Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

urge overkill

  • CHRONIQUES DE POURPRE 571 : KR'TNT 571 : BUTTHOLE SURFERS / DARTS / URGE OVERKILL / EIGHTIES MATCHBOX B-LINE DISASTER / GEESHIE WILEY & ELVIE THOMAS / ROCKAMBOLESQUES / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 571

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 10 / 2022

    BUTTHOLE SURFERS / DARTS

    URGE OVERKILL / EIGHTIES MATCHBOX B-LINE DISASTER

      GEESHIE WILEY & ELVIE THOMAS

    ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 571

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com

     

    Les Surfers ont pris de la Butthole

     

    z19171dessin1.gif

             Oh comme il a raison Ben Graham de s’extasier sur les Butthole Surfers ! Il le fait dans le cadre d’un petit book paru récemment et pas facile à trouver, Scatological Alchemy: A Gnostic Biography Of The Butthole Surfers. Remarquablement bien écrit, on voit très vite que c’est un book de fan, car il sait communiquer son enthousiasme. Certaines pages vibrent pour de vrai. Graham qui est cultivé se paye le luxe d’ancrer l’histoire des Butthole dans Dada, mais il fait surtout l’apologie du Texas rock psychédélique et des drogues. L’histoire des Butthole préfigure celle de Fat White Family, avec le même goût du chaos, mais la différence avec les Fat White, c’est que les Butthole ont enregistré d’excellents albums. 

             «Les Butthole Surfers sont arrivés du Texas comme une tornade de brutal, ugly noise, surrealist free association, sick humour and rampant, anti-establishment chaos qui a ruiné des pans entiers de l’histoire du rock.» Graham démarre en trombe avec cette métaphore d’une justesse magistrale. «On les considérait à l’origine comme un groupe punk, mais ils étaient surtout la suite du acid-driven mouvement psychédélique qui avait connu son âge d’or dix ans auparavant.» Graham évoque bien sûr le 13th Floor. Et c’est là qu’il se fend de son couplet Dada. Il rappelle que Dada s’est formé en réaction contre la boucherie de la Première Guerre Mondiale - plus précisément contre les forces qui ont sous-tendu cette guerre, le conformisme bourgeois, la culture mainstream, la pensée rationnelle, les lieux communs, la moralité et les structures sociales, politiques et économiques. Pour lutter contre ces monolithes, Dada a utilisé des actes irrationnels, des déclarations et des comportements volontairement choquants, du non-sens, des clowneries, de la provocation, de la satire et de la magie. Les idées de Dada furent un peu plus tard formalisées et commercialisées par les Surréalistes. Si Dada était punk, alors le surréalisme était la new wave. D’ailleurs, le mouvement punk fut perçu comme une résurgence de the original Dada spirit, comme l’indique Greil Marcus dans Lipstick Traces - Voilà, on t’avait prévenu, Graham et un bon. Il te permet en plus de réviser tes leçons. Il enfonce son clou en affirmant que les Butthole ont ramené the Dada elements of punk dans leur époque, out in the open - Ils se limitaient à choquer et à provoquer, car ils n’étaient pas vraiment doués musicalement, ils jouaient fort et braillaient des textes insultants, ce qui était aussi le cas de beaucoup de groupes punk, mais les Butthole savaient aussi se montrer ridicules, ils étaient souvent à poil, ou couverts de vêtements, ils chiaient et pissaient sur scène - et dans son élan, Graham s’en va chercher Easy Rider : «This was absolute freedom, the American dream taken to its furthest frontier. Mais comme le dit Jack Nicholson dans Easy Rider, parler de liberté est une chose, montrer aux gens ce qu’est la vraie liberté en est une autre, ça leur fout la trouille et ils peuvent devenir dangereux.» Et Graham s’enflamme en affirmant que Paul Leary was one of the most innovative guitar players of his generation.

    z19207bookburns.jpg

    ( Butthole Surfers / 1987 / from Burns' Book - voir plus loin )

             Tout ça dans les six premières pages. Tu sentais confusément que les Butthole étaient un gros truc, et Graham t’éclaire la lanterne. Il parle d’alchimie scatologique : «They have turned shit into gold.» Oh et puis il y a le Texas et sa mythologie d’absolute independance by any means necessary, il évoque the special place in psychedelic history, et cite les Elevators, Golden Dawn, Zakary Thaks, the Lost And Found, tous ces gens harcelés par les flics et les rednecks, mais c’est parce qu’ils étaient harcelés qu’ils sont devenus ce qu’ils sont devenus, ça les a durcis, ça a durci leur son, «so that Texan psyschedelia became characterised by a snotty, kick-ass punk element, d’autant plus que tout ça trempait dans une authentic acid experience» - Le culte des Elevators continua de grossir après leur disparition, mais si un groupe a réussi à maintenir le spirit of Texan psychedelia au long des fucking années Reagan, c’est bien les Butthole Surfers - Les Butthole montent sur scène sous acide, comme les Elavators, Gibby se fout à poil et simule une partie de cul avec Kathleen, Aka Ta-dah The Shit Lady - The Butthole se sont jetés dans les flammes, à la scène comme à la ville, dans leur musique comme dans leur vie, ils sont allés jusqu’au bord de l’abîme. They were America’s last great psychedelic band. Ils sont allés plus loin que les Elevators, Jimi Hendrix, l’Airplane, le Dead, le Velvet ou tout autre ‘out-there’ sixties group qui puisse venir à l’esprit - À l’époque où ils débutent, ils croisent d’autres groupes devenus légendaires : les Big Boys de Tim Kerr, Stickmen With Rayguns et the Hugh Beaumont Experience - Fort Worth’s infamous teen punk band the Hugh Beaumont Experience - dont fait partie un futur Butthole, King Coffey, lequel King partage avec Gibby et Paul un goût prononcé pour le punk-rock, l’art et les drogues psychédéliques. Gibby et Paul sont particulièrement impressionnés par sa façon de jouer de la batterie debout. Ce sont surtout les Big Boys qui mènent le bal de la scène locale, ils considèrent les Butthole comme their little brothers, nous dit Burns, de la même façon que le MC5 considérait les Stooges comme leur baby band. Burns évoque aussi the spaced out alien locks of guitarist Tim Kerr.

    z19179butthole.jpg

             L’histoire des Butthole se met en route sous nos yeux globuleux, autour du duo Gibby/Paul Leary. King Coffey bat le beurre. Comme ils sont devenus potes avec Jello Biafra, leur premier EP sort sur Alternative Tentacles en 1983. Cet EP sans titre sera retitré un peu plus tard Brown Reason To Live, va-t-en savoir pourquoi. Ils optent aussitôt pour le freak-out extrémiste et c’est insupportable. Toute l’A est mauvaise, presque post-punk, mal chantée, pas sexy. Graham parle de some kind of All-American Satanic ritual. Il faut attendre «Wichita Cathedral» en B pour se régaler d’un excellent bim bam boom de Butthole. C’est leur vision du stomp, monté sur un bassmatic bien rebondi. Et ça se termine avec «The Revenge Of Anus Presley», the concentrated fatty essence of deep-fried southern rock’n’roll.

    z19180pcp.jpg

             Un an plus tard, ils récidivent avec un autre EP, Live PCPPEP. Même bordel, c’est confus et privé d’avenir. Ils font du trashy-trasho à la ciboulette, enfin on peut appeler ce bordel comme on veut. On retrouve «Wichita Cathedral» qu’ils attaquent à la heavyness parégorique. Ces mecs ramènent du son comme d’autres ramènent leur fraise. Mais c’est tout ce qu’on peut dire de cet EP vert. 

    Z19194DEVANT.jpg

             Il existe un deuxième Butthole book, beaucoup plus fouillé : Let’s Go To Hell: Scattered Memories Of The Butthole Surfers. On doit ce gros pavé de 500 pages à James Burns, le bien nommé. Il n’est pas aussi intense que Ben Graham, mais son pavé complémente bien ce petit chef-d’œuvre qu’est Scatological Alchemy. Burns fait intervenir directement les principaux acteurs de cette épopée, et ça donne une sorte d’oral history. Comme Graham, Burns est un fan de la première heure. Il rappelle que the touring ethic des Butthole n’avait aucun équivalent - même pas les Minutemen qui jouaient 50 shows en 50 jours, mais qui rentraient chez eux après la tournée. Les Butthole n’avaient pas de maison et vivaient dans leur bagnole.

    Z19194DOS.jpg

             En 1984, ils s’embarquent à bord du Chevy Nova de Terence Smart pour une tournée à travers les États-Unis qui va durer trois ans. Ils ont viré la banquette arrière, de sorte qu’on puisse  dormir à l’arrière. Les instrus et le matériel sont dans une remorque. Ils ont peint ‘Ladykiller’ sur le côté et attaché du fil barbelé sur le pare-choc avant. Teresa qui vient de rejoindre le groupe indique que la virée a duré trois ans - We never came back to Austin - Teresa lavait la vaisselle at the Peacan Street café et quand elle rencontre les Butthole, elle les prend pour des rock stars parce qu’ils connaissent Jello Biafra. Ils embauchent Teresa comme deuxième batteuse, «like the Grateful Dead, the Allman Bros, or the JBs», nous dit Burns qui lui aussi s’enflamme : «The rhythm section became like a steamroller. They took Killing Joke, the Velvet Underground, Wire and the Jimi Hendrix Experience together and interwined them like the roots of a banyan tree.» C’est exactement ce qu’on voit dans le Butthole DVD, Blind Eye Sees All. Live In Detroit 1985. Teresa et King Coffey sont un vrai pilon des forges. Et Burns recrame de plus belle : «Pendant la plus grande partie des années 80, les Butthole Surfers furent sur la route, prenant des acides pour rester éveillés pendant les marathons de 3000 miles d’une côte du pays à l’autre, vivant dans un van pendant trois ans, sans domicile, ni relations sentimentales, ni argent.» Ils trouvent le temps de passer un accord tacite avec Touch & Go, un label indé de Chicago, sur lequel paraît leur premier album, Psychic Powerless Another Man’s Sac.

    z19181psychics.jpg

    Ils optent pour un parti-pris graphique sans merci : les pochettes sont encore plus libres que leur son. Dès «Concubine», ils renouent avec leurs vieux bon côtés. Ils disposent de ce qu’on appelle the natural heavyness. Ils commencent d’ailleurs à cultiver leur réputation de groupe culte, grâce à leur goût du foutraque. Comme c’est du foutraque texan, ça plaît en Europe. Les cuts hirsutes se succèdent, mais Paul Leary est toujours intéressant. Graham indique qu’ils singent le «surf-gothic hardcore punk des Dead Kennedys». Il parle aussi d’«early eighties electro-pop gone horribly wrong» et d’«hideous vocoder abuse». Il qualifie aussi «Woly Boly» de «psychobilly chicken dancing number qui assimilerait le son des Cramps et de Brithday Party, and dragging back to Captain Beefheart territory» - Leary’s twisted guitar part is certainly  worthy of either Roland S Howard or Zoot Horn Rollo - Dommage que la voix de Gibby Haynes ne soit pas bonne. Il chante faux la plupart du temps. Quand ils font du post-punk mal chanté, comme dans «Negro Observer», on perd patience. On croit entendre l’un de ces atroces groupes gothiques anglais. En B, ils optent pour la provocation et dans le redneck cowboy fuzz-stomp de «Lady Sniff», ils pètent, ils dégueulent, ils crachent, ils font tout ce qu’il faut pour choquer le bourgeois. On assiste plus loin à une belle déclaration d’hostilité avec un «Mexican Caravan» joué ventre à terre - fractured take on the Damned’s «Neat Neat Neat» - et Paul Leary freine des quatre fers, mais de manière acrobatique. Il fait encore la pluie et le beau temps dans ce heavy doom de cul de basse fosse qu’est «Cowboy Bob» - «Cowboy Bob» kicks in like Hawkwind’s «Brainstorm», with Lemmyesque bass and sax blurts of Nik Turner, all flanged vocals and headbanging downer psychedelia - Quand ça sonne bien au chant, c’est Leary qui chante, «and turns in a classic garage-psych guitar solo.» Graham qualifie cet album de freaky party record. Burns rappelle que les photo recto et verso de pochette sont signées Michael Macioce, un photographe rencontré à New York. C’est Paul Leary qui flashe sur celle du verso, Cherub the angel.

    z19206angel.jpg

             Sur scène, les Butthole deviennent une sorte de Cecil B DeMille apocalypse. Dans le NME, on les décrit ainsi : «Beefheart, the Virgin Prunes, Residents, Dead Kennedys, Hawkwind and the Mothers of Invention all naked and rolling around in a bestial orgy.» Sur scène, Gibby enfile dix robes qu’il arrache une par une pour finir à poil. Dans son book, Graham collectionne les détails de tous les excès scéniques, notamment à l’époque où Kathleen danse sur scène avec le groupe. Mais leur point faible sera toujours le bassiste : fatigué de la pauvreté, de la malnutrition et des excès, Terence Smart quitte le groupe en 1985, après un concert à Atlanta. Comme Graham, Burns parle de la création d’un monster - The monster is us: it is sex, death, drugs, life, lies, neuroses and politics. Not the politics of government, but the politics of the mind.

    z19205shokabilly.jpg

             En 1985, Mark Kramer de Shockabilly rejoint les Butthole. Burns rappelle que Shockabilly était avec Sonic Youth «among the biggest bands in the New York scene». Eugene Chadbourne qui est le guitariste de Shockabilly est par la suite devenu assez culte. Mais Kramer n’en peut plus de voir Chadbourne vendre ses K7 après les concerts de Shockabilly et il finit par lui dire to go fuck himself. Chadbourne ne pensait qu’au blé - He’d become a fisrt class prick, and a completely fucking miserable human being. Après son passage dans les Butthole, Kramer va monter Bongwater, son studio et son label, Shimmy Disc Records, spécialisé dans la «Downtown scene», les groupes les plus connus étant Galaxie 500, Ween et King Missile. Quand Kramer quitte le groupe, Teresa qui est épuisée rentre aussi chez ses parents. Les Butthole se retrouvent à trois. King : «C’était dur et nous n’étions pas des gens faciles à vivre, il faut bien le reconnaître.» Tout s’arrange avec l’embauche de Jeff Pinkus, un bassman qui comme eux adore jammer sur Sabbath et Blue Cheer. Pour Burns Pinkus est le bassman qui a le plus contribué au son et à l’image des Butthole. «Bill Jolly avait rendu le groupe célèbre au Texas, et grâce à Terence Smart, le groupe est parti en tournée à travers le pays. But Jeff brought them up from the street and out into the cosmos.»

             The «on-stage sex show» avec Kathleen continue. Burns : «The show cemented their reputation as the most dangerous touring band in existence.» Plus de lois ni de règles, ils avaient créé les leurs. Une certaine Kabbage se joint à eux comme deuxième batteuse, en remplacement de Teresa, mais elle bat tous les records de puanteur, au point que les Butthole finissent par s’en débarrasser en la déposant à un arrêt d’autobus. Ils poursuivent nous dit Burns leur «never ending coast to coast death race». Quand tous les groupes célèbres à l’époque, Jane’s Addiction, Pixies et Red Hot Chilli Peppers, ramassent des tonnes de blé et s’achètent des voitures, les Butthole continuent de tirer la langue et mettre leurs sous de côté pour enregistrer. Teresa : «Le seul moyen que nous avions de continuer à enregistrer était de ne pas nous payer.» Les Butthole ne vivaient que des concerts. Le seul choix qu’ils avaient nous dit Burns était «entre ne pas tourner et ne pas manger, ou tourner et ne pas dormir». Burns dresse un étrange parallèle entre les Cramps et les Butthole - The Cramps, one of the few bands who could actually rival the Butthole on stage - Alors que pendant 15 ans, les Cramps ont développé their own psychotic hillbilly beach parties, les Butthole cultivaient de leur côté le full blown freakout et veillaient à ramener sur scène toute l’insanité du monde. En 1988, les Butthole jouent en première partie des Cramps à Washington D.C.

    z19182rembrandt.jpg

             Dada pointe le museau sur Rembrandt Pussyhorse paru en 1986. Oui, Tzara aurait adoré «Waiting For Jimi To Hide», car c’est du vrai Dada d’entre-deux, comme ça en passant. Pas mal, le Dada texan, en tous les cas, ils s’amusent bien. Graham : «Avec Rembrandt Pussyhorse les Butthole on trouvé leur son : a dark, compelling mixture of psychedelia, avant-garde noise rock and a sick, surreal sense of humour.» On trouve aussi une belle bourrache de stomp sur l’astonishing deconstruction of «American Woman». Les Butthole se montrent capables de ramener énormément de son, ils se fendent ici d’un big beat indus, le vrai beat des forges du Creusot, avec la vapeur et les murs qui tremblent. En B, on devra se contenter de «Perry», un freak-out monté sur un riff envahisseur. Power & Texas blast. Mais tout le reste est à jeter. Graham : «Rembrandt Pussyhorse est un album extrêmement sombre et torturé qu’il ne faut pas écouter en conduisant. Ni en prenant des drogues hallucinogènes, sauf si vous êtes le genre de maso qui apprécie cette espèce de fucked-up fun. Comme le dit le proverbe : in your head be it.»

    z19183locust.jpg

             Les Butthole continuent de se montrer avares d’infos avec la pochette de Locust Abortion Technician. Contentons-nous de savoir que les clowns sont peints par Arthur Sarnoff. Mais c’est avec cet album qu’ils montrent enfin leur vrai visage. Gaham dit qu’il s’agit du meilleur album des Butthole - Their heaviest and most extreme - Et il ajoute, le souffle court : «Ce n’est ni du punk, ni du goth, ni de l’indus ou du heavy metal, mais leur son intègre ces éléments. This is the Butthole Surfers in full-on acid psychosis mode, qui ne ressemble à rien de ce qui existait avant, et que peu de gens ont osé approcher depuis.» Les Butthole commencent à émerger en tant que rois du heavy sound, et ce dès la cover de «Sweat Loaf», tiré du Master Of Reality de Sabbath - Les Butthole attrapent un couteau de cuisine rouillé pour vous ouvrir sur le front le troisième œil. Look ! See the horror ! - Dans les années 80, Sabbath n’était plus en odeur de sainteté, mais nous dit Graham, les Butthole reconnaissaient en eux the very primal ooze of rock et savaient que la stupidité constituait son essence autant que l’énergie ou the darkness - La heavyness ne leur fait pas peur. C’est même leur péché mignon. On commence alors à les prendre au sérieux. «Pittsburg To Lebanon» sonne comme un chef-d’œuvre de heavy blues joué au raw texan. Cette immense merveille de gras double s’étend jusqu’à l’horizon. En B, ils font du trash-punk avec «The O-Men» - Pure Texas psychedelia, lost in a bad trip on too much peyote and trucker speed - Ils ne reculent devant aucun excès, c’est d’ailleurs ce qui fait leur grandeur. On croirait entendre du trash-dada tellement c’est audacieux, avec cette voix de va-pas-bien. S’ensuit un petit délire d’exotica asiatique nommé «Kuntz». Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on pourra se mettre sous la dent. Quatre cuts, c’est déjà pas mal. Graham qui n’en finit plus de loucher sur Paul Leary ajoute qu’il ramène la même énergie qu’Hendrix dans «Star-Spangled Banner» ou Eddie Hazel dans «Maggot Brain». Selon Burns, Locust est devenu l’archétype de l’album qu’on fait comme on a envie de le faire, sans aucun objectif commercial et sans craindre de perdre des fans - On their own terms, dit Burns. Il ne s’arrête pas là, le Burns. Pour lui, Locust est un big FUCK YOU adressé au mainstream rock. Et alors que des groupes comme Devo, Throbbing Gristle, les Residents et Pere Ubu s’engagent dans des voies obscures qu‘on qualifie de punk ou de post-punk parce qu’on ne sait pas comment les qualifier, les Butthole renouent avec le rock des seventies.

    z19204cathleen.png

             C’est l’époque où Kathleen danse sur scène avec le groupe. Elle tourne donc avec eux. Ils passent vingt heures par jour dans le van et comme elle est anti-hygiène, elle dégage une drôle d’odeur. Elle ne se lave jamais, elle adore la merde et la pisse et tout ce qui peut sortir du corps. Quand les autres Buttholes chopent des morpions, elle les adopte comme des animaux domestiques. Kathleen avait bossé dans un peepshow de Times Square et une nuit, alors qu’elle avait chopé un virus intestinal, elle arrosa accidentellement le mur de merde. D’où son surnom de Ta-Dah the Shit Lady. Sur scène, elle danse à poil, comme Stacia le fit au temps d’Hawkwind. Alors forcément, les salles de concert se remplissent.  

    z19184airway.jpg

             Génial ! Aucune info sur la copie Touch And Go d’Hairway To Steven qui est ici. Ni les titres des cuts, ni les noms des gens. Les seuls indices sont des petits crobards sur les rondelles des labels. Si on observe attentivement les petits personnages et les animaux, on voit qu’ils chient. Les Butthole cultivent des obsessions scatologiques. Après enquête sur Discogs, on découvre que le long cut d’ouverture de bal d’A s’appelle «Jimi». Alors attention, car c’est piétiné dans l’épaisseur du pire blues rock texan, on a là une vraie pulsation antique, ils jouent avec brutalité et donc c’est vite grandiose. Ça vaut tout Killing Joke. Les Butthole ont du génie et leur génie consiste à s’éloigner des voies conventionnelles du rock pour tenter l’aventure de l’avant-garde. Ils allument plus que tous les géants du blues-rock réunis, ils découvrent des territoires inexplorés. On tient là l’un des disques les plus édifiants de cette époque. Ils tâtent de la folie, souvenez-vous brothers & sisters que la folie est l’essence même du rock. Il y a dans «Jimi» tout le power de «Sister Ray» et de «Death Party», le Velvet et le Gun Club se mélangent à la crazyness texane - Some of Paul Leary’s most demented guitar playing - Avec «Ricky», on voit qu’ils savent gratter des poux et ils terminent cet effarant balda avec «I Saw An X-Ray Of A Girl Passing Gas» qui frise les Fugs dans le côté hargneux et pouilleux. C’est tellement chargé de son qu’on s’en épate. Gibby Haynes rajoute des maniérismes anglais dans le chant et un violon renvoie directement à Family. Ils attaquent leur bal de B avec du Dada texan, le plus incongru qui soit. Le cut s’appelle «John E. Smoke» et bat les Godz à la course. Ils racontent l’histoire de John E. Smoke avec de l’Americana schtroumphée et mine de rien, ils blastent leur son en déconnant. Ils font du pur Joujouka avec «Rocky» qui fut composé pour Roky Erickson, mais celui-ci refusa de l’interpréter, nous dit Graham. Puis ils font du rockab psychédélique avec «Julio Eclesias». Ils montrent une stupéfiante aisance à mixer les genres et là, ce démon de Paul Leary passe un solo de jazz guitar, avec ce débridé énergétique qui caractérise le freak-out texan. En fait c’est le même élan vital que celui du 13th Floor. Ah il faut entendre cette machine rockab derrière et ces fabuleux coups de starter en cours de route. Encore du heavy as hell avec «Backass». Ils visent cette fois le heavy psyché anglais. Diable, comme leur mad psyché peut être belle, elle vaut tout l’or du monde, bien crazy, bien déjantée. Ils terminent en mode wild gaga avec un truc qu’ils appellent «Fast Song». Paul Leary joue comme un desperado. 

    z19203slackers.jpg

             En 1988, les Butthole ont en marre de la bohème et s’installent dans une ferme, à quarante bornes d’Austin. Tous sauf King Coffey qui préfère rester en ville. Épuisée, Teresa a quitté le groupe pour rentrer chez ses parents. On la voit, Teresa dans Slackers, un film underground texan. Elle apparaît dans une scène et se lance dans un monologue psychotique sur Madonna. Elle porte une casquette noire et des lunettes noires. C’est un plan très bizarre.

