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CHRONIQUES DE POURPRE 484 : KR'TNT ! 484 : LEIBER & STOLLER / ROCKABILLY GENERATION 15 / ASTRAYED PLACE / EGOUT METAL / HAZPIQ / ROCKAMBOLESQUES VII

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 484

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

12 / 11 / 2020

 

LEIBER & STOLLER / ROCKABILLY GENERATION 15

ASTRAYED PLACE / EGOUT METAL / HAZPIQ

ROCKAMBOLESQUES VII

 

Leiber thé dansant & Stoller du temps

- Part One

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S’il existait un trône de roi des élégances, il reviendrait de droit à Leiber & Stoller. On les savait drôles, mais grâce à Ritz et non à Dieu, ils deviennent encore plus drôles. Ils sont même délicieusement drôles, comme dotés d’une sorte de finesse aristocratique. Thé dansant dans l’air du temps, un temps qui n’a pas de prise sur eux, comme le montre si bien Hound Dog - The Leiber & Stoller Autobiography. Cette autobio à deux voix fonctionne comme un dictionnaire des élégances : les épisodes succèdent aux rencontres dans une atmosphère de passion palpitante. Bienvenue au royaume des cieux de la pop américaine. Leiber & Stoller étaient déjà nos copains, mais grâce à ce livre, ils deviennent nos meilleurs copains. Vous ne trouverez pas meilleurs copains que ces deux mecs-là. Qu’attend-on des copains en dehors des trucs de base que sont la loyauté et éventuellement la générosité ? L’intelligence, bien sûr. Pour dire les choses autrement, ce qui peut nous arriver de mieux dans la vie est d’avoir des copains intelligents. C’est en gros ce que dit ce livre. On en sort fier d’avoir des copains comme Leiber & Stoller.

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Leur histoire commence comme l’histoire ordinaire de deux gosses juifs et se termine en une espèce de carnet mondain du rock américain. Jerry Leiber est le poète, celui qui écrit les textes flashy sur le champ et Mike Stoller le pianiste qui compose les jolies mélodies. Ils fonctionnent si bien ensemble qu’ils tapent chaque fois dans le mille, comme le montrent si bien tous les hits qui portent leur signature.

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Petit, Stoller traîne sur la 52e Rue et voit Charlie ‘Yardbird’ Parker dans un club qui s’appelle the Three Deuces - His harmonic sense was amazing. He played at tempos that left me breathless - En fait il voit tous les géants du jazz, car New York est alors la capitale mondiale du jazz. Il voit Monk, Stan Getz, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Dizzy - I caught them all, j’avais leurs disques, leurs idées me couraient dans la tête, leur musique me tenait éveillé toute la nuit - Petit veinard, Stoller du temps ! - It was the late forties, and Harlem was the right place at the right time - Les propos de Stoller sonnent comme les paroles d’un hit. De son côté, Leiber grandit à Los Angeles. Il travaille comme plongeur au Clifton’s Criteria et il entend un jour une chanson de Jimmy Whiterspoon à la radio : «Ain’t Nobody Business» - Je ne saurais expliquer ma réaction, mais sur le moment, je fus transporté dans une sorte de compréhension mystique. Une lumière s’alluma. Whiterspoon l’avait allumée. Peut-être était-ce la puissance et l’assurance de sa voix qui m’inspiraient ce sentiment, peut-être était-ce la qualité des paroles, je ne sais pas, If I should take a notion/ To jump into the ocean/ It ain’t nobody’s business if I do, quoi qu’il en fut, je n’étais plus le même. Je sentais que je pouvais faire tout ce que faisait Whiterspoon, je pouvais dire tout ce qu’il pouvait dire, une porte s’est ouverte et je suis entré dans son monde - Merveilleux Leiber. On trouve rarement des façons aussi belles de décrire une révélation : il fait la plonge et entend une chanson à la radio. Alors qu’on ne fait qu’entrer dans cette histoire, nous voilà déjà conquis.

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Bon Leiber décide d’écrire des chansons. Alors il cherche un musicien pour mettre des notes sur ses paroles. Un copain lui file le numéro d’un pianiste qui lui paraissait pas mal. Son nom ? Mike Stoller. Okay. Et là on entre dans l’extraordinaire dynamique du book, celle des petits échanges étincelants. Stoller raconte : «Le téléphone sonna :

— Hi, je m’appelle Jerome Leiber. Êtes-vous Mike Stoller ?

— Yup.

— Avez-vous joué dans un club d’East LA la semaine dernière ?

— Yup.

— Savez-vous composer ?

— Yup.

— Savez-vous écrire des partitions ?

— Yup.

— Voudriez-vous composer des chansons avec moi ?

— Nope !

— Pourquoi ?

— J’aime pas les chansons !

— Vous aimez quoi alors ?

— Bela Bartok et Thelonious Monk.

— On devrait quand même se rencontrer pour en parler.

— Si vous y tenez vraiment, faites un saut !

Il me sembla qu’il sonnait à la porte au moment même où je raccrochais le téléphone.»

Ils sont tordants quand ils racontent leur première rencontre. Leiber : «J’ai couru jusqu’à son adresse. Quand la porte s’est ouverte, j’ai vu un gosse de mon âge qui portait un béret sur la tête et un petit bouc à la Dizzy Gillespie au bout du menton. Un bebopper ! Oh non, me suis-je dit, pas ce genre de mec !». Stoller réagit en gros de la même façon : «La première chose que j’ai remarquée chez Jerry était la couleur de ses yeux : l’un était bleu et l’autre brun. Je n’avais encore jamais vu ça. C’était aussi étrange que sa demande : vouloir écrire des chansons avec moi !». Alors ils font un petit bout d’essai ensemble. Stoller s’assoit au piano - Okay, je me suis mis à jouer du blues et Jerry improvisa des paroles et chanta comme s’il était né au Mississippi. Alors on s’est serré la main et déclaré partners. C’est ainsi qu’a démarré un malentendu qui dure depuis soixante ans, sans qu’on ait jamais pu le résoudre. On était en 1950, nous avions 17 ans - Il a raison Stoller que dire que leur partenariat est étrange. Leiber confirme : «Dès le départ, nos énergies ne sont pas les mêmes. Mike était précautionneux et moi impétueux. J’étais même incapable de rester tranquille cinq minutes. Je savais depuis l’épisode Whiterspoon que je pouvais écrire et donc je devais écrire.» Ils ont beaucoup de chance, en fait, car ils voient clair. Stoller : «On voulait surtout s’amuser, mais notre notion du fun s’enracinait dans l’authenticité. En tant qu’auteurs compositeurs, nous n’avions qu’un seul modèle, la musique noire. And black music only.» Ce genre de truc porte un nom. Oui, ça s’appelle une éthique. Leiber dit que Stoller est un hipster et Stoller se dit vite fasciné par l’exubérance créative de Leiber : «Il pouvait tout écrire, du black, du jewish, du theatrical, du comical, il peignait avec les mots, ses mots contenaient toutes sortes de couleurs, de textures, de tons, et en plus il allait très vite.»

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Le premier à s’enthousiasmer pour les compos de Leiber & Stoller, c’est Lester Sill - Hell yes ! - Il les met en cheville avec les frères Bihari qui ont un label, Modern Records. Le premier rendez-vous se passe mal : on fait poireauter Leiber & Stoller qui finissent pas se casser. Et comme tout le monde à l’époque, ils vont se faire plumer par plus malin qu’eux. Ils finissent par rencontrer Johnny Otis et composent «Hound Dog» pour Big Mama Thornton. C’est Johnny Otis qui joue de la batterie sur la version originale. Leiber & Stoller produisent - Big Mama didn’t croon, she growled - Leiber : «On ne gagnait pas un rond, mais on faisait des disques de blues.» Puis c’est le désenchantement. Ils découvrent par la suite que Johnny Otis s’est approprié le crédit de «Hound Dog». Ils protestent auprès du label boss Don Robey qui fait signer à leurs mères un nouveau contrat, car ils sont encore mineurs. Ils reçoivent une avance de 1200 $ mais le chèque est en bois. Abattus, ils voient «Hound Dog» grimper au sommet des charts et apprennent que le disque s’est vendu à un million d’exemplaires. Ils n’ont pas touché un rond. Stoller : «We were getting screwed.» Mais ça ne sera pas la dernière fois. Lorsqu’Elvis va faire sa version de «Hound Dog», Leiber découvrira horrifié qu’on a trafiqué son texte - Elvis s’est amusé avec la chanson. Big Mama l’a chantée pour de vrai (Big Mama nailed it) - Tiens encore un épisode de screw. C’est Stoller qui le raconte. À l’époque où ils travaillent pour Atlantic, un comptable leur conseille de demander un audit des comptes d’Atlantic. Forcément Wexler est furieux. Quoi ? Vérifier les comptes alors que je vous ai fait gagner des milliers de dollars ! Stoller essaye de le calmer en lui expliquant que les bons comptes font les bons amis. Il se dit aussi surpris de sa réaction colérique. Pourquoi s’inquiéterait-il ? Wexler parvient à se calmer et leur dit de virer le comptable. Trop tard. Le comptable a découvert qu’Atlantic devait 18 000 $ à Leiber & Stoller. Wexler peine à contenir sa rage. Vous avez le choix, soit je vous signe un chèque de 18 000 $ et vous ne travaillerez plus pour aucun de nos artistes, soit vous oubliez le chèque et on continue comme si de rien n’était. Leiber & Stoller n’hésitent pas une seconde : oublions le chèque ! Bien, dit Wexler, et malgré sa promesse, Leiber & Stoller ne travaillent plus pour Atlantic. «We’re screwed», dit Leiber.

