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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 691 : KR'TNT ! 691 : BRUCE JOYNER / DEATH VALLEY GIRLS / JOHN LYDON / NUGGETS / SAPPHIRES / PANICK LTDC / ZAVTOR / JARS / ASKEL / POSTMORTAL

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 691

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 05 / 2025

     

     

    BRUCE JOYNER / DEATH VALLEY GIRLS

    JOHN LYDON / NUGGETS 

     SAPPHIRES / PANICK LTDC

     ZATVOR / JARS / ASKEL / POSTMORTAL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 691

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Joyner de la guerre

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             Pauvre Bruce Joyner ! Il lui est arrivé toutes les misères dans son enfance : une copine d’école lui a fait avaler du speed et il s’est brûlé les cordes vocales, ensuite, il a perdu un œil dans une bagarre, puis il a été écrabouillé dans un accident. C’est pourquoi on l’a vu hanter les pochettes de disques avec une canne et un regard qui fout les chocottes. Et pour couronner le tout, il vient de casser sa pipe en bois dans la plus totale indifférence. Injure suprême. Nous allons de ce pas réparer cette grave injustice.

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             S’il est arrivé chez nous, en France, c’est un peu grâce à Bomp! qui fit paraître son premier mini-album, Dream Sequence en 1981. Ce fut un événement. Ses musiciens arboraient des looks rockab, et Bruce, assis sur une chaise, nous fixait d’un air bizarre. Ça partait sur un beat lourd comme le pas d’un éléphant. Avec «Gun Fighting Man», ils frisaient le Next Big Thing, car ils mixaient le Southern Gothic avec des cavalcades de guitares et d’échos lointains. Ils enchaînaient avec «Actions Reactions», une pop alerte parfumée de polka, une pop tordue, serrée, mal ligotée. On les sentait en quête de devenir, mais ils se noyaient dans leurs contradictions. Le hit se nichait de l’autre côté : «Suzzanne», un pur hit de rock’n’roll pulsé au beat tendu et vrillé par un solo congestionné. Bruce chantait, l’œil de verre fixé sur le néant. On les sentait capables d’exactions. Le groupe semblait se plaire dans une ambiance de déraison cryptique judicieusement contrôlée. Un parfum d’étrangeté malsaine s’installait.

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             L’année suivante parut The Unknowns. On lisait au dos de la pochette que le groupe ne jouait que sur des guitares Mosrite. Le premier cut te happait ! «Pull My Train» était une véritable révélation, avec son loco-beat méphistophélique et son refrain sous le boisseau. Bruce avait le diable dans le corps. L’infirme menait le balda des maudits. Avec «Crime Wave», il tentait de semer la terreur dans les esprits, mais sa compo manquait d’air. Il passait ensuite avec armes et bagages au boogaloo avec «The Streets», un cut bien travaillé au corps, secoué de ruptures de rythme et monté sur un beat rockab. Boogaloo encore avec «Riptide» - It’s deep it’s dark - mais trop de couleurs, trop d’éléments et trop d’ambition finissaient par neutraliser le cut. En B, il dévoilait sa passion pour Buddy avec une magistrale cover de «Rave On», montée sur un gros drive de basse. Il y chantait aussi l’horrible histoire du «Common Man» qui bosse dur pour sa femme qui lui prépare le souper du soir. Il terminait avec «Modern Man», qui était certainement l’hit du disk : cette belle pop lumineuse entrait dans la catégorie des valses modernes.

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             En 1983, il remontait un nouveau groupe, Bruce Joyner & The Plantations et enregistrait Way Down South. Avec l’éclair dans le ciel mauve de la pochette, il affichait clairement ses couleurs : le fameux Southern Gothic dont se gargarisent tous les pseudo-experts. Greg Shaw produisait l’album. Avec «Winds Of Change», il avouait sa préférence pour la pop pressée qui allait en fait devenir sa distance idéale. On assistait dans ce cut à un fantastique travail de relance et on découvrait aussi en Bruce un songwriter prolifique. Bien qu’installé à Los Angeles, il continuait de s’inspirer du vieux Southern Gothic, comme par exemple avec «Wastelands» - Moonshine stays safely hidden among the sweet Georgia pines - Dans chaque chanson, il racontait une vraie histoire, comme celle de la petite ville du Sud dans laquelle il avait grandi («On The Other Side Of The Track»). Avec «Dream Lovers», il rendait un nouvel hommage à Buddy, mais aussi à Roy Orbison, avec un réel brio. En B, il racontait l’histoire d’un mec poursuivi par des flics et des chiens («Out On A Limb») et il revenait à son héros Buddy avec «Until You Cross The Line», une pop qu’il enjouait de manière maximaliste. Il y conseillait de ne pas trop se plaindre, car d’autres gens ont des problèmes plus graves. Et il bouclait avec «It Takes A Woman To Make A Man Cry», une histoire qui finit mal, puisque le héros de la chanson se retrouve dans le couloir de la mort.

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             Un an plus tard, il enregistre Slave Of Emotion avec la même formation. On retrouve l’éclair du Southern Gothic sur la pochette et Bruce planque son œil de verre sous une mèche de cheveux. Il s’est tout de même fait broder une toile d’araignée sur l’épaule, histoire de rappeler son allégeance au boogaloo. Avec ses pop-songs soignées, il cherche l’ouverture en permanence. Il faut attendre «Bobby Ran Away» pour trouver un peu de viande - She walks down Sunset Boulevard - C’est joué sous le vent et doté d’un solo déroutant. Pur régal que le jeu de basse de Tom Woods ! En B, Bruce renoue avec le boogaloo dans «The Snakes A Coming Soon», crampsy en diable et hanté par un rire de malade - Ha ha ha ha ha - On tombe plus loin sur l’envoûtant «When The Moon Is Full». Attention, cette petite cavalcade nocturne a des allures cauchemardesques. Tous les cuts qu’il compose sont pleins comme des œufs, longs, nuancés et parfaitement enjoués.

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             Le dernier album de Bruce avec les Plantations paraît en 1986. Des alligators ornent la pochette. Swimming With Friends pourrait bien être son meilleur album, pour deux raisons. Un, «Voodoo Love», monté sur un beau Diddley Beat georgien, imparable et filoché à l’harmo. Deux, «Think It Over», qui sonne comme un hit de juke à la Buddy. D’autres jolies choses tendent les bras aux esprits curieux, à commencer par «The Darkside Of Your Brain», que Bruce chante avec une réelle autorité voodoo, et servi par un son de batterie extrêmement intrigant. S’ensuit un «Burning Mansions», bien atmosphérique, étendu sur la longueur et sans concession. Bruce joue encore la carte de la singularité prioritaire avec un «Deep Green Water» monté sur un beat étrange. Il n’offre aucune prise à la normalité. Il remplit pleinement le contrat qu’il a passé avec le diable. 

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             Il débarque chez New Rose en 1987 avec Hot Georgia Nights, un album qu’on voudrait mythique et qui ne l’est pas. Avec le morceau titre qui fait l’ouverture, il tente pourtant de créer la sensation - All the girls seem to smile/ Like alligators on the Nile - Son soft-rock pulsatif accroche mais ne tétanise pas. Avec «Sweet Southern Summertime», il fait de la pop malhabile qui vieillit mal. Pas sûr qu’en 2080, les kids écoutent ça. Bruce tente le tout pour le tout avec «The World Needs A Little More Love» joué aux accords dissonants et drivé par un petit riff maladif. En B, t’as un «Violence In His Religion» à prétention inquiétante et monté sur beat de boogaloo, mais l’ensemble de la B reste faiblard.

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             The Outtake Collection 1978-1988 paru en 1988 couvre toute la carrière de Bruce. Les premiers outtakes datent de la période Plantations. Pour la plupart, ce sont des cuts doux et fins, joués au jingle-jangle, troussés de frais, dont un «Lonely» qui sonne comme un hommage à Roy Orbison. Par contre, sur le disk 2 se nichent deux bombes datant de l’époque de son premier groupe, The Strokes. «Green And Yellow» est un classique psyché-boogaloo sauvagement inspiré. Et l’intro de «Gunfighting Man» sonne comme celle du «Gimme Shelter» des Stones. C’est un véritable hit, doté du meilleur des solos de gras double. On a là un bon son de basse qui remonte comme la marée. T’as un son monstrueux.

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             Nouvelle équipe en 1990. Bruce Joyner & The Tinglers enregistrent Beyond The Dark. On y retrouve les deux mamelles de Bruce, le boogaloo et Buddy. «Tingler» est boogaloo comme pas deux, car ça raconte l’histoire d’une créature qui sort du swamp et qui rampe sur le plancher - What’s that crawling across my floor/ What’s that scratchin at my door ? - Il raconte que si une chose vous touche l’épaule pendant que vous dormez et que vous croyez que c’est votre chère épouse, réveillez-vous vite fait - You better check to see if it’s a tingler/ Or crack it’s gonna take your life - Bruce nous raconte toute la légende des tinglers dans le détail. Pure merveille. Plus loin, il honore la mémoire de Buddy avec «Buddy» - I just want to be you Buddy - et il en rajoute une louche - If you’ll be my Peggy Sue - On retrouve toutes les dynamiques éclairées du grand Buddy. En A, Bruce attaque avec «Lost Visitor», un softy softah de mid-tempo très délicat, presque orbisonien. Avec «Mary Writes», il devient évident que Bruce se prend pour le Big O. Et il nous ressert une part de tarte à la guimauve avec «I’m Really Coming Down With Somethin’». Bruce Joyner reste un artiste singulier. Il excelle aussi bien dans le voodoo surf que dans l’art délicat du grand balladif. On retrouve dans la plupart de ses cuts des dynamiques spéciales et des éclairs mélodiques d’une grande originalité.

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             En 1991 sort un nouvel album des Unknowns sur New Rose : Southern Decay. Ça alors ! Toutes les composantes du son unknownien sont là, fidèles au rendez-vous, comme on le constate à l’écoute d’«Happy Day» : une pop qui échappe à tous les pièges, une pop sauvage et libre qui vit sa vie. Puis «Desert Nights» se déroule comme une pièce de pop incertaine qui va au hasard des chemins avec des night moves qui épatent - Only the small survive in the desert nights - Le «Love Train» qui suit est un hit de juke joué au stomp de Georgie. Bruce chante ça comme un possédé. Il sonne exactement comme Dave Dee Dozy Beaky Mick & Titch. Infernal ! Quelle énergie ! De l’autre côté se niche une autre merveille, «Flip Your Switch», pur jus de rocky road claqué aux accords de réverb - Lord the music makes me rock’n’roll - C’est incroyablement hanté. Il termine sa B avec une version de «Shakin’ All Over» qui lui va comme un gant de cuir noir. Les Unknowns jouent ça à l’accord rampant.

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             Un an plus tard paraît Sir Real. On y retrouve ce qu’on préfère chez Bruce, l’étrangeté, notamment sur un «Sex Beat» qui ne doit rien au Gun Club - Can you feel the sex pistol ? - C’est relayé aux mélopées démoniaques de traîne de tourbe. On suivrait ce mec jusque dans les endroits les plus reculés du comté. «Swamp Fox» vaut aussi pour sa belle dose d’étrangeté. C’est vraiment tout ce qu’on attend de lui. Il doit le savoir. Le hit de Sir Real s’appelle «Love Done Killed My Baby», c’est une sorte de Gloria brucien, un jerk joynerien d’un aplomb invraisemblable - I shot my baby yeah - Ce hit pue la délinquance et t’as le bassman qui prend un solo de basse au bas du manche. Monstrueux ! Le son troue la rondelle des annales. C’est définitivement malsain, joué dans les sous-bois, et t’as le Bruce qui en rajoute !

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             Preludes And Nocturnes paraît en 1993, toujours sur New Rose. Son meilleur album ? Va-t-en savoir. En tous les cas, Bruce t’embarque aussitôt avec «Rainy Grey Day», sur un beat salace et des textes toujours très fournis - Every evening as the sun is going down/ I can hear the voices from the shadows - S’ensuit «The Dragon Fly» travaillé à la nappe d’orgue et aux trompettes mariachi. Il dote ce balladif entreprenant d’un son étrange et peu courant. Avec «The World Needs A Little More Love», il prend la suite de Burt pour nous expliquer que notre monde a vraiment besoin de love et on croit entendre le «Should I Stay Or Should I Go» des Clash. C’est la même séquence. Avec «Night Surf», Bruce renoue avec son goût prononcé pour l’instro d’excellence carabinée. Plus loin, il tape «Cat’s Meow» à la note descendante. Il fait le chat qui rôde, et la guitare sonne comme celle de McGuinn au temps des Byrds : excellent et d’une grande modernité. On entre ensuite dans une série de morceaux terribles, avec un «Time Machine» solide et musculeux, travaillé à la flûte, et gorgé d’énergie secrète. Tu cries au loup ! Restons dans le fantastique avec «They Were Expandable», un cut en forme de règlement de compte - Goodbye backstabbers/ Find someone else/ You think you’re not an asshole/ But you should play one on TV - Quelle santé, et ça continue avec un «Emotional Side» terrifiant d’allure - Oh we’ve earned this love/ I’m sure you will agree - et il fait tomber cette phrase terrible comme un couperet - So treat each other with respect and humanity - Ne perdons pas de vue ce point essentiel : Bruce Joyner n’est pas un animal de foire, comme on l’a souvent entendu, mais un immense songwriter. Le problème est que les Français n’écoutent pas les paroles. Alors il ne reste que la canne. Ce seigneur des annales regagne la sortie avec «Dreaming Of OZ». Sur chaque album, Bruce Joyner tient son auditeur en haleine, de bout en bout, aussi bien par le son que par le contenu. C’est assez rare.

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             Retour en 2011 avec une nouvelle équipe constituée d’anciens, Bruce Joyner & The Reconstruction. L’album s’appelle Elements. Bruce porte des shades comme son héros Big O. Il attaque avec «Invisible Smile», une pièce de pop baroque qui voudrait convaincre, et il enchaîne avec un «Swamp Fox Foxy» plus funky et joliment envenimé d’hey hey hey. On sent le vieux pro qui roucoule goulûment ses descentes de refrains. Mais les choses sérieuses se nichent en B. Il revient à ses chères «Hot Georgia Nights» que ses amis de la Reconstruction éclatent à coups de paquets d’accords. Bruce renoue avec son sens aigu de l’expressivité à coups d’ho ho ho ! C’est extrêmement bon. On retrouve avec «Evil Smile» ce qu’on a toujours adoré chez lui, un son différent. Depuis le début, Bruce Joyner a cherché à bricoler ce son différent, mais ça ne marche pas à tous les coups. Il s’appuie ici sur un beau Diddley Beat, il retrouve sa dimension épique, celle qu’on apprécie particulièrement. C’est dans ce genre de cut ambitieux qu’il donne sa pleine mesure. Il finit sa B avec «Hard Machine», un cut noyé et les excellentes guitares juteuses de Don Fleming. Bruce se lance dans une belle énormité en forme d’heavy boogie. Voilà sa grande force : il surgit là où on ne l’attend pas et il semble filer comme un reptile à travers les couches de guitares éthérées.

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             Il garde quasiment la même équipe pour Bruce Joyner & Atomic Clock, et l’album The Devil Is Beating His Wife paru en 2014. Il attaque avec «Another Day», un beau mid-tempo incisif et revient ensuite à ses chers balladifs. Dans «Prairie Dog», on l’entend aboyer après les chevaux. Il court les plaines de Georgie, comme au bon vieux temps. En B, on tombe sur «Dreamland», un beau balladif puissant et entreprenant, gluant comme un hit - Shadows dancing in the fire/ You never walk alone - Bruce vous aura prévenu. S’ensuit le morceau titre de l’album, un farfouillis de coups de guitares, de chuchotements et de bouillonnements circulaires. Comme son copain Howard Phillips Lovecraft, Bruce ne s’intéresse qu’à une seule chose dans la vie, l’étrangeté de la concomitance.

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             Il refait surface en 2018 avec The Netherglades, histoire de se moquer gentiment des Everglades, et un album intéressant, Love And The Blood Vodou. Ça démarre très bien avec «Alligators», classic Joyner sound, très Southern Gothic. On sent une vraie présence, Joyner shake son shook à coups de babe babe. C’est extrêmement swampy. Et ça swampe encore plus avec un «Shadows» complètement hanté, ça bruite divinement sous le boisseau, les Netherglades tiennent le cap sur le marais, et ça grouille tellement de sonorités exotiques que ça devient extraordinairement jouissif. Eh oui, la surprise vient encore du damn cripple. Puis le soufflé retombe un peu, car ça se calme au niveau son. «The Sun Goes Down» sonne comme un balladif crépusculaire. Bruce nous chante «Guitars On The Dance Floor» à l’espagnolade. On sent qu’il joue avec le feu sacré. En B, il revient en force avec «She’s A Rocker», il tape ça à la clameur, on veut absolument y croire, voilà un cut illuminé par le cristal acéré d’une guitare sous-jacente, et ça donne un balladif entreprenant bien chargé de la barcasse. Il termine avec «Traction». Il y recrée enfin de la menace - You were looking for some action -  et ça se réveille dans un hospital bed. Alors il se met à dérailler de façon salutaire, on retrouve le grand Joyner de nos amours anciennes, faut-il qu’il t’en souvienne, il redore son blason et chevrote dans les flammes de l’enfer.

    Signé : Cazengler, pas la Joy(ner)

    Bruce Joyner. Disparu le 9 mars 2025

    The Unknowns. Dream Sequence. Bomp 1981

    The Unknowns. The Unknowns. Line Records 1982

    Bruce Joyner And The Plantations. Way Down South. Invasion Records 1983

    Bruce Joyner And The Plantations. Slave Of Emotion. Closer Records 1984

    Bruce Joyner And The Plantations. Swimming With Friends. Closer Records 1986

    Bruce Joyner. Hot Georgia Nights. New Rose Records 1987

    Bruce Joyner/The Unknowns. The Outtake Collection 1978-1988. Fan Club 1988

    Bruce Joyner And The Tinglers. Beyond The Dark. New Rose Records 1990

    The Unknowns. Southern Decay. New Rose Records 1991

    Bruce Joyner. Sir Real. New Rose Records 1992

    Bruce Joyner. Preludes And Nocturnes. New Rose Records 1993

    Bruce Joyner And The Reconstruction. Elements. Bang! Records 2011

    Bruce Joyner And Atomic Clock. The Devil Is Beating His Wife. Closer Records 2014

    Bruce Joyner And The Netherglades. Love And The Blood Vodou. Closer Records 2018

     

    L’avenir du rock

     - Love it to Death Valley Girls

             On sonne à la porte de l’avenir du rock. Il ouvre. Fuck ! La Mort ! Avec sa cape noire et sa grande faux. L’avenir du rock se marre :

             — I’m not dead, comme dirait Jim Dickinson !

             D’une terrifiante voix d’outre-tombe, la Mort rétorque :

             — Avenir du rock, je suis venu pour jouer à quitte ou double...

             Intrigué, l’avenir du rock fait entrer la Mort et lui propose un fauteuil.

             — Voulez-vous boire une petite rasade du pirate ?

             Ils boivent un coup et la Mort lui explique le jeu : pour gagner, il faut trouver mieux. Sinon, couic.

             — Si je dis Christian Death, que proposez-vous de mieux, avenir du rock ?

             — Pfffffffff... Death Of Samantha !

             — Si je dis Death In June ?

             — Pfffffffff... Vous avez vraiment mauvais goût... Je réponds «Slow Death» !

             — Si je dis Dead Can Dance ?

             — Pfffffffff... Pas étonnant qu’on ne vous aime pas. Je réponds Dead Moon !

             — Si je dis Dead Or ALive ?

             — Pfffffffff... Qu’est-ce que vous pouvez être ringard ! Je réponds «Death Party» !

             — Si je dis Grateful Dead ?

             — Pfffffffff... N’importe quoi ! Connaissez-vous le Death des frères Hackney, à Detroit ? Je peux vous prêter les albums, si vous voulez...

             — Vous foutez pas de ma gueule avenir du rock, vous pourriez le regretter amèrement... Reprenons. Si je vous dis The Queen Is Dead ?

             — Pfffffffff... Ah non, pas les Smith ! Avec vous, ça devient le carnaval des horreurs. Vous avez autant mauvais goût que vous avez mauvaise haleine. Si vous me sortez encore une connerie, je vous vire à coups de pieds dans le cul !

             — Shut the fuck up ! Si je dis Dead Kennedys ?

             — Pfffffffff... Allez, trois singles, au maximum, mais certainement pas les albums. Je réponds «Dead Man Curve» !

             — Si je dis Dead Boys ?

             — Pfffffffff... Décidément, vos questions sont aussi prévisibles que vous l’êtes. Je réponds Death Valley Girls. C’est tout de même autre chose !

     

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             Death Valley Girls en concert ? T’y vas en courant. Tyva surtout pour Larry Schemel, le guitar slinger providentiel, l’enchanteur de la Vallée de la Mort, le bonheur des dames. S’il est un guitar slinger que tu rêves de voir sur scène, c’est bien Larry Schemel. Pouf, t’arrives au club du Tétris, tu te mets bien devant l’ampli

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    guitare, et t’attends qu’il radine sa fraise. Oh la fraise ! C’est une petite gonzesse aux cheveux rouges qui se pointe à sa place. En plus, elle est vraiment mal fagotée : grosse robe noire, pompes atroces et un soutif en velours crème par-dessus son chemisier en dentelle noire. On savait que les Californiennes s’habillaient mal, mais là, les Valley Girls battent tous les records. La bassiste porte une grande robe bleu

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    clair ornée de grands trous et bien sûr, elle est à poil en dessous. T’as aussi une saxophoniste en petite tenue, avec des socquettes blanches et des pompes à semelles compensées. Les moins pires sont Rikki Styxx derrière sa batterie en robe de soie minimaliste, et Bonnie Bloomgarden en petite robe gothique, toujours avec son gros maquillage vert fluo sous les yeux. Et son charmant petit sucre craquant de candeur candy. Elles vont réussir à rocker le boat, même sans Larry Schemel, mais ce n’est tout de même pas le même son. La red-haired woman sonne un peu sec, alors que le grand Schemel sonnait gras. Derrière son petit clavier, Bonnie mène bien sa meute,

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    on ne reconnaît pas facilement les cuts. T’as très vite le «Watch The Sky» du dernier album, Island In The Sky, suivi du morceau titre d’Island, et vers la fin, tu retrouves «Magic Power», suivi du velvétien «Journey To Dog Star». On sent qu’elles ont perdu au change. Leur son ne doit plus rien au temps de Street Venom et Glow In The Dark. Elles jouent quand même le fiévreux «Death Valley Boogie» de Glow In The Dark, mais sans le killering de Larry machin. Elles sont passées à autre chose, un son bien ambiancier, avec ici et là des bonnes petites crises de Méricourt. C’est le duo red-haired woman/Rikki Styxx qui dynamite l’ensemble, elles s’abandonnent toutes les deux et font voler leurs chevelures, et il faut voir cette folle géniale de Rikki

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    penchée en avant sur la batterie comme un animal, avec cette rage qui n’appartient qu’aux gonzesses, elle bat un beurre bien lourd et bien tribal, et red-haired woman saute partout avec sa Jaguar blanche. Elles sont tellement balèzes toutes les deux qu’elles te font oublier ta déception de n’avoir pas vu Larry Schemel. Comme elles

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     exultent, alors tu finis par exulter. Ça fait vraiment du bien d’exulter par les temps qui courent. Oh et puis n’oublions pas le plus important : en plein cœur de set, elles tapent un truc que tu connais... Qu’est-ce que c’est ? Tu tends l’oreille... I had a dream/ Last night... Fuck ! «Fire & Brimstone» de Link Wray - There’s a light shinin’ on - Quoi de plus exultant ? 

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             Ça fait dix ans que tu suis les Death Valley Girls à la trace. Depuis leur premier album, Street Venom, avec lequel elles entraient en vainqueuses dans ta cité. Street Venom grouille de coups de génie, à commencer par «No Reason», avec son intro vinaigrée, et pouf, ça part au petit sucre, avec un bassmatic qui descend les escaliers. C’est littéralement saturé de classe : tout est beau, le killer solo de Larry Schemel et le bassmatic. Coup de génie encore avec le «Gettin’ Hard» de bout de balda, vraiment heavy, avec une saine balance du beat et un solo apocalyptique, gratté au pied à pied. D’autres merveilles te guettent en B, comme par exemple «Red Glare», du heavy Death, toujours all over the riff raff, Larry Schemel veille au grain du lapin blanc, il faut entendre ses descentes de poux. Il ravage encore «Paradise Blues», il wahte dans la vallée de la mort, c’est un démon psychédélique. On le retrouve juste derrière «Girlfriend» avec ses poux grattés à sec, ses descentes somptueuses et le wild killer solo flash chauffé à blanc. Il rôde encore dans «Arrow» comme un requin blanc, et rentre au gras double dans le chou de «Shadow», une autre merveille d’agitprop. Il fait sonner sa gratte comme un éléphant de combat, il gratte tout ce qu’il peut au cœur du chaos. Il revient encore dans l’«Electric High» du bout du monde, il couvre toute la Vallée de la Mort. 

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             Très bel album que ce Glow In The Dark. Elles ouvrent leur petit bal avec un morceau titre bien énervé. Elles sont bonnes et shakent leur shook à la bravado du chevroté. Belle clameur ! Elles se sentent très concernées par l’explosivité, elles blastent le son, et t’as un joli killer solo flash à la clé. Wow ! Sur cet album, tout est saturé de chant, elles font de la dégelée royale hérissée d’allant. Elles tapent aussi dans le jump it off de petite niaque pychopathique avec leur «Death Valley Boogie». C’est de bonne guerre. Elles noient leur «Seis Seis Seis» dans un gros pâté de réverb. Elles vont rechercher d’anciens climats datant des années de braise, mais le big atmospherix restera toujours le big atmospherix et on continuera de l’accueillir à bras ouverts. Même si elles retombent parfois dans la petite pop, on s’attache à cet album et pouf, ça repart avec «I’m A Man Too», chanté à l’ingénue libertine. Elles tapent dans le mur du son. Elles font du girly-group boom-boom in the wall of sound ! Bonnie devient folle et gueule à la cantonade, jusqu’au moment où un solo vient balayer les doutes. On a là le vrai truc, the girl group on fire. Elles jouent à la perfection leur petit jeu dangereux, comme le montre encore «Love Spell». C’est bien claqué du beignet. Elles enveniment la power pop et produisent l’une des meilleures clameurs qui soit ici-bas. Elles battent nettement Suzi Quatro et Cherrie Curie à la course. C’est complètement explosif ! Tiens encore une énormité avec «Summertime». Elles y développent une sorte de transe hypno, elles s’en vont se perdre dans les steppes du génie sonique, ça gueule par-dessus les toits, on croirait entendre une goule de la vingt-cinquième heure. Elles titillent l’after, elles clouent leur chouette sur la porte de l’église. Et tout ça se termine avec «Wait For You» que Bonnie chante à la pointe de la glotte. Un gimmick connu descend le cut d’une balle entre les deux yeux. Elle tape dans un vieux renvoi d’estomac et ça part à la revoyure, à la coule de la coule avec des notes qui fondent dans les flammes. Ça frit sur place. Inutile de réclamer ta monnaie.

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             Darkness Rains ? Big album ! Il t’avale aussitôt «More Dead». Elles sont dans le vrai, dans le wet féminin d’ultimate spinash, c’est clamé à la retenue de la fistule, elles sont magiques, pleines de fringance, comme ces petites gonzesses excédées qui tapent du pied par terre, et là tu as le pire solo de wah de l’univers connu des hommes, elles te collent au mur. Douze balles. Tu en redemandes. Suite de la triplette de Belleville avec «(One Less Thing) Before I Die», elles tapent dans un fabuleux wild wet trash punk, ça t’enfume la cervelle. Fin de la triplette avec «Disaster (Is What We’re After)», les Death Valley Girls sont certainement ce qui est arrivé de mieux à LA depuis longtemps. Elles sont mille fois pires que les Pandoras. Elle groovent le big lard d’anymore, elles se répandent sous le boisseau, alors que soufflent des vents de wah, c’est d’un niveau qui te démonte les clavicules, mon pauvre Salomon, et en plus elles ramènent le sax du MC5. Alors évidemment, après les trois coups d’éclat du début, on attend la suite. Elle arrive avec «Abre Camino». Elles tentent encore le diable avec ce groove d’exaction panaméricaine, elles ramènent la wah nucléaire et se couronnent reines du Big Atmospherix. Elles s’étranglent encore de power avec «Street Justice», avec encore cette gratte prédatrice en embuscade. Elles développent d’incroyables mélanges, avec ce velouté intime qui ramollit leur Motörheadisme rampant. Cet album sonne comme un slab de remise à plat. Tu sais qu’il faut suivre les Death Valley Girls. Elles fonctionnent avec des éclats supersoniques, le moindre cut te met en alerte. Tiens voilà qu’elles tapent dans l’hypno Velvet avec «TV In Jail On Mars». Elles se sentent concernées jusqu’à la fin, raison pour laquelle on les admire.  

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             Under The Spell Of Joy échappe à l’oubli grâce à deux coups de génie : «Hold My Hand» et le morceau titre. Le premier  sonne comme un shoot d’L.A. gaga, elles sont terribles. Le génie des Valley Girls consiste à savoir tout brasser. Cet «Hold My Hand» est fabuleusement beau. Elles enchaînent avec le morceau titre, à la fantastique énergie de commitment aléatoire. Elles ont ça dans la peau. Une espèce de gigantesque mélasse te tombe dessus, elles swinguent avec des os de squelette et touillent une mélasse héritée du Gun Club. C’est d’une rare puissance. Puis l’album s’affaisse un peu, avec du big mood ambiancier («The Universe»). Elles cherchent la rédemption et se noient dans un son d’écho et de sax. Elles perdent encore du poids avec «Little Things», mais Larry Schemel passe un killer solo qui sauve les meubles. Même chose avec «No Day Miracle Challenge». Schemel reste en embuscade.   

