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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 643: KR'TNT 643: ELVIS PRESLEY / PIXIES / SONIC BOOM / CORMAC McCARTHY - JEAN-FRANCOIS JACK - FLAUBERT / CHUCK BROOKS / CHIP TAYLOR / SCIONS / ERIC CALASSOU / MARIE DESJARDINS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 643

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 05 / 2024

     

    ELVIS PRESLEY / PIXIES / SONIC BOOM

    CORMAC McCARTHY - JEAN-FRANCOIS JACQ  - FLAUBERT   

    CHUCK BROOKS / CHIP TAYLOR

    SCIONS / ERIC CALASSOU 

    MARIE DESJARDINS / ROCKAMBOLESQUES  

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 643

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

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    Je connais Sergio Kazh, un gars sympa, photographe et fondateur de la revue Rockabilly Generation News, l’est peut-être comme moi rempli de milliers de défauts, toutefois je peux témoigner à sa décharge qu’il lui en manque un, des plus importants, le mensonge : non Sergio Kazh n’est pas un menteur ! Figurez-vous que voici quinze jours il m’envoie un très court message surprenant : ‘’ Tu vas recevoir le Graal’’. Le Graal me suis-je demandé et pourquoi pas tant qu’il y est  le Ptyx mallarméen  en supplément, le Sergio il est gentil, mais il raconte un peu n’importe quoi.

    Ben non, quinze jours plus tard j’ouvre ma boite à lettres, juste une enveloppe blanche, un peu épaisse au toucher certes, mais pas le genre de colissimo à contenir le sacré graal tant recherché par les fameux chevaliers de la Table Ronde. J’étais un peu déçu, je m’étais dit que si c’était vrai je le revendrais aux enchères et que je pourrais me payer un petit resto pas cher avec mes deux chiens. J’ai ouvert l’enveloppe, j’ai été ébloui, non seulement le graal était dedans mais il y en avait deux !  

    ROCK’N’ROLL MAGAZINE

    ROCKABILLY GENERATION

    HORS-SERIE N° 5 – PARTIE 1

    ELVIS PRESLEY

    1935 – 1955

    L’ENFANT DIVIN

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             Z’ont peur de rien chez Rockabilly Generation, que reste-t-il à écrire sur Elvis, son histoire est connue de fond en comble, tout a déjà été dit. Mais là, ils sortent le grand jeu, non pas deux numéros à la suite, mais deux Hors-Série en même temps.

             Commençons par désigner les coupables, Sergio à la manœuvre et aux photos, Gilles Vignal  aide technique et support encyclopédique, Sylvie Monin, Yolande Gueret, Pascale Clech, petites mains indispensables sans lesquelles il n’y aurait pas de grands projets.

             Ce n’est pas tout. Depuis son apparition dans la revue, la rubrique Racines tenue par Julien Bollinger attire l’attention, il s’y connaît et il écrit bien, ce n’est donc pas étonnant d’apprendre que c’est lui qui a rédigé l’ensemble des textes des deux numéros. Je n’ose pas me demander combien de recherches, d’heures, de nuits et de jours lui ont été nécessaires… Des années car Julien Bollinger ne nous donne pas une énième biographie de l’enfant de Tupelo, il nous présente sa vision d’Elvis Presley, une défense et illustration de ce personnage insensé aujourd’hui ficelé dans une camisole dorée qui ne lui appartient plus, que notre auteur essaie de saisir tel qu’en lui-même la légende l’occulte.

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             L’enfant divin. Le titre peut poser question. Non Elvis n’est pas né de la cuisse de Jupier. Un gamin comme les autres. Pas tout à fait, pas venu au monde avec une golden spoonfull dans la bouche, mais aimé et protégé par ses parents. Qui tirent le diable par la queue, de parfaits représentants de cette white trash people, cette saloperie blanche, ces pauvres dont la frontière économique jouxte celle des nègres… nous sommes dans le Sud, pays de la ségrégation, l’on a envie de dire l’autre pays de la ségrégation, l’autre de cet autre n’étant que le Nord des Yankees.

             L’enfant divin, vit à l’abri du monde mais pas de la misère, dans un lieu mental protégé et solitaire, entre son père et sa mère. La musique l’attire, il l’apprivoisera petit à petit, jusqu’à ce jour où il en deviendra, sans le savoir, le maître. Comment cet enfant poli, timide, va-t-il accumuler en lui cette puissance charismatique qui le transformera en bombe humaine. Julien Bollinger ne le dit pas, qui d’ailleurs pourrait le dire à part Elvis lui-même, il ne le dit pas mais il le suggère. Il décrit minutieusement les circonstances et les rencontres  qui vont faire Presley, car l’on est souvent davantage construit que l’on ne se fait soi-même. Bollinger nous montre le chemin que Presley emprunte sans savoir où il le mènera mais qui lui permettra de devenir lui-même.

             Evidemment, pour reprendre le titre d’un film brésilien qui sera tourné en 1964, au cours de sa sulfureuse saga Elvis rencontrera le dieu noir et le diable blond. Le premier s’appelle Sam Phillips et le deuxième Tom Parker. Phillips révèlera Elvis à lui-même, Elvis a trouvé sans le savoir ce que Sam cherchait. C’est l’étincelle salvatrice, celle qui tire Elvis de son incertitude qui le met sur les rails. Il chante dans des bleds paumés, les jeunes du coin aiment son style. Une idole locale. Mais ce n’est pas avec cela que l’on conquiert l’Amérique.

             Elvis n’a pas les dents qui rayent le parquet, mais Parker le colonel a les idées longues, l’a aussi du savoir-faire, de l’expérience, de l’entregent et l’assurance qu’Elvis ne possède pas.

             Le magazine fourmille de renseignements, Julien Bollinger décrit les lieux, dessine le portrait des protagonistes, il montre, il dévoile, il révèle, il redonne vie à tout un monde aujourd’hui disparu, il nous captive, il nous retient prisonniers, il déroule un scénario dont nous ne sommes les héros que par procuration.

    ROCKABILLY GENERATION

    HORS-SERIE N° 5 – PARTIE 2

    ELVIS AARON PRESLEY

    1955 – 1958

    THE KING

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                    L’on ouvre le tome 2 avec regret, le tome 1 nous a emmenés si loin que l’on aimerait qu’il n’y ait pas de suite, que tout se soit arrêté-là… Julien Bollinger possède plusieurs as dans sa manche, le cœur et le pique. Nous avons vu grandir le gamin, mais Elvis n’est pas encore Presley. Certes les géniales et originelles sessions chez Sun ont été plus que prometteuses mais c’est en rentrant chez RCA qu’Elvis se révèle. N’y a plus Sam aux manettes, c’est Elvis qui commande, qui sait, qui impose son savoir-faire.

             Idem pour les concerts. Ne suffit pas de chanter. S’agit de créer le rock’n’roll, de le démarquer de toutes les musiques qui existent déjà. Elvis comprend que l’on ne chante pas avec sa voix, mais avec son corps. A son corps défendant. Mais il ne le sait pas. Ses manières de nègres et ses outrancières attitudes sexuelles par trop explicites ne plaisent pas à tout le monde. Que la jeunesse blanche se mette à l’écoute de la musique noire n’est guère admissible. Décadence et fin de la ségrégation en vue. Hommes politiques conservateurs, élites blanches et Klu-Klux Klan s’inquiètent.

             Parker a tracé les limites : petit tu t’occupes de la musique et moi du cash. Pour le cash Parker tiendra parole. Pour la musique aussi. A sa manière, l’air de rien, il fait le vide autour d’Elvis, avec des contreparties, des passages-télé, des films, mais toujours de petites suggestions d’améliorations… qui ne sont que des affadissements… L’on ne tue pas la poule aux œufs d’or, on la met en cage. Bollinger admet qu’il n’a pas de preuves, mais selon lui si Elvis s’est retrouvé à l’armée ce n’est pas parce que l’administration militaire… Lorsqu’Elvis comprendra, ce sera trop tard.

             L’on peut se demander pourquoi Elvis n’a pas rué dans les brancards, pourquoi il n’a pas renversé les tables de la loi du profit financier, simplement par honnêteté, le respect de la parole donnée, la peur de dégringoler aussi vite qu’il était monté sur le toit du monde, quel pacte faustien avait-il passé avec le Colonel, à moins que ce ne soit le Colonel lui-même qui ait été manipulé au vu de son trouble passé par des forces réactionnaires très puissantes…

    L’histoire d’Elvis est celle d’une défaite, Julien Bollinger la métamorphose en victoire, Elvis révolutionne la manière de faire la musique, il est en avance sur tous les autres mais surtout sur son temps, il dérègle l’ordre du monde, l’Amérique ne sera plus jamais pareille. Il perdra son royaume, mais il restera le King mythique pour toujours.

    Ceux qui aiment Elvis, ceux qui ne l’aiment pas, ceux qui s’en foutent, ont intérêt à lire ces deux graals, incidemment ils apprendront comment le rock’n’roll est né, et mieux que cela comment il a réveillé le monde en le révélant à lui-même. En lui faisant comprendre ses possibilités illimitées et ses tares intarissables.

    O

             Attention, ces deux numéros sont de splendides artefacts, elles donnent à lire la vie d’Elvis, mais elles la montrent aussi. Elvis a été l’homme le plus photographié du vingtième siècle, les documents d’époque ne manquent pas, encore faut-il faire le bon choix, les mettre en évidence, leur pertinence doit signifier et renforcer le texte. Leur force aussi, l’a fallu les  travailler, les éclairer, leur attribuer une nouvelle vie, nous permettre de les voir  pour la première fois, les rendre iconiques, nous retenir, nous hanter. Un seul exemple, même pas pris au hasard, tome 1 page 3, la première photo, avez-vous déjà vu un noir aussi intense, aussi mystérieusement presleysien, Sergio Kazh est un magicien. Il révèle, lui aussi il donne sa vision. Celle qui donne son sens à l’image.

             Damie Chad.

    Attention : vu la qualité de ces deux Hors-Séries d’emblée des collectors, passez commande au plus vite :

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    Wizards & True Stars

     - Have you seen the little Pixies crawling in the dirt?

    (Part Five)

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             Frank. Black. Franc. Bloc. Rock. Blue. Bât. Flanc. Big. Front. Free. Bad. Bossanova et Trompe Le Monde. Les Pixies font de nouveau trembler les colonnes du temple parisien, l’Olympia. Ils rejouent ces deux albums qui ont tétanisé pas mal de kids à travers le monde dans les années 90. Ah tu l’as dansée la Bossanova. Pas ton préféré des quat’ premiers, comme on dit, mais quand le gros descend «Down To The Well» pour lancer l’assaut à chaud, tu ravales ta morgue et ta morve, Down to the well/ Betty always knows, il éructe ça au gras du bide, il incarne le rock mieux que tous les autres rois du raw, et il plonge dans l’hystérie les milliers de brebis entassées dans la fosse à coups d’I can hardly wait baby/ I can hardly wait/ Til we go down to the well, il n’existe rien de plus pressant, de plus brutalement beau et puissant que cette injonction, il l’hurle à moitié, il chante hors du temps, il écrase le rock et l’idée qu’on s’en fait, on comprend une fois de plus que le rock n’est qu’affaire de puissance et de somptueuse brutalité. Tu veux faire du rock ? Apprends à enfoncer ton coin à coups d’I can hardly wait baby jusqu’au bout, jusqu’au Til we go down to the well, et le show à peine commencé, la masse de brebis ondule comme l’océan dans la tempête. Tout vole en éclat, les accastillages, les coques, les culs blancs, les conques, les cliques et les claques, c’est une communion dans la violence au paradis, ton être reçoit et diffuse, tu descends au puits avec le gros et tous ses fans, tu vis enfin dans l’instant, tu goûtes à l’éternité de l’instant, et ce downnnnnnnn to the well te résonnera dans les oreilles pendant des jours et des jours. En certaines occasions, le rock prend l’allure d’un accomplissement. Voilà, c’est là. Très exactement là. Merci le gros pour ces minutes de sable mémorial. Au moment où tu tapes ces mots, ces minutes sont derrière toi, mais tu refuses de les voir s’effacer, alors comme tu es un petit présomptueux, tu tapes qu’elles ne vont pas s’effacer. Elles ne vont pas s’effacer. Elles ne vont pas s’effacer. Pas s’effacer. Pas...

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             Le gros est ton meilleur ami. Tu sais pourquoi ? Parce qu’il te chante ton cut préféré des Pixies, «Letter To Memphis». Ah oui, on a les copains qu’on mérite. Et là, le gros ne fait pas dans la dentelle. Il t’introduit son The day since I met her/ I can’t believe it’s true dans la vulve, il t’honore comme tu honores ton épouse, mais en même temps, il honore le rock, pire encore, il le sanctifie, tout à coup, le rock du vieux devient religieux, purement religieux, c’est-à-dire mystique, I’m sending a letter/ I’ll send it right to you/ I’ll send it to Memphis, oh comme il appuie le phis de Memphis, il chante ça d’un air imperturbable, mais il est forcément dans le même état que toi, en vrac sensoriel, car ce Trying to get to you/ How I tried to get to you/ Trying to get to you te broie le cœur, te plonge dans l’extase mystique, le gros prend un ton de voix déphasé, brouillé comme un écran brouillé, cette voix crépite dans des inter-zones, tu en captes le moindre détail, tu pries le diable pour que le temps s’arrête, car voilà la félicité telle qu’on la décrit ailleurs, mais celle-là n’est pas la même, elle est rock, c’est la félicité de la Lettre à Memphis, rien à voir avec celle des fucking curetons. C’est dire si les fucking curetons n’ont rien compris à rien : s’ils chantaient «Letter To Memphis», ils rempliraient leurs églises comme des Olympias. Ce sont des évidences qui te fatiguent, comme toutes les évidences.  

             Tiens, quand le gros attaque «Head On», tu te dis que t’es pas sorti de l’auberge et c’est tant mieux. Une fois de plus, tu vas pouvoir chanter ça à tue-tête avec les milliers de brebis rassemblées dans la tempête, en même temps, tu vas revoir Jean-Jean attaquer comme le gros dans le virage l’As soon as I get my head around you/ I come around catching sparks off you et tu vas voir l’Head On monter en température comme un Krakatoa en colère décidé à rayer le genre humain de la surface de la terre à coups de Makes you wanna feel, makes you wanna try/ Makes you wanna blow the stars from the sky, eh oui, tu prends une fois de plus ce wanna blow the stars from the sky en pleine gueule et tu tends l’autre joue, tu fais ton Gandhi, t’en peux plus de faire le maso, il pleut des coups, le gros t’entraîne, il te plonge dans tes souvenirs de répètes et une fois encore dans l’éternité de l’instant, te voilà écartelé, te voilà Ravaillac Gandhique, te voilà gros-Jean-comme-devant, le rock décide de tout, le gros est ton maître, tu es sa brebis, vazy écartèle les cuisses, ça te rentre par tous les pores de la peau et tu te dépêches de chanter car la diligence revient dans le virage, Yeah the world could die in pain/ And I wouldn’t feel no shame, ah oui, le feel no shame te coule dessus comme une semence de félicité, tu savoures les miasmes à pleine bouche, tu chantes avec de la semence de félicité plein la gorge à t’en étrangler de jouissance, tu y vas de toutes tes forces, car tu n’as plus le choix, tu ne peux plus reculer, alors tu te jettes dans l’écume du jour à coups d’And I’m taking myself/ To a dirty part of town/ Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found en concordance exacte avec le gros et tu fusionnes avec son lard, avec son gras du bide, tu fusionnes avec le rock le plus cosmique de l’univers, tu te take to the dirty part of town une fois encore et c’est un peu comme si tu épousais le rock, veux-tu prendre le rock pour époux, oui, oui, oui, avec les poux de Joey Santiago, et comme d’habitude l’Head On finit en eau de boudin et s’encastre dans le platane d’un coup ralenti de makes you wanna blow the stars from/ The/ Sky, et te voilà veuf, inconsolable, seul au monde. Chaque fois c’est pareil : tu finis veuf. Baisé. Trahi par le destin. Seul. Maudit. Tout ce qu’il te reste à faire, c’est d’attendre la suite. Tu ne vis plus que par curiosité. Quelle autre forme de sentiment pourrait t’animer après un tel drame ?

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             Oh des drames il en pleut encore. «Velouria» te re-traumatise, trop vénitien, trop perverti, trop délicieusement fourbe, trop embué d’imbu, c’est un serpent sonique qui te rentre dans la gorge, c’est pas lui qui t’avale, c’est toi qui l’avales, c’est encore pire, tu veux pas mais t’es obligé, My Velouria/ My Velouria/ Even I’ll adore you/ My Velouria, tu veux dégueuler, mais tu peux pas, avale, de toute façon ton corps n’est qu’un passage, ça rentre et ça sort, alors avale, tu ne sers à rien d’autre qu’à avaler My Velouria, sacré serpent qui se tortille dans ta gorge à coups de We will wade in the shine of the ever, et si, pour te changer un peu les idées, tu veux creuser pour trouver du feu, alors creuse avec le gros, car «Dig For Fire» te transforme en Tchernobyl à deux pattes, ah les concerts du gros ne sont pas de tout repos. Et il te précipite une fois encore dans la centrale nucléaire, ça explose avec le subreptice And then he said qui entraîne fatalement l’I’m diggin’ for fire, car dans ces cas-là il faut savoir la suite, alors l’old woman/ She lives down the road ou l’old man who spent so much of his life sleeping te font, via le gros, cette réponse : I’m diggin’ for fire, dix fois I’m diggin’ for fire, au cas où t’aurais pas bien compris, oui dix fois, on les a comptées. Le gros n’en finit plus d’enfoncer le même vieux clou et ça marche à tous les coups. Tu vis son rock physiquement. C’est un rock qui d’une certaine façon te transforme, c’est un rock qui te manipule, qui te modèle, au sens de la pâte à modeler. Autant faire ça bien.

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             Alors tu crois t’en tirer à bon compte, mais non, tu reçois «Motorway To Roswell» sur le coin de la gueule, il arrive en fourbasse, beau mais boom car c’est la mélodie du bonheur avec la puissance des forges, le Motorway arrive au tagada de Last night he could not make it/ He tried hard but could not make it, et cette boule de pus, cette pomme d’amour t’allume à la subreptice en miaulant l’He started heading for the motorway la bouche en cœur, And he came right now, beau mais boom encore avec «Palace Of The Brine», l’insidieux Palace comme pas deux, cet air de rien qui s’enroule autour de toi comme un joli petit serpent vénéneux, A life that’s so sublime et ça dégringole dans le Palace of the brine, le gros te révèle tous ses secrets, chaque cut est un nouvel accès à son intimité intellectuelle, c’est un peu comme si tu te penchais sur son oreille et que tu voyais sa belle cervelle rose palpiter, elle palpite pour toi, le gros chante pour toi, et comme il est gentil, il chante aussi pour les autres, oh le boom de «Planet Of Sound», tu le connais par cœur, tu en connais tous les replis, les poils et les orifices, comme si tu avais passé ta vie à les examiner et à les tripoter, alors tu tripotes encore ton This ain’t the planet of sound, et une fois de plus tu réalises que tout Nirvana vient de ce refrain, car ce This ain’t the planet of sound n’est rien d’autre qu’une bombe atomique, l’une des plus violentes de l’histoire du rock. Même niveau qu’«Helter Skelter». Comme avec le gros ça n’arrête jamais, l’all nite long repart de plus belle avec une autre bombe atomique, «U-Mass» et sa ribambelle d’appels à l’émeute des sens, oh dance with me/ Oh don’t be shy/ Oh kiss me cunt/ And kiss me cock, le gros veut baiser, le gros provoque, il fait du Dada cul à coups d’oh kiss the world/ Oh kiss the sky/ Oh kiss my ass/ Oh let it rock, tu ajouterais presque while I kiss the sky, mais le kiss my ass du gros est plus performant, c’est sûr qu’on lui kiss l’ass, pas de problème, et il t’enfonce son clou dans la paume à coups redoublés d’it’s educational/ It’s educational. Comme s’il réinventait non seulement le rock, mais aussi la puissance et la modernité. Il n’existe pas d’artiste plus complet et plus fulgurant que ce magnifique gros lard.

             Et ça se termine d’un coup de «Caribou». Mais un «Caribou» demented qui crève les cieux car le gros va au bout du booo du Cariboo-ooo puis il plonge dans les entrailles de l’enfer pour aller chercher des graves de Repent qui te foutent à la fois la trouille et la peau en vrac à coups de frissons. Encore pire que Tannhäuser ! Ça te rabote à vif, ça te déplace de toi-même, ça t’emboîte dans Pandora, ça te déboîte la clavicule, tu peux retourner ça par tous les bouts du Cariboo, tu sors transformé du temple. T’es gavé comme une oie. Coin coin.

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    Signé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Olympia. Paris IX. 26 mars 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Sonic Boom reducer

    (Part Two)

             L’avenir du rock a toujours aimé les pétards, surtout ceux qui font boom. Aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours fait des farces. Le pétard dans la cigarette le fait généralement pleurer de rire. Tu veux du feu ? Boom ! C’est l’hallali de l’ha ha ha. Si l’avenir du rock ne se roule pas par terre, c’est uniquement parce qu’il ne veut pas salir le costume blanc que lui a offert John Cale en gage de reconnaissance pour services rendus à la cause du peuple. Mais à travers ses larmes de rire, l’avenir du rock voit la clope en peau de banane, et ça, dit-il, ça vaut tout l’or du Rhin. À une époque, il adorait accompagner Baby Small au Badaboum. On pouvait y traîner son spleen aviné jusqu’à quatre heures du matin, et le soir du 14 juillet, Baby Small allumait systématiquement un gros pétard rose qu’elle jetait aux pieds des mecs agglutinés au bar. Boom ! Passé l’effet de surprise, personne ne rigolait, sauf l’avenir du rock et Baby Small qui se faisaient virer. Les mecs du Badaboum n’avaient aucun humour ! Si l’avenir du rock est tellement fan de Charles Trenet, c’est bien sûr à cause du cœur qui fait boum, magnifique, Boum/ Quand notre cœur fait Boum, ah il faut le voir l’avenir du rock pogoter dans son salon, Tout avec lui dit Boum/ Et c’est l’amour qui s’éveille, eh oui, c’est la vie, et la vie sans boum n’a aucun sens. Boum encore avec les surboums d’antan, boom encore avec le temps béni des pétards dans la gueule des crapauds, et le rataboum-boum des mobylettes de banlieue et des petites gonzesses en chaleur, et celui-là, le vétéran des vieux souvenirs, le «Boom Boom» d’Hooky de gonna shoot you right down, entendu pour la première fois sur le gros poste de radio jaune qui trônait au sommet du frigo familial, right offa your feet, mais le fin du fin sera sûrement le «Sophisticated Boom Boom» des Shangri-Las repris par Kid Congo au temps des Knoxville Girls, et là, tu as la quadrature du cercle, sans oublier, insiste l’avenir du rock en pointant l’index vers le ciel, le Sonic Boom des Sonics dont Sonic Boom se fera la gorge chaude et des choux gras.

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             Après quarante ans de bons et loyaux service, l’explosif Sonic Boom refait surface avec une sorte d’album mirobolant, Reset. Bon, c’est présenté comme l’album du duo Panda Bear & Sonic Boom, mais rien à foutre de Panda Bear. T’es pas là pour ça. D’autant plus qu’on s’est fait baiser avec un buzz autour du dernier album tout pourri d’Animal Collective, qui est le groupe de Panda Bear, alors ça va, laisse tomber.

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             Avec Sonic Boom, c’est tout de suite dans la poche. Ça fait quarante ans qu’on fait le tour du propriétaire, avec les Spacemen 3, Spectrum, ce mec-là n’a jamais arrêté d’enregistrer des albums géniaux. Tant qu’il reste dans le circuit, l’avenir du rock peut dormir sur ses deux oreilles. Et nous aussi. Reset ? Oui boom dès «Everyday» qui sonne comme un heavy groove de Spacemen 3. C’est assez stupéfiant, quand même - I got something to tell you - Sonic Boom reste dans le vieil esprit demented d’everyday a little bit stronger, wow, c’est du vrai Spacemen stuff ! Il va en enchaîner trois autres comme celui là, il attaque «Edge Of The Edge» en mode Buddy Holly, avec des vents de la mort, c’est tout de suite d’un haut niveau cabalistique, terrifiant de qualité, no no no, avec les effets magiques des sixties, c’est-à-dire une qualité qui te fait dégorger comme un coquillage, qui t’arrête en pleine course, un vrai miracle productiviste, Sonic Boom atteint le sommet du lard, c’est d’une sixties quality invraisemblable, franchement digne de Brian Wilson. Tu es ravi d’écouter cet album, rien que pour «Edge Of The Edge», tu entends des no no no tapés au gras du baryton, c’est tout simplement l’expression du génie sonique de Sonic Boom.

             Avec «In My Body», il va chercher l’influence la plus pure, avec celle de Brian Wilson : Gary Usher. Il se situe dans cette zone d’influence sonique, il atteint à l’imputrescible, il s’en va taper très haut et semble négocier des parts de paradis avec les archanges. Puis il s’offre une belle descente au barbu avec «Whirlpool», le voilà dans la magie communale, avec des accents orientaux et des clap-hands, quelle dérive délirante ! Il faut le voir dériver en père peinard sur la grand-mare des braquemards. Oh mais ce n’est pas fini, car voilà que se pointe le bien dosé «Danger», joué aux castagnettes de Totor, avec une extraordinaire prestance de substance présentielle. Clin d’œil évident. Bravo Sonic Boom ! Ton cœur fait boom ! Il faut aussi saluer le «Gettin’ To The Point» d’ouverture de bal, car on voit cette wild rumba exploser en plein vol. Le beat est celui des reins, Sonic Boom s’y connaît en beat des reins. Il a fait ça toute sa vie. Quand il fait de la petite pop avec «Go On», il la drive fabuleusement, il y va aux clap-hands et au give it to me. Le petit  Panda Bear chante à la mode de la mormoille, mais Sonic Boom pèse de tout son poids.

             Comme toutes les belles histoires, celle-ci touche à sa fin. «Livin’ In The After» bénéficie d’une belle envolée orchestrale. On attend Dario Moreno et c’est Sonic Boom qui vient danser dans la télé, il est même fabuleux de contre-feux, il vient faire du Spacemen de kitsch exotica, avec tout le power de la prod. Sonic Boom concentre tellement de pouvoirs qu’il pourrait bien être le Zeus du rock.

    Signé : Cazengler, Sonic Bouse

    Panda Bear & Sonic Boom. Reset. Domino 2022

     

     

    La triplette de Belleville

     

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             Bien évidemment, Cormac McCarthy, Jean-François Jacq et Flaubert n’ont rien à voir avec Belleville. Il s’agit simplement d’une triplette voulue par le destin : dans le même laps de temps, trois amis te recommandent chacun un bon livre (Cormac McCarty/ Méridien De Sang, Régis Jauffret/ Dictionnaire Amoureux de Flaubert, et Jean-François Jacq/ Il Fera Bon Mourir Un Jour). Alors, pour les remercier de cet égard, tu les lis. C’est la moindre des choses. Viendra ensuite l’occasion d’en causer. Comme le disait si bien Raymond Roussel, il est toujours intéressant de confronter les Impressions d’Afrique.

             Et si cette triplette de Belleville surgit ici, sur ce bloggy bloggah, la raison en est simple : ces trois books sont extrêmement rock. De la même façon que Kerouac, Burroughs, Houellebecq et Céline sont des écrivains rock. 

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             Le McCarthy s’appelle en réalité Blood Meridian. Un traducteur nommé François Hirsh a dû bien batailler avec le texte originel, car sa réécriture du McCarthysme est globalement maladroite, parfois fanatisée, souvent taillée à l’emporte-pièce, bancale, décousue, le texte sent le roussi, la blessure mal soignée, la poudre, bien sûr, l’épuisement (450 pages), on le sent exténué, l’Hirsh, à genoux au bord du texte, il tire la langue, et pourtant il continue d’avancer, car en même temps, toute cette violence le titille et le galvanise. Comme le lecteur, il veut savoir ce que vont devenir ses personnages principaux. Comme toi, il espère secrètement que ces deux ordures, Glanton et le juge, vont se faire descendre. Et puis il faut bien que ces horreurs franchissent la barrière de corail du langage, alors l’Hirsh s’y colle, il pousse ses tombereaux de cadavres scalpés et mutilés, il te ramène ça sous le nez, il te met le museau dedans, ô brave lecteur français, il en tartine des pages entières, et parfois la trad s’emballe, c’est peut-être la prose délicate de McCarthy qui s’emballe, en tous les cas, les massacres s’étendent sur des pages et des pages, alors il épuise tout le stock de vocabulaire afférent. Quand ils sont tous morts, il n’y a plus de mots. Hélas, ou tant mieux, car il faut bien reprendre le fil du récit, la trad n’attend pas, les rotatives non plus, et puis des gens, il en existe encore des millions qu’on peut aller massacrer, des Indiens, des Mexicains, des Palestiniens, des Vietnamiens, des Irakiens, ça sert à ça les gens, alors on ne va pas aller s’apitoyer sur ces quelques villages indiens. Après tout, c’est bien fait pour leur gueule, ils n’avaient qu’à pas se trouver sur la route de cette horde sauvage de tueurs d’Indiens.

             McCarthy nous raconte l’histoire d’un gamin qu’il appelle le gamin. Dans sa forme originelle, il s’appelle forcément le kid. Ici le ‘gamin’ est un mot qui sonne faux, donc c’est mal barré. Aussi mal barré que le Pat Garrett de Peckinpah doublé en français. Cette histoire commence dans le Tennessee quelque part dans les années 1840. Et puisque c’est écrit sur la couverture, la mort commence à rôder à toutes les pages, tout le long du méridien, et même quand elle n’est pas là, elle est là quand même. Le gamin va quitter son trou à rats pour partir à l’aventure. Il va croiser le chemin d’une bande d’«irréguliers» qui sont des tueurs d’Indiens. C’est leur métier. Leur hobby. Leur passion. Alors attention, c’est autre chose que Peckinpah et Blueberry. Ce n’est pas non plus Hollywood ni Jeremiah Johnson, et encore moins le Danse Avec Les Loups de l’autre pomme de terre. McCarthy appelle cette horde sauvage «la compagnie», l’équivalent de ce qu’on imagine être les ‘routiers’ de la Guerre de Cent Ans, qu’on appelait aussi les Écorcheurs. Le gamin, Glanton (chef de la compagnie) et le juge constituent la triplette de Blood Belleville, et ils ne valent pas plus cher les uns que les autres. On est presque content quand un Yuma fend d’un coup de massue le crâne de Glanton «jusqu’à la trachée». Par contre, le juge qui est de la pire engeance sera là jusqu’à la dernière page, personne n’ayant réussi à descendre cette horrible crapule chauve. Pour une raison X, McCarthy protège ce monstre. Seule explication possible : le juge, c’est le diable. Bon donc, aventures, virées sans fin à travers un Mexique encore infesté d’Apaches, et où la vie ne tient qu’à un fil. McCarthy ne nous épargne pas non plus les descriptions de cadavres torturés par les Apaches. Si tu veux voyager au Mexique à cette époque, ça fait partie du jeu. McCarthy donne tout le détail des armes de cette époque, tout le détail des repas et des bêtes qu’on tue pour se nourrir, il décrit avec un soin maniaque les paysages, il y a du souffle, du réalisme poétique, il donne à voir ce qu’aucun d’entre-nous n’aurait jamais pu voir, car il faut chevaucher dans les montagnes et dans les déserts pour voir ce qu’il décrit. Et soudain, on réalise que ce récit n’est pas une ode à la violence, mais une ode à la liberté, cette liberté extrême qu’ont dû vivre ces gens-là, aussi bien «la compagnie», que les mineurs ou les «immigrants». C’est une région du monde où tout est permis. Et où rien ne se passe normalement, visiblement. La compagnie voyage pour tuer. C’est encore l’époque du commerce des scalps. Si quelques Indiens ont survécu, c’est un miracle. Les nazis ont employé exactement les mêmes méthodes. Search & Destroy. Tu sors de ce livre un peu hagard. Bouche ouverte avec un filet de bave. Et tu n’as plus aucun respect pour l’Américain moyen, issu de cette barbarie, et fier de son histoire. Il serait peut-être plus juste de dire qu’on est tous issus de la barbarie.

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             Allez, on va oser un petit parallèle, ça ne mange pas de pain : Jean-François Jacq, c’est Cormac McCarthy en France. Alors attention, on ne croise pas d’Indiens scalpés dans Il Fera Bon Mourir Un Jour. On croise juste les mots d’un homme aussi abîmé que le gamin de McCarthy, qui pendant 200 pages lutte pour survivre. Ce qu’il décrit est aussi inaccessible que ce que décrit McCarthy : Jacq passe les premières années de sa vie à prendre des coups dans la gueule, pim pam poum, puis il s’échappe, vivote et finit par se retrouver à la rue, et découvre pour finir, à l’âge de 22 ans, que sa mère et sa sœur sont atteintes de schizophrénie incurable, d’où l’explication des coups dans la gueule. Eh oui, amigo, les coups dans la gueule quand t’as 6 ans, c’est bien plus rock que de lire les Inrocks rue de la Roquette - Crochet du droit, que tu en prennes plein la vue. Enchaînement, crochet du gauche, que tu en prennes plein la gueule - Il en chie dans son froc. C’est lui qui le dit. Du coup, le lecteur en prend aussi plein la gueule. Damie Chad aussi, lui qui, en février dernier (livraison # 630), dans un texte frénétique, recommandait la lecture de ce livre - Ne cherche pas à apitoyer le lecteur sur son enfance malheureuse. Ni sur sa jeunesse calamiteuse. Gardez vos larmes, il s’occupe du crocodile - C’est donc une autobio qui halète dès l’intro, Jacq écrit le souffle court, il tente de décrire l’indescriptible. En intro de son chapitre 3, il sort d’ailleurs d’on ne sait où un exergue qui parle tout seul : «(...) Je me sens comme les anciens déportés des camps de concentration, car lorsque je témoigne, je me rends compte que mon auditeur ne peut pas réaliser la profondeur de ma souffrance et la gravité de mon vécu.» Et il signe ça «Anonyme. Récit d’un enfant de mère schizophrène», qui ne peut être que lui.

             Ce texte se lit le souffle court, comme il fut sans doute écrit. Jean-François Jacq réussit à transformer le plomb de sa vie de chien en or littéraire, et il n’en rajoute pas. Il s’applique à sonner juste, au plus près de ce qu’il a ressenti. Comme chez McCarthy, la mort rôde en permanence, dès le titre, et mille fois, il se demande pourquoi il continue à supporter tout ça. Il se retrouve même quasiment mort à l’hosto, et lorsqu’il décide de survivre, il survit. On la sent nettement dans son écriture, cette force de vie. Il est au-delà de malheur - au-delà du bien et du mal dit Damie - sa seule ressource, ce sont les mots. Il laisse cette impression constante de ne vivre que pour les mots. Il n’a rien. Si, une sœur ! Une sœur qu’il va essayer de sauver, car elle est elle aussi très mal barrée. Et puis il y a Frida, comme dans la chanson de Brel, une dame qui l’aide à quitter la rue, qui lui trouve une place dans un foyer «pour se reconstruire». Tu parles d’une reconstruction ! «Ce foyer, un miracle», dit l’auteur, et Frida lui «remet un sac de voyage, spécialement préparé pour toi», avec des petites affaires, Jean-François Jacq les décrit, c’est l’un des passages les plus émouvants du récit - À l’intérieur, un change propre. Radio-réveil, une cartouche de cigarettes. Diverses emplettes pour la toilette. Un petit mot d’encouragement. Plus un billet glissé affectueusement dans l’une de tes poches - Jacq décrit ce geste de charité chrétienne avec minutie, et te voilà avec lui saturé d’émotion. Tu recoupes ce passage avec le souvenir récent d’un homme qui avait hébergé chez lui un ami nommé Laurent pour les deux derniers mois de sa vie. En rencontrant cet homme pour la première fois, je compris qu’il pratiquait la charité chrétienne au sens où elle avait dû exister à l’aube des temps, avant l’établissement de l’Église. Frida et cet homme sont exactement le même type de personnages. Laurent va mourir et Jean-François Jacq va vivre, mais tous les deux auront connu la grâce de cette charité qui vient tout droit de l’enseignement du Christ, et qui n’est pas encore pervertie par les dogmes et par les bloody fucking prélats. Le catholicisme a tué la chrétienté, de la même façon que Staline a tué le marxisme. 

