Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jars - Page 3

  • CHRONIQUES DE POURPRE 439 : KR'TNT ! 439 : DAVID BERMAN + SILVER JEWS / WILDHEARTS / OMETEOTL / JARS / ALICIA F ! / LES VIELLES PUTES / THE LECHERS / ''THE NETWORK'' CASE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 439

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    21 / 11 / 2019

    DAVID BERMAN + THE SILVER JEWS

    WILDHEARTS / OMETEOTL / JARS / ALICIA F !

    LES VIEILLES PUTES / THE LECHERS

    ''THE NETWORK'' CASE

    You Got The Silver (Jews)

    z7939dessinberman.gif

    Dans le microscopique article que lui consacre Andrew Perry dans Mojo, il apparaît que David Berman (Troubled poet of Silver Jews) serait allé se suicider dans une suite d’hôtel à Nashville, la suite où Al Gore aurait attendu en l’an 2000 le résultat des élections. Dans sa lettre d’adieu, Berman écrit : «I want to die where the presidency died.» Il n’en était pas à son coup d’essai. Pour se tuer, Berman préfère les drogues aux calibres ou à la corde. La corde, c’est bon pour les Gallois de Badfinger.

    z7958mojo.jpg

    Pour le portraiturer vite fait, Perry le décrit comme un sorte d’indie Leonard Cohen doué pour le désespoir existentiel, une formule qui pouvait aussi s’appliquer à Bill Callahan, avant qu’il ne trouve un équilibre en fondant une famille. Si les Silver Jews sont arrivés dans le rond du projecteur en 1994, c’est bien sûr grâce à la présence de Stephen Malkmus. Pavement avait alors le vent en poupe et Berman était le copain de fac de Malkmus. Berman allait constituer un fonds de commerce à base d’addiction et de dépression, et sortir du lot par la seule qualité de ses compos.

    z7959uncut.jpg

    Dans Uncut, Bob Nastanovich qui fit à la fois partie de Pavement et des Silver Jews s’appuie sur une amitié vieille de 30 ans pour témoigner, et là, ça devient beaucoup plus intéressant, même s’il ne fait aucune révélation. Il connaît Berman depuis 1985, au temps de la fac de Charlottesville, en Virginie. Après la fac, il s’installe à New York avec Berman et c’est là que Malkmus les rejoint pour monter les Silver Jews. Aux yeux de Nastanovich, Berman est un auteur extrêmement doué et extrêmement drôle. Mais en même temps, il observe que son copain Berman souffre d’une ‘mental illness’ que personne ne parvient à soigner, ni les médecins ni le principal intéressé, comme c’est souvent la cas. D’où les drogues. Crack, hero, the lot.

    z7950starlite.jpg

    Paru en 1994, Starlite Walker restera sans doute le meilleur album de David Berman, rien que pour l’admirable nonchalance de «Living Waters». Berman est littéralement brillant de décadence, il est aussi capable de magie que Syd Barrett ou Lou Reed. On pourrait dire la même chose de «Rebel Jew», un cut effarant d’overwhelming qui lui se montre digne des Stones à Muscle Shoals. Berman allume des relents d’Americana inflammable. Écouter son album est une expérience qu’on souhaite à tous les amateurs de rock. Berman est de toute évidence le Syd Barrett américain, il drive d’extraordinaires courants de pensée. Il monte encore d’un cran dans l’excellence avec «The Silver Pageant», solide mish mash bermanien. Tout s’éclaire sur cet album tombé du ciel. Son «Trains Across The Sea» sonne très Velvet, très laid back mais beau. On comprend même qu’il se soit foutu en l’air - Trouble/ No troubles - C’est envoûtant - I can’t stand to see you/ When you’re crying - Il se rapproche de Pavement, ce qui semble logique vu que Stephen Malkmus fait partie de l’aventure. Les Jews restent dans le Pavement Sound avec «Advice To The Graduate» - Oh I know you got a lot of hopes for the new men XZ - Joliment décadent. Puis les Jews vont se paumer dans les Sargasses de «Tide To The Oceans». Berman illustre son vieux mépris de la vie - When you ask/ Please ask me/ Ask me to stay - Nouvelle plongée dans la décadence avec «Pan American Blues», mais ça n’a rien à voir avec Oscar Wilde. Non, c’est autre chose - There’s gonna be truce - Il répète ça trois fois. Berman se révèle prodigieusement intéressant. Il assoit sa présence dans les esprits, ce mec se rapproche de ton cou cut après cut, comme un vampire. Sa présence se fait inexorable. Diable comme cet album est beau.

    z7951bridge.jpg

    David Berman va calmer le jeu avec son deuxième album, The Natural Bridge. On le sent très dégagé des réalités de ce monde. Il cultive bien son détachement, comme le montre «How To Rent A Home» et son gratté d’acou popotin et pourtant clairsemé d’authentiques épanchements. Il faut savoir apprécier le balladif décati pour entrer dans «Black & Brown Blues» - When I go downtown/ I always wear a curdoroy suit/ Cause it’s made of a hundred gutters/ That the rain can run through - Oui, Berman adore porter du velours côtelé quand il va faire un tour en ville, car c’est fait de centaines de petites gouttières où s’écoule la pluie. Il se sert de «Dallas» pour raconter qu’il s’est évanoui au treizième étage et pour saluer B.B. King au General Hospital - O Dallas you shine with an evil light - «Inside The Golden Days Of Missing You» lui permet de renouer avec le heavy balladif mélodique finement soutenu à l’orgue - You can live again/ But you’ll have to die twice in the end - Fantastique de beauté désespérée !

    z7952american.jpg

    Paru en 1998, American Water est avec Starlite Walker l’autre grand album des Silver Jews. David Berman propose une fois encore cet admirable mélange de désaille et de présence tutélaire. Il chante «Random Rules» du fond de son vieux baryton. Puis avec «Smith & Jones Forever», il fait monter son Smith & Jones dans le forever. Mais c’est avec «Night Society» qu’il fait basculer le destin de l’album. Les Jews profitent de cet instro pour silverer à bonne allure. On tombe plus loin sur un «People» assez jouissif et très pavementier. David Berman semble régner sans partage sur l’empire de la désaille. Avec «Blue Arrangements», il vise le junk de funk ultra titubé en grattant des accords d’arrière boutique du groove. Retour à la décadence avec «We Are Real», nec plus ultra de l’underground, my friend. Il chante à l’intimisme de l’haleine chaude, c’est Dylan on the solace d’all my lovers could say - Et il ajoute la main sur le cœur : «We are real to me, oh yeah.» La classe de la désaille ! En fait, David Berman plante ses choux dans l’underground, avec des manières d’une sidérante élégance. On le voit multiplier les incartades, il rend hommage à la mort dans «Like Like The The The Death» - Awite, could be anyone - et chute avec un nobody cares de la pire espèce. Et voilà l’énormité tant espérée : «Buckingham Rabbit». Il attaque son lapin dans le dur. Berman est un vieux mineur, il creuse profond. Il joue des atonalités stupéfiantes, il fait sonner des accords underground dont personne n’a jamais entendu parler. Il nous fait encore le coup de la fantastique allure, c’est gratté dans l’ombre avec une certaine violence. Il termine avec «The Wild Kindness». Il y va sans discuter. Il se montre encore une fois aussi balèze que Lou Reed. Il sait créer la sensation de voix grave. Une fille se joint à lui et tout grimpe dans la stratosphère. C’est ultra-joué aux guitares et désespérément bon.

    z7954bright.jpg

    Attention, Bright Flight calme le jeu. Il chante son «Slow Education» d’une voix chaude de mineur du Yukon. Puis il pianote «Room Games & Diamond Rain» sur les pourtours de la pourlèche. En fait cet album ne propose aucun stand-out track. On pourrait presque le qualifier d’album pépère. David Berman ne cherche plus à créer la sensation. Il laisse ça aux collègues. Il préfère se jeter dans le désespoir et en mourir («Time Will Break The World»). Il propose ensuite un «I Remember Me» assez bien ramassé, basé sur le vécu, comme tous ces trucs américains. Il continue de cultiver son art avec une rare intensité. C’est avec «Horseleg Swastikas» qu’il exprime le mieux son mépris de la vie - And I wanna be like water if I can/ Cause water doesn’t give a damn - C’est du heavy Berman joué aux guitares stellaires dans l’ouate d’une mort underground. Puisqu’on parle de la mort, voici «Transylvania Blues». Ces mecs ont du talent, mais en même temps, il n’en ont absolument rien à foutre. Vas-y joue ! Il salue le Tennessee dans «Tennessee» - Come to Tennessee/ You’re the only teen I see - Ça chante au sucré - Because the dead do not improve - Impossible d’échapper à l’empire de cette classe.

    z7955tanglewood.jpg

    S’il est une chose que David Berman ne soigne pas, ce sont les pochettes. Tanglewood Numbers illustre bien cette désinvolture graphique. Pour Bright Flight, il photographiait un coin de canapé. Pour Tanglewood, il photographie les étagères d’un bar. Il opère un beau retour à la décadence avec deux titres, «Animal Shapes» et «How Can I Love You If You Won’t Lie Down». Il joue le premier au banjo jovial, on peut même parler de Silver groove car on retrouve cet art du débraillé qu’il cultivait si bien sur son premier album. On s’en épate à n’en plus finir. Et dans le deuxième, il ramène tous les chœurs de bayou du monde. Il s’éclate au Sénégal avec sa copine de cheval. Ce fantastique chanteur nous bluffe une fois de plus avec «Sleepy Is The Only Love». Il entre dans le chaud du cut et se montre d’une justesse de ton imparable. Si ce diable de David Berman débarque dans ton salon, t’es foutu. Il va imposer sa présence. Il ramène avec «The Farmer’s Hotel» le plus beau croon de l’underground. C’est terrifiant de glamour trash. Il devient une sorte de Lou Reed de la désaille. «Punks In The Beerlight» s’impose avec un joli son de la ramasse. On peut même parler de belle présence d’action directe. C’est un son décidé, qui fait le choix du pas en avant - I love you to the max ! - Il en est tellement convaincu qu’il le répète plusieurs fois. Ce diable de Berman chante sa pop avec de la chaleur plein la bouche. Il boucle ce très bel album avec un «There Is A Place» terriblement en place. David Berman sait coincer un cut dans un coin pour le faire parler. Les Silver Jews brillent au soleil fané d’un vieil underground, mais ils brillent avec tact, avec un certain aplomb et une vraie stature. David Berman chante son stomp sans aucune illusion, mais il est bon. Il fait partie des gens les plus précieux, les empêcheurs de tourner en rond.

    z7956mountain.jpg

    Le dernier album des Silver Jews s’appelle Lookout Mountain Lookout Sea et date de 2008. Énorme album. Rien qu’avec «Suffering Jukebox», la partie est gagnée. C’est une pop de chœurs de filles - Suffering jukebox in a happy town - Merveille extraordinaire que ce suffering jukebox in a happy town, les filles explosent la classe du suffering jukebox. Tout aussi énorme, voici «Strange Victory Stange Defeat». David Berman chante sous le boisseau de la meilleure pop américaine. Il sonne comme un héros. Il sait allumer une pop-song. Le festival se poursuit avec «Open Field» qu’il attaque avec toute la classe rock’n’roll des motel rooms du Nara Motel. Il redéfinit tout simplement l’apanage de la good time music. Ce mec ouvre d’incroyables horizons avec une simplicité de ton à couper le souffle et les filles n’en finissent plus de clamer leur open field. Cet album regorge de richesses. David Berman s’impose dès le premier cut, ce «What Is Not But Could Be If» de fantastique ampleur. Il va droit au but - So how we do get out of this ? - Les relances sont des merveilles paradisiaques. C’est plus fort que lui, David Berman ne peut pas s’empêcher de créer de la magie - It’s just beginning - À l’écoute de «My Pillow Is The Treshold», on comprend que ce mec est béni des dieux, tellement il dégouline de grâce. Avec «San Francisco BC», il part en délire à la Lou Reed, en mode heavy talking. Il brosse le portrait d’une société. Il peut réciter des poèmes fleuves comme Léo Ferré. Il se révèle encore un attaquant d’exception avec «Candy Jail». Encore une fois, il n’est pas loin de Lou Reed, mais il amène un truc en plus.

    z7957purple.jpg

    Après la disparition des Silver Jews, Berman monte Purple Mountains et a tout juste le temps d’enregistrer un album avant de casser sa pipe en bois. L’album est hautement recommandable, et ce pour deux raison fondamentales : la première porte le doux nom d’«All My Happiness Is Gone», et quand Berman dit ça, il a tout dit - Il n’y a plus de bonheur en moi - C’est nappé d’orgue, que de luxe, que l’opulence dans le désespoir ! Il respire à peine - All my happiness is gone/ It’s all gone/ Somewhere beyond/ All my happiness is gone - Seul Léo Ferré peut rejoindre cette dimension du néant absolu avec «La Mélancolie». Berman n’en finit plus de se vautrer dans la pire merveille inimaginable - It’s not the purple hills/ it’s not the silver lakes - Sa rengaine lui vient du ventre, comme une boule - Everywhere I go/ I know my happiness is gone - Berman dispose d’une vision aussi puissante que celle de Lou Reed. L’autre raison fondamentale s’appelle «She’s Making Friends I’m Turning Stranger». Comme il décide de devenir Dieu, il le devient grâce à un couplet demented - She is making friends/ I’m turning stranger/ And the people on hit end/ Couldn’t make it plainer - Il atteint à la beauté suprême - I’m a loser/ She’s a gainer - On croit entendre l’orgue de Dylan, pure magie. Les autres cuts frisent la resucée de Silver Jews, comme par exemple ce «Darkness And Gold» mâché dans le bas de la bouche. Il s’arrange toujours pour développer un sacré pathos. «Snow Is Fallling In Manhattan» reste heavily bermanien, il tape son snow au aw, il fait du pur Lou Reed, le tempo est réglé sur la chute de neige, tempo léger et irrémédiable. Il emmène ensuite «Margaritas At The Mall» à bonne allure, c’est à la fois puissant et extrêmement écrit - We’re only drinking margaritas at the Mall/ That’s what this stuff is about after all - Il gère son «Nights That Won’t Happen» au clair de la lune, il chante au suffering, il conduit sa pop comme une petite bagnole à travers la campagne, on l’adore, pour sa pureté et sa puissance. Il rend son dernier souffle avec un «Maybe I’m The Only One For Me» tout aussi déterminant, d’autant plus déterminant qu’il s’agit de son ultime chanson avant le suicide. Il chante comme un beautiful crack - I always had a hunch/ I would crumble in the crunch - Berman se pose la vraie question - Peut-être n’étais-je fait que pour n’aimer que moi.

