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CHRONIQUES DE POURPRE 564 : KR'TNT 564 : LARRY PARNES / NEW YORK DOLLS / BABY GRANDE / QUINTRON / MACHINE ROUGE / JONI MITCHELL / ELVIS PRESLEY / BIJOU ( SVP ) / PATRICK CANNET

KR'TNT !

KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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LIVRAISON 564

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR’TNT KR’TNT

01 / 09 / 2022

LARRY PARNES / NEW YORK DOLLS

BABY GRANDE / QUINTRON

MACHINE ROUGE / JONI MITCHELL

ELVIS PRESLEY / BIJOU ( SVP )

PATRICK CANNET

Sur ce site : livraisons 318 – 564

Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

http ://krtnt.hautetfort.com/

 

La Parnes des choses

 

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            Avec Joe Meek, Brian Epstein, Lionel Bart et Robert Stigwood, Larry Parnes est l’un des parrains de la Velvet Mafia, un concept érigé par Darryl W. Bullock pour les besoins d’un livre : The Velvet Mafia - The Gay Men Who Ran The Swinging Sixties. On savait que tous ces gens étaient gay, et si Bullock les rassemble dans un bon book, c’est parce qu’effectivement ils se connaissaient, se fréquentaient et, à l’occasion, brassaient des affaires ensemble. Comme leurs collègues de la mafia new-yorkaise, ils ont bâti des empires financiers et régné sans partage sur le plus gros biz des early sixties, le Swinging London. Les cinq hommes cités plus haut sont les têtes de gondole. Bullock évoque aussi Kit Lambert, Tony Stratton Smith et Simon Napier-Bell, autres membres actifs de la Velvet Mafia, qu’il ne faudrait pas prendre pour des seconds couteaux. Le Bullock book grouille d’infos pas piquées des hannetons, certaines pages flirtent avec l’immondice et d’autres basculent dans la tragédie, puisqu’au final, la Velvet Mafia lègue une belle série de cadavres à la postérité. Tu en auras pour ton argent, si tu surmontes tes a-priori et que tu mets le nez dans ce book d’essence malodorante, mais d’une rare honnêteté intellectuelle.

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         Peut-être est-ce la première fois qu’un auteur aborde de front l’aspect gay du London music biz. Bullock rappelle qu’en Angleterre, jusqu’en 1967, les homosexuels vont au trou s’ils se font choper en train de racoler dans les pissotières. Mais ça n’empêche pas cette communauté d’être hyper-active et même de proliférer. Comme le montre si bien Bullock, tous ces hommes de pouvoir sont affamés de sexe. Ils vont même jusqu’à inventer de toutes pièces des rock stars pour satisfaire leurs besoins. Bullock met nettement en avant Larry Parnes, le pionnier, le premier grand manager d’Angleterre, puisqu’il est le premier à monter une «écurie» de jeunes talents, dont les plus connus sont bien sûr Billy Fury, Tommy Steele et Marty Wilde. Indépendamment des exigences libidinales, Parnes comprend surtout qu’on peut se faire pas mal de blé en packageant des beaux mecs, car il a vu de quelle façon les stars américaines - et en particulier Elvis - ont su faire main basse sur les cœurs des teenagers anglais et accessoirement leur vider les poches. D’où l’idée de reproduire le phénomène en Angleterre. Parnes commence par se faire la main sur Tom Hicks qu’il rebaptise aussi sec Tommy Steele. Il supervise à la fois sa carrière publique et sa vie privée, pas de girlfriend, mon petit bonhomme, mais heureusement Tommy résiste et épouse sa poule Anne Donati en 1960.

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         L’idéal serait de ne pas prendre Tommy Steele à la légère. Bear sort une compile assez explosive, Doomsday Rock et quand on tombe sur «Rock Around The Town» on comprend tout. Steely chante à la niaque de l’East End. Les punks devraient prendre des notes. Ce mec était déjà extraordinairement wild. Les Stray Cats n’ont jamais été aussi bons que lui. On a un solo de sax et l’orchestre swingue aussi bien que les Comets de Bill Haley. Autre coup de tonnerre : «Rock With The Caveman». Il revient au bebop des cavernes, Steely boom bam. Chez les Anglais, on explose le beat rockab au sax. Il faut aussi le voir chanter «Grandad’s Rock» d’une voix de canard - Oh c’mon rock grandad - Quand les Anglais se mettent à swinguer, ils battent tous les records. Fabuleuse diction, il faut le voir swinguer son fridge in the kitchen dans «I Puts The Lightie On». Steely est une aubaine pour tes oreilles. Tiens voilà une version live d’«On The Move», orchestrée par un big band - Choo choo baby ! I’m coming home to you ! - Il fait du Bill Haley. Quelle classe ! Cut après cut, il nous fait tourner la tête - Mon manège à moi c’est toi - Puis il shake «(The Girl With The) Long Black Hair» à la mode early sixties. C’est effarant de high quality, Steely sonne très Buddy Holly, avec le même genre de pulsation sourde. Méchante attaque que celle de «Rebel Rock» ! Steely est un punk atroce. Encore plus explosif, voici «Two Eyes», monté sur un big drive de basse et traversé par un solo de jazz manouche, Steely pourlèche son swing. Il se pourrait bien que dans certains cas, le swing anglais soit le meilleur de tous. Il chante «Happy Go Lucky Blues» avec un petit côté putassier et des figurants chantent dans les buissons. Il attaque ensuite son «Singing The Blues» en sifflant. Quel sens du kitsch ! Personne ne peut battre Steely au petit jeu de «Razzle Dazzle». Violence de l’attaque ! Pas de pire violence en Angleterre. Pas d’équivalent non plus. Steely vise l’extrême razzle du dazzle et il revient aussitôt après le solo de sax avec un baby can’t you see, aw quelle bête de Gévaudan ! Il développe un power sidéral. Cette compile montre que Steely avait du style et de l’énergie à revendre. Il éclipse n’importe quel ténor du barreau. Il faut le voir tortiller sa «Teenage Party», il twiste ses syllabes au sommet de l’art, et l’air de rien, il parvient à sortir un cut incroyablement sexy, là où beaucoup d’autres se seraient vautrés. Tout ce qu’il fait est bon et même passionnant. Il bouffe son «Tallahassie Lassie» tout cru et dans «Build Up» on entend le slap rebondir. C’est d’une qualité inespérée.  

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         Parnes se taille vite un réputation de control freak, il ne supporte pas qu’on lui désobéisse, alors il gueule comme un cocher anglais. Il ne s’inspire que d’un seul modèle, le Colonel Parker, mais il pousse le bouchon encore plus loin : à la différence du Colonel qui se concentre sur un seul artiste, Parnes a plusieurs fers au feu. C’est le concept de l’écurie, the stable of stars : Roy Taylor devient Vince Eager, Ronald Wycherley devient Billy Fury, Clive Powell devient Georgie Fame, Christopher Morris devient Lance Fortune, Ray Howard devient Duffy Power, John Askew devient Johnny Gentle et Richard Kneller devient Dickie Pride. L’un des seuls qui parvient à échapper au baptême, c’est Joe Brown : il refuse l’Elmer Twitch que lui propose Parnes. No way. Parnes contrôle donc tous les aspects de la vie de ses poulains, il leur dit what to wear and what to sing. Le tarif de Parnes, c’est 40 %. Il est moins cher que le Colonel qui rackette 50 % des revenus d’Elvis. Marty Wilde dit qu’il n’a jamais reçu de royalties. Quand le père de Marty chope Parnes pour lui demander où sont passées les royalties, Parnes dit qu’elles financent la publicité. Ah ouais, c’est ça... En fait les sommes détournées sont énormes, un comptable les estime à £50,000 - He was a greedy bastard - Les gens que Parnes paye grassement sont les attachés de presse et les publicity guys, pas les stars de sa stable of stars. Son appartement sert de quartier général. Il héberge même certains de ses poulains, comme Billy Fury. La bouffe est bonne et l’atmosphère plaisante, nous dit Bullock. Mais Parnes n’héberge pas à l’œil. Tout a un coût. Les poulains ne reçoivent qu’un maigre salaire hebdomadaire. Parnes se paye sur la bête. Toujours la même histoire. Il faut des baisés. 

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         Un jour, Parnes pose la main sur la cuisse de Vince Eager et lui dit : «Je vais faire de toi une star.» Eager n’aime pas trop ses façons, mais bon, il a envie de devenir une star, et comme il n’habite pas Londres, il accepte la proposition que lui fait Parnes de l’héberger. Bien sûr, il n’y a qu’un seul lit. Parnes lui indique qu’il dort de ce côté et va dans la salle de bains se laver la queue et les dents. Eager se méfie et se glisse dans le lit entre le drap du dessus et la couverture. Quand Parnes vient se coucher, Eager est protégé par un drap, mais par sécurité, il empoigne la lampe de chevet, prêt à défoncer la gueule de Parnes si jamais il tente quelque chose. Le lendemain, Eager met les choses au clair - I don’t swing that way - et il ajoute que son frère est flic, ce qui calme Parnes aussi sec. Tony Sheridan et Georgie Fame se plaignent aussi des avances de Parnes - Il a essayé de me séduire, comme il a probablement essayé de séduire tous les autres chanteurs. L’homosexualité était alors illégale et j’étais terrifié, aussi n’ai-je rien dit à personne. Je lui ai tordu le poignet et me suis tiré de chez lui vite fait - and got the hell out of there -  C’est bien sûr l’arrivée des Beatles en 1962 qui va ruiner le biz de Parnes. Les rock’n’roll singers n’intéressent plus le public. Pourtant Brian Epstein lui propose de co-manager les Beatles, mais Parnes refuse, parce qu’Epstein ne lui propose pas assez. Comme Dick Rowe chez Decca, il fait la plus grave erreur de sa vie en disant non aux Beatles. Parnes va se retirer progressivement d’un biz dont il est pourtant le pionnier en Angleterre, et en 1964, il va monter the British Impressario’s Guild, une sorte de club de managers dont une grand majorité sont nous dit Bullock gay or Jeswish, or both. Club de dix personnes dans lequel on retrouve Parnes, Epstein, le grand avocat David Jacobs et Robert Stigwood.

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         Si Brian Epstein est plus connu que Larry Parnes, c’est bien sûr grâce aux Beatles. Bullock nous brosse un portait plutôt sensible d’Epstein, lui aussi embringué dans l’imbroglio libidinal du tabou homo. John Lennon proposait de rebaptiser l’autobio d’Epstein A Cellarful Of Noise en Cellarful of Boys, or Queer Jew. Piégé par un flic, le jeune Epstein se fait choper à Londres pour racolage dans les pissotières, et ayant échappé de justesse au scandale et à une condamnation, il rentre à Liverpool, demande pardon à ses parents et se consacre pendant trois ans au biz familial, un gros commerce de meubles qui vend accessoirement les disques. Et c’est à travers ce biz qu’il va croiser le chemin des Beatles. Epstein se rapproche assez vite de Parnes qui est alors le plus gros manager d’Angleterre, pour lui demander conseil. Et soudain, tout explose à Liverpool, Epstein devient à son tour le plus gros manager d’Angleterre. C’est la fin du règne de Larry Parnes. Epstein lance en 1963 Gerry & The Pacemakers, Billy J. Kramer & the Dakotas, les Fourmost, les Beatles et Cilla Black - Scouse takover - Pour gérer ce ras-de-marée, Epstein doit monter une structure qu’il baptise NEMS (North End Music Stores) et signe des groupes à tours de bras. Il commence aussi à popper des pills à tour de bras et finit par s’engueuler avec tout le monde, surtout avec Derek Taylor, son attaché de presse, l’accusant d’avoir tenu des propos antisémites, ce que réfute Taylor - Absolute rubbish ! - Taylor indique que ses meilleurs amis sont juifs et homos et pouf, il donne sa démission. Derek Taylor est furieux après Epstein - A twat to work for - On tombe à un moment sur un passage troublant qui met en scène Epstein et John Lennon dans l’hôtel où ils séjournent, lors d’un voyage à Barcelone. C’est Lennon qui parle : «Eppy n’arrêtait plus d’insister. Un soir, j’ai baissé mon froc et je lui ai dit : ‘vas-y, for Christ’s sake, encule-moi, just stick it up me fucking arse, then’ et Eppy lui dit qu’il ne fait pas ce genre de chose, alors Lennon lui demande ce qu’il fait et Eppy lui dit qu’il se contente de tripoter, alors Lennon le laisse faire, ‘the poor bastard, he can’t help the way he is’, ce qui peut vouloir dire qu’il ne parvient même pas à s’assumer.» Un expert des Beatles explique un peu plus loin que Lennon n’était pas homo, mais qu’il était prêt à tout tester, par curiosité.