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             L’écrivain le plus rock des trois est sans doute Flaubert. Pas facile de transgresser les lois du temps, et de ramener un gaillard comme lui dans la réalité du rock. Ses textes sont tellement brillants qu’on pourrait pour rire négocier des équivalences. S’il écrivait hier Salammbô, il enregistrait aujourd’hui Electric Ladyland. Hier Bouvard & Pécuchet, aujourd’hui le White Album. Hier Madame Bovary, aujourd’hui The Rise & Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. Hier La Tentation De Saint-Antoine, aujourd’hui A Christmas Gift For You From Philles Records. Hier L’Éducation Sentimentale, aujourd’hui Pet Sounds. Hier Trois Contes. Aujourd’hui The Piper At The Gates Of Dawn. Bon, avec son Dictionnaire Amoureux de Flaubert, Régis Jauffret ne prend pas du tout ce chemin là. Il reste dans une approche plus traditionnelle. Une approche plus tactile, dirons-nous. Plus dionysiaque. Il se montre même très familier avec son «bon Gustave». Il ne nous cache rien de ses petits tracas de santé, ni de la syphilis supposément ramenée du fameux voyage en Orient, ni des dents pourries, ni des merveilleuses petites crises libidineuses, ni de son coup de fourchette - notamment le fameux gueuleton avec Maupassant que détaille Jauffret, huîtres, crevettes, poularde, saumon, trou normand, rôti de bœuf, fromages, fruits et pâtisseries, le tout arrosé de vieux bordeaux non carafés - il ne nous cache rien non plus de ses pipes en terre, de ses longs bains du matin, ni de ses crises d’épilepsie, ni des plumes d’oie qu’il taille lui-même, ni de ses goûts littéraires, ni de ses relations amicales et voire plus si affinités (Georges Charpentier), ni des éclats de ce style étincelant - la beauté tranquille d’un style si pur - L’Eros titille bien Flaubert et Jauffret ne rate pas une seule occasion d’illustrer ce penchant. Pas facile pour un écrivain de se pencher sur un autre écrivain, surtout sur un crack-boom-hue comme Flaubert. Il arrive à Jauffret de se vautrer en vantant par exemple les mérites de la connexion, est-ce de l’humour ? Doutons-en. Ailleurs, il fait monter les amis de Flaubert en partance pour Croisset à la gare d’Austerlitz. Mais bon, on lui pardonne, ça ne réfrène pas le plaisir de savourer ce Dictionnaire Amoureux, comme on goûtait autrefois les albums cités plus haut. La cervelle énervée par l’intense fréquentation de Flaubert, Jauffret cite des noms par rafales, Céline («l’enfant de Marcel et le petit-fils de Gustave»), Proust, Isodore Isou, puis Sollers, et ailleurs Balzac et Pierre Guyotat, il parle d’œuvres qui forment des cosmos, il donne un idée de l’infini, puis plonge dans les adaptations, notamment Emma/Isabelle Huppert et Charles/Jean-François Balmer, le plus décadent des acteurs français et grand amateur de Baudelaire, puis Jauffret rêve d’avoir 15 ans pour recommencer à lire pour la première fois cette obsédante Madame Bovary, un Dictionnaire Amoureux, ça sert à ça, à se replonger dans le souvenir des premières fois, il cite d’autres premières fois, La Recherche Du Temps Perdu et l’Oblomov d’Ivan Gontcharov, et puis voilà un Gustave «réactionnaire, hostile au progrès», comme le fut Léautaud au micro de Robert Mallet, et puis il y a cette relation magnifique de maître à élève entre Flaubert et Maupassant, qui rejaillit à plusieurs reprises dans les pages du Dictionnaire, Jauffret nous livre de larges tranches de souvenirs littéraires, des pages qui montent droit au cerveau, comme le ferait «1983... (A Merman I Should Turn To Be)», ou encore «Happiness Is A Warm Gun». Et puis voilà ces traits de caractère qu’épingle Jauffret et qui nous rendent Flaubert encore plus attachant - Un homme vitupérant, emporté, quelque peu pitre mais d’une étonnante bienveillance - Et George Sand d’ajouter : «Il était d’ailleurs sans fiel, sans fausses susceptibilités, facile à vivre, et ses brutalités, toutes de langage, tenaient moins à son tempérament sanguin qu’au plaisir d’étonner.» Et puis voilà Sade qui selon Jauffret reste «un auteur fondamental pour Gustave.» Il s’en explique : «Alors qu’à son époque, ce nom évoque la gaudriole, il trouve dans l’œuvre du marquis une profondeur, une philosophie matérialiste à laquelle il adhère absolument.» Il suffit de lire et de relire Français Encore Un Effort Si Vous Voulez Être Républicains : Manifeste Politique, qui est en fait Le Cinquième Dialogue De La Philosophie Dans Le Boudoir. Alors qu’on s’achemine vers la sortie du Dictionnaire, on tombe sur une sorte d’apothéose à la lettre S : le Style, ou plutôt la religion du style, selon Albert Thibaudet, que cite encore Jauffret. Un Jauffret fasciné par le style de son cher Gustave comme le fut en son temps Léautaud par celui de Stendhal - Comme chez Flaubert, de la pâte même de la phrase, de son humus se dégage la vérité de l’écriture - C’est un lièvre admirablement bien levé, et, incapable de se calmer, Jauffret bascule dans une sublime surenchère : «Les phrases sont pareilles à des processions de mots, comme au temps des corsaires les galions l’étaient d’or, remplis jusqu’à la gueule de sens, de beauté, de sublime.» Il tape en plein dans le mille. Il Salammbique ! Et non seulement il Salammbique, mais il jette encore un pont fatal, cette fois avec Les Caractères de La Bruyère qui, avec Flaubert, incarne pour lui la perfection du style. Eh oui, La Bruyère forevère ! Et Jauffret atteint à l’immanence apoplectique en chopant cette sortie de Flaubert dans sa correspondance : «On ne sait pas assez tout le mal que donne une phrase bien faite. Mais quelle joie quand tout y est ! c’est-à-dire, la couleur, le relief et l’harmonie.» Et Jauffret d’ajouter un corollaire impérieux : «Voilà le secret de la vie des artistes. Ce n’est pas la douleur, le sacrifice, l’immolation, c’est la joie.» Écrasant d’évidence ! Pachydermiquement vrai ! C’est aussi la même joie que tu retrouves dans Pet Sounds et dans Electric Ladyland. Nourris ta cervelle, amigo ! Flaubert, Hendrix et Brian Wilson même combat ! La lanterne rouge de ce fastueux Dictionnaire Amoureux est bien sûr Émile Zola, qui, dans un court extrait, se dit ahuri par Flaubert - Terrible gaillard, esprit paradoxal, romantique impénitent, qui m’étourdissait pendant des heures sous un déluge de théories stupéfiantes - Mais c’est surtout pour Jauffret une occasion en or de repositionner Zola en tant que visionnaire, en médecin penché sur les plaies de la société : «L’homme qui tuerait l’ivrognerie ferait plus pour la France que Charlemagne et Napoléon. J’ajouterai encore : Assainissez les faubourgs et augmentez les salaires.»

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             Or donc merci à tous les trois, Pat Caramba pour le McCarthy et ton chaleureux enthousiasme, Damie pour le Jean-François Jacq (ami tentateur, on aurait tendance à vouloir suivre toutes tes recommandations), et Jacques pour le Dictionnaire Amoureux De Flaubert dont tu m’avais si bien vanté les mérites à la terrasse ensoleillée d’un petit hôtel breton, l’an passé.

    Signé : Cazengler, la pipelette de Belleville

    Cormac McCarty. Méridien De Sang. Éditions de l’Olivier 1998

    Régis Jauffret. Dictionnaire Amoureux de Flaubert. Plon 2023

    Jean-François Jacq. Il Fera Bon Mourir Un Jour. ARDAVENA 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - You can’t judge a Brooks by the cover

             Fréquenté Bracmard pendant quelques années. Il était l’ami d’enfance de ma poule d’époque, Baby Rich, donc il dînait couramment avec nous. Bracmard avait un petit côté Javier Bardem, grosse gueule, grosses mèches de cheveux, forte présence, voix forte. Il portait hiver comme été un trois-quart en cuir qui devait peser une tonne et qui datait de l’avant-guerre. Il y stockait des quantités impressionnantes de matos, ses clopes, ses briquets, ses téléphones, ses couteaux. Bracmard était ce qu’on appelle un homme de ressources, il pouvait te brancher sur n’importe quel type de lascar, en fonction de ton besoin ou de ton problème. Plombier ou voyou ? Pas de problème. Il nous recevait parfois dans sa bicoque du Blanc Mesnil. Il y vivait avec une poule qui chantait sur des péniches. Comme beaucoup de vieilles bicoques de banlieue, la sienne était arrivée en fin de vie, mais elle fonctionnait apparemment encore, on pouvait y manger et y dormir, même si de temps à autre, on voyait un gros cafard baguenauder sur le carrelage de la cuisine. Bracmard n’était pas seulement un mover-shaker de banlieue, il était aussi extraordinairement cultivé et disposait de l’atout majeur : une mémoire d’éléphant. Il profitait des grandes tablées du mois de juin pour croiser le fer avec des spécialistes de l’École de Paris. Comme il avait écumé toutes les galeries d’art de Saint-Germain-des-Prés, Bracmard évoquait Zao Wou-Ki ou Bernard Buffet, il jonglait avec les noms et les lieux avec une virtuosité qui fascinait l’auditoire. Bracmard appartenait à la caste des indestructibles. On le voyait vraiment ainsi. Jusqu’au jour où la main de Dieu s’abattit sur lui. Nous lui rendîmes visite une dernière fois. Il gisait au fond de sa bicoque du Blanc Mesnil, réduit à portion congrue, allongé sur son canapé pouilleux, toujours enveloppé de son énorme veste en cuir. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Il demanda à rester seul avec son amie Baby Rich. Une heure plus tard, alors que nous étions en route pour regagner nos pénates et que le silence régnait dans la bagnole, je ne pus m’empêcher de demander si le tête-à-tête s’était bien passé. «Oh très bien», fit Baby Rich, «il voulait juste une dernière pipe avant de casser sa pipe.»  

     

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             Pendant que Bracmard montait au paradis des mover-shakers, Chuck Brooks chantait la Soul des paradis artificiels, c’est-à-dire des paradis qui n’existent pas.

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             Chuck Brooks ? L’archétype de l’inconnu au bataillon. Un petit label anglais nommé Soulscape s’est retroussé les manches pour arracher les inconnus du bataillon à l’oubli, et leur Volume 1 titré Malaco Soul Brothers en présente trois, Chuck Brooks, Joe Wilson et George Soule. Et leurs trois histoires, même très brèves, sont passionnantes. On ne parle même pas des cuts qui sont, comme on dit en Angleterre, astonishing, c’est-à-dire qu’ils t’astonishent la quiche.

             Comme Geoge Soule est un petit privilégié et qu’il a son goldmining ailleurs, on va focuser sur Chuck Brooks et Joe Wilson. Rien qu’avec ces deux-là, on se sent comme une oie, bien gavé, mais au bon sens du terme. D’ailleurs, puisqu’on parle des oies, on se demande vraiment comment font les gens pour manger du foie gras, sachant dans quelles conditions cette sordide friandise est fabriquée. Mais bon, c’est vrai, on fait comme on peut. Tu as même des gens qui coupent les homards vivants dans le sens de la longueur parce qu’on leur a dit que cette «technique» rendait la chair meilleure. Le jour où les homards et les oies prendront le contrôle de la planète, on va bien se marrer. Bon bref, on n’est pas là pour ça.

             Pour retrouver Chuck Brooks, il faut remonter dans les années 70. Dans le booklet, John Ridley nous raconte que Chuck a commencé par bosser pour Ike & Tina Turner, puis il est allé à Memphis tenter sa chance. Il est à la fois chanteur et guitariste. Il est pote avec Homer Banks et il enregistre des bricoles pour Stax avec les musiciens d’American. Puis il descend à Jackson enregistrer chez Malaco. Dès «Loneliness (Is A Friend Of Mine)», on est frappé par la présence vocale de Chuck Books : il est coriacement bon. C’est un adepte du raw, il y va même au raw du raw. On retrouve le son classique de Malaco : ni Stax, ni Hi, ni Motown, ni Muscle Shoals, c’est encore autre chose. Avec «Behind Closed Doors», il sonne comme les Tempts, ça rampe sous le boisseau d’argent de Malaco, le vieux Chuck a de la ritournelle à revendre. Il tape dans la Soul de haut rang, il vise l’excès mélodique, c’est magnifique. Les orchestrations rappellent celles des early Bee Gees. Son «I Belive In Love» est assez puissant, mais puissant comme la marée, il y va au believe somebody, c’est du heavy froti, so good, so good. Il sauve son «What Would We Do Without Music» avec sa classe, il fait tout ce qu’il peut avec les moyens du bord de Malaco, il se bat seul sur le front de mer, face aux tempêtes. Et quand il s’en va twister le groove d’«Once Upon A Love Affair», on se lève pour danser avec lui. 

             Bon, malgré tous ces fantastiques singles, ça ne marche pas. Alors Chuck se maque avec son pote Homer et ils montent le label Sound Town à Memphis. Ils composent pour d’autres artistes, notamment Shirley Brown. Chuck joue sur Intimate Storm. Malheureusement, Homer et Chuck sont doués pour la musique, mais pas pour le biz et pouf, ils font faillite. À dégager.

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             Quant à Joe Wilson, c’est un mec de New Orleans qui a commencé par enregistrer sur le petit label éphémère de Cosimo Matassa. Puis Wardell Quezergue le prend sous son aile et l’emmène, avec Jean Knight et King Floyd, chez Malaco. Tommy Couch est le seul à croire en Joe Wilson qui est immensément doué. Les autres labels spécialisés (Stax et Atlantic) font la fine bouche.

             Joe Wilson est un chanteur jouissif, il chante au sensitif absolu, il presse ses syllabes comme des boutons de pus et ça gicle, notamment dans «Let A Broken Heart Come In». Il est très sensible, donc très fin. C’est extra, comme dirait Léo. Il passe au heavy r’n’b avec «Other Side Of Your Mind», c’est vraiment du gros popotin. Et voilà le coup de génie : «Our Love Is Strong». Oh la belle romantica ! Il a le pouvoir. Il évolue dans une ambiance extraordinaire signée Werdell Quezergue. Ce mec contre-attaque toujours à bon escient, comme le montre encore «Sour Love Bitter Sweet». Il est énorme, il monte toujours sur la barricade. Joe Wilson est un pur Soul Brother, il explose «Go On And Live». Il te groove encore «Walking Away From A True Love» en profondeur, aw comme il est bon !

    Signé : Cazengler, de bric et de brooks

    Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule. Malaco Soul Brothers. Soulscape 2006

     

     

    My Chip Taylor is rich

     - Part Two

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             Comme Chip Taylor est un auteur prolifique, ses albums se bousculent au portillon. Pour bien prendre la mesure de son importance, l’idéal serait peut-être de commencer par écouter Hit Man, car c’est une sorte de Best Of de rêve.

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    Il y reprend tous les hits qu’il a distribués à droite et à gauche, à commencer par l’«I Can Make It Without You» repris par Jackie DeShannon et les Pozo-Seco Singers. Heavy pop de génie ! Et ça continue avec l’«I Cant Let Go» qui fut un hit pour les Hollies. «Angel Of The Morning» fut un hit pour Merrilee Rush et P.P. Arnold. Chip Taylor est un bélier de la grosse compo. On tombe inévitablement sur «Wild Thing», qui permit aux Troggs, à X et à l’ami Jimi de se distinguer. Et combien d’autres ? La version du Chip est pure, bien grattée sous le boisseau. Il a des tiguilis en filigrane dans le son. Pure magie taylorienne. Et ça continue avec l’«Anyway That You Want Me» repris par les Troggs, mais surtout par Evie Sands et Walter Jackson - If it’s love you want/ Baby you’ve got it - C’est un hit mythique - From the depth of my soul - Il a aussi composé «Try (Just A Little Bit Harder)» pour Janis. Chip Taylor est un homme effarant de classe, mais dans tous les genres : pop, country et le voilà king of r’n’b. Il enchaîne avec le hit le plus imparable de tous, «Storybook Children», popularisé par Billy Vera et Judy Clay - We’ve got your words/ And I got mine/ And it’s a shame - Balladif magique. «Country Girl/City Man» est aussi repris par Billy & Judy, mais aussi par Ike & Tina, fabuleux exercice de nonchalance duetté en mode country. On tombe ensuite sur le «Welcome Home» repris par Walter Jackson. Il te le cueille au menton. Et sa maestria éclate encore au grand jour avec «Just A Little Bit Later On Down The Line».

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             L’autre conseil d’ami qu’on pourrait donner aux becs fins serait d’écouter les deux albums du premier groupe de Chip Taylor, Gorgoni Martin & Taylor, deux Buddah de 1971. Le premier s’appelle Gotta Get Back To Cisco. Ils ouvrent leur balda sur un authentique coup de génie, «Caroline Timber», c’est fabuleusement joué, gorgé de son, ils chantent à trois, cut magique de Chip, avec Trade Martin on lead vocals. On sent bien la puissance compositale de Chip Taylor et l’ampleur des arrangements sur «I Can’t Do It For You». C’est très Righteous Brothers. Ils chantent tous les trois à l’unisson du saucisson sur «Stick-A-Lee», comme le feront CS&N. C’est exactement la même approche, avec les mêmes coups d’acou. Ils adorent rentrer à San Francisco comme le montre «Cisco». Chippy chante ça au doux du menton et tape un final éblouissant. Nos trois larrons adorent la belle pop. Et puis tu as un «Got The Feeling Something Got Away» qui préfigure Guided By Voices. Même esprit.

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             Leur deuxième album n’a pas de titre. On y retrouve la belle pop de Chip («Fill In The Fast Line». Grosse compo. C’est du niveau de Mann & Weil. «I Can’t Let Go» est plus rocky. Ah ils savent rocker leur roll ! Cette belle pop écarlate contrebalance tout. On se régale encore de l’«I Can Make You Cry» monté sur un heavy beat chippy, sévèrement gratté à coups d’acou. Quelle énergie ! Franchement, ces deux albums valent le détour.            

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             Puis Chip Taylor va entamer une carrière solo et tourner avec une moyenne de deux hits par album. Gasoline est encore un Buddah de 1972. Il y recase son «Angel In The Morning». Ah il sait placer sa cerise sur le gâtö. Ça sonne presque comme du Righteous Brothers. Mélodie solide et orchestration du diable - Just call her angel in the morning - Et ça monte aux anges des Righteous Brothers. S’ensuit une Beautiful Song, «Home Again», une pop d’horizons lointains, stupéfiante d’immensité. Il gratte à la suite son «Lady Lisa» à sec, c’est du good time pas loin des Byrds, assez électrique, en vérité. Il passe à son cheval de bataille, la country, avec le morceau titre, un cut solide et bien intentionné. Chip Taylor est déterminant dans tous les domaines, surtout celui de la Gasoline country. Il ne s’intéresse qu’aux chansons, comme le montrent encore «Dirty Matthew» - Sometimes it don’t come easy - et «You Didn’t Get There Last Night». Puis on le voit poser sa voix de deep country man dans «Swear To God Your Honor». Une merveille, pas loin de la révélation, c’est du pur busy cryin’ in the beer.

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             Mine de rien, Chip Taylor’s Last Chance est un bel album. Belle pochette, on voit Chip à la table de jeu, avec des faux airs de Robert Redford en Sundance Kid. Il y va au soft country groove, easy baby. Chip est doux, excellent et inspiré. Dans «I Read It In Rolling Stone», on le voit swinguer ses vers à la folie - Where every brown eyed teased hair mare ran him of his stool - Il boucle ce fringuant balda avec «I Wasn’t Born In Tennessee», un fantastique swagger de country cat. En B, tu vas tomber sur «It’s Still The Same», l’une de ces Beautiful Songs dont est capable l’ami Chippy Chip, et puis avec «101 In Cashbox», il fait une sorte de «Success» à la Iggy - And it comes from the soul/ And it ain’t rock’n’roll - On se régalera encore de «Clean Your Own Tables», un belle country song où il raconte sa vie et celle de la barmaid qu’il épouse.

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             Pochette pépère pour Some Of Us, un Warner Bros de 1974. On est vite frappé par la qualité de la Chippy country. Avec «Early Sunday Morning», Chip chope le truc. Sa country est joyeuse. On se peut se fier à lui. Chip est un chic chap. On sent bien la poigne du songwriter. Grosse emprise encore avec «Something ‘Bout The Way This Story Ends». Chip sait tailler un costard, pas de problème. En B, ils évoque deux villes : Varsovie et Austin. Dans «If You’re Ever In Warsaw», il raconte l’histoire d’un mec qui apprend aux aveugles à voir. Et avec «If I Can’t Be In Austin», il propose un joli groove country. On le sent jubiler.  

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             This Side Of The Big River arrive en 1975 avec une belle pochette à l’américaine. Alors on se régale, même quand on n’est pas fan de country. Il attaque avec «Same Old Story», un joli tagada country, c’est même extrêmement agréable à écouter. Il oscille toujours entre la gorgeous country et le balladif intimiste crooné au coin de la glotte («Holding Me Together»). Très bel artiste, pas loin de Kristofferson. Disons qu’il propose une country de proximité, il avoisine le George Jones avec «Getting Older Lookin’ Back». Chip a un truc que d’autres n’ont pas : le talent. Tout ici est sans surprise mais beau. Il boucle son beau balda avec «Big River», plus rockalama. Solide claqué de chique, belle dégaine et big bass drum. Ces mecs ta cassent vite une baraque de clear blue sky. Ça flirte avec le rockab d’Elvis. Pas mal, non ? Dommage que la B soit si transparente. On y sauve «Sleepy Eyes» : heavy country et belle chaleur de ton.

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             Le Somebody Shoot Out The Jukebox de Chip Taylor With Ghost Train est un album résolument country. Il salue Atlanta dans «Hello Atlanta», it’s good to see you again, mais après, ça devient trop country pour une gueule à fuel. Le morceau titre est un gros boogie rock de saloon. La hit de l’album s’appelle «Still My Son». Chip ressort du moule country pour aller sur la belle pop violonnée. Il sait entraîner un cut au firmament, c’est très Brill dans l’esprit, il faut le voir monter sa clameur de Still my son en neige inexpected, c’est vraiment très impressionnant. Chip Taylor fait de la Beautiful Song quand ça lui chante. C’est un surdoué, au même titre que Burt ou Jimmy Webb, il est très porté sur l’orchestration et les sautes d’humeur vocales, son let me carry you home est suivi à la flûte devenue folle, on voit littéralement le songwriting s’envoler et aller  virevolter dans un azur immaculé. 

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             Saint Sebastien n’est pas son meilleur album. Il l’attaque à la petite pop pépère de «Mary Ann». Chip compose à profusion, il n’est donc pas gêné aux entournures. Il songwrite à gogo. Pas de hit sur cet album martyrisé, du sans surprise, mais du beau sans surprise. Il sonne comme Fred Neil sur «He Ain’t Makin’ Music Anymore», même velouté de poireaux dans le coulé de voix. Avec le morceau titre, il fait bien le tour du balladif, Chip est un inconditionnel de l’intimisme velouté. Il ne peut pas s’empêcher d’enregistrer des albums intimistes. Si l’intimisme ne te plaît pas, t’es baisé.

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             Deux jolis choses sur The Living Room Tapes : Something About Losing It All» et «Grandma’s White LeBaron». Il gratte dans sa cuisine, c’est un intimiste, alors il établit le contact et parfume son balladif de flavor country. Il sait se montrer profond et sincère, alors on l’écoute attentivement. Il chante sa Grandma d’un ton grave et lance un manège enchanté. Il faut saluer son fabuleux entrain country. Petite merveille encore avec «Good Love Last Night». C’est là qu’il convainc, dans l’intimisme - And I took her in my arms last night - Quelle puissance d’évocation - I said girl I like the way you kiss - On n’en saura pas davantage. Son «Shut You Down» est assez pur de shut you down my old friend.

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             Tu vas trouver deux duos d’enfer sur Seven Days In May. A Love Story : «If You Don’t Know Love» où il duette avec Lucinda Williams, et «One Hell Of A Guy» où il duette avec Guy Clark. Comme Lucinda est bien languide, ça donne un duo à la ramasse de la rascasse, ce qui n’est pas déplaisant. L’Hell Of A Guy est le fin du fin du duo country. Mais ailleurs, on s’ennuie un peu. Trop de country, ou pas assez de magie ? Il nous a trop habitués aux cuts magiques. Dans «Florence The Baby & Me», il fait la plus belle des déclarations : «You’re the most beautiful I ever did see.» Une autre merveille se niche plus loin : «Alexander» - You look so beautiful - Joli confessionnal, c’est une Beautiful Song contrebalancée à coups d’accordéon. Le plus drôle avec Chip, c’est que t’as chaque fois l’impression d’écouter la même chanson, et tu tombes sous le charme.

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             Curieusement, on trouve pas mal de belles énormités sur Black & Blue America. À commencer par «The Ship», un duo avec une Lucinda Williams qui a l’air complètement dans les vapes. La grosse compo du jour s’appelle «In Your Weakness», il faut voir comme il l’éclate, c’est le grand Chip qu’on préfère. Il fait un brin de good time music avec «Stroke City Girls». C’est assez magique, il faut bien l’avouer. Il combine la grande pop avec ses affinités country. C’est effarant de stories just behind. La cerise country sur le gâtö pourrait bien être «You Left Me Here». Chip est tellement à l’aise. C’est le plus à l’aise de tous. Avec le morceau titre, il se morfond sur le destin de l’Amérique - Back in 1966, the answer is blowing in the wind - Et il passe du petit boogie fier comme Artaban («It Don’t Get Better Than This») au heavy balladif country («Sometimes I Act Just Like A Fool»). Il dit aussi avoir besoin d’open space et de chevaux. Son «Blind At The Midnight Hour» est magnifico - If you need a place to hide/ Come to my home/ And take some comfort here - Il attaque son «Way Of It» à la Lou Reed. Ce mec Chip est un magicien, il fait de chacun de ses cuts une aventure passionnante. On le comprend mieux sur la durée. Il est certainement plus intéressant que Cash. Chip duette avec P.P. Arnold sur «Temptation», un vieux gospel de fin de partie. Il y va au I did run. Il a des blackettes derrière et ça prend des proportions insoupçonnables, d’autant que P.P. Arnorld te l’explose en plein vol. Quel mélange extraordinaire que ce country king et cette ex-Ikette. Quel accomplissement et quelle apothéose ! Il monte avec elle mais il peine à la suivre. La reine, c’est P.P. 

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             Unglorious Hallelujahs est un double Train Wreck de 2005. Un bel album de country, où il surpasse Cash sur «Hallelujah Boys» et «Jacknife». Il fait exactement le même bazar - I don’t wanna kill nobody - On se croirait sur «I Hung Myself». Il rend un hommage émouvant à Townes Van Zandt dans «What Would Townes Say About That». Il raconte ses souvenirs de Townes dans un motel à Reno. Retour de la clameur country magique dans «Christmas In jail». Et il revient à son cher intimisme d’I don’t know about that avec «Michael’s Song». Sur le disk 2 se niche une pure merveille : «Red Red Rose» où il duette avec Carrie Rodriguez. Pur country genius. Elle vole le show. Il tape plus loin un heavy slowah de très haut niveau, «If I Stop Loving You». Encore une grosse compo ! Ça vaut vraiment le coup de le suivre. On se s’ennuie pas en compagnie du vieux Chip. Encore deux balladifs étoilés avec «Magic Girl» et «It’s Different Now», et il salue cette bonne ville de Santa Cruz avec «Santa Cruz» - There’s still mountains we have to climb - Magnifico.

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             Rien de plus country que New Songs Of Freedom. Avec «Former American Soldier», il rend hommage à des soldats du Vietnam. L’horreur. Son apologie des GIs donne un peu la gerbe. On sauve un cut sur l’album : «Dance With Jesus», un fantastique shoot de country. Tu as là tout l’éclat de la meilleure country américaine.  

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             Très bel album que ce Rock & Roll Joe. Pour deux raisons éminentes : «Monica» et «I Can’t Let Go». «Monica» est inspiré d’un riff trouvé pour Van Morrison et joué sur un vieux beat appuyé. Le hit c’est bien sûr «I Can’t Let Go», lancé en mode heavy rock de saloon, c’est excellent, ça carillonne au big day out et Kendel Carson duette dans cette affaire. On se régale aussi du «Sugar Sugaree» basé sur le «Try A Little Bit Harder» co-écrit par Chip et Jerry Ragovoy. Un violon vient crin-crinter l’«Hot Rod Carson» et Karen Carson tient encore la bavette à Chip dans «Measurin’». Et comme le montre «The Union Song», le Chip sait rocker une baraque ! Et puis dans «R&R Joe Reprise», Chip cite les unsung heroes, Paul Griffin et d’autres. Il raconte des souvenirs de sessions avec des great guys, dont John Paul Jones et des tas d’autres complètement inconnus au bataillon.

    Signé : Cazengler, Chip à l’ancienne

    Gorgoni Martin & Taylor. Gotta Get Back To Cisco. Buddah Records 1971

    Gorgoni Martin & Taylor. Gorgoni Martin & Taylor. Buddah Records 1971                          

    Chip Taylor. Gasoline. Buddah Records 1972 

    Chip Taylor. Chip Taylor’s Last Chance. Warner Bros. Records 1973

    Chip Taylor. Some Of Us. Warner Bros. Records 1974

    Chip Taylor. This Side Of The Big River. Warner Bros. Records 1975

    Chip Taylor With Ghost Train. Somebody Shoot Out The Jukebox. Warner Bros. Records 1976

    Chip Taylor. Saint Sebastian. EMI 1979 

    Chip Taylor. Hit Man. Train Wreck Records 1997 

    Chip Taylor. Living Room Tapes. Train Wreck Records 1997

    Chip Taylor. Seven Days In May. A Love Story. Train Wreck Records 1999

    Chip Taylor. Black & Blue America. Train Wreck Records 2001    

    Chip Taylor. Unglorious Hallelujahs. Train Wreck Records 2005

    Chip Taylor. New Songs Of Freedom. Train Wreck Records 2008 

    Chip Taylor. Rock & Roll Joe. Train Wreck Records 2011

     

    *

    Il est des disques mystérieux, celui-ci est carrément obscur. Imaginez un poème d’Edgar Poe dont on aurait effacé les paroles, dont il ne resterait que l’ambiance, le corbeau s’est envolé, mais le lieu qu’il a quitté est la seule empreinte qu’il nous ait laissée. Vous aussi quand vous ne serez plus là, ne survivront de vous que les lieux par où vous aurez passé. Vous êtes-vous demandé pour combien de temps…

    SCIONS

    O

    (Digital Album / Bandcamp / Mars 2024)

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    Ne comptez pas sur la pochette pour vous aider. Elle est toute noire. Bien sûr je vois bien qu’il y a du blanc, qui n’ajoute que de la noirceur à cet étrange artefact. Sur You Tube, ils sont gentils, ils précisent qu’ils sont quatre, de Sydney en Australie. L’on s’en doutait en regardant le bandcamp. Je vous expliquerai pourquoi plus loin. Le nom du groupe est peu commun. Ne soyez pas idiots, rien à voir avec le présent de l’indicatif ou de l’impératif du verbe français ‘’scier ‘’. Quoique si l’on y réfléchit le hasard linguistique s’avère  parfois malicieux. Scion est un terme botanique, ils le rappellent aussi sur YouTube, en terme beaucoup plus commun un scion est une greffe. Attention, le mot scion désigne aussi bien la greffe que l’on insère dans un tout jeune arbre que le rameau qui naîtra de cette greffe qui portera un composite des gènes de l’arbre greffé et du greffon.

             Un scion est donc le rejeton issu de deux essences d’arbre. Par extension le mot scion désigne aussi un enfant de grande famille tant soit peu dévoyé. Le mot scion s’accorde comme tous les noms communs : un scion, des scions. Nous savons donc ce que signifie le nom du groupe. Nous avons beau scruter la pochette cela ne nous aide guère.

             Comment lire le titre de l’album : est-ce la lettre o, est-ce le zéro, est-ce le dessin d’un cercle ou d’un anneau. Ce qui est certain c’est que ce signe est à décrypter symboliquement. Choisir l’un de ces quatre termes ne mène à rien, ce qu’il faut, quel que soit le signe que l’on élit, c’est en trouver la signifiance.

             Eliminons toutefois trois grossières fausses pistes : Scions n’a rien à voir avec Sion, que ce soit la Jérusalem céleste, la colline inspirée de Maurice Barrès, ou le Prieuré de Sion de Pierre Plantard.    

             Toutefois on ne s’embarque pas sans biscuit : sur bandcamp le groupe se présente d’une étrange manière, un court texte que certains jugeront énigmatique :   ‘’ Ô porteurs de la Malédiction, vous qui êtes morts mais vivez encore. Faites un pèlerinage à travers le Vide jusqu’au pied du grand Arbre et laissez votre destin se révéler. Au début il n’y avait que le Vide. Puis vint le Feu… et avec le Feu vinrent les germes de la disparité : la chaleur et le froid, la vie et la mort, la lumière et l’obscurité. Mais rien n’est éternel  et pourtant rien n’est perdu…’’

             Considérons la mystérieuse circonférence du titre comme le boîtier d’une boussole et le texte comme les indications directionnelles et l’aiguille qui nous guidera.

