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  • CHRONIQUES DE POURPRE 448 : KR'TNT ! 448 : ERVIN TRAVIS / BRYAN GREGORY / BELPHEGORZ / SUPERHEROÏNE / DARK REVENGES / JUSTINE / NEVERMIND THE CAR / KROPOL TRIO / PIERRE CUDNEY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 448

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    23 / 01 / 2020

     

    ERVIN TRAVIS

    BRYAN GREGORY / BELPHEGORZ

      SUPERHEROÏNE / DARK REVENGES

    JUSTINE / NEVERMIND THE CAR  

    KROPOL TRIO / PIERRE CUDNEY

     

    05 / 12 / 2019LE SEQUESTRE ( 81 )

    SAMY'S DINER

    ERVIN TRAVIS & THE LITTLE BOYS

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    Non, je n'y étais pas, mais combien aurais-je aimé y être ! L'on pensait la chose impossible. Les dernières nouvelles d'Ervin du mois de novembre n'étaient pas bonnes. La maladie de Lyme est une belle saloperie. Les quelques très rares heures de rémission que le mal lui octroie et qu'Ervin met à profit pour donner le change, sortir de chez lui, voir un peu de monde, il les paye dès les jours suivants au centuple. Et puis ce matin, faisant un tour sur son FB : Ervin Travis ( gene vincent tribute ), mes yeux sont accrochés par une vidéo de concert datée du cinq décembre 2019. En fait pas moins de sept vidéos avec Ervin sur scène.

    Un véritable concert – pas un come-back officiel, juste un test nous est-il précisé - de deux heures en deux sets. Avec quelques uns de ses anciens musiciens, comme Edwin Garrouste, qui montèrent sur scène pour rejoindre les Little Boys avec le fidèle Alain Neau à la guitare, Louis Bic aux drums et Sébastien Boyer au chant.

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    Donc sept vidéos qui donnent une idée même si parfois elles privilégient les danseurs et oublient quelque peu de resserrer la focale sur Ervin, notamment lorsqu'il nous restitue les attitudes mythiques de Gene Vincent sur scène. Ce qui est sûr c'est qu'Ervin n'a pas perdu ses automatismes. L'a toujours cette classe innée de félin dans son pantalon rouge l'Ervin, amaigri un poquito – mais il n'a jamais été épais – et la voix est-là, si elle n'a pas perdu en force – la chant corse, Ervin a toujours revendiqué fièrement ses origines insulaires, Quando sero per Cordi, interprété a cappella le démontre amplement, peut-être lui manque-t-il encore un brin de finesse mais nous pouvons faire confiance à Ervin pour qu'avec l'exercice le larynx retrouve sa plasticité originelle. En plus mon écoute est dépendante d'un vieil appareil bien fatigué !

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    Quatre perles de Gene Vincent, You are my Sunshine, She she little Sheila, Rocky Road blues et Baby blue, Peggy Sue de Buddy Holly, et le Shazam de Duane Eddy et Lee Hazelwood – ce dernier on le retrouve sur bon nombre des mauvais coups du rock'n'roll – qui permet à Ervin de nous montrer son jeu de guitare royalement secondé par Alain Neau.

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    Une deuxième prestation a eu lieu pour la nuit de Saint-Sylvestre à Saint Amans dans l'Aude, quand je pense que j'étais exactement ce soir-là à trente kilomètres de l'endroit, je me maudis jusqu'à la cent-soixante dix-huitième génération. Vous avez quelques photos et une vidéo sur le FB de Jason Rock. L'on y voit notamment Ervin à la batterie.

    Quoi qu'il en soit, quel plaisir de savoir qu'Ervin Travis est en train de remonter la pente. Le phénix renaît de ses cendres !

    Damie Chad.

    La vie de Bryan

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    John Wombat poursuit son petit bonhomme de chemin avec des livres étranges et pénétrants, pour reprendre une expression verlainienne. Après Ron Asheton, Brian James et Johnny Thunders, il se penche sur le cas ô combien sulfureux de Bryan Gregory qui joua dans les Cramps un rôle comparable à celui que joua Brian Jones dans les Stones, le rôle du personnage iconique. Bryan Gregory semblait en effet sortir d’une tombe, ce qui tombait à pic, dans un groupe qui se piquait de voodoo-you-lover son prochain.

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    Wombat peaufine sa méthode de livre en livre : il retravaille l’histoire pour l’adapter à un style qu’il veut résolument léger, il musarde pour échapper aux pesanteurs de l’érudition, il opte pour la désinvolture d’un fer à gauche à seule fin d’éviter les rigueurs despotiques d’une justification qu’il sait fermée à tout dialogue. Sa méthode consiste aussi à grapiller des bouts d’infos pour en faire mousser le suc et donner vie à son sujet sans s’aventurer trop loin dans la psychologie, il se contente d’un portrait de bric et broc, choisissant astucieusement ses éléments. Il finit par donner l’illusion d’écrire en prose, car il veille à l’équilibre d’une insoutenable légèreté de ton, à un point tel qu’il semble ne vouloir conserver que l’ersatz de l’essentiel. Son livre ne fait que 68 pages. D’où l’impression de tenir en main un petit ouvrage raffiné, du style de ceux que publièrent jadis les éditeurs dilettantes pour le compte de Paul-Jean Toulet ou encore Natalie Clifford Barney.

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    Il se peut aussi que la vie de Bryan Gregory soit tellement courte, au propre comme au figuré, qu’il faille se limiter à ce type de distance. Gageons que Wombat réalise un exploit en parvenant à étirer sa sauce jusqu’à la page 68. L’ajout de nombreuses photos ne fait qu’aggraver la perfidie de cette hypothèse. D’où l’aspect héroïque de cette démarche. Franchement, il fallait oser.

