KR’TNT !
KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME
LIVRAISON 667
A ROCKLIT PRODUCTION
FB : KR’TNT KR’TNT
28 / 11 / 2024
REDD KROSS / GURRIERS / LINDA GAIL LEWIS
JAH WOBBLE / JOHN EDWARDS / ROME
ELVIS PRESLEY / SALUT LES COPAINS !
Sur ce site : livraisons 318 – 667
Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :
Wizards & True Stars
- A Kross the universe
(Part One)
Plutôt inespéré : Redd Kross à Paris ! T’en reviens pas. Pourquoi inespéré ? Parce que pas très connu et aussi parce que ce genre de groupe pas très connu n’intéresse pas grand monde. Le concert n’est d’ailleurs pas complet. Et pourtant, Redd Kross taille sa route depuis quarante ans, dans la plus parfaite exubérance, avec des albums bourrés de hits dont la plupart sont devenus cultes, tout au moins chez les happy few.
Les voilà enfin sur scène. Sur les quatre, t’as deux Melvins, Steven McDonald, basse, et Dale Crover, beurre, plus Jason Shapiro et Jeff McDonald aux grattes. C’est un set explosif, et c’est rien de le dire.
Ils te mettent vite sous tension avec ces bombes atomiques que sont «Stunt Queen» et «Emmanuelle Insane», ils naviguent entre exubérance et flamboyance, ils collectionnent les mamelles du destin : le son, la classe, les compos, la niaque, l’ultra-présence, ça joue et ça pulse, Steven McDonald saute un peu en ciseau avec sa basse, et derrière t’as cette faramineuse powerhouse de Dale Crover qui, après avoir allumé quasiment tous les albums des Melvins, veille aujourd’hui au dynamitage des Kross Kuts. Bim bam boom !
Te voilà pris dans la frénésie, elle court elle court ta banlieue, même si ce n’est plus tout à fait ta banlieue, te voilà embarqué et même charrié, au point où tu sens que tu ne maîtrises plus rien, oui, charrié comme un pauvre con de fétu par un torrent de Skydog, de Skyblog et de Skydown in the ground, t’es là et t’es déjà plus là, tu nages et ça ne sert à rien de nager dans le tumulte, c’est comme de parler dans le vide, alors laisse les bombes éclater une par une, «Annie’s Gone» tiré de Third Eye, ou encore «Huge Wonder» tiré de Phaseshifter, et pire encore, «Linda Blair 1984», tiré de Teen Babes Fom Monsanto. En fait, ils piochent dans tous ces albums tellement prisés des happy few, et ça ne rate pas : vers la fin, ils tapent le morceau titre de Neurotica, un fantastique album dont les happy few se firent à une époque les gorges chaudes. Alors forcément, sur scène, c’est Noël. Ils jouent tout ce qu’ils peuvent dans leurs tenues de scène blanches tachées de peinture. Ils font tourner leur manège jusqu’au vertige.
On sent bien le power des Californiens, ils en font toujours un peu plus que les autres, mais avec Redd Kross, c’est brillant. Extrêmement brillant. Et t’as l’heure qui passe comme un songe, il ne t’en restera rien de plus qu’un bon souvenir, tu croyais tenir un moment d’éternité, et lorsqu’un peu plus tard, tu remontes à pinces la rue de Tolbiac, tu sais qu’il t’a échappé. Pfffff ! Comme tout le reste. T’as vraiment l’impression très nette de t’enfoncer dans la nuit de la mort, même si t’as encore chaud aux oreilles et la mine réjouie.
Par précaution, t’avais écouté leur dernier album sans titre avant de venir les voir jouer. Tu voulais juste vérifier qu’ils étaient toujours aussi géniaux.
Double album rouge sans titre en hommage au White Album «that Jeff and Steven bought back in 1970 avec les sous gagnés sur les consignes de bouteilles de Coca, l’album propose 18 masterfully crafted punk, power pop and psychedelia-tinged bangers.» Voilà ce que Dan Epstein déclare dans Now You’re One Of Us, the Redd Kross book qui vient de paraître et dont on reparle la semaine prochaine. En effet, tu cries au loup dès «Stunt Queen». Envolée stupéfiante, non seulement t’as la grosse assise, mais t’as en plus la liberté totale de wah. Deux autres coups de Jarnac en B : «Terrible Band» et «Stuff» - Inbereable man/ In a terrible Band - C’est du power à toute épreuve. Power d’envers et contre tout. Niaque chevillée au corps. Belle ampleur catégorielle. Ils ont la même longueur d’onde que les Lemon Twigs. Killer solo flash & «Too munch is never/ Enough/ Stuff». Ils claquent l’heavy pop de tes rêves les plus humides. Ils n’ont de leçons à recevoir de personne. En C, ils claquent un «Way Too Happy» qui sonne comme un hit des Byrds, avec le power Redd Kross. On assiste aussi à une belle montée en neige troublée par un bassmatic en folie dans «Too Good To Be True». Avec «The Witches’ Stand», ils rendent hommage à Brian Jones et Jean Harlow. Et tout semble exploser en D avec «The Shaman’s Disappearing Robe» qui semble sonner comme un épouvantable hit. Le refrain et le bassmatic flamboyant t’embarquent le Shaman pour le firmament. S’ensuit un «Emmanuelle Insane» atrocement insidieux, remué ciel et terre par le beat de Kross et balayé par des vents mauvais. Et ils finissent cet édifiant double album en mode power pop de classe intercontinentale avec «Born Innocent».
Le premier album des frères McDonald s’appelle d’ailleurs Born Innocent et date de 1982, ce qui ne nous rajeunit pas. Au premier abord, cet album nous laissa perplexe. Il sonnait comme un album de jeunesse, avec sa collection de petites pop-songs punkoïdes. Avec «Everyday There’s Someone New», on avait du petit rock ingrat de petite ramasse illuminé par des éclairs de flash. Les frères McDo jouaient à trois avec Tracy Leaf, la petite brune qu’on voit au dos déconner avec un balai. On les situait assez mal, mais il n’empêche que leur son parlait à l’intellect. Même mal harnaché, ce son s’installait. Cet album ressemblait presque à l’étalage d’un marchand de bonbons : envie de goûter à tout. Le hit de l’album s’appelait «Look On At The Bottom», en B. Les frères McDo multipliaient les idées de son, à la manière de Robert Pollard, et n’en finissaient plus d’épater l’épatable. Franchement bon et joué à la bonne franquette, l’une des meilleures franquettes d’Amérique. Encore une bonne raison de s’extasier : «Cellulite City», joué au berk-punk, mais avec esprit. Il terminaient «Pretty Girl», avec un hommage à Dylan, non indiqué sur la pochette et qui renouait avec la fantastique énergie du Dylan de 65.
Avec Teen Babes From Mosanto, les frères McDo vont monter en puissance. Depuis les années 80, la réputation de cet album de reprises n’a cessé de grandir. Car quelles reprises ! Stooges, Bowie, Boyce & Hart et Shangri-Las, c’est un choix de kids américains. D’ailleurs, ils démarrent avec une reprise du «Deuce» de Kiss. Extraordinaire petite débauche d’énergie. Les deux frères savent donner le change. Comme tous les kids américains de leur âge, ils trempent dans la Stonesy et allument le vieux «Citadel». Là, ils tapent dans le sacré. La Stonesy leur va si bien. Ils respectent mêmes les longs breaks silencieux de la version originale. Par contre, leur reprises d’«Heaven Only Knows» (Shangri-las) et d’«Ann» (Stooges) retombent comme des bites molles. C’est en B que se planquent les deux coups de génie, à commencer par l’imparable «Saviour Machine» qu’ils tirent de The Man Who Sold The World. Avec le son de Ronson, ils sont à leur aise. Et le glam leur va comme un gant. C’est joué à la Ronno sévère du Width Of A Circle, psychoutté à outrance et bien enlevé, glammé dans la magnifique altération du décadentisme britannique. Et tout explose avec le brillantissime «Blow You A Kiss In The Wind» de Tommy Boyce et Bobby Hart, les deux mecs qui composaient principalement pour les Monkees. Fantastique shoot de power-pop, pur jus du Redd Kross à venir, ils rallument tous les lampions du bal. C’est là que se niche le génie des frères McDo. Steven : «Plus tard, des gens comme Buzz et Dale from the Melvins, et Mark Arm from Mudhoney nous ont dit que cet album really kind of helped to set in motion what would become the grunge explosion, because we included things like The Stooges and early KISS on the same page.»
Paru en 1987, Neurotica passe pour l’album le plus ambitieux des frères McDo. Dans leur book, ils révèlent qu’ils voulaient Sonny Bono comme producteur, mais il faisait de la politique. Puis ils ont opté pour Flo & Eddie, mais ça n’a pas marché non plus. Alors ils ont pensé que Tommy Ramone serait parfait. Mais Jeff et Steven sont déçus du résultat. Ils voulaient se situer «between The Partridge Family and Live At Leeds», mais ils se sont retrouvés avec un son années 80 qui ne leur correspondait pas. Jeff : «By the time you heard it on vinyl, it was several generations down from what you heard in the studio.» Et puis au moment où Redd Kross commence à tourner, leur label se casse la gueule. Pourtant l’album n’est pas si mauvais. On sent le souffle dès le morceau titre. Le souffle, c’est-à-dire une certaine énergie, une certaine allure, un sacré tempérament post-moderniste, une certaine façon de chanter à l’insidieuse, un certain style, une certaine façon de monter les chœurs en épingle et de doubler l’ensemble d’un tricotage de solo continu. On est hooké. Fucking big energy ! L’hit de l’A s’appelle «It’s The Little Things». Voilà la lumière, la pop tendue vers l’avenir, l’expression considérable, la power-pop d’exception. C’est du rêve pop à l’état le plus pur, on se croirait en Angleterre, la prod évoque à la fois Brian Wilson et Phil Spector, on a du mal à y croire tellement c’est bien foutu, big heavy bundle, ces mecs ont le diable au corps. Avec sa power pop inflammatoire, Redd Kross sonne comme le groupe pop américain idéal. Le hit de la B s’appelle «What They Say», petit garage vengeur stupéfiant de niaque, joué à l’envenimée, incapable de se calmer et côté solo, ça coule de partout. C’est un album d’une rare densité, «Play My Song» sonne comme une merveilleuse plâtrée de psyché californien mais très anglais dans la façon de plonger en piqué dans la piquette. La verdeur de leur pop outrepasse celle des Beatles. «Janus, Jeanie, And George Harrison» sonne comme le «Time’s Up» des Buzzcocks, mais avec le son de Blue Cheer. Ils passent même Blue Cheer à la moulinette et proposent en fin de cut un final éblouissant. Par la multiplicité des styles et la qualité des prestations, un parallèle s’impose entre Neurotica et le White Album. On sent cela clairement à l’écoute du fantastique «Peach Kelli Pop». C’est de la power-pop, mais on pourrait aussi parler de pâtés de son, mais des pâtés raffinés. Ils explosent dans l’azur immaculé à coups de yeah yeah yeah. Neurotica n’est rien d’autre qu’une collection de chansons autonomes et captivantes. Le «Beautiful Bye Bye» qui referme la marche renforce encore l’analogie avec le White Album, qui souvenez-vous s’achevait avec «Good Night Sleep Tight».
Avec Third Eye, ils débarquent sur Atlantic. À l’époque, Jeff est obsédé par le bugglegum de Kasenetz & Katz. Jeff : «Je disais aux gens que je voulais faire the bubblegum rock opera.» Third Eye est donc un hard bubblegum concept album. Il rencontre même Gus Dudgeon, mais il ne se sent pas au niveau de ce producteur légendaire. On pourrait presque parler d’album raté. Jeff : «‘The Faith Healer’ is a tribute to the Ohio Express and The 1910 Fruitgum Company - almost on an Oasis level - with a little nod to Brian Wilson thrown in.» Cette fois, la pop des frères McDo ne fonctionne pas aussi bien. Steven dit qu’ils ont le mauvais producteur - We were a garage rock band, like Crazy Horse, and we just needed to have a record that sounded as good as the first Crazy Horse album - Avec «I Don’t Know How To Be Your Friend», ils jouent la carte de l’extrême finesse et du coup ça frise le hit intermédiaire très tendancieux. Il faut attendre un «Shonen Knife» battu à la diable pour trouver un peu de viande - Take me down to the Abba road - et l’album s’éveille enfin avec «Bubblegum Factory». Ils renouent avec leur cœur de métier : la pop séculaire. Ils mettent leur pop en coupe réglée et sonnent comme les Beach Boys. Ils flirtent avec le glam pour «Zira» et quand on écoute «Where I Am Today», on croirait entendre House Of Love. C’est un son très indie-rock britannique monté sur un drumbeat inepte. Back to the très belle pop américaine avec «Love Is Not Love» en B, une pop colorée et sucrée, bien montée en épingle, très inspirée par les Beatles dans la façon de dire like me/ you’re not quite sa-a-aane. Ce pur jus de Beatlemania flirte avec la magie. «Elephant Flares» bénéficie aussi de toutes les qualités du son McDo : l’inflammatoire, le beat exacerbé, le chant qui n’attend rien de son prochain et le final exceptionnel. La grande force des frères McDo c’est de savoir finir en apoplexie suburbaine de wah. Sur la pochette, on voit Sophia Coppola nue et masquée. Et comme l’album ne se vend pas, Atlantic les jette.