    Signé : Cazengler, silver jus

    David Berman. Disparu le 7 août 2019

    Silver Jews. Starlite Walker. Drag City 1994

    Silver Jews. The Natural Bridge. Drag City 1996

    Silver Jews. American Water. Drag City 1998

    Silver Jews. Bright Flight. Drag City 2001

    Silver Jews. Tanglewood Numbers. Drag City 2005 dorfkonsum 5,50

    Silver Jews. Lookout Mountain Lookout Sea. Drag City 2008

    Purple Mountains. Purple Mountains. Drag City 2019

    Andrew Perry. Strange victory strange defeat. Mojo # 312 - November 2019

    Bob Nastanovich. He always made me laugh. Uncut # 270 - November 2019

     

    Wildhearts of gold - Part One

    z7940dessinwild.gif

    Inespéré : les Wildhearts débarquent à Paris ! Il n’existe rien de plus culte en Angleterre que les Wildhearts. Un groupe aussi légendaire que celui-là devrait remplir l’Élysée Montmartre à ras bord, mais pour une raison qui échappe à toute logique, ils se produisent dans une petite salle un peu plus haut sur le boulevard, au Backstage By The Mill, ainsi nommée pour sa proximité avec le Moulin Rouge. L’accès de la salle se trouve au fond du pub O’Sullivan. Il n’y aura donc pas foule, mais ce qui va faire la qualité du set, c’est le côté trié sur le volet du maigre public : ce ne sont que des fans, ce qu’on appelle en Angleterre des die-hard fans, des purs et durs qui portent les sweaters et les T-shirts aux couleurs des Wildhearts. C’est une ambiance de rêve, comme on en connut autrefois, lorsqu’on se retrouvait immergé dans des premiers rangs gorgés de fidèles parmi les fidèles. Ça papote sec et tout le monde ne parle que de ‘Ginge et des Wildhearts sur scène, combien de fois, quand, où, comment, l’essaim bourdonne et l’excitation croit au fil des minutes d’attente. Un excellent groupe parisien fait les frais de la première partie, The Dead Pop Club, mais ne rêvons pas, les gens sont là pour Ginger et son équipe de vétérans extraordinaires.

    Ils arrivent enfin sur scène : Ginger, CJ, Danny McCormack et Ritch Battersby. L’apparition des Wildhearts vaut largement toutes les grandes apparitions, celles de Motörhead, des Heartbreakers, des Mary Chain ou de Jerry Lee. On parle ici de monstres sacrés.

    z7944photo4.jpg

    Ce qui frappe le plus chez Ginger, c’est sa grosse tête, couronnée d’une extravagante crinière de dreadlocks. Il joue sur une guitare noire de metaller et porte un perfecto, des tatouages et des badges à gogo. Sur scène, Ginger opte pour l’extrême concentration et raréfie les contacts visuels avec le public. Il se relâchera en fin de set lorsque des bonnes âmes lui proposeront des verres de Jack pour le désaltérer.

    z7941photo1.jpg

    À sa gauche se tient de façon inespérée Danny McCormack, rescapé d’une amputation de la jambe droite. Il tient debout, c’est sûr, mais il doit parfois poser son cul sur un tabouret. Il est le bassman anglais par excellence, présent, dense, épais et Wildheart de la première heure. Les rares fois où il sourit, on voit de jolis trous dans sa dentition de pirate. Il porte sur le public un regard d’une profonde fixité. McCormack est lui aussi un héros, tous ceux qui connaissent l’excellent Uppers And Downers des Yo-Yos se prosternent jusqu’à terre devant lui.

    z7976photo6.jpg

    De l’autre côté de Ginger se dresse CJ, son autre bras droit, tout aussi vétéran des Wildhearts de la première heure, un CJ chapeauté de frais qui gratte sa red gratte bas sur les genoux et qui complète l’infernale riffalama de Ginger.

    z7943photo3.jpg

    Dès le «Diagnosis» d’entrée en matière, ça blasticote dans les brancards. On retrouve cette petite bombe sur leur dernier album, l’implacable Renaissance Men. Ils enchaînent avec un «Let ‘Em Go» tiré du même endroit. Il semble que les Wildhearts atteignent la vitesse de croisière des groupes bien rodés, mais certains objecteront qu’ils naviguent déjà au sommet de leur art depuis vingt ans, ce qui n’est pas faux, d’autant qu’ils enchaînent avec «I Wanna Go Where The People Go», ce hit interplanétaire tiré de P.H.U.Q et qui reste aux yeux et aux oreilles des fans de la première heure le grand album classique des Wildhearts. «I Wanna Go Where The People Go» vaut n’importe quel hit des Beatles ou des Mary Chain, ce hit développe une effroyable puissance mélodique, un souffle magique qui se glisse sous la peau et qui provoque ces frissons tellement indispensables à la vie. Alors bien sûr, on bascule dans le surréalisme à les entendre jouer Wanna Go.

    z7945photo5.jpg

    Ils vont tirer deux autres merveilles de leur vieux Fishing For Luckies : «Sick Of Drugs et « Red Light Green Light». L’autre moment surréaliste du set est la résurrection de l’immense «Vanilla Radio» tiré de The Wildhearts Must Be Destroyed. Même chose : ils défoncent la rondelle des annales à coups de powerhouse mélodique. C’est aujourd’hui un son unique en Angleterre. Les Wildhearts sont les seuls à proposer cette miraculeuse mixture de pop anglaise et d’overdrive de power surge. C’est d’ailleurs le problème : les étiqueteurs ont fini par les classer dans le rayon hard-rock, alors qu’ils n’ont rien à faire dans cette fâcheuse compagnie.

    z7942photo2.jpg

    Les Wildhearts tirent aussi «The Jackson Whites» de l’excellent Chutzpah et terminent leur set palpitant avec l’«Action Panzer» qu’on peut trouver sur la compile Coupled With, une compile qu’il faut considérer comme indispensable, puisqu’elle rassemble tous les grands singles des Wildhearts. En rappel, ces démons vont blaster l’effarant «My Baby Is A Headfuck» tiré d’Earth Vs The Wildhearts, un cut que Mick Ronson rendit mysthique, pas seulement parce qu’il y joue un solo d’antho à Toto, mais aussi parce que ce solo fut le dernier de sa vie. Ronno allait mourir aussitôt après.

    z7947photo.jpg

    S’il est un conseil qu’on peut donner aux amateurs de grand rock anglais, c’est d’écouter l’excellent Renaissance Men qui vient de paraître. Depuis vingt ans, les Wildhearts collectionnent les grands albums, mais celui-ci semble encore monter d’un cran, tellement il est bourré de son et de purs moments d’hystérie collective. Le stand-out track est ce fameux «Let ‘Em Go» balancé sur scène comme une bombe sur le Japon, car il sonne tout simplement comme un hymne. C’est le pouvoir du grand Ginger que de savoir composer des hymnes rock. Il sait propulser sa power-pop comme une fusée à travers le cosmos. Ah il fallait voir les fans sauter en l’air avec les bras tendu et reprendre en chœur cet excellent Let ‘Em go ! - Go find your own way home/ Go find your own way home/ Find your own way - Le son semble se dégager du cut en de gros volutes ambitieux. Ils reprenaient aussi «Dislocated», le brûlot qui ouvre le bal de l’A. Dès les premiers accords, on sent nettement l’énergie des invaincus - All the while the enemy was just/ Around the corner - Ces mecs jouent the blast furnace forever. Ginger fait partie des gens incapables de se calmer, ce n’est même pas la peine de lui poser la question. Cette fois, il frise l’apoplexie marmoréenne à la Killing Joke, tout l’espace du cut est bombardé de son et les canards boiteux ont intérêt à se trisser vite fait. Ginger vise ici l’extrême explosif et il finit en apothéose harmonique wildheartienne. Tout homme normalement constitué doit tomber sur le cul. Et quand on entend «Dislocated», il faut bien comprendre que Ginger n’a fait que ça toute sa vie et qu’il ne sait faire que ça, et qu’il n’est pas question de lui demander de faire autre chose. Il est le pendant mélodique de Lemmy. Même genre de carrure, même vision d’un son, même prodigieuse aisance à l’incarner. Les Wildhearts ouvraient leur set avec l’infernal «Diagnosis» qui boucle l’A : ils jouent ici la carte de l’extrême démolition riffique. C’est effarant et comme si ça ne suffisait pas, Ginger nous achève avec un final éblouissant, l’une de ses grandes spécialités. On trouve encore deux coups de maîtres sur cette A demented : «The Renaissance Men» et «Fine Art Of Deception». Ils jouent le premier au tiguili de CJ/Gingerama avec des chœurs pris dans la nasse de la rascasse - Arriba ! - Ginger chante dans l’âme même d’une borderline sonique. Pour comprendre ce que ça veut dire, le seul moyen est de l’écouter chanter dans l’âme de sa borderline sonique. On peut parler ici d’énergie de la densité sensitive. Les Wildhearts passent ensuite «Fine Art» à la rôtissoire de l’intensité mirifique, ils filent à une fantastique allure. Ginger entre en lévitation pour soloter, c’est du très grand art et derrière, les deux autres bombardent le cœur du nucléus productiviste avec un acharnement inquiétant. Rien qu’avec l’A, on se sent groggy. Tellement de son, tellement d’aventures, tellement de perfection ! Que peut-on attendre de plus d’un disk de rock ?

    Z7948RENAISSANCE.jpg

    Une B du même acabit ? Alors voici l’acabit d’Aqaba, comme dirait Lawrence d’Arabie. Ouverture du big ball de B avec «My Kinda Movie», ultra pulsé par Ritch Battersby le mangeur de bananes et on assiste à un vroomage de power-quartet mixé à des coulées de lave en creux de cratère. Avec les Wildhearts, les choses finissent toujours par basculer dans une sorte d’excès protéiforme, un capiteux mélange de magie, d’harmonie et de power. Ce que vient confirmer «Little Flower», une pop qui semble dévorer le cœur de la vieille Angleterre. Ginger s’entoure d’une masse sonique absolument extravagante et l’ineffable Danny McCormack pilonne pesamment son bassmatic. Ils terminent cet album hors du temps et des modes avec «My Side Of The Bed», véritable émulsion de power-pop touffue et radieuse, gorgée de son jusqu’à la nausée, puis voilà «Pilo Erection», fantastique camouflet en forme de fin de non recevoir - I’ll be there waiting/ Pilo-erect ! - Comme le disait si bien Jerry Lee, follow that, niggah !

    z7949vivelerock.jpg

    C’est encore Vive Le Rock qui sauve les meubles en Angleterre en consacrant six pages aux Wildhearts. Guy Skankland s’assoit en face et tend son micro. Ginger tient très vite à affirmer que les Wildhearts sont devenus une famille, à force d’en voir des vertes et des pas mures - We got through so much - se plaît-il à répéter. Il revient aussi longuement sur le retour inespéré de Danny McCormack dans le groupe, après dix ans d’errance dans le junk, tout son matos vendu, des journées passées au lit, gouching out on the couch. Ginger se marre, car Danny est devenu la mascotte du groupe - An hour on stage with him and I feel a sense of pride - Il dit sa fierté de se retrouver sur scène avec son vieux Danny boy. Et comme on lui a coupé une patte, les Wildhearts sont devenus the seven-legged rock’n’roll machine, une formule assez drôle qu’on peut lire au dos des nouveaux T-shirts du groupe. Ginger tient aussi à préciser que Renaissance Men est un album enregistré live en studio et chacun des cuts doit pouvoir être joué sur scène - If we can’t play it live, fuck it - Il reste persuadé que les fans veulent de bons albums des Wildhearts - They want a roaring to fuck album - Dans la foulée, il ajoute qu’il n’aime pas le mot fan. Il préfère ‘community’. Il donne d’ailleurs une combine : pointe-toi au bar en portant un T-shirt des Wildhearts, et les contacts se feront très vite, comme au temps de Motörhead. Ginger rappelle que ce fut toujours un honneur pour lui que de porter un T-shirt Motörhead. Il parle d’une notion en voie de disparition, qui est la loyauté for your favorite bands. Voilà les deux mamelles des Wildhearts : community and loyalty. Skankland tente de les piéger : «Avez-vous vu The Dirt, le biopic consacré à Motley Crüe ? Croyez-vous qu’on puisse espérer un biopic consacré aux Wildhearts ?» Ginger saute en l’air : «I fucking hope not !» Jamais de la vie ! Et il ajoute en ravalant son dégoût : «Ils sont actuellement en train d’en faire un autre sur les Pistols, et après ils vont en faire sur Poison et Bon Jovi !» Ginger s’en prend violemment aux gens qui font appel aux producteurs à la mode, au ‘in’ video guy ou au big management company. « We’ve always fucking hated that and walked away from that era !» On a toujours détesté ces pratiques puantes. Mais les gens des maisons de disques interpellent les Wildhearts : «Tous les autres font un biopic, pourquoi n’en faites-vous pas un ?» Ginger écrase son verre dans le creux de sa paume et bave de rage : «That’s exactly why we don’t want to fucking do one !» Il préférerait un docu. À condition d’avoir le bon angle. Mais il répète qu’il n’y a rien d’exceptionnel dans l’histoire des Wildhearts - We never really had a big success, we were quite a popular underground type of band - On n’est qu’un modeste groupe underground qui n’a jamais eu de gros succès. Cette humilité vaut tout l’or du monde. Ginger et ses amis comptent parmi les derniers géants de la vieille Angleterre.

    Signé : Cazengler, wildbeurk

    Wildhearts. Backstage By The Mill. Paris XVIIIe. 26 octobre 2019

    Wildhearts. Renaissance Men. Graphite Records 2019

    Guy Skankland. Born to raise hell. Vive le Rock # 63 – 2019

    De gauche à droite sur l’illusse : CJ, Ginger, Ritch Battersby et Danny McCormack.

    12 / 11 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    OMETEOTL / JARS

    Retour à la Comedia. Trois semaines à courir de-ci de-là, que voulez-vous les rockers ont des vies trépidantes, mais ce soir ce sont les Jars, des oisons particulièrement sauvages, et puis pour citer Long Chris, quand l'aigle est blessé ne revient-il pas vers les siens ! C'est beau, même si l'on est en pleine santé.

    OMETEOTL

    z7914logoome.jpg

    Méfions-nous des apparences. Au premier abord, rien de plus simple, trois gars sympas, le trio de base : basse, batterie, guitare. Au deuxième, toujours les trois éléments basiques et encore trois sympathetics guys. L'on pourrait en rester-là. Pour faire bonne mesure nous ajouterions qu'ils n'ont pas joué indéfiniment, pas assez longtemps, et l'on classera leur musique dans la catégorie prog-évolutif. Evolutif, c'est très bon, le terme par excellence qui ne veut rien dire et tout sous-entendre. Ne serait-il pas temps de passer aux choses sérieuses.