    0 : l’on n’entend rien, ce n’est pas que le disque n’ait pas encore démarré c’est qu’il n’y a rien, juste rien, mais il faut attendre ou pousser les potards à onze pour que se manifeste une espèce de montée en impuissance, écoutez la version du Ring de Wagner, juste le tout début de L’Or du Rhin mais sous la houlette de Wilhelm Furtwängler, car il est le seul qui ait compris l’importance des toutes premières notes de la Tétralogie et il fait si fort résonner l’insignifiance de leur apparence qu’il vous explose la tête, pour ceux qui seraient choqués, employons une expression emplie de plénitude, qu’il vous ouvre les chakras, cela vient doucement, heureusement qu’il y a cette espèce de klaxon comme une corne de brume pour attirer votre attention, et puis cette voix solennelle qui vous parle mais que vous ne comprenez pas…  Alpha and Omega : vos êtes passé au morceau suivant sans vous en rendre compte, dès lors vous réalisez que le petit o du titre, c’était le zéro absolu, le rien, le néant et que maintenant vous êtes dans le o-riginel, au tout début, à l’alpha du commencement, mais aussi dans l’o-mega de la fin, pourquoi si près du début  atteint-on si vite la fin, et pourquoi cette musicalité fondationnelle semble-t-elle battre de l’aile comme un oiseau qui ne parvient pas à s’envoler, ouf la batterie entre dans le jeu, elle marque la lenteur du rythme mais elle entraîne la basse et tout le bataclan, elle se permet même quelques roulements, la basse joue au vrombissement de l’élastique qui se prend pour un moustique géant qui veut atteindre le haut du ciel, tambour tribal et presque joyeux, fin brutale comme si la bête s’était cognée le nez contre le mur de la fin.  Comme dans le titre précédent  vous réalisez ce que veut dire le morceau qui vient de se terminer. Vous avez parcouru le cycle du début à la fin et vous voici Gros-Jean comme devant, groggy de vous retrouver à l’endroit dont vous êtes parti. Bizarre tout de même. Qu’est-ce que cela signifie ? Thy Master Calls Across Countless Aeon : un bourdonnement qui vient de loin, de très loin, il met des siècles à te parvenir, tu es perdu et l’aide te parvient, tu ne sais pas qui t’appelle, tu le reconnais, tu étais seul, il se soucie de toi, il t’appelle, sa voix traverse des siècles et des siècles, une flèche rapide qui a tant de distance à parcourir pour celui qui l’attend qu’elle a l’air de traverser l’éternité du temps, de faire le tour du monde, avant d’arriver et de se ficher en toi, rien ne bouge si ce ne sont les plumes de son empennage encore vibrantes de leur course, le maître t’appelle et te délivre son message. Seek the River of Fire : cherche la rivière de feu, ne t’inquiète pas tu brûles, la musique a l’air de s’amuser, tout juste si elle ne te chantonne pas un air allègre pour se moquer de toi, quel vacarme, quel boucan, tu brûles, pas besoin de chercher bien loin, elle n’est pas au bout du monde tu y es juste dessus, en plein dedans, tu t’y baignes, passe à l’étape supérieure, souviens-toi d’Héraclite, la notion grecque du sec et de l’humide t’y mène tout droit,  l’on dirait que les musicos s’amusent à imiter un orchestre oriental, oui tu y es, un charmeur de serpent, le cycle du feu qui brûle, qui s’éteint qui se rallume, qui brûle, qui s’éteint, oui tu as deviné, le grand serpent, l’ouroboros, calme-toi, oui c’est grave, médite un peu, essaie de saisir le concept philosophique de l’Eternel Retour, de comprendre ce qu’il veut dire… On wings of steel and chrome : oui les âges métalliques se succèdent, quelle ferblanterie de l’âge d’or à l’âge de fer, tout dégénère, les hommes vivent en paix et puis se disputent, c’est ainsi tu n’y peux rien, c’est le destin collectif de l’Humanité de courir à sa perte, un jour obligatoirement, indubitablement l’énergie du feu régénérateur faiblira, s’épuisera et s’éteindra. Escape Thy Fate : regarde l’autre côté de cette pièce de monnaie ronde que l’on enfourne dans la bouche des morts avant de les porter au bûcher, une face pour tous, une autre uniquement pour toi seul, échappe à ton destin de mort-vivant, puisque quand tu vis éternellement, tu meurs aussi éternellement, pense à toi, échappe à ton destin, rien n’est perdu puisque tout est perdu. Ecoute comme la musique se fait belle et luxuriante, elle est la vie, l’on ne te demande pas de jouer à pile ou face, mais de trouver le lieu de ta fuite qui te sauvera de ce piège sans retour. Through the Valley of Silence : dans la vallée du silence près de l’arbre de vie, de l’Yggdrasil du monde, étrangement le morceau est plein de bruits, de tintements, comme le marteau de Siegfried qui forge l’épée qui tuera le dragon, la vallée est dite silencieuse car entre les coups survivalistes du marteau l’on entend le silence de la mort qui ne veut pas mourir. May the Winds Deliver Thee : l’on entend le vent siffler dans les branches de l’arbre, est-ce celui de l’espoir, du surpassement, peut-être pas pour cette fois-ci, peut-être qu’au prochain tour, au prochain retour, l’on trouvera le moyen de s’échapper du serpent sans qu’il ne te rattrape au dernier moment. Fom the Calamity : trop tard, beaucoup de bruit pour rien puisque le cataclysme final te mènera au rien, sonnailles de troupeaux de moutons destinés à l’abattoir métaphysique, un rouleau concasseur qui passe et pousse, des chœurs processionnels qui tremblent de frousse. Le chemin est long, il tourne sur lui-même, il s’enroule, décrit-il un cercle ou une spirale qui s’écarte et s’enfuit de son centre…

             Chacun en jugera selon son optimisme ou son pessimisme…

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             Mais comment interpréter le titre de cet album. De quelle greffe parle-t-il ? Peut-être faut-il la chercher dans l’espèce de blason symbolique qui leur sert à présenter le groupe. Un cercle, d’or. Selon le diamètre vertical s’épanouit un arbre, l’Yggdrasil mythique, sous sa ramure se tiennent debout une nouvelle race d’hommes d’or et de turquoise.  Sur le FB du groupe, pratiquement vide, seulement deux images, celle de la couve du disque, une deuxième qui nous révèle l’entièreté de l’artwork dont elle n’est que la partie centrale. Un paysage désertique comme vitrifié par une bombe atomique. Comment interpréter cette rivière orange qui serpente depuis les soubassements de l’Arbre, le feu s’est-il changé en eau de feu… Aucune feuille sur l’Arbre réduit à sa structure exo-squelettique, d’ailleurs les nouveaux rejetons qui nous tournent le dos ne possèdent-ils pas un exo-squelette, sont-ils les fils de l’Arbre, sommes-nous à la fin du Ring, à la scène finale de l’anneau wagnérien, entrons-nous non plus en le cycle mais en une nouvelle ère, avec ce nouveau type d’êtres humains alchimisé par l’opérativité cataclysmique de l’anneau brisé… La greffe a-t-elle consisté à introduire le greffon des mythes nordiques dans le mythe de l’Eternel Retour ?

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             Ce qui est sûr c’est que nous retournerons écouter les nouvelles sorties de Scions. Ne serait-ce que pour leur montrer de quel bois nous nous chauffons.

    Damie Chad.

     

    *

    Life like poetry. Généralement les rockers se comportent comme des rockers. Prenons un exemple au hasard, quand Eric Calassou résidait en France il possédait un groupe de rock Bill Crane. Il a donné quelques concerts, nous en avons chroniqué quelques-uns, il a produit des disques, nous les avons chroniqués. Jusque-là nous restons dans le registre de la normalité. L’est parti en Thaïlande, dernièrement il a sorti deux disques, l'un très rock, le dernier constitué de reprises des pionniers du rock. Une vie de rocker parfaitement calibrée.

    0ui, toutefois il y a eu des signes avant-coureurs. S’est mis à faire des photos. Pas tout à fait comme tout le monde. Pas le mec normal qui photographie son chien, sa femme et la Tour Eiffel. Ce n’est pas qu’il se désintéresse du monde, loin de là, il le regarde de près. De trop près. Relisez Le Sphinx d’Edgar Poe. Le héros qui se réveille d’une bonne sieste, ouvre et ses yeux et s’aperçoit qu’un monstre monumentalement horrible s’apprête à le mâchouiller comme un vulgaire chewing-gum, heureusement qu’il n’avait pas son portable, les pompiers et la police se seraient bien moqués de lui en lui montrant que son monstre n’était qu’un inoffensif papillon posé sur la vitre près de laquelle il s’était endormi dans son fauteuil. Calassou s’est amusé à ce petit jeu : photographiez dix-centimètre-carrés de bitume et vous apercevrez ce que vous n’avez jamais vu.

    Dernièrement nous avons chroniqué un album de ses photos. Là il aggrave son cas. A première vue des formes informes et colorées. Des couleurs plutôt sombres. A la réflexion l’on se demande s’il ne s’efforce pas à donner une idée d’un quelque chose que personne n’a jamais vu et dont on peut douter de l’existence, alors que des calculs de haute mathématique   inclinent les scientifiques à supposer sa présence. Il s’agirait donc d’une espèce d’alchimie photographique destinée à produire des représentations de cette matière noire invisible que les physiciens traquent depuis un demi-siècle.

    Je laisse votre cerveau infuser. Revenons à des choses moins abstruses. Non seulement Eric Calassou joue, chante et enregistre de la musique, mais il compose. J’entends vos réactions, qu’un artiste de rock compose des morceaux de rock, cher Damie, rien de plus normal, certainement mais il compose des morceaux de musique classique qu’interprètent des musiciens classiques. Je ne veux pas crier à la trahison, nous en avons chroniqué, et la cloison entre musique classique et rock’n’roll n’est pas si étanche que l’on veut bien l’accroire. Simplement vous prévenir, que nous allons rendre compte de quelques morceaux tirés de la chaine You Tube Bill Crane, et qu’à traverser les cloison étanches l’on se retrouve à pénétrer dans des zone-limites.

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    Danse médiévale : un truc tout doux, parfaitement calibré, facile à suivre, juste une guitare, deux minutes et une demi-poignée de secondes, une belle image de danseurs que je qualifierai de turcs certainement à tort, mes connaissances ethnologiques étant des plus faibles. Ce n’est pas du rock, c’est beau. Tout simplement. Musique pure.

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    Ding dang dong : faut se fier aux titres. Ce truc est totalement dingue. L’image est à la ressemblance de notre monde, une toile de jute ou une natte d’osier sur laquelle sont entassée cinq à six récipients en plastique, bouteilles et bidons. Serait-ce un clin d’œil pour nous dire dans le creux de l’oreille que c’est bidong. Osons le pas, entrons dedang. Un truc à devenir fou, un labyrinthe sonore, une boite à rythmes et une voix qui se prend pour une balle de ping-pong devenue  foutraque, elle rebondit de plus en plus vite, squash vocal, est-ce un crétinoïde dont la voix tintinnabule, ou la bande-son Ferrari qui finit par dérailler, meuglement de vache, z’avez l’impression que sa langue vous lèche la figure, exercice de style à la Queneau, un trente-trois des Double-six passé en 78, peut-être que ça se termine parce que des infirmiers sont venus lui passer une camisole de force pour l’emmener sous une douche froide, sur la fin vous êtes sauvé, une effulgence de guitare électrique vous tire de cette embuscade. Morale de cette aventure : par rapport à la vidéo-précédente vous avez changé d’univers.

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    Message from Mars : que disions-nous !  Tout à l’heure la voix déblatérait, elle ne communiquait pas, juste du bruit buccal, dans cette troisième vidéo, nous recevons un message. Pas de n’importe qui, des fameux petits hommes verts, la musique est inquiétante mais les structures de la langue martienne nous sont incompréhensibles, le pire c’est que  côté élocution nous sommes en avance sur eux de quelques millénaires. En sont au stage du bégaiement. Nous qui attendions des extra-terrestres qu’ils viennent améliorer notre situation, seraient-ils un peuple de sous-doués. Sans doute nous demandent-ils des conseils, ils ont besoin de notre expertise, ils ne possèdent pas un langage aussi élaboré que le nôtre. Très décevants.

    Ne nous demandons pas : que veulent dire les martiens, mais que veut dire la réalisation de ce morceau : qu’un solo de guitare électrique est une agonie sans fin, que la musique instrumentale produit le son mais pas le sens. Que le langage non évolué n’est qu’un ensemble de borborygmes inconsistants. Qu’il est comme l’image qui l’accompagne, un puits avec fond, un puits bouché, qui empêche l’accès à une source de connaissance totale.

             Notre chronique des trois vidéos suivantes éclairera les trois premiers mots de l’ouverture de cette chronique : life like poetry. Que nous empruntons à Lefty Frizzel. Aperçu théorique : Mallarmé fut artistiquement subjugué par l’entreprise d’Art-Total théorisé et mis en pratique par Wagner. Selon Wagner l’opéra était un art total : il mêlait : musique, chant, danse, poésie (les livrets), théâtre (mise en scène) peinture, sculpture (pour les décors) architecture (l’édifice du théâtre de Bayreuth conçu selon les représentations…) jusqu’à l’art équestre avec introduction de véritables chevaux sur scène… Maintenant si vous dites Wagner : tout le monde répondra : musique et si vous dites Mallarmé la réponse unanime sera : poésie.

    Conclusion mallarméenne : la poésie se devait ‘’de reprendre son droit’’ à la musique. Entendez par là qu’étant la voix profonde du monde, (l’expression est d’Edouard Dujardin fondateur et directeur de La Revue Wagnérienne) : c’est en elle que devait s’inscrire la pensée actante de la globalité du monde. En d’autres termes la poésie était à elle seule l’art-total dont le monde avait nécessité pour être exprimé et par là même supprimé. Dans ses esquisses du Livre, dans Le coup de dés, dans Les Noces d’Hérodiade, Mallarmé s’est adonné à cette tâche…

    Eric Calassou écrit de la poésie. Nous n’avons jusqu’à maintenant chroniqué aucun de ses recueils. Donc musicien et poëte. Penchons-nous sur trois vidéos dans lesquelles ii a mis en voix et en musique trois de ses textes.

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    Dans la nuit : (extrait du recueil Les anges de l’enfer) : la couve comme une tenture épaisse, pas aussi noire que l’on s’y attendrait, bleu sombre et reflets d’or : une basse à pas lents, une guitare qui crisse et se plaint, comme du verre sur lequel on marche, le morceau n’est pas très long mais si l’on en croit la longue énumération la nuit est longue, la voix n’est pas blanche, elle joue ses émotions, la nuit est porteuse de peur et de rêves inaccomplis durant les jours. La fin est surprenante, elle pose davantage de questions qu’elle n’en résout. Dans la nuit on ne fuit pas la noirceur du monde mais soi-même.

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    Nuit blanche : couve : soleil noir, ou araignée noire écrasée sur la matière blanche de votre cerveau. Cette nuit est plus éprouvante que la précédente, la boîte à rythmes boitille imperturbablement, le poëte nous la joue tragique, le drame n’est que l’expression de la comédie de la solitude que l’on se donne à soi-même, la guitare grésille, elle est comme ses yeux qui sont les derniers s’éteindre dans le poème de Tennessee Williams, le poëte est-il rattrapé par ses fantômes qu’il tente de fuir, l’on entend ses râles, petite ou grande mort, là est la question… Toujours est-il qu’il ne prononce plus une parole.

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    Ciel éclair : visage brouillé, derrière une vitre pluvieuse : la guitare aigüe telle une lame égoïne qui scie votre boîte crânienne pour savoir si Dieu s’est caché à l’intérieur, la double postulation baudelairienne, pluie de crachats, révolte et soulagement, des trois textes c’est le plus réussi, le mieux mis en bouche, la poésie est parfois comme un bonbon acidulé dont il est difficile de se débarrasser. Midnight rambler arpente le miroir de son âme…

             Grâce à Eric Calassou et ces six vidéos nous avons fait un long voyage. De la musique à la poésie. De la musique en poésie. N’oubliez pas, un autre chemin, life like poetry.

    Damie Chad.  

     

    NEWS FROM MARIE DESJARDIN

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             Ce n’est pas poli de suivre les filles, c’est vrai mais chez Kr’tnt ! on suit Marie Desjardins, avec assiduité, l’on ne peut s’en empêcher, en tout bien tout honneur, d’autant plus qu’elle réside au Canada, en plus c’est de sa faute, comment ne pas la remarquer, même de si loin, elle écrit de bons livres et d’excellents articles, en plus elle nous provoque, elle s’intéresse au rock’n’roll, comment voulez-vous que l’on ferme les yeux, c’est notre devoir de chroniqueur.

             Attention elle est maline, elle vient de m’apprendre quelque chose sur le rock que je ne connaissais pas, de surcroît sur un groupe que je connais bien. Que j’ai suivi disque par disque durant des années. Deuxième honte de ma vie, c’est un article qui est paru en août 2023 sur La Métropole, un magazine culturel  québécois que vous trouverez sur le net. J’avoue que si l’article n’avait pas été signé par Marie Desjardins je n’y aurais accordé aucune attention.  Je n’aime point trop Jésus Christ, encore moins lorsque à son nom est accolée la mention rock star, oui mais voilà c’est de Marie Desjardins, alors je lis. Et puis il y a le sous-titre Dans l’ombre ou la lumière. Déjà je choisis l’ombre.

             Tiens un vieux truc, cinquante ans d’âge, un film. J’ai des excuses de ne pas l’avoir vu, je ne vais jamais au cinéma. Donc un film sur Jésus Christ, un opéra-rock, déjà que j’ai trouvé les paroles de Tommy des Who, un peu gnangnan, oui mais il y avait les Who. C’est-là que je pousse un rugissement, j’ai bien lu, ce n’est pas un trouble visuel ce pourpre profond qui  empourpre mon cerveau, j’ai bien déchiffré, Deep Purple, ils auraient enregistré un disque sur Jésus Christ, non ce ne sont pas eux, c’est Ian Gillan le chanteur qui fut contacté pour les parties vocales, si vous voulez savoir la suite lisez l’article.

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             Vous y arriverez en passant par le FB Marie Desjardins Portraits Rock.

    Pas très loin vous avez un lien sur le nouveau site d’Offenbach, non pas Jacques qui composa des bouffonneries, l’autre : le plus grand groupe de rock du Canada (1970 – 1985 ). Ne comptez pas sur moi pour vous raconter la saga de ce groupe, vous trouverez le lien pour atterrir sur le site, une longue bio rédigée par Louis de Bonneville, Marguerite Desjardins l’a un peu aidé. Pour la remercier Louis Bonneville a construit un site consacré à Marie Desjardins. Ecrivain.

             Un petit conseil, n’oubliez pas de cliquer sur l’onglet ‘’nouvelles’’ vous n’avez pas que les titres, les textes sont à votre disposition… Nous en avons déjà chroniqué quelques-uns sur Kr’nnt !  Vous ferez des découvertes, je viens d’en faire deux, je vous en reparlerai bientôt.

             Ce site est vraiment bien fait, clair net et précis. Il permet d’embrasser le parcours de notre écrivain. Il n’y a pas que le rock’n’roll qui l’intéresse, ce qui est sûr c’est que désormais vous vous intéresserez à Marie Desjardins.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

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    Repli stratégique avait dit le Chef. Nous cavalions comme des fous vers l’Esplanade du Trocadéro. Nous ne savions pas pourquoi, mais le Chef le savait et cela suffisait. Il est des êtres qui sont comme des phares dans la tempête. Leur Intelligence salvatrice rougeoie dans la nuit noire comme la braise réconfortante d’un Coronado. Cette dernière comparaison ne tient pas la route, je m’en excuse auprès des lecteurs, je devrai l’améliorer quand je  relirai une dernière fois Les Mémoires d’un GSH avant de le confier à un éditeur impatient de lancer l’impression de ce chef-d’œuvre absolu, ce splendide cadeau jeté en pâture à l’’Humanité qui ne le mérite pas. Parfois dans des moments de doute je déraisonne en pensant que personne n’aurait assez d’intelligence pour en saisir le sens profond, que ce magnifique manuel de survie n’empêcherait pas l’espèce des hominidés de courir à sa perte.

    Les filles pensaient que pendant que nous contemplerions la tour Eiffel nous reprendrions notre souffle appuyés sur la rambarde. Il n’en fut rien, il fallut descendre au triple galop les escaliers et nous ne nous arrêtâmes que lorsque le Chef eut choisi sur la vaste pelouse un assez large espace éloigné de tout touriste avachi… J’intimai à Molossa et Molossito l’ordre de monter une garde vigilante autour de notre réunion impromptue.

    Avant tout le Chef alluma un Coronado :

             _ La situation est grave !

    Loriane lui coupa la parole :

             _ Parce que nous sommes partis du café sans payer ?

    Doriane lui répondit :

             _ Mais non, si le garçon nous avait poursuivis, le Chef l’aurait abattu immédiatement d’un coup de Rafalos, c’est un homme lui !

    Le Chef lui adressa un merveilleux sourire :

             _ Vous avez raison charmante enfant, sachez que nous sommes poursuivis par une terrible bande de malfrats, capables de traverser les murs, d’où la nécessité de tenir cette assemblée générale dans un lieu dépourvu de murs. Nous vous aurions invités avec plaisir dans les locaux Des Services Secrets du Rock’n’roll mais l’ennemi a déjà tenté de pénétrer dans cette forteresse invincible, nous les avons repoussés mais maintenant que vous êtes avec nous je ne veux pas que couriez le moindre danger. Ne vous affolez pas, si nous ne trouvions aucun abri sûr d’ici ce soir nous trouverons refuge dans les locaux de la CIA, ils nous accueilleraient avec joie, je pense qu’ils aimeraient devenir propriétaires du secret de la méthode qui permet de traverser les murs, cela les aiderait beaucoup à s’emparer des secrets des chinois qui rêvent de devenir la puissance mondiale numéro 1 et de s’emparer des Etats-Unis.

    Les yeux des jumelles brillèrent de mille feux. Il y a quelques heures encore elles n’étaient que deux lycéennes sages et elles se retrouvaient projetées pratiquement par un coup de baguette magique au cœur des affaires secrètes du monde.

             _ Chef, peut-être pourrions-nous nous mettre à l’abri dans la maison devant laquelle j’ai failli être enlevé par les passeurs de murailles.

    Les filles me regardèrent avec respect, n’étais-je pas un héros invincible qui au dernier moment se tire de tous les dangers. 

             _ Agent Chad, l’idée n’est pas mauvaise, je préfèrerais tout de même une autre solution, certes s’installer dans une demeure connue de nos ennemis est un merveilleux coup d’audace et de poker mais…

    Le Chef ne put terminer sa phrase. Non, ni Molossa, ni Molissito ne donnèrent l’alarme, ce fut Loriane qui proposa une solution miraculeuse :

             _ Vous n’avez qu’à venir à la maison !

             _ En plus papa possède une importante collection de disques de rock !

             _ Et il fume des Coronados !

    75

    Le lecteur m’excusera de ne pas fournir l’adresse exacte de ce petit havre de paix, de ce paradis terrestre qu’était la maison des parents de Doriane et Loriane. Une petite villa dans une rue perdue du seizième arrondissement  entourée des quatre côtés par une large pelouse impeccablement tondue. Du vaste salon central de larges fenêtres permettaient une surveillance quasi panoramique du moindre brin d’herbe.

    Le Chef puisa sans ménagement dans la large provision de Coronados du géniteur de nos deux héroïnes préférées. Molossa et Molossito remarquèrent très vite qu’en sautant de canapés en fauteuils ils pouvaient effectuer le tour de la pièce sans poser une patte sur le plancher ciré. Ils s’amusèrent comme des fous à faire la course sur ce parcours improvisé. Ils ne s’arrêtèrent que lorsque Loriane les appela pour leur offrir deux grosses tranches de pâté de sanglier aux truffes qu’ils dévorèrent en un clin d’œil… Après quoi ils s’allongèrent sur une table basse depuis laquelle ils avaient vue sur l’ensemble du jardin et décidèrent qu’au lieu de monter une garde éreintante et inutile, ils feraient mieux de prendre des forces pour être prêts à affronter les nouvelles péripéties que la suite de nos aventures ne manqueraient pas de leur procurer.

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    Le Chef alluma un Coronado, il avait décidé de tenir un conseil de guerre, la situation est grave et dangereuse avait-il  déclaré en préambule.

    • Agent Chad, je n’ignore pas vos connaissances en mathématiques sont plutôt médiocres mais en toute vérité sans vouloir vous faire mousser auprès de nos charmantes hôtesses, combien avez-vous abattu de gardes qui entouraient Géraldine Loup, prenez le temps de réfléchir pendant que je nous verse une lampée de ce merveilleux whisky de vingt ans d’âge.

    Après avoir froncé les sourcils, signes d’intenses réflexions et compté à plusieurs reprises sur mes doigts :

             _ C’est étrange Chef, j’aurais cru en avoir abattu davantage, toutefois en revisualisant mentalement la scène, je me dois de reconnaître que je n’en ai mis hors de combat que le ridicule chiffre de huit.

             _ C’est à peu près ce que j’escomptais, pour ma part je n’ai guère fait mieux, à peine neuf !

    Les filles poussèrent des exclamations de joie et nous applaudirent mais le Chef doucha leur exubérance :

              _ Or j’ai compté et recompté les cadavres, vingt-quatre en tout. Si je ne m’abuse huit plus neuf égalent :

             _ dix-sept !

    _ Exactement, jeunes filles, nous avons donc sept cadavres de trop !

    _ Ne seraient-ce Chef pas quelques agents de la CIA qui nous auraient filé un coup de main en douce.

    Le Chef prit le temps d’allumer un Coronado, d’aspirer longuement puis d’expirer un long panache de fumée digne d’une locomotive à vapeur :

             _ J’y ai pensé, mais non, les ricains aiment bien se faire voir, ils se seraient débrouillés d’une manière ou d’une autre pour nous faire signe. En plus un léger détail m’oblige à penser que ce ne sont pas eux, figurez-vous que sur les sept cadavres six ont reçu une balle entre les deux omoplates, je n’ai pas eu l’occasion de mesurer mais je jurerais que c’est au juste au centre, pour ainsi dire au millimètre près.

             _ Chef, la CIA n’a pas la réputation d’embaucher des manchots !

    Les filles m’approuvèrent et citèrent une vingtaine de films d’espionnage américains. Le Chef les écouta avec magnanimité mais reprit la parole.

             _ Franchement j’aurais préféré être confronté à des tireurs d’élite américain qu’à l’individu qui s’en est pris à nous ! Ne nous trompons pas, aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’est pas venu pour nous défendre, au contraire il était déterminé à se débarrasser de ces empotés qui l’empêchaient de viser l’Agent Chad ! Voyez-vous Agent Chad la mort marchait vraiment à vos côtés.

             _ Il y en a pourtant un, Chef, qui m’avait subrepticement délesté de mon revolver, ils étaient-là aussi pour moi.

             _ Oui mais pas pour vous tuer, vous empêcher de vous défendre oui, vous étiez un gibier de choix réservé !

    Loriane se serra tout contre moi.

             _ Lorsque j’ai déglingué votre voleur, tous les autres se sont jetés sur vous, ils ont paniqué, ils ont voulu vous abattre, ce n’était pas prévu dans le plan, vous étiez la seule cible qui importait, ils ont payé de leur vie leur affolement. 

             _ Donc d’après vous…

             _ D’après moi Géraldine Loup n’était pas la cible prioritaire, peut-être même n’a-t-elle été  plus tard qu’une victime collatérale, faute de grive on abat une merlette ! C’était vous qui étiez LE numéro 1 sur la liste !

             _ Donc le tueur…

             _Agent Chad, n’avez-vous jamais entendu parler de la théorie du genre, c’est très à la mode par les temps qui courent !

    A suivre…     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 642: KR'TNT 642: DAMO SUZUKI / CHIP TAYLOR / BILLY VALENTINE / JALEN NGONDA / RICH JONES / GABRIEL DALAR / DANYEL GERARD / RICHARD ANTHONY / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 642

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    25 / 04 / 2024

     

    DAMO SUZUKI / CHIP TAYLOR

    BILLY VALENTINE / JALEN NGONDA

     RICH JONES / GABRIEL DALAR

    DANYEL GERARD / RICHARD ANTHONY

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 642

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Le Can dira-t-on

    - Part Two 

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             Damo Suzuki vient de casser sa pipe en bois. Comme un coup de dés jamais n’abolira le hasard, paraissait au moment même où Damo rendait son dernier souffle un Live In Paris 1973

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    Un gigantesque double album que Kris Needs gratifie de 5 étoiles dans Record Collector. Rarissime ! Il fout aussitôt la charrue avant les bœufs en qualifiant Can de «truly magic band in full flight», et la Krissmania s’ébranle sur une demi-page. Il se rappelle d’un «life-changing» concert de Can vieux de 50 ans à Aylesbury’s Friars. Et c’est parti au roaring Krissboom de «stunning impact, shapeshifting musical significance and lifelong resonance», de «supernova catharsis of that extraordinary night», il parle d’un groupe qui file comme un «express train to the outer limits, driven by supernatural telepathy, innate virtuosity and fearless spirit.» Kriss Needs n’a jamais été aussi dithyrambique ! Il l’est mille fois plus qu’Andrew Lauder, qui dans son autobio chante les louanges de Monster Movie  - Je n’ai pas le souvenir de beaucoup d’albums qui m’aient autant excité à la première écoute - Bon d’accord, c’est pas Damo qui chante sur Monster, mais Malcolm Mooney - Le seul équivalent de Monster Movie est le Velvet Underground, mais c’est une comparaison superficielle. La musique de Can had broader perimeters - Il n’empêche que l’énergie est la même. Kriss Needs indique qu’à l’époque où il les vit sur scène, Can venait de sortir Ege Bamyasi. Pour lui, ce Live In Paris 1973 est la preuve qu’il n’avait pas rêvé à l’époque. Il y a 5 cuts sur ce live, numérotés de 1 à 5 en allemand. Comme le rappelait Lauder, Can jouait sans set-list et chaque concert était différent, complètement libre, improvisé à partir des thèmes des cuts enregistrés. Can veillait à rester «an underground cult band». Ça ne pouvait que plaire à Needy, grand amateur de Funkadelic et de Sun Ra. Il rend hommage à chacun des 5 Can, «Liebezeit’s jazz infected funky drum tattoos, Holger Czukay’s minimal James Brown-simple propulsion, Schmidt’s synthetised nightclub icicles, Karoli’s liquid guitar snakes and Damo’s other worldly vocalising». Il parle encore d’une «thermonuclear cavalry charge» et il donne le coup de grâce en comparant le jeu de Michael Karoli à «un monstrueux jet de dentifrice radioactif pressé par le fantôme de Jimi Hendrix.» Sa prose est encore plus fantastique que l’orgie sonique de Can. On ne connaissait pas le coup du dentifrice. Il a raison, c’est exactement ce qui se passe. Schlofffffff !  

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             Dès «Eins», le monstrueux dentifrice surgit. Can est un groupe qui s’ébranle et qui va ensuite son petit bonhomme de chemin, avec un Damo qui s’embobine autour du beat. Il a raison d’être torse nu, car c’est du boulot. T’as voulu voir Maubeuge et tu vois du Can, avec un Jaki qui te bat ça si sec et un Czukay qui hoquette au bassmatic errant, et les deux autres complètement le fourniment de la surenchère métabolique. Can c’est spécial, ça dure longtemps, all nite long, prends tes précautions avant d’enter là-dedans. Depuis Can, il faut bien dire qu’on a jamais fait mieux en matière d’hypno teutonique.

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             Le mec qui signe les liners de ce Live atomique est le roi des nonchalants vorticistes. Il s‘appelle Wyndham Wallace. Il commence par t’informer que tu vas être déçu, car il n’a aucune info à transmettre, à part la date : 12 mai 1973 à L’Olympia. Il indique aussi que Damo allait quitter Can peu après ce concert. Il profite de l’occasion pour rappeler les pedigrees des autres cocos de Can, Schmidt et Czukay, «Stockhausen pupils», et Jaki Leibezeit «who’d turned his back on free jazz to become their so-called half-man half-machine drummer.» Et il ajoute, laconique comme pas deux : «Voilà c’est tout. That’s your lot. Luckily, it’s all you need to know.»

             Il a raison, le bougre. Qu’a-t-on besoin de savoir de plus ? Autant s’immerger dans le Can insidieux de «Zwei», qui se met en place comme un gros scarabée. Jaki Liebezeit l’articule. On reconnaît bien l’attaque excédée de Damo le démon. Ils forment tous les 5 un scarabée sacré compact et bien plombé. On l’adore, comme on adorait autrefois les divinités. C’est un son allemand, très primitif, pré-teutonique, tu ne sais pas ce que tu fous là, mais t’es content d’être là. C’est un son libre qui palpite d’une façon bizarre, et tu entres dans leur jeu. Villon et Céline auraient adoré Can, c’est évident, car le son balance comme un pendu de Montfaucon et la gouaille vaut bien celle des tranchées de la putréfaction.

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             Wyndham Wallace se rappelle à ton bon souvenir en indiquant que Schmidt eut l’idée de monter Can lors qu’un trip new-yorkais. Wallace est content : à une époque dit-il où l’information qu’on cherche «is rarely more than a click away», le concert parisien de Can reste plongé dans le plus épais mystère - That’s precisely how I prefer my Can - C’est le côté mystérieux de Can qu’il préfère. Il continue de filer son coton vorticiste en indiquant qu’au moment où paraissait Monster Movie, il n’était lui-même pas encore paru. Il allait naître deux ans après. En grandissant, il se mit à lire les «weekly music papers» et découvrit que les artistes qu’il admirait le plus, Julian Cope et Mark Hollis citaient Can en référence - Par conséquent, alors que je sortais de l’adolescence, je crevais d’envie de découvrir le groupe qui avait su galvaniser mes héros - Il cite encore trois noms de gens qu’il admire, et pas des moindres : Lee Hazlewood, Tim Buckley et Scott Walker.

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             Le disk 2 démarre sur «Drei». Pur Babaluma d’Holger & Jaki. Damo ramène son Spoon dans la soupe. On retrouve le Can de rêve, puissant, hypno, libre. Ils luisent dans les éclairs de l’hypno. Ils développent une extraordinaire énergie propulsive et filent droit dans le néant sonique. Damo est balayé, il ne sert plus à rien dans cette tourmente, mais il va revenir, et le Karoli se met à sonner comme une chauve-souris devenue folle.

             Wallace rappelle aussi qu’il en bavé avec Can, car zéro info dans le NME, zéro info dans le Melody Maker, zéro book on the shelves, zéro disk dans ses boutiques habituelles, et zéro K7 de ses copains. Et bien sûr zéro Can à la radio - Boney M after all didn’t count. On pensait tous que Can était un groupe américain et que Kraftwerk... well they were robots - Et pour couronner le tout, l’Angleterre voyait plutôt le krautrock d’un sale œil, et tout ce qui était allemand s’apparentait au nazisme. Alors le jeune Wallace s’est mis à imaginer Can - And in the hands of a teenage boy, imagination is a powerful tool.

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             Et hop, les Cannois tapent «Veir» sous le boisseau, ils grésillent le souffle, le Karoli fout le feu au boisseau. C’est à cet endroit précis que Kriss Needs devient fou : «Vier carriers into motorik overdrive, Schmidt setting his Pandora’s box  keyboards to screaming flying saucer freak-out mode, detonating one of Can’s infamous ‘Godzilla’ meltdowns as their rampant kinetic energy erupts into mutual meltdown.» C’est du rock-writing de très haut vol. «The evocative killer punch comes with Schmidt’s luminescent baroque melody lathered by Karoli into 13 delirious minutes of Vitamin C. rhythm section flashing red before the tape cuts mid-flight.» Oui, ça coupe sec. Sans prévenir. Kriss Needs parle encore d’«untouchable alchemy», alors que ce Live se dirige vers la sortie avec un «Funf» confus et brouté de la motte. Encore du pur Can, ça grouille dans la barbouille. Toujours très entreprenant. En prise directe sur ta vie, c’est comme planté dans ta jugulaire, c’est ça, Can, ça te boit. Damo le démon chante sa supplique et ça se termine en forme de chou-fleur épileptique.

    Signé : Cazengler, Con

    Damo Suzuki. Disparu le 9 février 2024

    Can. Live In Paris 1973. Spoon Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

    - My Chip Taylor is rich

    (Part One) 

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                Grâce à «Wild Thing» et à la belle version qu’en firent les Troggs, tout le monde connaît le nom de Chip Taylor. Mais attention, «Wild Thing» n’est pas très représentatif du génie composital du chap Chip. Comparé à l’Any Way That You Want Me d’Evie Sands, un album produit par Al Gorgoni et Chip, «Wild Thing» n’est que menu fretin. Any Way That You Want Me fait partie des œuvres majeures parues en 1970, et on en dit grand bien inside the goldmine. Bien sûr, les Troggs ont aussi tapé leur version d’«Any Way That You Want Me», mais sans vouloir manquer de respect à Reg Presley, la version d’Evie fait beaucoup envie. Après, chacun fait comme il veut ou comme il peut.

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             Chip Taylor est aujourd’hui une vieux crabe de 83 balais. Il ne s’appelle pas Taylor, mais Voight, et il est le frangin du Midnight Cowboy Jon Voight. Il doit donc sa réputation à l’extrême qualité de ses compos et de ses fréquentations : Al Gorgoni, Jerry Ragovoy ou encore Billy Vera. Alors on a deux moyens d’entrer dans son œuvre : soit par le dernier album qui vient de paraître, The Craddle Of All Living Things, soit par une petite compile de devinez-qui ? Oui une compile des gens d’Ace de Saint-Jean d’Ace, Wild Thing The Songs Of Chip Taylor, parue en 2009 dans la prestigieuse ‘Songwriters Series’, la collection du bout du monde. Tu ne peux pas aller plus loin.

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             Commençons si vous le voulez bien par le dernier album. On l’écoute surtout par curiosité, histoire de voir ce qu’un vieux crabe comme Chip a encore dans le ventre. The Craddle Of All Living Things sonne un peu comme l’album de la fin des haricots. C’est très exactement l’ambiance du dernier album de Johnny Cash. Chip chante à l’agonie, mais avec du souffle. Son morceau titre d’ouverture de balda est très chippy. On voit bien que le vieux a du métier. Mais  en même temps, on le sent aux portes de la mort. Fin de la rigolade. «Animals On The Beach» est à la fois funèbre et beau. Pour la jeunesse et la modernité, il faudra repasser un autre jour. Il chante parfois d’une voix brisée, exactement comme Cash. Chip fait son Cash. Que fallait-il espérer ? De la belle ouvrage ? Il faut attendre «Sofia» pour voir un peu de viande. Il a une basse derrière et donc ça donne du doom de Chip. Ce mec compose jusqu’à la fin, c’est brillant et crépusculaire à la fois. Quel gros pâté de pathos ! Mais il sait reconnaître les ravages de la vieillesse - Twenty years ago/ I was an old man - Mais attention, le vieux crabe est encore capable de beauté, comme le montre «Talking About Yourself» qu’il vient chanter dans le creux de ton cou, on l’entend soupirer, c’est très vivant, on entend le moindre souffle, c’est étincelant de beauté mourante, on se croirait au bazar de la Charité avec une marionnette de Cagliostro, oh c’mon here/ Put your head on my shoulder/ Don’t say a word, et il ajoute, dans un dernier râle : «You’re better off/ Not saying a word.» Il va composer jusqu’à la fin, il a des chansons plein les poches, on se passionne encore pour «The Good & The Bad», il gratte encore son fonds de commerce tout crouni, il fait son vieux Cash, mais son luxe et son avantage sur Cash est de pouvoir composer. Il a du monde derrière lui sur «Closing Time», ça swingue, idéal pour un vieux crabe aussi légendaire - You are my closing time - Et comme c’est un double album, ça repart de plus belle avec la heavy country de «Give Her Away Jonny», il continue de pousser le bouchon du Cash assez loin. Il chante «That’s What I Like About The Sky», d’une voix de mineur du Kentucky en phase finale de cancer du poumon, mais il a un petit regain romantique - I miss you/ She says: hey you/ I miss you too - C’est le côté américain des vieux branleurs, ça n’aura jamais l’élégance de «La Javanaise». Puis on voit le vieux Chip s’engluer dans sa mare aux canards avec «Planetary Scheme Of Things». Il continue de viser l’harmonie viscérale. On le voit encore rôder dans sa vieille country poussiéreuse de vieux pépère baveux («One More Dream To Go»), et il s’amuse encore à son âge à balancer des chansons parfaites de baby I love you («I Don’t Know Much»). Et puis voilà la merveille tant espérée : «Someone To Live For», qu’il semble chanter dans un dernier souffle, c’est le romantisme des grabataires, ils veulent tous avoir une poule près d’eux au cas où ils feraient un malaise. Chip chante à la vieille émotion et c’est secrètement violonné. Il n’en finit plus de se vautrer dans l’excellence compositale. On ne s’ennuie pas un seul instant.    

