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  • CHRONIQUES DE POURPRE 486 : KR'TNT ! 486 : MARTY WILDE / BOB DYLAN / MEZZADRI BROTHERS / JARS & FRIENDS / INSURRECSOUND / ROCKAMBOLESQUES IX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 486

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    26 / 11 / 2020

     

    MARTY WILDE / BOB DYLAN

    MEZZADRI BROTHERS / JARS & FRIENDS

    INSURRECSOUND / ROCKAMBOLESQUES 9

     

    Born to be Wilde

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    L’an passé, RPM publiait un petit coffret magique consacré à Marty Wilde : A Lifetime In Music 1957-2019. His Highlights And Rareties. En l’ouvrant, vous allez tomber sur un booklet bien dodu. Marty Wilde s’y fend d’une bien belle introduction : «J’ai toujours été dans le business, je crois bien. J’ai démarré ma carrière à l’âge de 17 ans et aujourd’hui j’en ai 80 !». Le vieux Mart reconnaît avoir souvent changé de style, mais il avoue en même temps qu’un truc est resté constant en lui : my tremendous love of music. Et quand on connaît bien les galettes de Mart, on ne peut qu’hocher la tête en signe d’assentiment. Il règne dans tout ce qu’il fait une sorte d’esprit. Mart dit avoir connu tous les studios, à commencer par le mythique Philips Studio de Stanhope Place, puis le Regent Sound sur Denmark Street et bien sûr le fameux Abbey Road rendu célèbre par les Beatles. À travers Mart, c’est toute l’histoire du rock anglais qui défile sous nos yeux globuleux.

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    Avant de devenir célèbre sous le nom de Marty Wilde, Mart s’appelle Reg Smith. Il gratte un peu sa gratte au Condor, un club de Soho, et Bart le repère. Bart parle de Reg à Parnes qui se met en chasse. Il croit le choper au club but Reg is gone, lui dit le boss, to catch his bus. Oh fuck, fait Parnes. Il n’a qu’une seule info : Reg vit à Greenwich, alors Parnes le cherche et finit par le trouver. Il sonne chez Smith. Mom Smith ouvre. Oui, Reg c’est bien ici. Come on in ! Have a cup of tea ? Have a biskit ? Parnes a le contrat dans sa poche. Il le sort, le déplie et le pose sur la table. Il tend son bic à Reg. Signe là mon gars ! And now tu t’appelles Marty Wilde. What ? Reg coince mais finit pas s’y faire.

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    Larry Parnes est un fabriquant de stars. Il débute dans le biz comme associé de John Kennedy, pas le président, non, mais le mec qui a découvert Tommy Steele. Puis Parnes se sépare de Kennedy pour monter son écurie. Mart est son premier poulain, suivi de Ron Wycherly (Billy Fury), Ray Howard (Duffy Power), Clive Powell (Georgie Fame) et d’autres moins connus comme Vince Eager, Dickie Pride, Lance Fortune ou encore Johnny Gentle. Tous bien sûr rebaptisés par Parnes. Et si Mart a très vite du son, c’est pour deux raisons : un, John Franz le prend sous son aile et deux on trouve dans ses Wildcats Big Jim Sullivan et deux des plus grands batteurs du temps d’avant, Bobby Graham et Bobbie Clark. Mart va enregistrer une palanquée de singles énormes, on y revient tout à l’heure, et une poignée d’albums plus ‘commerciaux’. Il est grand temps de redire haut et fort que Marty Wilde est l’un des plus prestigieux rockers d’Angleterre. Peut-être même LE plus prestigieux.

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    Son premier album,Wilde About Marty, est sorti en 1959, longtemps avant que tout explose en Angleterre. Philips a fait le choix d’une pochette très américaine, une esthétique qui rappelle celles des pochettes de Dion ou de Ricky Nelson. On trouve pas mal de hot stuff sur ce premier tir, à commencer par cette reprise superbe et battue à la folie du «Down The Line» de Buddy Holly qu’il chante avec des accents de Gene Vincent. Autre merveille en fin de B : «Splish Splash» - Open the door ! - Quelle dégaine ! Il finit sa B avec un joli shoot de heavy blues, «So Glad You’re Mine» qui préfigure le believe I dust my blues du Spencer Davis Group. C’est bardé de son, comme le seront tous les grands hit de Mart. Il tente de foutre le feu à Londres avec «Put Me Down» mais pour ça, mon gars, il faut s’appeler Jesse Hector. Il taille ensuite une croupière au «Blue Moon Over Kentucky». Il démarre sa B avec l’excellent «All American Boy» bien ramoné de la cheminée. Mart y croit dur comme fer et ça s’entend, en dépit des faux airs de comedy act. Il se prend pour Jerr avec «High School Confidential». Pas facile de jouer la carte des géants. Il s’en sort avec les honneurs, même si son high school bop est un peu léger.

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    C’est sur Showcase paru en 1960 qu’on trouve sa version de «Fire Of Love», un hit gluant signé Jody Reynolds que reprendra vingt ans plus tard Jeffrey Lee Pierce avec le Gun Club. Mart est un fantastique précurseur. S’ensuit un autre hit de Jody Reynolds, «Endless Sleep», assez éperdu, chanté au vieux footsteps. Mais l’album a ses faiblesses, avec les cuts plus poppy comme cette reprise d’un hit de Dion & The Belmonts, «A Teenager In Love». Il faut souligner l’incroyable qualité du son. Avec «It’s Been Nice», Mart sonne comme Buddy Holly. On retrouve chez lui le même genre de ferveur lumineuse. Mart est the real wild guy d’Angleterre, il fait tout à la voix, il explose sa petite pop. Dommage qu’on l’oblige parfois à enregistrer des navets. Il sauve son album avec «Bad Boy» puis «Johnny Rocco». «Bad Boy» est le grand hit de Mart. S’il est un hit qui illustre bien la délinquance britannique c’est celui-ci. Mart le chante à l’insidieuse carabinée. On salue aussi bien bas l’immense «Johnny Rocco».

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    Paru la même année, The Versatile Mr. Wilde manque un peu de sauvagerie. Mart fait l’impossible pour sauver son album, mais on l’oblige à chanter des cuts assez ineptes. Il doit avaler des couleuvres toutes plus grosses les unes que les autres. Alors qu’en parallèle, il ne sort que des singles magiques, comme on va le voir par la suite. Marty Wilde disposait d’un vrai potentiel. Comme Vince Taylor, il aurait pu exploser l’Angleterre, alors il fallait le calmer. Et puis soudain voilà qu’en fin de bal d’A apparaît un hit : «Amapola», monté sur un drive de big band. On se croirait chez Sinatra. C’est bombardé de son. En B, il cherche à faire venir une poule chez lui avec «Come On-A My House» - I’ll give you a candy/ I’ll give you everything - C’est du sexe pur. On croirait entendre une bite chanter. Il essaye de sauver l’album avec «To Be With You» et il finit avec un «Autumn Leaves» très Broadway.

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    C’est aussi l’époque où il participe à des comédies musicales. Il chante trois cuts dans Bye Bye Birdie, un spectacle donné dans un théâtre londonien en 1961. C’est du comedy act à la con. «Put On A Happy Face» ? Fuck you Happy Face ! Les seuls cuts intéressants sont ceux que chante Mart the crack. Il fait un brin d’Elvis dans «Honestly Sincere», se ridiculise dans «One Last Kiss» et sauve les meubles avec «A Lot Of Livin’ To Do». Mart ramène sa classe dans le to do, mais une super-connasse vient casser les noix du cat. Et comme c’est du big Broadway bash, Mart y éclot avec tout le confort qu’apporte le big band, il donne tout ce qu’il a dans le ventre. Mine de rien, Mart sauve Birdie de l’avanie.

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    Mais comme on l’a indiqué plus haut, tout le jus de Mart se trouve sur les singles. Il suffit de ramasser n’importe quelle compile de singles pour en avoir le cœur net. Marty Wilde fut sans doute le seul rocker d’Angleterre à pouvoir chanter du rockab, c’est en tous les cas ce que montre «Wildcat», visité par un solo de sax et monté sur un wild drive de slap. Même chose avec «Love Bug Crawl» et sa ferveur haletée. C’est d’une crédibilité sans nom. Encore une merveille avec «Oh Oh I’m Falling In Love», monté sur un fabuleux shake de clap-hands. On voit aussi qu’il dispose de gros moyens dans «Sing Boy Sing», pur jus de swing de jazz anglais. Il continue de faire les 400 coups avec «Her Hair Was Yellow». Avec ses singles, il sonne comme le roi du UK beat.

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    Il devient littéralement phosphorescent avec «Mysery’s Child» et il claque bien le beignet de «Love A Love A Love A», un cut emmenée au drive de slap descendant. Wow ! «Hide & Seek» sonne comme une fuite en avant et on adore Mart pour cette faculté de fuite. Encore un exploit hautement productiviste avec «Tomorrow’s Clown» : quelle atmosphère ! Mart chante ça heavy dans le mellow d’une sourde ondulation. La heavy pop de «Come Running» se montre digne de Del Shannon, même si elle est très exacerbée. «Jezebel» sonne comme le real deal, monté sur le plus impérieux des riffs. Mart chante son «Don’t Run Away» à la passion pure et il swingue son «Ever Since You Said Goodbye» comme une vieille pop, mais on se doute bien que ce genre de classe n’intéresse plus grand monde aujourd’hui. Mart ancre sa pop dans un culture trop ancienne. Et pourtant «Danny» éclate au grand jour, avec son claqué de guitare et un gusto digne d’Elvis. Mart entre dans sa période big sound avec «Little Girl» et revient au rockab pur et dur avec «My Baby Is Gone». Si on s’interroge sur le sens du mot véracité, la réponse est là. On se croirait même sur un single Meteor tellement ça sonne les cloches. On voit rarement des cuts aussi explosifs qu’«Angry» : big band for big Mart. Même chose avec le «Rubber Ball» de Bobby Vee, un son de rêve, et là, on se croirait carrément au Brill. C’est dire si ce mec a tout bon. Encore une belle attaque rockab avec «Your Loving Touch» - You don’t care for me/ Why don’t you set me free - Son attaque est celle d’une big American star. Mart est un crack. Encore un shoot d’American craze avec «When Does It Get To Be Love». Mart y croit, c’est un convaincu du to be love, il est même encore pire qu’Elvis, il enfonce sa canne dans l’ass du rock et les filles derrière font waddy waddy wahhhh. C’est un kitsch qui dépasse toutes les espérances du cap de Bonne Aventure.

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    Wow, la classe de Mart sur la pochette de Rock ‘n’ Roll ! Il chevauche une Triumph en gilet de cuir noir et fixe l’objectif avec la mine stoïque d’un rocker anglais. Fantastique allure et on peut dire la même chose de cet album produit par John Franz. Depuis le début, Marty Wilde nous habitue à une belle forme de pertinence et son «Hound Dog» ne fait que renforcer l’impression d’être en excellente compagnie. Il nous bricole une version râblée, sérieuse, corsée, bien cousue, bâtie sur un drive de basse solide et dévorant. S’ensuivent un «Summertime Blues» de caractère et un «Wake Up Little Susie» bardé de son. Marty Wilde tient bien son rang de prince des pionniers britanniques. Il fait encore un carton avec son «Rave On» et nous expédie au paradis avec le fantastique swagger qu’il met en œuvre pour trousser «Lawdy Miss Clawdy». Cet album est un monster, les chœurs de filles donnent le vertige et Marty Wilde chante ça au beat des reins. Power & hip shake ! Il attaque sa B avec un violent shoot de «Good Rocking Tonight» - I heard the news/ There’s a good rocking tonite ! - Il est l’un des plus habilités à chanter ça, il injecte du rockab dans son Rockin’. Ce mec swingue comme un démon. On entend rarement des albums de covers rock’n’roll aussi bien foutus. Comme on est en Angleterre, il adresse un gros clin d’œil aux Beatles avec une reprise gonflée de «Paperback Writer», sans doute l’un des cuts les plus difficiles à reprendre, car c’est gorgé d’harmonies vocales insidieuses. Mais Mart se marre, il s’en tire avec les honneurs. Il tape plus loin dans «The Fool» et rend un fuckin’ great hommage à Sandford Clark.

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    Difficile de se lasser d’un chanteur aussi parfait que Marty Wilde et encore moins d’un album comme Diversions, paru en 1969 et devenu culte. On entre au paradis avec «Any Day». Le paradis, c’est-à-dire la grand pop orchestrée de London 69. On sait dès l’intro d’Any Day qu’il faut attendre un miracle : Mart y explose la pop en plein ciel. Il nous plonge dans l’artefact aristocratique pop et les chœurs font «Any day !». Stupéfiant. Il enchaîne avec «It’s So Unreal», il groove son shit par l’abdomen et l’album devient demented, tout ici est supérieur : le chanteur, la prod, l’ambiance. Mart explose au-delà de toute commune mesure. Il reste dans le haut vol avec «Zobo», dans le confort d’une prod de rêve et s’appesantit sur «Learning To Love», mais en même temps, il ultra chante. C’est un timbre qui oblitère. Il attaque sa B avec «Ice In The Sun» et chante comme the real deal d’Angleterre. Il monte en pression dans «Alice In Blue», mais de façon extravagante, il use et abuse de son power, il peut exploser à n’importe quel moment. Il avance dans l’air du temps à la seule force du poignet. «Felicity» et «In the Night» sonnent encore comme des pures merveilles. Il monte comme Richard Harris dans «MacArthur Park», même power et même grandeur dans le développé. Ce mec nous balade dans son monde, sa classe le met à part. Dommage que cet album génial soit passé inaperçu à l’époque.

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    Revenons à cette petite box jaune RPM qu’on peut acheter les yeux fermés : A Lifetime In Music 1957-2019. His Highlights And Rareties. Pourquoi ? Mais parce que c’est de la dynamite. Si on ne savait pas que Marty Wilde était l’un des géants du rock anglais, cette petite box jaune est là pour le rappeler. On y trouve quatre disks et un livret bien documenté. Comme ceux d’Ace, les gens de RPM ne font jamais les choses à moitié. Le disk 1 ne propose que des singles. On y retrouve «Wild Cat». Mart y fait le rock anglais à lui tout seul, avec un solo de sax dans la folie du drive. «Love Bug Crawl» est du vrai rockab anglais joué aux guitares claironnantes. Il faut aussi entendre ce «Oh-Oh I’m Falling In Love Again» joué aux clap-hands et l’excellent «Sing Boy Sing» allumé au chant délinquant. C’est Mart qui fait la première cover de «The Fire Of Love». Il fait sa star et chante «Bad Boy» au petit développé. Il sait monter en puissance au long cours d’un cut. On se régale aussi du son de guitare dans «My Heart And I», aw c’mon Mart ! On finit par adorer sa voix. Il y a toujours un petit côté killer chez lui. Avec «Angry» et «Little Girl», il passe au drive de big band, et emmenée par un bassmatic élastique, sa pop bascule dans des tourbillons de folie douce. On note chez Mart une incroyable profusion de bons cuts. Il chauffe son «My Baby Is Gone» à la manière de Gene Vincent et revient au big jump à la Count Basie dans «Amapola». Perché au somment du beat, Mart fait le cake. Nous voilà dans le Kosma des Feuilles Mortes avec «Autumn Leaves» - I see your lips/ The sorry kisses - L’incroyable de cette histoire est qu’il bénéficie toujours d’orchestrations extravagantes. En fait, Marty Wilde était surtout l’homme des singles. Tout est extrêmement intéressant. Encore une merveille avec «When Does It Get To Be Love». Les filles derrière sont déchaînées, elles en rajoutent et Mart roucoule dans l’enfer du wa-choo-wah. Il chante tout à la régalade et sonnerait presque comme Elvis dans «Your Loving Touch».

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    Le disk 2 qui propose encore des singles se révèle encore plus diabolique, mais il faut attendre «Jezebel» pour tomber de sa chaise. Pur jus d’Angleterre de 62, une vraie pépite montée sur un gros drive de riff. Mart n’en finit plus de bénéficier d’une prod superbe. Ses singles sont généralement des merveilles palpitantes, comme ce «Honestly Sincere» joué au pire London drive. Les filles poussent des cris et ça bascule dans la folie. Dans «A Lot Of Living To Do», il duette avec une sucrée des enfers, Sylvia Tyside. Comme derrière joue un big band, nous voilà embarqués à Broadway. S’ensuit un hommage spectaculaire à Doc Pomus : «Lonely Avenue», heavy et beau, noyé d’harmo, parfaitement mythique. Puis on voit Mart évoluer avec les modes, «Save Your Love For Me» est assez pop. Il s’adapte bien aux changements. Puis il passe au heavy London rock avec un «Bless My Broken Heart» bardé de son et d’excitation. Derrière, des mecs font «Ahum !». Encore de la heavy pop avec «I Can’t Help The Way That I Feel». C’est à se damner tellement c’est bien foutu et bien chanté. Mart the cat reste en prise sur l’actu avec «Kiss Me». Il sonne juste de bout en bout. Quelques bonus viennent compléter cette impressionnante série de singles, à commencer par une version live de «Move It» avec Hank Marvin. Il faut les voir swinguer le vieux London rock. C’est très viscéral - C’mon pretty babe - Ils en font une horreur sublime. S’ensuit un «Milk Cow Blues» bien sonné des cloches. Mart rocks it out ! On trouve les racines du pub-rock anglais dans «The Price Of Love». Ils sont dedans jusqu’aux oreilles.

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    Le disk 3 propose une session Radio Luxembourg datant de 1959 suivie de quelques bonus. Dès «My Babe», Mart rocke comme un démon. C’est très sauvage, chaque départ en solo casse la baraque. Puis ils tapent une énorme version de «Blue Moon Of Kentucky». On observe une montée en puissance du slap. Mart sait rocker sa chique. On le voit encore tout casser dans «Go Go Go (Move On Down The Line)». Il a le diable au corps, il radiguette à qui mieux mieux. C’est littéralement bardé d’accès de folie. Il racle plus loin son «I’m In Love Again» au vieux rumble de rockab et après un faux départ, «My Baby Left Me» explose au firmament des reprises. Mart fait son King et le fait encore dans «Trouble». Il s’en donne les moyens. Il adore Elvis, ça crève les yeux. Il fait aussi une version bien speed de «Blue Suede Shoes». Après un mauvais départ, ils redémarrent et tout bascule une fois de plus dans la folie pure. Ils attaquent «High School Confidential» à la Jerr. Mart est réellement le real deal du rock anglais. Il faut prendre ce mec très au sérieux. On s’émerveillera aussi de ce «Need Your Love Tonight» amené au tiguili de vieux rumble américain. Quelle énergie, ces mecs jouent leur ass off. Mart rend ensuite hommage à Little Richard («Rip It Up») et à Buddy Holly (Oh Boy») - All my love ! - Fantastique ! Alors attention aux bonus, car ça démarre avec «Caterpillar». Eh oui, Mart vire glam. Il en bouche un coin. Marc Bolan peut prendre des notes ! Mart revient à la pop avec «Yesterday Started For Judy». Il ne fait que du big body of work. Il redevient plus ambitieux avec «All Night Girl», c’est plus axé sur the Wilde réputation et les oh-oh flirtent avec le glam. Watch out, here she comes ! Il tente un énorme retour au heavy rock avec «She’s A Mover». C’est stupéfiant car le son est d’une réelle modernité. Mart shakes it wilde. Paumé dans les seventies, il parvient pourtant à faire son boulot. Il reste un artiste passionnant avec un truc comme «I Love You». Ses essais tardifs accrochent aussi bien que ceux de ses débuts. On a là une vraie présence, une vraie voix et donc un authentique artiste. Il rend hommage à Roy Orbison avec une version d’«In Dreams». Bravo Mart ! On sent le fan investi de tous les pouvoirs. Il réussit même à faire exploser «In Dreams» et à monter par dessus. Voilà pourquoi il faut écouter Marty Wilde. En 1982, il passe à l’electro avec «Hard To Find Easy To Love». Pour la première fois, il se vautre lamentablement.

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    C’est là où les mecs de RPM sont très forts : ils proposent un disk 4 bourré d’INÉDITS. Après le beau heavy blues d’I told you mama («The Next Hundred Years») et un «Feel The Mood» monté sur le groove humide de «Shakin’ All Over», on file directement sur un «Since You’re Gone» enregistré en 1965 et encore plus pop que tout le Swingin’ London réuni. Mart chante à l’unisson du canasson de Carnaby. Fantastique qualité du son et de l’esprit. C’est bardé, complètement bardé. Il duette sur «Just As Long» avec une copine sucrée et un tambourin. Même le folk-rock de «Daddy What’ll Happen To Me» est indécent de qualité. Avec «Jesamine», il est encore une fois en plein dedans, il sonne exactement comme les Beatles, très 68. Marty Wilde aurait dû exploser à la face du monde. Il se prend pour Ronnie Lane avec «Riffles & Firewater» et il a raison. Mart suit l’évolution. Ses démos sont très pop, très décidées à en découdre. Il chante la heavy pop très orchestrée d’«It Didn’t Have To Be This Way» avec l’aplomb d’un crooner au poitrail velu. Et voilà qu’éclate la fantastique pop de «Sunny St Louis». Il s’y affirme encore comme l’un des géants du rock anglais, il plie sa pop en quatre. Il sort des harmonies vocales dignes de l’âge d’or des Beach Boys. «A Place In My Heart» est plus capiteux, car chanté du haut de la falaise de marbre, mais vraiment chanté. Il y a chez Marty Wilde la justesse de ton qu’on trouve chez Fred Neil, Jimmy Webb ou Emmit Rhodes. Il revient à la chère folie de craze avec «Leaping About». Non seulement il peut allumer un cut, mais il sait aussi en faire un hit avec deux fois rien : un bout de stomp en caoutchouc, une voix et un peu de nostalgie. Il fait ensuite du bubblegum avec «Jungle Jim», et casse ensuite la baraque avec «I’m A Mover». On se croirait chez Free. Il explose son Mover en parfait glamster, aw right ! Il fait carrément du proto-punk avec tous les réflexes de bon aloi et s’il y a un mec en Angleterre qui est autorisé à proto-punker, c’est bien Marty born to be Wilde. Hey babe, I’m a mover. Il va shaker son move jusqu’à la fin des temps.

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    L’un des meilleurs investissements que l’on puisse faire avec le coffret magique RPM, c’est cette compile intitulée The Wildcat Rocker, parue en 1981. Au dos, Nick Garrard se fend d’un texte superbe : il y raconte l’histoire de Reg devenu Mart, grâce à Larry Parnes, qui le découvrit au Condor, à Soho. Dès le «Wildcat» d’ouverture de bal d’A, on est conquis. Mart dispose d’une merveilleuse niaque. Il y a un peu d’Elvis en lui et du brit grit dans le déhanché. Très haut niveau, sens aigu de l’insistance et de la persistance. Encore un joli shout de wild rock avec «Put Me Down». Mart does it right, il sait tempérer le suspense. On le voit faire du Brit Elvis dans «So Glad You’re Mine» et «Danny». Il sait dérouler un déroulé. En B, on tombe sur un «Bad Boy» qui date de 1959. C’est une merveille de profondeur wildy. Mart chante à la délicatesse pervertie. Il nous fait ensuite le coup du big band blast avec «Angry» et revient à Elvis pour «Your Loving Touch». Marty Wilde est ce qu’on appelle un artiste complet.

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    Ce serait aussi une grave erreur que de faire l’impasse sur ce Solid Gold, paru en 1994. Pas parce qu’il porte un nom clinquant, mais parce que Mart y fait une délicieuse cover de «Dedicated To The One I Love». Il parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, celui du temps des lilas qui couraient jusque sous les fenêtres des Shirelles et des Mamas & the Papas. Mart en a l’esprit et les chœurs, mais avec le power d’Angleterre et tout le vibré de glotte dont il est capable. C’est pourri de feeling, il swingue son chat perché au déhanché magnifique. On se régale aussi du «Dancing In The Dark» et de la fantastique tension chantante. Dommage que ce soit du Spingsteen. Il fait un «Billy Fury Tribute» plus rococo et on voit avec «Shane» qu’il a du ventre à revendre. Il duette avec sa fille Roxanne sur «I’ve Learnt It All To You» et rend un fier hommage à Elvis avec «Little Sister». Donc voilà.