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         On croise pas mal Lionel Bart aussi dans les pages du Bullock book, un Bart célèbre pour ses comédies musicales, notamment le fameux Oliver où le Davy Jones des Monkees fit ses débuts, à Londres. Le troisième parrain de la Velvet Mafia est sans doute le plus intéressant de tous, puisqu’il s’agit de Joe Meek. Direction Holloway Road où Meek installe son studio au-dessus d’un magasin qui vend des articles en cuir. S’installe à la même adresse un certain Pierre de Rouffignac, qui est l’associé de Vic Billings, futur manager de Dusty chérie. Le premier cat que Meek enregistre à Holloway Road n’est autre que Michael Bourne vite rebaptisé Mike Berry. Meek flashe sur sa version de «Peggy Sue Get Married». Pourquoi ? Parce qu’il est obsédé par Buddy Holly. Meek organise même des séances de spiritisme pour invoquer l’esprit de Buddy. Epstein vient aussi trouver Meek pour lui proposer d’enregistrer les Beatles, mais comme Parnes, Meek commet la plus grosse erreur de sa vie en déclinant l’offre. C’est comme chacun sait George Martin qui va récupérer les Beatles. Meek est alors un producteur important à Londres, on dit même qu’il aurait influencé Phil Spector, notamment avec «Telstar». Meek était sacrément en avance sur son temps, car il a enregistré «Telstar» sur un deux pistes, avec la salle de bain comme chambre d’écho. En 1961, Meek reçoit les Moontrekkers. Il aime bien le groupe, mais pas le chanteur, Rod Stewart, qui doit dégager. Avec les Moontrekkers, il enregistre «Night Of The Vampire», il préfigure Roky ! Décidément, le pauvre Meek collectionne les erreurs : après avoir dit non pour les Beatles, il vire Rod The Mod. Puis il enregistre Tommy Scott & the Senators, mais ça tourne mal, car Meek met la main au panier de Tommy qui l’envoie promener. Tommy est scié, il retrouve ses copains dans la rue et leur dit : «He just touched my bollocks! That bastard grabbed my balls!». Furieux d’avoir été éconduit, Meek déchire le contrat des Senators, mais Tommy va changer de nom et devenir une megastar sous le nom de Tom Jones (Hello Gildas). Sacré Meek, il n’en finit plus de collectionner les embrouilles. Meek et Parnes bossent un moment ensemble : les Tornados qui sont sous contrat avec Meek accompagnent Billy Fury, l’une des stars de la Parnes stable. Mais le «mariage» va tourner en eau de boudin - a mariage made in hell - Parnes et Meek ne s’entendent pas du tout. «Telstar» est number one dans le monde entier. Quand Parnes refuse de laisser partir les Tornados en tournée américaine, c’est la fin des haricots. Il impose que Billy Fury fasse partie du voyage et c’est hors de question pour Meek. Trop tard pour les Tornados, les Beatles arrivent avec «Love Me Do». Meek est aussi réputé pour ses crises de colère. Si par exemple tu lui demandes l’argent des royalties - Come on Joe, where’s my money - il s’empare du premier objet à portée de main et te le balance en plein gueule, que ce soit une chaise ou encore une paire de ciseaux qui va se ficher dans la porte juste à côté de toi. Alors t’as intérêt à te barrer vite fait ! Et puis il y a l’épisode Heinz, chanteur des Saints - pas ceux de Chris Bailey - Heinz le péroxydé d’origine allemande dont Meek est amoureux et dont il veut faire une star. Meek l’installe chez lui à Holloway Road et lui promet monts et merveilles. Il parvient à lancer Heinz avec un hommage à Eddie Cochran, «Just Like Eddie» sur lequel joue Ritchie Blackmore.

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         Alors on ressort le Remembering d’Heinz de l’étagère : quel album ! Deux choses frappent : Heinz parvient à sonner comme Eddie, aucun problème. Et puis il y a le génie du son. «Just Like Eddie» est comme visité par l’esprit d’un son, le Meeky Meek avec les guitares de la planète Mars, donc ça devient doublement mythique : Eddie + Meek. La reprise de «Three Steps To Heaven» est une vraie merveille de prod miraculeuse. Heinz boucle son balda avec une vraie cover de «Twenty Flight Rock», il chante dans l’écho d’Holloway, ça barde dans la cambuse de Meeky Mouse. En B, «Country Boy» est plus poppy poppy petit bikini, mais Blackmore passe un sacré solo de guitare. Encore une cover de rêve avec «Cut Across Shorty», c’est plein de son et de spirit et le «Summertime Blues» qui suit est presque une copie conforme. Meek vaut bien Gold Star, il recrée toute la Cochran craze in North London. L’album s’achève avec un «Tribute To Eddie» composé par Joe Meek, objet troublant, insidieux, fantomatique et quasi-mythique. 

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         Dans la même série Remembering chez Decca, tu as aussi un Dave Berry, mais il est beaucoup moins intéressant que l’Heinz. Dave Berry est trop pop. Un seul cut retient l’attention, c’est «Little Things», un hit parfait, monté sur un hard drive. On salue la prestance du petit Dave. Il ouvre son bal de B avec une cover de «Memphis Tennessee», mais c’est une version plus lente, très anglaise et visitée par des guitares fantômes. Son «Not Fade Away» est assez pur, Texas in London. Mais autant écouter l’original. 

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         En 1966, Epstein emmène Meek voir Dylan à l’Albert Hall. Ils essayent encore de bosser ensemble avec les Cryin’ Shames, mais Meek n’est plus en état mental de négocier un deal. Il commence à lâcher prise. Il fait un peu de parano, surtout depuis le jour où les Kray twins ont  voulu prendre le contrôle des Tornados. Meek leur a dit d’aller se faire foutre, mais ça mon gars, ce n’est pas le genre de chose qu’on peut dire aux frères Kray. Alors que fait Ronnie Kray ? Il fait savoir qu’il va s’occuper de Joe - He told him that he would take care of Joe - Eh oui, on croise les Kray twins dans les pages du Bullock book, quelques macchabées aussi, dont l’opérateur de Meek retrouvé en morceaux dans une valise, et puis après la fin tragique de Meek, Scotland Yard trouve pas mal de flacons de pills chez lui, des amphètes, purple hearts & Dexadrine. On croise aussi Judy Garland dans les heures sombres du book, elle est en fin de carrière, installée à Londres, elle aussi assez fatiguée de la vie pour s’overdoser à coup de quinal barbitone, c’est-à-dire de Séconal, même chose pour Epstein retrouvé dans son lit, overdosé aux barbituriques, et David Jacobs, qui se pend avec le cordon de satin de sa robe de chambre. Le Bullock book s’assombrit à mesure qu’on avance, d’autant que l’auteur soupçonne des choses qui rendent cette lecture aussi passionnante qu’un mauvais polar. Oh et puis l’histoire encore plus tragique de Billy Fury qui tombe dans les pommes en 1961 après un concert à Cambridge, et cinq mois plus tard, il retombe dans les pommes, alors Parnes lui fait un massage cardiaque pour le ramener à la vie. Les médecins conseillent à Billy de se reposer mais le manager Parnes fout la pression, et Billy n’en finit plus de tomber dans les pommes. Pauvre Billy Fury. Il se vautre aussi avec certains de ses albums, comme le montre We Want Billy. Il chante son «Sweet Little Sixteen» du nez et on entend une fausse foule gueuler derrière. Ce n’est pas bon. Le seul cut qu’on sauve est la version d’«I’m Movin’ On». Dommage car le guitariste des Tornados est excellent. Il y a sur l’album une face rapide et une face lente et c’est bien là le problème.

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         Tiens, voilà Andrew Loog Oldham et son chauffeur, l’East End gangster Reg King qui bosse un peu à l’occasion pour Epstein et Lionel Bart. C’est Dusty chérie qui va taper à la porte de Vic Billings qui manageait l’une des stars de Joe Meek, Michael Cox, puis Kiki Dee. Le tableau serait incomplet sans les Gunnell Brothers, propriétaires du Flamingo et du Bag O’Nails, et managers de Georgie Fame, puis de Geno Washington, Long John Baldry, Fleetwood Mac et Rod Stewart. Ils finissent par revendre leur agence à Robert Stigwood. C’est au bag O’Nails que Jimi Hendrix fait son premier concert londonien, et qui trouve-t-on dans l’assistance ? Lambert and Stamp, qui sont forcément fascinés par le Voodoo Chile.

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         Kit Lambert prend un mauvais départ dans la vie. Il est le fils du compositeur Constant Lambert qui eut une love affair avec une danseuse nommée Margot Fontayn. Avant d’épouser Lambert Senior, la danseuse vivait avec le peintre Christopher ‘Kit’ Wood qui ne trouva rien de mieux à faire que de se jeter sous un train à la gare de Salisbury, et quand elle mit son fils au monde, elle l’appela Kit en souvenir de son Kit. Devenu adulte, Kit participe à l’expédition de Richard Mason en Amazonie. Quand on retrouve Mason criblé de flèches dans la forêt, Kit est soupçonné puis relâché. De retour à Londres, il rencontre Chris Stamp et ils décident de faire du cinéma ensemble. Ils commencent par bosser pour Judy Garland (I Could Go On Singing), puis ils flashent sur les Who qu’ils voient sur scène. Les Who s’appellent encore les High Numbers. Lambert et Stamp décident de les manager. Ils commencent par se débarrasser des précédents managers, Peter Maeden et Helmut Gorden. Maeden reçoit 150 £ en cash et Gorden retourne fabriquer des poignées de portes dans sa fabrique. Puis ils se débarrassent de Shel Talmy, le producteur des early Who. Talmy est furieux : «Lambert was out ouf his fucking mind... I think he was certificably insane.» Il voit Lambert comme un égocentrique atteint de paranoïa. Devenus managers du groupe, Lambert et Stamp ramassent 30 % des revenus. Quand après une grosse shoote, Moony ressort du studio avec un œil au beurre noir, il décide, conjointement avec John Entwistle, de quitter les Who. Alors ils vont annoncer la bonne nouvelle à Kit. Il n’est pas là ? On leur dit qu’il est chez Stigwood. Alors ils y vont. Comme personne ne répond à la porte, Moony casse un carreau et entre. Il finit par les trouver tous les deux dans la chambre, au pieu, Stigwood et Kit, holding the sheets. En 1981, Kit casse sa pipe en bois, suite à des blessures au crâne. Officiellement une chute dans la salle de bains, mais en réalité, on lui aurait démonté la gueule dans les toilettes d’un bar gay.