    Wombat touche au délire référentiel des Cramps avec des pincettes, il veille à ne pas marcher dans les plate-bandes de Dick Porter. Il se contente de citer rapidement deux films (Robot Monster et The Yesterday Machine), deux early heroes de Lux (Ghoulardi et Mad Daddy Myers), et la triplette de Belleville (Elvis, Link Wray et Carl Perkins). Il évoque brièvement la rencontre historique de Lux avec Kirsty Marlana Wallace à Sacremento, et du cours qu’ils vont suivre ensemble à la fac, le fameux Art and Shamanism dont les crampologues feront leurs choux gras. Lux et Ivy vont aussi se passionner pour ces losers notoires que sont Andre Williams, Thee Midniters, Marvin Rainwater et Bailey’s Nervous Kats. Ivy gratte un peu de guitare et se dit fascinée par le jeu de Link Wray - Just the simplicity and the starkness, the stark chord of Link Wray and the stark single-note thing of Duane Eddy - Ce qui par la suite générera des tensions avec Bryan Gregory qui préfère un son plus ‘moderne’ (Joy Division, Stooges et Banshees). (C’est vrai qu’on voit souvent la modernité qui nous arrange, comme on voit midi à sa fenêtre).

    Petit rappel de l’auteur : au commencement des Cramps était non pas le Verbe mais le Mix : Lux rêve de jouer un rock’n’roll loud and raw et de mixer Carl Perkins avec les Shadows of Knight. Il oublie de préciser que les Cramps iront beaucoup plus loin et qu’ils inventeront un genre à part entière : les Cramps.

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    Bryan quitte Detroit, s’installe à New York et bosse chez Music Maze. C’est là qu’il rencontre Lux. Ils vont monter le groupe ensemble sans savoir jouer d’aucun instrument. Toute la puissance originelle des Cramps vient de là : du niveau zéro de l’exaltation. Le Detroiter Gregory Beckerleg devient Bryan Gregory en l’honneur de Brian Jones et s’achète une guitare. Il ne sait pas jouer, mais il va inventer un son à base de feedback et de fuzz - Playing bass lines and noise and fuzz effects - Oui, il va inventer a unique feedback playing style, a noise all of his own. Le premier album des Cramps en est bourré à craquer. Bryan crée son monde, il colle des stickers blancs sur sa Flying V noire et se teint une mèche de cheveux en blond, un blond qui va blanchir sous les projecteurs. Il devient la créature subliminale des Cramps et avale ses cigarettes sur scène. Bryan est un performer et non un musicien, dit de lui Johnny Thunders. Bryan amène ce qui va asseoir la réputation des Cramps : l’attitude. Beaucoup plus que les punks, les Cramps sonnent le glas du rock virtuose. Bryan pousse encore le bouchon en foutant les jetons aux gens. Personne n’ose l’approcher. Il a une mauvaise peau et un regard noir - The Cramps were the real deal, they lived and breathed their musical life style - Et c’est là où ca devient très fort, Wombat insiste beaucoup sur ce point : les Cramps étaient beaucoup plus qu’un simple groupe de rock, ils incarnaient ce rock sauvage et primitif qu’ils vénéraient, ils surent créer un monde à partir de leur passion pour les films d’horreur, le rockabilly et le sexe. Lux écrivait les paroles, Ivy la musique et ils choisissaient ensemble les covers qu’allait jouer le groupe sur scène. Lux voulait retrouver le côté choquant, sexy et révolutionnaire des pionniers du rock des années 50, mais sans les imiter. L’esprit rebelle, voilà ce qui le fascinait. Voilà toute la grandeur de leur démarche.

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    Quand Nick Knox arrive, Bryan ne s’entend pas bien avec lui, et puis leur relation évolue et ils prennent un appartement ensemble. Et pouf c’est parti, les Cramps tournent en Europe et enregistrent leur premier album à Memphis. Mais la tension s’accroît entre Bryan et le couple Lux/Ivy. Andrella qui est la copine de Bryan s’occupe du light show sur la tournée américaine des Cramps en 1980 et quand Lux et Ivy la virent, Bryan le prend mal. Il quitte le groupe après le show de San Francisco. Sans rien dire. Les commères du village ont raconté que Bryan avait barboté le van du groupe qui contenait tout l’équipement, mais Andrella affirme le contraire. Tout cela n’est pas très clair. C’est là où Wombat s’enlise. Il cite Ivy. Elle accuse le pauvre Bryan de n’avoir pas eu autant d’intégrité rock’n’roll qu’elle et Lux pouvaient en avoir. Puis Lux prend le relais en reprochant à Bryan d’avoir voulu faire des chansons plus politiques, alors que les Cramps ne se mêlaient jamais de politique. Et Lux achève Bryan impitoyablement en l’accusant d’être un connard cupide - He was just a money grubbling creep is what he turned in to - En fait, Lux et Ivy devaient en vouloir à Bryan de les avoir lâchés sans raison valable. Bryan se conduira pareillement avec Beast, lâchant le groupe la veille d’un départ en tournée européenne.

    Kid Congo remplace Bryan et ne cache pas son admiration - I really loved Bryan Gregory and so I wanted to do what I loved about him - That oozy fuzz bassy sound - Après Kid Congo, d’autres musiciens vont tenter de combler le trou béant laissé par Bryan dans les Cramps.

    Plus tard en Floride, Bryan va provoquer une rencontre avec Lux et Ivy qui sont en tournée dans le coin, caressant bien sûr l’espoir de renouer, mais comme l’indique si finement Wombat, Bryan sent clairement qu’on boude sa main tendue.

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    Bon alors, après, Wombat nous détaille par le menu les épisodes Beast et the Dials, avec Andrella et James Christopher, mais tout foire tragiquement au moment où un médecin diagnostique un cancer des cordes vocales dans la gorge de la pauvre Andrella. Bryan tente de redémarrer avec Shiver. En 2001, il ressent des douleurs, mais refuse d’aller voir un toubib. Il va quand même à l’hosto pour y casser sa pipe en bois, à l’âge de 49 ans. Et Wombat conclut sur un bel éloge : «Bryan was a true individual».

