new digs & old finds. Dans le tas, on trouve des choses intéressantes, comme par exemple cette reprise courageuse du «Puss N Boots» des Dolls, même si c’est chanté au petit McDo. Il n’a pas la hargne de Johansen, mais seulement de l’énergie plein les pattes. Les frères McDo sonnent comme les Enfants Terribles de Cocteau. Le coup de génie de l’album s’appelle «Switchblade Sister». Voilà encore un fantastique hit de pop qui explose comme un bourgeon de congestion abdominale. Pur régal aussi que cette reprise du «Motorboat» de Kim Fowley. C’est aussi glammy qu’un hit d’époque. Ils renouent avec leur fascination pour les Beatles dans «Insatiable Kind». Avec «Take It Home», Jeff sonne exactement comme John Lennon. On peut dire la même chose de «That Girl» : encore un cut qu’on dirait tiré de Rubber Soul. Par contre, «It’s A Scream» va plus sur le baroque de Sergent Pepper, avec sa structure tarabiscotée et ses arrangements trop richement ouvragés. Ils terminent cet album ultra-attachant avec un «Born To Love You» pianoté à la Lennon. Jeff a du talent, mais pas n’importe quel talent : un talent fou. Il travaille son cut à la Lennon, c’est-à-dire qu’il monte doucement le niveau mélodique vers des cimes inexplorées.

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             Tiens voilà le Volume 2 : Oh Canada. Hot Issue Vol. 2. Show World Tour Live. Et quel volume ! Redd Kross sur scène à Vancouver, ça vaut tout l’Or du Rhin. Ils envoient un huge shoot de power pop dès «Lady In The Front Row». Ils développent une puissance échevelée, ramonée par la basse de Steven McDonald. Son frère Jeff chante sa power pop à pleine voix. Ils sont tendus et beaux, radieux comme des radis sur des radeaux. À ce petit jeu, ils sont imbattables. On pense à Teenage Fanclub, bien sûr, mais les Krossards ont quelque chose d’américain en plus. Pas de doute, Roudoudou. Toute l’A navigue à ce niveau d’excellence. Ils enchaînent avec un «Switchblade Sister» incomparable, puis avec un «Stoned» élégant et déterminé. On assiste une fois de plus à un fantastique déploiement de force. Les frères McDonald donnent du jus à la force du poignet et alignent blast de pop sur blast de pop. On sent poindre la Beatlemania dans «Jimmy’s Fantasy». Ces fantastiques brothers bousculent bien les lignes, ils enfoncent bien leurs clous, rien ne saurait résister à l’ampleur de leur clameur. Puis avec «Mess Around», ils sonnent comme les Fannies. Si on observe les visages des frères McDonald, on ne tarde pas à réaliser qu’ils ressemblent étrangement à Ray et Dave Davies. Ils terminent l’A avec «Annie’s Gone», une nouvelle explosion de power pop au no no no. Jeff descend en beauté sur les baisses de régime en cocotte. C’est pour mieux rejaillir dans son puits de lumière. Par contre, la B convainc moins le con vaincu. Il s’agit d’une suite intitulée Silver Odessey tourne au délire prog. Mais qui s’en plaindra ? L’amateur de big seventies sound y trouvera son compte. C’est très proggy, mais avec une certaine vélocité et la quintessence d’une vraie férocité.

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             Un nouvel album paraît en 2019 : Beyond The Door. Alors attention aux yeux ! Le jeu favori des frères McDonald, c’est d’exploser le rock et la pop comme on explose un crapaud en lui fourrant un gros pétard dans la gueule. Avec «Fighting», ils se livrent à une cavalcade insensée - I play guitar and I’m aiming straight at you - He means it, l’animal, et le gros bassmatic anaconda vient engloutir «Fighting» vivant. Voilà un cut comme en voit plus, gorgé de killer attacks et d’infects remugles de bassmatic. Et tout l’album va reposer sur ce principe d’explosivité permanente. Tiens, comme par exemple le morceau titre, qu’ils roulent dans leur farine ou encore «There’s No One Like You» qu’ils tapent en mode heavy balladif, avec le bassmatic de Steven au-devant du mix. Tous les cuts sont architecturés sur la virtuosité de Steven McDonald. Son bassmatic incroyablement volatile hante «Ice Cream (Strange & Pleasing)» et «Fantastico Roberto» vaut pour un numéro de blast off qui redore le blason de la power-pop. D’autres merveilles guettent le voyageur imprudent en B, comme par exemple «The Party Underground» - Come on down ! To the Party underground !  - Alors oui, everybody, c’est quasiment un stomp de glam avec all the young dudes et new K-pop Voltaire. Puis ils s’en vont exulter avec «What’s A Boy To Do». La power pop monte jusqu’au plafond comme une chantilly devenue folle, celle de Fantasia, et le bassmatic continue de virevolter tout autour. Oui leur truc, c’est exactement Fantasia. À un moment donné, ça leur échappe et le son devient incontrôlablement jubilatoire. Ils restent dans la haute pression avec «Jone Hoople», encore un cut chargé comme une mule et harcelé par le plus exubérant des bassmatics. Alors, ça vitupère et il n’y a rien que tu puisses faire pour empêcher ça. 

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             Bizarrement, Vive Le Rock est le seul canard qui pense à saluer Redd Kross. Quatre pages, oh c’est pas grand chose pour un groupe qui a quarante d’existence et une dizaine d’albums devenus cultes pour les happy few. Bruce Turnbill parle d’albums qui capturaient «the zeitgeist of Generation X in a way that grunge never seemed to.» Ah cette manie qu’ont les gens de vouloir rattacher Redd Kross au grunge, alors que ça n’a rien à voir. Puis Turnbill passe les albums en revue, qualifiant Born Innocent de «pure hardcore», et compare leur dernier album au Double Nickel On The Dime des Minutemen. Les frères McDonald évoquent leurs amours de jeunesse, les Beatles, les Ramones et puis Black Flag - avant qu’ils ne deviennent populaires - Ils évoquent aussi bien sûr les Germs et les Bags. Avec le recul, ils voient Born Innocent comme du «good trashy fun». Quand ils se voient qualifier de groupe power-pop, ils opinent du chef, à condition que ce soit une définition «of jangly guitars and so forth, I guess we do fit into.»

    Signé : Cazengler, Red Krasse

    Redd Kross. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 17 octobre 2024

    Redd Kross. Born Innocent. Smoke Seven Records 1982

    Redd Kross. Teen Babes From Mosanto. Gasatanka Records 1984

    Redd Kross. Neurotica. Big Time 1987

    Redd Kross. Third Eye. Atlantic 1990

    Redd Kross. Phashisfter. Mercury 1993

    Redd Kross. Show World. Mercury 1996

    Redd Kross. Researching The Blues. Merge Records 2012

    Redd Kross. Hot Issue Vol. 1. Bang Records 2017

    Redd Kross. Oh Canada. Hot Issue Vol. 2. Show World Tour Live. Redd Kross Fashion Records 2016

    Redd Kross. Beyond The Door. Merge Records 2019

    Redd Kross. Redd Kross.  In The Red Recordings 2024

    Bruce Turnbill : California dreaming. Vive Le Rock # 114 – 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - L’attaque des Gurriers

             Ce pauvre hère d’avenir du rock erre dans le désert depuis si longtemps qu’il ne sait plus pourquoi il erre. Quand on en arrive à ce point-là, on ne se pose plus de questions. On erre. L’avenir du rock ne se plaint pas. Errer, ça occupe bien les journées. T’erres du matin au soir, t’erres sans fin, t’erres du Nord au Sud, bref t’erres à gogo. Mine de rien, ça peut te surbooker d’errer. Et puis t’as la petite cerise sur le gâtö : les rencontres. Là tu frises le burn-out. C’est d’autant plus vrai pour l’avenir du rock, car il est déjà couvert de cloques. 50° à l’ombre, ça ne pardonne pas, surtout quand il n’y a pas d’ombre. Il voit arriver un mec chancelant dans l’air flottant. Le mec avance péniblement en traînant la patte. «L’a pas l’air en bonne santé», se dit l’avenir du rock. En effet le mec a l’air très abîmé. Il a reçu une sagaie qui est restée plantée et qui lui traverse les deux joues. L’avenir du rock s’apitoie :

             — Oh ben dites donc, ça doit vous vachement mal... Voulez-vous que je vous aide à l’enlever ?

             — ‘On ‘on !

             — Quoi ? Oui oui ou non non ? Faudrait savoir !

             Il fait non de la tête. L’avenir du rock le trouve malpoli et le prend en grippe.

             — Et puis d’abord vous pourriez vous présenter ! Comment vous appelez-vous ?

             — ‘chard rrrrrcis urrrton...

             — Quoi ? Vous pourriez pas articuler un peu ? Vous me faites perdre mon temps. J’ai pas que ça à faire !

             — ‘Nnnnniiii !

             — Quoi Niiiiiiii ?

             — ‘fhoourches duuuu Nnnnnni !

             — Ah les sources du Nil ? Ah c’est vous Richard Burton ?

             Burton opine du chef et essaye de sourire, mais c’est pas facile. Il montre la sagaie et tente de dire :

             — ‘Guuua-guaarriers aaaaa... anaakiiiii !

             — Pffff... Vous me faîtes marrer avec vos guerriers Danakils. Petit joueur ! Connaissez pas les Gurriers ?

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             On t’annonce un concert «post-punk/shoegaze». Tu rigoles à l’avance. Tu rigoles pour deux raisons, toujours les mêmes : un, à cause de l’étiquetage à la française, un art en soi, et deux, le post-punk qui n’a de sens que dans les pattes de Mark E. Smith, mais le reste du soi-disant post-punk, c’est compliqué. Compliqué au sens de la constipation. Bon bref. Voilà les Gurriers irlandais.

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             Post-punk ? Tu rigoles ? Dévastateur ! Voilà des kids irlandais qui refoutent le souk dans la médina, exactement comme l’ont fait les Undertones 50 ans auparavant. T’as toute cette énergie des kids lancés à la conquête du monde, et là, t’en prends plein la gueule ! Bim bam boom, en deux cuts, c’est dans la poche, parce que t’a un petit mec nommé Dan Hoff qui ne paye pas de mine mais qui s’accroche à son micro comme le roi des punks irlandais, et il a même des échos de Johnny Rotten dans le chant, c’est le même power, t’en reviens pas de voir un mec aussi puissant et aussi juste, il est en plein dans le mille, et il saute partout. Superstar !

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    En fait ils sont deux à sonner les cloches de la Normandie, Dan Hoff et son poto bassman en chemise rouge, un kid qui s’appelle Charlie McCarthy et qui passe son temps à lever l’enfer sur la terre à coups de bassmatic percutant, et quand ils explosent tous les deux, t’as tout ce que tu peux espérer de mieux sur une scène de rock. C’est wham bam thank you Dublin, ils complotent tous les deux de vastes mouvements tournants et perdent juste ce qu’il faut de contrôle pour amener sur cette terre la folie salvatrice sans laquelle le rock ne serait pas le rock.

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    Ils le font à leur manière, de manière très ingénue, de manière extraordinairement pure et spontanée, ils sont là pour te rocker le boat et ils te le rockent au point que dans un moment de panique tu cherches dans tes souvenirs si t’as déjà vécu ça, cette gestuelle de l’explosivité concertée. Il faut remonter loin, oui, avec les Damned à Londres, début 1977, et puis bien sûr Idles au temps de leurs premiers concerts. T’as des gens qui savent exploser et les Gurriers sont des cracks du genre.

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    Et t’as ce mec Hoff qui chante comme un dieu. Il a tous les plans qu’il faut, il te gave de rock comme une oie. Ils sont tellement bons qu’ils échappent aux genres et aux étiquettes franchouillardes. Là t’as le real deal, cinq kids irlandais on fire, avec des vraies compos, une vraie attitude et du jeu de scène, c’est-à-dire tout !

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    T’en finis plus de te dire que le rock n’a jamais été aussi vivant, aussi bien joué, aussi bien compris, aussi digne de toute ton admiration. T’en reviens tellement pas que ça te réconcilie brutalement avec la vie.  T’es presque content d’avoir survécu assez de temps pour pouvoir assister à ce festin de rock irlandais. 

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             L’album ? Oui ! Mille fois oui ! Ça grouille de puces, à un point qu’on n’imagine pas, mais à condition d’aimer les grandes voix, les grosses compos, et le real deal. Pas compliqué : «Nausea» t’explose en pleine gueule, ils te rentrent littéralement dedans, ils ont ce type de punch et ce mec Dan Hoff allume tout, he’s on fire, dirait un Anglais, t’as toute cette énergie in the face, comme avec Protomartyr. Tu vois ensuite «Des Goblin» monter comme la marée du diable. Avec cet album, t’as l’Irlande rock, la vraie. Ils font du Fall irlandais avec «Dipping Out», l’Hoff y va à la harangue, sauf qu’ils attaquent comme des sauvages, avec l’Hoff plein comme un œuf. Punch phénoménal. L’Hoff est une force de la nature. Un trésor caché. Un puissant seigneur. Et ça repart en mode tatapoum avec «Close Call», ils ont le beurre qu’il faut et ça explose en plein vol. Mais c’est plus concis sur scène. Tout est poussé au maximum des possibilités, ils vont au-delà d’eux-mêmes. Dan Hoff superstar ! Dynamite encore avec «No More Photos», mais c’est tellement balayé par des vents mauvais que ça bascule dans l’insanité. L’Hoff plane dans son cut comme un vampire. Il emmène son «Top Of The Bill» par-delà les montagnes. C’est soutenu aux arpèges irlandais et ça se répand sur toute la planète. l’Hoff chante à pleine gueule. Il règne sur la terre comme au ciel. On ne peut parler que de prestance. Il pose bien son discours sur la thématique Gurrière, il enfonce ses clous partout. Peu de gens sont capables de pousser le bouchon aussi loin que lui. Il est tellement puissant qu’on le soupçonne d’avoir du sang apache dans ses veines de Gurrier. «Sign Of The Times» vire hypno d’entrée de jeu. Bassmatic de combat. On revoit le petit mec en chemise rouge. Ça vaut pour du post-punk explosif. Encore une attaque qui marquera l’histoire du rock : celle d’«Approcheable» - I’m approcheable - C’est très Fall, avec de la cocote sourde. Et cette belle aventure Gurrière se termine avec le morceau titre qui part en vol plané. Quel album lourd de sens ! Les Gurriers ont le goût des volumes et des Big Atmospherix. T’en prend plein la barbe jusqu’à la fin.

    Signé : Cazengler, Gourré

    Gurriers. Le 106. Rouen (76). 31 octobre 2024

    Gurriers. Come And See. No Filter 2004

     

     

    Talking ‘Bout my Generation

    - Part Twelve

     

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             Et boom, t’as Linda Gail Lewis en couverture de Rockabilly Generation. La moindre des politesses est de ressortir de l’étagère les cinq albums Smah sur lesquels Linda Gail duette avec son frangin Jerr. En fait, c’est pas elle que t’écoutes, c’est Jerr.

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             Country Songs For City Folks grouille de merveilles, à commencer par un «Seasons Of My Heart» absolument heartbreaking, avec le tic-tac de charley au-devant du mix. Jerr duette ventre à terre avec Linda Gail dans «North To Alaska» et passe «Wolverton Mountain» en mode up-tempo. Jerr fait son job, il rocke sa country et apprend à swinguer à la pompe de Nashville. «King Of The Road» est l’un de ces vieux classiques du swing américain repris en France par Hugues Aufray. Jerr fait un véritable carnage dans ce «Funny How Times Slips Away» fantastiquement doublé à la guitare, ce qui est idéal pour un crack comme lui. On se régale aussi de «Crazy Arms», géré au swagger de Jerr et qu’il chante du haut de sa grandeur. C’est aussi sur cet album qu’on trouve ses hits les plus passe-partout, «Green Green Grass Of Home», «Ring Of Fire» et «Detroit City» qui manquent tous les trois cruellement de son. On imagine ces cuts dans les pattes d’un mec comme Andy Paley ! Ah ce serait autre chose !

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             Avec Another Place Another Time, Jerr passe à la country pure. Mais il chante superbement bien son «Walking The Floor Over You». Pas étonnant de la part d’un cat comme Jerr. Il faut dire qu’avec cet album, il met le paquet sur la country plaintive. Il duette avec Linda Gail sur «We Live In Two Different Worlds» et c’est pas terrible, car la pauvre Linda Gail en rajoute un peu trop. On ne peut pas dire qu’elle frise le ridicule, car ça ne plairait pas à son frère. Heureusement, Jerr fait un festival sur «What’s Made Milwaukee Famous». Il monte sa chantilly avec une virtuosité toujours plus effarante.

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             Même quand on n’est pas fan de country, on se fait avoir avec les deux volumes de The Country Music Hall Of Fame Hits parus en 1969. Ne serait-ce que pour les deux reprises d’Hank Williams, «I’m So Lonesome I Could Cry» et «Jambalaya», figurant sur le Volume 1. Lonesome est sans doute le mélopif country le plus célèbre, et Jerr lui donne une fabuleuse présence émotive. Avec «Jambalaya», soudain tout s’éclaire. Jerr chante son cajun accompagné au violon. Il démarre son Volume 1 avec un gros coup de bonanza de country bona fide intitulé «I Wonder Where You Are Tonight». Ah ce Jerr, il est terrible, il nous en fait voir de toutes les couleurs ! S’ensuit un épouvantable mélopif chargé de tout le pathos nashvillais : «Four Walls». Bon, c’est vrai, Jerr chante pas mal de bluettes country à la con, mais il les chante vraiment bien. En B, il croone sa country de «Born To Lose» au clair de la lune en l’enjolive en gonflant ses syllabes comme des crapauds. Forcément, comme 69 est une année érotique, Jerr n’enregistre que du mélopif country bien gluant. Avec «Oh Lonesome Me», il se tape une belle tranche de mid-tempo sweep-along. Puis Linda Gail le rejoint pour «Jackson» et là ils font un carton, carton qu’on retrouve d’ailleurs sur l’album de duos avec Linda Gail, Together, paru la même année. Linda Gail gueule comme il faut, avec un brin d’hystérie. 

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             On les retrouve tous les deux sur le Volume 2 avec «Sweet Thang» : nouveau carton que Smash va aussi recycler sur Together. Jerr et Linda Gail sortent de la country et ça devient intéressant, même si elle devient un peu trop hystérique. Jerr attaque son Volume 2 avec «I Can’t Stop Loving You» et il hausse un peu le ton, il shake son vieux romp à la magistrale de la martingale. Mais en même temps, on s’inquiète car on voit bien à l’écoute d’un cut comme «Fraulein» que Jerry Kennedy a réussi à limer les crocs du Killer. Il se peut que Jerr ait subi les impératifs de la pression commerciale : c’est la country qui se vend le mieux aux États-Unis en 1969. Bon et puis Jerr s’est toujours réclamé de la tradition de l’old time religion, alors banco pour la country. C’est avec «Burning Memories» que Jerr regrimpe au sommet de son art. Il faut le voir honorer cette vieille bluette déchirante.

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             En fait, tu récupères Together uniquement pour la pochette. Comme t’es dingue de Jerr, à l’époque, tu te régales de le voir avec sa frangine sur le pont rococo. Ce sont eux les plus belles superstars de tous les temps, avec Elvis et Vince Taylor. Ils démarrent en trombe avec «Milwaukee Here I Come». Ils foncent au même trot. Diable, comme ils sont drôles. Avec «Don’t Take It Out On Me», ils se veulent plus poppy. On sent qu’ils s’entendent bien tous les deux. D’ailleurs ça se voit sur la pochette. Sur certains cuts, ils sont imparables. On retrouve à la suite «Jackson» et «Sweet Thang»» et ils bouclent leur balda avec «Secret Places». Aïe aïe aïe ! Dès qu’elle attaque c’est foutu. Elle roucoule comme une vieille dinde alors que Jerr chante au calme serein. Par contre, elle devient intéressante au contre-chant. C’est elle qui attaque la B avec «Don’t Let Me Cross Over». Elle gueule comme un putois. Heureusement que Jerr arrive. Ouf !  Ils partent tous les deux au petit trot sur «Gotta Travel On», mais elle redevient vite insupportable dès qu’elle se met à gueuler. Ils terminent avec une belle version de «Roll Over Beethoven». C’est encore elle qui attaque, mais Jerr veille à rétablir sa suprématie.

             La dernière fois qu’on a pu voir Jerr sur scène, ce fut au Zénith du Parc de la Villette, pris en sandwich entre Linda Gail et un Chucky Chuckah coiffé d’une casquette de yatchman.

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             Dans Rockabilly Generation, Linda Gail rappelle qu’elle a grandi dans un milieu très pauvre et que tout a changé quand Jerr est devenu riche : nouvelle baraque, nouvelle bagnole, allez hop mille dollars par ci, mille dollars par-là, et t’as Jerr qui roulait en Cadilllac décapotée, le cigare un bec. Elle revient sur l’histoire des mariages ados qui est, dans le Sud, d’une banalité sans nom, mais qui ne passe pas en Europe. Linda Gail s’est mariée à 14 ans. Vite divorcée. Gamine divorcée, plus d’avenir ? Grrrrrr, Jerr lui apprend à jouer du piano.

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             Dans Vive Le Rock, Garth Cartwright claque trois pages sur Linda Gail. Pareil, la petite interview, le «j’ai grandi dans my big brother’s shadow», un big brother qui était une légende, comme on sait. Cartwright est ravi d’interviewer Linda Gail qu’il trouve «warm, funny, thoughtful et débordante d’histoires extraordinaires.» Cartwright est fan d’elle car il connaît le fameux album de duos avec Jerr, Together, et il a surtout flashé sur son dernier album, l’excellent Rockabilly Queen - Linda Gail is the real deal, s’exclame-t-il, l’écume aux lèvres.

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             Dans le micro de Cartwright, Linda Gail se dit folle de son Rockabilly Queen - An awsome producer, great players, and the best record company in the world - Cleopatra, pour ne pas la nommer. 77 balais pour Linda Gail, mais in the spotlight après une vie dans l’ombre de Jerr. Elle tourne partout, USA & Europe, choo choo-promo. Alors c’est qui l’awsome producer ? Danny B. Harvey en personne, le rockabilly guitar icon qui jouait avec Slim Jim Phantom dans The Head Cat, avec Lemmy. Rockabilly Queen est un album assez somptueux, il démarre en trombe sur une puissante cover du «Funnel Of Love» de Wanda Jackson. L’Harvey colle bien au papier du thème et Linda Gail sort son meilleur sucre candy. Puis ça vitupère avec le «Baby Please Don’t Go» des Them. T’as l’ex-Tiger Army et Head Cat Djordje Stijepovic au bassmatic hypno, c’est du power pur, avec le sucre de Linda Gail en plus, un vrai sucre niaqué. Une vraie bombe atomique ! Elle n’est pas la frangine de Jerr pour des prunes. T’as en plus les imperceptibles syncopes de slap et les 3/4 en ciseaux de Slim Jim. Ils repartent plus loin au débotté avec «Train Kept A Rollin’». Ces gens-là savent gratter un beat de train sous le boisseau de Johnny Burnette. Et l’Harvey part en maraude dans le lagon du paradis. «Flipsville» est plus rockab, avec une Linda Gail qui explose son petit sucre. Puis le niveau va hélas baisser doucement. Ils tapent une petite cover de l’«Eeny-Meeny-Miney-Moe» de Bob & Lucille, et avec «Seven Long Years», Linda Gail tape une heavy country de laisse tomber baby. Et ça devient trop classique. On perd la bombe atomique.

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             Cartwight demande d’ailleurs à Linda Gail si elle a rencontré Lemmy - Sadly not, répond-elle, but I did speak to him on the phone - et elle ajoute que sa fille a chanté avec lui. Ça fait du bien de voir Lemmy débouler chez les vieux crabes. Et pour éclaircir toute cette histoire, Linda Gail révèle que sa fille a épousé Danny B. Harvey - Which keep things a family affair - Non seulement Danny «is the most fabulous guitarist and produucer and he’s also a brillant son-in-law.» Voilà pourquoi elle se retrouve avec les mecs de The Head Cat en studio.

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             C’est la même équipe, Linda Gail/Danny B. Harvey/Slim Jim Phantom qui est allée l’an passé à Memphis enregistrer chez Sun A Tribute To Jerry Lee Lewis - We recorded both albums in two days - we don’t mess about!. Pas évident tout de même de taper dans l’intapable, même quand on est la frangine du rois des intapables. Elle commence avec «Whole Lotta Shakin’ Going On». C’est bien mais ça manque cruellement de Jerr. Surtout celui-là ! On dira la même chose de «Rockin’ My Life Away», on s’attend à voir arriver Jerr au deuxième couplet, mais il est six pieds sous terre, donc c’est compliqué. Pire encore avec «High School Confidential». Jerr attaque ça au guttural, alors Linda Gail fait ce qu’elle peut pour retrouver l’esprit du guttural en feu, mais bon, le compte n’y est pas. Mais pour pianoter, elle pianote, sur «I’m On Fire», elle y va au rentre-dedans. Par contre, elle se montre déchirante sur «You Win Again», et même criante de véracité country. Fantastique petite frangine ! Elle compense au mieux. Son «Great Balls Of Fire» manque de Jerr, même si elle allume. Et sur «Crazy Arms», elle y va au vieux yodell de la Louisiane. Par contre, elle est complètement dingue de s’attaquer au «Lewis Boogie». Elle s’en tire pas trop mal - I do my boogie Woogie/ Eve/ Ry/ Day ! - Elle est fantastique d’allure et d’aisance. Puis elle duette sur quelques cuts avec le cousin Mickey Gilley, ils font un beau «Stand By Me» bien country, et c’est elle qui attaque l’excellent «Playboy». Ils sortent tous les deux un son extrêmement américain. Finalement on sort ravi de cet album, car c’est un bel hommage à Jerr.