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             On sent une très nette baisse de régime dans Islands In The Sky, même si le sucre de Bonnie Bloomgarden résonne dans l’écho du temps. Elle sucre bien les fraises sur «California Mountain Shake». Puis elle remonte en selle aussi sec pour «Magic Power». Ça tagadate dans la plaine du Far West, comme dirait Yves Montand. Mais on a déjà entendu ça mille fois. Magic Power n’est pas si magic, after all. Les Girls campent toujours dans l’heavy sound, Bonnie chante all over, on l’aime bien, elle est assez pure, avec du gros buzz derrière, mais les compos ne sont pas des hits. Bonnie se bat avec son sucre, elle est héroïque dans «Sunday» et par certains côtés, elle redevient trop girlish, trop pubère. On dénote même un côté superficiel dans son approche, ce qui à la limite peut l’excuser. Au fil des cuts, on finit par les perdre, elles se prennent pour le Velvet d’«All Tomorrow’s Parties» dans «Journey To Dog Star», elles se fondent dans le groove mais ne savent pas comment s’en sortir. Elles se prennent pour le Ronettes avec «Say It Too», comme si elles tentaient leur dernière chance. Et là ça redevient génial. Elles se réveillent enfin avec la mad psyché de «Watch The Sky». Elles shakent la dérive des continents. Ça explose au moment opportun, elles tapent en plein dans le mille du Floyd de Syd.

    Signé : Cazengler, dead balai brosse

    Death Valley Girls. Le Tétris. Le Havre (76). 29 avril 2025

    Death Valley Girls. Street Venom. Burger Records 2014  

    Death Valley Girls. Glow In The Dark. Burger Records 2016    

    Death Valley Girls. Darkness Rains. Suicide Squeeze 2018   

    Death Valley Girls. Under The Spell Of Joy. Suicide Squeeze 2020   

    Death Valley Girls. Islands In The Sky. Suicide Squeeze 2023 

     

     

    Wizards & True Stars

     - Public Image Illimited

     (Part Three)

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             Quand John Lydon apparaît à la une de Record Collector, on se frotte les mains. Rien que de voir sa bobine, ça nous repose des horreurs qu’on voit dans d’autres canards, notamment les trois autres Pistols acoquinés avec Frank Carter. Il faut tout de même bien se rendre à l’évidence : des Pistols dans Johnny Rotten, ça n’a tout simplement aucun sens. Tu vois d’un côté les vieux, Matlock, Steve Jones et Paul Cook, et de l’autre le jeune, l’éternellement jeune John Lydon.

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             Bon d’accord, notre héros a pris du poids, mais il reste infiniment crédible. Il donne une interview depuis sa maison de Malibu, en Californie. C’est un événement : 14 pages ! Il commence par évoquer son deuil de Nora, au terme de 44 ans de vie commune, puis de John Rambo Stevens, son meilleur ami et manager. En deux heures d’interview, il fume un paquet de clopes.

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             Le thème de l’interview concerne le radio show de juillet 1977, The Punk And His Music : Tommy Vance recevait Johnny Rotten qui à la surprise générale programmait Captain Beefheart, Van Der Graaf Generator, Gary Glitter et des tas d’autres hippies. Avant d’entrer dans le détail de ses choix, il commence par rappeler qu’ado, il adorait Sweet, Slade, Marc Bolan et Elton John - My taste is extrememely broad and open-minded - Il est aussi fan de reggae et surtout de Dr Alimantado. Son favourite reggae band of all times, c’est The Abyssinians. Dans l’émission de Tommy Vance, il avait choisi de passer un cut de Neil Young, tiré d’On The Beach  - God yes, but it’s Zuma I really love - Et il te développe ça à sa façon, la meilleure qui soit, la rottinienne : «It’s always going to be one of my favourite albums for the way the guitar so emotionally almost falls apart.» C’est exactement ce qu’on ressentait à l’époque. Le son du fall apart ! Et il ajoute que Neil Young «is one of the greatest songwriters of all time. Him, Ray Davies, just absolutely amazing words.» Et inexplicablement, il ajoute le nom de Bryan Ferry, parce qu’il comprend ce que Ferry lui dit.

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             Alors Simon Goddard tente une petite provoc et insinuant que McLaren ne devait pas être très content d’entendre à la radio Johnny Rotten chanter les louanges d’un vieux hippie comme Neil Young.  Et ça marche ! Rotten se fout en rogne : «Well, you couldn’t understand what the manager was yakking on about. Because I’m the bloke writing these songs and you’re telling me that it should fit to a specific catalogue of ideas? Go fuck yourself!». Et il ajoute qu’on ne peut pas écrire des textes comme ceux de «God Save The Queen» sans avoir «an open mind and open ears». Et paf, il en profite pour rappeler que «the rest of the band were musically ignorant.» Et d’ajouter qu’il s’est fait un devoir de leur montrer des «other ways of directing thoughts and agendas.»

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             Puis Goddard repart sur d’autres choix du jeune Johnny Rotten : Nico et Tim Buckley. John Lydon en pince toujours pour le «Sweet Surrender» de Tim Buckley, «one of the world’s most lovingly sad sons.» Il est assez lucide pour savoir qu’il ne pourra jamais atteindre la note de Tim Buckley, aussi se contente-t-il de rester en adoration.

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             Rusé comme un renard, Goddard ramène John Lydon sur le terrain de l’enfance. Alors attention, c’est passionnant, car le père du kid Lydon «was a bit of a teddy boy, so sweet Gene Vincent has always been in my mind.» Puis ses parents sont devenus des Mods - My mum and dad wre well into the Kinks. You Really Got Me was SUCH an impressive record when I was a nipper - Goddard le branche ensuite sur les music papers. Berk ! - Didn’t touch the music press. Not really, up until the Pistols - Il ajoute : «It was boring to me. People talking about music? Bloody hell! I’d much rather listen.»

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             Ce démon de Goddard le branche sur Van Der Graaf Generator et Lydon remet les choses au carré, disant qu’il n’a jamais aimé le groupe, «but I did like Peter Hammill on his own.» Retour sur Nico, au temps où ses parents lui balançaient : «Oh my God Johnny, that woman can’t sing», ce qui le renforçait dans sa détermination à adorer Nico. Il en profite pour avouer qu’il adore la bad music, d’où le choix de «The Blimp», tiré de Trout Mask Replica, lors du radio show de 1977. Il rend aussi hommage à Alvin Stardust - Oh Alvin yes! I hate rock’n’roll imitators getting it wrong, but Alvin had fun - Branché sur Todd Rundgren, il avoue un faible pour Todd - the one where he’s got long hair, half blue on the cover - Il qualifie encore Something/Anything de wonderful. Il trouve génial que Todd attaque un classique et ne le finisse pas - I liked that attitude, like Mozart when he didn’t finish Requiem - Et Dylan ? Oh pas grand chose à part «Hurricane». Pour l’anecdote, il croyait que «Blowing In The Wind» was about farting. Prout dans le vent ?  

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             Joni Mitchell ? Il cite un ou deux albums et s’exclame : Who the hell needs them? Il dit l’avoir rencontrée en Jamaïque, «and I didn’t like her very much.» Puis on passe aux choses sérieuses avec les Pistols. Goddard lui demande s’il écoute Nevermind The Bollocks à la maison - Are you joking? All the time! (...) it’s a poweful, powerful piece of music we put there together - Et bam, il allume Steve Jones - Poor old Steve, he still can’t play Anarchy or Pretty Vacant properly - Il explique ensuite que personne ne peut re-chanter «No Feelings» - Poor Billy idol attempted it. Good luck, man! You sound like you’re mumbling after the third line - Auto-compliment final de John Lydon  pour Nevermind The Bollocks : «Wow! Bloody hell, young fella. You had something going here!».

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             Il pense d’ailleurs la même chose de Metal Box. Puis il rend hommage au Sanctuary de The Cult, à Dolly Parton, John Coltrane, Miles Davis, notamment Bitches Brew, «one of my all-time favourite albums» qu’il rapproche du Tago Mago de Can. Britpop? What do you mean? Goddard lui dit : Oasis. Yes I like those lads.

    Signé : Cazengler qui remPiL

    Simon Goddard : The punk and his music revisited. Record Collector # 568 - March 2025

     

     

    Nuggets back

     Gets back to where you once belonged

     

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             Si tu veux te rincer l’œil avec du vocabulaire rock, alors saute sur le Nuggets Redux du Rev Keith A Gordon. Avec son petit book (180 pages en gros caractères pour super-bigleux), le Rev rend hommage à l’un des fleurons de la rock culture : Nuggets, cette compile Elektra parue en 1972 et sous-titrée Original Artyfacts From The First Psychedelic Era 1965-1968. On s’en souvient comme si c’était hier : ce fut une petite révolution. 

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             Le Rev reprend les cuts un par un et les ré-épluche, en électrisant sa prose. Il commence par les Electric Prunes et «I Had Too Much To Dream Last Night», histoire de rappeler que Dave Hassinger les produisit et fut leur manager. Le Rev affûte sa plume et se lance à l’assaut : «Even by the exagerated standards of 1960s garage-pop, ‘Get Me To The World On Time’ boils over with hormonal lust, accentued by the sudden break into a pulverizating psychedelic Bo Diddley beat.» Il a raison, le bougre. Ça boil pour de vrai chez les Prunes. Steve Kraskow ajoute : «I consider the Electric Prunes vital, raw, dead-cool psych rockers. Armed with massive amounts of Vox effects pedals, amps, and instruments, they created a fuzz vibrato roar matched by none.» Et voilà le travail. Matched by none. Ça sonne. Rien de tel que la langue anglaise pour dire le rock.

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             Le Rev est moins loquace sur les Standells : «‘Dirty Water’ brought a brash, proto-punk sound to the airwaves, even if the band themselves were hardly rabble-rousers.» Môsieur le Rev émet des réserves. Vazy Rev, prends ta gratte et essaye de sonner comme Tony Valentino.

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             Il rend plus loin hommage aux Vagrants de Leslie West qui tapaient alors dans le «Respect» d’Aretha. Il dit que leur version est «tuff as nails.» Pour lui, ça reste un mystère que les Vagrants n’aient pas explosé aux États-Unis, d’autant ajoute-t-il que leur label Atco savait y commercialiser les petits culs blancs de type Cream, Buffalo Springfield et les vaillants Vanilla Fudge, eux aussi basés à Long Island.

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             On saute en B avec les Shadows Of Knight et «Oh Yeah». Le Rev essaye de décrire ce qui se passe dans ce chef-d’œuvre impérissable : il commence par dire que la cover n’a rien à voir avec l’original de Bo Diddley, «with the singer doing his best Howlin’ Wolf imitation, guitars stinging like a horde of angry hornets, and minimalist instrumentation jumping around the mix like a juke-joint echo.» Pour une fois le Rev se plante, car on entend surtout la voix de Jim Sohns qui, avec celles de Van The Man et de Dick Dodd (Standells) devient l’archétype du proto-punk. Dans la rubrique ‘Another view’ de fin de chapitre, Scott Smith (Ugly Things) amène une info de taille, en évoquant le deuxième album des Shadows Of Knight, Back Door Men : «Selon Jim Sohns, c’était un bon album, mais les producteurs n’ont jamais pu choper le son du groupe. Les Shadows Of Knight comptaient parmi the first real loud bands, et il était difficile de les enregistrer. They were raw and basic but unique.» Et t’as un autre avis, celui de Cub Koda (Brownsville Station) qui déclarait dans All Music Guide : «Equal parts Rolling Stones, Yardbirds, Who and snotty little Chicago-suburb bad boys, the Shadows Of Knigh could easily put the torch to Chess blues classics, which make up the majority of the songs included here.» (Cub évoque leur premier album, Gloria).

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             Tu tournes la page et tu vois le Rev sauter sur le «Pushing Too Hard» des Seeds. On sent bien que les Seeds sont ses chouchous, car il sort le Grand Jeu : «Saxon’s vocals ride upon waves  of everswelling, repeated instrumentation, the perfomance punched up with shards of glassine rhythm guitar, occasionally punctured by razor-sharp barb-wire guitar licks, random keyboard runs that fall like a hard rain onto the recording tape, and the drummer’s locomotive rhythms which push the singer and other instrumentalists almost to the breaking point.» Pour décrire le rock, il faut savoir sortir du vocabulaire, mais surtout trouver un rythme qui soit autant que possible organique. Le Rev s’en sort pas trop mal. Mais l’expert dans ce domaine reste bien sûr Nick Kent, suivi de près par Kris Needs, et en français, bien sûr, t’as Eve Sweet Punk Adrien. Le Rev reprend : «Saxon’s vocals outsneeers anything Mick Jagger ever thought of singing, Sky’s emotional distress leaping out your speakers like a saber-rattling golem.»  C’est un régal que de lire ça. Une sorte de couche de perfection par-dessus la perfection. Personne n’aurait pensé à faire le coup du saber-rattling golem

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              Le Rev saute ensuite sur les Remains et «Don’t Look Back». Il n’y va pas par quatre chemins : «De toute évidence les plus talentueux musiciens du roster de Nuggets, les Remains sont l’exemple classique du ‘too much too soon’». Le Rev rappelle que les Remains ouvraient pour les Beatles lors de leur dernière tournée américaine en 1966. Barry Tashian a même écrit ses mémoires, Ticket To Ride: The Extraordinary Diary of The Beatles’ Last Tour, un bon book sur lequel on va revenir prochainement. Dans une interview pour Bad Trip magazine, Barry Tashian déclarait : «On montait sur scène pour jouer 20 minutes, puis on accompagnait Bobby Hebb qui chantait ‘Sunny’. Puis The Cyrcle montaient sur scène, c’était un groupe. Puis on revenait sur scène accompagner les Ronettes pendant 20 minutes. Elles chantaient ‘Be My Baby’.» «Comme on était the opening band, ajoute Tashian, on avait quelque chose à prouver. Les Beatles n’avaient rien à prouver.»

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             Le Rev n’y va pas de main morte sur les 13th Floor : «A near-perfect multi-hued slab of psych-rock energy with choogling rhythms and wiry fretwork riding atop oddball sounds produced by Tommy Hall’s electric jug, singer Roky Erickson’s high-losnesome vocals pierce the jumbled, busy mix with no little heart and soul.» Rick Johnson se charge de la cerise sur le gâtö : «The 13th Floor Elevators are the world’s greatest unappreciated psychotic rock band, who terrorized their fellow Texans with some of the most controlled manic hostility known to rock music outside of the Velvet Underground and Syd Barrett’s Pink Ployd.» Bien vu, Rick ! Puis tas Jon Mojo Mills (Shindig!) qui ramène sa fraise : «Erickson’s girl-done-me-wrong put-down-lyric, catatonic cave man wail and incessant punk riffing was an odd bedfellow with Hall’s and Powell’s spiritual subject matter.» Et il ajoute ça en guise de chant du cygne : «Erickson’s largely folk-rock music approximations, laced with Stones and Kinks raunch, was straight outta the garage.»

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             Le Rev saute en C avec le «Psychotic Reaction» du Count Five : «It’s one of a handful of truly magical moments in rock’n’ roll history, and one of the garage rock explosions’ most memorable songs.» Il a raison le Rev. C’est l’un des sommets du genre. Il passe plus loin aux Amboy Dukes et «Baby Please Don’t Go», pour saluer l’«axe-wielder Theodore Anthony ‘Ted’ Nugent qui twangs ‘n’ bangs away on his trustry Gibson Byrdland, coaxing unatural sounds out of the instrument that sounded right at home in the heart of the psychedelic ‘60s.» Puis c’est au tour de Plastic Crimewave de saluer les Dukes en fin de chapitre : «The Amboy Dukes were a solid, heavy-ass acid rock group whose flashy gear & American flag abuse doubtlessly had an impact on the MC5.»

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             Le Rev va ensuite flasher like airplane lights sur Saggitarius et «My World fell Down», et plus précisément sur Gary Usher. Un Usher qui avait déjà proposé «My World Fell Down» à Chad & Jeremy, qui l’ont refusé. Pourtant, Gary Usher insistait pour dire que c’était un «sure-fine chart hit», mais en pure perte. Alors Gary Usher a décidé qu’il allait l’enregistrer lui-même. Pour ce faire, il recruta des gens du Wrecking Crew, à commencer par Glen Campbell (qui chante), plus Bruce Johnston et Terry Melcher qui font des harmonies vocales. Pardonnez du peu. Clive Davis qui était alors le boss de Columbia flasha sur The Astrology Album de Saggitarius et exigea que le groupe parte en tournée. Gary Usher se vit contraint de monter un groupe, car Saggitarius n’existait pas. Il recruta Curt Boettcher qu’il avait rencontré au temps de The Ballroom. Boettcher fascinait Gary Usher. C’est bien que le Rev s’attarde un peu sur ces gens-là, car ils sont aussi importants que Brian Wilson et les Beach Boys. Puis Boettcher va monter son «next cult-rock project», The Millenium. Il ramène en studio ses vieux copains, Sandy Salisbury, Lee Mallory, Joey Stec et Michael Fennelly et ils enregistrent en 1968 l’album Begin, co-produit par un autre crack-boom de l’époque, Keith Olsen - At the time, Begin was allegedly the most expansive album ever recorded for Columbia Records - Et comme Curt Boettcher refuse de partir en tournée, l’album floppe. Lui et Gary Usher seront redécouverts dans les années 1990 et salués comme «the chief architects of the 1960-era sushine pop sound.»

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             On reste dans le très haut de gamme de la pop avec Nazz et «Open My Eyes». Le Rev profite de son hommage à Todd pour rappeler que sur les 27 Nuggets bands, seuls trois d’entre-eux ont connu le «bigtime» : The Vagrants (Leslie West), The Amboy Dukes (Ted Nugent) et Nazz (Todd Rundgren). En fin de chapitre, Stephen Thomas Erlewine affirme qu’«Open My Eyes» twists the Who’s «I Can’t Explain» around until it winds up in Roy Wood territory.» Comme c’est bien vu !

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             Partout ailleurs, le Rev jongle avec les rock words, à grands coups de «full-blown psych-drenched psychosis», de «backwards burst of fuzztone tremolo guitar», de «supersonic bee swooping into your speakers», d’«ear-shattering vibrating jet guitar», de «steady drumbeat», de «rinky-dink organ riff», de «circular guitar riff», de «red-hot slabs o’ R&B-styled proto-rock cheap thrills», de «mind-blowing screeching distorded guitars». Et Richie Unterberger se fend de ça, à propos de l’«It’s A Happening» des Magic Mushrooms - one of the finest pieces of early psychedelic garage madness : «The rave-up verses threatened to go out of whack like a cuckoo clock unwiding for the last time.» Vazy, essaye de traduire ça ! 

    Signé : Cazengler, Nuqué

    Rev Keith A Gordon. Nuggets Redux. Excitable Press 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Les Sapphires s’affairent

             On aurait dit qu’elle brillait comme un saphir dans la nuit. Baby Fab avait un éclat particulier, une voix particulière, un corps particulier. Elle disposait d’un atout majeur : elle parlait comme Arletty dans Les Enfants Du Paradis et se coiffait comme une reine de la nuit des années vingt. Elle parlait d’une voix à la fois grave et chantante, avec de délicieux accents coquins. Un charme fou ! Elle attirait l’homme comme l’aimant attire la limaille de fer. Nous nous rencontrâmes dans une fête d’anniversaire, aux quarante ans d’un ami. On ne voyait qu’elle dans la salle. Elle portait une robe bleue, assez courte. Son casque de cheveux noirs luisait sous les spots et sa voix charriait des tombereaux de sensualité rocailleuse. Elle accepta de danser avec un sourire, et son corps collé au mien signifia la brutale évidence d’un consentement. Les romanciers appellent ça un coup de foudre réciproque. L’attirance semblait avoir traversé nos deux corps, et fondu nos âmes, dirait Verlaine. Lorsque la fête s’acheva au lever du jour, nous nous séparâmes. Nous nous revîmes quelques semaines plus tard, et la relation suivit son cours normal : découverte des corps, confessions sur l’oreiller, nous brûlions un peu les étapes, nous commencions à envisager le «vivre ensemble», mais c’était compliqué car, bien sûr, nous étions chacun de notre côté engagés dans des relations établies, le genre de relations qui ne se défont pas en cinq minutes. Alors en désespoir de cause, elle se mit à boire plus que de raison. Nous nous retrouvions chaque week-end, en Normandie, où elle vivait. J’arrivais de Paris les bras chargés de cadeaux et de fleurs. C’était un rituel immuable : on prenait l’apéro au salon, elle nous versait deux grands verres de scotch, puis deux autres, et encore deux autres, on passait ensuite à table, elle avait préparé comme chaque samedi un gigot aux petits pois, elle ne servait pas de vin, on entamait la deuxième bouteille de scotch et invariablement, le plat du gigot lui échappait des mains, elle s’écroulait sur la table, toute flasque. Ce fut un privilège que de marcher dans les petits pois pendant les trois ans que dura cette aventure malheureuse.  

     

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             À côté du saphir dans la nuit, il y a les Sapphires de la Soul. C’est dans la compile qu’Ace consacre à Boyce & Hart qu’on a découvert les Sapphires, notamment avec «Thank You For Loving Me», un vieux shoot de doo-wop, et une Soul Sister à la barre : le swing du paradis. Il n’existe qu’un seul album des Sapphires, paru sur Swan et devenu intouchable, alors on se rabat sur une compile Sequel, The Best Of The Sapphires, parue en 1994. Celle-là, il faut se lever de bonne heure pour la choper. On y retrouve bien sûr le «Thank You For Loving Me» évoqué plus haut, mais globalement, c’est une compile compliquée. Le premier tiers des cuts est tout simplement trop kitsch. La petite pop d’«Oh So Soon» est trop fouettée de la crème, enregistrée au château Lacoste. Carol Jackson est pourtant une reine de la nuit. George Gainer et Livingston l’accompagnent. Comme le groupe est basé à Philadelphie, il semble que le quatrième larron qu’on voit sur les early shots soit le jeune Kenny Gamble. Le producteur Jerry Ross fait appel au jeune Kenny pour composer et hop, les Sapphires s’envolent vers le succès. Carol Jackson fait bien la part des choses dans «I’ve Got Mine You Better Get Yours», mais il ne se passe rien. On attend monts et merveilles des Spahhires et soudain la compile se réveille avec «Wild Child», Carol Jackson est dessus, et ça jerke ! Dans ses liners, Rob Hugues parle d’un «upbeat Gamble-Ross number with a Motownesque burping baritone sax». Elle remet le couvert avec «Come On And Love Me», elle y va au grand revienzy et se montre très lancinante.

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             Puis Jerry Ross emmène les Sapphires enregistrer à New York, aux fameux Bell Sound Studios. On entre dans la zone chaude de la compile, les Sapphires font du Motown sound avec «Baby You’ve Got Me», et là, amigo, Carol Jackson explose tout Motown. Boom ! Elle a tout le power des Vandellas. Ils reviennent au doo-wop avec un «Thank You For Loving Me» signe Boyce & Hart et soudain ça repart en full Motown blown avec «Gotta Have Your Love», fantastique pulsation et joie de vivre ! Encore du pur Motown sound avec «Gee I’m Sorry Baby», plus languide, et un mélange de chœurs masculins et féminins. Mais quelle prod ! Avec «Evil One», Carol Jackson explose une fois de plus Motown. C’mon ! Ça vire Burt avec «How Could I Say Goodbye», c’est une mélodie de rêve qui te monte droit au cerveau. Nouveau coup de génie avec «Gonna Be A Big Thing», elle va droit dans le mur, au pur et dur, c’est cuisiné au tortillettes de pur genius. Carol Jackson affronte encore la clameur de Motown dans «You’ll Never Stop Me From Loving You», mais elle le fait avec une rémona indescriptible ! La sueur te coule dans le dos. Elle fout encore une claque dans la gueule de Motown avec «Slow Fizz». Complètement dément ! Et c’est rien de le dire. Pourquoi les Sapphires n’ont pas explosé ? Personne ne peut comprendre.  Rob Hugues pense que le groupe a splitté en 1968.

    Signé : Cazengler, Satyre.

    Sapphires. The Best Of The Sapphires. Sequel Records 1994

     

    *

             Pas de panique ! J’ai le code. Non ce n’est pas LRDC, (parfois LRDK) vous connaissez j’espère, une opération alchimique un peu dangereuse, en toutes lettres La Rosée du Chaos. Le vrai code c’est LTDC, ça y ressemble mais ça ne désigne pas le même phénomène. Je transcris, Les Troubadours du Chaos. Vous voyez ça se termine à l’identique. En plus vous avez une alliance de mots de même calibre, Rosée et Troubadours, deux termes poétiques, en tête de gondole et chaos touché-coulé en fin de partie. Quoique la mythologie grecque nous apprend que le Kaos n’est pas le point terminal vers lequel on se dirige mais celui originaire d’où l’on précède.

             La preuve c’est qu’ils sortent tout droit d’un drôle de chambard, made in France, du punk, z’étaient déjà là en 1981 et en plus ils viennent de sortir un clip, un hors-d’œuvre d’un bientôt, je ne peux pas décemment écrire futur c’est un vocable non-autorisé dans les dictionnaires de la punkitude, album.

    Donc, on écoute et on regarde :

    Christian Panik : chant / Micky Boys : drums / Toons : guitare / Tom : Bass.

    LOVE

    PANIK  LTDC

    (YT / Mai 2025)

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             L’on est un peu surpris de ces lettres vertes qui squattent tout l’espace, LOVE c’est un truc pour les hippies tout de même, remarquez heureusement qu’elles sont là parce qu’après on ne voit plus rien.  J’exagère un peu. C’est vrai qu’on ne voit rien, juste un chaos. D’images. Vous les refilent à toute vitesse, comme les grands arcanes du tarot. Ceux qui aiment se tenir à la rambarde (illusoire) du réel clameront, c’est un groupe de rock, j’en suis sûr, en plus la musique le confirme. Erreur sur toute la ligne. Un corps à corps. Une partie d’échecs, mais vous ne voyez que les grandes plaques noires de l’échiquier. Le blanc c’est tout le reste. Des visages en punchline, des fragments d’instruments, une baguette qui s’agite, ce n’est pas une vidéo, imaginez un corps-à-corps, une espèce de combat intérieur avec soi-même qui ne regarde personne, et pourtant cette voix claire et distincte qui vous crache à la gueule son amour pour on ne sait qui au juste, n’empêche que quand il hurle Love, Love, Love, c’est un aboiement de chien méchant et en filigrane vous entendez I wanna be your dog, en plus question écolo, vue la dose d’électricité que jettent les guitares ils ne font pas gaffe à leur émission de carbone dans la stratosphère, par contre vous avez les lyrics qui s’écrivent en blanc bien droits, bien lisibles, des banderoles de revendication comme dans les manifestations houleuses, Christian Panik chante ses blessures comme l’on exhibe devant sa porte ses ordures intérieures aussi pures que des guipures de princesse. Panik nique à mort. Piqûre d’uppercut. Un véritable crachat d’amour pur.

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             Quel plaisir de retrouver Panik en pleine forme. Le groupe a eu ses heures fastes. Il était présent au tout début du punk français. Un premier album sorti en 1983, souvent programmé sur les radios libres. Une autre époque. Il s’est débandé, s’est reconstitué à plusieurs reprises. Sous une forme ou une autre il est toujours resté présent. Des départs, des changements. Mais toujours l’esprit rock.

    Damie Chad.

     

    *

    Soyons comme Janus. Le rock regarde souvent du côté de l’Ouest, du soleil couchant, de l’Occident, de la mort symbolique, portons donc notre attention de l’autre côté, vers L’Est. Serait-ce la direction du soleil levant puisque l’Orient serait celui de l’aurore matutinale de la vie… A moins qu’il n’y ait un orient qui soit dénommé Nord, le royaume hyperboréen…

    *

             Le traducteur  me donne grille, barrière, pour le nom du groupe. Sympa il m’indique qu’en croate le mot signifie prison. Mon translateur a de la suite dans les idées. Viennent d’une ville dont vous avez entendu parler Koursk. Oui ils sont russes. Les rares groupes russes que j’ai chroniqués sont noirs de chez noir. Celui-ci l’est encore plus.

    cмерть подождет

    ZATVOR

    ( Addicted Label / Mai 2025)

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                    Comment interpréter cette couve : serait-ce la recherche de la quadrature de l’Homme. A moins que ce ne soit une icône diabolique. La photographie est attribuée à Roman Dorodnykh.

    Katya Sumina : vocals, lyrics, keys / Denis Kolesnikov : guitar / Anton Eremin : bass / Kirill Kiryukhin ; drums.