             Après le départ définitif de Teresa, les Butthole deviennent nous dit Burns «a solid rock freak out. Not the sloppy lo-fi southern-fried punk of their early days, nor the experimental art damaged drug orgy of yesteryear, but a more firespitting comet of hardcore psychedelic rock, shooting across the intergalactic space somewhere between Hawkwind’s «Motorhead», Blue Cheer’s «Second Time Around» and Steppenwolf’s «Foggy Mental Breakdown». Bien vu Burns ! Il ajoute plus loin qu’aucun groupe ne peut survivre pendant dix ans à ce niveau de madness, même pas les Butthole qui l’ont pourtant fait plus longtemps que n’importe quel autre groupe - Que ce soit par choix ou par nécessité, on ne peut que les honorer d’avoir été the most dedicated band in the history of Texas Rock’n’Roll. Et c’est là qu’ils décrochent un contrat chez Rough Trade, avec $100,000 à la clé.

    z19185plouughd.jpg

             Leur meilleur album paraît en 1991 et s’appelle Piouhgd. Imprononçable. Il faut comprendre «pee-oh-d», c’est-à-dire pissed-off. Au dos de la pochette, un graphiste a bricolé leurs photos. On était alors à l’aube de l’ère Photoshop et c’est vrai qu’en découvrant les outils, on pouvait parfois bien s’amuser. La déformation des visages donnait parfois des résultats intéressants. Cet album grouille de heavy stuff et dès «Revolution Part 1» et le Part 2 qui suit, Paul Leary se paye une fantastique partie de gras double de stoner rock jam. Il travaille la lancinance au corps, il dispose d’un beat solide. C’est encore du blues rock Dada, ils gueulent des prénoms et ça bascule dans la transe de la prescience - Gary Gary ! - Le chant entre en perdition d’acid freak-out. Ils font plus loin une excellente cover d’«Hurdy Gurdy Man», idéale pour un trip texan. C’est Paul Leary qui chante «in dislocated fashion, while his guitar solo dips and cuts like a shell-shocked gravedigger decomposing in the acid rain, or limps across the ultra-violet sky like a haemorrhaging seagull.» Retour au heavy Texas blast en B avec «Blindman». Aw my Gawd, comme ces mecs sont bons, comme ils poussent bien leur bouchon dans le gras du blues, ils culminent dans les virages, ils rivalisent d’ardeur avec Mountain et sortent le grand jeu du freak-out à la Cactus - A classic Butthole grind, Stooges and Cramps influenced hard rock with unintelligible vocals that speed up nightmarishly - On croit entendre les Mary Chain avec «Something». Même son, même beat, même écho. Symbiose parfaite, Paul Leary peut sortir le grand jeu comme William Reid. Retour à la mad psyché texane avec «Psy», ils ramènent tout le lard de la matière, leur blast foisonne, ils multiplient les plongées histrioniques dans les nuages de bassmatic et de blasting booms. C’est l’un des plus spectaculaires freak-outs de l’histoire du rock. Graham : «Don’t write off Piouhgd as a mess. Okay it is a mess, but it’s a glorious one. And the Butthole Surfers never claimed to be consistent afeter all.»

    z19201lopalooza.jpg

             Et puis on tombe sur le chapitre qui s’appelle ‘Clean Up’. En 1991, les Butthole s’assagissent. Ils ont un peu de blé et participent à Lollapaloooza, un concept de festival imaginé par Perry Farrell en hommage à son groupe, Jane’s Addiction, et à tous les groupes qui les ont influencés, à commencer par les Butthole - Perry had just the vision, and ego, to pull it off - Paul Leary : «C’est la première fois qu’on n’avait pas à conduire notre van, à installer nos amplis, à accorder nos guitares et à réclamer notre blé. Comme on avait les mains libres, on pouvait se défoncer un peu plus.» Projet risqué, Lollapaloooza est un succès et devient au fil des ans le vivier dans lequel viennent pêcher tous les gros labels : l’underground devient à la mode. Un mois après le premier Lollapaloooza, Geffen sort le Nevermind de Nirvana. Le rock connaît alors sa dernière révolution. C’est grâce à Lollapaloooza que les Butthole décrochent un contrat chez Capitol.

    z19191dogs+++.jpg

             Comme ils ramassent un peu de blé, ils abandonnent le mode de vie en collectivité pour essayer de vivre comme des «gens normaux». Paul Leary va même jusqu’à se marier ! Gibby et Jeff Pinkus s’installent eux aussi dans des baraques. King Coffey profite de son blé pour monter son label, Trance Syndicate. Paul Leary enregistre son premier album solo la même année. L’album s’appelle The History Of Dogs. Graham le compare à l’Automatic des Mary Chain et à Vision Things des Sisters Of Mercy. Il y trouve aussi un «metronomic take on Texas boogie that ZZ Top trademarked on 1983’s Eliminator.» Il parle encore d’un «oblique, hermetic solo statement». C’est on s’en doute un album somptueux. «Apollo One» sonne tout simplement comme une course vers l’avenir du rock. Paul Leary devient féroce, il fait gerber un punk-rock liquide comme une diarrhée, il chante sa diarrhée au liquide pur. Ce mec a du génie. Bienvenue dans la modernité, il fit rimer Dada avec fracas, c’est exceptionnel. Il repart au chant liquide avec «Dalhart Down The Road». Il a tout compris, il fait du punk-blues organique, du Texas romp diarrhéïque, le solo est un chef-d’œuvre de dégueulis d’overdose, merci Paul, pas de pire folie, pas de pire déviance d’esprit rock, c’est digne de Roky. Il revient à la petite couture à deux voix pour «How Much Longer», il est têtu, il insiste, il joue contre vents et marées, il est en avance sur tout le monde, même sur Tim Presley et John Dwyer. Graham a raison de citer les Mary Chain car les voilà dans «He’s Working Overtime» : même vent de folie, Leary est au cœur de la tourmente, même sens du génie sonique, avec la basse qui traverse la tempête, Mary Chain, oui, but the Texas way, baby. Il ramène les tambours de guerre indiens dans «Indians Storm The Government», c’est un rêve qu’il met en musique, il tape ça au délire Butthole, il s’y connaît en tambours de guerre. Paul Leary est un mec extrêmement aventureux. Il va chercher ses trucs et il les nourrit. Il est excellent, surtout quand il devient excentrique («Too Many People»). Encore un cut de rêve avec «The City», perdu dans l’azur de Leary, il cloue son couvercle au ciel avec de coups de basse lourde. Et il finit en heavy beauté avec «Fine Home».

             Pendant ce temps, Gibby enregistre «Jesus Built My Hotrod» avec Al Jourgensen et profite de l’occasion pour passer à l’héro - When he left the Ministry enclave in Chicago, he slipped into smoking crack and doing heroin all the time.

    z19186independent.jpg

             Ils décident d’arrêter de tourner pendant un an et enregistrent Independant Worm Saloon avec John Paul Jones. Les sessions durent deux mois - Gibby dit de John Paul Jones qu’il était un horrible drunk but we were loaded too. On a dépensé tellement de blé sur cet album. We basically spent a fortune to hang out with some guy from Led Zeppelin - Comme ils sont sur Capitol, pas de problème. L’amateur de Dada trouvera encore son bonheur sur Independant Worm Saloon, paru en 1993. Oh pas grand-chose, juste «The Annoying Song» en B. Mais c’est un joli stomp Dada en tous les cas. Ils ont la main lourde sur le beat et d’excellentes tendances à la marée. «Who Was In My Room Last Night?» donne le ton - the long standing love with Black Sabbath - et Graham parle de «gonzo rock workouts with monomaniacal, robotic rhythm section and barely intelligible, gibbering lunatic vocals.» Il ajoute que c’est «du punk et du métal à leur plus petit commun dénominateur and retooled with military-strength hardware. Mais ça marche, comme c’est souvent le cas, the results are exhilarating and irresistible fun.» On trouvera aussi une belle cavalcade en A. Elle s’appelle «Dog Inside Your Body». Guitar God joue ça en retenue au bord du coït. Oui, Paul Leary mérite bien qu’on l’appelle Guitar God. Fantastique aisance de l’appétence, il sait riffer un beignet dans le sens du poil et barder un barda bersek. Guitar God is on fire. Encore une vraie dégelée royale d’impénitence dans «Goofy’s Concern» et «Alcohol» tombe à pic pour nous rappeler à leur bon souvenir et à leur sens aigu de la heavyness. Ils se situent vraiment au-delà de tout. On retrouve la main lourde de Guitar God en B dans «Dust Devil». Il multiplie les coups de vrille, dommage que la voix de Gibby Haynes soit si ingrate. En fait, ils sonnent comme Pere Ubu. Mais leur équation fonctionne : Guitar God + heavy beat = Butthole magick. Ils repartent en mode ventre à terre avec «Leave Me Alone». Ils adorent les rasades de cavalcade. Il reste encore un beau morceau à se mettre sous la dent : «Edgar». C’est un véritable festival traversé par des pointes de bassmatic. Les Butthole sont les rois de la densité atmosphérique. Graham s’amourache de «Dancing Fool», «a Paul Leary tour de force, the guitarist hollering ‘dance like cancer’ and ‘Fuck you I’m the dancing fool!», over a veritable autobahn of punishing Wagnerian Panzer attack guitars, remorseless and unstoppable.» L’album dit encore Graham s’achève avec «an all-time Butthole Surfers freak-out classic, «the near-nine minutes of «Clean It Up». Les auditeurs capables de supporter les deux premières minutes de vomissements et de bowel-twitching bass sont ensuite catapultés dans un stupéfiant duel de guitares qui oppose Paul Leary et Helios Creed de Chrome, leurs notes hurlantes reverberate across the rhythm section’s apocalyptic black hole rumble. Il est bien certain que ce n’est pas le son d’un groupe qui a vendu son cul et qui s’est rangé des voitures. Rien de ce qui paraît sur un gros label dans les années 90 n’est aussi far out et psychédélique que ce track.» Pour Burns, les Butthole d’Independant Worm Saloon sont le 4 piece band in full glory. Ils ont même assez de cuts pour remplir un double album.

    z19200erickson.jpg

             C’est là que Jeff Pinkus quitte le groupe. Gibby quant à lui frôle la mort en permanence. Il va en detox à Los Angeles et se retrouve dans la même chambre que Kurt Cobain. Gibby est l’un des derniers à avoir vu Cobain vivant : le 31 mars 1994, Kurt s’évade du centre de detox et on le retrouve mort huit jours plus tard avec une balle dans le crâne. Dans son coin, King Coffey ne chôme pas. Il est devenu pote avec Roky et sort son label  Trance Syndicate l’excellent All That May Do My Rhyme. Paul Leary joue sur trois des cuts de l’album - Roky nous dit Graham is one of the few characters  who could out-weird the Butthole Surfers - Roky arrive en studio avec un chapeau en papier alu. L’ingé-son lui demande pourquoi il porte un tel chapeau et Roky dit que c’est pour le protéger des rayons. Comme l’ingé-son lui dit que le studio est isolé, Roky enlève son chapeau.

    z19187electric.jpg

             Paru en 1996, Electriclarryland est un faux double album, une sorte de clin d’œil à Electric Ladyland sur trois faces. Ils enregistrent l’album avec le producteur Steve Thompson dans le studio de Todd Rundgren à Bearsville, dans l’État de New-York. Pour Graham, c’est encore un big album, leur meilleur depuis Locust Abortion Technician, mais dans un genre radicalement différent. Deux énormités se nichent en A : «Birds» et «Thermador». C’est un heavy beat texan monté sur bassmatic proéminent. Du gâtö pour Guitar God. Ce sens du pounding redore le blason les Butthole. C’est avec ces heavy cuts qu’ils donnent leur vraie mesure. Ils étendent leur règne et ne font pas de détail avec ce heavy beat déclamatoire, seul compte le poids du beat et la transversalité du bassmatic. Ils sont fantastiques. Avec ce «genuine Texan psych classic» qu’est «Pepper», Graham nous dit qu’ils documentent «the dark side of the druggy counter-culture in the true 13th Floor Elevators tradition». Encore une belle énormité en B : «Ulcer Breakout», c’est pulsé comme il faut, Guitar God est en furie et il dévaste tout. Avec «Ah Ha», Gibby Haynes fait son Crocus Behemot, il va chercher la petite démesure avec la même pugnacité des cités. Mais c’est avec la C que l’affaire se corse. Ils opèrent un gigantesque retour à la psychedelia texane avec «The Lord Is A Monkey». C’est exactement ce qu’on attend d’eux. Guitar God entre dans la danse à coups de wah excédée et envoie de fabuleux shoots d’excelsior patibulaire. Ils montent «Let’s Talk About Cars» sur un dialogue français. Elle parle d’une voix intime - Chuis d’accord, les films français sont plus lents que les films américains - et elle rit. Encore un shoot de Pere Ubu avec «LA», même pataquès et ça se termine en mode mad psychedelia avec «Space» et tout le power des Butthole. C’est monstrueusement bon. Graham : «Electriclarryland is an album about death, loss of faith and drugs - specifically heroin.» Graham en profite pour rappeler que Courtney Love et Kurt se sont rencontrés à un concert des Butthole et que River Phoenix est mort sur le trottoir du Viper Room alors que Gibby était sur scène. Graham qui est extrêmement bien documenté, rappelle enfin que l’héro était au début un médicament contre la toux, mis au point par le laboratoire Bayer à la fin du XIXe siècle, qu’on vendait partout jusqu’en 1914, et qui fut interdit dix ans plus tard à cause du nombre grandissant d’addictions. 

             C’est nous dit Burns le contrat signé chez Capitol qui a fini par avoir la peau des Butthole. Le groupe va quand même se reformer pour tourner, avec des mercenaires. Le noyau de base, Gibby, Paul et King, a survécu.

    z19188weird.jpg

             Les Butthole restent dans leur fucking délire avec Weird Revolution, paru en 2001. Ils jouent la carte d’une certaine modernité et Paul Leary n’est pas avare de gras double, mais on voit qu’ils changent de son. Ils mixent le Butt sound avec du hip-hop et de l’electro et donc on les perd un peu. Inutile d’attendre des miracles de cet album. Pour «Dracula From Houston», ils reviennent aux accords rock’n’roll, mais le hip-hop s’en mêle, ce qui ne les empêche pas de rocker leur cut à coups de we gotta go. On les voit jouer «Shit Like That» à la vieille heavyness, mais c’est parasité par du techno sound. Puis ça dégénère, au fil des cuts, les machines prennent le pouvoir. Ils redressent un peu la barre avec «Jet Fighter», gratté à coups de big acou, voilà le Butt qu’on aime bien. Ils terminent avec «They Came In» et on assiste au grand retour des guitares. C’est même assez violent. Ils ramènent tout leur décorum, les falaises de marbre et les orchestrations de péplum, ils défoncent la rondelle des annales du Texas. Pour Graham, c’est un album raté, «just a bad album for bad times.» Le vrai bon album, c’est After The Astronaut qui n’est pas sorti officiellement.

    z19193cookies.jpg

             En 2018, Paul Leary monte The Cocky Bitches avec the Baroness et enregistre Mercy. Qu’on se rassure, Paul Leary est encore capable de bourrer sa dinde. Premier coup de génie avec «Hand In Fire» qui sonne littéralement comme un cut des Pixies. Très spécial, avec du poids dans la balance. Encore un coup de génie en B avec «Rocket», un joli Rocket de destruction massive. Leary n’a rien perdu de son gut d’undergut, son sens du beat n’a jamais été aussi aigu, et il faut entendre les descentes de basse demented ! Il termine cet album passionnant avec le morceau titre, à la heavyness maximalis, qui est, souviens-toi, le pré carré de Paul Leary. Imbattable ! Il envoie des violons à la fin en rase-motte dans le mayhem de sa heavyness. D’autres cuts valent le détour, comme le heavy doom de «Burn Baby Burn» qui se perd dans l’ombilic des limbes, ou encore «Free The People» tapé au tribal texan, presqu’Indien. Il règne toujours une ambiance superbe chez Paul Leary. Avec cet album, il poursuit ses recherches sur le doom d’avant-garde. 

    z19192stupid.jpg

             Il enregistre encore un album solo en 2021, Born Stupid. Les Dadaïstes l’ont tous rapatrié pour se régaler de «Do You Like To Eat A Cow», car voilà du real Dada cow punk, meuhhhhh ! Paul Leary s’amuse bien, il chante comme Zampano. Mais attention, ce n’est pas fini ! On le voit ensuite danser la bourrée texane dans «Sugar Is The Gateway Drug», puis il s’en va faire du Dada robot tribal avec «What Are You Gonna Do». N’allez surtout pas imaginer qu’il va se calmer en B. Oh la la, pas du tout. Il l’attaque avec une chevauchée fantastique à la John Ford qui s’appelle «Mohawk Town», puis il passe à la farandole du IIIe Reich avec «Things Away Freely» et revient faire du noir cacadou au Cabaret Voltaire avec «Gold Cap», alors attention, on parle du Cabaret Voltaire de Zurich, bien entendu, pas de l’autre.  

    z19191historydogs.jpg

             On bouclera ce modeste panorama avec un Humpty Dumpty LSD, un ramassis de démos et d’outtakes de Butthole. Oh rien de très spectaculaire mais des choses comme «One Hundred Million People Dead» accrochent bien l’oreille. Ces mecs-là ont des idées et du jus. On entend des choses rebondir dans le son. Belle leçon d’hypno, en tous les cas. Ils noient ça dans une certaine sauvagerie incongrue et Paul Leary s’en va brûler les plaines. Ils reviennent au cinémascope avec «Day Of The Dying Alive». Ils jouent au ahhh uhh, ils avancent à pas lourds dans le son comme des zombies, Paul Leary passe des lignes géniales qui hurlent comme des monstres à l’agonie. Avec les Butt, il y a toujours du spectacle. Paul Leary prend «Just A Boy» au chant et les Butt sonnent comme des Anglais. Ils sont un peu ridicules, dans leur trip de tripe, on croirait entendre un groupe de lycée technique, sauf que Leary joue de la haute voltige casse-gueule. Avec «I Hate My Job», ils font encore les punks anglais et sont encore plus ridicules. On dirait des Johnny Moped texans. Ils prennent parfois les gens pour des cons. C’est important de le savoir avant d’acheter leurs disques, surtout celui-ci.

    Z19190DVD.jpg

             Les plus curieux verront le DVD des Butthole paru en 2002, Blind Eye Sees All - Live In Detroit 1985. Ça permet de les voir sur scène. Le concert filmé à Detroit en 1985 est entrecoupé de bouts d’interview loufoques. Ils sont au lit tous les cinq, tous torse nu et Teresa porte un sous-tif noir et des petites lunettes noires. Gibby raconte n’importe quoi. Retour sur scène : Teresa et King battent un beurre de tous les diables. Ils sont le moteur du chaos. Gibby porte un sous-tif blanc et souffle n’importe quoi dans un sax. Ils développent par moment de belles séquences d’hypno («Cherub») et Paul Leary veille au grain. Il joue un lead admirable. Il est essentiel de revoir le film après avoir lu les deux books, car tout s’éclaire. Les Butthole proposent une vraie drug-trance-music, comme le firent avant eux les 13th Floor. Fabuleux acid trip texan. Le bassman Trevor Malcolm s’est fait un look à la Warhol et il ramène sur scène le sousaphone qu’il a barboté à l’école de musique. Ils ont du génie sonique. Paul Leary hurle et joue ses stridences hallucinogènes, tout cela propulsé par les deux batteurs. Il chante comme David Thomas dans Pere Ubu («Something»). Ils n’avaient pour seule ambition que d’échapper aux conventions.

             Graham conclut en disant que Gibby et Paul Leary on crée en 1981 un monstre qui a vécu 10 ans - dix ans vécus dans des conditions de pauvreté et de dégradation extrêmes, of self-inflicted mental and physical torture, oscillant entre les extrêmes psychiques, toujours affamés et au bord de l’épuisement. Mais c’est de ce contexte qu’a jailli l’une des plus grandes et plus folles live performances ever seen in the rock music era.

    Signé : Cazengler, Butthole surfait

    Butthole Surfers. Butthole Surfers. Alternative Tentacles 1983

    Butthole Surfers. Live PCPPEP. Alternative Tentacles 1984

    Butthole Surfers. Psychic Powerless Another Man’s Sac. Touch And Go 1984

    Butthole Surfers. Rembrandt Pussyhorse. Touch And Go 1986

    Butthole Surfers. Locust Abortion Technician. Touch And Go 1987

    Butthole Surfers. Hairway To Steven. Touch And Go 1988

    Butthole Surfers. Piouhgd. Rough Trade 1991

    Butthole Surfers. Independant Worm Saloon. Capitol Records 1993

    Butthole Surfers. Electriclarryland. Capitol Records 1996

    Butthole Surfers. Weird Revolution. Hollywood Records 2001

    Butthole Surfers. Humpty Dumpty LSD. Latino Burger Veil 2002

    Butthole Surfers. Blind Eye Sees All. Live In Detroit 1985. DVD MVD 2002

    Paul Leary. The History of Dogs. Rough Trade 1991

    Paul Leary. Born Stupid. Shimmy Disc 2021 

    The Cocky Bitches. Mercy. Slope Records 2018

    James Burns. Let’s Go To Hell: Scattered Memories Of The Butthole Surfers. Cheap Drugs 2015

    Ben Graham. Scatological Alchemy: A Gnostic Biography Of The Butthole Surfers. Eleusinian Press Ltd. 2017

     

     

    She Darts it right - Part Two

     

    z19172dessindarts.gif

             Des anciennes Darts, il ne reste plus que Nicole Laurenne et la bassiste Christina Nunez. L’illusse est donc périmée. Elles sont de retour en Normandie avec du turn-over pas dans les ovaires, mais presque, nouvelle crackette au beurre et nouvelle goddesse à la gratte, et bien sûr, une envie d’en découdre qui n’en démord pas, elles sont plus dare-dare qu’un dard du Darfour, elles valent mieux Dart que jamais, la crakette bat le Dart pendant qu’il est chaud, elle darde bien sous son bonnet de laine cardée.

    z19177tousensemble.jpg

    Ce quarteron de goules des Dardanelles joue dans une quasi-obscurité, elles portent des capes et des dentelles noires, elles se meuvent comme des ombres dans un vacarme de gaga darwiniste de la pire auspice, elles font la tournée des grands Darts, elles appliquent à la lettre la règle du Qui Dart dîne, avec elles, ça darde sec, elle tapent dans le Dart fumant de la matière, nothing to lose and Love You 2 Dart, tout passe à la casserole, Don’t Hold My Dart, ça Break Your Dart au coin du bois, personne ne bat les Darts au petit jeu du real Darty, ce qui est dû est Dart, on ne revient pas là-dessus, et puis on l’a assez dit et répété,

    z19176fillesàgenoux.jpg

    les girl groups développent des énergies supérieures, elles sécrètent des jus qui exacerbent la notion même de gaga-punk, on le sait depuis Goldie & The Gingerbreads, les Runaways et les Pleasure Seekers, le Dart suprême des girl groups te surprendra chaque fois et t’émerveillera toujours. Chaque fois, c’est extrêmement condensé, fabuleusement ramassé, rien de traîne, leur cohésion est un modèle du genre, elles canardent chaque cut avec une soif vengeresse, elles palpitent de toutes leurs forces, elles taillent dans la masse avec une vertigineuse sensualité, si on ne les retenait pas, elles feraient danser la terre entière, elles te jerkent le ciboulot, t’expatrient la ciboulette, elles te chopent par ce que tu as de plus précieux, les sentiments, et tu leur fonds dans la main, elles t’ont sans rien, elles t’ont comme elles veulent, tu es à un mètre d’elles et tu les regardes d’un œil brillant comme si tu tombais au fond d’une caverne sur un trésor de pirate, elles font de toi un Monte-Christo à la petite semaine, mais au moins, ton œil brille pendant une heure, et ça, dis-toi bien que ça vaut largement tout l’or du Rhin entre tes reins, et même la loi Dartchimède, elles te servent sur un plateau Dartgent tout le Dart moderne, tout le Dart fumant !

    z19178orgueguitdrums.jpg

    Toutes pour une, une pour toutes !, chante la Dartagnan au moment où elle passe une jambe par-dessus le clavier de son Dartfiza, elle reptilise le gaga-punk, elle l’enjolive et l’épouse de ses formes, elle s’en Dartarise et dégage tellement d’énergie qu’elle ramollit les murailles en caramel. La cave palpite comme the house of love, les Darts te ramènent dans le giron du rock, au plus secret des cavités profondes.    

    z19175filleassise.jpg

    Signé : Cazengler, Tarte

    Darts. Le Trois Pièces. Rouen (76). 10 octobre 2022

     

     

    L’avenir du rock - Ça urge, Overkill ! (Part Two)