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         De tous, Stigwood est le moins piqué des hannetons, en tous les cas, il va réussir à passer à travers, là où ses anciens collègues ont échoué. Il commence comme Parnes, en supervisant tous les aspects de la vie de ses poulains, le premier étant John Leyton, depuis longtemps oublié. Comme Parnes, il tente de transformer des beaux mecs en rock stars. Pendant un temps, le petit ami de Stigwood est le fameux Sir Joseph Lockwood qu’on voit photographié avec les Kray twins. Beau scandale. Bullock se régale. Mike Berry raconte que Stigwood a passé une soirée entière à essayer de le sauter, et gentiment Berry a fini par lui dire : «You’re lucky I’m not a violent man.» On croyait avoir atteint les tréfonds du dark avec le Bay City Rollers book, mais Bullock semble aller encore plus loin dans les ténèbres. On surnomme Stigwood a lovely old queen. Il tente de lancer Simon Scott, mais ça ne marche pas. Comme il dépense sans compter, il doit du blé à droite et à gauche, notamment à Andrew Loog Oldham. Un soir, Oldham et Keith Richards coincent Stigwood dans les escaliers du Scott Of Saint James et Keef lui balance 16 coups de genou dans l’aine, «one for each grand he owned us. Mais il ne s’est jamais excusé. J’ai pas dû le frapper assez fort.» Par contre, Stigwood s’entend bien avec Epstein. Ils passent même des vacances ensemble à Paris. C’est en bossant avec Epstein que Stigwood finit par devenir respectable. Stigwood veut racheter les parts d’Epstein dans NEMS, mais Epstein se dit trop lié à ses artistes. Il ne veut pas que les gens dont il se sent responsable tombent dans les pattes de n’importe qui - Je m’occupe d’êtres humains, pas de bouts de bois - Et les Beatles ne veulent pas de Stigwood dans NEMS. Ils menacent de chanter faux, si Stigwood ramène sa fraise. Mais bon, Epstein finit par vendre 51% des parts de NEMS à Stigwood. Quand Stigwood s’installe dans les bureaux de NEMS, le personnel est choqué. En fait, Epstein en a marre du music biz et il envisage de se retirer. Et puis Stigwood et son associé Shaw quittent NEMS quand ils comprennent que les Beatles ne veulent pas d’eux. Alors ils montent RSO (Robert Stigwood Organisation), avec le soutien financier de Polydor, en Allemagne, et démarrent avec Cream et les Bee Gees. Stigwood finit par se débarrasser de David Shaw, son associé et génie financier. On connaît la suite de l’histoire des Bee Gees, le succès mondial avec la daube diskö du samedi soir et quand les frères Gibbs demandent où est passé le blé, ils n’ont pas de réponse, alors ils traînent Stigwood en justice et réclament 136 millions de dollars de dommages et intérêts. Ils finiront par négocier secrètement un arrangement. L’histoire du rock n’est pas faite que de rock.

Signé : Cazengler, Velvet mafiotte

Darryl W. Bullock. The Velvet Mafia. The Gay Men Who Ran The Swinging Sixties. Omnibus Press 2021

Heinz. Remembering, Decca 1977

Dave Berry. Remembering, Decca 1976

Tommy Steele. Doosday Rock Vol. 1. Bear Family 2019

Billy Fury. We Want Billy. Decca Records 1963

 

Dollse Vita - Part One

 

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            Tu veux un scoop ? Martin Scorsese prépare un docu sur les Dolls. Le scoop se trouve à la fin d’une longue interview que David Johansen - The Last Doll - accorde à Jon Savage dans Mojo. Inespéré ! Non seulement Johansen refait surface, mais qu’on puisse encore s’intéresser aujourd’hui à l’histoire des Dolls, ça tient du miracle.

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         Une longue intro nous redit tout ce qu’on sait déjà. Les excès, the next big thing et tout le baratin habituel. On a même droit à l’énumération des cassages de pipes en bois : Johnny Thunders (1991), Jerry Nolan (1992), Killer Kane (2004) et Syl Sylvain (2021). Mais on est là pour boire les paroles de Johansen.

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         Savage commence par annoncer qu’on fête le cinquantième anniversaire de la residency des Dolls à l’Oscar Wilde Room du Mercer Arts Center. Johansen raconte que c’est Eric Emerson qui l’a branché sur ce plan au Mercer et comme le set des Dolls avait plu au manager du Mercer, ils ont décroché la fameuse residency - So that was that - Johansen décrit la salle comme petite mais pouvant contenir 200 personnes. Évidemment Savage le branche sur le gay element. Johansen se marre. Mais non, le gay element n’existe pas à cette époque - Si un mec était outrageusement gay, on ne disait pas qu’il était gay, on disait qu’il était fantastique - Gay wasn’t a part of the lexicon - Puis il aborde rapidement le chapitre des concerts de rock de l’époque, tous ces concerts fabuleux qu’on pouvait voir dans les early seventies au Fillmore East, Miles Davis et les Who, par exemple. Johansen fait partie des kids qui veulent absolument faire du rock et tous les mecs qu’il rencontre sont aussi des passionnés : «Syl was T.Rex kind of guy, Arthur liked Sky Saxon and The Seeds, John liked the MC5, I was crazy about Janis Joplin. I can’t remember what Billy’s thing was.» Il va aux shows de Murray The K et flashe sur Mitch Ryder qui à l’époque casse la baraque torse nu, en trois minutes. Et quand Savage qui se croit drôle lui demande s’il préférait les Stones ou les Beatles, Johansen répond à sa façon : «To a degree I liked all of thoses bands. The Kinks, The Zombies, whatever came out, all the bands from England. But also, tempered with American R&B.» Il jouait «Mustang Sally» avec ses copains, il adorait aussi The Four Seasons and crazy singers like Lou Christie.

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         Johansen raconte aussi que John voulait répéter tous les jours. Il était un peu le moteur des Dolls. Puis l’influence de Syl a grossi. Mais le plus important dans tout ça était que les cinq Dolls étaient obsédés de rock’n’roll. Et comme ils voient beaucoup de groupes jouer des solos de 20 minutes au Fillmore, les Dolls rêvent d’un show explosif - It wasn’t even that we choregraphed or planned it, nothing like that, it happened spontaneously - Et puis quand Savage lui demande s’il se souvient quand les Dolls ont décollé, Johansen dit non. Les Dolls n’ont jamais décollé, sauf dans leur quartier à Manhattan. Tous les requins du music biz venaient pourtant les voir jouer : Clive Davis, Ahmet Ertegun. Mais celui qui les veut vraiment, c’est Paul Nelson, un A&R de Mercury. Nelson finit par convaincre son boss de signer les Dolls. Comme Marty Thau s’occupe des Dolls, c’est lui qui négocie le contrat.

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( Billy Murcia )

         Savage branche ensuite Johansen sur la mort de Billy - It was devastating. A shocking situation. It was a horrible misadventure, really. You don’t really get over things like that - Johansen évoque aussi la photo de pochette du premier album et la tournée américaine en première partie de Mott The Hoople. Savage veut absolument savoir si on les traitait de tapettes dans la rue. Johansen répond encore de biais : «De temps en temps, un mec nous insultait depuis la vitre baissée de sa bagnole. Mais je pense que les gens y réfléchissaient à deux fois avant de nous menacer car on dégageait quelque chose qui leur faisait croire qu’on pouvait être dangereux, if you fucked with us. On n’avait pas peur de se battre.» 

         Il raconte aussi que DownBeat magazine qui était un canard de jazz fit une chronique du premier album des Dolls, alors qu’ils ne chroniquaient jamais de disques de rock - Ils nous ont collé quatre étoiles et ont dit des choses superbes sur nous, comment notre musique illustrait la ville et la rue - J’étais fier de cette chronique. Et il continue sur le scoop : «Marty Scorsese est un fan des Dolls depuis le temps du Mercer. Il m’a dit que pendant le tournage de Mean Streets, il passait notre album sur le plateau, à plein volume, pour stimuler les acteurs.» C’est là qu’il évoque le docu avec Scorsese. Histoire de nous faire encore baver un peu, Johansen dit avoir enregistré une vingtaine de chansons. Son répertoire couvre toutes les époques, depuis le début jusqu’au dernier album des Dolls paru en 2011, Dancing Backwards In High Heels

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         Eh oui onze ans sont passés depuis Dancing Backwards. Ils ont enregistré cet album à Newcastle, comme nous le montre le DVD qui accompagne l’album. On profite en même temps d’un concert des Dolls filmé dans un club de Newcastle, le Cluny. Le film nous montre l’ultime mouture des Dolls autour de Johansen et Syl : l’ex-Blondie Frank Infante gratte sa gratte, Jason Hill bassmatique et Brian Delaney bat le beurre. Sur scène, c’est vraiment excellent. Il se trouve que Jason Hill est aussi le producteur de l’album. Alors le docu ? C’est un peu comme si on y était. On voit même la poule de Johansen, une très belle brune bien conservée. Quand ils jouent «Looking For A Kiss» sur scène, c’est exactement le même son qu’à l’origine. Magie pure ! Dans le docu, Syl prend souvent la parole. Il a encore une certaine classe, avec sa casquette de Gavroche. Il explique qu’il trouve des structures et des mélodies sur sa gratte and David puts a line on it. Sur scène, tout le côté wild guitars, c’est Syl sur sa Gretsch. On le voit aussi gratter les accords de «Streetcake» dans une cabine du studio. Fantastique ! Encore de la magie pure ! Il danse en grattant sa Les Paul. Syl pense que the musicians & writers have a duty. Et bien sûr, ça se termine sur scène : «It’s called Personality Crisis» - Ahhh yeah yeah yeah. Johansen le fait pour de vrai.

         On retrouve «Streetcake» sur l’album, et franchement, c’est du baume au cœur. Tellement du baume au cœur qu’on l’écoute en boucle pour se griser des chœurs de Syl et du raunch de Johansen. «Streetcake», c’est le son des fantômes du rock suprême, avec un Johansen qui refuse de mourir et le fantôme de Syl qui fait ahhhhh dans l’écho et qui gratte les plus beaux accords new-yorkais de tous les temps, et là, rien qu’avec ce petit balladif Dollsy, tu te retrouves au sommet de tous les mythes, perché sur l’Empire State Building avec King-Kong, et tu as le vertige, c’est trop bon, mais le vertige est dans ton cœur, et pendant que Syl pousse des ahhhh de rêve, Johansen revient toujours au raw. Ces mecs nous ont initié à la vie et ils sont toujours là, avec un power et une grâce dont on ne trouvera hélas plus d’équivalent - Let me be your streetcake/ Till your breadman come/ Give you more sugar/ Than the breadman done - C’est le plus beau rêve des Amériques, Johansen et Syl ont réussi à le recréer - I’m so sweet like the New York Dolls - Terrifique ! Ils s’enfoncent dans l’art comme Gauguin dans le rouge. Fais gaffe, ce cut peut te broyer le cœur, car Johansen et Syl te ramènent loin en arrière. Tu les vois photographiés tous les deux au dos du booklet et tu vois Syl qui est mort maintenant, avec sa casquette de Gavroche et sa dégaine de Doll et tu chiales parce que tu te sens seul dans ce monde d’une terrifiante médiocrité. Comme Johnny Thunders, Killer Kane et Jerry Nolan, Syl était une sorte de dernier rempart, maintenant il ne reste plus que Johansen, Iggy et Wayne Kramer, que Dieu protège ces survivants - To my head ! - Les coups d’harmo de «Pills» sonnent encore le tocsin dans ta cervelle. Oh et puis tu as ce «Fool For You Baby» en ouverture de bal, immense pied de nez des Dolls à la postérité, ça sort tout droit du Brill, c’est l’absolu séculaire du don’t you break my heart, plombé de sonic genius, saturé de dont dont dee lee dont dont. Les Dolls se dégagent de toutes les influences pour ne sonner que comme les Dolls. Johansen et Syl pondent encore un chef-d’œuvre Dollsy, «Talk To Me Baby», énorme, plein d’élan du Brill, nouvelle manifestation du Syl power, cut définitif, Johansen le chante à l’arrache des Dolls, tu as des coups de piano et des redémarrages demented. Avec «Round And Round She Goes», ils renouent avec leur racines et passent au stomp. Parce que ce sont les Dolls, ça devient énorme. Johansen écrase le champignon du record machine. Encore du pur jus Dollsy avec «I Sold My Heart To The Junkman». Ils sont capables de faire du Brill de junkman ! C’est un coup d’éclat transcendantal. Ils tapent «Baby Tell Me What I’m On» au Diddley Beat - Babeh/ Babeh I’m so gone - Drug-out reggae so far out. Puis ils tapent une version de «Funky But Chic» et avec Syl derrière, la magie est intacte. Ils perpétuent leur art jusqu’au bout et là tu as tous les chœurs de Dolls dont tu rêves. On retrouve «Funky But Chic» dans les bonus enregistrés au Cluny, Syl le lance à la Thunders, ça joue aux deux guitares avec les chœurs de Syl derrière, alors tu tombes de ta chaise, même chose avec la version live de «Cause I Sez So», c’est hot as hell, au-delà de toute espérance, ils rentrent dans le chou du lard avec des guitares terribles et Syl sort tout le Grand Jeu des Dolls, un son unique au monde, il faut en profiter, ces deux mecs sont encore là le temps d’un disque, et puis tout sera fini. Et ça repart de plus belle avec «Hey Bo Diddley» - Hey Bo Diddley/ Where you been - Fantastique hommage ! Dans la bouche de Johansen, Bo c’est beau ! Syl reste en overdrive de Thunders et puis tu as encore «Pills». Il n’y a que les Dolls pour exploser aussi monstrueusement - A rock and roll nurse go into my head - C’est l’hymne de New York City.

