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crashbirds - Page 3

  • CHRONIQUES DE POURPRE 507 : KR'TNT ! 507 : EDGAR JONES / LUKE HAINES / GORDON HASKELL / CRASHBIRDS / Mr PAUL ET LES SOLUTIONS / ORIGINAL ANIMALS/ ROCKAMBOLESQUES XXX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 507

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    21 / 04 / 2021

     

    EDGAR JONES / LUKE HAINES / GORDON HASKELL

    CRASHBIRDS / Mr PAUL ET LES SOLUTIONS

    THE ( ORIGINAL ) ANIMALS

    ROCKAMBOLESQUE 30

     

    Gare à Edgar Jones

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    Liverpool 1986 : comme tous les gens bien nés, l’ado Edgar Jones écoute Captain Beefheart, Syd Barrett, Love et les Yardbirds. Puis il tombe sur des compiles qui vont sceller son destin : Nuggets et Pebbles. Il s’amourache de toute la bande des Seeds, des Standells et des Chocolate. Il a 16 ans lorsqu’il commence à composer des chansons. Il est tellement sûr de lui qu’il se prend pour Scott Walker. En 1990, Edgar et ses copains Gerald Ged Lynn et Paul Maguire montent les Stairs. Pour Paul Maguire, c’est facile : chez lui, on est batteur de père en fils. Pour Ged aussi : il n’a qu’une seule obsession : jouer de la guitare. C’est ça ou rien. Pour financer le projet, Edgar joue de la basse dans le touring band de Ian McCulloch.

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    Ged se montre très vite impressionné par les compos d’Edgar : «He’s a bit of a genius on the sly, that lad.» Les Stairs arrivent en Angleterre comme une bouffée d’air frais : ils dégagent une énergie peu commune et Edgar chante comme un dieu, avec ce gnarl and bite qui fait si cruellement défaut à la britpop de 1992. Le problème c’est que Ged doute de lui-même. Il devient vite ingérable. Il doute tellement de lui qu’il se barre à Frankfort au lieu d’entrer en studio le jour où démarrent les sessions d’enregistrement des Stairs. Il pense qu’Edgar joue mieux que lui - So I got myself out of the picture - Quand il revient, Edgar et Paul lui pardonnent. Les Stairs démarrent avec le mythique EP Weed Bus, un cut qu’on retrouve en ouverture de bal d’A sur le fameux Mexican R’n’B. «Weed Bus» ? Là, t’es en plein dedans. Les Stairs réinventent le British Beat yeah yeah yeah, la niaque en avant et les accords psyché en soutien, ça sonne à la liverpuldienne, Edgar ne se gare pas, il fonce dans le tas yeah yeah yeah au volant d’un weed bus digne du Magic Bus des Who, mais avec des chœurs de voyous. Mexican R’n’B figure parmi les grands classiques du rock anglais, ne serait-ce que par la présence de «Mary Joanna» : Edgar est en colère, il explose le pauvre garage au yeah yeah yeah. Il est encore plus violent que Van Morrison, comme si c’était possible. Il crache du feu et le solo ravage le camping, les accords pilonnent la plèbe, pas d’échappatoire, les Stairs sont en ville et battent tous les records de sauvagerie. Ils passent au psycho psyché avec «My Window Pane». Edgar y chante ses bas-fonds, ça tortille sec en bas de manche de basse et ils foutent une fois de plus la ville à sac. C’est du dirty garage psychotique, tout est claqué du beignet et accompagné d’awites d’une sauvagerie hallucinante. Edgar chante dans le fonds de commerce des Stairs, à la bonne éclate. Il n’en finit plus de croasser, sans doute en souvenir de François Villon. Quel fabuleux mélange de mix : punk + psyché sixties et c’est noyé d’écho à la con. Il chante la pop descendante de «Laughter In Their Eyes» avec le swagger d’un Droog d’Orange Mécanique. Il sublime la délinquance, il déchire sa chanson avec ses ongles. Ils tapent dans la Russie avec «Russian R’N’B», mais c’est avec «Right Back In Your Mind» qu’ils raflent la mise. C’est une stoogerie comme on en voit plus, c’est joué aux accords de «1969», voilà que les Stooges débarquent à Liverpool. Le truc des Stairs, c’est le dirty garage joué avec une ferveur dévastatrice. Ils vont loin dans le cloaque, wight in the back of yer meeend. Terrific ! C’est même les Stooges en pire, en plus gluant. Personne ne peut descendre aussi bas dans la déjection, même pas les déjecteurs. Edgar croasse sur son gibet et les redémarrages sont de la pure stoogerie. Autre bombe : «Woman Gone And Say Goodbye» : Edgar l’attaque à coups de dents de requin, yeah yeah yeah. Il y a du Proby et du Fog en lui. Il chante tout à l’excès.

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    Le petit conseil qu’on pourrait donner aux amateur de real deal serait de se procurer la red de Mexican R’n’B parue en 2019 sur Cherry Red. C’est un triple album qui rassemble TOUT ce qu’ont enregistré les Stairs, et notamment la fameux deuxième album jamais paru. À la suite de Mexican R’n’B s’entassent des bonus plus enragés les uns que les autres, comme ce «Flying Machine» assez teigneux, bardé de big guitars et d’appels du cor. Ils sont spectaculaires dans l’exercice du pouvoir. Edgar chante comme Roy Loney dans «When It All Goes Wrong» et il revient aux Them de 64 avec «You Don’t Love Me». Effusion maximaliste, you don’t care ! C’est violent et caverneux à la fois, ils explosent le concept du gaga à coups de descentes de bassmatic, il n’existe rien de plus hargneux qu’eux, sauf peut-être les Hammersmith Gorillas, mais là, Edgar Jones va encore plus loin. Il braille tout ce qu’il peut brailler. Voilà un «Russian Spy and I» cavalé ventre à erre, il exhorte l’ersatz à dégueuler l’excerpt. Ils tapent plus loin une reprise d’«I Can Only Give You Everything». Wow, quel bel hommage aux Them ! Full tempo, tout est là. La flamme et la hargne, il n’y a que ça de vrai. C’est l’une des meilleures covers jamais enregistrées, cause I try and I try, le solo brise les reins du cut et Edgar revient hurler dans la cave du beat, ô violence mère de tous les vices ! Il attaque encore «Fall Down The Rain» aux dents de la mer. Il est certainement le shouter le plus wild d’Angleterre. On ne trouve plus personne à ce niveau d’exaction, même pas les Shadows Of Knight, ni Roy Loney. Edgar Jones est un punk de Liverpool, un amateur de push push.

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    Le disk 2 s’ouvre sur «Last Time Around». Stupéfaction garantie. C’est du niveau des early Them avec quelque chose de Liverpool en plus. Il faut rappeler que ce hit des Del-Vetts fut popularisé par les Cynics. Quand on écoute «I Won’t Be Bad Again», on pense à un gang de sales branleurs qui préparent un coup fourré. Quelle délinquance dans le son ! Le pire c’est qu’Edgar n’en rajoute pas, il tape ça au swagger naturel. On trouve plus loin leur reprise du «No Escape» des Seeds. On retrouve aussi une démo de «Flying Machine». Edgar y écrase le champignon du punk system. Il chante à la pure expansion démographique, son refrain explose dans l’air humide, c’est un phénomène inconnu qui fait rêver tous les scientifiques, son punky strut éclate à la face d’un monde qui s’en fout royalement. Ils jouent «My Window Pane» à l’enfoncé du clou de beat fatal. C’est signé Paul Maguire. Power & beat, voilà les deux mamelles des Stairs. Ged cisaille à coups de guitare, les Stairs jouent à la vie à la mort. On le constate une fois encore avec «Right At The Back», il n’existe rien de plus stoogé du ciboulot que ce truc-là. Edgar fait son Iguane in the back of your mind sur les accords de «TV Eye», ça brûle tout seul, pas besoin d’aller craquer une allumette. Ils ramènent même un solo d’orgue dans la fournaise. Iggy n’aurait jamais imaginé un tel délire. C’est fulminant, ça se termine dans des tourbillons jusque là inconnus. Il faut aussi voir Edgar Jones ramener des descentes de gamme dans «Out In The Country». Il règne sur Liverpool - It’s alrite by me - On note aussi l’extraordinaire modernité de la pop d’«Happyland», bien incurvée par des poussées de bassmatic. Ils font un fin expiatoire. On croise ensuite une nouvelle version de «Weed Bus», monster on the loose éructé à l’ancienne, ils font carrément les Who à la mode de Liverpool. Voilà leur reprise du «Moonchild» de Captain Beefheart. Riff et harmo, une vraie imprimatur de British Beat. Ils sonnent encore mieux que les early Stones ! «Stop Messin’» vaut pour un heavy groove de Liverpool, mais avec Edgar, ça prend de drôles de proportions. Les Stairs ont le génie du power, c’est saturé de heavyness et chanté à gorge déployée. Ici tout est solide, extrêmement chanté et joué à outrance. Ils se fondent dans leur son comme d’autres se fondent dans l’ombre. Joli coup de freakout que ce «Snake Baker». C’est carillonné au sommet de l’art. Ils n’en finissent plus d’émerveiller la populace. Ils reviennent à deux reprises dans le flow du cut au diguili expérimental. Encore du power définitif avec «Custard Flys». Edgar Jones a décidé de nous en boucher en coin. On pense à tous les malheureux qui n’ont pu rapatrier ce coffret magique. Les Stairs sont trop puissants. On sort épuisé de ce disk 2, d’autant qu’ils bouclent avec un «Just A Little Sunshine» bien travaillé au corps. Les Stairs sont les spécialistes du wild ending.

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    Sur le disk 3 se niche le deuxième album inédit, celui que Viper a publié en 2008 sous le titre Who Is This Is. Pourquoi inédit ? Tout simplement parce que les Stairs n’intéressaient plus personne, pas même leur label de l’époque. Ça paraît difficile à croire et pourtant c’est la vérité. «Skin Up» ? Power & damnation ! Ils détiennent le pouvoir du rock antique, ils dégomment tout, y compris Blue Cheer et Motörhead. C’est le son des Stairs, battu à l’épisodique et chanté à la hargne du fauconnier. «It Was Alright» sonne comme une vieille crise de frappadingue. Ce démon d’Edgar Jones ne s’épargne aucune crise de transe. Il est aussi puissant qu’Eric Burdon. Il travaille son «Gotta Reason» au corps, il y a du shouter en lui et des enclaves mélodiques dans ses aspirations, il saigne son rock aux quatre veines, il taille à la serpe, il monte sa levure au levant, il manufacture à la liverpuldienne. Retour la heavyness avec ce «Stop Messin’» indescriptible de sauvagerie. C’est quasiment du Beefheart. On sent chez Egar Jones une profonde volonté d’annexion, il arrose sa heavyness de bassmatic et quand il descend dans les entrailles du son, ça devient apocalyptique. Tout chez eux est saturé de chant, de riffs, de bassmatic errant et de pompes dignes de la Rome antique. Ils n’en finissent plus de créer la sensation, comme le montre encore «Happyland». Ils défient l’entendement. Ils font toujours des cuts à rallonges émaillés de regains inespérés de violence sonique. Avec «Set Me Free», ils sonnent comme un ras-de-marée. Nouvelle merveille inexorable avec «Talking To You» et ils poussent la cavalcade insensée de «Teenage Head Cancer Blues» jusqu’à la nausée. Le guitar slinger joue en solo continu, Edgar bouffe son Cancer tout cru et après une fausse sortie, ils se remettent en route. Ils sont les grands spécialistes de la fausse sortie, ils reviennent juste pour démonter la gueule du cut. On entre avec «Cabbage Man» au royaume des bonus magiques. Edgar y monte sur ses grands chevaux et télescope une pop de wild beatlemania. Il la secoue de vagues psychotiques d’une rare violence. On a là un mélange terrible de hargne garage et de psychédélisme haletant, c’est blasté à l’Anglaise dans l’essence d’un spasme névrotique. Encore un final débilitant de génie fulminant. Ils basculent dans un enfer de mad psyché avec «Love Has Come Around And Gone Away». On peut même dire sans craindre la surenchère qu’ils expédient la mad psyché en enfer, droit dans la Rôtisserie de la Reine Pédauque. Comme l’indique son titre, «Driving Me Out Of My Mind» fait sauter tous les verrous. Edgar Jones connaît toutes les ficelles de caleçon du blast. Il nous plonge une fois de plus en pleine mad psyché d’excès mortel. Il n’existe rien de pire dans le genre. Il faut les voir sonner les cloches de la mad psyché. On n’avait encore jamais vu un truc pareil. Edgar refait son Burdon dans «I Saw Her Today». C’est dire s’il est bon. Il chante ça à la folie Méricourt. S’ensuit un «Do It To It» assez explosif, mais plus commun, même si rôdent dans le son les chœurs de Sympathy For The Devil. Comme il sait si bien le faire, Edgar allume le feu et crame toute la forêt. Ce psychopathe chante dans les flammes avec la voix d’une grenouille qu’on écrase lentement du talon. Fin de la rigolade avec «I’m Bored». Edgar Jones fait son cirque jusqu’au bout de la nuit des Bonus de cristal, il se meut dans un groove putride. Il est le roi du monde, mais personne ne le sait.

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    Paru sur Viper en 2006, Right In The Back Of Your Mind est une resucée de tout ce qui figure que le coffret magique pré-cité. Autant prévenir : cet album est encore une bombe. Ils sonnent comme les Beatles avec «Happyland», un énorme slab de pop orchestrée joué à ras des pâquerettes du Walrus, fabuleux retour sur investissement. On croise tous les cuts prédateurs, le stoogien «Right In The Back Of Your Mind» et «My Window Pane», chef-d’œuvre de punk psyché. Ils amènent «You Don’t Love Me» au pire garage de l’univers. Attention les gars, il s’agit des Stairs, avec ce boucher d’Edgar derrière le micro qui, en plus, descend ses gammes de basse. Il n’existe rien d’aussi sauvage en Angleterre. Ils battent tous les records, même ceux des Pretties. On comprend bien qu’avec «Fall Down The Rain», ils cherchent par tous les moyens à créer la sensation. Alors la voilà, la sensation, Edgar lui rentre dans le lard au punkish mood et un énorme solo psyché vient le conforter dans sa démarche. «It Was Alright» redore le blason du stomp de Liverpool. Et puis avec «Cabbage Man», ils plongent dans les Beatles avec une attitude de punksters. Ils se situent au-delà de tout ce qu’on sait du rock anglais. Ils shakent à outrance.

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    C’est en 2008 que Viper sortait le fameux deuxième album inédit des Stairs sous le titre Who Is This Is avec un chou en guise d’illustration pour la pochette, mais ce n’est pas l’Homme à la tête de chou. C’est l’occasion de revisiter toutes ces merveilles déjà évoquées, comme ce «Stop Messin’» où Edgar Jones fait son Beefheart. C’est dire s’il a du pouvoir. Et ça solote à la titube dans cette fabuleuse fuite en avant. Il fait son white niggah de Liverpool dans «When She Walks Down My Street». Qui saura dire la grandeur de sa négritude ? Il chante «Teenage Head Cancer Blues» à l’arrache de Wilson Pickett et «See Her Today» comme un punk qui serait dépassé par ses émotions, mais attention, il perd du crédit en voulant trop dégueuler.

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    Le dernier album des Stairs est une compile intitulée The Great Lemonade Machine In The Sky. Elle couvre la période 1987-1994. Edgar Jones y commente chaque cut et le petit conseil qu’on peut vous donner est de courir chez votre disquaire pour aller choper ce truc-là, rien que pour la version live de «Little Red Book», spectaculaire hommage au roi Arthur, joué avec tout le tranché du tranchant liverpuldien. Fantastique exaction que ce labour of Love. On trouve pas mal d’inédits, comme ce «Fall Down The Rain» prévu pour un EP et qui sonne comme une incroyable descente de garage liverpuldien. Ça dégomme sec dans la gomme arabique, Edgar chante à la big mouth de Northern swing. Ils font une reprise du «Moonsine» de Captain Beefheart, véritable leçon de ravalement de façade, ça frotte à qui s’y frotte s’y pique. C’est bardé d’harmo dévastatoire. Ils reviennent au pandenium des Sixties avec «Flying Machine» et une voix qui entre dans le cut à l’insistance du deep throat, mais avec quel power, you know what I mean. Et ces lignes de basse en forme de déploiement nucléaire ! Edgar ressort aussi une version abandonnée du «No Escape» des Seeds. Ils enregistrent «Do Dag Do» chez Liam Watson. Edgar parle de Barrettesque chord changes ans twists and turns & Daniel Kierney on guitar. Joli shoot de mad psyché ! Encore du mayem avec «Snake Baker» et sa jolie montée en vrille. Back to the Toe Rag sound avec «Custard Flys». Pure frenzy, parfaite giclée d’excellence liverpuldienne, c’est littéralement bardé de son. Ces mecs caressent le génie sonique dans le sens du poil. Edgar gueule avec le charisme d’un John Lennon éperdu de drogues et ça donne un stupéfiant miasme de miasma psychédélique. Edgar dit adorer cette horreur déconnante qu’est «Shit Town» et ça vire jazz avec «Good Lovin’». C’est une home démo enregistrée avec Carl Cook. Quelle classe ! C’est très évolué musicalement, et Edgar joue un jazz bass drive. Ils passent à la menace urbaine avec «I’m Bored». Sur «I Saw Her Today», Edgar sonne comme le Comte Orlock de Liverpool et ils finissent en beauté avec «Do It To It», un garage d’émulsion hybride à peine voilé et chauffé par un coup de wah en plein cœur du sun.

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    En 2005, Edgar Jones enregistre l’excellent Soothing Music For Stray Cats. On entre dans cet album via un groove de jazz saxé de frais. Bienvenue chez les géants de Liverpool. Les cuts sonnent comme des explorations d’archipels inconnus et l’Edgar crée soudain la surprise avec «Freedom». Il y bouffe sa Soul toute crue, comme un requin. Il passe au shuffle d’exception avec «Sittin’ On A Fence». On se croirait chez Graham Bond. Même esprit d’explosivité. L’Edgar a du génie mais peu de gens le savent, c’est dramatique. Il faut le voir jouer avec le vieux jump d’Angleterre dans «More Than You’ve Ever Had» et il se livre à un nouvel exercice de style avec «Stubborn Mule Blues». Sa voix craque dans l’air du temps, il ramène du groove ancestral. C’est effarant de passéisme. Il va au raw comme d’autres vont aux putes. Il revient au jump avec l’excellent «You Knew You Can Do It», mais il le fait jusqu’à l’os du genou, son jump est si humide qu’on le croit chanté par une femme. Pur génie interprétatif. Il ramène toute l’énergie du rockab dans «Catnip». C’est inespéré. Il va au-delà de toute expectative. Il mélange le drive de rockab avec une morve de fuzz. Il passe au New Orleans avec «Tenderly», eh oui, il se permet toutes les fantaisies. Voilà encore un cut bardé de son, avec des cuivres extraordinaires et du pouet à gogo. Il envoie ensuite un «Gonna Miss You When You’re Gone» groové à la stand-up. Il groove dans la chaleur de la nuit, comme Sidney Poitier. Le guitariste s’appelle Paul Molley et c’est un crack de Liverpool. Et voilà qu’il tape dans le gospel de Liverpool avec «Oh Man That’s Some Shit» avec une effarante facilité. Vous avez déjà entendu le gospel de Liverpool ? C’est très particulier car bien niaqué. Edgar Jones y fait du Little Richard. Il termine avec un shoot de funk intitulé «It’s My Bass». Il le fait pour de vrai, avec du bass drop de funk. Pas étonnant que cet album subjugue les Shindigers.

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    Comme le succès le boude, Edgar Jones passe son temps à remonter des groupes. En 2007, ils démarre une petite série d’albums avec une formation qu’il baptise Edgar Jones & The Joneses. Leur premier album s’appelle Gettin’ A Little Help... From The Joseneses et s’ouvre sur un «The Way It Is» magnifique de garagisme. Edgar Jones sonne comme Van Morrison. Il est sans doute le plus grand chanteur anglais vivant. Il sort des accents sublimes. Il fait son white nigger dans «We Should Get Together» et screame quand bon lui semble. On sent chez lui un goût prononcé pour Fats Domino («More Than You Ever Had») et il nous refait le coup du hit de juke avec «Need For Lovin’». Il peut aller aussi loin dans l’affirmation que Tom Jones. Il tape dans Gershwin avec «Summertyme» et se paye de luxe de chanter comme Nina Simone. Il redevient le fou masqué de Harlem pour «(Ain’t Gonna Be Your) Fool No More». C’est jazzy à en mourir, ce mec s’amuse et donne des leçons de swing ultimes. On se régale aussi de l’instro «About Time», juteux, énorme et passionnant.

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    Il existe aussi un EP trois titres d’Edgar Jones & The Joneses qui s’intitule The Way It Is. Ils sont en plein British Beat, entre les Animals et les Stones, c’est monté sur un Didley Beat avec une guitare fuzz dans le fond. Shuffle de rêve, c’mon, carnassier à souhait. Il s’en va ensuite swinguer «Nothin’ Doin’» comme un vieux Rolling Stone, before I really lose my mind. Il sait de quoi sont faites les choses de la vie. Beautiful artifact. Impossible de faire mieux que ça.

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    L’année suivante paraît Live We Should Get Together. Difficile de faire l’impasse sur un live pareil. Le morceau titre vaut tout l’or du monde. Edgar chante sa Soul, accompagné de violents coups d’acou. Il rend le plus beau des hommages à Big Dix avec «My Babe». Pas de plus belle excellence cathartique. Il est fabuleusement relayé par la wild guitar de Jamie Backhouse. Et puis Edgar se met à chanter le groove des jours heureux de Liverpool : «I Let A Song Get Out Of My Heart». Il le hatche à la gorge. C’est tellement énorme que ça devient irréel. Ils font une Soul de rêve et les chœurs sont du pur Motown. Ils passent par tous les stades du shuffle, ils le font à l’Américaine et c’est là où ils sont très forts. À la sortie d’un solo, Edgar pousse un yeah d’antho à Toto. Il sait aussi faire son Beefheart avec «Do Doh Doncha Doh». Il gère bien son haut de gamme inexorable. Il revient faire son black avec «More Than You’ve Ever Had», il fait du purisme absolutiste, personne ne peut battre Edgar Jones à ce petit jeu. Ils partent en mode Diddley beat dans «The Way it Is». Edgar, c’est Aretha, alors rien ne peut l’arrêter. Si on ne l’a pas compris, c’est qu’on a un problème. Un petit groove de basse amène «You Know You Can Do It». Ce fuckin’ Edgar sonne comme Louis Armstrong. Il jive son dub de round midnite. «We Should Get Together» sonne comme un shoot de yeah. Ce démon cavale dans les escaliers. Il chante au bouffe-tout, il est dans l’inexorabilité des choses et pour faire le show, il ressort les pom pom pom des Chambers Brothers. Real deal.

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    Avec The Masked Marauder, Edgar Jones & the Joneses vont encore passer inaperçus. Bon c’est vrai qu’on observe un retour au calme, après les excès des Stairs. Edgar va plus sur le groove, comme le montre «All The Things You Are», bel exemple de groove pépère. Mais c’est aussi le meilleur groove pépère qu’on ait entendu depuis des lustres. On sent chez eux une détermination à vouloir surprendre. En fait, c’est un nommé MM qui chante. Edgar Jones se contente du bassmatic. On reconnaît son style très vite. «Sunshine» sonne comme un vieux groove irrésistible assez parfait et bien swingué au sax par un nommé Austin Murphy qu’on salue bien bas. Et puis voilà le coup de génie de l’album : «It’s Great To Be Straight With One Another», un heavy blues handicapé de léthargie maximaliste, avec un Edgar qui chante au fond du studio. C’est d’une heavyness fluide incroyable ! L’album se termine avec un «Once There Was A Time» groové comme il se doit. Bassmatic irréprochable. Mais aucune info sur ce MM.

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    The Edgar Jones Free Peace Thing enregistre Stormy Weather en 2011. Au dos, on nous prévient : «What you have presently in your hands is one of the most incendiary albums you are likely to hear by a band on fire... Shake it loose !». Justement, ça démarre en trombe avec un «Shake It Loose» ex-plo-sé de son. Back to Liverpool, les gars ! Aw c’mon ! C’est de la folie de c’mon, pulsée au scream local. Ils sont trois, Edgar, Stu Gimblett on guitar et Nick Mimski on drums. Ce démon d’Edgar plombe sa descente aux enfers de notes de basse. Le morceau titre sonne plus funky et ils partent tous les trois en groove de jazz. C’est très impressionnant. Encore du funk de Liverpool avec «Statistical Knightmare». Ils fendent la bise tous les trois. C’est sans doute le Northern groove qu’auraient rêvé d’enregistrer les Beatles. S’ensuit un «I Don’t Need Your Roses» d’une grande densité compulsive. C’est très barré. On pense bien sûr à Jackie Lomax. «Big Fanny» sonne comme un retour de manivelle. Back to the heavy groove avec «Good Luvin’», c’est bien vu et bien envoyé, ce mec dispose d’une réalité vocale sans commune mesure et c’est mené au puissant swagger d’electric guitar de Liverpool. Wow, ça wahte à la désirade. Ils s’en vont ensuite groover «Hot Potatoes» par dessus les toits. Edgar et ses deux amis disposent d’une force de frappe peu commune. Trop de qualité peut dérouter les flux migratoires, mais qu’on se rassure, Edgar Jones peut faire son Steve Marriott quand ça lui chante, d’autant que la Patate chaude sonne comme du heavy Pie. Et c’est encore avec un clin d’œil appuyé à Humble Pie qu’ils finissent cet album : le cut s’appelle «Bones» et il porte bien son nom.

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    En 2012, Edgar doit comprendre qu’il est condamné à l’underground et donc il entreprend l’enregistrement d’une petite série d’albums sous le nom d’Edgar Sumertyme. Le premier s’appelle Sense Of Harmony. Comme les albums solo de Jack Yarber aux États-Unis ou de Steve Ellis en Angleterre, ceux d’Edgar Jones provoquent, une fois rapatriés, une sorte d’immense satisfaction. C’est parce qu’ils sont condamnés aux ténèbres de l’underground et donc mal distribués qu’ils prennent toute leur valeur car ils illustrent à merveille l’expression ‘démarche artistique’. Avec «On And On», Edgar fait de la heavy pop avec une aisance qui en impose. Son groove rappelle celui de Bobbie Gentry. C’est une belle pop explosive et sans prétention. Il prend résolument le parti de la pop underground avec «Bye And By». Les amateurs de psyché obscur vont s’y retrouver. Il faut dire que l’album est quand même un peu spécial. Très far-out. La face cachée du White Album. Edgar se demande dans «Sunfday Afternoon» ce qu’on peut faire un dimanche après-midi. Il devient carrément spectorien avec «It Can Only Be You». Ça se cogne un peu au mur du son et c’est tellement admirable d’overdrive que ça devient énorme. Il chante «I Would Do Anything» comme un dieu, ou plus exactement, il chante derrière le cut. «What Are You Gonna Do» est une sorte de régal, mais c’est uniquement parce qu’il s’agit d’Edgar Jones. Sinon, il est probable que ça passerait à la trappe de Père Ubu. Edgar shake son shook tout seul en Angleterre, ça sonne comme un hit de Phil Spector mais sans le Wall, avec une mélodie chant génialement sale. Ah il faut écouter ce mec-là. Il passe au petit pulsé avec «Beep Beep» qu’il fait bien and again and again and again et joué à l’espagnolade. Et puis on se régalera aussi du joli groove d’exotica en forme de vieux compromis de «Wishing Well», une pure merveille. On a envie de serrer la pince à Edgar Jones pour le remercier.

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    Edgar Sumertyme revient dans l’actu en 2013 avec un album mi-figue mi-raisin : Morphic Fields. Il y joue sa pop à la pointe du bassmatic, comme le montre «Sense Of Wonder», c’est excellent car doucement balancé, mais ça s’arrête là. Il fait un peu de glam à la T. Rex avec «Making Good Of Nothing» et un vieux renvoi de da loo da da da. Tout est très pop, ici, Edgar cherche sa chique dans la vieille pop de Liverpool. Dans «Revolutioning All Around You», il ramène une belle pop psyché qui nous renvoie tous aux Beatles de Revolver. Il tente sa chance à chaque cut. On le perd un peu avec «Long Dark Night Of The Soul» où il tente le coup de la house electro. Il retente une fois encore d’allumer son album en sonnant comme Dave Edmunds dans «Honey Bear», une sorte de boogie à l’Anglaise, mais tout le panache d’antan semble avoir disparu.

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    En 2017, Edgar Jones sort un nouvel album dans la plus parfaite indifférence. The Song Of Day And Night est un album pour le moins étrange, car coupé en deux : une A géniale et une B foireuse. Le seul cut sauvable de la B est celui qui ouvre la bal, «Don’t Break My Heart», car c’est monté sur le beat rebondi de «Lust For Life», alors ça marche à tous les coups. Mais si on cherche de la viande, il faut rester en A : tout y est excellent. Dès «Serendipity Doo», Edgar Jones joue la carte du doo-wop d’Angleterre. Ce mec va vers la black avec une facilité déconcertante. Avec «Wait», il se conduit en parfait white nigger. Il mouille sa syntaxe comme d’autres mouillent leur chemise. Il pratique le white-niggerisme à un très haut niveau. Encore une merveille avec «Keeps A Rollin’ Round In My Head». Il shake son groove comme un roi d’Angleterre. Les choses sont ici bien soupesées, comme dans les grands albums de Soul. Edgar joue sa carte du timbre groovy avec un brio exceptionnel. Il finit l’A avec «Thinkin’ Bout The Time». Back to the heavy psychout des stars. Ah comme ces mecs sont bons ! Encore un hit en puissance, Nina Jones chante avec lui et ça donne un duo effarant de tenue et fuzzé jusqu’à l’os du genou.

    Signé : Cazengler, Edgar routière

    The Stairs. Mexican R’n’B. Go! Disc 1992

    The Stairs. Mexican R’n’B. Cherry Red 2019

    Edgar Jones. Soothing Music For Stray Cats. Viper 2005

    The Stairs. Right In The Back Of Your Mind. Viper 2006

    Edgar Jones & the Joneses. The Way It Is. Viper 2006

    Edgar Jones. Gettin’ A Little Help... From The Joseneses. Viper 2007

    Edgar Jones & the Joneses. Live We Should Get Together. Viper 2008

    Edgar Jones & the Joneses. The Masked Marauder. Viper 2008

    The Stairs. Who Is This Is. Viper 2008

    The Edgar Jones Free Peace Thing. Stormy Weather. Viper 2011

    Edgar Sumertyme. Sense of Harmony. Viper 2012

    Edgar Sumertyme. Morphic Fields. Viper 2013

    The Stairs. The Great Lemonade Machine In The Sky. Viper 2015

    Edgar Jones. The Song Of Day And Night. Skeleton Key Records 2017

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    Paul Ritchie : The World Shall Not Be Saved. Shindig # 88 -February 2019

     

    Luke la main froide - Part One

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    Luke Haines est-il plus connu pour sa prose que pour ses disques ? Difficile à dire. Il fait des albums depuis trente ans, mais il écrit aussi des romans délectables et pond chaque mois une chronique dans Record Collector, qui est la première choses qu’on lit chaque mois. Vu l’énormité de l’œuvre qui au plan écrit n’a d’égale que son intensité, nous allons commencer par dire tout le bien qu’on pense de sa discographie et dans un Part Two, nous reviendrons sur l’écrivain. Et quel écrivain ! Luke la main froide pourrait bien être le Léon Bloy du XXe siècle.

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    Tout commence dans la joyeuse Angleterre des années 90, en pleine Brit-pop. Luke la main froide monte un groupe qui s’appelle les Auteurs et enregistre un premier album, l’excellent New Wave. On le voit chanter son «Show Girl» avec un certain allant et des accents à la Lennon. Il est donc assez balèze. Il retient bien l’attention, il propose un duveteux de chant appointé et connaît le secret des relances. Vas-y Luke, chauffe-nous la marmite. «Bailed Out» confirme que Luke est un chanteur racé. Il chante cet artefact de petite psyché à la langue fourchue. Et puis voilà un hit : «American Guitars». Il amène ça au heavy rock zébré d’éclairs beatlemaniaques. La brit pop de rêve est là, sur cet album. On assiste à une sorte de sacralisation de la psyché anglaise. Il revient en force avec «Don’t Twist The Stars» et l’éclate aux power-chords. Luke a le rock dans le sang, il joue à la grande envolée sanglée, le fouet claque et il reprend sa respiration. Il encercle plus loin son «Housebreaker» avec un certain talent - Your time is mine - Il profite de chaque cut pour lancer des échappées belles. On sent le mec parfaitement au point et il nous replonge avec «Valet Parking» dans un beau bain de jouvence. Cet album semble visité par la grâce. Encore de la heavy pop bien foutue avec «Idiot Brothers». Luke Haines chante ses couplets à la coule. Il dispose des deux mamelles de base : le son et la présence. Que peut-il espérer de plus ? A-t-on déjà vu un mec avec trois mamelles ? Non, évidemment. Sa heavy pop ne traîne pas en chemin. Quelle allure ! Globalement, cet album sonne comme une aventure extraordinaire. Les cuts se suivent et ne se ressemblent pas. Tiens, voilà «Early Years». Il en fait un petit rock blasté dans l’œuf du serpent, assez classique pour l’époque, avec les pattes qui s’écartent en dansant.

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    Alors après, les Auteurs, c’est vite vu. Luke la main froide s’imagine qu’il va conquérir le monde avec la petite pop pressée de Now I’m A Cowboy. Mauvais calcul. Dès «Lenny Valentino», on sent le côté typé de la rythmique. Avec «New French Girlfriend», il raconte l’histoire d’une poule française. Ça ne peut pas marcher, même s’il ramène des big power chords à l’inopinée. Il tente le coup du psyché de salon avec «The Upper Classes», mais Luke n’est pas Syd. Il doit rabattre sa superbe, même si le cut sort du lot. Il cherche la petite bête et ce faisant, il sait rester assez pur. On le voit ensuite torturer la pop au cello mais il tourne en rond. Ça sent l’album raté. Les années Brit pop grouillent d’albums inutiles de ce genre. Tout le monde enregistrait alors, sans rien avoir à dire. Luke joue la carte de la redite et finit par donner la nausée. Il tente à chaque cut de réveiller le dragon, en vain. Ça ronronne, jusqu’au dernier cut, «Daughter Of A Child». Le pauvre Luke est usé. On voit à travers.

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    Attention, After Murder Park demande un peu de temps : on y trouve un album entier de cuts perfidement intéressants, plus une rasade de bonus et en prime, un album live assez stupéfiant. Dès le cut d’ouverture de bal d’A, on sent un petite volonté de violence. «Light Aircraft On Fire» alterne le chant et les power chords douceâtres, mais mon pauvre Luke, ça ne fait pas un hit. Tu as encore beaucoup de choses à apprendre, toi qui te crois ce que tu crois. Well well, Luke, apprends à devenir modeste, c’est le seul conseil qu’on puisse donner au freakout freak que tu es, si féru de tout et de rien. Avec «The Child Brides», tu te fais porteur d’une parole underground estropiée. Ta pop sonne si faux, alors que sur ton premier album elle sonnait si juste. Ah quelle déconvenue ! Ta pop devient grotesque et inutile, prétentieuse et complaisante, méfie-toi. Mais on attendra que tu te reprennes, car on te sait capable de petits miracles. Puis avec «Land Lovers», ça dégénère. Ta pop est ridiculement mal foutue, comme empuantie et cousue de fil même pas blanc. On te prenait pour un mec bien. Puis, faute d’inspiration, tu te mets à enculer «New Brat In Town». Tout est gratté à l’avenant, c’est une catastrophe. Ce n’est pas parce que tu grattes tes cuts à marche forcée que tu vas sauver les meubles. Soudain, le ciel s’éclaire avec «Unsolved Child Murder». Luke va sur une pop enclavée de violons à la John Lennon. C’est très beatlemaniaque. Il enchaîne avec un «Married To A Lazy Lover» assez balèze, ça explose à coups de guitares destroy oh boy ! Luke réussit enfin à élever le niveau de la heavy pop à coups d’accords de guitare. Tout aussi énorme, voici «Buddha». Quel son ! Il ramène tout le son de la terre dans son happy birthday Buddha ! Stupéfiant ! Luke retrouve enfin la main froide. Il plonge encore dans le biz de la pop avec «Tombstone». Il y va, alors on l’écoute. Il est redevenu le maître du jeu. Comme Frank Black, il creuse le territoire aride de la pop pour créer ses palmeraies de pop baroque et il descend ensuite avec «Dead Sea Navigator» dans les tréfonds de la pop morbide. Au plan littéraire, c’est très solide, il chante toute l’horreur de la mésaventure, c’est noyé d’orgue et Luke se dresse comme un géant dans cette désolation. Il entame sa série de bonus avec un «Back With The Killer» qui ne marche pas. Il faut attendre «Former Fan» pour retrouver ces violentes tempêtes dont il s’est fait une spécialité. Il nous ressert une rasade de «Light Aircarft On Fire» bien bardée de son en suspension. Il n’en finit plus de remuer ciel et terre. On tombe plus loin sur la démo de «Buddha», c’est bien raw to the bone, il sonne presque comme Bowie dans «Space Oditty». Il a ce pouvoir. Il taille bien sa route dans le big fat sound d’«Everything You Say». C’est un Auteur, ne l’oublions pas. Il sait veiller au grain. Les albums qu’il propose sont des albums ardus. Il faut se bagarrer avec. Luke la main froide est un seigneur d’Angleterre. Il ramène aussi son cher «Tombstone», c’est du heavy Luke. Quand il va sur le heavy, il va sur le heavy. Il est brillant et seul dans la tourmente. Il fait une dernière pirouette avant de mourir. Il gagne du respect à chaque seconde. Il arrive chez John Peel avec «Kids Issue». Forcément, il en rajoute des caisses. C’est du Luke tout craché. De toute évidence, il cherche à séduire Peely. Luke est un caméléon, il va là où le vent le porte. Sur l’album live, il rend hommage à Kenneth Anger avec «Kenneth Anger Bad Dream» - This is a song about Kenneth Anger, the pornographer - Sur scène, deux cellos et trois violons l’accompagnent. Il revient à son cher Buddha et transforme «Married To A Lazy Lover» en petite merveille pop. On croit entendre les Beatles, tellement c’est bien foutu. Il ressort aussi son vieux «American Guitars» tiré du premier album. Big heavy sound ! Il fait claquer les American guitars, c’est énorme ! Encore un hit magique avec «Showgirl». Quelle fantastique chape de plomb !

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    Entre deux albums Haineux, Luke la main froide se prête au petit jeu pervers des side-projects. Il monte Baader Meinhof avec le batteur Del Hood. Évidemment, c’est de la pure provoc. Léon Haines a décidé de fracasser à la hache la morale de l’Occident purulent. Et pour ça, il choisit l’option d’un son electro qui va mal. Il n’essaye même pas de se rendre intéressant, il sort un son encore plus pathétique que celui des groupes qui essayent de ne pas l’être. Il crée les conditions parfaites du malaise. Il propose une espèce de terrorisme sonique de branleur. Il joue sa petite bille à coups d’electro mais avec un fond de Britpop et dans ce carnage, il ramène l’une des meilleurs guitares d’Angleterre. Léon Haines prête à confusion, mais sa guitare est sans pitié. Il veut vraiment nous faire croire qu’il navigue en eaux troubles, mais il n’est pas très doué pour naviguer, même s’il montre encore des vieux restes. Et puis soudain, alors qu’on ne s’y attend plus, il fait du glam avec «It’s A Moral Issue». Il se prend pour Bolan sans en avoir les cheveux. Tout y est, c’est sûr, sauf les cheveux. On ne comprend pas ce que le glam vient faire chez Baader. Et quand on écoute «Kill Ramirez», on admet qu’il est impossible de lui faire confiance. Il chante comme un con qui veut se faire passer pour un crack. Dommage, car encore une fois, il sort les belles guitares. Il achève l’album à coups d’acou, du coup ça devient un vrai coup, il touille son morceau titre au chant de taille et rend un étrange hommage à Baader. Il tente bien le diable et nous hante avec son refrain très politique, Baader Meinhof !

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    Il monte un autre side-project avec l’ex-Mary Chain John Moore et Sarah Nixey : Black Box Recorder. Trois album suffiront pour tenter de créer la sensation : England Made Me, The Facts Of Life et Passionoia. Le groupe a deux intérêts : Luke la main tendue s’entend bien avec John Moore et Sarah Nixey chante comme une reine évaporée. On reste bien sûr dans la provocation avec une pochette qui nous montre un glamster outrageous sur le carreau d’une mine, comme s’il s’agissait d’illustrer un choc de civilisations. Sarah Nixey crée une ambiance à la Mazzy Star dès l’ouverture de bal et on comprend pourquoi Luke la main verte l’a choisie. S’il en est un en Angleterre qui sait ce qu’il fait, c’est bien lui. Les cuts sont très composés et Sarah chante d’une voix douce et humide. Ce démon a réussi à trouver une chanteuse très anglaise. Elle chante à l’intimisme frelaté, le pire qui soit. Luke la main lourde vient fondre sa voix dans celle de Sarah quand ça lui chante et il faut attendre «Child Psychology» pour trouver un peu de viande. Les arpèges psychédéliques de Syd Barrett déroulent un heavy groove londonien et on sent nettement la poigne du songwriter. L’un des plus puissants du cheptel. Avec «Up Town Ranking», on passe au hip-hop sound, c’est-à-dire au heavy booming de bien-vu-Luke et elle chante comme une harpie tragique dressée sur le corps du roi. Fast and bulbous, comme dirait Captain Beefheart. Au final, on se retrouve avec un album plutôt excellent, très varié et très complet. C’est encore Sarah Nixey qui crée l’émoi avec «Swinging». Elle chante au rotten to the core, dans l’esprit aigre-doux de Mazzy Star. C’est elle qui boucle le bouclard en disant sa Haine du dimanche («Hated Sunday»). On sent la patte de Luke la Haine derrière. L’animal sait ce qu’il fait.