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             Sur la pochette de Wild Thing The Songs Of Chip Taylor, on voit le Chip tout jeune, debout près d’Al Gorgoni qui est assis au piano. Bien évidemment, les gens d’Ace ouvrent leur bon bal avec l’imbattable «Wild Thing» des Troggs, c’mon hold me tight. On retrouve aussi Evie Sands à deux reprises, avec «I Can’t Let Go» et «Run Home To Your Mama» : là tu as tout, l’Evie et l’envie d’Evie, elle est franchement énorme. Evie vit sa vie. Tu y vas les yeux fermés. Dans les liners, Chip dit l’avoir découverte au Brill, lorsqu’elle montait au 8e étage, au bureau de Teddy Vann. Evie avait alors 15 ans. Chip la repère à sa voix, wow this girl can sing ! En plus, il la trouve attractive. Il lui propose de lui écrire des chansons, alors Evie s’émoustille. Elle dit adorer bosser avec Al et Chip. Elle fait même craquer Leiber & Stoller. Mais Jackie Ross et les Hollies vont enregistrer ses hits et lui damer le pion. Evie n’aura pas le succès escompté. Ce qui frappe le plus dans cette compile, c’est la qualité des interprètes féminines : Lorraine Ellsion, Tina Mason, Merrilee Rush, Madeline Bell, Aretha et Dusty chérie, rien que des reines de Nubie. Lorraine Ellison tape «Try (A Little Bit Harder)», elle t’éclate vite fait le Bit Harder. C’est tiré de l’album Stay With Me qui, dirons-nous, est l’un des plus grands albums de Soul de tous les temps. Chip raconte qu’il a composé ce hit avec Jerry Ragovoy pour Garnet Mimms, mais Jerry lui a demandé de l’adapter pour Lorraine et bien sûr, c’est Janis qui va le populariser. Puis tu tombes sur l’«Angel In The Morning» qui donne son titre à l’album de Merrilee Rush, la chouchoute de Chips. Te voilà au cœur du mythe d’American. «Angel In The Morning» aurait dû être un hit pour Evie, mais Chips et Tommy Cogbill l’ont prise de vitesse. Le seul hit qu’Evie aura avec une compo de Chip sera «Any Way That You Want Me», qui n’est pas sur la compile : c’est la version de Tina Mason qu’ont choisie les gens d’Ace. Madeline Bell tape un fantastique «Picture Me Gone» et entre dans la légende. C’est tiré de son premier album, Bell’s A Poppin’. Pur genius encore avec Aretha et «I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face». Aretha t’explose le Chip au Sénégal, elle te groove ça vite fait entre tes reins. Chip co-signe cette merveille avec Jerry Ragovoy, et indique, précision importante, que ça date de la période Aretha pré-Atlantic - One of the best of her pre-Atlantic sides - Billy Vera compose aussi avec Chip. Ensemble, ils pondent «Make Me Belong To You» que chante Barbara Lewis. Elle tape ça au heavy groove supérieur d’open your heart/ It’s up to you. Chip adore Billy Vera - He had that R&B thing to him and a pop-ish thing in his writing - Billy Vera duette deux fois sur la compile, avec Judy Clay pour «Country Girl-City Man», et avec Nona Hendryx pour «Storybook Children». Le duo Billy/Nona est fantastique. Ils sont les rois de la soirée. Dusty chérie explose «Don’t Say It Baby», avec son pâté de foi, elle fait tout de suite autorité, et Little Eva, qui vient à la suite avec «Wake Up John», est fabuleusement américaine. Côté découvertes, on est bien servi, à commencer par The Pozo-Seco Singers de Don Williams et «I Can Make It With You», quasi spectorish, wild big pop d’époque. Chip dit l’avoir composé pour Jackie DeShannon.

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             Alors on va jeter un œil du côté des Pozo-Seco Singers, ça ne mange pas de pain. Deux albums, Time, paru en 1966, et I Can Make It With You, paru l’année suivante. Alors attention, ce sont deux très beaux albums de folk-rock à l’ancienne, produits par Bob Johnston, le mec qui produisit Dylan à ses débuts. Sur Time, il faut attendre le «Come A Little Closer» de fin de balda pour frémir un bon coup : belle country infestée des sales petites incursions de Russell Thornberry. Susan Taylor est fabuleusement sincère, douce et féminine dans «If I Fell», et puis on s’incline devant la beauté de «Tomorrow Is A Long Time», chanté aux trois voix de concorde et à la bonne franquette d’entente cordiale. Il est important de préciser que Don Williams, Susan Taylor et Russell Thornberry sont texans. Ils finissent cet épatant balda avec une cover de «Gantanamera» dévorée de baisers d’espagnolades. Ah comme ils sont fins, les Pozo ! En B, on trouve une superbe cover d’«You’ve Lost That Lovin’ Feelin’». Ils tapent dans le dur avec un feeling extravagant. C’est Don Williams, qu’on surnommait the Gentle Giant, qui mène la danse au groove masculin de who-oohh that lovin’ feelin’ - It just makes me feel like crazy/ Baby - Ils sont encore plus fins que les Righteous et ils montent à l’assaut du baby baby, à coups d’If you love me/ Love me/ Like you used to doooo, et ça monte au don’t/ Don’t/ Don’t let it slip away, ils ne montent pas complètement là-haut comme Bobby Hatfield, mais ils groovent le bring it back to me, woo-oooh. Magie pure.

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             C’est donc sur I Can Make It With You qu’on retrouve l’hit du même nom signé Chip Taylor et la belle prod Spectorish de Bob Johnston. Un vrai hit d’époque. Bizarre que les Pozo-Seco soient passés à la trappe. On se régale plus loin de «Mary Jenkins», un fast country strut attaqué comme une diligence, solide, ventre à terre, pur jus de dirt road. Le reste du balda est très friendly, très chaleureux, mais rien de notable. On retrouve l’énorme prod de Bob Johnston en B avec «Look What You’ve Done», monté comme un hit des Righteous. Mêmes dynamiques. Impressionnant ! C’est Susan Taylor qui chante «Almost Persuaded» et franchement, elle vaut toutes les reines du genre. Le coup de génie se planque au bout de la B des cochons : «Blue Eyes». Prod énorme + Russell Thornberry, ça ne peut faire que des étincelles. Il gratte ses poux en quinconce, et sonne comme une trompette mariachi. Génie sonique pur, il y va à l’espagnolade invertie et derrière, ça bat le beurre de la joie de vivre. Ce «Blue Eyes» est un cas unique dans l’histoire de la pop US : un manège enchanté. Encore merci à Ace d’avoir déterré ce fabuleux trio, via Chip Taylor.   

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             Nouveau choc émotionnel avec Walter Jackson et «Welcome Home», big voice de Welcome home my baby, c’est littéralement renversant de power. Ce blackos qui ressemble à Bo Diddley est un OKeh guy. C’est l’une des Soul balads préférées de Chip qui dit aussi adorer la version de Dusty chérie. Chip regrette de ne pas avoir rencontré Walter Jackson. Il était marié et père de famille à l’époque, il composait ses hits et rentrait vite fait à la maison. Le «My Johnny Doesn’t Come Around Anymore» de Debbie Rollins sonne comme un hit des Ronettes. Une petite black, 3 singles et puis s’en va. C’est d’un kitsch à toute épreuve. Heureusement qu’Ace est là pour nous ramener toutes ces merveilles, car elles disparaîtraient à jamais. Qui aurait l’idée d’aller déterrer un single de Debbie Rollins ?

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             Chip profite de son commentaire sur Little Eva pour rappeler que le Brill était en fait un ensemble de trois buildings : 1650 Btoadway, où il bossait, 1619 Broadway qui était le vrai Brill Building, et down one block, on the East side, se trouvait Screen Gem Music où bossaient Carole King et Gerry Goffin. Et puis tu as Stoney Edwards et «Blackbird (Hold Your Head High)», oh l’incroyable profondeur du deepy deep ! On croise rarement un cut de country Soul aussi capiteux. Cette belle aventure se termine avec Chip et «(I Want) The Real Thing» tiré de Chip Taylor’s Last Chance. Il te tape ça au nez pincé. Il a du swagger plein la bouche. Ce démon fait le yodell de real thing, un real deal de real voice, il est tellement à l’aise à Memphis Tennessee, tu le vois à l’œuvre et oh yeah !

             Tony Rounce et Mick Patrick qui conduisent l’attelage des liners concluent ainsi : «One of the greatest singer-songwriters of the past 50 years. You want the real thing? Here’s Chip Taylor.»

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             Il n’existe pas à proprement parler de littérature sur Chip. Raison pour laquelle les booklets des gens d’Ace sont tellement précieux. Le seul Chip book qu’on pourra se mettre sous la dent est son «journal de voyage», Songs From A Dutch Tour, publié en 2008. Comme il est célèbre aux Pays-Bas, et qu’il y tourne intensément, il décide d’en faire le thème d’un petit book graphique. Il est aisément rapatriable, aussi le rapatrie-t-on vite fait. Lorsqu’il arrive, on se frotte les mains. L’objet se présente bien : brave petit A5 de moins de 200 pages imprimées sur un satimat bien kaoliné. L’ensemble se veut haut en couleurs. Le graphiste devait avoir carte blanche, car il a la main lourde sur les effets de croc-en-jambes et les doubles à ressorts bruyants. Il peut même se montrer vindicatif, il trafique des photos à la recherche d’effets et joue avec la titraille comme le chat avec la souris. On se croirait parfois dans un magazine à la mode des années 90, du type The Face ou Arena, en plus ramassé. Le miam miam d’accueil laisse place à un léger désenchantement et on commence à se méfier. Cette exubérance graphique est probablement l’arbre qui cache la misère. On attaque donc la lecture avec circonspection. Comme le texte n’est pas très dense, on évalue le temps de lecture à quatre ou cinq heures, ce qui comparé à l’éternité, n’est pas grand-chose.

             Chip commence par raconter son histoire, rappelant qu’à 16 ans, il était le lead singer d’un groupe qui s’appelait The Town & Country Brothers et jouait de la country et du rockab deux fois par semaine dans les Irish bars de Yonkers, à New York. On voit aussi une fantastique photo de Chip gamin avec ses frères aussi blonds que lui et que son père, un Daddy Voight qui a des allures de dandy new-yorkais. Puis il attaque sur son alter ego Chip Taylor the gambler. On entre alors au Casino de Martin Scorsese. Chip se dit aussi obsédé par le jeu que par la musique. Gamin, il accompagne son père to his late night gin rummy games. Son père n’était pas mauvais joueur, mais Chip indique que le retour à la maison était plus joyeux quand il avait gagné. Alors il a décidé à cette époque de sa vie qu’il serait du côté des winners. C’est à peu près la seule confession qu’il nous livre.

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             Même quand il commence à gagner du blé avec ses compos, il continue chaque jour de jouer aux courses. Il séjourne parfois plusieurs semaines d’affilée au Casino d’Atlantic City, New Jersey. Il est dingue de blackjack. Il enregistre deux albums avec Trade Martin et Al Gorgoni, et en 1970, il enregistre son premier album solo, Gasoline. Quand il enregistre Last Chance pour Warners Bros, les mecs du label sont bien embêtés : «That’s a wonderful album, Chip - but it’s a country album - and we dont have a country division.»

             Quand il en a marre de subir la tyrannie des labels, il décide d’arrêter la musique pour se consacrer uniquement au jeu - I was enjoying and doing well with my gambling and I just started spending all my time on it - Mais comme il est repéré par De Niro comme «compteur de cartes», il est viré du Casino. Alors il se contente de jouer aux courses - So it was all horses for me - Mais la passion pour la musique le reprend et il veut ré-éprouver les feelings qu’il éprouvait en 1975 quand il jouait pour dit-il the wonderful Dutch people. Alors il arrête le gambling pour de bon.

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             Puis il attaque le chapitre Carrie Rodriguez avec laquelle il duette sur trois albums. Carrie joue du violon, elle accompagne Chip sur scène au Texas, il la repère et il lui demande si elle sait chanter. Elle répond qu’elle veut bien essayer quelques harmonies vocales. Chip va la former. Il adore chanter avec elle. Il sent le gros truc. Elle est très jeune et Chip a déjà des cheveux blancs. Le book grouille de photos du couple. Il la fait chanter sur «Storybook Children», ce hit énorme qu’il composa jadis avec Billy Vera et qu’on retrouve sur l’excellent album que Billy a enregistré avec Judy Clay. Chip et Carrie tournent aux États-Unis et le public les ovationne. C’est le début du duo Chip Taylor & Carrie Rodriguez. Chip ajuste les chansons pour elle et ils enregistrent l’album Let’s Leave This Town. Et paf, te voilà une fois de plus avec un big album sur les bras ! Ça grouille de duos d’enfer, de coups de génie, de country strut, de Beautiful Songs et de grosses compos. Le meilleur exemple de grosse compo est l’«You Are Danger» qu’on trouve vers la fin, un heavy balladif dramaturgique - You are trouble - il se méfie d’elle. Et sur d’autres cuts comme «Was That For Me», il chante dans ton cou, avec cet incroyable power de la proximité. Chip Taylor a du génie, ça on le sait. Mais c’est encore plus criant quand il ramène Carrie Rodriguez en studio avec lui. Il en fait une country-star en devenir. Dans le giron de Chip, elle brille d’un éclat certain. Il suffit d’écouter le morceau titre : Chip déboule et elle arrive aussitôt après. L’album démarre avec une fast-country de bonne aubaine, «Sweet Tequila Blues». Elle y va au petit sucre androgyne, la Carrie. On comprend que Chip ait craqué, et elle ramène son Texas fiddle. «Extra» sonne plus manouche, c’est elle qui attaque, suivie par un solo de jazz guitar, Chip rentre sur le tard. Cet «Extra» est d’une grandeur imparable. Ils passent à l’heavy country avec «There’s A Hole In The Midnight». Pure magie ! Carrie te fend le cœur et Chip reste d’une justesse incroyable - Girl it’s no good without you - Et voilà le coup de génie : «Storybook Children». Carrie le prend à bras le corps et ça bascule dans la magie pure. Chip arrondit les angles de la mélodie pour mieux te fasciner. Carrie est encore merveilleuse d’à-propos avec «Do You Part» - Do you part/ Don’t sing that song no more - Elle rentre bien dans le chou du lard. Toutes ses attaques sont d’une pureté sublime, comme le montre encore «His Eyes», elle arrive avec de la lumière dans la voix, c’est elle qui attaque «Say Little Darlin’» au violon country, c’est plein de vie, géré au petit tatapoum de cul serré, elle y va au sucré avarié de country star en devenir, et Chip vient faire son chaud mentor sur le tard du cut. Elle te violone encore «Midnight On The Water» comme une Tzigane du Texas, mélange parfait des saveurs avec la délicatesse des coups d’acou.

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             Le duo devient, nous dit Chip, «the top duet team in the U.S. alt-country arena.» Ils font encore deux albums ensemble : The Trouble With Humans et Red Dog Tracks. The Trouble est un petit peu moins dense que l’album précédent, mais bon, on ne va pas cracher dans la soupe. Les duos d’enfer et les coups de génie sont au rendez-vous, tiens, comme cette fast country de «Laredo», avec le souffle du violon dans la foulée, on sent le Chip de choc, le mec très abouti. Tous les deux, ils deviennent faramineux. Même topo avec «Dirty Little Texas Story», duo d’enfer enluminé par le mécanisme country de Carrie, elle chante à l’accent traînant, presque perçant. Ils font de l’art. Leur mariage de voix est sexy, plein de jus. Ils se marient encore si bien avec «We Come Up Shining», pure magie spirituelle de we come up shining yes we do. Ils s’amusent bien à mêler leurs baves. Sur «All The Rain», ils passent à la hard country dansante, grosse énergie avec Carrie et son violon virevoltant en tête de gondole. Et cette merveilleuse country titube avec «Curves & Things». Violon mal ajusté et beat country, quelle superbe déshérence !   

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             Et voilà Red Dog Tracks qui vient encore culminer au sommet de l’art country, et ce dès «Must Be The Whiskey», joli duo de rêve, le souffle chaud de Chip et le sucre éhonté de la belle Carrie. Carrie on ! Et ça explose encore à la suite avec «Keep Your Hat On Jenny», Carrie l’attaque  au violon country avec une prodigieuse énergie et elle croasse dans le brouet. Alors tu cries au loup, ça reste du très grand art. Ils bourrent bien le mou de l’intimisme avec «Oh Set A Light». Très chippy. Fantastique développé des deux voix. Chip Taylor a du génie et Carrie aussi. «Private Thoughts» est plus groovy. Le chap Chip crée encore une fois de la magie, il est même spécialiste des tours de magie, comme Mandrake. Back to the heavy country power avec «My Bucket Got A Hole In it», duetté à la peau des fesses avec un banjo in tow. Et ça peut devenir très sexuel comme le montre «I Can’t Help It (If I’m Still In Love With You)». C’est le duo country le plus romantique et le plus sensuel de l’histoire des duo country romantiques. Ils saturent le cut de romantica, ah il faut les voir mêler leurs baves. «Son Of Man» sonne comme du stuff de staff, bien propulsé au banjo ravageur. Carrie ramène sa fraise sur le tard et Chip fait des aveux - I am the son of man - elle le reprend aux chœurs et Chip se fend d’un Jesus/ He died for me.

             Chip est très mystérieux sur la nature de leur relation - When I heard her voice hit mine for the first time in Texas, she had the magic - Il précise que sa voix lui donnait des frissons. Ça ressemble donc à une relation platonique. Il dit plus loin qu’il a appris à maîtriser ses émotions pour vivre «this complicated but beautiful relationship». On n’en saura pas davantage. Puis elle va enregistrer un album solo et ira voler de ses propres ailes.

             Chip attaque ensuite le journal de voyage proprement dit et ça devient compliqué, car il passe son temps à décrire les hôtels, les restaus et à dire que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil au Dutchland. Ces pages sont d’une effarante platitude. Elles font penser aux gens qui photographient leur breakfast à Glasgow pour «le mettre sur FaceBook».

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             Le CD encarté dans la troisième de couve du Chip book est plus appétissant. Chip documente son voyage en Hollande musicalement et ce grand artiste nous réchauffe bien les portugaises, et ce dès «Red Sidewalk» et sa fantastique allure de country strut. On ne peut que se prosterner devant l’indéniable présence de big time Chip. C’est à la fois puissant, beau et raffiné, chanté au gras du menton, aw yeah. S’ensuit une Beautiful Song : «Rose Of Arnhem Town», qu’il prend à la dylanesque et avec une extraordinaire profondeur de champ. Alors tu suis Chip à la trace. Sur quelques cuts («Down By Law» et «Jack Of Diamonds/Queen of Hearts»), il sonne exactement comme le vieux Cash. Il trempe dans la même intimité de vieil homme confronté à la mort qui rôde. Alors pour se remonter le moral, il passe au boogie avec «Dorine Dorine» - You’re a big shot girl - Chaque cut accroche, par la qualité du chant et par la nature profondément sincère du songscraft. Comme Dylan, il chante ses rencontres («Song For A Dutch Girl») et te réchauffe encore avec «Mema I Miss You From Here», il chante dans ton cou et il repart en père peinard sur la grand-mare des canards avec «Faded Blue» - You broke my heat in two/ And now my skies are faded blue - Country de rêve, c’est évident. Artiste de rêve, c’est encore plus évident.

    Signé : Cazengler, Chip à l’ancienne

    Chip Taylor. The Songs Of Chip Taylor. Ace Records 2009

    Chip Taylor. The Craddle Of All Living Things. Train Wreck Records 2023

    The Pozo-Seco Singers. Time. Columbia 1966

    The Pozo-Seco Singers. I Can Make It With You. Columbia 1967

    Chip Taylor & Carrie Rodriguez. Let’s Leave This Town. Train Wreck Records 2002

    Chip Taylor & Carrie Rodriguez. The Trouble With Humans. Train Wreck Records 2003

    Chip Taylor & Carrie Rodriguez. Red Dog Tracks. Train Wreck Records 2005

    Chip Taylor. Songs From A Dutch Tour. Train Wreck Records-Ambo Anthos Publ. 2008

     

     

    L’avenir du rock

    - La Saint Valentine

             Chaque année, l’avenir du rock fuit les fêtes. Il ne supporte pas l’idée des beuveries programmées et la vue du moindre sapin de Noël lui donne de l’urticaire. Oh et puis ces cadeaux que s’offrent les gens par obligation ! L’hypocrisie sociale atteint alors son sommet. La dernière fois qu’il s’est retrouvé piégé dans un réveillon, il est allé vomir discrètement. Le bal des simagrées lui donnait la nausée. Alors pour éviter de revivre des horreurs pareilles, il prend un billet d’avion et traverse la Méditerranée pour aller marcher dans le désert. Au moins, personne n’ira l’importuner avec une invitation à réveillonner. Il se rend généralement à Ouarzazate. Dépaysement total garanti. Au lieu d’avoir à supporter la vue d’une grosse femme vulgaire dévorant des biscottes tartinées de foie gras, il jouira pleinement du spectacle de très belles femmes berbères aux visages tatoués. Comme Brian Jones, l’avenir du rock est fasciné par ces femmes qu’on dit légères. Elles seraient à ce qu’on dit tatouées sur tout le corps. Alors il se renseigne auprès du guide qui doit l’emmener dans le désert. Celui-ci s’empresse de confirmer les rumeurs :

             — Oh oui, Sidi avenil, li joulies gazelles al portent di tatouages sul tout le corl, tooooout le corl, mais si tou veux voil li tatouazes sul toooout le corl, faut donner beaucoup dilhams.

             Cette information pique la curiosité de l’avenir du rock. Le Baudelairien qui sommeille en lui s’éveille.

             — Bon c’est d’accord. Mais je reviendrai au mois de février avec un bouquet de roses blanches.

             La perplexité qui fige le visage du guide amuse beaucoup l’avenir du rock.

             — Ne fais pas cette tête-là Omar ! Chez nous, on fait la cour aux femmes avec des roses, pas avec des dirhams. C’est pourquoi je reviendra à la Saint-Valentine.

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             L’avenir du rock fait coup double : il rend à la fois hommage au romantisme baudelairien et au last dandy on earth, Billy Valentine.

             La parution du nouvel album de Billy Valentine est un autre coup double : retour d’un vétéran du groove avec un album produit par Bob Thiele Jr, fils du fondateur de Flying Dutchman, label légendaire qui du coup refait surface, associé à l’aussi légendaire Acid Jazz. Sur Flying Dutchman, on trouvait autrefois des géants du groove du calibre de Leon Thomas et de Gil Scott-Heron.

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             Billy Valentine & The Universal Truth est surtout un album de covers. Billy Valentine ne tape que dans le haut du panier, à commencer par un vieux hit de Curtis Mayfield, «We The People Who Are Darker Than Blue». Tu as tout de suite le deep groove du we the people d’Acid Jazz, et ça tourne très vite à la merveille inexorable, soutenue par une stand-up de round midnite. Tu te cales bien dans le groove et tu flottes. Billy revient au chant suspensif après un solo de sax free d’une rare virulence. Il enchaîne avec l’«Home Is Where The Hatred Is» de Gil Scott-Heron. Il est important de préciser à ce stade des opérations que Billy est un black engagé. Dans une courte interview donnée à Uncut, il dit chanter en mémoire du pauvre George Flyod dont un policier blanc a écrasé la gorge en direct devant les caméras du monde entier, histoire de rappeler que les pigs haïssent toujours autant les niggers. Rien ne changera jamais. Billy tape le Gil en mode heavy groove d’Acid Jazz. Il vise le deepy deep absolu, ca voix résonne dans le fond du groove urbain, c’est à la fois fantastique et plein d’esprit, d’une extrême finesse. Il lève le poing pour attaquer «My People...Hold On» d’Eddie Kendricks, c’est embarqué aux clameurs de gospel, Billy se fond dans l’épaisseur du groove, les chœurs sont là et ça prend une ampleur sidérante. «My People...Hold On» sonne comme un prodigieux appel à l’émeute. Ça groove heavily au tampani - My people ! - Il a raison de rameuter les foules. Retour au calme relatif avec l’«You Haven’t Done Nothin’» de Stevie Wonder. C’est slappé de frais au round midnite. Ce vieux Billy est extrêmement intrinsèque. Comme Bobbie Gentry, il sait entrer sous la peau. Et paf, alors qu’on ne s’y attendait pas, il tape dans l’intapable : «The Creator Has A Master Plan» de Pharoah Sanders et Leon Thomas. Il est le seul avec Jeffrey Lee Pierce à savoir monter un coup pareil. Sa mouture est visitée par la grâce et le slap de Linda May Hang Oh. Pure magie - There is a place/ Where love will always shine - On nage en plein mythe, dans l’excelsior de l’aboutissement, là tu dérives au gré des vagues. Tu as même un solo éclaté dans l’éclat de Jeff Parker. Sax du diable ! Ces mecs te réinventent l’extase. Billy tape ensuite le «Sign Of The Times» de Prince. C’est pas aussi jouissif que le Pharoah. Le Sign sonne trop comme un groove à la mode, il ne dégage pas autant de chaleur que le Creator. See what I mean ? À la mode. Si c’est pas ton monde, c’est pas ton monde. Comme Graham Bond, Billy saute à pieds joints dans le «Wade In The Water». Retour au vieux rootsy de gospel batch. Idéal pour des groovers aussi invétérés. Billy y va doucement. Un solo de jazz illumine la scène. Toujours Jeff Parker. Ce démon de Billy sait driver son Wade. Il termine avec «The World Is A Ghetto», vieux hit politique de War. Billy reste terriblement impliqué.

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             L’actualité fait parfois bien les choses. Voilà que paraît ces jours-ci This Is Flying Dutchman 1969-1975, une brave petite compile BGP, un label qui est, comme chacun sait, une filiale d’Ace. En réalité, cette compile est un festin de roi. Rien qu’avec le «Friends & Neighbours» d’Ornette Coleman, t’es repu. Repu de son et de modernité. Wild urban groove, tapé aux chœurs du quartier. T’es dans le vrai. Ornette le crack chasse les vieux démons. Et puis tu as Leon Thomas, avec «Just In Time To See The Sun», fast groove flanqué d’excellence, bassmatic, sax, piano, tout est enclenché pour le pire du meilleur, tu en avales ta gourme, et puis «Echoes», où Leon ramène sa flûte de Pan, il selle son cheval, yeahhh-hiiiin eh-hiiin ouuuh ! Il tape son groove en père peinard, il yodelle à la surface d’un océan de classe. Quelle merveille ! Leon est un sérieux client, il ne fait pas les choses à moitié. Il s’investit à fond, et là tu as tout : le yodell, le groove, les contretemps pianotés dans l’entre-deux, c’est assez dément et même complètement génial, yeeh ooohh oouhh ! L’autre grosse pointure du Dutchman c’est comme on l’a dit Gil Scott-Heron. On le retrouve avec deux cuts politiques, «The Revolution Will Not Be Televised» et «Withey On The Moon». Il se fout de la gueule des petits culs blancs cosmonautes. Il a raison. Il a aussi raison de penser que  la révolution ne sera pas télévisée. Il parle de son temps, ça ne concerne pas George Flyod. Aujourd’hui, les choses sont plus automatiques. Une flûte suit Gil dans sa diatribe. C’est très seventies, avec un sens aigu du groove et des boots qui a depuis longtemps disparu. L’autre tête de gondole du Dutchman, c’est Lonnie Liston Smith & The Cosmic Echoes. Lui aussi a deux cuts, «Expansions» et «Peaceful Ones». Avec Lonnie, ça monte tout de suite au paradis. Il te fidélise avec un son parfait, beau et groovy. Quelle quiche ! Il joue son «Peaceful Ones» aux notes épaisses et comme suspendues dans l’air, il use et abuse de son charme, on comprend que les gens d’Ace aient flashé sur lui. Avec «Expansions», il sonne comme un universaliste. Il a tous les atouts, il bouillonne de vie, il flûte son élan surnaturel et le pique de percus du diable. Pur genius ! Un vrai voyage au charmant pays du groove. Ça s’écoute comme du petit lait. Et puis tu as des artistes moins connus comme Cesar avec «See Saw Affair», latin jazz funk group de San Francisco, avec une certaine Linda Tellery au chant. Quelle santé ! Itou avec Esther Marrow et «Peaceful Man», une vraie voix, elle ramène un sacré paquet de pathos, Esther a le power ! Le Black Power ! Tu la suis les yeux fermés. Magnifique artiste ! Gato Barbieri est plus connu, Gato est même la cerise sur le gâtö du latin groove, le voilà avec «Bolivia», il te fait l’exotica du diable, il n’a pas son pareil pour t’entourlouper. Si tu l’écoutes, t’es baisé. Nouveau coup de semonce avec Harold Alexander et «Mama Soul». Ce mec est un fou. Il attaque à  la Méricourt de flûtiste. Il souffle dans sa flûte, on croit qu’il chante, non, il groove son biz. Il est un peu barré, il sonne comme Screamin’ Jay, sur fond de beat sec et sérieux. Encore une merveille : le «Soulful Strut» de Steve Allen, monté sur un bassmatic digne d’Archie Bell. Même pulsion. Encore de l’universalisme à la Dutchman. Tu sors de là épuisé. 

    Signé : Cazengler, Valentinette

    Billy Valentine & The Universal Truth. Flying Dutchman/Acid Jazz 2023

    This Is Flying Dutchman 1969-1975. BGP Records 2023

     

     

    Anagonda

     - Part Two

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             D’une certaine façon, on l’attendait comme le messie. Jalen Ngonda est de retour sur la petite scène, accompagnée cette fois par une belle triplette de petits culs blancs.

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    Et c’est vite embarqué pour Cythère, il gratte une Jaguar et place ses parties vocales au sommet d’un art qu’on appelle la Soul. Et lui, il fait déjà partie des géants du genre. Inspiré par Sam Cooke et Marvin Gaye, mais il amène autre chose, une espèce de puissance dans le falsetto. Le petit Jalen de miséricorde est déjà un chanteur accompli. Tout est parfait en lui : sa présence, sa silhouette, sa discrétion vestimentaire, et même une certaine forme d’humilité. Comment un mec aussi gentil peut être aussi doué ? C’est le genre de question qu’on peut se poser, quand on ne sait pas quoi penser. Comment un jeune black sorti de nulle part peut-il éclater ainsi au grand jour ? Une chose est certaine : on assiste à l’avènement d’une authentique superstar. Il dispose de toutes les mamelles du destin, la voix, les compos, la silhouette. Il incarne cet équilibre recherché par tous les apprentis sorciers, celui qui s’établit entre le spirit et le look, c’est-à-dire le talent et la présence. Jeune, il est déjà parfait. Le fait qu’il gratte une gratte ajoute encore à son prestige. Il gratte un son de clairette discret mais présent.

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    Lorsqu’il gratte un barré, deux de ses doigts dépassent du manche. Il attaque son set avec «Rapture», épiphénomène de Soul des jours heureux, et très vite, il va rendre hommage à Eddie Kendricks avec une cover de «Day By Day». C’est à couper le souffle. Puis il va enfiler ses hits comme des perles, «Give Me Another Day», «Come Around And Love Me», «Just Like You Used To» et finir avec «If You You Don’t Want My Love», avant de revenir pour un rappel en forme de cerise sur le gâtö : il va duetter avec MT Jones une version extraordinaire d’un vieux hit d’Aaron Neville, «Tel It Like It Is». Si tu aimes la magie, elle est là. Cut parfait repris par deux voix parfaites qui vont chercher l’unisson du saucisson. Au-dessus, il n’y a plus rien.

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    C’est un peu comme lorsqu’on monte juste au-dessus des nuages : à part l’infini, il n’y a plus rien. C’est en gros ce que propose Jalen Ngonda sur scène, une sorte d’accès à un infini de pureté marmoréenne. Comme l’ont fait avant lui Aaron Neville, Sam Cooke, Marvin Gaye, Eddie Kendricks et quelques autres. 

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             Le voilà lancé, le petit Jalen de miséricorde. Comme son premier album sort sur Daptone, il risque de devenir vite fait une star internationale. Come Around And Love Me s’ouvre en plus sur un coup de génie, le morceau titre, un shoot de fast Soul édifiant. C’est du Sam Cooke propulsé dans le futur, il chante avec une niaque extra-sensorielle, tu crois rêver tellement c’est pur et dur, groové dans l’essence même de la Soul. Le petit Jalen s’enracine dans Sam Cooke et Marvin, mais en plus puissant. Daptone, baby ! «If You Don’t Want My Love» est bourré de son. Il chante comme un dieu black, au registre le plus pur. Il perd la magie pendant deux ou trois cuts et elle revient avec «Just Like You Used To». Te voilà au paradis, caressé par un solo de sax. Pur génie de black groove. «What A Difference She Made» est d’une beauté purpurine. Le petit Jalen est un magicien, il a tout le savoir de Daptone derrière lui, c’est immensément beau. Le frotti du siècle ? Va-t-en savoir. Avec «Give Me Another Day», il tape la Soul des jours heureux, il te colle littéralement au plafond, il faut le voir pulser son give me/ Just one more day ! Il termine cet album somptueux avec «Rapture», un autre shoot de Soul des jours heureux. Il rentre bien dans ses godasses de superstar. Ah il faut entendre ce power, en plus c’est orchestré à outrance, violonné, avec des percus, et le petit Jalen se glisse au centre de cette Soul monstrueuse d’éclat et de beauté. C’est franchement digne de What’s Going On, oui ils sont dans ce trip.

    Signé : Cazengler, ngondale à Venise

    Jalen Ngonda. Le 106. Rouen (76). 25 mars 2024

    Jalen Ngonda. Come Around And Love Me. Daptone Records 2023

     

    Inside the goldmine

    - Rich comme Crésus (Part Two)

             Roch ne portait qu’un seul tatouage : Arzach chevauchant son Ptéroïde, un personnage que dessina jadis Moebius. Il le portait sur l’épaule et le montrait rarement. Seulement s’il t’avait à la bonne. Roch courait chaque jour, il pouvait courir le marathon. Il était beau et aurait pu faire du cinéma. Il était drôle et aurait pu remplir des cabarets. Il aimait surtout pêcher, et par goût du danger plus que par nécessité, il braquait des banques. Commet étions-nous devenus amis ? Par le plus grand des hasards. Un hasard qui se perd dans les minutes du sable mémorial. Toujours est-il qu’on fut pendant un temps inséparables, on papotait jusqu’à l’aube dans ce bar de Montparnasse ouvert toute la nuit, ça allait des aventures hilarantes de Gégé le Glaçon au gros pif de McClure dans Blueberry, des souvenirs du chimiste de la French Connection aux exploits d’un Red Baron recyclé dans la bataille de Midway, et si il évoquait le souvenir de Dan Lavini, alors on s’étranglait de rire, puis pour se calmer, on allait aux gogues rouler l’un de ces gros joints dont il était tellement friand, et alors que le soleil trahissait une aube bien pâle, on se retrouvait tous les deux sur le trottoir à humer le vent pour choisir une direction. On repartait généralement vers Vincennes où se trouvait sa planque. Puis il allait courir dans le bois pendant deux heures, revenait se doucher et on retournait déjeuner en ville. Il sortait d’un sac de sport une grosse liasse qu’il aimait à rouler sous un élastique, comme le font les gangsters de Scorsese. Il achetait des bijoux et du parfum pour sa copine mauricienne qui était aussi call-girl, et on allait s’asseoir à la Fnac des Halles, parmi les gamins, au pied des étagères du rayon BD, pour feuilleter les Passagers du Vent de François Bourgeon, les McCoy de Palacios et toutes ces aventures de Corto Maltese dont on ne se lassait pas et qui semblaient lui servir de modèle. Au point qu’un jour Roch décida de quitter Paris pour les mers du Sud. Nous nous revîmes par le plus grand hasard au bar d’un «hôtel» de Fort-Dauphin, au Sud de Mada. Une barbe hirsute lui dévorait le visage. Son regard était encore plus clair qu’avant. Il était torse nu sous une veste de treillis et portait à la ceinture une machette dans son étui. Un immense sourire lui éclaira le visage et il croassa : «Alors chaumier, Tsi-na-pah vu Mirza ?» 