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( Nesuhi Ertegun )

 

Dommage, car l’épisode Atlantic se présentait comme un conte de fée. Remontons un peu dans le temps. Leiber & Stoller commencèrent par faire la connaissance de Nesuhi Ertegun, le frère d’Ahmet, un homme que Leiber jugeait distingué et qui parlait une demi-douzaine de langues, avec une nette préférence pour le black slang qu’il trouvait séduisant, un homme qui avait étudié à la Sorbonne, qui avait lu Nietzsche et Sartre et qui pouvait parler de l’émergence de l’expressionnisme abstrait, mais qui connaissait surtout le jazz. Et le blues. Il connaissait aussi la plupart des chansons composées par Leiber & Stoller et donc welcome in Atlantic. Ils vinrent donc s’installer à New York. C’est au Tea Room de la 57e Rue qu’ils rencontrèrent le team Atlantic : les frères Ertegun, Wexler, Herb & Miriam Abramson et Pete Kemeron, le manager du Modern Jazz Quartet - These were charismatic characters in the extreme, dit Stoller - brillant, both impressive scholars and impassioned fans of the music and like us, early producers of a genre they loved. It was all about jazz and rhythm & blues - Leiber & Stoller furent bombardés producteurs pour le compte d’Atlantic. Même si pour eux ce fut une belle aventure, grâce aux artistes qu’ils rencontraient, cette association ne fut pas de tout repos, à cause des bras de fer avec l’aboyeur en chef Jerry Wexler. C’est Leiber qui nous raconte comment lui et Stoller produisirent «There Goes My Baby» par les Drifters. Ils étaient sûrs de leur coup, sûrs qu’il s’agissait d’un smash. Ils le firent écouter à Wexler et Ahmet qui n’étaient pas dans le studio pendant l’enregistrement. Wexler l’écouta, se tourna vers Leiber et lui dit : «Jamais entendu une merde pareille !». Il les accusa d’avoir dépensé le blé d’Atlantic pour produire un tas de merde, ce goddamn awful mess. Et il lança son sandwich au thon dans le mur. Leiber ajoute qu’il est resté collé au mur. Évidemment, «There Goes My Baby» grimpa en tête des charts et se vendit à un million d’exemplaires. Après coup, Ahmet qui est diplomate jusqu’au bout des ongles dira à Leiber & Stoller qu’ils tapent dans le mille à chaque fois, mais Wexler aura tout fait pour que le disque ne sorte pas. En conclusion, Leiber pense que Wexler entretenait avec Stoller et lui une love-hate relationship.

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C’est à cette époque que Leiber & Stoller décident de louer un bureau dans un immeuble situé sur la 45e et Broadway. Oui, le Brill. Stoller dit qu’en 1961 leur rêve devient réalité at 1619 Broadway. Un peu plus haut, au 1650 Broadway, se trouve un immeuble aussi «musical» que le Brill, avec un studio d’enregistrement au sous-sol et un demo studio au 9e étage. Au 1619, on croise Jeff Barry, Ellie Greenwich, Doc Pomus et Morty Shuman, et au 1650, Carole King, Gerry Goffin, Barry Mann et Cynthia Weil. Un jour, un petit blackos en costard vient voir Leiber dans son bureau du Brill. Il se présente : Berry Gordy. Il avait en tête de faire du soft R&B pour le vendre aux blancs. Il fait écouter des démos à Leiber qui trouve ça pas mal. Alors Gordy lui dit : «Alors vous allez m’aider ?», et Leiber lui dit non.

— Pourquoi ?

— Parce que vous n’avez pas besoin de moi. Vous savez déceler les talents et les signer. Vous savez composer et produire. Vous avez juste ce qu’il vous faut. Rentrez à Detroit and do it.

He did, ajoute Leiber, qui poursuit en disant qu’il n’était pas vraiment fan de Motown. Il trouvait cette Soul trop soft, mais il saluait le flair de Gordy : «Il avait vu un marché et se l’était approprié.» Leiber fait aussi un portrait grandiose d’Ellie Greenwich. Il dit qu’avec Jeff Barry, ils constituaient un terrific team. Ils composaient avec une élégante simplicité et un manque total de prétention. Ellie était une très bonne chanteuse et ses démos valaient largement les versions enregistrées par d’autres. On l’aimait à la fois pour son talent et pour son extravagante beehive hairdo, sa bombe de cheveux blonds. Ils font aussi la connaissance de Burt & Hal David - Burt was the most perfectly casual dresser ever to stroll down Broadway. Even his hair was perfectly casual - Stoller ajoute qu’Hal David et Burt ont fabriqué de la magie, notamment pour Dionne Warwick, «qu’on avait fait travailler pendant des années comme background singer avec sa sœur Dee Dee et leur tante Cissy Houston.»

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Les principaux clients de Leiber & Stoller chez Atlantic étaient bien sûr les Coasters, que Lester Sill manageait. Après des mouvements de personnel, le lineup finit pas se stabiliser avec Billy Guy, Carl Gardner, Dub Jones et Cornell Gunter. Stoller dit de Gunter qu’il était fort comme un bœuf et qu’il devint le protecteur du groupe. Lorsqu’un jour un mec s’en prit à l’un de ses protégés, Cornell Gunter l’attrapa et le jeta par dessus un camion. Et pourtant, nous dit Stoller, Gunter n’avait rien d’un macho : «À l’instant où il ouvrait la bouche, on savait qu’il était gay.» Stoller rend aussi hommage à Dub Jones, one of the great bass voices. «He was a deply religious man with real heart and soul.»

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Et puis bien sûr, voilà Phil Spector. C’est Lester Sill qui un beau jour de 1960 téléphone à Leiber pour lui demander une faveur.

— Vas-y.

Sill y va :

— J’ai un gosse ici et je crois en lui. Je crois autant en lui que j’ai cru en toi et Mike. En réalité, il est une sorte de Leiber & Stoller. Il est new-yorkais mais il est venu ici à LA pour étudier à Fairfax High. C’est un R&B genius, il joue de guitare, il compose, il arrange, il produit et il vous idolâtre, Jer, je te jure qu’il vous idolâtre.

— Comment s’appelle-t-il ?

— Phil Spector.

— Et que veut-il ?

— Venir à New York.

— Bon, fais-je venir, alors.

— Mais il lui faut un billet d’avion.

— Tu ne peux pas le lui payer ?

— Non.

— Tu veux que je le paye ?

— Fais-moi cette faveur, Jer. Tu ne le regretteras pas. Il a déjà un hit avec les Teddy Bears, «To Know Him Is To Love Him».

— Et tu l’aimes, Lester ?

— Tu l’aimeras aussi.

Pas du tout.

Leiber ne l’aime pas. Il poursuit en expliquant que «Spector est arrivé une semaine plus tard à mes frais. Il a demandé s’il pouvait dormir sur le canapé du bureau. Que pouvais-je lui dire ? Au fond ça n’avait pas vraiment d’importance qu’il n’ait pas dit merci pour le billet et que sa présence dans le bureau nous ennuyait. Je sentais qu’il était smart. Il aimait la musique. Il était dévoré d’ambition. On ne voyait que ça, son ambition.» Puis Phil Spector va prendre Ahmet comme modèle, jusqu’à imiter sa façon de parler. Ahmet était le suave hipster que Spector rêvait de devenir.