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             Linda Gail rappelle ses souvenirs de jeunesse quand Jerr est devenu célèbre : «Quand un nouveau disque de Jerry Lee sortait, momma le mettait sur le tourne-disques et le passait over and over again.» Puis arrive la catastrophe de 1958, quand un fucking journaliste anglais demande à Jerr quel âge a sa femme Myra. Il dit qu’elle a 15 ans, alors qu’en réalité elle en a 13 - and a first cousin - Fin de la tournée anglaise et fin des haricots aux États-Unis. Mais, dit Linda Gail, Jerr ne se plaignait pas. C’est là qu’elle rappelle qu’elle aussi s’est mariée à 14 ans, et sa sister Frankie à 12 ans - So we didn’t see anything wrong with it - Mais ce qui est important, dit-elle, c’est que Jerr et Myra s’aimaient. Myra et Jerr ont adoré se marier pendant toute leur vie : chacun d’eux va se marier 7 fois. De son côté, Linda Gail ajoute qu’elle a fini par trouver le bon : Eddie Braddock, son mari depuis trente ans - So I finally got it right - Linda Gail rappelle aussi qu’elle a débuté sa carrière d’artiste en faisant des backing vocals pour Jerr. 

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             Elle parle encore à Cartwright de l’album qu’elle a enregistré avec Van Morrison, You Win Again, où ils duettent sur Hank Williams et John Lee Hooker, mais leur relation va mal tourner et Van the Man va prendre Linda Gail en grippe. En retour, elle qualifie Van de «strange, difficult man, I don’t why he had to be so mean.» Pas facile, la vie. Par contre l’album est étonnamment bon. Van the Man fait quasiment tout le boulot. En fait, il ne laisse pas beaucoup de place à Linda Gail. Démarrage sur des chapeaux de roues avec l’excellent «Let’s Talk About Us» d’Otis Blackwell. Linda Gail colle bien au train, enfin tant qu’elle peut. C’est elle qui pianote, dans la plus pure tradition de Jerr. Mais c’est Van the Man qui pilote le bolide. Ils font une cover géniale du «Jambalaya» d’Hank Williams, avec un Van the Man en son of a gun. Ça swingue down the bayou. Ils remettent le feu aux poudres avec le fast boogie d’«Old Black Joe». Van the Man te chauffe ça à blanc et Linda Gail s’accroche comme elle peut à ce train d’enfer. Encore un joli shoot de rock avec «No Way Pedro». Van the Man domine tout le stuff. Il bouche encore la vue dans le «Why Don’t You Love Me» d’Hank Williams, puis il dévore tout cru le «Cadillac» de Bo Diddley - I don’t want no Cadillac - et il y va au oh-oh-Cadillac ! Ça se termine en apothéose avec une cover demented du «Boogie Chillen» d’Hooky. Van the Man l’explose. À ce stade des opérations, on ne cherche même plus à savoir où est passée Linda Gail.

    Signé : Cazengler, Rockaboulet Dégradation

    Jerry Lee Lewis. Country Songs For City Folks. Smash Records 1965

    Jerry Lee Lewis. Another Place Another Time. Smash Records 1968

    Jerry Lee Lewis. Sings The Country Music Hall Of Fame Hits Vol. 1. Smash Records 1969

    Jerry Lee Lewis. Sings The Country Music Hall Of Fame Hits Vol. 2. Smash Records 1969

    Jerry Lee Lewis & Linda Gail Lewis. Together. Smash Records 1969

    Van Morrison & Linda Gail Lewis. You Win Again. Virgin 2000

    Linda Gail Lewis. A Tribute To Jerry Lee Lewis. Cleopatra 2023

    Linda Gail Lewis. Rockabilly Queen. Cleopatra 2024

    Rockabilly Generation # 31 - Octobre Novembre Décembre 2024

    Garth Cartwright : Working girl. Vive Le Rock # 116 – 2024

     

     

    Wobble is able

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             En 2009, Jah Wobble publiait Memoirs Of A Geezer. On avait hésité à mettre le grappin dessus. Pourquoi ? Parce que la messe était dite dans le book de Phil Strongman, Metal Box - Stories From John Lydon’s Public Image Limited. On ne voyait pas bien l’intérêt de relire la même histoire, d’autant que le rôle de Jah Wobble se limitait aux deux premiers albums, First Issue et Metal Box. Et puis, il y a tout ce que raconte Nick Kent à propos de son agression par le duo Sid Vicious/Jah Wobble au 100 Club, en 1976, c’est pas terrible. Entre Apathy For The Devil et Memoirs Of A Geezer, ton cœur ne balance pas.

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             Et voilà que Memoirs Of A Geezer reparaît, sous un titre rallongé (Dark Luminosity - Memoirs Of A Geezer) et une nouvelle couve. La curiosité restant le gros défaut que l’on sait, on a donc rapatrié le Geezer vite fait, d’autant qu’on venait tout juste de craquer pour une box chaudement recommandée, Redux - Anthology 1978-2015.

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             Wobble c’est encore plus compliqué que ça. Autant on avait savouré son dub sur Metal Box, autant on avait détesté sa world dans les années 90. Et pourtant, comme tous les gros cons que nous étions, on achetait les albums. La basse ! La basse ! La curiosité, toujours. L’idée qu’on pouvait retrouver le dub de Metal Box. Oh, il n’a jamais complètement disparu, mais il s’est noyé dans la masse. Wobble a enregistré des centaines d’albums. N’importe quoi !

             Il en parle de ses albums dans ses Memoirs. Au moment de partir en solo, il se demande s’il est capable de remonter un groupe après PIL, il va même jusqu’à croire que son temps dans le music game était fini, and that was that. Et crack, on lui propose de faire un album avec les mecs de Can ! Jaki Leibezeit et Holger Czukay ! Wobble flashe sur Holger, qu’il compare à un alchimiste et qu’il voit très influencé par Dali. Quant à Jaki... - What can I say about that bloke? He was the ultimate drummer. Playing with him was a revelation - Et il ajoute : «Jaki’s DNA pulse was an exact match to mine - hand in glove, so to speak.» Wobble n’en finit plus de rendre hommage à Jaki Leibezeit : «Most drummers are a bit weird. But Jaki took the biscuit.» Et il dit pourquoi.

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             C’est l’occasion ou jamais d’écouter le Full Circle d’Holger Czukay, Jaki Leibezeit et Jah Wobble, paru en 1981, année de l’élection de François Mitterrand. C’est bien sûr du pur jus de Can. Pas de surprise, mais bel album. Très Babaluma. Côté Jah, rien de nouveau depuis Metal Box. Jah joue toujours le même groove. Il ne sait rien faire d’autre. «C’est déjà pas mal», diront certains. «On voit qu’il est vraiment limité», diront d’autres. En attendant, il s’amuse bien dans l’hypno infini de Can. Il se fond dans le Babaluma. Jah semble coloniser Babaluma, comme le montre le morceau titre, mais en fait, il est complètement babalumé. C’est bien que Can prédomine, faut pas déconner. Jah n’a pas inventé la poudre. Tout est très étiré en longueur, sur cet album fantastiquement contrebalancé et extrêmement agréable à écouter.  Jah ne sert à rien, en fait, il continue de faire son Metal Box, mais il est dévoré tout cru par l’excellence de l’excelsior Cannais, il ne fait que gratter les trois notes qu’il connaît, pendant qu’Holger et Jaki bâtissent un monde. Can reste un des phénomènes les plus prégnants du cosmos rock. Sur «Twilight World», le Jah va chercher des notes en bas du manche. Les dynamiques sont intenses. Finalement, tu sors ravi et épuisé de cet album, comme si tu sortais de la chambre de la reine des putes.   

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             Quand Wobble monte son label, il le baptise Lago, en l’honneur de Clint Eatswood qu’il admire pour son self-sufficiency and artistry - Lago est le nom de la ville dans High Plains Drifter, which was one of my favourite films - Puis il passe à l’ère Invaders Of The Heart. Il parle d’une spirale de booze, de speed et de coke, et là il ramène une belle référence cinématographique, Ray Liotta dans Goodfellas - Ray Liotta’s coke-addled character Henry is trying to keep it all together - Dans le circuit des tournées, il croise Jeffrey Lee Pierce, un Pierce qui lui dit de faire gaffe et Jah lui rit au nez, et boom, il attaque le breakfast au Jack Daniels. Il ajoute plus loin que «the gross emotional immaturity is one of the most noticeable aspects of alcoholics.» Il cite un peu plus loin Al Jourgensen, expert en excès de tous genres : «Al Jourgensen a écrit dans un book que j’étais le seul mec who had ever drunk him under the table. I really don’t remember it that way. Just a blackout, and me going mental.» Car oui, le gros problème de jah, c’est la violence. Il adore particulièrement se piquer la ruche à Glasgow - I always liked the way they drank in Glasgow: a beer with a chaser, ad infinitum. That was my way of drinking.

             Il se rappelle aussi avoir vendu aux Mary Chain la Fender Precision qu’il utilisait au temps de PIL - They were delighted to have the bass that had been used on Metal Box - Ils l’ont sortie de l’étui avec des gestes de dévotion, «so this is really it? The bass that was used on Metal Box?» My attitude was: ‘Yeah yeah, whaterver. Hurry up and give me the money, I need a fucking drink.» Page suivante, il annonce qu’il est sobre depuis 37 ans - Clean and sober.

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             Sa passion pour Miles Davis est peut-être ce qui le rend le plus sympathique à nos yeux. Il rend hommage à Tutu et à Marcus Miller et son funky slap bass, un style qui, ajoute-t-il, trouve son origine chez Larry Graham. C’est bien qu’un bassman cite les grands bassmen. Plus loin, dans l’autobio, il cite Dark Magus comme son «favourite Miles Davis album.» Il pense que Metal Box n’est pas très éloigné de l’Electric Period Miles in spirit.

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             Il se réfère au Colonel Kurtz pour évoquer Without Judgement et y insère des extraits de fameux monologue - He also talks about the need to act without judgement - Bon alors attention, c’est le genre d’album dont on peut facilement se passer. On ne l’écoute que parce que Kurtz, mais le compte n’y pas. Jah ramène son dub en La dès «Bungalow Park». C’est une obsession. Justin Adams est un bon guitariste. Les Invaders sont en quête de modernité, mais leur quête passe par des effets, et ça ne marche pas. Leur «A13» se fond dans l’Autoroute de Normandie et le reste des cuts se fond dans l’anonymat. Ils font n’importe quoi. Ils ont perdu le Metal Box. Sans John Lydon, ça ne peut pas marcher. Il n’y a aucune émotion dans cet album, tout est plaqué sur des trames nulles et non avenues. Jah aurait pu capitaliser comme une bête sur Metal Box, mais il préfère jouer une mauvaise world prétentieuse. «Spirit» se verrait bien dans les steppes d’Asie Centrale, mais ça manque de yourte. «Voodoo» se verrait bien sur les hauts plateaux du Maghreb, mais il est dans le bas plateau du magret de canard boiteux. On retrouve quasiment le même groove sur tous les cuts. Leurs petits exercices de style finissent par t’épuiser la cervelle. Ils terminent cet album interminable avec «Will The Circle Be Unbroken», un vieux standard de gospel qui date des Staple Sigers. C’est lamentable. Le mec se prend pour John Lydon, et sa prétention te coupe la chique.  

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             Jah s’attarde aussi longuement sur Take Me To God - I wanted Take Me God to have a large emotional and spiritual range - On y retrouve un peu de dub, notamment dans «Amor Dub», pur jus de rastafari, Jah le joue au heavy dumb dub. Il fait aussi de l’heavy dub de Jah dans «Amor», et de l’exotica africaine dans «Angels». Si tu veux entendre un vrai bassman, c’est là. Avec Jah, ça joue, mais c’est de l’exotica. Il va complètement à l’envers de l’éthique punk : il surjoue. Encore un fort parti-pris d’exotica dans «Whisky Priests». C’est puissant et tapé aux percus. Globalement, Jah cherche sa voie. Il vire parfois passe-partout, et ça peut devenir très m’as-tu-vu. Il orientalise son drive de basse dans «Raga» et donc, c’est un album qui n’ira pas sur l’île déserte. Ça lui est même interdit.

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             Tant qu’on y est, on peut aussi écouter Rising Above Bedlam. Juste pour l’écouter bassmatiquer dans le morceau titre. Il y joue le dub comme un dieu. C’est la raison pour laquelle on a continué pendant un temps de rapatrier et d’écouter ses albums. Il fait encore le show avec «Visions Of You». Il groove dans la couenne du lard. T’as Natacha Atlas dans «Bomba», et ça vire trop world. Mais ça reste puissant côté bassmatic. Jah joue distinctement. Il ramène encore du dub derrière Natacha dans «Erzulie». Mais dès que le dub disparaît, le son retombe comme un soufflé. Tout se barre. Jah adore se mettre en scène. Il ne fait que jouer des basslines. Il est partout dans son son.

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             Il cite aussi Lonnie Liston-Smith, qui fit partie du groupe de Pharoah Sanders - In fact, the B-line to Liston-Smith’s Expansions is probably my favourite B-line of all time. It drives me insane. The Soul and jazz funk scenes turned me onto quite a few jazz artists, people such as Roy Ayers, Johnny Handy and Johnny Guitar Watson - Alors on sort l’Expansions de l’étagère. Album de groove parfait. Une merveille volante. Normal, c’est du Flying Dutchman. Le morceau titre est monté sur un bassmatic alerte, de quoi rendre le Jah fou de jalousie ! Ça s’étend bien dans le temps. Belle énergie. Puis Lonnie Liston s’en va groover le jazz dans le désert avec «Desert Nights». C’est très beau, très pur, en suspension. Belle masse en attente. C’est le jazz power, seul le piano est en liberté, ça tient tout en haleine. Encore un joli groove de classe majeure avec «Summer Days». Ça groove dans la tiédeur de la nuit, ça jazze dans l’absolu, et ça donne le tournis tellement c’est beau, tellement ça coule de source. Quelle magie et quelle lumière ! «Voodoo Woman» est plus monolithique, ce sont les flûtes qui jerkent le booty. Tout est tellement riche, t’en perdrais ton Latin. Avec «Peace», il prêche dans le désert - All we need in this world/ Is to have the time of peace - C’est du round midnite à la Lonnie Liston et t’as à la suite un «Shadows» joliment groové sous le boisseau. Rien de plus glissé sous le boisseau que ce truc-là. Big boisseau, en vérité. Qualifions ça d’anticipation évanescente, si vous le voulez bien. Il creuse encore bien son écart avec «My Love». Il polit bien son chinois, c’est un artiste, un doux rêveur, il cultive un onirisme à la Kurt Weil, il est éperdu de bonheur au piano, il a trop d’oxygène, et t’as le bassmatic qui devient organique, Lonnie Liston revient et enchante à la Sing Low, c’est de la magie pure, your love is so/ divine, t’as le groove du paradis, il tortille son be/ cau-au/ se/ you are/ my love.

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             Retour au Jah solo. «The Heaven & Earth album is a personal favourite of mine.» C’est vrai que la pochette est belle. Le ciel est d’un bleu, baby ! Et puis t’as Pharoah Sanders dans les parages. Et «Hit Me» ! Le dub y déboîte dans le doux du drain. C’est un dub qui donne du doom, qui se dandine dans les draps, et même si ça n’est au fond que de l’ambiancier haut de gamme, il en restera le souvenir du dub et de Pharoah. Avec «A Love Song», Wobble tente d’instaurer le règne du dub dans sa daube, mais ça ne marche pas. C’est un son qui vieillit mal et Natacha Atlas sauve les meubles en chantant son heavy exotica. Sur «Gone To Croatan», Jah croise le dub avec la flûte de Pharoah, alors ça voyage dans l’inner de l’outer, et ça donne un mélange astucieux et harmonieux. Mais rien ne bouge. Le cut s’installe dans le dub. Sur la fin, Pharoah attrape son sax.  

             Puis l’autobio va comme beaucoup d’autobios dégénérer avec des histoires de famille heureuse et de reconnaissance planétaire. Les 100 dernières pages sont imbuvables : comment un punk vieillit bien. On perd ce qui fait le sel de la terre de Jah : l’évocation des héros de sa jeunesse. Et ces évocations ne tiennent que par le style.

             Car le Geezer a du style, sinon il ne serait pas un geezer. Le meilleur exemple est sa façon de raconter sa venue au monde : «The midwife held me upside down and smacked my bum, causing me to issue forth a loud and furious wail. She laughed and said, ‘This one got a temper.’». Le Geezer raconte qu’il est né at the East End Maternity Home, on Commercial road, Stepney, London, E1, le 11 août 1958, qu’il fut baptisé John Joseph Wardle et quand la sage-femme l’a sorti du ventre de sa mère, elle l’a tenu par les pieds, lui a claqué les fesses et Jah a poussé un cri énorme, ce qui lui a valu la réflexion du temper. C’est la page 1 du book, et rien qu’avec la narration de cet épisode, tu sais que tu vas te régaler, car l’East-ender écrit bien. Plus loin, il raconte l’école - I found school stupefyingly boring. I was suddenly developping a problem with any form of authority - Il devient alors ce qu’il appelle an absolute nuisance. Viré ! Tant mieux ! Quand on lui dit qu’il n’a plus le droit d’entrer à l’école, et que s’il y remettait les pieds, on appellerait la police - I wasn’t bothered to the slightest - La formule est belle. Il a des tournures d’argot punk, sûrement de son invention. 

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             Pas mal de choses sur l’Angleterre. Si on veut tout savoir d’une enfance dans l’East End, c’est là. Jah s’est considéré anglais jusqu’au Brexit. Il indique aussi que la fin des sixties était «the skinhead era, and ska was the popular urban music of its time. In the East End, it was called ‘blue beat’.» Le premier single que lui a acheté sa mère fut «Welcome To My World» de Jim Reeves, un mec très populaire en Jamaïque. Puis il dit avoir adoré «Strawberry Fields». Pour lui, c’est le cut définitif des Beatles. Mais ses parents ne l’ont pas autorisé à acheter le single, considérant qu’il s’agissait de druggy music. Puis sa sœur achète the Tighten Up volumes sur Trojan - When I heard that music, I went absolutely nuts for ir - Puis il indique qu’il entendit le «Marcus Garvey» (and the dub version) de Burning Spear dans l’émission de Tommy Vance, «it was one of the seminal moments in my life.» Puis il flashe sur l’Innervisions de Stevie Wonder - I was totally obsessed with that album - Il hait Tommy mais adore Quadrophenia - My other big love was Rod Stewart’s Every Picture Tells A Story - Il lit aussi like crazy, et boom, il cite «Hemingway, Steinbeck, Camus, Greene, D. H. Lawrence, Zola, Ballard and Orwell.» Il traîne ado dans les clubs et flashe sur «The Hustle» par Van McCoy, mais surtout sur «E Man Boogie» et «Potential» du Jimmy Castor Bunch, mais aussi sur le «Fight The Power» des Isley Brothers. L’un de ses albums favoris fut Natty Cultural Dread de Big Youth, et il raffolait de «King Tubby Meets The Rockers Uptown» par Angustus Pablo. Voilà ce qu’on appelle une Éducation Sentimentale à l’anglaise.

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             Oh mais le jeune Jah raffole aussi de la violence. Sa mère tenta un jour de lui balancer la friteuse dans la gueule - Je l’ai esquivée de peu. I moved as quickly as those dudes in the Chinese martial art films - Petit, il se bagarre pas mal, notamment avec un gamin de son âge, nommé Little John - I recall getting into big trouble for hitting him with a brick on one occasion. I really wacked him - Une brique dans la gueule ! Jah ne rigole pas. Il dit aussi qu’il a pris lui-même quelques coups dans la gueule - Then again, I’m sure that he wacked me a few times - Il raconte encore qu’il a démonté la gueule d’un ingé-son qui lui manquait de respect - It was all very ugly and unpleasant. He ended up covered in blood a few minutes later - Par contre, pas un mot sur l’épisode Nick Kent.

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             Ce qui nous ramène droit au punk. Il a un chapitre titré ‘Punk’ et annonce qu’il ne va pas s’étendre trop longuement sur le sujet - I won’t bang on too much about the (so-called) punk scene - parce que depuis 40 ans tout le monde en parle, même dans les universités. It has got a bit absurd now, in my view - Il pense que ça ne vaut pas le coup qu’on en parle comme on parle de la Révolution russe ou du mouvement Impressionniste - In truth, I was absolutely bored with the whole punk thing by the summer of 1977 - Et pouf, il vole dans les plumes des Clash - However, I didn’t really like what they did, it wasn’t my taste. I found them a bit lightweight - Et il ajoute, sur le même ton, que ses potes et lui donnaient du fil à retordre aux Clash - We couldn’t take them seriously, all those silly songs like ‘Bank Robber’. I thought that they were a manufactured band  compared to the Pistols - Puis il conclut en affirmant qu’ils se prenaient au sérieux, ce qui vaut pour une condamnation.  Wild Billy Childish dit aussi que les Clash n’ont rien fait de très propre après leur premier album.

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             Jah rencontre John Lydon au Kingsway College. C’est une rencontre qu’il qualifie de «Stanley/Livingstone moment», telle qu’on en vit peu dans une vie - John of course was another reprobate, he was someone who thought ‘everything was bollocks’, to even a greater extent than I did - Jah a 16 ans, et Lydon a trois de plus, et les cheveux longs (hennaed as I seem to remember) - A mutual love of Hawkwind helped cement the friendship - Et ils vont voir jouer Hawkwind sur scène aussitôt après leur rencontre. C’est le conte de fée qui se remet en route : la formation d’une amitié qui va déboucher sur la formation d’un groupe. Puis Lydon et son copain d’école John Gray emmènent Jah voir Dr Feelgood. Jah flashe sur Lee Brillaux et Wilko - However, the best gig that I went to at that time - in fact the best gig that I have ever seen, by a country mile - was Bob Marley and the Wailers at the Lyceum en 1975 - L’autre copain de Kingsway, c’est bien sûr John Beverley, plus connu sous le nom de Sid Vicious - Yet another bloody John! - C’est Lydon qui le surnomme Sid. «There were now four Johns», c’est-à-dire Lydon, Sid, Jah et John Gray. Jah fréquente beaucoup Sid à l’époque, mais il avoue n’être pas très à l’aise avec lui. Il préfère l’éviter quand c’est possible. En 2009, Jah va même faire un docu sur Sid, In Search Of Sid. Et bien sûr, c’est Sid qui baptise John Wobble Jah Wooble. 

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             Puis Jah en arrive au recrutement de Lydon par McLaren dans la boutique Sex - When McLaren chose John Lydon he hit pay dirt, because he got more than a charismatic frontman. John était gorgé de haine, il venait d’un quartier qui n’était pas une banlieue, et il incarnait un truc qui était au cœur de la disaffected British working-class youth in a way other lead singers in UK punk bands could only dream about - et bam, il balance ça qui est tellement vrai : «The Pistols were a great band, the best of punk groups by a country mile.» Jah trouvait les autres groupes fades, en comparaison des Pistols. Et il rend hommage à Steve Jones «who really was a powerful guitarist.» Puis quand John Lydon voit que McLaren signe des contrats mirobolants et que lui, le Rotten, n’a pas un rond et qu’il dort dans des squats, c’est là que les ennuis commencent.

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             Wobble fréquente un peu les Heartbreakers, mais n’apprécie pas trop leur compagnie. Il les traite d’ailleurs de smackheads - The American side of punk was generally full of mutton-dressed-as-lambs degenerates - et il en arrive fatalement à évoquer les drogues. Alors oui, crystal meth on a couple of occasions - My God, that was very potent stuff - Il achète the sulph le vendredi soir at the Brecknock public house on the Camden Road. Et puis bien sûr la booze. Quand il n’a pas de blé, il carbure au cidre.

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             C’est en 1977 qu’il décide d’apprendre à jouer de la basse. Il écoute Stockhausen et Ligeti qu’il emprunte à la bibliothèque. Il commence par jouer sur une Music Man copy. Il s’intéresse aussi au groove et à Robbie Shakespeare, «who played the heavy bass I was inspired by. Heavy bass had an effect on me that was essentially visceral.» Il reparle plus loin de ce «bass thing» - It still gets me. When I take my seat in front of my bass stack, and play that first deep note of the gig, I still get a shiver down my back - Confession d’un bassman. Il vit ça pour de vrai. Et ça s’entend sur Metal Box.