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             On l’a bien compris, Roch et aussi riche que Rich. Ils ne courent pas le même genre d’aventure, mais au fond, si on y réfléchit bien, c’est tout comme.

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             Rich entra dans le circuit avec le premier album des Black Halos qui date de 1999 et Tsi-na-pah de titre. La boîte est toute noire, comme Mada. «Shooting Stars» plante le décors : niaque canadienne allumée aux lampions. C’est chanté sale. Volonté affichée de déplaire. Ça chante au dégueulis et ça part aux chœurs d’Irish pub, avec des oooh très Dollsy. On voit bien que ces Canadien écoutent les bons disques. C’est assez explosif car Billy Hopeless chante dans la chaudière. C’est vrai que leurs pluies d’accords sont connues comme le loup blanc. À l’époque, ça finissait par devenir ennuyeux, car trop prévisible. Beaucoup de groupes avaient le même son. Tout est chanté au punk puke. C’est un choix politique. Ils finissent par convaincre avec «Sad Boy». Ils sont là pour de vrai. Toutes les envolées sont conditionnées dans les meilleurs termes. Ce Sad Boy finit par te traverser le corps. On s’attache à eux. C’est plein de vie. Ils restent dans leur schéma d’heavy rock allumé avec «Fucked From The Start». C’est solide comme un bastion de Vauban. Leurs cuts sont de vraies forteresses. On assiste à une belle descente au barbu dans «The Ugly Truth». Ils vont vite et bien. Bravo les Halos ! Au final, ils ne sont pas loin des Pistols. Hopeless dégueule bien son ugly truth. Ils attaquent «No Road Of Dreams» à la cisaille et s’embarquent dans un petit hymne romantique de bras tatoués.  

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             The Violent Years paraît en 2001. Ils annoncent la couleur avec trois belles dégelées, «Jane Doe», «Underground» et «No Class Reunion». Ils sont dans un trip de type heavy blast. Il faut bien sûr les encourager. Ils sont assez irréprochables. Ils savent monter un cut en neige, pas de problème. Killer solo flash of course. Tu ne peux pas arrêter «Underground», car c’est battu au heavy beat des Halos. C’est contre-claqué sous le boisseau de Vancouver et ça monte assez vite en température. Ils développent une belle intensité en cœur de cut avec des chœurs de Dolls et de belles envolées. Le «No Class Reunion» de fin de parcours bat bien des records de wild as fuck. C’est plein comme un œuf. Ils maîtrisent aussi le Punk’s not dead comme le montre «Last Of The 1%Ers». Leur tapenade d’heavy blast splurge bien dans la barquette. Ils se servent du one per cent pour lancer l’assaut, one per cent oh oh ! On croit entendre des punks anglais. Ils sont fiables, avec des belles guitares de Vancouver. «Sell Out Love» est vite débloqué. Là tu as tout le Halo. Ils déboulent à perdre haleine. Mais trop vite. Ils collectionnent tous les clichés, mais avec du son. 

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             Rich ne joue pas sur We Are Not Alone, paru en 2008, mais on l’écoute quand même. Deux cuts te sautent dessus dès que tu franchis le portail : «Princess St Princess» et «Migraine». Le Princess est monté sur un riff vainqueur. Ça tend vers la popwer-pop mais avec du Halo plein les mirettes, comme dirait Venetta. Et bien sûr tu as le killer solo flash en prime. «Migraine» bénéficie d’une belle entrée en lice. Ils ont de l’élan à revendre et n’ont donc pas besoin d’en prendre. C’est orienté vers l’avenir avec des zones de slinging radieuses. Saluons aussi «Love & War» qui est monté sur un riff prévalent d’une grande efficacité, et le morceau titre, coiffé par des chœurs de punks anglais, oh-oh-oh ! En B, tu te pencheras sur «Dreamboat», à cause des belles clameurs de chœurs et d’un solo radieux mais tu finiras par te lasser du chant de Billy Hopeless.

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             En 2008, on retrouve Rich dans les Loyalties avec l’ex-Yo-Yo’s et futur Professional Tom Spencer. Déterré dans un bac de Born Bad avec un cri vainqueur, So Much For Soho tient bien ses promesses. Aussitôt le «Jimmy Does» d’ouverture de balda, tu te sens en terrain conquis. Tom Spencer chante bien sous son boisseau de Soho, il a derrière lui des riches grattes de Rich et de Lee Jonez. Les Loyalties tapent dans une sorte d’overall du premier Clash, typique du back alley et du mur de briques, avec un solo à la Thunders in tow. Ils jouent la carte du power à tous les étages en montant chez Kate, «5 Aces» bénéficie d’une belle intro en forme de riff vengeur, c’est très punk anglais, avec une pression continue de chœurs de lads. Encore une grosse intro pour «Soho». Que de son, my son ! «The Girl Upstairs» qui ouvre le bal de B file au drive d’excelsior. Ah comme c’est bon d’avoir deux grattes in tow. Tom Spencer se régale. Ils flirtent avec les Ronettes en intro du «12th Bar Blues» et ça vire inopinément Clash reggae. «Ain’t Love A Drag» sonne comme un hit fabuleux avec son intro de clairette abîmée, puis ça monte dans les vertiges de l’amour.

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             Rich ne joue pas non plus sur le premier album des Yo-Yo’s paru en l’an 2000, mais comme on vient de saluer Tom Spencer, on va écouter ce fantastique album nommé Uppers And Downers. Démarrage en trombe avec un premier coup de génie, «1000 Miles From Me» - Oooooh the mess I’m in - Boom, vrai punk-rock à l’ anglaise avec des vieux relents de Mick Green. Il y a du «Please Don’t Touch» là-dedans, et forcément du Wildhearts, puisque c’est Danny McCormack qui monte le coup. Les Yo-Yo’s sont les rois de la grosse cocote («Time Of Your Life» et «Champagne & Nakedness»), la cocote qui te scie les tibias, et avec «Sunshine Girl», ils t’emmènent faire un tour au Brill. Belle bête de power pop avec des chœurs de Dolls. Mais c’est «Rumble(d)» qui va t’emporter la bouche. Intro de basse McCormique demented : c’est le proto-punk du punk anglais, vingt ans après la bataille. L’«Out Of My Mind» qui ouvre le bal de la B sonne comme un hit sixties d’une fabuleuse ampleur, you got me out of my mind, ils récupèrent tout le power de Sweet. On termine ce petit tour d’horizon avec «Trample In You» chanté à deux voix, comme s’ils étaient à chaque bout de la rue, Tom Spencer d’un côté, et Danny de l’autre. C’est surnaturel de power.

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             Le deuxième album des Yo-Yo’s date de 2005 et s’appelle Given Up Giving Up. On y trouve le trio fatal Rich Jones, Danny McCormack et Tom Spencer. C’est justement Tom Spencer qui chante le morceau titre d’ouverture de bal, un heavy slab de va-pas-bien. On reste au cœur du London punk de black leather, de tattooos et de McCormack, c’est-à-dire les Wildhearts. Les Yo-Yo’s font un fast rock sans incidence, juste joué aux heavy chords de circonstance. Ils se contentent tout simplement d’enfoncer leur clou. Ils ont un beau marteau, c’est sûr. Au fil des cuts, on les voit s’embourber dans un non-disk. Aucune étincelle à l’horizon. Ça sent la soute. Pas d’idées. Rien à voir avec le premier album. On s’en doutait un peu, mais sans trop savoir. «AA Holidays» reste sans espoir. Pas de compo à l’horizon. Ils font leur small jive de London town à la petite semaine. Du son, c’est sûr, mais pas d’éclat. Ils tapent même un balladif à la mormoille («Tattoos Don’t Last Forever») au vieux gratté de cocote underground. Encore une fois, c’est loin d’être la compo du siècle. Ils se contentent de faire leur joby jobah. Et alors qu’on ne s’y attendait plus, voilà enfin une bonne surprise : «The Rock’n’Roll Commandments». Power ! Tom Spencer égrène les commandements, il rappelle toutes les règles de base, play it loud, shoot up, le 5, c’est la guitah, wild affair, le 6, c’est le trash, le rock’n’roll way, ça donne au final un hymne infernal, un hymne à la légende des morts, Jimi Hendrix et tous les autres.

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             Sorry & The Sinatras sont les rois du hell-raising. Avec Highball Roller, ils raisent tout l’hell de l’immaculée conception. Aucun espoir de rédemption. Inutile de venir se plaindre. «Burns City Burns», c’est du blast définitif. Derrière eux, l’herbe ne repousse pas. Rich adore participer à des projets inflammatoires. Sorry est très en colère, mais c’est une colère déjà entendue mille fois. Avec «No Angels», les Sinatras s’élancent par-dessus les falaises. C’est donc gueulé par-dessus la jambe. Belle ampleur, avec des clameurs déflagratoires. Ils prennent soin de rester très Yo-Yo’s, très Wildhearts, très clameur d’Elseneur. Leur heavy power-pop est excellente. Ils jouent «Gimme More» ventre à terre. Mais comment font-ils pour claquer un thème à cette vitesse ? «Hated Heart» pourrait très bien figurer sur un album des Wildhearts. C’est heavy et bien remonté des bretelles. Ces mecs n’ont aucune pitié pour les canards boiteux. Ils brûlent leurs dernières cartouches avec un panache certain. «Junkie» sonne comme un coup de génie - I don’t want to be a fuckin’ junkie anymore - Ils te stoppent ça avec une facilité désarmante et te fondent les chœurs dans la clameur. Ah ça gratte sec ! «So Far From Home» sonne comme du fast punk’s not dead, chanté à l’hot as hell, ça grimpe sur les barricades. Voilà le blast à l’état le plus pur. Un vrai joyau. Ils terminent avec un «She’s So Vaudedeville» bouffé tout cru. Tu ne t’y attends pas. C’est de l’overload d’overlard, aw my Gawd, ils dégoulinent de partout, ils te gavent comme une oie avec leur beat des forges, t’as intérêt à être solide pour écouter ça, ils te punchent les neurones avec des effets pervers de séduction, ils te groovent un savant mélange de caillasses et de charbons ardents.   

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             En 2003, Rich enregistre Bullets For Dreamers avec John Ford. Ils sont quatre. Look perfecto et cheveux noirs de jais. Son d’époque. Assez puissant. Pas des inventeurs. Bons poux. Bon boisseau. Mauvaises intentions. Belle interaction entre poux et bassmatic. Il faut attendre «(Gone Is The) Freedom Train» pour entendre un hit. Chanté à l’aigu rocky. Hit inconnu. Clameur. Qualité du chant. Allant de l’allure. Fil mélodique. Solo constrictor. Manières florentines. Encore un hit : «Roads Ahead». Amené au gratté de glam, à la cocotte de downtown. Clameur viscérale. Rich ne fait JAMAIS n’importe quoi. «Ass Gass Grass» se lance à l’assaut du rock. Wild attack. Ces mecs sont brillants. L’un d’eux chante «How ‘Bout You» avec des accents de Steve Marriott. En plus sucré. Très anglais. Très inspiré. Sucre parfait. Une vraie révélation. Retour du sucre dans la démonologie expansive de «Misery». Niaque épouvantable. Chœurs de Dolls. C’est si Rich ! Ils claquent «Armagideon Time» au big power-poppisme de Vancouver. Excellent. Fin de partie avec «Burn Away», stoogé dans l’oss de l’ass. Retour du petit sucre. Wild energy. À la vie à la mort. Dévasté de part en part. Poux des Stooges. C’mon efflanqués. Break de can you feel it. Ça joue avec le feu. Ça tente le diable, cumon !, il y va le petit sucre, il prépare l’assaut final. One two three four. Explosion ! Burn away ! Ça vaut tout le Raw Power du monde. Le Burn Baby Burn n’a aucun secret pour John Ford.

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             Autre side-project de Rich : Mutation, l’un des groupes de Ginger Wildheart et l’Error 500 sonne comme un passage non obligé. C’est un album d’ultra-hardcore complètement déstructuré et donc déstructurant.

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             Le Dark Black de Mutation III est lui aussi très concassé. Ginger est dans le bain, mais Rich n’y est pas. On peut qualifier le son de wild trashcore. On connaît le goût de Ginger pour l’overblast. «Toxins» est overblasté dans la masse. Avec «Devolution», ils courent ventre à terre sur l’haricot de la clameur d’apocalypse. Ces gens-là n’ont ni dieu ni maître, il faut le savoir. Ils ne respectent rien. Ils ne sont rien d’autre que des sales petits voyous. On sauve le «Skink» d’ouverture du bal de B, car l’ultra-bast est beau comme un dieu de l’Antiquité, Ginger te chante ça dans les clameurs du diable. Genius fumant et rougeoyant. Ginger imprime encore sa marque avec «Hate». Il va par là, alors tu vas par là. C’est un mec que tu suis, quoi qu’il fasse. De toute façon, ses clameurs sont toujours magistrales. Et son «Victim» est épuisant de violence. On croit entendre les orgues de Staline. Les textures de «Dogs» sont d’une infinie richesse. Ginger multiplie les complexités.

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             Rich fait désormais partie du groupe de Michael Monroe, avec Sami Yaffa et Steve Conte. On a déjà dit ailleurs tout le bien qu’on pensait des albums de ce super-groupe. Le dernier s’appelle I Live Too Fast To Die Young et date de 2022. C’est même l’un des grands albums de 2022.  Ils sont capables de fast rentre-dedans comme le montre «Young Drunks & Old Alcoholics». Ils adorent le beat qui rebondit, le son saturé de poux et le bassmatic élastique. Monroe en pince aussi pour les balladifs comme «Derelict Palace». Il est utile de préciser que Rich compose la plupart des cuts. On ne saura jamais qui de Rich ou de Steve Conte prend les solos, mais on s’en fout. On se régale de les voir ensemble. Nouveau shoot de fast gaga-punk signé Rich avec «All Fighter». Jolie pirouette de Conte et ça finit en clameur extraordinaire. Puis avec «Everybody’s Nobody», ça bascule dans le génie. Ça joue à la pure clameur d’Elseneur, avec des power chords liquides - Goodbye Piccadilly/ So  long Leceister Square - Ils ont le liquide du Teenage Fanclub, ils ont cette facilité extraordinaire d’emmener leur refrain par dessus les toits. Encore du pur power avec «Can’t Stop Falling Apart» - Nothing comes from nothing - C’est saturé de poux et de clameur - So I’ll keep on running - Vraiment digne des Heartbreakers. Ça sonne comme un hit inter-galactique chanté à toutes les voix. On le réécoute, tellement c’est puissant, il est rallumé aux carillons. Preuve qu’on peut encore pondre des hits à base de boogie rock - Singing from the heart/ Won’t you pick me up/ Cause I can’t stop falling apart - «Pagan Prayer» est un beau slab de Punk’s Not Dead, leur cœur de métier. Cut de Conte. File ventre à terre. Ils tapent leur morceau titre au heavy power rock. C’est leur dada. Ils s’ébrouent, couplet après couplet, ça décroche dans la montée à coup de killer solo flash. Ils ne savent faire qu’un chose : monter en neige. 

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             Rich file aussi un coup de main à son collègue Sami Yaffa qui décide d’enregistrer un album solo, The Innermost Journey To Your Outermost Mind. On y trouve deux belles énormités, à commencer par l’«Armageddon Together» d’ouverture de bal. Forcément bon car forcément Rich. Poux incendiaires d’un nommé Christian Martucci. Yaffa chante à la surface du lac de lave - Street brawling Jesus - L’autre belle énormité s’appelle «Germinator», un fast gaga arrosé de coups d’harp de Michael Monroe. Rich fait les backing vocals. Fantastique énergie, avec des chœurs de GERMINATE. Yaffa adore le dub. Il en colle un peu partout. Il rappelle qu’il est bassman. «I Can’t Stand It» est une petite merveille de congestion, et il attaque «The Last Time», fast pop bien chargée de la barcasse, avec une allure de petit voyou, mais ça ne marche pas. On ne le prend pas au sérieux. 

    Signé : Cazengler, nouveau Rich

    Black Halos. The Black Halos. Die Yound Stay Pretty Records 1999

    Black Halos. The Violent Years. Sub Pop 2001

    Black Halos. We Are Not Alone. I Used To Fuck People Like You In Prison Records 2008

    Loyalties. So Much For Soho. Devils Jukebox Records 2008

    Yo-Yos. Uppers And Downers. Sub Pop 2000

    Yo-Yos. Given Up Giving Up. Undergroove 2005

    Sorry & The Sinatras. Highball Roller. Undergroove 2009

    John Ford. Bullets For Dreamers. The Bumstead Records Company 2003

    Mutation. Error 500. Ipecac Recordings 2013

    Mutation. Mutation III - Dark Black. Round records 2017 

    Michael Monroe. I Live Too Fast To Die Young. Silver Lining Music 2022

    Sami Yaffa. The Innermost Journey To Your Outermost Mind. Cargo Records 2021

     

    *

    Route Of Rock. Parfois j’ai des remords. Je ne dors plus, j’ai des sueurs froides, j’ai chaud, j’ouvre la fenêtre, je m’impatiente, je m’énerve, je prends mon fusil à lunettes, je tire sur deux ou trois passants innocents qui passent, ils agonisent dans d’atroces souffrances,  ça leur apprendra à vivre, malgré cela lorsque je m’éveille au petit matin la même question me turlupine, si je m’étais trompé dans la dernière chronique, j’ai cru ce que j’ai lu, mais je n’étais pas présent, je dois en avoir le cœur net : quel a été le premier disque de rock français enregistré ? Alors je prends mon trench-coat orange et je pars mes deux limiers fureteurs sur les talons, je farfouille, je mène l’enquête… Oui, je sais il y a peut-être des problèmes plus graves dans le monde, mais en êtes-vous vraiment sûrs ?

             Ne me dites pas que je ne serai pas plus sur les lieux du crime cette livraison-ci que dans la 641 de la semaine dernière, je sais, mais là je ne m’embarque pas sans biscuits, j’ai une liste de trois suspects dans ma poche, arrêtez de me faire perdre du temps, je commence illico. Pour vous éviter une chronique fastidieuse, je me suis limité aux opus sortis en 1958 et 1959.

    GABRIEL DALAR

             Celui-là ce n’est pas un ange. Un passager clandestin du rock français. D’ailleurs il n’est même pas français. Gabriel Uribe est né à Bogota, il possède une double nationalité : colombienne et suisse. L’est né en 1936, comme Claude Piron, un an après Elvis. Un mauvais point pour lui : rôde dans les milieux du jazz parisien. Un personnage assez interlope, la preuve il aggrave son cas : subit la mauvaise influence de Boris Vian, de Michel Legrand et d’Henri Salvador qui ont en 1956 commis le crime inexpiable de produire un 45 tours quatre titres, sous le nom d’Henry Cording… dans le but avoué de se moquer du rock’n’roll ! Un crime ai-je dit, la preuve :  Dieu ne leur pas pardonné, il les a punis, sont tous morts maintenant, ils rocktissent en enfer. 

             Gabriel n’a enregistré que deux disques, attendez l’histoire n’est pas finie.

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    DOCTOR MIRACLE

    GABRIEL DALAR ET SES CHANSONS CHOC

    (460.602 ME / 1958)

    Attention les trois premiers titres étaient déjà sur le deuxième microsillon de Claude Piron sorti en  septembre 58. Par contre pour l’orchestre ils ont fait appel à Alain Goraguer, un complice de Boris Vian, ils ont écrit ensemble La Java des Bombes atomiques et Fais-moi mal Johnny. Musicien classique il se spécialise en piano-jazz. Compositeur, arrangeur, orchestrateur on le retrouve sur un maximum de disques des yéyés, de Gainsbourg et de Bobby Lapointe. S’est aussi adonné à la musique de film… Il a disparu en février 2023.

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    Le recto de la pochette joue sur le dessin d’humour, l’est signé Jean Feldman issu de l’agence Publicis qui deviendra fondateur de l’agence de pub FCA qui trustera un maximum de contrats pour les grandes marques, que je vous conseille de ne pas acheter, le verso a beaucoup de gueule, Gabriel Dalar l’ouvre en grand, indubitablement rock ! Ne vous fatiguez pas les méninges pour tenter de percer l’identité de cet Anatof de Raspail le scribe qui signe le petit texte de présentation passe-partout format timbre-poste. Boris Vian n’aime pas trop que son nom soit mêlé avec cette sous-musique pour dégénérés  qu’est le rock’n’roll.

    Doctor Miracle : pas de miracle, Alain Goraguer n’est pas Jany Guiraud son accompagnement tire-bouchonne gentiment, il ne décapsule pas au sabre d’abordage et malgré la promesse rectale de la photo Dalar n’a pas un organe aussi puissant que celui de Claude Piron. Hé, You-la : le Dalar ne fonce pas dans le lard, chante à l’ancienne, il interprète le texte, l’ensemble n’est pas mauvais, l’attraction Goraguer ne chôme pas, nettement supérieur au morceau précédent, un seul ennui ce n’est pas rock.   Viens : c’est ce que j’appellerai une imitation, pour les premières mesures, ensuite ça se perd, heureusement que de temps en temps vous avez un sax qui vient mettre une giclée de sang vif dans l’omelette. Le Goraguer il met des bibelots partout, c’est mignon mais l’on attend une tempête qui vienne tout casser. Dalar est bien gentil, mais vous comprenez pourquoi l’ouragan ne vient pas. Croque-crâne- creux : pas mal comme titre, l’est de Boris Vian, une adaptation de Sheb Wooley, champion de rodéo, il tournera dans une quarantaine de westerns et pas des moindres : Le train sifflera trois fois, Johnny Guitar, Josey Wales Hors-la-loi, mènera aussi une carrière de chanteur country, l’enregistrera en 1958 Purple People Eater, une parodie rock’n’roll. Le meilleur titre du disque, une bonne imitation de l’original. Z’ont toutefois changé l’épisode rock, notre carnivore venu de l’espace n’imite pas Little Richard mais Claude Luter. Boris n’en rate pas une.

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    (460.607 ME / 1958)

    Cette fois ils ont mis le verso au recto, Dalar l’ouvre encore en plus grand, l’est posé devant un microphone à rubans aussi grand qu’un porte-avions, l’on se demande s’il ne va pas l’avaler. L’envers de la pochette se laisse regarder.

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    O-Chou-Bi-Dou-Bi : l’on apprend tous les jours, à l’origine un morceau de Dizzy Gillespie enregistré en 1952, Joe Carroll au vocal, un conseil n’écoutez pas cette version d’abord because instrumentalement parlant Goraguer n’y arrive pas à la cheville, par contre le Dalar se débrouille comme un chef, minaude sur le bout de sa langue comme un conservateur du musée du Louvres qui transporte sur la pointe des pieds un vase de l’époque Ming afin de ne pas la transformer en poterie Bing, c’est très bien. Très jazz. Etrangement la version de Dizzy et ses boys sonne davantage rock. N’oublie pas : une création de Dalar, l’a des racines jazz notre apprenti rocker ! Se la joue crooner, il n’a pas la voix de Sinatra, et la section cuivre de Goraguer elle joue en rase-mottes de beurre rance. Le truc oubliable. Déjà je ne m’en souviens plus, j’ai oublié. 39 de fièvre : une adaptation de Peggy Lee, signée Boris Vian, l’est pas ridicule le Dalar, passer après Peggy ce n’est pas facile, s’en sort avec les honneurs de la guerre. Goraguer peut remercier son batteur.  Arc-en-ciel : encore un original de Gabriel Dalar. Paroles réussies. Un peu dans le style Saint-Germain-des-prés. Conclusion notre rocker était un jazzman.

             Gabriel Dalar n’a enregistré que deux disques. Le lecteur qui écoutera les réalisations de Claude Piron et de Dalar, remarqueront des ressemblances troublantes dans les paroles des chansons. En voici une autre qui m’a laissé sans voix : Claude Piron s’est transformé en Danny Boy, métamorphose moins connue : Gabriel Dalar est devenu Teddy Raye. Mais ceci est une autre histoire que je vous raconterai une autre fois. Ce qui est sûr c’est que le suspect Gabriel Dalar n’a pas enregistré le premier disque de rock français.

    *

    En visionnant la vidéo : Au revoir les amis, dédiée à Danny Boy, y avait un groupe de gars qui chantaient, mon cœur a fait tilt, mais c’est Memphis Tennessee, la version de Danyel Gérard, d’ailleurs ce mec avec son chapeau, ne serait-ce pas… mais oui c’est lui, un demi-siècle plus tard l’a gardé une silhouette de jeune homme… Ça tombe bien, notre homme est un candidat sérieux pour prétendre au titre de premier disque de rock français !

    J’ai deux souvenirs personnels en relation avec Danyel Gérard. J’étais en cinquième lorsque j’ai vu Danyel Gérard à la télé. Un morceau qui racontait l’histoire d’un drôle de gars qui s’appelait Memphis Tennessee. Pendant des mois je me suis demandé, j’étais jeune et ignorant, si c’était un personnage inventé ou issu d’une légende. L’année suivante en quatrième, en inspectant mon livre d’anglais, me suis aperçu qu’au fond du bouquin, il y avait une grande carte des Etats-Unis, figurez-vous qu’à ma grande surprise une ville répondait au nom de Memphis, sise dans un état qui s’appelait Tennessee…

    L’autre se déroule une dizaine d’années plus tard, une chanson saisie au vol, une fois seulement sur le transistor, dont j’ai toujours ignoré le titre. Je l’ai recherchée, retrouvée et réécoutée pour écrire cette chronique. Question musique ce n’est pas la panacée excepté le premier couplet introductif, par contre les paroles portent en gestation tous les lyrics des groupes de Metal à thématiques mythologiques. En ce temps-là… Monsieur raconte l’histoire d’un gars qui descend les poubelles… pas glorieux, je vous l’accorde, oui mais dans sa tête il rêve qu’il chevauche à la tête des hordes mongoles… hélas sur les refrains au lieu de se livrer à de sanglantes exactions historiales il dresse la liste de toutes les princesses qui l’ont admis dans leur couche… Comme quoi parfois il vaut mieux faire la guerre que l’amour.

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    DANYEL GERARD

    (Barclay / 70 197 / 12 – 1958)

    Sur ses deux premiers 45 Tours Danyel Gérard est accompagné par Jean Bouchéty et son Orchestre. Né en 1920, disparu en 2006. Contrebassiste de jazz et compositeur l’on retrouve le nom de Bouchéty sur les disques d’Hugues Aufray (en 58), d’Eddy Mitchell ( depuis le premier 25 cm des Chaussettes Noires), de Michel Polnareff et de beaucoup d’autres de Brel à Dalida...

    Pochette rouge et noire, couleurs d’insoumission et de révolte, photo de pied de l’artiste, costume noir et chemise blanche, et garanties d’authenticité, grosse guitare en mains et attitude manifestement rock’n’roll.

    When : non ce n’est pas une blague, l’était déjà sur le premier disque de Gabriel Dalard, et le deuxième de Claude Piron. Des trois c’est la meilleure version, Gérard possède une voix flexible qui se plie aux exigences rythmiques, l’arrangement de Bouchéty virevolte à merveille, se démarque des intonations trop jazz, les instrus interviennent sans forfanterie et s’en vont sans se faire prier, léger et entraînant. L’on est déjà dans une orchestration très sixties. Tais-toi : porte la signature de Ralph Bernet et de Danyel Gérard. Pas vraiment une réussite, un mélodrame avec violon et ressentiments dans la voix. D’où reviens-tu Billy boy : le titre était sur le deuxième disque de Claude Piron, bis repetia placent comme l’on disait au temps de Jules César, comme When on le retrouve sur le premier de Gérard. L’interprétation de notre artiste dans la même veine pironienne, aisance et légèreté rehaussée par des chœurs dansants. Prix d’excellence. Le chercheur de diamants : rapide comme un froufrou de robe de jeune fille en train de danser, il sait chanter le bougre, de surcroît le Bouchéty nous en bouche un p’tit coin avec son accompagnement, il dessine des dentelles pour habiller la demoiselle. Une création, un texte original (ce n’est pas Rimbaud non plus).

             Un disque agréable à écouter, plutôt variété de qualité que vraiment rock.

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    (Barclay / 70 236 /  1959)

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    Pochette noir et blanc, elle n’est pas dégueu surtout si l’on regarde l’avant et l’arrière du disque, on n’a pas investi dans une nouvelle séance, on a pris la même que sur la couve du premier disque, les illusions ne sont pas perdues dirait le grand Honoré qui recyclait ses personnages dans ses romans. 

    Tout l’amour : une reprise de Mina Mazzini, chanteuse italienne connue sous le nom de Baby Gate pour son interprétation en anglais de Be Bop A Lula. Mignon tout plein, avec les chœurs féminins qui font ouah ouah, le saxophone qui grince comme les griffes du chat, le Danyel a compris qu’il est en caisse glissante sur une pente savonnée, alors l’embouche le vocal comme si sa vie en dépendait, y met tout son cœur et l’arrive au bas de la pente sans dommage. O pauvre amour : une adaptation de Oh Lonesome de Don Gibson, plus tard Gérard racontera qu’il était en train de l’enregistrer quand Sacha Distel est venu lui rendre visite au studio… Je n’ai jamais aimé ce morceau, mais soyons juste la version ‘’ volée’’ de Sacha ne vaut pas celle de Danyel. Pas la peine de vous tirer une balle dans la boche si vous ne l’avez jamais entendue. Ne lui en veux pas : le slow qui tue lentement. Mais sûrement. Un amour se termine, mais la chanson n’en finit pas.  Inepte roucoulade. Elle n’avait que dix-sept ans : une adaptation du chanteur country Marty Robbins qui s’est tué dans une course de stock cars. J’ai lu que Danyel Gérard s’est vanté d’avoir voulu faire un disque de country pour son deuxième opus. Je veux bien, mais ça fleure bon la chansonnette pour ménagère de cinquante ans qui regrette de ne plus être midinette.

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             Ce deuxième microsillon est bien flagada par rapport au premier. Après lui un trou dans la discographie du chanteur. Barclay pour pallier son absence sortira deux simples qui reprennent les morceaux chroniqués ci-dessus. Au début 1959, Danyel Gérard est appelé sous les drapeaux, guerre d’Algérie oblige. Par la suite beaucoup de groupes français ne survivront pas à ce genre de convocations…

             Ses deux premiers disques ne sont pas vraiment rock, l’est vrai qu’il a commencé avec Claude Luter comme chanteur et guitariste. L’on sent sur ses enregistrements qu’il avait du métier, lui manque la niaque rock. Sa carrière est loin d’être finie !

    *

    Un profil différent des deux précédents et même des trois si l’on rajoute Claude Piron. Un gosse de riche. Sera en pension dans un collège britannique.

    Rentré en France, bac en poche il joue du saxophone dans les clubs de jazz. Sa connaissance de l’anglais lui permet de se lancer de son propre chef dans des traductions de succès anglais et américains.

             Il sera un des piliers de la génération yéyé et de la première mouvance du rock français même s’il fut surnommé par les fans  pour ses prestations scéniques ‘’le pantouflard du blues’’.

    ROCK ‘N’ RICHARD

    RICHARD ANTHONY

    (Columbia / ESRF 1207 / Novembre 1958)

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    Incroyable mais vrai, une pochette qui affiche le mot rock en grosses lettres, Richard n’est pas un bâtard, il annonce la couleur, aujourd’hui l’on dirait qu’il tient un téléphone portable, mais non il pose le clapet de sa main sur son oreille pour ne pas être dérangé par des bruits annexes alors qu’il est en train de chanter, concentration rock maximale ! Au dos de la couve, l’est au volant d’une décapotable, anglaise, avis aux franchouillards qui marchouillent aux soufflets essoufflés d’accordéon.

    Bettie baby : (enregistré le 06 / 11 / 1958 ) : un morceau de Neil Sedaka qui l’a  lui-même enregistré sur son premier 33 tours  intitulé Rock with Sedaka. Neil est né en 1939 et Richard en 1938, Anthony se tient sur la crête de la vague américaine, pas question qu’on lui refile les mêmes rengaines. Pour la petite histoire si Richard a cassé sa pipe en bois ( expression totalement cazenglerienne) en 2015, Neil est toujours en activité… Soyons franc, sa version est loin d’égaler celle de Stupid Cupid, la voix chantonne un peu trop, l’a gardé le solo de sax mais Christian Chevallier qui dirige l’orchestre, à l’origine pianiste de jazz, aurait pu se mettre au clavier pour le solo final, l’a préféré le remplacer par des chœurs masculins aussi nécessaires que trois  mouches noires engluées sur la crème chantilly du gâteau. Sympathique, mais pas 100 % rock. Susie Darling : (enregistré ainsi que les deux suivants le 14 / 11 / 58) : à l’origine de Robin Luke, un mignon péché de jeunesse doucereux pour un simili rocker qui finira professeur d’université en droit des affaires. Soyons raisonnable l’interprétation de notre idole est déplorable, gamin gentillet qui fait tout son possible mais qui ne parviendra même pas à décrocher son certificat d’étude. Le plus triste c’est Chevallier, comment a-t-il fait pour ne pas s’apercevoir que les musicos de Robin avaient entendu parler de Buddy Holly. Là c’est Richard le pantouflard du slow ennuyeux. Tu m’étais destinée : Face B. Espérons que ce sera meilleur. Bon ce n’est pas Paul Anka, mais Richard fera un bon en-cas. Avec Anka vous avez l’impression que le destin s’avance vers vous à pas feutré, oui mais le fatidique malheur tout de même puisque le bonheur qu’il vous octroie vous n’en êtes pas responsable. Rien d’aussi terrible avec Richard, pas de passion, mais le plein de tendresse. Surtout pas de ridicule. Même si ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Peggy Sue : enfin un pionnier ! Le bassiste a compris ce que sur la face A le Chevallier gris n’a pas intuité. Inutile de dire que l’on est loin de Buddy, Richard fait des efforts, rate quelques douceurs mais pas les impromptus. L’on sent que l’on est chez un connaisseur.

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             De tous les premiers disques entendus, sans conteste le plus intéressant.

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    (Columbia / ESRF 1214 / Mai 1959)

    Notre rocker a délaissé sa décapotable, un peu trop blouson doré, pose sur une moto, ce n’est pas encore l’équipée sauvage, on s’en rapproche d’une demie-roue.

    La-do-da-da : l’on quitte un pionnier pour un autre pionnier. En  1953 Dale Hawkins fonde un groupe avec James Burton à la guitare et DJ Fontana à la batterie. En 1957 il deviendra l’immortel créateur de Susie Q, dans la lignée duquel s’inscrira en 1958  son La Do Da Da. L’on reste dans la lignée Diddley sound-Budy Holly. Le son est moins brut que chez Hawkins, mais Anthony s’y montre plus entreprenant que sur son Peggy Sue, les angles sont adoucis, les féministes trouveront les paroles insupportablement machistes, pourtant elles apportent un peu de sel, bref cet hymne à une sensualité païenne nous agrée. Bravo Richard. La rue des cœurs perdus : encore un pionnier, Ricky Nelson sur Lonesome Town, Bill Crane en offert une magistrale version voici peu (voir Livraison 640 du 11 / 04 / 2024) : faut du doigté sur ce morceau funèbre, les Angels, ainsi se nomment les chœurs que l’on trouve sur ses disques, monopolisent l’audition, Richard se donne du mal mais il ne sait pas donner le change, n’a jamais dormi à l’hôtel des cœurs brisés, ça s’entend. C’est le jeu : je pensais que l’original était de Cliff Richards, non c’est de Tommy Edwards qui la ré-enregistra en 1958, cette mièvrerie atteignit le numéro 1, parfois l’on se dit que le monde est mal fait. Notre Richard ne sauve pas la chanson, ne la coule pas non plus. Une de ces sucrettes interchangeables et cancérigènes. Chanson magique : ce coup-ci c’est de Cliff et ses Drifters, sorti en 1958, Richard redresse la barre et pour une fois le Chevallier ne vous file pas un ersatz de dix-septième zone, bien sûr les cuivres émettent un relent de jazz, mais on leur pardonne, l’Anthony entonne le chant à pleines dents, mais le vieux françois n’est pas aussi flexible que l’englishe, peut-être pas magique, mais très illusionniste.

