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  • CHRONIQUES DE POURPRE 487 : KR'TNT ! 487 : SPENCER DAVIS / ALICE COOPER / JARS / SOUL TIME / KLONE / ROCKAMBOLESQUES X

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 487

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    03 / 12 / 2020

     

    SPENCER DAVIS / ALICE COOPER

    JARS / SOUL TIME / KLONE

    ROCKAMBOLESQUES 10

     

    Spencer dévisse

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    Mitch Ryder disait de Spencer Davis : My favorite Englishman. Mimi aurait pu citer Sean Connery, Michael Caine ou encore Ray Davies, mais non, il préfère Spencer Davis, héros d’une autre époque, celle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, quand le British Beat venait jusque sous nos fenêtres accrocher sa fuzz et ses éclats. Tout n’était alors que désordre et beauté, luxe, calme et volupté. Sauf au Vietnam, bien sûr.

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    Spencer Davis vient de casser sa vieille pipe en bois et comme le font tous les vétérans de toutes les guerres, il laisse à la postérité une belle tripotée d’EPs mythiques. Tout le monde se souvient du Spencer Davis Group. On osera même un parallèle avec les Stones qui furent eux aussi coupés en deux avec l’avant et l’après-Brian Jones : le Spencer Davis Group eut droit à l’avant et l’après-Stevie Winwood.

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    En 1962, Spencer Davis est prof d’école. Dans sa classe, il a les frères Winwood. Le petit s’appelle Stevie, il porte encore des culottes courtes, et son frère aîné qui s’appelle Muff a déjà un peu de moustache. Pendant la récré, Stevie va sous le préau pour chanter et jouer aux billes. Spencer Davis dresse l’oreille : «Cor, the kid can sing !». Pendant qu’il joue à dégommer les pyramides de quat’ avec Muff, Stevie chante les tubes de Ray Charles qu’on entend à la radio. Alors Spencer Davis va trouver les deux frères et leur balance, avec l’accent le plus confraternel qui soit : «Cor kids, wanna start an orchestra ?». Oh oui oh oui oh oui !, fait Stevie en sautant sur place. Muff ne dit rien, occupé à percer un gros pâté d’acné sous le menton. Et pouf c’est parti. Muff fait la basse, Spencer Davis gratte sa gratte, Peter York bat le beurre et Stevie fait tout le reste. Il sait tout faire, l’orgue, la guitare, le Ray Charles, les billes, le piano. Mine de rien le groupe du professeur Davis devient l’un des meilleurs groupes anglais, ce qu’on appelle là-bas a driving force. Le petit Winwood monte tous les soirs sur scène en culottes courtes et nique la concurrence. Ils commencent à palper pas mal de blé mais Stevie ne veut être payé qu’en billes et en tablettes de chocolat au lait.

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    Quant à Muff, il veut une mobylette. Tout le monde se souvient de «Keep On Running» et son intro magique de big bad bassmatic, l’une des plus réussies de l’histoire du rock, l’intro de jerk par excellence, celle qui donnait aux jukes une vraie raison de vivre, hey hey hey. Paradis de la fuzz, battu à plates coutures, l’un des premiers hits punk, le pendant britannique de «Dirty Water».

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    L’autre magic Fontana EP, c’est «Gimme Some Lovin’», l’EP à la cravate à carreaux verts. Stevie y enroule son believe I dust my blues - babeli babeli blues my mind - On se prosterne devant l’incroyable qualité de ce swing de blues. Avec celle de Fleetwood Mac, c’est dirons-nous la version définitive d’I woke up this morning/ Believe I dust my blues. Sur cet EP magique, on trouve aussi «Neighbour Neighbour» et son solo de sature saturnale.

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    Alors bien sûr, on peut aussi écouter les albums. C’est même recommandé pour la santé. Comment le dire autrement ? Très simple : pas de discothèque idéale sans les trois premiers albums du Spencer Davis Group. Personne n’aurait misé un seul kopeck sur la pochette de Their First LP, paru en 1965, mais le seul nom du groupe nous rendait tous dingues, comme nous rendaient dingues ceux des Who, des Kinks, des Troggs, des Pretties et des Stones. Raide diiiiiingues ! Ces Birminghamais tapaient comme tous les autres groupes anglais des reprises absolument phénoménales : «My Babe» des Righteous Brothers, «Dimples» de John Lee Hooker et surtout «It’s Gonna Work Out Fine» d’Ike Turner. Chaque fois que le petit Winwood attrape le micro, il casse littéralement la baraque, et en plus il sort son harmo de sa poche pour faire son Little Walter. Avec «Midnight Train», ils révèlent une incroyable facilité à swinguer le beat du freight. Mais il faut aussi écouter Spencer Davis prendre un authentic lazy guitar phrasing dans «Here Right Now», un heavy blues de très bonne augure. C’est aussi lui qui chante «Sittin’ And Thinkin’» avec un joli brin de dandysme.

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    Paru en 1966, The Second Album reprend la pochette de l’EP «Keep On Running» qui les a rendus célèbres. Il faut savoir que pour la photo, Spencer Davis a obligé le petit Winwood a porter un pantalon. Il ne voulait pas, mais quand le professeur Davis lui a dit que ses jambes nues allaient attirer l’œil des pervers, il a capitulé. On ne se lasse de réentendre «Keep On Running». On les voit aussi jazzer «Georgia On My Mind» et «Strong Love» qu’ils swinguent au mieux des possibilités, c’est-à-dire une pop de jazz à la Georgie Fame. Ils jouent aussi le heavy blues à la perfection, comme le montre «Hey Darling». Avec la voix du petit Winwood, c’est du gâteau au chocolat. C’est l’un des albums clés de cette période trop riche en albums clés. On se noyait alors dans les clés. Un océan de clés.

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    Autumn 66 paraît la même année que The Second Album. C’est là-dessus que le petit Winwood fracasse «When A Man Loves A Woman». Il n’a pas à rougir de son trying. Sa voix entreprenante lui permet d’entrer dans les zones jusque-là réservées aux noirs. Il tape un peu plus loin une fantastique reprise de «Nobody Knows When You’re Down And Out», un vieux hit de Bessie Smith repris par Spoon et Bobby Womack. C’est la Soul du désespoir. Le petit Winwood n’en fait qu’une seule bouchée. Gnarf ! Il s’y montre même digne de son idole Ray Charles. En B, on retrouve tous ces petits cuts qui rendaient les EPs magiques : «Somebody Help Me» (embarqué au big beat avec du gras double), «Dust My Blues» (superbe hommage à Elmore James, grasseyé avec délectation - babeli babeli blues my mind) et «Neighbour Neighbour» (tartiné aussi au gras double, certainement le plus beau gras double de Londres à l’époque). En gros, cet album est l’EP «Gimme Some Lovin’» amélioré.

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    Pour les nostalgiques du Spencer Davis Group, il existe une compile idéale, Eight Gigs A Week, qui permet d’entendre tout ce que le petit Winwood a enregistré avec le Spencer Davis Group, c’est-à-dire trois albums et cette fantastique brochette de singles. Comme le montre «Dimples», la fournaise n’avait aucun secret pour eux. On les voit même se jeter dans la chaudière, comme Angel Face. Ils font partie de ces groupes précoces qui étaient beaucoup trop doués. Le petit Winwood et le professeur Davis chantent «I Can’t Stand It» à deux voix. Le petit Winwood chante d’une voix de white nigger pré-pubère, perçante et tranchante. Leur «Sittin’ And Thinkin’» préfigure tout le British Blues. Ils font du Spector Sound avec «I’m Getting Better» et le petit Winwood explose toutes les possibilités du Dust My Blues avec «Goodbye Stevie». On retrouve bien sûr cette admirable cover de «Georgia On My Mind». Il n’y a que lui en Angleterre qui puisse rendre un tel hommage à Ray Charles. On trouve aussi une version d’«Oh Pretty Woman» plus heavy que celle de Mayall, tartinée au gras double de guitare. Dans «Look Away», on entend les chœurs des Edwin Hawkins Singers avec le petit Winwood comme cerise sur le gâteau. On retrouve avec plaisir l’immense «Keep On Running», fuzz et chant chaud, beat sec et I’m gonna be your man, l’apanage du garage hey hey hey, avec ses giclées de fuzz au coin du bois et le chant d’un kid allumé dans la chaleur de la nuit, everyone is laughing at me, le petit Winwood nous claque ça au mieux du mieux, I wanna be your man ! Et ça continue sur le disk 2. Si on ne possède pas les vinyles, autant rapatrier cette compile explosive, car tout y est. On se damnerait pour l’éternité, rien que pour posséder ce «Somebody Help Me» digne de «Keep On Running» : heavy beat, gros pâté de disto et chant hot on heels. Le petit Winwood shake bien le vieux «Watch Your Step» de Robert Parker. Il est encore plus spectaculaire dans «Nobody Knows When You’re Down And Out», un heavy blues de round midnite. Merci Stevie Charles. Il y a aussi pas mal d’épluchures, mais quand arrive «Dust My Blues», le Spencer Davis Group reprend tout son sens. On oublie toujours de citer ce groupe dans les histoires du British Blues, et c’est une grosse erreur, car «Stevie’s Blues» vaut tous les classiques du genre. Encore un fantastique shoot avec «I Can’t Get Enough Of It». Ils font aussi de la politique avec «Waltz For Lumumba». Et puis voilà «Gimme Some Lovin’», le hit absolu : belle fournaise, souvent imitée et jamais égalée. Il y a du Little Richard dans cette façon de blaster en profondeur. On dira la même chose d’«I’m A Man» chanté à l’exaction parégorique, e-ve-ry day ! Mais c’est au moment où le groupe culmine que le petit Winwood quitte le Spencer Davis Group.

    Chris Welch nous explique que le professeur Davis est dévasté. Fin brutale de la machine à hits. Il perd la prunelle de ses yeux. Il lui faudra un certain temps pour surmonter ce traumatisme. C’est un type bien, Spencer Davis, nous dit Welch, «un chanteur plaisant et un guitariste extrêmement compétent. Ses points forts sont un enthousiasme immodéré pour tous les genres musicaux et un don particulier pour rassembler des musiciens et les motiver. Sa nature bienveillante fait de lui le band leader idéal. Tout le monde l’adore.» Bon, tout ça c’est bien gentil, mais il faut tout recommencer à zéro. Processus habituel : Spencer Davis passe une petite annonce et organise des auditions au Marquee studio. Un keyboardist du nom de Reginald Dwight se pointe, mais Spencer Davis n’en veut pas. Problème de look. Pas grave, Dwight se débrouillera tout seul et finira avec des trucs en plumes en se faisant appeler Elton John. Spencer Davis cherche quelque chose de plus solide. Pouf, il tombe sur Eddie Hardin que lui recommande le grand Paul Jones. Spencer Davis embauche aussi un guitariste assez doué, Phil Sawyer, qui va devoir rentrer dans les godasses du petit Winwood. Pas facile ! Heureusement, Phil a du métier, il a déjà travaillé avec Rod Stewart, les Fleurs de Lys et Berryl Marsden.

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    C’est donc cette équipe qui enregistre With Their New Faces On en 1968. Bien évidemment, c’est un nouveau son et les fans vont devoir s’y habituer. Eddie Hardin a ce qu’on appelle vulgairement de l’ambition compositale et quelque part dans une interview, il avoue sans méchanceté que Spencer Davis est vite dépassé. Hardin dit qu’il joue de la basse d’orgue, mais il se pourrait bien que ce soit l’ex-Taste Charlie McCracken qu’on entende, en tant que session man. Mine de rien, la basse rafle la mise sur «Moonshine» et «Don’t Want You No More». C’est inespéré de power ! Ça pulse au plus haut niveau. Quel drive ! Muff et sa mobylette peuvent aller se rhabiller. C’est le groove de basse dont on rêve toutes les nuits - Don’t want you no more ! - Ces mecs réussissent encore à sortir du son, la preuve avec «Morning Sun», c’est bardé à outrance, tendu à se rompre, solid body of work avec un Sawyer on the rocks et un son bien dévoré du foie par la basse. On les croyait finis, mais non, ils repartent de plus belle. Ils font aussi pas mal de pop orchestrale, sûrement l’influence d’Eddie Hardin. «Mr Second Class» et «Time Seller» sont des cuts typiques de l’époque, dans la veine des Beatles du bon Sergent Poivre. Eddie Hardin recasse la baraque avec «Alec In Transitland», un violent shuffle d’orgue doublé d’un bassmatic dévorant. On voit aussi Phil Sawyer renouer avec le Dust My Blues du Spencer Davis Group d’avant dans «Feel Your Way» et c’est sacrément bien balancé. Spencer Davis ne chante pas sur l’album. Il se contente de gratter sa gratte et de faire des backing vocals.

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    Le groupe tourne aux États-unis mais Eddie Hardin ne supporte pas les rigueurs de la vie en tournée, notamment les trajets interminables qu’ils sont obligés de faire en bus pas manque de moyens. De retour en Angleterre, il quitte le groupe pour monter Hardin & York avec Peter York. Traumatisé lui aussi par la tournée, Phil Sawyer se barre. Une fois de plus, Spencer Davis se retrouve le bec dans l’eau. Ray Fenwick entre dans le groupe pour remplacer Sawyer.

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    C’est là en 1969, qu’ils enregistrent Funky/ Letters From Edith, le lost album du Spencer Davis group. Suite à des problèmes contractuels, l’album est retiré des ventes : le groupe enregistre sur un nouveau label alors qu’ils sont déjà sous contrat. La version anglaise s’appelle Letters To Edith et bien sûr on peut l’écouter. Là dessus, c’est Ray Fenwick qui fait tout le boulot : chant, guitare, compos. Bon, disons que les compos de Ray Fenwick ne sont pas la panacée, mais le groupe continue d’avancer et c’est le principal. On sent chez Fenwick un goût pour le prog et certains cuts frisent un peu le ridicule. L’album se réveille brutalement avec «Funky», un bel instro d’anticipation joué à la vie à la mort. Mais après, le groupe débande et perd son identité. Le groupe s’enlise encore avec «Poor Misguided Woman», les voix ne sont pas bonnes, dommage, car le son grouille de bonnes dynamiques, mais ça ne vaut pas un week-end à Maubeuge, ni le petit Winwood. Les compos de Ray Fenwick ne marchent pas. Ils terminent avec un excellent «New Jersey Turnpike», un instro de folie pure qui les sauve des flammes de l’enfer. Mais bon, Spencer Davis en a marre de ramer et il décide d’arrêter le groupe. Terminus, tout le monde descend.

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    En 1973, Eddie Hardin va trouver Spencer Davis qui s’est installé en Californie. Il lui propose de remonter le groupe avec Peter York, Ray Fenwick et Charlie McCracken. Ils enregistrent Gluggo, un album qui comme les autres va passer à la trappe de Père Ubu. Hardin et Fenwick bouffent à tous les râteliers avec un certain panache : le glammy stomp à la Gary Glitter avec «Catch You At The Rebop», la pop aimable de type Sergent Poivre avec «Don’t You Let It Bring You Down», le «Living In The Back Street» qu’on va retrouver sur l’album suivant et qui semble monté sur le riff de «Gimme Some Loving», et le bel instro celtique avec «Today Gluggo Tomorrow The World». On se demande à quoi sert Spencer Davis dans tout ça. De prête-nom ? Certainement. «Feeling Rude» sonne comme l’un des derniers spasmes du Swinging London. Cet album sent la fin des haricots. Ils tentent un dernier coup de Jarnac avec «The Edge», où Ray Fenwick incendie la plaine. C’est un sérieux killer. On voit bien qu’ils tentent de recréer la vieille magie de la pop anglaise, mais le cœur n’y pas. Le Spencer Davis Group n’est pas un Group. Gluggo n’est en fait qu’un bel effort studio. Il faut être complètement taré pour aller écouter le Spencer Davis Group après le départ du petit Winwood. Ils finissent avec un beau boogie rock de Ray Fenwick qui s’appelle «Tumble Down Tenement Row». Fenwick s’amuse bien, pas de problème, il est comme un poisson dans l’eau, mais on perd définitivement la trace de l’identité du Group si cher au professeur Davis.

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    Ils enregistrent encore un album l’année suivante, l’excellent Living In A Back Street. C’est Eddie Hardin qui chante la cover de Fatsy, «One Night». Il s’y explose les ovaires. Roger Glover de Deep Purple produit l’album, d’où le big sound. Le morceau titre sonne comme un monster hit de British r’n’b. Doris Troy fait partie des back-up singers. C’est une véritable énormité. Ils tentent de recréer l’excellence de l’âge d’or. «Hanging Around» sonne comme un rumble de heavy rock. Bien joué les gars, ils sont dans le mood d’époque, ni trop peu ni pas assez, juste dans la moyenne. Leur «No Reason» ne ferait pas de mal à une mouche. Cette petite pop psyché correspond bien à l’époque et sonne comme une petite leçon d’élégance. Ils nous font le coup du vrooom-vrooom dans «Fastest Thing On Four Wheels», c’est excellent, bien tendu de la bretelle, il ne lésinent pas sur le shuffle d’orgue. Ils swinguent à coups de klaxon, c’est énorme et même assez révélatoire. Le morceau titre sonne comme un boogie en caoutchouc, on les voit même rebondir sur le beat. On va de surprise en surprise avec «Another Day», une belle petite pop aventureuse qui pourrait très bien figurer sur le White Album, tellement c’est léger et frais. Finalement, on se retrouve avec un album bien foutu, ce qui vient confirmer «Sure Needs A Helping Hand», un balladif élégiaque, signé comme quasiment tout le reste Hardin/Fenwick. On les respecte pour une telle abnégation. Ils sont très ramassés sur leur took out et flirtent avec les clameurs du gospel. Avec ses nappes d’orgue, Eddie Hardin jette pas mal d’élégance dans la balance.

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    Bon, cette fois, c’est fini. Spencer Davis arrête le groupe et entame une petite carrière solo. Oh rien d’exceptionnel, quatre albums en tout, échelonnés sur 30 ans. Le professeur Davis va raccrocher les gants du r’n’b pour se consacrer à l’Americana. En 1971, il enregistre avec Peter Jameson un album acou qui est sans doute le plus intéressant des quatre : It’s Been So Long. Belle pochette qui s’ouvre comme une enveloppe. «Crystal River» grouille de banjos et de vieux mineurs édentés, ils sortent un son enjoué et fouillé et c’est là, très précisément au bord de cette Crystal River qu’on tend l’oreille. L’«One Hundred Years Ago» qui suit est très impressionnant - Now you’re gone/ I sing my song - Ils restent tous les deux dans l’excellence musicologique pour «Balkan blues», une merveille de délicatesse. Ils jouent leurs espagnolades balkaniques à l’unisson du saucisson sec. Ça veut dire qu’ils grattent leurs poux à l’ongle sec comme des troubadours de l’ancien temps des magiciens. Dans le «Mountain Lick» qui se niche en B, ils racontent une histoire de gold digger. Ils finissent en beauté avec «Thinking Of Her» et l’extrême pureté du son et du filet de voix. Spencer Davis resplendit dans son univers d’arpèges florentins - I’m feelin’ fine/ Drinkin’ my wine/ Sittin’ here thinkin’ of her - C’est un très bel album. Tout y est soupesé et joué dans les règles d’un art léger.

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    Malgré sa très belle pochette signée Norman Seeff, Mousetrap déçoit un peu. Une ribambelle de cakes californiens accompagnent Spencer Davis : Sneaky Pete Kleinow, Larry Knechtel, Jim Keltner. Ceux qui lisent les dos de pochettes connaissent bien ces noms. Mais ça ne suffit pas à faire un big album. On a là du petit rock californien bien ficelé et même un peu d’Americana avec «Easy Rider». Spencer Davis y injecte le vieux deep blue sea & the women fishing after me. Comme tous les géants des sixties, Spencer Davis évolue vers un son plus ambitieux et sa musicalité transmute délicieusement. Son «Hollywood Joe» est très hollywoodien mais pas inintéressant. Ces mecs jouent dans la joie et la bonne humeur. L’Americana devient donc la grande obsession de Spencer Davis. C’est bien vu et bien chanté, donc pas de problème. Il termine avec une belle crise de country joyeuse, «Ella Speed». Inutile de dire que ça tient bien la route.

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    Dix ans plus tard, il refait surface avec Crossfire, un album très classique. Dommage qu’il ait l’air si con au dos de la pochette, déguisé en aviateur de la première guerre mondiale. Le hit de l’album s’appelle «Private Number», un duo avec Dusty Springfield, et là, on lève les bras au ciel en criant «Merci Dieu !», car c’est une merveille. Dusty chérie s’y révèle stupéfiante de présence. Pour le reste, Spencer Davis oscille entre le heavy boogie («Blood Red Hot», «Love Is On A Roll») et les resucées («I’m A Man»). Ça marche à tous les coups, même si la resucée sonne un peu electro. Disons que ça manque de Winwood. Son «No Other Baby» est bardé de clairette de country californienne et ça sent bon la bonne humeur. Sa petite pop reste bien construite, bien élevée, enjouée et sans complexe.

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    On ne se relève pas la nuit pour écouter So Far, son ultime album solo paru en 2006. Il y a un joli son, ça reste de la pop-rock bien produite, mais on passe un peu à travers. «The Viper» se veut powerful mais pas déterminant. Le producteur Edward Tree américanise le plus anglais des rockers de banlieue. Spencer Davis raconte ses souvenirs d’enfance à Swansea, au Pays de Galles, dans «The Mumbles Train» et «Uncle Herman’s Mandolin». Il fait aussi un «The Swansea Shuffle», histoire d’enfoncer le clou de sa nostalgie. C’est sa façon de créer du vieil enchantement à la Ray Davies. Il revient à son Americana chérie avec «I Can’t Stand Still», un piano-boogie de barrellhouse digne du New Orleans ou du Kansas City des roaring twenties. Retour à l’Americana de bon aloi avec «The Golden Eagle», et voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire. Mais l’impression globale est très positive. Spencer Davis n’a jamais pris les gens pour des cons.

    Signé : Cazengler, Spencer du vide

    Spencer Davis. Disparu le 19 octobre 2020

    Spencer Davis Group. Their First LP. Fontana 1965

    Spencer Davis Group. The Second Album. Fontana 1966

    Spencer Davis Group. Autumn 66. Fontana 1966

    Spencer Davis Group. Eight Gigs A Week. Island Records 1996

    Spencer Davis Group. With Their New Faces On. United Artists Records 1967

    Spencer Davis Group. Gluggo. Vertigo 1973

    Spencer Davis Group. Living In A Back Street. Vertigo 1974

    Spencer Davis Group. Funky/ Letters From Edith. CBS 1969

    Spencer Davis & Peter Jameson. It’s Been So Long. Mediarts 1971

    Spencer Davis. Mousetrap. United Artists Records 1972

    Spencer Davis. Crossfire. Allegiance 1984

    Spencer Davis. So Far. Harbor Grove 2006

     

     

     

    Alice au pays des merveilles

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    Vraiment dommage. On sort un peu dépité du book de Dennis Dunaway, bassiste d’Alice Cooper dans les années 70. Avec un titre aussi racoleur que Snakes Guillotines Electric Chairs - My Adventures In The Alice Cooper Group, on s’attendait à autre chose. On va même jusqu’à se poser la question : histoire mal racontée ou non-histoire ?

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    S’il est un groupe américain qui avait tout misé sur l’extravagance, c’était bien Alice Cooper, c’est-à-dire le groupe composé de Dunaway, Neal Smith, Glen Buxton, Michael Bruce et Vince Furnier. Leur petite mythologie reposait sur deux mamelles : un premier article dans le Melody Maker montrant un mec nommé Alice vêtu d’un fourreau de lycra noir moulant et brandissant un fouet, puis un tout petit peu plus tard un concert à l’Olympia. Nous étions deux camarades de lycée installés au balcon juste à côté d’un mec de la télé qui filmait le concert et qui devait être Freddy Hauser. Indépendamment de tout le grand guignol, ce groupe américain nous faisait bien rêver. On flashait plus sur le batteur Neal Smith que sur le chanteur et sa chaise électrique. Ils incarnaient tous les cinq le groupe de rock américain parfait. Beaucoup de son et beaucoup d’allure. Il devait s’agir de la tournée de promo de Killer puisqu’ils jouèrent ce soir-là «Under My Wheels» qui fut t’en souvient-il l’un des grands hits de l’an de grâce 1972.