     

    z19173dessinoverkill.gif

           À une certaine époque, l’avenir du rock considérait que la musique et les fringues devaient marcher de pair. Il raffolait des col roulés blancs et des pantalons rouges de Brian Jones, mais aussi de ce costume bleu marine à rayures rouges et jaunes que Brian Jones portait dans le fish-eye d’«Have You Seen Your Mother Baby Standing In The Shadow». Tu avais l’image et le son. L’avenir du rock raffolait aussi des jeans taille basse en velours côtelé que portaient Eddie Phillips, Michael Nesmith, ou encore Skip Battin, ce prince de la nonchalance en jean rouge et ceinturon blanc. L’avenir du rock ne manquait pas de loucher sur les escarpins à boucles de P.J. Proby et sur les boots en peau de serpent que portait Keith Richards à l’apogée de sa désaille. Mais pour porter ce type de boots, tes dents devaient bringuebaler, sinon tu n’étais pas crédible. Il était beaucoup plus difficile de flasher sur le blouson de Captain America ou le costard pied de poule que Dylan portait à l’Albert Hall en 1965, car dans les deux cas, le look et la tête ne faisaient qu’un. Même chose avec la veste Union Jack : si tu n’as pas la tête de Pete Townshend, ça ne marche pas. Les gens qui ont essayé sont passés pour des clowns. Par contre, l’avenir du rock pouvait se permettre de porter une toque en fourrure, en souvenir d’Anton Newcombe dans Dig et David Crosby à Monterey. Le fute de cuir noir est plus difficile à porter. Il vaut mieux s’appeler Vince Taylor, Johnny Rotten ou encore Jimbo pour se balader en cuir noir, car sinon, ça n’a pas de sens. C’est même assez ridicule. Ou porter les fameux silver jeans de Raw Power. Si tu ne t’appelles pas Iggy, t’es mal barré. L’avenir du rock se souvient d’avoir évolué avec les modes et d’avoir goûté au confort du mohair et de l’alpaga, de s’être enivré de l’odeur des tissus chez des tailleurs londoniens. Il s’est même un jour mis à rêver de monogrammes, du style de ceux que Nash Kato et King Roeser faisaient broder sur les cols de leurs tuniques, voici trente ans. C’est à Chicago qu’on lançait les modes en 1990, et l’avenir du rock adorait voir la classe et le son, c’est-à-dire les fringues et la musique, marcher de pair.

    z19196oui.jpg

             Un taureau pose pour la pochette du nouvel album d’Urge Overkill. Ugh ! Il est bien coiffé, avec une raie au milieu et si tu examines le détail de l’anneau passé dans ses naseaux, tu verras qu’il y pendouille un médaillon UO en or, oui, comme au bon vieux temps des dandys de Chicago. D’ailleurs l’album s’appelle Oui. C’est ce qu’on appelle un big album. Mieux que ça : un very big album. T’es averti dès le «Freedom» d’ouverture de bal, boom badaboom dès le premier accord, le king Kato et King Roeser font leur retour avec tout l’UO power, ce n’est pas une vue de l’esprit. Ces mecs te jerkent un power surge en deux minutes. Ça te balaye tout le rock américain. Schloooofff ! Ils sont brillants. Kato & King renouent avec le prestige de Saturation. Diable, comme on a pu adorer cet album ! Peu de groupes savent ramener autant de brio. Là, tu entres dans le club des dandys de Chicago. Pas d’infos sur le digi, mais le son est là. La niaque d’antan fait son retour en fanfare. On apprend que c’est l’ex-Cherry Valence Brian Quast qui bat le beurre sur certains cuts. L’autre coup de génie d’Oui s’appelle «How Sweet The Light». Ils plongent dans le meilleur UO Sound de tous les temps, Kato chante comme une rockstar définitive, c’est d’une classe inexorable, il chante à la voix confondue, ce mec est une véritable cerise sur le Katö, ses longs cheveux gris flottent au vent glacé de Chicago - I walk away from my suicide - C’est claqué au beignet d’accords d’how sweet the light, avec un thème qui plane comme un énorme ptérodactyle ! Voici venir l’incroyable dégelée d’UO, c’est d’une rare puissance et relancé en permanence. Le Katö gratte son «Forgiven» à la vieille cocote d’UO, celle des rockstars d’Amérique. Globalement, c’est un album très agressif. Ces deux mecs ne sont pas prêts à jeter l’éponge. Pas question de baisser les bras ! Quast bat «I Been Ready» comme plâtre, idéal pour du pur jus d’UO, ça se tord dans des travers de porc d’UO avec une superbe énergie cadenassée. Ils sortent un son tight et bien sanglé. Le Katö drive «Totem Pole» à la glotte folle. Le plus bizarre dans toute cette histoire c’est que Nash Kato devrait être une star, au même titre que Kurt Kobain et Lanegan. Il semble que le destin en ait décidé autrement. En attendant, on se retrouve encore avec un big album sur les bras. Un de plus ! C’est du boulot, les big albums, il faut savoir les gérer, c’est-à-dire les écouter et leur consacrer du temps en les réécoutant, et plus ils sont bons, plus on les réécoute. Un big album, c’est le miracle du rock toujours recommencé. Ça fonctionne ainsi depuis le départ. Tu te réveilles le matin et hop, tu sautes sur ton big album de la veille, car il est toujours dans ton oreille. On a toujours eu des big albums sur les bras à travers toutes les époques et ils sont d’une certaine façon le fil rouge, une sorte de raison de continuer à vivre. C’est le beurreman qui propulse l’UO dans la stratosphère avec «I Can’t Stay Glad@U» et ils font encore du big biz avec «Don’t Let Go». Ils sont dans l’élévation, c’est leur truc, leur raison d’être. Tout l’album est bardé de dandy rock, ils assurent leur postérité, tu peux y aller, l’UO c’est du solid as hell. Solid as hell jusqu’au bout de la cocote sévère de «Snow», le dernier cut. Et Richard III s’écria : «Mon royaume pour un UO !». 

    Signé : Cazengler, murge Overkil de rouge

    Urge Overkill. OUI. Omnivore Recordings 2022

     

     

    Inside the goldmine - Will a matchbox hold my clothes

     

             Personne n’aurait misé un seul kopeck sur Tortor, sans doute à cause de sa dégaine de berger calabrais. Il portait un béret enfoncé jusqu’aux oreilles et une épaisse moustache lui barrait le visage. Mais il suffisait de l’observer pour surprendre l’étincelle de malice qui dansait parfois dans son regard et le vrac de sa barbe de trois jours indiquait à qui voulait bien voir que cet homme disposait de toutes les qualités qui font ce qu’on appelle généralement l’humanité. Tortor ne se contentait pas d’être Tortor, il peignait et ses toiles, lorsqu’on pouvait les voir, ne laissaient pas indifférent. Il aimait à rappeler qu’il était autodidacte et un vieux fond d’anticonformisme le poussait dans les bras d’une sorte de Dadaïsme primitif, bien qu’au plan visuel, il fût plus proche de Dubuffet que de Picabia. Les toiles de Tortor s’accompagnaient généralement d’un petit poème très court, une strophe tout au plus. Tortor était aussi poète, mais poète libre. Ses strophes, comme ses toiles, se riaient des cadres et des contraintes. Un menuisier de ses amis lui fabriquait des châssis aux formes incongrues, souvent triangulaires et Tortor qui peignait au couteau n’hésitait pas à utiliser des matériaux illicites, comme par exemple des copeaux métalliques récupérés sur un tour pour figurer une barbe, ou des culs de bouteilles pour figurer des lunettes. Ses toiles étaient le plus souvent des portraits abstraits, mais d’une saisissante ressemblance. Il peignait ses portraits le plus souvent de mémoire, un exercice auquel peu de peintres osent se risquer, car rien n’est plus difficile que de restituer l’expression d’un visage. C’est là où Tortor impressionnait, car à la manière de Dubuffet, il parvenait à pousser l’abstraction assez loin dans les orties pour en dégager une symbolique qui ne tenait qu’à un fil, mais on ne voyait que ce fil. Par exemple, lorsqu’on tombe sur le portrait d’Artaud que fit Dubuffet, on ne voit qu’Artaud. On ne voit que ce qu’on veut bien voir. Tortor peignit «L’auto-portrait d’un pendu» juste avant de se pendre et le texte qui accompagnait sa prodigieuse montfauconnerie disait : «C’est en peignant qu’on devient peigneron. Signé : la gueule d’empeigneron.» 

    z19174eigthies.gif

             Il existe de toute évidence un lien entre ces deux arts extrêmes que sont ceux de Tortor et des Eighties Matchbox B-Line Disaster. Pendant que Tortor cultivait la barbarie figurative, les Matchbox cultivaient le chaos. Si tu y réfléchis cinq minutes, tu verras que ça revient exactement au même. T’en souvient-il, Guy McKnight & The Eighties Matchbox B-Line Disaster furent au tout début du XXIe siècle les rois maudits de l’insanité.

    Z19197HORSE.jpg

    Leur premier album Hörse Of The Dög se répandit sur l’Europe comme un fléau biblique. Dans «Psychosis Safari», McKnight se vantait de dormir tout le jour - I sleep all day/ And I sleep all night - puis il s’éveillait pour exploser son papa ouh nah nah dans l’œuf du serpent. On ne savait pas à l’époque comment décrire cette apocalypse concassée et hurlée entre quatre murs. Il rééditait l’exploit un peu plus loin avec «Charge The Guns», menant la charge au waoouuh c’mon naw, il visait l’ultraïque, celui de Frank Black et de McLusky, mais en plus barré. Plus barré au waouuuhhh ? Comment est-ce possible ? Les rois maudits de l’insanité, telle est la réponse à ta question. Et tu les vois repartir à l’accent de l’insanitif avec «Presidential Wave», power, baby, pure power, McKnight explose son my babe en hurlant comme l’hérétique sur son bûcher, c’est d’une certaine façon puissant et inquiétant, tu as toutes les forces de la mort dans ce Wave, ils font exploser cette mélasse dans une solace de crânes de mort, oh yeah, c’est le cut des crânes de mort. Il te reste deux coups de génie à avaler, si tu peux : «Fishfingers» et «Chiken». Tu avais intérêt à suivre à l’époque, peu de groupes pouvaient te proposer un tel programme de démolition. Ils sont complètement irrécupérables, ces mecs n’ont aucun respect pour le rock anglais, c’est ce qui fait leur grandeur. Ils explosent «Fishfingers» au get out de fear ultime et derrière McKnight ronflent les flammes de l’enfer. Ils attaquent «Chicken» en mode Crampsy, mais en mille fois plus puissant, comme si c’était possible. Ils fonctionnent à la rafale, au dégueulis de fast beat et comme d’usage, le chevalier McKnight chante à l’ultimate. Ils sonnent les cloches de Tintern Abbey, ils produisent un invraisemblable shaking de grelots, ils vomissent dans leur volcan et ne vivent que pour l’imparabilité des choses. Fuck, ces mecs négocient en direct avec la folie pure. Ils se nourrissent d’extrême violence dès le breakfast. Ils jouent leur va-tout en permanence. Pas facile de taper dans les extrêmes. Leur point faible serait une certaine fébrilité, celle de barbares confrontés à la civilisation.

    Z19198ROYAL.jpg

             Leur deuxième album The Royal Society paraît deux ans plus tard. Ils perdent un peu de leur extrémisme mais veillent à rester dans l’énormité tapageuse, comme le montre «I Could Be An Angle», cut ravagé par des clameurs, ces mecs semblent proliférer juste au-dessus de ton épaule. McKnight pose son chant au sommet du mayhem. Il faut attendre «The Fool» pour voir le son voler en éclats. Ils développent des réflexes extraordinaires, comme ces claqués de cisaille dans les breaks. McKnight s’abreuve à la source du slaughter, il patauge dans des mares. Il reste dans l’épais malaise sonique avec «I Rejection» et envoie le vieux rock anglais ahaner dans un coin de la cave. McKnight sonne parfois comme Iggy, il sait poser sa voix, comme le montre «Drunk On The Blood». Il est l’un des singers absolus. Les Eighties n’ont pas de hits mais une superbe collection de dérives. On les voit ensuite s’écrouler avec tout le rock anglais dans «Mister Mental», puis exploser le heavy funk-rock de «Freud’s Black Muck». Il s’arrache littéralement la rate à gueuler ses aw. Ils tatapoument sur ton crâne et pilonnent comme des canons allemands de la Première Guerre Mondiale. «When I Hear You Call My Name» sonne comme un cut sans queue ni tête comprimé à outrance. Ici tout est taillé à la serpe et chanté à la McKnight. On peut finir en beauté avec «Temple Music», une belle overdose de Big Atmospherix.

    Z19199BLOOD.jpg

             Et voilà le chant du cygne de cette brillante équipe : Blood & Fire, paru en 2010. Nouvelle pochette cryptique, omniprésence des crânes de mort. Le hit de l’album s’appelle «Monsieur Cutts», amené au heavy bast de Matchbox, ils percutent leur destin de plein fouet. C’est le cut des guts de Cutts, ils se tirent une balle dans la tête, pow !, leur blast suprême n’a aucune chance en Angleterre et pourtant ils créent le meilleur mayhem local. À l’époque, tout le monde est passé à côté. On les voit se perdre avec «So Long Good Night», ils visent l’épique, mais ils ramènent tellement de son qu’ils pourraient sauver la vieille Angleterre. McKnight dit qu’il hait le blues dans «I Hate The Blues», il gonfle ses veines puis il revient au blast avec «Man For All Seasons». Ils démolissent tout sur leur passage, avec cette disto qui les caractérise. Ils fourrent encore leur dinde avec «Homemade» et McKnight entre dans le temple du cut comme un Saint. Il a une façon de tituber dans les grooves qui est unique («Never Be The Same») et avec «Are You Living?», les Matchbox visent carrément l’Hiroshima mon amour du rock, alors oui, ça explose. Ces mecs ne reculent devant aucune horreur. Trop de puissances des ténèbres. Ça ne peut pas marcher. Trop de chaos. Avec ces trois albums, ils ont développé un son d’une intensité unique en Angleterre. Excepté McLusky, aucun groupe n’a jamais atteint ces extrêmes sur le sol anglais. 

    Signé : Cazengler, E.T. Pinard Retox Disaster

    Eighties Matchbox B-Line Disaster. Hörse Of The Dög. No Death Records 2002

    Eighties Matchbox B-Line Disaster. The Royal Society. No Death Records 2004

    Eighties Matchbox B-Line Disaster. Blood & Fire. Black Records 2010

     

    FORTUNES & INFORTUNES DU BLUES

              Si l’on poussait un peu les meubles pour y voir plus clair. Pas ceux de votre deux-pièces cuisine, uniquement ceux estampillés Paramount. Vous n’en n’avez pas, il doit en rester aux USA. Au début du vingtième siècle la firme Paramount vendait des meubles. Appliquaient la méthode américaine. Ne pas attendre le client, le précéder. Sont à l’affût des nouveautés. Or dans les années vingt y a un truc qui commence à se vendre : le phonographe. Non, ils ne vont pas se lancer dans la fabrication de ces engins. Ils n’en maîtrisent pas la technique. Sont plus malins que cela, ils proposent des meubles de rangement pour le phonographe que vous ne savez pas où poser dans votre living-room.

              Lorsque l’on tient un filon, on l’exploite à fond. Quand vous possédez un phono, vous achetez des disques, vite encombrants et fragiles ces 78 tours épais, lourds et envahissants. Ne paniquez pas Paramount est là, l’a créé exprès pour vous le meuble range-disques. Très utile. Surtout quand un surplus de galettes vous oblige à en acheter un deuxième…

    O.K. vous avez compris ? Ben non ! Un tremblement de terre ravage les USA, la firme de disques Okeh écoule entre 1920 et 1921, un million d’exemplaires de Crazy Blues interprété par Mamie Smith. Déjà chez Okeh records, on n’y croit pas, quelle incongruité, qu’un disque de nègre se vendît tant, c’est affolant, c’est incompréhensible ! Peut-être même immoral, mais les dollars qui s’entassent dans les tiroirs-caisses dégagent quoi qu’en ait décrété l’Empereur Vespasien une fort alléchante odeur.

              Chez Paramount l’on est pragmatique. Puisque l’on vend des range-disques pourquoi ne pas vendre des disques de ces sous-races colorées dont le public semble si friand… Vous connaissez la ruée vers l’or du Klondike, la ruée vers l’or noir peu écologique, nous voici à la naissance de l’or bleu. Le problème c’est que chez Paramount l’on ne possède pas de musicologue. Chez beaucoup d’autres non plus. Pas la peine de s’inquiéter. L’on enregistre tout le monde, ce n’est pas cher la chair noire, avec un ou deux techniciens et quelques affiches, en se déplaçant de bourgade en bourgade, vous ratissez large, en bout de chaîne le dieu dollar reconnaîtra les siens. Paramount sera récompensé, le Long Lonesome blues de Blind Lemon Jefferson atteindra aussi le million d’exemplaires.

             Voici pourquoi la firme Paramount produit en 1930 et 1931, trois 78-Tours, deux attribués à Geeshie Wiley et un autre à Elvie Thomas. De fait toutes deux sont présentes sur les enregistrements, Geeshie à la guitare et au chant, Elvie Thomas également mais surtout en soutien.

    Paramount 12 951 : GEESHIE WILEY : Last kind words blues : c’est en écoutant ce morceau ( voir notre livraison 570 ) pour en présenter  la version de Robert Plant et Alison Kraus que j’ai voulu en savoir davantage sur cette énigmatique figure :  dépouillé, mais étrangement vous ne savez où donner de la tête, guitare ou voix, la guitare vous avez l’impression d’une corde de pendu qui n’en finit pas de tomber et de rebondir vers le haut pour retomber et ainsi de suite, et malgré tout cette douceur suave du baiser de la mort qui apporte le soulagement espéré. La voix de Geeshie, malgré l’accent traînant l’on dirait qu’elle est pressée, la lassitude de vivre, une certaine désinvolture, presque un je-m-en-foutisme qui confine à l’attrait du néant. Doom à la puissance mille. Une chanson de mort. Skinny leg blues : au morceau précédent nous étions au moment de la cristallisation du early folk en early blues, cette fois-ci les cristaux de blues sont en voie de coalescence. Skinny Legs l’expression est émoustillante, mais le bourdonnement bleu outremort de la guitare ne présage rien d’excitant, les paroles tranchantes sont à double-sens, elles se transforment vite en sens unique via le létal terminus. La petite mort et la grande se rejoignent. Paramount 12977 : ELVIE THOMAS : Motherless child blues :  Elvie est au chant et à la guitare, une voix plus pleine que celle de Geeshie, si Last Kind words blues évoquait les dernières paroles du père, ici ce sont celles de la mère qui sont chantées, ces deux chansons sont jumelles. Lyrics beaucoup plus percutants, la guitare tressaute et trottine, les cordes semblent montées sur ressort, et ne s’accordent pas trop avec l’interprétation vocale. Y aurait-il maldonne ? Over to my house : sans doute retrouve-ton Geeshie au chant, et si c’était le premier morceau de rock ‘n’roll car ça déménage vraiment, cru et violent, ce n’est plus du rural blues mais du b-RUT-al blues. Paramount 13074 : GEESHIE WILEY :  Eagles on a half : un régal ce pickin’, dans lequel la difficulté est évincée par son évidence, malgré le premier couplet, la demoiselle ne semble pas avoir si honte qu’elle le déclare, le ton est enjoué l’on pourrait appeler ce morceau un blues salace, si l’on en croit la numismatique et les reproductions graphiques des pièces d’un demi-dollar, les lyrics évoqueraient la sodomie. Pick poor Robin Clean : Geeshie et Elvie s’amusent, chantent ensemble, s’il y a des enfants à l’écoute vous expliquerez que c’est un peu comme notre alouette, je te plumerai la tête, mais là c’est un peu plus bas. Sympathique mais si vous y regadez de plus près, glaçant.

    Damie Chad

             Nous ne possédons aucun autre enregistrement de Geeshie Wiley et d’Elvie Thomas. Que sont-elles devenues ? Pour Elvie la suite de l’aventure est décevante. En 1933 elles mettent fin à leur relation musicale – rien ne nous autorise à penser qu’elle fut aussi plus intime. La jeunesse passant Elvie  - le prénom est la contraction de ses deux initiales L. V - s’assagit, l’on dit qu’elle serait revenue à une vie davantage chrétienne, partageant ainsi le sort de nombreux artistes de blues qui après avoir pactisé avec la musique du diable sont retournés dans le giron de leur communauté religieuse.

             Quant à Geeshie… On l’a retrouvée ! Quoi l’éternité ? Non mais un certain John Jeremiah Sullivan reporter du New York Times a entrepris une longue traque, il a remonté la piste, il a publié le 13 avril 2014 un long papier que tout amateur de blues se doit de lire.  Tout ce qui suit s’inspire de cet article intitulé The Ballad od Geeshie and Elvie. Ce n’est pas seulement Geeshie et Elvie que nous allons retrouver mais aussi d’autres personnages tout aussi essentiels et singuliers.

             Le premier est John Bussard, le plus grand collectionneur de 78 Tours, l’en avait amassé près de 25 000 ( blues, country, jazz). C’est lui qui a dégoté chez un antiquaire de Baltimore ( Edgar Poe y est mort, il n’y a pas de hasard, seulement des vols de corbeaux ) l’un des deux uniques exemplaires de Motherless child blues, nous a quittés ce 26 septembre 2022, il ne stérilisait pas ses découvertes, il envoyait des enregistrements de ses trouvailles à qui lui en faisait la demande, les amateurs de blues et de country lui doivent beaucoup.

             Le deuxième est beaucoup plus connu : Allan Lomax. Lorsque le jeune Dylan le rencontrera lors d’une soirée new yorkaise – la scène est rapportée dans ses Chroniques – il a l’impression de se trouver face à  une institution humaine avec tout ce que ce mot contient de désagréable… mais dans sa jeunesse Allan qui a accompagné son père lors de ses enregistrements pour La Bibliothèque du Congrès tombera un jour sur un gros stock des disques Paramount, à partir de ce trésor et de la récolte de son paternel  il publiera  la liste American Folk Songs on Commercial Records, qui circulera, parfois recopiée manuscritement, parmi le milieu des folkloristes et des collectionneurs. La quête graalique est lancée…

             Parmi ces pisteurs, Jim McKune du ( ? ) YMCA (mouvement de jeunesse chrétienne international), je n’avais jamais entendu son nom et je rencontre un personnage fascinant. Peut-être né à Baltimore ( tiens-tiens ) en 1915, assassiné en 1971 dans un hôtel, ses dossiers ont disparu, connu dans le milieu des collectionneurs, gentil et survolté, énigmatique, insatisfait, sautant de petits boulots en jobs insatisfaisants  – le fait qu’il fût homosexuel n’était peut-être pas étranger à son comportement – l’un des tout premiers à collectionner les disques de Rural Blues, sa collection de 300 disques a été préservée. Il privilégiait la qualité sonore de ses exemplaires et la rareté comme Isiah Nettles surnommé le Mississippi Moaner ou Crying Sam Collins … N’a apparemment pas été en mesure de rédiger un ouvrage qui lui tenait à cœur, dont on ne sait rien…

             Le personnage de McKune possède aussi une face plus sombre. L’a fait partie dans les années soixante de ce que l’on a appelé la Maffia Blues. Rien à voir avec la Maffia, simplement un regroupement d’amateurs de blues qui se sont en quelque sorte de par le travail de recherche qu’ils avaient accompli ‘’institutionnalisés’’. Etaient devenus des incontournables du blues un peu comme les mandarins de l’American Folk Center évoqué par Dylan. Certains se sont enrichis après avoir ouvert des cabarets. On leur reproche aussi d’avoir été des mâles blancs, sous-entendu de sales oppresseurs… ce qui est un tantinet grossièrement injuste quand on pense à tout ce qu’ils ont préservé… Dylan (encore un mâle blanc) déclarera que s’il n’avait pas entendu les rééditions de Robert Johnson et de quelques autres il ne serait jamais devenu Bob Dylan…

             John Jeremiah Sullivan cite encore l’écrivain Paul Bowles et Harry Smith qui réalisa la toute première anthologie de la musique américaine pour Folkway Records…

             Enfin entre en scène Robert McCormick (1930 – 2015). Un esprit curieux de tout. Surtout des phénomènes auxquels personne n’était prêt à accorder une importance quelconque. Tout gamin il commence à copier sur des carnets les réparties des spectacles burlesques (notons que Poe a théorisé et pratiqué l’écriture grotesque ), adolescent amateur de jazz il ravitaille les musiciens en produits illicites. Le doigt dans l’engrenage. Pas celui auquel vous pensez, du Texas à la New Orleans en autostop la distance n’est pas bien grande, il y rencontre Orin Blackstone, journaliste entiché de jazz qui lui demande de farfouiller dans les entrepôts et les brocanteurs du Texas à la recherche de vieux disques de jazz. En 1946 Robert participe activement à la rédaction de l’Index du jazz du Texas… Il se pique au jeu, se fait nommer à Houston et commence à explorer comté par comté toute la région. Il agit progressivement suivant l’ancienne progression de l’esclavage. Il n’en croit ni ses yeux, ni ses oreilles. D’un quartier à l’autre tout change, dans l’un   l’on jouait principalement du banjo et dans l’autre du violon. Il en déduit les principes d’une théorie des Clusters qu’il n’aura jamais le temps de mettre au net : tout dépend des individus, si ici se sont retrouvés à l’origine quatre esclaves doués pour le chant la contagion gagnait tout le quartier, de même trois violonistes suscitaient des émules autour d’eux… Pendant des années il accumule des notes, des transcriptions d’interviewes, de chants, il répertorie et il enregistre tout ce qui se présente. Il devient prisonnier de sa passion boulimique, il ne la contrôle plus et ne contrôle plus ses réactions, il déraille quelque peu, le pire c’est que les autres chercheurs le prennent en grippe, dès qu’ils croient avoir trouvé du neuf, Robert a dans ses monceaux de documents des éléments qui apportent bien plus de renseignements que leurs découvertes… McCormick prêta à Peter Guralnick la documentation qu’il avait recueillie sur Robert Johnson… Lui-même devait écrire son propre livre sur Johnson, ce qu’il ne fit pas. Il est curieux de voir que McKune et McCormick, dévorés par une même fièvre de connaissance, ont tous deux été incapables de finaliser leurs ouvrages.   