             Trois pionniers sur quatre titres, notre Richard, ni Little, ni Keith, gagne en respectabilité.

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    NOUVELLE VAGUE

    (Columbia / ESRF 1237 / Septembre 1959)

    Attention disque important, vous pouvez aimer ou pas, l’Histoire a tranché, première coupure épistémologique dans l’histoire du rock français. A la base c’est une chanson des Coasters, Richard Anthony et Armand Canfora – avec son orchestre il a repris tous les tubes des sixties - ont commis l’adaptation. Je suppose mais je ne peux pas certifier que le titre de l’EP n’est pas sans rapport avec la Nouvelle vague cinématographique… Un détournement, le titre est à comprendre comme la revendication d’une nouvelle jeunesse qui entend briser les carcans et vivre une vie teintée d’hédonisme. Ce n’est pas la fureur de vivre, mais une volonté d’indépendance et de liberté.

    La pochette en est la parfaite illustration : trois garçons, trois filles, une belle voiture, je ne pense pas qu’ils vont passer la journée à relire Aristote. Si vous posez le disque sur votre pick up, ben non, ce n’est pas Nouvelle Vague qui ouvre la face A.

    Personnality : une adaptation de Lloyd Price, rien à dire Anthony tape dans le dur, achtung bicyclette, à la base ce n’est qu’une chansonnette, mais Price vous effleure la surface, la surface de quoi, surtout pas de l’orchestration et des chœurs, eux-mêmes sont comme en retrait du chant. Résultat : Magie ou génie ? Richard Anthony plonge en plein dans la difficulté, chante en anglais. Envie de dire qu’il se débrouille mieux qu’en français. Le Chevallier a pigé, il godille sans godillots, les instruments en espadrilles. L’on en viendrait à regretter que toute l’équipe n’ait pas eu l’idée de se démarquer de l’original.  Pauv’ Jenny : encore an american hit 1959, Anthony n’a peur de rien, tout seul contre les deux Everly Brothers. Soyons juste, ce duo d’amerloques est redoutable, des pistoleros qui tirent derrière vous pour vous tuer par-devant, les Everly sont les rois de l’inflexion, si vous n’y faites pas gaffe vocal et musique coulent de source, si vous écoutez de près, vous vous trouvez devant un exemple parfait de la théorie mathématique des catastrophes, ruptures et tourbillons s’entrecroisent à l’infini, et le pauv’ Gérard  ( ce n’est pas Nerval non plus) il se lance à l’assaut de l’Annapurna en maillot de bain, vous a pondu un truc de bande dessinée, vous êtes saisi par les paroles qui vous racontent une histoire loufoque sans banquise, qui vous tient en haleine. Se sont inspirés des paroles de l’original et vous écoutez comme quand vous regardez un dessin animé. Nouvelle vague :   des Coasters ils ont repris le début du scénario, mais ils ont changé la fin assez piteuse pour nos trois chatons américains, transformée en manifeste générationnel chez Anthony. Inutile de comparer les deux versions, celle de par chez nous se suffit à elle seule. Un des premiers chefs-d’œuvre du rock français. J’ai rêvé : en pleine progression, Anthony vous enfile Dream Lover ( 1958) de Bobby Darin, les doigts dans le nez. Y en a un autre qui a appris, Chevallier vous lance ses sbires dans un trot de cavalcade qui chasse au loin les idées tristes. Pas pharamineux, mais pas pharaminable !

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    (Columbia / ESRF 1261 / 1960)

     (Enregisté les 17 - 18 Décembre 1959)

    Sont réunis dans cet opus des titres sortis en 45 tours simples. Résumé de la couve : Richard Anthony aime les voitures ! Le recto est particulièrement insipide...

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    Jéricho : rien à voir avec le titre de  Dick Rivers, adaptation d’un vieux negro -spiritual, chassez l’esprit, que reste-t-il ? Pas grand-chose. Fausse bonne idée dispensable. Mélodie pour un amour : encore un titre de Tommy Edwards interprétée par Sarah Vaughan, quand vous avez écouté la Diva, vous êtes obligé de reconnaître qu’Anthony n’est pas divin. Chansonnette. Au fond de mon cœur : la première fois que je l’ai entendue je me suis dit, c’est Nougaro, l’a encore la voix un peu jeune, mais les cuivres sont bons, étrange comme Richard Anthony chante comme s’il imitait Nougaro, et le Chevallier l’a mis une armure d’or pur à ses cuivres. Je suis amoureux : là, il fait la-la-la, chante un peu entre Nougaro et Aznavour, hors-sujet comme les profs écrivent en rouge dans les marges des rédactions des élèves qui s’égarent.

             L’impression que ce 45 tours regroupe des morceaux inspirés par Chevallier… Nous nous éloignons du rock… Heureusement que le twist arrêtera les dérives de notre Richard cœur de rock.

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    (Columbia / SCRF 442 / 1960)

             Je ne peux l’affirmer mais ces deux titres font peut-être partie de tous ceux enregistrés les 17-18 décembre 1959. J’en doute, je les mets par acquis de conscience. J’aimerais me tromper car Karting rock et Bisque bisque rage ne sont pas vraiment bons

             De nos trois suspects Richard Anthony mérite le titre de premier rocker français.  L’est celui qui s’est le plus rapproché de la lointaine comète américaine. Mais Claude Piron a mis en boîte son premier titre en 1957. Donc acte.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    Le Chef avait décidé que Géraldine toute blanche et toute tremblante avait besoin d’un remontant, abandonnant le tas de cadavres qu’il comptait et recomptait, il nous avait emmené à deux rues de la scène de tuerie dans un café. Nous nous sommes attablés au calme. Géraldine s’est réfugiée dans mes bras. Molossito s’est installé sur son décolleté. Le Chef a déposé son Rafalos sur la table. Le patron s’est dépêché de venir nous servir. Lorsque le Chef à allumé un Coronado, le brave homme a compris que ce ne serait pas une bonne idée d’envoyer en douce un SMS au commissariat du quartier d’autant plus qu’il était en train de s’apercevoir que son chiffre d’affaires était en train d’emprunter une courbe montante sans pareille à une vitesse vertigineuse. N’y avait que trois lycéennes attablées tout au fond de l’établissement. Trente secondes plus tard en arriva une quinzaine, suivies maintenant d’un flot ininterrompu qui semblait intarissable.

    Les adolescentes virent-elles simplement le Rafalos, elles n’avaient d’yeux que pour Géraldine qui dut commencer à signer des autographes. Elles criaient, elles hurlaient, elle se disputaient le moindre bout de papier, certaines tombèrent en pâmoison, elles furent piétinées sans pitié par leurs camarades. Dans le vacarme je me penchai vers le Chef :

             _ Ne devrions-nous pas nous éclipser discrètement ?

             _ Vous n’y pensez pas, Agent Chad avec tout ce monde autour de nous comment voudriez-vous que la mort puisse se tenir à vos côtés, tant au niveau tactique qu’esthétique nous sommes à l’abri !

    Le Chef avait raison d’autant plus que les jeunes filles s’aperçurent que j’étais le gars sur la photo des journaux sous laquelle l’on me désignait comme l’amour trouvé à Paris par l’actrice. Elles étaient fans de Géraldine, elles aimaient tout ce que leur idole aimait, donc elles m’aimaient. Je dus à mon tour signer des autographes… bientôt dans ma poche droite mon Rafalos fut submergé de petits mots d’amour et de propositions exaltées de rendez-vous… Je peux le dire sans me vanter : l’amour marchait à mes côtés. Enfin presque, d’abord parce que j’étais assis ensuite parce que Géraldine ne fut pas dupe du manège des ses admiratrices. Plus tard j’en conclus que c’était une grosse jalouse, car sans préavis elle laissa tomber Molossito et se leva brusquement : il se fit un silence extraordinaire :

             _ Puisque c’est comme ça, je me tire, qui m’aime me suive !

    Joignant le geste à sa parole elle sortit du café suivie d’un long cortège  de lycéennes. Le patron se précipita vers nous :

             _ Messieurs, je vous offre les consos, ne me remerciez pas j’ai vendu mille trois cent quarante-sept cafés à 10 francs pièces en une heure trente, mais si j’étais vous je partirais, ils viennent d’annoncer à la radio que la police va boucler le quartier. Prenez la petite rue à droite, elle vous permettra très vite de rejoindre les grands boulevards, personne ne vous reconnaîtra, avec vos chiens vous passerez pour de paisibles retraités.

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    Paisible n’est pas le mot. Nous avons gagné les grands boulevards, suis-je bien protégé au milieu de tout ce monde ? L’endroit idéal pour que la mort puisse s’y cacher. Je suis nerveux

             _ Agent Chad je me charge de tout ce qui vient devant, vous surveillerez les arrières, la mort est une grande traîtresse.

    Au début je n’y ai pas cru, je ne savais pas que la mort puisse avoir un tel  aspect physique, au bout d’une demi-heure je me suis résolu à alerter le Chef :

             _ Chef je suis sûr qu’elle nous suit, je ne vous donne aucun renseignement, retournez-vous de temps en temps et communiquez-moi votre sentiment, pendant ce temps je surveille devant nous.

    Il se passe un bon quart d’heure avant que Chef ait fini son analyse.

    _ Agent Chad vous voulez parler de cette personne qui longe le trottoir avec son blouson rouge ?

    _ Mais non Chef, celle qui marche le long des maisons avec un blouson jaune canari !

    Son air surpris me déçut :

    _ Chef, un blouson jaune  du côté des maisons, regardez bien !

    Nous marchons une trentaine de pas, le Chef s’arrête un court instant le temps d’allumer un Coronado.

    _ Oui elle est bien là, elle a dû changer de place, mais son blouson est bien rouge ! C’est bien elle, une jolie petite blonde, ses cheveux ressortent à merveille sur la teinte du vêtement. Si vous ne me croyez pas, vérifiez par vous-même, Agent Chad seriez-vous daltonien !

    Je compte doucement jusqu’à vingt, je jette un coup d’œil, oui c’est elle le long des maisons, son blouson est d’un jaune jonquille étincelant !

             _ Agent Chad vous m’inquiétez, regardez à cent mètres devant nous cette enseigne pour un centre d’ophtalmologie, nous allons séance tenante vous faire examiner, savez-vous Agent Chad que selon les dernières découvertes scientifiques l’on peut décerner les signes de démence précoce en explorant le fond de l’œil.

    _ Chef, moi je pense que la fumée de vos Coronados obscurcit votre vue. Jetez votre cigare tout de suite, le tabac finira par vous tuer.

    Nous nous sommes lancés dans une longue dispute. Nous échangions arguments contre arguments, deux gamins qui se querellent, nous nous disputions pour une couleur alors que la mort marchait peut-être à nos côtés !

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    Non elle n’était pas à nos côtés, elle était derrière nous, elle s’apprêtait à frapper. Et elle frappa. A la manière dont le Chef s’arrêta brutalement je compris que lui aussi avait été choisi comme victime… Ce n’était rien, trois petits coups presque timides entre nos deux omoplates. Instinctivement nous portâmes la main sur notre Rafalos. Une petite voix mal assurée se fit entendre :

    - Messieurs, euh messieurs !

    Nous nous retournâmes d’un bloc :

    • J’avais bien dit jaune !
    • J’avais bien dit rouge !

    Nous éclatâmes de rire, elles étaient deux ! Elles se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. A part que l’une portait un blouson rouge, je vous laisse deviner la couleur de l’autre. ( Test pour vérifier l’attention des lecteurs). Elles éclatèrent de rire :

             _ L’on vous suivait, vous vous retourniez sans arrêt sur nous, nos blousons sont réversibles, l’on s’est amusé, en plus nous sommes jumelles !

    Le Chef prit son air sévère qui n’eut pas l’air de leur faire peur :

    _ Comme ça, vous ressemblez à notre papa !

    _ Que dirait-il s’il vous voyait accoster des adultes dans la rue !

    _ Rien, ils ne sont pas là, ils sont en voyage, ils nous ont laissées seules, ils ont dit qu’on était assez grandes pour nous débrouiller puisque nous venons d’entrer au lycée !

    _ Pourquoi nous suiviez-vous ?

    _ L’on était avec les copines du lycée avec vous dans le café autour de Géraldine, quand elles sont toutes parties, nous avons préféré vous suivre à vous.

    _ Pour quelles raisons ?

    _ Moi je m’appelle Doriane, j’ai toujours pensé qu’un homme doit être fort alors quand j’ai vu votre revolver j’ai su que c’était vous.       

    _ Moi je m’appelle Loriane, j’ai toujours aimé les animaux, nos parents n’ont jamais voulu en prendre un, alors quand j’ai vu leur maître j’ai craqué, il est drôlement habillé mais il a des chiens c’est ce qui compte !

    Molossa et Molossito se précipitèrent vers Loriane qui les couvrit de mille caresses. Je proposai de prendre un pot dans un troquet. Les filles acquiescèrent avec joie. Elles commandèrent six grosses coupes de glace. Les chiens se délectèrent de leur chocolat liégeois. Beaucoup de bruit dans ce bar PMU. Des jeunes qui parlaient fort et les habitués qui venaient parier.

    Le son du grand écran augmenta subitement. C’était la quatrième course, celle des cracks. Les gars encourageaient leurs chevaux préférés à haute et envoyaient des baisers vers l’écran quand leur favori prenait la tête :

    • Attention, attention, nous abordons la dernière ligne droite, Esculape le 17 fonce droit de

    L’image se coupa. Le gars qui apparut à l’écran avait une si mauvaise tête que chacun crut qu’il allait annoncer le début de la troisième guerre mondiale, le silence fut instantané :

             _ Flash d’information spécial : L’actrice Géraldine Loup vient d’être assassinée ! Nous n’avons que peu de détails : elle entrait dans le Ritz lorsque le meurtrier qui en sortait l’a froidement abattue d’une balle dans la tête !

    Il y eut trois secondes de silence avant que n’éclatent les réactions. Seule la voix du Chef se fit entendre :

             _ J’ai tout compris !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 641: KR'TNT 641 : MUDDY WATERS / SLIFT / EDDIE AND ERNIE / RICH JONES / BILL CALLAHAN / CLAUDE PIRON / THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 641

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 04 / 2024

     

    MUDDY WATERS / SLIFT / EDDIE AND ERNIE

    RICH JONES / BILL CALLAHAN

    CLAUDE PIRON /  THUMOS 

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 641

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    Wizards & True Stars

     - M le Muddy

     

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             Vous pouvez entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters de cinq façons différentes (il en existe certainement bien d’autres, mais pour des raisons pratiques, on se limitera à cinq).

             La première façon d’entrer dans cette vie extraordinaire, c’est par le film de Marc Levin, Godfathers & Sons, sixième épisode de la série de films consacrés au blues, sous l’égide de Martin Scorsese. On y voit Marshall Chess raconter sa vie, depuis son enfance à Chicago jusqu’à l’époque où il vint en Angleterre s’occuper des affaires de Rolling Stones.

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             Marshall est le fils de Leonard le renard. Comme Muddy était toujours fourré dans les pattes  de son père, Marshall a fini par bien le connaître. Voilà comment dans le film (et dans le livre de Robert Gordon - Can’t Be Satisfied - The Life and Times of Muddy Waters) il raconte sa première rencontre avec Muddy Waters : « Je jouais dans le jardin et une grosse voiture s’est garée devant la maison. Le type en est descendu. Il portait un costume brillant vert chartreuse. Puis je vis ses chaussures, elles étaient faites en vraie peau de vache, blanche, avec des taches noires et brunes. J’ai levé la tête et j’ai vu son chapeau à larges bords. J’étais trop petit pour savoir ce qu’était un bluesman. Ça aurait pu être un extra-terrestre. Il avança tranquillement, baissa les yeux sur moi et dit : ‘Tu dois être le fils de Chess. Est-ce que ton daddy est là ?’ » 

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             Tout petit, Marshall le veinard fut plongé dans le monde du blues et des bluesmen noirs de Chicago. C’est la raison pour laquelle il peut se permettre de dire « Le blues, c’est mon ADN ! », comme il fait devant la caméra de Levin. Dans ce film fascinant, Marshall évoque deux grands albums de Muddy Waters : Electric Mud et Fathers And Sons.

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             Electric Mud est la seconde façon d’entrer dans l’histoire de Muddy Waters, car c’est un album d’une modernité fascinante et qui date de l’époque où Marshall, devenu adulte, voulut relancer la carrière des vieux bluemen qui étaient en perte de vitesse. En 1968, les temps étaient durs pour les vétérans du blues. Les disques de blues ne se vendaient plus. Le public américain préférait les groupes de la scène psychédélique californienne, comme l’Airplane, les Byrds, le Dead, Country Joe, Janis et toute la bande. Marshall décida de réagir en créant une filiale de Chess Records - Cadet Concept - et en sortant deux albums de blues psychédélique, l’un avec Muddy Waters, et l’autre avec Wolf (mais apparemment, ni l’un ni l’autre n’ont aimé ces disques - Wolf détestait cet album. On lisait, composé en gros caractères sur la pochette : « This is Howlin’ Wolf new album. He doesn’t like it » et quelque part dans une interview, Muddy traite Electric Mud de « dog shit »). Paradoxalement, ces deux albums remirent à l’époque nos vieux pépères dans le circuit. 

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             Quand on ouvre le gatefold d’Electric Mud, on tombe sur l’une des photos du siècle : Muddy en robe blanche de prêtre, pieds nus dans des sandales en cuir, coiffé d’une extravagante pompadour et tenant une gratte électrique. L’album est à l’avenant, dérangeant, stupéfiant, lourd de conséquences et marqueur de mémoire au fer rouge.

             OK, alors Muddy tapa dans le groove des origines et fit du bourbeux incendiaire. La version de « Let’s Spend The Night Together » qui se trouve là-dessus est une véritable merveille, une sorte de retour à l’envoyeur (les Stones) mais il les passe à la moulinette et sa guitare jute de jus de bout en bout. Le son qui en coule est un son de rêve. « She’s All Right » est un pur jus de blues hendrixien bourbeux en diable et doté d’un bassmatic furibard. C’est l’archétype du blues punk bourbeux à l’affût, le blues bulbax de fait, le blues boulbique à la Taras - Said awite, said awite - Mélasse de rêve, celle qu’on voit couler sur les cuisses du destin, celle qui réchauffe le cœur, celle qui rétablit la suprématie voodoo de la race noire. C’est un alarmisme de fait qui pulse le sang noir des anciens dieux. Muddy plonge l’Afrique dans la friteuse psyché. Imparable et martial. Oh yeahhh ! « I’m A Man » - Everything’s gonna be allright this morning ! - Retour aux sources du Muddy Nil. Voilà le groove le plus épais du monde - I’m a rollin’ stone, I’m a hoochie coochie man - Muddy est le roi des origines. Il est le Mannish Boy de l’éternelle jeunesse du blues des blacks de la bonne bourre. « Herbert Harpers Free Press » est encore plus entreprenant et plus psyché, funkoïde et frappant. Grosse lessive de Chicago Blues à l’ancienne, celle qu’on fait bouillir sur un feu de bois. « Tom Cat » va sur une coloration plus jazz, mais free, joli groove de fin des temps flûté à l’acide et il termine avec « Same Thing » qu’il farcit de grosses guitares dévastatrices. Heavy à souhait, soutenu par des chorus agressifs. Rien de plus coloré que cette énormité cavalante, ce trésor d’ordure liquide, cette avance putréfiée. Muddy chante avec une telle grandeur qu’on se prosterne jusqu’à terre.

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             Un autre album du même acabit suivit de peu : After The Rain. Voilà une nouvelle dose de psyché blues incendiaire. Ouverture de balda avec ce chef-d’œuvre d’heavy blues psychédélique qu’est « I Am The Blues ». Il a le meilleur son de Chicago. Il enchaîne avec un autre heavy blues chanté à la bravado, « Ramblin’ Mind », encore du psyché de haut vol. Son « Rumblin’ And Tumblin’ » bringuebale et il traite « Bottom Of The Sea » à l’admirabilité des choses. On sent le cut qui se déroute, comme livré au hasard. Quelle ivresse ! En B, il traite « Blues And Trouble » au groove décousu. Muddy semble respirer. Le Cadet Concept lui va comme un gant. Le hit du disk pourrait bien être « Screamin’ And Cryin’ » que Muddy avale tout cru. Il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il fait l’ogre.

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             Troisième façon d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters : par Johnny Winter, et donc on saute à la décennie suivante. En 1977, Johnny Winter relança une nouvelle fois la carrière de Muddy avec ce fabuleux album qu’est Hard Again, façon ironique pour Muddy qui est alors un vieux pépère de dire qu’il bande encore. Le premier morceau de l’album est une version ahurissante de « Mannish Boy ». C’est le mélange le plus explosif qui soit : le raw de Muddy et la hargne de Johnny. On entend la clameur du studio, c’est du legendary stuff, yeah ! Woooow ! Il règne dans le studio de Dan Hartmann une grosse ambiance junky-jivy de juke joint d’enfer. Magie pure. Voilà le delta de la folie et les forces invisibles des pierres qui roulent et qui n’amassent pas mousse. Que vienne enfin le règne des albinos et des hoochie coochie men ! Il est important de préciser que Muddy Waters était l’idole d’un Johnny Winter qui, las du rock’n’roll et de ses excès, voulait revenir à ses premières amours, le blues, et Muddy Waters. C’est donc un disque de fan qu’on a dans les pattes, comme l’était d’ailleurs Electric Mud. Petite précision : Johnny n’aimais pas Electric Mud, ni d’ailleurs les frères Chess qu’il accusait de s’être enrichis sur le dos de Muddy et de quelques autres.

             La fête continue sur Hard Again avec « Bus Driver », où James Cotton envoie sa belle purée d’harmo. Derrière, le foutre gicle. Muddy, c’est le sexe pur, l’énergie primitive. Grosse ambiance renversée et gondolée, magnifique non-sens ultime de la bouillie du blues orchestrée par le grand maître albinos de l’univers intermédiaire. « Crosseyed Cat » sera monté sur un riff accrocheur et un drumming solide et bien sec comme Johnny les aime.

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             Dans la foulée, Johnny produit I’m Ready, toujours sur Blue Sky, le label monté par Steve Paul pour Johnny Winter, Edgar Winter et Rick Derringer. On retrouve la grosse énergie du blues, la belle épaisseur d’équipe. Ils ont là pour abattre de la mesure avec tout le génie bluesique et mathématique des multiples de douze. Pour Johnny et Muddy, c’est du gâteau. Ils jouent les mêmes vieux coucous depuis la nuit des temps, alors pour eux tout va bien.

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             Le troisième album de Muddy produit par Johnny s’appelle King Bee. On y trouve une version bien déterminée du fameux classique de Slim Harpo. Tout est dit. Muddy reste le maître des ruches. Dès qu’il voit une cuisse, il envoie son crawling king snake s’y glisser. « Forever Lonely » est une fabuleuse pièce de heavy blues. Muddy adore tripoter le good ole heavy blues du delta. Ça lui rappelle le jour où il est monté dans le train à Clarksdale pour se rendre à Chicago, là où l’attendait son destin. « Champagne & Reefer » reste dans le style du heavy blues et ressemble à tous les autres heavy blues, c’en est même troublant. Mais ce n’est pas grave. « Well I’ll stay with my reefer, don’t show me no cocaine. » L’autre merveille de ce disque s’appelle « My Eyes Keep Me In Trouble », joliment wintérisée à la guitare. Johnny suit le chant avec de belles variantes décoratives du meilleur effet. On ne trouvera certainement pas ça ailleurs.  

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             Quatrième façon d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters : par « Rolling Stone » enregistré au studio Chess de Chicago en 1950. Muddy est tout seul avec Big Crawford à la contrebasse - I weeesh I was a catfish - C’est l’invention du mythe. Muddy Waters est le punk originel. Toute l’histoire du rock vient de là en direct. Et pas seulement les Rolling Stones qui sont nés de ce morceau. Tous les groupes de heavy blues anglais viennent de là, tous sans exception. Avec « Rolling Stone », Muddy le punk du delta avait écrit les tables de la loi et montré le chemin à toute une génération de musiciens, qui n’auront de cesse de recréer cette sauvagerie sans JAMAIS y parvenir. Pour chanter comme ça, mon gars, il faut avoir grandi dans le Deep South où ta vie ne valait pas un clou si t’avais la peau noire. T’étais moins que rien, et les patrons blancs te fouettaient au sang pour se divertir. Muddy et Wolf sont les seuls vrais punks de l’histoire du rock. Il faut arrêter de nous bassiner avec cette cloche de Sid Vicious. À cinq ans, Sid Vicious n’était certainement pas dans un champ de coton, de l’aube jusqu’à la tombée de la nuit.

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             En 1950, tout était déjà en place, chez Muddy. Il suffit d’écouter sa version de « Rollin’ And Tumblin’ » enregistrée le même jour que « Rolling Stone ». Avec le renfort de Little Walter, autre personnage mythique, ils tapent un effarant shuffle qui s’appelle « Evans Shuffle ». Big Crawford tient le slap métronomique. Pour l’anecdote, c’est ce rat de Leonard le renard qu’on entend taper sur un tom bass dans « She Moves Me ». Il est souvent à côté, mais Muddy qui a grandi dans une plantation ne dit rien, car Chess, c’est le patron blanc, celui qui donne le « furnish ». T’as besoin de quelque chose, mon gars ? Tiens voilà cinq dollars. Leonard le renard ne faisait pas signer de contrat. La parole suffisait. Ceux qui avaient besoin d’argent allaient lui en demander. Mais ils n’avaient aucune idée du blé que Chess se faisait sur les ventes. Leonard le renard se défendait en disant que les affaires étaient dures et qu’il prenait des risques chaque fois qu’il sortait un nouveau disque : « Je fais de l’argent sur le dos des nègres et je veux le dépenser sur eux. » L’anecdote concernant le lancement de Chucky Chuckah  est édifiante et même dangereuse pour le mythe Chess, car elle fait apparaître une évidence : les frères Chess n’étaient rien de plus que des boutiquiers polonais arrivés en Amérique pour se faire du blé. Chucky Chuckah  doit tout à Muddy, mais certainement pas à Leonard le renard. C’est Muddy qui envoya le jeune Chucky Chuckah chez Chess - Yeah, vas voir Leonard Chess, yeah Chess Records, c’est à l’angle de Cottage et de la 47e rue - Dans son livre, Robert Gordon montre à quel point le pauvre Leonard pouvait être nul : « Le blues était le fonds de commerce de Leonard. Il savait qu’un single de blues allait se vendre à 20 000 ou 50 000 exemplaires, ce qui lui permettait de financer la suite. ‘Fuck the hits !’ avait-il coutume de dire. Mais avec Chuck Berry, ce n’était plus la même histoire ». Chucky Chuckah enregistra chez Chess une première démo d’« Ida Red » qui devint « Maybellene », mais Leonard le renard restait sceptique. Muddy : « Quand je suis arrivé le lendemain matin, Leonard ne comprenait toujours pas l’intérêt d’un morceau comme ‘Maybellene’. Je lui ai dit de sortir ce disque, car il y avait quelque chose de nouveau là-dedans. » Leonard suivit le conseil de Muddy et « Maybellene » s’est vendu à quelques millions d’exemplaires. Leonard le renard était un drôle de coco. Il traitait tout le monde de motherfucker. C’était sa façon de saluer les gens. Chez Chess, ceux qui n’insultaient pas les autres n’étaient pas pris au sérieux. Muddy se sentit tout de suite à l’aise avec ça, car le patron blanc de la plantation où il avait grandi et s’était «épanoui», le colonel Stovall, se comportait de la même manière.

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             Quand Leonard le renard a cassé sa pipe en bois, Muddy a déclaré : « On s’est rencontrés en 46, et on était devenus très proches. Je pense que s’il vivait encore, je lui dirais ce que je vais dire maintenant : il m’a fait et je l’ai fait. Aussi je perds un bon ami. »

             Wolf, Muddy et Willie Dixon mettront des années et des années à récupérer une partie de ce qui leur était dû. Ils durent intenter des procès contre ce qui restait de l’empire Chess pour récupérer leur blé. Tous ces morceaux qui avaient rapporté des millions de dollars étaient signés McKinley Morganfield - nom de Muddy à l’état civil - et c’est Arc, la société d’édition créée par les frères Chess à New York, qui avait empoché la pluie d’or. Ce sont les frères Chess qui sont devenus millionnaires, pas Muddy, ni Willie. L’histoire de Chess est à la fois une histoire mythique et un véritable scandale. Le seul qui soit resté intraitable sur la question des royalties, c’était Willie Dixon, sans doute parce qu’il avait vu la mort de plus près, étant gosse, dans le Deep South. Quand il en a eu marre de se faire plumer, il est allé voir un avocat. Avant lui, jamais un nègre n’aurait osé s’attaquer au patron blanc. Willie Dixon avait beaucoup de courage.

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             En 1951, Muddy préfigurait Jimi Hendrix avec « Still A Fool ». Muddy fut bel et bien l’inventeur du rock à travers le blues, comme le fut Sister Rosetta Tharpe à travers le gospel. Dans ce classique, on sent la vraie niaque des noirs du Sud, et Muddy chante comme un dieu. Il faut aussi écouter la version originale de « Baby Please Don’t Go », enregistrée en 1953 et rendue célèbre par les Them de Van Morrison. C’est l’origine des sources fondamentales - down in New Orleans I love you so - il faut voir Elgin battre le beurre du diable. « Standing Around Crying » est d’une lenteur inexorable. Certainement le blues le plus lent de l’histoire. Little Walter souffle comme un dingue dans son harmo et Otis Spann frappe comme un sourd sur ses touches de clavier. Mais tout cela n’est rien à côté de la version originale de « Mannish Boy ». On est en 1955, Little Walter, Willie Dixon, le guitariste Jimmy Rogers et le batteur Francis Clay accompagnent Muddy. Ils font littéralement sauter la baraque. C’est le pur génie du delta. Pur sexe. Pure arrogance primitive. On entend des hurlements salvateurs - I’m a rolling stone ! - tu parles Mick ! Et ce sont ces cinq petits Anglais qui sont devenus milliardaires à la place de Muddy ! Sur « Trouble No More », Willie dandine son gros cul et slappe comme un démon. Et cette version de « Rock Me » ! La source du heavy rock, le rock me all night long, le vrai truc - Muddy peut baiser toute la nuit. C’est l’époque où Pat Hare joue de la guitare dans le groupe de Muddy, mais on ne l’entend pas. Dommage, car il traîne une réputation de sauvage de disto king. Tav Falco le cite à trois reprises dans son roman sur Memphis. Par contre, on entend Earl Hooker sur quelques morceaux et là on ne rigole plus. Il joue comme un diable sur « You Shook Me » et fait de merveilleuses incursions dans un « You Need Love » joliment nappé d’orgue. Au fil des ans, Muddy change souvent de guitariste. On retrouve à une certaine époque un certain Luther Tucker qui joue les virtuoses effarants avec un jeu pétrifié à la Stan Webb. On se régalera aussi d’une version plus tardive, toujours sur Chess, de « Good Morning Little Schoolgirl », un morceau tellement repris par les groupes anglais qu’on ne pouvait plus le supporter. Un conseil, écoutez la version originale, swinguée et slappée à la bonne franquette par Willie Dixon. Dans la bouche gourmande de Muddy, la little schoolgirl c’est autre chose, car Muddy, ne l’oublions pas, est un chaud lapin, il adore la cuisse de poulette. Même marié avec Geneva avec des gosses à la maison, il a plusieurs fiancées et des gosses avec elles, et sa chance, c’est que Geneva l’accepte. Visiblement, les blacks sont moins cons que les blancs. Eux savaient d’où ils venaient, et être en vie devait déjà leur sembler miraculeux. Ils n’imaginaient même pas qu’ils auraient un jour une vraie maison en pierres, pas en planches, une voiture et un frigidaire. L’extrême pauvreté, ça rend généralement humble. Cette femme noire Geneva a eu l’intelligence de comprendre que son pauvre miraculé de mari avait besoin de fréquenter d’autres femmes et elle a su l’accepter. Muddy emmenait ses fiancées en tournée, mais une fois la tournée terminée, il rentrait toujours à la maison. Geneva connaissait l’existence de tous les enfants que Muddy avait faits à droite et à gauche. Elle fut toujours à la hauteur de la situation, elle recevait royalement les amis de Muddy et chaque fois, elle leur préparait un festin. C’est elle qui est morte la première, atteinte d’un cancer, et c’est l’une des rares fois où on a vu Muddy pleurer.

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             L’histoire de Muddy Waters n’est pas seulement l’histoire d’un père fondateur du blues électrique, c’est aussi et surtout l’histoire d’un être humain hors du commun qui inspirait autour de lui certainement autant de respect qu’en inspirait Babou Gandhi à ses proches, dans son ashram. Muddy avait acheté une grande maison, et il y logeait spontanément tous les gens qu’il pouvait y loger, des rescapés du Deep South comme lui. Parce qu’ils avaient vécu l’enfer dans leur enfance, ces gens étaient d’une générosité qui nous dépasse complètement.

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             Comme la discrographie de Muddy Waters est aussi impénétrable que la forêt primitive de ses ancêtres, le conseil qu’on pourrait vous donner serait de choper la Chess Box. C’est un bon compromis. Trois disques proposent un choix de morceaux de Muddy par étapes (1947-1953, la plus riche, 1945-1962 et 1963-1972). C’est un très bel objet au format d’un LP, et dedans, on trouve un beau livre avec de grandes photos en noir et blanc du géant Muddy Waters.

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             Blues fantôme à la Skip James, « She’s All Right » ne se trouve pas sur ce coffret, dommage, car c’est l’occasion d’entendre le légendaire Elgin à l’œuvre sur ses fûts.

             Cinquième façon d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters : par le livre de Robert Gordon : Can’t Be Satisfied. The Life And Times Of Muddy Waters. Ce Gordon n’a rien à voir avec l’autre Robert Gordon, le chanteur. Par contre, il est aussi l’auteur d’It Came From Memphis qui est LE livre à lire en priorité si on s’intéresse à Sam Phillips et au Memphis sound.

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             Can’t Be Satisfied grouille d’anecdotes hilarantes, comme le font aussi les bios de Wolf et de Bo Diddley. En voici une : Muddy jouait dans un club de Chicago, au Smitty’s Corner, et des blancs sont entrés dans ce club généralement réservé aux noirs. James Cotton raconte que Muddy était inquiet parce qu’il croyait voir débouler des agents du fisc, alors qu’en réalité, il s’agissait de Paul Butterfield, de Nick Gravenites et d’Elvin Bishop, trois banc-becs pétris d’admiration pour l’immense Muddy Waters.

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             Robert Gordon donne longuement la parole à Muddy, dans son book, et on se régale de l’entendre, sur des tas de sujets variés, comme par exemple le monde du blues à Chicago. Muddy ne perd jamais de vue ses origines : « Je joue le blues des champs de coton, du maïs et du poisson frit. B.B. et Albert jouent un autre blues, un blues de classe supérieure. » À la fin de sa vie, il rigolait quand les journalistes lui parlaient de son succès : « Je n’ai jamais été une célébrité et j’en serai jamais une. Je ne suis que Muddy Waters de Clarksdale, dans le Mississippi. C’est moi qui allais au bureau de Stovall. » Il avait voyagé à travers le monde et il continuait de s’identifier au bureau de la plantation de Stovall, où on lui donnait un peu d’argent pour le coton qu’il avait ramassé. Il faisait comme son père, sa mère, ses frères, ses sœurs, ses cousins, depuis plusieurs générations. Il cueillait le coton sur la terre d’un autre. Pour rien. Et comme tous les gosses de sa condition, il a commencé tôt. À cinq ans, il apportait de l’eau aux cueilleurs qui en réclamaient. Puis à 8 ans, on lui a donné un sac pour le remplir de coton. Quitter la plantation ? « Les personnes âgées comme ma grand-mère ne croyaient pas qu’on pouvait survivre ailleurs, dans une grande ville. Si vous allez dans une grande ville, vous allez mourir de faim. Mais on mourait déjà de faim à la plantation. »

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             Comme la plupart des gosses des plantations, Muddy est imprégné de blues. « Tous les gosses fabriquaient leurs guitares. J’avais fait la mienne avec une boîte et un bout de bois pour le manche. Je ne pouvais pas faire grand-chose avec, mais c’est comme ça qu’on apprend. » Muddy vénérait Charlie Patton, Robert Johnson et surtout Son House qui frappait comme un dingue sur sa guitare en acier et qui avait une présence extraordinaire. Muddy avait 14 ans quand il vit Son House pour la première fois. Le premier guitariste que Muddy vit jouer sur un ampli, ce fut Robert Lockwood. Il faut savoir que Lockwood avait appris à jouer avec Robert Johnson en 1927.