Phashisfter pourrait bien être le meilleur album des frères McDo. Ils ont John Agnello comme producteur, le mec qui vient de produite le Were You Been de Dinosaur Jr et le Sweet Oblivion des Screaming Trees. Ils attaquent ça avec «Jimmy’s Fantasy», un slab d’heavy psych californien, un extraordinaire dévoiement collatéral. Jeff McDo joue à la Rundgren, aérien et wild, mélodique et suburbain, dans le maximum overdrive de l’ondoyance. Il bat puissamment des ailes et semble dominer le monde, il fait allégeance à la persistance et développe un extravagant power surge. «Jimmy’s Fantasy» saute comme une bombe. Pas de retour possible. C’est arrosé d’un napalm de wah et de tiguili. On reste dans l’exercice de la puissance avec «Lady In The Front Row», ils sont à la puissance dix, dans l’exponentiel sonique, en carrousel de solo d’avant-garde. Exagéré. Intraitable. Irréversible. Vous avez là le meilleur son d’Amérique. Pire encore : c’est digne des Beatles. «Huge Wonder» sonne comme un hit planétaire, pas de doute, c’est une power-pop très chatoyante, avec des guitares latentes qui rayonnent - It’s no wonder - On s’effare de l’incroyable qualité de la densité et ce démon de Jeff part en vrille suspensive. Il crée un véritable spectre psychédélique, un vrai dégouliné d’heavy Kross. On retrouve la tension qui fit la grandeur des Ten Years After et des autres géants de l’early London Scene. Avant de passer en B, on peut aussi se goinfrer de «Monolith», une pop parfaite digne de Brian Wilson, noyée de son, infestée de solos comprimés, et de ce monstrueux «Crazy World» tapé au heavy blues de blues rock, enrobé de miel, gluant de son et digne des dieux du fer travaillé. Le coup de génie se niche en B : c’est bien sûr «Pay For Love». Ils sonnent littéralement comme les Beatles. Il faut savoir le faire. Il faut savoir chanter au ton chaud et mélodique et injecter une bonne dose de so far-out dans l’excellence. On assiste à un extraordinaire balancement de pop intense et ouvragée à gogo, véritable travail d’orfèvre, joué au vibré de biseau mélodique, finement teinté de pianotis dignes de «Lady Madonna». C’est soloté à la rage de vivre. S’ensuit une autre giclée de power-pop intitulée «Saragon» et ça se termine avec une vraie débandade de heavy psych, «After School Special», un cut attaqué du ciboulot, grouillant de relances dignes des «Little Red Lights» de Todd Rundgren, drivé au beat ferroviaire des enfers, laminé à chaud. Too much monkey business. Les frères McDo nous ramènent au cœur du Wizard/True-starisme. «Only A Girl» sonne comme un hit psyché californien allumé au rumble de basse. Chez eux, tout est claqué à l’avenant de la meilleure claquemure. Tout est éminemment rock’n’roll sur cet album. Tout y est joué serré et vaillamment exécuté. Steven : «Musically, we were riffing on both The Stooges and Mudhoney.» Et plus loin, il ajoute : «It’s our equivalent of The Beatles doing ‘Helter Skelter’ as a reaction to The Who’s ‘I Can See For Miles’.» Et puis t’as ça, toujours ce démon de Steven : «I remember I sang it through a Twin Reverb with Shure SM57, because that was what Iggy supposedly did on the early Stooges records to get just the right amount of hair on the vocals.»
On trouve de beaux restes sur Show World paru en 1996, à commencer par «Teen Competition», gros brouet de power-pop visité par un fort vent de wah et un killer solo vient s’étrangler en plein centre du cut. Ah comme ils sont bons ! Deux énormités se planquent en B : «Follow The Leader» et «Vanity Mirror». Jeff amène leader à la violente titube de riff. C’est quasi-keefien dans l’esprit, mais la Beatlemania reprend vite le dessus, avec un son d’une exemplaire wilderness. Jeff joue ça aux petits accords intermédiaires de gimmickage bien gras. S’ensuit Vanity avec son beat Krossé et la progression conduit tout naturellement le cut au firmament d’I can’t hide. Avec «Stoned», ils continuent de caresser leur muse beatlemaniaque, et «You Lied Again» sonne comme un shoot d’heavy pop Krossée du meilleur effet. Ils travaillent l’axe Walrus/cocote de pop, et chantent à la meilleure audace de pop de haut vol - High in the wind/ Fresh as a wild ride - Retour à la Beatlemania avec «Mess Around». Les frères McDo sont probablement ce qui se rapproche le plus des Beatles sur cette terre. Leur pop brille d’un éclat si pur sous le soleil exactement. On retourne dans l’enfer du paradis avec «Get Out Of Myself». Ils jouent ça au va-tout sous une brise d’harmonies dignes de Lennon & McCartney. Et «Kiss The Goat» monte tout droit du paradis. Voilà encore un album d’une sublimité sans commune mesure.
Avec Researching The Blues, ils s’enfoncent encore un peu plus dans la Beatlemania. «Winter Blues» et «Hazel Eyes» pourraient très bien se trouver sur Revolver. On repère tout de suite l’attaque beatlemaniaque d’envergure de «Winter Blues» - Solar regular daze/ Won’t go away - Franchement, on se croirait sur Revolver. L’impression persiste avec «Hazel Eyes» en fin de B, qui s’inscrit dans la veine magique des Beatles de l’âge d’or. Belle clameur de Kross, avec les départs en fanfare du bassmatic de Steven. Les frères McDo ont une facilité à renouer avec Revolver et Rubber Soul, ces albums du temps béni des voix d’écho perlé et des guitares enchanteresses. N’oublions pas le coup de génie qui se trouve en A : «Meet Frankenstein». Une vraie surprise party ! Ils attaquent ça à la baby you can drive my car, au fondu de voix dans l’âcre accord de pop anglaise - Remodel the star/ The one you know you are/ Not what you used to be - C’est spectaculairement bon - It’s not the end/ Hey Frankenstein/ Don’t Lose your head - Encore un hit destructeur avec «Stay Away From Downtown», ils ont raison de prévenir. Ils enfilent les yeah yeah à la hussarde, leurs shalala sont des modèles absolus. Autre merveille : «The Nu Temptations». Plus rien à voir avec le commun des mortels, ils jouent jusqu’à la fin des haricots. Tout est encore une fois monté en épingle, claqué derrière les oreilles, farci de départs en vrille et couronné de finaux éblouissants. Voilà pourquoi il faut suivre les frères McDo à la trace.
Paru en 2017, Hot Issue Vol. 1 propose des turn of the century recordings, new digs & old finds. Dans le tas, on trouve des choses intéressantes, comme par exemple cette reprise courageuse du «Puss N Boots» des Dolls, même si c’est chanté au petit McDo. Il n’a pas la hargne de Johansen, mais seulement de l’énergie plein les pattes. Les frères McDo sonnent comme les Enfants Terribles de Cocteau. Le coup de génie de l’album s’appelle «Switchblade Sister». Voilà encore un fantastique hit de pop qui explose comme un bourgeon de congestion abdominale. Pur régal aussi que cette reprise du «Motorboat» de Kim Fowley. C’est aussi glammy qu’un hit d’époque. Ils renouent avec leur fascination pour les Beatles dans «Insatiable Kind». Avec «Take It Home», Jeff sonne exactement comme John Lennon. On peut dire la même chose de «That Girl» : encore un cut qu’on dirait tiré de Rubber Soul. Par contre, «It’s A Scream» va plus sur le baroque de Sergent Pepper, avec sa structure tarabiscotée et ses arrangements trop richement ouvragés. Ils terminent cet album ultra-attachant avec un «Born To Love You» pianoté à la Lennon. Jeff a du talent, mais pas n’importe quel talent : un talent fou. Il travaille son cut à la Lennon, c’est-à-dire qu’il monte doucement le niveau mélodique vers des cimes inexplorées.
Tiens voilà le Volume 2 : Oh Canada. Hot Issue Vol. 2. Show World Tour Live. Et quel volume ! Redd Kross sur scène à Vancouver, ça vaut tout l’Or du Rhin. Ils envoient un huge shoot de power pop dès «Lady In The Front Row». Ils développent une puissance échevelée, ramonée par la basse de Steven McDonald. Son frère Jeff chante sa power pop à pleine voix. Ils sont tendus et beaux, radieux comme des radis sur des radeaux. À ce petit jeu, ils sont imbattables. On pense à Teenage Fanclub, bien sûr, mais les Krossards ont quelque chose d’américain en plus. Pas de doute, Roudoudou. Toute l’A navigue à ce niveau d’excellence. Ils enchaînent avec un «Switchblade Sister» incomparable, puis avec un «Stoned» élégant et déterminé. On assiste une fois de plus à un fantastique déploiement de force. Les frères McDonald donnent du jus à la force du poignet et alignent blast de pop sur blast de pop. On sent poindre la Beatlemania dans «Jimmy’s Fantasy». Ces fantastiques brothers bousculent bien les lignes, ils enfoncent bien leurs clous, rien ne saurait résister à l’ampleur de leur clameur. Puis avec «Mess Around», ils sonnent comme les Fannies. Si on observe les visages des frères McDonald, on ne tarde pas à réaliser qu’ils ressemblent étrangement à Ray et Dave Davies. Ils terminent l’A avec «Annie’s Gone», une nouvelle explosion de power pop au no no no. Jeff descend en beauté sur les baisses de régime en cocotte. C’est pour mieux rejaillir dans son puits de lumière. Par contre, la B convainc moins le con vaincu. Il s’agit d’une suite intitulée Silver Odessey tourne au délire prog. Mais qui s’en plaindra ? L’amateur de big seventies sound y trouvera son compte. C’est très proggy, mais avec une certaine vélocité et la quintessence d’une vraie férocité.
Un nouvel album paraît en 2019 : Beyond The Door. Alors attention aux yeux ! Le jeu favori des frères McDonald, c’est d’exploser le rock et la pop comme on explose un crapaud en lui fourrant un gros pétard dans la gueule. Avec «Fighting», ils se livrent à une cavalcade insensée - I play guitar and I’m aiming straight at you - He means it, l’animal, et le gros bassmatic anaconda vient engloutir «Fighting» vivant. Voilà un cut comme en voit plus, gorgé de killer attacks et d’infects remugles de bassmatic. Et tout l’album va reposer sur ce principe d’explosivité permanente. Tiens, comme par exemple le morceau titre, qu’ils roulent dans leur farine ou encore «There’s No One Like You» qu’ils tapent en mode heavy balladif, avec le bassmatic de Steven au-devant du mix. Tous les cuts sont architecturés sur la virtuosité de Steven McDonald. Son bassmatic incroyablement volatile hante «Ice Cream (Strange & Pleasing)» et «Fantastico Roberto» vaut pour un numéro de blast off qui redore le blason de la power-pop. D’autres merveilles guettent le voyageur imprudent en B, comme par exemple «The Party Underground» - Come on down ! To the Party underground ! - Alors oui, everybody, c’est quasiment un stomp de glam avec all the young dudes et new K-pop Voltaire. Puis ils s’en vont exulter avec «What’s A Boy To Do». La power pop monte jusqu’au plafond comme une chantilly devenue folle, celle de Fantasia, et le bassmatic continue de virevolter tout autour. Oui leur truc, c’est exactement Fantasia. À un moment donné, ça leur échappe et le son devient incontrôlablement jubilatoire. Ils restent dans la haute pression avec «Jone Hoople», encore un cut chargé comme une mule et harcelé par le plus exubérant des bassmatics. Alors, ça vitupère et il n’y a rien que tu puisses faire pour empêcher ça.
Bizarrement, Vive Le Rock est le seul canard qui pense à saluer Redd Kross. Quatre pages, oh c’est pas grand chose pour un groupe qui a quarante d’existence et une dizaine d’albums devenus cultes pour les happy few. Bruce Turnbill parle d’albums qui capturaient «the zeitgeist of Generation X in a way that grunge never seemed to.» Ah cette manie qu’ont les gens de vouloir rattacher Redd Kross au grunge, alors que ça n’a rien à voir. Puis Turnbill passe les albums en revue, qualifiant Born Innocent de «pure hardcore», et compare leur dernier album au Double Nickel On The Dime des Minutemen. Les frères McDonald évoquent leurs amours de jeunesse, les Beatles, les Ramones et puis Black Flag - avant qu’ils ne deviennent populaires - Ils évoquent aussi bien sûr les Germs et les Bags. Avec le recul, ils voient Born Innocent comme du «good trashy fun». Quand ils se voient qualifier de groupe power-pop, ils opinent du chef, à condition que ce soit une définition «of jangly guitars and so forth, I guess we do fit into.»
Signé : Cazengler, Red Krasse
Redd Kross. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 17 octobre 2024
Redd Kross. Born Innocent. Smoke Seven Records 1982
Redd Kross. Teen Babes From Mosanto. Gasatanka Records 1984
Redd Kross. Neurotica. Big Time 1987
Redd Kross. Third Eye. Atlantic 1990
Redd Kross. Phashisfter. Mercury 1993
Redd Kross. Show World. Mercury 1996
Redd Kross. Researching The Blues. Merge Records 2012
Redd Kross. Hot Issue Vol. 1. Bang Records 2017
Redd Kross. Oh Canada. Hot Issue Vol. 2. Show World Tour Live. Redd Kross Fashion Records 2016
Redd Kross. Beyond The Door. Merge Records 2019
Redd Kross. Redd Kross. In The Red Recordings 2024
Bruce Turnbill : California dreaming. Vive Le Rock # 114 – 2024
L’avenir du rock
- L’attaque des Gurriers
Ce pauvre hère d’avenir du rock erre dans le désert depuis si longtemps qu’il ne sait plus pourquoi il erre. Quand on en arrive à ce point-là, on ne se pose plus de questions. On erre. L’avenir du rock ne se plaint pas. Errer, ça occupe bien les journées. T’erres du matin au soir, t’erres sans fin, t’erres du Nord au Sud, bref t’erres à gogo. Mine de rien, ça peut te surbooker d’errer. Et puis t’as la petite cerise sur le gâtö : les rencontres. Là tu frises le burn-out. C’est d’autant plus vrai pour l’avenir du rock, car il est déjà couvert de cloques. 50° à l’ombre, ça ne pardonne pas, surtout quand il n’y a pas d’ombre. Il voit arriver un mec chancelant dans l’air flottant. Le mec avance péniblement en traînant la patte. «L’a pas l’air en bonne santé», se dit l’avenir du rock. En effet le mec a l’air très abîmé. Il a reçu une sagaie qui est restée plantée et qui lui traverse les deux joues. L’avenir du rock s’apitoie :
— Oh ben dites donc, ça doit vous vachement mal... Voulez-vous que je vous aide à l’enlever ?
— ‘On ‘on !
— Quoi ? Oui oui ou non non ? Faudrait savoir !
Il fait non de la tête. L’avenir du rock le trouve malpoli et le prend en grippe.
— Et puis d’abord vous pourriez vous présenter ! Comment vous appelez-vous ?
— ‘chard rrrrrcis urrrton...
— Quoi ? Vous pourriez pas articuler un peu ? Vous me faites perdre mon temps. J’ai pas que ça à faire !
— ‘Nnnnniiii !
— Quoi Niiiiiiii ?
— ‘fhoourches duuuu Nnnnnni !
— Ah les sources du Nil ? Ah c’est vous Richard Burton ?
Burton opine du chef et essaye de sourire, mais c’est pas facile. Il montre la sagaie et tente de dire :
— ‘Guuua-guaarriers aaaaa... anaakiiiii !
— Pffff... Vous me faîtes marrer avec vos guerriers Danakils. Petit joueur ! Connaissez pas les Gurriers ?
On t’annonce un concert «post-punk/shoegaze». Tu rigoles à l’avance. Tu rigoles pour deux raisons, toujours les mêmes : un, à cause de l’étiquetage à la française, un art en soi, et deux, le post-punk qui n’a de sens que dans les pattes de Mark E. Smith, mais le reste du soi-disant post-punk, c’est compliqué. Compliqué au sens de la constipation. Bon bref. Voilà les Gurriers irlandais.