    Justement les choses sérieuses c'est ce à quoi s'intéresse Ometeotl. Déjà, rien que le nom – essayez de le recopier du premier coup sans commettre une faute d'orthographe – fleure bon la fleur de peyolt, le Mexique, Artaud et Castaneda. Mais leçon cela, trop littéraire, trop hippie, même s'ils ont les cheveux longs. Peut-être vaudrait-il mieux regarder du côté d'un François Schuiten et ses mondes ( im)parfaits, d'autant plus étranges que ce dessinateur reste obsédé par la structure du cercle à tel point que son œuvre graphique s'efforce de représenter notre monde cubique – entendez par là les architectures dans lesquelles nous vivons, mais aussi ce qui dénote déjà une réflexion plus poussée, le parcours de nos existences - sous forme de cycles répétitifs. La musique possède cette supériorité par rapport au dessin qu'elle se déploie sous une forme volumique, autrement dit, elle tend à exprimer non pas platement la quadrature du cercle mais la cubiciture de la sphère. Bref nous sommes plus près de Parménide que de l'ésotérisme de pacotille, de babacotille.

    z7915lézardsome.png

    Est-ce un hasard si une des trois seules images que nous trouvons sur le FB ometefuckinotl du groupe est un dessin de M. C. Sheters, qui a passé sa vie à dessiner des mondes impossibles dans lesquels toute forme au pire en engendre une autre – très souvent métaphoriquement son antithèse, exemple des poissons qui ne sont que des oiseaux et vice-versa – et au mieux se perd dans un espace vide que ne sous-tend aucun espace. Mathématiquement parlant, un élément vide est-il un élément ou pas. Etre ou ne pas être. Ne vous prenez la tête, envoyez chier ce genre de problématique aussi vicieuse qu'une bande de Möbius. La troisième image de leur galerie n'est-elle pas un zéro de o ? Nullité absolue ou perfection divine ? A vous de choisir.

    z7934zero.png

    En attendant sont trois sur scène. Z'ont profité de la balance pour jouer. Longuement. Pas une répétition. Une approche. Et maintenant les voici. La chose choque. La musique est complexe mais les morceaux sont courts. Un peu comme s'ils se contentaient de poser le problème mais se refusaient à le résoudre. Beaucoup comme si ce n'était que des fragments destinés à se rejoindre plus tard. A work in progress. Florian est à la basse. Z'ont un satané boulot à accomplir. Deux moteurs, Damien à la batterie et Jonah à la guitare. Une tâche ardue, chacun joue sa partie mais doit faire attention à ce qu'elle s'imbrique dans celle de l'autre. Quand ils ne peuvent plus, lorsque la fusion devient impossible, le morceau s'arrête, une armée qui ne peut pénétrer plus avant dans le corps de l'ennemi. Florian, le visage protégé par le rideau de ses cheveux noirs – les deux chevelures de ses camarades tirent vers le blond – s'occupe de la logistique, fait en sorte que les deux autres puissent avancer, il glisse sous leurs pas de conquérants de l' inutile inconnu comme des éléments d'un pont mobile lancé sur le vide. Ne croyez pas qu'ils produisent une musique intellectuelle et ennuyante à la manière d'un certain jazz moderniste déconnecté de toutes ses racines, non ils restent dans la chaleur du rock'n'roll, les titres parlent d'eux-mêmes, Point G, Wild Womans, Mojave baby, Phallic Power, le zéro focal et orgasmique se résoudrait-il en l'orifice du sexe yonique.

    Un déploiement sonore qui semble aller droit devant, mais si vous prêtez l'oreille vous vous apercevez que la ligne droite s'incurve et peu à peu vous enferme puis paraît se clore selon elle-même en un cercle, mais c'est plus subtil que cela, la batterie cogne à l'intérieur de la concavité pour l'empêcher de se refermer, et la guitare oscille à cloche-pied, un jeu de gamin qui s'oblige à ne jamais poser le pied sur les dalles rouges de l'esplanade éparpillées aléatoirement sur la surface grise du ciment, difficile tentative de traversée qui pour être victorieuse nécessite un surcroît d'efforts et réflexions, ce n'est pas la gamme qui est augmentée, mais la réalité virtuelle des structures sonores engendrées par la créativité phonique dont le tourbillonnement est conçu en tant que géométrie appliquée de diffractions spiraliques catastrophiques. Il est des musiques qui se font entendre mais celle d'Ometeotl se doit d'être écoutée. Un groupe à suivre.

    JARS

    z7935tournéejars.jpg

    Il est des instants de vérité. La semaine dernière ( voir notre précédente livraison 438 du 14 / 11 / 2019 ) nous avions écouté avec ravissement – l'emploi de ce terme terme restera incompréhensible chez les mozartiens – deux de leurs opus. Restait à savoir s'il irradiaient sur scène d'une aussi grande intensité. La réponse ne s'est pas faite attendre. Du phosphore pur. Qui s'enflamme à l'air souillé de notre monde de par ses seules qualités intrinsèques. Mais celui-là nous fait le coup du phénix qui brûle mais qui ne s'éteint pas. Un feu inextinguible qui n'a pas besoin de renaître de ses cendres. Toutefois vous avez un avant : les trois gars Anton, Vova et Sasha S, de tranquilles garçons derrière leurs instruments. Et puis un après. N'essayez pas de savoir, il est trop tard. Bombardement atomique. Explosion nucléaire. Libération d'énergie pure. Destruction de la planète. Trois fous furieux sur scène. Dans la fournaise de l'action. Si vous voulez tout voir ouvrez votre troisième œil, celui de la folie.

    Ne les nommerai plus par leur prénom, leur attribuerai désormais l'algorithme générique et indivis de chatouny, ces ours fous que l'hiver russe n'arrive pas à endormir, alors ils errent dans les forêts désertées, habités d'une immense fureur, sans doute la cervelle encombrée d'un rêve trop grand pour le contenir. Qui les dépasse et les enjoint de marcher sans trêve dans le but de réveiller et de détruire le monde des hommes enfoncés dans une servitude volontaire.

    z7936jarsmoscou.jpg

    Chatouny est à la basse. Jamais vu, jamais entendu un tel bassiste enragé. Une bête malfaisante qui tourne en rond dans sa cage, incapable de rester immobile une demi-seconde, monopolise l'espace devant la scène pour lui tout seul, personne ne s'y risquerait, un fauve enragé, quant à ce qui sort de sa basse, des dégelées de riffs, des cascades dégringolées de notes qui vous donnent l'impression que l'on s'amuse à vous racler à l'aide d'une machette rouillée la chair qui entoure vos os, une inédite collection de bruits inaudibles, caressez-vous la trachée artère avec un hérisson, les plus courageux utilisez un porc-épic, une virtuosité qui rappelle celle d'un Django qui aurait abandonné le picrate à 9° bien de chez nous pour ne boire que de la nitroglycérine pure des nihilistes révolutionnaires russes. Imaginez le désastre. Ce mec me force à inventer le concept de noise-philharmonic. Tout ce que n'avez jamais voulu ouïr, vous est révélé sans votre accord.

    Chatouny est à la lead. A lui tout seul il fait plus de bruit que le Blue Öyster Cult. Comme il ne peut pas décemment dire ''doucement la basse'', faut qu'il sorte ce qu'il a de meilleurement plus horrible à disposer sous le sapin de Noël. Pas de problème, il a de la ressource. Ce n'est pas au choix, livre en vrac, les derniers jours de Pompéi, la chute de l'Empire Romain et l'explosion du volcan de Santorin qui envoya l'Atlantide dans les bas-fonds de l'océan, rajoute même Hiroshima mon amour, histoire de se faire comprendre par ceux qui ont des lacunes en histoire antique. L'accompagne le tintamarre de la voix, c'est du Russe on ne comprend rien, mais à la vigueur avec laquelle il articule ses oukases borborygmiques on intuite tout de suite qu'il annonce tempête force mille dans son bulletin météo. L'a de ces accélérations cordiques que l'on n'y croit pas, que l'on doit cauchemarder, qu'il a acheté une guitare spéciale fin du monde, il ne s'en servira pas longtemps car au train où il gronde, il ne la gardera pas longtemps, ne reste plus grand chose à détruire par ici.

    z7937jars.jpg

    Chatouny est à la batterie. Oubliez les deux précédents. Celui-ci avec ses cheveux blonds, un champ de blé ukrainien, a ouvert le concert. Vous a asséné trois coups définitifs sur sa caisse claire, à faire bouger le plancher, à faire trembler la Tour Eiffel, à faire s'écrouler la tour de Pise, à faire vaciller les élites de son pays. A-mi concert, il quittera sa machine drumique et pendant que ses acolytes firent silence, il nous parlera en anglais de la répression policière en Russie. Pas triste. Pour les curieux rendez-vous plus bas pour la traduction de son appel. Vous comprendrez que la violence musicale du groupe n'est pas gratuite, il ne s'agit pas d'une stérile surenchère hors de tout propos, qu'elle est articulée sur la situation d'une jeunesse sacrifiée par son Etat. Cette musique ne tend pas la joue droite quand on la gifle sur la bajoue gauche. S'agit de rendre coup sur coup. Alors Chatouny retourne sur son siège et il reprend ses foudroyantes jonchées d'orages secs. Le craquement des chênes que l'on abat pour le bûcher d'Hercule s'accumule dans vos tympans, vous êtes emporté en un tournoiement infini, la grande roue du monde grince horriblement, elle quitte son support et s'écrase en flammes sur le confort de vos certitudes.

    Lorsque le groupe s'arrête, vous avez du mal à recoller avec la sordide réalité de votre présence. Une lourde minute de silence s'installe en l'honneur des survivants dont vous faites partie. Jars vous a mis en boite. Espérons que vous pigerez la démonstration, que ne finirez pas sur le haut de l'armoire, sagement aligné, avec les bocaux de confiture des grands-mères. Le punk russkof ne donne pas dans le dérisoire futile. Il préfère les routes de l'affrontement. A méditer.

    Damie Chad.

     

    14 / 11 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    ALICIA F ! / LES VIEILLES PUTES

    THE LECHERS

    z7917affiche lechers.jpg

    La Comedia c'est comme les petits beurres, une fois que vous en avez croqué un, vous craquez le paquet en entier. Donc re-retour. Deuxième concert d'Alicia F, en plus derrière vous avez du lourd chevronné, un quarteron de Vieilles putes, connaissent parfaitement leur métier, et un groupe d'Irlandais, des têtes dures par excellence.

    ALICIA F !

    z7926aiciaseuleseloin.jpg

    Epaule dénudée, t-shirt Fuck Cancer, bottes lacées qui n'atteignent pas le genou, bas résillé bientôt auréolé d'un trou de chair zone de perdition au-dessous du tatoo, chaînes d'argent épigastriques, et surtout ce recueillement, cette écume sur les lèvres entrouvertes d'un sourire amusé presque intérieur, une gamine qui médite un sale coup. Celui de s'offrir corps et âme pour une heure de jouissance extrême aux démons du rock'n'roll.

    z7927tous.jpg

    Elle attend. Pas longtemps. De sa guitare en V, de son trident poseidonesque, Tony Marlow harponne sans préavis le riff, le monstre se défend, il gronde et grogne de fureur, Fred Kolinski lui assène de violentes tabassures sur la tête à lui briser l'occiput, c'est bien la baleine blanche, le cachalot maudit du rock'n'roll qui vient de surgir de ses plus profonds abysses, il ouvre sa gueule pour briser l'équipage de malotrus qui s'est aventuré à le réveiller, Fred Lherm a beau lui jeter des lignes hérissées d'hameçons dans le gosier grand ouvert afin de lui arracher les entrailles, il n'y prend pas garde, c'est vers la statue silencieuse d'Alicia qu'il se tourne, afin de la happer d'un seul coup de mâchoire meurtrier.

    z7921alicia+fred.jpg

    Il ne l'aura pas. C'est lui qui va se faire avoir. La sirène était une tueuse. Une carnassière. Elle vous le mord, à pleines dents, à plein gosier, un nuage de pourpre enrobe les deux combattants, qui saigne-là parmi les étoiles de mer obscure, c'est la lymphe menstruelle de la féminité, Monthly Visitors qui vous submerge, le sang du taureau mithraïque qui s'écoule dans la fosse, vous asperge, une ondée bienfaisante qui revivifie vos forces exténuées. Alicia déchaînée. Elle ne bouge pratiquement pas. Juste quelques gestes, quelques poses, des effets de glaciations subites qui figent dans vos prunelles sa silhouette pour l'éternité, mais la voix, braquée sur vous, une montée incandescente de lave, un lac de feu, une fleur rougeoyante de volcan, qui vous regarde comme l'œil menaçant d'un cyclope que ravage un flot de haine. Vous n'avez qu'une envie, c'est de sauter à pieds joints dans cette marée incoercible de sang irascible et de vous fondre en ce feu régénérateur.

    z7923basse.jpg

    Ne soyez pas dupes, le rock'n'roll est comme le dieu Janus, une face tournée vers les grandioses réminiscences légendaires du passé et l'autre accueillante selon la présence guerroyante du monde. Alicia vous conte The city of broken dreams, la guitare de Tony flambe, Kolinski concasse sans remords vos rêves et Lherm exhale de sa basse de lourds nuages de poussières empoisonnées, subitement la musique s'est faite symphonique et la Diva vous enlace dans des arabesques vocales qui s'enroulent autour de vous avec la force de lianes carnivores décidées, par l'entremise de leur mille points de succions extatiquement douloureux, à aspirer votre âme. Alicia vous la rendra, clouée des mots de vos désastres les plus intimes que plus jamais vous ne prononcerez, mais qui suinteront en vous, inguérissables et éternelles blessures.

    z7924alicia+tony.jpg

    Love is like a switchable, l'esprit n'est jamais loin de la chair, Alicia glisse sa main en son entrecuisse, d'un geste frauduleux elle caresse son sexe – à ses côtés les musiciens deviennent fous – et très vite elle ressort sa fine menotte magnifiée d'un doigt d'honneur – le public ondoie sous l'outrage – la voici métamorphosée en l'androgyne mythique qui se suffit à elle-même, qui nous fait l'aumône de son fabuleuse apparition parmi nous. Elle est miroir, glauque lumière, qui nous renvoie le reflet de notre fan attitude, de notre incomplétude de midinette assoiffée d'une réalité dont nous nous complaisons à ne jamais franchir le fossé abîmal.

    z7922marlowdedos.jpg

    My no-generation, depuis son origine le rock'n'roll trimballe le regard désabusé de l'adolescence qui sait qu'elle est l'ultime fleur fraîchement éclose du genre humain, vouée à se faner. L'acmé d'un animal destiné à dépérir longuement tout le reste d'une longue existence qui ne retrouvera jamais son heure de gloire. Le complexe d'Hamlet. Alicia assène les mots parmi la tonitruance orchestrale, nous sommes tous les enfants d'une génération éperdue.

    z7928aliciaseulmicro++.jpg

    Un set magnifique, Alicia en prêtresse iconique, soutenue par trois musiciens endiablés, elle a rivé l'assistance à ses lèvres, nous a enchaînés tels de minuscules prométhées à l'écrasante grâce de sa présence. Ce soir l'on a effleuré l'essence du rock'n'roll. Ne nous laissons pas submerger par l'émotion, les contes les plus noirs d'Edgar Poe sont parcourus d'éclats de rire grimaçants. Terminent sur Le diable avec toi, le Shakin'All Over de Johnny Kidd en français, version sixties des temps d'innocence perfide du rock'n'roll.