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    Хозяйка ритуальных услуг : Hôtesse des services funéraires : frémissement, dérèglements, grondements, accrochez-vous aux petites herbes et aux fougères géantes du Crétacé, la batterie s’essuie lourdement les pieds sur le tambour qui lui sert de paillasson, sommes-nous dans un hall d’assemblages d’avions ou dans l’antichambre de l’attente, si vous n’y prêtez pas gaffe vous passerez à côté des subtiles variations quasi imperceptibles, l’est vrai que dans cette noirceur qui vous tombe sur les épaules, la subtilité des choses risque de ne pas être la première urgence, la maîtresse des Services Rituels a pris la parole, une voix monocorde, z’avez l’impression qu’elle s’ennuie, qu’elle serait mieux ailleurs, c’est comme le poids du sonore background, de l’imperturbable blackground, attention elle s’anime, elle garde toutefois le même rythme inaltérable et toutefois elle vous emmène dans une ronde infernale, la voix devient chant, le chant se transforme en clameurs, se répercute en échos, en approfondissements, en sursauts, elle vous entraîne, elle vous prend par la main, elle vous guide, elle  vous conduit sous les voûtes souterraines du rêve, pourvu qu’elle ne ressemble pas à la vieille mémé de la photo, car sa voix se fait pressante, elle vous attire, elle vous fait des propositions honteuses vertigineuses, est-ce une succube, vous consentiriez à ce qu’elle aspire la moelle de vos os par le canal de l’urètre, est-elle l’aragne qui vous attire dans la toile venimeuse de ses cheveux, l’on ne sait pas, plus aucune nouvelle de vous. Охотник : Chasseur : le premier morceau, c’est un peu quitte ou double, celui-ci est doublement inquiétant. Le vocal vous emprisonne, vous transporte ailleurs, réverbération totale, vous ne savez plus où vous êtes mais le plus terrible c’est que l’on vous demande de choisir votre rôle, c’est un peu comme dans Jumanji, mais là vous décidez : où vous serez la victime ou vous êtes le chasseur, impossible de vous fier à la musique, la batterie défile sans fioriture comme si elle connaissait la fin du film et les guitares sont comme des coups de ciseaux qui taillent la pellicule en confetti afin que vous ne puissiez y trouver aucun indice, alors chasseur ou chassé, quel chassé-croisé, de toutes les manières que teniez le rôle de l’un ou de l’autre c’est la mort qui est l’enjeu et qui mène le jeu, le son se brouille, il perce et écrabouille vos oreilles, vous ne savez plus qui vous êtes, peut-être les deux à la fois, égorgé ou égorgeur où se trouve le problème, puisque déjà vous vous ne savez plus qui vous êtes, peut-être êtes-vous la mort que vous fuyez, ce qui est sûr c’est que l’engrenage des évènements ne plaide pas en votre faveur, la voix roucoule, serait-ce le générique de fin, le plus terrible n’est-il pas d’ignorer si vous êtes en vie ou déjà mort, preuve que depuis le premier jour de votre naissance l’on ne vous a jamais rien dit. Ni vérité. Ni mensonge. Car ce sont exactement la même chose, comme la mort et la vie. Смерть подождет : La mort peut attendre : maintenant vous êtes au parfum, vous êtes à terre, le chasseur va-t-il vous achever, musique un peu westernienne, les dernières minutes du scénario, la guitare s’en donne à cœur joie, elles tissent nos aragnes électriques des tentures crépusculaires, comme vous êtes salement blessé, Katia parle pour vous, pas de panique, vous êtes si près de la mort que la mort peut attendre, elle n’est pas pressée, le gros du boulot est déjà accompli. Votre pouls s’alentit, Kathia hausse la voix, vu votre faiblesse vous devez avoir du mal à la comprendre. Elle vous console en répétant ce qu’elle a déjà dit la mort peut attendre. La zique imite le convoi funéraire qui vient vous chercher, le train ne s’est arrêté qu’un bref instant, déjà il quitte la gare, la locomohâtive tire ses wagons, elle s’éloigne, elle vous emporte loin, très loin… trop loin…

             Non ce n’est pas marrant. Mais que de palpitance ! Vous êtes happé par ce rythme lent d’un monde qui ne change pas de place. Alors que tout va si vite. Maintenant vous avez le temps de comprendre pourquoi sur la photographie la vieille vous a un de ces regards effrayés. Elle vient d’ouvrir la porte à la mort. Mais je vous quitte, j’ai entendu frapper sur le vantail. Un visiteur qui vient vous voir. Je me sauve ! Bonne soirée.

     

    *

             Le fait de chroniquer le groupe russe précédent m’a donné l’idée de me rendre sur l’Instagram de JARS groupe russe dont ces dernières années nous avions passé en revue l’ensemble de la discographie et que nous avions vu à la Comedia à Montreuil… Au lendemain de la déclaration de guerre de la Russie à l’Ukraine, ils avaient rédigé un texte dans lequel ils exprimaient leur opposition à ce conflit. Quelques jours plus tard le court mot de protestation avait été retiré… Rien de nouveau sur leur bandcamp. J’ai déniché ailleurs quelques lignes. Les membres du groupe sont séparés en des pays étrangers. Nous leur souhaitons bonne chance. Z’avaient un beau slogan : Nous sommes Jars. Vous êtes pires que nous. Ils ne se trompaient pas. Le monde était, et est encore, pire qu’eux.

    Damie Chad.

     

    *

              Nous quittons la Russie mais nous n’allons pas bien loin. Nous traversons juste la frontière. Nous voici en Finlande. A Helsinki.

    SUNDERED

    ASKEL

    ( K7 / Iron Corpse / Avril 2025)

    Tout ce que je suis capable de dire : un quatuor. 

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             Une pochette qui ne s’offre pas au regard. Un carré noir au centre un double triangle d’un rouge opaque, vous avez envie d’y voir la forme stylisée d’une vulve, mais lorsque vous l’examinez, vous optez pour l’idée d’un interstice, que l’on n’a pas rebouché sûrement pour vous signifier que le peu que vous verrez n’est pas là pour être regardé… Plissez les yeux, en haut une rose noire munie d’une longue tige, elle transperce un rat mort replié sur lui-même… Serait-ce un remake de la crucifixion du Christ ? Si oui, quel sens  faut-il lui donner… et quelle interprétation en tirer…

    Conflagration : même si vous n’avez pas vu le titre vous comprenez que vous êtes sur une mauvaise pente, comme moi lorsque retentiront les trois coups de cymbale vous vous sentirez en pays connu et esquisserez le sourire de la chatte qui vient de retrouver vivants ses petits dans les tubulures obscures de la cale d’un cargo infestée de rats plus gros qu’elle, avant le ding-ding-ding ce n’était pas vraiment la joie mais juste après un tsunami sonore déferle sur vous et vous sentez que votre cerveau vacille, peut-être même s’est-il séparé de vous s’écrasant sur le plancher après avoir pulvérisé votre cloison nasale. Difficile de dire à quoi ça ressemble, d’après moi la même sensation d’horreur que vous auriez si un T-rex vomissait sur vous les débris sanglants des enfants d’une école maternelle dont les quartiers sanglants enduits de suc gastrique causeraient fort inopinément quelques  infectes auréoles sur votre chemise blanche toute propre. Un hachis parmentier ultra-sonore particulièrement agressif que vous ne manquerez pas de qualifier de bienfaisance protectrice si par malheur vous parvenez à saisir le sens des mots que barrissent mille éléphants furieux. Non Askel ne vous souhaite pas une bonne année. Le groupe prononce une terrible malédiction, à vous et au reste de la population terrestre, il appelle sur nous une apocalypse, un armageddon de soufre et de feu destiné à vous faire périr en de terribles souffrances. Vermin : un engin de chantier ratiboise vos dernières espérances, la batterie concasse vos synapses pour que vous compreniez qu’ils ne vous traitent pas de vermine. Souvenez-vous qu’à la fin du premier morceau vous êtes mort depuis longtemps. Ces bruits de scierie, ces moteurs concasseurs, ces mots passés dans une turbine aux lames aiguisées sont à interpréter comme une métaphore de ce qui reste après vous. Pas grand-chose, des rues désertées, des maisons éventrées, des gravats, des herbes mauvaises, une laideur immonde, une espèce de tumulus de décombres que   des milliers de machines s’acharnent à aplanir, à aplatir, à rayer de la surface de la terre, comme quand vous agitez le paillasson de votre chez vous pour le débarrasser de la vermine… Sun : un titre qui sent bon les vacances, ne vous y fiez pas, rien qu’au bruit de presse-purée uni-dimensionnel qui n’en finit pas de réduire la moindre de vos positives attitudes en charpie chiffonnée vous intuitez que vous n’entrez pas dans une période de festivités… pour bien comprendre faut rétablir l’ordre chronologiques des périodes, ce n’est pas très difficile, les deux premiers morceaux annoncent note futur proche, la catastrophe qui s’annonce, un peu beaucoup à la folie climatique et guerrière. Par rapport à ce sombre avenir, ce troisième morceau est à considérer comme une préquelle, dans l’EP elle est située après mais de fait elle se passe avant, une antériorité qui   se situe dans notre présent. Mais comment font-ils pour que chacun de ces trois morceaux soient de plus en plus horribles. Il suffit de regarder autour de nous pour comprendre que celui-ci sur l’échelle de Ritcher qui mesure la force des tremblements de terre qui va de 1 à 9  doit être qualifié de 142. A première vue, cela n’apparaît pas si horrible, regardez ces crétinoïdes que sont vos voisins, vos collègues de travail, vos enfants, votre conjoint, sont tous heureux de vivre, sont les instruments dociles d’un système sociétal qui nous mène à notre perte. Tous coupables assoiffés d’honneur, d’argent, même ceux qui sont morts ne sont pas innocents, tous forment les rouages d’une machine qui nous mène à notre propre extinction. Soniquement ce morceau pourrait être nommé la grande démentibulation de l’acceptation humaine à sa propre servitude. Font tout le bruit dont ils sont capables pour vous avertir, mais qui aimerait à écouter de si sombres descriptions vaticinatoires de sa présence au monde. L’est sûr que le stoner doom est une musique du désert. Machine gun : s’ils ne l’avaient pas mis en note je n’y aurais pas pensé,

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    mais ils s’en vantent, une reprise de Portishead, à les croire ils ont transformé la minimaliste sérénité de l’original en un chant funèbre industriel. J’ai bien quelques mauvaises habitudes, comme tout le monde, mais je ne me réveille pas toutes les nuits pour aller écouter Portishead. N’écoutant que ma légendaire honnêteté intellectuelle je me suis fadé tout un album de Portishead avec en prime quelques babioles annexes. Je n’en suis pas ressorti convaincu. Ce n’est pas que ce soit intrinsèquement mauvais, pas du tout mon genre, l’ensemble est un peu répétitif à mon goût. Z’ont peut-être pensé que pour que l’écoute de Sundered ne se traduise par une vague de suicides collectifs, il leur fallait un rayon optimiste de soleil pour redorer la pilule triphasique de cyanure qu’ils avaient concoctée. Alors qu’ils viennent d’éteindre tous les lumières, coupé l’électricité et plongé l’humanité toute entière dans une fatidique obscurité, sont allés chercher un minuscule lumignon chez Portishead. L’histoire d’un individu qui s’est trouvé un sauveur et qui au bout de quelque temps s’aperçoit que le seul vrai sauveur qui serait capable de le tirer de sa déréliction ce serait lui-même. Ce n’est d’ailleurs pas certain qu’il réussisse… Askel m’a un peu déçu, se sont contenté de reprendre la même structure battériale, quatre coups, un faux silence, quatre nouveaux coups, la même amplitude mais pas la même musicalité, le tout répété sans férir, certes ils cognent plus fort, au lieu d’une mélodie guitarique ils vous déversent par-dessus  des tonnes de détritus soniques du meilleur effet, bref un régal de camion-benne. Sont tellement contents d’eux-mêmes qu’ils ne peuvent plus s’arrêter… l’on regrette que le chant se soit tu, en effet la grande force d’Askel c’est ce vocal amphigourique digne des premiers titans. J’eusse préféré une nouvelle compo, mais en ce bas-monde on ne peut pas avoir tout ce que l’on veut, et l’Ep vaut le déplacement.

    Damie Chad.

     

    *

    Nous finissons cette trilogie consacrée au royaume de la dérive entrevue au Nord-Est, par ce que parodiant un titre d’Oscar Vladislas de Lubicz de Milosz nous appellerons un chef d’œuvre lyrique du Nord.

    PROFUNDIS OMNIS

    POSTMORTAL

    ( CD / Aesthetic Death Records / Mai 2025)

             Encore un groupe polonais. De Krakow pour ceux qui veulent tout savoir. Ils n’en sauront pas davantage car le groupe ne révèle pas l’identité de ses membres. Seule notification adjacente : ces morceaux ont été enregistrés en 2024 avant la ‘’ suspension’’ du groupe. La formation serait-elle morte…

             Généralement les groupes se définissent postmetal, celui-ci postmortal. Sachez entrevoir la différence. La couve n’est guère engageante, au début je devinai un cœur bouffi de graisse, en inspectant un peu plus longuement il m’a semblé qu’apparaissait une bouche dans un morceau de barbaque infâme, la bouche d’ombre s’est ensuite métamorphosée en œil, après inspection approfondie je me suis arrêté à une tête de macchabée encore reconnaissable mais déjà en état de putréfaction lymphatique. Pas très ragoûtant je le concède. Nous ne reprocherons pas à l’illustration de coller à son sujet.

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    Fallen : donc la mort, l’on s’attendrait à du vide, à ne rien entendre, mais comme des coups de balai, la batterie qui titube, un peu maladroitement, comme quelqu’un qui vient de recevoir un coup et qui finit par retrouver un semblant d’équilibre et qui s’en va claudiquant, dans sa tête cela se comprend, les morts ne marchent pas, il reprend conscience peu à peu, d’abord surviennent les souvenirs de ce qu’il a été, les bons et les mauvais, s’aperçoit qu’il tombé dans son propre piège, l’Enfer c’est soi-même, oui il est mort, sa voix n’est plus qu’un souffle d’angoisse, des stridences, une longue procession, il est mort, désormais il mangera des cadavres pour survivre, une basse de plus en plus grave et sourde, mais il avance dans sa tête, il lui faut comprendre, c’est un souffle vocalique mortel mais de plus en plus assuré qui prend sort voiture de la casse, maintenant il murmure, révélation des secrets les plus terribles, il est urgent qu’il devienne sa propre immémoire, qu’il ne soit plus sa propre remembrance,  la mort est un crime, peut-être est-on son propre assassin, il parle, il profère des paroles, il est sa propre damnation, ce qui a été subsistera toujours. Darkest desire : notes funèbres, un tantinet mélodramatiques, ce dont il prend conscience, ce secret, cet arcane majeur qu’il va révéler, c’est l’ultime profération qui s’adresse autant aux morts qu’aux vivants, luxure et intelligence sont les deux jambes de l’homme, qu’il soit mort ou survivant, le lucre, l’envie et le désir immodéré sont les vomitoires qui nous maintiennent en vie et en mort, ne regrettons rien, n’écoutons pas les impuissants  qui nous conseillent la retenue et la chasteté. Notre héros-zéro se tait seule la musique morbide prolonge son message, comme si l’indicible confirmait son dire. Decay of paradise : le paradis est la fleur du péché, autrement dit une pourriture, comme des chants d’anges aux ailes flétries, la paradis c’est la vie, et la mort son absence ou plutôt sa décoloration, la mort aspire à la mort pour ne plus être le regret de ce qu’elle a été, même l’intelligence pourrit, maintenant le mort mugit comme un loup enfoncé dans un univers stérile et désertique qui hurle à la mort du désir, la sagesse commune n’est plus que ruines avec conscience de ce terrible secret que ce n’est pas la mort qui est mauvaise, mais la vie qui se finit en la mort comme le fleuve se jette dans la mer. Et n’en continue pas moins à rester de l’eau telle qu’en elle-même, mais ajoutée de l’amertume du sel. Prophecy at the endless : encore des révélations, rythme de grande lenteur, la bouche d’ombre parle, il a connu la source du fleuve et la fin du cycle. Maintenant navigue-t-il vers la source lui qui est sûr d’être dans le flux de la fin, il a été poussière, il est retourné au fleuve égyptien au Nil qui n’est pas Nihil, l’eau clapote doucement, tout au bout règnera la fin intemporelle, la fin qui n’a pas de fin, car la fin de la fin n’est autre que le début. Tout se précipite  car quoi qu’il dise une fin qui ne finit pas n’est pas la fin. Queen of woe : après la prophétie, l’adresse à la mort, il ne s’agit plus de moriginer en dedans de soi mais de prendre la parole, de s’en prendre à la Reine, à la Mort, car les morts sont cannibales et veulent vous garder aux tréfonds d’eux-mêmes afin que le mort qui pense encore soit encore davantage mort, il a la pensée mais il veut en surplus le désir de l’autre qui ne peut être que le désir de la Mort, faire l’amour avec la Mort, ne faire plus qu’un avec elle, est-ce pour cela que la batterie bat comme un cœur qui s’affole et que la musique s’empresse, que le vocal devient presque caressant, puis que l’on assiste comme à une explosion de gratitude car être uni à la Mort n’est-ce pas participer à l’Être que l’on n’était plus. The master piece of the thing that once was but will never be : le chef-d’œuvre de ce qui fut une seule fois et qui ne sera jamais plus, les derniers mots égrenés selon une funèbre lenteur, des perles claires et un second rang de perles sombres, trois étapes, mais de qui parle-t-il, de sa propre naissance ou de celle du monde, de la création splendidement déclinée jusqu’à la perle de la chute, demandons-nous laquelle, sa propre mort, ou l’affaissement d’un cycle vers sa propre fin, serait-ce donc sa propre fin d’être-mort, ce qui équivaudrait à une renaissance.  Derniers coups d’une même note grave répétée tel un glas funèbre. La dernière perle noire se nomme oubli, la voie de garage éternelle, mais la notion de création n’exige-t-elle pas l’antéposition de l’oubli car s’il subsiste encore quelque chose d’un cycle précédent la création ne serait pas une véritable création.

             Répétons-le, un véritable chef-d’œuvre funèbre.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 690 : KR'TNT ! 690 : BIG SEARCH / VIAGRA BOYS / DEAN WAREHAM / ELVIS PRESLEY / WILBERT HARRISON / MATRAQUE / PSYCHIC WARS / JUDAS CONSPIRACY THEORY / BANK MYNA

    KR’TNT !

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    LIVRAISON 690

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 05 / 2025

     

    BIG SEARCH / VIAGRA BOYS

    DEAN WAREHAM / ELVIS PRESLEY

    WILBERT HARRISON

    MATRAQUE / PSYCHIC WARS  

    JUDAS CONSPIRACY THEORY

    BANK MYNA

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 690

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    L’avenir du rock

     - In Big Search of space

             Que se passe-t-il quand un épouvantail rencontre un autre épouvantail ? Rien, bien sûr. Que pourrait-il se passer ? C’est presque un sujet pour le bac philo. C’est pourtant ce qui vient d’arriver à l’avenir du rock qui erre dans le désert depuis tellement longtemps qu’il ne compte plus les jours, ni les années d’ailleurs. Au point où il en est, ça ne sert plus à grand-chose. Il arrive au sommet d’une dune, et il aperçoit en bas un épouvantail à peu près dans le même état que lui. Desséché par le soleil, les vents de sable et la sous-alimentation. L’avenir du rock en est réduit à sucer ses dents qui tombent, mais il n’en reste plus beaucoup. Il les suce comme des bonbons, ça fait illusion. Comme il approche de l’autre épouvantail, il lui vient l’idée saugrenue d’aller lui mettre son poing dans la gueule et de récupérer ses dents pour se faire une petite réserve de bonbons. L’idée le galvanise. Un bon coup de poing dans la gueule et 32 bonbons d’un coup, de quoi tenir un sacré bout de temps. Alors il accélère le pas. Il se met à fantasmer sur les bonbons de la même façon qu’Henry Miller fantasmait sur les poulets rôtis au temps de Jours Tranquilles À Clichy. Alors que l’avenir du rock prend son élan, l’épouvantail ne bronche pas. Il reste complètement immobile. Il porte des lunettes noires. Un vent léger fouille ses mèches filasses de cheveux blonds. L’avenir du rock arrive droit sur lui et tente de lui coller son poing dans la gueule, mais l’épouvantail l’esquive adroitement et s’écrie :

             — What the fuck ?

             En représailles, l’épouvantail lui colle son poing en pleine gueule. Bing !

             L’avenir du rock perd ses dernières dents. Il s’agenouille péniblement pour les ramasser et les mettre dans sa poche.

             Embarrassé d’avoir été aussi con, il dit à l’épouvantail :

             — Bonbons à bibi !

             L’autre ne pige rien. Alors l’avenir du rock lui demande ce qu’il fout là, planté au milieu du désert.

             — Big Search.

             — Mitou, répond l’avenir du rock qui reprend sa marche, hébété.

     

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             L’épouvantail a un groupe qui s’appelle Big Search, et lui il s’appelle Matt Popieluch. Il ouvre en solo pour  Dean Wareham. Quand tu le vois arriver sur scène et hésiter, tu te dis que ça va être long. Il se plante en peu dans l’attaque de ses premiers cuts. Il s’excuse. Il faut peut-être mettre ça sur le compte du trac. Il est assez haut, plutôt maigre, pas coiffé, pas looké. L’anti-frime par excellence. Il gratte

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    une Strato et swingue d’un pied. Et puis il va tout doucement prendre le contrôle de ta cervelle, car ce Matt-là a tout simplement du génie. Il gratte de la pointe des doigts et sort un son de soft rock psychédélique absolument fabuleux, il tiguilite un space-out so far out qui te monte droit au cerveau, il fait tout simplement du Gene Clark avec un sens aigu du groove à la Croz. Te voilà complètement bluffé. Il joue les yeux fermés, avec le nez en l’air. Il s’absente totalement de la scène et voyage dans son monde. Tu vois les accords, tu les connais, et pourtant son jeu reste un mystère. Il sort un son de picking mais sans les onglets. Il propose de l’acid folk californien de très haut niveau qui n’est pas sans rappeler celui de F.J. McMahon. L’acid folk californien est le plus pur de tous, et ce mec Matt en propose la crème de la crème.

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             Le jeu va consister à retrouver cette magie sur ses albums. T’y vas sans grand espoir, car ce genre de performance n’a de sens et d’impact que sur scène. T’en ramasses deux au pif au merch, Role Reversal et Life Dollars. Tu compléteras un peu plus tard avec Slow Fascination.

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             Curieusement, Role Reversal a disparu de Discogs. Alors t’es bien content de l’avoir ramassé. Car tu y croises de sacrés cuts. Ce mec Matt propose une pop tendue à se rompre, tu n’y peux rien. Il vise la Cosmic Americana, avec des beaux arpèges et un sens aigu de la perdition. Et soudain, ça décolle avec «Distant Shore». Il fait du Midlake. Puissance atmosphérique extrême. Tu entres bien dans son jeu. Il devient étourdissant avec «Where Do You Room», il semble ivre de liberté et de vin mauvais, il fait de la pure Beatlemania, il joue avec le feu et sort un son d’une qualité étourdissante. Tu le prends au sérieux, t’es obligé. Il chante «Runaway» au doux du doux, sur des arpèges noyés d’écho, il se noie dans la beauté de sa pop. Ce mec Matt est très avancé dans l’extension du domaine de la lutte. Il termine cet album attachant avec «I’m Gonna Leave You», une grosse pop traînarde éclaboussée de lumière crépusculaire, une vraie bénédiction. Il cultive l’écrasée congénitale.

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             T’as au moins deux cuts qui renvoient sur Brian Wilson dans Life Dollars : «Distant Shore» de l’album précédent, et «I Feel Good». Là, oui, tu dis oui. La pop de Distant Shore fond comme beurre au soleil, avec des harmonies vocales démentes. Ce mec Matt a le sens des pointes extravagantes, t’en reviens pas de tomber sur un tel cut. Son Feel Good relève aussi de la pure beauté wilsonienne, il gratte ses arpèges dans l’embrasement d’un crépuscule californien. Il va aussi dans Croz. Il tire encore sa pop dans la lumière avec «Can’t Understand The News». Il propose de l’océanique californien. Tout est travaillé au big sound sur cet album révélatoire. Il revient à la pop de base avec «Don’t Change My Eyes». Il sait créer l’événement. Tu ne t’ennuies pas, même si tu ne cries pas au loup. Il y a du souffle dans cette pop de bon aloi. «Anna Don’t Go» est encore digne des Beatles et de Brian Wilson. Il bosse bien ses couches de son.

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             C’est sur Slow Fascination que tu vas retrouver le fabuleux slow groove psychédélique que gratouillait du bout des doigts le mec Matt l’autre soir au Petit Bain : fantastique pureté d’here we are never free at last. Il cultive la pureté extra-sensorielle avec une indicible grâce tactile. Il sort un son rare d’arpèges effleurés du bout des doigts. L’autre hit faramineux se planque en B et s’appelle «What To Say». C’est encore un balladif doucement désenchanté qu’il coule dans un mood de strange to meet someone I never knew. L’océanique est son truc. Avec «Till The Day Is Done», il se fond dans l’ouate de Smile. Il recrée à sa façon le smooth de Brian Wilson. Il va chercher du son sur tous ses cuts. Encore une belle dérive californienne en B avec «Windowpane» et il atteint encore le sommet du genre avec «Busy Getting Lost» - Time will come again when we meet as friends/ If I’m not scattered in the wind - Comme il l’a fait sur «What To Say», il chante encore «Good People Round» en lévitation. Le mec Matt adore chanter suspendu dans l’air. C’est un magicien.  

    Signé : Cazengler, Bonne Sœurch

    Matt Popieluch. Petit Bain. Paris XIIIe. 8 avril 2025

    Big Search. Role Reversal. 2014

    Big Search. Life Dollars. 30th Century Records 2016

    Big Search. Slow Fascination 30th Century Records 2019

     

     

    Le beat dressé des Viagra Boys

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             C’est pas plein quand t’arrives mais c’est plein quand ils arrivent sur scène. En peu de temps, les Viagra Boys ont su créer un buzz turgescent. Il faut bien dire qu’aujourd’hui, la valeur artistique d’un groupe n’est plus le critère de remplissage d’un Zénith. Les réputations se font autrement. Si tu campes sur tes vieilles positions, tu n’iras plus voir beaucoup de concerts. Même tes exigences de qualité sont complètement périmées, à l’image de ta bobine de vieux schnoque.  Par contre, si t’es curieux de savoir ce que certains nouveaux groupes ont dans la culotte, tu peux tenter le coup ici et là. C’est toujours moins pire que de regarder des conneries à la télé. Enfin, pour les ceusses qui regardent encore la fucking télé.  

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             C’est forcément un grand moment que de voir les Viagra Boys arriver sur scène. T’en as deux qui déboulent torse nu et couverts de tatouages : le chanteur Sebastian Murphy et le bassman Henrik Höckert. Murphy ventripote un peu. On ne regarde même pas les trois ou quatre autres. Les deux tattoo boys vont focaliser l’attention. Alors attention, ces Suédois jouent un rock de destruction massive, bien

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    lourdingue, bien défenestrateur. Tout est monté sur d’implacables drives de basse. C’est leur fonds de commerce. Sur scène, ils sonnent comme sur les albums, mais en mille fois pire, en mille fois plus atomique. Ils saturent l’espace de son, et pourtant t’as pas mal aux oreilles. Te voilà plongé dans une sorte d’heavy messe païenne, et dès le troisième cut, les remous de la foule t’écrasent sur la barrière. T’as intérêt à avoir des bras d’acier pour te dégager et retrouver ta respiration. Tu ne t’attendais pas à ça : les Viagra Boys plongent le Zénith dans le chaos, certainement le pire qui soit, le chaos des compressions, orchestré par un beat sourd comme un pot. Tu entres dans la dimension du pire. Tous les crowd-surfers de Paris sont là. Les gros balèzes de la sécu sont vite débordés. La pression de la foule est telle que la barrière menace de céder. Ça frise l’hors-de-contrôle. Les gros durs de la sécu qui ont tous des bras énormes s’arc-boutent sur la barrière qui penche de leur côté. Te voilà pris en sandwich. Tu essayes de résister à la pression. Elle s’accentue de plus en plus. T’as des tonnes dans le dos. Tu ne cherches même plus à identifier les Viagra cuts. De

     

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     toute façon, ils tapent des cuts que tu ne connais pas, car leur nouvel album - ompf, un coup dans le dos - vient de sortir, alors - ampf, les pieds d’un crowd-surfer dans la nuque, fuck, ça fait mal - T’as vraiment envie de te barrer. Impossible. T’es baisé. Fait comme un rat. Encore pire qu’au concert des Mary Chain quand t’avais ces amputés du cerceau qui sautaient sur place juste à côté. T’as toujours des mecs qui ne sont pas là pour écouter, mais pour sauter sur place. Tu reconnais au passage - oumpffff ! - cette merveille de power beat qu’est «Ain’t Nice». La tempête de coups s’aggrave. Des gobelets volent. Tu vois des gonzesses tatouées qui adorent ce chaos. Toi t’adores pas trop. Pour sûr, la fête est réussie, mais pour clichetonner, tintin. Impossible. La foule pousse et t’écrase la gueule dans la barrière, ouuuummpf ! Les coups, ça fait mal, comme dirait Johnny. T’essayes encore de suivre le show. Fuck ! Faut abandonner l’idée. T’as des milliers de personnes qui dansent et qui pogotent au Cap Horn. Hâte-toi de confier ta cage thoracique et tes vertèbres aux bons soins du destin.

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             Tu profites du passage à vide d’avant rappel pour tenter la sortie. Tu te frayes péniblement un chemin pour regagner le pied des gradins. Ouf ! Tu vas pouvoir observer le chaos de dos. Il n’est pas jojo, le chaos de dos. Quand les Viagra Boys reviennent sur scène, tu vois des milliers d’écrans au-dessus des milliers de têtes. Tout le monde filme la scène. C’est irréel de non-sens. Les gens filment n’importe quoi, car à cette distance, t’as rien, à part des silhouettes et de la fumée. Mais bon, ça filme. Ça alimente le grand fleuve numérique planétaire. Le chaos de l’inutilité définitive. Une sorte de fin de tout. Ces milliards d’informations s’engouffrent dans un Vortex dont personne ne connaît ni la taille ni le sens. Observer le spectacle du spectacle, c’est fascinant. Le chaos de l’inutilité définitive engloutit celui des Viagra Boys. Pire encore : le Vortex et ses milliers de petites bouches voraces en forme de smartphones engloutit le sens des choses. Les cervelles sont déjà au service des petites bouches voraces du Vortex, il n’y a donc plus rien à faire. Plus rien à dire. Il est déjà trop tard. Tu ne vas plus au concert de rock. Tu vas au concert du numérique.

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             Tu te retrouves un peu plus tard sur l’Avenue Jean Jaurès et pour retrouver tes marques, tu te poses la question : faut-il écouter le nouvel album des Viagra Boys ? T’es pas très chaud. Entre bif, baf et bof, tu choisis le bif.

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             Grand bien te prend de l’écouter car c’est un bon album. Tu sauves cinq cuts alors t’es bien content de pas t’être fait emmancher une fois de plus. Deux énormités, pour commencer, «The Bog Body» et «Pyramid Of Health», deux cuts bien décidés à en découdre, deux cuts bien rockés du fa fa fa. Deux cuts puissants mais sans surprise. Disons que ça reste dans la typologie du groupe. Sur «Waterboy», on sent bien l’Américain, okay !, Sebastien machin lance bien le truc, son Waterboys ne sera jamais un hit, mais ils tapent bien dans l’œil du cyclope. Okay ! Awite ! Et tu vois le bassman remonter à la surface avec «You n33 Me». Big bass attack. Fabuleux ramshackle. «Dirty Boyz» est un brin hypno, c’est même puissant, tu ne peux pas dire le contraire. Et tu leur donnes l’absolution pour «Best In Show Pt IV», car ils te tapent ça aux clap-hands, t’as là un fabuleux story-telling dévalé à fond de train, il raconte sa vie extrême avec le final sax, c’est digne d’Iggy dans throw them to the lions !, ça bascule dans la stoogerie à coups d’I need all the help I can get man et ils renchérissent à coups d’I need access to heaven. L’album emporte la partie avec le bassmatic du diable et ce beat de tatoués. On a déjà entendu ça ailleurs, mais t’y retrouves ton compte.

