Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 680 : KR'TNT ! 680 : ANDREW GABBARD / JERRON PAXTON / DIRTY DEEP / ROBYN HITCHCOCK / TOMMY TATE / MICHEL EMBARECK / POGO CAR CRASH CONTROL / HECATE'S BREATH / WINTERHAWK

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 680

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 03 / 2025

     

    ANDREW GABBARD / JERRON PAXTON

    DIRTY DEEP / ROBYN HITCHCOCK

    TOMMY TATE / MICHEL EMBARECK

      POGO CAR CRASH CONTROL

     HECATE’S BREATH / WINTERHAWK

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 680

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

    - Quand Gabbard dîne

    (Part Two)

             L’avenir du rock ronflait à poings fermés, quand soudain, un flot de lumière l’arracha à l’ombilic des limbes. Il se redressa dans son lit et se frotta les yeux.

             — C’est quoi c’bordel ?

             Le flot de lumière éclairait violemment la chambre. On se serait cru en plein jour. Le phénomène était d’autant plus bizarre qu’il s’accompagnait d’une sorte de sifflement pernicieux, comme un ultra son. L’avenir du rock ajusta son bonnet de nuit, enfila sa robe de chambre et chaussa ses mules. Il déverrouilla la porte d’entrée et sortit dans le jardin.

             — Arghhhhhh !

             Il dut rentrer en hâte, car la lumière l’aveuglait. Il mit ses lunettes de soleil et refit une tentative. Au bout d’un moment, il finit par distinguer une forme.

             — Ah bah ça alors !

             Il était tétanisé : une soucoupe volante stationnait dans son jardin ! Elle émettait une lumière blanche extrêmement crue. L’engin ressemblait à ces soucoupes rondes qu’on voit dans les films de science-fiction, avec des loupiotes qui clignotent tout autour. Mais il était tout petit. Il s’agissait sans doute d’un mono-space. Un martien en descendit par une petite échelle et trottina vers lui. L’avenir du rock n’avait encore jamais rencontré de martien, alors il ne savait pas quoi penser. Celui-ci n’avait pas l’air méchant, au contraire. Il était petit, gros, calvitié, avec une bonne bouille, des gros yeux clairs et des bonnes joues. Il portait une combinaison argentée trop serrée et tenait son casque en plexiglas sous le bras. Il tendit la main à l’avenir du rock qui la serra mécaniquement. Alors le martien lança d’une voix atrocement stridente :

             — Gabba Gabba Hey !

             À quoi l’avenir du rock rétorqua :

             — Non ! Gabbard Gabbard Hey !

     

             Le martien n’a pas l’air de connaître Andrew Gabbard, mais ce n’est pas grave, l’avenir du rock va arranger ça.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             En réalité, ce Part Two est la suite de ‘Buffalo Bile Part One’, dont l’avenir du rock a déjà fait ses choux gras. Il est essentiel de rattacher l’actu d’Andrew Gabbard à ses racines, c’est-à-dire Buffalo Killers et Thee Shams, si on veut comprendre à quel point il est devenu l’un des movers & shakers prédominants de notre époque, au même titre de Daniel Romano et Kelley Stoltz.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Un nouvel album vient de paraître : Rumble & Rave On. Comme il y a un petit buzz autour de Terry Cole et son label Colemine dans Shindig!, alors on profite de l’occase pour en rajouter une petite louche et dire, que oui, ça buzze pour de bon, car l’album est vraiment excellent. Dès «Just Like Magic», Gab ramène du gras double. Il est assez in the face. Gab a du génie, qu’on se le dise ! Il perpétue le spirit du White Album. Il a encore du son à gogo avec «If I Could Show You», il ramène une pop épaisse et lumineuse, c’est une merveille, il chante comme une folle évaporée et impose un power mélodique absolu. Plus loin, il sonne comme Midlake avec «I’m Bound To Ride». Il ressuscite le génie mélodique de Tim Smith, pas de doute. Il fait aussi du glam avec «Mulberry Rock», il se prend pour Marc Bolan, il gratte son gras double d’heavy boogie rock. Gab est un mec qui cisèle des joyaux au milieu de nulle part. Franchement, t’en reviens pas d’entendre un mec aussi brillant. Il tape dans les registres de Brian Wilson, Todd Rundgren et John Lennon. Il revient à l’heavy boobie blues avec «Barstool Blues», puis avec «Again Again», il bascule dans le Gabbarding, c’est-à-dire dans l’élégance d’un riff magique. Encore une ouverture sur l’horizon avec «Donna Lou». Gab est un enchanteur, il faut le voir filer sa laine de lumière sur Donna Lou, il ne produit aucun effort, ça lui vient naturellement. On se laisse couler avec lui dans le bain de jouvence d’une Americana subtilement ragaillardie, Donna Lou ouuuh ouuuh ouuuh !  

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Les Buffalo Killers sont de retour dans le rond de l’actu avec un album de lost cuts, Stay Tuff: Lost Cuts. C’est vraiment la meilleure des bonnes nouvelles. Les frères Gabbard sont sans doute les plus beaux héritiers des Beatles. La preuve ? «Don’t You Ever Think I Cry», ça semble sortir tout droit du White Album, même poids sociologique, même bourde atmosphérique de génie évanescent, ça monte dans l’excellence de Let It Be, on entend même les poux du roi George. Tu en as un autre au bout de la B, «So Close In Your Mind». Tout droit sorti du White Album. Deux autres merveilles : «Stand Back & Take A Good Look» et «Chicken Head Man». Avec le premier, les Gab brothers montrent qu’ils sont capables de la meilleure heavyness d’Amérique. Quant au Chicken Head Man, il est électrocuté à coups de power chords. Demented are go à gogo, et chanté du coin du menton. En B, ils font aussi de l’heavy groove à la Season Of The Witch avec «Heavy Makes You Happy (Sha Na Boom Boom Yeah)».       

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Les racines des frères Gabbard remontent aux Shams, dont le premier album, Take Off, parut en 2001. En réalité, le seul Gabbard des Shams, c’est Zach. Bizarre que cet excellent album soit passé à l’ass, car il est d’une rare densité. Take Off propose de sacrés clins d’yeux, notamment aux Pretties et au proto-punk. Eh oui, les Shams ont cette envergure. L’hommage aux Pretties s’appelle «Get Out Of My Life Woman», cut d’Allen Toussaint tapé à l’Americana proto-punk. Zach se prend littéralement pour les Pretties, il est au cœur de la révolte et il ramène avec ses trois copains toutes les virevoltes du British Beat. Deux autres cuts trempent dans le proto-punk : «Rock’n’Roll» et ««Not Right Now». Pas de problème, les Shams n’ont pas honte de gratter leurs poux, ils font du vieux proto de babeyh à coups d’accords sourds. Deux cuts sales et définitifs, dignes des Tell-Tale Hearts et des Master’s Apprentices. Coup de génie avec «Scream My Name», wild gaga demented, tournicoté au sommet de la toupie. Les Shams disposent d’extraordinaires réserves de ressources naturelles. Zach fait encore des étincelles avec «I Get High» et «Walkaway». Quel shouter ! Il ramène un chant d’acier à la Van Morrison. Avec «In The City», ils sonnent comme Creedence, ce démon de Zach titille le génie de Fog, il agite les mêmes dynamiques. Cet album est monstrueux. Ah si Gildas pouvait entendre ça ! Quel hommage ! Et le Zach y va au in the city yeah !  Ils trempent vraiment dans tous les complots : voilà qu’ils rendent hommage à Bo avec «Don’t Cry For Me».

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             The Shams deviennent Thee Shams trois ans plus tard avec l’excellent Please Yourself et sa pochette coquine. Andrew rejoint son frère Zach dans cette fière équipe. Encore un album qui grouille de puces. Il y pleut des coups de génie comme vache qui pisse. Boom dès «On My Mind». On se croirait en Angleterre chez les early Who. C’est du big freakout d’Attack croisé avec les Them. Ils réinventent même le freakout des Creation et le beurre fou de Moonie, avec en guise de cerise sur le gâtö des chœurs déments. Et tout l’album va rester à ce niveau d’excellence. Tiens, encore un coup du sort : «Can’t Fight It», heavy descente au barbu, ils s’arrangent pour contourner les règles et là, ça dégueule admirablement, repris au vol par un killer solo flash vampirique digne de Murnau. Ils attaquent «You Want It» au relentless gaga. Stupéfiant ! C’est noyé de son et de wild raunch, un mélange de tout ce qu’on aime, embarqué au so you wake up in the morning. Toujours aussi wild, voilà «You’re So Cold», ils ne s’en sortiront pas, le gaga les poursuit et ça y va avec des solos lancés au yeah yeah! Ils virent psychotronic avec «Please Yourself», ils sont une sorte de downhome Them, du pur power d’explosion nucléaire, l’ultime démonstration de force. Le solo a l’air de percer un tunnel sous le Mont Blanc. Avec «She’s Been Around», ils sont comme les Manfred Mann d’Eel Pie Island. Encore une preuve de leur écrasant power : «If You Gotta Go», cover de Dylan, gorgée du chien de leur chienne, noyé d’harp et d’hargne, émulsé au supra-gratté de poux. Ils font des chœurs de fantômes dans «Come Down Again», c’est encore une fois plein comme un œuf et inspiré. Ils retapissent toute l’histoire du rock. Les voilà sur les traces des Beatles avec «Love Me All The Time». Ils ont la même approche de l’immaculée conception. On croit aussi entendre Oasis à l’âge d’or des stades vibrants. Pire encore : ils font très bien les Yardbirds, comme le montre «Want You So Bad», avec les coups d’harp et tout le bataclan, c’est exactement le même son, avec les frères Gabbard en prime. C’est Zach qui chante «Never Did Nothing». Il chante au big raw de gut, il est sûr de lui. Il ramone toutes les cheminées de l’Olympe.    

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Dernier spasme de Thee Shams l’année suivante avec Sign The Line. L’album s’inscrit dans la veine des deux précédents. T’as vraiment intérêt à écouter «Not Gonna Make It», l’une des pires descentes au barbu d’Amérique, grattée à la maladive et gutsy a gogo. Invraisemblable ! Ils te plombent l’heavy rock. Quelle précocité ! À peine sautés du nid, les frères Gabbard avaient déjà du génie. Et ça continue avec «Something Happening» tapé au fantastique swagger des Gabbard Brothers, ils rockent l’Amérique à la pire spice, ils flirtent dangereusement avec la Stonesy. Et pour couronner cette triplette de Belleville, voilà «Everflowing Tune», ils plongent la mad psyché des Byrds dans l’huile bouillante et te claquent un beignet du rock genius. Leur son est imprégné jusqu’à l’os d’influences : Beatles, Byrds et tout ce qu’on aime. «Lonely One» pourrait très bien être du John Lennon époque Some Time In New York City, hard-nosed rock. «How I Feel» sonne comme la meilleure fournaise d’Amérique. C’est un déluge de son qui s’abat sur toi. Ils tapent en plein dans les Beatles avec «1-2-3-4». C’est incroyable comme ils ont su capter la magie Beatlemaniaque. Ils sont beaucoup trop pointus pour l’Amérique. En Europe, ils seraient considérés comme des dieux. «No Trust Fund Blues» est un petit chef-d’œuvre de seventies rock, ils y vont au this is my life, c’est assez poignant. Merveilleuse présence des frères Gabbard ! Ils seront toujours là pour toi, tu peux leur demander n’importe quoi. Tout tourne toujours à leur avantage, comme le montre encore «Love Grows and Grow». Ils combinent jusqu’au délire le power et le raffinement. Leurs retours de manivelle sont sublimes, et l’attaque de solo à l’encontre du rythme est un chef-d’œuvre d’étrangeté baudelairienne. Les Gabbard Brothers sont décidément trop brillants pour un pays de beaufs comme l’Amérique. Ils bourrent leur heavy rock d’influences britanniques.  

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Andrew s’appelle Andy pour enregistrer son premier album solo en 2015, l’excellent Fluff. De toute façon, avec les Gabbard, c’est toujours excellent. Il donne le ton dès l’envoi : weird psychedelia anglaise. Il a le timbre qu’il faut pour ça : l’intrinsèque. C’est un album qui monte doucement mais sûrement, comme la marée. Andy gratte «Side B» à la foison de la ferveur, il moissonne les accords. Spectacle magnifique ! Tout est bringuebalé dans la carlingue de babord à tribord. Puis il passe à l’heavy boogie down avec «Home Suite», il replonge dans sa Beatlemania chérie, mais avec une optique américaine, c’est très «Glass Onion», bien tortillé du cul au chant, avec un gratté de poux affolant de nervosité. Avec Sam Coones et Robert Pollard, Andy Gabbard incarne la modernité du rock US. On reste dans l’énormité de la marée montante avec «Supernational», ce mec a la grâce pop des pieds ailés, il survole le monde comme le Todd of the pop, avec des éclairs de lubricité. Il se fond littéralement dans l’idée de la Beatlemania, dans le spirit du White Album. Il en est imprégné. C’est un bonheur que de l’entendre, une suprême dereliction. La marée monte encore avec «Lonely Girl» et un fabuleux vent d’accords lève les vagues, cette fois on entend des échos du Teenage Fanclub, c’est claqué d’accords de beignets, ça trempe dans la meilleure mélasse du paradis, Andy est un dieu du stade. Il enchaîne avec l’encore pire «LYSM», acronyme de Love You So Much, il reprend aux accords tranchants, il est le Gladiator du rock, le Russell Crowe de l’imparabilité des choses de la vie, il brille et il scintille, et là tu bénéficies du privilège d’entendre des accords biseautés, t’as le vrai truc, l’absolu du rock moderne, Andy connaît tous les secrets de la niaque profonde, il te fond dans son moule de bouchot, il fait une œuvre d’art à coups de retours de manivelle. Ah il faut entendre ce mic mac extravagant ! Il tape encore dans sa chapelle avec «Dreams I Can’t Remember», il gratte les accords de la pire ramasse. Big power pop de Fluff ! Tout est drivé au flow de flux sur ce Fluff. Il termine avec «ODS», un absolute beginner de fast pop trash. On a des bonus à la suite, quatre cuts enregistrés sur scène.  Live, c’est encore pire. Il oscille au bord du gouffre de Padirac. On note chez lui un goût certain pour la purée de non-retour. Il reprend son «Side B» et l’excellent «Home Suite», il y va le bougre, il te monte ça en neige de Todd, il vise le destroy oh boy. Andy Gabbard règne sur la terre comme au ciel.              

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

              En 2021, il débarque sur Karma Chief, la filiale rock de Colemine, et enregistre l’excellent Homemade. Excellent toujours, excellent encore. Associer ‘Gabbard’ et ‘excellent’ finit par ressembler à un pléonasme. Cet album superbe est un redoutable hommage aux Beatles. Coup d’envoi avec un «Wake Up Brother» qui sonne comme un hit de George Harrison. Andrew t’embarque ça aussitôt à l’heavy Gabbard avec le gratté du roi George. Quelle fantastique assise ! Andrew est un homme qui sait honorer ses dieux. Il est en plein dans l’Harrison ! Tout aussi beatlemaniaque, voilà «Gettin High» - I just don’t feel wise/ Getting high - et avec «Mrs Fitz», tu te croirais sur Revolver. Pertinence et ambivalence sont les deux mamelles d’Andrew. C’est littéralement saturé d’intention, il reste dans l’extrême Beatlemania américanisée. T’as là le meilleur album des Beatles depuis Revolver, comme le montre encore l’heavy and melodic «Brand New Cut». Pour faire bonne mesure, voici un coup de génie : «Cherry Sun». Il chante ça du nez à l’extrême pointe de la Beatlemania, sa sunshine pop est délicieusement juste. Il a même un côté Ziggy dans «Grin Song», mais il se réchauffe très vite au feu de la Beatlemania. Il n’en finit plus d’épouser sa muse et chante «Red Bear» avec la voix de John Lennon. Il reste incroyablement proche de la vérité avec «Our Dream», qu’il chante à l’anglaise évaporée. Écouter cet album, c’est d’une certaine façon toucher Dieu du doigt. Quand il ne fait pas de Beatlemania, il fait de la Gabbardmania («Hot Routine») et il boucle avec un «Promises I’ve Made» purement beatlemaniaque. Il n’en démord pas. Il revient toujours au point de départ du rock moderne, les Beatles. C’est très spectaculaire, très coloré, très impliqué. 

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             L’année suivante, Andrew passe à la country avec Cedar City Sweetheart. Cette fois, il s’entiche de Gene Clark. La preuve ? «Lonesome Psychedelic Cowboy». Vraiment explicite ! Il se prend vraiment pour Geno. Andrew sonne exactement comme les Byrds. Il y va en confiance. L’énormité de l’album s’appelle «Surfboard City», il chante ça à la petite ramasse. Il tape la fast country flash avec «Redwood». Et ça passe comme une lettre à la poste. Il condense les clichés. Avec «Cloud Of Smoke», il sonne comme le Roi George, mais avec des grattes country. Andrew reste un sacré chanteur, comme le montre encore «Take Me Away From You». Il strutte sa country et l’illumine à coups de slide. Comme d’habitude, tout sur cet album est visité par la grâce. Il fait de la country comme s’il avait fait ça toute sa vie ! Il reste au sommet du lard avec «The Move» - You got to be real - Cet album sent bon la bonne franquette, la bonne ambiance avec de bons copains. Andrew joue encore le jeu country à fond avec «Cool Ranch». Comme sur la pochette, avec le stetson et les lunettes noires. C’est tout de même dingue ce passage des Beatles à Nashville, mais il garde l’esprit de la Beatlemania dans le chant, comme le fit d’ailleurs Geno avant lui. Alors il fait de la country dynamique, du Gram Parsons sous amphètes. Il termine avec un «Your Time’ll Come» qu’il tape sec et net. Pas de problème avec Andrew, il t’assène ça comme l’Arsène Lupin de la country d’Etretat et sort en beauté à coups de Stonesy.

    Signé : Cazengler, Andrew Gabardine

    The Shams. Take Off. Orange Recordings 2001

    Thee Shams. Please Yourself. Shake It Records 2004  

    Thee Shams. Sign The Line. Licorice Tree Records 2005

    Buffalo Killers. Stay Tuff: Lost Cuts. Alive Records 2022

    Andy Gabbard. Fluff. Alive Records 2015             

    Andrew Gabbard. Homemade. Karma Chief Records 2021

    Andrew Gabbard. Cedar City Sweetheart. Karma Chief Records 2022

    Andrew Gabbard. Rumble & Rave On. Karma Chief Records 2024

     

     

    Jerron n’est pas carré

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Jerron Paxton incarne l’antithèse de Kingfish Ingram et du Chicago Blues. Il tape dans un registre beaucoup plus austère qui est celui du country-blues, c’est-à-dire d’un story-telling à l’ancienne, l’une des composantes essentielles de ce que les musicologues appellent l’Americana. Jerron Paxton chante des cuts vieux comme le monde black et s’accompagne tantôt d’une acou, tantôt d’un banjo, tantôt d’un petit piano électrique.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

    Dire que c’est un virtuose ne correspond pas à la réalité. Il est au-delà de la virtuosité, il est dans la passion gourmande d’une culture qui lui vient de ses aïeux, si tant est qu’on puisse qualifier les anciens esclaves d’aïeux. Les blancs ont fait en sorte que les esclaves noirs ne soient rien, alors quand on est rien, on n’a pas d’aïeux, on ne peut pas employer les mots qu’emploient les honnêtes descendants d’esclavagistes et de colons racistes, tous ces rednecks fiers de leurs photos anciennes, et de toutes ces belles propriétés qui jadis ont prospéré grâce au travail gratuit de plusieurs générations d’esclaves. Fuck it ! C’est important d’enfoncer le clou de temps en temps dans la gueule de tous ces rats blancs. Non seulement ils faisaient bosser les nègres à l’œil, mais en plus, ils les haïssaient au point de les fouetter et d’en pendre un de temps en temps, histoire de se payer un petit shoot d’adrénaline. Ce court rappel des réalités illustre le cauchemar américain. À l’opposé de tout ce merdier, Jerron Paxton incarne la grâce américaine. La seule et unique grâce américaine qui vaille.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             On vite frappé par la qualité de sa présence, subjugué par l’éclat de ses trilles de rire, on est vite fasciné par ses coups d’onglet, ses gammes rustiques, son ramdam vieux comme Mathusalem et l’extraordinaire gourmandise avec laquelle chante, il module chaque syllabe comme Rodin modulait ses pâtés d’argile, il transforme le country-blues en matière organique, et sa diction est tellement bonne qu’on comprend quasiment tout. Quand il évoque l’Arkansas, il chauffe le mot, c’est-à-dire qu’il ne le prononce pas comme on le ferait - Arkansasss - non il le prononce Arkansô et indique au passage que c’est le pire endroit du monde, comme l’a fait avant lui J.B. Lenoir, avec le Mississippi. Jerron Paxton est un homme assez jeune, assez haut, on pourrait même le qualifier de force de la nature. Il semble doté d’un talent naturel qui lui permet de dérouler un set extrêmement dense sans jamais produire le moindre effort. Il dit s’inscrire dans la lignée de Mississippi John Hurt et d’ailleurs il raconte une belle anecdote : «There was noboy who didn’t love Mississippi John Hurt.» Il insiste beaucoup là-dessus : on l’aimait pour sa musique, mais aussi et surtout en tant qu’homme. Il raconte qu’ensuite on a transformé la pauvre cabane où il vivait en museum. Jerron fait bien claquer le mot museum. Objet de fierté. Et sur le même ton, sans le moindre accent tragique, il explique que «some redneck has burnt it down.» Et voilà le travail. Fin du museum. Et il attaque une chanson, car ainsi va la vie. Ces mecs-là ont chanté pour survivre. Comme d’autres avant lui, Jerron est un homme qui aime jouer pour les autres. Il fait de vrais numéros de cirque avec son harmo, comme d’autres avant lui dans les plantations. Et comme d’autres avant lui, il s’accorde à l’oreille.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

    Comme d’autres avant lui, il cherche des osselets dans son sac pour s’accompagner. Il redonne vie à une culture menacée d’extinction, il arrache le country-blues à l’oubli, il ressemble à une île perdue au beau milieu d’un océan de médiocrité, tu te demandes combien de temps vont tenir de tels artistes, car de toute évidence, son disk ne se vend pas. Jerron Paxton, c’est pas Indochine ou Brouce Springsteen ou Stong. Au merch, il en a peut-être vendu 5, et encore. Il paraît que c’est gratuit sur Amazon. Alors les gens n’achètent pas de disks. Les gens se croient malins. Tandis que pour un mec comme Jarron, un billet de vingt, c’est important. Il n’a vraiment pas l’air de rouler sur l’or. Mais tu perdrais ton temps à expliquer tout ça. Toute cette culture et ce qu’elle représente ne tient plus qu’à un fil. T’as l’impression très claire que tout se fait désormais à l’envers. Et que les gens n’entravent plus rien. Bon bref, tu vas trouver ce black à la fin et tu le remercies pour son power.   

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Son album s’appelle Things Done Changed. Tu vas y retrouver son gros claqué de cordes et ses fabuleux coups d’harp. Tout y est bien sûr, mais ça n’a rien à voir avec le set en live. Il tape son «Little Zydeco» à coups d’harp et on l’entend taper du pied. Il est à l’aise dans tous les genres : country-blues, country-blues et country-blues. Il fouille l’harangue de «What’s Gonne Become Of Me» à outrance et gratte son banjo, tout est joué avec un tact fruité, il y a de la modernité dans sa tradition. Et bien sûr, tu as partout la passion gourmande. Il chante avec une diction ronde et chaude, à l’accent vivant et coloré. Fantastique artiste !

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Dans sa grande magnanimité, Soul Bag lui consacre une petite double et lui tire un joli coup de chapô, affirmant que Jerron est «un artiste qui redonne ses lettres de noblesse au country blues.» Rien de plus juste. Dans le cas de Jerron, le mot ‘noblesse’ prend tout son sens. On apprend qu’il est né en 1989, ce qui nous évite la corvée de wiki. Donc, 35 ans, ça correspond bien à ce qu’on a vu. Par contre l’article le dit né à Los Angeles, alors que sur scène il parlait de la Louisiane. Il évoquait bien  sûr ses grands-parents. Comme on s’en doute, il est déjà surdoué tout petit, il joue de tout. Il a donc grandi à South Central, la banlieue black de Los Angeles. Il a 16 ans quand il est considéré comme aveugle, alors qu’il voit très bien. Il sait jouer de la gratte, du banjo, du violon, de l’harmo, mais ça ne lui suffit pas, il veut aussi apprendre l’ukulélé, l’accordéon, le piano, les osselets qu’on appelle aussi the bones. S’il avait plus de bras, il pourrait jouer de plusieurs instruments en même temps. Au piano, il fait du Fats Waller, nous dit Bill Steber. Quand il gratte ses poux, Jerron fait du Blind Lemon Jefferson, et quand il attrape son banjo, c’est pour nous faire de l’Uncle Dave Macon. Steber est sacrément bien documenté. Mais Jerron ne s’adresse pas qu’aux spécialistes. Il s’adresse à tous les autres. Jerron, nous dit Soul Bag, puise dans la culture black des années 20 et 30, principalement dans celle des minstrel shows, une tradition d’où vient aussi Rufus Thomas. Soul Bag cite un autre extrait d’interview de Jerron : «Vous savez pourquoi je n’aime pas le politiquement correct ? Parce que ça insulte l’intelligence de la personne.»

    Signé : Cazengler, Jerron comme une queue de pelle

    Jerron Paxton. Le 106. Rouen (76). 12 février 2025

    Jerron Paxton. Things Done Changed. Smithsonian Folkways Recordings 2024

    Jerron Paxton. Passeur de tradition. Soul Bag n°257 - Janvier février mars 2025

     

     

    Dirty Deep Water

     

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Il avait l’air content l’autre soir, Victor Sbrovazzo, qu’on fasse tous main basse sur son petit book. On l’avait vu chauffer la salle avec Dirty Deep pour Kingfish Ingram et comme on était tous sortis avant la fin du set de Kingfish, on est allés papoter avec le petit Dirty Deep qui poireautait au merch.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Le book s’intitule A Wheel In The Grave. Ce petit format à l’italienne est en fait un carnet de route. Victor et son pote photographe ont traversé la France en moto, de Strasbourg à la Corse. C’est un trip à la Kerouac. On The Road again. 300 pages. Chaque double est montée avec une image en page de droite, et en face un texte léger d’allure désabusée. Le ton est juste, l’objet plaisant. Tu passes réellement un bon moment à le feuilleter. Zéro prétention. En exergue, Victor propose l’on the road again de Willie Nelson.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Comme il est devenu au fil du temps un vieux routier du circuit underground, et notamment Binic, il n’est pas surprenant de le voir citer les noms des bars dans lesquels il a joué en compagnie de James Leg et de Left Lane Cruiser. Sur scène, il fait d’ailleurs du pur Left Lane Cruiser. Il en a largement les moyens. Au détour d’une page, il vante les charmes du bar de l’U à Besançon, et du Swmap Fest qui a lieu à Thise. Joli nom, Thise. On voit l’image d’ici.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

    ( Jim Jones )

             Chaque étape du roadtrip est bien  documentée. Victor est un ancien one-man band, alors il sort sa gratte et son harp pour animer les apéros. Pas mal d’images charbonnent à cause du choix de papier. Le bouffant n’est guère propice aux ambiances lourdement chargées, et des images sont souvent illisibles. En plus ça a l’air d’être du numérique, un process qui n’est pas vraiment réputé pour sa finesse en matière de piqué d’image.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Et puis, encarté en trois de couve, il y a un EP 6 titres avec des copains et pas n’importe lesquels : Scott H. Biram, Left Lane Cruiser, James Leg (qui a vécu un peu à Strasbourg chez Victor), et puis Jim Jones, un vieux collègue des Nuits de l’Alligator. C’est d’ailleurs Jim Jones qui supervise Tillandsia, nous dit Victor. Et puis il y aussi Mark Porkshop qu’on avait un peu oublié, un vétéran de Binic, puisque ça remonte à 2011. Victor indique qu’il a tourné avec lui aux États-Unis en 2018.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             On trouve de sacrées covers sur l’EP, à commencer par l’intouchable «Circumstances» de Captain Beefheart. Porkshop le touche, il tape en plein dans le mille du wooow yeahh, il te tape ça en mode Magic Band, Pork est un pur. Bifarx me sir ! Cet EP est une bombe, car à la suite, t’entends Jim Jones ex-plo-ser «Inside Looking Out», Jim Jones te monte ça au sommet de l’Ararat du scream définitif, Jim Jones est capable d’érupter comme le Krakatoa, il monte là-haut comme le fit jadis l’immense Eric Burdon et ça devient hallucinant de grandeur marmoréenne. Alors la foule ovationne Jim Jones : «Jim ! Jones ! Jim ! Jones ! Jim ! Jones !». Avec Left Lane Cruiser, Victor fait du Left Lane Cruiser. Il cruise tout ce qu’il peut dans le Left Lane avec un shoot de Muddy, un fast headed «Hearted Jealous Man» qui ne traîne pas en chemin. Avec Scott H Biram, Victor fracasse le «You’re Gonna Miss Me» de Roky. Ça joue aux braises ardentes, you didn’t realize, c’est littéralement stupéfiant d’énergie brute et de fournaise. Et ça monte encore d’un cran avec un «Catfish Blues Remix» heavy as hell, pus jus de deep blue sea, toute la mythologie du rock est là et en prime, ça rappe. Mais le summum de cet explosif EP est le «Going Down» de Freddy King, jadis explosé par Jeff Beck et Bobby Tench. Cette fois, c’est James Leg qui te fout le souk dans la médina. Le chant prend feu. Peu de diables savent ainsi cramer leur chant. Et derrière coule un déluge de going down. Pas de pire diable sur cette terre que James Leg, on l’a déjà vu à l’œuvre, mais là, il chante par-dessus la jambe. Leg est un leg. Stupéfiant !

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Sur scène, les Dirty Deep assurent bien. Ils jouent en formation serrée, c’est-à-dire en power trio, et sont capables de chauffer une salle vite fait bien fait. Leur atout est le fast boogie blues de type Left Lane Cruiser, et le petit Victor, chapeauté de frais, mène bien le bal à coups d’harp et de poux cinglants. Deux cuts te claquent le beignet : bing !, «Black Coffee» (qu’on ne trouve hélas sur aucun album) et re-bing!, l’imbattable «Leave Me Alone», qu’ils envoient rouler juste avant la fin du set et qu’on retrouve sur l’album What’s Flowing In My Veins. Et là, tu prends ta carte au parti. Mine de rien, ils volent le show. Ils tapent le Cruiser boogie blues avec une véracité crue qui les honore et qui les fait entrer dans la cour des grands. Tu croyais ce domaine réservé aux Américains qui sortent des bois, eh bien, voilà les héritiers.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

    Le petit Victor et ses deux copains descendent en droite ligne d’Hasil Adkins et de tous ces fracass-kings d’American Psycho. C’est un bonheur que de les voir jouer sur scène. Avec Muddy Gurdy, ils font partie des rares Français à porter la bonne parole du real deal et du deep blue sea. Leur seul petit défaut serait de vouloir faire trop de participatif en cherchant à galvaniser le public comme on galvanise des troupes. La harangue est mauvaise conseillère, et en même temps, elle est de bonne guerre. Ils ont suffisamment de bons cuts pour ne pas être obligés d’avoir recours à l’harangue.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Tu retrouves «Leave Me Alone» sur What’s Flowing In My Veins. C’est en plein dans le mille de la Cruise. Quel blast ! Victor se jette à corps perdu dans la bataille et screame comme mille démons. C’est tellement wild que tu le réécoutes plusieurs fois d’affilée. Il a tout compris. On se croirait d’ailleurs sur un album de Left Lane Cruiser : même beat, même son, mêmes coups d’harp, mêmes paroles, même bottleneck, même volonté d’en découdre. Il ne manque rien. Ils font une belle cover de «Goin’ Down South», déjà entendue mille fois. Tout y est, les poux sont merveilleux. Le petit Victor a une bonne énergie. Ils attaquent «How I Ride» au bassmatic de combat, et ça joue tellement heavy qu’on se croirait chez Blue Cheer. Nouvelle rasade de raw avec «You Don’t Know». Sur cet album, tout est très carré, bien attaqué, bardé de barda. Le petit Victor chante à la régalade du raw, l’heavy boogie blues n’a aucun secret pour lui. Il regagne la sortie avec un real deal de Big Atmospherix, «Shine». Il sait se montrer intense et forcer sa voix. Pas de problème, son «Shine» passe comme une lettre à la poste.        

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Comme Shotgun Wedding est un Beast de one-man band, tu restes un peu sur ta faim. T’as déjà entendu tous ces cuts mille et mille fois. Le Mr. E qui chante sur «Midnight Blues» est sans doute l’E de Left Lane. On salue au passage le «Let It Ride» attaqué au Dust My Blues, c’est de très bonne guerre, et en B, t’as le «John The Revelator» de Son House gratté en mode heavy vazy. Il gratte aussi son «She’s A Devil Inside» au gras double, ça percute bien, et il boucle son petit one-man bouclard avec un «When The Sun Comes Up» bien écrasé du champignon. 

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             T’es vite surpris par la qualité de Tillandsia, un Deaf Rock de 2018. Et ce dès «Sunday Church» : ils sont délicieusement sur-saturés de gras double. Ça s’étrangle dans la purée. Là, t’as du pur génie de sonic trash. Le petit Victor est le grand spécialiste du boogie du diable. Nouveau coup de génie avec «Strawberry Lips», boosté dès le deuxième tiers par un beat sourd de stand-up. Rien de tel qu’une stand-up pour pulser entre les reins du beat. Ce «Strawberry Lips» dévore bien le foie du real deal. Et c’est pas fini ! Ils nous refont le coup du power trio avec «Wild Animal». Ils font exploser le rock ! T’en reviens pas de voir dégringoler toute cette dégelée royale. Ils ont la même puissance dans le slowah («You’ve Got To Learn») et le petit Victor tape en plein dans la véracité avec les coups d’harp d’«Hipbreak». Il a tout l’écho de Little Walter. D’ailleurs, on devrait l’appeler Little Victor, ce serait un hommage. Les voilà qui tapent «Hangin’ On An Oak Tree» au hard beat de bass-drum. Ces trois deepy Deep sont des démons. Leur heavy blues-rock renvoie droit sur Blue Cheer. Nouveau coup de Trafalgar avec la jam totale de «By The River» et sa belle attaque de bassmatic, vite reprise par le beat du vieux «Fast Line Rider» de Johnny Winter, et ça se développe de manière ahurissante pour basculer dans l’enfer d’une jam nucléaire, avec un sax et un bassmatic de destruction massive. Du son comme s’il en pleuvait.    

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Foreshots est un album beaucoup plus calme que les autres. On s’y régale de deux petites merveilles : «Downtown Train», doucement psychédélique, assez délicat, raffiné, orné à l’or fin violonique. Et puis en B, tu vas tomber sur «Pour Some Whiskey On My Heart», un paisible petit country blues qui sent bon la campagne. Rien qu’avec ces deux merveilles, Little Victor se hisse dans la cour des grands. La qualité de ses cuts n’en finit plus de t’impressionner. 

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Trompe L’Œil est un album très diversifié. T’as du blast («Shoot First», ils explosent en plein vol, Little Victor défonce bien la rondelle des annales), t’as de l’énormité («Juke Joint Preaching», bien chargé de la barcasse, avec du guitarring à gogo) et t’as du simili Rachid Taha («Donoma», attaqué à la deep psychedelia orientalisante). Ils redeviennent le fantastique power trio que l’on sait avec «Hold On Me». Ah ils savent allumer la gueule d’un cut ! Leur «Broken Bones» d’ouverture de bal (et de set) tombe dans la marmite de l’heavy heavy, c’est noyé de son et d’harp. «Hipbreak III» vaut pour une petite tentative de swing. Ils se dispersent un peu, mais ce n’est pas si grave. Ils jouent leur «Never Too Late» au gras double, comme au temps du British Blues et de Savoy Brown. Et ils descendent au bord du fleuve pour gratter «Waiting For The Train». Très curieux paradoxe. Il godille et perd des plumes. C’est trop carte postale.

    Signé : Cazengler, dirty old man

    Dirty Deep. Le 106. Rouen (76). 1er février 2025  

    Dirty Deep. Shotgun Wedding. Beast Records 2014 

    Dirty Deep. What’s Flowing In My Veins. Beast Records 2016

    Dirty Deep. Tillandsia. Deaf Rock Records 2018  

    Dirty Deep. Foreshots. Deaf Rock Records 2020  

    Dirty Deep. Trompe L’Œil. Junk Food Records 2023

    Victor Sbrovazzo & Arnaud Diemer. A Wheel In The Grave. Mediapop Éditions 2021

     

     

    Robyn des bois

     - Part One

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Robyn Hitchcock publie son autobio : 1967 - How I Got There And Why I Never Left - A Memoir. Enfin autobio, c’est vite dit. Il s’agit en fait de l’autobio de son année 1967. Il va peut-être publier les autobios des années suivantes. On ne fera pas partie de ceux qui vont cracher dessus, parce qu’on l’aime bien, Robyn des bois. On le suit depuis des lustres, depuis les Soft Boys, même s’il a une discographie à roulettes, de celles qui présentent un danger pour ton porte-monnaie. Et puis on l’a vu, Robyn des bois, dans un documentaire consacré à Syd Barrett, assis dans son jardin, chanter et gratter «Dominoes» à coups d’acou, donc pas de problème. Il est des nôtres. Comme le font tous ceux qui ont de la suite dans les idées, il sort en même temps le pendant musical de son book, un album de reprises : 1967: Variations In The Past. L’album illustre musicalement le book, et inversement, le book illustre littérairement l’album. C’est habile.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Le book n’est pas bien épais, mais remarquablement bien écrit. Choix typo, cabochons et main de papier remarquables. Côté style, Robyn des bois fait le choix de l’absolue non-volubilité. Il opte pour une forme de parcimonie bien tempérée. En 1967, il a 14 ans et se retrouve pensionnaire au Winchester College, dans le Sud de l’Angleterre.