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             On y arrive. PiL ! C’est Keith Levene qui entend jouer Jah au Warwick Road squat et qui conseille à John Lydon de le prendre dans PiL - Keith thought that I would be ideal to play bass in the band - Et c’est à Jah qu’échoit le rôle de mener la charge - Led the charge and come up with the bass lines first - Tout va reposer là-dessus. C’est la spécificité de PiL. Jah ne craint ni la mort ni le diable, il groove - In some respects my playing was limited, you could even call it naive - but because of my limitations I adopted a very direct approach, and the result of that was very effective - Eh oui, Jah, on n’entend que toi dans PiL, le dub de Jah ! Mais la magie de PiL ne va pas durer longtemps, car il y a un junkie dans le groupe, Keith Levene, et Jah sait que ça ne marche pas avec un junkie. Il aime bien Keith pourtant, mais the musical empathy n’a duré que depuis leur rencontre au Warwick Road squat jusqu’aux «two-thirds of the way throught the Metal Box sessions.»

             Côté blé, c’est pas brillant avec Virgin : on leur verse une avance, mais ils doivent payer le studio, et Jah compare le procédé à l’exploitation des mineurs, qui devaient dépenser le blé gagné au fond du puits dans la boutique de la coal company. C’est l’esclavage moderne. Rien n’a changé depuis le temps des plantations.

             Jah évoque l’avance de Virgin - I think it was around £75,000 - et reste salarié (still £60 per week), mais à l’époque il s’en fout, car il sait qu’il faut financer le studio et les drogues. Il ne touche rien sur le merch, ni sur les recettes des concerts. Pas un penny ! Il soupçonne bien sûr Keith Levene et ses potes de financer sur le compte de PiL l’hero qu’ils se shootent chaque jour dans les bras, «and I must say that dit annoy me.» Il évoque aussi the publishing advance qu’il estime à £30,000, ce qui permet à Lydon d’acquérir l’appartement en dessous de celui qu’il possédait déjà à Fulham - This was in the days when a flat in Fulham could be purchased for £30,000 - Pour conclure sur l’aspect financier des choses de PiL, Jah pense que personne à part John n’a pu tirer quelque profit que ce soit of the Public Image. Mais quand PiL a un Top Twenty single et un Top Twenty album, Jah trouve que c’est insultant de se retrouver avec un salaire de £60 a week.

             Puis arrivent les avances pour Metal Box, et là ça dégénère : Jah est obligé de leur courir après pour récupérer son maigre salaire. Il fait partie de ceux qui n’aiment pas trop qu’on les prenne pour des cons. Et ça l’étonne de la part de John Lydon, qui lui aussi est passé à la casserole au temps des Pistols. Jah dit que Lydon a un grand discours égalitaire, mais en réalité, c’est tout pour sa pomme.

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    ( Dennis Morri s)

             Et malgré tout ça, Jah entre en studio pour Metal Box. Il compare le lyricist John Lydon à Beckett. En dépit du chaos qui règne dans le groupe, Metal Box est selon Jah an artisitc success. L’enregistrement dure neuf mois. Une réelle antipathie affleure dans sa relation avec John, et il se dit surpris qu’on lui demande son avis sur la pochette. John Lydon insiste : ça doit s’appeler Metal Box. Alors Dennis Morris trouve le fournisseur de boîtes en fer. Quand Dennis Morris est viré du cercle PiL, Jah s’en va aussi. Il rappelle qu’ils sont tous les deux des East-enders, et qu’il sont partis la tête haute - We were geezers. I have a lot of respect for the bloke. We still occasionally talk nowadays.

             Jah fait quand même la tournée américaine. Il pense que PiL aurait pu devenir énorme en Amérique, parce que les Yanks, comme il les appelle, ont un vocabulaire musical beaucoup plus large (especially in regard to modal jazz), et bien sûr, John qui se prend encore pour un Pistol, «throught his stupid stubborn obstinacy, missed a great opportunity with PiL.»  De retour à Londres, Jah va chez John à Gunter Grove et réclame son salaire. Il est obligé d’aller taper à la porte ! C’est là qu’il décide de quitter le groupe.

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             Jah croise aussi la fameuse Jeanette Lee qui bosse avec Don Letts dans la boutique Acme, sur King’s Road. Jah n’aime pas Jeanette qu’il trouve un peu trop opportuniste : elle drague Strummer, puis Keith Levene, quand il s’agit pour elle d’entrer dans un clan. Jah la méprise et c’est réciproque - She hated the arrogant way that I would walk into Acme and take the piss left, right and centre out of her and Don - Bien sûr elle arrive à ses fins : John Lydon et Keith Levene convoquent Jah pour l’informer que Jeanette intègre PiL. Elle assiste au meeting. Jah dit que ça n’a pas de sens - In fact I thought that it was fucking mental. I was absolutely horrified. She couldn’t play anything, couldn’t sing - Et fait, Jah est le premier mec que Jeanette ne peut pas manipuler. Alors Jah se fait la cerise - By the time it came for me to leave the band, her face was on the front of PiL record covers! Welcome to Spinal Tap.

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             Il croise aussi la poule de John Lydon, Nora, la fille d’un baron de la presse allemande - She was apparently a very rich woman - Quand Lydon lui présente Nora, Jah est scié - I was gobsmacked, firstly because he had a girlfriend and secondly because, apart from being older than us, she was elegant, graceful and sociable (a very good laugh as well).

             Bien sûr, John Lydon va reformer PiL pour une tournée et demander à Jah de jouer. Jah se méfie, mais Rambo, le sbire de John, lui propose £1,000 en répète et £1,500 a week when gigging. 

             Pour conclure le chapitre PiL, Jah assiste aux funérailles de Keith Levene qu’il admirait tant pour sa modernité de jeu. Puis il salue John Lydon - Like an artful politician, he has won over most of the people all of the time - et il te balance ça qui est l’hommage suprême d’un geezer : «For all their faults, and there were/are many, I wish them well. Fuck me, what a weird, neurotic triumvirate of odd bods we were.» Voilà, c’est tout ce qu’il faut retenir de PiL : a weird, neurotic triumvirate of odd bods.

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             C’est l’instant rêvé pour sauter sur la box Redux - Anthology 1978-2015. Six dicx en tout et un gros book, t’as de quoi t’occuper. Le dicx A s’appelle Greatest Hits et bien sûr tu y retrouves le fameux «Public Image». Là, oui, t’as une voix et Keith Levene. Hallo ! Hallo ! Le Jah se noie dans le jus de génie, il bombarde dans la plus belle des Public Images. T’as un autre cut de Public Image, cette fois tiré de Metal Box, «Careering». Ça reprend du sens parce que Lydon. Sans Lydon, ça ne vaut pas un clou. On sent bien l’énergie des London boys. La basse structure le cut. Et puis t’as les hits de Jah, enfin il faut le dire vite. Tu retrouves «Visions Of You» qui tape plus dans la world, mais Jah se met bien en valeur. On ne voit que lui et ses tortillettes. Ça vieillit mal. Son bassmatic sonne comme un bassmatic de m’as-tu-vu, avec toutes les tortillettes à la carbonara prévisibles. Il teste la basse fuzz sur «Tight Rope», et avec «Becoming More Like God», on voit qu’il a appris à jouer. Il est devenu artisan accompli, il voyage en mode tortillard. On retrouve les arpèges du diable Levene sur «Poptones», tiré aussi de Metal Box. C’est incroyable comme ça fait la différence. Levene brouille les pistes. Jah ressort son dub dans «One Day». Toujours le même. Que peut-il faire d’autre ? Ça finit par ressembler à une grosse arnaque.

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             Le dicx B s’appelle The Eighties. Pas bon signe. Ça démarre pourtant avec le «How Much Are They» enregistré avec Jaki et Holger de Can, mais le Jah revient au devant du mix avec son dub. Il fait toujours la même chose. S’ensuit l’«Hold On To Your Dream» enregistré avec Holger et The Edge. Ils font de la petite world. Sœur Anne, vois-tu venir l’intérêt du haut de ta fenêtre ? Et puis voilà le cut qui te réconcilie avec Jah : «Blueberry Hill» et son bassmatic dévastateur. Là ça devient sérieux. On retrouve le punk. Et son «Invaders Of The Heart» sonne comme du Public Image, avec en plus les trompettes de Jéricho. Il enchaîne ensuite une série de cuts parfaitement inutiles. Tout est très long et très linéaire. Il ne sait pas jouer les variations. On perd le Public Image. Il se met à virer diskö fink avec «No Second Chances» et «Love Mystery». Il fait aussi le bal des Galapagos. Ça ne vaut pas un clou. Rien que de la daube jusqu’à «Sea-Side Special» et son gros festival de trompettes, mais ça reste basé sur le dub de Jah, toujours le même dub en La. C’est tout de même incroyable que ce mec Jah ait fait toute sa carrière sur le même dub en La.

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             Tout est bien classé chez Jah. Le dicx C s’appelle World Roots. Alors il va soit vers l’Espagne mauresque, soit vers le Moyen-Orient, soit vers l’Extrême-Orient. Il tombe dans tous les panneaux foireux de la world, comme le montre «Om Namah Shiva» : il y mélange les clochettes tibétaines et sa grosse basse de punk. Il n’en finit plus de refourguer son dub en La. Ça devient ridicule et il ne s’en rend même pas compte. Il fait chanter des Algériens dans «I Am An Algerian» et il fait du Japan Dub dans «Cherry Blossom Of My Youth». Son «Appalachian Mountain Dub» est presque beau, et il revient au dub pour de vrai avec «Reggae Parts The Sea», et pour une fois, c’est assez pur, on se croirait à Notting Hill Gate, c’est excellent. Là, t’as le vrai truc du rentre-dedans, et t’es là pour ça. Jah groove enfin. Son «Bomba» est superbe, très orientalisant, mélange de belle exotica et de dub de bon aloi. Il joue son «Angels» au big bass boom de gras double et revient au real deal de dub avec «K Dub 05» et un chant chinetoque ! Le festival se poursuit avec «Happy Tibetan Girl», big power d’exotica, Jah envoie le Tibet faire un tour dans le cosmos et ça continue avec l’heavy dub de «New Mexico Dub» et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà Natacha Atlas dans «Erzulie», c’est fameux, car monté sur le big bassmatic de Jah. Tout ça n’est pas rien. 

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             Avec le dicx D, tu passes à Jazz. Quel prétentieux ! Mais il lâche un peu la grappe de son dub pour accompagner les trompettes de Jéricho («Car Ad Music 3»). Appelons ça du fast jazz. Mais c’est plus fort que lui, il ramène son fat dub dans «Country Cousin». Aucune trace de jazz dans cette affaire de Country. Un sax vole le show dans «Hit Me», mais Jah la ramène avec son bassmatic proéminent. Il y joue des figures géométriques et ça n’a aucun intérêt. Il ne joue pas le jazz car il ne sait pas le jouer. Il reste en mode hypno alors que les trompettes de «Virus B» s’envolent. Il joue quasiment toujours le même thème. Il est coincé dans son rôle. Mais les autres s’amusent bien. La plupart des petits grooves urbains ne servent strictement à rien. Tu ne sais vraiment pas ce que tu vas faire de tout ce faux jazz. Jah est trop limité pour le jazz. Tu ne sais pas pourquoi t’écoutes un cut comme «Limehouse Cut». Et puis tu finis par craquer sur l’excellent «West End». La vie est ainsi faite.

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             Il s’amuse bien le Jah. Il a enregistré tellement d’albums qu’il peut se permettre de titrer  son dicx E Ambiant & Spoken Word. Ça veut dire en clair qu’il faut s’attendre à tout et à n’importe quoi. La meilleure illustration est le «Bagpipe Music» : summum de la tarte à la crème. Le Jah rentre toujours dans ses cuts à la même vitesse. Il ne cherche pas trop à évoluer. Il ramène son dub en La dans «Ocean Of Hills», mais c’est devant «Requiem II» qu’on tombe en arrêt, car ce requiem sonne tellement diabolique qu’il fout littéralement la trouille. On entend des chœurs d’anges de la désolation. On se remonte le moral un peu loin avec «Car Ad Music 2», car la basse chevrote et t’entends surtout BJ Cole sur sa gratte.

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             Alors, et le dicx F ? T’en rigoles à l’avance, car il s’intitule Cover Versions. Le Jah tape principalement des thèmes de BO, comme par exemple «Theme From Midnight Cowboy». C’est l’instro de trop. Il ramène son vieux dub en La dans «Theme From The Sweeney». Il est marrant, le Jah, il ne peut pas s’en empêcher. Et on ne comprend d’ailleurs pas pourquoi ce Theme dure si longtemps. Il ramène encore son dub en La dans «Comin’ Home Baby», toujours le même depuis Metal Box. C’est beau, mais ça finit par ressembler à une grosse arnaque. Itou pour «Theme From The Persuaders», par contre, pas de dub en La sur cette cover éhontée de «Take Five». Et comme il ne peut décidément pas s’en empêcher, il colle un vieux shoot de dub en La dans le museau de Peckinpah pour le fameux «Theme From The Good The Bad And The Ugly». Il nous en aura fait voir de toutes les couleurs. Sacré Jah !

    Signé : Cazengler, Jah Poobble

    Holger Czukay Jaki Leibezeit Jah Wobble. Full Circle. Virgin 1981

    Jah Wobble. Without Judgement. KK Records 1990

    Jah Wobble’s Invaders Of The Heart. Rising Above Bedlam. EastWest 1991

    Jah Wobble’s Invaders Of The Heart. Take Me To God. Island Records 1994

    Jah Wobble. Heaven & Earth. Island Records 1995

    Lonnie Liston Smith & Cosmic Echoes. Expansions. Flying Dutchman 1975

    Jah Wobble. Redux. Anthology 1978-2015. Cherry Red 2015

    Jah Wobble. Dark Luminosity - Memoirs Of A Geezer. Faber & Faber 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - Edwards aux mains d’argent

             Jean-Edouard se savait porteur d’une tare, mais il ne fit jamais rien pour se soigner. La tare en question est l’une des pires : la pingrerie, ou la mesquinerie, appelez-la comme vous le souhaitez. Doté d’un patronyme et de manières on va dire assez aristocratiques, il disposait pourtant des atouts qui auraient pu lui permettre d’échapper à cette malédiction. Mais la honte ne l’effrayait pas. Comme tous les pingres réunis en société, il attendait, à la fin d’un apéro, ou d’un repas, qu’un philanthrope se dévouât pour régler la note. On le voyait littéralement attendre, en observant les autres. L’heureux dénouement devait le faire jouir secrètement. Il devait savourer chaque seconde du spectacle de cet imbécile qui sortait sa carte bleue et qui tapait son code avec un grand sourire. Autre cas de figure : quand il traînait au merch après un concert, il asticotait le mec, il parlementait, il quémandait un sticker, ou un badge, il se plaignait de n’avoir plus que 5 euros pour finir le mois, alors, généreusement, le mec du merch lui filait un badge et parfois un disk. Jean-Edouard ne se contentait pas d’avoir tiré avantage du pauvre mec. Il fallait en plus qu’il l’humilie. Comment ? Au lieu de le remercier directement, comme l’aurait fait toute autre personne, il levait les yeux au plafond et remerciait Dieu de sa miséricorde. Il avait fini par se tailler une telle réputation qu’il fallut se résoudre à lui donner une bonne leçon. On pensait sincèrement œuvrer pour son bien. Nous formions alors une petite équipe et allions régulièrement écumer les conventions de disques. Après les emplettes venaient les agapes. Nous nous installâmes donc à la terrasse d’une bonne auberge et commandâmes plusieurs tournées d’apéritifs, puis des entrées, des plats, des fromages et des desserts. Chaque fois, Jean-Edouard renâclait, mais on lui disait mais si, mais si, alors il commandait, vin aidant. À la fin du festin, nous demandâmes à la patronne de faire une note séparée pour ce môsieur qui bien sûr n’avait pas les moyens de payer sa part. Nous le laissâmes parlementer avec la patronne qui n’était pas d’humeur à entendre ses jérémiades avinées, et nous allâmes crever les quatre pneus de sa bagnole, ce qui allait le contraindre à puiser dans sa cassette de pingre. Cette séance thérapeutique ne servit pas à grand-chose.

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             Pendant que Jean-Edouard compte ses sous, John Edwards chante sa Soul. Ainsi va la vie. D’un côté ça roule, de l’autre ça coince. Que voulez-vous y faire ?

             On croise John Edwards dans les Masterpieces Of Modern Soul, ces délicieuses compiles imaginées par Kent. Sur les pochettes de ses deux albums solo, l’excellent John Edwards est toujours élégant et très bien entouré. On sent le séducteur. Il allait ensuite rejoindre les Spinners et tourner avec jusqu’à l’an 2000.

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             Son premier album sans titre paru en 1973 est une petite merveille qu’il attaque en trombe avec «Stop This Merry Go-Round» un heavy r’n’b de gros pototin d’excelsior. John Edwards rugit comme une panthère noire, c’est-à-dire comme Wilson Pickett. Là tu réalises que tu tiens dans tes pattes un très bel album de Soul. Ce que vient confirmer «Spread The News», monté sur un beat plus reggae, plus relax, mais à dominante r’n’b. Et donc le popotin reprend vite le dessus. Il apparaît clairement que John Edwards est un Soul Brother d’exception. Tiens, tu veux un coup de génie ? En voilà un : «Claim Jumpin». Il tape cette fois dans le haut de gamme avec ce heavy r’n’b qui flirte avec un funky booty digne des Tempts. John Edwards passe en force comme David Ruffin. Deux merveilles se planquent en B, à commencer par «Messing Up A Good Thing», un big balladif de Soul ultra-violonné et digne des géants du genre. Il va chercher un joli chat perché et atteint une sorte d’horizon. C’est extrêmement impressionnant. Et puis voilà le pot aux roses : «Exercice My Love». Comme on est sur la face lente, il va droit sur Sam Cooke, avec de faux accents d’I was born by the river, il s’élève aussi comme Marvin dans What’s Going On.

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             Son deuxième album sort en 1976 sur Cotillon, ce qui n’est pas rien. Produit par David Porter, Life Love And Living ne laissera personne indifférent. L’A porte de doux nom de ‘The Beat Side’. Comme tout ce que supervise David Porter, il s’agit ici d’une Soul subtile, fine et douce. On trouve même dans «I (Who Are Nothing)» un léger parfum des îles et des chœurs de rêve. Un piano free anime joliment l’heavy Soul de «Forced To Fight (This Losing Battle)» et on reste sous l’égide des merveilles sensibles avec «The Key To My Life». John Edwards est un bon, il sait se maintenir dans la classe supérieure. Il baptise sa B ‘The Sweet Side’, ce qui veut dire ce que ça veut dire. On le voit sur la plage en chemise à jabot et quand on retourne la pochette, il apparaît en gros plan, très jeune, très black des îles, dans la canne à sucre.

    Signé : Cazengler, John Éboueur

    John Edwards. John Edwards. Aware 1973   

    John Edwards. Life Love And Living. Cotillon 1976

     

    *

            Une fois n’est pas coutume. Vous serez privés de Doom ! N’en poussez pas pour autant un soupir de soulagement. Ce qui vous attend est sûrement pire, du néo-folk. Le néo-folk n’a rien à voir avec un renouveau de chanteuses comme Joan Baez. Imaginez une explosion atomique. Laissez reposer une quarantaine d’années. Et hop d’un coup sans prévenir du béton irradié une petite fleur bleue sort sa tête. Et bien le néo-folk c’est exactement cela, la petite fleur que personne n’attendait qui survient comme un miracle. Ne la cueillez pas pour l’offrir à votre petite amie. Le néo-folk évidemment c’est la mignonette fleurette mais ne prenez pas que la moitié du package. N’oubliez pas la deuxième partie : l’explosion atomique. Le néo-folk, après un détour par le metal, descend en droite ligne de la musique industrielle. Etonnant, oui toutefois le rock’n’roll n’est-il pas le bâtard de rhythm and blues ! De la guitare sèche du blues primitif le heavy metal ne s’est-il pas engendré tout seul par parthénogenèse…

             Bref faites-moi confiance, j’aime les trucs qui tarabustent !

    CORIOLAN

    ROME

    (Trisol / 2016)

    Rome, est-il vraiment un groupe. Demandez-le à Jérôme (déjà il possède un prénom qui contient Rome) Reuter. Depuis 2006 l’a commis une vingtaine d’albums, il compose les musiques et les paroles, en anglais, en allemand, en français et en italien. Le gars s’ingénie à créer des climax musicaux à base d’enregistrement sonores de toutes sortes, il s’inspire autant de l’esthétique classique que du noise. L’a deux énormes défauts pour la plupart de nos contemporains qui n’aiment pas trop se prendre la tête, perso je pense que ce sont deux qualités rares et précieuses, il puise son inspiration dans la littérature (beaucoup de mes auteurs préférés) et domaine que les artistes n’aiment guère aborder il interroge le spectre politique historial de l’Europe. Sans avoir peur de se frotter aux extrêmes. Il est juste un miroir de la modernité, qui réfléchit. Bref un sulfureux. D’ailleurs beaucoup le qualifient de dark folk.

    Coriolan est une pièce de Shakespeare, il s’en inspire, mais aussi un personnage historique des premières années de Rome. Un héros ambigu. A plusieurs reprises il battra les armées Volsques et s’emparera de la ville de  Corioles, c’est à ce titre qu’il recevra le cognomen honorifique de Coriolanus, Il sauvera même grâce à son courage Rome du plus grand des désastres : la défaite.  Sur le plan politique il est du côté de l’aristocratie et combat le peuple qui, par la grève de la guerre, finira par obtenir la nomination de tribuns protecteurs, magistrats dotés de pouvoirs très étendus pour le défendre. Politiquement vaincu Coriolan passe du côté des Volsques. Seules les supplications de sa femme et de sa mère le convaincront de ne pas se rendre maître de Rome. Il finirait sa vie en exil.

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    (Nicolas Poussin)

    La couverture est un petit chef-d’œuvre. L’on s’attendait à ce que Coriolan soit habillé en romain. Dans son manteau il ressemble à un tribun politique des débuts du vingtième siècle. Voudrait-on nous signifier qu’à toutes les époques vous trouverez toujours des Coriolan… Admirez l’art de Mathias Bäuerie, cette branche d’arbre dénudée qui pend en l’air ne fait-elle pas ressembler notre Coriolan moderne à Mussolini sur sa tribune faisant le salut fasciste… 

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    Investiture : le son comme une rumeur qui vient de loin, surprise éclate une marche triomphale à la Beethoven, en filigrane un discours, assez indistinct afin que l’on ne puisse en saisir les mots, montent des fredonnements, bizarrement ils ont tendance par leur répétition à détruire quelque peu la solennité de cette entrée en matière, ayant tendance à apparaître comme le bla-bla-bla moutonnier des politiciens.  Make you a sword of me : comme des blés qui germent, les ferments sonores d’une rumination, le contraire d’un discours enflammé, un soliloque solitaire, les pensées du héros, pas vraiment une partition, une collation de bruits qui sourdent et éclatent en un tempo relativement lent qui se transforme en une marche de tambours militaires, la volonté de puissance du chef infuse l’esprit du peuple qui se rallie à lui. Un peuple n’a qu’une âme, celle de son chef. Qui mène la lutte.  Broken : la brisure. Coriolan rumine. La musique avance toute seule, Reuter chante, autant au début il fait le point de la situation clairement énonçant les préceptes quasi-métaphysiques entre les statuts ontologiques différents du peuple versatile et peu fiable et l’âme indomptable du Chef, bientôt il se prend à son propre jeu, se laissant emporter par ses certitudes et sa colère, accompagnement et chant se mêlent formant une pâte indivisible telle la lave d’un volcan qui déborde de son cratère et s’en va détruire les cités imprudemment perchées sur ses flancs, quelles qu’elles soient, ce qui compte ce ne sont pas les hommes appelés à mourir un jour ou l’autre mais les fulminations vengeresses du héros supérieur. Fragments : clarté du Chef, les tambours donnent la cadence, la décision est prise, l’Homme libre n’a pas de chaînes sentimentales qui le retiennent, il n’est redevable de rien à personne, sa conduite et son inconduite mènent le monde, cela peut paraître fou mais c’est la vérité immuable, se battre pour sa propre vie est la seule loi, n’est-ce pas la le commandement suprême de la nature et de la perpétuation de la vie, au-delà de toute morale, seuls triomphent les âmes fortes destinées à la victoire. Sur elles-mêmes. This light shall undress all : guitare claire, illuminescente, ses échos portent jusqu’au bout du monde, un peu d’emphase dans le mantra répété sans arrêt qui se transforme en prophétie acquérant ainsi la force d’une vérité intangible : l’Histoire est faite par les Hommes les plus violents. Coriolan : guitare intimiste Reuter chante comme s’il mettait en scène un lieder de Schumann, Coriolan cries alone, il dénude les aîtres de son destin, il est seul dans sa grandeur, dans son orgueil, dans son mépris pour la race humaine, le chant s’élève et s’étend sur le monde, son âme déborde prête à noyer le monde sous sa volonté. Der krieg : symboliquement les paroles sont en allemand, guitare funèbre, la guerre a triomphé, encore un lieder à la Schumann, le Héros n’a pas vraiment gagné, la guerre des peuples se joue des destinées particulières, l’on croyait décider de la marche du monde, chœurs féminins pour rajouter à la mélancolie, l’on n’a été que le jouet de forces qui nous dépassent. Funeratio : le cycle se referme comme il a commencé, la musique comme le ressac de vagues qui se fracassent sur le rivage, accompagné par le chœur indistinct de ce qui ressemble autant à un requiem mozartien qu’un hymne national chanté en des circonstances dramatiques avec bruit de canonnades dans le lointain.

