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bob bert

  • CHRONIQUES DE POURPRE 470 : KR'TNT ! 470 : ROCKABILLY GENERATION / BETTY WRIGHT / BOB BERT / TONY MARLOW TRIO / ALICIA FIORUCCI

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 470

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    25 / 06 / 20

     

    ROCKABILLY GENERATION / BETTY WRIGHT

    BOB BERT / TONY MARLOW TRIO

    ALICIA FIORUCCI

     

    Talking ‘bout my Generation

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    Rockabilly Generation ne parle pas des Who, mais au fond, le propos est le même : la passion - People try to put us d-d-d-down/ Talking ‘bout my generation - un put us down qui se transforme en Talking ‘bout my Rockabilly Generation, c’est-à-dire un canard qui jump in the letter-box et qui boppe page après page en hommage au ramage d’un rockab de plus en plus vivace.

    Un canard n’a jamais aussi bien porté son nom : il nous parle d’un rockab qui se transmet de génération en génération avec la même ferveur, le même élan, le même souci de crédibilité, le même sens de l’allure, le même soin du détail, le même souci de l’anti-frime. À la minute même où on voit Marcel Riesco en couverture, on sait qu’il est plus vrai que nature, qu’il se coiffe des deux mains comme le faisait comme Elvis en 1954 et qu’il sait gratter les poux de sa gratte. On le constate chaque année à Béthune, la scène rockab n’a jamais été aussi vivante, aussi surprenante, aussi increvable, avec des groupes carrés et autrement plus doués que ne le seront jamais les groupes de la scène garage. Rien n’est plus difficile à jouer que le rockab, cet étrange mélange de frenzy, de précision et de purisme.

    Comme le Retro, Rockabilly Generation mise sur l’avenir. Marcel Riesco, Barny, les Wise Guyz et les Spunyboys réinjectent un énorme shoot de modernité dans le cul fripé de Mathusalem, ils sont là pour bopper le beat comme le firent en leur temps les frères Perkins dans leurs salopettes. Bop it Carl !, et Sam claquait des doigts. Tous les gens qui croient que le rockab est un truc de vieux se fourrent le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Le rockab et mille fois punk que ne le sera jamais le punk, qui soit dit en passant, n’a duré qu’un an. Le rockab est un art et le punk fut une mode, c’est toute la différence. Si les Cramps s’enracinent dans le rockab, ce n’est pas par hasard.

    Bon c’est vrai, on voit aussi pas mal de vieux pépères en couverture de Rockabilly Generation, mais ce sont des survivants et ils ont plutôt meilleure allure que les punks vieillissants : comparez Graham Fenton ou Johnny Fox aux Stranglers ou à Paul Cook et vous verrez qui sont ceux qui ont la banane. Et puisqu’on parle de couvertures, espérons qu’un jour on y verra parader Jake Calypso, les Hot Slap ou encore Don Cavalli. Comme ce canard a les moyens de faire de belles couves en quadri, alors autant en profiter pour rêver un peu.

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    C’est d’ailleurs la grande force de ce canard : la qualité de l’icono. Tous les fans de rockab le savent depuis 50 ans : rien de tel qu’une belle photo de Vince Taylor ou d’Elvis, c’est une sorte de nec plus ultra de la photogénie, et côté photogénie, Rockabilly Generation gâte bien son lecteur. Rien qu’avec les images, on a son shoot. Même pas la peine de lire les textes, Lucky Will trône en ouverture de bal avec son perfecto et sa casquette, Marcel Riesco récupère la double centrale qu’on peut détacher pour la punaiser au mur, comme au temps des Playmates de Playboy, et puis il y a une multitude de petites images de concert, toutes bien soignées et bien colorées, qui donnent une idée assez juste de ce à quoi peut ressembler un concert rockab. Et puis si on veut lire, on peut. L’interview de Marcel Riesco laisse un peu sur sa faim, dommage qu’il ne parle pas plus de Roy Orbison. Celui de Lucky Will est plus complet, car il raconte toute son histoire dans le détail et petite cerise sur la gâteau, on voit Jerry Lee brandir l’album de lucky Lucky. L’interview la plus passionnante est sans doute celle de Michel Petit, l’organisateur de Rockin’ Gone Party, un festival qui se tient chaque année au sud de Lyon. Avec une modestie de vieux pépère qui l’honore, Michel Petit rappelle que l’organisation d’un festival n’est pas de la tarte et demande quelques mois de travail acharné. Et si on continue de s’enfoncer dans les pages, on tombe un peu plus loin sur la rubrique ‘Backstage’ qui permet souvent de retrouver de vieilles connaissances. Par exemple les Blue Tears Trio qui firent trembler la Normandie voici quelques années. Petite image aussi de Jake Calypso qui laisse un peu l’amateur sur sa faim. Trop riquiqui pour un mec de cette stature. Et puis en face, petit clin d’œil à Wild qui pour tous les fans de rockab n’en finit plus d’incarner le boppin’ boom de cette nouvelle rockabilly génération, à coups de gangs chicanos aux cheveux graisseux. Remember the Desperados ?

    Signé : Cazengler, rockaka

    Rockabilly Generation. N°13 - Avril-mai-juin 2020

     

    She does it Wright

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    Le reine de Miami Betty Wright vient de casser sa pipe en bois. Elle eut cette chance incroyable de naître dans une famille nombreuse où tout le monde chantait. «Mama said sing !, and we sang.» Ils sont sept gosses, tous doués pour la musique : son frère Phillip jouera de la guitare avec Jr Walker et sa sœur Jeanette chantera dans KC &The Sunshine Band. Clarence Reid la repère et Betty se retrouve vite fait sur Alston, le label d’Henry Stone qui est aussi le boss de TK Records, une énorme machine à hits qui gère KC & The Sunshine Band, Timmy Thomas et George McCrae. Il est bon de savoir qu’à ses débuts, Betty flashe sur la péruvienne Yma Sumac et sur Minnie Riperton. Wow ! Betty does it Wright !

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    En 2019, Geoff Brown la rencontre à Londres. Betty a 65 balais et elle chante au Barbican arts complex. Brown sent que Betty est une battante. Fin limier, il détecte les gospel roots sous la surface, comme chez Aretha et Mavis. Elle a en effet démarré très tôt dans les églises de Miami, les gens venaient de loin pour entendre Motha Wright and her kids. Clarence Reid la repère un peu plus tard chez un disquaire de Miami et lui enseigne le B-A BA du métier : l’interprétation - Le plus important, ce sont les paroles. Si la chanson est mauvaise, c’est juste un beat - Elle enregistre un premier single à l’âge de 13 ans. Puis quand Henry Stone monte TK Records, il engage Clarence Reid et Willie Clarke. Betty suit le mouvement.

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    Elle n’a que 14 ans quand elle enregistre My First Time Around. Elle pose en pin-up sur la pochette. On voit tout de suite que Betty sait poser sa voix, pas encore au tranchant d’Aretha, mais elle s’affirme et montre du caractère dans le velouté. C’est elle qui compose l’excellent «Circle Of Heartbreak». Comme Denise LaSalle, Betty sait shaker son swing et chanter à l’accent tranchant. Elle super-chante l’ultra Soul et derrière, on peut bien dire que ça mambotte sous les cocotiers. Elle boucle l’A avec une fantastique cover de «Cry Like A Baby». Elle va même jusqu’à l’exploser. Quelle niaque de son ! On la voit enflammer le cœur d’un slowah nommé «I Can’t Stop My Heart» en B et un superbe solo de jazz finit le travail. Elle boucle cet album de débutante avec une reprise du «Just You» de Sonny Bono. Producteur de renom, Brad Shapiro lui fournit un vrai mur du son. Sacrée Betty, on ne peut rien lui refuser. C’est l’époque où Shapiro travaille pour Atlantic. Il y produira Wilson Pickett, Sam & Dave et Bettye Lavette puis il s’occupera des fesses de Millie Jackson. D’où son surnom, Shapiro the Shaperon.