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             Dans Mojo, Andrew Perry leur consacre une page, histoire de les qualifier de «scurrilous, disruptive and frequently misunderstood band on the rise», c’est-à-dire un groupe grossier, perturbateur et incompris dont la cote monte. Perry ajoute que le groupe a des racines dans la scène hardcore suédoise, ce qui nous fait une belle jambe. C’est donc le bassman Henrik Höckert qui a «forcé» le speed-freak Sebastien Murphy, fraîchement arrivé de Californie en Suède, à chanter dans les Viagra Boys. La commère du village ajoute que Murphy bosse dans le salon de tatouage où bosse la poule d’Höckert, d’où le contact. Et Murphy qui n’est pas avare de conneries, indique que pour écrire ses textes, il se goinfre du caca d’Internet. On vit dans cette époque. Le plus difficile est de s’habituer à l’idée qu’on doit vivre dans cette époque. Parfois on croit qu’on va y parvenir, et d’autres fois on comprend que ce n’est pas possible. Cette époque n’a décidément rien de sexy.    

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             Tu veux en avoir le cœur net, alors t’écoutes d’autres albums. Quand t’écoutes Cave World, t’es pas très content. C’est plein de machines. «Baby Criminal» sonne comme une dégelée, mais une dégelée de machines. Ces mecs ratissent tout. Purée de machines. T’as tout de même un bassmatic. T’as pas le temps de souffler et tu te fais choper par l’hard drive de «Troglodyte». C’est du relentless d’hard drive. Ils foncent dans leur tas qui n’est pas le tien. Mais alors pas du tout. Tu fais des efforts pour rester sous le casque et c’est pas bon signe. Tu ne vois pas bien l’intérêt de leur tas. Ils repartent à ta conquête avec «Punk Rock Loser» et tu baves car t’entends un killer solo trash, pas flash. Ils tentent le coup de l’apocalypse avec «Creedy Crawlers», mais ils ne sont pas les Killing Joke. Ils n’ont pas les moyens de ça. T’arrives au 6 et t’es loin d’être convaincu. Tes informateurs t’ont prévenu : «C’est un groupe de scène, pas un groupe de disk.» Trop de machines sur cet album. Retour à la tentative d’apocalypse avec «Ain’t No Thief». Stomp de machines. C’est de la techno. Avec du power, mais techno quand même. Bif baf bof. «Big Boy» est sans doute leur meilleur cut - I need a big/ Big girl/ To keep me real - Bien heavy. Ils cherchent encore des noises à la noise avec «Return To Monks». Là ça devient anthemic. Ils cherchent la confrontation. Ils flirtent avec le grand art de destruction massive des Bury. Ils lâchent les chiens. Là, t’as du paganisme technocratique, une vraie chienlit de techno power en caisse de résonance. 

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             Il vaut mieux écouter Welfare Jazz. T’es tout de suite cueilli au menton par «Ain’t Nice». Ils te percutent de plein fouet, c’est un cut de destruction massive, ils misent tout sur le stomp et font le banco. La basse vole le show sur «Toad» et ça devient vite demented. Le bassman Henrik Höckert lance encore le train fou d’«Into The Sun», un nouveau stomp humanoïde. Les Boys sont des bons. Tout est monté sur un heavy drive de basse. Les canards boiteux n’ont qu’à bien se tenir. Encore un drive de basse sur «Creatures». Et puis t’as ce «6 Shooter» gratté à la gratte d’intro et rattrapé par le bassman fou, et ça sonne comme un instro urbain du plus bel effet. Ils tapent tout en heavy stuff mais ils éprouvent parfois des difficultés à convaincre («I Feel Alive»). Ça repart en mode trash punk avec «Girls & Boys» et ça percute les cacatois avec un sax in tow. La gonzesse qui vient duetter sur «In Spite Of Ourselves» s’appelle Amy Taylor. Elle est bien trash, la bourrique.

    Signé : Cazengler, viagras du bide

    Viagra Boys. Le Zénith. Paris XIXe. 25 avril 2025

    Viagra Boys. Welfare Jazz. Year001 2021

    Viagra Boys. Cave World. Year001 2022

    Viagra Boys. Viagr Aboys. Shrimptech Enterprises 2025

    Andrew Perry : Mojo Rising. Mojo #379 - June 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Wareham câline

     (Part Four)

             — Alors, avenir du toc, on se pique toujours de dadaïsme ?

    Dûment interloqué, l’avenir du rock se retourna :

             — Ah quelle surprise ! Tristan Tzaralebol ! Toujours aussi guilleret ?

             — Guilleret du cul, cher ami ! Du cul, du cul, ha ha ha ha !

             Les trilles du rire cristallin de Tristan Tzaralebol ricochèrent jusqu’au ciel d’un bleu parfaitement Klein. Il ré-ajusta son monocle et reprit : 

             — Dites-voir, avenir du rocambole, je fermente un poutche, oui, ne me regardez pas ainsi, un poutche, vous dis-je !, contre qui ?, mais contre le tyran André Béton-Armé. Nous envisageons fermement de couler l’André Béton-Armé dans un bloc de béton armé et d’aller l’immerger au fond du Détroit des Dardanelles, de sorte qu’aucun steamer, à voile ou à vapeur, aussi puissant fût-il, ne puisse l’hisser à la surface. Vous n’applaudissez donc pas ? ,avenir du ric et du rac ?, seriez-vous devenu complètement impavide ?

             Baisé comme un bleu, l’avenir du rock se mit à applaudir flasquement.

             — Rejoindrez-vous les rangs des conjurés, avenir du rocamadour ? 

             L’avenir du rock poussa un soupir long comme un jour sans rhum.

             — Pfffffffffff. Si vous insistez lourdement...

             Tzaralebol exhuma alors un carnet Moleskine des profondeurs de son manteau en vison ainsi qu’un crayon dont il humecta la mine de la pointe d’une langue frétillante :

             — Ainsi donc, avenir du roquefort, le sort en est jeté ! J’inscris de ce pas votre blaze à la suite d’une longue liste de conjurés... Oh oh oh, je vois à l’étincelle de votre regard que vous brûlez de connaître leurs noms... J’en mettrais ma saucisse à frire !

             — Oh j’en connais les noms, figurez-vous ! Mais je ne savais pas les exclus revanchards ! Et je ne vois pas Desnos ni Artaud le Momo manier la truelle ! Votre blague n’est pas drôle, Tzaralebol. Vous déclinez !

             — Cher avenir du rococo, vous m’avez percé à jour et vous m’en voyez réjoui, oui oui. Dînons pour fêter ce grand jour ! Car qui dort Dean Wareham, n’est-il pas vrai ?

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             Il devrait être très fier, Dean Wareham, de se retrouver coincé dans ce genre d’épisode dadaïste. Tout le monde ne bénéficie pas des faveurs de Dada, croyez-le bien !

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             Le real Dean refait surface car il vient de faire paraître un nouvel album solo : That’s The Price Of Loving Me. Qualifions cet album de très magnifique, si vous le voulez bien. C’est vraiment le moins qu’on puisse faire. Le real Dean nous accueille dans son giron avec deux Beautiful Songs de rang princier, «You Were The Ones I Had To Betray» et «Dear Pretty Baby» qui est en fait une cover de Mayo Thompson, qui, t’en souvient-il, fut l’âme câline de Red Crayola. Tu retrouves dans ces deux merveilles la classe inhérente du real Dean. Il cultive l’héritage du Lou. Le cut Mayo sonne un peu comme l’«It’s All Over Now Baby Blue» de Dylan, tu savoures cette fabuleuse musicalité et bien sûr, tu nages en plein rêve. Le real Dean installe bien l’ambiance de «We’re Not Finshed Yet», comme il l’a fait toute sa vie. Il est encore très Lou sur ce coup-là. On sent la fascination dans le timbre de sa voix. «Bourgeois Manqué» sonne comme un heavy groove de petite vertu, il te gratte ça à la clairette et tu te régales du bassmatic aérien de Britta. Puis une sorte de miracle se produit : le real Dean met les mains sur les hanches de «Yesterday’s Hero» et fait danser cette belle pop gondolée. Il monte sa pop très haut dans l’expectative, avec une économie de moyens complètement invraisemblable. C’est une autre façon de résumer son art. Puis il dépasse encore les bornes avec le morceau titre. Le real Dean est beaucoup trop balèze : il groove le smooth. Eh oui, t’as pas beaucoup de gens capables de groover le smooth. Puis il retourne bien en dessous du boisseau pour chantouiller «The Cloud Is Coming». T’as là une pop bien underground, bien confidentielle et bien inspirée par le génie de Lou Reed.  

    Signé : Cazengler, Whare-âne

    Dean Wareham. That’s The Price Of Loving Me. Carpark Records 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Elvis & la vertu

    (Part Seven)

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             Comme Peter Guralnick, Robert Gordon s’est longuement penché sur Elvis. Avec Elvis : The King On The Road, il relate les débuts d’Elvis à sa manière, c’est-à-dire engageante.

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             Accompagné par les Starlite Wranglers (Scotty Moore et Bill Black), Elvis joue au Bon Air Club, on highway 70, à la sortie de la ville - Its clientele was tough, and on saturday night they were as friendly with Jack Daniels and Jim Beam as they were with Jesus on Sunday. Step outside and say that, mah frien’ - On les voit tous les trois en western shirts et grinning big et soudain, fini le look cowpokes. Le génie d’Elvis consiste à redevenir lui-même - And Elvis came out in the cool clothes that he had seen on the avenue of black Memphis culture, Beale Street - Arthur Crudup and Beale Street, voilà les racines du cool cat Elvis - Greasy hair and funny-fitting clothes - Sam Phillips contacte très vite The Grand Ole Opry, le show le plus populaire de tout le Deep South. En bon visionnaire, Uncle Sam y voyait le ‘national debut’ de son poulain. Ils prennent donc la bagnole d’Uncle Sam pour filer à Nashville et Bill attache sa stand-up sur le toit. Ils n’eurent le droit de jouer qu’une seule chanson dans l’‘Hank Snow segment’. Puis c’est le Louisiana Hayride, qui touche 28 états. Bob Luman voit Elvis débarquer sur scène en veston vert, pantalon rouge, chemise rose, and this sneer on his face. Le King claque un accord et casse deux cordes. Il n’a encore rien fait et les filles se mettent à hurler - And he started to move his hips real slow - C’est la naissance du rock’n’roll animal. Ce livre grand format est bardé d’images d’Elvis en double page, du noir et blanc trop beau pour être vrai, une sorte de double concentré de tomate du rock’n’roll, on entend la musique rien qu’en examinant méticuleusement les images, ce visage tellement parfait, ces cheveux grassement peignés, ces pompes et ces cravates blanches, tout ce rock’n’roll originel. L’une des images le montre en chemise et cravate blanches, les bras en croix, une petite ceinture dans des passants larges avec la boucle sur la droite, un détail qui n’a sans doute pas échappé à Mick Farren qui portait lui aussi sa boucle de ceinturon sur le côté. Les filles se jettent sur Elvis et lui arrachent les boutons de ses chemises comme s’il s’agissait de diamants. L’une d’elles passe même une annonce pour mettre un bouton de chemise en vente. Elle reçoit cent coups de fil et demande 600 dollars pour ce bouton qu’elle finit par conserver. Et quand il boucle son set avec «Hound Dog», Elvis déclenche systématiquement une émeute, au péril de sa vie. C’est fait pour.  Une fille raconte : «J’ai saisi sa main, il a souri et il m’a dit ‘Cut me loose’, alors je l’ai fait.» Elvis fait basculer des foules de 15 000 personnes dans l’hystérie. Une gamine de 16 ans parvient à grimper sur scène et se jette sur Elvis pendant qu’il chante «I Got A Woman». Elvis tombe en rigolant. Quand après on demande à la gamine pourquoi elle a fait ça , elle répond : «Je le veux, j’ai besoin de lui et je l’aime !». En 1956, Elvis fait rentrer vingt millions de dollars dans les caisses du Colonel. Sur les vingt, il en récupère trois. En 1957, il commence à porter son gold lame outfit, taillé par Nudie in Hollywood - Elvis was the proof of youth power - Grâce à lui, les jeunes devenaient les rois du monde, tout au moins d’un nouveau monde. En tournée, Scotty Moore et Bill Black touchent 200 dollars par semaine et ils reçoivent un bonus de 1 000 dollars à Noël. Ils trouvent que ça pue un peu l’arnaque, aussi envoient-ils tous les deux une lettre de démission. Elvis appelle Scotty pour lui demander de rester. Scotty demande alors une augmentation de 50 dollars plus 10 000 dollars cash pour payer ses dettes.

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             Et quand il revient de l’armée, Elvis est encore plus beau. Le bouquet bien sûr est le ‘68 Comeback. On comprend en voyant les images d’Elvis en 68 que Monsieur Jeffrey Evans ait choisi d’appeler son groupe ‘68 Comeback - Presley is one in a lifetime - Il redevient immédiatement le King - In rebellious black, a blood-red scarf and a guitar hanging around his neck - Les Anglais le veulent pour un show à Londres. Ils téléphonent au Colonel et lui proposent 28 000 dollars pour la semaine. Et que répond cette crapule ? «That’s fine for me. And now how much can you get for Elvis ?» C’est un fait : Elvis, c’est d’abord du business. Quand il accepte de jouer quatre semaines à Las Vegas, on prépare le merchandising : 150 000 photos couleur grand format dédicacées, 500 000 calendriers et 200 000 catalogues qui recensent les disques et les films d’Elvis. Les Sweet Inspirations l’accompagnent sur scène. Dans le public se trouvent Burt Bacharach et sa femme Angie Dickinson, Uncle Sam et ses fils Knox et Jerry qu’Elvis considère un peu comme des neveux. Vers la fin, Elvis déconnait bien sur scène : il s’en prenait à Glen Campbell, Tom Jones et à Engelbert Humperdinck. Il disait au public : «J’ai vendu plus de 200 millions de disques, j’ai 56 disques d’or. Je suis vraiment fier de tout ça. C’est plus que ce qu’ont fait les Beatles, les Stones et Tom Jones réunis, so pffft !» Belle façon de remettre les pendules à l’heure. Au-dessus d’Elvis, il n’y a plus rien.

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             The Presley Estate passe une deuxième commande à Robert Gordon : The Elvis Treasures, un grand format à l’italienne bourré de petits inserts et de répliques de reliques. Ce serait un gros gadget s’ils ne s’agissait pas d’Elvis. C’est quasiment du Graceland at home. Robert Gordon re-raconte certains épisodes qu’il raconte dans Elvis : The King On The Road, mais au lieu de soutenir son récit avec uniquement des photos en noir et blanc, il le fait cette fois avec des artefacts. On ouvre une petite enveloppe et on trouve un ticket pour le Slim Whitman Show en 1955, on ouvre une autre enveloppe et on trouve le fac-similé du contrat RCA adressé à Elvis et au Colonel, plus un reçu signé Elvis Presley pour la somme de 45 000 dollars, sur en-tête d’Hotel Peabody, à l’attention bien sûr du Colonel. Page après page, on voit se construire cette fascinante histoire qu’on connaît pourtant par cœur, mais qui ici prend un relief particulier. D’autres courriers RCA adressés à Elvis en 1956 suivent : signés Stephen H Sholes, ils recommandent des chansons à Elvis. On trouve plus loin une petite repro de l’affiche du film Jailhouse Rock et dans une enveloppe rouge se niche une belle carte postale : Elvis en uniforme souhaite des Holidays greetings to you all. Plus loin, c’est le fac-similé d’une longue lettre du Colonel adressée à Elvis, alors stationné à Badnauheim, Germany. Il ne l’appelle pas Elvis, mais Vernon. Plus loin, une très belle lettre d’Elvis à Anita Wood, à Memphis - My dearest darling little.

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             C’est en lisant sa prose qu’on réalise à quel point Robert Gordon adore Elvis. Il raconte par exemple qu’Elvis fit 31 prises d’«Hound Dog» au studio RCA de New York et qu’il sélectionna le dernière, the ferocious last one. Puis il revint à Memphis jouer au Baseball Park, performing as wildly as he liked et tenant à rappeler que s’il était devenu une star, c’était grâce aux gens de Memphis. En 1956, Elvis a déjà sept disques d’or et il débarque à Hollywood pour tourner son premier film. Et quand il part à l’armée, il voit ça comme un répit, confiant à un journaliste que l’armée ne peut pas être pire que le cirque qu’il vient de vivre pendant les deux dernières années.

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             En 1967, il enregistre How Great Thou Art, l’album de gospel swing dont il est le plus fier. Nouvel hommage à l’homme avec le ‘68 comeback : Robert Gordon indique qu’Elvis avait le trac, car il n’avait plus joué en public depuis des années, mais le show comme on le sait se déroula bien, et reste, nous dit Gordon, a high mark of Elvis’ warmth, humility and guenine talent as an entertainer. Oui, au fil des pages, Robert Gordon n’en finit plus de rappeler qu’Elvis est resté tout au long de sa vie un mec bien.

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             Redémarrage de carrière avec From Elvis In Memphis et «Suspiciuos Mind» enregistré à l’American Recordings de Memphis, chez Chips Moman, et retour sur scène à Vegas avec James Burton et les Sweet Inspirations. Back to the roots - In Vegas, he was a smash - C’est assez spectaculaire, nous dit Robert Gordon. Elvis savait que le public de Vegas pouvait être dur, mais il le mit sur le cul - He utterly wiped them out, the memories, the audience, everybody and everything - Elvis avait tout inventé et ça restait intact. Les boss de l’International Hotel devenaient dingues, tout ce succès, ils voulaient Elvis encore et encore - A million bucks a year !

    Signé : Cazengler, El tournevis

    Robert Gordon. The Elvis Treasures. Villard Books 2002

    Robert Gordon. Elvis : The King On The Road. Bounty Books 2005

     

     

    Inside the goldmine

    - Wilbert au grand pied

             Certains l’appelaient Bébert. Mais il préférait Robert. Il vendait des livres d’occasion à Bastille, du temps où il y avait encore un marché en fin de semaine et des concentrations de motos. Puis il alla faire les petits marchés de banlieue, vers le Kremlin-Bicêtre et Châtillon. Il réussit à maintenir sa camionnette en état de rouler assez longtemps. Il ouvrait une large fenêtre sur le côté et le rabat faisait office de comptoir. Il avait plus de gens venant le voir pour vendre que pour acheter. Et quelques habitués, qui parvenaient à se serrer la ceinture pour s’acheter le livre de poche d’occasion que leur conseillait Bébert. Il vendait ça une misère. Il parvenait néanmoins à vendre assez de bouquins pour payer l’essence et le loyer de son misérable cagibi, rue de Charenton. Comme il sautait souvent des repas, il maigrissait à vue d’œil, et à cet âge-là, la sous-alimentation ne pardonne pas. Il portait une casquette à carreaux très fatiguée et des lunettes de vue dont un verre était fêlé. Il avait bien sûr perdu toutes ses dents. Mais il continuait de lire, car il vivait dans la hantise de n’avoir rien à conseiller à ses habitués. C’est la seule chose qui le maintenait en vie. C’est pour eux qu’il descendait chaque week-end ses cartons, c’est pour eux qu’il chargeait sa camionnette. Il en bavait, car il n’était plus en état de porter des cartons de livres, même des petits cartons. Bébert était un sac d’os. Puis il lui fallait lancer le moteur et c’était un miracle quand il y parvenait, surtout en hiver. Il passait parfois une heure au volant, à essayer encore et encore. Il attendait entre chaque tentative, car il craignait de noyer le moteur. Mais lorsqu’il arrivait à son emplacement et qu’il payait le placier, il reprenait vie. Et puis un jour, l’emplacement resta vide. La semaine suivante aussi. Au bout de quelques semaines, on commença à s’inquiéter de ne plus voir Bébert et sa camionnette. L’un de ses habitués connaissait son adresse. Il s’y rendit. Il vit la camionnette garée devant le taudis. Personne au volant. La porte arrière n’était pas fermée à clé. L’habitué l’ouvrit et découvrit la momie de Bébert assise sur ses cartons, dans la posture d’un pharaon sur son trône, serrant contre sa poitrine un tue-mouche en guise de sceptre.  

     

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             Pendant que Bébert créait sa légende en se tuant à la tâche, Wilbert créait la sienne à la force du poignet. Dans un cas comme dans l’autre, les parcours furent assez rudes.

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             Kansas City, le premier album de Wilbert Harrison, date de 1965. Pas l’album du siècle, mais sa version de «Kansas City» rafle la mise, d’autant que Wild Jimmy Spruill rôde dans le lagon. L’autre coup de Jarnac est en B, c’est une cover de «CC Rider» grattée à la mandoline et jetée par-dessus la jambe. Normalement, si tu associes un féroce boogie man comme Wilbert avec Wild Jimmy Spruill, tu dois obtenir un bel album, ce qui est quasiment le cas. Wilbert au grand pied fait un bon choix de covers, comme le montre encore «Since I Fell For You», un classique de Buddy Johnson aussi repris par Laura Lee, Charlie Rich et Lenny Welsh. Wilbert tape un dance craze avec «The Horse» et y va au hey babe let’s do the horse right now.     

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             Sur Let’s Work Together, un Sue de 1969, Wilbert au grand pied tape l’heavy grrove du one-man band classique. Il a un son parfait sur le morceau titre. Ce sera sa marque de fabrique. Il passe à l’exotica avec «Tropical Shakedown», mais il est quasi-Velvet sur ce coup-là, on croit entendre les accords de «Sweet Jane». Il tape ensuite dans le «Blue Monday» de Fatsy. Wilbert a un style très pur, une bonne clarté dans sa démarche. Tout est solide sur cet album, et en même temps, il n’y a pas de quoi en faire un plat. Il tape plus loin dans le «What Am I Living For» de Chuck Willis. Bon, ça va bien cinq minutes. Il se frotte plus loin à «Stand By Me», et le conseil qu’on pourrait lui donner serait de laisser le Stand à Ben.

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             En 1971 paraît un album sans titre de Wilbert au grand pied. Ce Buddah sent bon la Nouvelle Orleans et grouille de bonnes puces, notamment deux covers de Fatsy, «Ain’t That A Shame» et «Blueberry Hill». Wilbert y met tout son cœur, mais il ne parvient pas à égaler Fatsy. En B, on se régale encore de «My Dream», un boogie blues classique. Allen Toussaint arrange les horns et Sehorn produit. On a donc un son très brut à la Sehorn. «Girls On Parade» est monté sur un Diddely beat et auréolé de voodoo, «Going To The River» plonge dans l’heavyness et la cover de «My Babe» est bien rockée au bassmatic.  

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             Sur Shoot You Full Of Love, Wilbert est tout seul. Il fait le one-man band. Il passe un fantastique solo déluré dans le morceau titre d’ouverture de balda. Encore une belle mouture délurée de «CC Rider», il la passe à la petite reverb d’alrite. Il passe des coups d’harp comme Dylan dans «Little Liza Jane» et ramène tout son rezonar dans «That’s All Right Baby», il dispose d’une reverb magnifique, il est en pleine modernité, en plein technicolor. En B, il gratte un peu de calypso («Down On The Corner») et tape une belle exotica des îles avec «Near To You». Il fouille dans les racines de sa psyché. Il termine avec un vieux clin d’œil à Guitar Slim («Things I Used To Do»), c’est bien appuyé, bien positionné dans l’écho du temps, il a même un orgue en contrepoint.

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             On retrouve Allen Toussaint sur l’excellent Soul Food Man. L’esprit règne sur l’heavy beat scintillant d’«I Really Love You». Le son n’est pas chargé, c’est même un peu spécial, comme désossé et enrichi avec tact. Pur jus d’Allen Toussaint. Avec «Mary Ann», Wilbert tape une belle calypso des îles, un mambo de hanches douces et parfumées. Il tape plus loin une belle cover du «Just Because» de Lloyd Price, puis il fait son affaire d’une compo à lui, «On Top Of Old Smokey». Quasi cajun ! En B, il passe au stomp de la Nouvelle Orleans avec «Coming Down With Love» et le titille au chat perché. C’est stupéfiant de qualité. Il fait encore un mélange heureux d’exotica, d’Africana et de Jimbalaya avec «Get It While You Can (Soul Food Man)», c’est magnifique de down on the bayou, tu as même un accordéon et des guitares Soukous. Il finit cet album de tous les saints avec «I’ll Never Trust Another Woman», un heavy blues bien soutenu au shuffle d’orgue. Allen Toussaint des saints ? Sans doute.

    Signé : Cazengler, Wilbert en berne

    Wilbert Harrison. Kansas City. Sphere Sound Records 1965   

    Wilbert Harrison. Let’s Work Together. Sue Records Inc. 1969  

    Wilbert Harrison. Wilbert Harrison. Buddah Records 1971  

    Wilbert Harrison. Shoot You Full Of Love. Juggernaut Records 1971

    Wilbert Harrison. Soul Food Man. Chelsea Records 1976

    *

             Se tromper n’est pas étonnant pour un éléphant Or je ne suis pas un éléphant. Pourtant je me suis trompé deux fois. Mais plus grave : j’ai commis, bis repetita non placent, exactement la même erreur que la semaine dernière. Tiens un groupe français, patriotique sursaut je chronique, ben non, y sont pas français. Un bon point : leur maison de disque est basée à  Vilnius en Lithuanie pays d’Oscar Vladislas de Lubicz Milosz si vous n’avez pas la chance de connaître ce zèbre de très haute lignée reportez-vous à notre livraison 689 de la semaine dernière, eux ils ne sont pas lithuaniens mais de Biélorussie. Historiquement les frontières de ces pays de l’Est de Europe ont subi de nombreuses variations. Quoi qu’il en soit, tout comme pour Aortes j’ai été victime d’un semblable coup de sang en entendant leur premier album :

    NATURE MORTE

    NATURE MORTE

    MATRAQUE

    ( K7, CD / Ashen Tree Records)

             L’artwork est de Marta Shcherbich. Elle réalise de très beaux portraits de jeunes gens, des vues que je dirais folkloriques de son pays, un pinceau tendre qui sait transcrire la beauté des choses et des êtres. Elle possède une veine plus sombre, certains visages sans corps sont porteurs d’étrangeté inquiétante et révélateurs de lourds mystères. Pour la couve elle a choisi une vanité, un crâne déposé sur le savoir poussiéreux de vieux libres, une guirlande de liserons, un papillon une timbale renversée d’où s’échappent des bracelets de corail rouge, sont-ce des gouttes de sang séché ou des perles de pierre philosophale s’effritant sous l’action des siècles.  Derrière, la roue éternelle du charriot temps immobile qui n’en finit pas de rouler sur elle-même.

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    Peu de renseignements sur ce groupe, essayez de deviner qui fait quoi : Vlad B. / Anton M / Evgeniy S. / Alexander G.

    Kola : (= roue) : une machine lourde et lente, impassible, vous ne pourrez pas l’arrêter, imaginez une locomotive traînant cent wagons derrière elle, parfois il vous semble qu’elle s’éloigne, c’est alors que vous réalisez que vous êtres dans un disque de noise-rock et vous entendez la bête immonde qui grogne, un ours géant et bientôt une voix communique avec vous, elle vous rappelle ces temps heureux où vous n’existiez pas où vous étiez bien au chaud comme dans un nid douillet, mais l’on vous a sorti de là pour vous jeter dans la vie, un lourd fardeau sur vos épaule, l’ours polaire gronde sur vos épaules, son haleine glacée vous souffle que ce n’est pas terminé que le poison de la vie vous sera à plusieurs reprises insufflé, et que ce venin finira par vous tuer, car la vie apporte la mort, tout compte fait cette angoisse vous permet d’atteindre lentement ( mais sûrement) le néant. Le rythme s’alentit car plus c’est long plus c’est insupportable. C’est presque le bonheur, des bribes de musique douce, des voix qui vous accuuillent, le bonheur du néant, vous avez rejoint l’œuf originel. Pustazelle : (= herbe) : vous êtes comme de l’herbe qui pousse dans les marais, qui naît, qui grandit, qui crève, qui pourrit, le processus prend son temps, le rythme ne s’accélère guère mais il devient davantage oppressant, les grognements sur vos talons, vous êtes dans un cycle vous n’y échapperez pas, bientôt tu renaîtras mais tu te désintègreras après cette efflorescence, la batterie te tape dessus à coups de cuillère à pot sur ta tête, sans doute existe-t-il une raison à ce processus continu, mais tu ne sauras jamais lequel au juste, tu n’as qu’attendre, attendre pour mourir, attendre pour naître, attendre pour attendre, vocal de folie ordinaire du lot de tout ce qui vit et retourne au néant. Une certaine amplitude sonore nous aide à comprendre que nous sommes les jouets d’un phénomène que nous ne pouvons intellectuellement cerner. Le train prend de la vitesse. Est-ce l’image du destin de l’humanité qui passe à la moulinette. Malimon : ( le mot existe en langues russe et biélorusse, mais aucun traducteur n’a voulu le traduire, un seul indice, peut-être faux, mali signifie petit.). Comme par hasard le morceau est très court, bruits divers, train, turbine, scie, avion qui vole, intermède noise, une espèce de rêve sonore est-ce la musique qui se prend pour du noise, ou le noise qui s’imagine être de la musique, sur la fin des grésillements électriques ou peut-être du papier déchiré. Perhaps, j’aime ce mot dont la terminaison vous happe, le bruit qu’entend un papillon lorsque ses ailes se brisent. Volya : (= volonté) : vous n’avez pas compris grand-chose alors on vous donne les explications, vocal hurlé et vomi, une véritable révélation, vous êtes comme une bille, une petite perle, arrêt brutal, l’on déverse un tiroir de millions de perles, l’une d’entre elles, souvenez-vous en, c’est vous, à vous de rouler dans le sens que vous voulez, prenez vos responsabilités, vous ne serez que ce que vous voulez être, il y a peut-être quelque chose qui vous enfile, pensez à l’image de la première Parque Atropos, ensuite c’est à vous à désobéir, à vous de rompre le fil et de vivre votre vie de perle libre, chacun se forge un chemin, un destin différent de tous les autres, la batterie cavale, barrez-vous, courez, personne ne vous rattrapera c’est vous qui inscrirez votre destin, qui lui ferez écrire ce que vous voulez, je ne dirais pas que la musique devient joyeuse mais qu’elle décrit votre propre inexorabilité, attention le rythme s’alentit, l’ours polaire de la mort vous rattrape-t-il ou alors peut-être que vous n’avez plus peur, que votre volition l’a transformé en chien fidèle qui galope à vos côtés, oui vous avez repris vos jambes à votre cou et vous courez vers vous-même… Crissements de freins Pry`py`nak : (= arrêt) : qui se poursuivent sur ce morceau. Comme ces trains qui marchent à deux kilomètres à l’heure et qui s’en vont – le temps vous paraît interminable, vous êtes pressé de descendre – s’arrêter tout doucement le long du quai. Encore un instant, le temps que les moteurs décroissent et stoppent enfin. Attention les portes sont ouvertes, mais tout redémarre à la vitesse d’une fusée, est-ce votre imagination qui cavale ou est-ce que c’est reparti pour un tour. Le saurez-vous seulement un jour. Et si le moment du départ et celui de l’arrivée n’en  formaient qu’un ?

