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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 713 : KR'TNT ! 713 : DANIEL JEANRENAUD / BILL HALEY / JACKIE LEE COCHRAN / BOBBY HATFIELD / WILD BILLY CHILDISH / BURNING SISTER / WITHERED / POE AND MARK Z. DANIELEWSKI / GENE VINCENT + HAROLD BRADLEY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 713

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    04 / 12 / 2025

     

     

    DANIEL JEANRENAUD / BILL HALEY

    JACKIE LEE COCHRAN / BOBBY HATFIELD

    WILD BILLY CHILDISH

    BURNING SISTER / WITHERED

    POE AND MARK Z. DANIELEWSKI

    GENE VINCENT + HAROLD BRADLEY

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 713

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - L’apocalypse selon Saint-Jeanrenaud

             Comme il n’a pas trop de grain à moudre, l’avenir du rock s’est mis à penser au néant. Quand on erre dans le désert, c’est un thème de réflexion qui vient naturellement. «Néant d’un jour, néant toujours !» Habile à bricoler des slogans, l’avenir du rock se dit qu’il aurait pu faire carrière dans la com. L’idée lui plaît tellement qu’il exulte : le néant et la com vont tellement bien ensemble ! Il en saute de joie. Submergé par cette violente décharge d’adrénaline, il n’a pas vu se dessiner au loin la silhouette d’un homme. L’avenir du rock saute encore en l’air quand l’homme n’est plus qu’à quelques mètres. D’une voix bourrue, il interpelle l’avenir du rock :

             — Zavez besoin qu’on vous aide, monsieur ?

             Brutalement ramené à la réalité, l’avenir du rock se sent très con. Sauter de joie dans le désert, c’est pas terrible. Il observe l’inconnu. L’erreur a les cheveux blancs, un gros pif et les yeux clairs. Une vraie gueule de bagnard. Il porte un gros balluchon sur l’épaule. Vexé d’avoir été surpris dans un moment d’exultation orgasmique, l’avenir du rock rétorque d’un ton grinçant :

             — Vous ai rien d’mandé ! Et puis d’abord, qu’est-ce que vous foutez là, en plein désert ?

             — Je cherche Cosette. L’auriez pas vue, par hasard, monsieur ?

             — Non ! Vous trimballez quoi dans votre balluchon ?

             — Les chandeliers en argent de l’évêque Myriel, monsieur...

             — Vous zêtes cousu de fil blanc, mon pauvre bonhomme. Vous allez me dire que vous sortez tout droit du bagne de Toulon !

             — Dix-neuf ans de travaux forcés pour le vol d’un pain, monsieur...

             — Vous êtes Jean Valjean, bien sûr !

             — On n’peut rien vous cacher monsieur...

             — Pffff... Je préfère Jeanrenaud !

     

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             C’est comme s’il arrivait tout seul sur scène avec sa légende. Et sa gratte. Veste léopard, histoire de marquer son territoire. Pompes vernies. Pas grand mais dense.

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    Taillé dans la matière dont on fait les superstars de l’underground. Rien qu’à le voir arriver, tu sais que t’en auras pour ton billet. Il met son ramshakle en route et tu bois ses paroles. Il claque ses riffs avec une nonchalance qu’on pourrait presque qualifier d’américaine, il honky-tonke son rock de Camden Cat, il navigue en père fouettard sur la grand-mare des canards, il fonctionne à l’équilibre de la titube et t’as sous les yeux un art qui ne tient qu’à un fil, but my Gawd, what a feel ! Il te gratte le rock de

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     tes rêves, t’as sous le nez une sorte nec plus ultra de la dimension artistique, tout sonne incroyablement juste, il excelle dans cet art difficile qu’est la ramasse de la rascasse électrique, il est à la fois l’héritier d’Hasil Adkins et de Fred McDowell, il a du Sleepy John Estes dans le sang des doigts, il maîtrise une technique flamboyante qui remonte jusqu’à Koerner Ray & Glover ou encore Eddie Guitar Burns, ça va loin cette affaire, car cette fabuleuse désaille te renvoie aussi à la Broke Revue de Dan Melchior, t’as le même genre de rauch, le même genre de raw, même si Daniel

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    Jeanrenaud va plus sur Chucky Chuckah, dont il salue la mémoire avec une brillante cover de «Thirty Days» qu’il expédie en mode riff-raff de la 25e heure. Il te trousse tout ça à la hussarde, son «Shake Rattle & Roll» passe comme une lettre à la poste, c’est le genre de cover qui te réconcilie avec la vie, et tu te dis que ce mec a tout compris et qu’il a tout bon. Et puis t’as cette version qu’il faut bien qualifier de faramineuse du «Suspicious Mind» de Mark James, qu’il gratte sur des riffs en escaliers, sans battre les accords, au feel pur. Ah si Chips Moman pouvait voir ça ! Te

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    voilà au sommet du lard, avec un hommage âprement suprême à Elvis. T’en vibres encore au moment où tu tapes ces quelques mots. T’as parfois des covers dans les concerts qui te marquent la mémoire au fer rouge. Ce fut le cas, il y a quelques années, lorsque Misty White, bien pétée, attaqua en rappel et à coups d’acou une version de «My Way». Pareil, sur le fil. Mais mille fois plus balèze qu’une version bien léchée avec un fucking producteur et un fucking orchestre dans un fucking studio. Le rock doit sortir du bois. 

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             Il nous vend son dernier CD, Live At The Old Waldorf June 5, 1981. T’as deux Groovies avec lui sur scène, Danny Mihm et James Ferrell. T’es tout de suite hooké

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    par l’hommage à Big Dix, «My Babe», drivé sec au bassmatic, hommage solide et merveilleusement bien intentionné. Et ça part en sucette de Wild Cat. S’ensuit un hommage à Chucky Chuckah avec «You Never Can Tell». Le Camden Cat te tape ça au mieux des possibilités. Plus loin, il en tape un autre : «No Particular Place To Go». Wild on stage ! Il tape aussi la cover du «Look Out Mabel» de GL Crockett, un rockab obscur. Dommage qu’il n’y ait pas de slap. On trouve l’original sur le That’ll Flat Git It Vol 10: Rockabilly From The Vaults Of Chess Records, pour les ceusses que ça intéresse. On se régale encore de «Good Rockin’ City». Le Camden Cat se jette tout entier dans la balance avec une véracité à toute épreuve. Et ça se termine avec un rockab fantôme, «Get Up». Et là t’as le slap et des sacrées pointes de vitesse. C’mon !

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             Comme la curiosité est un vilain défaut, on rapatrie vite fait Roundtrip Ticket, un New Rose de 1995. Son heavy boogie rock te renvoie aux Groovies. Il a un son plein d’allure, très américain. Il a Danny Mihm au beurre, donc ça swingue. Il tient bien sa dragée haute avec «Troublemaker» et la perle de l’album se planque en B : «Goldfish», un bel heavy rock chanté à la vraie voix. Il sait poser une voix sur un panier de Groovies, comme le montre encore «Half Crazy Half Cool».    

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             Dans la foulée, tu rapatries More et là attention, ça ne rigole plus ! Les Kingsnakes tapent «The Good Push» aux accords funky et c’est bien rebondi du beat. Belle presta. DJ y va au hey hey hey ! Puis tu tombes sur un authentique coup de génie : «Wild», amené au beat tribal, il rentre bien dans le chou du lard, ce beat est un régal sans égal, d’une rare puissance. Même le balladif qui suit sonne très américain («Washable Ink»). Et ça repart au heavy bass drum avec «Makin’ Money». On sent le fan de Sly. Et d’une certaine façon, DJ préfigure Jon Spencer. On reste dans le très gros niveau avec «Can’t Still Lay Down With You», un balladif scintillant, et il tape à la suite un gros clin d’œil à Dr John avec une cover d’«Iko Iko». Ce mec a tout bon, absolument tout bon. Il tape l’Iko en mode Bo. T’as une belle descente au barbu dans «I’ve Been Down». t’as du son, tu ne demandes pas ton reste. Sur «Hardwood Floor», DJ sonne comme un vieux black efféminé pas trop édenté. C’est à la fois pimpant et bienvenu, un vrai barroom blow, c’est quasiment du Skip James joyeux. Pour l’époque, il était très en avance.               

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            Son Belleville Cat date de 1995. Avec le morceau titre, il tape le rockab de Belleville. C’est sacrément bon et sensuel à la fois. Il a tout le bop de downhome, quelle merveille ! T’entends là une réinvention du rockab, à la bellevilloise. Miaou ! Le reste de ce mini-album est plus classique, dommage. Il regagne la sortie avec «I’m Coming Home», l’heavy blues du coin de la rue. Il faut le voir driver cette petite merveille !   

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             Fantastique album que ce Come On Ça Va ? DJ y sonne très américain, d’ailleurs il attaque en mode Cajun avec le morceau titre, t’as même de l’accordéon. C’est somptueux. Il a le son de la powerhouse. On retrouve ensuite l’excellent «Belleville Cat», le rockab de Belleville. Il est complètement à l’aise dans tous les genres : rockab, Cajun, r’n’b, country Soul. Il sait pusher un good push comme le montre l’hard r’n’b de «Good Push», et voilà qu’il tape un balladif de rêve chanté à la voix de rêve, «Sweeter Than Mine». C’est un hit inconnu ! Encore du fantastique dévolu dans «We’re Gonna Close Up». Il enroule son cut comme un classique, bye bye so long, t’es littéralement subjugué par la qualité des cuts. Il fait de l’heavy country Soul de blanc avec «Hard Things To Say» et il s’en va draguer du côté de Doug Sahm, à San Antonio, avec «Angelina». Ce merveilleux shouter fait encore des étincelles sur «Love Me Sometimes» - All I want/ Is you love me sometimes - Et il repasse au groove de swamp avec «Too Much Funlines (In The Neighborhood)», c’est pas loin de Creedence, mais en plus pur. Il fait son white nigger sur «Workin’ All Night» et il revient au stripped-down rockabilly avec «She Don’t Need No Guitar Man». DJ est un artiste complet.

    Signé : Cazengler, Jeanpenaud

    Daniel Jeanrenaud. La Maroquinerie. Paris XXe. 16 novembre 2025

    Kingsnakes. Roundtrip Ticket. New Rose Records 1995   

    Kingsnakes. More. Wanted 1988                                           

    Kingsnakes. Belleville Cat. Rock And Roll House Records 1995   

    Kingsnakes. Come On Ça Va ? Rock And Roll House Records 1997 

    Kingsnakes. Live At The Old Waldorf June 5 1981. Liberation Hall 2023

     

     

    Wizards & True Stars

     - Haley les bleus !

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             Le nom de Bill Haley ne signifie plus grand chose, aujourd’hui, dans le monde des smartphones. Bill qui ? Les gens connaissent Bill Amazon, ou Bill Facebook, ou Bill YouTube, mais pas Bill Haley. Dommage. Car Bill Haley est un personnage capital. Non seulement il est à l’origine de tout, mais il swingue. Dans Yeah Yeah Yeah, PolyBob s’indigne que Bill Haley ne soit pas cité dans les listes des «prime movers», «which is sad and a little ridiculous.» Les mots sont lâchés : triste et ridicule. On vit dans un monde triste et ridicule.

             Ce sont les mots de PolyBob qui ont déclenché l’envie de consacrer du temps au vieux Bill. Alors on a sorti le book de la pile des books qui attendent leur tour. Le moment était venu.

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             Suite à la lecture d’une critique élogieuse dans un Mojo d’époque, on avait rapatrié, à sa parution voici 5 ans, le beau book de Bill Haley Jr. (le fils du vieux Bill), Crazy Man Crazy - The Bill Haley Story. L’idée était de trouver un jour l’occasion de lui rendre hommage.

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             On avait pour le vieux Bill le plus profond respect : à la fin des années 50, l’un de nos très rares cadeaux de Noël fut l’album rouge Rock Around The Clock et un électrophone à piles de marque Phillips. Cet album fut le premier d’une très longue série. Après le vieux Bill, les autres arrivèrent dans l’ordre, sous forme d’EPs, Elvis, Gene Vincent, Little Richard, Eddie Cochran, Chucky Chuckah, Buddy Holly. Ils sont encore là, dans une petite caisse.

             Le Crazy Man Crazy se présente bien : un big book de 300 pages, dûment relié et doté d’une couve classique bien bâtie : portrait kitschy-kitschy de Bill avec un titre en CAP empâté, condensé et en défonce, adossé à un bloc vertical cyan 100%, et en rappel, un sous-titre en pied du même cyan, dans une typo différente, plus light et qui respire bien. On sait pour l’avoir pratiqué pendant des lustres, qu’un design graphique ne tire sa légitimité que de sa sobriété.

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             Autant l’avouer tout de suite : le book de Bill Jr. est un petit chef-d’œuvre. Il est construit comme un roman, avec des descriptions précises des maisons et des gens. Bill Jr. utilise tous les ressorts du roman pour tenir son lecteur en haleine, ce qui fait que tu ne lâches pas ce book. Tu l’avales quasiment d’un trait. Tu te demandes surtout comment l’auteur peut avoir accès à un tel niveau de détail. L’explication arrive très vite : Bill Jr. est l’un des quatre gosses que Bill a faits à Cuppy, sa deuxième épouse et qu’il a abandonnée (avec les quatre gosses) pour aller en épouser une troisième. Bill Jr. raconte surtout le calvaire qu’a enduré sa mère Cuppy qui du jour au lendemain s’est retrouvée sans rien, avec quatre bouches à nourrir. Pas de métier, pas de maison, pas de bagnole, pas de blé, pas de rien. Encore une fois, le rock ne s’arrête pas aux disks.

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             Avant d’entrer dans le dur, il est bon de rappeler qu’en 1955, le vieux Bill est le premier à décrocher un #1 avec «Rock Around The Clock», ce terrifiant mix de western swing, de r’n’b et de big band jazz. Puis Bill Jr. évoque la préhistoire du vieux Bill qui, avec ses Range Drifters, écume tout le Midwest, mais aussi le Sud et l’Est des États-Unis. Il porte un chapeau de cow-boy et rêve de devenir une star. Puis il fait un radio show, le Western Swing Hour, où il passe des «cowboy jump tunes, western songs with a beat», et il est l’un des premiers à établir un lien entre le country & western et le r’n’b - Il ne le savait pas alors, mais when that difference was finally bridged, rock’n’roll would be born - Bill a 24 ans et son plan est de mixer «Dixieland, hillbilly and western swing». Son pote Slim Allsman achète une guitare électrique qui fascine le vieux Bill, «a golden Gibson Premier with a Bigsby vibrato tailpiece, and Bill compared using it to holding thunder and lightning in his hands.» Et voilà, c’est parti.

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    Bill avec The Range Drifters

             Au moment du radio show, le vieux Bill est marié avec Dottie. Ils ont deux gosses et il ne rentre pas souvent à la maison, car il traîne tard dans les clubs et il résiste difficilement aux tentations. Le vieux Bill emmène des copines dans sa caisse, se gare au coin d’une rue et coupe le moteur. Dottie est au courant, et très vite, elle rentre chez sa mère à Salem avec ses gosses. Pour noyer sa culpabilité, le vieux Bill boit comme un trou.

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             Il a tellement écumé de clubs qu’il connaît des centaines de chansons. Il commence aussi à développer un son original - They also experimented with emphasing the second and fourth beats in traditional repetitive four-beat measures, realising that doing so pushed the songs forward and added energy an excitement - Ils combinent le r’n’b et le country & western et ajoutent un beat, ça donne un son qu’un journaliste de Billboard Magazine qualifie de «zippy western rhythm tunes». En 1951, dans le New Jersey, on commence à saluer les up-tempo preformances du vieux Bill et ses Saddlemen. Alors le vieux Bill s’enhardit : «Just go ahead and play black music and see what happens.» Il annonce au public : «We’re gonna play a little something we call Cowboy Jive.» He and the all-white Saddlemen then immediateley ripped into a slam-bam version of ‘Rock The Joint’ a tune that had been written and recorded by African-Americans - Bill avait découvert ce cut dans l’émission de Shorty the Baliff sur WPWA, «ne se doutant pas quelle influence ce cut allait avoir, non seulement en changeant sa vie mais aussi en changeant le monde.» Elvis fera exactement le même pari. Ce sont les deux grands visionnaires du XXe siècle. 

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             Au moment où le vieux Bill flaire une piste, Uncle Sam flaire la même à Memphis. Ils arrivent tous les deux à la même conclusion : taper dans la black music. Quatrième personnage clé de cette histoire : Alan Freed, King of the Moondoggers, qui tire son surnom the Moondog d’un hit de Todd Rhodes, «Blues For Red Boy». Sur son Radio Show, Alan Freed hurle dans son micro pour présenter chaque titre et gueule go go go !, puis il avale une lampée de scotch. Alan Freed invite les Saddlemen dans son Radio Show, il passe «Rock The Joint» à gogo, over and over, et il tape sur la table en gueulant «rock and roll, everybody rock and roll !». Et boom, le single se vend à 200 000 exemplaires. Puis Sam Sgro qui manage les Saddlemen conseille au vieux Bill de lâcher son chapeau de cowboy. Quoi ? Le vieux Bill ne comprend pas : «What do you mean? That’s my trade! That’s my living! That’s what I do!». Sgro a raison. Le problème, c’est que le vieux Bill se sert du chapeau pour planquer son œil mort. Alors il a l’idée de la mèche, l’hanging curl sur le front, «coaxed with pomade, as a gimmick and a diversion.» L’accroche-cœur allait devenir sa marque, his trademark.

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             Puis Bill Haley & The Saddlemen vont devenir Bill Haley & The Comets, un clin d’œil à la comète de Halley. Les Comets changent donc de costumes et les voilà en tartan, avec les cravates assorties. Un soir, après un concert, le vieux Bill demande à un gosse en ducktail et en blue jeans ce qu’il pense de sa musique. Le gosse secoue la tête, claque des doigts et dit : «Crazy man, crazy!». Alors le vieux Bill prend son stylo est écrit la phrase dans la paume de sa main, pour s’en rappeler. Petit épisode mythologique. Rentré à la maison, pendant que Cuppy prépare le repas, le vieux Bill attrape sa gratte et commence à gueuler «crazy man crazy», et «man that music’s gone». Puis il écrit d’autres couplets et ajoute un refrain, «Go! Go! Go! Go! Everybody!». Le lendemain, au studio, il joue son cut aux Comets - They transformed the song into something cool yet crazy, wild, raucous and joyful. Overseeing the whole process was studio engineer Tom Dowd, later a legendary record producer - Le single se vend à 100 000 exemplaires. 

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             Tu l’entends sur Bill Rocks, l’une des compiles les plus explosives de l’histoire des compiles. Pour une fois, ce n’est pas une compile Ace, mais une Bear. «Crazy Man Crazy» est une belle débinade montée sur le beat des reins.

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             Comme «Crazy Man Crazy» se vend bien, le vieux Bill achète sa première Cadillac, une white-and-silver Cadillac Seville d’occase. Ça se passe en 1953, un an avant qu’Elvis et Uncle Sam n’inventent le rockabilly. La même année, les Comets testent une nouvelle chanson sur scène, «(We’re Gonna) Rock Around The Clock». Sur scène, le stand-up man Marshall Lytle se couche avec sa stand-up et joue sur le dos, puis il se relève et chevauche son instrument. C’est parti ! On avait tendance à considérer le vieux Bill et ses Comets comme des pépères. Grave erreur, ce sont des wild punks. Le meilleur moyen d’en avoir le cœur net, c’est d’écouter le faramineux Bill Rocks de Bear.

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             Ça démarre en trombe avec un «(We’re Gonna) Rock Around The Clock» explosé au slap; il y va le Bill, rock/ A/ Round, t’as tout le rockab là-dedans. C’est le point de départ du XXe siècle. Encore du swing de slap avec «Shake Rattle & Roll». Les Comets sont des démons. Les Stay Cats n’ont jamais sonné aussi bien, il faut arrêter les conneries et revenir au point de départ : I said shake rattle & roll ! Tout ici est slappé dans les règles du lard, le vieux Bill charge encore la barcasse  de «Dim Dim The Lights (I Want Some Atmopshere)», il chante à la vie à la mort, et t’as derrière lui le meilleur slap du monde, encore meilleur que celui de Gene chez Capitol, ou ceux de Lew Williams et Eddie Bond. Wow, ça rocke chez le vieux Bill ! T’es encore frappé par la violence du slap dans «Happy Baby», ça te drive la carlingue, et puis ça bascule encore dans le génie avec «Mambo Rock». T’en peux plus de tout ce cirque, il faut voir le vieux Bill se jeter dans la balance. Laisse tomber les punks, c’est le vieux Bill qu’il te faut. Son «Rocket’ 88» est hallucinant de qualité, c’est du rockab primitif. Ça saxe à la vie à la mort dans «Birth Of The Boogie» et voilà l’enfer sur la terre : «Everybody razzle dazzle !». Power max avec «Razzle Sazzle», suivi de l’explosif «Two Hound Dogs». Le vieux Bill roule sur le slap du couplet. C’est un fantastique shouter, tous les cuts te parlent. Encore de la fantastique allure de la démesure avec «Rock-A-Beatin’ Boogie» et ça re-slappe de plus belle sur le «See You Later Alligator» de Bobby Charles. Cette compile est un vrai festival. Tu restes aux abois de bout en bout. Ça slappe encore à gogo sur «R-O-C-K» et l’«Hot Dog Buddy Buddy» est complètement dévastateur. Le vieux Bill a un son énorme. Tu prends n’importe quel cut et ça percute. Il rend hommage à Little Richard avec «Rip Ut Up» et t’as le slap du diable sur «Fractured» - That music fractures me! - Les Comets défoncent la rondelle des annales avec un instro du diable, «Rudy’s Rock», et le vieux Bill attaque de front «Don’t Knock The Rock». Tu prends ça dans le baba ! Avec «Skinny Minnie», il fait de l’heavy r’n’b à la Little Richard, mais le vieux Bill est blanc, alors ce n’est pas pareil. Sur les derniers cuts, on perd le slap.

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             Début de la période Decca en avril 1954. Ils entrent au Pythian Temple à Manhattan pour enregistrer. Puis Richard Brooks colle «Rock Around The Clock» dans son film, The Blackboard Jungle, qui va déclencher une petite révolution aux États-Unis, mais surtout en Angleterre. Les gosses se lèvent et dansent dans les allées des salles de cinéma. Big freakout ! Les patrons des salles flippent et baissent le volume. C’est grâce au film que le vieux Bill devient une star internationale.

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             Qui dit star dit téloche. Alors voilà Ed Sullivan, un mec pas très sympa. Mais il a des millions de téléspectateurs. Il est le star maker de l’époque. Il a fait passer plus de 10 000 artistes dans l’Ed Sullivan Show, entre 1948 et 1971. Bill Haley & His Comets sont son premier rock’n’roll act. Sullivan leur fait bien comprendre qu’il n’est pas impressionné. Il affiche même son mépris pour eux. Hors caméra il chope le vieux Bill à propos de sa kiss curl, c’est-à-dire sa mèche, et lui demande : «Is that real?» Et cet enfoiré de Sullivan ajoute : «What are you, a fag or something?» Dommage que le vieux Bill ne lui ait pas collé sa main en travers la gueule. Par

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    contre, Elvis dit son admiration au vieux Bill, qui l’emmène dans sa Cadillac. Elvis flashe sur la Cadillac et dit qu’un jour, il va s’en payer une comme la sienne, alors le vieux Bill lui donne le volant et lui propose de la conduire. Elvis dit au vieux Bill que sa chanson préférée est «Crazy Man Crazy» et que c’est elle qui l’a décidé à devenir chanteur. Ils admirent aussi tous les deux Hank Williams. Et ils deviennent de bons potes. Quand Elvis se retrouve à la même affiche que le vieux Bill, il vient lui demander la permission de jouer «Shake Rattle & Roll» et «Crazy Man Crazy». Le vieux Bill dit oui et Elvis le remercie d’un vieux thank you sir. Il dit toujours «sir» au vieux Bill, c’est une vraie marque de respect. Là t’es dans le vrai monde, avec les vrais gens intéressants. Le vieux Bill reverra Elvis en Allemagne, lors d’une tournée. Elvis est à l’armée, stationné dans le coin et il vient rendre visite à son vieil ami, histoire de lui redire que s’il n’avait pas été là, il serait toujours chauffeur de poids lourd à Memphis.

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    Bobby Charles

             Puis le vieux Bill enregistre le  "See You Later Alligator'' de Bobby Charles, le Cajun de la Nouvelle Orleans qui porte lui aussi une kiss curl, la même que celle du vieux Bill. Son See You Later Alligator s’inspire du «Later For You Baby» de Guitar Slim. Sur scène, c’est toujours le délire : le nouveau stand-up man Al Rex s’allonge sur sa stand-up qui est couchée sur le côté et joue comme s’il nageait, et pendant ce temps, Rudy Pompilli lui monte dessus pour jouer du sax - while a widely grinning Bill strummed his guitar - Quand ils tournent dans le Sud, c’est très chaud, notamment en Alabama où Nat King Cole s’est fait casser la gueule sur scène par des rednecks du Northern Alabama Citizens’ Council. Non seulement le Council n’aime pas les nègres, mais il n’aime pas non plus le rock’n’roll, et il qualifie le vieux Bill de Judas goat, pace qu’il joue de la musique de nègres. Le vieux Bill écrit dans on journal : «Those people are fanatics.» Il pense que personne ne devrait tourner dans le Sud tant que le problème du racisme n’est pas résolu. Il ne le sera d’ailleurs jamais.

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             En 1956, les Comets ont fait 300 dates et joué devant un demi-million d’Américains.  Et voilà le cœur battant du book - the book heartbeat - la première anglaise en 1957. Bill Jr. titre son chapitre ‘The second battle of Waterloo’, car c’est à la gare de Waterloo qu’a éclaté le premier pandémonium de l’histoire du rock : la foule de fans qui se jette sur la star. En fait, tout commence dans le port de Southampton : le vieux Bill et ses Comets ont traversé l’Atlantique en bateau et les hordes se jettent sur la Rolls qui emmène la star. Cuppy qui accompagne son mari éclate en sanglots alors que des centaines de gens font tanguer la Rolls pour la renverser. Bill Jr. estime à 5 000 le nombre de fans qui sont là et qui vont essayer de monter dans le train qui part pour Londres. Et ça recommence à la gare de Waterloo. Les fans arrachent le chapeau et les cheveux du vieux Bill, ils arrachent son manteau et son futal, ils lui arrachent ses gants et sa mallette, une gonzesse essaye de lui arracher son alliance et d’autres lui arrachent ses boutons. Les fans crient «We want Bill!» Le vieux Bill est blanc comme un linge mais il sourit et lâche d’un ton pince-sans-rire : «Then they must be glad to see me.» Le bordel de la Rolls recommence à Waterloo. Un bobby est obligé de monter sur le toit de la Rolls pour virer un fan qui essaye de défoncer le toit pour entrer à l’intérieur. La fan s’est fait tatouer «Bill Haley» sur le bras. Quand le cortège des Rolls réussit à quitter la gare de Waterloo, la foule chante «See You Later Alligator». C’est la presse anglaise qui qualifie l’événement de ‘Seconde bataille de Waterloo’, «history’s first serious rock’n’roll riot.» Dans le Teddy Boys de Max Décharné, Ted Carroll raconte qu’il a vu Bill Haley à Dublin. Il a réussi à se payer un billet, au balcon. Sur le cul le Ted ! - Alors ils démarrent avec «Razzle Dazzle» : ‘on your marks, get set, ready’ et sur les deux ou trois premiers accords, le rideau se lève doucement, on voyait leurs jambes sur scène and then ‘Ready steady go!’ up went the curtain, fuckin’ place erupted - Et plus loin il ajoute : «The place went fucking wild.» Sur scène, c’est l’hallali, avec un Rudy Pompili qui tombe à genoux pour passer un solo de sax, ou qui grimpe sur le dos d’Al Rex qui nage sur sa stand-up ou qui la jette en l’air comme un ballon. Et le vieux Bill gratte sa hollow-body Gibson guitar, furiously bobbing back and forth avec un perpetual grin et qui shout ses lyrics hit after hit. La presse n’en revient pas : «The joint jumped!», «The floor vibrated!». On parle même d’un «supercharged voodoo rhythm of the emperor of rock’n’roll.» Le jeune Pete Townshend voit les Comets sur scène et déclarera plus tard que ce fut «the birth of rock’n’roll for me».

             Puis le vieux Bill se met à picoler. Et tout va mal tourner. Il part en tournée en Europe et ne donne pas de nouvelles à Cuppy pendant deux mois, ce qui n’était jamais arrivé avant. Il a des poules à droite et à gauche. Dans le book de Bill Jr., le malaise conjugal prend lentement le pas sur la musique. En 1959, les Comets n’ont plus un rond. Ils ont tout dépensé. Leur heure est passée. Plus d’hits. Plus de formule magique. Le Colonel Parker propose un gros billet pour une tournée australienne de 5 jours : 50 000 $. Le vieux Bill dit non. Il n’en finit plus de prendre les mauvaises décisions. Ça devient Bill Haley & His Titanic. Sam Sgro tente désespérément de tenir les comptes. Pour pouvoir payer les salaires des Comets, il vire des gens du bureau et revend le bus de tournée, mais ça ne suffira pas. Dans le dernier tiers du book, on assiste à la fin des haricots.   

             Mais avant de sortir les mouchoirs, on va essayer de rigoler un coup, car Bill Jr. n’est pas avare d’anecdotes hilarantes. Du type de celle-là : «Scott Robert Haley, le cinquième gosse de Bill et Cuppy, est né la 26 janvier 1960. Bill emmena Cuppy au Sacred Heart Hospital dans sa pink cadillac, roulant comme un dingue sur les petites routes. Il serrait le volant si fort qu’il l’arracha. Assis sur la banquette arrière, Sam Sgro hurla : ‘Remets-le !’, ce qui fit Bill, mais sa confiance dans les Cadillacs ne fut plus la même après ça.» On soupçonne par instants Bill Jr. de voir son père comme un clown. Autre épisode tragi-comique que Bill Jr. a vécu en direct et qu’il nous rapporte ici : son frère Jimmy se coinça un jour la tête dans l’un des pieds en V de la table de la cuisine. Impossible de le décoincer. Alors Cuppy fit appel aux pompiers qui réussirent à le décoincer en graissant ses oreilles avec de la vaseline, pendant que Bill Jr. et sa sœur Joanie étaient écroulés de rire - they laughed uproariously - Et quand Cuppy fut obligée de quitter le Melody Manor, la maison familiale, saisie par le fisc, elle jeta les clés dans les hautes herbes du jardin et dit aux quatre gosses : «There’ no turning back now, kids», puis elle se mit à chanter : «We’re off to see the Wizard, the wonderful Wizard of Oz», off-key. C’est la façon qu’a Bill Jr. de saluer le cran tragi-comique de sa mère. Et pour saluer l’alcoolisme de son père, il sort ça au coin d’une page : «By now, he was drinking practically around the clock.» Fantastique ! Dernière anecdote croustillante : «Quand Elvis est mort le 16 août 1977, Bill appela Cuppy pour lui dire qu’il était toujours en vie, car il craignait qu’elle ne s’inquiète en voyant les canards titrer  «The King of Rock’n’roll is dead». Et voilà le travail.

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             Le vieux Bill devient célèbre au Mexique et il rencontre Martha Velasco qu’il va épouser, alors qu’il est encore marié avec Cuppy. Et comme aux États-unis le vieux Bill est criblé de dettes, il reste planqué au Mexique. Sam Sgro finit par jeter l’éponge et par liquider les bureaux.  Le vieux Bill ne rentrera pas chez lui pour récupérer ses disques d’or et ses trophées, ni rien de ce qui lui appartient. Il arrive chez Martha au Mexique et lui dit : «Here I am, with my guitar, my suitcase and my ass.» Il ne revoit pas non plus ses quatre gosses. Pas grave, il en fera trois autres à Martha.

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             Comme dit plus haut, le Melody Manor est vendu aux enchères pour 30 000 $. Le fisc saisit aussi tout ce qui appartient à Cuppy, y compris sa bagnole. Elle se retrouve avec RIEN : ni toit, ni métier. RIEN. Dans l’épisode, Bill Jr. parvient à faire remonter le côté extraordinairement tragique de la situation. C’est Zola en Amérique. Et bien sûr, le vieux Bill ne file pas un rond à Cuppy pour nourrir les gosses. RIEN. Pour légaliser son remariage, il demande à Cuppy de signer le papier du divorce. Il craint de se faire arrêter pour bigamie. Elle l’envoie chier. Elle n’acceptera de signer que s’il paye une pension alimentaire pour nourrir les gosses. Il lui donne rendez-vous dans un restau pourri et lui propose 300 $ pour signer. Elle a tellement besoin de ce blé qu’elle ravale sa fierté. Bill lui file aussi une bagnole d’occasion pour qu’elle puisse aller travailler. Il ajoute que la radio ne marche pas, alors Cuppy lui rétorque : «That’s OK. I’ll just sing.» C’est sa façon de dire : «Fuck you Daddy-o !»

             Alors que la carrière des Comets est au plus bas, un rock’n’roll revival a lieu en 1966 et le vieux Bill se retrouve à l’affiche de l’Alhambra, à Paris, en première partie du Spencer Davis Group et des Pretty Things.

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             Pendant ce temps, ses enfants grandissent et quand sa fille aînée Joanie atteint ses 18 ans, Cuppy l’emmène voir son père à Miami. Petite, le vieux Bill lui disait qu’elle était la prunelle de ses yeux. Mais il ne l’a jamais revue depuis qu’elle avait 9 ans. Alors elle flippe à l’idée de revoir son père. Elle s’en rend malade. À gerber. Fuck you Daddy-o !

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             Le vieux Bill tourne une dernière fois en Angleterre et le Melody Maker ne le rate pas, le qualifiant de «retired greengrocer» accompagné d’«overweight Rotarians». C’est vraiment la fin des haricots. Puis Bill JR. décide de pardonner à son père et l’appelle pour entamer un dialogue avec lui. Bill Jr. lui dit par exemple qu’il a beaucoup apprécié son dernier album, Everyone Can Rock’n’Roll et le vieux lui rétorque : «Oh so you’re a fan!». Bill Jr. le prend mal et lui met ça dans la barbe : «I’m more than a fan, I’m your son!». Alors le vieux crabe lui demande ce qu’il veut. De l’argent ? Ça se passe au téléphone, tard le soir. Bill Jr. entend son père siffler un autre verre. Puis le vieux prend sa voix des mauvais jours et balance ça : «Tu veux savoir ce que ça signifie pour moi d’avoir un fils ? I stuck my dick in your mother and you came out.» Bill Jr. est sonné, même s’il essaye de mettre ça sur le compte de l’alcool. Enfin, c’est ce qu’il écrit. 

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             Bill Jr. va monter un garage band, Bill Haley & The Satellites et enregistrer un album, Already Here. Il se met à tourner comme son père et comprend mieux ce qui s’est passé : quand on est en tournée quarante semaines par an, c’est impossible de rester attentif à ce qui se passe à la maison.    

    Signé : Cazengler, Bill halète

    Bill Haley. Bill Rocks. Bear Family Records 2006

    Bill Haley Jr. Crazy Man Crazy. The Bill Haley Story. Omnibus Press 2019

     

     

    Rockabilly boogie

     - Enfonce-toi ça dans l’ochran

     

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             Il fut un temps où les amateurs de rockab s’arrachaient les albums de Jackie Lee Cochran, et Swamp Fox en particulier, un Rollin’ Rock de 1974, enregistré comme tous les Rollin’ Rock dans le salon de Ron Weiser, avec «the slappin’ Bass»

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     de Ray Campi. Au dos de sa pochette, Ron Weiser précise que Cochran s’appelle en réalité Jackie Lee Waukeen Cochran, et que le Waukeen lui vient de sa grand-mère Cherokee. Autre détail capital : Jackie Lee Cochran vit à l’époque à la Nouvelle Orleans. T’es vite frappé par le primitivisme du morceau titre, en ouverture du balda. C’est gratté au salon. Il passe vite au rockab avec «Riverside Jump», et puis il chante son «That’s Alright Mama» avec de faux accents d’Elvis. En B, on a un peu de slap derrière «C’mon Over In The Clover» et tout bascule dans la pure rockab madness avec «Hip Shakin’ Mama». Ray Campi te claque ça au slap d’écho fatal, t’as la caisse claire et l’hip-shaker Jackie Lee ! Tu vois le beat se mettre en marche. Cette rondeur de son est incomparable. C’est trois mecs, Ron, Ray et Jackie Lee, avaient du génie.