Post-punk ? Tu rigoles ? Dévastateur ! Voilà des kids irlandais qui refoutent le souk dans la médina, exactement comme l’ont fait les Undertones 50 ans auparavant. T’as toute cette énergie des kids lancés à la conquête du monde, et là, t’en prends plein la gueule ! Bim bam boom, en deux cuts, c’est dans la poche, parce que t’a un petit mec nommé Dan Hoff qui ne paye pas de mine mais qui s’accroche à son micro comme le roi des punks irlandais, et il a même des échos de Johnny Rotten dans le chant, c’est le même power, t’en reviens pas de voir un mec aussi puissant et aussi juste, il est en plein dans le mille, et il saute partout. Superstar !
En fait ils sont deux à sonner les cloches de la Normandie, Dan Hoff et son poto bassman en chemise rouge, un kid qui s’appelle Charlie McCarthy et qui passe son temps à lever l’enfer sur la terre à coups de bassmatic percutant, et quand ils explosent tous les deux, t’as tout ce que tu peux espérer de mieux sur une scène de rock. C’est wham bam thank you Dublin, ils complotent tous les deux de vastes mouvements tournants et perdent juste ce qu’il faut de contrôle pour amener sur cette terre la folie salvatrice sans laquelle le rock ne serait pas le rock.
Ils le font à leur manière, de manière très ingénue, de manière extraordinairement pure et spontanée, ils sont là pour te rocker le boat et ils te le rockent au point que dans un moment de panique tu cherches dans tes souvenirs si t’as déjà vécu ça, cette gestuelle de l’explosivité concertée. Il faut remonter loin, oui, avec les Damned à Londres, début 1977, et puis bien sûr Idles au temps de leurs premiers concerts. T’as des gens qui savent exploser et les Gurriers sont des cracks du genre.
Et t’as ce mec Hoff qui chante comme un dieu. Il a tous les plans qu’il faut, il te gave de rock comme une oie. Ils sont tellement bons qu’ils échappent aux genres et aux étiquettes franchouillardes. Là t’as le real deal, cinq kids irlandais on fire, avec des vraies compos, une vraie attitude et du jeu de scène, c’est-à-dire tout !
T’en finis plus de te dire que le rock n’a jamais été aussi vivant, aussi bien joué, aussi bien compris, aussi digne de toute ton admiration. T’en reviens tellement pas que ça te réconcilie brutalement avec la vie. T’es presque content d’avoir survécu assez de temps pour pouvoir assister à ce festin de rock irlandais.
L’album ? Oui ! Mille fois oui ! Ça grouille de puces, à un point qu’on n’imagine pas, mais à condition d’aimer les grandes voix, les grosses compos, et le real deal. Pas compliqué : «Nausea» t’explose en pleine gueule, ils te rentrent littéralement dedans, ils ont ce type de punch et ce mec Dan Hoff allume tout, he’s on fire, dirait un Anglais, t’as toute cette énergie in the face, comme avec Protomartyr. Tu vois ensuite «Des Goblin» monter comme la marée du diable. Avec cet album, t’as l’Irlande rock, la vraie. Ils font du Fall irlandais avec «Dipping Out», l’Hoff y va à la harangue, sauf qu’ils attaquent comme des sauvages, avec l’Hoff plein comme un œuf. Punch phénoménal. L’Hoff est une force de la nature. Un trésor caché. Un puissant seigneur. Et ça repart en mode tatapoum avec «Close Call», ils ont le beurre qu’il faut et ça explose en plein vol. Mais c’est plus concis sur scène. Tout est poussé au maximum des possibilités, ils vont au-delà d’eux-mêmes. Dan Hoff superstar ! Dynamite encore avec «No More Photos», mais c’est tellement balayé par des vents mauvais que ça bascule dans l’insanité. L’Hoff plane dans son cut comme un vampire. Il emmène son «Top Of The Bill» par-delà les montagnes. C’est soutenu aux arpèges irlandais et ça se répand sur toute la planète. l’Hoff chante à pleine gueule. Il règne sur la terre comme au ciel. On ne peut parler que de prestance. Il pose bien son discours sur la thématique Gurrière, il enfonce ses clous partout. Peu de gens sont capables de pousser le bouchon aussi loin que lui. Il est tellement puissant qu’on le soupçonne d’avoir du sang apache dans ses veines de Gurrier. «Sign Of The Times» vire hypno d’entrée de jeu. Bassmatic de combat. On revoit le petit mec en chemise rouge. Ça vaut pour du post-punk explosif. Encore une attaque qui marquera l’histoire du rock : celle d’«Approcheable» - I’m approcheable - C’est très Fall, avec de la cocote sourde. Et cette belle aventure Gurrière se termine avec le morceau titre qui part en vol plané. Quel album lourd de sens ! Les Gurriers ont le goût des volumes et des Big Atmospherix. T’en prend plein la barbe jusqu’à la fin.
Signé : Cazengler, Gourré
Gurriers. Le 106. Rouen (76). 31 octobre 2024
Gurriers. Come And See. No Filter 2004
Talking ‘Bout my Generation
- Part Twelve
Et boom, t’as Linda Gail Lewis en couverture de Rockabilly Generation. La moindre des politesses est de ressortir de l’étagère les cinq albums Smah sur lesquels Linda Gail duette avec son frangin Jerr. En fait, c’est pas elle que t’écoutes, c’est Jerr.
Country Songs For City Folks grouille de merveilles, à commencer par un «Seasons Of My Heart» absolument heartbreaking, avec le tic-tac de charley au-devant du mix. Jerr duette ventre à terre avec Linda Gail dans «North To Alaska» et passe «Wolverton Mountain» en mode up-tempo. Jerr fait son job, il rocke sa country et apprend à swinguer à la pompe de Nashville. «King Of The Road» est l’un de ces vieux classiques du swing américain repris en France par Hugues Aufray. Jerr fait un véritable carnage dans ce «Funny How Times Slips Away» fantastiquement doublé à la guitare, ce qui est idéal pour un crack comme lui. On se régale aussi de «Crazy Arms», géré au swagger de Jerr et qu’il chante du haut de sa grandeur. C’est aussi sur cet album qu’on trouve ses hits les plus passe-partout, «Green Green Grass Of Home», «Ring Of Fire» et «Detroit City» qui manquent tous les trois cruellement de son. On imagine ces cuts dans les pattes d’un mec comme Andy Paley ! Ah ce serait autre chose !
Avec Another Place Another Time, Jerr passe à la country pure. Mais il chante superbement bien son «Walking The Floor Over You». Pas étonnant de la part d’un cat comme Jerr. Il faut dire qu’avec cet album, il met le paquet sur la country plaintive. Il duette avec Linda Gail sur «We Live In Two Different Worlds» et c’est pas terrible, car la pauvre Linda Gail en rajoute un peu trop. On ne peut pas dire qu’elle frise le ridicule, car ça ne plairait pas à son frère. Heureusement, Jerr fait un festival sur «What’s Made Milwaukee Famous». Il monte sa chantilly avec une virtuosité toujours plus effarante.
Même quand on n’est pas fan de country, on se fait avoir avec les deux volumes de The Country Music Hall Of Fame Hits parus en 1969. Ne serait-ce que pour les deux reprises d’Hank Williams, «I’m So Lonesome I Could Cry» et «Jambalaya», figurant sur le Volume 1. Lonesome est sans doute le mélopif country le plus célèbre, et Jerr lui donne une fabuleuse présence émotive. Avec «Jambalaya», soudain tout s’éclaire. Jerr chante son cajun accompagné au violon. Il démarre son Volume 1 avec un gros coup de bonanza de country bona fide intitulé «I Wonder Where You Are Tonight». Ah ce Jerr, il est terrible, il nous en fait voir de toutes les couleurs ! S’ensuit un épouvantable mélopif chargé de tout le pathos nashvillais : «Four Walls». Bon, c’est vrai, Jerr chante pas mal de bluettes country à la con, mais il les chante vraiment bien. En B, il croone sa country de «Born To Lose» au clair de la lune en l’enjolive en gonflant ses syllabes comme des crapauds. Forcément, comme 69 est une année érotique, Jerr n’enregistre que du mélopif country bien gluant. Avec «Oh Lonesome Me», il se tape une belle tranche de mid-tempo sweep-along. Puis Linda Gail le rejoint pour «Jackson» et là ils font un carton, carton qu’on retrouve d’ailleurs sur l’album de duos avec Linda Gail, Together, paru la même année. Linda Gail gueule comme il faut, avec un brin d’hystérie.
On les retrouve tous les deux sur le Volume 2 avec «Sweet Thang» : nouveau carton que Smash va aussi recycler sur Together. Jerr et Linda Gail sortent de la country et ça devient intéressant, même si elle devient un peu trop hystérique. Jerr attaque son Volume 2 avec «I Can’t Stop Loving You» et il hausse un peu le ton, il shake son vieux romp à la magistrale de la martingale. Mais en même temps, on s’inquiète car on voit bien à l’écoute d’un cut comme «Fraulein» que Jerry Kennedy a réussi à limer les crocs du Killer. Il se peut que Jerr ait subi les impératifs de la pression commerciale : c’est la country qui se vend le mieux aux États-Unis en 1969. Bon et puis Jerr s’est toujours réclamé de la tradition de l’old time religion, alors banco pour la country. C’est avec «Burning Memories» que Jerr regrimpe au sommet de son art. Il faut le voir honorer cette vieille bluette déchirante.
En fait, tu récupères Together uniquement pour la pochette. Comme t’es dingue de Jerr, à l’époque, tu te régales de le voir avec sa frangine sur le pont rococo. Ce sont eux les plus belles superstars de tous les temps, avec Elvis et Vince Taylor. Ils démarrent en trombe avec «Milwaukee Here I Come». Ils foncent au même trot. Diable, comme ils sont drôles. Avec «Don’t Take It Out On Me», ils se veulent plus poppy. On sent qu’ils s’entendent bien tous les deux. D’ailleurs ça se voit sur la pochette. Sur certains cuts, ils sont imparables. On retrouve à la suite «Jackson» et «Sweet Thang»» et ils bouclent leur balda avec «Secret Places». Aïe aïe aïe ! Dès qu’elle attaque c’est foutu. Elle roucoule comme une vieille dinde alors que Jerr chante au calme serein. Par contre, elle devient intéressante au contre-chant. C’est elle qui attaque la B avec «Don’t Let Me Cross Over». Elle gueule comme un putois. Heureusement que Jerr arrive. Ouf ! Ils partent tous les deux au petit trot sur «Gotta Travel On», mais elle redevient vite insupportable dès qu’elle se met à gueuler. Ils terminent avec une belle version de «Roll Over Beethoven». C’est encore elle qui attaque, mais Jerr veille à rétablir sa suprématie.
La dernière fois qu’on a pu voir Jerr sur scène, ce fut au Zénith du Parc de la Villette, pris en sandwich entre Linda Gail et un Chucky Chuckah coiffé d’une casquette de yatchman.
Dans Rockabilly Generation, Linda Gail rappelle qu’elle a grandi dans un milieu très pauvre et que tout a changé quand Jerr est devenu riche : nouvelle baraque, nouvelle bagnole, allez hop mille dollars par ci, mille dollars par-là, et t’as Jerr qui roulait en Cadilllac décapotée, le cigare un bec. Elle revient sur l’histoire des mariages ados qui est, dans le Sud, d’une banalité sans nom, mais qui ne passe pas en Europe. Linda Gail s’est mariée à 14 ans. Vite divorcée. Gamine divorcée, plus d’avenir ? Grrrrrr, Jerr lui apprend à jouer du piano.
Dans Vive Le Rock, Garth Cartwright claque trois pages sur Linda Gail. Pareil, la petite interview, le «j’ai grandi dans my big brother’s shadow», un big brother qui était une légende, comme on sait. Cartwright est ravi d’interviewer Linda Gail qu’il trouve «warm, funny, thoughtful et débordante d’histoires extraordinaires.» Cartwright est fan d’elle car il connaît le fameux album de duos avec Jerr, Together, et il a surtout flashé sur son dernier album, l’excellent Rockabilly Queen - Linda Gail is the real deal, s’exclame-t-il, l’écume aux lèvres.
Dans le micro de Cartwright, Linda Gail se dit folle de son Rockabilly Queen - An awsome producer, great players, and the best record company in the world - Cleopatra, pour ne pas la nommer. 77 balais pour Linda Gail, mais in the spotlight après une vie dans l’ombre de Jerr. Elle tourne partout, USA & Europe, choo choo-promo. Alors c’est qui l’awsome producer ? Danny B. Harvey en personne, le rockabilly guitar icon qui jouait avec Slim Jim Phantom dans The Head Cat, avec Lemmy. Rockabilly Queen est un album assez somptueux, il démarre en trombe sur une puissante cover du «Funnel Of Love» de Wanda Jackson. L’Harvey colle bien au papier du thème et Linda Gail sort son meilleur sucre candy. Puis ça vitupère avec le «Baby Please Don’t Go» des Them. T’as l’ex-Tiger Army et Head Cat Djordje Stijepovic au bassmatic hypno, c’est du power pur, avec le sucre de Linda Gail en plus, un vrai sucre niaqué. Une vraie bombe atomique ! Elle n’est pas la frangine de Jerr pour des prunes. T’as en plus les imperceptibles syncopes de slap et les 3/4 en ciseaux de Slim Jim. Ils repartent plus loin au débotté avec «Train Kept A Rollin’». Ces gens-là savent gratter un beat de train sous le boisseau de Johnny Burnette. Et l’Harvey part en maraude dans le lagon du paradis. «Flipsville» est plus rockab, avec une Linda Gail qui explose son petit sucre. Puis le niveau va hélas baisser doucement. Ils tapent une petite cover de l’«Eeny-Meeny-Miney-Moe» de Bob & Lucille, et avec «Seven Long Years», Linda Gail tape une heavy country de laisse tomber baby. Et ça devient trop classique. On perd la bombe atomique.
Cartwight demande d’ailleurs à Linda Gail si elle a rencontré Lemmy - Sadly not, répond-elle, but I did speak to him on the phone - et elle ajoute que sa fille a chanté avec lui. Ça fait du bien de voir Lemmy débouler chez les vieux crabes. Et pour éclaircir toute cette histoire, Linda Gail révèle que sa fille a épousé Danny B. Harvey - Which keep things a family affair - Non seulement Danny «is the most fabulous guitarist and produucer and he’s also a brillant son-in-law.» Voilà pourquoi elle se retrouve avec les mecs de The Head Cat en studio.