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    C’est avec I Love The Way You Love que Betty attaque son bout de chemin avec Alston Records, filiale de TK Records, comme déjà dit. Ça va durer 7 ans, le temps de faire 7 albums. Pas folles les guêpes TK, elles ont bien compris que Betty pouvait rivaliser avec Aretha. Encore faut-il avoir les compos. Tiens justement, en voilà une : «Clean Up Woman». C’est le hit de Betty, celui qu’on croise sur toutes les bonnes compiles funk. Ça sonne comme un hit Stax. Little Beaver fait désormais partie de l’équipe, avec Clarence Reid. L’autre stand-out track est un extraordinaire shoot de Soul évolutive intitulé «I’ll Love You Forever Heart & Soul». Nous voilà au cœur du Reid System avec la voix de la reine de Saba. Elle travaille chaque cut de l’A au corps, elle les chante tous pied à pied avec une niaque qui pourrait servir de modèle. La B est un peu plus faible. Seuls deux cuts sortent la tête, le vieux hit de Bill Withers, «Ain’t No Sunshine», joué au bassmatic prévalent, et un slowah sans histoire, «Don’t Let It End This Way». On note que la B est la face lente, comme au temps des Formidable Rhythm & Blues d’Atlantic.

    Malgré la qualité de ses deux albums, Betty ne parvient pas à décoller. Elle a une explication : «People are statisfied with the mediocre because they don’t hear the pure.» Avec ça, elle n’est pas très charitable avec Henry Stone : «Il était à la fois le meilleur et le pire des mecs. Le meilleur, car il était comme un père pour moi, et le pire, parce qu’il me volait mon blé. J’ai été très loyale avec lui, mais quand je venais demander mon blé, il l’avait dépensé pour la promo d’autres artistes.»

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    La voici en vraie reine de Saba sur la pochette de Hard To Stop. Quelle pochette ! Le contenu se révèle à la hauteur du contenant. On est en 1973 et c’est un sacrément bon album. Elle opte pour le groove de Soul, dès «Street Wonder», bien soutenue par des chœurs de rêve. Ici tout est joué à la perfection. C’est l’album de la good time music, on note l’excellence de la prestance de «We The Two Of Us». Betty s’appuie sur le plus parfait des sons de Miami, solide et fruité. Avec «Gimme Back My Man» en B, elle groove littéralement sous le vent. Quelle classe dans l’attaque ! Elle veut qu’on lui rende son mec, alors ? Sa fantastique fluidité de ton rappelle celle d’Aretha. Encore un hit phénoménal avec «The Babysitter», solide Miami Soul quasi latino dans l’attaque. S’il fallait illustrer musicalement le bonheur de vivre, on pourrait choisir ce cut. Elle termine avec une heavy groove, «It’s Hard To Stop (Doing Something When It’s Good To You)». Betty l’ultra-chante jusqu’à plus-soif. Elle fait partie des géantes du Soul System.

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    Sur la pochette de Danger. High Voltage, elle ressemble terriblement à Candi Staton, avec sa belle afro. D’ailleurs, elle fait exactement ce que fait Candi à la même époque, elle défend son bout de gras, d’abord avec «Everybody Was Rockin’», un solide jerk de Soul, puis avec «Love Don’t Grow On A Love Tree». Encore un heavy jerk de Soul avec «Come On Up». Même jus qu’Aretha. Betty chante ce hit de Felix Caveliere à la meilleure niaque de Floride, come on up/ Have a good time ! Elle a raison, il faut en profiter pendant qu’on est jeune. Elle tombe ensuite dans les bras d’Allen Toussaint avec «Shoorah Shoorah» qu’elle tape au bon claqué de langue, avec tout le petit chien de sa chienne. Une énormité se planque en B : «Where Is The Love». Heavy Soul de funk gorgée de niaque, dégoulinante de cuivres. Ah comme elle est bonne, cette petite Betty ! Elle chauffe son cut jusqu’à la dernière mesure, jusqu’à la dernière goutte de son, avec une rare sauvagerie. Elle est dessus, cela va sans dire.

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    On prétend qu’Explosion est le meilleur album de Betty. C’est un peu exagéré. On tombe pourtant très vite sous le charme d’«Open The Door To Your Heart» et de cette fantastique présence. Cette grande Sistah mène sa Soul de main de maître. Grosse énergie du chant et du son. Sur cette album au titre explosif, Betty privilégie le slow groove. C’est peut-être ça qui nous déroute. Elle pratique pourtant son slow groove avec une infinie délicatesse, mais ce n’est pas l’Explosion annoncée par le titre. Elle boucle l’A avec «Don’t Forget To Say I Love You Today», une belle Soul des jours heureux. Cette good time music sent bon les îles. La B est beaucoup plus faible. On n’y sauve que deux cuts, «Keep Feelin’» (mid-tempo des jours heureux) et «Life». On la sent de bonne humeur. Betty ne demande rien d’autre que du soleil, de la liberté et du bon temps. Elle s’en fait l’apôtre.

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    Sur la pochette de This Time For Real paru l’année suivante, elle porte une belle robe à motifs géométriques. Les marchands de l’époque ont collé un gros sticker ‘Disco’ sur la pochette, mais Betty reste fidèle à sa passion pour la good time music comme le montre «That Man Of Mine». Sa musique sent bon le sunshine et l’envie de danser avec une jolie femme quand on est un mec, et inversement quand on est une femme. On savoure une fois encore l’excellence de Betty. Elle reste dans le good timing en B avec «Brick Grits», une jolie chanson d’amour. Elle enchante sa Soul avec une incomparable fraîcheur. Elle est à sa façon la reine du groove léger et de l’enchantement. S’ensuit un autre groove de Soul, «Sweet», qui se faufile sous la peau. Ça joue au bas du manche de basse dans un climat d’enchantement. Il faut aussi saluer «If You Abuse My Love», une Soul plus classique signée Clarence Reid. Betty va toujours sur le côté swing de la Soul. Sans doute est-ce le côté Miami - If you abuse my love/ You’e gonna lose my love - Elle prévient gentiment. Elle termine l’album avec «Room At The Top», un nouveau shoot de Soul joyeuse. C’est son truc, son mojo.

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    L’année suivante paraît Betty Wright Live. Elle y fait sa reine, mais une reine des seventies. Elle emmène son «Lovin’ Is Really My Game» à la bonne clameur, épaulée par un big band. L’intérêt de cet album live est le medley qu’on trouve en B, un medley qu’elle articule autour de son hit, «Clean Up Woman», bien staxé par l’orchestre. Elle rend une sacrée série d’hommages : Chaka Khan («Midnight At The Oasis»), Billy Paul («Me And Mrs Jones»), O Jays («You Are My Sunshine») et Al Green («Let’s Get Married Today»). Elle termine avec «Where Is The Love». Oui, elle demande où est passé le love qu’il a promis. Elle a raison de gueuler. Ce n’est pas la peine de faire des promesses qu’on ne peut pas tenir. Ah comme les gens sont inconsistants ! Betty est une finisseuse exceptionnelle.

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    Après avoir été la reine de Saba (Hard To Stop), puis la reine des seventies (Betty Wright Live), la voilà reine du futur pour Betty Travellin’ In The Wright Circle. Elle rentre dans la folie diskö comme Labelle, revêtue de son costume de super-diskette. Quand on écoute du rock, c’est un album qu’on approche pas, même avec des pincettes. Mais comme c’est Betty, on y va les yeux fermés. Bienvenue sur le TK Diskö Sound ! Elle met toute sa hargne dans «I’m Telling You Now». Betty n’est pas du genre à faire semblant. Elle passe au big slowah de night & day avec «My Love Is» - You think that people/ have enough/ Of silly love songs - Elle essaye de convaincre les convaincus d’avance. Avec l’«Open The Door To Your Heart» qui ouvre le bal de la B, elle se lance dans une cavalcade diskoïde, au sens propre du terme, ça fouette cocher au grand trot et Betty does it Wright. Elle ramène pour l’occasion tout le petit ouaf ouaf de sa chienne et termine avec un «Listen To The Music» où elle se prend pour Sly Stone, mais en plus patapouf.

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    En 1981, année de l’élection de François Miterrand, Betty quitte TK pour Epic et enregistre Betty Wright. Epic l’a bien maquillée et bien coiffée pour la pochette. Une vraie gravure de mode ! C’est encore un album diskö. On retiendra surtout «Dancin’ On The One», belle trempe de diskö Soul. Joli slowah aussi que cet «Indivisible». C’est là où Betty fait la différence. Elle se bat pied à pied avec son slowah. Elle déploie des trésors de ténacité. On la voit aussi faire la coquine avec «Body Slang». Le pire c’est que c’est excellent. On sent la Soul Sister à l’affût. En B, on trouve un autre heavy balladif, «One Bad Habit». C’est sa came. Elle les finit tous en force.