    ( Ces pics sont-ils de David Costa

    Ou de Myriam Guilmard Costa ?

    je ne sais pas, en tout cas

    pas de leur chat )

    LES VIEILLES PUTES

    z7931dessinvieillepute.jpg

    D'habitude elles tapinent vers Montpellier, mais pour des professionnelles comment résister à l'attrait de la région parisienne. Un petit point grammatical s'impose, malgré notre pronom personnel au féminin pluriel, il vaudrait mieux dire '' ils'' car les Vieilles Putes comptent en leur rang plus de gars que de gals. Trois contre deux. De(ux)moiselles battues à plate couture. Peut-être est-ce pour cela que JC a essayé de partager la pomme en deux. Donc deux filles et demie et deux garçons et demi. Non il ne s'est pas fait opérer ni n'a osé pousser l'égalitarisme paritaire jusqu'à changer de sexe par opération du Saint-Esprit. Ce n'est pas le genre de la maison. Pour le haut il a laissé une pilosité foisonnante envahir son visage. Pour le bas il ne s'est pas débarrassé des bijoux de famille, l'a endossé un kilt, une solution équivoque si l'on y réfléchit un minimum. Pour Sylvain et Nico, pas de problème, assument totalement leur rôle de mecs. Mènent leur guitare à un train d'enfer. Que voulez-vous chez Les Vieilles Putes les câlins sont brûlants et rapides. Vous enfilent quatre passes en dix minutes. Plus machosas qu'elles vous ne trouverez pas. C'est bon, mais c'est court.

    z7920vieillesputes.jpg

    Mais il est temps de nous pencher sur la cohorte des amazones. La première fois que j'ai vu Ludivine, l'idée qu'elle ferait partie du groupe ne m'est pas venue. L'était assise sur la marche de la porte-fenêtre, semblait un peu déboussolée, une jeune femme désorientée de la vie, fatiguée. Très surpris de la voir s'installer derrière la batterie. Sur les deux premiers morceaux elle a poumpoumé sans plus. C'est après qu'elle s'est réveillée. Une lionne. De la chair de patron idéale. L'ouvrier que vous faites bosser dix heures sans même une pause pipi et qui devient de plus en plus performant au fur et à mesure que l'horloge tourne. Vous casse la baraque en moins de deux, vous ratiboise le jardin en moins de trois. Vous trombine trois heures supplémentaires de taf sans demander à être payé. Nos guitar-héros ont dû mettre les bouchées doubles car elle a ramponné à mort, speedé à outrance. Au sixième titre les Vieilles Putes marathonaient à donfe, Ludivine a relâché sa crinière de cheveux blonds et elle vous a martelé une charge digne des lanciers du Bengale. Quant à JC, il n'est pas resté derrière à chercher les vers luisants, a directement branché ses lignes de basses sur le métronome du drumin' et ne s'est plus posé de problème. L'a galopé à la manière d'un étalon qui parade en tête du troupeau.

    Sauf que tout à fait devant il y avait Sophie. Elle a un sourire enjôleur moins sage que son prénom. L'en faut plus qu'un larsen tenace pour la désarçonner, sûre d'elle, qu'elle finirait bien par lui clouer le bec, d'ailleurs au bout de quatre minutes, il s'est dépêché d'obtempérer, l'a compris que celle qui l'ouvre c'est elle, Sophie la chanteuse. Micro en main, toute fessue, toute dodue, toute charnue de partout, un charme fou, un charisme ravageur, vous raconte des horreurs et l'assistance reste pendue à ses lèvres. N'y a que le groupe derrière qui ne fait pas attention à elle. Ce n'est pas du mépris. Simplement l'assurance qu'elle est capable de se tirer de toutes les difficultés avec une aisance indiscutable. Et ils ont raison. Place ces lyrics au bon endroit, et pourtant à la vitesse de ses acolytes les fenêtres de tir vocal sont réduites. A pleine voix, mais jamais époumonée.

    Les Vielles Putes sont intègres. Elles ont le punk qui flirte un tant soit peu avec le rock alternatif français, foutent l'accent davantage sur le dérisoire des situations que sur la nécessité d'une révolte radicale. Nous débitent en tranches des scènes de la vie scabreuse des populations en mal d'intégration bourgeoise plus attirées par l'expérience des limites que par l'adhésion moutonnière à un existentialisme au cul correctement coincé. Sophie vous narre et vous marre tout cela en Balzac des marginaux en dérive extrêmisée. Plus de quinze ans d'existence. Vous pondent toutes les trois minutes un hymne plus trashy que le précédent. Une fois qu'elles ont atteint leur vitesse de croisière, vous êtes sur que personne ne les arrêtera. Elles vous content les déboires de l'être humain confronté aux affres de notre modernité. Gros sabots gaulois et pieds nus sur la terre qui a perdu toute sacralité. Elles reviennent de loin. Elles en ont vu des vertes et des pas mûres. Des pourries aussi. Mais elles préfèrent en rire qu'en pleurer des larmes de crocodile. Sophie suffit à tous ces affects. Antidote joyeux aux maux du siècle.

    THE LECHERS

    z7918thelecherscomedia.jpg

    Des Irlandais, de Dublin, en tournée en France. Vu leur nom, doivent s'intéresser à la mesure de l'énergie qu'ils dégagent. La phrase précédente risque de soulever des interrogations chez un certain nombre de lecteurs. Cette affirmation hypothétique est trop théorique. Mais ceux qui ont déjà eu la chance d'avoir vu les Lechers en leur pratique punkoséidale du rock'n'roll auront compris. Le groupe dépense une folle énergie. Point à la ligne. Pas plus difficile que cela. Nous encouragerons les esprits curieux à s'inquiéter des ondes gravitationnelles que leurs corps dégagent. Cette étude vous permettra surtout de dresser la courbe isotopique de votre déperdition personnelle. Moins vous émettez plus vous vous rapprochez de votre mort. Point final, cette fois-ci.

    Trois sur scène. Quand ils sont montés sur l'estrade, vous avez cru que vous comprenez l'anglais, dès que le batteur a ouvert la bouche, c'était clair comme de l'eau roche, mais son accent du sud vous détrompe rapidement, c'est simplement un français qui s'en est allé villégiaturer voici depuis une vingtaine d'années en la capitale de la République d'Irlande. L'a fait son chemin, s'est aussi intégré à l'équipe des Outcasts, groupe punk des années légendaires.

    Une dégaine incroyable. Le pire c'est qu'elle illustre parfaitement le paragraphe introductif. Le bassiste occupe l'échelon le plus bas sur l'échelle de Lecher. Remarquons toutefois que comparé à la moyenne de nos contemporains avachis il assure grave. Toutefois discret au possible. Une figure glabre qui ne laisse transparaître aucune émotion. Visage pâle. Retranché en sa tour d'ivoire. Si ce n'était le rythme de son instrument il semblerait ne plus entretenir de rapports avec le monde qui l'entoure.

    Look de corsaire, bandeau de samouraï, arbore bizarrement une mèche de cheveux qui retombe sur son visage et qui ressemble à un scalp prélevé sur le cadavre d'un ennemi, se charge de la lead et du chant. Ne ménage pas ses efforts. C'est lui qui donne forme à la musique des Lechers, il l'étalonne, lui dessine un profil, la charge de hargne et d'électricité. Celui-ci vous le mettez sur les derniers échelons. Un individu plein de fougue, déborde d'envie de battre le fer de la vie tant qu'il est encore brûlant.

    Enfin le batteur. Un dominant. Le mâle alpha pour parler comme les comportementalistes animaliers. Une boule de billard lisse refermée sur sa propre ivoirine. Un de ces alephs, ces nombres inventés par Cantor qui contiennent l'univers et encore plus. Vous pouvez en extraire tout ce que vous voulez, une fois que vous aurez rempli le monde des collections d'objets qui le forment, il en restera encore dans le fond de la sacoche mathématique, selon certains vous n'en saurez jamais plus, l'inconnu restera caché au creux du sac, mais d'autres prédisent que le contenu s'évadera sous forme d'un rayonnement kaotique, une radiance d'énergie folle, peut-être des milliards de milliards de big bands qui n'en finiront pas d'éclore. L'est ainsi J.P. Le phisotope – peut-être le nom de la philosophie de la folie – il émet d'invraisemblable quantités d'énergie, un roulement de tambour monumental et infini. D'un bout à l'autre du set. La même galopade, un rythme soutenu, imperturbable, au-dessus du jeu cordique, qui plane à dix mille mètres, qui emporte le tout avec lui, qui précipite le groupe en un tohu-bohu souverainement ordonnancé. Même pas une fuite en avant, une intumescence rythmique qui gonfle repoussant les frontières de l'univers de sa propre présence.

    Le set se termine comme il a commencé. La bourrasque sonore s'arrête avec la même souveraineté par laquelle elle avait débuté. The slide, Toxins, No like that, You're already dead, Go go paranoïa, Stop, les titres essaient de rendre compte du phénomène tout en ayant du mal à en évaluer l'étrange ampleur. Longs applaudissements admiratifs.

    Le plus délirant c'est lorsque JP fait remarquer qu'il n'y aura pas de rappel car le guitariste s'est éclipsé. Ce n'est pas ce qu'il dit, c'est son accent de sudiste patenté, on était prêt a le considérer comme un surhomme siégeant au-dessus de l'échelle de Lecher et le voici redevenu un homme normal, tout semblable à nous. Ou alors peut-être est-ce parce que nous aussi, nous sommes installés au pinacle lecherien. C'est fou comme le rock vous fournit d'émotion !

    Damie Chad.

    *

    Le Chef nous attendait, un quidam qui l'aurait vu aurait cru qu'il fumait avec béatitude un Coronado, les gens sont ainsi, vous leur montrez un Coronado et ils sont obnubilés par la fumée qui monte en large cercles concentriques vers le plafond. Le Chef pensait. Il méditait. A ses yeux demi-fermés je conclus qu'il ne fallait pas le déranger, sans doute son esprit était-il en train de finaliser les subtils rouages du plan-secret que le SSR se promettait de mener sur l'échiquier géo-politique de la planète.

    Je m'assis devant son bureau, Molossa se percha sur mes genoux pour que je la caressasse et tous deux attendîmes patiemment pour faire notre rapport et recevoir notre nouvel ordre de mission. Durant près de trois heures et demie l'on n'entendit que le bourdonnement d'une mouche obstinée sur une vitre de la fenêtre. Brusquement le Chef planta son regard d'aigle dans les prunelles de Molossa.

      • Agent Chad, à partir d'aujourd'hui vous nourrirez trois fois par jour l'agente Molossa uniquement avec une double portion de viande d'autruche, je précise exclusivement d'autruche. Un seul manquement à ce régime diététique équivaudrait à une catastrophe internationale. ( L'intéressée approuva d'un bref aboiement, nous pouvions compter sur elle. ) Maintenant j'aimerais apprendre que vous n'avez pas perdu votre temps.

      • Chef, vous pouvez être fier de vos agents. Je rapporte un document ultra-secret, que voici, oui je sais, il est un peu poisseux, la belle espionne l'avait caché en son intimité la plus secrète, mais j'ai réussi à le subtiliser sans qu'elle s'en aperçoive, le voici. Je vous laisse le lire. Un appel de la Résistance Russe.

     

    '' THE NETWORK'' CASE

    L'AFFAIRE DU '' RESEAU''

    numérisation0003.jpg

    En Russie, à Penza et St Pétersbourg, neuf jeunes gens sont détenus depuis presque deux ans. Ils sont accusés d'avoir créé l'organisation terroriste '' Network'' dans le but d'organiser une rébellion armée et de préparer le renversement du pouvoir. Ils risquent entre cinq et vingt ans de prison.

    Le dossier a été ouvert par le FSB ( ex-KGB, service secret russe ) de Penza le 18 octobre 2017. Après un jour d'interrogatoire par les services secrets, Yegor Zorin, un étudiant âgé de 20 ans de la Faculté de Physique et de Mathématique, arrêté pour possession de drogues, admit sa participation à une communauté terroriste et rédigea sa confession. Sa confession et sa participation à l'enquête épargnèrent à Zorin d'être inculpé sous le chef de '' terrorisme'', quant aux '' drogues'' il écopa de trois années de probation.

    Les accusés du '' Network case'' de Penza sont Dmitry Pchelintsev, Ilya Shakursky, Arman Sagynbaev, Andrey Chernov, Vasily Kuksov, Maxim Ivankin, Mikhail Kulkov.

    A la requête du procureur de Penza, se déroulèrent des douzaines de perquisitions et d'interrogatoires de jeunes gens en différentes villes de Russie dont St. Pétersbourg, où le FSB régional ouvrit une '' Network case'' et arrêtèrent Viktor Filinkov, Igor Shishkin et Juliy Boyarshinov

    Filinkov, Pchelintsev, Shakurky et Shagynbaev ont déclaré qu'ils avaient été torturés à l'électricité, pour les forcer à apprendre par cœur le contenu de leurs confessions. Arrêté comme témoin Ilya Kapustin a aussi déclaré avoir subi des séances de torture ( le Bureau d'investigation judiciaire a recensé 80 points caractéristiques de brûlures occasionnées par des électrochocs, des hématomes et des écorchures). Kapustin quitta la Russie et reçut l'asile politique en Finlande. Des membres du comité pour le respect des droits de l'homme de la prison de St Pétersbourg ont relevé de nombreuses brûlures et blessures sur Filinkov et Shishkin. Mais Shiskin ne témoigna pas de torture, il passa un accord avec les enquêteurs, il plaida coupable et fut condamné à trois ans et demi dans une colonie pénale. Boyarshinov, d'après des soupçons véhiculés par les officiers de la sécurité l'accusant de '' faire des choses pires'' fut transféré dans un centre de pré-triage de détention réputé pour son emploi de la torture, où il fut jeté dans une cellule surpeuplée prévue pour cent personnes, il plaida aussi coupable, mais ne passa aucun accord avec les enquêteurs.

    Plusieurs accusés et témoins ayant aussi subi des intimidations physiques et des pressions psychologiques de la part du FSB maintinrent leurs dépositions durant le procès qui débuta au printemps 2019. Ainsi, dans un centre de triage in Penza plusieurs témoins ont révélé comment ils avaient été forcés à s'agenouiller, frappés et obligés à répéter pour les mémoriser les articles de loi liés au terrorisme du Code Criminel, leur témoignage fut aussi altéré par les enquêteurs qui leur proposèrent un modèle-type. Ainsi grâce à une enquête électronique du tribunal menée à la demande des accusés, il s'avéra que des changements dans les dossiers avaient été effectuées après l'arrestation des accusés. En outre, plusieurs protocoles et confessions étaient juste recopiés l'un sur l'autre, leurs textes correspondaient à 90 %, l'on y retrouve les mêmes dispositions typographiques et les mêmes fautes d'orthographe.

    Les détenus partagent les mêmes vues anti-autoritaires et anti-fascistes. Quelques uns sont végétariens ou vegans. Beaucoup ont participé à des libérations d'animaux, organisé des marchés à prix libres, des concerts de charité et des tournois anti-racistes d'arts martiaux. Parmi les informations circulant sur les médias, recueillies par les accusés et brandies comme une preuve indiscutable par l'accusation, il y a même une recette pour un vegan burger.

    Le Centre de Surveillance des Droits de l'Homme ( anciens Droits de l'Homme NGO en Russie ) ont déclaré Yuliy Boyarshinov et Viktor Filinkov comme prisonniers politiques.