             Sans connaître son nom les amateurs de rock ont entendu parler de McCormick : c’est lui qui a tenté de couper le câble électrique qui alimentait le Paul Butterfield Blues Band qu’avait choisi Dylan pour révolutionner le folk au Festival de Newport en 1965. McCormick désirait que Dylan acceptât d’être accompagné par quatre anciens prisonniers noirs qui n’avaient jamais joué ensemble…

    Robert McCormick a aussi enquêté sur Wiley Geeshie. Il a retrouvé et interviewé E. V. Thomas (originaire d’ Houston ) dans le Texas. Elle semblait fière d’avoir donné à Lillie Mae Wilay le surnom de Geeshie. Elles auraient commencé à tourner ensemble au tout début des années vingt. Jusqu’en 1933. Toutefois selon John Jeremiah Sullivan,  Geeshie ( qui serait née en 1908 en Louisiane ) aurait poignardé son mari Thornton Wiley en 1931. Comment se fait-il que malgré son crime elle tourne encore avec Elvie en 1933. Elvie aurait quitté Geeshie à Chico, Oklaoma. Elle ne l’aurait jamais revue depuis. C’est en l’Oklaoma que McCormick aurait vers 1950   retrouvé la famille et la maison de Geeshie. Quand Geeshie est-elle morte en 1938 / 39 ou accidentellement en 1950 selon Caitlin Love qui à la fin de son article avoue qu’elle n’a trouvé aucun indice qui apporterait une preuve irréfutable à ses recherches et déductions généalogiques.

             La route de Geeshie se perd dans le sable de l’immémoire…

    *

             Voilà je pense que vous êtes aussi insatisfait que moi de cette fin. A tel point que pour le dernier paragraphe précédent, j’ai bricolé ces lignes en m’aidant de l’article (rédigé en anglais) de Wikipedia. Il y en a un autre qui ne devait pas être content, c’est John Jeremiah Sullivan le rédacteur de Ballad of Geesshie and Elvie. Je suis retourné relire son article. Je me suis débattu un long moment contre le site du New York Times qui ne voulait plus me donner accès à JJS alors que j’avais obtenu une permission au long cours la fois précédente.  J’insiste, et surprise la porte est de nouveau ouverte. Je donne ces détails oiseux pour que les esprits curieux qui désireraient aller voir par eux-mêmes ne se découragent pas, parce que cette deuxième fois, surprise, le texte qui s’offre à ma vue est beaucoup plus long.

             Non seulement il est beaucoup plus étendu, mais il se lit comme un roman. L’écriture a changé. Dans la première partie Sullivan rapporte des faits. Dans la seconde il devient le personnage principal de l’enquête, pour une raison simple, il mène la traque en personne. Nous fait donc part de ses doutes, de ses réactions, de ses analyses au fur et à mesure qu’il avance dans ses recherches. Il ne raconte pas, il n’évoque plus, il rencontre des gens, le récit dégage une densité littéraire peu commune. 

    z19170mckormick.jpg

             Première démarche : une visite chez Mack ( Robert Mackormick ), l’a plus de quatre-vingt ans, se déplace en fauteuil roulant, il commence la conversation en déclarant qu’il refusera de parler de Robert Johnson, ce  qui tombe bien puisque Sullivan n’est pas venu pour ça, et là-dessus Mack se lance dans une espèce de monologue sur Robert Johnson, tout ce que l’on sait sur Robert Johnson est sujet à controverse, l’acte de décès, la photographie , et plus grave, le Robert Johnson que nous nommons Robert Johnson est-il le même que le Robert Johnson qui a enregistré les disques… Mack en sait-il davantage, a-t-il seulement envie de révéler un jour les documents inédits qu’il aurait sur Johnson, en a-t-il seulement, bluffe-t-il, quel jeu joue-t-il ? Le livre sur Johnson qu’il n’a pas écrit ( et qu’il n’écrira pas ) n’est-il pas en lui-même plus fondamental et intrinsèquement supérieur à tout ce qui a été publié. Sullivan fait référence à Borges, pour nous c’est le fantôme du Non-Livre du Livre de Mallarmé qui se profile en filigrane des milliers de pages classées (et déclassées) dans les rayonnages qui recouvrent les murs de l’appartement.

             Enfin l’entretien en arrive à Geeshie et Elvie. Oui McCormick a retrouvé Elvie (1960-61) et il lui lance une mince chemise de photocopies de documents et de lettres qu’il lui permet de lire. Sullivan éprouve la sensation d’être traité comme un gamin, un jeune blanc-bec qui se préoccupe de deux petites blueswomen de rien du tout alors que lui Mack possède une vue synthétique de l’Histoire du Blues… Il ressort de l’entretien déçu. 

             C’est un tenace le Sullivan. L’a été contacté par une jeune étudiante qui a décidé d’arrêter pour une année son école pour enquêter sur Geeshie et Elvie, celle que nous connaissons sous le pseudonyme de Caitling Rose Love, Sullivan réussit à persuader McCormick de la prendre pour l’aider à ranger ses papiers. Le deal ne durera pas. Le (très) vieux garçon n’aime pas que l’on tente de classer le fouillis qu’il a amassé, préfèrerait que la jeune femme s’asseye en face de lui et écoute sans bouger le Maître raconter l’Histoire du Blues… Caitling Rose Love parvient à photographier grâce à son téléphone portable quelques pages inédites d’un dossier de McCormick… Enfin une piste !

             Le dossier ‘’ récupéré’’ est une transcription de l’interview d’Elvie par McCormick. Elle est née en 1891 à Acres Homes  ( Houston )  elle a commencé à jouer de la guitare, très jeune dans la rue, son père Peter Grant a fait de la prison, très tôt elle rencontre Texas Alexander – à la charnière des songters et du blues - il joue de la guitare, elle chante… elle a trente-huit ans lorsqu’elle enregistre en 1930 les six morceaux avec Geeshie… maintenant elle ne chante plus qu’à l’église de sa congrégation. Un demi-siècle s’est écoulé depuis ses confidences. Catling tilte. Est-ce qu’elle ne pourrait pas retrouver à Acres Homes l’église et des gens qui l’auraient connue…

    z19169photo d(elvie.jpg

    ( ... enfin une photo d'Elvie... )

             Elle trouve, elle habitait tout près de l’église, une bicoque sans eau, toujours en pantalon, pas causante, une dure à cuire, une solitaire, parfois elle amenait un petit garçon avec elle à l’église… Le puzzle s’enrichit, le petit garçon sera retrouvé en Californie, bientôt Sullivan et Caitling réunissent les membres de la famille d’Elvie pour leur faire écouter les six morceaux de leur tante qu’ils ne connaissaient pas… et tout s’enchaîne… à une parente éloignée Sullivan suggère avec délicatesse qu’avec son allure… Elvie aurait pu être… oui une lesbienne !

             Et donc Geeshie sa compagne. Mais pourquoi Geeshie aurait-elle tué son mari. Parce qu’il les aurait surprises au lit. Pourquoi n’a-t-elle pas été en prison, pourquoi la police l’a-t-elle relâchée, parce qu’à l’époque un nègre mort était le meilleur des nègres et que l’on n’allait pas se fatiguer pour un cas qu’il était si facile de classer en légitime défense. Nous sommes là dans le domaine du possible. Mais la preuve ?

    Elle va être apportée par un vieux musicien de quatre-vingt dix ans qui n’a plus toute sa tête. Mais quand sa fille lui annonce la venue de Caitlin qui veut parler avec lui de Geeshie Wiley, il s’exclame : tu veux parler de Slack ?

             Si vous voulez comprendre écoutez les six morceaux enregistrés par Geeshie et Elvie, tout est dedans, et si vous ne comprenez pas l’anglais le net vous offrira la traduction des lyrics.

             Qu’est devenue Geeshie ? Nul ne le sait.  Mais nous aurons fait un beau voyage dans les fantômes et l’essence du blues.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                              

    a30000molosa.jpg

    EPISODE 2 ( ITERATIF ) :

    8

    Les chiens sont heureux de batifoler en pleine campagne, ils courent à vive allure parmi les herbes hautes. Sortir de Paris n’a pas été facile. Je n’ai rien remarqué de spécial, j’ai tenu compte de l’avertissement du Chef : ‘’ vous serez le chasseur et le gibier’. J’ai pris mille précautions. Molossito et Molossa n’ont pas été à la fête, contraints de cavaler à une quinzaine de mètres derrière moi dans les couloirs du métro. J’ai même été obligé de précipiter sous une rame un contrôleur qui s’obstinait à vouloir me contrôler malgré le billet de 500 euros que je tentais de lui refiler. ‘’ Un conseil d’ami : l’honnêteté peut tuer’’ lui ai-je murmuré à l’oreille avant de l’expédier sur les rails. Une heureuse initiative, la panique qui a suivi m’a permis de m’éclipser subito abrupto et de retarder tout éventuel poursuivant. J’ai volé une voiture que j’ai abandonnée quinze minutes plus tard non sans avoir aspergé d’essence l’intérieur alors que je m’étais arrêté pour prendre du carburant. L’allumette que j’ai négligemment jetée a provoqué une superbe explosion. N’ayez crainte, les chiens et ma pomme étaient déjà loin lorsque la station s’est enflammée. Ensuite nous avons progressé étape par étape, de voiture volée en voiture volée, prenant soin à chaque changement de véhicule de le précipiter dans la rivière qui bordait mon parcours. Mon âme romantique est comme celle d’Alfred de Vigny, j’aime entendre le son des glou-glou au bord des bois. Je ne vous raconte pas toutes les péripéties, cela deviendrait fastidieux. L’essentiel c’est que maintenant nous nous nous dirigions gaillardement à pied et à pattes vers notre destination.

    9

    Je suis assez content de moi. Je n’ai jamais visité l’Oise et je m’apprête à parcourir ce département en promeneur solitaire à la manière de Jean-Jacques Rousseau. J’éprouve toutefois un manque. Non ce n’est pas Alice, je l’ai déjà dit un agent du SSR en mission est un loup pour l’homme et un mâle Alpha dédaigneux pour la femelle, non c’est le fumet délicat d’un Coronado du Chef, parfois âpre et irrespirable, je vous l’accorde, mais si rassurant. Tant que nous y sommes, j’ai le regret de vous annoncer que malgré un nombre de plusieurs milliers de lettres que nous avons réceptionnées suite à notre concours de la semaine dernière, aucun de nos lecteurs n’a indiqué la bonne route à suivre. C’était pourtant si facile, ainsi personne n’a établi la relation entre les contes de ma mère l’Oye et l’Oise orthographiée en Oyse au dix-septième siècle. Je sais, ce n’est qu’un mince indice mais rassurez-vous au cours de notre chemin j’apporterai quelques nouveaux arguments à cette assertion pour l’instant d’apparence gratuite et fragile…   

    10

    Il devait être près de quatorze heures quand au détour d’une allée la vaste terrasse ensoleillée s’offrit à mes yeux. Personne aux alentours, je ne résistais pas à tentation de prendre place à une table. Une jolie brunette surgit de l’intérieur.

    • Désolée, Monsieur c’est notre jour de relâche. Nous ne recevons pas de client.

    Ses yeux s’agrandissent de surprise, elle vient de remarquer Molossa et Molossito :

              - Qu’ils sont mignons ! Attendez, je crois qu’il me reste du cuissot de biche, je leur en apporte avec de l’eau, ils ont l’air fatigué, pour vous nous avons une excellente terrine de caille et un gratin de cèpes dont vous me direz des nouvelles.

              - Ah Madnoiselle, si vous nous prenez par les sentiments…    

              - Appelez-moi Sylvaine !

              - Moi c’est Damie, Sylvaine suis-je loin de d’Armancourt ?

    Ici normalement l’esprit des lecteurs devrait tilter. La première édition des Contes de ma mère l’Oye était signée de Pierre d’Armancour…

              - Vous l’avez déjà dépassée, la ville est derrière vous !

              - J’ai dû la contourner, je suis passé par les champs.

              - Vous aimez la nature Damie, continuez tout droit et vous ne pouvez manquer la forêt,

              - Je n’y manquerai pas, je règle l’addition et je pars à la minute.

              - Vos chiens se sont endormis sous la table, vous aussi devez être fatigué, venez dans ma chambre pour une sieste réconfortante.

    Je ne suis pas une tête brûlée. Je sais reconnaître la sagesse. Je cédais à la proposition de Sylvaine… Mais à dix-neuf heures je mis un terme à nos ébats.

    • Sylvaine, il est temps pour moi de te quitter, je ne saurais résister à l’appel de la forêt.
    • Damie, je ne vous retiens pas, sachez toutefois qu’une vieille légende raconte qu’elle est hantée. Des billevesées sans doute, mais certains promeneurs ont disparu…
    • N’ayez crainte Sylvaine avec Molossa et Molossito j’irai jusqu’au bout du monde !
    • Oh, la forêt de Laigue n’est pas la jungle amazonienne, elle ne s’étend que sur une longueur d’une dizaine de kilomètres, elle est très bien entretenue et les sentiers sont larges, avec vos deux molosses vous ne risquez pas de vous perdre. Embrassez-moi une dernière fois et si vous repassez par ici, revenez me voir !
    • Je n’y manquerai pas Sylvaine.

    Je la tins serrée contre moi durant une longue minute, puis je la quittai brusquement pour prendre en compagnie de mes deux fidèles cabotos la direction que Sylvaine m’avait indiquée.

    11

    Sylvaine ne devait pas avoir les mêmes notions que moi sur l’entretien des forêts et les distances kilométriques. Si le premier chemin que j’empruntais était large et dégagé, très vite il devint plus étroit, et les arbres se rapprochaient de plus en plus de ses bords. J’avais déjà parcouru une bonne quinzaine de kilomètres lorsque la pénombre m’obligea à m’arrêter. A l’orée d’une petite clairière j’avisai un frêne dont les branches curieusement tombantes formaient comme un tipi indien. Nous nous y faufilâmes, personne ne pouvait nous voir, je déroulais une couverture de survie contre l’humidité du sol et   une deuxième sur nous pour nous tenir au chaud. Je n’avais pas froid, les deux chiens collés contre moi s’endormirent aussitôt et je ne tardai pas à les imiter…

    12

    Il devait être trois heures du matin lorsque Molossa colla son museau contre mon cou. Pas un bruit. Même pas un hululement de chouette effraie. J’avais saisi mon Rafalos, prêt à tirer, mais seul le silence nous entourait. Molossa gardait la tête penchée. Elle entendait quelque chose, mais quoi ? Quel bruit lointain lui parvenait ? Molossito continuait à dormir… Arme au poing je veillai jusqu’à l’apparition des premières pâleurs de l’aube. Pas une seconde Molossa ne relâcha son attention. Le danger était devant nous. Quel était-il ? Au petit matin nous grignotâmes un biscuit à chien et nous faufilant sous les branches basses du frêne nous reprîmes notre route.

    13

    Un véritable cauchemar. Bientôt il n’y eut plus de sentier. Un rideau quasi-impénétrable d’arbres se dressait devant nous. Des lianes, des épines, des ronces obstruaient le moindre passage. Le moindre mètre nous coûtait des efforts surhumains et surcanidéens. Nous nous coulions dans de minuscules espaces libres mais à midi nous avions tout juste progressé de deux cents mètres. A trois heures de l’après-midi les troncs étaient si serrés qu’il fut impossible d’avancer. Découragé mais pas vaincu, j’avisai entre deux fûts une espèce de fente étroite dans laquelle je parvins à insérer le bras jusqu’au coude. Mes doigts glissèrent sur une surface plane qui ressemblait à de la pierre. Un mur !  Tout proche mais inatteignable. Rien ne saurait arrêter un agent du SSR, avec mon Rafalos je tirais sur un arbre. A intervalles réguliers mes balles percutantes réalisèrent le long de l’aubier une série d’encoches dans lesquelles mes pieds pourraient prendre place.

    • Les chiens vous m’attendez, je reviens.

    Et hop j’entrepris l’escalade.  J’eus tôt fait de dépasser l’arête supérieure du mur.

    14

    Au premier regard je compris où j’étais. Le château de la Belle au bois dormant ! Avec ses tours, ses toits pointus, ses échauguettes il était presque plus beau que celui de Disneyland-Paris. Des dizaines de gardes et de serviteurs disséminés sur le vaste parvis figés dans la pose dans laquelle le sommeil les avait saisis. Le plus remarquable était ce carrosse tiré par huit chevaux blancs immobiles dans leur galop. Je me laissai choir de la cime de mon arbre et courus comme un fou vers le pont-levis. Personne ne s’opposa (et pour cause) à mon passage, j’entrai sans m’arrêter, le chemin était comme tracé par la foule des domestiques et des courtisans qui formaient une haie d’honneur. Je déboulai dans la grande salle d’apparat, sur une estrade on avait dressé u lit à baldaquin, la princesse était là, je gravis les marches, enfin j’allais savoir si la fameuse princesse était vraiment belle, elle était là, couchée sur un édredon virginal, je poussai un cri, je la connaissais, Alice ! Rien n’aurait pu me retenir, je me baissai et déposai sur la rose de ses lèvres un baiser vaporeux…

    15

    Au premier regard je compris où j’étais. Chers lecteurs, si vous n’avez pas eu l’intuition que le paragraphe précédent était just a joke, c’est que vous n’êtes pas très pertinents. J’exagère, je ne le compris pas immédiatement mais j’eus une soudaine révélation : je connaissais cet endroit. Mais, oui, bien sûr, le manoir aux toits d’ardoises, les feuilles roses des arbres, les arbres centenaires, le mur de pierre tout concordait j’étais dans la pochette du premier album de Black Sabbath. Tout y était. Tout sauf cette mystérieuse dame noire – les membres du groupe aimaient à raconter qu’elle n’était pas présente lorsque la photo fut prise, mais que sa présence se manifesta au développement – intox, mystification pensez-en ce que vous voulez – un bruit feutré puis la fameuse cloche qui retentit dans le disque se mit à sonner, lugubrement, et Elle apparut, Elle était assez loin, doucement Elle se dirigeait vers moi. La pâleur de son visage, son doux sourire, tout concordait. Elle ne marchait pas. Elle glissait. Lentement. Elle se rapprochait. Son sourire s’épanouit, maintenant il grimaçait, je réalisai que c’était la Mort qui venait à moi. Instinct de survie, je dégainai mon Rafalos et tirai sur Elle. Une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, cinq fois, la dernière presque à bout portant, les balles l’atteignaient, ne lui faisaient aucun mal, peut-on tuer la mort ?

    16

    Elle posa la main sur mon cœur, j’étais déjà mort, reverrai-je une dernière fois le visage d’Alice avant de sombrer dans le néant, je ne vis rien, mais je sentis. Une odeur de Cornado. Ma dernière pensée serait donc pour mon frère d’arme… Une main se posa sur mon épaule.

    • Agent Chad ne bougez pas, je me charge de la camarade

    J’ouvris les yeux au moment où la bastos du Chef lui traversa la tête. Il y eut comme un tintement de verre brisé, des centaines de petits fragments tombèrent à terre et disparurent… Le Chef rengainait son Rafalos.

    • Agent Chad, vous avez fait du beau boulot, je vous remercie, il est temps de récupérer les cabots et de rentrer au local. L’aventure ne fait que commencer.

    A suivre

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 532 : KR'TNT ! 532 : DANA GILLESPIE / URGE OVERKILL / GHOST WOLVES / SORROWS / PATRICK GEFFROY / BARON CRÂNE / ANCIENT DAYS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 532

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    02 / 12 / 2021

     

    DANA GILLESPIE / URGE OVERKILL

    GHOST WOLWES / SORROWS

    PATRICK GEFFROY / BARON CRÂNE

    ANCIENT DAYS / ROCKAMBOLESQUES

    Gillespie bavarde

    Z16331GILLEPSIE.gif

    Les ceusses qui ont suivi de près l’actualité de la scène anglaise des early seventies savent très bien qui est Dana Gillespie. Cette proche d’Angie et David Bowie s’illustra alors avec un sulfureux cocktail de big boobs et de talent réel. On ne perd absolument pas son temps à écouter les albums de la période Mainman qu’elle enregistra entre 1971 et 1974. L’idéal est de se prêter au petit jeu de l’écoute - ou de la ré-écoute - à la lumière de l’autobio qu’elle vient de faire paraître, et qui porte le même titre que son premier album Mainman, Weren’t Born A Man.

    z16670book.jpg

    Dana, c’est pour les intimes. Elle s’appelle en réalité Richenda Antoinette de Winterstein Gillespie, et vient donc de la haute, de la même façon qu’Anita Pallenberg et Marianne Faithfull. Mais cela n’altère en rien l’éclat de sa légende, car oui, et vu le nombre de célébrités qu’elle a pu côtoyer et baiser, elle mérite largement sa place au panthéon des silver sixties britanniques. Son autobio prend parfois l’allure d’un carnet mondain, mais bon, la coquine s’en sort toujours par une British pirouette. Elle parvient à éviter ce côté impudique qu’ont les Américains à étaler leur patrimoine relationnel, comme s’ils avaient besoin d’une caution pour asseoir leur rang social. Les exemples les plus détestables d’étalages sont ceux que font Cash et Dave Grohl dans leurs autobios respectives.

    z16674danaseins.jpeg

    Apparemment, pas mal de gens étaient dingues des nibards de Dana, à commencer par Dylan et Bowie. Dana s’amusait de voir les regards torves plonger dans son décolleté. Elle cite des exemples en pagaille, comme celui du boss de Decca, Dick Rowe qui dit-elle était plus intéressé par ses atouts apparents - her more visible assets - que par son talent de chanteuse. Dana indique aussi qu’Allen Klein ne résistait pas au charme des grosses poitrines - the big busted English birds - et Dana passait parfois l’après-midi avec lui dans sa suite d’hôtel. Elle s’empresse d’ajouter qu’elle baise avec tous ces mecs parce qu’elle les apprécie. N’allez pas prendre Dana pour une Marie-couche-toi-là. Quand le Melody Maker publie un portrait de Dana, la légende évoque a lady with large breasts et le London Evening News parle lui d’une girl who have a lot to get off her chest. Oui, comme le dit Dana, everybody focuses on my boobs. Quand elle tourne des films de série B, elle porte des costumes minimalistes en peau de chamois et bien sûr ses nibards s’en échappent dès qu’elle se met à courir pour échapper à l’éruption du volcan. Elle indique au passage que toute l’équipe de tournage en profite pour se rincer l’œil. Il n’y a rien de surprenant à ça : le sein d’une femme attire l’œil du mâle, c’est automatique. Mais quand même, les canards peinent à lui reconnaître du talent - I’m afraid I was still getting more comments on my infrastructure than my singing - et hilare, elle ajoute qu’un présentateur a même été jusqu’à lancer : «Here they are... Dana Gillespie!».

    z16672angie.jpg

    L’autobio de Dana est très sexuée, mais pas au sens où on l’entend généralement. Elle ne donne pas de détails organiques, elle se contente de lancer ici et là des petites infos du genre : «Quand je suis en jupe, je ne porte jamais de culotte.» Elle fait régulièrement référence à des partouzes, qui sont dans les seventies d’une grande banalité. L’apogée de l’ère partouzarde est bien sûr la période Mainman à New York, lorsque Dana vit à l’hôtel avec Angie et David Bowie - On avait tous nos chambres, mais on n’y dormait pas. It was a bit like musical beds - Angie trouvait normal que Dana couche avec David - so what’s mine is yours - Qu’on ne se méprenne pas : le propos de Dana est l’ouverture d’esprit, pas le fait d’avoir baisé avec une super star. Pour elle la sexualité a toujours été une question de liberté. Tu fais ce que tu as envie de faire avec qui tu veux et quand tu veux. D’ailleurs Dana en profite pour recommander la lecture des Backstages Passes d’Angie Bowie. Quand Jagger vient passer la soirée chez Bowie, ça se termine forcément au pieu - Who didn’t sleep with Mick? - Alors ils commandent du room service and everyone would get stoned. Et ceux qui étaient encore en état de fonctionner se retrouvaient au lit ensemble - That’s just the way it was - Existe-t-il quelque chose de plus jouissif dans la vie que de se retrouver au pieu à l’aube avec une poule de rencontre ? Non, bien sûr que non. Dana parle aussi des privilèges qu’offrent les séjours prolongés dans les hôtels de luxe, notamment les masseurs. Elle évoque le masseur d’un grand hôtel hollywoodien qui a connu Sinatra et Robert Mitchum et qui au terme du massage offre à Dana le fameux happy ending. Elle y prend tellement goût qu’elle reprend rendez-vous chaque jour. Elle raffole de son expertise.