             On ne va pas tourner longtemps autour du pot : quatre noms jaillissent du récit : Dylan, Beatles, Hendrix et Syd Barrett, des noms qu’on retrouve sur l’album, sauf Dylan.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Première rencontre avec Dylan via Highway 61 Revisited - La pochette me montre Dylan pour la première fois, assis, vêtu d’une chemise bleue, looking enigmatically out at life. He looks calmly furious, beneath a lacquer of indifference - Robyn des bois est fasciné par cette image - He looks wise. Wise and dangerous - L’album dit-il démarre with the song that has become my breakfast-time mantra, «Like A Rolling Stone» - Pour le jeune Robyn des bois en herbe, c’est l’Holy Grail. On a dû vivre exactement le même genre de révélation. La première approche de Dylan relevait alors d’un certain mysticisme. Puis quand Dylan disparaît de la circulation après son accident de moto, Robyn des bois se demande où il est passé, «where in the universe is Bob Dylan, l’homme qui a tout inventé ? Je ne le connais que depuis 18 mois, mais tout ce que j’écoute est lié à lui : Jimi Hendrix, David Bowie, Pink Floyd, et les groupes pop utilisent désormais les mots pareils aux siens, it’s all his doing. Et il a disparu.» Robyn des bois se demande s’il est encore en vie et ce qu’il fabrique. Et il ajoute ça, qui est confondant : «Il est clair à mes yeux que si quelqu’un connaît le sens de la vie, c’est bien Dylan. He has momentum, direction, intuition - wisdom.» Il est tellement fasciné par Dylan qu’il affirme, vers la fin, qu’il est désormais «50 per cent Winchester College, and 50 per cent Bob Dylan». C’est exactement ce qu’on ressentait à l’époque. Une sorte d’admiration qui flirtait avec la dévotion. Robyn des bois décide alors de devenir songwriter - «Like A Rolling Stone» hooks me, «Desolation Row» pulls me in, and «Visions Of Johanna»... more subtle, more engulfing, it becomes me.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Arrivent enfin des nouvelles de Dylan avec John Wesley Harding. Fin 1967, quatre pages avant la fin du book. Mais Robyn des bois n’est pas très content. Il trouve l’album «plat, beige and no much fun to listen to.» Il trouve les chansons trop courtes, «what’s going on? The exhilaration was gone, he was older and wiser.» Dylan se laisse pousser une petite barbe, il a épousé sa true love. Nobody nous dit Robyn des bois, n’osait dire qu’il n’aimait pas l’album, mais «John Wesley Harding didn’t spend half the time on the record player that Highway 61 or Blonde On Blonde did, and still do.» Voilà pour Dylan en 1967.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             La même année, il découvre «Strawberry Fields Forever», let me take you down, il observe que les Beatles se développent très vite, nothing is real, et parce que ses copains d’école et lui se développent aussi rapidement, alors tout semble naturel. Mais il préfère reprendre «A Day In The Life» sur l’album. Oh boy ! Il tombe en plein John Lennon et c’est là qu’éclate le génie de John Lennon, l’un des géants du XXe siècle.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Pour saluer l’avènement d’Hendrix en 1967, Robyn des bois se souvient du bruit à la radio : «SKONK-SKREEK-SKRONK-SKREEK: WHA-DA-DA-FANG, DA-DA-DA-FANG, (sic) Purple Haze all in my brain/ lately things they don’t seem the same - Il se souvient d’avoir perdu ses esprits - I am a teenager on fire - Oh holy fuck, this is music to levitate to... - Sur 1967: Variations In The Past, il opte plutôt pour «The Burning Of The Midnight Lamp». C’est gratté sur deux acous et ça tombe bien sous le pli. Pur génie interprétatif. L’absence de wah ne choque pas.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Dans la collection de disques de son cousin, il est attiré par un 45 tours d’un groupe nommé Pink Floyd : «Arnold Layne», l’histoire d’un mec qui vole des fringues sur une corde à linge au clair de la lune et qui se retrouve au ballon pour ça. Comme le chanteur cite «Baby blue» dans ce cut étrange, Robyn des bois est intrigué. Le chanteur connaît sûrement Dylan. Puis il découvre que le chanteur s’appelle Syd Barrett et qu’il joue le guitar solo on the bottom string - I can identify with him - À l’automne de cette année-là, le premier album de Pink Floyd is in heavy rotation on the House Gramophone. L’époque veut ça. Les kids n’en finissent d’écouter des bons albums. Il en sort tous les jours.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

    Sur 1967: Variations In The Past, Robyn des bois reprend «See Emily Play». Cette fois, c’est pas Oh Boy, mais Oh Syd ! Rien de plus British que cette attaque. Il en fait une version opiniâtre, gonflée d’écho du temps, il te gratte ça à la Méricourt, il entre en osmose avec le vif argent de Syd. Cover lumineuse. On a là l’un des meilleurs hommages jamais rendus à Syd Barrett.

             Comme beaucoup de kids jetés vivants dans le tourbillon des sixties, Robyn des bois va identifier ses deux ennemis : le coiffeur et le policier - The barber is the natural enemy of freedom. Soon I will learn the same thing about the police force - Il n’est pas tendre non plus avec le système éducatif anglais, et plus particulièrement les pensionnats dont la principale fonction est selon lui de retarder les kids émotionnellement et de les lâcher ensuite dans la nature. Il porte aussi un jugement terrible sur l’infirmière Miss Duplock, une femme résignée, «lower-middle-class English; life has avoided her.» Pour les pensionnaires, elle n’a jamais été aimée - a meal that nobody wanted to eat - Ce qui l’amène bien sûr sur le terrain du sexe - Your cock is your motor - et comme il n’y a pas de gonzesses au collège,  alors il faut se débrouiller tout seul, il le dit avec des mots d’une pudeur extrême - To experiment with ourselves, and with each other - et rappelle que l’homosexualité est légalisée en Angleterre cette année-là.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Robyn des bois flashe aussi sur Incredible String Band - The cover alone of this new record, The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion, sums up everything I love about how 1967 is going so far. The saturated joy of it, the intricacy. Plus on observe cette pochette et plus tout semble se transformer en autre chose, ce qui pour moi définit la psychedelia - Il rend un bel hommage au Heron et à son copain Robin Williamson, «like Dylan, they seem to sense how sadness is the shadow of beauty.» Il note aussi la présence du nom de Joe Boyd sur la pochette - Whoever Joe Boyd is, he has to be a high-level groover - Il pense que l’Heron et Williamson sont comme Dylan, qu’ils comprennent le meaning of life. Il écoute The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion chaque jour. Sur 1967: Variations In The Past, il reprend «Way Back In The 1960s». C’est pas le meilleur choix. L’album se casse un peu la gueule avec ce Way Back.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Il aime bien aussi le «Daydream Believer» des Monkeees, même s’il découvre qu’ils ne sont pas hip - They are tennybopper pop fodder for the meatheads - Pour Robyn des bois, les gens qui n’écrivent pas leurs chansons ne sont pas intéressants. Il vise les Monkees, mais aussi Elvis et Sinatra, they’re just supper-club singers, music for uncles. Aussi se prive-t-il d’admirer les Monkees - So I can’t let myself enjoy them too much - Il est marrant, mais on est tous pareils, on fonctionne selon des gros a priori, et on s’interdit bien des choses. Donc pas de Monkees sur l’album.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             D’autres bonnes surprises, comme par exemple ces trois covers géniales : «A Whiter Shade Of Pale», «Itchycoo Park» et «Waterloo Sunset». Avec le Procol, il remplit bien le spectre sonore. Il gratte le thème à coups d’acou, c’est magnifique de skip the light fandango, il dépose avec une grâce infinie le Whiter dans l’écrin de sa légende. Le fait de reprendre le thème d’orgue de Matthew Fisher à coups d’acou relève de la performance surnaturelle, Robyn des bois réactualise cette ancienne magie, cette maudite chanson qui nous fit tourner la tête alors qu’on hantait des corridors. Il te remet ce hit intemporel en perspective. C’est encore pire avec «Itchycoo Park». Quel démon ! Il te prend ça au chant de lumière à coups d’it’s all toooo beautiful, il en fait jaillir le suc, il te dépouille l’Itchycoo et l’enlumine ! Et puis il gratte le «Waterloo Sunset» à l’ongle sec, c’est pourri de feeling. Il envoie des coups de sha la la comme on en voit plus, il cristallise toute l’innocence des sixties. Il tape aussi des covers d’«I Can Hear The Grass Grow» et de «San Francisco (Be Sure To Wear Flowers In Your Hair)». C’est vrai que tous ces hits étaient imparables. Par contre, il se vautre avec «My White Bicycle» et le «No Face No Name No Number» de Traffic. Ces deux trucs n’ont jamais été des hits. Dommage. 

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Dans l’épilogue, Robyn des bois réfléchit à l’évolution du rock anglais, voyant d’un mauvais œil les gatefold album sleeves masquer le fait que la musique devient de plus en plus médiocre et quand il commence à aller voir des groupes sur scène, il constate que les cheveux longs et les interminables solos de guitare are no substitute for inspiration. Pour lui, c’est la fin de la psychedelia expérimentale. Il partira plus tard s’installer à Cambridge et monter les Soft Boys. Il affirme être resté bloqué en 1967 - country rock, glam, funk, disco, reggae, and punk more or less passed me by  - et il conclut sur ça, qui vaut tout l’Or du Rhin : «Regardless, I’m grateful that the stopped clock of 1967 ticks on in me - it’s given me a job for life.»

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Une petite rafale d’articles salue la parution du book, oh pas grand-chose, une page par ci, une page par là. Dans Uncut, Tom Pinnock parle de l’adolescence dans les sixties comme d’une «psychedelic transition», ce qui n’est pas idiot. À quoi Robyn des bois ajoute : «I happend to be feeling intense when Dylan went electric, and extremely intense when Revolver came out, and then I supernova’d along with Are You Experienced.» Robyn des bois est alors un pensionnaire de 14 ans au prestigieux Winchester College, Hampshire. Il dit pourquoi il est resté bloqué dans son collège en 1967 : «Je ne me suis jamais ajusté à la vie après ça. Winchester m’a ajusté à Winchester, et 1967 m’a ajusté à 1967. Pour moi, rien ne vaut la musique d’alors et rien n’a jamais égalé l’intensité de la vie dans ce collège et dans ce weird Gothic universe. Je vis à Londres aujourd’hui, mais je suis resté là-bas.»

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Pour saluer la parution de 1967, Shindig! ne se casse pas la nénette et publie un extrait du book. Dans l’encadré qui accompagne l’extrait, Robyn des bois salue trois merveilles : «Waterloo Sunset» des Kinks («This song surges my heart to breaking point whenever I hear it or sing it.»), «See Emily Play» de Syd Barrett («He managed to distil the exhilaration of 1967 and some of that year’s melancholy awareness of how brief its eternal moment would be.»), et bien sûr «Are You Experienced» («This piece of music will rip you up your cardboard problems and set you free, baby»).

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Pour saluer la parution de Shufflemania!, Tom Pinnock revient à la charge dans un vieil Uncut pour qualifier Robyn des bois de «singular psych folk troubadour». Mais l’audience with Robyn Hitchcock n’a pas grand intérêt, car il parle de ses chemises et de sa fascination pour Bryan Ferry. Une question porte sur Winchester College et il redit sa passion pour cette époque. Il cite l’exemple du gatefold de Trout Mask Replica, il dit que sa vie se résumait aux disques et à leurs pochettes, allant jusqu’à mémoriser le timing de l’album - Ant Man Bee 2:42 - Et il ajoute ça qui est déterminant : «I come out of a long line of gatefold sleeves, so yeah, it made me.» Une question porte bien sûr sur Syd qu’il n’a jamais rencontré, mais les chansons, dit-il ‘have a miraculous life of their own that nobody can replicate.»     

    Signé : Cazengler, Robynet

    Bobyn Hitchcock. 1967 - How I Got There And Why I Never Left - A Memoir. Constable 2024

    Robyn Hitchcock. 1967: Vartiations In The Past. Tiny Ghost Records 2024   

    An audience with Robyn Hitchcok. Uncut # 307 - December 2022

    The shadow of beauty. Shindig! # 153 - July 2024

    Tom Pinnock : The spirit of  ‘67. Uncut # 327 - July 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Tate gallery

             Impossible de ne pas admirer Thomas Pote. Il incarnait l’un de ces conglomérats qui te marquent à vie. Un conglomérat ? Eh bien oui, un conglomérat ! Mais de quoi ? Un conglomérat de qualités. Quelles qualités ? On pourrait presque dire toutes les qualités. Ça ne veut rien dire ! Bon d’accord. Quand tu rencontres Thomas Pote pour la première fois, t’es frappé par sa beauté physique. Brun, assez haut, sourire carnassier, franc parler, bras tatoués, mais pas du tattoo de tarlouze, du vrai tattoo d’HLM. Une sorte de rocker de banlieue, un rayonnant, un creveur d’écran, un bouffeur d’espace, un déplaceur d’air, un félin, une force de la nature, un voyou doté d’une effarante élégance naturelle. Puis si t’as la chance de passer une nuit blanche à sa table en sifflant des packs de Kro, tu vas entrer de plain-pied dans l’immense surface de sa personnalité, il va te raconter des histoires de toutes sortes, des braquos et des voyages, des rencontres extraordinaires et des projets de groupes, des fêtes et des histoires de cul, il farcit chaque récit de références musicales ou cinématographiques, il te cite Sam Phillips et Martin Scorsese, il t’explique qu’il apprend à jouer du sax à cause des solos de Lee Allen sur les 45 tours de Little Richard, et pour financer l’achat de son sax, il te raconte qu’il a piqué une BM, qu’il l’a maquillée dans son garage et qu’il l’a revendue à son fourgue habituel. Tu veux voir le garage ? Alors il t’emmène le visiter, juste derrière la baraque, il ouvre les deux grands battants et te montre sa faramineuse collection d’outils accrochés aux murs, comme autant de trophées, puis il t’emmène dans le local voisin qui est le local de répète où viennent jouer tous les groupes locaux, il branche un générateur et lance une boîte à rythme, il se met torse nu, embouche son sax, et se met à jouer un cut hypno pendant dix minutes, «tu connais ?», fuck, il te fait du James White & The Blacks, il danse au milieu de la petite pièce, il fait son James Brown, et tu vois son torse et son dos couverts de tatouages baveux. Soudain, tu réalises que se trémousse devant toi l’une des plus grandes rockstars du monde moderne. Personne n’est au courant.

             

             Thomas Pote et Tommy Tate ont un point commun : la grâce naturelle. C’est la raison pour laquelle ils se croisent au coin d’un tunnel, inside the goldmine.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             C’est grâce à Carl Davis que tu fais la connaissance de Tommy Tate. Carl Davis n’a fréquenté que des cakes, alors forcément t’es pas surpris quand tu mets le nez dans I’m So Satisfied. The Complete KoKo Recordings And More, un compile Kent parue en 2007. Tu reprends même ton souffle avant de plonger dans ce lagon d’argent. D’autant plus que Tony Rounce signe les liners.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

    ( Johnny Baylor )

             Tiens, te dis-tu, d’où sort ce Ko Ko Recordings ? Rounce te dit tout. Ko Ko est le label monté par Johnny Baylor, un heavy black dude embauché par Stax pour assurer la sécurité et s’occuper des débiteurs qui ont du mal à payer. Dans son Stax book, Robert Gordon brosse un portrait terrifiant de Baylor. Brrrrrrrrr. Good Fella en black. Baylor bosse pour Stax, mais il monte Ko Ko et n’a qu’un seul artiste sur son roster : Luther Ingram. Avec Tommy Tate, ça fait deux. Rounce compare Baylor à Don Robey (Duke/Peacock) et Morris Levy (Roulette). Tommy Tate indique pour sa part qu’avec Johnny Baylor, tu ne discutes pas les ordres - With Johnny, you just dit it, or else... - Rounce indique aussi que Tommy Tate et Luther Ingram ont participé à Wattstax. Mais les enregistrements des trois cuts de Tate sont tout pourris et apparemment, c’est perdu. Rounce aurait bien aimé les mettre sur sa compile.  

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             C’est assez bête à dire, mais cette compile grouille de puces. Tu connais une compile Kent qui ne grouille pas de puces ? Celle-ci est peut-être même un peu plus pire que les autres. Tommy Tate a une voix ET des compos, et t’es hooké aussitôt «School Of Life». Tu ne t’attends pas à une Soul d’une telle qualité. C’est une Soul extraordinairement développée. Pas compliqué : sur les 20 cuts, t’as 10 bombes. Tommy Tate propose une Soul libre, légère, d’une fantastique allure. Sur «I Remember», il sonne comme Wilson Pickett. Il est accompagné nous dit Rounce par The Movement, c’est-à-dire le backing-band d’Isaac le prophète. Et avec «If You Got To Love Somebody», il passe au big time de good time. Il travaille sa Soul au corps. Ici, tout est beau, tout est absolument parfait. Encore un hit pulvérisé avec «I’m So Satisfied». Tommy Tate est un chanteur incommensurable. Sa Soul te colle au train. Il fait du Stax avec «Revelations» et la basse sonne comme une corne de brume. Nouveau coup de Jarnac avec «I Ain’t Gonna Worry» gratté à l’angle biseauté. Tu croises rarement des black dudes aussi doués. Son scream est pur comme l’eau de roche. «More Power To You» sonne comme le slowah fatal. C’est d’une rare puissance. Encore de la modernité avec «If You Ain’t Man Enough». Ni Motown, ni Stax, c’est du black rock avec du big sound, et t’as la guitare de rêve en plus de la Soul parfaite. Il fait encore corps avec sa Soul dans «It’s A Bad Situation». Son heavy groove est ahurissant de classe. Il passe au hard funk avec «Hardtimes SOS». Il te rocke le funk. Il est bon dans tous les râteliers. Il mène rondement l’heavy r’n’b d’«It Ain’t No Laughing Matter», qu’il a co-écrit avec son pote Sir Mack Rice. Incroyable qualité d’ensemble, son et chant ! Il refait son Wilson Pickett dans «Just A Little Overcome» et boucle avec «I Don’t Want To Be Like My Daddy», un slowah de perdition explosive. On n’avait encore jamais vu ça. Effarant, éclatant et épuisant.

             Quand Stax a disparu, Baylor est revenu s’installer à New York. Mais Ko Ko a fini par couler et Tommy Tate est rentré chez lui à Jackson, Mississippi. Il n’a jamais cessé de composer et d’enregistrer. Rounce nous met bien l’eau à la bouche en révélant qu’il existe un stock de démos tellement énorme qu’on pourrait en faire 30 albums ! Mais rien n’est encore sorti. Te voilà encore avec une incroyable histoire sur les bras.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Hold On est un beau Malaco de 1979. Aw my Gawd, quel album ! Avec «Little Boy» et «All A Part Of Growing Up», Tommy Boy reste le Prince de la Good Time Music, car ces cuts sont frais, orientés sur l’avenir. Little Boy bénéficie du petit stomp de Malaco et Tommy Boy l’emmène au paradis. Le Growing Up est réellement du big time de Good Time, Tommy Boy est un meneur, il arrache son Growing Up du sol ! Et puis t’as tous ces coups de génie, tiens à commencer par «I’ve Been Inspired To Love You», il amène ça en mode fast r’n’b, mais Tommy Boy va vers le côté joyeux du r’n’b et il sait groover comme un dingue. Franchement t’en reviens pas de l’entendre groover son Growing Up à gogo. Encore un coup du sort avec «I Can’t Do Enough For You Baby», ce prince balance bien des hanches. Même chose avec «A Thousand Things To Say», cut de Soul merveilleusement allègre et moderne. Quelle tenue et quelle qualité, Oh Boy ! Le festival se poursuit avec «Hold On (To What You’ve Got)», horriblement groovy, et «Do You Think There’s A Chance», ce cut si subtil qui ne tient qu’à un fil, et qui résumerait bien l’art chantant de Tommy Boy : une Soul fine et racée. C’est tellement bien balancé que tu cries au loup. Tommy Boy aligne ses hits comme des planètes, pour le seul bonheur des becs fins. Il fait de la Soul de haute voltige. 

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             L’album sans titre de Tommy Tate sort en 1981 sur Juana, le label de Frederick Knight. Encore un album qui grouille de puces, notamment «Listen To The Children», Tommy Boy sait poser sa voix sur l’heavy Soul de Malaco. C’est excellent, profond et sincère, il monte son we got to listen au jazz de pah pah. C’est tout simplement génial. Pas loin de Marvin, avec un joli break de coups d’acou. En B, il tape le «This Train» de Frederick Knight, cut assez mystique qui sonne un peu comme le thème du Soul Train mythique de Don Cornelius. Tommy Boy groove son hard r’n’b et fait autorité. Quel fantastique shouter ! Power to the max ! Encore une petite merveille avec «On The Real Side». Il tartine merveilleusement sa heavy Soul. Tommy Boy est un puissant seigneur. On le voit aussi s’éloigner dans «I Just Don’t Know», il tape dans la Soul latérale d’I’m so lonely.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Sur Love Me Now, Tommy Boy tape une belle compo de Mack Rice, «Slow Rain (Fast Train)». Avec Mack Rice, ça groove toujours dans la couenne du lard. Tommy Boy est en quelque sorte le prince de la Good Time Music, comme le montrent «Midnight Holiday» (bien balancé et contrebalancé avec des chœurs de rêve de window pane) et ce «Tear This House Down» signé George Jackson, et Tommy Boy y va de bon cœur au tear this house down tonight.

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Pas de chance pour Tommy Boy : All Or Nothing est plombé par le son années 80. Il se fait baiser par la prod. Il perd la Soul. Ce son est une calamité. Ça vire diskö-pop et ça devient vite imbuvable. Que vas-tu sauver là-dessus ? Rien. Il ne s’en sortira pas, même avec tout le feeling du monde. T’écoute car t’espère, mais ce sera en vain. Il fait une tentative de boogie avec «Walking Away». En vain. Un petit parfum d’exotica plane sur «This One’s». On accorde une dernière chance au disk raté du pauvre Tommy Boy. Quel gâchis !

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Par contre, la compile Hold On - The Jackson Sessions Rare & Unreleased grouille de puces. T’as au moins dix coups de génie au cm2. Boom dès «Friend Of Mine». Tommy Boy fait son big Soul Brother, c’est solide. «Little Boy» sonne comme de la pop Soul d’élan vital. Toutes les compos sont ambitieuses. Tommy Boy sonne déjà comme une superstar. On se régale de sa grosse présence vocale sans «All A Part Of Growing Up», qu’on trouve sur Hold On. Puis arrivent d’autres coups de Jarnac, «I Can’t Do Enough For You Baby», tiré aussi d’Hold On, il a des chœurs de rêve pour ce slowah profond et humide, merveilleusement travaillé aux harmonies vocales, il part ensuite en mode gros popotin avec «A Thousand Things To Say». C’est d’une qualité hors du commun, il module à l’infini. Tommy Boy superstar ! Il peut faire son Wilson Pickett («Something To Believe In») et taper une hard Soul de rock gorgée d’excellence («You’re Not To Blame»). Sur «So Hard To Let A Good Thing Go», il est dans l’hard r’n’b, avec du bassmatic à gogo. Il te tient vraiment en haleine. Tout est très chanté, ultra chanté. Il finit en mode gospel avec «Something Good Going On». Tommy Boy est un crack, il tient bien son époque en main. Tous ces cuts sont effarants de qualité et derrière, t’as ce mec qui joue des espagnolades électriques. Reggie Young ?

    andrew gabbard,jerron paxton,dirty deep,robyn hitchcock,tommy tate,michel embareck,pogo car crash control,hecate's breath,winterhawk

             Tu ne peux décemment pas te lasser de Tommy Tate. Dès qu’une nouvelle compile pointe le museau, tu sautes dessus. When Hearts Grow Old - Twenty previously Unissued Recordings From The Malaco Vaults date de 2008. On est en plein Malaco. Tommy Boy y fait de la Soul évolutive. Il t’installe dans le confort de la Soul. Avec «You’re Making My Dreams Come True», il va plus sur Barry White. Il se bat pied à pied avec tous ses cuts. Il a une belle dégelée royale de poux sur «Feel The Love» et il refait son Barry White avec «Lonely Lady». Il fait résonner la fibre White et ça te fend le cœur. Tu te régales de ce gros groove d’exception qu’est «Ain’t No Love For Sale». Il revient à son cher Barry White system avec «Lay Love Inside» et puis t’as ce «That’s Just A Woman’s Way» un peu dans la veine de «MacArthur Park», même dramaturgie mélodique. Il est encore fantastique sur «I Feel So Close To You», il enjolive cette Soul new wave, il la nourrit, il la chérit, dommage qu’elle soit si années 80. Mais Tommy does it right. 

    Signé : Cazengler, Tommy Tarte

    Tommy Tate. Hold On. Malaco Records 1979  

    Tommy Tate. Tommy Tate. Juana 1981

    Tommy Tate. Love Me Now. Urgent 1990 

    Tommy Tate. All Or Nothing. P-Vine Records 1992  

    Tommy Tate. I’m So Satisfied. The Complete KoKo Recordings And More. Kent Soul 2007 

    Tommy Tate. Hold On - The Jackson Sessions Rare & Unreleased. Soulscape Records 2008

    Tommy Tate. When Hearts Grow Old - Twenty Previously Unissued Recordings From The Malaco Vaults. Soulscape Records 2008

     

     

    *

    ROCK EN VRAC

    RENCONTRES AVEC DES CAÏDS DU ROCK

    ET DU ROMAN NOIR

    MICHEL EMBARECK

    (Les Editions Relatives / Février 2025)

    z26797bookembareck.jpg

             Ne dites pas Embareck, dites Embarock. D’abord une préface. Pour mettre les chrockse au point. Il y a rock et rock. Le rock d’avant et le rock d’aujourd’hui. Celui d’aujourd’hui, il s’est dinosaurisé. Surtout en notre pays. L’est devenu un plantigrade balourd dont tout le monde se détourne. S’est transformé en une espèce en voie d’extinction. Survit dans les zoos, les enfants ont le droit de leur jeter des cacahuètes. De braves bêtes inoffensives, châtrées dès la naissance.  Elevées aux hormones qui annihilent leur métabolisme de prédateurs. Parfois surgissent par miracle, par génération spontanée, quelques méchants tyrannosaurus aux dents longues à vous croquer la planète. Sont circonscrits en d’étroites réserves, seuls de rares amateurs tentent de les remettre en liberté, mais les institutions médiatiques veillent…

             Méfiez-vous de l’expression rock en vrac. L’est sûr que vous avez l’impression que Michel Embareck vous embarrasse avec ces trois cents pages remplies jusqu’à la gueule qu’il décharge au tractrock-pelle sans préavis dans votre cervelle trop étroite  pour accueillir tant d’informations. Je vous rassure, elles sont dûment classées par ordre chronologique. Surtout au début. Je vous laisse sur votre faim pour la fin.

             Vite submergé. Ne le plaignez pas. Il l’a voulu. Une simple lettre et le voici dans la gueule du monstre. Dans la rédaction du magazine rock : Best. L’ennemi héréditaire de Rock & Folk. De fait les amateurs achetaient les deux. Nous présente la rédaction de l’intérieur. Une belle équipe. Un patron, Patrice Boutin, pas d’accord avec la ligne, mais qui laisse faire puisque l’affaire tourne et rapporte… Lorsqu’il aura  en 1983 la désagréable idée de mourir au volant de sa Ferrari, Christian Lebrun sera nommé rédacteur en chef… Embareck arrive pour les belles années, celle du dernier mouvement rock d’importance le Punk. Un mouvement parti de rien mais dont la renommée essaimera sur tous les continents… C’est le moment de retrouver Marc Zermati, il est aussi présent sur la toute dernière photo de la denière page, photographié en compagnie de Michel Embareck.

             Notre auteur est à Londres en 1977, et à Kingston en 1978. Ces pages jamaïcaines sont à lire. Vous pouvez me croire, je ne suis pas un grand fan du reggae. Chapitre suivant, soirée chez Gainsbourg qui vient d’enregistrer Aux Armes et Caetera…

             Certes Embareck a eu la chance de traverser ces années folles mais tous ces faits sont tellement connus que l’on aurait tendance à dire que parfois les hommes sont modelés par les évènements et que les individus se contentent de suivre le mouvement. Même si par advertance circonstantielle  ils interviennent tant soit peu sur leur déroulement. Pour moi le livre commence vraiment avec le chapitre sur Alberta Hunter. Née en 1895, morte en 1984. Nous ne sommes plus dans le rock en train de se faire, l’on quitte le serpent qui déplie ses derniers anneaux pour remonter dans la matrice originelle. Oui nous sommes loin du rock. Alberta est une chanteuse de jazz. Une légende. Vous trouverez facilement sur le net enregistrements et éléments biographiques. Embareck lui consacre trois pages, mais c’est un tournant essentiel dans l’ouvrage. Non, il ne fera que citer de temps à autre quelques grands noms du jazz. Mais là n’est pas le sujet. Il s’intéresse à plus profond. C’est là où il se révèle.

             Si je vous dis que le chapitre suivant est un hommage à Little Bob, vous risquez de ne pas trop comprendre, quel rapport avec Alberta et Little Bob. Entre le jazz et le rock français. Aucun. A première vue. Ni au second coup d’œil. Par contre si vous utilisez le troisième hypophysical tout s’éclaire : le blues, en le sens où le blues est un certain engagement pour la vie, pour le blues, pour le rock’n’roll, car tout se rejoint souterrainement dans la grande mouture du rhythm ‘n’blues.

             Voici AC / DC, les enregistrements certes, avant tout des gars accessibles au service de leur musique. Du coq à l’âne. Voici quelques pages consacrées à Lavilliers. Pas spécialement au chanteur. Au voyageur celui qui va au Brésil. Du coup Embareck se barre, il prend la route. Rennes avec Bo Diddley et sa guitare. Bourges (anecdotique). Memphis : le circuit Elvis mais surtout l’emplacement du studio Stax détruit. Nous voici dans le Rythm & Blues. Mais faut encore descendre dans la terre d’élection.

             Nouvelle-Orleans, c’est là qu’il touche à ce que l’on pourrait appeler l’essence impalpable du blues dans la présence de certaines rencontres… La musique certes mais aussi la musique des mots, remontée vers le Montana pour rencontrer la littérature, l’américaine, celle de James Crumley, celle de Solomon Lee Burke, de Jim Harrison… toutefois la littérature n’est-elle pas une mythification, ces écrivains américains ne sont-ils pas considérés en leur pays comme des secondes gâchettes, voire des troisièmes couteaux… Suivez la pensée filigrane, notre attachement au rok’n’roll ne serait-il pas une mythification personnelle ?

             Toute question mérite réflexion. Et surtout une réponse. Embareck n’est pas homme à se prendre la tête. Ne va pas nous pondre un essai de cent pages. Va quand même nous en filer quatre-vingt. A la manière de ces maîtres Zen qui vous envoie une grosse baffe en travers de la gueule pour répondre à votre à question : ‘’ Maître, qu’est-ce que la violence ?’’  L’est moins cruel, il vous offre une douzaine de petites nouvelles.

             Elles sont à lire. Sont comme les gaufres, se dévorent sans faim. De la littérature française qui parle de rock, de blues, d’Amérique et surtout d’êtres humains qui se coltinent dans leurs existences ces invariants. Ces phares baudelairiens. Ces filtres du vécu qui permettent de mieux vivre.  Ces forces de régénération qui ont disposé la Nouvelle-Orleans à survivre à tous les Kaltrina… Pour la petite histoire celle que je préfère : Le rock comme arme d’instruction massive. Normal le nom sacré de Gene Vincent y figure.

    z26798michelembarek.jpg

             L’Embareck est un stratège, l’a gardé le meilleur pour la fin. De la même veine que les nouvelles. Mais en plus court. Douze chroniques parues dans le magazine Rolling Stones. Chacune consacrée à un artiste. Ne vous y trompez pas. Lisez-les comme douze autoportraits de Michel Embareck. Douze mythifications tel qu’en lui-même il se change.

             En plus ça fonctionne un peu comme les arcanes du tarot, chacun y trouvera la carte de son destin. Pour moi celle de Wayne Hancok, n’est-il pas qualifié de Fantôme de Gene. Craddock.

    Essayez à votre tour, si vous lisez ce livre de Michel Embareck, les amateurs de rock y découvriront toujours une image qui les représente. C’est ce que l’on appelle le grand Art.

    Damie Chad.

     

    *

             Dernièrement, voir notre livraison 670 du 19 / 12 / 2024, nous avions chroniqué le dernier clip de P3C, une première rafale avant la sortie de l’album Negative Skills mais voici un deuxième coup de semonce ce mois de février :

    SHALLOW TIME

    POGO CAR CRASH CONTROL

             Ce coup-ci pas de vidéo, en lot de consolation vous avez un Reels, moi qui suis le premier à m’éblouir et à rester en contemplation sur le moindre fragment de poterie mésopotamienne, j’avoue que ces vidéos minimalistes tiktokiennes me laissent assez froid. En plus les Pogo sont diablement à l’étroit dans ce  format cigarettes mentholées, même pas ultra-longues, qui se vendaient dans les années soixante.

    z26792pochettepogo.jpg

             Bref une image fixe et du son, ration de combat minimaliste. Si l’on rajoute que le Shallow Time ne bénéficie que d’un timing de même pas deux minutes et demie, l’on a l’impression d’être dans ces restaurants où le garçon se sent obligé de vous renseigner que le steack est juste sous la frite.

    Certes c’est bien balancé mais l’on n’a pas le temps de voir passer, du déchiré mélodique, l’on s’envole mais après on reste un peu au repos en apesanteur, en orbite stationnaire un peu trop près de la terre, remarquez c’est un peu le thème abordé, besoin d’un peu de calme avant de reprendre l’ascension, on a l’impression que ça tient grâce au vocal delirium tremens d’Olivier.

    Les Pogo se sont adjugés quelques mois pour souffler l’année dernière, z’étaient sur le speed depuis plusieurs années, semblent avoir choisi d’essayer d’autres rhumbs de tangage, l’on sent que ce n’est plus comme avant, mais l’on aimerait avoir l’album in integro pour voir si ce n’est plus comme après.

    Il y a toutefois une justice immanente sur cette terre, puisque samedi dernier (22 février) ils étaient en première partie de Jack White au Trianon.

    Vous avez une vidéo sur YT qui ne vaut pas le déplacement, le son est mauvais, un rythme un peu lourd, une salle peu réceptive.

    Damie Chad.

     

    *

             Certaines choses vous attirent plus que d’autres. Par exemple le rock’n’roll. Pour moi j’ajouterai deux forces d’aimantation irrésistibles, la poésie et la mythologie. Gréco-romaine de préférence, or voici que jetant un œil distrait sur les nouveautés rock de la semaine, deux noms s’inscrivent en lettres d’or dans mes pupilles aiguisées, une déesse et une poëtesse. En plus pas  des moindres !

    INNOCENCES

    HECATE’S BREATH

    ( Chaîne YT : Hecate’s Breath / Janvier 2025 )

    Les rockers aiment Hécate. N’est-elle pas la déesse de des Carrefours. Robert Johnson pourrait vous en parler. Il ne l’a pas reconnue lorsqu’elle s’est présentée à lui, il  l’a prise pour le Diable, peut-être avait-elle emprunté cette apparence satanique pour qu’il comprenne que désormais il jouerait de la guitare comme un Dieu… Vous connaissez le destin de Robert Johnson. On a tendance à qualifier les dieux grecs de bons ou de méchants. Ce qui est particulièrement stupide. Les Dieux ne sont ni bons ni méchants. Ce sont justes des concepts opératoires qui ne se définissent point selon nos chétives catégories humaines.

    Hécate s’inscrit dans la lignée de Nyx, engendrée par Kaos. Le Kaos est une énergie dévastatrice qui sort d’une fente, elle perd de sa force au fur et à mesure qu’elle se déploie dans le vide, les premiers êtres qui sont sculptés par cette déperdition sont de terribles entités incommensurables, Nyx est la première fille l’aînée de tous ceux et celles qui suivront. Cette énergie finit par se stabiliser en les cinq matières élémentales. Les Dieux olympiens sont les rejetons des éléments.

    Pour ceux qui s’étonneraient de cette introduction, je précise que Le Souffle d’Hécate nous avertit en trois mots  de sa vision du monde : Humanity is obsolete. Court mais éloquemment significatif. Le groupe a aussi défini sa musique comme ‘’desincarnate doom’’.

    Pour ce qui suit je ne saurais que vous renvoyez au film de Terence Davies, A Quiet Passion. Qui raconte la vie d’Emily Dickinson (1830 – 1886) qui vécut chez elle, entourée de sa famille, volontairement recluse en sa chambre, une expérience poétique à mettre en relation avec celle de Joe Bousquet (1897 – 1950). Sinon lire les poésies d’Emily Dickinson, près de deux mille poèmes, dont vous trouvez un parfait exemple sous la vidéo :

    Ah, Necromancy Sweet !

    Ah, Wizard Erudite !

    Teach me the Skill,

    That I instil the Pain

    Surgeons assuage in Vain

    Nor Herb of all the Plain

    Can Heal !

    z26810dickinson.jpg

    (Ah, Nécromancie douce ! Ah, Sorcier Erudit ! Enseigne-moi l'habileté, Pour que j'instille la douleur Que les chirurgiens apaisent en vain Aucune herbe de toute la plaine ne / peut guérir !)

             Vous aimeriez en savoir plus : voici la réponse que  Hecate’s Breath adresse à une auditrice : Au risque de vous décevoir, nous préférons rester à l'abri de la lumière. Ici, sinon ailleurs. Anonymat. Pas de profit. Juste de la musique. Et quelques lignes vocales enregistrées sur un Samsung dans une bergerie. Jusqu'à ce que l'inspiration s'estompe.

             Je vous laisse faire les relations induites par la proximité d’Hécate et Emily Dickinson. Un dernier indice : elles ont déjà produit ce que je n’ose appeler un album au titre évocateur : Danse Macabre.