    Notre campagne soutient tous les accusés de l'affaire, à l'exception d'Igor Shishkin qui a passé un accord avec les enquêteurs. Toutes les contributions serviront principalement à payer les avocats et à fournir des plateaux végétariens et vegan aux emprisonnés :

    Vous pouvez suivre les développements the Network's case sur : rupression.com

    Aide aux accusés : Paypal:abc-msk@riseup.net

    rupression. Com

    ( maladroite traduction SSR )

      • Enfin du sérieux, agent Chad je vous félicite ainsi que l'agente Molossa, un document d'une extrême importance, j'espère que ça n'a pas été trop difficile.

      • Terrible Chef, nous avons dû opérer de nuit !

      • Je serai attentif à ce que le service comptable n'oublie pas de doubler ces heures de travail nocturne.

      • Merci Chef, mais ce n'est pas tout !

      • Quoi donc agent Chad !

      • Avant de décrocher sous un effroyable envoi de projectiles meurtriers j'ai réussi à m'emparer d'un exemplaire d'une arme de destruction massive mise au point par les rebelles russes !

      • Un Jars, je suppose ! Depuis le temps que tous les Services Secrets rêvent d'en posséder ne serait-ce qu'une photographie !

      • Oui Chef, le tout dernier modèle, fabriqué en toute illégalité dans une base belge, P.O.G.O. Records, une succursale de Missiles of October, cornaquée par rappelez-vous cet activiste Lionel Beyet que nous tenons à l'œil.

      • Agent Chad, trêve de bavardages, il est temps de spectographier au plus vite ce Jars. Je ne vous le répèterai jamais assez : le sort du monde en dépend.

    ( Agent Chad du Service Secret du Rock'n'roll ). A Suivre.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 438: KR'TNT ! 438 : SEE NO EVILS / HEAVY NUGGETS / THE RED ROOSTERS / THE ALLEY CATS / THE NITE HOWLERS / JARS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    , see no evils, heavy nuggets, the red roosters, the alley cats, the nite howlers, jars

    LIVRAISON 438

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    14 / 11 / 2019

     

    SEE NO EVILS / HEAVY NUGGETS

    THE RED ROOSTERS / THE ALLEY CATS

    THE NITE HOWLERS /JARS

     

    See See Riders

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    — Who’s your favorite guitar player ?

    — Oh, I’ll say Johnny Marr !

    — Sorry but you’re far better than Johnny Marr !

    — Ha ha ha ! Thank you !

    — Somebody else ?

    — Yeah, George Harrison...

    Et voilà le travail. On s’en doutait. Un guitariste aussi brillant que Paul Jackson ne naît pas de la dernière pluie. Il s’inscrit forcément dans une lignée. On ne sort pas un tel son inopinément. Ça ne s’invente pas. On l’a vu pendant plus d’une heure hanter le set des See No Evils avec sa phantom guitar et maintenir un niveau d’excitation maximaliste en alternant les montées en température et les fragrances psychédéliques à l’Anglaise. Il évoque effectivement le vif argent de Johnny Marr dans la gestion du climax, mais il sautille en dodelinant comme George Harrison dans les violentes séquences de battage d’accords, oh, mais pas le George du Bangla Desh, no no no, le George de la Cavern des origines, au temps où les Beatles swinguaient comme des démons avec leurs reprises de Carl Perkins et de Chickah Chuck.

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Paul Jackson incarne tout ce qui fait la grandeur du rock anglais, cette espèce de mélange unique au monde d’élégance et de frénésie. À le voir gratter sa Gretsch, on comprend que ce petit brun aux yeux clairs ne vit que pour ça : le son du rock anglais, c’est-à-dire the real deal.

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Les See No Evils viennent de Leeds et se positionnent comme garage-psyché band avec deux albums au compteur. On les vit une première fois en Normandie voici environ trois ans, mais la salle était si mal sonorisée qu’ils peinèrent à convaincre les con vaincus et donc firent chou blanc comme neige. Cette fois, ils bénéficient d’un vrai son de cave et peuvent donner toute leur mesure, et quelle mesure, les amis !

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Le chanteur du groupe s’appelle Ian Burton. Il porte une casquette de marin breton, en cohérence avec le faible qu’il avouera post-concertum pour les Groovies. Le batteur s’appelle David Pace et il porte bien son nom, car il taille la route avec un sens de la powerhouse qu’on peut taxer d’aigu, sans craindre de se voir accuser d’exagération.

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Et puis voilà l’indicible Owen Flindley, sosie de Mark Loomis qui fut on s’en souvient le guitariste du Chocolate Watchband. Ce grand échalas lunetté, frangé de blond et polka-dotté tisse dans son recoin de cave un effarant ramalama de bassmatic caoutchouteux sur une belle vintangerie. Ces See No Evils qui ne doivent strictement rien à Television démarrent en trombe avec deux biscuits tirés d’Out Of The Sadows, «You Got The Flame» et «Feed Your Mind». Bienvenue au paradis du garage psych leedsergyque. L’effet cave donne en plein : gageons que les See No Evils n’ont jamais aussi bien sonné. Tiens, encore une lichée de Shadows avec «Hold On».

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Paul Jackson mène bien la danse, la phantom guitar roule sous les pierres de la vieille voûte humide. On les verra taper dans «Gloria» sans se ridiculiser, bien au contraire, ils rendent un hommage extrêmement feverish aux Them, Paul Jackson veille à pousser l’excitation au paroxysme et là, ça devient vraiment fascinant.

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Rien n’est plus difficile que de passer le Cap d’un «Gloria», paroxysme de l’intouchabilité des choses. Ils terminent avec un autre exercice de piété évangélique : une reprise quasiment incontrôlable de «You’re Gonna Miss Me». Ils nous l’explosent littéralement, transformant ce set caviste en soirée inoubliable.

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Out Of The Sadows est leur deuxième album. Dans le dernier numéro de Shindig, Paul Ritchie s’enflamme : «The See No Evils second album is a real ball of kinetic energy from start to finish !» Et il ajoute plus loin : «Imagine Sky Saxon fronting the Smith and you’re almost there !» «Feed Your Mind» et «The Love Has Gone Away» font figure de stand-out tracks. Les See No Evils y tâtent de l’excellence protubérante, celle qui caractérise si bien le petit garage exacerbé, bien drivé par la loco-fuzz de Paul Jackson. La même émulsion gargouille dans «The Love Has Gone Away». Ces mecs semblent jouer leur carte à la manche, car c’est explosé dans une subtile intrication d’arpèges. Oh yeah, far better than Johnny Marr ! Paul Jackson carillonne à la volée, on se croirait chez Tarkovski. C’est tellement battu à la battue qu’on finit par rendre gorge, ça joue à la vie à la mort et ça n’en finit plus de relancer aux yeah yeah through love. Ils se servent aussi de «You» pour allumer les convoitises, surtout qu’il s’agit là de power pop. On retrouve la phantom guitar dans «You Got The Flames» et même dans «Blue Sky», qui paraît plus piteux car quasi-pop. Ils se prennent les pieds dans le tapis avec «All That I Know» et jouent «She’s My Kinda Girl» aux vieux accords. Mais l’occasion ne fait pas toujours le larron, il est bon de le rappeler. Ils visent une ambiance plus pop avec cet album et il faut bien tendre l’oreille, car le son se niche dans les profondeurs. La phantom guitar rôde toujours un peu en sous-couche. «Falling» courbe l’échine sous le joug de la pop et nous renvoie un peu sèchement à la brit-pop d’antan, et pourtant, on aime bien ces lads là.

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Force est d’admettre la flagrante supériorité d’Inner Voices paru trois ans plus tôt. Pendant quelques secondes, ils frôlent le syndrome du pétard mouillé avec le «Secret In Me» d’ouverture de bal, mais ils rétablissent très vite la situation en sur-jouant l’excellence de leur modeste condition. Eh oui, qui ira écouter les See No Evils aujourd’hui ? Peu de gens. Alors comme ils n’ont rien à perdre ni rien à gagner, ils jouent. Pas d’enjeu ? Parfait ! La voie est libre. Ils pulsent leur petite hot shit à coups d’ah ah ah ah et on assiste médusé à une belle extension du domaine de la turlutte. Paul Jackson passe un solo phantom killer flash, alors bienvenue au royaume du freakbeat ! Ils enchaînent avec «That’s Right With Me», un fantastique groove d’attaque frontale. Ces mecs savent déjeuner et ils connaissent leurs vins. Encore une fois, bienvenue au festin. Ils nous tapent la cloche à coups d’Alright by me et on sent la moiteur et la raideur de leur énergie fondamentale à travers l’étoffe du son. Les See No Evis sonnent comme un groupe capable de remporter des victoires, uniquement pour la beauté du geste. Encore une fois, l’absence d’enjeu simplifie tout. Leur son se met à nu et quelle victoire, battue comme plâtre, pulsée au big basmatic et ce guitariste hallucinant qui reste continuellement en partance pour l’espace, mais pas n’importe quel espace, un bel espace zébré d’awite for me. Les atmosphères sont en place et les implications tellement radieuses. Ils tapent leur excellent «You Make Me Move» à coups redoublés de make me move et proposent un garage demented all over. En bons freakbeaters, ils jouent la carte de la frénésie et regorgent de bon power. Encore de la remona à gogo dans «Firing Line». Ils ont du jus à revendre, il faut le savoir. La phantom guitar plonge ses crocs dans le cul du cut et ne lâche plus prise. Paul Jackson n’en finit plus d’alimenter cette espèce d’imparabilité des choses qui semble vouloir les caractériser. On l’aurait parié : ils vont même jusqu’à proposer un coup de génie. Son titre ? «Hooked On The Buzz», riffé en profondeur et ça part en vrille démentoïde sans prévenir. Paul Jackson fout le feu au lac, il prend la main et embarque le Buzz au paradis du freakbeat. La phantom guitar bouffe tout l’inconscient collectif, c’est un phénomène surnaturel qui se produit rarement. Paul Jackon infeste toutes les nappes de son. Il sur-joue tout au délire. S’ensuit un «Rising Sun» digne du 13th Floor. Ils adorent leur rising sun, ils le jouent aux pires auspices, le hantent de réverb et de coulées. Encore une fois, Paul Jackson fournit toute la furnace. Ils terminent cet album hors du temps avec un «Runaway» travaillé aux retours psyché et aux excès d’écho. Ces mecs cherchent la petite bête, ils ont raison. Ils jouent serré, ne s’accordent aucune mollesse, ils partent ensemble à la pêche aux crabes.

    Signé : Cazengler, See no (charmante) Elvire

    See No Evils. Le Trois Pièces. Rouen (76). 24 octobre 2019

    See No Evils. Inner Voices. Heavy Soul Records 2016

    See No Evils. Out Of The Shadows. Heavy Soul Records 2019

    Sur l’illusse de gauche à droite : Ian Burton, Owen Flindley, David Pace et Paul Jackson

     

    He ain’t Heavy Nuggets, he’s my brother

    , see no evils, heavy nuggets, the red roosters, the alley cats, the nite howlers, jars

    Les petits veinards qui ont ramassé Mojo le mois dernier se sont bien régalés. On ne parle pas du bel article sur les Who mais de la compile qui est collée sur la couve. Il s’agit là d’une pépite compilatoire, le volume V des Heavy Nuggets, une série qui plonge ses mains tremblantes dans les archives du heavy rock des seventies, un heavy rock qu’il ne faut bien sûr pas confondre avec le parent pauvre du rock qu’est devenu le hard-rock. Mojo donne toujours un minimum d’informations et si l’un des cuts tinte bien à l’oreille, deux scénarios se présentent à vous : le cut est connu et vous ressortez l’album pour vous remettre à niveau, ou bien le cut est inconnu et vous vous mettez en chasse.

    , see no evils, heavy nuggets, the red roosters, the alley cats, the nite howlers, jars

    Prenons un exemple : le Vol. V démarre avec le «Strange Town» des Groundhogs, qui comme chacun sait est une bombe. D’autant plus une bombe qu’on la trouve sur Thank Christ Fot The Bomb. Du coup, vous ressortez l’album de l’étagère. Cette splendide coïncidence permet de bien re-situer les choses : les Groundhogs appartiennent de plein droit au fameux proto-punk britannique. Tony McPhee et ses deux amis proposent un son extrêmement agressif. Le solo est offert par la maison. Killer ô si killer ! Le vieux Tony est le roi incontesté du killer solo flash, il vous suffit d’écouter «Split #2» pour vous en convaincre définitivement, et vous verrez même votre cuti virer au vert. Ces mecs jouent comme des diables déguisés en honnêtes musiciens anglais, mais Tony la teigne revient tout démolir, il dégage tout devant lui. Il se situe loin devant les autres, devant tous les autres. Tony McPhee est l’un des secrets les mieux gardés du rock anglais. Parmi les autres connus, voilà The Bevis Frond, c’est-à-dire Nick Saloman qui fout le feu à un pauvre «White Sun» tiré de New River Head, un album considéré à juste titre comme dangereux, car explosif. Nick envoie gicler ses palanquées de wah, il ouvre des passages dans la Mer Rouge quand il veut, il mise tout sur le power-chordage de destruction massive doublé de sax à la Fun House. Oui, c’est assez con à dire, il défonce tout, surtout la rondelle des annales. Parmi les autres connus, on croise Sam Gopal. Pas la peine de faire l’article, puisque Lemmy fait partie de l’aventure, même si en matière de proto-punk on a vu mieux. Par exemple Hawkwind qui comme par hasard est là aussi avec «Assault And Battery». Ces mecs incarnent l’esprit du proto-punk aussi bien que les Groundhogs, même s’ils proposent du bric et du Brock et qu’ils flirtent avec la prog. Mais comme souvent chez Hawkwind, une belle marée d’accords emporte le Palace Pier au loin. Tiens, voilà Jesse Hector avec Crushed Butler ! Il propose un vieux «Love Fighter» heavy as hell. À l’époque de Crushed Butler, Jesse est jeune, il a toute la vie devant lui. Heavy c’est sûr mais pas très convaincu, au fond. Fu Manchu se montre beaucoup plus déflagratoire avec son «Trapeze Freak». Nous voilà au paradis du stoner sous les avalanches de power chords. On croise aussi Acid Mother Temple sur ce Vol. V. Ils proposent un «Dark Star» qui fait bien dresser l’oreille. C’est même quasi-arabe dans l’essence de la transe et tout bascule très vite dans le chaos. Ce qui nous amène aux stars de ce Vol. V : The Heads de Bristol avec «Legavaan Satellite». Psych-punk biker scuzz ! Ces mecs sont des diables, ils pilonnent le vieux stomp psyché, c’est affolant de power blast, ça coule de partout. On les dit invaincus. Mojo parle d’un West Country Metallic KO. Bon alors maintenant retour à l’apanage des compiles, c’est-à-dire l’indexation des inconnus au bataillon. Première grosse pioche avec Creepy John Thomas et son «Lay It On Me» assez demented et amené au heavy demolishing. Ils montent leur opération sur un background de distorse destroy et oh boy ça passe comme une lettre à la poste. John Thomas est un Australien débarqué à Cologne qui a la chance de tomber sur Conny Plank, le Kraut-man. On le retrouve ensuite dans le Edgar Broughton Band. Le vieux Creepy sort un big bad sound et donc, il faut l’avoir à l’œil. Autre bonne pioche : Attack, à ne pas confondre avec The Attack d’Angleterre. Ces mecs sont à Detroit à l’époque du Grande Ballroom et leur «School Daze» est une véritable horreur. La terre tremble. Ces mecs attaquent le monde civilisé. Ils valent largement le MC5. Apparemment, il n’existe qu’un seul single. Nouvelle bombe avec Luke & The Apostles et leur «Not Far Off». Méchante hargne ! C’est même inespéré. C’est wild et joué au gras du bide, ça se fond dans le plotach du pire heavy blues inimaginable. Ça nous permet de comprendre qu’au fond on ne connaît pas grand chose. Ces Canadiens se sont ensuite disséminés dans le McKenna Mendelson Mainline chouchouté par Mojo et dans le Chris De Burgh’s Band. Il ne reste d’eux que deux singles. On reste dans la stupéfaction avec Goliath et son «Dead Drunk Screamin’». Ces mecs basculent dans la friteuse. Et ce n’est pas fini car voici le coup du lapin, Egor avec «Street», vieux shoot de downhome proto-punk de haute voltige, tapé à l’excellence du boogie down, c’est littéralement bardé de couenne de son avec une guitare qui cocote dans les clameurs. Ah la coche !

