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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 640: KR'TNT 640 : BOB CREWE / FLAT DUO JETS / SAY SHE SHE / DANNY BOY ET SES PENITENTS / MIGHTY SAM / GRUFF RHYS / BILL CRANE / BLOUSONS NOIRS / NOMAD / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 640

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 04 / 2024

     

    BOB CREWE / FLAT DUO JETS / SAY SHE SHE

    DANNY BOY ET SES PENITENTS

    MIGHTY SAM / GRUFF RHYS

    BILL CRANE / BLOUSONS NOIRS

     NOMAD / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 640

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Motley Crewe

    (Part One) 

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             Aussi curieux que cela puisse paraître, il existe dans le commerce un très beau livre d’art consacré à Bob Crewe.

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    Comme c’est un Rizzoli, il est imprimé à Hong-Kong. Tu ne bats pas les Hong-Kongais à la course du print. Comme Crewe est un peintre abstrait, un forcené de la matière, comme le fut Dubuffet sur le tard, les printers asiatiques ont sublimé l’art du print et donné la parole aux encrages du kaolinage. Même si ces grandes doubles pages abstraites ne sont pas spécialement ta came, cette matière vivante te parle. Te voilà confronté à un choc esthétique, l’indicible secousse te rappelle les coups portés jadis par Dubuffet ou Andy Warhol à Beaubourg. Tu déambulais, et au coin du bois, un loup te chopait, que ce soit l’Elvis géant de Warhol ou le Leautaud rehaussé au sable de Dubuffet. Tu t’en ravinais la cervelle jusqu’à la nausée. Tu errais hagard, un filet de bave au coin de la bouche ouverte.

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             Bon, alors trêve de balivernes. Si tu chopes cet art book, ce n’est pas pour les beaux yeux de Crewe, ni pour son œuvre abstraite, qui s’en va inexorablement se noyer dans l’océan de l’abstraction, tu le chopes pour lire l’essai qu’Andrew Loog Oldham consacre à Bob Crewe.

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             Pour le situer rapidement, Bob Crewe est un producteur new-yorkais connu et célèbre pour avoir lancé Frankie Valli & The Four Seasons, c’est-à-dire les Beach Boys du New Jersey. Dans l’excellent Jersey Boys tourné par Clint Eastwood en 2014, on croise Bob Crewe dans les couloirs du Brill. Le travail de reconstitution est exemplaire, Clint fait de Crewe un personnage un peu extravagant, bien conforme à la réalité. On voit Tommy DeVito, Frankie Valli et Bob Gaudio frapper aux portes au Brill, et boom sur qui qu’y tombent ? L’ange blond de la fatalitas, Bob Crewe, qui les prend immédiatement sous son aile de wonder boy extraverti. Crewe commence par leur demander de chanter des backing vocals et ne commence à les prendre au sérieux que lorsqu’ils deviennent officiellement les Four Seasons et qu’ils proposent «Sherry». Crewe les enregistre et boom, c’est un hit. Et c’est parti mon kiki !

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             Oldham a connu Bob Crewe. Bizarrement, il ne lui consacre pas de chapitre dans Stone Free. Il profite de cet art book pour combler la lacune. Il commence par rappeler qu’il appréciait Crewe avant de le rencontrer au Dakota. Il explique qu’à 14 ans, alors qu’il vivait encore chez sa mère, il épluchait les crédits des singles qui lui plaisaient, et il cite en exemple le «La Dee Dah» de Jackie Dennis paru en 1958 - A caribbean infected falsetto that appealed to absolute beginners such as me - Oldham rappelle encore qu’avant le succès de Frankie Valli avec «Sherry», Crewe et son complice Frank Slay Jr. collectionnaient déjà les hits : «Silhouettes» par The Rays (1957), «Tallahassee Lassie» par Freddy Cannon (1959) et la version originale de «La Dee Dah» par Billy & Lillie. En matière d’histoire du rock, Oldham est l’homme qu’il faut lire, car il globalise à la manière de Chateaubriand. Il cite ce couple of years entre le moment où Elvis est revenu de l’armée et où les Beatles se préparaient à envahir l’Amérique, «greasers ruled - particularly if they could sing like doo-wop angels.» Il s’agit bien sûr des Four Seasons from New Jersey et de Dion & The Belmonts from the Bronx - New York City was the ‘home of the hits’ - Oldham parle même d’une «intersection between Sex and Song».

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             Et comme il sait si bien le faire, il met le turbo : «Bob Crewe and Phil Spector stand alone at the top of this mountain that made the sixties possible. La réussite de Bob est d’autant plus remarquable qu’après le couronnement des Beatles à l’Ed Sullivan Show, tous les early 1960s vocal groups ont disparu des charts, sauf  les Beach Boys et les Four Seasons. Spector a atteint la grandeur exclusivement via the rhythm and blues side, alors que la créativité protéiforme de Bob lui a permis d’aller jusqu’à Bobby Darin, en lançant un pont par-dessus le flower power, le garage et la disco.» Oldham poursuit ce puissant parallèle : «Alors que Spector avait tendance à se réfugier au fond d’un terrier pour disparaître de la circulation, Bob menait la grande vie au Dakota, une grande vie que lui enviait Andy Warhol.» Oldham enfonce son clou en affirmant que Bob était beaucoup plus qu’un producteur à succès, «he was La Dolce Vita lipsynched by an American blonde. What Bob and Hefner shared with Iggy Pop was a voracious lust for life.» Et puis voilà un autre parallèle révélateur : «He was driven but not obsessive. Like me, Bob had fun getting it done and was ‘happy to be part of the industry of human happiness’ as the song goes.» Oldham ressort ici le vieux slogan d’Immediate Records. Il rappelle à la suite que lorsque les Stones furent number one en 1965 avec «Satisfaction», Bob avait six cuts dans le Top 40 américain, et quatre dans le Top Ten - With artists like Diane Renay and the Bob Crewe Generation, 1964 and 1966 were equally successful years for Bob.

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             Et puis bien sûr, il y a Mitch Ryder. Pour recréer l’«explosive live act» de Mitch Ryder & the Detroit Wheels, Bob, nous dit Oldham, utilisait en studio des session men aguerris. Il faut se souvenir que dans ses mémoires (Devils & Blue Dresses: My Wild Ride as a Rock and Roll Legend), Mitch Ryder n’est pas tendre avec Bob. Un Bob qui essaya d’en faire un artiste solo, une sorte de «rock’nroll to Las Vegas crossover», idée qui déplut profondément au greaser Ryder, qui préféra quitter le navire. La même année, Bob fait «Lady Marmalade» avec Labelle - Showbusiness with a capital $ - Il passe à la diskö avec les Sex-O-Lettes, et Jerry Wexler le supplie d’aller enregistrer un album solo à Muscle Shoals, le fameux Motivation qui sort sur Elektra, en 1977. Roger Hawkins, Barry Beckett et David Hood l’accompagnent. Les background vocals sont overdubbed à Hollywood, avec notamment Curt Boettcher. L’auteur de «Suspicious Minds» Mark James fait aussi partie du projet, puisqu’il co-écrit trois cuts avec Bob, dont le morceau titre et «Another Life».

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             Alors oui, ça vaut vraiment la peine de choper ce Motivation, car Bob est fin au chant. On sent le fils du Brill. Ça prend vite une belle tournure avec «Give It Hell» lancé à l’orgue d’église. Bob évoque son daddy. Il est capable de grosses compos - Till you find love - Il ramène Broadway dans le gospel blanc ! C’est un producteur extraordinaire. Tout ce qu’il entreprend atteint à la démesure. Il rapatrie dans ses cuts les pires violonades de son temps. C’est sur-produit. Il ré-injecte du gospel blanc dans «It Took A Long Time (For The First Time In My Life)», Bob y va de bon cœur avec son génie productiviste, c’est bourré d’énergie, saturé de chœurs, oui, en vérité, Bob est un magicien. Et ça repart de plus belle belle belle en B avec «Mariage Made In Heaven» - Wake me up with the sound of your voice - C’est de la romantica de gorge profonde, Bob mise tout sur la prod et ça devient énorme - Thank God my love/ You’re mine - Le son scintille. Encore jamais vu ça ! La fête continue avec la rumba de «Something Like Nothin’ before», tu te lèves et tu ondules avec ta poule jusqu’à l’aube. Puis il s’embarque tout seul pour Cythère avec «In Another Life». Power vocal indescriptible ! Il faut arrêter de prendre Bob pour une brêle. C’est un puissant bélier et cet Elektra est un must. Bob est un maître du grandiose, une sorte de Cecil B. De Mille de la pop new-yorkaise. Jerry Wexler qualifie Motivation ainsi : «an example of cosmic improbability». Rien de plus vrai. 

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             Il existe un autre Elektra de Bob paru l’année précédente, qui vaut lui aussi le détour : Street Talk. Il enregistre cette fois sous le nom de The Bob Crewe Generation. Après un départ en mode diskö, il recale tout avec «Menage A Trois», un groove de chèvre chaud, bien jivé dans la nuit urbaine - Voulez-vous danser avec moi ce soir - Il fait la diskö des jours heureux. Très intriguant, véritable machine à remonter le temps. On sent clairement l’hédoniste en lui, et même le futuriste. C’est très spectaculaire ! Bob chevauche le dragon de l’heavy diskö new-yorkaise. Il sait exactement ce qu’il fait, avec le morceau titre. Il reprend le chant sur «Welcome To My Life». C’est du très haut niveau. Il vise l’extrapolation orchestrale. Il est l’un des rois américains du son. Il termine cet album étonnant avec «Time For You And Me», un enchantement.

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             Donald Albretch signe le deuxième essai de l’art book : ‘The worlds of Bob Crewe’. Cette fois, l’auteur met le paquet sur la bisexualité de Bob. Comme il est beau et blond, il attire les regards et les convoitises - I began rather rapidly to get the picture. I mean, I was sought after. And I would be aware of it - Bob vient d’un milieu pauvre et il va devenir riche. Il devient mannequin pour l’Hatford Agency, il devient «the ideal all-American boy-next-door in advertisements for Coca-Cola and other popular brands.» Il attaque sa carrière de songwriter en 1953, en collaboration avec Frank Slay Jr. «Silhouettes» par The Rays se vend à un million d’exemplaires et sera repris par les Herman’s Hermits en 1965.

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    Photo d'Otto Fenn par Andy Warhol

             Deux mentors prennent Bob en main : Austin Avery Mitchell et Otto Fenn, qui non seulement développent son talent de chanteur, mais lui font découvrit le monde de l’art. Bob est tout de suite fasciné par Dubuffet, auquel il emprunte la formule «Texturology». Otto Fenn était photographe à l’Hatford Agency. C’est lui qui photographie l’appart de Crewe à New York en 1956 : en se croirait chez un Des Esseintes des temps modernes. Un dandy lit un canard accoudé sur une commode, on pense bien sûr à Robert de Montesquiou, et derrière lui, l’immense mur est couvert d’œuvres d’art de toutes tailles. Otto Fenn est un proche d’Andy Warhol qui est alors en phase de démarrage. Warhol pose pour Fenn. Ce sont les racines de la plus grande révolution artistique new-yorkaise, celle qui allait donner la Factory et le Velvet. Albretch rappelle qu’Otto Fenn a joué dans cet avènement un rôle considérable. 

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             À la fin des sixties, Bob sat on top of the world, nous dit Albretch. Comme tous les gens de sa génération confrontés à la gloire, Bob tape dans la dope, l’alcool et la liberté sexuelle. Après avoir organisé des fêtes somptueuses au Dakota, il s’installe dans un «Fifth Avenue penthouse triplex that he fills with music and a very personal assortment of magnificent loot.»  Il est au summum de la décadence artistique new-yorkaise. Et comme ça ne marche plus trop à New York dans les seventies, il part s’installer à Los Angeles et bosse comme executive producer pour Motown. Il produit notamment Bobby Darin et Frankie Valli. Albretch indique aussi que Jersey Boys rend plus hommage à Bob Gaudio qu’à Bob Crewe, qui est pourtant le père fondateur des Four Seasons. Oui, Gaudio compose, mais le son, c’est Crewe. De la même façon que pour les Ronettes et tout le tremblement, c’est Totor.

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             Dans le booklet de Whatever You Want - Bob Crewe’s 60s Soul Sounds, Ady nous dit que Bob Crewe est surtout connu pour ses productions de Frankie Valli & The Four Seasons, mais aussi de Mitch Ryder & The Detroit Wheels (qu’il avait signés sous contrat). Il a aussi produit des poids lourds de la Soul new-yorkaise, comme Chuck Jackson, Barbara Lewis, Ben E. King et Jerry Butler, ainsi que des starlettes comme Lesley Gore et Ellie Greenwich. Bob Crewe confie ceci à David Ritz : «I was more influenced by rocking rhythm and blues, LaVern Baker, Ivory Joe Hunter, Joe Turner - The soulful sincerity of black music and heavenly harmonies of doo-wop moulded me.» Bob Crewe était surtout un dénicheur de talents et un compositeur/producteur. Ken Charmer rappelle que Crewe avait installé son quartier général au Dakota. Après un break, il est revenu en force dans les seventies en bossant pour Motown, notamment avec Bobby Darin et Frankie Valli. Puis LaBelle. «Lady Marmalade», c’est lui !

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             Deux grosses poissecailles se planquent dans la belle compile Kent, Whatever You Want - Bob Crewe’s 60s Soul Sounds : Frankie Valli et Walter Jackson, un Walter Jackson déjà repéré sur la compile qu’Ace consacre à Chip Taylor. Jackson attaque «Everything Under The Sun» du coin du nez. Superbe Soul Brother d’OKeh. On a tout de suite du son avec Frankie Valli & The Four Seasons et «I’m Gonna Change», puis «(You’re Gonna) Hurt Yourself». Frankie est le killer, il arrive sous le groove, il agit en white nigger. Il est l’un des rois de la Northern Soul, ne l’oublions pas. Parmi les révélations, voilà Lainie Hill et «Time Marches On», pur génie pop, trois singles et puis s’en va. Autre choc esthétique : Billie Dearborn et «You Need Me To Love You». Elle chante à l’accent fêlé et c’est une merveille inexorable. Encore deux énormités : Dey & Knight avec «Sayin’ Something» (ils visent le Totor du Lovin’ Feeling), et Lynne Randell avec «Stranger In My Arms» (heavy pop des enfers de New York City, belle blanche succulente). Plus connue, voilà Dee Dee Sharp avec «Deep Dark Secret», un énorme tatapoum de popotin, bardé de son jusqu’au délire. On croise aussi l’immense Chuck Jackson avec «Another Day»», il a du son et il a du poids. Retrouvailles encore avec Kenny Lynch et «My Own Two Feet», si popy poppah. Bien connu de nos services, voilà Mitch Ryder & The Detroit Wheels avec «You Get Your Kicks», le Detroit Sound de New York City. D’autres luminaries encore, comme Kiki Dee avec «I’m Going Out (The Same Way I Came In)» (elle claque bien son beignet) et James Carr avec «Sock It To Me Baby» (classique, raw Stax). Ken Charmer annonce d’autres Crewe volumes à venir. Miam miam.

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             Pour creuser encore un peu plus le Crewe, il existe une brave petite compile parue en 2007 : Silhouettes. The Warwick Years. Alors attention, c’est de la petite pop qui frise la variette de Broadway. Ça devient parfois de la grande pop, car Bob Crewe dispose de l’atout fatal : la vraie voix. Mais il se plie aux exigences commerciales des early sixties américaines. C’est parfois jazzy («Ain’t That Love»), parfois groovy («Kicks») et encore plus jazzy («The Whiffen Poof Song»). Il peut monter pour groover le jazz, alors on le prend très au sérieux. Même sur des bluettes dégoulinantes comme «Bess You Is My Woman Now». Allez encore un spasme avec «Shakin’ The Blues Away», bien explosé par l’orchestration. Il tape aussi dans le cha cha cha de Broadway avec «Luck To Be A Lady Tonight», pur jive d’extrême onction orchestré à la nausée. À cette époque, Bob est déjà un chanteur extraordinairement accompli, il swingue la pop et fait du grand art avec «Love’s Not For Me» ou encore «Water Boy». Et tu claques des doigts à l’écoute de «Smilin’ Through». À l’aube des temps, Bob navigue déjà au sommet du swing de Broadway.  

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             Si tu pousses un peu le bouchon, tu peux aller écouter the Bob Crewe Orchestra et, par exemple All The Song Hits Of The 4 Seasons, un Phillips US de 1964, mais c’est à tes risques et périls. C’est un album d’instrus et de big American sound, mais il ne s’y passe rien de particulier, en dépit des liners élogieuses d’Andrew Loog Oldham au dos de la pochette. C’est vrai qu’il y a de l’énergie, mais que peux-tu dire de plus ?

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             Par contre, si d’aventure, tu croises le chemin de Music To Watch Girls By, un Dynovoice de 1967, ramasse-le, car tu vas te régaler. Cette fois, Bob pose au milieu de The Bob Crewe Generation, un orchestre de très beaux mecs en chemises rouges. Ils sont tous jeunes et beaux, et dans son costard noir, Bob est encore plus beau. N’oublions jamais qu’il a démarré comme mannequin. Et là tu entres dans le monde magique d’une pop de rêve dès «A Felicidade» et son orchestration machiavéliquement somptueuse, grouillante de vie et de percus du Brésil. Tu voyages en première classe ! C’est gorgé du meilleur son d’Amérique. Bob Crewe est un magicien. Ce que vient confirmer le «Theme From A Man & A Woman», c’est-à-dire le film de Claude Lelouch avec Anouk Aimée et l’immense Trintignant, Bob y injecte toute son énergie de visionnaire, la nostalgie te dévore vivant, pure magie de l’image, les planches du Deauville de ton enfance et le Coupé 504. Le romantisme des temps modernes. Dans «Let’s Hang On», on entend le guitariste du diable, un Django brésilien qui te joue la samba des catacombes. Et pour boucler ce balda faramineux, voilà le morceau titre, un air connu et terriblement bienveillant. C’est tout simplement irréel d’entrain. Il termine sa B des Anges avec un «Winchester Cathedral» en forme de sommet du suave, baigné de l’excellence de la nonchalance.

    Signé : Cazengler, Bob Crouille (marteau)

    Whatever You Want. Bob Crewe’s 60s Soul Sounds. Kent Soul 2022

    The Bob Crewe Orchestra. Street Talk. Elektra 1976

    Bob Crewe. Motivation. Elektra 1977

    Bob Crewe. Silhouettes. The Warwick Years. Warwick 2007  

    The Bob Crewe Orchestra. All The Song Hits Of The 4 Seasons. Phillips 1964 

    The Bob Crewe Generation. Music To Watch Gilrs By. Dynovoice Records 1967

    Donald Albrecht, Jessica May, Andrew Loog Oldham. Bob Crewe: Sight And Sound: Compositions In Art And Music. Rizzoli Electa 2021

    Clint Eastwood. Jersey Boys. DVD 2014

     

     

    Flip flop & Flat 

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             Les Flat Duo Jets doivent leur réputation aux Cramps et à Jim Dickinson. Ce duo de psycho-garage mené à la trique par Dexter Romweber fit en effet la première partie d’une tournée des Cramps à leur âge d’or, c’est-à-dire en 1980. Comme les Stones, les Cramps soignaient leurs affiches. Ils voulaient que tous leurs concerts soient des événements exceptionnels, aussi triaient-ils sur le volet leurs co-listiers. Là où les Stones optaient pour Ike & Tina Turner, les Cramps optaient pour les Flat Duo Jets.

             Qu’ils soient originaires de Caroline du Nord, ça tout le monde s’en fout. Que Dexter Romweber soit beau comme un dieu, là, les filles dressent l’oreille. Mais qu’ils fassent de bons albums, alors là, tout le monde écoute. Puisque Dexter Romweber vient de casser sa pipe en bois, nous allons procéder à un petit hommage funéraire vite fait bien fait, à l’ancienne.

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             Comme pas mal de gens intéressants, Dex et son ami batteur Crow sont allés un jour à Memphis demander à Jim Dickinson de produire leur album. Il s’agissait de leur deuxième album, Go Go Harlem Baby, dont la pochette s’orne d’un joli décolleté en gros plan. Et comme tout ce qui passait dans les pattes de Dickinson, Go Go Harlem Baby brille d’un bel éclat, celui d’une véritable inspiration. L’album ne compte pas moins de seize titres. Au moins t’en avais pour ton argent. On passait de la belle pop d’arrière gorge remontée aux bretelles par des relances de couplets («The Dainty Song») au rockab à l’ancienne («Frog Went A Courtin’»). Eh oui, Dex avait un faux air d’Elvis et il savait bopper son rockab. Il savait aussi jouer le balladif heavy-bluesy et le rendre admirable de véracité guitaristique («I Don’t Know», prodigieusement dickinsonien) et rendre de sacrés hommages : il dédiait «Harlem Nocturne» à Ivy. Il attaquait sa B avec un bel instro («Wild Trip») et revenait au rockab à la sauce de Memphis («Rock House», co-écrit par Sam Phillips & Harold Jenkins). Assis derrière son piano, Dickinson a dû bien se régaler. Dex triait ses reprises sur le volet et nous sortait «Stalkin’», un vieux hit antédiluvien signé Lee Hazlewood/Duane Eddy, rien de moins. Il fallait l’entendre monter au chant de façon incertaine («Don’t Blame Me») et torcher «TV Mama» à la déglingue de son qui n’était pas sans rappeler les heures sombres de Big Star Third. Et Dickinson accompagnait Dex sur «Apple Blossom Time» de manière émouvante.    

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             Le premier Flat Duo Jets n’a pas de titre et date de 1989. On est tout de suite saisi par l’heavy country punk de «My Life My Love». Le Dex sonne comme les géants d’avant, accompagné par une stand-up. Il passe au wild as fuck avec «Please Please Baby» et une incroyable profondeur de chant. Et comme si tout cela ne suffisait pas, le voilà qui tape dans la rockab madness avec «When My Baby Passes By», la craze dans toute sa splendeur. Le Dex s’axe sur le rockab sauvage et les Cramps. On note aussi le principe du zéro-info des pochettes. Il tape à la suite «Madagascar», un shoot d’exotica magique, et tu assistes effaré à une descente de solo demented dans l’écho du temps. On découvre aussi que le Dex est un amateur de romantica sauvage («Chiquita»), une obsession qu’il tient sûrement des Cramps. Chez lui, tout est coloré et plein d’esprit. Lui et Crow ont tous les reflexes du rockab et du Las Vegas Grind. Retour au wild rockab avec un «Wild Wild Love» tendu à se rompre. Dommage que le slap soit enterré au fond du son. Puis il tape un cut qui devrait beaucoup plaire à Damie Chad : «Tribute To Gene». Le Dex y va au Be Bop a Lula avec une profondeur de forêt inexplorée. C’est l’hommage suprême. Il recrée la folie de l’early Gene, il retrouve le secret des clameurs anciennes. Puis il revient à son pré carré, le slowah hanté, avec «Dream Don’t Cost A Thing», il crée de la magie kitsch, un peu à l’italienne, il remonte à contre-courant de la mélodie. Ce qu’il faut comprendre au contact du Dex et de son copain Crow, c’est qu’ils font des disks de fans, exactement comme le firent les Cramps en leur temps.

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             In Stereo est un mini-album six titres, dont deux sont de brillantes covers : «Riot In Cell Block No.9» (version punk-blues définitive de l’hit des Coasters) et «Think It Over» (hommage à Buddy Holly, en plein dans le mille du spirit, avec une énergie punk-blues, ça grésille de Texicali, les Flat sont les rois de la pétarade). Le Dex s’adonne aussi à deux fiers shoots de romantica, «Love Me» et «Raining In My Heart» et le Crow bat un sacré beurre sur «Theme For Dick Fontaine».        

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             Toujours zéro info sur la pochette de White Trees. Débrouille-toi avec la musique. Pas de problème, car ça grouille de puces, à commencer par l’effarant «Where Are You Now», pur jus de wild-catisme, beat du diable et pur génie de la résurgence. Retour aussi au grand art du Las Vegas Grind avec «Tura Satana», le Dex y ondule des hanches. C’est le cœur battant de l’American Underground. On reste dans le génie underground avec «Radioactive Man». Le Dex y développe une énergie de baby look out, c’est dévastateur, rock rock !, il tape dans le dur. Son «Love Cant Be Right» est assez mirifique. Le Dex est un cake de la romantica. Il tâte aussi de l’Americana avec «Rabbit Foot Blues», il groove ses roots, il est aussi pur que Johnny Dowd et Hasil Adkins. En dépit d’une volonté constante d’underground, certains cuts comme «Husband Of A Country Singing Star» le portent aux nues. Puis, en bon wild cat, il revient à ses premières amours, avec «Michelle», ouuh Michelle !, et ce drive du diable, puis «How Long», du vrai de vrai, du criant de véracité, il rôde à la frontière du blues. On a là l’un des plus beaux albums de rootsy rock.   

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             En 1993, ils débarquent sur Norton avec Safari. Alors attention : il existe un gros delta entre la version CD et le vinyle : tu as 30 cuts sur le CD et 19 sur le vinyle. Comme le CD d’ici est tout pourri, on est obligé de se rabattre sur le vinyle. On rate des covers de The Pantom et d’Hasil Adkins, mais ce n’est si grave en fait, car les 19 cuts sont assez représentatifs de ce que voulaient faire le Dex et Billy Miller. On a les covers de George Jones («Rock It») et de Benny Joy («Hey Boss Man»). C’est tapé dans le bat-flanc du mille, pris au raw, le Dex est un wild cat invétéré. Son «Party Kiss» est un real deal de heavy rockab. Le Dex revisite le vieil héritage - Everybody has/ A party kiss - On se damnerait encore pour l’éternité avec son «Cast Iron Arm», un heavy rockab bien tenu en laisse. Safari n’a qu’une seul objet : montrer que le Dex est un puriste.

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            Leur deuxième Norton s’appelle Introducing. Toujours ce mélange détonnant de rockab et de slowahs dévastateurs. Rockab avec «Whoa Blues Baby», et en B, avec «That’s The Way I Love». Ce wild-catisme invétéré te souffle dans les bronches. Il tape aussi un joli boogie down avec «Goin’ To A Town». Retour au balladif vénéneux avec «Is Life Real», toujours aussi hanté, et en bout de la B, il rend l’hommage suprême à Bo avec une cover endiablée de «Pretty Thing».

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             C’est Billy Miller qui prend les rênes de la prod sur Red Tango. Ça tombe bien car Billy est un bec fin, en matière de rockab, et ça dépote aussitôt «Ain’t Goin’ Away», pure furie de nos Wild Cats préférés. Ils visent la pure madness. Le Dex rivalise d’insanité avec les pires sauvages de la frontière. Il tape plus loin dans le «Lonely Wolf» de Ray Harris, bel hommage, cavalé ventre à terre. Le Dex reste prodigue de coups de génie, comme le montre «Baby Are You Hiding From Me», un heavy bim bam boom, il fait même son Elvis au please come back to me. Le Dex recycle le nec plus ultra du Memphis beat. Retour au slowah vénéneux avec «In My Neighborhood», c’est assez rampant, un cut qu’on n’aimerait pas trop rencontrer la nuit au coin du bois. Encore plus weirdy, voilà «Don’t Ask Me Why», et plus loin il tape un balladif encore plus tordu, «Sea Of Flames». Il est parfait dans l’exercice de la fonction impromptue. C’est tellement décalé que ça devient beau. Il termine cet album toxique avec «I Wish I Was Eighteen Again», fantastique exercice de singalong mythique - In the bar room in Memphis/ An old man came in.

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             Encore un grand album avec Lucky Eye. Grand aussi par le nombre de cuts (18) et un fantastique hommage aux Cramps avec «Love Is All Around». Le Dex tape une fois de plus en plein dans le mille. Il fait aussi du Raw To The Bone avec «String Along», un groove gratté à l’oss. Il revient à la pop de David Lynch avec «Go This Way», il excelle dans le Southern Gothic ambivalent. Puis il repart faire son wild cat avec «Dark Night», à dada sur le bidet rockab, il est furieusement bon, complètement enraciné dans la légende. Petit retour au cabaret de David Lynch avec «Lonely Guy», une Beautiful Song qui brille d’un éclat certain, on se croirait vraiment dans Blue Velvet. Puis il adresse un gros clin d’œil appuyé à Joe Meek avec «Creepin’ Invention». Comme on le constate, le Dex ne chôme pas. Il passe au swing avec «Hot Rod Baby». Quelle dextérité ! Il sait swinguer son swing. Nouvelle crise avec «Sharks Flyin’ In», il chante son rockab au raw de l’arrache à coups de sharks flyin’ in from outerspace ! Et son «Boogie Boogie» sonne comme un hommage à Eddie Cochran, il y cultive l’essence du boogaloo primitif. 

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             Two Headed Cow est encore un album qui regorge de rumble. Nouvel hommage aux Cramps avec «Hard Boppin’ Baby», version live avec un faux départ. C’est puissant et comme visité de l’intérieur. On retrouve l’excellent «My Life My Love» du premier album, un heavy boogie de rêve gorgé de délectation morose. Le cut mythique de l’album est la cover de «Rockin’ Bones», il la tape à la menace et pique une jolie crise. Il est encore au cœur de l’univers des Cramps. C’est saisissant de proximité. Deux shoots de pure rockab madness : «Hey Hey» et «Rock House». Il se grise du rockab de Memphis. Autre clin d’œil, cette fois, à Link Wray avec «Rawhide», et ça monte encore en température avec l’«Everybody’s Movin’» de Glen Glen, cover infernale, et même explosive. Le Dex est un dingue comme le montre encore «Frog Went A Coutin’» et «Tidal Wave». Ils jouent à deux et sonnent comme dix. Le Dex repart à l’attaque avec «Mr. Guitar», il fout le feu à la pampa. Il reste dans le pur esprit du Memphis Beat avec «Mary Ann», il gratte loin dans l’écho du temple de Zeus, il joue en full reverb, et la folie continue avec «Torquay», les notes s’étranglent ! Retour à la romantica avec «Golden Strings» et il bourre le mou de ses gammes d’ardeur chromatique. Le Dex est un adepte de Link Wray et des Cramps.

             Il reste surtout l’un des princes de cet underground américain dont on se nourrit depuis 40 ou 50 ans. Dex et ses beaux albums vont nous manquer terriblement. La meilleure épitaphe serait sans doute celle-ci, empruntée à Georges Brassens : «Jamais ô grand jamais/ Son trou dans l’eau n’se refermait/ Cent ans après coquin de sort/ Il manquait encore.»

    Signé : Cazengler, Fat Dumb Jerk

    Dexter Romweber. Disparu le 16 février 2024

    Flat Duo Jets. Flat Duo Jets. Dog Gone 1989

    Flat Duo Jets. Go Go Harlem Baby. Sky Records 1991

    Flat Duo Jets. In Stereo. Sky Records 1992              

    Flat Duo Jets. White Trees. Sky Records 1993  

    Flat Duo Jets. Safari. Norton Records 1993

    Flat Duo Jets. Introducing. Norton Records 1995

    Flat Duo Jets. Red Tango. Norton Records 1996

    Flat Duo Jets. Lucky Eye. Outpost Recordings 1998 

    Flat Duo Jets. Two Headed Cow. Chicken Ranch Records 2008

     

     

    L’avenir du rock

     - Pas de chichis chez Say She She

             L’avenir du rock n’est pas une chochotte et pourtant il a des chouchous qu’il chouchoute depuis des lustres sur fond de Choo Choo Train. Il n’en finit plus de savourer ce vieux cha-cha-cha, il le schwingue au don’t slow down til you see my home town, il en fait ses chou-choux gras depuis mai 1968, rendez-vous compte, ça fait un bail, et il n’est pas près de se calmer, car il faut le voir battre la champagne, c’est un chacharivari sans fin de shoo-shoobedoo, un sempiternel chachabada de chouchouteries, il y va au chaud-chaud devant, au push-toi-d’là que-j’m’y-mette, il y va à la va-comme-je-te-push, il s’amuse même à surgir hors de la nuit, fidèle à sa réputation, l’avenir du rock ne choo-choôme pas, il ne baisse pas les bras, il reste sourd au chant des Shirelles, il est le serpent qui chiffle sur nos têtes, la choo-choossette de l’archi-duchesse archi-chèche, il est chésame d’ouvre-toi, il ne veut surtout pas être une chi-chinécure, hors de question, il a d’ailleurs chi-chigné un pacte faustien avec le diable, et par conséquent il se sert sur un plateau d’argent, il sait aussi se savonner ses propres pentes, il adore larguer ses cha-cha-chamarres, il se veut encore plus célèbre que le Ché-Ché, plus cha-cha-cha qu’un singe savant, plus chy-chyfoné que Typhon Tourneboule, il ne recule plus devant aucune supériorité, devant aucune singularité, il chingle à travers les mers australes, le vent choo-chooffle dans ses voiles d’armiton, il chillonne les mers du Chu-Chud jusqu’au Cheptentrion, il sidère par ses capachi-chités, par l’excellenche de son manche, par la planche de ses prééminenches, et en même temps, il n’est pas homme à faire des chichis, même s’il adore les Say She She.  

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             Comme Shindig! se fend d’un petit buzz autour des Say She She, on va jeter un œil. Jeter un œil, ici, ça veut dire aller les voir sur scène et écouter les disks. Une façon comme une autre de rester à l’affût. Camilla Aisa nous présente les trois She She : la belle Piya Malik, le blonde Sabrina Mileo Cunningham et la black Nya Gazelle Brown.

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    Elles viennent du Lower East Side et du coup, ça devient vite exotique. Elles racontent leur genèse, trois petites gonzesses qui chantent et qui sympathisent. Ça va leur prendre deux ans pour se faire connaître et enregistrer deux albums. Elles disent vouloir embrasser à la fois «a strong psychedelic element» et le «celebratory power of disco». Pya n’y va pas de main morte : «If you don’t like disco then there’s gotta be something wrong with you», et elle n’a pas tout à fait tort. Elles se fendent aussi d’un petit concept : la quatrième voix, c’est-à-dire trois voix différentes en texture et en registre, fondues en une seule.

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             Sur scène, ça marche, et ça marche au-delà de toute attente. Elles disköbolent une solace extravagante de sunshine pop, tu crois rêver, tu tombes dans le panneau, tu écartes les cuisses, tu les accueilles à bras ouvert, elles diffusent et elles rayonnent, elles jerkent et elles jivent, elles jouent et t’enjouent, elles cassent les moules et bousculent les repères, elles retrouvent un passage vers une dancing-pop qu’on croyait à jamais perdue, celle des jours heureux. En fait, leur son intrigue, car on y entend des éléments de diskö, mais surtout des harmonies à trois voix qui te montent droit au cerveau, elles font du dancing CS&N acidulé, comme si elles pressaient leur jus d’octaves pour faire jaillir la plus succulente giclée d’excelsior qui se puisse imaginer ici-bas. On ne peut les comparer à personne, leur son est unique, c’est même une sorte d’essence de magie vocale. Et sur scène, cette essence prend une ampleur considérable

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             Si par curiosité tu as écouté les deux albums avant de venir les voir sur scène, tu vas retrouver tes chouchous. Elles attaquent avec le «Reeling» d’ouverture de bal sur Silver. Incroyable allure, ah il faut les voir chanter en souriant et danser toutes les trois, surtout Piya Malik qui est à gauche, on la sent folle de bonheur d’être sur scène. Elle n’arrête jamais de danser. Elles tapent aussi «C’est Si Bon», gros clin d’œil à Chic c’est Chic, et d’autres merveilles comme «Echo In The Chamber», «Norma», ou encore l’excellent «Forget Me Not» qui clôt le set avant le rappel. Ce qui frappe le plus, c’est sans doute leur modernité de ton.

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             Leur modernité a un nom : Dale Jennings, le bassman. Il faudrait aussi citer le guitah-god rasta qui le jouxte, Sergio Ross, qui est aussi producteur de Neal Francis et des Monophonics, alors attention, on ne rigole plus. Ces deux mecs font en plus un groupe qui s’appelle Orgone. Dale Jennings qu’on croyait anglais est en fait un mec de Los Angeles qui nous dit : «Check Orgone !». Et là tout à coup, ça prend des proportions qui nous dépassant. Il nous explique en plus qu’Orgone et les trois filles sont deux groupes différents et qu’ils font Say She She Ensemble. Ce sont eux, Jennings et Ross, qu’on entend sur les deux albums de Say She She. Et sur scène, c’est un véritable bonheur que de voir jouer ces deux cracks. Jennings est un bassman faramineux. Avec ses cheveux longs, sa moustache blanche, ses yeux clairs et son taille-basse blanc, on l’a pris pour un Anglais, ce qui l’a bien fait marrer. Il claque des riffs diskö avec une espèce de power à la Tim Bogert, il dégage une énergie considérable, et son power-bassmatic ronfle au-devant du mix. C’est lui la loco dans cette histoire.

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    Ross joue avec une surprenante discrétion, il se contente de swinguer en lousdé, mais on sent bien l’affûté. Ils vont profiter d’un break des filles pour faire trembler tous les deux les colonnes du temple, avec un gros délire instro basé sur le «Magnificent Seven» des Clash. Jennings joue la pétarade du riff aux doigts, bam-bala-bam bam, il est comme les filles, il sourit en jouant, il est extravagant de présence scénique et de power-bassmatic. C’est pas demain la veille que tu verras repasser un tel bassman dans le coin. Il faut le ranger juste à côté de Tim Bogert et de Jack Bruce. Exactement du même niveau. Dale Jennings ! Une révélation. «Check Orgone !». Ça te tinte encore aux oreilles.