    Signé : Cazengler, Marteau Wilde

    Marty Wilde. Wilde About Marty. Philips 1959

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    Marty Wilde. Showcase. Philips 1960

    Marty Wilde. The Versatile Mr. Wilde. Philips 1960

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    Marty Wilde. Diversions. Philips 1969

    Marty Wilde. Rock ‘n’ Roll. Philips 1970

    Marty Wilde. The Wildcat Rocker. Philips 1981

    Marty Wilde. Solid Gold. Select Records 1994

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    Marty Wilde. A Lifetime In Music 1957-2019. His Highlights And Rareties. Box RPM 2019

     

    Dylan en dit long - Part One

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    C’était au temps des disquaires, voici plus de quarante ans. Les kids entraient dans le bouclard et commençaient à fureter. Le vieux disquaire en interpellait un de temps en temps :

    — Tu cherches quoi mon gars ?

    — Du pounk !

    — Regarde dans le bac, à ta gauche. Mais pourquoi n’écoutes-tu pas Dylan ? Ça te plairait beaucoup.

    — Chais pas ! Comprends ‘ren de c’qui dit !

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    Le malentendu ne date pas d’hier. En France, la fameuse barrière du langage n’a pas arrangé les choses. Le gros avantage qu’ont les Français sur les Anglais, c’est de pouvoir écouter du rock sans comprendre les paroles. Et Dylan sans les paroles, ça fonctionnait bien au temps de «Like A Rolling Stone». Mais le vieux disquaire s’y prenait comme un manche. Il essayait de vendre Bob Dylan à des kids en perfecto qui ne rêvaient que de délinquance et non de littérature anglo-saxonne.

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    Car c’est là que se trouve le fond du problème. On voit Bob Dylan comme une rock star, alors qu’il se situe complètement à un autre niveau. Dans son dernier numéro, Mojo nous entraîne encore plus loin dans le malentendu. On sent que Dylan nous échappe complètement, mais on n’imagine pas à quel point. Les plus raisonnables d’entre-nous le percevront comme un poète universaliste, un équivalent américain de Léo Ferré, une sorte de messie rimbaldien passé maître dans l’art de l’ellipse prophétique. Mais l’œuvre est tellement considérable qu’elle déclenche d’autres phénomènes, des phénomènes incontrôlables de type Fantasia. Dylan est certainement l’artiste contemporain qui a généré le plus de vocations d’exégètes. D’ailleurs ça a fini par lui poser un problème, car un nommé Alan Jackson raconte que Dylan n’accepte les interviews que dans la pénombre et sans contact visuel. En gros, regarde tes pompes et évite les questions trop pointues - Don’t be a superfan, c’est ridicule et c’est triste - Mais vous les connaissez les exégètes, plus vous leur dites de fermer leur boîte à camembert et plus ils s’excitent. Rien ne pourrait empêcher ces fanatiques de voir Dylan comme l’incarnation humaine d’un dieu dont chaque parole serait chargée de sens. Dans l’Odyssey de Mojo, un certain Grayson Haver Currin nous tartine quatre pages d’exégèse bubonique sur Rough And Rowdy Ways, le nouvel album de Dylan. Une façon de nous dire que si on ne lit pas sa fucking exégèse, on passera à côté de l’essentiel. Il a raison, on est vraiment trop cons. C’est en gros ce que le vieux disquaire disait aux kids en perfecto, pas intentionnellement bien sûr, mais le résultat est le même. T’es trop con pour écouter Dylan. Alors que de toute évidence, Dylan a choisi le rock pour justement pouvoir s’adresser au plus grand nombre. Comme John Lennon, il avait mesuré l’ampleur du rock en tant qu’outil de propagation d’une révolution pacifique, un outil bien plus efficace que la politique, la littérature ou le cinéma. Ça a bien failli marcher.

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    Chacun voit Dylan à sa façon, et c’est toujours intéressant. Aux yeux des gros veinards qui ont grandi avec les sixties, Dylan eut le même impact en 1965 que les Stones et les Beatles : à la radio, «Like A Rolling Stones» rivalisait de grandeur tutélaire avec «Satisfaction» et «Day Tripper». On parle bien sûr du Dylan électrique, car l’early Dylan passait mal, trop folky folkah pour des oreilles habituées à Jerry Lee et Little Richard. Mais la sauvagerie de «Tombstone Blues», oh yeah ! D’ailleurs, dans l’Odyssey, on trouve cet extrait du book d’Al Kooper (Backstage Passes & Backstabbing Bastards, un book pas très bon) dans lequel Kooper raconte comment il s’est retrouvé au studio Columbia en 1965 pour les sessions d’Highway 61 Revisited. Un coup de pompe dans la porte du studio et voilà qu’arrive Dylan suivi d’un mec qui porte sa Telecaster sur l’épaule, comme un fusil. La Tele est trempée car dit Kooper il pleuvait à verse et le mec s’appelle bien sûr Mike Bloomfield. Et puis il y a cette recommandation que fait Dylan à Bloomy et qui n’est pas dans Mojo : «Don’t play no B.B. King shit !». Le message est bien passé. Comme l’ont fait les Stooges, Jimi Hendrix et le Velvet, Dylan lègue à la postérité une trilogie d’albums magiques sur laquelle on reviendra : Highway 61 Revisited, Bringing It All Back Home et Blond On Blonde. Pour Mick Farren qui le vit à l’Albert Hall lors de sa première tournée anglaise, Dylan c’était Jesus Christ on a Harley (on trouve deux pages somptueuses sur Dylan dans Give The Anarchist A Cigarette, l’une des bibles du rock anglais). La copine Bémolle qui aimait aller au théâtre et «faire» des expos au Grand Palais n’écoutait pas beaucoup de rock, mais elle avait acheté deux albums dirons-nous tardifs de Bob Dylan, Time Out Of Mind et Love And Theft. Elle ne savait pas dire pourquoi elle aimait tant ces deux albums, mais lorsqu’on rentrait tard d’une virée en ville, on les écoutait religieusement tout en descendant une dernière bouteille de pif. Dylan on le sait a toujours plu aux intellos et aux intellotes pour des raisons mystérieuses. Le charme discret de la bourgeoisie ? Va-t-en savoir. Et l’autre jour, on écoutait justement Rough And Rowdy Ways chez un bon copain qui venait d’en faire l’emplette et qui ne savait pas non plus dire pourquoi il aimait le vieux Dylan. Recherche d’un confort culturel ? Goût prononcé pour la chaleur d’une voix ravinée ? Va-t-en savoir. Du coup le vieux Dylan servit de musique de fond pendant le repas, un sort auquel il devait être habitué, après tout. Mais l’album ne remplissait pas son rôle qui était de détendre l’atmosphère, il générait au contraire un léger malaise. Car s’il est un artiste qui ne supporte pas qu’on cause pendant qu’il chante, c’est bien Dylan. On notait par instants que sa diction s’était améliorée, ce qui rendait encore plus pénible le fait de ne pas pouvoir l’écouter plus attentivement en sirotant quelques bons verres de pif.

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    Du coup, l’idée d’un rapatriement de Rough And Rowdy Ways commençait à germer, bien dopée par la parution du Mojo pré-cité, mais la tartine du brave exégète nous ramène au point de départ : que peut-on piger sans l’aide d’un exégète ? Pas grand chose. De ce point de vue, Currin est encore pire que le vieux disquaire. Pour pallier notre manque d’érudition, il nous explique par exemple que «False Prophet» sort tout droit d’une B-side Sun de Billy The Kid Emerson. Il nous replonge alors le museau dans les Sargasses du Theme Time Radio Hour. Il dit même que «False Prophet» est le condensé d’un épisode entier du Theme Time Radio Hour. Débrouille-toi avec ça. Et ce n’est pas fini car il en rajoute une couche en affirmant que «Murder Most Foul» sort à la fois de Bud Powell, de Burt Bacharach, des Eagles, de St James Infirmary, il dit aussi que Dylan accouple Gene Vincent et Carl Perkins, Al Green et Libba Cotten.

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    ( Statue d'Edgar Poe / Boston )

    C’est ça les exégètes, tu leur donnes la parole et t’es baisé. Ce gros malin de Currin nous rappelle ce qu’on savait déjà, que Dylan est un juke-box à roulettes. Mais aussi une bibliothèque à roulettes, et là, ça explose, comme une crise de dysenterie : le poète irlandais Anthony Raftery, William Blake et Edgar Allan Poe surgissent dans «I Contain Multitudes», puis Currin accuse Dylan de faire son Frankenstein en charcutant Shakespeare, la Bible, Steinbeck, Ovide et les Mémoires de César pour en faire des ready-made à la Duchamp, mais là il se vautre, car Duchamp n’a jamais rien charcuté, au contraire. Alors, on s’y perd, avec toutes ces conneries. Ce délire référentiel s’inspire de toute évidence du passage de Chronicles où Dylan décrit de mémoire le contenu d’une bibliothèque, mais c’est à un autre niveau. Nous y reviendrons.

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    L’autre fou continue. Il dissèque «Mother Of Muses» comme une grenouille en cours de sciences nat’ et y trouve Mnémosyne, la mère des neuf muses de la mythologie grecque, puis Calliope, mère d’Orphée, comme s’il voulait attirer l’œil de Damie Chad. Dans «Goodbye Jimmy Reed», Currin compte combien de fois Dylan cite le nom de Jimmy Reed. Côté paroles d’évangile, Currin ne mégote pas. Il conclut son paragraphe Jimmy Reed en nous rappelant que nous ne sommes pas éternels - sur un album qui se joue de la vérité, la mort reste le seul fait intangible - ça, on est bien d’accord. Et puis voilà une autre parole d’évangile, cette fois signée Dylan : «Key West est l’endroit où il faut être/ Si vous recherchez l’immortalité.» Du coup on est complètement paumé.

    Signé : Cazengler, Bob Dilemme

    A Bob Dylan Odyssey. Mojo #325 - December 2020

    *

    Dans notre livraison 316 du 16 / 02 / 2017, nous présentions Croquis Rock & Roll d'Ange-Mathieu Mezzadri, publié aux Editions Autres Temps un recueil de poèmes-rock récupéré dans un bac à soldes – c'est dans le sable des rivières que l'on trouve les pépites d'or – un texte fort, pas du tout du gnan-gnan rock'n'roll, l'était bien spécifié qu'il existait aussi un cd, mais un petit malin n'aimant pas lire ( on le déplore ) mais adorant le rock ( on le félicite ) avait dû le subtiliser, nous ne lui en voulons pas, surtout si son geste s'inscrivait dans une démarche de réappropriation économico-culturelle. Et ce matin, au courrier, le chien rentrant de me promener, le susdit CD. Pour ceux qui ne souscrivent pas à l'existence des anges-gardiens, sachez que le mien s'appelle Ange-Mathieu Mezzadri.

    CROQUIS ROCK & ROLL

    poesie rock

    MEZZADRI BROTHERS

    ( Editions Autres Temps / 2016 )

     

    Ange-Mathieu Mezzadri : textes + voix, harmonicas, percussions / Olivier Mezzadri : musique, basses, guitares, autres instruments.

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    La race des seigneurs : vous attendez le rock'n'roll, apparemment il y a plus fort, la poésie seule. La musique est aux abonnés absents. Elle est juste reléguée au bout extrême des vingt-six laisses vocales, un bruit bref de ressort, qui ne s'attarde pas. Façon de rappeler le crissement de la page que l'on tourne. Surprenante cette voix, tranquille, sereine, agréable, dépourvue de la moindre convulsion. Elle n'est pas au diapason des timbres rouillés du blues originel, lui manque même l'ampleur lyrique que l'on serait dans notre droit d'imaginer. Non, une coulée pure, l'allure de la glace qui fond au fond de l'assiette et avance sans se presser, ou alors en élevant notre point de vue, un astronaute qui de très haut observerait cette traînée flamboyante de limace qui se hâte avec lenteur sur la courbure de la terre. Mais si vous descendiez à l'endroit exact de cette douce avancée lumineuse, vous seriez confrontés à une lave de volcan qui dévale les flancs abrupts d'une montagne, qui se rue à travers champ, sur les hameaux, sur les villages, sur les villes qui s'engouffrent en torrents de feux dans les larges avenues et détruisent, voitures, maisons, hommes, femmes, enfants, dans un bruit apocalyptique étourdissant. Tout ce qui précède n'est qu'une image. Nous pourrions la qualifier de nietzscheénne, en le sens où elle prophétise notre passé et notre futur. Car notre futur a débuté, il y a très longtemps, au moment où l'homme s'est retiré de l'homme, le barbare est dans l'être humain, les hordes faméliques ne viennent qu'après, une fois que l'on s'est endormi dans notre confort, que l'on n'a plus l'envie de préserver l'empire que nous avons bâti. La voix épelle calmement la généalogie de nos errements, de nos démissions, que personne ne veut plus entendre. Ce n'est que sur la piste douze que d'étranges reptations bruiteuses atteignent nos oreilles. La race des Seigneurs n'est que celle des esclaves. Les punks nous disent le même message, lorsque ils lancent le slogan, no future. Mais cela se passe quand les chiens ont déjà envahi le royaume, depuis longtemps. Ange-Mathieu Mezzadri se réclame de la pensée mythologique de Jim Morrison. Nous sommes à l'exacte moitié du poème, la voix craquelée, se brise de temps en temps, sacrifices humains, meurtre et viols, cela viendra. Ce que nous n'avons pas su garder, d'autres le rebâtiront, et la roue tournera et reviendra. Pirouette finale désinvolte, tout recommencera à la fin du voyage. L'homme ne peut se tenir droit trop longtemps. Sa propre stature l'écrase. Il finira par ramper comme l'esclave en devenir. qu'il a toujours été. Dio Vi Salvi Regina : flûte ! Intermède lyrique, une flûte agreste s'élève, Que Dieu te garde reine de la patrie, ou God save the queen, c'est du pareil au même. Pipeau ! Les racines du militant corse Mezzadri affleurent. Bordel mexicain : que serait le rock'n'roll sans le sexe. Pas de panique, la terre est partout un bordel mexicain, si vous vous ennuyez à mâchonner des sexes, essayez le viol et le meurtre. Faut bien pimenter la vie. C'est qu'à force de vivre dans le bordel généralisé de la planète, l'on ne sait plus à quels seins se vouer. Nous n'inventons que des dieux obscènes et n'aimons que les pacotilles manufacturées. Quelques bribes d'harmonica ne nous rassurent guère sur l'état de notre guerre intérieure que nous avons déjà perdues. Les idoles sont à déboulonner, Oscar Wilde, et les politichiens et le poëte aussi parce que le réel phantasmatique arrivé et avéré est bien plus dense et coruscant que le plus beau de ses vers. Ne gêne plus dans le paysage. L'inversion des valeurs marche dans les deux sens. Marché aux puces : si vous avez peur d'entendre l'horrible révélation de votre présent, reportez-vous aux Tableaux Parisiens de Baudelaire, il est indéniable que les fleurs du mal de ces croquis rock & roll dégagent des senteurs plus âcres, qu'elle dévorent les êtres sans rien leur laisser que leurs misères, qu'il n'y a pas d'issues, ni de pardon, ni de rédemption, ni de remords, uniquement de la cruauté aussi flasque que vos désirs. Le marché aux puces n'est qu'un marché d'esclaves. On y vend les chaînes que certains ne parviennent même pas à s'acheter. Au bout de l'horreur que reste-t-il si ce n'est ce Chroma : dépassé que l'on surnomme rock & roll, c'est fou comme une bouffée de hard mélodique fait du bien au moral. '' Rock is dead '' : le rock est mort, nul besoin de longues et minutieuses analyses musicales, le métro et ses bataillons d'esclaves disciplinés le démontrent à l'envi. De temps en temps une courte plage musicale, style générique film de gangsters-rock, l'on espère encore la révolution et ses brutalités, mais ce sont les hordes barbares de bikers, ce n'est plus l'ange Mezzadri, mais les anges de l'enfer qui châtient les chapons de bourgeois châtrés par leur propre goinfrerie, le générique s'étoffe, l'envie de tuer, d'assassiner, le goût du crime odieux, les vainqueurs le proclament, mais tout cela n'est peut-être que phantasmes qui s'avachissent dans la fumée des joints. Le rock est-il résurgence des antiques légions romaines, les hordes chevelues qui se constituent sont-elles le signe d'une renaissance, la musique rythmique embraye la piste, se diversifie, se colorise, la voix sur la guitare, et toute une imagerie séculaire de violence tournoie sans fin, est-ce cette brutalité que charrie le rut du rock ? Bouncing balls : rififi de riffs infinis.

    Peu d'instrumentation en fin de compte. Pourtant vous ressortez de là, comme de l'écoute d'un disque de Metal particulièrement agressif. Encore plus surprenant les textes sont formés de poèmes rimés et la lecture mezzadrienne fait tout pour que la rime classique claque à vos oreilles. Pas question qu'elle passe inaperçue. Ces Croquis Rock & Roll, n'ont pas à mon humble connaissance d'équivalent dans le rock'n'roll français, seuls quelques rappeurs se sont aventurés à de telles violences, s'il fallait les rattacher à un moment précis de la lyrique française, ce serait aux évocations des civilisations écroulées de la poésie parnassienne, l'adresse Aux Modernes de Leconte de Lisle et aussi aux trois volumes du Vicomte de Guerne intitulés Les Siècles Morts. Toutefois les alexandrins rutilants du Parnasse ont une ampleur, un poids et un impact bien plus puissants que les vers trop banvilliens d'Ange Mathieu Mezzadri. Aurions-nous perdu jusqu'au sens de la beauté nous soufflerait Ange Mathieu Mezzadi...

    Ce disque ravira ceux qui aiment errer aux lisières, aux confins, aux orées qui débouchent sur d'autres mondes.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Les groupes de rock apparus dans Kr'tnt ! le temps d'un concert ou d'un disque continuent leur chemin de leur côté, profitons de ce confinement dépourvu de prestations scéniques pour rendre visite sur leurs sites à des artistes qui nous ont vivement impressionnés les mois ou les années précédentes, après Blondstone et Justin Lavash, nous quittons la douce France pour la Russie tumultueuse.

    Le concert de Jars à la divine Comedia le 21 novembre 2019 ( voir notre livraison 439 ) fut un des plus beaux et des plus violents auquel nous avons assisté, le surlendemain Jars était rentré à Moscou. Pour ceux qui aiment à chercher noise à la noise-music le bandcamp de Jars vaut le détour. Nous chroniquons ici, les deux derniers enregistrements qui ont été ajoutés depuis notre précédente visite. Nous y joignons une vidéo prise sur You Tube. Jars n'est ici représenté que par Anton Obrazina ( parfois transcrit Obrazeena ) son guitariste, en compagnie à chaque fois d'un ou plusieurs partenaires aussi aventureux que lui dans la transe sonique.

    Pitié pour nos traductions sûrement aberrantes puisque nous ne connaissons pas la langue de Lermontov...

     

    LIVE AT T-MODEL

    MASSACRE

    Anton Ponomarev +Anton Obrazeena

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    Enregistré le 12 Octobre 2018 au Model-T, club situé à Moscou. Anton Ponomarev saxophoniste et responsable du matériel électronique, Anton Obrazeena à la guitare.

    Soif nauséabonde : en douceur si ce n'est ces poinçons de cordes suivies de tirs électroniques sur vos zones de réception auditive, tout cela reste très doux, malgré ce semblant de saxophone réticent qui rampe dans un souterrain, au loin de terribles explosions et des rafales incessantes de kalachnikovs, qui êtes-vous en train de tuer sur votre écran mental, cela a l'air de se passer si loin, un film de guerre qui passe à la télévision dans une autre pièce, toujours cette étrange douceur, le saxophone crie comme une plaque de zinc que le vent secoue, cela s'accentue, et ce rythme de lenteur qui emmène avec lui cette impression d'ouate, alors que le sax s'égosille, lance-t-il un appel au secours ou imite-t-il le bruissement insupportable à votre esprit de votre âme qui rampe sur le plancher, maintenant il s'époumone tel un asthmatique qui manque d'air, fermez les yeux, décrochez mentalement, c'est ainsi que l'on survit dans l'insupportable angoisse de la frousse à vos trousses. Le danger se rapproche, le sax crisse, imite le grincement des patins à glaces, maintenant le son se coule à vous, vous enlace, impossible de s'en défaire, une spirale qui s'enroule autour de vote corps, le serpent prêt à insinuer sa langue chignole dans votre cerveau, est-ce vous qui poussez ces cris de porc égorgé toujours sur cette lente procession, que vous identifiez à votre propre marche funèbre, des moustiques géants s'acharnent sur votre cadavre et vous ressentez leurs trompes fouisseuses qui n'arrêtent pas d'excaver le néant dans le réseau de vos artères, le son avance, très lentement à la vitesse d'un rouleau compresseur, d'une charge de cavalerie au pas, dont vous ralentissez la vitesse sur votre magnéto, ne ne sont plus qu'une armée de fantômes hurlants qui accourent sur vous implacables, vous martèlent les chairs et vous entendez vos os crier sans fin, une agonie avec ses montées d'adrénaline, l'animal inconnu qui progresse au loin dans le terrier de Kafka, l'anéantissement se rapproche, le son devient plus ample un générique de fin du monde, ce bruit de robinet est-ce la vie qui vit ou l'eau du néant qui s'engouffre en vous et vous remplit comme une outre pour que vous puissiez passer outre, bruit de poutrelles découpées au chalumeau, résonance de cordes de guitare pour vous ramener à la mort. Coups de maillets incertains, tout s'amenuise. Battements ultimes de la mécanique d'un cœur détraqué qui s'arrête définitivement.

    Magnifique, splendide oratorio qui se prêtera à toutes les variations les plus aventureuses de vos idées noires. Ode à la mélancolie humaine.

    MASSACRE

    Anton Ponomarev +Anton Obrazeena

    29 octobre 2018 / Vidéo

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    Le même morceau – simplement un extrait de huit minutes -enregistré non pas dans la salle de réception du Kremlin, mais dans la cuisine désaffectée du Manor, vidéo enregistrée le 19 décembre 2018, ce qui explique sur les toutes premières images, ces visions fugitives de fresques ou d'icônes décolorées et ces empilements de casiers de tasses à café. Dans les notes nous apprenons que Anton Ponomarev est saxophoniste dans le quartet d'avant-garde-no-jazz nommé Brom ce qui signifie Bruit. Massacre se situe dans la suite d'un Stephen O' Malley – experimental metal-doom-death ou d'un Mats Gustafsson saxophoniste explorant avec son instrument les poreuses frontières aux limites du rock, du noise et de l'expérimental...

    Cette vidéo permet de pénétrer dans la cuisine de ces faiseurs de sons qui travaillent la pâte sonore. Rien de bien spectaculaire, des espèces de bricolos plutôt relax, Ponomarev agenouillé à terre qui manipule les boutons de tout un jeu de pédales, l'a un petit air affairé d'ado sur sa console de jeu, l'on se demande si toutes ces actions répondent à une espèce de partition mentale ou s'il se laisse guider par l'inspiration et le hasard. Obrazeena un œil sur la guitare posée à plat sur un réchauffe-plat et l'autre sur son outillage pédalesque, parfois du doigt il influe sur le son en touchant une corde. Maintenant il est debout, passe ce qui ressemble à un simple couteau de cantine sur l'ensemble du cordier, même s'il a plutôt l'allure d'un pâtissier s'affairant sur une plaque de cuisson prête à être enfournée il ne fait que répéter l'antique geste des vieux bluesmen caressant de leur goulot de bouteille cassée leur guitare et plus avant peut-être ces premiers fils de fer que les noirs fixaient sur le mur en planche de leur baraque pour par frottements successifs en tirer des effets de dégradations sonores. Ponomarev s'est redressé, il souffle maintenant à plein gosier dans son saxophone, se courbe en arrière, se penche en avant, cherchant à expulser le mamba noir du son tapi au fond de ses entrailles. Des vagues successives nous assaillent, des avions de chasse se perdent dans le lointain, vision finale d'une planète fluctuante qui n'est que l'eau d'un bac à vaisselle qui remue, les bulles produites par la mousse d'un produit nettoyant, évoque la multitude des astres de la voûte ouranienne, un reflet mallaméen de lumière scintille comme s'il voulait témoigner que s'est d'un astre en fête allumé le génie...