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             Muddy décide de prendre son destin en main. Il a de la famille à Chicago, il a déjà fait un disque avec Lomax pour la bibliothèque du Congrès et il ne veut plus passer son temps à travailler dans les champs pour le compte d’un patron blanc. Il prend le train à Clarskdale. C’est un voyage de 16 heures, avec une étape à Memphis, jusqu’à Chicago. Il se fait héberger, et trouve immédiatement du travail, dans une usine de papeterie. Il n’en revenait pas de gagner autant d’argent : « Dieu tout puissant, tout cet argent ! J’ai cueilli le coton pendant toutes une année et j’ai gagné moins de cent dollars ! »

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    ( Muddy Waters à Chicago : portrait tableau de Miki  de Goodaboom)

             Puis il entame sa carrière de bluesman et enregistre des disques dans le studio de Leonard le renard. Il se produit dans les clubs de blues de Chicago et devient vite une grosse vedette locale. Il faut savoir que dans les années 50 et 60, les groupes de blues comme celui de Muddy Waters jouaient toute la nuit dans les clubs. Ils faisaient plusieurs sets (comme Vigon au Méridien qui enchaîne trois sets d’une heure) et donc ils buvaient comme des trous, pour pouvoir tenir le coup. Muddy commença à pisser le sang par le nez, il avait trop de tension et le médecin le mit en garde : soit il arrêtait l’alcool, soit il cassait sa pipe en bois. Muddy passa naturellement au champagne : « Champagne au petit déjeuner, au repas de midi, au repas de soir et champagne avant d’aller au lit. » Muddy s’amusait comme un gosse dans le monde pourri des blancs.

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             Robert Gordon nous relate dans le détail le fameux épisode qui se déroule dans les toilettes exiguës du Zanzibar : l’énorme Willie Dixon remplit tout l’espace. Il présente l’« Hoochie Coochie Man » qu’il vient de composer à Muddy qui est coincé entre l’évier et le porte-serviette. Encore plus drôle, on  assiste plusieurs fois à des parties de bras de fer en Muddy et Wolf, les deux héros légendaires de Chicago. Quand il débarque à Chicago en 1954, Wolf vient habiter chez Muddy. Wolf avait fait tout le trajet depuis le Sud au volant de son pick-up, fier comme Artaban. Mais Wolf était aussi un type terriblement jaloux. Muddy : « Je sais que les gens croyaient qu’on se détestait. Mais ce n’était pas vrai. Wolf voulait être le meilleur mais je n’avais pas du tout l’intention de le laisser devenir le meilleur. » D’où une petite rivalité. Même si Muddy savait qu’il ne faisait pas le poids face à Wolf. Il repompait les trucs de Wolf, comme par exemple la cannette de coca dans la braguette. Le coup le plus dur qu’il réussit à porter à Wolf fut de soudoyer Hubert Sumlin, le guitariste de Wolf. Il lui envoya un émissaire chargé de lui proposer de tripler son salaire s’il venait jouer dans son orchestre. Hubert accepta et vint jouer chez Muddy mais ça ne se passa pas très bien. Il y eut une bagarre avec Muddy et Otis Spann tenta de le frapper à coups de chaîne. Hubert passa un coup de fil à Wolf qui accepta son retour. Puis Wolf alla trouver Muddy chez lui pour lui dire dans le blanc des yeux : « La prochaine fois que tu me fais ce coup, mec, je vous tue tous les deux. » Qu’on se rassure, Hubert et Muddy sont redevenus amis un an plus tard. Ça faisait partie du petit jeu entre Wolf et Muddy.

             C’est Chris Barber qui fera venir Muddy en Europe et qui le rendra légendaire en Angleterre. Mais Muddy jouait beaucoup trop fort sur scène et le gens étaient choqués. Ils croyaient entendre du blues et Muddy mettait son ampli à fond. Les « funny » people d’Angleterre l’amusaient beaucoup, mais pour la tournée suivante, il tint compte des remarques et gratta des coups d’acou.

             On trouve mille autres détails passionnants dans ce livre. C’est une lecture vivement conseillée, très revigorante, dès lors qu’on s’intéresse au real deal. Petite cerise sur la gâtö : Robert Gordon met en avant cette épaisseur humaine qui fait hélas cruellement défaut aux pitres qui ornent les couvertures de certains magazines de rock.

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             Et puis il faut écouter Fathers And Sons. Muddy s’entoure d’une belle équipe de vétérans de toutes les guerres : Mike Bloomfield, Paul Butterfield, Duck Dunn, et puis Sam Lay au beurre. Ce double album flirte parfois avec l’ennui, car on y retrouve tout ce qui un temps rendait le blues si prévisible, qu’il soit embarqué au rythme du boogie ou joué dans les règles du déchirement. « Mean Disposition » est l’archétype du blues bloomydifié. Mike le soigne aux petits oignons. Pas de surprise. On retrouve cette emphase démonstrative qui fit tellement de mal au blues dans les années soixante-dix. On reste en territoire connu et ça rassure. Muddy fait autorité. Sur « Blow Wild Blow », Bloomy va chercher des notes grasses, comme d’autres fouillent la terre du groin à la recherche des truffes. Dans « Forty Days & Forty Night », Butter donne des coups d’harp de possédé. Mais on reste dans l’heavy blues classique et sans surprise. On notera l’extraordinaire prestation de Buddy Miles dans « I Got My Mojo Working Pt 2 ».

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             Il ne te reste plus qu’à choisir l’une des cinq façons d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters. Cet homme fait partie des grands héros du XXe siècle, au même titre que Nelson Mandela, Captain Beefheart, Sam Phillips, Joe Meek, Totor, Francis Picabia et Marcel Duchamp, et il vaut toujours mieux aller se réchauffer dans le giron d’un génie plutôt que de rester planté là à attendre Godot.

    Signé : Cazengler, pouet-pouet muddy

    Muddy Waters. Electric Mud. Cadet Concept Records 1968

    Muddy Waters. After The Rain. Cadet Concept Records 1969

    Muddy Waters. Father And Sons. Chess 1969

    Muddy Waters. Hard Again. Blue Sky 1977

    Muddy Waters. I’m Ready. Blue Sky 1978

    Muddy Waters. King Bee. Blue Sky 1981

    Muddy Waters. Unrealeased In The West. Moon Records 1989

    Muddy Waters. The Chess Box. MCA Records 1989

    Muddy Waters. On Chess Vol. 2 - 1951-1959. Vogue 1984

    Robert Gordon. Can’t Be Satisfied. The Life And Times Of Muddy Waters. Back Bay Books 2002

    Marc Levin. Godfathers And Sons. A Musical Journey Vol 6. DVD 2004

     

     

    Quels sont ces serpents qui Slift sur nos têtes

     - Part Two

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             Slift ? C’est simple. Il s’agit tout simplement de l’automatisme psychique de la purée en dehors de toute chorale concrète ou élastique. Slift ? C’est le va-t-en-guerre des boutons de la fleur au nombril. Slift ? C’est Moloch sous LSD, Saturne en 3D panoramique, Hadès télescopé par des stroboscopes.

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    Slift ? C’est une marmite géante de cassoulet intrinsèque en ébullition. Slift, ça t’emmène et ça oublie de te ramener. Slift c’est un aller simple pour où tu veux, tu peux même choisir ta destination, droit dans un platane ou quelque part dans l’enfer de ta cosmogénie. Slift, ça va vite, t’as à peine le temps de réfléchir, alors réfléchis pas, ça ne sert à rien. Slift, tu perds tes marques et c’est tant mieux, les marques, c’est comme la réflexion, ça ne sert à rien. Slift te lave de tous tes péchés, Slift te redore le plastron, Slift t’exclut des partis, Slift recommande ton âme à Dieu, Slift t’erre dans le désert, Slift te déterre de ta tombe, Slift t’enterre dans tes tares, Slift met un terme à ton bail, Slift t’atterre sur la lune, Slift t’attire dans son thème, Slift t’applique son tarif, après tu peux t’amuser à cataloguer, vazy, psychout so far out du mois d’août, heavy psych qui fait pschittt, drôle de drone ou downhome doom de der, comme la der des der, vazy, catalogue, mais tu vois bien que ça ne sert à rien,

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     Slift échappe à tous les bocaux, Slift glisse entre les doigts des étiqueteurs, Slift file comme une anguille grasse vers le soleil d’un ovaire psychédélique, Slift enfante des cuts en forme de solaces irrémédiables, Slift réinvente le paganisme salvateur des temps modernes, tu ne verras pas de groupe plus faramineux sur scène cette année, pas de groupe plus psychotropiquement libre, pas de groupe plus étalon-sauvage, pas de groupe plus écumant, pas de groupe plus tchernobilien.

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    Pas de superstar plus christique que Jean Fossat, dont la carcasse déjetée traverse l’espace et les siècles du set, arraché et recloué sur sa croix en permanence, Fossat est ivre de liberté et de grandeur, il abandonne son corps et s’y rejette, s’extrait et se projette, l’élance et s’abat, il étreint sa SG blanche comme une sainte relique, il est là et soudain, il n’est plus là, comme d’ailleurs sa musique, elle part, revient et repart, et en chemin, le psychout so far out de Slift croise Jean Fossart éperdu de sainte barbarie, trempé d’anarchie, tendu à se rompre et fouetté par des bourrasques de bassmatic et de beurre, oui, car tout est définitivement torrentiel sur cette scène, tout est joué à

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    l’outrance de la protubérance, sans le moindre respect des mesures ou des lois physiques. Slift t’offre un spectacle hors de temps et hors du rock, comme l’aurait sans doute fait un groupe de rock dans l’antiquité, pour peu qu’il en eût existé, mais ça, on ne se le saura jamais, par contre, on peut l’imaginer, et l’idée que Slift eût pu jouer dans une vie antérieure à la cour du roi Nabuchodonosor, au beau milieu d’une orgie de sexe et de sacrifices rituels, oui, ça tomberait presque sous le sens. Une façon de dire que Slift est trop énorme pour une époque comme la nôtre, une époque qu’il est impossible de prendre au sérieux. Alors on situe Slift dans un contexte plus adapté. Druillet aurait pu dessiner une pochette pour Slift et Flaubert n’aurait pas hésité un seul instant à chanter les louanges de Slift dans Salammbô. Avec des racines qui semblent plonger dans l’imaginaire de l’antiquité et un univers lyrique gorgé de sci-fi spatio-temporelle, Slift campe une fabuleuse incarnation de l’avenir du rock. L’occasion est trop belle de saluer Gildas qui d’une certaine façon fit leur découverte sur la petite scène du Ravelin, à Toulouse. Il ne se fourrait pas le doigt dans l’œil lorsqu’il en disait le plus grand bien dans son mighty Dig It! Radio Show. Et dans son livre, Confessions Of A Garage Cat, il déclare : «Ils sont à fond. Ils vont vraiment devenir énormes. Leur dernier album est un double, avec des morceaux très longs. Ils sont capables d’avoir 40 dates à la suite sans un day off.»

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             Après, tu as les disks. On a épluché Ummon dans un Part One quelque part en 2021. Il existe d’autres belles galettes de blé noir, à commencer par La Planète Inexplorée, découverte en 2018. L’album est reparu sous forme de double album avec l’EP Space Is The Key. Heavy dès «Dominator» et départ en vrille de prog, oh-oooh, c’est du pur jus de Swampland, de l’épique épique et colégram bardé d’écho et d’évasions excuriatrices. Ça pulse à Tooloose ! Et le festin de son continue avec un «Sword» bien secoué du bananier. Tout l’immeuble de Swampland résonne de beat fondamental. Nouvelle surprise avec ce «Sound In My Head» quasi-hendrixien, bien posé sur son assise. Il y va le Fossat, il hendrixifie la ville rose. Nos trois larrons enfilent les auréoles et claquent un boléro boréal. Et puis voilà le hit interplanétaire en B, «The Sleeve», avec des développements spectaculaires lancés au wooouhhhhh de rodéo, et ça se déclenche à la moindre étincelle. C’est pulsé par la loco du beurre. Sur sa SG virginale, Jean Fossat passe par tous les stades de la Méricourt sonique, comme le montre le morceau titre. Il rase motte et il outer space dans les étoiles, wahte dans les platanes et vrille sa trame d’émulsion purpurine. Il va dans tous les coins du drone, il est ric et rock, il sature ses saturnales et repart en diligence au fouette cocher dans la sierra. Ce spectaculaire rocker est un fier voyageur, il annonce l’apocalypse d’un coup de verset, revient dire la bonne aventure et repart dans une direction absurdement opposée, et derrière lui bat le cœur du cassoulet intrinsèque en ébullition. Alors, sa belle voix de Christ efflanqué s’accroche à la voûte de la cathédrale comme une chauve-souris repue de sang virginal.

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             «Heavy Load» lance le carnage de La Planète Inexplorée. Ça part en trombe de tagada proggy, c’est même du proggo-punk, avec le Fossat qui hurle dans le fond du minuscule local de Swampland ! Pure giclée d’heavy psych-out, avec une belle tension hypno à la Can et du revienzy de bassmatic. Tout est gorgé d’énergie barbare sur cet album, il faut les voir reprendre au vol leur «Doppler Ganger» avec des volées de bois vert et de fuzz toulousaine. Pour boucler cet effarant balda, ils filent ventre à terre avec «Ant Skull». Le «Frearless Eye» qui ouvre le bal de la B est plus pop, mais visité par la grâce. Il règne en permanence dans cet album un fort parfum de modernité. Les dynamiques de «Trapezohedron» sont encore une fois imparables, portées par le fantastique shuffle de beurre et tu vois ce bassmatic affamé qui maraude dans le lagon.    

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             Sur ce fabuleux double album que sont les Levitation Sessions, on recroise tous les hits qui font la légende de Slift, à commencer par la wild ride d’«Heavy Load». Jean Fossat va hurler ça au sommet du lard fumant, ils développent exactement la même énergie que Can, avec la hurlette en prime. On recroise aussi la plupart des cuts d’Ummon, dont le morceau titre - là ils mettent le paquet sur le blow - et «It’s Coming», qui sonne comme du pur Can. On croit entendre Damo et Jaki. L’«Hyperion» qui ouvre le bal de la C sort aussi d’Ummon. Quelle niaque ! En matière d’heavy psych so far-out, on ne peut guère faire mieux. Ils développent un power simple, mais considérable. L’«Altitude Lake» sort aussi d’Ummon. On y entend les power chords de la fin du monde. La B sort aussi tout droit de la pétaudière d’Ummon, avec «Thousand Helmets Of Gold» cavalé ventre à terre, fabuleux psyché psycho de basse fosse, et «Citadel On A Satellite». Ah ils sont bien barrés dans leur monde. Ils voyagent énormément. Les cuts sont longs, ça favorise les explorations. En D, on retrouve l’excellent «Lions Tigers & Bears» qui fait encore la joie d’Ummon. C’est vite embarqué en enfer. Jean Fossat et ses collègues ne traînent pas en chemin. Ça pulse dans les artères, avec un bassmatic brouteur de motte. Quelle allure ! Ah il faut voir ça ! Le thème musical sonne comme un hit pop. Ils jouent en trombe,  avec un bassmatic qui amène un second souffle. Ils arrivent au-dessus de Babaluma, qui est un peu leur cœur de métier. Ils tiennent bien la pression dans la durée et puis ça bascule inévitablement dans l’apocalypse. Les trois Toulousains sont les rois de l’attaque viscérale. 

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             Leur dernier album s’appelle Ilion. Encore un double album. C’est Ilion qu’ils jouaient sur scène, l’autre soir. Proggy as hell, mais moins de son qu’à Swampland. Plus lisse, plus monacal. Chanté dans la crypte. Jean Fossat chante comme un apostat pestiféré emmuré dans une crypte. On perd les dynamiques magiques du premier album. On perd «The Sleeve». Quand on entre en B dans «The Words Have Never Been Heard», on comprend que sans le support visuel de la scène, ça ne marche pas. On perd tout le raw de Swampland qui faisait leur force. Et ça continue de tartiner avec «Confluence». Appelle ça l’Ilion et l’Odyssée et tu ne seras pas loin du compte. Ils continuent d’explorer des zones inexplorées, avec l’énergie et le courage qu’il faut aux découvreurs pour accomplir ce genre de mission, que ce soit sur terre, dans l’espace ou dans l’imaginaire. Avec leur «Confluence», ils nous replongent dans les errances de Yes et c’est pas terrible, mais Jean Fossat se fend en bout de B d’un solo apocalyptique qui le lave de tout péché. En C, il s’enfoncent encore  plus loin dans le cérémonial liturgique. Pour entrer là-dedans, il faut se retrousser les manches. On sort définitivement de Swampland et on se dirige tout droit sur Telerama. Et encore, on se demande ce que les Telerameurs vont pouvoir piger à ça. Hey Slift, you’ve lost that lovin’ feelin’. Avec «Uruk», il ne se passe rien de plus que ce que tu sais déjà. C’est un brin mélodie en sous-sol avec un final explosif. La D continue de s’enfoncer dans le cérémonial liturgique. Décidément, c’est une manie. Si on est encore là, c’est uniquement par curiosité. Ils sont entrés dans l’église psychédélique et c’est très bien. Au moins, ils iront au paradis. Les trames interminables qu’ils tissent défilent comme une bande passante, ça joue pour jouer, ils n’ont pas d’autre raison d’être que de jouer et de dérouler sans fin. Tu es content d’être resté jusqu’au bout, car tu assistes éberlué à un final hallucinant en forme de cascade de lumière.

             Tout ceci est bien sûr dédié à Gildas, et à un autre grand laudateur de Slift, my friend Pat Caramba.

    Signé : Cazengler, Shit

    Slift. Le 106. Rouen (76). 16 mars 2024

    Slift. La Planète Inexplorée. Howlin’ Bananas Records 2018

    Slift. Levitation Sessions. The Reverberation Appreciation Society 2022

    Slift. Ilion. Sub Pop 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Hé dis, Eddie, Ernie nie ?

             Rien qu’à le voir, tu lui aurais donné le bon Dieu sans confession. Devenu adulte, Japee conservait dans le regard toute la candeur de son enfance. La qualité du regard est un signe qui ne trompe pas. Et plus tu apprends à le connaître, plus tu t’émerveilles. Le moindre de ses actes, la moindre de ses paroles, le moindre de ses avis entre en cohérence avec l’idée que tu fais de lui. Il fait partie de ces êtres qui avancent dans la vie comme des funambules au-dessus du vide et qui ont la grâce de ne commettre aucun faux pas. Le savoir-vivre naturel peut fasciner. On l’observe souvent dans les romans, notamment chez Proust ou encore chez Drieu, mais assez rarement dans la vie. Si l’occasion se présente, la première chose qu’on fait est de guetter le faux pas, le mot de travers, car on se dit au fond de soi que la perfection n’est pas de ce monde, il va forcément commettre une petite erreur, ce serait même rassurant. Eh bien non. Japee a décidé de ne pas faillir. Il donne à réfléchir. On pourrait presque le jalouser, mais on se connaît trop bien, et de toute façon, les questions de moralité ne sont plus à l’ordre du jour. Il faut donc se résoudre à observer et guetter le faux pas qui ne viendra sans doute jamais. Pour ne pas compliquer les choses, on espace les rencontres. Ce serait tout de même embêtant de voir la perfection se banaliser. Et si tout cela n’était qu’une vue de l’esprit, une fabrication de l’imaginaire ? Ne fabrique-t-on pas inopinément des modèles ? Ne transfère-t-on pas chez d’autres les traits de caractère qui nous font si cruellement défaut ? Et si Japee n’était au fond qu’un imposteur ? Et s’il n’était qu’un personnage de sa composition, un habile manipulateur ? L’idée s’évanouit aussitôt qu’il apparaît en chair et en os. Il est d’un naturel désarmant. Aucune rouerie n’est possible dans ce visage mis à nu, il parle en riant et tout redevient clair comme de l’eau de roche. Alors il ne reste plus qu’à savourer ces moments de félicité. Comme c’est agaçant d’avoir à penser qu’en cet instant la vie reprend son sens. 

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             Japee, Eddie, Ernie ? C’est du pareil au même. Japee ne chante pas, c’est la seule différence avec Eddie & Ernie. Oh et puis la couleur de peau. Japee est un petit cul blanc, mais ça n’enlève rien à ses qualités, oh la la, pas du tout.

             Personne ne peut résister à la photo d’Eddie & Ernie qui orne la devanture de cette fabuleuse compile Kent parue en 2002, Lost Friends. Personne ! Ils sont plus beaux que Little Richard, plus anguleux qu’Ike Turner, plus pompadourés qu’Esquerita, on sent un mélange de grâce et d’animalité qui bat tous les records. En plus ils chantent bien. C’est à David Godin que revient l’honneur de signer les liners. Même s’ils sont composés dans un corps 4 ou 5 qui t’explose les yeux, tu es content de pouvoir lire son baratin.

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             Ils s’appellent Edgar (Eddie) Campbell et Ernest (Ernie) Johnson. Godin les situe à Lubbock, Texas (Ernie) et Phoenix, Arizona (Eddie). Eddie rencontre Ernie à Phoenix et ils se mettent à duetter ensemble. Hadley Murrell prend le duo en charge et le booke à l’Apollo. En 1966, ils entrent en studio avec Richard Gottehrer pour enregistrer 4 titres. Voilà en gros ce que nous raconte Godin. En fait, il n’a pas grand-chose à nous raconter. Puis Eddie & Ernie finissent par se décourager, alors ils quittent New York pour rentrer à Phoenix, où ils sont tous les deux installés. Eddie est un romantique, sa femme lui manque terriblement. Ernie est un alcoolique qui va se choper une petite cirrhose.

             Premier coup de semonce avec «You Make My Life A Sunny Day», cette fantastique décharge d’heavy Soul, tu as là le big heavy Soul System, c’est à cet endroit précis que l’heavy Soul prend le pas sur le genius. Eddie & Ernie allument au sommet du lard, c’est à la fois puissant et irréversible, ils s’écroulent tous les deux dans des gerbes. Pire encore : «Doggone». Godin est lui aussi sidéré par le power d’Eddie & Ernie : «This is Eddie & Ernie at the very height of their powers and on top of the world. It can make you feel that way too. A true ‘Golden Era’ treasure.» Ils tapent en effet dans l’hot as hell du r’n’b, il n’existe rien de plus puissant, à part Wilson Pickett. S’ensuit l’«Outcast» repris par les Animals sur Animalism - Hey hey hey I’m just an outcast, ces deux blackos te foutent le feu à la compile, il tapent l’heavy popotin du diable, et c’est orchestré à outrance. Rien qu’avec ces trois hits fondamentaux («You Make My Life A Sunny Day», «Doggone» et «Outcast»), t’es repu, et en plus, t’es au paradis. Oh tu peux ajouter «We Try Harder». On se croirait chez Stax, tellement ça percute dans le haut de l’occiput. Ces deux diables chantent ensemble, comme Sam & Dave, et t’explosent tout. Et ce n’est pas fini. On pourrait même dire que ça ne fait que commencer ! Tu tombes plus loin sur la fabuleuse clameur de «Standing At The Crossroads», ils déboulent avec cette énormité digne de Mad Dogs & Englishmen, et c’est divinement explosé aux chœurs de génie. Godin : «A track that is so good it’s breathtaking, and it is worth many times the cost of this whole CD. So there!». Le poêle Godin est encore plus barré que nous. Il est incapable de retenir son enthousiasme. Ils font un duo d’enfer avec «Woman What Do You Do Wrong», ils sont encore plus raw que Sam & Dave, comme si c’était possible ! Et c’est arrosé de sax prévalent, tout éclate au Sénégal, ici, le r’n’b, les grattes, les nappes de cuivres, so baby I’m gonna ask one more time ! Ils enchaînent cette merveille avec une cover de «Lay Lady Lay». Joli clin d’œil à Dylan, ils t’embarquent ça vite fait à l’aw yeah. Ils te tartinent ça en mode fast r’n’b. Quelle rigolade ! - Stay lady stay/ Stay with your man for a while - Ils te bouffent Dylan tout cru ! C’est encore une fois explosif. Ils transforment ce hit en shoot de hard r’n’b. Le poêle Godin raconte qu’il est à l’origine de l’idée de cette cover. Il était alors en contact avec le manager d’Eddie & Ernie, car il sortait des singles sur son label Right On!. Eddie & Ernie étaient en panne de chansons, et comme Godin avait flashé sur l’hommage qu’avait rendu Esther Phillips à Dylan avec «Tonight I’ll Be Staying Here With You», il leur proposa de taper «Lady Lady Lay». Et ça repart de plus belle avec «The Groove She Put Me In», puis «You Turn Me On». Avec Eddie & Ernie, c’est l’enfer sur la terre ! Ils tapent à la suite l’immémorial hit d’Aaron, «Tell It Like It Is», ils travaillent cette merveille à deux voix, ils la biseautent, c’est façonné à l’angle des cuivres, avec tout le balancement dont sont capables ces deux prodigieux requins en sequins, il faut les voir fondre leur Tell Me dans les nappes de cuivres. Et puis tu les vois se diriger vers la sortie avec «It’s A Weak Man That Cries», un heavy groove de fabuleuse occurrence, ils groovent dans l’air de leur temps, à l’unisson de leur saucisson, avec un guitar slinger en embuscade derrière les lignes ennemies, mais le poêle Godin ne nous dit pas qui c’est. Petit cachotier !

    Signé : Cazengler, Ernie discale

    Eddie & Ernie. Lost Friends. Kent Soul 2002

     

     

    L’avenir du rock

     - Rich comme Crésus

     (Part One)

             Contrairement à ce qu’on croit, l’avenir du rock ne roule par sur l’or. Il est même aux abois, c’est-à-dire aux portes de la précarité. Bon, il n’en arrive pas encore au stade où on reprise ses chaussettes, mais il fait gaffe aux dépenses. Il appelle ça des coups de freins. Coup de frein sur la bouffe, coup de frein sur les fringues, et surtout coup de frein sur les vacances. Mais pas de coups de freins sur les lignes budgétaires prioritaires, c’est-à-dire les disques et les concerts. Bon et puis il y a le sac de sport, c’est-à-dire la caisse noire, qui finance les putes et les produits. Il faut bien maintenir un minimum d’équilibre, surtout quand on est un concept aussi à cheval sur l’étiquette. Et finalement tout se passe bien. L’avenir du rock s’est comme qui dirait désurbanisé, plus besoin d’aller foutre les pieds dans ces boutiques de m’as-tu-vus et de claquer des fortunes dans le paraître. Plus besoin d’aller faire le coq dans la basse-cour. De lointains souvenirs de vacances lui restent coincés en travers de la gorge. Quel ennui ! S’allonger sur une plage et y rester des heures illustre parfaitement à ses yeux le comble de l’ennui le plus mortel. L’avenir du rock se demande encore à quoi sert de se faire bronzer. Il préfère le soleil du Brill et les horizons des Byrds, ceux qui nourrissent ton imagination, alors que de voir des grosses rombières réactionnaires déambuler en maillot de bain, ça te la tue, l’imagination. L’avenir du rock conserve encore assez de lucidité pour se savoir coincé dans les rigueurs de son concept, mais il préfère ça mille fois à la brutalité et à la laideur atroce de la réalité du monde extérieur. Depuis des siècles, les artistes font de l’art pour lutter contre cette réalité, mais elle gagne sans cesse du terrain, on assiste même à l’accélération d’une dégradation générale depuis l’avènement du numérique. Alors l’avenir du rock rentre dans son cocon conceptuel, et quand on lui demande si ça va, il répond, bien sûr, puisqu’il est Rich comme Crésus.

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             Le Rich que cite l’avenir du rock ne s’appelle pas Crésus, mais Jones. Rich Jones, ce qui revient au même. Rich est riche d’une brillante carrière de guitar slinger.

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             Dans Vive Le Rock, Phil Singleton lui rend enfin hommage. Le Canadien Rich Jones est l’homme à tout faire du grittiest punk/glam rock. Depuis vingt ans, il écume les planches en compagnie d’une kyrielle d’«icons of the genre» : Michael Monroe, Ginger Wildheart, Tom Spencer (Loyalties & Yo-Yo’s) et bien sûr les Black Halos dont le nouvel album vient de paraître : How The Darkness Doubled.

             Né à Coventry, Rich a grandi à Toronto. Ado, il s’intéresse au metal puis bascule dans les Dolls, les Dead Boys, les Ramones et les Heartbreakers. Le punk new-yorkais va devenir son cœur de métier.  Au début des années 90, il s’installe à Vancouver et démarre les Black Halos. Au même moment, juste de l’autre côté de la frontière, about two hours away, le grunge explose à Seattle. Les Black Halos vont tenir la route jusqu’au début des années 2000. Ils tournent sans arrêt, mais n’ont pas de blé - it was $5 a day - Rich n’est pas riche, alors il quitte les Black Halos et part jouer avec Amen à Los Angeles. Et puis en 2016, un tourneur espagnol propose un gros billet aux Black Halos pour se reformer et venir jouer en Espagne. Ils sont tellement contents de rejouer ensemble qu’ils décident ensuite d’enregistrer un nouvel album, How The Darkness Doubled, dont le titre est tiré d’un cut de Marquee Moon

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             Pourquoi écoute-t-on How The Darkness Doubled en 2022 ? Parce que d’une certaine façon, Rich et ses Halos alimentent la chaudière. Avec cet album, on n’apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà, mais il est difficile de résister au souffle d’une cut comme «Tenement Kids». Billy Hopeless chante comme s’il dégueulait. C’est le même beeeerrrk. Les solos sont beaux, ce sont de vraies gerbes. Les Black Halos restent violemment en place, il remontent sur leur merry-go-round d’antan, même son, même esprit, même niaque tight. On observe même une tentative de mélodie, et globalement, ça reste assez conquérant. Ils pompent goulûment le «Teenage Kicks» des Undertones pour couler le bronze de «Forget Me Not», c’est exactement le même swagger au couplet chant, mais qui va aller le leur reprocher ? Ils sont très en forme, pour des vieux gaga-punksters. En B, ils se moquent de leurs copains avec «All Of My friends Are Like Drugs», et ils se transforment en énorme machine de guerre moyenâgeuse pour «Frankie Came Home». Ils restent bien dans la ligne du parti, avec des chœurs de lads. Le bassmatic de John Kerns dévore tout. Ils bouclent cet album héroïquement classique avec «A Positive Note», belle explosion gaga-punk, extrêmement mélodique, soutenue aux chœurs et battue à la diable.

             Phil Singleton a lui aussi remarqué que Rich comme Crésus avait assidûment fréquenté Tom Spencer, qui, après avoir fait des étincelles avec les Yo-Yo’s puis les Loyalties, en fait maintenant avec la reformation des Professionals. Tom demande à Rich comme Crésus de rejoindre la tournée des Professionals en 2021. Rich dit à Phil qu’il est fier d’avoir pu jouer avec Cookie. Rich précise ensuite que Tom et lui sont potes depuis les années 90, époque où les Black Halos ont joué en même temps que les Yo-Yo’s aux Kerrang! Awards à Londres. Quand Rich est venu s’installer à Londres, Tom lui a demandé de rejoindre les Yo-Yo’s. On l’entend donc sur le deuxième album des Yo-Yo’s dont on va s’occuper dans un Part Two. Rich ajoute que Tom et lui jouent ensemble depuis vingt ans. Pour l’anecdote, Rich raconte qu’ils ont monté ensemble les Loyalties pour aller faire un concert à Venise, sur un bateau.

             En 2012, Rich rejoint Sorry & The Sinatras. Il s’entend bien avec Scott Sorry, ils étaient ensemble dans Amen, we were looking for trouble. Puis l’expérience s’est arrêtée brutalement : «We did some stuff with the Sinatras but unfortunately his personal life stopped him from doing music for a long time.» Il est extrêmement pudique sur cette histoire. Et puis tout un tas d’autres projets, Rich grouille de projets. Il accompagne aussi Ginger sur l’Albion album, juste avant de rejoindre Michael Monroe en 2013. C’est Ginger en quittant le groupe de Michael Monroe qui recommande Rich. Il enregistre Horns & Halos avec Michael Monroe, mais il ne part pas en tournée avec eux car il a trop de casseroles sur le feu. On le retrouve ensuite sur les albums suivants. Rich ajoute qu’il a co-écrit les cuts de l’album solo de Sami Yaffa, The Innermost Journey To Your Outermost Mind. Tu trouveras tous les détails dans un Part Two. 

    Signé : Cazengler, ric et rac  

    Black Halos. How The Darkness Doubled. Stomp Records 2022

    Phil Singleton : Strike it Rich. Vive Le Rock # 92 - 2022

     

     

    Smog on the water

     - Part Three

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             En 2007, Smog devient Bill Callahan avec Woke On A Whaleheart. Au fil des albums, on aura l’impression constante de voir son énorme talent éclore.

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    Il attaque «From The River To The Ocean» à l’accent tranchant barytoné. C’est du pur Bill et il sait en jouer. Il a une voix et des ouvertures, alors c’est facile d’aller enregistrer des albums d’indie rock troublant. Il enchaîne avec «Footprints», un joli shoot de good time Callahan. Il a des chœurs de filles derrière lui, c’est vraiment plein d’esprit. Plus loin, il sature son «Sycamore» pour en faire une sorte de musicologie tourbillonnaire d’une extrême pugnacité. Bill est l’un des très grands artistes de notre époque. Il allie la pression extraordinaire des arpèges et une voix radieuse. Comme s’il envoyait des giclées de lumière dans le ciel. Fabuleuse présence encore avec «The Wheel». Il fait son La Fontaine dans «Day», disant qu’il faut écouter les animaux et les légumes. C’est aussi du Dylan à l’envers : il donne une leçon de choses. Mais il ne sera jamais Bob Dylan. Il arrive trop tard. Le temps des cerises est passé. Bill bourre sa dinde. C’est de bonne guerre. On l’aime bien, alors on le suit. 

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             Pour ses pochettes, il choisit désormais de belles toiles bucoliques, comme s’il recherchait la paix intérieure. La pochette de Sometimes I Wish We Were An Eagle nous montre des chevaux dans un pré. C’est bien de l’avoir au format vinyle, car on peut l’accrocher au mur pour décorer la pièce. On trouve trois pures merveilles sur l’album, à commencer par le «Jim Cain» d’ouverture de balda - Remember the good things - «The Wind & The Dove» vaut aussi le détour, c’est chanté au grain coloré de Callahan, et vertigineux de descentes de Dove. Il termine l’A avec l’excellent «Too Many Birds» - Too many birds in the tree - assez nonchalant, suivi au violon - If you could/ only/ stop/ your/ heart/ beat/ for/ one/ heartbeat - L’album est visité par la grâce. Il s’achève avec un «Faith/Void» monté sur les accords de «Walk On The Wide Side» - It’s time/ To put gun away - Il groove son time au ah ah de time, il a une façon de monter son couplet en neige qui est une pure merveille, il le fait déboucher sur un paysage orchestral de rêve, pas loin de ce que fait Lou Reed avec le tilili tiptilili, and the colored girls go, Bill le fait avec deux fois rien, avec seulement it’s time/ To put gun away, et il monte encore une quatrième fois, alors quel coup de génie ! 

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             Pour Apocalypse, il choisit une montagne. Il vise la pacification bucolique, comme le montre aussi «Baby’s Breath». Il ne fait que du petit intimisme de la vallée. Il s’amuse bien avec sa guitare et ses gentils amis. Il crée son petit monde en permanence comme le montre encore «America» - America/ You’re so grand and golden - Il y rend hommage à Kristofferson, Mickey Newbury et Cash. En B, il vise encore l’apaisement avec «Free’s» - I’m standing in a field/ A field of questions - Il nananate sa descente de couplet, il est parfaitement à l’aise - And the free/ They belong to me.

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             Encore une belle montagne sur la pochette de Dream River. Il reste dans son laid-back de velours tiède et dans l’extrême pureté avec son «Small Plane» - I really am a lucky man/ Flying this small plane - Il est en fait beaucoup plus mélodique qu’au temps de Smog. «Spring» sonne comme un slow groove de the spring is you. Il repart en plus belle en B avec «Ride My Arrow». Il a une façon géniale de rouler son ride my arrow dans la farine. Bill Callahan est un chanteur magnifique. Encore une très belle ambiance dans «Summer Painter». Il est suivi dans les prés enchantés par une flûte bucolique.