             Certains vous diront que c’est beaucoup de bruit pour rien. C’est vrai que c’est noisy et que la vie ce n’est pas grand-chose, mais enfin en moins de trente-neuf minutes, Matraque et sa Nature Morte vous file un tour  gratuit sur l’interminable  grand-huit du  cycle de l’Eternel Retour. Vous ne trouverez pas mieux en moins de temps.

             Superbe.

    Damie Chad.

     

    *

            Certaines choses sont plus difficiles à comprendre que d’autres. Surtout que là il s’agit d’une conspiration. Vous imaginez le labyrinthe obscur qui se profile. Les comparses, le motif, le pourquoi et le comment. Mais-là c’est encore plus difficile, ce n’est pas à proprement parler une conspiration mais une théorie sur ladite conspiration. Preuve que jamais personne n’en a percé encore le sens puisque l’on propose une théorie. Pas de problème, quand l’on est  un fan de Dupin le détective en chambre d’Edgar  Allan Poe qui vous résout une énigme sans quitter son fauteuil, l’envie vous titille de vous pencher sur cette mystérieuse théorie au sujet d’une conspiration. Hélas, au troisième terme de ce mystère que vous supputiez insoluble vous haussez les épaules. Bullshit ! quoi la théorie de la conspiration de… Judas !

    Qu’en ai-je à faire, moi Damie le païen, que les chrétiens aillent se faire pendre où ils veulent, je vais illico sortir mes chiens, au moins j’aurais l’impression d’avoir agi pour le progrès de l’Humanité. J’allais envoyer   bouler lorsqu’un détail a retenu mon attention. Quoi, ce sont des Grecs, avec tous les Dieux qu’ils ont sur l’Olympe, faut qu’ils s’intéressent au dénommé Jean-Claude, cela demande réflexion. Qu’est-ce qu’ils nous disent au juste, ces bénis oui-oui, ces traîtres en puissance, ces renégats. Vous n’allez pas me croire : ils ne pipent pas un seul mot : vous servent un album instrumental. A vous de vous dépatouiller, en plus le titre de l’album n’est pas en grec mais en latin ! Font tout pour me décourager, ils vont voir de quel bois je me chauffe : du pin !

    AD SOLEM

    JUDAS CONSPIRACY THEORY

    (Bandcamp / Avril 2025)

    George Rouvalis & Thodoris Stefou : guitars / Thomas Kinopoulos-Wood : bass /  Andreas Karantoumanis : drums / George Rouvalis & Thodoris Stefou : Synths / George Rouvalis : Background Vocals on « Selenocentric ».

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    Premier indice : la couve, une véritable boule de cristal. Elle est d’Andreas Karatoumanis : je ne sais si toute sa manie est de se carapater, mais je n’ai trouvé aucun lien qui me conduisit  à Andreas. L’image peut paraître mystérieuse mais le titre Selenocentric nous aide à comprendre le blanc symbolique dans laquelle est présentée le phénomène astral de syzygie. Ici lunaire. Le cercle jaune représente le soleil, la masse ombreuse représente la terre.  La lune et la terre non parfaitement alignées avec la terre  sont selon leurs positions respectives en conjonction ou en opposition, déterminant ainsi les phases de pleine lune et de croissant de lune.

    Ritus Jani : Janus n’est pas le dieu romain le plus célèbre, il est pourtant l’un des plus importants. Les portes de son temple restaient ouvertes en temps de guerre. On ne les fermait que lorsque la paix survenait. Souvenez-vous de la Pax Romana, période de prospérité. Janus possède deux visages, l’un tourné vers l’avenir et l’autre vers le passé. Il est le dieu du temps conçu comme passage. Son culte est celui du commencement, il est célébré entre autres le premier jour des calendes qui est celui de la pleine lune. En effet la musique s’écoule paisiblement, telle l’eau clapotante du Tibre qui coulait pas loin du temple de Janus, parfois il semble que le nuage des guitares s’assombrit et que la ponctuation de la batterie se précipite, mais peu à peu les choses reprennent leur place et la sérénité revient, qu’est-ce que l’agitation humaine pour ce Dieu qui connaît toute l’histoire toute la provenance et tout le destin de l’humanité, ce ne sont pas quelques peccadilles politiques ou anicroches guerrières – les hommes appellent cela des bouleversements ou des calamités – qui seraient capables d’altérer la souveraineté de celui dont la grandeur égalait celle de Jupiter. Selenocentric : Notes grêles de synthé sympa, oui c’est Séléné la vestale, celle qui est amoureuse d’Endymion à qui Zeus a octroyé l’éternelle jeunesse et l’éternel sommeil, le rythme se précipite, la lune change de quartier voici Artémis à l’œil aussi aigu que ses flèches, impassible inatteignable, attention voici la dernière métamorphose, Hécate grinçante, la préférée des rockers, celle qui apporte le malheur, le danger et la mort, lune changeante, peu fiable au mystérieux sonore ironique, elle cligne de l’œil comme le dernier des hommes de Nietzsche, le morceau se finit en final éblouissant, aveuglant. Akatos : nous avons vu la lune sautillant, jouant à volte-faces, revoici exactement la même chose, la même rotation, mais pourquoi le son s’échoïfie-t-il et pourquoi cette sonorité mystérieuse, et pourquoi le morceau est-il si bref ? Quelle image davantage contrastée de l’éternité de son cycle immuable, inébranlable, akatoïque, qu’un court instant, qu’un fragment arraché à la totalité de la ronde des astres aurait-il été possible de donner pour figurer l’incommensurabilité infinie de la course des Dieux dont la régularité maintient l’ordre du cosmos hors de la béance du kaos… Syzygia : nous avons eu une courte vision de la divinité fondationnelle de l’ordre du monde, voici la même chose, entrevue non plus selon les Dieux, mais selon les faibles et friables créatures humaines, les astres influent sur les hommes, ils ne dirigent pas, ils inclinent, goûtez la lourdeur de ce mot sur votre nuque, leurs positions exceptionnelles sont les marques du destin, logiquement le morceau est assailli de sonorités menaçantes, bientôt davantage annonciatrices de sombres évènements, lorsque le son s’amplifie, qu’il tombe sur vous comme se lèvent les rideaux du théâtre du monde dont vous êtes parfois le héros heureux, souvent la victime. In transitu :encore un morceau très bref, comme des notes de piano qui résonnent dans l’immensité, le transit c’est le départ, l’arrachage, l’éloignement, la sublimation, l’on quitte la terre, l’on quitte la lune, ces déités inférieures ne nous retiennent plus, Platon vous expliquerait que votre âme part en voyage vers le royaume des Idées, Pleiades : sonorités cristallines, c’est le morceau le plus long, vous visitez la voûte céleste, tous les héros de la mythologie sont là, les Pléiades ne sont qu’une étape, une adieu symbolique, elles viennent à la fin des moissons, s’en vont et puis disparaissent, elles ne reviennent que lorsque vous devez labourez vos champs, vous abandonnez ce cycle sans cesse recommencé,  c’est alors que la musique se lève, une voile que le vent gonfle, un bref silence, puis pour signifier l’immensité du vide silencieux, les notes s’étirent preuve qu’elles ne peuvent occuper l’immensité de cette viduité et la remplir, vous êtes un point dans une vastitude que votre esprit ne saurait conceptualiser, la raison vous échappe, vous êtes dans un autre pays sans nom, sans frontière, sans fin, les guitares ahanent, seule la batterie s’entête pour raviver les énergies défaillantes et vous voici dans l’Aether : comme par hasard c’est le moment le plus rock’n’roll du disque, l’Ether est cet air plus pur, plus fin, un feu subtil qui embrase vos poumons, vous êtes dans la sphère des Dieux, la guitare klaxonne un peu comme les voitures dans les rues alors que votre pays vient de remporter la coupe du monde, évidemment c’est un état très supérieur, la lumière s’effrite autour de vous, vous êtes parvenu au plus près de l’orbe du soleil, beaucoup de bruit, presque cacophonique, vous n’êtes pas dans une contemplation mais dans une exultation sans chaîne. L’arrêt est brutal. Vous en avez déjà trop vu.

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             Voici la liste des mots que George Rouvalis est censé vous délivrer dans dès le deuxième morceau : Lumière, Etoile, Monde, Vie, Ether, Foi, Ciel, Arcane, apprenez-les comme un mantra, ou essayez de les transformer en casse-tête chinois en les emboîtant les uns dans les autres, ou alors relisez Le Jeu des Perles de Verre d’Hermann Hesse, faîtes-en tout ce que vous voulez, prenez des initiatives non de Zeus ! moi je m’en fous j’ai résolu le mystère de cette théorie de la conspiration de Judas. Nos grecs ont choisi leur nom par esprit de dérision. Qu’est-ce que cette théorie obligatoirement boiteuse de la conjuration de Judas comparée à l’instrument du dire mythologique de la Grèce Antique. Rien, un truc qui ne vaut même pas un pet de lapin.

             Un clin d’œil à Aristophane.

    Damie Chad.

     

    *

             Tout se passe se passe dans la tête ai-je l’habitude d’assurer. Dès que j’ai vu le nom du groupe, m’y suis jeté dessus tels ces pythons facétieux qui se laissent choir de la  plus haute des frondaisons sur l’innocent touriste qui hasarde un premier pas dans la forêt équatoriale. Cette technique à l’aveugle est dangereuse. Peut-être abusé par mes prédilections vais-je jouer le rôle de l’abruti de service qui va finir réduit en marmelade sanglante dans les anneaux du reptile. Tel est pris qui se croyait prédateur. Tant pis, fions-nous à l’instinct du rocker. Reconnaissons que le titre de l’album n’incite pas à l’optimisme.

    TAKERS

    PSYCHIC WARS

    (Bandcamp / Janvier 2025)

             Le groupe formé en 2021  a enregistré une dizaine de singles est basé à Collingswood. Modeste bourgade du New Jersey, état qui abrite toute une partie de la population de New York

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    La couve est de Jonathan Hodges. Je n’ai rien trouvé sur lui, par contre je peux vous certifier qu’il existe de par ce monde une pléthore de Jonathan Hodges. Parmi eux une inquiétante proportion, bien au-dessus de la moyenne, de frappés de la cafetière. Indices troublants qui ne préfigurent en rien de l’auteur de l’illustration. Cette main crispée sur une paroi infranchissable n’est pas sans rappeler la main qui a illustré la couverture de l’édition en Livre de Poche du roman Le Mur de Jean-Paul Sartre. Si vous êtes moi, si Sartre vous déplaît, je vous propose Le Mystère des Gants Verts d’Enid Blyton dans lequel la bande des mains vertes sortie tout droit de l’imagination d’un gamin loufoque ne tarde pas à se matérialiser…

    Une notule nous indique que les titres de cet EP sont inspirés du roman : Black Tongue Thief (Le voleur à la langue noire) de Christopher Buehlnam. Ce dernier, né en 1969, enfant adopté et surdoué s’est très vite passionné pour le Moyen-Âge. Il a créé une espèce de numéro de foire qu’il présente dans les festivals médiévistes. Il propose à un groupe de spectateurs de faire rôtir vivant un de leurs ennemis… Il a aussi écrit plusieurs romans dont l’un consacré au tragédien Christopher Marlowe. Sa pièce de théâtre Faust a marqué les esprits. S’il n’avait pas été tué lors d’une rixe quels autres chef-d’œuvre nous auraient-ils légués… son drame est digne de Shakespeare à tel point que certains ont imaginé que ces deux auteurs ne formaient qu’une seule et même personne.

    Ellei Johndro : vocals / Jon Hodges : guitar, vocals / Matt Hanemann : guitars / Derek Zglenski : bass / Travis Dewitt : drums, percussion

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    Takers : si vous n’avez pas lu le roman pas d’inquiétude, Psychic Wars vous propose une vidéo. Si elle est censée faire peur, c’est raté. Une ambiance carvanalesque qui vous donne envie de rire, tous les poncifs de l’horreur en carton-pâte accumulés en cascades. Un conseil, écoutez la version sans image, vous éviterez le lourd fabliau médiéval farcesque. D’ailleurs la musique n’est pas vraiment noire, la batterie joue un peu à la grosse caisse des fêtes foraines ce qui ne l’empêche d’abattre sa ration de besogne, les voix dédoublées ne sont pas tristes, seules les guitares se comportent comme un train fantôme qui fonce dans l’inconnu d’une nuit noire. Au beau final un beau remue-ménage entraînant. Disons que ça ressemble aux squelettes en sucre du jour des morts mexicains. Wandering thief : vaut mieux écouter en admirant la main essayant de griffer le béton du piège dans lequel vous êtes tombé, orchestralement c’est bien foutu avec ces cors que vous aimez entendre sonner le soir au fond des bois, les guitares crissent un peu, mais comme l’on vous raconte l’histoire du petit agneau innocent qui finit par se faire dévorer par le méchant loup, et que vous connaissez la récitation du Loup et de l’agneau de Jean de La Fontaine, vous entrevoyez très bien le massacre final, mais le drame ne vous fait plus peur, vous l’appréciez en esthète. Deadlegs : là c’est nettement plus sombre, les vocaux sonnent un peu Beatles mais comme les guitares hérissent leurs poils du dos à la manière cruelle d’un chat noir qui va croquer une souris blanche, la batterie  s’abat avec la lourdeur d’un couperet de guillotine,  vous comprenez que le chaudron de sorcière ne va pas tarder à bouillir et à déborder dévoilant d’infâmes condiments dignes des tribus cannibales, les paroles tournent au délire macabre, la veuve noire au haut de sa tour blanche, dévoile la tapisserie de la dame à la licorne égorgée et pour terminer le serpent au fond de la soupière suivant sa mauvaise habitude onaniste se mord la queue.  

             Très agréable à écouter un peu guignolesque, un peu guignolet sucré à la gaine acidulée, héroïc fantasy de bon aloi. Ces américains ont l’esprit anglais. Par contre les guerres psychiques ne sont plus ce qu’elles étaient. Je croyais découvrir les noirceurs de l’âme humaine et je me suis retrouvé en pleine fête foraine ! Pour ne pas dire en pleine joie de vivre.

    Damie Chad.

     

     

    *

             L’on n’est jamais trahi que par soi-même. J’en suis une preuve accablante. Suis en train de morigéner, suis en train de faire le tour des nouveautés, cherchant quelques tubulures qui sortent de l’ordinaire. Je ne trouve que du grandiose, le genre de carbure que dans ma tête dure de rocker je classe parmi les MCA. Rien à voir avec MCA (records) qui racheta Decca et plus tard Chess, laissons-cela, dans mes MCA  à moi, comprenez mon acronyme : Musique Classique Avortée, je range toutes ces formations issues du rock qui comme la grenouille de La Fontaine essaient de se faire plus grosses que la vache philharmonique. Bref ce soir, pas moyen de mettre la main sur le riff transcendantal  qui tue. Que des trucs emphatiques qui pètent plus haut que leur cul. Le mieux serait d’aller au dodo, je m’apprête à regagner ma couche royale quand  mon œil accroche un titre, tiens un ‘’océan de pensées’’, pas mal, ben non j’ai mal lu : ‘’pas’’ un océan de pensées, tiens ils n’ont pas tort, puisque d’après moi depuis Aristote notre triste Humanité a arrêté de penser. C’est qui ces zigotos ? avec un nom pareil, sûrement des anglais. Vérifions, zut des français. Jetons un coup d’œil, l’on ne peut laisser des compatriotes en rade toute la nuit. Bref c’est moi qui ai passé une nuit blanche. Et tout ça pour un trabuc que je classe parmi les MCA !

    EIMURIA

    BANK MYNA

    (Araki Records/ Avril 2025)

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    Un regard sur la couve : pas mal du tout. Ces visages à l’aspect de masques mortuaires, ces deux mains qui se saisissent de l’un d’entre eux comme pour l’extraire de sa couche de toiles goudronnées superposées et déchirées, à moins que le corps qui n’apparaît pas ait été enfermé dans le tronc cercueil d’un arbre évidé dont on viendrait de percer la couche des écorces protectrices… Quel étrange rituel ! Quel mystère profanateur dans ces manipulations modernistes d’exhumations de cadavres antiques retirés de la gangue des temps anciens qui avaient veillé à leur préservation. Quant aux trois autres masques sur le côté, seraient les chefs subalternes de domestiques sacrifiés pour accompagner leur maître au pays des lémures. Sont-ce des spectres que l’on serait en train d’éveiller dans le but qu’ils viennent hanter le monde des vivants, dans l’espoir de semer le trouble dans l’esprit des vivants dans le seul but de nous rappeler que les portes de corne et d’ivoire, chères à Gérard de Nerval, se peuvent emprunter dans les deux sens.

    L’étrangeté de cette couve nous pousse à visiter l’Instagram de sa créatrice. Ramona Zordini. D’Italie, autrement dit la coque politiquement organisationnelle  qui recouvre l’espace géographique originelle de l’antique romanité lémurienne. Ramona Zordini révolutionne la technique du cyanotype. Procédé inventé par John Frederick William Herschel (1792 – 1871). Un astronome qui braqua son intelligence sur les étoiles et n’oublia pas de regarder en arrière en offrant une traduction de l’Illiade d’Homère. Le cyanotype est un procédé photographique monochromique. Une espèce de cannibalisme. Posez sur une feuille de papier enduite de potassium une feuille d’arbre, après avoir soumis l’ensemble à un rayonnage ultraviolet, vous obtenez en blanc la forme de la feuille d’arbre reproduite sur  le fond désormais bleu ombreux de votre feuille de papier. Ramona Zordini joue sur les couleurs en adaptant à sa guise les temps d’exposition et différents produits chimiques. Nous invitons le lecteur à établir quelques analogies opératoires avec les procédés alchimiques. Une méditation adjacente sur le Traité des Couleurs de Goethe n’est pas interdite.

     ‘’Colorier’’ une feuille de papier ne suffit pas à Ramona Zordini. Elle cherche à atteindre la bi- et la tridimensionnalité cyanotypique. Par un jeu de superpositions de feuilles pré- ou post-découpées  elle recouvre la platitude initiale du cyanotype de diverses épaisseurs, à leur tour travaillées, dont les échancrures centrales donnent cette impression sarcophagique de relief protecteur et de de profondeur  béante si caractéristique de ses créations. Une œuvre artefactique qui contribue autant au voilement qu’au dévoilement. Merci Heidegger.

    Une heureuse surprise que cette découverte de Ramona Zorbini. Mais une forêt ne possède pas qu’un seul arbre. Deux lignes du court texte par lequel Bank Myna présente son album ‘’ spécialement inspiré par les vies et les productions artistiques de la poétesse Alejandra Pizarnik et de la sculptrice Camille Claudel’’  m’ont fait sursauter.

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    Résident à quinze kilomètres de Nogent-sur-Seine, charmante bourgade dans laquelle se déroule la première scène de L’éducation Sentimentale de Flaubert, de surcroît elle abrita la jeunesse de Paul Claudel et de sa sœur qu’il fit interner durant quarante ans avec interdiction de sculpter…, et aujourd’hui s’enorgueillit du Musée Camille Claudel, je ne peux ignorer ni la vie ni l’œuvre de  la sculptrice. Je me souviens notamment d’une manifestation nocturne pour imposer aux pouvoirs publics réticents en compagnie de plusieurs centaines d’habitants à l’édification de ce conservatoire…

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    Alejandra Pizarnik, le nom ne me disait rien de rien. Wikipedia me renseigne, poétesse argentine (1936-1972) trop jeune – ou pas assez - choisissez l’option qui vous convient, ne jouent que ceux qui ont dépassé trente-six ans et qui donc n’ont pas suivi son exemple en se suicidant. Tiens, elle a vécu à Paris entre 1960 et 1964 – ça sent le surréalisme – doit bien rester quelques traces. Elle y a rencontré André Pieyre de Mandiargues – voici des années que je me promets de chroniquer son roman La Motocyclette – il est vrai que ce poëte reste occulté par la noirceur de son propre soleil, Yves Bonnefoy, Antonin Artaud, Alejandra avait bon goût. Une vie écartelée entre mal-être, désirs d’une vie de décadence et exigence de solitude. Pratiquement toute son œuvre a été traduite en France. Notamment par Claude Esteban directeur de la revue Argile. C’est ainsi que je m’aperçois que je l’ai  obligatoirement lue puisque dans les seventies je me procurais cette belle revue de poésie, qui malheureusement ne prenait pas de risques, or la poésie sans risque… Je n’en ai aucun souvenir, pourtant les nombreux textes disponibles sur le net sont engageants.

    Constantin du Closel / Fabien Delmas / Maud Harribey / Daniel Machо́n.

             Phonétiquement le titre de l’album nous évoque les lémures, ne pas les voir en tant qu’apparitions, en tant que revenants, une espèce de reviviscence égrégorique de quelque ancienne présence, mais en tant que phénomène de désintégration de quelque chose qui palpite encore mais qui est en voie de désintégration. Selon le dictionnaire Eimuria désignerait un tison qui s’éteint doucement, une mort en quelque sorte illuminescente. 

    No ocean thougths : une porte que l’on referme dont les échos se répercutent sous une voûte d’ombre et s’évanouissent pour laisser place à la récitante, à la prêtresse qui chantonne en étirant les prophéties accomplies, car depuis le début des temps tout est déjà accompli depuis longtemps et les actes se répètent à l’infini puisqu’ils ont déjà été commis une fois, il n’est nul besoin d’y penser et d’y repenser mille fois, les pensées sont faites de mots et les mots ne sont que l’oubli des choses qui ont eu lieu, la musique se traîne en une majestueuse robe noire de mariée qui arrive en retard pour les noces déjà passées dont elle n’est plus que l’absence dépassée. Imaginez des fracas de violoncelles et des choses percussives qui tombent dans leur immobilité. Un majestueux prélude qui sonne tel un crépuscule. The shadowed body : quand il n’y a plus de pensée ou bien si peu qu’elle ne porte plus de signification, il reste encore à se livrer à l’occultation de son propre corps,  l’on pense à la manière radicale de cet enfant spartiate qui refusant son statut de prisonnier s’est fracassé la tête contre un mur pour périr en homme libre, mais ce n’est pas ici la solution envisagées, à la voie sèche de passation de pouvoir l’on a préféré la voie humide, plus longue et de grande patience, peut-être est-ce pour cela que malgré l’ambiance funèbre de base et les onze minutes du morceau, l’on ne s’ennuie pas, le trauma musical est empli de rebondissements, l’on négocie des courbes en progression constante, surtout pensons que la mort du corps est encore une geste érotique qui tourne à l’exaltation, à l’imprécation, à l’éjaculation orale dans le vide du non-être. Mortelle catharsis. The other faceless me : je serais tenté de proclamer que ce morceau serait intrinsèquement dédié à l’art cyanotypique de Ramona Sordini, ne serait-ce que par ce pinceau de lumière bleue sur l’écran noir de la vidéo qui bientôt irradie de sa pâleur bleuâtre le visage et le corps de la prêtresse qui danse. La caméra à bout pourtant sur des mains qui se croisent, combien sont-elles, une de deux, trois jusqu’à ce que le voile sombre s’entrouvre sur le corps de ballet, des sacrificatrices qui dansent et s’entrecroisent dans leur solitude, au loin une porte étroite permet de voir qu’au dehors que le monde est bleu mais pas du tout comme une orange, maintenant tout un peuple de présence danse, mais que cela signifie-t-il, une danse mortelle, certes mais surtout cette autre face de moi-même sans visage, ma sœur d’ombre que je porte en moi beaucoup plus qu’elle ne me soutient, et portant si séparée de tous les autres, de toutes les autres, une façon de nuptialité égotique de soi-même avec l’une des moitiés – oui mais laquelle – de soi-même, est-ce pour cela que maintenant elle est seule dans sa propre centralité, indifférente à cette surface adjacente du monde dans lequel elle se ait incapable d’évoluer, malgré ces gestes d’amour, ces étreintes, go indigo go !, l’absence de moi ne serait-il qu’une rupture de moi selon la moitié de moi manquante, un tournoiement spectral d’une pensée sans corps à moins que ce ne soit un  corps sans pensée… le lecteur qui aura eu la curiosité de lire quelques poèmes d’ Alejandra Pizarnik ne sera pas perdu dans cette évocation de ses thèmes poétiques prédilectifs. L’ensemble dure près de neuf minutes. Bank Myna se livre à une espèce d’art total qui allie : chant-musique, image-danse, et profération-poésie. Une espèce de mise en œuvre tridimensionnelle pour reprendre les volitions tridimensionnelles de Ramona Sordini. La mise en voix de Maud Harribi est exceptionnelle. La musique colle à elle comme la peau du serpent s’entrelace autour de votre chair. Burn at the edges :  nous parlons de la

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    peau du serpent, la voici dès la première seconde  de la vidéo. Orange aveuglant. Les peintres vous diront qu’il est la complémentaire du bleu. Tout comme l’éros et l’attrait de l’autre sont le complémentaire de la solitude de soi-même. L’on ira même jusqu’à employer le mot supplémentaire car si le supplément est souvent considéré comme un bon ajout, il peut être aussi dénigré comme un trop, qui peut altérer la plénitude du juste milieu, même si celui-ci est aussi l’autre côté de l’injuste moitié. N’importe, pour le moment le morceau est si jouissif, si joyeux, si éclatant, que l’on s’en réjouit, même si l’on n’ignore point  qu’en son centre se niche un abysse irréductible, une pointe de noir, une blessure aussi écarlate que le sang menstruel, ce soleil rougeoyant de la vie qui s’écoule dans la fosse noire creusée par Ulysse pour susciter la part morte des siens qui remontent des Enfers pour le mettre en garde de l’inéluctable qui l’attend. L’implorante : les cris intérieurs que Camille Claudel n’a peut-être pas poussés, peut-être parce qu’ils étaient la seule matière noire à sa secrète disposition qu’elle était capable de sculpter, cette plainte pathétique Bank Myna essaie de nous en offrir une équivalence musicale, d’ailleurs la musique, une variation du prélude, se taille un peu la part du lion, car ce qui ne peut se dire doit être tu, alors Maud reprend sa langue à deux mains et tire la lente et cruelle psalmodie que l’on imagine incessante et éternelle, mais que l’artiste attachée à sa survie, liée à son rouet muet file la parole infinie de sa plainte qu’elle garde au-dedans d’elle, comme son ultime richesse que personne ne pourra lui subtiliser.  Maud reprend l’antienne souterraine pour nous faire miroiter les souveraines sculptures qui n’ont pas fui de ses mains. Chuchotement invisible qu’elle reprend comme l’hymne à voix basse du désespoir de vivre privé de la moitié la plus importante de soi-même.

             Non, Bank Myna n’a pas trouvé le riff qui tue, mais leur Eimuria est tout aussi meurtrier.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 689 : KR'TNT ! 689 : ELVIS PRESLEY / DICTATORS / OVATIONS / DATSUNS / DEAN WAREHAM / JADE BRODIE / AORTES / REPTILIAN ARMS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 689

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 05 / 2025

     

     

    EIVIS PRESLEY / DICTATORS

    OVATIONS / DATSUNS / DEAN WAREHAM

    JADE BRODIE / AORTES /  REPTILIAN ARMS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 689

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu

     (Part Six)

     

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             Guralnick profite du départ d’Elvis à l’armée pour clore Last Train To Memphis -The Rise Of Elvis Presley et démarre Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley avec le retour triomphal du King démobilisé à Memphis. Et c’est là que le Colonel embraye sur le very very big business. Guralnick réussit l’exploit de montrer comment deux personnalités aussi opposées ont pu fonctionner ensemble : il confronte en permanence l’obsession du profit que cultive le Colonel, et l’extrême pureté comportementale d’Elvis. L’ombre et la lumière. Balzac n’aurait pas mieux fait. Guralnick nous propose ni plus ni moins qu’une Comédie Humaine des temps modernes. Dans la culture rock, peu d’écrivains sont capables d’un tel prodige. On peut citer les noms de Robert Gordon, Nick Kent, Nick Cohn, David Ritz et Richie Unterberger. Mais Guralnick travaille la psychologie de ses personnages plus en profondeur. Il cite d’ailleurs Kundera dans son beau texte d’introduction à Careless Love : «Suspendre le jugement moral, ce n’est pas l’immoralité du roman, c’est sa morale.» Oui, Guralnick pense que l’histoire d’Elvis est celle de la célébrité, et qu’elle est aussi une tragédie. Elle induit par conséquent une dimension morale qui ne peut être que celle de l’auteur. Pour Guralnick, le jugement moral est incompatible avec la démarche biographique. Il n’est pas là pour juger le Colonel que tout le monde voit comme une ordure, mais pour observer son rôle auprès d’Elvis. Il dit aussi qu’on connaît mal Elvis, pour les mêmes raisons : cette hâte qu’on met tous à porter un jugement. Elvis avouait lui-même qu’il éprouvait de grandes difficultés à rester à la hauteur d’Elvis. C’est la relation entre le Colonel et Elvis qui fascine tant Guralnick. Il dit ne pas connaître d’histoire plus triste que celle-ci.

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    ( Peter Guralnik)

             Les 700 pages de Careless Love sont un monument élevé à la pureté d’Elvis. Un Elvis qui pendant son séjour en Allemagne se goinfre d’amphétamines. Il adore ça car il se sent bien en permanence. Rien à voir avec les drogues. Elvis va se shooter aux amphètes toutes sa vie, mais il n’est pas un drogué, vous saisissez la nuance ? À Graceland il est fier de montrer sa chambre aux visiteurs. Sur sa table de chevet trônent deux livres, La Puissance De La Pensée Positive du bon Dr Peale et Comment Vivre 365 Jours Par An de John Schindler. Elvis est un être naturellement positif. Vernon et Gladys Presley l’ont élevé ainsi.