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    Revenons au book. Ce phénomène d’histoire mal racontée n’est pas nouveau. On a souvent croisé des autobios que caractérisait une certaine platitude, au sens où le texte reste lisse et rien ne passe, ni info, ni émotion. Ce qui peut sembler logique, vu que l’exercice autobiographique reste l’apanage des écrivains. En matière de rock culture, nous en avons toutefois quelques-uns : Bob Dylan, Richard Hell, Mark Lanegan, Ray Davies et Mick Farren sont les premiers noms qui viennent à l’esprit. Le reproche qu’on pourrait adresser à Dunaway est de n’avoir pas su raconter cette histoire qui fut, comme on l’imagine, une histoire autrement plus extravagante que ce qu’il en dit. Mais en même temps, il y a une explication : l’absence de prétention. Ces cinq petits mecs originaires de Phoenix, Arizona, n’avaient d’autre ambition que celle de jouer du rock, à une époque où le rock était un devenu un choix de vie pour toute une génération. Jouer du rock en soi est déjà un gros boulot et devenir célèbre l’est encore plus. Seuls des artistes exceptionnels sauront passer au stade suivant qui est celui du mémorialiste. Dunaway se contente de rester au stade d’honnête bassman compagnon de route d’une belle aventure, et comme on va le voir, victime comme tant d’autres des manigances d’un business puant. On l’aime bien Dunaway, avec cet air mystérieux que lui donne son regard absent. On ne lui en veut pas trop finalement, même s’il nous prive d’une histoire qu’on veut continuer de croire gratinée, à moins que nous ne l’ayons trop fantasmée. C’est toujours le même problème avec la rock culture : il y a d’un côté la réalité et de l’autre ce qu’on fait nous autres les fans de cette réalité. On dit aussi qu’il vaut mieux éviter de rencontrer les gens qu’on admire. Pourquoi ? Pour éviter d’être déçu.

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    Dunaway nous ramène dans les early sixties en Arizona, au temps où Vince Furnier - c’est-à-dire Alice - et lui sont copains d’école. Dans la section photo qui se trouve comme dans la plupart des books située au milieu, vous verrez deux photomatons des copains d’école. Puis Dunaway, Buxton, Vince et deux autres mecs montent les Spiders et commencent à bâtir leur petite réputation locale. Ils font du garage et reprennent les classiques des Standells et des Count Five. Ils engagent Michael Bruce et Neal Smith, et décident de tenter leur chance à Los Angeles. Ils n’ont pas un rond et vivent un temps dans l’ancienne baraque des Chamber Brothers, sur Crenshaw Boulevard, dans le quartier noir de South Central, avant d’aller s’installer à Topanga Canyon. Ils s’appellent encore the Nazz, mais ils doivent changer de nom à cause du Nazz de Todd Rundgren qui vient de sortir un album. Ils cherchent des noms et Vince Furnier propose Alice Cooper. What ? Vince insiste : Alice Cooper. Il voit ça comme un nom de groupe. Une fois que Dunaway en accepte le principe, il se met à phosphorer avec son copain d’école : créons un personnage ! Il va d’ailleurs citer des tas d’exemples, comme celui du maquillage qui est une idée à lui, ou encore les accords d’«Under My Wheels» qui sortent aussi tout droit de son imagination délirante. En fait, ce qui motive Dunaway, ce n’est pas de se mettre en valeur, mais plutôt le côté sacré du collectif, ce qu’on appelle un groupe de rock. Sans Dunaway et les trois autres, Alice Cooper n’est rien. Mais le destin se montrera cruel puisqu’Alice finira par se débarrasser de ses compagnons de route, tout en conservant le nom d’Alice Cooper, qui était le nom du groupe.

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    L’épisode Topanga est capital car Dunaway et ses copains fréquentent la crème de la crème du gratin dauphinois dans les parties : les Doors, David Crosby et Arthur Lee. Hélas, Dunaway ne tire rien d’intéressant de ces rencontres. Il décrit sans décrire. Puis c’est la rencontre avec les GTOs, the Girls Together Outrageously, the queens of the Sunset Strip, qui logent dans le sous-sol de la maison de Frank Zappa, à Laurel Canyon, the log cabin, qui est l’ancienne maison de Tom Mix. Alice se tape Miss Christine et en bon opportuniste, il finit par lui demander : «Can you get Zappa to give us a record deal ?». Zappa accepte d’enregistrer le groupe et sortira Pretties For You sur son label Straight en 1969. En fait Zappa trouve le groupe intéressant, car capable d’accepter les concepts abstraits, comme par exemple enregistrer sur des bandes mal effacées, avec des «bruits» antérieurs qui remontent à la surface du son. Autre concept abstrait : ils choisissent pour la pochette a highly risqué painting d’Edward Beardsley qui est accroché au mur, chez Zappa. Dunaway considère qu’avec cet album Alice Cooper invente le glitter rock, même si, ajoute-t-il, d’autres artistes vont par la suite en revendiquer la paternité. Au plan musical, l’album est un peu dur à avaler. Ils attaquent avec une série de morceaux qu’on qualifiera charitablement de déconcertants. Leurs tentatives compositales se révèlent assez pathétiques, comme si elles étaient épuisées d’avance. On entend des coups de flûte et des tentatives de jazz-rock dans «Sing Low Sweet Cherio». Forcément le comedy act de «Today Mueller» devait bien plaire à Zappa, le grand spécialiste de la tarte à la crème. Il faut attendre «Living» pour entendre enfin un big push de trash guitars. On s’aperçoit que ces mecs sont déjà très au point. En B, ce vieil Alice se croit autorisé à casser la baraque de «Levity Ball», mais il n’y a pas de baraque. Trop ambitieux. Zappa essaye en vain de les faire revenir sur terre. C’est avec «Reflected» qu’ils sauvent les meuble de ce premier album, un joli shoot de power pop claqué du beignet par un solo trash de Bux, bizarrement produit, comme visité dans les profondeurs. Ces mecs avaient un sacré répondant car ce «Reflected» dégouline de trash de wah.

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    Grâce aux hasards de la programmation, Alice Cooper se retrouve sur scène au fameux Toronto Rock’n’Roll Revival en 1969, un festival qui propose l’une des affiches les plus appétissantes de l’époque : John Lennon & the Plastic Ono Band, Chuck Berry, Bo Diddley, Little Richard et Gene Vincent. C’est là que se produit l’incident du poulet dépecé vivant par la foule, un acte de sauvagerie qui fut attribué par erreur à Alice Cooper. Après leur set et au milieu des plumes qui volent, ils doivent rester sur scène pour accompagner Gene Vincent. Dunaway décrit d’autres épisodes de folie comme ce concert à Toledo où un mec balance un marteau dans la jambe de Bux. L’incident du poulet va d’ailleurs déclencher une avalanche de rumeurs toutes plus nulles les unes que les autres. On affirme qu’un jour, Alice Cooper et Zappa se seraient livrés sur scène à un concours de pets, qu’ensuite Zappa aurait coulé un bronze devant tout le monde et qu’Alice aurait ramassé l’étron pour le déguster. On ne peut que s’effarer de la qualité de l’imaginaire des rumouristes américains.

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    1969 est aussi l’année de tous les dangers, puisque les Stooges sont en tournée. Dunaway ne cache pas son admiration pour Iggy. En allant s’installer à Detroit, Alice Cooper crée la confusion. On a longtemps cru qu’ils étaient un groupe de la fameuse scène de Detroit. Pas du tout. Ils n’ont fait qu’y séjourner, car c’est là que se jouait à l’époque le destin d’un certain rock. Leur manager Leo Fenn les installa dans une ferme à Pontiac, un bled situé à quarante bornes au nord de Detroit. Ils baptisèrent l’endroit the Freak farm. Cette ferme isolée présentait le gros avantage de disposer d’une grange où le groupe pouvait répéter sans que ça ne gêne les voisins.

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    Leur deuxième album s’appelle Easy Action et paraît en 1970. Ils sont de dos sur la pochette, histoire de montrer qu’ils ont les plus belles crinières d’Amérique. On commence à peine à se familiariser avec la voix ingrate de Vince Furnier. C’est l’album de tous les râteliers. Ils nous font le coup de la good time music avec «Shoe Salesman», le coup du rock de cabaret avec «Mr And Mrs Misdemeanour» et le coup du psyché de bas étage avec «Still No Air». Sans doute leur façon de nous dire : «Bon les gars vous en avez pour votre argent.» Ils repartent en mode psyché sans queue ni tête (comme le poulet) avec «Below Your Means» et soudain, Bux et Bruce se partagent la part du lion, avec des échanges extrêmement fructueux de guitar licks. C’est en effet la grande époque des échanges fructueux. Bux et Bruce se couronnent rois de l’échange fructueux. Ils exultent ! Ils paramorent ! Ils dégueulent de génie, ce que va confirmer «Return Of The Spiders (For Gene Vincent)», cut hyper-tendu, wild as fuck et solid as hell. Bux et Bruce jouent à jets continus, les attacks se croisent dans l’effervescence d’une belle apothéose. Pas de plus bel hommage à Gene Vincent ! Neal Smith et Dunaway fournissent la tension, Smith bat ça tout droit comme le mec des Amboys Dukes dans «Baby Please Don’t Go». Après ça, il n’aura plus rien à prouver. Dommage que tout l’album ne reste pas perché à ce niveau d’excellence. C’est d’autant plus dommage que s’ensuivent des cuts d’une rare stupidité. Il faut attendre la fin, c’est-à-dire «Lay Down And Die Goodbye» pour retrouver le heavy psyché des tranchées de la Somme, avec la gadoue de fuzz et les obus de mortier. Bux et Bruce grattent leur heavy gaga et ça prend vite des tournures conséquentes. Comme c’est un cut long, attention aux embûches. Ces mecs sentent qu’ils deviennent des pros et ils deviendront même des légendes, alors ça les galvanise. Il faut donc leur faire confiance. Mais chacun sait que la confiance n’a qu’un œil. Ils basculent dans l’expérimental. Tant pis pour eux. Ils se tirent une branche dans le pied en voulant faire du bruitisme à la Zappa, exactement le genre de truc qu’on fuit comme la peste. Les collages sonores n’intéressent que les colleurs.

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    C’est en 1970 qu’ils rencontrent Bob Ezrin qui va devenir leur producteur et donc l’artisan de leur succès commercial. Et c’est là où les ennuis commencent. Malgré sa pochette fantastique, Love It To Death est un album catastrophique, car privé de relief. Dommage car ça s’ouvre sur la belle pop de «Caught In A Dream», Bux et Bruce grattent bien leurs poux, sur un beat assez sloppy, pour ne pas dire erratique. Comme le dit si bien Dunaway, ils se prennent au jeu. C’est avec «I’m Eighteen» que le personnage pas très sympa d’Alice Cooper commence à dévoiler son jeu. Désolé monsieur l’opportuniste, ce n’est pas bon. Si on écoute le «Black Juju» de 9 minutes, c’est uniquement par curiosité. Il faut s’attendre au pire, et c’est bien le pire, car joué à l’orgue. Il faut s’armer de patience pour écouter cette daube. Ces imbéciles croient faire du voodoo, mais en fait ils coulent leur album. «Black Juju» est l’archétype du cut complaisant et insuffisant. On essaye de se remonter le moral avec l’«Is It My Body» qui sonne un peu gaga, mais c’est très spécial. Bux et Bruce tentent de sauver les meubles, ça se sent. Ils continuent de s’enliser avec «Hallowed Be My Name», un cut affreusement mal chanté. La voix est mauvaise, renfrognée, à l’image de son mental calculateur. Dommage car il a derrière lui de bons musiciens. Le reste des cuts est du même ton, rédhibitoire, une sorte de prog aquatique, atroce, avec des palmes. Disgusting.

    En 1971, Dunaway et ses copains s’installent dans un domaine légendaire, le Galosi Estate, Connecticut, pas très loin de New York. Dunaway en profite pour faire le point : «On avait une maison, une salle de répète, un bon équipement, un contrat avec un label, deux grands producteurs, et notre ration de good-looking girls. Killer was going to be one hell of an album.»

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    Ils se pourrait bien que Killer soit non seulement le meilleur album de l’Alice Cooper gang, mais aussi son seul bon album, ne serait-ce que par la présence d’«Under My Wheels». Avec ce hit, Dunaway et ses copains grimpent au sommet de l’US rock, c’est merveilleusement chanté et roulé au got you under les aisselles. S’ensuit un «Be My Lover» qui plaît bien parce qu’un brin glam. Ce groupe jouait alors son va-tout, avec une vraie voix, une belle basse, un sérieux drumbeat et deux belles guitares qui ne la ramènent pas trop. Et puis l’affaire se corse avec «Halos & Flies». C’est là que commence à se creuser le déficit composital qui va entraîner la chute de la maison Usher Cooper. On y dénote une détestable absence d’inspiration qui les fait redescendre en deuxième division. Ce n’est pas bon du tout, mais alors pas bon du tout. Berk. On perd l’éclat d’«Under My Wheels». Ils retrouvent un peu de répondant en B avec «You Drive Me Nervous» et la carence compositale attaque la fin de l’album qui est catastrophique. Ces mecs sont incapables de tenir la distance d’un album. Ils terminent avec le morceau titre, plus ambitieux et certainement le plus intéressant après Wheels.

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    Contre toute attente, Killer fait un carton. En route pour la gloire ! Le tiroir caisse s’emballe et les tournées se multiplient. Le groupe tourne trop. Dunaway en halète encore : «Le premier stade du burn-out, c’est de se réveiller et de ne plus savoir dans quelle ville on est. Le deuxième stade, c’est d’avoir à demander à quelqu’un d’autre le nom de la ville où on se trouve. Le troisième stade, c’est de s’en foutre.» Ça fait des années qu’ils tournent, mais avec le succès de Killer, la pression augmente considérablement. Bien sûr, les drogues entrent dans la danse et Bux passe à l’hero. Here we go !

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    Nouvel album suicide avec School’s Out paru l’année suivante. Curieusement, l’album se vend bien. C’est dire si le monde d’alors pouvait être inquiétant. Ne parlons pas du monde d’aujourd’hui. Personne n’ose plus sortir dans la rue. On met ça sur le compte de la peste noire, mais non, c’est le monde extérieur qui fout la trouille. School’s Out sonne comme un non-album, même s’ils rendent hommage au vieux West Side Story de Leonard Bernstein. C’est Dunaway qui joue le passage de miaou à la basse. Cet album est un cas intéressant : un succès commercial qui est en même temps un échec artistique. You’re so very cool ! Tu parles Charles Cooper ! Avec ce «Blue Turk», ils tentent une drôle d’aventure dans la dentelle. Le «My Stars» qui ouvre le bal des maudits de la B est trop baroque. Ça ne peut plaire qu’aux fans d’Alice Cooper solo. C’est un monde à part, un peu pénible. Heureusement, Bux vient l’éclairer d’un beau solo. Mais le cut n’a aucun intérêt. On s’ennuyait comme un rat mort à l’époque. Pour se distraire, on ouvrait le pupitre en carton et on tripotait la culotte en papier avec laquelle ces imbéciles de Warner avaient packagé le vinyle. Tout sonnait faux dans cet album, sauf «Public Animal #9» qui gagatait bien, pulsé aux hey hey hey, un cut qui méritait une médaille car il sauvait l’album.

    En fait, ces albums étaient frustrants, car on avait trop fantasmé sur ce groupe. Chaque nouvel album sonnait le glas de la déception. Bux, Bruce et Neal Smith étaient un peu des héros, mais ils s’engluaient dans un truc qui ne leur correspondait pas.

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    Nouvelle tentative de réconciliation en 1973 avec Muscle Of Love et sa non-pochette. Et aussi ses non-cuts. Dès «Big Apple Dream» on savait à quoi s’en tenir : insupportable de médiocrité. La petite pop-rock de «Never Been Sold Before» manquait tragiquement d’inspiration. Bux pouvait y passer un solo, ça ne changeait pas grand chose. Ils ramenaient du dixieland dans «Crazy Little Child» et poursuivaient avec un «Working Up A Sweat» tellement cousu de fil blanc qu’ils devaient bien se douter que ça ne pouvait pas marcher. Ces pauvres gamins de Phoenix continuaient de dégringoler avec leur morceau titre. Mais au fond, on se demande vraiment pourquoi Alice Cooper va se séparer de Bux et Bruce. Peut-être leur fait-il porter la responsabilité du manque d’inspiration ? On a pourtant le sentiment qu’il ruine tous les cuts dès qu’il ouvre le bec. Le problème c’est que ça crève les yeux. Le seul cut que l’album qui passe bien est ce balladif pop-rock intitulé «Teenage Lament 74» qui tourne à la wild ride. Bux tente ici et là quelques glissades vénéneuses, mais on sent le groupe en fin de course. Il ne se passe rien dans «Woman Machine». Strictement rien.

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    Dernier spasme du groupe avec Billion Dollar Babies paru la même année. «Hello Hooray» est devenu une sorte de hit, mais on se demande bien pourquoi, car il ne s’y passe rien. «Raped & Frazin’» n’a rien dans la culotte. On a de la peine pour eux. Alors évidemment Alice Cooper solo rafle la mise avec «Elected» et sa façon de chanter crapuleuse. On entendait ça dans tous les jukes à l’époque et c’était insupportable. Difficile d’entrer dans l’univers de cet album. Ils font encore semblant d’être un groupe, mais ça manigance par derrière. Les choix sont faits : le chanteur oui, mais pas les autres. C’est comme ça que le Colonel a viré Bill Black et Scotty Moore, pour miser sur un seul canasson, Elvis. Les mecs de Warner misent sur leur canasson, Alice Cooper solo, et les autres, basta ! C’est curieux comme les cuts sont mauvais sur cet album honteusement surévalué. À l’époque, on s’entichait encore de «No More Mister Nice Guy», mais bon, ça ne vole pas haut. Écoutez plutôt celui d’Halfnelson. On reste sur cette impression que le chanteur gâte un groupe qui est excellent. Comme si Vince Furnier coulait Alice Cooper en faisant du Alice Cooper solo. «Sick Things» est la torpille fatale qui coule définitivement l’album. On voit rarement des projets tourner aussi mal. Bux, Bruce, Neal Smith et Dunaway ne parviennent plus à rallumer la flamme d’«Under My Wheels». C’est encore Bux qui fait tout le boulot sur cet «I Love The Dead» si mal chanté. Bux et les autres jouent leur dernière carte, celle d’un va-tout de la dernière chance, mais ils ne savent pas encore qu’ils sont condamnés.

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    La fin de l’histoire du groupe est assez glauque. Dunaway, Neal Smith, Glen Buxton et Michael Bruce sont virés sans être virés, on ne leur dit rien, c’est à eux d’en tirer les conclusions. Pour des raisons bassement matérielles, le management mise sur Alice Cooper solo : une part au lieu de cinq. Alors, chacun fait des albums solo dans son coin. Alice Cooper démarre avec Welcome In My Nightmare, produit par Ezrin, avec Dick Wagner et Steve Hunter aux guitares. Quand Welcome arrive à l’affiche du Madison Square Garden, Dunaway se voit interdire l’accès au backstage. Les vigiles ouvrent une porte sur le côté et chassent le pauvre Dunaway comme un malpropre. Dégage ! La presse n’a d’yeux que pour Alice Cooper solo. Le pire, dit Dunaway, c’est qu’on ne leur dit absolument rien : «À cette époque, la boîte aux lettres me terrorisait. Il n’y avait aucune communication avec le management. On ne nous a jamais informé officiellement qu’on était virés du groupe. Je croyais encore à un miracle.» Il poursuit : «Après dix longues années, il devint clair qu’Alice Cooper n’était plus notre groupe. Tout ce qu’on avait créé nous avait filé entre les doigts. C’était une période extrêmement sombre. Comme si on avait chassé ma vie sous le tapis. Un jour j’étais une rock star et le lendemain, j’étais indésirable. Boom. Dégage.» La pauvre Dunaway dit aussi que des groupes comme Kiss, les Dolls, Mötley Crue, Twisted Sister se sont inspirés de ce qu’il appelle our harlot culture. Il a raison de le préciser. On l’aime bien le petit Dunaway, avec son regard absent et ses rêves de kid arizonien. Même si son livre laisse un goût amer, on le préfère cent fois au m’as-tu vu parvenu qui n’a eu aucun scrupule à se débarrasser de ses copains d’école.

    Signé : Cazengler, Alice coupaire

    Alice Cooper. Pretties For You. Straight 1969

    Alice Cooper. Easy Action. Straight 1970

    Alice Cooper. Love It To Death. Straight 1971

    Alice Cooper. Killer. Warner Bros. Records 1971

    Alice Cooper. School’s Out. Warner Bros. Records 1972

    Alice Cooper. Muscle Of Love. Warner Bros. Records 1973

    Alice Cooper. Billion Dollar Babies. Warner Bros. Records 1973

    Dennis Dunaway. Snakes Guillotines Electric Chairs. My Adventures In The Alice Cooper Group. St. Martin’s Press 2015

    *

    C'est terrible je crois que j'ai attrapé une jarsiste aigüe, dans mon malheur une seule consolation, pour une fois le gouvernement n'a pas pris les mesures appropriées, je peux donc contaminer la population de la terre entière sans me sentir coupable de quoi que ce soit. Donc aucune retenue, gros plan sur le premier album de Jars, j'avais fait l'impasse dessus, sur ce coup-là, je reconnais mon erreur, j'espère que l'on ne me condamnera pas pour rétention d'information de première importance. Oreilles sensibles abstenez vous.

    JARS

    ( 2011 )

    Drôle de couve. Le premier plan est d'une banalité affligeante, une route bordée d'une haie, admettons de fusain – est-ce que ce végétal pousse en la tchékovienne steppe russe ? - ensuite une bande de terre d'une teinte rosâtre inusitée, avec cette espèce d'engin filiforme planté au milieu, on ne sait pas trop ce que c'est, disons une espèce de poteau électrique, sûr il n'y a pas de fils qui en partent, ou alors un filament bizarre, presque invisible, qui monte tout droit vers le ciel. Qui n'est pas bleu, l'est si blanc que l'on se demande si ce n'est pas seulement le support originel de l'image qu'un artiste négligent aurait laissé en blanc. Jusque-là tout va bien, même si en votre fort intérieur vous ne pouvez ressentir une ombre de malaise s'insinuer en vous. La peur vous gagne sur la gauche. Dans le lointain trois dégagements de fumée d'un rouge maladif, se réunissent en un énorme panache qui bouffe jusqu'au haut de la pochette. Ne serait-ce point une représentation de la centrale nucléaire de Tchernobyl qui vient d'exploser. Des idées noires se forment dans votre tête, ce qui n'est pas vraiment grave quand on pense à la nullité que vous représentez sur cette planète, par contre ce qui est affolant c'est que l'énorme panache de fumée rouge devient tout noir. Pratiquement sans prévenir, une ligne droite, une frontière rectiligne, normalement selon la théorie mathématique des catastrophes ça ne devrait pas se passer ainsi, les courbures des volutes répondent à des lois hasardeuses mais les probabilités du possible écartent ce type de réalisation, hélas le plus grave n'est pas là. J'ai dit noir, mais si vous regardez attentivement une nuance imperceptible s'impose, ce n'est pas noir, mais vert, foncé certes, mais cela ne ressemble pas à de la fumée mais possède une texture grumeleuse à l'imitation de feuillages que l'on retrouve dans les toiles les plus mystérieuses de Magritte. Etrange ! S'il vous plaît ne portez pas vos globes oculaires à l'extrémité de ce feuillage d'un autre monde, à l'endroit exact où dans les cieux les nuages de fumée commencent à se désagréger. Le houppier de cet arbre ( faussement ) céleste s'effiloche et l'on perçoit des rameaux effilés qui se détachent de la masse compacte. Il est encore de temps de vous éloigner, pensez à vos rêves peuplés de cauchemars... Tant pis pour vous. Délaissez votre vision botanique, n'est-ce pas l'aile immense d'un corbeau qui s'impose, celui maléfique du poème d'Edgar Poe. Les esprits forts s'amuseront : les ailes noires d'un corbeau sont bien noires affirmeront-ils tout moqueurs pour préciser que leur base n'est jamais rouge. Intelligences étroites, n'avez-vous jamais entendu de la signification grapho-symbologique de l'aile de corbeau dans les écrits alchimiques, la marque de l'expérience de la pierre rouge qui rate et redevient sombre materia prima, le corbeau n'est-il pas l'image du phénix qui ne renaît pas de ses cendres.

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    Je vous laisse méditer sur la noirceur désespérée de cette pochette.