             Les sources divergent sur la mort de Coriolan. Est-il resté en exil chez les Volsques ou ayant signé la paix entre Rome et le peuple Volsque après l’intervention familiale, a-t-il été exécuté par Aufidius le chef des Volsques qui s’est estimé trahi. Cette incertitude ne change rien au destin de Coriolan si l’on s’interroge sur la nature de tels personnages que l’on retrouve tout au long de l’Histoire. Suivant d’assez près la réflexion de Shakespeare sur la nature du pouvoir politique, Reuter nous transporte dans l’esprit de ces meneurs d’hommes prêts à tout pour que triomphe l’orgueil de leur égo. L’opus est sans fioriture. Reuter décrit le phénomène dans sa nudité. Il ne porte aucun jugement. Il avertit. A chacun de regarder autour de soi et à s’interroger sur l’état du monde actuel. Notamment de l’Europe, dans laquelle nous vivons et où commencent à sourdre des bruits de bottes inquiétants. Ne se font-ils pas entendre, comme par hasard, chaque fois que le mécontentement populaire atteint des limites insupportables au bien-être de certains…

    Damie Chad.

     

    *

            J’allais en rester là avec Rome et Coriolan, un dernier coup d’œil sur la discographie et je tournai la page, hélas un mot, un seul m’a interpellé : Hyperion ! Le cœur de la littérature occidentale deux poèmes inachevés de John Keats, un roman d’Hölderlin. Jugez du peu. L’on ne s’approche pas du Soleil Zénithal de la Grèce Antique et du romantisme européen sans se brûler. Il me fallait aller toucher cela de près.

    THE HYPERION MACHINE

    ROME

    (Trisol / 2016)

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             L’artwork est comme le précédent de  Mathias Bäuerie, esthétiquement très différent  du Coriolan très mise en scène, très proche des affiches dévolues aux opéras du répertoire classique. Ici nous sommes aux antipodes d’un tel parti pris, nous sommes dans notre modernité, voué au triomphe des machines, le fond blanc nous induit à penser que nous sommes dans un laboratoire face à un chercheur en plein travail, suivant avec attention une expérience décisive, une manipulation dont on attend le résultat, surtout les conséquences que l’on pourra en tirer… Coriolan est l’homme de la société du spectacle, The Hyperion Machine fait davantage référence au travailleur, au sens Jüngien du terme, attelé à sa tâche. A croire que le créateur romantique a cédé la place au technicien, qui se penche sur un phénomène pour tenter d’en comprendre le fonctionnement.  Un peu comme un chroniqueur de rock qui ne fait pas de musique mais qui essaie d’apporter un éclairage particulier à un phénomène musical qui a déjà eu lieu.

    The Hyperion machine : coup de gong : mon nom est Hyperion  presque chuchoté, des voix se mêlent sur la bande-son qui ne dure que vingt-quatre secondes. Celine in Jerusalem : Céline n’a jamais été à Jérusalem, littérairement Céline et Hölderlin n’ont pas grand-chose à voir, sinon qu’ils ont vécu des époques troublées la Révolution Française, l’invasion de l’Allemagne par la France pour l’auteur d’Hyperion, la première et la deuxième guerre mondiale pour l’auteur du Voyage au bout de la nuit, quand le monde devient fou il est difficile de raison garder, Hölderlin resta la moitié de sa vie enfermé… des pas qui viennent de loin, une mélodie tranquille qui  déroule ses anneaux, la voix assurée de Rome nous ferait oublier que la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille. A tous les niveaux : dans l’intimité des hommes, pensons aux amours impossibles entre Diotima et Friedrich ou à la grande tendresse qui unit Céline à sa femme Lucette : dans les bouleversements historiaux, l’on connaît les pamphlets de Céline contre les juifs, l’on n’ignore point la thèse qui court selon laquelle le nazisme a puisé sa source dans le romantisme allemand… les paroles évoquent tout ce maelström de comportements humains et d’évènements historiaux. Transference : transferts et héritages, à la base un chant d’amour, un peu passionné avec des moments plus âpres lorsque l’on se referre aux comportements des hommes, insensiblement le rythme se précipite, c’est que l’être humain est capable du meilleur comme du pire, de préserver ce qui doit être préservé et de vivre ses passions sans trop porter d’attention aux conséquences, on a beau faire, dans tous les cas l’on n’est jamais sûr du résultat, ou l’on en fait trop ou l’on n’en fait pas assez... Souvent les journalistes étrangers évoquent Jacques Brel et Léo Ferré lorsqu’ils tentent de définir Rome, selon moi s’il doit y avoir interférence ce serait plutôt avec Leonard Cohen. The Alabanda breviary : une guitare folkly et la voix de Rome qui court dessus, la chanson de celui qui a tout vécu et qui en tire une amère  leçon, l’on flirte avec le country, même si la thématique est beaucoup plus intellectuelle, le héros, autre dénomination du citoyen de base, a tout essayé : les armes et l’écriture, l’a voulu connaître le monde et ça ne sentait pas bon (merci à Brel). L’est un peu revenu de tout. (Très Johnny Cash). Y a gagné une certaine sagesse, celle de l’impuissant qui n’a pu influer sur la marche du monde, et qui se contente de ne pas agir. L’a tout de même des excuses. Il n’a pas trouvé les mots, le temps lui a fait défaut. L’est maintenant comme les ruines grecques d’Alabanda. Ou tu vis, ou tu ne vis plus. Tu fais semblant. Stillwell : une chanson d’amour, pas facile quand l’une s’appelle Sarah et l’autre se réclame de la race des maîtres, en duo avec la belle voix grave de Joakim Thäström, chanteur punk-rock industriel suédois, sur la fin du morceau chœurs et voix féminines ajoutent à la lassitude ambiante, l’approche espérée du bonheur n’est pas le bonheur, de belles résonnances électro, la chanson se traîne, être au plus près n’est-ce pas la plus cruelle et délicieuse manière de mesurer l’immensité du rêve androgynique qui nous séparera toujours.

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    Cities of asylum : une rythmique qui cliquette presque joyeusement, un chant embrumé de nostalgie et d’échec, malgré tout aller jusqu’au bout, oser même si l’on doit y laisser la vie. Ce n’est pas un comportement suicidaire, il suffit de résister et de s’opposer à ce qui vous brisera. Parfois il n’existe pas d’autres solutions. Si tu n’y vas pas l’on viendra te chercher. Skirmishes for Diotima : une chanson sur la destinée des êtres, un peu mélodramatique, d’une grande tristesse, parfois la guerre vous sépare, parfois la guerre vous réunit, nous sommes les jouets des circonstances, seule la tombe sera accueillante pour les amants, cela a-t-il vraiment une importance.  Pourquoi se souviendrait-on de Diotima… Toutes les croisées des chemins ne sont-elles pas dénouées. Jusqu’au bout du nihilisme. Adamas : piano fougueusement romantique, peut-être un parfait exemple de dark-Folk, en tout cas cette fois-ci Rome éraille quelque peu son vocal, ressemble presque à s’y méprendre au timbre si particulier de Leonard Cohen, l’heure est grave, une adresse à l’individu qui obéit à un dictateur quelconque, qui se couche spirituellement devant le maître, ployé sous la peur honteuse et pitoyable, l’Ennemi du genre humain, dont nos efforts n’ont pu arrêter le cheminement victorieux, un peu de clarté, dans le seconde partie, une voix moins profonde, un piano délié, cette métamorphose serait-elle motivée par la venue espérée d’un Dieu qui ne vient pas, conséquence l’accompagnement électro se charge, sirènes, canonnades, bombardements, pleurs d’une guitare, élévation de chœurs féminins et mortuaires. Qui est cet Adamas, ne serait-il pas tout simplement l’Adam éternel ambivalent porteur de toutes les grandeurs, vecteur de tous les crimes. The secret Germany : (For Paul Celan) : hommage à Paul Celan, la poésie de Paul Celan reste marquée par la tragédie de la Shoah, dont ses parents ont été victimes, toutefois sa poésie n’est guère platement protestataire, par une langue dense et difficile, rilkéenne pour la stigmatiser grossièrement en un seul mot, au-delà des circonstances historiales, Paul Celan a tenté d’exprimer le mystère de l’Horreur qu’il faut bien accepter de qualifier d’Humaine malgré certains de ses aspects inhumains… Le texte de Rome est inspiré d’un des plus célèbres, peut-être parce qu’il est l’un de ses plus simples, poèmes de Celan : Todesfuge. Le lecteur français aura intérêt à mettre en parallèle le concept de Secret Germany avec le concept de France Aurélienne de Luc-Olivier d’Algange, car tout individu possède un pays secret. Même si beaucoup l’ignorent. Un texte qui retrempe chacun en ses propres manquements à la nécessité d’agir, hier, avant-hier et aujourd’hui. Inutile aussi de renier l’avenir en raison du passé… Une marche quasi martiale adoucie par la solidité d’une voix qui arpente les décombres d’une époque révolue, en route vers ce pays secret, vers lequel nous faisons que nous diriger sans jamais y arriver. Sans doute car nous n’avançons pas assez vite. Die Mörder Müsham : Erich Müsham est un militant anarchiste qui participa en tant que l’un des principaux activistes à l’aventure insurrectionniste spartakiste en Bavière en 1918-1919… Opposant au parti nazi il fut arrêté et exécuté en 1934… le morceau débute par ce qui doit être un chant nazi, estompé au bout de trois minutes par des râles d’étranglement ou de vomissements, serait-ce l’évocation symbolique  les bruits de l’agonie d’Erich Müsham, la voix de Rome récite un extrait d’Hyperion d’Hölderlin, une lettre d’Hyperion à  son ami Bellarmin, Hyperion conte la désolation spirituelle des deux amis qui n’ont trouvé aucune place dans le monde et évoque la tâche qui leur reste à faire… Un accompagnement sonore qui prend à la gorge. La confrontation de ces deux textes qui clôturent l’Hyperion Machine est à méditer. Le chant de la première partie est-il l’exemple de ce qui risque de se passer  si le travail auquel nos deux amis doivent s’atteler n’est pas accompli. L’on peut aussi interpréter L’Hyperion Machine tout autrement, comme un mécanisme fatal qui pousserait certains individus à changer le monde selon leur volonté… Fan fan fan : ( Bonus track) : une reprise d’un morceau de son ami Joakim Thäström, l’original est sur You Tube : le thème est des plus simples, un amour perdu, la solitude et les regrets de celui qui reste, le rêve de ce qui aurait pu être, de ce qui aurait dû être. Un accompagnement moins dépouillé et un timbre de voix  davantage optimiste. A interpréter symboliquement. L’Europe est divisée, partagée entre deux possibilités, il nous reste à aller vers les autres.

             Cet opus m’a paru moins fort que le précédent. Si la thématique est la même, Coriolan l’aborde selon une vision minimale, celle d’un individu. Il est aisé de l’admirer ou de le condamner.  Nous sommes trois siècles après la naissance de Rome, les enjeux politiques nous échappent même si nous les comprenons intellectuellement. Toutefois à l’aune de notre temps, ne l’oublions pas.  L’Hyperion Machine évoque notre histoire contemporaine, aujourd’hui encore les médias nous parlent d’antisémitisme, le spectre du troisième Reich hante encore l’Europe. Dans cet ouvrage, les individus ne comptent pas, ou alors en tant que personnages exemplaires et symboliques de centaines de millions d’autres. La problématique est moins facile à décrire et à saisir. Cette difficulté se ressent dans les textes, qui ne disent pas tout, voilés d’une aura de mystère, qui demandent à être interprétés. Qui exigent une plus grande réflexion. De même la musicalité de l’album, même si chaque morceau en lui-même est parfaitement réussi l’ensemble est un peu monotone. Coriolan se découpe comme une statue géante de pierre noire sur le décor noirci de l’histoire. La Machine Hyperion donne l’impression d’une fresque pas encore totalement achevée.

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    ( Wilheim Wandschneider _ 1904)

             Rome n’en est pas moins dans le milieu musical un artiste de grande envergure. Son but n’est pas de distraire, mais de nous faire réfléchir. Les contemporains préfèrent fermer les yeux. Nietzsche le qualifierait d’inactuel. Un visionnaire en quelque sorte.

    Damie Chad.

     

    *

             J’espère que ça ne va pas continuer jusqu’à la nuit des temps, quoique s’il s’agit de passer en série tous les pionniers du rock, a priori ça ne me dérange pas. Surtout que cette fois, ce n’est pas n’importe qui :

    ELVIS PRESLEY

             La scène est à l’identique, même lieu, même action, je beurote mes biscottes tout tranquilotte sans tremblote dans ma culotte, que ne ferait-on pas pour une rime, oui la radio marche : France Inter, France Rockabilly n’existant pas, faute de grive l’on avale des merles, n’aurais-je pas fait une faute d’orthographe  à ce mot ne serait-il pas plus seyant avec un d ? Une grosse différence : la cafetière électrique ne se prend plus pour une Pacific 231, aucun nuage de vapeur, tout au plus si en tendant l’oreille j’oie, je sais ce n’est pas la joie, j’eusse préféré j’ouïsse davantage jouissif, un très léger tchou-tchou, elle doit être arrêtée, un troupeau d’un million de bisons se sont massés sur les rails, et pour une fois Buffalo Bill pas très futé a oublié sa carabine.

             Attention là celui qui parle dans le poste, c’est le boss, le grand chef du 7 / 10, pas du tout un indien rebelle sur le sentier de la guerre, normalement c’est le moment où Nicolas Demorand présente un roman policier. Mais là non, ce sera une émission sur une chaîne télé, laquelle je ne sais pas, je n’ai pas de télé, je tremble : encore un laïus sur les bienfaits de la démocratie dans un pays qui compte neuf millions de pauvres, avec un enfant sur trois qui ne fait pas trois repas par jour, ben non, il prononce un nom magique : Elvis Presley ! N’a que deux minutes mais il se débrouille bien, d’abord il avoue qu’il est un fan d’Elvis depuis tout petit, en trente secondes il résume sa carrière jusqu’à son grand retour en 1968, je savoure mon café mais je bois du petit lait, une phrase sur le déroulé-boulé de la soirée historique, passe un extrait du King en train de chanter, pas long mais aussi crémeux que du lait de baleine, termine en renouvelant son amour immodéré pour Elvis.

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             Un truc qui vous fout la patate, c’est dommage que Buffalo Bill ait oublié son flingot, j’aurais ouvert la fenêtre et décanillé une douzaine de passants pour exprimer ma joie. Tous les fan-clubs d’Elvis m’auraient envoyé des lettres de félicitation et je serais devenu célèbre dans le monde entier. Même que l’on aurait parlé de moi sur France Inter.

             Parfois la vie ne se passe pas comme un rêve. Alors je me suis plongé dans une réflexion philosophique. Prenons deux individus au hasard : Nicolas Demorand et mon humble personne. Ne parlez pas de privilèges, je n’ai que ces deux-là dans ma chronique, Buffalo Bill est hors-jeu puisqu’il est mort en 1917 avant la naissance d’Elvis.

             Demorand est né en 1971, il est arrivé après la bataille puisque le NBC Show date de 1968, là-dessus j’avoue être mesquin, mais là n’est pas le problème : deux fans d’Elvis, deux destins différents. Pourquoi l’un joue-t-il  chaque matin à la voix de son maître gouvernemental et l’autre pas ? Doit-on en conclure que le rock‘n’roll n’influence en rien les consciences politiques de ses admirateurs. Mais alors quelle attraction précise  exerce-t-il sur ceux qui se réclament de lui...

    Damie Chad.

    *

    Il est des livres qui ne vous apportent pas ce que vous espériez y trouver. En voici un. J’étais content dans la boite à livres ma main attirée par une couverture grise, ô c’est d’Armand Godoy, je fais la grimace en lisant le titre De vêpres à matines, vous connaissez mon peu d’empressement pour la chose chrétienne, oui mais Godoy fut un ami d’Oscar Vladislas de Lubicz Milosz, un des plus grands poëtes de langue française du vingtième siècle, j’aurais dû m’arrêter à cette première découverte, mais non, mon œil repère le nom ultra-connu d’un personnage qui est resté cher à nombre de jeunes amateurs de rock, donc je prends :

    CECI N’EST PAS UNE AUTOBIOGRAPHIE

    Roman

    DANIEL FILIPACCHI

    (Bernard Fixot / 2012)

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             Ah, le bouquin, grand format plus de quatre cents pages ! Une fois ouvert on respire : grosse police, large interligne, une page et demi blanche sépare chacun, des soixante-douze chapitres du suivant.  Que ne ferait-on pas pour le rock’n’roll ! Un véritable puzzle aux pièces mélangées. Daniel Fillipacchi le rédigea, faute de mieux, immobilisé dans son lit durant quatre mois à la suite d’une chute malencontreuse. Des souvenirs entassés pêle-mêle, venus au fil de la plume, classés tant bien que mal dans un ordre qui se voudrait chronologique.

             L’on ne parle guère en Europe de la Grande Catastrophe, voici quelques années, pas un mot lors de son centenaire, dans les media mainstream pour rappeler son souvenir… En 1922, les forces turques s’emparent de la ville de Smyrne, c’est ici le lien le plus étonnant de ce livre avec le rock’n’roll, le grand-père Filipacchi s’enfuit au plus vite pour échapper aux exactions généralement commises envers les civils lors des guerres…

             L’était armateur le grand-père, je ne pense pas qu’il n’ait pas mis à l’abri dans une ou plusieurs banques étrangères quelques ‘’bribes’’ de fortune, l’auteur se présente comme un petit-fils obligé de se débrouiller par lui-même. Le père de Philippe lancera une collection de grands écrivains qui rachetée par Gallimard deviendra le fleuron de l’édition française La Pléiade… Chez Gallimard le paternel entreprendra la mise en place du Livre de Poche. Une reprise de l’idée d’Honoré de Balzac dont il ne retira aucune satisfaction mais dont il lui resta pour le restant de ses jours une énorme dette…   

             Daniel a des parents sympas et compréhensifs, ils seront obligés de le retirer de l’Ecole Alsacienne, là où nos ministres envoient leur progéniture, les études ne l’intéressent pas, son truc à lui c’est le… jazz. Comme il né en 1928 ce pouvait être le rock. Un oncle lui envoie par caisse entières de disques des Etats-Unis, quant à son argent de poche - il suffit qu’il demande – il le passe en… disques de jazz. Un passionné. Papa a des relations, il sera photographe à Match. Ce qui lui permet entre autres d’entrer en relations avec beaucoup de grands patrons français. La mort de Charlie Parker aura un effet positif. La nouvelle station de radio Europe 1, ne possède aucun disque de Parker, le patron lui téléphone, il se radine avec une partie de ses albums. L’émission est un succès. Lui est proposé de réaliser avec Frank Ténot lui aussi passionné de jazz une émission jazz… tous deux adoptent un ton de conversation qui tranche avec les introductions académiques qui étaient alors de règle dans toutes les radios. Le public les attendait sans le savoir.

             Ce n’est que le début de l’aventure, Europe 1, demande à nos deux jazzeux de prendre la relève d’une émission Salut les Copains présentée par une étudiante américaine Suzy beaucoup plus captivée par son chat que par les disques de rock’n’roll qu’elle passe.

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             Je pensai que j’allais en apprendre beaucoup sur les coulisses de cette émission phare. Ben non. Il n’en parle plus ; Pas un mot. Rectificatif : oui il cause de Salut Les Copains, pas l’émission, la revue. Pas le contenu : le million d’exemplaires vendus. Se révèle ce qu’il est : un homme d’affaires, plus intéressé par la réussite de ses entreprises que par leur contenu. Il monte en rachetant Hachette un véritable empire de presse. Nous ne citerons que Lui… L’est un businessman qui brasse des millions, à cheval sur l’Europe et les Etats-Unis.

             Pour sa vie privée trois passions : la bibliophilie, la peinture, le jazz. Il collectionne les surréalistes et tous (beaucoup) les peintres. Donnent leurs noms et les bonnes affaires qu’il conclue. Ne comptez pas sur lui pour nous faire pénétrer dans l’univers des artistes. Il organise des concerts et publie des disques de jazz. Connaît tout le monde : de Norman Granz à Miles Davis. Quelques rares anecdotes par-ci par-là, fissa-ficelées et l’on passe à autre chose.

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             Le personnage est un peu déplaisant. Des idées politiques peu révolutionnaires. Un milieu de droite, très réactionnaire. Avec le couplet obligatoire sur les riches beaucoup plus malheureux que les ouvriers car leur fortune les oblige à investir sans arrêt. Sont contre l’ISF et les impôts. Ceci dit, il a su capter l’air du temps dans ses entreprises culturelles de masse.

             Et le rock Damie. On y arrive. Johnny : tout d’abord, le rappel du disque T’aimer follement de Johnny cassé en direct sur les antennes d’Europe 1 par Maurice Biraud. Du connu, archi-connu. Ensuite Johnny invité par Charles Delaunay, le fils des peintres Sonia et Robert, à participer à un festival de jazz à la salle Wagram, chassé de la scène par le public qui attendait Sydney Bechet

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    ( Ahmer & Nesuhi Ertegün )

             C’est un peu maigre Damie. Attendez les gars, attention deux grosses pointures, notre Cazengler national les évoque souvent, les frères Ertegün, Ahmet et Nesuhi, les directeurs d’Atlantic, que Filipacchi rencontre le 26 juin 1957, lors d’une réception de Wilburn de Paris chef d’orchestre rentrant de tournée en Afrique. La rencontre entre le petit-fils d’un pourchassé de Smyrne et des deux turcs se passe  merveille. Nesushi parle français, il a été élevé en Suisse, et commence par réciter un poème d’Arthur Rimbaud. Nesuhi et Daniel deviendront amis. Lui aussi est un amateur de peinture. Pour les remembrances discophilesques nous n’y participerons pas. Atlantic sera racheté, au même titre qu’Elektra, Asylum et Warner par Steve Ross. Filipacchi deviendra président de Warner… Nesushi et Ahmet firent disperser leurs cendres en Turquie. Filipacchi ne se rendra pas à la cérémonie.

             Voil0, c’est peu mais c’est tout.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 588 : KR'TNT 588 : DAVID CROSBY / WHITE STRIPES / ELVIS PRESLEY / THE CULT / OTIS LEAVIL / THE CONFUSIONAIRES / 4AM NEW YORK EXPERIMENT / CHAOTIC BOUNDS SYSTEMS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 588

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 02 / 2023

    DAVID CROSBY / WHITE STRIPES

    THE CULT / ELVIS PRESLEY / OTIS LEAVIL

    THE CONFUSIONAIRES / 4AM NEW YORK EXPERIMENT 

    CHAOTIC BOUND SYSTEMS / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 588

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Crosbibi Fricotin - Part Two

     

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             S’il est un personnage attachant dans l’histoire du rock, c’est bien David Crosby. Ça doit faire quarante ans qu’on est là à se dire : «Ahhh, comme il est doué, ce Croz !». Il a navigué dans l’histoire du rock à sa façon, sans heurts, entouré de belles femmes et équipé des meilleures drogues. On le retrouve sur des disques qui figurent parmi les grands classiques du rock américain : les premiers albums des Byrds, CS&N, mais aussi ses albums solo. Qui fera le tour du propriétaire s’apercevra qu’il n’y a quasiment pas de déchets dans cette impressionnante série d’albums. Croz est l’hédoniste des temps modernes, au sens où Oscar Wilde l’était en cette fin de XIXe siècle pourtant riche en personnalités extrêmement raffinées.

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             Non seulement les quatre premiers disques des Byrds te rendaient dingue, à l’époque, mais ça prit des proportions encore plus spectaculaires avec le premier album de CS&N et surtout le premier album solo de Croz, If I Could Only Remember My Name, qui reste avec Electric Ladyland l’un des plus grands disques de rock psychédélique de tous les temps. Croz est un grand héros américain, au même titre que Captain Beefheart, J.B. Lenoir, Muddy Waters, Wolf et Jeffrey Lee Pierce. On en prend la mesure en lisant le premier volume de ses mémoires, Long Time Gone. On se délecte de ses récits de rocker et de navigateur, au gouvernail du Mayan, de son apologie des armes et des drogues, mais aussi du récit qu’il fait de ses incarcérations.

             Croz fournit le fil rouge de Long Time Gone, et des témoignages d’amis et de collaborateurs viennent étoffer le récit. Cet ouvrage est certainement l’un des plus passionnants et des plus honnêtes du genre. Au long des 500 pages que compte ce pavé, Croz dit tout de sa passion dévorante pour la dope et donne tous les détails de ses incarcérations successives. 