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             Encore un Rollin’ Rock de Jackie Lee Waukeen Cochran : Rockabilly Legend. Il est un peu plus faible que le précédent. On entend de la bluette à l’eau de rose («They Oughta Call You»), de l’heavy groove de blues à la Elvis («The Walkin’ Cryin’ Blues»), et du simili-Susie Q («Lulu»). Tu passes complètement à travers le balda. Jackie Lee attaque sa B avec un joli shoot de rock’n’roll exacerbé, «Dance Doll» et tu reviens enfin aux choses sérieuses avec «Boogie Woogie Man Gonna Getcha», classique et fin, avec le slap de Ray Campi. Et ça devient réellement violent !

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             Comme son nom l’indique, Jack The Cat - The Jackie Lee Cochran Story propose une petite rétrospective de la carrière de Jackie Lee Cochran. On y retrouve quelques coups de Jarnac Rollin’ Rock, «Riverside Jump» (wild cat strut), «Hip Shakin’ Mama» (l’hit de Jack The Cat, hot as hell avec le slap de Ray Campi), mais aussi «Buy A Car», bien wild, avec des filles qui font ah ah et hi hi ! Et puis t’as ce fast rockab en B, «Mama Don’t You Think I Know It», bien pulsé du train, solide et brave, presque invincible. Avec «Ruby Pearl», Jackie Lee fait son Gene Vincent, avec tout l’ahanement sexuel dont il est capable.

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             Douze ans plus tard paraît Fiddle Fit Man. C’est ce qu’on appelle un tardif. On voit Jackie Lee gratter sa Gretsch noire sur la pochette. L’album est enregistré dans un petit studio anglais, à Wickford, Essex. Détail capital : Mike Vernon produit. Johnny & The Roccos - one of the best rock’n’roll bands around - accompagnent Jackie Lee. Il faut le dire franchement : ce tardif est une bombe. Jackie Lee attaque son morceau titre d’ouverture de balda en mode rockab pur et dur, Lincoln Carr te boppe ça net, et Jim Ficher te bat ça sec. Ambiance mystérieuse, comme si ça sortait du bois de la légende. T’entends là l’apanage du nec plus ultra. Jackie Lee chante «Out Across The Tracks» à l’arrache fatidique. Il a le diable au corps. Encore de la fantastique allure avec «Why Don’t I Leave You Alone». Il ressort ses faux accents d’Elvis. Ce mec a une classe sidérante. C’est un bonheur que de croiser sa route. Il boucle son balda avec la fantastique cavalcade de «Rock & Roll Blues», pulsé au tagada de caisse claire. Fantastique ! Encore un big shoot de rockab en B avec «She’s Mine All Mine». Jackie Lee casse encore la baraque avec le chant de «Peace Of Mind». Mike Vernon a dû se régaler d’avoir Jack The Cat dans son studio. Back to the wild rockab avec «Greasy Dollar Bill». C’est boppé dans l’esprit. Toutes les descentes de slap sont magnifiques de véracité emblématique. Fin d’album spectaculaire avec «Billy Is A Rocker». The Wild Cats are back ! Frénésie de la ferveur ardente ! T’as là le rockab de tes rêves inavouables. Rocka/ Billy is a rockahhh ! Ça t’envoie au tapis.

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             Trevor Cajaio rappelle au dos de Fiddle Fit Man que «Riverside Jump»/«Hip Shakin’ Mama» est le premier single de Jackie Lee (alors Jack Cochran) sorti sur Sims en 1956. Toujours dans les mêmes liners, on apprend que Jackie Lee a quitté le Texas fin 1956 pour s’installer en Californie. Il est repéré par l’A&R de Decca Records, un label sur lequel on trouve Johnny Caroll et Roy Hall. C’est sur Decca qu’il sort son deuxième single, «Mama Don’t You Think I Know It»/«Ruby Pearl». Il va ensuite végéter pendant dix ans, jouer dans des clubs, jusqu’à sa rencontre avec Ron Weiser, qui a déjà enregistré Ray Campi, Mac Curtis, et Chuck Higgins. Son premier album Swamp Fox sort en 1973.

    Signé : Cazengler, Jacky le Crâneur

    Jackie Lee Cochran. Swamp Fox. Rollin’ Rock 1974

    Jackie Lee Waukeen Cochran. Rockabilly Legend. Rollin’ Rock 1977

    Jackie Lee Cochran. Jack The Cat. The Jackie Lee Cochran Story. Hydra Records 1985

    Jackie Lee Cochran. Fiddle Fit Man. Off Beat 1985

     

     

    Inside the goldmine

     - Hatfield & The North

             On se croyait tout permis à l’époque. On allait chez Pierrot Hatefeau les soirs où il bossait de nuit. On sonnait et sa femme nous ouvrait. Comme on était deux bons potes à Pierrot, Stacia ne voyait aucun problème à nous laisser entrer. On allait d’abord dans la cuisine chercher des bières. On s’installait dans la grand sofa en cuir du salon. Notre sans gêne l’amusait beaucoup. Et le sien nous intriguait. On venait bien sûr pour la baiser, mais on n’imaginait pas un seul instant qu’elle pût en avoir envie. Elle était en robe de chambre très négligée, et c’est précisément ce décolleté vertigineux qui nous mettait sur la piste d’une telle déduction. On se sentait sur le point de basculer dans un univers qui nous plaisait énormément et qui était celui de l’amoralité. Et pour que ça marche, il faut des circonstance adéquates et des acteurs/actrices à la hauteur. On testait le terrain  avec les petites questions stupides habituelles du genre «T’aurais pas cahuètes ?» ou encore «T’as quoi comme musique ?», alors elle ramenait des cahuètes et nous mettait un peu de rock, mais pas trop fort, «à cause des voisins», alors on la prenait au jeu, «monte un peu, on n’entend pas», alors elle montait un peu, et on continuait de la titilller, «Pourquoi tu prends pas une mousse avec nous ?», alors elle sifflait une mousse, puis les questions se faisaient plus directives, «T’étais déjà couchée quand on est arrivés ?», elle hochait la tête en souriant, et fatalement la question suivante concernait la porte de la chambre, «Ta chambre, c’est la porte ouverte, là-bas ?» et elle hochait la tête à nouveau, alors on poussait un peu le bouchon, «Tu veux bien nous la montrer ?» et elle nous la montrait. Et arrivait ce qui devait arriver. À aucun moment, nous ne pensâmes à Pierrot Hatefeau, ni ce soir-là, ni les soirs suivants. Pauvre Pierrot Hatefeau, quel enfer devait être sa vie, entouré de gens comme nous et comme Stacia. Le vertige ne se trouve pas dans les décolletés, mais dans les examens de conscience, ces examens qu’on se garde bien de pratiquer, de peur d’avoir peur. Très peur.    

             Pendant qu’Hatefeau vivait sans le savoir l’enfer sur la terre, Hatfield créait de son côté le paradis sur la terre. Quelle belle fréquentation que celle du grand Bobby Hatfield.

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             Fantastique album que ce Messin’ In Muscle Shoals, un MGM de 1971, c’est-à-dire l’âge d’or de Muscle Shoals. Contenu comme contenant parfait. Bobby attaque avec le «You Left The Water Running» de Dan Penn. Bobby fait son white nigger et tape en plein dans le mille. Il se montre digne de Fred Neil avec «The Promised Land». Il chante avec un tact suprême, et derrière, ça gratte les poux de Muscle Shoals. Il passe au wild r’n’b avec «Shuckin’ & Jivin’», il fait son nigger on fire, il est bon le Bobby, il shake son Stax. Coup de génie en B avec le gros popotin d’«I Saw A Lark». Get it ! Il est encore plus black que les white niggers avec «The Feeling Is Right». Incroyable qualité de son niggerisme ! Il termine en beauté avec le groove syncopé du morceau titre.   

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             Belle compile Ace que The Other Brother - A Solo Anthology 1965-1970. Tony Rounce se tape les liners. Il explique par exemple que le premier album solo de Bobby n’est jamais sorti, par contre, il en propose quelques titres dans la compile, dont l’excellent «Hang-Ups» de Mann & Weil. Bobby fait bien le white nigger sur ce groove d’excelsior. Puis avec «Ebb Tide», il remonte dans le pathos des Righteous. Il se prend aussi pour Sam & Dave dans «Soul Cafe». Il tape son heavy popotin à l’accent voilé. Il arrondit bien les angles de «Cryin In The Chapel», puis il épouse à la perfection «(I Love You) For Sentimental Reasons». Il monte si haut ! Il est encore plus spectaculaire sur «What’s The Matter Baby», c’est gorgé de blue eyed, les blackettes s’épuisent à le suivre. Avec le «Paradise» d’Harry Nilsson, t’as la pop US à son sommet, t’as des dynamiques monstrueuses, des vagues orchestrales dévorées par un bassmatic carnivore. Pur génie propulsif ! Bien sûr, Totor est dans le coup. Bobby épouse encore «Unchained Melody» sous tous les angles. Cette compile est écrasante de qualité. Il passe en mode Tempts avec l’heavy Soul de «What You Want» et revient dans les bras de Goffin & King avec «So Much Love». Overdose de feeling pur. C’est hyper-orchestré. Avec Mann & Weil, le développement est plus long et plus lent, comme le montre «See That Girl». Bobby est un crooner spectaculaire.

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             Bobby n’a pas de chance car ce premier album ne sortira jamais. Il descend en 1970 enregistrer son fameux Messin’ In Muscle Shoals, et Rounce ne rate pas une si belle occasion de ramener le Penn avec «You Left The Water Running». Bobby sait driver le raw d’un Staxy Stax. Il est encore plus doux que les Beatles sur «Let It Be». Incroyable touché de voix ! Il transfigure les Beatles. Encore du pur jus de Shoals avec «If I Asked You». Imbattable. Et tu te régales encore de ce riding down to Memphis dans «The Promised Land», fabuleux de feeling kind of hungry. Encore de l’heavy Soul de Shoals avec «Show Me The Sunshine» et de la good time music avec «The Feeling Is Right». «Messin’ In Muscle Shoals» sonne comme un hit mythique avec ses deux grattes et ce bassmatic monstrueux. Il présente tous les musiciens - It’s so funky down here.

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             Richard Perry n’est pas un producteur très connu. Dans ses liners de Stay With Me - The Richard Perry Sessions, Roger Thornhill rappelle que Perry a produit Laura Nyro, les deux premiers albums de Fanny, en 1971, et le Nilsson On Schmilsson d’Harry Nilsson. C’est en 1971 qu’il rencontre Bobby et qu’il l’enregistre. C’est aussi en 1971 qu’il se rend à Londres pour enregistrer chez Apple le troisième album de Fanny, Fanny Hill. C’est là qu’il bosse avec Bobby, au studio Apple, juste avant Fanny. Ils commencent par bosser sur le «Baby Won’t You Do It» de Marvin, et sur le «What Is Life» du roi George, tiré d’All Things Must Pass. Voilà l’heavy Bobby en pleine magie. Il fait de la Soul d’Harrison. Il reste dans l’Harrison avec «Sour Milk Sea», que chanta en son temps Jackie Lomax. On a Ringo au beurre, Klaus Voorman on bass, Al Kooper on guitar, Chris Stainton on organ, avec en plus Jim Price et Bobby Keys. La bande habituelle. On retrouve aussi le vieux hit de Sharon Tandy, «Stay With Me». Bobby s’en va vite titiller la note haute, dans un bel écho à la Totor. Bobby se montre ici spectaculairement sculptural, il taille sa beauté dans le marbre du firmament, à même la falaise. Tout ça pour dire qu’on a là une version mythique. Restons dans le génie vocal avec «Oo Wee Baby I Love You». Belle entrée en lice, power d’Oo wee, avec le riff de «Get Back», courtesy of Ringo. Stomp de Soul. Pur genius ! Bizarrement, l’album ne sera jamais complété.

    Signé : Cazengler, Bobby Hot fiel

    Bobby Hatfield. Messin’ In Muscle Shoals. MGM Records 1971 

    Bobby Hatfield. The Other Brother - A Solo Anthology 1965-1970. Ace 2017

    Bobby Hatfield. Stay With Me - The Richard Perry Sessions. Omnivore Recordings 2020

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Ten)

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             Plus tu creuses et plus Big Billy te bluffe. Mais attention, il ne s’agit pas de n’importe quel bluff, c’est le Bluff Medway !

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             Un bon exemple : l’album de Kyra, paru en 1998 : Here I Am I Always Am. Ah quelle délinquante juvénile ! Il faut la voir claquer «It’s A Stick Up» et «Organic Footprint» ! Elle aggrave la délinquance juvénile ! Côté covers, elle n’est pas en reste : figure-toi qu’elle tape l’«Agitated» des Electric Eels de Cleveland. Elle te les croque tout crus, I’m so agitated, elle te screame ça au quart de poil et ça vire Sonics, alors que fait Big Billy ? Il fond sur l’Agitated comme l’aigle sur la belette avec un wild killer solo flash qui tue le mouches. T’as pas de couple plus punkish en Angleterre. L’autre cover de choc, c’est bien sûr le morceau titre, tiré des Legendary A&M Sessions de Captain Beefheart. Celui-là il faut aller le chercher ! Elle le ramène par la peau du cou, elle te tape ça à l’hard attack, elle chante du ventre, elle remonte bien le courant, Big Billy peut être fier de sa punkette belge. Elle enchaîne cette merveille de Beefheart au féminin avec «Naked», un punk-rock primitif d’un éclat sans pareil. Puis elle te monte «Louise» sur la carcasse de «Strychnine». Et t’es pas au bout de tes surprises, car voilà «Marieke», un hommage à Jacques Brel, «entre les tours de Bruges et Gand», elle donne toute sa mesure, la petite Kyra-bien Kyra-la-dernière, et son ciel flamand pleure avec toi de Bruges à Gand, elle fait le show. Elle est encore plus magnifique avec «Ego Maniac», wild Childish punk-bop. Elle saute dessus ! Magnifico ! Elle saute encore au paf du punk avec «Do Things Right» - Now I try/ And do things right - Et t’as «Today Is The Night» joué à la pire arrache, ça se casse bien la gueule et c’est fantastique. Moralité : tout ce que propose Big Billy vaut largement le détour.

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             En 2004, il produit l’album des A-Lines, You Can Touch. T’as Kyra au chant et derrière, Juju, Bongo Debbie et Delia. Elles te sonnent les cloches aussitôt «Four». Toute la ramalama du Medway Sound est là, glorieuse comme pas deux. Leur «Can’t Explain» n’est pas celui des Who, mais ça sonne comme un classique, un brin Stonesy, un brin Whoish. Le son est encore une fois d’un éclat sans pareil. Elles reviennent au pur protozozo avec «More Wax Please», c’est du vrai wild as fuck, mais pas n’importe quel fuck, celui de Medway. Elles sont infernales et Big Billy les condense à merveille. Elles passent au trash-punk avec «Sideways», ça atteint des sommets, tout est déchiré, échevelé, avec des chœurs de folles échappées de l’asile, c’est jeté dans le mur. Pur genius ! On retrouve la cover qu’avait tapée Kyra de l’«Agitated» des Electric Eels sur son album solo. Allez, on peut aller jusqu’à proclamer que c’est l’une des covers du siècle tellement c’est bon esprit. T’entends là le meilleur ramshakle d’Angleterre. Encore du wild as fuck avec «One Day», c’est saturé de mauvaises intentions, et elles passent au Medway Punk’s Not Dead avec «Day One» et t’as Juju qui passe le pire solo à deux notes qu’on ait entendu depuis celui de Pete Shelley dans «Boredom».

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             Big Billy a eu la sagesse de rééditer deux albums du William Loveday Intention qui étaient tombés dans la pattes des spéculateurs : They Wanted The Devil But I Sang Of God et Where The Black Water Slid. Vieux Big Billy sur la pochette du premier et jeune Big Billy sur la pochette du deuxième. They Wanted The Devil But I Sang Of God reste très Dylanesque. C’est le morceau titre qui ouvre le balda : vieille harangue dylanesque. Big Billy pousse bien le bouchon de Bob. T’as John Barker à l’orgue Hammond, Wolf au beurre et Jim Riley à l’harp. Ça reste dans l’esprit de «Like A Rolling Stone». «Sex & Fly’s» sonne comme de la grosse mélasse dylanesque violonnée, avec des beaux coups d’harp. Encore du violon sur l’harangue de «Truth Don’t Matter No More». Il parvient à mélanger l’early et le tardif dylanex. En B, il ramène «Viper’s Tongue» pour dénoncer avec toute la niaque dont il est encore capable. Puis il s’offre un petit coup de primitif avec «Cave (Slight Return)». Pure childisherie - I know you’re a sinner/ Ain’t no shame.

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             Where The Black Water Slid est un album d’instros enregistré comme tout le reste, par Jim Riley à Rochester. Tous les instros de l’album sont frais comme des gardons. Mais quel dommage de se priver d’un chanteur aussi exceptionnel que Wild Billy Childish.

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             Il rend aussi hommage à sa femme Juju Claudius en sortant sur son label Hangman une belle compile, It Hurts Me Still. Superbe présence vocale, dès le morceau titre. Elle est très tendancieuse et authentique ! C’est du pur jus de CTMF. Sous le nom de Jack Ketch, Big Billy écrit ça au dos : «Appearing alongside her husband and Wolf ‘still drumming’ Howard, a highlight for many has been when Julie pens her own compositions, singing lead vocals and playing rhythm guitar (as well as on a few ditties for her husband). Hangman music techs have now gathered up 14 favourites for the edifcation of both the discerning listener and the three-chord pop enthusiast.» Nouveau coup de génie avec «Empty». Elle chante à la ramasse de CTMF, yah yah it’s so empty ! Tu retrouves plus loin sa cover de «King Bee», elle en fait un «Queen Bee» avec toute la clameur de Brian Jones. Ah comme ça swingue ! Et t’as les coups d’harp de Jim Riley. Elle passe au garage moderne avec «When I Think About You», c’est bardé de riff raff bien âpre, ça gratte sec et ça bat net, tu peux leur faire confiance. En B, elle redevient wild as fuck avec «It’s So Hard To Be Happy». Elle tape dans le cœur du proto, et elle pousse les wouah les plus viscéraux, et pour couronner le tout, son husband Big Billy passe un killer solo protozozo. Tu croises plus loin un «Turn & Run» monté sur les accords de «Gloria». Dernier coup de Jarnac avec «Bullet Proof». Ah ça trashe bien derrière elle, avec le Big Billy qui destroy oh boy. T’as le mix parfait girl voice impénitente/super trash boy. Elle chante comme la reine des bas fonds et le Big Billy te trashe tout, absolument tout.

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             Un bel album de Wild Billy Childidh & The Chatham Singers sort sur Spinout Nuggets : Step Out !  le bien nommé. Belle pochette avec Juju Claudius en reine de Medway. Le morceau titre somme comme un classique immédiat, big boogie de type Hooky avec Wolf au beurre. Ils tapent plus loin l’«I Can Tell» de Bo. Big Billy te chante ça du coin du menton. Tu croises encore une cover primitive du «Rollin’ & Tumblin»’» de Muddy. Big Billy te chante ça à l’édentée carnassière. En B, ils retapent encore le vieux «Just Want To Make Love To You» de Big Dix, suivi par l’immémorial «King Bee». Joli son des catacombes et ce baby buzzin’ round your hive qui t’a toujours hanté la cervelle. Tu ne t’ennuies jamais sur un album de Wild Billy Childish.

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             Ah bah tiens ! Voilà deux albums de Wild Billy Childidh & The North Kent Folkways Revival, The Speech Of Karatakus et Cape Trafalgar. Le Karatakus démarre avec l’heavy folk d’«I’m In Chatham (And It’s Raining)», mais attention, ce n’est pas n’importe quel heavy folk : c’est l’heavy folk de la traînasse supérieure. Big Billy bat Shane McGowan à la course. Même le violon est heavy. Bel hommage à LeadBelly avec «Black Girl», et ça chauffe de plus belle en B avec le morceau titre, dont les paroles sont imprimées au dos de la pochette - In Rome at peace you met your end/ Oh Karatakus loving, beloved, dear friend - Pour la petite histoire, Karatakus fut le chef militaire de la future Grande-Bretagne, qui, vaincu, fut livré à l’Empereur Claude et condamné à mort. Karatakus prononça devant l’Empereur un discours qui lui sauva la vie et c’est ce discours que chante Big Billy, et c’est magnifico - If you preserve me safe and sound, I shall be an eternal example of your clemency - Puis Big Billy enfonce son clou Pogues avec «Son Of The Medway» - The rain’s coming down in cats and dogs !  

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             T’as encore des belles surprises sur Cape Trafalgar. Il fait du late Dylanex violoné avec «Blues That Kills» et Juju vient taper l’heavy folk d’«It Ain’t Mine». Elle fait du punk-folk et ça t’en bouche un coin. Puis Big Billy refait son late Dylan avec «The Goddess Tree», c’est un fantastique folkeur de choc - I carve my name/ On the Goddess Tree - En B, il revient à ses vieilles chansons de loup de mer avec le morceau titre, ça chante en mode sea shanty et t’as le fantastique power de la poésie. Il met du poids dans chacun des pieds de ses vers - So homeward to Chatham/ Birthplace of the victory/ My beloved still waits for me - Il regagne la sortie avec du Dylanex punk, «Doggered For Broderick (We’re The Chathamese)», il shoute ses vers et ça part en chœurs de lads à coups de we’re the Chathamese.

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             Il sort un troisième album en 2024 et réunit tous ses copains, The Chatham Singers & The Singing Loins, pour un beau live titré 2 Nites In Rochester. C’est comme si tu y étais. Ils attaquent avec l’heavy downhome blues de «No Mercy» - Baby please don’t go - et enchaînent avec un boogie à l’ancienne, «Evil Thing». Pas de problème, ça rocke le boat. Premier coup de génie avec «Step Out», et Wolf te bat ça sec, suivi d’un bel hommage à Bo avec «I Can Tell». Là, t’as tout le mambo de Medway. Et pour couronner le tout, Big Billy tape une cover de Dylan, «Hollis Brown», grattée à la Bo. Et en B, il tape son vieux classique, «I Don’t Like The Man I Am» - I can’t express my grip - Ça sonne comme un hymne national, violonné en mode complainte des pendus - Well I can’t love you/ Cause I don’t like the man I am - Et ça repart en mode Ses Shanty avec «The Jutland Sea», lancé au c’mon sailors avec un souffle de violon et de banjo dans les voiles. Fabuleux ! Encore un album qu’il vaut mieux écouter si on ne veut pas mourir idiot.

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             C’est dans le petit book de Saskia Holling (Girlsville - The Story Of The Delmonas & Thee Headcoatees) que tu découvres l’existence des Shall-I-Say-Quois. Tu rapatries ce truc là aussi sec et qui tu vois sur la pochette ? Juju, Ludella et Kyra ! Et au dos, t’aperçois Big Billy sous un béret. Il signe son texte (en français de Medway) Guillaume Amour-de-jour - La distorsion est claire et la clarté clairement déformée - Et il parvient à caler une prophétie dans cette merveille de rien-à-foutre : «Rock’n’Roll est une force épuisée, mais il entendre (sic) halètements pour son dernier souffle.» Six cuts, six bombes, voilà le tarif. Juju, Kyra et Ludella sont accompagnées par CTMF. Kyra chante en français, «Shall I Say Quoi ?», c’est du rock sixties à la Dutronc - Je fais quoi ? Yeah yeah oui ! - Pur genius encore avec «Oh Mein Goff Baader Meinhoff». On reste dans le Dutrock avec «It’s So Hard To Be Happy» et une puissante cover d’«Et Moi Et Moi Et Moi», Big Billy bat les accords à la main lourde, ça devient mythique de j’y pense et puis j’oublie.

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             Au moment où tu tapes tout ça, Big Billy a déjà sorti de nouveaux albums et des EPs en pagaille. Dans Shindig!, tu repères la parution du nouvel EP des Headcoats Sect, Got Sect If You Want It. Alors tu fais quoi ? Tu le chopes pour l’écouter. Le morceau titre est du pur proto gratté à la cisaille de gratte rouge et t’as un killer solo en forme de fleuve de lave. C’est Keith Grant qui chante «Man Trap», et Big Billy gratte encore plus sévère, il tape en plein dans le spirit des Downliners. T’as tous les vieux poux de la grande Angleterre. Tout le rock anglais est là, comme au temps des Pretties, des Who et des Kinks. C’est Keith Grant qui chante encore «We’er (sic) Gone» en B, et ça part sur les accords de Dave Davies. Big Billy te sert le kilo de killer bien fumant.

    Signé : Cazengler, Billy Chaudepisse

    William Loveday Intention. They Wanted The Devil But I Sang Of God. Hangman Records 2021 

    William Loveday Intention. Where The Black Water Slid. Hangman Records 2022                       

    Juju Claudius. It Hurts Me Still. Hangman Records 2023                      

    Kyra. Here I Am I Always Am. Vinyl Japan 1998

    A-Lines. You Can Touch. Sympathy For The Record Industry 2004

    Wild Billy Childidh & The North Kent Folkways Rival. Cape Trafalgar. Hangman Records 2024              

    Wild Billy Childidh & The North Kent Folkways Rival. The Speech Of Karatakus. Hangman Records 2024 

    Wild Billy Childidh & The Chatham Singers/The Singin Loins. 2 Nites In Rochester. Hangman Records 2024

    Wild Billy Childidh & The Chatham Singers. Step Out! Spinout Nuggets 2024

    The Shall-I-Say-Quois. Damaged Goods 2013

    Thee Headcoats Sect. Got Sect If You Want It. Damaged Goods 2025

     

    *

             Nous les suivons depuis leur premier EP en 2020. Le temps passe vite, peu de nouvelles ces derniers mois et voici alors que ne l’attendait pas un nouvel album, sur lequel on retrouve quelques singles parus en 2024. Un grand changement. Z’étaient trois, les voici deux. Nathan a quitté Denver (Colorado) il est à l’autre bout du pays. Les Etats-Unis sont vastes… Z’auraient pu se séparer, ils ont décidé de continuer. Quitte à adapter leur musique à cette nouvelle configuration.

    GHOSTS

    BURNING SISTER

    (Bandcamp / Novembre 2025)

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             Pochette fantomatique. Une vue peu naturelle. Elle ne se regarde pas, on tente d’y voir, on scrute, on se méfie qu’apercevrons-nous au travers-de ce filtre bleu, ce qui est déjà en nous, les cadavres de nos actes passés, ou quelque chose de plus dangereux qui ne nous appartient pas mais qui semble nous faire signe.

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             Le dos de la couve est encore plus étonnant. Ça ressemble à ces plaquettes de verre entre lesquelles on a déposé l’on ne sait trop quoi,  ramassé à la va-vite, des grains de poussière, des miettes de pain, le bacille de la peste, n’importe quel vestige du monde, ensuite l’on visualise en mettant son œil sur l’oculaire du microscope, l’on ne comprend pas trop ce que c’est, normal plus on vous met le nez dans votre caca, plus la chose, materia prima de notre noirceur, est difficile à identifier. Aussi difficile à reconnaître qu’un fantôme.

    Steve Miller : bass, synth, vocals / Alison Salutz : drums.

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    Brokedick Icarus : Steve Miller nous prévient en quelques lignes, à deux le rock c’est comme la peinture à l’huile, c’est plus difficile, faut rajouter des éléments pour combler le vide, bref bye-bye les vagues de riffs, bonjour la drone music, et lorsque l’on essaie de séquencer la drone music, l’on n’est plus très loin du noise, bref une machine à faire du bruit, un peu de filetage, un peu d’estampage, l’on fait avec ce que l’on a et aussi avec que l’on n’a pas, pas de panique c’est un peu comme un avion dont l’hélice tournerait pas vraiment en rond, mais pas mal en ellipse, tant que l’on ne tombe pas c’est parfait, et puis il y a ce casse-couille d’Icare, enfin pas lui, son idée, son fantôme qui vient nous faire coucou dans nos synapses, bref pas le vrai qui s’est lamentablement planté, non l’autre le symbole qui monte toujours plus haut. Bref un doom ferrugineux d’où s’exhale le rêve de notre incomplétude. Stellar ghost : attention ce n’est pas une ouverture d’opéra mais ça a de la gueule, Icare s’est évaporé, honneur à son fantôme stellaire, délaissez votre télescope, il n’est pas si loin, peut-être juste à côté de vous, vous savez Schopenhauer quand il dit que lorsque vous êtes vraiment en vous, les gens que vous croisez semblent avoir perdu leur épaisseur mentale, sont réduits à l’état de fantôme, alors le Miller l’a beau s’époumoner en milliers d’invectives il ne recevra pas de réponse, à part celle d’Alison qui passe sur ses illusions désespérées à coups de batterie aussi lourde qu’une division blindée implacable. Comme je suis un gars serviable et pas cruel je vais vous révéler la nature de ce tlntamarre, cela vous paraîtra évident lorsque je vous aurais résumé tout le paragraphe en un seul mot : c’est du blues. Pas autre chose que du blues. Mais du blues comme en fait rarement. N’exagérez pas, ne dépassez pas la dose prescrite, ça cogne dans la tête. No space or time : ce n’est pas

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    tout à fait une berceuse, mais après les deux morceaux précédents, c’est un havre de paix, tiens la machine revient, normal qui dit paix sur-entend mort. Cherchons l’intruse comme dirait le commissaire Labavure. Procédons avec ordre et méthode, pour le moment nous n’avons qu’un cadavre, pas tout à fait mort, disons en partance, ah : cette espèce de bruit de corne de rhinocéros et ce robinet de doom qui ruisselle sur les cymbales et sur vos joues. Moment idéal pour se confronter aux questions essentielles : appréhendons-nous l’espace et le temps de la même quand nous sommes morts que quand nous sommes vivants. D’ailleurs entre le mort et vous  des deux quel est le plus vivant. Si ce n’est pas vous, c’est donc un fantôme. Lethe | Oblivion : attention, ça devient funèbre, le gars est bien parti pour le grand voyage, croisière ou galère, je ne sais pas il descend le Léthé, une seule escale touristique, l’oubli, est-ce que son oubli serait dans sa tête, le Miller, il miaule, il beugle, dans sa cervelle il doit croire qu’il fait du chant grégorien, sa basse s’accordéonise et notre sœur brûlante elle joue du tambour comme si elle était Perséphone en personne. Sûr qu’elle ne perd pas ses toms avec ce rythme d’oiseau qui vole avec une aile brisée et qui n’en finit pas de tomber. C’est ce que l’on appelle une longue agonie. Swerve (Dead stars) : l’est un peu jaloux le Miller, alors il nous donne un petit concert de basse, en fait quand vous parlez à un mort, c’est comme quand vous essayez de causer à une fille qui n’en a rien à faire, est-ce un hasard si notre batteuse lance son roulement à bille battérial, c’est ce que les damnés psychologues nomment l’incommunicabilité entre les êtres, remarquez qu’avec sa rythmique en rondelle Alison essaie de communiquer par l’entremise d’une table tournante. Encore une fois, un petit cours de rattrapage, sera bref, l’abrupte citation d’un hémistiche de Gérard de Nerval : ‘’ Ma seule étoile est morte,’’ Dead love : comme quoi j’avais raison. Tiens un accord de guitare et une batterie qui enchaîne, serait-ce le retour du rock, en tout cas l’on vire vite dans le grand tapage, de plus en plus lourd, ou plutôt de moins en moins léger, car il reste une trace d’entrain, vous savez quand les chevaux arrivaient au cimetière ils pressaient le pas car on allait bientôt les délester du poids du cercueil, silence, faites doucement, écoutez cette espèce de trompe qui mugit, cette basse qui bourdonne, juste un tapotement, l’instant crucial, quand Juliette se réveille auprès du soi-disant cadavre de Roméo, est-ce pour cela qu’Alison chantonne et que Juliette se plante un poignard dans le cœur. Et le combat cessa faute de combattants. Ne restent plus que des fantômes qui déambulent comme des bulles de savon crevées.

             Fabuleux. Sister Burning a relevé le défi. Z’ont produit leur meilleur opus. Le groupe a atteint une autre dimension. Supérieure.

    Damie Chad.

     

    *

    Y a des gars qui sont là pour vous saper le moral, je sais bien que l’hiver arrive, que les jours diminuent, que les nuits rallongent, que le monde va de plus en plus mal. Est-ce vraiment une raison ? Heureusement qu’il reste des murmureurs qui hurlent dans vos oreilles pour vous sortir de vos léthargies dépressives. Comme ils ne veulent pas vous prendre en traitre, ils font précéder leur opus de la mention : ‘’very loud’’. A bon entendeurs, salut !

    WITHERED

    NO LUST / NO HOPE

    (Doomshire Tapes / Novembre 2025)

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    TZ : instigateur de cette K7, composée, écrite, mixée, jouée par ses soins : guitars, bass, vocals / Invité et esprit frappeur : Federico Leone : drums.

    Viennent d’Italie. Ils définissent leur entreprise  comme la musique des âmes tristes. La formule est lapidaire mais elle résume à la perfection la signification testamentaire d’une telle offrande au néant.

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             La couve n’est pas créditée. Rouge et noire. Que représente-t-elle, le sang et l’obscurité du néant ? Difficile  à dire. Serait-ce la bouche d’ombre chère à Victor Hugo, dont les lèvres de pourpre se refuseraient à parler, pour la simple et bonne raison qu’il n’y aurait rien à dire. Sur rien. Et surtout sur nous-mêmes. Serions-nous des êtres aux âmes flétries…

    Instrumental : en tout cas le premier titre l’annonce dès son titre, il n’a rien à dire. Voici une histoire sans paroles, et bien entendu sans histoire. De cette bouche sanglante se dégage un bruit, à moins qu’il ne s’y précipite comme la matière de l’univers s’absorbe dans les trous noirs. Un bruit ? Pas tout-à-fait, une résonnance noire qui parfois semble s’accumuler sur elle-même tout en réalisant le prodige de ne cesser de progresser, sans interruption  No lust / No hope : jusqu’à ce que Federico le Lion,  le chevalier, à l’armure de fer, transgresse la chose sonore immonde à coups de masse, incroyable elle réagit, l’on entend des voix qui ne montrent aucune voie, un peu comme s’il tapait sur un long serpent noir, serait-ce celui  qui passerait devant lui, tout droit sans lui porter la moindre attention, la chose n’ondule même pas, les guitares, elles viennent bien tard, elles réagissent mais elles n’apportent ni n’enlèvent rien à ce grondement imperturbable qui se déroule sans même se préoccuper de lui-même, la seule chose qui bouge en fait c’est l’angoisse et la peur qui montent en vous tout en sachant que le monde entier s’en moque, ne reste plus à Leon qu’à faire le cake sur ses tambours, tout en sachant que cela n’ a aucune importante, aucune conséquence, en fait c’est juste le concept phénoménal du vide, qui ne se loge pas dans votre raison puisqu’il y est déjà depuis la première seconde de votre vulveuse conception, vous pouvez taper du pied c’est comme si vous pissiez sur un kit drummique, vous pouvez hurler à vous enrayer la voix avec du papier de verre, prenez la bonne résolution, soyez positif dans votre négativité, décidez de quitter ce cirque, inutile de faire semblant de charmer  le serpent par la force de votre esprit en ne faisant même pas mine de dodeliner de la tête pour l’amadouer, vous êtes le serpent, vous n’avez qu’une seule chose à faire à réaliser  votre destin puisque vous êtes programmé, Addicted to death : cette résolution se traduit par une prise de parole, une déclaration solennelle, l’énonciation de ce que l’on est, le background musical prend le relais, tempétueux, que voudriez-vous ajouter de plus, il baisse un peu pour  vous laisser l’espace de poser encore quelques mots, mais aussitôt il s’ébroue et accélère le rythme, il se précipite, peut-être parlez-vous,  mais vous êtes maintenant dans la matrice du désir de la mort, personne ne peut vous entendre, vous n’apaiserez pas l’immonde douleur de virve avec quelques cachets ou tout autre produit,  c’est au plus près de la mort que vous vous sentez reposé… Raptus / No regrets : grésillements, comme un courant électrique qui s’infiltrerait dans votre corps, cette électrocution dommique accumulée dans votre corporéité ne vous tue pas, elle vous investit d’une force surhumaine, vous êtes un surhomme, non pas parce que vous être le plus fort physiquement parlant, car ce qui sert d’accumulateur énergétique c’est votre cerveau, votre pensée domine le monde, elle étend ses tentacules sur tous les objets de l’univers et s’empare de votre désir le plus cher, le plus chair, vous criez, vous délivrez votre message comme Zarathoustra sur sa montagne, mais votre seul disciple c’est vous-même, il y a un instrument, on se moque de savoir lequel, qui claironne tout fort pour révéler au monde entier qui n’existe plus le grand secret de votre réussite,  grandiose compression sonique, déferlance terminale, vous êtes ce vous vouliez ne plus être, vous ne vous êtes jamais senti aussi bien. En pleine forme. En forme de rien.