    Anton / Konstantin / Sergey / Leonid

    Pentacar ( Inverted me ) : très rock, les guitares qui froncent le son de colère et un crécelle vocalique rauque qui n'est pas sans rappeler AC / DC, l'on croit être parti pour un bon rock sauvage, mais la basse appuie si fort que l'on est ailleurs, loin des australiens rivages, un gars qui hurle son envie de solitude, qui n'en peut plus des attentions que lui portent les autres, z'avez l'impression que la batterie massacre les crânes de vos amis à coups de batte de baseball pendant que le couteau électrique géant de la guitare découpe le corps des vos copines envahissantes. La deuxième partie du morceau s'atomise en une sanguinolente boucherie de bas étage. Crise de paranoïa aigüe. C'est fou ce que l'être humain possède de virtualités inemployées. Heureusement que la musique adoucit les mœurs. Que serait-ce sans cela ! Don't wanna visit your show : Cordes menaçantes, le gars hurle, plus seulement paranoïaque pour deux sous, vous pique une crise de jalousie hystérique dont même le Marquis de Sade n'a pas eu la prescience. Les instrus imitent ce qui se passe dans sa tête, pas beau à voir, magnifique à entendre. Ici les analystes se serviront de cette piste pour expliquer comment le jusqu'au-boutisme rock s'est historialement transformé en noise-rock. Song to sing alone : après les deux crises de folie furieuse vous comprendrez que le gars a un besoin urgent de changer de milieu. Alors comme le poëte lamartinien sur son vallon, il jette un regard mélancolique sur tout ce qu'il va abandonner. Bref c'est un blues. Ou plutôt un ravage mental qui voudrait donner le change et ressembler à un blues, il y a bien une guitare dans un coin qui fait semblant de pleurer, mais l'ensemble ressemble à un écroulement d'une pyramide d'un millier de boîtes de conserves dans un supermarché, le gars sort ses tripes de son gosier et joue de la lyre dessus. Quand on nous dit que les slaves ont une sensibilité exacerbée, après l'écoute de ce morceau vous pigerez. Les Possédés de Dostoïevski mis en musique. I rise – You shine : le gars hurle tel un goret dans son auge que l'on est en train d'égorger, les instrus essayent de le couvrir, arrivent à le faire taire durant trente secondes de pont, mais depuis le parapet vous gagne l'envie de vous suicider pour échapper au pandémonium qui suit, l'est tout seul le gars, lui reste encore un ennui et un ennemi, c'est lui-même. Instrumentation sans pitié pour vos neurones. Est-il possible de meugler si fort ? Roughside song : le titre ne pousse pas à l'optimisme. Vous n'aimeriez pas être à la place du gars, du bruit dans votre caboche qui cloche, la musique résonne comme ces coups de cognées que les bûcherons manient pour abattre les arbres des certitudes mentales : le gars ne sait plus où il en est, ce qu'il vit est-ce la réalité, ou un scénario qu'il édifie dans sa tête, alors il crie pour fondre les barreaux d'une prison peut-être imaginaire. La musique rampe, comme vous quand on vous a coupé les bras et les jambes. Eprouvant. Larsens loopingés. Highway : dernier morceau, la violence de la musique, vous force à réfléchir, difficile parmi les hurlements du gars, vous croyez qu'il est fou, et si ce n'était qu'une métaphore politique d'une société qui vous enferme dans la seule prison dont vous ne pouvez vous échapper, celle de votre chair, celle de votre esprit, la cacophonie instrumentale s'allonge comme une vis sans fin, il faudra encore supporter des effondrements des murs du son de la batterie, des portes de prison psychique qui claquent ne font pas de bruit plus destroy-cyniques.

    A première écoute je m'étais dit, ils ont réuni tous leurs titres les plus percutants pour ce premier album. Beaucoup plus que cela, un véritable concept album, l'on est loin des malaises psychologiques petits-bourgeois de Tommy des Who. A l'image d'une société russe avec laquelle la nôtre présente de troublantes et négatives ressemblances.

    Damie Chad.

    SOUL TIME

    LONELY FOR YOU BABY

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    Z'ont un culot monstre chez Soul Time, lonely et puis quoi encore ! J'espère que lors de votre dernière virée dans les bayous vous n'avez pas négligemment laissé traîner votre main dans l'eau et qu'un alligator affamé ne vous a pas croqué en guise de biscuit apéritif deux ou trois doigts parce que là vous avez besoin de la dizaine réglementaire, si vous ne me croyez pas comptez avec moi, un: Torz Rovers officie à la batterie, deux : Laurent Ponce, ne lui jetez pas la pierre s'il joue de la trompette, trois : Mathieu Thierry ténorise au sax, un homme qui a du chœur, quatre : Richard Mazza en fait des tonnes au baryton, cinq : Julien Macias n'y va pas doucement à la basse, six : François Fraysse joue le rôle du guitar-héros, sept :Thierry Lesage pianote sur son clavier, huit : tout s'éclaire Claire Franjeau bichonne la porcelaine de sax alto, encore une qui ne manque pas de chœur, la numéro neuf et la numéro dix, ne sont pas sur la photo à cause des aléas du confinement, se prénomment Carla et Lucie et occupent toutes deux le poste de lead-singer. Un véritable big band pour un futur big bang.

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    De cette marée humaine nous ne connaissons que Torz Rovers, martelait déjà la grosse caisse de Midnight Rovers dans notre livraison 149 du 20 / 06 / 2013 à La Miroiterie, un haut-lieu de l'underground-alternatif dont la mairie de Paris a fini - tous les prétextes sont bons pour empêcher les squats-culturels de survivre - par fermer...

    Proviennent de tous les horizons, rock, jazz, ska, reggae, soul, mais se sont retrouvés autour de ce nouveau projet Northern Soul, rien de bien neuf, mais ce qui compte c'est la part de son âme qu'on engage.

    Pour le moment n'est accessible qu'un sel morceau sur You Tube, on ne les voit pas, juste un disque qui tourne, un conseil ne le regardez pas, vous entendrez mieux. Une reprise de Sam Dees – il a été producteur chez Chess ce qui vous classe un homme – le Lonely for you baby qui est devenu un ( peut-être, le ) classique de la Northern Soul, autant dire que Soul Time ne manque pas d'ambition.

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    Je commence par être pointilleux : inutile de préciser qu'ils ne surpassent pas l'original, indépassable par définition. Mais n'ont pas non plus à rougir d'eux. Perso j'aurais inversé le mix, les cuivres devant et la rythmique sur la pédale douce, faut que ça rutile et que ça fasse du bruit comme trente boîtes de conserves ficelées au pare-choc de la voiture de votre percepteur, du malpropre hasardeux, mais si la fanfare mène la charge rien ne lui résistera. Le solo de sax scratché est très bon, trop bon, je l'eusse gardé pour un dérapage final incontrôlé.

    Je finis par tresser des couronnes : la chanteuse, je ne sais si c'est Carla ou Lucie, elle y va franco, et ce n'est pas facile, excusez-moi de cette remarque genrée, mais Lonely for you baby, ça sent le mec, une fille ne le dirait pas comme cela, alors Carlu ou Lacie, elle y jette toute sa gourme, elle vous crache le morceau et tient le haut du pavé c'est elle qui entraîne les cuivres à sa suite, et ça déménage, une vraie reine. Ne vocifère pas. Survole. Autre remarque importante, sont bien tous réunis, pas un qui traînasse en queue de peloton ou qui sprinte à quinze mesures devant le troupeau attardé, tous ensemble, on sent qu'ils vont gagner. Misent sur la musique et pas sur la danse. Z'ont déjà le secret de la réussite. Ne se sont pas embarqués sans biscuits, et ils ont les dents longues pour les dévorer, et vous avec.

    Bref on attend la suite avec impatience.

    Damie Chad.

    THE SPY

    KLONE

    On parlait d'eux voici trois semaines ( in Kr'tnt ! 484 du 12 / 11 / 2020 ) dans les regards conjoints sur les spectacles métalliques auxquels Hélène Crochet organisatrice des Apéros 77 et blogueuse sur égoutmetal et mézigue pâteux avons depuis la fosse aux lions participé sans nous connaître. Elle n'avait pas aimé la prestation de Klone, pas spécialement celle de ce soir-là mais la sorte de musique qu'ils pratiquent, perso j'avoue que si je préfère les tintouins méchamment plus électriques, je dois reconnaître que leur live fut en leur style particulièrement réussi. Et voici que dans mon fil FB deux mots attirent mon attention, deux minuscules syllabes de trois lettres chacune, The Spy, tiens une vidéo des Doors, tout ce qui touche à Jim Morrison m'intéresse, non ce ne sont point les Doors, mais Klone qui ont repris le morceau des Doors. Faut un sacré culot en ce bas monde pour s'offrir de telles fantaisies.

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    En septembre 2019 Klone a sorti son sixième album, intitulé Le Grand Voyage, chanté en anglais, qui fut fort loué et moult encensé sur tous les webzines métalleux du pays. L'est vrai que l'album en impose. L'on en a dressé l'oreille jusqu'aux States, avec cet opus Klone a atteint un haut niveau d'intensité, joue désormais dans le haut du panier international en leur genre que nous qualifierons de progressive-metal. Même si les étiquettes sont faites pour être arrachées. Rien qu'au soin apporté à la pochette, l'on comprenait que Klone avait compris que le rock doit être appréhendé en tant qu'art total et que rien ne doit être laissé au hasard. En juin Klone sortit une vidéo officielle sur You-Tube, de Yonder le titre qui fit l'unanimité dans les multiples chroniques qui saluèrent la sortie du disque. Pas tout à fait une vidéo, eux-mêmes la qualifient de short-film. L'est sûr que dans un festival de courts-métrages poétiques Yonder aurait toutes les chances de remporter le premier prix. La beauté des images est à couper le souffle. Un homme vêtu de noir – large chapeau qui n'est pas sans évoquer les premières images des Aventuriers de l'Arche Perdue, ou pour ceux qui aiment les références françaises la silhouette de Johnny Hallyday dans Le spécialiste – c'est tout. Scénario d'une simplicité sublime. L'homme dont on ne sait rien, tout comme vous, marche vers son destin. Ne vous réjouissez pas trop de la comparaison, va d'un pas tranquille vers la mort. Mais au contraire de vous, il traverse des montagnes désertiques de rocs et de sables nimbées d'une merveilleuse lumière orange. Comme quoi un voyage, fût-il grand peut mal se terminer.

    L'album possède neuf titres + une gosth track : la reprise de The Spy des Doors.

    The Spy figure sur le cinquième album des Doors, enregistré en 1970. Belle pochette, la photo a été prise impromptue, les Doors passent devant l'hôtel par hasard, le gérant leur refuse la permission de take the pic, ils repassent plus tard devant la vitrine, la salle d'accueil est vide, ils se précipitent, s'installent au comptoir, dans la boîte en quelques secondes, ils s'esquivent, ni vus, ni connus. Hormis cette anecdote, le disque est une réussite parfaite. Les disques des Doors, à l'exception de The Soft Parade qui développe peut-être le concept le plus intéressant mais qui reste inabouti, sont autant des objets-rock incontournables que des objets de poésie. Ptyx mallarméens assez rares. Cela tient à la qualité des morceaux certes mais avant tout à cette étrange atmosphère dans laquelle ils baignent. Synesthésiquement parlant, Morisson Hôtel flotte dans une mystérieuse aura d'algue verte...

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    Derrière Klone se trouve la Klonosphère, groupes centrés sur la région de Dijon, les anciens membres, le groupe de scène, le groupe qui enregistre en studio. D'autres formations avec lesquelles certains membres jouent aussi. Nous sommes très loin par exemple des rencontres hasardeuses qui au milieu des années soixante ont permis à un groupe de rock comme Variations de se réunir. Il existe tout un background artistique derrière Klone, en un demi-siècle un véritable terreau french-rock a vu le jour. La tête pensante et actante de Klone est formée du trio : Guillaume Bernard ( guitare ), Aldrick Guadagnino ( guitare ) Yann Ligner ( chant ). C'est sur ce dernier, doté d'une technique vocale prodigieuse que repose le groupe, ce qui ne signifie pas que les autres sont des tâcherons ou des mercenaires, quant le chant est pointu, les accompagnateurs ne sauraient être obtus. D'ailleurs pour s'attaquer à une reprise des Doors, faut être, je reprends un adjectif qui revient souvent dans les articles qui leur sont consacrés, couillus.

    THE SPY / DOORS

    ( version avec lyrics sur YT )

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    Au juste c'est quoi The Spy. Pas autre chose qu'un blues. La version remastérised 2020 le démontre à l'excès. Lorsque l'on a restauré le plafond de la Chapellle Sixtine et que l'on a découvert ses couleurs tendres et crues, l'on a crié au scandale. Mais personne n'était assez âgé pour se vanter d'avoir vu les teintes originales. Pour les Doors, les versions non-remastérisées sont encore dans l'oreille de beaucoup de monde, et certains ont gardé avec soin leurs microsillons et le matériel d'écoute adéquat. Le confort d'écoute moderne d'aujourd'hui sera jugé totalement obsolète dans un demi-siècle, qu'écouteront au juste nos descendants, la magie des Doors ne se sera-t-elle pas totalement évaporée... Donc un blues, mais transfiguré, la blue note métamorphosée en ritournelle qui devient vite obsédante. Et puis de temps en temps, les Doors descendent le rideau de fer avalanchique de l'orchestration, bien chiche et frustre certes car le trio des musicos n'use guère d'additifs ou de subterfuges. N'en éprouvent pas la nécessité, z'ont mieux à leur disposition qu'un orchestre symphonique, le plus bel instrument qui ait jamais été inventé, la voix humaine. Mais là ce n'est pas la voix de n'importe qui, celle de Jim Morrison, chargée de mystère, de profondeur, baignée d'une lointaine mélancolie, mais si présente en vous qu'il vous semble que le roi lézard chantonne à votre oreille, rien que pour vous. C'est d'ailleurs le sujet de la chanson. L'espion qui connaît tout de vous, vos rêves, vos envies, vos désirs. Des espions de cette sorte qui murmurent à votre âme vous en connaissez beaucoup, qu'ils vous tendent leurs livres, ou leurs tableaux, leurs films, leurs poèmes... Cela Morrison, le sait très bien, l'énonce avec des mots très simples, I'm the spy qu'il dit, O. K Jim on a compris, et c'est là que l'animal érectile morrissonien vous plante son dard dans le dos, cinq mots qu'un élève de sixième comprend sans difficulté, in the house of love, le mystère et le mal-être s'épaississent, ce n'est plus un mec qui vous embrouille à l'épate en faisant des claquettes solfégiques, il vous le chuchote dans le cou tel un secret honteux, l'a sorti son arme fatale, son organe vocal, ce n'est plus un espion, c'est pire, c'est l'indiscrétion en personne qui se charge des révélations, n'en parle qu'à vous, mais elle vous plonge dans une inquiétude généralisée, ne serait-ce pas vous qui vous parleriez à vous-même... Et c'est donc à cela que Klone se mesure.

    The Spy / Klone

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    Que voulez-vous, il y a des mecs qui ne doutent de rien, qui déklonent à plein tube. Je n'ai pas voulu les enfoncer, j'ai décidé de leur laisser une chance. J'aurais pu d'abord me conforter dans mon idée de base, en écoutant les Doors en premier lieu, mais non, bon prince, suis allé d'abord à leur version. Sont des malins chez Klone, les Doors vous en mettent plein les oreilles, ne craignez rien, nous aussi, mais en plus vous en aurez plein les yeux. Les deux pour le prix d'un. A croire qu'ils ont fait la chanson pour illustrer la vidéo. De belles images certes, mais tout le monde peut en faire autant, une bonne banque de données, style photos de Géo Magazine et c'est dans la poche. Celle des imbéciles. Je ne sais pas s'ils ont concocté l'affaire en un brain-trust de trente jours avec tentes de sudation obligatoires et jeûnes à répétition à effrayer une armée de spartiates, ou si l'idée géniale est arrivée comme un cheveu sur la soupe. Bordel de bordel, c'est quoi cette house of love. Question irritante. Mais eux ils ont trouvé. Ce n'est pas la réponse qui est intéressante, c'est la manière dont ils vont vous la donner sans le dire, mais en le montrant par des images. Si par hasard ils finissent en prison, portez-leur des oranges, car ce sont des adeptes de leur couleur. Font ainsi le lien avec la vidéo de Yonder. Superbes paysages, au loin une ville, laquelle, n'importe laquelle, la Cité Morrissonienne par excellence celle qui ouvre le recueil de The Lords & The New Creatures. '' La ville forme souvent physiquement mais inévitablement psychiquement un cercle. Un anneau de mort avec le sexe à son centre'' . Mais ne s'arrêtent pas là. La courbure du globe apparaît à l'horizon et nous voici plus haut que notre monde sublunaire, là où commence l'anneau de l'éther illimité. On se croyait dans une miteuse maison de passes et nous voici dans l'apeiron d'Anaximandre...

    Mais vous vous méfiez des illusionnistes qui vous traumatisent la rétine, alors taisez-vous et écoutez. Vous la prennent un ton plus bas, mais sans trop. L'orgue de Manzareck, l'ont laissé au garage, ce sont les guitares qui s'en chargent avec une basse en même temps lourde et feutrée. Yann Ligner se place dans une lignée jimique, sur les deux premiers vers, vous pensez à une pâle imitation, mais non sa voix monte, monte, plus haut, plus haut, non il ne pousse pas dans l'aigu mais dans l'amplitude, pas sur le spectre horizontal mais sur le vertical, ne s'étend pas en largeur, mais sa voix semble se détacher du cordon musical et se mettre en orbite très haut à l'altitude excentrée d'une planète inconnue, découpe les vers, chaque accentuation nous éloignant de la terre pour le monde des songes, lorsque voix et musique se taisent, l'écran devient noir, et l'on repart vers les étoiles comme si l'on était une sonde spatiale dont l'image aurait été occultée par un astre inaperçu ou la béance d'un trou noir, le morceau est raccourci, condensé, et s'arrête sur l'évocation répétée de cette peur qui grignote nos synapses.

    Une belle réussite. Fidèle aux Doors, aucun iconoclasme nihiliste dans cette démarche qui ouvre une autre voie. Une autre voix.

    Damie Chad.

    P. S. : il existe une version 2, Jim avec un accompagnement style piano-bastringue, qui efface l'atmosphère angoissante, la voix de Jim est beaucoup plus désinvolte, un peu comme un assassin qui plaisante avec sa victime qu'il tuera dans quelques heures. Sur le pont le piano se permet quelques discrètes dissonances jazzy qui installent l'amorce d'un malaise. Ne vaut pas celle qui a été retenue, bien qu'elle soit digne d'attention.

     

    X

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    Nous l'invitâmes à boire un café. Il parut soulagé mais se confondit en excuses, soucieux de nous poser tant de tracas, une fois assis à table, nous n'eûmes pas besoin de l'interroger. Il raconta d'un seul trait son terrible destin.

      • Je m'appelle Jean-Pierre Dupont, j'avais six ans lorsque je fus victime d'un terrible accident de voiture. Mes parents étaient morts. Moi aussi. On nous transporta à la morgue. C'est-là qu'un chirurgien s'est intéressé à mon cadavre. Pour une noble cause, il devait le lendemain recoudre une main à une personne accidentée à son travail. Une opération difficile, par conscience professionnelle il voulait s'entraîner, dans mon malheur j'avais eu les deux mains tranchées, écrasées, réduites en charpies. Pour mon bonheur – excusez-moi, c'est ainsi – deux autres enfants étaient décédés dans le service de cancérologie, leur taille correspondait à la mienne. Emporté par l'amour immodéré de son métier et le désir de renvoyer un ouvrier au plus vite au boulot, Auguste – c'est le prénom du chirurgien - m'a greffé deux mains au bout de chacun de mes deux moignons. C'est alors que je me suis réveillé. Je n'étais pas vraiment mort. Auguste s'est affolé, il a vu sa carrière brisée, mais c'était un homme bon et intègre, il m'a emporté chez lui... Durant des mois il m'a soigné, au bout de deux ans j'avais récupéré l'usage de ces quatre mains qui n'étaient pas à moi...

      • Voilà qui n'est pas banal, murmura le Chef, j'en profite pour allumer un Coronado, mais qui vous a dit de venir nous trouver ?

      • Encore une longue histoire... Auguste m'a gardé chez lui, il ne savait pas quoi faire de moi, s'il me mettait à l'école, il y aurait une enquête, alors j'ai toujours vécu avec lui, il m'a appris à lire, à écrire, s'est très bien occupé de moi, un deuxième papa, il me disait que quand je serais grand il m'inscrirait à l'université, mais je n'ai pas voulu, je suis resté avec lui, le monde me faisait peur... aujourd'hui j'ai vingt-deux ans, il est mort l'année dernière, à son enterrement je me suis habillé de ce grand imperméable pour que personne ne voie mes mains et j'ai continué à vivre dans la maison, en me faisant livrer ce dont j'avais besoin...

    Alfred servit le café. Je ne pouvais détacher mes yeux des mains de Jean-Pierre, avec une il remuait le sucre tandis que sa voisine trempait un petit gâteau dans la tasse...

      • J'ai essayé de rentrer en contact avec des gens... j'avais peur, je me suis dit que ce serait plus facile avec des enfants, je suis allé à la sortie d'une école, à cause de mon imperméable et de mes mains dans les poches j'ai été pris pour un exhibitionniste... J'ai été poursuivi par une meute de bonnes femmes en furie... Je ne suis plus jamais sorti de chez moi !

    L'on entendit craquer l'allumette avec laquelle le Chef allumait un nouveau Coronado.

      • Il y a trois jours au fond de la poche d'un veston j'ai trouvé un numéro de téléphone... j'ai appelé on a répondu tout de suite...

    La porte s'ouvrit brutalement. C'était Thérèse...

      • Ils arrivent, s'écria-t-elle !

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    Lors des batailles décisives Napoléon sortait sa lorgnette, le Chef se contenta d'allumer le Coronado des grandes occasions, celui qu'il ne fumait que dans les passes difficiles, facilement reconnaissable à sa robe marquée de stries rouges qui ne sont pas sans rappeler les traits carminés dont les peaux-rouges marquaient leurs poneys lorsqu'ils empruntaient le sentier de la guerre. En quelques secondes la villa s'était transformée en fourmilière. Molossito et le curieux Westie blanchâtre, cornaqués par Molossa effectuaient à toute vitesse des allées venues entre la cuisine et le camion que j'avais rentré en marche arrière dans le jardin. Chacun ramenait dans sa gueule des bouteilles de Moonshine polonais dont Thérèse se hâtait d'enfourner le contenu dans le réservoir du camion et des deux solex. Alfred avait pris l'initiative d'emmener Jean-Pierre dans la cave, où ayant fait basculer un rayonnage de la bibliothèque Alfred dévoila une véritable cache d'armes, trois grosses caisses qu'ils hissèrent dans la benne. Jean-Pierre arborait un lumineux sourire : '' C'est la première fois de ma vie que je m'amuse'' ne cessait-il de répéter en courant de tous les côtés.

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    Je m'installai au volant du Dodge, je ne vous l'avais pas précisé parce que les lectrices n'aiment pas être embêtées avec des détails techniques, mais enfin c'était un de ces véhicules – en reste-il seulement trois en état de marche de nos jours – qui avaient débarqué avec les ricains en 44, petits gabarits, inusables, robustes, capables de pousser un train de marchandises de quarante wagons – roues d'acier sans pneus, j'avais eu la chance inouïe de le dégoter sur le premier chantier que j'avais visité, preuve que les dieux sont du côté de rock'n'roll. Molossito s'était casé sur le plat-bord à gauche du volant, Molossa à droite fut la première à pousser deux aboiements brefs, nous arrivions au niveau du parc où Thérèse et moi... il était rempli de CRS et de gardes mobiles qui ne semblèrent nous accorder qu'une attention amusée, '' Ouah ! Ouah ! Ouah ! '' Molossito s'égosillait, devant nous surgirent d'une rue adjacente, deux énormes camion à eau qui de front s'avancèrent vers nous. Un gars, je reconnus le conseiller du Président qui nous avait si ironiquement congédié lors de notre entrevue, s'avança au milieu de la chaussée et mégaphone en main hurla '' Rendez-vous, vous êtes cernés'' Il n'avait pas tort, derrière le Dodge, CRS et gardes-mobiles s'étaient déployés sur la chaussée pour fermer la nasse. Le piège se refermait.

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    Sur eux. Dans le jardin de la villa le Chef jeta son cigare à terre, c'était le signal. Thérèse mit les gaz de son vélomoteur dopé au moonshine polonais, Alfred l'imita, les pauvres agents de la sécurité publique crurent que deux torpilles téléguidées fonçaient sur eux, ils s'écartèrent et s'égaillèrent dans toutes les directions, mais c'était trop tard, déjà comme Metzengerstein dans la nouvelle d'Edgar Poe poussait son cheval sur les cadavres de ses ennemis, les roues des solex roulèrent sur leurs corps, lorsque les deux vélos arrivèrent à ma hauteur, j'appuyais sur l'accélérateur, j'entrevis le sourire ravageur du Chef qui brandissait un bazooka, Jean-Pierre faisait de même, pour un gars qui n'était jamais sorti de chez lui, il semblait parfaitement à l'aise. Les deux camions citernes déchiquetés de part en part par les roquettes explosèrent, je freinais brutalement le temps de laisser les quatre cavaliers me rejoindre, le Chef s'installa dans la cabine tandis que les trois autres se hissèrent dans la benne.

      • Agent Chad, écrasez-moi ce cloporte au mégaphone pendant que j'allume un Coronado !

      • Voilà, c'est fait Chef, très proprement, le mégaphone n'est même pas cabossé, il ne faut pas dépenser les deniers de l'Etat, déjà que le Président vient de perdre un de ses conseillers !

      • Agent Chad je vous félicite pour votre conduite citoyenne, ne pas gaspiller les impôts de nos concitoyens devrait être le premier souci de tout dirigeant. Mais trêve de bavardages, foncez droit devant, l'ennemi ne va pas tarder à se reprendre ! Tout droit !

      • Tout droit, bien sûr Chef, mais dans quelle direction, au juste !

      • Vers la tour Eiffel, nous allons leur jouer un tour de fer à notre façon !

    ( A suivre... )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 460 : KR'TNT ! 460 : ROBERT QUINE / MUDHONEY / JARS / THE PESTICIDES / ROLLING STONES / TREVOR FERGUSON / LOVESICK DUO

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 460

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    16 / 04 / 2020

     

    ROBERT QUINE / MUDHONEY

    JARS / THE PESTICIDES

    ROLLING STONES / TREVOR FERGUSON

    LOVESICK DUO

     

    God save the Quine

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    Richard Hell n’en démord pas : le meilleur, c’est Robert Quine. Après avoir quitté les Television et les Heartbreakers, Hell décide tout reprendre tout à zéro.