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    On les voit tous les trois sur la pochette de The Facts Of Life et Luke la main leste duette d’entrée de jeu avec Sarah la fatale dans «The Art Of Driving», ils font du Gainsbourg/Birkin avec du pushing on the brakes. Ils pompent le power de G. en montant chez Kate, Luke se la pète et se la pisse à tous les étages, c’est trop facile avec une juvénile comme Sarah, et puis il reprend le cold au chant, alors ça finit comme ça doit finir, en belle réussite. Ils récidivent avec «The English Motorway System». Sarah fait le show, elle vise l’émerveillement, elle vise le hit nubile extraordinaire, aidée par la mélodie parfaite de la Haines. Luke la main courante reprend «French Rock’n’Roll» à la volée, avec une Sahah en traîne de lassitude. Le cut francisé se dévoue, se courbe et offre sa fleur. Lucky Luke crée encore un petit climat intéressant avec «Straight Life». Il se montre très à cheval sur les tendances et ça finit par marcher. Nouveau petit hit bien hot avec «Gift House», hit de fille adossée à une compo magique, Sarah jouit d’une belle modernité, elle distille son chant dans un haze de daze à la Brian Wilson. Force est de reconnaître que Luke la main tendue est un atroce génie. Sarah bat Hope à la course dans «The Deverell Twins». Elle est capable d’élégance luminescente et le démon Luky veille sur elle. On se souviendra de lui pour cette ténébreuse faculté. Et ce bel album s’achève sur une dernière buée de kiss goodbye, «Goodnight Kiss», cette petite traînée de Sarah embrase encore quelques zones érogènes au passage, mais avec beaucoup de talent car elle se montre experte en goodbyisme.

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    Et puis voilà le dernier spasme du Black Box Recorder : Passionoia, l’album du bord de la piscine, ambiance années 80. On y trouve un hit faramineux : «I Ran All The Way Home». Cet enfoiré l’amène à coups d’acou et ça prend vite les proportions d’un hit inter-galactique. Ce mec a du génie. Sarah l’hyper-chante à l’hyperette de quartier, elle se jette à corps perdu dans les embruns de la nubilité pop et Luke la main de Dieu ramène tout le power de Zeus dans les couches de son. Irrésistible. Sarah fait aussi un carton avec «Girls Guide For The Modern Diva», beau shoot de pop un brin electro bien visité par des vents d’orgue. Le ton de l’album est quand même très electro. Ils font du beat turgescent avec «The School Boy» et comme Sarah aime la crème, alors c’est parfait. Elle doit certainement en faire exprès, elle cherche à choquer le bourgeois, car ce cut pue le sexe, même si Lucky Luke tente de tout ramener dans la cour d’école. De toute façon, quand tu écoutes un disk d’Haines, tu t’exposes au pire poil à gratter d’Angleterre. Mais son electro finit par tuer le charme. Avec «British Racing Green», il crée les conditions d’une petite féerie excentrique pervertie, mais il insiste trop sur le côté nubile insalubre. Il finit par devenir pompeux. Avec son beat electro à la mormoille, t’es baisé des deux côtés, par devant et par derrière. Et cette petite traînée de Sarah chante au sucre glacé, ce qui n’arrange rien. On est dans le sex de coke des années 80. Aw my God, quelle horreur ! Luke la main moite n’en finit plus d’envoyer la pauvre Sarah au front, mais elle fait souvent preuve de candeur est s’en sort comme elle peut. Tiens comme par exemple avec «When Britain Refused To Sing» chanté dans la ferveur de la culotte. Pas très glorieux, en fait.

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    Bon, Luke la main ferme ne désarme pas. Il reprend son chemin de croix solo et attaque How I Learned To Love The Bootboys avec un stupéfiant hommage aux Rubettes intitulé «The Rubettes». Il joue le kid qui a les moyens. Luke n’est jamais aussi bon que lorsqu’il rend hommage à ses petites amourettes d’adolescent. Oh surgarbaby ! Il pousse le bouchon à l’extrême, come on baby to the jukbox jive, eh oui, il ne faut jamais oublier que tout a commencé au pied d’un juke de la rue Saint-Jean. Hanky ton pant, Panky ! Terrific ! Luke crache son glam ! Dans «1967», il ne cite pas de noms de groupes, il ne parle que de record collection - Some people have died/ Some people have gone - Il revient au petit glam avec «Your Gang Our Gang», pas de texte, tout est dans l’intention du son. Back to the power avec «Some Changes». Il navigue dans les mêmes eaux que Lawrence d’Arabie. «Johnny & The Hurricanes» aurait pu devenir un cut énorme, car c’est battu à la vie à la mort, mais Luke choisit d’en faire un délire prog absurde. Puis il se croit autorisé à utiliser les concepts philosophiques des rednecks avec «The South Will Rise Again». Il se vautre dans un océan d’absurdité. Et la fin de l’album s’enfonce dans le néant. Luke n’a plus rien à dire. Il n’a simplement pas de chansons. Il finit de flinguer l’album avec «Future Generation» - This is the story of the band - Oui, c’est ça, cause toujours.

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    2001 voit paraître un autre album solo : Christie Malry’s Own Double Entry. Luke la mainmise va avancer au rythme d’un hit par album, ce qui est mieux que rien. Le hit de Christie s’appelle «I Love The Sound Of Breaking Glass». Il ressort sa grosse guitare électrique pour l’occasion et joue la carte du riff de distorse assez proto-Panky. On dénote chez Luke une forte disposition au big Sound. Il peut se montrer assez cérémonial, au sens Velvet de la chose, car on entend là une purée de disto étalée sur un beat de messe noire. Ce son de rêve rabote la face Nord. C’est un bel hommage aux Stooges et au Velvet. Sinon, on peut en pincer pour «Discomania», cut solide et bien ficelé. Il passe au balladif avec «How To Hate The Working Classes» gratté aux accords secrets d’un kid amoureux de la pop anglaise - I hate the working classes and everybody - Avec «Discomaniax», on le voit se prendre pour une star descendue du ciel en haletant pour semer la consternation parmi les fans de pop anglaise. Et il retrouve ses vieilles ornières avec «England Scotland And Wales».

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    Tiens, on retrouve «Discomania» sur The Oliver Twist Manifesto paru la même année. Il vire glam electro - They’re having sex/ To the kids in America - Bien chanté mais trop saturé de son. Il atteint les limites du discomania, mais ça reste intéressant. Luke la main moite cherche désespérément à convaincre. Pour la pochette, il s’est fait une tête de Droog, mais la mélodie de «Rock’n’Roll Communique N°1» nous fend la cœur - This is not entertainment ! - lance-t-il en guise d’avertissement. Avec «Oliver Twist», il passe au heavy groove de destruction massive. Il joue tellement dans les graves que le son chevrote. Luke mélange Oliver Twist avec les Droogs. Il essaye de s’approprier le mythe, mais ce n’est pas aussi simple. Comme il tente le coup du son, il passe à l’electro avec «Death Of Sarah Lucas». Il chante bien c’est sûr, mais il dit avoir dégommé Sarah Lucas. A-t-on envie de suivre ce mec ? Non. Il doit se débrouiller tout seul avec ses conneries. S’il veut asseoir sa crédibilité, il doit fournir des hits. Il revient à sa chère petite pop rampante avec «Mr & Mrs Solanas». Luke a vraiment la main verte. Mais il finit par nous fatiguer avec ses prétentions littéraires, telles qu’il les exprime dans «What Happens When We Die». Il se sert de la pop pour charger sa barque d’omniscience. Puis il s’agenouille aux pieds du Christ avec «Christ», mais manque tragiquement de crédibilité. Tout le monde n’est pas Alex Chilton. Il faut parfois fournir de grands efforts pour accorder à Luke du temps d’écoute. Il rend quand même hommage à la culture rock américaine avec «England Vs America». Il réécrit à sa façon l’histoire des British Isles et c’est assez sensible, il faut bien l’admettre.

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    Le hit de Das Capital s’appelle «Junk Shop Clothes». Luke la main devant s’enfonce dans les ténèbres du British songwriting avec beaucoup de courage. Il orchestre sa chanson à outrance et rafle toute la mise. Sinon, il reste dans son vieux registre pop, comme le montre «How Could I Be Wrong». Il ne cherche pas à aller ailleurs. Au lieu de se demander comment il pourrait avoir tort, il ferait mieux de se poser d’autres questions. Son «Showgirl» est aussi écœurant qu’un gâteau trop sucré. Et puis voilà la goutte d’eau qui fait déborder le vase : «Baader Meinhof». Cet imbécile de Luke parle de borderline dans son costume blanc, mais que sait-il de la délinquance ? Ça devient non seulement illégitime mais parfaitement insupportable. Ce mec sait aussi se faire détester, l’apanage des écrivains. Il bat bien la campagne avec son vieux «Lenny Valentino», et retrouve un peu de crédit après l’insultante passade de Baader. Quand on écoute «Satan Wants Me», on voit à quel point ce mec se croyait tout permis, à cette époque, même avec une absence complète de compos. Son Capital pue l’arnaque. «The Milford Sisters» sonne très anglais, c’est assez dépressif. Luke la main crochue joue avec les sentiments de l’auditeur. On le voit gratter «Future Generation» à la séduction maximaliste. Il ne sait plus à quel saint se vouer. Il nage dans ses habits blancs.

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    C’est sur la pochette d’Off My Rocker At The Art School Bop paru en 2006 que Luke la main de fer pose en aventurier des mers du Sud. Il démarre avec un morceau titre en forme de lichette de glam electro. C’est son truc - Can you feel the beat of my heart - Electro shit d’époque, il est dans son petit monde d’art school bop. Il chante sa purée du menton. Il attaque ensuite son «Leeds United» avec délicatesse, avant de basculer dans le stomp de mad craze, une manie typique des kids en mal de rock culture. Luke la main grasse sait créer des climats, c’est évident. Il ramène son vieux heavy riffing dans «The Heritage Rock Revolution» est c’est excellent - I live rock’n’roll/ I hope it never dies - Voilà le hit de Luke - Crosby Stills & Nash, the legacy of The Clash, I can’t make much more, Northen Soul and Stax - Côté références, il est toujours tiré à quatre épingles. Encore une énormité avec «The Walton Hop». Il y va à coups d’all the kids, comme Jimmy Pursey, want to get ! Il riffe ça à la folie avec de l’écho dans la riffalama - All the kids want to get backstage at the Walton Hop - Il faut avoir entendu ça. Puis il vire electro avec «Fighting In The City Tonight», dommage, même s’il chante à la perfection. Luke revient toujours par la bande dans ses cuts, c’est un fin renard du désert, un enfoiré au pelage argenté. Il sait aussi très bien générer de l’ennui, comme on le voit avec «Freddy Mills Is Dead» ou encore «Secret Yoga». Il aurait dû écouter Marty Wilde pour apprendre à développer du sustain. Puis il finit par nous fatiguer avec le mi-figue mi-raisin de «Bad Reputation». Sa chanson concerne Gary Glitter.

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    Faut-il considérer 21st Century Man/ Atchung Mutha comme un album dada ? Si on s’en tient à la photo de Jean Arp qui orne la devanture du digipack, on répondra par l’affirmative. Mais le son reste dans le giron glacial de Luke la main froide. Coup de tonnerre avec «Peter Hammill». C’est du heavy stuff, just like Peter Hammill. Puis il salue Klaus Kinsky dans «Klaus Kinski». Luke raconte que Kinski revint en Allemagne après la guerre. Avec «Wot A Rotter», il fait du Carter USM, c’est-à-dire du heavy glam de stade. Il sait très bien œuvrer dans l’intérêt de la patate glam, il recycle tous les vieux réflexes de la craze et du stomp olympique pour récréer ces illusions d’antan qui datent d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, eh oui, car Montmartre en ce temps-là accrochait ses lilas jusque sous nos fenêtres. Avec «Our Man In Buenos Aires», il se fait passer pour un espion - He’s the man in the shadows/ he’s the man on the run - Ambiance sérieuse garantie. Il cumule assez bien les fonctions du heavy riffeur («English Southern Men», «White Honky Afro») et du petit troubadour écarlate (le morceau titre). Il adore l’intimisme frelaté. Sur le disk 2 on conseille d’écouter «Ex-Teds». Une façon comme une autre d’entendre Luke la main froide nous raconter la suite de l’histoire de la scène anglaise. Il en profite d’ailleurs pour revenir à son cher glam. Mais on sent que ça finit par tourner en rond. Il va aussi chercher son milky way avec «Greenwich Observatory» qui est de toute évidence le hit du disk.

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    Belle arnaque que ce 9 1/2 Psychedelic Medications On British Wrestling of The 70s donné pour culte. Et mon culte, c’est du poulet ? Tiens prends une aile ! Luke la main torve fait toujours la même pop d’Auteur, il nous ressert le même intimisme frelaté et la même confidentialité de mauvaise haleine. Il n’y a rien, absolument rien de psychédélique dans cette resucée. Il se croit même permis de faire de l’opéra rock. Même si «Linda’s Head» sonne le glam, ça ne fait pas de 9 1/2 Psychedelic Medications un disk culte. On lui en veut un peu de nous faire miroiter monts et merveilles psychédéliques, alors qu’on ne trouve pas la moindre trace de psychédélisme. Il nous fatigue avec sa techno-pop de fuck-you-Luke. C’est là qu’apparaît son côté malsain. Et c’est là que vient l’envie d’insulter ce gros connard roukmoute qui sue dans son costard blanc tout fripé. On le hait. On hait l’Haines. Quand il chante à l’haleine chaude, ça pue. Il ne bande même plus. Ce mec est une horrible larve anglaise, une larve de la pire espèce, de celle qui martyrisait les nègres d’Afrique et les Indiens des Indes, il croit se faire des amis avec des pseudo-disks cultes, mais non. De toute évidence il fait tout pour qu’on le déteste. Comme Léon Bloy, il bascule dans l’extrême violence verbale. Il n’est plus dans l’artistique. Il n’est plus dans la représentation. Il triture encore un misérable «Haystacks In Heaven» avant de disparaître dans un cyclone de Haines.

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    Retournement de situation : avec Rock And Roll Animals, Luke rend hommage à trois rock’n’roll animals : Jimmy Pursey, Gene Vincent et Nick Lowe. C’est l’hommage à Pursey qui décroche la timbale : «From Hersham To Heaven» est tout simplement énorme - I’m just a human person/ At the bottom of the garden/ Digging for mushrooms woah/ Digging my hallucination woah woah - Il explose le concept de l’hommage - Steer the ship safely Jimmy/ From Hersham to heaven - L’autre merveille s’appelle «Rock’n’Roll Animals In Space» - The Stones without Brian Jones/ Were not righteous event though/ He was probably evil - Extrêmement puissant. Il joue «The Angel Of The North» à l’acou claire comme de l’eau de roche. Tout repose sur ce souffle intimiste qui date du temps des Auteurs. Vas-y Luke, réveille les vieux démons ridés de la pop. Mais sa pop peine à bander. Il propose ici une fable avec Jimmy the fox,, Gene the cat et Nick the badger - Rock’n’roll is a losers’ game/ Just accept it - Il tente de créer la sensation et y parvient presque en poussant le songwriting dans la littérature. Il chante aussi son «Magic Town» en mode confessionnal, comme Paddy. Il rend hommage en mode intimiste à Nick Lowe dans «A Badger Called Nick Lowe». Il crée une sorte de magie de souffle chaud pour évoquer les early days of Stiff, The Damned and Elvis Jake and Dave, come on Mr Badger. Signalons au passage que Badger veut dire blaireau. Dans Gene Vincent, il chante «Gene Vincent is a wise old cat.» C’est dingue la fascination qu’a pu exercer Gene sur les Anglais - Crashed his motorbike/ An epic cat/ A psychedelic cat/ Conceptual cat/ A maverick cat - Il joue ça à l’arpège triste. Catty cat cat.

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    New York In The 70s est sans doute le meilleur album de Luke la main froide. Comme Todd Rundgren et Lawrence d’Arabie, Luke joue de tous les instruments. Il démarre sur un bel hommage à Alan Vega avec «Alan Vega Says». C’est avec les hommages, au chant comme à l’écrit, qu’il atteint le sommet de son art. Il parvient à surpasser Suicide avec «Drone City». Il joue la carte du big orgasmic rampant. Fabuleux sens de l’overwhelming ! Il rend plus loin hommage à Jim Carroll avec «Jim Carroll», héros de l’underground new-yorkais tombé dans l’oubli. Luke la main leste le claque aux petits accords carrolliens. Puis il entre de plein fouet dans le cœur du mythe avec «Bill’s Bunker». L’écrivain revient à sa chère littérature, il prend un ton confidentiel alors on tend l’oreille - Talking to Bill/ About weapons and drugs/ Listen to Bill/ In Bill’s Bunker - Pure magie. C’est l’hommage d’un fan à William Burroughs - Injection & coins/ We are the drugs/ That flow through the veins/ Of Bill’s Bunker - Luke monte encore d’un cran avec «Dolls Forever», shalom shalom, il fait apparaître les six Dolls un par un, Sylvain Sylvaine ! - Who would want to be a Doll ? - New York Dolls forever, évidemment. Il passe ensuite naturellement à Lou Reed avec «Lou Reed Lou Reed» en mode electro-glam - Where’s the suicide blonde/ With the iron cross - Et une guitare à la Cold Turkey entre dans la danse. Comme Lawrence d’Arabie, ce petit Anglais féru de rock sait rendre hommage à ses héros. Il termine avec «NY Stars» - Dee Dee, Richard Hell, Johnny’s looking for a kiss - Pure magie - So rest in peace all my childhood freaks/ On imaginary rocket rides on 53rd and 3rd.

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    De la même manière que New York In The ‘70s peut être considéré comme son meilleur album, British Nuclear Bunkers peut être considéré comme le pire. Dès «This The BBC», on sent que c’est mal barré. Ou bien barré, ça dépend des cervelles. Ce pauvre Luke fait comme il peut. Le voilà dans les machines. Fucke Luke. Il l’aura bien cherché. Il se croit tout permis. Cut après cut, il s’enfonce dans une electro à la mormoille. On n’est pas là pour ça. Cette electro sauvage ne dégage rien. C’est atrocement con. Du big inept. Avec «Pussy Willow», il réussit l’exploit de ruiner sa carrière. Il tente encore de sauver son electro avec «New Pagan Sun», mais c’est aussi atroce que putassier. Il prend même sa meilleure voix de robot pour finir.

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    Luke la main froide sauve son Smash The System avec un bel hommage à Marc Bolan : «Marc Bolan Blues». Il retrouve le secret du son qui fit la grandeur de Bolan. C’est bien battu des cuisses, avec toute la niaque et toute la coule du glam. C’est un rêve devenu réalité. Ce diable de Luke sait tailler un glam pour la route. Il enchaîne ça avec un hommage à l’Incredible String Band, an unholly act. Il salue bien bas Mike et Robin. On imagine que «Cosmic Man» est un hommage à Donovan. Par contre, il se vautre avec «Ulrike Meinhof’s Brain Is Missing». Cette pop prétentieuse ne marche pas. Il se vautre encore plus avec «Black Bunny (I’m Not Vince Taylor)». Il affirme qu’il ne descend pas de la r’n’r station, mais son electro ne vaut pas tripette. Il sonne comme un vieux slip, avec ce son à la con. Comment ose-t-il faire référence à Vince Taylor dans le titre ? Son outrecuidance pourrait le couler définitivement. C’est d’autant plus horrible qu’il répète le nom de Vince Taylor. Il tente le Bowie strut avec «Power Of The Witch», mais il n’a pas les chops de Bowie. Alors il trace sa voie au crachat de chant, il balance sa verve dans le witch. Il revient à sa maudite electro dans «Bruce Lee Roman Polanski And Me», mais il se vautre encore une fois.

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    Brave petit album que cet I Sometimes Dream Of Glue paru en 2018. Pour trois raisons fondamentales. Le première, c’est «Oh Michael». Cette pop intimiste mal enregistrée frôle le hit, car ses awite oh yeah évoquent les Happy Days des Edwin Hawkins Singers. La deuxième s’appelle «Everybody’s Coming Together». Une chose est bien certaine : Luke la main froide envoie plus de jus que Bobby Gillespie. Il va sur un son plus underground et ça devient forcément intéressant. Il ramène une guitare killer dans «Fat Bird From The Woodcraft Folk» qui est la troisième raison. Ça change tout. Quelques killer secondes et Luke revient. Wow ! Il termine avec «We Could Do it», un cut de rêve à la Rev absolument dément de torpeur. Mais le reste de l’album est nettement moins convainquant. Luke se prend souvent pour une star de l’intimisme et chante trop dans son micro. Il revient un court instant à la Beatlemania avec «I Fell In Love With An OO Scale Wife», mais il n’arrivera jamais à la cheville des Beatles, même s’il les vénère. C’est très anglais, comme démarche. Le problème est qu’on attend de la belle pop comme au temps de New Wave, mais on va attendre longtemps. Il propose encore une fois une série de cuts inutiles. L’absence de reconnaissance doit tellement l’aigrir qu’il en arrive à proposer un truc comme «The Subbuteo Lads». Il s’enfonce dans l’incurie. Heureusement pour lui, des pauvres cloches achètent encore ses disques pour les écouter. Oui, Luke a raison, les solvants soignent l’ego des cons. Il chante à la petite confidence et regagne néanmoins quelques points dans les sondages. Il faut dire que ce n’est pas toujours facile quand on conduit son bateau en solitaire.

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    Luke la main tendue vient de s’acoquiner avec Peter Buck pour enregistrer un album, Beat Poetry For Survivalists. Pochette bien provocante, comme d’usage. Qui est Haines, qui est Buck ? Haines ne peut être que le fasciste à l’Italienne et Buck le King Kong pendu par un pied. Luke le bras long se prend pour une vieille star de l’indie pop et pousse dans «Jack Parsons» des soupirs d’anus fripé. Il se planque derrière son cut comme une araignée. Il est bien loti, avec l’autre, le Buck qui bouffe à tous râteliers. Ils ne sont même pas capables d’édifier les édifices. Nous n’aurons aucune pitié pour eux car Luke la Haines n’en a pour rien ni personne. D’ailleurs, le spectacle qu’il offre sur cet album devient vite affligeant : il ressort ses vieilles ficelles de caleçon et reprend son chemin de Damas en compagnie d’un Buck qui distille son jus MTV. Ils font du Bolan MTV, on aura tout vu. Le pire c’est qu’on attend encore des miracles d’une mec comme Unlucky Luke. On a envie de lui dire que son temps est passé. Il se retrouve une fois encore le cul entre deux chaises : l’indie pop et l’electro. Il tente de s’en sortir avec des effets. Il faut attendre «French Man Glam Gang» pour voir remonter à la surface les vieux clichés glam. En réalité, il jongle avec les stéréotypes. Il tente le coup de punk-blues avec «Ugly Dude Blues», il y va au yah yah yah et se prend pour le mogul du burgul de la destruction massive, il torture ses syllabes et écrase méchamment sa pédale de wah. Le style spongieux et mal intentionné lui va à ravir. Il est même assez vantard pour dire qu’il a écrit la chanson des Troggs que Reg Presley n’a pas osé écrire. Il est certain que ces mecs ont du son. Haines sort sa haine de sa braguette, la guitare de Buck est bien présente derrière le rideau de son, c’est très précis, très étudié, bâti sur un système de couches très élaboré. Mais une compo comme «Bobby’s Wild Years» ne sort pas de l’ordinaire. Luke la main courante replonge dans la fascination pour le mythe du rock’n’roll avec «Rock ‘N’ Roll Ambulance» et gratte quelques accords légitimes. Il fait son boop shoowah comme d’autres font leur bonne action, il n’a jamais quitté sa petite piaule d’adolescent haineux et impatient. S’il faut écouter cet album ? Oui, bien sûr, et plutôt deux fois qu’une, car Bad Luke campe sur sa position campy. Il n’en sortira plus. Never.

    On dédie donc ce Part One à Iza qui programma héroïquement Baader Meinhof dans son émission et on retrouvera ce prodigieux écrivain qu’est Luke le bras long dans un Part Two incessamment sous peu.

    Signé : Cazengler, lancelot du Luke

    Auteurs. New Wave. Hut Recordings 1993

    Auteurs. Now I’m A Cowboy. Hut Recordings 1993

    Auteurs. After Murder Park. Hut Recordings 1996

    Baader Meinhof. Hut Recordings 1996

    Black Box Recorder. England Made Me. Chrysalis 1998

    Auteurs. How I Learned To Love The Bootboys. Hut Recordings 1999

    Black Box Recorder. The Facts of Life. Nyde Records 2000

    Luke Haines. Christie Malry’s Own Double Entry. Hut Recordings 2001

    Luke Haines. The Oliver Twist Manifesto. Hut Recordings 2001

    Luke Haines & The Auteurs. Das Capital. Hut Recordings 2003

    Black Box Recorder. Passionoia. One Little Indian 2003

    Luke Haines. Off My Rocker At The Art School Bop. Degenerate Music 2006

    Luke Haines. 21st Century Man/ Atchung Mutha. Fantastic Plastic 2009

    Luke Haines. 9 1/2 Psychedelic Medications On British Wrestling of The 70s. Fantastic Plastic 2011

    Luke Haines. Rock And Roll Animals. Cherry Red 2013

    Luke Haines. New York In The 70s. Cherry Red 2013

    Luke Haines. British Nuclear Bunkers. Cherry Red 2015

    Luke Haines. Smash The System. Cherry Red 2016

    Luke Haines. I Sometimes Dream Of Glue. Cherry Red 2018

    Luke Haines & Peter Buck. Beat Poetry For Survivalists. Cherry Red 2020

     

    La noblesse des Fleur de Lys

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    Le nom de Gordon Haskell ne vous dira sans doute pas grand chose. Il fut le bassman des Fleur de Lys, l’un des groupes phares de la scène freakbeat londonienne des mid-sixties. Comme Gordon Haskell a cassé sa pipe en bois l’automne dernier, KRTNT lui rend un dernier hommage avec un conte bien con tiré d’un Volume 2 à paraître.

     

    Keith Guster et Gordon Haskell arrivent au 24, Cranley Gardens, dans South Kensington. Ils sonnent et Hilton Valentine leur ouvre la porte, avec un grand sourire :

    — Entrez les gars ! Posez vos affaires et venez prendre un thé.

    Keith et Gordon posent leurs sacs et leurs instruments dans l’entrée et suivent Hilton jusqu’au salon.

    — Wow, quel appart ! Ça va nous changer du gourbi où on vivait...

    — Bon, les gars, je vous le confie. Je pars en tournée aux USA avec les Animals. Faites pas trop de conneries, je ne suis que locataire. L’appart appartient à Ringo. 

    — Tu reviens quand, Hilton ?

    — Dans trois mois, je pense...

    Gordon et Keith se sentent provisoirement tirés d’affaire, mais ils n’ont pas de quoi se nourrir. Respectivement bassiste et batteur des Fleur de Lys, ils attendent, comme des milliers d’autres candidats au succès, que la chance leur fasse un beau sourire.

    Le groupe vient du Sud de l’Angleterre, de Southampton. En vrais Mods, ils portaient des costumes en mohair, des boutons de manchette et des Beatles boots. Ils participèrent en 1964 au Mod Ball où l’on accueillait non seulement les Mods, mais aussi les Mids et les Rockers. Excellent cover-band, les Fleur de Lys reprenaient «Shop Around» des Miracles et «Watch Your Step» de Bobby Parker. Étant particulièrement doués pour ce genre de sport, ils cassaient bien la baraque. Ils finirent par gagner un concours dont le premier prix était une séance d’enregistrement avec Shel Talmy, un producteur américain installé à Londres depuis peu et dont la réputation commençait à grandir, puisqu’il venait de lancer les Kinks en produisant «You Really Got Me». Shel Talmy se disait bougrement intéressé par les jeunes prodiges, mais il se montra très gourmand en proposant un contrat où il s’octroyait la part du lion, c’est-à-dire 40 % des recettes. La réponse des Fleur de Lys ? Une magnifique moue de mépris aristocratique. N’étant pas homme à se formaliser, Shel Talmy lança les Who une semaine plus tard en produisant «Can’t Explain».

    Il existait une très grosse communauté Mod à Southampton et les Fleur de Lys retrouvèrent leur public. Associé d’Andrew Loog Oldham, Tony Calder repéra le groupe et le signa sur Immediate. Les Fleur de Lys revinrent à Londres enregistrer deux titres produits par Jimmy Page. Calder les obligea à reprendre «Moondreams» de Buddy Holly, ce qui leur fit horreur. Ils proposèrent en B-side une compo à eux, «Wait For Me». Lorsque le single sortit dans le commerce, les Fleur de Lys furent profondément choqués. Leur amertume n’avait d’égale que leur dégoût : Jimmy Page avait remplacé «Wait For Me» par un instrumental crédité Page.

    Un peu moins aristocratiques que les autres, Frank Smith et Danny Churchill quittèrent le groupe. C’est là que Gordon Haskell et l’enfant prodige Phil Sawyer entrèrent en scène pour les remplacer. Les Fleur de Lys repartirent à l’assaut des charts anglais avec une brillante cover du «Circles» des Who. Poussés par leurs démons, ils entraînèrent le «Circles» des Who dans l’œil du typhon et Phil Sawyer martyrisa son killer solo flash, révélant au passage un vilain penchant pour l’exacerbation. Keith Richards entendit à la radio ça et il téléphona aussitôt pour demander le nom du guitariste. Quant à Jeff Beck, il déclarait aux journalistes : «Il n’y a que trois guitaristes dignes de ce nom, à Londres : moi, Clapton et Phil Sawyer !»

    Les Fleur de Lys s’étoffèrent en recrutant un pur Mod, Chris Andrew. Chris poppait des purple hearts et se vantait d’être descendu à Brighton participer aux combats Mods-Rockers. Il se montrait fier de sa Gretsch. L’instrument avait appartenu à George Harrison qui s’en était débarrassé en la donnant, car le manche était légèrement tordu.

    On sonne à la porte. Keith Guster va ouvrir. Justement, voilà Phil Sawyer et Chris Andrew.

    — Je vous en prie, entrez, mes amis. Je préfère vous prévenir. Nous n’avons rien à vous offrir, hormis du pain de mie...

    — Don’t worry, Keith... Ça ira très bien.

    Phil Sawyer et Chris Andrew s’installent dans le chesterfield et tout en papotant, commencent à grignoter des tranches de pain de mie. Keith Guster et Gordon Haskell ne disent rien. Deux heures s’écoulent. 

    — Bon, faut que j’y aille, lance Phil Sawyer. Mes parents m’attendent pour dîner !

    — Moi aussi, ajoute Chris Andrew.

    Gordon et Keith se retrouvent seuls dans le grand appartement. Ils observent l’emballage vide et les miettes de pain dispersées sur la table basse. 

    — Tu as faim, Gordon ?

    — En vérité, je meurs de faim.

    — Il nous reste deux ou trois pennies, mon pauvre ami. Tout ce qu’on peut s’offrir, c’est un paquet de smarties... Et on devra tenir trois jours avec.

    — Great !

    Frank Fenter arriva à Londres en 1958. Originaire d’Afrique du Sud, il entreprit une carrière d’acteur, puis devint organisateur de concerts. Opiniâtre et déterminé, il gravit les échelons du showbiz à la force du poignet et finit par devenir le représentant européen d’Atlantic Records. Au retour d’une tournée en Afrique du Sud, il ramena dans ses bagages une gamine de 19 ans, Sharon Tandy. Il l’épousa et entreprit de la lancer, car elle chantait bien. Il chercha un backing-band pour Sharon et recruta les Fleur de Lys. Fenter mit alors le turbo. Il leur décrocha la première partie du show de Sonny and Cher à l’Astoria. Le gratin du swinging London assista en direct au spectacle des exactions soniques de Phil Sawyer.

    Keith Guster et Gordon Haskell passent leur temps à percer des trous dans le cuir de leurs ceintures. Ils craignent de perdre leur pantalon lorsqu’ils descendent dans la rue. On sonne à la porte. Keith va ouvrir.

    — Ça alors, Chas, quelle bonne surprise. Tu es de retour à Londres ?

    — J’me suis mis à mon compte et j’ramène un sacré poulain, mon gars ! C’est lui, là, derrière. L’est un brin timide, mais quel guitariste ! Son blaze c’est Jimi !

    Un spectaculaire black freak se tient en effet derrière lui. Keith les fait entrer au salon.

    — Chas, je suis désolé, mais nous n’avons que des smarties à vous offrir...

    — T’inquéquète donc pas, mon tio quinquin ! J’vas aller acheter d’la saucisse et une bonne grosse boîte de faillots, dac ?

    Chas Chandler repart, laissant Keith et Gordon seuls avec le black freak. On entend les mouches voler. Les deux Mods s’interrogent. Mais d’où sort cet étrange personnage ? Sa coiffure indique clairement qu’il ne connaît pas l’usage de peigne, quant à sa mise, c’est une véritable insulte aux règles de la bienséance, avec ce fatras de foulards et de colliers, cette tunique bariolée et ce pantalon de velours rouge qui moule si bien son érection. Chas revient avec les victuailles et file dans la cuisine faire chauffer la gamelle.

    Tout le monde passe à table. Brandissant une énorme louche, Chas demande les assiettes pour servir.

    — Dites voir, les gars, je cherche une section rythmique pour lancer mon poulain Jimi... Ça pourrait-y vous intéresser ?

    — Désolé, Chas, mais nous sommes des Fleur de Lys...

    — Ah, c’est ça... J’ai pigé ! Z’êtes de fidèles sujets de sa majesté...

    — En quelque sorte, Chas... Disons que la bonne tenue n’est pas seulement une question de mise...

    — Dommage... Car vous êtes bien balèzes tous les deux... Mais c’est pas grave, j’vais recruter deux aut’ gaillards vit’ fait. D’ici un mois, vous verrez l’nom de Jimi Hendrix à la une de tous les canards du coin-coin, vous pouvez m’faire confiance ! Allez, r’prenez un louche de faillots, ça vous fera du bien d’péter un coup... Vous êtes tout pâles...

    Histoire de montrer de quel bois ils se chauffent, les Fleur de Lys entrent en studio pour enregistrer «So Come On» qui va sonner comme un hit préhistorique. Le morceau se révèle monstrueux, avec ses relents de r’n’b à la Spencer Davis Group. C’est du pur jus de juke, une véritable pépite freakbeat. Phil Sawyer l’achève avec l’une de ses bottes de Nevers : un solo horriblement désossé, teigneux et par essence irrévérencieux.

    Nouveau coup de théâtre. Phil Sawyer quitte les Fleur de Lys pour remplacer Peter Green dans le Shotgun Express, un groupe en pleine ascension, emmené par Rod The Mod et Peter Bardens. Méprisant ce nouveau coup du sort, Chris Andrew, Keith Guster et Gordon Haskell recrutent un jeune loup nommé Bryn Haworth. Fenton leur décroche la première partie d’un concert de Cream au Saville Theater. Clapton n’en revient pas. Subjugué par le style sauvage du jeune loup, il déclare aux journalistes : «Il n’y a que trois guitaristes dignes de ce nom, à Londres : moi, Jeff Beck et Bryn Haworth !»

    Un nommé Condor se rapproche des Fleur de Lys pour leur proposer d’enregistrer une chanson qui, affirme-t-il, va devenir un hit phénoménal : «Reflections Of Charlie Brown». En B-side, Bryn Haworth et Gordon Haskell imposent «Hold On», l’une de leurs compos. Au moment, où va paraître le single, «A Whiter Shade Of Pale» entre dans les charts. Horrifiés, les Fleur de Lys s’aperçoivent que Charlie Brown est un honteux plagiat du tube de Procol Harum et refusent que leur nom soit associé à cette magouille infâme. Le single sort sous le nom de Rupert’s People.

    Plus décidés que jamais à en découdre, Sharon et les Fleur de Lys entrent en studio pour enregistrer une nouvelle version de «Hold On». C’est avec ce coup de maître que les Fleur de Lys entrent dans l’histoire du rock. Bryn Haworth joue comme un délinquant au bord de l’irréparable. Il prend un solo en forme de génocide sonique. Il fait sauter les notes, les fait griller, les tire, les étrangle, il donne de violents coups de médiator, comme s’il donnait des coups de hache à la bataille d’Hastings. Du coup, Sharon passe au second plan. «Hold On» est le tube absolu : groove, mélodie, puissance, chorus, tout y est. Jimi Hendrix est l’un de ceux qui crient au loup. Il saisit la première occasion qui se présente à lui pour monter sur scène faire le bœuf avec les Fleur de Lys.

    «Hold On» arrive dans les bacs. Sur l’autre face, Sharon reprend une chanson de Lorraine Ellison, «Stay With Me Babe». Contrairement à toutes les attentes, le single n’atteint pas le sommet des charts. Mais à Honfleur, un kid écoute le single en boucle et restera toute sa vie obsédé par le solo de Bryn Haworth. Ce faramineux single devient une sorte de disque culte. Maigre consolation.

    À Londres, les Fleur de Lys acquièrent une solide notoriété, mais ils ne parviennent toujours pas à se hisser parmi les géants qui embouteillent le sommet des charts. Fenton leur propose de devenir le house-band du studio Polydor. Ils accompagnent des tas d’artistes renommés, comme par exemple Isaac Hayes et Sam & Dave. Impressionné par le jeu de Keith Guster, Booker T le prend à part :

    — J’ai une proposition sérieuse à te faire, petit...

    — Je vous écoute...

    — Viens avec moi aux États-Unis. Je t’offre la place de batteur dans mon groupe. Tu joueras avec tes idoles Steve Cropper et Donald Duck Dunn et tu rouleras en Cadillac !

    — Navré de vous éconduire, monsieur, mais je suis une Fleur de Lys...

    — Tu as du cran petit. Je ne connais personne qui puisse s’offrir le luxe de refuser une telle proposition...

    — À la différence d’Ulysse, il n’est pas nécessaire qu’on me ligote au mât pour résister au chant des sirènes. En moi, l’honneur prévaut.

    Un intermédiaire véreux se rapproche des Fleur de Lys et leur propose d’enregistrer «Judy In Disguise». Intrigués, Bryn et ses amis écoutent la maquette du cut. L’intermédiaire attend leur réponse. Les Fleur de Lys déclinent l’offre, en affichant une moue significative. Une semaine plus tard, la chanson atteint le sommet des charts, enregistrée par un groupe sorti de nulle part, John Fred and his Playboys.

    Les Fleur de Lys préfèrent jammer la nuit entière avec le Vanilla Fudge, de passage à Londres. Les deux groupes disposent du studio Polydor. Ces baroudeurs expérimentés que sont Tim Bogert, Carmine Appice, Vinnie Martell et Mark Stein s’enflamment littéralement au contact des Fleur de Lys. En effet, les Anglais rivalisent d’audace et de brio avec les quatre New-yorkais. Le Fudge redouble d’intensité cathartique alors que Bryn pulvérise tous les records de sauvagerie sur sa Strato blanche. Lors d’une pause, Carmine Appice, dégoulinant de sueur, lance à Keith :

    — Tu bats vraiment bien, petit. Tu devrais monter en première division, plutôt que de végéter dans ce studio !

    — Oh, ce n’est pas vraiment la gloire qui nous intéresse, l’ami. Je ne sais pas si vous autres les Américains vous pouvez comprendre cela.

    — Tu devrais y réfléchir, petit... Avec du blé, tu pourrais te payer un coupé sport et emmener des petites gonzesses en balade. Imagine un peu. Elles te suceraient la queue pendant que tu écraserais le champignon...

    Les Fleur de Lys entrent en studio pour enregistrer «Tick Tock», une pop-song vaguement psyché - Tick tock, it’s five o’ clock - Les morceau flirte avec la médiocrité jusqu’au moment où Bryn entre en scène. Il part en trombe, triture des notes et achève le morceau dans un bain de distorse gluante. Il va en effarer quelques-uns, toujours les mêmes. Quand il entend ça, Jimmy Page déclare à la presse : «Il n’y a que trois guitaristes dignes de ce nom à Londres : moi, Jeff Beck et Bryn Haworth !»

    Fenton roule en Rolls blanche. Pas les Fleur de Lys. Ils reçoivent 15 £ par semaine pour leur travail au studio. Gordon Haskell trouve ça louche. Il sait par oui-dire que les musiciens de studio sont plutôt bien payés. Jimmy Page et Big Jim Sullivan vivent très bien de leur travail de session-men. Gordon mène une petite enquête et cuisine l’attachée de presse de Fenton. Celle-ci finit par lâcher le morceau. Fenton reçoit de Polydor 350 £ par semaine et par musicien. Ne voulant pas croire une chose pareille, Gordon demande :

    — Mais alors, où passent les 335 £ qui restent ?

    — Tu veux que je te fasse un dessin ?

    Gordon tombe des nues. Il ne pensait pas que les gens pouvaient se conduire ainsi. Il rapporte les faits à ses amis. Bryn et Keith encaissent le coup sans broncher. Ils savent seulement qu’il va leur être difficile de continuer comme si de rien n’était. Les Mods savent se conduire. 

    — Bon, mes amis, je quitte le groupe, lâche Gordon d’une voix grave. À mon sens, il s’agit plus d’un moyen de vous aider à évoluer vers autre chose que d’une façon de vous laisser tomber. 

    — Ne culpabilise pas, Gordon, reprend Keith. L’important est de tenir notre rang. Le nom des Fleur de Lys honorera le chapitre freakbeat des livres d’histoire. Que God vienne en aide à tous ceux qui ont vendu leur âme au diable pour quelques poignées de dollars. Franchement, je ne voudrais pas appartenir à cette catégorie de gens. Cela m’inspire une sorte de répugnance. Maintenant je vous propose d’ouvrir une bouteille de champagne pour fêter ce nouveau rebondissement.

    — Excellente idée, Keith, lance Gordon, d’un ton qu’il veut joyeux.