    Somptueusement darkly !

    Pour ceux qui auraient besoin d’une cuillerée supplémentaire de nihilisme, tous les goûts sont dans la nature, le groupe a déjà sorti en septembre 2025 un premier single.

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             La couve noire, dessinée de ce mauve dont sont teintes les perles des couronnes funéraires du cimetière, est plus explicite, une fois que la tête de mort centrale se soit imposée à vos yeux. Au-dessus je ne sais pas, je décèle dans le dédale neigeux des arabesques nuageuses deux buccins apocalyptiques mais  cette voyance ne cadre point trop avec l’idéologie nihiliste du groupe. Tout en bas, mon imagination se complaît à entrevoir les silhouettes incertaines de deux musiciens, plus clairement tout en haut, à droite et à gauche, deux mêmes signes énigmatiques, deux Y, un pilier central qui se divise en deux branches, l’une serait-elle la vie et l’autre la mort, avec à l’intérieur du delta un carré, symbolique signe géométrique de la perfection, cela voudrait-il dire que la vie et la mort engendrent la perfection des âmes mortes.

    Wawes of regrets : le lecteur remarquera que ce titre publié deux mois avant l’opus précédent évoque des vagues de regrets alors que la cassette   stipule sans ambages qu’il n’y a pas de regrets à avoir… :  pour un premier titre ils donnent dans l’emphase, les grandes orgues du romantisme, z’ont encore des regrets car manifestement ils n’ont pas fait l’impasse sur la beauté, ruissellement de cymbales et l’on prend une direction plus noire, mais avec de fortes nuances, encore un oratorio désespéré et une voix qui growle comme si sa vie en dépendait, remarquez c’est un peu le cas, une basse qui fait la belle comme une bosse de baleine, sont encore dans le spectacle, des rockers qui ne veulent pas se taire, moulinades battériales, souffles soniques, ce n’est pas une vague mais un raz de marée qui emporte tout. Déduction logique : il ne reste plus rien. Quelque part ça doit les rendre heureux, c’est ce qu’ils voulaient.

             C’est un peu comme s’ils déclaraient avec la voix grandiloquente des hommes politiques qui cherchent à vous émouvoir en vous avertissant du danger imminent : ‘’ Nous sommes au bord de l’abîme, un pas de plus nous tuerait !’’.  Eh bien, au disque suivant ils ont commis l’irréparable en se jetant dans l’abîme.

                Ces vagues de regrets sont très belles.

    Damie Chad.

     

     

    *

    L’ordre logique des choses peut paraître évidente. Je lis un très bel et profond article de Jean Montalte sur Paul Valéry. Depuis ma chronique sur Le cimetière main d’Aephanemer vous connaissez mon admiration et mon intérêt pour cet écrivain.  Je débouche sur Poe, un des écrivains essentiels de la littérature selon moi. Selon Valéry aussi. Il partageait cet avis avec Stéphane Mallarmé. Oui mais tous les Poe ne se prénomment pas Edgar.

    De toutes les manières je n’ai pas respecté l’ordre chronologique. Voici une dizaine d’années nous présentions quelques livres à un groupe de collégiens. La bibliothécaire exhiba un gros bouquin à couverture amarante, elle précisa qu’il était en Anglais. En silence je l’admirai, qui pourrait-être assez fou pour dévorer un pavé à vue de nez de plus de cinq cents pages en anglais… A part notre Cat Zengler qui nous chronique régulièrement des volumes-rock venus d’Angleterre ou d’Amérique, en notre douce langue françoise, bien entendu. Je cite de mémoire sa courte présentation : ‘’L’histoire d’une famille qui aménage dans une maison qui s’aperçoit que les pièces de la maison semblent changer de dimension…’’

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    L’idée m’est restée dans la tête. Dans la série : un bon truc pour démarrer une histoire fantastique. Revenons à Jean Montalte, l’article sur Valéry m’a donné envie d’en savoir davantage. Pas besoin d’aller bien loin sur son site personnel. Un chronique sur un livre et un auteur dont j’ignore tout écrit à la suite de la réédition de Maison des Feuilles de Marc Z Danielewxki, paru aux éditions Monsieur Toussaint Louverture. Un roman américain bizarroïde, l’histoire d’une maison dont les dimensions… Je consulte la fiche Wikipedia de ce Mar Z Danielewski, Son père qui fut cinéaste a eu un fils et une fille. Le frère est devenu écrivain et la fille chanteuse. Sous le nom de Poe. Ah oui, ce doit être une des sœurs Larkin Poe que le Cat Zengler est allé écouter à l’Olympia, je vérifie : erreur. C’est bien la sœur de son (demi-)frère, elle a enregistré chez Atlantic. L’a sorti deux albums, ensuite elle se fait jeter hors de sa maison de disques : sombres histoires de rachats d’entreprise, de droits, d’avocats, de compressions de personnels pour générer des bénéfices substantiels, la petite histoire traditionnelle du développement capitalistique … Un petit tour sur Discogs, une idée de génie (oui, je sais, je n’ai que des idées géniales) si la sœur enregistre pourquoi pas le frère… Bingo ? je cherche et je trouve.

    DON’T BE SCARED

    POE AND MARK Z. DANIELEWSKI

    (Atlantic / CD Promotionnel / 2000)

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            Je pourrais me contenter de chroniquer les albums de Poe, oui mais le livre de son frère me paraît beaucoup plus rock’n’roll que les disques de sa sœur. Ce qui n’a pas empêcher sa sœur d’accéder aux charts rock. En plus une chanteuse qui choisit Poe comme pseudonyme doit être à priori, selon mes critères, une personne intéressante. Poe n’a cessé de suivre les efforts de son frère dans la rédaction de son roman, elle a lu les brouillons au cours de l’élaboration de l’œuvre, ils en ont longuement discuté, l’ouvrage terminé elle l’a aidé à trouver un éditeur et pour lancer le livre et lui assurer un premier groupe de lecteurs parmi ses propres fans, elle l’a incité à réaliser ce CD promotionnel dans lequel nous retrouvons certains morceaux de son deuxième album Haunted..

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             Haunted. OK ! mais hanté par quoi ? demanderont les esprits rationalistes. C’est ici que nous empruntons, un peu comme l’Igitur de Mallarmé, un escalier qui descend au plus profond de soi, dans le tombeau de nos ancêtres. Notre chanteuse ayant retrouvé un carton de cassettes enregistrées par Tad  Danielowski, son père disparu - il s’est séparé de sa femme alors qu’elle avait seize ans et son  (demi)-frère dix-huit - elle est si violemment heurtée par ses premières écoutes qu’il lui faudra beaucoup de temps pour les passer en leur entier. Certains passages sont inclus dans Haunted. J’ignore le contenu de ces bandes, en tant que cinéaste Tad Danielowski est l’auteur de No exit (1962) qui est une adaptation du Huit Clos de Sartre. L’on pressent un parfait spécimen de cette génération d’intellectuels d’après-guerre tourneboulés par les affres de l’existentialisme et de la psychanalyse…

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    Truant’s nightmares : Mark Z. Danielewski : Mark lit un passage de House of leaves, musique d’accompagnement légère, volatile, l’a une belle voix, un plaisir de l’entendre, rythmée et posée, elle vous endormirait presque, ne vous laissez pas aller comme Truant qui cède souvent au sommeil, qui s’endort n’importe où, même dans un arbre, non ce n’est pas marrant du tout, un de ses amis Dude lui demande si ses cauchemars ne sont pas un moyen de douter ou de mettre en doute la réalité, et pourquoi pas celle de son existence. Ou alors celle de ce qui se serait passé s’il n’avait pas dormi. Par exemple s’il avait entendu le téléphone. Exploration B : Poe : extrait de Haunted, Poe ne fredonne que quelques mots tout doucement, le téléphone sonne, Papa est mort, Maman ne répond pas…   Book of Leaves et Haunted, sont très différents, l’un n’est pas plus long qu’un CD, l’autre compte sept cents pages, mais tous deux proviennent de la même blessure. Ce qui ne signifie pas qu’ils racontent la

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     même histoire. Haunted : Poe : un extrait du titre phare de Poe, elle ne fait pas la-la-la mais ba-da-pa-pa, sachez entendre, la voix s’avère douce et lasse, La mélodie, l’orchestration est comme tissée de bruits indistinct, celle du père, celle de Poe, celle de touts les personnes qu’elle a rencontrées ou côtoyées, tous des fantômes qui la hantent, comme des éclats d’elle qu’elle n’arrive pas à rassembler… brusquement la musique se brise comme si Poe devenait plus forte… The Intrusion : Mark Z. Danielewski : toujours cette belle voix, et pourtant nous voici plongés au cœur de l’intrique (très intrigante en effet), le comble de l’horreur, une monstruosité impensable, les Navidson rentrent chez eux après quatre jours d’absence, ils sont chez eux, mais l’intérieur de la maison n’est plus la même, on aimerait savoir la suite mais au bout d’une cinquantaine de secondes la lecture cesse. 5 1/2 minute allway :

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    Poe : chance, Poe nous chante la suite, à sa manière, au début ça ressemble un peu à un morceau de country, un garçon qui s’éloigne de sa copine, pas de quoi en faire un drame, mais de quoi se mêle le propriétaire à mesurer le couloir, et cette amplification orchestrale pour nous crier à l’oreille qu’ils s’éloignent de plus en plus l’un de l’autre, une manière romantisée de raconter une réalité effrayante. Walestoe Letter (Part II) : Mark Z. Danielewski : attention la voix de Mark n’est plus tout à fait la même, elle a perdu sa tranquillité, est-il soucieux que l’on mette en doute ce qu’il rapporte, il est sûr que sur la foi de ces cinquante secondes l’on n’hésiterait pas à le traiter de fou et de signer sans état âme son internement en asile psychiatrique ad vitam aeternam, d’ailleurs le couloir qu’il évoque ne serait-il pas celui d’un lunatic asylum, et puis ses arbres dont ils causent ne sont-ils pas là pour cacher la forêt. Essayons d’être un peu plus clair : l’histoire de la famille Navidson est connue, un chercheur décédé, Zampano a rassemblé une foultitude de documents sur un film  réalisé par le chef de la famille Navidson, mais le film a-t-il été vraiment tourné, vous avez autant de preuves qui le confirment que de faits qui le nient… Walk the way :

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    Poe : l’on a envie d’embrasser la sœur de Mark, pour sûr elle a deux grosse valises à se coltiner, la tristesse de son père, son propre enfermement en elle-même, mais elle prend le taureau par les cornes, ça déchire, elle appuie sur l’accélérateur du vouloir vivre, la musique la suit, puis elle se brise, non elle s’amoncelle, maintenant elle charrie de l’énergie et quelques fantômes peut-être, mais elle fera avec. (Lemon Meringue) / Echo : Mark Z. Danielewski / Poe : tiens l’on se croirait en cours de math, enfin de physique plutôt, le prof se la pète un peu, il débite son enseignement vitesse TGV, vous marchez, votre talon fait du bruit, mais vous l’entendez une fois que vous n’êtes plus au moment où votre  talon cognait le sol, survient à votre oreille comme un écho, vous vous en foutez, vous avez tort, c’est juste une image, imaginez que la réalité que votre œil voit soit l’écho de la réalité et non pas la réalité elle-même. The panther : Mark Z. Danielewski : encore un laïus théorique, mais celui n’est pas catapulté par la moulinette à paroles, ce passage est-il inspiré par le sublime poème de Rilke sur la panthère, de toutes les manières le sujet est grave, l’animal enfermé dans une cage, il reste immobile en lui-même, il est au centre de sa puissance, il sait qu’un jour la porte s’ouvrira, comme ce que nous prenons pour la réalité se craquelle sous la poussée sanglante de l’autre phénomène que nous ignorons. Wild :

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    Poe : elle a compris, le gars dans le couloir est à l’image de la maison, si le couloir l’empêche de pénétrer dans la chambre, c’est tout simplement parce qu’il ne veut plus y aller, il ne l’intéresse pas, elle reprend sa liberté. Hey Pretty  / Just another drive : Mark Z. Danielewski / Poe : apparemment une scène typique de la mytho-réalité des USA, un gars et une fille dans une voiture, devinez ce qu’ils ne font pas, Poe insiste, elle a mis la musique pour que ce soit plus suggestif, en tout cas le gars conduit, il ne parle pas, ou plutôt on dirait qu’il récite un poème de Jim Morrison, même s’il a une voix ensorceleuse il n’est pas le Roi Lizard, un lézard en tout cas il y en a un dans l’horloge temporelle de ces deux-là, il ne peut pas faire n’importe quoi, refusez toute pensée graveleuse, demandez-vous plutôt lequel des deux n’est pas un fantôme, ou tous les deux peut-être, en tout cas la fermeture éclair qui relie la réalité à la non-réalité est un peu coincée. La musique qui conclut ce passage n’est guère rassurante. Effrayante même si on s’y attarde quelque peu. Footnote 301 : Mark Z. Danielewski : Lecture d’un extrait de journal. Vous avez au début une espèce de description de la couve de l’opus qui à première vue ne représente pas grand-chose. Ensuite vous ne pouvez ne pas  penser au sacrifice du taureau dans le culte de Mithra, à part que là c’est un peu différent, c’est une machine à torturer les êtres humains et celui que l’on a retrouvé dans la fosse c’est l’inventeur de la machine.

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    Footnote 302 : Mark Z. Danielewski : deuxième note de bas de page, une réflexion sur la précédente qui doit être  liée à l’affaire Navidson, rapportée par Zampano, celui-ci semble avoir été enfermé et brûlé dans la machine, l’ami de  Zanzano pense à toute cette horreur, il ne peut se détacher de cette pensée, à croire que tout s’est déroulé dans sa propre tête. Et si c’était une espèce de cuisson alchimique mentale… Peut-être est-ce moi qui suis cette chambre noire où Zampano a été enfermé, comme s’il était dans mon cœur et si je ne pense plus à lui, s’étant ainsi en quelque sorte échappé, peut-être moi-même ne suis-je plus. Depuis un petit moment un gimmick tapoteur s’est mis en route comme s’il voulait jouer le rôle d’un pouls qui bat un peu trop fort…

    L’ensemble dépasse à peine les vingt minutes. Ce n’est pas tout-à-fait un objet promotionnel a posteriori. Il a été précédé de la publication sur Internet de quelques passages du livre qui n’est alors qu’une œuvre en progrès. L’on peut dire que ce qui n’est pas vraiment une campagne de pub a fonctionné. Mais un public de marginaux s’est reconnu dans ces lambeaux d’histoires fumeuses et fumantes. A sa sortie, le livre était attendu par de nombreux acheteurs captivés par cette étrange histoire, peut-être justement par cette espèce d’incohérence objectivale qui est celle de ces déclassés qui vivent sur la crête de leur existence.

    J’ai été séduit par les lectures de Mark, elles sont envoûtantes, j’avoue que les morceaux de sa sœur m’ont moins touché. Elle est classée dans la catégorie ‘’modern rock’’, c’est un peu comme le pâté d’alouette : 95 % de cheval / 5 % d’alouette… Je reviendrai sur  House of leaves, je l’ai commandé au Père Noël…

    Damie Chad.

     

     

    *

    Cette transcription est dédiée à Alain, sans qui ce blogue n’aurait jamais vu le jour.  Alain  était obsédé par l’existence du mythique  Bradley Studio, sur lequel il ne parvenait pas à trouver de documentation, il en parlait souvent, il se serait jeté sur cette vidéo… Pour Alain, le Studio Bradley était comme une clef perdue du rock’n’roll…

    Grâce à la construction des Studios Bradley, Harold Bradley (1926-2019), et son frère Owen Bradley (1915 – 1998) furent à l’origine de ce qui devint le Music Row. Si au début l’expression désignait l’espace géographique de studios et d’immeubles spécialisées dans la création et l’édition de la country music, aujourd’hui Music Row est une appellation généraliste qui englobe l’industrie musicale de Nashville, tant au niveau musical, financier et idéologique…

    Harold et Owen étaient avant tout des musiciens de haut niveau. Ils surent réunir autour d’eux tout le Nashville A-Team  orchestre à  comparer avec le Wreckin’ Crew basé à Los Angeles. L’on retrouve Harold sur de nombreux disques par exemple de Roy Orbison, de Willie Nelson ou des Byrds…

    Cette interview fut enregistrée à Nashville, elle fut menée en 2007 par Kenneth Van Shooten and Julie Ragusa. Etrangement, elle aussi porte le numéro 14 comme celle consacrée à Deke Dickerson  dont la transcription se trouve dans notre livraison 711 du 20 / 11 / 2025.

    Gene Vincent Files #14: Harold Bradley, legendary

    studio-musician and founder of the Bradley Studios

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             Quand j’ai eu grandi, nous étions en pleine période de la musique de big band, mon frère et moi-même nous nous sommes évadés de l’influence big band. Je jouais au lapin agile au Ryman Auditorium. C’était dans l’orchestre de Ted Williams lors du service militaire. Nous nous sommes dirigés vers la Country Music. A cette époque Nashville n’était pas réellement connu pour la country music. Et d’un seul coup, soudainement les gens commencèrent à parler de nous comme une ville country. Alors pour avoir   sorti un tube de rock’n’roll nous avons fait la preuve que nous pourrions nous lancer dans un autre genre, un genre différent de la country music. A cette époque mon frère et moi possédions trois studios. Le premier était le deuxième à Lindsley (Nashville). Notre deuxième fut le premier qui était le second dans Hillsboro Village (quartier de Nashville). C’est en 1955 que nous avons acheté et remanié une maison, nous avons collé un baraquement derrière elle. Elle commença à être connu comme le Quonset Hut. C’étaient les studios cinéma et enregistrement Bradley. Au bout d’un certain temps nous avons dû enregistrer dans le Quonset. Il était destiné au tournage de films, mais à l’époque nous devenions trop importants. Gene Vincent en fut une des raisons car il était impossible de se rendre maître de l’ensemble du  son produit, les batteurs jouaient fort, nous ajoutions ensuite les saxophonistes et les voix supplémentaires. Ainsi nous avons dû nous installer dans un studio plus spacieux, quitter le petit studio pour déménager dans   le quonset hut. Cela nous a pris un certain  temps pour le réaliser. Il m’a fallu un peu de temps pour m’adapter à la country music parce que mon frère et moi provenions du Big Band, et nous commencions juste à mettre en forme le projet, musique de scène et l’enregistrement de la scène, et nous faisions basiquement du country quand Gene Vincent, et aussi Buddy Holly, déboulèrent dans la ville en 1956, nous ne savions réellement pas comment faire avec eux. Ainsi nous fîmes Buddy Holly et une espèce

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    de rockabilly avec Gene Vincent. Il possédait son propre groupe et cela changeait toute l’histoire car ils étaient réellement en train de créer le rock’n’roll, nous avions à porter un regard sur cette musique quelle que puisse être la forme qu’elle était en train de prendre. Je pense que je suis arrivé juste à point avant que la séance d’enregistrement ne commence, mon frère et moi avions joué le premières notes dans le premier studio commercial en 1947 et nous étions capable de sortir de la musique de danse quoique cela nous prit à tous les deux un bout de temps, parce qu’il était un bon joueur de piano, et lors des premières sessions il jouait de la manière  qu’avait l’habitude de jouer d’un pianiste. Ayant entendu le résultat il se trouva face à un problème, la balance obtenue ne correspondait pas à ce qu’il voulait entendre. Finalement il dit à Chet Atkins : ‘’J’ai besoin d’être comme toi, j’ai besoin d’être assis avec toi dans la control room pour obtenir ce que je veux sur les disques. Peux-tu me recommander un pianiste ?’’ Eh bien répondit Chet, j’ai ce qu’il te faut, ce petit gars maigrichon nommé Floyd Cramer. Tu devrais l’essayer. Et naturellement vous savez comme cela a marché. C’est le piano de Floyd sur que l’on entend  sur toutes ces belles choses, sur le stuff de Brenda Lee de stuff de Patsy Cine. Cela a été très important pour moi, car se suis renommé pour avoir été le guitariste le plus enregistré  de l’Histoire et je suis ainsi inscrit au Country Music Hall of Fame.

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    Toutefois j’ai joué toutes sortes de musiques. Très tôt je voulais jouer du banjo. Mon frère m’a dit : ‘’ le banjo est en train de passer de mode. Tu dois apprendre la guitare’’. Je me suis mis à la guitare. Au bout de cinq ou six ans il m’a dit : ‘’Tu dois apprendre à jouer du banjo’’. Je me suis mis au banjo. J’ai Joué dans le dernier orchestre Dixie de Papa John Gord. Ainsi j’ai joué au banjo l’intro de The Battle of New Orleans. Ce n’était pas difficile pour moi. Mais mon point fort est que j’ai joué différentes sortes de musique. J’ai joué la country music, de la musique de Big Band, j’ai travaillé avec vingt-cinq personnes au Rock’n’roll Hall of Fame. J’ai travaillé avec Henri Mancini, et hier j’étais en train d’écouter un album pour la première fois que nous avions enregistré avec Hugo Montenegro, il a posé quelques cordes, il avait fait les guitares à Nashville. Ainsi je pense qu’il est nécessaire de jouer tout style de musiques parce que si j’avais joué un seul style de musique, en le rock’n’roll il aurait été difficile de maintenir une carrière parce qu’il y a vraiment un maximum de bons guitaristes et si j’avais été juste un guitariste country, cela limite vos chances, je suis un guitariste de pop et de jazz frustré, aussi ai-je essayé un petit peu de tout, si vous êtes une espèce de touche-à-tout peut-être serez-vous bon pour un ou deux styles. Ken Nelson a été la personne la plus sérieuse que j’ai rencontrée dans ma vie. Il était très abordable, mais précis et concis, sur tous les sujets il avait son opinion et il vous en faisait part  d’une manière directe et précise. Nous éprouvions un énorme respect envers sa personne car il témoignait à tout un chacun du respect, mais il était indubitablement le capitaine du vaisseau quand il était dans le studio. Ken nous invitait à entrer. Nous y allons, ce n’était pas dans le quonto hut. C’était dans le

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    premier studio que nous avions construit dans lequel on avait recouvert de carton la moitié du plancher et c’était la dalle (de ciment) du plancher qui était le plancher du studio. Gene Vincent and the Blue Caps sont là en train de jouer nous étions dans la control room, je me souviens qu’il n’y avait pas trop de chaises. Il y avait  un couple de chaises, l’ingénieur était assis, Ken Nelson était assis. Nous nous sommes rendus compte qu’il y avait un problème. Le batteur jouait si fort dans cette pièce que le son rentrait dans le micro de Gene, ce qui créait un problème pour l’ingénieur. Si c’était un problème pour l’ingénieur cela   nous posait un problème à nous en tant que propriétaires du studio. Nous sommes restés là tentant d’imaginer une solution. Owen mon frère est sorti et a reculé Gene Vincent de cinq pieds, puis de dix en arrière. Finalement il l’a poussé totalement hors de la porte du studio jusque dans le hall ne laissant qu’un passage pour le câble du micro, le câble du microphone était la seule ouverture et c’est ainsi qu’il a chanté Be Bop A Lula. Cela a rendu sa voix, le son de sa voix très clair. Plus tard Thomas et notre ingénieur ont eu une autre, (il toussote) excusez-moi, machine à bande, qu’ils installèrent au même endroit et il obtint un écho retour, ce fut la sorte d’écho standard que vous utilisez comme un écho de pièce et non comme un écho de résonnance. Ils firent leur morceau et Gene Vincent revint, nous écoutâmes le playback, et Ken fut très content de leur interprétation. Ainsi nous étions très satisfaits. C’était magnifique. Il vrai que c’était un modèle, un modèle pour le rock’n’roll, la manière dont c’est supposé sonner, pas seulement la musique mais la voix. Je pense que ce fut une surprise car nous faisions du country et Ken Nelson avait à son actif quelques hits country et brusquement il était sur le point d’obtenir un rock’n’roll hit. Je pense que c’était réellement bénéfique pour le studio. Je pense que c’était bénéfique pour Nashville et c’était bénéfique pour Ken car, puisque c’était le cas, il assurait son emploi. Je doute qu’il était en danger, certainement c’était un galon sur sa veste et un autre pour nous. Je

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    ne me préoccupais pas de prendre des tas de notes alors. Je préparais juste des sessions mais nous prîmes quelques notes de cela car c’était une chose inhabituelle de travailler avec Gene Vincent et de travailler avec Buddy Holly. Même si ce que nous avons fait avec Buddy Holly n’était pas  aussi bon que ce que nous avons fait avec Gene Vincent. Buddy Holly était davantage rockabilly avec un maximum de guitare dans le style de Chet Atkins, en rien comparable à ce que Buddy Holly a fini par faire. Naturellement les premiers disques d’Elvis étaient très maigres, avec juste trois ou quatre instruments. Nous n’avions aucune idée de ce que nous étions en train de faire, nous étions juste là, le rock’n’roll était en train de s’inventer, et nous n’ étions pas sûrs que c’était une bonne chose. Nous avons eu, c’était un grand plaisir de le jouer ou d’essayer de le jouer. C’était juste un bout de Nashville, inclus dans l’entité musicale qui existe aujourd’hui. Oui je me souviens avoir entendu cela, mais en ces

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    temps c’était comme entendre ce que l’on disait d’Elvis. J’ai travaillé avec Elvis de 1962 à 197O ou 1971 en studio, il utilisait alors le groupe avec lequel il était en train de tourner, de cette manière, après les séances vous perdez contact avec quelqu’un durant quinze ou vingt ans, vous ne parlez plus avec eux, vous ne les voyez plus, naturellement les conséquences sont différentes j’ai toujours dit que chaque fois que nous perdons quelqu’un, nous perdons à chaque fois un peu de nous.

    Transcription : Damie Chad.

    Note 1 : photo du Ryman Auditorium de Nashville.

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    Note 2 : quonset hut : il s’agit de baraquements en forme de demi-boîte de conserve qu’utilisait l’armée américaine pour stocker divers matériels, après les années de  guerre sans doute elle s’en est-elle débarrassée à petits prix…

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    Note 3 : Floyd Cramer ( 1933 -1997 ) : en 1955 son propre groupe comprenait : Jimmy Day, Scotty Moore, Bill Black, and D.J. Fontana. Il fut d’office intégré à la Nashville A-Team…

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    Note 4 : John Gordy (1904-1961) : pianiste de jazz dixieland, il joua notamment avec Elvis Presley…

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    Note 5 : Henri Mancini (1942-1994) : compositeur, chef d’orchestre, on lui le thème de la Panthère Rose…

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    Noye 6 : Hugo Montenegro ( 1925-1981) : compositeur, chef d’orchestre, spécialiste de la musique western, on lui doit la bande musicale de Charro ! avec Elvis !

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  • CHRONIQUES DE POURPRE 712 : KR'TNT ! 712 : JON SPENCER / NEAL FRANCIS / RAMONES / JUNIOR PARKER / NICK WHEELDON / AGNOSTIC FRONT / 1914 / CRISTINA VANE

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 712

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 11 / 2025

     

     

    JON SPENCER / NEAL FRANCIS 

    RAMONES / JUNIOR PARKER

    NICK WHEELDON / AGNOSTIC FRONT   

    1914 / CRISTINA VANE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 712

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Spencer moi un verre, Jon !

    (Part Five)

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             Tu l’as vu il y a six mois, mais t’y retournes. Jon Spencer jouerait tous les jours, et t’y retournerais, pas de problème. C’est lui ton manège-à-moi-c’est-toi, c’est lui ton directeur de conscience, c’est lui ton king of rock’n’roll, c’est lui ton sauteur en ciseau préféré, ton Zebra raunch, ton love-it-to-death, ton dark-eyed handsome boy, ta superstar préférée, ton dégoulineur de sueur numéro un, ton Euripide d’éruptions, ton injecteur d’interjections, ton catalyseur de cat-walk, ton cloueur de bec, ton riveur de raves, to screamer de scream parfait, bien serré dans un costard qu’il ne va pas surtout pas déboutonner. Jon Spencer est élégant, même s’il n’est pas anglais. C’est sans doute son seul défaut. On a déjà dit ici qu’hormis Francis Scott Fitzgerald, les dandies américains n’existaient pas, mais avec ses mocassins blancs,

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    Jon Spencer pourrait faire exception à la règle. Il est certain que Des Esseintes lui aurait trouvé du charme frelaté, et Proust lui aurait conseillé l’œillet à la boutonnière. Et le voilà de nouveau sur scène, le Spence, le Skunk boy, à quatre pattes pour gaffer au sol sa planchette minimaliste dont on a dit en juin dernier qu’elle constituait le plus beau pied à nez à tous ces pseudo-pseudahs qui installent des plaques bardées de dizaines de pédales d’effets. Jon Spencer est depuis 40 ans le roi de minimalisme trash, c’est-à-dire le skunk. On le savait déjà en 1987 lorsqu’on écoutait «Pig Sweat» sur le Right Now de Pussy Galore, tout frais pêché dans un bac garage du killer Keller Born Bad, un «Pig Sweat» qu’on retrouve sur l’hallucinant Live In The Red. Eh oui amigo, c’est pas dans ta fucking amazonie de smartphone que t’auras ça. En matière de rock, il faut toujours commencer par le

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    commencement. Si tu prends le train en marche avec un fucking smartphone et son son de casserole, t’as tout faux. Et tu ne pigeras jamais rien. D’ailleurs le Spence exècre les fucking smartphones, et pire encore, les fucking selfish. Il en a une sainte horreur. Le rock, ça commence avec Rigth Now et c’est catapulté dans l’avenir avec le Skunk qu’il skonke sur scène, car c’est bien de cela dont il s’agit : si t’as besoin de skunk pour skonker dans le sky, alors ton dealer c’est Jon Spencer. Tu scores du Skunk en direct, t’as ton score et ça te scratche le skull, c’est lui, le Spence, le sking, le sky, le scrack boom, le screw d’outer space, le wild scat, la stiring flaming star, l’estoile des neiges, il te scroutche l’oss de l’ass à sec, et t’en veux encore, alors tu prends le sTwo sKindsa Love en pleine spoire, t’as le sCome Along qui scum along,

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    qui te scrame tout, les spoils et les spams, les spasmes et les spurrs, et voilà qu’arrive l’inévitable «Bellbottoms», le spring du prêche, le spow-how de la dernière heure où le Spence chante les louanges de Little Richard et où il rassemble les brebis égarées, il pardonne même aux fucking smartphones qui n’en finissent plus de filmer pour des prunes, pour des pages de fesse, pour rien, dans le chaos du néant numérique. Rien que d’y penser, t’as le vertige. Des milliards de vidéos qui ne serviront à rien. Le summum du néant. L’art rock et le néant numérique ne communiquent pas. Pourquoi ? Parce que le néant numérique remonte à rien et l’art rock remonte à Dionysos. Près du passé luisant, demain est incolore.   

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    Signé : Cazengler, Spencer les fesses

    Jon Spencer. Le 106. Rouen (76). 12 novembre 2025

     

     

    L’avenir du rock

    - Neat Neat Neat Neal

    (Part Two)

             Depuis combien d’années erre-t-il dans le désert ? L’avenir du rock pose la question, et comme personne ne lui répond, il fait la réponse : «Dieu seul le sait.» Et il ajoute d’un ton léger dont il est le premier surpris : «Ce qui me fait une belle jambe !». Il n’a pas d’autre choix que de continuer à marcher en philosophant. «Dans la vie, il faut avancer, sinon on recule.» C’est le genre de remarque qu’il faisait au début. Il a laissé tomber ces coquetteries intellectuelles. «Nous n’en sommes plus là...», conclut-il d’une voix sourde dont l’écho se fond dans l’air brûlant. Pour se distraire, il a encore les erreurs. Tiens en voilà un ! L’homme avance, vêtu de lambeaux. Un javelot est resté planté à travers ses deux joues : le manche d’environ un mètre entre par la joue droite et un autre mètre avec sa pointe sanguinolante ressort par la joue gauche. L’avenir du rock le reconnaît :

             — Zêtes bien Richard Francis Burton ?

             — Rrrrraaaachaaaaviiiiiiiii !

             — Vous pourriez pas articuler ? J’ai rien pigé !

             — Nnnnnnnnooooiiiiisiiiii !

             — Zen faites exprès pour m’énerver ou quoi ? Vous voyez bien que ce n’est pas le moment de m’énerver !

             — Zeeeecrrrrchehheeleeechourcheduuuuuniiiiiiiii !

             — Chourche du qui ?

             — Rrrrrchehheeleeechourcheduuuuuniiiiiiiii !

             — Ah oui, ça me revient ! Vous cherchiez les sources du Nil, il y a quelques années, avec vot’ pot’ Speke, et je vous avais conseillé de plutôt chercher les sources du Neal. Vous ne m’avez pas écouté et voilà le résultat ! C’est bien fait pour votre gueule ! La prochaine fois, vous suivrez mes conseils !

     

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             Normalement, Neal Francis est l’une des nouvelles superstars américaines, avec The Lemon Twigs et Brent Rademaker. En 2023 paraissait un double live, Francis Comes Alive. C’est bardé  de cool breeze de groove. T’as là-dedans le vrai son du r’n’b américain. Neat Neat Neat Neal groove bien son monde, il a tous les cuivres qu’il veut derrière lui. Sur la pochette, il a des faux airs du Jagger de Sympathy.

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    Mais globalement, ça sonne un peu Average White Band. Un peu trop pépère. Un peu trop établi. Pas de prise de risque. Neat Neat Neat Neal n’est pas James Chance. Il n’apporte pas d’eau neuve au moulin. En B, il vire plus poppy avec l’excellent «Alameda Apartments». Ça prend de l’ampleur. Encore de la belle pop de Soul classique avec «Promotheus». Il propose une pop véritablement pure. Et son «This Time» est un groove de Soul d’une rare élégance. On se régale en C de «Don’t Want You To Know» monté sur l’heavy riff d’une basse à contretemps. Il ramène le Ouh des Tempts dans «Very Fine Pts 1 & 2». Quel cake ! Il revient à un son plus poppy avec «Sentimental Garbage» en D. Poppy c’est sûr, mais dignement cuivré. Pas loin de Steely Dan - Thank you Chicago. We love you much, our hometown - Il termine ce solide double live avec «BNYLV», un heavy groove bardé de solos de sax, ça couine dans la couenne du lard fumant, ils sont dans la black jusqu’au cou et tu les salues bien bas. 

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             Return To Zero vient de paraître, alors t’es bien content. Sergio Rios produit l’album et les Say She She font les chœurs. Ça démarre en mode funk de Soul, c’est très collet monté, très dancing beat, peut-être un peu trop à la mode. «Don’t Want» te renverrait presque aux jours heureux.  Il faut attendre «What’s Left Of Me» pour arquer un sourcil, car voilà une fast pop qui respire bien et qui sent bon le gros niveau. Il enchaîne avec au «150 More Times» aussi prometteur et ça finit en apothéose comme les grands cuts de Let It Bleed, et là mon gars, tu cries au loup. On reste dans le très haut de gamme avec cette heavy pop de Soul qu’est «Dance Through Life». Tout est axé sur la qualité, ici. Il se maintient dans une heavy pop de classe extravagante avec «Dirty Little Secret». Neat Neat Neat Neal est un personnage fascinant, il dépose sur la pop un voile de mystère. Et ça continue avec «Already Gone», une pop d’entertaining assez ambitieuse. Il monte bien sur ses grands chevaux, épaulé par les chœurs magiques de Say She She. Cette pop t’enflamme les glandes.