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             Les filles reviennent après le break dans des petites robes en lamé or et bhaaaam ! «Astral Plane» et là tu prends le Plane en pleine poire, ça te broie le cœur et ça te soulève du sol en même temps, ça te transforme physiologiquement, tu vis de tous les atomes de ton corps un pur moment de bonheur, c’est la jouissance cérébrale que tu passes ta vie à rechercher, et soudain, elle est là, vivante, souriante, apoplectique, réelle et irréelle à la fois, tous ceux qui ont vécu le trip de l’«Astral Plane» le savent : c’est un trip unique, une expression de la beauté formelle, un moment de perfection, une marée sensorielle, et tu as ces voix qui semblent vriller le firmament. Ce mélange de magie vocale et de perfection rythmique est unique. Du coup, l’«Astral Plane» entre au panthéon des cuts magiques.

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             Leur premier album s’appelle Prism. C’est un Karma Chief de 2022. Les premiers cuts déroutent un peu car trop diskoïdes, même si par certains côtés ils préfigurent l’excellent «Astral Plane». Elles ont un son un peu trop à la mode, mais comme Karma Chief est un subsidiary de Colemine, on s’incline et on attend. On a bien fait d’attendre car voilà qu’arrive un cut de rêve, «Same Things». Elles distillent le sucre des étoiles, le cut te fond dans la bouche comme l’Astral Plane à venir. Tu vendrais ton âme au diable en échange de ce fondu de voix. Elles restent au même niveau d’excellence avec «Fortune Teller», elles refondent leurs voix dans une Fortune de rêve. Dans «Apple Of My Eye» on entend des guitares Soukous dans le fond du son. Effarante musicalité, une vraie pluie de lumière ! Elles terminent ce beau Prism avec «Better Man», leurs chœurs superbes résonnent dans une nef de cathédrale, ça monte très haut dans la pureté évangélique à l’ooh oooh yeah, elles y vont les petites She She qui ne font pas de chichis.

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             C’est donc sur Silver qu’on retrouve le mirifique «Astral Plane». Tu t’enfonces dans la mélasse messianique d’Astral Plane, c’est complètement délirant et tortillé aux harmonies vocales. Elles font aussi pas mal de heavy funky business («Entry Level»), leurs harmonies vocales se délitent dans l’entre-deux, c’est pur et assez unique. Elles planent encore avec «Passing Time» et se livrent à un très bel exercice de forget me not avec «Forget Me Not», bien rythmé, bien on the beat. Le bassmatic est systématiquement impressionnant. On l’entend encore dans «The Water», une belle pop soutenue aux Yeah Yeah, mais le stratagème des She She finit par rouler sur les jantes. Au bout d’un moment, ça ne marche plus. Trop de cuts, sans doute. Elles calment le jeu avec «Find A Way» et renouent avec les harmonies vocales fluctuantes. C’est vraiment beau, ça coule comme une rivière de diamants. Et elles terminent ce double album avec le morceau titre, une vraie pop en devenir, une pop qui flirte en permanence avec le génie séraphique. On pense beaucoup à Liz Fraser en écoutant les petites She She.

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             Dans Record Collector, Lois Wilson en fait trois pages et ça y va à coups de glitterball R&B et de post-disco funk. Retour à la genèse, avec Piya qui entend chanter Sabrina à travers le plafond de son petit appart. Rencontre et Piya lance «Let’s start a band !», alors Sabrina lui répond cette phrase historique : «Fuck it, okay.» Lois Wilson va plus loin que Camilla Asia dans la genèse : il apparaît que Sabrina Cunningham a chanté dans des chorales de Rochester, dans l’État de New York, depuis l’âge de 6 ans. Puis elle a chanté dans des groupes et a appris à maîtriser les arrangements vocaux - That’s a big part of Say She She, we just lock in - Quant à Piya Malik, elle a grandi dans le Nord de Londres, nourrie aux Bollywood soundtracks par un oncle producteur. Puis elle passe par Sciences Po à Paris et finit par s’installer à New York. Piya initie Sabrina aux Bollywood soundtracks et au Turkish funk. Elles commencent à se produire sur scène accompagnées par des mecs de Duran Jones & The Indications, d’Antibalas et de Twin Shadow. Puis arrive Gazelle Brown, qui a déjà chanté dans Tomboy, un R&B girl group devenu Phoenix, «but nothing happened.» Tout ça pour dire que les trois Say She She ne tombent pas du ciel. Ce sont déjà des vétérantes de toutes les guerres. Le dernier ingrédient de la genèse, c’est Colemine Records, qui les branche sur Sergio Ross. Alors elles se rendent toutes les trois dans son studio, Killionsound, in North Hollywood. C’est là qu’elles enregistrent leur premier hit, «Forget Me Not». Et dans le studio, on retrouve bien sûr les mecs d’Orgone, dont le fameux Dale Jennings. Elles composent et enregistrent un cut pas jour, et ça va devenir Silver. Record Collector propose alors de les sacrer «queens of soul to Jalen Ngonda’s king», elles sont d’accord. Elles adorent Jalen. Et puis pour finir, Record Collector se fend d’un bel encadré rose intitulé ‘key influences on Say She She’, dans lequel on trouve un peu de tout, Sister Sledge, Tom Tom Club, mais surtout Rotary Connection et l’excellent Hey Love. Du coup, le lien avec Charles Stepney paraît évident.  

    Signé : Cazengler, Say Chichon

    Say She She. Le 106. Rouen (76). 15 mars 2024

    Say She She. Prism. Karma Chief Records 2022

    Say She She. Silver. Karma Chief Records 2023

    Camilla Asia : Finding the fourth voice. Shindig! # 143 - September 2023

    Lois Wilson : Raising elle. Record Collector # 556 - April 2024

     

     

    Talkin ‘Bout My Generation

    - Part Ten 

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             Ah il est bien le petit témoignage que Jean-Louis Rancurel consacre à Danny Boy dans le dernier numéro de Rokabilly Generation. Un Danny Boy qu’il qualifie même de «premier rockeur de France» et à côté duquel nous sommes quasiment tous passés. Voici 15 jours, Damie Chad faisait amende honorable en avouant avoir «fait l’impasse sur lui.» En fait l’explication est simple : on ne l’entendait pas à la radio. On entendait «Twist À Saint-Tropez» et «Dactylo Rock», mais certainement pas l’excellent «Kissin’ Twist». Le pauvre Danny Boy comptait pour du beurre. Dommage, car il était plutôt bon. Il était au rock français qu’on appelait le twist ce que Marty Wilde était au early rock anglais : un talentueux second couteau. La radio préférait diffuser les daubes comme «J’entends Siffler Le Train» et «L’Idole Des Jeunes». N’oublions jamais que le rock est aussi un monde d’injustices. À une autre époque, on célébrait U2 et on méprisait les Spacemen 3. Rien n’a vraiment changé depuis les early sixties.

             Les photos de Rancurel sont magnifiques. Il raconte ses débuts de photographe et comment il va coincer Danny Boy dans sa caravane du cirque Pinder. Les images sont d’un réalisme extrême, c’est tout juste s’il ne photographie Danny Boy à poil en train de se laver dans le lavabo. Rancurel le coince assis en costard blanc, près du lavabo, en train de s’éponger la figure. Il sort de scène, il n’a pas fait semblant, apparemment les Pénitents sont des killers sous leurs cagoules. Rancurel précise aussi qu’il était «en culottes courtes» au moment de cet épisode. Le malheur de Danny Boy nous dit Rancurel est d’être tombé dans le biz au mauvais moment, en pleine vague twist, 1962-1963, et le voilà bombardé «archange du twist», alors qu’il se réclame du rock’n’roll. Disons que Danny Boy avait un goût prononcé pour les «chansons rythmées». Rancurel raconte qu’après une courte carrière et quelques disques, Danny Boy est retourné bosser comme poissonnier sur les marchés, car en 1967, il était déjà passé de mode. Pas de pot.

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             Pour se faire une idée du talent de Danny Boy, il existe sur le marché une compile qu’on peut bien qualifier d’idéale : Danny Boy Et Ses Pénitents. Une belle rétrospective de 28 cuts qui, pour certains, craquent bien sous la dent. Dès «Je Ne Veux Plus Être Un Dragueur», on voit qu’il est solide au chant, c’est un yé-yé, ce mec s’accroche - Ta radio ! - Belle basse, et il trouve l’âme sœur de son cœur. Ah comme les paroles de ces chansons pouvaient être débiles, mais bon, il fait le job. Il tape dans l’early rock au moi fou de toi. Il assure comme une bête. «C’est encore une souris/ Qu’on a mis dans mon lit», s’exclame-t-il dans «C’est Encore Une Souris». C’est quasiment un Wild Cat avant l’heure. D’ailleurs le Wild Cat apparaît clairement dans «Twistez». Jolie craze de Twist Again ! L’énergie est belle. Il a du son. Il arrive juste avant le ras de marée. «Croque la Pomme» montre qu’il sait jeter tout son poids dans la balance. Mais il fait une pop de pomme avec un brin de yodell. Il fait aussi une cover du «Mess Of The Blues» de Doc Pomus, qu’il transforme en «C’est Tout Comme». Pas mal, mais, bon, c’est pas Elvis. Globalement, on se croirait aux camors, au milieu des Chaussettes Noires et des Chats Sauvages. Te voilà en pleine fête foraine. Il fait même des slowahs pour rouler des pelles. Retour à la niaque avec «Dum Dum». Danny Boy est un mec attachant, on le voit s’accrocher à sa niaque comme à une bouée. Son «Stop» est balèze, c’est bardé d’écho des camors. Et dans «Quel Massacre», on entend des chœurs de folles. C’est très en avance sur l’époque. Et puis voilà le blast : «Kissin’ Twist». Plus loin, il fait une petite série de covers, «Locomotion», «Let’s Go», «Bye Bye Love», mais ça reste timoré. Il fait un peu de gospel avec «Répondez-Nous Seigneur» et ça se termine avec un fantastique «Allez Allez» que vient swinguer un xylo. C’est miraculeux de qualité. Tu te demandes vraiment d’où sort une telle merveille. 

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    Signé : Cazengler, Danny Broc (tête de broc)

    Danny Boy Et Ses Pénitents. RDM Editions 2016

    Rockabilly Generation # 29 - Avril Mai Juin 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Mighty Sam wants you

             De toute évidence, Sim fut archevêque dans une vie antérieure, vous savez, l’un des ces archevêques qu’on croise dans les films fantastiques, ces hommes petits et ronds, qui parlent d’une voix sourde et un peu grasse, tout en se frottant les mains, ces êtres qui inspirent une terreur mêlée de respect, devant lesquels on se signe et remerciant Dieu de n’être pas tombé dans leurs griffes. Il en imposait tant qu’on le surnommait Mighty Sim. On l’aimait bien quand même. Mighty Sim faisait partie du comité de rédaction de la revue. Comme il était féru d’histoire, il y puisait le contenu de ses contributions. Son sujet de prédilection était la liberté d’expression. Et bien sûr, Voltaire était l’un de ses maîtres à penser. Il jouait donc un rôle clé dans cet environnement éditorial qui ne jurait que par Dada, l’anarchie et le rock. L’usage voulait qu’en réunion du comité de rédaction, chacun lise tout ou partie sa contribution et qu’on vote la publication à la majorité des mains levées. Le jeu consistait à rafler autant d’accords que possible. Ce qui n’était pas simple, car le comité savait se montrer impitoyable. Quand vint son tour, Mighty Sim se cala au fond de sa chaise et prit un air sombre pour nous raconter l’histoire du malheureux Chevalier de La Barre, qu’on accusa de blasphème en 1766, «pour avoir chanté des chansons impies et refusé de se découvrir au passage d’une procession.» Mighty Sim leva les yeux vers nous pour nous rappeler qu’en ce temps-là, le blasphème était encore puni de mort. «Dénoncé par des témoins oculaires, le Chevalier fut donc condamné à mort par le tribunal d’Abbeville. Il fit appel. Appel rejeté par le Parlement de Paris. Le jour de l’exécution, il fut soumis à la ‘question ordinaire’ pour qu’il reconnaisse ses crimes, mais il perdit connaissance dans les brodequins.» Mighty Sim parlait d’une voix de plus en plus sourde. Il nous glaçait les sangs. «On réanima le Chevalier pour le faire monter sur l’échafaud.» La voix de Mighty Sim n’était plus qu’un murmure. «On lui coupa la langue, puis la tête, on lui cloua le Dictionnaire Philosophique de Voltaire sur le torse et on jeta son corps sur le bûcher.» Mighty Sim ajouta dans un râle que le Chevalier n’avait que vingt ans. Il reprit son souffle pour conclure en indiquant que Voltaire lança une contre-attaque depuis la bourgade suisse où il s’était réfugié, dénonçant dans un article la barbarie de ces gens «qui ordonnèrent, non seulement qu’on lui arrachât la langue, qu’on lui coupât la main, et qu’on brûlât son corps à petit feu ; mais ils l’appliquèrent encore à la torture pour savoir combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vu passer, le chapeau sur la tête.»

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             Finalement, tout le monde est bien content que cette époque soit révolue. Seul Mighty Sim pouvait donner à cet épisode tragique le retentissement qu’il mérite. Il existe un autre spécialiste du retentissement, un Mighty tout aussi mighty, l’excellent Mighty Sam, un petit blackos de Louisiane au regard incroyablement triste. 

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             Étrange album que ce Your Perfect Companion paru en 1986, sur Orleans Records, un label de la Nouvelle Orleans, comme son nom l’indique. Étrange, car on n’avait encore jamais vu une pochette aussi foireuse. Le graphiste a voulu faire un effet sur le portrait de Mighty Sam et l’effet est tellement raté que Mighty Sam est tout noir. Au dos, on trouve un portrait classique qui heureusement a échappé au graphiste du diable. L’album est enregistré à Nashville et le son s’en ressent. «Why» sonne comme de la Soul de Nashville. Rien sur les gens. Rien sur Robert. Mighty Sam chante d’une voix chaude et tranchante à la Otis. C’est la B qui rafle la mise avec «Backstreets», un heavy blues classique mais puissant, très Nashville, sans couleur particulière. On sent le poids des grosses pointures. Mighty Sam y va de bon cœur. Puis il tape une belle cover d’«A Change Is Gonna Come». Il attaque son Sam Cooke à l’I was born by the river et chante vraiment du coin du menton.

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             Mine de rien, Mighty Sam fait son petit bonhomme de chemin dans les cercles de la connaissance. Personne n’irait miser un seul kopeck sur la pochette de Nothing But The Truth. Grave erreur ! C’est un excellent album. Côté registre, Mighty Sam n’est pas très loin de Wilson Pickett. Ses slowahs sont très impressionnants, de vraies sangsues, mais des sangsues de haut rang («Sweet Dreams»). Toute la viande se planque en B. Il se met à rugir en fin d’«I’m A Man», un vrai lion du désert ! Il revient au slowah de choc avec «When She Touches Me». Chaque slowah est un combat pied à pied avec les éléments. Mighty Sam est un chanteur extraordinaire. Il fait même de la country Soul avec «I Came To Get My Baby (Out Of Jail)», il tape ça sur l’air de «500 Miles», une chanson traditionnelle qu’adapta Richard Anthony en son temps («J’entends Siffler Le Train»). Et puis avec «Badmouthin», Mighty Sam jette tout son poids dans la balance.

    Signé : Cazengler, Mighty Shame

    Mighty Sam. Your Perfect Companion. Orleans Records 1986

    Mighty Sam. Nothing But The Truth. P-Vine Records 1988

     

     

    Dans les griffes de Gruff

    - Part Three 

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             Gruff a tellement d’idées qu’il décide en 2004 d’entamer une carrière solo. Sur son premier album, l’imprononçable Yr Atal Genhedlleath, il chante en gallois. Comme ça, on est tranquille, aucun effort à fournir pour essayer de comprendre les conneries qu’il raconte.

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    Gruff a des idées. Des idées, oui, mais avec du son. Et quel son ! Gruff a sa griffe. Il s’amuse avec son «Epynt». Il continue de s’amuser avec son «Rhagluniaeth Ysgafn». En fait, il s’amuse avec les croisées des chemins. Mais n’allez pas le prendre pour un clown, il fait l’une des meilleures pop d’Angleterre. Même dans cette langue tellement ingrate, même pas phonétique. Il passe aux machines avec «Caerffosiaeth» et devient une sorte de schtroumphf hip-hop dada, et les chœurs de mecs bizarres ne font que renforcer cette impression d’incongruité. En fait, il dit qu’il chante en gallois, mais il se pourrait bien que ce soit une simple fantaisie linguistique. Son «Ni Yw Y Byd» sort tout droit d’un roman de Lovecraft. Même chose pour le cut qui suit, «Chwarae’n Troi’n Chwerw», voilà le Gruff qui plane comme un vampire au-dessus de sa mélodie. Il passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et chante à la pointe d’un beau baryton.

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             Comme on décide de bouffer du Gruff, alors on se farcit Candylion. Cet album solo paru en 2007 met un temps fou à décoller. Le morceau titre n’a aucun intérêt, alors fuck it. Les cuts qui suivent ne fonctionnent pas. C’est n’importe quoi. On le voit cavaler ventre à terre avec «Cycle Of Violence». Il cavale au sha la la la, il est marrant et un peu ridicule. Et soudain, il se fond dans un groove de Burt avec «Painting People Blue». Puis il se glisse dans ta poche avec «Beacon In The Darkness». On ne l’écoute que parce que c’est Gruff. Il fait son biz. Il fait sa soupe aux choux, rrru rrrru, d’ailleurs, il dérive dans le «Gyrru Gyrru Gyrru» et la folie l’emporte. Il termine sur un «Skylon» de 14 minutes. Le vieux Gruff a du métier, il reste fabuleusement attachant, il fait sa pop pour de vrai, il reste le roi du groovy rock, sur la durée, il peut rivaliser avec Bob Dylan, il a des couplets à revendre, il gratte ça sur les accords de «Gloria», il raconte sa story. Ah comme l’effarance de la prescience peut être pure au bord du lac de Constance.

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             Gruff propose pas moins de deux Beautiful Songs sur Hotel Shampoo : «Honey All Over» et «If We Were Words». Il attaque l’Honey à la chaleur de ton. Il va chercher la lumière et la trouve. Il trempe dans sa vieille fascination pour les Beatles et Brian Wilson. Cet Honey est d’une absolue perfection. «If We Were Words» se trouve vers la fin de l’album et récompense ceux qui ont été jusqu’au bout. Gruff revient par la bande, il chante à la pure bienveillance, comme un apôtre de la pop moderne, accompagné par une stand-up. Avec «Sensations In The Dark», il va droit sur Cuba, c’est son droit. Il crée l’événement, avec des trompettes et de la rumba dans l’air. On retrouve des échos de Brian Wilson et de Jimmy Webb dans «Take A Sentence» et il drive ensuite la pop de «Conservation Conversation» à l’accent sûr de remote control. Il s’amuse bien avec la pop, on sent nettement le joueur en lui. Il ramène par exemple des atonalités d’Aladin Sane au piano. «Sophie Softly» montre une fois de plus que Gruff reste nickel jusqu’au bout des griffes. Il est pop. Il est immaculé. Il lance des cascades de son dans «At The Heart Of Love». L’influence de Brian Wilson est évidente. On le voit encore s’amuser avec «Phantoms Of Power», il ramène des grosses guitarasses de la rascasse et tout un fourbi demented. Il jongle avec les formats et ça devient parfois très sérieux.       

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             La pochette d’American Interior ne paye pas de mine, mais attention, sous le parapluie se cachent deux coups de génie : «The Whether (Or Not)» et «Iolo». Gruff se situe dans l’abondance, comme Robert Pollard et Frank Black. Toutes ses chansons fonctionnent. Il accroche, quoi qu’il dise. Son Whether est monté sur une basse fuzz et ça devient vite spectaculaire, avec les montées de basse dans le son. Gruff est une espèce de Swamp Dogg en blanc. Il a récupéré tous les plans des Beach Boys, il est complètement euphorique. Il s’amuse encore plus avec «Iolo». Il dispose de cette volonté intellectuelle qui lui permet d’expérimenter. Il balance des violons sur un drumbeat de hard Rhys. Son morceau titre sonne comme une sacrée mainmise sur la pop. Quand on le voit repartir avec «100 Unread Messages» sur la samba galloise, on comprend que sa seule optique est la liberté. Avec «The Last Conquistador», il fait son Neil Young, avec le même genre de power, au chant généreux d’ambition démesurée. Gruff Rhys est une aubaine. Il claque le groove de «Liberty (Is Where We’ll Be)» à la surface de sa qualité. C’est excellent, inspiré par tous les trous, avec cette mystérieuse récurrence des pianotis d’Aladin Sane. Gruff veille au grain de Rhys. Tout est spécial sur cet album, mais en même temps, il existe une sorte de cohérence dans le délire, mais à un point que tu ne peux imaginer si tu ne fais pas l’expérience de l’écoute. C’est en tous les cas le sentiment que donne «The Swamp». Et le festin se poursuit avec «Wild In The Wildreness», il plaque la pop dans son univers comme Andy Warhol couvrait de papier alu les murs de sa Factory. Gruff Rhys impose un profond respect. Il peut décoller comme le fait parfois Brian Wilson. Il se transforme en Saint-Vincent de Paul de la pop pour «Year Of The Dog» et boucle ce brillant épisode avec «Tiger’s Tale». Il drive une fois encore son biz à la qualité supérieure, il ne navigue qu’au sommet du lard fumant, il peut tout se permettre, même cet instro magique.      

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                  Attention : Set Fire To The Stars est la BO d’un film. Impair et passe.

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             Paru en 2018, Badelsberg peine à jouir. Gruff chante une petite pop pressée qui n’accroche pas. Tintin pour la magie. Le filon Furry s’épuise. Sa pop pressée est celle d’un homme volontaire et plein d’idées, comme l’est d’ailleurs Nick Saloman, mais ce n’est pas le même genre d’effervescence. Celle de Nick fonctionne toujours, celle de Gruff s’éteint. «Limited Edition Heart» est une petite pop qui se voudrait enchanteresse et qui ne l’est pas, mais alors pas du tout. Re-Tintin, pour la magie. Il essaye plein de trucs : chanter à la profondeur de ton («Drones In The City»), singer Nick Drake («Negative Vibes»), même s’il coule de source, comme un beau filet de morve. Il réussit même à devenir pénible («Achitecture Of Amnesia»). On est content quand ça s’arrête. Merci Gruff, à bientôt et bonjour chez toi.

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             Bon alors Pang ? To Pang or not to Pang ? Sa pochette à la Magritte n’inspire pas trop confiance. On voit tout de suite qu’il n’a pas de temps à perdre, il embarque son «Pang» aussi sec, du son c’est sûr, vite fait sur le gaz, pas le temps d’épiloguer. On perd vite la magie de la pop. Trop de machines dans les cuts suivants. Gruff paraît paumé. Il est même assez ridicule avec «Ara Deg». Il est en panne. Pauvre Pinocchio. Il cache la misère avec un balladif de bord du fleuve, «Eli Haul». Il n’a plus rien dans la culotte. Tous ces cuts manquent de protéines. Gruff finit par tomber dans le camp des pathétiques. On est inquiet pour lui, et l’inquiétude grandit au fil des cuts, lui qui fut jadis si prodigue. Là, il prend les gens pour des cons, surtout ceux qui continuent d’acheter ses albums. Il tente de sauver Pang avec le Welsh diskö beat d’«Ol Bys/Nodau Clust» et c’est le hit tant attendu. Dommage qu’il perde la main avec le reste. Un seul bon cut sur neuf, c’est pas terrible. Pang Pang cu-cul.            

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           Inutile de dire qu’on attend des merveille de ce Seeking New Gods paru en 2021, et qui va donc faire l’objet d’une tournée au printemps 2022. Il démarre en chantant à la barbe des vieux génies qui ont tout connu avec la pipe au bec et la lippe pendante. Il est marrant, ce mec, il continue de courtiser sa vieille muse éculée par tant d’obus. L’humour gallois de «Mausolum Of My Former Self» nous dépasse. Il retente le coup de la pop toxique avec «Can’t Carry On», mais ce n’est pas évident, malgré ce can’t carry on/ Can’t can’t. Avec le morceau titre, il écrase le champignon comme on presse un abcès, pour que ça gicle mais c’est avec «Hiking In Lightning» qu’il emporte tous les suffrages, car voilà un cut digne des barbares, those animal men, heavy riffing et fast tempo, il taille dans l’épaisseur du son et du coup, il ramène l’un des meilleurs sons d’Angleterre. Il fait ensuite son Todd Rundgren avec «Holiest Of The Holy Man», c’est-à-dire que sa mélodie explose en plein ciel. Le temps d’un cut, il redevient l’égal de Todd Rundgren et de Brian Wilson.

    Signé : Cazengler, Rhys orangis

    Gruff Rhys. Yr Atal Genhedlleath. Placid Casual Recording 2004

    Gruff Rhys. Candylion. Team Love Records 2007           

    Gruff Rhys. Hotel Shampoo. Ovni 2011   

    Gruff Rhys. American Interior. Turnstile 2014               

    Gruff Rhys. Set Fire To The Stars. Twisted Nerve 2016

    Gruff Rhys. Badelsberg. Rough Trade 2018

    Gruff Rhys. Pang. Rough Trade 2019                       

    Gruff Rhys. Seeking New Gods. Rough Trade 2021

     

    *

    Routes Of Rock, reprenons la highway des pionniers, retour à la source, le rock est une matière malléable à l’infini, un peu comme l’or potable des alchimistes. Les pionniers reviennent toujours à la surface, telles les fleurs vénéneuses de Baudelaire, aucun désherbant ne parvient à nous en débarrasser, elles nous narguent, elles nous survivront et nous n’y pouvons pas grand-chose.

    Cette fois-ci la piste maudite nous ramène en Thaïlande, nous y avons déjà rencontré Bill Crane qui a, voici quelques années, quitté la banlieue parisienne pour ce pays d’Asie, il photographie, il écrit, il vit, et depuis quelques mois il a ressorti sa guitare de son étui, dernièrement nous avons dans notre livraison 620 du 16 / 11 / 2023 chroniqué un recueil sous le nom d’Eric Calassou de ses clichés (très peu touristiques, amateurs de vues proprettes vous êtes avertis) et dans notre livraison 627 du 11 / 01 / 2024 son album virtuel Baby Call my name. N’est pas près de s’arrêter en si bon chemin puisqu’il remet le couvert avec :

    COVERS

    BILL CRANE

    ( Album Numérique / Chaîne Bill Crane YT)

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    Maybe baby : de Buddy Holly : l’on a écrit et répété à suffisance que le jour de la disparition de Buddy Holly est celui où la musique est morte, genre de déclaration aussi stupide que celle qui prédisait qu’après la shoah il serait impossible d’écrire de la poésie, c’est là oublier que sur la croûte terrestre l’homme est un insecte obstiné qui jamais ne cesse de vaquer à ses affaires habituelles comme écouter de la musique ou tuer ses semblables. Que serait devenu Buddy Holly si l’ange de la mort ne l’avait ravi en plein ciel un jour de tempête neigeuse, je n’en sais rien, mais ce qui est sûr c’est que ses continuateurs sont devenus célèbres en mélangeant la mélodie au rock’n’roll les Beatles ne faisaient que suivre l’exemple de Buddy qui attifa de chœurs gentillets le jungle sound de Bo Diddley, sur le papier l’alliance reste improbable, dans les faits elle s’avéra une réussite indéniable. S’atteler à une reprise de Buddy avec un micro, une guitare et une boîte à rythme relève du grand art. Bill Crane n’a gardé de l’original que l’épure, les chœurs féminins et leurs bouches en cœur ont été relégués dans les oubliettes. Au final la popperie sucrée de Buddy y a laissé bien des plumes, mais y a gagné sur toute la ligne, la chanson de Buddy nous parle d’un futur proche heureux, la reprise de Bill Crane s’inscrit dans la poignante nostalgie d’une époque révolue, 1957 tambourinait dans les jours heureux de la société de consommation, de 2024  se profilent des jours sombres, la voix de Bill Crane est en équilibre sur le fil tendu entre bonheur et angoisse, quant à sa guitare elle égrène de miraculeuses notes qui roulent entre diamants et larmes. La rythmique inexorable nous rappelle que le train, de tout son train-train, se dirige dans la nuit de l’incertitude qui nous attend. Love me tender : certes Elvis est le roi du rock, mais pourquoi reprendre cette bluette et pas Mystery Train, que manigance Bill Crane, que veut-il signifier par ce choix, n’existe-t-il pas des trucs plus toniques dans le répertoire de l’occupant de Graceland, sans aucun doute, mais là Bill Crane nous sort un véritable chef-d’œuvre, la meilleure interprétation de ce morceau que vous n’entendrez jamais, d’une tristesse infinie, d’un désespoir absolu, vous transforme la chansonnette en drame métaphysique, une tragédie grecque, si vous n’avez jamais compris ce que veut dire Aristote lorsqu’il parle de catharsis pour définir le dénouement d’une crise, écoutez ce Love me Tender c’est la survie catastrockphique que vous vivez tous les jours depuis la naissance du rock,  cette voix grave qui  se superpose à elle-même comme la vague sur le rivage  s’en vient recouvrir celle qui l’a précédée pour subir le même sort dans l’instant suivant sous celle qui s’en vient déferlant sur toutes vos illusions. Chicken walk : coup de maître, qui vaut bien le cou coupé de fin de Zone d’Apollinaire, après nos deux fleuves tranquilles du début Bill Crane nous sort Adkins de l’Hasil, l’est né deux ans après Elvis mais sa musique peut être qualifiée de proto-rock en le sens où elle puise dans la primitivité, non pas la plus pure, mais la plus sale du blues. Encore une fois Bill Crane pousse d’un millimètre le curseur. Vous en donne une version très pionnier du rock, une fois que vous l’aurez écoutée faites le test : retourner au Maybe Baby de Buddy Holly et vous comprendrez pourquoi le chanteur de Lubbock malgré ses mignardises est un rocker authentique. N’ayez crainte Bill Crane vous décapite la poulette proprement, non seulement vous ne souffrirez pas mais votre perversité inavouable se réjouira. Roadrunner : l’on vient de parler de Buddy Holly, voici donc Bo Diddley qui se radine. A toute vitesse. ( Note subsidiaire : si vous voulez savoir d’où les Animals ont tiré leur son écoutez Bo Diddley, l’a autant inspiré le rock anglais qu’américain, el Semental comme disent les espagnols pour désigner l’étalon ). L’on s’attend à un festival de guitare, c’est oublier que le rock des pionniers repose avant tout sur l’inflexion du vocal, alors Bill Crane nous en donne une version à la Buddy Holly, sans les chœurs mais surtout sans le chant, réalise ce prodige que les plus beaux moments du morceau sont lorsqu’il parle, prend la parole, nous file une espèce de talkin’blues désinvolte, car le rock ‘n’ roll n’est pas une musique mais un jeu et vous avez intérêt à connaître toutes les règles de la gamme et du game. Not over. Havana Moon : je vais vous confesser un de mes crimes, mon morceau préféré de Chuck Berry c’est Havana Moon, peut-être parce que l’on entend beaucoup plus sa voix que sa guitare, quel plaisir de retrouver ce morceau dans ce florilège rock !  Evidemment sur ce morceau la guitare de Bill ne crâne pas, elle se fait discrète, faut reconnaître qu’elle est un peu comme ces filles en tenue passe-partout qu’une infime touche de rouge sur les lèvres vous attire irrésistiblement vers elles, une version toute en évanescence, perpétuellement elle se délite mais elle ne meurt jamais, le chant de Berry sent la gouaille friponne, à écouter les murmures de Bill votre foie sécrète de la bile, la sueur froide du trépas passe sur vous, tous ces bruits qui chuchotent vous transportent dans le halo funèbre de la lune noire. Be bop a Lula : ( nous avons déjà chroniqué ce morceau dans notre livraison 628 du 18 / 01 / 2024). L’on a longtemps mythifié sur la version lente de Be Bop A Lula, Bill Crane nous en donne une version tendre, nous la transforme en chanson douce, l’en rabote toutes les articulations syncopiques qui forment l’ossature de l’original, encore marquée de ses influences leberiennes et stolleriennes, s’en dégage une tristesse destinale en totale adéquation avec les dernières années de Gene. Baby please don’t go : Big Joe Williams l’enregistre en 1935 année de naissance de Presley, trente ans plus tard lorsque l’on l’a entendue à la radio l’on a tous cru qu’elle était une création des Them, bien sûr elle venait de bien plus loin, des champs de coton et des chants d’esclaves, et était fortement inspirée par John Lee Hooker,  l’en existe des centaines de version, celle de Bill Crane moanise quelque peu, l’aurait dû supprimer la boîte à rythme  son absence nous aurait aidé à mieux comprendre comment et surtout pourquoi le rock est un enfant perdu du blues, ce n’est pas la fillette qui est partie, c’est le gars qui s’en est allé il ne sait pas où et pourquoi, l’appel sauvage nous souffle Jack London, il marche à pieds sur une highway détrempée et battue par un vent mauvais. Completely sweet : (nous avons déjà chroniqué ce morceau dans notre livraison 628 du 18 / 01 / 2024). Un de ces bonbons à la fraise acidulée voire à l’orange sanguine dont Eddie Cochran était coutumier, le vocal se charge du sucre et la guitare du sulfure. Bill Crane change la recette, une voix caverneuse au timbre chargé de nostalgie et une guitare agite son éventail pour vous ressusciter de votre rêverie léthargique. Et puis ses doux yodels évaporés qu’il enfonce dans la roche des falaises de l’immémoire. Sur l’image qui raccompagnait cette version je n’avais pas tilté sur ce bouquet de roses rouges qui semble avoir été posé sur une tombe, et les stores baissés. Le show must not go on. I wanna be U doll : réouverture du magasin. De nouveaux arrivages. Mais ce ne sont pas des pionniers. Oui, d’accord mais avec les années qui s’accumulent la distance entre 1960 et 169 a tendance à se rétrécir. L’a renvoyé le chien à la niche. Changement de genre. Notre crâneur commence à déblatérer dans un haut-parleur, joue à Monsieur Loyal, le rock’n’roll n’est que l’autre face du cirque. La guitare ne court pas à la déglingue, maintenant le vocal se lamente à la manière d’un coyote arraché à sa verte prairie pour être enfermé dans une cage de la ménagerie. Une basse triste comme la nuit qui tombe, peut l’appeler tant qu’il veut, le chien serait-il une chienne, la bestiole ne viendra pas, c’est peut-être pour cette raison que le maître joue de la guitare comme s’il frappait un gong funèbre. Envoûtant et fascinant. Un iguane a dû s’échapper. Tutti Frutti : ce n’est pas un morceau de rock, Little Richard, c’est une torche que Dieu a allumée pour que partout où elle passe les âmes ne repoussent pas. La torche de Bill Crane c’est celle que l’on éteignait sur le seuil de la maison ou le cortège avait emmené la mariée, plus besoin de flamme, elle était en train d’être consommée, le Bill Crane vous sape le moral, un pneu crevé, petit tu ne sais ce que c’est le rock ‘n’ roll, je vais t’apprendre, si derrière les habits chamarrés tu ne discernes pas la silhouette de la mort, tu n’as rien compris à la vie, en soi ce n’est pas grave, par contre tu n'as rien compris au rock’n’roll, ça c’est rédhibitoire. Alors tais-toi, mets un mouchoir sur tes jérémiades, écoute le frémissement des sycomores. Matchbox : Carl Perkins est-il le plus grand des pionniers. C’est la question que je me pose chaque fois que j’entends un de ces titres. En tout cas le plus authentique, sans un minimum de frime. L’est le lieu où le blues rural copule avec le rockabilly rural. Le rock à Bill Crane a compris toute l’histoire légendaire du rock’n’roll, une interprétation tout en nuance en-dessous juste pour que l’on entende le bruit qui sourd de la terre ensemencée par les esclaves et les pauvres blancs, plus de tristesse, juste le blues du fermier qui travaille pour des queues de citrouille. Lonesome town : l’a un profil de gosse de riche Ricky, et des chœurs qui ressemblent un peu à ceux d’In the ghetto d’Elvis, bref il vous déchire le palpitant en petits morceaux. L’on avait compris que le Bill Crane n’allait pas faire une reprise de Yakety Yak des Coasters, termine sur une chanson automnale, ne la rend pas plus solitaire et triste que l’originale, se contente de la chanter, mais les arbres ont perdu leur couronne d’or, il nous les présente dépouillés. Vous pouvez pleurer, la pluie cachera vos larmes. Havana moon : l’a dû réfléchir Bill Crane, avec le morceau précédent vous filez tout droit prendre une chambre à l’hôtel des cœurs brisés, alors il nous offre un dernier cadeau, une seconde version de Havana Moon, la voix et le cette espèce de grésillement de cigales, tout à l’heure je faisais le mariole en remarquant que sur ce titre ce n’était pas la guitare de Chucky Chucka, comme l’aime à le nommer notre Cat Zengler, qui triomphait, l’a dû avoir la même intuition que moi Bill Crane, mais lui comme il sait en jouer, il se paie le luxe de la laisser au vestiaire, ça se remarque comme l’absence du dinosaure qui a déserté le canapé du salon, quant au résultat, il est terrible, cette voix qui va jusqu’au bout de la nuit comme une lampe à huile qui attend l’aurore pour consentir à fermer les yeux.