C’est la même équipe, Linda Gail/Danny B. Harvey/Slim Jim Phantom qui est allée l’an passé à Memphis enregistrer chez Sun A Tribute To Jerry Lee Lewis - We recorded both albums in two days - we don’t mess about!. Pas évident tout de même de taper dans l’intapable, même quand on est la frangine du rois des intapables. Elle commence avec «Whole Lotta Shakin’ Going On». C’est bien mais ça manque cruellement de Jerr. Surtout celui-là ! On dira la même chose de «Rockin’ My Life Away», on s’attend à voir arriver Jerr au deuxième couplet, mais il est six pieds sous terre, donc c’est compliqué. Pire encore avec «High School Confidential». Jerr attaque ça au guttural, alors Linda Gail fait ce qu’elle peut pour retrouver l’esprit du guttural en feu, mais bon, le compte n’y est pas. Mais pour pianoter, elle pianote, sur «I’m On Fire», elle y va au rentre-dedans. Par contre, elle se montre déchirante sur «You Win Again», et même criante de véracité country. Fantastique petite frangine ! Elle compense au mieux. Son «Great Balls Of Fire» manque de Jerr, même si elle allume. Et sur «Crazy Arms», elle y va au vieux yodell de la Louisiane. Par contre, elle est complètement dingue de s’attaquer au «Lewis Boogie». Elle s’en tire pas trop mal - I do my boogie Woogie/ Eve/ Ry/ Day ! - Elle est fantastique d’allure et d’aisance. Puis elle duette sur quelques cuts avec le cousin Mickey Gilley, ils font un beau «Stand By Me» bien country, et c’est elle qui attaque l’excellent «Playboy». Ils sortent tous les deux un son extrêmement américain. Finalement on sort ravi de cet album, car c’est un bel hommage à Jerr.
Linda Gail rappelle ses souvenirs de jeunesse quand Jerr est devenu célèbre : «Quand un nouveau disque de Jerry Lee sortait, momma le mettait sur le tourne-disques et le passait over and over again.» Puis arrive la catastrophe de 1958, quand un fucking journaliste anglais demande à Jerr quel âge a sa femme Myra. Il dit qu’elle a 15 ans, alors qu’en réalité elle en a 13 - and a first cousin - Fin de la tournée anglaise et fin des haricots aux États-Unis. Mais, dit Linda Gail, Jerr ne se plaignait pas. C’est là qu’elle rappelle qu’elle aussi s’est mariée à 14 ans, et sa sister Frankie à 12 ans - So we didn’t see anything wrong with it - Mais ce qui est important, dit-elle, c’est que Jerr et Myra s’aimaient. Myra et Jerr ont adoré se marier pendant toute leur vie : chacun d’eux va se marier 7 fois. De son côté, Linda Gail ajoute qu’elle a fini par trouver le bon : Eddie Braddock, son mari depuis trente ans - So I finally got it right - Linda Gail rappelle aussi qu’elle a débuté sa carrière d’artiste en faisant des backing vocals pour Jerr.
Elle parle encore à Cartwright de l’album qu’elle a enregistré avec Van Morrison, You Win Again, où ils duettent sur Hank Williams et John Lee Hooker, mais leur relation va mal tourner et Van the Man va prendre Linda Gail en grippe. En retour, elle qualifie Van de «strange, difficult man, I don’t why he had to be so mean.» Pas facile, la vie. Par contre l’album est étonnamment bon. Van the Man fait quasiment tout le boulot. En fait, il ne laisse pas beaucoup de place à Linda Gail. Démarrage sur des chapeaux de roues avec l’excellent «Let’s Talk About Us» d’Otis Blackwell. Linda Gail colle bien au train, enfin tant qu’elle peut. C’est elle qui pianote, dans la plus pure tradition de Jerr. Mais c’est Van the Man qui pilote le bolide. Ils font une cover géniale du «Jambalaya» d’Hank Williams, avec un Van the Man en son of a gun. Ça swingue down the bayou. Ils remettent le feu aux poudres avec le fast boogie d’«Old Black Joe». Van the Man te chauffe ça à blanc et Linda Gail s’accroche comme elle peut à ce train d’enfer. Encore un joli shoot de rock avec «No Way Pedro». Van the Man domine tout le stuff. Il bouche encore la vue dans le «Why Don’t You Love Me» d’Hank Williams, puis il dévore tout cru le «Cadillac» de Bo Diddley - I don’t want no Cadillac - et il y va au oh-oh-Cadillac ! Ça se termine en apothéose avec une cover demented du «Boogie Chillen» d’Hooky. Van the Man l’explose. À ce stade des opérations, on ne cherche même plus à savoir où est passée Linda Gail.
Signé : Cazengler, Rockaboulet Dégradation
Jerry Lee Lewis. Country Songs For City Folks. Smash Records 1965
Jerry Lee Lewis. Another Place Another Time. Smash Records 1968
Jerry Lee Lewis. Sings The Country Music Hall Of Fame Hits Vol. 1. Smash Records 1969
Jerry Lee Lewis. Sings The Country Music Hall Of Fame Hits Vol. 2. Smash Records 1969
Jerry Lee Lewis & Linda Gail Lewis. Together. Smash Records 1969
Van Morrison & Linda Gail Lewis. You Win Again. Virgin 2000
Linda Gail Lewis. A Tribute To Jerry Lee Lewis. Cleopatra 2023
Linda Gail Lewis. Rockabilly Queen. Cleopatra 2024
Rockabilly Generation # 31 - Octobre Novembre Décembre 2024
Garth Cartwright : Working girl. Vive Le Rock # 116 – 2024
Wobble is able
En 2009, Jah Wobble publiait Memoirs Of A Geezer. On avait hésité à mettre le grappin dessus. Pourquoi ? Parce que la messe était dite dans le book de Phil Strongman, Metal Box - Stories From John Lydon’s Public Image Limited. On ne voyait pas bien l’intérêt de relire la même histoire, d’autant que le rôle de Jah Wobble se limitait aux deux premiers albums, First Issue et Metal Box. Et puis, il y a tout ce que raconte Nick Kent à propos de son agression par le duo Sid Vicious/Jah Wobble au 100 Club, en 1976, c’est pas terrible. Entre Apathy For The Devil et Memoirs Of A Geezer, ton cœur ne balance pas.
Et voilà que Memoirs Of A Geezer reparaît, sous un titre rallongé (Dark Luminosity - Memoirs Of A Geezer) et une nouvelle couve. La curiosité restant le gros défaut que l’on sait, on a donc rapatrié le Geezer vite fait, d’autant qu’on venait tout juste de craquer pour une box chaudement recommandée, Redux - Anthology 1978-2015.
Wobble c’est encore plus compliqué que ça. Autant on avait savouré son dub sur Metal Box, autant on avait détesté sa world dans les années 90. Et pourtant, comme tous les gros cons que nous étions, on achetait les albums. La basse ! La basse ! La curiosité, toujours. L’idée qu’on pouvait retrouver le dub de Metal Box. Oh, il n’a jamais complètement disparu, mais il s’est noyé dans la masse. Wobble a enregistré des centaines d’albums. N’importe quoi !
Il en parle de ses albums dans ses Memoirs. Au moment de partir en solo, il se demande s’il est capable de remonter un groupe après PIL, il va même jusqu’à croire que son temps dans le music game était fini, and that was that. Et crack, on lui propose de faire un album avec les mecs de Can ! Jaki Leibezeit et Holger Czukay ! Wobble flashe sur Holger, qu’il compare à un alchimiste et qu’il voit très influencé par Dali. Quant à Jaki... - What can I say about that bloke? He was the ultimate drummer. Playing with him was a revelation - Et il ajoute : «Jaki’s DNA pulse was an exact match to mine - hand in glove, so to speak.» Wobble n’en finit plus de rendre hommage à Jaki Leibezeit : «Most drummers are a bit weird. But Jaki took the biscuit.» Et il dit pourquoi.
C’est l’occasion ou jamais d’écouter le Full Circle d’Holger Czukay, Jaki Leibezeit et Jah Wobble, paru en 1981, année de l’élection de François Mitterrand. C’est bien sûr du pur jus de Can. Pas de surprise, mais bel album. Très Babaluma. Côté Jah, rien de nouveau depuis Metal Box. Jah joue toujours le même groove. Il ne sait rien faire d’autre. «C’est déjà pas mal», diront certains. «On voit qu’il est vraiment limité», diront d’autres. En attendant, il s’amuse bien dans l’hypno infini de Can. Il se fond dans le Babaluma. Jah semble coloniser Babaluma, comme le montre le morceau titre, mais en fait, il est complètement babalumé. C’est bien que Can prédomine, faut pas déconner. Jah n’a pas inventé la poudre. Tout est très étiré en longueur, sur cet album fantastiquement contrebalancé et extrêmement agréable à écouter. Jah ne sert à rien, en fait, il continue de faire son Metal Box, mais il est dévoré tout cru par l’excellence de l’excelsior Cannais, il ne fait que gratter les trois notes qu’il connaît, pendant qu’Holger et Jaki bâtissent un monde. Can reste un des phénomènes les plus prégnants du cosmos rock. Sur «Twilight World», le Jah va chercher des notes en bas du manche. Les dynamiques sont intenses. Finalement, tu sors ravi et épuisé de cet album, comme si tu sortais de la chambre de la reine des putes.
Quand Wobble monte son label, il le baptise Lago, en l’honneur de Clint Eatswood qu’il admire pour son self-sufficiency and artistry - Lago est le nom de la ville dans High Plains Drifter, which was one of my favourite films - Puis il passe à l’ère Invaders Of The Heart. Il parle d’une spirale de booze, de speed et de coke, et là il ramène une belle référence cinématographique, Ray Liotta dans Goodfellas - Ray Liotta’s coke-addled character Henry is trying to keep it all together - Dans le circuit des tournées, il croise Jeffrey Lee Pierce, un Pierce qui lui dit de faire gaffe et Jah lui rit au nez, et boom, il attaque le breakfast au Jack Daniels. Il ajoute plus loin que «the gross emotional immaturity is one of the most noticeable aspects of alcoholics.» Il cite un peu plus loin Al Jourgensen, expert en excès de tous genres : «Al Jourgensen a écrit dans un book que j’étais le seul mec who had ever drunk him under the table. I really don’t remember it that way. Just a blackout, and me going mental.» Car oui, le gros problème de jah, c’est la violence. Il adore particulièrement se piquer la ruche à Glasgow - I always liked the way they drank in Glasgow: a beer with a chaser, ad infinitum. That was my way of drinking.
Il se rappelle aussi avoir vendu aux Mary Chain la Fender Precision qu’il utilisait au temps de PIL - They were delighted to have the bass that had been used on Metal Box - Ils l’ont sortie de l’étui avec des gestes de dévotion, «so this is really it? The bass that was used on Metal Box?» My attitude was: ‘Yeah yeah, whaterver. Hurry up and give me the money, I need a fucking drink.» Page suivante, il annonce qu’il est sobre depuis 37 ans - Clean and sober.
Sa passion pour Miles Davis est peut-être ce qui le rend le plus sympathique à nos yeux. Il rend hommage à Tutu et à Marcus Miller et son funky slap bass, un style qui, ajoute-t-il, trouve son origine chez Larry Graham. C’est bien qu’un bassman cite les grands bassmen. Plus loin, dans l’autobio, il cite Dark Magus comme son «favourite Miles Davis album.» Il pense que Metal Box n’est pas très éloigné de l’Electric Period Miles in spirit.
Il se réfère au Colonel Kurtz pour évoquer Without Judgement et y insère des extraits de fameux monologue - He also talks about the need to act without judgement - Bon alors attention, c’est le genre d’album dont on peut facilement se passer. On ne l’écoute que parce que Kurtz, mais le compte n’y pas. Jah ramène son dub en La dès «Bungalow Park». C’est une obsession. Justin Adams est un bon guitariste. Les Invaders sont en quête de modernité, mais leur quête passe par des effets, et ça ne marche pas. Leur «A13» se fond dans l’Autoroute de Normandie et le reste des cuts se fond dans l’anonymat. Ils font n’importe quoi. Ils ont perdu le Metal Box. Sans John Lydon, ça ne peut pas marcher. Il n’y a aucune émotion dans cet album, tout est plaqué sur des trames nulles et non avenues. Jah aurait pu capitaliser comme une bête sur Metal Box, mais il préfère jouer une mauvaise world prétentieuse. «Spirit» se verrait bien dans les steppes d’Asie Centrale, mais ça manque de yourte. «Voodoo» se verrait bien sur les hauts plateaux du Maghreb, mais il est dans le bas plateau du magret de canard boiteux. On retrouve quasiment le même groove sur tous les cuts. Leurs petits exercices de style finissent par t’épuiser la cervelle. Ils terminent cet album interminable avec «Will The Circle Be Unbroken», un vieux standard de gospel qui date des Staple Sigers. C’est lamentable. Le mec se prend pour John Lydon, et sa prétention te coupe la chique.
Jah s’attarde aussi longuement sur Take Me To God - I wanted Take Me God to have a large emotional and spiritual range - On y retrouve un peu de dub, notamment dans «Amor Dub», pur jus de rastafari, Jah le joue au heavy dumb dub. Il fait aussi de l’heavy dub de Jah dans «Amor», et de l’exotica africaine dans «Angels». Si tu veux entendre un vrai bassman, c’est là. Avec Jah, ça joue, mais c’est de l’exotica. Il va complètement à l’envers de l’éthique punk : il surjoue. Encore un fort parti-pris d’exotica dans «Whisky Priests». C’est puissant et tapé aux percus. Globalement, Jah cherche sa voie. Il vire parfois passe-partout, et ça peut devenir très m’as-tu-vu. Il orientalise son drive de basse dans «Raga» et donc, c’est un album qui n’ira pas sur l’île déserte. Ça lui est même interdit.
Tant qu’on y est, on peut aussi écouter Rising Above Bedlam. Juste pour l’écouter bassmatiquer dans le morceau titre. Il y joue le dub comme un dieu. C’est la raison pour laquelle on a continué pendant un temps de rapatrier et d’écouter ses albums. Il fait encore le show avec «Visions Of You». Il groove dans la couenne du lard. T’as Natacha Atlas dans «Bomba», et ça vire trop world. Mais ça reste puissant côté bassmatic. Jah joue distinctement. Il ramène encore du dub derrière Natacha dans «Erzulie». Mais dès que le dub disparaît, le son retombe comme un soufflé. Tout se barre. Jah adore se mettre en scène. Il ne fait que jouer des basslines. Il est partout dans son son.