    Vers la fin du book, Dana résume parfaitement le climat de liberté sexuelle qui caractérisait si bien les seventies : «À l’époque, tout le monde baisait avec tout le monde. It was a crazy time. The Zeps, the Stones, Bowie, they were all wild. Les filles faisaient la queue avec des paquets de poudre et ne portaient pas de culottes. Que croyez-vous qu’il allait se passer ? - What else do you think was going to happen??!!».

    Z16682Animals.jpg

    Elle connaît bien les Animals et elle n’est pas tendre avec eux. Elle rappelle qu’Alan Price était le seul à se rendre aux réunions, ce qu’elle appelle the management meetings, et donc il fut le seul à signer les droits d’«House Of The Rising Sun», et ça fait marrer Dana : «Le pauvre Eric Burdon dut ensuite chanter ce tube pendant vingt ans, sachant que les royalties allaient dans la poche d’Alan Price.» En remplacement d’Alan Price, les Animal engagèrent Dave Rowberry qui allait par la suite accompagner Dana sur pas mal de disques. Elle rapporte un propos de Rowberry à propos des Animals : «C’était une bande de cons quand je les ai rejoints et une bande de cons quand je suis partie.» Dana sort une autre histoire, cette fois beaucoup moins drôle : quand les Animals se sont reformés en 2003, ils sont allés en bus chercher Dave chez lui pour partir en tournée. Toc toc toc ! Comme ça ne répondait pas, ils ont défoncé la porte et l’ont trouvé mort, la gueule par terre, au pied d’un mur couvert de photos de Dana. Dave aimait Dana.

    z16683keiyhmoon.jpg

    Dana fréquente aussi Keith Moon qui est déjà incontrôlable. Il vient souvent taper à sa porte. Soit il est tellement bourré qu’il s’évanouit, soit il emmène Dana directement au pieu. Elle adore baiser avec Moonie - His kick was shoking people and we had sex in some pretty strange places - Elle est aussi très pote avec Gered Mankowitz, le fameux photographe du Swinging London (Hendrix et les Stones). C’est lui qui fait la pochette de Weren’t Born A Man.

    z16673dylan.jpg

    Elle rencontre Dylan lors de la tournée 65, lorsqu’il porte encore un jean, des boots, qu’il fume 80 clopes par jour. Joan Baez l’accompagne. Dana assiste aux conférences de presse dans les hôtels et Dylan la repère. Elle le trouve très séduisant. Il lui demande un service : tenir son lit au chaud. Elle accepte volontiers. Elle passe souvent la nuit avec lui. Elle note au passage que son set de 2 h 30 le vidait bien et pour se relaxer, il se tapait une bouteille de pinard avant d’entrer dans le plumard que lui réchauffait Dana. Quand dans une conférence de presse un journaliste demandait à Dylan ce qui l’attirait en Angleterre, il répondait : «Dana Gillespie’s jugs !».

    z16671davidbowie.jpg

    Les fans de Bowie se régaleront de ce book car Dana y narre dans le détail les années passées dans l’entourage et le lit du couple. Elle rencontre Bowie très tôt, quand il n’est encore que le djeun’ David Jones. Elle n’attend pas de lui une relation suivie car elle sait qu’en tournée, il baise d’autres filles, c’est le principe même de la vie d’artiste. Liberté absolue. La jalousie ? So ridiculous ! Elle apprend à se contenter des moments d’intimité. David l’aide à explorer sa sexualité. Il lui donne aussi des leçons de guitare. La première chanson qu’il lui apprend à jouer est le fameux «Love Is Strange» de Mickey & Sylvia. Et comme Dana commence à composer, Bowie l’encourage, car il la sent douée.

    z16684davidjones.jpg

    Dana rappelle aussi que Bowie change de nom à une époque pour éviter la confusion avec le Davy Jones des Monkees. Mais à l’état civil, il va rester David Jones. Un jour, Bowie emmène Dana manger chez ses parents à Bromley. Pour elle qui vient de la haute, c’est un choc que d’entrer dans ces petites maisons grises de banlieue. Les parents de Bowie proposent des sandwiches au thon et ne disent pas grand chose - They just sat there looking rather miserable - Et là, elle comprend que Bowie veut échapper à cet univers de gens résignés.

    z16677andywarholl.jpg

    Puis le succès arrive. Dana fréquente Bowie à Haddon Hall. Il compose «Andy Warhol» pour elle. Et Dana devient la meilleure amie d’Angie. Et là commence le tourbillon, Ronno (avec qui elle baise aussi), les déclarations tapageuses dans la presse, the Rise of Ziggy Stardust & the Spiders from Mars. Angie et Bowie déclarent être bisexuels, alors ça y va, les cancans. À cette époque, Bowie adore la craziness et la joie de vivre d’Angie. Tout le monde partage avec tout le monde, Dana cite des noms de mecs qui ont couché avec Bowie, Angie et elle. That’s how it was then. Rien n’est secret, rien n’est mystérieux. Sur cet aspect des choses, le petit Woody Woodmansey qui a vécu aussi à Haddon Hall est bien plus prude dans son autobio. Le phénomène Ziggy s’emballe : deux tournées américaines, neuf shows au Japon, puis une tournée anglaise, deux shows enchaînés à chaque fois, alors Bowie n’en peut plus et la tournée américaine prévue à la suite est annulée. Dana dit aussi qu’elle savait que Bowie allait annoncer la fin de Ziggy à l’Hammersmith. Bowie en parlait à demi-mot. Seuls les musiciens et les journalistes n’étaient pas au courant.

    Quand Mainman s’installe à New York, Tony Defries engage les gens qui s’étaient illustrés dans l’Andy Warhol’s Pork show, à la Roundhouse : Tony Zanetta (qui va devenir le road manager de Ziggy), Cherry Vanilla, Leee Black Childers et Wayne County.

    z16679cherry.jpg

    Cherry Vanilla devient la publiciste de Bowie : plutôt que d’offrir du cash aux DJs des radios, elle leur taille une petite pipe. Les mecs adorent ça. Dana ajoute que Cherry baisait comme une folle - She had a mad horizontal life, maybe even more mad than mine - Cherry avait des cerises tatouées sur les seins et veillait à ce que ses décolletés soient assez plongeants pour qu’on puisse les voir. Autre petit portrait intéressant : Amanda Lear, qui comme tout être exotique attire Bowie. La rumeur veut qu’elle se soit appelée Alain et soit devenue Peki d’Oslo après avoir changé de sexe. Puis elle devient Amanda Lear et veille à ne rien confirmer ou infirmer, de façon à entretenir le mystère. Dana évoque aussi la version d’«I Got You Babe» que Bowie fit pour la télé en compagnie de Marianne Faithfull déguisée en nonne, mais en nonne à la Clovis Trouille. Le public ne voyait pas que la robe de Marianne était ouverte dans le dos, et qu’en dessous elle avait le cul à l’air. Par contre, Dana pense qu’Aynsley Dunbar qui battait le beurre derrière avait du mal à tenir le beat.

    L’ère Mainman prend brutalement fin lorsque Bowie demande du blé à Tony Defries pour s’acheter une baraque aux États-Unis. Defries lui répond que tout le blé est dépensé. What ? Alors c’est la rupture.

    z16686defries.jpg

    ( Dana, Defries, Bowie )

    Dana n’en finit plus de rappeler que Mainman dépensait sans compter : hôtels de luxe, voitures, fringues, coke, tout était pris en charge par Mainman. Dana en sait quelque chose puisqu’elle était comme Bowie sous contrat Mainman. Elle parle de dépenses vertigineuses et de bureaux sur Park Avenue et de personnel et de limousines et de prêt-à-porter et de tout ce qu’on peut bien imaginer. Bowie était la vache à lait. Quand il décide de rompre, il va s’installer à Berlin et ne veut plus entendre parler de Mainman ni d’aucun de ses collaborateurs.

    z16680bolan.jpg

    Dana fréquente aussi Bolan et évoque la cérémonie de son enterrement, où elle se retrouve assise derrière Bowie et Rod The Mod qui a du mal à faire tenir une kippah sur ses épis. Elle s’amuse d’un rien et son book ressemble parfois au journal intime d’une adolescente attardée. Dana n’a pas le chien d’une Viv Albertine, elle ne cherche pas à écrire, elle se contente de raconter sa vie, comme on la raconte à des amis.

    Z16641BORNaman.jpg

    Dana Gillespie fit sensation en 1973 avec la pochette de Weren’t Born A Man. Elle y apparaissait en petite tenue, mais elle rétablissait très vite sa crédibilité en démarrant avec le «Stardom Road Parts I & II» de Third World War. Incroyable ! - She ain’t got no highway code - C’est joué au clavecin et violonné, mais Dana gère assez bien le pathos de Terry Stamp. Le Part II vire heavy mood, heureusement. Dana enrobe d’une certaine façon l’âpreté du grand Terry Stamp. On la sent parfaitement à l’aise dans le dizzy rock de «Dizzy Heights» et voilà qu’on tombe à la suite sur la fameuse version d’«Andy Warhol», produite et orchestrée par David Bowie et Ronno. Fabuleux shake d’acou, tension dramatique all over. Ronno passe un solo de rêve avec le Warhol silver scren. Ce qui frappe le plus sur cet album, c’est l’étonnante maturité de Dana Gillespie. Elle dispose d’une bonne voix et peut donc s’imposer en tant que rocking girl. On retrouve Ronno et les Spiders en B sur «Mother Don’t Be Frightened» et «All Cut Up On You» sonne comme un brillant Southern rock cuivré de frais, avec un nommé Jim Ryan au lead guitar superstar. Très beau showman.

    z16652completemainman.jpg

    En 2019, Cherry Red proposait une petite compile sympa, comme on dit, What Memories We Make. The Complete MainMan Recordings 1971-1974. On y trouve en plus du Weren’t Born A Man des démos d’«Andy Warhol» qui gagnent à tous les coups, tellement la chanson est parfaite, et le deuxième album Mainman, Ain’t Gonna Play No Second Fiddle. Warhol signe d’ailleurs le portrait qui orne la pochette. Dès le morceau titre, on est saisi par la présence de Dana et de sa voix. Elle shake bien sa chique, elle a du chien de sa chienne à revendre et elle sonne quasi black. On peut dire qu’elle sait claquer une claquemure ! À tout ça s’ajoute un fantastique solo de slide signé Bryn Hayworth, le prodigieux guitar slinger des Fleur De Lys. En fait, Tony Defries a rassemblé des musiciens de session autour de Dana qui défend bien son bout de gras. L’album est excellent. Il faut l’entendre dans «Hold Me Gently» chanter comme une petite pute anglaise affamée de grandeur totémique. Ah comme elle est bonne la garce, à ce petit jeu insidieux ! Et derrière elle, Phil Chen fait le show au bassmatic. Elle reste dans un délire seventies assez prégnant, elle chante vraiment à la surface du monde, c’est très particulier, elle se montre très constructive. «Pack Your Bags» part en mode funk et le cut éclot en mode Edwin Hawkins Singers, c’est dire la force de la prod. Elle finit avec «Wandersust», un fantastique heavy groove, idéal pour une poule comme Dana. On trouve à la suite des démos qui nous confortent dans l’idée qu’on se fait d’elle. «Man Size Job» rôde dans le deep groove anglais, elle amène ça par en-dessous et c’est extrêmement crédible.

    z16686bluejob.jpg

    C’est en 1981 que Dana rencontre Ted Carroll. Elle va le voir parce qu’il vend dans sa boutique Rock On tous les disques de blues qu’elle aime bien. Elle lui dit qu’elle a tout : les musiciens, les chansons, le studio et qu’il ne lui manque qu’une chose : le deal. Dana explique qu’elle veut enregistrer un album de chansons de blues grivoises, the rudest old Blues, et elle veut l’appeler Blue Job. Ted Carroll explose de rire et dit : «Signez-là !».

    z16642bluesitup.jpg

    Ses trois premiers albums Ace (Blue Job, Under The Belt et Hot Stuff) sont compilés sur deux CDs, Blues It Up et Hot Stuff. On trouve pas mal de swing sur Blues It Up, «My Man Stands Out» et «Wasn’t That Good», elle y rentre à la vraie voix - He’s the master at the wheel - c’est du big London jive, on se croirait chez Chris Barber. Elle fait aussi du hard boogie avec «Meat Balls», elle s’amuse avec le butcher et les balls, c’est de l’humour noir dégueulasse, elle se veut provocante, longing for a butcher qui wanna buy my meat balls. Elle prend son «Tongue In Cheek» au raw de raunch et passe au hot sex avec «Sweets» - Sweets keep me satisfied - Elle reste dans le jive de petite vertu avec «Fat Sam Form Birmingham», mais c’est le Birminhgam d’Alabama. Elle lambine à la surface de la soupe d’if you ever get down to Alabama. Elle saute en selle pour «Ugly Papa» et tagada voilà la Dana. Elle tagadate ventre à terre. Et puis elle fait sa Bessie Smith avec «Long Lean Baby». Elle est languide et elle est bonne.

    z16643hotstuff.jpg

    Paru en 1995, Hot Stuff est une compile de ses deux premiers albums agrémentée de quelques bonus, pour faire bonne mesure. La dominante de Dana à cette époque est le swing. Elle propose le classic London swing dès «Lovin’ Machine» - You see what I mean - et ça continue avec l’excellent «Big Fat Mamas Are Back In Style Again», produit par Mike Vernon, heavy boogie de jumpy jumpah avec un énorme solo de sax de Pete Thomas. Swing dément encore avec «Tall Skinny Papa» - I want a tall skinny papa/ That’s all I ever need - Elle sait ce qu’elle veut, elle se fond bien dans le jive de treat me right et de satisfy my soul et un certain John Bruce passe un solo de concasse. Tout ça pour dire que cet album est passionnant. Quand elle ne fait pas du swing, elle fait du boogie avec «Meat On Their Bones», ça joue au heavy rumble de British blues et John Bruce fait encore des siennes, avec l’ex-Animal Dave Rowberry au piano. L’autre guitariste s’appelle Ed Deane et il passe un solo de gras double sur «Raise A Little Hell». On reconnaît encore la patte de l’amateur du blues Mike Vernon dans «Empty Red Blues». Dana est juste au blues. Elle sait parfaitement gérer un heavy blues, ne t’inquiète pas pour elle. Elle s’amuse bien avec le let me ride your automobile dans «Too Many Drivers», c’est la grosse métaphore sexuelle des vieux jivers d’Amérique - Now listen baby/ You can’t do this to me/ Let me ride your automobile - On retrouve la section rythmique infernale Charlie Hart (stand up)/ Chris Hunt (beurre) sur l’excellent «Fat Meat Is Good Meat» et Ed Deane fait des merveilles dans le «Big Car» boogie down. Dana chante ça au raw. «Diggin’ My Potatoes» est tiré de son premier album, Blues Job, petit jeu de mot sur le thème du blow job. Elle sait sarcler ses patates. Elle attaque son «Mainline Baby» au mainline et ça vire en mode shuffle de développement déporté, elle ramène une énergie de daddy-o et fait bien plus de ravages que les Status Quo. Elle termine avec un cut de sexe pur, «Horizontal Boogie» qu’elle arrache au heavy London rock. C’est violemment bon.

    z16644experienced.jpg

    Avec l’experimented Experienced paru en l’an 2000, Dana campe sur ses positions : boogie et swing. Le morceau titre d’ouverture de bal en est le parfait exemple, are you ready baby, elle ramène sa chique sur le meilleur boogie de London town. Dana est l’une des reines du boogie d’all nite long. Avec «There Will Always Be A New Tomorrow», elle se fond dans le vieux sorrow du gospel de souffrance du peuple noir et c’est là qu’elle sonne le plus juste. Elle est intense et réelle. Avec «Me Without You», elle revient à son cher swing, elle est tellement à l’aise avec le vieux jive qu’elle l’éclate au Sénégal. Elle n’échappe à aucune règle. Elle est parfaite dans toutes les positions. La plupart de ses cuts sont sans surprise, mais tout est bien vu et bien joué. Un nommé Sam Mitchell ramène son petit bout de gras. Elle tape son «Break Down The Door» au fast drive, Evan Jenkins bat ça si sec. Elle finit avec «Take It Like A Man», un heavy blues rock. Elle se bat jusqu’à la dernière goutte de son, elle est fabuleusement rock’n’roll, elle adore les nappes de cuivres, elle rabache son take it like a man jusqu’aux tréfonds de tout le tremblement, elle s’arrache la voix comme une mère maquerelle en pétard, elle claque sa chique, pas de problème, c’mon !

    z16645power.jpg

    Paru en 2003, Staying Power est un énorme album. Dana l’attaque en reine des crocodiles avec «Sweet Tooth». Elle est bien plus subversive que tous ces mecs qui croient savoir chanter. Voilà la reine du bongo groove - I got sweet tooth tonite - Elle fait une fantastique ouverture et redore le blason du boogaloo. Dana, c’est une puissance inexorable, elle est dans le chant, elle s’inscrit dans l’insoutenable légèreté de l’être, mais au groove de chant. Elle développe la même puissance qu’une Soul Sister de rang princier. Elle passe au heavy blues avec «Timeless» et elle sonne incroyablement juste, elle fait de la Soul blanche, on comprend que Ted Carroll l’ait signée on the spot, elle est au rendez-vous avec la pire des exactitudes. Elle est énorme et elle est chaude. Elle la voix qui va, elle est dessus quoi qu’il en coûte. Elle colle bien au heavy blues de «Put My Anchor Down». Elle est l’une des plus pures, avec John Hammond, elle est insistante et elle est belle, elle ne lâche rien, elle est présente à chaque instant, elle descend groover le jive avec des retours de glotte incestueux. Nouveau chef d’œuvre de heavy groove avec «Still In Your Arms» et elle revient au blues avec «I Sigh For You». Crédibilité à tous les étages en montant chez Dana. Elle chante son «Big Picture» avec un gusto invraisemblable. Elle rentre dans la pâte du levain, elle passe sous le boisseau de la vague, elle catacombe la mélodie, elle crée des hallucinations et le guitar hero s’appelle Todd Sharpville. Dana Gillespie est l’une des plus grandes chanteuses de tous les temps, qu’on se le dise ! Elle chante comme une valeur sûre et reste attachante.

    z16646london.jpg

    Le Live With The London Blues Band paru en 2007 donne une idée très précise de ce que vaut Dana sur scène - Good evening ladies & gentlemen, this is the London Blues Band, et boom, elle est magique ! On croit rêver. Quel punch ! Elle est dessus, elle drive son jive à la tagada voilà les Dalton, forcément derrière les mecs font les coqs. Le pianiste Dino Baptiste joue comme un diable et Matt Schofield passe un killer solo jazz. Fantastique aventure ! Dana fait du Dana pur, elle a derrière elle la crème de la crème anglaise et elle revient au chant en vainqueuse. Dana est la reine des dynamiteuses. Elle passe à la violence du British Blues avec «Your Mind Is On Vacation». C’est right in the face, Dana a tout le répondant qu’on peut imaginer et Matt Schofield joue à la bonne franquette du blues. Il allume aussitôt après «Ten Ton Blocks» aux heavy blocks. Encore un superbe heavy blues. Franchement, on est gâtés. Elle l’explose au chant. Elle reprend l’un de ses hits, «Experienced», elle le gère à la perfection. Elle se battra jusqu’au bout, elle y croit dur comme fer. Elle excelle dans le fast boogie de «Too Blue To Boogie», elle chevauche son dragon et le pianiste Dino Baptiste devient fou. Elle termine avec «A Lotta What You Got», et la messe est dite, huit minutes de jive intensif de London underground. Elle s’appuie sur un backing hot as hell, ses amis jouent à la vie à la mort, et quand elle présente ses musiciens, chacun d’eux fait sauter la Sainte-Barbe. On entend des solos déments de guitare, de piano et de sax.

    z16647mycase.jpg

    I Rest My Case va droit sur l’île déserte à cause du morceau titre. Elle colle à son blues, elle reste exceptionnelle et elle insiste, elle monte bien son case là-haut sur la montagne, elle brûle du feu sacré de l’intensité, elle a une façon de monter le chant qui est unique, de toutes les grandes chanteuses, elle est certainement la plus présente. Pourtant l’album démarre assez mollement elle chante son «Funk Me It’s Hot» d’une voix de vieille spécialiste. On attend d’elle des miracles. On la voit tripoter le groove de «Your Love Is True» en parfaite épouse, aimante et sensuelle. Elle chante de l’intérieur de son talent. Puis les grosses compos arrivent avec «Game Over». Elle se glisse sous le boisseau, elle tortille bien son affaire et ça continue avec «The House Of Blues» joué au heavy funk anglais. C’est du big concassage, please excuse the hell, elle est dessus. Elle rentre dans le lard fumant de «Guilty As Hell» elle s’y montre directive, grosse glotte, elle fait sa black. Fantastique Dana, elle est dans tous les coups, à la bonne échelle. Elle fait le job jusqu’au bout. Pas le peine de lui faire un dessin.

    z16648catsmeow.jpg

    Et puis voilà Cat’s Meow, un album un peu plus faible. Elle chante parfois d’une voix de vieille rombière qui choque un peu. Comme si elle perdait le blues. Mais la présence reste intense. Sinon, elle ne serait pas sur Ace. Elle attaque «Love Matters» au vieux London groove. On croit entendre l’orgue de Graham Bond, c’est dire l’énormité de la chose. Ça joue au tight d’une autre époque. Les seuls capables de sortir un tel rumble étaient les Graham Bond ORGANization. Elle replonge dans cette ancienne magie de façon expéditive. Et comme dans les albums précédents, elle est dans tous les coups. Elle cherche à chaque fois à se glisser sous le boisseau. Des fois ça marche, des fois ça ne marche pas. Il faut attendre «Burning Out Of Steam» pour frémir. Elle retrouve son élément, le heavy blues. Elle crève d’amour, elle est la London blues shouteuse par excellence. Elle tape plus loin un «Two Faced Girls» à la concasse de la rascasse, elle adore les cassures de rythme.

    z16649mybed.jpg

    Dana fait encore un festival sous son lit avec Under My Bed. Toujours ce sens aigu du swing et cette aisance vocale. Le guitariste de jazz s’appelle Jake Zaitz. Non seulement Dana chante bien, mais elle a en plus l’avantage d’être accompagnée par des surdoués. Elle chante son «I’m In Chains» à la belle lampée, elle pratique l’insistance blanche, identique à l’insistance black, sauf qu’elle est blanche. Tout est bien joué, bien chanté, bien produit sur cet album, notamment «More Fool Me». Ces gens-là n’ont aucun souci, vois-tu. Ambiance heavy jazz avec un bassmatic de jazz pur. L’oreille avertie en vaut deux. On se sent bien en compagnie de Dana. Qu’elle soit sur Ace tombe sous le sens. Elle fait un «Va Va Voom» qui n’est pas celui de Brett Smiley. C’est le Va Va de Dana, chanté à la retenue du makes me feel et elle ajoute, d’une voix troublante, he’s got a sex appeal - And my heart goes boom/ When he walks in the room/ I go va va voom - Elle passe au round midnite avec «Another Heart Breaks». Elle est trop blanche pour sonner black, elle est baisée, mais elle crée son propre deepy deep. Dana est une fantastique interprète. Elle n’est jamais dans une formule, toujours dans la chanson. Elle tape un groove de six minutes avec «High Cost» et nous fait la morale - There’s a high cost/ For a cheap thrill - Quand elle fait sa rampante, elle reste convaincante et elle attaque toujours ses cuts de la même façon. Son «Punch The Air» tape en plein dans le mille. Elle remonte bien dans l’exercice du groove vocal, elle se bagarre avec son till the day I die/ He’s so cool I punch the air - On est à Londres chez des gens qui ont tout vécu, alors prosternons-nous devant Dana. Elle continue de nous titiller l’intellect avec «Beats Working», elle cherche des poux dans les poils du beat, elle farfouille fabuleusement, avec un revienzy de blackette - Beats working c’mon, stick around/ Beats working there ain’t no sin/ Beats working - elle a raison, le hot sex n’a jamais fait de mal à personne, elle nous entraîne dans le 25e heure du London underground, c’mon stick around/ C’mon down/ C’mon in !