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             Les pionniers, parfois leurs cendres sont brûlantes, parfois elles sont froides. Ce Covers de Bill Crane vous aidera à comprendre ce phénomène dichotomique.

             Pour les amoureux du rock‘n’roll.

             Not only.

    Damie Chad.

     

    *

    LES BLOUSONS NOIRS : LES REBELLES SANS CAUSE

    ALEXIA SAUVAGEON / CHRISTOPHE WEBER

     

    Se nommer Sauvageon lorsque l’on traite du phénomène des Blousons noirs faut le faire, peut-être une indication du destin. Difficile d’être affirmatif : l’aurais-je déjà vu ? L’est remis sur YT par la chaîne Imineo Documentaires spécialisée en vidéos historiques, comme quoi tout peut arriver en ce bas monde, les blousons noirs sont entrés dans l’Histoire. Vous les retrouvez (notifiés) aussi sur la chaîne d’Alexia Sauvageon-Colette qui définit l’exposition de son travail professionnel et ses coups de cœur personnels en trois mots : Storytelling, émotion, impact. Sur le générique final le Copyright attribué à Sunset-Presse date de 2014, société spécialisée depuis trente ans dans la production de films et d’émission pour la télévision. Une grosse boite.

    L’ai-je déjà vu, Sans doute, mais je n’en suis pas sûr. Toutes les images que l’on trouve sur le Net sur les Blousons Noirs proviennent des mêmes sources. Les mêmes documents d’époques, les même rares témoins et acteurs interrogés, les mêmes connaisseurs, les mêmes spécialistes.

    Profitons-en pour rendre hommage à Jean-Paul Bourre disparu le 23 octobre de l’année dernière que l’on voit revenir sur les lieux de sa jeunesse, il fit partie de la bande des Croix Blanches à Issoire, par la suite il écrira de nombreux livres, deviendra animateur de radio sur Ici et Maintenant, l’est un témoin de toutes les dérives underground, officieuses et officielles de sa génération depuis les années soixante à avant-hier…

    Le docu d’une heure est plein comme un œuf, il analyse le mouvement qui ne dura pas longtemps de 1959 à 1963, situation historique, nationale, internationale, le phénomène français, milieu social, violences, bagarres, Marlon Brando, James Dean,  la musique, place centrale accordée à Vince Taylor et à Gene Vincent, rien que pour cela le docu est à voir, et puis l’évaporation du mouvement, la suite c’est  Mai 68, une nouvelle génération, petite-bourgeoise, qui prend non pas le pouvoir mais le devant de la scène, le docu oublie toutefois de préciser que le seul soir où la police fut débordée c’est quand les bandes jusqu’à lors en retrait descendirent au centre de Paris, elles ne se fixèrent pas sur les barricades, points chauds de normalisation délimitoires de l’ennemi, mais se déplacèrent en petits groupes harcelant et désorganisant les flics… ensuite c’est la survie, ceux qui se sont volatilisés ( mariage, boulot, métro) et ceux qui ont continué le rêve à leur manière, Patrick Grenier de la Salle devenu écrivain, son roman Classe Dangereuse est à lire, l’est émouvant avec son perfecto et son badge Eddie Cochran, Gérard  Bricks qui monte son groupe de rock une fois la retraite arrivée...

             C’est tout, le docu expose mais ne va pas plus loin. Nous y reviendrons.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Vous ne saurez jamais tout le mal que l’on se donne, le Cat Zengler et votre very heavy very humle serviteur Damie Chad pour rédiger nos maudites chroniques, ainsi pour celle-ci j’ai dû parfaire mes connaissances en langues kirghise et persane.

    NOMAD

    DARKESTRAH

    (Mars 2024 / Osmose Production)

    Darkesthrah et pas darkesthrash, sachez faire la différence, un groupe de metal certes, un peu différent, d’origine kirghise, même s’il est basé en Allemagne, qui se permet un mélange musical qui pourrait paraître incongru, symphonique et folklorique, mais si j’ajoute qu’il se revendique païen et que le retour aux premières civilisations est aussi un retour vers d’originelles musiques, ce genre de démarche ethno-moderniste vous apparaîtra peut-être s’inscrire dans une certaine logique de production authentiquement artefactique.

            Le Kirzgisthan, ancienne république soviétique est encastré au milieu de l’Asie Centrale entre le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et la Chine. L’histoire des Kirghizes n’est pas simple, ils ne sont arrivés dans le Kirzigthan qu’au seizième siècle, d’après ce que j’ai compris ils proviendraient de Sibérie mais des tribus turkmènes se seraient mélangées à leurs troupes, ils se seraient un long moment installés en Mongolie… pas pour rien que le disque s’intitule Nomad ! C’est que l’on appelle une remontée aux racines. Mythiques.

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             La couve nous fait rêver, un guerrier chevauchant une magnifique monture, aussi noire et monumentale que le Bucéphale d’Alexandre le Grand, l’on s’imagine déjà en train de chevaucher avec les hordes mongoles de Gengis Khan, hélas ce dernier est venu au monde quelques siècles après les pérégrinations évoquées par notre rapide survol géographique. Un autre détail qui cloche (nous écrivons cette chronique au jour de Pâques), notre guerrier n’est guère armé, ni lance, ni arc, ni épée, porte un instrument de musique, qu’il joue avec un archet comme Jimmy Page, une espèce de guitare non électrique préhistorique aussi longue qu’un cou de girafe, aussi mal foutu qu’un clou de girofle, qui porte le doux nom de Tar, une précieuse indication pour notre écoute.

    J’avais cité Jimmy Page sans trop y réfléchir, mais à lire le paragraphe précédent l’on ne peut s’empêcher de penser aux expériences de Jimmy et de Robert Plant avec des musiciens marocains et égyptiens.

    Asbath : drums, percussions, si le nom de tenir komuz signifie guimbarde, vieil instrument traditionnel notre batteur est aussi chargé des modernités sampleriques / Resurgimus : guitares, keyboards / Magus : tambour, tar à quatre cordes (je suppose) employé dans les orchestres ‘’ symphoniques’’ orientaux, guimbarde / Cerritus : basse, tambour shamanique / Claruck : vocal, percussion.

    Le groupe est en activité depuis 1999, il a déjà commis six albums, des membres sont partis, de nouveaux venus sont arrivés. Il semble maintenant vouloir reprendre un nouveau départ.

    Journey through blue nothingness : un instrumental si vous voulez, un frémissement venu de loin, vient-il vers vous ou provient-il de vous, est-ce le néant du monde qui s’empare de vous, ou projetez-vous votre néant intérieur sur l’immensité qui vous entoure, une rumeur, un rituel shamanique monocorde,  une remontée vomitoire du fond des âges, du temps des hordes perdues dans l’infinité fuyante du monde qui semble vous aspirer à chacune de vos avancées, vous pensez conquérir la terre, vous n’êtes qu’un insecte perdu sur une surface informe sur laquelle vous ne faites que passer poussé, tiré par des forces incalculables dont vous croyez être le moteur, dont vous n’avez qu’une faible prescience de leur existence. Kök-Oy : sauvés ! ne pénétrons-nous pas dans un morceau qui fleure bon le chaud metal de nos habitudes auditoires, mille chevaux foncent droit devant, goûtez cette joie sauvage qui vous assaille, la voix colérique semble mener l’assaut, que se passe-t-il pourquoi cette rupture, le chant de victoire retentit, vous avez franchi le fleuve bleu, vous êtes rentrés dans le pays de vos espérances, en vous-même là où depuis toujours, depuis le premier jour de votre naissance , rôde la mort, vous n’en sortirez jamais, car nous restons prisonnier de nos pensées, oh ce bourdon insatiable qui résonne derrière la batterie, où que tu diriges tes pas, tu ne sortiras jamais de toi-même, ton esprit est une tombe. Comprends que c’est là l’idée fondamentale qui guide tes pas. Somptueux ! Nomad : galops et hennissements de chevaux, chant de guerre et de destruction, partout où nous avons passé nous avons semé la mort, pillé et brûlé, une épopée victorieuse, partie d’un océan pour arriver à l’autre bout de la terre devant une même mer infranchissable, mais le grand voyage se double d’un autre introspectif, nous avons dominé le monde entier, nous sommes les rois mais nous vieillissons et nous mourrons, la route était simple et toute droite, maintenant nous chantons tous en chœur l’absence de ce pays que nous n’atteindrons jamais, oui les mots ont plus de poids que les armes, oui la poésie est plus brûlante que la guerre. Nostalgie de l’introuvable. Le morceau se déroule comme un immense film tumultueux dont les images vous happent, vous meuvent, vous transportent en un torrent de pensées interdites. Les plus grandes menaces. Sensationnel !

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     Destroyer of obstacles : sabots de chevaux, une voix féminine s’élève, récite-t-elle un mantra prononce-t-elle une imprécation, la musique déboule profonde majestueuse et la voix crache son venin, elle cite Erlik le dieu de la mort toujours à vos côtés, toujours aux côtés des guerriers, toujours à côté de celle qui chante car la mort élimine les obstacles qui se dressent et empêchent de voir au loin, la musique ralentit comme si les chevaux se mettaient au pas pour susciter le calme nécessaire à la shamane, elle est la proie d’un délire, la musique entre dans sa gorge, est-ce pour l’empêcher de révéler les secrets ou pour encore les obscurcir, le rythme s’alentit, l’imprononçable n’est-il pas dit en sa manière imprononçable, maintenant elle chante, elle hurle, elle s’étrangle, vous ne comprendrez pas les dernières paroles, mais que serait le Prince Noir, le grand meneur de hordes, sans le récitant dont ses exploits miment les paroles. Le sang n’est-il pas l’autre face de la poésie. Grandiose ! Pour mieux comprendre, le lecteur français peut se plonger dans la lecture de l’Anabase de Saint-John Perse qui expose une thématique semblable mais selon une culture occidentale et une historiographie méditerranéenne. Quest for the soul : suite tempétueuse du précédent, grandiose et funérale, la batterie cherche son chemin, il ne s’agit plus de s’emparer d’un royaume mais de récupérer une âme pour remplir le vide du monde, nous voici transporté dans une translation shamaniques, les quatre vents de l’esprit dirait Victor Hugo, Victor Segalen arpenteur des immensités chinoises déchiffrera les Stèles orientées au Sud, au Nord, à l’Ests à l’Ouest, et puis l’ultime intérieure, celle qui dévoile le nom qu’il ne faut pas lire, la sorcière n’a pas su, pas pu, pas voulu, nous ne le saurons exactement jamais, les aigles ont crevé ses yeux de voyante, rien n’arrêtera la cruauté du monde sur la face de la terre, le groupe lancé à toute vitesse galope à l’infini, maintenant il fatigue, le rythme marche à l’amble, procession funéraire pour quelqu’un qui n’a pas su mourir, des chœurs lamentueux s’élèvent, parfois la dernière vision est celle de la mort, la plus grande sagesse est-elle peut-être de ne rien dire, et de se taire quoi qu’il vous en coûte, car qui ne connaît pas la fin la cèle. Méditative effrayance. The dream of Kokojah : sonneries aussi ténues que la trame du monde, quel lieu pourrait m’emmener plus loin que le bout du monde, si ce n’est le rêve à condition que ce rêve se remplisse du vide du néant, les dernières paroles du Conquérant, ou du poëte qui supplie qu’on lui prophétise le terme ultime, y aurait-il une image dans son rêve ne serait-ce que celle d’un cri de corbeau qui lui dévorerait le cœur, ne serait-ce pas alors celle de sa mort, musique lente et processionnaire, voix augustéenne, elle épouse la lenteur des Dieux qui ne sont pas au rendez-vous, désespoir absolu, l’on se dirige vers elle depuis le premier jour, l’on est le premier angoissé lorsqu’elle se fond en nous, il nous reste donc encore à mourir. Pour une dernière fois. Puisque nous mourons sans cesse depuis toujours.  Définitive expérience. A dream that omens death : l’opus   finit comme il a commencé, une espèce de cérémonie funèbre, les dernières litanies avant le trépas, le monde est encore là, il est toujours là car il est la mort, car le monde et la mort sont une seule et même chose, les deux faces interchangeables et rigoureusement identiques de la présence de ce qui est. Dark Orchestra.

             L’on ne sort pas indemne de ce disque. L’est comme le bruit, cette saccade ruisselante, cette poignée de terre qui s’éboule sur votre cercueil dans ce cimetière où vous n’êtes plus et où vous êtes pourtant encore là, car tant que durera le monde, durera votre mort.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    Je ne suis pas un chaud partisan d’Andy Warhol, et de ces artistes dont les idées sont plus importantes que leurs réalisations, jusqu’à cet épisode je n’avais pas apporté une grande attention à sa déclaration ‘’tout le monde aura un jour ou l’autre son quart d’heure de célébrité’’, mais je dois avouer maintenant que je l’ai expérimentée qu’elle détient une part de vérité, toutefois je ne tiens pas à vous ennuyer avec mes réflexions sur l’art moderne et je vais donc vous raconter la mise en action de mon plan Z.

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    A peine avais-je posé un pied (le gauche) par terre, que je commençais à appliquer le plan Z.  Une tasse de thé plus (je devrais dire moins) deux biscottes légèrement beurrées et une poignée d’haricots verts cuits à l’eau non salée pour Molossa et Molossito. Je tiens à préciser que durant toute la mise en action du plan Z mes chiens manifestèrent une mauvaise volonté évidente s’efforçant à freiner sa préparation, ainsi après avoir reniflé dans leurs écuelles d’un commun accord ils entreprirent aussi sec une grève de la faim. 

    Ils me firent carrément la gueule (non ce n’est pas une expression triviale, je vous fais remarquer que les chiens n’ont pas de figure mais une gueule) quand ils remontèrent dans la voiture un peu plus tard après une séance chez le toiletteur. Je ne m’étais pourtant pas moqué d’eux, j’avais choisi le plus cher de Paris sans compter les trois mille euros de dédommagement pour passer avant tous les autres clients, entre nous soit dit Molossa avec ses petits nœuds roses sur les pattes et la tête, ça ne cadrait pas trop avec sa personnalité, mais le plan Z c’est le plan Z. Molossito était-il le plus réussi, avec ses petites perles de toutes les couleurs dans lesquelles les quatre opératrices qui s’étaient occupés de lui avaient fait passer des touffes de poils qu’elles avaient torsadées en forme de mini-tresse. Encore entre nous, je trouvais que ça ressemblait à ces coiffures dont les mamans africaines ornent la tête de leurs petites filles, mais avec les quatre pourboires de cinq cents euros que je distribuais aux hôtesses, je n’allais pas me plaindre, et puis le plan Z c’est le plan Z.

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    En bon maître je m’étais d’abord occupé de mes chiens, je pouvais donc m’occuper de moi-même. Coiffure, pédicure, manucure, asséchèrent mes économies.

    Au téléphone le Chef avait l’air inquiet :

             _ Oui Agent Chad je crédite immédiatement votre carte, elle porte maintenant la mention CADPAS (Carte d’Accès Direct Pour Action Spéciale) je certifie qu’avec cette mention vous avez directement accès aux fonds secrets de l’Elysée, ils ne sont pas trop regardants, essayez toutefois de ne pas dépasser le million d’Euros, vous savez qu’en haut lieu ils ne nous aiment pas. Ecoutez-moi bien Agent Chad, sans le connaître je pressens que votre plan Z est dangereux, je reste au bureau, téléphonez-moi si vous avez un problème. Bonne chance Agent Chad. La mort marche à vos côtés.

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    Je ne veux pas faire comme les pauvres qui parlent toujours d’argent, je me contente de vous dire j’ai de très très loin dépassé le million d’Euros. Que voulez-vous ce n’est pas de ma faute, de toutes les manières vous ne comprendriez pas et vous n’avez aucune idée des investissements nécessaires pour un plan Z.

    J’ai fait un détour chez Cartier, j’ai été très bien reçu, ils ont même excusé Molossito qui a fait pipi sur les chaussures d’une cliente :

             _ Ce n’est rien Monsieur, notre assurance dédommagera la dame, c’est bien les cinq Rollex les plus chères serties de diamant que vous prenez, vous avez raison, savez-vous qu’en plus de leurs multiples fonctions, par exemple elles indiquent la hauteur du Machu Pichu au centième de millimètres près, eh bien ces modèles-ci sont capables de vous donner l’heure !

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    Chez Boutik Luxe ils ont éclaté de rire lorsque je leur ai demandé le plus beau et le plus cher des costumes Armani qu’ils avaient.

             _ Monsieur a le sens de la plaisanterie, nous n’habillons ni les sans-abris, ni les indigents. Avec votre Perfecto nous subodorons votre style, sachez que tous les plus grands chanteurs de Metal commandent leur costume de scène chez nous, les tenues les plus étranges et les plus chères de la planète sortent de nos ateliers. En deux heures nous sommes capables de réaliser le moindre de vos désirs vestimentaires.

    Pas des charlatans, Rollex en main, deux heures pile plus tard je ressortis vêtu d’une espèce de peau de serpent lamée de fil de platine, je ne vous parle pas des chaussures en carapace d’ornythorinque, chaque fois que je passais devant une vitrine je ne m’attardais pas, j’avais peur de tomber amoureux de moi-même. Je suis naturellement beau mais là j’étais irrésistible !

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    Mon cerveau fit tilt ! J’étais sur la bonne voie ! Maintenant je me souvenais, Irrésistible c’était le titre de l’article que j’avais lu durant la nuit, j’avais suivi à la lettre les conseils de beauté. Oui OK, d’accord, mais tout cela pour quoi ? J’étais bloqué ! J’ai cherché dans ma tête, je n’ai rien trouvé, j’étais bloqué en plein milieu du Plan Z ! En désespoir de cause j’ai téléphoné au Chef.

             _ Que se passe-t-il Agend Chad ? Je sens que vous êtes en difficulté !

             _ Chef je n’arrive plus à avancer dans mon plan, je me suis rapproché du Z, mais il me reste encore quelques lettres, si vous aviez par hasard une idée, je suis preneur !

             _ Pas d’affolement Agent Chad, cela arrive souvent quand on entreprend un plan Z, d’après moi vous êtes bloqué au bon endroit, n’oubliez pas que le plan Q est une étape nécessaire à la réalisation du plan Z.

             _ Chef je veux bien le croire mais vos propos ne m’aident en rien !

             _ Pas de panique Agent Chad, regardez autour de vous, pensez à la lettre volée d’Edgar Poe qui était posée à la vue de toux ceux qui la cherchaient. Enfin un dernier détail, fiez-vous à mon flair, prenez vos chiens en laisse et dirigez-vous vers l’Elysée. Bonne chance, Agent Chad, je réitère mes recommandations, la mort marche à vos côtés et elle se rapproche.

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    J’ai pris mes chiens et suis parti en direction de l’Elysée, des propos tenus par le Chef, c’était la seule indication fiable que j’avais retenue. Je l’avoue mon esprit pédalait dans la choucroute pendant que j’avançais. Un détail s’imposa à moi : c’était le regard des filles et des femmes que je croisais. Au début je crus que c’était la manière dont Molissito et Molossa étaient attifés qui les faisait sourire. Mais non je dus me rendre à l’évidence. Mon apparence physique produisait une forte attirance sur ma modeste personne. Je n’ai jamais laissé la gent féminine insensible mais là je les sentais prêtes à s’offrir corps et âme à la moindre de mes invitations.

    J’étais perplexe, c’était donc cela le plan Q du Chef, devais-je satisfaire toutes les parisiennes ! Je trouvais la chose flatteuse certes mais un peu grotesque. N’allais-je pas périr de fatigue sous des vagues et des vagues de femmes qui se jetteraient sur moi ? Etait-ce la mort qui se rapprochait de moi !

    Elles étaient déjà une dizaine à me suivre de loin. Le danger se précisait. Je rentrai subitement chez un marchand de journaux. J’avais besoin de réfléchir. Et c’est là que subitement tout s’éclaira. Le plan Z ! l’avait raison le Chef , l’était partout ! Ecrit en grosses lettres sur la couverture du magazine ELLE : La photo de la jeune fille que j’avais remarquée lorsque j’étudiais les documents secrets : il suffisait de lire : MARDI APRES-MIDI L’ACTRICE GERALDINE LOUP RECUE A L’ELYEE !

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    S’agissait pas de la louper ! J’ai couru comme un fou vers L’Elysée, les chiens ne se firent pas prier, je ne sais pas comment mais ils avaient enfin compris qu’ils étaient un élément essentiel de la réussite du plan Z, je pouvais compter sur eux, à dix mille pour cent.

    Nous arrivâmes juste à temps, quelques talons mordillés à bon escient et nous pûmes percer le rideau d’admirateurs, de journalistes et de gorilles qui formaient un énorme arc de cercle devant le portail de l’Elysée. Le Président finissait son baise-main. C’était à moi de jouer. Oui la mort marchait à mes côtés.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 639: KR'TNT 639 : ANDREW LAUDER / MUDDY GURDY / D'ANGELO / GRUFF RHYS / BILL CALLAHAN / LIKE WIRES / PENITENCE ONIRIQUE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 639

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    04 / 04 / 2024

     

     ANDREW LAUDER / MUDDY GORDY

    D’ANGELO / GRUFF RHIS / BILL CALLAHAN

    LIKE WIRES / PENITENCE ONIRIQUE

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 639

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    Wizards & True Stars

     - Lauder de sainteté

     (Part One)

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             Admirable ! Chez Andrew Lauder, tout est admirable : son autobio, ses choix, son comportement en tant qu’A&R et surtout sa discrétion. Pas ou peu de photos de lui, ce sont les artistes qui priment. L’histoire d’Andrew Lauder est celle d’un âge d’or du rock anglais qui démarre dans les sixties, et donc celle d’un fan qui parce qu’il n’est pas dans un groupe opte pour le music biz. C’est la même chose. Andrew Lauder va fréquenter des gens qui comptent parmi les plus intéressants de son temps : Guy Stevens, Tony McPhee, Hawkwind, les Groovies, Feelgood. Il a pour particularité d’avoir trempé dans la scène pré-punk qu’on appelait aussi le pub rock, avec Man, Brinsley Schwarz et Dave Edmunds, mais aussi, hélas, Costello, ce mec qui ose s’appeler Elvis. Lauder l’appelle aussi Elvis tout court dans les passages qu’il lui consacre, Elvis par ci, Elvis pas là, c’est agaçant. Quand on a une tronche comme celle de Costello, la première chose qu’on fait est d’éviter de se faire appeler Elvis. Ça n’a pas de sens et, plus grave, ça frise le manque de respect. Mais Lauder est un mec gentil, il ne se rend pas compte. C’est son seul défaut. Il aurait peut-être dû conseiller à Costello de choisir un autre prénom, André ou Albert. Ça allait mieux avec les lunettes.

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             Au départ, Lauder a tout bon : il flashe sur Wolf et «Smokestack Lightning» qu’il qualifie de «greatest thing of all time». Well done, Andrew ! Dans l’intro du big book, Richard Williams cite les hits qui illustrent le parcours de Lauder : «Silver Machine» d’Hawkwind, «Vitamin C» de Can, «Surrender To The Rhythm» de Brinsley Schwarz, «She Does It Right» de Feelgood, «My Flamingo» de Nick Kent, «Is Vic There» de Depatment S, «Lipstick Sunset» de John Hiatt, «King Strut» de Peter Blegvad et «Fools Gold» des Stone Roses. Pas mal, très underground et hautement qualitatif.

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             Comme tout le monde, le jeune Andrew commence par ramasser des singles de Little Richard et de Lerry Lee, c’est le point de départ, l’origine des abscisses et des ordonnées, sans oublier Elvis, le vrai, le Sun. Il flashe aussi comme tout le monde sur Buddy Holly. Puis les Rolling Stones, qui tapent un «Not Fade Away» qu’Andrew connaît bien. Il prend modèle sur un autre Andrew, le Loog, qui en 1964 mène les Stones vers la gloire à coups d’«It’s All Over Now» et de «Little Red Rooster». Andrew se dit : «I can do that. I can follow in Andrew’s footsteps.» Mais il ne sait pas comment s’y prendre. Il flashe comme un fou sur le premier album des Stones, et comme c’est un album de covers, il fait comme tout le monde, il va piocher dans les originaux : «Willie Dixon, Muddy Waters, Slim Harpo, Jimmy Reed and Rufus Thomas», une ribambelle explosive à laquelle il rajoute les blazes de Chucky Chuckah et de Bo Diddley. Il a raison, l’Andrew, car là tu as déjà tout le rock et tout le roll. Puis il voit les groupes anglais fondre comme des aigles sur les mêmes belettes noires : les Kinks, les Animals, Manfred Mann, Them et les Pretties. Ça grouille de partout. Dans la confusion, les joues rouges, le jeune Andrew comprend une chose fondamentale : il est in the right place at the right time. Quand on est fan de rock, c’est l’époque qu’il faut vivre. Les décades suivantes ne seront qu’un long déclin de l’empire romain du rock, si l’on considère qu’Elvis (le vrai, pas l’autre), Dylan, Brian Jones, Lou Reed, Iggy, Totor, Sly Stone, John Lydon, John Lennon, James Brown, Isaac le prophète, Tonton Leon, Frank Black, Marvin Gaye et quelques autres sont les empereurs successifs de cet empire.

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             Comme le jeune Andrew met le nez dans les affaires du blues via Elmores James, Wolf, Little Walter et tous les autres, il croise fatalement la piste de Guy Stevens qui est alors la tête pensante du blues à Londres, et la tête de pont d’un label déjà mythique, Sue Records. Pantelant, l’Andrew revient sur «Smokestack Lightning» qu’il qualifie cette fois de «greatest achievement of all time», en quoi il rejoint Uncle Sam qui considérait Wolf comme le meilleur. Le plus drôle c’est qu’Andrew essaye d’imiter Wolf et il s’en arrache les cordes vocales - I was up in my room howling - Puis il flashe comme un caribou dans les phares d’un truck sur les Pretties - The roughest and the hairiest of the  lot - Alors il décide de se laisser pousser les cheveux pour ressembler à Phil May. Il est vraiment très bien, le jeune Andrew, jusque là, il a tout bon. Cette autobio est un régal, pour peu qu’on appartienne à la même famille de pensée. Andrew voit les Pretties à la télé, ils passent dans Ready Steady Go et son père qui est assis à côté dans son fauteuil s’écrie horrifié : «What in God’s name is that?». On a tous vécu ça, le paternel qui gueule devant la télé des trucs du genre «c’est quoi cette musique de singes ?», alors que la séquence est cruciale. Ces vieux abrutis ne comprenaient rien. Fuck ‘em !

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             L’Andrew nous raconte donc son Éducation Sentimentale. Il se prépare pour entrer dans «la vie active». Il décroche un premier job dans une boîte de sheet music qui s’appelle Southern Music - No. 8 Denmark Street - Il y fait le petit gratte-papier qui comptabilise les ventes de partitions et voit débarquer des gens comme Donovan et les Artwoods. Alors il papote avec eux. C’est facile, car il est fan, et ces mecs-là aussi. Donovan lui dit qu’il va bientôt sortir un single, «Catch The Wind». Et comme il bosse sur Denmark Street, l’Andrew en herbe voit passer des tas de gens qui vont enregistrer au Regent Sound - No 4 Denmark Street - Les Stones y ont enregistré leur premier album et les Kinks «You Really Got Me». Larry Page a son bureau au No. 25 Denmark Street. Les Troggs enregistrent aussi «Wild Thing» au Regent Sound. Il n’existe pas d’endroit plus mythique à Londres que Denmark Street. À côté de Southern Music se trouve le fameux Giaconda, où on mange des spaghettis bolognaise. Il y voit manger Keith, Bill & Charlie, il papote avec Mitch Mitchell (very chatty) et Noel Redding. Mitch raconte au jeune Andrew qu’il vient tout juste d’auditionner pour un job de batteur dans un trio «with an unknown guitarist called Jimi Hendrix.» The right place in the right time. On ne peut pas faire mieux. On est assis à la table voisine et on suit l’affaire de près. De très près.

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             L’Andrew en herbe découvre Buddy Guy sur scène et comprend soudain d’où vient Jimi Hendrix. 25 ans plus tard, il aura la chance de fréquenter Buddy Guy qui lui expliquera qu’il doit tout à Guitar Slim - It was all part of a tradition where each new player added their own unique brand of showmanship - Voilà, c’est exactement ce qu’il faut comprendre : une tradition et donc une lignée. Jimi Hendrix hérite de Buddy Guy qui lui-même héritait de Guitar Slim, mais il développe l’héritage et le sublime. «Hey Joe» vient d’entrer au hit-parade. L’Andrew en herbe voit Jimi Hendrix sur scène. Il pense bien sûr à Buddy Guy «but Hendrix brought something new.» Il comprend qu’Hendrix invente un style et qu’il joue «ferociously loud». L’Andrew comprend ça et s’en émerveille. Dans le même ordre d’idée, il découvre avec stupeur Larry Williams et Johnny Guitar Watson - Another outrageous showman - Ça se passe encore au Flamingo. La deuxième fois qu’il y va, il tombe sur Sugar Pie DeSanto - «Soulful Dress» was a real mods’ favourite - Il parle de «crazy dancing and even back flips». Et comme tout le monde à Londres à l’époque, il prend les Who en pleine poire - They completely blew my socks off - Boom ! «Can’t Explain» ! Il tombe en pâmoison devant «Anyway Anyhow Anywhere» - Avant de voir les Who, je pensais que les Pretty Things incarnaient the sound of disrespectful youth, but the Who upped the ante - Oui, ils montaient d’un cran, et même d’un sacré cran - «Anyway Anyhow Anywhere» ? «One of the most innovatory singles ever.» Là, l’Andrew est obligé de faire une pause. Il a le souffle court et les joues rouges : «Après trois mois de gigs-going, seeing the Who and Buddy Guy had me hooked for life.» Il comprend aussi que d’aller voir des concerts devient une «occupational necessity». Bienvenue au club, Andrew. Pas de pot, il n’arrive pas à choper les Pretties sur scène, mais il chope les Small Faces en 1966, avec un McLagan fraîchement enrôlé. Il voit aussi The Graham Bond Organisation au 100 Club et dit le plus grand bien  de The Sound Of 65. C’est incroyable comme le jeune Andrew peut avoir tout bon. Jusque-là, c’est un parcours sans faute.

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             Puis il décroche un job chez Liberty Records, un label américain qui a une antenne à Londres. L’artiste phare du label n’est autre qu’Eddie Cochran. L’Andrew rappelle que Liberty a avalé Imperial et Minit, des labels qu’il connaît bien, car il est friand de Fatsy et d’Allen Toussaint, d’Irma Thomas, et d’Aaron Neville. Si Liberty ouvre une antenne à Londres, c’est pour signer des groupes anglais. L’Andrew bosse aussi sur la promotion des artistes Liberty en Angleterre - the Ventures, Bobby Vee et Johnny Rivers - mais il préfère, et de loin, Jackie De Shannon. Hélas, pas de promo pour elle, car elle est considérée comme songwriteuse. Puis comme tout le monde, l’Andrew se met à flasher like airplane lights sur la scène de San Francisco, et plus particulièrement sur les Charlatans. Comme par hasard - They had peaked up too early, been horribly screwed on a lousy deal and split up - C’est admirablement bien résumé. Arrivés trop tôt, baisés par un mauvais contrat et pouf, le split. L’Andrew va se passionner pour cette scène et développer une petite obsession, au point de décorer son bureau comme le Red Dog Saloon de Virginia City où jouèrent les Charlatans durant l’été 1965.

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             Comme Liberty veut profiter de la manne des groupes anglais, le boss de l’antenne Ray Williams passe une annonce en 1967 dans le New Musical Express : «LIBERTY WANTS TALENT». Alors les TALENT ramènent leurs fraises : Idle Race, Family et The Bonzo Dog Doo-Dah Band. Il y a aussi le futur Elton John, mais on va le mettre dans le même sac que le faux Elvis. John Peel chouchoute aussitôt Idle Race. Nous aussi d’ailleurs. Jeff Lyne allait ensuite rejoindre les Move. Et bien sûr les Bonzos - Their live act was hysterical - L’Andrew rappelle qu’avec Gorilla, les Bonzos furent énormes en Angleterre et qu’il comptaient parmi les groupes les mieux payés sans avoir de hit-single. Il fait surtout l’éloge de l’excellent Doughnut In Granny’s Greenhouse - much more of a rock album than Gorilla - L’Andrew dit qu’on les comparait aux Mothers alors que ça n’avait rien à voir.

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             Il passe ensuite à un épisode qu’il faut bien qualifier de mythique : Hapshash & The Coloured Coat en 1967. Pourquoi mythique ? Parce que Guy Stevens. Un Stevens qui se pointe avec un projet enregistré avec les «ultra-hip underground artists Nigel Weymouth and Michael English», des mecs qui dessinent des posters pour l’UFO et qui sont à l’origine de Granny Takes A Trip on Kings Road. L’Andrew rencontre enfin Guy Stevens qu’il qualifie de «real mover and shaker in that mod in-crowd». C’est Chris Blackwell qui lui demande en 1964 de s’occuper de la distribution du catalogue Sue en Angleterre, puis qui le nomme A&R d’Island Records, avec le succès que l’on sait (Spooky Tooth, Free, Mott The Hoople and co). L’Hapshash qu’il amène chez Liberty est selon l’Andrew «a psychedelic, bongo freak-out jam» featuring the Human Hits and the heavy Metal Kids qui ne sont rien de moins qu’Art, c’est-à-dire les VIPs qui vont devenir Spooky Tooth.  

             Sur Liberty on trouve aussi Canned Heat - The most important act I picked up in those early months as a product manager - L’Andrew rappelle qu’il fait la promo des artistes signés sur Liberty aux États-Unis - Le département A&R américain avait enfin signé un groupe qui m’excitait - Il s’exclame : «Canned Heat became my cause célèbre», qu’il écrit en italique avec les accents. Il les fait tourner en Angleterre et les accueille à l’aéroport. Il voit Henry Vestine débarquer avec une boîte contenant ses 45 tours préférés qu’il emmène partout. Puis voilà Al Wilson qui, avec John Fahey, a redécouvert Son House en 1964. Pour l’anecdote, Son House avait oublié toutes ses vieilles chansons et Al Wilson, qui les connaissait bien, les lui a ré-apprises. Plus loin dans le book, l’Andrew revient sur l’excellent Hooker ‘N Heat, enregistré par Hooky et Canned Heat sur United Artists. Alors l’occasion est trop belle de le sortir de l’étagère.

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             C’est l’Hooky qui ouvre le bal d’Hooker ‘N Heat. Il t’embarque ça vite fait au hey hey look what you did/ Got my money babe. Quelle présence ! On l’entend claquer sa corde basse à l’ongle sec sur «Send Me Your Pillow». Il est tout seul. Sur «Sittin’ Here Thinkin’», il y va au lookin’ through my window pane, avec une baby gone with another man. Il tape du pied sur la planche. Superbe artiste ! En B, il tape un «Drifter» en suspension et Al Wilson passe des coups d’harp. Mais au moment où paraît l’album, Al a cassé sa pipe en bois, et on voit son portrait accroché au mur. Ça continue au deep boogie blues d’Hooky le cake avec «You Talk Too Much», puis c’est l’hypno voodoo de «Burning Hell» - When I’ll die/ Nobody knows where I’m going - Il n’y a que lui qui puisse chanter ça. En C, l’Al gratte le boogie africain avec l’Hooky sur «I Got My Eyes On You». Et la grosse machine de Canned Heat se met en route sur «Whiskey & Wimen». Fabuleux heavy boogie, avec le bassmatic dévorant de Larry Taylor. On n’en finira jamais d’adorer cet album. En D, Hooky monte «Let’s Make It» sur le riff raff de Boom Boom Boom, Aw aw aw aw ! Et tu as en prime tout le power de Canned Heat. Stupéfiant ! L’Hooky a du pot d’avoir ces mecs-là derrière lui. «Peavine» est gorgé de son, d’énergie et de passion. Canned Heat accompagne un dieu vivant. Ils terminent avec «Boogie Chillen No 2» chauffé à blanc et Henry Vestine part en vrille amphétaminée. C’est bien que cet album extraordinaire soit sur le label d’Andrew Lauder.

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             Le voilà encore chez les Wizards & True Stars avec Captain Beefheart. Comme Strictly Personnal floppe aux États-Unis, l’Andrew part en croisade pour laver l’honneur du bon Captain. Il trouve l’album «still very Delta blues based», mais avec des tendances avant-gardistes et psychédéliques. L’Andrew s’avoue profondément déçu «car il n’a pu rencontrer the great man qui n’est pas venu faire la promotion de l’album en Angleterre after all.» Il passe directement à un autre Wizard, Tony McPhee - So the Groundhogs were my first bona fide signing and quite a bargain at £52 - Il sort Scratching The Surface, «a pure British blues album». Selon l’Andrew, Tony McPhee s’inspire directement d’Hooky et de Buddy Guy «who Tony would always say was the first to really investigate feedback.» Mais le breakthrough album sera Thank Christ For The Bomb. McPhee y dit adieu aux sixties. John Peel n’aimait pas leurs deux premiers albums qu’il trouvait boring, mais il raffole de Thank Christ et, nous dit l’Andrew, de «Soldier» qu’il passait en boucle. Toujours sur sa lancée, l’Andrew rappelle un truc essentiel : les Groundhogs jouaient très fort - Pre-Motörhead, the Groundhogs were as loud as anything I’d ever heard - Il évoque un Top Of The Pops où les Groundhogs jouaient «Cherry Red», un épisode dont les gens parlent encore. Pour l’Andrew ça ne faisait aucun doute : «the Groundhogs were going to be a truly mega band.» Le meilleur publiciste du groupe fut sans doute Kurt Cobain, comme le rappelle l’Andrew un peu plus loin, les voilà élus précurseurs du grunge, comme ils furent dix ans avant élus précurseurs du punk. Ils sont aussi vénérés par The Fall, Steven Malkmus, Captain Sensible et Julian Cope. Et comme sur cerise sur le gâtö, nous avons Split, l’un des plus beaux albums de l’histoire du rock anglais. 