             Il est arrêté une première fois sur Sunset Boulevard alors qu’il fume une bonne pipe d’herbe au volant. Rangez-vous ! Le bourre ouvre le coffre et trouve un kilo d’herbe et un calibre chargé. Allez hop, au poste ! Croz dit qu’il n’est pas au courant du kilo et du calibre. Ça ne m’appartient pas ! On le relâche. Pendant quelques temps, Croz va jouer avec le feu, en circulant complètement défoncé dans ses voitures de sport et sur ses grosses motos. Il tourne à la freebase. Pour ceux que ça pourrait intéresser, il donne tout le détail de la façon dont on prépare une pipe et du rush que ça provoque. Un soir, sur l’autoroute de San Diego, il perd le contrôle de sa voiture. Les condés le ramassent, comme la première fois, avec tout le matos du parfait camé et un calibre chargé. Il passe la nuit au trou. Le lendemain matin, il est libéré sous caution. On commence à parler de l’affreux camé Crosby dans la presse. Il est arrêté une troisième fois en septembre 1982. La volaille de Culver City le chope à sa sortie de scène. Croz doit encore payer pour sortir des pattes des flics qui veulent sa peau. C’était courant à l’époque : les condés s’acharnaient sur les rock stars qui se rendaient vulnérables en se camant ouvertement. Pour financer sa freebase, Croz revend ses bagnoles (une Ferrari, deux Mercedes, une 6,9 litres et une 6,3 qu’il revend à un dealer pour une livre de coke et quatre mille dollars). Croz passe son temps à disparaître pour aller fumer sa pipe, même en avion, où c’est interdit - By that time, if I didn’t have my drugs, I couldn’t function - Stills excédé lui a jeté un soir un seau d’eau dans la gueule. Croz a réagi en lançant : «If Ray Charles can do it, I can do it. If Coltrane could do it, I can do it !». Croz et sa poule Jan prennent un avion à Kansas City. Ils se font poirer avec deux sacs suspects qui contiennent le matos habituel et les armes de Croz. Jan prend tout sur elle. Chef d’inculpation : piraterie aérienne. Ça commence à chauffer pour de bon. Elle s’en sort en acceptant de suivre un programme de probation. Un soir, alors qu’il roule en Harley, un flic arrête Croz et demande à voir ce que contient le fameux sac à dos qu’il trimballe partout avec lui. Il doit verser 5 000 dollars pour sortir du ballon. Et page après page, il raconte la descente aux enfers classique, les amis qui s’éloignent, les revenus qui se tarissent, la crasse qui s’installe dans la baraque et la transformation physique. Croz à l’époque est complètement bouffi. Jan est encore plus accro que lui. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. On oblige Croz à se désintoxiquer, mais il fait le mur et prend la fuite. Puis les flics du Texas viennent le chercher à Greenwich Village. Croz écrit tellement bien ses mémoires que son récit fonctionne comme un film d’action. Ils tapent à la porte et disent bonjour. Croz se retrouve au ballon à Dallas et une fois de plus, il réussit à sortir sous caution. Retour à LA. Au bout de 14 ans de régime junk, Croz ressemble à un clochard. Comme sa liberté ne tient plus qu’à un fil, il prend une bagnole et file vers le Nord à la recherche du Mayan, dont il n’a plus de nouvelles depuis longtemps. Il espère lever l’ancre et prendre le large, vers le soleil. Mais il comprend que la rigolade est terminée. Il arrive pieds nus au bureau du FBI de Palm Beach pour se rendre. Et là commence l’extraordinaire récit de son incarcération. Il ne fera qu’une année de placard, mais il dit ne rien regretter de cette expérience. Et forcément, il est désintoxiqué d’office. C’est un Croz bouffi aux cheveux courts et sans moustache qui sortira du Texas Department of Corrections d’Huntsville en août 1986.

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             Il brosse aussi des portraits spectaculaires des gens qu’il admire : John Coltrane (Croz raconte comment il s’est retrouvé avec deux amis - les trois seuls blancs - dans un club noir de Chicago, Coltrane est sur scène avec McCoy Tyner et Elvin Jones, ils prennent des solos à tour de rôle, Coltrane sort de scène, et Croz ne peut pas supporter l’intensité du solo d’Elvin Jones, alors il se réfugie aux gogues, il essaie de reprendre conscience, «when the door went wham and in walks John Coltrane, still playing at top intensity and volume, totally into it», oui, Trane entre et continue à jouer en solo, à fond - he blew me out so bad I slid down the wall - Croz s’écroule. Il pense que Trane ne l’a même pas vu - but he totally turned my mind to Jell-O at that point (Trane lui a réduit la cervelle en bouillie) - Portait de George Harrison - There are people that tell me I turned him on to Indian music (des gens disent que je l’ai branché sur la musique indienne). I know I was turning everybody I met on to Ravi Shankar because I thought Ravi Shankar and John Coltrane were the two greatest melodic creators on the planet and I think I was probably right (Croz poussait tous ceux qu’il rencontrait à écouter Ravi Shankar, car il pensait que lui et Trane étaient les deux plus grands mélodistes du monde) - Encore un sacré portrait, celui de Mama Cass. Elle et Croz étaient très proches et prenaient de l’héro ensemble - We used to get loaded with each other a lot. We loved London because there was pharmaceutical heroin availiable in drugstores (ils adoraient Londres où on pouvait se procurer de l’héro dans les drugstores) - Tiens et puis Joni Mitchell, découverte par Croz. «Guinnevere», qui se trouve sur le premier album de CS&N, est une balade létale dédiée à Joni Mitchell, dont il s’était amouraché et dont il avait produit le premier album avant de la céder à Graham Nash qui voulait absolument la baiser, comme il voulait baiser toutes les poules de ses amis. Joli portrait d’Ahmet Ertegun, le boss d’Atlantic - Sweet man that he is and gentleman that he is, Ahmet loves music - Ce gentleman aime vraiment la musique, ce qui pour Croz est assez rare dans l’industrie musicale. Il ajoute que John Hammond Sr est aussi une exception, puisqu’il a enregistré Billie Holiday ET Bob Dylan. Et puis, comme on l’imagine, il brosse aussi des portraits sensibles de Roger McGuinn, du Nash et de Jerry Garcia.

             Croz n’a pas fait les choses à moitié. Toute sa vie, il n’a fait que tendre vers l’excellence. On dispose de toutes les preuves.

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             Les Byrds font partie d’une autre histoire, aussi va-t-on sauter en 1969, année de parution du miraculeux premier album de CS&N, trois larrons surdoués qui avaient décidé de chanter ensemble pour pousser le bouchons des harmonies à trois voix. Dans son book, Croz n’en finit plus de saluer l’immense talent de Stephen Stills. N’oublie pas que Jimi Hendrix voulait Stills comme bassiste dans son groupe. Quand on écoute ou qu’on réécoute «Suite Judy Blue Eyes», on se régale. C’est du très grand art. Non seulement Stephen Stills fait un festival au chant et à la gratte, mais il en fait un aussi au bassmatic. CS&N nous gratifient d’une fin de morceau absolument démente. Pour Nash et Croz, ce fut de toute évidence un privilège que de chanter sur un cut de Stills. Ahmet Ertegun qui les signa sur Atlantic comprit qu’ils étaient la crème de la crème du rock américain. «Marrakesh Express» est un hit du Nash - All on board on the Marrakesh express ! - Ce fut la musique des jours heureux, t’en souvient-il ? Puis c’est au tour de Croz d’entonner «Guinnevere». Pure magie. La beauté des personnages et la beauté du ciel, le destin leur souriait à pleines dents. En B, tu tombes sur le hit intemporel du trio, «Wooden Ship», co-signé Croz-Stills, l’archétype du rock psychédélique, monté sur une monstrueuse bassline et noyé de guitare liquide. Cut magique, encore une fois - Wooden ships on the water, very free and ea-sy - à bord d’un voilier, libre et riche, cette image allait préfigurer le style de vie de Croz. Ce cut semblait tellement en avance sur son époque. Et puis tu as «Long Time Gone», un groove infernal qui pose vraiment les bases du rock psychédélique, la mélopée court sur un tapis d’harmonies ensorcelantes. «Long Time Gone» va hanter une génération entière. Croz et ses amis ne craignaient plus rien. Ils avaient les chansons. Comme les Beatles. Ils accédaient directement au superstardom.

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             Pour leur second album, Déjà Vu, ils ont incorporé Neil Young, déjà célébré par le public américain pour ses albums solos et vieux compagnon de route de Stills dans Buffalo Springfield. Neil Young arrive dans CSN&Y comme un cheveu dans la soupe. Sa «Country Girl» n’a rien à faire sur cet album, c’est du Neil Young, un style complètement différent. De son côté, le Nash continue de faire sa petite pop anglaise. Ce gros malin a réussi à refourguer «Teach Your Children» à ses copains qui ne disent rien, car ils sont gentils. Mais ça n’arrive évidemment pas à la cheville de «Wooden Ships» ni de «Long Time Gone». Heureusement, Croz veille au grain et ramène «Almost Cut My hair», encore un groove chargé de sens psyché. Il sait tirer sur certaines syllabes, juste ce qu’il faut de fabulosité. Croz est un formidable déchireur de ciels, un explorateur de paradis artificiels. Il donne du temps au temps du groove. L’autre pièce de choix qu’il ramène pour cet album, c’est le morceau titre. Il y recycle son admiration du «Love Supreme» de John Coltrane. Musicalement, Croz est nettement plus évolué que ses collègues. Il navigue à le recherche de passages vers d’autres océans. «Woodstock» est une compo de Joni Mitchell, qui reste un modèle d’harmonies vocales rockées au roll suprême. On l’entend dans le générique de Woodstock, un film qu’on peut revoir chaque année sans jamais s’ennuyer.

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             Croz embarque tous ses copains du Bay area dans l’aventure de l’album rouge, If I Could Only Remember My Name. «Cowboy Movie», qui est monté sur le même genre de groove magique que «Long Time Gone», raconte l’histoire d’un gang de pilleurs de trains et d’une fausse Indienne. Les autres morceaux de l’album fleurent bon le mescal («Tamalpass High (At About 3)»), le mélopique enchanteur («Laughin’»), le très haut niveau - huit miles - («What Are The Names») et la pure mélodie, avec des voix qui pépillent dans la tiédeur des alizés («Song With No Words»). Croz cultive essentiellement une vision du monde très pure.

             Comme il s’entend bien avec son collègue Nash de Manchester, ils font des albums ensemble, sur le même principe que dans CS&N : chacun ramène sa gamelle.

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             C’est là où il faut feuilleter les mémoires de Nash, parues récemment sous le titre Wild Tales - A Rock & Roll Life, car avant d’être un livre consacré à lui-même, c’est d’abord un livre consacré à Croz. À travers le Nash, on comprend que Croz est un être sur-dimensionné qui dévore tout ce qui l’entoure, et une demi-portion comme Nash ne fait évidemment pas le poids. Nash explique que Croz a façonné sa vie et sa carrière, dès leur première rencontre, chez Cass Elliot. Nash n’en finit plus de brosser et de rebrosser le portrait de Croz : «Il était irrévérencieux, amusant, brillant. C’était un hédoniste à l’état le plus pur. Il avait toujours la meilleure herbe, les plus belles femmes, et elles étaient toujours déshabillées. Quand il passait un coup de fil, une fille lui taillait une pipe.» Nash est fasciné par les exploits de Croz le camé. Il raconte comment Croz vend sa Mercedes à un dealer, puis quand Croz apprend que le dealer vient de faire une orverdose, il va récupérer les clés de sa bagnole sur le corps encore tiède du dealer pour aller revendre la Mercedes à un quelqu’un d’autre - Then he had the balls to resell the car to someone else. Like I said : freaky - Nash raconte qu’à la pire époque, Croz et Jan étaient couverts d’escarres, d’ampoules et de brûlures, car ils utilisaient un petit chalumeau pour chauffer leur pipe, même dans les avions où c’était formellement interdit. Nash se souvient d’avoir vu Croz dans une émission CNN en 1983. Il s’agissait d’un reportage et la caméra filmait la salle du tribunal où Croz était jugé pour usage de drogue. Croz s’était endormi et on l’entendait ronfler bruyamment, au grand dam du Président qui était scandalisé et qui parlait de félonie. Nash apprit ensuite que Croz était même allé fumer sa pipe dans les toilettes du tribunal. Alors bien sûr, en comparaison, les aventures de Nash ne font pas le poids. Ce pauvre Nash finit comme la grande majorité des gens pauvres qui deviennent riches : il devient très sensible aux honneurs, surtout quand il est décoré par la Reine d’Angleterre. Avant de refermer cette parenthèse, signalons tout de même qu’on trouve dans les mémoires de Nash de très belles pages sur la Cavern de Liverpool et les Beatles de 1963, sur Cass Elliot, sur Stephen Stills, Joni Mitchell, mais aussi des pages extrêmement embarrassantes où Nash essaye de justifier au mieux la façon dont il s’est comporté avec ses amis d’enfance, les Hollies. Il faut bien parler de trahison, comme dans le cas de Steve Marriott avec les Small Faces. Nash a beau dire que les Hollies n’étaient pas capables d’évoluer musicalement, on ne trahit pas des amis pour une raison aussi futile. Il est si mal à l’aise avec cet épisode qu’il se réjouit pendant des pages entières d’avoir pu se réconcilier avec Allan Clarke et les autres. Mais on sent une certaine forme de puanteur, un peu comme chez Dave Grohl qui lui aussi s’était spécialisé dans l’opportunisme pathologique, n’hésitant jamais à trahir un ami pour avancer. Et voilà, c’est toute la différence entre un mec comme Croz dont l’humanité reste indiscutable et un personnage comme Nash qui porte sur la figure l’ombre shakespearienne de sa félonie. C’est dans son livre. Lit qui peut.

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             Premier album du duo Crosby & Nash en 1972. On fait très vite la différence entre les compos de Nash et celles de Croz. Nash ramène sa petite pop anglaise déracinée et souvent cousue de fil blanc. Croz ramène des compos extrêmement ambitieuses pour l’époque, comme «Whole Cloth», qui sonne comme un groove visionnaire - On what do you base yourself my friend ? Can you see around the bend ? - Digne de «Wooden Ships», avec un solo de Danny Kootch. On sent chez Croz l’ampleur océanique. Sur «Games», Croz laisse planer sa voix. En l’écoutant chanter, on a l’impression de voir un galion dériver dans le golfe du Mexique. On ne sait pas où il veut aller, mais il reste toujours à proximité d’un soleil radieux posé en équilibre sur l’horizon en flammes. Chez Croz, on retrouve invariablement cette vibration d’orange solaire. Encore une belle pièce de groove avec «The Wall Song». Il reste dans la suspension, dans le flic-floc antédiluvien. Jerry Garcia et Phil Lesh du Grateful Dead l’accompagnent, donnant au groove un parfum psychédélique extrêmement capiteux.

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             Le deuxième album du duo, Wind On The Water, sort en 1975. Il s’ouvre sur une compo merveilleuse de Croz, «Carry Me», qui se solde par une spectaculaire explosion d’harmonies vocales. Nos deux asticots s’en donnent à cœur joie. Comme d’habitude, les compos de Nash sont sympa, mais elles restent très anglaises et ne peuvent en aucun cas rivaliser avec ce qui sort de la grosse tête de Croz. Comme par exemple «Bittersweet», une pièce proprement océanique - Oh I need the heat - fabuleux besoin de chaleur monté à l’octave de l’harmonique, un groove jazzé à la Croz et traversé de fulgurances. «Low Down Payment» est encore signé Croz, jazzé dans l’attaque et accidenté de brisures de rythme somptueuses - It’ a low down payment on this pillar/ Pillar of salt - Puissant et ambitieux - If the damn thing just had a heart/ If I had a heart - some kinda heart - Il va rester dans le même esprit pour «Homeward Through The Haze», une drug-song jazzée elle aussi et d’une rare élégance - Cause the blind are leading the blind/ And I am amazed at how they stumble/ Homeward Through The Haze - Il finit avec une chanson sur les baleines dont il parle assez longuement dans son livre.

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             Leur troisième album s’appelle Whistling Down The Wire. Sur la pochette, ils ont l’air drôles. Croz est un peu joufflu, jovial, avec sa moustache en dents d’ours et ses petits yeux de navigateur. En Nash remontent tous les travers de l’Anglais pingre, avec le nez pointu surplombant un balai à chiottes jaunâtre et des petits yeux qui caractérisent si bien l’étriquement moral britannique dans toute son horreur. Tu as du pur Croz avec «Broken Bird», tu retrouves l’éther du premier album de CS&N, avec des nappes d’unisson emportées par le vent du soir, cette musique qui se voulait l’incarnation d’une certaine paix. Encore une mélodie en suspension avec «Time After Time». Croz emmène tout ça au loin. Avec «Dancer», ambitieux comme pas deux, on sent que Croz écoute Sun Ra, Trane et Ravi Shankar. On retrouve des coups de magie unissonique dans «Taken At All», et nos deux larrons s’entendent bien. Ils sont capables de créer un véritable univers chantant et sensible. Croz fait dans l’atonal pour «Foolish Man». Il navigue entre deux eaux, comme poussé et fiévreux. Il a le même genre de vision océanique que Dennis Wilson. Il manie le sous-rythme jazzy à la Charlie Mingus. On retrouve aussi certains accents élégiaques de «Cowboy Movie». Pur génie crépusculaire. Encore une belle dérive avec «Out Of The Darkness», ces mecs adorent se laisser emporter par les courants et se sécher au soleil. 

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             Ils sortent un album live en plein boom punk, en 1977, et seuls les dedicated followers of the Croz-fashion vont aller écouter ça. Ils attaquent «Page 43» à contre-chant et suspendent ce groove aux lèvres argentées d’Ariane. Ici tout n’est que manière forte, excellence des ambiances, compulsion pré-établie de laid-back libératoire, tiédeur jalouse dans les branches d’un temps béni des dieux. Ces mecs savent jouer le groove à la perfection. Peu d’équivalents sur le marché, à part Paul Simon, et, dans un genre plus sombre, Mark Lanegan. On voit le groove de «Foolish Man» fuir vers l’horizon et la version de «Déjà Vu» se détache du rivage.

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             Toujours en 1977, le trio légendaire se reforme pour sortir un album et Croz emmène ses deux collègues à bord du Mayan, comme on peut le voir sur la pochette. Excellent album, mais en 1977, on écoutait autre chose. Avec «Shadow Captain», ils repartent au grand large. On les sent au soleil. Les compos de Stills sont plus classiques, comme «See The Changes», mais on ne sent plus la niaque du premier album. Dans ce contexte, la pop de Manchester que ramène Nash passe de moins en moins bien. L’écart se creuse terriblement. «Fair Game» est un petit mambo du père Stills, bien raffiné, attaqué au chant d’unisson du saucisson. C’est le cut accrocheur par excellence - just relax enjoy the ride - et Stills place un solo acoustique assez dément. On retrouve la voix de rêve de Croz dans «Anything At All». C’est une fabuleuse glissade dans l’intimité de la suspension. Il faut suivre les compos de Stills à la trace, car elles sont souvent intéressantes, comme par exemple ce «Dark Star» qu’il joue lead à l’acoustique. Avec «Just A Song Before I Go», on est rassuré de voir que ce n’est pas Croz qui a trouvé un titre aussi con, mais Nash. Belle pièce que ce «Run From Tears», du pur Stills, avec des chorus perchés dignes du premier album du trio. Stills joue des trucs sévères sur sa guitare - Girl I’m Drowning - Admirable et racé. Croz nous fait le coup de la latence paranormale avec «In My Dreams», il mène la danse des songes. Croz est bel et bien l’âme du rock californien. Stills referme la marche avec un brillant «I Give You Give Blind», ce qui au total, nous fait un album remarquable.

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             On croyait ces mecs finis, on les prenait pour des vieux schnocks de Woodstock. Il était même de bon ton de leur cracher dessus, à une certaine époque. Mais le train de nos insultes s’arrêtait à la gare de leur indifférence. Ils ont continué d’enregistrer des albums, dans la plus totale indifférence, tout au moins en Europe. Dans son book, Croz répète inlassablement qu’il parvenait toujours à générer du cash en concert, aux États-Unis. Beaucoup de cash. Ces mecs étaient devenus des super-stars de plein droit.

             Avec ou sans Neil Young, ils vont encore réussir à enregistrer quatre albums étalés sur vingt ans, sans compter la multitude d’albums solos enregistrés à droite et à gauche par les uns et les autres. Des quatre, le plus discret sera bien sûr Croz.

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             Nouvelle équipée de CS&N en 1982 avec Daylight Again. Ce n’est pas l’album du siècle, mais quand on suit Croz à la trace, on écoute Daylight Again attentivement. Nash consacre une chanson à Croz qui va mal : «Into The Darkness» - Your face is ghostly pale - Croz répond avec une magnifique drug-song, «Delta». Ils attaquent tous les trois - Of fast running rivers of choice and chance - c’est de la pure magie suspensive. Ils sont vraiment très fort. Croz propose un horizon. C’est Stills qui pond et qui joue le morceau titre. Il ne le lâche pas. Il peut tout jouer. Il renoue avec la magie de Woodstock. Oui, car n’en déplaise aux ignares, il y a bien eu de la magie à Woodstock.

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             Neil Young rejoint ses collègues pour l’album American Dream qui sort en 1988. Croz est sorti du ballon. Il est clean. On lui propose d’essayer des trucs, mais il dit non. Pas question de replonger. On retrouve sur cet album les compos classieuses de Stills, comme «Get It Made», très joli groove monté sur un beat soutenu. Croz ne ramène pas grand chose, juste deux morceaux, mais quels morceaux ! «Night Time For Generals» est une sorte de disco colérique que s’en viennent sauver les harmonies vocales. Et «Compass», encore une histoire de navigation. Croz raconte sa sortie des enfers - But like a compass seeking North/ There lives in me a still, sure, spirit part - Mais c’est Stills qui fait quasiment tout l’album, avec sa grosse guitare et ses riffs fatals. Il semble même qu’il se soit endurci en vieillissant.

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             Et comme ça va beaucoup mieux, Croz se remet à enregistrer des albums solo. On le croyait grillé. C’est mal connaître l’animal. Il revient avec un album en forme de clin d’œil malicieux, Oh Yes I Can. Son «Drive My Car» n’a rien à voir avec celui des Beatles. C’est plutôt un gros beat des années 80. Il aménage des petites zones de paix crozbique mais le beat vire salement FM. Cut après cut, il s’enfonce dans un rock FM atroce, jusqu’à «Tracks In The Dust», où on retrouve le vrai groove d’antan, celui qui fit sa légende - I think we’re passing through here kind of fast/ Did you think those tracks in the dust would last ? - Réflexion philosophique sur le côté très éphémère des choses de la vie. Croz met ça en musique pour le bonheur de nos cervelles, et ce cut à lui seul sauve tout l’album. La B est un peu plus solide. Il revient à la magie des ambiances faussement immobiles avec «Lady Of The Harbour». On retrouve sa belle bravoure d’attaque groovy. Il évoque dans «Distances» les distances qui séparent les êtres - Till this distance came in our lives - Fabuleux. On a l’impression qu’il s’agit toujours du même groove à la dérive, mais non, c’est à chaque fois une pièce intrinsèque, très solennelle et unique. Il met en musique le sentiment du beau unique. Voilà comment on pourrait qualifier l’art de Croz. Les ceusses qui apprécient les belles chansons et les mélodies jazzo-groovy devraient écouter Croz et son «Flying Man». Non seulement, il est l’âme du rock californien, mais il se pourrait bien qu’il soit aussi l’âme de CS&N. Malgré le piège de la prod années 80, Croz s’en tire avec tous les honneurs. Rares sont les disques produits dans ces années-là qu’on peut encore écouter aujourd’hui.   

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             CS&N sortent Live It Up en 1990. Pendant trois ou quatre titres, un gros malaise s’installe. Ils sonnent comme les Bee Gees période disco. Il faut attendre «Yours And Mine», co-signé par Croz et Nash pour retrouver la terre ferme. Croz raconte une histoire qui se déroule à Belfast et renoue avec le son original du trio. Le morceau qui sauve cet album s’appelle «Arrows», du pur Croz. Il tortille sa sauce à sa façon, avec un peu de gras dans le vrillé de la voix en suspension. Il reprend le large. Le morceau est destiné à tous ceux qui ne savent pas encore que Croz est un voyageur mythique, comme le fut Ulysse. Il traverse les mers inconnues à bord du Mayan. Il sauve encore un album par sa seule prestance de groover impénitent.   