    Elrika : vocals, guitars / S. : vocals, noise, guitars, acoustic guitars  / TJ : vocals, cello / B. : vocals / Mélinoé : noise.

    z26808book.jpg

    L’instinct du rocker : j’ai vu ces noms de fleurs, j’ai flashé sur deux : Aster, en Grèce Asteras, qui désigne la voûte étoilée, est la mère directe d’Hécate, puis sur Iris. J’ai tout de suite pensé à L’Iris de Suse qui est le titre du tout dernier roman de Jean Giono, un de ses meilleurs, une histoire d’amour fou, mais une folie gionienne, je suis certain, les voix, les images que c’est un groupe filles qui se cache derrière cet anonymat. Avec Giono je fais fausse route mais quand je croise Aster et Iris, le net apporte d’étranges lumières. Je tombe sur la critique d’un roman paru en 2022 dont je n’ai jamais entendu parler, de Sarai Walker, il s’intitule The Sherry Robbers, vous pouvez le lire dans sa version française, 624 pages chez Totem, tilt pour le titre : Les voleurs d’Innocence. Voici le thème : Belinda a eu six filles, Aster, Rosalinde, Daphné, Hazel, Calla, Iris, elle leur a prédit qu’elles mourront si elles se marient, elles meurent chacune à leur tour, enfin presque… Je ne voudrais pas déflorer le sujet… Sur une critique j’apprends que c’est un bouquin sur la résilience des femmes, la bêtise de mes contemporaines m’effraie, ailleurs on me le présente comme un roman goth, ce qui est sûr c’est que Innocences de Hecate’s Breath  s’inspire de Sarai Walker.

    z26799 introduction.jpg

    B’s Visions : question subsidiaire est-ce le B de Belinda ou le B de celle qui participe au vocal dans le groupe ! : fonctionnement de la vidéo, chacun des neuf morceaux bénéficient d’une image fixe : un souffle, un murmure très doux, des notes éparses, une impression de mystère magnifiée par cette robe de mariée retenue sur un cintre par les pans du voile, la proéminence du corsage ne fait qu’accentuer l’absence de toute chair féminine. Lumière blanche de la fenêtre surexposée, chambre obscure de l’appartement.

    z26800aster.jpg

    Aster : ma seule étoile est-elle morte, en tout cas il y a du verre cassé partout sur le plancher, ces hurlements, ces cris de terreurs, crise exacerbée, pur roman gothique, la musique devient-elle bruit parce que la vie devient morte, funestes résonances, ici c’est l’Hécate lunaire qui brille de sa pâleur mortelle… La vie serait-elle aussi factice que cette fleur de tissu dont la tige plonge dans un bocal sans eau.

    z26801rosalind.jpg

    Rosalind : donner à une héroïne le prénom Shakespearien de Rosalinde ne laisse augurer rien de bon… pièce délabrée mais relativement propre, une belle rose posée sur la table de bois vous offre ses piquants et sa corolle que l’on imagine de pourpre, presque des sonorités trompétueuses, la batterie s’emballe, le vocal est-il interpellation intempestive, règlement de compte ou crise d’hystérie, baisse d’intensité, serait-ce le coït après l’explosion du désir, ce coup-ci Rosalind tonne comme si elle était un homme, un orlandien, venu des terres dangereuses du désir. Presque un miroir interchangeable.

    z26803bride.jpg

    Daphne : serait-ce le portrait de Dorian Gray fixé par des chaines et des clous pour qu’il ne vieillisse plus et reste en vie, ou une métaphore de la métamorphose de la nymphe Daphné en laurier pour échapper à l’amoureuse poursuite d’Apollon, ou alors faut-il croire que les coups de marteaux que l’on entend ne sont pas pour le Christ que l’on cloue sur la croix mais destinés à représenter le sacrifice des jeunes filles vouées à recevoir le clou du désir dans leur vagin. Grands coups de merlin, exaspération prédatrice du mâle en érection, jusqu’à l’éclosion finale, sous les coups de boutoir les vantaux cèdent, l’ennemi tel un serpent, se faufile dans la brèche.

    z26804bride++.jpg

    The Headless Bride : sur la photo elle a sa robe de mariée mais elle a perdu sa tête, autour d’elle les yeux nombreux de ceux qui tournent leurs regards vers cette apparition fantomatique, la musique tremble sur elle-même, est-ce une allégorie du sort réservés aux épouses de Barbe-Bleue, des voix de revenantes maudissent-elles leurs sorts funestes, ou alors serait-ce la vision prophétique et symbolique  du sort réservé à ses filles qui accaparent la tête de Bélinda. Vacillements, klaxons.

    z26804hazel.jpg

    Hazel : des clous d’acier et des branches comme en rapportent à la maison les enfants qui ont joué dehors. Des cris, des exclamations, tout ce qui a eu lieu et qui maintenant est terminé, la noisette est perforée et brisée par le casse-noisette, musique forte et lente pour spécifier que l’inéluctable a eu lieu. L’on n’échappe pas à son destin. Rien ne sert de tourner dans sa tête ce souvenir prégnant.

    z26805calla.jpg

    Calla : peu usité en France ce prénom signifie Fleur. Cette fleurette ne refleurira pas au printemps prochain. La musique est assez pesante pour que l’on comprenne le genre de désagréments qu’elle a subis, tout ce qu’elle a enduré, sur la table les clous sont toujours là, quant à la pomme du désir elle semble à avoir été dure à avaler.

    z26806iris.jpg

    Iris : on n’ira pas jusqu’à dire en voyant cette pièce bien rangée, bien propre, qu’ici tout n’est que calme luxe et volupté, tout au plus un havre de paix, un refuge, l’a fallu qu’Iris se batte très fort pour échapper à l’emprise de son destin, elle a fui, poursuivi par une horde de désirs non contenus, elle s’est battue, elle a vaincu, elle a tiré son épingle du jeu piégé, elle est partie, elle a fui sa famille, pour qu’une prophétie ne se réalise pas, ne suffit-il pas de refuser de l’entendre quand on la prononce à votre encontre, celle qui la recevra sera votre absence, un véritable chaos dans la tête lorsque vous vous échappez.

    z26807wounded.jpg

    Wounded : toutes les portes de l’appartement sont ouvertes, une forme blanche se profile au fond du couloir, est-ce Iris qui revient pour s’affronter à son destin, le regarder dans les yeux, elle a changé d’identité, elle s’appelle Sylvia, de longues années ont passé mais l’histoire que vous avez fuie vous rattrape toujours, elle veut s’incarner en vous, n’est-elle pas vous, n’est-elle pas votre essence même, paroxysme, hurlements de terreur, l’horrible court après vous et s’accroche à votre robe, pensez-vous que vous échapperez à vous-même. Même si vous persistez à être vous-même selon votre volonté, n’êtes-vous pas blessée. A mort.

             Le souffle d’Hécate est particulièrement violent. Malgré la nudité vous êtes en présence d’un groupe de black metal. Particulièrement brutal.

    Charnellement éprouvant.

    Damie Chad.

     

    *

    Les guerres indiennes ne sont pas encore terminées. Il reste juste, une fois que les temps de la survie seront terminés, à remporter la victoire. L’épisode que nous allons suivre remonte à loin. Il aurait pu être oublié. Il s’en est fallu de peu. C’est en farfouillant dans une boutique de disques qu’en 2010 Joe Steinhardt fondateur du label Don Giovanni Records tombe sur le premier opus de Winterhawk qu’i trouve remarquable. En 2021 il rééditera les deux albums que le groupe avait enregistrés.

    ELECTRIC WARRIORS

    WINTERHAWK

    (Don Giovanni Records / Octobre 2021)

    (Mother Earth Records / 1979)

    Le groupe fut formé en Californie par  Nik Alexander, un activiste Creek qui voulait former un groupe de hard rock  indien. Il fut rejoint par Alfonso Kolb originaire du Rincon Indian Reservation près de San Diego. Il emmena aussi son cousin Frankie Joe

    Ils ne sont pas le premier groupe indien de rock, Redbone le plus connu de tous par chez nous se forma en 1969… Par contre le groupe Winterhawk qui sortit l’album Revival n’a rien à voir avec eux et sont originaires de Chicago.

    z26794couveelectricwarrior.jpg

    Belle pochette, nos quatre silhouettes d’indiens se détachent pratiquement au sommet d’une crête - serait-ce une allusion à la grande masse de la cavalerie des lakotas qui  à Little Big Horn surgirent de derrière une colline à la grande surprise de Custer – elles donnent au premier regard l’illusion de guerriers armés de fusil, non ils ne brandissent que des guitares. Inoffensives ?

    Nik Alexander : lead vocals, lead and rhythm guitar, lyrics / Frankie Joe : rhythm guitar / Frank J. Diaz de Leon : bass guitar, backing vocals / Alfonso Kolb : drums.

    Prayer : comme un crépitement d’oiseau qui fouille du bec en ses propres plumes ébouriffées, en dessous une percussion indienne un peu sourde mais point trop, la voix fragile de Nick Kent élève une prière vers le ciel, l’envol majestueux vers le soleil dans l’embrasement des guitares, demande d’aide, le peuple rouge a oublié la voie guerrière de l’aigle et de l’esprit, après l’élan le rythme impassible des tambours se tait. Got To Save It :  la terre et l’eau t’int été données pour être préservées, la voix s’élève presque tremblante, mais la colère prend le dessus, les guitares s’envolent comme des remparts de flèches, appel à la guerre, l’homme blanc n’est pas nommé, mais ses machines éventrent la mère originelle, une ronde de hargne, une charge  de poneys, un appel, un constat, un devoir de retour à l’équilibre des forces naturelles, le morceau déboule comme une mer de bisons qui déferle sur l’immensité des plaines. Black Whiskey : presque une berceuse, une guitare pleure à gros flocons, Nik a pris sa voix tremblante, l’orchestration s’intensifie, l’histoire d’une des plus cruelles blessures du peuple indien, l’eau de feu qui embrume l’esprit, qui enserre l’individu dans ses serres d’acier. Le poison irradie le sang, une seule solution rentrer à la maison, se retrouver chez soi, dans sa pureté natale, dans sa fierté d’homme, libre de sa camisole de force dont il est le seul responsable. Dark Skin Lady : un son qui n’est pas loin de Steppenwolf, Nik hache ses mots comme s’il lançait des poignards, après l’appel à la spiritualité, après une revendication que notre modernité nomme écologique, après une dénonciation de l’alcool, Nik aborde une problématique différente, celle de l’engagement de l’individu en ses propres désirs charnels, un sujet délicat, le sexe en tant qu’acte de perdition indienne, l’attrait de la ville, les filles faciles, la réserve comme un lieu de protection, de resserrement du peuple indien sur son propre sang. Préserver la force de l’esprit, mais préserver aussi le sang rouge. The Wind : ce n’est pas la réponse qui se trouve dans le vent selon Hugues Aufray, la beauté sous-jacente des chantonnements féminins ne doit pas nous détourner, écoutez plutôt l’éventration des guitares, la réponse est en toi, en ta responsabilité, si tu vis dans ce monde de folie, c’est parce que tu l’as accepté, n’écoute pas les anges blancs, prête l’oreille à l’esprit rouge. Dépêche-toi, fais le bon choix, ne t’endette pas pour toujours.   Restaurant : drôle de titre, si peu indien, on aurait préféré pemmicam ! Que voulez-vous la chair est chaude et l’homme si faible, le morceau roule comme le torrent du désir dévale des montagnes, la guitare aigüe se roule dans le stupre, les squaws se donnent ou se refusent comme elles veulent. Que peuvent les grands principes généraux quand ils sont confrontés à la singularité des individus. Selfish Man : ce n’est pas un hasard si les guitares froissent le son comme une feuille de papier que l’on jette dans le feu pour qu’elle brûle, parfois le vocal avance à pas menus comme s’il marchait sur le sentier de la guerre, le morceau n’est pas une réflexion éthique sue l’égoïsme congénital de l’espèce humain, le selfish man est l’homme blanc, une manière de le dénoncer sans le nommer, de le nier, de ne pas reconnaître sa présence,   ils ont commencé par prendre les terres et ils finissent par la grande menace, celle de l’énergie nucléaire, qui finira par stériliser la Terre Mère.

    z26793doselectricwarriot.jpg

    Custer's Dyin' : un titre pour lever toute ambiguïté, d’ailleurs il commence par rouler la grosse pierre arrasante du hard rock, il faut bien proclamer la seule et grande bataille significative remportée par l’homme rouge sur le l’homme blanc, sur ce diable de Custer qui brûlait les villages de toile, et massacrait les femmes et les enfants quand les guerriers n’étaient pas là pour les défendre, bien sûr il finit par ces espèces de criailleries de bandes de sauvages qui le soir tournent autour du feu pour fêter leur victoire. Fight : la dernière charge, la voix du chef  qui résonne dans toutes les poitrines de l’homme rouge, récitatif guerrier de tous les combats menés, de toutes les défaites subies, de tous les désastres, mais ce n’est pas fini , le chant s’élève au cœur des collines perdues, ils arrivent parmi les cris, ils mènent la dernière charge, tous derrière Crazy Horse et Sitting Bull, le peuple rouge est encore là.

             Cet Electric Warrior est à écouter sans fin, tient bien son rang parmi les centaines d’albums de hard rock parus en son époque. Il n’a pas eu le succès qu’il méritait, vu son contenu l’on se doute qu’il n’a pas eu le privilège d’être placé en tête de liste de diffusion des radios américaines, un peu de rose pâle oui, beaucoup de rouge sang, non !

             Quelle résonance a-t-il eue dans les réserves et la population indiennes, je n’en sais rien, il ne mâche pas ses mots quant à la responsabilité de tout un chacun… Nous n’avons que le gouvernement que nous méritons…

    DOG SOLDIER

     WINTERHAWK

    (Don Giovanni Records / Octobre 2021)

    (Mother Earth Records / 1980)

            Une couve bien moins réussie que la précédente. Est-elle tirée d’une bande dessinée. Si non, elle en est tout de même fortement inspirée. La pose de l’indien courageux qui s’offre aux fusils est certes courageuse mais le sacrifice n’est peut-être pas la meilleure façon de continuer le combat…

    Nik Alexander : lead vocals, lead and rhythm guitar, lyrics / Doug Love : bass guitar, backing vocals / Jon Gibson : drums, backing vocals / Gordon Campbell : bells.

             De la formation originale ne reste que le leader Nik Alexander. Le groupe a joué en première partie de Johnny Winter et de Metallica, mais Alfonso Kolb raconte que les concerts qu’il a préférés sont les prestations données auprès des enfants des écoles dans les réserves.

    Z26795couvedogsoldier.jpg

    Our Love Will Last : un son davantage rentre dedans, il semble que pour ce deuxième opus l’on ait cherché l’ouverture vers un public moins militant, ce premier morceau est un beau brûlot, une belle déclaration d’amour enflammée, pas typiquement indienne, pas teepeequement rouge, vu la couve l’on s’attendait à quelque chose de de plus, si j’ose dire, rentre-dedans.  Honey Lady : chœurs féminins en entrée, l’on ne lésine pas pour attirer l’attention, attention c’est sérieux déclaration de mariage en bonne et due forme, enlevé, mais du tout-venant sans originalité, décevant quand on compare à l’enregistrement précédent. Crazy : l’amour rend fou, c’est connu, permettez-moi de ne pas partager cette folie collective, c’est agréable, ça vous caresse les oreilles dans le sens du poil, mais vous vous dites que c’est totalement inutile, vous faites une prière au grand esprit pour que la suite ne soit pas si fleur bleue. Davantage rouge ce serait beaucoup mieux. Loser :  si j’en crois le titre le Wanka Tanka m’a entendu, l’a mis du bon ordre, pas tout à fait comme je l’aurais voulu, le gars est parti… dans un groupe de rock, cela n’est pas pour me déplaire, oui quand le chat n’est pas là les souris dansent, elle ne l’a pas attendue, elle a changé de crèmerie, maintenant il regrette, il pleure, il crie, la guitare perce son cœur, franchement je ne peux rien faire pour lui, je suis content que le morceau soit terminé. Lady Blue : une introduction qui sonne Beatles, bref le gars pleurniche, file à la niche mon vieux, maintenant l’on se croirait chez Cat Stevens au coin du feu en compagnie de Lady d’Arbanville, je ne savais pas que les Indiens avaient traversé l’Atlantique et étaient venus visiter nos châteaux. Custer, au secours, reviens vite remettre de l’ordre ! We're Still Here :  je dois avoir un sacré ticket avec Wanka Tanka, l’a envoyé mille charriots bâchés dans les réserves, Winterhawk est un phénix qui renaît de ses cendres, il reprend son histoire là où il l’avait arrêtée, nous sommes encore là, entre temps la situation ne s’est pas améliorée, l’alcool coule à flot dans le gosier des guerriers avachis, le peuple rouge ne boit pas, il se suicide. Réveil brutal à la gueule de bois. Warrior's Road :  n’en a pas laissé tomber son acoustique pour autant, l’est vrai que le bruit et la fureur ne sont pas de mise, voici l’histoire des défaites amères, le sang a coulé, le courage n’a pas suffi, la route du guerrier est longue et triste, les bisons sont morts depuis longtemps, il ne reste plus qu’un goût amer dans la bouche… We Are The People : le même chant triste, et la même colère, la même fierté d’être le peuple qui n’a pas renié ses promesses qui a accueilli sans haine ceux qui venaient de loin, en butte aux persécutions religieuses dans leur pays, ils se sont installés et ont apporté la guerre, les guitares lancent du feu, mais le dieu d’amour et de vérité dont ils se vantaient tant, ils l’ont trahi. Le peuple rouge ne porte pas de paroles fallacieuses. I Will Remember : chant indien, tambour profonds, voix étranglée, chant tribal, maintenant la voix sussurante, la promesse sacrée, pour les femmes et les enfants, ceux qui ne sont plus et ceux qui viendront, celle de se battre pour le peuple rouge, le crier bien fort, rafales de guitares cinglantes. Je pense qu’à l’origine le disque devait, aurait dû, s’arrêter là. Rock And Roll Soldier : le morceau un peu tarte à la crème, pas mauvais en lui-même, un peu facile, vite entendu, vite oublié, pas plus mauvais que des dizaines d’autres mais pas meilleurs non plus. l’est vrai qu’il fait l’effet d’une mouche velue posée sur un nappé de chantilly. Indubitablement il existe un rapport avec Loser, mais il semble qu’après la révolte indienne, une seule solution, non ce n’est pas la révolution, ni la lutte armée, voici l’échappatoire, un bon vieux rock’n’roll et tous les problèmes sont résolus.

             Doit exister une différence ontologique entre les warriors même électriques et les chiens soldats… Dog Soldiers est le disque de trop. Trop éloigné du premier. Totalement décousu. La moitié des titres semblent hors-circuit. L’on a épuisé les fonds de tiroir. Une disparité dommageable. Une espèce de reniement…

             Nik Alexander, a continué son combat, les habitudes générationnelles changent, les jeunes sont moins attirées par l’alcool, se tournent vers les nouveaux produits… Dans Rock’n’roll soldier il clame la supériorité du pure rock ‘n’ roll sur le punk. Il rejoindra pourtant le mouvement Straight Edge issu du punk qui s’est démarqué du punk hardcore et refuse tous produits, tabac, alcool, drogues diverses… Le coup du balancier, tout mouvement appuyé suscite des réactions contraires. Nous entrons en sociologie, nous nous éloignons des indiens…

             La hache de guerre n’est pas encore déterrée…

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 679 : KR'TNT ! 679 : DAMNED / ERNIE VINCENT / LAURENT BLOT / PEANUT BUTTER CONSPIRACY/ CHRISTONE KINGFISH INGRAM / SARAH SCHOOK & THE DISARMERS / VOIDHRA / EQUINE ELVIS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 679

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 02 / 2025 

     

    DAMNED / ERNIE VINCENT / LAURENT BLOT

    PEANUT BUTTER CONSPIRACY

    CHRISTONE KINGFISH INGRAM

    SARAH SHOOK AND THE DISARMERS  

    VOIDHRA / EQUINE ELVIS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 679

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Au bonheur des Damned

    (Part Three) 

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             La formule des Damned était imparable : le beat tribal de Rat Scabies doublé du scuzz-buzz de Brian James et ça partait dans l’instant, avec la soudaine excitation qu’apporte la ligne de speed doublée d’un verre de rhum. Brian James était fier de «New Rose», mais les Damned allaient aussi être les premiers en tout : premier single punk, premier album punk, premier groupe punk à tourner aux États-Unis, premier groupe punk à splitter et à se reformer. Les Damned n’avaient qu’une seule règle : liberté totale. Sur scène, Dave menait le bal des vampires, comme le rappelle Captain : «Dave had demonic presence, I was the chaos factor. Compared to what was around, we were pretty extreme !».

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Ce que vient confirmer Kieron Tyler avec un excellent book, Smashing It Up - A Decade Of Chaos With The Damned. L’histoire des Damned est bien sûr celle de l’extrémisme. En matière de books des extrêmes, on a aussi ceux de Lias Saoudi (Ten Thousand Apologies: Fat White Family And The Miracle Of Failure), de Moonie (Moon The Loon), d’Al Jourgensen (Ministry: The Lost Gospels According To Al Jourgensen), mais par leur virtuosité à générer du chaos, les Damned battent tous les autres à la course.

             Tyler prend soin de les qualifier d’outsiders dès la première phrase - Si le British punk était un mouvement, c’était an outsider’s movement. The Damned were its outsiders. The outsider’s outsiders - Le ton est donné. La position est claire. Tyler les situe aussi par rapport aux autres tenants de l’aboutissant : «Il y avait the personal politics des Sex Pistols, the serious politics des Clash and the theatre, camp, good fun des Damned.» Les Damned n’avaient absolument rien à voir avec le pâté de pathos punk.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             L’âme des Damned s’appelle Brian James. La racine des Damned s’appelle The London SS et une petite annonce passée en 1975 dans le Melody Maker par un certain Michael qui cherche un guitariste et un batteur «for band into Stones/Stooges». Le Michael en question n’est autre que Mick Jones. Ça tombe bien, Brian est fan des Stooges, notamment de Fun House - Fun House changed me big time - Au début des années 70, il avait monté Bastard, un trio bien ancré dans les Stooges et les Pretty Things. Brian était pote avec Boss Goodman qui faisait tourner les Pink Fairies. Boss fit jouer Bastard à Ladbroke Grove en 1973. Eh oui, le monde est petit. Brian avait passé 20 mois à Bruxelles avec Bastard, mais ça n’avait pas décollé. Rentré à Crawley, il est tombé sur la petite annonce du Melody Maker.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

    ( London SS )

             Il rencontre donc Mick Jones Tony James - Mick and Tony were like glam rockers in a way - Le lien se fait autour d’une passion commune pour les Stooges et les Dolls. C’est Mick Jones qui baptise le groupe London SS. Ils ont un local près de Paddington Station, à deux pas du local de Bizarre Records, le label indépendant de Larry DeBay, «the latter French enthusiast dont les goûts allaient vers les Flamin’ Groovies, MC5, les Stooges et le Velvet.» Tyler ne mentionne pas encore le nom de Marc Z. qui est aussi à Londres à cette époque. Brian n’aime pas Bernie Rhodes, le manager des London SS. Il le voit comme un vantard, «a second-rate boat thief». Mais ajoute-t-il, Mick et Tony «were enamoured with it».

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             En 1975, Rat chope lui aussi une annonce dans le Melody Maker : «Wild young drummer wanted.» C’est lui, le wild young drummer. Il arrive à la cave de Praed Street, près de Paddington Station pour passer une audition avec Brian, Mick et Tony. Il est frappé de voir la différence entre Mick & Tony qui ont les cheveux longs et des futes en cuir noir, et Brian qui a les cheveux courts avec des épis. Rat arrive avec ses cheveux roux, son vieux manteau, ses Doc Martens et il démolit le drum kit - Smashed the fuck out of it - Brian flashe aussitôt sur Rat - He was the only drummer  to give it anything of anything - C’est Tony James qui baptise Rat : un rat traverse la cave et Tony James l’écrase avec une brique. Comme Rat ressemble au rat, alors on le baptise Rat. En répète, les London SS ne jouent que des covers : «Barracuda» (Standells), «Night Time» (Strangeloves), «Slow Death» (Groovies), «Ramblin’ Rose» (MC5) et «Roadrunner» (Modern Lovers). Brian et Tony ont composé «Portobello Reds». Mais Mick & Tony n’aiment pas le look de Rat et n’en veulent pas pour les London SS. Tant mieux, se dit Brian, je le garde pour moi. Puis Rhodes vire Tony James, et c’est la fin des London SS Mk1. Il y en aura d’autres, avec Matt Dangerfield.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Brian flashe aussi sur les Pistols, parce qu’ils jouent des cuts des Stooges. Avec Bastard, Brian reprenait «No Fun» et «Wanna Be Your Dog» - The Pistols looked like mods, with John who was very funny - Pendant ce temps, Rhodes tente de monter un autre coup fumant : Mick Jones + Chrissie Hynde, «a former SEX employee». Tyler ajoute que Chrissie Hynde rentre tout juste de Paris où elle a bossé avec «the New York Dolls-style band the Frenchies», et bizarrement, pas un mot sur Marc Z. Le groupe Jones/Hynde devait s’appeler School Girl’s Underwear. Rhodes copie McLaren en essayent de monter son propre roster, c’est-à-dire son écurie. McLaren tente lui aussi de monter un projet avec Nick Kent et Chrissie Hynde, The Master Of The Backside. Son idée étant qu’en formant une écurie, il allait former un mouvement. Eh oui, ça marche comme ça.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

    ( Masters of the Backside )

             Rat est le batteur des Masters Of The Backside et il propose son pote Ray Burns, futur Captain, comme bassman. En plus du team Hynde/Captain/Rat, il y a deux chanteurs, un blond habillé en blanc, Dave White, et un autre habillé en noir, Dave Zero, futur Dave Vanian. Ils bossent une cover du «Can’t Control Myself» des Troggs. Le projet va durer deux jours. Captain dit qu’en répète, Chrissie, Rat et lui étaient écroulés de rire. Quand McLaren assiste à la répète, il déclare que le projet n’a aucun potentiel commercial. Allez hop, terminé. Pour l’anecdote : McLaren avait amené Nick Kent pour avoir son avis sur les Masters Of The Backside, mais quand il a entendu le nom du groupe, Nick Kent s’est barré.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Nick Kent profita aussi de l’occasion pour demander un coup de main à Rat pour son groupe The Subterraneans, et en mai 1975, Rat, Captain et Brian accompagnent Nick Kent sur scène. Brian dit admirer ses articles - I was a fan of his writing - Brian l’admire pour ses textes sur Iggy et Syd Barrett - En plus il apprécie sa compagnie - Un jour, on discutait des Stooges et il m’a dit : ‘You might like this - James Williamson’s jacket. He gave it to me in exchange for a Quaalude. I gave it to Steve Bators in the end - Le blouson sans manches de Williamson est celui qu’il portait lors du seul concert des Stooges à Londres, en juin 1972, au King’s Cross Cinema. Tyler ajoute que Brian le portait lors des premiers concerts des Damned. Symbole aussi totémique, dit Tyler, que la Les Paul blanche de Steve Jones, qui avait appartenu à Sylvain Sylvain - In 1976, the past was never far - Ce sont tous ces petits détails qui plantent un décor.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Retour à Paris avec Marc Z et l’Open Market. Enfin ! Tyler établit bien la filiation Nuggets, Lou Reed, Stooges, Groovies et New York Dolls. Un Marc Z qui rencontre McLaren en 1973 au moment où il organise un concert des Dolls à Paris, et qui va assister au set des Pistols à Bultler’s Wharf. Tyler oublie Tyla : il oublie de préciser que Marc Z se trouvait en compagnie de Sean Tyla ce soir-là. Tyler n’avait sans doute pas l’info. Il attaque aussi sec sur le Festival Punk de Mont-de-Marsan. Marc Z voulait Richard Hell comme tête d’affiche et donc le faire venir de New York. Comme Hell venait de quitter les Heartbreakers, Marc Z avait imaginé un groupe nommé The Mirrors, avec Hell au chant, accompagné de Nick Lowe et de Tim Roper, le batteur de Ducks DeLuxe. La projet tombe à l’eau. Marc Z devait aussi avoir les Pistols, mais il laisse tomber l’idée après l’agression de Nick Kent au 100 Club le 15 juin. Conséquence : les Clash qui étaient aussi pressentis annulent, en solidarité avec les Pistols. Il ne reste plus alors que les Damned. Comme les Damned acceptent, ça creuse encore le fossé qui les sépare du clan Pistols/Clash. Pour descendre à Mont-de-Marsan, les groupes voyagent en bus : Nick Lowe, Sean Tyla, Pink Fairies, Roogalator, Count Bishops, Gorillas. Eddie & The Hot Rods sont aussi à l’affiche, mais ils voyagent séparément. À l’origine de tout ça, on retrouve Larry DeBay. Tyler indique qu’en outre les Fairies et Roogalator n’ont pas joué, et que Skakin’ Street et Bijou ont joué lors de cette première édition du Festival Funk de Mont-de-Marsan, en 1976. On retrouve Marc Z un peu plus loin dans le book : après avoir allumé un feu de camp dans sa chambre d’hôtel à Colmar, Rat décide de quitter le groupe et de rentrer au bercail. Mais il n’a pas un rond. Il passe par Paris et déboule chez Marc Z qui l’héberge et qui lui donne de quoi rentrer à Londres. 

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

              L’autre âme des Damned, c’est bien sûr Captain. Il est sans doute le plus beau voleur de show de l’histoire du rock. On ne voit que lui sur scène. Dans le bus qui ramenait les groupes du Festival Punk de Mont-de-Marsan en Angleterre, Ray Burns ne s’appelait pas encore Captain. Rat lui avait écrasé un œuf sur la tête. Bien sûr, l’œuf séchait. Assis derrière, Larry Wallis grogna : «Listen, fucking Captain Sensible, you get that fucking egg out of your hair before we get to customs.» Voilà comment naissent les réputations. Après le rat écrasé dans la cave de Paddington, c’est l’œuf écrasé du bus de Mont-de-Marsan. Captain joue aussi avec ses vieux copains de Johnny Moped, qu’on voit parfois en première des Damned.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             En dehors de ses capacités musicales, Captain est un gros farceur, une sorte d’émule de Moon the Loon. Dans un bus de tournée, il attache les lacets des pompes de Costello ensemble, puis il lui fout des mégots dans la bouche et puis finalement décide de foutre le feu à ses pompes. Plus tard, quand il va quitter les Damned pour entreprendre sa fabuleuse carrière solo, Captain va rivaliser de fantaisie avec Moonie. Il se fait filmer dans le jardin de ses parents avec «the fattest, the meaniest, and ungliest black rabbit of all England.» Et Captain de déclarer : «Je suis exceptionnellement infantile. Je suis dans le business, the music business, where you can be a perpetual schoolboy, you don’t actually have to grow up. Which is mainly why I’m doing it.» Captain va aussi monter un label, Deltic, pour soutenir des groupes qu’il aime bien, Brotherhood Of Lizards de Martin Newell, Johnny Moped, Smalltown Parade, TV Smith, mais Deltic va vite se casser la gueule car tous ces groupes n’ont aucune chance.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Jake Riviera est l’autre personnage clé de l’histoire des Damned. Riviera avait vécu en France et managé des Variations. Rentré à Londres, il a fait le roadie pour Chilli Willi & The Red Hot Peppers. Pour Rat, «Jake is the only happening man in London.» Brian l’a aussi repéré, car il a une cassette des Heartbreakers avec Richard Hell. Quand Jake propose de signer les Damned sur Stiff, c’est l’adhésion immédiate. Ils avaient fait une démo avec Chiswick et Roger Armstrong, mais ils préfèrent opter pour le contrat d’un single avec Stiff. Ils reviendront plus tard dans le giron de Chiswick, au moment du troisième album Machine Gun Etiquette. Sur Chiswick il y a aussi The Radiators From Space, Rings, les Gorillas, Motörhead et les Radio Stars, pardonnez du peu. Puis en 1979, Ted Carroll et Roger Armstrong commencent à rééditer des labels américains sur Ace, et assurent ainsi non seulement leur longévité, mais leur postérité. Car Ace est devenu en bientôt 50 ans une institution, enfin aux yeux des amateurs éclairés.    

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             C’est Brian qui décide de baptiser le groupe The Damned. Apparemment, il y aurait deux sources d’inspiration pour ce choix : Les Damnés de Visconti et The Village Of The Damned. Brian se rebaptise Brian James car, dit-il à Rat, il y a pas mal de bons James dans le circuit : «Iggy, Williamson, Hendrix.» Les quatre Damned ont pas mal de goûts communs, Brian, Captain et Rat adorent les Pink Fairies, Brian et Dave vénèrent les Dolls. Brian adule le MC5 et les Stooges. Dave et Brian en pincent aussi pour les garage bands des sixties. Captain vénère Soft Machine. Mais Brian impose sa vision. Dave : «When it started, it was Brian’s band. You’re playing his songs and that was great.» Comme ils ont grandi tous les quatre dans des banlieues (Croydon et Crawley), ils sont bel et bien des outsiders. Leurs premiers enregistrements sont les démos pour Chiswick que finance Roger Armstrong : «I Fall», «See Her Tonite» et «Feel The Pain». Tyler dit que «See Her Tonite» sonne un peu comme le «Jet Boys» des Dolls. Grâce à Nick Kent, Brian a pu écouter le premier album des Ramones paru en avril 1976 et bien sûr l’up-tempo l’influence. En septembre de la même année, les Damned se retrouvent au studio Pathway, à Islington, avec Nick Lowe pour enregistrer «New Rose», avec une cover d’«Help» en B-side. Deux heures pour enregistrer, deux heures pour mixer. Coût total : 46 £ - Since the mod era, no British single had such a drive - Et puis il y a cette phrase d’introduction, «Is she really going on with him», empruntée aux Shangri-Las, produites par Shadow Morton, qui est aussi le producteur du deuxième album des Dolls. Tyler dit encore que le riff de «New Rose» s’inspire de celui de «Personality Crisis». Mais on s’en bat l’œil, Tyler, de tes parentés. Quand «New Rose» est sorti, on l’a tous pris en pleine gueule et personne n’a été chercher les fucking parentés. La presse anglaise s’enflamme à la sortie du single. Coon : «A hit !». Elle ne s’est pas foulée, la Coon. Nick Kent les voit sur scène à ce moment-là et il s’extasie : «The show was the best I’ve heard them so far. They’ll be very, very big.» Les Damned tournent en Angleterre avec les Groovies qui en ont la trouille - They didn’t like us, they didn’t like the audience - C’est vrai que les Groovies se déguisent en Beatles et Brian s’interroge : «Fuck me, where’s ‘Slow Death’ ? Les gens qui venaient nous voir jouer découvraient que les Groovies were going down like a bunch of shit.» Rat est encore plus radical : «Ils ne voulaient vraiment pas nous parler. On montait sur scène and played this show and kicked their arses. The crowd didn’t want the Groovies and booed them off stage.» Les Groovies faisaient tout à l’envers. Franchement, quelle idée de ramener les Beatles en plein punk-rock ! Brian a raison : bunch of shit.   

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Les Damned passent vite à la vitesse supérieure. Captain se pointe en robe sur scène, il devient «wonderfully lunatic», «an all-purpose looney». Dave travaille son look - the appearance of a ghoul - Il ressemble à «un sexless spectre fom an Isherwood nighmare who’d fallen in hard times in pre-war Berlin.» Rat a le «spike-haired extrovert energy», il arrose ses cymbales de liquide inflammable et fout le feu. Quant à Brian, il a «this guitar-hero-as-the-crazed-rocker persona beautifully tied up.» Les quatre personnages sont assez complets. C’est Jon Savage qui les définit le mieux, dans England’s Dreaming : «The Damned was the Bash Street Kids of punk; their lack of calculation and insistance on high-octane, hell-raising fun meant that their rapide rise was bedevilled by the impossibility of any planning.»

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Retour à Pathway en 1977 pour enregistrer Damned Damned Damned. Dès «Neat Neat Neat», on sent le souffle. Fantastique tension punkoïde. Modèle du genre. Tous les groupes punk de Londres ont essayé de faire du «Neat Neat Neat» sans jamais y parvenir. Brian y passe l’un de ces solos fuyants dont il a le secret. «Fan Club» est le cut fin des Damned. Pur stand-out de base, et «Born To Kill» va devenir l’autre archétype du punk-rock londonien, bien glissé par Captain et sacrément baratté par ce rat de Rat. C’est le punk turbo-fuselé par excellence, une dynamique de la dynamite. Brian y pulse sa purée à jets continus. Imparable ! En B se nichent les autres merveilles, à commencer par «New Rose», dont on ne dira jamais assez de bien, et le fantastique hommage aux Stooges : «I Feel Alright» - Outta my mind on a saturday night ! - Rat rappelle que Brian James n’est pas n’importe qui : «Il écoutait du jazz d’avant-garde et il appréciait cette free-form mentality, mais il avait aussi la passion des pop songs de trois minutes. Personne ne jouait comme lui. Il pensait que la musique devait être libre et avoir de l’énergie.» En fait les Damned ne raisonnaient pas en punks, il se voyaient dans la continuité d’une «underground tradition of bands like the Pink Fairies.»

             En 1977, ils tournent avec Marc Bolan qui, contrairement aux gens de sa génération, adorait les punks. Captain : «It worked so well. His crowd liked us and vice versa. He was such a great bloke, always giving us little pep talks in the bus. He took us in his own coach, really swanky.»

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Puis c’est la première tournée américaine, avec quatre soirs au CBGB, avec les Dead Boys. Point de départ d’un amitié entre Brian et Stiv Bators. Il y a par contre une petite embrouille avec Patti Smith qui leur interdit l’accès aux loges après le concert. Quand ils arrivent sur la Côte Ouest, ils découvrent que Tom Verlaine, qui est bien pote avec Patti Smith, les a virés de l’affiche au Whisky a Go-Go. Captain : «Obviously the word had got to him that we were a bit, um, ha ha. It was pretty mad at the times. Maybe he was right. If you want an easy life, I wouldn’t work with The Damned.» Et Rat d’ajouter : «We were rejected for not being artistic enough.» Pas grave, les Damned vont jouer dans la boutique Bomp de Greg Shaw. De retour à Londres, ils jouent à la Roundhouse - Hurray for the Captain’s Birthday - Captain arrive sur scène en tutu et finit à poil. Brian ne voit aucune objection à ça : «Les Pink Fairies le faisaient aussi, so did Iggy. But I didn’t like the way it was turning into a joke for some people.»