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             Comme son nom ne l’indique pas, Have Fun With God est un album de dub, ou plus exactement, une version dub de l’album précédent, Dream River. Le baryton est idéal pour le dub, il attaque «Thank Dub» au dumb dub, il plonge dans l’entre-deux du rien du tout, il tape le dub de l’espace, au point que sa voix s’y perd, comme celle de Major Tom. Tout n’est pas bon, sur ce dub disk. Il faut attendre «Small Dub» pour frétiller. Son petit biz crée la confusion : il fond son baryton dans le gras du dub. C’est encore plus pertinent avec «Summer Dub». Il surmonte son dub le temps qu’il faut. À travers cet exercice de style, il vise bien sûr la modernité. Il ramène pour ça les composantes indispensables : l’énergie et l’incongru. Tu as donc le beurre et l’argent du beurre. Dans «Call I Dub», on le sent par contre dépassé par les événements. Il perd la trace, il flotte, all day. Le groove le charrie comme une âme en peine. C’est d’un effet très spectral, très fantôme d’Écosse en Jamaïque. Encore plus étrange, voilà «Ride My Dub», il descend des escaliers dans les profondeurs du son, il va à la cave du dub. Et son dub n’a plus rien du dub, ça redevient du Bill. Son biz finit par le rendre prévisible. Mais comme il a beaucoup de chance, il se rattrape au vol, ride my/ ride my. Il s’amuse encore à pousser le concept du dub dans «Transforming Dub».  et il revient à son road is dangerous avec «High In The Mid-40s Dub». Impressionnant.

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             Shepherd In A Sheepskin Vest pourrait bien être l’un des meilleurs albums de Bill Smog. Il est en tous les cas chaudement recommandé. Pochette superbe, dessin d’inspiration onirique et rac, et très vite, on tombe sur une authentique Beautiful Song, «Writing». Il approche chacune de ses chansons avec un respect terrifiant, il chante en retrait, il recule dans sa magnificence, il va chercher des résonances on the mountain, il s’interroge, il se demande où sont passées les choses. Avec «The Ballad Of The Hulk», il fait vibrer le sucre de son baryton, il t’éclate doucement l’intimisme au maybe I should know. Il entre encore dans le chou du doux avec «Morning Is My Godmother» - Morning is my godmother/ Loving me like no other - Il semble à certains moments que son excellence nous dépasse. Il cultive ses mélodies à la ramasse de la traînasse. Son baryton devient lumineux sur «Son Of The Sea». Il y berce son fisherman. Avec l’élégie funèbre de «Circles», il sonne comme Nick Drake. Il atteint le sommet de l’apanage du baryton avec «Tugboats & Tumblebleeds», il joue sur toutes les facettes de son diamant noir, c’est-à-dire son baryton - And you/ You’re my tugboat too  !

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             Grand retour de notre barytoneur préféré avec Gold Record en 2020. Dès «Pigeons», il se prend pour Johnny Cash. Même Lanegan ne descend pas aussi loin dans le deepy deep. Bill Smog tape dans le gras du lard, il en abuse, c’est son fonds de commerce. Lanegan en faisait une œuvre d’art. Bill Smog en fait du Callahan. «Another Song» jette l’ancre dans le baryton. Bill Smog fait même du heavy baryton. Il fait son enchanteur poilu au coin du feu. «35» sonne comme un heavy drive de no way-out, et c’est avec «Protest Song» qu’on retourne dans les profondeurs, dans l’abîme d’aw my Gawd, ça s’éclaire au step aside son/ Somebody must die, il gratte dans la darkness extrême. Il en fait un chant de sorcier. Fascinant ! Tout aussi génial, voici «The Mackenzies». Bill Smog revient comme si de rien n’était. Il crée une magie ambiante assez extraordinaire, il te retourne son album comme une crêpe, tu reviens dans la cabane du sorcier, il te chante son cut du fond d’un baryton hitchcockien, it’s okay, son ! Avec «Breakfast», il n’a jamais été aussi heavy - Breakfast is my favourite meal of the day - Puis il rend hommage à Ry Cooder - Ry Cooder/ Is a real straight shooter - Quel hommage - Aw mister Guitah ! Cette belle parabole se termine avec «As I Wander». Bill Smog y crée du rêve. Avec une telle voix, c’est facile. Il y a de la magie de sorcier en lui. Il chante à la moelle maximale, dans l’essence du magic trick, il est là dans l’ombre, avec son baryton à la main, merveilleux sorcier, viril et si sensuel.

    Signé : Cazengler, Bill Callagland

    Bill Callahan. Woke On A Whaleheart. Drag City 2007

    Bill Callahan. Sometimes I Wish We Were An Eagle. Drag City 2009

    Bill Callahan. Apocalypse. Drag City 2011

    Bill Callahan. Dream River. Drag City 2013

    Bill Callahan. Have Fun With God. Drag City 2014

    Bill Callahan. Shepherd In A Sheepskin Vest. Drag City 2019

    Bill Callahan. Gold Record. Drag City 2020

     

    *

    Routes Of Rock. Les grands esprits se rencontrent toujours. La preuve : le magazine Rockabilly Generation News (N° 29) présente une interview et de superbes photos de Jean-Louis Rancurel consacrée à Danny Boy, je chronique illico dans la livraison 639, piqué par la tarentule de la curiosité et de la veuve noire du regret de cette carrière trop tôt arrêtée notre Cat Zengler préféré, ne cherchez pas les autres il est unique, nous fait un petit topo (livraison 640) sur les morceaux enregistrés par Danny Boy, alors que j’étais en train de méditer une chro sur les premières apparitions discographiques de Danny Boy, sous le nom de Claude Piron. Elle n’est pas restée dans les annales du rock’n’roll français, elle lui a pourtant valu le titre de premier rocker français. La place est prise, vous n’y accèderez jamais.

    CLAUDE PIRON

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    (Ducretet Thompson /460 V 418 / Mai 1958)

    Ce n’est pas encore la beauté des pochettes des super 45 tours des années 60 que le monde entier ( celui des collectionneurs) nous envie, n’empêche que son fond monochromique bleu n’est pas du tout désagréable, et notre Piron avec son nœud de cravate relâché et son col de chemise dégrafé devait apparaître follement débraillé à l’époque, pour vous en convaincre regardez les photos des surréalistes, l’a un abord des plus cool, l’a dû faire craquer plus d’une minette à l’époque, mais voici venu le temps de l’écoute. Je n’ai rien trouvé de bien précis sur Jany Guiraud et son Orchestre, non ce n’est pas un groupe de rock, au mieux imaginons une formation swing.

    Mon cœur bat : il ne bat pas à cent à l’heure, notre pionnier du rock commence par un slow qui ne casse pas les manivelles. Une belle voix, le meilleur c’est encore les cinq secondes d’intro avec la trompette qui fait whoua-whoua ( orthogaphe revendiquée par Molossa) et l’extro avec ses espèces de coups de cloches xylophoniques. C’est un original de George Aber, bientôt il sera le parolier attitré des yéyé, A coups de dents : beaucoup mieux en rythme, pas rock, mais jazz, des paroles du genre j’ai beaucoup vécu vous pouvez m’en croire, sur la fin il déploie une envie de jeune loup, c’est mieux. Pas non plus la hargne d’un blouson noir. Un coup de chapeau à Jany Guiraud, non ce n’est pas Ellington, mais ça s’écoute avec grand plaisir. George Aber est encore aux lyrics. Allez ! Allez : la preuve qu’il est bon, notre Cat Zengler sur sa chro d’une réédition de Danny Logan et ses pénitents lui applique l’adjectif  magnifique. Le jukebox est en panne : une version bien supérieure à l’original de Castel et Casti parue en 1958, faut dire que la voix de Claude Piron et l’orchestre de Jany Guiraud sont bien au-dessus de nos deux amuseurs.

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    (Ducretet Thompson /460 V 429 / Septembre 1958)

    Une pochette en régression, par rapport à la première elle paraît assagie, Piron semble avoir été mis au coin. Fais le beau mec coco, et ferme-là. Seul le fond rouge attire la vue.

    Viens ! : toujours  Jany Guiraud, le jazz band semble beaucoup plus rock que la voix de Piron, sans anicroche elle n’accroche pas, chante trop bien mais trop souveraine, il chante sur l’orchestre mais pas avec, mais il y a le sax et le batteur qui s’en donnent à cœur joie, étrangement le morceau sonne plus rock que l’original des Kalin’Twins plus près du jazz. Très en avance sur les productions des early french sixties, l’est vrai que l’on n’en pas est pas loin. Le docteur miracle : adaptation de Witch Doctor de David Seville and the Chipmunks, le genre de morceau rigolo pour ne pas dire stupide à la Itsi Bikini, Piron s’y jette dessus goulument, sa version est aussi bonne que l’originale en plus on comprend les paroles, non ce n’est pas du Flaubert, mais l’on apprécie encore plus. Hé ! Youla : encore un truc à la mords-moi-le-nœud, cette fois Piron articule les paroles sur la musique, l’orchestre balance à fond, est-ce du rock, est-ce du cha-cha, on s’en fout, on s’amuse, on s’éclate. D’où reviens-tu Billy Boy : une belle adaptation d’un traditionnel, le Piron vous la balance rondement, ça roule et ça tourne-boule, décidément ce deuxième disque de Claude Piron est un petit miracle, certes l’on est loin des Chaussettes Noires et des Chats Sauvages, et trop près des pitreries de Boris Vian et d’Henri Salvador, toutefois en huit morceaux l’on peut s’apercevoir du chemin parcouru. 

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    (Ducretet Thompson /460 V 453 / Mars 1959)

    Quelle pochette ! Pantalon de cuir moulant en premier plan, suggestion : rock ‘n’roll Animal, l’on ne peut pas s’empêcher de penser à Vince Taylor. Autre changement, Jany Guiraud est remplacé par Claude Vasori beaucoup plus connu sous le nom de Caravelli (et son Orchestre). Une de ses créations sera reprise par Frank Sinatra.

    La chanson de Tom Pouce : une niaiserie, Piron prend sa plus petite voix, hélas on le reconnaît, aucune magie fantaisiste n’émane de ce qui voudrait imiter la loufoquerie des nursery’ rhymes, une scie inepte qui ne mord pas dans le bois tendre de l’enfance. Incroyable mais vrai, la mélodie est signée de Peggy Lee. Plus grand : je n’ai pas voulu sur le morceau précédent charger la barque en critiquant l’accompagnement de Caravelli, mais là avec cette lavasse de jazz de prisunic, l’on regrette amèrement Jany Guiraud et son orchestre. Pirock ? : vous voulez rire, Pirogue variété échouée sur une lagune dépourvue du moindre crocodile. Dans la vie : je me suis accroché pour écouter jusqu’au bout. Piron dialogue avec les chœurs, les zamzelles sont enjouées mais l’ensemble sonne vieux, la Caravelli passe, les chiens trépassent. Oui mais plus tard : mais que pourrais-je écrire sur cette bluette insipide ? Rien. Quel contraste avec le précédent avec le disque précédent !

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    (Ducretet Thompson /460 V 459 / 1959)

    Sur la pochette Claude Piron a une mèche qui essaie de ressembler à l’accroche-cœur de Bill Haley, je ne pense pas que ce soit voulu, juste un petit côté négligé pour plaire aux filles qu’il regarde en souriant les manches retroussées et les avant-bras poilus.

    Mon amour oublié : attention à la base c’est des Teddy Bears, groupe monté de toute pièces par Phil Spector, au sommet arasé Claude Piron remplace Annette Kleinbard et ce qui au départ n’est pas un des plus étincelants  bijoux spectoriens devient une mièvrerie insupportable. Préférez la version live de Johnny qui n’est pas une merveille inoubliable non plus. Rock et guitare : le problème c’est qu’il n’y a pas de guitare mais Caravelli et ses boys imitent un peu le Fever de Peggy Lee en intro, se la jouent big band, heureusement que sur la fin les musicos se la donnent un peu. Et même beaucoup. Sing,Sing Sing : Piron a enfin compris que la voix doit danser comme le torero devant le taureau de l’orchestre qui déboule sur lui pour le tuer. Pour une fois le Caravelli a la niaque et joue le jeu des banderilles jusqu’au bout. Le big band bande. Faut dire que c’est une reprise de Louis Prima. Cha-cha-choo-choo : Aïe ! Aïe ! Aïe ! Un mambo qui ment beaucoup, du typique qui ne pique pas. Z’ont oublié d’électrifier la ligne du petit train, quant à la locomotive Piron elle fait ce qu’elle peut pour tirer les wagonnets surchargés de paroles insipides. Dans la série je pose zérok et je ne retiens rien ce microsillon est au haut de la pile.

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    (Ducretet Thompson /460 V 468 / 1959)

    Claude Piron transformé en Rastignac, pose en vainqueur sur les toits de Paris une mise en scène qui manque au Père Goriot de Balzac.

    Carina : l’on s’en doutait malgré l’entrée Big Band l’on tombe vite dans une espanolade très à la mode dans les années cinquante, beau boulot de la section cuivres, un solo de trompette hélas jivaroïsé, des paroles que les féministes d’aujourd’hui pourraient revendiquer, la belle voix de Claude qui surfe sur l’orchestre comme l’écume sur le haut de la vague. Je voudrais retrouver son pardon : une adaptation de Neil Sedaka, Piron aux lyrics, le titre un peu cucu la praline, mais le morceau a de la gueule avec son magnifique solo de trompette digne d’un western, mais non c’est une espèce de gospel-slow improbable, Piron s’en tire comme un chef, fallait oser une prière à la Sainte Vierge. Au final un miracle et une trompette crépusculaire. (On retrouve de temps en temps un vieux fond chrétien dans les lyrics de notre chanteur). Le monde change : l’on ne réussit pas à tous les coups, une énième bluette sans envergure, traduite de l’espagnol, peut-être vérité au-delà des Pyrénées, une erreur de ce côté-ci. Les cheveux roux : se la joue crooner, ni l’orchestre ni Piron n’ont l’air convaincu par cette chevelure bien peu baudelairienne, tiens l’adaptation est de Vline et Buggy qui travailleront pas mal avec Dick Rivers. Vline disparaîtra en 1962. Désormais sa sœur signera : Vline Buggy. Longtemps j’ai cru à une seule personne jusqu’à la lecture d’un article dans la très regretté Jukebox Magazine.

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    (Ducretet Thompson /460 V 481 / Mai 1960)

    Dernier disque sous le nom de Claude Piron. Nous quitte sur une pochette rock, assis sous des micros, une cigarettes à la main. J’ai bien peur que si ce disque soit réédité à l’identique un jour, la fautive cibiche soit remplacée par une fleur ou un morceau de ficelle. Pensez à notre saine jeunesse !

    Marion : question paroles c’est un peu l’antithèse de Carina, l’orchestre tout doux, des chœurs qui jouent les papillons, une chanson tendre, un original français, certes mais Piron malgré son application ne la rend pas inoubliable. Oh Carol : ni Chuck Berry, ni Rolling Stone, mais Neil Sedaka, Claude s’en tire bien, joue à merveille le romantique fatigué par une fille qui se donne trop vite, thème un peu scabreux, à l’époque la sexualité c’est un pas en avant et deux en arrière. C’est mignon, mais l’amour n’est-il pas un plat tonique. Tilt : tilt and twist, dansons devant le jukebox, pour le flot de guitares vous vous contenterez d’un joli solo de trompette, entraînant. Mais à la fin le flipper fait tilt. Mon amour tu me blesses : encore un de ces slows mid-tempo dont apparemment l’on raffola dans les années soixante… Rien de bien original, Piron a participé à la composition, preuve qu’il n’était pas rétif à ce genre qui a pris un sacré coup de vieux.

             Au total, je suis déçu, je pense   que Ducretet et Thompson ont dû freiner de quatre fers le dynamisme de leur chanteur… Faudra le déclic Hallyday pour balayer les miasmes de la variétoche française. Un gros regret : si au moins il avait pu garder la formation de Jany Guiraud, Caravelli a tendance à arrondir les angles de ses arrangements.      

             Pourquoi  Danny Boy spécialement, longtemps j’ai cru que c’était pour faire américain, puis  ayant entendu Johnny Cash chanter sur son album Orang Special Blossom un morceau intitulé Danny Boy, par des dizaines et des dizaine d’artistes  j’ai fini par apprendre que c’est un air que chantait un joueur de violon aveugle en Irlande dans la rue de Limerick auprès duquel une certaine Jane Ross collecta les notes mais oublia de noter le nom du violoneux… La scène se passait en 1851… en 1912 dans le Colorado une certaine Margaret Weatherly l’entend jouer par des immigrants irlandais, elle note la mélodie et l’envoie en Angleterre à son frère Frederick, compositeur qui avait écrit déjà sur une autre de ses mélodies un texte intitulé Danny Boy, le motif est simple et complexe : Danny Boy quand tu reviendras viens réciter une prière sur ma tombe mais qui est mort au juste : Danny Boy ou la personne qui l’attend… Fred Weatherly mettra ses paroles sur l’air envoyé par sa sœur, publié en 1913 le morceau devient un succès mondial… L’air de Danny Boy est aussi connu sous le nom de Londonderry Air.

             Pourquoi change-t-il de nom ? Est-ce la volonté de sa nouvelle maison de disques Ricordi, sise en  Italie, à l’origine il s’agit d’une maison d’édition dont le fils de l’éditeur deviendra compositeur de musique, la maison éditera des partitions, en 1959 le monde culturel bouge, Ricordi fonde Dishi Ricordi en 1959, ils ont senti le vent, leur premier catalogue sonore. Aujourd’hui il me semble que la maison est retournée à ses premières amours : musique classique.

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    A trente-trois ans, Danny Boy jettera l’éponge et reprendra son boulot de poissonnier. Vous avez sur You Tube une vidéo très courte : Interview de Danny Boy, pionnier du rock en France, redevenu poissonnier qui fait mal au cœur, Danny Claude débite ses poissons, il sourit, il reconnaît que la reconversion a été dure, une femme deux enfants, la vraie vie affirmeront certains, je crains qu’il ne soit pas d’accord avec eux.

    Danny reviendra en 2004. Sur la vidéo : Danny Boy ‘’ Au Revoir les Amis’’ de Claude Routhiau le voici sur scène en 2007 à l’Olympia, l’on assiste aux coulisses, aux répètes, à des extraits du film  De la difficulté d’être infidèle, il interprète deux morceaux : C’est tout comme et Danny Boy, l’a les cheveux blancs et un peu grossi, n’a plus la pétulance de sa jeunesse mais il se débrouille bien. Le genre de truc qui ne vous rajeunit pas.

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    Pour les nostalgiques regardez : Hommage à Danny Boy au Cirque Pinder. En 1962 Danny Boy et ses Pénitents donnent plus de trois cents représentations avec le Cirque Pinder, rock et cirque deux arts consanguins. Le 4 décembre 2009 il revient chanter, accompagné par le groupe Guitar' Express en hommage à Roger Lanzac, créateur de l’émission tél& La piste aux étoiles. Du beau monde, Moustique, Vic Laurens, Hector, Joe Zitoune…

    Danny Boy né en 1936, un an après Presley, disparaît au mois d’août 2020, l’aura vécu puis perdu son rêve pour finir par le rattraper, ce qui n’est pas donné à tout le monde.

    Damie Chad.

     

     

    THUMOS / COMMUNIQUE

    ( Fond noir : communiqué de Thumos / Fond bleu notre commentaire)

    Thumos est un groupe de metal instrumental et même d’instrumetal. Nous venons de forger ce mot qui nous semble méritoire. Ce n’est pas un jeu de mot valise pour rappeler bêtement que Thumos est un groupe de metal instrumental, étymologiquement parlant il se doit d’être divisé en trois fractions : instru / meta / l. L’élément ‘’ meta’’ est à prendre comme l’élément grec ‘’meta’’ qui signifie ‘’après’’ et qui a servi à forger le mot grec metaphysis, métaphysique en français, inventé pour désigner l’ensemble des écrits d’Aristote qui traitaient de sujets relatifs à la physique mais qui portaient davantage sur des notions idéelles que sur la concrétude des règnes minéral, botanique, animal… Paul Valéry définissait la poésie comme l’alliance du son (musicalité des mots) et du sens.  Thumos ne s’exprime que par le son. Mais qu’y a-t-il après le son ? Normalement devrait sourdre du sens. Comment ? De quelle manière peut-on l’appréhender ? Certes un son violent peut signifier la colère ou la tempête, et un son tout doux la tendresse, le calme et la tranquillité, mais jugez de la difficulté des compositeurs lorsqu’ une œuvre essentiellement instrumentale se présente comme une évocation d’un dialogue de Platon…

    Nous avons parfois des faux départs en adaptant ces dialogues platoniciens en musique instrumentale. Nous avons toujours su que l’Atlantide serait délicate, car parmi tout ce dont Platon parlait, c’est la seule histoire que tout le monde connaît depuis des millénaires. Il a été adapté d’innombrables fois sur différents supports et même s’il est largement accepté comme étant entièrement inventé, cela n’a jamais empêché les gens de le rechercher pendant des milliers d’années.

    Il est une difficulté particulière, souligne Thumos, lorsque l’on décide d’adapter en musique certains dialogues de Platon, tout le monde a entendu parler de l’Atlantise, cette île mirifique, sur laquelle chacun a comme Platon sa petite idée sur le sujet…  Thumos se propose ainsi d’indiquer quelques nouvelles pistes de réflexions et d’écoutes de certains de ses disques.

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    Notre EP 2023 « Musica Universalis » n’est pas seulement basé sur Johannes Kepler mais aussi une version alternative du dialogue Timaeus. Timée aborde de nombreuses idées scientifiques que Kepler développera plus tard dans certaines de ses œuvres les plus connues telles que Mysterium Cosmographicum, Astronomia Nova et Harmonices Mundi. Et bien sûr, le titre bonus Anima Mundi est l'âme du monde dont Platon parlait dans le Timée.

    Nous avons évoqué dans notre livraison 611 du 14 / 09 / 2023 Musica Universalis, cette notion de version alternative du Timée nous agrée. C’est un des dialogues les plus difficiles, la réputation n’est pas usurpée, de Platon. Si la rencontre Kepler-Platon était un match de foot, nous ne saurions les départager quant à leur niveau de difficulté, autant de buts pour les deux camps et balle au centre. Si Kepler procède de Platon, notre philosophe procède de Pythagore et celui-ci des nombres. Eclaircissons notre abrupte formule : pour l’inspirateur de Platon toute chose procède d’un nombre, disons qu’une chose donnée n’est que la manifestation d’un nombre. Platon nous dira que toute chose est la manifestation d’une idée. Une idée n’étant qu’une forme la tentation est grande de rechercher dans les choses essentielles et élémentales, non pas le nombre dont elles sont l’expression, non pas l’idée (que seule l’âme humaine peut contempler après la mort du corps dans lequel elle était enfermée) mais la forme géométrique que l’esprit peut appréhender mentalement, dessiner et même construire, par exemple avec du bois pour la représenter. Ainsi dans les petites classes l’on vous apprend à construire à l’aide d’une feuille et un tube de colle un cube. Maintenant amusez-vous à construire un isocaèdre qui possède vingt faces, vous vous rendrez compte que les douze sommets de votre isocaèdre touchent à la paroi de la sphère dans lequel vous l’enfermerez. Or Kepler a travaillé sur les planètes sphériques qui tournent autour du soleil à des vitesses différentes. Son travail a consisté à vous expliquer mathématiquement pourquoi… Vous vous dites que tout cela est plutôt complexe et que vous n’arriverez jamais à comprendre la logique de ces démarches. Platon vous rassure, il existe de par le monde une espèce de réseau intelligible qui englobe toute chose qu’il appelle l’âme du monde. Si votre esprit parvient à appréhender un des ‘’ filaments subtils’’ de ce réseau vous n’avez plus qu’à suivre… Il ne vous reste plus qu’à lire le Timée.

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    Notre EP 2021 « Nothing Further Beyond » est une description ancienne de ce que l’on croyait se trouver au-delà du détroit de Gibraltar, alias les piliers d’Hercule. Seulement de l'eau. Cependant, il a également été décrit comme étant l'emplacement général de l'Atlantide. Le titre Nothing Further Beyond ainsi que les deux premiers titres The Ecumene (le monde habitable connu) et The Pillars sont tous des clins d'œil à l'Atlantide. Dans l’ensemble, c’était une première version du dialogue Critias.

    Nous avons pour notre part chroniqué Nothing Further Beyond, ainsi que tous les enregistrements précédents de Thumos et ceux opérés sous le nom de Mono No Aware dans notre livraison 542 du 17 / 02 / 2022. Nous avions bien sûr noté la référence à Atlantis, mais n’avions pas compris explicitement compris qu’il s’agissait d’une première tentative de transcription du Critias. Il s’agit évidemment d’une réflexion sur les limites du monde telles que pouvaient les appréhender un grec du cinquième siècle. Cette notion de limite a obsédé l’antiquité, n’oublions pas la notion de limes consubstantielle à l’étendue de l’Imperium Romanum. Mais je voudrais attirer l’attention sur un auteur espagnol Javier Negrete, il a d’ailleurs écrit (comme par hasard) un roman non traduit en français Atlantida, mais je vous recommande s deux autres de ses livres consacrés au personnage d’Alexandre le Grand, question de repoussage des limites l’élève d’Aristote  fut un spécialiste.  Le premier roman Alexandre et les aigles de Rome ne nous intéresse guère pour notre sujet, quoique si on y pense… par contre le deuxième Le Mythe d’Er, rappelons que la République de Platon se termine sur l’exposition et le développement de ce mythe, est à lire en relation avec ce dialogue et notamment le dernier morceau de Nothing Further Beyond intitulé The Great Best. Le mythe d’Er traite du dernier voyage d’Alexandre Le Grand. Ces deux romans sont publiés aux éditions de L’Atalante. Avec ce dernier mot nous touchons à un autre mythe aussi fascinant que la Cité d’Atlantis, celui de l’Arcadie…

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    Le morceau intitulé He Spake Thus de « Tyrants at the Forum » de 2023 est une citation de la fin de Critias. Cela aurait conduit soit à la conclusion de Critias, soit éventuellement à l'hypothétique dialogue d'Hermocrate.

    Nous avons chroniqué Tyrants at the Forum dans notre livraison 611 du 14 / 09 / 2023. Le thème est beaucoup plus facile à comprendre. De la géométrie dans l’espace nous déclinons sur le plan politique. Atlantis est-elle tombée à cause par la faute de ses dirigeants…Pour Platon une Cité ne peut s’écrouler que par l’impéritie de ses élites. Ou la volonté des Dieux, mais ceci est une autre affaire. Il est nécessaire de comprendre que lorsque Platon cherche à définir les lois d’une République idéale, il pense avant tout à Athènes. Chacun balaie devant sa porte, Thumos n’évoque la fin d’Atlantis ou d’Athènes, mais ne parle que de leur pays souvent défini comme  la plus grande démocratie du monde. Selon Thumos, les Etats Unis sont de plus moins en moins démocratiques et de plus en plus mal dirigés…

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    Pour aller plus loin en 2022, lorsque nous avons discuté pour la première fois avec notre ami spaceseer d’une collaboration, l’idée initiale était de couvrir l’histoire de l’Atlantide. À un moment donné, l'idée s'est transformée en The Course of Empire et a pris une direction légèrement différente, mais l'expérience globale de cet album collaboratif est toujours essentiellement la même histoire que celle d'Atlantis. L'ascension et la chute d'une puissance mondiale.

    Nous avons chroniqué The Course Of Empire dans notre livraison 563 du 25 / 08 / 2022. Peut-être certains de nos lecteurs sont-ils d’irrémédiables optimistes, les USA traversent une mauvaise période mais cette crise passagère s’arrêtera et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes pensent-ils. Thumos ne partage pas cet optimisme indécrottable. Sont au contraire d’un pessimisme absolu. Les USA ne sont pas entrés en une simple récession, la situation est beaucoup plus grave, le pays aborde la pente d’un déclin civilisationnel, si vous n’y croyez pas remémorez-vous la fin de l’Imperium Romanum...

    Voyez où peut conduire la lecture de Platon, ne versez pas des larmes de crocodile sur la grande Amérique, pensez plutôt au destin de la petite Europe…

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    Le cortège s’ébranle doucement. Plus de deux cents micros et caméras de télévision sont tendus vers Géraldine Loup, j’avoue que j’ignore tout d’elle, dans la bousculade je parviens à saisir la question d’un journaliste :

             _ Géraldine, vous avez tourné dix-huit films et tous les dix-huit ont été au numéro 1 au Box-Office, pour le suivant vous comptez faire mieux ?

             _ Oui bien sûr, je pense que le prochain se classera tout devant, en position Zéro !

    Elle n’a pas l’air bête la manzelle, une fûtée, j’aimerais bien la voir de près, les photos des magazines sont souvent menteuses, elles vous transforment un laideron en princesse. Je me suis déjà rapproché un maximum, je suis dans le deuxième cercle, mais un double rempart de gardes du corps reste infranchissable. Dans ma poche, j’ai la main sur mon Rafalos, j’ai calculé que si j’en abattais quatre, j’aurais assez de place pour me glisser auprès d’elle. Oui je sais c’est risqué, et aléatoire car une fois tout près d’elle me regardera-t-elle seulement. J’entends les lecteurs qui crient : ‘’  N’y va pas Damie, reste avec nous, n’oublie pas que la mort marche à tes côtés !’’ . L’est sympathique le lectorat mais si je n’y vais pas il sera le premier déçu si je ne parviens pas à accomplir le plan Z ! J’essaie de garder la tête froide et de supputer mon taux de réussite, je finis par conclure : même avec une seule chance sur mille il faut le tenter.

    Ne me traitez ni de tête brûlée si je fonce, ni de poule mouillée si je n’ose pas. les cabotos décident de trancher dans le vif de ce dilemme cornélien, Molossa appuie deux fois sur mon mollet. Je comprends qu’ils vont passer à l’action, je défais leur laisse je n’ai pas longtemps à attendre. Molossa plante sauvagement dans le bas de la jambe de la première armoire à glace. Fait Aïe ! Aïe ! AïE ! tout le monde s’en fout car bien plus aigüe, et plus forte qu’une sirène d’usine la voix plaintive de Molossito perce le tumulte : Tchik ! Tchik ! Tchik ! l’a dû être acteur de cinéma dans une autre vie, il s’est lestement faufilé entre les pieds d’un barbouze et traîne la patte comme si le gars lui avait écrasé les coussinets. Il couine, il pleure, des voix s’élèvent :

             _ La pauvre bête ! Blessée par cette grosse brute ! Il l’a fait exprès !

    Le groupe scandalisé a cessé d’avancer, Géraldine Loup tend la main, la foule devient muette comme un banc de carpes dans le grand bassin du parc du Château de Fontainebleau, pas très loin de la Cour des Adieux :

             _ Un petit loup estropié ! c’est terrible mettez le pays en alerte rouge ! mais où est le propriétaire !

    Lorsque je me présente Molossito a déjà posé sa tête sur le décolleté de l’actrice. Eblouissante, mille fois plus que sur la couve du magazine Elle, je le reconnais : avec Molossito ou pas, cette fille a du chien ! Molossa s’accroche à la robe de Géraldine en geignant.

             _ La pauvre maman qui avait perdu son fils, ah c’est instinct maternel ! Ils sont adorables !

    J’en profite pour m’immiscer dans la conversation :

             _ J’avoue qu’ils sont gentils, un peu imprudents aussi, ils voulaient à tout prix vous voir, ils vous aiment tant, normal vous êtes si intelligente et si humaine, quand je pense que vous perdez du temps avec ces deux ostrogoths !

             _ C’est rigolo le surnom que vous employez !

    La glace est rompue, nous discutons à tout vat, sans faire attention au remue-ménage autour de nous…

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    Bavardant sans cesse nous arrivons toujours à pied, devant le Ritz, nous partîmes cinq-cents et maintenant par des renforts successifs nous sommes bien cinq mille. D’un geste de la main, une nouvelle fois Géraldine obtient le silence la foule :

             _ Je tiens à remercier le peuple de Paris qui m’a si gentiment reçu. Je vais vous quitter, hélas, je suis un peu fatiguée je vous l’avoue, des deux mains elle envoie des bisous, tenez Monsieur je vous rends votre trésor !

    Elle n’a même pas le temps de décoller de son décolleté Molossito qu’il se met à pousser des cris de détresse à fendre une porte de prison.

             _ Je crois qu’il a soif, venez avec moi Monsieur nous allons lui donner à boire, le pauvre petit !

    Pour la remercier Molossito lui lèche le haut du sein. Je trouve qu’il exagère !

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    Je peux en témoigner Géraldine Loup aime les animaux. Les chiens ont bu dans deux coupes de cristal, mais elle a décidé qu’ils avaient faim, depuis l’interphone de sa suite elle a demandé qu’on leur porte deux énormes cuissots de biche. Les canidés les ont dévorés jusqu’à l’os qu’ils n’ont même pas la force de croquer. S’endorment tous les deux les quatre pattes en l’air, sur la moquette aussi épaisse que l’herbe bleue du Kentucky.

             _ Vous ne pouvez pas partir maintenant, ils seraient malheureux si par hasard vous n’étiez pas là demain matin à leur réveil. Je vous invite dans ma chambre. Savez-vous Damie que vous êtes le premier homme qui m’ait dit que j’étais intelligente, et puis dès que je vous ai vu, votre costume, votre coiffure, vos rolex, j’ai compris que vous étiez celui que je cherchais depuis toujours.

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    J’acquiesce, mais au fond de moi j’hésite je dois être près du Z du plan Z et la mort marche à mes côtés. Un sophisme rassurant balaie mes appréhensions, tant que nous serons couchés elle ne pourra pas marcher à mes côtés. J’aviserai demain matin.

    Géraldine fut délicieuse, une véritable louve. Pour ma part j’ai tâché d’être à la hauteur, sans forfanterie je puis dire qu’elle a apprécié mon pénis elbow, de ma Durandal j’ai fendu à plusieurs reprises, neuf fois comme Victor Hugo le soir de ses noces, le rocher friable de son sexe.

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    A peine avions-nous franchi le seuil du Ritz une meute de journalistes se jeta sur nous, une triple haie de gardes du corps dut s’interposer. En passant devant un kiosque à journaux je fus stupéfait toutes les unes affichaient en gros notre photo surmontée de gros titres style : GERALDINE TROUVE L’AMOUR A PARIS…

    Molossito lui avait retrouvé sa place sur le sein de Géraldine… Je ne savais pas au juste où nous allions mais cela m’importait peu. Premièrement j’étais aux côtés de Géraldine ce qui ne me gênait pas, mais de l’autre côté la mort marchait à mes côtés. Le nez de Molossa ne quittait plus mon jarret.  Je n’étais peut-être pas à le lettre Z, mais certainement au Y. Des passants criaient bonjour, sortaient leur portable pour immortaliser l’instant. Il y avait un truc qui me turlupinait, je cherchai dans ma tête, mais je ne trouvais rien. Si un détail. Les gardes du corps avaient changé. Nous entouraient de près, ne nous laissaient pas d’espace, une équipe de bras cassés qui manque d’entregent et d’habitude.

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    La voix de Géraldine me tira de mes réflexions :

             _ Damie, tu as senti cette odeur bizarre, c’est quoi ?

    Je sursautai :

             _ Rien, rien, tu sais les poubelles à Paris… Ce n’est rien, ne t’inquiète pas !

    Molossito avait relevé sa tête. Il avait reconnu le délicat fumet du Coronado. Molossa grogna. Vite mon Rafalos ! Je glissai la main dans ma poche, il n’y était plus. Un des gardes du corps se rapprocha et me glissa à l’oreille :

             _ Ne le cherchez pas, c’est moi qui l’ai !

    Ce furent ces dernières paroles, une balle du Chef lui explosa la tête, Molossa récupéra le Rafalos dans la poche de son cadavre qui était tombé à terre, je me plaçais en protection devant Géraldine, le Chef était juste derrière elle. La fusillade ne dura pas plus de trois minutes. Journalistes et fans de Géraldine disparurent, la vingtaine de gardes du corps qui avaient sorti leur pétoire n’étaient pas des as, des demi-sel résuma plus tard le Chef alors qu’il comptait la vingtaine de morts entassés sur la chaussée. Nous n’étions plus que trois, Géraldine pleurait nerveusement entre mes bras.

             _ Chef, je crois bien que nous sommes arrivés au bout du plan Z !

             _ Agent Chad arrêtez de dire n’importe quoi !

             _ Enfin Chef, nous avons gagné !

             _ Agent Chad je vous ai prévenu que la mort marchait à vos côtés, or je ne la vois pas, cette histoire est loin d’être terminée !

    A suivre…