    Robert Quine et lui bossent tous les deux chez Cinemabilia, un libraire new-yorkais spécialisé dans le cinéma. Au début, Hell trouve Quine ‘pretty demoralized’ et s’aperçoit petit à petit qu’il est demoralized en permanence. Le seul truc qui semble l’intéresser, c’est jouer de la guitare. Vu qu’il a plus de trente ans et qu’il est chauve, Hell pense qu’aucun groupe ne voudrait de lui. Hell ajoute que Quine n’aurait jamais pardonné à Lenny Kaye ses remarques déplacées concernant sa calvitie. Si Hell s’intéresse tant à Quine, c’est pour une raison bien simple : Quine adore le raw rock’n’roll. Il écoute Jimmy Reed, Link Wray, Ike Turner, Fats Domino, les Everly Brothers, Bo Didddley, Richie Valens, Buddy Holly et Little Richard. Très peu de choses post-Beatles, excepté le Velvet, les Stooges, Jeff Beck, Roger McGuinn, Hendrix, Roy Buchanan et Harvey Mandel. Il adore aussi le premier album des 13th Floor Elevators, mais contrairement à Hell, il n’aime pas les albums des Ramones et des Pistols. Il s’intéresse de près à James Burton, au jeu de basse de Joe Osborne dans le Wrecking Crew et à celui de John McVie dans Fleetwood Mac, ou encore au style de Grant Green. Autre point commun avec Hell : la littérature. Quine adore Burroughs et Nabokov. Il possède des éditions originales, ce qui impressionne durablement Hell. Quine adore aussi les films de Samuel Fuller, de Hugo Haas et The Three Stooges. Hell ajoute que Quine marche comme un personnage de Robert Crumb, les épaules voûtées et le regard inquiet. Il porte en plus des lunettes noires d’opticien. «Il arborait un visage rond et anonyme qui le vieillissait. Il voulait passer inaperçu. Je l’ai interrogé une fois à ce sujet, en lui demandant s’il possédait une voiture et quand il a dit oui, je lui répondu qu’elle devait être marron ou grise. ‘Elle est marron !’» Avec l’aide de Quine, Hell monte les Voidoids. Ils recrutent Ivan Julian et le batteur Marc Bell qui ira ensuite rejoindre les Ramones. Comme les Voidoids deviennent la nouvelle coqueluche du CBGB, Sire les signe. Mais dès le début de la relation avec le record business, ça coince. Hell ne peut pas les supporter, ni Seymour Stein ni Gottehrer - The record business notoriously is one of the sleaziest there is - Hell cite même un auteur, Frederic Dannem, qui, après enquête, dit du record business qu’il est le moins éthique de tous. Mais bon, ils enregistrent un premier album en 1977.

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    Et là on entre dans le vif du sujet. Hell n’y va pas par quatre chemins : «I think Quine was the best rock and roll guitar soloist ever.» Selon, Hell, Quine mixe l’art et l’émotion comme nul autre au monde. Hell se désole aussi ne n’avoir enregistré que deux albums avec Quine. Il ajoute que les solistes intéressants ne courent pas les rues. Hell cite les noms de Mickey Baker, James Burton, Grady Martin, Link Wray, Jeff Beck, Jimi Hendrix, Lou Reed, ‘peut-être’ Jimmy Page, ‘peut-être’ Chuck Berry, ‘peut-être’ Tom Verlaine et Richard Thompson, par contre, il considère que Keith Richards et Pete Townshend sont des guitaristes rythmiques. Mais il précise que personne n’a su mixer le feeling et la créativité aussi bien que Quine. Pour Hell, le style de Quine relève du génie - Quine is the gap between skillful creative brillance and genius. Quine was a genius guitar player - En plus Quine adore la noise et bousculer les conventions. Pour Hell, Quine est le grand guitariste antisocial. Par la profondeur de son feeling, Quine se rapproche toujours selon Hell de Miles Davis et de Charlie Parker. Plus loin, Hell en rajoute une couche en expliquant que les enregistrements des Voidoids ‘se mettent vraiment à vivre quand Quine part en solo’.

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    Il ne croit pas si bien dire, il suffit d’écouter le premier album de Richard Hell & The Voidoids, Blank Generation, paru en 1977, pour en avoir le cœur net. On entend clairement Quine partir à l’aventure dans «Love Comes In Spurts». C’est tout l’intérêt du Spurt. La godille de Quine. Le Quine dans le jeu de quilles. Le Quine qui couine à rebrousse poil. Et ça en dit long sur le génie d’Hell qui a compris ça à l’époque. Quine rebat la campagne dans «Liars» - Oh oh oh oh - Sacrée mélasse d’énergie considérable, Hell chante à outrance, pas de voix, rien que de l’outrance. Quine et lui font bien la paire. Quine rentre partout les deux doigts dans le nez. Le solo qu’il prend dans «Betrayal Takes Two» restera un modèle du genre jusqu’à la fin des temps. Les Voidoids sortent un son extrêmement osé, anti-commercial au possible, qui n’a aucune chance de plaire. Non seulement ils précèdent le post-punk d’une bonne année, mais ils l’inventent. Tout reste échevelé, pour ne pas dire tiré par les cheveux. Le «Blank Generation» qui ouvre le bal de la B vaut pour un classique entre les classiques. Hell incarne si parfaitement son concept de blankitude qu’on s’en effare. Quine part en solo de quinconce et va même le claquer aux accords de discorde et les Voidoids rajoutent dans la soupe les chœurs des Dolls ! Très spectaculaire ! Quine tord le cou de «Walk On The Water» avec l’un de ces solos de dépenaille dont il a le secret. Aw baby Aw, comme dit Hell dans «Another World». Quine fait le show avec son funk mutant.

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    Cinq ans plus tard, Hell et Quine remontent les Voidoids pour enregistrer un deuxième album, Destiny Street. Hell le trouve nettement supérieur au premier. «The Kid With The Replaceable Head» et «You Gotta Move» brouillent un peu les pistes, surtout le Move monté sur un riff catastrophiquement déclassé. Les choses se corsent avec «Lowest Common Denominator», bien défilé à la parade. Quine fait ses ravages et explose le cut en plein ciel. Il mène aussi le bal dans «Downtown At Dawn». Ça reste un bonheur que de l’entendre jouer. Il sort de sa cage et fuit vers des ailleurs. C’est sur cet album qu’on trouve la version studio d’«I Can Only Give You Everything». Hell y croise la violence du rock anglais avec celle du New York Sound, il saute en l’air, il chante faux et c’est excellent. Tout l’esprit est là. Superbe surenchère avec un Quine dans l’ombre. Hell fait tituber ses syllabes, and I try and I try. Puis on le voit ignorer la porte dans «Ignore That Door», mais il le fait à coups de chœurs de Dolls, bien aidé par ce démon de Quine. Ils terminent avec le morceau titre que Quine prend en mode funky. Hell rappe dans le gras. Pendant qu’Hell rappe, Quine rôde.

    Quine fera surface dans Dim Stars puis il avant de mourir d’une overdose d’hero, il va enregistrer quelques albums solo.

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    En 1981 paraît un album contributif intitulé Escape. Quine s’y acoquine avec Jody Harris. Ils développent tranquillement une belle ambiance d’electro-beat urbain. Quine surjoue son funk spectral sur fond d’electro sourde comme un pot. Un truc comme «Flagpole» finit par l’emporter, tellement c’est visité par les esprits. Avec Quine, il faut toujours laisser du temps au temps. Son cling-along se joue de l’electro-beat, disons plutôt qu’il l’étreint comme Jarry étreint Ubu, viens là gros lard que je te serre dans mes bras. Étrange spectacle : quelque part dans l’air du temps, l’espiègle finesse d’une guitare ouvertement funkoïde danse avec un gros beat electro mal embouché. Puis on voit Quine travailler en surface l’épais beat electro de «Don’t Throw That Knife». Il semble diffuser une dentelle de désinvolture sonique, comme s’il laissait traîner ses notes. Très Can dans l’esprit. Quine survole Babaluma. C’est en B que se joue véritablement le destin de l’album, notamment avec ce «Termites Of 1938» monté sur un beat tribal assez violent. Quine y voyage avec une allégresse contagieuse. Comme ce beat est beau, il dresse fièrement la tête, il semble venir de la nuit des temps, si sourd et si menaçant. Et puis voilà la coup de Jarnac : «Pardon My Clutch». Quine joue le rock’n’roll du futur, sur fond de belle propulsion electro. Il joue la clairvoyance au clair de lune et se fond dans le beat comme une ombre dans la nuit. Quel admirable exercice collectiviste ! Ils mêlent bien ces baves que sont le clair de Quine et l’electro-beat de Jody Harris. Quine semble réinventer le rock’n’roll en jouant une dérive de surface. C’est une pure merveille de New York Sound. Son cœur bat fort. Ainsi va la Quine à l’eau qu’à la fin elle s’embrase. Quine nous fait tout bonnement du Can new-yorkais.

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    Puis il s’acoquine avec Fred Maher pour enregistrer Basic en 1985. Ce qui frappe le plus dans la démarche de Quine, c’est l’étrangeté des idées de son. On pourrait même parler de brillante étrangeté. Il sort le Grand Jeu avec «Bluffer», sur fond de background obsédant à la Can. Quine choisit cette fois de vitupérer. Comme le back-beat reste bien hypno, «Bluffer» passe comme une lettre à la poste. On retrouve plus loin un «Summer Storm» très Babaluma. En B, Quine va se fourvoyer dans des ambiances protéiformes, notamment celle d’un «Bandage Bait» bien travaillé au groove urbain volontariste et consommé. Quine gratte ses grooves aux accords impromptus, il vise l’épisodique impitoyable. Il revient au big guitar sound avec «Despair» et redevient le temps d’un cut the guitar slinger extraordinaire. Il faut le voir tirer ses notes à la vitesse d’un char à bœufs.

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    L’équipe Robert Quine/Ikue Mori/Marc Robot enregistre le bien nommé Painted Desert en 1995. Avec «Mojave», on y est. En plein cœur du désert. Pas besoin de téter une fiole, ils sont spaced out d’eux-mêmes. T’as voulu voir le cul de la reine et t’as vu la raie du Quine, c’est bien plus intéressant. Quine joue au doux d’accords de réverb et il faut l’écouter soigneusement, car on ne croise pas souvent des mecs de son niveau. On entend un tabla derrière lui. Une fois encore, il sort le Grand Jeu du son tempéré. Avec «Medecine Man», ils tapent dans un bruitisme archaïque. Quine rôde dans le son d’une manière très équivoque. Puis on le voit chevaucher en tête de «Desperado». Comme s’il était décidé à en imposer. Quine est le Sade du rock, il entraîne ses amis dans les vices de la vertu. Avec «El Dorado», ils explorent la Vallée de la Mort. Tout est acquis d’avance sur cet album, surtout la violence du «Gundown». Quine veut en découdre, alors il en découd. À sa place, on ferait tous la même chose.

    Signé : Cazengler, Robert Gouine

    Richard Hell & The Voidoids. Blank Generation. Sire 1977

    Richard Hell & The Voidoids. Destiny Street. Red Star Records 1982

    Robert Quine/Jody Harris. Escape. Infedility 1981

    Robert Quine/Fred Maher. Basic. Editions EG 1985

    Robert Quine/Ikue Mori/Marc Robot. Painted Desert. Avant 1995

    Richard Hell. I Dreamed I Was A Very Clean Tramp. Harper Collins Publishers 2013

    Just like Mudhoney

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    Tout le monde a connu ça : on erre comme une âme en peine dans la cave d’un disquaire parisien et soudain un cut qui passe sur la sono du magasin fait dresser l’oreille. Plop ! Le vendeur pose toujours la pochette en évidence sur son guichet pour qu’on puisse choper l’info. Quand le disk est bon, c’est vendu d’avance. Surtout quand le chanteur sonne comme Iggy. Même genre d’arrogance et de bouteille, même timbre chaud et autoritaire, mais ce n’est pas exactement Iggy. Alors pour mettre fin à la devinette, on se rapproche pour voir la pochette.

    Vanishing Point, le nouvel album de Mudhoney !

    Incroyable. Qui l’eut cru ? Quel retour en force !

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    Écoute de l’album aussitôt le retour au bercail. Blasting all over ! Ça barde pour les matricules dès le premier cut. Steve Turner arrose «Slipping Away» d’une dégelée royale de guitare liquide. Immédiate effarance de l’excellence. Mark Arm touille son brasier à la fourche, et ce n’est pas un petit brasier. On est là dans le gras du rock à guitares, dans le glissant du slinging, dans l’über-shoot de wah et l’extrême pertinence du blues-rock. Et c’est avec le second cut qu’arrive le simili Iggy. «I Like It Small» sonne vraiment comme un morceau des Stooges, avec en plus l’aspect sexué du signifiant. Petite chatte. L’Arm refait son Iggy dans «What To Do With The Neutral». Ça renvoie directement au fameux «Bored» d’un Ig qui croonait jadis son chairman of the bored. Quelle fantastique ambiance ! Et ça devient encore plus stoogy avec une chanson de pinard, «Chardonnay». L’Arm bouscule ça dans les orties, c’est sacrément endiablé et énervé au possible. Quel ramalama, les amis ! En B se nichent deux horreurs tentaculaires : «I Don’t Remember You» (pur garage stoogy) et «The Only Son Of The Widow From Main», une fantastique parade d’accords distordus. Et du coup, on se retrouve avec un nouveau classique de heavy duty américain sur les bras.

    Mudhoney ? Ça remonte au temps de Nirvana et de la scène de Seattle, mais Mark Arm et ses collègues n’avaient pas le panache composital de Nirvana. On écoutait leurs albums consciencieusement, mais il était difficile d’en garder des souvenirs précis, ce qui est en général assez mauvais signe.

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    En concert, ils continuent de jouer le fameux «Touch Me I’m Sick» qui les rendit célèbres et qui figure sur la compile Superfuzz Bigmuff Plus Early Singles. C’est un peu l’emblème du fuzz-scuzz de Seattle, une belle leçon de fuzzillade et de riffage trépigné - C’mon ! - Ils poussent en prime de jolis appels à l’insurrection. Mais le reste vieillit mal. Sur les autres morceaux, il leur arrivait de hurler comme des bouchers ivres de mauvais vin et ce n’était pas beau à voir. Il fallait attendre «Need» pour trouver un brin de heavyness, mais à l’époque, l’Arm chantait assez mal. Cette compile n’était en fait qu’une sombre collection d’erreurs de jeunesse.

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    Leur premier album sort en 1989 et s’appelle tout bêtement Mudhoney. Il présente tous les défauts de l’époque : des compos aléatoires qui ne savent pas dans quelle direction avancer et un côté foutoir qui semble imposé par le hasard. Le cœur battant de cet album trouve en B : il s’agit du fatidique «Dead Love», une stoogerie montée sur le meilleur riff ashtonien qui soit ici bas. Oh, on trouve aussi deux ou trois bonnes rasades grungy-grunjo comme «This Gift», un cut vaillamment bardé de guitares congestionnées et surtout «Here Comes Sickness» qui ouvre le bal de la B. On sent une nouvelle volonté de stooger mais l’Arm hurle comme un dératé et perd le fil. Le groupe joue son va-tout en épaississant le son à outrance et ça vire au fulminant. L’Arm adore plonger dans un cratère de volcan. C’est plus fort que lui. Il préfère les volcans aux piscines. On retrouve Steve Turner et son riffing tenace dans «Running Loaded», un cut bien lancinant qui prend des airs plaintifs, histoire de montrer qu’il n’est pas heureux dans sa vie de cut.

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    Lors d’un voyage à Londres en 1991, Every Good Boy Deserves Fudge fut à peu près le seul disque potable trouvé dans une grande surface d’Oxford Street. Ce petit grungy-grunjo des années de vaches maigres n’allait d’ailleurs pas laisser de souvenirs impérissables. Dans ce foisonnement ridicule, rien n’accrochait. Seuls «Who You Drivin’ Now» et «Fuzz Gun» renouaient avec le fuzz-scuzz. Avec son air de ne toucher à rien, Steve Turner remuait pas mal d’air. On notait pour essayer de s’en souvenir que le hit de l’album s’appelait «Don’t Fade VI», et puis on rangeait ce pauvre Fudge sur l’étagère avant de passer à autre chose.

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    Piece Of Cake parut l’année suivante et malgré la pochette ratée (comme celle d’Every Good Boy, d’ailleurs), on fit l’emplette. Et quelle emplette ! Ce Cake infernalement bon arrivait au moment où on n’y croyait plus. La fête commençait avec «No End In Sight», un shoot de grungy-grunjo solide, bien gonflé au riff de basse et monté sur le beat Pacific NorthWest. Matt Lunkin bassmatiquait comme une brute. Steve Turner démarrait ensuite «Make It Now» en mode psycho-psyché. Comme Leigh Stephens, il s’enfermait dans une carapace de larsen retardataire. Il visait l’ambivalence inter-galactique. Plus loin, ils fuzzaient «Suck You Dry» jusqu’à l’os. Steve Turner jouait comme un diable. Il se dressait au carrefour de toutes les confluences. Le carnage se poursuivait avec «Blinding Sun». Ils semblaient réinventer le psyché californien. On voyait ce groupe taper dans des registres différents et richissimes. Ils allaient psychetter dans les champs de tournesols. Steve Turner faisait tout le boulot. On les retrouvait englués dans l’heavy-psyché de «Thirteen Floor Opening», nouvelle exaction complètement barrée à la Barrett et grattée au sang. On tombait plus loin sur une vraie bombe avec «I’m Spun» et l’Arm prenait les armes. Il cédait à la violence et il en devenait admirable. Et ça continuait avec un «Take Me There» riffé en mode Pacific Northwest. Il fallait les entendre hurler dans le néant et s’immoler sur le pal de leur ambition démesurée. Steve Turner se prenait encore une fois pour Leigh Stephens avec «Living Wreck». Pur jus de Blue Cheer. À force de montées de fièvre, ces mecs finissaient par saigner leur cut à blanc.

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    Nouvel épisode remarquable avec My Brother The Cow paru en 1995. Ces fringants blasters ouvrent le bal avec «Judgment Rage Retribution and Thyme», un garage délinquant d’une grande violence et monté sur un riff de malade mental. Ça donne le garage de ces temps modernes qui vont si mal. Idéal pour ceux qui cultivent le mal être. Mark Arm refait son Iggy dans «Generation Spokesmodel» et se livre au même genre d’abandon. Et en prime, Steve Turner nous lâche l’un de ces solos bien gluants dont il a le secret. Oh bien sûr, on trouve ici quelques cuts plus faibles, mais ils se laissent écouter. Retour au rock d’envolée retenue avec «Today Is Good Day». Dan Peters bat ça sec et Steve Turner n’en finit plus de cultiver son goût pour la déviance solotique. Avec ça, ils frisent le Nirvana. Nouvelle horreur avec «Into The Shtik» - C’mon down - L’Arm parle d’un asshole et les chœurs lui répondent Just like you. Le cut se veut délicieusement rampant, grossier et bardé de chœurs d’antho à Toto. Nous voilà en plein Pacific Northwest. Et puis ça part en final d’apocalypse. Ils poussent le bouchon très loin - Kiss my ass - Final dément, L’Arm what the hell embarque son cut au firmament - Fuck you ! - En B se nichent deux ou trois autres gros monstres poilus, à commencer par «Orange Ball-Peen Hammer», une heavy bouillasse de grunge. Excellent car inspiré par les trous de nez. Ces mecs sont très forts. Ils font les bons albums qu’Iggy ne fait plus. Ils dépotent ensuite «Execution Style». L’Arm hurle dans la ville en flammes. Pur jus de garage détraqué. L’Arm peut fondre l’atome du rock en le serrant dans son poing pendant que ce psychopathe de Steve Turner étrangle son solo à la wah. Cette bande de dingues continue avec «Dissolve», une nouvelle fournaise viscérale. Leur gros psyché s’ébranle en cours de gadouillage. L’Arm hurle comme un condamné qu’on emmure vivant. Et ils bouclent cette sombre affaire avec un «1995» qui sonne comme le meilleur garage du monde, celui qui titille la glande et qui préside au bouleversement de tous les sens. Voilà encore une pure dégelée de heavyness lavée à la morve de guitare. Terrible ! Irrévocable. Insécurisant et complètement galvanique.

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    C’est Jim Dickinson qui produit Tomorrow Hit Today en 1998. Ils attaquent avec une belle heavyness de Tombstone, «A Thousand Forms Of Mind», vrillée par un killer solo. Admirable, beaucoup trop admirable. Au fil des albums, Mark Arm est devenu un excellent chanteur. Ils virent bluesy dans l’esprit de sel avec «Try To Be Kind». Ce vieux gimmick de bues et les fantastiques progressions d’accords ont dû beaucoup plaire à Dickinson - Cry me a river - Il régnait sur le Tennessee se soir-là une fantastique ambiance crépusculaire - Try try try - Et l’Arm partait en sucette comme Question Mark. «Real Low Vive» marquait le retour à la heavyness, géré une fois encore par ce diable de Steve Turner. Il suivait le cut à la trace comme un chasseur Séminole. Et soudain, la fuzz explosait. Mudhoney fascinait et pavait l’enfer de bonnes intentions. Encore une pure merveille : «Night Of The Hunted». Hit seigneurial doté du big heavy sound, bardé de dynamiques extraordinaires et dans un spasme ultime, l’Arm jetait son cut au ciel. On restait dans la pure heavyness avec «Move With The Wind» que l’Arm chantait à la manière d’Iggy. Ils tapaient ensuite une reprise des Cheater Slicks, «Ghost» et ça sonnait comme le «Death Party» du Gun Club. Pas moins. Pur génie stompique d’un groupe au dessus de tout soupçon. Steve Turner y glougloutait. Avec Dickinson aux manettes, tu imagines le tableau ! Il n’existe pas d’autre réalisme que celui du son. Ils bouclaient cet album superbe avec un nouvel assaut, «Beneath The Valley Of The Underdog». Ils vont là dans la pire heavyness qu’il soit permis d’imaginer, celle du psychout des origines du monde. Ils nous précipitent dans un puits sans fond.

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    S’ensuit Since We’ve Become Translucent, un album nettement moins bon. Avec «The Straight Life», ils tapaient dans du garage privé d’ambition. On se posait alors la question : «Mais à quoi sert Mudhoney ?» On avait la réponse avec «When The Flavor Is» qui sonnait comme un classique des Stooges. Mark Arm adore tellement les Stooges qu’il réussit à sonner comme Iggy. Mais on se souvient aussi que Mudhoney est parfaitement capable de sortir des albums inutiles et celui-ci en est un, même si «Inside Job» somme comme «Lust For Life». Il est bien certain que l’Arm aime Iggy d’amour pur.

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    Ils redressent un peu le cap en 2006 avec Under A Billion Sun et démarrent avec un heavy doom chargé d’angoisse, «Where Is The Future» - I was born on an Air Force base/ Nineteen sixty-two - Et Steve Turner explose - splaaaaassh - I’m sick to death of this one - L’Arm parle bien sûr du futur qu’on lui propose. Non, il n’en veut pas. Il faut attendre «Hard On War» pour revibrer. Ils sonnent carrément comme Monster Magnet. On voit des serpents ramper sous le lit - C’mon little girl - Et Steve Turner prend une fois de plus un solo dément - I’ve become a dirty old man with a hard-on for you - Il reste deux bombes sur ce disque : «In Search Of», que Steve Turner sauve à coups de psychout psychomoteur, et «Blindspots», musclé à outrance. Steve Turner se déchaîne, il riffe comme Jean Gabin aux manettes de sa loco. Il emmène tout à la force du poignet. C’est bardé de gros paquets d’accords américains - Senselessness is the best defense !

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    Quand on écoute The Lucky Ones, on en déduit que ces surdoués privés de look sont devenus des aventuriers du garage. On trouve trois bombes sur The Lucky Ones, dont deux stoogeries efflanquées : le morceau titre et «Next Time». «The Lucky Ones» brûle autant que le magma des Stooges. Ils recyclent le riff de «No Fun». Steve Turner torture sa distorse. Leur plan, c’est de tout brûler, alors ils brûlent tout. Même chose avec «Next Time». L’Arm se prélasse dans la mélasse. Il tire ses syllabes à l’infini - Next tiiiiiime aïe aïe ya ya ya - Il est complètement stoogé du ciboulot. Ils font rôtir leur cut en enfer et Steve Tuner vomit son magma sanglant. Voilà ce qu’il faut bien appeler un bel hommage. Et c’est Guy Maddison, le bassmaster, qui fait tout le travail. L’autre gros cut de l’album est l’«I’m Now» d’ouverture de bal. Guy Maddison mène le bal au bassmatic. Ses notes tombent en cascade dans les breaks. Spectacle hallucinant. Clap-hands au centre et basse ultra-ronde. On sent un net retour au radicalisme. Ils investissent dans la viande. Encore une belle pièce avec «The One Mind» - the O Mind comme dirait Iggy - avec une intro de basse. Steve Turner y prend un solo au vitriol. Sa note guette comme un prédateur. Ils terminent cet album solide avec «New Meaning», en cavalant à travers la plaine en feu. Des riffs miraculeusement infernaux font le gros du boulot et Dan Peters bat comme un démon.