Il cite aussi Lonnie Liston-Smith, qui fit partie du groupe de Pharoah Sanders - In fact, the B-line to Liston-Smith’s Expansions is probably my favourite B-line of all time. It drives me insane. The Soul and jazz funk scenes turned me onto quite a few jazz artists, people such as Roy Ayers, Johnny Handy and Johnny Guitar Watson - Alors on sort l’Expansions de l’étagère. Album de groove parfait. Une merveille volante. Normal, c’est du Flying Dutchman. Le morceau titre est monté sur un bassmatic alerte, de quoi rendre le Jah fou de jalousie ! Ça s’étend bien dans le temps. Belle énergie. Puis Lonnie Liston s’en va groover le jazz dans le désert avec «Desert Nights». C’est très beau, très pur, en suspension. Belle masse en attente. C’est le jazz power, seul le piano est en liberté, ça tient tout en haleine. Encore un joli groove de classe majeure avec «Summer Days». Ça groove dans la tiédeur de la nuit, ça jazze dans l’absolu, et ça donne le tournis tellement c’est beau, tellement ça coule de source. Quelle magie et quelle lumière ! «Voodoo Woman» est plus monolithique, ce sont les flûtes qui jerkent le booty. Tout est tellement riche, t’en perdrais ton Latin. Avec «Peace», il prêche dans le désert - All we need in this world/ Is to have the time of peace - C’est du round midnite à la Lonnie Liston et t’as à la suite un «Shadows» joliment groové sous le boisseau. Rien de plus glissé sous le boisseau que ce truc-là. Big boisseau, en vérité. Qualifions ça d’anticipation évanescente, si vous le voulez bien. Il creuse encore bien son écart avec «My Love». Il polit bien son chinois, c’est un artiste, un doux rêveur, il cultive un onirisme à la Kurt Weil, il est éperdu de bonheur au piano, il a trop d’oxygène, et t’as le bassmatic qui devient organique, Lonnie Liston revient et enchante à la Sing Low, c’est de la magie pure, your love is so/ divine, t’as le groove du paradis, il tortille son be/ cau-au/ se/ you are/ my love.
Retour au Jah solo. «The Heaven & Earth album is a personal favourite of mine.» C’est vrai que la pochette est belle. Le ciel est d’un bleu, baby ! Et puis t’as Pharoah Sanders dans les parages. Et «Hit Me» ! Le dub y déboîte dans le doux du drain. C’est un dub qui donne du doom, qui se dandine dans les draps, et même si ça n’est au fond que de l’ambiancier haut de gamme, il en restera le souvenir du dub et de Pharoah. Avec «A Love Song», Wobble tente d’instaurer le règne du dub dans sa daube, mais ça ne marche pas. C’est un son qui vieillit mal et Natacha Atlas sauve les meubles en chantant son heavy exotica. Sur «Gone To Croatan», Jah croise le dub avec la flûte de Pharoah, alors ça voyage dans l’inner de l’outer, et ça donne un mélange astucieux et harmonieux. Mais rien ne bouge. Le cut s’installe dans le dub. Sur la fin, Pharoah attrape son sax.
Puis l’autobio va comme beaucoup d’autobios dégénérer avec des histoires de famille heureuse et de reconnaissance planétaire. Les 100 dernières pages sont imbuvables : comment un punk vieillit bien. On perd ce qui fait le sel de la terre de Jah : l’évocation des héros de sa jeunesse. Et ces évocations ne tiennent que par le style.
Car le Geezer a du style, sinon il ne serait pas un geezer. Le meilleur exemple est sa façon de raconter sa venue au monde : «The midwife held me upside down and smacked my bum, causing me to issue forth a loud and furious wail. She laughed and said, ‘This one got a temper.’». Le Geezer raconte qu’il est né at the East End Maternity Home, on Commercial road, Stepney, London, E1, le 11 août 1958, qu’il fut baptisé John Joseph Wardle et quand la sage-femme l’a sorti du ventre de sa mère, elle l’a tenu par les pieds, lui a claqué les fesses et Jah a poussé un cri énorme, ce qui lui a valu la réflexion du temper. C’est la page 1 du book, et rien qu’avec la narration de cet épisode, tu sais que tu vas te régaler, car l’East-ender écrit bien. Plus loin, il raconte l’école - I found school stupefyingly boring. I was suddenly developping a problem with any form of authority - Il devient alors ce qu’il appelle an absolute nuisance. Viré ! Tant mieux ! Quand on lui dit qu’il n’a plus le droit d’entrer à l’école, et que s’il y remettait les pieds, on appellerait la police - I wasn’t bothered to the slightest - La formule est belle. Il a des tournures d’argot punk, sûrement de son invention.
Pas mal de choses sur l’Angleterre. Si on veut tout savoir d’une enfance dans l’East End, c’est là. Jah s’est considéré anglais jusqu’au Brexit. Il indique aussi que la fin des sixties était «the skinhead era, and ska was the popular urban music of its time. In the East End, it was called ‘blue beat’.» Le premier single que lui a acheté sa mère fut «Welcome To My World» de Jim Reeves, un mec très populaire en Jamaïque. Puis il dit avoir adoré «Strawberry Fields». Pour lui, c’est le cut définitif des Beatles. Mais ses parents ne l’ont pas autorisé à acheter le single, considérant qu’il s’agissait de druggy music. Puis sa sœur achète the Tighten Up volumes sur Trojan - When I heard that music, I went absolutely nuts for ir - Puis il indique qu’il entendit le «Marcus Garvey» (and the dub version) de Burning Spear dans l’émission de Tommy Vance, «it was one of the seminal moments in my life.» Puis il flashe sur l’Innervisions de Stevie Wonder - I was totally obsessed with that album - Il hait Tommy mais adore Quadrophenia - My other big love was Rod Stewart’s Every Picture Tells A Story - Il lit aussi like crazy, et boom, il cite «Hemingway, Steinbeck, Camus, Greene, D. H. Lawrence, Zola, Ballard and Orwell.» Il traîne ado dans les clubs et flashe sur «The Hustle» par Van McCoy, mais surtout sur «E Man Boogie» et «Potential» du Jimmy Castor Bunch, mais aussi sur le «Fight The Power» des Isley Brothers. L’un de ses albums favoris fut Natty Cultural Dread de Big Youth, et il raffolait de «King Tubby Meets The Rockers Uptown» par Angustus Pablo. Voilà ce qu’on appelle une Éducation Sentimentale à l’anglaise.
Oh mais le jeune Jah raffole aussi de la violence. Sa mère tenta un jour de lui balancer la friteuse dans la gueule - Je l’ai esquivée de peu. I moved as quickly as those dudes in the Chinese martial art films - Petit, il se bagarre pas mal, notamment avec un gamin de son âge, nommé Little John - I recall getting into big trouble for hitting him with a brick on one occasion. I really wacked him - Une brique dans la gueule ! Jah ne rigole pas. Il dit aussi qu’il a pris lui-même quelques coups dans la gueule - Then again, I’m sure that he wacked me a few times - Il raconte encore qu’il a démonté la gueule d’un ingé-son qui lui manquait de respect - It was all very ugly and unpleasant. He ended up covered in blood a few minutes later - Par contre, pas un mot sur l’épisode Nick Kent.
Ce qui nous ramène droit au punk. Il a un chapitre titré ‘Punk’ et annonce qu’il ne va pas s’étendre trop longuement sur le sujet - I won’t bang on too much about the (so-called) punk scene - parce que depuis 40 ans tout le monde en parle, même dans les universités. It has got a bit absurd now, in my view - Il pense que ça ne vaut pas le coup qu’on en parle comme on parle de la Révolution russe ou du mouvement Impressionniste - In truth, I was absolutely bored with the whole punk thing by the summer of 1977 - Et pouf, il vole dans les plumes des Clash - However, I didn’t really like what they did, it wasn’t my taste. I found them a bit lightweight - Et il ajoute, sur le même ton, que ses potes et lui donnaient du fil à retordre aux Clash - We couldn’t take them seriously, all those silly songs like ‘Bank Robber’. I thought that they were a manufactured band compared to the Pistols - Puis il conclut en affirmant qu’ils se prenaient au sérieux, ce qui vaut pour une condamnation. Wild Billy Childish dit aussi que les Clash n’ont rien fait de très propre après leur premier album.
Jah rencontre John Lydon au Kingsway College. C’est une rencontre qu’il qualifie de «Stanley/Livingstone moment», telle qu’on en vit peu dans une vie - John of course was another reprobate, he was someone who thought ‘everything was bollocks’, to even a greater extent than I did - Jah a 16 ans, et Lydon a trois de plus, et les cheveux longs (hennaed as I seem to remember) - A mutual love of Hawkwind helped cement the friendship - Et ils vont voir jouer Hawkwind sur scène aussitôt après leur rencontre. C’est le conte de fée qui se remet en route : la formation d’une amitié qui va déboucher sur la formation d’un groupe. Puis Lydon et son copain d’école John Gray emmènent Jah voir Dr Feelgood. Jah flashe sur Lee Brillaux et Wilko - However, the best gig that I went to at that time - in fact the best gig that I have ever seen, by a country mile - was Bob Marley and the Wailers at the Lyceum en 1975 - L’autre copain de Kingsway, c’est bien sûr John Beverley, plus connu sous le nom de Sid Vicious - Yet another bloody John! - C’est Lydon qui le surnomme Sid. «There were now four Johns», c’est-à-dire Lydon, Sid, Jah et John Gray. Jah fréquente beaucoup Sid à l’époque, mais il avoue n’être pas très à l’aise avec lui. Il préfère l’éviter quand c’est possible. En 2009, Jah va même faire un docu sur Sid, In Search Of Sid. Et bien sûr, c’est Sid qui baptise John Wobble Jah Wooble.
Puis Jah en arrive au recrutement de Lydon par McLaren dans la boutique Sex - When McLaren chose John Lydon he hit pay dirt, because he got more than a charismatic frontman. John était gorgé de haine, il venait d’un quartier qui n’était pas une banlieue, et il incarnait un truc qui était au cœur de la disaffected British working-class youth in a way other lead singers in UK punk bands could only dream about - et bam, il balance ça qui est tellement vrai : «The Pistols were a great band, the best of punk groups by a country mile.» Jah trouvait les autres groupes fades, en comparaison des Pistols. Et il rend hommage à Steve Jones «who really was a powerful guitarist.» Puis quand John Lydon voit que McLaren signe des contrats mirobolants et que lui, le Rotten, n’a pas un rond et qu’il dort dans des squats, c’est là que les ennuis commencent.
Wobble fréquente un peu les Heartbreakers, mais n’apprécie pas trop leur compagnie. Il les traite d’ailleurs de smackheads - The American side of punk was generally full of mutton-dressed-as-lambs degenerates - et il en arrive fatalement à évoquer les drogues. Alors oui, crystal meth on a couple of occasions - My God, that was very potent stuff - Il achète the sulph le vendredi soir at the Brecknock public house on the Camden Road. Et puis bien sûr la booze. Quand il n’a pas de blé, il carbure au cidre.
C’est en 1977 qu’il décide d’apprendre à jouer de la basse. Il écoute Stockhausen et Ligeti qu’il emprunte à la bibliothèque. Il commence par jouer sur une Music Man copy. Il s’intéresse aussi au groove et à Robbie Shakespeare, «who played the heavy bass I was inspired by. Heavy bass had an effect on me that was essentially visceral.» Il reparle plus loin de ce «bass thing» - It still gets me. When I take my seat in front of my bass stack, and play that first deep note of the gig, I still get a shiver down my back - Confession d’un bassman. Il vit ça pour de vrai. Et ça s’entend sur Metal Box.
On y arrive. PiL ! C’est Keith Levene qui entend jouer Jah au Warwick Road squat et qui conseille à John Lydon de le prendre dans PiL - Keith thought that I would be ideal to play bass in the band - Et c’est à Jah qu’échoit le rôle de mener la charge - Led the charge and come up with the bass lines first - Tout va reposer là-dessus. C’est la spécificité de PiL. Jah ne craint ni la mort ni le diable, il groove - In some respects my playing was limited, you could even call it naive - but because of my limitations I adopted a very direct approach, and the result of that was very effective - Eh oui, Jah, on n’entend que toi dans PiL, le dub de Jah ! Mais la magie de PiL ne va pas durer longtemps, car il y a un junkie dans le groupe, Keith Levene, et Jah sait que ça ne marche pas avec un junkie. Il aime bien Keith pourtant, mais the musical empathy n’a duré que depuis leur rencontre au Warwick Road squat jusqu’aux «two-thirds of the way throught the Metal Box sessions.»
Côté blé, c’est pas brillant avec Virgin : on leur verse une avance, mais ils doivent payer le studio, et Jah compare le procédé à l’exploitation des mineurs, qui devaient dépenser le blé gagné au fond du puits dans la boutique de la coal company. C’est l’esclavage moderne. Rien n’a changé depuis le temps des plantations.
Jah évoque l’avance de Virgin - I think it was around £75,000 - et reste salarié (still £60 per week), mais à l’époque il s’en fout, car il sait qu’il faut financer le studio et les drogues. Il ne touche rien sur le merch, ni sur les recettes des concerts. Pas un penny ! Il soupçonne bien sûr Keith Levene et ses potes de financer sur le compte de PiL l’hero qu’ils se shootent chaque jour dans les bras, «and I must say that dit annoy me.» Il évoque aussi the publishing advance qu’il estime à £30,000, ce qui permet à Lydon d’acquérir l’appartement en dessous de celui qu’il possédait déjà à Fulham - This was in the days when a flat in Fulham could be purchased for £30,000 - Pour conclure sur l’aspect financier des choses de PiL, Jah pense que personne à part John n’a pu tirer quelque profit que ce soit of the Public Image. Mais quand PiL a un Top Twenty single et un Top Twenty album, Jah trouve que c’est insultant de se retrouver avec un salaire de £60 a week.
Puis arrivent les avances pour Metal Box, et là ça dégénère : Jah est obligé de leur courir après pour récupérer son maigre salaire. Il fait partie de ceux qui n’aiment pas trop qu’on les prenne pour des cons. Et ça l’étonne de la part de John Lydon, qui lui aussi est passé à la casserole au temps des Pistols. Jah dit que Lydon a un grand discours égalitaire, mais en réalité, c’est tout pour sa pomme.
( Dennis Morri s)
Et malgré tout ça, Jah entre en studio pour Metal Box. Il compare le lyricist John Lydon à Beckett. En dépit du chaos qui règne dans le groupe, Metal Box est selon Jah an artisitc success. L’enregistrement dure neuf mois. Une réelle antipathie affleure dans sa relation avec John, et il se dit surpris qu’on lui demande son avis sur la pochette. John Lydon insiste : ça doit s’appeler Metal Box. Alors Dennis Morris trouve le fournisseur de boîtes en fer. Quand Dennis Morris est viré du cercle PiL, Jah s’en va aussi. Il rappelle qu’ils sont tous les deux des East-enders, et qu’il sont partis la tête haute - We were geezers. I have a lot of respect for the bloke. We still occasionally talk nowadays.