    Bryn ne dit rien.

    — Tu m’as l’air bien sombre, mon ami, murmure Keith.

    — Ne vous en formalisez pas, je vous en conjure. Je regrette simplement d’avoir à subir les conséquences d’une telle gabegie. Nous ne sommes pas de taille à nettoyer les écuries d’Augias, malgré toute notre détermination. Il n’est pas simple de nos jours de cultiver un art novateur et de vouloir l’imposer sans se compromettre. C’est à peu de choses près la seule conclusion que je puisse vous proposer, mes pauvres amis.

    — Réfrène ton penchant pour l’amertume, Bryn. Toucher au but n’est pas une fin en soi, tu le sais bien.

    Les Fleur de Lys trinquent et devisent gaiement sur le thème des opportunités.

    Gordon envisage de rejoindre King Crimson. Keith s’indigne :

    — Mais Gordon, tu manques totalement de discernement ! Tu as joué avec Jimi Hendrix, Donald Duck Dunn, Eddie Floyd, Steve Cropper, Sonny and Cher, Jeff Beck, Tim Bogert, Otis et Stephen Stills... Comment peux-tu envisager une chose pareille ?    

    — Mais tout simplement parce que je déteste ce groupe...

    — Dans ce cas, je comprends mieux... Et toi Bryn, comment vois-tu l’avenir ?

    — J’ai rencontré Leigh Stephens lors une party...

    — Le guitariste de Blue Cheer ?

    — Parfaitement exact.

    — Tu ne te refuses rien, mon vieux...

    — Oh, c’est une simple coïncidence... Leigh s’est installé à Londres pour une période indéterminée. J’apprécie énormément son style. J’aurais aimé qu’on nous laisse le temps d’évoluer vers un son plus puissant, comme celui que délivre Leigh sur Vincebus Eruptum. Je vais très probablement lui proposer de monter un groupe et d’aller entamer une nouvelle carrière aux États-Unis. Je préfère ne plus fréquenter l’atroce société des roturiers londoniens, ces parasites qui s’enrichissent impunément sur le dos des musiciens.

    — Tu dois avoir raison, Bryn. Mais reste sur tes gardes. Tu vas certainement te retrouver confronté aux mêmes pratiques.

    Gordon remplit la coupe de Keith et demande :

    — Et toi, Keith, comment vois-tu les choses ?

    — Une chose est sûre : je resterai un Mod tiré à quatre épingles. Pour les reste, soyez rassurés tous les deux, je ne nourris pas la moindre inquiétude. Je recruterai de nouveaux musiciens et veillerai ainsi à la postérité des Fleur de Lys, vous pouvez me faire confiance sur ce point.

    L’éclatant sourire de Keith Guster réconforte ses amis.

    — Bon ! Voici venu le moment de nous séparer, lâche Gordon d’un ton qu’il veut guilleret. Je vous remercie de tout cœur d’avoir su rester dignes dans cette tourmente. Toute l’affection que j’éprouve pour vous se double à présent d’une profonde admiration. Pardonnez-moi cet ultime épanchement.

    Quelques jours plus tard, Keith et sa compagne reçoivent une invitation. Ils se rendent à la party, dansent et boivent la nuit entière. Le jour se lève lorsque leur hôte leur propose de les ramener dans leur quartier de banlieue. Personne n’est en état de conduire, mais rouler bourré est pratique courante, au cœur du swinging London. L’hôte démarre en trombe et écrase le champignon. Vrooom ! Il arrive un peu trop vite dans un virage et perd le contrôle du véhicule. L’auto percute le trottoir et fait quelques tonneaux. Bim bam boom.

    Keith arrive plus mort que vif à l’hôpital.

    Aux urgences, les médecins examinent les radios.

    — Oh la la, c’est épouvantable... Jamais vu une chose pareille en quarante ans de pratique... Toutes les vertèbres cervicales sont brisées... Qu’en penses-tu, Malcolm ?

    — Pauvre gosse. À mon avis, il ne s’en sortira pas... Et même s’il sort un jour du coma, il est foutu. Il vaut mieux prévenir les parents tout de suite...

    Sur son lit d’hôpital, Keith reprend conscience. Il fait nuit, mais un plafonnier diffuse une lumière blanche. Il distingue soudain une silhouette au pied de son lit. Keith écarquille les yeux. Enveloppée dans une longue cape noire, la silhouette évoque ces femmes qu’on voit sortir des églises, en Espagne. Keith ne distingue pas son visage, noyé dans l’ombre de la cape. Par contre, il reconnaît l’engin que tient la silhouette : une faux. La lame luit faiblement à la lumière du plafonnier.

    La silhouette fait un pas en avant et se penche vers Keith. D’une voix incroyablement caverneuse, elle murmure :

    — Keith Guster, ton heure est venue... Tu vas devoir me suivre...

    — Navré de vous décevoir, monsieur, mais c’est impossible.

    — Ha ha ha ! Et quelle est la nature de cette impossibilité, petit morveux ?

    — Sans vouloir vous offenser, monsieur, sachez que je suis une Fleur de Lys, et qu’en aucun cas je ne puis me défiler.     

    Signé : Cazengler, fleur de banlieue

    Gordon Haskell. Disparu le 15 octobre 2020

    Damie Chad conseille : Cent Contes Rock ( Volume 1 ) Patrick Cazengler.  Camion Blanc 2011

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    PETIT RAPPEL HISTORIQUE

    La terre est peuplée d'injustices, certains souffrent davantage que d'autres. Par exemple la municipalité de Bondy respire, elle a réussi à se débarrasser de ses nuisibles. Il lui a fallu du temps, plusieurs années, figurez-vous deux redoutables perruches ( les ornithologues ne sont pas tous d'accord sur cette classification ) noires ( surtout à ne pas confondre avec la perruche à croupion rouge ) s'étaient perchées sur un des ormes de la commune et apparemment s'y trouvaient bien. Au début ( les trois premiers jours ) ils sont passés inaperçus, à la fin de la semaine la population en son entier en est venue à regretter que les arbres de la place centrale n'aient pas été squattés comme dans certaines villes par une colonie de quelques millions d'étourneaux, bien sûr ça criaille et il pleut de la fiente sans discontinuer mais tout compte fait cela s'inscrit dans les programmes de préservation des espèces animales et file à la ville un cachet écologique non négligeable quant à son futur développement économique.

    Mais si Bondy rit, la Bretagne pleure. De toutes ses larmes. Car ces psittaciformes noirâtres à bec jaune de malheur ont émigré et ont décidé de nidifier sur ces antiques terres chevaleresques. Le peuple breton s'est vaillamment défendu. Leurs élus ont enfilé leurs chapeaux ronds, que bizarrement ils appellent bonnets rouges, et ont fait pression sur le gouvernement, ils sont parvenus à faire interdire les concerts de rock sur toute la France. Nos indésirables volatiles n'en ont eu cure, ils ont continué à coasser sinistrement comme si de rien n'était, alors les plus grands savants bretons se sont réunis, dans leurs laboratoires secrets ils ont mis au point un microbe mirobolant ( nom de code : le variant breton ) censé venir à bout en un minimum de quatorze journée de ces hôtes redoutables. Cet espoir scientifique s'est vite révélé inopérant, l'on a eu beau en asperger cette triste engeance avienne, il s'est révélé qu'elle était naturellement immunisée, par contre l'espèce humaine moins résistante a connu les déboires de l'arroseur arrosé...

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    Nos cui-cui favoris s'en moquent, continuent leurs méfaits, un nouvel album, Unicorns, est en préparation, de temps en temps ils nous font part de l'avancement bruiteux de leur travaux, cette fois-ci ce n'est pas deux titres inédits sur Soundcloud ( les oiseaux aiment les nuages ), mais un clip, tout frais éclos, sur YT qui dévoile leur triste mentalité dévoyée...

    MENTAL HOSPITAL

    CRASHBIRDS

    ( Clip / Avril 2021 )

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    Un, deux, trois, c'est parti, excusez-moi je me suis laissé emporté par l'enthousiasme, je recommence au début, deux, trois, quatre, Rattila Pictures est là, des chirurgiens de l'image, vous leur fournissez un film tout simple, et vous les laissez faire, s'y jettent dessus telles des hyènes affamées sur un cadavre de chien purulent abandonné depuis quinze jours sur une aire d'autoroute, vous le découpent en morceaux, ce coup-ci une préférence pour les fines lamelles, et puis ils les vous recollent à leurs manières, puis ils passent leur temps à les ré-agencer selon une nouvelle donne, en plus cette fois-ci ils jouent avec les couleurs, enfin avec une, parce que sur le blanc-et-noir dominant, scintille par intermittence un magnifique jaune canari qui parfois s'engorge de nuances rouge-gorge ou bouvreuil-pivoine. Difficile d'expliquer pourquoi et comment mais ce traitement confère une étonnante rapidité et légèreté au montage, le clip défile devant vos pupilles étonnées et ravies.

    On ne présente plus la distribution. La Dame à l'Unicorns n'est pas là pour faire tapisserie. Delphine Viane bosse. Debout. A la guitare. Au micro. A la percu. Contrairement à la courtoisie médiévale, le page Pierre Lehoulier reste assis, tapote un peu de sa jambe gauche sa pantoufle sonique, du genre ma cocotte j'ai autre chose de plus important à faire qu'à m'occuper de toi, et joignant le geste à la parole des images dérobées nous le présentent les mains croisées dans son fauteuil à regarder par la fenêtre.

    Les rockers ne s'arrêtent pas à l'apparence cosy, un feu de bois qui pétille dans l'âtre, les beaux arbres du jardin dont on entrevoit les troncs élancés au travers d'une large baie, les bibelots disposés avec goût, la bibliothèque remplie de livres – interdits - dont la fine et altière silhouette de Delphine s'obstine à nous empêcher de lire les titres, preuve que ces gens-là ne lisent pas que Les aventures de Fantômette.

    Ce n'est qu'un détail, malheureusement souligné par la barbichette particulièrement méphistophélesque de Pierre, oubliez-le ( pour le moment ), concentrez-vous sur la plus belle, elle vous plaque une rythmique de diamant et elle chante merveilleusement bien, vous n'entendez qu'elle, vous ne voyez qu'elle, c'est là où vous tombez dans le piège tendu à dessein, vous croyiez voler jusqu'au paradis et plouf, tout se brise. Les portes du mental hospital se sont refermées sur vous. Déjà que votre cervelle rance dispensait une odeur d'infirmerie et que vos idées sentaient le médicament médiatique...

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    Sachez-le, avec leur mental hospital, ils vous entubent. Il est trop tard pour vous réveiller, cette chronique s'adresse donc à ceux qui ne se sont pas encore imprudemment aventurés dans le morceau. Je devance vos réactions '' Oh c'est super, c'est totalement Crashbirds avec un tout petit plus qui fait craquer, un je ne sais pas quoi, un truc super chouette, je le repasse ''. Malheureux vous avez mis l'oreille dans un engrenage fatal. C'est le moment de regarder Pierre, oui il joue de la guitare, Pierre joue toujours de la guitare, rien de nouveau sous la lune noire, toutefois soyez attentifs à son sourire, il est ailleurs et chaque fois que son médiator caresse sa corde la plus tendre, il vous distille le sortilège, pas besoin de tendre le tympan, cela s'infiltre en vous sans que vous vous en doutiez en douce sous le riff, comme le masque de la mort rouge dans la nouvelle de Poe, qu'est-ce au juste, un grignotement de souris, la petite sonate de Vinteuil dans La recherche du temps perdu, une petite fille perdue qui pleure, un couinement de blaireau dont on a enfumé le terrier, le pipeau du meneur de rats de la ville d'Hamelin, je ne saurais dire, mais c'est-là, indicible et irréversible, et les inflexions de Delphine par dessus cette scie à neurones vous aimantent, vous chavirent l'esprit, vous rendent fou... mais enfin laissez-moi, messieurs les infirmiers ne me touchez pas, non je ne vous suivrai pas dans cette ambulance, je...

    Nous sommes dans l'incapacité momentanée de vous donner la fin de cette chronique de Damie Chad. Toutefois nous nous permettons de signaler qu'il n'est pas bon de dépasser la dose prescrite pour l'écoute de ce clip. Apparemment les Crasbirds ont encore frappé fort. Hautement contagieux.

    La rédaction.

    *

    Fontainebleau jouit d'un passé prestigieux, François Premier transforma son modeste château médiéval en fastueuse résidence, Napoléon y fit ses adieux, Damie Chad y vint pour chroniquer quelques concerts de rock'n'roll, trois personnages incontournables mais qui relèvent de l'Histoire ancienne, voici que surgissent de nouveaux prétendants à cette gloire immémoriale, ils se sont regroupés sous une appellation un peu zarbi bizarre, MONSIEUR PAUL ET LES SOLUTIONS qui exige quelques éclaircissements. C'est que l'on n'échappe pas à ses origines, un groupe de rock sis ( même selon des circonstances hasardeuses ) dans une des cités les plus illustres de notre douce France, ne saurait être insensible à un patrimoine séculaire, que le lecteur ne soit pas surpris si nous sommes obligés de nous pencher sur d'anciennes strates géologiques du rock français pour expliciter leur démarche.

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    L'est sûr que pour trouver les solutions de Mr. Paul faut d'abord poser les problèmes. Ils sont parfaitement exposés par Eddy Mitchell dans Chronique pour l'an 2000. Si vous ne connaissez pas c'est que vous avez quelques années de retard. Faites le calcul par vous-même sachant que le disque de Schmoll sort au début de l'été 1966. Pour combler votre ignorance vous fouinerez aussi du côté de Chante de Ronnie Bird et de de Cheveux longs et idées courtes de Johnny Hallyday.

    Les Problèmes sont le groupe – un bon son pour l'époque - qui accompagnera à partir de l'année 66 un jeune chanteur qui fait le buzz avec Les élucubrations d'Antoine, morceau dans lequel le dit Antoine aimerait voir Johnny Hallyday en cage à Médrano. Depuis ses tout premiers débuts les attaques n'ont jamais cessé contre Johnny, mais celle-ci ne provient pas des croulants habituels balayés par la vague yé-yé mais d'une jeune génération qui se prévaut d'une provenance beat-folk-dylanesque dissidente du rock'n'roll... Si le staff hallydéen saura faire rebondir la première idole la trajectoire d'Antoine restera sujette à caution... Le succès est venu trop vite, Antoine n'arrivera jamais à maîtriser son projet musical initial et finira par se ranger des voitures en s'achetant un bateau... Les Problèmes subiront un sort parallèle, finiront en Charlots spécialisés en gags de comiques troupiers... Beaucoup de gâchis... Tout cela ne serait pas bien grave si ces mésaventures ne rappelaient pas une avanie fondatrice qui présida à une première fausse-couche du rock'n'roll français, celle initiée par Boris Vian, Henri Salvador et Michel Legrand, qui tenta d'inscrire le rock 'n' roll dans la catégorie infamante de la gaudriole cocasse, une musique qui manque de sérieux.

    C'est sûr qu'il existe dans le rock'n'roll français une lignée persistante qui louvoie entre nostalgie, parodie, dérision et je-m'en-foutisme. Elle provient de ce sentiment de libération joyeuse qui accompagna par chez nous l'apparition de cette musique entre 1959 et 1964. Jacques Dutronc fut le pionnier de cette veine, plus tard des groupes comme An bonheur des Dames, Albert et sa fanfare poliorcétique et les chacals de Béthune, les Wampas...

    Mr PAUL ET LES SOLUTIONS

    Monsieur Paul ( aka Billy Dorados ): chant, rythmique Don Electro 12 cordes, solo stratocaster, tambourin / Rick Solution : rythmique Vox Phamtom / Lulu Solution : basse / PJ Solution : batterie

    Graphisme : Pauline Barbier

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    Plagier Dutronc : tout un programme, qui vous prend à rebrousse-poil, vous pensez par exemple à La fille du Père Noël et vous êtes victime d'un syndrome de caméléonisation vocale, ce n'est pas le timbre attendu et dument tamponné de Jacques Cacapoum que vomissent les enceintes, mais à s'y méprendre, la voix d'Antoine, telle qu'en elles-mêmes les chemises en fleurs l'habillaient, n'empêche que Paul et son gang de solutionistes persévèrent dans les paroles, pour avoir le son sixties faut plagier Dutronc, le problème, pardon la solution, c'est qu'ils n'ont pas le son french sixties original, ne les assimilez pas à des donneurs de leçons qu'ils ne suivraient pas eux-mêmes, style faite ce que je dis mais pas ce que je fais, c'est qu'ils ont beaucoup mieux à nous offrir, ces zèbres-là l'est indubitable qu'ils n'arpentent pas la savane depuis trois jours, savent se servir de leurs guitares sans suivre les tutos sur le Net, ils vous envoient la purée, le presse-purée et le champ de patates qui va avec en plein dans le minois - ne se cachent d'ailleurs pas de leur curriculum destroyer dans leur présentation - des garagistes patentés, vous passent le polish sur la carrosserie à plein tube, méfiez-vous si vous désirez participer à l'essai gratuit à côté des mécanos, gardez un œil sur le compteur, la mécanique ronronne doucement mais la pédale de l'accélérateur ils l'écrasent avec volupté, savent aussi s'arrêter brutalement, mais trois décharges de batterie et c'est reparti, comme un avion de chasse qui attaque en psyché. Waiting for true love : avec un tel titre vous vous attendez à un slow sixties, le coup du grand amour larmoyant et la collection de râteaux qui les accompagnaient, ah des true loves pour toute la vie qu'est-ce que l'on en a entendu, à mouiller des mouchoirs aussi grands que des draps de lit poisseux, chassez ces cauchemars fiévreux, ne gardez que la fièvre car Mr Paul et ses solutions miracles est là pour vous requinquer le moral, démarrent sec, sont des malins vous torpillent le sentiment avec une de ces rythmiques cahotiques dont Buddy Holly possédait le secret, un sprint grondant qui vous entrechoque les os du squelette et surtout ne faites pas confiance, ne retrouveront pas tous la même place à la fin du morceau, sûr que ce sont des rapides, de véritables lévriers de course, le vocal hilaro-parodique est débité à toute blinde au milieu d'un feu d'artifice sonique, avec ce maelström dans la tête vous pouvez attendre sans problème. Donc avec la solution ( nitro instable ) de Mr. Paul.

    Damie Chad.

     

    THE ANIMALS

     

    En novembre 1976 War fait paraître Love is all the around regroupant des inédits enregistrés avec Eric Burdon durant son passage dans le groupe. En Avril 77 sort Survivor d'Eric Burdon Band, nous en parlerons dans notre prochaine livraison. Mais en août 77 paraît un nouveau disque des Animals ! Comme tous les fans naïfs je pense que Burdon utilise le nom fameux pour baptiser la énième mouture de son groupe d'Amérique, mais non, il s'agit bien du groupe anglais original, avec Alan Price que Burdon ne porte pas dans son cœur.

    BEFORE WE WERE SO RUDELY INTERRUMPED

    ANIMALS

    ( 1977 )

    Pour le titre les Animais n'ont pas hésité à reprendre une phrase restée célèbre dans l'imaginaire collectif d'Angleterre : ''Comme j'étais en train de le dire avant que je ne sois si rudement interrompu c'est un art difficile de plaire tout le temps à tout le monde'' c'est par ces mots lors de la deuxième guerre mondiale que William Connor reprit son travail d'éditorialiste au Daily Mirror que suite à un article qui n'avait pas plu en haut lieu l'intervention de Winston Churchill avait brutalement suspendu... La couverture est une photographie de Terry O' Neil, il est crédité pour plus de deux cents couvertures d'albums, notamment Elton John, Tom Jones, Eric Clapton, surtout le haut du panier, ce qui m'induit à le considérer davantage comme un photographe de stars que de rock, d'ailleurs lorsque le rock aura perdu de sa force, il se consacrera à la musique classique. D'après moi un faiseur qui récupère des images déjà établies dans le mental du public à qui il sert la soupe habituelle. Pas un créateur, pas le grand bousculateur que l'on attend d'un artiste authentique. La couve de Before... fige le groupe dans son passé. Les Animals font un peu office de chevaux de Przewalski conservés dans les zoos pour empêcher l'extinction de la race...

    Eric Burdon : vocals / Alan Price : keyboards / Hilton Valentine : guitar / Chas Chandler : bass / John Steel : drums.

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    Brother Bill ( The last clean shirt ) : le titre sonne comme un vieux blues mais il est relativement récent, fut écrit par Leiber et Stoller qui le sortirent sur leur label Red Bird en 1964 – le Cat Zengler nous a parlé de cette aventure discographique dans notre livraison 484 du 10 / 11 / 2020 – l'était chanté par the HoneyMan qui le cosigna sous le nom d'Otis. Alan Price a sorti son piano et nous sert une espèce de rag pas vraiment enragé mais qui nous ramène bien en avant dans le siècle précédent. Burdon est à l'unisson, les paroles ne sont pas joyeuses, le frérot abattu à qui l'on passe sa dernière chemise, mais Burdon se débrouille pour vous faire sentir le comique pratiquement désopilant de la mort, cette absurdité du gars qui a vécu pour qu'on l'enterre dans une chemise propre, une ironie mordante dans la façon de débiter le texte d'une voix égale et froide. Un petit chef d'œuvre d'humour noir. Les Animals égal à eux-mêmes, Hilton qui plaque son petit solo insurpassable de quinze secondes, et les autres qui jouent non pas avec leur instrument mais avec la sonorité de leurs binious. Art consommé. It's all over now, baby blue : apparemment l'amour est plus douloureux que la mort. Certes la version de Dylan n'est pas joyeuse, toutefois elle est traversée par un peu de hargne et d'ironie, mais celle des Animals est carrément funèbre, une musique mélodramatique et la voix de Burdon qui vous glace l'âme, Price appuie sur ses touches à croire que tous les douleurs du monde se sont pressés sur ses épaules, le Steel ne se départit pas de son rythme d'enterrement, la basse de Chas chasse le bonheur et Hilton est si malheureux qu'il en oublie de nous livrer son solo. Pour la petite histoire Dylan cite bien le Baby Blue de Gene Vincent comme une de ses sources d'inspiration. Fire on the sun : boogie qui remue, Price tape sur les touches une par une comme s'il plantait des asperges, le Burdon se rue sur le vocal à la manière d'un chacal qui se jette sur un os pourri, les autres lui emboîtent le pas, deux minutes qui ne sont pas impérissables mais qu'il faut avoir vécues. Je me demande comment Shakey Jake James Harry a posé son harmo sur l'original mais j'ai été incapable d'y mettre la main dessus. As the crow flies : tout est parfait dans ce blues, Burdon qui vous serre à la gorge, la rythmique blues de base dépourvu de toute fioriture, les notes de piano que Price éparpille de temps en temps, et ces voix qui s'élèvent au final, juste le temps que vous réalisiez que vous n'épuiserez jamais la tristesse humaine. Corbeau poisseux. Please send me someone to love : la ballade soul encore teintée de piano jazz mais déjà à côté, une belle section cuivrée et la voix plate de Curtis Mayfield, les Animals mettent les patins pour ne pas rayer le plancher, l'organe de Burdon se heurte un peu aux meubles cirés, mais l'essaie que ça ne s'entende pas, l'a un peu de mal à y croire, heureusement qu'Alan vous joue de l'orgue tantôt comme s'il était dans une église tantôt dans un night club à cinq heures du matin... ça se termine de justesse juste le temps d'évacuer le Burdon embourbonné, l'alcool lui monte à la glotte, l'allait hausser le ton à la Boris Goudounov.

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    Many rivers to cross : l'on a changé de face mais les Animals tapent encore dans les reprises improbables. Quoique à la réflexion... surtout que le Burdon il ouvre son clapet moderato, à la hauteur de Jimmy, n'est pas là pour faire la course en altitude, c'est dans les passages plus bas qu'il sort sa voix bleu-sombre, l'Alan l'est comme chez lui avec son orgue, our favorite pets se passent même des chœurs féminins de Cliff, bien fait, mais n'apporte rien à Jimmy. Genre lycéen qui a fait un papier-collé de la bio de Baudelaire sur Wikipedia. Just a little beat : pas le premier titre que les Animals reprennent, oui mais sur l'original vous avez un ronflement de saxophone pour lequel vous vendrez votre âme au diable pour qu'il vous permette de le reproduire à l'identique. Les z'Animals z'ont pas de saxo, le Price vous sort toute la ménagerie de verre de son orgue, se la donne à fond mais ça manque de sexo... d'autant plus que le Burdon vous prend une petite voix flûtée de coupe de champagne, ça pétille, ça fait des bulles, mais l'on préfère quand il joue au cobra royal qui vous crache dans les amygdales. Riverside county : enfin, ils ont réussi à écrire un morceau tous ensemble, question paroles ce n'est pas le cinquième évangile mais peut-être que c'est mieux, une belle intro avec Hilton qui égrène quelques notes comme l'on jette des pièces d'or au fond du bocal aux poissons rouges, et le Burdon qui vous prend son timbre de petit garçon qui demande à sa petite sœur de baisser sa culotte pour jouer au docteur, hélas, ils éteignent la lumière et coupent le son juste au moment où ça commençait à devenir intéressant. Lonely avenue : pas besoin de lire le titre, tout le monde   connaît ce balancement typique de l'intro de Ray Charles, l'Hilton vous offre une suite royale pour le prix d'un solo, le Burdon vous manie sa voix comme s'il filait des coups de pied dans des boîtes de conserve, les chœurs jouent à la pédale wah-wah et Price vous fait reluire les ors de son orgue comme s'il astiquait les tuyaux de celui de Notre-Dame. Sur ce écoutez la version en français et en live de Noël Deschamps enregistré au Jazz Club Le Méridien en 2018. The fool : on se quitte sur un petit cadeau un titre de Lee Hazelwood et Al Casey à la guitare ( le même qui joue sur Bird Doggin de Gene Vincent ), le chanteur Sanford Clark avait une de ces belles voix insipides pas du tout foolichonnes qui en 1956 plaisaient aux filles, c'est le moment de prendre une leçon de chant, le Burdon il vous le reprend à l'identique au début, l'on sent la différence – par contre Hilton ne fait pas mieux qu'Al Casey – puis il pose quelques intonations pas trop, mais c'est comme la citrouille de Cendrillon qui se change en carrosse.

    Un peu décevant tout de même. L'ensemble manque d'unité et de direction. La play-list a dû être composée à la va-vite sur un bout de table. Genre de disque incompréhensible pour la hungry generation punk qui n'avait nul besoin de ces bibelots tirés de l'armoire aux souvenirs de leurs grand-pères. Z'étaient à la recherche de l'énergie brute perdue. Et ils n'avaient pas tort. Et ils l'ont trouvée.

    Le disque se vendit peu et ne fut soutenu par aucune tournée, et hop un flop !

    *

    Tout est étrange dans cet album. Certes ils ont besoin d'argent. Il sera suivi d'une tournée qui donnera lieu à un Live ( voir plus bas ). Il ressemble davantage à un album d'Eric Burdon qu'à un disque des Animals. Le deal conclu avec ses anciens collègues Burdon y rapatriera le matériel qu'il avait amassé en prévision de son prochain opus. Beaucoup de morceaux sont co-signés par Sterling. Un autre titre était prévu beaucoup moins mystérieux que Ark : Hard times with my favorite ennemy.

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    N'empêche que la pochette est sujette à intenses méditations. Ark sigifiant Arche – mot ô combien bibliquement connoté – j'en avais conclu à première vue que Burdon dernier passager de l'Arche démolie par le déluge, avait trouvé refuge sur un étroit radeau dont la voile rouge gonflée par un vent impétueux risquait à tous moments de le jeter dans les flots tumultueux... preuve que le Dieu très méchant s'était ravisé et avait décidé de radier de la surface du globe l'espèce humaine jusqu'à son dernier représentant. Mais non je me laissai aveuglé par mon idéologie anti-chrétienne. Regardons de plus près. Ce n'est pas un hunier gonflé par le souffle de la tempête mais la coque de l'arche elle-même. Entre nous soit dit, le vaisseau ressemble davantage au Nautilius de Jules Verne qu'à l'espèce de grossière péniche quadrilatérique décrite dans la Genèse. Après tout pourquoi pas, Dieu qui sait tout devait bien avoir dans un de ses tiroirs secrets les plans du sous-marin de l'auteur de Vingt Mille lieues sous les mers, n'est-il pas par définition le seul maître à bord devant le Capitaine. Cette deuxième approximation demande à être approfondie. De fait l'image ressemble à une case tirée d'une bande-dessinée, une lointaine, revisitation du combat contre les poulpes géants, l'arche est attaquée par une espèce d'hydre ultra-agressive surgie des abysses qui n'a pas l'air de se ressentir des balles traçantes de la mitraillette du héros qui l'affronte. Un Noé moderne, porte-cigarette au bec – déjà que la Bible il est décrit comme un vieil ivrogne - sanglé dans un uniforme de confédéré, un peu le look de Clark Gable dans Autant en emporte le vent, courageux, intrépide mais heureusement que le tigre assoiffé de sang qui dormait dans la soute se hâte de venir lui donner un coup de main, pardon de patte aux griffes acérées. L'artwork est de Paul ( S ) Power est-ce le même storyboarder que l'on retrouve dans les génériques de RoboCop et Predator et de nombreux autres films à grands-succès ?

    ARK

    ANIMALS

    ( 1983 )

    Eric Burdon : vocals / Alan Price : keyboards / Hilton Valentine : guitar / Chas Chandler : bass / John Steel : drums. + Zoot Money : keyboards / Steve Grant : guitar, synthetiser, background vocals / Steve Gregory : saxophones / Nippy Noya : percussion.

    Loose change : vous n'en croyez pas vos oreilles, les Animals ont bien changé, oubliez-les, ce n'est plus la même musique, elle sonne un peu passe-partout, trop entertaiment, heureusement que Burdon est en forme, sur un green vous auriez la balle qui rentre dans les dix-huit trous les uns après les autres au premier coup de club, grande jubilation cynique, l'argent ne fait pas le bonheur mais puisque j'en ai je ne crache pas dessus, musicalement sauvez les filles qui ont du chœur et le sax de Gregory qui fait très bien l'affaire. Love is for all time : soyons gentillet, un petit reggae pour se régaler, n'y a pas que l'argent dans la vie, y'a l'amour aussi, faut savoir se rattraper aux branches, certes l'amour c'est bien mais cet accompagnement est aussi nourrissant qu'un sandwich sans pain ni garniture, Chas à la basse tient le morceau sur ses épaules, sur lesquelles Burdon caracole en poussant la barcarolle. My favourite enemy : l'amour ce n'est pas toujours au top, ennemi prend un e au féminin, Burdon chuchote pour mieux piquer sa colère, perso ce qui me fout en rage c'est ce synthétiseur de malheur qui vous aseptise le rock'n'roll et vous le transforme en chansonnette, les Beatles avec leurs harmonies et leur invention seraient bien parvenus à en faire une omelette potable mais ils n'étaient pas dans le studio. Prisoner of the light : avec un autre accompagnement Burdon aurait pu tenir un hit, un superbe numéro vocal, pop anglaise dans toute sa splendeur, comment arrive-t-il à funambuliser si merveilleusement sur cette musiquette si bébête, parfois dans la vie les copains ne vous aident pas, et il vaut mieux être seul que mal accompagné. Being there : y a-t-il un pilote dans l'avion? Oui, il s'appelle Eric Burdon mais son appareil a les ailes cassées, alors il vous le posera en bout de piste et évitera la catastrophe, un prodige, mais l'on aurait préféré un crash landing ! Hard times : ouf ! Enfin cela ressemble à quelque chose, rythmique binaire, le minimum mais chacun y met du sien dans les chœurs, l'on retrouve nos animaux favoris, ceux qui viennent vous manger dans la main pour vous arracher les doigts, preuve par l'absurde que quand la vie vous veut du mal c'est pour votre bien. The night : des lyrics parfaits pour un blues, mais Burdon nous en donne une dramaturgie petite-bourgeoise avec orchestre de variétoche qui filoche à l'emphase, vivement que la nuit s'achève. Pataud. Vaudrait mieux ne pas faire une étude sociologique du public qui a plébiscité ce morceau, l'on serait déçu.

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    Trying to get you : remarquons que la tarte à la guimauve précédente ils ont essayé de la cacher entre deux dolmens qui ressemblent un peu au rock'n'blues, celui-ci est adouci par les synthés et le sax mais l'ensemble possède une bonne tenue et Burdon en profite pour hausser la voix. L'avait intérêt s'il voulait se démarquer d'Elvis ! Just can't get enough : ballade soul balancée, Les sax déversent un baume salvateur sur votre âme asséchée. Ce n'est pas la vie éternelle, mais enfin cela vous donne l'espoir de survivre. Quelques ressemblances avec Depeche Mode... Melt down : encore un truc qui ressemble à ce que je notai précédemment, les Animals courent après la mode et l'air du temps, chien perdu cherche son collier, c'est mignon, gentillet, je ne vous en voudrais pas si vous ajoutez insipide. Gotta get back to you : coucou aux filles sur les chœurs au moins ça change et ça passe le temps, Burdon nous fait le coup du groove qui tue, mais le couteau est émoussé. Ne s'entête pas, écourte les frais. Nous le remercions de ne pas persévérer dans l'erreur. Crystal night : pas vraiment cristallin, le genre de morceau que l'on entonne dans un bar tous ensemble à trois heures du matin, ce qu'il y a de bien c'est que Burdon chante mieux que nous mais si l'on avait le droit de tirer sur le pianiste qui synthétise ce serait mieux. No John no : ( face B du single: The night ) : Price n'a pas signé tout seul uniquement The house of the rising sun, ce morceau ses copains l'avaient renvoyé en face B du single The nigth – il n'y a pas de petite vengeance – une chanson du quotidien tragique de John qui se suicide d'ultra-quotidienne-solitude, pas rancunier le Burdon, nous en sert une version d'autant plus émouvante que la facture de la chanson ressemble à Susanna chantée par The Art Company...

    De tous les disques des Animals, c'est le plus décevant, trop éloigné de leur style si particulier. Et hop, flop pop !

    *

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    Une pochette de Carl Grasso qui avait manifestement partie liée avec IRS la maison de disque pour laquelle il a réalisé pas mal de couves. L'a travaillé avec beaucoup de groupes notamment les Cramps, pas de chance, de touts ces travaux c'est celui qui me laisse le plus dans l'expectative. Comme dirait Hegel j'ai dû mal à entrevoir le concept... Sans doute est-il contenu dans le sous-titre qui ferait de l'objet une sorte de calendrier de l'avent, ce qui me semble mal venu pour un dernier disque...

    GREATEST HITS LIVE !

    ( RIP IT TO SHREDS )

    ANIMALS

    ( 1984 )

    Eric Burdon : vocals / Alan Price : keyboards / Hilton Valentine : guitar / Chas Chandler : bass / John Steel : drums. + Zoot Money : keyboards / Steve Grant : guitar, synthetiser, background vocals / Steve Gregory : saxophones / Nippy Noya : percussion.

    It's too late : public enthousiaste, le son n'est pas parfait, vous avez un synthétiseur qui vient bourdonner dans vos oreilles tel un moustique qui vous empêche de jouir de votre nuit et vous ne pouvez pas l'écraser, la voix de Burdon n'est pas au mieux, une espèce de piano malade qui perd ses dents chaque fois qu'on enfonce une touche, dommage un morceau sur le délicat passage délicat à l'acte, du désir de la violence à la violence, on attend le drame wagnérien et l'on a droit à un allègre sautillement... House of the rising sun : sortent la grosse artillerie dès le début, pas besoin d'avoir un diplôme de troisième année de musicologie pour comprendre comment le disque fonctionne : une musique fluette et pointue et Burdon qui chante à faire exploser les micros, même le solo de Price est bien criard, Burdon se hâte de raccrocher les wagons, que voulez-vous il dépense sa vie dans un rock'n'roll band qui n'est pas au point. It's my life : surprise divine, sont parvenus à une épaisseur phonique équivalente à l'originelle animalière, filou le Burdon chaque fois que l'orchestre devient ruisselet il parle par-dessus, avec cette ruse de sioux le bateau ne coulera pas au fond de l'eau, ce que l'on appelle un passage en force par la porte de derrière. Don't bring me down : difficile de reconnaître le morceau sur l'intro, vous le descendent à la baïonnette non aiguisée. Quelle salade, n'importe quoi, reste le Burdon qui nage entre les gravats tel un aspic en colère qui n'a pas trouvé le sein de Cléopâtre pour y planter son dard mortel. Don't let me be misunderstood : un début qui rappelle les génériques des mauvais films espagnols, Burdon est en voix, force dessus pour que l'on oublie les synthés décintrés, entre la musique qui se casse la figure avec la grâce d'une mémé obèse qui descend les escaliers de la tour Eiffel sur son auguste postérieur et Burdon qui finit par crier comme un goret que l'on saigne il y a de quoi devenir schizophrène. I'm crying : un morceau de roi, le fleuron de la couronne, belle cavalcade derrière, pour une fois les chœurs tiennent la route, passage tambourin burdonien, mais l'on ne s'égare pas, l'on renvoie le riff et la messe est dite. Dieu n'était pas là mais Burdon nous a sauvés. Bring it on home to me : l'intro si inexistante que Burdon parle dessus pour que l'on ne l'entende pas, ensuite cela s'améliore, on peut au moins profiter de la splendeur vocale d'Eric, le sax l'accompagne telle une fleur vénéneuse de nénuphar éclose sur l'eau grisâtre d'un étang boueux, hurlement désespéré d'Eric au final.

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    Oh lucky man : le quart d'heure de gloire d'Alan Price, c'est un peu comme si vous passiez au micro après la Callas, il y met du cœur, évacuez discrètement le cheveu noir dans la soupe au lait. Boom boom : me ferai jamais à ce son de keyboard aigrelet, aigrelaid, aigrelait qu'a mal tourné, toujours Zorro Burdon qui arrive à la fin pour couper les liens de la pauvre Suzie ficelée sur les rails, remarquez la loco qui survient est poussive même si le sax la pousse de toutes ses forces, sur le final vous aimeriez être Suzie pour embrasser le héros qui vous a sauvé de la mort. La fin du morceau est charivarisée dans une pétaudière incongrue, mais vous parvenez à y retrouver vos petits frissons. We 've gotta get out of this place : je perçus les percus et puis un bruit de ressort de carnet à spirale et le Burdon se lance dans une espèce d'impro rap de mauvais augure, la foule bat des mains, et vous de l'aile, enfin une guitare acceptable, Burdon a retrouvé sa voix, l'orchestre a perdu la voie du rock, vaut mieux qu'ils chantent les chœurs que de toucher à leurs instruments. Y a un mec qui tape sur une plaque de fer et il croit qu'il joue de la batterie. Le massacre dure près de huit minutes... When I was young : d'entrée une espèce de sirène de police asthmatique – vous avez envie de vous cotiser pour qu'ils puissent vous faire peur - heureusement que par la suite Burdon se charge de nous faire oublier le désastre, il y parvient, quant aux parties orientalisantes vos rêves de bayadères ont du mal à imaginer les houris qui vous attendent au paradis, elles ressemblent à des souricettes en tutu rose dans un dessin dévitalisé de Disney.

    Vous conseille de trouver le DVD, le son est meilleur, en plus vous les voyez s'agiter sur scène. Ces deux derniers albums jurent un peu trop dans la discographie des Animals. Plusieurs reformations du groupe ont suivi mais Burdon n'étant pas là, nous ne nous y intéresserons pas. Nous disons : pop stop !

    Damie Chad.

    XXX

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

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    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

     

    Cette livraison, nous nous la sommes procurée à prix d'or et grâce à quelques indiscrétions, c'est ce que dans les rédactions des grands magazines l'on appelle les bonnes pages d'un prochain livre à sortir, donc en avant-première nous offrons quelques extraits des Mémoires d'un GSH ( Génie Supérieur de l'Humanité ) de Damie Chad. Elles jettent un jour cru sur la terrible partie qui s'est jouée entre le SSR et les autorités défaillantes de notre pays. Nous alertons notre lectorat féminin qu'il pourrait être choqué par la violence de certaines scènes.

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    Je m'amusais comme un fou. J'avais dérobé un énorme SUV muni de gros pare-chocs, je surgissais comme un madurle sur l'arrière d'innocentes voitures, mettant le clignoteur pour leur faire signe que j'allais les dépasser, et plouf ! à peine m'étais-je décalé sur la gauche que je me rabattais sur la droite et les envoyais bouler dans les décors, les filles criaient Olé ! Le Chef relâchait de son Coronado un énorme nuage de fumée noire en signe de deuil. Puis prenant une voix onctueuse de prélat à l'office des morts il déclarait : Nous ne sommes pas les gardiens de l'Humanité, nous sommes ici juste pour sauver le rock'n'roll !

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    Hélas, ce jeu innocent se termina lorsque Vince m'indiqua de tourner sur une mince route départementale qui bientôt perdit son goudron et s'atrophia à tel point qu'elle devint un chemin vicinal de plus en plus étroit qui finit en cul de sac devant un mur de pierre.

      • Nous ne sommes qu'à trois cents mètres de la Villa aux Ormeaux, et nous sommes exactement dans la Villa aux Ormeaux, voyant nos visages interrogatifs Vince se hâta d'expliquer, une petite dépendance, un pavillon de chasse, devant lequel se dresse le deuxième ormeau du domaine. C'était un peu la garçonnière de Ludovic, nous l'avons souvent utilisée quand nous étions jeunes. J'en ai toujours une clef sur moi, cela peut servir à l'occasion. A la nuit tombée nous irons délivrer Ludo.

    122

    La nuit était tombée. Nous nous étions entassés dans la petite cuisine où nous nous étions restaurés. Ludo et Vince avaient pensé à tout, provisions a gogo et quelques armes. Au-dehors il faisait noir, les filles sursautèrent lorsqu'elle entendirent les hurlements des loups

      • Ils viennent d'Italie nous renseigna Vince, n'ayez pas peur les filles nous n'avons pas besoin de sortir, nous allons emprunter un souterrain !