    Signé : Cazengler, John Wombite

    John Wombat. The Cramps, Beast And Beyond - A Book About Bryan Gregory. Amazon 2018

     

    BelphegorZ

    fantôme du boogaloovre

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    Tallulah semblait ravie. Comme dopée par un bel accent marseillais, sa voix chantait : «Nous avons quatre pages dans Rock Hardi !» Elle sortait de scène et savourait sa fierté d’avoir donné un bon show. C’est vrai que BelphegorZ ne laisse pas indifférent. Ils ne cherchent pas à foutre les chocottes comme le fit Juliette Gréco, au temps où elle hantait les couloirs du Loovre. Ce groupe marseillais propose un rock bardé de guitare et d’orgue, mu par une puissante section rythmique, et drivé par Tallulah qui fonctionne avec une telle intensité qu’on pourrait presque la comparer au cœur d’un réacteur nucléaire. Il y a de la Soul Sister en elle, ses montées en puissance valent bien celles d’Etta James, même si le son du groupe reste dans une veine disons post-moderne. Dans le chapô d’intro, Rock Hardi cite les noms de X-Ray Spex, de Blondie, des Revillos et de T. Rex. Oui on peut citer tous ces noms et dire aussi qu’ils reprennent le «Radioactivity» de Kraftwerk, mais il semblerait que le groupe se situe à un autre niveau. Leur set donnait déjà cette impression, et l’écoute de l’album ne fait que l’amplifier : inutile de vouloir comparer BelphegorZ à d’autres groupes. Ils valent mille fois mieux que ça. Pour la première fois depuis les Dum Dum Boys, Weird Omen et les Cowboys From Outerspace, on voit apparaître en France ce qu’il faut bien appeler un phénomène, c’est-à-dire un groupe à très forte identité.

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    Et l’artisan de cette identité n’est autre que Krees D, le guitariste du groupe. Sous sa casquette de marin, il arbore des faux airs de Johnny Thunders et sur scène, il sait se mettre en retrait pour laisser le champ libre à Tallulah. Mais sur l’album, il est partout et si vous vous retrouvez en manque de very big sound, alors jetez-vous dessus. L’album s’appelle BelphegorZ tout court et sort sur Closer, l’ex-label havrais qui semble reprendre du poil de la bébête. Par son ampleur, cet album sonne les cloches à la volée. On croise rarement des sons aussi ambitieux, aussi bien foutus, aussi magistraux. Tallulah va vous choper dès «Vintage Girl», car elle chante sous le beat, et quand Krees D vient cisailler la mortadelle, Tallulah se glisse entre les mailles avec une aisance sidérante. Ils visent une pop énergétique bien battue en brèche par ce démon chapeauté de Mekanikman qu’on a vu à l’œuvre dans la cave. Ce groupe rafle la mise avec sa belle énergie, son goût parfait pour l’instrumentation et ce sens inné de la propulsion nucléaire. Le cut suivant s’impose encore plus facilement par sa dimension imagée : avec «Creepy Birthday», il visent le climax et l’ambition des grands élans patriotiques. On assiste alors à un joli coup de creepy creepah secoué de beaux départs en coulisse. Krees D est un homme assez complet, il sait charger la barque d’un son entreprenant, il joue dans les couches, il connaît les secrets du lointain, il développe une prodigieuse énergie. On y plonge le museau avec une délectation non feinte. En deux cuts, la partie est gagnée.

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    Dans l’interview de Rock Hardi, Tallulah nous confie que Krees «est constamment en recherche de création». Il écrit aussi les textes et Tallulah ne joue qu’un rôle «d’arrangeur ou de mise en forme». Elle dit aussi qu’il sait dès le départ où il veut aller, et il suffit d’écouter «Claim» pour comprendre ce que ça veut dire. Krees D amène son Claim à la grosse cisaille, mais c’est Tallulah qui drive le bestiau, parmi les spoutnicks et les ombres du Loovre, elle chante au relentless - Cash is all you need - Merveilleuse baby shaker, elle sait mener la sarabande. Franchement, c’est un album très complet, tous les cuts sont pleins comme des œufs et chaque fois, Krees D s’arrange pour faire monter des grosses émulsions de guitares et de spoutnicks. Parfait exemple avec «Stinky City», il claque ses accords dans le corps même du son, ils dépotent une pop-rock gothico-stinky de haute tenue, ça prend vite des tours, il se montrent capables de big atmospherix et se hissent facilement au niveau des grands groupes anglo-américains. On comprend que le Closer man ait flashé sur eux. Il a toujours eu le bec fin. Ce «Stinky City» balayé à l’orgue sonne comme une révélation, comme une sorte d’épitome de chèvre du rock moderne. Marseille ou anywhere, ils sont partout avec un son qui redore pas mal de blasons.

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    Et c’est peut-être là le point essentiel : le ‘rock en France’ reprend du sens, par la plus juste des conjonctions : un superbe concert underground + un article dans le plus underground des fanzines + un excellent album sur l’un des derniers grands labels underground français. Le cœur du rock bat toujours et il semble vouloir battre plus fort que jamais. En tous les cas, la qualité est au rendez-vous, et quand on se prévaut du privilège d’être blasé d’avoir vu tellement de choses, il est parfois difficile de remonter sur ses grands chevaux pour clamer son enthousiasme. Mais là, ce sont les grands chevaux qui te grimpent dessus, il n’y aucun effort à fournir, chacun sait que l’enthousiasme délie la langue aussi sûrement que pouvait le faire un maître tourmenteur de la Sainte Inquisition.