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Bon le bal des mythes ne s’arrête pas là. Il reste encore le plus gros, the real deal, Elvis. La collaboration Elvis/Leiber & Stoller commence avec «Jailhouse Rock». Lors d’un entretien préalable, le Colonel qui leur dit que son poulain va devenir plus célèbre que le président et plus célèbre que le pape. Leiber & Stoller opinent du chef. Mais ils se foutent du Colonel. Celui qui les intéresse, c’est Elvis. Ils finissent par le rencontrer en entrant dans le studio d’enregistrement. Leiber s’en souvient comme si c’était hier : «Ça fait longtemps que je ne fais plus de mystère de mon hétérosexualité, aussi suis-je parfaitement à l’aise pour dire que lorsque je suis entré dans le studio et que je me suis retrouvé face à Elvis Presley, je fus frappé par sa beauté. Il avait un sourire timide et des manières désarmantes.» Stoller ajoute qu’Evis était un Ray Charles fanatic et qu’il connaissait aussi toutes les compos de Leiber & Stoller. Il pouvait citer n’importe quel hit de R&B, depuis Arthur Big Boy Crudup jusqu’à B.B. King en passant par Big Bill Broonzy. Alors évidemment, après le succès de «Jailhouse Rock», Elvis est persuadé que Leiber & Stoller lui portent chance. Il les veut à chaque séance et sur le champ. C’est l’hystérie. Exemple : Elvis enregistre un Christmas album et il manque une chanson. Le Colonel leur ordonne d’en composer une sur le champ. Leiber dit à Stoller qu’il ne faut pas décevoir cette bande de fous.

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— Tu sais quoi, mike, on va faire simple. Composons pour ce mec un twelve-bar blues avec un Christmas lyric. Qu’en penses-tu ?

— Okay by me.

Alors je commence à chanter :

Hang up your pretty stockings

And turn off the light

Cause Santa Claus is coming down your chimney tonight.

(Mets tes bas et éteins la lumière, car ce soir Santa Claus va te ramoner la cheminée).

Ça nous a pris 15 minutes pour composer la chanson. On revient dans le studio et je leur annonce qu’on a la chanson. Le Colonel demande pourquoi ça a pris tant de temps. Je lui réponds «Writer’s Block», c’est-à-dire panne d’inspiration. Le Colonel se marre mais il arrête de se marrer quand il entend les paroles. Mais le King tranche : Voilà une vrai Christmas song ! Je vous l’avais dit, ces gars-là allaient nous dépanner !

Et Elvis se met à chanter sa Christmas song comme un King. Il la fait en deux prises. Quand c’est fini, Elvis passe ses bras sur les épaules de Jer et de Mike et leur dit : «Chaque fois que j’enregistre, je veux que vous soyez là, les gars !».

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Et puis arrive le grain de sable dans l’engrenage. Jean Aberbach les rencontre pour leur annoncer que le Colonel veut les manager. Jer lui répond du tac au tac : «We’re unmanageable. Tout le monde le sait.» Aberbach le prend mal et dit que ce n’est pas une plaisanterie. Jer lui répond qu’il ne plaisantait pas. On n’a pas besoin de manager. Aberbach demande à Mike s’il est du même avis. Absolutely ! Alors Aberbach leur tend deux feuilles de papier. Elles sont vierges avec seulement une ligne en pointillés en bas pour la signature. Un contrat en blanc ! Leiber est choqué :

— Vous plaisantez, j’espère ?

— Non, répond Aberbach. Le Colonel dit qu’il remplira le contrat plus tard, tout repose sur la confiance mutuelle.

Ils ne signent pas, évidemment. Puis Leiber tombe malade. Pneumonie, il s’écroule dans la rue. Il se réveille à l’hosto. Quand il rentre chez lui une semaine plus tard, il trouve un gros tas de télégrammes. «Elvis veut vous voir tout de suite !». Leiber appelle le Colonel qui lui met une pression terrible et lui dit de prendre un avion immédiatement. Leiber appelle son médecin qui lui dit que c’est hors de question. Le Colonel pique une crise et affirme que les médecins ne racontent que des conneries. Alors Leiber appelle Stoller et lui explique la situation : il est trop faible pour voyager et il en a un peu marre d’être au service d’un sale mec comme le Colonel. Mais en même temps, il ne veut pas ruiner le deal qu’ils ont Mike et lui avec Elvis qui en plus les aime bien et raffole de leurs chansons. Le problème c’est le Colonel. À l’autre bout du fil, Mike réfléchit un instant et dit : «Tell him to go fuck himself.» Fin de l’épisode.

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Il y a des passages plus légers dans le book. Leiber révèle que «Poison Ivy» qui est un gros hit pour les Coasters est aussi la métaphore d’une maladie sexuellement transmissible. «Poison Ivy» arrive dans le Top Ten en 1959 et ça épate Leiber. Autre épisode cocasse : ils font la connaissance de Peggy Lee et lui composent les chansons de l’album Mirrors. Stoller : «Pendant les sessions, elle ne pouvait contenir ses crises de rage, ce qui ne gênait en rien ses magnifiques interprétations. Ces crises n’étaient pas dues à la boisson, parce qu’elle ne buvait pas pendant les sessions. Elle faisait de la méditation transcendantale.» Et Stoller poursuit en indiquant que lors d’une session, Peggy Lee pique une telle crise qu’elle préfère s’absenter pour essayer de se calmer : «Je vais aller méditer. Je serai de retour dans vingt minutes.» «Nous avons pris ça pour un signe de maturité. On a corrigé la partition pendant son absence. Elle est revenue encore plus enragée qu’à son départ. Elle était folle de rage. On s’est dit qu’elle avait passé ces vingt minutes à se demander lequel de nous deux elle allait tuer.»

Et puis bien sûr, voici l’épisode fondamental qui est l’épisode George Goldner, dont parle aussi Seymour Stein dans ses mémoires. Un Goldner nous dit Leiber légendaire en son temps, grâce à ses labels Tico, Gone, End, Gee, Roulette, Rama. Mais comme le dit Stein, Goldner s’endettait en jouant aux courses et Morris Levy qui «épongeait ses dettes» avait récupéré en échange ses labels extrêmement rentables.

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Comme Leiber & Stoller aimaient bien Goldner, ils décidèrent de s’associer avec lui. Ils l’appelaient the Mambo King, car il avait signé Tito Puente, Tito Rodriguez, Joe Cuba et Eddie Palmieri. C’est aussi lui qui avait sorti «Why Do Fools Fall In Love» de Frankie Lymon & the Teenagers, «Tears On My Pillow» de Little Anthony & the Imperials, «Shimmy Shimmy Ko-ko Bop» des Chantels et surtout le mythique «I Only Have Eyes For You» des Flamingos qui figure dans le fameux Once Upon A Time In The Bronx de Robert De Niro. Alors qu’ils étaient en panne de hits, Leiber & Stoller demandèrent un jour à Goldner de fouiner dans leur pile d’acétates. Goldner y passa la nuit au Brill et en arrivant le lendemain matin, Leiber le trouve assis au bureau avec un acétate en main : «This is it !». C’est la démo de «Chapel Of Love». Quoi ? Leiber n’en revient pas, car pour lui ce n’est pas très bon. Goldner ajoute : «J’en mets ma main à couper.» «Chapel Of Love» est une compo de Jeff Barry, Ellie Greenwich et Phil Spector que Phil avait enregistrée. On connaît la suite de l’histoire. Leiber & Stoller demandent aux Dixie Cups d’enregistrer «Chapel Of Love» qui atteint le sommet des charts au printemps 1964. Leiber précise que ce fut le premier #1 américain depuis la British Invasion. Bien vu, Goldner ! Leiber ajoute : «In the Golden Age of the Girl Group, on avait enfin le nôtre. Les Marvellettes étaient marvelous, les Supremes suprêmes, les Ronettes resplendissantes. Mais les Dixie Cups, ces modestes gals from Louisiana, leur faisaient une sacrée concurrence.» Chapel est aussi le premier disque du label qu’ils viennent de créer, le mythique Red Bird. Comme ils n’ont pas de blé pour payer Goldner, ils l’associent au capital de la société en lui filant un tiers des parts. Dans cette aventure, leurs principaux collaborateurs sont Ellie et Jeff Barry. Ils accueillent aussi Shadow Morton dans leur équipe. Leiber le surnomme Shadow parce qu’il apparaît dans la pièce sans que personne ne l’ait vu entrer. «Et il n’était plus là quand on le cherchait. Il s’était construit une mythologie qui m’intriguait. Pour un New-Yorkais, il parlait un étrange dialecte du Sud. Il était agréable et solide comme un bœuf. Mais le plus important, c’était le don qu’il avait d’écrire des teenage soap operas. J’adorais Shadow et tout ce qu’il a fait pour Red Bird.» Stoller précise ensuite que Shadow a découvert les Shangri-Las qui allaient devenir avec les Dixie Cups les locomotives de the Red Bird hit-making machine. «Ce que Leiber & Stoller étaient aux Coasters, Jeff et Ellie aux Dixie Cups, Shadow Morton l’était aux Shangri-Las.» Stoller brosse un magnifique portrait des Shangri-Las : «Quatre filles, les jumelles Mary Ann et Marge Granser et deux sœurs qui semblaient jumelles, Mary et Betty Weiss. Les sœurs Weiss étaient blondes, les sœurs Ganser brunes. Elles portaient des jeans moulants passés dans des bottes blanches. Elle étaient les parfaites bad girls.»