        Déjà le Chef avait arrêté son plan d'action :

      • Deux groupes, les hommes formeront le trio d'attaque, les filles nous suivront à trente mètres, nous prenons les pistolets et les revolvers, et le trio de soutien féminin les fusils à canon scié, pas besoin de savoir viser pour tirer, Agent Chad prenez la tête, Vince à trois mètres derrière vous, écoutez ses conseils il connaît les lieux, moi derrière un Coronado aux lèvres ! Action immédiate.

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    Sous la table un tapis. Sous le tapis une trappe. Sous la trappe un escalier obscur dans lequel je m'engageai sans peur car un agent du SSR n'a jamais peur. Vince me suivait et m'éclairait d'une lampe torche. Le boyau n'était pas large mais n'offrait pas de difficulté. Il montait et descendait, des marches avaient été façonnées pour aider la marche. Au bout d'un quart d'heure je butai contre une porte.

      • La porte donne dans une armoire, me souffla Vince qui s'était rapproché pour les dernières instructions, tu te retrouves derrière des casiers à bouteilles, tu les pousses sans problème et sans bruit ils sont montés sur des roulettes huilées, tu te retrouves dans la cave. Droit devant un escalier, la porte donne sur le fond du couloir qui sépare la maison en deux, trois pièces de chaque côté. A toi d'improviser.

    125

    Ce fut facile. Le couloir était plongé das le noir, sous une porte filtrait un rai de lumière, des bruits de voix me parvenaient. Je regardais par le trou de la serrure. Ils étaient trois autour de Ludovic torse nu et les mains liées dans le dos. Se servaient de lui comme d'un punching ball qu'ils se renvoyaient de l'un à l'autre à coups de poing.

      • Parle crapule, on veut tout savoir sur Vince et ses copains !

      • Tu ne les connais pas, pim, pam, pum

      • Et Vince non plus, pim pam,

      • Juste un ami de maternelle ! l'avait du cran le Ludo, l'encaissait bien,

      • Déjà, pim, pam, poum, tu vois, pim, pam, poum, tu choisissais mal tes amis, pim, pam, poum, un sale activiste qui inonde la côte d'azur de brochures rock'n'roll !

      • Eh bien, pim, pam, poum, tu n'as pas de chance, celui qui ordonne déteste le rock'n'roll, et ces mecs on va les dessouder un par un, pim, pam, poum

    D'un coup de pied j'ouvris la porte et tirai une bastos en plein dans la tête de celui qui paraissait le plus gros, de la cervelle avait giclé sur le mur, et de glauques filaments pendaient sur le lustre, les deux qui restaient étaient sidérés, il me fallait profiter de la surprise.

      • Toi là, le plus maigre si tu tiens à la vie tu me donnes le nom de celui qui commande, ou tu vas subir le même sort que ton copain, je te laisse une demi-seconde pour répondre.

    Le mec ne devait pas tenir beaucoup à la vie, il me toisa d'un sourire méprisant, peut-être qu'il avait la tête dure, mais pas tant que ça, quand le bastos lui brisa le crâne sa cervelle sauta en l'air fit trois fois le tour sur elle-même comme une crêpe le jour de la chandeleur, elle retomba avec un bruit mou sur le plancher.

      • A toi le numéro trois, pareil que ton copain si tu ne donnes pas le nom du commandeur suprême !

      • C'est... c'est... l'homme à deux mains... lui-même !

      • Très bien je m'en doutais, et n'oublie pas que l'homme avec une ou deux mains est un loup pour l'homme, sur cette courte leçon de philosophie, je lui fis sauter le caisson, peu de cervelle coula, preuve qu'il n'en n'avait pas beaucoup.

      • Parfait Agent Chad, la silhouette du Chef s'encadrait dans l'embrasure de la porte, Vince occupe-toi de Ludo et ramène-le au chalet, l'a besoin de soin et d'un coup de jack dans le gosier pour le remonter. Agent Chad avec moi dans la cuisine, sous la gazinière nous trouvâmes deux bouteilles de gaz butane dont nous nous emparâmes, les filles survinrent à point, Charlotte fenêtre de gauche de devant, Charlène fenêtre de droite, Brunette tu ouvriras la porte lorsque tu verras le feu d'artifice !

    Le Chef et moi restâmes derrière la porte d'entrée, j'enlevais les petites capsules qui libérèrent le gaz, avec son Coronado le Chef l'enflamma, nous avions en main deux gros chalumeaux, Brunette ouvrit la porte, déjà les butagaz roulaient vers les estafettes de gendarmerie, ils n'eurent pas le temps de descendre, chacun de nous deux tira sur une des bouteilles qui toutes deux explosèrent et embrasèrent les véhicules.

    Nous n'en avions pas fini, à droite et à gauche des phares balayèrent l'asphalte et deux cars de gendarmerie sortis d'on ne sait où pilèrent devant la villa. Z'étaient une quarantaine qui se ruaient vers la maison, n'allèrent pas loin, depuis les fenêtres les filles les arrosèrent méthodiquement, nous les aidâmes un peu de notre artillerie personnelle, cinq minutes plus tard, z'étaient tous morts...

      • Repli stratégique, ordonna le Chef, Agent Chad, vous passerez en dernier, vous remettrez les casiers à bouteilles correctement, rejoignez-nous au plus vite, la piste sanglante ne fait que commencer...

                                                                                                                                          A suivre...

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 496 : KR'TNT ! 496: P. F. SLOAN / COWBOYS FROM OUTERSPACE / CRASHBIRDS / CROAK / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XIX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 496

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    04 / 02 / 2021

     

    P. F. SLOAN / COWBOYS FROM OUTERSPACE

    CRASHBIRDS / CROAK / ANIMALS

    ROCKAMBOLESQUES 19

     

    Sloan square

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    P.F. Sloan a mené une vie tellement incroyable et traversé de si mauvaises passes qu’il n’ose pas les raconter normalement. Qui le croirait ? Alors, pour contourner l’obstacle, il transforme certains épisodes extra-ordinaires de sa vie en contes. Ainsi personne n’est obligé de le croire. Dans les temps reculés, on appelait les gens comme Sloan des magiciens. Pour raconter son histoire, Sloan fait des tours de magie et les rassemble dans un livre qui porte le nom d’une de ses chansons, What’s Exactly The Matter With Me? Memoirs Of A Life In Music, car en plus d’être un conteur magique extra-ordinaire, Sloan est aussi un grand compositeur de chansons. Enfin, n’allons pas trop vite. Il n’est pas connu du plus grand nombre, mais il lui suffisait d’être simplement l’ami de Bob Dylan et de Brian Epstein, il n’en demandait pas davantage. Issu de la Surf culture, Sloan émergea dans les early sixties avec un réel talent d’auteur-compositeur et les médias firent de lui une sorte de sous-Dylan coiffé de la casquette de Donovan. «The Eve Of Destruction», c’est lui. Remember ?

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    Si vous lisez son livre, vous écouterez ses disques d’une autre oreille. C’est valable dans beaucoup de cas, mais ça l’est encore plus dans le cas de Sloan. Il navigue exactement au même niveau d’excellence littéraire que Bob Dylan qui, souvenez-vous, reçut le Nobel de littérature pour Chronicles. Sloan mérite aussi un Nobel pour son autobio, mais vu qu’il a cassé sa pipe en bois voici 5 ans, le Nobel ne lui serait plus d’un grand secours.

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    On va simplement prendre un exemple pour bien situer les choses. Sloan a 15 ans lorsqu’il se rend avec sa guitare chez Wallach’s Music City sur Sunset and Vine, à Los Angeles. Ce magasin énorme vend des disques, des instruments et des partitions. Son père lui a offert cette guitare mais il ne sait pas en jouer. Il pense trouver de l’aide chez Wallach. Lorsqu’il arrive, la rue est bouchée : des centaines de filles s’entassent devant le magasin. Sloan se fraye un passage et le flic qui bloque l’entrée le laisse passer, sans doute à cause de la guitare. À l’intérieur du magasin, les lumières sont éteintes. Sloan trouve un mec derrière un comptoir qui lui demande ce qu’il fait là. Sloan répond que le flic l’a laissé entrer. Puis il explique qu’il ne sait pas quoi faire avec toutes ces cordes sur la guitare. «Tout ce qu’il te faut, kid, c’est une bonne méthode», lui répond le mec. Soudain, le mec du comptoir se transforme en silhouette en carton, cardboard man. Sloan ne sait quoi penser. Il entend ensuite des pas dans l’escalier qui descend de l’étage. Sloan voit apparaître Elvis. Incroyable ! Sloan sent aussitôt son incroyable énergie. Elvis le fixe dans le blanc des yeux. Puis il voit la guitare. «J’imagine que tu veux apprendre à en jouer, son», dit-il. «Yes sir I would», répond Sloan. Alors Elvis se place derrière Sloan et lui positionne les doigts de la main gauche sur le manche pour former un Ré. Puis il place un médiator dans la main droite de Sloan, lui montre le mouvement du grattage d’accord et chante dans son oreille «Love me ten-der... love me... true...». Elvis repose alors la guitare sur le comptoir et dit à Sloan : «J’avais une guitare avec du cuir comme celle d’Hank Williams et j’en étais très content mais pas le Colonel Tom. Le Colonel veut de l’or. Mais une guitare en or est trop lourde pour en jouer. Il ne comprend pas ça.» Et Sloan sent alors l’immense tristesse d’Elvis. Il est sidéré de voir que l’homme le plus célèbre du monde est triste. Elvis signe ensuite un autographe pour la sœur de Sloan, sans que Sloan lui ait dit qu’il avait une sœur, lui tapote affectueusement l’épaule et remonte l’escalier par lequel il est arrivé. Il s’arrête au milieu des marches, se tourne vers Sloan et lui lance : «Je sais que tu vas réussir», avant de disparaître. En guise de chute, Sloan raconte l’histoire à sa sœur qui lui répond qu’il est complètement siphonné. Alors pour lui prouver que c’est vrai, il lui donne l’autographe et voilà qu’elle s’énerve : «N’importe qui peut imiter la signature d’Elvis ! Si tu continues à raconter ce genre de conneries, tu finiras à l’asile de fous !».

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    L’autre personnage clé du monde magique de Sloan, c’est Bob Dylan qui apparaît à plusieurs reprises dans le cours du récit. En 1964, Dylan est à Los Angeles et il veut rencontrer Sloan. Il a pris une chambre au Continental Hotel sur Sunset. Sloan arrive au 14e étage. Bob l’accueille chaleureusement et lui dit :

    — Adler ne veut pas que je te parle, man...

    — Yeah, il craint que tu aies une mauvaise influence sur moi, car tu es considéré comme subversif. Adler pense que je fais déjà pas mal de ravages chez Dunhill, mais il ne m’a pas encore viré.

    — Alors continue de composer des hits. Ça devrait leur clouer le bec.

    Puis Bob dit qu’il voudrait lui faire écouter un truc. Ils s’assoient tous les deux sur le tapis et Bob pose sur son tourne disque portable un acétate de Highway 61 Revisited. Sloan précise qu’un acétate est un objet fragile qu’on ne peut utiliser que 5 ou 6 fois avant qu’il ne se détériore.

    — Columbia ne veut pas le sortir, parce qu’ils ne savent pas comment le vendre.

    En écoutant «Ballad Of A Thin Man», Sloan éclate de rire. Alors Bob se marre avec lui :

    — You get it ! Thnak God you get it !

    Sloan réalise qu’il entend un mélange révolutionnaire de poésie moderne de très haut niveau et d’humour.

    — C’est du Chaplin ! Non, c’est Fellini et Chaplin dans du Picasso !

    La visage de Bob s’éclaire, ils écoutent tous les morceaux et se pâment de rire sur le tapis, ils réécoutent l’album encore une fois et Bob lui demande de choisir un cut. Cadeau. Sloan choisit «Ballad Of A Thin Man». Puis on frappe à la porte. C’est David Crosby. Il porte un chapeau mauve et une cape. Il n’aime pas Sloan qu’il juge illégitime. Pourquoi ? Parce qu’il a écrit de la surf music pour Terry Melcher et Jan & Dean. Crosby considère qu’il se situe à une autre échelle avec les Byrds, alors quand il voit Sloan assis sur le tapis avec son idole, il s’étrangle de rage : «Qu’est-ce qu’il fout ici celui-là ?». Dylan lui dit de la fermer. Crosby insiste pour dire que Sloan est un tocard. Dylan lui rétorque : «Si Sloan est un tocard, moi aussi !». Alors Dylan prend Crosby par le bras, j’ai un mot à te dire, et il le fait entrer dans la salle de bain. Sloan se lève et va s’asseoir sur le canapé pour attendre. Il entend Dylan crier dans la salle de bain. Il entend aussi des bruits de gifles et la voix de Crosby qui dit : «Je ne savais pas ! Je ne savais pas !». Soudain, la porte de la chambre s’ouvre et Sloan voit apparaître deux blondes avec les seins à l’air. Elle portent des pantalons de pirates et demandent si Monsieur Zimmermann est là. Sloan leur dit qu’il sera là dans une minute et les deux blondes s’assoient sur le canapé de part et d’autre de Sloan. Les voilà assis tous les trois dans un silence surnaturel, avec des bruits de gifles provenant de la salle de bain. Soudain Sloan voit une corde et un mec déguisé en Zorro se laisse glisser sur le balcon. Il entre dans la pièce, se dirige vers Sloan et lui demande s’il est monsieur Zimmermann. Sloan lui répond qu’il sera là dans une minute. Crosby finit par sortir de la salle de bain et en partant, il dit à Sloan qu’il s’excuse et qu’il ne savait pas. Sloan réalise alors qu’il est dans une chanson de Dylan. Justement le voilà qui sort à son tour de la salle de bain. Il voit les deux filles et Zorro, et demande à Sloan : «Aurais-je raté un épisode ?». Rien d’important, lui répond Sloan. Alors Dylan entre dans son rôle de protecteur/prédicateur :

    — Je voulais te dire un truc important, Phil. Les mecs de Dunhill vont te mettre en pièces. Tu es en danger avec eux.

    Phil lui dit qu’il va faire gaffe. En guise de chute à cette merveille d’inventivité, Sloan dit que sa visite à Dylan fut découverte par les mecs de Dunhill et qu’il fut viré comme un chien. Mais quand il indiqua à Adler que Dylan lui avait filé une chanson, il fut réincorporé sur le champ.

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    En plus d’Elvis et de Dylan, Sloan jouit pendant la période heureuse de sa jeunesse californienne du privilège de croiser une belle palanquée de rock stars : John Phillips, les Turtles, Phil Ochs, Buffalo Springfield, les Byrds, Jimmy Webb et les Stones. Il fait d’ailleurs un conte de sa nuit passée avec les Stones. Oh pas au lit, mais en studio. Ils sont à Los Angeles et une nuit Jag appelle Sloan pour lui demander de venir les aider. Quel studio ? RCA sur Sunset. Jag explique qu’ils viennent de virer du studio leur producteur Andrew Loog Oldham et qu’il leur faut un coup de main pour enregistrer «Paint It Black». Quand Sloan arrive, le studio est plongé dans l’ombre. Keef est sur une chaise près du control room, Bill debout contre un mur en train de dormir, Charlie est assis près de son kit, lisant un roman avec une petite lampe torche et Brian sommeille, enveloppé dans une cape et assis sur une chaise. Jag qui est dans le control room décide d’enregistrer Paint et Sloan voit un groupe incroyablement professionnel à l’œuvre. Sloan repère un gros étui dans un coin. C’est le sitar de Keef. Sloan suggère alors à Keef d’en jouer sur Pain. Tout le monde pense que Brian joue du sitar sur Paint, mais cette nuit-là, ce n’est pas nous dit Sloan ce qu’il a vu. Le conte démarre véritablement lorsque Sloan sort du studio aux première lueurs de l’aube. Libre à vous de le découvrir.

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    Sloan est très lié avec Jan & Dean qui furent rappelons-le des méga-stars en Californie. Le problème c’est que Jan Berry interdit à Dean Torrence de chanter les parties de falsetto lors des enregistrements. C’est Sloan qui les fait - Jan was a lovable despot and tyrant - Sloan lui reconnaît en plus un don pour faire travailler les gens à l’œil. Il privilégiait l’efficacité plutôt que l’esprit. Après son accident, Jan va rester invalide un bout de temps et le premier à s’occuper de lui sera bien sûr Dean Torrence - He was the most loving friend one could ever hope for - Et puis voilà les Turtles. Pour Sloan, ils étaient extrêmement doués - This was a group with a unique sound - Ils savaient très bien qu’ils n’avaient pas de look, il ressemblaient simplement aux gens qui achetaient leurs disques. En plus nous dit Sloan Volman et Kaylan étaient un peu grassouillets, donc pas des rock stars. Sloan ajoute qu’en dépit de leurs tubes, les Turtles furent toujours considérés comme une groupe de second ordre. Mais ils n’étaient pas les seuls à ne pas être pris au sérieux - On n’avait aucun respect à Los Angeles pour les groupes locaux, Buffalo Springfield, les Turtles, les Byrds, les Doors n’étaient pas des vrais groupes comme pouvaient l’être les Beatles et les Stones - À tel point qu’un jour Howard Kaylan fit choqué d’entendre Lennon lui dire qu’il admirait les disques des Turtles. Pour Sloan, 1965 est donc l’année du feu de Dieu, avec «Eve Of Destruction» et la tournée européenne, dix chansons dans les charts américains, les Searchers, les Mamas & the Papas, les Byrds, les harmonies vocales avec Jan & Dean, l’album de Barry McGuire, les Grass Roots, la rencontre avec Bob Dylan au Continental Hotel. Oui, Sloan fricote avec la crème de la crème. Il rencontre aussi Phil Ochs qui est à ses yeux une sorte de mélange de Woody Guthrie et de Peter Seeger, comme l’est d’ailleurs Dylan. Sloan voit régulièrement Phil Ochs dans sa petite maison de Laurel Canyon, où il gratouille l’acou en compagnie de David Blue et d’Eric Anderson. Sloan détecte très vite chez Ochs une fragilité - C’était un brillant personnage, mais on sentait que son cœur se brisait. Tous ceux qui l’aimaient le sentaient. Il essayait de convaincre les gens que ça faisait partie du personnage de poète au cœur brisé - Sloan va encore plus loin en disant qu’il lui manque un truc : le cœur. Ils parlent ensemble d’Elvis pendant des heures. Ochs demande alors à Sloan ce qu’a Bob Dylan de plus que lui, alors Sloan lui répond : «L’amour d’Elvis Presley.» Ochs n’en revient pas. Quoi ? Il cherche à comprendre.

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    Alors Sloan lui explique : «Elvis est un interprète exceptionnel, il est même surnaturel. Et pas que lui. Il y a aussi son groupe. Il avait l’un des plus grands groupes qui ait jamais existé. Quand tu les entends jouer, tu entends l’éternité. Elvis chante comme un dieu, mais son groupe sonne comme le meilleur jazz band qui ait jamais existé.» Sloan parle bien sûr de Scotty Moore, Bill Black et D.J. Fontana. Ochs est tellement bouleversé par cette révélation qu’il va un peu plus tard chez Nudie s’acheter un costume en or, comme celui d’Elvis. C’est le costume qu’il porte sur la pochette de Greatest Hits.

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    Dans son introduction, le co-auter S.E. Feinberg revient sur la notion de profondeur et sur Phil Ochs : «Il n’existait pas beaucoup d’artistes profonds (deep est un mot-image difficile à traduire en français). Janis Joplin, Phil Ochs, Bryan McLean, Bobby Darin Bob Dylan étaient deep. And P.F. Sloan was deep.» D’ailleurs Sloan connaît bien Janis et il la voit morfler autant que lui, mais dit-il si je ne pouvais m’aider moi-même, comment aurais-je pu l’aider elle ? Enfin il le dit à l’envers, ce qui revient au même : «Si je n’ai pas pu l’aider, comment aurais-je m’aider ?». Et il ajoute, du fond de son insondable chagrin : «Quand on m’a dit qu’elle était morte, j’étais soulagé pour elle, aussi bizarre que cela puisse paraître. Janis faisait partie du peuple et elle chantait pour le peuple. Quand les gens du business (the corporate types) ont mis leurs sales pattes sur elle pour en faire une Barbra Streisand, elle a dit okay et puis elle est morte.» Sloan dit aussi que de tous les artistes qu’il a pu connaître, Janis struck the deepest chord, c’est-à-dire qu’elle était la plus sincère.

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    Quand Barry McGuire enregistre «Eve Of Destruction» au Western Recorders sur Sunset, Sloan joue de la guitare et de l’harmo, Hal Blaine bat le beurre et Larry Knechtel bassmatique, avec Bones Howe dans le rôle de l’ingé-son. Sloan parle d’une session d’enregistrement magique. Bones dit à Lou Adler que c’est un hit, Larry Knechtel dit qu’il y a trop d’énergie là-dedans et Steve Barri feint de s’intéresser à la conversation. Eve explose en Europe, d’où la tournée organisée par Brian Epstein. Sloan participe aussi au fameux Fantasy Fair de Marin County qui a lieu une semaine avant le Monterey Pop festival. Mais comme le Fantasy Fair n’est ni enregistré ni filmé, il disparaît des mémoires. Sloan se souvient que tout le monde était comme lui sous LSD, ce qui rendit l’épisode particulièrement magique. On lui a dit après coup qu’il avait joué un solo de vingt minutes dont il n’avait aucun souvenir. Il découvre aussi la merveilleuse résonance d’une guitare désaccordée, en écoutant Quicksilver.

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    L’autre grand moment du book, c’est l’épisode du traficotage de «Mr Tambourine Man», le hit qui allait lancer la carrière des Byrds. Terry Melcher essaye de lancer les Byrds, mais Columbia ne voulait ni des Byrds ni de Terry Melcher qui allait se faire virer. Sloan qui connaît bien Terry pour l’avoir accompagné lors des sessions de Bruce & Terry le rejoint dans le control room du studio. Terry a une déjà une version de Tambourine Man enregistrée qui a été rejetée. Terry s’interroge. Ce Tambourine ne marche pas. Pourquoi ? Sloan lui dit : «L’écho !». En effet, pour Bruce & Terry, ils avaient passé la guitare à travers une série de chambres d’écho et du coup, le son est énorme. Terry s’adresse alors à l’ingé-son présent dans le control room et lui demande de connecter toutes les chambres d’écho du studio. Le mec dit non, il faut une autorisation écrite. Terry se marre. Tu sais à qui tu parles ? Le mec dit oui et qu’il s’en fout. Tu sais qui est ma mère ? M’en fous de ta mère dit le mec. Alors Terry lui dit qu’il est le fil de Doris Day et là tout change. «Bon, je dois aller demander à mon chef», et il sort du studio. Alors Sloan et Terry barricadent la porte derrière lui et connectent toutes les chambres d’écho pour gonfler le son de Tambourine Man. Ils ne disposent que d’une heure avant de se faire virer du studio. Alors ils envoient la guitare de McGuinn à travers a reverb unit, puis à travers une autre et encore une autre - The guitar popped - Ils appliquent ensuite le même process à la basse de Joe Osborne, aux drums d’Hal Blaine et au tambourin, puis une triple couche de reverb layers sur la voix - The result is what you hear on the record - et soudain Terry s’exclame : «It’s alive !». Au même moment la sécurité tape dans la porte - Open the door ! - Terry appuie sur le play et fout le Tambourine Man à fond. Puis il va ouvrir la porte et le mec de la sécurité leur ordonne de quitter l’immeuble sur le champ. Comme on le voit, le rock n’est jamais ce que l’on croit et pas non plus une activité de tout repos. Ce book n’est fait quasiment que de ça, de petits épisodes révélatoires qui en disent long sur la coulisse de la culasse, autrement dit l’envers du décor.

    Il est essentiel de rappeler que Sloan et Terry Melcher viennent de la scène surf californienne - Jan, Dean, Bruce Johnston, Terry Melcher, Roger Christian, Don Altfeld, Gary Usher and Brian Wilson were the genius innovators of this new sound - Dans les early sixties, Sloan joue dans les Fantastic Baggys qui s’appelaient au début les Baggys, et puis le jour où les Stones débarquent à Los Angeles pour la première fois, on leur fait écouter l’album des Baggys, et Jag saute en l’air et dit : «It’s fantastic !». Du coups les Baggys sont devenus les Fantastic Baggys. C’est l’humour de Sloan, cette nonchalante manière de retourner les anecdotes comme des crêpes. Sloan ajoute que Bruce & Terry, c’est-à-dire Bruce Johnston et Terry Melcher, ont ré-enregistré les cuts que Sloan avait composés pour les Fantastic Baggys. Une mine d’or.

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    Sloan fit partie du fameux Wrecking Crew, avec Hal Blaine, Joe Osborne ou encore Leon Russell - J’avais 15 ans quand j’ai rencontré Leon Russell et ses cheveux commençaient à blanchir. Il avait un fort accent sudiste et il prononçait Flip en deux temps - Hi-ya, Fli-ip - Leon pouvait transformer n’importe quelle petite chanson ordinaire en concerto ou en swamp boogie. Il maîtrisait tous les styles. Il imaginait des grooves auxquels nous n’aurions jamais pensé - Et puis voilà Carol Kaye, la fantastique bassiste du Wrecking Crew qu’on voit toujours assise avec sa basse - Elle était la seule femme du Wrecking Crew. Elle entendait pas mal de blagues mais elle n’avait aucun problème avec ça. Elle était très demandée car elle bossait sur toutes les sessions importantes, Sinatra, Elvis Presley, Phil Spector, puis elle finit par travailler exclusivement pour Brian Wilson. La dernière fois que j’ai bossé avec elle c’était en 2010. Frank Black était à Los Angeles pour enregistrer Fast Man-Raider Man et il m’engagea pour jouer du piano. Il me demanda quel bassman il devait engager et je lui ai dit Carol qui avait alors plus de 70 ans, mais qui avait l’énergie d’une femme de 30 ans.

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    Sloan dit aussi que le fameux wall of sound fut créé par Larry Levine, qui était ingé-son adjoint au Gold Star studio : Larry installait un micro qui captait tout au milieu du studio et qui envoyait le son dans une chambre d’écho, d’où l’énormité. Bones Howe fait partie de l’équipe des ingés son du Wrecking Crew, un Bones qui produira par la suite the Association, les Turtles, the Fifth Dimension et les Monkees. Sloan ajoute que comme tous ceux qui y ont bossé, Bones va quitter Dunhill scarred and damaged, c’est-à-dire terrifié et en très mauvais état. On va voir ça dans le détail un peu plus loin.

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    Avec le premier voyage en Inde qu’il fera beaucoup plus tard, l’un des points lumineux de ce récit est l’amitié que noue Sloan avec Jimmy Webb. En fait c’est Webb qui veut rencontrer Sloan, car il a besoin d’aide. Il compose mais ses compos ne passent pas. Il envisage même de rentrer en Oklahoma. Sloan lui dit qu’il connaît bien le problème, car on rejette aussi ses compos. Ah bon ? C’est une blague ? Webb demande comment s’appelle son publisher et Sloan lui dit Trousdale, out of Dunhill. Webb se marre et lui dit que ça sonne comme trou de balle. Il s’assoit ensuite au piano et commence à jouer ses compos pour avoir l’avis de Sloan. Il commence par «Wichita Lineman», puis il enchaîne avec «MacArthur Park» et «By The Time I Get To Phoenix». Sloan est scié, comme lorsque que Dylan lui faisait écouter l’acétate d’Highway 61. Webb précise qu’il a prévu un passage instrumental dans MacArthur Park, mais pense-t-il, personne n’en voudra. Sloan lui dit au contraire de charger l’orchestration - Play it from the top with the instrumental section - En conclusion, Sloan dit que ces trois cuts sont des major hits. Même celui qui est long ?, demande Webb. Surtout celui qui est long, lui dit Sloan. Il ne s’est pas trop fourré le doigt dans l’œil, car «MacArthur Park» allait devenir l’un des plus grands hits de tous les temps. Même long. Surtout long.

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    L’autre grand point de repère dans la saga Sloan, c’est John Phillips et les Mamas & The Papas. Sloan participa à la première séance d’enregistrement du groupe et nota chez eux un profond mépris de Lou Adler et de l’autorité en général. Avec Sloan se trouvaient Hal Blaine et Joe Osborne. Sloan sentait bien que John Phillips avait la carrure d’une star. Cette première session fut idéale nous dit Sloan, car sans drogues, ce qui n’allait pas être le cas des suivantes, où ils pensaient qu’avec les meilleures drogues ils allaient faire de la meilleure musique ce qui bien sût n’était pas possible, précise gentiment Sloan. Il indique aussi que Jay Lasker haïssait les Mamas & the Papas comme il haïssait les hippies en général. Quant à Lou Adler, il les appréciait d’autant plus qu’il louchait sur la jeune et nubile Michelle Phillips. C’est finalement Lasker qui allait réussir à détruire le groupe. Adler et John Phillips, ça ne vous rappelle rien ? Oui, Monterey. Alors nous y voilà. Sloan participe à la session d’enregistrement du fameux «San Francisco» de Scott McKenzie, qu’a composé John Phillips pour promouvoir le festival à venir. Phillips était alors en plein power trip et se comportait en tyran sous l’influence des drogues - Drugs were starting to make a serious play on John’s mind, et je n’étais pas le seul à sentir ce vent de folie - Adler invite les stars que l’on sait pour son festival, mais nous dit Sloan il n’y tenait pas plus que ça. Il voulait juste les Mamas & The Papas en tête d’affiche. Adler organise chez lui une fête en amont du festival où sont invitées toutes les stars locales, de Paul Simon à Croz en passant par Cass Elliott et Stephen Stills. Parmi les invités se trouve Derek Taylor, l’attaché de presse des Beatles que pressure Adler pour avoir les Beatles à l’affiche du festival. Sloan et Jimmy Webb se rendent à cette fête et s’y sentent très mal : «C’est comme si Jimmy et moi étions deux journalistes juifs qui entraient dans une réunion du haut commandement nazi à la recherche d’un scoop.» Sloan épingle au passage les goûts d’Adler qui a transformé sa baraque en palais royal marocain. Jimmy et lui se sentent ignorés, alors ils sortent sur le balcon. C’est là que John Phillips, coiffé de sa toque cosaque vient trouver Sloan. Il veut lui parler en privé. Direction la cuisine et pouf ! Phillips pique sa crise et dit à Sloan tout le mal qu’il pense de son jeu de guitare. Il ne veut plus de lui en studio ! Sloan est scié car il a amené des trucs comme «Monday Monday» et la guitare sur «California Dreaming», c’est lui. La conversation tourne au vinaigre. Fuck you Phillips ! Quoi ? Fuck me ? Oui fuck you, je vous ai aidé à créer votre son ! Furieux Phillips rétorque que n’importe quel cloporte de studio en aurait fait autant. Et là Sloan sort de ses gonds : «Sans les cloportes de studio vous en seriez encore à faire des backing vocals pour McGuire !». Alors Phillips attrape un couteau de cuisine et informe Sloan que s’il met les pieds à Monterey, il le tuera. Compris ? Sloan répond qu’il ira où ça lui plaira - Phillips gave a kind of demonic chuckle, c’est-à-dire qu’il ricana comme le diable - Choqué par tant de haine, Sloan décide de quitter la fête, mais comme il ne trouve pas Jimmy Webb, il repart seul. De son côté Jimmy Webb le cherchait et ne le trouvant pas, il a aussi quitté la fête, mais il a écrit une chanson magique qui s’appelle «P.F. Sloan» - I’ve been seeking P.F. Sloan/ But no one knows where he has gone - Voilà encore un épisode dramatique que Sloan transforme en conte magique.

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    Bien sûr, Sloan se rend à Monterey. Il attend à l’entrée et Jimi Hendrix lui propose de le faire entrer dans sa limousine. Sous la tente de la presse, Sloan retrouve Derek Taylor avec lequel il s’entend bien car Brian Epstein lui a dit qu’il était one of the lads. Dans cette séquence, tous les personnages apparaissent comme des personnages de conte : Derek Taylor comprend que l’ambiance est pourrie, alors il ramasse ses cliques et ses claques et dit à Sloan d’en faire autant. Mama Cass prévient Sloan que Phillips le cherche et lui conseille de quitter le festival. Assis à côté d’elle, Brian Jones demande à Sloan de s’éloigner à cause du danger qu’il représente. Mais Sloan est venu voir les Who et il voit les Who. Vers la fin du livre, Sloan précise toutefois que John Phillips finira par lui présenter des excuses.

    Sloan donne aussi des aperçus de lui-même qui augmentent encore son crédit auprès du lecteur. Il y a quelque chose d’infiniment stendhalien chez Sloan, un vision du monde unique portée par un style très pur : «En tant que juif et donc outsider, je ressentais une profonde connexion avec les Noirs américains. Je vivais le même genre de préjudice. À mes yeux, le rock’n’roll vient de là. Elvis Presley fut un kid défavorisé. Il a vécu la pauvreté et ça ne lui correspondait pas. Le rock, la Soul, le blues et la country s’enracinent dans la pauvreté, dans le préjudice et la solitude. Que fait un kid confronté à tout ça ? Il crée. Il entre en contact avec le monde des outsiders, c’est-à-dire le monde des gens qui pensent qu’ils sont seuls. Et lorsqu’ils découvrent qu’ils ne sont pas seuls, ça leur change la vie. Même à notre époque qui est celle de l’immédiateté et du social media, beaucoup de gens sont encore seuls. Il y en a même peut-être encore plus qu’avant.» C’est criant de vérité. Sloan dit aussi qu’il faut mettre du contenu dans les chansons, ce qui n’était pas du tout dans les mœurs à cette époque : «Le label (Dunhill) pensait que les chansons ne servaient qu’à vendre des disques et non à explorer le monde intérieur. Leave that to F. Scott Fitzgerald or John Steinbeck or Bob Dylan.» Sloan tient bon, il met du contenu dans ses chansons. Mais la pression est terrible, il s’en plaint. Même s’il est auteur à succès, il sent qu’il est en train de couler : «J’aurais bien aimé avoir quelqu’un à qui parler. Un Brian Epstein. Mais j’appartenais à Dunhill. Je ne pouvais pas parler à mes parents. Et de quoi allais-je me plaindre ? Tout marchait bien. J’avais 20 ans, beaucoup de succès et je me demandais si j’allais encore pouvoir tenir une semaine.»

    Sloan fait aussi pas mal de ravages avec son humour. Il vient de composer «Eve Of Destruction» et veut lire les paroles à sa mère, qui lui dit non, pas ce soir, tu vas réveiller ton père. Quand il joue la chanson à son «copain» Steve Barri, celui-ci lève les bras au ciel et s’exclame : «I hate that kind of shit!». Quant à Adler, il ne voit aucun avenir dans ce qu’il appelle ‘le folk’. Chacun sait qu’Eve va être l’un des plus gros hits des sixties.

    Alors nous y voilà. Comme dans tous les contes, il y a les bons et les méchants. Les méchants, c’est Dunhill, c’est-à-dire l’employeur de Sloan. Dunhill paye Sloan et Steve Barri pour composer des tubes. En fait c’est Sloan qui fait tout le boulot et ce n’est pas sans une certaine amertume qu’il voit le copain Barri vivre des royalties de tubes qu’il n’a pas composés. Alors ça passe mieux dans l’univers d’un conte. Les deux patrons du label sont Lou Adler et Jay Lasker. Sloan ne les épargne pas, d’ailleurs, ils ne l’ont pas épargné non plus. Sloan commence par de petites insinuations du style : «Jan Berry ne payait pas très cher ses musiciens et Adler lui fit comprendre qu’on - c’est-à-dire Sloan et Barri - lui coûterait encore moins cher. Pour faire avancer les albums de Jan & Dean, Adler utilisait la méthode du bâton et de la carotte.» Quand Sloan reçoit la démo du premier 45 tours des Beatles que lui envoie Brian Epstein en 1963, il la fait écouter à Lou Adler en lui disant que ces Anglais allaient devenir encore plus énormes qu’Elvis. Mais ça ne plaît pas à Adler qui rétorque : «Ces mecs ne font qu’une mauvaise imitation des Everly Brothers.» Quand un peu plus tard Sloan reçoit la démo du premier 45 tours des Stones que lui envoie Andrew Loog Oldham sur le conseil de Brian Epstein, il dit à Adler que les Rolling Stones vont devenir aussi énormes que les Beatles. Cette fois, il est viré. Appelons ça de l’humour historical, car c’est infernalement drôle et juste. Cet épisode raconté sur un mode léger éclaire un moment crucial de l’histoire du rock américain : les décideurs furent complètement dépassés par l’arrivée des Beatles et des Stones et par leur modernité. Sloan fait aussi un portrait d’Adler qu’il n’arrive pas à détester complètement, un Adler de trente ans, qui porte des pulls élégants et qui passe son temps les pieds sur son bureau à regarder par la fenêtre. Un Adler qui manageait Jan & Dean et qui pensait que l’âge d’or de la Surf music allait durer éternellement. Il n’avait aucune considération pour le folk-rock, même si «Eve Of Destruction» lui rapportait un gros paquet de blé. C’est même à l’époque un hit mondial qu’interprète Barry McGuire. Et hop, tournée européenne, Sloan et Adler accompagnent McGuire. En arrivant à Londres, Brian Epstein vient les accueillir à l’aéroport. Il fait monter Sloan dans sa Rolls, mais pas Adler qui devient livide. Epstein dit poliment à Adler qu’il a quelque chose à dire personnellement à Sloan - L’expression du visage d’Adler était un mélange de honte, de douleur et de rage - Adler va d’ailleurs coincer Sloan un peu plus tard pour lui annoncer qu’ils allaient régler leurs comptes en rentrant à Los Angeles. Sloan nous dit les choses d’un ton badin, mais il est évident qu’il a souffert du despotisme de ces mecs-là. Par contre Brian Epstein aimait bien Sloan car il avait tout compris aux Beatles au moment délicat de leur lancement. Epstein conseilla même à Sloan de rester en Angleterre et de se placer sous sa protection, mais bêtement Sloan refusa.

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    Le méchant dans ce conte, c’est Jay Lasker. Sloan en brosse un portrait terrifiant. Ça commence avec des broutilles comme le nom des Grass Roots que Lasker pique à un groupe existant et réputé à Los Angeles, puisqu’il s’agit du groupe de Bryan MacLean et d’Arthur Lee, des copains de Sloan. Lasker n’en a rien à foutre. Pas grave, MacLean et Arthur Lee optent pour Love. Lasker hait encore plus profondément Dylan - I don’t believe in this communistic shit - Un peu plus loin, Sloan ajoute : «Il allait détruire les vies de tous les gens qui entraient en contact avec lui, Steppenwolf, Three Dog Night, The Mamas & The Papas, the Grass Roots, tout le monde excepté Steve Barri.» Bizarrement Sloan oublie de citer Emitt Rhodes dans la liste des victimes de Lasker. Mais la principale victime de Lasker va être Sloan et là on entre dans l’horreur. C’est encore pire qu’un conte de Petrus Borel. Un jour Sloan est convoqué dans le bureau de Lasker. Sloan appréhende toujours ces meetings. Lasker va doit au but : tu vas dire à Barri qu’il est viré. Bon Sloan n’a pas une très haute opinion de son collègue Barri, mais il est loyal. Non, pas question. Alors Lasker raconte qu’il vient de Chicago et qu’il a encore des relations là-bas. Pour muscler son effet, il ouvre un tiroir et sort des grandes photos de corps mutilés. Sloan comprend tout à coup qu’il est mal barré et qu’il a affaire à un tortionnaire. Puis Lasker lui dit de baisser son pantalon et de se couper une couille avec le couteau à cigare qu’il brandit. Ça tourne au cauchemar épouvantable, mais quand vous lirez ce passage, vous verrez que c’est encore pire. Alors Lasker dit ensuite à Sloan que la vie de ses parents est en danger et que la seule façon de les sauver et de signer ce document et de quitter définitivement la ville. Dans ce document, Sloan renonce à ses droits d’auteur et à la propriété de son nom d’artiste. Il signe et sort du bureau dans un état second. Il va chez lui pour prendre quelques affaires, dit au-revoir à sa mère qui ne comprend rien et part au volant de sa Jaguar en direction de New-York. Drive and cry. C’est la page 208 d’un livre qui en fait 300, et c’est symboliquement la fin de sa vie d’apprenti rock star. Il n’a que 22 ans. On est en 1967. Pour illustrer ce drame, l’éditeur met en fin de chapitre la photo de Sloan qui orne la pochette de Raised On Records, lorsqu’il a les cheveux longs, la barbe et le regard noyé de tristesse.

    Sa mère lui demandait ce qu’il avait fait pour que les gens le haïssent autant, et Sloan lui répondait : «Rien, Mom.» Toute cette histoire n’était en fait qu’une histoire de blé : les tubes de Sloan généraient des millions de dollars qu’il fallait partager en trois : Barri, Lasker et lui. Sloan parti, ils allaient se partager ce blé à deux. Barri allait devenir producteur et vice-président d’ABC-Dunhill, avec une belle maison à Encino - He was living well and enjoying my royalties - Plus tard, des gens du label MCA seront horrifiés de découvrir la barbarie des pratiques en cours à l’époque de ce drame. Tout ce qui pouvait exister de pire dans ces pratiques figurait dans le contrat de Sloan avec Dunhill. Sloan envisageait d’enregistrer une nouvelle version d’«Eve Of Destruction», mais Barri s’y opposait. Il osait se prétendre co-auteur, grâce à ce fucking contrat établi par Lasker, mais il finit par s’écraser. Quand Sid Bernstein qui croit en Sloan propose de relancer sa carrière à New York en le faisant signer sur ATCO, Dunhill entame des poursuites, prétextant que Sloan leur appartient. Le silence de Sloan va durer vingt ans. C’est quasiment l’histoire d’Edmond Dantès, plus connu sous le nom de Comte de Monte-Cristo. Tous ces rats ont détruit Sloan par simple cupidité.

    Certains livres proposent des mélanges détonants. Celui-ci en est un parfait exemple. Ce livre est un capiteux mélange de contes, de drames, le tout mêlé à l’éclairage d’une période cruciale de l’histoire du rock américain.