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         En 2005, Johansen et Syl avaient annoncé une reformation des Dolls avec Steve Conte, Sami Yaffa et Brian Delaney. C’est cette nouvelle configuration qui enregistre One Day It Will Please Us To Remember Even This. L’album est un beau clin d’œil aux Dolls. Trois cuts pourraient très bien figurer sur le premier album : «Running Around», «Punishing World» et «Fishnets & Cigarettes». D’abord parce que ce sont des compos de Syl et le grand Johansen reprend le contrôle de l’aéroport. Il retrouve ses marques avec les chœurs et le boogie down. C’est là où il excelle depuis cinquante ans. Syl signe aussi «Fishnets & Cigarettes», et Johansen ramène le power absolu. Par contre, c’est Conte qui signe «Punishing World». Il tape en plein cœur du big Dollsy sound, l’énergie est intacte, il ne manque plus que Johnny Thunders. On assiste à la restitution de l’énorme power des origines du monde. Syl signe «Dance Like A Monkey» et pompe «Lust For Life». Même beat. C’est là que New York se fond dans Detroit. Johansen fait des merveilles avec la belle pop de «Plenty Of Music». Syl signe aussi l’excellent «Dancing On The Lip Of A Volcano». Et voilà la cerise sur le gâtö : Iggy vient duetter avec Johansen sur «Gimme Luv & Turn On The Light». On appelle ça une énormité impavide. Et cet album de rêve s’achève sur une autre compo de Syl, «Take A Good Look At My Good Looks» : Johansen et Syl s’entendent à merveille pour créer des petits moments de magie balladive.

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         Paru en 2009, ‘Cause I Sez So est le deuxième album de reformation des Dolls autour de Johansen et Syl. Et pour que l’illusion soit complète, Todd Rundgren produit, comme au temps du premier album. Alors pas de problème, on sait qu’on aura du son. On retombe sur le classic Dolls sound dès le morceau titre d’ouverture de balda. C’est un son réellement unique au monde. Ils rejouent leur vieux va-tout. On retrouve le Dollsy sound dans le cut du bout de la B, «Exorcism Of Despair», véritable mur du son avec un Johansen au dessus de la mêlée et des grosses guitares du Conte. Le Conte est bon. Le hit de l’album est «My World», une grosse compo signée Syl, grattée à coups d’acou, avec un coup de wah du Conte en plein milieu. On entend bien Sami Yaffa voyager sur le manche de sa basse dans «Muddy Bones». Johansen est en pleine forme. Il fait plaisir à voir. Il aime bien les balladifs du Conte, comme ce «Temptation To Exist», mais aussi ceux de son vieux compadre Syl. Ils signent encore une grosse compo : «Drowning». On les voit tous les deux se diriger de plus en plus vers les grosses compos. «Drowning» raconte l’histoire d’un homme qui se noie - I’m not waving hello/ I ain’t throwing around with the mama/ Don’t let me go - C’est bourré d’humour. Et puis tu as aussi ce big dancing rock signé Syl et Conte, «Nobody Got No Big News», Johansen y ramène l’énergie du rap, c’est vraiment du big business, let’s get radiant ! On note aussi au passage la version reggae de «Trash».

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         On a commencé avec Scorsese et on finit avec lui. Faut-il voir et revoir la série Vinyl en dix épisodes ? Oui, car c’est un bel éclairage sur le music biz new-yorkais des années 70, juste avant l’arrivée du punk-rock. Dans l’épisode 10, le personnage principal Richie Finestra donne ses rendez-vous dans un bar du Bowery. Après son rendez-vous, Finestra vient papoter avec le patron du bar. Celui-ci songe à changer le nom de son bar et à y organiser des concerts. Il a crayonné sur un bout de papier son idée de nouveau nom : CBGB. Il s’agit bien sûr d’Hilly Kristal. Et comme le premier épisode de la série démarre en 1973 au Mercer avec les Dolls, la boucle est bouclée. N’oublie pas que le punk est né à New York, pas à Londres.

         Supervisée par Scorsese, la série tient sacrément bien la route. On y retrouve le mélange qui a fait le charme des premiers films de Scorsese, ce puissant cocktail de rock, de coke et de violence mafieuse. On n’avait encore jamais vu autant de rails de coke, excepté dans The Wolf Of Wall Street ! Si tout démarre au Mercer, ce n’est pas un hasard, Balthazar : les Dolls sont au cœur de toute la modernité du rock. Scorsese le savait à l’époque. Il parvient à reconstituer l’ambiance de ce que fut un set des Dolls à l’âge d’or. On voit même Syl faire du stage dive avec sa Flying V. 

         Richie Finestra a des faux airs de Travolta : italo-New-yorkais, on est en plein dans le Scorsese System. Finestra/Travolta dirige le label American Century qui bat de l’aile, car trop ancré dans le passé. Scorsese parvient à filmer l’écroulement du Mercer, avec Finestra/Travolta à l’intérieur. Au milieu des décombres, Finestra/Travolta a une vision : il voit les Dolls comme l’avenir du rock, alors comme Seymour Stein, il part à la chasse du next big thing : le groupe s’appelle the Nasty Bits, un groupe punk avant l’heure, très certainement inspiré du personnage de Richard Hell.

         Scorsese veille à ne pas oublier l’autre mamelle de la modernité : le Velvet. Alors on se régale, car c’est servi sur un plateau d’argent - I am tired/ I am weary/ I could sleep for a thousand years - Pure magie reconstitutive - Different colours made of tears - «Venus in Furs» nous berce encore de bien belles langueurs monotones, cinquante ans plus tard. Scorsese et ses scénaristes (dont l’excellent Rich Cohen) réussissent un habile mélange de méli-mélo avec des faits réels. On voit Alice Cooper apparaître dans l’épisode 3, mais c’est complètement raté. Une façon comme une autre de dire que le personnage d’Alice Cooper n’a jamais été crédible. Les Dolls l’étaient mille fois plus. Par contre l’Hannibal qui pointe sa museau dans l’épisode 4 vaut le détour : hommage au funk des seventies, à Sly Stone et à Bootsy Collins. La plupart des scènes sont filmées dans les locaux du label de Finestra/Travolta : on y voit le ballet des associés et des assistantes, tous et toutes plus incompétent(e)s les uns que les autres. Scorsese nous ressert une petite louche de Lou Reed dans l’épisode 5 avec une version de «White Light White Heat» sur scène. Dans le 6, on voit Bowie débarquer à New York avec «Suffragette City», et on entend le «No Fun» des Stooges chez un marchand de guitares. Et puis un mec chante «Life On Mars» au piano dans une fête juive. N’oublions pas que New York est la plus grande ville juive du monde. Finestra/Travolta fait un saut en Californie pour l’épisode 7, il vend l’avion de son label à un mec qui organise une fête à Malibu et là défilent tous les luminaries de la scène locale : Mama Cass, Gram Parsons, Captain Stills Manyhands et puis il y a une scène magique avec Elvis à Las Vegas. Finestra/Travolta rencontre Elvis backstage et ils tentent de monter un plan ensemble, alors Elvis veut les Sweet Inspirations et Finestra/Travolta propose Pop Staples pour produire le nouvel album, alors Elvis exulte : «You got it !». Jusqu’au moment où le Colonel Parker arrive et vire Finestra/Travolta. Elvis va coucher au panier. La scène est d’une incroyable justesse. Bravo Scorsese !

         Il n’empêche que le label continue de s’enfoncer, alors Finestra/Travolta doit emprunter de l’argent. Comme la banque lui refuse le prêt, il s’adresse à Colasso, un type de la mafia qui lui prête 100 000 $ en cash. Taux à 5%. L’épisode 8 nous permet d’entrer dans deux mythologies : celle des trois accords et celle de la mafia. Lester Grimes qui est le manager black des Dirty Bits explique à ses protégés que tout repose sur trois accords : ré la si. Et il joue un medley de toute l’histoire du rock et du blues sur sa gratte. Quant à la mafia, c’est l’occasion pour Scorsese de renouer avec sa vieille virtuosité : il montre comment Colasso étrangle un mauvais payeur avec le fil électrique d’une lampe. Colasso est bien sûr une interprétation libre du personnage de Morris Levy. Dans le 8, on voit aussi apparaître John Lennon et May Pang au Max’s, alors que Bob Marley joue sur scène. Pour la fin de la série, Scorsese fait jouer les Dirty Bits en première partie des Dolls qu’on ne voit hélas que dans la salle, mais pour lui, c’est l’occasion rêvée de boucler la boucle. Bien sûr, la saison 1 appelle une suite.

Signé : Cazengler, New York Dumb

New York Dolls. One Day It Will Please Us To Remember Even This. Roadrunner Records 2006

New York Dolls. ‘Cause I Sez So. ATCO records 2009

New York Dolls. Dancing Backward In High Heels. 429 Records 2011

Martin Scorsese. Vinyl. Saison 1. DVD 2016

Jon Savage : Fantasy Island. Mojo # 345 - August 2022

 

 

Inside the goldmine - Baby Grande Ballroom

 

            Il sortit de l’hôtel Saint-Francis et alla se jeter dans le flot des passants que charriait la 42e rue. Il se grisait de l’éclat du ciel bleu et de l’énergie qui électrisait cette ville. Il rentra dans un peep-show, paya six dollars et s’installa dans une cabine. Il avala deux cachets de benzedrine et attendit - oh pas longtemps - l’arrivée de la fille derrière la vitre. Blonde du haut mais brune du bas, elle ne portait rien d’autre qu’une moue de morgue. Elle commença à se masturber, un doigt dans chaque orifice. Alors il en fit autant et prit soin d’éjaculer sur la vitre, comme c’était l’usage. Il sortit relaxé de l’immeuble et héla un taxi qui le conduisit downtown, où il allait tenter, en parfait disciple de Dorian Gray, de «perdre son âme». La nuit tomba. Il s’installa sous un réverbère, au coin d’une rue déserte, et attendit qu’une lame le menaçât, ou mieux encore, qu’un gang de Portoricains, Young Lords de préférence, ne vint le rouer de coups et le violer. Sa quête de modernité et son horreur congénitale de l’ennui le conduisaient comme d’autres avant lui - et pas des moindres - à rechercher le frisson des situations extrêmes. Il n’eut pas à attendre très longtemps. Six jeunes blacks aux yeux rouges sortirent de l’ombre, approchant en silence comme des chats méfiants. Ils brandissaient des barres à mine. Pas un bruit, silence total. Il reçut un premier coup de barre dans le genou et en tombant, un deuxième coup porté au visage lui cassa à peu près toutes les dents. Puis les coups redoublèrent de violence. Il subissait le supplice de la roue. Les blacks frappaient à tour de rôle. Au moment où il rendit l’âme, son double se détacha et l’éleva à la verticale. En proie à des vieilles superstitions, les blacks reculèrent et s’enfuirent. Zéphyr s’éleva à la verticale, ainsi qu’il l’avait annoncé dans ses romans.