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    Pour Wright Back At You, elle s’installe en Jamaïque et enregistre avec Marlon Jackson, le frère de Michael. Elle explique à Brown qu’à Miami, les gens connaissaient le reggae bien avant que ça ne soit devenu une mode - Je chantais déjà le reggae longtemps avant de rencontrer Bob (Marley) et j’ai fait ‘Tears On My Pillow’ avec Johnny Nash à 12 ans - Manque de pot, Wright Back At You sort en même temps que Thriller. Donc c’est cuit. Elle revient néanmoins à sa chère good time music avec «Be Your Friend» et rend hommage au reggae avec un «Reggae The Night Away» bourré d’énergie et de tous ces petits sons qui font la grandeur du reggae. C’est sûr, il y a du son sur cet album et Betty a du métier.

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    La voilà sur la plage pour la pochette de Sevens paru en 1986. Elle y sonne très entre deux eaux, et ce n’est pas inintéressant. Mais ce n’est pas non plus la panacée. Son «Tropical Island» est extrêmement agréable à écouter. Comme l’indique son titre, c’est un slow groove et Betty reste l’artiste accomplie que l’on sait. On l’a vu depuis la grande époque TK, c’est dans le groove qu’elle donne le meilleur d’elle-même. Oh, mais il y a un hit sur cet album balnéaire : «Pain». Slowah painy et mélodique en diable, c’est la surprise.

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    Quand elle en a marre de se faire rembarrer par les labels, elle décide de créer le sien, Ms. B Records et sort trois albums à la suite, Mother Wit, 4U2NJOY et Passion And ComPassion. Ce sont des albums qui ont une double particularité. La première est que Betty pose comme un mannequin de mode sur les trois pochettes, avec chapeaux et bijoux assortis, et la deuxième c’est qu’on peut se passer de ces albums. Ils sont vraiment réservés aux inconditionnels. Comme Betty a encaissé des sacrés coups durs dans la vie, elle compose pas mal de chansons sur le thème de la douleur. Elle démarre son Mother Wit avec «After The Pain». Elle utilise le slow groove pour raconter sur histoire.

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    Pareil sur 4U2NJOY : elle y chante une merveille intitulée «From Pain To Joy». Elle y redevient envoûtante. Elle arrache toujours aussi bien au chant, elle passe du guttural au chant des sirènes, comme par enchantement. On trouve d’autres grosses poissecailles sur Mother Wit, notamment la heavy diskö de «Ms Time» et un «Miami Groove» en B solidement percutionné du cocotier.

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    Puis on la voit encore se fâcher après un connard dans «Fakin’ Moves» : elle lui demande d’arrêter de faire semblant - Stop fakin’ move on me ! - Encore une fois, elle a raison de gueuler. Les mecs sont tous les mêmes. Il n’y en a pas un pour racheter l’autre.

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    Sur B-Attitudes paru en 1994, on trouve un duo de choc avec Marvin Gaye : «Distant Lover». Elle se prélasse avec Marvin sous les draps de satin jaune. Que peut-on espérer de plus sexuel qu’un duo avec Marvin sous les draps ? Qui est le plus come back baby des deux ? Sinon, elle se tape de belles tranches de heavy diskö funk. Viva Betty ! Des cuts comme «Love Is Too Deep» et «Feels Good» sont montés sur des big bassmatics qui sonnent comme des modèles du genre, d’autant que la prod les met en avant. Avec «Don’t Hurt Me», elle retrouve ses prérogatives de princesse. Elle chante sa Soul d’entre deux eaux et garde des traces de son âge d’or. Betty est une Soul Sister assez complète. Elle sait se fondre dans les méandres de la Soul. «Only You» est une merveille de slowah absolutiste, solide, bien foutu et bien chanté. Elle impose encore le plus grand respect avec «I Found Love». Elle se débrouille toujours pour fourbir un album solide. Tout repose sur la justesse et la puissance de sa voix. Elle n’a rien perdu de son éclat.

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    Retour inespéré en 2011 : elle enregistre un album avec the Roots qui s’appelle Betty Wright: The Movie. Attention, c’est un big album. Betty y flirte avec le hip hop et continue de labourer sa diskö. Il faut la laisser faire son truc. Elle adore ce son de heavy diskö qu’on entend dans «Surrender». Vas-y Betty ! Elle n’en finit de taper dans le groove de diskö-funk, elle sait de quoi elle parle avec «Grapes Of Vine», elle chante à la force du poignet. Et puis soudain, l’album s’éclaire avec «Look Around (Be A Man)». Elle y fait du Sly. Nous voilà au paradis, avec une chanteuse de rêve et le beat qui va avec. Puis on la voit rentrer dans le lard du groove avec «Hollywould». Fabuleuse shakeuse ! Elle multiplie les exploits et sur ce coup là, elle devient littéralement démoniaque. Retour en force au groove de charme avec «Whisper In The Wind». Betty est la gonzesse parfaite, elle sait tout faire. Sa good time music est l’une des plus parfaites de l’histoire de la Soul, car extrêmement chantée, avec des pointes de glotte. Cet album est une bombe, planquez-vous ! Elle chante son «Baby Come Back» comme on chantait un vieux hit de r’n’b, elle chante au cœur de l’atome et tout explose à nouveau avec un «So Long So Wrong» qu’elle chante jusqu’au bout du bout. Elle drive son cut à la perfection, groove parfait, franc du collier, elle est magnifique, il faut voir comme elle allume son So Long. Et voilà qu’elle fait son Aretha avec «The One». Elle réserve toujours des surprises épouvantables. Ses accents arethiens ne trompent pas. Elle ultra chante, it’s been good, elle sait si bien le dire. Fantastique Sistah.

    Signé : Cazengler, Bêta Wright

    Bettty Wright. Disparue le 10 mai 2020

    Betty Wright. My First Time Around. ATCO Records 1968

    Betty Wright. I Love The Way You Love. Alston Records 1972

    Betty Wright. Hard To Stop. Alston Records 1973

    Betty Wright. Danger. High Voltage. Alston Records 1974

    Betty Wright. Explosion. Alston Records 1976

    Betty Wright. This Time For Real. Alston Records 1977

    Betty Wright. Betty Wright Live. Alston Records 1978

    Betty Wright. Betty Travellin’ In The Wright Circle. Alston Records 1979

    Betty Wright. Betty Wright. Epic 1981

    Betty Wright. Wright Back At You. Epic 1983

    Betty Wright. Sevens. First String Records 1986

    Betty Wright. Mother Wit. Ms.B Records 1987

    Betty Wright. 4U2NJOY. Ms.B Records 1989

    Betty Wright. Passion And ComPassion. Ms.B Records 1990

    Betty Wright. B-Attitudes. Ms.B Records 1994

    Betty Wright & The Roots. The Movie. Ms.B Records 2011

    Geoff Brown. She’s The Boss. Mojo # 313 - December 2019

    Bert au grand pied

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    Quand un mec comme Bob Bert publie ses mémoires, en règle générale on saute dessus. Bob Bert ne fut pas seulement le batteur de Sonic Youth, d’Action Swingers, de Bewitched, de Pussy Galore, des Chrome Cranks et des Knoxville Girls, il est aussi peintre, photographe et fanzinard. Son recueil de mémoires est plus un livre d’art qu’un pavé ventru et le voilà publié aux bons soins d’HoZac, le label underground new-yorkais qui nous régale aussi d’un sweet book signé Sal Maida et d’une monographie consacrée à Chris Bell, the real Big Star.

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    Pour bien se positionner dans le domaine des livres d’art, Bob Bert opte pour un format élégant, ni trop carré ni trop rectangulaire, ni trop haut ni trop bas, et astucieusement agencé en séquences qui alternent de brillants portraits écrits et de flashants portraits photographiques. C’est une sorte de galerie de portraits à la Warhol, très vivante, très fraîche, très colorée, très gratinée au sens où on l’entend dans l’underground dauphinois. On croise par exemple des portraits de gens comme Lydia Lunch, Andy Warhol, Divine et son mentor John Waters, Howie Pyro, Richard Kern, Kim Shattuck (Muffs), Fred Cole (stupéfiant portrait flou de Cole avec le big Dead Moon tattoo sur la joue), Clem Burke, Elliott Smith, Kid Congo, Ian Svenonius, Steve Albini, Cynthia Plaster Caster, Vincent Gallo avec six pages pour le moins cathartiques, Michael Gira avec des pages autobiographiques absolument fascinantes, James Chance, Genesis P-Orridge (RIP) et ses litanies, Redd Kross, Hasil Adkins, James Sclavunos, quatre pages avec Suicide, et puis des accolades avec Kim Salmon, les Feshtones, Clem Burke, Mudhoney, King Buzzo des Melvins, puis avec Steven McDonald, Michael Gira et bien sûr pour finir, Lydia Lunch. C’est un ouvrage consistant, qui tient bien au corps et dans lequel on se plait à replonger encore et encore, car n’en finit-on jamais d’examiner les portraits de personnages consistants ?