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    Dans l’interview, Krees D se fend la gueule. La question traite de la difficulté à se faire connaître en France quand on est un groupe de rock et il répond qu’il faut simplement continuer à écrire de bonnes chansons et se démarquer, puis il ajoute, «mais bien sûr, cela ne suffit pas sinon c’est pour le New York Times que l’on ferait cette interview». Mais il doit se sentir beaucoup mieux dans Rock Hardi, c’est en parfaite cohérence avec la modestie qu’impose le statut de groupe français, même si par certains côtés, le statut de leur album relève de l’international. «It’s All Inside» ne hante pas que les galeries du Loovre. Depuis les grands albums des Afghan Wigs ou des Saints, on a perdu l’habitude des climats et du repoussage des limites. Il faut se souvenir que les big atmopherix sont difficiles à réussir. Mais Krees D y parvient, apparemment avec une étrange facilité. Il développe avec son Insider une malovelante horreur de bonheur brutal, impression qu’affûte derrière Mekanikman avec son beat des galères, c’est puissant, chanté dans l’âme de la carcasse, nappé d’orgue comme au temps béni de Procol et de Matthew Fisher. Krees D place ses transes d’accords dans l’excellence d’un son somptueusement ramassé. On voyage à travers le son, c’est franchement digne d’un Piper At The Gates Of Dawn, mais en plus marseillais, en plus humain. Ces gens-là sont tout simplement dans le vrai de leur son. Et quand on les voit jouer sur scène, on remarque très vite une absence totale de prétention. D’ailleurs, quand Krees D annonce timidement la reprise de «Radioactivity», on s’attend à un truc un peu froid, mais ils en font du BelphegorZ, c’est même une version assez demented. On voit alors ce démon de Krees D fléchir les genoux et se déplacer dans les couches du son avec une autorité qui laisse songeur.

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    Dans l’interview, il s’en prend aux politicards et au phénomène des tributes bands qui semble prendre une certaine ampleur. Pour lui, ces pâles copies ne servent à rien et il a raison. Il préfère se réclamer du Sex & drugs & rock’n’roll qui prévalait à une certaine époque et c’est vrai que ce goût pour the wild ride aurait tendance à disparaître. Lorsque Rock Hardi aborde la question ‘Marseille ville rock’, Tallulah abonde dans ce sens. Elle rappelle que les Cowboys From Outerspace existent depuis un bon bail et que Jim Younger’s Spirit est aussi basé à Marseille. Et quand ils abordent la question des disques de l’île déserte, Krees D dégouline de classe en citant le Saints, T. Rex, les Damned, les Stones, les Beatles, Burt Bacharach et Lee Hazlewood. Wow. Ça en dit long sur la finesse du bec fin !

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    Tellement fin qu’on a l’impression d’entendre le nouvel album de Johnny Thunders, à l’écoute de «Waiting For Nightlights». Tallulah entre dans ce groove vengeur au tremblé désespéré. Ce hit de fin de nuit sonne comme un coup de génie, il semble dévoré par des lèpres de son - Please please please - Avec ce balladif infernal, ils vont bien au-delà de tout ce qu’on imagine. Elle entre aussi dans «Still Alive No Fantasy» par la bande, sous le boisseau, elle est excellente à ce petit jeu.

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    Magnifique chanteuse, toujours présente mais jamais trop devant, la voilà servie par les chœurs des Dolls. Elle campe dans l’excellence et s’y colle avec un aplomb qui méduse. Cet album est une véritable auberge espagnole : on y est accueilli à bras ouverts et on y mange non seulement à l’œil mais aussi à volonté, no fantasy, ces gens-là ne s’arrêtent jamais, tout est architecturé dans la couenne du son pour le bonheur de l’oreille. Les chœurs des Dolls produisent leur effet, le cut se met à bander. Ce démon de Krees D a écouté les Dolls, c’est évident. Tallulah allume «Don’t Push» à l’accent coquin, elle l’embarque au don’t push me down, c’est bardé d’espoir, une vraie source de revenus d’entre les morts, elle taille sa route à l’accent canaille et derrière elle, Krees D taille le riff à la serpe. Tchack-o-tchuck ! Ils développent des énergies qui devraient convaincre le pays, fuck ! Écoutez BelphegorZ, ils ont assez de jus pour un régiment, ils vont certainement devenir énormes, ils savent relancer et finir en mode apoplectique, avec une spectaculaire débinade de cris d’orfraie. Histoire de faire le lien avec le chapô de Rock Hardi, ils se mettent à sonner comme les Rezillos avec «Not Really Tasty For 2». Même beat et même ambition. Belle virtuosité de la virevolte. Très haut niveau, chanté par dessus la jambe, elle est en plein dedans. Power exceptionnel. C’est une groupe français ? Non, t’es sûr ?

    Signé : Cazengler, Belphegare du Nord

    BelphegorZ. Le Trois Pièces. Rouen (76). 4 décembre 2019

    BelphegorZ. ST. Closer Records 2019

    Rock Hardi # 56 - Hiver 2019/2020

    17 - 01 – 2020 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    SUPERHEROÏNE / DARK REVENGEs

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    La teuf-teuf vire sec à Croix de Chavaux, ne lui reste plus qu'à trouver une place de stationnement, faites-lui confiance, elle vous dégote en haut de l'avenue un espace dans lequel vous amarreriez un tanker de 300 000 tonnes. Heureusement que ces jours-ci les rades portuaires sont bloquées ! C'est en claquant les portières de notre infatigable coursier que les choses ont commencé à mal tourner. Comment nous faire subir un tel affront à nous, innocents rockers au perfecto noir aussi blanc que la colombe de la paix universelle. Au début nous avons cru à un incident bénin, le crash de deux voitures en bas de la côte avec des cadavres ensanglantés un peu partout sur la chaussée. Mais non, il est sûr que nous sommes confrontés à un scandale inouï, pas de doute possible, c'est bien l'intolérable pulsation basique de la disco qui s'installe sans demander l'autorisation dans nos pavillons écoutatoires. Un tel scandale mérite un châtiment exemplaire, et immédiat. Nous hâtons notre pas martial vers le lieu du délit. Surprise, il y a à peine cinq minutes lorsque nous sommes passés par le bas du simili rond-point il était désert, et maintenant ça grouille de monde. Une espèce de conglomérat informe et indistinct, de loin l'on ne voit rien si ce n'est quelques flambeaux épars qui brillent dans l'obscurité fuligineuse.