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    Curieusement, c’est dans les side-projects que Mark Arm semblait donner sa pleine mesure. Il rendit hommage aux Sonics en montant les New Strychnines et en enregistrant un album de reprises qui a le même son et la même énergie que les albums classiques des Sonics. Il fit aussi partie avec Dan Peters et Steve Turner de Monkeywrench, un super-groupe monté par Tim Kerr dans les années 90. À la limite, les albums de Monkeywrench sont bien plus intéressants que les premiers albums de Mudhoney. Mais là où Mark Arm épata vraiment la galerie, ce fut en montant sur scène avec les trois rescapés du MC5, rebaptisés DTK MC5 (Davies/Thompson/Kramer). L’Arm remplaçait tout simplement Rob Tyner et il s’en sortait avec les honneurs.

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    Voilà donc le vrai talent de Mark Arm : il peut à la fois sonner comme Gerry Roslie, Iggy ou Rob Tyner, c’est à dire trois des plus grands chanteurs de rock. Et c’est la raison pour laquelle il faut aller le voir, lorsqu’il passe dans le coin.

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    Mudhoney arrive enfin en Normandie. Mark Arm et ses amis ne gaspillent pas leur fric en tenues de scène. Ils sont à la ville comme à la scène, ils portent des jeans aux couleurs improbables et des T-shirts dont ne voudraient même pas les clochards du foyer. Mais côté mise en place, rien à redire. Mudhoney, c’est le quatuor de surdoués américains parfait, bien rôdé. Avec ses cheveux courts, Mark Arm a l’air d’un collégien, mais il chante comme un dieu et screame comme un démon. Il imite Iggy quand ça lui chante. Ce mec à la glotte en feu.

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    Dan Peters bat le beurre depuis 1988, année de formation du groupe, et Steve Turner continue de bricoler sur sa petite demi-caisse rouge. Avec sa barbe, ses lunettes, son air de sainte-nitouche et son look d’étudiant en psycho-socio, on lui donnerait presque le bon dieu sans confession, mais Steve Turner est un virulent, un mec qui plie les genoux quand il envoie gicler sa morve de distorse.

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    L’autre pointure du groupe, c’est Guy Maddison, le remplaçant Matt Lukin. Il faut le voir jouer de la basse, c’est une féérie à deux pattes. Il joue des huit doigts comme John Entwistle et plaque des accords quand ça lui chante. On voit rarement des bassmen dotés d’une telle vélocité et d’une telle force de frappe. Au fil de ce set magistral, on retrouve les stoogeries du dernier album - «I Like It Small», «What Do You Do With The Neutral», «The Final Course» et «Chardonnay» - l’«I’m Now» tiré de The Lucky Ones, l’«Inside Job» tiré de Translucent, «Beneath The Valley Of The Underdog», tiré de Tomorrow, et bien sûr «Touch Me I’m Sick» que tout le monde attend au virage.

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    Signé : Cazengler, Madonné (la gerbe)

    Mudhoney. Au 106, Rouen (76). 2 mai 2015

    Mudhoney. Mudhoney. Sub Pop 1989

    Mudhoney. Every Good Boy Deserves Fudge. Sub Pop 1991

    Mudhoney. Piece Of Cake. Reprise Records 1992

    Mudhoney. My Brother The Cow. Reprise Records 1995

    Mudhoney. Tomorrow Hit Today. Reprise Records 1998

    Mudhoney. Since We’ve Become Translucent. Sub Pop 2002

    Mudhoney. Under A Billion Suns. Sub Pop 2006

    Mudhoney. The Lucky Ones. Sub Pop 2008

    Mudhoney. Vanishing Point. Sub Pop 2013

    Mudhoney. Superfuzz Bigmuff Plus Early Singles. Sub Pop 1990

    De gauche à droite sur l’illusse : Steve Turner, Guy Maddison, Mark Arm et Dan Peters.

    VILNIUS IV

    JARS

    ( 03 / 04 / 2020 )

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    Enregistré en public à Vilnius ( Lithuanie ) le 28 novembre 2019. Disponible sur Bandcamp.

    Pochette : photo : Valery Suslov / artwork : Vova Sedykh

    Jars : Anton / Pavel / Alexander

    Le 12 novembre 2019, les Jars donnaient un concert à La Comedia, non ce n'est pas tout à fait cela je ne rédige pas une note de service comme un agent du FFS, donc je reprends : les Jars larguaient une bombe atomique sur La Comedia. Repartaient le lendemain vers le grand est, d'ailleurs le 26 ils étaient tout près de chez eux, Moscou la noire, un arrêt à Vilnius pour une prestation sauvage dans la capitale de la Lithuanie patrie du poëte Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz. Ce Vilnius IV est un live tiré de leur set.

    L'European Tour des Jars fut éprouvant : Alexander le batteur en fut particulièrement épuisé, c'est un peu de sa faute, vous auriez dû le voir à l'œuvre, je n'ai jamais ouï un travailleur de horrible avec une frappe aussi féroce, nous lui souhaitons un prompt rétablissement.

    Ce 20 mars dernier un post de Jars nous apprend que le nouveau forgeron de Jars se nomme : Mikael Rakaev. Mais c'est bien Alexander que nous entendons sur Vinius IV. Si vous ne savez pas quoi faire de vos vacances, voici un renseignement utile : les Jars sont en concert le 20 août prochain au Power House de Moscou.

    Nos connaissances en la langue de Pouchkine étant malheureusement limitées nous n'avons qu'une confiance relative en notre traducteur automatique.

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    1 : Tribal : de quelle tribu s'agit-il, d'une féroce. Alexander tape comme un forcené, bat le rappel des guerriers dont vous entendez la clameur des guitares, arrêt brusque, l'on n'ouït plus que le bruissement du vent qui murmure dans les feuillages, et l'on repart plus vite, le piétinement lourd s'enhardit, plis sourds, la batterie halète, comme quand l'on attaque une montée, longues plaintes de guitares qui haussent le ton, l'on aborde une désagrégation abstraite du souffle, arrêt brutal, ils ont encerclé l'ennemi, les arbres flambent et le réduiront en cendres, la musique se fait victoire et une dégringolade de battements assomment ceux qui voudraient échapper. Victoire. 2 : Flic : à fond la caisse. Rythmique impitoyable, vous avez l'impression que les guitares lancent des grenades des deux côtés de la barricade. La voix surgit, lance-flamme de haine, qui pousse les guitares dans un tumulte indescriptible, des cris de rage, l'ombre rouge de la destruction enflamme l'oronge suicidaire des cocktails molotov, une orgie sonore gigantesque s'empare du monde. Arrêt brutal, personne ne descend. 3 : Touche noire : que nous comprenons en tant que côté obscur de la force. Doivent avoir des cordes en fil de fer barbelé pour que ça clinque et chuinte aussi déglingué, une voix d'échappé de l'asile qui a quelque compte à régler avec les gardiens. Les tambours d'Alexandre poussent au crime, musique de zombies engendrée par les nuits les plus ténébreuses lorsque les pierres des cimetières se soulèvent parmi les rafales des ouragans. Peut-être n'arriverez-vous pas à écouter le morceau jusqu'au bout. La lâcheté est parfois excusable, mais si vous désirez traverser le rideau de la grande faucheuse continuez. Il ne vous reste plus qu'à tourner en rond dans les marécages de la folie humaine, attention au maelström final dans lequel vous serez englouti. Exploration de vos gouffres intérieurs garantie. 4 : Brûle : courage ce morceau dépasse de six secondes la minute, une ordalie de feu toutefois. Danse bengale et scalp mental. Si vous y êtes rentré vraiment jamais le temps ne vous aura paru aussi long. Ce n'est pas votre corps qui brûle, mais l'âme que vous n'avez jamais eue. 5 : Besoin d'ennemis : une espèce de tourbillon de sable brûlant qui s'arrête aussitôt car l'épreuve ne fait que débuter. Le temps de respirer et de comprendre que l'ennemi attaque toujours par derrière, l'aigle monstrueux vous tombe sur les épaules et vous fend le crâne de son bac inquisiteur. Picore votre cervelle et la voix s'élève, elle vous menace et vous nargue, une douleur bruitiste se propage le long de vos nerfs enflammés. Roulez-vous par terre, emprisonnez-le de vos deux mains et hurlez plus fort que lui, l'on entend les cris des spectateurs qui assistent au combat, vous voici seul contre vous-même, il n'est pas sûr que vous gagnerez, l'instinct de mort vous submerge, les guitares gémissent lorsque vous vous arrachez vos organes un à un, vous vous relevez et vous battez des ailes. Vous avez gagné. Si vous ne vous tuez pas, vous deviendrez plus fort. 6 : Preuve : plus de chant, des aboiements, ça jappe et ça roquette, sont-ce des cris de victoire ou des métamorphoses sauvages, peut-être êtes-vous devenu la férocité du monde animal. Chamanisme tribal. Mais vous quittez la terre, envol final. Tout ceci n'est qu'un conte de fées pour enfants et assassins. Fatidique terminal. 7 : Non : le chant du refus, de ce qui est et de ce qui n'est pas. Trop de colères accumulées, trop de faussetés agglutinées, la musique court après elle-même pour se rattraper, se dépasser, se fuir. Faire de sa vie une imprécation à l'existence, une salutation au soleil noir de la haine, un hymne à la joie de la destruction. Alors et alors seulement on peut vivre et envoyer l'univers valser dans les gouffres noirs du vide intersidéral. Connaissez-vous plaisir plus profond ? 8 : Sabotage : pandémonium général, une vague monumentale qui vient de nulle part sinon de l'appel du néant, un déluge qui emporte le dépotoir sociétal dans les catacombes des décombres amoncelés. Des coups de guitare comme des couvercles sur les marmites du diable, cuisson rapide, œuvre alchimique au rouge sang, récitation des rituels enragés et inopérants, tout y passe et rien n'en ressort, vendangeurs ivres qui écrasent le vieux monde sous leurs pieds transformés en battoirs. Sabotez la vie, sabotez la mort, sabotez le nihilisme. Plus de respect. Plus d'obéissance. Appel à l'innocence des plus grandes sauvageries. La musique roule et monte comme le crépuscule des dieux. Capharnaüm orgiaque. Amoncellements d'orages terrifiants. Fin des illusions.

    A ne pas mettre entre toutes les oreilles. Une œuvre. Vous avez le droit de ne pas aimer. De toutes les manières, une fois que vous l'aurez écoutée, il ne vous restera plus grand-chose d'autre. Sinon de rêver à quelque chose de plus grand que vous.

    Damie Chad.

     

    THE PESTICIDES

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    Un groupe de rock ne produit pas uniquement de la musique. Sans doute est-ce-là sa première finalité. Encore faut-il se doter d'une image. Nous entendons dans cette chronique ce vocable selon son acception la plus primaire. Un logo pour employer une expression des plus commerciales. Nous lui préférons de beaucoup le terme de totem, cet insigne opératif des légions romaines. Les Stones nous tirent la langue depuis un demi-siècle, nous ne nous en lassons guère, il est vrai qu'ils l'ont au fil des années déclinée sous de multiples formes. The Pesticides se sont formés en septembre 2019, n'en ont pas moins utilisé en quelques mois, trois différentes moutures de leur signe de ralliement.

    Une première constatation. On les reconnaît de loin. Vous les avez vus une fois cela suffit. Question de dramaturgie, un guitariste unique et deux filles. Habillées à l'identique. Ce n'est pas un uniforme qui vise à une lointaine ressemblance, pas de tricherie elles sont jumelles. De visu l'une est l'autre, l'autre est l'une. Vu de l'intérieur ce n'est vraisemblablement pas la même identité, ne serait-ce parce qu'elles occupent des portions différentes de l'espace. A la limite, de tous les combos que nous avons rencontrés, c'est celui-ci qui avait le moins besoin d'un gonfanon. Mais ce sont de fines guêpes. Elles ont compris qu'il fallait piquer les yeux.

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    Nous nous attarderons d'abord sur le motif qui apparaît en premier lorsque vous vous rendez sur leur facebook. Cette espèce de drapeau pirate qui s'inscrit dans le rond de votre lorgnette lorsque vous naviguez sur le net. Pas besoin d'avoir fait de longues études d'héraldique rock 'n' roll pour avoir une idée du profil de la goélette que vous venez de repérer. Les lettres détachées en un savant désordre, et affranchies des règles typographiques élémentaires , les E tournant carrément le dos à l'ordre naturel de la lecture, et puis ces couleurs, rose-cru et jaune-bollocks-pisseux, la référence sex pistolienne saute aux yeux. Si par hasard le ver rongeur du doute vous habite, vous n'avez qu'à regarder la bannière de titre pour en être convaincu. Deux jeunes filles chaudes comme moiteur d'été à l'assaut du Kraken, car parfois les Andromède n'aiment pas être sauvées par un valeureux défenseur de la dignité outragée.

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    Faute de concerts dans la période actuelle, The Pesticides ont créé une nouvelle bannière. Le rose érotique a disparu, même si le support présente l'aspect un drap de lit froissé, le jaune est avivé, peut-être pour faire resplendir la noirceur de ces deux grands coups de rouleau de peinture, sur laquelle ont été disposées les lames blanches des lettres d'imprimerie noire, les E toujours récalcitrants, mais le reste de l'alphabet davantage civilisé. L'arboreront-elles en vue de nouvelles conquêtes. L'avenir nous le dira.

    En attendant abîmons-nous dans la contemplation de leur toute première bannière qui remonte au mois de septembre. Pour le bas de l'image, pas de surprise, nous retrouvons l'étamine rose langue-de-chatte sur laquelle le nom du groupe est tracé en jaune. Le fond de l'affiche est du même or urinaire. Pour le reste c'est l'horreur absolue. Trois cariatides échappées de l'Erechthéion, trois Vénus de Milo démembrées comme il se doit, trois écorchés vifs. Des suppliciés échappés de la table de dissection. Pourquoi, quand comment, aucune explication n'est fournie. Est-ce l'effet que l'écoute du prochain EP six titres des Pesticides aura sur vous, est-ce une dénonciation écologique des méfaits des pesticides agricoles, ou alors une auto-représentation de soi-même, en pantin désarticulé, un regard au-delà de toute chair, au plus profond de l'être dans le dégoût de la carne, malgré les seins d'albâtre des deux premières statues défigurées, à croire que l'on ait voulu décapsuler la beauté du monde en leur arrachant le visage, ce serait donc les deux représentations des jumelles, le troisième étant l'homme craqué ouvert de partout, qui n'est plus rien que l'horreur des organes mis à jour.

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    Mais une vision plus attentive aux détails nous enjoint de penser que ces horreurs debout ne sont que des mannequins, trois fois le même, des pantins interchangeables, déshabillés, de leur peau pour voir la vérité plus profond que lorsqu'elle s'exhibe en sa nudité déclamatoire. Faut-il prendre cette carte de visite que nous tendent The Pesticides pour nous enjoindre à les regarder du dedans, au-delà de la barrière de leur apparence physique. Nous enjoignent-ils à une expérience métaphysique plus profonde. Sur scène s'agitent-elles telles des sémaphores pour nous avertir des dangers à les écouter, nous refont-elles le coup du chant des sirènes, où s'amusent-ils tous les trois à singer les marionnettes de Kleist.

    Regarder une image est un acte quasi-automatique que l'on opère sans réflexion, mais parfois il est bon de s'interroger sur ce qu'elle signifie. Savoir comment elle s'insère dans le spectacle du monde auquel elle nous invite. Les Pesticides distribuent des cartes méchamment biseautées. Et la partie ne fait que commencer. Nous sommes prévenus, nous avons hâte de miser. Le jeu nous réserve bien des surprises.

    En attendant nous serons sages comme des images.

    Damie Chad.

    P. S. : j'étais content, j'avais terminé ma chronique, j'aurais dû me méfier, en règle générale les filles sont de véritables pestes, mais celles-ci pire encore, des pesticides. J'étais content de mes petites élucubrations sur les images, je n'avais pas posé un point final sur mes divagations imaginales depuis deux heures qu'un post m'a annoncé du nouveau. Changement non pas de direction, mais de dimension. The Pesticides sont passées à vitesse supérieure. Fini les images, c'est bon pour les premières communions, désormais l'on quitte la figuration plate pour le volume. Bye-bye la peinture, bonjour la sculpture. Pas in vivo. In morto. Désormais elles ont une mascotte. Un pantin. ( C'est fou comme j'avais visé juste en évoquant Kleist ).Vous aimeriez le voir, c'est impossible. A peine né, déjà mort. Personne ne l'a tué. Il s'est pendu. Pas au premier lampadaire qui passait dans la rue. A la bannière, la numéro 3, celle qui est évoquée en deuxième dans la chro. Je tente de vous décrire l'objet du délit, ou le sujet du délire, un gros poupon – les garçons auraient fabriqué un camion – tout noir, une couleur qui lui a porté malheur, le torse transpercé d'épingle-doubles – fortes tendances auto-mutilatoires dixit Doctor Freud – vous reconnaissez les teintes fétiches des Pesticides, un tau-rose-potence et une croix-cimetière-jaune pour signifier ses yeux, fermés à jamais, n'a même pas eu le temps de terminer sa première cigarette, l'a utilisé une grosse corde de chanvre pour être sûr de ne pas se rater, l'on se croirait en balade dans un poème de François Villon. Désormais vous ne pourrez plus aller à un concert des Pesticides sans ramener un petit Pesticidor à votre filleule. Elle se sentira obligée de le bercer pour l'endormir lui qui dort pour l'éternité : ''Fais dodo mon p'tit Pesticidor, Fais dodo t'auras de l'exterminator''.

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    Les âmes tendres vont s'émouvoir : Mais pourquoi l'ont-ils tué ?

    • Parce que les pesticides qui laissent vivre leurs victimes ne valent rien !

    • Je ne savais pas que le rock'n'roll c'était si cruel, si vicieux !

    • Pourtant c'est exactement cela, les anglais disent sid vicious !

    • Mais ce n'est pas un jouet pour les enfants !

    • Pas spécialement peut-être, mais formellement interdit aux adultes comme vous !

    Damie Chad.

     

    ROLLING STONES

    POURQUOI JE LES AIME

    Une vente aux enchères en province. Rien de grandiose. Bien des cartons auraient pu atterrir chez l'Abbé Pierre, peut-être que le commissaire priseur raclait les fonds de tiroir. Bref une énorme caisse de livres pour quinze euros. L'heureux acquéreur demande à un jeune homme, qui était venu en curieux, accompagné de son épouse et d'une fillette, de l'aider à porter le paquet jusques dans le coffre de sa voiture. Pour le remercier le gars lui refile un livre sur les animaux, grand format : J'ai vu que vous avez une petite fille, tenez pour vous remercier, le jeune homme refuse mais la fifille les a rejoints, Papa, prends-le, c'est un livre sur les tigres, je les adore ! L'histoire pourrait s'arrêter-là.

    Mais non. A la maison la petite fille feuillette le bouquin. Une photo s'en échappe, pas très belle, un peu floue, petit format, des musiciens avec des guitares électriques. Ce n'est pas des tigres, je n'en veux pas ! Le papa intervient : Ne la jette pas, on la donnera à ton cousin Paul, il aime ce genre de musique. La semaine suivante la photo est refilée à Paul. 'Wouah, un vieux truc, bien sûr que je connais, c'est les Rolling Stones ! Et Paul retourne chez lui, s'en sert comme marque-page pour un livre qu'il n'achèvera jamais, à tel point que quelques années plus tard, il refile le bouquin à sa copine dont les parents tiennent un stand de brocante. C'est leur passion dominicale.

    Le lendemain, la copine lui rend Le dictionnaire des idées reçues, personne n'en a voulu, par contre la photo dedans, il y a un mec qui l'a prise, ma mère lui en demandait deux euros, le gars n'a pas pris la monnaie de son billet de dix que maman lui rendait. L'est parti presque en courant, les gens sont un peu mabouls, dix euros pour une photo format carte postale, ratée par dessus le marché. Profitant de l'aubaine nos jeunes gens partent boire un pot...

     

    Le gars n'était pas fou. Je le connais, nous l'appellerons Théodore. L'a déboulé chez moi, deux jours après, n'a même pas pris la peine de frapper. Regarde ! La photo sous les yeux. Ouais, pas très nette, même aux enchères sur internet tu n'en tireras pas dix euros ! M'a regardé avec commisération. Tu peux sortir tes bouquins et tes DVD's sur les Stones, j'allume ton ordi, dépêche-toi, bougre d'idiot. A quatre heures du matin, l'on y était encore. On n'y croyait pas, tout concordait. Mais si ! Mais non ! Il faudrait un grand écran ! Philippe, il en a un super-géant, ses parents sont absents !

    On l'a tiré du lit. Je prendrais bien un jus, pas question, on te met au jus. Dix minutes plus tard l'on avait des yeux comme des soucoupes, c'est au matin, vers 11 heures moins dix que l'on a été sûrs, là, pile, stop, recule, avance ! Pas de doute, ça baigne grave disait Théodore. Il ne croyait pas si bien dire. L'on était comme des rois !

     

    On en a discuté pendant deux jours. Un plan d'enfer. Que faire. On envoie à Rock 'n' Folk ? Non, pas à ces blaireaux ! On se charge du binz, tous les trois. Damie, cette nuit tu écris un texte, rendez-vous demain chez toi à quatorze heures pile. Et à quatorze heures une, on plonge, on bazarde tout sur cent sites rock en même temps, plus les quotidiens. La com du siècle, c'est nous.

    A quatorze heures, Théodore n'était pas là. A quinze heures non plus. Pas de nouvelle. Son portable restait muet. A quinze heures trente Philippe a téléphoné chez lui. Sa mère était en pleurs, on vient de le découvrir, après le repas il est sorti pour aller chez des copains, il a dû glisser sur le rebord de la piscine, c'est le chien qui n'en finissait pas d'aboyer dans le jardin, on l'a retrouvé noyé à quatorze heures.

     

    Deux jours après l'enterrement, en pleine nuit l'on est retourné au cimetière pour brûler la photo sur sa tombe. Philippe a sorti son briquet, elle a pris feu instantanément dès que la flamme s'en est approchée, en cinq secondes elle n'était plus que cendres, mais sur la photo, les Rolling Stones sur scène à Altamont, le gars au milieu avec son tambourin, m'a souri, sournoisement d'un air complice, Brian Jones.

    Damie Chad.

     

    SOUS L'AILE DU CORBEAU

    TREVOR FERGUSON

    ( Le Serpent A Plumes / 2015 )

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    Corbeau et serpent, une belle ménagerie totémique, le volatile cher à Edgar Poe, une maison d'édition de qualité, et en prime sur la quatrième de couverture ce rapide résumé de quatre lignes illisibles, car écrasée par l'amarante agressive de l'arrière-fond, ce lambeau de phrase que mon œil obstiné parvient à prélever par miracle '' chef de la tribu des Corbeaux '', par l'esprit de Wakan Tanka, un roman sur la tribu des Crows sur laquelle je cherche des renseignements depuis des années, je prends. J'ai pris, l'ai posé et n'y ai plus pensé jusqu'à hier soir. J'ai dévoré les trois cents pages sans m'arrêter.

    C'était une erreur. Pas le moindre guerrier Crow à l'horizon des Grandes Plaines. Non, l'action se déroule quelque part au Canada, sur une île fictive, à quelque centaines de kilomètres de Vancouver, le genre d'endroit où vous n'auriez jamais envie d'aller, il y pleut sans arrêt. A ce désagrément ajoutons qu'au début vous n'y pigez rien. Mais alors rien du tout. C'est le cas de le dire vous ne reconnaissez personne en Trevor Ferguson. Une grande figure du roman américain me dit wikipedia, Sous l'aile du Corbeau est son premier livre. L'en a écrit d'autres, notamment une série de policiers. All right, mais cela ne nous aide guère.

    Au bout de quelques chapitres la chose prend l'aspect d'un western, à pieds, à cheval ou en canoë, tous les protagonistes de l'histoire se dirigent vers un coin sauvage quelque part dans la montagne. Il n'y a en qu'un seul qui possède un fusil, mais il est méchant. Les autres sont ce que l'on appelle des anti-héros, l'un qui a tout raté et l'autre qui n'a rien entrepris. L'un boîte de la jambe et l'autre dans sa tête. Oui il y a un chef indien. C'est le plus équilibré. L'a laissé sa tribu sur son île. C'est qu'il essaie de la préserver, de l'isoler de l'homme blanc, un combat dont il se doute qu'il est perdu d'avance. Faut avancer dans le roman pour comprendre l'enjeu. Ne comptez pas sur moi pour vous le révéler. Faut bien une histoire avec un début, un milieu et une fin pour attirer le lecteur.