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             Et donc tu t’attends à monts et merveilles lorsqu’il arrive sur la petite scène de la Bellevilloise. Pas de chance, il reste coincé derrière ses claviers. Tu t’attendais à une espèce de grand show dansant, et c’est au contraire très statique. Neat Neat Neat Neal pianote et chante, avec des sacrées allures de superstar qui ne la ramène pas. Il fera juste un petit tour sur le devant de la scène, et regagnera sa planque derrière ses claviers. Les claviers sont un tue-l’amour, sur scène, surtout pour un leader. Le seul qui échappe à ce destin, c’est bien sûr Jerry Lee. Neat Neat Neat Neal ne tape pas tous les gros hits de son dernier album, dommage. On retrouve l’ambitieux «Already Gone», suivi de la fast pop de «What’s Left Of Me», mais pour le reste, il tape dans des albums plus anciens, notamment In Plain Sight. D’ailleurs il boucle son set avec le puissant groove de «BNYLV». C’est ce qu’on appelle un groove à rallonges. Neat Neat Neat Neal fait partie des artistes complets, il sait poser sa voix, composer et faire le show. Il dispose en plus d’un atout majeur : le look. Et d’un autre atout majeur : il est superbement bien accompagné. T’as Jo-la-powerhouse derrière les fûts et tu vois rarement des batteurs de ce niveau.  Jo-la-powerhouse sait tout jouer, surtout l’heavy funk. Il fait la locomotive. Sans lui, tout s’écroule et tu t’endors.

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             La salle n’est pas pleine, loin de là. Neat Neat Neat Neal n’est pas encore très connu en France. Pourtant il a déjà enregistré quatre albums que les critiques anglais ont salué bien bas. Toujours ce décalage.

    Signé : Cazengler, Nul Francis

    Neal Francis. La Bellevilloise. Paris XXe. 13 novembre 2025

    Neal Francis. Francis Comes Alive. ATO Records 2023

    Neal Francis. Return To Zero. ATO records 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Les Ramones la ramènent

    (Part Three)

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             Tu croyais que les Ramones étaient quatre ? Non, ils sont cinq. Le road-manager-homme à tout faire Monte A Melnick est le cinquième Ramone. Si t’es fan des Ramones, alors tu devrais avoir lu l’oral history de Monte, On The Road With The Ramones. C’est l’un des books les plus rock’n’roll de tous les temps, si on considère que Vie Des Douze Césars de Suetone est aussi un book rock’n’roll.

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             Situé quelque part entre le format classique A5 et le grand format, ce book de 300 pages tient remarquablement bien en main. C’est presque un livre d’art rock, car Monte l’illustre abondamment, et le graphiste s’est lancé dans une admirable cabale de colonnages, passant du 2 col au 3 col au petit bonheur la chance, ce qui donne une belle dynamique à l’ensemble. T’as des pages qui accélèrent et d’autres qui ralentissent. Le fait qu’il ait opté pour un Helvetica condensed aggrave encore les choses : tu ne lis pas, t’avales. Tu deviens liseron, comme dirait Queneau.

             Monte et Frank Meyer ont habilement agencé les témoignages pour construire un récit fluide, dans le style du fameux Please Kill Me de Legs McNeil. Tous les acteurs de la saga témoignent. De tous, Monte est le plus passionnant.

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             Ce book complémente admirablement ceux de Dee Dee et de Johnny. Monte apporte un regard différent sur l’histoire agitée du groupe, mais le génie des Ramones n’en est que plus évident. 1, 2, 3, 4 ! Dès l’intro, ça résume sec - Leather jackets, torn jeans, dirty T-shirts, guitar down the knees, three chords and a wall of beautiful noise. Punk pionniers and Rock ‘n’ Roll Hall Famers. The Ramones were une undeniable force and at the peak of their powers, arguably the greatest band on the planet. They took pop sheen, doo-wop vocals, surf beats and ‘60s garage rock power and combined it to create a sound like no other - Oui, les Ramones ont inventé le punk et l’on incarné. Ça a duré 20 ans, et nous dit Monte, 2 263 shows - Like every other things they did, they rocked hard and fast, and they left.  

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             Joey rappelle que Dee Dee se faisait appeler Dee Dee Ramone bien avant que le groupe n’existe. Tommy raconte comment il s’est installé derrière la batterie pour dépanner ses copains qui ne trouvaient pas le bon batteur - The music needed a driving kind of thing - Tu parles d’un driving kind of thing ! C’est l’un des driving beats les plus révolutionnaires du XXe siècle ! Joey ajoute que le groupe voulait juste un «simple drummer, a timekeeper». Alors on a convaincu Tommy d’essayer - he sat down and played in this style that no one’d ever heard - Tommy sentait que le projet allait être intéressant. Ils ont évolué très vite - I knew we had something different, original and exciting. Once I started playing drums, it was quick - Deux mois après qu’il ait commencé à battre le beurre, les Ramones montent sur scène. Premier concert au CBGB, opening for Blondie, who where called Angel & the Snake.

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             Joey rappelle au coin d’une page que ses héros alors étaient les Who. Et dans le portrait de Johnny, Tommy déclare : «Johnny is a mistery. He has different personalities. He’s a contradiction.»  Dans les chapôs des têtes de chapitres, t’as des textes merveilleusement bien écrits (Frank Meyer ?) - Four scraggly kids from Forest Hills hellbent on fusing the aggression of the Detroit proto-punk with the polish and pop snap of bubblegum music and girl groups, and the power and bombast of glam rock - Et plus loin, le chapôteur met le paquet sur les personnalités - Tommy’s musical finesse, Johnny’s military precision, Joey’s tender heartstrings and Dee Dee’s comic book rogue charisma fused to create a sound all their own - Ed Stasium : «Tommy was the intellectual, Johnny was the taskmaster, Dee Dee was the true punk and Joey was Joey.» Le décor est planté. Les Ramones allaient stormer the Big Apple «with their brand of candy-coated locomotive rock.» L’énergie des mots restitue bien l’énergie du son. Candy-coated locomotive rock !

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             Très vite, le phénomène se développe. Monte en frétille encore : «Après une poignée de shows, it all developped - The Ramones feel, the official feel: the black leather jackets, the jeans, the T-shirts, the low-slung guitars, the haircuts - the whole attitude - C’est incroyable que ça ait aussi bien marché. John Holmstrom rappelle que l’art des Ramones est avant tout minimal - It was the music, They had everything: the image, the sound, the lyrics. They were the whole package. I’d never seen any band that had everything together like that - Johnny ne voit qu’un groupe du niveau des Ramones : les Heartbreakers. Il voit un clip de Led Zep au Madison Square Garden en 1975 et s’exclame : «Oh God, these guys are such shit!». Ils sont devenus des dinosaures et Johnny sent que les Ramones sont bien meilleurs, et il a raison. Sylvain Sylvain rappelle qu’à l’époque, les Dolls étaient en tête de la course de chevaux : «On était à deux doigts de la victoire et derrière nous, il y avait les Ramones, KISS, les Dictators et Blondie, and the list go on. Puis on est tombé, on s’est cassé une patte et les autres guys ont gagné la course.» Holmstrom ajoute que le punk rock en 1974, c’était Suicide, les Dictators, Television et les Ramones. Pour lui, les Dictators et les Ramones étaient comme les Beatles et les Stones d’une nouvelle révolution. On s’amusait encore en 1974, comme le rappelle Joey - The Ramones were always about having fun. Fun disappeared in 1974 - there were too many serious people out there at that time - Danny Fields souligne l’ironie des Ramones et des Pistols qui rêvaient d’être les Bay City Rollers - My God, here are the world’s two best bands wanting to be the Bay City Rollers. You can appreciate the irony of that - Danny Fields était fasciné par les Ramones au point de les manager. Pour lui, les Ramones proposaient ce que tout le monde attendait alors - Fill up that syringe and here’s my arm. Give it to me! Shout it! - C’est Danny Fields qui fait du porte à porte pour essayer de vendre la première démo des Ramones qu’avait supervisée Marty Thau. On sait comment ça se termine : chez Sire. Et voilà que les histoires de cul commencent à courir : Dee Dee a-t-il couché en trio avec Seymour et Linda Stein ? Dee Dee jure qu’il n’a jamais couché avec Linda. Évidemment Danny en profite : «Tout le monde aimait Dee Dee et voulait coucher avec lui. Je l’ai fait. It was nice.» N’oublions pas que Dee Dee se prostituait pour arrondir ses fins de mois. Waiting for the man. Sex & drugs & rock’n’roll. Il est important de rappeler de temps en temps que le rock ne se limite pas aux disques. Plus la réalité est crue et plus elle est intéressante.

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             L’ex-girlfriend de Monte explique le rôle qu’il jouait dans cette aventure : «To the Ramones, Monte was a tour manager, mom, dad, teacher, doctor, babysitter, bill collector, voice of reason, referre, host, guest, shoulder to cry on, head to beat on, hand to hold, driver, negociator, pat on the back, pat on the ass, life saver, the boss, the peon and the whipping boy. And when his talents weren’t neceassary, he was there in the shadows.»

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             Les premières tournées des Ramones sont assez catastrophiques. On les fait jouer en première partie de Johnny Winter et de Ted Nugent et le public les fait sortir de scène. Le pire, ce fut avec Sabbath. Monte : «Playing with Sabbath was dangerous.» Les gens ne voulaient pas des Ramones et ils étaient armés. Monte en conclut que les Ramones ne sont pas un opening band ! Alors ils deviennent des headliners ! - Everybody opened for us - Retournement de situation. Il suffisait d’y penser. Et ça tombait sous le sens. Mais c’est très compliqué de trouver des groupes capables d’ouvrir pour les Ramones. Monte : «One of the fisrt bands we got paired with that finally made some sense was the Runaways.» On suit pas à pas l’évolution du projet. Quand ils jouent en Angleterre, on les fait passer avant les Groovies. Grave erreur. Johnny : «Everyone was there to see us. People cleared out after us.» Les Groovies étaient déjà passés de mode. L’avenir appartenait aux Ramones. 1, 2, 3, 4 !

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             Holmstrom : «The Ramones were punk rock. They were guenine. Johnny was a violent punk. Dee Dee was worse. Joey was a mental institution.» Holmstrom rappelle aussi que les Ramones respectaient leurs fans «and never got fucked-up. No drugs or alcohol before the show. You couldn’t do a show like the Ramones and be fucked up.» Johnny savait que pour tenir le coup pendant les tournées, il fallait éviter de traîner dans les parties après les shows, mais Dee Dee buvait comme un trou et prenait toute la dope qu’on lui proposait. Monte : «That was him. But we tried to keep it under control.» No smoking in the van. Dur pour Tommy qui fume à la chaîne. Monte pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles il a quitté le groupe. Johnny et Monte étaient inflexibles. No smoking in the van. Vera qui a voyagé dans le van indique qu’il y avait des règles : «Basically, the women should be quiet. That was one.» On voit une photo de Monte devant un tour bus. Pour que tout ça tienne, il fallait des règles. Ça semble complètement logique.

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             Après Road To Ruin, Tommy commence à se sentir mal. «They were driving me crazy.» Il commençait à y avoir des problèmes dans le groupe. Alors Tommy dit qu’il arrête. Quand il annonce aux trois autres qu’il fait une dépression, ils explosent de rire. Johnny ne comprend pas qu’on puisse quitter les Ramones. Ça le dépasse. Tommy est un personnage clé dans le projet : il est le porte-parole du groupe et il a produit les quatre premiers albums. Il a créé the Ramones’ Sound. Johnny reprend immédiatement les choses en main et embauche Marky qui doit s’adapter vite fait : «I had to change my drum style. This was simplicity at its most simplistic.» Tais-toi et bats.  

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             Dans Commando, Johnny Ramone dit qu’il n’aime pas trop Pleasant Dreams - This is not one of my favorites, to say the least - Eh oui, il arrive en studio et le producteur Graham Gouldman demande d’où sort ce humming. Well it was my guitar. Et là Johnny Ramone rumine. Il sait que ça ne va pas gazer avec le gars Gouldman, qui comme chacun sait est l’asticot de 10cc. C’est vrai que Pleasant Dreams est un peu bizarre. Disons que ce n’est pas le son habituel des Ramones. Mais il y a toujours les vieux restes de Joey. Ils renouent avec la Ramona dans «All’s Quiet On The Eastern Front», c’est un fast drive chanté en ping-pong avec Dee Dee. C’est sur cet album que tu croises «The KKK Stole My Baby Away», le cut de représailles que Joey a pondu après s’être fait barboter Linda par Johnny KKK. Joey le cocu n’est pas content - He took it away/ Away from me - En fait, c’est un album de power pop, comme le montrent «Don’t Go» et «She’s A Sensation», c’est puissant, avec un beurre bien plan-plan. «It’s Not My Place (In The 9 To 5)» est quasi good time. On perd le raw de la Ramona. «7-11» sonne radio friendly. Joey adore ça, il y va au bop she wap she wap. De cut en cut, les Ramones perdent leur punch. On entend même du piano dans «This Business Is Killing Me». On imagine Johnny Ramone penché sur son manche, à se demander ce qu’il fout là. Et puis quand on croit que c’est cuit aux patates, voilà qu’ils ressuscitent la Ramona avec «Sitting In My Room». Joey est bien chaud, ça redevient solide, punchy, élancé. Ils retrouvent tout leur éclat originel.

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    Marky

             Mais Marky picole - After a while, he was smashed all the time and started fucking up. The band was getting upset - Tais-toi, bats et arrête la picole. Mais il continue. Viré. Coup de fil de Joey et Dee Dee : «Mark, we can’t have you in the band anymore. You fucked up.» Richie le remplace. Monte est ravi de Richie : «Always on time. No drugs, no trouble. A far cry from Marky’s behaviour.» Richie fait trois albums avec les Ramones : Too Tough To Die, Animal Boy et Halfway To Sanity. Joey : «He saved the band as far as I’m concerned.» et il ajoute : «He put the spirit back in the band.» Mais Ed Stasium le voit comme un jazz drummer et trouve qu’il ne colle pas avec les Ramones.

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             Animal Boy est l’un des albums les plus percutants du groupe. Joey se met en rogne et le morceau titre sonne comme du trash punk pur et dur. En B, «My Brain Is Hanging Upside Down» sonne comme une belle tentative de Totor Sound. Et sur «Eat That Rat», Joey fait son Johnny Moped : même son que «No One».

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    Richie

             Johnny : «Ce fut une période compliquée pour les Ramones, Joey et Richie menaient la vie dure à Daniel Rey qui produisant l’album. Ils voulaient tout le temps changer des trucs et remixer les chansons.» Il ajoute que Dee Dee ne joue pas sur Half Way To Sanity, même s’il est crédité. C’est Daniel Rey qui fait le Dee Dee. L’album est solide, «Go Lit’ Camaro Go», «I Know It Better Now» et «Bye Bye Baby» valent pour des coups de génie : Camaro pour son buzzsaw et le papa oum mama, le Better Now est de la pure Ramona, quant au «Bye Bye Baby», c’est de la pure pop de Brill, c’est-à-dire le pré carré de Joey. Et t’as Daniel Rey qui gratte ses poux. Joey te tortille la pop de Brill à sa façon, il rend hommage à Totor. Mais il en fait peut-être un peu trop. Avec «Death Of Me», Joey est au sommet de son lard, il mise tout sur les soupirs. Et quand les Ramones décident de revenir aux basics, ils font du Punk’s Not Dead de haute volée, comme le montre «I Lost My Mind». S’ensuit un «Real Cool Time» qui n’est pas celui des Stooges, par contre, «Worm Man» est en plein dans les Stooges ! Ils recréent la tension mythique du beat primitif des Stooges de «1969». Fantastique osmose de la comatose ! 

             Mais Richie veut sa part du gâtö, c’est-à-dire le merch. Il n’est pas un membre originel, donc zéro privilège. Les trois autres empochent le cash du merch. En 1987, après un show à East Hampton, Richie se barre sans dire au revoir. Ils essayent de le faire revenir avec un gros billet, mais Richie les envoie promener. Et les prochains concerts ? Il s’en lave les mains. Il ne va même pas ramasser ses royalties chez le comptable. Les chèques s’entassent sur le bureau du comptable pendant dix ans. Pour Monte, Richie est resté un mystère.

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    Clem Burke

             Johnny ne perd pas de temps et propose la botte à Clem Burke. Pas de pot, Clem arrive dans une mauvaise ambiance : tout le monde se déteste. «No chemistry. That creates an anti-chemistry.» Tout ça pour cacher la misère, car le pauvre Clem qui bat la pop de Blondie n’est pas foutu de battre le beurre des Ramones. C’est une catastrophe. Alors Johnny fait revenir Marky, «the quintessential Ramones drummer. The guy is a powerhouse.» Marky constate à son retour que l’ambiance s’est détériorée : «Joey was drinking and doing coke. Joey and John are définitively not talking at this point and I don’t know what planet Dee Dee was on. He was on psycho drugs, pot, wearing Adidas uniforms, sneakers and gold chains and was in his rap phase.»

             Johnny essaye de maintenir le groupe en état, mais c’est compliqué. Monte : «Johnny wouldn’t put up with his shit. Dee Dee would listen to Johnny. He wasn’t afraid of Johnny, but Johnny was the boss.» Tommy dit à Arturo d’apprendre vite fait à jouer de la basse, au cas où Dee Dee ferait une petite overdose.

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             Même si Johnny ne l’aime pas beaucoup - One of my least favourite albums - Brain Drain est un Sire qui se tient relativement bien. Johnny ajoute que Dee Dee est crédité, mais il ne joue pas. Les Ramones attaquent au Wall of Sound avec «Believe In Miracles» - I believe in a better world/ For me & you - Joey le prend en mode Heartbreakers. Pur New York City Sound ! Tout l’album est blindé, avec un Joey furibard qui chante du nez. Mais il manque les enchaînements. C’est très bizarre de ne pas entendre le fameux one two three four ! «Don’t Bust My Chops» est encore très Heartbreakers. Ils tapent une cover du «Palisades Park» de Freddie Cannon, puis ils embrayent sur «Pet Semetary». Tu sens le classique dès l’intro. C’est un petit joyau ramonesque bien noyé de son. Dommage qu’on entende des violons derrière. Laswell ramollit les Ramones. Back to punk avec «Learn To Listen». Ça reprend de l’allure, c’est même quasi-beefheartien, au sens de «Dropout Boogie». Voilà l’un des emblèmes du NYC punk : «Ignorance Is Bliss». Sur ce terrain, ils sont imbattables. Ils passent à la power pop avec «Come Back Baby» et regagnent la sortie en mode Christmas avec une belle dégelée de «Merry Christmas (I Don’t Want To Fight Tonight)». 

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             Loco Live est l’un des grands albums live du XXe siècle. Impossible de faire l’impasse sur cette bombe atomique ramonesque. Ils sont venus, ils sont tous là, «Blitzkrieg Bop» (l’hymne !), «I Believe In Miracles» (attaque frontale), «The KKK Took My Baby Away» (Joey jette toute sa niaque dans le KKK), «Too Tough To Die» (vrai bulldozer, Ramona tout terrain), «Sheena Is A Punk Rocker» (l’hymne originel), «Rockaway Beach» (le cut prend feu), «Pet Semetary» (enfonce les lignes, Joey chante du museau). Petit coup de Punk’s Not Dead avec «Animal Boy» (quasi dirty proto). Ils passent le «Surfin’ Bird» des Trasmen à la casserole, et ça rebascule dans le mythe avec «Beat On The Brat» (c’est l’accord parfait des accords parfaits, l’oh yeah est pur comme de l’eau de roche), et «Chinese Rock», mythe d’or en barre, les Ramones l’explosent.

             En tournée, les Ramones font tourner Monte en bourrique. Pendant une tournée au japon, ils planquant une tête de poisson dans sa valise. Monte est furieux : ses fringues puent la poissecaille. Alors il bricole un petit axiome rigolo : «Quelle est la différence entre un tour manager et une lunette de WC ? A toilet bowl only has to deal with one asshole at a time!».

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    Dany Fields

             Monte aborde aussi l’aspect réactionnaire de Johnny, qui fait souvent des blagues sur le dos des blacks et qui a sa carte au KKK - He tolerated other races - he had to - but it was pretty clear that he did not like them - Côté sexe, Danny Fields rappelle que les Ramones étaient monogames. Tout le monde baisait tout le monde en tournée, sauf les Ramones. Jusqu’au moment où Johnny baise la copine de Joey, lequel Joey le prend très mal - He destroyed the relationship and the band right there, amongst other things - Mais Johnny rappelle aussi sec que la relation était déjà détériorée. Ça remonte au temps où Tommy a quitté le groupe. Les choses empirent au moment d’End Of The Century quand Joey dit à Totor qu’il envisage une carrière solo. Johnny : «I wasn’t totally happy with the direction of the band on the album. Internally, things started to deteriorate around ‘79.» Quand Dee Dee était dans le groupe, tout le monde s’en prenait à lui. Quand il est parti, ce fut le tour de Joey. C’est comme ça qu’ils passaient le temps. Mais sur scène, ça ne se voit pas. Monte : «They knew they had a good thing going. Vers la fin, ils ne pouvaient plus se supporter, mais ils montaient sur scène and play a show and you’d never know. That was the Ramones magic.» Puis Monte sent que Joey va lâcher, alors il le prend totalement en charge, ce qui rend les autres jaloux. Joey prenait soin de sa voix et demandait à ce qu’il y ait une piscine dans l’hôtel. Il nageait et soignait sa voix dans le sauna.

             Malgré tous leurs bons albums et leur légende, les radios américaines ne veulent toujours pas des Ramones. Danny Fields : «Fuck radio. Radio is the stupidest, most backward white-man-is-now medium out there. It is populated with the dumbest shit and is the most cowardly of all forms of show business.» Les Ramones sont trop punk pour la radio - Speed, volume and guitar attack wasn’t synonymous with pop - Joey ne cache pas sa fierté : «We’re the only band that stuck up to its original ideal. Everybody else either went the sound of Bruce Springsteen or Elvis Costello or went disco or reggae. We never went the way of the Clash. We never wanted to go into, the discos that bad. It’s bullshit.» Cela s’appelle une profession de foi. Danny Fields ajoute que les Ramones sont devenus célèbres sans radio ni MTV, «and it’s the type of fame you can’t translate into record sales.» Mais Joey et Dee Dee ne veulent plus de Danny comme manager. Il votent à deux contre un (Johnny) contre lui. Joey et Dee Dee veulent le manager des Talking Heads, Gary Kurfirst. Ils voulaient juste renverser le pouvoir, c’est-à-dire Johnny et Danny. C’est aussi con que ça. Par contre, ils restent tous fidèles à Ed Stasium, qui va enregistrer 9 albums avec les Ramones, à partir de Too Tough To Die. Monte : «If I was the fifth Ramone, then Ed soon became the sixth.»

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             Et puis il y a cet épisode clé dans l’histoire des Ramones : la rencontre avec Totor qui jurait à Ed Stasium qu’il allait faire des Ramones «the biggest thing since the Beatles. He was convinced of this.» Mais Johnny était contre ce projet depuis le début. Totor les harcelait depuis Rocket To Russia et Road To Ruin. Johnny revient aussi sur la pochette d’End Of The Century. Il y avait la photo avec et la photo sans les leather jackets. Dee Dee et Joey ont voté pour la photo sans les leather jackets. Johnny et Marky voulaient l’autre. Mais comme la voix de Marky ne comptait pas, Dee Dee et Joey ont gagné. Johnny : «That was Dee Dee and Joey trying to get the power away from me.» Les sessions d’End Of The Century furent terribles, selon Ed Stasium, «espacially for Johnny who hated Phil. Joey loved Phil». Les sessions durent des heures et Johnny en a ras le bol du take after take. Ils jouent «This Ain’t Havana» 353 fois, «over and over at absurd volumes.» Joey exulte : «It was a Frankenstein experiment. Everybody in the band hated working with Phil but I enjoyed it because he was so sick. He was so nuts that it was kind of pleasant. I was working with a master. I learned a lot.»   

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             Quand Dee Dee entre dans sa phase rap, il collectionne les montres, puis les tatouages. Sur scène, il ne joue pas les bonnes basslines. Johnny demande au roadie Little Matt de le débrancher. Puis Dee Dee quitte les Ramones. Il ne supporte plus que Johnny lui donne des ordres, tu t’habilles comme ci et tu te coiffes comme ça. Terminé. Andy Shernoff : «Dee Dee was a nut job, but I never thought he would leave.» Alors évidemment, après, ce n’est plus la même histoire.

             Johnny dit aussi que les années 80 ont été rudes - We were out there by ourselves. There was no punk rock movement. If there was any, it was really underground. It was a lonely decade. Those were the hardiest years. We are so in our own world we barely even noticed. It was rough - Alors que les autres Ramones voulaient évoluer, Johnny ne voulait pas, «he wanted to keep it the way it was. He knew it would become a cult thing and he was right. it worked.»  

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             Encore un big album avec Mondo Bizarro. T’y trouves une belle cover des Doors, «Take It As It Comes». Joey passe en force. Johnny : «We did a Doors cover, ‘Take It As It Comes’. It was my idea which nobody liked at first.» Et ça grouille de coups de génie sur ce Mondo, à commencer par «Censorshit», pur power de la Ramona, l’équilibre parfait du rock power/chant/chords, bien profilé sous le vent new-yorkais. Encore de la fantastique énergie avec «The Job That Ate My Brain», Joey injecte tout son sucre dans cet enfer. T’as encore du son à gogo dans «Poison Heart» et du full blown dans «Anxiety», Johnny te gratte ça à la vie à la mort et Daniel Rey fout le feu par derrière avec ses licks thunderiens. Magie pure encore avec «It’s Gonna Be Alright». Joey est le roi de la magie, il est le Merlin du punk new-yorkais, te voilà arrivé au max des possibilités du rock new-yorkais. Joey passe encore en force sur «Tomorrow She Goes Away», il chante au raw du raunch. Joey est un génie, au sens d’Aladin, il sort d’une lampe, hey hey ! Les Ramones n’ont jamais été aussi flamboyants. Joey n’en finit plus d’enfoncer son clou dans la paume du mythe. T’as les pires heavy chords de la Ramona dans «Cabbies On Crack» et ça se termine On The Beach avec un «Touring» digne des grandes heures des Beach Boys. Franchement, que demande le peuple ?       

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             Paru en 1993, Subterranean Jungle reste un bon album. Pourquoi ? Parce qu’«In The Park», véritable chef-d’œuvre de buzzsaw pop un brin On The Beach, avec le génie Joey aux harmonies. Parce que «Time Bomb», et tous ces réflexes power pop extraordinaires. Le génie Joey te chante ça très laid-back. Parce que la petite cover du «Little Bit O Soul» de Music Explosion. Parce qu’«Outsider», du très grand yeah yeah yeah et un couplet chanté par Dee Dee. Et surtout parce «Time Has Come Today», fantastique hommage aux Chambers Brothers, tic tac coucou, ça ramone bien à la Ramona et les autres font hey ! Et puis sur la red Rhino, t’as des bonus, et là tu te régales, car t’as l’impression d’être en répète avec eux. Rien de plus juteux que les démos de la Ramona, notamment «Bumming Along» avec un Joey scintillant all over la Ramona, puis «My-My Kind Of Girl» où le génie Joey ramène tout son sucre et chante comme un dieu.

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             Acid Eaters ! Big-o big one ! Johnny explique qu’ils n’auraient pas pu faire cet album de reprises plus tôt, car il aurait fallu les adapter au style des Ramones, comme ils l’ont fait avec «California Sun». C.J. chante sur «The Shape Of Things To Come» et «My Back Pages». On perd la Ramona. Quelle tragédie ! Mais Joey se tape la part du lion avec «When I Was Young» où il fait son Burdon. Il explose le Burdon ! Marky rafle la mise sur le «7 & 7 Is» du roi Arthur. Ramona all over ! Ils triplettent la roulette de Belleville et Marky fait tout le boulot. Boom badabooom ! Et pourquoi c’est le plus bel album de covers de tous les temps ? À cause des six covers mythiques : «Substitute» (avec Pete Townshend dans les backing vocals, c’est du full blown de London Town in New York City. Power extrême), «Out Of Time» (Joey réinvente le Swingin’ London au sucre demented, il accroche chaque syllabe à la vie à la mort, c’est chargé de tout le barda du monde), «Somebody To Love» (Joey évince la Grace de l’Airplane), «Have You Ever Seen The Rain» (fantastique explosion nucléaire, les Ramones la ramènent au I know et au pur génie pulsatif, hommage suprême à Fog), «I Can’t Control Myself» (Joey y va au bah bah bah bah mythique, il tape ça en mode I can’t control maïséééé, et Johnny gratte des poux de rêve, il noie le mythe dans son wall of sound) et puis pour finir, le «Surf City» de Jan & Dean, pur jus d’On The Beach. T’as là la vraie racine du rock californien.

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             Et voilà l’album des adieux : Adios Amigos. Johnny : «This album has perhaps the best of all the guitar sounds I ever got. Daniel Rey produced it and he knew the Ramones were a guitar group. He also played the leads on here.» Et plus loin, il ajoute que C.J. chante quatre cuts («Making Monsters & Freaks», «The Crusher», «Cretin Family» et «Slatter Gun») Dès que Joey ne chante pas, on perd la magie des Ramones. Pur Ramona power avec «I Don’t Want To Show Up» - One two three four ! - C’est droit dans l’axe : Ramona intacte avec tout le sucre de Joey et le buzzsaw de Johnny. Joey oh-yeate son oh yeah dans la pire power-pop de «Life Is A Gas». Clameur éternelle ! T’as une espèce de suprématie, comme si les Ramones régnaient comme des Empereurs en perfecto sur la Rome du rock. Ça sonne comme un fait établi, cette pop est tellement pure, aussi pure qu’au premier jour. Joey te drive «Take The Pain Away» vite fait bien fait, avec Johnny en support tutélaire. Et puis t’as cet «Have A Nice Day» tapé dur dans l’oss, Joey chante aux parois nasales, à la niaque de la 25e heure. Encore un coup de génie avec «Got A Lot To Say», Johnny gratte la destruction massive, il jette tout son dévolu dans cette dernière bataille et Daniel Rey passe un killer solo flash. Ce dernier album est bardé de tous les symboles. C’est un album magnifique. «Born To Die In Berlin» sonne comme «Chinese Rocks». Mêmes accords. On reste dans les Heartbreakers avec cette cover mythique de «Baby I Love You» qui s’appelle ici «I Love You». Joey n’en fait qu’une bouchée, I really do, et Daniel Rey fait son Johnny, l’autre, le Thunders. T’es assez fier de faire partie des fans des Ramones. C’est aussi bête que ça.

             Joey avoue qu’il en avait assez après 22 years of constant touring - I definitively loved aspects  of the band, the live performances, the fans, but I had my fill. It was time to have a life - Mais plutôt que de jouer leur dernier concert à New York, ils le jouent à Los Angeles, parce que Johnny y vit. CJ : «It was ridiculous.» Ils ont des invités sur scène, Lemmy, Tim Armstrong et Eddie Vedder.

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             Les Ramones ne pouvaient boucler leur bouclard qu’avec une bombe atomique : We’re Outta Here est l’enregistrement live de leur dernier concert d’août 1996 au Palace de Los Angeles. Festin ramonesque de 32 cuts, mélange détonnant de coups de génie («Blitzkrieg Pop», «The KKK Toook My Baby Away», «Pet Semetary») et de cuts mythiques («Chinese Rock») Et si les Ramones étaient le groupe parfait ? Et si Joey était le chanteur parfait ? Tu sens le souffle dès «Teenage Lobotomy». Leur arrivée sur scène est dévastatrice. C.J. fait son Dee Dee et lance tout au one two three four! Joey chante comme un canard sur «Do You Remember Rock’n’Roll Radio» et une chape de plomb tombe sur la salle avec «I Believe In Miracles». Ramona power ! Ils sont insurpassables ! Quand ils font de la power pop avec «Rock’n’Roll High School», ils le font avec tout le power du monde. «I Wanna Be Sedated» te plonge au cœur du cyclone de la Ramona. Ce live est une véritable aventure. Les Ramones sonnent comme une aventure. Kings of cartoon ! Joey se jette dans le KKK avec tout la rage mythique dont il est capable. Il monte ses couplets comme ceux que montait Totor, aw yeah ! Joey reste au faîte de sa Ramona avec «I Just Want To Have Something To Do» et t’as «Judy Is A Punk Rocker» qui te tombe sur le coin de la gueule, aw yeah, Joey avale bien ses syllabes, sheenes/ punroka, le voilà au sommet du mythe, et ils enchaînent avec un «Rockaway Beach» ful-gu-rant. Ils transforment tous leurs hits en rouleaux compresseurs. Ils battent encore tous les records de trash-punk avec «Do You Wanna Dance» et Johnny remonte un Wall of Sound vite fait pour «Someone Put Something In My Drink». Encore une fournaise du diable avec «Cretin Hop», «R.A.M.O.N.E.S» sonne comme l’hymne new-yorkais, «53rd & 3rd» comme l’hymne de la Ramona, et «Chinese Rock» comme l’hymne national américain. Tu sors de là complètement rincé. 

              Quand tout ça est fini, Monte flippe : «After the Palace show I had no idea what to do with the rest of my life. I had put everything I had into The Ramones and now it was all over. I tried to start a normal life, but I didn’t know how.»

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    Johnnu and Lisa

             Une fois installé à Hollywood, Johnny commença à retourner sa veste et à fréquenter la jet set - the life of the rock star - Monte dit qu’il traîne avec Vedder, Rob Zombie, Green Day, Rancid, Nicolas Cage et Lisa Maria Presley. Monte donne encore des coups de main aux survivants, comme Dee Dee pour enregistrer Greatest & Latest, un album de covers des Ramones avec Chris Spedding.

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             Et voilà qu’arrivent les conclusions : «If Joey was the band’s heart, Dee Dee was the soul and original drummer Tommy the mentor. Johnny was the drill sergeant, leading the group from battle after battle and off and it was he who oversaw the band’s destiny.» Johnny : «Nobody can sound like us. It is very difficult to do. No one can play the guitar like that, and the drumming is very difficult, too. No one can do down-strums. They have trouble getting through one song of down-strums.»

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             C’est à Rodney Bigenheimer, the Mayor of Sunset Strip, que revient le mot de la fin : «In the history of rock’n’roll, there’s Elvis Presley, The Beach Boys, The Beatles and The Ramones. They changed the whole punk history and the whole rock history. Even the Sex Pistols were influenced by The Ramones.» Bizarre que le Mayor of Sunset Strip oublie de citer Bob Dylan.

             Signé : Cazengler, Ramone sa fraise

    Ramones. Pleasant Dreams. Sire 1981

    Ramones. Animal Boy. Sire 1986

    Ramones. Halfway To Sanity. Sire 1987

    Ramones. Brain Drain. Sire 1989

    Ramones. Loco Live. Chrysalys 1991

    Ramones. Mondo Bizarro. Radioactive 1992

    Ramones. Subterranean Jungle. Sire 1993

    Ramones. Acid Eaters. Chrysalis 1993

    Ramones. Adios Amigos. Radioactive 1995

    Ramones. We’re Outta Here. Radioactive 1997

    Monte A. Melnick & Frank Meyer. On The Road With The Ramones. Independently published 2019

     

     

    Inside the goldmine

     - Junior on le connaît Parker

             Il est des gens que tu rencontres et qui te marquent à vie. Parcourt fait partie de ces gens-là. Tu commences par lui donner le bon dieu sans confession, c’est-à-dire que tu lui accordes ta confiance. Tu ne te poses même pas la question de savoir s’il saura s’en montrer digne. Tu marches à l’instinct. Tu sais aussi qu’une relation se bâtit dans le temps. Alors tu donnes du temps au temps et tu alimentes en dosant bien : un peu de musique, un peu de littérature, un peu de cinéma, quelques éléments succincts d’autobiographie, deux ou trois points de vue, non pas sur l’actu qui n’a jamais servi à rien, mais sur la vie et la mort. La relation se développe et s’équilibre. Parcourt réagit bien, il alimente lui aussi, et tu montres que tu es preneur, mais sans te forcer à accepter ce qui ne te convient pas. La base d’une relation équilibrée repose sur l’honnêteté morale et intellectuelle. C’est le seul moyen d’éviter les zones d’ombre et les prises de bec. Quand au fil du temps, tu vois poindre les premiers défauts, tu tentes de nier ta déception. Tu te dis que ce n’est pas si grave, même si tu vois Parcourt esquinter certaines règles tacites. Par exemple, il va te photographier comme le font tous les cons aujourd’hui sans te demander ton avis. Tu lui redis pourtant la règle d’or : n’inflige jamais à quiconque ce que tu ne voudrais pas qu’on t’inflige, mais il ne comprend pas. Cette incompréhension te met la puce à l’oreille. Tu réalises soudain que tu t’étais fait une idée de Parcourt qui ne correspond pas à la réalité. Et tu conclus amèrement qu’au terme d’une vie consacrée à l’étude approfondie de la condition humaine, tu peux encore te fourrer le doigt dans l’œil en prenant les vessies pour des lanternes. Mais en même temps, tu refuses de porter la responsabilité de cet échec. Tu te demandes encore pourquoi Parcourt t’a bluffé. Est-il rusé comme un renard, ou roué comme le petit paysan qu’il n’a jamais cessé d’être ? Est-il abandonné de Dieu ? Joue-t-il un rôle ? Et pourquoi le jouerait-il aussi mal ? Il finit par te faire pitié.