Jah fait quand même la tournée américaine. Il pense que PiL aurait pu devenir énorme en Amérique, parce que les Yanks, comme il les appelle, ont un vocabulaire musical beaucoup plus large (especially in regard to modal jazz), et bien sûr, John qui se prend encore pour un Pistol, «throught his stupid stubborn obstinacy, missed a great opportunity with PiL.» De retour à Londres, Jah va chez John à Gunter Grove et réclame son salaire. Il est obligé d’aller taper à la porte ! C’est là qu’il décide de quitter le groupe.
Jah croise aussi la fameuse Jeanette Lee qui bosse avec Don Letts dans la boutique Acme, sur King’s Road. Jah n’aime pas Jeanette qu’il trouve un peu trop opportuniste : elle drague Strummer, puis Keith Levene, quand il s’agit pour elle d’entrer dans un clan. Jah la méprise et c’est réciproque - She hated the arrogant way that I would walk into Acme and take the piss left, right and centre out of her and Don - Bien sûr elle arrive à ses fins : John Lydon et Keith Levene convoquent Jah pour l’informer que Jeanette intègre PiL. Elle assiste au meeting. Jah dit que ça n’a pas de sens - In fact I thought that it was fucking mental. I was absolutely horrified. She couldn’t play anything, couldn’t sing - Et fait, Jah est le premier mec que Jeanette ne peut pas manipuler. Alors Jah se fait la cerise - By the time it came for me to leave the band, her face was on the front of PiL record covers! Welcome to Spinal Tap.
Il croise aussi la poule de John Lydon, Nora, la fille d’un baron de la presse allemande - She was apparently a very rich woman - Quand Lydon lui présente Nora, Jah est scié - I was gobsmacked, firstly because he had a girlfriend and secondly because, apart from being older than us, she was elegant, graceful and sociable (a very good laugh as well).
Bien sûr, John Lydon va reformer PiL pour une tournée et demander à Jah de jouer. Jah se méfie, mais Rambo, le sbire de John, lui propose £1,000 en répète et £1,500 a week when gigging.
Pour conclure le chapitre PiL, Jah assiste aux funérailles de Keith Levene qu’il admirait tant pour sa modernité de jeu. Puis il salue John Lydon - Like an artful politician, he has won over most of the people all of the time - et il te balance ça qui est l’hommage suprême d’un geezer : «For all their faults, and there were/are many, I wish them well. Fuck me, what a weird, neurotic triumvirate of odd bods we were.» Voilà, c’est tout ce qu’il faut retenir de PiL : a weird, neurotic triumvirate of odd bods.
C’est l’instant rêvé pour sauter sur la box Redux - Anthology 1978-2015. Six dicx en tout et un gros book, t’as de quoi t’occuper. Le dicx A s’appelle Greatest Hits et bien sûr tu y retrouves le fameux «Public Image». Là, oui, t’as une voix et Keith Levene. Hallo ! Hallo ! Le Jah se noie dans le jus de génie, il bombarde dans la plus belle des Public Images. T’as un autre cut de Public Image, cette fois tiré de Metal Box, «Careering». Ça reprend du sens parce que Lydon. Sans Lydon, ça ne vaut pas un clou. On sent bien l’énergie des London boys. La basse structure le cut. Et puis t’as les hits de Jah, enfin il faut le dire vite. Tu retrouves «Visions Of You» qui tape plus dans la world, mais Jah se met bien en valeur. On ne voit que lui et ses tortillettes. Ça vieillit mal. Son bassmatic sonne comme un bassmatic de m’as-tu-vu, avec toutes les tortillettes à la carbonara prévisibles. Il teste la basse fuzz sur «Tight Rope», et avec «Becoming More Like God», on voit qu’il a appris à jouer. Il est devenu artisan accompli, il voyage en mode tortillard. On retrouve les arpèges du diable Levene sur «Poptones», tiré aussi de Metal Box. C’est incroyable comme ça fait la différence. Levene brouille les pistes. Jah ressort son dub dans «One Day». Toujours le même. Que peut-il faire d’autre ? Ça finit par ressembler à une grosse arnaque.
Le dicx B s’appelle The Eighties. Pas bon signe. Ça démarre pourtant avec le «How Much Are They» enregistré avec Jaki et Holger de Can, mais le Jah revient au devant du mix avec son dub. Il fait toujours la même chose. S’ensuit l’«Hold On To Your Dream» enregistré avec Holger et The Edge. Ils font de la petite world. Sœur Anne, vois-tu venir l’intérêt du haut de ta fenêtre ? Et puis voilà le cut qui te réconcilie avec Jah : «Blueberry Hill» et son bassmatic dévastateur. Là ça devient sérieux. On retrouve le punk. Et son «Invaders Of The Heart» sonne comme du Public Image, avec en plus les trompettes de Jéricho. Il enchaîne ensuite une série de cuts parfaitement inutiles. Tout est très long et très linéaire. Il ne sait pas jouer les variations. On perd le Public Image. Il se met à virer diskö fink avec «No Second Chances» et «Love Mystery». Il fait aussi le bal des Galapagos. Ça ne vaut pas un clou. Rien que de la daube jusqu’à «Sea-Side Special» et son gros festival de trompettes, mais ça reste basé sur le dub de Jah, toujours le même dub en La. C’est tout de même incroyable que ce mec Jah ait fait toute sa carrière sur le même dub en La.
Tout est bien classé chez Jah. Le dicx C s’appelle World Roots. Alors il va soit vers l’Espagne mauresque, soit vers le Moyen-Orient, soit vers l’Extrême-Orient. Il tombe dans tous les panneaux foireux de la world, comme le montre «Om Namah Shiva» : il y mélange les clochettes tibétaines et sa grosse basse de punk. Il n’en finit plus de refourguer son dub en La. Ça devient ridicule et il ne s’en rend même pas compte. Il fait chanter des Algériens dans «I Am An Algerian» et il fait du Japan Dub dans «Cherry Blossom Of My Youth». Son «Appalachian Mountain Dub» est presque beau, et il revient au dub pour de vrai avec «Reggae Parts The Sea», et pour une fois, c’est assez pur, on se croirait à Notting Hill Gate, c’est excellent. Là, t’as le vrai truc du rentre-dedans, et t’es là pour ça. Jah groove enfin. Son «Bomba» est superbe, très orientalisant, mélange de belle exotica et de dub de bon aloi. Il joue son «Angels» au big bass boom de gras double et revient au real deal de dub avec «K Dub 05» et un chant chinetoque ! Le festival se poursuit avec «Happy Tibetan Girl», big power d’exotica, Jah envoie le Tibet faire un tour dans le cosmos et ça continue avec l’heavy dub de «New Mexico Dub» et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà Natacha Atlas dans «Erzulie», c’est fameux, car monté sur le big bassmatic de Jah. Tout ça n’est pas rien.
Avec le dicx D, tu passes à Jazz. Quel prétentieux ! Mais il lâche un peu la grappe de son dub pour accompagner les trompettes de Jéricho («Car Ad Music 3»). Appelons ça du fast jazz. Mais c’est plus fort que lui, il ramène son fat dub dans «Country Cousin». Aucune trace de jazz dans cette affaire de Country. Un sax vole le show dans «Hit Me», mais Jah la ramène avec son bassmatic proéminent. Il y joue des figures géométriques et ça n’a aucun intérêt. Il ne joue pas le jazz car il ne sait pas le jouer. Il reste en mode hypno alors que les trompettes de «Virus B» s’envolent. Il joue quasiment toujours le même thème. Il est coincé dans son rôle. Mais les autres s’amusent bien. La plupart des petits grooves urbains ne servent strictement à rien. Tu ne sais vraiment pas ce que tu vas faire de tout ce faux jazz. Jah est trop limité pour le jazz. Tu ne sais pas pourquoi t’écoutes un cut comme «Limehouse Cut». Et puis tu finis par craquer sur l’excellent «West End». La vie est ainsi faite.
Il s’amuse bien le Jah. Il a enregistré tellement d’albums qu’il peut se permettre de titrer son dicx E Ambiant & Spoken Word. Ça veut dire en clair qu’il faut s’attendre à tout et à n’importe quoi. La meilleure illustration est le «Bagpipe Music» : summum de la tarte à la crème. Le Jah rentre toujours dans ses cuts à la même vitesse. Il ne cherche pas trop à évoluer. Il ramène son dub en La dans «Ocean Of Hills», mais c’est devant «Requiem II» qu’on tombe en arrêt, car ce requiem sonne tellement diabolique qu’il fout littéralement la trouille. On entend des chœurs d’anges de la désolation. On se remonte le moral un peu loin avec «Car Ad Music 2», car la basse chevrote et t’entends surtout BJ Cole sur sa gratte.
Alors, et le dicx F ? T’en rigoles à l’avance, car il s’intitule Cover Versions. Le Jah tape principalement des thèmes de BO, comme par exemple «Theme From Midnight Cowboy». C’est l’instro de trop. Il ramène son vieux dub en La dans «Theme From The Sweeney». Il est marrant, le Jah, il ne peut pas s’en empêcher. Et on ne comprend d’ailleurs pas pourquoi ce Theme dure si longtemps. Il ramène encore son dub en La dans «Comin’ Home Baby», toujours le même depuis Metal Box. C’est beau, mais ça finit par ressembler à une grosse arnaque. Itou pour «Theme From The Persuaders», par contre, pas de dub en La sur cette cover éhontée de «Take Five». Et comme il ne peut décidément pas s’en empêcher, il colle un vieux shoot de dub en La dans le museau de Peckinpah pour le fameux «Theme From The Good The Bad And The Ugly». Il nous en aura fait voir de toutes les couleurs. Sacré Jah !
Signé : Cazengler, Jah Poobble
Holger Czukay Jaki Leibezeit Jah Wobble. Full Circle. Virgin 1981
Jah Wobble. Without Judgement. KK Records 1990
Jah Wobble’s Invaders Of The Heart. Rising Above Bedlam. EastWest 1991
Jah Wobble’s Invaders Of The Heart. Take Me To God. Island Records 1994
Jah Wobble. Heaven & Earth. Island Records 1995
Lonnie Liston Smith & Cosmic Echoes. Expansions. Flying Dutchman 1975
Jah Wobble. Redux. Anthology 1978-2015. Cherry Red 2015
Jah Wobble. Dark Luminosity - Memoirs Of A Geezer. Faber & Faber 2024
Inside the goldmine
- Edwards aux mains d’argent
Jean-Edouard se savait porteur d’une tare, mais il ne fit jamais rien pour se soigner. La tare en question est l’une des pires : la pingrerie, ou la mesquinerie, appelez-la comme vous le souhaitez. Doté d’un patronyme et de manières on va dire assez aristocratiques, il disposait pourtant des atouts qui auraient pu lui permettre d’échapper à cette malédiction. Mais la honte ne l’effrayait pas. Comme tous les pingres réunis en société, il attendait, à la fin d’un apéro, ou d’un repas, qu’un philanthrope se dévouât pour régler la note. On le voyait littéralement attendre, en observant les autres. L’heureux dénouement devait le faire jouir secrètement. Il devait savourer chaque seconde du spectacle de cet imbécile qui sortait sa carte bleue et qui tapait son code avec un grand sourire. Autre cas de figure : quand il traînait au merch après un concert, il asticotait le mec, il parlementait, il quémandait un sticker, ou un badge, il se plaignait de n’avoir plus que 5 euros pour finir le mois, alors, généreusement, le mec du merch lui filait un badge et parfois un disk. Jean-Edouard ne se contentait pas d’avoir tiré avantage du pauvre mec. Il fallait en plus qu’il l’humilie. Comment ? Au lieu de le remercier directement, comme l’aurait fait toute autre personne, il levait les yeux au plafond et remerciait Dieu de sa miséricorde. Il avait fini par se tailler une telle réputation qu’il fallut se résoudre à lui donner une bonne leçon. On pensait sincèrement œuvrer pour son bien. Nous formions alors une petite équipe et allions régulièrement écumer les conventions de disques. Après les emplettes venaient les agapes. Nous nous installâmes donc à la terrasse d’une bonne auberge et commandâmes plusieurs tournées d’apéritifs, puis des entrées, des plats, des fromages et des desserts. Chaque fois, Jean-Edouard renâclait, mais on lui disait mais si, mais si, alors il commandait, vin aidant. À la fin du festin, nous demandâmes à la patronne de faire une note séparée pour ce môsieur qui bien sûr n’avait pas les moyens de payer sa part. Nous le laissâmes parlementer avec la patronne qui n’était pas d’humeur à entendre ses jérémiades avinées, et nous allâmes crever les quatre pneus de sa bagnole, ce qui allait le contraindre à puiser dans sa cassette de pingre. Cette séance thérapeutique ne servit pas à grand-chose.
Pendant que Jean-Edouard compte ses sous, John Edwards chante sa Soul. Ainsi va la vie. D’un côté ça roule, de l’autre ça coince. Que voulez-vous y faire ?
On croise John Edwards dans les Masterpieces Of Modern Soul, ces délicieuses compiles imaginées par Kent. Sur les pochettes de ses deux albums solo, l’excellent John Edwards est toujours élégant et très bien entouré. On sent le séducteur. Il allait ensuite rejoindre les Spinners et tourner avec jusqu’à l’an 2000.
Son premier album sans titre paru en 1973 est une petite merveille qu’il attaque en trombe avec «Stop This Merry Go-Round» un heavy r’n’b de gros pototin d’excelsior. John Edwards rugit comme une panthère noire, c’est-à-dire comme Wilson Pickett. Là tu réalises que tu tiens dans tes pattes un très bel album de Soul. Ce que vient confirmer «Spread The News», monté sur un beat plus reggae, plus relax, mais à dominante r’n’b. Et donc le popotin reprend vite le dessus. Il apparaît clairement que John Edwards est un Soul Brother d’exception. Tiens, tu veux un coup de génie ? En voilà un : «Claim Jumpin». Il tape cette fois dans le haut de gamme avec ce heavy r’n’b qui flirte avec un funky booty digne des Tempts. John Edwards passe en force comme David Ruffin. Deux merveilles se planquent en B, à commencer par «Messing Up A Good Thing», un big balladif de Soul ultra-violonné et digne des géants du genre. Il va chercher un joli chat perché et atteint une sorte d’horizon. C’est extrêmement impressionnant. Et puis voilà le pot aux roses : «Exercice My Love». Comme on est sur la face lente, il va droit sur Sam Cooke, avec de faux accents d’I was born by the river, il s’élève aussi comme Marvin dans What’s Going On.