    , see no evils, heavy nuggets, the red roosters, the alley cats, the nite howlers, jars

    Le Vol. II remonte à 2013. Il n’a pas été trop difficile de le retrouver dans les piles. L’esthétique de la pochette renvoie à Sabbath Vol. IV, mais c’est Alex Harvey qu’on voit lever les bras en l’air, et non Ozzy. Tous les rois du proto-punk britannique sont déjà là : The Incredible Hog, Bullet et les Pretties. Comme le disait si justement l’oncle Abélard, il vaut mieux voir s’exprimer les proto-punks que les protocrates. On meurt un peu moins con à les fréquenter. C’est Bullet le bien nommé qui ouvre le feu avec un «Jay Time» tiré de leur unique album, Entrance To Hell. John Du Cann est imbattable à ce petit jeu, il joue au riff excédé et on note la fabuleuse tenue de son journal de bord. John Du Cann est le real captain du proto-punk britannique. Les Pretties ne font pas non plus de prisonniers avec l’effarant «Cries From The Midnight Circus» tiré de Parachute. Phil May et ses mighty Pretties créent la magie du heavy doom. Tiens puisqu’on est dans les mighty, voici Mighty Baby. On se demande ce qu’ils foutent là, vu leur pédigrée de babas islamiques, mais n’oublions jamais que Martin Stone fit partie des Pink Fairies et ça s’entend dans ce «Same Way For The Sun» tiré de leur premier album. Stone dévore tout en jouant à l’effarance proliférante. Quel dingue ce Stone ! Alors oui, Mighty Baby ! Il faut retourner voir ça de plus près. Pas compliqué : il existe deux albums. On se demandait ce que foutait Alex Harvey sur la pochette. Voici la réponse : «Long Haired Music» du Alex Harvey Band, mais c’est loin de monter au sommet. On pourrait dire la même chose de Human Beast qui s’embourbe dans la prog. Idem pour les Blossom Toes qui font eux aussi une prog à la petite mormoille humide. On comprend que le temps ait pu les emporter. Quelle catastrophe ! Pauvres Toes. Ils font pitié. Tractor, The Open Mind et Dragonfly font aussi partie des groupes chouchoutés par les spéculateurs, mais bon courage à ceux qui se relèvent la nuit pour écouter ça. Jerusalem est connu pour sa pochette figurant un croisé agenouillé et sa réputation repose sur un «Frustration» assez explosif. On note aussi la présence de Family sur ce Vol. II, avec «Strange Band». On sent le vrai groupe, mais c’est un peu trop sophistiqué pour le heavy-nuggettisme. Revenons à nos moutons avec The Incredible Hog et son puissant «Lame» : in the face, avec une certaine profondeur de son, oui, un son qui met tous les sens en alerte. L’Incredible Hog fait partie des groupes qu’il faut écouter car avec leur stomp, ils préfigurent le glam. Ken Gordon a su faire la différence avec son mighty Hog. Côté révélations, le Vol. II en propose deux : Freedom et Possessed. Le «Nobody» de Freedom est ce qu’on pourrait appeler un heavy rock bardé du pire drive proto-punk d’Angleterre. Un puissant swagger s’allie sous nos yeux globuleux à une présence inexorable. C’est même fouillé dans le meilleur graillon de psyché de bon ton. L’âme de Freedom s’appelle Roger Saunders, un mec qu’on retrouvera plus tard dans Medecine Head, comme par hasard. Un dernier groupe pour la route : Possessed, avec «Thunder & Lightning». C’est chanté à la pire exaction de chat parché qui se puisse imaginer ici bas. Il faut savoir qu’une nuit, au retour d’un concert, les trois membres du groupe sont entrés en collision avec un camion citerne, ce qui mit fin à une carrière qui s’avérait prometteuse.

    , see no evils, heavy nuggets, the red roosters, the alley cats, the nite howlers, jars

    On remonte un peu dans le temps pour examiner le Vol. III. Nous voici en 2014 et la pochette pastiche celle du Led Zep III. Ce Vol. III souffre d’un mal majeur : trop prog pour du heavy nuggetisme, même si Atomic Rooster ouvre le bal avec «Sleeping For Years». Bon d’accord, on retrouve John Du Cann, mais les transitions proggy de Vincent Crane minent le cut. C’est un peu trop secoué de spasmes et ça tourne en eau de boudin. Bang fait aussi partie des habitués de ce genre de congrégation. Ces trois mecs basés à Philadelphie surent imposer un bon son et faire la différence. On a déjà entendu ça mille fois, mais Frank Ferrara ramène du bon gut d’undergut. Dommage qu’ils bâtissent des ponts de la rivière Kwai. C’est avec une joie non feinte qu’on retrouve Freedom et leur manie de vouloir foutre le feu partout. Cette fois, ils s’en prennent au fameux «Going Down» de Don Nix. Roger Saunders passe un solo compressé, ça sent bon l’étuve, c’est boursouflé de bon gras double, ces mecs jouent vraiment à la vie à la mort. On retrouve aussi John Du Cann et son mighty Bullet. Cette fois ils expédient «The Orchestrator» en enfer. Parmi les gens connus de nos services, voici Josefus et un «Situation» trop proggy pour être honnête. Aucune chance de plaire aux kids affamés d’aventures. S’ensuit le «Welcome To The Void» de Morgen qui est connu comme le loup blanc des steppes. À force de pousser le son dans le void, le pauvre Morgen renverse le vinaigre sur la table. Avec son «Little Games», Pentagram s’en sort bien mieux. On adore son boogie énervé qui gicle comme une belle dégelée. Ce Vol. III propose trois autres connaissances de choix : Rog & Pip, Morly Grey et Heavy Jelly. Attention, c’est du beau monde. Rog & Pip sont d’anciens Sorrows. Ils proposent avec «Why Won’t You Do What I Want» un stomper de haut vol. Ils déroulent un tapis rouge sur lequel va débouler tout le glam d’Angleterre. Roger Lomas et Pip Whitcher sont les rois du stomp. On revient au heavy doom d’Angleterre avec le «Peace Officer» de Morly Gray. C’est excellent. On est ravi que leur unique album The Only Truth ait été réédité. Quel blow out bien exacerbé ! On a là un son sévère et punkish dans l’essence, et un solo de basse prépare le retour du wild guitar bash. Heavy Jelly reste une belle référence, car Jackie Lomax y chantait. Avec «Bio Blues» on retrouve le heavy groove de Liverpool et un Lomax au sommet de son art. Classique et puissant à la fois. La révélation de ce Vol. III s’appelle «Freedom Train» et le groupe Ancient Grease. Quelle mélasse ! Les accords baignent dans le gras. Le son est tellement gras qu’il éclate la peau de la prod. C’est l’un des groupes les plus heavy de l’histoire du rock.

    , see no evils, heavy nuggets, the red roosters, the alley cats, the nite howlers, jars

    Volume curieux que ce Vol. IV paru voici deux ans. La présence de Charle Bradley déroute en peu. C’est peu trop Soul pour un contexte Heavy Nuggets. Avec ce Vol. IV, Mojo tape aussi dans des équipes plus contemporaines, comme les Cowboy Lovers et leur «Poor Lord» assez demented, ou encore le «Mind Crawler» d’Uncle Acid & The Deadbeats, une équipe de gens fortement déterminés à vaincre. Ils jouent en effet une sorte de Panzer boozey-beer bass buzz. «Mind Crawler» sonne comme un hit underground parfaitement fluorescent digne d’Hawkwind et ramoné aux pires accords de grattoir d’acier. Parmi les mauvaises pioches contemporaines, on trouve les Wolf People et les Rival Sons qui n’ont vraiment rien à faire sur ce type de compile. Elephant9 et Sleep fatiguent la cervelle avec leurs prétentions à ruer dans les brancards. Mauvaises pioches aussi avec Motorpsycho et Earthless. The Skull s’en sort mieux avec «The Door», ce qui est normal pour des crânes. Les crânes sont toujours heavy. Ils en rajoutent et visent l’overdose de skulling off. Les deux surprises viennent de The Obsessed et de Boris. Ah il faut écouter «Be The Night» de The Obsessed. Voilà le son. Wino navigue dans sa mer de feu. Scott Wino Weinrich ! Wow ! Ce mec sait winner ! Il joue à la coulée de lave. Pur power ! L’autre bombe c’est le «Pink» de Boris, un Pink complètement explosé, pure folie de far-out so far out, gratté à la folie pure. Ce sont des Japonais, le son explose et ça bat dans le dur. Ils battent tous les records d’un seul coup et laissent le langage agoniser sur la rive, comme un poisson rejeté par les vagues.

    Signé : Cazengler, Heavy Nullard.

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Heavy Nuggets Vol. II. Mojo # 235 - June 2013

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Heavy Nuggets Vol. III. Mojo # 248 - July 2014

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Heavy Nuggets Vol. IV. Mojo # 279 - February 2017

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Heavy Nuggets Vol. V. Mojo # 312 - November 2019

    09 / 11 / 2019LUSIGNY-SUR-BARSE ( 10 )

    THE RED ROOSTERS / THE ALLEY CATS

    THE NITE HOWLERS

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    C'est dans l'adversité que l'on reconnaît les âmes trempées dans le feu du rock'n'roll. Jusqu'ici la vie avait été facile pour Billy. Se contentait de passer les coups de téléphone adéquats. Chaque année l'on avait droit à nos trois groupes à la Chapelle Argence de Troyes. C'était la mairie qui fournissait le local et qui honorait les groupes. Mais pour 2019, lock out complet. Monsieur Billy et son rockabilly est prié d'aller se faire voir ailleurs. Pour quelle obscure raison ? L'on n'en sait rien, peut-être les prochaines élections municipales, ceci n'est qu'une de mes suppositions. Ce qui est sûr c'est que Billy se retrouvait comme les flamants roses, le bec dans l'eau.

    Mais la guerre de Troie aurait bien lieu. Déplacée d'une vingtaine de kilomètres à Lusigny-sur-Barse, bourgade de 3000 habitants, située sur une antique voie romaine, pour la description du patelin ne comptez pas sur moi, l'on n'y est arrivé dans le noir total après avoir traversé l'Aube nocturne, un parfait exemple de la France périphérique, des routes désertes, des villages muets, une infinité de prés perdus dans le noir, Brr !

    La Grange – non ce n'est pas une chronique sur ZZ Top, mais pour cette Rock'n'roll Party, l'était difficile de trouver mieux – c'est une salle des fêtes située au fond d'une immense place centrale, au moins la surface de deux terrains de foot, faisait un peu froid, l'on n'a jeté qu'un regard distrait à l'expo de vielles voitures, pour se précipiter devant le food-truck. Miam ! Miam ! Pas de frites la traditionnelle nourriture du rocker français mais des assiettes de morbiflette, ration réglementaire d'une épaisseur dépassant les quinze centimètres, l'est sûr qu'après cela tu morfles avec ou sans mobylette, t'es repu comme le tigre qui vient de bouffer son dompteur et deux ou trois spectateurs innocents. Pour dix balles t'as engrangé assez de succulentes calories pour toute la semaine.

    Fait bon à l'intérieur. Belle et vieille structure en bois qui ne manque pas de cachet. Les Bootleggers ( HDC ) - Harley Davidson ( mais eux ils reconnaissent les amis ) Club, pour ceux qui veulent tout savoir - vous accueillent chaleureusement, se sont portés au secours de Billy pour l'organisation, beaucoup de monde connu, l'on fouine sur le stand de disques de Tedd Records, l'on admire les mains expertes de Nath Lola et de Maryline Garnier qui peignent et habillent les demoiselles qui désirent un look vintage, sur le stand brocante l'on s'extasie sur la collection des cendriers. Dj Rockin' Cat est aux manettes et à la sono, ne manquent plus que les artistes.

    THE RED ROOSTERS

    Avec un tel nom je m'attendais à un combo de blues meurtrier. Erreur sur toute la ligne. Sont toutes une flopée sur scène, pas un big band, mais une de ces formations de rhymth'n'blues à l'économie nées entre autres de la crise de 29 et du besoin d'un public fatigué des arrangements un peu culturo-pompiers des grands ensembles, ces gals and guys avaient surtout envie de se défouler un maximum en fin de semaine pour oublier salaires de misère et existences dégradées. Trop loin du rockabilly à mon avis. Pas du tout partagé par les danseurs qui vont s'en donner à cœur joie toute la prestation. Les couples exhibent à qui mieux-mieux leurs plus beaux pas, tout cela fleure un peu trop le bobo parisien entiché des forties.

    Par contre tout à fait au fond, ils ont une sacrée section rythmique. Des gars qui jouent ensemble et pas à côté l'un de l'autre, Ivan est vraiment Souverain sur sa contrebasse, fournit le beat initial, tient l'orchestre à lui tout seul au bout de ses doigts, tout le reste n'est qu'ornementation instrumentale, à ses côtés Olivier Viadero embraye la mayonnaise, sans aucune frime ni mise en valeur personnelle, Ivan lui fournit la matière première et Olivier la contreforte, lui insuffle la vie, sans lui elle ne serait que vibrionnements d'élastique qui se perdrait en sa monotonie, l'encadre, la contrepointe, la contrescarpe, lui bâtit un home d'accueil, lui apporte une résonance évolutive qu'elle serait incapable d'atteindre toute seule. Vous accomplissent ce petit miracle sans forfanterie, sans vanterie, dans leur coin, le moteur quasi anonyme sans lequel la plus trépidante des voitures n'avancerait pas d'un centimètre.

    Tout le contraire de Siegfried Mandace à la guitare. S'est adjugé un grand espace rien que pour lui, cabotine à loisir, pas mal du tout d'ailleurs, ne reste pas inactif sur sa Gretsch, vous déploie des éventails de notes qui résonnent et tintent joliment à votre oreille, un swing léger qui vous effeuille les marguerites à foison. Par contre il ne supporte pas que l'on ne l'entende plus, l'est vexé, le gars ne mange que de la brioche, le pain noir du micro qui s'abstient de capter son jeu, il en piquerait une jaunisse, à le voir s'agiter il semblerait que l'on soit devant la plus grande catastrophe du siècle, le monde doit au moins s'arrêter de tourner sur son axe – ne pensez surtout pas à la discrétion phonique de Charlie Christian dans ses enregistrements en grand orchestre – un vieil enfant capricieux. Insupportable.