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Et puis un jour, alors qu’il marche sur Broadway, un mec accoste Leiber, lui disant que son boss veut lui parler. Leiber lui répond qu’il ne connaît pas son boss. Mais le gorille le force à avancer et à entrer dans un petit fast-food. Le boss que Leiber appelle Sal mais qui pourrait bien être Morris Levy lui annonce qu’ils sont partenaires. Comment ça ? Ben oui, Goldner est mon partenaire, donc nous sommes partenaires ! Leiber ne comprend toujours pas. Ben oui, Goldner avait besoin de fonds, alors il nous a fait entrer dans Red Bird. Il ne vous l’a pas dit ? Non, je ne crois pas, répond Leiber. Quand Leiber arrive au bureau, il raconte l’histoire à Stoller. Que fait-on ? Rien, on attend, ça va se tasser. Mais ça ne s’est pas tassé. Des gorilles ont commencé à se pointer au bureau. Ils étaient tellement balèzes dit Leiber qu’ils passaient à peine à travers la porte. «On a besoin d’utiliser votre bureau !». Leiber & Stoller ne discutent pas. Alors Stoller demande à Goldner : «Mais comment as-tu pu nous faire ça ?». «Quoi ?». Ben les mafieux ! Goldner répond que c’est temporaire. Mais Leiber & Stoller n’acceptent pas d’être mêlés à ces gens-là. Ils décident de refiler leurs parts de Red Bird à Goldner pour un dollar symbolique. Comme Goldner surpris cherche le dollar pour les payer, Stoller lui un donne un. Le lendemain, ils font construire un mur de briques pour séparer le bureau de Goldner du leur. The Red Bird dies. Dommage, car ils louchaient sur ce qu’ils appellent des sensational acts : Sam and Dave, the Young Rascals et Steely Dan.

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Alors après, c’est l’épisode Peggy Lee. Ils composent «Is That All There Is» et proposent la chanson à Marlene Dietrich qui refuse poliment. Alors ils la proposent à Peggy Lee qui la veut absolument. Elle fait 37 prises et Leiber choisit la 36e. Mais Leiber & Stoller sont à ce moment dans un trip Piaf et Jacques Brel. Et même Kurt Weill. Il n’empêche qu’aux yeux de Stoller, Mirrors is an important piece of work. On y reviendra. Stoller est même fier quand on le félicite pour cet album. On connaît Leiber & Stoller pour les Coasters, les Drifters, Big Mama Thornton, Elvis, Ben E. King, mais aussi pour Mirrors.

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Puis le temps passe et ils voient les choses évoluer. Stoller comprend que c’est dans la nature même du music business. Les modes et les techniques évoluent. La seule constante reste la chanson. C’est elle qui survit, dit Stoller. Et les droits d’une chanson garantissent la sécurité matérielle. Dans les années 70, ils produisent les Stealers Wheel de Gerry Raffery & Joe Egan, une version anglaise de Crosby Stills & Nash, nous dit Leiber. Lui et Stoller aiment bien leurs harmonies et leur open-minded, open-hearted approach to making music.

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Leiber & Stoller finissent en beauté avec T-Bone Walker en produisant Very Rare - He turned the blues urban, infused it with jazz feeling and influenced virtually every guitarist who followed - Ils choisissent les Sweet Inspirations comme background singers et un roster of superstar jazz musicians qui comprenait Dizzy Gillespie, Gerry Mulligan, Herbie Mann, Zoot Sims, Al Cohn and David ‘Fathead’ Brown and that keyboard genius from New Orleans, James Booker. T-Bone Walker a 62 ans et sa carrière est cuite depuis longtemps. Cet album est donc son last hurrah. Alors Leiber & Stoller mettent tout ce qu’ils ont de passion dans ce projet. Magnifiques personnages.

Signé : Cazengler, Red Bide

Jerry Leiber & Mike Stoller with David Ritz. Hound Dog. The Leiber And Stoller Autobiography. Simon & Schuster 2009

Talkin’ Bout My Generation - Part Two

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C’est avec un petit pincement au cœur qu’on voit Big Sandy redébouler en couverture du nouveau numéro de Rockabilly Generation. Rassurez-vous, on finit par passer l’âge de frémir pour des conneries et chacun sait que Big Sandy ne s’adresse pas aux midinettes. Non, si ça pince, la raison en est toute autre. Big Sandy nous renvoie au temps où on pouvait encore aller le voir jouer sur scène. Cette photo en couverture du mag, boom ! C’est le boulet du baron de Münchhausen, une véritable machine à remonter le temps ! Dans la seconde, il nous ramène au Béthune Rétro 2016. Nostalgie ? Pas que. Si on y réfléchit un instant, c’est plus profond, ça pince, mais pas au bon sens du terme, il s’agit plus d’un malaise que d’autre chose. Pour tout fan de rock, il est impossible d’accepter d’entrer dans ce flou institutionnel qu’on appelle la fin d’une époque.

Le malaise est profond : Béthune Rétro, tintin. Les concerts dans les bars, tintin. Les rubriques «Live» dans les canards de rock anglais, tintin. Alors vu qu’ils sont rusés comme des renards, les canards de rock anglais font appel aux lecteurs et leur demandent de raconter leurs meilleurs souvenirs de concerts. On pourrait s’amuser à faire la même chose sur KRTNT, par exemple ressortir la vieille kro du Béthune Rétro 2016, mais bien sûr, on préférerait retourner là-bas pour voir Big Sandy sur scène. On ne demande pas grand chose, juste ce truc là. Juste reprendre la vieille teuf-teuf comme dirait Damie Chad et remonter vers le Nord, s’arrêter comme tous les ans chez les Deux Frères à Arras pour se régaler d’une grande pinte de Chaussée des Moines bien fraîche servie avec l’andouillette gratinée aux Maroilles des enfers, puis gagner le Rétro avec un gros nez rouge et aller se garer en bas de la Poste. Franchement, ce n’est pas demander grand chose. Eh bien même ça, tintin, pas de teuf-teuf, pas d’andouillette et pas de Poste. T’auras que dalle, te dit Dieu.

Mais ça c’est de la rigolade. Il ne s’agit au fond que de frustration, rien de grave. Le grave le voilà : le pote L. avec lequel on partageait le pèlerinage annuel à Béthune et pas mal d’autres pèlerinages se bat en ce moment avec la mort. Foie pourri. En bon fan de rockab, il tient bien le choc, mais il nous fait pas mal de frayeurs. On ne lui demande qu’un truc : tenir assez longtemps pour grimper dans la teuf-teuf l’été prochain et filer vers le Nord. On aura forcément une belle affiche et on pourra recommencer à baver comme des limaces en épluchant ce programme généralement si touffu.

On ne se doutait pas alors de la chance qu’on avait, rien qu’à se frayer un chemin sur la place du beffroi et se régaler du spectacle de toutes ces bananes. Il nous arrivait même de nous plaindre du trop-de-monde et des dérives de la gratuité, mais il se passait tellement de choses extraordinaires sur les trois scènes. Trop ? C’était le temps de l’abondance, le temps des deux ou trois concerts par semaine, le temps des conventions du disque, le temps des fanzines et des canards de rock anglais.

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Alors, en attendant le retour du temps des cerises, nous allons remercier Rockabilly Generation d’avoir interviewé Big Sandy en sortant du formol des archives la kro du big Big Sandy Show à Béthune en 2016 :