     

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             Alors que Parcourt ruse sans avoir les moyens de la ruse, Parker crée sa légende. Il en a largement les moyens. En plein milieu des fifties, à Memphis, Junior Parker est entré dans la caste des géants du blues et de la Soul. L’un de ses premiers admirateurs fut Elvis.

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             Si on veut plonger dans la jeunesse du grand Junior Parker, il est conseillé d’écouter une vieille compile Ace de Little Junior Parker & The Blue Flames, I Wanna Ramble. C’est un album de gros jumpy jumpah avec ses solos de sexy sax. Alors attention, c’est Pat Hare qu’on entend sur «Can’t Understand», un fantastique boogie blues de down on the highway, qui sera pompé par Creedence sur down the highway. Tous ces cuts datent de la période 1954-1956, c’est du Duke  et l’heavy blues de «Driving Me Mad» va t’envoyer au tapis. En B, t’as le «5 Long Years» d’Eddie Floyd, un heavy blues d’I’ve been mistreated. Ces mecs savaient déjà tailler une route. Et puis t’as ce «Pretty Baby» qui va te liturger les abbatiales à coups de don’t like my automobile. Heavily balanced !

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             En 1962, Little Junior Parker pose avec sa Cadillac pour la pochette de Driving Wheel. Avec «I Need Love So Bad», il atteint une sorte d’apothéose de la Soul de blues, logique car signé Percy Mayfield. Il réédite l’exploit avec «Tin Pan Alley», monté sur un bassmatic délicieusement élastique. Il reste dans l’heavy blues d’harangue avec «Someone Broke This Heart Of Mine» et passe en mode boogie cavaleur avec «Yonder’s Wall». Par contre, il ne fait pas l’apologie de la «Sweet Talking Woman». Pourquoi ? Parce qu’elle lui a barboté all of his money. Les ceusses qui ont eu la bonne idée de rapatrier la red sont quasiment tous morts d’overdose : 15 bonus explosifs ! À commencer par «Mystery Train», la racine d’Elvis. Junior fait bien l’Elvis au train arrives et au Train train/ Comin’ on round the bend. T’as aussi «That’s Just Alright» tapé aux riffs carnassiers, inégalable ferveur primitive ! Il passe en mode big band avec «Peaches», Junior swingue sa chique, I know I know I know ! Dans tous les cas de figure, Junior a la classe. Encore un heavy boogie de fantastique allure : «Pretty Baby», et son «Sometimes» vaut toutes les versions de «Dust My Blues» jouées en Angleterre.

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             Paru en 1970, The Outside Man est ressorti sous une pochette beaucoup sexy et un autre titre : Love Ain’t Nothin’ But A Business Goin’ On. Quel album ! Junior est tellement à l’aise qu’il fait plaisir à voir, whoooo yeah ! Il attaque «The Outside Man» au big time out, machines de bassmatic avant toutes et Junior saute en croupe.

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    Magnifique groover ! Il manie à la fois le smooth et le raw. Il tape trois covers de Beatles sur cet album béni des dieux, à commencer par «Taxman». Ah il faut le voir groover entre les reins du Roi George ! - ‘Caus I’m the taxman ! - En B, il tape «Lady Madona» en mode Parker, il groove bien le butt des Beatles, il y va au whooo finds the money/ When you pay the rent ! Et il enchaîne avec l’encore pire «Tomorrow Never Knows», l’ancêtre de la psychedelia. Seul Junior peut se permettre ce luxe indécent. Il fait sa psyché. L’autre grosse cover de choc est celle du «Rivers Invitation» de Percy Mayfield. Il te groove ça à coups d’all across the country et d’I’m trying to find my baby. Il ne la trouve pas, alors il parle à la rivière, I spoke to the river/ And the river spoke back to me, il te swingue ça à la folie. Junior est un fantastique chanteur de charme, tu succombes en permanence. Il est certainement l’un des Soul Brothers les plus accomplis, la beauté n’est pas que dans la mélodie, elle est aussi dans le chatoiement de ses accents chantants. Il vibre littéralement son chant. Avec «You Know I Love You», il passe le blues en mode Soul de satin jaune.

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             Like It Is n’est pas vraiment son meilleur album. On y trouve deux beaux boogies, «Wish Me Well» et «Come Back Baby». Junior les mène de main de maître. On sent un brin de modernité dans son «Country Girl» - My little girl is a country girl - Et il groove comme un crack son «(Ooh Wee Baby) That’s The Way You Make Me Feel», il laisse filer sa note au chat perché. Il se prend pour une poissecaille dans l’heavy boogie blues de «Just Like A Fish» et il supplie sa baby de revenir dans «Baby Please». Toujours la même histoire : Baby please come back/ I need your love to set me free.

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             Tu te sens toujours bien en compagnie de Junior. Ce que vient confirmer Honey-Dripping Blues. La perle de l’album est sa cover du «Reconsider Baby» de Lowell Fulsom. Il y va à l’I hate to see you go, ça joue fabuleusement, et Junior y va encore, The way that I wish you/ I guess you never know - Il plonge dans le caramel d’«Easy Lovin’» au me & you easy lovin’ baby. Il enchaîne avec le fabuleux Soul blues d’«I’m So Satisfied», cuivré à outrance. Quel album ! Encore un somptueux froti-frotah de Soul : «You Can’t Keep A Good Woman Down», violonné jusqu’à l’horizon. Junior a des orchestrations de génie. Il est encore le crack du marigot avec «Lover To Friend» et te charme dès l’intro de «Your Bag Is Bringing Me Down». Il est à l’aise partout. Junior groove dans la dentelle. C’est un régal permanent que de le voir à l’œuvre.

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             En 1969, Little Junior Parker enregistrait Blues Man sur Minit, le label de la Nouvelle Orleans. Pas l’album du siècle, mais on y trouve un Heartbreaking Blues mené à la glotte ultra sensible, «Get Away Blues». Il sait faire jouir un blues. Mais c’est le son Nouvelle Orleans qui domine l’album : «Let The Good Times Roll», «I Just Get To Know» et «I Found A Good Thing». Saluons aussi «Every Night & Every Day», un heavy blues de treat me right, et il y va, le Junior, au that’s how I love you. On peut lui faire confiance.

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             Entre 1971 et 1972, Junior Parker va enregistrer trois albums : You Don’t Have To Be Black To Love The Blues, Jimmy Mc Griff Junior Parker, et I Tell Stories Sad And True etc. Un petit black croque une pastèque sur la pochette du premier, le plus intéressant des trois. Junior Parker est un fantastique crooner de blues. Il le roule dans la farine divine, il en fait un blues velouté gorgé de feeling. La viande se planque en B. Il attaque avec un cut de Percy Mayfield, «I Need You So Bad». C’est la meilleure des conjonctions : Junior + Percy. Il chante au feeling subliminal. «Look On Yonder Wall» est un boogie écœurant de classe, et il bat encore tous les records de feeling avec «Man Or Mouse» - Sometimes I wonder/ I’m a man or mouse - C’est un bonheur que d’écouter Junior chanter.  

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             Tu sauves un Heartbreaking Blues sur Jimmy Mc Griff Junior Parker : «Don’t Let The Sun Catch You Cryin’». On croise aussi un «Baby Please Don’t Go» crédité à Muddy et on retrouve le «Five Long Years» d’Eddie Floyd.

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             Et puis voilà I Tell Stories Sad And True etc. Deux covers de choc : «Funny How Time Slips Away» de Willie Nelson (Soul de blues et belles fondues de falsetto léger, merveilleux crooner), et «The Things That I Used To Do» (Classique insurpassable de Guitar Slim). Il tape aussi dans Hooky («I Done Got Over It», heavy boogie blues drivé à la plaintive) et dans le «Stranger In My Own Town» de Percy Mayfield. On s’extasie sur la profondeur du croon.

    Signé : Cazengler, stylo Parker

    Little Junior Parker & The Blue Flames. I Wanna Ramble. Ace Records 1984. 

    Little Junior Parker. Driving Wheel. Duke 1962  

    Junior Parker. Like It Is. Mercury 1967 

    Little Junior Parker. Blues Man. Minit 1969 

    Junior Parker. Honey-Dripping Blues. Blue Rock 1969

    Junior Parker. The Outside Man. Capitol Records 1970 ( =Love Ain’t Nothin’ But A Business Goin’ On)

    Junior Parker. You Don’t Have To Be Black To Love The Blues. Groove Merchant 1971 

    Junior Parker. Jimmy Mc Griff Junior Parker. United Artist Records 1972

    Junior Parker. I Tell Stories Sad And True etc. United Artist Records 1972

     

     

    Wheeldon du ciel

     - Part Two

     

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             Avec Nick Wheeldon, c’est pas compliqué : tu pars à l’aventure. Son œuvre s’apparente à une jungle, mais pas la jungle de tous les dangers, comme celle de la forêt amazonienne, non, il s’agirait plutôt de la jungle du Douanier Rousseau, délicieusement exotique et dont on observe minutieusement tous les détails. Nick Wheeldon a joué dans une myriade de groupes, alors tu peux partir à l’aventure. Comme tout n’est pas accessible, ça te simplifie la vie, t’es pas obligé de tout écouter.

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             En 2017, il jouait dans 39th & The Nortons et enregistrait The Dreamers. Big album. Avec Nick Wheeldon, le big albuming est quasiment automatique. Il suffit d’écouter «If It’s So Easy» pour en être convaincu. On sent bien le dévolu dans ce Big Atmospherix, il va chercher le pathos profond, les échos de John Lennon sont indéniables. Il éclate encore au grand jour avec un «I Ain’t Hiding» noyé d’orgue. Tu te régaleras de la merveilleuse qualité de l’attaque et du son de «Step Into Your World». La tension d’orgue amène du souffle, tu sens le véritable élan du songwriting. Tiens, encore un cut parfait avec «Without You», une belle pop-song noyée dans son jus. Chaque cut induit sa propre puissance. Nick Wheeldon crée son monde cut après cut, un monde de compositeur. Il est dans le même trip que Robert Pollard. Seule compte la beauté du geste. Avec «On My Own», il dégomme encore la pop et son aplomb n’en finit plus d’impressionner, et puis t’as un solo de flûte mercuriale. Tu vas trouver un son de rêve dans «Deserve Each Other», un son fruité, épais, chargé d’écho et le Nick entre à la harangue en ville conquise. T’as là une compo qui regorge de développements avec des chœurs soignés, et un son en sous-main qui vaut tout le nec plus ultra de Geno, le Nick t’embarque ça au big time out. «Deserve Each Other» est une grosse compo évolutive noyée de son et d’écho. Il flirte avec le No Other. On regagne la sortie avec le très entêtant «Looking For Tears», un cut farci de sonorités psychédéliques. Nick Wheeldon cultive son art avec délectation, il en cultive toutes les directions, il va là où son vent le porte, c’est extrêmement inspiré. 

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             Il récidivait l’année suivante avec un album génial, Mourning Waltz. Pourquoi génial ? Parce que «21.01». Eh oui, il y va au tell me how, alors ça push le push à l’heavy psychout, et le groove grouille de poux, et c’est un bel enfer sur la terre du jingle jangle. Le lead est un crack, il s’appelle Loik Maille. Parce que «Caroline», ersatz Beatlemaniaque sur lequel le crack Loik fait encore des étincelles. Parce que «Baby Blue», cette grande pop élancée qui bat encore tous les records, brillante et même glorieuse, avec in Loik in tow, ce mec ne plaisante pas, il claque du slinging de choc. Parce que «Realise», Wheeldon y va au calling your name, c’est encore une pop inconnue qui sort de la jungle, velue et efflanquée, une pop aux joues roses, allègre et alerte, illuminée de l’intérieur par le slinging du crack Loik, et quelle puissance d’I realise ! Et puis t’as ce «Walking Slowly» en ouverture de balda qui sonne très Television Personalities, gentle et raffiné, et puis ce «White Light» encore plus gentle et raffiné, qui renvoie directement chez Syd Barrett.

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             Autre épisode passionnant : Os Noctambulos. Tu peux rapatrier deux albums assez facilement, un 25 cm paru en 2017, The Devils, et un album paru deux ans plus tard, Silence Kills. Le 25 cm est assez largué, au bon sens du terme. Largué et spacieux, avec un petit Valentin Buchens qui s’amuse bien. Comme toujours chez Nick Wheeldon, c’est très inspiré, il reste très incisif, très porté sur la chose, c’est-à-dire sur l’ampleur, il a des orchestrations chatoyantes qui raflent bien la mise («Tangerine Boy»). On se régale du fabuleux fouillis de guitares en B, dans «Cucaracha», un cut qui regorge de richesses. Et avec «Nowhere», on assiste à un fantastique passage en force. C’est un mini-album de très grande masse volumique.

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             On retrouve Valentin Buchens sur Silence Kills. Très vite, tu croises un «Living A Lie» doucement psyché, très Barrett dans l’esprit. T’as même parfois l’impression qu’ils jouent avec des pincettes : le meilleur exemple est ce cut nommé «You Walked Away», délicieusement psychédélique, mais ils te jouent ça en finesse, sans en rajouter. Tout est gentle et sacrément friendly. Par contre, ils s’énervent un peu sur «A Man Needs A Home», ils flirtent avec le vif argent de Moby Grape. Ils repartent toujours à l’attaque. C’est un album courageux. Nick Wheeldon a une belle équipe derrière lui. Pas d’hits, mais du son à gogo et surtout une musicalité exemplaire qui puise dans la meilleure veine pop-psyché anglaise des années phosphorescentes.

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             On ne perd pas son temps à rapatrier l’Hopeless Friends des Creep Outs, un album que Nick Wheeldon a enregistré en 2008 avec Andrew Anderson. Ils proposent une heavy pop bien raclée du sacrement. Ils cultivent la clameur. Ils te cueillent au menton dès «Beautiful Eyes». T’as aussitôt le fantastique swagger de la fast pop anglaise et tu t’effares de leur incroyable allure, ils grattent comme des démons. Prépare tes adjectifs, car ça monte ! Nouvelle dégelée avec «What I’m Missing», bien glammy dans l’esprit, mais pulsé, yeahhh ! C’est de l’early Roxy explosé aux black bombers. On reste dans la fière allure avec «Treat Her Gently», ils attaquent ça de front, t’as là un archétype d’ampleur considérable, bien doublé au beurre. Ils restent dans la densité maximale avec «You Don’t Have To Lie» et un killer solo troue le cul du cut. Si tu veux voir le fantôme de Syd Barrett, tu vas le trouver dans l’heavy mélasse psychédélique de «Stay A While». Quel fabuleux cloaque ! Ces deux mecs disposent de toutes les ressources naturelles. Un petit shoot de proto-punk te ferait plaisir ? Alors voilà un «Treat Me Wong» criant de véracité. On passe à l’heavy déhanchement de rock anglais avec «Yours To Keep». Les Creep te creepent le chignon. Léger parfum de Small Faces. «They Don’t Love You» pourrait bien figurer sur l’un des grands albums de Wild Billy Childish. Ça groove aux accords de clairette. Retour au full blown avec un «Guess It’s All Over» bien foutraque et bien jeté dans la balance. Tu sors complètement rincé de cet album.

             Tu repars à la chasse, mais pas mal d’albums de Nick Wheeldon sont sortis de l’écran radar. En attendant Godot, tu vas devoir te ronger l’os du genou.

    Signé : Cazengler, Nick Wheeldinde

    The Creep Outs. Hopeless Friends. Off The Hip 2008

    Os Noctambulos. The Devils. Stolen Body Records 2017

    Os Noctambulos. Silence Kills. Stolen Body Records 2019

    39th & The Nortons. The Dreamers. Stolen Body Records 2017

    39th & The Nortons. Mourning Waltz. Croque Macadam 2018

     

    *

    J’ai toujours aimé ce groupe. Je ne l’ai jamais écouté. Mais leur nom m’a toujours fait rêver. Parfois le rêve est préférable à la réalité. Il faut savoir remettre à demain ce qui risquerait de vous décevoir aujourd’hui. Oui mais là, ils frappent un grand coup. Que dis-je : deux. D’abord la couve, magnifique. Quand j’ai vu le titre, j’ai sursauté, ils abordent un thème dont personne ne parle. Pourquoi ce silence. Ce n’est pas la peur. Ce n’est pas parce que ce serait dangereux. Non simplement par pudeur. Désolé ce n’est pas une question d’entre cuisse.

    ECHOES IN ETERNITY

    AGNOSTIC FRONT

    (Reigning Phoenix Music / Octobre 2025)

             En règle générale je désapprouve ceux qui se cachent derrière les mots commodes. Ils ne vous diront jamais : il y a un Dieu. Ou alors : je suis athée. Non ils se drapent derrière le cache-sexe de la savante ignorance. Ils ne savent pas. Ils ne prennent pas parti. Pour sûr ils ont réfléchi au problème, longuement, ils ont lu, ils en ont discuté avec leurs amis et la moitié de la population mondiale, ils pensent avoir trouvé l’arme imparable, le parapluie de la modestie : ce n’est pas ma petite personne pas très fûtée qui va trancher la question. Ne leur vient même pas l’idée qu’il pourrait y avoir d’autres réponses possibles.

             Pourraient peut-être se poser la question autrement : par exemple comme Aristote : pourquoi n’y-at-il pas rien ? Et ensuite essayer de définir cette chose qui n’est pas rien. Agnostic Front y répond à sa manière : ce qu’il y a : c’est une société injuste. Comme c’est un groupe hardcore : ils diront plutôt : une société de merde. Aussitôt ils ajoutent : il faut la détruire.

             Evidemment c’est politique. Et comme selon Clausewitz : ‘’ La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ‘’ en toute logique ils ont posé le vocable ‘’ front’’ à forte consonnance guerrière à la suite du mot Agnostic. Illico, on comprend où ils veulent en venir. Ne vous étonnez pas si par hasard vous apercevez, infâme stigmate, le sticker : Parental Advisory / Explicit Content, sur leurs pochettes.

             Ernie Parada a participé à de nombreux groupes dans lesquels il tient ou la guitare ou la batterie. Il est aussi graphiste. Si vous souffrez de dépression abstenez-vous de visiter son site. Toutes ses œuvres expriment un infime solitude, des êtres humains et des choses. Un regard sans complaisance, sans outrance. Parada offre à voir cet essentiel anecdotique qu’il ne nous donne pas en spectacle, son intention est de faire remonter à la surface de ses images l’extrême profondeur de leur horrible signifiance.

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             Apparemment ce n’est pas la liberté guidant le peuple. Un gamin, oriflamme noire en main, qui marche d’un pas décidé. Jusque-là tout va bien, mais pourquoi a-t-il les yeux bandés. Le groupe voudrait-il nous dire que malgré nos certitudes les plus résolues  l’on avance  toujours en aveugle… Il existe un Official  Music Vidéo dont la première image utilise la même image colorisée en teinte jaunâtre, qui précède la vidéo que nous allons commenter. Nous écouterons d’abord le son, issu d’un vieux film américain de John Frangenheimer tourné en 1952 dont le titre français Un crime dans la tête est beaucoup plus explicite que l’original. Le scénario est complexe : un soldat américain prisonnier qui a subi un lavage de cerveau assez special, les services secrets communistes possèdent ainsi au cœur des USA un agent dormant qu’ils peuvent  manipuler à distance, par exemple pour tuer un futur candidat à la présidence de la République… les images sont beaucoup plus sommaires, vues plongeantes sur des milliers de croix de cimetières, de guerre et de civils, suivies d’entrecoupements de scènes de combats, de bombardements, d’explosions nucléaires, parfois vous apercevez les victimes innocentes, notre gamin, ou par exemple des familles en train de déjeuner, tous les yeux bandés, les fameuses victimes collatérales parfois plus nombreuses que les troupes engagées… Le message politique s’éclaircit :  l’Etat vous élève pour mieux se servir de vous. Quel que soit la couleur du drapeau qu’il vous refile entre les mains.

             Petit apparté totalement hots-sujet : le film est assez prémonitoire quant aux rôles des deux Lee Harvey Oswald, tous deux agents de la CIA, dont un se touve mêlé à l’assassinat de John Kenedy…

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             Reste maintenant à interprêter le sens du titre : Echoes in eternity. Le groupe existe depuis plus de quarante ans. Il a été la figure centrale et fondatrice du mouvement hardcore new yorkais lors de leuRs apparitions au CBGB. Leur premier album est paru en 1984, depuis ils en ont produit une bonne quinzaine, ses fondateurs Roger Miret et  Vincent « Vinnie Stigma » Cappuccio, ne sont plus tout jeunes, l’heure de gloire du mouvement hardcore est passée, les  nouvelles générations se détournent en très grosse majorité de ces musiques revendicatrices, dans quelques années que restera-t-il de cette effulgence crépitante, personne n’en sait rien. Des civilisations entières ont disparu sans même que leurs noms nous soient parvenus… Que restera-t-il dans cent ans lorsque tous les témoins de cette aventure musicale aura été effacée des mémoires ? Agnostic Front se pose la question de la transmission ou de l’inanité à long terme de leur action… Nos actions résonneront au travers des siècles aimaient à répéter les officiers des légions romaines… En quoi les maigres échos qui nous en parviennent réflètent-ils la réalité de ce qui a eu lieu… Angoissantes réflexions, cet album d’Agnostic Front doit-il être interprété comme une bouteille sonore jetée à la mer des indifférences oublieuses.  Heidegger nous enseigne qu’il y a pire que l’oubli de l’être, c’est d’avoir oublié que l’on a oublié l’être.

    Vincent Cappuccio : guitare / Roger Miret : vocal / Mike Gallo : basse / Craig Silverman : guitare / Danny Lamagna : drums.

     Way of war : évidemment il n’y a pas l’extrait sonore du film de la vidéo sur l’album : le band ne perd pas de temps, vous saute à la gorge sans préavis, le pire c’est qu’ils disparaîtront aussi vite qu’ils sont apparus, faudra vous y habituer, chaque morceau est construit à la manière d’un braquage mental, une batterie fractale des guitares vibrionnantes, un vocal mordant et dévorant, un sacré ramdam, entre parenthèses incroyablement et inexplicablement mélodique, un véritable phénomène illogique, totalement inexplicable, pas le temps de s’appesantir, juste des mots d’ordre (ou de désordre) , ne vous laissez pas emporter par le maelström de la mort. Appel à la désobéissance. Civile et militaire. You say :  au cas vous n’auriez pas compris l’on vous secoue salement les puces, interdiction de rejeter vos manquements sur les autres. Le vocal en coup de poing. Pas de pitié. Vous renvoient le boomerang de votre incapacité, de votre lâcheté, en pleine gueule. Bien fait pour vous. Ne vous étonnez pas s’ils s’énervent à la fin. Matter of life and death : une

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    bonne branlée, une petite secouée mentale, ça ne fait pas de mal, le gars a compris, l’est maintenant un tigre en liberté dans les rues de la ville, il ne se défend plus, il n’avance plus en douce, il attaque, il n’est plus le vieil homme fatigué qui régnait en lui, l’est un adolescent empli de rage. Tears for everyone : urgence absolue, une batterie folle une guitare écartelée, un vocal tripal, la tempête est passée, il ne vous reste plus qu’à serrer les dents et à rependre le combat. Divided : comment font-ils pour être encore davantage violents et balancer encore plus violemment  chaque morceau, un couteau rouillé de solo, un vocal antifasciste fortement chaloupé, les fausses solutions contraignantes et la batterie qui emporte tout comme les vagues de la mer. Sunday matinee : une vidéo éclatée nous les montre sur scène devant des

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    images du CBGB, de l’énergie et de la joie d’être ensemble, moment de recharge des batteries et de communion. Des instants à ne pas rater car la musique underground est un bienfait commun. Profitons-en pour expliquer à ceux qui ignorent tout du hardcore : comparé au hardcore le punk est un gros matou endormi sur le canapé de la maison, quant au hardcore il est un tigre mangeur d’hommes qui enfonce la porte de votre demeure. Can’t win : auto-lavage de cerveau immédiat, une batterie qui secoue sans ménagement la poussière de vos méninges calcifiées par le découragement et un brossage revigorant pour vous remettre en pleine forme, prêt à vous battre. Turn up the volume : poussez le potard de la révolte à 13, chœurs masculins qui appellent à l’union, au combat, des mots lancés comme des grenades dégoupillées, dégelée de cymbales, les guitares donnent l’assaut, galopades, appel à la Révolution. Le peuple ne sera guidé que par lui-même. Art of silence : moins de cinquante secondes pour mettre les choses au clair, les marxistes diraient que les sentiments petits-bourgeois interindividuels ne doivent pas amoindrir le temps que vous devez à la lutte. Shots  fired : un bon ennemi est un ennemi mort, la vengeance est un plat qui se mange froid. Ce n’est qu’un début. Le genre de morceau, d’une telle violence, que beaucoup désapprouveront. Ils auraient tort. Hell to pay : ce titre pour ceux qui n’auraient pas compris le précédent, vous avez eu droit à la violence extérieure, voici l’intérieure, celle qui vous brûle d’un feu indomptable, avertissement sans frais, à tous ceux qui voudraient se mettre en travers de mon chemin. Evolution of madness : grincements, la folie monte, partout autour de moi et en moi, vases communicants, crachats de haine contre un monde qui va mal. Skip the trial : ne s’en prendre qu’à soi. Mieux vaut mourir de sa propre main que de celle du juge. Il y a toujours une issue de secours qui s’offre à vous. Cette apologie du suicide heurtera les consciences chrétiennes… Obey : les deux voies de l’obéissance, celle de la société, celle de la désobéissance qui n’est que l’obéissance à la nécessité de la lutte. Ne pas confondre avec le péremptoire  Indignez-vous ! si à la mode par chez nous voici quelques années, s’agit de gueuler dans le but de d’aider et de pousser le monde à péricliter. Au plus vite. Eyes open wide : nécessité de garder les yeux grands ouverts, afin de ne pas se perdre dans ses propres noirceurs, voir la situation pour mieux s’y confronter, même si c’est dur, pour mieux la combattre sans jamais mollir.

             Un disque dont il est impossible d’arrêter pour passer à un autre. Tous les morceaux sont un tantinet construits sur le même schéma sonore, c’est cette particularité qui   donne à l’album  sa force, qui vous empoigne et vous oblige à marcher à coups de coups de pied au cul. Idéologiquement le sentier est étroit, entre la révolte et l’appel à la lutte armée, l’on pense au MC 5… évidemment les temps ont changé, ils ne sont plus à l’optimisme…

    Damie Chad.

     

    *

             Tiens un groupe qui a pris un nom latin, c’est sympa, la langue de Virgile ce n’est pas de la petite bière, ben non, c’est le titre de l’album, alors c’est qui ? non de Zeus, ils l’ont bien caché ! J’aurais pu commencer autrement, un groupe qui sort un album en novembre, doit y en avoir plusieurs centaines, ben non, ils se distinguent ils en sortent deux, c’est plus rare, ah ! j’ai repéré le nom du groupe, c’est un chiffre : 1914, avec un tel blaze ils profitent de la date commémorative du 11 novembre. Non ils ne surfent pas sur l’actualité, z’ont déjà dix ans d’âge, le groupe s’est formé en 2014, par contre des monomaniaques, des enragés, un groupe qui a trouvé sa thématique, la guerre de 14-18 ! Après tout à chacun son dada, leur premier album sorti en 2015 ne se nommait-il pas Eschatology of War autrement dit les fins dernières de la guerre. S’intéressent de près au sujet…  Dans tous les cas, avec les millions d’obus échangés durant ce conflit, n’est-ce pas une véritable aubaine pour un band métallifère, rien de plus bruyant qu’un bombardement, et rien de davantage full metal sur votre jacket !  Y avait juste un détail minuscule que je n’avais pas remarqué.

    VIRIBUS UNITIS

    1914

    (Napalm Records / 2025)

             Que voulez-vous, parfois le hasard fait mal les choses. Ou alors bien, cela dépend de la manière dont vous les appréhendez. Parfois l’Histoire vous rattrape ou alors ils ont senti venir l’entourloupe. De la prescience. Par chez nous, personne n’y croyait. L’on criait au bluff. Z’étaient mieux placés que nous. Vous comprendrez pourquoi lorsque je vous aurais dit qu’ils sont de Liuv. Vous ne connaissez pas : c’est en Ukraine. Je n’entends ni prendre parti pour les Ukrainiens ou les Russes. Je déplore simplement tous ces morts sur les champs de bataille. Les villes détruites, les civils assassinés… Tout cet argent, des milliards, pour enrichir les marchands de canon… Soyons égoïstes, la guerre l’on sait quand et où ça commence mais pas où et quand ça finit. Regardez l’Espagne en 36 et l’engrenage qui s’en est suivi…

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             En tout cas, la couve est bluffante, très Death metal, au fond  la silhouette de la Mort, infatigable moissonneuse munie de sa faux tranchante, à ses côtés nous dirons l’ange exterminateur de l’apocalypse, au premier plan difficile de donner un nom à ces formes indistinctes, des cadavres, des combattants, des nids de mitrailleuses… mes pauvres yeux ne me permettent pas de voir mieux. Elle est signée par Vladimir ‘Smerdulak’ Chebakov, d’origine russe, l’a eu le déclic à l’âge de huit ans lorsque la pochette de Killers d’Iron Maiden lui est passée entre les mains. Depuis il dessine des pochettes pour des albums de metal. Son surnom signifie ‘’odeur’’, on la subodore mauvaise, en latin. Un art puissant et mortifère.

    K.K. LIR. Lemberg Nr.19 Fähnrich, Rostislaw Potoplacht : drums /

    k.u.k. Galizisches IR Nr.15, Gefreiter, Ditmar Kumarberg : vocal /

    K.K. LIR Czernowitz Nr.22 Oberleutnant, Witaly Wyhovsky : guitars /

    K.K. LIR Stanislau Nr.20 Zugsführer, Oleksa Fisiuk : guitars /

    k.u.k. Galizisch-Bukowina’sches IR Nr.24, Feldwebel, Armen Howhannisjan : bass /

    Les abréviations K. K. LIR : signifient : Régiment de réserve d’Infanterie Royal et Impérial / Les abréviations k.u.k. IR désignaient les Régiments d’Infanterie royale et impériale. Vous remarquez que chacun a choisi son régiment et son grade : enseigne, soldat, sous-lieutenant, caporal, sergent.

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    Par souci d’identification, les membres du groupe se sont symboliquement enrôlés dans une des compagnies d’un régiment de leur choix. En hommage à tous les morts de la première guerre mondiale et vraisemblablement pour mieux ‘’ coller’’ au récit mis en scène par l’album.

             En France nous connaissons avant tout la guerre de 14-18 par l’affrontement qui se déroula sur notre sol entre les troupes françaises et les troupes allemandes. C’est oublier le rôle important de l’Empire austro-hongrois dans le conflit. Si les allemands se chargeront du front Ouest, ils laissent dans un premier temps les Austro-Hongrois libres de mettre à genoux la Serbie, de l’Italie et de la Russie. L’empire Austro-Hongrois va peu à peu s’épuiser, qui trop embrasse mal étreint, le Reich Allemand se chargera plus tard du front russe, politiquement et militairement le Reich prendra l’ascendant sue les Habsbourgs. L’empire Austro-Hongrois, sera le grand perdant de la première guerre mondiale. Reste le problème de l’Ukraine – n’oublions pas que nos musiciens sont Ukrainiens -  longtemps dominée par la Pologne, puis par l’Autriche et la Russie qui toutes deux exercent une forte influence sur les régions qu’elles contrôlent. A la fin de la guerre, profitant de la défaite de l’Autriche la Pologne essaie de récupérer l’Ukraine… Ce rapide résumé d’un imbroglio géopolitique extrêmement complexe peut permettre de comprendre la trame historiale du récit de cet album. 

    Pour ceux qui répugneraient à  se plonger dans des livres d’histoire, je conseille deux romans, le premier, sans aucune prétention historique, Taïa d’Albert T’Serstevens se déroule au tout début du conflit lors de l’assassinat de l’Archiduc d’Autriche Franz-Ferdinand en juin 1914, le deuxième Le Don Paisible de Mikhaïl Cholokhov nous emmène chevaucher avec les Cosaques Ukrainiens durant la Révolution Russe… Deux bouquins haletants, d’aventures et politiques, qui aident à réfléchir.

    Dernière remarque, non dénuée d’ironie, le titre Viribus Unitis peut se traduire : par  les Hommes Unis. Viribus Unitis  était la devise de de François Joseph 1er (1830-1916).

    War In ( The begining of the fall) : : vous attendez un déferlement métallique, mauvaise pioche, un vieux disque qui grésille, un peu vieillot, démodé, bien loin d’une fanfare fanfaronne, un chant teinté d’une certaine nostalgie, hymne national qui fut celui du Reich Allemand, et de l’Autriche…  1914 : The siege of Przemysl :

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    Les Russes attaquent à Lemberg ville alors située en Autriche tout près de la frontière avec l’Ukraine, aujourd’hui Lemberg devenue Lvuv se situe en Ukraine. La forteresse de Przemyls fut prise par les Russes après cent jours de combat… Une Lyric  Video de Napalm Records offre photos et films… 1914 ne joue pas sur le tintamarre, la voix gronde comme le souffle d’un géant dont la respiration suffirait à évoquer la violence épique des combats, c’est elle qui orchestre le galop fou de la batterie et l’élan lyrique des cordes électriques. Quand survient la joyeuse musique d’un défilé militaire, l’on n’est pas surpris, ce n’est pas vraiment une cassure, juste un épisode parmi d’autres emporté par le courant de l’Histoire. 1915 (Easter Battle for the Zwinin Ridge) : il fallut plusieurs mois de combats acharnés aux troupes allemandes et austro-hongroise pour prendre la crête de Ziwni située à mille mètres d’altitude : victoire et optimisme, la rage l’emporte sur l’horreur de la guerre, batterie en rafales de mitrailleuses, assourdissances orchestrales, l’ouragan passe et se déchaîne, cris haineux d’invectives, parfois malgré la fureur le silence plane dans les bruitances, peut-être sont-ce les âmes des morts qui s’élèvent vers le ciel ou qui s’enfoncent dans le sol gelé, idée d’un engloutissement général, une fosse commune, celle des hommes vivants côte à côte, le morceau se termine sur les échos lointains d’une messe, le pain de Pâques n’est-il pas pétris de sang et de terre libérée !