    Que sont-ce ? Doivent atteindre le millier, pas de doute ce sont des lycéens qui manifestement ne sont pas restés sagement à la maison pour faire leurs devoirs insipides. Drapeau rouge et noir, banderole de drap marqué d'un A cerclé de noir, nous expliquent qu'ils partent en manifestation nocturne contre les retraites et la triste vie de travail précaire sous-payé qu'on leur prépare. Sont déterminés, la place se vide en trois minutes, ont dégagé vent debout pour mettre le sbeul et le dawa ( ô tempora ! ô mores ! ) dans les rues et réveiller la conscience des honnêtes citoyens endormis en geignant devant la télé et leur porte-feuille vide. Une belle énergie qui vous regonfle le moral. L'est à craindre que la fin de l'hiver soit plus chaude que les prévisions météorologiques... Que voulez-vous ma bonne dame, c'est le dérèglement climatique !

    SUPERHEROÏNE

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    Débutaient juste leur troisième morceau lorsque nous sommes rentrés, Jean-Jacques le copain a effectué une station christique au bar, moi courageux pour deux, j'ai traversé le large mur opaque de l'assistance pour me faufiler au premier rang. Pas question de laisser une super héroïne perdue toute seule au milieu d'un monde cruel. Manifestement elle n'a pas besoin de moi, elle repose dans le triangle protecteur de trois grands et jeunes musiciens, basse, batterie, guitare, donc Juliette a trois gardes du corps derrière elle. J'imaginais une sirène fatale, mais non c'est une fille toute simple, comme toutes les autres. Enfin presque, un look androgyne, avec sa boule de cheveux frisés elle ressemble à un garçon, un charme indéfinissable en plus. L'air de rien, c'est elle qui mène la barque. Si l'on peut dire parce qu'elle reste derrière son micro, retranchée dans l'illusion protectrice de sa guitare, mais personne ne moufte. L'on entendrait un infusoire voler. Par contre dès la fin du morceau applaudissements et exclamations crépitent.

    Non, ce n'est pas du rock violent, ni à effets convulsifs. Du rythmique, un petit côté groupe de lycéens qui veulent bien faire, c'est propre et bien foutu, rien de révolutionnaire, le fait de chanter en français, d'articuler les mots, de ne pas les mordre et les déchirer, n'aide pas aux grands éclats lyriques et ravageurs. Mais ça passe et ça retient. La certitude que quelque chose a lieu. Bizarrement c'est sur L'enterrement que le groupe devient plus percutant, comme quoi rien de plus vivant que de sentir le souffle de la Camarde dans votre âme pour vous insuffler une plus grande envie de vivre. Après Multicolore, ce sera une reprise de Marcia Baïla des Rita Mitsouko, l'est sûr que l'on est loin des flamboyances rock, mais cela se tient. Finissent sur Jamais seul. L'on hurle pour un bis, mais les voici tout décontenancés, n'en ont pas d'autre. N'osent pas en reprendre une. Dommage, c'est le seul moment où ils déçoivent le public. Préfèrent laisser la place à Dark Revenges. N'empêche qu'il y a dans Superhéroïne une grâce fragile et une authenticité émotionnelle qui touchent au cœur. Quelque part l'on est loin du rock, mais tout près de l'humain. Le public vient les remercier, de ce miracle d'être, en notre monde de clones interchangeables et évanescents, pleinement là.

    DARK REVENGES

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    L'on change de registre. Un groupe de reprises. Pas un genre attirant d'après moi. Se paieront même le luxe de n'interpréter que deux de leur propres compositions. Et la deuxième vraiment belle nécessitait l'achat du CD dont ils avaient laissé les exemplaires à la maison ! De surcroît d'une générosité sans faille. Presque deux heures de concert, mais ils en avaient toujours une infinité de petites dernières à faire. Z'auraient bien continué, mais non hélas, il existe aussi des horaires pour limiter le tapage nocturne. Pourtant ça s'annonçait mal. L'on va vous faire du disco et des titres de hard, nous a annoncé Pat. C'est dingue comme une fille peut vous détruire le moral rien qu'en ouvrant la bouche. De disco ils n'en feront qu'un – un truc hyper connu dont je suis incapable de vous rapporter le titre. A leur manière, un peu hard, nous a-telle rajouté. Vous auriez aimé, c'est un peu comme si demandiez au Marquis de Sade de réécrire les Albums de Martine. Dark Revenges ils ne font pas dans le produit bas de gamme. Quand ils font du hard, c'est plus dure sera l'élévation vers les étoiles. Même au début quand ils nous jettent des eigthies-tunes du genre Sweet Dreams, ils vous les dopaminent méchant. Z'ont des manières de synthétiser l'absence des synthétiseurs à vous faire peur. Des déclencheurs d'avalanches.

    Des rusés. Au micro Pat. Une ogresse. Jolie comme une fleur carnivore mais quand elle se jette sur un morceau c'est le sang de votre cerveau qu'elle aspire. Une voix à réveiller les morts. La lyre d'airain aurait écrit Victor Hugo s'il avait dû rédiger cette chronique. Une insatiable, n'a pas fini un morceau qu'elle se jette sur son classeur pour choisir la prochaine. Vous feuillette les transparents comme un tigre qui se repaît des entrailles de sa victime pantelante. L'on se demande pourquoi elle cherche, parce qu'elle connaît les lyrics par cœur et que derrière elle ils démarrent au demi-huitième de quart de tour.

    Prenez Gégé, à la basse. Le mec vous pouvez lui proposez ce que vous voulez, la colère des Dieux ou l'Apocalypse, il s'en contrefiche, vous prend les cataclysmes comme ils viennent, pas de quoi en faire un drame, pour lui c'est du cousu au fil blanc, l'est aussi à l'aise que sur sa chaise longue. Rien ne peut l'émouvoir. Un roc. Imperturbable. La basse à fond la caisse, prête à traverser la montagne qui se mettrait en travers de sa route. Un bassiste comme Gégé c'est un cadeau pour un batteur. Pas besoin de regarder du coin de l'œil s'il suit, un véritable incendie australien qui ne s'arrête jamais. Quand il aura racorni la végétation du continent, il s'en ira mettre le feu aux vagues de l'océan. Confiance absolue.