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             Nouvel album solo en 1993 : Thousand Roads. Belle bête. Jimmy Webb lui a composé «Too Young To Die» et on sent aussitôt l’ambition d’un projet merveilleusement décontracté - Sweet old racing car of mine/ Roarin’ down that broken line - C’est un fabuleux hommage à James Dean et à Steve McQueen - When I die I don’t want to go to heaven/ I just wanna drive my beautiful machine up North on some Semona County road/ With Jimmy Dean and Steve McQueen/ All the boys be singin’ singin’ - C’est de la légende à l’état pur et ça lui va comme un gant. Croz tape aussi une compo avec Joni, «Yvette In English», et c’est encore une fois de la magie pure. On a là la pure élégance de la sensibilité supérieure - Little bit of instant bliss - voix diaphanes, guitare jazz, pureté de l’instant. Voilà encore un groove du paradis signé nounours. Sur «Thousand Roads», c’est Andy Fairweather Low qui joue de la guitare. Pur Californian Hell ! - Threre’s a thousand roads up this mountain/ You can get lost in a minute if you try - Encore un coup de génie. Croz peut rocker quand bon lui semble. Voilà ce qu’il faut retenir de cette histoire. «Natalie» est une chanson d’amour de plus, mais quand ça tombe dans les pattes de Croz, alors ça devient énorme. Rien qu’avec la voix et la vision, il creuse l’écart qui le sépare des autres. Il ne s’intéresse qu’à la portée de sa vision et donc à l’immensité.

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             It’s All Coming Back To Me Now fut enregistré au Whisky A GoGo en 1993. Croz ne proposait rien de moins que de jouer sur scène ses meilleurs cuts. C’est un disque un peu toxique. Croz y enfile ses cuts latents comme des perles. Il vient tout juste d’échapper à la mort. On vient de lui greffer un foie tout neuf, alors il peut poursuivre l’aventure de beauté commencée avec les Byrds et poursuivie avec ses amis Stills & Nash. On attend sa version de «Cowboy Movie» au virage. Le hit du siècle ? Va-t-en savoir. Il en joue la copie conforme - ahhhh yeah - on retrouve ces chutes de couplets extraordinaires. Croz torche son affaire avec une réelle grandeur d’âme. Avec des hits comme «Cowboy Movie», il est à l’abri. Il ne craint plus rien. Croz règne sur l’empire du groove en compagnie de Marvin Gaye et de Bobby Womack. On retrouve ce son classique de groove californien dans «Almost Cut My Hair». Il va chercher du gras dans le fond de son gosier. Il pose les conditions du groove majeur et c’est embarqué aux guitares. Et puis il tape dans ses plus grands hits, comme par exemple «Deja Vu». Graham Nash vient donner un coup de main - And now we’ll all get weird - Retour aux temps bénis du CS&N, avec une grosse dérive à travers le delta du néant et un solo de basse d’Hutch - oh yeah ! C’est une longue dérive primitive et on entend chanter les anges. Avec «Long Time Gone», Croz hisse l’étendard de la légende du rock américain. C’est du pur génie crozbique. Il passe immédiatement au délire des harmonies vocales et retrouve le secret des effarantes dynamiques intérieures. La beauté, c’est tout ce qu’on aime dans le rock, le choc des grooves et l’éclat des notes de guitares électriques, l’invraisemblable légèreté kunderienne des mélodies et l’oisophilie de l’autre, telle que la rêvait Edgar Allan Poe. «Wooden Ships» est encore un hit absolu. On voit se dessiner les coques des vaisseaux et scintiller les armures dans le crépuscule rosi-crozien. L’ami Croz et ses amis embarquent tout le monde dans une interminable version de dix minutes. On n’en demandait pas tant.

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             Nos quatre vieux cocos retournent en studio en 1999 pour enregistrer Looking Forward. Un album qu’on écoute juste pour savoir où ils en sont, comme on l’a fait avec le dernier Rod The Mod ou encore le dernier Dr John. On retrouve le fameux chacun pour sa pomme qui a tellement affaibli les albums précédents. Stills va sur le funky joyeux, Neil Young va sur la gratte au coin du feu et chante comme une chèvre sénile, à l’ancienne mode, Nash retapisse sa petite pop de Manchester qui commence à sentir le moisi. Et Croz ? Oh, il ramène un heavy blues rocky bardé d’accords mortels qu’il semble avoir sorti de la vase d’un marécage psychédélique : «Stand And Be Counted». Renversant ! Comme le pépère Jack Bruce en Angleterre, le pépère Croz peut réveiller les morts. Stills continue d’envoyer ses giclées de vieux, et Neil Young endort les chaumières avec ses morceaux usés et rafistolés par des pièces aux genoux. Croz est gentil de les accueillir dans le studio. Ça dégage tout de suite avec «Dream For Him». On sent le Mayan sous les alizés. On sent le mec qui a navigué. On sent la voix et la crinière au vent. On sent les années de freebase. C’est une vraie compo, pas un gadget de vieux. C’est même un groove exemplaire. Voilà le truc : chez Croz, c’est l’exemplaire. Il a toujours cette voix et ce goût des vraies mélodies, ce goût d’un style qu’il a initié avec «Cowboy Movie». On retrouve même par instants des accents du thème de «Woodstock», c’est dire si l’excellence règne à bord de «Dream For Him». 

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             Croz, nouvel album solo de Croz, paraît en 2014. La première écoute ressemble à un moment historique. Ce n’est pas tous les jours qu’on écoute un nouvel album de Croz. Comme tous les gens distingués, il sait se faire rare. «What’s Broken» est un joli groove panoramique ralenti. On retrouve ses vieilles tendances au trip. Pépère sait encore chanter. Avec «Time I Have», il fait allusion au mal dont on l’accuse - I’m looking to find some peace within me to embrace/ To encourage that smile to find my face/ Sometimes I’m winning - Il en profite pour adresser un clin d’œil à Martin Luther King - I have a dream/ A great man said/ Another man came and shot him in the head - Dans son book, Croz revient longuement sur les violences faites à John Lennon et à Sharon Tate et explique que depuis, il est toujours armé. Retour à la beauté pure avec «Hold On To Nothing», sensible et suspendu - Sunny days can fool you/ They can look wet with the rain - coup de trompette de Wynton Marsalis. Ce sera certainement le morceau qui va le plus coller au palais. Il revient au groove jazzy avec «Slice Of Time», intemporel et suspendu, doté d’un gros solo de cordes tirées. Avec son grand groove électrico-exceptionnel, «Set The Baggage Down» s’impose comme une pièce digne de CS&N. Fabuleux retour de manivelle. Sur la C se niche une autre merveille, «Dangerous Night», un somptueux balladif - I want to believe I can pass happy to my child/ But the truth gets lost and the system runs wild - Il faut profiter encore et encore du trésor de cette voix de légende. 

    Signé : Cazengler, David Grosbide

    Crosby, Stills & Nash. Crosby, Stills & Nash. Atlantic Records 1969

    Crosby, Stills, Nash & Young. Déjà Vu. Atlantic Records 1970

    David Crosby. If I Could Only Remeber My Name. Atlantic Records 1971

    Crosby & Nash. Crosby & Nash. Polydor 1972

    Crosby & Nash. Wind On The Water. Polydor 1975

    Crosby & Nash. Wistling Down The Wire. ABC Records 1976

    Crosby, Stills & Nash. CSN. Atlantic Records 1977

    Crosby & Nash. Live. Polydor 1977

    Crosby, Stills & Nash. Daylight Again. Atlantic Records 1982

    Crosby, Stills, Nash & Young. American Dream. Atlantic Records 1988

    David Crosby. Oh Yes I Can. A&M records 1989

    Crosby, Stills & Nash. Live It Up. Atlantic Records 1990

    David Crosby. Thousand Roads. Atlantic Records 1993

    David Crosby. It’s All Coming Back To Me Now. Atlantic Records 1994

    Crosby, Stills, Nash & Young. Looking Forward. Reprise 1999

    David Crosby. Croz. WEA 2014

    David Crosby & Carl Gottlieb. Long Time Gone - The Autobiography. 2007

    Graham Nash. Wild Tales - A Rock & Roll Life. Crown Publishing 2013

     

     

    Riot on Sunset Stripes

     

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             Comme tout le monde, on est allé en 2002 voir les White Stripes sur scène à l’Élysée. Comme tout le monde, on a écouté leurs deux premiers albums parce qu’ils sortaient sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry. Comme tout le monde, on a ouvert les bras pour accueillir le phénomène des duos d’art-punk-fucked-up-blues, Bantam Rooster, Immortal Lee County Killers, Black Diamond Heavies, Left Lane Cruiser, Winnebago Deal et dans une moindre mesure, les Black Keys ou autres Kills à la petite mormoille. Les White Stripes en firent d’ailleurs partie et surent comme d’ailleurs les Black Keys tirer leur épingle du jeu et accéder au fucking mainstream qui allait les détruire.

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             En plus de la couverture, Mojo leur accorde une vaste rétrospective. C’est donc l’occasion de remettre le nez dans l’histoire de ce duo qui avait fini par décevoir ses fans de la première heure. Ils n’étaient pas les premiers et ils ne seront pas les derniers. Dommage, car leur histoire commençait bien, puisque ça se passait à Detroit. Jack épouse Meg en 1996, mais Jack fait croire à tout le monde qu’ils sont frère et sœur. Si Jack dit ça, alors c’est vrai. Pourquoi ça ne serait pas vrai, puisque c’est vrai ? Jack qui s’appelle Gillis décide de s’appeler White, comme Meg. Pourquoi pas ? Après tout, il fait comme il veut. Puis il pond un concept : on s’habille en blanc (innocence), avec du rouge (colère) et on joue du punk-blues à deux. Meg n’a pas le droit de répéter. Elle doit rester imparfaite. Quand Long Gone John chope les deux premiers singles de Jack & Meg, il leur avance 3 000 $ pour enregistrer un premier album chez Jim Diamond, au Ghetto Recorders de Detroit.

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    Et là, crack boom hu-hu ! Ils démarrent avec un «Jimmy The Explorer» chanté d’une voix de fiotte, on ne sait pas si c’est Jack ou Meg, mais ça sent la mini-jupe de cuisses humides. C’est le Stripes de bonne augure, complètement éclaté. Jack ressort sa voix de fiotte pour rendre hommage à Robert Johnson avec «Stop Breaking Down». Il traîne sa voix dans la purée. On se croirait à Memphis. Puis il travaille l’idée du son avec «The Big Three Killed My Baby», jusqu’au moment où on s’aperçoit que sa voix perchée n’est pas bonne. Il tente d’inventer un style («Suzy Lee»), c’est assez courageux et la pauvre Meg bat comme elle peut. Ça sent les bouts de ficelle («Cannon») et ils passent au stomp de Detroit avec «Astro» que Meg tatapoume à la vie à la mort. On les voit encore explorer le minimalisme gaga avec «When I Hear My Name», ils cultivent courageusement leur binarisme, on sent bien le côté expérimental de cet album. Jack ressort sa petite voix de fiotte pour «Screwdriver», il passe des riffs bien cinglants et s’offre un final extraordinaire. Ils sont plutôt bons dans le genre expéditif, comme le montre leur cover de «St James Infimary», mais c’est de l’expéditif à la Savorgnan de Brazza, il faut que ça braze.

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             En 2000, Jack et Meg divorcent. Meg a quitté les White Stripes et Jack joue dans plein de groupes, the Go, the Hentchmen et avec l’excellent Dan John Miller dans 2-Star Tabernacle.  Mais le couple se reforme pour enregistrer un deuxième album, l’étrange De Stijl. On réalise avec stupeur que Jack n’a pas de voix. Il joue sur les effets. «Hello Operator» n’a rien dans la culotte. Il n’a aucune présence vocale sur «I’m Bound To Pack It Up». Dès qu’il force, il est mauvais. Retour au blues avec le «Death Letter» de Son House. Il joue ça au bottleneck, mais c’est mille fois mieux par Son House. L’album est catastrophique. Il est pourtant passé comme une lettre à la poste. «A Boy’s Best Friend» nous ramène à l’Élysée, on voyait bien à ce moment-là que c’était du vent. Et soudain, au moment où on ne s’y attend plus, ils piquent une crise avec «Let’s Build A Home». C’est un rumble des enfers et on regrette que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Ils font une sorte de stomp enroulé à coups de cu’mon, oui, c’est la première fois qu’un mec fait cu’mon. Puis il fait les Pretties avec «Jumble Jumble», c’est du juvénile pur, bien délinquant. Jack White se réveille en fin d’album, il faut le savoir. Dernier shoot de Stripe avec «Why Can’t You Be Nice To Me», du gaga qu’il prend à la voix de fiotte, il est en plein dedans, hey !

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             Alors ils se mettent à tourner et quand Meg voit le blé qu’elle ramasse, elle décide de rester dans le groupe. Et pouf ils deviennent the world’s hottest band ! Ils passent du cult underground au rock stardom et de là au pop-cultural phenomenon. Ils débarquent à Londres et deviennent célèbres en dix jours. Les médias les encensent : the future of rock’n’roll. Perchés au sommet de leur vague de célébrité, ils sortent leur troisième album, White Blood Cells, sur Sympathy. On y trouve un classique gaga, «Fell In Love With A Girl», mais le reste de l’album peine un peu à jouir. Jack se prend pour Free avec «Dead Leaves & Dirty Ground», mais il n’a pas la voix de Paul Rogers. Il se force à mal chanter. Comme d’habitude, il joue sur les effets. Il fait une Americana du pauvre avec «Hotel Yorba». Comme il devient une star, il ne se sent plus pisser. C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute d’«I’m Finding It Harder To Be A Gentleman». Il fait du grandiloquent de carton-pâte. C’est tout de même incroyable que les White Stripes soient passés à la place des Gories. Mais ce sont les choix des gens du big biz qui visiblement ont misé sur l’image plus que sur le son, comme dans le cas des Bay City Rollers. En gros c’est la même histoire. On crée une mania et on vend des millions de disques, c’est le B-A-BA du biz, un chef-d’œuvre d’enculerie. Jack & Meg n’y sont pour rien. Dans «Expecting», Jack joue la carte du heavy blues-rock à coups de clever et de forever. La heavy pop de «The Same Boy You’ve Always Known» n’a aucune crédibilité. Et pourtant, c’est avec ça qu’il s’en sort le mieux. Sur ce coup-là, il est très anglais. Mais tout dépend de la façon dont on l’écoute. Il est évident qu’il crée son monde et en soi, c’est infiniment respectable. Mais on s’interroge sur la portée du phénomène : autant de retentissement alors que cette pop est d’une affligeante banalité. Sa voix ne passe pas sur «I Can’t Wait» et ça ne pardonne pas. Il peut ramener du son, ça ne sert à rien. Il cherche pourtant des noises à la noise jusqu’à la fin. Globalement, White Blood Cells est un album plein de sous-pentes et de renvois à des choses connues. Il faut l’écouter plusieurs fois. C’est très spécial. Pourquoi Jack White et pas Mick Collins ? White Blood Cells se vend à un million d’exemplaires. 

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             Alors que leur côte n’en finit plus de flamber, ils enregistrent leur meilleur album Elephant. C’est vrai que «Seven Nation Army» sonne comme un hit, monté sur un stomp de basse, et toujours cette petite voix de fausset qui stigmatise si bien le manque de voix. Il pousse bien le bouchon avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself». Il impressionne et joue la carte des rafales. C’est Meg qui chante «In The Cold Cold Night» et ils continuent de créer leur monde. Et puis voilà qu’avec «Ball & Biscuit», Jack the lad invente un genre nouveau : le gaga scorch innervé. Il joue au scorch de descente aux enfers. Sur ce coup-là, il est très fort. C’est un très bel album, riche en émotions. Jack revient à son cher stomp avec «The Hardest Button To Button», il gère ça bien et propose une qualité de stomp imparable. Nouvelle surprise avec «Hypnotize». Il s’y montre expert en riffing gaga, il y ramène tous les poncifs avec sa voix en embuscade. C’est battu à la folie et ça sonne comme une expédition sur le Nil. Encore un coup de Jarnac avec «Girl You Have No Faith In Medecine» : il y ramène un vieux riff de heavy boogie rock, il fait les Yardbirds les deux doigts dans le nez.

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             Puis arrivent les ennuis : un punch-up avec le mec des Von Bondies, et voilà Jim Diamond qui réclame ses royalties sur les deux premiers albums. Jack ne peut plus aller traîner en ville. Il est tricard. Personne ne l’approche. Il est temps de quitter Detroit. Jack ne va pas bien. L’album Get Behind Me Satan s’en ressent considérablement. On le voit trafiquer ses combines dans «Blue Orchid». Il chante derrière sa disto comme s’il avait peur de sa voix. Le résultat n’est pas jojo. Des mecs diront oui le son, oui le riff, mais laisse tomber. Zéro présence. «The Nurse» sonne encore comme une arnaque. Au fil des cuts, il perd tout ce qui lui reste de crédibilité. Quelle tragédie. Il est à la mode mais il n’a pas de voix. Le pas-de-voix ne fait pas de cadeau. Si tu veux faire du rock en Amérique, appelle-toi Iggy, Lanegan, Jeffrey Lee ou Greg Dulli, sinon laisse tomber. Les cuts sont mauvais et mal chantés. Et ça empire encore avec «The Denial Twist». On ne sait comment elle fait, mais dans Mojo, Victoria Segal trouve des choses intéressantes à dire sur ce désastre.

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             Jack se carapate vite fait et s’installe à Nashville, se marie et voit naître ses deux kids en 2006 et 2007. Mais les White Stripes sont toujours sous la pression du tiroir-caisse, ils doivent sortir un nouvel album qui va s’appeler Icky Thump. Jack continue à bricoler son pas-de-voix et opte cette fois pour des choses plus expérimentales. Il va même se prendre pour un groupe anglais dans «You Don’t Know What Love Is». Il réussit l’exploit de combiner l’intense à l’inutile dans «300MPH Torrential Outpour Blues». Il joue une fois de plus sur les effets. Il ramène du gaga à gogo dans «None Broke» et des cornemuses dans «Prickly Thorn But Sweetly Worn». On trouvera un peu de stomp un peu plus loin («Little Cream Soda») et il rallume la vieille flamme des White Stripes avec «Rag & Bone» et là ils sont franchement bons, cu’mon ! Mais les réalités reviennent au galop, dès «I’m Slowly Turning Into You». Sa voix ne passe pas quand il veut la forcer, pourtant ça s’écoute. Très bizarre. Il parvient à créer des ambiances avec son pas-de-voix, notamment dans «A Martyr For My Love For You», il chante dans son jus de glaire, il cherche les voies du seigneur sans savoir qu’elles sont impénétrables, mais après tout, il a raison, il s’en sort avec des effets de basse zone, il fait son small biz, alors forcément, on l’écoute car ça intrigue. En fait, il se prend souvent pour McCartney. Voilà son drame.

             Puis le groupe va cesser de jouer en public. Jack cite l’exemple de Beatles. Sauf qu’il n’a pas les chansons des Beatles. Et puis il a mis en route d’autres projets, The Dead Weather et les Raconteurs. C’est en 2011 qu’il annonce la fin des White Stripes.

    Signé : Cazengler, Moite Strip

    White Stripes. The White Stripes. Sympathy For The Record Industry 1999

    White Stripes. De Stijl. Sympathy For The Record Industry 2000

    White Stripes. White Blood Cells. Sympathy For The Record Industry 2001

    White Stripes. Elephant. V2 2003

    White Stripes. Get Behind Me Satan. V2 2005

    White Stripes. Icky Thump. Warner Bros. Records 2007

    Blood & Fire. Mojo # 326 - January 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu (Part Three)

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            Le gros hic d’Elvis, le biopic de Baz Luhrmann consacré à Elvis, c’est que l’acteur censé faire l’Elvis ne ressemble pas du tout à Elvis. Et ça pose un sacré problème qui est celui de la crédibilité, surtout dans un cas pareil. Tout ce qui touche à Elvis relève du sacré, même si les parades de lookalikes à rouflaquettes l’ont un peu caricaturé après sa disparition. L’acteur du biopic s’appelle Austin Butler, et pour correspondre à toutes les époques, Luhrmann le fait maquiller. Mêmes les rouflaquettes de l’époque Vegas sont ridicules. Luhrmann aurait embauché un acteur chinois pour le rôle, le résultat eut été le même. Absence totale de crédibilité. Et ce ne sont pas les costards roses ni les Coupés de Ville qui vont sauver les meubles. Si on veut voir l’Elvis 56, autant voir les vraies images. Elvis est beau, Butler ne l’est pas. Quelque chose cloche dans les traits de son visage. Les yeux trop rapprochés, peut-être. Plus on le voit en gros plan et plus le malaise s’accroît. Ce biopic est encore plus catastrophique que le Great Balls Of Fire de Jim McBride, avec Dennis Quaid dans le rôle de Jerry Lee. À l’époque de sa sortie (1989), Jerry Lee déclarait publiquement qu’il haïssait ce film. Il avait raison de gronder, le killer, car il était tout sauf un clown. Le problème avec Elvis, c’est qu’Elvis n’est plus là pour trancher. Mais aurait-il tranché ? Le biopic n’en finit plus de montrer que le Colonel tranchait pour lui. Ce qui nous conduit naturellement à la conclusion qui s’impose : le personnage principal d’Elvis n’est pas Elvis mais le Colonel. Vieux, gros, cynique, détestable, supra-intelligent, Tom Hanks campe le rôle de sa vie. Il est l’incarnation du showbiz, c’est-à-dire du diable : il est aussi laid que le Louis Cyphre d’Angel Heart est beau, il est tellement réaliste qu’on pense aussi au Woland du Maître Et Marguerite. Tom Hanks est fabuleux de malignité, il n’ouvre la bouche que pour ricaner des paroles de sagesse évangélique - Without me there wouldn’t be no Elvis Presley - Quand on l’accuse d’avoir tué Elvis, de la même façon qu’on accusait Ponce Pilate d’avoir tué Jésus, Tom Hanks répond, comme d’ailleurs a dû le faire Ponce Pilate : «No, no, no I didn’t kill him. I made him.» Ce biopic est un véritable tour de passe-passe : Luhrmann se sert d’Elvis pour dire la grandeur de Tom Hanks. On en oublie presque le Colonel. Dans ce gigantesque foutoir hollywoodien, Tom Hanks est aussi génialement perverti par le personnage qu’il incarne que l’est Philip Seymour Hoffman, dans le rôle de Truman Capote dans In Cold Blood. Hanks est aussi génialement intense que le fut Albert Dieudonné dans le rôle du Napoléon d’Abel Gance. Les mauvaises langues prétendent que Dieudonné n’est jamais redescendu de son cheval.

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             Ces biopics - même ratés - sont de fantastiques terrains de manœuvre pour l’esprit, lorsqu’il est cavaleur. On peut partir dans toutes les directions à la fois. Bien, pas bien, vrai, pas vrai, en fait on regarde et on juge, on regarde et on frémit, on regarde et on recoupe. On voit les petites arnaques une par une, les petits traficotages de la réalité, on devine la cuisine derrière toutes ces scènes qui sonnent plus faux les unes que les autres. Bien sûr, pour avoir une toute petite idée de la vérité, il faut avoir lu les trois tomes de la saga Guralnick, deux consacrés à Elvis (Last Train To Memphis: The Rise Of Elvis Presley et Careless Love: The Unmaking Of Elvis Presley) et le troisième à Sam Phillips (Sam Phillips: The Man Who Invented Rock ‘n’ Roll), un Uncle Sam qui d’ailleurs est complètement évincé du biopic. Les plans Sun sont réduits à portion congrue. Alors que Guralnick s’attarde longuement sur la nature singulièrement charismatique du personnage d’Elvis, le biopic la fait disparaître au profit d’un lissage bizarre : dans les scènes sentimentales, les gros plans sur le faux Elvis ne sont pas sans rappeler certains aspects de Johnny Depp. Bien sûr, un biopic ne peut pas tout dire, mais les entorses à la réalité sont souvent intolérables. Un exemple avec la scène qui se déroule en Allemagne, où Elvis fait son service militaire et où il rencontre Priscilla. Guralnick le confirme : ils passent leurs soirées ensemble, sous la simili-surveillance des parents de Priscilla. Bon, Elvis lui roule une grosse pelle et tout laisse croire qu’ils vont pouvoir tirer un coup vite fait. Mais non. Priscilla en crève d’envie mais, selon Guralnick, Elvis lui dit non. Il lui promet de la baiser le jour de leur mariage. Dans un an. Peut-être que dans un film où tout sonne faux, ce genre de répartie sonnerait faux, mais dans les pattes de Guralnick, ça sonne vrai, car l’Elvis qu’il campe dans ses tomes est extraordinairement bien construit. Guralnik s’attache principalement à la beauté intérieure du personnage. C’est ce qui rend ses trois tomes fascinants. Luhrmann passe complètement à côté de cet aspect fondamental du mythe : la bonté naturelle de l’homme Presley et son immense générosité. Il y avait quelque chose d’infiniment christique dans le Presley que nous restitue Guralnick.

             Grâce à ce biopic, le personnage Presley est dévoré une deuxième fois par les démons d’Hollywood. On appelle ça un destin tragique. Alors que tout en lui tendait vers une sorte de pureté artistique, Elvis s’est retrouvé noyé dans la vulgarité américaine. Le showbiz - et donc Tom Hanks - le métamorphosent en «cleancut all-American boy». Tom Hanks résume bien les trois étapes de la dégringolade de cet immense artiste : «1, Elvis the rebel. 2, Elvis the movie star. 3, Elvis the family entertainer.» Bien sûr, aux yeux de l’Américain moyen, cette carrière passe pour une réussite, car Elvis devient immensément riche, conformément au rêve américain. Mais aux yeux des idéalistes que sont les fans, c’est exactement le contraire. D’ailleurs dans le film, on voit des fans agglutinés devant le portail de Graceland qui brandissent des panneaux réclamant the old Elvis. Ils ne veulent pas de l’Elvis RCA, ils veulent l’Elvis Sun.