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    1916 : The Süditirol offensive : L’Italie entre en guerre en 1915. Les armées austro-hohgroises contre-attaquent, les Italiens demandent l’aide des Russes dont l’intervention i monopolise une partie des forces austro-hongroises qui n’ont plus assez de vigueur pour avancer en Italie : Napalm Death offre une bande dessinée animée, dirigée par Tania Pryimych, qui relate les combats, terrible à dire mais cette vision d’acier de neige moirée de bleue, d’éclats orangée et de taches sanglante, rend la guerre sinon belle du moins esthétique… ce n’est certainement pas un hasard si la chaîne YT dédiée à cet album porte le nom de Poetry of War, terrible ambivalence marquée par la devise adjacente : ‘’Quand la mort devient absurde, la vie en devient encore plus absurde’’ : feu nourri nous sommes plongé au cœur de la bataille, mais la musique, parfois imitative prend le relais, la bande-son est d’une intelligence démoniaque, elle est en même temps répétitive tout en étant variée, par exemple cette espèce de duo chant / basse, tout en relatant les différents mouvements de la bataille, d’un côté nous sommes dans l’action, nous n’en savons pas plus loin que le bout de notre fusil, un peu à la manière de Fabrice à Waterloo, et de l’autre nous avons une vue générale du mouvement des troupes. Un chef d’œuvre sonique. La grande gagnante reste la grande faucheuse. 1917 : The Izonzo front : les Italiens bloqués par le fleuve Izonzo (= Soca) lancent une offensive, il faudra pas moins de neuf grandes batailles pour les arrêter. Les austro-hongrois devront demander l’aide des Allemands pour stopper l »avance Italienne. Les Italiens ont perdu une grande bataille mais pas la guerre. Résultats des courses : un million de morts, un million de blessés : en intro une martiale déclaration d’un dignitaire italien, ensuite hachis menu de la mêlée, la rage, juste la rage, plus rien ne compte, l’on se bat avec son arme puis avec son corps, combat singulier, face à un ennemi, face à son destin et à soi-même, pendant ce duel la guerre ne s’arrête pas, l’on tient le compte des morts, la bataille continue imperturbable, la batterie joue au canon, rupture, une simple guitare acoustique après le déferlement électrique, l’on entend une voix italienne, que dit-elle, est-ce vraiment important de le savoir, tout cela a-t-il seulement un sens. 1918 : part 1 : WIA  Wounded inaction) : les forces anglaises et françaises viennent à la rescousse des Italiens qui doivent reculer mais qui finissent par stopper l’armée austro-hongroise sur les hauteurs de Montello. Attention, le ton change, jusqu’à maintenant nous avons surtout suivi un soldat engagé en des combats qui le dépassent quelque peu, désormais nous rentrons en son histoire personnelle : musique militaire triomphante, chœurs d’hommes virils et dominateurs, il pleut de la musique, de plus en plus assourdissante, de plus en plus pesante, elle est sur votre dos, vous ne vous relèverez pas, d’abord pensez aux efforts surhumains nécessaires à ces centaines de milliers d’hommes, il est tombé, il est blessé, les obus tombent, vaincu lui-même mais les lignes s’effondrent, chœurs d’hommes, background processionnaires, tintements tels des instants suspendus sur la conscience du monde, hurlements collectifs, vocal enragé,  la réalité s’engourdit, elle ralentit, elle se tait. 1918 Part 2 : POW 5 Prisoner of War (Feat. Christopher Scott) : Christopher Scott est le chanteur du groupe metal américain Precious Death : destinée, épisode numéro deux, le groupe ne joue pas, il abat du son, il martèle, il ne chante plus, il prend la parole, le monologue intérieur d’un prisonnier sous le joug au travail forcé, sont des milliers comme lui, il n’est plus que le maillon d’une souffrance collective, une seule décision, intime, prendre la décision dans sa tête de tenir, de sortir vivant de cet enfer, espérer  survivre à la der des ders, si horrible qu’elle ne peut être que la dernière, le discours politique reprend vantant la victoire de l’armée italienne… 1918 Part 3: ADE (A duty to escape) (feat. Aaron  Stainthorpe) : Aaron Stainthorpe est le chanteur du groupe britannique My Dying Bride :

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    une vidéo animée de  Costin Chioreanu débute par une scène saisissante, celle du cadavre d’un soldat abandonnés sur le terrain qui peu à peu se fond dans la pierraille, il est désormais devenu une partie parcellaire du paysage… Ils sont trois à s’échapper du camp, trois ombres noires qui traversent des champs de neige et se confrontent à l’escalade  de la montagne, ils ne sont pas seuls, dans leurs tête les rejoignent leurs femmes et leurs enfants, l’évasion se métamorphose en voyage intérieur, en voyage au centre de soi-même, ils arpentent des abîmes de pensées,  l’image magnifiée et fantomatique de la Victoire de la patrie Austro-hongroise se métamorphose en celle de la sombre camarde à la faux assoiffée, trois camarades face à la Mort qui envoie une patrouille à leur rencontre, ils ne sont que deux, ils ont perdu un camarade et toutes leurs illusions. Dans sa tête il se dit qu’il ne sera plus jamais dupe. Bienvenue en Autriche. Meurtrière. Une musique noire, batterie saccadée, vocal au plus profond des entrailles, des chœurs surgissent, sont-ce des chants funèbres grégoriens ou la conscience des morts qui s’amalgame au pas des survivants, qui marchent avec eux, car ceux qui sont morts ne mourront plus jamais, étrangement la musique se fait lyrique, le danger ne provient-il pas davantage des vivants que des morts qui marchent avec nous, qui nous accompagnent en nous. Peut-être même sommes-nous davantage constitués de morts que de vivants. Magnifique oratorio. 1919 (The Home Where I Died) (feat. Jerome Reuter) : (Jérome Reuter est  le fondateur-chanteur-compositeur du groupe Rome, voir notre livraison 667 du 29 / 11 / 2024.) / En 1918 l’Ukraine retrouve son indépendance que lui dénient la Pologne et  l’URSS qui finira par l’annexer en 1922… : pointillés sonores, seraient-ce des bruits indus des rafales de mitrailleuses lointaines et assourdies qui se transforment en notes de piano avant de se muer en distorsions, avant de résonner en dos majeurs pianistiques, mais le son est voilé, comme vrillé, le héros désabusé est de retour, va-t-on le reconnaître, serait-il méconnaissable, on l’attendait, tout est bien qui finit bien, mais quelle nostalgie, quelle gravité dans le timbre de Jérôme Reuter, il a rencontré d’anciens frères de combat, les russes attaquent l’Ukraine, la guerre ne finira donc jamais, pensez à vos familles, il les rejoindra, l’Ukraine l’attend, n’est-ce pas son devoir de la défendre… War out : (the end ?) : le disque finit comme il a commencé par un chant patriotique, cette fois-ci en l’honneur de l’Ukraine. La guerre se terminera-t-elle un jour ? Un point d’interrogation instille l’idée d’un doute… Un siècle après, une certitude établie : la guerre entre l’Ukraine et la Russie a recommencé…

             Un disque d’actualité qui dit beaucoup plus qu’il ne raconte. L’ensemble est splendide.

             N’empêche qu’il pose une question essentielle : puisque l’homme est un être pour la mort  serait-il aussi, j’ai envie d’écrire par conséquence, un être pour la guerre ?

             Metal-rock ou rock actuel ?

    Damie Chad.

     

    *

             Tiens si j’allais regarder les nouveautés sur Western AF, présentent toujours des artistes, bluegrass, country, roots. La dernière fois ils m’ont bien eu. Suis tombé sur une  rockeuse, très bien d’ailleurs, mais moi je cherchais un autre style. Premier coup d’œil une fille avec une guitare, c’est parti. Même pas regardé l’engin qu’elle avait  entre ses pattes, c’est au premier son que j’ai compris que je m’étais fourvoyé.

    WISHING BONE BLUES

    CRISTINA VANE

    (Western AF / 2021)

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    Elle sourit, gros plan sur son instrument, ce n’est pas une guitare, une poêle à frire, un résonateur, pas de doute, son petit doigt est armé d’un bottleneck, ô la chienne ! qu’est-ce qu’elle joue bien, du blues à la Skip James, à la Blind Willie Jefferson, cette manière d’espacer les notes alors que son appareil continue de ronronner, et puis cette voix, fluette, rien à voir avec les rocailles du vieux sud,  elle vous prend aux tripes, elle vous emporte en son monde, plus tard j’apprendrai qu’elle chante ce qu’elle a vécu, qu’elle a quitté Los Angeles, toute seule dans sa voiture, qu’elle a pris la route, à l’aventure durant sept mois, des nuits dans la tire, ou sous la tente, et d’autres sur des canapés, mais le matin elle repartait.

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    Elle vient de loin. De partout. Italie, France, Angleterre, sans compter des ascendances guatémaltèques. Elle a étudié à Princetown, a trouvé du boulot à Los Angeles dans une boutique de guitare folk… au bout de quatre ans elle a pris la route, s’est arrêtée à Nashville pour enregistrer un disque : Nowhere Sounds Lovely (2021), sera suivi de Make Myself Me Again (2022) et Hear My Call en février 2025.

    C’est vraisemblablement en cette occasion qu’elle est revenue chez Western AF.

    CRISTINA VANE

    LIVE PERFORMANCE / WESTERN AF

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    Difficile de faire plus minimaliste, peu de lumière, très opportunément le plancher est composé de lattes bleues, la scène est vaste, ils sont trois, si espacés qu’on ne les aperçoit que très rarement ensemble, Jeff Henderson le bassiste est légèrement décalé par rapport à Cristina, plus loin Roger Ross caresse sa batterie, pas une once d’esbrouffe, ils ne jouent pas fort mais juste, ce qu’il faut pour que vous prêtiez l’oreille et montiez le son, vous laissent libre, donnent l’impression de jouer ni pour eux, ni pour vous, sont là pour servir la musique. Ne se préoccupent que de l’essentiel. Ils ne racolent pas même si le rythme caracole. Little Black Cloud est une petite tornade à lui-tout seul. L’ergot au pouce de Cristina lance la danse très vite relayée par le vocal tout aussi rapide, les deux guys sont collés à la guitare, derrière mais impulsifs, jamais devant, c’est elle qui mène le jeu, le morceau est comme une orange bleue qu’ils n’entendent pas partager. Entraînant certes, mais d’une solitude absolue, paroles répétitives, nul besoin d’expliquer ceci ou cela, le vilain petit nuage est dans sa tête, disons que c’est une tentative d’approche de soi-même par soi-même. Travelin’ Blues prend la suite, plus relax mais pas tant que cela, si parfois la voix s’étire un peu elle rebondit par la suite, elle voulait lâccher une bouffée de tristesse sur le monde, elle est sur la route, pour échapper à la laideur de l’univers, ce n’est qu’en quittant le lieu par lequel elle passe qu’elle se sent mieux, oui la route est douce, elle serait mieux avec lui, elle a essayé, elle n’a pas réussi, se souviendra-t-elle seulement de lui lorsqu’elle mourra. Ce n’est pas qu’elle est cruelle, c’est qu’elle ne croit pas à la beauté des choses, la route ne conduit nulle part, l’oubli est partout, c’est son chemin à elle. Getting High in Hotel Rooms beaucoup plus proche du blues, disons qu’ici le blues de l’anatole ressemble un peu au Tombeau pour Anatole que Mallarmé avait tenté d’écrire à la mort de son petit garçon, rien de mieux qu’une

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    chambre d’hôtel pour faire le point sur soi-même parce que sur les autres c’est une cause perdue, elle veut bien essayer, elle ne peut pas, elle voudrait bien, le reste des paroles sont glaçantes, une mouche qui se débat contre la vitre de ses pensées qu’elle a élevées entre elle et le monde, dans le seul but d’être seule… elle n’insiste pas sur les accords, elle ne fait pas pleurer sa guitare, mais je crois que je n’ai jamais entendu un blues d’une telle désolation. Blues de la tour d’ivoire bleue. Make Myself Me Again : elle s’est aperçue qu’elle a son résonateur dans les mains, alors elle vous montre comment elle sait s’en servir, aucune vantardise, chez elle c’est naturel, elle sait jouer alors souvent elle fait juste le minimum, comprenez le maximum où très peu parviennent à se hisser. Elle vous promet qu’elle va se reprendre, qu’elle a envie de faire des efforts, mais de temps en temps elle lâche en deux ou trois mots la réalité de son état, elle est fatiguée, non ce n’est pas une dépression juste sa philosophie de la vie, que le monde ne présente aucun intérêt, que les autres ne valent pas le coup, aucun mépris, elle ne vaut pas mieux, ce n’est pas qu’elle est pire, simplement un peu plus lucide que la moyenne, bref vous avez compris, elle est plus près du  blues que vous ne le serez jamais. Que jamais personne ne l’a été.

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    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 711 : KR'TNT ! 711 : BOO RADLEYS / BOB MOULD / BLACK SABBATH / ACETONE / BELPHEGORZ / JOHN-MARY GO ROUND / HYPOCRISY / BLUES FOR NEIGHBORS / GENE VINCENT + DEKE DICKERSON

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 711

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 11 / 2025

     

     

    BOO RADLEYS / BOB MOULD

    BLACK SABBATH / ACETONE

    BELPHEGORZ / JOHN-MARY GO ROUND

      HYPOCRISY / BLUES FOR NEIGHBORS

     GENE VINCENT + DEKE DICKERSON

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 711

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Traînés dans la Boo

     (Part Two)

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             Dès les premières mesures, tu sens qu’ils vont rayonner. Les Boo Radleys sont de retour avec un Sice incroyablement ravi d’être sur scène. Rien de tel qu’un groupe anglais qui arrive sur scène. Les pas, les fringues, les allures, tout est typiquement anglais. Ils font autorité avant même d’avoir ouvert le bec. The Eggman approche du micro en souriant. Il est petit, mais c’est the Eggman superstar.

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    Il vient te chanter la suite de «Strawberry Fields Forver», c’est-à-dire «I Hang Suspended», il vient te chanter l’enchantement de Liverpool, il vient te gorger de magie, the Eggman, c’est Merlin, et tu sens aussitôt le souffle de la grande pop de Liverpool. Et ça va durer une heure comme ça, tu vas quitter ton enveloppe et regagner le monde magique que tu fréquentais assidûment à une autre époque, tu vas errer au fil des mélodies, porté par le sucre de Sice qui une fois encore s’infiltre dans ton âme pour l’imploser de bonheur, et crack il te craque «Barney And Me».

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    Alors ça gicle, ça jaillit, ça pulse du gimmick demented, Louis Smith qui remplace Martin Carr rajoute des cercles dans les cercles et ça devient aussi effarant qu’un hit de Brian Wilson, avec un Smith qui réitère les glissades démentes, qui joue gras, il a le gimmick du diable dans les doigts et il t’emmène au paradis. Avec Barney, Sice fout le feu au mythe de Liverpool - Now I’m getting older - Il monte encore d’un cran quand tu crois que ce n’est plus possible. Tout est dans l’I still can’t find the words - La trompette embarque Barney et tu te sens physiquement glisser dans une autre dimension. Et Sice qui sourit. Et Sice qui chante comme un dieu, sans jamais forcer. Tu vois ce petit bonhomme gratter sa Tele. Il sait qu’il a le pouvoir des hits derrière lui et donc il se sait le roi du monde pour une heure, just for one hour. Le public chante. Les fans sont tous là. Il règne dans la salle une réelle communion pop autour d’un groupe devenu légendaire par la seule qualité de sa pop, comme ce fut le cas pour les Beatles et Brian Wilson. Bon t’as des cuts en forme de passages à vide, mais Sice reste admirable de présence. Entre les cuts, il lit des petits mots rédigés en français et préparés à l’avance, il indique chaque fois le titre du cut pour que les gens aient un point de repère. Et pouf, «Wake Up Boo», cut de pop explosive, mais pas un hit. C’est pas Barney. «Wish I Was Skinny» sort aussi de cet album culte que fut Giant Steps. Sice est ses amis n’en font qu’une bouchée. 

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             Ils vont regagner la sortie avec un «Stuck On Amber» secoué par des relances de basse démentes. Sice plane sur la mélodie comme un papillon, il justifie et il explose - To get okay with me - Et ils vont boucler leur set avec une effarante restitution de «Lazarus», un cut tellement technicolor et orchestré qu’on ne pouvait imaginer le voir joué sur scène. Les paroles de Sice sont un délice de perdition, mais il règne sur ce final pharaonique une plénitude à laquelle personne ne s’attendait. Quand la musique atteint ce niveau d’excellence, l’air ambiant avale les âmes des gens. C’est ce qu’on appelle la communion et elle se fait bien malgré soi. L’enchantement siphonne les âmes, tout au moins est-ce l’impression que l’on se plaît à cultiver dans l’instant. Même si tu sais que ton âme ne vaut pas un clou, t’es content de te sentir dépossédé. En échange, tu récupères l’image d’un chanteur radieux et brillant, Sice Superstar, pour la coller dans ton album de souvenirs.  

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             Étonnamment, Keep On With Falling est un bon album, pour au moins quatre raisons, la première étant «I’ve Had Enough I’m Out». On a le Sice, c’est sûr, mais a-t-on le Carr ? Ils essayent et ça finit par décoller. On retrouve cette fantastique

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    énergie de la pop. Sice fait encore des miracles sur le morceau titre. Avec un cake comme Sice, ça reste délicieusement easy. Ce petit mec chante comme un dieu. Les Boos savent faire décoller l’hydravion d’Howard Hugues. Et puis voilà un premier coup de génie : «All Along». La clameur t’éclate le cortex, le cut se noie dans le bonheur, le Sice y va à coups d’all along et là t’as le phénomène Boos qui éclate au Sénégal. La quatrième raison s’appelle «A Full Syringe & Memories Of You», full blown de Boo, deuxième coup de génie Boo. Le Sice adore se rouler dans la Boo, c’est puissant, ça monte tout seul, il martèle son pilon pop et les forges explosent de bonheur, ça gicle partout, Sice y veille avec bonhomie. Ils retapent aussi dans le vieux mix de beat reggae et de trompettes («Here She Comes Again») et Sice remonte dans sa stratosphère chérie avec «You And Me». 

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             Avec Eight, Sice ramène sa fraise et son sucre. Il ramène sa voix chargée de sens. Il rétablit le règne des Boos avec «Hollow». Pure Beautiful Song. Sice est un être gracieux, il peut créer de la magie. Il décolle toujours de la même façon. On reste dans l’enchantement avec «Now That’s What I Call Obscene». Sice est comme un poisson dans l’eau. Encore une fantastique construction pop avec «A Shadow Darker Than The Rest». Pur génie pop. Le festin continue avec «Sometimes I Sleep». On appelle ça le génie vocal. Il rentre dans une faille mélodique et injecte sa magie. Tu sens une énorme pression arriver avec «Dust». Il est déjà là, le cut se présente comme une énormité bâillonnée, avec des accalmies et des rétributions illicites, et la voix de Sice porte tout ça mollement. C’est la voix qui fait tout, une voix en forme de nec plus ultra du fruit défendu, l’excelsior harmonique. Le power est bien dans les pattes des Boos de Liverpool, comme le montre encore «How Was I To Know?», ça te claque aux oreilles et la beauté te sidère. Eight est un album parfait. D’autant plus parfait que t’as un disc de bonus (alternates + des cuts Live at the Cavern). On y retrouve une alternate de «The Hollow». Sice est l’un des grands popsters anglais. Il s’applique derrière son micro et fait plaisir à voir. Il t’attaque ça au chant pur et l’Hollow s’envole. Sice l’enchanteur reprend le pouvoir et t’as tout le power des Boos au long cours. Ils montent «That Ain’t A Way Of Life» sur un dub, avec le Sice en écho. C’’est Tim Brown qui vole le show sur sa basse. Et puis voilà la triplette de Belleville, les trois bonus qui font le sel de la terre, Live At the Cavern, avec pour commencer un hommage au Roi George, «All Things Must Pass». T’as la trompette et ça devient mythique. Pire encore, voici le vieux «Spaniard» des Boos. Cette pop chaude ne tient qu’à un fil mélodique. C’est hallucinant de finesse et sublimé par la trompette mariachi. Aussi unique dans les annales de la pop anglaise que le fut «Strawberry Fields Forever». Le trompettiste s’appelle Nick Etwell. Nouvelle cavalcade de Boo avec «Find The Answer Within». Hallucinant de joie et de bonne humeur. Encore un drive de basse dément et la trompette. Sice part en tête, il est explosif de génie. C’est effarant d’élégance pop boréale, Sice et les Boos rivalisent avec John Lennon, cette merveille inaltérable entre dans l’histoire du rock anglais. Qui dira la grandeur de la pop invincible des Boos ?

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             Tu demandes au mec du merch ce que c’est. Il te dit : «Sice’s solo project!» Tu discutes pas, tu ramasses aussi sec. Le «Sice’s solo project» porte le doux nom de Paperlung et l’album celui de  Balance. Wow, quel album ! Si t’es fan de Sice et des Boos, alors tu te régales, dès «How Can You Sleep», t’as le big sound avec Sice on top, comme une petite cerise sur le gâtö. Tu lis vite fait les notes au dos et tu vois que Sice compose tout. Alors tu refais wow ! Car c’est fulgurant. Et tu l’entends chanter dans «The Days That God Sold You». Il s’étale à la surface de sa pop comme un petit caramel chauve et il revient dans la mélodie par le côté, alors ça sonne comme de la magie pop. Tu sens que ce groupe joue son va-tout. Ils rendent hommage à Aleister Crowkey avec «Do What Thou Will» et ça repart en mode big pop avec «The Ashes Of Your Life», et là t’as plus que tes yeux pour pleurer de bonheur, tu vois Sice monter au front la fleur au fusil - Are you happy/ In the ashes of your life - C’est la pop parfaite, la pop de Liverpool. Il sait monter une pop en neige comme le montre encore «A Cautionary Vision Of The Future». Il ne rate jamais son coup. C’est une grosse compo, comme «Spaniard» ou «Lazarus». Encore un coup de génie pop avec «What You Said». Sice l’emmène avec ferveur au firmament, t’as vraiment un envol. La voix de Sice donne un aspect flamboyant à la pop, il ne fournit aucun effort. Tout reste easy chez Sice. Il redécolle plus loin avec «Same Mistake». C’est d’une rare puissance mélodique, il file sur l’horizon, il chante la gloire de la beauté boréale, il chante comme s’il décrétait que le monde est monde. Sa voix te transporte. C’est l’ange de miséricorde qui chante «Where Were You Then?», c’est une bénédiction que de l’entendre tailler sa route vers l’horizon flamboyant, et pourtant Sice n’est pas un mec de carte postale, il est le Louis II de la pop anglaise. Cet album est son Neuschwanstein.

    Signé : Cazengler, Boo Raté

    Boo Radleys. Le 106. Rouen (76). 30 octobre 2025

    Boo Radleys. Keep On With Falling. BooSTR Records 2022

    Boo Radleys. Eight. BooSTR Records 2023

    Paperlung. Balance. Shifty Disco 2007

     

     

    Wizards & True Stars

     - Bob a du grain à Mould

     (Part One)

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             Bob Mould arrive tout seul sur scène avec sa Strato. Il a juste un petit ampli Fender derrière. Et pouf !, il commence à gratter ses poux à la volée. On n’avait encore jamais vu un bordel pareil, il gratte tout au pif, flic flac floc, de la main

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    droite, et il prince des combinaisons de notes de la main gauche, c’est un peu comme s’ils étaient deux ou trois, mais Bob est tout seul, il claque sa rythmique et ses solos à la bonne franquette et sort un son d’une densité extrême qui n’appartient qu’à lui. Il joue tout à l’esbrouffe mais son esbrouffe sonne comme un mystère impénétrable, plus on l’observe et plus on ne pige que dalle, et diable, il faut voir comme ça sonne.

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    Il n’a besoin ni de basse, ni de batterie, il fait son power-punk mélodique tout seul, il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Au bout de deux cuts, il est rouge comme une tomate et il dégouline de sueur. Tu vois l’artiste à l’œuvre et franchement, tu te demandes comment il peut tenir ce train d’enfer, car tous les cuts sont quasiment des bombes atomiques, il tape dans le Dü, on chope au passage le vieux «Flip Your Wig», tiré de l’album du même nom, suivi d’«I Apologize», un vieux blaster qui date de l’album aux chiens, New Day Rising, le genre d’hit qu’on

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    vénérait à une autre époque. Le vieux Bob n’a rien perdu de sa niaque, on irait même jusqu’à dire qu’elle a empiré, il reste rivé à son micro et quand il part en solo-ramdam, il fait un petit tour de scène. Qui d’autre serait capable de jouer un set de 90 minutes tout seul à ce train-là ? On a beau chercher, on ne voit personne. Le vieux Bob devient à la fois une attraction et un héros, un funambule et un totem, un dieu vivant et un vieux punk, un golem des Amériques et un coureur de fond, un géant et un sorcier, il est tout cela à la fois et beaucoup plus encore, c’est un bombardier et un Cortez the killer, il repousse toutes les limites, il fait ce que personne n’a jamais osé faire avant lui, il pousse les aigus de sa Strato et sort un son d’une rare virulence, et toujours ce battage de maniaque, et cette purée fumante qui semble sortir à torrents.

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    Son arme secrète est le jet continu, le son brûlant, le chant extrême, quand il tape dans le Dü, ça ne rigole pas. Il va faire participer le public sur l’excellent morceau titre de son dernier album, Here We Go Crazy, et t’as des gens qui en connaissent déjà la paroles, car ça répond bien, et du coup, ce hit prend une ampleur considérable. Mais ça va encore monter d’un cran avec des vieux hits du Dü, l’effarant «Celebrated Summer», qu’il chante à l’efflanquée, il a sans doute trop forcé sur sa voix, il n’en peut plus, mais bon, c’est Bob Mould, il a besoin de repousser les limites, alors il trouve les ressources en lui, et bhammm !, il claque l’excellent «If I Can’t Change Your Mind» qui fut, t’en souvient-il, un hit massif au temps de Suger, et là c’est toute la salle qui chante pour lui, on aurait jamais cru que le Dü et Sugar avaient été si populaires en France. Et ça repart de plus belle avec un public allumé qui chante «Makes No Sense At All» à tue-tête et finalement, lorsque vient dans ta tête l’heure de conclure, tu te dis que ce vieux pop-punk vieillit admirablement bien. C’est même un modèle.   

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             Le nouvel album de Bob Mould s’appelle Here We Go Crazy. Cette petite merveille grouille de puces. Et ce dès le morceau titre qu’il attaque au sommet du genre. C’est bardé de son. Il retourne toujours la situation à son avantage. Quel

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    seigneur ! Son vieux power remonte à la surface. Il repasse en mode Dü pour «Neanderthal». Bob a tellement de génie que les mots te manquent. Face à cet éclat, tu vas devoir faire des efforts. Il monte chaque fois sa pièce montée au sommet de ce qui doit être fait. Il adore traîner ses cuts dans la bouillasse. «Hard To Get» rue comme un étalon indomptable. C’est d’une puissance exceptionnelle. T’as encore tout le son du monde dans «When Your Heart Is Broken». Le vieux roi du Dü grimpe encore au sommet de son lard fumant. Il fond son killer solo dans sa fournaise magique. Bob est une force de la nature et ses cuts sont à son image. Encore de la dégelée royale avec «Sharp Little Pieces». Avec Bob, ça n’en finit plus. Il chante d’en haut et ses poux coulent d’en haut. Avec lui, tu crois toujours entendre les Pistols, il sort un son bardé d’accords fondamentaux. Il repart comme si de rien n’était avec «You Need To Shine». Chauffer un album d’un bout à l’autre, c’est son métier. Même en mode ralenti, il est bon («Thread So Thin»). Il termine cet album éclair avec «Your Side». Il rassure son copain - I wanna be by your side - Bob est un protecteur, pas un barbare sanguinaire, comme on l’aurait cru.

    Signé : Cazengler, Bob Mou

    Bob Mould. La Maroquinerie. Paris XXe. 9 novembre 2025

    Bob Mould. Here We Go Crazy. BMG 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Sabbath tous les records

     (Part Two)

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             Et si on pariait ? Geezer Butler sort son autobio, Into the Void: From Birth To Black Sabbath And Beyond, alors tu te dis que vu son pedigree, son histoire de Sabbath sera plus croustillante que celle de Mick Wall. Tu assois ton hypothèse sur deux autres évidences : un, Geez est le bassman/lyricist du groupe, donc, c’est vécu de l’intérieur et t’auras logiquement de l’intrinsèque véracitaire, celui que tu préfères. Deux, vu qu’il écrit les paroles, c’est forcément un styliste. Tu t’attends donc à un beau classique, à un ouvrage historique. T’en baves d’avance.

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             Première déconvenue : le book est tout rabougri ! C’est le format poche qui souvent coupe l’envie de lire. Même quand l’ouvrage en question est un classique littéraire, le format poche est un tue l’amour (excepté Folio ou 10/18). On préfère cent fois tenir un main une belle édition jaunâtre de la nrf. Non seulement le bouffant te flatte la paume, mais il te flatte surtout l’intellect. Dans le Geez rabougri, rien ne va te flatter l’intellect. On retombe dans ce qu’on déteste le plus : la collection des clichés du rock. C’est la même chose que d’aller voir les Pistols avec Frank Carter : l’horreur. Pas question de toucher à ça.

             Mais maintenant que le Geez est là, tu le lis. Eh oui, il est arrivé par la poste. Donc te voilà baisé. Tout est pourri : le format, les choix typo, le papier. T’as mal aux yeux avant d’avoir commencé à lire. C’est une corvée. T’es pas content. Tu vas lui trouver tous les défauts. Au moins ça changera des concerts de louanges habituels.

             Geez commence par rappeler qu’il a bossé 50 ans dans Sabbath, et quand on a bossé aussi longtemps dans un groupe, il y a, dit-il, pas mal de drama, et, ajoute-t-il d’un ton débonnaire, quand on bossait dans un «rock and roll band back in the seventies and eighties, the drama was turned up to 11.» Les autres disent 12, Geez préfère 11. Puis il rappelle que les music writers ont passé des décennies à cracher sur Sabbath. Voilà, le décor est planté : des hauts et des bas + la haine des critiques.

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             Bien sûr, Geez raconte son enfance à Aston, un quartier du centre de Birmingham, et ses deux premiers disks : le live de Muddy Waters, At Newport 1965, et un Dizzy Gillespie - Those two albums were my introduction to jazz and blues - Puis il se laisse pousser les cheveux like the Beatles. Il grandit chez les pauvres mais sa mère lui paye des Beatles boots et une collarless Beatles jacket  pour Christmas. Et bien sûr, il finit par récupérer une gratte pour gratter les chansons des Beatles. N’oublions pas que l’Angleterre est devenue pour tous les kids un pays magique grâce aux Beatles. Puis en 1964, le «Really Got Me» des Kinks détrône les Beatles dans la tête de Geez. Jusque là tout va bien. Le moral du lecteur remonte au fil des pages : ça grouille de petites infos passionnantes.

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             Avec ses quat’ sous, il finance le deposit d’une beautiful red Hofner Colorama et d’un Bird Golden Eagle amplifier, via Pay Bonds, la boîte qui fait les crédits pour les pauvres. En 1965, il voit le gig of a lifetime, les Beatles au Birmingham Odeon. Tout y passe, «Help», «We Can Work It Out», «Day Tripper» - No wonder everyone, inculding the blokes, was going hysterical - Puis en 1966, il voit les Stones au même endroit. Les Stones sont dans son trio de tête avec les Beatles et les Kinks, mais, s’empresse-t-il d’ajouter, les Stones «were almost blown off the stage that night by Ike & Tina Turner.» Détail capital. Il passe ensuite à Jack Bruce via Cream puis il chope Jimi Hendrix sur Top Of The Pops - These were heady time for a kid into his pop music - Eh oui, Geez, on a tous vécu le même déluge, mais c’était forcément plus violent en Angleterre.

             Bon, il est temps de monter un groupe. Geez cherche des kids pour jouer avec. Dans un magasin de musique, il tombe sur une petite annonce : «Ozzy Zig needs a gig. Singer with own P.A.» Il habite dans le quartier, à Aston, alors Geez le contacte. Et l’Ozz se pointe. C’est un skin, en tablier de ramoneur, pieds nus, avec un hérisson de ramoneur sur l’épaule et un petit chariot au bout d’une laisse. Geez n’y va pas de main morte - He was obviously a complete nutter - Un cinglé ! En plus, l’Ozz sort du ballon, car il s’est fait poirer sur un cambriolage.

             Le groupe de Geez s’appelle Rare Breed.

             Et c’est là que s’ouvre le bal des anecdotes. Geez commence par rappeler que l’Ozz fait caca sur demande. Un promoteur qui manque de respect au groupe va trouver sur le capot de sa Jaguar un étron de l’Ozz. Plus tard, dans les hôtels américains, l’Ozz fera caca dans les machines à glaçons. Tiens, encore une : Sabbath joue un soir dans une salle non chauffée, alors l’Ozz trouve des vieux bancs backstage et allume un feu pour se réchauffer, et quand le feu dégénère, les Sabbath essayent de l’éteindre en pissant dessus, «like some weird rock fire brigade». Enfin bref, on voit le niveau des anecdotes. Le book en fourmille. L’Ozz pisse un coup ici, l’Ozz fait caca là. Il y en a que ça fera marrer.

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    Tony Iommi jeune

             Puis Geez joint ses forces à celles de Tony Iommi et Bill Ward qui jouent dans un groupe nommé Mythology. Mais quand Geez dit à Tony Io que le chanteur du groupe sera l’Ozz, Tony Io fait : «Oh non, pas lui !». Il le connaît. Il dit que l’Ozz «had the kind of face you wanted to punch.»

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             Tony Io va être le boss, celui qui met tout au carré, surtout la gueule des fuckers. Quand Tony Io entre dans la pièce, tout le monde ferme sa gueule, y compris l’Ozz.

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    Earth

             Sabbath commence par s’appeler Earth. Jethro Tull essaye de récupérer Tony Io, en remplacement de Mick Abrahams, mais Tony Io ne le sent pas, «mainly beacause he didn’t like being told what to play.» Et pourtant Jethro Tull est en train de devenir énorme. C’est Tony Io qu’on voit jouer avec Tull au Rock’n’Roll Circus des Stones. Il porte un chapeau et tente de passer incognito. Pour les autres Sabbath, le fait que Tony Io décide de rester avec eux sera déterminant.

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    first gig !

             Et pouf, ils partent jouer au Star Club de Hambourg. C’est là qu’ils composent «N.I.B.».  Et c’est aussi là que Geez propose le nom de Black Sabbath. Alvin Lee qui est leur mentor dit que c’est trop glauque pour un nom de groupe et propose à la place Papa Sun. Mais les Sabbath n’en veulent pas - So Black Sabbath it was - And on 30 august 1969 we played as Black Sabbath for the first time, in Workington, Cumberland.

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             Leur premier album est un succès inespéré. Geez raconte qu’ils ont reçu une avance de 1000 £ et qu’elle est partie en frais de studio. Au final, il ne leur reste due 125 £ chacun. Leurs cachets sont ridicules : twenty quid gigs. Ils sont tellement pauvres qu’ils sont obligés de barboter des trucs dans les salles de concert - I nicked the carpet, Ozzy nicked the lightbulbs, and Tony nicked a big brass tea urn and sold it as scrap - Puis ils rencontrent le fameux Wilf Pine, l’un des gorilles de Don Arden. Un Don Arden qu’ils rencontrent à Londres pour signer un contrat. Geez nous donne tous les détails de la conversation, comme l’a fait Duke Fakir dans I’ll Be There: My Life With The Four Tops, lorsqu’il se retrouve face à Berry Gordy pour signer un contrat. Geez dit à Don qu’il doit lire le contrat avant de le signer, et Don lui dit non et lui dit de signer. Geez voit une ligne avec des pointillés qui dit : «The management will be paid... percentage.» Alors Geez demande de combien est le pourcentage. Et Don lui rétorque qu’il le définira plus tard. Geez lui demande s’il a quand même une idée, et Don pense que ça doit tourner autour de 20 %. Alors pourquoi ne pas l’écrire maintenant ? Et donc Sabbath ne signe pas. Un peu plus tard, Wilf Pine qui s’est fâché avec Don revient voir Sabbath et leur propose un co-management avec another fella called Patrick Meehan. Et hop, c’est parti.

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             Geez rappelle vite fait en passant que Tony Io n’est pas n’importe qui. Quand il a perdu deux doigts, son boss au boulot lui a filé un album de Django Reinhardt en lui disant qu’il avait eu le même problème, «but listen to what he can do.» Alors Tony Io a écouté Django et il est devenu l’un des grands guitaristes de rock de son époque, avec deux doigts en moins.

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             Geez rappelle aussi qu’ils ont enregistré le premier Sab en deux jours, puis Paranoid en cinq jours. Comme leur premier album s’est bien vendu, la record company leur fout la paix. Pas de connard d’A&R dans les pattes de Sabbath. Pour Geez, ces 5 jours de 1970 sont des jours magiques, nothing will ever sound like that again. Leur recette est simple : Tony Io gratte un riff de son invention, l’Ozz y greffe une mélodie, et Geez écrit les paroles. Et ils enregistrent aussi sec. Pas de problème. Puis ils décident de virer Don Arden et de faire équipe avec le duo Pine/Meehan. L’Arden les poursuit en justice et ça va durer dix ans. Et les music writers continuent de s’acharner sur Sabbath, mais les fans les soutiennent - That’s why Sabbath must be the most successful bunch of outsiders in music history - Geez oublie les Ramones. Il est un peu auto-centré, dans son petit format poche rabougri. Mais on l’aime bien quand même.

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             Fin 1970, Sabbath s’envole pour les États-Unis avec Wilf Pine. Geez est tout excité. Il se sent projeté dans l’espace. Dans l’avion, il y a des compatriotes de Birmingham, Traffic, mais les Traffic les ignorent complètement. Puis ça va commencer à déchanter quand ils arrivent dans leur premier hôtel new-yorkais : dans leur chambre, Bill et Geez voient des cafards se balader sur les deux lits. Au Forum de Los Angeles, ils ouvrent pour Mountain, un groupe qu’ils vénèrent. Geez donne pas mal de détails passionnants, de ce style : l’Ozz fout le souk dans sa chambre d’hôtel (his room was war-zone) et au checking out, le motel manager félicite les Sab, car dit-il, «you’re so well-behaved, compared to other bands.» C’est l’humour anglais, dans toute sa splendeur.