    L'on parlait de lui, voici donc Myrko le batteur. Encore un à qui il ne convient pas d'aller lui conter fleurette quand il tape. Pareillement vous vous abstiendrez de lui demander d'épousseter vos babioles en porcelaine de Limoges. L'est un Mallarmé de la frappe, vous aboli les bibelots en moins de un. Le pire, c'est que l'on peut qualifier son drummin' de progressif. A chaque titre plus lourd, plus fort, plus violent. L'a commencé dans le genre fric-frac de bijouterie à la voiture bélier, ensuite nous a envoyés quelques ogives nucléaires manière de vous décapuchonner les oreilles pour le restant de votre vie. Evidemment ce triste sieur a le défaut de ses qualités. L'est du genre, une fois que je vous ai occis, ne venez pas à gigoter bêtement alors que vous êtes déjà morts. Alors il en remet un coup – définitif – pour signifier que le boulot est achevé et qu'il est totalement inutile d'y revenir dessus.

    Franchement dans le public il n'y a personne pour la ramener. Mais sur scène, si. Il en reste un. Un jeune. Un inconscient. Un gars incroyable. D'abord il a une guitare. Alors il s'en sert. Attention là, les Dark Revenges ils sortent l'argenterie royale, puisent dans Led Zeppe, Thin Lizzy, AC / DC, Lynyrd Skynhyrd, Iron Maiden, vous voyez le topo, jusqu'à Scorpion pour la balade pour les esgourdes fragiles nettoyées au coton-tige en fil de fer barbelé... Et là, Sek il démarre sec. Vous sort à chaque fois le solo qui tue et l'accompagnement tramontane. C'est simple, possède un plan d'enfer pour toutes les occasions. Suis sûr que si on le torturait un peu il nous livrerait les descriptifs du dernier sous-marin atomique russe. Ou de la future fusée intercontinentale des ricains. Un mec inventif. Et d'une précision absolue. Moi je n'ai pas hésité, me suis collé sur l'enceinte et mon regard n'a pas quitté ses doigts. Un artiste. Un orfèvre avec la fièvre de l'or. Le zigue, il ne fait pas que jouer, il prend plaisir à jouer. Toute la différence est là. Lui en faut toujours plus. Ne peut pas envoyer une note sans en avoir sept cent quarante trois autres dans le paletot à vous refiler au cas où. Quand il s'embarque dans un solo, c'est navigation au long cours sans escale. Vous faites dix-huit fois le tour de la terre sans vous en rendre compte. Le Myrko, ça le rend fou, sur le final. Le Sek il vous l'étire à l'infini, et le Myrko la baguette levée il n'attend que l'instant fatal où il pourra lui clouer le bec à Sek, mais pas n'importe quand, lui laisse terminer son envol, mais attention il faut qu'il vous écrabouille le moustique avant qu'il ne refile un coup d'aile. S'amusent tous les deux, l'un dans le rôle de gros matou et l'autre dans celui de Titi. Et illico Pat leur refile un nouveau titre comme les Romains jetaient un chrétien aux lions affamés dans l'arène.

    Pat – pas de velours, pour le sourire et la convivialité certes oui – mais Pat tubulaire d'acier chromé - quand elle elle vous niaque le vocal, une voix pleine - ne donne pas dans la facilité du timbre à la toile émeri du genre j'ai beaucoup vécu et beaucoup souffert – jamais essoufflée, la vivacité épanouie d'une pivoine dans un jardin japonais, celle que vous regardez une dernière fois tout en vous faisant hara kiri. L'on a jamais su de quoi Dark Revenges cherche à se venger, mais le jour où ils trouveront le coupable sûr qu'il passera un mauvais quart d'heure. Pour nous, ce fut infernalement paradisiaque.

    Damie Chad.

     

    19 / 01 / 2020MONTREUIL

    L'ARMONY

    JUSTINE / NEVER MIND THE CAR

    KROPOL TRIO

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    Rappel de Raphaël Rinaldi, en plus j'avais complètement oublié, heureusement la Teuf-teuf hennit de joie dans le paddock, toujours prête pour la route du rock ! Pas de manif au rond-point de Chavaux cette fois, le froid poussant je m'engouffre vite dans l'Armony. Deux groupes que je ne connais que de nom, une aubaine.

    JUSTINE

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    Une invitée surprise. Sur une chaise haute perchée. Elle tient non pas un fromage en son bec mais un joli brin de voix devant son micro et un accordéon rouge sur ses genoux. N'a pas l'aspect du vaniteux volatile de la fable, toute classieuse, toute simple, mais tout un univers dans ses chansons. Elle parle de sa mère et de son père. L'offrande et les gerçures de la vie en quelques mots tendres ou tranchants. Qui ne seraient rien sans les arabesques de cette voix, envol joyeux et mélancolique de palombes. Et les trilles de cet accordéon orchestral à la si belle sonorité, si loin des flonflons goguenards du musette, et ses doigts sur les touches comme ceux d'une infirmière qui vous refait le pansement de votre âme malade du bonheur et du malheur de vivre. Rien que l'onction balsamique de cinq à six chansons, mais qui établissent une jonction magique avec une assistance principalement venue pour écouter du rock qui tâche. Et l'oiselle s'échappe, laissant à chacun, pour toute signature, une plume plantée en plein cœur.

    NEVERMIND THE CAR

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    Changement de direction. Rien de mieux qu'une voiture pour dévorer les grands espaces du rock. Ceux qui aiment à flâner les doigts de pied en éventail sur le tableau de bord, les vitres ouvertes sur les interminables rubans des american highways risquent d'êtres déçus. Never Mind the Car préfèrent les trajets courts mais à vitesse incontrôlée. Conduisent aussi mal que le drummopathe qui drive sa batterie. Un malheureux garçon vraisemblablement atteint d'un terrible parkinson, il semblerait qu'il ne pourrait parvenir à coordonner les mouvements de ses bras et de ses jambes. Donne l'impression de conduire à fond et freiner à mort en même temps, d'où une succession ininterrompue, une cascade de saccades intempestives qui vous remuent jusqu'à la moelle épinière dans les vertèbres.