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             Elvis poursuit sa carrière à Hollywood. On lui fait jouer n’importe quoi. Millie Perkins qui le rencontre sur le tournage de Wild In The Country n’en revient pas : «The essence of Elvis was as fine a person as I’ve ever met. He treated me as well as anyone has ever treated me in this business.» Personne dans le monde du cinéma ne s’était aussi bien comporté avec elle. Elvis s’efforce pourtant de bien faire son job d’acteur, mais on lui confie des rôles ineptes - Silly posturings of trembling sensitivity - Ce sont les regards féminins qui percent le mieux le mystère d’Elvis. Ainsi, Annie Helm explique qu’Elvis a une patience infinie, qu’il reste toujours très poli, mais il veut que les choses se fassent d’une certaine manière. Annie Helm dit aussi qu’elle se goinfre de Dexedrine avec les boys. Party every night ! Il faut savoir aussi qu’Elvis ne porte pas de sous-vêtements. Une coquetterie qu’on retrouve chez les gens du MC5 et des Stooges. Chez les femmes, Elvis préfère les sous-vêtement blancs. All-white.

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    ( Elvis + Larry Geller)

             Voilà qu’Elvis rencontre Larry Geller, un homme féru de littérature ésotérique. C’est le commencement d’une relation intense. Elvis s’y abreuve. Larry réussit à assouvir cette soif incroyable de spiritualité. Elvis lui avoue à quel point il se sent vide. Il a besoin de donner un sens à sa vie. Il sent qu’une main le guide, il se dit qu’il doit y avoir une raison à tout cet incroyable succès. Pourquoi toute cette adulation ? Il veut savoir pourquoi il a été choisi pour être Elvis Presley. Touché par la candeur et l’honnêteté d’Elvis, Larry prend ces interrogations très au sérieux. Il alimente Elvis en lectures et malheureusement, ça crée des jalousies dans l’entourage. On ne peut pas vraiment parler d’un entourage intellectuel, if you see what I mean. Priscilla et les Memphis Boys détestent Larry Geller, et le Colonel encore plus. Il craint une dérive. C’est effectivement ce qui arrive. Elvis n’a pas dormi depuis deux jours et soudain, il a une hallucination. Il dit à Larry qu’il veut devenir moine ! Mais après une bonne nuit de sommeil, il revient à la réalité, d’autant que Larry lui rappelle qu’il doit faire face à ses responsabilités : il a reçu un don qu’il doit partager avec le monde entier. Donc pas question de disparaître. L’argument tape en plein dans le mille. Elvis est un mystique. Il ne considère pas le Colonel comme son mentor, mais comme un talisman. Il lui doit ce qu’il appelle sa good luck. Il en est profondément convaincu. Sur la recommandation de Larry, Elvis se rend en Californie auprès de Sri Daya Mata, l’héritière spirituelle d’un Yogi venu des Indes, Paramahansa Yogananda. Daya Mata qu’on appelle Ma a rencontré les hommes célèbres de son temps, Tagore et Gandhi, entre autres. Elle est aussitôt frappée par l’innocence d’Elvis. Elle voit en lui un esprit infantile en proie à l’adulation du monde entier. Non seulement il aime cette adulation, mais il parle d’un lien profond avec son public. Pas question pour lui de le décevoir. Elvis dit aussi devoir énormément au Colonel, mais se dit déçu de voir que le Colonel ignore sa soif de spiritualité. Allons allons, Elvis, ouvre un peu les yeux ! Business et spiritualité ne font pas bon ménage, c’est pourtant bien connu !

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    ( Sri Daya Mata)

             Un jour, Elvis vient voir Daya Mata pour lui dire : «Oh Daya Mata, I want you to know I love you !» C’est comme s’il parlait à sa mère qu’il adorait plus que tout. D’ailleurs, il y vient : «Ah si seulement vous aviez pu rencontrer ma mère !» et Daya Mata lui répond : «Oh Elvis, j’aurais beaucoup aimé la rencontrer...» Et là, on est tous foutus, car on touche au vrai Elvis, l’être le plus pur du monde. Mais le Colonel veille au grain et ne veut pas entendre parler de tout ce bazar. Il s’arrange pour couper les ponts. Elvis n’a plus personne à qui parler et le Colonel lui demande d’aller faire le pitre à la télé. Elvis enrage. Mais pas question de parler de ses sentiments, ni avec le Colonel et encore moins avec Vernon, son père. Elvis se retrouve incroyablement seul.

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             Quand au moment de préparer le ‘68 Comeback, le costumier Bill Belew fait des suggestions à Elvis, il est frappé par la gentillesse d’Elvis. Il note une absence totale d’ego, ce qui est rare chez une big star, dit-il. Steve Binder qui organise le ‘68 Comeback dit aussi la même chose. Quand il demande à Elvis s’il accepterait de chanter le «MacAthur Park» de Jimmy Webb rendu célèbre par Richard Harris, Elvis dit of couse - He liked MacArthur Park - Mais ça ne se fait pas pour une question de droits, hélas. Le choix des chansons reste la chasse gardée du Colonel, business oblige. D’ailleurs le Colonel réussit à virer Bones Howe du projet, le trouvant trop influent. Si Elvis écoute Bones, c’est mauvais pour les affaires du Colonel. Billy Strange qui travaille aussi avec Elvis n’en revient pas de le voir toujours poli, toujours respectueux des autres et tellement différents des gens du showbiz - Il avait la classe, je veux dire qu’à côté de tout le bazar du studio, je sentais que j’avais affaire à une vraie personne. C’était amusant de travailler avec lui, car il était tout le temps excité, il savait rester créatif - Elvis prenait aussi soin de rendre hommage aux géants qu’il vénérait, Jackie Wilson et Clyde McPhatter, entre autres. Et lorsqu’il décide de revenir à la scène, c’est bien sûr parce qu’il sent que c’est sa raison d’être sur terre. S’il est Elvis Presley, c’est parce qu’il a un public. C’est aussi la raison pour laquelle le mariage avec Priscilla ne tient pas : face à l’adoration des foules, la vie normale à laquelle aspire Priscilla ne peut pas rivaliser. Elvis n’est pas fait pour ça. Il a de son destin une idée très précise. Le chef d’orchestre Joe Guercio qui travaille pour Elvis à Vegas n’en revient pas de le voir sur scène - It was unreal ! - Il parle de charisme, d’un charisme qu’il n’a jamais vu chez aucune des autres grandes stars pour lesquelles il a dirigé - He was like a free spirit in the audience - Guercio va loin : «Vous croyez que c’est la discipline qui fait les stars sur scène ? Horseshit ! C’est le charisme qui fait la star !» et il ajoute qu’Elvis pouvait traverser la scène sans dire un mot et obtenir une ovation.

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             L’un des passages les plus stupéfiants de ce deuxième tome est celui de l’apparition. Ils sont sur la route, dans le désert du Nouveau Mexique et à la sortie de Flagstaff, Elvis fait : «Whoa !» Il voit un nuage à l’horizon et ce nuage prend l’apparence de Staline. Elvis demande à Larry s’il l’a vu. Oui. Indéniable. Pourquoi Staline ? Le visage d’Elvis est comme illuminé. Il semble si ouvert, si heureux, nous dit Larry. Pour Elvis, c’est Dieu. Il fait arrêter la bagnole et court dans le sable du désert avec les larmes aux yeux. Pour Elvis, c’était le visage de Dieu qui lui souriait.

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             Ce qu’Elvis craint plus que tout, c’est de perdre l’adoration de ses fans. Quand on évoque la possibilité devant lui, Elvis est choqué : «Mais comment pourrait-on me faire ça ?» Et il ajoute : «Je suis totalement innocent !» Il veut dire qu’il n’a jamais fait de mal à personne, alors pourquoi lui en ferait-on ? Oh et puis il y a le fabuleux épisode du ranch qu’Elvis finance à fonds perdus, ce qui inquiète Vernon et Priscilla, qui craignent la faillite et qui en parlent au Colonel. Ils convoquent Elvis. Les yeux ronds de stupeur, Elvis leur répond que c’est son blé, qu’il l’a gagné et qu’il peut le dépenser comme il veut. Même en offrant des Mercedes aux médecins compatissants. Lorsqu’il est reçu à la Maison Blanche par Richard Nixon, Elvis est fier, mais il insiste pour présenter à Nixon ses deux potes restés dans le couloir : «Mr. President, would you have a little time just to say hello to my two friends, Sonny West and Jerry Schilling ? It would mean a lot to them and to me.» Nixon sort dans le couloir serrer la pogne des deux Memphis boys. Eh oui, Elvis partage tout, même ses petits moments d’histoire.

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             Guralnick se concentre tellement sur les acteurs principaux de la saga qu’il néglige les personnages secondaires. Il bâcle la rencontre d’Elvis avec les Beatles. John et Paul se disent déçus et un attaché de presse laisse entendre qu’on traitait Elvis de boring old fart. En fait, ils n’ont rien à se dire. Elvis va plus vers des gens comme Jackie Wilson. Elvis le voit transpirer des litres d’eau sur scène et lui demande comment il fait. Jackie lui révèle son secret et lui montre des tablettes de sel qu’il avale avant de monter sur scène. Résultat garanti. Elvis s’entend bien aussi avec Billy Strange, un session man amateur comme lui de grosses motos. Autre personnage haut en couleurs : Jerry Reed, the Alabama wild man. Quand Elvis le voit arriver pour la première fois en studio, il s’exclame : «Lord have mercy !,What is that ?» C’est Jerry Reed qui amène «Guitar Man», et il est le seul à pouvoir le faire sonner, aussi Elvis le veut-il en studio avec lui. Mais ce que Jerry Reed ramène, c’est surtout le drive qu’aimait tant Elvis à ses débuts. Et quand les sbires du Colonel  coincent Jerry Reed dans un coin du studio pour lui faire signer une cession de droits sur «Guitar Man», Jerry Reed refuse, ce qui amuse énormément Scotty Moore qui assiste à la scène. Voilà enfin un mec qui résiste aux lois iniques du Colonel. En fait, personne n’avait encore osé tenir tête aux sbires du Colonel. Jerry Reed est l’un des héros de second plan de cette saga. L’autre héros de second plan est Jarvis Felton, qui se dit le plus gros fan d’Elvis. Felton est un producteur de Nashville très original. Il a pour animaux domestiques un tigre, puis un anaconda qu’il emmène nager dans sa piscine. Avant Elvis, il a fréquenté Lloyd Price et Fats Domino qui dans sa période nashvillaise l’appelait ‘Fel-tone, my man’. Dans le milieu musical, Felton se taille très vite la réputation d’un producteur excentrique, affable et imaginatif. Pour le compte de Chet Atkins, Felton travaille aussi avec Mickey Newbury, Willie Nelson et Cortelia Clark, un bluesman noir aveugle. Elvis adore Jarvis et parage son enthousiasme. Ils ont une relation basée sur le respect mutuel et Elvis le considère comme son producteur. Jarvis Felton est un rayon de soleil dans cette saga si sombre.

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             Côté cinéma, Elvis n’a pas de chance. À Hollywood, on lui fait tourner des ‘quick movies’. Kissin’ Cousins est tourné en 17 jours : profit maximum. Le Colonel veille au grain. Pas la peine de passer des mois sur un tournage, ça coûte cher. Heureusement qu’il a les films, car les ventes de disques commencent à chuter. Paru en 1962, «Return To Sender» est le dernier single qui atteint le million d’exemplaires vendus. Mais malgré tous ses films et tous les cachets mirobolants, Elvis ne sera jamais pris au sérieux en tant qu’acteur. Pire encore : Elvis finit par avoir honte de ses films et de ses disques. Même si l’argent coule à flots. Quand il revient sur le désastre de sa carrière hollywoodienne, il est extrêmement clair : «On ne me demandait pas mon avis sur les scripts. Je ne pouvais même pas dire que c’était mauvais. Mais je ne crois pas qu’on ait alors essayé de me faire du mal. C’est juste que l’image qu’avait de moi Hollywood était erronée, je le savais et je ne pouvais pas en parler, je ne pouvais strictement rien faire. Ça m’a rendu malade. Je devais arrêter ça. Ce que j’ai fait.» Elvis n’accuse personne, il ne cite pas de noms. C’est extraordinaire. C’est peut-être Marion Keisker qui le résume le mieux : «On trouvait en lui tout ce qu’on pouvait chercher. Il était incapable du moindre mensonge ou de la moindre malice. Il avait toute la complexité des gens très simples.» 

    elvis presley,dictators,ovations,datsuns,dean wareham,jade brodie,aortes,reptilian arms(Elvis and Barbara)

             Au lit, Elvis finit par éprouver certaines difficultés, nous dit Barbara Leigh. Il prend trop d’amphètes et ça finit par agir sur son système, dit-elle pudiquement - It was very hard for him to be a natural man - Mais bon, elle s’en accommode. Au lit avec Elvis, c’est tout de même un sacré privilège.

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    ( Lhomme qui résista au Colonel )

             Côté big money, les choses vont bien. Très vite le Colonel négocie des contrats de 200 000 $ par film avec Paramount puis un contrat de 500 000 $ par film avec la MGM, plus 50 % des recettes. Le Colonel prend 25 %, Elvis garde le reste. Chez RCA, ils récupèrent 320 000 $ d’avances sur royalties (240 000 pour Elvis et 80 000 pour le Colonel, plus une somme de 600 000 $ sur quatre ans à 50/50 entre Elvis et le Colonel). Puis le Colonel atteint le million de dollars par film à la MGM. En 1964, Elvis est l’acteur le mieux payé d’Hollywood. En 1968, Elvis s’assure sur trois ans un revenu de sept millions de dollars, rien qu’avec les films. Puis le Colonel négocie avec RCA le versement de 300 000 $ par an à Elvis, ce qui se traduit par une somme garantie de 2,1 millions de dollars sur sept ans, toujours à 75/25 avec le Colonel. C’est d’autant plus spectaculaire qu’Elvis vend de moins de moins de disques. RCA s’interroge même sur la nécessité de prolonger le contrat d’Elvis. Quand Elvis reprend les tournées à travers le pays, les profits s’élèvent à 800 000 $ répartis au nouveau taux d’un tiers deux tiers entre le Colonel et son client. Un taux qu’il va amener très vite à 50/50, se considérant comme un partenaire et non plus comme le prestataire d’Elvis. Quand le Colonel négocie avec l’Hilton de Las Vegas, il demande 175 000 $ de cachet par semaine, plus 50 000 $ de salaire pour ses efforts de promotion. Pour passer à la télé sur NBC, le Colonel demande un million de dollars, et pour les tournées prévues sur les quinze mois suivants, le Colonel envisage 4 millions de recettes. Tous ces chiffres donnent le vertige, mais il faut bien admettre qu’en matière de négociation, le Colonel est un expert.

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             Mine de rien, Guralnick en fait le personnage clé de cette saga. À saga hors normes, personnages hors normes. Très vite les règles sont claires : 25 % de tout ce que gagne Elvis disparaît dans les poches de ce vieux crabe, et Elvis ne discute pas. Si l’old man est content, alors tant mieux. Pour veiller sur celui qu’il appelle my boy, le Colonel pousse parfois le paternalisme un peu loin. Lorsqu’il décide d’écarter Larry Geller dont il juge l’influence néfaste pour le business, il invite Larry à déjeuner chez lui. Pendant ce temps, de mystérieux visiteurs pillent et vandalisent sa maison. Bien sûr, Larry n’a aucune preuve, mais il préfère prendre le large. Il en parle toutefois à Elvis qui s’exclame «Damn ! Damn !» et qui ajoute : «Lawrence, it’s a dangerous fuckin’ world !» En fait, le Colonel travaille surtout sur le côté de plus en plus imprévisible de son seul client. Il mise tout sur Elvis et il n’est pas question que ça vire en eau de boudin à cause des mauvaises influences ou des drogues. Et c’est parce que ce business devient très risqué qu’il réfléchit à une répartition plus égalitaire des profits, ce qu’il va appeler the partnership agreement et qu’Elvis va signer sans ciller. Dans son approche psychologique, Guralnick va loin, car il fait du Colonel une sorte de philosophe dont le thème de prédilection serait la raison du profit. Le Colonel menace en permanence d’écrire un livre dont le titre serait Combien Ça Coûte Si C’est Gratuit ?, ce qui veut dire que les choses n’ont de valeur jusqu’à partir du moment où on leur en attribue. Par conséquent, il estime que ses services valent bien 50 % de ce que gagne Elvis. C’est un raisonnement qui se tient. Professionnellement, le Colonel s’efforce de rester carré. Tout ce qu’il demande à son client, c’est show up and do the job. Une obligation sur laquelle il n’est pas en reste. Quand le Colonel vire des gens de l’entourage d’Elvis, il explique qu’il n’a rien de personnel contre eux. C’est juste du business. Elvis paye tous les gens qui l’entourent et le Colonel veille au grain. Quand il vire Larry Geller, il vire aussi les bouquins et la spiritualité. Et personne ne discute ses ordres. Le Colonel joue aussi un rôle de directeur artistique auprès de RCA. Il s’arrange pour que le son d’Elvis reste bien commercial. Quand le single «Big Boss Man» paraît, Elvis s’étonne : le son n’est pas celui qu’il a sur l’acétate RCA. Il dit à qui veut bien l’entendre que le Colonel s’en prend à sa musique, et là, ça ne va pas. Quand Elvis veut aller se produire en Europe, le Colonel s’y oppose. Il lui propose en échange des vacances aux Bahamas. Elvis accepte. En affaires, le Colonel est intraitable. Take it or leave it. Il n’y a pas de demi-mesure. Ça passe ou ça casse. Le responsable financier de RCA, Mel Ilberman, en bave tellement avec le Colonel qu’il envisage à un moment de rompre le contrat, rien que pour arracher ce vieux crabe qui s’accroche dans ses cheveux. Et puis vers la fin, le Colonel finit par envisager de vendre son contrat avec Elvis. Ça devient trop risqué à cause des drogues. Elvie grossit, il est en perte de vitesse. Sa santé bat de l’aile. Mais la vraie raison est plus prosaïque. On dit qu’il avait perdu des sommes colossales à la roulette du Hilton de Vegas : un million de dollars en un mois. À chacun son enfer. 

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    ( Elvis, Nixon, Red & Sonny West )

             Oh, n’oublions pas la Memphis Mafia, c’est-à-dire les amis d’Elvis, ceux qui l’accompagnent en permanence et qui vivent et travaillent pour lui à Graceland et à Vegas. Il préfère les down-home southern boys, Red West, Sonny West, Lamar Fike, Marty Lacker, Alan Fortas, Jerry Schilling, Charlie Hodge, George Klein. C’est parce qu’ils portent des lunettes noires et des costumes en mohair qu’on les appelle la Memphis Mafia. À Las Vegas, ils jouent à la roulette et vont voir Della Reese, Jackie Wilson ou Fats Domino se produire sur scène. Ils vivent tous sous amphètes. Joe dit qu’on ne dort que deux heures par nuit, dans l’entourage d’Elvis. Dans les hôtels où séjourne la bande, c’est l’endless party. Elvis casse des planches pour ses exercices de karaté et dans les couloirs, les Memphis boys se battent à coups de pistolets à eau. Ils s’amusent comme des gosses. Maintenant qu’Elvis est riche, tout devient accessible : les poules, les jeux, les bijoux et les amphètes. Ils s’amusent tellement à Vegas que Memphis leur paraît triste en comparaison. Ils louent des salles de cinéma et des manèges pour se distraire. Lots of pills and lots of parties. Darvon, Tuinal, Dexamyl, Placidyl, tout y passe. On s’amuse bien à la cour du roi. C’est exactement la vie d’une cour que nous raconte Guralnick, quasiment jour après jour. 

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    ( Elvis & Chips )

             La rencontre qui aurait pu être déterminante dans la carrière d’Elvis est celle de Chips Moman au studio American de Memphis. C’est Marty Lacker qui organise le coup, dans l’intérêt d’Elvis, bien sûr. Elvis a sacrément besoin de redémarrer sa carrière. Pour Chips, tout ce qui compte c’est l’enregistrement - making the record itself - Enregistrer chez lui à Memphis a porté chance à des gens comme Dionne Warwick, Dusty Springfield, Wilson Pickett et les Box Tops. Excusez du peu. Les proches d’Elvis espèrent que ça lui portera chance à lui aussi. Et Elvis se sent bien avec les Memphis Boys de Chips. Ils enregistrent la nuit, pendant deux semaines. C’est là qu’Elvis enregistre le «Suspicious Mind» de Mark James, l’un des songwriters appointés par Chips. Et quand les mecs du business coincent Chips dans un coin pour l’inciter à vendre ses droits de publication, ils tombent sur un os : Freddy Bienstock propose 25 000 $ à Chips qui lui dit : «Tiens tu vois, tu les prends et tu vas te les carrer dans le cul, t’as compris ?» C’est la fin de la relation avec l’équipe du Colonel et tous les gens de RCA qui grouillent dans le studio. Elvis ne reviendra hélas jamais enregistrer avec Chips qui avait pourtant réussi à le remettre en selle. Un autre producteur va aussi aider Elvis à se réhabiliter artistiquement : il s’agit bien sûr de Bob Finkel, le producteur de télévision qui réussit à monter le coup fumant du ‘68 Comeback, au nez et à la barbe du Colonel qui voulait des chansons de Noël. Finkel met Steve Binder sur le coup. Binder veut le King et il va l’avoir. Il demande à Elvis de changer. Pas question de voir l’Elvis d’Hollywood. Il veut du rock’n’roll. Pour Elvis, c’est une chance unique de revenir aux sources, de montrer qui il est en réalité. Il pige tout de suite. Et le miracle s’accomplit. Dans le film, on voit des choristes black à un moment : ce sont les Blossoms de Darlene Love, imposées par Elvis. Fantastique réussite, comme chacun sait - It’s 1955 and 1956 all over again ! - Elvis réinvente Elvis, et c’est exactement ce que le monde attendait.

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             Il faut aussi savoir qu’Elvis voulut enregistrer chez Stax, mais ce fut un désastre. Le matériel était dépassé et le choix de chansons mauvais. Elvis se pointe au studio avec cinq heures de retard et ça tourne en eau de boudin. Et quand on lui dit qu’on lui a piqué ses micros, Elvis sort du studio et ne revient pas.  Par contre, quand il met en place ses shows à Las Vegas, il impose les Sweet Inspirations dont il admire le travail qu’elles font derrière Aretha. Il veut aussi James Burton. Il veut que son orchestre rocke le boat et c’est ce qui se produit. 

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             Et puis avec l’arrivée des années soixante-dix, Elvis prend du poids. Il boit le Demerol au goulot. Quand le Dr. Sidney Boyer lui vient en aide, Elvis le remercie en lui offrant une Lincoln Continental blanche. Ah les cadeaux ! Guralnick nous en fait des pages entières ! Quand il offre des bijoux à ses musiciens, Elvis achète carrément la bijouterie. Il donne à chacune des Sweet Inspirations une bague de 5 000 $ pour les remercier. Il offre un avion au Colonel qui n’en veut pas : «Je n’ai pas besoin d’un avion et je peux m’en payer un !» Les gens finissent par suspecter la générosité d’Elvis. On est à deux doigts de l’accuser de vouloir acheter des sympathies. Mais Elvis est comme ça. Il a besoin de donner. Un autre jour, il dépense 70 000 $ de bagnoles-cadeaux dans la soirée : deux Mark IV, une Cadillac Seville pour un certain Ron Pietrefaso, et une Eldorado pour Linda. Il finit par dépenser tout ce qu’il gagne en bagnoles, en avions, en cadeaux, en armes, en bijoux, en fringues, des centaines de milliers de dollars. Vernon qui gère les comptes s’en rend malade. 

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             Linda qui devient sa compagne après le départ de Priscilla constate qu’il est drug-impaired, mais il réussit à transcender l’amour physique pour aller au cœur du sentiment. Et Linda avoue qu’elle l’aime comme une mère. C’est exactement ce qu’Elvis attend des femmes. Avec Sheila, c’est la même histoire : Elvis préfère les bisous et les papouilles à la baise. La nuit, il a besoin d’eau, de pills, de Jell-O, de lecture. Pour elle, Elvis est l’innocence même. Sheila va loin dans la confidence avouant qu’il préfère le pumping (la pipe) à la baise classique. Aucune perversité là-dedans - Adolescent innocence was what it was all about.

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    ( Dr Nichopoulos & Elvis )

             Et puis on arrive dans la période Fat Elvis. Il enfle, perd sa voix. Sur scène, ça tourne à la tragédie. Il déconne complètement : «Adios you motherfuckers, bye bye. papa too/ To hell with the whole Hilton Hotel, and screw the showroom too !» Quand Priscilla qui ne l’avait pas vu depuis longtemps le revoit enflé, elle est choquée. Le corps d’Elvis finit par mal réagir à l’absorption massive d’uppers et de downers. Un jour, le bon Dr Nichopoulos demande à Elvis ce qu’il a mis dans sa seringue, Elvis lui répond qu’il ne sait pas. En fait, il se shoote du Demerol tous les jours.

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    ( Jerry Schilling & Elvis )

             Quand Elvis fait du karaté avec Ed Parker, c’est compliqué, car le pauvre Elvis est stoned, ce qui rend la situation cocasse. En fait, il aura passé toute sa vie allumé aux amphètes. Les choses vont commencer à mal tourner. Un jour, dans une chambre d’hôtel à Vegas, Elvis mange une soupe au poulet. Linda va dans la salle de bain et quand elle revient dans la chambre, elle le trouve évanoui, la gueule dans la soupe, en train de suffoquer. Elle appelle le médecin qui le réanime avec un shoot de Ritalin. Elvis revient à lui et dit tout simplement : «J’ai fait un rêve.» Sur scène, il a des problèmes de locomotion et de mémoire. Il oublie les paroles. En le voyant dans cet état, John O’Grady s’inquiète, il pense qu’Elvis va mourir. Même Jerry Schilling, vieux compagnon de route, cède au désespoir : «Tout ce qu’il peut faire maintenant, c’est mourir.» Sa fin de carrière prend l’apparence d’une suite de concerts uniques, un cirque qui n’en finit plus. Elvis souffre de troubles respiratoires et de pertes d’orientation. Mais un bon docteur surgit toujours à point nommé pour lui administrer la piqûre miraculeuse.   

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             C’est la nouvelle fiancée Ginger qui découvre Elvis dans les gogues, écroulé par terre, la gueule dans le vomi et son pantalon de pyjama sur les chevilles. Pas très glorieux. Guralnick aurait pu nous épargne les détails. Ginger sent que c’est louche et elle alerte aussitôt la maisonnée. Joe essaye de le ranimer. Le visage d’Elvis est rouge, avec la langue pendante et les yeux injectés de sang, comme dans une mauvaise bande dessinée.

    Signé : Cazengler, El tournevis

    Peter Guralnick. Careless Love. The Unmaking Of Elvis Presley. Little, Brown 1999

     

     

    L’avenir du rock

     - Sous le joug des Dictators

     (Part Two)

             Chaque année, l’avenir du rock réunit ses vieux amis gauchistes pour une célébration de ce qu’ils appellent tous l’âge d’or de la lutte. Lionel, Arlette et Cécile ont tous pris un sacré coup de vieux, mais sous les touffes de cheveux blancs crépite encore un vieux reste d’enthousiasme révolutionnaire. Comme tout le monde a trop bu, la conversation déraille. Lionel lève son verre à l’avenir du passé :

             — Vive l’auto-émancipation de la clause vivrière et vive la démocratie directive !

             — Ouaiiiiis !

             Clameur générale, ovation. Ils rigolent tous comme des bossus. Arlette se lève d’un bond et déclare :

             — Cravailleuses, Cravailleurs !

             Tout le monde applaudit.

             — Ouaiiiiis !

             — Mais j’ai pas fini !

             — Ouaiiiiis !

             Cécile se lève, elle tangue, elle réussit miraculeusement à se stabiliser et lance d’une voix de vieille fouine pervertie :

             — L’État c’est pas la partie ! C’est la traction, la fonction mathématique, mirifique, politique, fatidique de la friterie !

             — Ouaiiiiis !

             Elle reprend, en tapant du poing sur la table :

             — Alors ouiiiiiii, je serai toujours et à jamais la patriote de toutes les pâtes à la sauce tomate !

             — Ouaiiiiis !

             L’avenir du rock se lève et la main sur le cœur déclare :

             — Je n’ai jamais osé vous l’avouer mes amis, mais aujourd’hui je peux enfin me libérer de ce poids : j’ai toujours eu un faible pour les Dictators...

             — Ouaiiiiis !

     

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             En 2024, ça ne viendrait à l’idée de personne d’écouter le nouvel album des Dictators. Sauf si tu écoutais «The Next Big Thing» en 1975. C’est le genre de cut qui te marquait à vie. Alors c’est bien naturel que tu te poses la question : quel sens ça a d’écouter tous ces vieux groupes aujourd’hui ? Par exemple les Damned, ou encore les Hollywood Stars ? Une partie de la réponse tient dans le fait que ces vieux groupes font encore de bons albums, souvent plus intéressants que ceux des contemporains qui font l’actu. D’autant que les kros des nouveautés sont souvent biaisées parce que trop favorables. Si tu te fies à ce que racontent les kronikeurs dans la presse anglaise, tu te fais souvent avoir comme un bleu. Tout est une question de racines, et celles des Dictators sont de bonnes racines. Alors tu tentes le coup.

             Il n’en reste plus que deux : Ross The Boss et Andy Shernoff. Scott Kempner a cassé sa pipe en bois l’an passé et nous lui avons rendu un petit hommage vite fait en passant. Au beurre, les Dictators ont récupéré l’Albert Bouchard de Blue Öyster Cult, et un certain Keith Roth fait office de nouveau chanteur. 