    Ce n'est pas là le plus important. Dès les premières pages vous sentez l'embrouille, c'est un peu comme dans Faulkner, entre Le bruit et la fureur et Les palmiers sauvages. Certes ce n'est pas un idiot qui parle, mais le Ferguson il a l'art et la manière d'éviter les transitions, tantôt vous êtes dans un récit des plus classiques, tantôt dans le monologue intérieur rapporté à la troisième personne d'un des personnages. A vous de vous comprendre lequel exactement. D'une phrase sur l'autre ça peut changer, sans aller à la ligne évidemment. Ou alors l'un d'entre eux prend la parole en disant je sans avertissement. Un truc d'écrivain qui connaît par cœur les codes de la déconstruction d'un récit à la Joyce, soupirerez-vous, un intello qui fait son malin.

    Pas du tout. Cette écriture n'est en rien un exercice de style. Elle colle au sujet, elle est dictée par lui, rien à voir avec la pelote de laine que vous emmêlez à plaisir pour déboussoler le lecteur et faire durer le suspense. Tu veux savoir la fin, coco, lis jusqu'au bout. Artifice commercial et rien de plus. Vous êtes pressé alors je vais vous révéler le sujet du bouquin en quelques phrases. Pas de chance, il y en a deux. Le premier qui a motivé le succès du livre, je vous le décline de deux manières. D'abord la grosse tarte à la crème baveuse, moussante et mousseuse : la préservation de la nature, la critique de notre civilisation, plus écologique que cela tu meurs. Que voulez-vous il faut bien attirer les mouches avec de la confiture à bas prix. Ce qu'il y a de bien, c'est que Ferguson ne s'attarde point à cette œuvre pieuse, c'est surtout le lecteur primaire qui se satisfera de cette lecture de surface. Ensuite l'on passe dans du plus subtil, certes vous pouvez vous glorifier du résultat de la première analyse qui prouve la faible pertinence de votre pensée. Mais les choses sont plus complexes. Votre pensée n'est que le fil d'une trame, constituée de la pensée des autres et aussi de cette présence du monde autour de vous, une espèce d'animisme collectif qui fait que la pensée individuelle n'a que peu de valeur si l'on ne la met pas en relation avec cette sphère spirituelle qui se dégage de la nature et de tous les artefacts humains. Objets inanimés avez-vous donc une âme s'écriait Lamartine, là n'est pas vraiment le problème répond Ferguson , l'important c'est de saisir les corrélations entre vous, les autres et le monde, celles qui se font et celles qui ne se font pas, et malheureusement ces dernières sont les plus fréquentes...

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    Il y a plus profond. Sous l'aile du Corbeau raconte une terrible histoire. De sang et de sexe. Quand vous arrivez à la fin, si vous êtes un joyeux optimiste vous concluez par un tout est bien qui finit bien, si vous êtes un pessimiste invétéré vous déclarerez tout est mal qui finit mal. Dans les deux cas vous avez tort. Ni mal, ni bien, ne finissent jamais, le sujet de ce livre n'est autre que la persistance des choses mortes, ou détruites ou passées. Quelque chose subsiste toujours. Tout acte survit dans son propre oubli comme dans sa propre survivance. Vous pouvez en être conscient, vous pouvez vous en détourner, vous pouvez en être ignorant, cela n'enlève ou ne retranche rien à la complexité du monde. Peut-être en conclurez-vous à la nécessité de l'équivoque d'une pensée analogique, mais cela ne regarde que vos propres conclusions. Sous l'aile du corbeau est à lire comme un roman de pensée métaphysique, si ces termes vous effraient dites-vous que Trevor Ferguson a tenté de traduire par sa manière d'écrire un essai transcriptif des modalités de ce que les ethnologues de salon désignent sous l'appellation fourre-tout de '' pensée indienne''.

    Le titre anglais original est : High Water Chants. Le roman est traversée en effet par une rivière torrentueuse qui descend des montagnes. Je me plais à y voir la chute sans fin et dans le vide des atomes de Démocrite. Etrange, ou hasardeuse corrélation, Ivan Steehout n'a t-il pas traduit un livre de James P Campbell intitulé La poursuite de l'Être.

    Damie Chad.

    LOVESICK DUO

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    Je ne les cherchais pas. J'ignorais qu'ils existaient. C'est en trifouillant sur le net sur un tout autre sujet, qu'une photo m'a sauté aux yeux. Des horreurs absolues. Des mongolitos arriérés. Le garçon et la fille. J'ai voulu en savoir plus. Un cas d'espèce. J'ai cliqué dessus et je suis tombé sur la légende Lovesick Duo, je savais depuis le Lovesick Blues d'Hank Williams que l'amour rend malade, mais enfin, il y a des limites. De pauvres bêtes bonnes à abattre. Bon mais il y avait le mot duo, alors j'ai cliqué dessus et me suis retrouvé sur leur F. B. Je vous rassure tout de suite, des jeunes gens beaux comme des sous neufs, mais z'aiment bien se prendre en contre-plongée avec une application qui vous grossit la tête.

    Sont italiens. Des voisins, des cousins. Suis tombé sur l'épisode vingt-quatre, tiens me suis-je dit, font comme tous les groupes confinés de par chez nous, tous les jours ils enregistrent en direct un titre, un trait-d'union sonore et amical pour resserrer les rangs contre le Corona-virus. Apparemment non parce que '' ognedi lunedie'' en langue de Dante signifie chaque lundi, j'ai imaginé le pire, confinés depuis vingt-cinq semaines, notre avenir à tous. Pas grave, une fois que l'on sera mort, il restera toujours le rock'n'roll. Puis je me suis aperçu qu'ils faisaient cela aussi le friday et le wednesday...

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    En regardant la photo de tête j'ai immédiatement écarté le pire, le parfait duo de canziones della amore de la ringarda tradiziona italiana, un super indice m'a permis de comprendre que le hasard m'avait en fait emmené du bon côté de la musique que j'aime. M'a suffi de regarder la robe de Francesca Alinovi. Pas la sienne, je ne déshabille pas les filles des yeux, moi je suis bien élevé, celle de sa contrebasse. Ramages country. Pas d'erreur possible, avec son chapeau de cowgirl de bonne famille pionnière et ses cheveux longs qui pendent, elle semble sortir tout droit d'un western. J'ai lancé au hasard une vidéo, elle ne faisait pas grand-chose, tournée de biais, absorbée dans un tripotage de je ne sais quoi, de la sono peut-être. A ses côtés Paolo Roberto Pianezza essayait d'imiter le gars qui se donne une contenance. Mais non, elle ne s'occupait pas de lui. Il a effleuré les cordes de sa guitare, un bling, juste pour dire que la séance avait commencé, que ça allait commencer bientôt, incessamment sous peu, l'aurait pu lui adresser la parole en japonais, elle était manifestement obnubilée par ailleurs, alors faute de mieux il s'est mis au turbin tout seul. L'a caressé le manche de son acoustique et miraculeusement elle s'est mise à miauler like a cat on a tin heat roof, on a tin hit roof, vous a écorché le matou durant cinq minutes, un slide de toute beauté, un bottleneck de première classe, une merveille, du feeling et du toucher.

    Après cet instrumental introductif Francesca a consenti à se servir de sa contrebasse. Z'au début, j'ai cru que le son avait baissé d'un cran, mais non la fine mouche touchait les cordes mais ne jouait pas – parfois les filles sont effrontées – le Paolo au boulot todo solo, au bout de trente secondes elle s'est mise à swinguer, pas un truc à la mord-moi le noeud-jazzeux, non, comme il faut, ce bruissement de bourdon dans les bourgeons des rhododendrons, et puis crac ! le Paolo a cassé l'ambiance. Ce n'est pas de sa faute. Ce n'est pas qu'il chante mal, c'est qu'il est italien, et comme tout italien qui se respecte il s'est mis à chanter en... italien, faut deux minutes pour s'habituer, le western swing des Appalaches à la mode ritale, c'est un peu trop al dente, mais on s'y fait et il faut reconnaître qu'ils se débrouillent bien, de toutes les manières pour le troisième morceau ils ont utilisé l'anglais... si vous voulez savoir la suite, allez-y voir par vous-mêmes, sont doués et sympathiques, de ce que j'ai vu ils triturent les racines jusqu'à Chuck Berry.

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    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 440 : KR'TNT ! 440 : CHAMBERS BROTHERS / MARK LANEGAN / DREIKANTER / JAGANNATHA / HIGH ON WHEELS / JARS / RIGHT

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 440

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    28 / 11 / 2019

     

    CHAMBERS BROTHERS / MARK LANEGAN

    DREIKANTER / JAGANNATHA

    HIGH ON WHEELS / JARS / RIGHT

     

    Musique de Chambers

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    Les Chambers Brothers sont arrivés dans le rond du projecteur en 1968 avec un sacré smash, le fameux «Time Has Come Today». Comme il durait huit minutes, Columbia l’avait coupé en deux pour pouvoir le vendre sur un single. Les Chambers Brothers furent le premier groupe de rock noir à émerger de la West Coast. On avait à l’époque très peu d’informations. On sut plus tard que les quatre frères étaient nés dans le Mississippi, à l’époque où la vie était encore rude pour les noirs. Ils étaient onze enfants dans la famille Chambers. George, Joe, Willie et Lester travaillaient aux champs avec leur père. Le dimanche ils chantaient à l’église où les blancs les payaient avec une pomme. Willie affirme qu’ils savaient se contenter d’une pomme. C’était mieux que ce qu’avaient les autres, ajoute-t-il.

    Dans les années cinquante, ils jetèrent l’ancre à Los Angeles où s’était installé l’aîné, George, fraîchement démobilisé. Justement, George vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois, alors on ne va pas laisser passer une occasion pareille : rendons hommage à ce groupe énorme que furent les Chambers Brothers.

    Attention, leur discographie tient sacrément bien la route. C’est du solide. George et ses trois frangins ont ramené en Californie le power du gospel batch et les subtils bouquets d’harmonies du doo-wop. Ils chantaient tous les quatre et savaient composer. George jouait de la basse, Lester de l’harmo, Willie et Joe de la guitare. Un batteur blanc nommé Brian Keenan les accompagnait. Les Chambers firent comme Sly Stone le choix étrange d’un batteur blanc. Why not ?

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    Ils se firent connaître au Newport Folk Festival, puis tout alla très vite. Un premier album intitulé People Get Ready parut en 1966. Il y tapent un «Tore Up» d’Hank Ballard à la chaleur du doo-wop. Leur grande force est de savoir chanter à quatre. Ils reprennent plus loin le très beau «You’ve Got Me Running» de Jimmy Reed et le fondent dans l’or d’un boogie magnifié à la chaleur des voix combinées. Le morceau titre est la reprise du hit de Curtis Mayfield : «People Get Ready» avait à l’époque une résonance particulière. Pour le peuple noir, il ne s’agissait pas d’une chanson de discothèque, mais d’un hymne patriotique. On retrouve les voix chaudes du Mississippi sur «Hooka Tooka» en B et une version de «Summertime» qui vire doo-wop, mais on préfère celle de Janis qui tamponne bien le coquillard. Ils bouclent avec une fantastique version d’«It’s All Over Now», mille fois plus inspirée que celle des Stones. Joe Chambers chante comme un prêcheur du Deep South, avec de la fièvre dans les montées et du jus dans l’accent. Il swingue comme un démon béni des dieux. La fratrie Chambers se révèle redoutablement puissante.

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    La même année paraissait Now avec une pochette à la mode, puisqu’elle était recouverte de fleurs. Les Chambers vont confirmer ce qu’on pressentait avec le premier album : ils sont les rois de la reprise, the kings of the kover. Il faut entendre la kover qu’ils font de «High Heels Sneakers». Bon, d’accord, la version de Jerry Lee est indétrônable, mais on peut classer celle des Chambers aussitôt après. Ils en font une version torride et diablement inspirée. Attention, le «Baby Please Don’t Go» qu’on trouve sur cet album n’est pas celui des Them. Il s’agit d’un gospel blues, l’une de leurs grandes spécialités. Ils peuvent même taper une version de «Long Tall Sally» sans rougir, mais c’est le même problème qu’avec «Summertime» ou Sneakers, on peut avouer un faible pour une autre version, celle de Little Richard, bien sûr. En B, on tombe sur l’énorme «It’s Groovin’ Time», un gospel batch à l’image du delta, qui se perd sous l’horizon. Les Chambers excellent dans tous les domaines. Avec chaque album, on a de quoi nourrir un régiment.

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    Leur album culte The Time Has Come parut l’année suivante. On y trouve le smash qui fit leur succès, noyé d’écho, puissant, quasiment biblique, hanté par les cris de la jungle et des gros ha ha ha à la Clarence Carter. C’est bête à dire, mais «I Can Stand It» est encore meilleur. Voilà une belle pièce de r’n’b chaude et sensuelle, jouée à la cloche de bois et pulsée à la Sly. Ils font aussi une version absolument déterminante d’«In The Midnight Hour» - Oooh sock it to me - Ces mecs ont une classe folle, ils swinguent la Pickett Soul à leur manière qui est altière. On retrouve toute l’énergie des plantations dans «All Strung Out Over You», un heavy black rock de belle tenue. Autre chef d’œuvre impérissable : le «Please Don’t Leave Me» qui se trouve en B, un groove doo-wop monté sur la bassline élastique de George. Le doo-wop reste la botte secrète des frères Lagardère.

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    Sur l’album live Shout !, on trouve un coup de génie intitulé «Pretty Girl». Ça sonne comme le r’n’b de l’origine des temps, mais gorgé de toute l’énergie du doo-wop. Les quatre frangins ont du génie, aucun doute là-dessus. Il faut les entendre pulser leur pretty pretty pretty pretty girl ! On contemple le visage non pas de Dieu mais du génie rock des origines, ce mélange toxique de beat r’n’b et de doo-wop. Et en prime ça screame. Ils tapent une kover de «Johnny B. Goode» à la clameur, un blues à la Chambers («Blues Get Off My Shoulder» de Bobby Parker) et un brillant retour au gospel batch pur avec «I Got It». Il bouclent avec une version merveilleuse de «So Fine» chantée à l’unisson du saucisson.

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    Encore un superbe album avec A New Time A New Day paru en 1968. C’est là qu’on trouve leur monstrueuse kover d’«I Can’t Turn You Loose», le hit d’Otis. Bon, c’est dur à dire, mais leur version est mille fois meilleure que celle d’Otis. C’est une merveille inexorable, screamée jusqu’à l’os du crotch et derrière ça claque des mains il faut voir comme - Early in the morning/ I got the feeling/ late in the evening - Il s’enraye le gosier à gueuler comme ça. Fantastique ! Belle pièce aussi que ce «Do Your Thing», solide black rock poussé dans le dos par le beat pour qu’il avance plus vite. On croit entendre James Brown ! Ils tapent aussi le heavy funk de combat avec «You Got The Power». Ils sont tellement puissants que rien ne peut leur résister. Quand ils tapent dans le heavy blues, comme c’est le cas avec «Rock Me Mama», on voit trente-six mille chandelles. Ils sont bel et bien les maîtres du jeu - When you start to roll me babe/ You don’t know how you make me feel - Encore une belle fournaise avec «No No No Don’t Say Goodbye». Brian Keenan y fait un numéro de cirque sur ses fûts. Il n’en finit plus de pulser la soupière. Ils terminent avec le morceau titre, un groove de Soul à la Junior Walker. Les Chambers foutent le feu au ghetto, comme June le fit avec «Shotgun». Ils sortent pour l’occasion un groove absolument dévastateur. On y retrouve les cris de la jungle de Time et toute cette fantastique ambiance de ghetto en flammes.

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    Le Groovin’ Time paru sur Folkways en 1968 est une sorte de compile d’archives. On y trouve un très beau gospel blues («Down In The Valley», de source claire et noyé d’harmo), un gospel rock étonnant («Rough & Rocky Road») : pas de guitares, pas de basse, tout est pulsé aux clap-hands et à l’énergie des origines. Oui les Chambers savent très bien pulser le gospel batch et roller grand-mère dans les orties. Ce cut est une véritable énormité, digne de celles du Rev. Gary Davis. En B, ils tapent dans le boogie avec «Yes Yes Yes», fabuleuse pièce chargée d’écho, à consonance mythique. Belle version à la suite d’«Oh Baby You Don’t Have To Go». Ces mecs-là ne visent que l’épais et le bon.

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    On trouve encore une kover de rêve sur le double album Love Peace & Happiness paru en 1969 : «You’re So Fine», le vieux hit des Falcons. Voilà une version bien drivée, puissante et juste. Comme ça vient à la fin du live au Fillmore East (le deuxième disk), c’est une façon très élégante de saluer le public. Sur le live, on retrouve aussi leur kover d’«I Can’t Turn You Loose». Ils la surchauffent et ça tourne une fois de plus en eau de boudin de Trafalgar. Ils rebalancent leur kover de «People Get Ready» et tapent «Bang Bang» au riff de «Louie Louie». Ils font danser le Fillmore. Les gonzesses sont folles de joie. Elles peuvent danser le jerk. Pour finir, ils passent en mode doo-wop avec «Undecided/Love Love Love», et tout le Fillmore claque des mains. Quels veinards, ces hippies ! Sur l’album studio, on trouve un très beau gospel batch («Have A Little Faith») et deux hits : «If You Want Me To» (rock de Soul admirablement swingué et screamé sur le tard) et «Wake Up» (véritable Chamby Chambah noyé de Soul et de cuivres).

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    Les Chambers enregistrent énormément. Voilà leur huitième album en quatre ans, Feeling The Blues. On y trouve un chef d’œuvre de gospel batch intitulé «Just A Closer Walk With Thee». Les Chambers livrent là un gospel de charme nappé d’orgue avec du Oh Lord magnifico. Ils tapent dans les tous les styles avec une égale réussite : dans le blues à la «St James Infirmary» avec «Blues Get Off My Shoulder», dans le balladif à la Ray Charles avec «Travel On My Way», dans le jumpy des années vingt avec «Undecided» et dans le boogie ravageur avec «Girls We Love You», monté sur le beat de Sneakers. Ils chantent ça tous les quatre. On y sent une vraie énergie.

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    En 1971, New Generation paraît sous une pochette richement illustrée, en forme de calendrier aztèque. Au dos, une photo de groupe mélange les Chambers avec des blancs. Ils sont pour la mixité, apparemment. «Young Girl» est le hit de ce bel album, une adorable pièce de pop sentimentale chantée au doux du doo des Chambers. On en frémit, tellement c’est beau. «Funky» sonne aussi comme un hit. C’est même un hit, avec un mélange de jive de jazz et de Soul universaliste. Diable, comme ils sont brillants ! Ils reprennent «Practice What You Preach» à l’arrache de James Brown, avec une sorte de hargne vengeresse. En B, ils reviennent à la Soul de charme orchestrée avec «Reflections». Si on aime les ambiances chaleureuses, alors c’est là que ça se passe. Quant au morceau titre, il s’agit d’une jam de Soul rock bien portée par le bassmatic et secouée par quelques démonstrations de force. Ils finissent cet album étonnant avec «Going To The Mill», une chanson d’esclaves. Ils sont très forts : ils rappellent aux blancs que la vie des noirs ne fut pas toujours rose.

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    On reste dans les seventies avec Unbonded, un album qui vaut franchement son pesant d’or. Les Chambers l’attaquent avec une kover des Four Tops, «Reflections». Lester chante lead et il screame comme un damné pour faire décoller ce vieux hit qui n’en demandait pas tant. Ils tapent ensuite dans une autre légende du r’n’b, Hank Ballard, avec «Let’s Go Let’s Go Let’s Go». Willie chante ça avec toute la chaleur du doo derrière. Ils mêlent encore une fois la puissance du gospel au r’n’b. Lester prend «1-2-3» d’une voix incroyablement sensible. On entend là un swinger fou qui relance son cut au scream. Quelle science du beat Motown ! Il finit son cut au scream pur, comme Wilson Pickett. En B, ils tapent une belle kover du «Good Vibrations» des Beach Boys. Ils la chargent d’harmonies vocales issues du doo-wop et du gospel, du coup ça s’envole pour de bon. Nouvelle reprise de Curtis Mayfield avec «Gyspsy Woman». George la prend d’une voix incroyablement chantante à la Curtis. Ce mec est tout simplement génial. Ils tapent aussi une jolie kover du «Do You Believe In Magic» des Lovin’ Spoonful et finissent avec un «Looking Back» traité au gospel batch des adieux.

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    Leur dernier album studio paraît en 1975. La pochette montre une partie d’échecs et l’album s’appelle Right Move, qu’on pourrait traduire par joli coup. Les Chambers continuent de proposer des bons albums. On est frappé par l’énormité du son dès «Crazy Bout The Ladies», ce mélange de heavy soul et de blues rock arrosé d’harmo, sevré de puissance et vaste comme l’horizon. C’est comme à la Samaritaine, on trouve tout chez les Chambers Brothers. Voilà encore une belle pièce de rock blues avec «Miss Lady Brown», enrichi aux harmonies vocales et doucement wahté en fond de toile. On a même droit à des petits coups de baryton doo-wop. S’ensuit un «Lotta Fine Mama» chanté avec une hargne peu commune, un peu dans l’esprit de Little Richard, et saxé à gogo. En B, le doo-wop fait son retour dans «Smack Dab In The Middle». Il faut voir ces mecs comme des cracks à l’ancienne. Ils nous sortent là du pur swing des années trente. «Stealin’ Watermelons» sonne plus funk, mais c’est chanté avec les ficelles de caleçon doo-wop. La voix fait la stand-up. L’air de rien, ce genre de pirouette finit par fasciner. Ils tapent ensuite «Who Wants To Listen» à l’infra-basse du hip hop. On se repaît de ce magnifique son de basse, de sa rare profondeur, à la fois swampy et spirituelle.

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    Et voilà, ça se termine en 1976 avec l’excellent Live In Concert On Mars. On y retrouve le «Stealin’ Watermelons» de l’album précédent. Les Chambers font chanter des filles - I-I love something you get/ I-I love something you got - et ils répondent Oh yeah ! Ils finissent ce set en beauté avec du higher and higher à la Sly Stone. Les concerts des Chambers devaient être de véritables messes païennes. Le «Supestar» qui ouvre le bal de l’A est aussi une belle pétaudière, bien wahtée et jouée à l’énergie pure. C’est un classique du rock-soul psyché des seventies. On ne peut pas faire mieux. Avec «Me And My Mother», ils font ce qu’ils ont toujours fait, ils shootent toute la puissance du gospel batch dans le cul de la Soul californienne. Alors ça devient exceptionnel. Ils passent ensuite au funk avec «Midnight Blues». Ils y sonnent les cloches de la basilique. Ils sont complètement dans le groove du funk, le meilleur qui soit, le véritable emblème de la blackitude céleste.

    Les trois frères de George seraient encore en vie. L’étonnant est qu’il n’existe aucune littérature qui leur soit consacrée, ni dans les mémoires de Bill Graham, ni dans les recueils d’articles de Joel Selvin. Que dalle.

    Signé : Cazengler, Chamberk Brother

    George Chambers. Disparu le 12 octobre 2019.

    Chambers Brothers. People Get Ready. Vault 1966

    Chambers Brothers. Now. Vault 1966

    Chambers Brothers. The Time Has Come. Comumbia 1967

    Chambers Brothers. Shout ! Vault 1968

    Chambers Brothers. A New Time A New Day. Columbia 1968

    Chambers Brothers. Groovin’ Time. Folkways Records 1968

    Chambers Brothers. Love Peace & Happiness. Columbia 1969

    Chambers Brothers. Feeling The Blues. Vault 1970

    Chambers Brothers. New Generation. Columbia 1971

    Chambers Brothers. Unbonded. Avco Records 1973

    Chambers Brothers. Right Move. Avco Records 1975

    Chambers Brothers. Live In Concert On Mars. Roxbury Records 1976

     

    Lanegan à tous les coups

    - Part Three

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    Dans le dernier numéro de Mojo, Keith Cameron déroule le tapis rouge à celui qu’il surnomme the Dark Lord with the Voice of Doom, c’est-à-dire Mark Lanegan. Cameron en fait peut-être un peu trop, comme ces gens qui baptisèrent jadis le duo Isobel Campbell/Mark Lanegan ‘La Belle et la Bête’, ce qui était à la fois insultant pour Lanegan et pour Cocteau. S’il est un film dans lequel le mythe Lanegan peut trouver un écho, c’est bien sûr «Les Enfants Du Paradis». N’oublions jamais que Lanegan vient de la rue et qu’il est parti de triple zéro pour bâtir un empire artistique.

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    Lanegan vit à Glendale, un northern Los Angeles satellite qui fut jadis le fief des Cramps. Chez Lanegan, Cameron voit des livres, des toiles et des photos. Pas n’importe quelles photos : Bowie, William Burroughs et Sid Vicious. Cameron annonce aussi la publication d’une autobio, Sing Backward And Weep, et d’un prochain album sur lequel sont invités des gens comme Warren Ellis et Adrian Utley. Lanegan ne traîne pas en chemin, il avance au rythme des projets à venir. Pour alimenter le côté morbide du mythe Lanegan, Cameron s’empresse de rappeler que son chemin de croix croise pas mal de tombes, notamment celles de ses vieilles idoles : Kurt Cobain et Jeffrey Lee Pierce, pour n’en citer que deux.