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             Chez Liberty, puis United Artist, il est aussi en charge de Creedence pour l’Europe. Et ce joli bouquet de gros bonnets éclot avec Hawkwind, qui est sans doute le point culminant de la carrière d’Andrew. Le soir où il découvre Group X à l’All Saints Hall, Peely est là aussi, et c’est lui qui indique que Group X va devenir énorme et qu’il faut les signer. Les deux moteurs du groupe sont Dave Brock et Nik Turner. Dick Taylor produit leur premier album. Il vient de quitter les Pretties après SF Sorrow et veut faire autre chose, alors il devient producteur. L’Andrew revient sur l’extraordinaire saga d’Hawkwind, il évoque tous ces personnages abracadabrants, Robert Calvert, Michael Moorcock, Barney Bubbles et puis bien sûr Lemmy qui avait été auparavant roadie pour The Nice et Jimi Hendrix. Il n’avait jamais joué de basse avant son premier gig avec Hawkwind, il grattait des accords comme au temps de Rockin’ Vicars. L’Andrew remet les pendules à l’heure : «On a jamais considéré Hawkwind comme des innovateurs, mais qui a réussi à sonner comme eux ? Ils ont aussi préfiguré Roxy Music.» Il en rajoute une belle louche deux pages plus loin : «Même s’ils partaient loin dans l’espace, ils avaient bien les pieds sur terre et ils ont parcouru un sacré bout de chemin depuis les concerts gratuits sous les arcades du Westway à Notting Hill.» Seul Andrew Lauder peut se permettre un tel éloge, car ce n’est pas sans raison qu’il a protégé le groupe et sorti leurs albums : «Il n’y avait rien de flashy dans le drug-fuelled space rock d’Hawkwind, pas de frime non plus, et il n’y avait avait rien de prévisible chez eux, ce qui n’était pas le cas du groupe qu’était devenu Pink Floyd.» Et aux États-Unis, nous dit Andrew, il n’existait aucun groupe qui sonnait comme Hawkwind. C’est sans doute la plus belle des louanges. Quand Lemmy fut viré du groupe, l’Andrew dit que son enthousiasme pour le groupe a baissé d’un cran. Pour lui, Hawkwind commettait une grosse erreur. Puis le groupe va quitter United Artists, puis une guerre éclate entre Dave Brock et Nik Turner, mais l’Andrew s’en lave les mains. Aux yeux d’Andrew, Hawkwind reste l’antithèse du glam et du prog. Ils font partie du proto-punk anglais. John Lydon était fan, les Pistols tenteront même de reprendre «Silver Machine». D’où la grande fierté d’Andrew Lauder.

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             Quand il met le nez dans le rock allemand, il ne fait pas semblant : Amon Düül, Can et Neu!. Pardonnez du peu. Il sort Phallus Dei en 1969 - and it totally complemented High Tide and probable signings Hawkwind - Car oui, il a déjà High Tide (on y reviendra). Pour lui, Amon Düül est le plus «psychedelic and most shambolic» des groupes kraut. Il est encore plus dithyrambique sur Can  - Je n’ai pas le souvenir de beaucoup d’albums qui m’aient autant excité à la première écoute - Il parle de Monster Movie. Malcolm Mooney, black déserteur américain, n’avait jamais chanté avant Monster Movie - Le seul équivalent de Monster Movie est le Velvet Underground, mais c’est une comparaison superficielle. La musique de Can had broader perimeters - L’Andrew titille son parallélisme en rappelant qu’Irmin Schmidt avec étudié avec Stockhausen, et John Cale avec John Cage et La Monte Young, puis il salue la section rythmique d’Holger Czukay et de Jaki Liebezeit, puissants maîtres de l’hypno cannoise. L’Andrew rappelle aussi que Can n’a jamais eu de set-list et n’a jamais fait de concerts «de promo du dernier album». Rien à cirer ! Fuck it ! Sur scène, ils improvisent. Ils recyclent les thèmes des cuts connus dans l’impro. L’Andrew aime aussi à rappeler que les Buzzcocks ont signé avec lui «because of my involment with Can». Attends, c’est pas fini : l’Andrew cite dans la foulée le fameux éloge d’Eno - Le premier album du Velvet ne s’est vendu qu’à 10 000 exemplaires, mais tous ceux qui l’ont acheté ont formé des groupes - Selon l’Andrew, cette formule s’applique encore plus à Can. Parmi les fans de Can, il cite les noms de John Lydon, Mark E. Smith, Julian Cope, Pete Shelley and Jesus & Mary Chain. Jolie brochette ! Alors on sort Monster Movie de l’étagère.

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             On est tout de suite frappé par «Father Cannot Yell», bien pulsé du beat. Unique pour l’époque, c’est âcre et solide, sans répit, loin des mots, loin du cœur, mais au cœur du mythe. L’Andrew a pris ça en pleine poire, comme tout le monde. Black Mooney au micro. Les dissonances sont directement inspirées de «Sister Ray». Ils bouclent leur fier balda avec «Outside My Door». Heavy beat cannois mais à rebrousse poil, avec Mooney en tête de gondole. Ah cette façon qu’ils ont de développer en tirant l’overdrive, en transparence et sans à-coup ! Mooney dévore vivante la fin apocalyptique. Par contre, rien à dire de la B, à part bof. 

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             L’Andrew embraye aussi sec sur Neu! - J’ai adoré le premier Neu! dès la première écoute - Il flashe particulièrement sur «Hallogallo». Il n’en finit plus de flasher. Flish flash flosh, 36 chandelles ! Son book est un book de flashman. Une flash bible ! Il donne tous les détails de l’histoire de Neu!. On savait l’Andrew passionné, mais avec le temps, ça ne va pas en s’arrangeant. Plus on vieillit et plus on s’excite, c’est logique. Bon après il se vautre lamentablement avec Tangerine Dream. Au fond, c’est une bonne chose qu’un mec comme Andrew Lauder ait des défauts. Ça rassure.

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             Côté copines, l’Andrew en a une belle : Maureen, une Américaine qui a bossé pour Morris Levy chez Roulette, pour Florence Greenberg chez Scepter, et qui est bien pote avec Juggy Murray Jones de Sue Records. Et puis il y a le fameux fiasco du concert new-yorkais de Brinsley Schwarz au Fillmore, avec 140 journalistes anglais invités, nourris et logés, l’Andrew donne tous les détails. De toute façon, Brinsley Schwarz n’a jamais marché nulle part. L’autre fiasco est celui des Groovies qu’il réussit à faire venir à Londres. L’Andrew est fan de leurs albums sortis sur Epic et Kama Sutra. En tant que fan inconditionnel des Charlatans, il est aussi en contact avec Mike Wilhelm, il connaît Loose Gravel et ça le botte bien l’Andrew que Chris Wilson soit désormais dans les Groovies. Il fait d’abord venir Cyril Jordan à Londres. Maureen et lui l’accueillent dans leur appart à Queensgate. Mais c’est compliqué d’avoir un lascar comme Cyril Jordan à la maison, il sort le soir, rentre à des heures impossibles et fout la musique à fond, réveillant Maureen et Andrew. Ah ça par exemple ! En plus, il n’écoute qu’un seul cut, le Cyril, «Tumbling Dice» qui vient de sortir. Sous leurs bonnets de nuit, Maureen et Andrew sont consternés - We felt like parents with a troublesome teenager at home - C’est drôle, Marc Z disait exactement la même chose du Cyril : gâté-pourri, insupportable, auto-centré, ma gueule, rien que ma gueule, wouah ma gueule. Puis l’Andrew fait venir le reste des Groovies à Londres. Il les installe dans une ferme à Chingford, dans l’Essex et ils commencent à tourner en Angleterre et en France. 60 dates environ en 7 mois, nous dit l’Andrew, et non 250 comme l’affirme le Cyril - Which mathematically was a complete impossibility - Ils enregistrent à Rockfield et s’y plaisent tellement qu’ils envisagent de titrer leur album Bucket Of Brains, d’après la «Welsh local beer, Brain’s beer». Pour l’Andrew, l’épisode Groovies tourne au cauchemar. Ils lui prennent trop de temps. Trop de problèmes qu’ils pourraient régler eux-mêmes. L’Andrew réussit à sortir deux singles magiques, «Slow Death», puis la cover du «Married Woman» de Frankie Lee Sims, mais il ne peut plus prendre le groupe en charge. Shake Some Action ne sortira pas sur United Artists mais sur Sire - They hadn’t made the impact I expected - L’Andrew finance leur voyage de retour à San Francisco et coupe le cordon ombilical. Il leur file les cuts enregistrés à Rockfield, car ça n’intéresse personne en Angleterre. Par contre, Greg Shaw saute dessus. L’Andrew l’autorise à sortir «You Tore Me Down» sur Bomp!. Et c’est grâce à Greg Shaw que les Groovies signent sur Sire en 1975 - Shake Some Action avait tout pour décrocher le pompon, mais les Ramones et Talking Heads sont arrivés. Alors les Groovies se sont retrouvés le bec dans l’eau, incapables d’entrer dans la danse du punk - Fabuleuse chute du Niagara. Rien n’est plus vrai que cette épouvantable tragédie. Marc Z dit aussi avoir tout fait pour les aider et qu’en retour, rien, nada. Nada aussi pour l’Andrew. On sent à travers ces pages remonter un gros relent d’amertume. Par contre, il garde de bons souvenirs de Rockfield qui dit-il était entre 1971 et 1976 «a second home». Il y enregistrait Hawkwind, Brinsley Schwarz, Help Yourself, Motörhead, les Groovies, Feelgood, Del Shannon et plus tard les Stone Roses.

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             L’autre groupe chouchou, c’est Man - this tight, free-flowing jamming band with that classic West coast dual guitar sound - Il compare Micky & Deke à John Cipollina et Gary Duncan. Des cuts de 20 minutes. C’est ça le problème. Le ventre mou du rock anglais à cette époque. On ne gardait pas les albums, ni ceux de Man et encore moins ceux de Brinsley Schwarz. L’Andrew fait l’éloge de Rhinos Winos & Lunatics. Cipollina viendra même tourner avec eux en Angleterre en 1975. L’Andrew enregistre les concerts et sort Maximum Darkness. Il soutient le groupe tant qu’il peut. Ils s’allument avec de tonnes de dope et du serious drinking. Sur scène, Micky lance : «We may not be the best band in the world but we smoke the most dope.» «That’s a pretty fiffing epitaph», ajoute l’Andrew, «et parfois, il m’arrivait de penser qu’ils étaient le meilleur groupe du monde. They could be so good, it was scary.» Ces pages sur Man sont palpitantes. On sent bien le fan qui tartine son miel. 

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             Retour du fan en fanfare avec Feelgood ! Il commence par dire que «Wilco ne faisait pas confiance aux record companies, et il avait bien raison.» Alors ils se mettent d’accord sur la méthode d’enregistrement - It was only about the edge - Vic Maile est l’ingé-son, l’Andrew l’a déjà fait bosser sur Hawkwind, Amon Düül et Greasy Truckers. C’est aussi Vic Maile qui a enregistré le Live At Leeds des Who pour Polydor. Wilko ne veut aucune interférence - We kept it simple - Down By The Jetty sort en 1975, on s’en souvient tous comme si c’était hier. Pochette en noir et blanc, son mono. Pour l’Andrew, Feelgood, c’est le retour du beat boom. Il ne se pose pas de questions, ça va se vendre ou pas ? - J’ai toujours pensé que quelqu’un aimerait ça de la même façon que moi. Et j’ai vite découvert que je n’étais pas seul à aimer ça - Et hop ça s’accélère, la période est chaude, il évoque Stiff avec Barney Bubbles aux graphics, Dave Robinson, Jake Riviera et Nick Lowe, rien que des vieilles connaissances. Boom, le BUY1 de Nick Lowe sort en août 1976, suivi des Pink Fairies, de Roogalator, du Tyla Gang et de Lew Lewis. Le BUY6, c’est «New Rose». Pourquoi Stiff ? Parce que Stiff passe par l’Andrew pour la fab. Et bien sûr, ils ont sa bénédiction. Il rencontre alors McLaren qui lui demande si ça l’intéresse de signer les Pistols - Maybe I’m the person that can handle them - Il vient d’ailleurs de signer les Stranglers. Et comme il a déjà bossé avec Hawkwind et Lemmy, les Pistols ne lui font pas peur. Mais il réfléchit et se dit que ce n’est pas pour lui. Pourquoi ? Parce qu’il a signé les Stranglers et les deux groupes se haïssent profondément. Il rappelle McLaren pour lui dire qu’il décline, et deux jours après, les Pistols sont sur Virgin. Ainsi va la vie.

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             Après United Artists, l’Andrew va monter Edsel et Demon Records. Il commence par sortir le single de Nick Kent & The Subterraneans sur Demon, l’excellent «My Flamingo». Le premier album paru sur Edsel est The Ultimate Action, produit par George Martin. Puis il débarque chez Island, mais il sent qu’il n’a pas les coudées franches. Il explique que les Groundhogs et Hawkwind seraient impossibles chez Island. Blackwell lui demande d’aller voir Vic Goddard sur scène et de lui faire un rapport, et l’Andrew n’y va pas de main morte : «He was trying to be a crooner and simply couldn’t sing.» Pas question de le signer. Blackwell s’intéresse à des choses qui n’intéressent pas l’Andrew : Robert Palmer, Grace Jones, Spandau ballet et Blue Rondo A La Turk, «so-called purveyors of cool jazz pop». Il exprime son désaccord et bien sûr se fait virer. Il y a aussi des pages sur U2 dont on se passerait bien. Il a aussi signé les Meteors sur Island, mais ils se sont fait virer aussi sec. Allez hop, à dégager ! En gros, l’Andrew dit : «On n’est pas du même monde.»

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             Pas grave, il navigue en père peinard avec Edsel et Demon. Premier LP Demon : Dr John Plays Mac Rebennack. C’est le Demon FIEND  1. Puis il sort Clarence Gatemouth Brown, Johnny Copeland, Del Shannon, le Bigger Than Life de Lamont Dozier, et crack, il sort tout l’Hot Wax, c’est-à-dire Freda Payne, Chairmen Of The Board, Laura Lee, puis il entre en contact avec Al Bennett chez Hi pour sortir Al Green, Otis Clay, O.V. Wright et Ann Peebles. Tu vois un peu le niveau d’Andrew Lauder ? Il ressort en Angleterre tout le gratin dauphinois de la meilleure Soul américaine. Puis il sort sur Edsel l’ahurissant Frenzy de Screaming Jay Hawkins, et quand il tape dans le rock anglais, c’est pas triste non plus : The Creation, puis The Merseybeats, The Big Three, The Mojos, The Paramounts, et The Artwoods qu’il avait rencontrés à ses débuts chez Southern. Et ça explose avec le Roger The Engeener des Yardbirds, puis The Larry Williams Show. La liste est longue, il faut lire ces pages, ce sont les pages d’un fan devenu fou, ça tourne au Fantasia de Walt Disney, les balais sont des disks classiques, et ça continue avec Albert King, Major Lance, Clyde McPhatter, Rufus Thomas, Sam & Dave, puis retour en Californie chérie avec Kaleidoscope, Moby Grape, The Beau Brummels, Mad River et Quicksilver Messenger Service, which was our 200th release. Avec un mec comme l’Andrew, tu es en de bonnes mains. Sur Demon, il sort Robert Cray et pour lui les deux albums du grand Robert - Bad Influence et False Accusation - «are amongst the highlights for me at Demon». Et ça continue avec les Long Ryders, The Dream Syndicate, Green On Red et bien sûr The Rain Parade. Wham bam thank you Laud ! 

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              Puis arrive le chapitre Silvertone et donc les Stone Roses - When they were good, they were very good, but at times they were awful - Il aura ensuite le privilège de rater Sonic Boom. Il avait voulu signer Spacemen 3, mais le groupe battait de l’aile à l’époque. L’Andrew réussit toutefois à sortir Spectrum. Puis nouveau label : This Way Up, avec The Tindersticks et puis Redd Kross, c’est dire si l’Andrew a le bec fin. Il sort Phaseshifter en 1993. Pour lui, Redd Kross a dix ans d’avance sur les autres. Wham bam ! Il réussit même à les faire tourner en Angleterre, alors t’as qu’à voir ! Puis il monte Cello Recordings et sort des gens comme Jerry Boogie McCain et Beverley Guitar Watkins, rien que des superstars méconnues. L’Andrew rappelle que Beverley Guitar Watkins, dont on a fait grand cas inside the goldmine, a accompagné Ray Charles et B.B. King. C’est encore l’Andrew qui sort More Oar, l’extraordinaire tribute à Skip Spence. Et sur un nouveau label de red nommé Acadia, il sort une centaine de CDs, dont les Sir Douglas Quintet, Hot Tuna, Jorma Kaukonen, Sons Of Champlin, les Charlatans et bien sûr Kaleidoscope. On en revient toujours à Kaleidoscope. Evangeline, c’est encore lui. Mais comme c’est dur à vendre, il arrête les machines en 2008, quitte le Devon et part s’installer dans le Sud de la France, à Seillans, dans le Var. Il vend du vin et des produits locaux. Il a aussi un petit rack de CDs - Je n’irai pas stocker des choses que je n’aime pas, aussi les clients ne trouveront chez moi que Del Shannon, The Artwoods, Jefferson Airplane ou Howlin’ Wolf». Il a démarré avec Wolf et il finit avec lui.

             Il continue cependant de fouiner : il dit adorer «Jason Isbell, Drive-By Truckers, and Wilco and a lot of harder to find stuff. It’s mostly country that’s rough around the edges and steeped in rock’n’roll.» Il a découvert Turnpike Troubadours et American Aquarium.

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             La chute est spectaculaire, c’est un vieil homme qui s’exprime : il cite le nom de Chris Knight qui était un ami de John Prine - Il sonne comme un vieil homme très en colère. On le décrit comme le dernier d’une lignée mourante. Je m’identifie à ça. Quand on est mordu par la musique, on ne peut plus rien faire. J’étais au départ a music fan et j’ai fini par en vivre. Mais maintenant, ça appartient au passé - Andrew Lauder ! Fascinant personnage. Fascinant book. Fascinante époque. Merci Andrew pour ce big book qui d’une certaine façon te réconcilie avec la vie, enfin ce qu’il en reste.   

    Signé : Cazengler, Andrew Lourdaud

    Andrew Lauder. Happy Trails: Andrew Lauder’s Charmed Life And High Times In The Record Business. White Rabbit 2023

    Can. Monster Movie. Liberty 1970

    Canned Heat & John Lee Hooker. Hooker ‘N Heat. United Artists 1971

     

     

    L’avenir du rock

     - Muddy Gurdy manne

    (Part Three)

             Tout compte fait, l’avenir du rock adore errer dans le désert. Il y hallucine plus que dans la vie normale, alors il ne va pas s’en plaindre. Au contraire. C’est même un luxe que beaucoup de gens lui envieraient, s’ils savaient. Notre erreur dans le désert vient de contourner une grande dune et il tombe soudain sur trois personnes alignées côte à côte, au milieu de nulle part. Pour ajouter à l’incongruité de la scène, ils sont tous les trois étrangement vêtus. Surmontant sa stupéfaction, l’avenir du rock s’approche du plus petit, un moustachu basané aux cheveux crépus, vêtu d’un costume gris anthracite et d’une cravate, et demande :

             — Que faites-vous là ? Vous attendez le déluge ?

             — Non ! Nous attendons li Tigévé Muddy Pylinées di 14 houls 15 !

             Intrigué, l’avenir du rock ne pense même pas à lui demander s’il a quelque chose à boire.

             — Je vous ai déjà vu quelque part !

             — Yé souis Muddy Ben Balka ! Citte crapoule d’Hassan y m’a jité dans li disert !

             — Et lui, à côté... Je connais cette gueule d’empeigne...

             L’homme porte un chapeau et un manteau noir, par soixante degrés à l’ombre. Il fixe l’horizon de ses gros yeux liquides, et de sa bouche ouverte coule un filet de bave. Muddy Ben Barka reprend, mais en chuchotant : 

             — Ci M li Muddy, y vous dila pas un mot. L’est mouet comme oune calpe di l’Oued !

             L’avenir du rock est soufflé de rencontrer Peter Lorre en plein désert. Quant au troisième personnage, c’est encore autre chose : il est assez jeune, coiffé d’une frange épaisse et vêtu d’un costard rouge vif très moulant. L’avenir du rock s’excite soudain :

             — Mais je vous reconnais ! Vous êtes Ronnie Bird !

             Ronnie se met alors à chanter :

             — Vous avez l’air heureux/ Après tout ça m’est bien égal/ On dit qu’entre vous c’est sérieux dans ce muddy journal !

             — Ah Ronnie comme ça fait du bien d’entendre ce Muddy Journal dans le désert ! Hey Ronnie, c’est qui ton groupe préféré ?

             — Les Muddy Blues ! Et toi, avenir du rock ?

             — Muddy Gurdy !

             — Ah c’est des babs ?

             — Non c’est des Bibs !

     

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             Ça fait du bien de voir redébarquer Muddy Gurdy. Comme on connaît tout leur set par cœur, on se contente de savourer chaque seconde de leur présence. L’attention se concentre essentiellement sur Tia. Cette fois encore, on a l’impression qu’elle a «progressé», que sa voix est plus black, plus gospel-black. Quand elle descend dans les profondeurs de «Down In Mississippi», elle réussit à atteindre le fond du désespoir black, tel que l’exprimait J.B. Lenoir. Elle est fabuleusement juste et fascinante d’intégrité, si l’on part du principe que J.B. Lenoir est l’un des artistes les plus purs du cheptel sacré, par la qualité de sa voix et par la force de son engagement : nul mieux que J.B. n’a su chanter le traumatisme causé par le racisme des blancs dégénérés.

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    Ce n’est pas non plus un hasard si Tia tape plus loin dans le «Strange Fruit» de Billie Holiday, elle semble avoir pris fait et cause pour les pauvres nègres que les blancs s’amusaient à pendre haut et court. Plus aucune trace de Jessie Mae Hemphill dans son set, dommage, car Jessie Mae est au cœur de sa mythologie. Dans le petit article que consacre Soul Bag à Jessie Mae, Tia dit avoir récupéré des objets lui ayant appartenu, dont apparemment une guitare. L’occasion ne s’est pas présentée d’en parler avec elle après le concert. Dommage. Sur scène, Tia porte une petite robe noire, qu’elle doit souvent ajuster, car le haut glisse sur sa poitrine. Entre chaque cut, elle parle un peu aux gens, et tripote le gris-gris qu’elle attache au micro. Elle fait son vieux «Black Madonnas» et l’excellent «Boogie/Bourrée» qu’elle base sur une théorie : boogie et bourrée auraient des racines communes, et ce genre de subjectivité plaît infiniment à un public visiblement acquis, puisque constitué essentiellement des fans de la première heure.

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    Tia et ses deux amis parviennent comme chaque fois à faire décoller l’énorme hydravion d’Howard North Mississippi Country Blues, et une fois décollé, la carcasse vrombit de tous ses moteurs, pulsé par les basses de la vielle électrique et allumé en pleine gueule par les plans boogie hérités d’Hooky et de Fred McDowell que Tia gratte sur son Epiphone. Dans ces moments d’extrême power, Muddy Gurdy rivalise de sauvagerie contenue avec les géants du genre, à commencer par les North Mississippi Allstars. L’autre smash n’est autre que le «Skinny Boy» de R.L. Burnide, pareil, boogie down in the face, claqué sévère par Tia et pulsé par les basses de la vielle, dans un savant mélange d’osmose et d’alternance, qui rappelle le freakout du «Snake Drive» des North Mississippi Allstars. Encore un joli coup avec le «Chain Gang» de Sam Cooke où elle sort d’une manche qu’elle n’a pas les meilleurs accents gospel.

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             On en finirait plus de chanter les louanges de Tia Gouttebel. En marge de Muddy Gurdy, elle enregistre de temps en temps des albums solo captivants. Le dernier en date s’appelle Lil’ Bird. Elle y tape quelques covers, dont deux cuts signés Don Cavalli ! Elle monte bien «Black Coal», elle va le chercher pour lui rendre hommage, elle jette toute sa niaque dans la balance et cavale sur l’haricot du Cavalli. Le deuxième s’appelle «No Friend No Love», elle l’épouse au plus près. Ces deux cuts ne sont sur aucun des albums de Don Cavalli, pour la simple et bonne raison qu’il les lui a offerts. Avec «Serial Cooker», elle distille des finesses perchées de kingdom. C’est d’une beauté tutélaire, Tia est une artiste complète, hey sugar, et elle relance ! Elle revient aussi à sa chouchoute, Jessie Mae Hemphill, avec «Lord Help The Poor & Lonely». Une flûte Peule la suit. C’est fabuleux de rising sun. Elle refait tout le boulot de Junior Kimbrough, du Mali au Mississippi. C’est très pur, vraiment chanté à la revoyure, superbement hanté par la flûte et les percus. Elle tape son «Mississippi Scream» d’ouverture de bal au Missip stomp. En plein dans l’esprit. Elle est dessus au pur jus d’esprit pur. Avec son morceau titre, elle charge fantastiquement la barcasse. Elle joue au plus près de la vérité, elle est dans l’authenticité. Le beurre, c’est Francis Arnaud, il bat dans la baratte. Avec «Sweet Lotus Blossom», elle fait son Tav Falco, au cha cha cha de la rue de la Lune. Et comme la polyvalence n’a plus de secret pour elle, elle finit avec l’«El Paso Rock» de Long John Hunter qui fut jadis arraché à l’oubli par Billy Miller, sur Norton. Rien de révolutionnaire, juste du good jiving d’El Paso, un shuffle d’orgue assez manic. Belle démonstration de force. 

    Signé : Cazengler, maudit gourbi

    Muddy Gurdy. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 3 février 2024

    Tia Gouttebel. Lil’ Bird. Not On Label 2017

     

     

    Inside the goldmine

    - D’Angelo Biafra

             Quand on entrait chez Angelou, on avait clairement l’impression d’entrer dans un autre monde, un monde chargé de mystère et de danger. Vue de l’extérieur, cette maison paraissait petite, construite de bric et de broc, mais une fois à l’intérieur, elle paraissait immense. On arrivait dans une espèce de cuisine trash. Sur la gauche se trouvaient deux portes fermées, sans doute des chambres, et sur la droite s’étendait un espace mal éclairé, très bas de plafond, qui semblait très profond. Sur de très longs canapés en simili-cuir gisaient des corps, beaucoup de corps, oh une bonne dizaine. Ces gens dormaient-ils, étaient-ils sous l’emprise de drogues ? On entendait une musique un peu diffuse - Shiny shiny shiny boots of leather - et après avoir fait le tour, le regard revenait se porter sur Angelou qui trônait derrière sa table de cuisine, en compagnie de sa compagne et de quelques adolescents. Angelou devait mesurer deux mètres et peser deux cents kilos. Un buisson de broussailles couvrait sa grosse tête ronde et des lunettes à fines montures lui donnaient l’allure d’un barbare converti au christianisme. Il parlait d’une voix bourrue à la Michel Simon. Il t’indiquait une chaise - Tiens pose ton cul ! - et te remplissait un grand verre à bière d’alcool pur - À ta tienne ! - C’était le verre de bienvenue. Sa façon de t’accepter chez lui. Mais tu devais surveiller tes propos, car tu n’appartenais pas au cercle rapproché. Angelou était le petit frère d’un très bon ami et c’est en tant qu’ami de son frère qu’il m’acceptait. Entrer chez Angelou, c’est la même chose que d’entrer dans un pays en guerre avec un passeport. Tu prends tes risques, personne ne te force à les prendre. La conversation se mit à rouler - Roule ma poule ! - Angelou brandissait sa bouteille - Vide ton verre ! - Il était extraordinairement drôle, il était même irrésistible, mais il fallait se forcer pour rire, car la tension restait palpable. Angelou hébergeait des dealers - Tout ce que tu veux ! - et prenait des commandes de contrats. Les heures passaient. Angelou monologuait. Sa compagne et les ados grignotaient des morceaux de pizza froide et ne disaient rien. La mauvaise ampoule accrochée au-dessus de la table se reflétait dans les verres de ses lunettes. Et au moment où t’y attendais le moins, il te demandait ce que tu voulais. Payable d’avance. Cash. Tu venais du néant, tu croisais Angelou et tu retournais au néant.   

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             À la différence d’Angelou, D’Angelo n’habite pas une petite maison, mais probablement un palais. Et plutôt que de groover le néant, D’Angelo groove la modernité. On le présente généralement comme la tête de pont de la néo Soul. Il se caractérise surtout par une phobie des médias et une discographie assez maigrichonne. Quand les médias voulurent faire de lui le nouveau sex symbol, il disparut pendant quinze ans, un peu à la manière de Sly Stone. Bon, on trouve comme d’habitude tous les détails dans wiki, alors passe le bonjour à wiki. Le plus simple, pour prendre la mesure du génie D’Angelo, c’est encore d’écouter ses trois albums.

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    Et surtout de commencer par le troisième, Black Messiah, car c’est une façon directe de renouer avec la modernité, comme on le faisait au temps où on écoutait Funkadelic ou Sly & The Family Stone. Black Messiah est un chef d’œuvre d’ultra-modernité, tiens commence par sauter sur «The Charade», tu verras D’Angelo partir de biais, c’est son truc, le biais, il réécrit en même temps le dictionnaire des élégances. S’il tape de biais, c’est au power pur, il fait une Soul mal famée qui est, comme chacun sait, l’apanage de la modernité. Il enchaîne avec une autre merveille biaisée, «Sugah Daddy», il va loin, bien au-delà de toute expectitude, il va chercher des noises à la noise avec une dextérité qui laisse pantois, et c’est peu dire. Le festin se poursuit avec «Really Love», gratté à la bloblote manouche, il indique la direction du futur de la Soul, il tape ça de biais, forcément, il plonge la tête de sa Soul dans la baignoire de la modernité. Ce n’est pas fini ! Voici «Back To The Future (Part 1)», just wanna go back/ Baby, il se montre encore une fois incroyablement délicat. Merci de ne pas faire l’impasse sur l’«Ain’t That Easy» d’ouverture de bal, c’est un heavy groove de complication pulmonaire, mais c’est bien, c’est même transgressif, la Soul ne va pas bien, mentalement parlant, elle part à l’envers. Fantastique coup de weird ! «1000 Deaths» entre dans la même catégorie, D’Angelo vise l’experiment du Sound System, c’est merveilleux et incongru à la fois. Tout sur cet album pue la modernité. Gawd, quel est donc ce génie moderniste ? Il invente le biseau du biais, il provoque la surprise en permanence, il faut vite se conformer à sa modernité. Encore une fantastique expression de l’immanence de sa prestance avec «Prayer», on peut même parler de prescience orbitale - Lawd keep me away/ From temptation - D’Angelo repousse les frontières. Il vire jazz avec «Betray My Heart», il jazze dans la java, il vise l’atonalité de l’antithèse et pour finir, il nous plonge dans un stupéfiant groove d’after modernity avec «Another Life», à coups de notes de piano atonales et de chant impubère. Il répand sa lumière sur l’assemblée des apôtres, c’est tordu et tellement beau, bien gluant, avec du sax. On y reviendra. 

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             Son premier album date de 1995. Il s’appelle Brown Sugar et s’est vendu à des millions d’exemplaires, ce qui n’est pas forcément un bon critère, en ce qui nous concerne. Par ici, on se méfie des grosses ventes comme de la peste. Par chance, l’album est bon car il s’y niche une première trace de cette modernité qui va éclore comme la rose dans Black Messiah. Le cut s’appelle «Jonz In My Bonz», D’Angelo l’embarque au groove organique, avec des bulles et des infra basses. C’est violemment beau. Ce mec a beaucoup d’avance sur son époque. Si on en pince pour le groove, alors il faut écouter «Alright», monté sur un heavy bassmatic, D’Andelo pointe du nez, that’s alright, il chante à la diaphane, il crée son monde, avec ce groove bien coloré. Encore du groove de rêve avec «Cruisin’», il va closer & closer oooh babeh dans le velours de l’estomac pour faire du groove renversé, cruisin’ togethah, il se coule dans son caramel. Il tape «Me & Those Dreamin’ Eyes of Mine» à la voix d’ange de miséricorde, il cueille sa Soul au menton avec une douceur surnaturelle, il groove son smooth. Justement, le voilà le «Smooth», il le travaille au son liquide, avec un vague relent de tatapoum, il semble rôder autour de son groove. Ah on peut dire qu’il se passe des choses intéressantes chez D’Angelo. Il faut aussi le voir chanter son morceau titre à l’évaporée. Il tape «When We Get By» à la glotte liquide, ce mec est un grand amateur de fluides. On garde le meilleur pour la fin, un «Higher» qui n’est ni celui d’Yves Adrien, ni celui de Sly, c’est un autre Higher, bien liquide, une fois de plus. Ça peine à s’élever, malgré les chœurs de gospel qui voudraient bien monter au ciel, mais D’Angelo semble vouloir les en empêcher avec ses harmonies tordues. On assiste à ce conflit impuissant. Il continue de titiller sa musique liquide, mais au bout d’un certain temps, ça ne réagit plus. Le groove ressemble à une nouille molle, malgré de spectaculaires relances. Alors il tape un chant d’harmonies de biais et ça donne le gospel moderne. 

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             Effectivement, wiki a raison, 14 ans séparent Voodoo (paru en l’an 2000) de Black Messiah, salué juste au-dessus. Alors Voodoo ? Oui, mille fois oui, rien que pour «Playa Playa», ce pur jus de voodoo trance, le groove d’hard fuck Angelique, un monde à la David Lynch, groove de la mort à la Nouvelle Orleans - Sailor & Lula - petite balade dans l’au-delà, tu flottes un moment dans la mort et tu reviens à la vie alors que tu n’as rien demandé, fuck, D’Angelo, burry me ! Groove liquide, presque nauséeux, l’un des pires de l’histoire du groove. D’Angelo te fond dessus comme l’aigle sur la belette, son «Devil’s Pie» n’est rien d’autre qu’un real deal, heavy as hell et avec «Left & Right», il passe directement à l’apanage du Black Power, et pour ça, il ramène les rappers Method Man et Red Man, du coup, ça vire rap de destruction massive, t’as intérêt à planquer tes abattis, c’est puissant, ça balaye les blancs dégénérés. On le voit ensuite prendre sa voix d’entertainer de miséricorde pour entonner «The Line». Il ooouuuhte sa Soul léchée par des vagues, c’est du groove expurgé, mais dans les pattes de l’Angelo, ça devient du prurit suprême, l’essence même du groove liquide, il te le chante dans la bouche, il va là où personne n’est encore allé. Retour à la modernité avec «Chicken Grease», un groove africain de la meilleure auspice, il en fait du lard moderne avec des chickens vieux comme le monde. Le festival se poursuit avec un «One Mo’ Gin» quasi hendrixien, voodoo baby, pur jus de heavyness hendrixienne, sans doute la suite météorique de «Voodoo Chile», il va chercher du sens, et comme si tout cela ne suffisait pas, il va encore titiller la modernité avec «The Root», une heavy Soul d’incongruité patente, jouée en mode colimaçon, d’où cette impression d’effroyable modernité, perlée d’éclats de voix diaphanes, D’Angelo travaille pour le compte de l’avenir, il allume des petits brasiers de voix ici et là, dans la plaine d’un Sahel de Soul aride. S’il décolle les voix du son, c’est sûrement volontaire. Avec «Feel Like Making Love», il passe à la petite heavy Soul de plainte non formulée. Il chante dans le blanc d’œuf, c’est très éclectique, il prend prétexte du touch me pour chercher la petite bête, mais il veille à rester en suspension d’un bout à l’autre. Il cherche probablement à faire de l’enrobé surnaturel. Il finit cet album extrêmement riche avec «Africa». Il va chercher l’esprit là où il se trouve. Son groove met parfois du temps à trouver ses marques.

    Signé : Cazengler, Dangelopette

    D’Angelo. Brown Sugar. EMI 1995 

    D’Angelo. Voodoo. Virgin 2000

    D’Angelo And The Vangard. Black Messiah. RCA 2014

     

     

    Dans les griffes de Gruff

     - Part Two

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             Dans Mojo, Keith Cameron qualifie les Super Furry Animals de «tank-driving, melancholic-psychedelic-powerpop rave machine». Pour le ceusses qui ne le sauraient pas, les Furry se firent photographier à une époque aux commandes d’un char d’assaut, pour faire la une du NME. Si un groupe sait passer en force, c’est bien les Furry. Avec les Boo, ils sont le plus grand groupe pop anglais de la seconde vague. Pour eux, c’était assez génial d’être signés par Creation, étant donné qu’ils avaient grandi en écoutant les groupes signés sur Creation, notamment les Boo - Creation had the right attitude, dit Gruff Rhys à Jamie Atkins - Les Furry débarquent chez Creation à l’époque où le label devient complètement crazy, à cause d’Oasis. Trop de blé, trop de drogues. À cette époque, l’un des membres du staff de Creation a pour mission d’organiser des parties - It was insane - Surtout pour les Furry qui n’avaient pas de ronds pour se payer un verre et qui tout à coup peuvent boire à volonté. Mais toutes ces insanités hédonistiques restent ancrées dans la musique, et c’est ce qui plaît à Gruff - It was all about the music - Il avoue aussi une énorme frustration : the frustration of not making full futuristic music. Il se trouve trop conventionnel, trop mélodique - I wanna make music and songs that are about progress and the future - Mais bon, ce qu’il fait nous convient très bien.