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Not The Captain’s Birthday Party ?, enregistré en novembre 1977 à la Roundhouse, et paru en 1986, compte parmi les meilleurs albums live de l’histoire du rock. On y trouve en effet une série de blasts vraiment digne de celle de No Sleep Till Hammersmith, notamment cet enchaînement de quatre hits, «So Messed Up», «New Rose», «Feel Alright» et «Born To Kill». Ils prennent «So Messed Up» au haleté maximaliste et ça tourne à la violence pure, c’est même complètement invraisemblable. Pas le temps de souffler, car ce rat de Rat tape «New Rose» dans la foulée, alors Dave le nave hurle à Whitechapel, il vient de rencontrer Mister Hyde, a new rose in town, l’hymne universel que Brian encorbelle sur sa bête à cornes alors que l’air circule sous le tutu de Captain. Hommage aux Stooges avec «Feel Allrigt» et c’est encore plus stoogy que les Stooges car Captain bombarde les cordes de l’Hoffner. Ils sont déjà sur-dimensionnés à l’époque, il faut entendre leur puissance de feu. Ça confine au monstrueux, Captain fait des fariboles sur l’Hoffner et il revient au riff des Stooges. Oui, les Damned twistent avec tous les démons des enfers, ils établissent le règne éternel de la stoogerie sur cette terre et ça repart de plus elle avec «Born To Kill» qui plonge dans un abîme de violence sonique. Brian James crée la sensation. Il produit sur sa bête à cornes des clameurs extraordinaires.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Les Damned tournent comme des malades. Captain : «There was a lot of drinking as well. We were drinking a fantastic amount. I don’t know how we managed.» Et Brian d’ajouter : «Good speed. One thing The Damned was never into was heroin. We were probably most sober on stage.» Ils enregistrent un single avec Shel Talmy, «Sick Of Being Sick»/«Stretcher Case Baby». Brian : «Shel was one of our heroes, having done all the great Who stuff and The Kinks.» Shel : «The Damned were the best of the bunch.» Le single vaut aujourd’hui une fortune, entre 500 et 1000 euros. On peut le choper sur une compile, The Stiff Singles 1976-1977. C’est vrai que Shel Talmy veille bien au grain, le Stretcher Case n’est loin des Who, mais ce n’est pas la compo du siècle. Et le «Sick Of Being Sick» n’est pas beau, atrocement mal chanté. Par contre on se re-régale à écouter «New Rose» (perfect, toute l’urgence du punk est là, c’est construit et imbattable, le riff est une idée brillante). Même chose avec «Neat Neat Neat», l’intro du siècle, Captain on bass, il tient bien la pression. Les autres singles sonnent comme des pétards mouillés.

             Et tourne le manège. Stiff leur fout la pression - Where’s the new album ? - Alors pour soulager la pression qui pèse sur lui,  Brian engage un autre guitariste : «I thought that would be the easiest thing, like the MC5 twin-attack thing. I like change.» Il repasse une annonce pour un «Interesting guitarist into Stooges, Damned, MC5.» Auditions. Le choix se porte sur Robert Edmonds vite surnommé Lu, «short for lunatic». Lu découvre que le group est coupé en deux : d’un côté les hooligans, Captain et Rat, et de l’autre les serious ones, Brian et Dave.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Allez hop, tout le monde redescend à Mont-de-Marsan pour le deuxième Festival Punk de Marc Z. Dès leur retour en Angleterre, ils entrent en studio avec le batteur de Pink Floyd. Comme Nick Lowe était en tournée avec Rockpile et qu’il n’était pas libre, Brian voulait Syd Barrett comme producteur. Il rêvait de la twisted psychedelia d’Arnold Layne. Or le pauvre Syd était parti en retraite anticipée, et on leur propose Nick Mason à sa place, le batteur du Floyd qui bien sûr ne comprend rien aux Damned. Brian accepte à condition que les tarifs soient raisonnables. Captain dit que le Floyd était devenu «a bucket of shit». Et c’est là que la belle aventure des Damned commence à se désintégrer : Jake Riviera les lâche pour se consacrer à Costello. C’est Dave Robinson qui les manage. Brian ne veut pas de lui : «We ain’t signed to you, we signed to him.» Il ajoute : «Without Jake there, it wasn’t the same for us. And that was it. To me, Jake will always be a wanker.» Captain en rajoute une couche : «I felt betrayed. I’ll never forgive him.»

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Voilà que sort Music For Pleasure, le deuxième album. Rien qu’avec la pochette, on voyait que ça n’allait pas. C’est l’une des plus foireuses de l’histoire du rock. Les cuts ne valent pas mieux. À cause des tournées incessantes, Brian n’a pas eu le temps de composer. Même avec Lu Edmunds pour beefer le son et se rapprocher du MC5, ça ne fonctionne pas - There was no soul - On ne trouve que trois bons cuts sur cet album fatidique : «Problem Child», captivant et insidieux au possible, «Alone», qui sonne comme un suicide artistique à l’Anglaise, même si on y retrouve le climat de «Feel Alright» et le longitudinal de «Fan Club», et «You Know», vieux groove stoogy bardé de sax. L’idée était certainement de revenir à l’ambiance de Fun House. C’est gonflé, d’autant que Lol Coxhill joue comme un dieu du free. 

             L’album floppe. Ce qui était logique, car le groupe n’avait pas répété et Brian n’avait composé que deux cuts, alors que Stiff mettait la pression - They wanted it tomorrow when I maybe had two new songs - Brian : «It was an experiment that didn’t work.» Rat : «It was supposed to be psychedelic. I think it was pretty dreadful.»

             Ils repartent en tournée en France. Des graves tensions apparaissent dans le groupe : Captain et Rat ne supportent pas les poules de Brian et Dave qui se joignent à la tournée. Comme les Damned cultivent le chaos, arrive ce qui devait arriver : l’un des Damned explose en plein vol :  Rat fout le feu à sa chambre d’hôtel, quitte le groupe et rentre à Londres. Alors Brian repasse une annonce : «The Damned require a great drummer fast.» Seulement deux candidats se présentent : le canadien Jim Walker, qui jouera ensuite dans Public Image, et Jon Moss qui bat le beurre dans London et qui jouera ensuite dans Culture Club. Moss décroche le job.

             Cinq jours avant Noël, Stiff fait un beau cadeau aux Damned : virés ! Dave Robinson dit qu’il a besoin de faire de la place pour le new talent. Et il ajoute cette remarque ignoble : «This is a record company not a museum.» Et il balance un communiqué officiel dans la presse : «Stiff is entering a new phase and The Damned does not come into our category.» C’est d’autant plus dégueulasse que sans les Damned, Stiff n’est rien. Brian répond par le mépris : «We’re a new band and Stiff’s a bit like an old pub rock label.»

             Pour Brian, continuer n’a plus de sens. D’autant que sur scène Captain devient de plus en plus silly et qu’il joue de moins en moins de basse. Brian doit engager un autre guitariste pour jouer les notes de basse pendant que Captain arpente la scène en tutu. Ce groupe n’a plus rien à voir avec le groupe qu’avaient fondé Brian et Rat - Fuck this, I need to change -  Dans les concerts, il ne supporte plus non plus de voir tous les gosses en uniforme punk - It was like the Bay City Rollers. There was a second wave of bands trying to sound like the first wave. They didn’t get it - Brian convoque les trois autres dans le pub qui leur servait de QG pour leur annoncer qu’il arrête les frais. Captain pleure, mais il réussit à surmonter son chagrin. Après l’annonce du break, Brian dit qu’il «felt terrible, afterwards. I jumped in a cab thinking ‘uh I’ve just said goodbye to what’s been my family.»   

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

                  C’est donc la fin de la période la plus intéressante des Damned. De son côté, Brian part à l’aventure avec les Lords Of The New Church. Dave, Rat et Captain vont remonter The Doomed avec Lemmy pour un concert, puis les Damned. Comme Brian est parti, Captain passe à la gratte - I wanted to hear punk rock with a psychedelic tinge - Ils n’ont pas un rond et ils vont trouver Dave Robinson chez Stiff pour demander de l’aide. Captain : «He sat there and laughed. Then he told us to fuck off.» Pour s’en sortir, ils essayent de monter des projets : Captain avec King, Rat avec Whitecats et Dave avec The Doctors Of Madness. Mais rien ne marche.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             En 1978, l’ex-Saints Algy Ward entre dans le groupe. Algy tourne avec les Damned et découvre l’ampleur du chaos : «We trashed the hotel, vodka, some of the backstage rider, duty free and cider, bottles thrown out the window, curtains set on fire, riot police were called, went in nick, released, band sent home.» Ordinary chaos. Puis comme le nom des Damned n’appartient à personne, Dave, Rat, Captain et Algy le récupèrent. «The Doomed are now The Damned», claironne la presse. Le seul label intéressé par les Damned, c’est Chiswick. Retour au point de départ. Roger Armstrong leur propose un «one-off deal for a single». Les Damned ont confiance en Chiswick. Ils se savent pris au sérieux. Pas comme chez Stiff. Mais faut composer des cuts. Alors Captain compose. Boom, «Love Song» !

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Re-boom ! Machine Gun Etiquette, bourré de clins d’yeux appuyés au MC5. La bravado est intacte. Rat amène le raw power, Captain les mélodies et Dave l’atmosphère. Roger Armstrong finance. Ce troisième album est un véritable coup de maître, d’autant que ça démarre sur un «Love Song» joué ventre à terre, relancé par de spectaculaires it’s okay. C’est l’un des hits les plus jouissifs du siècle passé, une énormité dévastatrice, une pulsation définitive, tout est là, avec un solo à la Wayne Kramer, it’s okay. Grâce aux compos de Captain, les Damned reviennent au devant de la scène anglaise. Le morceau titre sonne aussi comme un hit : c’est la reprise du «Second Time Around» des Whitecats de Rat. C’est ce son foutraque et rapide qui va les distinguer du reste du troupeau bêlant. Encore un violent coup de maître avec un «Melody Lee» traîtreusement introduit par un pianotis, et Dave le nave l’attaque férocement, c’est une fois encore joué ventre à terre et les Damned réinventent la pétaudière. Dans «Antitpope», Captain passe un killer solo flash. On a là le London punk-rock, joué à la vie à la mort. Le festin se poursuit en B, avec l’excellent «Plan 9 Chanel 7», qui se situe dans la veine de «Shot By Both Sides», mais la dimension damnée en plus, une pure giclée de génie dans l’œil du cyclope, c’est bardé de glissés de basse et de subites montées en température. Ça continue avec «Noise Noise Noise», chanté à la cantonade et un Captain qui double Dave au chant. On tombe ensuite sur la huitième merveille du monde, une reprise survoltée de «Looking At You». Dave est sur Rob, il chante ça bien perché et Captain rejoue fidèlement le solo de Brother Wayne. Leur version est exceptionnelle. Chaque fois que les Damned touchent à un classique, ils le font bander. Il n’existe rien d’aussi excitant que cette version. Le seul groupe anglais qui peut jouer le MC5, c’est les Damned, avec un Captain qui s’évapore au bas du manche. Ils font de cette version un monstre poilu qui dégouline de jus, et le pauvre Dave s’accroche à ses lyrics. Dans un tel cataclysme, c’est la seule chose qu’il puisse faire. Plus loin, «Smash It Up» sonne comme un hit dès l’intro. On a là un bon fil mélodique et le uuh-uuh-uuh amène bien le petit refrain. Attention, dans sa réédition de 2004, Ace a ajouté une série de bonus dont certains sont excellents. Avec «Suicide», nos amis les Damned se prennent pour les Pistols. Ils jouent sur le beat de «New York» et Dave fait son Rotten. Quant à «Burglar», c’est le hit secret des Damned. Dave le prend aussi à la Rotten et ils deviennent littéralement les rois du crystal de methedrine. Ils sont tordants. Faut-il les prendre au sérieux ? En tous les cas, ils savent faire les punks. Avec cet exercice de style, Dave frise un peu le ridicule. On trouve aussi dans ces bonus une version intrinsèque d’«I Just Can’t Happy Be Today». Ils proposent un monde complet et nutritif, leur rock est solide, au plan aussi bien interprétatif que composital. Ils rendent ensuite un spectaculaire hommage aux Sweet avec une reprise de «Ballroom Blitz». Infernal ! Pas aussi bon que les reprises des Sirens, mais c’est pas loin. Rat dit qu’Algy a joué très peu de basse sur l’album. Captain a quasiment tout joué. Algy arrivait pété (legless) au studio - He would only drink neat whisky - Roger Armstrong indique toutefois qu’Algy joue sur «Liar» et c’est lui qui gratte l’intro de basse de «Love Song.»

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Autre chose : initialement il devait y avoir un EP de covers avec Machine Gun Etiquette : «The Sun Ain’t Gonna Shine Anymore» (choix de Dave), «I Can’t Explain» (choix d’Algy), «Arnold Layne» (choix de Captain) et le «Let There Be Drums» de Sandy Nelson (choix de Rat).  Ils ont aussi paraît-il enregistré des covers de «The Snake» (Pink Fairies), «Happy Jack» (Who) et l’«I’m So Glad» de Cream. Aucune trace de tout ça pour l’instant.  

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Sur scène, Dave devient le Comte Orlok et les autres le surnomment ‘Creature’. Puis ils repartent en tournée américaine. Captain ne supporte pas l’Amérique, «its cars, its finances, its audiences, its lack of reality.» Rat et lui baisent des Américaines qu’ils qualifient de ‘boilers’. Chaos permanent sur scène - Captain behind the drums in his underpants, the guitar flying and the démolition of the drums and Algy’s bass - Au Whisky a Go Go, Rat frappe un mec d’un coup de gratte en pleine gueule, et comme le publie hue Rat, Captain dit tout le mal qu’il pense de l’Amérique. Alors Algy sort de scène et Rat détruit la batterie. Ce n’est que ça : search & destroy. Chaque soir, Captain insulte les Américains : «Stinking American arsehole shit-cunts.» Puis il pisse sur le bord de la scène alors que Rat lance «Neat Neat Neat». Et Captain finit à poil pour attaquer une cover sauvage de «No Fun». C’est là qu’il prend une chaise en pleine gueule et qu’il se retrouve à l’hosto. Algy résume tout le bordel des Damned : «Captain sort de scène, revient à poil et pisse un coup. Scabies descend dans le public pour frapper un mec. Écœuré, Dave sort de scène and I was ‘fuck this’ and do a bass solo.» Rat rappelle qu’il y avait «a lot of drinking and drug taking at the time. Cocaine. We’d be doing lines before breakfast.» Il résume tout ainsi : «We were animals.» Quand une shoote éclate entre Algy et Rat, the drum roadie ceinture Algy pendant que Rat le défonce à coups de poings. Puis le fossé se creuse entre Algy et le groupe. Le jour de l’an 1980, Algy reçoit un coup de fil du manager Doug Smith : viré. Algy le vit très mal. Rat apparaît de plus en plus comme un personnage pas très sympathique. C’est le moins qu’on puisse dire.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

    (Paul Gray à gauche)

             Tyler rappelle que les Damned ne socialisent pas ensemble. Chacun vit dans son coin. Si Rat a viré Algy, c’est parce qu’il veut Paul Gray, le bassman d’Eddie & The Hot Rods. Ils se mettent tous à écouter les Doors, Nuggets et les compiles Pebbles.

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Comme ils ne trouvent pas de producteur et que Shadow Morton n’est pas disponible, alors ils décident de produire eux-même un double album intitulé The Black Album, paru en 1980. On parlait à l’époque d’un clin d’œil aux Beatles du White Album. Ils mettent six mois à l’enregistrer, à Rockfield. C’est Dave qui signe le design de la pochette. Dave et Captain bricolent sur un harmonium et inventent accidentellement un son qui va devenir le fameux goth. Captain en profite pour donner libre cours à l’une de ses passions : le prog. Eh oui ! Les punk-rockers avaient réussi à chasser le prog par la porte et ce farceur de Captain le fait revenir par la fenêtre, avec un cut de 17 minutes, «Curtain Call», qui remplit toute la C. Alors attention, il s’agit là d’un étrange album de pop inventive très orchestrée. C’est là que Dave fait ses preuves car il chante la pop dynamique et sur-vitaminée de «Wait For The Blackout» avec une gravité solennelle qui en impose. Captain dit de Dave qu’il est le meilleur chanteur d’Angleterre, et quand on sait que Captain a le bec fin, on prend sa déclaration pour argent comptant. Encore de la grande pop avec un «Lively Arts» bien nappé d’orgue. On retrouve les power chords du MC5 dans l’excellent «Drinking About My Baby», sérieux mélange d’énergie, de clap-hands, de basslines hyperactives et de chœurs bon enfant. Avec «Hit And Kiss», on assiste à un puissant retour du punk-rock. Mais c’est en B que se planquent les énormités, à commencer par «Sick Of This And That», véritable coup de génie. Les Damned pulsent loin devant et Dave chante à la pointe de la vitesse punk, poussé par une sorte de souffle. «13th Floor Vendetta» sonne comme du Can dévoré par une basse carnivore, Babaluma over the piranhas. Même chose avec «Therapy» qui sonne comme un hit, grâce à son drive infernal. Paul Gray y fait des ravages et Dave le décadent règne sur l’empire des Damned. En D, on trouve des versions live complètement explosives de «Love Song» - ils sont au pinacle, c’est le pire blast d’Angleterre - puis de «Second Time Around», pulsé à la vie à la mort et chanté à deux voix, suivi de «Smash It Up» 1 & 2. Les Damned planent comme une énorme chauve-souris au dessus de l’Angleterre, c’est noyé de guitares et embarqué par cette fantastique section rythmique de Rat & Paul. S’ensuit une version révolutionnaire de «New Rose». Ils jouent de plus en plus vite. C’est facile de faire de grands sets quand on a des hits. Pour les Damned c’est du gâtö. Il faut aussi écouter leur version spectaculaire de «Pan 9 Chanel 7», Captain y tisse une toile énorme et le groupe ne perd rien de sa dynamique infernale. On entend même Captain jouer des petits coups de Shot. Dans sa réédition de 2005, Ace a rajouté des bonus, et notamment cette belle version live de «White Rabbit», qui au départ est un peu gothique. Ils transforment ça en mad psyché et Captain accentue les accents planants de l’Airplane. On entend Rat battre «I Believe The Impossible» comme plâtre et Captain ré-attaque «There Ain’t No Santa Claus» au Shot de Devoto. Ils repompent bien l’effet. S’ensuit une version explosive de «Looking At You», certainement plus explosive que la version originale. Tu sors de là ahuri.

             Ils ont encore un mal fou à trouver un label qui veuille bien d’eux. Dans l’industrie musicale, on les considère comme ingérables. Personne ne peut leur dire ce qu’ils doivent faire. Quand on leur suggère de répéter sur une barge pour éviter d’aller tout le temps traîner au pub, ils passent leur temps à picoler sur la barge, à vider du produit à laver la vaisselle dans l’eau pour faire des bulles autour d’eux, et finalement, ils mettent le feu à un matelas. La barge prend feu et coule. Une virée digne de celle des Hollywood Brats, n’est-il pas vrai ?

             C’est Captain qui est derrière le titre du Strawberries. Il en a marre de recevoir des glaviots et des canettes de bière sur scène, fed up with the abuse, et il dit que jouer pour ces porcs, «it’s like giving strawberries to pigs» (donner de la confiture aux cochons). Le titre de l’album à venir devait être Strawberries To Pigs, qui fut ramené à Strawberries.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Le petit cochon qui orne la pochette de Strawberries semble craindre pour sa vie. On trouve deux hits sur cet album mitigé : «Ignite», joué à la pure énergie des Damned, dans la veine de cette belle explosivité jugulaire à laquelle ils nous ont habitués, et Captain passe l’un de ces killer solos flash qui font sa légende. L’autre hit s’appelle «Dozen Girls». Captain s’amuse à jouer le thème du «Slow Death» des Groovies dans l’intro et ça part en power-pop bien fuselée, soutenue au piano électrique et par une belle ligne de basse traversière. Ils n’ont rien perdu de leur énergie. On retrouve cette pop ambitieuse, garante des institutions et du patrimoine britannique en B, avec «Gun Fury». Plus loin, Captain chante «Life Goes On» et les Damned opèrent un retour au musculeux avec un «Bad Time For Bonzo» sévèrement drummé et chanté au gras du Dave. Mais dans le groupe, des tensions atteignent une sorte de paroxysme et Rat déclenche une bagarre avec Paul Gray. Le groupe a alors un sérieux problème de positionnement : pop, goth ou punk ? D’autant que Captain devient une pop star avec «Happy Talk». Tout s’écroule une fois de plus. Paul Gray et Captain quittent le groupe. Le groupe se recentre autour de Dave et vire non seulement goth, mais aussi commercial.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             On retrouve donc une nouvelle équipe sur MCA - un label mainstream and safe - avec un nouvel album, Phantasmagoria. Dave arbore alors son look gothique et le groupe met résolument le cap sur la pop. Dave prend «Street Of Dreams» d’une voix grave et une basse aérodynamique nous rappelle le bon temps des Damned. C’est une reprise d’«Eloise» de Paul & Barry Ryan qui sauve l’album. Dave adore les standards des sixties. Cette reprise est bien poundée par ce rat de Rat. On assiste à un beau final, c’est vrai, Dave le nave se saigne la glotte à blanc. On a deux autres belles pièces de pop à la suite, «Is It A Dream» et «Grimly Fiendish». Ils tentent de donner à leur pop un caractère sixties, très Sgt Pepper. Dernier coup de pop capiteuse avec «The Eighth Day». La voix de Dave se reconnaît entre mille.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Dernier album de la période pop : Anything. C’est la même équipe que celle de l’album précédent. Le morceau titre sonne pop, mais avec une belle dynamique interne. Ils font une belle reprise des Love, «Alone Again Or», bien spongieuse et drue à la fois, visitée par ce solo de trompette psycho-mariachi qui fit jadis la gloire du cut. Il faut attendre la B pour retrouver un peu de viande, et notamment «Psychomania». Une ligne de basse court comme une folle à travers le cut. C’est orchestré et solide. Avec ce cut de la dernière chance, les Damned retrouvent miraculeusement leur sens de la fulgurance. Mais Rat est mitigé : «The Phantasmagoria and Anything songs didn’t really stretch out.»

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Et c’est là que Rat et Dave vont se fâcher. Rat a besoin de fric, alors il envisage d’enregistrer le prochain album au Japon. Il a composé des chansons avec Alan Shaw, mais Dave chipote, car pour lui ce ne sont pas des Damned songs. Quand il découvre qu’il ne fait pas partie du deal japonais, Dave rend son tablier - Alright that’s it, I’m out - Et il prévient Rat que s’il trouve l’album dans le commerce, il engagera des poursuites. Rat fait paraître l’album au Japon puis aux États-Unis. Alors Dave le poursuit en justice. C’est la fin d’un vieux partenariat, celui de Rat Scabies et de Dave Vanian. Et pourtant, I’m Alright Jack And The Bean Stalk pourrait bien être l’un des meilleurs albums des Damned. Aucun déchet sur cet album dont Rat co-signe quasiment tous les cuts. Le MC5 aurait très bien pu enregistrer «Shadow To Fall» et «I Need A Life», car les Damned jouent leur son, au pulsatif extrême - Always ready for the reanimation ! - Kris Dollimore fait merveille avec son riffing d’une affolante vélocité de la véracité. Rat bat ça si sec que ça devient génial. Quand on écoute «Shadow To Fall», on est bien obligé d’admettre que cet album est l’un des fleurons du rock anglais. Voilà du grand Vanian dans l’enfer des Damned avec «Testify». C’est proprement hallucinant, car joué au solo de wah dans l’écho des contreforts de la Transylvanie. Back to the MC5 avec «Shut It». Ils vont vite et bien. Encore du bardé de son avec «Tailspin», aussi puissant qu’un hit des Stooges, hanté par des guitares vertigineuses. Dave refait des siennes en B dans «Running Man». Pas de meilleur chanteur de rock an Angleterre. C’est hanté et saturé de son. Encore du Dave expansif, celui qui ravage les contrées, dans «Never Could Believe». Il passe toujours par le bas pour remonter et éclater au-dessus de la mêlée. Dave développe un pathos digne de ceux de Mark Lanegan et Greg Dulli. D’ailleurs le thème mélodique de «Never Could Believe» est celui des Screaming Trees, c’est exactement la même ampleur catégorielle. Chris Dollimore des Godfathers fournit l’hallali final sur sa gratte. Pur jus de Damned Sound avec «My Desire», joué à la punkitude céleste et chanté à l’excédée. Voilà de la Soul punk avec «Heaven Can Take Your Lies», un cut nappé d’orgue en fusion. Ça frise encore une fois le MC5 et le guitariste n’en finit plus de réanimer l’esprit du Detroit Sound.

             Dave, Bryn Merrick et Roman Jugg décident de virer Rat en quittant les Damned pour monter les Phantom Chords. Fin du partnership Dave/Rat qui existe depuis le début. The Damned was over.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             L’album de Dave Vanian & The Phantom Chords sort sur Big Beat. On y trouve un «Voodoo Doll» insidieux qui nous plonge dans une ambiance convaincante. Dave redevient l’énorme chanteur que l’on sait dès «Screamin’ Kid». Sa voix éclate dans le gloom du doom, et derrière ça pulse à la stand-up. De fantastiques éclairs de guitare zèbrent le boogaloo. Voilà encore un disque ultra joué et bien sûr ultra chanté. Il faut attendre «Fever In My Blood» pour retrouver de la viande fraîche. On sent bien que Dave se complaît dans cette ambiance gothico-gothtica, avec un cut solide comme l’acier, bien tendu, monté sur un tempo suspensif, un cut véritablement étrange, hanté par le gros beat de l’homme des cavernes. Avec «Frenzy», Dave se met littéralement en colère. Il transpose le son des Damned dans la dynamique du rockab. Quelle violence ! Il tape aussi dans le vieux «Jezebel» de Gene - A devil was born/ Without a pair of horns/ It was you - On a toujours adoré ce radicalisme minimaliste des paroles de Jezebel. Et Dave enfourche «Tonight We Ride» comme s’il grimpait sur une moto. Puis on croit qu’ils vont plagier «New Rose» avec «Chase The Wild Wind», mais par chance, ça vire pop. Ouf ! Ils n’auraient tout de même pas osé.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             The Damned was over ? Non, The Damned n’est pas complètement over. Le groupe renaît de ses cendres en 1989 : le line-up original se reforme pour une série de farewell gigs. Pendant une tournée américaine, l’irréparable se produit : sur scène, à Washington, Captain présente «New Rose» : «This one’s written by Guns N’ Roses.» (Les Guns ont en fait une cover). Furieux, Brian jette sa gratte au sol et quitte la scène. The Final Damnation documente cette période : concert filmé au Town & Country Club en 1988. On en reparle dans un Part Four.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Captain revient jouer dans les Damned avec Dave, Patricia Morrison, Pinch et Monty Oxymorron. Et pouf, c’est reparti comme aux plus beaux jours, avec Grave Disorder sur lequel se trouve une belle série de blasts. À commencer par «Looking For Action» - You want some action baby yeah - Explosion garantie et si Captain part en vrille, c’est bien sûr en vrille définitive. Encore du blast avec «Amen», back to the Damned sound, Dave attaque toujours au crépuscule - This is my house/ Please come on in - Encore une rasade de blast avec «Neverland», Captain y refait son MC5. On trouve aussi du big sound dans d’autres cuts comme le «Democracy» qui ouvre le bal. Les Damned font de la politique - Cause revolution changes nothing/ And voting changes ever less - Puis ils se foutent de la gueule du web dans «Song.com» - Gotta hit the sites ! - Ils sont morts de rire devant ce désastre de la modernité - Surfin’/ Fire my imagination/ Russian porn or new playstation - Et ça valse dans les décors - Surfin’ all my life - Quelle élégance, baby. Les Damned re-déploient toute leur puissance dans «Thrill Kill» - I’m just killing some time/ It’s a fantasy crime - On assiste à l’envol d’une gigantesque bat de nave - We’re just having some fun/ messin’ around with a gun - C’est bardé de son et littéralement overwhelming. Quand on écoute «She», on repense à la définition de la puissance. Les Damned en sont l’exacte incarnation, avec cette façon qu’ils ont de foncer dans la nuit, et bien entendu, Captain ne peut pas s’empêcher de partir en vrille. On peut dire qu’il est l’héritier direct de Wayne Kramer. Ils bouclent ce fantastique album avec «Beauty And The Beast». Dave entre dans une structure pianistique digne de Jimmy Webb. Ses veines bleues charrient l’écho glacial du temps. Il se dégage du cut un réel parfum de cimetière. Dave est le chantre de la mort froide. 

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Paru en 2008, So Who’s Paranoid ? grouille de puces. Ça saute dans tous les coins. Et ce dès «A Nation Fit For Heroes», joli brin de power pop damnée pour l’éternité et visitée par une belle bassline de notes rebondies signée Stuart West. Captain y prend un vieux solo de wah évangélique qui nettoie bien les bronches. Dans «Under The Wheels», Captain s’amuse à jouer le riff de «Little Johnny Jewel». Avec «Shallow Diamonds», les Damned sonnent un peu comme des power-poppers MTV. Ils frôlent le ridicule, même si Captain évoque le martyre de l’Afrique martyre. Il lance en effet une diatribe contre les diamants d’Afrique qui rendent les pauvres encore plus pauvres. C’est en B que se trouve la vraie viande, avec «A Danger To Yourself», solide, bien monté au beat. On retrouve cette élégante énergie et cette ampleur qui leur vont si bien. C’est même le son du MC5, avec des tagadas de clap-hands dans le power-grind. Voilà la patte des Damned : compo solide, musculeuse et ardente, chantée au mieux des possibilités. Encore du son des Damned avec «Maid For Pleasure». Dave chante ça d’une voix grave de vautour, voilà encore une horreur pop, dense et terrible à la fois. C’est littéralement bombardé. Ça continue avec l’excellent «Perfect Sunday», très pop-rock, très guitare, très Dave au chant, très beat soutenu, très effervescent, très Damned, en fait. On sent la puissance monter sous la peau luisante du cut. Et comme l’indique Alex Ogg dans ses notes de pochette, «Nature’s Dark Passion» sonne comme du Scott Walker. Encore de l’admirable pop avec «Little Miss Disaster», jouée à l’énergie dévastatrice, ultra-visitée par les solos limpides du grand Captain. Les Damned savent allier la puissance à la mélodie et c’est ce qui les distingue du commun des mortels. On tombe ensuite nez à nez avec «Just Hangin’», pur psychout anglais, puis sur le pot aux roses : «Dark Asteroid», le plus bel hommage à Syd Barrett qui se puisse concevoir ici bas. Pure merveille de psychedelia mélodique. Captain part en vrille de wah débridée et les Damned retrouvent leurs racines, le Floyd de Syd Barrett, grâce à un groove hypnotique et aux nappes d’orgue spatiales d’Oxymoron. On nage là en plein mythe. Deux des plus grands groupes anglais se retrouvent dans la cinquième dimension. Voilà pourquoi il faut écouter les Damned. Sur la réédition vinyle, on trouve d’autres cuts solides en D, comme «Half Forgotten Memories» ou «Aim To Please», fabuleux brouet de pop-rock, ou encore «Time», hit de garage anglais nappé d’orgue. Cet album est certainement l’un des meilleurs qu’aient enregistré les Damned.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Nouvel album des Damned : Evil Spirit, salué par toute la presse anglaise. Album déroutant. Il ne se passe quasiment rien sur l’A. Les Damned bricolent péniblement une sorte de petite pop gothique. Dave Vanian semble gommé par la prod de Visconti. On sent un son plus corseté, nappé d’orgue, une certaine forme d’ambition compositale, mais nous ne sommes pas là pour ça. Sur «We’re So Nice», Captain se fend d’un final éblouissant. Avec «Look Left», les Damned font dans l’océanique. Étrange, pour un gang d’aussi mauvaise réputation. Et dans le cut, Captain se fend de l’un de ces solos mélodiques dont il a le secret. C’est un peu comme  si les Damned étaient devenus adultes. Ils s’enrichissent et s’orchestrent comme des parvenus qui bouffent comme des porcs. Pas facile de se réinventer quand on est coincé dans une image aussi nette que celle des Damned. Et puis soudain, ils se réveillent avec une compo de Captain, «Sonar Deceit». Dave la prend à bras le corps, comme au bon vieux temps. Retour au souffle composital. Ça sonne comme un hit pop. Et tout explose enfin avec «Daily Liar». Back to the big Damned Beat, avec une basse en avant toute. Fabuleuse énergie ! Ils renouent enfin avec leur verve légendaire - Direct me so/ I can find/ My way through - Captain passe un solo de pure virule, il chevauche à nouveau son dragon à rayures et Paul Gray fait des miracles sur sa basse. C’est un vrai coup de génie. Qui saura dire la grandeur des Damned ? Ils surjouent magnifiquement.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             N’oubliez surtout pas les fameux Best Of concoctés par Roger Armstrong, car on y trouve les B-sides des singles qui ne figurent pas sur les albums, comme par exemple «White Rabit» (bel exemple de gothique merdique) ou «Stranger On The Town», un r’n’b joué à la cloche de bois, avec des cuivres : London Stax ! Ils jerkent aussi les a-priori avec «Disco Man». C’est aussi l’occasion de ré-entendre tous les hits des Damned, «New Rose», «Neat Neat Neat», «Love Song» et de s’offrir un joli tour de manège.

    damned,ernie vincent,laurent blot,peanut butter conspiracy,christone kingfish ingram,sarah shook & the disarmers,voidhra,equine elvis

             Naz Nomad & The Nightmares est un projet parallèle des Damned, monté à l’époque de Fantasmagoria (Dave, Rat, Roman Jugg et Bryn Merrick). Dave porte une perruque blonde et fume à la chaîne - I became this totally obnoxious character, a bit like Sky Saxon - Sur l’album Give Daddy The Knife Cindy, on trouve une belle série de reprises, pur jus de garage sixties. Ils font une fantastique version rampante de l’intouchable «I Can Only Give You Everything». Comme Dave n’a pas écrit les chansons, il les joue comme un acteur joue un rôle, avec un accent américain. Le «Cold Turkey» qui traîne en A n’est hélas pas celui de John Lennon. Autre belle cover, celle du «Kicks» de Paul Revere & The Raiders. C’est joué avec une certaine inspiration et travaillé aux petites guitare volubiles. Autres jolis choix : le «Nobody But Me» de Human Beinz et l’«Action Woman» de Litter. On voit que ces messieurs avaient le bec fin, question garage sixties. En B, Dave le nave passe l’«I Had Too Much To Dream» des Electric Prunes à la casserole gothique. Il n’en fait qu’une bouchée puis ils rendent un hommage pertinent à Kim Fowley avec une fantastique version de «The Trip». Cet album de reprises rassemble toutes les conditions idéales.

    Signé : Cazengler, damé du pion

    Damned. Damned Damned Damned. Stiff 1977

    Damned. Music For Pleasure. Stiff 1977

    Damned. Machine Gun Etiquette. Chiswick Records 1979

    Damned. The Black Album. Chiswick Records 1980

    Damned. Strawberries. Bronze 1982

    Damned. Phantasmagoria. MCA Records 1985

    Damned. Anything. MCA Records 1986

    Damned. Not The Captain’s Birthday Party ? Demon Records 1986

    Damned. I’m Alright Jack And The Bean Stalk. Marble Orchard Recordings 1996

    Damned. Grave Disorder. Nitro Records 2001

    Damned. So Who’s Paranoid ? English Channel 2008

    Naz Nomad & The Nightmares. Give Daddy The Knife Cindy. Big Beat Records 2011

    Dave Vanian & The Phantom Chords. Big Beat Records 1995

    Damned. Evil Ways. Search And Destroy Records 2018

    Damned. The Best Of. Big Beat Records 1987

    Damned. The Stiff Singles 1976-1977. Castle Music 2003

    Kieron Tyler. Smashing It Up - A Decade Of Chaos With The Damned. Omnibus Press 2017

     

    L’avenir du rock

    - Ernie disqual

             L’avenir du rock ne put éviter de répondre favorablement à l’invitation de ses vieux amis. En règle générale, il préfère éviter les fêtes d’anniversaire, mais bon, il faut parfois savoir se résigner. Comme il s’y attendait, il s’agissait d’une grande fête costumée. De nature conceptuelle, l’avenir du rock n’avait pas besoin de se costumer. Un concept reste un concept. Croiser ses vieux amis déguisés en zombies et en vampires ne l’amusa que cinq minutes, pas plus. Déguisés, les gens sont souvent plus vrais que nature. Comme la fête rassemblait un grand nombre de gens, les instigateurs avaient prévu des montagnes de victuailles, ils mirent des tonneaux en perce et des groupes de rock se succédèrent sur la petite scène pour faire danser toute cette viande soûle. Chaque fois qu’un ami bienveillant venait lui remplir son verre, l’avenir du rock attendait le moment opportun pour le vider discrètement dans la plante verte trônant près de son fauteuil. Il n’était pas question d’aller tortiller du cul avec toute cette faune avinée. Les femmes semblaient comme d’usage les plus abîmées. Il ne put cependant éviter les conversations impromptues et devait chaque fois supporter le souffle fétide d’une haleine clochardisée. «Ah les fêtes ne sont plus ce qu’elle étaient», se lamentait l’avenir du rock lorsque, par chance, il se retrouvait seul. Il songeait aux bals mythiques du Paris de l’avant-guerre, notamment au fameux Bal des Quat’z’Arts qui fascinait tant Apollinaire et Henri-Pierre Roché, et où dansaient de belles égéries aux seins nus. Dracula vint le trouver pour lui soumettre une proposition :

             — Tu prendras bien un peu de dope avec moi, avenir du rock ? 

             — Merci bien, amigo, mais je préfère le Dap. 