    JARS + POZORI

    ( Mai 2020 / Enregistrement maison )

    Anton Obrazeena + Lena Kuznetsova

    ( Bandcamp Jars ou Pozori )

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    Pozori est un groupe de Tomsk ( région sud-est de la Sibérie ) que l'on pourrait qualifier de post-atomic-industrial-noise. D'après ce que nous avons pu glaner comme renseignements ils tournent pas mal et leur premier album Sexiste publié en février 2019 fut décrété disque de l'année. Nous ignorons par qui. Pozori signifie Honte, peut-être les synonymes Opprobre et Confusion qui sonnent beaucoup mieux en français rendent-ils comptent de la signification du terme russe ?

    Violences domestiques : lourde rythmique, ronflements de guitares, Anton s'occupe de la boîte à rythme, de la guitare, de la basse et du synthétiseur, Lena Kuznetsova s'est contentée de chanter – on ne peut pas dire que le partage des tâches soit très égalitaire, mais je n'en dirai pas plus, sa voix grave n'incite pas à la plaisanterie. Revendication féminine ! A son timbre de colère rentrée et d'ironie amère vous comprenez qu'elle règle ses comptes, est-ce une diatribe théorique ou la mise au point d'une aventure individuelle, nous pencherions plutôt pour la première hypothèse, d'après ce que nous avions pu comprendre, certains termes – c'est elle qui écrit les textes - proviendrait d'une vieille comptine russe. La typologie du morceau n'a rien à voir avec les expérimentations de Massacre. Ici nous sommes prêts d'une chanson non pas réaliste mais qui emprunte à la mimétique du réel des effets d'une écriture empreinte d'un formalisme que nous définirons de russe pour rester fidèle à la couleur locale. Homme conventionnel : musique davantage indus, et la voix de Léna presque mutine qui jure bien avec le son touffu, un long pont d'orchestration plus rock, mais l'indus reprend, tambourinades davantage appuyées, puis tapotements et nouveaux éclats, Léna la sorcière jette ses imprécations, le morceau se termine en une terrible jactance répétitive. Léna crache son mépris aux hommes engoncés dans les archétypes du machisme.

    Ce qu'il y a de bien avec les groupes russes, c'est que dès que vous commencez à vous intéresser à l'un d'eux, de nouveaux se présentent, la scène rock-punk-metal-noise a l'air d'être en pleine ébullition. L'entraide et la collaboration semblent être les moteurs essentiels de cette mouvance underground. Quant à Jars, j'adore leur slogan '' Nous sommes Jars, vous êtes pires que nous'' ils sont sur la deuxième compil d'InsurrecSound ( voir ci-dessous ) et le 11 décembre 2020 ( enfin, incroyable mais véridique, une évènement musical qui n'est pas reportée sine die ) sortie de leur nouvel album !

    Бытие на нож

    ( Sur le fil du couteau )

    JARS

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    Difficile de quitter Jars. Jamais j'arsrrête ! Une dernière vidéo. Pas bien longue. Dépasse de dix secondes les deux minutes. Assez pour faire écrouler la tour de Pise. Enregistré en live au D. T. H. studio. Frustre. Très frustre. Toutefois rien de misérable. Rien de sale. Le frustre russe cancérique n'a rien à voir avec le frustre visqueux de chez nous. Il est froid. Glacé. Inaltérable. Peut-être pour le comprendre faut-il d'abord regarder la vidéo Meht. Une mise en scène. Des jeunes aux regards figés. Engoncés en eux-mêmes. Qui entrent dans un club. Jars joue. Sur la piste des jeunes vus de dos pogotent, autour d'eux des regards vides qui regardent. Nous en suivons un encore plus frigorifié que les autres, comme s'il était saisi dans un énorme glaçon-cercueil-mental invisible. Nous le suivons de chez lui au club et puis du club à chez lui. Une vie vide dans un appartement vide. Ne cherchez pas? c'est un flic. Un homme pétri de contradictions, un militaire en mission d'observation et de surveillance ? Nous n'en saurons rien. Il est comme tous les autres. Qui est qui ? Le clip fait froid dans le dos. Rien d'exceptionnel au niveau filmique. Ce n'est pas Eisenstein qui tient la caméra, mais la vidéo vous pétrifie. L'on sent une société d'une dureté extrême. La méfiance est partout. Sur la piste rien à voir avec les pogos festifs de chez nous. On ne joue pas collectif. Quelque chose de dur et de cassant. Une société de surveillance. Chacun dans sa paranoïa. Donner à chaque instant l'illusion que l'on ne pense pas plus haut, et même pas plus bas, que le geste que l'on est en train de faire. Sur le fil, sur la crête, prêt à tomber, c'est cette musique que joue les Jars. Puissante, simple, hypnotique, et en même temps le tourbillon de lave, le volcan qui bout en vous, qui éclate, mais celui qui est à côté de vous, qui subit les mêmes éruptions ( peut-être ), ne doit pas le savoir, ni s'en apercevoir, ni même le subodorer. Une musique chargée de haine. Tout ce que vous tuerez ( en vous et chez les autres ) vous rendra plus fort.

    Positivons : vu la vitesse avec laquelle notre société se transforme en état policier, nous aurons bientôt nous aussi des groupes aussi puissants que Jars.

    Damie Chad.

     

    INSURRECSOUND

     

    What is it ? It's french my dears ! C'est quoi au juste ? Une association ou un label , les deux mon général. D'abord une association, et comme il n'y a pas de hasard en ce bas monde, elle vit le jour à Montreuil, première cité rock de France. Elle a été fondée le 02 juillet 2020. Elle n'est pas vieille. N'est pas née comme ça par opération du Saint-Esprit, car même le chiendent et l'ivraie ont besoin de mauvaises graines pour proliférer. Une idée qui traînait dans plusieurs têtes pas tout à fait la même à chaque fois, mais qui se débrouillait pour toujours souffler du même côté.

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    Le nid originel de prolifération est connu. Kr'tnt n'a pas failli à sa mission d'information, on en rendait compte, une analyse fouillée dans sa livraison 472 du 09 / 07 / 2020, juste avant les vacances d'été, une compilation de quatorze titres, rien que l'appellation générique aurait dû vous mettre le mammouth à l'oreille, Nasty Nest, une espèce de nidification de frelons non asiatiques, que du punk-rock bien de chez nous. Elle est arrivée un peu en retard because le confinement, mais in nitro veritas comme disait Jules César.

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    L'appétit vient en faisant la cuisine. L'objet était trop beau. L'envie de recommencer s'est manifestée. Une seule pomme vous pourrit tout un panier, c'est bien connu. En mieux et en couleur. Donc création d'une association et germination spontanée d'une seconde antho. Exit le blanc et noir pour la couve et le dedans, un truc flashy qui vous arrache les yeux, on a surélevé de quatre étages le nombre des titres, et puis l'on a vu grand, fini les gaulois, le côté Astérix franchouillard dépassé, le concept a été élargi, pas encore à l'univers mais à la planète entière, des groupes de partout, du Mexique, de la Finlande, de la Belgique, de la Russie, de l'Argentine, et d'ailleurs, jusqu'à la France... Si vous n'y croyez pas, passez sur Bandcamp, vous pouvez écouter la face A du disque, et laisser une modeste obole pour la concrétisation du projet. Pour ceux qui veulent faire partie de l'équipage, découpez le bulletin d'inscription qui s'affiche ci-dessous et renvoyez-le z'a l'adresse z'indiquée.

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    Jusque-là tout va bien, ensuite ça va mieux, ou pire, tout dépend de vos goûts musicaux et de votre orientation, non pas la sexuelle, la politique, c'est un peu à la gauche de la gauche, pour le dire blanc sur noir anarchie... trois projets en direction de l'Europe de l'Est, notamment une anthologie de groupes punk de l'ex-Yougoslavie qui s'érigèrent contre les dérives nationalistes, et qui refusèrent de rejoindre les armées de leur soit-disant appartenance ethnique.

    Vous trouverez les document idoines sur le FB : Kr'tnt Kr'tnt au-dessous de l'annonce de cette livraison 486. Damie Chad.

    Damie Chad.

    IX

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

    marty wilde,bob dylan,mezzadri brothers,jars & friends,insurrectsound,rockambolesques 9

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    Je l'avoue honteusement, alors que les trois chiens semblaient devenir les meilleurs amis du monde, Thérèse et moi, profitant d'un épais fourré du square nous commîmes l'immonde péché de l'acte de chair. Nous étions prêts pour une deuxième fournée, j'emprunte cette tournure si romantique aux Contes drolatiques d'Honoré de Balzac, lorsque la voix du Chef nous arrêta net en nos élans priapiques.

      • Agent Chad, où vous êtes-vous encore fourré, sortez-moi de de ce guêpier, et allez me voler de toute urgence un camion à plateau, dépêchez-vous, c'est urgent, le sort du monde en dépend !

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    Pendant que je m'acquitte brillamment de ma mission, j'invite les lecteurs à lire les premiers feuillets d'Eddie Crescendo retrouvés dans la boîte à sucre.

    '' Quand je regarde le monde s'agiter autour de moi, je me rends compte combien je suis éloigné des vaniteuses turpitudes de mes contemporains. Souvent je n'arrive pas à le croire, pourtant le moindre de mes gestes me le confirme, je ne suis pas comme les autres, je suis décalé !''

    Suit un ensemble de six feuilles où le mot décalé est répété trois cent soixante huit fois, écrits rageusement ou soigneusement calligraphié, sous forme de colonnes ou jetés de travers un peu partout, en minuscules ou en majuscules.

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    Je vous laisse à vos méditations. Le Chef avait raison, la journée s'annonçait fatigante. Il me fallut transbahuter les huit tonnes de cigares que nous avions entreposés au rez-de chaussée sur le plateau du camion que je m'étais procuré sur un chantier.

    • Chef, pourquoi n'avons-nous pas gardé le camion qui est venu les livrer, il nous suffisait de nous débarrasser du chauffeur, d'enterrer son corps dans le jardin, et...

    • Agent Chad, cessez vos stupides récriminations, quand vous aurez fini, vous descendrez à la cave, vous m'en rapporterez la chaîne dernier cri sur lequel Alfred écoute ses disques, j'ai vu qu'elle est équipée d'un micro, cela nous sera utile.

    • Chef, je ne comprends rien à...

    • Agent Chad, si au lieu de batifoler dans les hautes herbes vous aviez pris le temps de vous plonger dans le numéro 2037 de la Série Noire, sans doute seriez-vous capable de comprendre !

    Je sursautais, le bouquin était encore dans ma poche. Saisi d'un doute post-cartésien je me précipitais dans la bibliothèque. Je piochais de-ci de-là un livre sur les étagères, à chaque fois sous une fausse couverture je trouvai un exemplaire de L'Homme à deux mains d'Eddie Crescendo !

    • A table !

    C'était Alfred qui nous appelait pour le repas.

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    Pendant qu'Alfred faisait la vaisselle nous tînmes conseil au fond du jardin. Le Chef alluma un Coronado et prit la parole :

      • Autant que je puisse en juger l'affaire qui nous préoccupe est d'une simplicité extrême.

      • Ouah ! opinèrent les deux chiens.

      • Entièrement de votre avis Chef, prenons par exemple le mystère de la fameuse boîte à sucre, elle contient exactement 368 sucres, vous ne pouvez pas en ajouter un autre, or Molossito a trouvé le 369 ième dans l'escalier de la villa, ce qui signifie que ce qui impossible partout ailleurs est possible dans cette villa.

      • Que comme par hasard Eddie Crescendo a louée, comme vous l'avez découvert, je me permets de vous le rappeler, agent Chad.

      • Or cette maison est sujette à d'étranges phénomènes, un jour elle est habitée, le lendemain elle est inhabitée depuis quinze ans, qui plus est peuplée par des réplicants !

      • Avec qui vous semblez être en de très courtoises relations, agent Chad

      • Certes Chef, mais la devise du Service n'est-elle pas Sexe, rock'n'roll et Coronado !

      • Ne nous égarons pas, agent Chad, pendant que j'allume un Coronado, poursuivez votre raisonnement !

      • Or nous savons que dans ses notes Eddie Crescendo a écrit trois cent soixante huit fois le mot décalé, et si nous comptons bien une trois-cent soixante-neuvième fois dans son introduction. Nous pouvons donc en conclure qu'Eddie Crescendo se trouve dans la situation de ce morceau de sucre qui est... comment dire... par rapport aux autres...

      • Décalé ?

      • Décalé, oui c'est cela, Chef, vous avez le mot juste !

      • Agent Chad, nos remarquables analyses sont en pleine progression, toutefois il reste encore un obstacle majeur à franchir. Tout comme Crescendo nous sommes venus dans cette maison, franchement entre nous, vous sentez-vous particulièrement décalé, pour ma part je répondrai non !

    Je n'eus pas le temps de réfléchir à une réponse. Molossito se mit à pousser jappements sur jappements ! Une silhouette se profilait devant la grille.

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    L'homme semblait hésitant. Les mains dans les poches d'un vaste imperméable il lançait de tous côtés des regards fuyants d'un représentant de commerce qui en aurait été manifestement à son quarantième refus. C'est en m'approchant que je compris qu'il avait peur des crocs retroussés de Molossa qui tapie derrière un pot de fleurs semblait prête à lui sauter dessus pour l'égorger.

      • N'ayez pas peur, c'est une tueuse redoutable mais elle n'est pas méchante !

      • Oui une belle bête, mais les chiens ne m'aiment pas, c'est... C'est comme ça... je n'y peux rien !

    Le gars se tut. Il était mort de trouille. Il me faisait pitié...

      • Je... je m'excuse de vous déranger... mais... mais je crois que vous m'avez appelé... alors je suis venu...

      • Je ne vois pas du tout, nous n'avons demandé les services de personne, peut-être vous êtes-vous trompé de numéro, nous n'avons besoin de rien !

      • Si... si vous avez besoin de moi... spécialement de moi, vous et... et votre ami qui fume des Coronados !

      • Enfin Monsieur, que voulez-vous, expliquez-vous et d'abord qui êtes vous ?

      • Mon nom ne... ne vous dira rien, je... je suis... l'homme à deux mains !

    Et le gazier les sortit de ses poches, il avait deux mains au bout de chaque bras, et, je frissonnai lorsque ses vingt doigts se refermèrent sur quatre barreaux de la grille !

    ( A suivre... )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 485 : KR'TNT ! 485 : ESP-Disk / PRETTY THINGS / CRASHBIRDS / BORDERLINES / JUSTIN LAVASH / ROCKAMBOLESQUES VIII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 485

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    19/ 11 / 2020

     

    ESP-Disk / PRETTY THINGS

    CRASHBIRDS / BORDERLINES + MANUEL MARTINEZ

    JUSTIN LAVASH / ROCKAMBOLESQUES 8

     

    Yes I need ESP - Part One

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    C’est grâce à Jason Weiss qu’on peut enfin lire de nos yeux lire la fantastique non-histoire d’ESP-Disk, l’un des labels les plus mythiques de l’histoire du rock américain. Le titre du book ronfle comme un gros buveur : Always In Trouble - An Oral History Of ESP-Disk, The Most Outrageous Record Label In America. Weiss a bien fait les choses : il a non seulement réussi à recueillir les propos d’un Bernard Stollman pas très loquace, mais il a en plus rassemblé les témoignages d’une multitude d’artistes liés à l’histoire d’ESP-Disk. Attention, l’ouvrage se distingue par sa densité. Il faut donc s’aménager une large portion de temps pour espérer en venir à bout.

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    ESP-Disk ? Un label bien connu des fans de free jazz, notamment ceux d’Albert Ayler, de Pharoah Sanders et de Sun Ra. Le free est la grande passion de Stollman, fondateur du label et avocat de formation. Les fans d’un certain rock connaissent aussi le label pour quatre raisons, et pas des moindres : Pearls Before Swine, les Fugs, les Godz et bien évidemment les Holy Modal Rounders. Disons pour simplifier qu’ESP-Disk fut le grand label d’avant-garde new-yorkais, et qu’en plus, les Godz et les Fugs redorent à eux seuls le mighty blason du proto-punk américain. On irait même jusqu’à dire que ces deux groupes l’ont mythifié.

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    L’histoire d’ESP-Disk se situe à l’opposé de celle des gros labels indépendants américains, comme Atlantic, Elektra ou même Stax. C’est l’histoire d’un one-man-operation un brin kamikaze, car les artistes qu’il signe sont tellement avant-gardistes qu’ils n’ont aucune chance de percer commercialement. Mais c’est le truc de Stollman. Et il s’y tient. C’est ce qui va le transformer à son tour en statue de sel. Sans Stollman, pas d’Ayler, pas de Godz ni de Fugs. Pas de Rapp ni de Rounders. ESP-Disk devient dans les early sixties l’équivalent des grands labels underground britanniques de type Dandelion. Plus c’est obscur et plus ça fait mal aux oreilles, plus c’est culte. Dans l’interview qu’il accorde à Jason Weiss, Stollman explique qu’ESP-Disk doit tout à sa mère qui pour l’aider lui verse une somme correspondant à deux ans de salaire d’un young executive. Il n’avait pas d’autre source de revenus. Et quand Weiss lui demande d’où lui vient cette passion pour l’improvisation et le free, Stollman explique que son père adorait improviser et harmoniser. Quand la famille Stollman partait en virée, le père chantait en conduisant et la mère harmonisait avec lui. Puis Stollman fait vite la différence entre art et divertissement. D’où cette passion du free qui pour lui est de l’art. Ses parents s’intéressent à ses activités, car ils vont assister à des concerts et hébergent parfois des musiciens, comme Tom Rapp et Pearls Before Swine qui, précise-t-il, ont dormi dans leur salon, in spleeping bags. Quand Stollman fait écouter à sa mère - a woman of very few words, c’est-à-dire une taiseuse - le Spiritual Unity d’Albert Ayler, il la voit sourire. Elle est fière de son fils. Stollman voit l’industrie musicale comme l’ennemi du processus créatif. Alors il met au point un nouveau type de contrat, sous forme d’une collaboration : l’artiste conserve le contrôle total du processus créatif. Stollman se fend même d’un slogan : «L’artiste seul décide de ce que vous entendrez sur son ESP-Disk.» Au lieu des contrats habituels de 36 ou 45 pages, Stollman propose un contrat de 2 pages valable pour un seul album. ESP devient copropriétaire de l’album pour l’éternité. C’est un partenariat. ESP gère les droits.

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    Stollman veille aussi à ce qu’ESP-Disk ne devienne pas ce qu’il appelle un label niche. Pour lui l’art est avant tout anarchique et s’il devient prévisible, il perd tout son impact. Stollman voulait surtout que son label soit un instantané de la culture new-yorkaise à une époque précise. Il n’ambitionnait rien d’autre que de capter l’audio art de son époque, comme le ferait un documentariste. Il avoue au passage qu’il n’était pas à la hauteur, ni au plan créatif, ni au plan business, mais en même temps il ne voit pas son activité comme un business. Il va plus loin en considérant qu’il est difficile d’avoir les deux casquettes, business et créa. C’est vrai qu’on ne croise pas des tonnes de double-casquettes dans l’histoire du rock, à part Uncle Sam ou Art Rupe. Stollman pense que l’un ou l’autre prédomine, soit le biz, soit le créa. Alors il préfère se contenter d’écouter ce qui se passe autour de lui. Il ne se demande jamais si ça va se vendre, car pour lui ça n’a pas de sens de vouloir faire du business en voyant les choses sous l’angle du business. Il faut nous dit-il voir les choses autrement, comme une vocation ou une obsession. La faillite d’ESP-Disk ? Stollman sait qu’il n’a pas commis d’erreur, il dit juste s’être contenté de planter des graines et pensait pouvoir moissonner 10, 20 ou 30 ans plus tard. Il n’avait pas de famille donc pas de charges ni de responsabilités. Ça devait donc fonctionner. Alors pourquoi ça s’est cassé la gueule ?

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    C’est le gouvernement qui a coulé ESP-Disk en 1968, dit-il, à cause de son engagement contre la guerre du Vietnam. Il avait quatre personnes avec lui dans le bureau d’ESP-Disk : ses collaborateurs étaient tout simplement les Godz. Les albums des Fugs et de Pearls Before Swine se vendaient relativement bien. Puis un jour les téléphones ont cessé de sonner. Stollman raconte qu’il est allé à l’usine de Philadephie qui pressait ses disques pour découvrir qu’elle ne pressait plus ses disques, mais des bootlegs des Fugs et des Pearls pour le compte de la Mafia. Il comprit alors qu’ESP-Disk était foutu. Mais dit Weiss, existait-il un recours ? Pfffffffffffff... Stollman aurait pu traîner l’usine en justice, mais à l’époque il n’existait aucune loi fédérale contre le bootlegging. L’administration Johnson avait trouvé le moyen de faire taire ESP-Disk en coulant son business. Les lois anti-bootlegging ne furent votées qu’en 1974. Il était trop tard pour ESP-Disk. Stollman rappelle qu’il a vendu 20 000 à 30 000 Pearls et lors d’un concert, Tom Rapp annonçait au public que son album s’était vendu à 200 000 exemplaires : la différence, ce sont les bootlegs, dit Stollman. Il ajoute aussi qu’un agent de la CIA avait coaché Ed Sanders et Tom Rapp chez Warner Bros. Records et qu’il avait empoché les 70 000 $ d’avance avant de disparaître. Une fois dans les pattes des majors, les Fugs et Tom Rapp furent définitivement muselés. No more protest songs against the Vietnam war. Stollman ajoute en conclusion que le gouvernement américain utilise deux façons de faire taire les opposants : la première est dirty, et l’autre consiste à les acheter en leur donnant une rondelette somme d’argent. Shut the fuck up.

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    Le dernier témoin à intervenir dans le book est le petit frère de Bernard, Steve Stollman. Comme il a bossé un peu pour son frère, il profite de l’interview pour remettre quelques pendules à l’heure, rappelant qu’ESP-Disk a permis à pas mal d’artistes de commencer à exister, et pour ça, son frère mérite la reconnaissance éternelle. Bernard Stollman se contentait de lancer les gens, il ne souhaitait pas être impliqué dans la suite, the dirty work. Le petit frère rappelle aussi que les parents Stollman s’occupaient des entrées à l’Astor Place Playhouse où se produisaient les Fugs et Sun Ra. Steve Stollman indique que ses parents s’étaient endurcis. Ils avaient su échapper aux nazis et rien ne pouvait plus les atteindre ni les choquer, pas même les Fugs ou Sun Ra. Il est très bien le petit frère car il rappelle encore un élément déterminant : les frères Stollman ont reçu une éducation intéressante. En effet, leurs parents leur ont surtout appris à ne pas devenir matérialistes. C’est la raison pour laquelle Steve pense que la démarche de son frère à travers ESP-Disk avait quelque chose de noble. Pour lui, c’était courageux de critiquer la CIA et la guerre du Vietnam - Je suis très content que Bernard ait ainsi agi. Il tient ça de nos parents, de simples paysans juifs qui réussirent à rester miraculeusement en vie puis à fuir en Amérique pour y réussir. Leur grand mérite fut de savoir apprécier la vie de tous les jours et transmettre le simple bonheur d’être en vie à leurs enfants - Le book s’arrête là-dessus.

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    C’est bien que le petit frère intervienne car les témoignages, pour la plupart, épinglent l’avarice de Bernard Stollman, c’est même quasiment systématique. Le batteur Sunny Murray se souvient d’un contrat fifty-fifty avec Stollman, mais dit-il, je n’ai jamais vu mon fifty. Ils ne sont que deux ou trois à prendre la défense de Stollman, comme le batteur Milford Graves : «Je ne supporte pas qu’on dise du mal de Bernard. Je ne sais qu’une seule chose : personne à part ESP ne nous enregistrait dans les années 60. Et le blé qu’il ne te filait pas, tu aurais de toute façon dû le sortir pour payer les honoraires d’un attaché de presse.» Le batteur Warren Smith dit à peu près la même chose : «La raison pour laquelle Bernard et moi sommes restés amis est dû au fait que je ne lui ai jamais mis la pression. Je me foutais de savoir s’il avait le blé ou pas. J’étais heureux et ma famille aussi. Mais il est bien évident qu’on ne pense pas tous la même chose quand on ne dépend que de sa musique pour manger.» L’ingé-son Richard Alderson se plaint que Stollman n’ait pas tenu ses promesses, après le redémarrage du label. Le bassiste Alan Silva dit aussi avoir reçu que dalle de Stollman - I never received anything from Bernard actually - Et il poursuit de façon extrêmement intéressante : «Tout le monde accuse Bernard. Je ne marche pas dans cette combine. Il est comme il est. Des tas de gens affirment s’être fait rouler. M’a-t-il donné des disques ? Des royalties ? Si tu me poses la question, la réponse est non.» Et il continue un peu plus loin : «Je crois que Bernard est un idéaliste. On était à une black disk jockey convention et Bernard essayait de vendre ses disques. À Atlanta, en Georgie ! Sun Ra, man, who the fuck is that guy ?». Alan Silva travaillait avec Stollman et un jour, en 1967, Stollman lui demande de téléphoner dans tous les record shops d’Amérique pour vendre Sun Ra : «All these record shops. Wisconsin, you know about Sun Ra ? Voilà à quoi était confronté Bernard. Il ne disposait pas d’un budget d’un million de dollars pour vendre Albert Ayler. Il se débattait pour survivre. Tous les labels indépendants se débattaient pour survivre.»