    Très vite, Lanegan se montre intraitable sur la question de la popularité. Faire la première partie de Johnny Cash ou de Bon Jovi aux États-Unis ? Non, ça ne marche pas comme ça. Dans son pays, on le voit toujours comme le chanteur d’un groupe grunge qui n’a pas marché. Alors il développe des trésors de pédagogie laneganienne pour expliquer qu’il a dû tout reprendre à zéro afin de pouvoir exister en tant que Mark Lanegan - I had to forge a different sort of future for myself - Et c’est en Europe que ça marche, les gens achètent les disques et viennent le voir chanter sur scène, même si la plupart du temps, ils ne savent rien des Screaming Trees.

    Ah justement, les Screaming Trees, parlons-en ! On manque cruellement de littérature sur ce groupe incroyablement fascinant que Lanegan s’empresse de démolir - The Trees were inherently flawed - C’est-à-dire foutus d’avance - They had no work ethic - Lanegan nous explique que Lee Conner composait chaque jour trois ou quatre cuts - He was a machine - Il recyclait en permanence les mêmes accords, that phony psychedelia that raised its head in the ‘80s. «Tous ses textes parlaient d’herbe et d’acide, mais le plus drôle de l’histoire, c’est qu’il n’a jamais fumé d’herbe ni pris d’acide. C’était moi qui fumais et qui prenais des acides, et la façon dont Lee Conner en parlait n’avait rien à voir avec ce que je connaissais. Il évoquait des chats qui rigolaient ou des arc-en-ciels mauves ! Et je devais chanter ce fucking crap alors que j’écoutais le Gun Club et Birthday Party - shit with balls - J’étais désespéré et pourtant, je voulais partir en tournée, car chanter ces trucs était le seul moyen d’accéder à la vie que je voulais vivre.» On apprend donc que Lanegan en bavait au temps des Trees. Les chansons de Lee Conner lui donnaient la migraine et il devait adapter sa voix, d’où l’accès au baryton. C’est au moment de Sweet Oblivion que Lanegan prend conscience de son power - I realised I had a powerful rock voice - C’est là qu’il commence à écrire les textes, and dude, I realised then that I could blow the fucking walls out ! Lanegan réalise qu’il peut secouer les colonnes du temple et devient alors l’un des plus grands chanteurs d’Amérique. Il commence même à enregistrer des albums solo, et dès le deuxième, Whiskey For The Holy Ghost, il se destine aux cimes - I was determined to do something great, even though I still was a cave man, trying to make fire (Je voulais faire quelque chose de grandiose, même si je sentais que j’en étais encore au stade de l’homme des cavernes essayant d’allumer un feu) - Il se sait limité, mais il rêve de grandeur, et pour illustrer son propos, il cite deux modèles : Starsailor et Trout Mask Replica - Unreachable paradigms (paradigmes insurpassables) - Tim Buckely et Captain Beefheart, pas mal non ? Et c’est là que Lanegan songe à quitter les Trees pour pouvoir exister artistiquement. Entre Sweet Oblivion et Dust, Lanegan passe à l’héro et tout devient très compliqué pour les Trees qui sont en passe de percer. Mais c’est bien là qu’est le problème : si Lanegan se schtroumphe avec autant d’opiniâtreté, c’est précisément parce qu’il ne supporte plus d’être dans ce groupe de malades - I realised right then part of the reason I was loaded the whole time was just to survive the mental beatdown of being in that band. Everyone of us was just a complete weirdo - Et moi en premier, s’empresse-t-il de préciser ! C’est à cette époque que Josh Homme rejoint les Trees - I was a degenerate drug-addict and he was a clean-cut kid. He became my spirit animal for those years - Quel bel hommage !

    Degenerate ? Lanegan avoue sortir d’une sacrée lignée : repris de justice, trafiquants d’alcool, mineurs misérables, le fleuron étant son oncle Virgil Lanegan, un clochard alcoolique tombé d’un train et amputé des deux jambes. Lanegan rappelle qu’il a toujours eu des problèmes avec la justice, qu’il a été sous contrôle judiciaire pendant toute son adolescence, de 11 à 18 ans et au placard à 18 ans. Lanegan fut donc entièrement livré à lui-même, il donnait donc libre cours à ses pulsions les plus sombres, the darkest thoughts or obsessions. And that’s all I did. Alors Cameron lui demande comment il a réussi à survivre. «Pure luck, dude.» Coup de pot, mon pote. Il dit avoir une constitution plus solide que celle des autres. Il dit aussi avoir évité les drogues pendant de longues périodes - That’s the main reason I’m here - Mais quand il parle du crack, c’est pour en rappeler sa consommation compulsive, à la Crosby, toutes les dix minutes, où que ce soit, dans les aéroports ou les backstages.

    Lanegan évoque aussi son passage dans les Queens Of The Stone Age et son coma de huit jours - Near death experience - suivi d’un retrait complet de la scène. Il devient alors décorateur sur des plateaux télé et c’est son poto Greg Dulli qui insiste pour l’emmener en tournée - Greg’s a very close friend and very persuasive - Puis Lanegan fait son grand retour avec Blues Funeral - It came back big time with Blues Funeral, the enjoyment, the inspiration, everything - Il retrouve l’inspiration et l’enthousiasme. Il s’enflamme à évoquer son évolution artistique : on s’améliore en vieillissant. «J’écris de meilleurs textes, je chante de mieux en mieux. Je ne vois rien qui puisse m’empêcher de continuer à évoluer.» Avec sa femme, il vient de monter un projet electro nommé Black Phoebe. Et quand Cameron lui demande s’il est ambitieux, Lanegan grommelle : «That’s out of me now.» Trop tard pour ça. Il se contente de se lever chaque matin pour composer. Il adore ça. Il a réussi à vivre ce qu’il rêvait de vivre et même bien au-delà - I’ve lived a life beyond my wildest expectations - «Je n’ai jamais été une star, mais j’ai réussi à survivre en tant que chanteur. Je possède ma maison et je vis un mariage heureux. J’ai mes animaux. Maintenant, j’adore partir en tournée, alors qu’avant je détestais monter sur scène. Je ne me sentais pas à l’aise, sans doute à cause des trucs que je devais chanter. Aujourd’hui c’est fini. J’ai 54 balais et j’en ai plus rien à foutre de rien - I don’t give a shit about anything any more. Nothing ! N’importe quoi peut arriver and it’s fine !» En matière de mise à nu, on a rarement vu plus impressionnant.

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    Ce Mojo Interview tombe à pic car Mark Lenagan débarque en Normandie par un beau soir d’octobre. Et comme lors de chacune de ses apparitions sur scène, il donne une idée assez juste de ce que peut vouloir dire le mot grandeur. Lanegan shoote dans le rock toute sa démesure, on pourrait même parler de démesure prophétique. Il va de nouveau défrayer la chronique à coups de «Beehive» ou de «Hit The City», c’est le solid rock américain le plus straight in the face car chanté de droit divin - Gasoline in cool cool water/ I’m lying on a cooling board - Il semble que sa voix éclate comme jadis éclataient celles des rois dans les palais, c’est un éclat tellement impératif, chargé de tout l’écho du temps.

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    Il ressort aussi son vieux «Bleeding Muddy Water» reconnaissable entre mille et cet «Harborview Hospital» d’une indicible tristesse - I walked by Harborview Hospital - l’accroche fatale bientôt suivi du fatidiquement beau Oh sister of mercy. Par la grandeur de ses intonations et sa profondeur de ton, il rejoint bien sûr la démesure poétique de Léo Ferré, l’homme qui mit Rimbaud, Aragon, Apollinaire, Baudelaire et toute la bande en musique - The devil ascended/ Upon some crystal wings - C’est somptueux et souvent, on se pose la question : sommes-nous réellement dignes d’un tel artiste ? Qu’on ne se méprenne pas, ce n’est pas un concert de rock ordinaire.

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    Lanegan atteint à une autre dimension. Il devient malgré lui une sorte d’artiste subliminal. Il est même certainement ce qu’on peut espérer voir de mieux sur scène, si l’on recherche les grands interprètes. Lanegan se situe au niveau de stylistes comme Liza Minelli, Mavis Staples, Al Green, Jerry Lee, des gens capables dans leur genres respectifs de créer des moments d’émotion uniques. Il tape dans le nouvel album avec l’infernal «Disbelief Suspension» et son leitmotiv dévorant, you wanna ride/ You wanna take a ride - Lanegan utilise sa voix comme un instrument et n’en finit plus d’interpeller l’intellect.

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    Il tire aussi du nouvel album le cavalé «Stitch It Up», qu’il emmène avec une poigne de chef de meute, puis «Penthouse High», qu’il plonge dans une ambiance synthé avec des Ghots inside this house. Il mène le bal au big beat electro et ça ne surprend personne, car il centralise tous les flux dans l’image de sa personne. Il se dresse dans les ténèbres éclairées tel une statue de sel - Don’t you come inside this house ! - Fan-tas-tique ! C’est Victor Hugo à Guernesey avec des guitares électriques ! Il sort plusieurs fois ce refrain diabolique : «It’s my only faith/ It’s my truest love/ It’s my holy rain from/ Up / Abôve !» et il faut voir comment il accidente la prononciation d’Abôve ! L’effet ! Tout est dans l’effet. Oui, Lanegan fait de l’art, attention, c’est un cran au-dessus de ce qu’on imagine. «Dark Disco Jag» sort aussi du nouvel album, autre moment d’apparence banale, mais attention aux attaques - There’s music in my bag/ A dark disco jag - Ses textes nous régalent autant que ceux du Dylan de l’âge d’or, ce Disco Jag vaut bien «Desolation Row» ou encore «Lost In Mobile With The Memphis Blues Again». Il y a quelque chose de sacré dans la perfection de ces textes. Lanegan revient aussi aux Twilight Singers avec «Deepest Shades».

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    Le somment du set reste bien cette puissante dérive mélancolique intitulée «One Hundred Days» qu’il semble chanter entre deux eaux - As no good reason remains/ I’ll do the same/ Thinking of you - Il faut le voir tordre le bras de son thinking of you, instant d’une merveilleuse intensité - There is no morphine/ I’m only sleeping - Il donne l’idée exacte de ce que furent les paradis artificiels du XIXe siècle, c’est une dérive volontaire de beauté défoncée, Lanegan fait de l’art, il sculpte la matière vivante de sa mélodie - A ship comes in - On se demande ce qu’il raconte, ship comezinne, on dérive avec lui au large ou dans l’harbour alors que les frissons courent sur le haricot comme des bataillons en déroute, il en vient absolument de partout, des myriades de ship comezinne frissonnants, one hundred days, ship comezinne, pas besoin d’avaler un stupéfiant, Lanegan stupéfie. Il fait tout le boulot. Désolé de devoir encore parler de magie. On se dit aussi à ce moment-là que Lanegan laboure ses terres, c’est-à-dire le conglomérat de cervelles admiratives rassemblées dans la salle et qu’il va y faire germer du blé d’or. Lanegan est une sorte de Georges Rouquier du rock, et même pire encore, un Abel Gance perché au sommet d’un escabeau face à son équipe d’une centaine de personnes, l’exhortant à faire du tournage qui démarre un moment d’exception.

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    On reste dans l’exception avec Somebody’s Knocking, le nouvel album de Lanegan, partiellement défloré sur scène. On croise à nouveau «Disbelief Suspension» et son attaque frontale - Going downtown/ In the wrong direction - Ça sonne immédiatement, c’est du heavy rock et chaque mot tinte dans l’écho du temps - I’m going to fly up to the sun/ In a helicopter - Lanegan chevauche son dragon, alors t’es baisé. C’est du heavy stoner, you wanna ride/ You wanna take a ride, t’es baisé, car tu vas chanter ça tous les matins pendant un bon moment. Il nous sert sur un plateau d’argent l’apanage de l’archétype du heavy stoner puissant, sombre et caparaçonné. Lanegan appartient à toutes les époques, surtout celles des tableaux de batailles rangées du XVIe siècle. L’armure noire et le la mèche de cheveux rouges, c’est lui. Dans «Night Flight To Kabul», il se demande s’il va trouver du Gold in Kabul, il fait tellement sonner le boulle de Kaboulle qu’on frémit - Is there Gold/ Gold in Kabul ? - Il charge ses intermèdes de synthés et annonce qu’il se laisse pousser une paire de cornes - I grew myself a pair of horns - Fantastique esprit de désaille ! Il descend dans son chant comme on descend les marches d’une crypte - Alone I drift - Il démarre sa B avec le tutélaire «Dark Disco Jag», son music in my bag, ses accroches mirobolantes et ses atmosphères pesantes, il trouve même de la magie dans son sac, a dark disco jag. Il n’en finit plus de chanter les louanges des ténèbres, sway now sister sway/ To that funeral tone - Ce démon enchaîne avec «Gazing From The Shore» où il rejoint des vieux atmopherix des Gutter Twins, tout est travaillé dans l’intensité avec la plus âpre des mélodies - Don’t leave me stand here/ Just gazing from the shore - Cette B ne serait pas une B sans ce «Stitch It Up» emmené ventre à terre - Arson on the hillside/ Down to the seaside - Et forcément, the beast walks next to me, comme au temps béni du Gun Club - Ropes can’t bind me/ Knife still inside me - Terrific ! Ce double album ne s’arrête pas en si bon chemin car «Penthouse Hight» ouvre le bal de la C. Encore un plat de résistance pendant le set, avec ses Ghosts et son gros beat electro. «Paper Hat» fait partie des cuts les plus ensorcelants de l’album, Lanegan s’y moque de lui-même, mais en même temps, il demande à sa femme de ne pas jeter son love away, car dit-il, ce sera le dernier love qu’il pourra offrir avant de mourir. On retrouve dans «Name And Number» le beat métallique de «Methanphetamine Blues». Il chante ça à la rengaine vénéneuse - When your name has become a number/ A wilderness of sorrow & slumber - On croit qu’il va se calmer en approchant de la fin de l’album. Pas du tout. Il attaque sa D avec «War Horse», un heavy shit à la godille - I’m a war horse baby/ And you don’t want a war with me - Il la prévient. En fait, Lanegan excelle à tailler ses lyrics à la serpe - People look out/ My chemical imbalence - C’est encore une fois extrêmement bien foutu, vraiment digne de la vigne - What’s in the bedroom mirror/ Are malovelant spirits/ It couldn’t be clearer - pas loin de Rosemary’s Baby. Derrière arrive «Radio Silence», avec du synthé plein les chutes du Niagara et il pèse de tout son poids dans l’imbalence de son génie - Some imperfect science/ That’s what I need - And Lanegan, that’s what we need.

    Signé : Cazengler, Mark Lannegland

    Mark Lanegan Band. Le 106. Rouen (76). 5 novembre 2019

    Mark Lanegan Band. Somebody’s Knocking. Heavenly 2019

    Keith Cameron : The Mojo Interview. Mojo # 313 - December 2019

     

    MONTREUIL / 24 – 11 – 2019

    LA COMEDIA

    DREIKANTER / JAGANNATHA

    HIGH ON WHEELS

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    Du monde ce dimanche soir. Un public différent. C'est fou comme chaque genre de rock draine ses propres aficionados. Diversifications ou cloisonnements. Chapelles ou tribus. Le rock du désert possède ses adeptes, c'est un fait, ceux qui sont là dans leur immense majorité savent ce qu'ils sont venus écouter.

    DREIKANTER

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    Trois tout de noir vêtus. N'imposent rien, néanmoins se dégage une classe ascétique innée. Quelque chose de sec et de racé qui leur colle à peau, Antoine Bartiett ouvre le jeu. La guitare seule. Se plaint-elle, rit-elle, roucoule-t-elle, pleure-t-elle, pour le moment on ne sait pas, mais l'on a compris que l'on est parti pour un grand moment. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a combat, entre lui et l'instrument, qui ne cessera de tout le set, un peu comme si chacun des deux luttait pour maîtriser l'autre. Il plaque des accords, mais c'est avant tout la guitare qui se plaque sur lui, comme si son corps était aimanté, essaie de l'éloigner de lui, la repoussant du haut du manche, Léda subjuguée saisissant d'une main ferme le col du cygne impétueux, tentant vainement de l'écarter pour échapper à l'étreinte cosmique, le blanc plumage de l'animal s'absorbant dans la blancheur laiteuse de sa peau, mais ici c'est noir sur noir, silhouette d'homme et de guitare se chevauchant, se rapprochant, se fuyant comme pour assurer une emprise définitive, l'impression de deux pièces de tangram qui chercheraient à signifier, à écrire les lettres d'un mot mystérieux que personne ne saurait lire mais qui retiendrait prisonnier tous les regards fascinés par la beauté de ses formes.

    Bien sûr entre temps Pascal Berson à la batterie et Florian Allard sont entrés depuis longtemps dans la danse. En silence. Certes ils jouent fort, mais l'absence de chant confère aux longs morceaux qui s'étendent en leur infinité une subtile dimension d'irréalité. Une cérémonie magique qui se déroulerait sans que l'on en entende le sens. Etrangement celle musique, lourde, lente, figée et tournoyante n'est pas sans rappeler les groupes instrumentaux de surfin' des premières années soixante, mais l'innocence en moins, plus d'un demi-siècle s'est écoulé, le rêve et l'enthousiasme sont morts, la promesse de jours heureux n'a pas été tenue, la nuit a perdu ses étoiles, l'âme humaine s'est obscurcie, la musique est devenue ténèbres. Un ruissellement charivarique de beautés sombres nous submerge, ne reste plus rien que cette froideur irradiante qui nous enveloppe comme un manteau de neige noire et scintillante.

    Pascal Bartiett joue-t-il vraiment de la guitare, ne serait-ce pas plutôt un fragment fuligineux d'aile d'ange tombé d'un poème de Rainer Maria Rilke qui tenterait en un dernier effort surhumain, de s'implanter, de se greffer dans une chair d'homme, et lui qui se débat, devant ce qu'il envisage tel un mufle de taureau minoen qui viendrait sur lui animé d'inquiétantes intentions qu'il serait incapable de déchiffrer. Le rock'n'roll n'est-il pas une corrida bruyante, une mise à mort symbolique de ce que l'on ignore. Sans doute de nous-mêmes. Un ballet funèbre de solitude. Ce qui est sûr c'est que quelque chose se passe, là sur cette scène. L'assistance s'est rapprochée, silencieuse et a écouté. Lorsqu'ils arrêtent, ils ont l'air surpris, presque gênés d'avoir généré une telle attention, comment eux, de simples buveurs de bière, ont-ils pu ce soir, par ce set, toucher à une poutre maîtresse de l'invisible.

    JAGANNATHA

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    Jagannatha c'est la roue du karma et des illusions qui avance sans que vous puissiez la stopper. A moins que vous ne trouviez l'échelle de secours qui vous conduira au nirvana. Mais ne comptez pas trop sur votre chance. De toutes les manières votre sort n'est pas si terrible que cela, le torrent désastreux de la maya charrie de profondes horreurs mais aussi de superbes rutilances. La boue la plus fétide roule des gemmes les plus coruscantes. Il suffit de savoir voir. Et entendre. Pour cela les quatre gars de Jagannatha vont vous aider à percevoir.

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    Ne sont pas venus seuls. Ont apporté leurs plateaux d'offrandes que les trois guitaristes ont déposés à leurs pieds. De multiples petites boites à musique, car pour traduire le message du souffle divin et primal, vous avez intérêt à vous munir de décodeur, ce sont des trafiqueurs d'ondes sonores qui sont devant nous, la technologie est un sentier comme un autre, l'important est qu'il nous permette d'accéder à une réalité différente. Un batteur derrière. Jusque là tout va bien. Devant ni un bassiste, ni une lead guitare, ni une rythmique. Si vous voyez cela, c'est que vous vous trompez. Employons quelques mots désuets pour que vous compreniez mieux : trois violonistes virtuoses. Chacun possède un instrument et sa douzaine de magic-boxes. Jouent des treize en même temps. Qui est vraiment qui ? La question n'a que peu d'importance. C'est le résultat qui compte.

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    Le batteur n'a que ses toms et ses cymbales. Il marque le rythme. Il insuffle les départs, et les ruptures. Les trois autres lui obéissent même s'ils n'en ont pas l'air. Quand vous ouvrez les coffres au trésor les pierreries se répandent d'elles-mêmes. Vous êtes vite submergés. Et nous le sommes par toutes ces rutilances envoûtantes. Un flot intarissable de toute beauté. Chaque note est une merveille. Une chatoyance, un foulard de soie saumonée de rose tyrien, de vert émeraude et de pourpre impérieuse. Une pluie d'éclats.

    La foule est massée tout autour. Immobile, silencieuse. Une assemblée de vampires dans une crypte convoquée pour l'ouverture de la tombe du maître Dracula, n'ayez pas peur, lorsqu'il ouvrira ses yeux de saphir vous serez baignés dans une ondée de bienfaisance, vos souffrances cesseront, vous aussi vous pourrez vous joindre au monde rieur des mortels sous les plus illuminatifs rayons du soleil, vous leur proposerez ce baiser de la mort, celui qui vous réunira dans l'éternité sans fin des jours écoulés.

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    Parfois ils se penchent vers leurs planche de salut, ils délaissent leurs instruments, tournent les boutons, et le son s'amplifie mais très vite ils brodent sur cette trame sonore de nouveaux motifs, des arabesques qui vous emportent en leurs tourbillons, des dessins de phénix en feu, des récits de voyages en des pays inconnus peuplés de rochers multicolores. Paix et tranquillité. Plénitude et sécurité. Zones safranées et sables versicolores. Aucune parole, les micros sont inutiles. La galerie de vos images intérieures à laquelle ils vous donnent accès est suffisante.

    Jagannatha nous a emmenés très loin sur le tapis volant de leur stoner doom dépourvu de toute noirceur. Nous ont guidé vers la sérénité des orages et la splendeur salvatrice des tempêtes. La beauté n'exclut ni la puissance, ni la violence, ni la passion. Sont des régénérateurs. Vous enduisent d'énergie positive. Et lorsque l'envol du rêve se pose sur la mer étincelante, vous vous dites que vous revenez de loin. Que pour un peu vous auriez refusé de redescendre.

    HIGH ON WHEELS

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    Sont-ce les trois micros, est-ce leur disposition en triangle méphitique, ou leur simple nom qui a induit cette intuition, cette fois-ci l'on allait entendre un stoner beaucoup plus nerveux. Certes ils n'ont pas manqué à cette lenteur de base qui est la marque de tout stoner bien élevé – quoique dans le désert les mœurs sont un tantinet rustiques, énormément sauvages affirment les explorateurs qui en sont revenus vivants - mais enfin ils se sont livrés à disons certaines déviances, qu'ils n'ont pas manqué de récidiver à intervalles ( très courts ) et extrêmement réguliers.

    Le coupable est tout désigné. Grégoire B derrière sa batterie. Un hypocondriaque de la violence. Vous mène une rythmique majestueuse, d'une ampleur beethovinienne, et puis brusquement la folie le prend. La caisse claire ne lui a rien fait, mais il faut qu'il la tape, de toutes ses forces, faut qu'il la piétine de ses baguettes lourdes comme la massue d'Héraklès s'abattant sur le crâne du lion de Némée, ne se retient plus, s'énerve, la pile à mort, jusqu'à épuisement complet, d'ailleurs après ces espèces de razzia de démolition, il se courbe, se plie en deux, entre ses tambours, épuisé, mort, un nouveau mode de suicide auto-programmé.

    C'est dans les pires moments que l'on reconnaît ses amis. Bruno G doit compter parmi ses meilleurs ennemis. Se saisit d'une de ses guitares, l'a prévu qu'une pourrait expirer sous ses doigts, et là il vous pousse un riff à réveiller une colonie de crocodiles qui fait la sieste sur le sable doré après avoir avalé les douze imprudents touristes du safari-photos, et aussitôt il recommence. Cinq six fois. Un peu plus fort à chaque fois. C'est alors que l'on assiste à une résurrection christique, Grégoire se réveille de sa torpeur comme si de rien n'était, et se met en devoir de couvrir la toniturance de son guitariste par une décharge battériale éhontée. Du coup, du fracas disons, Bruno hausse le ton et c'est parti pour le baston de la mort.

    En plus, vous avez un traître. Facile à repérer c'est le plus grand. Gilles T, bassiste de son état. Apparemment il ne fait pas grand-chose. Il se contente d'envenimer la situation. La piqûre perfide du serpent minute qui sonne votre dernière heure. Un partisan de la basse coulée. Le sous-marin à l'affût qui lance ses torpilles. Toujours à bon escient. Sous la ligne de flottaison. En plein cœur de la soute à munitions. L'a le chic, pardon le choc, pour emmener son bidon de nitroglycérine à l'endroit exact où ça chauffe le plus.