Son deuxième album sort en 1976 sur Cotillon, ce qui n’est pas rien. Produit par David Porter, Life Love And Living ne laissera personne indifférent. L’A porte de doux nom de ‘The Beat Side’. Comme tout ce que supervise David Porter, il s’agit ici d’une Soul subtile, fine et douce. On trouve même dans «I (Who Are Nothing)» un léger parfum des îles et des chœurs de rêve. Un piano free anime joliment l’heavy Soul de «Forced To Fight (This Losing Battle)» et on reste sous l’égide des merveilles sensibles avec «The Key To My Life». John Edwards est un bon, il sait se maintenir dans la classe supérieure. Il baptise sa B ‘The Sweet Side’, ce qui veut dire ce que ça veut dire. On le voit sur la plage en chemise à jabot et quand on retourne la pochette, il apparaît en gros plan, très jeune, très black des îles, dans la canne à sucre.
Signé : Cazengler, John Éboueur
John Edwards. John Edwards. Aware 1973
John Edwards. Life Love And Living. Cotillon 1976
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Une fois n’est pas coutume. Vous serez privés de Doom ! N’en poussez pas pour autant un soupir de soulagement. Ce qui vous attend est sûrement pire, du néo-folk. Le néo-folk n’a rien à voir avec un renouveau de chanteuses comme Joan Baez. Imaginez une explosion atomique. Laissez reposer une quarantaine d’années. Et hop d’un coup sans prévenir du béton irradié une petite fleur bleue sort sa tête. Et bien le néo-folk c’est exactement cela, la petite fleur que personne n’attendait qui survient comme un miracle. Ne la cueillez pas pour l’offrir à votre petite amie. Le néo-folk évidemment c’est la mignonette fleurette mais ne prenez pas que la moitié du package. N’oubliez pas la deuxième partie : l’explosion atomique. Le néo-folk, après un détour par le metal, descend en droite ligne de la musique industrielle. Etonnant, oui toutefois le rock’n’roll n’est-il pas le bâtard de rhythm and blues ! De la guitare sèche du blues primitif le heavy metal ne s’est-il pas engendré tout seul par parthénogenèse…
Bref faites-moi confiance, j’aime les trucs qui tarabustent !
CORIOLAN
ROME
(Trisol / 2016)
Rome, est-il vraiment un groupe. Demandez-le à Jérôme (déjà il possède un prénom qui contient Rome) Reuter. Depuis 2006 l’a commis une vingtaine d’albums, il compose les musiques et les paroles, en anglais, en allemand, en français et en italien. Le gars s’ingénie à créer des climax musicaux à base d’enregistrement sonores de toutes sortes, il s’inspire autant de l’esthétique classique que du noise. L’a deux énormes défauts pour la plupart de nos contemporains qui n’aiment pas trop se prendre la tête, perso je pense que ce sont deux qualités rares et précieuses, il puise son inspiration dans la littérature (beaucoup de mes auteurs préférés) et domaine que les artistes n’aiment guère aborder il interroge le spectre politique historial de l’Europe. Sans avoir peur de se frotter aux extrêmes. Il est juste un miroir de la modernité, qui réfléchit. Bref un sulfureux. D’ailleurs beaucoup le qualifient de dark folk.
Coriolan est une pièce de Shakespeare, il s’en inspire, mais aussi un personnage historique des premières années de Rome. Un héros ambigu. A plusieurs reprises il battra les armées Volsques et s’emparera de la ville de Corioles, c’est à ce titre qu’il recevra le cognomen honorifique de Coriolanus, Il sauvera même grâce à son courage Rome du plus grand des désastres : la défaite. Sur le plan politique il est du côté de l’aristocratie et combat le peuple qui, par la grève de la guerre, finira par obtenir la nomination de tribuns protecteurs, magistrats dotés de pouvoirs très étendus pour le défendre. Politiquement vaincu Coriolan passe du côté des Volsques. Seules les supplications de sa femme et de sa mère le convaincront de ne pas se rendre maître de Rome. Il finirait sa vie en exil.
(Nicolas Poussin)
La couverture est un petit chef-d’œuvre. L’on s’attendait à ce que Coriolan soit habillé en romain. Dans son manteau il ressemble à un tribun politique des débuts du vingtième siècle. Voudrait-on nous signifier qu’à toutes les époques vous trouverez toujours des Coriolan… Admirez l’art de Mathias Bäuerie, cette branche d’arbre dénudée qui pend en l’air ne fait-elle pas ressembler notre Coriolan moderne à Mussolini sur sa tribune faisant le salut fasciste…
Investiture : le son comme une rumeur qui vient de loin, surprise éclate une marche triomphale à la Beethoven, en filigrane un discours, assez indistinct afin que l’on ne puisse en saisir les mots, montent des fredonnements, bizarrement ils ont tendance par leur répétition à détruire quelque peu la solennité de cette entrée en matière, ayant tendance à apparaître comme le bla-bla-bla moutonnier des politiciens. Make you a sword of me : comme des blés qui germent, les ferments sonores d’une rumination, le contraire d’un discours enflammé, un soliloque solitaire, les pensées du héros, pas vraiment une partition, une collation de bruits qui sourdent et éclatent en un tempo relativement lent qui se transforme en une marche de tambours militaires, la volonté de puissance du chef infuse l’esprit du peuple qui se rallie à lui. Un peuple n’a qu’une âme, celle de son chef. Qui mène la lutte. Broken : la brisure. Coriolan rumine. La musique avance toute seule, Reuter chante, autant au début il fait le point de la situation clairement énonçant les préceptes quasi-métaphysiques entre les statuts ontologiques différents du peuple versatile et peu fiable et l’âme indomptable du Chef, bientôt il se prend à son propre jeu, se laissant emporter par ses certitudes et sa colère, accompagnement et chant se mêlent formant une pâte indivisible telle la lave d’un volcan qui déborde de son cratère et s’en va détruire les cités imprudemment perchées sur ses flancs, quelles qu’elles soient, ce qui compte ce ne sont pas les hommes appelés à mourir un jour ou l’autre mais les fulminations vengeresses du héros supérieur. Fragments : clarté du Chef, les tambours donnent la cadence, la décision est prise, l’Homme libre n’a pas de chaînes sentimentales qui le retiennent, il n’est redevable de rien à personne, sa conduite et son inconduite mènent le monde, cela peut paraître fou mais c’est la vérité immuable, se battre pour sa propre vie est la seule loi, n’est-ce pas la le commandement suprême de la nature et de la perpétuation de la vie, au-delà de toute morale, seuls triomphent les âmes fortes destinées à la victoire. Sur elles-mêmes. This light shall undress all : guitare claire, illuminescente, ses échos portent jusqu’au bout du monde, un peu d’emphase dans le mantra répété sans arrêt qui se transforme en prophétie acquérant ainsi la force d’une vérité intangible : l’Histoire est faite par les Hommes les plus violents. Coriolan : guitare intimiste Reuter chante comme s’il mettait en scène un lieder de Schumann, Coriolan cries alone, il dénude les aîtres de son destin, il est seul dans sa grandeur, dans son orgueil, dans son mépris pour la race humaine, le chant s’élève et s’étend sur le monde, son âme déborde prête à noyer le monde sous sa volonté. Der krieg : symboliquement les paroles sont en allemand, guitare funèbre, la guerre a triomphé, encore un lieder à la Schumann, le Héros n’a pas vraiment gagné, la guerre des peuples se joue des destinées particulières, l’on croyait décider de la marche du monde, chœurs féminins pour rajouter à la mélancolie, l’on n’a été que le jouet de forces qui nous dépassent. Funeratio : le cycle se referme comme il a commencé, la musique comme le ressac de vagues qui se fracassent sur le rivage, accompagné par le chœur indistinct de ce qui ressemble autant à un requiem mozartien qu’un hymne national chanté en des circonstances dramatiques avec bruit de canonnades dans le lointain.
Les sources divergent sur la mort de Coriolan. Est-il resté en exil chez les Volsques ou ayant signé la paix entre Rome et le peuple Volsque après l’intervention familiale, a-t-il été exécuté par Aufidius le chef des Volsques qui s’est estimé trahi. Cette incertitude ne change rien au destin de Coriolan si l’on s’interroge sur la nature de tels personnages que l’on retrouve tout au long de l’Histoire. Suivant d’assez près la réflexion de Shakespeare sur la nature du pouvoir politique, Reuter nous transporte dans l’esprit de ces meneurs d’hommes prêts à tout pour que triomphe l’orgueil de leur égo. L’opus est sans fioriture. Reuter décrit le phénomène dans sa nudité. Il ne porte aucun jugement. Il avertit. A chacun de regarder autour de soi et à s’interroger sur l’état du monde actuel. Notamment de l’Europe, dans laquelle nous vivons et où commencent à sourdre des bruits de bottes inquiétants. Ne se font-ils pas entendre, comme par hasard, chaque fois que le mécontentement populaire atteint des limites insupportables au bien-être de certains…
Damie Chad.
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J’allais en rester là avec Rome et Coriolan, un dernier coup d’œil sur la discographie et je tournai la page, hélas un mot, un seul m’a interpellé : Hyperion ! Le cœur de la littérature occidentale deux poèmes inachevés de John Keats, un roman d’Hölderlin. Jugez du peu. L’on ne s’approche pas du Soleil Zénithal de la Grèce Antique et du romantisme européen sans se brûler. Il me fallait aller toucher cela de près.
THE HYPERION MACHINE
ROME
(Trisol / 2016)
L’artwork est comme le précédent de Mathias Bäuerie, esthétiquement très différent du Coriolan très mise en scène, très proche des affiches dévolues aux opéras du répertoire classique. Ici nous sommes aux antipodes d’un tel parti pris, nous sommes dans notre modernité, voué au triomphe des machines, le fond blanc nous induit à penser que nous sommes dans un laboratoire face à un chercheur en plein travail, suivant avec attention une expérience décisive, une manipulation dont on attend le résultat, surtout les conséquences que l’on pourra en tirer… Coriolan est l’homme de la société du spectacle, The Hyperion Machine fait davantage référence au travailleur, au sens Jüngien du terme, attelé à sa tâche. A croire que le créateur romantique a cédé la place au technicien, qui se penche sur un phénomène pour tenter d’en comprendre le fonctionnement. Un peu comme un chroniqueur de rock qui ne fait pas de musique mais qui essaie d’apporter un éclairage particulier à un phénomène musical qui a déjà eu lieu.
The Hyperion machine : coup de gong : mon nom est Hyperion presque chuchoté, des voix se mêlent sur la bande-son qui ne dure que vingt-quatre secondes. Celine in Jerusalem : Céline n’a jamais été à Jérusalem, littérairement Céline et Hölderlin n’ont pas grand-chose à voir, sinon qu’ils ont vécu des époques troublées la Révolution Française, l’invasion de l’Allemagne par la France pour l’auteur d’Hyperion, la première et la deuxième guerre mondiale pour l’auteur du Voyage au bout de la nuit, quand le monde devient fou il est difficile de raison garder, Hölderlin resta la moitié de sa vie enfermé… des pas qui viennent de loin, une mélodie tranquille qui déroule ses anneaux, la voix assurée de Rome nous ferait oublier que la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille. A tous les niveaux : dans l’intimité des hommes, pensons aux amours impossibles entre Diotima et Friedrich ou à la grande tendresse qui unit Céline à sa femme Lucette : dans les bouleversements historiaux, l’on connaît les pamphlets de Céline contre les juifs, l’on n’ignore point la thèse qui court selon laquelle le nazisme a puisé sa source dans le romantisme allemand… les paroles évoquent tout ce maelström de comportements humains et d’évènements historiaux. Transference : transferts et héritages, à la base un chant d’amour, un peu passionné avec des moments plus âpres lorsque l’on se referre aux comportements des hommes, insensiblement le rythme se précipite, c’est que l’être humain est capable du meilleur comme du pire, de préserver ce qui doit être préservé et de vivre ses passions sans trop porter d’attention aux conséquences, on a beau faire, dans tous les cas l’on n’est jamais sûr du résultat, ou l’on en fait trop ou l’on n’en fait pas assez... Souvent les journalistes étrangers évoquent Jacques Brel et Léo Ferré lorsqu’ils tentent de définir Rome, selon moi s’il doit y avoir interférence ce serait plutôt avec Leonard Cohen. The Alabanda breviary : une guitare folkly et la voix de Rome qui court dessus, la chanson de celui qui a tout vécu et qui en tire une amère leçon, l’on flirte avec le country, même si la thématique est beaucoup plus intellectuelle, le héros, autre dénomination du citoyen de base, a tout essayé : les armes et l’écriture, l’a voulu connaître le monde et ça ne sentait pas bon (merci à Brel). L’est un peu revenu de tout. (Très Johnny Cash). Y a gagné une certaine sagesse, celle de l’impuissant qui n’a pu influer sur la marche du monde, et qui se contente de ne pas agir. L’a tout de même des excuses. Il n’a pas trouvé les mots, le temps lui a fait défaut. L’est maintenant comme les ruines grecques d’Alabanda. Ou tu vis, ou tu ne vis plus. Tu fais semblant. Stillwell : une chanson d’amour, pas facile quand l’une s’appelle Sarah et l’autre se réclame de la race des maîtres, en duo avec la belle voix grave de Joakim Thäström, chanteur punk-rock industriel suédois, sur la fin du morceau chœurs et voix féminines ajoutent à la lassitude ambiante, l’approche espérée du bonheur n’est pas le bonheur, de belles résonnances électro, la chanson se traîne, être au plus près n’est-ce pas la plus cruelle et délicieuse manière de mesurer l’immensité du rêve androgynique qui nous séparera toujours.