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    Il faut se plonger dans les albums de Sloan, car ils produisent sensiblement le même effet sur la cervelle que le book : les chansons montent droit au cerveau. Paru en 1965, Songs Of Our Times a des allures d’album folk. Sloan porte un blouson en daim et un jean. Il se tient debout près de sa guitare qui est une acou, donc le message est clair. Il sonne comme Dylan dès «The Sins Of A Family». Sloan raconte l’histoire d’une fille qui se prostitue pour payer ses études. Comme c’est produit par Bones Howe, on a la qualité californienne qu’on retrouvera sur les albums de The Association. Il règne chez Sloan quelque chose d’intrinsèque. En fait il mélange le chant nez-pincé dylanesque avec la casquette de Donovan et lie le tout au gratté de circonstance. Mais cet album est tout de même un peu trop dylanesque. On aime bien Sloan, mais autant aller écouter Dylan. On tombe un peu plus loin sur l’«Eve Of Destruction». La version de McGuire est bien plus puissante. Sloan la radoucit trop. Il nous ramène enfin une grosse compo en ouverture de bal de B : «I Get Out Of Breath». Il sait monter tout seul en température, il manie fort bien le climaxing. C’est un hit. Et puis avec la belle pop d’«All The Things I Do For You Baby», il parvient à se glisser dans un juke. Il réactive son sens aigu du beau pour «(Goes To Show) Just How Wrong You Can Be» qui frise la Beautiful Song et termine avec une pop-song digne des Mamas & The Papas, «What Am I Doin’ There With You». En même temps, ça sonne très anglais et on comprend qu’il ait développé des affinités électives avec Brian Epstein et Derek Taylor.

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    Guy Webster fait un petit montage pour la pochette de Twelve More Times paru l’année suivante, mais c’est au dos (comme d’ailleurs pour l’album précédent) que se trouve le vrai visuel de pochette : Sloan cadré serré, coiffé de sa casquette Donovan et dans le regard, une insondable mélancolie. Il en est presque beau. Un petit maître de la Renaissance aurait pu peindre ce portrait, tellement les traits sont purs. On irait même jusqu’à dire qu’il a des faux airs d’Elvis.

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    En plus, c’est un très bel album rempli de cette petite pop élégiaque, bien douce et bien tendue, à laquelle on va devoir s’habituer si on décide de le fréquenter assidûment. Il chante avec une légère affectation, oh rien de grave, il fait son Sloan, il navigue dans les même eaux qu’Eve, secrètement rongé par des ambitions dévorantes. Il revient à sa fascination pour Dylan avec «The Man Behind The Red Balloon». Il adore Bob, c’est évident. Et comme il l’explique dans son book, cette chanson est un règlement de comptes. Derrière lui, on retrouve encore une fois la crème de la crème : Hal Blaine, Larry Knechtel, Joe Osborne et même John Phillips. Comme le montre «Here’s Where You Belong», Sloan est capable de grande pop et c’est là qu’il décolle pour voler de ses propres ailes. Il aspire à la grandeur. S’ensuit un autre hit enivrant, «This Precious Time». Sloan injecte une énergie considérable dans sa pop. Il boucle son bal d’A avec un «Halloween Mary» encore plus dylanesque que le roi. On a même les coups d’harmo, t’as qu’à voir. Il revient en B à la pop élégiaque avec «Lollipop Train (You Never Had It So Good)». En fait il collectionne les cordes à son arc, car il va à la fois sur l’élégiaque, le dylanex et la protest song. Comme le riz, il est assez complet. Sacré Sloan. On l’aime bien. Avec «Upon A Painted Ocean», il fait encore du pur dylanex. Il est en plein dedans, au moins autant que peut l’être Dick Campbell. Et il boucle avec un extraordinaire shoot de ramdam dylanesque, «Patterns Seg. 4». On ne peut pas être plus clair.

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    En 1968, Sloan a quitté la Californie. C’est l’année où il enregistre Measure Of Pleasure. Comme on le voit sur la pochette, il a opté pour un look dylanex. Il vit alors à New York avec une poule nommée Miki et pour fêter la signature du contrat avec ATCO, elle propose un shoot d’héro - which she felt would give me Village chops like her friend Fred Neil - Alors Sloan se fend d’un passage fascinant sur l’héro : «L’héro est le sujet tabou numéro un parmi les jeunes musiciens. L’héro pouvait vous tuer ou vous rendre génial. L’héro me donna la sensation de ne plus être dans mon corps. Je pouvais réfléchir normalement. Je connaissais les histoires horribles de musiciens qui vendaient leurs guitares pour se payer un fix, mais en même temps, les écrivains que j’admirais comme James Baldwin,William Burroughs et Lenny Bruce en prenaient.» Sloan descend enregistrer Measure Of Pleasure à Memphis au Studio Sun avec dit-il la crème de la crème locale : Steve Cropper, Duck Dunn et Al Jackson. Sam Phillips vient même faire un saut pour dire bonjour. Il dit à Sloan : «Il y a un truc en vous qui me rappelle Elvis.» Et forcément Sloan lui raconte l’histoire de sa rencontre avec Elvis quand il avait douze ans. Pour lancer la session, Cropper demande à Sloan de lui chanter une chanson. Bon, ça ne va pas. Il va voir Tom Dowd dans le control room pour lui dire qu’ils ne sont pas le bon backing band pour un gars comme Sloan. Puis Cropper décide de sauver la session. Il passe un coup de fil et un mec apporte un sac de hash. Cropper et les autres vont faire un tour dans la salle de bains et à leur retour, la session peut démarrer. «Vas-y mon gars, chante-nous ta chanson sur Perry qui va partir à l’armée, je pense qu’on peut en faire un jazz blues thing.» And he did. Eh oui, avec sa chemise à fleurs et sa douze, on se demande ce que Sloan vient foutre à Memphis ! Détrompez-vous les gars, car dès «One Of A Kind», ça groove sec chez Sun, c’est même du heavy goove à la Croz, baby now, she is one of a kind, c’est excellent, bien dans le move Stills/Buffalo. Et paf, il nous balance une Beautiful Song, «New Design», bien à cheval sur le Dylanex et le Sloan Square. Ce démon de Sloan injecte énormément de beauté dans son Dylanex et Cropper doit se dire : «Ah si on m’avait qu’un jour je jouerais du Dylanex !». L’«How Can I Be Sure» n’est pas celui des Turtles, mais c’est une fantastique extension du domaine de la hutte. Sloan groove son balladif avec une sidérante insolence. Il fait aussi des choses plus exotiques comme «Champagne» en B, mais avec un telle présence qu’on s’en effare. Au niveau musicologique, c’est excellent. Il gratte encore sa douze dans les alizés du big songwriting pour envoyer «And The Boundaries In Between» au firmament et on assiste une fois encore à la persistance de la latence. Sloan semble pratiquer le dématérialisme. Il pique une nouvelle crise de hargne dylanesque avec «Above & Beyond The Call Of Duty». Il y excelle, il adore cette façon qu’a Bob de haranguer les harengs. Il termine avec un «Country Woman (Can You Dig It All Night)» solide jusqu’au bout des ongles. Ce mec swingue sa douze en fier caballero.

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    Belle pochette bien travaillée au grattoir que celle de Raised On Records. En 1972, Clive Davis décide de sauver Sloan en relançant sa carrière. Mais Sloan ne va pas bien - A chronic melancholy infected my spirit and had an effect on the songs I was writing - Il propose avec cet album une pop paisible, très orchestrée, très Los Angeles. On comprend que Jimmy Webb en soit fan. Sloan va droit sur des compos très ambitieuses, comme «The Night The Trains Broke Down», il répète son love begin when you love someone comme un mantra et ça prend vite fière allure, puis il ajoute en matière de conclusion : love is best when your head and heart agree. Il a raison, il vaut mieux que ce soient la tête et le cœur plutôt que la bite. Il a du beau monde derrière lui : Hal Blaine on drums & Joe Osborne on bass. On se régale du morceau titre pour la noirceur de sa mélancolie qui est en même temps une sorte de power. Il dit y remercier son père de lui avoir acheté une guitare quand il était petit, mais avoue que sa vraie nature était de n’être le fils de personne - If it weren’t for the music/ I would have said goodbye a long time ago - Il revient en B faire son Nick Drake avec «Springtime». Plus loin, il propose un heavy groove de coups d’harmo dylanesques : «Sins Of A Family», l’un de ses vieux hits. Finalement, c’est avec la bossa nova océanique de «Midnight Girl» qu’il emporte la partie. Hélas l’album ne plaît pas au label qui le trouve plat et sans énergie. Nouvel exit.

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    Sloan parle un peu plus loin de Serenade Of The Seven Sisters avec affection : «Il y a de très belles chansons sur Serenade Of The Seven Sisters, comme ‘Spiritual Eyes’ ou ‘Help Me Remember To Remember’, qui prouvaient que P.F. Sloan était encore en vie. Bon, c’est vrai, il ne proposait pas douze grandes chansons sur cet album, mais personne d’autre ne le faisait plus non plus. Et ce n’était pas non plus ce que les gens attendaient de moi. L’ambiance de cet album était plus modern jazz que blues et folk. Folk-jazz ?». «Love Go Easy» sonne comme de la petite pop californienne, took it easy on me fait Sloan et les chœurs font oh yeah. Il rafle sa mise. Pour installer «Spiritual Eyes» dans l’inconscient collectif, Sloan crée une ambiance de rengaine d’Amsterdam avec des nappes d’accordéon. C’est tellement bien foutu qu’on comprend qu’il soit devenu culte. Il revient à son vieux hit d’Eve avec «(Still On The) Eve Of Destruction». Mêmes accords magiques et même vivacité. Il pique une petite crise de power avec «Sleeping Dogs Lie». Pas de vagues, mais du juste-au-corps, voilà comment on pourrait le définir. Une certaine façon de gérer les choses. Il fait des balladifs éplorés («Woman And Gold») mais avec un certain poids. Hélas, bon nombre de cuts ne fonctionnent pas. La pop est parfois trop ouvragée, trop Sloan, trop paumée. Il termine avec une resucée de son vieux hit, «Secret Agent Man», et vire heavy rock. Il a derrière lui deux Posies, John Auer et Stringfellow. En 2001, soit sept ans plus tard, Sloan va retourner enregistrer ces chansons tout seul - I called it Seven Sisters Redux.

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    Comme Jon Tiven insiste pour que Sloan fasse un album, celui-ci finit par céder et débarque à Nashville en 2006. Voilà donc Sailover. Derrière Sloan, il y a du beau monde : Buddy Miller qui a joué avec Emmylou Harris, et Felix Caveliere des Rascals qui justement vit à Nashville. Sloan récupère aussi le bassman de Cheap Trick, Tom Peterson et puisqu’on est dans le haut de gamme, Lucinda Williams vient duetter avec Sloan sur «The Sins Of A Family». Mais ce n’est pas fini. Au même moment, Jon Tiven produit un album de Frank Black à Nashville. Le gros dit à Tiven qu’il adore «Halloween Mary» et qu’il aimerait bien chanter dessus. Il chante aussi deux couplets sur la resucée d’«Eve Of Destruction». Sloan ne tarit pas d’éloges sur le gros : «Frank is a divine artist, il a une façon de déconstruire les pop songs pour en faire quelque chose de nouveau et de malléable. Il fait ça with heart, intellect and soul. C’est la raison pour laquelle les Pixies étaient les meilleurs.» Alors oui, quel album ! Surtout que Sloan démarre en duo avec Lucinda Williams et son vieux «Sins Of A Family». Franchement, Sloan a du génie, ici ça crève les yeux et en plus ça crève le cul quand Lucinda prend le relais. Sloan & Lucinda for ever ! Stupéfiante présence du son. Alors attention, c’est un album fabuleux de bout en bout, vous voilà prévenus. Sloan fait sa big pop avec «Violence» et son Exploding Fantastic Inevitable. Sloan c’est du stream. Il cut ses cuts avec aménité, il faut le voir amener «If You Know», il sonne comme un prodigieux humilitaire - I’m not forgetting you - Il envoie ça droit dans le cosmos. Il se montre effarant de ténacité. Et voilà le grand retour d’Eve, avec Frank Black au deuxième couplet. Personne n’est mieux placé que Sloan pour exploser la rondelle d’Eve, my friend, il chante ça à la perfection, c’est l’un des trucs définitifs du rock et quand le gros entre dans la danse, alors ça devient miraculeux. Ces démons ont tout compris, on a là une sorte d’aboutissant, tell me over and over my friend. On retrouve le gros sur «Halloween May». Joli concubinage. Sloan chante comme Dylan et pareil, le gros entre au deuxième couplet avec tout le power qu’on voudra bien imaginer. Sloan revient à l’intimisme catégoriel avec «All That Time Allows». C’est in the face, mais intimistiquement parlant, oui, car il te chante ça en pleine gueule, that’s the miracle, c’est une grosse compo - What I can do now/ All that time allows - «Hollywood Moon» est plus festif et passe donc par pertes et profits. Mais que de son, my son ! Il tape aussi son vieux «Where Were You When I Needed You». Normal qu’il pose la question. Il est presque dylanex avec ce vieux coucou composé pour les Grass Roots et repris par Jan & Dean. Sloan bascule dans le meilleur dylanex, avec le même génie d’expressivité. C’est en plus exceptionnel de grandeur productiviste. C’est Jon Tiven le producteur qui joue de la guitare sur les cuts. Pour un album de come-back à la sortie du désert, c’est assez spectaculaire. On retrouve dans ses chansons l’intelligence de l’écrivain Sloan. Chaque chanson est immédiate. On croit entendre «Maggie’s Farm» dans «Pk & The Evil Dr Z». Sloan fait son Dylan et se tape un délire de pince à linge. Il finit en beauté avec «From A Distance», une chanson si belle qu’elle n’en finira plus d’exercer sa fascination.

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    Voilà encore un passage obligé : la belle compile qu’Ace consacre à Sloan et qui s’appelle You Baby: Words & Music By P.F. Sloan And Steve Barri. On y retrouve tous les héros de Sloan. Si on met le nez dans les liners, on entend un son de cloche différent de celui du Sloan book. Par exemple dans le paragraphe consacré à «Eve Of Destruction» : ce que raconte Barri n’a rien à voir avec ce que dit Sloan dans son autobio. Barri insinue qu’à son retour de Londres et de la tournée de promo d’Eve avec Barry McGuire, Sloan était radicalement transformé. Il était devenu très sérieux. Plus le même. Drogues ? Pas drogues ? Le Barri va même jusqu’à insinuer que Sloan se prenait pour Dylan. T’as raison, pomme de terre ! Ben oui, Eve sonne comme un hit de Dylan ! C’est gratté à la ferveur suprême avec du contenu à gogo, Sloan ne veut pas du crazy world, et bien sûr, le bord du chaos reste d’actualité, cinquante ans après. À l’époque où Lou Adler drague Ann-Margret, il demande à Sloan de lui composer deux ou trois trucs et de les produire. Elle chante «You Sure Knew How To Hurt Someone» au petit downhome de bas-ventre, c’est excellent, kiss my lips, elle fait de la délinquance pré-pubère. On croise aussi le «Tell ‘Em I’m Surfin’» des Fantastic Baggys, le surf-band de Sloan, puissant, pur surf craze digne des early Beach Boys. On entend aussi de très grands interprètes fracasser les Sloan songs : Mel Tormé («Secret Agent Man») et Betty Everett («Someday Soon»). Betty rentre dans le lard de la Soul avec toute sa niaque de belle poule black. Sloan/Betty, encore un mariage réussi. Bon, la compile démarre avec l’«Another Day Another Heartache» des 5th Dimension, histoire de rappeler la connexion Sloan/Jimmy Webb, et quelle connexion ! L’une des connexions miam-miam de l’histoire du rock. L’autre grosse connexion est celle de Sloan avec les Turtles, illustrée ici par «Can I Get To Know You Better». Avec les Turtles, on reste dans la crème de la crème du rock californien. Big power en tous les cas. Écoutez les Turtles les gars, vous ne perdrez pas votre temps. Et puis voilà l’excellent «Where Were You When I Needed You» tiré de l’album à la chaise des Grass Roots, du zyva Sloan de descente au barbu, avec tous les trucs d’Eve Of Destruction et le côté explosif de la Spectorish pop. Sloan rappelle que les crevards de Duhnhill ont inventé les Grass Roots uniquement pour empêcher Sloan de démarrer une carrière solo. Comme le nom existe, Sloan doit trouver des musiciens pour l’incarner et il va prospecter à San Francisco. Il trouve des Bedouins qui vont faire les Grass Roots, mais pas très longtemps. Ace n’oublie pas les Mamas & The Papas et Jan & Dean dont l’«(Here They Come) From All Over The World» fout le feu, comme foutaient le feu jadis les early Beach Boys hits. Jan & Dean sont les plus gros clients du team Sloan/Barri. Autre duo de choc : Bruce & Terry, c’est-à-dire Bruce Johnston & Terry Melcher, deux autres monstres sacrés de l’early Californian hell, avec «Summer Means Fun», big B.B. Sound en plein dans le mythe de Brian Wilson, gratté à la meilleure surf craze, avec des voix qui ne sont que dream de fun fun fun come true. Ex-plo-sif ! Sloan est invité à les accompagner, en plus d’Hal Blaine et de Glen Campbell, tu vois un peu le tableau ? Les Fantastic Baggys reprendront d’ailleurs ce hit faramineux. Après que Sloan lui ait fait découvrir les Beatles, Lou Adler qui ne pense qu’à faire du blé a l’idée de monter un faux groupe anglais : Philip & Stephan qui sont bien sûr Sloan et Barri. On entend donc la démo d’un truc qui s’appelle «Meet Me Tonight Little Girl». C’est une étrangeté qui deviendra culte, reprise par les Bantams. On passe aux choses sérieuses avec Yvonne Carroll et «Please Don’t Go». C’est même quasiment du Burt, Yvonne est sexy. On croise encore pas mal de cuts qui font rêver comme par exemple «Goes To Show (Just How Wrong You Can Be)» par Joey Paige ou encore «The Sh-Down Song (You Better Leave Him Alone)» des Ginger Snaps, une équipe de blackettes que Sloan a dénichée dans le quartier de Watts lorsqu’il cherchait des interprètes pour faire un 45 tours. Les filles explosent vite fait le hit de Sloan au down down down. Par contre, impossible de prendre les Herman’s Hermits et Terry Black au sérieux. Le compte n’y est pas et n’y sera jamais.

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    Ce mini-panoramique de Sloan serait salement tronqué si les deux premiers albums des Grass Roots n’y figuraient pas. Comme on l’a dit, ce n’est pas un groupe de Sloan à proprement parler mais plutôt un groupe que tente de lancer Dunhill avec des chansons de Sloan. Les gens de Dunhill sont tellement infects avec les Grass Roots qu’ils mettent une chaise pourrie sur la pochette de leur premier album, Where Were You When I Needed You, paru en 1966. Le premier choc esthétique est une reprise d’«I’m A Rock» de Paul Simon, bien bardée d’harmonies vocales. S’ensuit «Lollipop Train», une puissante pop de Sloan, c’est même la pop des reins, Sloan la propulse bien vers l’avenir, cette pop frise le dylanex. Tiens puisqu’on parle de Dylan, on tombe en bout de B sur «Mr Jones (Ballad Of A Thin Man)», la chanson que Dylan offrit à Sloan lors de leur première rencontre à Los Angeles. Merveilleux cadeau, en vérité, et Sloan joue les blues licks. On le voit aussi jouer un solo très primitif dans «Look Out Girl». Sloan joue toute sa pop à coups d’acou. «I’ve Got No More To Say» regorge de coups d’acou et d’harmonies vocales, c’est à la fois léger et austère, pour ne pas dire californien. Le morceau titre sent bon la grande énergie, même élan et même détermination. Ils font aussi une reprise de Jon Sebastian («You Didn’t Have To Be So Nice») qui ne marche pas et une autre des Stones («Tell Me») qui n’apporte rien au genre humain.

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    Sloan participe à l’enregistrement d’un deuxième Grass Roots, Let’s Live For Today, qui paraît l’année suivante. Pareil, Sloan essaye de faire jouer les musiciens du groupe et Lasker oblige Sloan à virer la guitare de Creed Bratton pour la remplacer par la sienne. Sloan proteste en vain. Il n’empêche que cet album est une merveille. Rob Grill et Warren Entner se partagent le chant et les superbes compos de Sloan. Dans le studio, avec Sloan, on retrouve Joe Osborne et Larry Knechtel. Les Grass Roots sonnent en gros comme les Mamas & The Papas, avec une prod de rêve. Sloan est à son sommet avec des merveilles comme «Wake Up Wake Up» ou «Is It Any Wonder». Les Grass Roots semblent donner à la pop californienne ses lettres de noblesse. «Top Of My Tongue» sonne aussi comme du haut de gamme. On sent la différence quand les compos ne sont plus signées Sloan, ça retombe comme un soufflé. Le son est si bon que cet album pourrait être produit par Brian Wilson. «Where Were You When I Needed You» (qui figure sur l’album précédent) sonne comme un hit dès l’intro. Rog Grill chante ça à la perfection. Cette pop de folk s’inscrit dans la veine d’Eve et finit par rafler la mise. On entend Sloan gratter sa gratte sur «This Precious Time», dans l’atmosphère féerique d’une prod de rêve. Cette belle aventure s’achève avec une compo qui n’est pas signée Sloan mais qui casse bien la baraque : «House Of Stone», un fabuleux shake de Californian pop gorgé d’électraque de sunshine et conçu dans un épouvantable déploiement d’ailes de prod avec juste des licks de gimmicks et du chant par dessus les toits. Wow, quel album !

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    Pour parfaire le voyage en Sloanie, il semble utile de faire un crochet par les Fantastic Baggys et la scène surf dont sort Sloan. Leur big album s’appelle Tell ‘Em I’m Surfin’ et paraît en 1964 sur le grand label Surf de cette époque, Imperial. On est en pleine surf craze comme sur les premiers albums des Beach Boys, et ce dès le morceau titre d’ouverture de bal d’A. Sloan qui s’appelle Flip chante lead. On le voit sur la pochette, le deuxième à partir de la gauche. Ce qui frappe le plus sur cet album, c’est l’énergie. «Anywhere The Girls Are» est quasi gaga, Flip gère ça au wild, même chose avec «Big Gun Board», c’est un pur hit de juke. Ils font du Bibi craze chanté à l’harmonie. Ils explosent toutes les variations du surf craze et savent rester trépidants. En B, «Surfer Boy’s Dream Come True» brille comme une perle rare. C’est le balladif de la crème de la crème. Sloan s’y illustre comme l’enfant prodige de la scène californienne. Sa pop d’«It Was I» tient déjà bien la route. Il n’a que 18 ans, alors t’as qu’à voir. Fantastique qualité de sa presta. «Wax Up Your Board» est monté au beat des reins de Surf City.

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    Dans son book, Sloan rappelle aussi qu’il a aidé Jan Berry à sauver sa carrière avec l’album Folk & Roll, paru en 1965. Menacés de disparaître, Jan & Dean devaient passer au folk et leur sauveur n’était autre que le papa d’Eve, Sloan. D’ailleurs, Sloan se marre car il voit Jan Berry faire du Eve avec «The Universal Coward». Berry reprend exactement les mêmes ficelles, le gros gratté d’acou, les coups d’harmo et les élans élégiaques. Berry rend aussi un bel hommage à Dylan en reprenant «It Ain’t Me Babe» : version bien sentie, bien envoyée, très inspirée. Même chose avec le «Turn Turn Turn» des Byrds. Ils le font bien, avec tout le gusto des légendes dorées, chanté aux deux voix d’unisson du polisson. Jan Berry revient aussi à sa chère surf craze avec «Folk City», qui singe effectivement «Surf City». Quelle énergie ! Jan & Dean ouvrent leur bal d’A avec un cut de Sloan, «I Found A Girl» et c’est tout de suite beau, très enjoué, salé et poivré, magnifiquement orchestré. Par contre, le mix d’«Hang On Sloopy» est bizarre, la voix sort d’une enceinte, on ne sait pas pourquoi. Sloan fait les backings derrière. On l’entend claquer de sacrées parties de guitare derrière les vieux surfers. On voit «I Can’t Wait To Love You» décoller, avec des petites poussées de fièvre et des coups de cloche. On tombe ensuite sur une version d’«Eve Of Destruction». Beautiful hit, toute la musicalité de Sloan est là : nappes d’orgue, gratté d’acou et chœurs somptueux. Tout sur cet album est fantastiquement orchestré. Encore du pur Sloan avec «Where Were You When I Needed You». Jan Berry a du pot d’avoir Sloan comme pote.

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    Pour Sloan, l’un des big beautiful albums de l’époque est celui que Phil Ochs enregistra en 1967, Pleasure Of The Harbor. Bon la pochette est un peu foireuse, mais Sloan a raison, il y a des moments de grâce sur cette galette. Pas de hit, mais des moments de grâce, c’est déjà pas mal. En écoutant «Flower Lady», on comprend que Sloan se soit amouraché de la voix d’Ochs : ce mec cisèle son chant à la recherche du beau, comme un sculpteur. Mais en même temps, ça alambique un peu les choses. Son drame c’est de faire des chansons qui ne sont pas des hits, à la différence de Sloan et de Fred Neil, que Sloan cite en référence. Sur «I’ve Had Her», Ochs a de faux accents de Donovan, et les flûtes aggravent encore la pente. Who needs an American Donavan ? L’album se réveille en fin de bal d’A avec «Miranda» - She’s a Rudoph Valentino fan - et ses trompettes de dixieland, alors un doux parfum de nostalgie fait dresser l’oreille. La B offre ses petits moments de grâce avec «The Party» où l’on entend le phrasé de piano de «Smoke Gets In Your Eyes» et ça part en mode Ochs. Alors ça devient captivant, avec une stand-up de balloche en contrepoint. Sloan a raison, on finit par se faire avoir. Le morceau titre ne fonctionne pas, malgré tous les violons du monde, et il termine avec «The Crucifixion», une chanson extrêmement ambitieuse, peut-être même trop ambitieuse. L’ambition est une discipline difficile. Il faut savoir s’en donner les moyens.

    Signé : Cazengler, P.F. Slow (va pas vite)

    Grass Roots. Where Were You When I Needed You. Dunhill 1966

    Grass Roots. Let’s Live For Today. Dunhill 1967

    P.F. Sloan. Songs Of Our Times. Dunhill 1965

    P.F. Sloan. Twelve More Times. Dunhill Records 1966

    P.F. Sloan. Measure Of Pleasure. ATCO Records 1968

    P.F. Sloan. Raised On Records. Mums Records 1972

    P.F. Sloan. Serenade Of The Seven Sisters. Pioneer 1994

    P.F. Sloan. Sailover. Hightone Records 2006

    Fantastic Baggys. Tell ‘Em I’m Surfin’. Imperial 1964

    Jan & Dean. Folk & Roll. Liberty 1965

    Phil Ochs. Pleasure Of The Harbor. A&M Records 1967

    You Baby: Words & Music By P.F. Sloan And Steve Barri. Ace Records 2010

    P.F. Sloan. What’s Exactly The Matter With Me? Memoirs Of A Life In Music. Jawbone 2014

     

    Un Outerspace qui porte bien son nom

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    S’il existait des jeux olympiques du rock en France, on verrait monter sur le podium les Cowboys From Outerspace, suivis des Dum Dum Boys et des Weird Omen. Power, indépendance d’esprit, no sell-out, ces groupes ont tout bon. Même tout trop bon. Pire encore : les Cowboys, c’est trop beau pour être vrai. T’en connais beaucoup des groupes qui font sept albums de pur freak-out en dix ans ? Des groupes qui ne prennent pas les gens pour des cons ? Des groupes qui chargent tellement la barque qu’elle finit par couler ? Qu’y a-t-il de plus ennuyeux qu’une barque qui ne coule pas ? De la barque à l’Arche de Noé, le pas est vite franchi. Par Cowboys, il faut entendre déluge biblique, tempête au Cap Horn, et glou et glou ils sont des nô-ô-ô-tres ! Écouter les Cowboys n’est pas de tout repos. C’est même souvent plus mouvementé que d’écouter les Cramps ou le Gun Club. Les Cowboys vont loin dans la démesure, aussi loin que porte le regard.

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    Et ça, mon gars, ça vaut pour le premier album. On pense à tous les malheureux qui sont passés à côté ! Illustré au pur chaos, cet album sans titre explose avec une question : «What’s Jerry Lee Doing ??». Boom ! S’échappe alors des enceintes un horrible remugle de no way out, un son craqué de craquelures et gorgé de saletés, une vraie giclée putréfiée, t’as pas idée, ça va te déboucher les boyaux, les Cowboys te ramonent les annales à l’œil. Ils inventent même un nouveau genre : le Boom futuristic, un Boom qu’il faut entendre au sens où l’entendaient les Sonics, le son explose en gerbes et te retombe sur la tête, avec des solos en forme de coups de tournevis dans la serrure, ils battent tous les records de délinquance sonique, ils te travaillent ça au corps alors que tu n’as rien demandé, mais bon il faut bien avancer sinon à quoi ça sert ? Basly te piétine la gueule et tu cries au génie, Basly cabalistic, roi des emboucheurs ! Au moins les choses sont claires. Tu comprends que ce mec va profiter de chaque cut pour créer l’événement. Par exemple, dans «I Know», il se prend carrément pour un nettoyeur de tranchée et envoie le plus cruel des solos au napalm. Il sait aussi créer les conditions de la tempête shakespearienne («You Got Love If You Want It»). Disons que c’est son côté génie déflagratoire. On ne sait pas comment il s’y prend, mais il réussit à jouer un solo qui explose au moment où tout explose dans le studio. On n’avait encore jamais vu un truc pareil. On suivrait ce mec jusqu’en enfer, c’est d’ailleurs ce qu’on fait, puisque voilà qu’arrive «It Makes Me Mad». Descentes aux abîmes du big sound de démesure catégorielle, Basly gratte ses poux au dessus du gouffre et rivalise de surenchère apocalytique avec le Killing Joke de l’âge d’or. Le solo au vitriol qu’il passe dans «Do The Twist» entrera lui aussi dans les annales du vitriolage. C’est d’une violence qui se rit du langage. Il tombe ensuite à bras raccourcis sur Hank Williams avec une version inqualifiable d’«I’m So Lonely I Could Cry». Ça goutte de son. Basly triture jusqu’à la nausée le va-pas-bien d’Hanky. C’est haleté au coin du bar, bien balayé par des tempêtes, Basly chante comme Lux, à la désespérée. Cet album ne pouvait que se terminer par une abomination comme «Another Day». On y voit big Basly on the run dans un océan d’échos et de salmigondis, il se débat comme un géant, I don’t pretend, et du haut de sa fierté de rockab marseillais, il arrose l’océan d’un horrible remugle de gras double.

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    Ceux qui prédisaient l’apocalypse en l’an 2000 avaient raison. Ils ne se fourraient pas le doigt dans l’œil. Rien n’aurait pu protéger l’humanité d’un truc comme Choke Full Of... et pire encore, de «Choke Me Up». Welcome in hell, mais pas le petit hell à la mormoille d’Alice Cooper, non t’es propulsé directement dans la gueule du son, avec du râclé de heavy disto et ce fou de Balsy qui «chante» au sommet d’un slum de sludge indescriptible de violence intentionnelle. Rien d’aussi beau que ces filets de killer solo transverses ! C’est le pire sonic onslaught qui se puisse imaginer, mix de squelettes et de napalm. Le son est à Marseille, chez les Cowboys, ne le cherchez plus. Ils restent au bord de chaos avec «Way Down South», c’est de la confrontation extrême mais sans tomber dans les travers du hardcore ou du métal, c’est bien plus puissant, il y a du souffle. À part les Chrome Cranks, aucun groupe n’est allé aussi loin dans l’extrémisme sonique. C’est une espèce de summum du déterminisme. Basly le ballsy gratte sa «Linda» sous la panse, c’est atrocement bon, wow Linda ! Il la flatte, le cœur qu’on entend battre est le beat rockab et comme d’habitude ça dégénère, ah quelle sainte horreur, on patauge dans l’avanie du trash punk blues, ça va même au-delà des mots et des étiquettes à la petite semaine. Basly hoquette et s’écroule dans des mares de boue fumante avant de se relever et de continuer en titubant, paré de son cuir et de sa fierté d’homme libre. Il chante ensuite «Let’s Get Wild» comme s’il sombrait dans la folie. Avec son écho et ses guitares malveillantes, «Girl» réveille le fantôme du Gun Club, Preaching in the darkness, pur jus de Jeffrey Lee ride. Deep deepy groove noyé d’ombre. Tiens justement puisqu’on parle de preacher, voilà «The Preacher» ! C’est une véritable entreprise de démolition. On ne peut que crier au génie, d’autant que le solo de Basly coule comme du venin dans l’escarcelle du destin. Ce mec ne fait que chanter à la limite de l’épuisement et de l’horreur. On pourrait qualifier «Waiting For Your Love» de garage punk définitif. C’est taillé dans la masse, à l’énergie rockab et à la cisaille de Gretsch. On pourrait appeler les Cowboys les Cranks marseillais. Et c’est avec «Dancin’ Machine» que le ciel s’écroule sur eux - I like to rock’n’roll - Quand il crie, c’est dans la clameur du massacre, il cavale ses yeah à coups d’éperons, c’est du ventre à terre de la vingt-cinquième heure, Basly est le roi des écroulades de chant dans la mare aux canards. Cut de drummer avec «Headsider», violence ultime avec un Basly en effervescence, pur jus de white heat, ça chauffe tellement qu’on ne peut pas approcher la main. Basly joue son «Japanese Girl» à la cisaille épouvantable et Mr Henry bat ça au big badass boom marseillais. Tout dans ce disk est noyé de son et désespéré.

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    On croyait que les Cowboys allaient s’épuiser au bout de deux albums. Une fois de plus on se fourrait le doigt dans l’œil jusqu’au coude : le cavalier de feu de Space-O-Phonics Aliens allait ravager bien des contrées. Cet album est sans doute le pire de la série de sept. Il ne s’agit pas d’un album mais d’une rafale de killer cuts d’une rare violence et ça démarre avec le génie excavateur d’«Every Girl Got Her Dog» chanté au wild scream de non-retour, on ne sait pas comment ils font, c’est gonflé à l’ultra-junk d’adrénaline, cette ouverture de bal maudit sonne comme une descentes aux enfers, et Basly t’enfonce un suppositoire de solo trash dans le cul, alors t’es baisé. T’as voulu voir Vesoul et t’as vu les Cowboys en feu. Ça sonne bien les cloches. In the face. «Humility» est encore plus malsain, ils sont dans la déglingue des Cranks, ça te cloue une chouette à la porte de l’église, ces mecs sont atrocement géniaux. Tous leurs cuts sont des plongées fatales dans la folie Méricourt, peu de gens atteignent ces profondeurs, ils jouent sans répit, et quand ils s’offrent le luxe d’une cavalcade («Big Woman Blues»), le Cowboy en feu prend tout son sens. Ils dépotent autant que Motörhead, leur power dépasse les normes. Ils te donnent tout ce que tu attends du rock, l’ultra-sound, les virées dans la mélasse et l’exercice virtuose de la démesure. Il faut entendre Basly chanter «Tired» à la petite évaporée, avant de reprendre le big drawl et d’aller brouter la motte du trash. Il chante sur deux registres, comme un pro du cataclysme, c’est-à-dire le diable en personne. Il rallume sa chaudière à chaque instant. Avec «Hornets», on se croirait sur un album des Cranks, car c’est embarqué au watch out de psychose extrême. Leur «Rock’n’Roll Star» n’est pas celui d’Oasis. Il s’agit plutôt d’un heavy groove de cromagnon, oooouh baby I’m sick. Le son est tellement plein que les Cowboys atteignent à une sorte de plénitude qui n’est pas celle des sages, rassurez-vous. Il y a deux ou trois clins d’œil à Elvis, sur cet album en feu, «Col. Parker Medication» et «Hallohah From Elvis». Ils ne reculent devant aucun sacrifice. L’Hallohah est l’un des plus gros brouets explosifs jamais imaginés. C’est même l’un des sommets du junk sonique. Ils embarquent «Rugged Love» à l’extrême garage dévorant, il remonte de ce truc tous les remugles qu’on peut imaginer, DMZ, Gun Club, mais c’est surtout un remugle de Cowboys. Basly rivalise de folie screamée avec Peter Aaron. Cet album est une merveilleuse abomination, chaque cut vaut pour une explosion inespérée, les killer solos sont des modèles d’infection, ça sort tout droit du Kaiser studio.

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    Bizarrement le Bones Keep Smilin’ paru en 2003 sonne comme un moment de répit. Même si une horreur tentaculaire comme «Too Much Sun In My Room» guette le voyageur imprudent. Basly drive cette frenzy Gun-clubbique avec une poigne de fer. Absolute wilderness, le génie de Basly consiste à savoir basculer dans le scream extrême. Il fait même un Part II de cette horreur tentaculaire. Basly lui tire dessus et ça s’écroule. Quel fantastique shaker d’apocalypse ! Même les guitares sonnent comme des appels à l’émeute. Il faut l’entendre hurler dans sa fournaise. C’est aussi sur cet album que se planque «Luna». Luna, objet de toutes les convoitises. Le cul de rêve. I need you Luna. C’est du ramoné de cheminée sans égal. Les riffs transpercent le mur du son comme des jets d’acide et Basly chante à l’apoplexie militante. Les riffs se concassent dans le chaos d’un beat des forges, ces mecs sont complètement fous. Quand on tombe sur «I’ve Been So Down», on s’exclame : «Ah comme c’est bon !». Ils te courent sur le haricot. Honneur aux roots avec «Well» qui est plus rockab, mais avec la Cowboy attitude. Ils gravent leur «Such A Long Time» dans le marbre de la folie et rendent hommage à leurs amis marseillais avec l’excellent «Gasolhead».

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    On les voyait tous les trois au dos de la pochette de Bones. Pour celle de Sleeping With Ghosts, ils sont devant. C’est là, sur cet album en feu que se trouve leur reprise de «Preaching The Blues». Hommage définitif. Go ! Nous sommes dans le vrai truc, avec la folie et le drumbeat. Ils ont tout compris au génie de Jeffrey Lee Pierce. C’est le meilleur shoot de chicken shit qui se puisse imaginer, Basly entre dans la peau de Jeffrey Lee, car quand ça explose, ça devient le Gun Club, yeah ! Il gère à merveille les zones infernales, il tape en plein dans le mille. Rappelons que Lucas Trouble produit les Cowboys. Il est aux Cowboys ce qu’Uncle Sam fut à Elvis et à Jerry Lee. Ils ouvrent leur bal avec «Black Haired Coktail» et libèrent les légions des démons du trash-punk d’undergut. C’est une dégelée suprême avec ses woooh de plongées en enfer, ce mec ne sait faire que ça, plonger en enfer. Une fois du plus, c’est cranky à souhait. Basly monte ses hot shots à la Lux, mais avec le power des Cranks et la folie de Jeffrey Lee Pierce. Les Cowboys font partie des dieux de l’Olympe trash. Les écouter, c’est une façon de se confronter aux vraies valeurs. Tu veux jouer aux Cowboys et aux Indiens ? Alors écoute le morceau titre, tu vas tomber de ta chaise et tu vas pouvoir ramper sous le tapis du salon. Basly remonte des courants comme Rimbaud et crée en permanence toutes les conditions de la fournaise. «I’ve Been Loving You Too Wrong» est un heavy groove qui vaut tout l’or du Gun Club. Ça coule partout, les filles sont là, dans l’écho du temps. Basly ramène à manger. Il nourrit sa famille. Le Tamer de «Buzy Vat Tamer» est celui de Dale Hawkins. Basly claque son heavy bop de punk à la Cranks, ça cool de jus, ça se démantibule et c’est pourri de solos vénéneux. Dans «Fade Away», on croit entendre chanter le comte Dracula. Basly montre encore qu’il est le roi des inflammations avec «The Push In». Il démarre avec une big attaque et ça s’envenime aussitôt. Pas la peine d’emmener le cut à l’hosto, c’est déjà trop tard. Basly l’explose. Les ponts sont des ponts de la rivière Kwaï en feu. On ne sait pas pourquoi, ça se met à cavaler à travers la plaine, avec des pouets de cuivres, Basly fait son push in de punk et ça se termine comme ça doit se terminer, en clameur de guitares extraordinaires. On sort de ce cut le souffle court. Et voilà, trop bourré pour baiser : «Too Drunk To Love You». Basly en profite pour tramer un heavy doom. Vous devriez l’écouter car ça ouvre des horizons. D’autant que Basly chante à la syllabe mouillée et passe un solo d’absolute killering. C’est l’un des sons de guitare les plus wild qu’on ait pu entendre ici bas.