Après Wanda Jackson, Sleepy LaBeef, Barrence Whitfield et Lee Rocker, Big Sandy et ses Fly-Rite Boys se retrouvent bombardés têtes d’affiche du Béthune Rétro 2016. Une consécration ? Big Sandy n’a plus besoin de ça. Apparemment, il tourne bien aux États-Unis, c’est un professionnel de l’Americana, il brasse un public large et, comme Elvis avant lui, il plait beaucoup aux ménagères. C’est toujours très impressionnant de voir de grands artistes américains débarquer sur scène. Big Sandy dispose de deux atouts majeurs : une présence indéniable et une voix de rêve. Il déroulait ce soir-là le velours de sa voix dans la tiédeur de la nuit picarde. Même si ses chansons laissent parfois le bobo baba, il finit toujours par enjôler ses cajolés. Impossible de résister au charme de ces roucoulades de haut niveau, Big Sandy amène avec lui les grands horizons, la grand-canyonisation des choses, il hollywoodise le bop et tartine son swing de crème au beurre. Son western-swing n’est pas celui des campements de mineurs du Kentucky, non, Big Sandy va plus vers le soleil et la douceur de vivre, vers les virées en roue libre et les routes qui se noient dans l’horizon enflammé. Il fait vibrer ses trois gouttes de sang mexicain et ses cheveux noirs plaqués brillent du meilleur éclat sous les projecteurs picards. Comme tous les gros, et notamment ceux qui sont des artistes, Big Sandy déborde de pâte humaine et de générosité. Il déborde même de talent et d’énergie. Il mène son show à la patte molle, mais il ne court aucun risque, car ses amis jouent comme des cracks, à commencer par Ashley Kingman, Telecaster-man redoutable de fluidité et incisif en diable, une sorte de virtuose sorti d’on ne sait où et qui multiplie les raids éclairs. Ces mecs-là savent jouer, pas de doute. On sent les professionnels aguerris, les vétérans du circuit. Le set de Big Sandy passe comme une lettre à la poste. Il compense l’absence de sauvagerie par un gros shoot de swing et le swing vaut tout l’or du monde, lorsqu’il est bien joué. Si on vient chercher sa dose, on repart repu. On repart même doublement repu, car Big Sandy assure d’une certaine façon la relève des pionniers qui auront tous bientôt disparu. On ne se relève pas la nuit pour écouter le country-boogie de Big Sandy, c’est évident, mais en même temps, on apprécie de pouvoir écouter ses albums et de le voir jouer sur scène, car à sa façon, il porte le flambeau. Ce soir-là, face au vieux beffroi, le gros semblait ravi de jouer. Il n’en finissait plus de louer la grâce de Bitoune et de remercier les people. Et pourtant, les mecs de la technique faillirent bien saboter le set en envoyant trop de fumigènes. Le grand rigolard qui jouait de la stand-up n’y voyait plus rien et Sandy cherchait lui aussi son chemin à travers les volutes de fumée. Quand vint le moment des adieux, Big Sandy fit un effort de communication insolite en lançant : «I’m Big Sandy !» et pour ceux qui n’avaient pas compris, il ajouta : «Yé souis glos Sandy !».

S’ensuivaient quelques chroniques d’albums ramassés chez Crazy Times dès le lendemain matin. Alors vu que Damie Chad a chanté les louanges de ce nouveau numéro de Rockabilly Generation dans sa dernière livraison, on va en rester là, pour ne pas fayoter. Mais quand vous l’ouvrirez à la page 5, vous allez tomber sur LA photo de Little Richard. Aw my God ! Et quatre pages plus loin, sur celle d’Esquerita, son mentor. Aw Aw Aw Aw comme dirait Hooky (qu’on retrouve d’ailleurs dans la boutique).

Signé : Cazengler, Big sandwich

Rockabilly Generation. N°15 - Octobre/Novembre/Décembre 2020

 

ASTRAYED PLACE

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Des discrets. Juste un FB sur lequel ils postent les vidéos de leurs derniers morceaux visibles sur You tube et que vous pouvez charger sur toutes les plateformes... Une groupe que l'on pourrait qualifier d'abstrait à l'image de leur logo qui ne dévoile ( ou ne cache ) que le nom du groupe tout en étant un sacré casse-tête pour vos méninges si vous fixez trop longtemps cette géométrie dans l'espace proche de l'esthétique du Bauhaus. Etaient à l'apérometal 77 du neuf septembre dernier. Se définissent simplement comme un groupe de Metal français.

MEMENTO MORI

( 09 Septembre 2018

/ FuLL EP / yOU tUBE )

 

Un titre qui n'appelle pas à la franche rigolade. C'était la formule que murmurait l'esclave qui tenait la couronne laurée au-dessus de la tête de son maître lorsque un général victorieux recevait les honneurs du triomphe dans la Rome Antique ( J'aime le souvenir de ces époques nues, dixit Baudelaire )... la sombre pochette n'évoque en rien un jour de liesse, un chemin de goudron qui fonce droit vers un tourbillon fatal, des ombres blanches éplorées et une tout au fond prête à sauter dans le néant. Au-dessus clignote une conjonction astrale dans les lointains de la voûte stellaire – une couleur différente pour chaque morceau – sentiment d'une immensité désespérante...

Il est des Metal plus durs, plus tranchants, et plus tonitruants que d'autres. A coller une étiquette sur celui-ci à première écoute à petit volume nous avons hésité entre progressive-metal et neo-folk. Amateurs de cacophonies orgiaques abstenez-vous. Après avoir poussé les potards, nous opterons pour metal-alternatif, une définition assez vague pour que chacun puisse la façonner selon son propre héritage culturel.

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Intro : de l'acou doré qui ronfle et qui ronronne, simple comme bonjour mais le courant vous emporte, sans que vous y preniez garde l'on est déjà dans le 42 : plus doux plus lent, mais le son arrive, pas une vague monstrueuse, un tirant d'eau acceptable pour que puisse glisser l'étrave du chant, qui prend tellement d'importance que la musique l'accompagne comme l'ombre suit le corps qui la projette, un chant d'espérance qui se croit tout permis jusqu'à vaincre la mort. Quand la voix stoppe c'est-là que l'on se rend compte de la force du soubassement instrumental, rien de tempétueux, un allègre élan, une guitare scintille avant quelques notes d'un clavier romantique, mais le vocal repart et quand il se tait la musique est à son diapason et se dissipe en quelques touches volatiles. Otherworld : ballade aux longs lyrics, seuls le rêve te sauvera, une voix blanche qui semble raconter un conte à un enfant avant de s'endormir, bientôt doublée par une autre, peut-être parce quand on se parle à soi-même on songe que l'on est deux et que la mort ne sera que la continuation du rêve, sous une autre forme. La musique suit, de temps en temps elle hausse la tête comme celle de la taupe qui dépasse de son trou, mais elle rentre vite se chauffer au giron du rêve, comme s'il était immortel. Changement de plan, de la terre du rêve à la grandeur ouranienne incommensurable d'un ciel infini. Pluie cristalline de notes finales. The swarm : un son plus grave que l'on devine porteur de drame, le chant se fait plainte et la musique se transforme en symphonie, cris de souffrance, la réalité tue le rêve de mille piqûres d'abeilles, vous croyiez être invincible dans votre tour d'ivoire et vous n'êtes plus qu'un pantin désarticulé à la merci de vos contemporains, un clavier qui se prend pour Chopin pleure à gros bouillons, maintenant le ressac du rock submerge tout, hurlement sans fin de terreur et de douleur, et cette guitare qui ricane comme une hyène aujourd'hui et demain. Doll : torsades sans trêve, festons musicaux, une ballade douce chantée selon un murmure immature, pour se rapprocher de cette mort que l'on appelle aussi délivrance, des chœurs venus de l'au-delà pour rendre le chemin encore plus attrayant, orchestration à la fois funèbre et joyeuse, choeurs angéliques qui s'accompagnent d'une guitare électrique qui déchire le rideau des apparences, s'il vous plaît laissez-moi connaître le bonheur de la mort. The end of trust : l'on arrive à la fin du drame, on le remplace par le mélodrame, vouloir mourir est une chose, mourir en est une autre, tout compte fait il vaut mieux lécher ses blessures au fond de son lit et rester dans cette petite mort que l'on appelle la solitude. Très belle et très longue introduction, une musique que vous exigerez que l'on joue à votre enterrement que vous suivrez de loin, un chant si cru, si dénudé que l'on croirait s'entendre parler à soi-même, une psalmodie plus forte et accusatrice, l'on n'en veut plus à la terre entière, mais à une personne, peut-être pas obligatoirement à soi-même, et une musique grandiloquente vous fait le coup d'il vaut mieux être seul que mal accompagné. Longue fin orchestrale. Trémolos de piano qui n'y vont pas mollo.

Attention cette musique douce doit être played loud pour en saisir la puissance. L'influence classique est évidente dans la composition non pas des morceaux mais de l'opus en son entier. Une thématique très adolescente, un peu Roméo sans Juliette, mais l'ensemble savamment construit est très original.

THE FALL

( 31 Mars 2020

 

FuLL EP / yOU tUBE )

 

Vraiment pas des optimistes. Sur la couve du premier EP l'on était au bord du gouffre, sur celui-ci un grand pas en avant a été franchi, c'est la chute ! Une main n'assure plus sa prise sur la paroi rocheuse, sur l'image de la vidéo, elle a disparu... quelque chose bouge, tout au fond du paysage aux couleurs coloradoriennes, la boule métaphorique du soleil descend lentement vers sa disparition. Au temps des Aztèques l'on immolait régulièrement quelques êtres humains pour que le feu divin incandescent condescende à revenir le lendemain matin apporter la lumière, aujourd'hui seules la musique et la poésie osent se saisir du symbole disque solaire pour rappeler la vanité de notre présence au monde.