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    Là c'était le début. Après ça c'est gâté, pourri jusqu'à la moelle. Pour le plus grand plaisir de l'assistance. A force de s'entre-regarder du style '' tu ne feras jamais mieux'' ils ont pété une durite, Bruno s'est emparé de sa guitare rouge, manifestement sa préférée, le voici sur le champ atteint d'une crise de délirium épaisse comme trois éléphants furieux, l'a zébulonné sur la scène et puis un peu ailleurs, nous a fait le coup d'Hendrix guitare derrière la tête, l'a fini allongé par terre, ébouriffant riffant à mort, jusqu'à ce que ses doigts refusassent de s'agripper au manche, mais tant pis, lui restait l'autre main pour cisailler les cordes encore et encore. Entre temps Bruno est revenu sept ou huit fois à la vie, a même essayé ( sans succès ) de mettre en marche un petit ventilateur pour éviter l' infarctus, tandis que Gilles le haranguait en douce en coulant des noirceurs strangulantes d'algues vénéneuses qui s'enroulaient autour de votre cou pour vous faire ressentir les approches des extases mortuaires.

    Non je n'ai rien oublié de cette tuerie. Les trois micros, vous voulez rire. Non, ils n'ont pas chanté. Gilles après trois interjections inaudibles s'en est totalement désintéressé. Grégoire et Bruno s'en sont servi pour s'aboyer dessus, comme deux mâtins qui se lancent quelques amabilités bien senties avant de se jeter l'un sur l'autre, vous ont rugi en alternance des espèces d'invectives monosyllabiques, non, question lyrics High on Wheels sont très loin de partager la facilité de Marcel Proust ! Par contre réponse musique, ce n'est pas la petite phrase de la sonate de Vinteuil qu'ils vous font entendre. Sont des chauds partisans du tonnerre de Brest et du Pot-au-noir qu'ils vous déversent dessus, pas par le petit bout de l'entonnoir.

    Nous ont noyé dans un déluge sonore, et l'on était radieux comme des requins mangeurs d'hommes qui se jouent des tempêtes, heureux des naufrages cataclysmiques. Subsistent en la mémoire des images, cette étrange danse, un catastrophique menuet, sur ce qui doit d'être un extrait d'une bande-son de film, qui fleure la parodie qui se finit dans le paroxysme d'un stoner qui fuzze à toute vitesse, et ces confrontations, faux-frères ennemis de Gilles et Bruno, face à face, guitare contre guitare, une passation pantomimique d'énergie, l'institution d'un rituel stoner estonant, destonant.

    Damie Chad.

     

    JARS

    ( Pogo Records / 127 )

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    Pochette noire. Contours blancs d'une rose noire. Fleur carnivore. Quelques ratiches disséminées sous la tige. A vous de signifier le symbole. Pour vous aider au verso un anneau de trousseau de clef, pendeloques et camelotes d'instruments bizarres. Kit de survie improbable ou couteau suisse du pauvre. Dans le coin inférieur des tessons de bouteilles saisies par leur goulot et fracassées sur le rebord d'une table lors d'un baston dans un rade louche, une fleur de verre déchiquetée comme un calice brisé, agrémentée d'un ruban marqué Jars. L'ensemble n'incite pas à un optimisme béat.

    A l'intérieur, sur une feuille cartonnée, s'étalent les lyrics. Ont été établis par un traducteur peu performant. Certains restent sinon incompréhensible, du moins des plus ténébreux.

    Vladimir Veselick : basse / Alexander Seleznev : drums / Anton Obrazeena : guitare, voix, noise ( 3 ), lyrics / Nikita Rozin : voix ( 7 ) / Vasya Ogonechek : voix, lyrics ( 5 ) / Anton Ponomarev : Sax ( 9 ) /

    Nikolaï Lobanov : master / Andrei Letchick : enregistrement, mixage, master.

    Enregistrement : décembre 2017 – mars 2018, DTH Studios.

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    Il s'agit de la reprise de l'album JARS II, contenant neuf morceaux, certains ont déjà été chroniqués dans notre 338 ° livraison du 14 / 11 / 2018, mais la traduction en anglais est parfois divergente avec celle que nous avions proposée.

    E ( E ) : neuf minutes de désespoir, rôde comme un relent d'harmonica, mais ce n'est qu'une sursaturation de la guitare, la batterie effectue un travail de sape, elle enfonce les piliers de soutien du tunnel au bout duquel on déposera la bombe à neutrons. Dans le déluge sonore surnage l'illusion de voix expurgées de leurs corps. Grandiloquence des effets, suivi du grincement de l'alternateur de mise en tension du bouton de l'explosion finale. Les trois premières minutes de l'introduction du morceau rendent caducs les trois-quart de votre discothèque metal. Désolé, mais c'est ainsi. Le pire c'est que ça ne s'améliore pas par la suite. Un vocal excédé de misère. La voix est répétée comme une prière de haine épuisée. A vous glacer le sang qui coule des misérables cadavres ambulants de vos contemporains pour qui vous n'éprouvez aucune pitié. A commencer par vous. Superbe. Convulsion apodictique. Knife the existence ( Poignarde l'existence ) : la suite immédiate, ces séquences de film d'angoisse où la camera s'arrête sur l'arme du crime futur qui palpite dans la froide lueur de la lune. La musique est à son paroxysme. C'est la peau entre vos omoplates qui est prise en gros plan. Jaillissement du sang. Heureusement ils ont coupé, vous n'auriez pas supporté. A moveable feast (Une fête mobile ): vous avez fait cette expérience tout petit. Avec le moulin à café. Vous avez soulevé le couvercle, laissé échapper la moulure et à la place vous avez introduit vos doigts et la lame tournante les a réduits en poudre et puis le moignon sanglant qui n'est plus votre main, et puis votre bras, et puis vous avez plongé votre tête dans la cuvette sanglante, et vous avez enfin connu la paix extatique. Ceci n'est pas une traduction. Une transcription. Une auto-mutilation si vous préférez. Catbus : paroles incompréhensibles, c'est un peu comme si vous alliez promener votre chat au parc, vous entendez la guitare qui miaule et puis la batterie qui s'abat méthodiquement, froidement. Un hachoir de boucher. Vous n'avez emporté avec vous que l'essentiel, juste la tête au fond de votre poche pour qu'il n'ait pas froid. Votre chat heureux s'en va batifoler. Vous aimeriez être à sa place. Morceau fortement déconseillé aux véganistes qui ne supporteront pas cette tranche saignante de vie de chat. The swiss army knife man ( Soldat suisse ) : certains hommes sont plus surdoués que la moyenne. Prenez soin d'en avoir toujours un dans votre poche, un véritable couteau suisse. Un tueur en série sans défaillance. Ô mon amour t'écorcher vivante me fait autant de mal à moi qu'à toi. Mais l'on aime cela tous les deux. Un morceau d'une horreur inouïe. Le coït psychique occidental dans toute sa cruauté. Musique repoussée au bulldozer, les vocaux sont un concentré orgiaque de tous les opéras de Wagner. Le drame jusqu'au bout du mélodrame. Sabotage : tuer pour exister. Ma vie dépend de votre mort. Je ne suis pas fou. Musique destructrice pour chant triomphal. J'ai enfin compris, il ne s'agit pas d'être un tueur en série, c'est l'humanité mortuaire qui nous gouverne qu'il faut liquider. Saboter l'humanité voilà le mot d'ordre. Répétez après moi. Agissez comme moi. Pulsion de mort hiroshimique ! Killed (Tué) : ce n'est pas le cri de haine de l'assassin, c'est la clameur heureuse de celui qui a franchi l'acte de la libération totale, désormais il ne fait plus partie de l'espèce humaine, il a transgressé la lisière interdite, il est là où vous n'aurez jamais la force d'aller, de l'autre côté de la ligne. En illuminative contrée inhuminative, là où n'existent plus les chaînes de l'esclavage psychologique. Ce morceau comme une flaque de vomissure puante que vous avez abandonnée derrière vous, pour que tous les autres se baignent les pieds en cette argile sacrée, signe du renoncement à leur stricte condition humanoïdisante, annonciatrice de futures renaissances. Conspiracy of silence (Conspiration du silence) : froissements de saturation, un peu comme un télégramme qui annonce une bonne nouvelle que l'on se dépêche de jeter et de brûler dans la cheminée pour que personne n'en puisse plus parler. Quant à cette Elle qui viendra, vous pouvez toujours essayer d'y croire. Vous n'engagez que vous. Any ressemblance is coincidental ( Toute ressemblance est coïncidence ) : un grand final. Une superbe mise au point. Philosophique. Métaphysique. Pour échapper à soi-même il suffit d'être deux, de se dédoubler. Etre l'innocence et à l'autre toute la noirceur, qu'il tue à ma place, ma souffrance l'autorise. Tout lui est permis puisque je ne lui interdis rien. La batterie comme un chemin de croix. Je détiens la candeur du héros, et lui manipule la hache de l'injustice. Le cauchemar du monde. Si vous voulez vous serez la fleur carnivore qui se dévorera elle-même. Ensuite ce sera le tour de votre double et de vous-mêmes. Vous tomberez dans la fosse que vous aurez créé de vos dents manducatoires. Mais vous ne serez pas encore sorti d'affaire, tout trou n'est qu'un fond entouré de murs, et plus vous irez profond plus les murailles se dresseront. Une fois que vous aurez écouté ce grondement de quatorze minutes, il vous faudra songer à classer le deuxième disque du Velvet Underground et la Metal Music Machine de Lou Reed sur l'étagère des comptines que vous aviez achetées pour endormir votre nouveau-né.

    Que dire de plus. Après l'effondrement de l'Union Soviétique, un magasin moscovite visant la clientèle des nouveaux milliardaires avait affiché un excellent slogan pour les attirer : '' Vous ne trouverez pas plus cher ailleurs !''. Pour attirer l'attention des amateurs de punk-noise-metal-musique extrême, je ferai de même : '' Vous ne trouverez pas pire ailleurs !''

    D'ailleurs le tirage de P.O.G.O. RECORDS ( N° 127 ) s'est épuisé en quelques jours...

    Damie Chad.

    *

    RIGHT

    Comment vous ne connaissez pas les RIGHT ! Et vous vous proclamez amateurs de rock ! Je suis décidément entouré d'une foule d'ignorants. Je comprends pourquoi votre âme a été exilée en cette vallée de larmes, une juste punition ! A votre décharge, j'avoue que moi non plus. Enfin presque. Parce que la pub du livre était passée dans le fil d'actualité de mon FB. J'ai vite abandonné la lecture de la quatrième de couverture, du n'importe quoi, un truc aussi frappé que les Rockambolesques d'un certain Damie Chad, une espèce de thriller politico-rock, à la quatrième ligne je suis passé à autre chose.

    Et puis un mail de Luc-Olivier d'Algange me demandant mon adresse pour un bouquin sur Pompéi. J'accepte, et trois jours plus tard, le facteur apporte non seulement le Pompéi book mais aussi cet Ambassador Hotel que j'avais dédaigné. Affligé d'un rhume aussi subit qu'inopiné, je me dis qu'une lecture légère aiderait mon esprit embrumé à passer ce désagréable moment. Confortablement installé dans mon fauteuil je me saisis de l'objet du délit comme aurait pu dire Maurice Scève, vachement lourd, près de six cents pages, et une police minuscule, l'ai dévoré toute la journée. Et une bonne partie de la nuit.

    AMBASSADOR HOTEL

    LA MORT D'UN KENEDY, LA NAISSANCE D'UNE ROCK STAR

    MARIE DESJARDINS

    ( Editions du Cram / Mai 2018 )

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    Normal que vous n'ayez jamais entendu parler de RIGHT, le groupe n'a jamais existé que dans l'imagination de Marie Desjardins. Marie Desjardins est canadienne. Ambassador Hotel est son sixième roman, elle a l'air de s'intéresser à des personnages limites, Nelly Arcan écrivaine suicidée à trente-six ans, Irina Ionesco jugée, en nos temps de puritanisme avancé au triple galop, coupable d'avoir produit des photographies malsaines de sa fille en des âges pré-pubères, cette Irina Ionesco qui accompagna de ses photos Litanies pour une amante funèbre, recueil de poèmes de Gabrielle Wittkop, dont Le Nécrophile fut longtemps interdit à la vente en France, tous les amateurs de rock gothique devraient avoir lu ce soleil noir, et plus proche de nous, petits franchouillards patentés, elle commit un roman, son troisième, sur notre couple national, Sylvie johnny une love story.

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    Reste maintenant avant de passer à RIGHT à liquider Bob Kenedy. Je vous rassure tout de suite RIGHT n'y est pour rien. Le hasard a voulu que le groupe soit de passage à l'Ambassador Hotel le soir où le frère de John Kenedy fut assassiné. Marie Desjardins sait ménager le suspense. Ce n'est qu'au bout de trois cents pages que nous aurons le témoignage des membres de RIGHT et de ses proches qui n'ont pas grand-chose à révéler puisqu'ils n'étaient pas présents dans les cuisines de l'hôtel dans lesquelles le sénateur a été abattu. Ce n'est pas le sujet du livre. Une incidence sur la carrière du groupe toutefois : jusqu'à la fin il leur sera reproché d'avoir surfé sur ce terrible événement : n'est-ce pas le soir même du crime que le groupe compose Shooting At the Hotel qui se vendra à des millions d'exemplaires. De quoi faire des jaloux. Surtout que le titre leur apporte la gloire, sont désormais juste derrière les Stones et le Zepplin.

    Alors RIGHT demanderont les lecteurs pressés. Du calme, ce n'est pas tout à fait le sujet du livre. Le héros c'est son chanteur : Roman Rowan. Nous le suivons depuis tout petit jusqu'au dernier concert de RIGHT. Un demi-siècle de carrière. Il est grand, il est beau, et au détour d'une page nous apprenons qu'il pousse la goualante rock à des cimes inégalables, qu'il atteint avec facilité des notes auxquelles Rober Plant n'a pas accès. Dans mes prochaines mémoires je vous apprendrai que je joue superbement mieux de la guitare que Jimmy Page. Mais laissons ces fariboles. Marie Desjardins est douée. L'a agencé son roman comme une partie de go que vous joueriez contre vous-mêmes. Ce qui est doublement idiot puisque vous seriez sûr de ne jamais perdre. Ni de jamais gagner.

    Pions noirs, pions blancs. Retournés. Les plus sombres sont ceux qui content dans l'ordre chronologique les concerts de la dernière tournée de Right. Les plus clairs, les moins darkness, rappellent dans un pseudo désordre temporel les épisodes-clés de l'existence de Roman Rowan. C'est bien fait. Le ton du récit n'est pas sans rappeler le Who I am l'autobiographie de Pete Townshend qui entre parenthèses vient de sortir son premier roman...

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    Jetons d'abord l'os du rock aux chiens affamés qui ne voient que l'ombre du monument qui s'étend devant eux. RIGHT est un groupe de hard rock progressif, musicalement nous n'en saurons guère plus. Roman Rowan est né en 1942, il fait partie de la deuxième génération du rock anglais. Celle des Beatles, des Stones, des Yardbirds, des Kinks, des Animals, des Who, qui va magnifier l'héritage des pionniers américains, le nom de Gene Vincent est l'un des rares cités. Roman Rowan suit la filière classique. Fonde son groupe Cool and the Shutters, qui n'est pas plus mauvais qu'un autre, ( un peu quand même ) mais le déclic ne vient pas. Personne ne les remarque. Le coup de pouce tant attendu n'a pas lieu. Marnent à mort au travers de l'Angleterre brumeuse et pluvieuse, se forgent des fans dans tous les minables troquets où ils jouent, le succès d'estime, celui de la vache enragée. Jusqu'au jour où les deux survivants Roman et Clive, son ami indéfectible, sont convoqués pour être admis à la première audition dans le combo Bronteshire qui a le vent en poupe. Tout de suite c'est la bataille d'égo entre Roman et Bronte le pianiste génial fondateur de Bronteshire. L'instinctif contre l'intellectuel. Roman le Dionysiaque et Bronte surtout pas l'Apollinien, même pas l'Apollon Lyncée ou Hyperboréen, plutôt un fils de la lune froide plutonienne. Roman impose le nom de RIGHT, exit Bronteshire. RIGTH explose, de 1967 à 1973 le groupe est au firmament. Roman le quitte sur un coup de tête. Ne reviendra que seize ans plus tard en 1989, rappelé par Bronte. Seize années d'interlude, peu amusantes... Puis ce sera au tour de Bronte de partir en 1997, pas le clash final car en 2000 Roman reprend le groupe, sans Bronte bien entendu, désormais le leader incontestable...

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    La dernière tournée. Pas de drame à la Steven Tyler le chanteur d'Aerosmith qui dans son autobiographie Est-ce que ce bruit dans ma tête te dérange ? s'attarde longuement sur ses ennuis de voix qui a tendance à le lâcher en bout de carrière, celle de Roman claironne sans anicroche jusqu'à l'ultime prestation. Le problème est ailleurs. Dans sa tête. Dans sa vie. Qui revient. Ses souvenirs qui remontent. L'a beaucoup vécu. L'a tout connu, les groupies, les producteurs, les maisons de disques, les pressions commerciales et les projets foireux, tout le bataclan rock de A jusqu'à Z. Grandeur et démesure. Rock star absolue. Gloire, femmes, argent, sex and rock'n'roll mais pas de drugs. S'en méfie. Par contre l'ingurgite les vodka orange comme les gamins les fraises tagada. Nombreuses scènes de soulographie, vous êtes conviés dans les coulisses, parties fines, fêtes pimentées, réveils comateux, et l'on remet ça au plus vite. Roman n'est pas un moine et encore moins un renonçant. Partisan des jouissances sans entrave. Rien ne lui résiste. Tout pour être heureux. D'ailleurs il ne se plaint pas. Est conscient d'avoir une vie de rêve même si parfois les cauchemars ne sont pas loin. Beaucoup mieux qu'un esclavage d'ouvrier à l'usine ou une chaîne d'employé de bureau. Une quarantaine de concerts les uns après les autres, des ambiances répétitives, c'est un peu toujours le même turn over, mais l'on ne s'ennuie pas une seconde. Marie Desjardins nous tient en haleine. Car l'essentiel n'est pas là. Ce roman qui ne cesse de phantasmer le rock'n'roll ne traite pas spécialement du rock'n'roll. Même s'il ne parle que de cela. Au début, je lui reprochais son écriture, pas foutrement rock'n'roll, très classique. Je regrettais cette apparente dichotomie entre le fond et la forme, jusqu'au moment où l'évidence s'est imposée, ce n'est pas un livre sur le rock'n'roll, mais tout simplement un roman psychologique. Un peu plus remuant que La princesse de Clèves. Pas ennuyant pour un sou. Une longue introspection.

    Tout d'abord l'iceberg de carton-pâte. Roman Rowan court sur sa soixante-dixième année. Le temps idéal pour prendre sa retraite. A force de galoper après l'ombre de sa jeunesse l'on finit par l'attraper à la manière d'un boomerang qui vous revient en pleine figure vous casser les dents. Faut savoir arrêter. Preuve de sagesse. Mais aucune illusion. Une fois terminé, ce sera bien fini. La rock star devient comme monsieur tout le monde, ne lui reste plus qu'à cheminer paisiblement vers le cimetière. Une seule consolation, le nom que vous laissez gravé dans l'Histoire du Rock'n'roll. Hélas, vous n'êtes plus là pour le lire, et les marbres les plus durs ont tendance à s'effriter plus rapidement qu'on ne le penserait...

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    Evitons le pessimisme, gardons-nous du nihilisme. Roman a de la chance, sa femme l'attend dans un douillet foyer. Z'ont accumulé assez de fortune pour être à l'abri du besoin jusqu'à la fin de leurs jours. Mais c'est avant la fin que ça coince. Entre Roman et Gil, la mère de sa fille, il ne se passe plus grand chose, les sentiments se sont émoussés, Pénélope s'ennuie au foyer, lui reproche ses sempiternelles absences. Pour les polissonades au lit Roman est défaillant, l'a trop expérimenté sur les groupies complaisamment offertes, à moins que Dr Freud ne nous explique que c'est la froideur de son épouse qui a provoqué ces pannes de raidissement... Bref, Roman est comme l'Ulysse de Jean Giono qui s'attarde un peu trop auprès de multiples Calypso...

    Mais Ulysse n'était pas menacé par le calendrier. L'avait tout son temps pour décider de son retour. Roman est victime d'une date fatidique. Le couperet de la guillotine se rapproche. A toute vitesse. L'existence dorée ne durera plus longtemps, la nouba interminable se réduit comme peau de chagrin, alors comme un noyé qui voit sa vie défiler à toute vitesse avant le dernier glouglou, Marie Desjardins nous repasse le film des trépidations de Roman. Laissons de côté le décor rock'n'roll, fixons notre regard au plus près de Roman, pas plus loin que son corps attirant, souvent collé à des chairs de partenaires féminines, qu'il baise en toute quiétude, en toute équanimité d'âme. Frénétiquement. Goulument. Par tous les bouts. L'a brouté des clitoris par centaines. L'a enfilé des chattes en aussi grand nombre. Ne s'est privé de rien. N'a pas eu besoin d'user de violences. Toutes consentantes, s'offrant d'elles-mêmes au désir du mâle royal. La preuve : aucune ne lui a quarante ans plus tard fait le coup à-la-me-too-ce-n'était-pas-du-tout-romantique. Marie Desjardins prend ses précautions, il a aussi détruit des rêves de jeunes femmes qui ne s'étaient pas imaginées être des objets jetables de consommation courantes... Autres temps, autres mœurs. Autre époque. Le livre s'achève tout de même en 2015... Le rock'n'roll est une musique de voyous. Vous le saviez, ne venez pas vous plaindre.

    Roman s'attarde sur les quatre dames qui ont le plus compté pour lui. Sybil, une erreur de jeunesse. De toutes les manières c'est lui qui s'est fait avoir. On l'avait averti. N'a voulu en faire qu'à son désir. Il a joué, il a perdu. Il ne se plaint pas. Affaire classée. Chris qui n'a pas supporté ses infidélités, qu'il a quittée pour une scène de reproches du jour au lendemain. Elle a beaucoup souffert. Tant pis pour elle. Regrets inutiles. Gil, l'épouse en titre, la reine mère qui lui téléphone de moins en moins. Qui s'éloigne. N'a-t-elle pas un amant. Et puis Havana, qui voulait publier un livre de photos sur lui. A abandonné le projet parce que Gil... Havana, des rencontres ratées, épisodiques, une histoire inachevée qui l'obsède et le ronge. C'est toujours ce que l'on n'a pas vraiment obtenu qui nous manque le plus.

    C'est tout. A ceci près que jusque à la dernière ligne Marie Desjardins nous ménage une happy end. La vie en rose. Oui mais rose très clair. Layette. A part qu'à la toute dernière ligne, tout s'assombrit. Les coeurs tendres ne partageront pas mon avis. Marie Desjardins nous laisse dans l'expectative. A vous de tirer les conclusions. Elle siffle la fin de la partie alors que le ballon décisif est en plein dans la trajectoire de la cage...

    Ce n'est pas tout. Marie Desjardins est plus fine mouche qu'il n'y paraît. L'est une adepte de la théorie de la patate chaude. Le bébé de l'eau du bain que l'on refile au plus proche parce que l'on n'a aucune envie de procéder à sa toilette. D'abord du côté familial : Gil n'agit-elle pas envers Roman comme la mère de Roman qui a gâché la vie de son père ( qui l'a trahie ), la complicité entre Gil et leur fille Chance n'est-elle pas similaire à celle d'Erin envers Félicity la sœur de Roman, et Roman n'a-il pas induit par ses attitudes équivoques la reproduction d'un même et incapacitant schéma de base ? Famille je vous hais disait Gide...

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    Ce n'est pas du tout tout. Hypocrite lecteurs. Marie Desjardins vous a réservé un chien de sa chienne. Maintenant c'est à vous qu'elle refile la parmentière chauffée à blanc. Oubliez Roman et son rock'n'roll. Ambassador Hotel. La mort d'un Kenedy, la naissance d'une star n'est pas un roman de Marie Desjardins. Ce n'est pas moi qui l'affirme. C'est elle. Il s'agit d'un livre, une biographie non-autorisée d'un journaliste rock David Bridge ( over trouble water ) qui fait paraître son livre, le jour même du dernier concert de RIGHT. Ne se gêne pas la Marie, en retranscrit même quelques pages dans son roman. Vous connaissez l'astuce le tableau qui se représente lui-même comme un tableau reflété dans un miroir, reflété lui-même dans un miroir. Vertige abyssal ! Rien de plus terrible que la littérature qui se met à parler de littérature. Surtout si vous le faites par l'entremise d'un groupe de rock qui n'est lui-même que le reflet de groupes de rock ayant véritablement existé, parfaitement catalogués dans l'histoire du rock'n'roll. C'est quoi RIGHT ? Une idéale figure platonicienne des groupes de rock des années soixante-dix, ou un vulgaire artefact baudruchique et chimérique bricolé à partir d'anecdotiques fragmentations de ces mêmes seventies dinosaures ?

    Roman répond à la question : qu'importe que ce ce soit vrai ou faux, pourvu que ça se rapproche de la vérité de ce qui a eu lieu. De toutes les manières la vérité d'une chose n'est déjà plus, est déjà un peu plus que, la chose elle-même. Faudrait peut-être d'abord définir ce qu'est la – ou au moins une - vérité rock. Nous allons donc donner notre avis : ni plus ni moins que la vérité rock de Marie Desjardins. Et puis si le tubercule chaud bouillant que je vous repasse vous embarrasse, croquez-le, à pleines dents, de tous vos yeux, il est délicieux.

    Damie Chad.