 

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         D’un Zéphyr l’autre, comme dirait Céline. Le «Zephyr» de Baby Grande n’a de new-yorkais que la coïncidence. Ces Australiens contemporains des early Saints auraient très bien pu enregistrer ce «Zephyr» - apparemment jamais sorti - dans le downtown new-yorkais.

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         En 2019, RPM fit paraître un petit coffret glammy retentissant, All The Young Droogs. On en a déjà dit le plus grand bien sur KRTNT. Il faut bien reconnaître que l’album grouille de puces, Third World War, Milk ‘N’ Cookies, Hector, Brett Smiley, Helter Skelter, en tout soixante glam nuggets qui mettent les sens en alerte rouge, avec un seul petit défaut : l’absence de Jook et des Gorillas (même si Helter Skelter est là). Il se trouve que le meilleur cut de ce coffret si haut en couleurs est le fameux «Zephyr» épinglé plus haut. Les Australiens s’y prêtent à une fantastique charge des Walkyries. Ces mecs ont du raw power plein la culotte. Leur vice, c’est l’explosivité pressante comme une envie - Well I call you a zephyr - Tout est là, dans cette énergie des guitares, dans ce son rempli à ras-bord, dans cette niaque de mauvais aloi, personne ne les aime et ils ne s’aiment pas non plus. Ils semblent même bien meilleurs que les Saints, ce qui n’est pas facile à dire pour un vieil inconditionnel des Saints.

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         C’est à peu près tout ce qu’on avait à se mettre sous la dent. Et puis voilà qu’on annonce la parution d’un album d’inédits de Baby Grande. Stupéfaction ! HoZac est un label américain spécialisé dans le punk’n’roll (Davila 666, Chrome Cranks, Kim Salmon, Mark Sultan, etc.), la réédition d’albums métempsychotiques et l’édition de livres nitrogéniques (Sal Maida, Bob Bert, etc.). C’est donc en 2018, soit un an avant les Droogs, qu’HoZac fit paraître un album d’inédits de Baby Grande - HoZac Archival is proud to present these incredible recordings to complete your explosive lifestyle - On trouve un peu de littérature, sur la pochette intérieure, notamment une interview de Steve Kilbey (chant) et Dave Scotland (guitar). HoZac tente de les ramener vers les Saints qui enregistraient leur premier album dans le même studio, mais les deux groupes ne se connaissaient pas. Comme les Saints, Baby Grande enregistre des démos pour EMI, mais EMI les jette. HoZac n’y va pas de main morte : sur la pochette, ils ont collé un sticker jaune où on peut lire «Australian GLAM/Proto-PUNK missing link», de quoi faire bander tous les curés de Camaret. Notre cher «Zephyr» y ouvre le bal de la B, toujours aussi subjuguant que suburbain. On constate une fois de plus la violence du riffing, c’est assez glammy, oh boy, mais descendu dans la rue. Tellement dans la rue que ça devient digne des Dolls, ils déploient des ailes d’aréopage, Dave Scotland claque un solo qui prend feu dans l’azur prométhéen, well I call you a zephyr/ You should glow, ils sont sur le même terrain que Slade, la voix en moins. Dommage que les autres cuts ne soient pas du même niveau. Ça pourrait à la limite expliquer qu’EMI les ait jetés, mais bon, «Zephyr» suffit à notre bonheur. Avec «Pure White & Deadly», ils font ce que tous les groupes - et Mott oh ma Mott - faisaient dans les early seventies : du boogie-rock. Il sont dans le bain, bien dans le bain dis donc, Dave Scotland joue à la cocote sournoise. Ils ont opté pour les bons réflexes. Comme HoZac n’avait pas assez de cuts pour remplir un album, ils ont collé en fin de B une autre mouture de «Pure White & Deadly», un peu plus grasse du bide, ce qui lève toute forme d’ambiguïté. Ils vont vite en besogne et le bassman se faufile partout. Dave Scotland claque une fois de plus un killer solo flash impitoyablement fluidifié et là, on le prend très au sérieux. C’est Mick Ralph, mais à Canberra. Avec «Going There & Back», ils adressent un gros clin d’œil aux Young Dudes. Comme ils sont d’un naturel aimable, ils y vont de bon cœur, au crush crush de room et de TV screen. Mais leur «Madame Lash» ne fonctionne pas, même si Lash rime si richement avec trash. Et les autres cuts refusent obstinément de décoller. Dave Scotland tente de sauver «She Thinks She’s A Diamond» avec un solo fleuve de la plus belle autorité, mais Baby peine à jouir. Contentons-nous donc de nous envoler avec Zephyr.

Signé : Cazengler, Baby Glande

Baby Grande. Baby Grande. HoZac Records 2018

All The Young Droogs. RPM 2019

 

L’avenir du rock - God save the Quintron

 

            Il n’oserait l’avouer à personne. L’avenir du rock a toujours rêvé d’être une grenouille. Oh pas la grenouille stupide dont se moque si gentiment La Fontaine, cette grenouille qui enfle pour égaler le bœuf en grosseur et qui enfle tant et si bien qu’elle éclate. Ni la grenouille dont on sert les cuisses revenues à la poêle dans les restaurants à la mormoille, et encore moins celle qu’on dissèque à vif dans les bacs des cours de sciences naturelles pour examiner ses organes. L’avenir du rock songe plutôt à la grenouille en peluche que trimballait Clarence Frogman Henry sur scène, un Clarence dont la prestance persistera et signera à travers les siècles, soyez-en certains, le Clarence de la froggy motion sempiternelle, un Clarence chouchouté par les oreilles alertes et vives, car connaît-on meilleure prestance que celle-ci ? Ah comme il aurait adoré sautiller dans les roseaux, l’avenir du rock, attraper des libellules au vol, échapper d’un bond au vieil alligator, et le soir aller jusqu’à la cabane de Bobby Charles pour l’écouter entonner ses Champs Élysées sur sa vieille guitare gondolée - Les femmes sont jolies/ Sur le (sic) Champs Élysee (sic)/ Ils (sic) vous donnent des envies - Ah quel poète délicieux, enfoui au fond d’un Bayou qu’on dirait peint par le Douanier Rousseau. En suivant la berge du fleuve, l’avenir du rock serait ensuite allé par petits bonds jusqu’à la maison du vieux Tony Joe pour le voir éplucher sa polk salad à la lumière d’une lampe à pétrole, sous sa véranda, car comme il le croasse si bien dans l’histoire d’Annie qui est encore plus mauvaise que les alligators, c’est tout ce qu’il y a à manger Down in Louisiana, where the alligators grow so mean. Mais par-dessus tout, l’avenir du rock aurait adoré voir Monsieur Quintron approcher des roseaux à quatre pattes avec son petit magnétophone accroché autour du cou, Monsieur Quintron et son crâne métaphysique couronné de chaume, sa petite rangée de canines pointues et ce regard si flaubertien de matelot en détresse, promenant sur la solitude de sa vie des yeux désespérés, cherchant au loin quelque voile blanche dans les brumes de l’horizon.

 

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         Ça fera bientôt trente ans que Monsieur Quintron intrigue les masses populaires. Trente ans qu’il méduse les foules à petits coups de séquenceur. Trente ans qu’il envoie ses mains de cire valser sur le clavier d’un orgue Hammond. Trente ans qu’il nous fait danser le jerk des squelettes de la Nouvelle Orleans. Trente ans qu’on rit avec la mort qui est son double.

         En 2012, Monsieur Quintron est venu en Normandie nous secouer les cloches. On ne croise pas tous les jours une légende vivante, dans cette région. On y croise plus facilement des vaches, et des gens qui vont mal. À l’époque, Monsieur Quintron s’installait torse nu derrière son clavier. Il portait un pantalon de cuir noir. Grand, brun, gueule de star. Fabuleux Soul-shaker, l’un des meilleurs du cru. Pendant que son corps ruisselait de sueur, il nappait d’orgue son Soul-shuffle et shakait sauvagement sa charley. Il swinguait comme un entrepreneur de démolition. Des choses bizarres roulaient sous la peau humide de ce chaud lapin de sucre sauvage. Il pulsait le rumble et l’envoyait rouler dans les orties. À deux mètres de lui, plantée derrière un micro, Miss Pussycat secouait ses maracas et chantait comme une casserole. Elle œuvrait pour la postérité du trash qui est, avouons-le, notre religion secrète.

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         Et pouf, dix ans plus tard, ils redébarquent en Normandie, pour un concert gratuit en plein air. Quintron ne se met plus torse nu derrière sa machine infernale, mais il conduit toujours aussi bien son bal des vampires de la Nouvelle Orleans.

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C’est un fabuleux hellraiser, il tape le beat sur sa charley et racle à la baguette la pedal steel installée sur sa machine. Il ramène des sonorités incroyables dans son boogie-blast, des accords fantômes de Deep Southern country. Cette fois, Quintron et Miss Pussycat sont accompagnés par un batteur tout maigre et un ostrogoth ventru qui joue sur un mini-moog et qui souffle dans un tuyau en caoutchouc. Avec son gros bide tatoué, il vole la vedette sur scène.

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Quintron offre toujours le même cocktail hallucinant de ramshakle et de swamp-boogie, il mène ça ventre à terre et chante toujours comme une superstar. Il s’est laissé pousser les cheveux, mais il reste l’un des rock’n’roll animals les plus sexy d’Amérique. Bizarrement, les gens chipotent en France. Comme d’habitude.

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         Un soir, sous les étoiles, en mer des Caraïbes, le célèbre capitaine Flint nous confiait ceci : «Il y a deux sortes de créatures sur cette terre : les beaufs et les trash !». Au-dessus de nos têtes pourrissaient les cadavres d’officiers espagnols accrochés par les pieds aux gréements. Ces charognes illustraient parfaitement son discours. 

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         Are You Ready For An Organ Solo ? Sous cette invitation déguisée se tapit un rude album rempli de gros jerks dératés, palmés d’orgue, plus chancelants que chantés, et bardés de chœurs tragicomix. «Place Unknown» est un merveilleux dada banana split. Prince du shuffle des cimetières abandonnés, Monsieur Quintron l’orne de jarretières d’os. Ce jerk est entêtant comme ce n’est pas permis, franchement, et les chœurs de Miss Pussycat éreinteront les plus coriaces d’entre-vous. Quintron adore les pièces de boogie-down-production-shout-balam qui nous font danser jusqu’à l’aube dans les allées du Quartier français, tout près du palais vermoulu où se planque le dandy cucumber. Le cœur quintronien balance souvent entre le straight r’n’b bien secoué du cocotier et la petite pop dada fraîche comme une laitue et habilement cadencée par les infra-sons, comme par exemple «Cave Formation», où l’on entend Miss Pussycat chanter comme si elle était encore en maternelle. Pour le reste, Monsieur Quintron drumbeatera sévèrement, car telle est sa secrète ambition.