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             Dès leur premier album paru en 1996, les Super Furry Animals se jettent dans les extravagances. Fuzzy Logic est une mine d’or - A psych-pop wonderland - Impossible de résister à «God Show Me Magic» mené au push des Stooges et des Welsh, assaut frénétique, puis ils enchaînent avec la triplette de Belleville, «Something For The Weekend», «Frisbee» et Hometown Unicorn», avec ça ils recréent la magie de Brian Wilson et des Beatles, Gruff veille à l’énormité du son, ça doit égaler Brian Wilson, alors ça égale, et puis tu as «Frisbee» balayé par des vents de génie rock, il n’existe rien d’aussi explosif en Angleterre, puis la heavy pop de l’Unicorn ravage tout, la magie s’additionne à la magie et on voit s’élever une tour de Babel pareille à celle de Breughel l’Ancien. Gruff chante «If You Don’t Want Me To Destroy You» avec des accents de Ray Davies. Rassure-toi Ray, la relève et assurée. Ils amènent «Bad Behaviour» au big bad bad, c’est un heavy rock à l’Anglaise fouetté dans la tempête des Cornouailles et puis tout explose à nouveau avec «Mario Man» doté d’un killer solo flash. Et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà-t-y pas qu’ils éclatent «Hanging With Howard Marks» aux pires power chords d’Angleterre, des blasters encore plus puissants que ceux de Steve Jones, et Gruff arrive là-dessus comme une rock star, ça gratte à la cocote épaisse, c’est congestionné de son. Voilà de quoi sont capables les Furry, de ce type d’extravaganza. Il pleut du son comme vache qui pisse. Gruff fait comme Teenage, mais au lieu d’envoyer les cornemuses, il envoie les guitares et ça donne le même effet dévastateur. Ils terminent avec «For Now And Ever», un heavy slow rock demented. Gruff semble réinventer le rock anglais, en tous les cas, il lui donne une nouvelle dimension, c’est du big stomp d’after glam chanté au ah ah ah ah. Ce n’est rien, vraiment rien, de dire que ces mecs ont du génie. Frappé par l’éclat de cet album, Jamie Atkins parle d’un «kind of screwbal, hopped-up take on psych power-pop with a drop or two of melancholy acid-floating on the surface».

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             Les Super Furry Animals resteront un mystère. On ne gardait pas un grand souvenir de Radiator et pourtant c’est un very very very big album, déjà rien que pour ces quatre énormités que sont «Play It Cool», «Torra Fy Ngwallt Yn Hir», «Bass Tuned To Dead» et «Mountain People» - No finer place to visit - Oui, ils sont capables de mettre le power en balancement, comme les Pixies, ils sont de véritables pourvoyeurs de pépites, d’ailleurs avec «Torra Fy Ngwallt Yn Hir», ils sonnent comme les Pixies, mais sans le faire exprès, ils jouent plein vent. Le «Bass Tuned To Dead» qui suit est passionnant, ils jonglent avec les prototypes, ils challengent les modèles et chaque fois, c’est admirable, comme chez les Pixies. Leur «Mountain People» vaut bien Big Star, mais sans prétention. Les Gallois veillent à garder les distances de la grâce. «Mountain People» sonne comme une merveille inexorable. Ils font du Big Atmopherix avec «Down A Different River». C’est amené au doux d’acou. Les Furry sont des génies du son, ils descendent dans l’effet de son, c’est pushé aux wild guitars, mais maîtrisé, il faut imaginer une descente de puissance inexorable, c’est un chef-d’œuvre bien intentionné. Ne perdons pas ces gens-là de vue. Ils sont les rois du climax. Tiens, encore une petite merveille : «The International Language Of Screaming». Quelle énergie ! C’est convaincu d’avance. Il faut les voir claquer leur chique. Ils ne font que des cuts irrépressibles, «Demons», «She’s Got Spies», encore des climats superbes, ils te coupent la chique à chaque instant, ils calment le jeu avant de gerber sur le rock anglais, et les gerbes sont spectaculaires. Ils amènent «Herman VS Pauline» à la big energy, au stomp de règlement de compte. Absolute stomp de beginner, ils jouent avec les idées, ils ont toujours du son. Ils se jettent dans le trash-punk du Pays de Galles avec «Chupacacabras» et rivent encore un clou. 

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             Toujours sur Creation, l’album suivant s’appelle Guerrilla et comme son prédécesseur, il grouille littéralement de coups de génie. Tiens on va en épingler trois : «Do Or Die», «Night Vision» et «The Teacher». Ils sont tous les trois bien claqués du beignet Welsh et tu prends tout de suite le «Do Or Die» en pleine poire, les Furry sont les rois du rock, ils taillent la route et peu de groupes sont capables de rivaliser avec cette violence épique. Tout aussi demented, voilà «Night Vision». C’est puissant et sans retour, comme la rivière du même nom. «Night Vision» est une merveille d’ultra-maximalisme, doté d’un beau retour en enfer. Avec leurs guitares et «The Teacher» ils s’en vont exploser la pop anglaise. C’est exactement ça : explosif. Avec un bouquet faramineux de la la la, mais il faut imaginer un la la la démesuré. Leurs power chords sont les meilleurs d’Angleterre. Aucun groupe n’est capable de produire une telle allégresse. Ils plongent encore dans la pop avec «The Turning Tide». Ils sonnent comme une révélation permanente et ça continue avec l’exotica de «Northern Lites», ils ont en plus cette capacité à déconner. Cette fois, on est obligé de raisonner en termes de musicalité, ils montrent une stupéfiante maîtrise des tenants et des aboutissants. Ils terminent ce bumping ride en fanfare avec «Keep The Cosmic Trigger Happy», mais Gruff le chante à l’heavy pop. Diable, comme ce mec peut être brillant !    

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             Paru en 2001, Rings Around The World est tout bêtement un album hommage à Brian Wilson. Pour au moins deux raisons : «It’s Not The End Of The World» et «Presidential Suite». Gruff amène le premier au wouahhh wouahhh. Ce mec se comporte comme un alchimiste, il transforme tout le plomb de la pop en or, fucking alchimiste, «It’s Not The End Of The World» est l’un des hits que Brian Wilson n’a pas écrit. Gruff le monte au chant d’it’s not, et il redéploie sa connaissance de Brian Wilson dans «Presidential Suite», il tape exactement dans le même univers de pureté évangélique. Dans le fond du son, des trompettes indiquent que la voie est libre, alors cap sur le firmament ! Gruff chante avec bonhomie, il offre là un exercice de mimétisme spectaculaire. Le festin se poursuit avec «Sidewalk Surfer Girl». Gruff s’y connaît en surfer girls, il a écouté tous les bons albumz de Brian et de ses frères. Sa pop coule comme du miel dans la manche. S’ensuit un hommage au Velvet : «(Drawing) Rings Around The World». C’est en plein dedans. C’est exactement la même énergie. On croit rêver. Ils passent à la pop sensitive avec «Respectable». Les Furry sont des surdoués, ils tapent dans tous les genres avec un égal bonheur. Ça ne te rappelle rien ? Oui, bien sûr, le White Album. Ils défraient encore la chronique avec «Juxtapozed With U». Gruff taquine sa muse et se prélasse dans l’effarance de l’excellence. Il groove le juxta/ pozed au mieux du groove paradisiaque qui est en fait la griffe de Gruff. Il fait danser les anges de Juxta. On ne croise pas tous les jours ce genre de merveille immaculée. Il s’abreuve encore à la fontaine de la jouvence pop pour «Run Christian Run». Il fait cette fois du pur Neil Young, un nouvel exercice de mimétisme éblouissant. Rings Around The World aurait dû bouffer la tête des charts, malheureusement sont arrivés en même temps le Strokes (Is This It) et le White Stripes (White Blood Cells). Gruff raconte à Shindig! qu’ils voulaient à l’époque enregistrer un over the top, over-ambitious album. Rings Around The World sera élu album of the year par Mojo en 2001.

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             Le problème avec le Furry c’est qu’ils ne font que des very very very big albums. Inutile de rêver, tu ne trouveras pas un seul mauvais album chez eux. Mwng fait partie de ces bombes dont seuls les Anglais sont capables, full of rustic melancholic beatitude. Tu es balayé dès «Drygioni». Ces Gallois sont bien plus puissants que ne l’ont jamais été les Manic. Leur pop-rock est violente et belle à la fois. Par contre, inutile de vouloir mémoriser les titres des cuts, tout est en Gallois. S’ensuit un «Ymaelodi Â’r Ymylon» bien ravagé par des montées de fièvre. Non seulement ce rock sonne comme un violent pied de nez à l’Angleterre, mais les Furry sont en plus de fiers dadaïstes. Leur booklet est blanc, on ne comprend rien à cette langue, mais la musique est un monde en soi, presque un appel à l’insurrection. C’est pourquoi il faut les écouter. Ils font de la heavy pop sur pieds palmés et elle avance au ouh-ouh-ouh. À la question : les Furry sont-ils solides ?, la réponse est oui. Ils enfilent les hits comme des perles, ils ont un sens de l’énormité qui nous dépasse. Comment peut-on imaginer que des paysans gallois puisent détrôner les rois du rock anglais ? En fait, Gruff ne fait que rendre hommage aux Beatles, mais avec son énergie. Ces mecs ont tellement de son, c’est hallucinant ! Plus on avance dans cet album et plus on s’en effare. On peut parler de violence du génie. Gruff chante d’ailleurs sa folk («Nythod Cacwn») au sommet de son mystérieux génie. Tout est très dense dans cet album, ils avancent dans «Pan Ddaw’r Wawr» à marche forcée, aux chœurs de fraternité. Puis ils attaquent «Ysbeidiau Heulog» à la jugulaire et là les Furry deviennent très violents. Quoi qu’ils fassent, ils restent fascinants, ils tapent dans des registres inconnus, ils naviguent aux frontières d’un Dada gallois. Qualifions ça de big Furry. Ils ont toutes les audaces et ils sonnent juste à chaque fois, c’est du grand art. Encore une violente poussée dans «Sarn Helen», un chef-d’œuvre de Big Atmospherix et ils embouchent la trompette de Miles pour lancer «Gwreiddiau Dwfn». Gruff sait les choses. Il fait de la magie. Il chante d’ailleurs dans une langue de magicien. Merlin est d’origine galloise.

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             Encore une rude épreuve avec Phantom Power, pondu en 2003. Si on cherche les œufs d’or, il faut aller directement sur le 9, «Out Of Control», bim bam boom, on n’avait encore jamais entendu une intro aussi hargneuse, même chez les Stooges. Ils font ici le big pam pam pam du Pays de Galles. Ça grouille encore d’énormités sur cet album, par exemple le power immédiat d’«Hello Sunshine», ou encore cette façon de chanter la pop avec un bonheur inégalé («Liberty Belle»), et puis voilà une vieille dégelée monumentale en forme d’heavy boogie Furry, «Golden Retriever». Plus loin «Father Father #1» décolle tout seul. Gruff a trop écouté les Beatles, sa pop retombe toujours sur ses pattes. Avec chaque cut, il ramène des tonnes de son et d’excellence, les guitares virevoltent dans la mélodie chant («Valet Parking»), les coups de guitare sont des sommets du genre avec un Gruff posé au sommet comme la cerise sur le gâtö. Dans «Slow Life», on entend de faux accents de Martin Carr qui lui même a de vrais accents de Liverpool, une ville qui a de faux accents de John Lennon. Cette lignée d’excellence n’en finira donc jamais ? Gruff déconne avec ses cuts, mais quand il ramène du son, ça redevient le Furry Power, une sorte d’iceberg immergé dans le néant de la modernité. 

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             En 2005, les Furry calment leur fureur avec Love Kraft. Ils se contentent juste de surpasser CS&N avec «Ohio Heat», ils s’américanisent juste comme ça, pour rigoler - Ohio heat/ Sweet as sugar from a beet - Mais ils n’ont rien perdu de leur Super power comme le montre «Atomik Lust». C’est le vrai power de la pop, le grand tentateur, serti d’un solo bien gaga d’effarance. En fait cet album est farci comme une dinde froide de Beatlemania, la musique des Furry reste égale à elle-même, c’est-à-dire une pop d’une richesse extrême montée sur des architectures soniques héroïques. Ils ne lésinent pas sur la grandiloquence, mais diable comme c’est beau. Avec cet album, ils vont plus sur la Beatlemania de la fin. Gruff continue d’abuser de toutes les libertés que permet la construction mélodique («Walk You Home»), il dote son «Frequency» de mélodie chant et de climats sonores exceptionnels - Take another leaflet/ From ths stand - Même les instros ont fière allure («Oi Frango»). Avec «Back On A Roll», Gruff reste dans cette perfection de la pop digne du White Album, histoire de se montrer classique jusqu’au bout des griffes.          

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             Si tu écoutes Hey Venus, mets un casque. Car tu es aussitôt bombardé. Ces mecs sont les rois du bombing. Et voilà qu’ils font du Spector avec «Run-Away». Saluons l’avènement de la heavy pop du Pays de Galles ! C’est même carrément du Brill Spectorish. Ces Gallois ont plus de rémona que n’en ont jamais eu les cadors du Brill. Ils ont le Super Power, ils ont la Furry pop, ils montent même dans des crans insolubles. Et boom, voilà que ça explose avec «Show Your Hand», ils mènent chaque cut à la victoire, chez eux c’est une manie. Ils sont dans l’expression du génie pop. Ils restent dans cette énergie extraordinaire avec «Neo Consumer». Ils ne se connaissent pas de limites. Si on en pince pour la pop, franchement, c’est eux qu’il faut écouter. Gruff part dans tous les sens et chaque fois, il est bon, car il ramène aussi du son. Avec «Into The Night», c’est le bassmatic qui passe en tête et Gruff fait une Soul de haut du panier avec la sauvagerie d’un petit branleur. Il passe même un solo de disto. Et ça continue avec «Baby Ate My Eightball», une nouvelle énormité cavalante, Gruff s’amuse, il plane all over the sound, il mélange le beat r’n’b avec le trash Welsh. Les Furry ne vivent décidément que pour la beauté du geste, comme le montre encore cette merveille, «Suckers», ils développent une fois de plus une ampleur spectaculaire, et on s’inquiète pour les concurrents, car aucun groupe ne peut rivaliser avec un tel faste, en Angleterre. Pas de doute, les Furry sont bien les héritiers des Beatles, la preuve avec «Battersea Odyssey». Ils s’inscrivent dans la lignée du power de John Lennon, c’est la même énergie. Les Furry réinventent en permanence ce vieux mythe qu’est l’excellence de la pop anglaise. Bien sûr, les lyrics sont imprimés en rouge sur un fond bleu primaire pour qu’on ne puisse pas les lire. 

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             Le dernier album des Furry date de 2009 et s’appelle Dark Days/Light Years. Pas de coups de génie là-dessus, mais trois raison d’espérer des jours meilleurs, la première étant «Inconvenience», le glam de Gruff, joué avec une telle énergie que ça dépasse le glam, ça pleut de partout, ça va ça vient entre les reins, sur un beat de rêve. La deuxième raison d’espérer s’appelle «Cardiff In The Sun». Gruff s’y positionne comme l’héritier de Brian Wilson, alors on l’écoute religieusement. T’es vite embarqué avec les guitares. Ce mec Gruff peut déclencher des agapes et transcender le génie pop. Il revient à son penchant pour les vieilles dégelées avec «White Socks/ Flip Flop». Il fait flip-flopper ses white socks et on danse le jerk. Quelle allégresse ! On le voit aussi ramener du stomp dans son Mountain («Mt»), mais pas n’importe quel stomp : le vieux stomp de Carter The Unstoppable Sex Machine. Les Furry sont fiables à 100%. Chaque cut est une aventure, du vrai Jules Verne du Pays de Galles. Ils sont moins virulents qu’au temps des grands albums mais d’une présence indéniable. Tu veux de la pop ? Tiens voilà «Inaugural Trans». Gruff n’est pas avare, il te donne toute la belle pop dont tu peux rêver. Il part toujours au quart de tour comme le montre encore «Where Do You Wanna Go». Ce Big Boss Man ne traîne pas en chemin. Il reste à l’affût. Il mène sa meute de pingouins. Sa pop file toujours droit vers un horizon de carton pâte et il fait tout pour brouiller les pistes. Alors chacun se débrouille pour démêler l’écheveau référentiel.

    Signé : Cazengler, Rhys orangis

    Super Furry Animals. Fuzzy Logic. Creation Records 1996  

    Super Furry Animals. Radiator. Creation Records 1997

    Super Furry Animals. Guerrilla. Creation Records 1999    

    Super Furry Animals. Rings Around The World. Epic 2001

    Super Furry Animals. Mwng. Placid Casual Recording 2000

    Super Furry Animals. Phantom Power. Epic 2003 

    Super Furry Animals. Love Kraft. Epic 2005           

    Super Furry Animals. Hey Venus. Rough Trade 2007 

    Super Furry Animals. Dark Days/Light Years. Rough Trade 2009

     

     

    Smog on the water

     - Part Two

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             Bill Callahan est un gentil roi du laid-back. Il peut être capable de plus profond désespoir comme des plus belles envolées lyriques. Alors on l’écoute album par album, en marchant sur des œufs.

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             Une chaise orne la pochette de Forgotten Foundation. La chaise est un thème qui lui est cher, puisqu’on va la retrouver sur la pochette de l’album suivant, Julius Caesar. Comme on est à l’âge d’or du college rock américain, le jeune Bill se spécialise dans le Weird, comme tant d’autres, de Daniel Johnston à Sebadoh, en passant par Jad Fair. Le Weird ça veut dire quoi ? Ça veut dire le vieux gratté d’arrière-garde d’«Head Of Stone II» et de «Long Gray Hair». Il sait aussi balancer des jolis shoots de disto comme le montre aimablement «Dead River». Globalement le jeune Bill teste des idées. Ses perspectives de disto se vautrent dans l’underground, comme des cochons dans leur auge. Tout est très dévié du but, assez tuberculeux, peu fiable, couvert de tâches, des expériences insalubres, rien de probant, le Smog t’enfume. Rien que des pauvres petits délires qui mettent ta patience à rude épreuve. Ça tombe bien si t’es maso. Il joue «Kiss Your Lips» sur les accords de Dave Davies dans «Really Got Me»

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             Le portrait de Julius Caesar est donc une chaise. Dès qu’on entend grincer le cello dans «Your Wedding», on sait que ça va être douloureux. Bill nous fait du laid-back expérimental un peu barré et gratté au flamenco. Si tu aimes bâiller aux corneilles, ce balda est idéal. Réveil en fanfare en B avec «I Am Star Wars», claqué aux gros accords de Stonesy. Bill pique une crise de délinquance juvénile. Il continue de ramener du très gros son dans «When The Power Goes Out» et «Chose One» ressemble presque à une chanson. Il ramène une guitare vampire dans «What Kind Of Angel», alors forcément, ça te chatouille l’intellect.

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             Sur la pochette de Wild Love, le cadre est vide. Après le portrait de Jules César en forme de chaise, le jeune Bill s’enfonce dans l’irrévérence. De l’irrévérence à Dada, il n’y a qu’un pas, franchi d’un petit bond avec «Limited Capacity». Le jeune Bill est avec Robert Pollard le dernier grand Dadaïste d’Amérique, capable de dérives artistiques réconfortantes. Avec «It’s Rough», il tape une powerful song. Il sait forcer un passage, on l’écoute en rigolant, mais au bout du compte, on s’incline, il devient en quelque sorte le seigneur de l’insistance homérique. Puis il gratte une belle gratte électrique pour s’énerver avec «Sleepy Joe». Les petits coups de piano sont censés évoquer l’apocalypse. Le Smog a un petit côté Swellmaps. Ses albums sont de modestes ouvrages d’art moderne. On y trouve des bonheurs et des prédilections. Son «Prince Alone In The Studio» est un chef d’œuvre de déliquescence. Prince Alone In The Studio, ça veut dire ce que ça veut dire. Pas loin de Procol quant à l’ambiance et quant à l’ampleur, on croit entendre Syd Barrett et l’orgue de Matthew Fisher. Le Smog chante avec la voix d’un bateau qui coule et qui s’en fout de couler, c’est à la fois somptueux et dramatique, Smog crée les conditions extraordinaires de son naufrage artistique. Ça se passe chez Smog, nulle part ailleurs. Encore une petite pincée de Dada avec «Goldfish Bowl» et après ça, le Smog s’en va coucher au panier, jusqu’à l’album suivant.

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             Joli titre et joli voilier pour The Doctor Came At Dawn, paru au siècle dernier, en 1996. Eh oui, passent, passent les siècles, soupire le vampire. Tu veux un joli shoot de primitivisme ? Alors écoute «Whistling Teapot» - Aw who needs you lying on/ Your crummy bed - Il est assez direct. Dans «All Your Woman Things», il reproche à sa poule de s’être barrée en laissant toutes ses affaires - Where you left them/ Scatered round my room - Le roi du baryton en fait une chanson. Chez Bill, rien ne se perd. Mais il se dit détruit surtout par cette conne - Now could I ignore your left breast/ Your right breast - Il parle bien sût de ses seins. Il a aussi pas mal de cuts travaillés au vinaigre de violoncelle. Avec «Somewhere In The Night», il fait du Velvet à l’envers, gratté bien sec. Et puis avec «Lize», il se prend pour Dan Penn. Globalement, Bill ne va pas très bien. Il collectionne les cuts paumés. L’album refuse de décoller, en dépit du beau voilier. Bill vire soudainement country avec «Four Hearts In A Can» - Four hearts in a can/ Speeding through the country side - Magnifique ! - Trying to out-run four thousand problems/ And four thousand girls as fast as they can - Ses cuts sont parfois des petits movies underground à la Easy Rider. On ne perd pas son temps à les écouter.

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             Avec Red Apple Falls paru la même année, Bill Smog continuer de cultiver son groove du va-pas-bien. Il fait une espèce de Lanegan à l’envers, il se focalise sur sa désaille. Trop facile d’aller mal, encore faut-il savoir en faire un art. Les Anglais raffolent de cette daube moite. Avec «Blood Red Bird», il tente de recréer sa magie noire, mais c’est top désespéré. Va-pas-bien, le Bill Smog. C’est compliqué avec des mecs comme lui, il faut juste attendre qu’il aille un peu mieux. Tout est lourd, comme plombé, même ses accords. Il se prend pour Jacques Brel dans «Red Apples», il trimballe une corde pour se pendre. Dommage, car la pochette de l’album est belle. Il passe à la petite pop avec «I Was A Strayer», il fait son Johnny Cash, ce qui n’est pas un compliment. On l’écoute jusqu’à la lie, c’est-à-dire «To Be Of Use», il semble glisser vers la tombe, il ne tient que par un arpège de trois notes. Il passe au heavy va-pas-bien avec le morceau titre. Il développe un incroyable sens du laid-back définitif. Oh ça va mal, tout est plombé, mais beau. Il cultive son petit champ de navets. Il faut attendre les beaux jours. Il se lance dans l’exercice périlleux d’une fast pop de Brill avec «Ex Con». Dès qu’il bouge un peu dans son cercueil, il devient excellent. Ah si Bill Smog n’existait pas, il faudrait l’inventer ! Pour un cadavre purulent, il est superbe, il est même plutôt alerte, avec sa petite voix de Brill. On crève d’envie de le féliciter. Il finit avec un «Finer Days» qu’il gratte au petit taquet. Il s’amuse bien avec ses petits cuts. Un vrai gamin. Il cherche la petite bête, avec son petit gratté de lowdown. Mais à la fin, ça ne passe plus. Ça finit par indisposer, c’est un coup à se rendre malade. Il joue sur une note et se plait à décevoir.

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             Par contre, Knock Knock pourrait bien être le BIG album de Bill Smog, rien qu’avec ce coup de génie intitulé «Hit The Ground Running». Il te fait le Grand Jeu, voix d’outre-tombe, chœurs pré-pubères et heavy riffing. Son cut se met en toute. Le groove s’ébranle. Il te passe sur le corps. Cowboy running. Une aubaine pour l’humanité. Il fait son Lou Reed. Il t’allume au coin du bois - All I know is hit the ground running - Sa façon de relancer le groove est exceptionnelle. Il reste dans l’expression du génie smoggy avec «I Could Drive Forever», il reclaque un coup de magie noire à coups de should have left a long time ago, il sait qu’il aurait dû se barrer depuis longtemps, il te coule son should have left dans le moule d’I could drive forever, il traîne son désespoir all down the road et te cloue comme une chouette à la porte de l’église avec the best idea I ever had. Tiens, encore une hit inter-galactique : «Held», il tape ça au heavy Smog et hop, il monte au créneau du chant, il se rend - I surrender - il dirige sa tourelle vers l’ennemi et passe au takatak, c’est un aiguilleur du ciel, il chante tellement à bride abattue qu’il en devient génial. Il vire glam avec «No Dancing», mais glam épais de va-pas-bien, glam desperate, incroyable mais vrai. Il chante à l’épaisseur assermentée. Il profite de «Teenage Spaceship» pour t’arroser de teenage spatial, c’est du pur Lou Reed, assez merveilleux. Et logiquement, il bascule dans le Velvet avec «Cold Blooded Old Times», mais du Velvet avec en prime le Weirdy Weirdah de Bill Smog. Pas de problème, ce sont les accords du Velvet, mais avec un esprit révélateur, Bill Smog s’interroge, how could I stand, rien de plus Velvet que cette vipère.

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             Dongs Of Sevotion est certainement l’un des plus beaux albums de Bill Smog. C’est là qu’on trouve «Strayed». Il ramène des accents si chaleureux et cultive un intimisme contagieux - Oh I know I’ve strayed - C’est envoûtant, il diffuse une sorte de perfection infectueuse. Alors attention, c’est un double album. Tous les cuts sont saturés de basses, dès «Justice Aversion». Il jette tout son poids dans la balance de «Dress Sexy At My Funeral». Il chante d’une vraie voix de timbre profond, à l’accent cassant - Dress sexy at my funeral/ My good wife/ For the first time in your life - Encore de la fantastique présence en C avec «The Hard Road» - When summer comes/ It’s almost impossible not to have/ Good times/ Out on the hard road - C’est ce qu’on appelle le timbre des profondeurs, Bill Smog est moins gothique que Lanegan, mais ils chantent tous les deux merveilleusement bien. Bill Smog mène son bal aux infra-basses. Il crée avec «Bloodflow» un subtil équilibre entre l’hold on du chant et l’underbeat des infra-basses. C’est un son unique. «Distance» montre encore qu’il sait monter ses œufs en neige. Il joue la carte du big laid-back avec des infra-basses encore plus infra et il se paye le luxe d’une beau développement avec une guitare électrique. Il atteint les tréfonds du désespoir avec «Devotion» et c’est tellement désespéré que ça en devient beau, comme suspendu dans le temps, my dearest friend, immobile, I will protect you until the end.

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             Paru en 2001, Rain On Lens sonne comme l’album de la maturité. Bill Smog est un fabuleux crooner, comme le montre «Natural Decline». Sa façon de pulser le natural decline est unique au monde. Elle te hante vite fait. Bill Smog sait tendre sa toile, il sait rester actif dans les entrelacs, ça donne du vrai rock US, bien secoué des cloches. En plus, il peut te donner des petits conseils, comme le montre «Keep Some Steady Friends Around». Voilà ce qu’on appelle une présence. Avec un mec comme Bill Smog, tu peux y aller, il est assez franc du collier. Il ne te prendra pas pour un con. Il te fait cavaler sur le côté, c’est un chic type, il te met en confiance, car il chante d’une voix ferme et définitive. Il s’entoure de heavy guitars pour «Short Drive». C’est forcément bon. Au beau milieu d’un aréopage de power chords, il chante d’une voix de rêve - I put my hand on your knee - Bill Smog est là avec toi, tout près. Il reste dans la heavyness avec «Life As If Someone’s Always Watching You», il est parfait dans son rôle de Père Fouettard - You know you doooo - Il te chante ça à contre-courant de la mélodie, il se permet tous les excès, c’est spécial, intègre, profond, d’une incroyable modernité. Bill Smog taille bien sa route sous le boisseau. Il s’y connaît en boisseaux. Il chante d’une voix de mille-pattes, imbu de son humidité. Il claque un brin de dark Soul avec «Lazy Rain» et ramène son baryton de vieil alligator dans «Revanchism». Il s’amuse bien avec sa glotte.

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             Encore une anti-pochette avec Supper. Et donc des anti-chansons, bienvenue au paradis du laid-back underground. Bill ramène sa fraise de laid-back avec «Feather By Feather». On note une très grande présence vocale, raison pour laquelle on le suit à la trace. Il rocke son «Morality» avec une certaine fermeté de ton et chante «Ambition» à la voix de son maître. Il est marrant avec sa casquette base-ball. «Vessel In Vain» sonne comme du typical Callahan, romantica désespérée chantée aux accents chauds - My ideal got me on the run/ Towards my connections with everyone - On boit ses paroles. On trouve en B un petit chef-d’œuvre de laid-back mélodique, «Our Anniversary». Les basses vibrent.

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             Le dernier coup de Smog s’appelle A River Ain’t Too Much To Love et date de 2005. Big album pour trois raisons. Un, «I Feel Like The Mother Of The World». Bill joue sur le contraste de son baryton avec la joie du gratté de poux. Il sonne comme le héros du how do I feel dans les éclats florentins d’une authentique excellence sonique. Le contraste est saisissant. Il sait en jouer. C’est hallucinant d’how I feel. Il souffle ici un incroyable vent de liberté. Deux, il fait son Lanegan en tapant dans l’«In The Pines» de Leadbelly. Smog fait sa sauce de low down. C’est exactement le where the sun never shines de Lanegan - Where we shiver when the North wind blows - Trois, il veut voir les flingots dans «Let Me See The Colts». Fantastique allure de lock on the door at dawn. C’est plein d’avenir. À sa façon, il réinvente l’Americana. Il gratte son «Rock Bottom Riser» à coups d’acou et il boit au barrage avec «Drinking At The Dam». Bill ne se sépare jamais de son baryton. Il devient une sorte de cabri agile avec «Running & Loping», mais le baryton s’écroule sur le château de cartes de sa délicatesse. Bill domine néanmoins son sous-continent à coups de my body inside out. Il croasse dans son marécage comme un gentil petit crapaud.

    Signé : Cazengler, Bill Callagland

    Smog. Forgotten Foundation. Drag City 1992

    Smog. Julius Caesar. Drag City 1993  

    Smog. Wild Love. Drag City 1995

    Smog. The Doctor Came At Dawn. Drag City 1996

    Smog. Red Apple Falls. Drag City 1996

    Smog. Knock Knock. Drag City 1997

    Smog. Dongs Of Sevotion. Drag City 2000

    Smog. Rain On Lens. Drag City 2001

    Smog. Supper. Drag City 2003

    Smog. A River Ain’t Too Much To Love. Drag City 2005

     

    *

    Attention, cette chronique ne présente pas deux opus d’un même groupe, mais une Saison 1 et une Saison 2. Rien d’extraordinaire en soi. Si ce n’est qu’entre se sont écoulées une dizaine d’années.

    LIKE WIRES

    ( Dingleberry Records  / 15 -09 - 2015)

    Belle couve de Brian Cougar. Adepte de la sérigraphie, principalement affiches et tissus. L’on regarde, l’on ne voit rien. Dans un deuxième temps apparaît devant nos yeux comme en image subliminale un autre tableau. Puis l’on hausse les épaules, ce peut être celui-là, quoique la composition partagée en deux, zébrée par un éclair… non ce n’est pas la Mélancolie, se superpose alors Le Chevalier, la Mort et le Diable, deux gravures de Dürer, non, le temps que le cerveau reprenne ses esprits c’est Saint Eustache, d’ Albrecht Dürer bien sûr… le bas et le haut de la gravure ont été coupés, le cerf est devenu pratiquement invisible, la partie gauche a été retouchée par notre sérigraphiste, au premier coup d’œil les changements restent invisibles. Du beau travail.

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    Comme l’on se dit qu’il y a fort peu de chance pour qu’à l’encontre du dénommé Eustache le groupe Like Wires ait été touché par la grâce divine et récompensé par une merveilleuse apparition, l’on en déduit que le choix de cette image iconique doit être en relation avec le contenu de l’enregistrement, l’on s’attend donc à un choc sonique. 

    Antoine / Julien / Martin / Matthieu

    Garrot : des intros instrumentales en début d’albums j’en ai écouté des tonnes, toutes plus ou moins semblables, celle-ci est comme toutes les autres avec cette particularité qu’elle est différente de toutes les autres, très courte mais qui prend son temps, un peu comme un bourreau sympathique qui ne précipite pas les choses vous laissant une minute de plus avant de vous occire, ne vous inquiétez pas le gars est consciencieux il fera son boulot jusqu’au bout, et vous allez en profiter à mort, pareil que Like Wires qui se permet de mettre des paroles sur son instrumental, un truc glacial qui vous coupe l’envie de vivre tout en vous conseillant de profiter de la moindre miette qui vous reste ! Blurry : il y a quelque chose de terrible chez Like  Wires, c’est que c’est méchamment beau mais c’est un peu comme ce fil chamarré qui dépasse du mur de cette accueillante chambre d’hôtel, vous le tirez avec gourmandise et curiosité, le problème c’est ce qui vient après, apparaissent très vite les excréments d’une fosse d’aisance, inutile de vous précipiter dans les toilettes, l’abysse excrémentiel se trouve dans toutes les impuissances qui nagent entre les eaux troubles de votre boîte crânienne, toutes vos colères vaines, tous vos désirs refoulés, tous vos errements, et pour finir cette explosion de haine pure, un peu comme les tentacules pustuleux du poulpe de la vengeance qui vous promet de s’en prendre au monde entier, à tel point que le chanteur en oublie de chanter pour se livrer à des imprécations vocales d’une excécrabilité ignominieusement irremplaçable. Merveilleusement beau et irréfragable comme une baïonnette qui s’enfonce dans votre corps. Hierophants : toujours cette guitare ensorcelante et cette batterie que vous suivriez jusqu’au bout du monde, puis ce chanteur qui s’enfuit de sa mélodie pour hurler, l’on comprend mieux cette espèce de dichotomie entre violence et luxuriance, entre assonance et dissonance, entre galop chaotique et ventre à terre sur les vertes et grasses prairies d’herbe tendre, Like Wires n’habite pas un monde ni tout blanc, ni tout noir, sont autant fascinés par les vives couleurs chatoyantes que par ces leurres grisâtres qui les emprisonnent et dont ils essaient de s’extraire, l’envie de tout culbuter, de tout détruire, d’envoyer tout chier, exquisité d’une punkitude pharamineuse portée au dernier degré du nihilisme de la révolte. Convict : tornade sonore, rien de plus terrible que le doute qui s’amalgame aux convictions les plus extrêmes, tout peser mais sans concession, tout casser jusqu’à soi-même, plus le temps de réfléchir, se laisser entraîner, mais mener la course en tête jusqu’au fond du gouffre, pas de répit dans ce morceau qui défile comme une horde de huns assoiffée de meurtres et de crimes, là où passent leurs instruments l’innocence ne repousse pas. Kick out the jam, ni brothers, ni sisters. Resurgence : chant de triomphe, n’en profitez pas pour exulter, crier et chanter, Like Wires est encore dans la fièvre des barricades, profitez de ces guitares qui marchent à l’amble pour relire Lorenzaccio d’Alfred de Musset, faites fissa parce que chez Like Wires la déprime se métamorphose très vite en colère, mais là c’est le moment de la dépression tourmentueuse des sentiments, quand Lorenzaccio s’aperçoit que les conjurés ne valent pas mieux que le tyran qu’ils veulent abattre, ça ne leur a pas coupé le sifflet mais maintenant le screamer  éructe et prêche comme ces prédicateurs fous des westerns qui promettent l’imminence apocalyptique du monde. Drapeau blanc : drapeau en berne oui, batterie mortuaire et guitares aux relents bluesy qui s’évaporent, Like Wires n’est pas au mieux de sa forme, colère et capitulation, heureusement il reste toujours un ennemi à abattre, cela vous donne du punch et de la hargne, facile de le désigner, la batterie appuie méchant pour vous obliger à comprendre que c’est vous-même, le cœur éclaté et la rancœur de soi-même en explosion souveraine, la guitare se traîne comme un oiseau agonisant qui bat de l’aile, quand tout est fini ne reste que le rêve et Like Wires vous repasse le début de l’intro, mais à l’envers, façon de terminer exactement comme ça a commencé, la boucle est bouclée. Que dire de plus. Que faire de moins. Si ce n’est s’enfermer dans l’hallucinatoire désillusion d’un songe angélique qui de lui-même prend la décision de découper avec un grand couteau ses ailes qui ne voleront plus. Jamais plus.