    Femme au volant, cimetière ambulant. L'adage comporte sa part de vérité. Sabrina nous le prouve. Hors de scène elle paraissait une personne des plus sensées, mais quand elle est montée dans sa truckin' bass, elle s'est métamorphosée, incapable se suivre une ligne droite. Petite ses parents ont dû contrarier une vocation de patineuse sur glace, alors maintenant elle se rattrape, elle zigzague, elle entrelace les courbes, elle empiète sur les bas-côtés et s'en vient virevolter sur la chaussée à contresens, des caprices de papillon, de sphinx à tête de mort en quête de carambolages mortels.

    Pour sa guitare Manu est un fervent partisan de la technique hot-rod. Ne l'insultez pas en disant que c'est un super gratteux. Que voulez-vous, son job ce n'est pas tout à fait de répéter le même riff durant une heure, pas du tout un gratteur à la petite semaine qui tape le stop en fumant un joint sur le bord de la route. Lui sa spécialité c'est la fulgurance. A peine a-t-il touché une corde – il prend son temps, fait son choix, tourne un bouton sur un delay, non pas celui-ci, à réfléchir ce sera l'autre, à moins qu'il n'en choisisse en fin de compte un troisième, vous en concluez que c'est un intermittent du spectacle, en période creuse qui ne sait pas trop quoi faire de ses neuf doigts, et c'est à ce moment que le dixième qui était resté coincé sur une corde, vous prend subitement la poudre explosive d'escampette et file tel un une chaparral sur les plans inclinés de la boucle mortelle d'Indianapolis vers le haut du manche où elle freine à mort et là, manque de chance, elle s'écrase contre la tribune des juges de course qui s'effondre sur les spectateurs innocents. Notamment une classe de maternelle emmenée par leur gentille et ben-aimée maîtresse. Que voulez-vous le rock'n'roll n'est pas un dîner de gala.

    Dans un désastre, l'important est de rester stoïque. Pour cela il vous faut un Homme. Un vrai, qui ne s'affole jamais. Ils en ont un dans Never Mind the Car – peut-être la preuve que la providence divine existe – il s'appelle Alainman. Il a mis des lunettes noires, des ray-ban de policier américain, pour que vous le reconnaissiez. Bien sûr quand il est venu constater l'accident et compter les cadavres il a conduit sa guit-car aussi mal que Manu, mais son rôle à lui, c'est le micro. Cette voix imperturbablement rassurante, sèche et sans appel, dans les microphones qui vous dit ce que vous devez savoir – à partir de maintenant toute note de musique que vous entendrez pourra être retenue contre vous – oui, vous savez ce que vous risquez à écouter Nevermind the car, et pourtant vous restez en connaissance de cause.

    Avec ces trois trafal-gars et celle trafal-gal en goguette vous pourriez penser que NTC ( Nique Ta Carrosserie comme on dit en banlieue ) c'est la chienlit assurée, le chaos incoercible, une éruption volcanique à la Santorin qui a rayé l'Atlantide de la carte routière. La preuve : ne nous ont-ils pas offert la reprise The girl you want des pernicieux activistes anarchisants adeptes de la Devolution. Erreur sur toute la ligne blanche. Rien n'est plus beau que le procktotype de Nevermind The Revolution. Rien à voir avec les pare-chocs en tôle ondulée de notre industrie nationale, ni avec les chromes fastueux et vastueux des grasses berlines disgracieuses appréciées par ces m-a-tu-vu des amerloques. La Nevermind est un bolide racé, une ligne anglaise, l'on sent la puissance rien qu'à regarder l'agressivité des angles, et le bruit de son moteur, une turbine à kérosène, idéale pour les courses de côtes. Par contre question empreinte carbone, ce n'est pas tout à fait cela, nous avons effectué quelques essais Things, Turn me on, Fool, Sweet Love, indéniable ils en sont à un taux de nuisance qui dépasse les cents pour cent. Faut être franc, nous la déconseillons fortement aux bons pères de famille et à tous ceux qui ont ( et sont ) bobo partout dès qu'ils se cognent à l'Elastic de la vie qui vous rebondit en pleine gueule sur le pare-brise de votre vie étriquée.

    Je vais même vous dire le fond de ma pensée : il n'y a que ces fous furieux de rockers amateurs de sensations fortes qui pourront aimer ce genre de trompe-la-mort.

    KROPOL TRIO

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    Pôle blues ou pôle groove. Paul ou Kröpol. Fils ou père. Pierre ou Paul. Possibilités multiples. Commencent par le groove. Le groove c'est comme la chasse à la grouse. Au chien d'arrêt. A peine avez-vous marqué une syncope rythmique qu'il faut s'arrêter, suspendre le mouvement, comme la patte du braque hongrois à poil court, levée, dès l'objectif atteint, et puis repartir. Un drôle de tricotage. Excellent pour les batteurs qui ont une tendinite, pas besoin de gestes amples et mélodramatiques, suffit de se concentrer sur deux fois dix centimètres carrés d'impact des baguettes et c'est parti mon kiki pour une éternity. Idem pour les guitareux, vos doigts jouent au perroquet retenu par une chaîne, il a beau tenté de s'envoler, ses deux pattes rejoignent obstinément les mêmes emplacements. N'allez pas croire pour cela que c'est de tout repos. Le groove c'est répétitif, mais c'est aussi subtil et complexe que La Phénoménologie de l'esprit de Hegel. Si le groove était un film ce serait La fièvre monte à El Paso. Lentement. Très lentement. Trop lentement. Mais sûrement. Sans angoisse. De l'hypnotique sur l'hypoténuse rythmique. Faut prendre votre mal en patience. Ne soyez pas pressés, laissez au virus de la peste que vous êtes en train d'incuber le temps de faire éclater le bubon de pus fatidique qui est en train de germer dans votre attente. Avec Pierre à la batterie et Paul à la guitare, vous en avez pour un bon bout de temps, des jeunes qui ont toute la vie devant eux, veulent retarder le plus longtemps possible la survenue de l'extase sexuelle ( elle ressemble tant à une métastase envahissante ) qu'ils s'escriment à vous transmettre, alors papa Kröpol – il fit partie des Négresses Vertes, plus maintenant quoi qu'il soit toujours viride et adepte des rythmes négroïdes – vient à votre secours. Délaisse sa basse et se saisit de son trombone. A coulisse, comme le pied que nous allons prendre. Le trombone à coulisse n'est-il pas un instrument typiquement africain avec son cou de girafe qui se dresse vers la cime des arbres ? En plus le pavillon de l'embouchure que le dénommé Kröpol agite de haut en bas et de bas en haut au-dessus de la tête des spectateurs, parmi lesquels il déambule pachydermiquement, n'évoque-t-il pas le bout facétieux de la trompe du roi de la savane ! S'en échappe des ricanements faisandés de hyènes putrides ravies de découvrir une charogne appétissante.