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    Quand il évoque l’année de sa naissance, en 1955, Bob cite dix événements qui ont marqué l’année en question, notamment l’arrestation de Rosa Parks qui avait osé s’asseoir dans la partie du bus réservée aux blancs. Bob se souvient d’avoir traversé la Floride avec ses parents en 1961 et d’avoir vu les familles noires devant leurs cabanes : «Ça m’a fortement impressionné à l’époque et si j’éprouve du racisme, c’est envers les blancs stupides. La seule fois où je suis retourné en Floride, c’était dans les années 90 avec les Chrome Cranks, in and out.»

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    À part Rosas Parks, il cite aussi la sortie de «Maybellene», puis celle du film de Nicholas Ray, Rebel Without A Cause, la première apparition télé d’Elvis et il en profite pour raconter comment il convertit à une époque Jon Spencer au culte d’Elvis : Pussy Galore était en tournée et Bob avait amené une K7 d’Elvis. Jon Spencer commença par vouloir l’écouter encore et encore, puis il changea de coiffure et se laissa pousser des rouflaquettes, et pour finir, il se mit de plus en plus à chanter comme Elvis - You can hear the Elvis-isms creeping in on his vocals on the final Pussy Galore LP Historia De La Musica Rock where we do a cover of ‘Crawfish’. Ladies and Gentlemen The Blues Explosion, obviously Elvis-inspired (Vous pouvez entre ses accents à la Elvis dans la cover de ‘Crawfish» qui se trouve sur le dernier album de Pussy Galore, Historia De La Musica Rock) - Well done, Bob !

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    Puis il raconte vite fait son adolescence à Clifton, une banlieue Ouest de New York et en 1975, il déboule avec un copain au CBGB pour découvrir Patti Smith et Television qui jouent devant vingt personnes - J’avais découvert le paradis et j’y retournais quatre fois par semaine pour voir tous ces nouveaux groupes démarrer - Bob voulait faire du Warhol aussi s’inscrivit-il au School of Visual Art de New York. Il travailla même dans l’atelier de sérigraphie d’Andy Warhol à l’époque où il jouait dans Sonic Youth et Pussy Galore. Visiblement, ça ne se passe pas très bien dans Sonic Youth puisqu’il est viré du groupe et remplacé par Jim Sclavunos, avant d’être rappelé quelques mois plus tard.

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    Oh Bob ne s’étend pas trop sur cet épisode. Il renvoie plutôt à la lecture du book de Stevie Chick, The Psychic Confusion: The Sonic Youth Story. Plus glorieux est l’épisode consacré à Pussy Galore, qui fut réellement à l’avant-garde de la scène new-yorkaise - Pussy Galore was a perfect concoction of industrial noise blended with 60s garage rock and I fell in love instantly - Bob apprend vite à taper sur des vieux réservoirs d’essence pour amener un son outrageusement indus dans Pussy Galore.

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    Il qualifie le son d’industrial garage rock racket. Pendant leur tournée japonaise, ils découvrent un groupe nommé Boredom qui les bluffe complètement - The hardest I ever had to follow. We were completely blown away - L’aventure Pussy Galore s’arrête brutalement quand Neil Hagerty et Jennifer Herrema quittent New York pour la Californie, sans avertir personne, ni Bob ni Jon. Sacré Neil !

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    On monte encore d’un cran dans la légendarité des choses avec les Chrome Cranks. Et pourtant Bob hésite à rejoindre le groupe car les Cranks sonnent trop comme Pussy Galore, un épisode qui pour lui date déjà de dix ans. Mais Mark Arm lui dit que les Cranks sont énormes, car ils sonnent comme les Scientists. Ha bon ? Bob ne connaît pas les Scientists et donc c’est l’occasion pour lui de les découvrir.

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    Puis il nous emmène dans un autre épisode à dimension mythique, les Knoxville Girls, ce gang monté autour de Kid Congo et Jerry Teel. Quand Larry Hardy entend parler du projet, il signe le groupe, sans même avoir entendu une seule démo. Bob s’émerveille de voir un ex-Cramps jouer dans le même groupe qu’un ex-Sonic Youth. Il nous raconte quelques souvenirs de tournées avec les Girls, notamment sur la côte Ouest, à San Diego, avec some poseur kids called The Dandy Warhols en première partie. Bob voit les Knoxville Girls comme a good party band mixing country with some noise. Ils se qualifiaient eux-mêmes de No Wave Country. Et quand Jerry Teel part s’installer à la Nouvelle Orleans, c’est à la fois la fin des Chrome Cranks et des Knoxville Girls. Amen.

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    Encore un magnifique portrait, celui de cette teenage girl qui arrive de Rochester dans le milieu des années 70 et que Willy DeVille baptise Lydia Lunch. Elle inspire l’«I Need Lunch» des Dead Boys et démarre la No Wave avec Teenage Jesus & The Jerks. Bob parle de groundbreaking newness of raw head-ripping sound, d’autant plus que c’est produit par Robert Quine - I’ve been a Lunch addict ever since - Bob explique qu’elle fait un foin considérable, couvrant toute la gamme No Wave, Jazz Noir, Funk, Cock Rock, Southern Boogie, held together by the vision of Lunch. On ne compte plus les projets collaboratifs, Rowland S. Howard, Exene Cervenka, Henry Rollins, the list is endless, nous dit Bob, la discographie de Lydia Lunch donne en effet le vertige. Bob recommande chaudement de voir Retrovirus sur scène - We will be creepy-crawling into your town - et affirme un peu plus loin qu’elle a du génie : «Her mastery of stage control is super-genius.»

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    Il rend aussi hommage à Steve Albini, non seulement pour avoir produit Nirvana, les Pixies, PJ Harvey, Cheap Trick, les Breeders, Page & Plant, mais aussi pour avoir envoyé promener l’industrie du disk et les gros labels pour se consacrer au monde du hard hitting Underground Music. L’interview de Vincent Gallo est tirée d’un numéro de BB Gun, le fanzine de Bob, et franchement, ça vaut le détour.

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    Gallo a vraiment un style, il est la rock-movie star par excellence. Dans l’interview il descend par exemple Jim Jarmush - Jim doesn’t have soul - et lui préfère Richard Kern qui deale de la dope pour financer ses projets de films. Bob brosse également un portrait superbe de James Chance - the bastard son of free jazz, James Brown and Iggy in a sharkskin suit, pompadour and a saxophone - Bob rappelle qu’en plus James Chance allait dans le public pour giffler des gens, ce qui paraît-il augmentait encore son charisme. Pour Bob, James Chance fut le premier à shooter du jazz et du funk dans le punk rock world et l’album Off White reste l’un de ses albums favoris.

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    Jeff McDonald accorde aussi une interview à Bob pour BB Gun. Quand Bob lui demande pourquoi ils portaient les cheveux longs alors que tout le monde les portait courts, Jeff répond que c’était par amour pour les Rolling Stones et les New York Dolls. On peut difficilement faire mieux en matière de références. Redd Kross fait d’ailleurs une fantastique cover de «Citadel» sur cet album devenu cultissime, Teen Babes From Monsanto. Bizarrement, Bob ne parle pas beaucoup de Cramps, ce sont donc les autres qui en parlent à sa place. Comme par exemple Jim Sclavunos que les Cramps embauchent à une époque. Mais Jim voit qu’ils n’ont pas trop confiance en lui, «parce que j’ai trop de vie sociale. Je ne suis pas non plus assez pâle. Ils avaient des exigences extraordinaires. Ils voulaient par exemple que je marche dans Los Angeles avec une ombrelle pour ne pas avoir la peau du visage halée. Ils n’aimaient pas le fait que je joue dans d’autres groupes. Ils voyaient d’un sale œil ma fréquentation de Lydia Lunch, de l’art rock et de tous ces trucs malsains. Et quand ils ont découvert que j’avais été journaliste, ce fut la fin des haricots. Je fus viré sur le champ.»