     

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             L’avenir du rock fait bien sûr référence à Ernie Vincent, the Original Dap King. C’est d’ailleurs le titre de son album de résurrection. Et pas ressuscité par n’importe qui. Par Jimbo Mathus et Matt Patton ! On peut y aller les yeux fermés. L’album sort en plus sur Cornelius Chapel Records, le label du brillant Matt Patton dont on a déjà fait l’éloge maintes fois ici. À la différence d’Auerbach, Matt Patton veille chaque fois à préserver l’intégrité des artistes qu’il accompagne et qu’il produit. Il ne trucide pas l’art des artistes noirs à coups de guitares fuzz et de psychedelia mal embouchée. Matt Patton donne à ses artistes (Paul Wine Jones, Candi Staton, Leo Bud Welch, Bette Smith, Alabama Slim, Drive-By Truckers, Dan Sartain, Tyler Keith, pardonnez du peu) des dynamiques et une fantastique profondeur de son. Il est l’un des producteurs les plus brillants de notre époque.

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Ernie Vincent s’appelle en réalité Ernie Vincent Williams. C’est un vieux loup de mer de New Orleans qui a bidouillé avec tous les autres vieux loups de mer locaux depuis les années 60, Ernie K-Doe, King Floyd, Tommy Ridgley, Oliver Morgan, Irving Bannister, Eddie Bo et Jessie Hill, pour ne citer que les plus connus. Dans les années 70, il monte les Top Notes et pond le fameux «Dap Walk» - an unhinged masterpiece of wah wah guitar, multiple drum breakdowns, and positive ghetto messages - qui va tant plaire à Gabe Roth. Le nom de Daptone vient de là, du «Dap Walk» d’Ernie Vincent. C’est l’équivalent de «Soul Train».

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Alors pour Jimbo et Matt, c’est du gâtö. Original Dap King est un fantastique album. Tu entres directement dans l’heavy groove de «Body Shop» et tu n’en sors plus. Il fait un wild groove dont on n’a pas idée. Le vieil Ernie incarne à sa façon tout le power de New Orleans, au moins autant que les Wild Magnolias et Big Chief Monk Boudreaux & The Golden Eagles qu’il accompagna jadis. Authentique coup de génie. Il est vrai qu’à la Nouvelle Orleans, les coups de génie sont d’une grande banalité. Si tu ajoutes aux noms cités plus haut ceux de Betty Harris, des Meters, de Mac Rebennack, de Shirley & Lee, d’Aaron Neville & The Neville Brothers, d’Huey Piano Smith, de Fatsy, de Bobby Marchan et de James Booker, tu comprendras qu’il y a plus de génie à la nouvelle Orleans qu’il n’y a de particules dans ta philosophie, Horatio. Le festin se poursuit avec «Midnight Rendrezvous» et un son fabuleusement duveteux. Matt Patton sait adapter le son à l’artiste, il fait de l’anti-Auerbach, il a compris la philosophie du Black System, il donne du champ au son et du volume aux chœurs de filles. S’ensuit un groove gratté aux meilleures auspices funky, «Possession». Tout sur cet album est travaillé au mieux des possibilités. Ernie Vincent et ses amis proposent une fantastique ré-actualisation du New Orleans Sound. Encore un petit coup de génie avec «Blues Filler». Ernie l’attaque en mode wild trash blues et ça donne un gras double d’une invraisemblable ferveur. Si on le compare à Buddy Guy, c’est pas pour des prunes. T’as aussi des cuts plus classiques, comme «Jealousy», mais avec un sacré fouillé de son. Ça grouille de notes en permanence. Quel melting pot ! Il termine avec «Early Times», un big boogie blues taillé au raw des pâquerettes. Fabuleux son, mais le cut n’a aucune valeur ajoutée. On salue la dévotion de Matt Patton. Il est derrière ce projet. 

    Signé : Cazengler, Ernigaud

    Ernie Vincent Williams. Original Dap King. Cornelius Chapel Records 2023

     

    Tout nouveau tout Blot

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Il débarque tout seul sur scène. Il s’appelle Laurent Blot. Il se produit en première partie de Kelly Finnigan. Il gratte ses poux. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il rafle vite la mise. Il gratte des poux d’une extrême délicatesse. Il fait de la Soul. Il sait poser sa voix. Il est complètement à l’aise. Il crée son monde.

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

     Il tient son rang. Il groove merveilleusement. Il écoute de toute évidence de très bons disques. Il flatte l’intellect du public. Il a tout compris. Il défie les lois de la pesanteur. Il est libre. Il te prend à témoin de sa liberté. Il te montre comment on fait une première partie digne de ce nom. Il gratte comme Curtis Mayfield. Il fait illusion. Il traverse le temps comme un funambule. Il excelle ou il fascine, c’est comme tu veux. Il ne frime pas. Il porte une petite veste et des pompes d’éternel étudiant. Il chante pour que tu l’écoutes. Il a beaucoup de charme. Il est encore très jeune. Il a un sourire d’enfant. Il semble intact. Il cultive son talent. Il échappe définitivement à la médiocrité. Il fait penser à James Hunter. Il pourrait très bien descendre en droite ligne de Merlin l’enchanteur. Il est à cheval sur la soft-pop et la Soul blanche. Il va là où très peu de gens vont.

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

    Il nous fait visiter le monde qu’il crée cut après cut. Il fait exactement ce qu’ont fait Lennon et McCartney avant lui, il écrit des belles chansons. Il fait des petits prodiges sur sa guitare. Il ne joue pas fort. Il se contente de groover ses progressions d’accords. Il aime le funk, c’est sûr. Il dispose d’immenses facilités. Il chante la chanson préférée de sa femme. Il rappelle qu’il s’appelle Blot.

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Alors tu veux en savoir plus. Pour ça, il existe une solution, Tambourine, un album qui date déjà de 2017. Voilà un Tambourine pour le moins étonnant, car pris en sandwich entre deux merveilles Beatlemaniaques : le morceau titre et «Movin’ On», au bout de la B. Blot qu’on va appeler Blow sonne littéralement comme John Lennon, il nous plonge dans l’art supérieur de la pop, avec en prime une certaine nonchalance. Tu retrouves des échos d’«Honey Pie» dans «Movin’ On», le cut pourrait très figurer sur le White Album. Autre surprise de taille : «All I Go» qui sonne comme un hit d’Eric Carmen, à cause de l’All by myself, c’est une véritable merveille de chant insistant. Dommage que tout le balda ne soit pas de ce niveau. Le «Don’t Let Me Down» qui ouvre le bal de la B n’est pas celui des Beatles, mais une gentle pop à la Fred Neil. C’est dire à quel point Laurent Blot se détache du lot. Il a un don pour l’easy pop, comme le montre «A Hold On Me». Il sait se couler dans un mood. On pense bien sûr à Lewis Taylor ! Laurent Blot a le même genre de facilité. T’es vraiment ravi de l’avoir vu sur scène.

    Signé : Cazengler, vraiment pas blot

    Blot. La Maroquinerie. Paris XXe. 4 février 2025

    Blot. Tambourine. Le Pop Club Records 2017

     

     

    Inside the goldmine

    - Les Peanut Butter ne comptent pas pour du beurre

             On l’avait surnommé Peter Batteur pour une raison évidente. Il pouvait aussi prétendre au titre de meilleur batteur local. Il savait tout jouer, le jazz, la bossa, le reggae, le calypso, le blues, mais il avait une passion particulière pour le garage, enfin, son garage. Peter Batteur composait dans sa tête. Il composait du soir au matin. Il composait lorsqu’il réparait les fours de cuisson à la fonderie. Il composait lorsqu’il présidait aux repas de famille. Il composait lorsqu’il prenait sa douche. Il composait lorsqu’il roulait pour nous rejoindre au studio de répète. Il arrivait, montait ses cymbales et s’installait derrière ses fûts pour nous chanter l’un des cuts qu’il venait de composer dans sa tête. Il chantait en s’accompagnant à la batterie. Dah-dah dah dee boing boing bah dee dah dah, boing boing dee dee dah, vazy, tu peux faire ça ? Alors Pépère, comme on le surnommait, grattait une interprétation du dee boing boing bah dee dah dah sur sa Tele. Peter Batteur lui demandait de mettre plus de son, «faut qu’ça dégueule !», alors Pépère foutait sa distorse à fond et ça dégueulait. On repartait à trois sur le dee boing boing bah dee dah dah, et en une heure, le cut tenait debout. Il ne restait plus qu’à pondre des paroles pour la répète suivante. De semaine en semaine, le répertoire évoluait et lorsque le douzième cut fut en place, Peter Batteur proposa d’enregistrer un album, ce que nous fîmes. À la répète suivante, il lança un nouveau cut, dah dee boing boing bah dee dah dah, boing boing dee dee dah, toujours pareil, et on s’y collait tous les trois, et en douze semaines, on eut de quoi enregistrer un deuxième album. Plus Peter Batteur composait, plus il semblait épuisé. Se peau devenait grise. Derrière ses fûts, il n’était plus que l’ombre de lui-même. Il était encore plus cadavérique que Keith Richards en 1972. Nous allâmes le voir une dernière fois à l’hosto. Il n’avait plus que la peau sur les os. Mais il avait des baguettes à la main. En nous voyant entrer dans la chambre, son visage s’éclaira et il se mit à chanter : Dah-dah dee bah dee dah dee boing boing bah dee dah dah, boing boing dee dee dah, vazy, tu peux faire ça ?

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             On reste dans le rock des kindred spirits avec Peanut Butter, mais pas n’importe quel Peanut Butter, the Peanut Butter Conspiracy.

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar, si la Conspiration du Peanut Butter figure en bonne place dans cette belle antho à Toto qu’est Where The Action Is - Los Angeles Nuggets, un book/compile du Rhino post-Harold Bronson. S’il est un groupe qui incarne bien the famous Californian Hell, c’est bien la Conspiracy. Le groupe des sorti des cendres d’Ashes, le groupe de John Merrill et de Spencer Dryden, futur Peter Batteur de l’Airplane.

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Dryden se barre et en 1966, Merrill remonte le groupe avec d’autres gens et commence à répéter sérieusement. Pourquoi Peanut Butter Conspiracy ? Merrill se marre. Il a d’autres noms en tête, comme par exemple Candy Store Ptophets. Il décroche un contrat chez Columbia qui lui impose un producteur qu’il n’aime pas trop : Gary Usher ! Trop Beach Boys pour lui. Pourtant, leur premier single, «It’s A Happening Thing» entre dans les charts. Belle fast pop d’époque, bien contrebalancée par un beurre-man opiniâtre et un bassmatic dévoreur de foie. C’est très Frisco Band. 

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Deux albums sortent sur Columbia, le premier étant The Peanut Butter Conspiracy Is Spreading. Ouverture de balda avec l’«It’s A Happening Thing» déjà salué. Avec «Then Came Back Love», ces mecs ne sont pas loin de Love, ce qui les honore. On croit entendre Arthur Lee chanter cette mélodie désespérante. Puis avec «Twice Is Life», ils repartent du bon pied à la petite pop écarlate, une belle petite pop de corolle offerte. Ces mecs sont extrêmement doués, comme le montre encore «Second Hand Man», tapé au backroom de Peanut Saloon. Ils embarquent «You Can’t Be Found» en mode fast gaga de where are you. Gray Usher met bien en valeur leur puissante musicalité. En ouverture du bal de B, «Don’t You Know» te cueille au menton. Barbara Robison prend le lead, ça devient aussi explosif qu’un hit des Mamas & The Papas. Encore de la fantastique allure avec Barbara et «You Should Know». C’est très Airplane comme ambiance. Ils terminent ce brillant album avec «You Took Too Much», un shoot de folk-rock à la Charlatans. On s’effare de la fantastique santé de cette pop de cacahuète. On comprend mieux pourquoi ils se prennent pour une Conspiration, ils ont recyclé tout le ramdam du Californian Hell. La mise en place de Gary Usher est imbattable, John Merrill dit qu’il a fait venir en studio des gens comme Glen Campbell et James Burton. Barbara Robison amène sa pointe, c’est-à-dire son téton, dans le son, c’est important le téton, ça rend les choses plus organiques, et t’as même un wild solo de bluegrass. The Peanut Butter Conspiracy Is Spreading compte parmi les grands albums de cette époque.

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             La même année paraît The Great Conspiracy. On y trouve deux cuts qui sonnent exactement comme ceux de l’Airplane : «Living Dream» et «Captain Sandwich». Barbara Robison chante bien devant, bien cadrée par les fabuleuses harmonies vocales et le gratté de poux psyché de belle ampleur. Ça joue au gras double volubile. Les Conspirateurs se fondent dans l’aurore boréale d’un Californian Dawn. Avec «Turn On A Friend (To The Good Life)», t’as tout le groove des reins de la Californie. Les Conspirateurs sont des rois de l’harmonie vocale. Leur «Lonely Leaf» est encore furieusement connoté Airplane. Bill Wolff, qui a remplacé Lance Fent, est un prodigieux guitariste, il gratte au picking des Appalaches. On se croirait sur la frontière, au temps des mines de cuivre. Le contraste entre le wild gunshot et la voix de la hippie est étonnant. Par la qualité latérale de son groove, «Too Many Do» évoque Croz. En fait, les Conspirateurs sont plus Frisco que L.A. Ils font encore une belle pop languide avec «Ecstasy», très Airplane et même crépusculaire. Ils amènent «Wonderment» au big tagada Airplanien. Ils jouent des solos à l’élastique, on n’avait encore jamais vu ça.

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Le troisième Peanut s’appelle For Children Of All Ages, un Challenge de 1969. Ici on aime bien Challenge, le label de Dave Burgess, car c’est lui qui a tenté de relancer Gene Vincent. «Bird Doggin’» est sorti sur ce Challenge avec un brillant killer solo flash. On trouve pas mal de jolies choses sur le Peanut de Challenge, notamment deux Beautiful Songs, «It’s Alright» et «Return Home», donc ça vaut vraiment le coup de faire le détour. Barbara Robison est fantastique, elle illumine bien le Peanut, «It’s Alright» sonne comme un horizon, les Peanut sont capables de réelle puissance mélodique. Elle garde le lead pour «Return Home», elle s’impose avec toute la lourde chaleur de sa féminité. Cet album regorge de power, comme le montre encore «Out In The Cold Again». On les admire pour la qualité du songwriting. Dommage que Barbara ne chante pas l’Out In The Cold Again, car c’est une power-song indubitable qui s’achève en bouquets d’asperges sensitives. Elle revient au lead avec «Try Again», une belle compo de plus et elle dispose de tout le shuffle du monde et de chœurs demented. Les Peanut proposent une heavy pop bien ancrée dans le sol. Big L.A. sound, balayé par des éclairs de puissance. Sur certains cuts, on peut les comparer à l’Airplane, et sur d’autres, à Blood Sweat & Tears, quand c’est Alan Brackett ou Alan Merrill qui chantent. Quand Barbara ne chante pas, le Peanut perd son angle Airplane. C’est vraiment dommage.

    Signé : Cazengler, Peanut Butor

    Peanut Butter Conspiracy. The Peanut Butter Conspiracy Is Spreading. Columbia 1967

    Peanut Butter Conspiracy. The Great Conspiracy. Columbia 1967 

    Peanut Butter Conspiracy. For Children Of All Ages. Challenge 1969

     

     

    Kingfish s’en fiche

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Tu ne peux pas être mieux placé. Te voilà au pied de la montagne. Car oui, il s’agit bien d’une montagne. Christone Kingfish Ingram bat tous les records de fat, même Leslie West fait pâle figure en comparaison du big black boy. Kingfish est littéralement plus large que haut. C’est une boule. Ses copains d’école n’ont pas dû le rater. Il arrive vêtu de rouge avec une Les Paul noire qui paraît minuscule dans ses grosses pattes. Tout est gros chez lui, le cou, les joues, les bras, les jambes, tout paraît démesuré. Tu l’observes et tu te demandes comment il peut jouer aussi bien avec de si gros doigts. Il joue comme un démon. Mais un démon à rallonges. Tous ses cuts sont interminables. Beaucoup plus interminables que sur le Live In London qu’on a pris soin d’écouter avant, par sécurité. On se méfie tellement du blues électrique démonstratif qu’on s’est juré de ne plus s’y faire prendre. Le Live In London est un brin Chicago Blues, mais quelques cuts sauvent l’album et donc on fait le pari qu’il va rocker le boat comme savent le faire les big black boys. On part du principe suivant : plus c’est gros, plus c’est mieux.

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

    Kingfish fait illusion le temps de deux cuts, et puis il revient aux routines du Chicago Blues et là tu commences à crever d’ennui, car à part ses interminables solos, il ne se passe rien. Il ne peut rien se passer. T’es coincé au pied de la montagne. Il a en outre récupéré toutes les mimiques de B.B. King et le diable sait qu’on a pu crever d’ennui avec B.B. King, aussi bien sur disk que sur scène. T’es content quand c’est fini.

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Le drame du Chicago Blues, c’est le côté m’as-tu-vu. Oh les gars, regardez comme je joue merveilleusement bien. Oh les gars, vous avez vu mon feeling ? Oh les gars, vous avez vu ma virtuosité ? Oh les gars, vous avez capté l’expertise de ma fluidité ? Oh les gars, vous avez pas tout vu ! Oh les gars, vous voulez voir le reste ? Résultat, tu te tapes une belle overdose. Et avec Kingfish, c’est même une fat overdose. Une overdose d’au moins 250 kg. T’en peux plus de le voir plonger dans ses gammes de blues, ces gammes que tu connais par cœur, ça fait tout de même soixante ans que tu les entends, et elles n’ont plus aucun secret pour toi. Kingfish est un prodigieux guitar slinger, mais il n’est ni Peter Green, ni Mike Bloomfield. Ni Albert King. Il sort de l’école classique, celle du Chicago Blues. Bien sûr, le public est ravi. Kingfish est devenu une grosse poissecaille, et les gens viennent de loin pour le voir jouer, but my Gawd, deux heures de Kingfish, c’est trop long. Les Dirty Deep qui sont passés avant s’en sont mieux sortis, ils sont su casser la baraque avec leur boogie cousu de fil blanc. Kingsifh est trop classique, trop prévisible. Ses grimaces sont des vraies grimaces de bluesman black, il vit son truc jusqu’à l’oss, mais il devrait songer à rocker un peu plus le boat, comme le fait Ayron Jones.

    ,damned, ernie vincent,  laurent blot,  peanut butter conspiracy, christone kingfish ingram, sarah shook & the disarmers, voidhra, equine elvis,

             Pour entrer dans le blues de Kingfish, l’idéal est d’écouter son Live In London paru l’an passé ou l’an d’avant. Kingfish joue gras et c’est beau, t’es hooké dès «She Calls Me Kingfish» et cette grosse attaque au fat blues. Il a de l’ampleur. Il voyage, il a un fondu de note très pur. Ce que vient conforter «Fresh Out», un heavy blues qu’il tape à la dure. Fantastique fat cat ! Alors bien sûr, tous les cuts sont longs et tu n’apprends rien de plus que ce que tu sais déjà. Kingfish n’échappe pas à son destin de bluesman. Tu as déjà entendu mille fois la plupart des cuts et tu cherches parfois en vain ce qui le différencie d’Albert King ou de Gary Clark Jr. Il faut simplement s’armer de patience. Il revient au bord du fleuve avec «Been Here Before». Il sort enfin du Chicago Blues. Le disk 1 reprend des couleurs avec «Something In The Dirt», un joli boogie. Le disk 2 est plus dense, notamment avec «Listen», un puissant balladif d’up-tempo, bien soutenu à l’orgue. On se sent plutôt bien en compagnie de Kingfish. Il claque un solo en forme de purge dans «Rock & Roll» et passe en mode funky motion avec «Not Gonna Lie». Il sait tout faire, Kingfish est un crack du boom-hue et on assiste à un fabuleux départ en solo incendiaire. L’heavy groove de «Midnight Heat» se noie dans le shuffle d’orgue, il faut le voir faire sonner sa voix sur le midnite heat ! Ses vertigineux solos planent comme des vampires au-dessus de la ville. Il joue son «Outside Of This Town» au plein son. Ses solos sont des modèles de vertige, ses virées sont endémiques. Big boogie blues ! Ça dégouline de jus chez Kingfish. Il termine avec «Long Distance Woman», un heavy blues des enfers, tu te régales d’écouter ce dingo de la virtuosité cavalante. Il lâche des rivières de lave et active des développements en pleine surchauffe. Beaucoup plus intéressant sur disk que sur scène.

    Signé : Cazengler, Kingfesse

    Christone Kingfish Ingram. Le 106. Rouen (76). 1er février 2025

    Christone Kingfish Ingram. Live In London. Alligator Records 2023

     

     

    *

                    Dans notre livraison précédente 677 du 13/ 02 / 2025 nous avons fait connaissance avec River Shook, cette fois-ci nous nous pencherons sur son premier enregistrement paru sous le nom de Sarah Shook and the Disarmers. Attention celui-ci avait été précédé d’un EP paru en 2013 sous le nom de Sarah Shook and the Devil. Nous en reparlerons bientôt.

    SIDELONG

    SARAH SHOOK AND THE DISARMERS

    (Not On Label / 2015)

             Lorsque l’on lit The Disarmers l’on a intuitivement envie de traduire par les Désamours, ce qui est une erreur. Encore que River Shook en ses débuts était en désamour avec elle-même.  Les Désarmés s’avère une juste traduction. Que voulez-vous, il est des êtres qui sont désarmés face à leur propre existence. River Shook fut de ceux-là. Elle est née, à Rochester près de New York, dans une famille chrétienne fondamentaliste, une dizaine d’année plus tard ses parents se fixeront  en Caroline du Nord, c’est au ‘’lycée’’ que River Shook trouvera un appel d’air, la possibilité de jouer de la guitare, interdite à la maison… Elle a vingt-cinq ans lorsqu’elle formera The Devil en 2010. Elle est alors serveuse dans un bar, elle mène une vie de bâton de chaise peu en accord avec les préceptes chrétiens parentaux, alcools, désamours, sexualité peu académique…

             Après la séparation de The Devil en 2013 elle forme avec Eric Peterson guitariste  Sarah Shook and the Dirty Hands… Appellation qui revendique une auto-initiation de la main gauche, C’est en 2014 qu’ils sont rejoints pour  Sarah Shook and the Disamers par Jason Hendrick : contrebasse / John Howe Jr : batterie, guitare acoustique / Phil Sullivan : pedal steel guitar.

    z26718notonlabel.jpg

             Il existe deux couves de Sidelong. Pour sa réédition en 2017, Bloodshot Records ne s’est pas trop fatigué, ils ont repris la photographie qui illustrait la pochette de l’original, on comprend la démarche, à vendre une chanteuse country autant faire profiter le public de son visage charismatique. Quant au titre ils l’ont relégué tout en haut reprenant le même lettrage mais disposé bêtement à l’horizontale. De même le nom du groupe qu’il fallait aller chercher tout en bas en petits caractères apparaît en bien plus gros au-dessus du titre de l’album. Sur la version première, légèrement disposé en oblique il s’adjugeait un tiers de la surface de la photo, le mot qui n’en compte que trois est découpé en quatre syllabes, comme s’il voulait traduire une certaine désarticulation. Sidelong, c’est ce mot qui en français signifie, à l'écart, oblique que Lawrence Durrell emploie dans Le Quatuor d’Alexandrie pour désigner la position de Constantin Cavafy déambulant dans les rues de la ville fondée par Alexandre Le Grand, signifiant ainsi que le poëte occupait une position métaphysique de guingois, une moitié résidant dans le monde idéel de sa poésie et l’autre engoncée dans  la présence obsédante du monde.  River Shook nous semble occuper une position similaire, une jambe qui cahote dans sa tête, l’autre qui tâtonne sur le chemin rugueux de son existence.

    z26719sidelong.jpg

    Keep the Home Fire Burnin’ : quel entrain ! non ce n’est pas une épouse soumise qui attend le retour d’un beau trappeur dans sa cabane en rondins, d’abord c’est sa copine qui est partie, dans certains milieux trad du country l’on a dû sursauter, elle se plaint si vivement que l’on a des doutes, humeur en dents de scie, genre ce n’est pas de ma faute si je vais voir les autres, le premier pont s’écoule selon les règles de l’art, le second s’écroule dans la rivière, jamais entendu une laps Steel aussi métallique, un peu comme si votre sèche-cheveux se transformait en lance-flammes. Vous côtoyez le manque mais exprimé avec une telle plénitude que vous ne savez pas quoi penser. Les routes de l’incertitude sont les plus dangereuses. The Nail : elle est douée, quelle voix, elle maîtrise certes mais qu’est-ce qu’elle est dure, la guitare déraille un peu, normal c’est que la situation n’est pas simple, difficile de savoir par quel bout la prendre, vous donne-telle une leçon de vie ou un devoir de mort, c’est un peu comme le Tandis que j’agonise de Faulkner mais en beaucoup moins marrant, soyons bien-pensants, l’alcool produit de bons effets sur l’équilibre des  couples,  oui mais quand il coule avec l’âcreté  enivrante de la voix de River Shook, vous n’hésiterez pas à en reprendre un verre.  Bonjour les beaux dégâts. La mauvaise pente vous mène-t-elle droit au cercueil.  Sans nul doute. Mais dehors ou dedans ?

    z26722helpme.jpg

    Heal Me : Official Music Vidéo. Non ce n’est pas du direct. Quelle comédienne, comme elle joue bien ! Pas du tout, elle se livre, vous pouvez prendre, vous pouvez laisser, elle s’en fout. Je veux bien admettre que les deux premiers morceaux puissent être catalogués comme du country-rock, quoique moi je les qualifierais plutôt de country-rauque, en fait c’est carrément du rock, country-punk si vous y tenez, mais du rock qui plonge ses paroles, entre Help Me et Heal Me la différence n’est pas bien grande, dans les premiers blues ( on le dénomme aussi country-blues), à la différence près que River ne moanne pas, elle hurle, elle vous crache son mal-être à la gueule, elle l’ouvre en grand, elle ne s’égosille pas, sa voix ronronne, pas comme un petit chat perdu mais comme le rugissement un tigre mangeur d’êtres humains, elle n’appelle pas au secours, elle revendique ce qu’elle est. Quelle claque ! Vocal krav-maga. Au plus près de l’ennemi. Qui peut être soi-même. Sidelong : ne parlais-je pas du blues. L’on y est presque. Tout le monde sait que le country peut larmoyer à la manière d’un quatuor de violons mielleux, la guitare et sa ruelle de ferraille viennent y mettre bon ordre, River met un bémol sur ses cordes vocales, parfois elle affine  son chant à la manière d’un stylet qui s’enfonce dans votre dos sans que vous y preniez garde, elle est sur le fil du poignard, prête à risquer de tomber du mauvais côté. Ce ne sera pas très grave, c’est exactement en cet endroit qu’elle se situe.  No Name : pure country, pure western, River joue avec la mythologie de l’Amérique, elle vient d’ailleurs, elle vient d’avant, c’est tout comme, elle vous conte la ballade de la piste sanglante, n’oubliez pas qu’avant elle s’appelait Sarah Shook and the Devil, elle ne renie pas ses origines, le Diable elle connaît très bien, elle l’a déjà rencontré mais elle s’est montrée meilleur tireur que lui, goûtez l’ironie de sa voix, elle parle pour vous, pour chaque fois que vous avez eu envie de tuer quelqu’un mais que vous n’êtes pas passé à l’acte. Comme tout le monde. Comme elle. Sœur de sang. Dwigh Yokaam : Official Video Music. Non ce n’est pas un duo avec Dwigh Yokaam. Elle est seule et la pellicule est toute grise. Desesperate house girl. Country blues pas du tout rose. Double trahison. Sa meuf l’a quittée. Pour un gars. Solide et joyeux. Cerise empoisonnée sur le gâteau de merde, il ne lui reste même pas une goutte de whisky à boire. Garçon l’addiction, s’il vous plaît ! River ne cèle pas les eaux boueuses qu’elle roule. Comme tout un chacun. Mais elle ne s’en cache pas. Elle ne s’en vante pas. N’en tire aucune gloriole. Vous pouvez prendre. Vous pouvez laisser. Là n’est pas son problème. Misery whithout Company : vous prend le monde de haut, le ton ne s’adoucit pas, il se complaît en lui-même, misère de la solitude ce qui n’empêche pas le band de jerker comme s’il était lancé dans une course d’autruches, il sait se taire de temps en temps pour mieux rebondir quatre secondes plus tard, l’occasion pour elle de prophétiser ses promesses d’ivrognes, dont elle est sûre au moment où elle les énonce qu’elles ne seront jamais tenues, ce n’est pas que l’alcool soit le plus fort, juste un concours de circonstances sur lesquelles sa vie s’est bâtie. La faute à personne. Solitary Confinement : la voix plus rude, plus lourde, plus rogue. Le country se la joue encore plus pleurnicheur, mais très vite c’est reparti, l’on se croirait sur une piste de patins à roulettes, la ronde infernale démarre, pour une fois elle dit ses regrets, elle n’a pas su saisir sa chance, ne savait même pas que c’était une chance, ne lui reste plus qu’une solution, boire pour que la chance lui sourie…

    z26723nothingfeelright.jpg

    Nothing Feels Rigth But Doin’ Wrong : Official Music Video. Une de plus.  Sans concession. L’orchestre fait tout ce qu’il peut pour rendre la situation pétillante, il peut beaucoup. Mais on ne l’entend pas. On plonge dans les yeux ternes et sans éclats de River, cela suffit à annuler tout le reste. L’alcool mène la danse, elle ne danse pas, elle mène sa vie. Un beau tatouage de serpent sur un bras. Une hirondelle sur l’autre poignet. Elle incarne les deux en même temps. La reptation et l’envol. Le désir de mort et la partenza en même temps. Elle ne bouge pas. Peut-être tente-t-elle de les apprivoiser pour qu’ils vivent ensemble dans la même cage occipitale. Fuck up : le constat froid et lucide. Il est inutile de vouloir changer. Elle tient les mauvaises cartes dans sa main, c’est Dieu auquel elle ne croit pas qui les lui a refilées. Le problème c’est qu’elle ne croit pas davantage en elle-même. Dans le tourbillon des enchaînements. Les gars envoient des shoots de nostalgie, en vain, elle carbure à la coke et à l’alcool, elle suit ce qui n’est même pas un destin. Elle le dit avec un certain détachement halluciné. Vous ne pouvez que lui donner raison.  Elle vous persuade. Pour elle, c’est évident depuis longtemps. Made it To Mama : aussi puissant qu’un texte de Johnny Cash, toujours cette voix qui dévale les chants de cailloux, les boys se surpassent, une ronde infernale, entre mensonge et tromperie, toutefois se dévoile comme l’espoir d’un chemin. Mauvais sang ne saurait mentir. Road that Leads to You : un titre qui promet une happy end, rien de certain, la route qui mène vers lui tourne surtout dans sa tête, sans doute est-il déjà trop tard, simplement parce qu’il n’a jamais été trop tôt. Peut-on se fuir  soi-même en allant vers un autre… L’espoir fait autant vivre que mourir.

             Déprimant mais je ne connais guère de country autant survolté. Douze titres, douze pépites. Douze balles dans la peau aussi. Le genre d’inoculation qui vous sort de votre léthargie. Tir à balles réelles. A balles rebelles aussi. Without a cause. Quand le seul pré carré à défendre, n’est plus que votre existence. Qui ne vaut pas grand-chose. Mais qui est votre seule façon d’être. Votre prison portative. 

    z26721chevalmort.jpg

             Les paroles s’envolent, les choses vues restent : vous avez trois illustrations dans le packaging : un arbre solitaire perdu au milieu du désert, les lecteurs assidus de la Bible reconnaîtront une parfaite image mentale du figuier stérile, le corps mort d’un cheval blanc perdu dans l’immensité d’une terre noire, pensez au roman On achève bien les chevaux d’Horace McCoy, vous souvenant que le cheval auquel le titre semble faire allusion est une jeune femme fatiguée de la vie que le narrateur vient d’abattre… A même le CD musical : la ruine calcinée d’une ancienne cabane. Trois parfaits symboles de l’état d’esprit de River Shook

    *

    Je voulais arrêter-là, présenter le deuxième album la semaine prochaine, je n’ai pas pu, Sidelong est tombé comme un caillou dans la mare stagnante de la country music, le disque suivant sera celui de la consécration.

    Ce n’est pas un hasard si River Shook et ses boys ont été repérés par Bloodshots Records. L’intitulé de leur premier disque, une compilation de seize groupes était en quelque sorte prémonitoire : For a life of Sin : a compilation of insurgent Chicago Country. Tout le programme est contenu en ces quelques mots. Sin sonne comme une référence à l’idéologie du premier country très marquée par les commandements bibliques, évidemment les péchés capitaux sont aussi capiteux.  Mythiquement parlant les insurgents ne sont pas des rebelles, appellation qui politiquement sent trop le drapeau sudiste, le terme ‘’insurgent’’ est connoté très positivement dans l’Histoire Américaine de la Guerre d’Indépendance. Toutefois il ne faut pas en déduire que nous avons affaire à des milieux conservateurs nationalistes américains, mais à des partisans opposés aux valeurs traditionnelles de la Grande Amérique.  Sherry sur l’apple pie, le country de Chicago, ville située au nord, est à considérer comme un pied de nez au country de Nashville. Enfin, dernier zeste de citron amer, le blues ‘’ oh les méchants nègres’’  électrique illustra les riches heures musicales   de Chicago. Bloodshots Records militait pour une alternative country…

    Sous le signe du Serpent. La bête qui vous veut du mal. Depuis le tout début. La Bible ne nous at-elle pas appris qu’au tout début de l’humanité c’est qui tenta la compagne d’Adam. C’est de sa faute si nous avons été chassés du Paradis. Plus tard il fut assimilé au Diable.  Souvenons-nous de Sarah Schook and the Devil. Nous l’avons remarqué sur le bras de River Shook, il parade sur la pochette. Un signe qui ne trompe pas. Un insigne significatif. Un totem que l’on arbore pour signifier que l’on est en guerre avec le monde. Un monstre froid dont il ne faut rien attendre de bon.

    z26720years.jpg

    Sarah Shook : vocals, rhythm guitar, acoustic guitar / Eric Peterson :  electric guitar, baritone guitar, 12-string guitar / John Howie, Jr. : drums, percussion  /  Aaron Oliva : upright bass, electric bass / Phil Sullivan : pedal steel.

    YEARS

    SARAH SHOOK AND THE DISARMERS

    ( BloodShots Records / Avril 2018)

    Good as Gold : le morceau grâce auquel nous avons rencontré River Schook, nous avons dit assez de mal de la Lyrics Video pour ne pas en reparler, par contre nous l’écoutons avec attention, le son n’a plus rien à voir avec celui de Sidelong. L’est plus rond, il coule comme un robinet d’eau un peu trop tiède, l’est adapté à un public plus vaste, question lyrics c’est toujours la vie entrevue comme le passage de la Bérézina. Elle traîne un peu plus sur les syllabes comme si elle s’escrimait à émousser le tranchant du public. Un peu le côté ado qui va mal et qui vous adresse son plus beau sourire. New Ways to Fall : ce deuxième morceau comme le précédent, l’existe une Official Music Video sans grand intérêt, au niveau des lyrics l’est même plus dur, c’est fou comme la lap steel vous fout la patate souriante et la pédale douce, des milliers de gens qui vont mal doivent se reconnaître dans ce style, l’on avoue tout, l’on déplie en grand son mal-être, tout en passant en même temps la pommade amortissante,  tout se doit de glisser comme cette bande de jeunes, principalement des filles, qui fait du skate. Même pas mal. Over You : la voix un peu altérée, pas non plus nostalgique, il ne faut pas exagérer. Idem pour l’orchestration, elle ne s’est pas scotchée à la dopamine, ce coup-ci l’on ne se cache pas que l’échec est un mélodrame, l’on s’avoue vaincue, pas par l’autre, par soi-même qui s’accuse de faiblesse, qui n’y croit plus parce qu’il n’y a jamais cru. Dès le début la petite fleur bleue était fanée avant d’être cueillie. Vivre fatigue. Ma mort viendra et elle aura mes yeux.

    z26724neverletmedown.jpg

    The Bottle Never Let Me Down : Official Music Video. Glaçante. L’on ne cabriole plus sur un skateboard, l’on est à cent pour cent boarderline, retour à Sidelong, River Shook telle que l’alcool ne la change pas, jouent parfaitement leurs rôles, les Disarmers ne sont pas une machine à tuer mais à s’autodétruire, un mur de briques pour tout décor, River derrière le double rideau de ses cheveux longs, la voix au scalpel sans fioriture, elle ne regarde qu’à l’intérieur d’elle-même, ce qu’elle voit ne la satisfait pas, mais elle s’en contente. Au moins c’est elle. Partin Words : finie la fausse insouciance, se regarder dans le miroir et ne voir que la pauvre merde pour quoi l’on se prend, ce n’est pas que c’est de ma faute c’est que ce qui m’arrive est juste, je ne mérite pas plus, même pas moins, c’est ainsi. L’orchestre colle au vocal comme l’alcool à la bouteille, comme la solitude à l’être humain.  River vous énonce l’horreur, sans fausse honte, le côté déstabilisant de l’amor fati nietzschéen. What it Takes : lorsque vous évoquez Nietzsche le christianisme n’est jamais trop loin, pour une fois River ne nous parle pas d’alcool, mais d’un poison bien plus redoutable, celui de l’idéologie dans laquelle elle a été élevée, les belles promesses à l’aune de qu’elle a vécue et rencontrée, elle n’y croit plus, a-t-elle jamais cru à une vision optimiste de la vie, sa voix se fait davantage caressante car c’est ainsi qu’elle sera la plus acerbe. L’amour n’est-il pas le problème. Les Disarmers aux petits soins. Magnifique. Lesson : le parcours devient philosophique. Comment régler ses propres contradictions. Souffrir de soi-même ne devrait pas être la règle. Pourquoi monologue-t-on à deux lorsque l’on s’adresse à soi-même. De toutes les manières quand on cause à un tiers, c’est toujours la même chose. La résolution de l’équation se résout sans cesse de la même manière. Que cela vous serve de leçon. Les Disarmers n’ont jamais été aussi incisifs. Dammned  I Do, Damned If Idon’t : après deux morceaux théoriques, passons à un exercice pratique. Dans la grande veine du country classique, que l’on fasse ceci ou son contraire, de toutes les manières ça tournera aussi mal. S’amusent comme des fous, la voix comme une balle de pingpong qui rebondit sempiternellement entre la raquette du mal et celle du bien. L’on se marre mais toute action humaine ne se situe-telle pas au-delà du bien et du mal. Ne rajoutons pas un mot de plus, ce serait saper les bases de la Société. Heartache in Hell : autant rester en soi-même. Retour au country-blues. L’on ne peut jamais aller plus loin que soi-même. L’on est un rythme qui stagne en lui-même. Un être humain qui se perd dans l’alcool comme un crotale dans une bouteille de whisky. Afin de boire sans soif jusqu’à plus soif le dégoût et l’acceptation de soi-même. Comme quoi l’alcool ne réchauffe pas toujours. Years : les années du Serpent ne sont pas  prêtes de finir. Elles durent depuis si longtemps. Elles dureront encore plus longtemps. La voix est lasse. Fatiguée d’elle-même à resasser les mêmes erreurs, à ne pas pouvoir stabiliser son existence. L’on n’est pas surpris lorsque la musique s’arrête. A quoi bon s’obstiner.. Mais non encre un effort pour répéter le refrain. Juste le coup de l’étrier pour reprendre le chemin qui ne mène nulle part. Si ce n’est en soi-même.