    Stéphane Lébé pianote à l'extrême gauche, vous fait de ces dégringolades de clavier, ces essaims de blancs vols de mouettes qui suivent les chalutiers qui se rapprochent du port, belles cartes postales qui vous rappellent que le monde est plus beau que vous ne le croyiez, et votre sang palpite d'une ardence incroyable.

    Relégués sur la droite les deux saxophonistes n'interviennent qu'à bon escient, ne tirent pas la couverture à eux, z'ont l'instrument qui rutile le plus, le paon qui fait la roue et qui du coup éclipse le reste de la basse-cour, mais qui sait la refermer quand l'heure d'exposition est passée, interviennent fort à propos pour balayer les temps morts, le boogie swing sans sax est une une bougie sans flamme. Vont se payer de ces chorus à décoiffer les crocus de l'automne, vivement applaudis par l'assistance, chahutent des bourrasques mordorées de feuilles mortes, transbahutent de rousses fourrures de renards se jouant des fusils des chasseurs.

    Richard Genipa est au chant. Autant dire que tout repose sur lui. La figure de proue du bâtiment de guerre. Ces petites formations sont régentées par une loi draconienne, les instrumentistes se doivent de chauffer à mort, mais la gloire est dévolue au chanteur, tous pour un et l'un rafle la mise. Tant pis pour les autres qui ont le triste rôle de faire-valoir. Le problème c'est que Richard Genipa n'en abuse pas. Ne se met pas assez en avant. L'a l'esprit trop démocratique, semble se modérer, ce n'est qu'en toute fin du set qu'il s'emparera totalement de sa place, tout le reste du temps, l'est resté trop statique, trop planté devant le micro, allant même jusqu'à s'effacer pour laisser jouer ses camarades, ne bouge son corps que trop rarement, à peine si d'un mouvement du bras il ponctue une séquence, idem pour la voix, en modère l'ampleur, la raccourcit, oublie qu'elle droit trôner en maîtresse absolue, n'a pas l'âme d'un american entertainer, l'orchestre n'est pas à sa dévotion, il barzingue pour contenter les danseurs, ne les mène pas, devrait les achever comme des chevaux, mais non, l'on ne lève pas toutes les voiles, l'on n'utilise pas tous les canons, l'on parade, l'on ne cherche pas l'abordage, l'on devrait être prêt à faire sauter la sainte-barbe et à mourir comme Nelson sur la dunette du Victory, l'on devrait fouetter la chiourme des danseurs à tours de bras, qu'ils se pissent et se chient dessus, qu'ils ressortent épuisés, sur des civières, bons pour la fosse commune. Ce soir on les ménage, que des classiques, mais c'est quoi One bourbon, one scocth, one whisky diététique servi sans alcool, cet Everyday I have the blues au blues si délayé qu'il en devient insipide, et ce Caldonia qui se traîne si mollement, d'autant plus pitoyable que l'adjonction des françaises paroles démento-farfelues de la version d'Eddy Mitchell sont la preuve absolue que l'on n'est pas là pour donner du grain à la volaille mais pour la plumer et l'empaler vivante sur la broche. Z'ont vaincu le public, mais n'ont pas convaincu les rockers.

    THE ALLEY CATS

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Z'ont terminé par là où ils auraient dû commencer. Un train d'enfer. Avaient choisi la gradation régulière, mais sont partis de trop bas, un True love et un Teenage heaven, malheureusement trop similaires aux orchestrations du groupe précédent. Malgré la longue balance qui avait séparé les deux prestations, ils ont du mal à raccrocher les wagons. Un Gene Vincent pour recoller les morceaux, mais leur interprétation de Pretty Pearly ne sort pas du lot. En fait ils sont trop nombreux. Une formation pas assez ramassée. Pourquoi par exemple un saxophoniste et un harmoniciste. Quand il y en a pour un, il n'y en a pas obligatoirement pour deux. Le soliste n'est plus attendu. L'alternance nuit à l'attente. Faudra le Linda Lu de Johnny Kidd le pirate bien aimé de Tony Marlow pour que la glace commence à fondre.

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Un chanteur, une grand gaillard, une large silhouette engoncée dans un costume qui semble empesé de rigidité. Trop statique, micro en main comme un crooner, un incendiaire qui a oublié le briquet pour enflammer son bidon d'essence, résultante une formation qui ne rock'n'rollise pas assez. Un pied dans les deux marmites, à ménager la chèvre cabrioleuse du swing et le loup meurtrier du rockab, l'on fait chou blanc. Ces deux liquides instables répugnent à toute demi-mesure, à tout mid-tempo. A trop vouloir embraser le feu s'éteint.

    Sont comme ces hommes politiques qui doivent en même temps ménager leur droite et ne pas fâcher leur gauche. Leur faut une mesure qui réconcilie les contraires. Mais pas les irréductibles. Alors ils sortent leur arme pas du tout secrète, pas le Hillbilly Cat des collines infestées de crotales, le Pelvis Presley, juste l'Elvis, le coup au-dessus de la ceinture qui fait du bien, le seul qui réconcilie la majorité silencieuse et les minorités actives. Please Mama, Paralysed, c'est d'accord Mama, personne ne peut voter contre cela, l'on ne s'élève pas contre le roi, crime de lèse-majesté, l'on ne piétine pas les symboles, et le public qui était resté en arrière se rapproche et bientôt c'est le grand dandinement collectif, les couples de danseurs ne se sentent plus obligés de se croire en démonstration, c'est désormais à la bonne franquette, à la blanquette de Limoux populaire.

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Et chacun remue ses hanches avec conviction, Billy lui-même n'y tient plus, monte sur scène et appelle les filles qui se contorsionnent autour des musicos ravis, alors maintenant qu'ils ont trouvé la portion d'autoroute dégagée de tout brouillard les Alley Cats accélèrent à fond. Vont nous faire durer le plaisir un bon quart d'heure, chacun à tour de rôle en soliste aura sa minute de célébrité, mais c'est encore mieux lorsqu'ils sont en collectifs, à plusieurs reprises quand ils commenceront à ralentir, Billy qui détient les clefs de l'horloge fera signe qu'ils peuvent, qu'ils doivent, encore donner toute la gomme, terminent tout de même parce qu'il le faut bien, sous une avalanche d'applaudissements. Sont rincés et ils débranchent. Croient en avoir terminé. Billy pour sa part ne coince pas la bulle avec le chanteur, conciliabulent tous deux quinze secondes, résultat de ce court colloque au sommet, un dernier cadeau, un petit, mais magnifiquement envoyé, un crochet du droit imparable qui vous détruit le foie et les amygdales en même temps qu'il vous ratiboise l'hypophyse et l'hypoténuse du triangle rectangle, un scud de Johnny Burnette, qui vous étend le public raide mort. Epargnez-vous le décompte. Téléphonez plutôt au fossoyeur. Ah, s'ils avaient foncé, dès le début, comme cela.

    THE NITE HOWLERS

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Enfin du pure rockab. Pas de l'approximatif. Je me retourne, n'y a plus que des blousons noirs devant la scène, comme par hasard, entre autres, la vieille garde du 3 B, les danseurs se sont miraculeusement éclipsés. Volatilisés. Une courte balance, et hop ils se sont tous enfuis sans demander leur reste. Finitude de funutude ! L'est certain que dans l'inter-set les Dieux du rockak ont fait le tri. Pour ceux qui ne savent pas faire la différence entre l'authentique et le simili, c'est assez simple. Le rockab est un art subtil. Equivaut à attraper les oiseaux en leur saupoudrant la queue avec un peu de sel.

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Maintenant les Nite, ils trouvent l'exercice trop facile, ont rajouté deux règles de base : premièrement ils ne chasseront que la nuit, c'est plus chouette, d'où leur prédilection pour les rapaces nocturnes aux serres acérées et au bec féroce. Deuxièmement, s'agit pas d'agiter en tout sens une salière et d'en gaspiller tout le contenu en comptant sur le hasard pour tomber pile-plume, juste un grain de sel, un pour chacun, mais à l'endroit idoine et adéquat. Olivier Laporte qui cornaque la groupe est un spécialiste, ne suit pas un régime, poursuit une rémige, celle de Charlie Feather qui l'a reçu chez lui et lui refilé un sacré coup – non pas de main – mais d'aile. Lui a appris le vol de l'aigle. Et ce jeu particulièrement difficile nommé le cul de la chouette.

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Un carré d'as disposé en pointe. Devant Olivier Laporte au chant et à la rythmique. En retrait sur sa gauche Thibaut Chopin. Ne choppe pas sa big mama brutalement pour la violer devant vous, non c'est le genre aristocrate, juste du bout des doigts, elle n'aurait pas grand chose à faire pour s'enfuir, mais elle reste, elle est trop bien sous les phalanges de son enchanteur, tout en douceur, s'en exhale une sonorité exquise en accord parfait avec l'air mi-détaché et le sourire ironique qu'affiche le visage de son maître, certains s'y couchent dessus, s'y vautrent avec une telle complaisance, une telle concupiscence sans frein que les jouvencelles ferment chastement les yeux, Thibaut ne donne pas dans ces exagérations fornicatrices, il caresse doucement, à croire qu'il fait cela sans y penser, en passant, faute d'avoir une occupation plus sérieuse, mais vous entendez le résultat, à peine si les cordes tressaillent, mais la brise tempétueuse qui s'en échappe vous gonfle les voiles du combo et lui impose une allure phénoménale.

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Derrière tout au fond, un petit jeune, un grand monsieur, les cheveux ébouriffés, une espèce de banane sauvage, si vous étiez un orang-outan vous y regarderez à deux fois avant de la cueillir, un véritable nid de serpents noirs, par contre l'a des yeux azuréens, une double trouée de ciel bleu illuminescente, s'adonne aux drums avec cette obstination démentielles des enfants particulièrement vicieux qui ont décidé de briser méthodiquement toute la collection des jouets préférés de leurs grands frères. Il y a des batteurs qui jouent, des qui rythmiquent, des qui frappent fort et d'autres qui y vont tout doux. Lui il casse. Vous lui refilez un break tout beau, tout neuf, tout droit sorti d'usine, quinze secondes plus tard il vous le rend tout tordu, rouillé, inutilisable, à jeter au rebut sans plus de tergiversation, un délice à écouter, l'enchaîne les catastrophes, avec le continu de la basse de Thibaut cela vous fait un sacré contraste, l'un qui astique la commode et l'autre qui en fait du petit-bois pour allumer le feu, l'un qui lustre la peinture de la berline épousant à merveille toutes les sculptures de la carrosserie, toute les méandres de la calandre, et l'autre qui s'en sert pour tamponner les arbres au bord de la route sans oublier de zigouiller les banquettes au cutter.

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Hélas, il n'est pas le seul insoumis dans cette équipe. A la droite d'Olivier Laporte, regardez bien le guitariste. Parce que lui, il ne vous concèdera pas un seul regard. L'a pire à faire. Un compte à régler avec sa guitare. L'est pas du genre à jouer à l'artiste qui essaie de se surpasser. L'est au maximum, de ce qu'un être humain parfaitement doué peut parvenir à réaliser au bout d'un demi-siècle de pratique. Lui, il sait, il a trouvé le riff qui tue, l'indépassable, l'insurmontable, s'il était un jazz man l'on dirait qu'il a atteint la note bleue, mais c'est un rockabilly-boy, donc il ne s'épuise pas dans la métaphore romantique de la sonorité divine, il vous la donne, vous la redonne et vous la surdonne. Vous ne la méritez pas, mais il ne sait faire que cela, exactement la même et jamais pareille. Un sorcier. l'amour coltranique ce n'est pas pour lui, lui c'est la haine suprême qu'il vise. A chaque fois vous recevez l'horreur, un phénomène qui tient aussi bien de la dégelée sibérienne que de la décharge d'une chaise électrique. Le gars qui brûle le feu rouge, rien que pour provoquer un accident mortel. Les blessés graves il les compte pour du beurre mou. Ça ne l'intéresse pas.

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Olivier Laporte devant. Avec les trois gaziers précédents, il pourrait se passer de sa guitare rythmique, s'en débarrassera d'ailleurs pour les derniers morceaux, à cette différence près que c'est en ces moments-là que l'on s'apercevra de ce qu'elle apportait au groupe. Un écho amplificateur à Chopin, et des rafales de stress à la manière des deux autres sauvageons. Avant tout le chant. Droit devant, qui réussit ce double prodige d'exaspérer et de camoufler toutes les sonorités divergentes. Le mariage de la carpe et du lapin, de la panthère et du tigre, de la grâce et de la cruauté, de la beauté et du sang. La jonction entre le yin et le yang. Olivier vous ouvre en grand la porte du paradis du rockabilly. Soyons franc, ça ressemble un peu aux fournaises de l'enfer. Ce n'est pas tout à fait de sa faute il a subi de mauvaises influences, de Benny Joy et de Ronnie Dawson pour ne citer que deux hors-la-loi. Je ne vous dresserai pas la liste des horreurs mais des attaques à main armée comme Rock all night with me, She's gone et Seven dates a week devraient être interdites.

    Un vrai combo de rockab, du sauvage, du fauve en liberté, du catapulté sans ménagement. Sachez apprécier la différence !

    FIN DE SOIREE

    Dj Rockin' Cat a pris la suite. Jusqu'au petit matin. Billy a gagné sa soirée, deux cent trente trois entrées, lui en fallait deux cents pour rentrer dans ses frais. Il y aura donc l'année prochaine une deuxième Rock'n'roll Party. Entièrement pure rockab, espérons-nous !

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Christophe Banjac )

    *

    La copine a poussé un cri qui m'a réveillé. Une roquette venait de tomber sur le lit, juste entre nous deux. Plus de peur que de mal, elle n'avait pas explosé, et à part le trou béant du plafond et les trois chats éventrés sur l'édredon dont la plume voltigeait tel de légers flocons de neige, les dégâts étaient somme toute minimes.

    • Damie, c'est quoi cette horreur !

    • Vraisemblablement un missile, n'oublie pas que nous sommes au mois d'octobre.

    • Parce que les missiles tombent en octobre maintenant !

    • Bien sûr, si tu avais lu la livraison 433 de KR'TNT ! tu saurais que les missiles sont du mois d'octobre, c'est bien connu.

    • Oh, regarde, l'envoyeur a scotché sa carte d'identité dessus, Lionel Beyet, c'est un terroriste islamiste, j'en suis sûre, c'est leur mode d'action.

    • Hum, pas de conclusion hâtive, examinons l'affaire, je dévisse le capuchon, hum, hum, je vois, un Jars, treize têtes chercheuses à haute capacité destructrice, spécialement conçues pour détruire les réseaux de communication ennemis.

    • Et ce Lionel Beyet tu sais qui c'est ?

    • Bien sûr, très connu du SSR ( Services Secrets du Rock'n'roll ), il vit en Belgique avec une de nos agentes Sisca Locca qui le surveille de près.

    • Et la Belgique va attaquer la France ?