    Signé : Cazengler, Bob Berk

    Bob Bert. I’m Just The Drummer. HoZac Books 2019

     

    TONY MARLOW TRIO

    LE BACCHUS

    ( 19 – 06 – 2020 / CHÂTEAU THIERRY )

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    ON THE ROAD AGAIN

    Après Courgivaud, vous quittez la terre de hommes. Disparus. N'en reste plus un seul. N'y a plus que moi et la teuf-teuf. Qui ronchonne. C'est quoi ce pays, même pas un piéton sur le bord de la route à écraser ! Excusez-la. Folle de joie à l'idée de repartir dévorer les grands espaces. Premier concert depuis trois mois. Du jour au lendemain, rayés de la carte du monde, l'on ne sait pas trop pourquoi. Aussi énigmatique que la subite extinction des dinosaures. Quoique dans ma tête je pense détenir l'hypothèse qui permettra de résoudre le mystère, n'ont pas dû survivre au premier confinement, privées de mouvements et de pâturages ces délicates bébêtes sont mortes d'ennui et de faim. N'étaient pas aussi terribles que le racontent les paléontologues puisque nous, race fragile des humains, avons survécu. Enfin pas partout. Dans le département de la Marne, ne reste plus que des champs de blés sans fin entrecoupés de vastes marnières.

    Une pancarte : '' Grand Morin''. L'a dû oublier de grandir, le pont qui l'enjambe mesure au moins deux mètres cinquante. Montmirail, des avenues vides, au fond d'une rue passe une voiture de survivants ! Sans haine nous entrons dans le département de l'Aisne. Nous voici dans Château Thierry. Non nous n'avons vu ni le château ni Thierry, par contre des groupes de jeunes qui discutent et se promènent. Tous connaissent l'emplacement exact du Bacchus.

    Comme quoi, rockers, les Dieux de l'antique Rome

    N'ont au très grand jamais abandonné les hommes.

    Admirez la rime des mes alexandrins foireux, nous sommes au pays de Jean de La Fontaine.

    GOIN' BACCHUS HOME

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    L'est des lieux – de plus en plus rares – où l'on se sent mieux qu'ailleurs. Un bar d'où l'on ne se barre pas. D'abord vous avez les trois attributs magiques du bar qui se respecte. Au mieux de nos jours, rares sont les établissements qui en possèdent un seul, la plupart du temps relégué en un coin sombre.... mais ici on les exhibe fièrement. D'abord un billard américain avec son tapis vert aussi vaste que la toundra russe, vous ne pouvez pas ne pas le voir, sa pelouse verdoyante vous saute aux yeux dès l'entrée. Point d'inquiétude la pièce est spacieuse. Un flipper bien sûr, l'unique machine au monde qui exacerbe les passions dès qu'elle s'arrête sans prévenir. Tilt ! Un frisson de rage vous parcourt l'abdomen, c'est tellement bon que vous ne résistez pas à remettre une pièce. J'ai gardé le meilleur pour la fin, l'appareil-roi, le babyfoot, le meuble convivial par excellence. Il fut le premier réseau social. Limité certes, mais ô combien de passions tumultueuses déchaînées !

    Bien sûr vous pouvez boire. Et même manger. Les prix sont modérés. Longue salle à brasserie qui elle aussi a vue sur la scène. Car le Pub Bacchus est un bar rock. Se font de plus en plus rares par ces temps qui courent  de plus en plus lentement, de plus en plus pesamment. A croire que les autorités ne les aiment pas. L'on ne compte plus les groupes qui sont passés par là et qui repasseront par ici. Les affiches sur les murs en témoignent. Eclectique mais électrique. Le rock qui tache, qui hache, qui fâche. D'ailleurs les bars qui offrent des concerts en cette période de post-confinement se comptent sur les doigts de la main d'un manchot. Preuve qu'ils aiment ça !

    Est-ce tout ? Non, le Bacchus possède une âme. Magnifiquement incarnée. Se prénomme Sabine sous sa crinière mordorée de lionne, visage auréolé d'un beau sourire et des mains pleines de bagues. Vous régente son monde avec simplicité et intelligence.

    FIRST SET TO HEAVEN

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    Il y a des soirs où vous êtes gâtés. Trio Tony Marlow après trois mois d'abstinence. Sont là en chair et en os. Avec leurs instruments. Envie de les tapoter discrètement pour s'assurer que ce ne sont pas des hologrammes. Amine Leroy inspecte une dernière fois sa big mama, Tony se charge de dire bonjour au micro. Fred Kolinski préside. Pour ceux qui ne connaissent pas, je précise qu'il trône derrière sa batterie, pause hiératique, ses yeux clairs fixés sur l'invisible, ses cheveux blancs qui retombent sur ses épaules lui donnent l'apparence du chef des druides des légendes bretonnes, indifférent à ses congénères, en conversation muette avec les puissances invisibles qui lui révèlent, par les mille bouches des feuilles des arbres agités par un vent léger, mille secrets interdits...

    Hélas nous n'en saurons rien, démarrent tous les trois brutalement, z'ont Rendez-vous au mythique Ace Cafe, se tirent la bourre, chacun essaie de distancer ses deux copains, accélèrent comme des fous, mais au final pilent juste devant la vitrine, tous les trois sur la même ligne. Genre d'instrumental que l'on adore, les virages ne sont pas négociés, et sur les lignes droites l'honneur vous interdit de ralentir. Pas plutôt arrivés que déjà repartis, Around and Around de Chuck Berry, une gymnastique hallucinante, un coup vous foncez dans le brouillard comme des fadurles et le temps d'après changement de rythmique, vous buvez une tasse de thé, le petit doigt en l'air pour séduire une gente damoiselle, et hop le brouillard vous happe une nouvelle fois. Ce vieux Chuck alterne le froid et le chaud. Un traquenard innommable. Souvent les groupes vous le font à l'auto-tamponneuse, un coup je rentre, un coup je recule, chacun à sa propre cadence, mais le TMT ils vous le font à la mécanique d'horlogerie suisse, jamais un temps en avance ou en retard. Pas question que les planètes se télescopent ou que les engrenages s'entremêlent les roues dentées.

    Question pionniers, dans les minutes qui suivent nous aurons Blue days, black nights, pas de mes titres préférés de Buddy Holly, un excellent exercice de surfilage et de doigté, mais qui manque de niaque à mon humble avis. Surtout qu'entre temps ils ont enfilé deux compos , en français de surcroît, Rockabilly Troubadour et Le garage, qu'ils ont merveilleusement interprétées à fond les gamelles, Tony impérial au vocal, l'impression à chaque fois de descendre une ruelle en pente sur le triptyque diabolique de la bande à Gaby dans Le cheval sans tête de Paul Berna. Faut écouter les textes de Tony, de véritables petits chefs-d'œuvre, des tranches de vie qui nous ressemblent. Et nous rassemblent. Autre classique, Hallelujah I love her so d'Eddie Cochran qui l'avait lui-même repris à Ray Charles. Là j'avoue que je sais plus quoi écouter. La voix de Tony, encore plus nette plus précise que d'habitude, et puis surtout l'impression d'ensemble, le combo comme formé d'un seul homme. Sont trois à jouer, ne se répondent plus, sont totalement enchevêtrés, imbriqués. Soudés comme jamais. Pas de croche-pied, pas de débordement. Pas de froideur jazzistique non plus. Un rentre-dedans époustouflant, un torrent qui vous emporte en un flot tempétueux. Les applaudissements crépitent à la fin des morceaux. Se transformeront en ovation lors des pépites qui suivent. Le meilleur est à venir. Debout ! Nouveau morceau. Le TMT a mis à profit le confinement. Z'ont composé, z'ont répété, z'ont enregistré, sont en train d'achever un nouveau disque, et nous ont offert de nouveaux titres. Ce Debout ! Bien dressé sur ses ergots de coq de combat. Victorieux. Un red rooster carabiné. Entre celui-ci et le suivant, un truc bien connu, Hey Joe, avec les lyrics de Johnny, oui mais à la guitare. Tony Marlow. Même pas une mini-box ou une pédale d'effets. Les cordes seules. Et le doigté. La Fender qui fend l'air. Une espèce de typhon qui fond sur vous, trois minutes, quand vous reprenez conscience, votre maison a disparu, tous les vôtres sont morts, vous êtes tout nu, mais vous exultez, l'expérience valait le coup. Mais vous n'avez encore rien entendu. Faudrait les dénoncer, vous prennent en traître. Après Jimi, vous sortent le slow de l'été, guitare sixties et pseudo-mélancolie pour ménagère de plus de quatre-vingt balais usés. Juste une autre chanson, c'est le titre, difficile de trouver plus tricard, le morceau de la soirée qui m'a scotché, comment dire, un truc qui sonne juste, qui transcende le temps et les époques. Un fragment d'éternité.