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    Le pianiste Burton Greene pense lui aussi que Bernard était cinglé, aussi cinglé que les musiciens qu’il enregistrait. Personne, dit-il, ne comptait faire de blé avec ce genre de disque. Leo Feigin qui fondit Leo Records en 1979 déclare qu’il faudrait même ériger un monument en l’honneur de Stollman : «Des rumeurs disaient que Stollman ne payait pas les musiciens pour leurs enregistrements. Il mériterait qu’on lui élève une statue. C’était compliqué de vendre ces disques parce que personne n’en voulait. Bernard Stollman investissait et perdait de l’argent avec son label. Rien que pour ça, il mérite une certaine reconnaissance.» Le bassiste Sirone dit en gros la même chose : «On peut dire ce qu’on veut de Bernard, mais il a aidé pas mal de gens à se faire connaître. Il n’y avait pas de blé chez ESP, mais le label s’est fait connaître pour son côté innovant et les artistes incroyables qu’il proposait.» C’est l’extraordinaire Marc Albert-Levin qui tranche définitivement en faveur du pauvre Bernard : «Il n’avait jamais rien existé de semblable auparavant. Comme le disait le slogan de Bernard, c’était une musique entièrement nouvelle - the music was unheard of - et il dépensait le blé que lui donnait sa famille. Il ne faisait aucun profit. Le fait qu’on puisse dire qu’il ait fait du profit sur le dos des musiciens est une plaisanterie. Ce n’est pas juste de dire une chose pareille. Il s’est ruiné. Il a dû reprendre une activité d’avocat pour vivre.»

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    Marc Albert-Levin est un personnage complètement exotique. Ce poète journaliste dadaïste français s’installe à New York dans les années 60 et publie un book sur les Fugs, Tour De Farce. Quand il arrive à New York, c’est en tant que correspondant pour Les Lettres Françaises, une prestigieuse revue alors dirigée par Louis Aragon. Il rencontre l’electronic genius Richard Alderson, puis le saxophoniste et ethnomusicologue Marion Brown qui le met en contact avec Pharoah Sanders et Sun Ra. Albert-Levin a 25 ans et il est éberlué. Qui ne le serait pas ? Il s’émoustille tant qu’il écrit un deuxième roman, Un Printemps À New York. Puis comme il a besoin de croûter, il fait des petits boulots et devient le cuistot le Miles Davis. Comment s’y prend-on pour devenir le cuistot de Miles Davis ? C’est simple, il suffit d’avoir une copine qui est copine avec Sheilah, la copine de Miles Davis. Et comme Sheilah dit à Miles qu’elle ne fera ni le ménage ni la cuisine, Miles lui dit d’engager quelqu’un. Voilà comment Marc Albert-Levin récupère le tuyau. Il se pointe à l’adresse. Drrrring ! Miles qui le reçoit en robe de chambre. Albert-Levin se dit frappé par le magnétisme du regard de Miles, un Miles qui l’observe et qui lui balance de sa voix d’outre-tombe : «You’re a short motherfucker, aren’t you ?». En bon dadaïste, Albert-Levin prend ça pour un compliment, jauge un Miles qui est aussi petit que lui et lui rétorque du tac au tac : «Vous aussi !». Ça brise la glace. Miles lui répond «Go ahead Indian !», et il le fait entrer. Mais Albert-Levin explique qu’en fait il va cuisiner pour des prunes car Miles ne mange rien - Il était dans une période où il ne se nourrissait que de bière Heineken.

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    Alors bien sûr Sun Ra. Stollman lui consacre un portrait dans le chapitre intitulé On Individual Artists. Sun Ra, dit-il, a enregistré plus de 75 disques sur son label El Saturn dans les années 50 et 60, des disques qu’il vendait lors des concerts. Il n’avait pas de distributeur. Sun Ra raconta aussi à Stollman comment il fut bloqué à la frontière égyptienne par un douanier qui fut choqué de lire le nom de Sun Ra sur son passeport. Dans la religion égyptienne, Sun Ra est le nom d’un dieu. On ne plaisante pas avec les dieux dans ce pays. Il refusait de faire entrer Sun Ra et ses musiciens en Égypte. Alors Sun Ra lui demanda d’appeler le conservateur d’un musée égyptien qui accepta de venir rencontrer Sun Ra à l’aéroport. Ils discutèrent ensemble d’Égyptologie. Ra avait étudié les Rosicruciens, il était féru dans ce domaine. Le conservateur dit alors au douanier : «Il est qui il prétend être. Laissez-le entrer.» Le conservateur invita Ra à une émission de télé égyptienne. Le groupe alla aussi visiter les pyramides. Une équipe de cinéma allemande qui se trouvait sur place filma Ra qui envoya ensuite quelqu’un confisquer le film. Richard Alderson fut aussi fasciné par Sun Ra lorsqu’il enregistra l’Arkestra pour ESP : «Pas évident d’enregistrer la musique de Sun Ra, parce qu’ils étaient très disciplinés et très au point. Ils jouaient des arrangement très précis et très soignés jusqu’au moment où Sun Ra déclenchait le free blowing section. Je veux dire que Sun Ra, c’est Duke Ellington sous acide.»

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    Rien que pour la présence de Marc Albert-Levin et de Sun Ra, on est content de faire ce petit bout de chemin avec Stollman. Ra brille et réchauffe ce monde flapi. Stollman fait aussi un portrait des Godz qui furent ses employés : Jay Dillon était directeur artistique d’ESP, Larry Kessler manager des ventes, Paul Thornton et Jim McCarthy s’occupaient des envois (shipping clerks). Stollman : «Faire la promo des Godz était impossible. Ils essayaient de jouer ensemble, mais ils finissaient toujours par se battre. C’était le chaos. Je leur ai loué une salle de concert sur Times Square, mais personne n’est venu les voir jouer. Larry Kessler et Jim McCarthy se crêpaient le chignon. ‘Je suis le leader !’, ‘Non, c’est moi !’. Ce genre de conneries.» Plus loin Paul Thornton intervient à son tour. Il aime raconter l’histoire de cette chanson des Godz qui s’appelle «White Cat Heat», où il jouent n’importe quoi en miaulant. Mais c’est justement ce qui a plu à Stollman qui en les entendant miauler voulut les signer immédiatement sur ESP. Cette merveille de pur jus dada se trouve sur le premier album des Godz, l’inénarrable Contact High With The Godz. Thornton rappelle aussi que Jay Dillon et Larry Kessler ne savaient jouer d’aucun instrument, du coup il se dit étonné d’avoir vu paraître ces trois albums sur ESP. Et il ajoute : «Quand notre premier album est sorti, Bernard disait qu’il s’agissait d’organic tribal body rock. Sa définition ne nous plaisait pas, alors on est rentrés chez nous pour chercher une autre définition de notre musique. Vers 3 h du matin, je regardais dans the Late Late Show un film avec James Cagney, 13 Rue Madeleine. Sam Jaffe était le chef du French underground et je me suis dit, wow underground, underground music. Ça sonne mieux que le tribal body music de Bernard !»

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    ( JIMI HENDRIX & MIKE JEFFERY )

    Dans la galerie de portraits, vous trouverez aussi Jimi Hendrix. Ça n’a rien de surprenant. Stollman : «En août 1966, par un bel après-midi ensoleillé, je trotinnais allègrement sur MacDougal Street quand soudain j’entendis le son d’une guitare électrique. Il sortait d’un sous-sol. Je n’aimais pas trop le son des guitares électriques mais celui que j’entendais me plaisait bien. Alors j’ai descendu les marches et suis entré dans le Café Wha?. La porte n’était pas fermée et le club était vide. Au fond, un musicien jouait de la guitare, debout, avec un petit ampli près de lui. Je me suis approché et quand il s’est arrêté de jouer, le lui ai dit : ‘Ce que vous jouez est très beau. J’ai un label. J’aimerais beaucoup vous enregistrer. Êtes-vous libre ?’ Je lui ai précisé le nom du label. Il m’a répondu : ‘J’aime bien l’idée. Mais on vient de me donner un billet d’avion pour Londres. À mon retour, j’aimerais bien en discuter avec vous.’ Il était très ouvert. Et il s’est rappelé de notre rencontre.’ Et voici la suite de cette histoire fascinante. En 1968, Stollman est à Londres, alors qu’il est en route pour le MIDEM, et dans un magasin de disques, il entend un son qui lui plaît. Il demande ce que c’est et le mec lui répond : «Quoi ? Mais c’est Jimi Hendrix, vous ne le saviez pas ?». Stollman ne lâche pas l’affaire. L’année suivante, il réussit à obtenir un rendez-vous avec le manager de Jimi, Mike Jeffery. Dans la salle d’attente, il tombe sur Jimi qui lui dit qu’il aime bien ce qu’il fait avec ESP-Disk. Bon c’est l’heure du rendez-vous, Stollman entre dans le bureau de Jeffery. Assis derrière son gros bureau, Jeffery ne le salue même pas. Il ne lève pas non plus les yeux. Stollman vient pour vendre l’idée d’une association avec ESP, arguant que Jimi bénéficierait beaucoup d’être associé avec les artistes de pointe qui enregistrent sur son label. Sans même lever les yeux, Jeffery balance un «Not interested» sec comme un jour sans rhum. Chou blanc. En sortant, Stollman espère retrouver Jimi. Deuxième chou blanc : Jimi s’est volatilisé.

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    Tom Rapp fait aussi partie des témoins privilégiés. Il rappelle que pour le premier album de Pearls, ils sont arrivés à New York sans un rond et ont dormi chez les parents de Stollman at 90th and Riverside : «Ils avaient un appartement d’au moins dix pièces, un chandelier et un piano à queue. L’appartement donnait sur le parc, the whole deal. On a enregistré notre album à Impact Sound, là où enregistraient les Fugs et les Holy Modal Rounders. Richard Alderson était l’ingé-son.» Rapp indique aussi qu’il n’a jamais reçu d’argent de Stollman - The one big problem was we never got any money from ESP - Alors Weiss lui raconte l’histoire de la mafia (pour les bootlegs) et de la CIA qui ont coulé ESP - Oui, j’ai entendu cette histoire. Je pense plutôt que Bernard a été enlevé par des extraterrestres qui lui ont lavé le cerveau et donc il ne se souvenait plus où se trouvait l’argent. Mais c’est vrai que les histoires de mafia et de CIA sont plus crédibles. Au fond et en dépit du fait qu’on n’a jamais été payés, je trouve que Bernard mérite une certaine reconnaissance pour avoir sorti ces albums, surtout les albums de free et d’expérimental. Ce qui est arrivé aux gens qui ont enregistré ces disques, c’est une autre histoire - Rapp dit aussi qu’il n’aurait jamais existé en tant que Rapp sans Bernard. Avec le temps, il a fini par lui pardonner. Il dit en matière de conclusion qu’il aimerait bien voir un jour arriver un chèque pour les 200 000 albums vendus, you know what I mean ? That would be nice.

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    Richard Alderson indique que l’enregistrement du premier Fugs en 1966 fut the most creative thing I had done for anyone. Quant aux Holy Modal Rounders, c’est encore une autre histoire. Peter Stampfel raconte que son collègue Weber refusa de composer des chansons à partir du moment où il comprit que le groupe commençait à percer commercialement. No way. Steve Weber témoigne lui aussi, à propos du docu tourné sur les Holy Modal Rounders, Bound To Lose : «Au début, je croyais que c’était un projet universitaire. J’ai demandé aux réalisateurs quelles étaient leurs intentions, et ils m’ont dit qu’ils voulaient commercialiser le film. Alors j’ai demandé à voir un contrat qui m’assurait du contrôle artistique et d’un pourcentage des recettes. Ils ont dit ok, mais j’attendais toujours de voir le contrat. Alors ils m’ont dit : ‘Vous n’aurez pas d’argent. Nous allons vous rendre célèbre.’ Alors j’ai dit stop, on ne me filme plus. J’ai même dû annuler le concert annuel de Portland. Quand le film a été fini, j’ai demandé à voir une copie. C’est là que la relation s’est dégradée, ils n’étaient plus mes amis. Finalement leur avocat m’a envoyé une copie et quand j’ai vu ce film, ça m’a rendu malade. C’était complètement hors contexte. Ça n’a rien à voir avec les Rounders. Aujourd’hui encore ça me rend malade. C’est à cause de ce film que j’ai arrêté les Holy Modal Rounders. Les autres ont décidé de continuer. J’étais celui qu’on roulait dans la boue. J’en ai dit assez.» (Big sigh). Silence.

    Signé : Cazengler, nanard Stollmerde

     

    Jason Weiss. Always In Trouble. An Oral History Of ESP Disk. Wesleyan University Press 2012

     

    Oh you Pretty Things - Part Eight

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    Sort ces temps-ci un album posthume des Pretty Things, Bare As Bone Bright As Blood. Posthume, c’est bien là le problème. Ça fait cinquante ans qu’on les regarde de traviole, les posthumes. Pourquoi ? Parce qu’ils engraissent les charognards. C’est un business bien établi. Plus le nom est gros, plus il y a de posthumes. C’est mathématique. On appelle même les posthumes de Jimi Hendrix les Dead Hendrix. Quand tu vas sur un salon, tu vois des mecs demander aux marchands des Dead Hendrix. On a aussi des articles dans les fanzines américains sur les Dead Hendrix, car au fond de leurs labos réfrigérés, les prêtres du culte n’en finissent plus de trifouiller dans les viscères des enregistrements. Masqués et gantés, ils ne craignent rien, alors ils en profitent, ils jonglent avec leurs scalpels et leurs tubes de colle pour rajouter des instruments et des voix sur des prises intermédiaires. C’est la technique qu’ils utilisent pour remplir des albums doubles qu’ils vont ensuite vendre la peau des fesses à des collectionneurs d’armoires normandes qui n’écoutent jamais les disques qu’ils y entassent, car ça ne sert à rien de les écouter, ce qui est important c’est de les posséder. On rigolait de tout ça récemment avec un bon pote qui est dans le circuit du disque. Il trouvait étrange que le monde du disque de rock soit à la fois un monde magique et un monde peuplé d’une faune de gens atteints de pathologies junkoïdales souvent très graves, mais ajoutait-il, «après tout, pourquoi pas ?». C’est vrai que si on y réfléchit un instant, le rock est avant toute chose une passion, et chacun sait que sous l’empire de la passion, la raison peut aller se faire cuire un œuf. Chacun sait aussi que la cervelle est faible. Ce petit organe spongieux et rose n’est pas fait pour encaisser cinquante années de chocs de rock à répétition et les millions de références qui vont avec. C’est normal que ça finisse par mal tourner. Un fan de rock ne finit pas comme un retraité du Crédit agricole. Le plus difficile dans cette sombre affaire est de savoir assumer son destin. Ce n’est pas à la portée de tous. Ceci expliquant cela.

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    Maintenant que le décor des posthumes est dressé, on peut annoncer la mauvaise nouvelle : cet album des Pretties qui vient de paraître ne va pas bien du tout. Phil May et Dick Taylor ont tenté le diable en enregistrant un album de Delta blues, mais ça ne marche pas. Il faut se souvenir que sur scène Phil May s’autorisait deux classiques de blues pour reprendre son souffle, accompagné du vieux Dick Taylor à l’acou, mais on avait hâte que ça se termine, car nous n’étions pas là pour ça. Nous étions là pour les Pretties de SF Sorrow et de LSD. Ce break d’acou renvoyait à des mauvais souvenirs d’MTV unplugged et à toutes ces conneries que le business a tenté de nous faire avaler.

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    Alors comme tous les fans des Pretties, on rapatrie l’album pour l’écouter en priant Dieu que tous nous veuille absoudre. Mais c’est mal barré, car déjà la pochette n’est pas belle. On trouve à l’intérieur l’inévitable laïus de Mark St John et franchement le titre n’est pas jojo non plus. Un a-priori défavorable peut parfois rendre une surprise plus jouissive, tous ceux qui l’ont expérimenté dans le jeu des rencontres amoureuses le savent. Ça peut aussi marcher dans le cadre d’une écoute mal barrée. Et hop, vous partez à l’aventure, pour un heure de rootsy drive qui s’ouvre sur le vieux «Can’t Be Satisfied» de Muddy Waters. Autant que vous le sachiez tout de suite, ça n’a aucun intérêt, sauf que Phil May chante de l’intérieur du menton avec une sorte d’inspiration divine. Il fait des petits effets de glotte et sauve in extremis son satisfiah. Le seul moyen d’apprécier cet album bancal en forme d’exercice de style, c’est de se concentrer sur la voix de Phil May. Mais ça n’a plus rien à voir avec les Pretties. On est dans autre chose. On attend d’eux des turpitudes, on voudrait voir la cabane branlante s’écrouler, ils pourraient nous balancer un shoot de raw to the bone comme le font Charlie Musselwhite et Elvin Bishop sur leur dernier album, mais Phil & Dick prennent leur mission au sérieux et on s’emmerde choronniquement comme des rats morts. «Come Into My Kitchen» tourne à la tragi-comédie. Ça ne peut pas marcher. Peut-être parce qu’ils sont blancs. Il faut s’appeler John Hammond pour oser chanter le Delta Blues. Leur «Ain’t No Grave» ne vaut pas un clou. Et du coup, on se fout en pétard. Car c’est le charisme des Pretties qui en prend un grand coup dans la gueule. Ça serait bien la première fois qu’ils ratent un album. Il faut quand même bien faire attention à ne pas accepter n’importe quoi. D’un autre côté, ce genre d’exercice de style risque de plaire aux gens qui ont des guitares en open tuning et qui les grattent au coin de feu, mais bon, cet album pue l’arnaque. Avec «Redemption Day», ils s’enfoncent dans un monde de rédemption en carton-pâte et ça frise le Nick Cave. Quelle déconvenue et quelle tristesse ! Une si belle voix !

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    Ça fait parfois de bien de parler d’un album qui déçoit. On parle trop des albums qui montent au cerveau. Et ça finit par devenir une routine. Avec cet album, le cerveau ne risque absolument rien. Entendre Phil May faire du Nick Cave c’est tout simplement hors de portée d’une compréhension ordinaire, pour ne pas dire intolérable. Ça empire encore avec «The Devil Had A Hold On Me». Oui, ça empire comme une maladie, ça tombe bien, c’est d’actualité. On ne parle plus que de ça. Les Pretties se retrouvent bien malgré eux dans l’air du temps. Écouter ce disk, c’est à la fois souffrir dans sa chair et assister à l’écroulement de l’empire dans un nuage de soufre. Il n’existe aucun lien entre ce Devil à la mormoille et le Baron Saturday. Le problème c’est que le pauvre Phil chante son truc jusqu’au bout et personne ne lui dit que ça ne va pas. Oh, ils sont dans leur truc, il ne faut pas les embêter, il vaut mieux les laisser tranquilles. Inutiles d’ajouter des commentaires, les dés sont jetés, de toute façon. On note toutefois un petit regain d’intérêt avec le vieux «Love In Vain» de Fred McDowell, jadis repris par les Stones. Mais bon ce n’est plus l’heure, Phil arrive après la bataille. Dommage car il ramène infiniment plus de feeling que n’en ramena jamais Jag, il passe le train came in the station à sa sauce et il redresse brutalement la situation avec le fameux I looked her in her eyes. Mais c’est avec le «Black Girl» de Lead Belly qu’il sauve cet album atrocement austère. Phil May rentre enfin dans la gueule de la mythologie, in the pines where the sun never shines. Voilà enfin l’éclair de génie tant attendu. Phil May rejoint au panthéon des dieux Kurt Cobain et Lanegan qui surent en leur temps rendre hommage au génie tentaculaire du grand Lead Belly.

    Signé : Cazengler, Pity Thing

    Pretty Things. Bare As Bone Bright As Blood. Madfish 2020

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    Kr'tntreaders votre blogue avait trois ans d'avance ! En effet c'est dans notre livraison 351 du O1 / 12 / 2017, dans l'article intitulé Une incroyable découverte, répertorié dans notre catalogue raisonné sous l'appellation Crashbirds Flyers, que nous tendions notre micro au grand professeur Damius Chadius qui pour la première fois au monde se livrait devant la Communauté Scientifique Internationale ébahie de tant de connaissances accumulées dans le cerveau d'un seul chercheur, à une analyse sémiotique des plus pointues sur une des plus grandes énigmes picturales de l'humanité.

    Et voici que maintenant un certain Pierre Lehoulier ayant compris l'importance des aperçus fulgurants et prophétiques des travaux du grand Damius Chadius publie sur le même sujet un ouvrage dont nous ne saurions que vous recommander la lecture.

     

    AFFICHES CRASHBIRDS

    2010 – 2020

    ARTWORK de pierre lehoulier

     

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    Words and music, indispensables au rock'n'roll. Mais cela ne suffit pas. Il faut davantage. Surtout si l'on exige que le rock'n'roll soit un art total. Peu de groupes y songent. Se contentent de penser que le visuel cosiste en ce que le spectateur voit alors qu'il réside en ce que l'on désire qu'il voie. Vu sous cet angle, le rock'n'roll est un art de manipulation mentale. Souvent les gros mastodontes vous en mettent plein la vue, fumées, feux d'artifices, pensez à la locomotive d'AC / DC, les éléphants d'Eddy Mitchell... Pour les petits groupes – cet adjectif n'est en rien péjoratif, nos premiers bluesmen n'avaient qu'une guitare à peu près pourrie – le challenge est plus difficile, faut davantage compter sur ses propres talents que sur des moyens surajoutés qui vous entraînent dans une surenchère artificielle.

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    Propos politique. Les riches ont toujours pensé que l'argent était à voler aux pauvres. Et les pauvres admiratifs payent pour regarder ce qu'on leur a confisqué avec des yeux comme des ronds de frites molles, ne s'apercevant même pas que sur quoi ils s'extasient vient de chez eux, leur appartenait en propre, que dans le miroir qu'on leur tend c'est leur propre image qu'ils admirent. Avec une plume dans le cul. Le choix n'est guère cornélien, ou vous dye de votre ( pas si ) belle mort ou you diy tout seuls comme des grands.

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    Malgré leur cervelle d'oiseaux, les Crashbirds l'ont compris. Soignent leurs images. Facile rétorquerez-vous quand on est doué en dessin comme Pierre Lehoulier. Sûr que ça aide. Mais Lehoulier serait-il le meilleur dessinateur du monde que cela ne suffirait pas. Comme tous les grands peuples, les cui-cui ont d'abord pris soin de créer leur mythologie. Une fois que vous êtes parvenu à ce stade il ne reste plus qu'à peindre les images qui vont avec. Certains les imaginent en chemin de croix, d'autres en icônes extatiques, mais chez les Crashbirds on n'est guère porté à s'en remettre au premier dieu ( ou prétendu tel ) qui passe, portent un regard lucide et sardonique sur notre monde.

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    Voici quelques mois nous chroniquions la première saga que Pierre Lehoulier avait dessinée en l'honneur plus grand des héros de nos temps modernes, le fameux Super Gros Con. Que vous connaissez tous. Car l'on a les gouvernants que l'on mérite. Cette fois, nous en rêvions, il l'a réalisé, un bouquin collecteur – elles n'y sont pas toutes, ce qui implique d'ores et déjà un deuxième tome – d'affiches d'annonce de leurs lives. Sont comme cela les Crashbirds on les prive de concerts, vous croyez qu'ils font du boudin dans leur coin, pas du tout, font la nique au destin, sont en train de préparer un clip, d'enregistrer un sixième album, tout ça chez eux, et ce livre qui vient de sortir. Petit à petit l'oiseau fait son nid. Mais les Crashbirds construisent des aires d'aigles libres.