             Un jeune groupe qui s’est très vite dissout. L’on ne sait pas pourquoi. Dissensions, aléas de la vie, l’on pourrait allonger la liste hypothétique à l’infini, mais en filigrane de tout ce qui les a emmenés à splitter devait se trouver dans cette impression consciente ou non consciente, qu’ils avaient tout dit, et peut-être même qu’ils n’avaient plus rien à dire tant ils avaient tout expectoré du premier coup, un premier jet qui avait accouché d’un chef-d’œuvre.  

    Donc dix ans plus tard le groupe de Clermont-Ferrand récidive avec :

    COLD MATTER

    LIKE WIRES

    (Les Disques Bleus Enregistrement / 05 – 04 – 2024)

    Quelle est cette fleur sur la pochette, je ne suis pas un botaniste, il me plaît d’y entrevoir un chardon, la nourriture préférée des ânes que nous sommes, nous nous y ruons dessus pour la dévorer goulument malgré ses épines douloureuses. Avec au fond le cercle rutilant et infini de la vie que nous lapons jusqu’à la dernière goutte comme un nectar revigorant alors qu’il n’est que le poison qui nous tuera. Lentement. Mais sûrement.

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    L’artwork est de Bertrand Blanchard. Ils ne l’ont pas choisi au hasard. Sur son instagram il nous dévoile ses œuvres, un monde froid, figé, angoissant. Un univers qui n’est pas sans relation avec le groupe.

    Quant à cette matière froide, vous la connaissez bien. C’est celle qui nous constitue. Qui nous permet d’entrer en relation, de produire nos propres réseaux de communication avec nos semblables aussi frileux que nous, présences fantomatique errant sans but dans la calotte polaire du monde, inhospitalière et mentale, qui nous englobe.

    Antoine / Bounce / Jean / Yoann. Attention le groupe a changé

    Dark wine : (poème de Bukowski: la poésie a tué beaucoup de monde ce n’est pas une raison pour ne pas en lire. Cette étamine noire, sombre et souterrainement rouge, ainsi hissé au début de ce nouvel opus est-elle un signe au drapeau blanc qui terminait l’opus précédent, en tous les cas un avertissement aux nouveaux auditeurs, chez Like Wires les textes sont fondamentalement importants : le son a changé, plus dur, plus lourd, plus noir, la voix comme un crachat de haine désespérée, mais bientôt tout se calme, juste une guitare en fond de tympan, la batterie qui fait le gros dos mais qui ne vous déchire pas les chairs comme un tigre altéré de sang, pourquoi des poëtes en des temps désespérés demandait Hölderlin, pourquoi pas après tout, sur la bande son Bukowski lit un de ses poème Consummation of  grief, moment de calme sans volupté, maintenant les lyrics anglais du groupe rejoignent le vide vertigineux de la solitude de l’écrivain dépossédé du monde mais en plus sauvages, plus exacerbés, comme quand, enfermés dans vous-même vous vous cognez la tête contre les parois membraneuses de votre cerveau, ainsi vous comprenez d’où proviennent ces filaments de distorsion finale. Olympe : après un chant d’amour désespéré, voici un péan de haine espérée, corps à corps hardcore, un classe contre classe posthardcore les guitares qui brisent, la batterie qui casse, la voix qui prône la révolte et la vengeance, attention baisse de ton mais pas de tonus, juste pour captiver l’auditoire et hurler la revendication ultime, l’appel à la grande moissonneuse, la déglingueuse épidémiqude de têtes, l’émondeuse souveraine.  Waouf ! à vous couper le souffle. Future past : à l’emporte-pièce, est-ce que le lieu du bonheur serait celui du crime, celui du retour, une course éperdue vers la source souveraine, avec ce constat amer que ce qui nous paraissait immense est devenu tout petit, pourtant nous revenons les mains et la tête vides, nostalgie rieuse et regrets éternels, à fond de train, des cymbales qui jouent au cheval emballé, une voix qui vomit l’inaptitude au bonheur de tout être humain, une batterie qui pulvérise le tout, et ces cordes en lesquelles résonne  toute la beauté des illusions perdues.

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    Vice : les mêmes accords nostalgiques sur lesquels nous avons terminé l’écoute du précédent, c’est un peu vice-versa, celui-ci commence sur quoi celui-là se terminait, l’intensité gagne du terrain, la tempête sonore s’annonce de loin, réminiscences vocaliques, éruption laryngée, tout ce que la vie peut apporter de puissance et de tumulte. La vraie vie dirait Arthur le revenant. Tout est consommé, mais l’espoir subsiste, le désir que le chaos vital recommence une fois de plus, une fois encore, til the end. Une balade sur le côté sauvage de la vie. Une saison en enfer illuminative. Magnifique. Shards : levez-vous orages désirés, qui sème le vent des paroles récolte le vent des tempêtes prométhéennes, anti -olympiennes les chaînes que l’on se doit de briser, des glaciers étincelants des cimes les plus extravagantes aux combes glaciales les plus sombres, parmi tous ces fragments épars il s’agit d’avancer, par les hauts et les bas, jusqu’à ce sentiment final de libération suprême.

             L’on reconnaît en ces deux opus, un même esprit, je supposons celui d’Antoine puisqu’il est présent sur les deux artefacts. Une vision du monde et mieux encore une écriture du monde très particulière. L’a des affres âpres, son âme n’est pas un couteau sans lame auquel il manque le manche. Quand il la lance, il vous atteint toujours en plein cœur.

             Espérons que nous n’attendrons pas encore dix ans pour le prochain album !

    Damie Chad.

     

    *

    Il est important de remonter à l’origine des choses, même s’il faut se méfier, Heidegger nous a avertis, l’origine n’est pas nécessairement au début, elle peut être avant ou après, un peu comme l’entéléchie d’Aristote.  Quoi qu’il en soit, voici le premier opus de Pénitence Onirique.

    .........................................V. I. T. R. I. O. L.       .............................

    PENITENCE ONIRIQUE

    ( / Mai 2016)

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    La couve est de Mathieu Voisin, un compagnon de route du groupe, très belle. J’y vois une porte, quelque part et nulle part, dans les terres mouvantes du songe ou sur une autre planète. Une fente kaotique, un lieu de passage. Il ne s’agit pas de savoir où l’on va en l’empruntant mais d’où l’on vient quand on se contente de la regarder. Joue-t-elle le rôle de la lune dans le monde métaphysique aristotélicien, en deçà ou au-delà de l’astre sélénique. Dans les deux cas le mystère reste entier.

    Pas besoin d’être un initié pour comprendre que l’opus traite d’alchimie. Lecteurs avides, ne vous réjouissez pas trop vite, à la fin de l’écoute Pénitence Onirique ne vous aura pas communiqué la recette de la fabrication de l’or. D’abord parce que l’alchimie est un art de longue patience, ensuite parce qu’il ne s’agit pas avant tout d’aider à la lente métamorphose d’un vil morceau tout tordu de plomb en un cube d’or pur, mais de travailler à affiner tant soit peu la masse gélatineuse et neuronale de votre cerveau. Et croyez-moi il y a du travail à faire !

    Bellovesos : all instruments / Diviciados : chant, lyric.

    L’âme sur les pavés : l’idée musicale d’un long cheminement, étrange maintenant les guitares fusent, la batterie roule monstrueusement, le chant écorché noyé comme s’il était perdu dans un magma gélatineux, en gros malgré un ruissellement dévastateur ça se traîne, non ça ne prend pas son temps, c’est comme s’il y avait une dissociation entre le temps qui fuit et celui intérieur de l’âme humaine, ne croyez pas qu’elle soit différente de l’animale, une longue marche, les pieds nus sont peut-être enveloppés de la peau de l’âme mais ils ne marchent pas sur la terre sacrée, juste sur un résidu noirâtre, une poubelle d’athanor dont vous auriez entrevu la dérive quelque part au nord de votre ignorance, une procession solitaire d’un seul qui marche en lui-même mais face à lui-même comme si l’image de vous arpentant les contrées stériles et désolées que vous renvoie le miroir ne pourrait jamais vous rejoindre et se fondre en vous, sans cesse un décalage infinitésimal qui vous demande de durs calculs d’ajustements mathématiques entre la théorie et la praxis, entre l’échec et la réussite, entre l’éloignement de vous-même et le rapprochement de ce qui est votre absence cristalline au monde. Au bout du bout après bien des étapes opératoires l’on rencontre la mort. N’y voir aucun mal, un acte de désintégration est semblable à un acte d’agrégation, l’Alchimiste se doit de mourir plusieurs fois, lion vert et deuil de la lune noire, pour acquérir l’immortalité. Etymologiquement l’immortalité ne réside-t-elle pas dans ( = in latin ) la mortalité. Le soufre : une flamme qui rampe et s’enflamme, que de temps pour brûler l’édifice de sa propre ossature, une question de principe, le feu brûle mais ne purifie pas, il épure, il est ton meilleur ami et ton meilleur ennemi, toute consumation lente est une préservation, le danger est de se figer en soi-même, la tentation d’habiter ton propre bûcher est grande, l’ardence du feu te communique ton ardeur et tu te crois invincible, tu penses avoir atteint la plus grande subtilité, mais il faut aller encore de l’avant, écarter les tentures du deuil qui obstrue ton chemin, un grand acte de courage que de porter la main sur la matière noire du monde, après tant de noirceur il semble que la musique entonne doucement un péan apollinien, le soleil s’enflamme il disparaît pour que bientôt ne reste plus que sa rougeur, cette pourpre de cinabre dont tu te revêts. L’explosion de ta puissance est encore une désintégration. Le sel : de l’eau qui court, clinquements de vagues qui se heurtent aux falaises pour les mieux abolir, un long morceau, peut-être parce dans le processus alchimique paracelsique  de Pénitence Onirique le sel a dévoré le mercure principiel, car si l’on privilégie l’existence de l’un et l’autre, le couple royal du moi et du soi, du moi et du non-moi, le tiers est exclu,  toute descendance doit mourir, ne pas accéder à l’être, le processus alchimique n’engendre pas,  ils se perpétue dans une solitude onaniste, c’est peut-être pour cela que le vocal grogne comme un lion rouge, pas de descendants, juste des ascendants, le roi est sans royaume, le roi est le seul royaume possible. La solitude est la meilleure conseillère puisqu’elle ne peut t’apporter d’aide que tu ne connaisses déjà. V.I.T.R.I.O.L : ( acronyme latin : Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies  Occultam Lapidem / Visite l’intérieur de terre en rectifiant tu trouveras la pierre cachée ) : cette formule est à méditer comme un résumé opératoire de l’opérativité alchimique : ici elle est employée par Pénitence Onirique pour nous projeter au résultat final, ce qui explique l’introduction un peu solennelle, attention ce n’est pas l’érection musicale triomphale à laquelle l’on pourrait s’attendre, la basse est si lourde qu’elle instille un doute… bientôt se déchaîne un torrent de haine noire, toutes les étapes ont été respectées, l’on s’attarde sur le rappel de l’éclosion finale, cette pureté transparente de l’âme à laquelle on a atteint, mais lorsque l’on porte un regard sur le monde, il a perdu toutes ses couleurs comme si elles avaient été happées par le processus alchimique, qu’importe devant moi n’ai-je pas le joyau rubescent de l’œuvre accomplie, l’incomparable preuve absolue de ma grandeur, je lève les yeux, oculaires pulpeux sur le monde, ce sont les hommes auxquels  je veux m’affronter, je n’aperçois que des regards fuyants. Carapace fantôme vide : (il existe an official video de ce morceau produite par Les Acteurs de l’Ombre, amusons nous à dire que l’on n’voit pas un nombre minimal d’acteur ( comprenez zéro ) et un maximum d’ombre, qui explose sur un blanc luminescent… Non ce n’est pas une représentation de l’œuvre au noir et de l’œuvre au blanc, à la limite nous dirions de l’œuvre au rouge, mais de la couleur d’un feu noir, celui de la désespérance infinie.) : explosion musicale, vocal exacerbé, l’on ne peut haïr fortement que soi-même, l’adepte voulait gagner la partie contre lui-même. Il a gagné mais en même temps il a perdu, il n’avait pas réfléchi que son obscure tâche, sa lente patience, son travail ardu, tous ses efforts, toute sa ténacité l’avaient coupé de l’autre partie de lui-même, celle qui n’est pas nous, celle qui est constituée du décor du monde et surtout de ce qui n’est pas nous, non pas l’autre moi, mais les autres de moi, de la vulgaire humanité pour employer les mots justes. Se retrouve comme un bernard-l’hermite qui n’a pas su construire sa maison et qui en est réduit à habiter ce crâne mortuaire qu’il s’est obstiné à vider de la moitié de son âme. L’est condamné à tourner sans fin, la structure de la musique imite tant  ces spirales entrelacées et confinatoires du poisson rouge dans son bocal qu’elle en devient  oppressante, il hurle son désespoir, il a tenté de se rapprocher de ses frères et sœurs humain, l’on comprend maintenant pourquoi il n’a pas exposé à part entière le principe mercuriel, cet élément féminin, il ne peut plus maintenir auprès du sien un autre corps, il croyait trouver une puissance rayonnante, influente, mais non il s’est si bien retranché que les autres s’écartent de lui. L’est bien puni, il s’est infligé tout seul une dure pénitence onirique. Condamnés à vivre entre les phantasmes de son savoir absolu et les fantômes de l’humanité qui s’échappent de ses bras dès qu’il tente de les saisir et de les retenir.

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    Il existe une vidéo live de ce titre enregistrée le 19 août 2023 au Motocultor, please play loud, six sur scène, habillés de noir,  masqués,  musicalement  à la hauteur du disque, toutefois malgré l’éclairage prodigué, (le spectacle n’est pas nocturne) il manque cette dimension que votre imagination produit lorsque vous écoutez un disque tout seul chez vous, une démesure scénique que l’on retrouve par exemple dans les mises en scène symboliques de la Tétralogie de Wagner à Bayreuth, une traduction évènementielle qui serait comme une projection extérieure des tourments intimes les plus intérieurs.

    Par contre le groupe joue ici la quasi intégralité de l’album, il ne manque que le premier morceau, le Live@ Les Feux de Beltane enregistré le 08 / 07 / 2018, est bien plus agréable à voir, L’obscurité de la nuit confère une certaine magie à la prestation du groupe, cerise sur le gâteau le jeu des caméras et des prises de vue change la donne du tout au tout. Privilégiez cette vidéo, suprême avantage : le son est meilleur. !

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             Inutile de rajouter que cet album est à écouter. C’est le troisième que nous chroniquons, la première chronique (Nature Morte) a été motivée par l’attrait de la nouveauté, précisons ce n‘est parce qu’un opus vient tout juste de paraître que nous le chroniquons automatiquement, la tâche serait titanesque, encore faut-il qu’il nous intéresse.  Les goûts et les couleurs y sont sans doute pour quelque chose mais ne sauraient être totalement significatifs, de fait nous jetons notre dévolu sur ce qui nous ressemble et sur ce qui est le plus éloigné de nous. C’est ainsi que nous délimitons notre angle d’attaque appropriatoire et chroniqueuse.   Pour Vestige nous avons adopté la marche arrière de l’écrevisse, une esthétique relativement proche d’ A Rebours de Huysmans, nous y avons appris pourquoi le groupe a choisi le terme de Pénitence, l’écoute de ce premier enregistrement nous permet de comprendre pourquoi ce mot a été accouplé à l’adjectif onirique. Le langage et la pensée sont les vecteurs de toute déambulation onirique. Ce qui n’est pas dit reste du domaine de l’inconnaissable pour parodier Wittgenstein.

             Un des groupes français les plus originaux et surtout des plus authentiques en le sens où le discours musical colle au plus près des intentions induites par une démarche d’une honnêteté intellectuelle sans faille.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    La grille n’était pas fermée, au haut du perron la porte d’entrée était restée elle aussi ouverte. Le chef s’arrêta :

             _ Agent Chad, rien ne presse, la demeure est vide, laissez passer les chiens d’abord, suivez-les doucement, je prends le temps d’allumer un cigare et je vous rejoins.

    La maison n’était que sommairement meublée. Les chiens entamèrent une partie de trape-trape au travers des pièces. Au bout d’un moment ils disparurent, ils s’amusaient, cela m’agréait, leur flair fureteur était infaillible, j’étais sûr qu’aucune anomalie ne leur échapperait. Quatre larges chambres à l’étage (il n’y en avait qu’un) cuisine, salon, salle-à-manger, une salle que plus tard le Chef baptisera de fumoir. Une vaste cave, aux murs blanchis à la craie, d’une propreté méticuleuse, m’étonna. Totalement vide. Aucun mystère n’émanait de cette demeure. Toutefois la plus exigüe des pièces devaient dépasser les cinquante mètres carrés. Les volets étaient fermés, à la lumière de ma lampe torche je retrouvai le Chef assis sur un divan dans le ‘’ fumoir’’. Je crus qu’il inspectait d’un œil de connaisseur un Coronado. Je me trompai, l’avait comme un collégien les yeux rivés sur son portable.

             _ Voyez-vous agent Chad vous devriez vous économiser, regardez j’ai visité cette baraque sans bouger grâce à mon appli ‘’ Je visite la maison que je veux acheter’’. Entre nous soit-dit, je me demande en quoi elle intéresse la CIA. Les parents des propriétaires sont morts depuis trois ans, les enfants l’ont mise en vente. Du banal de chez banal.

    J’allai répondre lorsque l’on entendit les chiens aboyer. Plus malins que nous ils avaient trouvé quelque chose ! Nous les rejoignîmes à l’étage. Nous les retrouvâmes assis sur leur derrière visiblement captivés par un panneau de tapisserie à fleurs. Il n’y avait rien. Si ce n’est un trou de souris au ras de la plinthe. Je voulus y introduire un doigt, mais le Chef fut plus rapide, il sortit un étui métallique de Coronado de sa poche et l’enfonça. Un déclic se produisit, toute une partie de mur s’avança vers nous d’une vingtaine de centimètre. Derrière le panneau déplacé nous découvrîmes une niche peu profonde, vide. Le Chef grogna :

             _ Hum ! le coffre-fort de la maison, devait contenir deux liasses de billets de 500 euros et le collier de diamants de Madame. Inintéressant au possible ! Allez les cabotos on décampe !

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    Durant le trajet du retour, le Chef n’arrêtait pas de tripoter son portable. Ce n’était pas dans ses habitudes. Cela m’intriguait. Nous étions presque arrivés au local lorsqu’enfin il sortit un Coronado de sa poche. A ma grande surprise il ne l’alluma pas.

             _ Chef cette voiture possède un allume cigare !

             _ Merci Agent Chad, je n’en ai pas besoin !

    Hop d’un coup, il appuya sur une touche de son portable. Une flamme jaillit, avec laquelle il alluma son Coronado.

             _ Un portable briquet ! Ils ne savent plus quoi inventer :

             _ Agent Chad, ceci n’est pas un gadget, je me le suis procuré le week-end dernier au Salon de la Panoplie du Parfait Agent Secret, je vous ai d’ailleurs apporté un petit cadeau, montez avec moi au service je vous le donnerai.

    Je n’avais pas fini mon créneau pour me garer que Molossa grogna.

             _ Chef, cette fois je ne crois pas qu’elle a flairé un trou de souris !

             _ Bien sûr Agent Chad nous avons un comité d’accueil qui nous ! Ne bougez pas je m’en occupe !

    Le Chef ouvrit la portière et se dirigea d’un pas distrait vers les trois malabars qui barraient la porte d’entrée de l’immeuble.

             _ Messieurs, je m’excuse de vous déranger, zut, mon Coronado s’est éteint je vais le rallumer !

             _ Si vous voulez, mais ce n’est pas la peine, puisque nous sommes là pour vous tuer !

             _ Pas de problème, toutefois d’abord j’allume mon Coronado.

    Les trois gros éclatèrent de rire, déjà ils sortaient leurs pétoires de leurs poches intérieures. Ils n’eurent pas le temps de les utiliser. Le Chef m’expliqua peu après que c’était la touche chalumeau. Une flamme aveuglante jaillit. Déjà elle leur mordait les yeux. Leur cornée s’embrasa et leurs globes oculaires fondirent comme cornet de glace vanille dans un four à émail. Les malheureux hurlaient de douleur. Ils tentèrent de fuir, par pure compassion le Chef les abattit d’une balle de Rafalos dans le dos.

    La scène s’était déroulée si vite que je n’avais pas eu le temps d’intervenir. Le Chef traversait la rue, visiblement content de lui. Molossito poussa un jappement. Une grosse berline fonçait droit sur le Chef. Le Chef se contenta d’appuyer sur son nouveau portable. Un énorme trait de feu rampa à toute vitesse sur la chaussée, déjà elle s’était emparée de l’habitacle, des cris fusèrent, ils n’eurent même pas le temps d’ouvrir les portières, le véhicule explosa.

    _ Voyez-vous Agent Chad, c’est la touche lance-flamme, une invention des services chinois ! Sont des as de la miniaturisation, il faut le reconnaître. En progrès constant, nos renseignements sont certains que d’ici quelques mois ils auront mis au point la touche lance-missile. Passons aux choses sérieuses, laissons ces cadavres en paix, les services de la voirie les emmèneront dans leurs véhicules. Montez quelques instants avec moi, vous récupèrerez le petit cadeau que je vous ai ramenés, exprès pour vous, non ne me remerciez pas, même pas dix euros, je suis sûr que vous en ferez bon usage, je vous connais Agent Chad, je suis certain que dans votre caboche vous méditez dans votre tête un plan X ou un plan Y. Dès qu’il sera au point, venez me trouver, je vous donne deux jours de congé pour les derniers préparatifs. Je ne veux pas me vanter mais je pense que mon nouveau portable pourra vous être utile.

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    Le Chef me connaissait bien, c’était la pure vérité, mais pas tout à fait, lui manquait un presque rien, je ne dirais pas un je ne sais quoi, car je savais exactement l’étendue de ses connaissances… et le gouffre de son ignorance. Lui manquait juste la dernière lettre. Il y avait longtemps que j’avais dépassé les plans X et Y. J’en étais au plan Z ! Le plus dangereux, après lui il n’y en avait pas d’autres.

    J’ouvris l’enveloppe. Elle contenait une seconde enveloppe. Sur celle-ci je reconnus l’écriture du Chef, ses grosses lettres majuscules rouges qu’il utilisait pour les annotations impératives. Celles dont l’exécution ne souffrait d’aucun détail. AGENT CHAD CECI EST UN DOCUMENT ULTRE-SECRET. LISEZ-LE ET DETRUISEZ-LE IMMEDIATEMENT. Il NE DOIT SOUS AUCUN PRETEXTE TOMBER ENTRE LES MAINS DE VOS ENNEMIS. JE VOUS EN CONJURE : LISEZ-LE NON PAS DE L’ALPHA A L’OMEGA MAIS  DE A à Z.

    J’avoue qu’il me fit une grosse impression. Les ennemis avaient tenté voici à peine trois heures de liquider froidement le Chef. Il leur avait échappé chaudement. Toutefois il n’avait pas écrit ‘’Nos’’ ennemis mais ‘’Vos’’ ennemis. Et puis surtout : pourquoi donc cette lettre minuscule devant le Z ! Le Chef m’avait-il deviné !

    Au toucher, c’était un dossier assez épais, une centaine de feuilles au minimum, mais plus lourd que du simple papier. Je déchirai l’enveloppe, le temps pressait. Le Chef m’avait donné deux jours. Je poussai un cri de surprise qui tira Molossa et Molossito de leu sommeil. Un document secret, mais il y a au moins trois millions de français et plusieurs centaines de milliers d’autres qui l’avaintt lu. Moi-même je l’avais aperçu à plusieurs reprises ces trois dernières journées.

    Le dernier numéro du magazine ELLE ! Le Chef n’étant pas ce que l’on pourrait appeler un féministe enragé, je me devais de l’écouter. Le lire certes, avant tout l’étudier. Le Chef avait écrit lire et non pas regarder. Dommage, rien que la fille sur la couverture était particulièrement jolie, je ne devais pas me laisser distraire. Je l’ai lu de bout en bout. Je n’ai rien trouvé, aucun détail qui m’aurait aidé dans l’élaboration du Plan Z. Je l’ai relu et encore une troisième fois, en commençant par la fin. Je suis resté sur ma faim. Il était cinq heures du matin lorsque j’ai abandonné. Avant de me coucher, j’ai suivi la consigne, je l’ai brûlé dans la cheminée et écoulé les cendres dans la cuvette WC

    La mort dans l’âme je me suis couché. L’on dit que la nuit porte conseil. Ce doit être vrai. Le matin, au réveil, tout était clair. Le plan était bouclé du début à la fin. Dans ma tête. Il ne restait plus qu’à exécuter.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 638: KR'TNT 638 : BILL CALLAHAN / GRUFF RHIS / LEON WARE / DITZ /THE PEARLFISHERS / ROCKABILLY GENERATION NEWS / JEZEBEL ROCK / JOHN LANNY / PENITENCE ONIRIQUE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 638

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 03 / 2024

     

    BILL CALLAHAN / GRUFF RHIS

    LEON WARE / DITZ / PEARLFISHERS

      ROCKABILLY GENERATION NEWS

    JEZEBEL ROCK / JOHN LANNY

    PRESENCE ONIRIQUE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 638

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    L’avenir du rock

    - Smog on the water

    (Part One)

             L’avenir du rock n’en revient pas : ça fait la troisième fois en deux mois qu’il croise Jeremiah Johnson dans l’hiver rude du Colorado. Johnson arrête son cheval à dix mètres de distance. Toujours aussi peu avenant, la mine renfrognée, il lance, d’une voix qui résonne dans l’écho de la vallée :

             — Encore vous ? Vous vous croyez où ? Dans un western ? C’est pour éviter les pipelettes de votre espèce que je suis venu me réfugier dans ces montagnes ! Vous commencez à me briser le bollocking !

             — Oh cessez vos jérémiades, Jeremiah ! Je ne vais pas vous demander un autographe. Je suis simplement à la recherche de Buffalo Bill.

             — Ouais c’est ça, t’as raison... Buffalo du lac...

             Comme il n’a pas envie de poursuivre cette conversation débile, Jeremiah Johnson éperonne son cheval qui repart au pas. L’avenir du rock le salue d’un hochement de tête, mais lui dit, au moment où leurs chevaux se croisent :

             — Vous savez que vous avez un javelot planté dans le dos ?

             — Of course !

             — Voulez-vous que je vous aide à le retirer ?

             — Non, car les Crows, qui sont cons comme des bites, me croient mort, et comme ils sont encore plus radins que les fucking Cauchois, ils n’iront pas gaspiller un autre javelot. Sur ce, bonjour chez vous, Buffalo tous les râteliers !

             — Vous êtes drôlement Buffalo salé, Jeremiah, la solitude ne vous réussit pas. Vous avez du Buffalo dans le gaz !

             — Te fais pas de Buffalo Bill, pauvre dé-Bill !

             — Des Bill, des Bill, oui mais des Callahan !

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             L’avenir du rock est prêt à tout pour vanter les mérites de Bill Callahan, il peut même aller jusqu’à contrepéter avec Jeremiah Johnson au fond des montagnes du Colorado.

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             Se pourrait-il que le nouvel album du bon Bill Callahan soit l’un des plus beaux albums des temps modernes ? L’objet en question est une REALITY inversée qu’on lit YTILAER, avec le l’L, l’E et l’R à l’envers, enfin bref, le bon Bill s’est bien amusé avec son outil ‘miroir’. Les chansons de cet album sont quasiment toutes des merveilles, à l’image de «First Bird». Ce fabuleux chanteur sort un baryton plus profond encore que celui de Lanegan et s’en va taper dans sa lumière. Il swingue son chant dans des profondeurs mirifiques. Comme ses chansons sont longues, ça te laisse le temps d’entrer dedans. Et comme il gratte sa gratte à la dérive, son baryton dérive merveilleusement. Il rappelle que «Bowevil» vient du Texas et profite de cette occasion pour devenir insalubre. Il se débarrasse de toutes les règles - Looking for a/ Home - Il use et abuse des profondeurs abyssales de son baryton - Goddam Bowevil - Il fait du raga d’hypno avec «Partition», il va chercher un vieux groove de do what you do to qui semble dater du temps de Smog. Il aménage sa niche et c’est battu sec. Ils joue avec son baryton comme d’un instrument, il faut le voir swinguer «Naked Souls», il est magnifique et tranquille à la fois, il s’offre en prime une belle tempête de trompettes. Il montre une capacité extraordinaire à embarquer chaque cut aussi loin que possible. Ce bon Bill est le prince des horizons. Il amène «Coyotes» au classic drive de Smog, une belle merveille de yes I am/ Your lover man, il ondule dans sa romantica - As she grows older/ And older - Il crée des climats fouillés extravagants de modernité, il fouille sa voix dans des fouilles ambiancières d’une ferveur extrême. Il semble parvenu au sommet d’un lard unique, le lard Callahan. Pour lancer «Natural Information», il gratte les accords de Peter Green et ça part aussi sec en flèche dans l’Americana, Bill ne se bile pas, il fonce sur le meilleur chemin du monde, pas celui de Damas, mais le sien. Wow, quelle belle Information ! Il fouette le cul de l’Americana, laisse tomber les autres coqs de basse-cour, c’est le Bill qu’il te faut, c’est lui le cake - Talent + voice = Bill - Il est aussi bon que Jerry Lee et les trompettes reviennent embraser l’horizon. «Natural Information» est un véritable coup de génie. Avec «Planets», il t’emmène creuser dans sa mine du Kentucky, staring at the sky. Comme Bill est très profond, on l’écoute avec un immense respect.

             Bill Callahan, c’est aussi Smog. On voit tout ça dans le détail d’un bon Part Two.

    Signé : Cazengler, Bill Callagland 

    Bill Callahan. Reality. Drag City 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    Dans les griffes de Gruff

    (Part One)

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             Il est marrant le Gruff : au lieu de publier une grosse autobio de 500 pages pour vanter les mérites de son génie pop, il se contente de lâcher dans la nature un petit graphic book intitulé Resist Phony Encores. Graphic car objet. Graphic car typo. Graphic car panneaux. Graphic car pictures. Objet énigmatique comme l’est parfois son lard Dada, que ce soit en solo à la Gruff Rhys ou dans la combine des Super Fury Animals, qui sont comme chacun sait, le secret pop le mieux gardé d’Angleterre. Les spécialistes te diront qu’il y a les Beatles puis les Super Furry Animals. Encore une fois, la pop anglaise est un art trop sacré pour être confié à des betteraviers. Rings Around The World est l’album que Brian Wilson rêvait d’enregistrer. On y reviendra.

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             Revenons à notre mouton. Comme le Gruff est un esprit libre, il ne foliote pas son graphic book. Tu te débrouilles avec on va dire une grosse centaine de pages libres comme l’air. Il explique rapidement qu’il éprouvait d’énormes difficultés à communiquer avec son public, alors il a trouvé l’idée des panneaux. Le titre du graphic book en est un. Quand tu l’ouvres à la première page, tu tombes sur un gros «FUCK OFF EVERYONE», avec écrit, en tout petit, en dessous : «Please don’t», à quoi il ajoute : «That’s just the name of my fisrt band, translated.» Rassuré, on reste, et on poursuit la lecture. Il ne faut jamais perdre de vue que le Gruff est un Dadaïste contemporain. Il faut donc s’attendre à de bonnes surprises.

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             Il donne à la suite quelques éléments autobiographiques, confiant par exemple qu’en 1986, il monte Ffa Coffi Pawb avec son pote Rhodi Puw. Il a 16 ans et en profite pour «quitter l’école», comme il dit. Ffa Coffi Pawb veut dire «Everyone’s coffee beans» et les paroles sont en Welsh, c’est-à-dire en gallois. Le Gruff dit aimer l’espace entre les langues, mais il ajoute aussitôt que ce book traite de l’espace entre les chansons. Comme il a une chanson qui s’appelle «Valium», on tombe sur un panneau qui dit : «VALIUM YUM YUM»

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             Il parle des années 80 comme d’un «dark time pour beaucoup de gens», mais lui s’en sort bien car il bénéficie du confort et fait de la musique. Il dit bien vite son admiration pour les Beatles : «Même si je ne vivais pas à la même époque que les Beatles, au moins, je partageais le même espace. Quand Lennon fut dégommé, j’avais dix ans et les jours suivants la télé rediffusait les films des Beatles, ce qui cimenta ma passion pour la composition de chansons mélodiques.» Puis il commence à franchir la frontière du Pays de Galles pour aller voir des groupes sur scène, «des groupes qui semblaient maintenir la tradition mélodique en la transcendant : Spacemen 3, My Bloody Valentine et The Jesus & The Mary Chain. Aucun de ces groupes ne communiquait avec le public, et je trouvais ça très rafraîchissant.» Il se raccroche à cette idée. Tout ce qu’il veut, c’est composer et chanter ses chansons. «Je n’étais pas très doué pour les relations sociales, je ne savais pas m’exprimer clairement ou regarder un public dans le blanc des yeux, et ça ne m’intéressait pas d’avoir à demander aux gens s’ils passaient un bon moment.»

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             Ffa Coffi Pawb splitte au bout de 7 ans et 3 albums, et le Gruff repart à l’aventure avec les Super Furry. Il embarque le beurreman de Ffa Coffi Pawb Dafydd Isuan, et ses copains de Cardiff Huw et Guto. Le Gruff se retrouve «fronting a rock band that had golden discs, le public était nombreux et je sentais que je devais trouver un moyen de lui transmettre les informations logistiques.» Lors du 4e show, il emprunte à Bruce Nauman le slogan suivant : «PAY ATTENTION MOTHERFUCKERS.» Mais il sent bien que le ton de sa voix n’est pas assez ferme. En 1995, les Super Furry se déguisent en pandas. Et petit à petit, le Gruff va développer sa tactique du panneau. On tombe sur une photo de Buf brandissant le panneau «RESIST PHONY ENCORES», inspiré d’un poster irlandais de lutte contre l’impérialisme britannique, «RESIST BRITISH RULES». Puis ça va dégénérer en «RESIST VONDA SHEPARD», «a MOR piano balladeer» qu’il soupçonne d’être la partie visible d’un iceberg des piano balladeers qui allaient détruire la musique. Une menace pour ce qu’il appelle la pop civilisation, mais il regrette d’avoir été aussi loin, alors il lève son verre à la santé de Vonda Shepard et à celle des «pataphysical studies students at the Normal College, I’m sorry, what the fuck was I thinking?». Et bien sûr, en face du texte, tu as la photo de la belle Vanda machin.

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             Quand il joue à Londres, il provoque des malaises avec le panneau «TAX THE RICH». Effectivement, une partie de son public fait partie des privilégiés. Il le brandit aussi sur scène un soir où il accompagne McCartney. Une photo montre la stupéfaction de McCartney. À l’occasion d’une collaboration au Brésil avec le hippie portugais Tony da Gatorra - a slow-burning artist - le Gruff aligne une série de panneaux sur le thème : «WHAT CORRUPS MY COUNTRY» : «VIOLENCE», «HYPOCRISY», «IMPUNITY», «EGOISM», «COWARDS», «TRAITORS», «CAPITALISTS». Et comme il joue de plus en plus à l’autre bout du monde, le Gruff est obligé de faire des panneaux en caractères chinois ou japonais. Il fait évoluer sa technique vers l’allemand, le français et d’autres langues européennes. Et comme au fond il n’a pas grand-chose à dire, il remplit la fin du book de doubles en forme de panneaux. Il a même un camion avec le panneau géant : «NO PROFIT IN PAIN». S’il veut une franche participation du public, il sort le panneau «WHOA!».    Et comme il perd ses panneaux d’un concert à l’autre, il fait refaire le «WHOA!» qui devient accidentellement «WOAH!». Il a même eu un «WOHA!» au Connecticut. Les panneaux vivent leur propre vie. Il termine avec un panneau «THANK YOU!», suivi à la page suivante d’un panneau «GOOD NIGHT!». On sort de ce book ravi. On n’en attendait pas moins d’un mec comme lui.

             Avant d’aller plonger dans le lagon magique des Super Furry, on peut s’arrêter un instant sur l’actu du Gruff. C’est une actu replète, qui se tient bien à table.

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             On ne s’ennuie pas un seul instant à écouter The Almond & The Seahorse (Original Soundtrack), un joli double album tout juste sorti des cuisses de Jupiter. Depuis le temps béni des Super Furry, on sait qu’il s’est spécialisé dans la petite pop entraînante. Il continue de gambader au long de son petit chemin de fortune poppy poppah, avec parfois une volonté d’hypno pas assez affirmée («People Are Pissed»). On peut qualifier son lard de petite pop métronomique, en tous les cas dans ce nouvel opus qui grouille de puces. Par contre, il tourne mal avec «Layer Upon Layer», car on croit entendre Etienne Daho. La honte ! On B, on va sauver la fast pop de «Sunshine & Laughter Ever After». Il est à l’aise dans tous les râteliers. C’est un brillant pique-assiette. Il drive sa fast pop au hard beat turgescent. Voilà la petite merveille tant convoitée : «Liberate Me From The Love Song». Il sonne comme les Tindersticks, c’est puissant et beau. Il repart de plus belle en C avec «I Want My Old Life Back». Il reste le magic man que l’on sait. Encore de la belle pop avec «Dance All Your Shadows To Death». C’est sa façon d’installer sa tente dans le pré-carré. Quant à la D, c’est de l’instro. Il pianote son «Toni’s Theme» au clair de la lune.