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    Plouf ! Là-dessus un Matchbox de Carl Perkins. Dévastateur. Suis sûr que c'est la même boîte d'allumettes qui a servi l'été dernier à mettre le feu à l'Amazonie. Continuent dans l'apocalypse, Quand Cliff Galloppe, retenue et lacération, le tigre qui vous déchire de ses griffes, les a d'abord rétractées afin de les sortir d'autant plus violemment quand il les enfoncera dans votre chair. L'on attend Marlow le marlou sur ce titre, c'est Amine qui vient le trouver, tout contre, tout contrebasse, et l'on saute dans une superbe bagarre-ballet au cran d'arrêt des plus méritoires. C'est Fred Kolinski qui aura les trois mots de la fin, pim, pam, poum, vous frappe ces trois coups de gong fatidiques comme les curés vous expédiaient l'extrême-onction en 14 sur les cadavres entassés dans la tranchée que vous veniez de prendre à la baïonnette. Au cas hautement incertain où auriez survécu, vous ont réservé une sorte d'entonnoir, genre porte étroite qui vous expédie en enfer sous forme de chair à saucisse, un instrumental, je me contente de vous laisser méditer, mes très chers frères et mes encore plus chères sœurs, sur le titre : Boogie furieux. Peut-on exiger congruence plus parfaite entre le son d'une chose et la dénomination qui la nomme.

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    Que vont-ils nous inventer pour la séquence suivante. Ils trichent. Prennent les spectateurs par les sentiments, Alicia F ! Deux morceaux à tout berzingue. I need a man qu'elle chante à vous couper le souffle. D'ailleurs dans la seconde qui suit, elle envoie Breathless de Johnny Kidd, qu'elle smashe breathfull. L'a pris nos cœurs à l'abordage, elle est déjà partie. Alicia F ! ne fait pas de prisonniers.

    L'on termine en beauté sur un Be Bop A Lula d'anthologie, repris en chœur par tout le monde. Même des dîneurs attardés se lèvent pour piquer la goualante.

    SECOND SET TO HEAVEN

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    Fut à la hauteur du premier. Si vous me le permettez j'accorderai une moindre importance à la set-list. Sous les titres, ce sont les hommes qui les portent qu'il faut regarder. Une mention spéciale au Rock'n'roll Music de Chuck Berry, tout comme l'Around and Around du premier set. L'ont traité à l'ancienne. Je ne veux pas dire qu'ils ont imité Chuck Berry. Non, ils ont réussi à retrouver le son des tout premiers quarante-cinq tours de Chuck. L'on a tendance à jouer Chuck avec des guitares claironnantes, genre j'envoie le riff de Johnnie B. Goode et en avant la fanfare et la ferblanterie. Les premiers enregistrements de Chuck étaient beaucoup moins tape-à-l'œil, beaucoup plus terre-à-terre, moins clinquants, davantage low down pour jouer avec l'antithétique formule slow down. L'on touche à la boue du delta, la guitare s'en extrait, mais y retombe irrémédiablement. Même si Keith Richard peut être tenu pour responsable de la flashy manière de passer les riffs, il ne faut pas mésestimer ce que les Stones doivent à Berry, une certaine lourdeur qui leur a permis de mieux entendre le blues que les autres, de concocter cette épaisseur sonore, ce magma inextricable, qui les a classés bien au-dessus de tous leurs concurrents à leur époque.

    Avant de parler des mecs, anticipons le retour d'Alicia F, Le Diable en personne version française de Shakin' All Over, ah ! Cette partie de guitare de Joe Moretti, un des meilleurs guitaristes anglais que trop souvent l'on oublie de mentionner, et puis le classique de Bobby Fuller IV, ce I fought the law l'hymne des rebelles qui perdent la partie sur un rythme entraînant qui a l'art de transformer la défaite en victoire. Paroles reprises par toute la salle, ce qui n'empêche pas Alicia de s'éclipser aussi rapidement que précédemment. Aurait-elle compris que l'absence attise le désir plus qu'elle ne l'émousse !

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    Marlow rides again. C'est le titre d'un de ses morceaux. Un instrumental. Mot magique. Horripilant lorsque vous regardez Marlow jouer. Cela semble si facile ! Les doigts et pas d'esbroufe. Un homme qui sait ce qu'il veut. Et qui se donne les moyens de l'obtenir. Marlow aime à galoper. L'a une prédilection pour le difficile, pour le défi, pour le lot de ficelles qui doivent se dérouler à toute vitesse, sans s'emmêler. Regardez ses doigts. Même sur les tempos les plus chaotiques qui passent du coq à l'âne, il les meut avec une certaine lenteur. Ne confond pas vitesse et précipitation et surtout pas célérité avec précision. Les traite toutes les deux à part. Dans son jeu aucune ne doit dépendre de l'autre. C'est sa tête qui décide. D'où il part. Où il s'arrêtera. Et surtout de toute la cartographie du chemin. Marlow ne cherche pas la note pour la note, mais pour sa musicalité. L'éclat et la brillance. Le foyer des pierres précieuses. A la manière des lampyres, ces verts luisants qui allument la verte intransigeance de leur émeraude pour que la nuit paraisse encore plus noire. L'on ne s'ennuie jamais à écouter le Marlou, construit davantage des lignes mélodiques que des riffs, mais il accorde à chacune une scintillance, une force, un climat qui n'appartient qu'à elles. Des espèces de leitmotivs wagnériens qui reviennent et disparaissent selon sa volonté. N'égrène pas des notes, ne sème pas à tous vents ni au hasard. Il compose et dispose. A sa guise. Un des meilleurs guitaristes.

    Amine Leroy. Les cheveux du même noir que sa contrebasse. Se ressemblent quelque peu, mais c'est lui le roi. La reine n'a pas trop son mot à dire. Lui dicte ses discours. La talonne de près. La surveille. Fais la note et tais-toi. Je ne veux pas t'entendre, juste ce que je te demande, Amine slappe comme le chat lape son lait. A coups précis et rapides. Le liquide n'a qu'à se laisser faire, c'est la langue du greffier qui vide la soucoupe. C'est Amine qui fouette le slap, la mama n'a que sa propre élasticité à offrir. Amine n'est pas un égoïste, donne beaucoup, apporte tout ce qu'il trouve en lui, sa virtuosité, sa force, ses inventions, ses désirs, ses émotions. L'est le peintre qui porte les couleurs sur la toile qui n'a que le mérite d'être-là. Les contrebassistes sont comme les sous-marins. Ils dégagent un son – on appelle cela une signature qui permet de les identifier - qui n'appartient qu'à eux. Celui d'Amine est sec, net, tranchant, peu protubérant mais empli de profondeur caverneuse. Entre parenthèses, idéal pour le rockabilly. Et ce soir Amine est animé d'une hargne joyeuse, il cherche le full-contact, il lève la jambe un peu à la Gene Vincent par-dessus un micro qui n'existe pas. Amine s'exalte et exulte. Il a le son, comme les gitans ont le duende, il le porte partout avec lui, il le matraque, il le maltraite, il en extrait de ces résonances qui toute la soirée firent notre délice.

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    Nous avons commencé par lui, nous terminerons par lui. Fred Kolinski derrière ses tambours. Les batteurs sont des hypocrites, se mettent contre le mur, genre je suis le cancre au fond de la classe près du radiateur, ne m'en demandez pas trop. Fred Kolinski est de ce type-là. Et puis si vous le quittez de l'œil vous vous dites, bon ça va, il bosse. Mais si vous le regardez vous vous apercevez qu'il est partout à la fois. Bien sûr l'air de rien, avec sa posture royale de sage supérieur dédaigneux des contingences terrestres. En vérité l'est comme le matou couché sur le divan. Semble dormir profondément mais si au deuxième étage de la maison une souris sort de son trou, s'il parlait il pourrait vous spécifier qu'elle se trouve exactement à quinze centimètres au sud-sud-est du troisième pied de la commode. Bref Fred taffe à mort. Il est le véhicule d'intervention premier secours d'urgence et en même temps la voiture balai qui vient en aide aux éclopés du tour de France. C'est un plaisir de regarder Kolinski, l'est tour à tour le garçon de café qui vous apporte votre boisson préférée avant même que vous soyez aperçu que sans elle vous alliez mourir de soif dans la seconde qui vient, ou le chien d'avalanche salvateur avec son petit tonneau de rhum qui vous aide à remonter de la crevasse dans laquelle votre impéritie vous avait précipité. C'est aussi un jeu. Sont trois sur scène. Comme des acteurs qui s'amusent à rallonger ou à raccourcir une réplique pour jouir de l'a-propos de son collègue.