             Malgré l’orchestration enjouée de seux premiers morceaux Years se révèle être encore plus noir que le précédent. Parfaite illustration de l’éternel retour de l’éternel retour de soi-même.  Les serpents se mordent souvent la queue. River Shook, fille serpent par excellence de la country, Mélusine de chair et de rêve nervalien.

    Damie Chad.

     

    *

    Un petit tour en enfer n’a jamais fait de mal à personne, si vous ne me croyez pas, qui penserait encore aujourd’hui à Dante s’il n’avait pas eu l’idée de cette infernale balade en compagnie de Virgile dans les sept cercles maudits. Peut-être devrais-je arrêter ce blogue qui ne me rapporte rien pour monter un lucratif Village Vacances sur les bords du Styx, une clientèle avide de connaître le paysage du lieu définitif de leur future désincarnation se précipiterait, se moquant comme de leur première couche-culotte des prix prohibitifs que je leur proposerais… Une idée à creuser.

    ONLY COLD WINDS WILL CARRY MY NAME

    VOIDHRA

    (The Crawling Chaos Records / 30 -  01 – 2025)

    Les amateurs de Metal ont intérêt à se ruer sur l’Instagram de  Blasphemator qui a réalisé la couve de ce deuxième album de Voidhra, ils y trouveront leurs futurs autoportraits sous forme de crânes humains. Magnifiquement dessinés. Il fut un temps où les artistes affublaient dans un coin de la toile des portraits de leurs commanditaires un crâne humain pour rappeler aux amateurs d’art que le trépas est notre seul avenir, quelles que soient les passions que l’on ait éprouvées dans notre existence. En ces époques chrétiennes le message était clair. Renoncez à votre orgueil humain. Seul Dieu vous permettra d’atteindre le Paradis… Philosophie toute pascalienne ! De nos jours la mort n’est plus un repoussoir, elle est devenue un attrait. Puisque Dieu est mort, le seul grand ennemi digne de nous, qui rappelons-le fièrement sommes venus à bout du vieux grand-père chenu, reste la Mort. Se confronter Dame Macabra n’est pas facile. Voici donc un moyen idéal de surmonter notre pauvre hérédité congénitale.

    Blasphémator ne se contente pas d’utiliser le blanc et le noir dont il nous révèle que le dommage collatéral infligé à notre vision manichéenne de l’ombre et da la lumière s’avère être l’innommable conjonction du gris. L’est un virtuose de la gouache moulte dédaignée par la majorité des illustrateurs contemporains, il n’a pas oublié ces épaisseurs suspectes qui s’écoulaient  de nos pinceaux d’enfants, la gouache est seule capable de rivaliser avec l’huile. L’on peut parler d’incrustation superfétatoire pour décrire la technique de notre peintre. Il ne creuse pas, il amasse. L’Enfer, que l’on dit souterrain, n’est pas profond, bien au contraire il est une turgescence inamovible de notre imaginaire. Se dresse dans notre ciel intérieur à la manière de la Tour Eiffel visible de tout Paris.

    Blasphémator n’a peur de rien. Le vent qui emporte notre nom, il le représente comme ces brandons noircis de bûches cendreuses à l’agonie dans la cheminée du salon. Vous vous êtes complu à imaginer des scènes de batailles médiévales dont maintenant ne subsistent que les silhouettes démantibulées des tours d’un vieux château fort en ruine. L’oubli de l’âtre pour évoquer l’oubli de l’être…

    Viennent des rives de pierre poudreuse du sud de l’Allemagne, le groupe s’est formé en 2021, Sorrow guides all ul fut leur premier album paru en octobre de la même année. Mais leur inspiration remonte à beaucoup plus loin. Peut-être à l’aube des temps. Héraclitement parlant, très proches de la fin…

    Chris Horseblood : chant, guitare / Olli G. Witchhammer : guitare / Mike Hellbasstard : basse / Jonas Stormblast : batterie.                         

    z26725discvoidhra.jpg

    Spike of Hades / Flesh Pariah : dès la première seconde le son afflue sur vous, vous êtres pris dans sa chappe jusqu’à ce que l’explosion battériale kaotique vous éparpille aux coins de ce monde sonore qui vient de vous happer, de vous engloutir, le vocal de Cheval de Sang est bien celui d’un déchiré, d’un écorché vif, subjugué par l’ampleur lyrique des guitares foudroyantes, dans quelle nuit sommes-nous, humaine sans nul doute, l’enfer est-il au bout de de notre chair, dans l’interminable forge de l’orgie, que trouvons nous au bout de la mort si ce n’est ce que nous avons été dans la vie. As the Heavens bleed sickness : vous avez cru que le plus terrible se situait dans l’enceinte noire du royaume d’Hades, vous avez fait erreur, le plus horrible se passe sur terre, Dieu déverse sa haine et sa colère sur les hommes, la fournaise infernale se situe sur la croûte terrestre, Dieu – ne l’accusons pas ce serait plutôt notre quatuor qui déclenche un déluge scorbutique, sont pire qu’Attila, les guitares tombent en pluie de feu, la batterie ratiboise tout ce qui dépasse, pas de répit, pas de repos, pourquoi tant de haine envers le genre humain. Sont comme les quatre cavaliers de l’Apocalypse, le spectacle pyrotechnique est grandiose. Only cold wind will carry my name : vents, tempêtes, ouragan méphitique, qui parle-là, l’individu anonyme ou celui qu’il a voulu être, qu’il espère incarner de sa chair désincarnée, le grand Satan, l’Ange tombé du ciel volontairement, ou le minuscule quidam, le n’importe qui sans importance qui se vêt de la posture de l’Ennemi, quel qu’il soit n’est-il pas le grand martyr, le Dieu martyrisé lui-même par son ombre qui lui ressemble tant, est-ce pour cela que le temps suspend son vol, que le rock suspend son dol, que la terre suspend son sol, que le vent détend son licol et que la furie s’amplifie une fois encore, car l’on a toujours besoin d’une fanfare mélodique. Qui brille comme un phare dans la nuit. L’appel du vide :    qu’est-ce que le vide de ce presque silence syllabique, que l’espace dépourvu d’espace, que l’intensité compacte que l’on appelle la mort,  moment suprême d’éternité, est-ce le Dieu, est-ce Satan qui allume les feux de l’enfer, qu’importe il est temps que tout disparaisse, qu’il ne reste plus rien que le vide des yeux de la mort et de Dieu,  la prouesse vocale est telle que l’on se laisse tomber en tournoyant infiniment dans l’abîme qui n’a pas de fond, sans quoi, avec lequel, la mort s’abîmerait et deviendrait la continuité de la vie, sous une autre forme. La queue de la baleine de Jonas tape sur sa batterie  pour nous avertir des contradictions inhérentes à la métaphysique. Damnatio Memoriae Dei : qui parle de cette voix grandiloquente, Dieu se prend-il pour le Diable, endosse-t-il son rôle ou au contraire est-ce le Diable qui maudit la mémoire de Dieu, le plus grave c’est que ça ne soit pas grave, que ce soit l’un ou l’autre quelle différence, qui gagne la guerre la perd tout autant puisque c’est lui qui inflige la défaite à son ennemi, l’on s’arrêterait presque mais non l’important n’est ni la défaite, ni la victoire mais la guerre de l’un contre l’autre, toute destruction n’est-elle pas une création. Quand un principe s’attaque à un autre principe, dans les deux cas c’est le principe qui gagne. Immaterium storm : et maintenant que reste-il au juste, rien que le principe du principe, que l’idée de l’idée qui englobe aussi bien le tout que le rien, l’être que le non-rien, le principe de ce qui a été qui est et qui sera que le principe de ce qui a été, qui n’est pas et qui ne sera pas…  Une boule de chaos où tout est rien, où rien est tout, quelque chose d’immatériel qui demande autant à être qu’à n’être pas… dans ces deux postulations la même chose la séparation de ce qui est de ce qui n’est pas, le vieux sentier parménidien, qui ne peut se séparer de l’ombre de son propre néant, de sa propre apparition, car ces deux ombres se confondent dans leurs propres décombres.

    z26726photovoidra.jpg

     Que dire de plus. Que l’ampleur de la musique est à la hauteur du sujet évoqué.

             Grandiose.

    Damie Chad.

     

    *

             Socrate avait-il raison quand il affirmait qu’il savait qu’il ne savait rien. Je n’en sais rien, mais je sais qu’il y a une chose encore pire que de ne rien savoir c’est de croire que l’on sait, peut-être pas tout, mais au moins quelque chose. Je me permets de prendre un exemple que je connais bien, je dirais même que je connais mieux que quiconque sur cette terre : le mien.

             Ainsi quand j’ai vu le titre de cette chanson Equine Elvis, mon cerveau a tout de suite fait les connections nécessaires. Tiens un morceau sur Rising Sun, un des passages de la vie d’Elvis Presley que j’aime bien. Dans les années 66-67, lorsque déçu par les films que lui imposaient le Colonel Parker, il se réfugia entre deux navets dans une vision mythographique de l’Amérique, celle du western. L’avait les moyens Elvis, s’est acheté un ranch, des camions et des chevaux. Son staff le suivit dans cette aventure…

             Avez-vous remarqué que c’est toujours le disque que vous n’avez pas qui vous manque ou qui vous préoccupe sans arrêt. Elvis possédait toute une collection de chevaux, lui en manquait un, un palomino à la robe dorée. A l’évocation de cette robe tout rocker se doit de penser aux enregistrements de Jerry Lee Lewis au Palomino Club (North Hollywood), les rockers les plus facétieux n’oublieront pas de spécifier qu’en Espagne c’est par ce même mot de Palomino, que l’on qualifie, ‘’tiens, que vois-je un palomino’’ les traces marron que l’on retrouve au fond des culottes des très jeunes enfants…  Elvis finit par se procurer le palomino de ses rêves qu’il surnomma Rising Sun. Comme il avait de l’humour il baptisa l’écurie qu’il lui fit construire The House of Rising Sun…

    z26729elvis+plomini.jpg

             Fausse piste ! Je ne savais rien ! Nous quittons donc Elvis et son Soleil Levant. Nous pourrions plus mal tomber puisque nous voici en compagnie de Johnny Horton, et d’un cheval évidemment. Qui ne lui appartient pas.

    COMANCHE (THE BRAVE HORSE)

    JOHNNY HORTON

    (You Tube)

    z26727horton.jpg

    L’en existe plusieurs vidéos sur YT : La première fois je suis tombé sur une fête indienne. Un peu marrant de voir passer de jeunes natives costumées avec un cornet de frites à la main… Ce n’est pas le meilleur titre de Johnny Horton. Un vocal mélodramatique (avec son bel et grave baryton naturel  de base notre Johnny non-national n’a pas dû se forcer), une batterie lancinante (c’est fait exprès). La chanson est  un hommage à Comanche le seul survivant de la bataille de Little Big Horn. C’est une manière très américaine, non ces sauvages ne nous ont pas tous tués, de présenter les choses. Beaucoup de chevaux du Septième de Cavalerie de Custer sortirent vivants de la bataille remportée par les Sioux… De fait Comanche fut retrouvé après la bataille, par les secours de l’armée, gravement blessé couché au fond d’une ravine, attendant la mort. Soigné il survécut à ses blessures.

    Maintenant quelle relation avec Elvis ?

    EQUINE ELVIS

    RACHEL BAIMAN

    ( YT / Western AF)

    z26728rachelbaimanvidéo.jpg

             Cette chanson est aussi consacrée à Comanche. Rachel Baiman est une jeune compositrice réputée pour ses talents de violoniste, influence bluegrass ne saurait mentir, nous reparlerons bientôt de ses premiers albums, plébiscités dès leur sortie. Sur Instagram on remarque qu’elle est suivie par Two Runner, c’est ce que l’on appelle un hasard kr’tntien. Mais revenons à cette vidéo enregistrée à Nashville, Rachel est au chant et au banjo entourée par Cy Whistanley à la guitare et Steve Haan à la basse. Le morceau se trouve sur son album  A Sides / B Sides.

             Rachel Baiman revendique de créer de la ’’musique anticapitaliste pour les amateurs d’art’’. Il suffit de comparer les paroles de Comanche de Johnny Horton et celle d’ Equine Elvis pour s’en persuader. Cette version interprétée live possède une charge émotionnelle bien plus forte que celle du disque. Il faut dire que les lyrics donnent la parole au cheval qui raconte sa vie. Pas question ici de laisser quelqu’un d’autre prendre la parole à sa place et donner une fausse interprétation de ce qu’il a vécu. Il a traversé la bataille, il a vu le sang et la violence. Il a reçu sept balles. Lui qui était né libre, lui à qui ils ont donné le nom du peuple qu’ils ont massacré, il ne prend pas parti pour les Indiens, il se contente de montrer le génocide, lui qui est né libre et qui n’aspire comme tous les chevaux qu’à brouter en paix l’herbe de la prairie. Belle leçon à ses hommes qui ne pensent qu’à l’argent et qu’à l’or. Il est mort. Vous ne pourrez plus le tuer. Mais il est devenu comme la musique d’Elvis, le symbole du refus d’une civilisation pétrie de brutalité, de la possibilité d’un autre monde…

    z26730comanche.jpg

             Les hommes n’ont pas compris. Ils en ont fait un héros, qu’il n’a jamais voulu être, il a été cité à l’ordre de la nation, il est devenu une sorte de vétéran du Septième de Cavalerie, depuis un cheval le représente à toutes les grandes manifestations du régiment, il est mort depuis longtemps, vous pouvez encore voir son corps reconstitué dans une vitrine  du musée du Kansas…

             Un texte terriblement anarchisant, qui en outre rabaisse la race humaine en dessous des animaux. Ce qui s’appelle remettre les choses à leur juste place. En cinq strophes un cheval piétine d’une seule ruade les réalisations de cette culture dont nous sommes si fiers.

             I’m the equine Elvis, you can’t kill me !

             Le plus bel hommage qui ait jamais été rendu à Elvis !

    Damie Chad.

     

            

  • CHRONIQUES DE POURPRE 678 : KR'TNT ! 678 : KELLY FINNIGAN / ANDY PALEY / STEVE DIGGLE / GARY CLARK / HAROLD BURRAGE / BANDSHEE / CARACH ANGREN / RIVER SCHOOK

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 678

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 02 / 2025 

     

    KELLY FINNIGAN / ANDY PALEY

    STEVE DIGGLE / GARY CLARK

    HAROLD BURRAGE / BANDSHEE 

    CARACH ANGREN / RIVER SCHOOK

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 678

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Finnigan’s wake

     (Part Two)

             Bon, soyons clair. L’avenir du rock se fout complètement du sort du Général Mitchoum, ce vieux crabe qui se planque depuis 80 ans derrière un bloc en béton, qui croit que la guerre continue et que les boches tiennent toujours le blockhaus, en haut de la dune, juste au-dessus. Quand il est en panne d’idée pour introduire sa modeste chronique hebdomadaire, l’avenir du rock prend sa petite automobile et file droit sur la plage du débarquement où se planque toujours le vieux Général Mitchoum. Au moins, il sert encore à ça. Ah le vieux crabe n’est pas beau à voir : plus de dents, une barbe d’un blanc très sale et une gueule de pruneau ridé sous le casque rouillé. Et l’odeur ! Une vraie odeur de putois, celle des clochards. Il reste planqué derrière son bloc de béton. Comme il chie partout, le coin ressemble plus au jardin municipal du Blanc-Mesnil qu’à une plage du Calvados. On entend plus les mouches voler que les balles siffler. L’avenir du rock a l’impression de traverser un champ de mines. Il arrive près du Général et le trouve secoué de hoquets.

             — Ma parole, vous êtes en train de chialer, mon Général ? Le moral est enfin en baisse ?

             — Bouh-ouh-ouh ! Bouh-ouh-ouh !

             Puis il s’approche de l’oreille de l’avenir du rock et murmure :

             — Je fais semblant, dickhead, je mène la guerre psychologique... Quand les boches vont se pointer pour me réconforter, je vais les descendre à coups de bazookaka !

             — Quel bazookaka ?

             — C’ui-là, t’es miraud ou quoi ?, le bazookaka !, murmure-t-il en montrant ses crottes.

             — Zêtes complètement givré, mon Général.

             Il rechiale de plus belle :

             — Bouh-ouh-ouh ! Bouh-ouh-ouh !

             Puis il s’approche de l’oreille de l’avenir du rock et murmure :

             — Y me croient fini, ces fuckers...

             — Non, pas fini, vieux crabe, Finnigan !

      

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             C’est vrai qu’avec Finnigan, on n’en finit plus, et c’est tant mieux. On passe de la plage du débarquement à la Maroquinerie. Il est là, le vieux Kelly, sous sa casquette d’hustler de Chicago, assis derrière ses deux claviers superposés.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

    Pendant 90 minutes, il va distiller cette Soul blanche qui fait groover les Parisiens. Il a son public, la salle est bien remplie. Il établit facilement le contact avec les gens, il parle comme un artiste Américain, c’est-à-dire qu’il vante les mérites de l’amour et ce genre de conneries que les gens aiment bien entendre. Il a derrière lui Jimmy James, un vieux routier de la scène funky de Seattle, deux choristes, un black au beurre qui ressemble à s’y méprendre à Willie Mitchell, un bassman très jeune et très dansant, et deux braves mecs aux cuivres. C’est quasiment la revue. Tout le monde danse d’un pied sur l’autre, y compris les gens dans la fosse.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

    Kelly Finnigan claque ses hits à la régalade, «His Love Ain’t Real», «Every Time It Rains», il pleut de la Soul blanche comme vache qui pisse, et t’as ce «Count Me Out» tiré d’A Lover Was Born, son dernier album. Finnigan’s Wake a pris du poids depuis la dernière fois, non pas qu’il ait doublé de volume, mais il a perdu sa ligne de jeune premier irlando-californien. En 2020, on était resté sur l’idée d’un concert magique. Celui-ci ne produit pas le même effet, ni d’ailleurs son dernier album. Tout le monde n’est pas Al Green. Rien n’est plus difficile que de rester au sommet d’une genre.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Soul Bag qualifie A Lover Was Born de «petit bijou de soul éruptive». C’est vrai qu’on y croise trois coups de génie, «Get A Hold Of Yourself», «Love (Your Pain Goes Deep)» et «Chosen Few». Surtout le fast groove de «Chosen Few», Finnigan’s Wake t’arrache ça du sol ! Quelle belle niaque d’attaque frontale ! Il reste en suspension avec «Love (Your Pain Goes Deep)». Il sait claquer un beignet ! Pur genius de développement unilatéral. «Get A Hold Of Yourself» est plus dansant. On voit bien qu’il ne vit que pour la chauffe, il a des chœurs de filles et les descentes sont démentes, alors il fait sa panthère noire. Finnigan’s Wake chante comme un dieu, il crève bien l’écran à l’accent perçant. Il fait une fantastique Soul de crucifixion divine avec «Be Your Own Shelter». Il te cloue ça au pilori. Mais tu te demandes si ça peut tenir en concert. En studio, il fait du Finnigan’s Wake urbain et intense, mais en concert, ça ne peut pas marcher. Il est en permanence dans l’éplorée congénitale. Tu te poses vraiment la question : que va-t-il se passer ? Rien. Il ne fait que de l’heavy Soul chauffée à blanc. Le satin jaune, c’est sa came. «Count Me Out» incarne bien cette Soul qui danse d’un pied sur l’autre, comme quand tu danses un slowah et que tu sens palpiter un ventre contre le tien.  

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Dans l’interview qu’il accorde à Soul Bag, Finnigan’s Wake explique qu’A Lover Was Born est orienté gospel, que le titre de l’album est emprunté à Lee Dorsey, et qu’il a été enregistré avec Sergio Rios, et les musiciens qu’on a vus sur scène, Jimmy James et le jeune bassman Max Ramey. La seule cover de l’album est le «Love (Your Pain Goes Deep)» de William Jackson. Côté références, il cite James Brown et Kool & The Gang, «notamment leur premier album». Il ajoute dans la foulée le nom d’Isaac le Prophète et cite ces bombes que sont Hot Buttered Soul et Black Moses.     

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Que ce soit avec les avec les Monophonics, les Destruments ou en solo, Kelly Finnigan n’a enregistré que des albums extraordinaires. Voici deux ans, il enregistrait pour Colemine un Christmas album, A Joyful Sound. On la dit, mais on va le répéter : Finnigan’s Wake chante comme un dieu, dès «Heartbreak For Christmas», il est dans le full power d’I wonder why. Il n’a aucun respect pour cette pauvre Soul : il l’explose. Il se fond dans l’excellence, il n’existe pas de pire fondeur de fondu que cet homme-là. Ce qu’il te tartine est exceptionnel. Il tape «Just One Kiss» au sommet du lard fumant, sa Soul semble pouvoir balayer le souvenir de Motown, c’est dire son pouvoir. Finnigan’s Wake est un héros mythologique, au sens où l’entend James Joyce, comme le fut Marvin Gaye avant lui. Ou bien encore Al Green. Il est du même niveau. Encore un miracle de Colemine avec «The Miracle Is Here». Et puis on a la meilleure Soul blanche d’Amérique avec «The Only Present Is Me», il développe des volutes de génie vocal, il remet chaque fois sa couronne en jeu. Il rapatrie la grandeur du gospel batch dans «Santa’s Watching You» et en fait une voodoo Christmas song. Puis il se fond comme beurre en broche dans «Merry Christmas To You». Magie pure.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

              La même année, il enregistre It’s Only Us avec les Monophonics. Le hit de cet énorme album s’appelle «Last One Standing». Les Monophonics fondent littéralement dans l’excellence du son. Ils fonctionnent avec de la pureté d’intention, des nappes de violons et un Kelly qui accourt à la rescousse de la secousse. Ce mec a beaucoup d’à-propos. Le cut est battu en brèche au heavy beat de Soul et ce démon de Va-doucement-Kelly l’explose plutôt deux fois qu’une. Personne ne peut battre les Monophonics à la course à l’échalote. Va-doucement-Kelly en rajoute des couches à l’infini et cette énormité prend des allures aventureuses. Tous les cuts de l’album sont exceptionnels. Il faut le voir plomber sa Soul dans «Day By Day». Il drive une heavy Soul intempestive, c’est une Soul qui ne baisse jamais les bras. Dans «All In The Family», il se conduit comme le roi des magiciens, il chante sa Soul au coin du bois, comme s’il cherchait une alternative. Rien ne peut l’arrêter dans son élan. Il fait même une sorte de Soul vengeresse. D’ailleurs, dès le «Chances» d’ouverture de bal, on comprend que c’est un big album. Kelly Finnigan se fond dans le mood au sucré de voix. C’est tendu à se rompre. Il est partout dans le son, il hante sa Soul d’écho. Il fait de l’océanique avec «Tunnel Vision» et s’en va se fondre dans l’heavy Soul musculeuse d’«It’s Only Us». Quel titanesque tartineur ! Il connaît tous les secrets de l’élasticité. Le seul reproche qu’on pourrait lui faire serait une légère tendance à se répéter. «Run For Your Life» est monté sur un heavy drive de basse et bénéficie d’un son qui renvoie au prog anglais. C’est osé car ratatiné, sur-dosé, et la mule ne dit rien, chargée comme elle est.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             On finit par s’user à chanter les louanges d’artistes aussi brillants que Kelly Finnigan. Au point qu’on se demande parfois si les mots sont dignes de ces artistes. Peut-être faut-il tout reprendre à zéro et réapprendre à exprimer ce qu’on éprouve en écoutant des gens pareils ? Peut-être faut-il se contenter de les écouter et en rester là ?

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

    En attendant, les Monophonics refont surface avec Sage Motel. Arrghhh, quel album ! Kelly Finnigan tape dans le dur dès le morceau titre, il est encore plus Green qu’Al Green, plus black que Black is Black, il entourloupe l’absolutisme, son ampleur va vite à te dépasser, c’est du locked in de haute constitution, un véritable tour de magie. Et quand t’as dit ça, t’as rien dit. Il chante aux abois supérieurs, il te dicte sa loi de la Soul, il chante au petit haché, mais attention, pas n’importe quel petit haché : un petit haché unique au monde. Il danse le tango du vertige avec sa Soul, il la serre dans ses bras et la cambre au bord du gouffre, il accompagne «Let That Sink In» au chant d’interrogation, exactement comme le fait Jonathan Donahue dans Mercury Rev, au même doux d’excellence surnaturelle, Kelly Finnigan se transforme en Merlin l’enchanteur, il chante «The Shape Of My Teardrops» à la chaleur de la nuit, à la pointe de sa glotte rose et humide, il reste incredibly crédible jusqu’au bout des ongles, il emprunte les voies impénétrables de la Soul du diable, et là mon gars, tu entres dans le domaine du fantastique. Puis tu verras cet artiste tomber à bras raccourcis sur le râble de «Broken Boundaries», il y laboure son pré carré, il en fait une piste aux étoiles pour y accueillir «Love You Better», il y révèle le génie de l’homme blanc qui aimait trop les noirs, il est atteint du même mal viscéral que Dan Penn, il ne vit que pour la fièvre jaune de la Soul blanche, il affirme encore son emprise avec «Never Stop Saying These Words», il se veut impitoyablement bon, il chante au geste large, comme Hugo face à l’océan, il est de la même trempe, celle d’un Guernesey sous les paquets de mer, il connaît le secret alchimique de l’ampleur catégorielle, il déverse des grâces considérables, tu cherchais un héros ? Tiens, en voilà un ! Il se peint le visage pour «Warpaints» et repart à l’assaut du ciel, en tant que fantastique artiste, il se montre capable de colères de Zeus, il mélange les vagues d’assaut aux belles avances, il va là où le vent sème la Soul, il touille sa petite Soul blanche à la pointe du tisonnier, sa glotte est en effervescence, on la voit rayonner dans la nuit, on croyait acheter l’album d’un Soul Brother à la peau blanche, mais il faut déchanter car c’est l’album d’un dieu, alors on se prosterne à ses pieds.  

    Signé : Cazengler, Kelly Finigland

    Kelly Finnigan. La Maroquinerie. Paris XXe. 4 février 2025

    Monophonics. It’s Only Us. Colemine Records 2020

    Kelly Finnigan. A Joyful Sound. Colemine Records 2020

    Monophonics. Sage Motel. Colemine Records 2022

    Kelly Finnigan. A Lover Was Born. Colemine Records 2024

    Kelly Finnigan forge, affûte et cisèle. Soul Bag n°257 - Janvier février mars 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - Paley royal

    (Part Two)

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Andy Paley ? On l’a déjà croisé ici, inside the goldmine, quelque part en 2022. Et tous ceux qui ont eu dans les pattes le Young Blood de Jerry Lee savent qui est Andy Paley. Les fans de Brian Wilson aussi. Et puis on a tous acheté l’album des Sidewinders en 1972, fascinés que nous étions par cette pochette du groupe photographié dans le grand hall du Chelsea Hotel, avec bien sûr Andy Paley au premier plan. Et puis il y a les albums des Paley Brothers dont on a dit inside the goldmine tout le bien qu’il fallait en penser.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Andy Paley vient de nous fausser compagnie, mais on peut le retrouver grâce à un article bien dodu de Stephen B. Armstrong, dans l’Ugly Things paru quelques mois avant son cassage de pipe en bois. C’est le texte définitif sur la légende des Paley Brothers, celui qu’il faut lire. Extrêmement bien documenté, comme d’ailleurs tout ce qui paraît dans Ugly Things.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             La légende des Paley Brothers prend racine dans le Boston et le New York des seventies. Lenny Kaye qui les voit sur scène au Max’s Kansas City les qualifie de «perfect pop group». Jonathan est le cadet, et Andy l’aîné de trois ans. Le premier groupe d’Andy s’appelle Catfish Black, vite rebaptisé Sidewinders, et Lenny Kaye qui bosse comme A&R pour Elektra demande à son boss Jac Holzman de les signer. Mais c’est RCA qui les signe. Lenny Kaye les produit. Hélas l’album des Sidewinders ne se vend pas et le groupe part en sucette. Le buzz de Creem n’aura pas fait long feu.

             Puis Jonathan et Andy se payent une virée à Los Angeles, et par chance, ils rencontrent Brian Wilson et les autres Beach Boys. Un Brian Wilson qui est dans une mauvaise passe. Brian et Andy se retrouveront vingt ans plus tard pour enregistrer ensemble. Les Paley Brothers rentrent à New York. Jonathan auditionne pour les Heartbreakers, mais Jerry Nolan ne veut pas de lui. Fin de l’audition. 

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Les Paley Brothers enregistrent des démos et envoient des cassettes à droite et à gauche. Seymour Stein flashe sur la qualité des démos et les signe sur Sire. Il les branche sur le producteur Jimmy Iovine, qui avait été l’assistant de Totor sur l’enregistrement du Rock’nRoll de John Lennon. Ils enregistrent leur premier single sur Sire, «Ecstasy». On reste dans l’ambiance légendaire avec l’enregistrement de leur premier album. Ils envisagent de faire appel à Jack Nitzsche, mais ça n’aboutit pas. Alors ils se tournent vers Earle Mankey qui vient de produire le 15 Big Ones des Beach Boys. Team de rêve ! Ils s’entendent bien tous les trois, Earle, Andy et Jonathan. Earle a installé son studio chez lui, un studio que connaît très bien Pat Todd, d’ailleurs. Ils enregistrent en novembre 1977. Ils font une cover du «Come On Let’s Go» de Ritchie Valens avec les Ramones qui sont à ce moment-là à Los Angeles. Hélas, The Paley Bothers ne se vend pas. Trop pop ? Va-t-en savoir.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Puis Totor prend contact avec eux. Il passe un coup de fil à 3 heures du mat. Andy croit que c’est une blague de Lenny Kaye. Mais non, c’est bien Totor : il a entendu le premier single des Paley Brothers et il aimerait bosser avec eux. Totor leur demande de bosser une compo à lui et Jeff Barry, «Baby Let’s Stick Together», que Dion a déjà enregistrée sur Born To Be With You. Andy et Jonathan répètent le cut chez Totor, on la Collina Drive in Beverley Hills. Ils répètent pendant des heures. Un jour, Darlene Love vient faire des chœurs. Assis derrière son Lowery organ, Totor teste des variations et des tempos différents. Puis ils vont enregistrer chez Gold Star avec le Wrecking Crew. Mais tous ces cuts ne verront pas le jour. Stein est trop occupé avec ses Talking Heads, ses Pretenders, ses Ramones et sa Madonna. Il n’avait d’ailleurs peut-être pas l’intention de sortir un deuxième album des Paley Brothers. À ce niveau de no way out, ça s’appelle la guigne.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Andy fait le bouche-trou chez Patti Smith, dans les Real Kids et chez Jonathan Richman, pardonnez du peu. De son côté, Jonathan joue dans les Nervous Eaters, puis part naviguer à travers le monde. En 1988, Stein signe Brian Wilson sur Sire. Il demande à Andy de superviser ce premier album solo sans titre. Alors Andy compose avec Brian. Non seulement il co-écrit, mais il co-produit, il co-joue et il co-chante. Andy et Jonathan sont tellement proches de Brian qu’ils sont invités à son deuxième mariage en 1995. Andy continue de produire des groupes dans les années 90 : Mighty Lemon Drops, et NRBQ. 

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             La légende des Paley Brothers connaît un dernier spasme en 2013 quand paraît The Paley Brothers: The Complete Recordings. Comme son nom l’indique, The Complete Recordings rassemble tout, y compris des cuts enregistrés par Totor. Jonathan bosse aussi sur le biopic de Brian Wilson, Love & Mercy. Mais comme on sait, ce biopic pourri ne rend pas hommage au rôle qu’a joué Andy dans le redémarrage de Brian Wilson. Et pour conclure ce vaillant article, Jonathan affirme qu’il reste des tonnes d’inédits. Alors on attend en bavant.           

    Signé : Cazengler, Andy palette

    Andy Paley. Disparu le 20 novembre 2024

    Stephen B. Armstrong : Magic power - A history of the Paley Brothers. Ugly Things # 65 - Spring 2024

     

     

    Diggle it, Steve ?

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Steve Diggle vient de re-publier son autobio. Après The Buzzcocks: Harmony In My Head - Steve Diggle’s Rock’n’Roll Odyssey publié en 2017, il revient à la charge avec Autonomy: Portrait Of A Buzzcock, un bon book, troussé à la hussarde comme un hit des Buzzcocks, un book vibrant de franc parler et de slang mancunien. Encore une fois, c’est un bonheur que d’échapper à la traduction, car c’est le Diggy Boy qui te parle en direct, avec ses vrais mots, et non de vagues interprétations, qui estropient trop souvent l’essence d’une langue rock. Tu ne traduis pas les paroles d’un cut des Stooges, et encore moins celles d’un cut de Bob Dylan. Pareil pour les rock books. Pas touche. T’apprends bien à nager pour ne pas couler. Alors tu peux apprendre à lire l’anglais pour nager comme les dauphins savent nager (dixit David Bowie dans «Heroes»). Just for one day.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Tiens on va prendre un exemple. Diggy Boy dit : «It was just friends talking down the pub.» Tu vas le traduire facilement dans ta tête, tu vois bien l’image. Mais si on te paye pour le traduire par écrit, tu fait quoi ? «C’était juste des copains causant au pub.» Tu vois bien que ça ne sonne pas pareil. Down the pub, ça sonne comme le down in the street des Stooges, t’as l’image immédiatement, il y a du rock dans la formulation. Plus loin Diggy Boy dit: «Just a bunch of lads out having a laugh», que tu traduirais par : «Juste une bande de mecs de sortie qui se marrent bien.» Mais ce n’est pas le même son. C’est plus pauvre. Il y a tout le rock anglais dans la formulation «bunch of lads out». C’est un régal que de lire Diggy Boy. Quand il décide de rejoindre un groupe, il le dit à sa façon : «If I was going to be in a band, I needed to start getting serious about the guitar. Which meant I had to learn to play one properly.» C’est le kid devenu adulte qui parle, avec sa logique de kid. Alors à l’époque, il connaît un «hippie named Lance». Pour le situer physiquement, Diggy Boy ajoute qu’il s’habillait comme s’il partait pour - ou s’il revenait - de Woodstock, «the kafkan, the droopy moustache, the whole ‘hey man’ bit.» Diggy Boy swingue sa langue. T’as un vrai rock book dans les pattes. Il se fout d’être écrivain, il rocke le book. Il te re-raconte l’histoire des Buzzcocks que tu connais par cœur, mais cette fois, il te la raconte de l’intérieur : la vraie histoire, par le cofondateur, avec les vrais mots. Et Diggy Boy n’est pas un frimeur. Quand il n’aime pas les gens, notamment les punks qui viennent foutre le souk dans les concerts, il les traite de «farm animals». Quand il va boire une pinte au pub round the corner, il utilise cette formule : «Neck a few pints.» Quand il parle des danseuses du Moulin Rouge, il parle de «can can girls flashing their bloomers.» Et ça qui vaut tout l’or du monde : «Working class but doing OK». Il parle de sa famille working-class qui s’en sort plutôt bien. Ça flashe à toutes les pages. 

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Comme Jim & William Reid et tous les autres cracks du boom-hue, Diggy Boy a des roots impeccables : flash sur «Love Me Do» à 7 ans, via la radio - Talk about being born in the right place at the right time -  Page suivante, il ajoute ça : «I got bitten by rock’n’roll and became Steve Diggle.» Son premier amour, ce sont les Beatles - Mam bought me my first record from the market, their Twist And Shout EP with the cover of them jumping up in the air - Puis il a un autre musical shock treatment avec le «dah-nah-nah nah-nah» d’«You Really Got Me», puis c’est le grand «KA-BOOOM!» comme il dit, avec «My Generation» - It was like Hiroshima going off between my ears - Ado, il vire Mod - I had the music. I had the clothes, but most important of all I had the scooter - Il démarre avec un Lambretta TV 175, puis, il passe au LI 150, celui de Jimmy dans Quadrophenia.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Bien sûr, les Buzzcocks sont le sujet principal du book. Diggy Boy annonce la couleur dès la page 2 : «It was always me and Pete.» Pendant 42 ans. Aussi, quand Pete disparaît, il est désemparé. Son chagrin est immense - We could laugh like Laurel  & Hardy, argue like Steptoe & Son et drink like a couple of Oliver Reeds - Always me and Pete. Il l’écrit trois fois dans la même page. Il raconte qu’il apprend la mort de Pete par téléphone - Pete’s dead. One phone call, two words, one second. BANG! Et tout ce qui avait fait ma vie depuis 42 ans est parti en fumée - Et comme tous les gens qui se retrouvent soudainement seuls, il se dit : «What the fuck am I going to do now?».

             Puis il replonge dans le passé et attaque superbement son premier chapitre ainsi : «If Jesus was born in Bethlehem, punk was born in Manchester.» Et plus loin, il en rajoute une couche : «My generation, the punk generation, was the chosen one.» Plus loin dans le récit, il évoque «the holy trinity of UK punk rock» : Pistols, Clash, Buzzcocks. Et voilà, la messe est presque dite.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Diggy Boy raconte un épisode marrant : fin 1976, les Buzzcocks emmènent McLaren, Steve Jones et Joe Strummer dans un pub working-class de Manchester qui s’appelle Tommy Ducks , «which blew their minds» : les tables sont des cercueils et des culottes de femmes jaunies par la fumée des cigarettes sont clouées au plafond - The Pistols, Clash and Buzzcocks sat together, pints on the coffin lid, under all these dirty panties.