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             Le dernier bim-boom du Gruff vient de paraître. Il s’appelle Sadness Sets Me Free. On se précipite. On cherche les truffes du groin. Tiens en voilà presqu’une, le morceau titre d’ouverture de bal. Le Gruff y fait son crooner, il y va au «Dead Flowers» - C’mon set me free now/ My vain & selfish way - Il frise la Stonesy d’you can send me dead flowers for my wedding. On retrouve la griffe du Gruff qu’on aime bien. Puis il va continuer de faire du croon de Gruff, il sait envoûter une voûte, il propose une belle pop de petit mec confirmé. Maintenant il n’a plus rien à prouver. On aimerait simplement voir poindre un tout petit brin de magie Super Furry. Mais ça ne décolle pas. Il cherche à renouer avec le Super Furry, alors il groove à la surface des choses. On comprend soudain qu’on ne trouvera pas de truffes dans cet album. Quand ça stagne sur 5 cuts, c’est pas bon signe. Il fait une petite samba avec «They Sold My Home To Build A Skyscrapper». Plus entreprenant, ce mec a des assises, mais ça reste en plan. Son «Cover Up The Cover Up» est l’hit de l’alboom, mais ça ne griffe pas. Il redevient doux comme un agneau avec «I Tendered My Resignation», on le voit chercher à créer du climax mélodique, il frime un peu, il cherche des effets, mais il ne les a pas. Il est en perte de vitesse. Il reste dans une espèce de petite pop et chante d’un ton complice, mais il ne parvient pas à la transcender comme au temps des Super Furry. Sa pop est relativement agréable, mais loin d’être déterminante. C’est un peu comme s’il se mettait en retrait, comme s’il craignait de se brûler des ailes qu’il n’a plus. On s’ennuie à mourir de chagrin sur ce faux bel alboom. 

    Signé : Cazengler, Rhys orangis

    Gruff Rhys. The Almond & The Seahorse (Original Soundtrack). Rough Trade 2023

    Gruff Rhys. Sadness Sets Me Free. Rough Trade 2024

    Gruff Rhys. Resist Phony Encores. Hat & Beard, LLC 2020

     

     

    Inside the goldmine

     - Ware house

             Des quatre contremaîtres de maintenance, Monsieur Léon était le plus attachant. Pourquoi ? Sans doute à cause de son perpétuel air de bonhomie, cette bonté discrète qu’on croise si rarement dans le regard des hommes, surtout à notre époque. Monsieur Léon était un gros bonhomme ventripotent coiffé d’une casquette à carreaux, vêtu d’un bleu de travail rapiécé, qui se déplaçait lentement, un mégot toujours collé au coin des lèvres, allumé ou éteint. Et puis il y avait ce regard espiègle, toujours un peu en coin et ce sourire de petit garçon qui contrastait tellement avec son allure d’homme usé par le travail et le manque d’argent. On l’avait nommé contremaître car il savait conduire les chantiers de maintenance des turbines. Il les connaissait depuis leur naissance, il savait caler un rotor dans ses coussinets, il savait mesurer l’effort de serrage des boulons, il avait pour ce genre de mécanique des mains de magicien. Oh il fallait voir ces grosses mains ! Cœur battant de l’unité de production, la salle des turbines était aussi son domaine. Il ne semblait vivre que pour les arrêts. Il assistait à l’ouverture des carters qui pesaient plusieurs tonnes et avec un sourire encore plus appuyé qu’à l’ordinaire, il commençait l’inspection des zones d’usure. Les ingénieurs envoyés par le fabriquant écoutaient attentivement ses remarques. Ils savaient que Monsieur Léon avait une relation fusionnelle avec ces énormes machines et jamais, en quarante ans de carrière, il ne s’était trompé dans ses diagnostics. Son expertise en matière de maintenance avait dû rallonger considérablement la durée de vie de ces turbines. Et puis un jour, le directeur de production demanda un arrêt d’urgence. Ordre fut donné à tous d’intervenir dans un planning très serré, car les temps d’arrêt coûtaient une fortune. La première équipe devait intervenir de nuit. Arrêt des turbines, chute de la pression, puis ouverture de l’échangeur et pour finir ouverture des carters. Monsieur Léon attendait qu’on ait ouvert l’échangeur pour lancer le démontage des carters. Une équipe démontait les boulons de l’énorme échangeur horizontal, et au moment où tombaient les derniers boulons, le couvercle s’écrasa au sol, propulsé par un gigantesque geyser de vapeur brûlante, schlllooooffff, Monsieur Léon qui se trouvait là fut ébouillanté sur le coup, il avança en titubant vers la passerelle de sortie, bascula comme un gros sac par-dessus la rambarde et s’écrasa au sol six mètres plus bas, splllaaashhh ! Il gisait sur le dos, rouge comme une écrevisse ébouillantée, la peau du visage et des mains en lambeaux. Son sourire si prodigieux était devenu une grimace atroce.

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             De toute évidence, Leon Ware a eu plus de chance que Monsieur Léon. Ils n’ont de commun que trois petites choses, le nom, la bonhomie et d’une certaine façon, la légende. Sous son petit chapeau, Leon Ware était devenu une sorte de Monsieur Léon en black, pas en rouge.

             Légendaire, oui, car Leon est un petit black de Detroit qui a démarré avec Lamont Dozier dans les Romeos. Comme Doz, il a un peu fricoté chez Motown avant de voler de ses propres ailes pour aller fricoter avec d’autres géants, Ike & Tina Turner, Donny Hathaway, Minnie Riperton et des tas d’autres. Leon fut ce qu’on appelle un artiste complet, c’est-à-dire qu’il est à la fois auteur-compositeur, producteur et interprète, une sorte d’équivalent black de Tonton Leon, l’autre, le Russell. Inutile de préciser que tous les albums de Leon Ware sont chaudement recommandés.

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             Tiens, on va écouter le premier, l’album sans nom, Leon Ware, paru en 1972. Tu tombes sous sa coupe dès «The Spirit Never Dies», un fantastique groove de Soul, et là, t’es content du voyage. Groove sublime, Leon te roule dans sa farine de satin jaune pour une Beautiful Song de Soul. Puis il claque une fabuleuse Soul d’Able avec «Able Qualified & Ready». Quelle énergie ! Il te met les sens en alerte maximale, il a derrière lui les backings demented de Clydie King, Jessie Smith, Patrice Holloway, Julia Tillman et Maxine Willard. Leon est un fantastique artiste, il rôde bien dans la Soul, il chante son «Why Be Alone» à la cantonade. Il passe au heavy groove d’allure supérieure avec «Mr Evolution», il cultive son groove à la folie, il est dans l’excellence dès les premières mesures, et quand on écoute «Nothing’s Sweeter Than My Baby’s Love», on comprend qu’il ne vit que pour le smooth de sweeter, Leon est incroyablement attachant, on ne le quitte plus des yeux. Tiens, encore une clameur de groove supérieur avec «What’s Your World». Comme le fit Marvin, il arrose le monde, il navigue dans les mêmes eaux. D’ailleurs, Leon a produit l’I Want You de Marvin. Il attaque «It’s Just A Natural Thing» à la grandeur d’âme, avec les folles derrière. Elles te plombent ça vite fait et Leon charge la barcasse jusqu’à la fin. Il termine cet album faramineux avec «Tamed To Be Wild», il drive sa diskö-Soul sous le boisseau, il chante aux accents perçants de l’extrême blackitude et grimpe sur la barricade. C’est énorme !  

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             Dans Record Collector, Paul Bowler consacre la rubrique ‘Engine Room’ à Leon Ware. Il le sacre d’entrée de jeu «master of sensual Soul». Il le situe dans les parages du Marvin, et va d’ailleurs produire I Want You et en composer tous les titres. Bowler parle aussi d’erotically charged, silky-mouth brand of Soul qui allait inspirer Sade et la fameuse vague neo-Soul. En fait, Leon Ware lançait les carrières des autres, préférant rester dans le background. Un peu comme Allen Toussaint, Van McCoy ou encore Sam Dees. Et puis un jour, il voit son copain Lamont Dozier rouler en Cadillac, alors il se dit qu’il pourrait lui aussi en avoir une, after all.  

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             Bon alors, tant qu’on y est, on peut aller écouter Musical Massage, paru sur Gordy en  1976, la même année qu’I Want You. D’ailleurs, Bowler dit que si on veut entendre la version d’I Want Your par Leon Ware, c’est Musical Massage -Bedroom focused lyrics and slick Soul sonics - Quand Berry Gordy entend les maquettes de l’album, il demande à Leon de le filer à Marvin et Leon refuse. En guise de punition, l’album sort sans promo et Leon est dévasté de chagrin. Commençons si tu veux bien par les coups de génie, «Share Your Love» et «Phantom Lover». Ce sont des hits. Share your love, clame Leon en plein émoi, c’est fabuleusement profilé sous le boisseau d’un groove mirifique, les petites pointes de vitesse soulignent l’urgence du groove et au loin planent les nappes de violons. Leon aurait-il inventé groove liquide ? Comme d’habitude, la réponse est dans la question. «Phantom Lover» sonne encore comme l’un des meilleurs grooves de l’univers. La pureté groovytale de Leon te confond. Il ne te roule plus dans sa farine, mais dans la ouate. Globalement l’album sonne comme l’un des albums de Marvin à l’âge d’or : nappes de violons et percus. Leon délie «Learning How To Love You» au doux de menton. Sur «Instant Love», Minnie Riperton duette avec lui. Il muscle un peu son groove pour «Holiday», c’est excellent, chanté au lâcher de ballons, ça tourne au petit chef-d’œuvre de good time music. Avec «Journey Into You», tu entres dans le territoire de Leon. Il est soft au-delà de toute expectitude. Tu as l’impression de remonter le courant en sa compagnie. Son «French Waltz» renvoie aux films français, Les Choses De La Vie ou encore Un Homme Et Une Femme, et avec «Turn Out The Light», ce petit coquin de Leon veut éteindre la lumière. Aurait-il une idée derrière la tête ? 

             C’est après Musical Massage  que Leon quitte Motown.

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             Après un mauvais départ et une série de trois cuts ratés, Inside Is Love s’impose avec un coup de génie nommé non pas Wanda mais «Club Sashay». Leon amène ça comme un groove de Marvin et tu entres dans le vrai monde, celui du groove qui balance par-dessus les toits, et des chœurs de filles te pavent le chemin de bonnes intentions, it’s alrite, Leon tombe dans la démesure. Il est partout à la fois, dans le chant et dans le groove. Autre magic cut : «Small Café», big groove sentimental, typique de Leon, c’est un slow groove de rêve finement joué au violon tzigane, il te l’élève au bon niveau et ça finit par violonner à outrance. La troisième merveille de cet album s’appelle «On The Island», et Leon fonce dans le tas de l’exotica, il crée du rêve et des grands espaces, il fait du technicolor à l’état pur, il est capable d’ouvrir de grands espaces, c’est la raison pour laquelle on le suit à la trace, ici tout est knockouté à l’extrême de la Soul du bonheur, merci Leon de nous amener on The Island et de nous donner autant de joie.

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             Comme beaucoup d’autres grands artistes, Leon a connu sa petite période Elektra, oh pas longtemps, le temps de deux albums, Rockin’ You Eternally, en 1981 et un album sans titre l’année suivante. Tout ce qu’on peut dire, c’est que Leon a du génie. La preuve ? Elle est dans l’enchaînement de quatre cuts, «Sure Do Want You Now», «Our Time», «Rockin’ You Eternally» et «Got To Be Loved». Son fonds de commerce est le slow groove de Soul en forme d’entrelac de jouissance. Il ne chante pas, en réalité, il touille la magie. Avec «Our Time», il explore le Pôle Nord de la Soul, il affronte les vents, Leon tu le suis partout, même au Pôle Nord, il a de la Soul plein le Time. On prie sincèrement pour qu’il se calme, trop de génie tue le génie, c’est bien connu mais avec «Rockin’ You Eternally», il déploie de telles ailes d’ange qu’il en devient définitif, il te plonge dans un bouillon de Soul, Leon te retourne comme une saucisse dans sa friteuse de magie bouillonnante, il fait une Soul de sorcier, ça wave dans la Warehouse, ça explose littéralement de magie. Et ça continue avec «Got To Be Loved», il monte au chant supérieur de la Soul des temps modernes, il faut le voir prendre de l’élan, quel spectacle, I don’t care, il maîtrise bien la situation et il resurgit à coup d’I don’t care ! Il boucle cet album effarant avec «In Our Garden» et développe aussitôt une nouvelle vague de magie incommensurable, il te la travaille au mieux du Ware System, avec des coupes psychédéliques, mais il revient au chant pour t’exploser la conscience, au so far out, il est l’égal de Marvin Gaye et des plus beaux groovers d’Amérique. Jamais vu ça ! Quand tu écouteras l’«A Little Boogie (Never Hurt No One)», tu verras, tu seras accueilli par un déluge de son. Ça te tombe dessus. Leon ne plaisante pas. Il va très vite. C’est un fonceur. Son Little Boogie est plein comme un œuf, on n’y rentre rien d’autre.

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             Le deuxième Elektra est nettement moins dense. Le hit de cet album sans titre s’appelle «Why I Came To California» : ambiance diskö-pop avec un arty funk de bass dans le dos et des petites gonzesses aux backings et ça tourne vie au big biz, mais un big biz de super good time, et ça vire groove des jours heureux. Il faut suivre Leon pour ça, pour les jours heureux. Leon est un artiste fantastique, il est deeper than love comme le montre le cut du même titre, et puis avec «Cant I Touch You There», il veut la toucher, alors il entrelace sa colonne du temple à l’entrelac de la Soul grimpante. Il sait aussi te susurrer sa Soul de satin jaune dans le creux de l’oreille, comme le montre «Words Of Love». On le voit aussi se fondre dans un «Shelter» extraordinaire - She’s my shelter - et avec «Somewhere», il duette avec une poule qui est pas mal, car elle sait roucouler au sommet de la Tour Eiffel.

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             Paru en 1987, Undercover sonne comme un passage à vide. Le blue velvet de Leon est d’une douceur parfaite, mais un peu monotone. Il cultive une sorte de grande délicatesse sexy, il caresse le duvet de la peau de pêche et fait durer le plaisir. Leon est un orfèvre, toute sa glotte humide est impliquée. Avec son rythme, le graphisme de la pochette et tout le saint-frusquin, Undercover est un album typique des années 80

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             Taste The Love est un pur album de sexe. Leon te fourre la tête entre les cuisses de Jupiter dès «Come Live With Me Angel». Leon se polit bien le chinois, il adore le sexe. Sa musique suinte, elle goutte de scum. Mais du bon scum bien blanc de black God. Il va t’engrosser des juments, patron, oh oh, fais confiance à Leon, il a ça dans les reins. Encore du sexe avec «Feel Your Love», au doux du groove de feel your smile in your hands, et puis toujours plus de sexe avec «Can’t Stop Love», il descend de sa montagne, vêtu de rien, I see you, il administre ses sacrements, Leon est un dieu nuageux. Du sexe encore dans le «Taste Of Love» de fin de parcours, chanté à l’ouate de Marvin, time is right. C’est écrit au dos : «Every song is prepared with our main ingredient, LOVE. Bon appetit.» On le voit aussi aller et venir entre les reins du groove avec «Meltdown». Il ne fait que des cuts longs, jamais moins de 4 minutes. Avec «Cream Of Love», on s’attend au pire. Puis il vire légèrement Brazil avec «Telepathy». Un solo de sax vient lisser tout ça. Merci Leon pour cette embellie. Et puis il se produit un phénomène bizarre avec «Musical Massage» : le cut s’arrête quelque part au siècle d’avant, au milieu des terres, il chante parmi les patrons blancs, il suspend son chant.

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             Le pianiste Don Grusin accompagne Leon sur Candlelight. C’est donc un album de jazz.  Le piano jazz album de Leon. Il faut tout de suite se jeter sur «Red Top», car quelle effervescence ! Ça joue au piano jazz avec la stand-up. Fantastique ! Le stand-up man s’appelle Brian Brombey. Il fait son Charlie Mingus. Il joue le mystère du round midnite, il pulse bien le jazz d’after-hour et Leon revient au chant comme la vague sur la rive. L’autre temps fort de l’album s’appelle «How Insensitive». Le guitariste s’appelle Oscar Castro-Neves et il nous joue le groove du Brazil pur, logique puisque c’est signé Carlos Jobim. Belle exotica, Leon s’y fond. Ils tapent aussi une version de «My Funny Valetine». Rien de plus pur. Leon vise un absolu de pureté. On parlait du loup, le voici : «Round Midnight», fabuleux hommage à Monk, mais c’est trop jazz pour un groover comme Leon. En même temps, on sent bien dans ses autres albums qu’il est trop évolué pour la pop. Brombey revient groover «Misty» au heavy groove d’I get misty. Ça joue au fond du club, là-bas, dans la fumée bleue, ils tapent un «My Foolish Heart» assez éperdu, pas loin de Liza Minnelli, lorsqu’elle souffre dans New York New York. Ça ne tient qu’à un fil de piano pur. Et puis avec «Let Go», Leon fond comme le chocolat dans la casserole. 

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             Malgré sa pochette romantique, Love’s Drippin est un bon album. L’extrême qualité du groove de Leon te monte au cerveau dès «All Around The World». Leon gère son monde fabuleusement groovy. Il enchaîne avec «Underneath Your Sweetness», bon d’accord, il groove à la mode, mais Leon est un winner, alors il winne, et comme il va toujours chercher des noises à la noise, ça finit par le rendre génial. Il travaille son groove dans la matière de la Soul, et comme Marvin, il ouvre des horizons. Il laisse filer son groove céleste dans l’azur marmoréen. Il passe au sexe avec «Saveur», il déclenche des machines organiques et des dynamiques impavides, tout est bien foutu chez Leon. Il reste dans le sexe avec «Breathe On Me». On pourrait presque parler de groove direct, c’est aussi direct que de mettre la main au cul d’une allumeuse. D’ailleurs, dans «Is It Drippin’ On Yourself», il se demande si ça goutte sur elle, ooooh baby. Il file le parfait amour avec le charme chaud d’«I’m Ooin’ You Tonight» (sic). Leon est un expert sensoriel, il chante à la glotte de velours mauve. Si on l’écoute, c’est pour des raisons précises, il faut bien l’avouer. Parfois, ses cuts sont un peu gluants, enfin, il fait comme il veut, il est chez lui, inutile de l’embêter. Il attaque son «Finger Party» à la Marvin, mais c’est avec «Hands On My Heart» qu’il rafle définitivement la mise, et pire encore, il t’embobine. C’est violemment lourd de conséquences, on pourrait même parler de dérive abdominale d’éternité parallélépipédique, de boîte oblongue de groove de Poe, Leon travaille sa sauce à l’infini thaumaturge, son groove te caresse les côtes, voilà une Beautiful Song parfaite, le must de maître Leon.

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             Une chose est sûre : tu n’écoutes pas les albums de Leon en cinq minutes. Le meilleur exemple est sans doute Moon Ride. Tu ne prends pas l’album au sérieux à cause de la pochette. Quoi ? Une bagnole américaine ? Oui, mais attention, Leon ne fait jamais de tout-venant. Comme l’album sort sur Stax, ça démarre dans la Soul et un léger parfum de diskö-funk et il faut attendre «Just Take Your Time» pour voir Leon prendre sa mesure. Il susurre dans la chaleur de ton cou, relaxsssss, il te séduit au kisssing you baby, il a très bien compris que tout tournait autour de ça, relax your mind, et derrière tu as une guitare jazz qui groove entre tes reins. On le voit tâter de l’océanique avec «Loceans» et se battre avec la Soul dans «I Never Loved So Much», mais comme Russell Crowe dans Gladiator, il se bat pour la victoire. Il renoue avec Marvin dans «To Serve You (All My Love)», il le rejoint aux jardins suspendus du firmament, c’est extraordinairement bien chanté, Leon et Marvin, même combat ! Puis il amène «Soon» à l’espagnolade et redevient le temps d’un cut magique le puissant seigneur de l’ombre que l’on sait, le roi du groove d’exotica de jazz interlope. On le voit ensuite naviguer à la surface d’«A Whisper Away», un coconut groove jazzé au piano. C’est encore de la magie pure, il fluctue dans l’entre-deux, il est fabuleusement liquide, dans la lignée de Marvin, il tient son monde dans le creux de ses mains, un monde gorgé de finesses, de piano jazz, de percus et de stand-up, tout est porté au summum, comme béni des dieux. Il plonge encore une fois dans le lagon avec «From Inside». Au-dessus de Leon et de Marvin, il n’y a plus rien. Il finit cet album miraculeux avec «Urban Nights», il y ramène encore une jazz guitar et des chœurs de soubassement. Tout est surchargé de trésors sur cet album. 

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             Paru sur le tard, Rainbow Deux pourrait bien être l’album - le double album - de sa consécration. Leon l’attaque d’ailleurs avec l’heavy-oh-so-heavy «For The Rainbow», dominé par le bassmatic d’un nommé Stephen Bruner. Le festin se poursuit en B avec «The Darkest Night», deep dark groove de dark-oh-so-dark night, rien de plus deepy dark ici bas. Il passe à la sensualité avec «Surrender Now», d’ailleurs, à l’intérieur du gateford, il signe : «The Sensual Minister, aka Leon Ware». Puis il nous emmène au paradis de la good time music avec «Summer Is Her Name». Retour aux énormités en C avec «Are You Ready» et il passe au heavy groove de samba avec «Samba Dreams», il injecte carrément de la heavyness dans le lard de la samba et c’est énorme. Avant Leon, personne n’avait pensé à le faire. Cette course paradisiaque s’achève en D avec «Let’s Go Deep» (le courant file à travers lui, comme s’il était fait de cuivre, il vibre et il chauffe) et l’heavy-oh-so-hevy exotica de «Wishful Thinking». On croit entendre Marvin accompagné par les congas de Congo Square !

    Signé : Cazengler, Leon Whore

    Leon Ware. Leon Ware. United Artists 1972

    Leon Ware. Musical Massage. Gordy 1976 

    Leon Ware. Inside Is Love. Fabulous 1979

    Leon Ware. Rockin’ You Eternally. Elektra 1981

    Leon Ware. Leon Ware. Elektra 1982

    Leon Ware. Undercover. Sling Shot Records 1987

    Leon Ware. Taste The Love. Expansion 1995

    Leon Ware. Candlelight. Expansion 2001

    Leon Ware. Love’s Drippin. P-Vine 2003

    Leon Ware. Moon Ride. Stax 2008

    Leon Ware. Rainbow Deux. Be With Records 2019

    Paul Bowler : The Engine Room/ Leon Ware. Record Collector # 531 - May 2022

     

     

    Auto Ditz

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             Ditz ? Parlons-en. Contrairement à ce qu’indique le titre, Ditz n’a strictement rien d’automatique. L’auto Ditz n’est en réalité qu’un clin d’œil à Otto Dix. Mais tiens, le hasard fait bien les choses, car par le son, Ditz rejoint Dix. Dix se fout des perspectives et Ditz aussi. Dix concasse et provoque, Ditz aussi. Dix déforme, Ditz aussi, Dix sublime la laideur, Ditz aussi. Dix trempe ses pinceaux dans la putréfaction des tranchées, Ditz aussi. Dix catalyse la barbarie, Ditz aussi. C’est dire si Dix et Ditz vont bien ensemble.

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             Ditz ? Scène de Brighton. Vazy ! On en bouffe, du Brighton : Ciel, Squid, Wytches, il en pleut comme vache qui pisse, et maintenant Ditz, avec un son Dixien concassé et d’une ampleur considérable, même si ça rôde aux frontières de la Post. Alors on débarque au concert avec les oreilles vierges, histoire d’explorer une zone inconnue. On sait juste pour avoir vu une photo dans le programme qu’ils ne sont pas très beaux et qu’ils ont une chanteuse qui n’est pas sexy non plus. D’ailleurs, tiens, la voilà, elle débarque sur scène, une grande rouquine en petite robe noire, chaussée de bottes noire à très grosses semelles. Elle arpente la scène en attendant que les autres finissent d’accorder leurs grattes déjà accordées. Elle n’a pas l’air commode, elle marche un peu comme un docker du Havre, on voit son dos nu et ses cuisses musclées. Pas trop de tatouages, un de ci de là, derrière la cuisse et sur le bras. Elle est rousse, coiffée vite fait, pas de bijoux. Quand elle commence à chanter, elle le fait avec une voix de mec. Elle a même une voix superbe, bien grave, bien décadente, et elle mène le bal. On découvrira un peu plus tard qu’elle s’appelle Cal, diminutif de Callum. Cal mène un sacré bal des vampires, Ditz tape aux portes de la démesure, deux grattes, un gros bassman hyper-présent, un beurre du diable, et ça ira ça ira les aristocrates à la lanterne. Le guitariste du fond à droite n’a pas d’image, par contre celui qu’on sous le nez à gauche est un petit chétif avec de faux airs de Ian Curtis. Ces deux mecs bâtissent des décorums pharaoniques, un peu à la manière de Greg Ahee, l’artificier en chef de Protomartyr. Il faut bien dire que le début du set est un peu laborieux, mais au fil des cuts, la pression et la température montent, et ça finit par t’exploser la calebasse, avec un son dru d’emporium en flammes, dans une quête constante d’apocalypse selon Saint-Jean, ils rivalisent d’élan cathartique avec le Pandemonium de Killing Joke, et Cal s’en va marcher sur la foule, comme une sorte de trave christique sorti d’une toile mortifère d’Otto Dix. Tu vois la mort et la décadence marcher à la surface d’une petite foule, c’est un drôle de spectacle. Heureusement qu’il est allé de l’autre côté. Pas facile d’imposer un spectacle aussi ahurissant dans une région comme celle-ci. Les Normands n’ont pas pour habitude d’aller reluquer sous la jupe d’un trave.

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             Ce mec est un fantastique showman, qui, entre deux crises apoplectiques, s’adresse aux gens d’une voix délicieusement désabusée. Il se pourrait que Cal Davis soit une rockstar en devenir. Difficile, car il s’élève à la force du poignet, sans le secours d’aucune mélodie, il n’a qu’un son âpre et ingrat à nous mettre sous la dent, alors on doit s’en contenter. Ditz est un groupe qui n’aura jamais de hit, car leur rock vise trop l’aventure de la marge. Ils développent une énergie comparable à celles d’Idles et de Protomartyr. Leur ambition paraît évidente et démesurée, mais leur concept reste strictement anti-commercial. Et malgré tout ça, ils ont deux cuts qui tapent vraiment dans le mille : «Instinct», qu’ils jouent vers la fin du set, et l’explosif «No Thanks I’m Full» qui clôt à la fois le set et leur album The Great Regression, un titre qui, au passage, sonne très Dixien.

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             Cal te chante «Instinct» dans le creux du cou, l’haleine chaude et profonde, tu adores cette proximité et derrière, c’est fabuleusement orchestré, et tellement explosif que les immeubles s’écroulent, ils tapent dans l’apanage de la fin du monde, ils mettent un point d’honneur à battre tous les records d’apoplexie. Mais c’est avec «No Thanks I’m Full» qu’ils te laissent sur ta faim, avec une fin de set comme on en voit peu, ils optent pour une violente intro Post-hardcore et le Cal entre immédiatement dans le chou du lard, il pose sa voix dans l’enfer des tranchées d’Otto Ditz, c’est puissant, bien déroulé, gorgé de power, la version enregistrée est à la hauteur, tu peux y aller si tu aimes l’embrasement sonique, ils atteignent un niveau qu’on n’imagine pas, et ça se décuple, aussi bien sur scène qu’en studio, ils sont tellement dans le full blown que ça saute partout dans la cambuse du Docteur Mabuse, c’est drivé sec par le bassman et battu à la diable. Normalement, tu ne t’en remets pas. Ou alors très difficilement. Comme d’un méchant coup de poing dans l’estomac.

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             L’album s’appelle donc The Great Regression. Ils optent pour un visuel macabre, sous film plastique, qui rappelle The Thoughts Of Emerlist Davjack des Nice, à une autre époque.

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    Ils ont un son très anglais, très énervé, ils démarrent avec le gros ragnagna de la Post, «Clocks», et enchaînent avec un «Ded Wurst» amené à la grosse cocote de la Post. Ils visent le big atmo à Momo. On comprend que ce sont des cuts de chauffe, comme d’ailleurs lors du set. Un peu plus loin, on entend les chutes du Niagara de la Post dans «Three». Ils charpentent bien leur son, ces mecs ne mégotent pas sur la mortaise. Avec «The Warden», ils se font passer pour les maîtres de la dégelée Postale. Cal tient bien son rang d’égérie des annales. Il se prend ensuite pour Kate Moss dans «I Am Kate Moss», il joue beaucoup sur le calme après la tempête. Le Cal s’accroche au son comme la moule à son rocher. Ils ont des stridences d’attaques biseautées, comme dans «He He», mais ça devient riche avec ce chant de dark angel en robe noire. Tout est très chargé musicalement, le Kate Moss sonne comme une compression de layers, avec des trucs qui grattent dans le mix et des poussées de fièvre, et voilà qu’ils enchaînent à nouveau dans la douleur de la Post avec «Teeth», ils deviennent féroces et décuplent la violence de leurs crises. Ils finissent par rivaliser de démesure avec les Pixies. Ils développent un pouvoir totalitaire.    

    Signé : Cazengler, quoi qu’il en Ditz

    Ditz. Le 106. Rouen (76). 16 février 2024

    Ditz. The Great Regression. Alcopop! Records 2022

     

     

    Les Pearlfishers enfilent des perles

     

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             Pas la peine de tourner autour du pot : les Pearlfishers, c’est David Scott, un autre surdoué du rock anglais. Cet Écossais est aussi membre actif des BMX Bandits, l’une des grandes institutions écossaises. Pour mieux situer le Scott Scott, on peut le comparer à Paddy McAlloon : il cultive exactement la même perfection du lard fumant. Et c’est aussi la raison pour laquelle ses albums sont tous réussis. Le Scott Scott squatte le paradis depuis vingt ans.

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             Le premier album de Scott Pearlfisher s’appelle The Strange Underworld Of The Tall Poppies. Il date de 1997. Graphiquement, quasiment toutes les pochettes vont se caler sur la première : une simple image de la vie quotidienne cadrée sur un fond blanc. Ouverture de bal avec «Even On A Sunday Afternoon» et Scott met la main au Paddy. Même élan pop chatoyant. Une vraie merveille. Le Scott Scott condescend dans le cours du fleuve, it doesn’t matter. Il compose comme il respire, sans effort. Il remplit des albums entiers. Son «Banana Sandwich» éclate de fraîcheur, il est tellement plein d’élan vers l’avenir - Just feeling the sun in the snow - Encore plus puissant, voici «Waiting On The Flood», il swingue son floo-ooood et t’en explose la fin, fabuleuse fin d’explosivita en gerbes de génie prévalent. Encore de la heavy pop de Scott avec «Jelly Shoes». Il vise toujours l’horizon, avec la même ampleur que Paddy God, avec des montées en puissance herculéennes. Tous ses cuts sont puissants, il fait du ric et rac de Paddy Padirac, il ne lésine pas sur l’envergure, il s’adosse aux Everglades du forever et relance en permanence son relentless. Il ne se lasse plus d’élancer. Il joue son rôle de songsmith jusqu’au bout, il gratte les poux d’«Away From It All» avec du soleil plein la bouche, il est tellement convaincu d’avance !

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             The Young Picnickers pourrait bien être son album le plus affolant. À cause notamment de ce violent coup de génie, «Every Day I Read Your Stars» qu’il attaque au jingle jangle des Byrds. Là, tu affrontes le vent du rock extrême, le cut explose dans le ciel, tu n’en reviens pas, tu entends des clap hands et des contre-coups d’«Oh Happy Day», ça explose en gerbes, c’est sa spécialité, oui les retenues viennent d’Oh Happy Day, les tombées aussi, tu imagines un peu la grandeur de la cascade ? Et il monte encore au chant à coups d’I read your stars. Le Scott Scott est en passe de devenir l’un de tes meilleurs amis, avec Paddy Padirac et Brian Wilson. Alors attends, c’est pas fini. Écoute un peu «You Justify My Life». Ce ne sont pas des choses qu’on dit à la légère. Il enchante son Justify au chat perché, il yodelle dans le bonheur, il sonne comme une superstar, mais au sens fort du terme. Et puis tu as cette pop magique d’Écosse, «We’re Gonna Save The Summer», une pop impitoyable d’éclat mordoré, gorgée de références à Big Star et à Brian Wilson, en passant par Paddy Padirac et tous les anges du paradis pop, il te plug ça dans le Summer pur, ce mec explose de bonheur, c’est tout ce qu’on entend. Il trafique aussi «We’ll Get By» à la bonne mesure, ça prend vite de l’ampleur et ça devient stupéfiant d’excelsior parégorique. On écoute le Scott Scott avec un profond respect. Il déroule une œuvre d’une infinie délicatesse. Pour son morceau titre, il descend dans un groove à taille humaine. C’est très impressionnant, il dépote là un instro de fête foraine, il y a de la magie dans ses Young Picnickers. Quand il fait de la power pop («Once There Was A Man»), il sonne comme Martin Carr ou Paddy Padirac, c’est le même genre de gabarit impérieux. 

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             S’enfoncer dans le dédale des albums de David Scott, c’est une façon de se noyer dans l’excellence. Across The Milky Way est encore un album remarquable, dont le joyau s’appelle «We’ll Be The Summer». Bienvenue dans le domaine royal de David Scott. Il commence par te groover le bas des reins. Oh rien de sexuel là-dedans, il swingue sa pop avec panache et il emprunte les bah-bah-bah de Brian Wilson. «Steady With You» pourrait sortir d’un album de Paddy. Scottish Scott s’y livre à de prodigieuses accélérations. Sa pop peut être aussi évangélique et se montrer digne des Beatles (le morceau titre). Scottish Scott soigne sa droite. On attend que tombent les hits, comme au temps de Grandaddy. Tiens, en voilà un : «New Stars». Quand tu entends ça, tu sais où tu mets les pieds. Ses harmonies vocales éclatent au Sénégal d’Écosse. Il y a du Big Star là-dedans. Il attaque l’«I Was A Cowboy» à la Lennon et on s’effare de la qualité du sucre dans «Sweet William», mais aussi de la qualité de la prod, de la qualité de tout. Oui car tout sur cet album sent bon l’esprit. Il continue d’exploiter ses inépuisables réserves naturelles avec «Shine It Out». Il repart toujours à l’assaut, avec chaque fois la même grâce. Il rappelle parfois les grandes heures de Belle & Sebastian. Il tartine son «Where The Highway Ends» en contre-bas et il termine cet album idyllique avec un «Is It Any Wonder» salué aux trompettes urbaines. Il fait du pur Paddy, même voix, même sens aigu de la magie pop, celle qui filtre sous la toile du cirque. Te voilà donc avec un nouveau génie sur les bras. David Scott coule de source, comme Martin Carr, Brian Wilson ou encore Michael Head.

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             Continuons de voyager au paradis de la pop avec Sky Meadows. Il y rend un hommage qu’il faut bien qualifier de mythique à Todd of the pop : «Todd Is God». Ils sortent tous les deux de la même fontaine de jouvence. David Scott chante comme le Todd du temps de Something/Anything. Il démarre aussi l’album avec «Flora Belle» qu’il faut hélas qualifier une fois encore de coup de génie. Il l’attaque à la Paddy, il grimpe tout de suite à un très haut niveau d’intellect mélodique, te voilà conquis, amigo, inutile de résister, David Scott est un empereur génial, tu vas lui donner tout ce que tu possèdes, ta femme, les clés de ta bagnole, ta carte bleue, tes mots de passe sur internet, t’es content de lui donner tout ça en mains propres, tiens mon David, c’est pour toi, et en échange, il va te déverser des torrents de beauté dans les oreilles, alors tu peux te dire heureux d’avoir croisé son chemin. «Sky Meadows» est encore une fois du pur Paddy, David Scott suit la voix tracée par son maître. Même chose avec «My Dad The Weatherfan», ça tourne en pop de rêve à la McAlloon. David Scott s’amuse en permanence, il fait plaisir à voir. Avec «I Can’t Believe You Met Nancy», il te lèche les bottes, il t’abreuve dans le désert, il t’initie à l’harmonie d’un jour naissant. Il repart à la conquête de la perfection avec «Haricot Bean And Bill» qu’il arrose de big guitars et termine avec «Say Goodbye To The Fairground», qui semble aussi sortir du cerveau psychédélique de Paddy Padirac : même magie évanescente. C’est de l’extrême pureté pop, David Scott revient toujours à Paddy par la bande. 

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             Paru en 2004, A Sunflower At Christmas est un album heureusement beaucoup moins dense. Ça permet aux oreilles de se reposer. Le «Snowboardin’» d’ouverture de bal sonne comme une pop magique et automatique digne de celle de Brian Wilson : même élan vers l’éternité. Le Scott Scott monte bien ses éclats d’harmonies vocales. Et le «Winter Roads» qui suit est du pur Paddy. On se croirait sur Jordan: The Comeback. Même volonté de parcours initiatique. Et puis après ça se calme terriblement. Le Scott Scott tient néanmoins très bien sa maison. Ce n’est pas le genre de mec qu’on repasse à la pattemouille. C’est un maître de forge. Comme Totor, il fait son Christmas album.  