    Kolinski joue simple, c'est lui qui le dit. Mais de cette simplicité des joueurs de bonneteau qui sans se presser du même geste intervertissent trois timbales et s'approprient le billet de cent euros que vous aviez bêtement parié. L'est toujours là où il faut et là où il ne faut pas. L'assure sa partie et assume les dérives des deux autres. Se connaissent bien, et ce soir les écarts ne furent jamais monstrueux. Bref un superbe concert ! Un chaleureux public d'habitués, il aurait pu être un poil plus nombreux, les gens se plaignent mais laissent passer les occasions en or. Trois musiciens bourrés de talent, dispensateurs de rock'n'roll.

    Un vrai concert pas un ersatz je-joue-chez-moi-dans-ma-salle-de-bain-et-vous-m'admirez-sur-FB. Mais pour cela, il faut remercier Le Bacchus et Sabine qui n'a pas décommandé, qui n'a pas eu peur. C'est elle qui mérite la mention Attitude Rock'n'Roll !

    Damie Chad.

    ( Photos : FB Elvis Comica)

    *

    Il est des chanteurs de rock des années cinquante dont on ne possède que quatre ou cinq photos, certes leur carrière ne dura que quelques mois, un ou deux petits 45 tours et puis s'en vont, cependant pour les artistes connus de la même époque les documents iconographiques ne sont pas pléthoriques, il suffit d'être par exemple fan d'une idole qui eut son heure de gloire pour s'apercevoir que l'on retombe sempiternellement sur les deux cents à trois cents mêmes documents. Tous les rockers n'ont pas eu la chance d'Elvis Presley qui en son temps fut l'homme le plus photographié de son siècle.

    L'on en parle peu mais au début des années soixante en France les fans collectionnaient les photographies, type cartes postales, parfois en couleurs, souvent en noir et blanc, des groupes rock et yé-yés plus ou moins célèbres. Jusqu'au début des années quatre-vingt-dix l'on pouvait encore s'en procurer dans les brocantes, sur les marchés et les foires chez des vendeurs spécialisés dans ces catalogues d'une autre époque.

    Les temps ont changé. Le portable est arrivé et tout s'est arrangé. J'aimerais partager cet optimisme. Il est sûr que lors du concert d'une formation quasi-inconnue, mal annoncé, en un rade incertain, devant un public réduit à quinze personnes il n'est pas rare d'avoir dix aficionados qui d'office sortent leur téléphone et mitraillent sans discernement.

    L'iconographie des groupes d'aujourd'hui – je parle de ceux qui n'ont aucun accès aux media de masse - reposent en grande partie sur ces images, vite prises pas prises, ai-je envie de dire, car si certaines sont occasionnellement très fortes, elles n'offrent qu'un intérêt artistique limité, mais tout document n'est-il pas digne d'attention soutenue ? De plus il règne dans nos milieux rock une latente idéologie post-punk, post-dadartistique qui privilégie l'authenticité maladroite en opposition avec l'orthodoxie bien proprette sur elle attendue de tous que l'on retrouve dans les magazines sur papier glacé, avec les artistes souriant en rang d'oignons.

    Certains groupes ont la chance d'être amicalement suivis par des photographes pourvus d'un matos de pro et surtout d'une sensibilité rock qui leur fournissent de belles et alléchantes photographies mais qui avant tout cherchent davantage à traduire le force, voire la fragilité, de l'impact esthétique de leur prestation. Se veulent fidèles à la réalité de leurs impressions et en oublient du coup que le résultat de leur '' travail '' est aussi une production artistique qui devrait être formellement poursuivie en ce sens, ils négligent de l'entrevoir et de le présenter en tant que création à part entière.

    Toutes ces généralités préambulesques pour en venir à une série de photos d'Alicia Fiorucci prises par Antoine TK Pix Newel. Alicia Fiorucci a compris qu'il n'était pas suffisant d'être vue car c'était rester captive des représentations de l'autre. L'important est de se donner à voir en tant que soumission du regard de l'autre à sa propre volonté. Maîtresse du jeu.

    ALICIA F

    BREXIT, ROCK & SEXY BY TK PIX

    ( 06 / 07 / 2016 )

     

    Ici il ne s'agit pas de photos mais d'images. Evidemment que ce sont des photographies ! Mais il faut comprendre que la photographie est juste le support, que c'est l'image qui lui donne sens. L'image est toujours double, elle est autant engendrée par celui qui l'a objectivée que par celui qui a donné naissance à sa subjectivisation. Dans la plupart des cas qui retiennent notre attention les deux personnes se confondent. Ici la situation se corse – ce qui n'a rien d'étonnant quand on s'appelle Fiorucci – elles sont trois, le photographe, la commanditaire qui est aussi le modèle. Trois dimensions, serions-nous plus près de la sculpture que d'une forme mise à plat ? Evidemment que oui ! Mais une sculpture mentale, autant dire une œuvre réfléchie, qui réfléchit autant l'autre que l'une, autant l'autre que la même.

    La planche qui comporte les 15 photographies est précédée du rappel du thème de la séance : Rock, English and sexy obviously. Je ne vous ferai pas l'injure de vous traduire les quatre premiers mots. Le cinquième me semble davantage sujet à caution. Evidemment qu'obvoiusly signifie évidemment. Mais le vocabulaire anglais étant truffé de vocables français – merci Guillaume le Conquérant – il se doit d'être rapproché de notre verbe obvier, un terme au sens aussi glissant qu'un serpent à deux têtes qui signifie aussi bien s'opposer que faciliter ! L'ambiguïté faite adverbe est évidente.

    1

    Brexit !

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    Que le rock soit anglais, Beatles, Rolling Stones et des centaines d'autres groupes l'ont démontré. Qu'il soit une musique à forte connotation sexuelle est indéniable. Nous surfons sur des évidences. Reste qu'évidemment cela doit être appliqué à Alicia Fiorucci, qui se veut décliner non en en Itsi, Bitsy, Petit Bikini, mais en Brexit, Rock and Sexy, by TK PIX. Et rien d'autre. Mettez-vous à la place d'Antoine Newel. Rien d'autre signifie rien d'autre qu'Alicia. Il a tenu la gageure. Fond blanc. Sauf sur la première image sur fond d'Union Jack. Depuis les Who rien de plus parlant que la pavillon britannique pour désigner l'Angleterre. Les Sex Pistols à la génération suivante n'ont fait que confirmer. Pistols, laissez tomber, Sex nous sommes en plein sujet. Sur le drapeau ce ne sera pas la reine bâillonnée mais Alicia la merveilleuse les seins nus pudiquement cachés sous la paume ( interdit de croquer ) de ses deux mains. En lot de consolation le mini-kilt que le vent retrousse. L'on montre et l'on cache. Sens obvié.

    2

    Leather belt stone tattoo

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    Vous en mettre plein la vue. Gros plan. Hélas un peu trop haut, pas assez bas. Le tattoo stones qui vous tire la langue, salivez, des mains qui défendent et en même temps déclenchent le désir, futal de cuir au ceinturon clouté de cœurs, plan sexe oui, mais pas cul. Désir obvié. Alicia provoque, Elle convoque. N'est pas réciproque. Vous renvoie à la solitudede votre regard. Le fan de rock verra en cette photo tout ce que la pochette de Sticky Finger des Stones ne montre pas.

    3

    Little Bob Addict

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    Presque une image de première communiante. Ne tient pas un cierge phallique entre ses mains mais se couvre chastement le buste avec l'histoire du petit Bob. En haut sourire de guingois. En bas reluquez, these boots, are made for walkin', and one of these days they are gonna walk all over you. Vous êtes prévenus. Elle de nu, elle n'offre que le bas des cuisses et le haut des genoux. Entre le pas assez et le nettement insuffisant Antoine Newel promène son obturateur. Il est parvenu à produire une représentation figurée du manque.

    4

    Don't look back ! Go ahead !

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    Elle vous tourne le dos et en même temps vous regarde. Mépris et invite. Yeux verts en coin de triangle, l'arête du nez angulaire soulignée du trait des lèvres rouges. Allure vipérine, car pour avancer le serpent ondule, se courbe pour poursuivre son droit chemin. Juste la protubérance d'un sein dans l'alignement recouvert d'un voile blanc, étrangement le justaucorps noir laisse transparaître le rose épanoui de la peau, en accentue la crudité, vous intime l'ordre d'être hors de l'intime. Elle poursuit sa route, vous invite et vous évite sur le bord du chemin. Tranche de carnation qui vous retranche d'elle, car elle est pour elle seule. Plus qu'une image, un mot d'ordre qui est une sollicitation à votre seule solitude. Sur le précédent cliché Alicia se cachait, se protégeait, vous séparait d'elle d'un disque de rock, et la voici rapprochée, de la série des quinze, c'est l'artefact de la plus grande approche, de la plus belle accroche, Antoine Newel a bien saisi la personnalité de la miss – I miss you diraient les Stones – qui se tourne vers vous pour dans ce même mouvement affirmer sa suprême liberté à n'être que ce qu'elle veut être, entièrement elle, dans le seul but que votre regard suscite sa présence.