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    Mais que contient ce livre. Stricto sensus soixante sept reproductions d'affiches de concerts de Crashbirds, rangées par ordre chronologique, du vendredi 10 novembre 2011 au 30 octobre 2020. C'est comme si vous visitiez une galerie du Musée du Louvre, sans gardien mais avec le droit de toucher avec les doigts, vous pouvez glander tout le temps que vous voulez devant chacune des œuvres. Nous y reviendrons dans quelques paragraphes. Les à-côtés valent le détour. Les passionnés de théâtres affirment que l'on voit de plus près les actrices dans les coulisses que sur la scène.

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    Un petit laïus de présentation, les douceurs automnales de la dédicace à son papa et à maman, Lehoulier tire sur la corde sensible de tout ce qui a disparu depuis dix ans, pour un peu vous hisseriez votre mouchoir hors de votre poche afin d'essuyer discrètement une larme. Boum, Pierre Lehoulier tout sourire vous fait le coup du cadeau de Pif Gadget, les affiches certes, mais une glace à la fraise empoisonnée avant l'estouffat des haricots au gigot d'affiches, une bande-dessinée, rien que pour vous. Ne vous réjouissez pas de sitôt, vous voici en plein attentat terroriste, un avion ( à peine ) non identifié vient de s'abattre sur le World Trade Center. Précipitons-nous, des blessés ont sûrement besoin de soins. Serions-nous en train de revivre le massacre des Twin Towers. Non ce n'est pas si grave que cela. Les pilotes sont bien vivants. Ont réussi on ne sait comment à s'extraire de la carlingue plantée dans le sol, z'ont un drôle d'air, l'on n'arrive pas à savoir s'ils sont contents d'eux-mêmes, ou bien marris de leur mésaventure. Faudrait être ornithologue pour répondre à coup sûr, vous les avez reconnus ce sont ces oiseaux de malheur, les fameux cui-cui, perchés sur l'arbre de la couverture comme le corbacée sur celui de La Fontaine. Ne tiennent pas en leur bec un fromage, mais un livre, qu'ils lancent à la tête de la petite fille innocente ( mais les petites filles sont-elles vraiment innocentes ) venue les secourir. La voici revenue chez elle, elle se lance dans la lecture de l'ouvrage que vous êtes en train de lire. Ah ! Ah ! C'est rigolo. Vous prenez les choses du bon côté, vous êtes des optimistes, et si c'était sérieux, si c'était un-je-ne-sais-pas-quoi moi, tiens un apologue anarchiste par exemple, un truc pour vous inciter à réfléchir.

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    Nous avons vu la coulisse ( on y prend son pied ) côté cour, portons-nous à son opposée, située à la fin du livre, coulisse côté jardin , y prend-on aussi son pied ( au cul ), une double page, très instructive comme disent les pédagogues, ville en flammes, style incendie de la Commune, foule en colère, mais prudente, ce ne sont pas des gilets jaunes, mais ils portent comme signe de reconnaissance des masques blancs. Z'ont des z'allures de z'ombies, peut-être parce que le mouvement social est mort tué par un virus. Je vous laisse à vos initiatives.

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    Dans les histoires de haine, c'est comme dans les histoires d'amour, faut toujours une tête d'affiche. Les Crashbirds ont les moyens. Z'en z'ont deux. Aussi inséparables que les Dupond et Dupont ( parfois ils arborent leur plumage jaune comme de frais pondus ) de Tintin, en beaucoup moins bêtes et en plus méchants. Vous les trouvez partout, posés sur la selle de leur cinquante cm3 aussi innocents que des blousons noirs méditant un mauvais coup, au volant d'une Simca mille la voiture des malfrats des early seventies, sur le camion des pompiers avec cette mine atterrée de pyromanes qui viennent considérer l'étendue de leur forfait, méditant sur le chapeau d'un pistolero mexicain ou d'un Capitaine pirate, sur le toit d'une voiture qu'ils ont précipitée sur un arbre, pas très fiers à plusieurs reprises sur l'avion qu'ils viennent de crasher, sur une moto-ski au pôle sud, ou alors ils ne reconnaissent personne sur leur Massey-Ferguson, peu pressés de prendre leur envol sur un rouleau-compresseur, jouant à Nomades du Nord en compagnie d'ours furieux, sur la carte de l'as de pique, sur l'écu du Chevalier noir, ( j'écris leurs noms ), veillant sur un campement de romanichels, faisant du grand-bi, jouant de la guitare, buvant de la bière, perso je les préfère, courant sus à l'anglois et tout autre peuple de la triste humanité, sur la grand-voile de leur brick pirate, prêts à déclarer la guerre au monde entier.

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    N'y a pas qu'eux sur ses affiches. D'abord il y a celui qui n'y est pas. Pierre Lehoulier. Le fauteur de troubles, l'instigateur. Ne se dessine jamais, mais c'est sa patte, pardon son aile, car il tient la plume et le feutre, que l'on retrouve partout. Des dessins figuratifs, mais derrière les objets représentés, c'est l'esprit Crashbirds et rock'n'roll que l'on retrouve. Pas saint du tout. Lehoulier joue avec les images toutes faites, une  inspiration un peu ( beaucoup, à la folie ) rebelle, mais qui met entre elle et le monde la transparence de l'humour, reprend les tubulures de cette mythologie sortie tout droit des rutilantes années soixante, époque où la société de consommation promettait de vous apporter le bonheur encore plus vite que la notion de progrès social. Une ère de prospérité sans précédent. Certes, mais sans futur. Examinez de près ces satanées affiches, le monde pue la déglingue, des objets rafistolés, des tas de détritus partout, des idéaux des justiciers des siècles passés ne subsistent que des images d'Epinal. Certes l'on rit, mais l'on devrait serrer les dents. Le pire n'est pas à venir, il est déjà là.

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    Ces affiches sont comme les grandes arcanes d'un jeu de tarot taré. Vicié à la base. Elles sont magnifiques, Pierre Lehoulier a d'abord le génie des fonds, des espèces de monochromes en accord parfait avec le sujet qu'il traite. Le papier apporte à ses dessins le glacé inaltérable de l'hyperréalisme. Une conformité-critique se dégage de ces images, tout semble vrai, respecté au moindre détail, et pourtant la réalité présentée bat de l'aile. Avec ces affiches Pierre Lehoulier en dit plus sur l'état de notre monde que bien des articles bourrés de statistiques et d'analyses pertinentes. Chaque page comme un coup de poing au-dessous de la ceinture et dessus de votre pensée. A croire qu'il s'amuse avec ses images immobiles au bouscule-tout, au bascule-moi-ça, au pim-pam-poum graphique. Ce n'est pas le portrait de nos gouvernants honnis qu'il a peints sur les boîtes de conserve avariées de ce casse-pipe coloré, mais nos représentations mentales du rock'n'roll. Un pinceau meurtrier qui ne respecte rien, ni ses propres goûts ni ses propres couleurs. Pierre Lehoulier use d'un stabilo déstabilisateur le seul moyen pour que le rock'n'roll ne devienne  ( version +++ ) pas, ne reste ( version - - - ) pas une marchandise comme une autre.

    Damie Chad.

    Un grand merci à Fred Herbert qui a beaucoup fait pour ces affiches. Et une bise à l'autre moitié ( la plus belle, et la non moins intransigeante ) de Crashbirds.

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    Kr'tntreaders, je doute de vous. Je ne crois pas que vous vous réveilliez en pleine nuit pour vous demander si Henri Troyat s'est inspiré de Premier de Cordée de Frison-Roche pour rédiger La neige en deuil. Si je vous posais cette question je pense que vous m'enverriez bouler, que vous m'assèneriez froidement que ce problème ne vous taraude pas et que de toutes manières vous n'avez aucune envie de vous plonger dans la lecture de ce volume qui ne parle point de rock'n'roll. Je vous rassure moi aussi. Manuel Martinez – ne me dites pas que vous ne connaissez pas, à plusieurs reprises je vous ai emmenés soit à ses exposition, soit à vous pencher sur certains de ses tableaux - est comme nous. Mais lui, c'est différent.

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    Voici plus de vingt ans Manuel Martinez avait rédigé les Chroniques d'un Contempourri, peut-être que vous ne connaissez pas, mais vous vous reconnaîtriez sans peine dans le portrait déjanté qu'il trace de l'homo modernus. Deux minuscules plaquettes en blanc et noir, mêlant dessin et écriture, une espèce de bande-dessinée dans laquelle tracés et lettrages semblent s'engendrer mutuellement, à tel point que l'on ne sait si l'on doit d'abord regarder l'image, ou lire le texte, et que lorsque l'on tente l'opération conjointe, la difficulté n'en est pas résolue pour autant. Et ne voilà-t-il pas que l'année dernière le démon de la perversité cher à Edgar Poe l'a poussé à recommencer, en plus grand, en plus long, en plus complexe, en plus coloré.

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    A ses moments perdus, j'en ai été témoin, entre deux visiteurs venus s'extasier dans sa galerie. Une œuvre de longue haleine mais fragmentée en minutes grappillées de-ci, de-là. De ces heures de l'entre-d'eux, est sorti un livre, un seul, nommé :

     

    BORDERLINES

    MANUEL MARTINEZ

    ( Livre Unique )

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    L'a commencé comme les moines copistes du Moyen-Âge qui dans le coffre aux merveilles philosophiques de l'Antiquité prélevaient au hasard un parchemin, par exemple le traité du non-être de Gorgias, pour le recouvrir d'insipides et insignifiantes litanies christologiques, mais lui Martinez a œuvré en sens inverse. S'est saisi d'un exemplaire du roman d'un écrivain de seconde zone, La neige en deuil d'Henri Troyat, l'a choisi pour son format, son nombre de pages relativement restreint, et la qualité de son papier, afin de le transformer en objet unique. S'est muni de feutres, de crayons de couleurs et de tous ces ustensiles qui traînent dans tous les coins d'un atelier de peintre, je le soupçonne fort de s'être contenté de prendre l'outil le plus proche de lui à l'instant T. Puis il a rédigé et dessiné Bordelines. 128 pages.

    Vous aimeriez que l'on en vienne au fait, que je vous résume grosso-modo, le contenu de l'ouvrage. Nous y étions juste au début, avec notre fin de paragraphe précédent sur l'instant T. . Borderlines c'est comme une réécriture d' Une brève histoire du temps de Stephen Hawking, mais avec Manuel Martinez vous n'aurez pas besoin de faire semblant d'avoir compris. C'est beaucoup plus complexe. Vous met dès le début au pied de l'horloge temporelle, devant une expérience universelle à laquelle vous n'avez pas comme tout le monde échappé. Pour l'heure d'hiver faut-il avancer ou retarder le cadran de votre vie d'une heure. Oui, mais dans les deux cas que deviennent ces minutes perdues, où sont-elles ?

    Voilà vous êtes à l'entrée du labyrinthe, ne tremblez pas vous ne rencontrerez pas le minotaure, pour la simple et bonne raison que le labyrinthe est-lui-même le minotaure, vous ne me croyez pas pourtant le temps saturnien est bien connu pour dévorer les petits enfants mignons. Je vous laisse continuer la lecture, attention aux fausses pistes. Il y en a partout, les dessins et les ''bulles'' splashées de Martinez ne couvrent pas toujours tout le texte de Troyat, l'en reste des fragments que vous ne pouvez vous empêcher de lire à la recherche d'une indication quelconque, parfois le scriptor se moque de vous, il entoure certains mots qui ne sont pas sans écho avec ce qui est écrit et dessiné, faut-il les incorporer au sens du texte ou sont-ce de faux hasards, et qui nous dit que tel autre qui ne semble pas avoir plus de rapport avec le récit martinezien que le blanc du mur sur lequel un peintre réalise son tableau, n'ait pas été le départ d'une idée graphique, d'une inflexion de l'histoire, multiples sont les sentiers entrecroisés de la création.

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    Une chose rassurante, Manuel Martinez est aussi perdu que vous, mais lui ça le réveille, il se lève en pleine nuit, qui a dit qu'un peintre ne peut pas peindre dans le noir, surtout que ce sont les idées noires qui le guettent, qui surgissent, qui l'assaillent, pas besoin d'être détective privé ou commissaire chevronné pour trouver la coupable, la, car c'est bien sûr une fille, passons sur le rappel des scènes délicieuses et pénibles, au final l'on est toujours seul et empêtré dans de savants calculs, où sont passés ces 3600 secondes ( fatidiques ), l'artiste seul face à la résolution de son problème, inclusion d'une notice d'ordinateur, nous ne sommes plus aux temps ( pas si ) anciens où Ezra Pound recopiait dans ses Cantos les idéogrammes chinois des boîtes de thé, le peintre ne sait plus s'il doit recolorier sa vie ou tourner définitivement la page, apocalypse sur ses neurones, il a maintenant atteint une certaine maîtrise. Mais de quoi au juste. Peut-être de lui-même. Parfois il suffit de pousser les cloisons mentales pour mieux respirer. Mais tout recommence comme avant. Cette fois, cela ne se passera pas comme autrefois. Chut, ne le réveillez pas il s'est endormi. En fait c'était juste une heure de sommeil en plus. Pas de quoi faire tant de tralala. Morale de l'histoire : dehors dans le monde c'est comme dans la tête. A moins que ce ne soit l'inverse. C'est peut-être dans la tête que c'est comme dehors. C'est comme le sablier, il fonctionne dans les deux sens. Posez-le droit comme un i, ou tournez-le cul en haut, tête en bas, c'est la même heure qui s'écoulera.

    Je vous ai raconté ma version de l'histoire, dans un labyrinthe chacun trace son chemin. Nous l'avons lue. Nous allons maintenant la regarder. Ce qui compte ce n'est ni le dessin, ni les couleurs, c'est la façon dont l'ensemble fonctionne. Vous ne comprendrez rien au bouquin, si vous vous ne vous mettez pas dans la tête qu'ici il ne faut pas chercher à quoi ressemble le dessin, mais ce qu'il signifie. Une lecture qui s'apparente davantage au déchiffrage des hiéroglyphes toutankhamontesques, et mieux encore, à l'unité idéographique de tout élément d'une notion dessinée, nécessité de partir de la représentation de l'objet ( ou de la situation ) pour l'aborder en tant que son idéification abstraite. Comme si chaque dessin correspondait à un caractère sinomorphique d'un alphabet que l'on ne connaîtrait pas en son entier et que l'on s'efforcerait de déchiffrer malgré tout.

    Le livre est abracadabrantesque à parcourir, l'on tourne les pages, le bleu de la nuit vous saute aux yeux, mais aussi les chats, l'alcool, l'homme-singe, le sourire, le désir, le rouge-suicide, l'orange intellectuel, l'homme loup, le cheval fou, le bateau ivre, tout un bestiaire, des hectolitres d'hétéroclite, des traces de couleur comme si le peintre s'était torché les mains sur ses dessins afin de les métamorphoser en faux tableaux, s'il est un livre rock'n'roll, c'est bien celui-ci. Il contient nos rêves brisés et nos vains efforts pour les recoller. A l'image de notre monde.

    Le livre pose aussi la questions essentielle de la peinture : est-ce la forme qui détermine le sens, ou le sens qui détermine la forme. Posez la même question en changeant le mot forme par couleur et puis par geste. Dans les trois cas : la remplacez par : la peinture se lit-elle ou se regarde-t-elle ? A vous de tenter l'expérience.

    Damie Chad.

    ( Borderlines se feuillette de la première à la dernière page sur

    FB : Manuel Martinez ou FB : Kr'tnt Kr'tnt )

     

    LOCK ME DOWN !

    JUSTIN LAVASH

     

    Justin Lavash réside à Prague. Je n'ai jamais mis les pieds dans cette ville. Hormis les Histoires Pragoises de Rainer Maria Rilke – savoir que la race humaine ait pu engendrer un tel individu vous réconcilie avec notre espèce – et Le golem de Gustav Meyrink – comme les gens bizarres qui écrivent des choses tordues me sont sympathiques - je ne connais que peu de chose de cette cité renommée. J'ai toutefois fait connaissance avec deux pragois. Jiri Volf fantasque poëte mort de froid dans une église désaffectée de Toulouse et le dénommé Justin Lavash rencontré en des circonstances moins dramatiques sur le marché de Mirepoix. Je ne précise pas où se trouve cette bourgade éminemment touristique puisque personne dans le monde n'ignore qu'elle campe fièrement aux portes de l'Ariège.

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    Le lecteur pressé de faire sa connaissance se reportera à notre livraison 310 du 05 / 01 / 2017 dans laquelle je relatais notre rencontre et chroniquais son album : Programmed. Depuis Justin Lavash et sa guitare, le bourlingueur et Miss Bluezy, sont rentrés à Prague. Et voici que dans mon fil facebook apparaît sa face boucanière munie d'un bandeau de pirate sur l'œil droit. La situation doit être grave puisqu'il demande ( apparemment ) à être enfermé. S'il exige à ce qu'on le libère j'écouterais quand même, car entendez-vous il a une superbe voix de sirène rouillée.

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    Lock me down : vidéo clip sur You tube. Novenbre 2020. Réalisé par Scott C. De Castro. Un truc magnifique fait avec les moyens du bord. Attention le mec est doué, cela n'a l'air de rien, mais question angles de prise de vue, et apport kaleidoscopiques surnuméraires sur des images répétitives, vous ne trouverez pas dosage plus savant, ce gars quand il fait la cuisine il doit compter les grains de sel un par un. Mais que serait un film sans acteur ? L'a de la chance le Scott, l'en tient un, aussi ne le relâche-t-il pas. Ne fait pas grand-chose le Justin Lavash, mais oh la vache il a ces 99, 9999 pour cent que le reste de l'humanité n'a pas, la rock attitude. Faut le voir remuer derrière son micro. La grande classe, avec son bandeau à la Johnny Kidd, son félinique déhanchement d'iguane en chemise faussement hawaïenne et sa gueule de taulard au bord du transfert en cellule de crise capitonnée, l'est irrésistiblement résolument rock. Le mec qui craque tout en restant craquant pour toutes les filles sauvages que porte notre terre. Image en faux-blanc et gris de la grande époque. Mais ce n'est pas tout. Il y a le morceau, commence par un grattement de souris acoustique à qui l'on a rebouché le trou de sortie. Et puis c'est parti, le truc électrique méchamment balancé et la voix de Lavash, celle qui sort de votre gosier après trois nuits à traîner dans les quartiers chauds avec la pègre et les putes de Mexico. Une espèce de gimmick entraînant, je ne sais qui est aux guitares, Lavash peut-être, mais quel doigté et quelle imagination ! Mais ce n'est pas tout. N'y aurait-il que cela que ce ne serait rien. Car à écouter les paroles, l'on se rend compte que Lavash a écrit le premier hit, en d'autres termes le l'hymne définitif, sur le confinement, d'autant plus vicieux et insidieux qu'il n'en parle pas. Une réussite majeure.

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    The hardest thing ! : Vidéo-clip : octobre 2020 : Justin Lavash : guitar , vocals / Gejza Sendrei : keys / Simon Lavash . Trumpet / Pavel “Košík” Košumberský : percussion / Tonda Moravec - percussion / Cut-up clip réalisé avec une grande intelligence par Barbora Liska Karpiskova à partir de photos d'Anna Bastyrova. Z'ont pensé à un ensemble signifiant pour la mise en scène, notamment l'inscription des lyrics en tant que motif indétachable des images. Ce n'est pas un blues comme on n'en fait plus mais un blues comme on en fera demain, avec pour celui-ci cette saveur d'épice jamaïcaine reléguée au quatrième plan mais absolument présente grâce à cette moqueuse trompette de mariachi qui tire la langue à la mort. Surprise, pour une fois dans un blues contemporain les paroles conditionnent la musique. Peut-être Lavash est-il le parolier ( en anglais ) qui manque au blues européen. Morceau de confrontation de soi à soi. Post-déprimal. Un état des lieux sordides. La guitare vous entraîne sur des chemins de solitude. Un constat amer, définitif comme un procès-verbal d'autopsie. Et puis la chute vertigineuse. Une coupure de lame de guillotine. Est-il possible de changer de vie. Mille chemins fermés.

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    Guitar : Vidéo-Clip : septembre 2020 : Justin Lavash : guitar, Genja Sendrey : clavier. Etrange, le premier instrumental chanté, oui Lavash chante et gratte sur ce morceau mais Scott C. De Castro qui est aux manettes est un véritable sorcier, vous donne l'impression que ce sont les incrustations des quinze participants qui rythment le morceau. Mais Lavash ne fait pas que jouer. Il joue aussi. Occupe la première place. Le devant de l'écran est pour lui tout seul. Il gesticule, il mime, il interprète, à croire que ce diable d'homme a fait aussi un peu de théâtre dans sa jeunesse. L'est doué pour tout. Vous racole pour pour mieux vous coller à son jeu. Le morceau n'excède pas cinq minutes, mais vous avez toute l'histoire de la guitare racontée, la classique, la bluezy et tous les errements qui ont suivi. Un festival, une véritable déclaration d'amour à la six-cordes. Sûr que c'est un peu à l'attrape-œil et à l'attrape-oreille. Ces trois derniers morceaux de Lavash visent un public beaucoup plus large que les trois derniers passionnés de blues sur un marché de province française. Un autre plan de carrière semble s'annoncer. Un côté moins crade, moins roots, mais sur ses trois titres Lavash parvient à rester authentique. Authentiquement Lavash, et c'est cela la marque d'un grand artiste.

    Damie Chad.

     

    VIII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

     

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    C'est vers dix heures du matin qu'une voiture du Corps Diplomatique du Guatemala s'arrêta freina brutalement devant le perron de l'Elysée. L'on se précipita pour nous ouvrir les portières. Nous suivîmes les huissiers qui nous menèrent diligemment au bureau du Président. D'un petit grognement Molossa intima l'ordre à Molossito de se tenir correctement, interdiction formelle de s'oublier sur la moquette. Le Chef avait décidé d'enclencher le protocole 27. Je rappelle au lecteur ignorant que ce fameux article 27 des Services Secrets permet à un responsable supérieur d'une branche du Service Action d'obtenir au plus vite un entretien avec le Chef de l'Etat s'il jugeait qu'un danger grave et imminent menaçait le pays. Le Président arborait une face glaciale.

      • Vous tombez bien, hurla-t-il, j'avais justement besoin de vous entretenir de la mort suspecte de six de nos agents, je...

      • Président, nous règlerons cette question subalterne à la fin de l'entretien, mais nous sommes venus pour un tout autre problème, celui de la boîte à sucre.

    Le Président pâlit. Du rouge cramoisi, il passa au blanc cadavérique. Déjà Molossa et Molossito avaient sauté sur le bureau et je déposai la boîte à sucre sur le bureau. J'allais commencer ma démonstration, le Président fit un geste pour m'arrêter et appuya sur un bouton, la porte s'ouvrit et deux individus entrèrent.

      • Messieurs je vous présente deux de nos plus grands mathématiciens, de la Faculté mathématique d'Orsay, de la cellule Action et Recherche Pythagore.

    Il était clair que nous étions attendus au-delà de nos espérances. Le Chef alluma un Coronado pendant que Molossa et Molossito secondaient de leurs aboiements le déroulement de mon raisonnement. Les deux scientifiques m'écoutaient avec attention, je remarquais que si l'un d'eux vérifiait le résultat des opérations sur une calculette électronique, le deuxième semblait plus attentif aux réactions des deux canidés. Ce fut d'ailleurs lui qui s'empara du trois-cent soixante-neuvième morceau de sucre, qu'il coupa en deux et il en offrit une moitié à chacun des deux chiens qui le croquèrent sans se faire prier :

      • Comme ces bestioles sont ravissantes, de véritable bêtes de cirque, Monsieur le Président, rien de neuf sous le soleil, le vieux paradoxe de la boîte à sucre connu de tous les étudiants de mathématique de première année, je crois que nous pouvons nous passer des services de ces montreurs d'animaux savants, certes divertissants mais franchement peut-on prêter attention à des amateurs de rock'n'roll, nous avons à vous entretenir de dossiers beaucoup plus sérieux.

    Comme le Chef allumait un second Coronado, il se tourna vers nous :

      • Quant à vous Messieurs nous ne vous retenons pas, vous avez certainement des choses plus intéressantes à accomplir que de voler des voitures du Corps Diplomatique du Guatemala et de faire perdre au Président un temps précieux dévolu aux affaires importantes de notre nation.

    La porte du bureau présidentiel se refermait sur nous, je me retournais, le visage du Président exprimait un soulagement ineffable.