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             Par contre, ça chauffe terriblement avec Up With The Larks. Shindig! lui attribue 5 étoiles, ça les vaut largement. L’album grouille de puces, et ce dès le morceau titre, un shoot d’heavy power pop sur-déterminée. On se voit une fois encore contraint de parler de magie. Il s’agit là de sunshine pop révélatoire. Et ça continue avec «The Blue Bells», tu tombes dans le fleuve pour de vrai, tout est beau, les violons, le chant. David Scott, pur genius. Le Pearlfisher enfile les hits comme des perles, «Send Me A Letter» (heavy groove d’excelsior), «The Umbrellas Of Shibuya» (big Glasgow sound), «Womack & Womack» (il plonge dans la diskö de Womack & Womack, mais avec sa bravado de Glasgow, il met tout à sa main, comme le fait Martin Carr à Liverpool), «London’s In Love» (heavy balladif de sensation forte, il évoque les busy streets of London, c’est du si haut niveau ! Il éclate ça au chat perché, final explosif). Avec «Eco Schools», il va chercher la difficulté harmonique pour se l’approprier. David Scott est un effarant songsmith, il navigue au niveau des grands compositeurs américains de type Brian Wilson ou Jimmy Webb, mais avec le petit truc de Glasgow en plus. Il chante son «Blue Riders On The Rage» à la pointe de la glotte, au pur feeling. Cet mec est une authentique superstar. Il ne vit que pour l’échappée belle. Son «Ring The Bells For A Day» est heavy as hell, il monte ça aux harmonies vocales, tout est harponné là-haut. 

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             On retrouve de sacrés clins d’yeux à Paddy Padirac sur Open Up Your Coloring Book : «You Can’t Escape The Way You Feel» et «A Christmas Tree In A Hurricane». T’es baisé car te voilà obligé de te prosterner. Le Scott Scott règne sur la pop avec bienveillance. Rien de plus Padirac que le Christmas Tree, il chante ça avec le même grain de voix. Le hit de l’album s’appelle «Gone In The Winter». Il tombe le rideau. David Scott a une réelle autorité. Il est le roi de la grosse attraction. Il sait faire monter la sauce. Il sait aussi teinter sa pop de Soul comme le montre «Diamonds». Réflexe magique. Il fait sa fable de La Fontaine avec «A Peacock And A King». Il joue ça au piano et se montre une nouvelle fois délicieusement fondu de Paddy Padirac. Il travaille tout au corps sur cet album, tout est beau, sculpté dans le cristal. Scottish Scott est le Rodin du Paddy rock. Il semble naviguer dans l’inconscient collectif. Tous les cuts font six minutes. Il a besoin de temps pour se développer. Il poursuit la pop de ses attentions. Mais il ne se montre jamais pressant. Il est ardent, mais ne le montre pas. C’est un charmeur. Il sait qu’elle viendra à lui au bout de six minutes.

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             Son dernier album en date s’appelle Love & Other Hopeless Things. Il fait encore son Paddy au soleil d’Écosse avec «Could Be A Street Could Be A Street». Même power. Même imparabilité des choses. Même volonté d’épanouissement. All my life. Power pur ! Il passe en mode fast pop vampirique avec «You’ll Miss Her When She’ Gone», il survole le monde avec ses ailes de vampire génial à la Joann Sfar, il gratte ses poux avec passion. La passion, c’est ce qu’il faut retenir de ce mec. Magnifique encore, ce «You Can Take Me There» ponctué par des gonzesses intrusives. Il refait son Paddy avec «Once I Lived In London» et passe au heavy Pearl avec «One For The Bairns». Il se montre encore inlassable avec «I Couldn’t Stop The Tide». Du coup, tu t’en lasses plus.

    Signé : Cazengler, Pearl Harbour

    The Pearlfishers. The Strange Underworld Of The Tall Poppies. Marina Records 1997

    The Pearlfishers. The Young Picnickers. Marina Records 1999

    The Pearlfishers. Across The Milky Way. Marina Records 2001

    The Pearlfishers. Sky Meadows. Marina Records 2003

    The Pearlfishers. A Sunflower At Christmas. Marina Records 2004 

    The Pearlfishers. Up With The Larks. Marina Records 2007

    The Pearlfishers. Open Up Your Coloring Book. Marina Records 2014

    The Pearlfishers. Love & Other Hopeless Things. Marina Records 2019

     

    *

    Demain le printemps, tiens des oiseaux se sont installés dans la boîte à lettres. Approchons-nous doucement pour ne pas les effrayer. Brr ! ça croasse méchamment là-dedans, sûrement pas des mésanges, encore moins des anges !  Je n’ose pas ouvrir. Un rocker n’a jamais peur. Vivement je tire la porte ! Aucune bête à plumes, juste une épaisse enveloppe d’un blanc virginal !  Bien compris comme disait Vince Taylor, c’est le nouveau :

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 29

    AVRIL  – MAI – JUIN ( 2024 )

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            Une fois n’est pas coutume, l’on saute pratiquement à la fin de la revue, la situation est grave, je vous rassure, pas pour nous (quoique si l’on y pense un peu…), pour un groupe que nous aimons bien. Nous les avons vus sur le blogue à plusieurs reprises en concert et ils étaient sur la couve du numéro 2 de Rockabilly Generation News, les WiseGuys, nos garçons avisés ont donné un nom anglais à leur formation, jusqu’ici rien d’original pour un groupe de rockabilly, oui mais ils sont ukrainiens… Nous avions reçu quelques nouvelles au tout début du conflit, mais depuis plus rien. C’est donc un plaisir de les savoir encore vivants. L’on espère pour longtemps, Saturnus le batteur : En marchant dans la rue il a été ‘’invité’’ par les recruteurs à rejoindre l’armée. Nous lui souhaitons bonne chance…

             Chris nous parle de l’ambiance, beaucoup d’alertes journalières, des bombes pleuvent un peu partout, la mort peut survenir à chaque instant, le moral n’est pas très bon, il lui semble que l’Ukraine est bien seule… elle reçoit de l’aide mais ce dont elle a le plus besoin, ce sont des armes… Le groupe réussit à donner quelques concerts, les bénéfices sont en très grande partie pour l’armée et des associations d’aide à la population… Chris n’est pas optimiste… On le sent désemparé, avec ce sentiment désagréable de ne pouvoir peser en aucune manière sur la suite des évènements…

             Je pense que la majorité de nos lecteurs sont au courant de la situation, mais l’entendre raconter avec ses mots à lui, par quelqu’un qui partage notre passion rock, avec qui l’on a vécu de festives soirées, les mots pèsent plus lourd. Oui la guerre est faite pour tuer les gens.

             Un beau portrait de Lavern Baker en page 2, la beauté des femmes nous fait oublier la laideur des hommes. Jean-Louis Rancurel nous offre des photos d’une époque beaucoup plus insouciante, celle de la naissance du rock français, focus sur Danny Boy et ses Pénitents, l’est vrai que des pionniers français du rock Danny reste l’un des plus oubliés. Moi-même j’avoue avoir fait l’impasse sur lui et sur ses premières apparitions discographiques sous le nom de Claude Piron, en tout cas l’article de Jean-LouisRancurel est savoureux à lire autant pour le photographe que pour le chanteur, un monde où tout semblait possible, même si le miroir du rêve s’est cassé assez vite… Les noirs et blancs de Rancurel sont magnifiques et surprenants d’authenticité…

             Sautons page 22 retrouver Lavern Baker, J. Bollinger réussit en deux pages, malgré la place prise par les documents d’époque à nous apprendre un tas de détails ignorés. Il est vrai que dès que surgit le nom de Lavern Baker dans notre tête résonne sa voix et l’on ne pense plus à rien… Elle est une des racines du rock certes mais aussi une de ses plus belles frondaisons.

             Whaow !!! de tous les posters publiés par Rockabilly c’est le plus fort, un coup de poing dans les yeux arrachés, le prince du rock’n’roll est-il marqué sur la couverture, un prince comme on les aime, wild and rock, quand j’aurais ajouté un émule de Jerry Lou, il a été adoubé par le Maître in person, l’interview de Lewis Jordan Brown est passionnante, une personnalité de rocker jusqu’au bout des doigts (de pieds aussi), mais qui se défend d’être puriste. Un être libre. Les photos de Sergio sont sublimes, sur  la toute dernière, l’on dirait un portrait d’Arsène Lupin, un parfait gentleman, pas cambrioleur, mais cabrioleur si l’on en juge de ses acrobaties sur son piano.

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    Info ultra-secrète : vous retrouvez le jeune prince en live à Quimper accompagné par les Starlights. Pas de répétition, et en avant non pas la musique, mais la folie. Y avait du monde à Quimper, en ce début de janvier pour fêter 2024, sur scène les Big Shots et les Evil Teds, en dehors des planches Marc et Rozenn les organisateurs, l’article est précis et chacun des protagonistes de cette soirée est assez longuement présenté, textes et photos.

    L’on arrive à la fin, pardon au début, au tout début d’une longue aventure, les grandes personnes ont souvent de mauvaises influences sur les enfants, prenons au hasard le grand-père de Tiloé qui l’a biberonné au rock’n’roll, les chats engendrent des cats c’est bien connu, du haut de ses neuf ans et demi il lit Rockabilly Generation, il apprend la guitare, il est imbattable sur Elvis. Un futur prince du rock’n’roll.

             Plein d’autres choses, les reports sur le dix-huitième Rockin’Gone, l’Atomic Rockin’ de décembre 2023, le Good Rockin’Tonight du 24 février dernier par exemple, vous aimeriez tout savoir sans payer, vous avez raison, mais c’est encore mieux de s’abonner !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

    Je les croisais souvent à Toulouse. A la fin des années 70. Faciles à reconnaître. Portaient toujours leurs instruments à la main ou sous le bras, avec une obstination que je qualifierai d’Egyptienne.  En tout cas ils ont édifié une des premières pyramides sonores du rockabilly français.

    En 1978, Jezebel Rock sort en 1978 un 45 tours sur le petit label toulousain de Gérard Vincent : Baccara International. Deux titres : Can you feel it et Peggy Sue. Plus tard en 1979 un nouveau 45 sur Oxygène un curieux label, un peu passé dans les oubliettes, qui s’était fait la spécialité d’enregistrer des groupes et chanteurs français de tous genres, ils publient un deuxième deux titres : Teenage queen et That’s all right. Le nom du groupe évoque Gene Vincent, c’est pourtant deux des titres les plus célèbres de Buddy Holly que l’on trouve sur ces deux disques.

    En 1979 rencontre avec Jacky Chalard en train de monter le légendaire label, made in France, Big Beat RecordJacky Chalard ex-bassiste de Dynastie Crisis groupe qui accompagna Dick Rivers sur Dick’n’Roll et Rock Machine enregistrés au studio Condorcet à Toulouse. Ces deux albums parus en 1971 et 1972 constitués en leurs majeures parties de classiques issus de répertoires des pionniers marquent le début de l’intérêt porté au rock’n’roll des origines, qui se concrétisera au début de la décennie suivante par la rockabillyenne explosion des Stray Cats…

    Mais nous n’en sommes pas encore là, Jezebel Rock est des un des tout premiers groupes issus de nos lointaines provinces françaises qui s’acharne à redécouvrir le legs américain originel, à l’époque au mieux ignoré, au pire décrié, dans le seul but de le remettre au goût du jour tout en y imprimant leur propre marque.

    Il n’était pas simple de trouver des disques old rock dans le Sud-Ouest de la France en ces époques de disette rock, heureusement qu’à Toulouse la boutique de Jacky Allen vous permettait d’acquérir pour 3 ou 6 francs bien des merveilles…

    ROUTES OF ROCK

    JEZEBEL ROCK

    (Big Beat Records / 0001

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    La photo (les deux premiers 45 n’en portent pas) et les notes de présentation sont d’Alain Mallaret, un infatigable activiste rock, auquel nous devons beaucoup, qui durant des années tint le blogue Roll Call, nous en avons parlé et encouragé nos lecteurs à écrire auprès de l’hébergeur lorsqu’il fut désactivé, il fut aussi le directeur de la revue, Big Beat Magazine, à l’origine sur papier puis numérique.  

    Jean-Jacques Moncet : guitare, chant / Denis Rebeillard : basse / Gérard Moncet : batterie.

    Hot doc boogie : dès l’intro l’on sait que le toubib nous a refilé le bon sirop, une guitare caramel à pointe d’asperge à l’arsenic, une basse qui joue à saute kangourou, et une batteuse qui décalque les tickets de métro à la perfection, que demander de plus, surtout qu’il y a cette voix qui a l’air d’échapper à l’attraction terrestre à chaque fin de ligne, deux minutes de perfection, c’est peu mais en notre monde de brutes l’on ne peut espérer davantage. La finesse de Buddy Holly mais sur un groove de bop. Le rockab parfait, rien de trop, rien de moins. Moonstruck : z’avez pas le temps de respirer que le vocal vous cueille comme une marguerite sur le bord du chemin, vous avez le moteur qui gronde en-dessous pas trop fort, juste assez pour vous inquiéter et la guitare qui s’amuse à imiter un jeu de bielles qui se déglingue, prennent leur temps, un soupçon de rhythm ‘n’ blues et c’est parti pour un balade sous la lune glauque, vous n’avez pas l’impression mademoiselle que peu à peu le chauffeur parle à l'astre sélénique comme un loup. Brand new lover : la légèreté entraînante du rockabilly, tout dans la voix, pour un peu vous vous laisseriez faire, attention, c’est aussi piégeux qu’un bayou, vos croyez avoir posé le pied sur une branche d’arbre, c’est un museau d’alligator, qui se pourlèche les babines. Caroline : le Jean-Jacques vous imite le timbre de Buddy à la perfection, ce côté innocent et candide qui vous pousserait à lui donner le bon dieu sans confession, le slow insidieux qui perdra le petit chaperon rouge. Crazy beat : rien à voir avec le Crazy beat de Gene Vincent, deux titres sur lesquels ils viennent de jouer les jolis cœurs, alors ce coup-ci ils sortent la grosse artillerie, ce Diddley Beat qui affleure dans les titres les plus rentre-dedans d’Holly, cette noirceur africaine de forêts primaires dont les fourmis vous rongeront les chairs jusqu’aux os. Le pire c’est que l’on adore.

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    Teenage queen : la voix de Jean-Jacques Moncet claudique gentiment, nous font le coup du charme, son frère Gérard donne le rythme mais essaie de ne pas faire trop de bruit. La basse de Denis caresse gentiment le bouton du plaisir des jeunes adolescentes en fleur. Boppin’ cat boogie : (slow version) : le rockab est pliable corvéable à merci, vous pouvez tout faire avec lui. Vous le voulez tout doux, voici une petite merveille, pour les enfants, un véritable dessin animé, une voix typiquement américaine, une basse qui joue au petit train, c’est mignon tout plein. Boppin’ cat boogie : (fast version) : attention, version pour les plus grands, une guitare qui pétille comme un feu de joie, une ambiance cow-boy en mode détente. Oui l’on danse, mais le colt toujours à la ceinture. Ne tirent pas, ils aiment toutefois le dégainer pour se faire respecter. Truckin’ babe : sucré comme une fraise tagada, un peu trop, un peu trop long aussi. S’amusent bien mais l’on s’ennuie un peu. Elle y met vraiment de la mauvaise volonté à ne pas revenir à la maison.  Mercy go round : un instrumental, davantage en place que bien des premiers groupes français des sixties, mais il manque l’audace de proposer quelque chose de neuf. Osons le mot : de moderne.

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             Avec ce premier 25 centimètres de compositions Jezebel Rock recherchait avant tout l’authenticité. Pour un jeune public aux oreilles façonnées par Deep Purple, Zeppelin et consorts, c’était un son nouveau venu de nulle part. Soit on (beaucoup) s’en moquait, soit on (beaucoup moins) adorait. Jezebel aurait attiré davantage s’ils avaient été fans d’Eddie Cochran et de sa guitare accrocheuse, mais non eux c’était Buddy Holly, sa finesse, sa légèreté, sa fluidité…

             Pour ceux qui connaissaient les originaux, ce fut un signe, on louait leur courage de se tenir au plus près d’une production des premiers rockers qui n’ont pas toujours été rock à fond de train dans leur discographie… on pressentait qu’ils rouvraient une route abandonnée depuis longtemps, et l’on attendait la suite… Qui finit par arriver. Un disque de pionnier en quelque sorte.  

    Damie Chad.

    Si Jacky Chalard vous raconte l’épopée de Big Beat Record ainsi que celle de sa vie dans un numéro de Rockabilly Generation News. Lequel. Vous n’avez qu’à tous les relire !

     

    *

    Avouez que lorsque vous êtes fan de Vince Taylor et que vous tombez sur l’inscription suivante comme titre d’une vidéo : ‘’Vince Taylor buvait beaucoup parce qu’il avait du temps à perdre’’, vous perdez votre respiration, vous suffoquez, vous frisez la crise cardiaque, une envie de meurtre vous saisit, bref vous cherchez à en savoir plus.

    JOHN LANNY

                    Au début vous ne le voyez même pas, vos yeux sont fixés sur l’écran TV géant, l’on y cause de Vince Taylor à Mâcon, une des parties les plus vertigineuses de sa vie,  lisez Vince Taylor- Le Perdant magnifique de Thierry Liesenfield, l’on explique que Vince Taylor buvait pour se sevrer de la drogue, mais le gars qui passe sans arrêt devant l’écran devient gênant, l’attire manifestement l’attention sur lui, je le reluque : n’arrête pas de se verser des verres ( à la relecture je m’aperçois que j’avais écrit des rêves) de vin rouge, manifeste ainsi sa solidarité avec l’ange noir, bientôt il éteint la télé et commence à parler. N’arrête pas durant vingt minutes. Non ce n’est pas un pochtron qui radote, l’est soul mais l’a toute son âme. L’avoue sans drame ni larme sa dépendance à l’alcool. Parfois les anges ont besoin d’une béquille pour voler. Pas une infirmité, il suffit de savoir lire les signes pour comprendre les manquements des êtres humains à leur imperfection.  Cause des gens qu’il aime, sur certains comme Yves Mourousi ou Laure Adler, je ne dirai rien, ils ne font pas partie de mon monde. Mais il cite aussi Elvis, Chucky Chucka (ainsi le nomme notre Cart Zengler), Jerry Lou, et le petit Richard, son quatuor gagnant. Plein d’autres aussi.

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             L’est émouvant, un fracassé du rock’n’roll, nous sommes tous des fracassés du rock’n’roll, chez certains ça se voit davantage, peut-être parce qu’ils se sont davantage brûlés que les autres… John Lanny est un être authentique puisqu’il ressemble à lui-même, à nous aussi.

             Sur son site YT vous trouverez des tas de vidéos. L’est aussi connu sous un autre pseudo, Sammy Ace. Chanteur. Fête ses cinquante ans en donnant un concert au Rio’s Banana Club à Golfe-Juan. ‘’Dans ma vie j’ai réussi à survivre sans argent mais je n’ai jamais réussi à survivre sans reconnaissance’’ déclare-t-il, alors allez faire un tour sur sa chaîne. Vous y rencontrez un être humain. C’est rare par ces temps qui courent. A leur perte.

    Damie Chad.

     

    *

    Sans être un masochiste invétéré vu le plaisir que j’ai pris à écouter l’album Nature Morte la semaine dernière, je m’impose de mon chef derechef une douce pénitence onirique en écoutant leur précédent album.

    VESTIGE

    PENITENCE ONIRIQUE

    (Les Acteurs de l’Ombre / Juillet 2019)

    Une phrase de Philippe Muray est pour ainsi dire mise en exergue de cet album : ‘’ Le monde est ce qui doit être subi de toute façon sans possibilité de le critiquer et encore moins de le combattre.’’ Cette citation ne permet pas de comprendre directement les textes de Vestige, en les lisant abruptement ils m’ont évoqué Les minutes de sable mémorial d’Alfred Jarry, par contre de mieux intuiter le sens du nom du groupe. Je rangerais Philippe Muray dans les nouveaux réactionnaires. Ces écrivains qui considèrent, notons qu’ils n’ont pas tort, la Modernité comme une catastrophe. Très logiquement l’on peut en conclure que vivre en nos âges délétères équivaut à une terrible pénitence. Selon Muray la modernité est une prison dont on ne peut physiquement s’échapper, la seule évasion reste donc le rêve.

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    La critique de Muray envers notre époque n’est pas sans fondement. Il fustige ce que j’appellerai le carcan métaphysique de la Morale érigée en dogme absolu qui condamne tout déviationisme normatif, à tel point que tout est permis à la condition expresse de ne pas sortir de cette notion de permissivité, l’individu se retrouve ainsi dans une solitude incapacitante prisonnier de sa propre individualité, puisqu’il lui est interdit de penser la globalité du monde. Un seul hiatus à cette vision de la modernité : Muray pense que son déploiement repose sur l’hégémonie d’une idéologie gauchisante. Il ne le dit pas expressément mais il le sous-entend si fort qu’il en oublie que toute critique d’une idéologie (quelle qu’elle soit) appartient elle-même à un discours idéologique. Toute critique idéologique est par essence idéologique. Souvent d’ailleurs, sous prétexte qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, nos idéologues naviguent selon le courant, très à gauche quand l’air du temps porte à gauche, très à droite quand l’air du temps s’incline à droite. Pensons au Foucault de Surveiller et punir et au Foucault du début des années quatre-vingt qui penche de plus en plus vers l’idéologie libérale. La mort l’empêchera de faire le grand saut. Le plus grand défaut des écrivains est de se prendre pour des penseurs.  Ce paragraphe critique relève évidemment de l’idéologie.

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    La couve est d’Aurore Lepheliponnat. (Voir notre chronique de Nature Morte dans notre livraison 637 du 21 / 03 / 2024). Un visage d’homme, assez âgé. Aucun détail ne peut nous aider à trouver son identité. Le portrait est posé sur un fond noir de toute opacité. Ce n’est pas quelqu’un de célèbre, mais sa mise en évidence péremptoire indique que ce n’est pas n’importe qui. Une seule solution s’impose, si cette tête ne nous dit rien, ce sont les morceaux de l’album qui vont nous révéler son identité, au sens large du terme. Un portrait intérieur en quelque sorte. Le titre de l’album nous aide à comprendre : Vestige, l’homme n’est pas un croulant, encore moins un écroulé de la vie, son visage porte les traces de ceux qui ont beaucoup vécu. Mais de tout ce qu’il a traversé, il ne reste rien, il ne reste que lui, les vestiges sont enfouis en lui, il peut les ressusciter en lui, dans sa pensée.

    Dimiourgos : basse / Noktürnos : guitare / Cathbad : drums / Bellovesos : guitar, sampler / Ebrietas : vocal / Vorace : guitare.

    Le corps gelé de Lise : comme des traits de neige qui tombent, je m’inspire de la vidéo, la musique vient jusqu’à former une épaisse couche tympanique qui glisse vers vous, et la voix qui sludge en allongé avec par derrière comme des bises froides et sifflantes, des chœurs s’en viennent et s’en vont preuve que l’on est en un endroit sanctifié où resonnent les échos du passé et du présent, il est beaucoup de reines qui portent le prénom de Lise (Elise, Elisabeth, Isabelle) en voici une statufiée, ciselée en une belle strophe ornée d’or, dans un lieu sacré et royal, le temps a passé, elle n’est plus qu’un objet touristique de curiosité, une foule renégate dont la seule présence est un blasphème à ce qui a été, ils l’entourent de leur haine et de leur rejet, mais un rayon de soleil illumine sa couronne et la désigne souveraine à ceux qui l’exècrent et ne voient en elle qu’un épisode historial honni, il faudra un jour futur les chasser. Ampleurs sonores comme rappel des lourdes tapisseries des châteaux en feu, ravagés par les forces révolutionnaires, qui se tordent sous le souffle dégagé par la violence de l’incendie, une clameur vengeresse qui pousse le passé devant la porte du présent. Haine contre haine. Tumulte oratorien. Pour le Roi ! l’on baise la lame, avant le duel final espéré. La Cité des larmes : grondements, il faut battre le fer tant qu’il est froid, la cité est en ruines mais qu’importe les murailles démantelées, là n’est pas le drame, il est une autre cité répliquée à l’infini dont la situation est beaucoup plus dramatique, ce sont les âmes égarées en elles-mêmes de nos contemporains, leurs esprits défaillants, une foule d’esclaves qui ne pensent qu’à se plaindre de leur situation désastreuse, alors qu’ils devraient s’atteler à relever les murailles  écroulées de leur citadelle intérieure,  que dire de plus, le vocal est pour ainsi dire intermittent, il faut déjà se débattre soi-même contre les sables stériles qui nous assiègent, la musique souffle en rafales infinies comme le vent porteur des miasmes de l’engloutissement, il ne tient qu’à nous, à chacun, à moi, de préserver le lointain souvenir de ce qui n’est plus, de ce qui a été, juste survivre au milieu de la délétère autoflagellation universelle, se battre jusqu’au bout, être soi-même le fer que rien ne pourra briser, qui résistera à la lèpre de la rouille. Les sirènes misérables : douces sonorités, des sirènes d’Ulysse émanait-il d’aussi suaves et captivantes mélodies, la mer  moutonne à l’infini, les sirènes d’aujourd’hui ne chantent pas au-dehors des hommes, leur île se trouve dans les têtes humaines, écoutez le chant qui s’allonge démesurément comme s’il racontait un étrange conte inouï et incroyable, transplantation cérébrale, nous voici au cœur de la manipulation mentale, les esclaves écoutent leurs propres voix intérieure qui se moquent d’eux, le chant se transforme en dénonciation guerrière, les esclaves ont élu des maîtres, sans quoi ils seraient des êtres libres,  leurs potentats se servent d’eux, ils croient se battre pour leur liberté, mais ils luttent contre leurs propres intérêts. Douce musique aux oreilles de leurs maîtres Hespéros : instrumental, lumière du soir, batterie lente et guitare processionnaire, toute chose s’enfuit vers son déclin, c’est ainsi que s’achèvent les rêves et le destin, nous sommes à la mitan de l’opus, nous dirigeons-nous au plus noir de la nuit... Extase exquise : non ce n’est pas la petite traîtrise pour laquelle il faut être deux pour l’accomplir, c’est la grande, car l’on n’est jamais trahi que par soi-même, la musique tisse des voiles funèbres, mais le vocal essaie d’arracher ce suaire dans lequel quiconque aimerait se rouler, abdiquer à tout jamais, se laisser emporter par la communion des esprits serviles, ne serait-ce pas la solution de fermer les yeux et de mourir à soi-même comme l’autruche qui se cache les yeux pour ne pas voir sa lâcheté, maintenant il hurle, il refuse de s’adonner à la sérénité du renoncement, il se dresse en lui-même, les dieux ne vivent que si on les pense, désormais l’énergie parcourt son corps, il triomphe de lui-même, des miasmes putrides, de ses peurs, et de ses découragements. Au bout de la nuit se profile l’aube. Souveraineté suprême : le background musical infuse l’énergie, tu as vaincu la peur, tu revois tous les obstacles mentaux qui t’ont assailli et maintenant tu rugis comme le lion face à la réalité du monde moderne, jamais tu n'as été aussi conscient de la situation mondiale, la batterie assène coup sur coup, la guitare n’a jamais été aussi cinglante, tu te lèves en toi-même, tu es ta propre volonté, ton propre dieu,  c’est ainsi que tu retrouves l’accès interdit au divin, tu éclates de joie et de certitude, tu as toujours condamné les esclaves, cela ne suffit pas, il faut d’abord ne plus revêtir cette carapace servile pour être un être libre. Libéré des autres et de soi-même. Tuer l’hydre de la modernité. Treizième travail herculéen. Vestige : un aigle funèbre fond sur toi, après l’exaltation la réalité refait surface, retrouvailles avec la même colère, la même exécration, une bataille remportée en soi n’est pas une victoire sur le monde qui s’obstine à persévérer dans son horreur tentaculaire, la catastrophe subsiste et refuse de disparaître, vestige est un vertige, pas de happy end, l’on ne dépasse pas le réel, toute ta hargne, toute ta rage ne sont pas parvenues à faire reculer le monstre, la batterie frappe d’estoc et de taille, toute pensée est réduite en poudre, l’homme est perdu, le souvenir du jardin d’éden aussi, il ne reste que la mort.

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              Il est temps de revenir à la pochette. L’Homme se souvient-il de ce qu’il fut vraiment. Les vestiges de ce qui a été affleure-t-il encore des sables de sa mémoire. Encore faut-il qu’il ait une mémoire ! Le vestige c’est lui, le sait-il seulement. Les pierres éparses de remparts écroulés gardent-elles le souvenir, ne serait-ce que le nom, du peuple qui les a édifiées et défendues… n’avons-nous pas oublié qu’autrefois nous portions l’immémorial nom d’Homme…  

             Opus noir. Celui d’une défaite annoncée. Qui a déjà eu lieu. Pénitence Onirique ne se paye pas de maux. Il dit vestige pour nous aider à comprendre qu’il n’y a plus rien à voir. Après le crépuscule wagnérien des Dieux Pénitence Onirique déclare le crépuscule des Hommes achevé. Un truc qui ne nous fait pas rêver.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

    50

    Le Chef allume un Coronado pendant que Jim Ferguson s’assied. Il n’y paraît pas mais il a jeté un regard circonspect sur la chaise que je lui ai apportée. Le gars n’est pas un perdreau de l’année, plutôt genre crotale qui fait semblant de sommeiller tapi dans l’herbe. Au deuxième regard je rectifie, un cobra royal sûr de sa force. A ne pas déranger pour des futilités. J’ai une intuition, le Chef me la confirmera en fin de soirée, non il n’est pas le directeur de la CIA pour la France, un gros calibre, il doit chapeauter tous les réseaux européens, qu’il se soit dérangé avec le micmac ukrainien actuel qu’il a sur les bras, ce doit être grave. J’apporte trois verres et une bouteille de Moonshine, il ne sourit pas quand il lit l’étiquette CUVEE JERRY LOU, CELLE QUI REND FOU ! S’en verse tout de même une grande lampée qu’il avale d’un coup, à croire qu’on lui tend un verre d’eau en plein Sahara. Il pose un mince porte-document noir sur le bureau dont il tire la fermeture éclair avec une précision. Attention me dis-je ce gars est un sniper, chaque fois qu’il s’intéresse à une cible il traite le sujet avec une efficacité maximale.

    Sans attendre il prend la parole.

             _ Chef, je vous remercie d’avoir pris contact avec nous. La mort du Professor Longhair ne nous étonne pas. Lors de mon entretien avec elle hier soir avant qu’elle ne retourne chez elle nous avions conclu que nous marchions sur un volcan… Nous ne nous trompions pas. Nous avions en lisant les rapports de notre Reconstutive Service rencontré une, comment dire, une… incongruité évènementielle dans les évènements auxquels nos deux services ont été mêlés, avec votre permission j’aimeras d’abord avoir un entretien avec l’agent Chad. Vous pouvez assister à cette conversation, toutefois je vous demanderais de ne pas y intervenir. C’est notre façon de procéder, une remarque adjacente et pertinente peut ouvrir de vastes perspectives mais un infime détail significatif qu’allait ajouter le témoin questionné sera passé sous silence puisque son esprit se tournera dans les réponses possibles à apporter à cette nouvelle injonction.

    Jim Ferguson déplie une feuille A3, je reconnais le tracé rectiligne de la rue Phillipe Daumier, deux croix rouges marquent l’endroit exact où les briseurs de murailles ont tenté de m’attirer à eux. Jim Ferguson me scrute longuement, il pose son index sur la première croix :

             _ Que s’est-il passé exactement ici ?

             _ Je marchais tranquillou, deux bras sont sortis de la muraille, mes deux chiens m’ont retenu !

             _ Ouah ! Ouah !

    Jim Ferguson ne tient aucun compte de la confirmation apportée par Molossa et Molossito.

              _ Disons que dans cette affaire c’est de l’ordre du plausible. Mais à cette deuxième croix ?

             _ Le briseur de murailles doit être vexé, il me fait un croc-en-jambe, les accompagnatrices au lieu de tenir les gamins m’assaillent à coups de parapluie, quelques gamins qui ont quitté les rangs se font écraser sur la chaussée et…

             _ Agent Chad nous ne sommes pas ici pour déblatérer sur les dégâts collatéraux… Pour ce deuxième cas nous dirons que nous sommes dans l’ordre du plausible.

    Jim Ferguson tire une deuxième feuille de son porte document, elle représente la rue Hector Marbreau elle est aussi marquée de deux croix rouges, il m’en désigne une :

             _ Là, je passe devant la vitrine d’une auto-école, cette fois ils sont deux à m’attirer, deux fortes et gaillardes commères m’arrachent à leurs étreintes.

             _ Vous les avez donc vus, une vitrine c’est transparent !

             _ Heu, je dirais oui, j’essayais de leur échapper, je suis incapable de les décrire, en toute logique je réponds oui !

             _ Hum, hum ! Passons à notre quatrième cas.

             _ Je passe devant une grille de fer forgée, je suis happée, ils me tiennent, je m’évanouis, heureusement que vos agents sont intervenus.

             _ Exactement, des agents chevronnés, issus de nos unités d’intervention les plus spécialisées. Leurs témoignages sont formels, il n’y avait personne de l’autre côté de la grille. D’après eux vous étiez comme pris d’une crise de folie, vous vous débattiez avec cette porte comme un forcené. Ils ont eu un mal fou à vous en décrocher. Dans ce dernier cas, cher Agent Chad, nous ne sommes plus dans l’ordre du plausible. Vous êtes simplement victime d’hallucination !

    Pour employer une expression populaire, je reste comme deux ronds de frites, ce satané amerloc m’a carrément traité de fou, je m’apprête à lui répondre vertement. Je n’en ai pas le temps, le Chef intervient :

             _ Cher ami, je m’étonne, je n’ignore rien du vaste travail qui vous incombe, c’est pourquoi je suis surpris que vous preniez le temps de vous interroger sur le cas d’un agent, nous le qualifierons de légèrement surmené, qui n’appartient même pas à un de vos services.

             _ Le SSR nous rend tous les jours de grands services à défendre la musique populaire de notre pays, cela mérite bien un petit renvoi d’ascenseur… toutefois je rajouterai avant de nous quitter, que l’affaire des briseurs de murailles nous intrigue vivement, évidemment l’aspect briseurs de murailles nous paraît, comment dire, des plus aléatoires. Mais je ne voudrais pas non plus abuser de votre temps. Messieurs au revoir et merci pour ce succulent Moonshine. Agent Chad, nous n’avons qu’une vie, prenez soin de votre santé.

    Deux shake-hands à vous briser l’épaule et Jim Ferguson s’éclipse en une mini-seconde.

    52

    Le Chef allume un Coronado :

             _ Voilà qui est clair comme de l'eau dr  roche, que dis-je comme de l’eau de rock !

             _ Chef vous vous rangez à son avis, tant que vous y êtes envoyez-moi à Charenton !

             _ Quelle idée bizarre, je vais finir un de ces jours par vous croire totalement madurle, filez-moi plutôt me faucher une voiture. Une grosse berline noire, vous viendrez me prendre ce soir au bas du local à 23 heures. Entre temps allez faire courir vos chiens au bois de Boulogne, qu’ils soient en forme pour cette nuit.

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    Sur la banquette arrière Molossa et Molossito font semblant de dormir. J’ai arrêté la voiture rue Marbreau, pas très loin de la grille où les briseurs de murailles ont tenté de me capturer. Je ne la quitte pas des yeux. A mes côtés le Chef fume paisiblement un Coronado.

             _ Chef, le bout incandescent de votre cigare trahit notre présence !

             _ J’espère bien, Agent Chad cessez d’admirer cette porte, vous êtes comme le fou qui regarde le doigt de celui qui lui montre la lune. 

    Je soupire, vexé je lève les yeux et fixe la maison qui se dresse derrière la grille. Dans la pénombre je la distingue mal, en tout cas, une superbe bâtisse, elle doit valoir quelques centaines de milliers d’Euros.

             _ Chef !

             _ Taisez-vous, contentez-vous de regarder.

    J’ouvre grand mes yeux, je ne vois rien. Les minutes s’égrènent lentement. Sur le siège arrière Molossa grogne en sourdine. Molossito ne tarde pas à l’imiter. What-is it ? Comment dire une parcelle de lumière un millionième de seconde sur la gauche de la façade. Non, un rayon de lune, ou l’éclairage public ! Et là maintenant le même phénomène sur la droite mais plus haut et encore le même phénomène sur le milieu, vers la porte d’entrée.

             _ Chef baissez-vous, dans le rétro une camionnette tous feux éteints !

             _ Oui, ils vont sortir, agent Chad ce n’est pas la peine de vous tapir sous le siège !

    La camionnette nous dépasse et s’arrête sur le trottoir juste à quelques mètres de la porte grillagée ! Je l’entends grincer. Je n’en crois pas mes yeux. Huit silhouettes se profilent, survêtement noir, cagoule noire, baskets noires, sans un bruit ils montent dans le véhicule qui s’éloigne. Je la suis des yeux jusqu’au bout de la rue. Elle ne tourne ni à gauche, ni à droite, elle opère un demi-tour et revient sur nous, feux toujours éteints, à petit vitesse.

             _ Agent Chad, plein-phare !

    J’obéis. Je perds pied. J’ai vraiment des hallucinations, la Camionnette est elle aussi passée en plein-phare, dans la seconde où j’ai braqué mes projecteurs sur elle, j’ai reconnu le chauffeur ! Jim Ferguson !

             _ Ah ces Ricains ils sont forts ! Ils ont les moyens, en plus ils sont sympathiques, ils nous ont fait signe, la voie est libre ! Agent Chad c’est à notre tour d’intervenir, ils ont nettoyé le chemin, mais l’on reste sur nos gardes, Molossa et Molossito devant, nous deux : Rafalos à la main !

    A suivre…