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    Les voilà de nouveau tous les trois en devanture du Super Wright Dark Wright paru en 2009. Basly ressemble de plus en plus au Comte Dracula. Ils attaquent avec un «Extra Wright» à la Jon Spencer, joué à la clairette de funky-gaga guitar et Basly décide tout simplement de chanter comme un dieu, alors oui, my extra wright. Ils font ensuite exploser le saucisson avec «Im Waiting». Basly l’attaque au dark de glotte, il sait allumer une mèche ! Mais on perd un peu la démesure du Space-O-Phonics. C’est autre chose. Comme si la sauvagerie était enfin domestiquée. Alors on se régale de l’ambiance d’accords biseautés. De toute évidence, le Comte Dracula a du génie, ça joue dans le clair obscur et il va bien sûr s’exploser la glotte à coups de whoo wahh oooh, c’est un modèle du genre, un truc qui intéressait beaucoup Wolf. Il faut aussi le voir moduler son chat perché dans «All Right All Right». En plus, il gratte les poux du son jusqu’au sang. Et maintenant, un encart publicitaire : amateurs de folie, adressez-vous à Monsieur Basly. Comment fait-on ? Il suffit d’écouter «She Wanna Take Drugs». Basly est le chanteur définitif, il dérape dans les peaux de banane. Basly et Peter Aaron, même combat. Suivez-le dans ses fuites de wanna take drugs, c’est la connaissance par les gouffres du son, ça fait même drôle d’entendre Basly hurler comme s’il était tombé dans les pattes des tourmenteurs de l’Inquisition, c’est du scream externalisé d’implosion suprématiste, on ne peut pas faire l’impasse sur une telle démesure. Il gère aussi son «Who Says A Rockband Can’t Play Funky» à la voix de petite fiotte et ses potes l’aident à swinguer sa pop humide. Encore un coup de génie en forme de coup de bambou, il finit en mongolien échappé d’un bac à sable et s’en va hurler dans les bois. Le «Me And Mrs Smith» qu’on croise ensuite n’a rien à voir avec le «Me And Mrs Jones» de Billy Paul. C’est très différent car on y voit Basly se jeter dans l’eau bouillante comme un crabe ivre de liberté. L’une de ses spécialités c’est aussi d’allumer son cut une fois qu’on le croit fini, mais non, il décide d’en remettre un coup dans le cul du cut et ça devient glorieux, car ça gicle, ça tourne au trash organique, à l’orgasme sonique avec ta copine de cheval, explosivité à tous les étages en montant chez Brenda. Tiens justement, la voilà, la «Brenda». Elle est tellement chargée de son qu’elle en chevrote. Les accords raclent le fromage sans que Basly ait besoin de sortir la râpe. Il râpe, ses accords sont encore une fois un modèle du genre, tout vibre dans la baraque, ces fucking Cowboys vont nous écrouler la baraque, ô sainte mère !, mais vas-y Basly, gratte ta chique et fais grimper la température ! Retour à la folie du Gun Club avec «Rooms Of Hate». Bienvenue dans le giron du punk blues. Jeffrey Lee serait fier d’entendre ça, d’entendre cette belle démesure gun-clubbique. C’est un extrême qui ne veut pas baisser la tête, Basly chante comme toujours, à la vie à la mort. C’est le lui le king. Stupéfiant ! L’hymne du non-retour. La suite du Gun Club de non-retour. Basly hurle dans la toundra, seul, à des milliers de kilomètres de toute trace de civilisation. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec une belle dépotée intitulée «A Brand New Story». Pour ça, on peut faire confiance aux Cowboys, les dépotées ça les connaît. Ces mecs vont nous battre le rappel jusqu’à la fin des haricots. Et avec Basly, on est sûrs d’avoir du rab de ragoût. Il y va de bon cœur, comme toujours. Il fait du Basly pur, il niaque sa niaque et reste sur le story bad. Il est très certainement le plus brillant rocker de France.

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    Avec les Cowboys , il ne faut attendre rien d’autre qu’un festin de son. Exile At The Rising House ne fait pas exception à la règle. Et ce dès «Lost Men Blues» et ce son hanté jusqu’à l’oss de l’ass, digne des Cranks, dévastatoire autant que révélatoire. Ces mecs pataugent dans leur lave, ils fonctionnent par crises de rage éruptives, quand ça coule, ça coule, dans la grande tradition du trash-punk new-yorkais. Les flammes dévorent les immeubles. Ils savent très bien faire leur petite Blues Explosion («My Favorite Rock’n’Roll Band») et jouer aux frichtis de guitares claires («Voodoo Lover»), animés d’une volonté sempiternelle de sonner rétro avec un côté tordu. Retour au pur jus de Jon Spencer avec «Cheree Cheree» et une fantastique modulation du velouté de chant. Basly chante comme un vampire hermaphrodite. Ils bouclent cette A infernale avec «Penitent Hood Song». Basly sait devenir fou et même dangereux. Ce fantastique transgresseur écrase du talon les conventions de Genève comme des excréments, d’un quart de tour bien appuyé. Et ça repart de plus belle en B avec «I Wanna Be Pictured (In A Trash Magazine)», fantastique shoot de wild thing. Basly sait rendre hommage aux vieux standards du lard de la matière. C’est un shoor de choc frontal chanté à la belle désespérance des barricades et les accords battent tous les records de heavyness. «Strange Kinda Hell» vaut aussi le détour, car bien balayé par des vents brûlants. Les petits couplets restent clean, mais les ponts brûlent. Quelle science du rebondissement et de la terre brûlée ! Retour aux belles dégelées royales avec «In Your Dream». Basly fait du sur-place dans cette masse grelottante qui semble frappée d’un coup de pelle à plat, ça gicle, c’est du grand splank fantasmatique. Et toujours cette profondeur de champ dans le son. Il va droit sur le rockab pour «I’m Drivin’ In», avec un gimmick de guitare en embuscade et ça splashe in the face dès que ça s’énerve. Comme si les Cowboys ne maîtrisaient plus leur bolide.

    Avant d’installer les chandelles pour éviter que le toit de la baraque ne s’écroule, un petit éclaircissement s’impose : pourquoi sur l’illusse voit-on les Cowboys armés et réfugiés dans une cave ? Parce qu’on a projeté les Cowboys au troisième millénaire pour les besoins d’un conte moral. C’est une époque que nous ne connaîtrons pas, heureusement, car un totalitarisme issu des profondeurs de l’obscurantisme régnera sur la terre et tout anticonformiste sera considéré comme terroriste et aussitôt éliminé. Les affiliés du Gun Club seront considérés comme des ennemis du peuple et traqués. D’où la cave et les armes, en cas d’arrivée des forces spéciales d’intervention.

    Singé : Cazengler, cowboy d’opérette

    Cowboys From Outerspace. Cowboys From Outerspace. Nova Express 1997

    Cowboys From Outerspace. Choke Full Of... Nova Express 2000

    Cowboys From Outerspace. Space-O-Phonics Aliens. Nova Express 2002

    Cowboys From Outerspace. Bones Keep Smilin’. Nova Express 2003

    Cowboys From Outerspace. Sleeping With Ghosts. Nova Express 2005

    Cowboys From Outerspace. Super Wright Dark Wright. Nova Express 2009

    Cowboys From Outerspace. Exile At The Rising House. Lollipop Records 2015

     

    *

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    On était contents, durant le confinement les cui-cui avaient émigré en Bretagne. On plaignait les Bretons, un peu hypocritement, car l'on était heureux d'en être débarrassés. Plus de maudits volatiles pour vous corner dans les oreilles. Quel repos ! C'était mal les connaître. Première alerte, se rappellent à notre souvenir ( voir Kr'tnt ! 485 ) en faisant paraître un livre sur les affiches de leurs concerts. On n'a rien dit, de toutes les manières, sont comme tous les autres désormais privés d'apparitions publiques, à quelque chose malheur est bon. Ben non ! En ont profité pour enregistrer un album, du coup ils produisent un Clip ( voir Kr'tnt ! 491 ) pour prouver qu'ils savent faire du bruit. D'ici à ce que le CD soit dans le commerce, vu la situation l'on est pénardos pour un bout de temps pensions-nous. A tort. Un bombardement ininterrompu, toute la semaine dernière, tirent à la grosse Bertha, un nouveau clip sur un morceau du précédent album Europeans Slaves, puis un extrait du futur album sur Soundcloud, et deux jours après un deuxième titre... En plus ils ont survécu à la grippe aviaire... Quand je pense que certains kr'tntreaders sont peut-être membres de la Ligue pour la Protection des Oiseaux !

    NOWHERE ELSE

    CRASHBIRDS

    ( Clip : Rattila Picture / Janvier 2021 )

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    Dirty country road rock'n'roll blues. C'est le fil conducteur. Il vous est d'autant plus nécessaire qu'au début vous êtes en voiture. Avec chauffeur. Perso je ne lui ferai aucune confiance. Pas plus à son look d'agent secret en mission qu'à la gerce emmitouflée à ses côtés. Le paysage défile en grand panorama, c'est beau mais l'humidité vous transperce les os ( les géographes s'accordent pour décrire la Bretagne comme un pluviomètre géant ). Oui bien sûr, vous avez reconnu Pierre Lehoulier et Delphine Viane, les deux cui-cui infernaux. Où vont-ils ? Rattila Picture va vous le dire. Là où Rattila passe l'herbe des images repousse plus vite que le vent. L'écran se divise en deux, à gauche campagne mouillée et hivernale, à droite Pierre à la guitare et Delphine idem mais son pantalon rouge coquelicot vous arrache les yeux. Vous ne les écoutez pas toute votre attention est dévolue à la ruine derrière eux, un vieux baraquement en bois tout pourrave que les termites ont refusé de ronger. Dans les romans policiers, ce sont les détails qui sont importants pour les déductions. Je vous en donne trois, Delphine qui n'arrête pas de bouger comme si elle était atteinte de la danse de saint guy, les branches d'arbre qui s'agitent, le bonnet de Pierre avec ses oreilles fourrées d'épagneul. Parfait canidé pour la chasse aux canards. Oui, il fait un froid de canard. Et même de loup. Un esquimau refuserait de virer un ours polaire de son igloo, mais les cui-cui sont dehors.

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    Jusque-là tout va à peu près bien, c'est aux secondes suivantes que vous êtes en plein décrochage temporel, sont encore dans la bagnole, pas très futés d'ailleurs, ont perdu leurs chemins, dédoublement des images, sur la bande latérale supérieure ils s'énervent sur la carte, sur l'inférieure ils sont devant leur bungalow ( ceux que la SNCF revendait à la fin de la guerre aux miséreux qui ne trouvait pas où se loger ) en train de gratter leur zique. Vous les revoyez en alternance longeant des paysages granitique par des routes détrempées ou martyrisant leurs instruments. Belles collines verdoyantes, on se croirait au Népal, nos voyageurs croquent des chips dans la nuit noire de leu habitacle. Dans les mêmes instants ils ont laissé leurs instruments et ramassent du bois, sortent un barbecue et allument un feu d'enfer. La nuit est tombée, sont assis près du feu et boivent une canette.

    En tant que Kr'tntreaders vous êtes assez finauds pour avoir compris. La morale de l'histoire est simple : vous ne serez jamais mieux que chez vous.

                                               Quand (… )

    Reverrais-je le clos de ma pauvre maison

    Qui m'est une province et plus davantage

    chantait déjà le poëte Joachim du Bellay au seizième siècle, une terrible époque qui ne connaissait pas le rock'n'roll, ce qui n'est pas le cas de nos deux inséparables nés en des temps plus fastes. Ce qui nous oblige maintenant à regarder une nouvelle fois ce high voltage pictured clip, non pas avec nos yeux, mais avec nos oreilles.

    Un bon vermicelle à l'arsenic guitarique pour lancer le bastringue, Dehphine ne tarde pas à sonner le tocsin sur sa cloche à vache et Pierre à passer le bulldozer sur tout ce qui bouge, la surprise vient de Delphine, ne lui en veuillez pas, ce sont les aléas existentiels des rockstars, elle a commencé par un vocal normal, mais sous pression, Pierre vous fait défiler deux ou trois enterrements au pas de course et soudain Delphine se lâche, elle n'est plus un cui-cui sur sa branche, sa voix monte haut comme l'aigle de Zeus, ce n'est plus Delphine, mais une cantatrice, une walkyrie dans son cercle de feu, forte houle de Lehoulier, le creux des vagues atteint douze mètres, les bateaux coulent votre raison aussi, La voix de Delphine tournoie sur le naufrage, et dans un dernier soubresaut elle se précipite au fond du gouffre telle un goéland suicidaire qui expire en deux cris stridents. Magnifique...

     

    THE DEAD KING SON

    ( Crashbirds Suncloud )

    Extrait de l'album Unicorns à venir. Une sombre histoire. Imaginez Hamlet de Shakespeare racontée par Ophélie du fond de l'Enfer, hélas son suicide par noyade ne l'a pas faite revenir à la raison, elle est toujours aussi folle, est-ce pour cela que la guitare de Lehoulier tout en gardant sa noirceur habituelle vous prend de temps en temps une sonorité narquoise, un petit côté tra-lala-lalère insidieux pour souligner la sombre tragédie que nous conte Delphine Viane sur ce ton sentencieux et insouciant qui nous nous fait toucher du doigt la pourriture du Royaume France. Ophélie en pleine crise doit être enfermée dans une cellule capitonnée pour que l'on n'entende plus ses hennissements cristallins si bien imitée par Delphine, et Pierre Lehoulier touché à son tour se lance dans une espèce de bourrée auvergnate finale qui risque de vous étonner. Et lorsque vous l'aurez écouté une fois vous serez comme le petit enfant qui exige de son papa Pierre et de sa maman Delphine qu'ils vous la racontent tous les soirs avant de vous coucher pour atteindre le pays des cauchemars interdits.

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    THE GOOD OLD TIME

    ( Crashbirds Suncloud )

    Comment Pierre parvient-il avec sa guitare électrique à donner ce sentiment de musique médiévale, certes les temps durement marqués du pied sur ses caisses phoniques aident à matérialiser l'atmosphère musicale de ces époques de royauté et de servitude... quant à Delphine elle semble sortie tout droit de la tapisserie La Dame à la Licorne, on l'imagine coiffée d'un long hennin surmontant sa rousse chevelure récitant une de ces mystérieuses histoires hantées et secrètes des temps passées, les pas des soudards qui résonnent sur les pierres de la plus haute tour, parfois il vaut mieux se taire et écouter le vent qui souffle en haut du donjon...

    Ce ne sont que des impressions, des approximations oniriques nous attendons avec impatience la sortie de l'artwork finalisé. L'on pressent facilement que ces malotrus de cui cui ont encore pondu une galette indispensable.

     

    Après cela on croyait être tranquille pour un bout de temps, ne vont tout de même pas enregistrer un nouveau disque tant qu'ils n'auront pas écoulé Unicorns ! Non, ils n'ont pas osé. Ils ont fait pire, ils ressortent le précédent, European Slaves, vous l'avez déjà, oui en CD, mais là c'est le tirage vinyle, que voulez vous, depuis le covid la vie devient si difficile !

    Damie Chad

    P. S. : alerte noire, Pierre Lehoulier entame une nouvelle bande dessinée : sujet : la préhistoire, depuis au moins l'extinction des dinosaures... Survivrons-nous à cette avalanche crashbirdienne... Ne l'oubliez pas, seuls subsisteront à l'actuel ravage culturel ceux qui contre vents et marées ont encore la force de lutter et de créer.

     

    CROAK

    ( 2013 )

    Pit : vocal / Mathieu : guitares / Bruno : Lead guitar / Chris : basse / Alex : drums.

    Groupe canadien formé par Pit ( canadien ) et Mathieu ( froggy man ) à Grenoble. N'ont sorti que trois disques, le dernier en juin 2020, le II en 2016, et le premier dont nous nous occupons présentement en 2013. Suis tombé dessus totalement par hasard, enfin presque, vous connaissez ma dévotion pour les corbeaux, cet oiseau de mauvais augure cher ( façon de parler ) à Edgar Poe. Un dessin, étrange un corbeau à deux têtes – ne serait-ce pas un aigle – et dessous un corps d'homme mal foutu, maladroitement tracé, sur ce que l'on pourrait prendre la toile d'un tipi indien. A ses pieds un animal non identifié que l'actualité nous oblige à baptiser du nom de pangolin, mais les lettres gothiques en arrière-fond infirmeront ma vision par trop orientée. Cet artwork est dû à Grégory Migeon qui a réalisé de superbes pochette pour Anasazi. Groupe de Grenoble ( comme le monde est petit ), d'ailleurs la plupart des membres de Croak font aussi parti d'Anasazy. Un véritable projet parallèle.

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    Beneath : étrange intro très courte qui tient autant d'un heavy rock bien appuyé que du déplacement d'une soucoupe volante. Un beau vocal, lui aussi bien écourté, dans le genre on vous en donne moins pour que vous en ayez davantage envie, c'est réussi. Odorless acid : le genre de morceau qui ne révolutionne pas le rock mais qui donne envie d'écouter, le riff de base qui installe du bonheur dans votre vie, un bel organe qui tape dans le grave, Pit vous donne l'impression que vous êtes un chien qui court après le maître pour avoir le sucre qui se dérobe sans fin, les instrus se la mettent souvent en sourdine pour lui permettre de chanter et presque de rapper le gruyère canadien à son aise, mais quand ils reprennent l'estampage, ils vous tamponnent agréablement les esgourdes. Le drumin' et le fuzzin' des guitares squattent le dernier tiers de la piste, un constat s'impose : sont des musiciens. Faking god : Pit n'est pas piteux au crachoir, vous tient en haleine dès qu'il ouvre le bec, et sur ce Bruno vous laisse tomber une mini ondée d'accords de guitare qui... closent le morceau. Une minute et trois secondes. Ces gars-là sont des affameurs. Boogie time in Topanga Canyon : ce coup-ci, ils n'y vont pas de main morte, vous balancent la sauce tout de suite, cette voix de Pit mixée tout devant est prodigieuse, jamais très longtemps, simplement de brèves séquences, question guitares on dirait des gars qui s'amusent avec des modèles réduits d'avions à faire des loopings incroyables pour épater le public. Raising fist : Alex vous démontre que guitares sans batterie sont filles perdues, et l'on part dans une espèce de mild heavy-boogie qui question originalité ne casse pas trois pattes à un canard mais qui requiert votre attention, z'ont une formule simple, à tout instant comme dans ces grands magasins où l'on vous annonce une promo subite sur tel produit, puis une autre encore plus avantageuse au rayon le plus éloigné de la précédente, la clientèle ne sait plus où donner de la tête, la folie s'installe, les gens se battent autour de la camelote, et Pit avec sa voix de bonimenteur gentil déclenche une émeute.

    Devil's reject : c'est reparti pour les belles ondées cordiques et Pit prend sa voix la plus grave pour vous raconter une histoire, de quoi cause-t-elle? Là n'est pas le problème, le timbre agit sur vous comme un calmant, la léthargie s'installe en vous et la brume des rêves s'emparent de votre cerveau. Alex profite de ce que vous soyez endormi pour faire un peu de bruit sur ses tambours et les guitares acquièrent une sonorité diabolique. Ne vous réveillez pas, ce n'est pas la peine, vous êtes mort.

    Présentent Croack comme la face metal d'Anasazy, pas du tungstène aux arêtes écorchantes, ni de la quincaillerie tonitruante, un goût prononcé pour les belles sonorités, des musiciens prog qui fourmillent d'idées et qui savent vous séduire. Un corbeau au croassement particulièrement mélodieux.

    Damie Chad.

     

    *

    Ne soyons pas racistes, vous avez aimé la série consacrée à Steppenwolf ( Non ? Tant pis pour vous ! ) ce coup-ci, le zoo tout entier, l'arche de Noé in extenso, nous nous intéresserons à tous les animaux à la fois, la direction ne recule devant aucun sacrifice, vous aurez une série consacrée aux Animals, aux premiers, pour être précis à la période 1963 – 1966, le groupe originel. Encore que... parce que la harde s'est relativement vite débandée.

    ANIMALS / 1963

    Newcastle-Upon-Tyne, vous ne choisissiez pas cette ville portuaire pour passer vos vacances. Par contre une soirée au Downbeat vous permettait de rencontrer les Kansas City Five avec Alan Price aux claviers, John Steel à la batterie et Eric Burdon au vocal. Alan Price stratège en douce avec Chas Chandler le bassiste des Kontours, seront chargés d'occuper les soirées durant trois heures, l'est rejoint par Steel et Burdon, à tel point que les Kontours se transforment en Alan Price Rhythm'n'Blues Combo, survient enfin Hilton Valentine qui comprend que le bidule a le vent en poupe. Eric Burdon n'est pas du genre mannequin, l'est taillé comme une allumette mais une voix profonde comme une tombe sans fond, le gamin pas très beau, chétif et malingre – l'avait la vingtaine - chantait comme un dieu nègre. Enfin fallait aimer. Bramait comme cerf, glapissait comme un renard, grognait comme un ours, feulait comme un tigre, rugissait comme un lion. Dans le combo se sont vite rendu compte que ce con pas beau attirait le public, ses beuglements avaient un effet bœuf, pas mironton mais minotaure, sur la foule. On adorait, mais on le formulait selon cet humour britannique inimitable, où vas-tu ce soir, voir le Alan Price Rhythm'n'Blues Combo, vous conviendrez que c'est un peu long, alors s'est installé le sobriquet Animals, plus court, plus rapide, plus sauvage. C'est que le petit bonhomme qui braillait comme les chevaux ruent dans les brancards obligeaient les copains à secouer salement leurs instruments. Les a convertis de gré et de force à sa vision à lui du rhythm'n'blues, oui pratiquement du race series, avec une forte injection de blues.

    Cette histoire est bien belle, celle qui suit plus complexe que le Tractatus Logicus de Wittgenstein, car se pencher sur la discographie des Animals est un véritable casse-tête. Le fait qu'ils n'aient pas sortis de 33 tours facilement identifiables dans la tête des gens a nui à la conservation mémorielle du groupe. Les Rolling Stones ont aussi joué aux titrages différents selon les pays, mais ils ont su corriger le tir à temps, et ont eu cette chance de devenir très vite un mythe vivant...

     

    I JUST WANT TO MAKE LOVE TO YOU

    ANIMALS

    ( ALO 10865 / Octobre 1963 )

    C'est le titre de leur premier Ep, jamais vu, jamais entendu, enregistrement privé, sorti à 99 exemplaires, les quatre titres de cette première galette se retrouvent sur la réédition d'Animalisms Secret Records Limited 2018 ) en tant que bonus tracks. Qu'importe, ne soyons pas mécréant, écoutons religieusement. Pas tout à fait comme la messe de onze heures du dimanche matin, celle-là est réservée aux tièdes que le Seigneur recrache, tapez plutôt dans la cérémonie vaudou avec poulets égorgés et zombies affamés.

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    I just want to make love to you : composé par Willie Dixon homme à tout faire de haute main chez Chess, illico enregistré en 1954 par Muddy Waters, mais la version qui doit être dans l'oreille de Burdon est celle de Chuck Berry publiée en 63, l'on remarquera le changement de titre le Just make love to me de Waters le boueux s'est métamorphosé en slogan revendicatif de base de ces années de libération sexuelle que furent les sixties, l'écoute des deux versions s'avère judicieuse, l'on sent le glissement phénoménal entre le bluesy rock'n'roll de Chuck Berry et le british Boom anglais, nos jeunes gens y vont franco, parient sur l'expressivité, chaque fois que Burdon entonne le vocal il donne l'impression d'allumer un chalumeau, quant à Price pas question de tricoter le clavier pour entremêler ses notes à celle de la guitare, intervient comme s'il agitait un oriflamme pour entraîner le gros des troupes dans la mêlée. Boom boom : j'avais acheté le 45 tours français pour Don't let me be misunderstood, au bout de huit jours j'ai dû me rendre à l'évidence, je n'écoutais pratiquement que Boom Boom, un truc qui vous ravageait les synapses, certes l'originale de John Lee Hooker est davantage racée et stylée, mais le Hooker lui-même la réenregistrera après avoir écouté celle des Animals, les Bestiaux n'y vont pas par quatre chemins, ils forcent l'entrée au pied de biche, cassent du bois mais le feu qu'ils allumeront restera un peu maigre tout comme le son. Le morceau sera repris sous la houlette de Mikie Most et sera sur le fameux 45 tours qui ouvrit les portes du blues à un certain Damie Chad. Big boss man : les anglais ont raffolé de Jimmy Reed, faut l'entendre l'a une manière si flegmatique de s'adresser au big boss que vous sentez la hargne rentrée et rampante, un serpent qui se glisse pour se dresser et vous planter un couteau entre les omoplates, les Animals n'ont pas cette ironie doucereuse, une de leur reprises les plus faibles, cette étrange idée de se caler d'abord sur la rythmique de Memphis Tennessee de Chuck Berry et quant à Burdon c'est du genre, retenez moi ou je fais un malheur et comme ses potes le retiennent c'est un véritable malheur, une version sans saveur, pour faire la différence écoutez celle d'Elvis qui lui aussi a repris le morceau de Dixon en 1966 ( ce coup-ci c'est pas Willie mais Luther, comme dit le dicton y a plus d'un Dixon dans le boxon ). Pretty thing : en France Bo Diddley a été le pionnier du rock le moins écouté ce qui explique peut-être la faiblesse de notre rock national privé d'un de ses fondements essentiels, en Angleterre l'anecdote est connue, celle de Keith et Mick se retrouvant et sympathisant autour d'une pile de disques de Chuck Berry et du beau Bo pas bobo pour un dollar, les Animals nous en offrent une version dopaminée, Hilton en profite pour refiler le riff de Brown eyed handsomme man ( merci Chuck ) en catimini, c'est vrai qu'ils fourrent le hot dog avec toutes sortes de moutardes, notamment un harmo dépenaillé, mais le hot hit du Bo le supporte sans broncher, avec Bo vous pouvez charger la barque, elle ne coule jamais, même qu'ils terminent un peu trop rapidement à notre goût. Question métaphysique subsidiaire : pourquoi Burdon a-t-il adopté cette voix nasillarde des vieux disques de country ?

     

    LIVE WITH SONNY BOY WILLIAMSON

    ( Enregistré au Club A GO-GO / 30 – 12 - 1963 )

    (Morceaux avec Sonny Boy Willialson : BYG / 1972 )

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    Vu la date d'enregistrement il n'a pas dû sortir en 1963 ! Le genre d'adoubement dont tous les petits blancs rêvaient à l'époque, accompagner sur scène une légende vivante du blues. Sonny Boy Williamson ( II ) - appelé aussi Rice Miller pour le différencier de Sonny Boy Williamson ( I ) harmoniciste assassiné en 1948 - connaîtra le succès en Europe grâce à ses deux participations à l'American Folk Blues Festival en 1963 et 1964. C'est durant ces deux tournées qu'il adopta le chapeau melon, selon lui signe extérieur de respectabilité, qui fit autant pour sa célébrité que le soin maniaque qu'il prodiguait à la mallette qui contenait ses harmonicas. Chanteur et harmoniciste renommé lui aussi, il commença à enregistrer en 1941 et décéda en 1965. Tous les amateurs de blues débutants se font les dents sur son Help me. La connexion avec Sonny Boy Williamson est établie grâce à Giorgio Gomelsky, figure incontournable et fondamentale du rock anglais, le manager des Rolling Stones.

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    Let it rock : premier des six morceaux joués uniquement par les Animals en première partie du vétéran, au hasard un titre de Chuck Berry qu'il a enregistré en 1960. Une chose est sûre c'est que nos animaliers s'y entendent pour interpréter le rock'n'roll, le morceau défile à cent à l'heure, un seul problème l'orgue d'Alan Price n'a pas la légèreté fuyante et escarbouclante du piano de Johnnie Johnson, par contre le combo a compris que le seul défaut de l'interprétation de Chuck Berry résidait en sa brièveté. Doublent pratiquement la longueur des rails et font notre bonheur. Quelques années plus tard les Stones sur scène les imiteront, mais leur convoi n'atteindra pas cette vitesse déjantée. Gotta find my baby : une vieillerie du Doctor Peter Clayton que les Beatles reprendront durant leurs BBC sessions , Price ne joue pas les abonnés absents, la partie toute en subtilité de piano du bon Docteur il vous la plaque à coups de marteau, en inonde le morceau, vous pond ce qui deviendra le son de base des Animals, quant à Burdon il vous la chante au mégaphone, sur la fin gueulent tous en chœur si fort que pour un peu on ne se souviendrait plus du petit solo tout en finesse d'Hilton Valentine. Un chef-d'œuvre ignoré. Bo Diddley : entendez-le brailler du fond de la jungle, Burdon se retrouve en terrain conquis, bien sûr John Steel est au boulot, L'orgue de Price glougloute comme une bouteille que vous enfoncez dans un marigot de djack, dommage que le public soit mixé loin derrière, pensez à un set de Jake Calypso pour vous créer un équivalent mental, on aimerait y être mais on n'y est pas, cela perd un peu de son charme, mais l'organe de Burdon vous procure un réel plaisir. Plus de sept minutes. Almost grown : retour à Chuck Berry, si certains en doutaient c'est là qu'ils s'apercevront de l'aisance de Burdon au vocal, fait ce qu'il veut et n'oublie pas de s'amuser, derrière ça assure au rutabaga dans les chœurs, quant à l'orgue de Price il astique la quincaillerie de dorure rubescente, style camion de pompier en feu. Dimples : ils aiment John Lee Hooker, mais ils s'en servent comme d'un tremplin, certes il y a une urgence sous-jacente chez John lee mais alliée à une sorte de flegme venimeux, je ne dis pas qu'ils n'essaient pas d'y aller mollo, mais chassez le naturel il revient au galop, la guitare tente de ne pas grincer trop fort, l'orgue se fait minuscule mais le Burdon il hurle à lui tout seul comme une classe de CM 2 privée depuis trois jours de récréation, pas besoin de vous faire un dessin pour vous aider à imaginer. Boom boom : d'autant plus qu'ils terminent sur un de leur morceau fétiche et que dans trois minutes, il faudra se tenir sagement derrière le grand monsieur, alors le Boom Boom ils vous le massacrent à souhait pour notre plus grande joie, le Burdon s'envole dans un hommage à Sonny Boy, égosillement général.

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    C Jam blues : on ne va pas se quitter comme cela, un dernier blues en l'honneur de Sonny Boy, une véritable tuerie, attention c'est Sonny qui donne le tempo, s'est installé à la batterie, tous sont aux petits soins avec lui, Price se la joue discrétos mais omniprésent, Valentine est à la fête sur sa guitare. Burdon survolté au bord de la rupture d'anévrisme. Sonny's slow walk : ne se dégonflent pas les Animals, ne sont pas là pour faire acte de présence, superbe duo orgue et harmonica, tout de suite la griffe du maître, leur montre un peu ce que c'est l'économie de moyens, quelques miaulements de l'orgue à bouche et l'on entre dans le vif du sujet. Pontiac blues : silence absolu dans la salle, le roi parle, vous déchire les tympans de son harmonica, et puis il chante, ne hurle pas comme le Burdon, tout juste s'il ne cause pas, Hilton ne reste pas à l'hôtel, il prend le solo, Price qui jusque-là se contentait d'accompagner passe devant mais le Williamson vous étripe un peu avec son harmo et se remet au vocal pour cautériser votre plaie béante, un sorcier, à la fin du morceau vous êtes guéri. Vous pouvez profiter pleinement de la porte qui grince dans la bouche de Sonny. My babe : recoucou Willie Dixon, un classique, tout ce que les Stones n'arriveront jamais à faire, l'a l'air d'un oiseau qui pépie sur la branche le Lee, vous souffle des trilles assassines et les Animals se contentent de suivre sans la ramener, maintenant quand il dit ''she's my baby'' il semble qu'il vous murmure à l'oreille le plus grand secret de l'univers. Vous ne vous rendez même pas compte que vous le saviez déjà. I don't care no more : cette manière de parler en chantant, rien à voir avec le rap, en prime ses éclats d'harmo qui vous crèvent les yeux, le vieux brigand s'amuse tout seul, n'a besoin de personne sur son harmonium à dentier, le public l'interrompt pour applaudir, l'en profite pour se raconter un peu. Baby don't you weary : intro d'harmo guimbardien, voix presque murmurante, le gars qui monologue seul, le blues est dans votre tête cela suffit pour remplir le monde, une mouche bourdonne sur l'étron de votre vie, tape ses élytres sur la vitre du malheur, la voix se brise comme du verre. Night time is the right time : Price fait des guili-guili tandis que le Boy étire la nuit sur son harmo, l'orgue se fait tout doux pour nous bercer, le fils de William vous émoustille les heures sombres, derrière en écho Burdon hurle tout en restant dans les limites du tapage nocturne tolérable, quelques lichettes de Sonny et vous êtes au pays des rêves. I' m gonna put you down : la voix d'abord, l'orgue entre deux eaux, à volume constant la nécessité de tendre les esgourdes s'impose, Sonny prend le contre-pied des Animals, devient l'homme qui murmure à l'oreille de l'harmonica, baisse le son au maximum, à peine hausse-t-il d'un mini chouïa la voix que ça résonne à se croire dans un hangar vide. Termine doucement en cheminant avec l'orgue qui se fait frôlement d' attrape-rêves. Fattenings frogs for snakes : guère plus fort, tout dans la nuance, et le blues tombe sur vous comme un éteignoir sur un lampadaire, la batterie qui donne le tempo vous suffit, Price ferait bien de débrancher sa machine, elle est de trop. Légères touches de guitare, coups de pinceaux à l'aquarelle. Nobody but you : beaucoup plus enjoué, Williamson donne le la à Burdon et l'on retrouve les Animals qui devaient piaffer d'impatience. Du coup ils piquent un galop de steeple-chase pour garder la forme, et Sonny donne la réplique à Eric avec une facilité déconcertante. C'est parti pour les congratulations mutuelles sous les ovations du public. Bye-bye Sonny bye-bye + coda : dernière proclamation hommagiale à la royauté de Sonny Boy Williamson.

    Il est indéniable qu'à la fin de l'année 63 les Animals possèdent un son bien à eux qui les classe parmi les meilleurs groupes du pays.

    Pour ceux qui aiment, Sonny Boy Williamson a aussi enregistré avec les Yardbirds.

    Damie Chad.

     

     

    XX

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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      • Ça alors !

    Les filles n'en reviennent pas. Ce n'est pas une transformation mais une incroyable métamorphose. La 2 Chenille est devenue un papillodrone ! Vince récapitule les changements qu'il a effectués : je n'ai gardé que la structure minimale, le châssis et les sièges. Les deux énormes bouteilles dessous qui ressemblent à des flotteurs de pédalo contiennent de l'hydrogène, j'ai adapté le moteur pour qu'il ne soit plus alimenté par l'essence, mais par le gaz. Cinq adultes et deux chiens plus le matériel nécessaire à notre mission cela pèse un max d'où la nécessité des pales supérieures qui nous font ressembler à un hélicoptère. Evidemment le rotor qui tourne à grande vitesse émet un bruit terrifiant, nous sommes parvenus grâce à l'idée géniale de Damie d'appeler le Cat Zengler à juguler ce problème. Voilà pourquoi juste sous les pales vous apercevez ce gros haut-parleur et à côté du volant ce lecteur de CD.

      • Chic on va pouvoir écouter de la musique pendant le voyage s'exclament les filles ravies

      • Mais non cela ne ferait qu'ajouter du bruit à l'infernal boucan du rotor ! Le Cat Zengler nous a envoyé un enregistrement de John Cage, 4' 33'' ce célébrissime morceau composé de silence, il nous suffira de monter le volume à fond pour que le silence recouvre le vacarme du moteur, et nous nous déplacerons sans bruit. Mais le temps passe, je laisse la parole au Chef.

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    Le Chef allume un Coronado :

      • Ecoutez-moi, sachez que nous n'avons pas le droit d'échouer, la survie du rock'n'roll est en jeu. Exécuter les ordres au fur et à mesure que je les énonce. Charline sur la banquette arrière, à gauche, Molossito sur les genoux, Charlotte vous vous mettrez à droite et vous serez responsable de Molossa, Vince entre les deux filles ( ce renard de Vince s'adjuge l'air de rien la meilleure place ), à tes pieds une trappe, à hauteur de tes mains le treuil, c'est par là que les chiens et par où les filles seront évacués dès que la phase d'attaque de l'objectif commencera. Les filles, félicitations vous avez suivis mes conseils à la lettre, congratulation pour les épais peignoirs dans lesquels vous êtes emmitouflés et je vois que vous n'avez pas oublié le petit sac à ustensiles.

    Le Chef jette son Coronado :

      • Il est encore temps de vous défaire de vos portables, ce sont de véritables mouchards qui révèleraient très vite notre position. Agent Chad, asseyez-vous au volant, notre engin se conduit comme une deux-chevaux classique, toutefois interdiction absolue de toucher au clignoteur tant que je ne vous en aurais pas donné l'ordre. Nous volerons le plus bas possible pour ne pas être détecté par les radars. Pour vous diriger vous avez une boussole juste sous le volant, je vous indiquerai le cap au fur et à mesure. Vous avez remarqué que j'ai jeté mon Coronado. Lorsque j'allumerai un Coronado, la phase la plus difficile de l'opération débutera. J'exigerai alors un silence absolu, un millionième de seconde d'inattention de ma part et nous sommes tous morts. Agent Chad, il est exactement onze heures, contact !

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    C'est encore plus difficile à conduire que de slalomer en marche-arrière et en contre-sens sur l'autoroute, je ne voudrais pas me vanter mais à part les dix premiers kilomètres durant lesquels j'ai zigzagué quelque peu, grâce à mes nerfs d'aciers et mes réflexes de félin j'ai vite maîtrisé l'engin. C'est étrange de frôler la cime des arbres à toute vitesse – vitesse maximale 200 km / h – sans un bruit sous la voûte étoilée...

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    Les deux bidasses s'ennuient un peu.

      • T'as vu Pierre, trois nuits que l'on passe à garder le portail, pendant que les autres sont au chaud, quelle injustice !

      • C'est l'été, ça va, on ne peut pas dire qu'il fasse froid, le plus embêtant c'est que l'on s'enquiquine à mort, même pas un passant depuis trois heures, tu parles d'un boulot !

      • T'as parlé trop vite, regarde deux chiens ils cavalent à toute vitesse !

      • Ils auraient pu s'arrêter pour une caresse, cela nous aurait passé le temps..

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    cela se passe avant

    Le Chef sort un Coronado de sa poche.

      • Agent Chad, ralentissez, presque au pas, ah voilà regardez à droite, sur le toit deux points rouges !

    Le Chef tire trois fois sur son cigare, et les points rouges sur notre droite deviennent par trois fois davantage lumineux.

      • Agent Chad tout doucement, avancez vers eux, là voilà à gauche, deux points rouges, attendez j'aspire trois fois, oui ils répondent, maintenant Agent Chad, visualisez la distance entre les points de droite et les points de gauche, tenez-vous au milieu, foncez droit devant nous y sommes presque !

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    • Attention Pierre il y a des gens qui courent sur le trottoir, prépare-toi à faire feu si nécessaire

    • T'affole pas Marc, ce sont des filles, en tenues légères en plus !

    • Ne rêve pas, je parie qu'elles vont passer sans nous voir !

    • Monsieur, Monsieur !

    • Vous n'avez pas vu passer deux chiens ?

    Elles sont mignonnes dans leur justaucorps roses, toute essoufflées, prêtes à pleurer...

    • Si, il y a une minute, oh regardez ils reviennent !

    • Oh, vous êtes nos sauveurs, regardez ils ne sont pas méchants !

    • En plus ils sont tout beaux, tout mignons, comme vous !

    • Oh, vous êtres trop gentils, et vous semblez si forts !

    L'on entend un grésillement et une voix courroucée sort du haut parleur :

      • Foutredieu, soldat Pierre et Soldat Marc, vous savez qu'il est strictement interdit de parler aux passants !

      • Mon adjudant ce n'est rien, deux filles qui avaient perdu leurs chiens !

      • Branledieu, en plus vous êtes en train de caresser les cabots, avez-vous pensé à vérifier ce qu'elles portent dans leur sac; je sens d'ici à plein nez la corvée de chiotte qui va vous tomber dessus !

      • Je viens de vérifier mon adjudant, dans chaque sac il y a un chapeau en carton recouvert de papier crépon !

    L'adjudant n'en croit pas ses oreilles, deux voies féminines l'interpellent :

      • Mon adjudant, vous qui êtes un homme de goût, regardez, on vous les montre à la caméra, c'est le mien en crépon vert qui est le plus beau !

      • Non c'est le mien, en crépon orange !

      • Culdedieu, soldats Pierre et soldats Marc, tenez bon, votre adjudant va venir trancher ce terrible différend !

      • Oh, c'est gentil, on travaille dans un cirque, on présente un numéro de chiens savants, on va le faire rien que pour vous sur le trottoir !

      • Bitededieu, j'arrive !

    Les deux larges vantaux s'ouvrent en grand, les deux filles se glissent dans la cours intérieure et sautent au cou de l'adjudant pour l'embrasser...

      • Oh, mon adjudant les chiens sont entrés par la porte d'où vous êtes sorti !

      • Trouduculdedieu ! On va les chercher avant qu'ils ne dérangent la réunion ultra-secrète !

    ( A suivre... )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 491 : KR'TNT ! 491 : LESLIE WEST / CRASHBIRDS / GENERATION ROCKABILLY 16 / GRAND FUNK RAILROAD / STEPPENWOLF / ROCKAMBOLESQUES XIV

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 491

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    31 / 12 / 2020

     

    LESLIE WEST / CRASHBIRDS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS 16

    GRAND FUNK RAILROAD

    STEPPENWOLF / ROCKAMBOLESQUES 14

     

    *Pourtant que la montagne est belle

    Part One

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    Felix Pappalardi observe la montagne à la jumelle.

    — Wow, la cime se perd dans les brumes ! Sacré morceau ! Quelle prestance dans la monstruosité !

    À quelques mètres de là, Corky et Gail préparent le café. Ils ont allumé un bon feu de branchages. Felix, Corky et Gail se préparent à conquérir le mont Weinstein, l’un des sommets les plus redoutables du monde. Dès l’aube, ils quitteront le camp de base et se lanceront à l’assaut des pentes. Felix s’accroupit auprès du feu. Gail lui tend une tasse de café brûlant.

    — Tu as l’air particulièrement excité, mon lapin, murmure-t-elle d’un ton lubrique...

    — Cette grosse montagne vaut le jus, Gail chérie... C’est la crème de la crème : après l’Aconcagua, l’Everest, le Mont Winson et le Kilimandjaro, on va se taper ce gros tas de caillasse !

    Il tortille sa moustache d’un geste nerveux.

    — Bon, départ à quatre heures ! D’accord ?

    Gail et Corky acquiescent. Puis nos trois co-équipiers font un repas hautement énergétique. Gail et Felix vont se coucher pendant que Corky fait la vaisselle. La nuit tombe, froide et opaque. Corky tend l’oreille. Des soupirs proviennent de la tente de Felix et de Gail.