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         Si tu t’accommodes aisément de la fantaisie, alors écoute cet album qui s’appelle Swamp Tech. Le samedi, Quintron va faire ses courses sur Canal Street. Il adore piquer dans les magasins. «Shoplifter» raconte ses exploits. Il nous nappe ça d’orgue et nous fait danser au salon. Sa boîte à rythme fait des miracles, on peut bien l’admettre. C’est à Miss Pussycat que revient l’insigne honneur de chanter «Fly Like A Rat». C’est dingue ce qu’elle peut mal chanter. Mais le morceau a fière allure. Ces deux-là font ce qu’ils veulent. Ils naviguent en solitaire. Ils n’ont qu’une seule loi : la liberté à tout crin. Ils jouent dans LEUR club et enregistrent sur LEUR label, Bulb Records. La typo de Bulb est dessinée comme celle du label SUN de Sam Phillips : quatre lettres sont disposées sur un demi cercle divisé en quartiers par les rayons du soleil levant. À la fin de «Fly Like A Rat», Quintron vient screamer un bon coup. Avec «Witch In The Club», il nous prouve une fois de plus qu’il sait vraiment pulser le beat louisianais - Louis Louie Louie - c’est un crack de l’abattage, un furoncle intraitable. Il met les bouchées doubles. Sa reprise de Kiss est encore plus énorme : il transforme «God Of Thunder» en gros jerk des Caraïbes. Comme nous tous, Quintron déteste cordialement le cupide Gene Simmons.

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         Bien des fans de Quintron se sont fait rouler la gueule. L’immonde Quintron s’autorise à faire paraître de temps en temps des albums expérimentaux. Sur Drum Buddy Demonstration Vol. 1, il nous refile quelques échantillons de sons produits par son séquenceur. 

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Avec les fameuses Frog Tapes, il nous emmène dans le bayou écouter chanter les grenouilles, d’où le titre de cet album qui s’arrache à prix d’or. Ne perdons jamais de vue que Monsieur Quintron est l’un des derniers originaux de l’aventure rock, et ses admirateurs doivent parfois avaler des grosses couleuvres et apprendre à faire preuve de bienveillance.

         Mais au bout du compte, on est bien récompensé.

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         En 2008, une pochette étrange trônait dans les vitrines des magasins. On y voyait le vampire Quintron assis auprès d’une entraîneuse noire. Elle portait sur les épaules un monstrueux python du bayou, comme d’autres portent une cape de zibeline. Renseignements pris auprès du détaillant, il apparaissait que le python portait le doux nom de Boobaalah, qu’on estimait son âge à deux cents ans et qu’il avait pour particularité de miauler pour séduire ses victimes, qui étaient généralement des cochons ou des petits nègres égarés aux abords du marais. L’album s’appelle Too Thirsty 4 Love. Il nous tient une fois de plus la dragée haute. «Waterfall» et le morceau titre posent leurs mains sur nos hanches et nous font danser la java des marais. Impossible de résister au drumbeat de Drum Buddy. Miss Pussycat rejoint Quintron sur «Dirt Bag Fever». Il contribue à la postérité - run wanado dah doo - C’est une sorte de petit hit cosmique et bien intentionné. On se retrouve une fois de plus sous le charme du trash. De l’autre côté du disque traîne un mambo judicieux qui s’appelle «Freedom». C’est une valse à trois temps de la Nouvelle Orleans, une étonnante pièce de machinerie truculente et bien née. Et si on veut retrouver ce qui fait la puissance seigneuriale de Quintron, c’est-à-dire le rock solide nappé d’orgue, alors il ne reste plus qu’à écouter «Model Ex Citizen». Évidemment, Miss Pussycat vient vinaigrer l’affaire. Et tout le reste n’est que littérature, comme dirait le pauvre Lélian.

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         En 2011 paraît Le Sucre Du Sauvage. Voilà encore un album rempli de petite pop que Miss Pussycat massacre avec ostentation. Elle est le fléau des temps modernes. Pourtant, ils réussissent parfois des exploits, comme par exemple ce morceau qui s’appelle «Face Down The Gutter» qu’ils chantouillent à deux voix et qu’ils bardent de clap-hands, très sixties dans l’esprit et admirable à bien des égards. Quintron peut aussi faire du boogie à la Canned Heat. Il suffit de le lui demander gentiment. Certains morceaux pourraient très bien sonner comme des tubes planétaires, «Banana Beat» par exemple, mais c’est impensable, parce qu’ils refusent tous les deux de se prendre au sérieux. Du coup, on se retrouve avec de la pop exacerbée qui pique un peu, comme un beaujolais, surtout lorsque Miss Pussycat chante seule, comme c’est ici le cas. «Sucre Du Sauvage» est plus cavaleur et donc plus entreprenant. On retrouve ce brouet unique au monde d’orgue dansant et de Drum Buddy dada électronique qui envoie aux gémonies les conclusions hâtives. On suit à la trace ce petit groove cocasse qui finit en coin-coin. 

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         Les affaires sérieuses de Monsieur Quintron se trouvent sur deux albums malheureusement difficiles à dénicher. La pochette en or d’Unmasked Organ Light-Year Of Infinity Man fera rêver les Égyptologues dans deux mille ans, d’autant qu’elle est frappée du sceau royal Bulb Records. C’est là que Quintron matérialise vraiment son art cybernétique de marécage. «Mysterious Rangers» s’ouvre sur un petit hurlement de Miss Pussycat, ce qui est bon signe. On est aussitôt embarqué par un bon beat qui génère une réelle tension garage. Si on apprécie la cohérence du groove déluré, alors on sera comblé. «White Man Style» tient du génie. Avec ce monstrueux cyber-groove évanescent et fondateur, Quintron bat tous les records. Il nappe ça d’orgue et érige un beat furieux et industriel à la fois. Il ulule comme un rockab. Thor des temps modernes, il bat au marteau le groove dindon. «Hurricane» est digne du mythique «Tiger» de Brian Auger. C’est le pur shuffle des caves enfumées. Quintron fait rouler son scream sous les voûtes humides. Miss Pussycat hurle comme une bête. Elle fait les chœurs. À chaque morceau, ils réaffirment un peu mieux leur totale indépendance. «Push Pull or Drag» est du trash pur et dur. Avec «Peter Pan», Quintron va vous en boucher un coin. C’est ce qu’on pourrait appeler un hit atomique. Quintron chante comme Lux et noie son bousin sous des nappes d’orgue. C’est exactement la même énergie que celle des Cramps. Même démesure. On croit même entendre «New Kind Of Kick». Quintron grille tous les plafonniers. Il scande comme Lux. C’est un shouter des enfers.

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         Avec Les Mains d’Orlac, Peter Lorre avait réussi à traumariser toute une génération. On retrouve ces mains maudites sur la pochette de These Hands Of Mine. C’est Miss Pussycat qui secoue les cacahuètes dans cet enfer Dada qu’est «Meet Me At The Club House». Elle secoue aussi des sacs de café du Brésil. Ils pavent cet instro electro-jerkoïde de bonnes intentions. On trouve aussi sur ce disque terrible un heavy groove nommé «It’s Moving Me». On les voit errer tous les deux au long des chemins bourbeux de l’infortune. Ils créent une atmosphère lourde de conséquences. «Wild Indians» est une parade de western superbe d’inventivité, montée sur un drumbeat béatificateur. Quintron sait provoquer la débâcle inventorielle. Après une longue intro, «Grandfather Time» déboule avec un shuffle d’orgue et un drumbeat turgescent. Infernal. Ça saute à la gorge. C’est bardé de chœurs sauvages. Au XVe siècle, on appelait ça l’énergie du Diable. Encore un beat de forcené avec «Caveman 5000». Quintron enfonce ses clous avec une rage de forcené.

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         La réputation de Quintron repose aussi pour une grande part sur l’album qu’il enregistra en 1997 avec les Oblivians, Oblivians Play Nine Songs With Mr Quintron. C’est l’un des grands classiques du garage-punk de cette époque. Alors que des horreurs comme «Feel All Right» et «I May Be Gone» explosent, Quintron veille au grain. Il fédère les atomes à coups de nappes d’orgue. Alors que les riffs de guitare dévastent tout, Quintron entre dans le lard du cut avec une belle assurance. Il nappe le chaos de nappes majestueuses. Il se mêle au télescopage des genres avec une vraie candeur estudiantine. On le sent comme un poisson dans l’eau, notamment dans «What’s The Matter Now», qu’il nappe dès l’intro. Il saute sur son tabouret et envoie des giclées de sauce piquante. C’est lui le patron. Il rugit comme une tempête. Il ouvre un océan pour «Mary Lou», l’un des hits garage du siècle. Il faut le voir distiller ses marées de shuffle ! Diabolique !

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         Retour en fanfare avec Goblin Alert. Quintron & Miss Pussycat n’ont jamais été aussi bons ! Ils partent en mode stomp avec «Tenagers Don’t Know Shit», ça joue à l’extrême drumbeat d’hypno à Toto, c’est fantastiquement embarqué pour Cythère, avec des breaks de mini-moog et de piano - My name is Jesus Christ & I’m not magic - Ils duettent ensuite ventre à terre pour le morceau titre. Avec le temps, Miss Pussycat prend de l’assurance. Ils jettent toute leur niaque dans leur vieille balance. Coup de Trafalgar avec «Buc-ee’s Got A Problem» : ce country rock joué au lap steel est bourré d’énergie. Tout sur cet album est visité par la grâce de la Louisiane. Et ça repart de plus belle en B avec «Stroller Pollution». Ils adorent cavaler ventre à terre dans le bayou. Sam Yober et Drum Buddy y vont de bon cœur. Quintron n’a jamais eu autant d’énergie. Ce bel épisode swampy s’achève avec «Weaver Wear», emmené au gros tatapoum de Drum Buddy et animé par une Miss Pussycat rayonnante. Elle est superbe, plus rien à voir avec la casserole d’antan, elle est délirante, elle grimpe au sommet du lard, elle enfile les perles, elle mène bien le bal des Laze, elle devient la front-woman number one. Quintron & Miss Pussycat continuent de suivre leur petit bonhomme de chemin avec goût et fantaisie. Wow, il faut voir Quintron noyer son Weaver sous des nappes d’orgue démentes ! Tout est beau au paradis du swamp.

Signé : Cazengler, pilleur de Quintrons

Quintron & Miss Pussycat. Le 106. Rouen (76). 10 octobre 2012

Quintron & Miss Pussycat. Les Terrasses du Jeudi. Rouen (76). 21 juillet 2022

Quintron. The Amazing Spellcaster. Live At The Pussycat Caverns. Bulb Records 1995

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Oblivians Play 9 Songs With Mr Quintron. Crypt Records 1997

Quintron. These Hands Of Mine. Skin Graft Records 1998

Quintron. Unmasked Organ Light-Year Of Infinity Man. Bulb Records 2000

Quintron. Drum Buddy Demonstration Vol. 1. Skin Graft Records/Rhinestone Records 2001

Quintron. Are You Ready For An Organ Solo ? Rhinestone Records 2003

Quintron. The Frog Tape. Skin Graft Records 2005

Quintron. Swamp Tech. Tigerbeat6 Records/Rhinestone Records 2005

Quintron. Too Thirsty 4 Love. Rhinestone Records/Goner Records 2008

Quintron. Sucre Du Sauvage. Goner Records 2011

Quintron. Goblin Alert. Goner Records 2020

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 *

         Avant d’aborder une machine, serait-elle rouge, il convient de présenter les mécaniciens qui l’ont créée et qui la font marcher. Sont trois.

         Le premier se nomme Francis R Cambuzat. L’a un pedigree long comme un agenda téléphonique, l’a fondé des tas de groupes, suscité aux quatre coins de la planète des expériences soniques de toutes sortes, l’a commencé à dix-sept ans à jouer avec Dizzy Gillespie au Blue Note in the Big Apple - déjà l’on comprend que la musique qui tourne en rond sur elle-même n’est pas son dada - l’est arrivé à se faire un nom de journaliste free lance  aux USA avec une interview d’Iggy Pop, l’a donné plusieurs milliers de concerts sur tous les continents. Notamment avec Putan Club.

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         Ne sont que deux dans ce putain de club, lui et Gianna Greco. D’origine italienne, encore une qui ne sait pas rester en place, s’est mêlée à la révolution tunisienne, lorsque le mouvement a foiré, elle a décidé de se battre avec ses propres armes ( voix + basse ) et de porter les idées d’insoumission et de subversion partout où les pouvoirs maltraitent les hommes. Pour savoir où exactement, il suffit de recopier la liste alphabétique de tous les pays.