    Après la vague de groove, ils nous offrent une tournée générale, Tequila – le champ' des péones – pour nous remettre de cette longue exploration équatoriale. Profitons de cet intermède musical pour examiner de près le coléoptère Pierre. S'il n'y avait pas ses sourires moqueurs qui clignotent chaque fois qu'il commet un mauvais acte en douce, vous ne vous en apercevriez pas. L'a l'art du cochon du tchac-poum-poum qui tombe par hasard juste au moment où il ne faudrait pas, le coup qui tue juste à l'instant où vous ne l'attendiez plus pour l'avoir si longtemps espéré, ou alors cette interjection à demi-étouffée qui en dit mille fois plus en une demi-syllabe que Marcel Proust dans les huit mille pages de la Recherche du temps perdu, que lui il ne perd jamais sur sa caisse claire. Un sardonique. Qui vous fait la nique.

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    Et puis il y a l'autre? le fiston Paul, le piston fol, qui offre même sa guitare à son pauvre père heureux de sa progéniture filiatoire pour lui récupérer sa basse afin de groover encore plus gras, encore plus grave. Comme tous les gamins mal élevés, il ne sait pas ce qu'il veut, la lui reprendra à plusieurs reprises  – remarquez dans la famille, ce n'est du flambant neuf, elles ont un petit aspect affirmé radeau de la Méduse – mais attention Kröpol se hâte alors de lui montrer le bon chemin. La piste bleue. D'un bloc, Saint James Infirmary, à l'Armstrong, avec le trombone qui devient fou de douleur, la voix qui pleure, s'enroue et grince comme les gonds rouillés du portail du paradis interdit à tout jamais. Y a tout là-dedans, le désespoir mélancolique des vieux spirituals qui remontent du fond du Mississippi, la surchauffe contenue et explosive des fureurs délivratoires du gospel, les fanfares éclatantes des enterrements harlémiques, les lamentations des alligators du bayou, et les hiéroglyphes illisibles du destin. Hot chocolate blues ! Nékropole !

    Un dernier passage d'Elephants et voici que le vent du blues gonfle les voiles. L'on commence clopin-clopant, à la manière des esclaves peu soucieux de se rendre de bon matin aux champs de coton. Ne doivent pas se rendre compte du privilège qu'ils ont de travailler gratis pour les maîtres, l'on sent que la colère monte. La voix de Paul se modifie, la plainte se requinque en mâchoire de requin, elle prend de la vigueur et éclate bientôt comme le vent dans les roseaux de la colère. Un final éblouissant, une montée en puissance folle, Pierre au tambour comme s'il menait la charge, et l'on terminera sur le Whole Lotta Love en blues échevelé, Paul la tignasse plus ébouriffée que s'il était sous les rafales tempêtueuses d'Ouessant, non pas le Lotta du II de toute puissance mastoc et pyramidale, mais à la manière du III, aux glapissements du country-blues dans les tuyauteries des catacombes de l'insoumission métaphysique. Galop pôle blues hystérique.

    Encore une fois le concert s'achève pour ne pas dépasser oultre-mesure les limites horaires légales... Merci à Raphaël Rinaldi de cette programmation hors-pair.

    Damie Chad.

    NOUS, LES BLOUSONS NOIRS

    PIERRE CUDNY

    ( Vidéo : You tube )

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    L'a les cheveux blancs maintenant Pierre Cudny, l'a roulé sa bosse sur les pistes du rock, du blues et de la country durant des années, fit même partie d'un groupe nommé les Provos. Aujourd'hui l'on ne parle pas plus des Provos que du fromage de Hollande, dans les années soixante ces rebelles néerlandais essayaient d'inventer une nouvelle vie. Je crois que c'est en 2014 qu'il a sorti Nous, les blousons noirs un hymne nostalgique aux bandes des cités hexagonales au tout début des années soixante. Le clip est constitué d'images d'époques mêlées ( l'ancienne et l'actuelle ) et de vues de films. Une belle voix, une musique rock qui roule un tantinet sur les pelouses du country-rock, mais l'ensemble est méchamment bien foutu. Sans doute est-il accompagné par le Cadillac Band avec qui il a écumé toutes nos routes durant des années.

    Nostalgique bien entendu cette évocation, mais aussi passéiste et quelque peu ambigüe. Certes la révolte était belle dans les années soixante. Mais elle est belle à toutes les époques. Avant c'était mieux que maintenant, c'est normal parce qu'avant est toujours plus jeune et moins vieux qu'après. Les temps ont changé. Les mentalités aussi. Tout s'est durci. Les conditions économiques, les individus et la police, que tout le monde déteste, a abandonné le bon vieux bidule pour des armes de guerre. Le futur a un avenir mais de moins en moins agréable. Entre les blousons noirs et les black blocs, c'est toujours la même couleur noire qui domine.

    Damie Chad.