             Luhrmann ne l’a sans doute pas fait exprès, mais la vraie vedette de son film n’est peut-être pas Tom Hanks. Tom Hanks s’enracine dans la country d’Hank Snow, une sorte de guimauve parfaitement à l’image du beauf qu’est le blanc moyen et raciste de l’époque. Non, la vraie vedette du biopic est la musique noire. Ce sont les plans les plus réussis : ça commence avec Arthur Big Boy Crudup, on voit ce black punk gratter son black snake crawling et chanter «That’s Alright Mama» au chat perché délinquant. Puis attiré par la clameur du gospel, le jeune Elvis va sous la tente goûter au fruit défendu, la pomme du jardin d’Eden : la transe du gospel batch et là, mon gars, tu piges tout. Tout vient exactement de là, du raw gospel fever, de l’explosion du peuple noir qui sous la tente recycle le fabuleux héritage rythmique des tribus d’Afrique, et ce sont les racines du rock’n’roll. Elvis et Jerry Lee viennent de cet endroit précis. Pas d’Hank Snow, mais du gospel africain. Elvis semble récupérer tout le black power, Luhrmann fait de cette scène une espèce de séance d’initiation, un rituel de magie noire. C’est ce Black Power que ramène Elvis au Louisiana Hayride lorsqu’il tape une version démente de «Baby Let’s Play House» - I wanna play house with you - Luhrmann cadre le jeu de jambes, mais c’est un jeu de jambes emprunté aux blacks. Et pouf, ça enchaîne sur Big Mama Thornton au Handy Club, à l’étage, sur Beale Street, avec «Hound Dog». On voit aussi le jeune B.B. King essayer de remettre Elvis dans le droit chemin, le chemin artistique. Mais ce sont les ligues morales qui vont recadrer Elvis the Rebel, clean up your act, terminé Elvis the Pelvis, on l’oblige à chanter «Hound Dog» à la téloche face à un basset, injure suprême, et pendant qu’on dresse Elvis pour en faire un bon toutou bien docile, Luhrmann ramène Little Richard avec un «Tutti Frutti» explosif et, pire encore, Sister Rosetta Tharpe, et là c’est inespéré, car on voit la vraie pionnière du rock avec son «Strange Things Happening Every Day», wow, et elle te claque un solo d’acou incroyablement sauvage. Ce sont ces grands artistes noirs qui sauvent les meubles du biopic. Un peu plus tard, on va entendre Mahalia Jackson à la radio, et même la voir chanter. Aw my Gawd, on l’avait presque oubliée, celle-là ! Luhrmann se plante plus loin en montrant un Fats Domino qui ne ressemble pas du tout à Fatsy, mais bon, c’est pas grave. Il n’est plus à un détail près.

             Quand Elvis revient de son service militaire en Allemagne, Tom Hanks l’envoie directement à Hollywood. Bon, comme chacun sait, les films d’Elvis ne marchent pas, c’est d’autant plus tragique qu’il rêvait de prendre la suite de James Dean. Mais Tom Hanks veille au grain, au cleancut all-American Boy marié et père de famille. Les sous rentrent, mais l’étoile de la star s’éteint. Jusqu’au jour où Elvis rencontre Steve Binder et Bones Howe. Binder est connu pour avoir réalisé le T.A.M.I. Show, avec notamment les Stones, James Brown, les Beach Boys, Chuck Berry, Jan & Dean, les Supremes et des tas d’autres. Binder n’est pas chaud pour faire un TV Show avec Elvis. Trop has-been. D’ailleurs Elvis demande à Binder ce qu’il pense de sa carrière, et Binder lui répond le fameux «It’s in the toilet, Elvis». Elvis apprécie sa franchise et accepte d’écouter ses conseils. Binder réussit à le convaincre de revenir aux sources, à Elvis the Rebel, alors que Tom Hanks veut un Christmas Show avec Elvis en Père Noël au coin de la cheminée. Alors, Elvis et Binder montent le coup en douce. Contre toute attente, Elvis the Pelvis se pointe en cuir noir devant les caméras et tape un «Heartbreak Hotel» somptueusement sensuel. Tom Hanks est furax. Binder réussit même à faire revenir l’excellent Scotty Moore que Tom Hanks avait réussi à virer. C’est donc le fameux ‘68 Comeback qu’on a tous adoré. Puis Binder & Howe font miroiter à Elvis les avantages d’une tournée mondiale, le grand retour du King, mais Tom Hanks dit non, invoquant les dangers du monde extérieur - Security ! Security ! - Rusé comme un renard, Tom Hanks monte un coup fumant : il se fait hospitaliser à Vegas. Inquiet pour sa santé, Elvis vient le voir. Il tombe dans le panneau. Tom Hanks lui montre alors son avenir par la fenêtre de la chambre d’hosto : le fameux International Hotel. Encore baisé, l’Elvis. Mais il accepte, il veut les Sweet Inspirations de Cissy Houston, et les meilleurs musiciens, dont James Burton. Tom Hanks garde donc le contrôle sur le business - Taking care of business - Nous sommes désormais chez les blancs. Elvis s’habille en blanc. À part des Sweet Inspirations, on ne voit plus aucune bobine de black dans le secteur. Elvis roule des pelles à toutes les blanches du public. La scène est très belle, presque évangélique. Mais encore une fois, les vraies images de Vegas sont nettement meilleures. Car même à Vegas, Elvis reste très beau. Et puis il a des chansons, «Suspicious Minds» (merchi Chips), «Polk Salad Annie» (merci Tony Joe). Tom Hanks joue la carte Vegas à fond, il éponge ses dettes de jeu abyssales et met sa poule aux œufs d’or sous le contrôle pharmaceutique du fameux Dr Nick. Il en profite pour éradiquer définitivement toute idée de tournée mondiale - International tour out of the question - Tu veux voir le monde, Elvis ? Alors le monde entier voit Elvis, via satellite.

             Elvis croit pouvoir virer le Colonel. You’re fired ! On ne vire pas le diable. Le Colonel dresse la liste de tout ce que lui doit Elvis, il a tout noté : au total, ça fait huit millions de dollars. Plane même la menace d’une saisie sur Graceland. Comme Elvis est ruiné, il se voit contraint d’honorer son contrat faustien avec le diable Hanks. Mais comme on est dans une mauvaise comédie dramatique hollywoodienne, cet aspect est mou du genou. Murnau en fait complètement autre chose, il suffit de voir son Faust.

             La fin du biopic est pitoyable. C’est presque une métaphore de la dégringolade artistique d’Elvis. Luhrmann réussit même à nous faire un Elvis bouffi, assis au piano, sur scène à Vegas. Ce n’était pas utile. On attend Luhrmann au virage pour le cassage de pipe en bois. Va-t-il oser ? Miraculeusement, il réussit à éviter la fameuse scène finale des gogues. Ouf ! Luhrmann s’en sort avec un dernier tour de passe-passe en forme de parabole : «Elvis has left the building.»

    Signé : Cazengler, Elvicelard

    Baz Luhrmann. Elvis. DVD 2022

     

     

    L’avenir du rock –

    Le feu au Cult (Part One)

     

             Il fait nuit. L’avenir du rock roule en ville et s’arrête au feu rouge. Personne ? Il avance. Il n’a pas vu les condés planqués sur le côté. L’un d’eux s’approche.

             — Coupez le moteur ! Papiers du véhicule !

             L’avenir du rock sort les papelards.

             — Vous avez brûlé un feu. Avez-vous consommé de l’alcool ?

             — Ah ben non !

             Le condé va chercher un ballon dans la voiture de patrouille :

             — Vous allez souffler là-dedans.

             — Pfffffffffffffffff !

             — Plus fort !

             — PFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF !

             L’avenir du rock se retrouve au poste. Il a trois grammes dans le sang. Il a dû laisser sa bagnole au carrefour. Le gradé de service dresse un procès-verbal, avant de l’envoyer en cellule de dégrisement.

             — Nom, prénom, date de naissance !

             — Avenir du rock !

             — Pas de prénom ?

             — Non, et pas de date de naissance, puisque je suis un concept.

             — Vous vous foutez pas d’ma gueule, ça pourrait vous coûter cher, insulte à représentant de l’ordre dans l’exercice de sa fonction, ça va chercher six mois, alors tenez-vous à carreau. Nom et prénom des parents !

             — Disons que mon père spirituel s’appelle Sam Phillips, l’Homme qui inventa le rock’n’roll, et ma mère, disons Bernadette Soubirou, la Femme qui inventa les hallucinations.

             — Quelle est votre adresse actuelle ?

             — Dead End Street, juste derrière Itchycoo Park.

             — Quelle est votre appartenance politique ?

             — J’ai une carte d’adhérant au MAV, c’est tout.

             — Jamais entendu parler du MAV ! C’est quoi, un parti de gauche ? Un syndicat ?

             — Oh c’est un petit groupuscule culturel pas très connu. MAV veut dire Mort Aux Vaches. Meuuhhhh, vous voyez ce que je veux dire ?

             — Quelle est votre appartenance religieuse ?

             — The Cult !

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             Si le condé était un peu moins con, l’avenir du rock lui aurait offert le dernier album du Cult qu’il avait dans sa poche, mais il a préféré s’abstenir, car au fond, il sait que les cons ne méritent pas de jouir des bienfaits d’un culte aussi prestigieux.

             Belle pochette que celle du nouveau Cult, Under The Midnight Sun : tu vois un serpent préhistorique onduler symboliquement sous la demi-lune d’un astre d’or. Pochette merveilleusement graphique. Seul le serpent est verni, pour qu’il brille sous tous les angles. Rien qu’à contempler cette pochette parfaite, on sait que le Cult ne va pas mégoter sur les surprises.

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             Le premier choc se produit avec le «Mirror» d’ouverture de balda : trop de son ! La voix de l’Astbu se noie dans le son. Bad bad bad prod, tout chevrote. Il faut comprendre que ça fait partie du jeu. L’Astbu n’a qu’une seule idée en tête : pousser le bouchon dans le bush. Et ça continue de saturer la saturnale dans «A Cut Inside». Ils y vont au va-t-en savoir du qu’en dira-t-on, sans doute est-ce là un subterfuge pour cacher une certaine misère compositale, il faut bien dire que les compos ne sont pas au rendez-vous. L’Astbu est l’un des grands ultimates du rock, il lui faut des compos. Sans compo, il se désagrège, comme un vampire surpris par le lever du jour. Mais rassure-toi, l’Astbu veille toujours à chanter à la surface des apocalypses.

             Les dévots du Cult devront attendre «Give Me Mercy» pour frémir des deux naseaux. Grosse attaque. Bienvenue dans le Cult. L’Astbu t’emmène jusqu’à l’autel, c’mon, il est le prêtre du Cult et il va t’égorger pour célébrer les dieux du rock. La puissance du Cult n’a jamais disparu, elle sourdait sous la surface, comme une langue de feu, et soudain, le son te saute à la gorge, Billy Duffy envoie des accords de cristal dans le ciel rouge, aw my Gawd quelle pâmoison, il joue son va-tout à la vie à la mort, il pleut du feu, le Cult n’a jamais autant brillé, il pleut des tonnes d’accords et ça monte en neige jusqu’à la fin des haricots. L’Astbu est l’un des derniers prêtres capables d’apaiser le courroux des dieux. Et ça continue avec «Outer Heaven», l’Atsbu remonte au somment de son Ararat, il y domine le son, il y domine le monde, le temps de provoquer une nouvelle apocalypse et c’est terrific, tu sens qu’il te tombe sur le râble, c’est un rock très physique, presque un combat au corps à corps, tu luttes en toi pour le plaisir de lutter, tu reçois les coups et tu tends la joue pour en recevoir d’autres.

             Billy Duffy vole le show dans «Vendetta X», il joue aux accords de contre-plaqué pendant que l’Atsbu trafique sa menace et bascule dans un abîme de tristesse. Alors Billy décide de remonter à la surface du son et, aussi étrange que ça puisse paraître, le ciel s’ouvre. Billy consolide l’ouverture avec des accords de contrefort. On n’avait encore jamais vu un bricolage pareil. Avec «Knife Through The Butterfly Head», l’Astbu plonge dans le mythe du Cult. Il chante comme un dieu, c’est-à-dire comme Jimbo, il se hisse au sommet du summer et tu montes avec lui, tu le vois forcer tous les passages, l’Astbu est le singer absolu, il chante à pleine gorge, c’est d’une puissance de crève-cœur, tout ici est joué à l’extrême heavyness, la pire de toutes. Ils terminent cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec le morceau titre, en forme de panorama de Midnight Sun. C’est tout simplement du Technicolor, mais pas n’importe quel Technicolor, celui du Cult est un Technicolor d’effarance de la pertinence. L’Astbu ne vise que l’extrême Technicolor.

    Signé : Cazengler, tête dans le Cul

    Cult. Under The Midnight Sun. Blackhill Records 2022 

     

     

    Inside the goldmine

    - Evil Leavill

     

             Qui pourrait en vouloir à Piotr d’être ce qu’il est ? Personne, bien évidemment. Des gens qu’on connaît depuis cinquante ans continuent parfois de nous surprendre. Comme s’il voulait brouiller les pistes, le Piotr qu’on croyait gentil et affable sait parfaitement se montrer odieux, surtout quand il fond sur ces proies faciles que sont les serveuses et les serveurs de restaurant. L’un de ses sports favoris consiste à plonger une salle entière dans le malaise, en humiliant à voix haute les gens qui le servent à table. À cause de sa passion pour Bibi Fricotin ou Jo Zette & Jocko, on a longtemps considéré Piotr comme un petit garçon enfermé dans le corps d’un adulte. Nouvelle erreur d’appréciation ! Dans des réunions de travail très techniques, on l’a vu se conduire comme le plus avancé des adultes présents autour de la table, pouvant croiser le fer avec des spécialistes sur les plans juridiques et financiers, et prenant encore une fois un malin plaisir à crucifier en public le malheureux qui ose discuter son point de vue. Dans l’arène, Piotr devenait le gladiateur invincible, une sorte de Russell Crowe devenu chauve, et comme il avait accumulé plus de connaissances que n’en possédaient tous les gens réunis autour de la table, alors il frappait chaque fois à coup sûr, et pour contraster avec la barbarie de ses coups, il usait d’un ton lénifiant, comme celui qu’utilise Marlon Brando dans The Godfather. Les professionnels qui connaissaient Piotr le craignaient. Les femmes le craignaient encore plus. Piotr les collectionnait comme des papillons, il les choisissait comme on les choisit aujourd’hui, sur les ventes de bétail en ligne. Lorsqu’il est à table, il participe distraitement à la conversation tout en faisant ses courses sur son smartphone, likant à la chaîne et chattant avec toutes ces chattes en vente, se vantant avec son étrange sourire presbytérien «de les baiser vite fait sur le capot de sa bagnole». C’est probablement parce qu’il brouille adroitement les pistes et qu’il maîtrise l’art de plonger ses amis dans la consternation qu’on ne s’ennuie jamais en sa compagnie. 

     

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             Piotr n’est pas le seul à savoir plonger les gens dans la consternation. Otis Leavill peut lui aussi se vanter de cet apanage. Si tu veux qu’Otis Leavvill te plonge dans la consternation, c’est facile : il existe une compile qu’il partage avec deux co-locataires, Billy Butler et Major Lance : The Class Of Mayfield High. C’est ce qu’on appelle dans les milieux autorisés une compile magique, car en plus des douze cuts magiques d’Otis Leavill, tu peux entendre ces deux seigneurs de la Soul que sont Billy Butler et Major Lance. Tu sors de là gavé comme une oie. N’ayons pas peur des grands mots : Otis Leavill est un magicien, il fait danser la Soul sur la pointe de sa glotte. C’est lui l’Evil Leavill qui donne les cartes de la Soul. «I Love You» est un coup de génie retentissant. Il chante d’une voix d’ange de miséricorde et ramène une spiritualité charnelle dans sa Soul. On le voit aussi filer à vive allure sur le fast drive de «Why Why Why». Il est si bon qu’il dépasse toutes les attentes, on se croirait chez les Beach Boys, tellement c’est beau, puissant et chanté aux harmonies. Il fait encore battre le petit cœur de la Soul avec «Glad I Met You», il chante tout à la rose éclose, il est le Soul Brother de tous tes rêves inavouables. Il chante «Love Uprising» à l’uprise et provoque un vrai carnage paradisiaque avec «I’m So Jealous». Il transforme tout ce qu’il touche en or du Rhin. Sa Soul brille de mille feux. C’est Otis Leavill qu’il te faut. Cette façon qu’il a d’ânonner sa jalousie est unique au mode. Il chapeaute son «There’s Nothing Better» d’une belle Soul de good time, il chante tout d’une voix aussi grasse qu’une huître fécondée.

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             Dans son booklet, Bill Dahl indique que le fantôme de Curtis Mayfield plane sérieusement sur cette compile magique, d’où le titre, Mayfield High. L’autre clé magique de cette compile magique, c’est bien sûr Carl Davis, le producteur de génie et boss local des labels Brunswick et Dakar. Billy Butler et Major Lance font aussi partie de l’écurie Carl Davis. Grâce à lui, Brunswick/Dakar va devenir l’un des Soul outlets les plus importants de l’époque, rivalisant avec Motown et Stax. Dahl n’oublie pas de rappeler que dans les early sixties, les stars de Brunswick sont Jackie Wilson et Buddy Holly. Et l’impeccable Tyrone Davis, que Carl Davis rendra célèbre.

             Avant d’arriver chez Brunswick/Dakar, Carl Davis bossait pour OKeh et c’est là qu’il commença à lancer la carrière de Major Lance. C’est Curtis Mayfield qui composait pour Lance. Curtis Mayfield était le Smokey Robinson de la scène locale. Selon Dahl, Major Lance incarna mieux que quiconque the innocent charm of Chicago Soul. Dahl rappelle aussi que Major Lance et Otis Leavill ont grandi ensemble à Chicago. Ils sont devenus tous les deux d’excellents danseurs. Ils pouvaient aussi boxer. D’ailleurs, Major Lance se fera disqualifier pour avoir mordu son adversaire. C’est lui qui amène son ami d’enfance Otis Leavill chez Carl Davis. Dans un élan nostalgique, Otis Leavill se souvient de l’âge d’or Brunswick/Dakar sur Michigan Avenue : «We had a family. We had a hell of a family. Carl was the father. He was the head of the family and he kept us all in line.» Major Lance n’a que 6 cuts sur la compile, dont le célèbre «Follow The Leader», fantastique shaking de dance-floor et d’écho du temps d’avant. Major forever ! L’autre hit intemporel est le fameux «Do The Tighten Up». Major Lance est LE jerkeur de choc. Il crée aussi une fantastique tension avec «Sweeter As The Day Goes By». Il parvient à faire des étincelles dans un groove de charme ! Major Lance est bourré de Soul genius. Il dispose à la fois de l’omniscience et du Black Power. Puis il fonce dans la nuit de la Northern Soul, yeah, avec «Shadows Of Memory», il est tendu à l’extrême, il est là sur scène avec sa banane de black, épaulé par des chœurs de Motown. Major Lance est un héros.

             Le troisième larron de la compile n’est pas un enfant de chœur. Billy Butler est lui aussi un crack et dès «Help Yourself», tu danses le jerk avec Billy the crack. C’est énorme ! Ce Billy-là a le diable au corps. Il fait encore du raw r’n’b de sweet darling avec «Sweet Darling» et comme les Four Tops, il va chercher la Bernadette avec «Come Over To My Side». Il déploie les mêmes réserves d’excellence que Levi Stubbs. Billy semble flotter au dessus de la ville, il chante «Careless Heart» avec une maturité de vampire, il est tellement au dessus de la mêlée qu’on finit par s’en émouvoir. Et voilà qu’il tape dans les Tempts avec «I’ll Bet You», il dispose de tous les pouvoirs, il sort une Soul sauvage et bien claquée. Il est absolument parfait. Encore un hit de power pur avec «Burning Torch Of Love», il règne sans partage sur le groove de heavy r’n’b, quelle blague ! T’en rigoles tellement c’est bon. Tu ne bats pas Billy Butler à la course.  

    Signé Cazengler, Otis Débill

    Billy Butler / Major Lance / Otis Leavill. The Class Of Mayfield High. Westside 1999

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 10 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    *

    Le titre de leur album m’a plu. Westernization, voilà qui dénote une certaine réflexion sur le rock ‘n’roll, mais vous n’en saurez pas plus, moi non plus, il ne sortira qu’au mois d’avril. Alors en attendant écoutons leur premier opus car…

    IT’S TIME TO MAKE A MESS WITH…

    THE CONFUSIONAIRES

    ( 2018 )

    Encore un groupe du Canada, nous en profitons pour saluer Marie Desjardins, d’Edmonton capitale de la province d’Alberta, à elle seule plus grande que la France.

    Sont trois : Fat Dave Johnson : guitare et vocal / Jayson  Aschenmonster :  upright bass & vocal / Adam Staric : drums.

    La pochette laisserait à penser qu’ils sont un groupe de rockabilly garage.

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    You know, I’m right : paroles glaçantes, vocal imperturbable, tout va bien, bonne rythmique rock’n’roll, mais pour l’esprit l’on est plus près du country que du rockabilly, vous avez la upright qui monte au septième enfer, une barate qui cogne et une guitare guirlande qui se glisse partout comme un serpent affamé, non ce n’est pas une histoire entre un gars et une fille. Teach me how to write a sad song : une petite merveille, je parle de la musique, s’y donne à fond très sixties, c’est tellement beau qu’ils rallongent l’intro avant d’allonger le vocal. Ce n’est pas qu’il n’est pas bon, c’est qu’il très bon, mais question paroles, ce n’est pas vraiment une philosophie enthousiasmante de la vie, pour une petite histoire d’amour qui a mal tourné, ils vous filent le moral à zéro pour toute la soirée. Pourtant cette voix vindicative est si prenante. Make a little mess : ils ont vraiment le secret des intros qui vous clouent sur place, pour le reste question idée ça commence comme Samedi soir de Johnny Hallyday, mais la guitare est là pour vous prévenir que la soirée annoncée finira mal, et ils y vont franco à toute vitesse, souriez ce n’est pas un drame non plus, et puis qu’importe le grabuge puisque c’est beau. Everybody’s talking ( but nobody’s talking to me ) : un peu de blues, très foncé, n’a jamais fait de mal à personne, ce coup-ci il est très froncé rock’n’roll, z’ont le punch, n'écoutez pas trop les lyrics, vous fileront le cafard, ces gars-là ils ont le perfecto ( je ne sais pas s’ils en portent) très métaphysique, en douze lignes de lyrics ils vous définissent le statut du rebelle révolté à la vitesse d’un TGV, avec en prime une critique sociale d’une grande cruauté. El fango : pour une fois ils sont gentils, pas de paroles pour vous saper le moral, par contre vous serez atteints par les affres de la jalousie, comment font-ils pour jouer si bien, une batterie qui cavale comme si elle était toute seule, une big mama qui lui emboîte le pas parce qu’à deux c’est toujours mieux, et là-dessus vous avez la guitare qui dépose des splendeurs, vous n’entendez plus qu’elle, c’est injuste car les deux autres marnent un max, mais c’est ainsi, superbus comme disent les autocaristes. 1000 songs : c’est idiot, si vous vous écoutez vous n’irez jamais plus loin que l’intro, ce serait une erreur, d’abord la voix comme si elle venait de la salle-de-bain du studio, ce qui permet de prendre son pied sur Les giclées électriques de la six-cordes ou de ne pas croire que c’est elle qui imite le piano jazz, une chanson d’amour, oui mais d’amour pour la guitare. 1958 Chevrolet Del-Ray : avec un tel titre nous allons pouvoir réaliser notre fantasme rockabilly N° 1 sur la banquette arrière, ben non ce sera pour la prochaine fois, z’ont l’art de dégonfler les clichés, vous croyez rouler à 120 miles à l’heure, le rythme est trop flegmatique, un truc encore pire que Sur la route de Memphis du grand Schmoll, une guitare qui égrène les notes comme des épines de cactus, vous rêvez de foudre rockabilly et vous entendez le monde cruel de la country. Save your apologies for when you get caught : un shoot d’instrumental pour vous refiler le moral, de la tonitruance qui confine à de la maltraitance auditive pour ceux qui n’aiment pas vivre à fond la caisse. De champagne ! Walking is much too slow : c’est terrible un groupe de rock qui sonne fort et bien avec des lyrics à la hauteur du son, en plus vous prennent toujours à dépourvu, à contrepoil, vous mènent par le bout du nez là où ils veulent, du grand art, et ne sont pas beaucoup sur le marché à se permettre de tels régals. 6120 : tous les amateurs de Cochran connaissent ce chiffre, pour les paroles pensez à Elle est terrible d’Hallyday + la fin de Génération perdue, sinon ne pensez à rien, écoutez, c’est du rock’n’roll qui parle de rock’n’roll ! Immanquable. Ford Fairlane : (n’avais pas tort quand je parlais de Rockab garage) : en voiture, une balade avec la fille que l’on aime, la poésie du camionneur, une fin à l’emporte-pièce, une guitare qui vous grimpe au septième ciel et des mots qui disent plus qu’ils ne le voudraient. Pour le son une espèce de convoi à la Peckinpah. Mais funéraire. Where I am when I close my arms : encore une de ces intros qui vous mettent du baume au cœur et que vous laissez venir à vous pour le plaisir de vous sentir bien sur cette terre, ensuite vous fermez les yeux et vous suivez les ondées de cette guitare, y a tout de même cette petite musique en sous-main, une pointe de rêvasserie nostalgique, qui vous apporte la gousse d’ail de cynisme nécessaire pour survivre à vous-même. 1000 shots of whiskey : un tintamarre batérial de tribu de cannibales en chasse, ils se dirigent vers vous, pas de panique ils ont seulement soif, vous les rejoignez, z’avez intérêt à courir vite car le solo de guitare ne vous attend pas, soirée biture, pas besoin de piqûre de rappel, conseil identique aux précédents, n’écoutez pas trop les paroles vous risquez d’en ressortir l’oreille pâteuse. Pour le mal de crâne il est fourni gratis avec l’extro. Trop c’est trop !