    • L'affaire est plus complexe que cela, les Jars viennent de Russie, je subodore que Poutine a dû infiltrer et retourner à leur insu nos alliés bruxellois, comme nous avons ces derniers temps tendu la main à quelques groupes punk-russes, il nous prévient de nous tenir tranquilles. Bon tu prépares les cadavres de ces chats qui ne servent plus à rien en brochettes pour le petit dèje et pendant ce temps je tape le rapport.

    • Super idée, Damie chéri, j'adore les chats !

     

    JARS

    L'analogie avec le français Jarres est facile à entrevoir. Mais le traducteur propose Bocaux. Beaucoup moins poétique, beaucoup plus inquiétant. Evoque la pharmacie et les produits illicites, pour ma part il me plaît d'y entrevoir ces bocaux entreposés dans les réserves du Muséum d'Histoire des Sciences Naturelles de Paris dans lesquels sont conservés les fétus des monstres dont accouche parfois les parturientes. Des êtres aliéniques, des ratés, des ébauches, des brouillons d' inhumains que les médecins se hâtent de plonger dans le formol pour l'édification des étudiants et les poisseuses études des chercheurs sur les manipulations génétiques.

    DIFFUSION / JARS

    ( parution le 29 aôut 2019 )

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Ont déjà commis treize sonores objets avec divers personnels, celui-ci est le dernier. La pochette parle d'elle-même. Elle coule de source si j'ose dire, dénonciation sans équivoque de nos sociétés de surveillance. Affichent une belle formule d'auto description : '' Vous êtes pire que nous'' . Alors ne venez pas vous plaindre de ce que vous allez écouter. Le bureau des réclamations est définitivement fermé.

    Diffusion me souffle le traducteur. Cette traduction ne me satisfait que médiocrement. Peut-être est-elle adéquate, mais elle ne me semble pas cadrer avec l'esprit critique qui se dégage de l'opus.

    Diffusion : guitares saturées d'imminences catastrophiques ponctuées d'un cri d'horreur répété sans fin, avertissement sans frais qui fait froid dans le dos, s'ajoute une lente batterie hypnotique, sur laquelle se greffe une voix, une espèce d'annonce du désastre qui ne manque de débouler peu de temps après puisque le morceau dépasse à peine les deux minutes, prévoyez toutefois d'abattre vos voisins immédiats. Ce geste d'humanité les mettra définitivement à l'abri de ce qu'ils n'auraient pas eu le courage de supporter. Flicaille : étrange, même au fin fond des steppes russes tout le monde a l'air de les détester comme par ici, un son ample et un rythme rapide et dévastateur, tout à coup la batterie évoque des coups de matraques qui s'abattent sur des crânes, et la colère gronde dans une voix en stress de haine, mais tout s'accélère, sûr que les pigs sont en train de charger sur la barricade, folie dantesque, pas besoin de savoir la langue de Pouchkhine pour comprendre l'ampleur du désastre et de la révolte accumulée. Arrêt brutal. Mais ça repart de plus belle. Contrefaçons : boucan éhonté de forge, sidérurgie rugissante, une voix énonce les dictons de la dénonciation, réquisitoire implacable, c'est notre existence qui n'est que la contrefaçon de ce que Rimbaud nommait la vraie vie sauvage et libre, les guitares s'appesantissent, la voix ânonne des rugissements de haine, de brusques ruptures soniques pour marquer des accroissements d'intensité et de fureur. La fin est terrible, le batteur a décidé de casser le monde qui l'entoure, l'a abandonné ses baguettes pour des gourdins. L'empire : vraisemblablement du mal, si l'on en croit l'introduction au hachoir, un abattis de baratte sonore, une voix de dément échappé de l'asile qui s'aperçoit que dehors c'est encore pire que dedans. Les pistons de la machine vous écraseront définitivement, maintenant par le vocal rotorisé c'est la collectivité des fous qui surgit et s'exprime. Trop tard un dernier bruit facilement identifiable, celui des cervelles écrasées. The end. A côté de : ne vous embarquez pas sans biscuits de tranxène et d'angel dust, c'est parti pour près de dix minutes. Les plus longues de votre brève existence. Commencent par une espèce de litanie de guitares sournoises, une musique idéale pour accompagner votre cercueil que l'on amène à la fosse commune des illusions perdues. Des cymbales scintillent comme le glas du malheur et la pupille fixe des serpents. Réveillez-vous, vrombissements cordiques de bombardiers et fanfare battériales, même la mort n'est pas un repos, les morts-vivants que vous êtes se doivent de marcher droit au casse-pipe, au casse-vie, déchaînement orchestral vous ne vous en tirerez pas si facilement, la voûte du ciel s'effondre sur vous et vous écrase irrémédiablement de toute sa masse. Instrumental total. Crier est inutile. Des coups de pelles sur le talus de votre tombe, l'on tasse bien la terre pour que vous ne puissiez pas ressortir. Peut-être est-ce un rêve comparé au cauchemar précédent.

    VILNIUS III

    ( 12 Avril 2019 )

    see no evils,heavy nuggets,the red roosters,the alley cats,the nite howlers,jars

    Le douzième disque. Vilnius, parce que enregistré en public à Vilnius, capitale de la Lituanie. Profitons-en pour saluer la mémoire de ce prodigieux poëte que fut Oscar Vladislas de Lubicz Milosz premier représentant à Paris de la Lituanie libre en 1919, et auteur d'une des œuvres poétiques les plus puissantes de la littérature française. III, parce que celui qui précède est numéroté  II. Est-ce que les autres comptent pour du beurre, non, nous hypothésons plutôt l'envie de marquer la stabilisation du groupe sous sa forme de trio.

    Belle pochette. Conceptuelle. Soleil bas sur l'horizon. Très ambigüe. Lecture primaire : nous sommes tous interchangeables, la société dispose de nous sans que nous ayons quelque chose à dire. Lecture plus aigüe : ce n'est pas la main visible du marché qui nous manipule, c'est nous-mêmes, nous avons toujours une menotte de rabiot pour effectuer sur nous-mêmes tous les changements nécessités par les modulation du Système. Nous sommes auto-aliénables. Auto-adaptables. Des esclaves de bonne volonté.

    Intro : ne commencent pas sur du velours, tout de suite la puissance, la rapidité est surajoutée peu après mais comme mixée en filigrane, une espèce de gratté de guitare saupoudré en chapelure empoisonnée, beau tripalium de batterie sur laquelle se greffe une nouvelle ampleur sonore, ondulations rythmiques, la voix enfin comme fatiguée, venant de loin, griffée de guitares et qui s'affirme alors que la batterie lui barre le chemin, longue suite orchestrale snobée par une basse souterraine, la voix qui revient et qui se froisse, tout se referme comme une feuille de papiers qu'une poigne de fer rétracte en boule puante, il ne reste que la souffrance nue d'une voix altérée, bientôt submergée par une éruption volcanique de lave brûlante où tout s'emmêle, vocal et instruments, en un incendie crépitant, absence de chant, la musique s'achève en soubresauts à la façons des vipères dont vous écrasez la tête mais qui bougent encore dans les affres de leur violente agonie. Sur le fil du rasoir : moins de deux minutes d'écrabouillement, avez-vous déjà été transformé en hachis parmentier, si oui vous pouvez comprendre votre terreur lorsque des tintamarres de couteaux s'acharnent sur vous, la voix s'égosille à la manière d'un poignard que l'on vous plante à plusieurs reprises dans le dos. Les cris de l'assassin et de l'assassiné ne forment plus qu'un. Respirez c'est déjà fini. Vous n'avez pas échappé à la mort, mais au moins vous avez échappé à la vie. Somme toute, différence singulière, c'est rassurant. Comme en vacance près de toi : je ne voudrais pas faire du racisme primaire anti-slave, mais pour ce qui serait censé être une chanson d'amour, les russes ne donnent pas dans la dentelle. Font leur déclarations aux porte-voix, la moitié de la ville est au courant, un peuple ardemment passionné, vous avez le background orchestral qui nous fait le coup du bulldozer que le conducteur ne peut plus arrêter, alors il monte sur la cabine de pilotage et vous déclame son bonheur avec un organe que l'on doit entendre jusque dans la constellation du Chien. Z'ont le rut brut. Sécrétions vaginales et giclées spermiques coulent à flot. Cotobus : apparemment cela ne se traduit pas par abribus, peut-être le nom d'une yoglourtique bourgade bulgare, en tout cas ce n'est pas un temple de méditation bouddhique, un boucan de tous les diables, des vrilles de guitare et une rythmique de diplodocus géant, ça sonne et ça s'entrechoque de partout, doivent laisser tomber de quinze mètres de haut des tôles ondulées les unes sur les autres, z'ont dû feuilleter L'art des Bruits de Luigi Russolo, ambiance pandémoniaque garantie, ne mégotent ni sur le volume sonore ni sur la rapidité, haussent le ton et accélèrent le mouvement. Se calment quelque peu à la moitié du morceau, l'ensemble évoque un module de Calder atteint d'un début de Parkinson, c'est tellement beau que le chanteur s'aperçoit sur les vingt dernières secondes qu'il n'a pour le moment pratiquement rien fait, alors il nous glaviote de trois crachats stellaires, tellement appétissants qu'on ouvrirait la bouche pour les avaler. L'autre jour : longue partie musicale, guitares et batterie tamponnent à tour de rôle comme ces artistes de cirque qui s'y mettent en même temps à trois pour taper alternativement sur les épieux de fer qu'ils enfoncent sans coup férir dans les sols crayeux afin de ne pas laisser au pieu le temps d'être mu par la résultante de la force ramponnique qui le fiche dans le sol. Ralentissement du mouvement, le vocaliste y va par la ruse, il creuse sa voix puis il s'adjuge sans partage la première place, les autres se dépêchent de lui taper sur la tête pour lui montrer qu'il a beau raconter ce qu'il veut, ils sont des partageux égalitaires qui ne se laisseront pas supplanter par un beau parleur. N'a qu'à se taire pour leur permettre de déployer une belle cacophonie orchestrale du meilleur aloi. Quand c'est à nouveau son tour, on le sent plus vindicatif, mais la musique d'estampage reprend ses droits, plus question qu'il ouvre la bouche, le gros de l'ouvrage n'est pas terminé, un potin de tous les diables, alors à la toute fin il arrache son bâillon psychologique et il vous leur file une magistrale engueulade sans sommation qui les cloue par terre. Flicaille : décidément les faces de rats – mea culpa je reconnais que ce n'est pas gentil envers ses rongeurs doués d'intelligence - sont partout, intervenaient déjà dans le disque précédent, coucou les revoilou. Etrangement ils produisent le même effet de répulsion. Même que l'avantage du live galvanise nos déterreurs de pavés, colère décuplée, vous les sarclent de bien belle manière, hurlements de rages et galopades instrumentales. Persona non grata. Ad vitam aeternam, aurait écrit Tacite. J'ai besoin d'ennemis : manifestation de l'instinct grégaire, si l'on vous offre une vie calibrée, l'est temps pour vous de sortir votre calibre et d'apprendre au monde entier que vous n'acceptez pas une existence aseptisée. Vous placardent cela sur les affiches en grosses lettres de leur introduction tonitruante, parfois il faut savoir déclarer la guerre. Roulements de guitares grandiloquentes, mais c'est à la voix que vous reconnaissez qu'ils cherchent la bagarre, un timbre à la Vince Taylor dans Trouble, l'est sûr que l'ennemi tient la bonne place et que ça va chauffer subito pour ses abattis. Voix féline et distributions gratuites de claques de cymbales, s'énerve de plus en plus, sûr qu'il va nous péter une durite. Voilà c'est fait. Quel baston métaphysique mes aïeux ! Ça ne règle pas l'ensemble du problème, mais ça fait du bien aux oreilles de l'auditeur. Empire : n'est pas mort, contre-attaque même méchamment. Z'avez intérêt à vous garer car il distribue des horions élevés en batterie, Jars le dénonce avec rage, mais peut-être est-il trop fort et invincible. Un monstre inamovible. La colère gronde. Fin de non-recevoir brutale. Vous vouliez un ennemi. Le voici. Ne réveillez pas le serpent qui fait semblant de dormir. Sabotage : ne plus affronter la bête immonde de face, Jars hurle ses mots d'ordre, sabotez tout ce vous pouvez. Déboulonnez, déconnectez, barrez les chemins, coupez l'électricité, allumez des incendies, débranchez les pipe-lines. Organisez le chaos. L'album se termine par un beau tumulte. Essayez d'en ressortir vivant.

     

    Le punk ruskov. Beaucoup moins décharné que l'occidental. Reste encore du gras au poulet. Oscille métaphoriquement entre les orchestrations de Borodine et la bataille de la redoute de Borodino. Dans les deux cas, une grande dépense d'énergie. Certains donnent de la confiture aux cochons, eux se contentent de pourvoir les reptiles en amphétamine.

    Damie Chad.

    *

    L'on était en train de déjeuner. En douce je refilais les brochettes à Molossa qui les happait gloutonnement. Manifestement croquer de l'ennemi héréditaire à pleines canines lui agréait fort.

      • Succulentes tes brochettes !

      • Oh ! Oui ! J'ai voulu leur faire un dernier cadeau à mes chéris, je les ai entourées d'une chapelure de surimi trempé au lait, agrémenté des noisettes chocolatées de leur friandise Super-félin qu'ils préféraient, la plus chère de toutes, mais la seule à la véritable odeur de queue de souris provenant d'élevage bio-éthiques. !

      • Ah! c'est cela ce petit goût étrange venu de nulle part !

      • Par contre tes Jars – tu sais j'ai lu ton rapport – ils me paraissent extrêmement dangereux. Fais attention si tu es amené à les rencontrer.

      • Oui, sans doute à la Comedia la semaine prochaine.

      • Mais ce que j'ai préféré c'est ton allusion à Milosz, mon poëte préféré ! Mais je me demande...

      • Que te demandes-tu ma chérie ? Peut-être pourrais-je répondre à tes interrogations que je suppose subtiles et pertinentes.

      • Si toi aussi, quand je te quitterai, tu te tireras comme lui, une balle dans le cœur, ce serait formidable. Et puis tu pourrais faire encore mieux que lui, un désespéré qui survit ce n'est pas assez romantique, toi tu pourrais mourir ! Ce serait une super preuve d'amour !

      • Heu ! C'est certainement une très bonne idée, mais je ne crois pas que je le ferais, au fond je suis un être lâche et veule. Et puis je ne t'aime pas.

      • Quelle horreur ! Je me suis trompée sur toi, moi qui pensais que tu étais un héros ! Tu me déçois. J'aurais dû m'en douter, tu crois que je n'ai pas vu ton jeu hypocrite avec ton sale chien !

    Je préfère ne pas vous raconter la suite, elle a commencé à me bombarder avec tout ce qui lui tombait sous la main. Molossa en a profité pour faire une OPA sur le plat des brochettes. Autant de pris sur l'ennemie. Surtout que l'on s'est retrouvés dehors sous une pluie battante. Ce n'était pas bien grave, j'avais pu récupérer mon rapport sur les Jars.Ce n'est pas une espionne russe du FSB ( ex-KGB ) qui va retourner le SSR !

    Damie Chad. ( Agent du SSR. )