    — Ce salaud de Felix pourrait au moins en faire profiter les copains, marmonne Corky entre ses dents. Puis Gail pousse des cris stridents qui se perdent dans la nuit.

    Corky rentre sous sa tente en soupirant comme un bœuf.

    — Bon, une branlette et puis dodo !

    Au moment où le soleil se lève, une activité intense règne déjà sur le camp de base. Felix plie soigneusement sa tente portefeuille. Gail est prête. Elle porte son costume esquimau. Corky est en débardeur rouge. La belle lumière rasante caresse ses puissants bras nus.

    — Hey Corky, tu n’as rien oublié ?

    — Non, pourquoi ?

    — Tu ne crains pas d’attraper froid, habillé comme ça ?

    — Ha ha ha ! C’est pas une montagne qui aura la peau du grand drummer Corky Laing !

    — Alors, vamos !

    Felix prend la tête de la cordée. Gail suit et l’intrépide Corky ferme la marche. Deux jours durant, ils grimpent le long d’un raidillon convexe couvert de tissu écossais. Ils ont chaussé les crampons, car le sol gélatineux n’est pas très stable. Au soir du deuxième jour, ils arrivent au pied d’une falaise de cuir. Felix examine le relief à la jumelle.

    — Hum, passé ce ceinturon de vingt mètres, nous devrions pouvoir accéder aux premiers bourrelets, là-bas, au-dessus...

    Un vent terrible s’est levé.

    — Écoutez, crie Gail, on dirait une chanson !

    Ils tendent l’oreille tous les trois. Une plainte rugueuse émerge du chaos des origines. La tourmente charrie les paroles d’un blues-rock gargantuesque.

    Bloooooooood of the sun, hurle la voix et le vent sculpte dans la nuit glaciale d’audacieux phrasés de guitare.

    — Fabuleux ! hurle Felix dans la tempête. Depuis le «Strange Brew» des Cream, je n’ai jamais rien entendu d’aussi puissant !

    Au bout de trois minutes, le vent se calme et la chanson s’éteint.

    — Cette montagne est hantée par une sorte de génie, lâche un Felix intrigué.

    Gail commence à rouspéter :

    — Je veux redescendre. Je n’aime pas la tournure que prennent les événements. Rentrons à la maison, Felix, je t’écrirai de belles chansons, si tu veux...

    — Non, c’est hors de question. Nous continuons par là. Il faut redescendre jusqu’à cette bosse proéminente et remonter par la boucle que vous voyez là-bas pour atteindre les premiers bourrelets. De là, nous devrons compter encore trois bonnes journées pour atteindre le sommet. À condition que la météo se maintienne, bien sûr. Allons Gail, je t’ai connue plus courageuse. Que va penser Corky de toi ?

    Dès l’aube, ils repartent vers la boucle géante qui étincelle au soleil levant. Ils descendent dans un immense creux tapissé de tartan rouge pour rejoindre la fameuse bosse dont parlait Felix la veille au soir.

    — Bon, Corky, tu grimpes jusqu’à la boucle. Une fois là-haut, tu nous lances une corde en rappel. D’accord ?

    Corky plante son piolet dans la paroi. Soudain la montagne tousse. Les immenses chairs s’agitent avec la violence d’un tremblement de terre. Une terrible secousse précipite Corky dans le vide. Il hurle pendant de longues minutes. On entend un très lointain splash. Felix et Gail se sont accrochés de justesse au fermoir d’une espèce de fermeture éclair géante. Les derniers soubresauts s’espacent. La montagne se stabilise.

    — Bon, Gail, il va falloir grimper à mains nues... Pas question d’utiliser les piolets. La montagne est trop sensible. Te sens-tu prête ? Je pars devant, j’envoie une corde. Tu n’auras qu’à te hisser.

    Felix grimpe jusqu’à la boucle géante. Il l’atteint. Il trouve de bonnes prises entre le cuir et l’acier. Au prix d’efforts surhumains, il parvient à se hisser au sommet de la boucle. Il tire Gail jusqu’à lui. Ils restent assis tous les deux au sommet de la boucle et admirent le paysage. Puis Felix se lève et repart.

    — Si on veut se mettre à l’abri des tempêtes, il faut atteindre un gros bourrelet avant la nuit...

    Il affronte son premier bourrelet. À la différence des régions inférieures, cette zone de la montagne est couverte d’un épais tissu noir à pois blancs. Felix affronte les rondeurs à mains nues. Il progresse au-dessus du vide, se hissant à la force des doigts. Il négocie prudemment chaque surplomb et se redresse à la force des bras jusqu’à la partie supérieure de l’excroissance. Là, il peut marcher. Il cale bien ses pieds et tire Gail jusqu’à lui.

    Le soir du troisième jour, une nouvelle tempête éclate. Gail se réfugie dans les bras de son mari. Jaillissant de nulle part, la voix gutturale se mêle au vent, portant haut les éclats toniques d’une puissance extraordinaire.

    Et tu sais qu’on se reverra... si la mémoire ne te fait pas défaut... oh, cette roue en feu...

    Felix exulte dans la tempête :

    — Mais Gail ! Écoute ça !

    Il reprend en cœur avec la voix de la montagne :

    Je fonce sur la route... tu ferais mieux d’alerter mes proches... ce pneu va exploser ! Mais Gail, fais un effort, voyons ! Ne reconnais-tu pas «This Wheel’s On Fire» de Bob Dylan ? Wooow ! Quelle version apocalyptique !

    Et Felix se met à sauter sur place comme un gamin. Il ne rebondit pas très haut, à cause la nature graisseuse du bourrelet.

    Dès l’aube, ils repartent à l’assaut des derniers bourrelets noirs tachés de pois blancs. Felix finit par déboucher sur une échancrure peuplée de grandes racines noires. Il se tourne vers Gail et lance :

    — C’est une zone de poils géants qui conduit au dernier obstacle, là-haut : ce triple menton qu’il va bien falloir escalader... Hum...

    Felix et Gail progressent à travers l’épaisse végétation, assurant bien leurs prises, car la paroi est quasiment verticale. Parvenu au pied du triple menton, Felix s’immobilise, en proie à l’incertitude. Il ne le voyait pas aussi gigantesque. Il commence à tâter la matière spongieuse. Il s’assure des prises en pinçant cette affreuse consistance. Si Felix a les doigts si musclés, c’est sans doute parce qu’il joue de la basse. Il parvient péniblement à gravir les trois rondeurs successives. Il se hisse sur le dessus du menton et lance la corde à Gail. Il la tire jusqu’à lui.

    Elle rouspète :

    — Je commence à en avoir assez de ta putain de montagne !

    — Regarde Gail ! On touche au but. Allons nous rafraîchir à ces lèvres pulpeuses que je vois là-haut, puis nous longerons l’éperon du nez que tu peux apercevoir au-dessus. De là, nous atteindrons ce chapeau noyé de brumes qui coiffe notre fabuleuse montagne ! Allons Gail, encore un effort ! Nous y sommes presque !

    Ulcérée, Gail sort un Derringer de la poche de son costume esquimau.

    — Écoute-moi bien, Felix le chat ! Nous redescendons immédiatement ! Je ne te le répéterai pas deux fois !

    — Mais tu es complètement folle, ma pauvre Gail ! Nous sommes si près de la victoire ! Gail ma puce, veux-tu ranger ce flingue ! C’est vraiment la dernière fois que je t’offre une pétoire pour ton anniversaire !

    Le coup part accidentellement. La détonation résonne sur des kilomètres à la ronde. Felix prend la balle dans le cou. Sous la violence de l’impact, il tombe et roule au sol sur plusieurs mètres. Il se relève et, sans un regard pour Gail, reprend l’ascension. Il atteint les lèvres pulpeuses et s’y abreuve de salive sucrée. Puis il continue de grimper. Il atteint l’éperon du nez. Il laisse à sa droite l’immense globe d’un œil rivé sur l’éternité et escalade la zone nue d’un grand front perlé de sueur.

    Felix atteint les premières boucles d’une toison ardente. Il connaît les forêts tropicales et sait comment se faufiler dans les végétations très denses. Il reprend sa position d’araignée pour s’engager sous le plat du grand chapeau. Au prix d’efforts surhumains, il atteint l’arête et se hisse sur le plat du chapeau. Il fait quelques pas et s’écroule, épuisé.

    Un vent terrible se lève. Felix ouvre les yeux. Une mélodie d’une beauté démesurée se glisse à nouveau dans la tourmente. La voix de la montagne hurle la douleur du monde, elle martèle des syllabes d’un poids titanesque :

    Ba-by I’m down ! Ba-by I’m down !

    Felix secoue la tête. Il se pince... Mais non, ce n’est pas un rêve. Il fond sa voix dans celle de la montagne. L’écho vient à son aide. «Baby I’m Down» dure une éternité. Felix Pappalardi tutoie enfin les dieux.

    Signé : Cazengler, Mounteigne

    Leslie West. Disparu le 22 décembre 2020

    ADIEU A LESLIE WEST

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    Triste nouvelle, Leslie West a cassé sa pipe en bois, ce 22 décembre. Durant le confinement de fin avril au début de juin, nous avions abordé ( livraisons 462 / 463 / 464 / 465 / 466 / 467 / 468 / 469 / 472 ) une partie du périple rock'n'roll du colossal guitariste. Sa guitare n'était ni d'argile, ni de papier. J'avais promis de poursuivre quelques éclats de cette saga, une des plus belles du rock'n'roll. L'actualité m'a devancé. Au lieu de reprendre l'histoire à son début, nous écouterons un de ses derniers albums, pourquoi celui-ci et pas un autre, peut-être parce que la guitare y est particulièrement à l'honneur.

    Il est difficile d'imaginer Paris sans la Seine et encore plus un rocker sans scène. 2011 est une année importante pour Leslie West, terrible parce qu'il doit se faire amputer de sa jambe droite le 20 juin, parce que le 13 août il est déjà sur scène. C'est ce que l'on appelle avoir le rock chevillé au corps. Lui qui avait l'habitude de s'adonner sur son estrade à la danse de l'ours sur le toit de tôle brûlante jouera désormais assis. Le premier titre de l'album mis en boîte avant son hospitalisation ne manque pas d'humour de la part d'un diabétique qui a mené une vie de bâton de chaise, bouffe, graisse, alcools, tabacs, drogues douces et dures, tournées épuisantes et interminables... RIR, qu'il repose in rock !

    UNUSUAL SUSPECTS

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    ( Provogue / 2011 )

    Kenny Aronoff : batterie, percussions / Fabrizio Grossi : basse / Phil Parlapiano : orgue, mellotron, claviers / Leslie West : guitares, vocal / + Prestigieux invités.

    One more drink for the road : un morceau en roue libre, du classique de chez classique, genre vous voulez du blues, en voiçà en voili, prenez-en plein les feuilles, car ne durera guère plus de trois minutes, démarrage avec un piano qui shuffle plus qu'il ne boogise, et c'est parti pour la partie de guitares, Steve Lukather ( non, ce n'est pas une blague à Toto ) est à l'acoustique, miaule menu, les yeux fermés imaginez que c'est un tigre qui geint parce qu'il s'est planté une épine empoisonnée dans la patte gauche, mais non c'est Leslie à la lead qui fait le boulot. Mud flap momma : ( composé par Jenni(fer) et Joseph, voir plus bas ) forme au plus haut, on crie chapeau, c'est Slash, l'homme à la guitare flash, le bretteur N° 1, qui vous emmène un bouquet de roses avec un fusil comme épine au milieu pour vous fusiller entre les deux yeux et partout ailleurs, rien à dire deux lead guitars, c'est mieux qu'une, certes ils n'inventent pas la foudre sur ce morceau mais ils savent s'en servir, un véritable feu d'artifice du quatorze juillet, finissent à l'unisson comme le gang des frères James qui s'en prennent au coffre-fort de la banque. Slash a toujours revendiqué Leslie West comme influence. To the moon : Leslie s'envole au vocal, contrairement à ce que l'on pourrait accroire Leslie n'attaque jamais sa guitare comme Attila se ruant sur Aquila, vous a un toucher tout doux, l'on dirait que chaque fois qu'il effleure ses cordes une plume d'ange glisse sur le dos soyeux d'un chaton, le problème c'est que parfois il ne résiste pas à ce que Jack London appelait the call of the wild, alors il vous réduit en trois coups de tonnerre le mistigri en charpie sanglante, se reprend vite et vous ensorcèle d'une longue glissande vaporeuse, on ne va pas se déguiser en militant de la cause animale, ce que l'on adore c'est quand il vous pourfend les matous en trois coups de guitare majeurs, et pour cela cet envol vers la lune avivera et ravira vos pulsions les plus sadiques. Standing on higher ground : le blues le plus crasseux du monde, c'est si bon, c'est si Gibbons, avec lui Leslie est au top. Vous avez l'impression d'être au cœur de Fort Alamo, vous connaissez le film par cœur mais qui se lasserait de le regarder ! N'y a pas une note qui n'appuie pas à l'endroit exact où cela fait du bien et du mal en même temps. Third degree : le vieux classique d'Eddie Boyd – gardez vos vieux disques les masters ont été brûlés comme ceux de milliers d'autres dans l'incendie d'un entrepôt d' Universal – qui fit les beaux jours de West, Bruce & Laing, comme feature Leslie n'a pas pris de la petite friture, Joe Bonamassa en personne, ce que l'on appelle un virtuose, au chant il ne vaut pas Leslie et cette version ne vaut pas celle de WBL, l'a tout ce qu'il faut le bonhomme Bonamassa, sauf, je sens que je vais me faire haïr, une authenticité blues. C'est tout de même mieux que ce que seraient capables de faire les 99, 999 pour cent des habitants de notre planète.

     

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    Legend : comme son nom ne l'indique pas le compositeur Joseph Pizza - il a participé à la composition de cinq autres titres de l'album - ne travaillait pas dans une pizzeria mais dirigeait une société pharmaceutique, c'est aussi un vieil ami de Leslie, c'est Jenni(fer) ( que Leslie a demandée en mariage sur scène – bonjour Johnny Cash - lors du concert organisé pour fêter l'anniversaire des quarante ans du Festival de Woodstock ) qui avait travaillé dans l'entreprise de Pizza qui l'a encouragé à montrer ce morceau qu'il avait composé trente-cinq ans auparavant. Bon ce n'est pas le slow de l'été mais la ballade de l'hiver. C'est fou comme les amerloques ont l'art de vous tourner la ritournelle... un peu déplacée sur cet album tout de même... Leslie se fait plaisir à la guitare... Nothing's changed : Leslie et Zakk Wylde sont à la lead, Zakk Wilde est un poème rock à lui tout seul entre autres guitariste-compositeur pour Ozzy Osborne et fan de Neil Young – parfois les contraires s'attirent – avec Leslie ils font des miracles, comment ne pas sortir du cadre du blues tout en cassant tout à l'intérieur de la baraque. Surveillez vos enceintes, ça fuse de tous les côtés, et vos esgourdes engourdies ne s'en plaindront pas. Vous non plus. I feel fine : la reprise que l'on n'attendait pas, des Beatles de 1964, faut entendre comment Leslie vous bouscule le cocotier, le larsen inopiné de Lennon en ressort tout tarabusté, tout fuzzillé, le plus marrant c'est qu'au vocal Leslie suit de près la structure originale du morceau. Love you for ever : le titre le plus long, un régal, répétons-le, Leslie ne redécouvre pas la bombe atomique, juste un morceau de rock comme il en existe des centaines, et l'on se prend au jeu et l'on balance la tête en cadence, tout est à retenir, cette cloche de vache, et surtout cette guitare qui n'en finit pas de gronder de toutes les manières possibles et inimaginables, Leslie a le pêchon, se croit au bon vieux temps de Mountain, nous aussi. My gravity : blues balladif, beaucoup plus crédible que Legend, une guitare qui grince et une voix qui crie, quoi de plus pour être heureux, tout est dans la nuance, dans la déglingue, le doigté, l'écorchure des cordes, une espèce de mini-symphonie qui ne déparerait pas dans certaines virtuosités instrumentales de musique classique expérimentale d'aujourd'hui, mais il faut savoir l'écouter. Parfois le serpent qui tue est tapi sous les feuilles mortes de l'automne. The party's over : Slash et Zack Wylde ont failli à l'époque jouer ensemble dans Guns N' Roses, Leslie les réunit et leur laisse le champ libre, vous jouent le hit de Willie Nelson de telle façon que vous comprenez qu'entre le blues et le country il n'y a pas plus d'espace qu'un feuillet à cigarettes, tout en force et tout en douceur. L'intro et la fin touchent au sublime de la simplicité. I don't know ( the Beetle juice song ) : beaucoup n'aiment pas cet ultime morceau, dédié à un ami nain de Leslie, une démo, une pirouette, une comédie, une parodie, une chansonnette, perso j'adore.

    Cet Unusual Suspects souffre d'un grave défaut. Les morceaux sont trop courts. Une moyenne de trois minutes, nettement insuffisantes de nos jours ( et même à cette époque presque lointaine ) pour le blues. L'aurait fallu élaguer et s'autoriser deux cachalots de sept minutes ( au minimum ) chacun, cela aurait permis aux invités de s'amuser. Leslie semble peu partageur sur ce coup-là, coupe le gâteau en deux, la moitié pour lui, le reste pour les invités, et encore il en profite pour grignoter la cerise rythmique sur la part des autres. L'est sûr que d'un autre côté en 2011 le concept de double-album n'avait plus trop la cote. Ce qui nous aurait privé de bien de nos frustrations. L'ensemble vous laisse un goût d'inachevé dans la bouche. Manque aussi un désir poivré d'aventure, les invités servent le maître, le maître ne se sert pas de ce jeune sang pour explorer des eaux tumultueuses. L'on eût aimé un trait d'union entre le Hard et le Metal et l'on assiste à un prudent repli vers le camp de base du blues. Toutefois ne l'oubliez pas : the West is the best.

    Damie Chad.

     

    *

    Il est des volatiles qui ne sont guère volatiles, ne se dissipent pas dans l'air ambiant, ne s'évaporent pas aussi facilement qu'on l'espère. Ces deux-là on a cru les faire taire une bonne fois pour toutes. Privation de concerts, deux confinements coup sur coup pour être sûr qu'ils ne s'en remettraient pas, hélas le deuxième n'est pas encore terminé que les maudits cui-cui viennent nous faire coucou sur leur chaîne You Tube. Ne sont pas morts. Faudra se résoudre à l'idée qu'ils ont survécu. Se sont pris pour des pigeons voyageurs, ont volé à tire d'aile jusqu'en Bretagne, avec leurs guitares et le chat – on pensait qu'ils l'auraient abandonné en région parisienne, mais ils n'ont pas osé – on se disait, au moins on est tranquille pour un bon moment, ben non, au lieu de rester à roucouler dans leur nid douillet, ils en ont profité pour enregistrer at home un album, titré Unicorns, n'est pas encore sorti, mais comme il leur restait du temps de rabe ils ont aussi tourné avec l'aide de Rattila Pictures quelques clips, et pour nous gâcher l'espoir insensé que l'année 2021 serait merveilleuse pour le monde entier, l'on n'était pas encore descendu du sapin de Noël que le matin du 26 l'on avait droit à un premier envoi de missile crashbirdien. La grande menace de l'éradication totale de l'espèce humaine n'était donc pas une vaine promesse...

    MEDALS AND BADGES

    CRASHBIRDS

    ( Clip / Décembre 2020 )

    Au début tout est parfait. Feu de cheminée, bibliothèque emplie de bouquin, parquet ciré, Delphine toute belle, toute sage sur son fauteuil. Rien de mal ne peut vous arriver. Pour un peu vous réciteriez du Baudelaire :

    Là, tout n'est ordre et beauté,

    Luxe, calme et volupté.

    Un léger défaut tout de même. Pourquoi l'image réduite au format d'un double-timbre-poste, n'occupe-t-elle pas tout l'écran ? La réponse est donnée deux secondes plus tard. Sur la noirceur droitière s'inscrit en lettres d'or – couleur normale pour des – Medals and Badges, pendant que Pierre s'en vient s'assoir au bureau devant le moniteur de l'ordinateur, et crac, voici l'image séparée en trois rectangles un grand, et deux petits. S'amusent dès lors à alterner les plans, tantôt les deux ensemble, tantôt en train de jouer, tantôt en train de se concentrer, pour nous une manière de participer en même temps à l'enregistrement des différentes pistes ou des manipulations diverses des appareils exigés par l'enregistrement lui-même. Les cui-cui nocifs sur-multipliés, non pas à l'infini, mais presque. Pour les reluqueurs de plans cordiques, vous en avez des pleins-écrans qui occupent tout l'espace, entourés d'un ravissant cadre mauve chaque fois que Pierre ramone un solo. En plus vous avez le résultat sonore final qui défile dans vos oreilles. Attention, z'ont laissé le fin boulot du mixage et du mastering à Eric Cervera. Verra pas plutôt, car n'est pas présent sur le clip, l'a dû logiquement s'atteler à la tâche après les séances d'enregistrement. Ceux qui n'ont pas l'oreille et l'œil parfaitement désynchronisés risquent de s'y perdre un peu, tant pis pour eux ! Il ne faut jamais prendre pour argent content ce que l'on voit et ce que l'on entend. Ne pas être dupe du monde immonde dans lequel on vit, c'est d'ailleurs un peu la philosophie profonde des textes des Crashbirds. Si vous êtes fiers de votre mention Très bien au bac, ou si vous arborez à votre veston la médaille du travail que votre patron vous a offert pour votre départ à la retraite, sachez que vous n'êtes pas dignes d'écouter la musique des Crashbirds. Elle vous restera incompréhensible, elle vous dépasse et vous enterre. Profitez-en pour goûter l'ironique enseignement du montage : toutes ces cases tracées à l'angle droit, nos deux cui-cui s'en amusent, volent de l'une à l'autre, refusent de rester enfermés, détestent les prisons et les étiquettes, sont partout à la fois, ici et là, à tel point que je suis obligé – ô crime insensé – de toucher au vers de Baudelaire, le grand Charles il aurait mieux fait d'écrire : Là, tout n'est que désordre et beauté !

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    Passons aux choses sérieuses. A la musique. Au nouveau morceau des Crashbirds. Pierre n'est pas comme Empédocle qui a abandonné ses sandales sur le bord du cratère avant de se jeter dans l'Etna. Lui il n'oublie jamais ses pantoufles soniques. Les emmène toujours avec lui dès qu'il joue de la guitare. Adepte du Do It Yourself, il les a bricolées lui-même, prend son pied avec ces boîtes en bois résonnantes. Les martèle, l'en tire le rythme originel, le temps fort celui de la haine, et le temps doux du silence celui de l'amour, j'invite le lecteur à se rendre compte que le battement du pied lehouliérin bat pour ainsi dire à contre-sens du système philosophique d'Empédocle, chez lui la haine coup porté rapproche et l'amour pied levé éloigne. C'est vraisemblablement pour cette ambiguïté congénitale que des millions de personnes détestent le rock'n'roll.

    Pas besoin de batterie chez les Crashbirds, toutefois un instrument de percussion, la cloche de vache que Delphine Mississippi Queen Viane active dans les moments cruciaux. La cloche à vache joue dans la musique des cui-cui le rôle du tocsin dans les catastrophes médiévales - cités en flammes, population massacrée - un tap-tap lugubre qui vous glace le sang, justement dans le morceau qui nous occupe Delphine ne se prive pas de s'en servir. Comment une fille si ravissante peut-elle déclencher de tels mouvements de frayeur dans votre imaginaire phantasmatique...

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    Pierre est du genre pragmatique, à allumer le bâton de dynamite du rock'n'roll autant mettre le feu aux deux bouts en même temps. Donc si son pied droit n'arrête pas une seconde de frapper le sol de ses boîtiers – c'était ainsi que les anciens grecs suscitaient la colère élémentaire des puissances ténébreuses de la Terre – ses deux mains sont rivées à sa guitare. A l'horizontalité phonique il rajoute la verticalité cordique. Donne l'impression qu'il en extrait un jus noir qui coule sans fin pour ajouter de la noirceur funèbre au monde. L'univers des Crashbirds n'est pas rose.

    Rouge vif, flamme ravageuse qui court et réduit en cendres les forteresses de la bêtise oppressive. Ce rôle est dévolu à Delphine, à sa guitare à la sonorité beaucoup plus claire, entêtante et enivrante. Une voix ardente et ravageuse, rythmée et sans pitié, coupante comme une serpe qui, inflexible, s'abat sur les prétentions indues, et dénonce les faux-semblants de la comédie humaine.

    Medals and Badges est un morceau entraînant - ne souriez pas, ne sautez pas de joie - à la manière du joueur de flûte de Hamelin, cette musique vous transporte, elle agit en tant que manipulation mentale, dès qu'elle retentit, vous ne pouvez qu'être d'accord, en harmonie avec elle. Elle vous enfièvre, elle vous soulève, elle vivifie votre sang, vous file une nouvelle énergie, ces fameux cui-cui vous leur pardonnez tout, car ce qu'ils expriment, vous le reconnaissez, c'est le vieux fond primal du blues, magnifié, électrifié, carbonisé, cabonarisé, qui s'insinue en vous et ne vous lâche plus. Le serpent chthonien qui vous enlace et vous communique l'esprit reptilien de survie et de révolte. Celui qui refuse de pactiser. Surtout pas pour une médaille en chocolat.

    Damie Chad.

     

    Talking ‘Bout My Generation

    - Part Three

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    A dream come true, comme aiment à le dire les Anglais lorsque leurs rêves se réalisent : Jake Calypso en couve de Rockabilly Generation. Portée symbolique pour un premier numéro de l’année à venir qu’on espère tous moins pourrie que celle qui se termine. Ah la vache !, comme disait Jacques Vaché en tirant une bouffée sur la pipe d’opium qui allait le tuer. D’autant plus Ah la vache que Jake est l’un des artistes les plus intéressants de notre époque, mais ça, Damie Chad l’a très bien dit voici 15 jours. C’est même un vrai coup d’encensoir qu’il a balancé sur la gueule du pauvre Jake. Bing ! Trente-six chandelles ! Jamais rockab n’avait reçu pareil hommage, même pas Charlie Feathers sous la plume du vaillant Guralnik. Bravo Damie pour l’analogie avec Bernard Palissy, car oui, c’est exactement ça, Jake est un héros car les héros ne renoncent jamais. On l’a vu à l’œuvre et on sait pourquoi il monte sur scène : pour rendre hommage à ses héros. L’histoire du rock (le bon rock bien sûr) n’est faite que de ça : de héros qu’on appelait jadis les pionniers et de kids qui ont assez de talent pour savoir leur rendre hommage. Et personne n’est mieux placé que Jake pour ça, jugez du peu : Buddy Holly, Little Richard, Elvis, Johnny Burnette et Gene Vincent, cinq tribute albums dont on a déjà dit le plus grand bien ici dans KRTNT. Damie a raison de parler de «rêve sans trêve» et de «walk on the wild side», et de tirer à l’équerre cette chute qui tinte si juste à l’oreille du lapin blanc : «Un des engagements les plus créatifs du monde rock actuel, y compris en comptant les anglais et les américains». Oui Jake mérite bien cet éloge, car il est simplement formulé et encore une fois d’une justesse confondante. Tous ceux qui ont vu Jake sur scène ou qui connaissent ses disques le savent pertinemment. Il faut aussi le voir à la page 6-7, Jake, là, devant sa cabane où il vous invite à entrer, cette cabane qu’on retrouve stylisée sur la pochette de Boogie Around The Shack. 25 Blues Boppers Selected By Jake Calypso. Alors entrez les gars ! Mettez-vous à l’aise, on va causer. Et Jake te raconte sa vie, la vie d’un mec normal passionné de musique, ses deux enfants, sa copine, ses boulots et ce here we go qui revient en permanence, le besoin de monter sur scène, même si comme il fait bien de le rappeler, «c’est pas un métier où on gagne bien sa vie». Il s’en fout, il y va. C’est pas le genre de mec à compter ses sous en se grattant les couilles. Go cat go !

    Comme tout le monde aujourd’hui, et surtout les musiciens qui n’ont plus le droit de jouer, il fait une brève allusion à l’actualité, il appelle ça «ce bordel de corona» : rester chez toi à écouter des disques et regarder des DVD ? «Mais non, il manque un truc», dit-il et quel truc ! La scène ! C’est-à-dire le plus important, une espèce de raison de vivre. Sans la scène, tout ça n’a plus aucun sens. Surtout pas les pseudo-concerts à la mormoille dans les ordis et sur les smartphones. Ce qui frappe le plus dans cet interview fleuve, c’est la simplicité du ton. Jake est un mec bien, l’anti-m’as-tu-vu par excellence, il répond aux questions parce que c’est l’usage mais dès qu’il peut, il revient à la musique. Elle a changé sa vie, dit-il. Par contre, l’interview se termine en queue de poisson. «Pas de projet phare parce que nous ne savons pas où nous allons.» Tu rigoles ? Pas de meilleure auspice que cette couve. C’mon, Jake ! On continuera d’aller boire des coups pour aller faire les cons dans les concerts, pas de problème. Jake en couve, ça veut dire bientôt Béthune et bientôt les bars, bientôt le retour des contrebasses et des cool cool cats. Ça va rebopper sec dans les estaminettes !

    Rockabilly Generation ajoute deux annexes à cette superbe interview : la discographie complète de Jake montée avec les visuels des pochettes, ce qui permet de mesurer l’étendue de l’œuvre et pour les ceusses qui suivent, de compléter, car on y trouve des trucs nouveaux parus en 2020, et deux pages plus loin, une double qu’on peut décrocher pour la punaiser au mur, comme quand l’ado avait bon dos. Bon alors après on feuillette, nouvelle interview, cette fois c’est le Big Beat boss Jacky Chalard qui dresse un panorama captivant de la culture rock’n’roll en France, on tourne la page et pouf ! On tombe sur la photo d’un mec coiffé d’une casquette blanche. Petit moment de stupeur accompagné d’une bulle au dessus de la tête : «L’ai déjà vu ce mec-là...».

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    ( Photo de : rocky-52.net : Camping Cats )

    Eh oui, Bruno Grandsire, l’un des mecs les plus élégants qu’on pouvait voir sur scène à l’époque du Bateau Ivre, un endroit que vénéraient les oiseaux de la nuit rouennaise car on pouvait s’y piquer la ruche jusqu’à quatre heures du matin. Au Bateau passaient chaque soir des groupes dans des genres différents, garage, metal, reggae, rockab, chanson, avec chaque fois des publics différents en plus des habitués, une faune extraordinaire et l’ambiance était tellement bonne qu’on faisait systématiquement la fermeture. Un soir, Orville Nash était à l’affiche, accompagné par les Camping Cats. Les Cats jouèrent en première partie et wow, le mec à la gratte était franchement bon, the real deal, assez haut, d’une grande maigreur, comme sur les photos, en marcel blanc et coiffé d’une casquette bleue. Le jeu dans le public aviné consistait à réclamer des morceaux pendant les blancs et on réclama «One Hand Loose» que le grand maigre en casquette bleue attaqua aussi sec au débotté de tiptop daddy. Non seulement il connaissait bien le cut, mais il en fit une version fabuleuse. Voilà, c’est Bruno Grandsire. La classe. Puis les Camping Cats accompagnèrent ce vieil Orville qui lui aussi gagne à être connu. Ce serait peut-être l’occasion de rappeler tout le bien qu’il faut penser de son premier album, Nashin’ Around, paru sur Rollin’ Rock à une autre époque. Autant dire que retrouver l’excellent Camping Cat comme ça au détour d’une page, c’est la même chose que sortir de l’enveloppe le nouveau numéro de Rockabilly Generation et tomber sur Jake : a dream come true.

    Signé : Cazengler, dégénéré

    Rockabilly Generation. N°16 - Janvier Février Mars 2021

     

    Que le Grand Funk me croque

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    L’histoire de Grand Funk Railroad est celle d’un groupe américain immensément populaire dans les années soixante-dix mais détesté par l’establishment de la critique rock. Mark Farner, Mel Schacher et Don Brewer ne comprenaient pas pourquoi on les haïssait tant dans la presse rock, alors qu’ils remplissaient le Shea Stadium aussi facilement que les Beatles. Avec An American Band - The Story Of Grand Funk Railroad, Billy James apporte quelques éclaircissements sur ce phénomène aussi peu sympathique qu’incompréhensible. C’est vrai qu’avec le recul, on se demande si les critiques de l’époque ont écouté les albums. Comme dirait l’autre : Pourquoi tant de haine ?

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    Bon alors attention, Billy James ne se prétend pas écrivain, mais c’est sans doute parce qu’il ne vole pas très haut, littéralement parlant, qu’il colle bien à son sujet. Billy James propose un récit purement chronologique et ne produit aucun effet de manche. Pas de réflexions philosophiques ni de fins de chapitres spectaculaires. Il se contente de remonter le fil de l’histoire album après album et pour étoffer un peu, il cite les réactions systématiquement négatives des journalistes anglais et américains.

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    L’histoire de Grand Funk est aussi celle d’un groupe plumé par un manager/producteur un peu trop gourmand, Terry Knight. D’ailleurs, Farner démarre comme bassman de Terry Knight & the Pack, le heavy band de Flint, Michigan, qui était en vogue dans la région à la fin des sixties. Il fut embauché à cause de sa ressemblance avec Brian Jones, car Terry Knight était fan des Stones. Il était aussi le DJ le plus populaire de Detroit. Quand Terry Knight part à New York faire un peu de business, Farner et Brewer montent Grand Funk Railroad. Farner se dit fortement influencé par Howard Tate et Aretha, côté voix, Jimi Hendrix et early Clapton côté guitare. Il voit le groupe comme un groupe de hard rock, comme on l’appelait alors, dans la veine de Mountain et d’Iron Buterfly. Il tire le nom du groupe d’une institution de l’époque : The Grand Trunk & Western Railroad. Bonne pioche, Mark.

    Quand Knight écoute jouer le power trio, il accepte de les aider à une condition : contrôle absolu en tant que manager, producteur, porte-parole et mentor musical, c’est-à-dire qu’il veut tout superviser, l’image du groupe et la direction musicale. Aujourd’hui encore, on peut se demander comment Mark, Schach et Donnie on pu être assez cons pour accepter une telle proposition. Non mais franchement ! Alors après, ils peuvent venir se plaindre. Ouine ouine, il nous a pompé tout notre blé, ouine ouine, il nous poursuit en justice, ouine ouine, comment qu’on va faire pour sortir des griffes de cet escogriffe ? Pas de panique les gars, John Fogerty et les Stones ont subi le même sort et ils ont réussi à s’en sortir.

    Et pourtant, Terry Kinght les avait prévenus, en les faisant asseoir dans la cuisine de Chuck Klipper en mai 1969 : faites gaffe les gars, si vous signez, vous renoncez à votre liberté et à toute vie privée ! Ils signent et fracassent un six-pack de bières pour célébrer ça. Tout ce qu’ils voulaient, c’était devenir célèbres. Ils en avaient assez de jouer dans les bars. Oh pour devenir célèbres, il vont le devenir !

    Ils commencent par faire un carton à l’Atlanta Pop Festival et un mec de Capitol qui les voit sur scène les signe on the spot. Ils ont déjà une démo, celle de leur premier album, On Time, qui a été rejetée par tous les label de l’époque, y compris par Capitol à deux reprises, mais le coup d’Atlanta les propulse dans le stardom. Knight produit mais c’est un certain Kenneth Hamman qui enregistre. Hamman a bossé pour Human Beinz et il bossera pour Bloodrock, James Gang et Pere Ubu.

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    Leur premier album s’appelle On Time et paraît en 1969. On y trouvera du seventies rock du Michigan, ni meilleur ni pire qu’un autre seventies rock du Michigan. Mais on s’y attache, via des choses comme «Are You Ready». Ils proposent un funk de rock à la bonne aventure et Farner part en virée de gras double à l’ancienne. Il fait du méthodique, sans fluidité particulière. C’est très rock, très axé sex appeal. Ils jouent avec «Time Machine» la carte d’un son efficace, celui du heavy boogie bien dodu, bien en place. Ils cultivent encore leur power-triotisme patenté avec «High On A Horse». Cette fubarderie les rend infiniment louables, Farner attaque au bon son, il est là, on peut compter sur lui. C’est un brave mec.

    L’album est massacré par la critique. Personne n’en veut à la radio. C’est le commencement du grand Grand Funk Bashing qui, nous dit Billy James, dure encore. Les critiques s’acharnent sur Grand Funk : «L’un des groupes les plus simplistes, les plus nuls, les plus plats de l’année.» Pourtant, que la pochette est belle - comme l’est la montagne de Jean Ferrat - nous dit le petit Billy James - Don the wildman drummer, Mel the dark brooding bassist and Mark the sex symbol of the group - Cette image est même un peu surréaliste, bien dans le ton de l’époque. Ils brandissent tous les trois des morceaux de train.

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    Leur deuxième album paraît la même année sous une pochette rouge devenue mythique : c’est bien sûr l’excellent Grand Funk. Schach y trône avec sa jazz bass. C’est Grand Funk at their loudest and heaviest, nous dit le petit Billy James. Tout est bien là-dessus. On est frappé dès «Got This Thing On The Moon» par la prééminence du son de la basse et l’excellente dynamique triétale. Ils vont enchaîner une série de cuts bien catapultés, drivés par une basse sourde comme un pot. Farner intervient ici et là pour farcir la dinde. Certains cuts comme «Mr Limousine Driver» paraissent un peu figés dans le temps. Les dynamiques sont comme retenues par l’élastique du pantalon et Farner se fend d’un solo féroce aux dents pointues. Excellent ! En B, on tombe sur un «Paranoid» qui n’est pas celui de Sabbath. Ce heavy tempo du Michigan se laisse déguster tranquillement et s’orne de beaux bouquets de voix et de retours de voix gonflées aux trois voix. Le hit de l’album est une reprise des Animals, «Inside Looking Out». Idéal pour le Funk - Woo baby all I need is some tender lovin’ - Farner peut-il vraiment rivaliser avec Eric et rac ? Dommage que les trois Funk délayent la sauce, c’est l’une des manies des seventies, on délayait à longueur de temps et soudain ça part en dérapage contrôlé sur le riff de basse, let me feel alrite et ça finit en beauté.

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    Selon le petit Billy James, Closer To Home is considered the definitive Grand Funk Railroad album, car il contient tous les éléments qui vont faire la renommée internationale du groupe. Selon lui, «I’m Your Captain/Closer To Home» est la plus belle compo de Mark. C’est vrai que l’album ne laissait pas indifférent. On y retrouvait bien sûr l’énorme son de basse de Schach : «She’s A Good Man’s Brother» et «Aimless Lady» ont largement de quoi rendre un homme heureux. Curieusement, la guitare de Farner reste planquée dans l’ombre. Grand Funk, c’est Schach ! Ils font l’instro de la concorde avec «Get It Together» et tout explose en B avec «Hooked On Love», un heavy tempo presque joyeux et des filles aux chœurs, très Southern, dans l’esprit Allman Brothers, une sorte de désinvolture ombragée, comme ça, ni vu ni connu, ils chantent à deux voix, I don’t care who you are, les chutes de couplets sont superbes et avec l’arrivée des filles, ça donne du very-very-big sound. Ils finissent l’album avec l’archétypal «I’m Your Captain». On y sent une volonté de beauté michiganesque, ils cherchent la voie du paradis - I’m getting closer to my home - Étrange parti-pris d’extension du domaine de la turlutte. Ça finit par devenir très beau car très orchestré.

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    Bon, les gars, si on faisait un album live ? Banco ! Et pouf, voilà le fameux Live Album. Il paraît la même année que Closer. Les Funkers ont trouvé leur vitesse de croisière : deux albums par an et des concerts sold-out à travers les États-Unis. Un Farner the farmer qui arrive toujours torse nu sur scène et qui envoie avec ses deux vaillants compagnons l’un des meilleurs blasts des Amériques. Sur ce double album tellement typique de l’époque des double albums (Steppenwolf, Doors, Allman Brothers), on trouve une belle version d’«Inside Looking Out», avec un Schach qui rôde dans le marigot comme un gator en maraude. Avec ses grandes dents pointues, ce Schach est un carnassier du son, il faut l’entendre pousser des pointes dans le heavy groove des Animals. Quel spectacle ! Il faut aussi le voir redémarrer au wild drive d’orverdrive, ce mec abuse, il profite du privilège d’un son énorme, il se déplace à notes lourdes, à pas d’éléphant pendant que Farner the farmer s’épuise en vain à soloter. On assiste médusé à un final exceptionnel de dérapage, aïe aïe aïe, fantastique power du Funk ! En fait Schach embarque tous les cuts un par un, il faut aussi le voir déménager la fin d’«Heartbreaker» et faire tout le jobby jobbah sur «Mean Mistreater». On l’entend aussi broder à l’infini dans «Are You Ready». Tel un dieu effréné, il joue au pulsatif dévorant. Live, «Paranoid» se transforme en merveille de heavy seventies sound. Avec «In Need», ils jouent leur carte favorite, celle du power-trio. Schach s’y tape un énorme passage de transe. Il pousse le bouchon jusqu’au paroxysme. En fait ils groovent à deux, Schach et Donnie, comme le montre si bien «Mark Say’s Alright». C’est une vraie machine et Farner the farmer semble paumé dans le fond du son. Ils terminent en D avec un long «Into The Sun» que Schach bouffe tout cru, il broute et il broie, il nettoie tout sur son passage, il joue à l’absolute power drive dévastateur, tout en lignes géométriques et définitivement rockantes. Il faut vraiment avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie, car outch !