             Nous voilà donc entrés dans l’histoire des Buzzcocks, l’une des histoires de groupes anglais les plus intéressantes. Diggy Boy dit à son dad qu’il aimerait bien avoir une gratte et son père qui conduit des poids lourds lui en ramène une. Oh mais c’est une basse ! Pas grave. Diggy Boy apprend à gratter la basse. Puis il commence par le commencement, il répond à une annonce dans le Manchester Evening News : «Bassist wanted». Il appelle aussi sec le numéro et dit au mec qu’il a composé des chansons et qu’il aimerait faire un groupe dans le genre des Who - short, sharp three-minute shocks and then smash our guitars - Le mec rigole et Diggy Boy lui file un rencart le soir même, «half seven outside the Free Trade Hall.» - My date was my destiny. Friday, 4 june 1976 - Il a raison, Diggy Boy, d’évoquer le destin.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Il arrive à l’heure au rencart et commence à poireauter. Le mec n’arrive pas. «Ils sont à l’intérieur !». La voix vient de derrière. Diggy Boy se retourne et voit arriver un branleur aux cheveux rouges entièrement vêtu de cuir noir. Diggy Boy ne pige pas : «Sorry?». Alors le branleur lui dit : «The Sex Pistols. They’re in there.» Diggy Boy lui dit qu’il est bassiste et qu’il attend this bloke to start a band. Et le branleur lui répond que son rencart est déjà là. Ah bon ? Ils entrent tous les deux. Ils arrivent au petit desk où il faut payer fifty pence pour assister au concert. Et le branleur dit au caissier : «Je l’ai trouvé dehors. C’est ton new bass player.»

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Évidemment, le caissier n’est pas le rencart de Diggy Boy. C’est Pete Shelley, et le branleur en cuir noir, c’est McLaren. Pete Shelley cherche un bassman, alors le hasard fait bien les choses et McLaren lui en trouve un dans la rue. Diggy Boy est entré dans les Buzzcocks comme ça, grâce à un curieux concours de circonstances. Bien sûr, Diggy Boy n’a jamais vu le mec avec lequel il avait rencart. Ensuite, il découvre les Pistols sur scène et fait la connaissance de l’autre cheville ouvrière des Buzzcocks, Howard Devoto. Pete et Devoto partagent alors une passion commune pour le Velvet, Bowie, Captain Beefheart et Roxy Music. Ils ont décidé d’appeler leur groupe Buzzcocks. Le nom plaît à Diggy Boy  - It’s the buzz, cock! - Dans la salle du Free Trade Hall, Mark E Smith, Peter Hook et Morrisey sont là pour voir jouer les Pistols - From the moment they slouched on stage, they were seismic.

             Puis les Buzzcocks commencent à répéter dans la piaule de Devoto, à Salford. Ils se branchent tous les trois sur un ampli - Pretty fucking awful, if I’m honest. And yet there was something there - C’est encore une fois le moment magique de l’histoire d’un groupe : sa formation et ses balbutiements. Diggy Boy : «A chemistry, an energy, an urgency.» En trois mots, il résume tout l’art des Buzzcocks. 

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Puis il apprend à connaître ses nouveaux amis - Howard was both a conspicious intellectual and a bit of a wry Noël Coward - Il a plus d’affinités avec Pete - he was more pub like I was - En plus, Pete a de l’humour, «whereas I’m not sure Howard did.» Diggy Boy lui reproche de prendre la vie top au sérieux. Howard cogite trop - There was a lot going on upstairs, but maybe too much, like he’s read one Samuel Beckett play too many - Diggy Boy s’amuse bien avec son anglais à l’emporte-pièce de Manchester. C’est brillant, vivant, imagé, chaque fois en plein dans le mille. C’est Pete le real deal, un Pete qui écoute le Velvet, Bowie, Eno, «the artsy set» et qui, à la différence de Diggy Boy, ne s’intéresse pas trop aux Stones et à Led Zep. Pete est un scientifique. C’est là que Diggy Boy tente un parallèle bizarre avec le couple Ingres/Delacroix. Il fait son Raymond la science : «Ingres était le grand artiste, le golden boy que tout le monde adorait, alors que Delacroix était le bad lad qui s’attirait des ennuis en voulant être trop expressif. So Pete was Ingres and I was Delacroix. He had the refinement, I had the feeling.»

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Puis il leur faut un batteur. Ce sera l’«incredible John Maher». «The best ever to come out of Manchester.» - The perfect drummer for Buzzcocks - Il a 16 ans. Et puis un jour, en répète, Pete jette sa gratte au sol. Elle se casse en deux, juste au-dessus des micros. Proprement, comme le top off a boiled egg, dit Diggy Boy - It looked very punk rock - Et Pete va jouer sur sa demi-gratte.

             Diggy Boy découvre encore un truc : Pete est bi. Il explique à Diggy Boy incrédule : «I enjoy the best of both worlds.» Diggy Boy voit son pote Pete comme un typical Bowie kid, pas comme un gay. Et puis il s’en fout. Pete est aussi un mec assez réservé - He wasn’t an easy person to work out - Alors Diggy Boy aborde la question que tout le monde se pose : a-t-il essayé de poser la main sur mon genou ? - Which he did, once or twice - Et il ajoute ça qui en dit long sur la qualité de leur relation : «I never took it seriously, and I’m not sure he did either. My attitude, as I told him, was I knew I was straight, so not for me, thanks, but you do what makes you happy.» Alors Pete le titille en lui demandant comment il sait que ce n’est pas pour lui s’il n’a pas essayé, à quoi Diggy Boy répond du haut de sa masculinité : «Well I’ve not jumped off a cliff either.» Donc la chose est dite. On en reste là. «Our friendship was too important.» Eh oui, 42 ans, c’est pas rien. Tous les ceusses qui ont la chance de vivre  des expériences de groupes aussi longues savent à quel point le friendship est la clé de tout. Monter un groupe n’est pas chose facile. Le malheur vient souvent du fait que t’accordes ta confiance à de funestes tocards, d’incroyables branleurs. Pete et Diggy Boy ont eu beaucoup de chance. Ce sont deux mecs intelligents. C’est toute la différence. L’intelligence compte pour beaucoup dans une rock story.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Voilà une nouvelle preuve de cette intelligence : «Buzzcocks has somethning else because we didn’t have a model. You can hear it. We were trying to find ourselves, using our limitations to our advantage and creating something new.» Voilà le power des Buzzcocks. Il parle de la «beautiful simplicity to those early songs.» Eh oui, «Boredom» et l’EP Spiral Scratch sont arrivés comme une révélation en janvier 1977. Pete joue sur sa «cheap broken guitar from Woolies» et passe un solo sur deux notes. Punk rock ! La messe est dite. Diggy Boy en profite pour faire l’éloge de la simplicité et citer Tchekhov et Rothko. Il dit aussi que Joy Division vient tout droit de «Time’s Up» - the minimal guitar, the root note bass, the rolling drums, the urgent vocals, it’s all there - Il rappelle un peu plus loin que Joy Division a tout pompé sur Buzzcocks - Not only dit Joy Division nick their sound off early Buzzcocks, they also nicked our bloody rehearsal place - Diggy Boy est ravi des lyrics d’Howard - Shocking and funny at the same time. Buzzcocks had not only the best songs, but the best jokes.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

    ( Paul Verlaine et la fée verte)

             Et c’est parti. Diggy Boy évoque la dope - So cheap speed was our drug, Me as Pete’s, as well as the odd pill - et paf !, il refait son Raymond la Science : «Like the French existentialists getting high on absinthe and writing poetry, we’d get wired on speed, then go and play our version of poetry. B’dum b’dum!» Sauf que ce ne sont pas les existentialistes qui se shootaient la cafetière à l’absinthe, mais la bande d’avant.

             Aussitôt après la parution de Spiral Scratch, Howard annonce qu’il quitte le groupe. Quoi ? EH? - Utter disbelief - Pete répond immédiatement qu’il continue - OK we’ll carry on - Diggy Boy est d’accord. Il avoue qu’il l’aurait bien «kissed Pete Shelley» sur ce coup-là. Buzzcocks mk1 a duré 6 mois. Seulement 10 gigs. Pete met une annonce chez Virgin Records : «Wanted: bass player». Et voilà Garth. C’est un géant. Il aime siffler une pinte - Garth loved a drink - Même trop. Diggy Boy picole avec lui - The object of the evening was total mental annihilation, and me and Garth were spectacularly good at it - Mais le problème de Garth c’est qu’il devient très agressif quand il en a un coup dans la gueule. Pire encore : «The drunk Pete Shelley could be an absolute nightmare.» Drunk Garth + drunk Pete : Diggy Boy parle d’une bombe à retardement. Garth et Pete papotent et soudain, ils roulent tous les deux à terre et échangent des coups.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Andrew Lauder signe les Buzzcocks à l’été 1977 sur United Artist. Elvis vient de casser sa pipe en bois. Diggy Boy : «The King is dead - long live Buzzcocks.» Le groupe tourne, le label paye l’hôtel et la bouffe, mais ils n’ont pas un rond en poche - You’re still cash poor - On leur paye aussi du matos. Diggy Boy s’offre une 1959 Gibson Les Paul Junior, bright yellow. Le mec qui la lui vend at the Orange shop on Shaftesbury Avenue lui dit qu’elle appartenait à Tony Hicks des Hollies. Le label ne leur file pas un rond mais prend en charge tous les frais, alors Pete et Diggy Boy se découvrent une passion pour le champagne, mais pas n’importe quel champ’ : le Moët & Chandon. C’est pour eux une façon de coûter cher en tournée, aux frais d’United Artists. Quand on leur présente un champ’ d’une autre marque, ils le refusent, ils en font un jeu : «Listen mate. No Moët - no show-ay. No Chandon - no band on.» C’est leur slogan. Four bottles each. Ils en descendent une avant de jouer, et ils en emmènent une autre une scène. Ils descendent les autres après le set avec leurs invités - Fancy some champagne, darling? - En France, un tourneur leur amène du Taittinger. No way. Le tourneur n’en revient pas. «Are you serious ?». Diggy Boy rétorque : «Fucking deadly. No Chandon - no band on.» Ah la gueule du tourneur ! Ah la rigolade !

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Puis ils changent de bassman. Arrive Steve Garvey. Mais Pete et Diggy Boy sont toujours l’âme du groupe. C’est là qu’ils enregistrent «What Do I Get». Diggy Boy appelle ça Buzzcocks’ New Testament. The Gospel according to Pete Shelley - «Time’s Up», Spiral Scratch, even «Orgasm Addict» was strictly Old Testament - Le groupe se met à tourner intensivement - We both embraced hedonism and instensity of the lifestyle full-on, straight from the pages of Hammer of Gods - Ils sniffent comme des brutes - The same when it came to sex - Ils baisent tout ce qui passe à leur portée. Mais ce que Diggy Boy apprécie plus encore than any sex and drugs, c’est d’être «in the back of a cab, on my way to a recording studio.» «That defined the freedom of rock’n’roll.»   

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Bon après t’as les trois albums. On en pense ce qu’on veut. Les Buzzcocks sont surtout un groupe de singles. Dans les concerts, le public repend l’oh oh de «What Do I Get». Puis Pete commence à faire la gueule. Il n’est pas heureux. Il évoque sa relation compliquée avec un certain Francis dans «Ever Fallen In Love (With Someone You Shouldn’t)». Et puis il y a la pression des tournées et des albums. Too much too soon. Pour Diggy Boy, la meilleure compo de Pete est «ESP» - For me, «ESP» is Buzzcocks defined. Melody meets avant-garde - Et puis ça commence à changer en 1978 : Pete se retrouve seul en couve des magazines. Diggy Boy voit ça d’un mauvais œil - We were a band, but he was the star. God help him, he was famous - Il dit même son chagrin pour Pete, car il ne pouvait rien lui arriver de pire. Pete n’était pas fait pour la gloriole. Il était le mec le plus mal habillé de Londres - The cleverer you are, the worse fame is - C’est pour ça que Dylan et Lou Reed haïssaient les journalistes. La gloriole convient bien aux mal dégrossis que Diggy Boy appelle «thick people» - But if you’re the sensitive Pete Shelley, it (fame) fucks you with your entire sense of self - Et il ajoute ça qui est d’une extrême perspicacité : «Pete was in danger of being smashed on the rocks.» Diggy Boy dit mieux s’en sortir - I took the rough with the smooth. The rough, when it came, being pretty fucking rough at the best of times - C’est merveilleusement bien dit.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Les groupes qui ont survécu au punk - us included - ont évolué musicalement, mais, nous dit Diggy Boy, pas le public. C’est l’apogée du pogo et du glaviotage. Puis Pete compose «Everybody’s Happy Nowadays» - just a few chords with his hight vocal melody on top - Eh oui, c’est une façon de définir le grand art de Pete Shelley. Encore un hit intemporel. Cinquante ans plus tard, «Everybody’s Happy Nowadays» te fout encore des frissons.

             Puis Pete se referme comme une huître - He didn’t enjoy it anymore - Diggy Boy parle de «negative frame of mind». C’est l’époque du troisième album, que Diggy Boy appelle the yellow album et qu’il déteste. C’est vrai que l’album est tout pourri. «Cold and brutal», dit Diggy Boy. Il parle aussi de «dismal sobs from the psychiatrist couch».

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             De la même façon que le Wynner nous racontait le cauchemar de l’enregistrement de Medecine Show (le deuxième Dream Syndicate), Diggy Boy nous raconte l’enregistrement du troisième Buzzcocks avec Martin Hammett, un Hammett qu’ils connaissent bien, car c’est lui qui a produit Spiral Scratch. Et là, Diggy Boy se régale avec la notion d’alchemist - Hammett really could be an alchemist. But he was first and foremost a chemist. As in the kind who cooks up crystal meth - En fait Hammett prend de tout à longueur de temps, breakfast, lunch and dinner - Si on croyait vraiment qu’on avait pris trop de drogues pendant la tournée américaine, it was nothing compared to a month in the studio with Hammett - Diggy Boy se marre comme un bossu : «My take on it was, naïvely perhaps, that we’d entered some new Sgt. Pepper phase.» On faisait entrer les drogues dans le studio, nous dit Diggy Boy, ça a marché pour les Beatles, alors pourquoi pas nous ? - Maybe our own «I Am The Walrus» was just around the corner? - Big mistake. Il donne l’explication  : «La différence était que les Beatles pouvaient se défoncer autant qu’ils voulaient parce qu’ils avaient le sobre George Martin derrière la console to sort them out. We had the actual fucking Eggman.» Diggy Boy ne se souvient plus combien de semaines a duré ce cirque. It felt like years. Tout ce dont il se souvient, c’est qu’ils sont allés dans quatre studios différents pour enregistrer seulement six cuts. Chaque fois la même routine. Un dealer livre l’herbe. Il ne se passe rien. Puis un autre livre la coke. Il ne se passe toujours rien. Puis un troisième livre l’acide. Rien. Pete et Diggy Boy sont tellement défoncés qu’ils se mettent à chanter le «Sun Arise» de Rolf Harris. Sur «Are Everything», ils s’amusent à chanter avec des voix de canards. Ils trouvent très bien, à l’époque. Puis Pete arrête de venir au studio. Diggy Boy se retrouve seul - It was just me, Hammett, drugs, porn and peanut butter.

             C’est là que Pete splitte le groupe. L’avocat de Pete envoie à Diggy Boy et aux deux autres une lettre officielle. Terminarès. Diggy Boy est en colère : «Spineless cunt.» Il reproche à Pete sa lâcheté - To not have the bottle to tell us to our faces - Avec le recul, sa colère se transforme en tristesse. L’aventure n’a pas duré 5 ans. Il a rencontré Pete en juin 1976 et il reçoit la fucking letter en mars 1981 - Juste au moment où the Thatcher government annonce les chiffres en hausse du chômage : 2 400 000 out of work - Et Diggy Boy ajoute ça  : «Make that 2,400,001.» Un de plus.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Diggy Boy est un mec éminemment sympathique. On le sent quand il arrive sur scène, il fait signe aux gens et leur sourit - Je parle à tout le monde. I live in Real Street, not in Fame Street. Je prends encore le bus et le métro. Après le concert avec Iggy Pop au Crystal Palace en 2023, je suis rentré en Overground. I’ve never been a member of the Groucho Club or any ot that elitist bollocks, because it is exactly that. Bollocks. I am a pub man and always have been - Sur scène, il a toujours été sur le côté, jamais au centre. Il n’a jamais été celui que les journalistes interviewent.

             Après le split des Buzzcocks, il monte Flag Of Convenience. Il aime bien le nom : aucune appartenance. Pavillon de complaisance - The F.O.C. blueprint was somewhere between early Roxy Music and the Plastic Ono Band, quite arty, quite heavy.   

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Northwest Skyline, le premier Flag, est son préféré. Mais ce n’est pas un très bon album. Tu sauves deux cuts, le morceau titre (monté sur des accords gaga, belle tension, mais trop éparpillé), et «Should I Ever Go Deaf», plus rebondi, avec des chœurs des Dolls. Le cut est frais comme un gardon de Manchester. Diggy Boy taille sa petite route et fait claquer son pavillon de convenience. Mais le reste des cuts ne paye pas de mine, c’est parfois linéaire («The Destructor») et parfois new wave («The Greatest Sin», petite concession à la mode, dommage).   

             Comme chacun sait, il y aura une reformation des Buzzcocks. Pete débarque sur un radio show et Andy Kershaw lui demande si les rumeurs de reformation sont fondées. Alors Pete répond : «There’s rumours about the Beatles too. We’re just waiting for Steve to get shot.» Et Diggy Boy d’ajouter : «Not one of his better jokes.»

             La rumeur se concrétise avec un concert de F.O.C. à Pigalle. Diggy Boy arrive devant la salle et tombe sur un gigantesque poster : BUZZCOCKS F.O.C. À quoi Diggy Boy ajoute, en saut de ligne et en ital : «Merde». Il demande des comptes au promoteur qui lui répond : «You’re Steve from ze Buzzcocks». Il fait comme William Reid dans son autobio, il se moque de l’accent des Français. Le pire, c’est que le promoteur avait raison : il y a la queue pour le concert. Puis c’est la reformation pour une tournée américaine. Après 8 ans de hiatus. Ils se retrouvent enfin. Pete : «Fancy a beer ?» Comme si rien n’avait changé. Et Diggy Boy de philosopher : «These days band reunions are big business because nostalgia is a big business.» Et d’ajouter ceci qui confirme nos propres soupçons : «Probably because today’s music is so useless everyone’s listening to the music of the past.» Et paf, en plein dans le mille. La daube contemporaine ! Diggy Boy ne rate pas une si belle occasion.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Du coup, Pete et Diggy Boy sont les vieux, ils ont trente balais, en pleine Britpop, au milieu des Stone Roses, de Nirvana et d’Oasis. Et en 1993, ils enregistrent leur quatrième album, Trade Test Transmissions, avec Tony Barber et Phil Barker, qui vont stabiliser le groupe pendant 10 ans. Ils vont tourner en première partie de Nirvana. Diggy Boy admire Nirvana - They had it all. Balls, attitude and killer tunes - Pete se marie avec une Japonaise, Miniko, qui met leur fils au monde. Mais Miniko n’aime pas Diggy Boy. Ni d’ailleurs la suivante et la dernière épouse de Pete, Greta. Puis quand Pete atteint les soixante balais, il commence à grossir et porte la barbe. Quant à lui, Diggy Boy se dit bien conservé. Il mange des betteraves, «my elixir of life».

             Puis il évoque les disparus, Martin Hammett, Joe Strummer, McLaren, Martin Rushent, Ian Curtis et Kurt Cobain - Yet here I was a daft old 68-year-old mourning about a broken rib, having miraculously outlived the lot of them. Fate really is a picky bastard.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Tu vas avoir une drôle de surprise si tu entres dans la discographie solo de Diggy Boy. Ses compos ne sont pas aussi brillantes que celles de Pete Shelley, mais elles restent d’un très bon niveau. La preuve se trouve déjà dans Some Reality, un album paru en l’an 2000. Boom dès le morceau titre, un vrai blow-out de blast. Diggy Boy groove l’heavyness de Manchester. Cut heavy, mélodique et prodigieusement inspiré. Il tape en plus un killer solo flash d’antho à Toto. Diggy Boy sonne comme une superstar ! De cut en cut, il va affermir sa présence et montrer sa constance. Il repart au fast on fire avec «Time Of Your Life». C’est l’une de ses vitesses de croisière. Et boom encore avec «Blowing Hot». Grosse intro. Puis il gère le beat à l’élastique. C’est d’une puissance assez rare, il passe un killer solo en suspension. Tu trouves tout chez Diggy Boy. Une vraie Samaritaine. Deux killer solos liquides ! L’album reste d’une tenue impeccable avec «Three Sheets To The Wind». Diggy Boy est une bête magnifique, ses solos claironnent. Même quand il redevient poppy poppah, tu ne te moques pas. Et quand il redevient classique avec «Something In Your Mind», il module sa voix et fait sonner son hey ! Il vire reggae de Manchester avec «Heavy Hammer». Il module bien ses make you right yeah ! Et ça continue avec un «All Around Your Face» bien gorgé de barcasse. Il bourre bien son mou, il a du power plein les pognes et il passe encore un killer solo trash de Manchester. Diggy Boy, c’est le même plan que Keef : second couteau mais capable de super coups de génie. Compos magnifiques et qualités subjuguantes d’interprétation. Diggy Boy est un artiste passionnant. Ce serait une grave erreur que de le prendre à la légère.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Il sort en 2005 un superbe album solo : Serious Contender. C’est vraiment du serious, Diggy Boy n’est pas homme à plaisanter. T’as vraiment intérêt à l’écouter, il jette tout son poids, toute sa hargne et toute son allure dans la balance. Quel beautiful power trio : Chris Remington on bass et Eamonn Sheely au beurre. Diggy Boy emmène son équipe à l’assaut du ciel, il tente bien le coup. Il ne sera jamais les Buzzcocks, alors il fait autre chose et ça sonne plutôt bien. «See Through You» sonne comme un hit intercontinental. Diggy Boy multiplie les dégelées de Mod rock et les envolées mélodiques, il sait tenir son rang de scooter boy. Il balance un nouveau monster blast avec «Round & Round» qui démarre comme «Search & Destroy». Il y va à l’upside down, Diggy Boy est capable des pires stoogeries. C’est très spectaculaire, surtout le wild killer solo flash. Il retape dans le dur plus loin avec «If I Never Get To Heaven». C’est son truc : le stomp de Manchester - If I never get to heaven/ I know it’s gonna be alright - Retour à la stoogerie avec «Jet Fighter». Il est encore en plein «Search & Destroy». Il arrive ensuite comme le messie avec l’intro bourrée de gras double de «Shake The System». Il développe de la grandeur à la seule force des gimmicks. C’est du Diggle pur ! Gras double extraordinaire !

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Tu ne perds pas ton temps à écouter Inner Space Times, un album solo de Diggy Boy paru en 2016. «The Weatherman Said» sonne comme un hit, notre Diggy Boy y va à coups d’awite ! Ce sont les accords d’Anarchy et ça sonne comme du nec plus ultra. En B, t’as aussi le morceau titre qui flirte avec l’hypno. Ça passe parce que c’est Diggy Boy. Il aime bien les cuts hypno qui filent sous le vent. Le Kraut est aussi sa came de vieux Manc. Diggy Boy créée bien son monde et Chris Remington fourbit bien le bassmatic hypnotic. Le «Bang Apocalypse» qu’on croise dans le balda est assez plan-plan, mais comme on aime bien Diggy Boy, ça passe. Il se paye un bel up-tempo avec «Kaleidoscope Girl», il sait tailler sa route, ne te fais pas de souci pour lui. Il revient au big rock de Manchester avec «Bullet In Your Heart», monté sur le bassmatic élastique de Chris Remington. Excellent !   

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             En 2010, Diggy Boy revient dans l’actu sous le nom de Steve Diggle & The Revolution Of Sound avec un fantastique album : Air Conditioning. Fantastique oui car «Yeah Man Yeah». Il se fâche et ça monte tout de suite au niveau supérieur du rock anglais, Diggy Boy fout le feu avec ses solos urbains, il fait du Detroit in London, il en connaît un rayon. T’as encore la fantastique allure d’«Hey Maria» qu’il attaque au buzzsaw et il se joue dessus pendant le solo. Nouvelle énormité avec «Planet Star». Diggy Boy est en forme, il gratte tout ce qu’il peut, il gratte sec et c’est fameux. Il sait s’élancer à l’aventure, c’est la raison pour laquelle on l’adore. Et puis tu vas tomber sur l’excellent «Victory Road» - Down to Victory Road - C’est du real deal, un heavy balladif du plus bel effet. Diggy Boy tient bien son Victory Road en laisse. Magnifico ! Quel bel album ! Il a du son et de l’énergie. Il claque son beignet à tire-larigot. Il sort un son très anglais. Le «Changing Of Your Guard» n’est pas le «Changing Of The Guard» de Dylan qu’avait repris le gros Black au moment des Catholics. C’est du Diggy sound, oh-oh. Rien n’est plus British que Diggy Boy. Il claironne bien son killer solo flash in the flesh. Quel fabuleux power-rock ! Diggy Boy est un artiste classique.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Il existe un Best Of Steve Diggle & Flag of Convenience. Bizarrement, il ne fonctionne pas trop bien, car principalement axé sur la new wave. Diggy Boy fait sa petite new wave et c’est agaçant. On sauve cependant quatre cuts, à commencer par l’«Here Comes The Fire Brigade» qui sonne comme l’early punk des Buzzcocks. Il tape en plein dans l’archétype et c’est brillant. Quelle belle attaque ! On entend des chœurs lointains et de vagues accents à la Johnny Rotten. «Exiles» pourrait aussi sortir de la grande époque des Buzzcocks. Diggy Boy y va à coups d’I want you to take your chance. Avec «Who Is Innocent», il refait exactement le «Re-Make Re-Model» de Roxy, avec les coups de sax d’Andy McKay et les Oh Oh du Ferry boat. Il fait même les breaks d’instros. Diggy Boy sait claquer un hit pop, comme le montre «Can’t Stop The World». Le reste du Best Of n’a pas grand intérêt. Trop new wave, comme déjà dit. Dès que son pote Pete n’est pas là, ça peut devenir compliqué. Diggy Boy ramène un peu de jingle jangle dans «Pictures In My Mind», ça prouve qu’il a écouté les Byrds. 

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Diggy Boy fait la une du # 109 de Vive Le Rock. C’est bien mérité. Il ne jure que par le groupe des cinq : Pistols, Clash, Damned, Jam and us, Buzzcocks. Forget le reste. Il re-raconte son enfance à Manchester et ses premiers émois musicaux, notamment «Love Me Do» des Beatles.  Puis ado, il devient un scooter boy car il louche sur le look, lots of mirrors, l’union jack painted dans le dos du parka et Tamla. Puis il raconte qu’à 20 ans il veut jouer un groupe et répond à la fameuse annonce qui l’amène devant le Free Trade Hall. Il attend son rendez-vous qui ne vient pas, et à sa place arrive McLaren qui organise le concert des Pistols. Quand Diggy Boy dit qu’il est bassiste, McLaren lui dit de le suivre et lui présente Pete Shelley qui justement cherche un bassiste. L’hasard qui fait bien les choses. Puis Pete Shelley lui présente Howard Devoto qui fait la lumière du concert, et patati et patata. Diggy Boy re-raconte toute l’histoire dans le détail, comme dans son autobio. Il revient sur Spiral Scratch et Devoto qui quitte le groupe - Howard was an odd bloke - et pouf, Buzzcocks passe à la vitesse supérieure. L’article est dodu, 8 pages, mais il est bien certain que la distance d’un book convient mieux à cette histoire qui est celle d’un groupe brillant.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Dans Uncut, il répond aux questions des fans, par exemple quelle fut sa première guitare ? «A Spanish guitar for five quid.» Il dit aussi qu’il prépare un nouvel album, Attitude Adjustment. Et quand un mec lui demande si Peter Shelley lui manque, Diggy Boy se met en pétard : «Que crois-tu que je vais répondre ? Que je m’en bats l’œil ? Alors, oui, il me manque. Mon père aussi me manque.» Alors Diggy Boy dit qu’il faut continuer. Move on.

    Signé : Cazengler, Diggueule (de travers)

    Flag Of Convenience. Northwest Skyline. M.C.M. Records 1987    

    Steve Diggle & Flag Of Convenience. The Best Of S D & Flag of Convenience. Anagram Records 1994

    Steve Diggle. Some Reality. 3.30 Records 2000

    Steve Diggle. Serious Contender. EMI 2005

    Steve Diggle & The Revolution Of Sound. Air Conditioning. 3 30 records 2010 

    Steve Diggle. Inner Space Times. 3 30 records 2016   

    Steve Diggle. Autonomy: Portrait of a Buzzcock. Omnibus Press 2024

    An audience with Steve Diggle. Uncut # 329 - September 2024

    Greg Cartwright : Get on your own. Vive Le Rock # 109 - 2024

     

     

    Gare à Gary Clark Jr !

     - Part Two

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Deux ans avant le double album Live salué dans le Part One, Gary Clark Jr avait lancé sa curée avec Blak And Blu.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

    Ce double album est l’un des plus beaux disks de blues du XXIe siècle, tous mots bien pesés. Gary Guitar God commence par bigner «Ain’t Messin’ Round» au pilon des Ardennes. Il te tarpouille ça au compost biologique. Il cherche sa voie dans sa purée et tisonne les entrailles de son blues avec un solo infernal. Il use et abuse de la wah. Il te plonge dans son enfer. Son blues rock explose à l’aune d’un esprit visionnaire. Il voit forcément quelque chose, pour jouer comme ça. Il passe un solo de concasse effarant. Il fait ce qu’il veut de tes oreilles. Ses dégelées de notes te pétrifient l’âme. Il enchaîne avec «When My Train Pulls In», deuxième coup de Trafalgar de Blak And Blu. Heavy blues de rêve - Can’t take it no more - Génie indéniable. Sa purée tourne à la démence. Il joue le blues des temps modernes, mais avec un goût prononcé pour le vertige. Il solote à la folie et renoue avec la démesure hendrixienne. Autre coup de génie, «Numb», riffé à l’étranglée. Il le réveille, comme on réveille un mort dans la tranchée - Well I’m numb - C’est imbattable. Il passe un solo de désaille intoxiquée. «You Saved Me» sonne comme dégelée rebondie. Il tape ça en mode groove magique, et l’explose à coups de retours de manivelle. On n’avait jamais entendu un truc pareil. Bon c’est vrai, on ne connaît pas grand chose, en règle générale. T’as aussi «Glitter And Gold», cette belle rasade de stoner dévastateur. Gary fait son metal core et charge le son à l’échalote. Beaucoup trop puissant pour être honnête. Il rend un hommage beaucoup trop spectaculaire son maître Jimi Hendrix avec «Third Stone From The Sun/If You Love Me Like You Say». Il le gratte à la racine du code. Puissante hendrixification des choses ! Il claque ça aux accords de résonance de l’after-Swingin’. Il plonge dans le passé du son et cherche à renouer avec l’œil du cyclone hendrixien. C’mon ! L’If You Love Me sonne comme une récréation au beau milieu d’un ébat orgasmique d’essence cosmique, et Gary revient au thème hendrixien dans l’épaisseur du son. C’est encore un géant qu’on entend œuvrer dans «Please Come Home». Il gratte avec une puissance d’exaction extravagante et chante en mode Soul efféminée. Soudain, il explose sa mélasse avec un solo excuriateur, il lâche des colonnes infernales qui vont se noyer dans le son. Avec «Bright Lights», il grimpe au sommet de son Ararat. C’est un blues-rock de rêve, bien baveux, brûlant et caverneux, pulsé au meilleur beat du monde, et le solo s’écoule comme un fleuve de lave. Gary nettoie tout ça à la wah et retaille au glougloutage. Il n’existe rien de pire dans l’histoire du blues. Il hendrixifie jusqu’à l’oss de l’ass, il monte à la pointe du progrès et souligne son Gimme all along à coup de notes perchées. Foocking genius !

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Tout a commencé avec The Bright Lights EP. Dès «Bright Lights», on est frappé par l’énormité du son. Gary va chercher une sorte d’au-delà du son. Il injecte du sonic blues dans le cul du cut. Ce mec pourrait bien être le dieu Pan du blues moderne. Il anéantit les frontières. Il invente une mélasse ultime. Il nettoie les artères et les oreilles, c’est un seigneur de l’Otrante, il pulvérise les bornes de la mormoille, il shoote son sonic blues avec une insolence digne de celle de Buddy Guy, il plonge dans des abîmes et resurgit comme un dauphin just for one day. Il tape «Don’t Owe You A Thang» en mode boogie et y passe un solo dévastateur. Il est fou à lier. Il tuméfie le blues, on finit par ne plus savoir quoi dire tellement Gary outrepasse les contingences, c’est un démon. Il ré-invente tout simplement le boogie blast d’Hound Dog Taylor. 

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Encore un très bel album : The Story Of Sonny Boy Slim. Joli coup de génie que ce «Stay» qui se planque en B - Every time I see you/ I lose my mind - Le son est à la hauteur des intentions. Le refrain flotte - I lose my mind - C’est joué aux accords de corne de brume avec des queues de cerises soniques. Il fait aussi du gospel avec «Church». Il vise la communion - Gallon drunk/ And I’m stoned/ I’m all alone - Il faut aussi écouter attentivement «The Grinder», cette belle dramaturgie fouillée par un solo de gras double. Gary est un cathartique, un vaillant dévastateur. Il sait aussi s’efféminer pour taper un balladif. La preuve : «Our Love» - You’re the one I’m thinking of - Avec «Wings», en ouverture du bal de B, il sonne comme PM Down (dont le chanteur vient de disparaître). Et puis avec «Can’t Stop», il fait du funk à la Prince. Plus rien à voir avec le blues. C’est peut-être ça qui fait sa force. On voit se dessiner la carrure d’un grand aventurier, un Joseph Kessel/Corto Maltese du blues. Il finit avec un cut de Soul de très haut rang, «Down To Ride». Merveilleux artiste.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Encore un passage obligé : Live/ North America 2016. Dès le «Grinder» d’ouverture, ça grinde ! Gary joue en sur-saturation. Il réveille tous les vieux démons du limon et part en vrille d’échappée maximaliste. Il a derrière lui une équipe de stoner bhaam boys de choc, King Zapata, John Bradley et Jerry, le roi du beurre fou. Voilà le blues qu’on a envie d’entendre, gras et sourd. On a là la pire heavyness qui se puisse imaginer. Et ça continue avec «The Healing», complètement éclaté dans la purée de pois verts brûlante. Gary déverse ses vagues de son, tout est complètement noyé, ça vise en permanence le ralenti du doom fatal. Ça reste délicieusement hendrixien. Il chante «Our Love» aussi perché qu’Howard Tate. Il reste dans la Soul pour «Cold Blooded». Gary va à la Soul comme d’autres vont aux putes, le manche à la main. Fantastique Soul Brother ! Il revient au meilleur blues de l’univers avec «When My Train Pulls In». On n’avait rien entendu d’aussi pur et d’aussi puissant depuis «Red House». Ce Train est bardé de re-démarrages en côte. Gary Clark Jr va trop loin, beaucoup trop loin. «Down To Ride» renvoie aux beaux jours du Band Of Gypsys. Seul un black peut chauffer une scène aussi radicalement. Encore un cut béni des dieux : «You Saved Me». Le son remonte par les jambes du pantalon. Le solo te bouffe le foie. Gary Clark Jr joue toutes ses cartes avec un brio extraordinaire. Il tape une belle reprise de Jimmy Reed, «Honest I Do». Il gratte ses dégoulinades avec aménité. Il claque même des retours d’Elmore James. Il a de l’électricité plein les doigts. Il redonne de l’éclat au blues, il est terrifiant de prestance. «Numb» explose tout le système des attentes, on se noie dans cet océan de perfection, et on replonge dans les vagues avec ce nouveau roi de l’heavy blues. Il a tout, le son, la classe, la wah, les coups de cymbales, le gras double, c’est exceptionnel, infernal de véracité concupiscente, et, belle cerise sur le gâtö, il ramène dans son jeu tout l’éclat hendrixien.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Il revient aux affaires avec This Land, un album grouillant de surprises bien grasses. Il ne perd pas de temps et va tout de suite noyer «What About Us» dans le son, une espèce de mélange de gospel bathing et de déluge sonique. Gary Clark Jr fusionne les genres pour produire l’une des meilleurs heavyness des temps modernes. Il prend «Feed The Babies» avec un certain côté James Brown - Listen listen - et vire Marvin au chat perché doucéreux, c’est stupéfiant d’éclat vitrifié, une vraie bedaine d’aubaines, le mother est celui de Marvin, on a là un véritable shoot de blended Soul électrique. Il passe au heavy doom de grand cru avec «Pearl Cadillac». Il tombe des trombes de son. Gary Clark chante au chat perché d’aventura. Il entre dans la zone grasse de l’album avec un «When I’m Gone» travaillé dans la purée, il peut chanter au rauque comme un jeune James Brown, il s’immerge littéralement dans la légende du son. Voilà un slow groove admirable, explosé de catharsis sonique. «The Guitar Man» sonne comme une petite Soul de dragueur, mais bon, c’est superbe, pulsé dans la couenne du beat, joué à l’intrinsèque, il vise le suspensif et sort de l’ambiancier de rêve, le groove des jours heureux. Tout ça nous conduit naturellement au coup de génie : «Low Down Rolling Stone», il tape entre les yeux du blues, il vise l’heavy doom ultime du blues apoplectique. Il le frappe de plein fouet. Il claque ses accords au-dessus du vide, il sort un son qui te plie en deux, très hendrixien d’esprit mais pulsé à la Clarky motion. Ce mec a du génie, tant pis si on radote. C’est encore l’un des plus beaux albums du XXIe siècle. Plus loin, ils nous explose «Don’t Wait Till Tomorrow» au large, c’est bardé de son à tous les étages en montant chez Clark. Il peut jouer dans la pire des mélasses, pas de problème. D’autres cuts valent le détour, à commencer par «I Got My Eyes On You», gros patapouf sonique qui ne demande qu’à s’écrouler dans le lagon d’argent, histoire de bien horrifier Hosukai. «I Walk Alone» sonne comme l’avenir du son.Gary Clark charge sa barcasse au maximum des possibilités. Il sait aussi riffer comme le Led Zep de «Communication Breakdown», comme le montre «Gotta Get Into Something». Il y bat tous les records de vivacité et passe en mode demented. Good Lord !