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             Dans Vive Le Rock, une petite interview permet de faire le point sur la Dictature. Une belle photo orne la double : Keith Roth a fière allure, massif, déterminé, regard bleu sous une casquette sixties, et grosse boucle de ceinturon. Les Dictators se sont reformés en 2019, mais lorsque Scott Top Ten Kempner a cassé sa pipe en bois, il a fallu le remplacer : l’heureux élu est donc Keith Roth, le chanteur de Frankenstein 3000, un mec du Bronx, dont le grand frère était un pote de Scott Kempner. C’est Andy Shernoff qui répond aux questions du canardeur. Ça commence mal car Vive Le Rock lui demande si c’est bien sérieux de redémarrer un groupe avec seulement deux survivants, Ross The Boss et lui. L’Andy rétorque qu’à part U2, il ne reste pas beaucoup de groupes d’origine complets. Et puis l’Andy rappelle que faire le Dictator, c’est son métier, il a commencé très jeune et il adore ça - Each day you make music is a good day - La question qu’il ne fallait pas poser arrive : Et Manitoba ? L’Andy répond sèchement que pas de nouvelles depuis 2009, «so bringing him back never crossed our minds.» L’Albert Bouchard, c’est pas pareil. Il s’agit d’un vieux poto. L’Andy rappelle aussi que les Blue Öyster Cult sont des kindred spirits. Les Dictators font d’ailleurs une cover  de «Transamaniacon MC» sur le nouvel album. Il y a aussi un hommage à Joey Ramone qui a toujours été un good buddy. L’Andy rappelle qu’il fréquentait Joey avant qu’il ne soit dans les Ramones et qu’il était assis près de lui quand il a rendu son dernier soupir à l’hosto. Ça se passe entre New-yorkais. Il rappelle aussi que les Beatles, les Stones, les Kinks et les Beach Boys sont ses influences et que leur album Go Girl Crazy est sorti un an avant celui des Ramones. Donc, oui, proto, poto !

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             Bon, c’est vrai, le nouvel album sans titre des Dictators n’est pas l’album du siècle. Mais on retrouve néanmoins le New York City Sound de base, et ce dès «Let’s Get Back Together» que chante Andy Shernoff. C’est du Dictators pur et dur, il y va au c’mon c’mon. Keith Roth prend le chant sur «My Imaginary Friend» et ce n’est pas la même voix. Il passe en force. On voit aussi que les Dictators n’ont jamais lâché la rampe. Ils opèrent un grand retour aux mamelles du destin avec «All About You». Ross the Boss is on fire ! C’est hot as hell, l’empire des heavy chords s’étend de nouveau à l’infini. On retrouve des gros paquets de riffs congestionnés dans «Wicked Cool Disguise». Avec Ross The Boss, ça devient lumineux. C’est un virtuose des bas-fonds. L’intro de «God Damn New York» annonce bien la couleur. Ce démon de Ross gratte sa cocote new-yorkaise. Une vraie brute ! Mais pour le reste, on est loin du Next Big Thing. Tout est bardé d’un max de barda, les cuts sont faibles et pourtant le son reste dense, comme s’il cachait la misère. Ils font du pur blast à l’ancienne avec «Thank You & Have A Nice Day» et voilà qu’ils rendent hommage à Joey Ramone avec «Sweet Joey». Ross gratte une cocote incroyablement sèche. Il ne mégote pas sur la marchandise. Que peux-tu dire de plus ?

    Signé : Cazengler, Dictatorve

    Dictators. The Dictators. DEKO 2024

    Profiled :  The Dictators. Vive Le Rock # 117 - 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Ovation pour les Ovations

             Jo-l’occasion aurait pu traîner avec des mecs bien, un groupe de projet pédagogique ou un club de badminton, par exemple, mais il préférait fréquenter notre gang de Pieds Nickelés.  On l’avait surnommé Jo-l’occasion parce qu’il était toujours partant. On pouvait lui proposer n’importe quoi, il ne discutait pas. Il ne cherchait pas à savoir le pourquoi du comment. C’est assez rare de voir des mecs aussi bien disposés, des mecs d’une si bonne nature. Par la force des choses, il illustrait à merveille ce vieil adage disant que l’occasion fait le larron. Alors on a fini par en faire un jeu. À l’apéro, on lui proposait un plan pour la soirée, comme le faisait Alex avec ses Droogs :

             — On va baiser la femme de Desbordes, pendant qu’il est au boulot, elle est super-chaude et elle est d’accord. Ça te branche ?

             — Pas de problème.

             Le lendemain soir, on lui proposait un plan un peu plus aventureux :

             — On va vider le semi-remorque d’un transporteur de champ’ sur l’aire de Plessis, pendant que le chauffeur bouffe au restoroute. Ça te branche ?

             — Pas de problème.

             Le jeu consistait de faire monter le niveau de craignosité, pour tester son élasticité. 

             Le soir suivant, on lui proposa d’aller tous les six au resto du Grec, de choisir les meilleurs plats et les meilleurs vins, puis, à la fin du repas, d’aller le trouver au comptoir pour lui annoncer qu’il allait s’asseoir sur l’addition. Pas de problème.

             Pour monter encore d’un cran, on lui présenta le coup de siècle.

             — Tiens, voilà un calibre. Demain matin, on va aller se garer devant la banque qui se trouve face à la sortie du métro, tu vois où c’est ? Toi tu entres, tu braques et nous on t’attend dans la bagnole. Dac ?

             On a entendu des coups de feu. Alors on a mis les bouts. Jo l’occasion s’est sûrement fait dessouder. Pousser le bouchon, c’est un métier, et il n’était pas fait pour ça. Quelle déception !

     

             Les Ovations sont aussi un gang, mais un gang plus paisible que celui qui tenta d’incorporer Jo-l’occasion.

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             Pour les ceusses qui ne les connaîtraient pas, les Ovations de Louis Williams sont une grosse équipe de Memphis. On devrait dire une très grosse équipe. Les Ovations méritent une ovation car ils sont les rois du groove sentimental. Ils ont démarré leur carrière sur le fameux label Goldwax de Quinton Claunch et sont passés ensuite sur Sounds Of Memphis, un studio/label distribué par MGM. Le trio se compose de Louis Williams et de deux ténors, Nathan Lewis (first tenor) et Billy Boy Young (second tenor). Martin Goggin qui signe les liners de Kent Soul tient beaucoup à ce détail. Les autres grands acteurs de la légende des Ovations sont Dan Greer, et Gene Lucchesi. Boss de Sounds Of Memphis, Lucchesi est devenu riche en 1965 avec «Wolly Bully». N’oublions jamais que Sam The Sham & The Pharaohs sont au cœur de la légende du Memphis Beat. C’est avec le blé de «Wolly Bully» que Lucchesi monte son studio en 1968. Lucchesi embauche Dan Greer pour remplacer Stan Kessler parti courir l’aventure ailleurs. Dan Greer est à la fois singer, songwriter et producer. Il commence par produire Lou Roberts, puis les Minits et Spencer Wiggins. Dans les parages de Lucchesi et de Stan Kessler, on retrouve aussi Willie Cobbs et son fameux «You Don’t Love Me». C’est Kessler qui monte les Memphis Boys de Chips Moman, puis les Dixie Flyers de Jim Dickinson. Dan Greer est à la recherche d’un gros nom, il vaut percer, alors il flashe sur les Ovations, a major vocal group in Memphis, un trio qui a tourné avec Otis et James Brown et qui s’est produit à l’Apollo de Harlem. Les Ovations ne sont pas des oies blanches. Et comme petite cerise sur le gâtö, Dan Greer va leur composer des hits sur-mesure. Il va aussi faire appel à son vieux partner George Jackson, avec lequel il duettait au temps de George & Greer, qu’on retrouve bien sûr une autre compile Ace. Comme backing band, Dan Greer louche sur The Hi Rhythm, mais ils sont trop occupés avec Willie Mitchell, alors Dan embauche un groupe de club local, The Trademarks. Et roule ma poule. Il faut considérer les albums des Ovations comme d’immenses classiques du Soul System.   

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             Hooked On A Feeling est un Sounds Of Memphis de 1972. T’en reviens pas ! Classic Soul, mais chantée à outrance. Louis Williams va chercher la dragée haute en permanence, avec de gros accents de Sam Cooke, il bourre le mou de son «Can’t Be Satisfied» à coups de when you touch me ! On imagine le travail. Tous les cuts montent bien, mais sans exploser. Pas de coït. Ces trois mecs sont brillants. Ils parfument «Were You There/Touch The Hem Of His Garment» au gospel pur. Louis Williams s’adresse à Gawd. Ils tapent dans des styles très différents, et derrière ça gratte des poux en creux. Memphis style !

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             Having A Party sort l’année suivante. Album nettement plus groovy, plus cooky, d’ailleurs ils commencent par saluer Sam Cooke avec «Having A Party» - Dedicatd to the grrrreat Sam Cooke - Les gens applaudissent. Dan Greer signe «Born On A Back Street», une belle pop de Soul, cool & collected, bien touffue. «My Nest Is Still Warm (My Bird Is Gone)» va plus sur le downhome de Beale Street, ils tapent là un authentique heavy boogie blues. Encore du Sam Cooke avec «You Send Me», le groove des jours heureux. Et même fantastiquement heureux ! La big Soul de Dan Greer reprend la main avec «I Can’t Believe It’s Over». En plein dans le Memphis Beat ! Et bien sûr, ils bouclent avec «A Change Is Gonna Come», la cover de rêve - I was born by the river - Tu l’as. C’est du pur Sam Cooke.         

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               Sur le Sweet Thing de 1981 se niche une belle perle noire : «You Gave Me The Best Performance». Cette Soul te flatte bien l’intellect. Louis Williams sort le grand jeu, il a tout le soft de la Soul. Louis II de Memphis porte bien son nom, un vrai Bavarois en black. L’autre coup de Jarnac de Sweet Thing est le «Till I Find Some Way» d’ouverture de bal. C’est en quelque sorte le groove de génie définitif. Ces mecs dansent dans l’air du temps, produits par Dan Greer, tu n’y peux rien, ils sont plus forts que toi, ils te rendent même heureux, sugar baby/ Ya drive me crazy. Leur Soul est même littéralement seigneuriale. Louis Williams amène son «Plumber» comme De Niro dans Brazil : «I’m/ I’m the plumber !». Nouveau shoot de fast heavy groove directif. Ils t’en mettent plein la vue. Ils tapent l’«I Can’t Believe It’s Over» à l’orgue d’église. Grosso modo, c’est une resucée de «When A Man Loves A Woman», mais heavy as hell. Et leur morceau titre dégouline tout simplement de bonheur : c’est la Soul des jours trop heureux. Ils terminent avec un shoot de Soul parfaite, «Pa Pa». Si tu cherches du real deal, alors écoute les Ovations.

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             Ces démons de Kent ont même réussi à rassembler les Goldwax Recordings. Alors attention, on attend des miracles de Goldwax, et parfois on attend longtemps. C’est une Soul gluante, un peu théâtrale. Les Blackos y versent des larmes de sang. Il faut attendre «Qualifications» pour les voir tous les trois faire du gros popotin de fast r’n’b d’all she had to do is give a little call. D’une certaine façon, les Ovations sont les rois inconnus du groove. Louis Williams te colle «Ride My Trouble And Blues Away» au plafond, et fait son Sam Cooke sur «Happiness». En règle générale, ils se la coulent douce. Tout est très black chez Goldwax. Ils tapent l’excellent «What Did I Do Wrong» à coups d’harp, choix étrange et bienvenu. Toujours ultra chargé, voici «I Need A Lot Of Loving». Louis Williams chauffe son «Peace Of Mind» à coups d’everything - I got something you ain’t got/ Peace of mind - On ovationne les Ovations. 

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             Merci Kent Soul pour ce One In A Million - The XL & Sounds Of Memphis plein comme un œuf. Louis Williams et ses deux amis sont le son et le power. La seule chose qui les intéresse dans la vie, c’est le groove de rêve («Touching Me»). Ils savent aussi tortiller du cul comme le montre «Don’t Break Your Promise», c’est plein de son et de listen to me. Ils tapent «You’ll Never Know» à l’extrême onction du doo-wop, pur jus de black genius. C’est d’un niveau hallucinant de véracité, Louis Williams te chante ça à la titube incoercible. Si tu veux du mythique, en voilà avec «Soul Train», l’hymne black par excellence. On reste dans la Memphis Soul avec «Having A Party», sacré clin d’œil à Sam Cooke. En fait, ces mecs n’arrêtent pas un seul instant, ils enfilent les hits comme des perles, ils tapent «I Can’t Believe It’s Over» au heavy groove de bassmatic et «Don’t Say You Love Me (If You Don’t Mean It)» au swing de jive. Ils sont à l’aise partout, ils éclatent les cuts les uns après les autres. Encore un cut énorme avec «I’m In Love», c’est de la Soul géniale, même chose avec «Pure Natural Love», signé Jackie De Shannon, tendu à se rompre, ils te réinventent la Soul, comme s’ils élevaient un nouveau sommet du lard. Ils sont même au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer. Ils disposent de qualités harmoniques inégalées. Encore une Sainte-Barbe qui saute avec «Sweet Thing», véritable slab de wild Soul funk, signé George Jackson, et complètement allumé. Ils tapent plus loin leur «Hangin’ On» au beat de hangin’ on et ils terminent cette partie de rodéo avec «You’re My Little Girl», un heavy groove de Soul demented parfumée de calypso.

    Signé : Cazengler, Ovascié

    Ovations. Hooked On A Feeling. Sounds Of Memphis 1972

    Ovations. Having A Party. Sounds Of Memphis 1973     

    Ovations. Sweet Thing. Sounds Of Memphis 1981

    Ovations. Goldwax Recordings. Kent Soul 2005

    Ovations. One In A Million. The XL & Sounds Of Memphis. Kent Soul 2008

     

     

    Les Datsuns ne sont pas des voitures

    - Part Two

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             Les Datsuns ? Pas de problème. Pas de surprise. Pas d’entourloupe. Pas d’avenir. Pas de papa. Pas de maman. Juste un peu de passé (ils tournent et enregistrent depuis vingt ans), juste un peu de garage néo-zélandais, juste un joli brin de showmanship comme on dit dans la perfide Albion, mais rien de transcendant ni de tentaculaire. Tu prends ton billet et surtout, tu fermes ta gueule. Tu te mets là, tu regardes, t’écoutes un peu les paroles, mais pas trop, t’applaudis mollement, et tu conclus bêtement que l’un dans l’autre, t’as passé une bonne soirée. T’essaies de ne pas trop te souvenir de leur dernier show normand en 2014, car t’en gardes le souvenir d’un concert problématique, t’avais tout simplement assisté aux affres d’un groupe en panne d’inspiration, le genre de tuile qui ne pardonne pas et qui ruine une réputation. Ce sont des choses qui arrivent à beaucoup de groupes, au bout de 15 ou 20 ans.

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             Comme beaucoup de groupes, les Datsuns sont devenus une marque, et donc un fonds de commerce, alors ils continuent. Ils exploitent leur petite veine. Peut-être en vivent-ils. On ne sait pas. Mais la faune garage européenne les connaît. Toux ceux que tu croises ont un petit truc à raconter sur les Datsuns. Sept albums en 25 ans, c’est assez respectable, surtout que les deux premiers ont bien tapé dans le mille, à l’époque. Il fut un temps où Rudolf De Borst était à la une du NME, ce qui était une sorte de belle consécration.

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             Il est toujours là, le Borst, frétillant comme un gardon zélandais, sautillant comme un zébu sous speed, il cumule admirablement bien les fonctions, il chante et mouline un bassmatic polyvalent, il danse et il voyage, il fait voler ses cheveux et s’égosille comme un oisillon affamé, il revient et il repart, il n’a pas de voix, mais il compense par une extraordinaire débauche d’énergie et fatalement, il finit par s’imposer. Il joue bien le jeu de la rockstar. Il semble qu’il soit né pour ça. Il semble même que ce soit son destin, yo ! Il rafle fantastiquement la mise avec son excès de zèle zélandais. Il remporte ce qu’on appelle une victoire de haute lutte. Il jette chaque seconde de présence scénique dans la bataille et parvient à cacher la misère. De ce point de vue, il est admirable.

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             En plus, il est bien entouré. Ça gratte les poux qu’il faut et ça bat le beurre qu’il faut. Ces mecs connaissent toutes les ficelles, surtout celui de gauche qui s’appelle Christian Livingstone : c’est un clone de Jimmy Page. Ne manque que l’archet. Il gratte ses poux sur une Les Paul et n’est pas avare de poses héroïques. Il sait se pencher en arrière et faire de belles grimaces bien ridicules. Ça fait partie du jeu. Les gens adorent photographier ce genre de plan pourri pour aller poster l’image sur leur page machin. Les salles de concerts sont devenues de véritables centres de production numérique, t’en as même qui échangent des messages en direct. Ça devient un cirque, mais c’est pas grave, il ne faut pas s’en formaliser. Vazy Jimmy Page, fais ton cirque. On te paye pour ça. Avant on allait voir les singes savants et les éléphants au cirque. Maintenant on va voir les Datsuns au club. Si le cirque fait partie du jeu ? On ne se pose même plus la question. 

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             Pour muscler leur show, ils tapent dans leur premier album («Sittin’ Pretty», «Lady» et «Harmonic Generator»), et dans le deuxième avec «Girls Best Friend». Ils ouvrent et referment avec deux cuts tirés de Death Rattle Boogie, «Gods Are Bored» et «Gold Halo». Ils proposent une sorte de Best Of. C’est de bonne guerre.

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             Leur dernier album Eye To Eye est donc faiblement représenté. Tout au plus trois cuts dont l’excellentissime «Bite My Tongue», attaqué à la pure violence riffique, c’est même du big time qui ne veut pas lâcher la rampe et Jimmy Page passe bien sûr un killer solo flash d’antho à Toto. Et il récidive en fin de cut. Ils tapent aussi «Other People’s Eyes» sur scène, mais ils se perdent dans leur enfer, comme le font souvent les vieux pros. On entend aussi Jimmy Page partir en quenouille de vrille sur «Brain To Brain». C’est un vrai perceur de blindages. Dommage qu’ils n’aient pas joué «Dehumanise», car c’est noyé de disto zinzin zélandaise. Jimmy Page descend au barbu de la wah. «Dehumanise» est le cut idéal : vite en place et ça tourne au blast. Quand t’écoutes ça, tu te dis que t’as un big album dans les pattes. Ce que vient confirmer ce «Warped Signals» gorgé de power. Avec «Sweet Talk», ils passent au stomp des zazous zélandais. Ils sont à l’aise dans tous leurs domaines. Ils virent poppy popette avec «Moongazer», mais avec une belle voracité. Ils tiennent bien leurs promesses et flirtent même avec les Beatles, alors t’en reviens pas.

    Signé : Cazengler, daté

    Datsuns. Le 106. Rouen (76). 28 mars 2025

    Datsuns. Eye To Eye. Hellsquad Records 2021

     

     

    Wareham câline

     - Part Three

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             Le real Dean repart de plus belle avec sa copine Britta. Ils montent le duo Dean & Britta et se jettent dans l’aventure avec L’Avventura. C’est l’album des grands

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    mimétismes, à commencer par «I Deserve It» qui sonne comme du Gainsbarre. C’est pompé sur «Melody Nelson». Puis t’as «Moonshot» qui est du pur Lou Reed, même si c’est un cut de Buffy Sainte-Marie, le real Dean te le prend en mode intrinsèque, sa voix craque d’éclats intenses, c’est d’une ampleur considérable. Avec «Hear The Wind Blow», il refait «Pale Blue Eyes, et pourtant, c’est un cut d’Opal, c’est-à-dire Kendra Smith et David Roback. Son sometimes it seems n’est pas loin de linger on your pale blue eyes. Le real Dean jette tout son génie vocal dans la balance et croasse deux ou trois syllabes au passage, histoire de faire son Lou. Encore une cover, celle du «Random Rules» des Silver Jews. La classe mélancolique de David Berman lui va comme un gant. Il enchaîne avec une autre cover, l’«Indian Summer» des Doors, qu’il prend à la douce gentillette. Bel hommage à Jimbo. Le real Dean et Britta duettent comme des dieux sur «Ginger Snaps». Ils tapent dans leur meilleure veine. Le real Dean est le premier à le dire : «One of the best things I have ever done. Certains albums sont meilleurs que d’autres, et je voyais celui-là comme l’album que j’avais voulu faire toute ma vie, influencé par Glen Campbell et Bobbie Gentry, Lee Hazlewood et Nancy Sinatra, Madonna, Nina Simone et Mary Tyler Moore.»

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             Tu vas trouver trois très belles choses sur Black Numbers, à commencer par «Words You Used To Say», un gros clin d’œil à Lou Reed. Le real Dean chante au deepy deep. C’est un fieffé follower. Britta le rejoint un peu plus loin et elle sort sa meilleure voix éthérée. Tu tombes ensuite sur «Wait For Me», en plein dans la lignée de la pureté. Britta attaque ça au sucre candy. T’en reviens pas de tant de beauté. Le real Dean est avec Doug Mercer des Feelies l’un des derniers héritiers du Velvet. Mais il faut bien dire que Britta sait bien prendre les choses en mains («You Turned My Head Around»). Elle attaque encore «White Horses» au doux du candy. Elle a un candy très particulier, elle sonne comme une ingénue libertine. Quant au real Dean, il montre encore avec «Me & My Babies» qu’il est d’une insondable profondeur artistique. Il adore le sucre candy de «Say Goodnight», pas de doute. Il recrée encore une fois le son de Pale Blues Eyes dans «Crystal Blue RIP». Il n’a rien perdu de ses pouvoirs de mage.             

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             C’est l’Andy Warhol Museum et le Pittsburg Cultural Trust qui ont demandé au real Dean et à Britta d’enregistrer 13 Most Beautiful: Songs For Andy Warhol’s Screen Tests, pour accompagner 13 Screen Tests d’Andy Warhol. Le real Dean dit aussi que Warhol a tourné 470 screen tests. Dans les liners, il rentre bien dans le détail des personnages qu’il a choisis. Les liners sont beaucoup plus intéressants que les enregistrements. Le real Dean a lu énormément de books sur la Factory. On ne craque véritablement que sur trois des Songs For Andy Warhol’s Screen Tests : «I’ll Keep It With Mine» dédié à Nico, Britta s’y colle, elle s’y colle merveilleusement bien, elle dégage la puissante mélancolie urbaine de Nico. Sur «Not A Young Man Anymore» dédié à Lou Reed, le real Dean fait son Lou. L’illusion est parfaite. Et puis «Eyes In My Smoke», dédié à Ingrid Superstar, et qui tape en plein dans le smoke du Lou, la qualité du smooth est inégalable et t’as le solo liquide en prime. D’autre cuts accrochent un peu, comme par exemple «International Velvet Redux» dédié à Susan Bottomly, car le real Dean part en épais solo de désaille vinaigrée. Avec «Herringbone Tweed» dédié à Dennis Hopper, il part en mode heavy groove à la «Sister Ray», mais sans la folie sonique. «Knives From Bavaria» dédié à Jane Holzer sonne comme le «Bonnie & Clyde» de Gainsbarre.

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             Quarantine Tapes est un album de covers. On en retiendra trois : «Massasuchetts» des Bee Gees (le real Dean tape dans le sacré, il a le sucré de Robin, alors ça fonctionne et ça grimpe dans les harmonies vocales), «Most Of The Time» (Dylan, le real Dean réussit l’exploit de sonner comme le vieux Bob) et «Ride Into The Sun» (Velvet dans l’âme, gratté aux gros accords las). Le reste n’accroche pas. Ils démarrent l’album avec le «Neon Lights» de Kraftwerk qui rime si richement avec berk. Ils se vautrent sur une cover pourrie du «So Bored With The USA» des Clash. Avec le «Carnival Slow» des Seekers, on se croirait à l’Eurovision. Ils font du mou du genou sur le «23 Minutes In Brussels» qui date du temps de Luna, et on perd patience. Par contre, le real Dean donne de l’air à l’«Air» de Mike Heron et il y va à grands coups d’acou. 

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             La cerise sur le gâtö du duo, c’est leur collaboration avec Sonic Boom. D’abord un EP, Sonic Souvenirs, en 2003. Sonic te nappe ça bien. Il arrose tout de crème anglaise. Le real Dean refait son Lou sur «Hear The Wind Blow (Down Moonlight Mile)». Un vrai bijou de Velvet latent, gorgé d’écho. Plein son. On retrouve sa belle profondeur de timbre dans «Moonshot (Myths Of Heaven)». Ça craque sous la dent, ça cloque de densité. Dean & Britta duettent comme des cakes sur «Ginger Snaps (And Sugar Winks)», et font siffler les S de when the kitchen sinkS/ When the sugar winkS. Très pur. Merveilleuse association.

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             Puis l’an passé, Dean & Britta & Sonic Boom ont enregistré leur Christmas Album, A Peace Of Us. Franchement, ce serait une grosse connerie que de faire l’impasse sur cet album, car Sonic Boom y fait des merveilles. Le «Snow Is Falling In Manhattan» est très «Pale Blue Eyes». Nos trois amis restent dans la ligne du parti. Le real Dean adore sa vieille traînasse. Tout est très éthéré, très intéressant, très haut de gamme sur cet album. Britta chante «Do You Know How Christmas Trees Are Grown» d’une voix pure de crystal clear. Le real Dean prend ensuite son «Old Toy Trains» au doux du doux. Le «Silver Snowflakes» qu’on croise plus loin n’est autre que le «Greensleeves» de Jeff Beck, et le «Still Natch» est bien sûr le «Silent Night» bien connu des amateurs de réveillons. A Peace Of Us est en fait un Christmas album. Coup de tonnerre en B avec un hommage à Totor : «You’re All I Want For Christmas». T’as même les castagnettes et ça sonne comme un hit des Ronettes. Britta fait encore un carton avec «If We Make It Through December», elle est à l’aise avec la country de saloon, elle est même assez paradisiaque, très Nancy Sinatra, et t’as la prod de Sonic Boom. L’album se termine par un hommage à John Lennon, «Happy Xmas (War Is Over)». T’es tout de suite dans le cercle magique. Pas de meilleure aubaine. 

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             Oh mais c’est pas fini ! Le real Dean enregistre aussi des albums solo. Le dernier en date s’appelle I Have Nothing To Say To The Mayor Of LA. Tu vas te régaler de la belle pop enchanteresse de «Cashing In». Le real Dean sait emballer son fan. Il a vraiment un charme fou. Avec «Robin & Richard», il sonne comme le Lou, une fois de plus - My pleasures are plenty - C’est du pur Lou. Il termine en mode clairette phosphorescente, c’est un éclair de génie. Génie encore avec «Under Skys», tu le vois littéralement partir en solo sous les skys. Le real Dean est un fabuleux guitariste, il te fait tourner la tête, tu pourrais lui dire, sur un air de Piaf, «mon manège à moi c’est toi.» Nouveau coup de génie avec «Why Are We In Vietnam». Il se pose des questions existentielles. Il reste très new-yorkais dans son approche philologique et bien sûr, tu le vois se lancer dans l’un de ces finals élégiaques dont il a le secret. Il rivalise d’intelligence guitaristique avec Tom Verlaine, c’est une évidence.

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             Emanciped Hearts sonne comme une sorte de point bas dans l’œuvre qu’il faut bien qualifier de tentaculaire du real Dean. Il attaque avec «Love Is Colder Than Death», un big balladif entreprenant. Il a raison, le real Dean, l’amour est plus froid que la mort. Il prend son plus beau timbre de Lou pour attaquer son morceau titre. Il chante vraiment comme son idole. On assiste ici à une belle évolution du domaine de la lutte. Et puis après, ça se gâte. Il monte un coup très weirdy avec «The Longest Bridges In The World» et se plaint bien dans le demi-jour avec «The Ticking Is The Bomb».

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             Paru en 2014, Dean Wareham vaut le détour pour trois raisons majeures : «Beat The Devil» et «Happy & Free» (deux Beautiful Songs), et un authentique coup de génie nommé «Babes In The Wood» où il sonne comme le grand continuateur du Velvet. Ils travaille sa magie sibylline à coups de take care, il t’emporte comme le ferait un vent très voilent. Avec «Beat The Devil», il va droit sur l’excellence carabinée, il met en avant une façon de chanter très intrinsèque et tu tombes invariablement sous le charme. Il tape l’«Happy & Free» à l’aune de la Beautiful Song, avec des éclats pop en forme de réminiscence d’effervescence, il te soigne bien la cervelle, tu peux y aller les yeux fermés, le real Dean est un crack du doux, le plus bel héritier du Lou, il prolonge cet art unique au monde, cette vision de la pop nourrie à la fois de grandeur mélodique et de décadence.  Le real Dean est un fabuleux distillateur de jus pop, il chante avec cet accent d’entre-deux qui ne trompe guère. C’est un fin renard du désert, un admirable stratège velvétien.

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             Le real Dean monte encore un side project en 1997 : avec Cagney And Lacee et un seul album, Six Feet Of Chain. Lacee s’appelle en fait Claudia Silver. Avec «Lovin’ You», t’as l’impression de planer dans un rêve. Elle crée de la magie sur des nappes de violons étales. C’est très easy listening. Elle peut aussi chanter à la belle aventure de country girl («The Last Goodbye» et «By The Way»). Country, mais beau. Et puis tu t’extasies sur «Greyhound Going Somewhere», pur jus de Cosmic Americana, eh oui, le real Deal est capable de ça. Elle veut partir en Greyhound, n’importe où - I’m leavin’ ! - Elle finit ce bel album en mode pop chaude avec «I’m Not Sayin». Elle réchauffe la pop dans son giron. Le real Dean permet ce genre de petit miracle d’intimité tiède et réconfortante. 

             Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Dean & Britta. L’Avventura. Jetset Records 2003      

    Dean & Britta. Black Numbers. Zoé Records 2007    

    Dean & Britta. 13 Most Beautiful: Songs For Andy Warhol’s Screen Tests. Double Feature Records 2010     

    Dean & Britta. Quarantine Tapes. Double Feature Records 2020

    Dean Wareham. Emanciped Hearts. Double Feature Records 2013 

    Dean Wareham. Dean Wareham. Double Feature Records 2014  

    Dean Wareham. I Have Nothing To Say To The Mayor Of LA. Double Feature Records 2021

    Dean & Britta. Sonic Souvenirs. Jetset Reords 2003

    Dean & Britta & Sonic Boom. A Peace Of Us. Carpark Records 2024

    Cagney And Lacee. Six Feet Of Chain. No. 6 Records 1997

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    Dean Wareham. Black Postcards: A Memoir. Penguin Publishing Group 2009

     

    *

             C’est une parution sur Western AF qui date un peu. Quatre ans déjà. Elle se démarque de toutes les autres. Soyons franc, difficile de faire mieux question western. Paysage désertique magnifique, une fille qui cause, lorsqu’elle apparaît sur l’écran vous comprenez que vous êtes dans un ranch, pour les prairie d’herbe bleue vous êtes gros jean comme devant, au fond des montagnes pelées jusqu’à l’os, le sol est fait de poussière, OK, nous ne sommes pas dans le Kentucky mais dans le Nevada, une question vous turlupine mais où donc font-ils paître leurs chevaux, j’ai oublié de préciser, elle a un cheval, isabelle comme celui de ma fille, et un chien sans canapé alors que les miens… l’on aperçoit quelques poules, j’ai envie d’être un renard, elle s’est assise devant l’entrée d’un bâtiment fait de bois et de tôle, vous réalisez que ses avant-bras sont posés sur une guitare tenue à plat sur son giron. Au plan suivant elle s’en est saisie, deux coups de gratouillis et elle commence à chanter.

    RAMBLIN’ MAN

    JADE BRODIE

    (Western AF / 2022)

                    La version la plus dépouillée de Ramblin Man que je n’ai jamais entendue, je la qualifierais de rudimentaire si je n’avais peur que vous compreniez mal ce mot, guitare minimale, vocal sans emphase, les couplets répétés, les yeux fermés, le visage plissé, toute la tristesse du monde vous tombe dessus, c’est quoi ce truc, même pas du country, même pas du folk, même pas du blues, l’on est aux racines, c’est ainsi que devaient chanter les songsters vers 1840 que l’on n’a jamais entendus.

             J’ai voulu en savoir plus. Première chose sur laquelle je tombe en ouvrant le site Western AF, un article Meredith Lawrence Premier détail pioché, née en Californie, elle a vécu à Santa Rosa, ville située au nord de San Francisco, ses parents s’intéressent à la musique, elle a dix-huit ans lorsque son ami et son disquaire lui offrent une guitare et un coffret de blues et de country féminins… Presque un conte de fées qui emprunte une voie typiquement américaine : le train. Elle sera réparatrice de locomotives. Existerait-il un moyen amerloque de se déplacer encore davantage mythique ? Oui, le cheval. Période de chômage, elle en profite pour dégoter un job dans un ranch. Certainement vous avez aussi les highways, n’ayez crainte elle coche toutes les cases : l’est en train de conduire lorsqu’elle refuse de bifurquer vers un nouveau stage de conductrice de locomotive, elle préfère les chevaux et passer sa vie à chanter et à composer…

    GETTING OUT OF HERE

    JADE BRODIE

    (Dusty Vaquero / 2024)

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             Dusty Vaquero est un site qui fonctionne  à la manière de Western AF, enregistrant live des artistes qui n’ont pas atteint une renommée internationale. Nous retrouvons Jade Brodie en direct. On ne la reconnaît plus. Elle porte un joli chemisier blanc à fleurs, un chapeau de cowboy, mais un jean, des guêtres et des boots plantées dans la terre, elle est assise sur un billot devant un bâtiment de bois, supposons une écurie… Des cheveux blonds mi-longs encadrent son visage. Elle  résume en quelques mots sa vie à travailler, son désir de trouver mieux. 

    Goodbye the ramblin’ songster man, this  is Brodie country, cowboy par excellence, yodle à la perfection et vous conte l’histoire de ces  hommes qui sont partout ailleurs mieux que chez eux. Plus un dernier couplet pour vous avertir qu’ils ont trouvé l’endroit qui les retient. Très différent au niveau du style de chant du précédent mais tout aussi charmeur.

    Sur bancamp seulement trois morceaux :

    SPLIT MY TOOTH

    (Mars 2020)

    Jade Brodie : chant, guitare acoustique, et paroles / John Courage : guitare solo / Kirk Fortin : violon / Francesco Echo : basse / Dan Ford : batterie.

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             Belle photo. On la croirait chez elle. Mais non dans le compartiment d’un train. Toute belle, le soleil la dore d’un de ses rayons. Ses cheveux de miel et l’angoisse sur son visage. Elle tend la main vers sa guitare comme si elle n’osait pas la saisir.

             Elle peut remercier ses musicos, lui font un accompagnement de rêve, mais son vocal magnifie cette balade d’une tristesse absolue. Une voix qui ne flanche pas, elle se pose sur la musique comme un poison qui coule dans vos veines et qui remonte dans votre cœur pour l’empêcher de battre. Trop de distance entre deux êtres. Dans une note de présentation elle avoue qu’elle a  bâti   cette chanson sur un vers d’un morceau Townes Van Zandt qu’elle avait chanté à son mari, le jour de leur mariage. Ne vous étonnez pas qu’ils aient divorcé quelques mois plus tard. Comment croire que l’être aimé restera si vous lui accordez la liberté de partir… L’existe une Official Vidéo. Quelques scènes nauséeuses de solitude et d’impuissance dans un bar, dans sa robe rouge, princesse déchue de son propre rêve elle caresse un alezan, ce n’est pas un film, juste des éclats d’âme brisée  comme un miroir intérieur qui n’a pas supporté d’avoir tant été regardé.

    MAKING HISTORY

    (Février 2021)

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    Photo de la même série que la précédente. Elle est encore plus belle gainée dans sa robe rouge. Princesse alanguie, le soleil amoureux caresse son visage. Encore inquiet, mais sa guitare est à ses côtés.

    Vous avez une Official Video. Rien d’exceptionnel. Un mélange de vie vécue et de vie rêvée. Pas tellement différentes. Même si l’une va d’avant et si l’autre n’a pas la force de retourner en arrière. Certes les musicos vous imposent le roulis monotone du train qui roule vers l’absurde shuffle d’une existence partagée en deux. Bosser au loin pour gagner sa vie équivaut à la perdre. Les paroles ressemblent à une de nos comptines enfantines, sans joie, sans exaltation, sans chocolat en récompense finale. Une voix aussi froide qu’une langue de serpent. Qui n’en finit pas de vous mordre. Quand l’un est là, l’autre est ailleurs. Existences effilochées. La grande Amérique broie l’existence de beaucoup.

    (Jae Nobody est au violon).

    OPEN ROAD

    (Février 2022)

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    Plus de soleil. Photo en blanc et noir. Ils n’ont pas dû le faire exprès mais son visage marqué d’ombre et d’angoisse évoque pour un français certains clichés expressionnistes d’Edith Piaf.

    Encore une vidéo. Crépusculaire. Le soleil se couche sur les paysages américains. Vous ressentez une inextinguible tristesse, celle de l’incomplétude de l’âme humaine qui peut contenir en elle toute la vastitude de la beauté du monde mais qui n’arrive point à intégrer le minuscule point de départ, la maison qui vous attend et dont vous vous rapprochez au fur et à mesure dont vous éloignez d’elle. Insatisfaction de vouloir être ce que l’on n’est pas et de ne pas vraiment être ce que l’on est. L’origine n’a pas de fin. Elle est une plaie qui suppure, un fruit partagé en deux dont il manquera toujours la moitié.

    Une voix qui touche à l’essence de la country. 

    Qui touche à la poésie.

    Merveilleuse Jade Brodie.

    Damie Chad.

     

    *

                Un groupe français. Pas mal le nom. Un truc gorgé de sang qui ne demande qu’à être versé. En supplément phonétique le mot vous emplit la bouche, avant même d’écouter mes oreilles saignent. J’avais raison comme toujours, l’écoute s’avère pénible. Pour une des rares fois de ma longue existence mon humilité me force à reconnaître que j’avais tort. Je vous rassure, je ne révise pas mon jugement auditif, mais non ils ne sont pas français. Viennent de Lithuanie. En plus ils l’écrivent avec un h, alors que depuis quelques années la France l’a supprimé lors d’une nouvelle transcription phonétique.

             J’adore ce pays. Coincé entre la Pologne, la Lettonie, et la Biélorussie. Je n’y suis jamais allé. Mais cette lointaine contrée nous a donné un de nos plus grands poëtes, lui qui savait le russe, l’anglais, le lithuanien, le yiddish, l’hébreu, l’allemand, a écrit toute son œuvre, vous la situerez entre Nerval et Rilke, en français, vous avez de la chance, pour d’obscures motivations politiques (guerre en Ukraine), comprenez urgences non poétiques, a paru dernièrement chez Gallimard, un Quarto qui regroupe en 1300 pages une bonne partie de ses œuvres. Normalement vous devriez cesser de lire cette kronic, et ne la reprendre une fois que vous auriez passé la moitié de votre vie à lire Oscar Vladislas de Lubicz Milosz ( 1877 – 1939), ce qui me laisse le temps  de la terminer en toute tranquillité.

    CARRION

    AORTES

    (CD / Banndcamp / Avril 2025)

             L e premier Ep d’Aortes est sorti en août 2012. Sous le nom d’Autism.

    L’on sent qu’ils aiment les mots qui battent comme un cerveau qui n’est plus irrigué… Chacun de leur titre possède ce privilège de vous faire flipper avant que vous ne les ayez écoutés. Au moins vous ne pouvez pas vous plaindre de ne pas avoir été prévenus. Ainsi leur dernier album dès son titre vous annonce que ça sent la charogne. Ont-ils une prédilection pour Baudelaire, je ne sais pas. Vous jugerez sur place de cette composition, pardon de leur décomposition musicale.

             Le groupe a renouvelé ses membres. La dernière formation que j’ai pu trouver est la suivante : Andrius Sinkunas : chant, clavier, synthétiseur / Tomas Danisevskis : guitare / Linas : basse / Dormantas Lekavicius : batterie.

             Si vous vous attendez à une histoire bizarre, détrompez-vous, en règle générale les morts ne bougent pas trop, ils ne se lèvent pas toutes les cinq minutes pour faire un petit tour sur la terre.

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             La couverture n’est guère accueillante. Elle n’est pas créditée, comme ils sont des adeptes du Dot It Yourself, elle doit être d’eux. Entre parenthèses, chaque fois que je lis Diy je pense à (to) Die. Noire et jaune, me revient en mémoire le titre du roman Le Soleil des Morts de Camille Mauclair, il met en scène Stéphane Mallarmé, c’est aussi celui du livre d’Ivan Chmeliov, voire au poème (issu du recueil Banquets et Prières) de Marceline Desbordes-Valmore dont Rimbaud appréciait fort la poésie, tout cela pour vous rappeler que la mort ne fascine pas que les amateurs de dark metal. En tout cas ce jaune n’est point illuminatif, tout au plus une lumière froide. Pour le noir passe encore le portrait je subodore de Tolstoï ou de Dostoïevsky, avec ses yeux fous de voyant fixés sur la bouche d’ombre, l’on retrouve au bas de la couve le regard de celui qui a vu ce que l’on ne doit pas voir, les trois mains centrales, une de plus, une de moins, qui se tendent et se cherchent sans se trouver, et tout en haut la grille des côtes déjà dépourvues de chair…

    Dying world : une espèce de tsunami implacable de guitare fonce sur nous, sans se hâter, vitesse lente, le monde s’effondre, c’est nous qui mourrons, tout notre décor existentiel dans lequel nous avons joué la comédie de la vie se démantibule dans notre regard intérieur, la batterie écrase tout ce qui voudrait résister, mais rien ne manifeste cette envie, comprenez ces cris d’horreur, ces appels au secours à soi-même, l’unique personne à qui nous pouvons les adresser, mais nous savons bien que nous n’avons aucun moyen, aucune chance d’arrêter ce raz-de-marée qui s’abat par pans entiers, une ambiance de film-catastrophe pas du tout cathartique, nous courrons de tous les côtés pour nous arracher à ce mal inexpugnable qui est en nous, en notre conscience, nous sommes allongé sur notre couche, au fond de notre cercueil, notre vie est en train de s’écrouler, de s’ébouler sur nous, tout ce que nous avons aimé nous tombe dessus, et nous ensevelit en nous-même. Carrion : feat Plié : ça y est nous sommes mort. Notre corps vit encore. A sa manière. Il entre en putréfaction. Tout bouge et reste sur place. On a l’impression qu’ils ont additionné pistes sur pistes, pour donner une impression de gluance sonore, le vocal en arrière-plan, la charognisation n’est pas un écoulement mais une brûlure, une carbonisation, une espèce d’auto-combustion qui brûle et s’auto-crame, notes lourdes de synthé pour marquer la désynthétisation des tissus, la voix parle, est-ce celle du mort, ou celle d’un spectateur qui médite, il semble que des mouches bourdonnent, vocal non pas des derniers secrets mais des ultimes révélations d’auto-consumation, est évoqué le fantôme d’Hérodote, le voyageur qui s’en est allé explorer toutes les routes et tous les pays qui entouraient la Grèce antique, notre corps brûlé n’est-il pas un ailleurs étranger par excellence, un autre état de notre matière, à moins que ce soit une sorte de folie charnelle, un dépassement de soi. To the worms: intensification musicale, qui pleure -là parmi les diamants extrêmes, est-ce la jeune Parque ou le poëte, l’amant ou l’amante séparée par un miroir à deux faces, ce qui est sûr c’est que celui des deux qui est  dehors est comme celui qui est dedans, une corde de basse rebondit comme une balle de pingpong comme le pendule endiamanté qui descend pour tailler le verre séparatif, l’un appelle, l’autre lui demande de traverser la paroi terreuse de sable vitrifiée, elle appelle, et lui se jette à terre, il essaie de pénétrer dans la terre, de devenir ver de terre pour se mêler aux vers en train de bouffer cette chair en putréfaction active. Black mold : instrumental, crépuscule des dieux, Siegfried ne passera pas la croûte de terre pour se coucher dans le cercle de feu de la Walkyrie, pas du tout une chevauchée, une marche funèbre, Roméo ne rejoindra pas Juliette, la mort comme la vie, la vie comme la mort, l’une sans l’autre, l’autre sans l’une, ne sont qu’une sale moisissure qui corrompt toute existence, qui annihile toute impossibilité de retrouvailles. Nous avons essayé. Nous avons échoué. Peut-être parce que la mort de l’un n’est que la mort de l’autre. Mais ceci est une autre histoire.

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      When we cease : changement de paradigme, un seul être vous manque et tout est dépeuplé disait Lamartine, Aortes ne l’entend pas ainsi, c’est le monde qui s’écroule, la catastrophe écologique,  tout ce que vous voulez, mais le survivant devient le reflet de celui qui a choisi la partenza, un éclair comme une bombe atomique qui viendrait vitrifier la terre, encore le miroir à deux faces, le monde qui s’éboule dans la tête de celui qui est sous terre et le monde qui est détruit autour de celui qui est resté à la surface du globe, le morceau est une terrible incandescence, une montée lente et incoercible, un vocal hurlé à la manière d’un appel au secours inutile, de toutes les façons quand tout sera terminé, rien ne se passera, nous ne serons plus rien, encore moins que maintenant où l’un survit encore dans la tête de l’autre. (Il existe une vidéo, mortifère, de vieilles croix de bois dans un cimetière, si nombreuses si serrées qu’elles paraissent avoir été mises au rebut, ornées de colliers, de rosaires, de scapulaires, de dessins, de crucifix… un terrible sentiment d’abandon et d’impuissance).  Lifeless :

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    plus personne, une cloche résonne, une seule solution, puisqu’il est évident autant conjurer un esprit, celui de celui ou de celle dont le cercueil va basculer dans la tombe, existe-t-il de l’autre côté une lumière, ressens-tu le soleil des morts, une espèce d’existence, différente, mais la mort ne serait-elle pas la continuation de la vie sous une autre forme, il empoigne le cadavre à pleine mains, il le secoue, il l’interroge, il crie, il frappe il supplie, musique écrasante totalement folle, sans vie, sans mort, rien, néant, les circuits de son cerveau se transforment en catacombes qui regorgent de squelettes sans âme, un seul être vous manque et le monde entier des hommes n’est plus, disparu, néantisé. (Il existe une vidéo, une maison de bois abandonnée, délabrée, désertée, la caméra s’attarde sur une espèce de totem informe qui cependant mérite l’adjectif christique, puis un paysage enneigé, un pont, une route, un fleuve, pas une âme vivante, retour au totem, des squelettes d’arbre, un nouveau totem carrément christique, des amas de planches, une maison écroulée, au loin une maison, une lumière le soleil qui se lève, tombes caressées par le soleil, une statue du Sauveur, l’impression que le monde se réchauffe.)   I’ve loved you all : this is the end, beautiful

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    friend, mais il n’y a pas de car bleu, il n’est même pas noir, il est transparent, un miroir à deux faces, il t’emmène, penché sur ton cercueil je me laisse aller, penché dans mon cercueil je te laisse partir, je ne peux pas te retenir, qui parle encore une dernière fois, celui qui reste ou celui qui descend, qui oubliera l’autre, ne reste plus que le désespoir, un dernier adieu, car l’on ne se reverra jamais. (Il existe une vidéo, paysages noyés de brumes, sentiment de solitude et de désolation, l’on parcourt les champs, la terre, les bois pour se retrouver devant de très vieilles tombes déformées, crevées, des images de mers déchaînées, de fleurs, d’insectes, la nature elle continue de vivre, elle n’a pas l’air de se soucier de l’humaine créature couchée en ses cimetières… un moment un œil vous scrute, serait-ce la mort qui vous attend… ou quelqu’un d’autre.).

             Si j’ai mis les trois vidéos en fin de recension des trois titres, c’est parce que je les ai visionnées avant d’avoir fini la totalité de mon écoute. Elles sont simples et belles. Une atmosphère toutefois déprimante. Peut-être incitent-elles à une autre compréhension, à qui s’adresse la personne sous la tombe, à un être humain ou la divinité… Serions-nous face à un groupe chrétien. Quel qu’il soit, cet album est magnifique, le texte est d’une grande subtilité et la musique d’une force irréfragable.

             L’ensemble est d’une force étonnante et vise à l’essentiel.

    Damie Chad.

     

    *

             Bien sûr avec vos bras reptiliens vous pouvez tenir, prenons un exemple au hasard, une jeune fille, l’enserrer dans vos muscles visqueux, avec la force d’un python réticulé, moi ce qui m’a plu c’est le titre de l’EP en latin, un groupe qui utilise la langue de Virgile et d’Ovide ne peut pas être entièrement mauvais, ensuite je me suis demandé, question oiseuse s’il existait des reptiles avec des bras, j’ai vérifié dans L’Histoire Naturelle de Buffon, apparemment il n’en a jamais entendu parler. D’où l’intérêt à regarder ce nid de serpents de près.

    EXTENSA FABULA

    REPTILIAN ARMS

    ( Bandcamp / Avril 2025)

    Chris Cassisi : basse / Josh Joesten : drums / Marcus Rzyborowski : guitares /Alex Santana : vocal.

    Sont de San José, ville d’un million d’habitants située à moins de soixante-dix kilomètres de San Francisco, considérée comme les centre de la Silicon Valley. N’ont pas l’air d’être des hippies attardés ni des chantres de la technologie moderne. Paraissent plutôt intéressés par les sciences maudites. La couve de l’EP vous convaincra.

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    Une toute jeune fille, sage et innocente, debout devant des buildings de cinquante étages. Essayez de ne pas regarder les têtes de morts qui remplacent le gazon. Ne quittez pas des yeux la lueur assassine des prunelles du lézard géant et cornu aplati sur les gratte-ciels, avant de vous porter au secours de l’enfant vérifiez les griffes démesurées de cet être sorti des entrailles de la terre. Cette image sombrement hémoglobinesque n’illustre pas une fable de notre bon vieux Jean de La Fontaine, permettons-nous une traduction peu correcte et un tantinet éloignée du titre de l’album. : extension du domaine de la lutte reptilienne.

    Zenosyne : comment interpréter ce titre, signifie-t-il que la mémoire des choses s’accélère induisant ainsi une accélération du temps, ne faites pas la fine bouche, il est inutile de déclarer que le concept zénosynien est légèrement flou, alors qu’il est évident qu’il n’a pas besoin d’aile pour progresser rapidement car il est intrinsèquement fou, non je suis pas atteint de folie car si l’aile de la folie s’envole, les haruspices se pencheront sur mon foie pour en tirer d’hâtives conclusions sur l’avenir. Si vous n’avez rien compris à ce qui précède, peut-être conviendrait-il de ne pas écouter cet EP, mais puisque vous vous obstinez dans votre curiosité malsaine, tant pis pour vous. Je vous vois venir avec votre gueule enfarinée, oui c’est rapide, ultra-speed, un trio infernal qui fonce, à San José la nuit tous les feux rouges sont verts, quant au vocal de Santana c’est vrai que ce n’est pas la guitare à notes rallongées de Carlos, l’a une voix bulldozer, quant au Josh il filoche sur sa drummerie pour prouver aux deux autres qu’il roule plus vite, alors Marcus et Chris accélèrent et le dépassent, bientôt sont tous les trois sur la même ligne, et Santana, déguisé en Ben Hur  les cingle, de ses hurlements il les propulsent au travers du mur du son. Vous avez adoré ce doom de cinglé, vos oreilles ont couru derrière comme des dératés mais vous avez raté l’embrouille du film en rembobinage, vous ressentez l’urgente nécessité que je vous refile quelques bribes de scénar. Voyez-vous certains aiment que la vengeance se dévore chaude-bouillante. L’un l’a laissé pour mort et l’autre pas mort s’empare de l’un et vous le dissèque en petits morceaux pour qu’il souffre un max. Une boucherie expiatoire. Maintenant vous comprenez pourquoi Carlos se dépêche  pour qu’il souffre au plus vite, prend même un malin plaisir à imiter les hurlements de sa victime. Shroom doom : ouf le rythme s’alentit, le Carlos en profite pour nous prouver qu’il peut à lui tout seul  chanter aussi fort qu’un chœur de quatre-vingt moines qui n’ont pas violé une bonne sœur depuis trois jours, il gueule, et puis il dégueule, la guitare de Marcus en profite pour dégringoler les cent quarante-quatre marches du clocher de l’église en feu, l’est sûr que quand le delirium tremens s’arrête vous êtes incapable de retrouver votre esprit qui vous a quitté et qui bat de l’aile sous la voûte de la sacristie, je vous en ai donné une version chrétienne parce que vous aurez davantage de mal avec la mythologie mexicaine, tout se passe aux derniers moments, lorsque vous êtes en train de succomber, que le méchant enserre votre cou de ses dix doigts et vous prive d’oxygène, vous comprenez que la partie d’échec de votre vie est définitivement perdue, que la Reine ne vous sauvera pas, que vous vous essoufflez sur la diagonale du fou, que l’œil cruel de Caïn est dans votre tombe et vous fixe, que le Serpent à Plumes, est-ce lui le Reptile, est-ce vous, est-ce l’autre, en tout cas, qui qu’il soit, il agonise sur le damier.  Non, ce n’est pas clair, mais nos champions ont pris des champignons. Prayed upon : le dégueulis sonore redémarre, avec en plus la batterie qui se permet d’imiter le vacarme des tortillards à crémaillères sur les sommets andins, aux décibels il y a du monde : toute l’Humanité. Les deux premiers morceaux ne seraient-ils qu’une métaphore. L’on vous aurait présenté quelqu’un en train de se faire assassiner pour que vous compreniez que l’assassin de soi-même n’est que soi-même. Que le monstre reptilien qui se jette sur vous ce n’est que vous, juste au moment où vous en prenez conscience le morceau s’écroule sur lui-même. Grand charivari, immense capharnaüm phonique et mental, la mort ce n’est pas le Monstre, c’est le désir qui vous pousse, vous et tous les autres, qui ne sont ni pires ni meilleurs que vous, vous êtes un monstre d’égoïsme, après vous le déluge, pourvu que vous puissiez bâffrer et jouir à volonté, vous mourez parce que vous mentez, vous volez, vous tuez. Les autres, cela n’a que peu d’importance- c’est vous que vous tuez parce que vous refusez de vivre. Après tout c’est votre choix. Vous ne voudriez quand même pas que l’on vous plaigne. En plus vous êtes déjà mort depuis longtemps en vous-même avant d’être mort. London dungeon : c’est la fête, entendons-nous bien, c’est difficile avec tout le bruit qu’ils font, sans compter les flonflons de cette voix qui joue à Monsieur Loyal. Quel grabuge, à quel jeu jouent-ils tous ensemble. C’est un peu comme à Donjon et Dragon, ils ont choisi London, pourquoi les américains opteraient-ils pour l’enfer anglais, je n’en sais fichtrement rien, peut-être parce que là-bas ou ailleurs c’est sans doute la même chose. Vous avez toute vie tout fait pour vous retrouver sur le quai du grand départ et  monter dans le train de l’enfer, alors une fois que vous y êtes, ce n’est pas la peine de réclamer sous prétexte que vous n’êtes pas dans le bon compartiment. Amusez-vous bien !

             Erreur d’interprétation de la couve : la petite fille n’est ni sage ni innocente. La bête immonde qui la guette n’est pas tapie sur les gratte-ciels de San José (ou d’ailleurs), elle n’est qu’une projection de son âme déjà sale, envieuse et vicieuse. Le monstre n’aura pas besoin de bondir dans sa caboche, elle y est déjà, c’est elle qui projette son insatisfaction congénitale, sa désastreuse avidité, sur le monde entier pour qu’il lui ramène tout ce qu’elle veut.

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             La musique de Reptilians Arms est sacrément venimeuse. Ses écailles sont fascinantes. A elle seule, elle  devrait être stigmatisée par un Parental Advisory. Elle est si chaotique qu’elle est capable, une unique écoute suffira, de pervertir nos têtes blondes, de fragiliser leur équilibre mental. C’est pour cette raison que les kr’tntreaders l’adoreront... Oui mais eux, il y a tellement longtemps qu’ils sont perdus, qu’un peu plus ou un peu moins n’influera en rien  leur triste destinée… Pourtant l’apposition de ce logo infâmant serait une erreur, tout compte-fait les paroles sont morales, les méchants vont en enfer, n’est-ce pas ce qu’ils méritent !

             Comme ce deuxième EP de nos reptiles nous a paru aussi délicieux qu’un gâteau aux trois chocolats empoisonnés, nu tour sur leur premier artefact s’impose.

    THE SET DEMO

    REPTILIAN ARMS

    (Bandcamp / Novembre 2023)

    La pochette n’est pas un must. Elle est réduite au plus simple. Juste le nom du groupe calligraphié dans ce type d’écriture illisible qu’affectionnent le groupes doomesques et métallifères. Vraisemblablement à l’époque des commencements de l’ère du Metal c’était une manière de se distinguer de l’esthétique punk, toutefois méfions-nous de la monotonie.

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    Slow kill : un truc tranquillou si l’on en croit le titre, je remarque que mon chien quitte la pièce, reconnaissons que c’est flippant cette voix de croque-mort sans appétit, et ce catafalque de guitares qui vous enveloppe sans vous avertir, lorsque le drummer commence à vous enfoncer les clous à travers les planches du cercueil pour que vous ne caltiez pas en douce, c’est moins rigolo, la petite fille va mourir, qu’elle ne panique pas, qu’elle prenne le temps de respirer, pourquoi se plaindrait-elle de quitter ce monde cruel. This is the end beautiful little girl. L’on se demande pourquoi à la fin, elle ne dit pas merci. Un morceau un peu funèbre qui pose une question essentielle : mais que voient les morts ? Proclamation of fire : le premier titre tentait de vous prendre par les sentiments, sur celui-ci on essaie de vous séduire intellectuellement. Une véritable discussion philosophique, ponctuée par la batterie, les guitares imitent le bruit d’un moteur de hors-bord lancé à toute vitesse sur le lac de la pensée. Le prof au vocal commence par vous asséner quelques reproches, vous avez essayé d’échapper à votre vie minable en éliminant toux ceux qui se trouvaient sur votre chemin. Vous joignez vos mains ensanglantées pour demander pardon à Dieu. De temps en temps d’un gosier inexorable il lâche quelques préceptes nietzschéens définitif  sur la nature profonde de l’animalus humanus : Dieu n’a aucune pitié, nous non plus ! Invaders advancement : quittons l’individu, intéressons-nous au collectif. La société réalise en grand ce que vous commettez à l’échelle minuscule tout seul dans votre coin, les cymbales tirent des coups de fusil, la batterie est un char d’assaut qui écrase tout ce qui se dresse devant elle, le combat, le vocal lance des ordres et des invectives, vous encourage, à la fin il doit être à la tête d’un commando-suicide. Un carnage. Un vrai gloubi-boulga. Vive la mort. Lie awoke : pour ceux qui n’ont pas compris. Vous avez une session de rattrapage : le vocal vous offre de sa voix le plus lugubre une histoire de l’humanité. Vous énonce toutes les catastrophes qui nous sont tombés sur le museau depuis l’aube des temps. Enfin dernière invitée : la peste. C’est pour ne pas nommer le Covid. Pas de panique, un médicament se profile à l’horizon. Ne dites pas que le vocal ressemble à un égout qui dégorge, peut-être ne l’avez-vous pas reconnue, mais c’est la voix de Dieu, qui se délecte de la mort de l’Homme, les guitares ne la ramènent pas, elles se la jouent profil bas et pissent du plomb fondu comme les gargouilles de Notre-Dame pendant l’incendie. J’ai comme l’impression que Dieu veut notre mort. Il grogne à la manière d’un verrat colérique dans sa soue. Lapidatus : on l’avait compris l’on se dirige à grande vitesse vers l’Apocalypse. D’ailleurs les guitares imitent le bruit d’un avion qui va s’écraser dans les minutes qui suivent. Il prend son temps, il tourne en rond pour que vous ayez le temps de comprendre ce qui va se passer. C’est la fin des temps. Oui il y aura quelque chose d’autre après, l’on a l’impression que la guitare imite Hendrix jouant l’hymne Américain à Woodstock, mais là ce ne sont pas de misérables bombinettes sur le confetti vietnamien, c’est une nouvelle ère qui commence, ne soyons pas déçu elle aussi a droit à sa propre fin des temps. Humains rayés de la planète, Dieu est un menteur.

             The Set Demo est peut-être musicalement moins fulgurant que l’Extensa Fabula mais la fable qu’elle raconte est beaucoup plus radicale. Un point bonus aux deux artefacts. Balle au centre, on attend l’EP numéro trois. Avec impatience.

    Damie Chad.