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    Un sacré coup de pied dans la termitière avait dit le Chef, voilà pourquoi ce soir-là deux vélo-solex filaient à vive allure vers la banlieue Sud de Paris. Les évènements vont se précipiter avait-il ajouté. Molossito coincé sur ma poitrine et mon Perfecto dormait paisiblement. A l'arrière assise sur le porte-bagage Molossa méditait sur les vicissitudes de l'existence avec l'air détaché d'un bonze ayant atteint à plusieurs reprises l'illumination. Devant moi, sur sa monture pétaradante le Chef n'arrêtait pas de se retourner pour vérifier l'arrimage de la caisse à Coronados capitonnée qu'il avait emportée. Nous eûmes l'impression d'être suivis par un ballet de voitures discrètes, quelque sens interdits, quelques allées privées dont nous possédions les passes, nous permirent de nous défaire de ces gêneurs.

    Nous freinâmes devant la grille. Elle était ouverte. Diable, pensais-je, cela dépasse les bornes de la logique aristotélicienne ! Une petite loupiote au-dessus du perron éclairait chichement le jardin. C'était à croire que l'on nous attendait. La porte s'ouvrit. J'espérais Thérèse. C'était Alfred.

    Dans la cuisine, il nous avait préparé une petite collation, café, gâteaux, bouteilles de moonshine polonais, vastes cendriers pour les Coronados du Chef. Je tentais un regard vers la porte de la chambre.

      • Désolé Damie, Thérèse est partie, nous nous sommes séparés, elle a apparemment trouvé mieux que moi.

    Le Chef alluma un Coronado...

    32

    Durant deux jours nous ne bougeâmes pas de la villa. Restons prudents avait dit le Chef, les tueurs de l'Elysée sont à nos trousses. Nous ne nous ennuyâmes pas. Alfred fit coulisser un rayonnage de sa bibliothèque de la cave, apparut alors des centaines d'albums vinyles... pas grand-chose minauda-t-il mais assez pour se remplir les oreilles. Ce que nous fîmes à satiété.

    Ce matin-là, le Chef tournait en rond dans le jardin, Coronado au bec, toutes les cinq minutes il regardait sa montre. Alfred s'était absenté pour les courses de première nécessité. Je descendis à la cave, une question me taraudait quel album de Jerry Lou écouterai-je ? Il s'avéra que le pauvre Alfred ne possédait aucun disque de Jerry Lou ! Dépité j'attrapais au hasard un livre sur un rayonnage et m'assis sur un fauteuil. J'ouvris la première page et sursautais violemment ! Mémoires d'un GSH ! Je n'étais pas au bout de mes découvertes, je zieutais la couverture : L'homme à deux mains. Eddie Crescendo. Série Noire 2037 ! Je n'eus pas le temps de ne pas comprendre. Deux violents coups de klaxons résonnèrent dans toute la maison. Je sortis précipitamment dans le jardin. Un énorme camion s'était arrêté devant la grille. Le Chef était déjà en pourparlers avec le chauffeur devant la grille. Alfred arrivait avec son panier de commissions.

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      • Au boulot vite ! Je prends le commandement des opérations, agent Chad ouvrez la porte du camion, Alfred pressez-vous, dans cinq minutes je veux que tout soit déchargé !

    Il nous fallut trois bonnes heures d'allées et venues pour transborder les huit tonnes de Coronados que le Chef avait commandés à la Maffia italienne. Nous les entreposâmes dans les deux pièces vides du rez-de-chaussée. Lorsque tout fut fini le Chef exultait : Maintenant la guerre peut commencer ! déclara-t-il d'un ton comminatoirement jouissif. Puis il ajouta. Alfred s'il vous plaît préparez-nous un repas fortement calorique, la journée sera fatigante, agent Chad sortez les chiens, ils m'embêtent à batifoler dans le jardin, j'ai besoin de méditer dans le calme !

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    J'emmenais les bestioles canines dans un petit square situé à une centaine de mètres de la villa. J'avisai un banc, sortis de ma poche L'Homme à deux mains d'Eddie Crescendo, Série Noire 2037, mais déjà Molossito aboyait. Je me retournais. Une petite vieille qui tenait un Westie décrépit en laisse marchait dans l'allée. Elle s'arrêta à ma hauteur. C'était Thérèse !

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 484 : KR'TNT ! 484 : LEIBER & STOLLER / ROCKABILLY GENERATION 15 / ASTRAYED PLACE / EGOUT METAL / HAZPIQ / ROCKAMBOLESQUES VII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 484

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    12 / 11 / 2020

     

    LEIBER & STOLLER / ROCKABILLY GENERATION 15

    ASTRAYED PLACE / EGOUT METAL / HAZPIQ

    ROCKAMBOLESQUES VII

     

    Leiber thé dansant & Stoller du temps

    - Part One

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    S’il existait un trône de roi des élégances, il reviendrait de droit à Leiber & Stoller. On les savait drôles, mais grâce à Ritz et non à Dieu, ils deviennent encore plus drôles. Ils sont même délicieusement drôles, comme dotés d’une sorte de finesse aristocratique. Thé dansant dans l’air du temps, un temps qui n’a pas de prise sur eux, comme le montre si bien Hound Dog - The Leiber & Stoller Autobiography. Cette autobio à deux voix fonctionne comme un dictionnaire des élégances : les épisodes succèdent aux rencontres dans une atmosphère de passion palpitante. Bienvenue au royaume des cieux de la pop américaine. Leiber & Stoller étaient déjà nos copains, mais grâce à ce livre, ils deviennent nos meilleurs copains. Vous ne trouverez pas meilleurs copains que ces deux mecs-là. Qu’attend-on des copains en dehors des trucs de base que sont la loyauté et éventuellement la générosité ? L’intelligence, bien sûr. Pour dire les choses autrement, ce qui peut nous arriver de mieux dans la vie est d’avoir des copains intelligents. C’est en gros ce que dit ce livre. On en sort fier d’avoir des copains comme Leiber & Stoller.

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    Leur histoire commence comme l’histoire ordinaire de deux gosses juifs et se termine en une espèce de carnet mondain du rock américain. Jerry Leiber est le poète, celui qui écrit les textes flashy sur le champ et Mike Stoller le pianiste qui compose les jolies mélodies. Ils fonctionnent si bien ensemble qu’ils tapent chaque fois dans le mille, comme le montrent si bien tous les hits qui portent leur signature.

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    Petit, Stoller traîne sur la 52e Rue et voit Charlie ‘Yardbird’ Parker dans un club qui s’appelle the Three Deuces - His harmonic sense was amazing. He played at tempos that left me breathless - En fait il voit tous les géants du jazz, car New York est alors la capitale mondiale du jazz. Il voit Monk, Stan Getz, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Dizzy - I caught them all, j’avais leurs disques, leurs idées me couraient dans la tête, leur musique me tenait éveillé toute la nuit - Petit veinard, Stoller du temps ! - It was the late forties, and Harlem was the right place at the right time - Les propos de Stoller sonnent comme les paroles d’un hit. De son côté, Leiber grandit à Los Angeles. Il travaille comme plongeur au Clifton’s Criteria et il entend un jour une chanson de Jimmy Whiterspoon à la radio : «Ain’t Nobody Business» - Je ne saurais expliquer ma réaction, mais sur le moment, je fus transporté dans une sorte de compréhension mystique. Une lumière s’alluma. Whiterspoon l’avait allumée. Peut-être était-ce la puissance et l’assurance de sa voix qui m’inspiraient ce sentiment, peut-être était-ce la qualité des paroles, je ne sais pas, If I should take a notion/ To jump into the ocean/ It ain’t nobody’s business if I do, quoi qu’il en fut, je n’étais plus le même. Je sentais que je pouvais faire tout ce que faisait Whiterspoon, je pouvais dire tout ce qu’il pouvait dire, une porte s’est ouverte et je suis entré dans son monde - Merveilleux Leiber. On trouve rarement des façons aussi belles de décrire une révélation : il fait la plonge et entend une chanson à la radio. Alors qu’on ne fait qu’entrer dans cette histoire, nous voilà déjà conquis.

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    Bon Leiber décide d’écrire des chansons. Alors il cherche un musicien pour mettre des notes sur ses paroles. Un copain lui file le numéro d’un pianiste qui lui paraissait pas mal. Son nom ? Mike Stoller. Okay. Et là on entre dans l’extraordinaire dynamique du book, celle des petits échanges étincelants. Stoller raconte : «Le téléphone sonna :

    — Hi, je m’appelle Jerome Leiber. Êtes-vous Mike Stoller ?

    — Yup.

    — Avez-vous joué dans un club d’East LA la semaine dernière ?

    — Yup.

    — Savez-vous composer ?

    — Yup.

    — Savez-vous écrire des partitions ?

    — Yup.

    — Voudriez-vous composer des chansons avec moi ?

    — Nope !

    — Pourquoi ?

    — J’aime pas les chansons !

    — Vous aimez quoi alors ?

    — Bela Bartok et Thelonious Monk.

    — On devrait quand même se rencontrer pour en parler.

    — Si vous y tenez vraiment, faites un saut !

    Il me sembla qu’il sonnait à la porte au moment même où je raccrochais le téléphone.»

    Ils sont tordants quand ils racontent leur première rencontre. Leiber : «J’ai couru jusqu’à son adresse. Quand la porte s’est ouverte, j’ai vu un gosse de mon âge qui portait un béret sur la tête et un petit bouc à la Dizzy Gillespie au bout du menton. Un bebopper ! Oh non, me suis-je dit, pas ce genre de mec !». Stoller réagit en gros de la même façon : «La première chose que j’ai remarquée chez Jerry était la couleur de ses yeux : l’un était bleu et l’autre brun. Je n’avais encore jamais vu ça. C’était aussi étrange que sa demande : vouloir écrire des chansons avec moi !». Alors ils font un petit bout d’essai ensemble. Stoller s’assoit au piano - Okay, je me suis mis à jouer du blues et Jerry improvisa des paroles et chanta comme s’il était né au Mississippi. Alors on s’est serré la main et déclaré partners. C’est ainsi qu’a démarré un malentendu qui dure depuis soixante ans, sans qu’on ait jamais pu le résoudre. On était en 1950, nous avions 17 ans - Il a raison Stoller que dire que leur partenariat est étrange. Leiber confirme : «Dès le départ, nos énergies ne sont pas les mêmes. Mike était précautionneux et moi impétueux. J’étais même incapable de rester tranquille cinq minutes. Je savais depuis l’épisode Whiterspoon que je pouvais écrire et donc je devais écrire.» Ils ont beaucoup de chance, en fait, car ils voient clair. Stoller : «On voulait surtout s’amuser, mais notre notion du fun s’enracinait dans l’authenticité. En tant qu’auteurs compositeurs, nous n’avions qu’un seul modèle, la musique noire. And black music only.» Ce genre de truc porte un nom. Oui, ça s’appelle une éthique. Leiber dit que Stoller est un hipster et Stoller se dit vite fasciné par l’exubérance créative de Leiber : «Il pouvait tout écrire, du black, du jewish, du theatrical, du comical, il peignait avec les mots, ses mots contenaient toutes sortes de couleurs, de textures, de tons, et en plus il allait très vite.»

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    Le premier à s’enthousiasmer pour les compos de Leiber & Stoller, c’est Lester Sill - Hell yes ! - Il les met en cheville avec les frères Bihari qui ont un label, Modern Records. Le premier rendez-vous se passe mal : on fait poireauter Leiber & Stoller qui finissent pas se casser. Et comme tout le monde à l’époque, ils vont se faire plumer par plus malin qu’eux. Ils finissent par rencontrer Johnny Otis et composent «Hound Dog» pour Big Mama Thornton. C’est Johnny Otis qui joue de la batterie sur la version originale. Leiber & Stoller produisent - Big Mama didn’t croon, she growled - Leiber : «On ne gagnait pas un rond, mais on faisait des disques de blues.» Puis c’est le désenchantement. Ils découvrent par la suite que Johnny Otis s’est approprié le crédit de «Hound Dog». Ils protestent auprès du label boss Don Robey qui fait signer à leurs mères un nouveau contrat, car ils sont encore mineurs. Ils reçoivent une avance de 1200 $ mais le chèque est en bois. Abattus, ils voient «Hound Dog» grimper au sommet des charts et apprennent que le disque s’est vendu à un million d’exemplaires. Ils n’ont pas touché un rond. Stoller : «We were getting screwed.» Mais ça ne sera pas la dernière fois. Lorsqu’Elvis va faire sa version de «Hound Dog», Leiber découvrira horrifié qu’on a trafiqué son texte - Elvis s’est amusé avec la chanson. Big Mama l’a chantée pour de vrai (Big Mama nailed it) - Tiens encore un épisode de screw. C’est Stoller qui le raconte. À l’époque où ils travaillent pour Atlantic, un comptable leur conseille de demander un audit des comptes d’Atlantic. Forcément Wexler est furieux. Quoi ? Vérifier les comptes alors que je vous ai fait gagner des milliers de dollars ! Stoller essaye de le calmer en lui expliquant que les bons comptes font les bons amis. Il se dit aussi surpris de sa réaction colérique. Pourquoi s’inquiéterait-il ? Wexler parvient à se calmer et leur dit de virer le comptable. Trop tard. Le comptable a découvert qu’Atlantic devait 18 000 $ à Leiber & Stoller. Wexler peine à contenir sa rage. Vous avez le choix, soit je vous signe un chèque de 18 000 $ et vous ne travaillerez plus pour aucun de nos artistes, soit vous oubliez le chèque et on continue comme si de rien n’était. Leiber & Stoller n’hésitent pas une seconde : oublions le chèque ! Bien, dit Wexler, et malgré sa promesse, Leiber & Stoller ne travaillent plus pour Atlantic. «We’re screwed», dit Leiber.

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    ( Nesuhi Ertegun )

     

    Dommage, car l’épisode Atlantic se présentait comme un conte de fée. Remontons un peu dans le temps. Leiber & Stoller commencèrent par faire la connaissance de Nesuhi Ertegun, le frère d’Ahmet, un homme que Leiber jugeait distingué et qui parlait une demi-douzaine de langues, avec une nette préférence pour le black slang qu’il trouvait séduisant, un homme qui avait étudié à la Sorbonne, qui avait lu Nietzsche et Sartre et qui pouvait parler de l’émergence de l’expressionnisme abstrait, mais qui connaissait surtout le jazz. Et le blues. Il connaissait aussi la plupart des chansons composées par Leiber & Stoller et donc welcome in Atlantic. Ils vinrent donc s’installer à New York. C’est au Tea Room de la 57e Rue qu’ils rencontrèrent le team Atlantic : les frères Ertegun, Wexler, Herb & Miriam Abramson et Pete Kemeron, le manager du Modern Jazz Quartet - These were charismatic characters in the extreme, dit Stoller - brillant, both impressive scholars and impassioned fans of the music and like us, early producers of a genre they loved. It was all about jazz and rhythm & blues - Leiber & Stoller furent bombardés producteurs pour le compte d’Atlantic. Même si pour eux ce fut une belle aventure, grâce aux artistes qu’ils rencontraient, cette association ne fut pas de tout repos, à cause des bras de fer avec l’aboyeur en chef Jerry Wexler. C’est Leiber qui nous raconte comment lui et Stoller produisirent «There Goes My Baby» par les Drifters. Ils étaient sûrs de leur coup, sûrs qu’il s’agissait d’un smash. Ils le firent écouter à Wexler et Ahmet qui n’étaient pas dans le studio pendant l’enregistrement. Wexler l’écouta, se tourna vers Leiber et lui dit : «Jamais entendu une merde pareille !». Il les accusa d’avoir dépensé le blé d’Atlantic pour produire un tas de merde, ce goddamn awful mess. Et il lança son sandwich au thon dans le mur. Leiber ajoute qu’il est resté collé au mur. Évidemment, «There Goes My Baby» grimpa en tête des charts et se vendit à un million d’exemplaires. Après coup, Ahmet qui est diplomate jusqu’au bout des ongles dira à Leiber & Stoller qu’ils tapent dans le mille à chaque fois, mais Wexler aura tout fait pour que le disque ne sorte pas. En conclusion, Leiber pense que Wexler entretenait avec Stoller et lui une love-hate relationship.

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    C’est à cette époque que Leiber & Stoller décident de louer un bureau dans un immeuble situé sur la 45e et Broadway. Oui, le Brill. Stoller dit qu’en 1961 leur rêve devient réalité at 1619 Broadway. Un peu plus haut, au 1650 Broadway, se trouve un immeuble aussi «musical» que le Brill, avec un studio d’enregistrement au sous-sol et un demo studio au 9e étage. Au 1619, on croise Jeff Barry, Ellie Greenwich, Doc Pomus et Morty Shuman, et au 1650, Carole King, Gerry Goffin, Barry Mann et Cynthia Weil. Un jour, un petit blackos en costard vient voir Leiber dans son bureau du Brill. Il se présente : Berry Gordy. Il avait en tête de faire du soft R&B pour le vendre aux blancs. Il fait écouter des démos à Leiber qui trouve ça pas mal. Alors Gordy lui dit : «Alors vous allez m’aider ?», et Leiber lui dit non.

    — Pourquoi ?

    — Parce que vous n’avez pas besoin de moi. Vous savez déceler les talents et les signer. Vous savez composer et produire. Vous avez juste ce qu’il vous faut. Rentrez à Detroit and do it.

    He did, ajoute Leiber, qui poursuit en disant qu’il n’était pas vraiment fan de Motown. Il trouvait cette Soul trop soft, mais il saluait le flair de Gordy : «Il avait vu un marché et se l’était approprié.» Leiber fait aussi un portrait grandiose d’Ellie Greenwich. Il dit qu’avec Jeff Barry, ils constituaient un terrific team. Ils composaient avec une élégante simplicité et un manque total de prétention. Ellie était une très bonne chanteuse et ses démos valaient largement les versions enregistrées par d’autres. On l’aimait à la fois pour son talent et pour son extravagante beehive hairdo, sa bombe de cheveux blonds. Ils font aussi la connaissance de Burt & Hal David - Burt was the most perfectly casual dresser ever to stroll down Broadway. Even his hair was perfectly casual - Stoller ajoute qu’Hal David et Burt ont fabriqué de la magie, notamment pour Dionne Warwick, «qu’on avait fait travailler pendant des années comme background singer avec sa sœur Dee Dee et leur tante Cissy Houston.»

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    Les principaux clients de Leiber & Stoller chez Atlantic étaient bien sûr les Coasters, que Lester Sill manageait. Après des mouvements de personnel, le lineup finit pas se stabiliser avec Billy Guy, Carl Gardner, Dub Jones et Cornell Gunter. Stoller dit de Gunter qu’il était fort comme un bœuf et qu’il devint le protecteur du groupe. Lorsqu’un jour un mec s’en prit à l’un de ses protégés, Cornell Gunter l’attrapa et le jeta par dessus un camion. Et pourtant, nous dit Stoller, Gunter n’avait rien d’un macho : «À l’instant où il ouvrait la bouche, on savait qu’il était gay.» Stoller rend aussi hommage à Dub Jones, one of the great bass voices. «He was a deply religious man with real heart and soul.»

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    Et puis bien sûr, voilà Phil Spector. C’est Lester Sill qui un beau jour de 1960 téléphone à Leiber pour lui demander une faveur.

    — Vas-y.

    Sill y va :

    — J’ai un gosse ici et je crois en lui. Je crois autant en lui que j’ai cru en toi et Mike. En réalité, il est une sorte de Leiber & Stoller. Il est new-yorkais mais il est venu ici à LA pour étudier à Fairfax High. C’est un R&B genius, il joue de guitare, il compose, il arrange, il produit et il vous idolâtre, Jer, je te jure qu’il vous idolâtre.

    — Comment s’appelle-t-il ?

    — Phil Spector.

    — Et que veut-il ?

    — Venir à New York.

    — Bon, fais-je venir, alors.

    — Mais il lui faut un billet d’avion.

    — Tu ne peux pas le lui payer ?

    — Non.

    — Tu veux que je le paye ?

    — Fais-moi cette faveur, Jer. Tu ne le regretteras pas. Il a déjà un hit avec les Teddy Bears, «To Know Him Is To Love Him».

    — Et tu l’aimes, Lester ?

    — Tu l’aimeras aussi.

    Pas du tout.

    Leiber ne l’aime pas. Il poursuit en expliquant que «Spector est arrivé une semaine plus tard à mes frais. Il a demandé s’il pouvait dormir sur le canapé du bureau. Que pouvais-je lui dire ? Au fond ça n’avait pas vraiment d’importance qu’il n’ait pas dit merci pour le billet et que sa présence dans le bureau nous ennuyait. Je sentais qu’il était smart. Il aimait la musique. Il était dévoré d’ambition. On ne voyait que ça, son ambition.» Puis Phil Spector va prendre Ahmet comme modèle, jusqu’à imiter sa façon de parler. Ahmet était le suave hipster que Spector rêvait de devenir.

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    Bon le bal des mythes ne s’arrête pas là. Il reste encore le plus gros, the real deal, Elvis. La collaboration Elvis/Leiber & Stoller commence avec «Jailhouse Rock». Lors d’un entretien préalable, le Colonel qui leur dit que son poulain va devenir plus célèbre que le président et plus célèbre que le pape. Leiber & Stoller opinent du chef. Mais ils se foutent du Colonel. Celui qui les intéresse, c’est Elvis. Ils finissent par le rencontrer en entrant dans le studio d’enregistrement. Leiber s’en souvient comme si c’était hier : «Ça fait longtemps que je ne fais plus de mystère de mon hétérosexualité, aussi suis-je parfaitement à l’aise pour dire que lorsque je suis entré dans le studio et que je me suis retrouvé face à Elvis Presley, je fus frappé par sa beauté. Il avait un sourire timide et des manières désarmantes.» Stoller ajoute qu’Evis était un Ray Charles fanatic et qu’il connaissait aussi toutes les compos de Leiber & Stoller. Il pouvait citer n’importe quel hit de R&B, depuis Arthur Big Boy Crudup jusqu’à B.B. King en passant par Big Bill Broonzy. Alors évidemment, après le succès de «Jailhouse Rock», Elvis est persuadé que Leiber & Stoller lui portent chance. Il les veut à chaque séance et sur le champ. C’est l’hystérie. Exemple : Elvis enregistre un Christmas album et il manque une chanson. Le Colonel leur ordonne d’en composer une sur le champ. Leiber dit à Stoller qu’il ne faut pas décevoir cette bande de fous.

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    — Tu sais quoi, mike, on va faire simple. Composons pour ce mec un twelve-bar blues avec un Christmas lyric. Qu’en penses-tu ?

    — Okay by me.

    Alors je commence à chanter :

    Hang up your pretty stockings

    And turn off the light

    Cause Santa Claus is coming down your chimney tonight.

    (Mets tes bas et éteins la lumière, car ce soir Santa Claus va te ramoner la cheminée).

    Ça nous a pris 15 minutes pour composer la chanson. On revient dans le studio et je leur annonce qu’on a la chanson. Le Colonel demande pourquoi ça a pris tant de temps. Je lui réponds «Writer’s Block», c’est-à-dire panne d’inspiration. Le Colonel se marre mais il arrête de se marrer quand il entend les paroles. Mais le King tranche : Voilà une vrai Christmas song ! Je vous l’avais dit, ces gars-là allaient nous dépanner !

    Et Elvis se met à chanter sa Christmas song comme un King. Il la fait en deux prises. Quand c’est fini, Elvis passe ses bras sur les épaules de Jer et de Mike et leur dit : «Chaque fois que j’enregistre, je veux que vous soyez là, les gars !».

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    Et puis arrive le grain de sable dans l’engrenage. Jean Aberbach les rencontre pour leur annoncer que le Colonel veut les manager. Jer lui répond du tac au tac : «We’re unmanageable. Tout le monde le sait.» Aberbach le prend mal et dit que ce n’est pas une plaisanterie. Jer lui répond qu’il ne plaisantait pas. On n’a pas besoin de manager. Aberbach demande à Mike s’il est du même avis. Absolutely ! Alors Aberbach leur tend deux feuilles de papier. Elles sont vierges avec seulement une ligne en pointillés en bas pour la signature. Un contrat en blanc ! Leiber est choqué :

    — Vous plaisantez, j’espère ?

    — Non, répond Aberbach. Le Colonel dit qu’il remplira le contrat plus tard, tout repose sur la confiance mutuelle.