Cities of asylum : une rythmique qui cliquette presque joyeusement, un chant embrumé de nostalgie et d’échec, malgré tout aller jusqu’au bout, oser même si l’on doit y laisser la vie. Ce n’est pas un comportement suicidaire, il suffit de résister et de s’opposer à ce qui vous brisera. Parfois il n’existe pas d’autres solutions. Si tu n’y vas pas l’on viendra te chercher. Skirmishes for Diotima : une chanson sur la destinée des êtres, un peu mélodramatique, d’une grande tristesse, parfois la guerre vous sépare, parfois la guerre vous réunit, nous sommes les jouets des circonstances, seule la tombe sera accueillante pour les amants, cela a-t-il vraiment une importance. Pourquoi se souviendrait-on de Diotima… Toutes les croisées des chemins ne sont-elles pas dénouées. Jusqu’au bout du nihilisme. Adamas : piano fougueusement romantique, peut-être un parfait exemple de dark-Folk, en tout cas cette fois-ci Rome éraille quelque peu son vocal, ressemble presque à s’y méprendre au timbre si particulier de Leonard Cohen, l’heure est grave, une adresse à l’individu qui obéit à un dictateur quelconque, qui se couche spirituellement devant le maître, ployé sous la peur honteuse et pitoyable, l’Ennemi du genre humain, dont nos efforts n’ont pu arrêter le cheminement victorieux, un peu de clarté, dans le seconde partie, une voix moins profonde, un piano délié, cette métamorphose serait-elle motivée par la venue espérée d’un Dieu qui ne vient pas, conséquence l’accompagnement électro se charge, sirènes, canonnades, bombardements, pleurs d’une guitare, élévation de chœurs féminins et mortuaires. Qui est cet Adamas, ne serait-il pas tout simplement l’Adam éternel ambivalent porteur de toutes les grandeurs, vecteur de tous les crimes. The secret Germany : (For Paul Celan) : hommage à Paul Celan, la poésie de Paul Celan reste marquée par la tragédie de la Shoah, dont ses parents ont été victimes, toutefois sa poésie n’est guère platement protestataire, par une langue dense et difficile, rilkéenne pour la stigmatiser grossièrement en un seul mot, au-delà des circonstances historiales, Paul Celan a tenté d’exprimer le mystère de l’Horreur qu’il faut bien accepter de qualifier d’Humaine malgré certains de ses aspects inhumains… Le texte de Rome est inspiré d’un des plus célèbres, peut-être parce qu’il est l’un de ses plus simples, poèmes de Celan : Todesfuge. Le lecteur français aura intérêt à mettre en parallèle le concept de Secret Germany avec le concept de France Aurélienne de Luc-Olivier d’Algange, car tout individu possède un pays secret. Même si beaucoup l’ignorent. Un texte qui retrempe chacun en ses propres manquements à la nécessité d’agir, hier, avant-hier et aujourd’hui. Inutile aussi de renier l’avenir en raison du passé… Une marche quasi martiale adoucie par la solidité d’une voix qui arpente les décombres d’une époque révolue, en route vers ce pays secret, vers lequel nous faisons que nous diriger sans jamais y arriver. Sans doute car nous n’avançons pas assez vite. Die Mörder Müsham : Erich Müsham est un militant anarchiste qui participa en tant que l’un des principaux activistes à l’aventure insurrectionniste spartakiste en Bavière en 1918-1919… Opposant au parti nazi il fut arrêté et exécuté en 1934… le morceau débute par ce qui doit être un chant nazi, estompé au bout de trois minutes par des râles d’étranglement ou de vomissements, serait-ce l’évocation symbolique les bruits de l’agonie d’Erich Müsham, la voix de Rome récite un extrait d’Hyperion d’Hölderlin, une lettre d’Hyperion à son ami Bellarmin, Hyperion conte la désolation spirituelle des deux amis qui n’ont trouvé aucune place dans le monde et évoque la tâche qui leur reste à faire… Un accompagnement sonore qui prend à la gorge. La confrontation de ces deux textes qui clôturent l’Hyperion Machine est à méditer. Le chant de la première partie est-il l’exemple de ce qui risque de se passer si le travail auquel nos deux amis doivent s’atteler n’est pas accompli. L’on peut aussi interpréter L’Hyperion Machine tout autrement, comme un mécanisme fatal qui pousserait certains individus à changer le monde selon leur volonté… Fan fan fan : ( Bonus track) : une reprise d’un morceau de son ami Joakim Thäström, l’original est sur You Tube : le thème est des plus simples, un amour perdu, la solitude et les regrets de celui qui reste, le rêve de ce qui aurait pu être, de ce qui aurait dû être. Un accompagnement moins dépouillé et un timbre de voix davantage optimiste. A interpréter symboliquement. L’Europe est divisée, partagée entre deux possibilités, il nous reste à aller vers les autres.
Cet opus m’a paru moins fort que le précédent. Si la thématique est la même, Coriolan l’aborde selon une vision minimale, celle d’un individu. Il est aisé de l’admirer ou de le condamner. Nous sommes trois siècles après la naissance de Rome, les enjeux politiques nous échappent même si nous les comprenons intellectuellement. Toutefois à l’aune de notre temps, ne l’oublions pas. L’Hyperion Machine évoque notre histoire contemporaine, aujourd’hui encore les médias nous parlent d’antisémitisme, le spectre du troisième Reich hante encore l’Europe. Dans cet ouvrage, les individus ne comptent pas, ou alors en tant que personnages exemplaires et symboliques de centaines de millions d’autres. La problématique est moins facile à décrire et à saisir. Cette difficulté se ressent dans les textes, qui ne disent pas tout, voilés d’une aura de mystère, qui demandent à être interprétés. Qui exigent une plus grande réflexion. De même la musicalité de l’album, même si chaque morceau en lui-même est parfaitement réussi l’ensemble est un peu monotone. Coriolan se découpe comme une statue géante de pierre noire sur le décor noirci de l’histoire. La Machine Hyperion donne l’impression d’une fresque pas encore totalement achevée.
( Wilheim Wandschneider _ 1904)
Rome n’en est pas moins dans le milieu musical un artiste de grande envergure. Son but n’est pas de distraire, mais de nous faire réfléchir. Les contemporains préfèrent fermer les yeux. Nietzsche le qualifierait d’inactuel. Un visionnaire en quelque sorte.
Damie Chad.
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J’espère que ça ne va pas continuer jusqu’à la nuit des temps, quoique s’il s’agit de passer en série tous les pionniers du rock, a priori ça ne me dérange pas. Surtout que cette fois, ce n’est pas n’importe qui :
ELVIS PRESLEY
La scène est à l’identique, même lieu, même action, je beurote mes biscottes tout tranquilotte sans tremblote dans ma culotte, que ne ferait-on pas pour une rime, oui la radio marche : France Inter, France Rockabilly n’existant pas, faute de grive l’on avale des merles, n’aurais-je pas fait une faute d’orthographe à ce mot ne serait-il pas plus seyant avec un d ? Une grosse différence : la cafetière électrique ne se prend plus pour une Pacific 231, aucun nuage de vapeur, tout au plus si en tendant l’oreille j’oie, je sais ce n’est pas la joie, j’eusse préféré j’ouïsse davantage jouissif, un très léger tchou-tchou, elle doit être arrêtée, un troupeau d’un million de bisons se sont massés sur les rails, et pour une fois Buffalo Bill pas très futé a oublié sa carabine.
Attention là celui qui parle dans le poste, c’est le boss, le grand chef du 7 / 10, pas du tout un indien rebelle sur le sentier de la guerre, normalement c’est le moment où Nicolas Demorand présente un roman policier. Mais là non, ce sera une émission sur une chaîne télé, laquelle je ne sais pas, je n’ai pas de télé, je tremble : encore un laïus sur les bienfaits de la démocratie dans un pays qui compte neuf millions de pauvres, avec un enfant sur trois qui ne fait pas trois repas par jour, ben non, il prononce un nom magique : Elvis Presley ! N’a que deux minutes mais il se débrouille bien, d’abord il avoue qu’il est un fan d’Elvis depuis tout petit, en trente secondes il résume sa carrière jusqu’à son grand retour en 1968, je savoure mon café mais je bois du petit lait, une phrase sur le déroulé-boulé de la soirée historique, passe un extrait du King en train de chanter, pas long mais aussi crémeux que du lait de baleine, termine en renouvelant son amour immodéré pour Elvis.
Un truc qui vous fout la patate, c’est dommage que Buffalo Bill ait oublié son flingot, j’aurais ouvert la fenêtre et décanillé une douzaine de passants pour exprimer ma joie. Tous les fan-clubs d’Elvis m’auraient envoyé des lettres de félicitation et je serais devenu célèbre dans le monde entier. Même que l’on aurait parlé de moi sur France Inter.
Parfois la vie ne se passe pas comme un rêve. Alors je me suis plongé dans une réflexion philosophique. Prenons deux individus au hasard : Nicolas Demorand et mon humble personne. Ne parlez pas de privilèges, je n’ai que ces deux-là dans ma chronique, Buffalo Bill est hors-jeu puisqu’il est mort en 1917 avant la naissance d’Elvis.
Demorand est né en 1971, il est arrivé après la bataille puisque le NBC Show date de 1968, là-dessus j’avoue être mesquin, mais là n’est pas le problème : deux fans d’Elvis, deux destins différents. Pourquoi l’un joue-t-il chaque matin à la voix de son maître gouvernemental et l’autre pas ? Doit-on en conclure que le rock‘n’roll n’influence en rien les consciences politiques de ses admirateurs. Mais alors quelle attraction précise exerce-t-il sur ceux qui se réclament de lui...
Damie Chad.
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Il est des livres qui ne vous apportent pas ce que vous espériez y trouver. En voici un. J’étais content dans la boite à livres ma main attirée par une couverture grise, ô c’est d’Armand Godoy, je fais la grimace en lisant le titre De vêpres à matines, vous connaissez mon peu d’empressement pour la chose chrétienne, oui mais Godoy fut un ami d’Oscar Vladislas de Lubicz Milosz, un des plus grands poëtes de langue française du vingtième siècle, j’aurais dû m’arrêter à cette première découverte, mais non, mon œil repère le nom ultra-connu d’un personnage qui est resté cher à nombre de jeunes amateurs de rock, donc je prends :
CECI N’EST PAS UNE AUTOBIOGRAPHIE
Roman
DANIEL FILIPACCHI
(Bernard Fixot / 2012)
Ah, le bouquin, grand format plus de quatre cents pages ! Une fois ouvert on respire : grosse police, large interligne, une page et demi blanche sépare chacun, des soixante-douze chapitres du suivant. Que ne ferait-on pas pour le rock’n’roll ! Un véritable puzzle aux pièces mélangées. Daniel Fillipacchi le rédigea, faute de mieux, immobilisé dans son lit durant quatre mois à la suite d’une chute malencontreuse. Des souvenirs entassés pêle-mêle, venus au fil de la plume, classés tant bien que mal dans un ordre qui se voudrait chronologique.
L’on ne parle guère en Europe de la Grande Catastrophe, voici quelques années, pas un mot lors de son centenaire, dans les media mainstream pour rappeler son souvenir… En 1922, les forces turques s’emparent de la ville de Smyrne, c’est ici le lien le plus étonnant de ce livre avec le rock’n’roll, le grand-père Filipacchi s’enfuit au plus vite pour échapper aux exactions généralement commises envers les civils lors des guerres…
L’était armateur le grand-père, je ne pense pas qu’il n’ait pas mis à l’abri dans une ou plusieurs banques étrangères quelques ‘’bribes’’ de fortune, l’auteur se présente comme un petit-fils obligé de se débrouiller par lui-même. Le père de Philippe lancera une collection de grands écrivains qui rachetée par Gallimard deviendra le fleuron de l’édition française La Pléiade… Chez Gallimard le paternel entreprendra la mise en place du Livre de Poche. Une reprise de l’idée d’Honoré de Balzac dont il ne retira aucune satisfaction mais dont il lui resta pour le restant de ses jours une énorme dette…
Daniel a des parents sympas et compréhensifs, ils seront obligés de le retirer de l’Ecole Alsacienne, là où nos ministres envoient leur progéniture, les études ne l’intéressent pas, son truc à lui c’est le… jazz. Comme il né en 1928 ce pouvait être le rock. Un oncle lui envoie par caisse entières de disques des Etats-Unis, quant à son argent de poche - il suffit qu’il demande – il le passe en… disques de jazz. Un passionné. Papa a des relations, il sera photographe à Match. Ce qui lui permet entre autres d’entrer en relations avec beaucoup de grands patrons français. La mort de Charlie Parker aura un effet positif. La nouvelle station de radio Europe 1, ne possède aucun disque de Parker, le patron lui téléphone, il se radine avec une partie de ses albums. L’émission est un succès. Lui est proposé de réaliser avec Frank Ténot lui aussi passionné de jazz une émission jazz… tous deux adoptent un ton de conversation qui tranche avec les introductions académiques qui étaient alors de règle dans toutes les radios. Le public les attendait sans le savoir.
Ce n’est que le début de l’aventure, Europe 1, demande à nos deux jazzeux de prendre la relève d’une émission Salut les Copains présentée par une étudiante américaine Suzy beaucoup plus captivée par son chat que par les disques de rock’n’roll qu’elle passe.
Je pensai que j’allais en apprendre beaucoup sur les coulisses de cette émission phare. Ben non. Il n’en parle plus ; Pas un mot. Rectificatif : oui il cause de Salut Les Copains, pas l’émission, la revue. Pas le contenu : le million d’exemplaires vendus. Se révèle ce qu’il est : un homme d’affaires, plus intéressé par la réussite de ses entreprises que par leur contenu. Il monte en rachetant Hachette un véritable empire de presse. Nous ne citerons que Lui… L’est un businessman qui brasse des millions, à cheval sur l’Europe et les Etats-Unis.
Pour sa vie privée trois passions : la bibliophilie, la peinture, le jazz. Il collectionne les surréalistes et tous (beaucoup) les peintres. Donnent leurs noms et les bonnes affaires qu’il conclue. Ne comptez pas sur lui pour nous faire pénétrer dans l’univers des artistes. Il organise des concerts et publie des disques de jazz. Connaît tout le monde : de Norman Granz à Miles Davis. Quelques rares anecdotes par-ci par-là, fissa-ficelées et l’on passe à autre chose.
Le personnage est un peu déplaisant. Des idées politiques peu révolutionnaires. Un milieu de droite, très réactionnaire. Avec le couplet obligatoire sur les riches beaucoup plus malheureux que les ouvriers car leur fortune les oblige à investir sans arrêt. Sont contre l’ISF et les impôts. Ceci dit, il a su capter l’air du temps dans ses entreprises culturelles de masse.
Et le rock Damie. On y arrive. Johnny : tout d’abord, le rappel du disque T’aimer follement de Johnny cassé en direct sur les antennes d’Europe 1 par Maurice Biraud. Du connu, archi-connu. Ensuite Johnny invité par Charles Delaunay, le fils des peintres Sonia et Robert, à participer à un festival de jazz à la salle Wagram, chassé de la scène par le public qui attendait Sydney Bechet…
( Ahmer & Nesuhi Ertegün )
C’est un peu maigre Damie. Attendez les gars, attention deux grosses pointures, notre Cazengler national les évoque souvent, les frères Ertegün, Ahmet et Nesuhi, les directeurs d’Atlantic, que Filipacchi rencontre le 26 juin 1957, lors d’une réception de Wilburn de Paris chef d’orchestre rentrant de tournée en Afrique. La rencontre entre le petit-fils d’un pourchassé de Smyrne et des deux turcs se passe merveille. Nesushi parle français, il a été élevé en Suisse, et commence par réciter un poème d’Arthur Rimbaud. Nesuhi et Daniel deviendront amis. Lui aussi est un amateur de peinture. Pour les remembrances discophilesques nous n’y participerons pas. Atlantic sera racheté, au même titre qu’Elektra, Asylum et Warner par Steve Ross. Filipacchi deviendra président de Warner… Nesushi et Ahmet firent disperser leurs cendres en Turquie. Filipacchi ne se rendra pas à la cérémonie.
Voil0, c’est peu mais c’est tout.
Damie Chad.