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    Mallarmé écrivait pour mettre de la fumée entre lui et le monde. Alicia a perverti ce modus vivendi. Elle se fait photographier pour exhaler et exalter la prégnance de son corps sur le monde. Assise en mode vamp, le visage oblitérée d'un brouillard de bouffée de cigarette rejetée, les yeux grand-ouverts, il est étrange de penser que cette photographie vous scrute davantage que vous ne la regardez. Une insolence qui vous oblige à porter vos regard sur ce corps comme ganté de noir, mais l'endroit des seins et du sexe arborés d'un tissu blanc, telle ces pages mallarméennes d'impuissance que leur blancheur défendait. Elle est ailleurs. Lointaine.

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    La belle n'est pas cruelle. Elle s'offre à vous, dévoilant la statue de son corps. La main brise la chaînette de son cou. Ses seins dévoilés sous la transparence de son soutien-gorge. Tour d'ivoire de sa chair. La très chère se fait désirer mais n'est pas entièrement nue et a gardé le fuselage montant de ses bottes. Sensualité à fleur de peau d'amazone guerrière prête à se donner mais qui ne se livre pas. Le plus beau reste encore ce regard satisfait – Antoine Newel a su le saisir sans l'exhiber - qu'elle porte sur elle-même, cette contemplation narcissique, cette fierté auto-satisfaite d'être ce qu'elle est. D'être l'incarnation d'être sa propre volonté à être devenue ce qu'elle est. Et cette main qui dégrafe le barbelé de sa jarretière.

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    Vous l'avez eue debout. La voici vindicative. L'image rouge de l'aspic désir qui se penche sur vous telle une menace de femelle qui s'apprête à se nourrir d'une chair qui n'est pas la sienne. Son corps s'est métamorphosé en langue de serpent et pire que cela il pointe vers sa proie tel le logo des Stones, licencieux et provocatif. Elle est ce chiffon d'amarante qui l'habille et qu'elle agite sous le mufle que vous êtes.

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    La voici couchée, aguichante princesse aux pieds dénudées dans une friandise de flots de fanfreluches noires, le regard vert aigu, la bouche souriante qui ne dit mot et consent à s'amuser mutine de son accoutrement de sorcière, la peau laiteuse et latescente, elle attend, grande dame souveraine sur le sofa.

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    Vous ne le saviez pas, cette neuvième symphonie pictogrammique n'est que le troisième volet du triptyque qu'elle forme avec les deux précédentes. D'où la nécessité de revenir à la pénultième, à la considérer en la représentation de ces vierge noires qui symboliquement selon l'iconographie christique représentent l'abîme sans fond de la tentation. Le lecteur lettré se imaginera y voir une contre-lecture d'Eloa d'Alfred de Vigny. Eloa aux boas. D'où la nécessité maintenant de voir les deux effigies rougeoyantes en tant que représentations des flammes dévorantes de l'enfer du désir, un peu comme les boutons rose-rouge du bout de deux seins absents, image métaphorique intérieure suscitée par leurs positions adjacentes. Autant le premier pourrait se nommer ''L'appel'' celui-ci devrait recevoir pour titre ''L'étonnement''. La face féminine du penseur de Rodin, la penseuse n'est pas perdue en son propre mystère, elle est comme surprise de la laideur du monde qu'elle a désiré. Antoine Newel s'est contenté de figer une expression. Ce biais de bras qui ferme le centre du monde, cette bouche entrouverte sur le constat définitif de la vacuité universelle, cet instant précis où l'individu se rend compte qu'il est la seule réalité dont il ne puisse douter de la vacuité. Newel a fixé et montré une pensée en actes.

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    Zou, au boulot ! Fuyons ces pensées destructrices. Revenons à la vie. Il faut que ça déménage. Reste que quand même que l'on peut s'interroger sur la signification de cette étrange lettre formée par les deux jambages, quel titre lui donner si ce n'est la fille et l'objet, ou pour être plus précis la fille qui se repose sur l'objet stepique de son propre désir, qu'elle manie et transforme en cet outil que les déménageurs et les ménagères appellent diable. Autant s'y appuyer dessus pour souffler un peu. Sur les braises de cette tenue noire d'un feu qui ne demande qu'à renaître.

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    A ce jeu, non pas de l'oie blanche mais du cygne noir, il convient de suivre la règle et de reculer de quelques cases. Souvent dans nos existences nous croyons avancer alors que nous stagnons dans le périmètre fallacieusement merveilleux de nos propres représentations. Il faut savoir se relever, se quitter, soi et ses rêves, pour être encore davantage soi et offrir au monde sous la noirceur du désir la transparence idéelle de sa beauté. Ce bras dans le prolongement de la tête, cette main arquée, Antoine Newel a supprimée les ombres, sur le fond blanc immaculée, la nacre de la chair éclate telle la morsure d'un serpent.

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    Chapeau melon et bottes de cuir. Sans rien d'autre dessus que l'immense drap du drapeau anglais. Comme quoi l'Angleterre a toujours quelque chose à cacher. Sur les bords, Antoine Newel a arrondi les angles. Presque une carte à jouer. Joker ou nouvelle reine ? Réponse à la case suivante.

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    Donc le pavillon britannique est juste une immense croix rouge dont on se sert pour barrer les chemins interdits. Comme quoi tout symbole peut être réduit à son utilité sociale. A sa futilité draconnienne. Pour cette arcane de la petite mort, le désir n'est plus suscité selon l'extérieur, mais exprimée de l'intérieur. Jeu de lèvres et de mains. Yeux clos, nudité des hanches. Juste la caresse des tattoos et le mime de la jouissance. Faussement surprise et effarouchée. Le désir n'est-il qu'un accessoire de la liberté. Au même titre qu'un chapeau rond.

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    Le voici dans sa crudité. En déshabillé lourd. Un doigt sur les lèvres de la bouche ouverte, et l'autre main refermée sur l'entaille des autres lèvres du bas. Le corps de bête affamée penchée en avant nous appelle, le geste d'un appel plus que suggestif. Qui nous rappelle qu'Alicia se joue de nous, qu'elle joue avec nos pulsions. I wanna be your dog.

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    La même en fausse innocence. Ces deux dernières icônes séparées sont à réunir, ne sont pas s'en évoquer ces tableaux de la Renaissance d'un Albretch Dürer ou d'un Lucas Cranach qui nous montrent le couple biblique Adam et Eve mais ici nous n'avons que deux auto-présentations, d'Alicia et d'Alicia, qui se suffit à elle seule. Elle ne tient pas la pomme, tire juste un peu sur l'affriolant serpentin de l'élastique de sa culotte. Geste mutin et d'innocence perverse. L'essence du rock'n'roll.

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    L'image qui ne fait pas partie de la série. Dessus devrait y avoir Antoine Newel. Mais il est hors-cadre, même si toutes ses photographies à l'exception d'une seule n'en possèdent pas. Car comment voudriez vous mettre une limite à la représentation de l'infini féminin. Evidemment, il est là, sur toutes les photos. S'est chargé de tout le boulot mais a été exclu de la représentation finale. Ce bas-monde est rempli d'injustices ! Reprenons notre sérieux. Ces photos font irrésistiblement penser à ces kits de mannequins miniatures de cartons que l'on offre aux petites filles pour qu'elles les habillent de diverses tenues. Ici le jeu consiste à en mettre le moins possible. Rester dans l'indécence des sens tout en exacerbant la paroxystique démesure de sa présence par son absence même. Antoine Newel a su créer un monde de marionnettes de carton à manipuler sans fin. Le jeu des perles de verres cher à Hermann Hesse, dont la silhouette d'Alicia Fiorucci jouerait le rôle des opales les plus transparentes, des nacres les plus limpides. Une approche souveraine, l'insaisissable fixation sur papier, l'incroyable appropriation par la science du photographe de l'auto-fiction du personnage fioruccien à représenter, la miraculeuse résolution de l'effulgence d'un désir mental.

    Damie Chad.