    Ils ne signent pas, évidemment. Puis Leiber tombe malade. Pneumonie, il s’écroule dans la rue. Il se réveille à l’hosto. Quand il rentre chez lui une semaine plus tard, il trouve un gros tas de télégrammes. «Elvis veut vous voir tout de suite !». Leiber appelle le Colonel qui lui met une pression terrible et lui dit de prendre un avion immédiatement. Leiber appelle son médecin qui lui dit que c’est hors de question. Le Colonel pique une crise et affirme que les médecins ne racontent que des conneries. Alors Leiber appelle Stoller et lui explique la situation : il est trop faible pour voyager et il en a un peu marre d’être au service d’un sale mec comme le Colonel. Mais en même temps, il ne veut pas ruiner le deal qu’ils ont Mike et lui avec Elvis qui en plus les aime bien et raffole de leurs chansons. Le problème c’est le Colonel. À l’autre bout du fil, Mike réfléchit un instant et dit : «Tell him to go fuck himself.» Fin de l’épisode.

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    Il y a des passages plus légers dans le book. Leiber révèle que «Poison Ivy» qui est un gros hit pour les Coasters est aussi la métaphore d’une maladie sexuellement transmissible. «Poison Ivy» arrive dans le Top Ten en 1959 et ça épate Leiber. Autre épisode cocasse : ils font la connaissance de Peggy Lee et lui composent les chansons de l’album Mirrors. Stoller : «Pendant les sessions, elle ne pouvait contenir ses crises de rage, ce qui ne gênait en rien ses magnifiques interprétations. Ces crises n’étaient pas dues à la boisson, parce qu’elle ne buvait pas pendant les sessions. Elle faisait de la méditation transcendantale.» Et Stoller poursuit en indiquant que lors d’une session, Peggy Lee pique une telle crise qu’elle préfère s’absenter pour essayer de se calmer : «Je vais aller méditer. Je serai de retour dans vingt minutes.» «Nous avons pris ça pour un signe de maturité. On a corrigé la partition pendant son absence. Elle est revenue encore plus enragée qu’à son départ. Elle était folle de rage. On s’est dit qu’elle avait passé ces vingt minutes à se demander lequel de nous deux elle allait tuer.»

    Et puis bien sûr, voici l’épisode fondamental qui est l’épisode George Goldner, dont parle aussi Seymour Stein dans ses mémoires. Un Goldner nous dit Leiber légendaire en son temps, grâce à ses labels Tico, Gone, End, Gee, Roulette, Rama. Mais comme le dit Stein, Goldner s’endettait en jouant aux courses et Morris Levy qui «épongeait ses dettes» avait récupéré en échange ses labels extrêmement rentables.

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    Comme Leiber & Stoller aimaient bien Goldner, ils décidèrent de s’associer avec lui. Ils l’appelaient the Mambo King, car il avait signé Tito Puente, Tito Rodriguez, Joe Cuba et Eddie Palmieri. C’est aussi lui qui avait sorti «Why Do Fools Fall In Love» de Frankie Lymon & the Teenagers, «Tears On My Pillow» de Little Anthony & the Imperials, «Shimmy Shimmy Ko-ko Bop» des Chantels et surtout le mythique «I Only Have Eyes For You» des Flamingos qui figure dans le fameux Once Upon A Time In The Bronx de Robert De Niro. Alors qu’ils étaient en panne de hits, Leiber & Stoller demandèrent un jour à Goldner de fouiner dans leur pile d’acétates. Goldner y passa la nuit au Brill et en arrivant le lendemain matin, Leiber le trouve assis au bureau avec un acétate en main : «This is it !». C’est la démo de «Chapel Of Love». Quoi ? Leiber n’en revient pas, car pour lui ce n’est pas très bon. Goldner ajoute : «J’en mets ma main à couper.» «Chapel Of Love» est une compo de Jeff Barry, Ellie Greenwich et Phil Spector que Phil avait enregistrée. On connaît la suite de l’histoire. Leiber & Stoller demandent aux Dixie Cups d’enregistrer «Chapel Of Love» qui atteint le sommet des charts au printemps 1964. Leiber précise que ce fut le premier #1 américain depuis la British Invasion. Bien vu, Goldner ! Leiber ajoute : «In the Golden Age of the Girl Group, on avait enfin le nôtre. Les Marvellettes étaient marvelous, les Supremes suprêmes, les Ronettes resplendissantes. Mais les Dixie Cups, ces modestes gals from Louisiana, leur faisaient une sacrée concurrence.» Chapel est aussi le premier disque du label qu’ils viennent de créer, le mythique Red Bird. Comme ils n’ont pas de blé pour payer Goldner, ils l’associent au capital de la société en lui filant un tiers des parts. Dans cette aventure, leurs principaux collaborateurs sont Ellie et Jeff Barry. Ils accueillent aussi Shadow Morton dans leur équipe. Leiber le surnomme Shadow parce qu’il apparaît dans la pièce sans que personne ne l’ait vu entrer. «Et il n’était plus là quand on le cherchait. Il s’était construit une mythologie qui m’intriguait. Pour un New-Yorkais, il parlait un étrange dialecte du Sud. Il était agréable et solide comme un bœuf. Mais le plus important, c’était le don qu’il avait d’écrire des teenage soap operas. J’adorais Shadow et tout ce qu’il a fait pour Red Bird.» Stoller précise ensuite que Shadow a découvert les Shangri-Las qui allaient devenir avec les Dixie Cups les locomotives de the Red Bird hit-making machine. «Ce que Leiber & Stoller étaient aux Coasters, Jeff et Ellie aux Dixie Cups, Shadow Morton l’était aux Shangri-Las.» Stoller brosse un magnifique portrait des Shangri-Las : «Quatre filles, les jumelles Mary Ann et Marge Granser et deux sœurs qui semblaient jumelles, Mary et Betty Weiss. Les sœurs Weiss étaient blondes, les sœurs Ganser brunes. Elles portaient des jeans moulants passés dans des bottes blanches. Elle étaient les parfaites bad girls.»

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    Et puis un jour, alors qu’il marche sur Broadway, un mec accoste Leiber, lui disant que son boss veut lui parler. Leiber lui répond qu’il ne connaît pas son boss. Mais le gorille le force à avancer et à entrer dans un petit fast-food. Le boss que Leiber appelle Sal mais qui pourrait bien être Morris Levy lui annonce qu’ils sont partenaires. Comment ça ? Ben oui, Goldner est mon partenaire, donc nous sommes partenaires ! Leiber ne comprend toujours pas. Ben oui, Goldner avait besoin de fonds, alors il nous a fait entrer dans Red Bird. Il ne vous l’a pas dit ? Non, je ne crois pas, répond Leiber. Quand Leiber arrive au bureau, il raconte l’histoire à Stoller. Que fait-on ? Rien, on attend, ça va se tasser. Mais ça ne s’est pas tassé. Des gorilles ont commencé à se pointer au bureau. Ils étaient tellement balèzes dit Leiber qu’ils passaient à peine à travers la porte. «On a besoin d’utiliser votre bureau !». Leiber & Stoller ne discutent pas. Alors Stoller demande à Goldner : «Mais comment as-tu pu nous faire ça ?». «Quoi ?». Ben les mafieux ! Goldner répond que c’est temporaire. Mais Leiber & Stoller n’acceptent pas d’être mêlés à ces gens-là. Ils décident de refiler leurs parts de Red Bird à Goldner pour un dollar symbolique. Comme Goldner surpris cherche le dollar pour les payer, Stoller lui un donne un. Le lendemain, ils font construire un mur de briques pour séparer le bureau de Goldner du leur. The Red Bird dies. Dommage, car ils louchaient sur ce qu’ils appellent des sensational acts : Sam and Dave, the Young Rascals et Steely Dan.

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    Alors après, c’est l’épisode Peggy Lee. Ils composent «Is That All There Is» et proposent la chanson à Marlene Dietrich qui refuse poliment. Alors ils la proposent à Peggy Lee qui la veut absolument. Elle fait 37 prises et Leiber choisit la 36e. Mais Leiber & Stoller sont à ce moment dans un trip Piaf et Jacques Brel. Et même Kurt Weill. Il n’empêche qu’aux yeux de Stoller, Mirrors is an important piece of work. On y reviendra. Stoller est même fier quand on le félicite pour cet album. On connaît Leiber & Stoller pour les Coasters, les Drifters, Big Mama Thornton, Elvis, Ben E. King, mais aussi pour Mirrors.

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    Puis le temps passe et ils voient les choses évoluer. Stoller comprend que c’est dans la nature même du music business. Les modes et les techniques évoluent. La seule constante reste la chanson. C’est elle qui survit, dit Stoller. Et les droits d’une chanson garantissent la sécurité matérielle. Dans les années 70, ils produisent les Stealers Wheel de Gerry Raffery & Joe Egan, une version anglaise de Crosby Stills & Nash, nous dit Leiber. Lui et Stoller aiment bien leurs harmonies et leur open-minded, open-hearted approach to making music.

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    Leiber & Stoller finissent en beauté avec T-Bone Walker en produisant Very Rare - He turned the blues urban, infused it with jazz feeling and influenced virtually every guitarist who followed - Ils choisissent les Sweet Inspirations comme background singers et un roster of superstar jazz musicians qui comprenait Dizzy Gillespie, Gerry Mulligan, Herbie Mann, Zoot Sims, Al Cohn and David ‘Fathead’ Brown and that keyboard genius from New Orleans, James Booker. T-Bone Walker a 62 ans et sa carrière est cuite depuis longtemps. Cet album est donc son last hurrah. Alors Leiber & Stoller mettent tout ce qu’ils ont de passion dans ce projet. Magnifiques personnages.

    Signé : Cazengler, Red Bide

    Jerry Leiber & Mike Stoller with David Ritz. Hound Dog. The Leiber And Stoller Autobiography. Simon & Schuster 2009

    Talkin’ Bout My Generation - Part Two

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    C’est avec un petit pincement au cœur qu’on voit Big Sandy redébouler en couverture du nouveau numéro de Rockabilly Generation. Rassurez-vous, on finit par passer l’âge de frémir pour des conneries et chacun sait que Big Sandy ne s’adresse pas aux midinettes. Non, si ça pince, la raison en est toute autre. Big Sandy nous renvoie au temps où on pouvait encore aller le voir jouer sur scène. Cette photo en couverture du mag, boom ! C’est le boulet du baron de Münchhausen, une véritable machine à remonter le temps ! Dans la seconde, il nous ramène au Béthune Rétro 2016. Nostalgie ? Pas que. Si on y réfléchit un instant, c’est plus profond, ça pince, mais pas au bon sens du terme, il s’agit plus d’un malaise que d’autre chose. Pour tout fan de rock, il est impossible d’accepter d’entrer dans ce flou institutionnel qu’on appelle la fin d’une époque.

    Le malaise est profond : Béthune Rétro, tintin. Les concerts dans les bars, tintin. Les rubriques «Live» dans les canards de rock anglais, tintin. Alors vu qu’ils sont rusés comme des renards, les canards de rock anglais font appel aux lecteurs et leur demandent de raconter leurs meilleurs souvenirs de concerts. On pourrait s’amuser à faire la même chose sur KRTNT, par exemple ressortir la vieille kro du Béthune Rétro 2016, mais bien sûr, on préférerait retourner là-bas pour voir Big Sandy sur scène. On ne demande pas grand chose, juste ce truc là. Juste reprendre la vieille teuf-teuf comme dirait Damie Chad et remonter vers le Nord, s’arrêter comme tous les ans chez les Deux Frères à Arras pour se régaler d’une grande pinte de Chaussée des Moines bien fraîche servie avec l’andouillette gratinée aux Maroilles des enfers, puis gagner le Rétro avec un gros nez rouge et aller se garer en bas de la Poste. Franchement, ce n’est pas demander grand chose. Eh bien même ça, tintin, pas de teuf-teuf, pas d’andouillette et pas de Poste. T’auras que dalle, te dit Dieu.

    Mais ça c’est de la rigolade. Il ne s’agit au fond que de frustration, rien de grave. Le grave le voilà : le pote L. avec lequel on partageait le pèlerinage annuel à Béthune et pas mal d’autres pèlerinages se bat en ce moment avec la mort. Foie pourri. En bon fan de rockab, il tient bien le choc, mais il nous fait pas mal de frayeurs. On ne lui demande qu’un truc : tenir assez longtemps pour grimper dans la teuf-teuf l’été prochain et filer vers le Nord. On aura forcément une belle affiche et on pourra recommencer à baver comme des limaces en épluchant ce programme généralement si touffu.

    On ne se doutait pas alors de la chance qu’on avait, rien qu’à se frayer un chemin sur la place du beffroi et se régaler du spectacle de toutes ces bananes. Il nous arrivait même de nous plaindre du trop-de-monde et des dérives de la gratuité, mais il se passait tellement de choses extraordinaires sur les trois scènes. Trop ? C’était le temps de l’abondance, le temps des deux ou trois concerts par semaine, le temps des conventions du disque, le temps des fanzines et des canards de rock anglais.

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    Alors, en attendant le retour du temps des cerises, nous allons remercier Rockabilly Generation d’avoir interviewé Big Sandy en sortant du formol des archives la kro du big Big Sandy Show à Béthune en 2016 :

    Après Wanda Jackson, Sleepy LaBeef, Barrence Whitfield et Lee Rocker, Big Sandy et ses Fly-Rite Boys se retrouvent bombardés têtes d’affiche du Béthune Rétro 2016. Une consécration ? Big Sandy n’a plus besoin de ça. Apparemment, il tourne bien aux États-Unis, c’est un professionnel de l’Americana, il brasse un public large et, comme Elvis avant lui, il plait beaucoup aux ménagères. C’est toujours très impressionnant de voir de grands artistes américains débarquer sur scène. Big Sandy dispose de deux atouts majeurs : une présence indéniable et une voix de rêve. Il déroulait ce soir-là le velours de sa voix dans la tiédeur de la nuit picarde. Même si ses chansons laissent parfois le bobo baba, il finit toujours par enjôler ses cajolés. Impossible de résister au charme de ces roucoulades de haut niveau, Big Sandy amène avec lui les grands horizons, la grand-canyonisation des choses, il hollywoodise le bop et tartine son swing de crème au beurre. Son western-swing n’est pas celui des campements de mineurs du Kentucky, non, Big Sandy va plus vers le soleil et la douceur de vivre, vers les virées en roue libre et les routes qui se noient dans l’horizon enflammé. Il fait vibrer ses trois gouttes de sang mexicain et ses cheveux noirs plaqués brillent du meilleur éclat sous les projecteurs picards. Comme tous les gros, et notamment ceux qui sont des artistes, Big Sandy déborde de pâte humaine et de générosité. Il déborde même de talent et d’énergie. Il mène son show à la patte molle, mais il ne court aucun risque, car ses amis jouent comme des cracks, à commencer par Ashley Kingman, Telecaster-man redoutable de fluidité et incisif en diable, une sorte de virtuose sorti d’on ne sait où et qui multiplie les raids éclairs. Ces mecs-là savent jouer, pas de doute. On sent les professionnels aguerris, les vétérans du circuit. Le set de Big Sandy passe comme une lettre à la poste. Il compense l’absence de sauvagerie par un gros shoot de swing et le swing vaut tout l’or du monde, lorsqu’il est bien joué. Si on vient chercher sa dose, on repart repu. On repart même doublement repu, car Big Sandy assure d’une certaine façon la relève des pionniers qui auront tous bientôt disparu. On ne se relève pas la nuit pour écouter le country-boogie de Big Sandy, c’est évident, mais en même temps, on apprécie de pouvoir écouter ses albums et de le voir jouer sur scène, car à sa façon, il porte le flambeau. Ce soir-là, face au vieux beffroi, le gros semblait ravi de jouer. Il n’en finissait plus de louer la grâce de Bitoune et de remercier les people. Et pourtant, les mecs de la technique faillirent bien saboter le set en envoyant trop de fumigènes. Le grand rigolard qui jouait de la stand-up n’y voyait plus rien et Sandy cherchait lui aussi son chemin à travers les volutes de fumée. Quand vint le moment des adieux, Big Sandy fit un effort de communication insolite en lançant : «I’m Big Sandy !» et pour ceux qui n’avaient pas compris, il ajouta : «Yé souis glos Sandy !».

    S’ensuivaient quelques chroniques d’albums ramassés chez Crazy Times dès le lendemain matin. Alors vu que Damie Chad a chanté les louanges de ce nouveau numéro de Rockabilly Generation dans sa dernière livraison, on va en rester là, pour ne pas fayoter. Mais quand vous l’ouvrirez à la page 5, vous allez tomber sur LA photo de Little Richard. Aw my God ! Et quatre pages plus loin, sur celle d’Esquerita, son mentor. Aw Aw Aw Aw comme dirait Hooky (qu’on retrouve d’ailleurs dans la boutique).

    Signé : Cazengler, Big sandwich

    Rockabilly Generation. N°15 - Octobre/Novembre/Décembre 2020

     

    ASTRAYED PLACE

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    Des discrets. Juste un FB sur lequel ils postent les vidéos de leurs derniers morceaux visibles sur You tube et que vous pouvez charger sur toutes les plateformes... Une groupe que l'on pourrait qualifier d'abstrait à l'image de leur logo qui ne dévoile ( ou ne cache ) que le nom du groupe tout en étant un sacré casse-tête pour vos méninges si vous fixez trop longtemps cette géométrie dans l'espace proche de l'esthétique du Bauhaus. Etaient à l'apérometal 77 du neuf septembre dernier. Se définissent simplement comme un groupe de Metal français.

    MEMENTO MORI

    ( 09 Septembre 2018

    / FuLL EP / yOU tUBE )

     

    Un titre qui n'appelle pas à la franche rigolade. C'était la formule que murmurait l'esclave qui tenait la couronne laurée au-dessus de la tête de son maître lorsque un général victorieux recevait les honneurs du triomphe dans la Rome Antique ( J'aime le souvenir de ces époques nues, dixit Baudelaire )... la sombre pochette n'évoque en rien un jour de liesse, un chemin de goudron qui fonce droit vers un tourbillon fatal, des ombres blanches éplorées et une tout au fond prête à sauter dans le néant. Au-dessus clignote une conjonction astrale dans les lointains de la voûte stellaire – une couleur différente pour chaque morceau – sentiment d'une immensité désespérante...

    Il est des Metal plus durs, plus tranchants, et plus tonitruants que d'autres. A coller une étiquette sur celui-ci à première écoute à petit volume nous avons hésité entre progressive-metal et neo-folk. Amateurs de cacophonies orgiaques abstenez-vous. Après avoir poussé les potards, nous opterons pour metal-alternatif, une définition assez vague pour que chacun puisse la façonner selon son propre héritage culturel.

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    Intro : de l'acou doré qui ronfle et qui ronronne, simple comme bonjour mais le courant vous emporte, sans que vous y preniez garde l'on est déjà dans le 42 : plus doux plus lent, mais le son arrive, pas une vague monstrueuse, un tirant d'eau acceptable pour que puisse glisser l'étrave du chant, qui prend tellement d'importance que la musique l'accompagne comme l'ombre suit le corps qui la projette, un chant d'espérance qui se croit tout permis jusqu'à vaincre la mort. Quand la voix stoppe c'est-là que l'on se rend compte de la force du soubassement instrumental, rien de tempétueux, un allègre élan, une guitare scintille avant quelques notes d'un clavier romantique, mais le vocal repart et quand il se tait la musique est à son diapason et se dissipe en quelques touches volatiles. Otherworld : ballade aux longs lyrics, seuls le rêve te sauvera, une voix blanche qui semble raconter un conte à un enfant avant de s'endormir, bientôt doublée par une autre, peut-être parce quand on se parle à soi-même on songe que l'on est deux et que la mort ne sera que la continuation du rêve, sous une autre forme. La musique suit, de temps en temps elle hausse la tête comme celle de la taupe qui dépasse de son trou, mais elle rentre vite se chauffer au giron du rêve, comme s'il était immortel. Changement de plan, de la terre du rêve à la grandeur ouranienne incommensurable d'un ciel infini. Pluie cristalline de notes finales. The swarm : un son plus grave que l'on devine porteur de drame, le chant se fait plainte et la musique se transforme en symphonie, cris de souffrance, la réalité tue le rêve de mille piqûres d'abeilles, vous croyiez être invincible dans votre tour d'ivoire et vous n'êtes plus qu'un pantin désarticulé à la merci de vos contemporains, un clavier qui se prend pour Chopin pleure à gros bouillons, maintenant le ressac du rock submerge tout, hurlement sans fin de terreur et de douleur, et cette guitare qui ricane comme une hyène aujourd'hui et demain. Doll : torsades sans trêve, festons musicaux, une ballade douce chantée selon un murmure immature, pour se rapprocher de cette mort que l'on appelle aussi délivrance, des chœurs venus de l'au-delà pour rendre le chemin encore plus attrayant, orchestration à la fois funèbre et joyeuse, choeurs angéliques qui s'accompagnent d'une guitare électrique qui déchire le rideau des apparences, s'il vous plaît laissez-moi connaître le bonheur de la mort. The end of trust : l'on arrive à la fin du drame, on le remplace par le mélodrame, vouloir mourir est une chose, mourir en est une autre, tout compte fait il vaut mieux lécher ses blessures au fond de son lit et rester dans cette petite mort que l'on appelle la solitude. Très belle et très longue introduction, une musique que vous exigerez que l'on joue à votre enterrement que vous suivrez de loin, un chant si cru, si dénudé que l'on croirait s'entendre parler à soi-même, une psalmodie plus forte et accusatrice, l'on n'en veut plus à la terre entière, mais à une personne, peut-être pas obligatoirement à soi-même, et une musique grandiloquente vous fait le coup d'il vaut mieux être seul que mal accompagné. Longue fin orchestrale. Trémolos de piano qui n'y vont pas mollo.

    Attention cette musique douce doit être played loud pour en saisir la puissance. L'influence classique est évidente dans la composition non pas des morceaux mais de l'opus en son entier. Une thématique très adolescente, un peu Roméo sans Juliette, mais l'ensemble savamment construit est très original.

    THE FALL

    ( 31 Mars 2020

     

    FuLL EP / yOU tUBE )

     

    Vraiment pas des optimistes. Sur la couve du premier EP l'on était au bord du gouffre, sur celui-ci un grand pas en avant a été franchi, c'est la chute ! Une main n'assure plus sa prise sur la paroi rocheuse, sur l'image de la vidéo, elle a disparu... quelque chose bouge, tout au fond du paysage aux couleurs coloradoriennes, la boule métaphorique du soleil descend lentement vers sa disparition. Au temps des Aztèques l'on immolait régulièrement quelques êtres humains pour que le feu divin incandescent condescende à revenir le lendemain matin apporter la lumière, aujourd'hui seules la musique et la poésie osent se saisir du symbole disque solaire pour rappeler la vanité de notre présence au monde.

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    Intro : oubliez l'Ep précédent, ici résonnent une flûte berbère et le tambour des sables, cela pourrait durer encore, mais non Woe of happiness : joue à l'élastique avec une corde de guitare, et l'on entre dans le vif du sujet, une musique plus puissante et l'entremêlement d'une voix claire qui n'hésite pas à claironner si besoin tandis que celle qui djente par-dessous inquiète, travelling de basse, hurlements et menaces insidieuses, musiques lourdes en haches de pierre néolithiques, galopade de batterie, comme dans l'orchestre classique l'on donne son bout de gras à chaque pupitre, les guitares jouent le rôle des violons, et c'est fini le morceau dure sept minutes, mais il est si bien structuré qu'il paraît n'en durer que deux. The circle : gros son, archétypal metal, mais le timbre comme une lame d'épée scintille et l'on assiste au combat du djent et de la clarté, du lion et du serpent, de l'aigle et du vautour, la batterie martèle, guitare solo en danse du ventre, un véritable duo d'opéra quand deux divas essaient de monter sur les pieds de l'autre. Break : guitarette toute tremblotante, des lèvres susurrent et le morceau avance sur des escarpins d'argent, deux timbres qui se décalquent, l'on est dans ces ballades qui déroulent leurs anneaux de serpent languide et voici que le dragon metal crache du feu et détruit toutes les villes du royaume, par deux fois la torche volcanique et barbare arase le monde. Anesthesia : ne songez pas à vous endormir, jouent et chantent tous ensemble, toujours cette voix qui flotte au dessus de la mêlée tel un oriflamme étincelant, l'ennemi rampe dans les marécages et l'hydre féroce se saisit de vos entrailles, une guitare échevelée galope dans ses intestins, rien ne vous sauvera de ce cauchemar. Chœurs de soudards qui entrent dans la citadelle en flammes. Longs cris d'agonie. The fall : l'on repart sur le même tempo, le combat continue, il n'y aura pas de prisonniers, le sang des guitares giclent sur les murs, la batterie s'abat et rebondit sur les armures, le mal gagne la partie, la brutalité de la nuit l'emporte sur la finesse du jour, une cloche sonne dans le lointain, le temps de compter les morts, mais les hordes barbares n'ont pas fini leur carnage. La passion de la destruction est encore plus jouissive que la destruction pure.