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Intro : oubliez l'Ep précédent, ici résonnent une flûte berbère et le tambour des sables, cela pourrait durer encore, mais non Woe of happiness : joue à l'élastique avec une corde de guitare, et l'on entre dans le vif du sujet, une musique plus puissante et l'entremêlement d'une voix claire qui n'hésite pas à claironner si besoin tandis que celle qui djente par-dessous inquiète, travelling de basse, hurlements et menaces insidieuses, musiques lourdes en haches de pierre néolithiques, galopade de batterie, comme dans l'orchestre classique l'on donne son bout de gras à chaque pupitre, les guitares jouent le rôle des violons, et c'est fini le morceau dure sept minutes, mais il est si bien structuré qu'il paraît n'en durer que deux. The circle : gros son, archétypal metal, mais le timbre comme une lame d'épée scintille et l'on assiste au combat du djent et de la clarté, du lion et du serpent, de l'aigle et du vautour, la batterie martèle, guitare solo en danse du ventre, un véritable duo d'opéra quand deux divas essaient de monter sur les pieds de l'autre. Break : guitarette toute tremblotante, des lèvres susurrent et le morceau avance sur des escarpins d'argent, deux timbres qui se décalquent, l'on est dans ces ballades qui déroulent leurs anneaux de serpent languide et voici que le dragon metal crache du feu et détruit toutes les villes du royaume, par deux fois la torche volcanique et barbare arase le monde. Anesthesia : ne songez pas à vous endormir, jouent et chantent tous ensemble, toujours cette voix qui flotte au dessus de la mêlée tel un oriflamme étincelant, l'ennemi rampe dans les marécages et l'hydre féroce se saisit de vos entrailles, une guitare échevelée galope dans ses intestins, rien ne vous sauvera de ce cauchemar. Chœurs de soudards qui entrent dans la citadelle en flammes. Longs cris d'agonie. The fall : l'on repart sur le même tempo, le combat continue, il n'y aura pas de prisonniers, le sang des guitares giclent sur les murs, la batterie s'abat et rebondit sur les armures, le mal gagne la partie, la brutalité de la nuit l'emporte sur la finesse du jour, une cloche sonne dans le lointain, le temps de compter les morts, mais les hordes barbares n'ont pas fini leur carnage. La passion de la destruction est encore plus jouissive que la destruction pure.

Ce deuxième EP s'inscrit dans la suite logique du premier. Mais le coup d'essai – on le sent longuement préparé depuis Memento Mori – est ici transformé. The Fall a gagné en puissance, la revendication metallique est davantage assumée mais Astrayed Place n'en use pas comme d'un passe-partout. Le groupe se construit une identité personnelle et signifiante. Quel lieu nouveau La Place Errante choisira-t-elle de s'arrêter pour son troisième opus. Ces jeunes gens semblent avoir une prédilection pour les abimes intérieurs. Ce qui nous agrée.

Damie Chad.

 

L'EGOUT ET L'EGO

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Dans notre livraison du 482 du 29 / 10 / 2020 je vous présentais Hélène Crochet organisatrice des Apéros Metal 77, je vous engageais aussi à faire un tour sur son blogue Egout Metal sur lequel elle avait posté quelques unes de ses chroniques de concerts. Mais voici que pas plus tard que hier elle se fend d'un post sur son FB que je vous restitue in extenso :

'' 182 chroniques et plus de 500 groupes vus en live, vous l'avez compris, j'ai enfin fini de mettre en ligne mes putains de chroniques de concert de 2011 à 2020 ? Bon ok, il manque quelques lives où j'étais présente mais que je n'ai jamais chroniqués (coucou le Hellfest 2013, coucou le Break'Fest, coucou le festival de jazz Django Reinhardt et les concerts en club et dans les bars !) Mais vous avez déjà pas mal de lecture, et comme je suis sympa, pour vous y retrouver il y a des catégories en bas de page et un nuage de mots qui regroupe les articles par style de musique, salles de concert ou festival, et groupes (parce que oui j'ai pu voir certains groupes jusqu'à 7 ou 8 fois). Ça s'adresse à ceux qui aiment les plumes un peu trash, de mauvais goût, avec la subtilité d'un camion benne et l'objectivité d'un journaliste de Topito. Et ça passe du Metal au Rap, du Punk à la Pop, de la Variété à l'Electro, donc tu trouveras surement un live report d'un groupe ou un artiste que tu écoutes dans ce merdier ! Ne me remercie pas pour ta dose de lecture de confinement, c'est cadeau !''

Pas d'images superfétatoires, que du texte. Pas de vidéos. Je vous engage à vous lancer dans cette saine lecture. J'avais signalé que certains des concerts chroniqués dans cette somme gigantesque l'ont été aussi par Kr'tnt ! Elle habite à Melun et moi à Provins. Ceci explique facilement cela.

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Je ne doute pas que tous les lecteurs de Kr'tnt sans exception prennent pour vérité éternelle et intangible la moindre ligne des écrits du Cat Zengler et de mon immodeste personne, toutefois existe-t-il en ce bas-monde une objectivité irrémédiable, c'est pour cette raison que mettre nos subjectifs regards en parallèle peut se révéler d'autant plus intéressant que si nous nous sommes sans doute croisés je ne suis même pas sûr que nous ayons échangé quelques mots anodins en ces soirées agitées.

Elle se présente sous le pseudonyme d'Hellfist en quelques mots : '' Passionnée de musiques crades, d'archéologie boueuse et de films d'horreur, et chroniqueuse d'aventures en concert en tout genre, pour vous servir ! '' . J'ajouterai que quelques générations nous séparent, qu'elle est une fan, une connaisseuse de Metal, que pour moi le cœur vibrant du rock 'n' roll se situe du côté des pionniers.

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Quoi qu'il en soit le 18 novembre 2015 nous étions le 18 décembre 2015 au Chaudron ( Mée sur Seine ) pour écouter : Leaving Passenger, Klaustrophobia, Klone : nous sommes tous deux agréablement surpris par Leaving Passenger ( que sont-ils devenus ), elle expédie rapidement Klaustrophobia qui lui ont demandé de jeter un œil impartial sur leur prestation, leur trouve quelques défauts minimes, perso j'ai été subjugué par ce sécaïre de Yuki, régulièrement je vais voir sur son FB ce qu'elle devient, en 2018 elle participe à Hazpiq... Helfy ne supporte pas Klone – cela peut se comprendre, bien en place, mais planant - notre chipie de chroniqueuse sort pour bavarder avec les copains, moi qui suis un garçon sérieux je reste jusqu'à la fin.

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En février, le 12, 2016, nous assistons à L'Empreinte de Savigny-le-Temple à la Release Party du premier CD de Fallen Eight, précédés de Beast et Nakht : nous sommes tous deux d'accord, une folle soirée, Nakht qui chauffe la salle à mort, Beast qui la bulldozérise et après ces deux monstruosités Fallen Eight qui remporte le pompon. Si vous lisez entre les lignes, si vous cherchez la nuance, peut-être a-t-elle aimé Fallen Eight encore plus que moi, quelques milligrammes... ce qui est terrible c'est que Fallen Eight n'existe plus, Beast s'est auto-dissous et Danny le chanteur a quitté Nakht et rejoint Hurakan, une page d'histoire...

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Le 24 septembre 2016, nous sommes à La Citrouille de Cesson pour le Wild Pig 3 qui présente : Black Box Warning, Wild Mighty Freaks, FRCTRD, Barabbas, Atlantis Chronicles : j'avais beaucoup aimé cette soirée, quatre découvertes, Hellfist connaît tout le monde, l'a même été en classe avec un des musicos de FRCTD qu'elle n'aimait pas vraiment, donc elle étale sa mauvaise foi en toute conscience, de fait elle n'a kiffé que les deux premiers, par exemple le doom de Barabbas ne la convainc pas du tout, quant à Atlantis, elle se casse après dix minutes. Cela ne nous étonne pas, entre Atlantis et Klone existent de sérieuses accointances, l'on peut supposer que le Metal mou n'est pas de son ressort. Comme elle en connaît un max sur le Metal, elle définit chaque groupe par rapport à leurs modèles inspiratifs ce qui donne à son texte une densité historiale que le mien ne présente pas. Je rajoute un regret personnel, j'ai oublié de visiter l'exposition photos. Je ne recommencerai jamais, je le promets.

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Premier juin 2018, rendez-vous à l'Empreinte pour le Down Load Festival ( préparation gratuite ) sur scène U-Bilam, Nakht, Wild Mighty Freaks : une belle analyse d'U-Blilam à moitié Metal, à moitié rap, qu'elle explique par son origine Seine & Marnaise département mi-banlieue, mi campagne, elle file une bonne note au groupe sans oublier d'apporter la mention qui vous tuait net dans vos bulletins scolaires, doué mais peut mieux faire. Notre papoteuse en chef l'avoue candidement, pendant le set de Nakht elle est restée dans la cour à discuter avec les copains – comme les filles sont bavardes – mais nous rédige un compte rendu super bien intuité sur Mighty. Notons qu'à l'inverse de moi elle se débrouillera pour entrer en possession d'invitations pour la session payante du Down Load de Brétigny-sur-Orge. Elle y verra notamment Foo Fighter.