    z16650pockets.jpg

    Son dernier album sur Ace vient de paraître et s’appelle Deep Pockets. On y sent une légère baisse de tension, sûrement due à l’âge. Sa voix mue, du coup Dana reste le plus possible dans la retenue. Elle se réfugie sous le boisseau («We Share The Same Sky») - I look at you/ You look at me - Elle reste dans les vieux schémas and we share the same sky. Jake Zaitz joue le solo de jazz guitar, il titille ses notes comme s’il titillait un clito, on ne va pas rentrer dans les détails. Dana chante maintenant comme une vieille Dana, accrochée aux jazz solos de Jake le crack. Comme sa voix s’aggrave, elle chante par en dessous («Back In The Day»), elle veille à rester dans le heavy groove de bonne bourre. Il faut attendre «In Times Like These» pour frémir. Elle manage son groove comme une vraie bosse ! Elle danse avec les vieux souvenirs du swinging London, c’est très pointu, on a là un heavy groove magnifique à tous points de vue. C’est tellement joué dans tous les coins que le cut en devient fascinant. Elle attaque son «Up Yours» au heavy r’n’b de London. Dana est une vieille balèze, elle nous tartine un r’n’b de bonne facture avec un solo de sax à la clé. C’est même un r’n’b de complicité intimiste, près de toi dans la pénombre.

    z16651london.jpg

    En 2018, Rev-Ola a compilé Foolish Seasons et Box Of Surprises, les deux premiers albums de Dana devenus objets de spéculation. La compile s’appelle London Social Degree. Dana se dit fière d’avoir un morceau titre composé par Billy Nichols qui, comme elle, sortait à peine de l’adolescence. Puisqu’elle dispose d’une voix extraordinaire, la belle pop du petit Billy brille au firmament. Elle est partout, surtout là où on ne l’attend pas. Elle attaque l’album avec un autre héros de l’époque, Donovan et «You Just Gotta Know My Mind». C’est un jerk de rêve bien taillé pour la route, une merveille qu’elle chante au tranchant. Elle connaît bien Donovan puisque sa copine sort avec lui. C’est d’ailleurs en accompagnant Donovan dans une réception à Londres que Dana rencontre Dylan et qu’elle devient son amie. Dans Don’t Look Back, Dylan entre à un moment dans une salle et on voit une blonde assise : ce n’est pas Nico mais Dana qui à l’époque est blonde. Autre auteur de rêve : Michel Polnareff avec «La Poupée Qui Fait Non». Ici, ça s’appelle «No No No». Avec «Dead», elle passe au groove de jazz, elle est parfaite dans ce rôle. Globalement, sa pop est d’une fraîcheur extraordinaire et sa légende n’est pas usurpée. Elle fait partie des petites gonzesses qu’il faut écouter. Elle amène un truc, c’est indéniable. Elle est encore très partie prenante avec «Souvenirs Of Stefan». Apparemment, Rev-Ola a aussi flashé sur son décolleté vertigineux car les photos abondent dans le booklet. Allez-y les gars, rincez-vous l’œil !

    z16687box.jpg

    C’est Mike Vernon qui produit Box Of Surprises et Savoy Brown fournit l’accompagnement. Elle passe donc naturellement au heavy blues avec le morceau titre. C’est carré, pas de problème. Elle est la reine de son monde et crée des ambiances quand ça lui chante. Elle revient à la pop avec «When Darkness Fell», une pop qu’elle chante à merveille. Dana dédie bien sûr «For David» à Bowie. Elle s’y montre royale et sait driver des dynamiques. Retour au heavy groove avec «You’re Dreaming», elle est dessus et ça devient énorme. On se croirait chez Fellini, lorsque sonne la flûte de «Grecian Ode», à l’aube pâle d’un nouveau jour de mystère antique. Elle fait preuve d’une tenue de route irréprochable. Elle est partout dans le chant de «By Chasing Dreams». En plus du décolleté, elle possède la voix et les compos, elle incarne bien le dream come true. Dana est une battante, rien ne l’arrête, elle milite pour le bon vouloir, ses cuts sont comme ils sont mais ça reste extrêmement intéressant. Dana, c’est pas les Slits. Elle a en outre derrière elle les mecs de Savoy Brown et ils font des merveilles sur «I Would Cry». On imagine que le Guitar God qu’on entend derrière est Kim Simmons.

    Signé : Cazengler, Gillespisse froid

    Dana Gillespie. Weren’t Born A Man. RCA Victor 1973

    Dana Gillespie. Blues It Up. Ace Records 1990

    Dana Gillespie. Hot Stuff. Ace Records 1995

    Dana Gillespie. Experienced. Ace Records 2000

    Dana Gillespie. Staying Power. Ace Records 2003

    Dana Gillespie. Live With The London Blues Band. Ace Records 2007

    Dana Gillespie. I Rest My Case. Ace Records 2010

    Dana Gillespie. Cat’s Meow. Ace Records 2014

    Dana Gillespie. Under My Bed. Ace Records 2019

    Dana Gillespie. Deep Pockets. Ace Records 2021

    Dana Gillespie. London Social Degree. Rev-Ola 2018

    Dana Gillespie. What Memories We Make. The Complete MainMan Recordings 1971-1974. Cherry Red 2019

    Dana Gillespie. Weren’t Born A Man. Hawksmoor Publishing 2020

     

     

    Ça urge, Overkill !

    z16632overkill.gif

    Ah enfin un hommage à Urge Overkill ! Ce trio de fins limiers de Chicago reste cher au cœur des amateurs de rock bien profilé. Disons qu’ils constituaient avec Guided By Voices le fer de lance de l’underground américain des années quatre-vingt. Comme Mansun ou les Boo Radleys, Urge Overkill pondit d’excellents albums avant de lâcher la rampe et de disparaître. Paul Rees leur accorde six pages dans Classic Rock.

    Nash Kato, Ed Roeser et Blackie Onassis cultivaient un look dandy. Ils portaient des costumes et des polos à cols roulés sur lesquels était brodé le logo du groupe, UO. Ils sirotaient des Martinis dans des verres à cocktail et un vent léger caressait les longs cheveux d’ange de Nash Kato, l’un des rock’n’roll animals les plus parfaits de l’histoire du rock américain. Kato relevait l’extrême finesse des traits de son visage avec des verres teintés qui lui donnaient un look d’hermaphrodite psychédélique quasi divin - We dressed it up for the cameras a bit and it worked.

    Nash Kato débarque en 1985 sur le campus d’Evanston, dans l’Illinois. Il y rencontre Steve Albini, lui aussi à la fac et monte sa première mouture d’Urge Overkill. Il tire ce nom du «Funkentelechy» de Parliament. Nash Kato adore tout ce que fait George Clinton. Ed Roeser voit le groupe au moment où il allait s’arrêter. Il y prend la place du bassiste qui jetait l’éponge. Nash Kato : «Ed was an odd bird, but so we were all.» C’est bien sûr Steve Albini qui enregistre les premiers cuts d’Overkill, dont il se sert comme cobayes - It was an altogether raw, splenitic and cacophonous affair - Leur premier album sort sur Touch And Go en 1989.

    z16653jesus.jpg

    Ils choisissent un titre bizarre : Jesus Urge Superstar. Et démarrent très fort avec un cut qu’il faut bien qualifier de coup de génie : «God Flintstone» - Bedrock in the sky/ With Jesus Christ rubble - C’est un cut d’acid freak doté d’un développement considérable. Ils sortent tout leur apanage de futurs rock stars. Ce cut n’en finira plus de sonner dans l’écho du temps. Avec «Your Friend Is Insane», on voit qu’ils adorent bricoler des climaxings, mais ils ne retrouvent pas forcément la voie de Flintstone. Ils passent au boogie fuzz avec «Dump Dump Dump» - I need a shot and a beer/ You wanna buy me some - très belle dégelée à la Kato, on reste dans la dope et les fast cars. En B, ils tapent «The Polaroid Doll» au gros bouquet d’accords et dans «Head On», Ed raconte l’histoire d’une copine qui passe la tête dans le pare-brise à Minneapolis - Lisa hot hit head on - Tout ça se termine sur la chaise électrique avec «Dubbledead», il ne veut pas que sa mère apprenne que son little chicken va y passer - Too young to fry - Et Nash Kato pique une sacré crise de wah, oh boy !

    z16654americruiser.jpg

    Pour leur deuxième album, ils veulent un autre son, qui mélangerait l’urgence punk à un rock plus classique - a more listener-friendly classic rock dimension - Ils se débarrassent de Steve Albini et engagent Butch Vig qui leur donne un son plus poli et une certaine cohérence. Le résultat s’appelle Americruiser et paraît en 1990. Excellent album. On y trouve «God Flintstone», leur plus gros hit, amené sous un certain boisseau, ces enfoirés savent très bien ce qu’ils font. Nash le gratte à l’arrache dans le mystère du développement. C’est violemment bon et même l’un des plus beaux cuts de l’histoire du rock US. Tu es pris dans leur truc, c’est gratté à la merveilleuse urgence de l’Urge, dans un climat de montées subreptices. Comme c’est composé par des seigneurs de la dope, ça te hante la cervelle. Leur réelle valeur réside dans le côté ambitieux des compos. Ça se confirme dès cet «Empire Builder» plongé dans le mystère de l’Urge. Ils noient leur torpeur dans des accords de cuivres, c’est monté, très collet monté. Cet album est extrêmement chargé. À trois, ils chargent bien plus qu’un grand orchestre. Leur «Viceroyce» est gorgé de son, ils optent pour la sur-consommation. Avec «Smokehouse», ils montrent clairement qu’ils savent allumer la gueule d’un cut. «Dump Dump Dump» est joué à la basse fuzz et Nash passe un killer solo flash dans «Last Train To Heaven». Tout est visité par des vents soniques assez alarmistes. Nash noie tout de pouvoir pas Kato. Ça chante à la grosse arrache de Chicago dans «Crown Of Laffs» et on replonge dans l’étrangeté avec «Dubbledead». Ces atmosphères sont uniques au monde. Cette façon de chanter comme une limace est spéciale, personne n’avait osé avant Ed King Roeser. Nash crible le son de notes, il travaille l’épaisseur à outrance, tout est dans le dandysme. Ils terminent avec une cover démente du «Wichita Woman» de Jimmy Webb. Nash l’arrose de big guitars. Ils ont vraiment le bec fin.

    C’est là qu’ils rencontrent enfin le batteur idéal, John Rowan que tout le monde connaît sous le nom de Blackie Onassis. Ed King Roeser : «Blackie was an interesting guy, he was a weirdo and a sort of out-of-control figure.» C’est leur première grande tournée à travers les États-Unis.

    z16655supersonic.jpg

    Ils retrouvent Steve Albini en 1991 pour l’enregistrement de The Supersonic Story Book. «The Kids Are Insane», c’est un peu leur façon de chercher la difficulté, mais avec des réflexes de rock stars. Ils jouent au fondu de son, dans un mix superbe, très flamboyant, très Urge, c’est Jumping Jack Flash in Chicago, tout est fin, rock dandy. Le hit de l’album pourrait bien être «Emmaline», un cut de Hot Chocolate, hommage à la diction balladive, chanté à l’émotion pure, Emma/ Emmaline/ I’m gonna make you the biggest star this world had ever seen - L’autre gros shoot Urgentiste est l’excellent «Vacation In Tokyo». Ils jouent dans un nuage de son. Les voix s’y perdent. Ce groupe a un potentiel énorme et une identité unique. Ce fondu de voix n’est pas sans rappeler celui de Jack Bruce. Et puis il faut saluer le numéro de Blackie dans «(Today Is) Blackie’s Birthday». Les Urge n’approchent pas du bord, ils jouent en retrait avec des semelles de plomb. Et Nash Kato cherche à casser les règles avec son funk de wah dans «Bionic Revolution».

    z16656stull.jpg

    Le Stull EP paru en 1992 est sans doute leur disk le plus accompli. Ils démarrent avec la reprise de Neil Diamond qui a fait leur renommée, puisque récupérée par Tarantino pour la BO de Pulp Fiction, «Girl You’ll Be A Woman Soon». Puis ils passent aux accords de Muscle Shoals pour «Stull (Pt1)». Nash joue des parties de guitare mystérieuses, il louvoie dans le Louvre, les accords ont une consonance oblongue. Ils passent au punk’s not dead avec «Stitdes». C’est l’Overkill de Chicago. Encore du son et des voix endémiques dans «What’s This Generation Coming To». Pure purée d’Urge - Do you wanna live with me - Riffing de rêve, Nash gratte entre deux eaux. Ce sont certainement les ambiances rock les plus intéressantes de cette époque. «Goodbye To Guyville» est le cut perdu au milieu de nulle part. Chaque fois qu’on l’entend, on frémit, car c’est monté sur un riff mortifère. Ces mecs jouent leur carte à outrance et cet EP devient la pièce maîtresse d’un grand jeu d’échecs. Fantastique Goodbye to Guyville, Nash joue dans une extrême profondeur de champ.

    z16657sturation.jpg

    Les choses vont s’accélérer après ça. Ils se retrouvent en première partie d’une tournée de Nirvana qui explose alors avec Nevermind. Et comme si tout cela ne suffisait pas, Geffen les signe. Et pouf, en 1993, ils enregistrent Saturation, l’un des chefs-d’œuvre de l’American cruiser rock - Near perfect balance between punk spunk and pop-rock melody. Et boom dès le riff d’intro de «Sister Havana». Ça y est, tu sais que tu es dans Chicago à gogo, Nash is on fire, c’est expédié au ho ho ho d’Havana, fantastique élan patriotique ! Verres teintés, rien de plus vrai. Ça continue avec «Tequila Sunrise», encore un classique amené au riff de démolition, Got no time for stimulation, oh boy, c’est chanté dans la masse de la ramasse, Nash envoie sa purée, une purée jusque-là inconnue, il bourre le boogie d’une fabuleuse purée de granulats. L’autre coup de Trafalgar s’appelle «The Stalker», incroyablement bien amené en studio Rolling, riff de Nash puis bass & drums in tow, ils jouent le Grand Jeu et secouent le cocotier, ça joue dans le flesh du flush, c’est drivé aux chœurs d’oh oh oh. Tout l’album est bon : encore une intro du siècle pour «Positive Bleeding», même si après Nash se convertit au sitar, puis «Back On Me», heavy balladif bardé de cocote. On voit qu’ils essayent de renouer avec l’excitation de «Tequila Sunrise», mais c’est compliqué. Le refrain sauve «Bottle Of Fur» du naufrage et Blackie Onassis vole le show dans «Crackbabies». Il fait le sledgehammer du Creusot. Puis il fracasse «Erica Kane», eff eff, ça joue sur les brisures de rythme, il y a une énergie chez Urge qui nous réconcilie avec la vie. Ils sont tous les trois dans leur monde qui est unique. Destinés à briller au firmament, jamais ils n’y brillèrent.

    Hélas, le groupe implose en un an. Blackie Onassis est passé au junk et les deux autres se conduisent comme des divas énamourées. Weezer arrive aussi sur Geffen et prend la place qu’aurait dû occuper Urge Overkill - They stole their thunder - Eh oui, les mecs de Weezer étaient beaucoup plus disciplinés et commerciaux que l’Urge.

    z16658dragon.jpg

    L’Exit The Dragon qui paraît en 1995 va décevoir les fans de l’Urge. Même si le «Just Walkin’» d’ouverture de bal est étrangement beau, harcelé d’attaques de guitare étranglée. Puis Nash et King épuisent leur crédit de power pop avec «The Break». Ils vont devenir trop pop et se griller. «Somebody’s Else Body» laisse perplexe, poppy et pas bon. Incompréhensible. C’est tout de même dingue que Nash ne parvienne à rallumer le feu de «God Flintstone». Ils jouent «This Is No Place» dans un climat de latence, avec des démarrages en côte. Très étrange, joué aux arpèges. Tout est irrémédiablement tarabiscoté sur cet album. Nash et King sont en panne d’inspiration. Cet album est maudit. Pourtant Nash gratte de sacrés accords dans «Take Me». On attend encore un miracle. Mais leur rock de fonctionne pas, cette fois - Take me goddamnit/ Take me back again - Ils vont rester dans l’étrangeté jusqu’au bout, ni pop, ni rock, ni Urge. Cette histoire se solde par un split.

    z16660debutante.jpg

    En l’an 2000, Nash enregistre un album solo, Debutante. Au dos, on le voit fringué en blanc avec les lunettes que portait Brian Jones dans le clip de «Jumpin’ Jack Flash». C’est un très bel album, mais pas de hit. Le «Zockey Suicide» qui ouvre le bal est effarant de modernité. Nash arrive dans le rumble comme un crack de Detroit. Ça bat à la vie à la mort et Nash claque son gaga à gogo. Fantastique clameur d’interloque ! Ce mec a une présence extraordinaire, un truc qui dépasse le commun des mortels. Il joue sur tous les tableaux et vise l’excellence en permanence, son «Queen Of The Gangsters» est très âpre, plein de fureur. Il affirme encore sa présence avec «Octoroon», il place son chant au sommet de sa chanson, c’est très anglais, très ferme. «Blow» sonne comme un fantastique balladif évolutif, Nash nage dans le Kato. Son Blow est un gros réservoir d’influences. Et puis voilà le morceau titre, monté sur un big bassmatic et soutenu par des filles en chaleur. Nash sait de quoi il parle. «Debutante» est un big shoot de funk de Chicago - What do you want - Il règle les problèmes et instaure les règles du jeu. Il allume «Rani (Don’t Waste It)» face front, aux accords rock’n’roll. Ce mec a le rock-starism en lui. Il sait franchir un Rubicon. Il sait mener un rock à la déglingue. Et ça continue avec le fantastique étalage d’«Angelina». Vraie présence vocale, extraordinaire qualité du son. On ne comprend toujours pas pourquoi les Urge n’ont pas explosé. C’est Nash le boss. Il drive son «Black Satin Jacket» avec une nonchalance qui en impose. «Pillow Talk» reste dans le très haut niveau, avec une sorte d’hyper présence. Mais le manque d’interaction avec le génie est une tragédie. Comment peut-on avoir autant de son et pas de hit ? Il termine avec l’excellent «Blue Wallpaper» qui avoisine les Screamin’ Trees. Nash et Lanegan même combat !

    z16659submarine.jpg

    Le groupe se reforme en 2011 et enregistre Rock&Roll Submarine. Belle pochette mais impressions mitigées. Ils font du sur place avec «Mason Dixon», t’avance, t’avance pas, do you realize, ils ont des vieux restes, mais ça reste sur place. Il faut aller chercher les énormités en B : «She’s My Ride» et «The Valiant». Nash ressort pour l’occasion ses vieux power chords. Mais entre-temps ils ont perdu leur statut de dandys et notre confiance. Ils ont l’air paumés même si des éclairs de génie zèbrent ce Ride. Avec «The Valiant», Nash fait une country pop-rock élégante, la country de Chicago. Il taille sa route à la seule force des arpèges sauvages, il est à la fois très radical et très enraciné, wow comme ce mec est bon. Dommage que le reste de l’album ne soit pas du même niveau. Urge n’est plus la même équipe, ils ont ramené deux nouveaux mecs. Les cuts se suivent et se ressemblent, étranges et peu convaincants. C’est un album qui va mal. «Thought Balloon» sonne comme un rock paumé, sans port d’attache.

    Nash Kato revient sur les années de gloriole et rappelle que Kurk Cobain vivait très mal les vertiges de l’ascension vers la gloire : «Every band aspires to have global exposure, but, you know, be careful with what you wish for, because it really ate him alive.» (Tous les groupes aspirent au succès, mais il faut faire gaffe à ce qu’on recherche, car cette soif de succès a dévoré Kurt vivant). Et Nash Kato ajoute : «On est passé du van au tour bus, mais à aucun moment on a cru qu’on allait vraiment percer. So we enjoyed the fuck out of the ride.»

    Signé : Cazengler, Murge Overkil de rouge

    Urge Overkill. Jesus Urge Superstar. Touch And Go 1989

    Urge Overkill. Americruiser. Touch And Go 1990

    Urge Overkill. The Supersonic Story Book. Touch And Go 1991

    Urge Overkill. Stull EP. Touch And Go 1992

    Urge Overkill. Saturation. Geffen Records 1993

    Urge Overkill. Exit The Dragon. Geffen Records 1995

    Urge Overkill. Rock&Roll Submarine. UO Records 2011

    Nash Kato. Debutante. B Track 2000

    z16661classicrock.jpg

    Paul Rees : be careful what you wish for. Classic Rock #252 - August 2018

     

    L’avenir du rock

    - There’s a Ghost in my house

     

    Après s’être discrètement raclé la gorge, l’avenir du rock prend la parole à la tribune des Nations Unies :

    — Mesdames et messieurs les représentants des nations du monde libre, merci de m’accorder votre attention. Ce que j’ai à déclarer est d’une extrême importance. Je m’adresse au monde entier, et plus particulièrement aux opprimés des cinq continents. Les vues que je vais développer sont si claires dans mon esprit que je n’ai plus besoin de les écrire. Je vais vous parler de ce qu’est devenu le monde, et plus précisément de ce qu’est devenue la soit disant civilisation occidentale. Rien ne manque à son triomphe. Ni la terreur politique, ni la misère affective. Ni la stérilité universelle. Le désert ne peut plus croître, il est partout. Mais il peut encore s’approfondir. Devant l’évidence de la catastrophe, il y a ceux qui s’indignent et ceux qui prennent acte, ceux qui dénoncent et ceux qui s’organisent. Nous sommes du côté de ceux qui s’organisent !

    Une immense ovation s’élève des gradins. L’avenir du rock reprend :

    — Carley et Jonny Wolf font partie de ceux qui s’organisent. Mesdames et messieurs les représentants des nations du monde libre, permettez-moi de vous présenter the Ghost Wolves, from Austin, Texas !

    z16633ghostwolwes.gif

    La pochette de Man Woman Beast ne trompe pas sur la marchandise. Ah elle y va la Carley ! Elle profite de «Gonna Live» pour gratter du grave sur sa grosse guitare blanche, elle envoie des coups de bottom ravager la pampa. Nos deux oiseaux tapent dans ce punk-blues des années 2000 érigé en art majeur par le JSBX et quelques autres.

    Z16638MANWOMAN.jpg

    Les Ghost Wolves comptent donc parmi les aficionados du heavy sound. Carley Wolf est encore au rendez-vous pour tartiner du heavy blues avec «Baby Fang Thang», superbe mélange de sucre et de heavy chords. Pas mal du tout, même si on a l’impression d’avoir déjà entendu ça. Mais c’est tellement bien foutu qu’on s’en goinfre. Elle sait rider un ride («Ride The Wolf»), jouer la loco («Grave Dallas») et casser du sucre sur le dos d’une heavy déboulade («I Was Wrong»). Elle arrose son «Itch» de punk-blues du meilleur cru. Ah comme elle est bonne ! C’est enflammé, plein d’allure, plein de Carley, elle te plombe tout l’Austin. Pas de problème, elle est partout dans le son, elle claque du heavy soubassement de Blues Explosion dans «Im Yo Mudda», passe de coups de bottleneck sans crier gare. Avec «Attack Attack Attack», on se croirait chez les Immortal Lee County Killers, ils trippent comme des mad trippers et c’est extrêmement bien foutu. Ils finissent avec un «Dangerous Moves» nettement plus ambitieux. On y entend des chœurs de cathédrale, Carley Wolf mène la sarabande, elle rôde comme une vraie louve, c’est brillant et plein d’esprit.