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    Mark Farner finit par prendre les réactions de critiques à la rigolade : «Le lendemain du concert, on se demandait toujours ce qu’allaient dire les critiques, car de toute évidence, ils n’avaient vu le même show que celui où on jouait.» Un critique anglais finit quand même par prendre la défense de Grand Funk : «C’est sûr, ils ont un son agressif et ils jouent fort, c’est même assez cru, mais c’est bien foutu. Leur son correspond au goût américain. Ils sont las de la guerre du Vietnam et voient leur société se désintégrer. Ils jouent en réaction contre tout ça et expriment simplement leur colère. Il vaut mieux exprimer sa colère en jouant du rock plutôt que d’aller se battre dans les rues.» Le petit Billy James vole une fois encore à leur secours en déclarant : «Grand Funk a un truc que n’ont pas les autres. Creedence ne l’a pas, Sly et Zeppelin non plus. Il faut monter jusqu’à des gens comme Presley, les Beatles, les Stones et Sinatra pour trouver ce truc. Eux comme Grand Funk sont plus importants sociologiquement que musicalement. Grand Funk transmet à son public un truc que ne peuvent transmettre les autres groupes. Voilà pourquoi ils sont devenus un phénomène. Mark Farner dit à son public : «Nous sommes une partie de vous, nous sommes votre voix.» Phénomène typiquement américain.

    Bon les sous rentrent dans les caisses et Farner achète sa ferme dans le Michigan près de Hartland. Elle va jouer un rôle considérable dans la suite de cette aventure. Farner the farmer y construira le Swamp, c’est-à-dire le studio dans lequel le groupe va enregistrer ses futurs albums. Il exploitera aussi ses terres, car il a grandi dans une ferme. À tel point qu’il finira par ne plus porter de pattes d’eph à cause des herses et par se couper le cheveux pour ne pas se les coincer dans des machines agricoles.

    À l’époque, Farner the farmer fréquente aussi assidûment John Sinclair et son Rainbow People’s Party. Pour leur premier concert en Angleterre, ils jouent à guichets fermés à l’Albert Hall sans aucun support médiatique, ni radio, ni presse.

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    Ils sont devenus le groupe du peuple. Pour bien synthétiser l’idée, il se déguisent en hommes des cavernes sur la pochette de Survival. Urgh ! Album cromagnon, donc, avec une basse à l’avenant. Dès «Country Road», Schach monte devant au gros popotin, c’est le tagada semelles de plomb du Michigan. Ils parviennent tous les trois à développer des dynamiques intéressantes, même dans un balladif mi-figue mi-raisin comme «Comfort Time». Ils font aussi deux belles covers, à commencer par le «Feelin’ Alright» de Dave Mason. Comme ils la passent pas les fourches caudines du Michigan, ce n’est pas de la dentelle. Tout est monté sur le taratata de Schach, il est vraiment au cœur du son, il le bouffe tout cru. Farner the farmer sait aussi très bien placer sa voix, comme le montre «I Want Freedom» qui ouvre le bal de la B : joli travail d’orgue et de chœurs, très Southern rock, Farner the farmer va chercher le feeling du gospel batch. L’autre bonne pioche est le «Gimme Shelter» des Stones. Alors ça te donne de la Stonesy du Michigan avec un Schach on bass fuzz lancé à l’assaut du ciel. Il ramone sa ligne de basse comme un petit savoyard. Quelle allure ! Il fallait y penser. Quelle bonne idée que d’aller éclater ce cut qui est la prunelle de nos yeux au bassmatic.

    C’est l’année où ils organisent le fameux concert du Shea Stadium et Knight embauche les frères Maysles pour le filmer. L’idée est de faire un film sur Grand Funk, puisqu’ils sont devenus aussi célèbres que les Beatles et les Stones. Et Knight profite d’une conférence de presse pour indiquer que la presse n’est pas la bienvenue et qu’il n’a pas besoin d’elle. Le groupe va très bien, merci. Pour la première tournée européenne, Knight embauche Humble Pie pour jouer en première partie. C’est à cette occasion que les Anglais découvrent l’ampleur du despotisme de Knight qui interdit à Mark, Schach et Donnie de sortir le soir, car il veut qu’ils soient en forme le lendemain. Mais les trois Funkers mettent des oreillers sous les couvertures et sortent en douce par la fenêtre pour aller faire la fête avec Humble Pie. Comme les Stones, ils donnent aussi un concert gratuit à Hyde Park. Les Funkers ne se privent d’aucun luxe.

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    Comme ils sont en plein élan, ils enregistrent un deuxième album en 1971, l’excellent E Pluribus Funk. On devrait plutôt dire qu’ils le frappent, car la pochette est un écu d’argent. C’est encore Schach qui embarque le «Foot Stomping Music» et Donnie fouette ses peaux de fesses. Ils font de la haute voltige et on les applaudit bien fort. Farner the farmer écrase sa wah dans le brûlot anti-guerre «People Let’s Stop The War». Il est enragé. Ils montent encore en régime avec «Upsetter» et «Come Tumblin». Ils élèvent l’art du power trio au rang d’art majeur. C’est excellent car Farner the farmer sort un jeu funky. «Quelle santé !» s’exclame-t-on en redécouvrant «Come Tumblin». Sans doute est-ce là leur meilleur album. Ils ramonent tout le Michigan et la vieille rondelle flappie des seventies. On ne comprend toujours pas que les critiques aient pu les détester à ce point. Leur Tumblin est magnifique, plein de vie, bien remonté des bretelles au bassmatic, joué funky dans les virages et battu à la diable. Schach y passe même un solo de basse énorme et terriblement ventru. La B reste au même niveau, avec un «No Lies» bardé de big American sound. Ils multiplient les variations et Farner the farmer chante plutôt bien, perché sur la pointe de sa glotte rurale. On l’imagine debout, torse nu, face au stade, tout seul avec sa guitare. Il faut du courage pour aller s’exposer de la sorte. Il a la chance de pouvoir compter sur ses fidèles amis Schach et Donnie. C’est vraiment excellent, il faut le redire, ils multiplient à l’infini les lourdes dynamiques du Michigan et Farner the farmer relance à coups de ahhhh perçants. Par contre, «Loneliness» est tellement épique qu’on se croirait chez Wagner.

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    Et voilà, les Funkers ont vendu 20 millions de disques en deux ans. Rien qu’avec six albums. Farner the farmer, Schach et Donnie demandent à Knight où est passé le blé. Et c’est là que commence la sérénade habituelle. Knight possède 20% de Grand Funk Railroad Enterprises, un conglomérat qu’il a monté pour préserver ses trois poulains de la rapacité des impôts. Il touche 5/8èmes des royalties sur les ventes et la moitié des droits sur les compos de Farner the farmer et Donnie. Donc, il ramasse plus de blé que les musiciens. Farner the farmer, Schach et Donnie estiment qu’ils ont généré entre 3 et 5 millions de dollars en deux ans et donc ils se demandent où est passé tout ce blé. Toujours la même histoire. En désespoir de cause, ils font appel à John Eastman Jr, le beau-frère de Paul McCartney pour les aider. Leur objectif prioritaire est de casser le contrat avec Knight. Ça va coûter bonbon. D’autant que Knight engage une équipe d’avocats spécialisés et demande 25 millions de dollars de réparation pour cassure de contrat intempestive. Eastman fait interdire à Knight tout accès aux comptes du groupe et dans la foulée, Donnie appelle le Madison Square Garden pour annuler les concerts prévus, c’est-à-dire qu’ils font une croix sur quelques millions de dollars de recettes. Cette fantastique machine qu’est le Grand Funk Railroad s’arrête brutalement, comme le dit si bien le petit Billy James.

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    Comme le Phoenix, les groupe va renaître de ses cendres en 1973, sous la houlette de leur ami Andy Cavaliere. D’ailleurs le nouvel album s’appelle Phoenix. Changement radical de son, car Knight ne produit plus. C’est là qu’arrive Craig Frost, le keyboard man. C’est lui qu’on entend dans «Flight Of The Phoenix», un instro bien râblé. Tout l’album est bien noyé d’orgue. Les Funkers étoffent leur son comme s’ils voulaient chasser le souvenir de Knight. L’orgue est plutôt bienvenu. Pas accueilli en vainqueur mais bienvenu. Mais l’A peine un peu à convaincre les cons vaincus. Farner the farmer s’assoit à sa fenêtre pour regarder tomber la pluie dans «Rain Keeps Falling» - Oh yeah rain keeps falling on my window pane - Le Funk se réveille un peu en B avec «I Just Gotta Know», un cut assez majestueux très chanté et sérieusement nappé d’orgue, mais on note que Schach joue maintenant en retrait. «Freedom Is For Children» sonne très prog anglais avec un chant monté en neige du Kilimandjaro. Ils terminent avec un «Rock N Roll Soul» joué au charivari d’orgue. Ils campent bien sur leurs positions qui sont celles du gros popotin des seventies. L’album ne se vend pas très bien, mais Farner the farmer, Schach et Donnie se sentent mieux, débarrassés de ce rapace de Knight.

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    Le groupe reprend son envol avec We’re An American Band. Ils font appel au boy genius, c’est-à-dire Todd Rundgren, pour le produire. Le résultat ne se fait pas attendre : tight performance, great vocals, catchy hook et great production. À l’époque Rundgren a produit the Band, Paul Butterfield, Jessie Winchester et Badfinger, c’est donc un affûté. Il prend très au sérieux la mission qui lui est confiée : «Le but de mon travail avec eux était de les valoriser en tant qu’artistes. Ça a été clair dès le début.» Rundgren les encourage, même quand Farner the farmer n’a pas l’air sûr de lui : «Good, really good. Je pense qu’on a quelque chose d’intéressant.» Le morceau titre de l’album est de la dynamite, les critiques le reconnaissent enfin - Grand Funk n’a plus rien à prouver, enfin, et ça prouve aussi que leurs fans avaient raison depuis le début - C’est la réparation d’une injustice. Ils entraient enfin dans le cercle de ce que le petit Billy James appelle les «superstar rock’n’roll groups of the early 70’s - avec leur private Lear jet, wild parties and groupies, cannabis maximus et même a not-too-hostile press, bien que le groupe ne fut jamais totalement accepté par les critiques.» C’est vrai qu’on trouve des petites merveilles en B, du genre «Walk Like A Man» et «Loniest Rider». Rundgren met les guitares en avant et ça donne un vrai festival de la guitarra del sol bien sonnée des cloches. Du coup, Schach passe complètement à l’arrière. Le Rider est bardé de son et du meilleur, celui de Rundgren, qui est alors au sommet de sa gloire visionnaire. Ce rider est beau, comme emblasonné, joué à la lancinance des lignes errantes. Absolue merveille productiviste, voilà un cut dont on peut s’abreuver jusqu’à plus soif. C’est joué dans la grandeur d’une latence dont seul est capable Todd Rundgren. Le son est comme suspendu au dessus des jardins suspendus de Babylone. Tout aussi bien produit, voici «Ain’t Got Nobody». C’est un peu comme si les Funkers passaient de l’âge des cavernes aux temps modernes. Farner the farmer passe des solos excellents. Encore de belles guitares dans ce heavy groove de funk qu’est «Creepin’». On sent l’influence de Rundgren dans le jeu liquide de Farner the farmer. Et puis avec «Black Liquorice», les Funkers s’en vont secouer le grand cocotier. Quelle belle cavalcade !

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    Rundgren accepte de produire un deuxième album avec eux. C’est l’excellent Shinin’ On. Il introduit les cuivres dans l’univers musical des Funkers et ça leur donne un Detroit Wheels sound. C’est là que se niche leur reprise de «The Loco-motion», véritable coup de génie sonique, avec la basse de Schach qui remonte à la surface du son et Farner the farmer y passe un solo killer flash d’étranglement cadencé. Rundgren joue de la guitare dans «Carry Me Through», avec un son typique de «Little Red Lights», il joue sa vieille carte fatale, celle du solo suspensif. On a un beau fondu de voix dans le morceau titre qui fait l’ouverture du bal d’A. Ce rock grouille de son, de nappes d’orgues et de shinin’ on. Tout l’album grouille de vie et de puces, on se pourlèche aussi les babines de «To Get Back In», c’est là que les cuivres entrent dans la danse, c’mon Todd ! Et puis il y a ce «Mr Pretty Boy» en B qui guette l’imprudent voyageur, c’est merveilleusement délié, une vraie sinécure, ce Pretty Boy incarne le génie du rock américain.

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    Comme Rundgren n’est pas libre, Farner the farmer, Schach et Donnie font appel à Jimmy Ienner pour produire All The Girls In The World Beware. Il est important de rappeler que Ienner fut le producteur des Raspberries. Et là, boom, nouvel album énorme. Dès «Runnin’», ils se placent sous l’égide du real good time rock’n’roll. C’est solidement cuivré, aussi solide que du Blood Sweat & Tears. Excellent, plein de vie et superbement produit. Tout est bien foutu sur cet album, Farner the farmer mène bien ses troupes dans «Look At Granny Run Run», il chante au feeling de niaque du Michigan, n’hésitant pas à vriller certaines syllabes pour amener du relief. C’est en B qu’ils stockent la viande, tiens, comme ce morceau titre qui évoque un fantastique déploiement d’énergie. Ça grouille encore une fois de tout ce qu’on peut imaginer. Craig Frost noie tout ça d’orgue. Les Funkers jouent vite et bien et nous plongent dans un véritable bain de jouvence. Ils tapent plus loin «Good & Evil» au heavy groove des seventies et comme Farner the farmer est en verve, il nous plonge dans des abysses. Nouveau coup de génie avec «Bad Time». Back to the good time music des jours heureux. C’est une vraie bénédiction. On y sent l’influence de Rundgren, ils frisent l’«I Saw The Light» de Something/Anything. Extraordinaire bouquet de good vibes ! C’est l’un des plus beaux hommages jamais rendus à Todd Rundgren. Ils terminent avec une flamboyante reprise de «Some Kind Of Wonderful». Du coup, les voilà devenus rois de la cover fatale. The Michigan Cover kings !

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    Comme leur notoriété atteint son sommet, ils en profitent pour sortir un deuxième album live, Caught In The Act. On y retrouve tous les classiques du Funk et ce qui fait leur spécificité, le big beat de foot stomping («Foot Stomping Music») et les belles giclées de Michigan power qui illustrèrent si bien les seventies. Ce démon de Schach ronfle bien dans le son («Rock & Roll Soul»). Comme de vieux monarques, ils jouent en permanence la carte du pouvoir absolu : la poigne d’acier dans un Michigan de velours. Leur «Closer To Home» est si savamment orchestré qu’on finit par se faire avoir. Ils alignent de belles reprises, «Some Kind Of Wonderful» et «The Loco-Motion» et se tapent une belle échappée belle avec «Shinin’ On». Le shuffle d’orgue leur va comme un gant (de velours). Farner the Farmer est parfaitement à l’aise dans le son, il faut le voir tortiller son long cours dans «The Railroad». Ils finissent avec leur deux plus grosses énormités, «Inside Looking Out» et «Gimme Shleter». L’inside des Funkers est assez démoniaque, avec ce redémarrage à contre-courant, à coups de Yes I feel alrite.

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    Malgré les quatre cercueils présentés sur la pochette, Born To Die est un album plein de vie. Farner the farmer gère toujours son business au mieux, comme le montre le morceau titre d’ouverture de bal d’A. On sent l’influence de Rundgren dans le fond de ce rock étrange en qui tout est comme en un ange aussi subtil qu’harmonieux. L’indicible règne dans l’ombre des cercueils. Farner the farmer frappe un grand coup avec «Sally». Il ne baisse jamais les bras. Il reste ce rocker pur et dur du Michigan qu’on admire depuis le début. Excellente Sally, Farner the farmer la travaille au yeah yeah yeah, au solo d’harmo, sur un beat de good time music de rêve. C’est un bonheur pour l’œil que de voir ces mecs grimpés au sommet de leur art. On trouve encore du bon big beat en B avec «Take Me». Ils savent torcher un album, on peut leur faire confiance. Ils font du gros menu fretin de Funk avec «Politician» et soudain tout s’éclaire avec «Good Things». Farner the farmer l’allume à coups de guitare électrique. Ce mec a le rock dans le sang. Il sait driver un heavy rock à fière allure. Avec le temps, il a appris à balancer ses mesures et maîtrise le good timing à la perfection. C’est excellent, vraiment excellent.

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    C’est Frank Zappa qui produit Good Singin’ Good Playin’. Quand Andy Cavaliere prend contact avec lui, Zappa lui demande ce qu’il espère. Cavaliere lui demande de faire en sorte que le son du groupe soit très spontané. Alors Zappa dit okay, je veillerai à la spontanéité. Ils enregistrent l’album au Swamp de Farner the farmer. Zappa s’entend bien avec les trois cocos : «J’ai vraiment apprécié ce job de producteur, car je suis devenu pote avec les mecs du groupe, ce qui n’est pas toujours le cas quand je travaille avec d’autres gens. Ils ont un très bon sens de l’humour. C’est rare dans le rock de tomber sur des gens aussi sympathiques. Dans ce milieu, les gens sont généralement assez pénibles. Ils se prennent le plus souvent au sérieux et je ne cherche pas à socialiser avec eux car ils ne présentent aucun intérêt. Ils n’évoluent pas. Ils sont dans leur stardom et sont complètement fucked up. Mais les Grand Funk pètent et s’envoient des boulettes au lance-pierre, c’est le genre de personnes auxquelles je peux m’identifier. L’autre truc qui nous rapproche, ce sont les articles insultants dans la presse. J’en ai eu autant qu’eux, alors je suis de leur côté.» Zappa explique aussi comment il a travaillé : «Tout ce que je me suis contenté de faire, c’est de les enregistrer. Ce sont leurs notes, c’est leur musique. Je me suis contenté de mettre ça sur bande. C’est le premier album de Grand Funk qui sonne vraiment comme Grand Funk. Les précédents albums ont été produits dans un mouchoir de poche. Si cet album ne rétablit pas la vérité de Grand Funk auprès du public, ça veut dire qu’il ne reste plus aucune oreille potable en Amérique. C’est le rock’n’roll album of the year, my friends.» Il a raison, l’animal. Selon le petit Billy James, c’est certainement le meilleur Grand Funk album. C’est vrai qu’on s’y cogne dans les merveilles, d’autant que Zappa met la batterie au devant du mix, avec un son bien sourd. On retrouve donc le côté épais du Grand Funk avec la légèreté de la pop supérieure. Mélange très intéressant, comme le montre si bien «Just Couldn’t Wait». Et le festin se poursuit avec «Can You Do It». Farner the farmer et ses copains ont du répondant. Voilà encore un cut bien soulevé des chœurs et sourd comme un pot, avec un petit côté Remake It/Remodel. Sur chaque album du Grand Funk se trouve un cut qui accroche particulièrement et c’est ici le cas avec «Pass Around». Farner the farmer y passe un solo glouglou qui restera un modèle du genre. Derrière lui, ça joue au heavy beat et Farner the farmer amène du développement, il reste à l’affût du big beat avec une présence incroyable. Et ça continue avec «Miss My Baby», un joli balladif de fin d’A - I miss my baby/ I think I’m going crazy - Farner the farmer pousse des ouh ouh comme Lennon le fait dans «Cold Turkey». Ils attaquent leur belle B avec «Out To Get You», un instro épique bien bardé de barda. Farner the farmer le charge au solo liquide, mais il semble que ce soit Zappa qui coule un bronze au Michigan. On tombe plus loin en arrêt devant «Crossfire», un groove d’anticipation subalterne très bien foutu. Zappa a bien pigé les dynamiques du Grand Funk. Ils montent ensuite leur «1976» sur la mélodie chant de «Gimme Shelter», avec la même insistance et le même développé de coin du bois, mais qui leur en fera le reproche ? Pas nous, en tous les cas.

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    En 1976, Grand Funk est burned out, nous dit Donnie. Le groupe se sépare. Donnie, Schach et Craig Frost montent Flint. Leur album Flint sort en 1978. C’est la première fois que Schach joue de la guitare. Ils ne sont pas jolis sur la pochette, avec leurs grosses afros de cromagnons et tous ces poils sur la poitrine. Ils démarrent avec un remake de «Back In My Arms Again», un hit signé Holland/Dozier/Holland. C’est bien foutu, bien lesté de plomb du Michigan et de big guitars. Oh pour ça on peut leur faire confiance. C’est Donnie qui chante. L’autre belle reprise est celle de «For Your Love» avec Todd Rundgren on guitar ! C’est traité très 10 CC, on retrouve les accents pop de Gouldman. Todd joue aussi sur «Too Soon To Tell» et bien sûr il fait des merveilles. On se régale aussi du power des chœurs féminins sur «You Got It All Wrong». Les filles derrière sont fabuleuses. C’est cuivré de frais et bien monté côté beat. Todd revient en B allumer la gueule de «Keep Me Warm». Belle Soul pop, chœurs de rêve, elles s’appellent White Lightning et sonnent très Motown, très veloutées et très chaudes, très scéniques. «Better You Than Me» sonne comme une bonne aubaine. Zappa on guitar, cette fois. Il sait rentrer dans le lard d’un cut et faire l’infectueux. Il coule se source, littéralement. Il envenime le cut assez fiévreusement. Donc au final, on a pas mal de viande sur cet album. Ça continue avec «Rainbow», une belle pop de Soul cuivrée à la volée, avec du beau monde derrière. Son de rêve. C’est tout de même incroyable que ce groupe n’ait pas marché. Zappa revient jouer dans «You’ll Never Be The Same». Toutes ses parties de guitare sont spectaculaires et juteuses. Il se fond dans le mood de Flint avec une gourmandise bien affichée. C’est même une grosse compo, de type groove urbain et orbi, sevré à la folie musicologique. C’est d’un niveau extrêmement élevé. Mais comme CBS traverse une crise, le groupe est viré. Le second Flint ne verra jamais le jour.

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    De son côté, Farner the farmer entame une carrière solo et débarque sur Atlantic en 1977. Son premier album s’appelle tout bêtement Mark Farner. On le voit à cheval sur un poney apache. Il adore cette imagerie. Il monte sans selle, bien sûr. Il a du beau monde derrière lui : Bob Babbit on bass et, sur un cut ou deux, Dick Wagner on guitar. Ce démon de Farner the farmer chante vraiment bien, comme le montre une fois de plus «Dear Miss Lucy». Il n’a décidément besoin de personne en Harley Davidson. Il manque de se vautrer avec ce «Social Disaster» qui frise le rock symphonique à la mormoille. Il boucle son bal d’A avec «He Let Me Love», un balladif bien vivace, chanté à grands renforts de glotte alerte et territoriale. Il adore chanter torse nu depuis le haut du promontoire. Mais en même temps, il n’est plus vraiment dans le son de Grand Funk. C’est autre chose. «You And Me Baby» montre qu’il sait rester entreprenant. C’est le principal. Il propose plus loin un «Lady Luck» assez musclé. Il adore les muscles. Au fond, il est bien ce petit Farner, il continue de faire des trucs dans son coin. Il boucle son bouclard avec un «Ban The Man» dégoulinant de heavy boogie. C’est du rock d’Atlantic.

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    L’année suivante, il enregistre un deuxième album solo, No Frills. Belle pochette, on le voit assis dans un avion à côté d’un big businessman qui déjeune. En gros, Farner the farmer reste dans le même son, il joue toutes ses cartes, mais les cuts de l’A refusent d’obtempérer. Rien à faire. Il s’en sort en B en retapant dans les Animals avec une cover de «We Gotta Get Out Of This Place». Rien de tel qu’un vieux stomp de Newcastle pour remettre les pendules à l’heure. Il renoue enfin avec le big beat du Michigan dans «Greed Of Man». C’est là qu’il fait la différence, en joignant le power riffing au chant de chat perché. Judicieux mélange.

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    Farner the farmer et Donnie décident de remonter le groupe en 1981, mais Schach refuse, prétextant une phobie de l’avion. En fait il ne voulait plus avoir affaire au cirque habituel du management et des publicistes - I gave them my apologies. I helped them write both albums - Bon tant pis, ils prennent un nommé Dennis Bellinger pour remplacer Schach à la basse et enregistrent Grand Funk Lives. Ça barde dès l’ouverture de bal d’A avec «He Sent Me You» : stomp du Michigan + chat perché + belle prod de Jimmy Iovine, c’est une espèce de formule gagnante. On se régale du gratté de guitare. Andy Newmark bat le beurre, c’est beautiful et bien senti. L’autre hit de l’album est la reprise de «Just One Look» en B. Farner the farmer la dote de tout le power du Michigan et ça devient génial. Muscler les vieux hits des sixties, c’est vraiment sa spécialité. Il tape aussi une reprise de «When A Man Loves A Woman» et nous régale d’un très bon «Crystal Eyes» joué bien heavy. Réflexe d’acier.

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    Dernier spasme du très grand Funk en 1983 avec What’s Funk. Malgré sa pochette putassière, c’est un bon album. Farner the farmer n’a jamais pris les gens pour des cons. Il propose une belle cover de Martha & The Vandellas, «Nowhere To Run». On sent que Farner the farmer est de plus en plus à l’aise sur sa guitare et au micro. Mine de rien, il est en train de devenir un vrai pro. Il faut l’entendre taper «It’s A Man’s World» de James Brown en B. Il est gonflé. En fait, il l’adapte à son registre. Il l’apprivoise, en quelque sorte. Il en fait du Farner the farmer. Il chante aussi le freedom d’«El Salvador» à la cocote lourde, sur le riffing de «Satisfaction». C’est plein de bons échos, y compris ceux du «Freedom» de Jimi Hendrix. Il se replace sous l’égide de la good time music pour «I’m So True». Ça lui va comme un gant. On entend là-dedans des échos de Brian Wislon, c’est dire si c’est bon ! Il finit avec une belle giclée de heavy rock, «Life In Outer Space». Il sait tartiner, il n’a plus rien à prouver. C’est extrêmement bien foutu, car chanté à l’étalée constituante.

    Le mot de la fin revient à Donnie le fidèle batteur : «Nous n’étions que des gamins de Flint, Michigan. En deux ans, de 1969 à 1971, on est passé du stade de petit garage band à celui d’un groupe qui remplit le Shea Stadium plus vite que les Beatles. Nous n’avions que 21 ans. C’était comme dans un rêve.» Et Schach ajoute : «Ce fut un tourbillon. Tout est arrivé très vite et on avait du mal à tenir la pression. Tout ce qu’on pouvait faire c’était s’accrocher pour tenir ce train d’enfer.»

    Signé : Cazengler, petit funk

    Grand Funk Railroad. On Time. Capitol 1969

    Grand Funk Railroad. Grand Funk. Capitol 1969

    Grand Funk Railroad. Live Album. Capitol 1970

    Grand Funk Railroad. Closer To Home. Capitol 1970

    Grand Funk Railroad. Survival. Capitol 1971

    Grand Funk Railroad. E Pluribus Funk. Capitol 1971

    Grand Funk Railroad. Phoenix. Capitol 1973

    Grand Funk Railroad. We’re An American Band. Capitol 1974

    Grand Funk Railroad. Shinin’ On. Capitol 1974

    Grand Funk Railroad. All The Girls In The World Beware. Capitol 1974

    Grand Funk Railroad. Caught In The Act. Capitol Recors 1975

    Grand Funk Railroad. Good Singin’ Good Playin’. Capitol 1975

    Grand Funk Railroad. Born To Die. Capitol 1976

    Grand Funk Railroad. Grand Funk Lives. Full Moon 1981

    Grand Funk Railroad. What’s Funk. Full Moon 1983

    Flint. Flint. Columbia 1978

    Mark Farner. Mark Farner. Atlantic 1977

    Mark Farner Band. No Frills. Atlantic 1978

    Billy James. An American Band. The Story Of Grand Funk Railroad. SAF Publishing ltd 1999

     

    THE SECOND

    STEPPENWOLF

    ( Dunhill, ABC Records / 1968 )

     

    Du mal avec cette pochette, d'après moi pas la meilleure réalisation de Gary Burden qui semble s'essayer avec maladresse au symbole psychédédic, pas de quoi faire exploser les engrammes dans votre boîte crâniennes. S'il était cuisinier, je ne lui refilerais pas une étoile.

    John Kay : lead vocal, harmonica rhythm guitar / Michael Monarch : lead guitar / Goldy McJohn : piano, organ / Rushton Moreve ; bass / Jerry Edmonton : drums.

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    Faster than the speed of life : pas d'erreur c'est Jerry Edmonton qui se charge du vocal, le morceau est de Mars Bonfire aka Dennis Edmonton qui recycle un peu l'idée de base de son Born to be wild, mais apparemment dans l'imaginaire populaire il est plus sauvage de chevaucher un cheval d'acier que le corps d'un être féminin, bref l'ensemble semble un peu léger, s'en détachent les deux longs hennissements pianistiques de Goldy et surtout cette frappe bondissante de Jerry qui a déjà sauvé beaucoup de titres des Sparrow, avec ce grille-pain l'on est plus près du Moineau que du premier album du Loup. Tighen up your wig : l'ambiance change de tout au tout avec ce titre de Kay qui prend les commandes, l'est manifeste que l'on quitte le psyché pour le proto-hard, le son est raffermi, ramassé, tassé un vieux fond de blues qui ne veut pas mourir et que l'on revigore à l'aide d'un moonshine survitaminé. None of your doing : morceau écrit par Kay avec Gabriel Mekler, producteur des quatre premiers albums du groupe, un des protagonistes essentiels de Steppenwolf, c'est lui qui proposera de donner ce nom au groupe à Kay qui hésitera avant d'accepter, n'ayant pas lu le bouquin, c'est encore lui qui aura eu une influence déterminante sur l'écriture de Born to be wild, notamment de l'expression heavy metal, ironie de la vie il décèdera à 34 ans en 1977 d'un accident de moto, et comme le monde est petit, c'est lui qui fonda les labels Vulture Records et King Lizard Records sur lesquels enregistra Nolan Porter de qui le groupe français de Northern Soul, Soul Time vient de reprendre If I only could be sure, ce que nous présentions dans notre numéro 488 du 10 / 12 / 2020, et comme il est des hasards étranges dans la même livraison nous nous intéressions à une évocation par Marie Desjardins de Janis Joplin, dont Gabriel Mekler produisit en 1969 l'album I got dem ol' kozmic blues again, mama sur lequel on retrouve parmi les musiciens Michael Monarch, Jerry Edmonton, Goldy McJohn, plus au clavier Gabriel Mekler himself qui cosigne avec Janis le titre Kozmic Blues... et qui driva aussi les enregistrements pour Three Dogg Night et Etta James... Dans la série j'ai beaucoup vécu, Kay prend sa voix la plus sympathique, Goldy se sert de son orgue à la manière des prestidigitateurs de fêtes foraines qui jouent du xylophone sans le toucher pour appâter le public et le pousser à entrer admirer le monstre dans la baraque fermée. C'est un loup sauvage qui passe par trois fois son museau par un trou de la toile, si vous voulez le voir et surtout l'entendre, faites la queue ( leu leu ) comme tout le monde. Spiritual fantasy : la suite de la chansonnette précédente, mais le décor a changé, Kay vous la chantonne doucement mais c'est pour mieux vous enjoindre de vous méfier, des beaux discours et des belles chansons. Le violon doucereux est là pour vous endormir. La fantaisie est beaucoup plus politique que spirituelle. Une veine parallèle au Strange Days des Doors, mais Morrison vous entrouvre davantage la porte de corne et d'ivoire de la poésie. Don't step on the grass, Sam ! : l'on entre dans le vif du sujet, tout est politique même l'herbe sur laquelle on marche et que l'on fume, rythme hypnotique, la fumée dans les yeux un serpent me regarde, magie noire du Loup, Jerry et John se soutiennent au vocal, à deux l'on est plus persuasifs, longtemps que je n'avais écouté ce morceau, et il est encore plus puissant que dans mes souvenirs, commence à poindre l'idée que ce disque est monté comme une parade de bateleurs qui vous refilent le rêve frelaté dont vous avez toujours rêvé... 28 : un orgue entraînant, une mélodie pimpante, un pas en avant dans la comédie du monde, l'on finit la face A, dans la vie l'important c'est de ne pas perdre la face, la soupe à la grimace vous réchauffe tout de même le ventre. Le loup est noir, mais le monde est d'un gris sale.

     

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    Magic carpet ride : un des morceaux les plus connus du Loup, ça commence par un bruit de pales d'hélicoptère... mais l'apocalypse n'est pas pour maintenant, laissez-vous glisser sur le tapis de l'orgue, vous entraîne au loin, surtout n'ouvrez pas les yeux, vous ne savez pas ce que vous pourriez voir. Musique inquiétante. Plus près de l'early Pusher que des mille et une nuits d'amour. Disapointment number ( unknown ) : blues primal, Kay crie sur le quai de la vie que ce n'est pas OK, plus on avance dans ce disque, moins on rigole, la musique vous pousse au cul et vous ne pouvez plus reculer. Devant c'est l'abîme, derrière c'est le précipice, Monarch merveilleux à la guitare, quintessence du blues, plus rien à perdre ni à gagner. Lost and found by trial and error : on efface tout et on recommence, plus enjouée, plus optimiste, Monarch qui rigole ses accords à la guitare, suffit d'un trois fois rien pour dissiper le malheur, parfois le hasard fait bien les choses. Hodge, podge, strained, through a leslie : la suite de l'historiette, ou plutôt le tronçon qui s'adapte à la brutale coupure du précédent, une rythmique un peu jazzy-funk, le loup folâtre gambade à pleines pattes, le petit chaperon rouge s'avance vers lui pour entrer dans la danse. Monarch en profite pour piquer les hannetons avec sa guitare. Resurrection : tout va mieux, le Loup secoue gentiment le panier à salade, l'on sent que ce soir le porte monnaie du blues sera ouvert en grand et que chacun pourra y puiser à pleines mains. Liesse générale. Rythme précipité. Reflections : berceuse pour s'éveiller, soleil, aube, tout va bien.

    La face 2 est pratiquement un mini-opéra – fille et solitude - à elle toute seule. Etrange disque en même temps très disparate et très unitaire. L'on s'attend à un déluge de feu, seules quelques balles de tireurs d'élite sifflent à vos oreilles, mais elles font toutes mouche. Le comble pour un Loup ! 1968 est une année de grand bouillonnement pour le rock'n'roll, il était difficile à l'époque de savoir, non pas où il allait, mais comment il y allait. Suffisait de se laisser porter sur son escalator volant. Ce second disque de Steppenwolf n'a pas laissé un grand souvenir dans la mémoire morte des générations, mais son écoute s'avère passionnante.

    Damie Chad.

     

    XIV

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    Je ne vous décris pas la mine du Chef et du Cat Zengler, lorsque nous nous transportâmes devant la voiture stationnée au bas de l'appartement du Zengler Man :

      • Agent Chad parfois j'ai du mal à comprendre, vous arrivez avec une superbe jeune fille – Noémie se rengorgea ( c'est vrai qu'elle avait une très belle gorge ) – et au lieu de la faire asseoir à vos côtés, vous donnez cette place à un macchabée de vieille grand-mère toute dégoulinante de sang !

      • Invraisemblable surenchérit le Cat Zengler, il l'a donc faite asseoir derrière à côté d'un chiot qui n'arrête pas de vomir son repas, d'après ce que j'en juge, le sacrispant avait au moins avalé deux mètres de saucisse de Strasbourg !

      • Cher Cat, désolé de te contredire mais les vomissures de Molissito n'ont rien à voir avec la charcuterie alsacienne, cette bidoche c'est du cent pour cent normand !

      • Cher Chad, je ne voudrais pas te contredire, mais cela n'a rien à voir avec l'andouillette à la rouennaise !

      • Totalement d'accord avec toi my Cat, ce sont des doigts humains !

    Cette dernière déclaration jeta un léger froid, sans s'émouvoir outre mesure le Chef prit les opérations en main :

      • Procédons avec ordre et méthode, d'abord fourrons la mamy sanglante à l'abri dans le congélateur de Zengler, une fois cette opération terminée, j'aimerais bien m'asseoir au calme pour fumer un Coronado et écouter le rapport de l'agent Chad !

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    J'épargnerai aux lecteurs ma semaine de recherches infructueuses tout comme je ne me suis guère étendu sur les heures passées sous les branches du pommier avec Noémie...

      • Molossa avait trouvé une piste, nous la suivîmes, elle se dirigeait tout droit vers le cimetière au milieu duquel s'élève l'Eglise de Triffouilly-les-Vikings. Dès que nous eûmes passé la grille Molossa fila tout droit sur l'allée de gauche, c'est alors que nous entendîmes des bruits bizarres, nous débouchâmes en plein festin, une vingtaine de chiens s'affairaient autour de tombes toutes fraîches qu'il avaient ouvertes, certains grattaient encore la terre mais la majeure partie était fort occupée autour de trois cadavres qu'ils déchiraient à belles dents de fort bon appétit. Au milieu d'eux je récupérai Molossito qui s'attaquait comme un grand aux cinq doigts d'une main inerte. Il devait être repu, car il nous suivit dans rechigner à l'autre bout du cimetière où la truffe au sol Molossa nous guida.

      • Attendez que j'allume un deuxième Coronado intima le Chef, je sens que nous sommes sur une bonne piste, continuez agent Chad ! Nous sommes tout ouïe, votre entrée en matière nous a mis l'eau à la bouche !

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      • Vous souvenez-vous Chef, des aventures d'Arthur Crescendo tournées par Vince Rogers ?

      • Inoubliable certes, s'exclama le Chef, ah ce combat dans les sous-sols morbides de ce bâtiment désaffecté contre les réplicants, ces petits cris indistincts et terriblement inquiétants qu'ils poussent, je passe toujours cette séquence lorsque ma belle-fille emmène sa marmaille à la maison, filent tout droit se cacher sous les couvertures et il n'y en a pas un qui moufte avant le lendemain midi ! Nettement plus efficace que la pédagogie Montessori !

      • Exactement les mêmes cris se faisaient entendre dans la nuit noire du cimetière, nous nous sommes approchés à pas de loup et tapis derrière une tombe nous les avons vus ! Ils étaient quatre en train de creuser fosse, en retrait il y en avait un qui donnait des ordres, devait être un réplicant de la dernière génération, un évolué, parlait aussi distinctement que vous ou moi !

      • Diable, si les Cramps avaient pu assister à une telle scène, quel merveilleux album de rock'n'roll en auraient-ils tiré se lamenta le Cat Zengler

      • Ah, my cat, n'oublie pas non plus, le grand Screamin' Jay Hauwkins ! L'aurait pris la même voix glaciale que le cinquième réplicant '' Vous deux allez chercher la vioque, qu'on la foute au fond du trou, personne ne pensera à venir la chercher ici ! Et les deux autres aplanissez le fond proprement'' C'est à ce moment que Molossito a poussé un rot monstrueux, un véritable meuglement de vache à l'heure de la traite. Nous ont repérés tout de suite, se sont rués sur nous pioches levées. J'ai dégainé et fait feu. Cinq coups entre les deux yeux. Ne restait plus qu'à les jeter dans le trou et à les recouvrir de terre. Nous avons récupéré la cadavre de la Mamy et avons filé pour être à l'heure au rapport. Mission accomplie Chef.

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    Le Chef semblait aux anges, il souriait, mais lorsque Noémie dégrafa son corsage pour en retirer une enveloppe rose, il exulta :

      • Vite que je prenne un nouveau Coronado, cette écriture à l'encre violette me laisse subodorer que vous avez récupéré un ultime message de la Mamy, je m'attends à des révélations extraordinaires, ouvrez vite ce courrier, chère Noémie, le temps presse, refoulez votre émotion, la survie du rock'n'roll est en jeu.

      • Je l'ai récupéré dans la l'horloge de Mamy, elle adorait ce meuble, et j'ai pensé que...

      • Arrêtez de penser, chère enfant, lisez !

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    '' Ma chère Noémie, tu as de toujours été ma petite-fille préférée, une enfant douce et sensible et tu as compris que je gardais un terrible secret au fond du cœur, le voici je te le livre : mon grand-frère Christophe et moi étions amants, nous nous voyions souvent la nuit, je le rejoignais et nous passions des heures de bonheur dans sa Panhard vert pistache... J'étais dans la voiture lorsqu'elle s'est écrasée, un peu de ma faute, je l'ai embrassé un peu fougueusement et il a perdu le contrôle du véhicule... J'en suis sortie miraculeusement indemne, personne ne l'a jamais su... Plus tard je me suis mariée avec ton grand-père que tu as connu, c'était un homme gentil, mais jamais je n'ai oublié Christophe, mon grand amour... J'aimerais être enterrée à ses côtés, c'est-là ma dernière volonté. ''

    P. S. : pour la petite histoire et pour te faire sourire, le lendemain de l'accident un journaliste d la Normandie-libre, qui tenait la rubrique des chiens écrasés, est venu à la maison, histoire de glaner un peu de copie, j'y ai raconté n'importe quoi, que Christophe revenait de voir un concert d'un groupe de rock, L'homme à deux mains, le premier nom idiot qui m'est passé dans la tête. Ce n'était pas vrai, mais plus tard mes parents ont trouvé dans les affaires de Christophe des lettres passionnées et sans équivoque que nous nous adressions. Pour que rien ne transpire, aux voisins qui avaient lu la Normandie-libre et qui s'interrogeaient sur ce groupe de rock local inconnu, au fil des mois ils ont raconté qu'ils avaient entendu dire qu'ils étaient tous morts... Depuis tout le monde a oublié, mais si cette histoire parvient à tes oreilles, n'y prête aucune attention.

    Ma chérie, je t'embrasse, ta Mamy qui t'aime.

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    Il y eut un moment d'émotion, le Chef en profita pour allumer un Coronado. Son œil pétillait de joie, c'est avec entrain qu'il édicta ses ordres :

      • Enfin tout s'éclaire, procédons avec méthode, Zengler et Noémie, vous restez ici, débrouillez-vous pour enterrer Mamy à côté de son frère, quelques coups de pioche cette nuit et l'affaire sera vite réglée. Agent Chad, faites prendre un vomitif à Molissito et une fois qu'il sera rétabli, on file à Paris à tout berzingue dans la panhard pistache !

      • Chef, elle ne marche pas très bien, cette panne devant l'église, nous sommes revenus sans jamais dépasser la seconde !

      • Agent Chad vous n'avez donc rien compris ! Je parie un Coronado tout neuf que si vous enlevez le chiffon que les Réplicants ont fourré dans le pot d'échappement, elle filochera comme jamais !

    Evidemment il avait raison !

    ( A suivre... )