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Encore au Chaudron le 29 avril 2019 pour Ashen, Waking the Misery, Abstract Minded, Wild Mighty Freaks, je tartine, elle expédie. N'est pas tendre avec Ashen le nouveau groupe de Clément l'ancien chanteur de Fallen Eight, reconnaît leurs mérites aux Misérables à l’œil limpide sans être vraiment intéressée, avoue qu'elle n'aime pas le style d'Abstract Minded dont je raffole et trouve que les nouveaux morceaux des Mighty sont plus faibles que les précédents, est-ce pour cela que la salle n'atteint pas à l'exubérance qu'ils provoquent généralement. Bref gros désaccords entre nous deux. Nos avocats se chargeront-ils de régler ce litige ?

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Waking continue, z'étaient programmés début septembre 2020 , une grosse affiche de quatorze groupes au Metal Fest de Mennecy, menacé par la peur covidique et annulé comme il se doit... Abstract Minded est en pause... Wild Mighty Freaks continue sa route... pas de nouvelle d'U-Bilam depuis le mois d'avril 2019... Black Box Warning, Klone, FRCTRD, Alantis Chronicles, Barabbas semblent être sortis indemnes du premier confinement... preuve que les groupes continuent à exister quand on ne parle pas d'eux... les chiens de chroniqueurs aboient sur leur passage, la caravane des groupes continue malgré les disparitions... Le rock a un petit côté cimetière aux éléphants. Mais qui se souviendrait encore des éléphants d'Hannibal, si Tite-Live ne les avait pas mentionnés dans ses Histoires.

C'est un régal de suivre Hélène dans ses aventures musicales, cette fille a une sacrée personnalité, empruntez les couloirs souterrains de son égout, une maxima cloaca digne de la Rome Antique, attention parfois elle mord comme les crocodiles, une autre fois je vous parlerai des concerts où je n'étais pas, car ainsi qu'on l'enseigne dans les écoles de commerce, il faut toujours espionner ce que fait la concurrence !

Damie Chad.

 

HAZPIQ

 

As de pique ou aspic, je ne sais pas. En tout cas un groupe de Metal Progressif, en ses débuts on y retrouvait Imen Gardouch connue sous le nom de Yuki chanteuse de Klaustrophobia, groupe émérite hélas dissous... Remplacée actuellement par Melody Denève. Joseph Levy : basse / Manuel et Siméon Nowotny : guitare / Lylian Szpira : batterie. Le groupe s'est formé en 2015, le digipack est publié en 2019, mais dès 2018, les morceaux étaient déjà sur Youtube.

 

CEPHEID

( Melancholia Records / O1 - 2019 )

Une céphéide pour employer le terme gaulois est une étoile à luminosité variable, quand vous l'examinez à intervalles réguliers vous avez l'impression que certaines nuits elle brille davantage et d'autres moins... ce titre est déjà une indication sur la musique d'Hazpiq vouée aux nuances, aux gradations climaxiques, aux dégradés subtils, aux rupture violentes,..

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L'artwork du digipack dû à Meaghan Matthews a su rendre à merveille, grâce à ses liquidités anamorphiques, l'atmosphère hazpiquienne, scrutez la couverture quelques instants et votre esprit se mettra à vagabonder sans fin, passant d'une idée à l'autre, selon une méthode toute valéryenne d'essai de description du processus de pensée.

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Trailokia : est-ce le sentier qui mène à la parole, juste un instrumental, pour ne pas dire deux instrumentaux, l'un tout fragile, l'on pense à des notes de dulcimer qui tombent dans l'eau, puis la pluie se fait plus forte et survient ce qui ne devrait pas arriver, du moins dans les partitions de musique classique, mais qui dans le Metal le progressif est souvent réclamé et rétamé à coups de gros riffs métalliques. Toutefois ici la douceur de l'éphémère s'adjuge la place de devant à tel point que le riff en devient monotone, lui faut attendre de se retrouver seul pour faire le fortiche, stoppe brutalement et l'on entend comme un froufrou d'âme qui s'enfuit. From dust : bruit d'usine, ça cogne dur dans les ateliers du monde, les guitares grincent et la batterie aplatit la terre à coups de queue de cachalot, une syrinx féminine submerge le grabuge et monte haut vers les verrières du ciel, fracassant les vitres, la chaîne met la pédale douce, et comme la frêle inflexion s'est tue l'on appuie plus fort sur la cadence, hurlement d'homme-stentor, les guitares chavirent, la voix de finesse se lance en une espèce de flamenco qui s'étire en longue plainte de syrène, pendant que la rythmique joue à la machine à coudre, douce prédiction de plus en plus longue, de plus en plus haute jusqu'à l'extinction. Tu retourneras à la poussière... Cepheid : bourdonnement de sitar et timbre aérien, douceurs angéliques, sainte Cécile joue de la harpe sur l'aile d'un chérubin. Et le métal survient comme le Diable qui s'en vient cogner à la porte du paradis, l'on s'élève dans un magnificat au moins jusqu'à l'étoile polaire. Changement d'atmosphère, le métal scintille et miroite mais un timbre méandreux charme les serpents, même le gros boa de la basse qui ondule rhytmiquement sur le plancher, intermède musical, par quoi l'ange est-il habité pour que de son gosier jaillisse des grumeaux de mots inouïs chez ce genre de créature ? On aura tout entendu. Même l'inaudible. Epacte : le titre qui ressemble le plus à l'idée classique que l'on se fait du Métal, une vocalise qui devient de plus en plus lactée jusqu'à ce que l'on se rende compte qu'au bruit ne manque que le silence qui ne peut être contenu dans le vacarme que lorsqu'il se tait, alors la voie du silence s'enfuit dans la féminine gorge aérienne en équilibre sur une corde de guitare d'entrance en résonance, et lorsque tout se tait renaissent les hurlements perscussifs du Metal qui prend son ampleur, c'est elle la Reine qui crée maintenant, car celle qui peut le moins peut aussi le plus. Aphelion : ballade de cristal. L'on s'élève doucement, l'on monte le long des cordes de guitares pour escalader les cimes, rumeurs printanières la profération n'est plus qu'un souffle de brise, et l'on repart comme en quatorze à coups de pétards, la voix devenant liberté guidant le peuple vers la multitude des étoiles, une fusée métallique fonce à travers le vide interstellaire, enthousiasme communicatif, l'autre porte l'une et l'une emporte l'autre, point culminant d'une rencontre désirée. D'un commun accord. To nothing : notes enfantines et berceuse maternelle qui chante les paroles que personne ne comprend mais que tout le monde entend. Le bulldozer écrase tout sur son passage, grognements furieux de moteurs, clameur froissée des survivants qui essaient d'échapper à cette mort qui roule plus vite qu'eux. Eloignez-vous, ce bruit se transforme en bruissement de moustique monstrueux, la voix volette essayant d'échapper à ce godet-tapette de fer qui ne lui laisse plus de répit, la voici stellaire qui glapit son agonie. Remords mélancolique d'avoir existé, de n'être plus qu'une bulle de soi-même crevée et dégonflée qui s'échappe pour se diluer dans le néant. This is the end, old folks, versez une larme, cela ne peut pas faire de mal, personne ne la verra couler. Saros : cordes qui résonnent dans le mystère des choses, angoisses d'un timbre mystérieux, tous deux s'alanguissent sur des fils de fer barbelés du néant, chercher un moyen de laisser une trace qui permettra de prouver que l'on sera toujours là puisque l'on a été là, une musique séquencielle qui essaie de s'échapper d'elle-même, appel au centre de gravité de la présence du signe. Alternance de répons vocaliques et orchestraux, le serpent ne parvient pas à mordre sa queue qui lui échappe. Qui se dérobe. Mécaniques célestes : velours de cordes s'avancent à pas lents, cloques de sons qui claquent, la machine se met en route, la musique des sphères est bruyante, il n'est pas de moteurs sans explosion, c'est maintenant que s'insinue la fluidité exacerbée du vocal déchiré, musique célestiale, une voix de gente dame à la licorne recouvre le monde, luxe, calme et froideur, le temps s'égrène sur les portées d'un solfège sidéral, c'est entre les lignes que l'oreille se prête, se donne et se perd. Theory of everything : la musique reprend ses droits, et ses devoirs, voici les volutes des conjonctions dissolues, vagues de metal protéiforme, chantons lorsque les mots se bousculent car il faut nommer toutes choses, la transparence des insectes aériens et la lourdeur pachydermique des éléments. Une batterie qui frappe pour faire rentrer la rotondité de l'univers dans les coins du cube de la pensée humaine. Combat de titans. Matière et esprit. Grognements de révolte, aucun des deux ne veut entendre raison. Cris d'apocalypse sans révélation. Une voix fuse, à croire qu'il existe une échappée possible, un déraillement obligatoire. Coup de gong final.