    Z16639TEXASPLATINUM.jpg

    Paru en 2017, Texas Platinum fait partie des grands albums teigneux de l’histoire du rock moderne. Carley est une reine de l’offensive, elle ne vit que pour la bonne arrache. Il suffit de l’entendre ramoner son «Whettin’ My Knife» pour comprendre qu’elle n’est pas là pour s’amuser. Elle chante à la perfidie maximaliste et arrose son trash-blues de gras double. Elle bat tous les records de gras double, y compris ceux de monsieur Jeffrey Evans. Son «Trippin’» est aussi une horreur. En fait, elle a tout le son du monde, elle outrepasse même le Blues Explosion du JSBX, elle joue à la main lourde avec le plus powerful got me trippin’. On entend des échos de Steppenwolf dans «Valley Of The Wolves» et elle fait du lullaby dans «Strychnine In My Lemonade». Il faut dire que Jonny Wolf bat ça bien. Ils sont solides tous les deux, ils sonnent comme un couple parfait. Carley lance bien toutes les opérations. Elle fait d’«All The Good’s Gone» un country blues hypnotique, ça s’enracine dans ta cervelle et le good’s gone rebondit bien dans le chant. «Triple Full Moon» sonne presque indien, elle est dans l’énergie des coups, dans l’explosion épidermique à peine tempérée par le chant des tribus. Elle ne rate aucune occasion de riffer à l’excès. Son gras double est un modèle du genre.

    z16642V bis.jpg

    En 2017, Carley et Jonny remettent en circulation leur premier mini-album, augmenté de quelques bonus explosifs. L’objet s’appelle In Ya Neck V.2. Il faut tout de suite se jeter sur «Dangerous Blues», l’un des bonus. Ils sont dans le vrai son, Carley est dedans, une vraie louve, et derrière Jonny fait le con, oh oh oh et ils basculent tous les deux dans le génie sonique, ils jouent ça au Ghost, elle est de plus en plus dedans, c’est lui qui mène le bal et elle revient, ils sont dans la bombe, dans une fabuleuse ambiance de cabane malveillante. Tous les autres bonus sont bons, comme ce «Whettin’ My Knife», ils le font à deux et ça donne un puissant shoot de Nous Deux, un éclair d’excellence demented. Elle reprend son «Gonna Live» à la racine du roots et fait du slinging de cabane. Encore un fantastique exploit du couple avec «Mosquito», ils sont dans l’excellence des origines du monde, cette louve ne lâche rien elle se bat jusqu’au bout avec «Lies I Told». Quant aux cuts du premier mini-album, ils n’ont rien perdu de leur verdeur, notamment ce «Gonna Live» plein d’esprit et bien senti. Tout aussi parfait voilà le petit trash de «Curl Up & Dye», ravagé par des feux extrêmes. Leur «Broke Joke» est brûlé aux flammes de l’enfer, comme le disent si bien les métaphoristes, avec des beaux renvois gastriques, elle lui sert sa soupe, just baby ! C’est Jonny qui chante «Big Star» - Yeah goin’ to be a/ Big star - C’est tout ce qu’on peut leur souhaiter.

    Signé : Cazengler, Ghost Whore

    Ghost Wolves. Man Woman Beast. Plowboy Records 2014

    Ghost Wolves. Texas Platinum. Hound Gawd! Records 2017

    Ghost Wolves. In Ya Neck V.2. Romanus Records 2017

     

     

    Inside the goldmine - Le raw des Sorrows

     

    Pas très distingué, le sergent Garcia. Le cheveu gras, mal rasé, triple menton, il manque des boutons à sa vareuse et son pantalon qui a le malheur d’être clair s’orne de tâches suspectes. Assis au bout de la table, il finit d’engloutir son poulet rôti. Il suce bien les os et se suce ensuite goulûment les dix doigts, schhhhhlurp schhhhhlirp schhhhhlurp puis il les essuie sur ses cuisses. Il plonge alors dans ses pensées et un grand sourire se dessine sur son visage en forme de ballon. Le sergent Garcia est un homme simple, et ceux qui le connaissent un peu disent qu’il est très gentil, mais qu’il devrait se laver plus souvent. Il sort sa dague de lancier et commence à se curer les dents du fond, toujours plongé dans ses pensées. Il essuie la lame sur sa cuisse et la rengaine. Il se verse un grand verre de vino del castello et le vide d’un trait, glou glou glou glou. Arhhhhh ! Il s’ébroue comme un cheval sorti du fleuve et se lève pour se gratter le cul, car ça le démange. Par la fenêtre ouverte, il voit le soleil se coucher. Il rote un coup, pète un coup et se verse un énième verre de vino del castello qu’il lève pour trinquer à la santé du roi d’Espagne, mais il ne se rappelle plus de son nom, alors il dit : Viva le roi d’Espagne ! Glou glou glou glou. Arhhhhh ! C’est dingue comme le sergent Garcia aime la vie, comme il aime la gamelle, comme il aime les nichons des grosses señoritas et le bon pinard, surtout celui qui tâche, il aimerait bien se verser encore un verre, mais au nom de qui pourrait-il trinquer ? Peut-être que le roi a une femme ? Alors il trinque à la santé de la femme du roi d’Espagne. Lorsqu’il entend enfin hurler les coyotes, il se lève, se dirige vers la petite bibliothèque encastrée dans le mur du fond, actionne un mécanisme et le meuble pivote silencieusement, ouvrant un passage secret. Le sergent Garcia s’y engouffre et le meuble reprend sa place. Il descend quelques marches et arrive dans une petite caverne éclairée par des torches. Un cheval est attaché à la muraille. Le sergent Garcia vient lui faire un bisou sur les naseaux. Tornado hennit de bonheur, hin hin hin hin. Debout devant un grand miroir en pied, le sergent Garcia déboutonne sa vareuse et son pantalon. Le voici en caleçon, qui comme tous les caleçons de l’armée n’est lavé que deux fois par an. Il enfile un pantalon noir, une chemise de soie noire, se coiffe d’un chapeau noir d’une élégance sidérante, noue un masque noir autour de son visage et boucle une fantastique ceinture d’épée. Il s’approche d’un petit guéridon et lance le disque posé sur le tourne disque. Alors la musique éclate dans la caverne : Un cavalier/ Qui surgit hors de la nuit/ Court vers l’aventure au galop/ Son nom, il le signe à la pointe de l’épée/ D’un S qui veut dire Sorrow !

    z16634sorrows.gif

    Eh oui, les Sorrows furent le secret le mieux caché d’Angleterre. Il furent les Zorros du freakbeat, les tenants de l’aboutissant, les sans-culottes de la révolution sonique, mais le destin fut assez cruel avec eux puisqu’il les attacha à un arbre pour partir en vacances, comme les gens le font avec leur chien. Tous les groupes connurent le succès, tous sauf les Sorrows. Donc il ne reste pas grand chose. Sans l’aide d’un label et d’un manager, un groupe ne va pas loin. Il reste deux albums et une poignée de singles, dont une partie en langue italienne, car les Sorrows s’exilèrent à une époque en Italie pour continuer à exister. Avant de connaître le succès en solo avec «Indian Reservation», Don Fardon fut le chanteur des Sorrows. Le groupe venait de Coventry et le guitariste s’appelait Pip Whitcher. Quand Fardon quitta le groupe, c’est Pip qui reprit le micro et Rog Lomas devint lead guitar. Ces guitaristes étaient exceptionnels, les Sorrows dégageaient une énergie considérable, peu de groupes leur arrivaient à la cheville. Entre nous soit dit, la scène Freakbeat anglaise est une vraie mine d’or.

    z16635fakeaheart.jpg

    Leur premier album Take A Heart paraît en 1965. Les Sorrows sont un groupe Pye, ils sont donc du sérail. Take A Heart grouille de coups de génie, tiens à commencer par l’oh babe de «Let Me In», digne du «Come See Me» des Pretties, ça riffe à la sourde et c’est l’un des joyaux de la couronne d’Angleterre. Et puis en B tu as «You’ve Got What You Want», un solide romp battu comme plâtre par ce démon de Bruce Finley, c’est du freakbeat zébré d’éclairs, un chef-d’œuvre de Got what you want, Pip Whitcher vole le show, les coups de guitare sont ceux de Midnite To Six. Et puis il y a l’«I Don’t Wanna Be Free» d’ouverture de bal d’A, well c’mon, c’est l’apanage fondamental du freakbeat, baby, on s’effare de la classe du gratté de gratte et du chant d’alerte rouge. Don Fardon qui s’appelle encore Don Maughn chante ça à la petite arrache. Bruce Finley vole le show pour de bon avec «Cara-Lin» et Pip Whitcher impose l’exacerbation des choses du freakbeat avec «Come With Me». Pip est le surdoué de service. Son killer solo flash fait partie des modèles du genre. On les voit aussi rivaliser d’ardeur pop art avec les Creation dans «Pink Purple Yellow & Red». Stupéfiante performance d’art sonique. Ils bouclent en singeant les Small Faces avec «Let The Live Live». Exactement le même son, on croit entendre «Watcha Gonna Do About It».

    z16636oldsongs.jpg

    Ça ne marche pas en Angleterre. Par contre, ils sont énormes en Allemagne et en Italie. Banco pour l’Italie, ils s’installent là-bas. Puis Pip Whitcher et Rog Lomas rentrent en Angleterre, ras-le-bol de l’Italie. Ils ont le mal du pays. Comme Duncan Sanderson et Russell Hunter dans les Pink Fairies, Bruce Finley et Wez Price se retrouvent à deux. Ils parviennent à sauver les Sorrows en recrutant Chuck Fryers, le copain d’une copine de la copine, et ils tournent un temps à trois, jusqu’au moment où, de passage à Coventry, ils repèrent Chris Smith, un petit blond qui chante bien et qui keyboarde. Quand Chuck Fryers se barre, les Sorrows engagent deux Anglais basés en Italie, Kit et Rod, dont ils ne savent pas les noms de famille. Nous non plus. Kit chante et joue du sitar, et Rod joue de la guitare. Puis Kit et Rod décident de rentrer en Angleterre, after all, alors Chuck Fryers revient. C’est donc le line-up Fryers/Smith/Finley/Price qui enregistre le deuxième album des Sorrows, Old Songs New Songs, paru en 1969 sur un label italien. On y trouve un peu de pop inepte («Heaven Is In Your Mind»), du groove de jazz («Mary J») et soudain, les Sorrows se réveillent avec «The Makers», un cut de batteur, alors Bruce Finley vole le show. Le cut vire Whoooish sur le tard avec un solo liquide et Bruce Finley continue de taper comme un sourd. Les points forts de l’album sont les covers : «Dear Mr Fantasy» et «Rolling Over». Ils s’enfoncent dans le Traffic de Mr Fantasy avec courage et ça donne une version de feu, harmo + guitares. Ils osent taper dans l’intapable «Rolling Over» des Small Faces, mais c’est trop mou. Trop d’orgue. Ils ont pourtant raison d’oser. Et le freakbeat dans tout ça ? Il a quasiment disparu. On en trouve un peu à la fin d’«Io Amo Te Per Lei» et dans le morceau titre qui referme la marche. Par contre, le «6 Ft 7 1/2 Inch Shark Fishing Blues» fait dresser l’oreille car voilà un excellent instro de heavy blues. La réédition Wooden Hill de 2009 propose en bonus les singles enregistrés en Italie et chantés en langue italienne, et bien sûr ça coince un peu. Trop exotique. Par contre, réétendre «Hey Hey» permet de comprendre qu’ils sont les inventeurs du freakbeat. Fantastique batteur que ce Bruce Finley. On entend aussi Rog Lomas faire des ravages sur «6 ft 7 1/2 Inch Shark Fishing Blues» et «Which Way» qui est en fait «Io Amo Te Per Lei». Sur le disk 2, on tombe sur une cover de «New York Mining Disaster 1941» des early Bee Gees. Une autre version de «The Makers» rafle la mise, c’est un rêve pour l’amateur que d’entendre ces mecs rivaliser de grandeur avec les géants de l’époque. Les relances d’accords sont dignes de celles des Who. Ils font aussi un beau clin d’œil aux Animals avec une cover de «Don’t Let Me Be Misundestood». La cerise sur le gâtö, c’est le live 1980 qui suit, avec line-up original sans Don Fardon. Ils sont rigolos car ils se jettent dans la mêlée comme des gamins, ils font n’importe quoi avec «Matchbox/Rock And Roll Music» et «Babe What You Want Me To Do» et ils réussissent à massacrer le vieux «Bye Bye Bird» des Moody Blues. Ils sauvent leur set avec «Let Me In», absolute killah cut. Ils tapent dans «Dizzy Miss Lizzy» et sonnent exactement comme les Beatles. Ils finissent avec «5-4-3-2-1» et «Take A Heart», deux belles dégelées d’intemporalité.

    z16637essentialsorrows.jpg

    Les fans des Sorrows se seront aussi jetés sur une petite compile Grapefruit parue en 2010, You’ve Got What I Want: The Essential Sorrows 1965-1967. Histoire de retrouver ces coups de génie que sont «Let Me In» (claqué au bassmatic sec et violent) et «Baby» (tout aussi wild, pure délinquance juvénile freakbeat, power pur et killer solo, que peut-on espérer de mieux ?). Le «Don’t Wanna Be Free» d’ouverture de bal sonne comme l’archétype freakbeat, chanté à la voix de gorge, stuck on you, pur jus de raw Sorrows. Même leur boogie est sérieux : ils jouent «Teenage Letter» à l’extrême onction de la bénédiction. On retrouve aussi l’excellent «Take A Heart» qu’ils montent en neige et ça continue plus loin avec «You’ve Got What You Want», dégelée exponentielle d’out of my mind girl ! On se régale encore une fois du son de «Pink Purple Yellow & Red», de son violent bassmatic et de l’incroyable qualité de sa vitalité. C’est pas loin des Creation et on entend le bassmatic venir rôder à trois reprises dans les parages. Ils nous vrillent «My Gal» à la fuzz. Leur «No No No No» n’est pas loin des Beatles, avec un truc en plus, ils sont en plein dedans. On tombe plus loin sur une autre version de «Take A Heart», celle de l’album, en stéréo, grattée au proto-punk, et on voit arriver le solo comme une bombe. C’est la version qu’il faut écouter. «She’s Got The Action» sonne comme un vieux shoot de wild abandon. Ils sont capables de jouer à la folie, comme les Yardbirds («Teenage Letter») et ils tapent une version du «Cara-Lin» des Strangloves au rentre-dedans. Ils explosent tout ce qu’ils touchent au big British beat, avec du killer solo flash à la clé. Les power bluffs qu’on entend sont ceux de Jimi Hendrix dans «Fire». Ça se termine sur deux resucées démentes de «Come With Me» et «Let Me In», sans doute les cuts les plus définitifs de l’ère bénie du proto-punk britannique : le solo t’explose en plein gueule et ça repart au riff de basse comme si de rien n’était. Let me in.

    Don Fardon et le bassman Phil Packham vont reformer les Sorrows en 2011, avec un nouveau lead nommé Marcus Webb. Mais apparemment, ils n’ont rien enregistré.

    Signé : Cazengler, Sirow

    Sorrows. Take A Heart. Piccadilly 1965

    Sorrows. Old Songs New Songs. Miura 1969

    Sorrows. You’ve Got What I Want: The Essential Sorrows 1965-1967. Grapefruit 2010

     

    PATRICK GEFFROY

    z16669photodentrée.jpg

    Patick Geffroy est musicien, nous avons présenté dans nos livraisons ( voir KR'TNT ! 503 du 25 / 03 / 2021 ) quelques unes de ses peintures. Ne cherchez pas dans la phrase précédente de hiatus entre musique et peinture. Surtout que sa manière de faire de la musique s'inscrit au sens fort de ces mots dans une démarche poétique. Ce n'est pas qu'il ait donné quelques spectacles de lectures de textes, vous trouverez sur YT quelques vidéos sur lesquelles il a posté quelques poèmes mis en musique par ses soins, parfois il lit aussi, parfois il se contente d'accompagner, ce n'est pas non plus que lui-même écrive de la poésie, il fait aussi de la photographie, non c'est qu'il pratique la musique comme les poëtes écrivent, en solitaire, pas en face de sa feuille blanche, face à son instrument. Pour être précis, de ses instruments.

    Vous achetez un disque de Miles Davis, il n'est pas tout seul à jouer, idem pour John Coltrane, je ne cite pas ces noms au hasard, la loi du jazz, des rencontres de hasard, amicales ou recherchées, des formations professionnelles ou personnelles, certes les pianistes sont souvent seuls sur scène, mais Patrick Geoffroy ne joue pas du piano – ce n'est pas qu'il ne se débrouille pas dessus, vous lui refilez n'importe quelle rareté d'instrument que vous avez ramené d'une tribu perdu de l'Amazonie, ou un truc bizarroïde qui vient juste d'être inventé, dix minutes plus tard il a compris le fonctionnement et il en sort une mélodie ou un rythme quelconque, toutefois ses instruments de prédilection se classent en règle générale dans la vaste famille des vents.

    Toute la musique que nous aimons, vient de là, nous commencerons donc par le blues.

    ''FREE BLUES HARMONICA''

    '' DADA BLUES ''

    ( You Tube / 2014 )

    z16662freeblues.jpg

    Attention vidéo un poil spartiate, mi-corps de Patrick Geoffroy, face à vous durant six minutes, lui et son harmo, devant un paravent blanc, chez lui, quelques effets sautillants de couleurs, un passage de photos de Patrick Geffroy ( nous en avons extrait la première de cette chronique ), sur la fin la musique continue alors que l'écran noir ne sera plus animé. Du blues oui, mais du blues free. Qui déraille des canons du shuffle conventionnel. La loco et ses wagons ont quitté la voie, n'en continuent pas moins leur chemin, brinqueballent un peu sur la gauche et dévient sur la droite, y-a comme des coups de freins, des soufflets qui vrillent en accordéon, des notes qui trompettent, des amortis violents, mais miraculeusement le convoi file à pleine vitesse tout en restant parallèle aux rails. L'on ne quitte pas le blues originel d'un iota mais l'on bouscule son alphabet de fond en comble. C'est moderne, mais c'est ainsi que j'imagine que jouaient les premiers bluesmen, dans les années 1860, criaient au travers de leur harmonica, lui faisaient dire leur colère rentrée, ne jouaient pas des notes, jetaient des pierres sur les maîtres blancs et l'injustice sociale. L'harmonica était alors une arme blanche. Très beau. Très fort.

    LE BLUES DE L'OURS

    ( You Tube / Mars 2020 )

    z16663ours.jpg

    Encore plus rudimentaire. La musique vient du blues, yes ok, mais qu'y avait-il avant le blues. La réponse est facile, avant les esclaves, il y avait les indiens. La vie sauvage et âpre. Le grognement des grizzlis et la plainte du vent dans les plaines. Patrick Geffroy est chez lui, son bureau et sa cuisine. Ni cheval, ni teepee, même pas un harmonica, la voix et une lamelle de fer. Une guimbarde et ce grognement des entrailles qui vient de loin, cette force orageuse de l'Homme qui gît en son cœur, une plainte terrible aussi car si la vie est au plus près de la nature, elle est aussi plus dure et plus cruelle. La voix roule des roches sans fin, celles des torrents et celles des pitons rocheux dressés vers le ciel, sur lesquels se détachent dans les westerns la fière silhouette d'un guerrier, guetteur du malheur... Trois mouvements, celui de la vie païenne qui nous ramène aux rives du néolithique, celui des chevauchées folles et des combats, enfin celui de la colère enfermée au fond des poitrines... un blues rouge, celui des nuages rose de l'aurore, et celui du sang versé en vain. Qu'il soit bleu ou rouge, la couleur du blues reste le noir du désespoir . Des vaincus. Des résistants.

    STELE 1 / FOR BILLIE HOLIDAY

    ( You Tube / Octobre 2015 )

    z16664holiday.jpg

    Jour d'été. Patrick Geffroy en short beige et marcel bleu, devant une porte de garage qui a beaucoup vécu... Tient un bugle ( flugelhorn ) entre ses mains. La trompette à trois pistons de la famille des saxophones, sa forme ramassée évoque celle du buffle, un taureau particulièrement difficile à toréer, surtout que la cape rouge ensorceleuse se réduit à la minuscule surface des lèvres.

    Avec Billie, l'on a encore un pied dans le blues, et l'autre déjà dans le jazz. Toute la différence qui existe en une phrase et un thème. Geffroy ne vise pas à ce que vous tiriez votre mouchoir pour verser quelques larmes sur la malheureuse Billie, il ne dit rien, il ne rajoute rien, il ne désigne rien, il ne souligne rien, ne recherche aucun effet, c'est le bugle qui rend hommage à Billie, il chante, sans les paroles, juste l'âpreté d'une vie humiliée et triomphante, peu de rythme – les étranges fruits pendus aux arbres ne dansent pas la carmagnole - la vidéo est courte, mais ces deux minutes vingt condensent toute la tristesse du peuple noir, ponctuée de ces courts arrêts pour reprendre souffle, tel un boxeur qui fait une pose au tapis pour se relever et continuer le combat. Quitte non pas à y laisser la vie mais à en crever. Billie is the holy day and the holy night de nos cauchemars.

    NATURE BOY

    ( You Tube / Novembre 2021 )

    z16665natureboy.jpg

    Un thème célèbre emprunté au quintette pour piano de Dvorak N°2, repris par un peu tout le monde, notamment par Ennio Morricone, ici interprété au kaval, longue flûte en bois de cerisier des pays d'Europe de l'Est, interprété par Patrick Geffroy, le clip est un habile montage de photos du musicien en train de jouer en pleine nature. Dès les premières notes vous reviennent les vers de Baudelaire dans Correspondances :

    Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants

    Doux comme des hautbois, verts comme les prairies

    Une trompe douce comme un appel, une clairière ouverte au soleil, et puis des cris stridents et essoufflés comme des oiseaux qui jouent, l'on n'entend pas une flûte, mais le bois qui chante, module et s'allonge vers l'infini, ou alors cette fine herbacée qu'enfant on posait sur nos lèvres pour en tirer des sifflets avortés, notes graves d'herbe grasse et opulente qui amortit le bruit des pas pour ne pas réveiller celui qui marche en rêvant. Éclats agrestes et virgiliens tu tytire tu tires de ta flûte des sons qui endorment les agneaux aux flancs des brebis, des ramiers roucoulent tandis que sourd l'eau de la source, un chant profond, celui du dieu Pan qui se plaint d'avoir été oublié des hommes, vents sonores des regrets, et pépiements d'oiseaux insouciants.

    PLIURE SPECTRALE

    ( You Tube / Novembre 2021 )

    Patrick Geffroy ( Trompette en quatre ) / John Gilbert ( Synthétiseur )

    z16666pliurespectrale.jpg

    Vous avez eu le calme, voici le bruit et la fureur du monde. L'auditeur portera tout de même son attention aux ressemblances entre ces deux morceaux si différents, ce sont les mêmes structures, dans Nature Boy ce sont les abîmes qui séparent le brin d'herbe de l'arbre, dans cette Pliure spectrale, ce sont les abysses infranchissables entre le grain de sable et l'Himalaya, pas besoin d'explorer le Tibet, ces gouffres sont en vous, et entre vous et les hommes qui vous entourent.

    Une très belle vidéo, des éclats de couleurs qui colorisent les arêtes du mobilier, palpitent et flashent, une image un peu floue, qui se dédouble, et John Gilbert qui a ajouté le bruissement de son synthétiseur, peut-être pour que l'auditeur attiré par la trompette ne s'envole pas trop haut et ne se perde pas dans le dédale sonore. L'a du doigté dans sa fébrilité John Gilbert, jamais il n'obstrue le solo spectral de Patrick Geffroy. Quant aux pliures, elles sont à mettre en relation avec le mallarméen Pli selon Pli de Pierre Boulez.

    Attention, un grand pas de géant entre le blues de la première vidéo et ce jazz free de Spectral Foldings, nous sommes même plus loin, après l'after-free, plus loin que le post-free, tout près de cette chose inconnue qui n'est que l'autre nom de la musique.

    Le synthé clapote, tambourine, tinte, et la trompette démarre, elle ne va pas loin, reste en elle-même, pas plus loin que son souffle, minimalisme exacerbé avec des nostalgies de fanfares cuivrées dont le vent nous aurait apporté des fragmences d'éclats, une trompette qui cherche à trouer le temps, à s'enfuir de sa propre temporalité, qui se perd en ses labyrinthes de notes bruiteuses comme des klaxons asthmatiques, un dialogue s'engage avec le synthé, des deux qui est la terre stérile et qui est le serpent qui se traîne, froissements, frottements, averses claviériques en évier qui déborde, se parlent malgré tout, tapotements terminaux, on ne saura jamais le secret qu'ils auront chuchoté. Pourtant on les aurait écoutés tous les deux jusqu'au bout de l'éternité.