             Je ressors de ce disque ébloui. Enfin du nouveau dans le monde du rockabilly !

    Damie Chad.

     

     

    *

    Pour une fois ce n’est pas la couve de l’opus qui m’a attiré, ni le nom du groupe. Mais les tags qui l’accompagnaient. Des mots qui pour citer les Beatles ne vont pas très bien ensemble, trois exactement : celui du milieu ‘’ doom’’ ne me pose aucun problème, pas de péril en la doomeure, ce sont les deux autres, celui qui arrive en queue de peloton, ‘’acoustic’’, oui ça existe à portion homéopathique, enfin passons, mais le premier en file de tête du peloton ne cadre pas trop de bicyclette avec doom, jugez-en par vous-mêmes : ‘’jazz’’. Que peut-il sortir d’un tel accouplement digne de Lautréamont, peut-être un monstre hideux, peut-être un mélange sans saveur, peut-être une pure merveille… Là, n’est pas la question. Qui voudra prendre la peine d’écouter entendra. 

    Quant à moi j’aime à découvrir. Je suis curieux de nature. Les marges m’attirent. J’essaie un tant soit peu de suivre les nouveautés, pas pour me tenir au courant, mais la meilleure part d’un combat, soit-il rock ou tout autre, réside en le fait d’être toujours aux avant-postes, sur la brèche de ce qui craque, de ce qui crocke, là où s’ouvrent des perspectives soient-elles déroutantes, exaspérantes, attrayantes, inquiétantes, mortifiantes…

    THE 4AM NEWYORK EXPERIMENT

    (Chargement libre sur Bandcamp / Juin 2023)

    Aucun renseignement sur ce projet et ses promoteurs même si le premier EP est présent sur de nombreuses plateformes de streaming. Au début j’ai benoitement cru qu’ils étaient de la Big Apple, viennent de Zagreb, capitale de la Croatie.

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    Du moins c’est ce qui est marqué. Quand on cherche on trouve. Pas obligatoirement ce que l’on cherche, mais certaines fausses pistes sont révélatrices. De quoi ? Pour le cas qui nous intéresse d’une certaine noirceur, d’une certaine doomeur si nous utilisons un vocabulaire plus précis.  Commençons par le seul indice à notre disposition. La couve pour ainsi dire digitale du disque non objectivé. Pas très claire. Qu’y voit-on ? Un visage de trois-quarts, vraisemblablement ( ? ) d’une personne noire, pas en entier : le nez, un œil, le front, pas de bouche, quelques cheveux sur notre droite, à la place de ceux-ci, une photographie, trois voies d’autoroute (ou de route), deux lampadaires, cinq voitures, phares allumés, c’est la nuit. L’artwork est crédité. Masha Raymers. Instagram, FB, Pexels une photographe ukrainienne, de Lviv, beaucoup de portraits féminins qui suggèrent le désir plutôt qu’ils ne le dévoilent, de belles œuvres d’un érotisme chaste et ardent, qui mériteraient une chronique, mais cette fois nous en élirons une seule photo, une route, un lampadaire éclairant un passage clouté, une voiture phares allumés, une fille dans l’ombre qui marche sur le bas-côté. Nous vous laissons seuls juges.

    Poursuivons notre route ombreuse, sur YT, une merveilleuse occasion de vérifier l’adage selon lequel le retour du même n’est pas le même. Certaines vidéos sur YT sont postées par plusieurs personnes différentes. C’est le cas de celles qui nous intéresse. Pour les vidéos musicales, neuf fois sur dix, l’on retrouve la couve du disque. Tiens sur celle-ci, lui a été substituée une photo de nuit. Une rue étroite, aux voitures l’on date des années cinquante, des silhouettes qui marchent, seules sont visibles les trois grosses lettres du mot Bar. Ambiance film de truands. Qui l’a envoyé ? Jazz Noir Music. Etrange.

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    Qui se ressemble s’attire. Se repousse aussi parfois. Qui est ce Jazz Noir Music ? Suffit de cliquer. Vous pouvez même vous abonner à sa chaîne. Le site n’est pas vieux. Quelques semaines, vous avez une vingtaine de vidéos à regarder. Non Jazz Noir Music n’est ni un groupe, ni un one man band. Un amateur de jazz. Pas vraiment d’Ellington, de Mingus, de Miles – il les aime peut-être – sa prédilection se porte sur un certain style de jazz, le jazz noir, non pas la couleur de peau des musiciens, mais un jazz d’ambiance noire, il propose donc plusieurs artistes apparentés à cette classification. Votre œil exercé de détective privé ne manquera pas de s’attarder sur certains titres, par exemple, Quarantine Doom Jazz vol 4 (Signora Ward Records). Le jazz noir est donc un style de jazz, aussi appelé Ambient Jazz, ou Dark Jazz, ou Doom Jazz, un jazz aux limites du post-metal, de l’électro, de l’ambient, du punk hardcore… Maintenant vous ne remarquez pas la mention : Rubriques intéressantes, pour l’unique raison qu’elle est écrite en russe. Si vous cherchez encore, vous retrouverez sur la plate-forme Boosty notre Jazz Noir Music sous-titré Meditation and Darkness qui débute par le texte suivant :

    ‘’ Tristesse, horreur, solitude, nostalgie, tranquillité et paix, c’est toute la somme d’images qui sont en cohérences avec l’esprit du Dark Jazz.

    Et si vous vous retrouvez dans un splendide isolement un vendredi soir, et que de la fenêtre vous pouvez voir les rues sombres de la ville à l’agitation éternelle, n’oubliez pas d’allumer les compilations présentées ici sur n'oubliez pas d'allumer les compositions présentées ici sur boosty et sur ma chaîne. Un verre de whisky complétera cet agréable passe-temps.’’

    Les enregistrements proposés sont agrémentés de documents iconographiques divers qui tous (photographies, bandes dessinées, cinéma) relèvent de l’esthétique des films noirs des années cinquante. Un dernier petit détail : si vous désirez soutenir financièrement vous pouvez verser la somme que vous voudrez, vous repèrerez facilement l’endroit : les modalités sont en caractères cyrilliques.

    Comme par hasard sous la vidéo que nous allons écouter est recopiée cette phrase   : ‘’ Quelle différence cela fait-il de savoir comment s’appelle l’endroit que vous quittez pour toujours.’’ empruntée au roman La mariée était en noir de William Irish. Un détail qui déjà classe cet auteur de polars : il reçut le Prix Edgar Allan Poe du Meilleur Scénario. L’ombre noire du corbeau ne plane pas au-dessus de n’importe qui.

    Darker than dark : orage dans le lointain, coups de cymbales répétitifs, si monotones, si monochromes que vous n’entendez qu’eux, heureusement que le grondement sonore et continu en arrière-plan prend le dessus car cette clinquance cymbalique est trop frustrante pour être qualifiée d’image sonore de l’inéluctable, une espèce de sifflement un peu semblable aux productions de l’onde Martenot s’avère beaucoup plus important. Ambiance toutefois plus grise que noire, petit jour blême même, le morceau manque d’une cohérence syntaxique puisqu’à un moment il ne se passe plus rien, le son a beau s’amplifier le sentiment d’oppression s’amenuise, se dilue, certes il flotte autour de vous en nappes de brouillard mais ne vous effraie plus depuis longtemps. Et puis il s’arrête brusquement, sans rime ni raison, serait-on tenté de dire. Slowly : plus solennel, plus prenant, ici l’épaisseur du son prédomine, hélas toujours cette cymbale même pas énervante, tout juste enquiquinante, elle vous empêche d’apprécier les sonorités mélodiques, peut-être l’expérimentation consiste-t-elle en cela, à vous mettre les bâtons dans les roues afin que vous ne focalisiez point votre attention sur  la beauté de la musique peut-être pour vous rappeler que c’est ainsi dans la vraie vie, qu’il y a toujours un petit détail qui gâche tout, que l’extase recherchée est un ange aux ailes brisées qui claudique salement, vous n’éprouvez plus de pitié pour lui, d’ailleurs il a compris, il s’éloigne doucement et vous l’avez déjà oublié alors qu’on l’entend encore. Entre nous soit dit, pas très jazz, pas très doom et pas très acoustique. Grosse déception !

    *

    Je n’aime pas être déçu, aussi ai-je choisi sur la chaîne de Jazz Noir Music,  une vidéo dont le graphisme m’a attiré, rien de novateur, mais un beau coup de crayon qui vous pose un univers en une simple image. Elle porte la mention de Madness Returns, de fait il s’agit d’un morceau intitulé Der Gegensatz ( = l’opposé ) sur le premier album de :

    CHAOTIC BOUND SYSTEMS

    One man band, en l’occurrence Andrey Kein, d’Ykaterinburg, une des plus grandes villes de Russie située sur le versant asiatique de l’Oural. L’est impliqué dans de multiples projets : Sol Mortuus, Carved Image of Emptiness, Church Howlin Dog,  Zinc Room, Prognostic Zero

    Le nom de Chaotic Bound Systems est en lui-même une ouverture au rêve. Notons la justesse de l’appellation marquée par la présence du S terminal. Il ne s’agit pas d’un unique ‘’système’’ qui serait chaotique. En ce cas-là le participe passé ‘’Bound’’ n’aurait aucun sens. A quoi d’ailleurs serait lié un système chaotique ? Ce S marque bien qu’Andrey Kein nous parle d’interdépendance universelle. Un système est dit chaotique lorsque l’on ne connaît pas sa position initiale. Celle-ci explique qu’à certains moments le système nous semble dériver étrangement, en fait si nous connaissions parfaitement les données premières de son implantation dans le monde son évolution nous paraîtrait des plus logiques car répondant à un développement commandé, ordonné ( osons le mot) déterminé par sa vectorité initiale. Autrement dit nous qualifions un système de chaotique parce que nous ignorons les modalités de son écoulement temporel. Si nous ne savions pas qu’une graine est programmée pour germer, que sa nature est ainsi, nous apposerions l’étiquette chaotique sur ce phénomène de germination puisque nous ne comprendrions pas pourquoi tout à coup la graine cesse d’être graine pour devenir plante. Nous aurions l’impression qu’elle serait devenue mystérieusement folle ou délirante.

    Pourquoi ne parvenons-nous pas à connaître les conditions exactes de sa naturité initiale, parce qu’aucun système n’est jamais seul – l’on ne peut imaginer un système doté de la pureté formelle de l’Idée platonicienne -  sa propre naissance est déterminée par d’autres systèmes concomitants pour la simple raison que le monde est un ensemble de systèmes entrecroisés avec d’autres systèmes, par écho successifs avec tous les autres systèmes. Valéry n'a-t-il pas dit qu’une goutte de vin suffit à teinter toute la mer ?

    En résumé, le comportement anarchique d’un système est conditionné par l’ensemble de tous les systèmes. La néguentropie ( activation de l’énergie ) se métamorphose en entropie ( désactivation énergétique ), en d’autres termes le désordre chaotique énergétique se stabilise en stabilité ordonnatrice entropique, pour redevenir désordre énergétique sous l’action d’un autre système. 

    En quoi cela concerne-t-il la musique, évidemment vous pouvez répéter du début à la fin du morceau le même riff, le même rythme. Dans ces cas-là vous êtes dans un système clos autosuffisant et ordonné. Dans ces cas-là la plupart du temps les musiciens rajoutent quelques variations épidermiques… Le musicien est alors un système qui influe sur un autre système. Dans le jazz la part de l’improvisation est prépondérante. Pour des raisons commerciales les maisons de disques ont longtemps imposé à leurs artistes de reprendre des airs connus ( voire des chansonnettes ) afin que le titre attirât le client, c’est en jouant, en élastiquant, la structure du morceau, en la passant sur la table de Procuste des différents modes musicaux afin de l’étirer, de la compresser, de la désarticuler, que l’artiste imprimait sa propre marque, bouleversant le système de la chanson  afin de l’ordonner selon la systématisation de sa propre sensibilité.

    Pendant longtemps, la musique a évolué selon des règles constitutionnelles mathématiques, avec l’apparition du free, les jazzmen ont introduit des éléments ‘’ extérieurs’’ aux possibilités mathématiques, l’on n’a pas manqué de les critiquer en leur reprochant de faire n’importe quoi. Ce qui parfois pouvait être vrai, mais c’était oublier que faire n’importe quoi c’est aussi tout simplement faire quelque chose, en modifiant un système donné… L’apparition du bruitisme au début du vingtième siècle, puis du noise, puis des techniques életro et électro-acoustiques a encore changé la donne d’appropriation culturelle de cette ‘’ nouvelle’’ musique par le public. Elle n’est pas aussi sans poser d’interrogation aux musiciens et créateurs.

    Si actuellement surgissent à foison des one man bands, c’est certes parce que les avancées techniques le permettent, c’est certes aussi pour des raisons strictement économiques – exactement à un autre niveau la même problématique des Blue Caps de Gene Vincent abandonnant la contrebasse pour la guitare basse électrique ô combien plus facile à caser dans une seule voiture lors des tournées -  mais surtout parce que l’artiste se retrouve seul face à sa propre musique, débarrassé des interventions ( qu’elles soient heureuses ou malheureuses ) de leurs pairs. L’artiste se sent ainsi davantage maître de sa création, il élimine l’action que l’on pourrait assimiler à l’apport hasardeux ( positif ou négatifs) d’autres systèmes  déstabilisateurs. Imaginez un torero voulant se mesurer seul face au taureau et à la mort refusant l’aide des picadors, des banderillos et de ses aides…

    A notre connaissance Chaotic Bound Systems a réalisé deux albums, No Light ( 2018 ) et Dissonanz ( 2020 ) et un Ep : Dust Demons ( 2022 ). Tous trois : Evil Dead Productions. Distribution : Diabolic Spectrum Records.

    Andrey Kein : sax ténor, saxphon (flûte de bambou), piano, guitare, percussions, bruits de violoncelle.

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    De Gegensatz : ( L’opposé ) : un saxophone qui résonne comme la sirène d’un cargo perdu au milieu de l’océan, cette musique est forte car elle est ponctuée de silence, les notes et les bruits surviennent en un isolement glacial, cette trompe qui mugit et se tait pour laisser la place à d’autres sons, Chaotic Bound Systems ne cherche pas à créer un vortex de sons qui déboulent sur vous pour vous entraîner sans rémission, l’on sent la composition, un esprit qui tente de circonscrire par le son et des sifflements un espace musical qui soit avant tout mental, un tout indissoluble qui contiendrait tous les possibles organiques de son déploiement. L’on est beaucoup plus près du jazz que du noise, les instrus ont l’air de s’affoler, d’essayer de se surpasser pour prouver la nécessité de leur présence, d’expirer, de crever la bouche ouverte afin de magnifier le passage de ce qu’ils ont été dans leur propre présence évaporée afin que leur disparition vibratoire n’ait pas été une anecdote sans signifiance mais la marque même de leur nécessité dans son absence révélatrice, un peu le côté obscur de la force qui ne déclare jamais forclos. Lorsque le morceau s’arrête, rien n’est terminé, vous reste l’impression d’être rassasié, d’avoir entrevu quelque chose de plus grand que vous et surtout totalement étranger à la nature de votre propre êtralité. Quelque chose qui soit à l’opposé de votre intégrité rejetée dans les zones interlopes du néant.

             Jazz Noir Music en offre une autre lecture. Celle d’une bande-dessinée dont il a détaché quelques cases qu’il expose assez longuement, le temps que chacun se crée son propre scénario, un morceau d’histoire glauque, un assassin qui poursuit sa vengeance… En noir et blanc.  Noir, très noir.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 18 ( Château d’If  ) :

    92

    Le Chef ouvrit la porte d’un grand coup de pied. Pendant que je me précipitai dans le bureau il s’arrêta pour allumer un Coronado. Je faillis buter sur le corps d’Alice évanouie sur la moquette, je la relevai et la tenant serrée contre moi je lui prodiguais un rapide lèvres à lèvres qui rapidement lui permit de reprendre ses esprits :

             _ Oh Damie ! c’est affreux !

             _ Mais non, Alice vous êtes toujours aussi belle, je vous le promets !

             _ Agent Chad, modérez l’exaltation de votre âme lamartinienne, recouvrez le sens de la réalité, cette ravissante enfant a raison, ce n’est pas beau à voir, mais alors pas du tout !

    Je portais mon regard sur le bureau où étaient assis Sureau et Lamart. Assis n’est pas le bon mot, ils étaient carrément affalés sur leur table de travail. Ce n’était pas le plus terrible. En moi-même je louai la sagesse du Chef qui avait allumé un Espuantoso avant de rentrer. Comparée à l’horrible puanteur qui se dégageai des corps des deux journalistes, la fumée dégagée faisait office d’une agréable et printanière fragrance de chèvrefeuille. Non seulement Lamart et Sureau étaient morts mais ce n’était pas le plus grave, ils présentaient un état de décomposition avancée, par les trous de leurs vêtements l’on apercevait un infect grouillements de vers, les fameux helminthes, si chers à Baudelaire, accomplissaient leur travail. Seuls les cabotos ne semblaient pas trouver l’odeur désagréable, ils humaient avec délectation les deux cadavres.

              _ Avec l’agitation qui règne dans le hall personne n’a visiblement entendu le cri d’Alice, Agent vous refermerez avec soin la porte, que l’odeur ne se répande pas avant que nous ne nous soyons éclipsés.

    Choquée Alice ne voulut reprendre sa place à l’accueil :

              _ J’aurais trop peur de dormir seule ce soir, je reste avec vous Damie !

              _ Oui Alice, vous avez raison, je vous emmène avec moi à Provins, n’ayez crainte avec les féroces gardiens que sont Molossito et Molossa, rien de désagréable ne pourra vous arriver.

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    Nous arrivâmes un peu tard - il était près de midi - au local. Molossa et Molossito ayant squatté toute une partie du couvre-lit, il ne resta que peu de place pour Alice et moi, trop serrés à la manière des sardines à l’huile en boîte nous avions assez mal dormi. Le Chef était d’excellente humeur. Il me tendit aussitôt un exemplaire du Parisien Libéré :

             _ Lisez-moi ce torchon, Agent Chad, cela ne vaut pas la prose veloutée de vos Mémoires d’un GSH, mais cette première page fort instructive vaut le détour. Pendant ce temps je me permettrai d’allumer un Coronado, la journée risque d’être fort belle !

    LE PARISIEN LIBERE

    UNE TRAGIQUE ET DOUBLE DISPARITION

    Nous avons le regret d’annoncer une terrible nouvelle à nos lecteurs : Martin Sureau et Olivier Lamart, nos deux meilleurs journalistes sont décédés hier soir en des circonstances cruelles. Il était l’heure d’envoyer le journal à l’imprimerie et nos deux amis, contrairement à leurs habitudes n’avaient pas encore livré leur article. Il se faisait tard, nous envoyâmes une secrétaire à leur bureau afin de récupérer au plus vite leur travail. Hélas, ils étaient bien assis à leur table de travail, mais ils étaient morts tous les deux. Le Samu est arrivé en des temps record, le diagnostic est tombé très vite, tous deux avaient été terrassés par un arrêt cardiaque au travail. Le cas n’est pas si rare nous a déclaré un statisticien. Des gens soumis à un même stress peuvent succomber au même instant s’ils sont de la même famille, or Le Parisien Libéré est une grande famille et nos deux confrères travaillaient ensemble depuis tant d’années qu’ils étaient comme des frères.

    Nous leur rendrons un grand hommage dès lundi prochain dans notre journal. Les lecteurs se rappelleront que nos deux infatigables reporters étaient présents dans la forêt de Laigues lorsqu’un fulgurant variant du Covid a anéanti plus de deux cents de nos policiers.   Les analyses effectuées par prudence sur leurs prélèvements sanguins apportent la preuve indubitable de leur non-contamination, mais les autorités ont été formelles ils seront portés en terre au plus vite, dès demain après-midi, aujourd’hui pour ceux qui viennent d’acheter ce numéro, nous donnons rendez-vous aux lecteurs qui voudraient leur rendre un dernier hommage, au cimetière de Savigny ( Seine & Marne).

    Communiqué de la Rédaction.

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    Dans la voiture le Chef distribue les rôles :

    • Carlos, il nous avait rejoint au local dès que l’article du Parisien Libéré en devanture d’un kiosque à journaux lui avait sauté aux yeux, il y aura du monde, avec Alice vous rejoindrez la masse des anonymes en queue de peloton, personnellement je me mêlerai à la foule des officiels, dans l’œil de l’ouragan, agent Chad, avec vos deux cabotos vous seriez trop vite repérés, vous suivrez la piste indienne.
    • Mais que faut-il faire et de qui doit-on se méfier au juste, je ne comprends pas grand-chose, minaude Alice.

    Elle est toute belle mais méconnaissable, grosses lunettes noires qui lui mangent la moitié du visage, une robe bon marché et une veste en laine, genre de défroque tricotée par les grand-mères attentionnées déforment sa silhouette. N’empêche que Carlos est aux petits soins avec elle. Galamment le Chef lui répond :

              _ Charmante enfant, en toute logique dans un cimetière l’on ne craint que la mort, c’est pourtant elle que nous devons chercher !

              _ N’ayez crainte Alice, je vous défendrai, lui souffle Carlos au creux de l’oreille, j’ai toujours trois ou quatre Rafalos sur moi, un geste élémentaire de prudence terriblement efficace.

    Alice ne sait pas trop ce que c’est qu’un Rafalos mais la voix de Carlos la rassure. Après les avoir déposés devant l’entrée, j’arrête la voiture assez loin de la grille. J’entrouvre la porte pour laisser passer les molosses, ils ont compris, ils se faufilent entre et sous les véhicules en stationnement, personne ne les aperçoit, il doit bien avoir plusieurs centaines d’individus qui se dirigent vers le lieu de l’inhumation... Je ne me soucie plus d’eux, je sais que si j’ai besoin d’eux, ils seront à mes côtés. Chiens fidèles mais féroces.

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    La cérémonie a commencé depuis un petit moment. Le cimetière est plein comme un de ces œufs de pâques remplis de friture en chocolat que m’offrait ma maman quand j’étais petit. De mon poste d’observation je vois tout. Je ne pouvais pas trouver mieux que la fenêtre de la chambre d’Alice, la lycéenne (essayez de comprendre ou de relire les épisodes précédents), forcer la porte de derrière a été un jeu d’enfant. La tombe de Lamart et de Sureau, une simple fosse, est ouverte, les deux cercueils sont recouverts de gerbes de fleurs, les discours se succèdent, je reconnais le Chef au panache de fumée qui s’élève de son Coronado, depuis trois-quarts d’heure les discours se succèdent, je remarque que la famille est absente, à part un vieux grand-père atteint de démence sénile qui s’agite comme s’il était aussi un adepte de la maladie de Parkinson, quatre gardes du corps s’emploient tant bien que mal à le faire tenir tranquille,  derrière les officiels sont tassés les lecteurs du quotidien, je repère Alice alanguie dans les bras de Carlos. La cérémonie est un peu ennuyante, elle dure et s’éternise…

    J’entrouvre la fenêtre pour saisir quelques mots des allocutions qui sont prononcées à l’aide d’un micro, une brise légère les emporte en une direction opposée et les rend inaudibles. Je tressaille, un aboiement bref et étouffé m’avertit que quelqu’un approche. De quel côté ? Quinze secondes plus tard une espèce de léger couinement le suit. Je reconnais le timbre aigu de Molossito, donc le premier plus grave provient de Molossa. Braves chiens, jamais ils ne se seraient manifestés deux fois s’il n’y avait qu’une seule personne. Pas d’erreur c’est un double danger qui me menace. Deux ennemis se dirigent vers moi. Je me colle au mur, de telle manière que je serai derrière la porte de la chambre si quelqu’un la pousse… Deux minutes de silence absolu. Un léger grattement derrière la maison. Qu’est-ce au juste ? Maintenant j’en suis sûr quelqu’un monte les escaliers en prenant soin de ne pas faire craquer les marches…

    A suivre…