         Musicalement il est difficile de définir le style de Putan Cub, en fait c’est très facile : sont punk, rock’n’roll, metal, classique, jazz, techno, rajoutez les ingrédients qui vous semblent manquer.

         Nous vous reparlerons de Putan Club une autre fois, c’est que nos deux ostrogoths se sont affiliés à un troisième, très connu du public français, Denis Lavant, comédien – ce mot ne le définit pas, il n’interprète pas ses personnages, il essaie d’en restituer l’authenticité - l’a tourné des films, notamment avec Léo Carax, joué et mis en scène de nombreuses pièces du théâtre classique et contemporain et monté plusieurs spectacles hommagiaux. Nous retiendrons principalement sa magistrale évocation de Joë Bousquet, le poëte carcassonnais grièvement blessé en 1918, cloué sur son lit de souffrance durant plus de trente ans Ce qui nous emmène à la troisième corde de son arc : la lecture de textes, Céline pour n’en citer qu’une, et de poésie.

         Bref l’association de Putan Club et de Denis Lavant a donné naissance à Machine Rouge. A notre connaissance Machine Rouge n’a pas perduré. Ne sont écoutables que quatre morceaux, sur SunCloud, sur lesquels nous ne nous attarderons pas – il s’agit de quatre démos de lecture de poèmes d’Henri-Simon Fure, de Marina Tsvetaïa, de Federico Garcia Lorca, de Velimir Khlebnikor, les deux premières sont les plus réussies. Reste une vidéo sur You Tube, qui nous intéresse particulièrement. Sur laquelle nous dresserons l’oreille.

         Rien d’autre que le célèbre poème péremptoirement nommé Le Coup de dés de Stéphane Mallarmé. Ce n’est pas une œuvre facile, pour la mieux présenter ils ont fait appel à Carlo Mazzotta, vous trouverez sur son canal YT une floppée de vidéos de lectures poétiques diverses de ce dernier.

*

         Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, son titre véritable non abrégé, écrit en 1898, est une œuvre fondatrice de notre modernité. Elle interroge autant l’écriture poétique que musicale. Elle se situe exactement au croisement de la théorie réflexive et de la pratique artistique. Tout en offrant plusieurs pistes de lecture, elle reste mystérieuse.

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         Lecture circonstancielle : au moment où Mallarmé l’écrit la poésie française traverse une crise majeure. Les jeunes poëtes délaissent pour le vers libre l’alexandrin qui fut le mètre royal du dix-neuvième siècle de Victor Hugo à Leconte de Lisle. Le Coup de dés peut être compris comme la désintégration atomique de l’alexandrin, les mots, de grosseurs diverses, sont éparpillés un peu partout ( au hasard ? ) sur l’ensemble de la page blanche. Le chiffre douze ( les douze syllabes accentuées de l’alexandrins ) préside de façon non visible à la structuration typographique ( abolition du hasard ? ) du poème.

          Une thématique typiquement mallarméenne : le poème peut être lu comme une réflexion sur l’incidence de l’acte poétique sur la réalité du monde. La réponse de Mallarmé reste très ambigüe. Est-elle nulle – en ce cas-là si une action humaine  peut signifier (donner à ce verbe le sens d’ordonner) le réel, ce n’est qu’un effet du hasard, l’artiste n’y est pour rien, il ne maîtrise rien. Il est alors permis de décréter que ses prétentions ne sont que vanité.

          Au contraire si l’action du poëte se révèle signifiante, que se passe-t-il au juste dans ce cas ? Quelle serait alors la portée de ce geste qui échappe au hasard. Pour parler comme Hegel : qui échappe à l’infini (de la négativité des possibles) pour s’inscrire dans l’absolu de sa propre unicité, de sa propre positivité.

         Musicalement parlant, la note qui se pose sur le silence, tel l’oiseau sur la mer, n’est-elle qu’une criaillerie adjacente sans véritable teneur intrinsèque, ou modifie-t-elle la nature de l’océan…

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         Outre ces problèmes philosophiques, Le coup de dés en soulève un autre, très pragmatique, peut-être encore plus difficile. Comment le lire ?   Certes n’importe quel imbécile peut en articuler les vocables à haute voix, mais comment donner au lecteur l’idée de l’éparpillement spatial de son écriture. Souvent les lectures de poèmes sont musicales. Quelle musique lui attribuer ? Aucune ligne mélodique est incapable de suivre le morcellement du texte, peut-être vaut-il mieux penser à une musique qui ressemblerait aux trébuchements perlés des Gnossiennes d’Eric Satie… Paul Valéry à qui Mallarmé montra le poème s’opposa plus tard de toute son influence littéraire à une représentation musicale regroupant orchestre et plusieurs chanteurs lyriques… Pour bien comprendre la position de Valéry, il est nécessaire de rappeler que ce poème s’apparente si l’on s’en rapporte à diverses tentatives similaires et antérieures de Mallarmé à un rituel qui ne saurait être partagé sans initiation aux premiers venus, sans cette préparation son hermétique incompréhensibilité resterait lettre morte. Se risquer à une interprétation publique de ce poème est une véritable gageure.

MACHINE ROUGE

UN COUP DE DES JAMAIS N’ABOLIRA LE HASARD

( Festival Croisements / Post Mountain / Pékin /

17 & 18 Avril 2015)

        Une toute petite salle, peu d’espace, une table ronde, serait-ce une allusion à celle des Mardis qui réunissait chez Mallarmé l’élite poétique symboliste, un lumignon posé dessus, qui exalte de sa lueur la blancheur de quelques feuilles épars de papier, l’on ne voit rien ou presque. L’image arbore une teinte oscillant entre bistre et grenat, le public est resserré, tassé sur l’étroite largeur de la scène, certains écoutent, d’autres sont sur leurs portables… on entraperçoit Francis R Cambuzat figé en une pose qui rappelle la fameuse et volatilesque marche chuck berryienne,  Gianna Greco, debout, dos au mur, basse en main, la musique est là, une machine électronique qui produit un bruit tournant, assez doux, entre pales d’hélicoptère et gloutonnements de lavabo avec en arrière-plan une espèce de stridulation tremblotante de cigales.

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         Dès l’énoncé du premier mot, est-ce vraiment un hasard s’il n’est autre que ‘’un’’, deux constatations s’imposent, la première c’est que nous assistons à un récital de Denis Lavant. C’est-lui la vedette – ce qui ne respecte pas l’impersonnalisation du poème voulue par Mallarmé, les musiciens sont des accompagnateurs, pratiquement relégués au rang d’accessoires.

         La deuxième, c’est l’apparition de chaque mot, puis de chaque ensemble de vocables expectorés par Lavant en surimpression mouvante, en gros caractères, repris aussi selon une ligne horizontale très discrètes à mi-hauteur de l’image. C’est-là le travail de Carlo Mazzotta, rattache le dire au texte, l’idée n’est pas de permettre au public qui regarde la vidéo de mieux comprendre le texte, mais de rappeler que le vertige du poème n’est pas dans son élocution mais dans son écriture, tout en faisant d’une simple vidéo une espèce d’opéra d’art total  qui allie musique, théâtralité, peinture, élocution, et texte, un semblant de mini opéra wagnérien du pauvre, afin de rappeler que toutes ces disciplines artistiques qui ne sont pas poésie ne sont pas là pour mettre en valeur la poésie, mais que la poésie reste le noyau germinatif qui leur donne la possibilité d’apparaître. Et aussi de disparaître.

         Denis Lavant seul face au texte. Il choisit l’intensité de la déclamation. Il hurle, pratiquement chaque mot, il s’essaie à un vacarme qui soit à la hauteur du drame cosmique qui se déroule dans le poème. L’est soutenu par des coups violents de batterie qui ponctuent chacune de ses expectorations. La caméra est maintenant plein-champ, toute la largeur de la scène accueille un public silencieux, sagement assis qui écoute. Des amplifications de guitares viennent à sa rescousse, tout est fait comme dans un film pour signaler aux spectateurs que si la musique monte c’est qu’il est en train de se passer quelque chose d’important là.

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         Denis Lavant fait de grands gestes de désignation, le texte qui s’inscrit en petites lettres blanches tente de reproduire la typographie échevelée du poème. Denis joue. Il fait l’acteur. N’est plus qu’un théâtreux debout sur la table qui cherche à épater la galerie… Ne s’appuie jamais sur la musique que tissent ses deux acolytes, l’a tort, car ils amènent l’impression de grandeur qui manque à ce qu’il faut bien se résoudre à définir comme des pitreries dépourvues de toute profondeur métaphysique. Les stridences guitariques ont pris le commandement, Lavant déambule sans but précis, il vitupère sans le venin de la guitare, la musique mange les mots, elle bouffe la poésie – tout l’envers des volitions mallarméennes – concentrés, agenouillés Francis et Gianna, tournent les boutons de leur tableau de bord, des sifflements – ceux qu’Igitur entendait dans son conte – maintenant Lavant susurre, plume qui choit dans le tourbillon d’écume, l’est moqueur, l’a l’air d’un ivrogne victorieux qui a assez bu pour ne pas se prendre au sérieux, l’on se dirige vers la fin du poème, il donne l’impression de n’en pas saisir la portée cosmologique alors que Gianna et Francis lancent une rythmique obsédante, Lavant tourne sur lui-même, comme la roulette du casino,  alors que s’affiche le mot hasard, ensuite il déglutit un long monologue celui de l’échec, l’accompagnement musical perd de sa splendeur, Lavant a l’air joyeux, la limitation humaine lui paraît de bonne guerre, et lorsque la constellation finale point à l’horizon, son timbre reste sceptique, l’on s’attendrait à ce que la musique ne se contente pas de ses passages à vide destinés à exalter l’impatience des fans avant le déchaînement final, il n’en sera rien, l’on se dirige vers un minuscule kaos répétitif, scandé par Denis Lavant, le ressassement satisfait du nihilisme incapable de briser la barrière de ses renoncements.

         Une belle performance d’acteur, certes. Soutenus par deux bons musiciens. Elle ravira bien des auditeurs qui ne connaissent pas le poème.  Toutefois la lecture de Denis Lavant ne nous satisfait pas. Etrangement nous dirons que cette lecture est trop poétique dans le mauvais sens de ce terme. Trop culturellement attendue. Elle est un spectacle. Pas un acte. Machine pas assez rouge.

Damie Chad.

          

JONI MITCHELL

LE SPLEEN ET LA COLERE

Clara & Julia Kuperberg

 ( ARTEYT )

 

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Pas vraiment un documentaire – même si les images archives raviront les amateurs du mouvement hippie, notamment les fans de Crosby, Stills, Nash & Young. Pas vraiment un film non plus, même si ces 52 minutes sont ainsi présentées. Un portrait. D’une artiste. D’une grande artiste. J’ai toujours aimé cette fille, même si je n’ai suivi sa carrière que de loin. Mais sa façon de poser sa voix. De monter et de descendre. Prenez ce second verbe comme dans un roman policier où le héros abat quelqu’un. Car c’est ainsi qu’elle chante. Débute par une harmonie angélique, pour la casser aussitôt. Idem à la guitare. L’expression d’accords ouverts devraient être réservée à elle seule. Elle ouvre la porte du paradis, jusque-là c’est parfait, mais elle n’entre pas, elle fait demi-tour, et elle s’en va en laissant la porte ouverte. A croire que ce qu’elle a entrevu ne vaut pas tripette, tout le monde peut entrer sans se donner la peine de frapper, pour elle, ça ne vaut pas le coup, elle a déjà vu mieux ailleurs. En elle-même. La beauté intérieure de ses émotions, de son accointance, toute de retenue, au monde lui suffit.