Le disque est couvert d'éloges dans les sites spécialisés. En France et à l'étranger. Son originalité a attiré une sympathie méritée. En vrac on cite Gojira, Tool, Björk, et jusqu'à Magma, ce qui est un peu exagéré vu la puissance spectrale du groupe de Vander. Comme tout style de musique arrivé à maturité le Metal cherche à se dépasser. Pour ne pas mourir. Rien ne sert de se répéter indéfiniment. Ainsi une branche de l'arbre a tenté une greffe hip-hopienne. Pas spécialement ma tasse de thé, cela me rappelle le jazz se déguisant en jazz-rock dans les années 70... Lorsque l'on se retrouve devant un mur, soit on le renverse, mais souvent derrière il n'y a plus rien. Soit on repart en arrière. Le tout est de savoir s'arrêter. Les jeunes métalleux ont connu le Metal en écoutant des groupes de Metal qui procédaient de groupe de Metal qui avaient écouté les groupes de hard et de heavy qui avaient écouté du blues et du rock'n'roll. Cette primale transmission n'a pas fonctionné. Puisque la route du retour aux roots est barrée ou perdue, la tentation est grande ( et logique ) de se replier vers ce que l'on connaît. Beaucoup de jeunes musiciens procèdent de conservatoires ou de départements de musicologie universitaire et ont côtoyé ainsi le répertoire classique. Cela se sent chez Hazpiq. Ceci n'est pas un reproche. Simplement cette constatation que musique populaire et musique savante se croisent plus souvent qu'on ne le pense. Que la dichotomie que l'on tend pour des raisons idéologiques culturelles à instaurer n'est pas aussi naturellement fondée que l'on pourrait l'accroire.

Damie Chad.

 

VII

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

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Le Chef déposa sa valise sur le bureau et entreprit de sortir un par un une myriade de Coronados qu'il classa méthodiquement dans différents tiroirs.

    • Chef, je suis sûr que vous revenez de Nice !

    • Agent Chad, l'on ne peut rien vous cacher, j'en ai profité pour passer en Italie avec mon ami Vince Rogers, en ce pays béni des Dieux la maffia vous vend le Coronado pour quelques piécettes, j'en ai commandé un lot de huit tonnes, ils me seront livrés d'ici deux à trois jours, ah, j'oubliais le plus important, la fameuse boîte à sucre que nous recherchions, la piste d'Eddie Crescendo s'est révélée très fructueuse, tout le mérite en revient à Vince Rogers, qui...

    • Chef, pour ma part j'ai enquêté sur la villa de Thérèse, savez-vous qu'au début des années quatre-vingt, elle a été louée par Eddie Crescendo, et aux dires du patron de l'agence de location, il n'y venait que pour de brefs séjours, elle devait lui servir de garçonnière !

    • Très bonne initiative, agent Chad, mais Vince Rogers a tapé dans le mille, il a recherché dans de vieux annuaires s'il n'y aurait pas quelques parents lointains qui s'appelleraient Crescendo, l'est tombé sur une Angèle Crescendo, ni plus ni moins que la pauvre mère d'Eddie Crescendo ! Très émue par le coup de téléphone de Vince, elle nous a donné rendez-vous et...

    • Elle possédait la boite à sucre !

    • Agent Chad, vous n'y êtes pas du tout, la pauvre vieille, une nonagénaire bégayante et atteinte d'Alzeinmher ne savait même plus qui était Eddie, une idée fixe dans le seul neurone qui lui restait, nous montrer sa collection de boîtes à sucre, plus de mille, nous en avons ouvert plusieurs centaines avant de trouver la bonne... la voici !

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Une boîte à fer blanc, comme l'on en trouve dans tous les buffets de France, le couvercle de celle-ci présentait l'image d'un petit chien à l'air fripouille qui ressemblait un tant soit peu à Molossito. Je soulevai le kilo de sucre qu'elle contenait, je pensais tomber sur le volume 2037 de la Série Noire, mais il n'y avait que quelques feuillets recouverts d'une fine écriture. Je sursautai en lisant le titre inscrit en grosses lettres noires sur la première page : MEMOIRES D'UN GSH !

Je me plongeai immédiatement dans la lecture de ce frère d'armes spirituel. Le Chef en profita pour allumer un Coronado.

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'' Un jour, alors que j'ai réalisé la découverte la plus importante de l'humanité, peut-être ne se souviendra-t-on de moi que comme le mystérieux auteur du volume 2037 de la Série Noire intitulé L'homme à deux mains. Une blague idiote. Il faisait froid et j'avais faim, j'ai arrêté la voiture sur le parking du premier restaurant venu. Il était plein comme un œuf. Il ne restait plus de libre qu'une table à deux places qu'un serveur désignait à un client qui m'avait précédé de quelques mètres. Un individu conciliant, il accepta qu'un inconnu s'assît en face de lui. Deux ou trois bouteilles de Bourgogne plus tard nous étions de vieux amis. C'était Robert Soula le directeur de la célèbre Série Noire, quand je lui avouai mon état de détective il fut aux anges. Le vin aidant nous imaginâmes que j'étais à la poursuite d'un tueur en série surnommé par les journaux L'homme à deux mains, car l'on retrouvait toujours sur les lieux du crime deux victimes atrocement mutilées... nous délirâmes à tel point qu'il me promit que cette histoire farfelue et stupide deviendrait une légende car il donnerait ce titre et un numéro à un livre qui ne serait jamais édité... Il tint parole. Pour ma part j'entretiens la légende en expédiant à mon bureau un colis que je déclarerais à ma secrétaire être le service de presse de mon roman !''

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Je toussotais pour signifier au Chef, perdu dans ce je nommerais une étrange rêverie, que j'avais fini la lecture de l'ensemble des feuillets dont je ne vous ai, chers lecteurs, retranscrit que les dernières lignes.

    • Agent Chad, nous ne sommes pas au bout de nos peines, certes l'énigme de l'identité de l'homme à deux mains est résolue, nous savons qu'il est inutile de nous lancer sur ses traces puisqu'il n'existe pas, par contre j'avoue que les premières pages de ce document, tout incompréhensibles qu'elles soient m'ont glacé le sang, beaucoup plus que les tueurs de l'Elysée que nous avons promptement envoyés au paradis voici trois jours.

    • Chef, je l'avoue que je n'y comprends plus rien, quel rapport entre l'Elysée, les réplicants, Eddie Crescendo, et le rock'n'roll, plus je réfléchis plus il me semble que le puzzle contient au minimum une pièce de trop !

    • Agent Chad, je pense que vous êtes sur la piste, demain matin huit heures, je vous veux au rapport, j'exige que vous m'apportiez non pas un début de piste mais la solution au problème mathématique de la boîte à sucre.

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Les chiens ne m'avaient jamais prêté une attention aussi forte. Molossa et Molossito ne quittaient pas main droite de leur regard. Il faut avouer que je manipulais des denrées qu'ils appréciaient hautement. J'avais ouvert la boîte de sucres que contenait la boîte à sucre de fer blanc dans laquelle Eddie Crescendo avait caché ses si précieuses notes manuscrites.

    • Regardez bien mes chéris, cette rangée est formée de quatorze sucres, parallèlement vous trouvez trois autres rangées, ce qui fait Molossito ?

    • Ouah ! Ouah ! Ouah ! Ouah !

    • Très bien Molossito, quatre rangées tu as raison, ce qui nous donne combien de sucres Molossa ?

    • Ouah !

    • Exaxt Molossa, cinquante-six, or combien y a-t-il de couches de rangées superposées Molossito ?

    • Ouah ! Ouah ! Ouah !

    • Trois, très bien Molossito, donc combien de sucres au total Molossa ?

    • Ouah !

    • Cent soixante-huit en tout, tu es une vraie calculette Molossa, or regardez de ma poche je tire le sucre que Molossito a trouvé dans l'escalier de la villa de Thérèse, ce qui fait ?

    • Ouah !

    • Cent soixante-neuf, merci Molossa, pour une boite qui en contient cent soixante huit, donc Molossito, il y en a combien de trop ?

    • Ouah !

    • Un, merci Molossito, tu comptes comme un grand !

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Le lendemain matin nous répétâmes l'expérience devant le Chef. Son visage s'éclaira. Chers lecteurs, il avait compris lui !

( A suivre... )

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