    Signé : Cazengler, tête à Clark

    Gary Clark Jr. The Bright Light EP. Warner Bros. Records 2011

    Gary Clark Jr. Black And Blu. Warner Bros. Records 2012  

    Gary Clark Jr. The Story Of Sonny Boy Slim. Warner Bros. Records 2015

    Gary Clark Jr. Live/ North America 2016. Warner Bros 2017

    Gary Clark Jr. This Land. Warner Bros. Records 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Ô  Burrage Ô désespoir !

             Buro ne pouvait finir que dans un bureau. Il était ce qu’on appelle un prédestiné. C’est là, dans un bureau d’études que nous sommes devenus copains. Buro était un petit mec assez vif. Il avait le cheveu très noir, presque corbeau, un pif proéminent et des yeux en amande qui rattrapaient tout. Il aimait rigoler un bon coup, ce qui scella notre alliance. Il avait réussi à se payer une Simca toute neuve, et il vivait dans un appartement moderne. Il avait épousé une Portugaise et parlait plus de la nature fournie de sa toison que de ses qualités intellectuelles. «Ah la chatte d’Anita !», disait-il en soupirant d’aise. Il ne lésinait pas sur les détails. On s’occupait comme on pouvait au long des heures interminables que nous passions dans ce bureau d’études. 9 h-17 h avec une pause d’une demi-heure. Alors pour tromper l’ennui, Buro eut l’idée de «piéger» des collègues. La première victime était ce sosie de Bourvil qui bossait à la table voisine. Le plan consistait à le faire lever de son tabouret pendant une minute, le temps que Buro vide sous son cul un tube entier de super-glu. Pouf, Bourvil s’est rassis. Crack, il a senti un truc. Trop tard. Il a paniqué et a tenté d’arracher le tabouret de son cul. Il s’est alors mis à pousser des cris d’orfraie. Tout le monde dans le bureau s’est mis à rigoler : il marchait dans l’allée en traînant le tabouret derrière lui. Il sortit du bureau et alla se réfugier dans les gogues. Une autre fois, Buro eut une idée encore plus saugrenue : enfoncer une patate dans le pot d’échappement de Bourvil. Nous nous planquâmes dans un fourré pour assister à la scène. Bourvil tenta de faire démarrer sa bagnole, mais bien sûr, ça toussait et ça calait. Alors Buro eût une autre idée. Il sortit une longue mèche de la poche de sa veste et alla vers la bagnole de Bourvil à quatre pattes pour ne pas être vu. Il ouvrit le bouchon du réservoir à essence, y plongea la mèche et l’alluma avec un briquet. Il revint à quatre pattes et murmura :

             — Attends, tu vas voir...

             Soudain la bagnole explosa. Bourvil n’eut pas le temps de sortir. On était tous les deux pliés de rire.

     

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Heureusement, Burrage n’était pas aussi retors que Buro. Pour avoir fréquenté les deux, disons que la préférence allait tout de même à Burrage. Recommandé par Jean-Yves dans l’un de ses ultimes SMS, Harold Burrage fait partie de ce qu’on appelle ici les «découvertes tardives». Burrage fut l’une des figures de proue de la Chicago Soul, avec un penchant très affirmé pour le black rock’n’roll.

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Fantastique album que ce Pioneer Of Chicago Soul. Harold Burrage se montre à la hauteur de sa réputation avec «More Power To You», raw r’n’b de Chicago, suivi de «You Mean The World To Me», un heavy groove dégoulinant de classe et de cuivres. Il chante vraiment par-dessus les toits. Les coups de génie se planquent en B. Tu en as deux qui vont te faire lever la nuit pour les réécouter : «Got To Find A Way» et «How You Fix Your Mouth». Harold fait un festival. Il passe chaque fois en force. Son r’n’b n’est ni Motown, ni Stax, c’est du Chicago Soul. Toute la B est submergée de power. All over. Ces mecs jouent superbement et notre héros Harold tient bien la rampe. «How You Fix Your Mouth» sonne comme un hit tentaculaire, il t’éclate ça au hot hot ! Il reste puissant jusqu’au bout des ongles avec «You Make Me So Happy». Il laboure sa Soul en profondeur. Fabuleux artiste !

             Comme c’est un P-Vine japonais, l’album est bien documenté : Otis Clay raconte ses souvenirs d’Harold Burrage au début des sixties : «Harold was kind of a father figure to all of us down there in those days.» Otis Clay le rencontre une première fois en 1962, puis en 1964, il le voit chaque jour au One/Der/Ful, un studio de Chicago où tout le monde se connaît et s’apprécie. Clay insiste beaucoup là-dessus. Il dit aussi que le son de Chicago - a mix of R&B and blues - a pu influencer Memphis. Pour lui, Harold Burrage était respecté par tous, y compris les jazz cats, mais aussi «les Du-Tones, Johnny Sayles, Tyrone Davis and myself.»

             «Harold really knew how to get into a song», ajoute Clay - He was a pretty good piano player - Andre Williams fait aussi partie des beaux jours de One/Der/Ful. Clay révèle qu’Harold a cassé sa pipe en bois en 1966, et qu’à partir de là, tout s’est écroulé, surtout One/Der/Ful - Je me dis souvent que s’il avait vécu, si Sam Cooke avait vécu, si Otis Redding avait vécu, ce music business ne serait pas aussi pourri qu’il l’est aujourd’hui

    kelly finnigan,andy paley,steve diggle,gary clark,harold burrage,bandshee,carach angren,river shook

             Label aussi pointu que P-Vine, Westside semble s’être fait une spécialité de la Soul de Chicago, comme le montre sa passion pour Walter Jackson et Carl Davis. Westside propose aussi une belle compile d’Harold Burrage : Messed Up! The Cobra Recordings 1956-58. Le vieil Harold affiche clairement une prédilection pour le jump de petite vertu, ce qui explique le fait qu’il n’ait jamais vu la lumière du jour et qu’il soit resté dans les ténèbres de l’underground. Comme des centaines d’autres, il a tenté sa chance. Coiffé, costard blanc, il tente le coup de rock’n’roll et son «Hot Dog & A Bottle Of Pop» est plutôt bon. Magic Sam y gratte ses poux et Big Dix y malaxe son bassmatix. Ça swingue à la Méricourt. Il passe aux choses sérieuses avec un «Messed Up» signé Big Dix, il prend le rock’n’roll à la black et le fait au talent innervé de messed up/ Cause I’m losing my mind, et boom, tu as un solo de sax d’Harold Ashby dans la foulée. Jody Williams gratte ses poux sur ce stormer. Il enchaîne avec un autre heavy jump, il chevauche le beat à travers la plaine. Il reste dans le black rock avec des petits accents rockab sur «Betty Jean» et devient un real wild black cat avec «I Don’t Care Who Knows», encore un cut signé Big Dix. Excellent et joliment balancé ! 

    Signé : Cazengler, Harold Fourrage

    Harold Burrage. Pioneer Of Chicago Soul. P-Vine Special 1979

    Harold Burrage. Messed Up! The Cobra Recordings 1956-58. Westside 2001

     

    *

             Dans notre livraison 624 du 14 / 12 / 2023 nous présentions l’album Bandshee III. Notre curiosité avait été attirée par la couve de l’opus largement inspirée du Led Zeppelin III . Remontant dans la discographie du groupe nous n’avions pas été étonné par l’aspect folkly de son précédent album Curse of the Bandshee, Led Zeppe n’a jamais été très éloigné de Fairport Convention... Même si deux premiers disques semblaient appartenir à un monde musical très différent, qu’en sera-t-il de la nouvelle production de Bandshee ?

    THE LONG ROAD

    BANDSHEE

    (Janvier 2025)

             Avant de commencer expliquons le changement musical de la formation. Souvent femme varie nous dit le proverbe, au détour d’une conversation Romana avoue qu’elle ne connaissait pas Black Sabbath. Inutile de se moquer d’elle, tout un chacun est un puits d’ignorances s’il compare son maigre bagage à la multiplicité de l’univers. Sur l’injonction de ses camarades, curieuse elle écoute et découvre ainsi une nouvelle zone d’investigation sonore. La voici conquise. Le troisième opus du groupe se teintera ainsi de sonorités plus heavy…

             Le projet de ce qui deviendra The Long Road date de 2021. L’idée était de réaliser un album inspiré du Seigneur des Anneaux et du Zeppelin IV. Pas original mais pas stupiditos non plus. Z’ont déjà composé des tas de morceaux remplis d’elfes et de licornes, un peu fleur bleue quand on y pense.

    Est-ce le sombre univers de Black Sabbath qui les force à ouvrir les yeux sur le monde qui les entoure. Il est sûr que dans nos entourages l’on ne rencontre pas tous les jours des ladies qui veulent s’acheter des escalators qui les conduiraient tout droit au paradis. Changement de préoccupation, la longue route les conduit tout droit dans la réalité sociale de notre époque. Qui n’est pas belle…

             Le groupe est basé à Louisville, grande cité sur l’Ohio qui sépare le Kentucky de l’Indiana.

    Romana Bereneth : lead vocals, guitar, bass clarinet, wizard staff /  Stephen K. Phillips : guitar, bastard sword / Mac McCammon : electric bass, upright bass, backing vocals, battle axe / Chris Miller : drums, war hammer.

             La couve est de Cody Campbell and Paige Campbell. Sur l’Instagram de Cody vous pouvez visiter sa collection de costumes. Pas vraiment BCBG, sortent tout droit de l’imagination de Cody et des âges obscurs. Tels qu’on les rêve et les cauchemarde. Nos quatre musiciens dans leurs accoutrements partent en guerre contre notre monde cruel, souhaitons-leur une prompte victoire. Et du courage ! L’imagerie est très folkly, très fantasy, presque donchiquotesque, un peu étonnante pour un groupe heavy, preuve que Bandshee ne renonce pas à ses origines.

    z26458couvelongroad.jpg

    Two Timer : la voix de Romana s’élève, bourdonnement riffique immédiat, l’influence zeplinienne vous saute aux oreilles, n’empêche qu’ils parviennent à se tirer du buisson d’épines de l’imitation, vraisemblablement grâce à la batterie qui en bonne âme s’écarte de Bonham, dans les sous-sols la basse se fraie un chemin souterrain qu’il convient de ne pas négliger. Romana règle ses comptes, ceux des habitants du globe terrestre qui jouent la vie en tandem, tout un chacun essayant de pédaler à rebours de son coéquipier, comment voulez-vous que la planète aille bien s’il est impossible de jouer franc-jeu entre deux partenaires. Il est des moments remarquables ceux où Romana vous prend un ton insidieux qui la rend perversement délicieuse. Doom and gloom : n’ayez pas peur même si de nombreux groupes de doom ont un titre similaire dans leur discographie, comment ne pas résister à la conjonction phonique et poétique de ces deux vocables, très vite l’on tombe dans le concours du riff le plus lourd du monde, Bandshee ont relevé le défi de l’originalité, nous offrent le doom solaire, celui qui éclaire la nuit pour vous montrer combien elle est sombre, certes Romana vous jette du sel sur les plaies de la folie et du fric-roi, mais nos quatre mousquetaires s’aventurent dans une œuvre d’intervention musicale inventive, bien sûr au début vous êtes au chaud dans la confortable doudoune du doom, mais bientôt tout s’effrite, se délite, se dynamite, et vous vous retrouvez perdu en train d’errer dans une rôtissoire infernale, sûr que ça ne tourne pas rond, que les guitares s’aiguisent et agonisent, que la batterie se bat contre elle-même, que la basse vacille sur ses bases, gloome gluant dont vous aurez du mal à vos dépêtrer tellement sa gangue de goudron vous  protège de l’horreur du monde. 19 Lashes : retour au blues fondamental, mais un blues de haine et de colère. Romana ne met pas des gants blancs sur son larynx, elle miaule comme un lynx enragé, et les boys derrière vous foutent le feu au riff, sont méchants, violents, impitoyables me font penser à la colonne infernale de Quantrill dans Blueberry, c’est que l’on ne s’oppose pas au tigre du capitalisme avec des armes de papier, quel ramdam mes amis ce n’est pas un hasard si cet album se classe parmi les meilleures nouveautés du mois de janvier. Peut-être pas assez novateur pour renverser le monde de de la musique, mais assez malin pour glisser un pied dans la porte, ils sont en train de  réinventer la poudre. The Long Road : une autre manière de dire le blues, le vieux, l’innommable, le primal, l’originel, des mots pour dire et ne pas dire, simplement suggérer, n’oubliez pas que le Diable vous attend à tous les carrefours par lesquels vous omettez de passer, c’est ainsi que le blues devient rock pour mieux se faire entendre et venir révéler à vos oreilles vos inconséquences, il est des choses qui se chuchotent, qui se transmettent ainsi aux générations futures, la longue route est celle du phénix brûlé qui renaît infiniment de ses cendres porteur d’un feu destructeur. S’unir. Se battre. Superbe morceau. Heavy on Main : la suite du précédent, en plus désespéré, mais à utiliser comme un levier pour faire rouler la grosse pierre – cette métaphore pour vous inviter à écouter Street Fighting Man  des Rolling Stones, musicalement pas grand-chose à voir, mais vous pousser à méditer sur l’injonction séminale du blues et la société du spectacle du rock’n’roll – un blues poisseux, une reptation de serpent qui s’approche de l’Ennemi,  un blues pour vous réveiller le matin, pas pour vous tirer du sommeil mais vous faire comprendre que le rêve dans lequel vous vivez est un cauchemar, aucune pirouette intellectuelle ne vous aidera lorsque l’on vous tirera dessus quand vous manifesterez. Confrontation directe obligatoire. Un appel aux armes. Disque ô combien courageux !

    z26457cdlongroad.jpg

    Witch Wizard : apparemment l’on quitte le blues pour la magie ensorceleuse de l’instrumentation rock. Romana hurle, elle en appelle au pouvoir magique des sorciers.  Veut-elle se réfugier dans les fantasmagories mythiques du Seigneur des Anneaux, elle ne dit rien, elle ne chante plus, elle utilise sa langue de vipère pour susurrer à vos oreilles qu’il ne faut pas se fier aux fausses solutions, certes sur la couve elle porte un magnifique galurin de sorcière mais aussi un bâton de mort. Encore un morceau courageux qui se démarque de la plupart des groupes de doom. Shadow : Nick Teale : guest vocal : une chanson douce pour des réalités dures. Mais peut-être est-il inutile de crier, il suffit de raconter, presque une ballade pour endormir les petits enfants. Pas de chance, un coup violent ébranle la porte des maisons, l’Ombre s’approche, elle porte des noms charmants sans équivoque : guerres, crimes, répressions, massacres, je vous laisse continuer la suite, comme quoi les sorciers n’ont pas pu arrêter la terrible réalité, n’empêche que sur la fin du morceau Romana se transforme en pythonisse, elle suggère fortement, elle prédit, elle assure que toute tentative de révolte contre l’ordre mondial établi vous conduira inéluctablement à la mort. Avalanche : écoutez cette chanson sans connaître le reste du disque, risque de vous faire accroire que le sujet porte sur les dangers du ski hors-piste. Les esprits finauds se douteront de son aspect métaphorique. Après la catastrophe, après la défaite. Avertissement. N’attendez pas plus longtemps, sinon vous serez surpris et emportés par la tourmente de la répression. Il règne sur le début de ce morceau une voix crépusculaire, l’esprit de la révolte qui survit sur les pics glacés de la défaite. L’éruption de colère sur la fin n’est pas obligatoirement un signe de renouveau. Tout ne serait-il pas déjà définitivement perdu… Bonus Track : 19 Lashes for Deluxe Mother Truckers : même morceau que plus haut.

             Quelle surprise que ce disque ! Patauge un peu des pataugas dans les bassins endormis du  blues et du rock. Quel courage de l’ouvrir tout grand comme cela. Presque de l’effronterie. Sans concession. Quand on pense que sur leur tout premier album Diamonds, Bandshee reprenait La vie en rose ! Faut dire qu’avec sa voix Romana peut tout se permettre sans être jamais ridicule.

             Long is the Road nous réconcilie avec la vision d’un rock’n’roll vecteur de lucidités orageuses et d’encouragements à de sauvages sécessions.  Très mauvais ferments, assureront ceux qui nous tiennent en esclavage.

    Damie Chad.

            

    *

             Si vous aimez les vidéo-danse de Michael Jackson je regrette de vous signaler que la chronique qui suit n’est pas pour vous. Par contre si vous êtes prêts à ouvrir en grand votre fenêtre au corbeau qui s’en vient tapoter à la vitre, je vous préviens que s’il se pose sur le buste pallide de Pallas relégué au sommet de votre armoire, vous avez toutes les chances de le retrouver dégoulinant de sang.

    THIS IS NO FAIRYTALE

    CARACH ANGREN

    (Season of Mist / 2015)

             Je n’ai jamais rencontré de Néerlandais qui m’ait mordu, toutefois ceux-ci se prénomment Mâchoires d’Acier, les prochaines fois je ferai attention.

    Z26465COUVEFAIRYTALE.jpg

             De loin la couve représente deux mains qui se rejoignent, ce n’est pas la Chapelle Sixtine mais s’insinue en vous l’idée d’une certaine fraternité entre les hommes, un peu étonnant pour un groupe de metal, lorsque l’on chausse ses lorgnons votre erreur d’interprétation vous saute aux yeux. Un détail d’importance, ce ne sont pas deux mains d’adultes, l’une est manifestement celle d’un enfant. Celle de la grande personne semble pleine de bonbons, ajustez votre regard, le contenu n’est guère enthousiasmant, ne distingue-t-on pas comme d’inquiétants vers dans cette paume ouverte aux ongles longs comme une serres d’aigles…

    Namtar : drums, percussion / Seregor : guitars, vocals / Ardck : keyboards, orchestration, violin (3).

    Chapitre 1 : Once upon a Time : prélude, on se croirait à l’opéra, musique classique, violons, dès que le poivre noir du violoncelle versé à larges rasades monopolise la bande-son l’on  intuite que l’on se dirige vers un drame, sur la fin du morceau l’envolée de voix féminines ne vous rassurent pas, l’optimisme n’est pas de mise.

    z26460noplacelikehome.jpg

    Chapitre 2 : There’s no place like home : ce coup-ci c’est l’orchestre symphonique qui ouvre la séance, sur lequel se greffent des charges de guitares effarantes, l’orchestra ne se laisse pas intimider malgré les roulements des tambours de Namtar, il ne consentira à mettre la sourdine dans la boîte que lorsque Seregor à la voix de stentor survient, ne chante pas en canon, l’est pourtant rempli jusqu’à la gueule, Namtar nous offre la charge d’un régiment de cosaques, la musique classique se rajoute sur le charivari, à croire que ça ne plait pas à Seregor, le vocal explose, tous aux abris, il hurle comme un démon, la folie gîte sur ses cordes vocales, l’orchestrum se croit à bataille de Borodino, quand c’est fini vous recomptez vos oreilles. Pour la cervelle inutile, elle est réduite en poudre. Vous avez eu le son, en prime nous vous offrons l’image, la vidéo sortie par Season of Mist en avant-première pour avertir les fans de l’imminence de l’album : elle est signée, illustration, animation and visual par concept  par Costin Chioreanu, je vous engage à la regarder, une BD mouvante que je qualifierais de style réalisro-soviétique abstracto-expressionniste, elle vaut le déplacement oculaire. Ne quittez pas, Kr’tnt vous en donne plus : après la musique, après le son, voici le texte. Ne nous remerciez pas nous aurions préféré ne pas savoir lire. Changement d’étage : l’intro annonçait le drame, nous sombrons dans le mélodrame. Margot devra sortir non pas son mouchoir pour pleurer dans sa chaumière mais son drap de lit + sa housse de couette. Tous les poncifs de la sensiblerie moderne : le père violent, la mère droguée, les enfants innocents, plus le piment du viol et de la pédophilie… Les images, que vous appréciez ou pas, sont fortes, le texte prête à rire. Trop c’est trop. Dommage : phoniquement c’est réussi. Un peu boursoufflé, totalement baroque, monstrueux même, hélas la montagne accouche d’une souris verte.

    z26459bandshee dance.jpg

    Chapitre 3 : When Crows Tich on Windows : musicalement c’est une splendeur, orchestration classique, groupe de rock et l’égrégore vocal de Seregor, vous ne trouverez rien de plus beau, une réussite parfaite tous les groupes de Black Metal peuvent aller se rhabiller. Mais ce n’est rien comparé à la vidéo. Vous avez le droit de préférer les cours collectifs de dancing-gymnastic de Michael Jackson, ce genre de tectonic du riche ne déplace pas les plaques, par contre si vous désirez une leçon d’écriture cinématographique, celle-ci touche au génie, si vous voulez tout savoir sur comment on raconte une histoire, mirez et admirez, suis tombé dessus par hasard, le ballet hyper expressionniste du début, ensuite il n’y a plus qu’à suivre, le nom du réalisateur n’est pas donné, mais question mise en scène et montage ( il vaudrait mieux dire démontage) c’est un maître, lui il ne raconte pas, il suggère, vous transcrit le récit larmoyant ( la mère frappée sauvagement, les enfants s’enfuient, le père les rattrape) en une espèce de capharnaüm labyrinthique qui n’a plus besoin du sens des paroles, juste les vociférations ouïques seregoriennes se suffisent, Valéry  jouait du sens et du son, ici l’on joue avec l’image et le sens, quant à la prestation de Seregor elle tient autant de Byron que du Monsieur loyal du Cirque. Nous sommes ici face à une recomposition orphique d’un texte d’une très grande pauvreté d’imagination et d’une énorme maladresse d’écriture. Une transcendance. Hyperbole, dirait Mallarmé.

    z26461twoflies.jpg

    Chapitre 4 : Two Flies flew into a Black Sugar Coweb : de fait la partition, quel autre terme employer, développe toute son orchestration, fascinante quand on essaie de suivre la reprise tant musicale qu’instrumentale de l’agencement des thèmes, ce disque s’avère être une espèce de tentative d’œuvre totale, dommage que le livret soit si détestable, voici dix ans l’opus a été mal accueilli par la critique qui n’a pas compris la portée du projet. Ainsi dans ce quatrième morceau apparaît la reprise du Conte Hansel et Gretel – la mère s’est suicidée, les enfants se sont enfuis dans les bois, ils s’endorment dans une ancienne aire de jeux pour bambins, apparition  d’un clown maléfique sorti tout droit de Ça le roman de Stephen King. Nous sommes sur une route parallèle à celle de Wagner, la mythologie nordique est remplacée par le trésor des contes populaires de l’enfance conjugué avec l’attrait de notre modernité pour l’horrible et le fantastique. Mais que serait Wagner sans les mises en scène de ses opéras, Season of Mist ne possède pas les moyens du prince Ludwig de Bavière qui finança le théâtre de Bayreuth, autres temps, autres mœurs, Carach Angren a tenté de remplacer les dispendieuses représentations par des arts de notre époque relativement économiques, le clip, ici à cheval entre art cinématographique et bande dessinée. C’est ainsi que nous voyons réapparaître Costin Chioreanu et sa mise en image des épisodes racontés dans ce quatrième morceau, un peu moins réaliste socialiste que dans le premier et surtout avec de très belles idées de mise en scène des cheminements du récit qui ne cherche pas tant à illustrer qu’à faire comprendre aux spectateurs ce que ressentent les enfants.  Je me demande si Costin Chioreanu, musicien metalleux par lui-même, graphiste-producteur qui a beaucoup travaillé avec des groupes metal, n’a pas participé à ce projet justement par la possibilité d’une œuvre d’envergure trans-art qu’il offrait. Chapitre 5 : Dreamin a Nightmare in Eden : Seregor se serre la gorge, il raconte l’histoire, elle commence comme celle du Petit Poucet pour se terminer par celle d’Hansel et Gretel mais pour des enfants d’aujourd’hui qui sont habitués à suivre des séries de tueurs en série sur la télé des parents, oui Seregor est gore, quant à la musique elle grince, elle joue avec le bois du violon, elle imite des bruits inquiétants, elle crée une atmosphère de terreur et de suspense, Seregor y va très fort. Quand sa voix devient douce, le pire est à craindre. Chapitre 6 : Possessed by a Craft of Witchery : ce n’est pas l’histoire des trois petits cochons qui finissent tout cuits tout rôtis dans la marmite dans laquelle le loup les a plongés mais pire. Quel tintamarre musical, ce n’est pas le basson qui imite la voix du Grand-père dans Pierre et le Loup de Prokofiev raconté par David Bowie de sa voix précieuse, c’est le rock qui martèle, bye-bye la musique classique ici c’est la musique chaotique, la musique cloatique, pauvre piano d’Ardek, n’a pas dû résister à la séance, Eregor grogne et rogne, quelle histoire conte-t-il au juste, celle du sacrifice d’Hansel, ou celle de nos propres dédoublements car nous inventons toujours des explications pour nous disculper de nos errements, comme ce clown qui se croit commandé par une sorcière, dans le morceau précédent l’oiseau blanc ne s’est-il pas transformé en oiseau noir, un peu le contraire de nous qui sommes noirs et pervers au-dehors et tout blanc au-dedans… Ne souffrons-nous pas, ne nous réjouissons-pas, n’abuse-t-on pas de cette dichotomique duplicité, de cette double schizophrénie, commençons-nous à comprendre enfin le sens symbolique de ce texte… Chapitre 7 : Killed and Saved by the Devil : violents violons, le comble de l’horrible, Hansel découpé en morceaux, sa soeur obligée de creuser sa fosse funéraire, d’éponger le sang, et de dévorer son cœur, d’ailleurs la musique vous a de ces hauts de cœurs à vous donner envie de dégobiller, Seregor dans les serres du texte, se transforme-t-il lui-même en bourreau, est-il habité par l’esprit du clown qui manipule son cerveau comme un marionnettiste qui tirerait sur ses cordes vocales, ô insensé qui crois que je ne suis pas toi, ne serait-il pas l’exutoire de nos rêves que nous n’avons jamais osé accomplir, un révélateur de notre propre ADN par ses crimes perpétrés pour nous, à moins que ce ne soit par nous, car chose pensée n’est-elle pas de fait accomplie, le désir de l’acte n’est-il pas égal à l’acte réalisé. Tous criminels. Tous clowns heureux de nos turpitudes.  Chapitre 8 : The With perished in flames : belle intro classique vite balayée par l’irruption de Seregor, serions-nous à un instant crucial, tout dans l’orchestration nous pousse à le croire, comme une attente, un suspense entre les lyrics, l’on se croirait dans un film quand l’action surgit lorsque le prédateur se laisse tomber sur sa proie, tout se précipite, c’est la proie qui se révolte, qui renverse la situation, l’est aidée par la brutalité du clown qui renverse la lampe à pétrole et périt dans les flammes, Gretel s’enfuit en courant, affolée elle fonce droit sur un arbre.  Chapitre 9 : Tragedy Ever After : Qui cache la forêt du rêve. Le précédent morceau aurait pu être un magnifique final, il n’en est rien, la course échevelée de Gretel se poursuit. Pourquoi d’après vous sous les mains tendues l’une vers l’autre sur la couve, ô cette poignée de main prédatrice, n’avons-nous pas remarqué le contour d’un cercle  auquel nous n’avons accordé aucune attention, n’est-ce pas la preuve circulaire que le malheur ne finit jamais que l’être humain est enfermé dans la circularité éternelle de chaque instant, Greta se réveille dans son lit, tout ce qui a précédé n’était qu’un cauchemar, enfin presque, le père referme la porte, le rythme s’alentit, cruel retour à la réalité, est-ce la première fois, revient-il systématiquement toutes les nuits, sommes-nous dans de la psychanalyse de bas-étage pérorante qui enseignerait que l’inconscient s’empare du rêve pour signifier l’immondicité du vécu, ou au contraire le groupe veut-il témoigner de ce que l’inconscient n’est qu’un leurre théorique, une espèce de pansement médicamenteux faussement explicatif, un pseudo- voilement pudique guéritif de ce qui a eu lieu. Pour toujours. Dans l’éternité de l’instant. Bref que l’inconscient n’existe pas. Il n’est que l’autre mot du désir. Sempiternellement coercitif. Le squatteur de la maison de l’être dirait Heidegger. Nous quittons alors les circonstances de l’opérativité sociale pour la démesure mythificatrice de la solitude humaine. Le morceau ne s’arrête pas. Pour des raisons économiques et par confort d’écoute, le son est baissé et finit par s’évanouir. Mais il n’y a pas de véritable fin, il marche sereinement vers une fin qui n’arrivera jamais puisqu’il suit le tracé de son propre cercle.

    Z26466PHOTOGROUPE.jpg

             Je crains que le quatrième opus de Carach Angren n’ait été mal compris lors de son initiale réception. C’est un peu de leur faute. Le texte s’englue un peu trop vite dans une rédaction genre ‘’ vous ne trouverez pas de version du conte d’Hansel et Gretel plus horrible que chez nous’’ occultant ainsi le questionnement métaphysique qui le sous-tend. Il est sûr qu’il touche à des thématiques brûlantes, au siècle précédent l’on aurait parlé de phénoménologie du meurtre, de phénoménologie du viol, de phénoménologie de l’horreur… une espèce d’objectivisation radicale de ces phénomènes  insupportables à la majorité des citoyens. Edgar Poe lui-même n’a pas osé, il a abordé tous ces sujets mais les a précautionneusement rangés sous le vocable de ‘’contes’’. En affirmant qu’il n’y a pas de conte heureux Carach Angren s’est engagé dans une voie dangereuse. Ils ont emprunté les gros sabots de l’écriture. Poe est davantage subtil. Il laisse apparaître l’arrière-plan métaphysique de ses réflexions. Il offre deux chemins d’accès à ses contes. Lorsque l’un (ou l’autre) devient trop insupportable à son lecteur, de lui-même il emprunte le deuxième tracé d’accès, qui sert ainsi de voie de dégagement, voire d’issue de secours.

             Ce que Carach Angren a totalement raté dans les lyrics, il l’a totalement réussi dans sa virtuosité à mêler passage ‘’metal’’ et passage ‘’classique’’. Certes ils ne sont pas les premiers : le black metal symphonique est un courant à part entière illustré par de nombreux groupes. Mais ils sont parvenus à produire le premier album de metalphysique, les corbeaux ne viennent pas par hasard frapper aux fenêtres fermées du songe et de la réalité.

             Essayez de ne pas rester dehors devant les lourds vantaux obstinément clos.

             Les contes ne sont pas toujours des histoires à dormir debout. Imitez Poucet, n’oubliez pas les petits cailloux, une fois dedans il n’est pas facile d’en sortir.

    Damie Chad.

     

    *

     J’ai pas choisi, j’ai pas fait exprès, mais il y a des filles qui vous attirent au-delà de tout. J’ai cliqué sur Western AF  pour voir les dernières vidéos. Y en a une qui s’est présentée immédiatement. J’ai regardé distraitement, un gars avec une voiture et une guitare. Le grain de la voix m’a attiré.  J’ai daigné poser mes yeux, pauvre Damie, la mort te guette si tu n’arrives pas à faire la différence entre une fille et un garçon, en plus j’ai saisi quelques mots des paroles, fallait que j’aille voir.

    NIGHTINGALE

    RIVER SHOOK

    (Western AF / 11 / 02 – 2025)

    Z26462PICKUP.jpg

             Le choc. Cette voix. Cette manière de jouer la guitare sans donner l’impression d’y toucher. La forêt, le pick up, la chaise, la guitare, la fille, facile à identifier. Mais il y a autre chose. Une connaissance de la vie, une sagesse expérimentale, une fatigue, une désillusion de quelqu’un qui a beaucoup vécu, qui ne renonce pas non plus. Je suis son balancement, je suis serpent fasciné par sa proie, l’évidence me déchire en un éclair, j’ai employé le terme de connaissance, pas n’importe laquelle, une connaissance poétique du monde et de l’expérience. Je me précipite sur les lyrics. Une terrible solitude. Je remarque la boucle d’oreille en croix renversée, et ces affreux tatouages verdâtres sur ses avant-bras, typiques des filles américaines. Je reviens à elle, à cette tristesse désabusée qu’elle utilise à la manière d’un cheval de guerre pour parcourir ces chemins intérieurs et ceux du monde qui ne mènent à rien, sinon à des rencontres authentiquement illusoires.

             Me faut en savoir davantage. Sur son Instagram je retombe sur Mike des Western AF qui présente un fragment du même morceau. Je remarque que Paige Anderson de Two Runner a liké. Il ne saurait y avoir de hasard. Seulement des points de recoupement dans le désert.

    Damie Chad.

             J’ai cherché à savoir. River Shcook n’est pas une inconnue. Elle a fondé voici dix ans un groupe Sarah Schook and The Disarmers qui compte aujourd’hui quatre albums mais je ne m’attarderai pas sur cette première époque (en fait c’est la deuxième, je vous expliquerai) mais à ce nouveau projet River Shook. Ne doutez pas de ma santé mentale puisque je commence par une vidéo de Sarah Shook and the Disarmers.

    GOOD AS GOLD

    SARAH SCHOOK AND THE DISARMERS   

    (Lyric Video / Avril 2018)

    Z26463VID2O50.jpg

             Franchement je ne me relèverai pas cette nuit pour aller visionner cette vidéo une nouvelle fois. Certes l’on n’y voit pas plus Sarah Schook que River Shook, mais les images qui l’accompagnent, tirées d’un vieux film des années cinquante, si elles correspondent relativement bien avec le sujet de la chanson, ont beaucoup vieilli. Par contre musicalement ça ne correspond en rien à la manière de chanter de River. Surtout que je viens de lire que Sarah et ses Désamours sont un groupe un peu country-rock, un peu outlaw. Disons que là c’est du country pas beaucoup borderline. L’est vrai que si les images vieillottes ne se prêtent pas aux subtilités, les lyrics si on les écoute avec soin, malgré leur entrain de cowboy d’opérette sont des plus ambigus, mais je l’ai remarqué parce qu’avant j’avais regardé la vidéo suivante. Enfin la suivante de la suivante.

    GOOD AS GOLD

    SARAH SCHOOK AND THE DISARMERS 

    (Audiotree Live / Chicago)

            Audiotree est une chaîne qui présente de jeunes groupes mais aussi des moins jeunes, captés dans l’intimité d’une salle dépourvue de public. Le groupe, rien que le groupe.

             Je ne résiste pas à vous traduire le bandeau de présentation sous la vidéo, difficile de faire mieux en peu de mots : Sarah Shook & the Disarmers est un groupe country-punk qui a signé chez Bloodshot Records en 2017. Leurs airs narquois et sans apologie racontent les expériences de Shook avec des relations merdiques, des nuits passées à s'abîmer à la fermeture des bars et des dialogues intra-personnels auto-dérisoires.

    Z26464AUDIOTREE.jpg

             Country-punk je veux bien, ne vous attendez pas à des coupes à l’iroquois, disons que pour un large public country conservateur  les cheveux longs mal peignés de Sarah doivent choquer. Contrebasse, pedal Steel, batterie, guitare, je fais vite nous reviendrons sur cette série de six morceaux. Cette version débarrassée des images est bien plus roots, je n’ai pas dit raw, que la précédente. Cette fille a du chien. Entre chien fou et chien perdu sans collier. Le chant est relativement doux, elle ne force pas sa voix, les musicos lui construisent un joli coffret de bois précieux, mais l’on sent que quelque part elle s’en fout, elle est avec eux, mais aussi ailleurs toute seule en elle-même, elle se retient d’aboyer, peut-être pense-t-elle que certains pourraient l’interpréter comme une faiblesse. Toutefois inabordable.

             Sur sa chaîne personnelle il n’y a que trois vidéos. Vous avez déjà deviné le titre que nous allons écouter, le premier posté il y a tout juste un mois.

    GOOD AS GOLD

    RIVER SHOOK

             Ne ratez pas le début, elle ne chante même pas quarante secondes, toute belle, toute fragile, de magnifiques yeux bleus, un seul couplet, mais tout est dit, cette nudité de la voix et ce hoquet répété, presque rien, une montagne d’effets, un yodel ultra minimaliste qui trahit en même temps toute l’incertitude humaine et la persistance farouche à vouloir être tant mal que bien.  

    Z26467STORYSONG.jpg

             Ensuite elle vous regarde. Ce n’est pas fini. Non elle ne chantera plus. Sur France Culture l’on baptise tout ce qui suit d’une pompeuse expression : une master-class ! River Shhook se livre. Rien de bien croustillant. Une personne qu’elle a aimée. Celle-là ou une autre, est-ce vraiment important… Ce qui est vécu est vécu. L’important c’est ce que l’on en fait. Comment on l’amalgame en soi, ne serait-ce que pour tirer un trait définitif dessus. Certains diront, il vaut mieux ne plus trop s’y intéresser et laisser faire le temps. Il est une autre façon d’agir. S’affronter à la chose non pas celle qui a été vécue mais celle que l’on va soumettre au travail poétique. Un porche, une guitare, un stylo, un calepin, le but n’est pas de magnifier  ou de cracher. Il ne s’agit pas non plus de créer le musée de ses émois intimes. La poésie ne transforme pas ce qui a été vécu, elle vous permet à vous métamorphoser. L’on n’écrit pas pour se recueillir en soi-même mais pour devenir davantage soi-même. Tout ce que dit Rilke dans ses Lettres à un Jeune Poète, River le redit, avec ses mots à elle, très simples, ses sourires, ses mimiques, ses émotions... pour approfondir le cours de la rivière sauvage qu’elle est, et qui coule déjà plus loin.

    Damie Chad.