    Ce deuxième EP s'inscrit dans la suite logique du premier. Mais le coup d'essai – on le sent longuement préparé depuis Memento Mori – est ici transformé. The Fall a gagné en puissance, la revendication metallique est davantage assumée mais Astrayed Place n'en use pas comme d'un passe-partout. Le groupe se construit une identité personnelle et signifiante. Quel lieu nouveau La Place Errante choisira-t-elle de s'arrêter pour son troisième opus. Ces jeunes gens semblent avoir une prédilection pour les abimes intérieurs. Ce qui nous agrée.

    Damie Chad.

     

    L'EGOUT ET L'EGO

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    Dans notre livraison du 482 du 29 / 10 / 2020 je vous présentais Hélène Crochet organisatrice des Apéros Metal 77, je vous engageais aussi à faire un tour sur son blogue Egout Metal sur lequel elle avait posté quelques unes de ses chroniques de concerts. Mais voici que pas plus tard que hier elle se fend d'un post sur son FB que je vous restitue in extenso :

    '' 182 chroniques et plus de 500 groupes vus en live, vous l'avez compris, j'ai enfin fini de mettre en ligne mes putains de chroniques de concert de 2011 à 2020 ? Bon ok, il manque quelques lives où j'étais présente mais que je n'ai jamais chroniqués (coucou le Hellfest 2013, coucou le Break'Fest, coucou le festival de jazz Django Reinhardt et les concerts en club et dans les bars !) Mais vous avez déjà pas mal de lecture, et comme je suis sympa, pour vous y retrouver il y a des catégories en bas de page et un nuage de mots qui regroupe les articles par style de musique, salles de concert ou festival, et groupes (parce que oui j'ai pu voir certains groupes jusqu'à 7 ou 8 fois). Ça s'adresse à ceux qui aiment les plumes un peu trash, de mauvais goût, avec la subtilité d'un camion benne et l'objectivité d'un journaliste de Topito. Et ça passe du Metal au Rap, du Punk à la Pop, de la Variété à l'Electro, donc tu trouveras surement un live report d'un groupe ou un artiste que tu écoutes dans ce merdier ! Ne me remercie pas pour ta dose de lecture de confinement, c'est cadeau !''

    Pas d'images superfétatoires, que du texte. Pas de vidéos. Je vous engage à vous lancer dans cette saine lecture. J'avais signalé que certains des concerts chroniqués dans cette somme gigantesque l'ont été aussi par Kr'tnt ! Elle habite à Melun et moi à Provins. Ceci explique facilement cela.

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    Je ne doute pas que tous les lecteurs de Kr'tnt sans exception prennent pour vérité éternelle et intangible la moindre ligne des écrits du Cat Zengler et de mon immodeste personne, toutefois existe-t-il en ce bas-monde une objectivité irrémédiable, c'est pour cette raison que mettre nos subjectifs regards en parallèle peut se révéler d'autant plus intéressant que si nous nous sommes sans doute croisés je ne suis même pas sûr que nous ayons échangé quelques mots anodins en ces soirées agitées.

    Elle se présente sous le pseudonyme d'Hellfist en quelques mots : '' Passionnée de musiques crades, d'archéologie boueuse et de films d'horreur, et chroniqueuse d'aventures en concert en tout genre, pour vous servir ! '' . J'ajouterai que quelques générations nous séparent, qu'elle est une fan, une connaisseuse de Metal, que pour moi le cœur vibrant du rock 'n' roll se situe du côté des pionniers.

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    Quoi qu'il en soit le 18 novembre 2015 nous étions le 18 décembre 2015 au Chaudron ( Mée sur Seine ) pour écouter : Leaving Passenger, Klaustrophobia, Klone : nous sommes tous deux agréablement surpris par Leaving Passenger ( que sont-ils devenus ), elle expédie rapidement Klaustrophobia qui lui ont demandé de jeter un œil impartial sur leur prestation, leur trouve quelques défauts minimes, perso j'ai été subjugué par ce sécaïre de Yuki, régulièrement je vais voir sur son FB ce qu'elle devient, en 2018 elle participe à Hazpiq... Helfy ne supporte pas Klone – cela peut se comprendre, bien en place, mais planant - notre chipie de chroniqueuse sort pour bavarder avec les copains, moi qui suis un garçon sérieux je reste jusqu'à la fin.

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    En février, le 12, 2016, nous assistons à L'Empreinte de Savigny-le-Temple à la Release Party du premier CD de Fallen Eight, précédés de Beast et Nakht : nous sommes tous deux d'accord, une folle soirée, Nakht qui chauffe la salle à mort, Beast qui la bulldozérise et après ces deux monstruosités Fallen Eight qui remporte le pompon. Si vous lisez entre les lignes, si vous cherchez la nuance, peut-être a-t-elle aimé Fallen Eight encore plus que moi, quelques milligrammes... ce qui est terrible c'est que Fallen Eight n'existe plus, Beast s'est auto-dissous et Danny le chanteur a quitté Nakht et rejoint Hurakan, une page d'histoire...

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    Le 24 septembre 2016, nous sommes à La Citrouille de Cesson pour le Wild Pig 3 qui présente : Black Box Warning, Wild Mighty Freaks, FRCTRD, Barabbas, Atlantis Chronicles : j'avais beaucoup aimé cette soirée, quatre découvertes, Hellfist connaît tout le monde, l'a même été en classe avec un des musicos de FRCTD qu'elle n'aimait pas vraiment, donc elle étale sa mauvaise foi en toute conscience, de fait elle n'a kiffé que les deux premiers, par exemple le doom de Barabbas ne la convainc pas du tout, quant à Atlantis, elle se casse après dix minutes. Cela ne nous étonne pas, entre Atlantis et Klone existent de sérieuses accointances, l'on peut supposer que le Metal mou n'est pas de son ressort. Comme elle en connaît un max sur le Metal, elle définit chaque groupe par rapport à leurs modèles inspiratifs ce qui donne à son texte une densité historiale que le mien ne présente pas. Je rajoute un regret personnel, j'ai oublié de visiter l'exposition photos. Je ne recommencerai jamais, je le promets.

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    Premier juin 2018, rendez-vous à l'Empreinte pour le Down Load Festival ( préparation gratuite ) sur scène U-Bilam, Nakht, Wild Mighty Freaks : une belle analyse d'U-Blilam à moitié Metal, à moitié rap, qu'elle explique par son origine Seine & Marnaise département mi-banlieue, mi campagne, elle file une bonne note au groupe sans oublier d'apporter la mention qui vous tuait net dans vos bulletins scolaires, doué mais peut mieux faire. Notre papoteuse en chef l'avoue candidement, pendant le set de Nakht elle est restée dans la cour à discuter avec les copains – comme les filles sont bavardes – mais nous rédige un compte rendu super bien intuité sur Mighty. Notons qu'à l'inverse de moi elle se débrouillera pour entrer en possession d'invitations pour la session payante du Down Load de Brétigny-sur-Orge. Elle y verra notamment Foo Fighter.

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    Encore au Chaudron le 29 avril 2019 pour Ashen, Waking the Misery, Abstract Minded, Wild Mighty Freaks, je tartine, elle expédie. N'est pas tendre avec Ashen le nouveau groupe de Clément l'ancien chanteur de Fallen Eight, reconnaît leurs mérites aux Misérables à l’œil limpide sans être vraiment intéressée, avoue qu'elle n'aime pas le style d'Abstract Minded dont je raffole et trouve que les nouveaux morceaux des Mighty sont plus faibles que les précédents, est-ce pour cela que la salle n'atteint pas à l'exubérance qu'ils provoquent généralement. Bref gros désaccords entre nous deux. Nos avocats se chargeront-ils de régler ce litige ?

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    Waking continue, z'étaient programmés début septembre 2020 , une grosse affiche de quatorze groupes au Metal Fest de Mennecy, menacé par la peur covidique et annulé comme il se doit... Abstract Minded est en pause... Wild Mighty Freaks continue sa route... pas de nouvelle d'U-Bilam depuis le mois d'avril 2019... Black Box Warning, Klone, FRCTRD, Alantis Chronicles, Barabbas semblent être sortis indemnes du premier confinement... preuve que les groupes continuent à exister quand on ne parle pas d'eux... les chiens de chroniqueurs aboient sur leur passage, la caravane des groupes continue malgré les disparitions... Le rock a un petit côté cimetière aux éléphants. Mais qui se souviendrait encore des éléphants d'Hannibal, si Tite-Live ne les avait pas mentionnés dans ses Histoires.

    C'est un régal de suivre Hélène dans ses aventures musicales, cette fille a une sacrée personnalité, empruntez les couloirs souterrains de son égout, une maxima cloaca digne de la Rome Antique, attention parfois elle mord comme les crocodiles, une autre fois je vous parlerai des concerts où je n'étais pas, car ainsi qu'on l'enseigne dans les écoles de commerce, il faut toujours espionner ce que fait la concurrence !

    Damie Chad.

     

    HAZPIQ

     

    As de pique ou aspic, je ne sais pas. En tout cas un groupe de Metal Progressif, en ses débuts on y retrouvait Imen Gardouch connue sous le nom de Yuki chanteuse de Klaustrophobia, groupe émérite hélas dissous... Remplacée actuellement par Melody Denève. Joseph Levy : basse / Manuel et Siméon Nowotny : guitare / Lylian Szpira : batterie. Le groupe s'est formé en 2015, le digipack est publié en 2019, mais dès 2018, les morceaux étaient déjà sur Youtube.

     

    CEPHEID

    ( Melancholia Records / O1 - 2019 )

    Une céphéide pour employer le terme gaulois est une étoile à luminosité variable, quand vous l'examinez à intervalles réguliers vous avez l'impression que certaines nuits elle brille davantage et d'autres moins... ce titre est déjà une indication sur la musique d'Hazpiq vouée aux nuances, aux gradations climaxiques, aux dégradés subtils, aux rupture violentes,..

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    L'artwork du digipack dû à Meaghan Matthews a su rendre à merveille, grâce à ses liquidités anamorphiques, l'atmosphère hazpiquienne, scrutez la couverture quelques instants et votre esprit se mettra à vagabonder sans fin, passant d'une idée à l'autre, selon une méthode toute valéryenne d'essai de description du processus de pensée.

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    Trailokia : est-ce le sentier qui mène à la parole, juste un instrumental, pour ne pas dire deux instrumentaux, l'un tout fragile, l'on pense à des notes de dulcimer qui tombent dans l'eau, puis la pluie se fait plus forte et survient ce qui ne devrait pas arriver, du moins dans les partitions de musique classique, mais qui dans le Metal le progressif est souvent réclamé et rétamé à coups de gros riffs métalliques. Toutefois ici la douceur de l'éphémère s'adjuge la place de devant à tel point que le riff en devient monotone, lui faut attendre de se retrouver seul pour faire le fortiche, stoppe brutalement et l'on entend comme un froufrou d'âme qui s'enfuit. From dust : bruit d'usine, ça cogne dur dans les ateliers du monde, les guitares grincent et la batterie aplatit la terre à coups de queue de cachalot, une syrinx féminine submerge le grabuge et monte haut vers les verrières du ciel, fracassant les vitres, la chaîne met la pédale douce, et comme la frêle inflexion s'est tue l'on appuie plus fort sur la cadence, hurlement d'homme-stentor, les guitares chavirent, la voix de finesse se lance en une espèce de flamenco qui s'étire en longue plainte de syrène, pendant que la rythmique joue à la machine à coudre, douce prédiction de plus en plus longue, de plus en plus haute jusqu'à l'extinction. Tu retourneras à la poussière... Cepheid : bourdonnement de sitar et timbre aérien, douceurs angéliques, sainte Cécile joue de la harpe sur l'aile d'un chérubin. Et le métal survient comme le Diable qui s'en vient cogner à la porte du paradis, l'on s'élève dans un magnificat au moins jusqu'à l'étoile polaire. Changement d'atmosphère, le métal scintille et miroite mais un timbre méandreux charme les serpents, même le gros boa de la basse qui ondule rhytmiquement sur le plancher, intermède musical, par quoi l'ange est-il habité pour que de son gosier jaillisse des grumeaux de mots inouïs chez ce genre de créature ? On aura tout entendu. Même l'inaudible. Epacte : le titre qui ressemble le plus à l'idée classique que l'on se fait du Métal, une vocalise qui devient de plus en plus lactée jusqu'à ce que l'on se rende compte qu'au bruit ne manque que le silence qui ne peut être contenu dans le vacarme que lorsqu'il se tait, alors la voie du silence s'enfuit dans la féminine gorge aérienne en équilibre sur une corde de guitare d'entrance en résonance, et lorsque tout se tait renaissent les hurlements perscussifs du Metal qui prend son ampleur, c'est elle la Reine qui crée maintenant, car celle qui peut le moins peut aussi le plus. Aphelion : ballade de cristal. L'on s'élève doucement, l'on monte le long des cordes de guitares pour escalader les cimes, rumeurs printanières la profération n'est plus qu'un souffle de brise, et l'on repart comme en quatorze à coups de pétards, la voix devenant liberté guidant le peuple vers la multitude des étoiles, une fusée métallique fonce à travers le vide interstellaire, enthousiasme communicatif, l'autre porte l'une et l'une emporte l'autre, point culminant d'une rencontre désirée. D'un commun accord. To nothing : notes enfantines et berceuse maternelle qui chante les paroles que personne ne comprend mais que tout le monde entend. Le bulldozer écrase tout sur son passage, grognements furieux de moteurs, clameur froissée des survivants qui essaient d'échapper à cette mort qui roule plus vite qu'eux. Eloignez-vous, ce bruit se transforme en bruissement de moustique monstrueux, la voix volette essayant d'échapper à ce godet-tapette de fer qui ne lui laisse plus de répit, la voici stellaire qui glapit son agonie. Remords mélancolique d'avoir existé, de n'être plus qu'une bulle de soi-même crevée et dégonflée qui s'échappe pour se diluer dans le néant. This is the end, old folks, versez une larme, cela ne peut pas faire de mal, personne ne la verra couler. Saros : cordes qui résonnent dans le mystère des choses, angoisses d'un timbre mystérieux, tous deux s'alanguissent sur des fils de fer barbelés du néant, chercher un moyen de laisser une trace qui permettra de prouver que l'on sera toujours là puisque l'on a été là, une musique séquencielle qui essaie de s'échapper d'elle-même, appel au centre de gravité de la présence du signe. Alternance de répons vocaliques et orchestraux, le serpent ne parvient pas à mordre sa queue qui lui échappe. Qui se dérobe. Mécaniques célestes : velours de cordes s'avancent à pas lents, cloques de sons qui claquent, la machine se met en route, la musique des sphères est bruyante, il n'est pas de moteurs sans explosion, c'est maintenant que s'insinue la fluidité exacerbée du vocal déchiré, musique célestiale, une voix de gente dame à la licorne recouvre le monde, luxe, calme et froideur, le temps s'égrène sur les portées d'un solfège sidéral, c'est entre les lignes que l'oreille se prête, se donne et se perd. Theory of everything : la musique reprend ses droits, et ses devoirs, voici les volutes des conjonctions dissolues, vagues de metal protéiforme, chantons lorsque les mots se bousculent car il faut nommer toutes choses, la transparence des insectes aériens et la lourdeur pachydermique des éléments. Une batterie qui frappe pour faire rentrer la rotondité de l'univers dans les coins du cube de la pensée humaine. Combat de titans. Matière et esprit. Grognements de révolte, aucun des deux ne veut entendre raison. Cris d'apocalypse sans révélation. Une voix fuse, à croire qu'il existe une échappée possible, un déraillement obligatoire. Coup de gong final.

    Le disque est couvert d'éloges dans les sites spécialisés. En France et à l'étranger. Son originalité a attiré une sympathie méritée. En vrac on cite Gojira, Tool, Björk, et jusqu'à Magma, ce qui est un peu exagéré vu la puissance spectrale du groupe de Vander. Comme tout style de musique arrivé à maturité le Metal cherche à se dépasser. Pour ne pas mourir. Rien ne sert de se répéter indéfiniment. Ainsi une branche de l'arbre a tenté une greffe hip-hopienne. Pas spécialement ma tasse de thé, cela me rappelle le jazz se déguisant en jazz-rock dans les années 70... Lorsque l'on se retrouve devant un mur, soit on le renverse, mais souvent derrière il n'y a plus rien. Soit on repart en arrière. Le tout est de savoir s'arrêter. Les jeunes métalleux ont connu le Metal en écoutant des groupes de Metal qui procédaient de groupe de Metal qui avaient écouté les groupes de hard et de heavy qui avaient écouté du blues et du rock'n'roll. Cette primale transmission n'a pas fonctionné. Puisque la route du retour aux roots est barrée ou perdue, la tentation est grande ( et logique ) de se replier vers ce que l'on connaît. Beaucoup de jeunes musiciens procèdent de conservatoires ou de départements de musicologie universitaire et ont côtoyé ainsi le répertoire classique. Cela se sent chez Hazpiq. Ceci n'est pas un reproche. Simplement cette constatation que musique populaire et musique savante se croisent plus souvent qu'on ne le pense. Que la dichotomie que l'on tend pour des raisons idéologiques culturelles à instaurer n'est pas aussi naturellement fondée que l'on pourrait l'accroire.

    Damie Chad.

     

    VII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    Le Chef déposa sa valise sur le bureau et entreprit de sortir un par un une myriade de Coronados qu'il classa méthodiquement dans différents tiroirs.

      • Chef, je suis sûr que vous revenez de Nice !

      • Agent Chad, l'on ne peut rien vous cacher, j'en ai profité pour passer en Italie avec mon ami Vince Rogers, en ce pays béni des Dieux la maffia vous vend le Coronado pour quelques piécettes, j'en ai commandé un lot de huit tonnes, ils me seront livrés d'ici deux à trois jours, ah, j'oubliais le plus important, la fameuse boîte à sucre que nous recherchions, la piste d'Eddie Crescendo s'est révélée très fructueuse, tout le mérite en revient à Vince Rogers, qui...

      • Chef, pour ma part j'ai enquêté sur la villa de Thérèse, savez-vous qu'au début des années quatre-vingt, elle a été louée par Eddie Crescendo, et aux dires du patron de l'agence de location, il n'y venait que pour de brefs séjours, elle devait lui servir de garçonnière !

      • Très bonne initiative, agent Chad, mais Vince Rogers a tapé dans le mille, il a recherché dans de vieux annuaires s'il n'y aurait pas quelques parents lointains qui s'appelleraient Crescendo, l'est tombé sur une Angèle Crescendo, ni plus ni moins que la pauvre mère d'Eddie Crescendo ! Très émue par le coup de téléphone de Vince, elle nous a donné rendez-vous et...

      • Elle possédait la boite à sucre !

      • Agent Chad, vous n'y êtes pas du tout, la pauvre vieille, une nonagénaire bégayante et atteinte d'Alzeinmher ne savait même plus qui était Eddie, une idée fixe dans le seul neurone qui lui restait, nous montrer sa collection de boîtes à sucre, plus de mille, nous en avons ouvert plusieurs centaines avant de trouver la bonne... la voici !

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    Une boîte à fer blanc, comme l'on en trouve dans tous les buffets de France, le couvercle de celle-ci présentait l'image d'un petit chien à l'air fripouille qui ressemblait un tant soit peu à Molossito. Je soulevai le kilo de sucre qu'elle contenait, je pensais tomber sur le volume 2037 de la Série Noire, mais il n'y avait que quelques feuillets recouverts d'une fine écriture. Je sursautai en lisant le titre inscrit en grosses lettres noires sur la première page : MEMOIRES D'UN GSH !

    Je me plongeai immédiatement dans la lecture de ce frère d'armes spirituel. Le Chef en profita pour allumer un Coronado.

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    '' Un jour, alors que j'ai réalisé la découverte la plus importante de l'humanité, peut-être ne se souviendra-t-on de moi que comme le mystérieux auteur du volume 2037 de la Série Noire intitulé L'homme à deux mains. Une blague idiote. Il faisait froid et j'avais faim, j'ai arrêté la voiture sur le parking du premier restaurant venu. Il était plein comme un œuf. Il ne restait plus de libre qu'une table à deux places qu'un serveur désignait à un client qui m'avait précédé de quelques mètres. Un individu conciliant, il accepta qu'un inconnu s'assît en face de lui. Deux ou trois bouteilles de Bourgogne plus tard nous étions de vieux amis. C'était Robert Soula le directeur de la célèbre Série Noire, quand je lui avouai mon état de détective il fut aux anges. Le vin aidant nous imaginâmes que j'étais à la poursuite d'un tueur en série surnommé par les journaux L'homme à deux mains, car l'on retrouvait toujours sur les lieux du crime deux victimes atrocement mutilées... nous délirâmes à tel point qu'il me promit que cette histoire farfelue et stupide deviendrait une légende car il donnerait ce titre et un numéro à un livre qui ne serait jamais édité... Il tint parole. Pour ma part j'entretiens la légende en expédiant à mon bureau un colis que je déclarerais à ma secrétaire être le service de presse de mon roman !''

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    Je toussotais pour signifier au Chef, perdu dans ce je nommerais une étrange rêverie, que j'avais fini la lecture de l'ensemble des feuillets dont je ne vous ai, chers lecteurs, retranscrit que les dernières lignes.

      • Agent Chad, nous ne sommes pas au bout de nos peines, certes l'énigme de l'identité de l'homme à deux mains est résolue, nous savons qu'il est inutile de nous lancer sur ses traces puisqu'il n'existe pas, par contre j'avoue que les premières pages de ce document, tout incompréhensibles qu'elles soient m'ont glacé le sang, beaucoup plus que les tueurs de l'Elysée que nous avons promptement envoyés au paradis voici trois jours.

      • Chef, je l'avoue que je n'y comprends plus rien, quel rapport entre l'Elysée, les réplicants, Eddie Crescendo, et le rock'n'roll, plus je réfléchis plus il me semble que le puzzle contient au minimum une pièce de trop !

      • Agent Chad, je pense que vous êtes sur la piste, demain matin huit heures, je vous veux au rapport, j'exige que vous m'apportiez non pas un début de piste mais la solution au problème mathématique de la boîte à sucre.

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    Les chiens ne m'avaient jamais prêté une attention aussi forte. Molossa et Molossito ne quittaient pas main droite de leur regard. Il faut avouer que je manipulais des denrées qu'ils appréciaient hautement. J'avais ouvert la boîte de sucres que contenait la boîte à sucre de fer blanc dans laquelle Eddie Crescendo avait caché ses si précieuses notes manuscrites.

      • Regardez bien mes chéris, cette rangée est formée de quatorze sucres, parallèlement vous trouvez trois autres rangées, ce qui fait Molossito ?

      • Ouah ! Ouah ! Ouah ! Ouah !

      • Très bien Molossito, quatre rangées tu as raison, ce qui nous donne combien de sucres Molossa ?

      • Ouah !

      • Exaxt Molossa, cinquante-six, or combien y a-t-il de couches de rangées superposées Molossito ?

      • Ouah ! Ouah ! Ouah !

      • Trois, très bien Molossito, donc combien de sucres au total Molossa ?

      • Ouah !

      • Cent soixante-huit en tout, tu es une vraie calculette Molossa, or regardez de ma poche je tire le sucre que Molossito a trouvé dans l'escalier de la villa de Thérèse, ce qui fait ?

      • Ouah !

      • Cent soixante-neuf, merci Molossa, pour une boite qui en contient cent soixante huit, donc Molossito, il y en a combien de trop ?

      • Ouah !

      • Un, merci Molossito, tu comptes comme un grand !

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    Le lendemain matin nous répétâmes l'expérience devant le Chef. Son visage s'éclaira. Chers lecteurs, il avait compris lui !

    ( A suivre... )