Pas étonnant qu’elle ait mis du jazz dans son folk. Elle est comme la feuille de l’arbre qui arbore de nouvelles teintes selon la saison. Elle ne change pas, le temps avive et pâlit les tatouages – c’est ainsi qu’elle décrit ses chansons – elles viennent de loin, d’une source poétique enfouie au plus profond d’elle. Elle a cet avantage sur Dylan de ne pas être prisonnière d’une culture de référence biblique, elle puise en elle seule. Les miroirs agissent ainsi capturant les reflets de de ce et de ceux qui passent dans leur champ de vision. De son chant de vision à elle.

Elle pose des mots, et des couleurs. Car elle peint aussi. Il existe d’étranges similitudes entre certains de ses tableaux et ceux de Dylan. Peut-être sont-ils tous deux un peu trop obsédés par le déploiement historial de la peinture européenne pour peindre la réalité américaine. D’où la nécessité du recours à la poésie. Je la compare souvent, dans sa manière de poser les mots à Emily Dickinson, mais une Dickinson qui a su sortir de sa chambre mentale pour parcourir le vaste monde.

L’a su garder sa liberté. N’est pas restée prisonnière de son personnage. Elle a refusé d’évoluer dans le sens passe-partout de cette expression. Elle a suivi les hauts et les bas de ses propres cassures, de ses brisures intérieures, elle descend dans ses propres gouffres et escalade ses propres escarpements. C’est elle qui sculpte les aléas de sa vie.

Et puis il y a cette beauté physique, cette blancheur intangible, la même qu’entrevoit Arthur Gordon Pym à la fin de ses aventures. C’est que les corbeaux sont toujours noirs qu’ils soient de Van Gogh ou d’Edgar Allan Poe.

Damie Chad.

 

 

ELVIS

BAZ LUHMANN

 ( Sortie française : 22 Juin 2022 )

 

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Un film sur Elvis, enfin ! Pas trop tôt. C’étaient les premières réactions. Les suivantes puisaient dans le tonneau de l’inquiétude : que vont-ils nous sortir, avec eux il est bon de s’attendre au pire. Dans les milieux rockabilly, la rumeur n’en finissait pas de ronger les cerveaux. A peine le film était-il visible sur les écrans que les comptes-rendus n’ont cessé de fleurir. Surprise, dans l’ensemble ils étaient favorables. Le réalisateur et les acteurs s’étaient bien débrouillés. Acceptable, honnête, l’inquisition rockabillyenne n’a pas déchaîné ses foudres. Ailleurs dans la presse officielle, nombre de journalistes ne firent même pas attention à Elvis. Un comparse dans le film, le second rôle, le premier était dévolu au Colonel Parker. Manifestement ils n’en avaient jamais entendu parler.

Je vais faire pire qu’eux, non seulement je ne m’attarderai pas sur le Colonel mais tout juste si j’évoquerai Elvis. Ce n’est pas que nous ne l’aimons pas mais nous avons dû déjà consacrer une quinzaine de chronics au king du rock’n’roll, la dernière pas plus tard que la semaine dernière, Marie Desjardins se proposant de s’infiltrer dans la psyché d’Elvis afin d’analyser les rouages grippés du métabolisme relationnel qui présida à tous ses actes, ses rejets, ses acceptations, ses contradictions… chaque individu est pour le reste de l’humanité un univers infini et inconnu qui n’en possède pas moins de strictes limitations dont il est quasi-impossible de cerner avec exactitude les contours.

Me contenterai de parler du support, du film. M’a plu, car Baz Luhmann a su se saisir, ou du moins s’approcher d’un certain aspect de l’essence du rock ‘n’roll. Bien sûr c’est une musique populaire américaine. Oui il vient du blues, mais son origine réside d’après moi tant au niveau historial qu’ontologique ( je ne suis pas le seul à le penser ) dans la fête foraine et l’art du cirque. Balance sans arrêt du risque au truquage. L’on oscille sempiternellement dans un univers impitoyable, entre le trapèze et la chute, entre le tremplin et le plouf. Moitié spectacle de catch et moitié authenticité, le mélodrame où tous les coups qui font mal sont portés et toutes les ficelles de l’esbrouffe sont permises. Le mélodrame, tantôt mélo-pathos-pâteux et le drame humain d’être un homme. Une métaphysique entertaine-mentale qui se déroule dans le monde physique mais qui escamote l’après (méta) que l’on cache soigneusement dans les coulisses du désespoir ou de la superficialité. Toute la différence existentielle entre se mettre en scène et être mis en scène. La marionnette de Kleist ou le joueur d’échec de Maelzel d’Edgar Poe.

La règle est simple. Vous passez à la caisse et vous devez en avoir pour votre argent. Vous donnez du flouze, l’on vous rend du flou. Le pire c’est que vous êtes content. Tour de passe-passe. Sur un rythme effréné Baz Luhmann vous dévoile le décor et l’envers du décor. L’est le magicien qui vous démonte la boîte vide, l’assemble devant vous, la ferme, la transperce de quelques fleurets puis l’ouvre et vous découvre Elvis le corps traversé par des épées qui ne le tuent pas. Le Christ descend de sa croix tout sourire, pendant que vous applaudissez vous ne vous apercevez pas qu’il s’écroule dans son cercueil. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Le film se termine sur cette apothéose meurtrière. La catharsis aristotélicienne est respectée.

En France dans le même ordre d’idée, nous avons eu 1972 le Johnny Hallyday Circus. Johnny s’en est tiré vivant mais le cirque a fait flop. Cherchez l’erreur.

Damie Chad.

 

 

BIJOU  ( SVP )

PAVILLON DES SPORTS / PROVINS

( 01 / 07 / 2022 )

 

larry parnes,new york dolls,baby grande,quintron,machine rouge,joni mitchell,elvis presley,bijou ( svp ),patrick cannet

         Cornegidouille, la queue pour entrer dans un concert rock à Provins. Plus de sept cent cinquante entrées. L’on doit être dans un film de science-fiction. Nuançons. Ce doit être tous des fans de Jacques Rogy ( collection Spirale ) et de René son inénarrable chauffeur qui à longueur de pages répète qu’avant les grandes occasions il faut toujours se sustenter. Toutes les tables sont prises, dans les marabouts l’on s’active autour de la cuisson des saucisses, et à trois euros la mini-bouteille d’eau de source les commerçants ne font pas grise mine. Fait chaud et c’est la première sortie post-covid sans masque obligatoire à laquelle se risquent les provinois…

         Bref ça baffre, ça bouffe, ça discute, ça rigole à plein gosier. Manifestement ne sont pas là pour le coffre à Bijou… La preuve mathématique est vite faite. Lorsque le groupe s’installe, nous ne sommes que quatre devant la scène. A la fin du set par un peu prompt renfort nous finîmes à quinze. Scène de la vie de province aurait écrit Balzac…

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         Frank Ballier bat le beurre – pour reprendre une expression du Cat Zengler – c’est honnête mais peu généreux. Le grand escogriffe sur notre gauche, avec sa Gretsch c’est Pat Llaberia, se débrouille plus que bien, au tir à la corde et à la voix, assume un tiers des morceaux, enfin le seul membre originel du groupe Phillipe Dauga branche sa basse sur son Peavey. Ce dernier détail est de la plus haute importance.

         Grimacent et rient, du genre on a connu d’autres galères et l’on s’en est toujours sortis. Vont dérouler de vieux morceaux historiques, quelques nouveaux, quelques reprises, en français et en anglais. Peu de monde, parfait, ils vont jouer fort, très fort. C’est-là où le Peavey entre en scène. Dauga a le son. Va en abreuver la population, vous ne m’écoutez pas, vous m’entendrez, style Jeanne d’Arc sur le bûcher, vous ne m’avez pas crue vous m’aurez cuite, avec ses cheveux blancs, ses réflexions désabusées, et sa manière de valdinguer ses cordes, il sauve la situation. En fait l’on sent qu’il est heureux de jouer. Le concert est un véritable régal. Quand le rock frappe à la porte, pas besoin de l’ouvrir, il la défonce tout seul sans pitié. Rock, très rock. Lorsqu’ils arrêtent, les attablés surpris par le silence assourdissant, applaudissent tous ensemble. Voudraient-ils se faire pardonner…

         Sont suivis par La Légende ( du rock ). Sont une bonne dizaine sur scène. Les requins du coin. Enfilent les standards. Au millimètre près. Derrière eux sur grand écran une vidéo des groupes dont ils copient à l’identique le morceau, c’est-là que je m’aperçois que les Doobie Brothers possèdent des rangées de Peaveys encore plus nombreuses que ma collection de zéros en préparation latine, autrement la Légende assure. Mais comme dirait Mallarmé ce n’est pas l’Azur… je m’ennuie – pourtant cette fois ils sont bien cent cinquante autour de moi à applaudir métronomiquement à la fin de chaque titre – donc je m’ennuie, un peu, beaucoup, énormément, alors à la fin du sixième morceau je m’éclipse et rentre chez moi.

Damie Chad.

 

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La bande du Drugstore, celle de Zermati, vous connaissez ? Oui, mais l’autre, celle du second Drugstore ? Non ! N’ayez pas honte, moi non plus avant que je ne lise ce livre.

1976

LA BANDE DES ‘’TERREURS’’

DU ROND-POINT DES CHAMPS-ELYSEES

PATRICK CANNET

 

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Y a Champs-Elysées et Champs Elysées. Je ne parle pas des champs d’asphodèles souterrains de la Grèce antique, mais de notre prestigieuse avenue présidentielle, pas celle de la haute-bourgeoisie, celle des petites mains. De la valetaille qui travaille dans les entrailles et les sous-sols. Patrick Cannet n’est pas né avec une spoonfull dorée dans la bouche, deux sœurs – une grande et une petite ( elle compte pour du beurre ), un frère, le père est parti, la maman courageuse et débrouillarde est restée, elle accumule les petits boulots pour permettre à sa couvée de survivre.

Ne pleurez pas, Patrick Cannet n’échangera pas son enfance contre la vôtre, l’est heureux, l’a un immense terrain de jeux, les places, les parcs et les rues du triangle Monceau-Elysées- Tuilerie, et puis les copains, Samuel, Raphaël, Armando, Justin, Miagy, Chen… une belle bande de potes inséparables, ne portent pas le Perfecto, nous sommes en 1976, sont des mômes, des gamins, n'ont qu’un idéal : Saint-Etienne. Non pour sa Manufacture, pour son équipe de foot, passent leur temps à d’interminables parties, le foot toujours recommencé…

Le problème de l’enfance, c’est qu’elle a une fin, une faim d’absolu aussi, mais ceci est une autre histoire, le tout est de s’en sortir sans trop de mal. Petits services, petits billets, des expériences qui vous aident à vous frotter au monde des adultes, à prendre la mesure des choses et des gens… Reste aussi l’autre problème, celui d’entrer dans l’adolescence. L’autoroute, non le sentier, de dégagement c’est la musique. Les disques de la grande sœur, des rencontres qui vous font découvrir des sons étranges venus d’ailleurs et de partout, Peter Frampton, Chicago, Beatles, la grande sœur qui fréquente des bandes de rocker du côté de la Bastille…

C’est tout. Un coup de ciseaux pour terminer la première bobine du film, notre héros se fait renverser par une voiture… la vie suivra son cour, Patrick Cannet ne deviendra ni chanteur ni musicien de rock, sa vie emprunte un autre chemin, dont il ne dit rien. N’est pas un parleur. L’est du genre pudique. Ne dévoile rien. Suggère à mots couverts. Ne décrit pas, il évoque, rien de nouveau ou de révolutionnaire, le récit pas très long, d’une enfance, personnelle et similaire, unique et partagée, qui ressemble à tant d’autres…

Un excellent contre-point, une autre jeunesse, anonyme, ignorée, qui a existé aussi, même si les projecteurs ne se sont jamais braqués sur elle. L’envers de l’histoire contemporaine. L’autre côté de la clinquance des miroirs.

Damie Chad.

 

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