    Patrick Geffroy, musicien et compositeur.

    Damie Chad.

    *

    Dans notre livraison 527 du 28 / 10 / 2021, nous chroniquions le tout récent album de Baron Crâne, Les beaux jours, dont la sortie fut suivi du clip d'un des titres de l'album.

    Léo Pino-Chaby : guitar / Léo Goizet : drums / Olivier Pain : bass / + invité : Cyril Bodin : vocal.

    QUARANTINE

    BARON CRÂNE

    ( Clip : Sébastien Fait-Divers / YT )

    z16667quarantine.jpg

    Ils auraient pu. Ils ne l'ont pas fait. Y aurait eu de belles images en calquant les paroles. Crash de bagnoles, sang sur le pare-brise et j'en passe. Visages zébrés et vitrifiés. Un scénario rêvé à la Tarantino. Ben non, z'ont évité le boulevard qui s'ouvrait à eux avec les gyrophares des premiers secours et les soubresauts cadavériques des derniers instants. Se sont rappelés qu'ils sont juste un groupe de rock, pas des rockstars, même pas une Rolls ou une Ferrari, pire pas même une Harley chromée qui n'attend personne sur le trottoir, juste un mec qui marche, la clinquance du rock 'n'roll, l'ont laissée au garage, z'ont visé l'impalpable, l'esprit, l'âme du rock 'n' roll. Donc un mec qui marche dans la rue, pas n'importe qui non plus, l'a la dégaine, le jeans, le perfecto, les cheveux longs, mais comme l'habit ne fait pas plus le rocker que le moine, Cyril Bodin irradie de cette démarche féline, de cette allure ondulante, de ce pas décidé du fauve sur la piste de sa proie. Vous avez envie de parodier Ronnie Bird et de demander Où va-t-il, mais où va-t-il ? Vous le savez très vite. Il tire une porte, la musique vous saute à la gorge, certes elle était déjà là durant sa pérégrination, mais nous sommes dans un local de répétition, le groupe est en train de jouer, quelques gros plans rapides sur les musicos, Cyril passe imperturbable, à croire qu'il n'est pas concerné, au passage il s'est emparé d'une carafe au contenu translucide, le voici qui emprunte un escalier et qui dans ce qui semble être un réduit s'installe dans une baignoire sans eau, ô mânes de Jim Morrison priez pour lui, fait sauter le bouchon du carafon, n'y met pas la patte mais y trempe le doigt, goûte et repart à fond, passe à l'étage au-dessus, zieutez la tapisserie mouchetée façon rockabilly, ouvre une porte, se retrouve face à lui-même sur un sofa grattant une gratte qu'il rejette très vite, visiblement en manque d'inspiration, le groupe est en train de répéter dans une autre pièce pendant qu'il descend le colimaçon de l'escalier, semble out, dans les vapes, traverse en funambule atterré le combo qui en est au refrain, chante le gars qui a causé l'accident perdu dans sa tête assailli par son traumatisme, lève les bras au ciel, le voici à terre, à genoux, branlant du chef, imperturbable le groupe continue à jouer comme s'il n'était pas là, l'est comme un fantôme qui n'arrive pas à recoller à la réalité du monde, se couche, se relève, la rage le gagne, fout des coups de pieds à des chaises comme s'il frappait dans le plexiglas qui le retient séparé des vivants, hurle sans qu'on l'entende, l'est face à son psy qui n'a pas l'air efficace, l'est allongé dans l'agonie de sa prison intérieure, malgré les watts l'est dans son ouate, la musique s'affaiblit, mais un rocker n'est jamais vaincu, il se lève, il titube, il avance, un chant céleste s'élève, est-il accueilli par des anges au Paradis, oui, je peux même vous refiler l'adresse si vous êtes pressé, 6 rue Pierre Fontaine au Bus Palladium, le voici sur scène, cheville ouvrière du groupe, en pleine action, devant le public, rocker en pleine forme, Baron Crâne en train de vous trépaner les circuits auditifs, mais tout cette happy end ne serait-elle qu'un cauchemar, l'on est toujours seul avec nos propres démons, toujours en quarantaine en soi-même.

    Un beau clip, l'a une belle présence Cyril Bodin, devrait faire du cinéma. Pas évident de créer un clip rock original, celui-ci est en même temps tout simple et percutant, raconte une histoire, et la mime, tout en détachant la fonction du mime du réel, comme s'il remplaçait le pare-brise sanglant de la voiture, par la fausse naïveté transparente de l'art scopique.

    Damie Chad.

    *

    J'écoutais le dernier album d'Ancient Days, toujours caché dans l'ombre ainsi se définissent-ils, lorsqu'une curiosité malsaine, le démon de la perversité selon Edgar Allan Poe, m'a poussé à me pencher sur leurs précédentes créations. Comment sait-on qu'un album est bon. N' y a qu'à déchiffrer les signes. Pour ce premier opus du groupe ce ne fut pas difficile, le signe est venu à moi, je ne plaisante pas, exactement sur mes genoux. Le chien dormait depuis deux heures et les morceaux de doom que je passais ne troublaient en rien son sommeil, cette douceur doomique s'inscrivait dans la série fais doom-doom mon petit frère, mais à la dixième seconde du premier morceau, il s'est levé brutalement piqué par le scorpion bleu de la frousse verte et tremblant de peur s'est réfugié sur mon giron, l'ai rassuré et caressé mais il a préféré poursuivre sa sieste dans une autre pièce.

    Mon chien a bon goût. Si vous n'aimez pas le doom, cela n'a aucune importance, achetez-le rien que pour la pochette. Vous ne trouverez pas plus pulp, même chez Cramps. Une véritable affiche de cinéma, une esthétique expressionisto-populaire dont un collectionneur comme Vince Rogers est friand, avec texte aguichant en grosses lettres, une féminine créature pulpeuse comme il se doit, liée à son poteau de torture par deux bourreaux masqués, sur la droite longeant le rivage s'avance un lourd chariot mystérieux des âges farouches, la foule massée et silencieuse attend que le spectacle des horreurs commence, au premier plan un sombre cercueil recueillera les restes de la victime sacrifiée, son visage horrifié aux yeux exorbités occupe tout le haut du dessin. Masturbation obligatoire entre sept et soixante-dix sept ans, sans pass de contrôle.

    Pas besoin d'un second dessin, les jours anciens tels qu'Ancient Days les dépeint ne vous portent pas à regretter le passé, la mélancolie n'a pas sa place dans cet album. Beaucoup ne supportent pas le doom. Ne sont pas faits pour lui. Tant pis pour eux, nul n'est parfait. Le doom est musique d'ambiance qui très souvent se complaît dans le terrifique. L'ancêtre préhistorique du Doom restera pour l'éternité Black Sabbath, plutôt le premier album, mais le Sabbath Noir était empli d'énergie, vous donnait l'impression qu'ils étaient pressés de passer de l'autre côté, avec le doom, il y a longtemps que l'on a abordé sur l'autre rive, en un paysage de désolation et en des temps de cruautés inouïes, oui, mais ce verso de médaille rouillée possède un recto rutilant, l'est un fabuleux incitateur aux rêves illicites et aux songes interdits. Que nul n'entre au pays du doom, s'il n'en est pas déjà revenu. N'est-il pas le pays natal de certaines âmes...

    ANCIENT DAYS / ANCIENT DAYS

    ( Septembre 2020 )

    Brian Yates : bass / Jake Dwiggins : drums / Papillon Burkett : guitars / Alex Wangombe : keyboards / Derek Fletcher : vocals.

    Sont d'Indianapolis, capitale de l'état d'Indiana, située à 240 kilomètres à l'est de Chicago.

    z16668ancientdays.jpg

    You can't run : ne dure qu'une minute et demie mais oscille entre chanson à boire et rituel tragique, une basse qui vous file des coups de poignards dans le dos et la voix de scalde de Derek qui scande envers votre personne des avertissements prophétiques peu joyeux, vous regrettez d'avoir mis le pied sur ce nid de frelons, mais vous ne pouvez fuir, tétanisé par une crainte incapacitante. Malgré votre frayeur en tant qu'esthète vous reconnaissez que cette intro ne manque pas de charme. Il est trop tard, deux derniers hurlements vous figent dans votre détresse. Black magic : avez-vous déjà entendu une basse aussi noire et aussi lourde, et cette batterie qui entame le tronc des arbres à la manière d'une cognée de bourreau qui débite des têtes sans marquer un temps d'arrêt, la guitare suinte par dessus à la manière du sang qui teint en rouge le billot des condamnés, le rythme est lent, la voix de Dereck résonne au loin, ressemble à une procession mortuaire, magie noire, qu'il est long le chemin du cimetière où vous espérez reposer en paix. Something in the trees : un titre à la Lovecraft, à la haine craftique, une menace indicible, un monstrueux pivert invisible tape sur une branche, de la blessure de l'aubier coule la sève d'une guitare, s'il continue à frapper c'est un trou dans le fond du monde qu'il va creuser, Fletcher vous avertit, lance ses imprécations comme des flèches empoisonnées, ne vous approchez pas du bord de l'abîme, sa bouche énorme vous avalerait. Midnight screams : cérémonie funèbre, une cloche tinte, Fletcher le prêcheur vous parle du cri de minuit qui vous saisit à la gorge et vous entraîne de sa main glacée dans le trou sans fond de l'univers, là où les étoiles sont de tout petits cailloux, des caillots de sang qui vous obstrue les fosses nasales et l'œsophage, il est trop tard pour les recracher, cela ne manquerait pas d'aggraver votre cas. Profitez-en pour vous intéresser aux claviers d'Alex Wandgome, le gars qui ne se fait pas remarquer et qui synthétise sans bruit de si immenses drapés noirs identiques au silence de ces espaces infinis qui effrayaient tant Blaise Pascal que vous n'avez pas compris que tel un Christo démoniaque, il enveloppe l'univers en son entier d'un sombre linceul. In the night : un noir prolongé, une noirceur infinie, des ondulations de magma, des chœurs de moine tibétains dévorés par l'abominable homme des neiges noires, vous l'intuitez  il est des nuits plus sombres que d'autres, plus profondes aussi, c'est lorsque vous atteignez le point de non retour de la lumière que la guitare bruisse et sanglote et se tait car tout est terminé, le cercueil du monde s'est refermé sur vous, alors que vous n'en étiez jamais sorti. C'est que l'on appelle une prise de conscience métaphysique. Man in the window : encore un titre de nouvelle à la Lovecraft, juste pour vous dire qu'il ne faut jamais s'endormir, vous croyez entendre tomber du verre brisé, non ce n'est que le vautour de la guerre qui vous recouvre de ses ailes déplumées, plus jamais vous ne verrez la lumière du soleil, qui est cet homme à la fenêtre de votre âme, sans doute est-ce vous, rythmique hypnotique, balancement de spectres autour d'une tombe, laissez-vous envoûter par le chant Fletchérien, il n'y aura pas de survivants, le vautour repliera ses ailes, mais le soleil ne se montrera plus puisqu'il n'y aura personne pour le voir. I'm everything : une expérience extraordinaire, quand vous n'êtes plus rien, votre positivité est égal au grand tout. Une rythmique que personne n'oserait prétendre joyeuse, mais Fletcher et les boys parviennent à exprimer une certaine plénitude, celle du néant, que vous n'êtes pas puisque vous êtes son exact contraire, toutes choses de ce monde. Qui n'est qu'une ombre qui devient ce qu'elle n'est pas. Deaths hand : sacré tonus musical, quand la mort vous prend la main, l'on ressent une énergie folle, l'on pense que ce sont nos dernières forces de vie qui se lancent dans un ultime combat, ce n'est pas tout à fait vrai, c'est l'énergie de la mort qui entre en vous, aussi mystérieuse que cette matière noire dont les scientifiques prétendent qu'elle est au moins aussi importante que la matière tactile, Ancient Days sont galvanisés par cette manière de broyer du noir, pour une fois ils sortent de l'armoire aux vieux jouets du rock'n'roll un véritable riff grondeur et ravageur, mais pas trop vite toutefois, l'on ne va pas gâcher une fête aussi lugubre pour un misérable riff qui s'ébroue et renâcle pour se lancer dans une course folle, tout doom, tout doom, pas la peine de prendre la mort aux dents. Blind eyes : plus sombre que la tombe où repose mon ami disait Lowry, la voix de Fletcher enfonce les clous dans nos orbites, à quoi servent des yeux qui ne voient pas la profondeur des ténèbres, nous sommes ainsi, notre esprit se contente de la surface des choses, un titre qui vous met à l'aise, certes il y a du noir mais vous ne savez pas voyager vers l'outre-noir. Soulages vous soulage-t-il si vous ne pénétrez pas sous la couche de sa peinture. Existe-t-il un doom qui irait plus loin que le noir. House in the woods : titre de Lovecraft ou de film d'horreur, draperies noires de l'orgue, la voix de Fletcher ulule comme l'oiseau maudit sur son arbre, la basse de Brian Yates s'alourdit, quelqu'un approche, peut-être est-ce la maison qui se déplace, si tu évites le danger, le danger viendra à toi, il n'est jamais celui auquel l'on pense, il faut savoir voir et entendre les choses à la manière des palindromes, renverser la logique habituelle, lire le monde à l'envers pour qu'il apparaisse tel qu'en lui-même. Feel the fire : tiens ils savent vraiment faire du rock, ça chauffe, l'eau frémit, les pieds se hâtent lentement sur les tapis de braise et d'ordalie, Fletcher gâte un peu l'ambiance avec sa voix de nécromant, si St Jean l'avait connu il aurait renvoyé les trompettes de l'Apocalypse chez elles, l'aurait mis les anges au chômage, Fletcher sur un nuage les aurait avantageusement remplacés, avec sa voix sépulcrale les tombeaux se seraient ouverts tout seuls, quel chanteur, l'a un style bien à lui, reconnaissable entre tous, n'est sûrement pas le meilleur du monde, mais le mouton noir du troupeau c'est lui, l'a dû aussi réfléchir à la façon de la mixer, totalement en dehors de l'instrumentation mais souverainement englobé dans la pâte instrumentale. Unité de ton, mai pas de lieu. Sonic air : l'on continue dans le rock, question air sonique ils s'y connaissent, grand coup de vent pour chasser les nuages noirs, z'y vont à fond la caisse et klaxonnent pour avertir qu'ils ne feront pas de quartier au prochain carambolage, se lancent dans une course de vitesse et ne sont pas loin de la gagner, sur la fin vous avez un passage qui semble sortir tout droit de Mountain. Il est vrai qu'en lourdeur Mountain et Leslie West en connaissaient un morceau. Terminent en tourbillon.

    Un bel opus. Qui n'est pas le plus connu. Peut-être pas aussi bon que le suivant Black Magic Nights – question titre ils ont de la suite dans les idées, des mono-maniaques, faites un tour sur leur bandcamp – mais plus singulier, Black Magic Nights un peu trop proche de Black Sabbath dans la compacticité des morceaux, à mon humble avis.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

    EPISODE 09

    z16280cabots.jpg

    RENTRER CHEZ SOI : 1 : PREPARATIFS

    Rentrer à notre QG ne fut pas une mince affaire. Le Chef avait prévu un coup de Trafalgar. A son habitude il prit la direction des opérations ;

    _ Équipe N° 1 : Joël, reprenez votre berline, roulez doucement, faites vous dépasser par un taxi, les filles vous notez le numéro, ensuite vous vous débrouillez pour trouver un garage, ou un Pièces-Auto où l'on refait les plaques d'immatriculation, je compte sur vous pour que les employés subjugués par votre détresse ne vous demandent pas la carte grise dont la présentation est obligatoire. Équipe N° 2 : Agent Chad avec l'aide bénéfique de la section canine, trouvez-vous un déguisement qui n'attire pas l'attention sans rentrer dans un magasin, je vous donne rendez-vous dans trente minutes ici même, je me charge du plus difficile, je fume un Coronado !

    Les filles pépiaient de joie, elles avaient accompli leur mission plus rapidement qu'un professionnel plongé dans le chaudron des coups fourrés et tordus depuis des années. Mais elles ne me reconnurent pas quand dix minutes plus tard je m'assis à côté d'elles à une table voisine et que je commandai d'une voix chevrotante une grenadine. Ce n'est qu'à l'apparition des cabots tout frétillants qui vinrent se coucher sous ma chaise qu'elles réalisèrent leur manque de perspicacité. Même le Chef poussa un sifflement d'admiration. C'était la première fois qu'il se livrait à mon égard à une telle distinction !

    Soyons modeste, sans le secours de Molossa et de Molossito je n'aurais jamais réussi ma mission. Dès qu'ils aperçurent de loin le pauvre aveugle, ils passèrent à l'attaque, Molossito se saisit dans sa gueule de la canne blanche et partit au galop suivi de Molossa qui au passage mordit à la patte arrière gauche le Golden Retriever qui de colère se lança à leur poursuite, il tira si fort que son maître handicapé roula à terre, l'occasion était trop belle, le gars ne savait plus où il était, il gémissait :

    _ Aidez-moi, je n'y vois rien !

    _ Vos lunettes sont sales, donnez-les moi que je les nettoie !

    _ Oh merci Monsieur !

    _ Je vous en prie, passez-moi plutôt votre béret, et votre paletot que je brosse les salissures

    Muni de mon butin, je démarrai un sprint,

    _ Attendez-moi là, je reviens avec votre chien !

    RENTRER CHEZ SOI : 2 : UNE PRUDENTE APPROCHE

    Joël stationna la limousine assez loin de notre QG, le Chef alluma un Coronado :

    _ Agent Chad, c'est la partie la plus délicate de la mission, nous serons en embuscade aux deux bouts de la rue pour surveiller votre progression et si nécessaire vous porter secours, attention quand vous arrivez devant le passage, je suis sûr que l'Avorton est dans le coin, vigilance tous azimuts, l'ennemi est partout !

    _ J'y vais tout de suite Chef, le temps de prendre un chien.

    _ Surtout pas Agent Chef, l'Avorton les connaît !

    _ Chef, vous me décevez, ni Molossa, ni Molossito, mais Rouky, le chien de l'aveugle, je l'ai récupéré, une brave bête, il attend dans le coffre, je voulais vous faire une surprise !

    _ Mais l'aveugle – hasarda Françoise - sans son chien, il...

    _ Il attend, la coupa froidement le Chef, toute sa vie s'il le faut, maintenant que vous êtes avec le SSR, n'oubliez jamais qu'il n'y a qu'une seule chose au monde qui n'attend pas : le rock'n'roll !

    RENTRER CHEZ SOI : 3 : SI POSSIBLE

    Ma canne télescopique à la main, je progressais lentement, Rouky s'adapta à ma démarche hésitante, il serait bien resté batifoler avec Molossito, mais c'était un chien de devoir, nous approchions du numéro 17, une Lamborghini jaune était stationnée sur le trottoir d'en face au numéro 12, l'Avorton était bien sûr de lui, je compris le sadisme du personnage lorsque j'arrivais à l'étroit passage qui menait à notre QG, il n'existait plus, un mur recouvert d'un vieux crépit obturait l'ouverture – on aurait juré qu'il avait été construit au siècle dernier – il était venu pour jouir de notre déconvenue, je passai devant la dernière création des artistes de la Défense et Sécurité sans rien manifester...

    RENTRER CHEZ SOI : 4 : MIMETIQUE

    Nous sommes revenus tous les quatre, los cabotos, le Chef et moi, aurions-nous été aperçus par un réalisateur qu'il nous aurait signé sur le champ un contrat pour un blockbuster à Hollywood, nous jouâmes notre rôle à la perfection, le Chef piétina son Coronado de rage, je tambourinai sauvagement contre le mur, Molossito pleurnicha en poussant des plaintes déchirantes, Molossa mordit le mollet d'une ménagère innocente qui voulut se plaindre mais nous la rabrouâmes et l'injuriâmes si fort qu'elle détala en boitant sans demander son reste, nous fûmes si convaincants que la Lamborghini démarra en trombe, klaxonna, nous eûmes juste le temps d'apercevoir la face ricanante de l'Avorton et son bras d'honneur...

    RENTRER CHEZ SOI : 5 : COLETTE

    Joël, Rouky et les filles nous avaient rejoints, la Chef alluma un Coronado, Molossito aboya joyeusement et courut vers une vieille dame, c'était Colette, notre logeuse :

      • J'ai entendu le gémissement de Molossito, la Mairie de Paris est venue nous avertir hier soir qu'ils allaient murer l'entrée, ne voulaient pas que des drogués s'installent dans la vieille cabane, ne vous inquiétez pas il existe une deuxième entrée, descendez la rue, tournez à droite, et tout de suite à gauche, entrez au numéro 12, la porte est toujours ouverte suivez le couloir, vous ouvrirez la grille avec la clef que voici, continuez le chemin et vous serez chez vous.

    Nous la remerciâmes longuement. Nous étions ses obligés. Elle ne voulut rien entendre :

    _ Pensez plutôt à vos ravissant toutous, tenez, je rentre des courses, voici une barquette de six côtelettes qu'elle entreprit de distribuer à ces braves petits chiens-chiens sans malice...

    Depuis j'ai peur que dans l'imaginaire de Molossito, Colette et côtelette ne forment qu'un seul et unique mot !

    ENFIN CHEZ SOI !

    Le numéro 12 semblait désaffecté, nous restâmes aux aguets quelques minutes, suffisantes pour nous apercevoir que c'était une maison de passe, prostitution et chambres de rendez-vous pour ébats d'amants discrets, le va-et-vient était incessant, visages baissés les personnes qui se croisaient affectaient de ne pas se voir... entre deux allées et venues nous filâmes dans le couloir, une trentaine de mètres un panneau était placé sur une grille, ''Danger D'Eboulements, Passage interdit''. La clef fut notre sésame, dans le noir absolu, nous continuâmes le corridor, au bout d'une vingtaine de mètres nous butâmes contre une porte en bois, la clef nous permit de la pousser, nous débouchâmes dans la baraque en planches de la vielle bicoque. Enfin nous étions chez nous !

    INSTALLATION

    Les filles faisaient la moue. Elles devaient penser que le logement de nos futurs ébats s'avérait insalubre, toutefois le jardin envahi d'herbe folle leur parut romantique, elles ne continrent pas leur joie dans l'abri anti-atomique, '' avec un peu d'aménagement nous le transformerons facilement en un délicieux boudoir'', le Chef leur débloqua immédiatement une ligne de crédit sous forme d'une grosse poignée de billets de cinq cents euros, elles passèrent l'après-midi à écumer les magasins du voisinage et à ramener des piles de marchandises diverses... les trois chiens s'amusèrent à se poursuivre, quant à moi après avoir pris quelques notes sur mon téléphone portable qui me serviraient plus tard à rédiger un nouveau chapitre du Journal d'un GSH, je rejoignis le Chef qui savourait un Coronado au soleil tout en discutant avec Joël :

      • Tiens c'est bizarre, ces buissons de Malvaceae rouges au quatre coins du jardin, ce sont les seules fleurs qui semblent avoir été plantées intentionnellement, tout le reste c'est un peu le fouillis ou n'importe quoi !

      • Vous vous y connaissez en plantes Joël, demanda le Chef l'air de rien

      • N'oubliez pas que je suis professeur de mycologie et les champignons poussent souvent à côté des fleurs !

      • Et vous n'ignorez pas l'espèce à laquelle appartiennent ces malvaceae !

      • Bien entendu, ce sont des hisbiscus !

      • Et cela ne vous fait penser à rien...

      • Heu non... vraiment pas... il blêmit soudainement... ce n'est pas possible, non ! Hibiscus... Ibis... rouge tous les deux... je n'y comprends plus rien... quel est donc le rapport... ne serait-ce pas un simple jeu de mots dû au hasard... et Charlie Watts par dessus le marché... quel insoluble mystère !

      • Vous ne croyez pas si bien dire Joël, ce soir après le repas, nous en discuterons, je pense que l'agent Chad amateur d'Antiquité sera à même de nous apporter quelques éclaircissements.

      • Bien sûr Chef, vous avez la chance d'avoir sous la main un amateur distingué de la période romaine et un fan des Rolling Stones, que voulez-vous de mieux, en toute modestie j'ajouterai que je fais partie du club très fermé des GSH, ces anodines initiales ne signifient-elles pas Génies Supérieurs de l'Humanité !

    Le Chef se contenta d'allumer un Coronado.

    A suivre...