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             Lorsqu’ils enregistrent Master Of Reality, Tony Io a mal aux doigts après tant de concerts, alors il monte des cordes plus légères sur sa gratte et descend l’accordage de plusieurs tons, «which gave him a heavy, darker sound». Alors Geez descend aussi sa basse, «and suddenly Sabbath were heavier than ever.»

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             Les tournées vont finir par avoir la peau du groupe. Nouvelle tournée américaine en 1972. Bill Ward est devenu alcoolique, il descend une bouteille de vodka au breakfast. Mais bizarrement, ça n’affecte pas son jeu. Il chope ensuite une petite hépatite qui l’envoie au tapis. Il en réchappe de justesse. Quant à l’Ozz, il fait une conso de coke industrielle. Il s’en tord l’épiglotte. Malgré tout ça, Sabbath empile les disques de platine et remplit les stades, «doing sold-out arena tours, living in big houses and driving flashy cars.» Ils s’installent à Los Angeles et répètent dans une pièce à côté de la piscine. Et c’est là qu’on retombe dans les clichés. Miraculeusement, le Geez nous épargne les parties de cul.

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             Ils finissent par annuler une tournée américaine en 1973. Ils sont ra-ta-ti-nés. Ils s’arrêtent pendant un an et demi, ce qui est assez risqué à l’époque. Heureusement, Tony Io ne perd pas la main. Tout le biz de Sab repose sur lui. Et le Geez balance ça : «Je défie quiconque de citer trois better rock riffs tant ‘Iron Man’, ‘Supernaut’ and ‘Sabbath Bloody Sabbath’». Il n’a peut-être pas tout à fait tort. Puis ils vont se débarrasser de Patrick Meehan qui les baratine. Ils doivent lui verser un million de $ pour se sortir du contrat. Warner leur avance le million sur les ventes du prochain album. De toute façon, ils sont baisés de partout : par Meehan et par Warner - We were skint for the rest of the seventies - Et donc l’enregistrement de Sabotage tourne au cauchemar. Ça va durer dix mois. Ils l’appellent Sabotage «because we thought we were being sabotaged. That’s why it sounds so bloody angry.»

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             En 1978, les Ramones ouvrent pour Sabbath et se font huer chaque soir. En représailles, les Ramones ne jouent qu’un seul cut : ils le jouent plusieurs fois. Ils finissent par quitter la tournée. Puis c’est la catastrophe de Technical Ecstasy, «a pale imitation of Black Sabbath, too polished and too soft.» Geez raconte aussi que l’Ozz s’en prend aux animaux (poulets et homards), alors il est à deux doigts de lui mettre sa main dans la gueule.

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             Un jour, Geez apprend qu’il est viré de Sabbath. Bon, pas de problème. Quelques jours plus tard, il apprend qu’il n’est plus viré et qu’on l’attend à la répète. Il arrive et demande une explication. Personne n’est au courant. Viré ? Ah bah non. Le Geez n’a jamais eu d’explication. Du coup, il perd confiance en eux. Les brother bandmates ? Pffff - The dream was over. Welcome to reality - Puis ils partent enregistrer Never Say Die à Toronto - Another disastrous decision - De toute façon, ce sont des albums qu’on n’écoutera pas. On s’est arrêté à Sabotage, parce que l’album était en vitrine, qu’on adorait la pochette, et qu’on suivait Sabbath depuis le début.

             Le drinking de Bill et de l’Ozz est complètement out of control et ils passent leur temps à se battre comme des chiffonniers. Le Geez en a tellement marre qu’il prend l’avion plutôt que de monter dans le bus avec eux. Et puis il y a surtout «the Bill’s lack of hygiene». Bill pue comme un clochard. Et soudain, Tony Io décide de virer l’Ozz : «It’s not going to work with Ozzy anymore, it’s time to try somebody else.» Bill est chargé d’aller porter la bonne nouvelle à l’Ozz, de la même façon que Sterling Morrison fut chargé d’aller annoncer à Calimero qu’il était viré du Velvet. L’Ozz fond en larmes. C’est la fin d’une époque. On ne vire pas l’Ozz de Sab. Le Geez pense que Sab est foutu - Well that’s it. We’re finished - Il ne voit pas comment Sabbath peut survivre without Ozzy up front. C’est un peu comme les cuts des Ramones sans Joey, ça n’a tout simplement pas de sens.

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    Geez

             Ozzy nous dit le Geez s’est senti trahi. Le Geez qui a pour principale qualité l’opiniâtreté nous rappelle que les Sab sont quatre working-class kids from Aston qui ont changé the course of music et sont devenus one of the biggest rock bands in the world. Mais il sent qu’à cause de l’Ozz, Sabbath est mal barré. Aussi tente-t-il de justifier son éviction ! Il insinue qu’en restant dans Sabbath, l’Ozz aurait fini par overdoser. Et crack, il balance ça : l’Ozz avait besoin d’un choc pour se re-situer. Tu parles d’un choc ! C’est le passage le plus tendancieux de ce petit book qui grouille de passages tendancieux. On ne justifie pas l’éviction d’un compagnon de route. Sabbath et Pink Floyd même combat ? Comme Syd, l’Ozz savait très bien à qui il avait à faire : des bas de front qui ne rêvaient que de voitures de sport. L’horreur.

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    Black Sabbath avec Ronnie James Dio

             Tony Io avait déjà son idée en tête. Il voulait Ronnie James Dio qui venait de se faire éjecter de Rainbow. Et en 1980, Sabbath entame une tournée avec celui que Don Arden appelle le nain. Pas d’Ozz ? Personne ne sait comment vont réagir les fans. Les fans huent le nain mais le nain s’accroche. Puis Bill qui a des remords quitte le groupe en pleine tournée - Things went from bad to calamitous - Pas de problème, le nain connaît un batteur, le frère de Carmine Appice, Vinny, qui a joué avec Rick Derringer. Et hop, c’est reparti. Mais toute cette époque n’a bien sûr strictement aucun intérêt.

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    Vinny Appice

             Le nain veut toucher des royalties sur tout ce qu’il chante, alors le Geez se barre. Il ne peut plus supporter d’entendre le nain se plaindre. C’est là que Tony Io décide de le virer. Et voilà Sabbath sans chanteur, sans batteur et sans manager. Côté anecdotes, le Geez rappelle que Bill est un «combustible drummer», car pendant des années, les Sab se sont amusés à mettre le feu à sa barbe. Le Geez aime bien rigoler un coup : quand on lui demande s’il a vu Spinal Tap, il répond : «Seen it? I lived it.»

             Encore plus marrant : Tony Io ré-engage Meehan. What ? Le Geez refuse de lui serrer la pogne. Il demande à Tony pourquoi il a fait ça et l’Io lui répond : «He knows how to manage a band.» On profite du paragraphe pour apprendre qu’à l’époque, Don Arden est «sued to death by ELO» et qu’on vient l’arrêter pour le kidnapping et la torture de l’un de ses comptables, chefs d’accusation dont il sera acquitté. L’histoire de Sabbath est une histoire à rebondissements.

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             L’Ozz comme on sait a mené sa carrière solo et a épousé la fille de Don Arden, la fameuse Sharon. Et pendant toutes ces années, l’Ozz a publiquement insulté l’Io. Pire encore, «Sharon had sent Tony a bag of her daughter’s poo in the post.» Ils viennent tous des mêmes bas-fonds, ceux de Birmingam pour Sabbath, ceux de Manchester pour les Arden. Donc l’idée d’une reformation est mal barrée. Mais il y a un gros billet à la clé. Et Sabbath se reforme pour un Ozzfest, avec le batteur de Faith No More.

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             Et en 1998, ils enregistrent Reunion en Angleterre. Quel album ! T’as aussitôt le doom de Sab avec «War Pigs». L’Ozz harangue la foule. Oh le poids du Sab ! Ça sonne comme l’hymne définitif des seventies. Tony Io passe un long solo et le Geez laboure en profondeur. Et pouf, on revient au premier album avec «Behind The Wall Of Sleep». Le Power absolu ! C’est une heavy pureté évangélique. Te voilà de retour à La Saussaye. Ils tirent encore «NIB» du premier Sab. Ça prend feu. L’Ozz fait l’Oh Yeah ! Intangible ! Beautiful solo de Tony Io. Ah c’est un artiste. Tony Io est un entrepreneur entreprenant. Le Sab dégage un son qui t’emporte comme un fétu. L’Ozz hurle son «Sweet Leaf» au sommet de la montagne. C’est la fête du village en haut de l’Ararat. Les Sab sont terrifiants de power. L’Ozz est un chanteur complètement extraverti. Il est souvent à la limite du faux. Encore de la grosse purée fumante avec «Into The Void». Leur formule est vraiment au point. Il chante encore «Snowblind» à la pointe du progrès. Le power des Sab est magnifié par ces deux démons que sont l’Ozz et Tony Io. Et ça repart de plus belle sur le disk 2 avec la pluie d’acier de «Sabbath Bloody Sabbath». Sab on fire ! Quelle leçon d’heavyness ! Tony Io multiplie les départs en vrille d’excelsior. Tout est passionnant sur ce double live. «Back to the Beginning ! Thank you !», clame l’Ozz qui annonce «Black Sabbath». C’est la fondation du mythe Sab - Please/ Please God/ Help me - L’Ozz est d’une rare intensité et Tony Io fout le feu à la plaine. L’Ozz rechauffe la salle à coups de «louder ! Let’s fucking hear you guys !» et ça part en mode «Iron Man», l’hymne inter-galactique. L’Ozz annonce tous les cuts un par un, comme ça au moins t’es renseigné. Alors voilà «Children Of The Grave», Et en rappel, ils tapent bien sûr l’inévitable «Paranoid», c’est toute une époque qui remonte à la surface et qui va disparaître avec l’Ozz. C’mon ! Et derrière ce maelström, t’as la ventilation cardiaque du Geez.

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             Un peu plus tard, les Sab reformés enregistrent 13 avec Rick Rubin. Comme Rubin des bois produit, t’as du son. T’as même la chape de plomb, Rubin des bois fout le paquet sur le plomb. Ton casque saute. Rien de révolutionnaire, c’est du vieux Sab avec l’Ozz qui écrase bien ses syllabes dans le cendrier. Ils sont assez comiques, car à leur âge, ils jouent encore comme s’ils avaient 16 ans. Ils resservent grosso-modo le même raout. Ça fume et Tony Io n’en fait qu’à sa tête. La formule est restée la même, avec la purée de riffs et la voix perçante de l’Ozz. Rien n’a changé depuis le premier album. Tout repose sur un riff, et l’Ozz brode. Ils font du biz à la différence des Ramones qui faisaient du rock. Tony Io adore se fondre dans sa purée. Sur cet album tout est très paroxysmique. Rubin des bois fait monter les enchères. Le plus drôle, c’est que les deux autres ne comptent pas : ne comptent que l’Ozz et Tony Io. Sur «God Is Dead?» Tony Io gratte tout ce qu’il peut. Il plombe la chape de plomb. Et L’Ozz fait son bizz. Il est en pleine forme. Rien n’a changé en 50 ans. Il a bien appris à tartiner son chant et son God is Dead finit par devenir relativement crédible. Le riff raff de «Loner» sonne merveilleusement bien. Tony Io est aux anges, il gratte à qui mieux mieux, il gratte à mains nues, il incarne le riff raff mieux que n’importe quel autre guitariste anglais, il se joue de dessus et bricole des climats. Il fait encore du big Sab dans «Age Of Reason» et passe un killer solo Ionisé. Quand il se fâche, ça s’entend ! Encore du classic Sab avec «Live Forever», et t’as la belle voix d’Ozz à la surface du tagada de Tony Io. Ils battent tous les records d’heavyness avec «Damaged Soul». Tony Io tartine tout le gras double qu’il peut. On se croirait toujours sur le premier Sab. Ils n’en sont jamais sortis. C’est incroyable comme on est habitués à la voix bien appuyée de l’Ozz. Il hante bien l’heavyness du rock anglais. La formule de Sabbath est au point, comme celle des Ramones. C’est épais et bien appuyé. On peut écouter 13 les yeux fermés.

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             Ils repartent en tournée. Pas facile, car Tony Io fait des séances de chimio et il est un peu ratatiné. Mais ils ramassent 85 millions de $ - Not bad for a bunch of old fogeys who music writers had bashed for the best part of four decades - Puis vient le moment des adieux. Rien de très émotionnel, de la part de ces vieux working-class blokes from Aston. Some quick hugs and some «See ya». Et chacun repart de son côté. Et là le Geez se vautre : «Ignore the rumours, we’ll never do it again. Well the other three can do what they want, but for me, the Sabbath story is over.» Geez a 72 ans quand il écrit ça. On est en 2021. Il ne sait pas que quatre ans plus tard, il va remonter sur scène avec Sabbath à Aston pour un ultime concert.

    Signé : Cazengler, Black Savate

    Geezer Butler. Into the Void: From Birth To Black Sabbath And Beyond. Harper Collins Publishers 2024

    Black Sabbath. Reunion. Epic 1998  

    Black Sabbath. 13. Vertigo 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Acetone tu m’étonnes

             Il s’appelait Acheton, mais il n’avait rien à voir avec les Stooges. Et pourtant, la plupart des mecs de la classe l’appelaient Ron alors qu’en réalité il s’appelait Pierrot. Pierrot Acheton. Le matin, t’en avais toujours un qui lui balançait un truc du genre :

             — Alors Ron, ça solote ?

             — Vas chier dans ta rue !

             Acheton avait ce qu’on appelle un caractère bien trempé. Il valait mieux éviter de le provoquer. Il tolérait une petite vanne, mais pas deux. Il conduisait une moto anglaise qu’il avait bricolée lui-même, et portait un perfecto, ce qui à l’époque n’était pas encore très courant. Acheton était un punk avant les punks. Il vivait avec ses parents dans une ferme situé à 20 ou 30 km de la ville où se trouvait le lycée, aussi arrivait-il chaque matin en moto, et en perfecto, hiver comme été. Il avait poncé le réservoir de sa BSA pour enlever la couleur d’origine. L’engin était d’un beau gris métallique. Ça lui donnait un côté mystérieux. S’il t’avait à la bonne, Acheton t’emmenait faire un tour. Il sortait de la ville en longeant la Seine et rejoignait le circuit des Essarts, un circuit réputé pour ses virages en épingle. T’allais avoir la peur de ta vie. Acheton arrivait à fond sur la courbe, décélérait brutalement et penchait la moto pour prendre le virage. Il laissait traîner sa béquille pour faire jaillir des pluies d’étincelles. Même cirque à chaque virage. Il devait prendre son pied, mais pas toi. Il remonta tout le circuit, puis il fit demi-tour pour le redescendre, ce qui lui donna encore plus de vitesse. Et là tu fermais les yeux, tellement ça valsait, il basculait sur la droite, puis sur la gauche, et sortait du virage miraculeusement. Il s’arrêta en bas du circuit, cala la béquille et nous descendîmes de la moto. Il enleva son casque et éclata de rire :

             — T’es tout blanc ! Tu t’es chié dessus ?

             — Pfffff pas du tout ! On refait un tour ?

     

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             Pendant qu’Acheton conduisait sa moto en Normandie, Acetone construisait sa légende aux États-Unis. Après avoir salué la mémoire de ce vieux Pierrot Acheton, saluons celle de cet excellent trio américain.

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             Dans Uncut, Daniel Dylan Wray commence par dire qu’Acetone est le paradis des dichotomies : «promise and disapointment, calmness and noise, darkness and light, reverence and indifference, tender souls and hard drugs.» Ils sont trois : Richie Lee (le frisé, bass, chant), Mark Lightcap (le brun, poux, chant) et Steve Hadley (le blond, beurre). Ils sont arrivés dans le sillage de Nirvana en 92 et signés pour un très gros billet. Le mec d’Uncut les situe ainsi : «They floated between the stirring songcraft of Big Star, the guitar squeal of the Stooges and the woozy melodies of later-era Velvets, topped off with heavy lashings of country and touches of psychedelia, all wrapped up with a touch of sunshine-kissed dream pop and hypnotic, druggy grooves.» Avec ça, t’es fixé. Mais le succès n’est jamais venu au rendez-vous, et en 2001, Richie Lee s’est foutu en l’air. Un certain Sam Sweet a écrit une bio d’Acetone, Hadley Lee Lightcap. Épuisé. La vie est dure.

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             C’est Virgin qui les signe pour 400 000 $. Cindy sort en 1993. T’es vite impressionné par leur son : un joli laid-back bien épais, avec une légère disto sur la basse. Et ça monte vite au sommet de l’Ararat avec «Pinch». Richie Lee force sa petite glotte dans le feu de l’action - This is not a joke - Cet heavy rockalama te tombe dessus comme une pluie d’acier, ils deviennent quasiment hendrixiens dans la dégaine. T’en reviens pas ! Ils passent à l’heavy groove avec «Sundown». C’est «Season Of The Witch» avec le tonnerre de Zeus. Lightcap fout le feu à la plaine. Richie Lee attaque «Chills» au fast & wild bassmatic et Lightcap ramène une petite stoogerie. C’est hallucinant de violence sonique, ils savent brûler les étapes, brûler la chandelle par les deux bouts et même se brûler les ailes. Leurs déboulades sont des modèles du genre. Là tu dis oui. Et même wow ! Ils chantent «Louise» à la rosée de Ronsard, c’est très laid-back à la renverse, just close your eyes, mais pas de quoi en faire un fromage. Il faut ensuite attendre «Barefoot On Sunday» pour renouer avec l’Acetone genius. Lightcap se fâche et ça bascule dans Salammbô. Ça grimpe sur les murailles, ça bat tous les records d’énormité joyeuse, puis ça se calme, le temps de placer le petit chant moite. Ils travaillent des ambiances extraordinaires et Lightcap creuse des tas de tunnels sous le Mont Blanc.

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             La presse anglaise salue Cindy. Le mec d’Uncut qualifie le cut d’ouverture de bal «Come On» d’«unashamed hommage to The Velvet Underground’s ‘Ocean’». Il trouve aussi des traces du «Walk On By» d’Isaac le prophète dans «Sundown». Dans Mojo, David Fricke n’y va pas non plus de main morte sur Cindy. Il parle de «raw poise of psychedelic dreaming and desert-pilgrim crawl as if The Beach Boys’s Pet Sounds, Big Star’s Third and Spacement 3’s Playing With Fire were spinning on the same turntable - at Galaxie 500 speed.»       

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             Avec I Guess I Would, ils vont aller plus sur la country des Flying Burrito Brothers et John Prine. C’est un album de covers. Ils enregistrent leurs country ballad covers de George Jones, John Prine et Johnny Horton à Nashville. C’est un changement de cap assez radical. Fricke dit aussi qu’un «10-minute slow burn through Kris Kristofferson’s Border Lord was Acetone at their noisy and ascetic finest, spilked with Mightcap’s overloaded fuzz ans wah wah spasms.» 

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             Dès le «Juanita» de Gram Parsons, ils renouent avec le doux du mou du genou. C’est leur truc. Pas de panique, on a le temps. Ils tapent ensuite dans «The Late John Barfield Blues» de John Prine. Cut pépère, désuet, précieux, bien protégé. Tu sais dans quoi tu t’engages. Ils vont de la petite molesse du désert à la country de la torpeur en passant par l’«All For The Love Of A Girl» de Johnny Horton sans la voix de Johnny Horton, alors forcément, ça ne marche pas. Tu commences même à somnoler. Ça bascule dans l’heavy country soporifique. Ils se réveillent enfin - et toi aussi - avec le «Border Lord» de Kris Kristofferson. Lightcap ressort son artillerie lourde. Dommage que tout l’album ne tape pas dans ce registre. Ça aurait arrangé nos affaires. Ce Border Lord est le seul cut potable de l’album. Lightcap fait tout le boulot. Il se joue dessus en disto et en wah, c’est un démon !

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             Ils redressent bien la barre avec If You Only Knew. Même si ça part en mode mou-du-genou en suspension, au gnan-gnan de gnognotte, Lightcap arrive très vite avec des poux diaphanes. Ils cultivent bien la ramasse, c’est leur fonds de commerce. Ils passent à l’heavy groove de bon aloi avec «I’ve Enjoyed As Much As I Can Stand», cut délicieusement laid-back et chanté dans un souffle. Puis ils tirent l’overdrive pour passer en mode big pop avec «The Final Say». Lightcap explose enfin et ça devient terrific, ils déroulent le cut avec un power démesuré, et avec le chant d’un Richie Lee doux comme un agneau en surface. Ça prend des proportions extraordinaires. Ça redevient très sérieux avec «99», Lightcap pique sa crise. Ils atteignent le sommet du laid-back avec «Esque», ils hantent les profondeurs à coups d’have you been around. Et Richie Lee remonte à la surface d’«Always Late» comme une méduse psychédélique. Les trois cocos d’Acetone ont un univers réel, en dépit des défauts. Ils savent réchauffer une soupe aux choux. Richie Lee chante comme un fantôme qui ne va pas bien.  

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             En 1997, Virgin les vire et ils se retrouvent sur le label de Neil Young, Vapor Records, avec un album sans titre et un peu raté. Tu ne feras pas tes choux gras d’Acetone, même si Richie Lee pose bien les conditions du son, c’est-à-dire le mellow laid-back. C’est même parfois tellement laid-back que c’est presque beau. Tellement velouté. Ils sont dans l’after. C’est très plombé. Très retardé, mentalement parlant. Presque ennuyeux. Il faut attendre «Might As Well» pour frémir un petit coup. Richie Lee caresse un beau rêve de Croz. C’est pas loin du «Season of The Witch», celui de Stephen Stills. Real deal de groove psychédélique. Ils bouffent ensuite à tous les râteliers avec du tartignolle («Shobud») et de la country («All You Know»). Lightcap vole au secours de l’album avec un nouveau groove à la Croz, «Good Life». Ça redevient soudain très intéressant, et sa voix s’y prête mieux. Il a du moelleux dans l’accroche. «Dee» sonne comme une vague de chaleur», et Lightcap accompagne «Waltz» à la wah nonchalante. Hélas, il ne s’y passe rien. La plupart des cuts manquent de colonne vertébrale. «So Slow» est presque beau, mais trop laid-back. Tu sais que tu n’y reviendras pas. Ils excellent dans le gnan-gnan, ça peut plaire à certains, c’est bien là le problème. Cet album n’a vraiment rien de particulier. 

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             Par contre, York Blvd vaut le rapatriement. Richie Lee attaque «Wonderful World» en mode petit rock’n’roll animal et Lightcap te monte ça vite fait en neige. Grand retour du power trio de Cindy. C’est explosif ! Ils retrouvent la veine du «2000 Light Years From Home» des Stones. T’as l’impression d’écouter un groupe à la fois important et inconnu. Ils jouent «In» en apesanteur et «Like I Told You» sonne comme une belle psychedelia d’élan vital - Don’t waste your time/ On me - Il est gentil de la prévenir. Tu sens une réelle volonté d’en découdre dans «It’s A Lie». Ils ont le groove psyché dans la peau, c’est d’une rare puissance, bien sustainée par Lightcap. Ils créent du bon doom à trois, alors bravo les gars ! Lightcap est balèze, il fout encore le feu à «Bonds». Plus loin, «Vaccination» est tellement serpentin qu’il grimpe dans ta jambe de pantalon, puis ils glissent dans le mood de «Stay» comme des cadavres dans la fosse commune. Ils cultivent ce poids cadavérique assez enivrant. Les pestilences se mêlent aux rayons de lumière et le chant paraît mourant. Ils sont les rois des notes éparses. Et soudain, pouf, ils sont partis ! 

             Mark Lightcap donne une petite interview pour Uncut. Il indique par exemple qu’Acetone atteignit son pic au moment du dernier album, York Blvd - We were playing with complete fluidity - Pour expliquer le manque de succès, Lightcap dit qu’Acetone «sounded so out of step with everything else that was going on», mais ajoute-t-il, c’est précisément ce qui fait la force d’Acetone aujourd’hui, «the music doesn’t sound dated at all.» Et il rappelle que Richie «wanted to be a fucking rock star.» Mark Lightcap dit aussi qu’il reste pas mal de «red meat in the freezer», des «early demos, studio outtakes and some top-notch live recordings.» Miam miam.  

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             Et pour couronner le tout, t’as ce double album live, I’ve Enjoyed As Much As This As I Can Stand, paru en 2024. Il ne faudrait surtout pas le prendre à la légère. Tu t’ennuies un peu sur tout le balda, car ça reste très laid-back. Ça sonne même comme du laissé-pour-compte un peu moite. On attend que Lightcap se réveille. Il se réveille en B avec le morceau titre. C’est un hit lysergique et Lightcap part enfin en vadrouille. On tombe plus loin sur l’«All You Know» mélodiquement pur et digne des Byrds. Lightcap gratte ça aux arpèges lumineux dignes du Velvet. Puis t’as «Waltz» qui titube, ivre de vin et de liberté. En C, tu retrouves cette fantastique merveille de groove psychédélique qu’est «Barefoot On Sunday», suivi d’«I’m Gone/Misirlou», belle dérive acétonique. Ils t’embarquent pour la Cythère de tes rêves et finissent sur le riff d’«Interstellar Overdrive». T’as encore une belle bombe atomique en D : «Endless Summer», ils tapent ça en mode heavy groove qui ne plaisante pas. T’as là un pur power trio, digne des géants du genre.

    Signé : Cazengler, Assezcon

    Acetone. Cindy. Vernon Yard Recordings 1993

    Acetone. I Guess I Would. Vernon Yard Recordings 1994 

    Acetone. If You Only Knew. Vernon Yard Recordings 1995

    Acetone. Acetone. Vapor Records 1997  

    Acetone. York Blvd. Vapor Records 2000

    Acetone. I’ve Enjoyed As Much As This As I Can Stand. New West Records 2024

    Daniel Dylan Wray : Acetone. Uncut # 319 - December 2023

    David Fricke : The toxic avengers. Mojo # 362 - January 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - BelphegorZ fantôme du boogaloovre

    (Part Two)

     

             Si tu cherches à rencontrer des personnages excentriques, il n’existe pas de meilleur endroit que le désert. L’avenir du rock en a vu de toutes les couleurs, de toutes les tailles, mais il n’aurait jamais pu imaginer voir Belphégor surgir au sommet d’une dune !

             — Mais qu’est-ce que tu fous là, Belphégor ?

             — Ouuuuh !

             — Tu m’fais pas peur !

             Il est là ! Le fantôme du Louvre, par cinquante degrés à l’ombre, sous sa robe noire et derrière son masque de cuir. Interloqué, l’avenir du rock tente de se raisonner.

             — C’est impossible ! Pas lui ! Tout mais pas lui !

             — Ouuuuh !

             L’avenir du rock se tape une belle crise de surchauffe paranoïaque. Il se suspecte d’inventer des rencontres à des fins bassement éditoriales ! Il réfléchit à voix haute :

             — Suis-je prêt à faire n’importe quoi pour alimenter ma rubrique ? Aurais-je atteint un tel point de déchéance éditoriale ? Comment peut-on descendre aussi bas ? N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?

             — Ouuuuh !

             — Moi qui a veillé pendant une éternité à maintenir une éthique de l’errance ! Non ce n’est pas possible ! Je ne peux pas accepter une telle décrépitude !

             — Ouuuuh !

             L’avenir du rock n’a même pas de quoi laver son honneur, ni corde pour se pendre, ni calibre pour se tirer une balle sous le menton. La honte lui bat aux tempes. L’enfer !

             — Ouuuuh !

             Excédé par les Ouuuuh de Belphégor, l’avenir du rock ramasse une grosse pierre et la lui balance en pleine gueule. Rien...

             — C’est quoi ce bordel ?

             — Ouuuuh !

             L’avenir du rock en ramasse une autre et la balance. Rien... Les pierres passent à travers Belphégor. Il sent bien que sa raison vacille, il n’est pas dupe, mais en même temps, ça le rassure que Belphégor soit bel et bien un fantôme. Au moins, c’est cohérent. Sentant qu’il faut vite arrêter les conneries, il rompt le dialogue, reprend son chemin et lance en guise d’adieu :

             — De toute façon, t’es devenu ringard, Belphégor, toi et tes intrigues et tes sarcophages. Je préfère mille fois BelphegorZ !

             — Ouuuuh !

     

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             Comment peut-on ignorer l’existence d’un album aussi génial que Kill The Pain ? C’est le deuxième album des Marseillais de BelphegorZ. On les a vus jouer à la cave en 2019. Gros flash. Qualité de tout : des compos, du son, du chant, de tout ! La chanteuse s’appelle Tallulah X et on la retrouve dès «Lovedolls», brillante et furibarde. Elle peut shooter dans les montées. Avec BelphegorZ t’as tout de suite du

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    son. Ce mec Krees D est un sorcier de la prod ultime, il navigue à un très haut niveau productiviste. Tu tombes plus loin sur un «Vintage Girl Is Dead» noyé de son et t’as Tallulah qui shoute à la surface. Elle te fait rêver. Ça grouille de coups de génie sur cet album, dès le morceau titre et une fantastique énergie du son. Tu sens bien la profondeur du beat et les éclats pixiques avec du rebondi. Ce «Kill The Pain» vaut tous les hits anglais des années antérieures et on peut même dire qu’il les surpasse. Ils amènent «Sleeping On The Bus» en mode power pop, mais avec tellement d’allure. Tallulah est sublime d’opiniâtreté. Krees D a misé sur la bonne screameuse. C’est un album très dense, tous les cuts sonnent comme des aventures. C’est tout de même assez rare en France. Ils réinventent la new wave, ils lui donnent une nouvelle jeunesse et les solos de Krees D planent dans le son comme des vampires de Murnau. Avec «No Question Of Maybe», Krees D rejoue le coup de «Lust For Life» au cœur de son havoc. Il gratte tout ce qu’il peut pour regagner la rive. Quel cake ! On repasse aux choses sérieuses avec «Kinky Gaze». Elle remonte au premier plan pendant que Krees D gratte la cocote du diable. C’est une tension noyée de son, une fantastique résurgence du big time out. T’as encore un son énorme sur «She’s Dancing». Tu crois rêver ! Nouvelle superbe delivery avec «Psychedelic Sniper (Shoot The Pusher)». Tallulah reste en tête de gondole. On a là une wild pop-rock précipitée la tête la première. Quel festin de son ! Avec cet album, t’as la conjonction parfaite du super beat et de la chanteuse de choc.

    Signé : Cazengler, Belphégrave

    BelphegorZ. Kill The Pain. Closer Records 2023       

     

    *

    Ne pas confondre la 66 avec la 619. Je ne m’étendrai pas sur la mythique double six américaine. La 619 est certes moins célèbre mais elle possède l’avantage de vous conduire tout droit en plein Troyes devant la porte du 3 B. Souvent elle mérite l’appellation de Rockabilly Road, mais ce soir, elle s’est repeinte en bleue, sous les trombes de pluie, imperturbable la teuf-teuf grignote son chemin sur la Blues Highway.

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    JOHN-MARY GO ROUND

    3 B

    (Troyes / 14 – 11 – 2025)

              Faut savoir reconnaître ses erreurs. Pas les miennes, ce n’est pas que je n’en fais jamais c’est que j’ai toujours raison, non je ne parle pas de moi mais des gens qui nous sont chers, que nous révérons. Ainsi à mon grand regret, je me sens forcé de contredire, pas n’importe qui, mais Charles Baudelaire en personne, qui a commis une sombre erreur dans une de ses dernières pages écrivant cette phrase lapidaire : ‘’Un Belge ne marche pas, il dégringole’’. Or je peux désormais témoigner du contraire. L’individu auquel je me réfère est né à Namur. Or, quelle classe, quelle aisance, une allure aristocratique à vous couper le souffle, fallait le voir se mouvoir dans le 3 B, la prestance d’un tigre, un costume impec, une large cravate arborée comme l’oriflamme de la distinction innée. Sans une once de frime. Naturel. Mais ce n’est pas tout. Faites votre révérence, un bluesman ! Pas n’importe lequel, un mec qui se suffit à lui-même, d’ailleurs il n’a pas de musiciens, l’est tout seul, il n’a besoin de personne. Ni d’un Massey-Ferguson. Non, je n’exagère pas. Toutefois je dois concéder qu’il n’est pas tout à fait seul. L’est entouré d’une extravagante collection de guitares. Ça y est, l’est assis sur son tapis avec cette simplicité des maharajas qui dans l’Inde ancienne donnaient audience à leur peuple. Il ne nous reste plus qu’à l’écouter.

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    ( Photo : Rocka Rocky)

             L’avait déjà sa guitare (hi !hi !) sur ses genoux lorsqu’il s’est collé et monté autour du cou un de ces porte-harmonica qui firent dans sa jeunesse la gloire de Bob Dylan. Puis il s’est mis à souffler. La tempête du blues s’est déchaînée en une fraction de secondes, une volée de flèches indiennes s’est fichée dans nos corps, toute la colère noire des anciens esclaves réduits en esclavage nous est tombée dessus. Comment peut-on tenir cela entre deux lèvres, exsuder de soi une telle tourmente. C’est le moment de revenir à sa guitare. Plus tard lui-même l’a décrite comme un moule à cake orange. L’est vrai qu’elle est d’un orange vif. Oui, mais aux pétarades qu’elle a émises dès qu’il l’a posé ses doigts sur ses quatre cordes, pas besoin de plus, on se serait cru au départ du Bol d’or, perso dans ma tête je lui ai refilé un surnom, ‘’l’agent orange’’ que les amerloques répandaient sur les arbres pour leur faire perdre les feuilles, voulait-il vraiment nous faire tomber nos oreilles ? Il n’a pas réussi, car ce son torturé de mille carburateurs criblés de stridences malfaisantes, c’était le blues en personne qui nous fracassait les tympans, le blues dans toute sa violence, dans tout son appel à l’incoercible insurrection individuelle.

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    ( Photo : Rocka Rocky)

              Ce n’est pas tout. L’avait devant lui deux vastes pédales que ses pieds n’ont cessé d’actionner, l’une pour bruit sourd du destin qui s’avance vers vous, l’autre l’aigre tambourinade du rire sardonique du tueur qui vous décoche  le sourire assassin de sa face de mort. L’a changé de guitare. Une cigar-box, sur sa caisse un Etat prévoyant devrait exiger la mention : ‘’ Ecouter tue’’. Trois cordes, pas aussi mélodieuses que la lyre d’Apollon mais aussi tonitruantes que le tonnerre de Zeus. Le son est moins ronflant, crépite toutefois à haut débit comme un incendie de forêt transformant en torches effroyables les chênes multiséculaires. Un gros plan sur les doigts de notre imprécateur s’avère nécessaire : l’a de grosses paluches, dont un doigt – je vous laisse, dans un souci pédagogique de participation, deviner lequel -  revêtu d’une armure d’acier, vous scie à l’égoïne crissante les feulements des demi-tons nécessaires à l’implosion allusive du tumulte du blues.

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    ( Image : Duduche )

    Y a des gars qui ont tout pour eux. Non seulement il joue de la guitare mais en plus il  parle, avec cet art de fausse innocence qui plaît aux filles et lui allie la sympathie des garçons. Ne passe pas son temps à baratiner non plus. Se sert de la parole comme le pêcheur qui appâte le poisson. Une semi-phrase par ci par là, une fausse confession entre deux morceaux, il sait se mettre en scène, une espèce de théâtre vocal dans lequel Guignol au lieu de taper sur le gendarme porte ses coups auto-dérisoires avant tout sur lui-même.  Quand le public veut se mêler à la conversation l’a de la répartie, un sniper qui fait mouche à tous les coups.

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    ( Image : Duduche )

    Il chante. Le jeu diabolique de ses doigts retient et monopolise votre attention. Certes l’on se rend vite compte que l’on n’a pas affaire à un demi-sel de vocaliste. L’a toutes les intonations, les intumescences qui haussent le ton et les cassures qui vous précipitent dans les failles. C’est à la fin du troisième set, lorsqu’il s’accompagne sur son acoustique que l’on peut profiter de son timbre de voix. Assez unique, il scalpe les mots, les met à nu, les vide de leur chair, il les entrechoque tels des os de squelettes, les agite, les roule dans le cornet à dés de sa mâchoire pour mieux les recracher aux vents de la vie et de la mort. 

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    ( Image : Duduche )

    Trois sets torrides. Beaucoup de compositions. Quelques reprises. Particulièrement apprécié son Johnny B. Goode accouplé à son Oh, Boy ! de Buddy Holly. Ne soyez pas surpris, le rock’n’roll n’est qu’une autre forme du blues. Un héritier, un fils de mauvaise famille, particulièrement dévoyé. Un dilapidateur éhonté d’héritage. Des surprises aussi : je retiens avant tout cette espèce de ghost-blues qui s’en va chercher noise au noise tintamarrique le plus caverneux.

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    ( Image : Duduche )

    Une soirée de rêve. Avec ses cigar-boxes, la ferblanterie de son résona(hâ)teur, sa Fenderatiboisante, John-Mary Go Round nous a tous mis en boîte.

    Remercions, encore une fois, Béatrice la patronne pour cette soirée !

    Damie Chad.

     

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    Duduche and friends !

    *

    Un coup d’oreille dans les nouveautés. A mon humble avis, pas de quoi se jeter par la fenêtre du trente-septième étage en hurlant de joie. Faut suivre l’exemple de Napoléon, quand les jeunes troupes flanchent l’on recourt à la vieille garde. Ça tombe bien, voici des hommes d’acier, ils viennent de Suède, blanchis  sous le harnais du death metal, plus de trente années d’active et une quinzaine d’albums. Z’ont mis un peu la pédale douce, mais ils entendent vivre encore dangereusement, ils entament une nouvelle tournée, ils remastérisent petit à petit leurs anciens opus. Jour de chance ils viennent de  sortir la réédition remastirisée de leur onzième album.

    A TASTE OF EXTREME DIVINITIY

    HYPOCRISY

    (Nuclear Blast / 2025)

             J’avoue que le titre de l’album m’a attiré. Première fois que je trouve cette expression, ou peut-être ce concept, ‘’ d’extrême divinité’’. Qu’est-ce qu’une divinité extrême ? Selon un homme, l’extrême divinité doit correspondre à la sagesse. Philia sophia : l’amour de la sagesse – en fait il vaudrait mieux pour rester dans l’esprit grec dire l’amitié de la sagesse -  ne doit pas être confondu avec philein to sophon, que l’on pourrait traduire par ‘’aimer le sage’’, ne pas confondre le sage avec la sagesse, la sagesse est une manière d’être des hommes, le sage est ce qui touche au concept du divin. Qu’un groupe de death metal hante ces parages logosiques m’intrigue. Nous ne sommes point loin d’une réflexion méta-philo-sophéenne.

             Kristian Wåhlin a réalisé la pochette du disque. La meilleure manière d’entrer dans son univers est de taper son nom dans Discogs et de s’attarder sur les nombreuses pochettes d’albums metal qu’il a réalisées. Un véritable artiste. Bon voyage au pays de l’horreur et de la beauté. Kristian Wåhlin a aussi participé à plusieurs groupes metal.

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             Interpréter la couve de A taste of extreme divinity comme une anecdotique messe noire se déroulant  dans un décor médiéval serait une lecture avant tout superficielle. Nous sommes dans une autre dimension, celle des sacrifices sanglants où l’on immole aux Dieux non pas des animaux mais des êtres humains. Le sang des bêtes coule vers la terre, le sang des hommes est le seul lien qui permette d’apaiser la colère des Dieux. Il fut un temps – entre la charnière paléo-néolithique - où la colère des Dieux paraissait être l’expression de leur sagesse. Comment ne pouvaient-ils pas entrer en de violentes humeurs en regardant ces chétives créatures qui prétendaient les vénérer. Seuls les hommes morts satisfaisaient les Dieux. N’en concluez pas que ces anciens Dieux étaient cruels, ils n’étaient que les projections de nos insuffisances humaines, le fait de sacrifier ses congénères étaient un acte qui remplissaient les bourreaux de l’illusion d’être comme des Dieux, de les égaler, d’être en accord avec ses propres rêves.

             Ne vous rassurez pas en déclarant que ce genre de scènes se déroulaient en des temps dépassés. Que l’espèce humaine s’est au cours des millénaires et des siècles passés améliorée. Que cette sauvagerie préhistoriale est très loin derrière nous. Nous sommes encore pétris de cette barbarie. Cette violence, cette brutalité, cette soif de sang  confinée en nous n’est autre que la laine, la lhaine, dont sont tissés les fils de nos rêves.  Si vous croyez que j’exagère, portez vos regards sur les conflits qui se déroulent pas très loin de notre pays. Pas besoin de regarder les siècles passés, le présent immédiat suffit amplement. Ne comptez pas trop sur demain pour améliorer la situation !

             En règle générale je ne commente pas le nom des groupes. Toutefois Hypocrisy a bien choisi son nom. Ils ne cherchent pas plus à se vanter d’être de parfaits hypocrites qu’à dénoncer l’hypocrisie des relations humaines. Leur nom est un scalpel. Ils ne dissèquent pas les relations sociales des êtres humains mais ils mettent à nu la force innée et de bonne foi qui nous anime. Parfois, peut-être malgré nous, toujours de notre plein gré.  Certains essaieront de se dédouaner en parlant de force malfaisante. Ruse d’autruche qui accuse une hypothétique présence pernicieuse d’un Mal indépendant de notre volonté. Comme le dit le proverbe : qui s’excuse, s’accuse !

    Peter Tägtgren : vocals, guitars, claviers / Mikael Hedund : bass / Horgh : drums.

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    Valley of the damned : une batterie qui hache menu le moindre de vos espoirs sur un fond d’entonnoirs soniques encastrés les uns dans les autres, un véritable mur du son, un seul soulagement, lorsque le groingnement de Peter se tait vous avez l’impression que l’on cesse d’asperger de sel votre corps auquel on aurait méticuleusement arraché la peau, mais peut-on parler de soulagement car vous sentez sourdre du profond intérieur de votre chair vive la souffrance de la brûlure de votre rage qui se répand sur l’univers. Nous sommes après la bataille. Qui se poursuit. Sur un autre plan. Dans la vallée infernale des damnés, ils sont vaincus, précipités à terre, mais l’on n’arrête pas une idée, encore moins un principe, elle fait son chemin, peuplée d’ombres elle repart à l’assaut, y a-t-il seulement quelqu’un qui s’oppose à son avancée, ni vaincue ni triomphale, elle avance dans la profondeur de sa propre immortalité consubstantielle à la structure de l’univers ; Hang him high : ça débute par un chuchotement pour s’épanouir en oratorio magistral, un torrent de haine qui surgit de nulle part et englobe la terre entière, tintements, turpitudes de guitares, cœurs de moines fous, chant de joie vicieuse, grognements de suppliciés. Mais qui pendre au juste. L’assassin ou la victime. Celui qui veut tuer ou celui qui ne veut pas mourir. Peut-être même prend-il un plaisir masochiste à ne pas périr. Mais qui est-elle cette victime qui refuse de ne pas vivre, serait-ce lui ou le contre-lui, le crime n’est-il pas un miroir compassionnel où aucun des deux se refuse à se reconnaître dans l’autre puisqu’ils sont tous les deux  semblables sans réussir à n’en

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    former qu’un seul, car le moins n’a-t-il pas besoin du plus autant que le plus a nécessité du moins pour savoir qui il est. Western métaphysique. Sans générique de faim. Le pire c’est le chant qui vous entraîne dans la farandole. Solar empire : sortons de l’entre-deux ou de l’entre-soi, le morceau décolle comme une fusée intersidérale qui s’arrache à l’attraction terrestre avec une telle puissance qu’elle sera capable de parvenir jusqu’au bout de la présence du monde, jusqu’au rien, que nous sommes, quel est le maître de cet empire solaire, est-il vraiment nécessaire de l’envahir puisqu’il est partout et même en nous. Avons-nous vraiment envie de trouver quelqu’un au bout des étoiles, la guerre continuelle n’est-elle pas préférable à une solution qui n’existe pas, et si elle existait ne serait-il pas davantage impératif de la continuer encore et encore sans fin. N’avons-nous pas besoin d’un Dieu pour le combattre.  Ce morceau est un hymne à la gloire de la monstruosité humaine. Weed out the weah : il existe une Official Music Vidéo de ce  morceau, je vous rassure c’est simplement le groupe sur scène, très bien faite d’ailleurs, mais ce n’est pas une mise en images du thème traité dans les paroles, le programme est d’une simplicité absolue : il s’agit d’éliminer les faibles. Soyons clair : éradiquer tous les faibles c’est-à dire l’entièreté de l’engeance humaine, qui est au juste ce sacrificateur ultime, est-ce un Dieu ou un Diable, l’essentiel est qu’il fasse son travail, aucun besoin d’idéologie, juste la nécessité intime de chacun à ne pas exister. Guitares tranchantes comme fil d’épée, batterie épileptique, basse encore plus noire que votre âme. Un hymne à l’autodestruction qui n’ose pas dire son nom, le besoin non pas de ne plus être mais d’être forcé à ne plus être.  L’homme est-il un être si veule qu’il a besoin de

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    quelqu’un pour faire ce qu’il n’est pas capable de faire par lui-même. No tomorrow : vous l’avez voulu, le voici, le pire n’est pas de réclamer mais de regretter que quelqu’un vienne réaliser votre vœu le plus cher. Humain, trop humain a dit Nietzsche. Tel est pris qui croyait prendre. On appelait la mort, voici le supplice. Séance de torture médicalisée.  Serait-ce un Dieu qui opère. Pourquoi s’infiltre-t-il dans mon âme, c’est au pied de la lettre et de l’être que l’on voit le démiurge de nos contradictions. L’instinct de vie est-il plus fort que l’instinct de mort. Avoir tué Dieu, l’avoir poursuivi aux quatre coins du cosmos pour se retrouver face à soi-même dans sa propre petitesse. L’instant est pathétique mais comble de tout le background orchestral qui nous tombe dessus comme le méchant loup sur le pauvre petit Chaperon rouge, semble se délecter, serait-ce une pointe d’humour noir. Le sourire crispé de l’auto-dérision. Global domination : à trop chercher Dieu on le trouve. Ne ressemble pas aux saintes images bibliques, plutôt à un roman de science-fiction, des extraterrestres venus nous transformer en esclaves. Sur la table d’opération précédente, ils ne voulaient pas nous tuer, simplement oblitérer d’un coup de bistouri notre volonté. Faut écouter  et lire entre les sons, d’ailleurs il ne chante plus, il parle. Et si c’était un conte d’extrême-réalité, si nos extraterrestres n’étaient que des hommes comme nous. Qui voudraient établir leur suprématie sur leurs semblables. Peut-être même infectés par un virus échappé d’un laboratoire. (L’album original est sorti en 2009, faudrait-il le qualifier de prophétique !). Taste the extreme divinity : entrée digne d’un empereur romain recevant le Triomphe, il est temps de se pencher sur cette notion d’extrême divinité, ronde orchestrale infernale, danse des fous, la divinité fait partie de la farandole, le chant culmine en cris de folie, tout est en nous, la divinité et la folie, peut-être même la notion de divinité n’est-elle que l’autre nom de la folie qui nous habite, nous nous prenons pour des dieux, médicalement parlant nous ne sommes que des psychopathes, aurions-nous en nous, serions-nous en personne le Midnigth Rambler des Stones dans Let it bleed… That’s only rock’n’roll ! But we like it. Suivez la trace sanglante qui coule de votre corps. Alive : vivant. Reprendre conscience du cauchemar, retrouver la généalogie de cette infecte abomination intérieure. Le coupable est facile à trouver. C’est l’Eglise qui t’a perverti en t’inculquant cette idée d’un dieu supérieur auquel il faut obéir. On a fait de toi un esclave en infusant dans ton esprit la sainte croyance que c’était là le bien. On t’a perverti, tu ne sais pas vraiment ce que sont le Bien et le Mal. Dieu travaille à ta perte. Certes on en veut à ton intelligence lobotomisée à coup de patenôtres mais l’on envie aussi  ton argent. The quest : autant le morceau précédent est scandé selon un rythme pédagogiquement binaire  autant ici l’on est dans la nuance, on laisse chanter la basse toute seule et l’on passe à des explications plus complexes, certes tu bosses, tu trimes pour enrichir tes exploiteurs, mais toi stupidement tu guettes le signe du retour du Dieu qui ramènera la paix et la justice, tu y crois c’est pour cela que la musique se fait douce (presque) et persuasive, écoute comme l’on tente de t’endormir. Tamed (Filled with tears) :  nous voici dans la dimension collective de la

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    soumission, ce n’est plus moi ou toi, c’est nous, l’on s’accuse soi-même d’accepter la vie d’esclave aveugle qui nous est impartie, l’on accepte le sort qui nous est réservé, nous ne refusons pas, nous ne nous révoltons point, on a perverti notre jugement, les théories du complot sont partout, elles sapent notre jugement, déboussolés nous ne savons plus qui croire ni penser par nous-mêmes. (Encore une fois Hypocrisy se révèle très pertinent pour expliquer l’état de fait actuel !).  Sky is falling down : le ciel nous tombe sur la tête, l’instrumentation hennit de toutes ses forces, le  vocal s’égosille, urgence absolue. Non ce n’est pas le crépuscule des Dieux, voire la mort de Dieu, c’est la chappe de plomb qui s’intensifie, la société de surveillance s’alourdit, nous ne sommes qu’au début, le pire est à venir, une seule solution, se faire tout petit, s’enterrer dans son petit égoïsme vital pour survivre. Evidemment c’est le dernier piège.  The sinner : (bonus track) : un dernier cadeau, frères pécheurs repentez-vous, quelle chance voici une bonne guerre, rien de tel pour vous sauver que d’être offerts en holocauste sacrificiel, évidemment vous y courez la fleur au fusil, prisonniers de vos égarements, de votre lâcheté, de votre croyance. N’est-ce pas la démocratie, en laquelle vous croyez tant, qui vous envoie sur les champs de bataille… Les dernières paroles ont une valeur prophétique :

    Sacrifiés pour la démocratie

    Abandonnés sur les lignes ennemies

    Par le pays de la liberté

    Nous brûlons Nous brûlons Nous brûlons

     Nous brûlons !

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    Un disque de grande lucidité. Très intelligent aussi, qui ne sacrifie pas à un satanisme de pacotille. Qui ne diffuse pas un message mais qui débouche sur une analyse généalogique de la situation conflictuelle et politique actuelle en fouillant dans ce que certains nomment fallacieusement les religieuses racines chrétiennes  de l’Occident.

             Comme quoi c’est vraiment dans les vieux pots de fer que l’on prépare de bons brouets roboratifs.

    Damie Chad.

     

     

    *

             Faudrait écrire une monographie sur le rock polonais. Sur le rock de toutes les autres nations aussi, mais les polonais ne traitent pas du tout le rock comme les autres. Je serais bien en peine d’expliquer pourquoi et même comment. Je suis toujours surpris quand je kronique un groupe made in Pologne. Ils ne font pas tout à fait les choses comme l’on s’y attendrait. En voici la preuve.

    RIVERS OF LIVING WATER

    BLUES FOR NEIGHBORS

    (Musica Tenebris / Novembre 2025)

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             Aurais-je seulement remarqué ce groupe s’il n’y avait pas eu la couve. Tiens ça ressemble à l’intro de L’Homme des Hautes Plaines, le premier western réalisé par Clint Eastwood, l’hommage funèbre à Sam Peckinpah dont le nom commence à s’effacer sur la pierre tombale moussue d’un cimetière, sur laquelle la caméra se focalise un dixième de seconde de trop… Du coup je m’attendais à trouver des noms comme Son House, Robert Johnson, Howlin’ Wolf… bref toute la tribu bleuâtre. Ben non, font de l’humour noir et en profitent pour indiquer l’identité des invités…

             Mais ce n’est pas tout, z’ont accroché un chromo style chutes du Niagara dessinées par un enfant de sept ans. En relation directe avec le titre de l’album, cela coule de source.  Au-dessus un inquiétant vortex bleu sombre qui débouche sur quelques constellations lointaines qui brillent à peine dans la nuit noire des espaces infinis.

             Les deux pieds nickelés, le cul posé sur les pierres tombales qui grattent leur acoustique voici leurs identités : MG : vocal, lyrics, guitar, cajon et percussions, keyboards et synthés, harmonica, mandoline /  PO: lead guitar.

             Le duo est actif depuis 2020 ils ont enregistré l’équivalent de quatre albums. Se définissent comme deux gars fumant des cigarettes, vénérant de vieux fantômes issus d’un vieux fonds maudit de folk-blues. Leur appellation les définit comme jouant du blues dans leur cuisine (ave Caesar, Robert !) pour les voisins. Pour le moment nous dirons, vu leur âge, qu’ils jouent du blues moderne, ce qui nous l’avouons ne signifie pas grand-chose.

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    Make me a bird : une belle voix, une guitare blues oui, mais pas franchement devant, voici un blues des champs plutôt qu’un blues des villes, de forts relents folk, d’ailleurs si en France on ne s’embarrasse pas de détail, l’on utilise le terme générique de blues, aux states dans les années soixante le terme folk-blues s’est généralisé pour catégoriser le blues traditionnel acoustique. Ceci étant posé ne boudons pas notre plaisir, on se laisse avec plaisir bercé par le balancement hypnotique de cette lente ballade agreste pour cette histoire d’une miraculeuse renaissance espérée mais  impossible tant l’attirance pour le désastre est grande. La fin du morceau s’accélère, l’oiseau s’est transformé en moteur d’avion qui s’éloigne.

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    Gallows Pole : (évidemment l’on pense à Led Zeppelin, mais c’est un traditionnel européen extrêmement connu dans toute la partie nord de l’Europe, ce qui n’empêche pas Bela Bartok d’avoir inscrit l’air dans ses Rhapsodies hongroises. Il en existe de multiples versions, Lead Belly l’enregistra en premier à la fin des années trente, Dylan la reprendra dans les séances de The Freewheelin’ Bob Dylan, sous le titre de Seven Curse ) : Rafał Przewłocki: banjo ukelélé : harmonica lancinant en intro, il revient entre les couplets, les paroles sont d’une cruauté sans égale, le rythme est celui d’une corde de pendu qui se balance doucement, ils ont repris les paroles de la version de Lead Belly mais pour le final ils n’ont pas hésité : le vrombissement terminal du Dirigeable. We’re all private property : chantent à tour de rôle, ils ne se répondent pas, ils accumulent les constats, celui de notre monde actuel dominé par l’argent et le principe de l’appropriation de l’homme par l’homme, l’on se croirait aux temps de colère contestataires du folk initiés par Dylan et Joan Baez au début des sixties, les guitares sonnent haut, les voix résonnent d’urgence, l’on discerne toutefois en sous-main une lassitude désespérée qui confère une étrange beauté à ce morceau.  John the revelator : retour à la tradition, un gospel adapté par Blind Lemon Jefferson et sa femme Willie, genre de monument auquel il vaut mieux ne pas se confronter, aussi y vont-ils franco de port, vous balancent les invocations bibliques à bras le corps, s’en tirent très bien, toutefois on leur reprochera la brièveté de leur version, ils étaient partis pour un délire apocalyptique des plus démentiels, c’est dommage qu’ils

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     n’aient pas cédé à leur propre vertige vocal. It’s all that simple : z’ont le péchon, vous balancent le blues comme un hymne à la joie, avec un long passage de percussions  tapotantes des plus joyeux, z’y rajoutent une bonne pincée de guitares sautillantes. Roboratif certes, sachez toutefois goûter la subtilité, c’est juste un gars qui en train de vivre ses derniers instants. Guillotine song : Błażej Grygiel: bouzouki, basse, organette (petit orgue de barbarie) : le titre n’est pas engageant, les paroles encore moins, chantent ensemble mais laissent surtout jouer les instruments, c’est un peu la suite du morceau précédent, vous aviez le gars qui crevait dans son coin, et maintenant c’est la mort collective infligée aux citoyens de base. Une critique sociale acerbe, préfèrent se taire, mais l’on entend la colère gronder.  Different places : une douce plainte, celui d’un homme solitaire qui quitte notre monde destructif, qui s’en va ailleurs, dégoûté de la société, qui se retire, un peu à la William Thoreau, inutile d’en dire plus, le jeu des guitares est simplement plus éloquent. Greengrass : Błażej Grygiel: basse : vous voulez savoir ce qu’est devenu l’homme qui s’est retiré dans son jardin, tra-la-la-lère, on va vous la raconter c’est marrant, on lui a pris sa terre, tra-lalère, ils ont tout détruit, les guitares gambadent gentiment parmi les champs ruinés, gardons le moral, ils ne l’emporteront pas au paradis. Consolation du pauvre.

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    Cukoos : Rafał Przewłocki: banjo-ukelélé : ne pas toujours accuser les autres, n’est-on pas responsable de son propre malheur, un chant franc, un banjo cukooslélé envahissant, le mythe country du ramblin’man qui se débrouille pour survivre et finit par perdre. Forest blues : une guitare qui frissonne le blues, un chant courageux qui vous inciterait à l’optimisme, à la nuance près que les paroles sont d’un nihilisme sans égal, la vie n’a ni sens ni but, vaut mieux en rire qu’en pleurer. Mieux vaut la fermer et gratter son instrument.  Song for Dylan : Kamil Bieńczak : vocal, Rafał Przewłocki: cigar box : une voix grave, et une autre étranglée qui crie, un harmo d’une tristesse absolue, des interrogations métaphysiques à la Dylan, ni Dieu ni Maître, ni Diable ni Bien, la voie est étroite, l’accompagnement larmoie un peu  trop longtemps, les cris reprennent, mais peut-être vaudrait-il mieux la boucler.  Little Omie : ballade populaire tirée d’une histoire authentique : cette jeune femme enceinte noyée par son amant s’imposait pour un album titré Rivers of  living water, serait-ce de l’humour noir, en tout cas ils vous l’interprètent sans tirer la couverture à eux, tout simplement, sans fioritures. La fin instrumentale se perd dans l’introduction de God bellow : la suite philosophique du traditionnel précédent. L’harmonica en pointe pour appuyer là où ça fait mal : nihilisme, la vie n’a pas de sens, bien et mal ne sont qu’une même chose, tout retourne un jour ou l’autre en poussière.

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             Un beau disque de blues feutré. De folk foncé. Une vision pessimiste de l’existence. Un album miroir de notre monde.

    Damie Chad.

     

    *

    Le père de Deke Dickerson collectionnait les avions et les camions des années trente, il a refilé le virus de la collectionnite à son fils, né en 1968, qui très jeune a commencé à accumuler les disques tous supports, tous formats. Devenu guitariste émérite et compositeur, passionné d’americana, de rockabilly certes, mais pas que… Il a rédigé nombre de notices pour revues spécialisées et les rééditions de Bear Family. Acheteur compulsif, farfouilleur impénitent, ses achats peuvent être divisés en deux groupes. Les disques qu’il écoute et réécoute même si la gravure est amochée, et ceux qu’il n’écoutera jamais qu’il a achetés pour la beauté, la laideur ou l’incongruité de la pochette. Natif de l’état du Missouri il est très fier de posséder l’entièreté de la production rockabilly de son état fluvial. Sur une île déserte, il n’emporterait que le deuxième album de Gene Vincent. Un homme de goût.

    The Gene Vincent Files #14: Deke Dickerson

    on Russel Williford, Johnny Meeks, Gene and more.

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             Contrebassiste, drummer, Deke Dickerson  émet de bizarres cliquetis sur sa guitare avant de lancer le stomp. Quand j’ai eu environ treize ans, j’étais juste en train de découvrir le rock’n’roll, c’était juste le moment où les USA connaissaient un boum revival rockabilly. Naturellement les Stray Cats connaissaient une grosse popularité.

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    A l’époque ils avaient plusieurs hits dans les charts. Lorsque le phénomène a commencé à éclater, d’un seul coup, les compagnies ont commencé à republier des disques de l’ancienne musique des fifties. Comme je l’ai indiqué j’étais très jeune, peut-être treize ans, quand dans  la boutique de disque j’ai vu ce disque Gene Vincent, The Bop That Just Won’t Stop, c’était une de ces rééditions vinyl LP des

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    années 80, je l’ai achetée et ramenée à la maison, wow ! je voulais savoir ce que c’était ! C’était tout ce qu’il me fallait. J’ai aussi acheté Eddie Cochran, Legendary Masters Series, le même jour. J’en ai eu l’esprit tourneboulé durant les mois et les années après. Maintenant vous connaissez l’effet que ça a produit sur moi. Gene a toujours été identifié en tant qu’artiste rockabilly, mais il n’est pas tout à fait rockabilly. Vous savez ce qui est intéressant à ce sujet c’est que, c’est que son spectre musical est vraiment unique, c’est vraiment du rock’n’roll mêlé à des éléments qui viennent du swing, du jazz et ce cette sorte de tuf. Je ne voudrais pas le classer uniquement comme rockabilly. Tenez, le bassiste ne slappe jamais sa basse. Ils produisent des sortes d’arrangements jazz, spécialement dans le jeu de guitare de Cliff Gallup, toutefois en même temps c’est définitivement rock’n’roll. Aussi je ne sais pas comment vous pourriez classifier Gene Vincent, mais il est totalement unique parmi tous les artistes des années cinquante. Je ne suis pas tout à fait impartial car je suis moi-même un guitariste mais je suis totalement persuadé que Gene avait un grand talent  je suis certain que l’histoire de Gene Vincent se serait

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    déroulée  autrement s’il n’avait pas eu les Blue Caps et surtout Cliff Gallup au tout début, vous comprenez ? Je vais dire pour classer à part   un hit comme Be Bop A Lula, tout dans ce morceau est parfait, je ne peux rien imaginer que l’on puisse changer en lui, vous voyez, c’est vraiment la combinaison, l’amalgame de tous ces musiciens et de Gene, en ce studio-là, en ce moment précis, pour produire le surgissement de cet éclair musical miraculeux, quelques secondes de Deke et ses boys sur scène. Je pense qu’avec cette plongée dans un style de vie rock’n’roll, sans cesse en tournée, à mener une vie de dingue, à donner ses concerts, à se coucher tard la nuit, à ne pas dormir dans votre propre lit, je me souviens avoir lu une interview de Cliff Gallup dans laquelle il déclarait très franchement qu’il n’aimait pas être sur la route. Je pense que le rythme de vie Gene était trop fou. La conséquence en a été que tous ces gars, l’un après l’autre, se sont lassés d’être sur la route. Je pense que c’est pour cette raison qu’il a recruté ce groupe en 57,   imaginez-le entouré de tous ces jeunes gars comme Tommy Facenda et tous les autres. Ils avaient tous à peu près le même âge. Alors quand je pense au premier groupe, je pense que Cliff Gallup et Jack Neal étaient un peu plus âgés que le reste de la bande. Vous savez Gene a eu un

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    hit stratosphérique  avec Be Bop A Lula et qu’il avait un sacré amour pour la danse et le bop, mais je pense qu’en 59 ses disques ne se sont plus vendus. Je le sais car j’ai quasi obsessionnellement étudié Gene Vincent. Si vous regardez la place qu’il occupait en 56 et 57, le gros paquet de tournées rock’n’roll, il jouait dans des stades et des foires, des audiences énormes, et en 1959 il jouait dans des clubs VFW et des trucs à 200 places ou à peu près. Ça ne m’étonne pas que Capitol l’ait laissé tomber. Le gars a réalisé quelques bons disques pour une bonne raison. Vous savez quand vous faites des disques si forts, je pense que vous pouvez vivre sur cette lancée pour toujours. C’est une espèce de honte que Gene soit mort si jeune comme c’est arrivé parce que ses disques étaient si grands qu’il pourrait être signé n’importe où aujourd’hui s’il était encore en vie. La réalité de ses audiences en Angleterre et en Europe est qu’il a toujours bénéficié de cette  fidèle ferveur des teddy boys, ce public n’en avait rien à faire qu’il ne soit plus dans les charts. Ils savaient simplement qu’il était bon. Donc il a pu continuer à travailler là-bas, et ce public l’aime encore aujourd’hui. Vous savez alors que je commençais juste à jouer de la guitare, je collectionnais les disques et j’ai compris très tôt : il est très  important de posséder une copie des six albums originaux   Capitol, ceux sortis dans les années quatre-vingt

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    sont très recherchés, ce sont des copies originales des six LP Capitol, comme j’ai eu la chance de rencontrer et de jouer avec plusieurs Blue Caps, je les ai tous signés par eux. C’est quelque chose dont je suis très heureux car maintenant un bon nombre d’entre eux ne sont plus réédités. Je me suis rendu à  Los Angeles au début 1991 et j’ai formé un groupe nommé The Dave and Deke Combo. Nous jouions dans les environs faisant quelques shows, et nous nous sommes retrouvés à faire le backing group de Johnny Meeks. Oh, mec c’était incroyable pour moi, je n’arrivais pas à croire que j’étais en train de jouer avec un véritable Blue Caps. Imaginez-moi apprenant toutes ces morceaux, me préparant pour le set, enfin le jour de la représentation arrive, Johnny déboule et il a l’allure d’un gars tout à fait normal, aucune prétention de rockstar. C’est juste un vieux bonhomme, et il se comporte comme s’il venait jouer un gig comme un autre, vous voyez ! Quand il découvre que nous sommes de gros fans de Gene Vincent, je pense qu’il a été un petit peu décontenancé car Johnny offrait  des country gigs,  il avait l’habitude de jouer quatre heures entières de country music. Et quand il s’est aperçu que nous voulions jouer quelques morceaux de Gene Vincent, c’était pour lui une sorte d’entorse à son programme habituel. Mais une fois qu’il a commencé à se plonger dans ce matos, à la manière dont il a mené le jeu et conduit, d’avoir joué avec Johnny Meeks ça a été, ça été, le moment le plus inoubliable de ma vie. (court intermède de Deke et ses deux boys en concert jouant Baby Blue) Quand Elvis le premier a démarré fort, il est très vite devenu énorme, il dégageait une image qui était vraiment celle de la joie de vivre, vous comprenez, il était le rock’n’roll guy par excellence, Il se démenait sur scène, Gene avait ce truc en plus qui je pense fut plus tard  repris en d’autres styles de musique, c’était cette espèce de suspense et de danger, rehaussé par la douleur sur son visage, occasionnée par sa jambe blessée. Vous pouvez voir cela avec d’autres gars comme Jim Morrison, je veux dire qu’ils ont vu cela et copié cela dans leur propre musique, cependant des tas de garçons n’ont pas cherché à prendre le  truc d’Elvis, dans les sixties et les seventies. Je pense que l’image de Gene Vincent, vous savez toute cette aura qu’il dégageait grandement et qui a été reprise plus tard par

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     tout un tas de performers. ( il joue un peu de sa guitare). Je suis très honoré de faire partie de ces quelques gars qui peuvent dire : ‘’J’ai joué avec Russell Williford’’ qui est un peu le  dernier survivant des Blue Caps perdus. Il est le gars qui sur la couve du second album joue cette Fender Esquire Guitar, mais il n’a jamais enregistré avec

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    Russell Williford entre Gene  Jack Neal à la contrbasse

    Gene Vincent. C’était à l’époque un grand guitariste. Il a joué avec un maximum de gars  dans le Washington DC Aera, mais il n’a jamais enregistré avec Gene. Un nom un peu oublié, mais voici quelques années j’ai été approché par un gars qui tenait le Richmond Virginia Folk Festival et ils préparaient un truc sur des gars du Virginia Rockabilly nommés Virginia Rock, dans lequel ils présentaient The Dazzlers qui était un groupe de rockabilly de Virginie et le dernier gars qui était vivant des Rockets qui faisait Whoohoo et ils emmenèrent Russel Williford et ils m’ont désigné pour accompagner ces gars. Pour moi c’était : Whaou ! Russel Williford, Je n’avais jamais pensé que je pourrais rencontrer ce gars, et encore moins de jouer avec lui. (Durant quelques secondes il gratte sa guitare) C’est une honte que Gene n’ait pas vécu plus longtemps. Vous vous doutez que s’il avait pu vivre dans les années quatre-vingts, ou quatre-vingt-dix je pense qu’il aurait pu réaliser pleinement combien il avait influencé de gens et combien sa musique était importante pour eux. C’est triste, il est mort en 1971, c’était au plus haut de la culture hippie, l’acmé de l’acid rock et du hard rock, j’ai toujours pensé qu’il avait dû penser que le monde était fini, que la

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    musique était terminée et que personne ne se soucierait plus jamais de lui. Vous connaissez ces histoires que Ronnie Weiser raconte de Gene jouant ses gigs autour de L.A. pour quarante dollars ou quelque chose comme ça. Je pense toujours quelle honte pour un gars qui meurt ainsi en pensant qu’il a été oublié. C’est vraiment trop bête qu’il n’ait pu vivre dix ou vingt ans de plus il aurait pu être apprécié à sa juste valeur. (question inaudible). Une des choses les plus tristes que j’ai vues c’est ce documentaire dans lequel il est sur la fin des années soixante et il est en train d’essayer d’apprendre à son groupe ses morceaux et ils ne connaissent aucun de ces morceaux, et vous pouvez lire sur son visage ‘’ Oh m’y revoici encore une fois ’’. Vous le voyez jouant avec un combo de musiciens hippies qui ne connaissent pas ‘’ma musique’’. Toutefois je dois noter, que toutes ces dernières années, il y a encore tous ces jeunes gamins qui sont en train de découvrir le rockabilly et le rock’n’roll. C’est la même chose qui m’est arrivée, c’est probablement ce qui vous est aussi arrivé. La minute où vous avez entendu pour la première fois ces enregistrements classiques de Gene Vincent and the Blue Caps, vous êtes ‘’ Wow !’’, Cela est au-dessus de tout. Ainsi  pour continuer sur cette idée  je pense que ces disques  seront encore écoutés  dans cinq cents ans et l’on dira disant ‘’ wow, c’est fantastique, c’est grand’’. Le sujet n’est pas de savoir ce que pense Lady Gaga ou tout autre qui soit dans les charts populaires. Je pense réellement que quiconque aime que la musique s’empare de votre âme, quand il  entendra ces disques sera obligé de les apprécier. J’ai une très bonne histoire à vous raconter si vous désirez l’entendre   ‘’ Bien

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      sûr !’’. En 1996 les Blue Caps ont effectué une tournée dans les States, ils ont joué à Los Angeles, j’étais alors en possession de mon lot de disques signés. Je les ai vus à 18 heures et ils étaient tous entièrement ivres, je veux dire qu’ils ne pouvaient pas faire un pas l’un devant l’autre, jusqu’à minuit ou à peu près. Ils étaient entièrement cuits. Moi je cherchais à à obtenir des autographes, je faisais la queue derrière le club, Paul Peek était complètement ivre et il était en train de causer avec une certaine Judy, il était en train de la draguer, vous imaginez la scène, j’ai tendu mon disque à  Paul, ‘’ Hé ! Paul signe ce disque pour Dee’’. Il continue durant encore cinq bonnes minutes de discuter avec Judy. Puis il attrape le disque et il signe ‘’ Pour Judy, Paul Peek’’. Ainsi un de mes disques sans aucune bonne raison porte la dédicace  ‘’To Judy, Paul Peek’’. Le disque se termine comme il a commencé, Deke et son band sur scène ! 

    Transcription : Damie Chad.

    Interview was recorded around 2015 in Tilburg (NL) by Kenneth van Schooten, assisted by Gerard van Leeuwen.

    Notes 1 : Clubs VFW : Veterans of Foreign Wars : importante association de vétérans américains ayant servi au-delà des mers. Membre de la Navy, ayant navigué le long des côtes de la Corée, Gene devait avoir la possibilité de donner des spectacles dans les clubs de réunions disséminés sur tout le territoire américain.

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    Note 2 : The Dave and Deke Combo fut formé en 1991 à Los Angeles par Dave Stuckey et Deke Dickerson. Le groupe  se sépara en 1995 après avoir enregistré deux albums. En 2005 sortit un troisième album fruit de réunions occasionnelles dont le titre est à lui seul un résumé et tout  un programme : There’s Nothing like an old Hillbilly. Lost and found treasures (1991 – 2005).

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    Note 3 : Russell Williford (né en 1933) a croisé plusieurs fois Gene Vincent et les Blue Caps. En 1970 Gene se rend à un concert de Williford et lui fait part de son intention de reformer les Blue Caps… Gene lui demande s’il était partant pour cette aventure. Il est impossible de résumer en quelques lignes la vie de Russell, il a participé a de nombreuses sessions  entre autres pour Patsy Cline et Lefty Frizzel. Russell Williford a connu Cliff Gallup avant de rencontrer Gene Vincent.

     Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos