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johnny mafia

  • CHRONIQUES DE POURPRE 577 : KR'TNT 577 : TURTLES / BOO RADLEYS / LEON RUSSELL / JOHNNY MAFIA / NOSTROMO / DEHN SORA / DIDIER SEVERIN / ROCKAMBOLESQUES

      KR’TNT !   

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 577

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 12 / 2022

     TURTLES / BOO RADLEYS

    LEON RUSSELL / JOHNNY MAFIA

    SHIRLEY ELLIS / NOSTROMO  

    DEHN SORA / DIDIER SEVERIN

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 577

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Turtlelututu chapeau pointu

     

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             Pour apprendre des tas de choses passionnantes sur les Turtles, il existe deux possibilités : soit lire l’autobio d’Howard Kaylan, Shell Shocked - My Life With The Turtles, soit celle d’Harold Bronson, The Rhino Records Story: Revenge Of The Music Nerds. L’idéal est bien sûr de se taper les deux. Festin garanti. Miam miam. À condition bien sûr d’adorer la grande pop californienne.

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             Bronson leur consacre un chapitre entier dans son autobio (The Rhino Records Story: Revenge Of The Music Nerds). Le titre du chapitre met bien l’eau à la bouche : «Turtlemania! The Story of America’s Beatles». Comme ça au moins, on est tous prévenus. Pour Bronson, les Turtles font partie des chouchous. Il indique en outre qu’Howard Kaylan et Mark Volman furent des early supporters et de fervents collaborateurs, pendant les 24 ans d’activité de Rhino Records.

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             Au commencement était non pas le verbe mais The Crossfires, un groupe de surf instro, et en 1963, ils se réunissent pour discuter de l’embauche de Mark Volman. Okay pour Volman, il aidera à installer les amplis et il pourra chanter un ou deux cuts, mais il ne sera pas payé. Kaylan raconte que le soir de son premier concert à l’UCLA fratenity, Volman a tellement abusé du punch qu’il s’est écroulé dans les marches en explosant de rire, ce qui lui valut d’être surnommé «Bumbling Idiot» - Quand son père apprend qu’il ne touche que 5 $ alors que les autres en ramassent 17, il paye à Mark un sax alto, de sorte qu’il soit rémunéré au même taux que les autres - Avec les Turtles, on n’a pas fini de se marrer. Deux hommes d’affaires s’intéressent aux Crossfires, Lee Lasseff et Ted Feigin. Ils envisagent de créer un label pour les lancer et comme Feigin est un fan de Moby Dick, il baptise le label White Whale. Puis leur manager Reb Foster demande aux Crossfires de changer de noms. Pourquoi pas les Turtles ? - C’était un animal comme les Byrds et le ‘tles’ qu’on trouve aussi dans les Beatles sonne très anglais. Ça parlera bien au grand public qui va croire que c’est un nouveau groupe anglais. Le groupe accepte, à contre-cœur. Ils pensent que Reb se fout de leur gueule, à cause de leur look et du fait qu’ils sont lents et empotés - Et pouf c’est parti, première tournée en 1965 avec the Dick Clark Caravan of Stars : ils se retrouvent à l’affiche avec Tom Jones, Peter & Gordon, les Shirelles, Brian Hyland, Ronnie Dove, Billie Joe Royal et Mel Carter. Alors que leur avion décolle de Los Angeles, ils voient les fumées noires s’élever dans le ciel : the Watts riots. Les Turtles ont les cheveux longs à l’époque et ça se passe assez mal dans les hôtels, notamment au Hilton de Chicago où on les regarde avec mépris. Ils sont même harponnés par un vétéran : «I lost my arm defending you !». Comme l’indique le nom de la tournée, les artistes voyagent à travers le pays à bord d’un bus. Pour faire des économies, on dort une nuit sur deux dans le bus. Le règlement veut que les stars les plus anciennes dorment dans les fauteuils et donc pour étendre leurs jambes, il faut libérer des places. Les bleus doivent donc dormir au sol. Howard et Mark dorment au sol. Lorsqu’ils arrivent à New York, ils jouent au Phone Booth et un soir Dylan est assis au premier rang avec ses lunettes noires et sa chemise polka dots. Les Turtles font une reprise d’«It Ain’t Me Babe» et à la fin du set, on les amène à la table de Dylan qui semble être dans le coma. Dylan a le temps de dire qu’il a beaucoup aimé leur dernière chanson avant de s’écrouler, la gueule dans son assiette de pâtes. L’histoire des Turtles n’est faite que de ce genre d’épisodes drolatiques. Quand les Turtles doivent remplacer leur batteur, Gene Clark leur conseille de prendre John Barbata, qu’on appelle aussi Johny (sic) Barbata.

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             PF Sloan est très impressionné par le niveau musical des Turtles : «Leur son de basse est génial, très différent de ce j’entends ailleurs. Et le son de la guitare électrique est unique, ils sont bien plus excitants que les autres groupes en circulation.» Bill Utley salue lui aussi les musiciens : Chuck Portz (bass), Jim Tucker (rhythm guitar) et pour Bronson, Howard Kaylan «is the best singer in an American rock band of the period». Mark Volman amène a high harmony, comme David Crosby dans les Byrds. Chip Douglas, qui jouait dans le Gene Clark Band, remplace Chuck Porz pendant peu de temps. Un soir au Whisly A Go-Go, Papa Nez vient trouver Chip pour lui proposer de produire les Monkees. Avec les Turtles, Chip se fait 150 $ par semaine. Papa Nez lui propose 100 000 $ d’entrée de jeu, alors le choix est vite fait. Chip quitte les Turtles en 1967. C’est Jim Pons, le bassman des Leaves, qui le remplace. Il est tout de suite adopté par les Turtles, car c’est un mec chaleureux, low-key and friendly. Pons encourage les autres à chercher une voie spirituelle qui passe bien sûr par les drogues psychédéliques, les Eastern religions, la scientologie et la méditation transcendantale. Pons : «Being in the Turtles was a strange coexistence of the spiritual and the hedonistic.» Lors d’une tournée à Londres, les Turtles rencontrent les Beatles, mais ils trouvent l’attitude des Fab Four étrange. Ils voient Paul ramper sous les tables pour photographier l’entre-jambes des filles. Brian Jones présente Howard à Jimi Hendrix - Ils boivent tous les deux du cognac et mangent des omelettes aux épinards, mais le mélange est trop inhabituel pour Howard qui dégueule sur Jimi - Quand les Turtles jouent au Speakeasy, Brian Jones les félicite pour leur California harmony sound et Jimi Hendrix porte le fameux «eye coat» qu’on voit sur la pochette du pressage américain de son premier album, celui qui est paru sur Reprise.

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             Bon, les Turtles ont un son, seulement le problème, c’est qu’ils veulent être le Beatles - If the Beatles can do it, so we can - Quand ils passent une commande dans un bar, ils demandent «white tea with a bickie (a biscuit) on the side so we can dunk it.» À la parution de Revolver, ils passent leur temps à écouter l’album et ils prennent les drogues qu’ils imaginent être celles des Beatles. Puis ils flashent sur Ray Davies qu’ils considèrent comme l’un des reigning geniuses of pop music. Les Turtles sont invités à jouer à la Maison Blanche car la fille de Nixon est fan du groupe. C’est Volman qui raconte : «C’était une fun party, on a été bien traités et la bouffe était bonne. Il y avait environ 450 jeunes adultes, des fils d’ambassadeurs et de membres du Congrès, et boy, ils étaient bien défoncés.» Volman l’était aussi, car il s’est cassé la gueule cinq fois sur scène et a failli se battre avec Pat Nugent quand il a commencé à draguer sa femme Luci qui était la fille du Président Lyndon Johnson. Quelle rigolade ! On imagine la tête de Bronson à l’instant où il raconte cette histoire abracadabrante. Au sein des Turtles, on surnomme Howard Kaylan the King Penguin, à cause de sa façon de se dandiner sur scène. Certains admirateurs comme Tom Hibbert ont su reconnaître les mérites des Turtles albums, notamment Turtle Soup, qu’il qualifie de one of the five very best albums of the Sixties. C’est aussi hélas le dernier album du groupe. Ils avaient commencé à travailler sur Shell Shock qui aurait dû être leur meilleur album. Mais ils se sont fait rouler par un road manager qui s’est barré au Mexique avec l’argent récolté dans les tournées et, en prime, la femme de Jim Pons. Du coup, leur management s’est retourné contre le groupe avec une procédure. Pour affronter la tempête, les Turtles ont décidé de stopper net leur consommation industrielle de peyote, de magic mushrooms et de THC. Bronson va bien sûr sortir sur Rhino les deux albums bloqués des Turtles (Shell Shock et Captured Live). Il fait aussi une box avec Mark et Howard : The History Of Flo & Eddie And The Turtles.     

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             C’est Harold Bronson qui produit le film de Bill Fishman, My Dinner With Jimi (Turtles Story), sorti en salle en 2003. C’est donc un film Rhino. Comme le film est écrit par Howard Kaylan avec un Y, on y retrouve exactement tout ce que décrit Bronson dans son Turtles chapter et tout ce que décrit Kaylan avec Y dans son autobio, Shell Shocked - My Life With The Turtles. Au détail près. Sauf que c’est mis en images et d’une certaine façon, ça éclaire la pièce. Le film est comme tous les petits biopics rock, il tient ses promesses, avec des acteurs qui font de leur mieux pour ressembler aux personnages. L’acteur qui fait Jimi Hendrix est excellent, il s’appelle Royale Watkins, il est groovy à souhait. On voit tous les Turtles, Howard Kaylan avec un Y, Jim Pons, Mark Volman, Jim Tucker, Al Nichols de Johny (sic) Barbata, on les voit mimer le clip d’«Happy Together», une merveille imputrescible, et on les voit jerker le Whisky A Go Go en 1966, avec les Doors en première partie. On retrouve aussi dans le film l’épisode Herb Cohen qui donne à Howard Kaylan avec un Y les astuces pour se faire réformer, alors pendant une semaine, Kaylan avec Y et Volman se shootent sur la musique de «The Trip», le vieux hit de Kim Fowley. Puis arrive le premier voyage à Londres, l’invitation chez Graham Nash, la pipe à eau, et Donovan qui dit aux Turtles de se méfier de John Lennon, Nash leur fait écouter Sgt Pepper, puis il les emmène boire une pinte au Speakeasy, Lennon insulte Tucko et Kaylan avec un Y rencontre Brian Jones qui lui présente un Jimi Hendrix en costard rouge. Les verres de cognac, l’omelettes aux épinards, la dégueulade, tout se déroule exactement comme dans le book. Au détail près.

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             La couverture de Shell Shocked - My Life With The Turtles donne le ton. Kaylan avec un Y est là pour rigoler. Chez lui, c’est une disposition naturelle. Lui et Volman sont un peu les Laurel & Hardy de la scène pop californienne. Mais l’humour Kaylandais est un peu forcé. Lorsqu’il annonce à ses parents qu’il arrête ses études pour entreprendre une carrière de rocker, son père pique une crise, devient tout rouge, lui dit qu’il s’est saigné aux quatre veines pour lui et c’est ça le remerciement ? Alors pour le calmer, Kaylan avec un Y lui dit que si dans six mois, il n’est pas devenu riche et célèbre, il reprendra ses études. Sa chute de paragraphe est supposée être drôle : «Je me sous-estimais. It didn’t take that long.» Oui, les Turtles sont vite devenus riches et célèbres avec une cover de Dylan, «It Ain’t Me Babe», interprétée, nous dit Kaylan avec un Y, de la façon dont l’aurait interprétée Colin Blunstone, son modèle. En fait il ne supportait plus l’UCLA, où il était inscrit - It was the most intimidating place on the planet - Ses amphis pouvaient contenir 2 000 étudiants et les classes en comptaient 150 - Too big. Too fast. Too much. I was freaking out - Il devient beaucoup drôle lorsqu’il relate l’épisode déjà évoqué d’Herb Cohen et ses fameux conseils pour se faire réformer - Herb was a human lawn gnome, c’est-à-dire un nain de jardin humain qui ne portait que des chemises cubaines, des cargo pants et un chapeau d’Indiana Jones - Cohen lui donne tous les détails et lui dit de bien noter : plus se laver, se bourrer de drogues, refuser de passer les tests et act like a little queer, c’est-à-dire faire un peu la chochotte, les militaires détestent les tapettes. Et ça marche ! Quand Kaylan avec un Y sort libre du bureau de recrutement, il dit que c’est le plus beau jour de sa vie. Tous les mecs qui ont vécu ça savent très bien ce qu’il veut dire. On a la fabuleuse impression d’avoir baisé le système. Il y a aussi l’épisode de la Maison Blanche, où les Turtles, enfermés dans une bibliothèque qui leur sert de loge, sniffent leur coke sur l’ancien bureau d’Abraham Lincoln. Bon d’accord, c’est de l’anecdote à la mormoille, mais d’une certaine façon, ça reste en cohérence avec le côté potache de Laurel & Hardy. Ils ne se sont même pas posé la question de savoir s’il y avait des caméras.

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             Cette autobio est aussi l’occasion rêvée de traîner à Laurel Canyon. Kaylan avec un Y prend un soin particulier à détailler les endroits, ce que font rarement les auteurs : «Mark et moi nous installâmes à Laurel Canyon, sur Lookout Montain Avenue, au croisement de Wonderland Avenue School. Tous ceux qui bossaient à Hollywood étaient déjà installés dans le coin. Nos potes Danny Hutton (Three Dog Night) et le grand photographe Henry Diltz étaient nos voisins. Il y avait aussi la fameuse cabane de rondins de Zappa et les ruines du manoir d’Houdini.» Dommage qu’il oublie de citer Captain Beefheart qui lui aussi était installé dans le coin. Puis les Turtles enregistrent leur premier album aux fameux Western Studios sur Sunset Boulevard, là où ont enregistré les Beach Boys et Jan & Dean. Ils ont la chance de bosser avec Bones Howe : «Bones bossait avec ceux qui allaient devenir the Wrecking Crew, la crème de la crème des session players d’Hollywood, ceux qui ont joué sur tous les hits des Beach Boys, de Phil Spector, des Mamas & the Papas, des Fifth Dimension, des Monkees, all of it. The list is stupid long.» Ce qui explique la qualité des albums des Turtles, un groupe qu’on avait tendance à l’époque à prendre à la légère. Et c’est là que se met en route le rythme infernal : album/tournée/album/tournée. Pour leur premier vrai concert, les Turtles jouent en première partie des Herman’s Hermits au Rose Bowl de Pasadena. Puis c’est le Dick Clark’s Caravan of Stars évoqué plus haut, d’août à septembre 1965. Comme il y a des blacks dans le bus, Howard et Mark découvrent consternés les rigueurs de la ségrégation : pas question d’hôtel ni de restau dans le Sud - Il s’agissait des mêmes assholes qui se moquaient de nos cheveux longs. On les haïssait, mais on ne pouvait rien faire contre ça. Small people with small brains have always run this country - Kaylan avec un Y veut dire par là que les États-Unis sont un pays de beaufs. C’est Mel Carter, le black crooner de la tournée, qui initie Laurel & Hardy à l’herbe, une nuit, dans sa chambre d’hôtel. Il attrape Kaylan avec un Y par le cou et lui souffle une bouffée de fumée d’herbe dans la bouche. Sur le coup, Kaylan flippe, car il n’est pas gay. Mais c’est son premier trip - And then I felt it - Soudain, il voit mieux le monde, with a better focus. Le lendemain, Laurel & Hardy achètent de l’herbe à Mel Carter et c’est ainsi qu’ils démarrent une longue et heureuse carrière de druggies. Car cette autobio décrit aussi un maelström de drogues. Ces mecs-là n’arrêtent jamais. Tout est dans l’excès, à la mode californienne. C’est leur façon de rappeler que les deux cultures sont indissociables : les drogues et le rock marchent ensemble.

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             Ah il faut voir la trogne du Kaylan sur la pochette du premier album des Turtles, It Ain’t Me Babe. (Le deuxième en partant de la gauche). On dirait Thernardier ! Oh la gueule ! L’album est extrêmement poppy. Ils font une version bien nerveuse d’«Eve Of Destruction», mais bon, celle de Barry McGuire passe mieux, car plus raw. Ils tapent aussi dans Mann & Weil avec «Glitter & Gold», c’est joyeux, superbe, presque élastique. N’oublions pas qu’ils sont accompagnés par des requins de studio, donc ils ont du son. En B, ils tapent pas mal dans Dylan, avec le morceau titre, «Love Minus Zero», véritable emblème des Silver Sixties, avec des tambourins californiens, et pour finir une belle mouture de «Like A Rolling Stone», you dress so fiiine, Kaylan avec un Y fait bien son used to laugh so loud. C’est la chanson parfaite after all : contenu + mélodie.    

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             Kaylan avec un Y est content de sa Caravan of Stars : il parle d’une learning experience - Tom Jones was an education all by himself - En effet, quand le bus de la tournée arrive en ville, Tom Jones commence à faire son marché derrière la vitre du bus : des centaines de screaming girls l’attendent et rêvent de se faire baiser. Il agite derrière la vitre une peluche de cyclope nommée Wendell : «Oooh you’d like to meet Wendell, wouldn’t you ladies? Arrrgh here he comes, girls!». Wendell est surtout dans son pantalon. Tom Jones est un mec qui ne débande jamais. Kaylan ajoute en guise de chute que Tom était «très en avance». Les Turtles font ensuite une tournée avec les Larks et Shirley Ellis. Laurel et Hardy remarquent très vite que Shirley et son accompagnateur Lincoln Chase sont ensemble 24 h/24 et qu’ils sont camés jusqu’aux oreilles - Whatever they were on, it sure wasn’t weed - Ils remarquant dans la foulée que les Larks ont aussi les yeux sacrément vitreux. Mais Shirley et les Larks ne se mélangent pas avec les petits blancs. Laurel & Hardy doivent fumer leur grass tout seuls dans leur chambre d’hôtel.

             Ils vont d’ailleurs continuer de se schtroumpfer ensemble. Ils découvrent vite les avantages du LSD et Kaylan avec un Y fait un jour l’erreur de mélanger le LSD avec du champagne - Recipe for disaster - Lors d’un concert pour un public corporate, il insulte le public, puis il insulte ses collègues et finit par s’isoler chez lui pendant deux mois. De fait, il est viré du groupe. Il revient voir ses collègues un peu plus tard et découvre qu’ils répètent sans lui. Il leur demande ce qu’ils font. «On répète», répond l’un d’eux. «Vous répétez quoi ?». «Stuff», lui dit un autre. Puis on lui demande ce qu’il devient, et Kaylan avec un Y répond : «Rien». «Cool» lui dit un autre. Alors on lui demande si ça l’intéresse de revenir dans le groupe, et Kaylan avec un Y répond : «Sure. Why not?». Voilà comment ça se passe dans les Turtles. On est viré et on revient. Easy.

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             À une époque, ils enregistrent au studio d’Ike Turner. Ils découvrent un gigantesque œuf de Fabergé posé sur la console de mixage : c’est la réserve de coke d’Ike - Welcome to Bolic Sounds, boys. Enjoy yourselves - Pendant les deux semaines qu’ils ont passé dans le studio d’Ike, «the damned egg was never empty». Puis avec sa copine Diane, Kaylan avec un Y passe à l’héro. Apparemment, ses relations sentimentales sont conditionnées par les drogues - When we were good, we were very, very good, but when we were bad, we were beyond horrid. It was very Hollywood - Il évoque aussi les sessions d’enregistrement d’Illegal Stills - Je n’ai jamais vu autant de drogues dans ma vie. Et c’est moi qui dis ça ! J’ai beaucoup apprécié l’enregistrement de cet album, mais ça prenait des heures pour caler un cut. J’écoutais Stills raconter des récits de guerre imaginaires, il avait un énorme flacon de coke et un buck knife à la main - Comme tout le monde à l’époque, ils sniffent snaffent d’énormes quantités de coke, jusqu’au jour où le pif se met à déconner - And the I started to get a nosebleed. It was funny for a moment - C’est là que Laurel & Hardy décident d’arrêter la schtroumphsification industrielle.

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             Un jour, Bones Howe leur fait écouter une démo de P.F. Sloan, «You Baby» - Quand il entendit le motif de batterie, Don Murray sourit pour la première fois depuis trois ans (Don Muray fut le premier batteur des Turtles, vite remplacé par Johny (sic) Barbata) - C’est avec cette petite merveille que les Turtles devinrent the West Coast Ambassadors of Good-Time Music, nous dit Kaylan avec un Y. Eh oui, P.F. Sloan, on y revient toujours. Tu peux trouver «You Baby» sur l’album du même nom, paru en 1966. Big jerk it off ! Fantastique shoot de jingle jangle, c’est l’énergie du jerk de Sloan. On tombe plus loin sur un autre cut de Sloan, «I Know That You’ll Be There». C’est bien ficelé et même assez puissant. On ne regrette pas d’avoir rapatrié l’album. Encore du Sloan embarqué par-dessus les plages de Californie avec «Can I Get To Know You Better» et ils finissent l’A en pompant goulûment «Psychotic Reaction» («Almost There»). Kaylan avec Y ose signer ce pompage ! Ils virent un brin Dylanex avec «Fall Bearing Ball Bearing World», ça joue aux belles guitares incisives, c’est joliment ficelé, protest en diable ! 

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             Puis ils enregistrent «Happy Together» - C’est la seule fois où je suis ressorti du studio en sachant que je venais d’enregistrer un number one record - Et il ajoute, fier comme un paon : «It still defines me.» On retrouve cette merveille sur l’album du même nom, Happy Together. C’est le hit sixties par excellence. Leurs pah pah pah valent bien ceux des Beach Boys, alfter all. Globalement, ils font une belle pop chargée d’ambition, presque Brill. Elle peut aussi devenir inepte, un brin Disney. C’est le risque, avec ce genre de mecs. Sloan leur refile une compo en B, «Can I Get To Know You Better», beaucoup d’allure et ultra-chantée.  

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             C’est Dean Torrence - le Dean de Jan & Dean - qui réalise la pochette de The Turtles Golden Hits, our biggest-selling album. Kaylan avec un Y évoque aussi les Rhythm Butchers, ces covers enregistrées à l’arrache sur un lecteur de cassettes et commercialisées par Harold Bronson sous la forme d’une série de 45 tours - Stupid fun times.

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             Quand ils se débarrassent de Koppelman & Rubin pour décider de se produire et de se manager eux-mêmes, les Turtles réalisent qu’ils ne sont ni producteurs ni managers. Alors ils font appel à Harry Nilsson qui leur file un coup de main sur The Turtles Present the Battle Of The Bands. Mais les mecs du label White Whale mettent la pression sur le groupe. Ils veulent un autre «Happy Together». Excédé, Kaylan avec un Y compose «Eleanore» en retournant les accords d’«Happy Together» comme des peaux de lapin. Et ça marche ! C’est vrai qu’«Eleanore» tape en plein dans le mille, bien monté aux harmonies vocales. On finit par tomber sous le charme de cette drôle d’équipe, mais on voit bien qu’ils sont restés un groupe de singles, ils ne savent pas tenir la distance d’un album. Ils font un petit carton en B avec «Surfer Dan», pur jus d’On The Beach, ils sont capables de singer les Beach Boys avec brio. Big surf craze !

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             Ray Davies vient en Californie produire le fameux Turtle Soup, dernier album des Turtles sur White Whale. L’album floppe, car l’association n’est pas bonne. «She Always Leaves Me Laughing» est bien foutu, mais pas fulgurant. L’album est plein de son, «Love In The City» regorge d’ambition et de chœurs, ça brasse énormément, mais il manque la magie. Ça se réveille en fin de B avec «Somewhere Friday Nite», une pop psyché pleine d’allure, ultra-chargée et fouettée d’accords à la Keef. Mais c’est avec l’enchaînement de «Dance This Dance With Me» et «You Don’t Have To Walk In The Rain» que se produit le miracle. Ça démarre lentement et ça vire vite à l’éclat pop californien. Pure merveille ! Fantastique fil mélodique ! Superbe ! Plein d’élan, plein d’azur ! 

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             Ils demandent ensuite à leur vieux copain Jerry Yester de produire Shell Shock, le fameux album jamais sorti et rescapé par Rhino. Mine de rien en passant, c’est le meilleur album des Turtles. Ça démarre dès «Goodbye Surprise», une pop ambitieuse de Californian Hell. Fantastique allure ! Cette fois, on les prend vraiment au sérieux ! Au fil des cuts, ils restent fantastiquement ambitieux, ils se conduisent comme de sacrés puristes et des mélodies comme celle de «There You Sit Lonely» te remontent bien le moral - I sing a song for you/ I love you - Encore de la très belle pop aventureuse avec «We Ain’t Gonna Party No More», c’est surtout très chanté, ils deviennent même complètement magiques. Leur «Lady O» est aussi beau qu’un cut de John Lennon. Ils passent aux énormités avec «Can I Go On» et une fantastique qualité du son. Tu as de la slide et la basse de Jim Pons à la surface du lagon d’argent. Et voilà le coup de génie tellement attendu : «Dance This Dance». Ces mecs créent du rêvent comme en créaient les Beatles avec le White Album. C’est du génie mélodique à l’était le plus pur, tel qu’on le trouve chez John Lennon ou Brian Wilson. Avec «If We Only Had The Time», on entre encore une fois dans le lagon des Turtles. Ouch, quel album !

             C’est à cette époque que Jim Pons découvre Judie Sill. Et comme les Turtles sont entrés en guerre contre deux managers et leur maison de disques, ils se trouvent pris dans les filets de la justice. Ils n’ont plus le droit d’enregistrer - The Turtles were done - Laurel & Hardy deviennent Flo & Eddie et bossent pour Zappa qui en fait leur sauve la mise en leur proposant de chanter dans son groupe. Sans l’intervention miraculeuse de Zappa, ils allaient disparaître. La deuxième partie de l’autobio est donc consacrée à Zappa, aux tournées mondiales et au maelström des rencontres et des célébrités à travers deux décennies, jusqu’en 1993, quand Zappa meurt d’un petit cancer. Cette deuxième partie d’autobio est un festin royal pour les fans de Zappa, car Kaylan avec un Y décrit quelques orgies et n’hésite pas à rappeler que tonton Zappa est avant chose un sacré queutard, même si Gail Zappa l’attend à la maison. C’est une épouse intelligente qui l’accepte comme il est. Elle va même lui survivre et veiller sur les intérêts générés par sa postérité. Au beau milieu du maelström, Kaylan avec un Y rend un bel hommage à Bill Graham - A true gentleman - Graham aimait bien les Turtles - Il était là à chacun des shows qu’il organisait pour nous, standing in the wings and laughing his ass off - Kaylan avec un Y rend aussi hommage à Bowie qui tourne alors aux États-Unis avec Ronno - Bowie was a gentleman and his show was unbelievable. On avait sous les yeux l’avenir du rock - Kaylan avec un Y voit mourir Zappa, puis il apprend la disparition brutale de son ami Marc Bolan - When Bolan died, I had gone into shock - et puisqu’on patauge dans les tragédies, en voici une troisième : en 1974, John Lennon produisait l’album Pussy Cats de Nilsson. Lennon voulait qu’Harry pousse le primal scream. Ils rivalisent, et Harry dit qu’il peut crier plus fort et plus longtemps. Quand Lennon rentre à Londres, abandonnant May Pang et la Californie, Harry Nilsson est effondré : il a pété ses cordes vocales. Et ce n’est pas réparable. Alors il chiale. Il dit à Kaylan avec un Y qu’il avait été un roi et qu’il n’est plus rien. Alors adieu et il s’en va - When Harry ended, that’s the day the music kind of died for me - C’est la seule note triste de cette autobio.

             Et puis, on découvre au fil du récit que Kaylan avec un Y adore se marier. Il se marie au moins six fois, les photos sont rassemblées dans la partie centrale. Même vieux, il se marie encore avec une belle blonde. C’est un humour très particulier, typiquement américain. Un Anglais ne se vanterait jamais de s’être marié au moins six fois.  

    Signé : Cazengler, Turtignolle

    Turtles. It Ain’t Me Babe. White Whale 1965   

    Turtles. You Baby. White Whale 1966   

    Turtles. Happy Together. White Whale 1967     

    Turtles. Present The Battle Of The Bands. White Whale 1968   

    Turtles. Turtle Soup. White Whale 1969        

    Turtles. Shell Shock. Rhino Records 1987

    Bill Fishman. My Dinner With Jimi (Turtles Story). DVD 2009

    Howard Kaylan. Shell Shocked. My Life With The Turtles. Backbeat Books 2013

    Harold Bronson. The Rhino Records Story: Revenge Of The Music Nerds. Select Books Inc 2013

     

     

    Traînés dans la Boo

     

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             Liverpool ! Mot clé dans l’histoire du rock anglais. Avec les Beatles, Jackie Lomax et Shack, tu as les Boo Radleys de Martin Carr. Même niveau d’excellence, même parcours immaculé, avec une série d’albums intraitables. On va en parler.

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             Les Boo sont quatre, beurreman black (Rob Harrison puis Rob Cieka), Tim Brown on bass, et les deux figures de proue, Martin Carr, full blown genius, et le chanteur Sice, surnommé Eggman, car pas de cheveux, mais the voice ! Les Boo Radleys enregistrent leur premier album Ichabold And I en 1990. Bizarrement, les ingrédients qui vont faire leur grandeur sont déjà là, notamment le son et les mélodies. Avec «Kalleidoscope», ils sont déjà dans le mur su don, avec des éclairs de génie au chant. C’est pas loin du «Drive Blind» de Ride. La mélodie semble tituber au sommet d’un Ararat de délire sonique, Martin Carr met la gomme, il tire ses notes, ah comme c’est bon ! S’ensuit un «Happens To Us All» qui plonge dans l’enfer d’une fournaise de Boo, on assiste à une fantastique élévation du domaine de la turlutte, Martin Carr mixe le gaga power avec le melodico liverpuldien et ça monte au cerveau, c’est noyé d’ondes, bluffé de son, éclairci à coups d’acou et vite rejoint par la marée grondante du gaga blow. Cet album est un beau bazar. Les Boo se noient déjà dans leur énergie. Avec «Bodenheim Jr», ils jouent la carte du foutraque à gogo, c’est le son de leur jeunesse, ils tapent dans l’impavidité des choses, et derrière, ça bat tout ce que ça peut. Et puis surgit un «Catweazle» visité par un violent solo de disto ! Martin Carr est déjà très affûté. Le «Sweet Salad Birth» qui suit est tout aussi spectaculaire. En B, les Boo sont encore un plein boom avec «Hip Clown Rag», littéralement ravagé par des rafales de batterie. Quelle foutraquerie ! Cet album préfigure tout ce qui va suivre, lost my way, Sice erre dans la belle pop des Boo qu’est «Walking 5th Carnival». 

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             En 1992, ils signent sur Creation et explosent littéralement avec Everything’s Alright Forever. L’album grouille de coups de génie et de son. Gratté à l’espagnolade, «Spaniard» est vite plongé dans un bain de Spice. Spice n’est pas l’épice mais une sorte de chanteur surnaturel. Qu’on l’adore ou pas, Spice t’entraîne dans les eaux profondes d’une pop d’algues vertes et on dit ‘oh comme c’est beau’, pendant que Martin Carr règne sur la terre comme au ciel. C’est vite explosé au Spaniard de mariachi, et pendant que les trompettes font le job, Alamo pleure des larmes de sang au crépuscule des dieux de la miséricorde. S’ensuit un «Towards The Light» battu sec et sans concession, une espèce de crise de violence Boo. Sice grimpe sur la barricade pour sauver la République, c’est-à-dire le rock anglais. Cette violence est assez unique dans l’histoire du rock. «Towards The Light» illustre à la perfection l’idée du calme qui précède la tempête. À l’époque, aucun groupe ne pouvait rivaliser avec les Boo, qui bien que de Liverpool, cultivaient leur art dans la montagne, c’est-à-dire l’Olympe. Sice donne toujours l’impression qu’il embarque les cuts au sommet, mais une fois parvenu là-haut, Martin Carr l’attend pour lui broyer la gorge. La scène se passe systématiquement dans l’azur immaculé d’une prod parfaite. Ces mecs sont des titans violents. Ils fabriquent du mythe en permanence. «Skyscraper» en est encore une fois l’illustration. Sice chante ça dans un chaos paradisiaque, c’est noyé de son anglais, avec du ressac, des voiles, avec la guitare de Martin Carr qui claque aux cacatois et voilà une partie de slinging inespérée. Ah comme on aimait en ce temps-là entendre les grandes guitares anglaises. Et quand la menace du génie s’éloigne, on profite de «Room At The Top» pour prendre un peu de répit. Mais ce démon de Carr rôde dans cet enfer de heavy psychedelia. C’est un reptile atroce. Puis ça repart de plus belle avec «Does This Hurt». Back to the heavy power pop de Liverpool et là c’est un Niagara de son qui s’abat sur toi, avec un Carr qui rentre dans le groove écumant à coups de jive malveillant. Pareil avec «Smiles Fades Out». Sice a remarqué que les sourires s’effacent rapidement, mais derrière lui, la pression est extrême. Carr lève à nouveau une marée de violence sonique, exploit qu’il va d’ailleurs renouveler dans «Lazy Day», où il joue réellement à outrance. Clapton, Jimmy Page ? Ha ha ha, il se pourrait bien que Martin Carr soit the true British guitar God.

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             Paru l’année suivante, Giant Steps conduit les Boo au sommet du lard. Même les Boo ne pourraient pas surpasser un tel album. Dix bombes atomiques sur dix-sept titres, c’est un bon rendement. «I Hang Suspended» et «Barney (And Me)» furent des hits à l’époque. Avec Hang, on peut même parler de hit terminal, au sens où le fut le «Columbia» d’Oasis. Martin Carr taille une enclave dans la Brit pop et Sice s’y glisse comme une délicieuse limace. Alors ça gicle, ça jugule, ça pulse de l’arpège purpurin, Carr rajoute des cercles dans les cercles et ça devient aussi effarant qu’un hit de Brian Wilson, avec les glissades démentes des guitares de Liverpool. Avec Barney, ils foutent encore le feu à la pop, c’est attaqué à coups d’acou - Now I’m getting older - Tout est dans le texte de Sice - I still can’t find the words - Carr embarque Barney dans les trompettes avec du ruckus de guitare. Ils jouent en permanence avec le feu, au risque de brûler vif, ils sont donc un peu fous. C’est d’ailleurs ce que vient encore montrer «Wish I Was Skinny», cette merveille qu’éclaire le grand jour. On se croirait chez les Wannadies. Carr gratte sa gratte au soleil des Boo. «Leaves And Sand» flirte encore avec le génie. La tempête arrive après le calme. Carr est passé maître dans l’art des explosions nucléaires. Non seulement ça explose quand on ne s’y attend pas, mais il profite en plus du chaos pour partir en vrille. Ce mec a réellement du génie, ce n’est pas une vue de l’esprit. «Butterfly McQueen» sonne aussi comme une aventure sonique, Carr se barre en délire de gras double et Sice tripote le reggae groove - I finally broke your cool - Sice te chante plus loin son «Thinking Of Way» dans le creux de l’oreille. Merveilleux Eggman. Pure magie. Ils amènent «If You Want It Take It» au riffing des géants de la terre, ce qui paraît logique sur Giant Steps - I don’t worry about being proud/ As long as I’m alright - À l’époque, les Boo rivalisaient de génie sonique avec les Pixies. «Take The Time Around» se présente comme un déluge de feu. Ah ce Carr, quel barbarr ! Ils alternent comme d’usage les phases lumineuses et les déluges de feu. Carr est un adepte de la violence, comme l’était le gros dans les Pixies. Puis les Boo ramènent «Lazarus» à la vie avec un groove reggae et les trompettes précèdent Sice de peu - I must be losing my mind - Il est aussitôt violenté par une attaque sournoise de cuivres et de section rythmique. Les paroles de Sice sont un délice de perdition - And now and maybe now/ I should change because/ I’m starting to lose all my faith - se plaint-il pendant que des trompettes le ramonent.

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             Wake Up paraît en 1995, avec comme toujours, une pochette rococo. On y trouve que deux smash hits : «Stuck On Amber» et «Twinside». Pour une fois, on ne risque pas l’overdose. Sice chante Amber à la ramasse, secoué par des relances de basse démentes. Il rôde comme un requin dans le cloaque mélodique, il justifie et il explose - To get okay with me - Il devient le prince noir de la pop anglaise. Il chauffe ce cut amené à l’harmo avec des halètements et des tiguilis de bas de manche. Carr fournit le fourniment, c’est de bonne guerre et ça bascule vite dans la magie, Carr est un pourvoyeur monumental, et ça explose comme ça, juste comme ça, Sice plonge dans la jouvence, to get along/ To get along with me - Il est demetend. Quant à «Twinside», le son monte par vagues de power dans une prod de rêve. Le «Wake Up Boo» d’ouverture de bal est un cut de pop explosive, mais pas un hit. Sice s’y comporte encore en chanteur de rêve et Martin Carr soigne sa réputation de Brian Wilson liverpuldien. Il explore les voies impénétrables avec «Find The Answer Within» et grâce aux nappes de cuivres, il en fait une merveille de Brit pop.

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             Le coup de génie de C’mon Kids s’appelle «What’s In The Box». On y voit Sice fondre sa voix dans un enfer sonique saturé de guitares. Les Boo retrouvent leur goût pour l’apothéose dans «Ride The Tiger», un cut d’attaque frontale secoué par de violentes accélérations de foutraquerie savamment orchestrées. De toute évidence, les Boo aiment leurs chansons. Ils amènent la pop anglaise à un niveau disons plus extatique. Ce sont des fous de l’apothéose. On trouve en effet dans le commerce très peu d’apothéoses de ce niveau-là. «Bullfrog Green» est un cut d’une extraordinaire modernité. Carr envoie ses Panzer Divisions ravager la pampa, il passe d’un climat à l’autre sans savoir pourquoi. Quand il écrase, il écrase. Les Boo attaquent leur morceau titre à la cisaille de Liverpool. C’est très chargé, peut-être trop. Sice surnage à peine dans cette mer de Boo. Carr envoie des paquets de mer, c’mon, c’mon, ça tient de la merveille révélatoire, Sice chante à s’en écarteler, il vise l’intemporel dans le temporel. On n’avait encore jamais vu autant de son dans un disque anglais. Les Boo dépassent les boornes. Tout explose dans l’œuf du serpent, rien ne peut résister à ça, aucune oreille, aucune cervelle. «Melodies For The Deaf» souffre de trop d’ambition, de trop de démesure, de trop d’incidences, les Boo retroovent leur équilibre avec le gaga-punk du «Get On The Bus» trashé à la gratte de Carr. C’est une insurrection, un assaut de Boo, un nec plus ultra. Puis Sice coule «Everything Is Sorrow» dans le moule de la belle pop anglaise, une aubaine après les horreurs qui précèdent. Carr monte ça en neige, on peut lui faire confiance. Avec «Fortunate Sons», on voit que Carr plombe le son quand ça lui chante, mais l’album est tellement foutraque qu’il scelle le destin des Boo. Ils entament leur déclin. Ils sont incapables de se recaler sur Giant Steps. La fin de cet album est une espèce de foorre-tout d’idées de Boo, comme s’ils expérimentaient en direct sous nous yeux.

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             Le dernier album des Boo sur Creation paraît en 1998 : Kingsize. Oh ils sont encore capables de coups de génie, comme le montrent «High As Monkeys» et «Adieu Clo Clo». Avec Monkeys, ils tentent l’accélération des particules de Liverpool, avec un sens aigu de l’élévation. Sice éclot et Carr apporte un chant de contrefort pour élever la température, et pour coorser le Boo, il ajoute des petits gimmicks incendiaires, ceux qui pourraient précipiter l’éjaculation. Puis ça explose puisque Carr largue sa bombe. Encore de l’envolée avec Clo Clo et les solos de Carr renvoient bien sûr à ceux de Noel Gallagher. Autre merveille : «Comb Your Hair» qui sonne comme un hit des Ronettes, même envie mélodique - So c’mon baby comb your hair - Carr fait entrer les guitares et boom - And we may never be this young again - Il a raison, les paroles sont du pur teenage angst - Get out while we can and clear out our dusty heads - Carr monte aussi des fanfares extraordinaires pour «Blue Room In Archway». Sice halète et ça grimpe directement là-haut, Carr a décidé une fois de plus d’exploser la pop et d’élever une pyramide. Ils tentent de renouer avec les hauteurs toxiques de Giant Steps dans «Heaven’s At The Bottom Of This Glass», Sice est dessus dès le réveil et Carr ramène tout ce qu’il peut : d’énormes guitares et des trompettes. Ils passent leur temps à vouloir récréer d’anciennes magies, le morceau titre en est encore une fois la preuve. C’est pourtant une merveille - How would I like to shake it all with me  - Final éblouissant. Ils rendent hommage à Jimmy Webb avec «Jimmy Webb Is Good» - I’ll be your fan forever - Carr avance à marche foorcée dans la Boo, et c’est orchestré à ootrance, avec un parti-pris rocky. Puis il sature «She Is Everywhere» de big guitars, il les envoie se fracasser contre un Wall of Sound, c’est très spectaculaire, on est chez les Boo, donc il ne faut plus s’étoonner de rien.   

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             Il existe aussi une compile de singles parue en 1993, Learning To Walk, sur laquelle il n’est d’ailleurs pas question de faire l’impasse. C’est là qu’on trouve leur cover d’«Alone Again Or», rien de plus mythique, car hommage de géants à d’autres géants, les Love. Cette cover est une vraie barbarie. Liverpool + Arthur Lee, c’est le clash suprême. On se souvient de cet album d’Arthur Lee enregistré à Liverpool avec Shack. Le «Kaleidoscope» d’ouverture de bal est un fantastique pudding de liverpulding, Carr déverse ses cataractes acariâtres et presse ses boutons de pus, ça tangue dans l’exelsior de Maldoror. Toutes ces guitares ! On croirait entendre William Reid. Carr sonne sa trompe dans la clameur du combat carthaginois. Le son des Boo continue de ressembler à un gigantesque millefeuille dégoolinant de crème. Avec «Aldous», ils reviennent à la surenchère et «The Finest Kiss» dépasse l’imagination. On a toutes les guitares qu’on peut imaginer et même davantage. On patauge dans la magie des Boo, dans le balancement des accords de rêve. Carr est un fou, il sort ici la meilleure power pop de son temps et Sice pousse bien sûr à la roue. Et on assiste à des développements d’extrême clarté évangélique. Carr tape son «Bluebird» à la cloche de bois et il s’y conduit comme le pire wild guitar slinger qu’on ait pu voir ici bas. Avec «Noami», ça ne rigole plus. Mais trop c’est trop. Carr bourre sa dinde de son, il a la main lourde, il ne peut pas s’empêcher da ramener sa guitare kill kill kill. On voit aussi Sice faire sa courtisane dans «Eyebird», pendant que Carr monte un barrage de son contre le Pacifique avec des ouvertures de lumière. C’est son truc. Il joue sur l’alternance de violence extrême et de paix biblique, comme les Pixies. On finit par se perdre dans cette jungle perpétuelle. Les pluies soniques sont très acides et Sice n’en finit plus de chanter comme Riquita jolie fleur de banlieue. Ils finissent avec un «Boo! Faith» dévoré par une basse fuzz, power all over ! Ces mecs ont le son dans le sang, ça éclate dans des guitares d’effarance contextuelle, avec un Carr en comatose. Sice a la trouille. 

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             En l’an 2000, Martin Carr entame une carrière solo sous le nom de Brave Captain. On le voit sur la pochette de  The Fingertip Saint Sessions Vol. 1, déguisé en martien, dans un contre-jour métabolique, mais la photo intéressante est au dos du digi où on le voit dans son home studio, entouré de ses guitares et de ses claviers. Il tente de réanimer le spirit des Boo avec «Raining Stones». Il allume son cut tranquillement et cherche les coins funny. Il est en liberté. Il fait du bon Boo. En fin de parcours, il bombarde son «Little Buddah» d’electro, comme s’il défendait l’indéfendable. Comme il est courageux, il plonge dans son délire. Il a pour lui une certaine expérience de l’experiment, alors il fait du druggy wild shoutout, avec un son qui te saute à la gueule, bien acid dans son dévolu aphrodisiaque. Il s’arrête à six et repart après. D’ailleurs on écoute cet album comme si on était en plein acid trip. C’est très barré, il attaque à la racine de la cervelle, c’est à toi de faire gaffe. Il gratte son «Starfish» à coups d’acou, tu n’es pas redescendu alors tu suis le mouvement. 

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             Il enregistre Nothing Lives Long He Sang Only The Earth And The Mountains l’année suivante, pour la plus grande joie des fans des Boo. «The Monk Jumps Over The Wall», c’est exactement comme si John Lennon s’adonnait à des exercices de libre cours. Martin Carr opte pour la magie, et comme il relaye ça avec du Brian Wilson, forcément ça explose. Carr fait ce qu’il veut, il a la grâce et le power hérité des Beatles, ce qui montre encore «The Tragic Story». Il sonne comme Lennon au temps de «Get Back». Là, tu as un truc énorme. «Third Unattented Boy On The Right» sonne aussi comme un cut inspiré des Beatles. Carr brandit bien haut le flambeau de la pop de Liverpool. Il ré-instaure la suprématie de cet art suprême, il y fait entrer des guitares grinçantes, c’est très fin, très hanté, une union de Dieu et du diable pour le meilleur et pour le pire. Il fait aussi de l’Oasis avec «Go With Yourself». Il sait rester bon jusqu’au bout des ongles. Il nous ressert aussi le «Raining Stones» de l’album précédent, c’est un hit inter-galactique, digne de ceux de Brian Wilson. Il fait le sorcier du son dans «Tell Her You Want Her», il amène une basse au doux du son, c’est une merveille. Il se donne ensuite les moyens du son crade pour «Big Red Control Machine». Il se prend pour le Stooge de l’electro. On le voit aussi faire avec «Assembly Of The Unrepresented» de la liverpuldasse avec l’harmo de Charles Bronson. Fallait y penser !  

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             En 2001, il attaque une petite trilogie d’albums plus expérimentaux, l’orange, le bleu et le vert, avec des titres à coucher dehors. L’orange qui est en fait un EP s’appelle Better Living Through Reckless Experimentation. Pour le morceau titre, il sort le riff des Stooges. C’est Detroit à Liverpool. Aw, en plein dans l’œil de TV Eye. On en pleure. Stoogerie de l’aube des temps. Il nous plonge en pleine fournaise. Carr sait carrer un cut. Relentless & powerfull, il sature sa disto et renvoie des remugles de wah. Bon alors après c’est très différent. Martin Carr accompagne tous ses cuts jusqu’à l’hôtel de «Canton Hotel» pour les épouser, c’est un précieux précoce, un éphéméride efféminé, un homme sans condition, comme dirait Robert Musil, c’est assez homogène dans l’homéopathie congénitale. Quel brave Captain !   

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             Advertisements For Myself est le bleu. Pour ceux qui voudraient lire les noms des cuts au dos du digi, tintin, c’est illisible car imprimé en gris clair sur aplat bleu clair. Se niche sur cet album un sacré coup de génie : «My Mind Picture». Il gratte ses poux pour revenir à la power pop d’élévation. Power pur, Liverpool vibre de toutes ses briques. Comme ces mecs savent gratter des grattes, c’est tout de suite magical, mon cher Mystery Tour. Ce démon de Carr recrée l’illusion de la pop, il claque ça non pas au bénéfice du doute, mais à l’ambition démesurée. Il est invaincu, comme Jake La Motta ou Robert Pollard, il peut lever le poing. Avec «Realize» on le voit partir à la conquête du chant, comme Brian Wilson ou Jimmy Webb. «Stand Up & Fight» se déclenche comme un ouragan liverpuldien. Retour à l’énormité avec «I Was A Teenage Death Squad». Martin Carr refait son Lennon, il colle bien au terrain. Il reste envers et contre tout le Merlin de la pop anglaise, comme le fut John Lennon avant lui. Il descend vite les escaliers de «Fucking Sunday». Il rebondit dans des shoots d’electro comme un popster organique, il croise des tas de spoutniks, mais c’est avec «Mobilise» qu’il va fendre les cœurs. Il revient à la douceur de vivre. C’est encore une pop song miraculeuse. C’est pour ça qu’il faut suivre Martin Carr à la trace. Ne jamais le perdre de vue.      

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             Le vert paraît en 2004 et s’appelle All Watched Over By Machines Of Loving Grace. Rien qu’avec le morceau titre d’ouverture de bal, on est comblé. Carr fait son biz avec du son, ça sent la machine de Loving Grace. Captain Haddock est barré dans son délire. Il est d’une violence réconfortante, c’est comme quand tu mets ta bite dans la prise, tu danses le jerk. Le son te niaque à dents nues. Il revient à l’acid avec «Every Word You Sound», il faut s’accrocher pour suivre, Carr can do it. On le suit comme on suivait jadis le prêtre au temple d’Isis. Il s’amuse avec le son dans «Metaphoric Rocks», il a raison car le résultat est intéressant, un peu fucked up, il fait des grimaces à la Brian Wilson. Il fait du quasi-Oasis avec «Good Life», il rampe dans sa pop, il est excellent, au delà de toute expectative. Il joue sa pop gaga avec l’énergie liverpuldienne, il développe des dynamiques fabuleuses, bientôt rejoint par des violons. Il sait se montrer passionnant de bout en bout. Il crée encore les conditions du hit avec «Big Black Pig Pile», c’est plus fort que lui, il fond une beautiful song dans son délire d’electro. Il termine avec «Weaponized». Il s’amuse avec les sons et finit par nous péter les oreilles. Ah ces mecs, ils ne peuvent pas s’empêcher d’aller tripoter des gadgets. Le voilà parti à travers les collines, à dos d’âne, comme Sancho Panza, tagada tagada.  

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             Puis Brave Captain disparaît au profit de Martin Carr qui réapparaît en 2014 avec The Breaks. Il y ouvre un bal dément avec «The Santa Fe Skyway». Il fracasse ça à la cisaille de Boo avec une flavour bosssa nova, Carr a le cigare au bec, il règne sur le pétrole, il est le King of the Kong, rien ne peut l’arrêter dans son power strut d’extrême bretelle, il claque sa pop au grand jour. C’est tellement bon que tu le ré-écoutes deux ou trois fois d’affilée - I was drunk inside my socks/ Laughing as I rocked up to your house - Cette façon de plonger, c’est du Carr tout craché - What a way to waste the day - Fantastique héros, on retrouve chez lui la même folie que chez Brian Wilson. Et ça continue avec «St Peters In Chains» une fantastique pulsation d’exception. Carr ? Il n’y a que le firmament qui l’intéresse. Mais après, on perd la magie de Santa Fe. Il faut attendre «I Don’t Think I’ll Make It» pour renouer avec la magie - Baby I’m a shadow of a ghost of a man - Puis il refait un peu de Boo avec «Mandy Get Your Mello On». Carr sait recevoir.

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             Quand on écoute New Shapes Of Life paru en 2017, on s’exclame : «Carr forever !». Il a tout de suite des tonnes de son. Apparemment, c’est Carr qui se carre tout, comme Todd à une époque, il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Et pouf, il ramène l’enfer sur la terre avec «Damocles». Cette sale bonne manie ne l’a pas quitté. Voilà pourquoi ce mec est essentiel. Il nous fournit l’air qu’on respire, si on aime les Boo et la pop de Liverpool - Help me please/ Can’t get no peace - Forcément, avec Damocles au dessus de la tête ! Il injecte encore dans «The Main Man» des relents de Beatlemania. Il fait de la power prod à l’état pur. Il faut le voir monter ça en neige. Peu de gens sont capables de sortir une ambiance aussi pure avec des relents indirects de Strawberry Fields. C’est une absolue merveille, un vrai point de ralliement. Devant un tel chef-d’œuvre, force est de constater que la presse rock n’a rien compris. Cet album est passé à la trappe alors qu’il allume autant de lampions que les grands albums solo de Brian Wilson. Avec «A Mess Of Everything», il s’en va exploser son vieux firmament en carton pâte - Give me a reason to carry on - Back to the big Boo Boo avec «Three Studies Of The Male back». Il n’en finira donc jamais d’éclairer la lanterne de la pop anglaise ! C’est encore une fois du power pur. Il sait lancer ses walkyries. Il envoie sa purée au plafond. King of scum !

    Signé : Cazengler, Boo raté

    Boo Radleys. Ichabold And I. Action Records 1990

    Boo Radleys. Everything’s Alright Forever. Creation Records 1992

    Boo Radleys. Giant Steps. Creation Records 1993

    Boo Radleys. Wake Up. Creation Records 1995

    Boo Radleys. C’mon Kids. Creation Records 1996

    Boo Radleys. Kingsize. Creation Records 1998

    Boo Radleys. Learning To Walk. Rough Trade 1993

    Brave Captain. The Fingertip Saint Sessions Vol. 1. Wichita 2000 

    Brave Captain. Nothing Lives Long He Sang Only The Earth And The Mountains. Thirsty Ear 2001 

    Brave Captain. Better Living Through Reckless Experimentation. Wichita 2001   

    Brave Captain. Advertisements For Myself. Wichita 2002       

    Brave Captain. All Watched Over By Machines Of Loving Grace. Wichita 2004   

    Martin Carr. The Breaks. Tapete Records 2014

    Martin Carr. New Shapes Of Life. Tapete Records 2017

     

     

    Wizards & True Stars

    - Russell & poivre (Part Four)

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             On monte vite fait faire un tour sur le toit du monde retrouver Tonton Leon. Pas pour lui chanter ses louanges, c’est déjà fait, mais pour jouer à un petit jeu : et si on repartait de The Songs Of Leon Russell, la belle compile Ace parue l’an passé, pour aller explorer les albums dont sont extraits certains cuts de cette compile ? Ça permet tout simplement de rendre visite à de très grands interprètes qui eurent, à un moment donné, l’excellente idée de s’amouracher d’une compo de Tonton Leon. Alors attention, c’est un jeu très dangereux, car la plupart de ces albums se referment comme des pièges à loups. Crac ! T’es baisé ! Mais t’es content d’être baisé.

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             On commence au pif avec «Rainbow In Your Eyes» qui se trouve sur le Glow d’Al Jarreau. Alors on écoute le Glow. C’est l’occasion de découvrir un continent inconnu. Le Rainbow magique est en ouverture de balda. Ça swingue aussitôt. Al te swingue Tonton Leon vite fait, dans le meilleur esprit, à fantastique allure, ça swingue autant du beurre que de la glotte, c’est du très haut de gamme. Al passe au Brazil avec «Agua De Beber», une merveille d’exotica du paradis. Mais Al a un petit défaut : il est attiré par la pop blanche. En B il jazze le «Somebody’s Watching You» de Sly Stone. Hélas, son petit côté jazz à la mode des années 80 ne passe pas. Avec «Milwaukee», Al perd le Brazil et le Tonton Leon. L’album permet de voir tout ça. C’est important de voir.

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             On retrouve «Me And Baby Jane» sur le Compartments de José Feliciano, un album paru en 1973. Tonton Leon y joue du piano. Le Joselito swingue son oouuuhh baby Jane, c’est du haut vol. Non seulement il chante comme un dieu, mais il gratte ses poux avec une agilité stupéfiante, comme le montre le morceau titre, planqué en B. Il flamencote son groove. C’est là où la virtuosité génère de l’enchantement. Il va chercher des balladifs très sensitifs, comme «Find Somebody», accompagné par Claudia Lennear et d’autres choristes. «Hey Look At The Sun» sonne comme de la pop parfaite, avec des chœurs superbes. Le Joselito chante comme un ange qui serait enfin arrivé au paradis de la pop. Son «Yes We Can Can» est plus r’n’b, mais avec une finesse de chicano du can can. Il swingue encore son chant sur «I’m Leaving», un fast groove suivi par la flûte de Pan-Pan cucul et il relance indéfiniment au pur gratté de poux.  

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             «Time For Love» se trouve sur le Secret Combination de Randy Crawford, paru en 1981. C’est la compo parfaite + la voix parfaite. Ce petit moment d’extase constitue l’apanage de la perfection. Randy se coule admirablement dans le groove magique de Tonton Leon. Fantastique alchimie. La pochette nous la montre lumineuse et ce «Time For Love» est à l’avenant. En A, elle fait une belle cover du «Rainy Night In Georgia» de Tony Joe White, elle lui amène le rond perlé d’une pêche au petit matin. Elle y apporte toute la belle ampleur de sa clameur. Une véritable merveille de délicatesse. Elle chante encore «That’s How Heartaches Are Made» à la pointe de la délicatesse, c’est heavily orchestré et elle jazze tout ça au doo-bee doo bee doo, mais pas trop. Elle chante parfois sa pop au petit sucre candy («Two Lives»), ce qui la rend éminemment sympathique. On la voit aussi épouser la mélodie de life out dans «You Bring The Sun Out». 

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             L’une des révélations de la compile Tonton Leon fut Janis Siegel, avec une cover de «Back To The Islands» qui était exceptionnelle. On retrouve cette merveille en ouverture du balda d’Experiment In White, paru sur Atlantic en 1982. Bizarrement, ce n’est pas le même son. Sur le vinyle, le soufflé retombe. Belle voix cependant, et puis il faut bien dire que c’est mélodiquement parfait. Mais l’éclat n’y est pas. Bizarre. Ça n’empêche pas d’écouter le reste de l’album. Janis peut aller chanter là-haut sur la montagne, ce qu’elle fait avec «All The Love In The World». Elle en a le pouvoir. Elle fait du gospel avec «Hammer & Nails» et en B, elle passe au jazz manouche avec «How High The Moon». Elle nous sort le Grand Jeu : pompe manouche et solo vif argent. Elle chante le jazz de «Don‘t Get Scared» et elle devient goulue avec «Guess Who I Saw Today». Le jazz c’est son truc, comme le montre enfin «Jackie». C’est ce qu’elle aime, le jazz swing, alors elle y va, de la meilleure manière.    

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             Le version de «Make Love To The Music» que fait Maria Muldaur se trouve en ouverture de balda sur Southern Winds, paru en 1978. Merveilleux groove d’élongation viscérale, à l’image de l’océan peint au dos de la pochette. Maria est fabuleusement groovy, c’est une femme de rêve, une chanteuse de charme fou. Elle boucle son balda avec le «Cajun Moon» de JJ Cale, bien trop prévisible et elle repart en mode fantastique allure en B avec «Can’t Say No». Ah elle y va, la reine du rodéo ! Elle passa à la heavy romance avec «Here Is Where Our Love Belongs», c’est assez puissant, avec du gulf stream et des violons. Globalement, c’est un très bel album d’American pop des années 70. Elle tape encore dans Tonton Leon avec un  «Joyful Noise» assez tendu et même bien rocky, et elle termine avec «My Sisters & Brothers» une sorte de gospel rock. Bien vu, Maria ! Les chœurs arrivent dans le deuxième couplet.

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             Encore un continent à explorer, celui de George Benson. Il reprend «This Masquerade» sur Breezin’, paru en 1976. Benson va chercher les vieilles racines du groove vocal des caraïbes et le cut magique de Tonton Leon prend des allures spectaculaires, ça devient de l’exotica de rêve supérieur, Benson navigue au niveau de Paul Simon et de Joni Mitchell. On profite de l’occasion pour écouter sa version du morceau titre qui est signé Bobby Womack. Il te joue ça au cœur de ton âme sensible, il te groove tes pauvres oreilles frippées au Brazil jazz, c’est d’une extrême finesse, à toi de te montrer à la hauteur, tu peux frémir ou ne pas frémir, mais le mieux est de frémir. Ce démon de Benson te gratte sa note ad vitam et coule un bronze d’une merveilleuse allure. Encore une merveille avec l’«Affirmation» de Jose Feliciano, il te baigne ça dans les alizés du Brazil, c’est excellent, encore une belle tranche d’exotica jouée à la jazz guitar et tu te prosternes jusqu’à terre. Benson propose un guitarring fluide et tiède qui te coule dans la manche, c’est exquis, il va chercher le flux d’un jazz d’exotica, très pur et dur, il livre un flux perpétuel de notes douces et tendres, elles pullulent vite sous les doigts de fée de Benson

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             Un autre jeu : aller fouiner dans les coups de prod de Tonton Leon. Un jeu encore plus dangereux, car ce sont des albums qui ne te lâchent plus, si par malheur tu commences à les écouter. L’un de ses premiers gros coups en tant que producteur remonte à 1969 avec le premier album sans titre de Joe Cocker. En réalité, il co-produit avec son associé Denny Cordell. Cock démarre avec une cover de Dylan, «Dear Landlord», accompagné par le Grease Band, c’est-à-dire Henry McCulloch, mais aussi Clarence White et toutes les folles de service, Patrice Holloway, Merry Clayton, Bonnie Bramlett, Rita Coolidge, n’en jetez plus, la cour est pleine. Cock chante à la grosse ferraillerie. L’intégrité du son ne fait pas de cadeaux. Les nappes d’orgue de Chris Stainton sont fiables à 100%. Cock est un fier Sheffielder. On sent déjà le génie productiviste de Tonton Leon. On a là l’une des meilleures associations de l’histoire du rock : voice + prod + cut + demented backings. La version de «Lawdy Miss Clawdy» est exceptionnelle de raunch, c’est gorgé de son et de bon esprit. C’est encore dans les Beatles qu’il tape le mieux, comme le montre «She Came Through The Bathroom Window». Cock les réinvente, il leur amène le raw des provinces, ça joue à l’arrache compulsive. Encore de la pulsion comminatoire avec «Hitchcock Railway». Derrière les folles deviennent encore plus folles et Tonton Leon pianote comme un dératé. En B, Cock tape dans George avec «Something», oh I don’t know, les filles sont là, something in the way she moves, une merveille d’I don’t wanna leave her now, et Cock pousse des woaaahhh de lion du désert. Voilà l’hymne des seventies : «Delta Lady». Tonton Leon frappe un grand coup composital avec «Delta Lady», Cock met une pression terrible, pas de raw plus raw que le sien, et les chœurs de folles en rajoutent. Les poussées de fièvre sont homériques. Il finit cet album superbe avec un cut signé John Sebastian, «Darling Be Home Soon», les folles chantent par en-dessous, elles reprennent en bout de phrase au talk to et le Cock chante à l’éperdue trépassée, darling/ Be home soon ! C’est là très précisément que le vieux Cock devient l’un des rois anglais du balladif avec Chris Farlowe, Rod The Mod et Mike Harrison.

             Cet album sans titre de Cock est si bien produit qu’on sent la différence avec le suivant, With A Little Help From My Friends. Pas de Tonton Leon. L’album ne tient que par la voix du vieux Cock et par la qualité des covers, à commencer par le morceau titre, rendu célèbre par le film tourné à Woodstock. Le vieux Cock fait de cette beatlemania un rouleau compresseur, avec Jimmy Page et une Madeline Bell qui pousse à la roue juste derrière. C’est là que le vieux Cock lâche l’un des plus beaux screams de tous les temps. Version somptueuse aussi du «Feelin’ Alright» de Dave Mason. Derrière le vieux Cock, on retrouve les sœurs Holloway (Patrice & Brenda) et Merry Clayton. Elles sont demented. Le backing-band varie en fonction des cuts. Sur «Just Like A Woman», le vieux Cock est accompagné par deux Procol, Matthew Fisher et BJ Wilson, avec en plus Chris Stainton on bass. Le vieux Cock en fait une pure merveille et lui donne l’étoffe du drap d’or. Mais globalement, l’album est nettement moins intense que le premier.

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             Autre coup de génie productiviste de Tonton Leon : le Texas Cannonball de Freddie King. Les énormités sont en B, «Ain’t No Sunshine» et «The Sky Is Crying». Fantastique ambiance de when she’s gone pour la première, et Freddie rend hommage à Elmore James avec la deuxième. Freddie lui recolle une bonne couche de viande, il ramène une bonne grosse couenne de gras double, il joue à fond dans l’épaisseur du groove de heavy blues. Globalement, Freddie sort un son très Shelter, très Tonton Leon de cette époque si riche. «Lowdown In Lodi» est un boogie ultra chanté par un géant des Amériques. Fantastique cover du «Reconsider Baby» de Lowell Fulsom et il swingue ensuite son «Big Legged Woamn» à l’efflanquée. Tonton Leon compose pas mal de cuts, comme ce «Me & My Guitar», mais ce ne sont pas des cuts très révolutionnaires. Freddie leur donne un certain éclat. Il fend même le cœur du blues.   

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             Autre facette du talent productiviste de Tonton Leon : Wornell Jones et son album sans titre paru en 1979. Bel album de slow groove qui se réveille en A avec un «Heart Of Fire» quasi funk - I’ve got a/ Heart of fire/ Burning/ Burning - Wornell Jones est bassman alors on l’entend, avec Maxyan et Mary Russell derrière, Mary étant bien sûr l’épouse de Tonton Leon. Comme Wornell Jones est bon, il passe partout. Il finit l’A avec un petit groove sympathique, «You Are My Happiness», toujours soutenu par des chœurs fabuleux. Il attaque sa B en force avec «You Make Me Feel So Hot», un heavy r’n’b. Wornell Jones est un surdoué, comme le montre encore «Groove», bien funky du booty. En fait Wornell Jones joue de tous les instruments et l’ensemble est très inspiré. Encore de la heavy Soul de bonne tenue avec «Only Love Can Make It Better». On se réjouit de l’excellence du groove et des chœurs.

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             En 2010, Elton John et Tonton Leon enregistrent The Union. Tonton Leon a 68 balais et ça se voit sur la pochette. Il est écroulé dans sa chaise, avec sa barbe de Père Noël. Pour les ceusses qui ne supportent pas Elton John, l’écoute de cet album est une rude épreuve, mais on est bien récompensé lorsque vers la fin de l’album, Elton John laisse ENFIN Tonton Leon chanter. Trois cuts, c’est pas grand chose, mais ce sont des cuts énormes, à commencer par «I Should Have Sent Roses». Tonton Leon chante avec du swing plein la voix - When you cross my mind - Ce hit fabuleux sauve l’album, Tonton Leon chante du fond de la glotte. Il reprend encore la main avec «Hearts Have Turned To Stone», c’est bourré de feeling, avec des chœurs de filles, et là tu as le grand rock américain. Tonton Leon a une façon très personnelle de twister le destin, ça remonte à Mad Dogs, un pur miracle, et cette façon encore qu’il a de croquer les syllabes ! Il termine avec «In The Hands Of Angels», il pianote et on entend les anges. On l’entend aussi chanter le deuxième couplet d’«A Dream Come True», mais il est noyé dans l’ego d’Elton John qui bouffe tout le reste de l’album. 

    Signé : Cazengler, Léon recèle  

    Al Jarreau. Glow. Reprise Records 1976 

    José Feliciano. Compartments. RCA Victor 1973  

    Randy Crawford. Secret Combination. Warner Bros. Records 1981

    Janis Siegel. Experiment In White. Atlantic 1982                  

    Maria Muldaur. Southern Winds. Warner Bros. Records 1978

    George Benson. Breezin’. Warner Bros. Records 1976 

    Joe Cocker. Joe Cocker. A&M Records 1969

    Freddie King. Texas Cannonball. Shelter Records 1972

    Wornell Jones. Wornell Jones. Paradise Records 1979

    Elton John/ Leon Russell. The Union. Mercury 2010   

     

     

    L’avenir du rock

    - Méfie-toi de Johnny Mafia

             Comme il a un peu trop bu, l’avenir du rock décide de s’offrir une soirée super-trash. En l’honneur de Marcel Duchamp, il se déguise en Rrose Sélavy, se barbouille bien la gueule de fard et de rouge à lèvres, se coiffe d’une perruque immonde et d’un petit chapeau cloche, enfile une robe courte bien vulgaire et des bas opaques, comme ceux des bonnes sœurs. Hop, c’est parti, direction le Balajo. Thé dansant, soirée tango. Ça grouille de queutards. Titubant plus que légèrement, l’avenir du rock les passe en revue et lance des signaux, c’est-à-dire des gros clins d’yeux. Un mec se lève à son approche, il est plus petit, Rrose se dit : «C’est dans la poche, ce mignon-là c’est pour mon lit !». Le mec suit Rrose jusqu’à sa piaule. Pour bien corser l’affaire, Rrose lui crie : «Vazy mon loup !» - Fais-moi mal Johnny Johnny Mafia/ Envoie-moi au ciel zoum !/ Fais-moi mal Johnny Johnny Mafia/ Moi j’aime l’amour qui fait boum ! - Le mec n’a plus que ses chaussettes, des jaunes avec des raies bleues, il regarde Rrose d’une œil bête, il ne comprend rien le malheureux, il dit d’un air désolé : «J’ferais pas d’mal à une mouche», alors Rrose s’énerve, le gifle et reprend sa litanie - Fais-moi mal Johnny Johnny Mafia/ Envoie-moi au ciel zoum !/ Fais-moi mal Johnny Johnny Mafia/ Moi j’aime l’amour qui fait boum ! - Mais ça ne marche toujours pas. Alors elle l’insulte sauvagement, lui donne tous les noms de la terre et encore d’autres bien moins courants, ça le réveille aussi sec et il dit : «Arrête ton char, Ben-Hur, tu m’prends vraiment pour un pauvre mec, j’vais t’en refiler d’la série noire» et bing et bong, alors Rrose se plaint - Tu m’fais mal Johnny Johnny Mafia/ J’aime pas l’amour qui fait bing ! - Il remet sa p’tite chemise, son p’tit complet, ses p’tits souliers et redescend l’escalier, laissant Rrose avec une épaule démise. Duchamp, Vian, le trash, bon, ça va cinq minutes. Le lendemain, l’avenir du rock s’en va trouver son ami Don Corleone. C’est pas le jour, car Don Corleone marie sa fille, mais il le reçoit quand même dans la pénombre de son bureau. L’avenir du rock vient lui demander un service : faire rosser celui qui l’a rossé.

             — Et comment s’appelle-t-il ?

             — Johnny Johnny Mafia !

             Don Corleone garde le silence un moment, et finit par lancer d’une voix tragique :

             — Mais comment oses-tu me manquer de lespect, avenil du lock ?   

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             Si l’on prête l’oreille aux préjugés, on ne fait rien. Un groupe qui s’appelle Johnny Mafia, ça n’inspire pas confiance. Te voilà en plein préjugé. Le préjugé décide pour toi. Alors tu n’y vas pas. Quand on est con, on est con. Ça fait du bien de le reconnaître. Au lieu d’aller voir un groupe qui pourrait te botter, tu vas te vautrer dans tes préjugés et regarder une grosse connerie à la télé. Et tu seras encore plus con.

             À l’inverse, tu peux décider de faire la nique aux préjugés. Dès que tu en vois un germer dans ta cervelle spongieuse, tu peux le défier et passer à l’action. Mais attention, c’est la porte ouverte à tous les coups d’épée dans l’eau. Tu as bien compris qu’en fait, l’idéal consiste à trouver un équilibre entre la porte ouverte et la porte fermée. Pour simplifier les choses, on va appeler cet équilibre le feeling. Le nom de Johnny Mafia ne te plaît pas, alors tu y vas au feeling. Pas de pré-visionnage sur YouTube, pas de rien, tu y vas au bluff. Si c’est mauvais, tu oublieras. Si c’est bon, tu en parleras. Tu regardes une dernière fois leur photo dans le programme et tu pouf, tu descends en ville chercher une place pour le concert. 

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             Alors oui, le concert, parlons-en. Chose qu’on ne fait jamais, saluons rapidement le groupe de première partie, Kitano Grafiti, un quatuor local qui a tout l’avenir devant lui. Propulsé par un beurreman-powerhouse, les Kitano jouent littéralement avec le feu. Ils développent de purs moments de folie et ce petit chanteur/électron libre, un certain Raphaël, pique des crises extraordinaires. Petit gabarit mais stature de rock star. Avec en plus une vraie voix et un beau scorpion tatoué sur la main. Rien que pour lui, on est content d’être là.

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             Et puis voilà les mafieux. Moyenne d’âge ridiculement basse. Le guitariste qui fait sa grimace de pied nickelé sur la photo du programme semble sortir du collège. Il sort ses deux belles guitares des étuis, une Fender Mustang jaune et une Hagstrom rouge. Les autres arrivent et boom badaboom, ils attaquent un set qu’il faut bien qualifier d’explosif. Mais ce n’est pas n’importe quel explosif. Ces quatre petits mecs tapent dans le dur, ils sonnent littéralement comme les Pixies. Comme les Pixies ? Mais c’est impossible ! Et pourtant, ils sont dessus. Le petit guitariste sorti du collège ramène tous les plans de bas de manche de Joey Santiago, il sort vraiment le son et le mec au chant s’arrache la glotte à vouloir faire son gros Black, il n’y parvient pas, bien sûr, mais l’intention est là et c’est tout ce qui compte. Ces quatre petits mecs ont un panache pour le moins extraordinaire. Au fond, le bassman taille des drives monumentaux avec un son bien calé sur la houle. En deux cuts, ils ont mis la salle dans leur poche et ça commence à drôlement s’agiter au pied de la scène. Fantastique ambiance ! Les trois-quarts de leurs cuts pourraient être des reprises des Pixies, tellement c’est bien foutu et bien wild. Ils ont notamment un truc qui s’appelle «Aria» et tu crois entendre «Velouria».

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    C’est tout de même incroyable qu’un groupe français puisse approcher cette perfection sonique qui est celle des Pixies. Oh, c’est vrai, leurs compos n’ont pas l’éclat de celles du gros Black, mais ils ne sont pas loin derrière. Ils sont juste derrière. At the gates of dawn. Ils tapent un cut de leur prochain album et c’est tellement bon qu’à la demande du public, ils le jouent deux fois. On dresse l’oreille car c’est un hit. Dommage que le chanteur n’ait pas le scream. Il se contente du punch, c’est déjà pas mal. Ce mec est brillant. Il ne lâche pas l’affaire. Un vrai mafieux. Tu dois le prendre au sérieux. Il ne rigole pas. Quand ça tombe, ça tombe. Et puis tu vois le petit guitariste faire son cirque, tirer la langue, jeter sa bouteille d’eau, filer des coups de boule à son micro et onduler comme Oum Kalsoum, à sa façon, il est assez spectaculaire, encore de la graine de rock star. Décidément, c’est la soirée des graines !

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             Alors bien sûr, en partant on ramasse les disks au merch. Marchi les gars ! Inspection rapide des pochettes. Bons labels (Dirty Water et Howlin’ Banana), pochettes couci-couça, et bien sûr retour des préjugés. On va écouter ça, mais bon...

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             Mais si ! Si tu commences par écouter le Sentimental paru l’an passé, tu vas tomber de ta chaise ! Tu prends «Split Tongue» en pleine gueule, un cri, t’es prévenu, et c’est la folie Méricourt, avec toutes les clameurs, tatapoumé à la vie à la mort par ce mec qui est déjà torse nu. Puis ils enfilent les hits comme des perles, au heavy sound, tout est travaillé dans l’excès sonique, c’est ultra plausible et même explosivement plausible, arrggghhh quel son !, ces mecs sont la Panzer Division du bouleversement de tous les Sens, leur ville d’origine. Tiens voilà justement l’«Aria», ils rentrent bien dans le lard de l’attaque, avec la force tranquille de François Mitterrand, ça te Velouriate l’estomac, mama, ça va et ça vient au pilon des forges entre tes reins, ça te tombe sur le râble, baby, et aussitôt après, le bassman fou lance «Phone Number» à la bass fuzz, et là ça hurle dans la fournaise pour de vrai, ils vont chercher des noises à la noise pixique, tu crois que tu écoutes le nouvel album des Pixies. Il se pourrait bien que les Pixies se soient déguisés en collégiens de Sens. Il y a plus de son dans le bouleversement de tous les Sens, Horatio, que n’en rêve ta philosophie. Tu n’en reviens pas : son, voix, basse, punch, esprit, tout est là, surtout le pilonnage de basse au-dessus de Dresde. Sens rase Dresde une deuxième fois. La Mafia largue son phosphore. Ils éclairent la nuit. Ils replongent de plus belle dans les clameurs du phosphore avec «Refused». Absolute beginner ! Ils ont réussi à pomper toutes les dynamiques de Pixies, c’est stupéfiant, tu passes ton temps à tomber de ta chaise et à y remonter. Ce n’est pas un album de tout repos. Méfie-toi de la Mafia. «Love Me Love Me» repart à l’attaque, à dada sur une nouvelle bassline infernale. Ils attaquent ça à l’écume des jours de Pixieland, c’est trop, on ne sait plus si on grille dans l’enfer du paradis ou si on se vautre dans l’ouate du paradis des enfers, tout éclate dans le brasillement des braseros, ça déborde de la casserole, la baraque va s’écrouler, c’est inévitable. Tu as ce sentiment de fin du monde permanent, comme au temps où tu écoutais Come On Pilgrim. Tout va se casser la gueule. Ils tapent «Problem» au heavy riff, ce n’est pas le Problem des Pistols, c’est leur Problem, ils jouent ça all over et ça te stupéfie encore un peu plus. Ils ne jouent que des énormités à toute épreuve, tiens comme ce «TV & Disney» fast & heavy, complètement dévastateur, non seulement c’est fast & heavy, mais c’est aussi fast & loud, les mots se prennent les pieds dans le tapis, et pendant ce temps, ils n’en finissent plus de narguer la perfection. «Nail Gun» te monte droit au cerveau, c’est complètement inespéré, ils flirtent en permanence avec le génie sonique des Pixies, tu as l’impression de nager au milieu d’un océan de génie pixique, heureusement, tu as une bouée avec une tête de canard. Ils finissent en beauté avec «Ushuaïa» et «On My Knees», chargés comme des mules de chant, de grattes, de prod, de pix, du jus, de jive et de germes.   

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             Rien ne t’oblige à écouter l’album précédent, Princes de l’Amour. Mais ce serait bête de ne pas le faire, car Jim Diamond le produit. Alors attention, ce n’est pas le même son. Le panache est toujours là, mais la Mafia sonne plus trash-gaga, et ce, dès un «Big Brawl» qui porte bien son nom. Tu as tout de suite le son, ça te chevrote dans la grotte, c’est frotté à l’ail, pas de répit, ça te gratte la couenne et, dépassés par l’ampleur de leur son, les mafieux sont frappés de stupeur. Il n’existe rien d’aussi powerful sur cette terre, à part les Pixies. On en parlait, justement, les voilà avec «Aco», un vrai brash, monté aux gémonies, ça crame dans le haut-fourneau, avec les petits coups d’ah ouuh ouuh bien vicelards, ce sont les appels d’air des Pixies, Aco ! Aco !, eh-ouuh ouuh ! La purée déborde de la casserole. Tout est en place sur cet album, power all over, les pures giclées de dégelées extrêmes se succèdent. Les mafieux attaquent «Crystal Clear» aux heavy chords. Jim Diamond n’en revient pas d’entendre ça ! Il croyait avoir fait le tour à Detroit, mais non ça continue à Sens. Il a devant lui les roitelets de la dégelée. Ils jouent tellement fort que les montagnes s’écroulent. Tout est blindé de bardage sur cet album, le son sature de saturnales, les mafieux sont partout et de tous les instants. Toutes leurs attaques sont bonnes, c’est-à-dire fatales. Tout est saturé d’allant et de répondant. «Feel Time Feel Fine» est plus classique, mais pas de problème, ça s’inscrit dans la traînée de bave argentée des Pixies, mêmes veines gonflées et mêmes virages à la corde. Les paquets de son sont comme les paquets de mer, schlouffff, t’as du mal à retrouver ta respiration. Comme leurs collègues italiens, les mafieux de Sens abusent de la générosité de Jim Diamond. Ils vont même singer le hardcore du gros Black avec «Each Side» et chaque fois, ils s’arrangent pour monter au paradis des voix. «Sun 41» sonne comme un cut de référence, tellement c’est dans l’esprit pixique, ils font du pur Kim Deal au milieu d’une apocalypse de Panzer destruction.  

    Signé : Cazengler, Johnny la fiotte

    Johnny Mafia. Le 106 (Rouen). 18 novembre 2022

    Johnny Mafia. Princes de l’Amour. Dirty Water Records 2018

    Johnny Mafia. Sentimental. Howlin’ Banana Records 2021

     

     

    Inside the goldmine - Shirley lady lay

     

             — Professeur Dox !

             — Oui Colonel Dax, en quoi puis-je vous être utile ?

             — Ne pourriez-vous pas déplacer le clodo qui est dans le lit d’à côté ?

             — Détrompez-vous, Colonel Dax, cet homme n’est pas un clochard. On l’appelle Naoh car c’est tout ce qu’il sait dire. Naoh ! Naoh ! Il vivait apparemment dans une caverne à Rouffignac. Il se déplace en s’appuyant sur une grosse branche, car sa jambe droite a probablement été arrachée, comme la vôtre, Colonel, mais pas par un obus, la cicatrice n’est pas aussi belle que la vôtre. Voua allez faire sensation dans les salons...

             — Mais vous ne sentez pas son odeur, Professeur ? C’est pire que dans la casemate de tranchée, avec les troupiers du 28e qui chiaient partout !

             — Vous ne voulez pas savoir la raison de sa présence ici ?

             — Oh écoutez, j’en ai vu des vertes et des pas mûres au front, alors une histoire de plus ou de moins, que voulez-vous que ça me fasse ?

             — Bon, il faut quand même que je vous raconte cette histoire. Il devait être parti à la chasse et il est tombé sur un fourgon de CRS garé sur une petite route de campagne. Ils devaient faire une pause. Ils fumaient des cigarettes et Noah s’est jeté sur eux, ils les a étripés tous les douze et vous voulez savoir pourquoi ?

             — Oui, à condition que vous me promettiez de le déplacer...

             — Il les a étripés à coups de pieu pour leur prendre leur briquet ! Il le serre d’ailleurs dans son poing, regardez...

             — Mais pourquoi n’est-il pas encore guillotiné ?

             — Parce qu’il n’est pas en possession de toute sa tête, voyez-vous...

             — Et vous croyez que les boches étaient en possession de toute leur tête ? Qu’est-ce que c’est que ces conneries ? Fusillez-moi ça tout de suite ! Gardes ! Formez le peloton ! En joue !

             Le Professeur Dox fait signe à l’infirmière :

             — Shirley, le Colonel Dax s’agite ! Doublez la dose de sédatif ! Hâtez-vous !

             — Quoi ? Qui c’est celle-là encore ? Une négresse en plus ? Et Izabeau, elle n’est plus là ? C’est Izabeau l’infirmière ! Ramenez-moi Izabeau sur le champ, vous entendez Professeur Dox ? Sur le champ ! C’est un ordre !

             — Calmez-vous colonel Dax ! On a dû la renvoyer. Elle s’injectait toute la morphine du service. Elle a fini par devenir lunatique, ce qui ne cadrait plus avec les obligations de sa fonction, voyez-vous...

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             Shirley Ellis est tellement belle qu’elle aurait pu faire l’infirmière dans l’un de ces célèbres hôpitaux qui font la légende de la Grande Guerre. Ah tous ces blessés et toutes ces gueules cassées qu’on montrait au public comme des animaux de foire ! Nous ne pourrons plus nous régaler d’un tel spectacle, car l’ère des Grandes Guerres semble révolue. Par contre, Shirley Ellis vaut toujours le détour.

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    In Action paraît sur Congress en 1964. On y trouve deux shoots de Nitty gritty, «The Nitty Gritty» et «(That’s) What The Nitty Gritty Is», un groove encore un brin mambo. Quelle belle femme ! Elle amène la première d’une petite série de covers à la petite menace : «Bring It On Home To Me». Contre-chœurs déments ! Elle y injecte tout son power, Shirley est une fantastique allumeuse, et un mec croasse derrière en contre-chant. Superbe hommage à Sam Cooke. Elle tape ensuite trois autres covers, «C C Rider», «Kansas City» et «Stagger Lee». Elle prend le Rider au pathos new-yorkais et chante son Stagger au mieux des possibilités. Elle fait une excellente cover de «Kansas City», oh yeah, Kansas City here I come et elle conquiert les cœurs avec «Stardust», pure merveille de wonder why, superbe cabaret shot dopé aux percus. Elle se montre digne d’Audrey Hepburn dans «Moon River». Shirley y va merveilleusement, elle crée de la magie. Avec «Get Out», elle montre qu’elle est bonne à la manœuvre et fond avec le «Such A Night» d’ouverture de balda dans une pop superbe. Elle fait encore des merveilles dans «Don’t Let Go», bien épaulée aux chœurs, elle est parfaite et elle est belle. Fantastique Shirley Ellis !

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             L’année suivante paraît son deuxième album, The Name Game. Bon autant le dire, c’est une petite arnaque car on y retrouve une dizaine de cuts de son premier album. On se console avec le morceau titre, un solide romp de mambo r’n’b. Elle est brillante ! Présence irréelle et puis ce set de percus derrière a tout de la bonne aubaine. Elle boucle ce beau balda avec «The Nitty Gritty» et attaque sa B avec un «Such A Night» qu’elle prend à la voix pleine, avec des accents hispaniques un feu fêlés, une vraie merveille. Bref, on va d’enchantement en enchantement. Plus loin, elle nous ressert ses covers «Stagger Lee» et de «Bring It On Home To Me» sur un plateau d’argent.

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             Tout aussi énorme, voici Sugar Let’s Shing-A-Ling / Soul Time With Shirley Ellis paru en 1967. Pochette à la Dionne la lionne et elle attaque avec le morceau titre, oh oh-ho let’s go. Elle a du monde derrière et on se lève pour danser, car il est impossible de faire autrement. Elle fait du pur jus de Motown avec «Back Track». On croit entendre les Supremes, c’est dire l’excellence de la démarche. Et la voilà qui se met à jazzer avec «It Must Be Love». Alors ça jazze à New York, baby. Elle reste dans le groove de jazz pour «Birds Trees Cupids & Bows», bien secoué des cloches, avec cuivres, percus et chœurs de folles à gogo. La B est la face lente qu’elle attaque avec «How Lonely Is Lonely». Elle se tape des montées en puissance dignes de celles d’Aretha. Elle s’enfonce dans sa face lente avec «Yes I’m Ready», c’est bien senti, elle est soutenue par des chœurs d’hommes et une orchestration spectaculaire. Elle est fantastiquement attachante, elle négocie bien ses virages au timbre fêlé. Elle retrouve ses accents d’Aretha pour «Truly Truly Truly» et finit avec un groove de classe supérieure, l’inestimable «To Be Or Not To Be».

    Signé : Cazengler, Shirley de vache

    Shirley Ellis. In Action. Congress 1964

    Shirley Ellis. The Name Game. Congress 1965

    Shirley Ellis. Sugar, Let’s Shing-A-Ling / Soul Time With Shirley Ellis. Columbia 1967

     

    *

    Nostromo est le nom d’un vaisseau tiré de la saga cinématographique d’Alien. Ce nom est aussi le titre d’un roman de Joseph Conrad, en Italien il signifie maître d’équipage, ou maître d’armes, nous préfèrerions le traduire selon une étymologie empruntée à la cabale du Gai Savoir par  ‘’Notre Homme’’. Cette traduction nous paraît plus proche du pessimisme philosophique véhiculé par le livre de Conrad. Notre homme en le sens de représentant l’espèce humaine. Un homme comme tous les autres qui aspire à la grandeur mais soumis à la loi évènementielle de la Destinée. L’Être Humain ne maîtrise pas les conséquences de ses actes : même ceux inspirés par les sentiments les plus nobles peuvent déboucher sur des résultats contraires aux raisons selon lesquelles il a été accompli.

    Tous les enfants connaissent l’histoire d’Alexandre le Grand qui en un tour de main maîtrise le cheval Bucéphale sur le dos duquel les meilleurs écuyers de Philippe de Macédoine ne parvenaient pas à grimper. Les gamins adorent cette anecdote qui prouve que malgré leur âge ils sont capables de surpasser les adultes. Il est un autre aspect de Bucéphale, celui du cheval de guerre, audacieux et téméraire, qui obéissant à l’injonction de son maître n’hésite pas alors que la phalange macédonienne plie sous la poussée des hoplites Thébains, au mépris de toutes les lois de la stratégie militaire de l’époque, à foncer seul dans les rangs de l’infanterie ennemie et à transformer par cette action d’éclat la défaite annoncée en victoire totale, le même Bucéphale qui forcera à la tête de la cavalerie grecque le passage du Granique. 

    C’est ce cheval d’orgueil, de bronze ou de marbre noir, dressé sur ses postérieurs, les antérieurs levés près à frapper l’adversaire trop audacieux pour s’avancer que représente la magnifique pochette de Bucéphale le dernier album de Nostromo, artworké par Dehn Sora. Nous n’en dirons pas davantage de ce dernier dans cette chronique puisque la suivante lui est consacrée.

    De même nous ne parlerons pas ici de Didier SŽverin même si le disque est dédié à sa mémoire. Une troisième chronique esquissera sa figure dans cette même livraison.

    Est-il nécessaire de prévenir le lecteur, le disque que nous allons écouter ne raconte en rien, ni le roman de Conrad, ni un épisode d’Alien, ni Bucéphale, ni Alexandre Le Grand. Il est des racines à interpréter en tant que principes symboliques et opératoires.

    BUCEPHALE

    NOSTROMO

    ( Hummus Records / Octobre 2022 )

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    Est-ce parce qu’ils sont originaires de Suisse que Nostromo sont des adeptes de l’excellence ? En tout cas ils ont de toujours préféré la qualité à la quantité. En un genre qui permet les dérives les plus folles, le grindcore, pointe extrême du metalcore, ils ont continuellement veillé à contrôler par une technicité instru-mentale hors norme leur cheminement musical. Nous le classerons dans ces groupes dont l’ivresse dionysiaque cède le pas au regard akaotique d’Apollon mais de l’Apollon-Lyncée, le dieu-loup des Hyperboréens. Formé en 1996, le groupe se sépare en 2005 pour se reformer en 2016. 

    Javier Varela :  chant / Jérôme Pellegrini : guitare / Ladislav Agabekov : basse / Maxime Hänsenberger : batterie.

    Ship of fools : submergé dès les premières notes, d’abord se poser pour prendre mesure de l’ampleur du choc, une constatation de comptable s’impose : le morceau n’atteint pas les quatre minutes, alors que vous imaginiez être emporté dans un maelström pour plusieurs heures, comme quoi Nostromo est un groupe à dimension humaine. Il est vrai qu’il est des humanités plus sauvages que d’autres. Maintenant que nous sommes rassurés nous pouvons tenter une deuxième écoute. Une voix vous avertit vous êtes sur la nef des fous, ne croyez pas vous en tirer facilement. Un ouragan survient, étrange comme sa violence est en même temps mélodique, la batterie est entée sur les huit sabots odiniques de Sleipnir lancé dans une course désordonnée, des pales d’hélicoptères se rapprochent, la mer tangue salement, hachoirs mécaniques pour vous maintenir en coupe réglée, les vomissures vocales de Valera sont sans appel, n’accusez que vous-même si le monde court à sa perte. Le naufrage vous attend, vous ne méritez pas mieux. De toute éternité. IED ( Intermittent Explosive Disorder ) : ce n’était qu’un prélude à l’eau de rose, ici débute la lave aux épines acérées, tambours de guerre, exhortations vocales, fricassées soniques, la leçon est claire, ne prends pas conscience de ta fragilité, ce genre de pensée est délétère, ne perds pas ton temps, prépare-toi à la guerre. IED est un shoot d’adrénaline pure, l’on ne te promet pas la victoire puisque de toute ta vie tu n’as connu que la défaite, deviens la colère qui monte en toi, sois la cheminée du volcan qui entre en éruption. Brutalité et cruauté seront les deux mamelles de ta survie.

    In praise of Betrayal : karcher de crachats varéliens, la batterie semble frapper sur un punching ball, je vous rassure ce n’est pas du toc, c’est un vrai être humain, celui qui vous a trahi, vous le trahirez à votre tour, dégelée de coups de poings sur sa face de blaireau, quand ça s’arrête c’est pour reprendre en plus fou, vous avez des grésils de cordes extraordinaires mais ce qui fait le plus mal c’est que ce morceau vous prend des airs lyrico-philosophiques, l’on est au niveau du principe biblique, être puni par où on a péché, pour un œil toute la gueule. Dans la série éloge de la trahison c’est j’irai cracher sur ta tombe et cela me fera du bien. Katavasis :  ( Entente ) : l’on ne s’attendait pas à trouver chez Nostromo le souci exalté de la parité. Mais après la trahison arestique de l’ami, voici la traîtrise érosique de l’amie. Comme des coups de fouets en entrée, ensuite une marche au supplice, prennent leur temps, l’offense est encore plus terrible, la blessure saigne et du sang noir coule dans les idées, l’on ne pense même pas à se venger, on a honte de s’être trompé, d’avoir été manipulé, la personne à qui l’on s’en prend ce n’est pas l’autre mais soi-même qui s’est livré sans défense, le morceau appuie de toutes ses forces où ça fait mal,  lamento pour soi-même, funèbre et impulsif, incroyable mais vrai, le désir de l’autre s’apparente à une automutilation. A sun rising west : galopade infinie, ainsi est la vie, elle va de l’avant et toi tu cherches sur les côtés Javier a beau hurler, Maik tambouriner comme un malade, Jérôme gratter à s’en user les phalanges jusqu’à l’os, Lad vous zébrer de sa basse, de brusques arrêts pour repartir au millimètre phonique près de plus belle, et de plus en plus violemment, la leçon est claire, le soleil qui se lève à l’occident est celui de la mort, il n’y aura pas de séance de rattrapage. Un bulldozer détruit vos rêves qui ne repousseront pas. Per sona : persona en latin signifie masque, celui que l’on est, morceau hyper violent, exhortation à s’arracher ce faux visage que la meute des imbéciles vous cloue sur la face, des coups de boutoir brisent les piliers de ce zombie social que chacun s’acharne à vouloir être, le temple des convenances s’effondre, hâtez-vous de faire partie de ceux qui réussissent à s’extraire de la foule des imbéciles, seuls les forts survivent, onanisme de son propre rapport à soi.  Lachon Hara : ce titre signifie calomnie en hébreu, il n'est certainement pas choisi par hasard, nous avons déjà cité la Bible dans cette chronique, un peu étrange que cet album dont le titre appartient au monde païen donne à plusieurs reprises la parole à un personnage comminatoire qui ordonne, punit et promet les pires châtiments à l’instar du Dieu jaloux et vindicatif de l’Ancien Testament, d’ailleurs une certaine grandiloquence n’est pas exempte de ce titre, le vocal n’est qu’une longue vitupération sans fin qui promet les pires des maux à l’humanité, la musique semble une traduction sonique de la fournaise de feu qui s’abattit en des temps anciens sur Sodome et Gomorrhe, à part que le locuteur colérique n’hésite pas à frapper les autres pour les punir de ses propres erreurs. Le summum phonique de l’injustice ! Realm of mist : mettre les points sur les i. Ne plus se cacher derrière les bons sentiments. Nostromo produit une musique sans pitié, elle est là pour vous écraser, tant pis pour vous si vous appartenez à la race des esclaves et si les maîtres dominent. Ne venez pas vous plaindre, dès le début l’on vous a prévenu, puisque vous n’êtes pas devenu un guerrier, n’espérez aucune pitié. Soumission. Decimatio : une coutume (peu usitée) des légions romaines qui consistait à tuer un soldat sur dix pour raffermir le moral défaillant des troupes : la suite explicative du précédent, totalement éructif, l’on ne peut faire confiance aux faibles, ils veulent vous aider, le plus simple est de les détruire. Engeance philanthropique détestable ! La batterie claque comme des tirs de pelotons d’exécution. Fusillades continues. La fin justifie les moyens. Asato ma : un vent tempétueux se lève, la dernière scène du film en techninigracolor que nous venons d’entendre et de visionner, Nostromo prend son temps, et surprise l’on entend une prière adressée à l’on ne sait qui. Est-ce un ilote qui quémande une place de choix aux maîtres du dernier degré de la pyramide humaine, ou un des maîtres inflexibles qui monnayant son orgueil s’adresse à une entité éminemment supérieure, une guitare se lance dans un solo de flamme vacillante qui épouse tous les caprices du vent qui la déchire, nous ne le saurons jamais, chacun l’interprètera selon ses desiderata, dans les deux cas un super pied de nez, toute faiblesse et toute force sont prêtes à s’abaisser devant force plus forte qu’elles, réelle ou supposée… dans l’espoir inaccessible de grimper un palier de plus. Le scorpion humain, en admettant ses limitations retourne son dard d’orgueil ou d’humiliation contre lui-même. A moins que l’individu ne s’adresse à lui-même en exigeant de se surpasser toujours plus, jusques à atteindre l’immortalité.

    Nostromo, groupe de metal extrême qui vous pousse à vos dernières extrémités philosophiques. Bref à réfléchir.

    Damie Chad.

     

     

    DEHN SORA

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    Dire que Dehn Sora est un illustrateur serait mal venu. D’abord parce qu’il est de ces artistes – le terme d’artifex au sens néronien de ce mot semblerait mieux approprié - qui touchent aussi bien à la musique qu’aux arts graphiques mais surtout parce que ses illustrations ne mettent pas en lumière l’objet dessiné ou le sentiment évoqué, elles les mettraient plutôt en l’ombre de leur propre noirceur. Il suffit de taper Den Sora Art sur le Net pour être servi. Nous ne nous attarderons pas ici sur cet aspect de s’ouvrir au monde par le dessin. Nous dirons simplement que Dehn Sora ne ne s’acharne  pas sur la reproduction d’une forme. Dessine comme l’homme du néolithique qui peignait au fond des cavernes obscures en ses recoins les plus difficiles d’accès. Pour quelles raisons nos ancêtres se donnaient-ils tant de mal, nous l’ignorons. Dehn Sora s’acharne à manifester le côté obscur des formes platoniciennes, il ne cherche pas à remonter à leur brillance originelle hors d’atteinte, il s’efforce au contraire de percer la signifiance de ce spectacle non-luminescent, il ne cherche pas à dévoiler son dévoilement mais à atteindre l’essence de son absence, il est le peintre du négatif, il peint ce que la chose n’est pas, il tente de traduire ce qu’elle peut signifier si nous l’élisons en signe totémique de notre humanité. Ce qui explique la prolifération animale de ses artworks. Souvent ramenée à la fossilisation de ses os. Peut-être dans le but de réduire le tabou de la représentation de la chose, car si les racines des mots sont aléatoires, le tracé d’une courbe est déjà un crime iconographique à l’encontre du monde dont on dématérialise la présence.

    Graphisme, vidéo, son, Dehn Sora ne se refuse rien. Il agit là où il pense être capable d’expérimenter quelque chose de lui-même. Il a travaillé en interaction avec beaucoup de groupes (pochettes, vidéos, concerts), nous reviendrons une autre fois sur quelques-unes de ses collaborations, de ses co-artworkings, intéressons-nous à un de ses projets plus personnels. Plus une main à mordre est la deuxième réalisation de Throane. Titre néologique qui joue sur les mots Through et Throat. La gorge en tant qu’émission émotionnelle des replis intérieurs du corps et la nécessité par le fait même de cette émission vocale de passer au-dehors de soi, les vomissures phoniques intimes n’étant que la meilleure manière de communiquer avec les autres, de se mettre à nu pour peut-être établir un dialogue dont il ne nous est offert que la participation monologique d’un seul. Avec cette idée sous-jacente que si l’auditeur lambda peut stupidement imaginer que sa réception forme la deuxième voix qui manque, il se trompe, il n’est que l’un des témoins d’une réalité dont il ne perçoit qu’une moitié, l’autre totalement psychique, qu’il ne perçoit pas, est contenue dans le produit fini qu’il écoute et appartient totalement à son engendreur, Valéry emploierait le terme de gladiator pour nommer cette notion d’agir. Il y a chez Dehn Sora un côté christique, mais un Christ qui se soumet à son propre supplice intérieur non pas dans le geste altruiste de sauver l’humanité par son sacrifice, mais simplement pour se survivre à lui-même.

    PLUS UNE MAIN A MORDRE

    THROANE

    ( Debemur Morti Productions / 2017)

    Grégoire Quartier est aux drums et Dehn Sora à l’ensemble phonique.

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    La pochette est celle de l’homme qui se prend la tête. Portrait de l’artiste en   chien domestique qui aboie à la lune extérieure ou à la nuit intérieure. On ne sait pas. Lui non plus. En tout cas ses auto-figurations ne nous intéressent pas. Ce ne sont que flèches enflammées qui augmentent l’obscurité. Lui-même ne doit pas en être dupe. 

    Aux tirs et aux traits : ailleurs, un tourbillon, un vortex, un emporte-tout, une pharamineuse merde pharaonique d’une beauté incendiaire, tout l’excédent excrémentiel de notre monde post-industriel non pas un final grandiose de fin du monde, mais en une suite cyclique sans cesse renouvelée, vous aimeriez vous y opposer, impossible vous êtes comme Sébastien qui flèche après flèche, tirs après traits, subit les degrés de la fulgurante montée plotinienne de l’extase, ce bourdon noir qui résonne comme l’annonce d’une catastrophe imminente dont l’attente est son perpétuel déroulement - mes chiens endormis s’inquiètent dans leurs sommeil même si j’écoute au casque – des vagues qui s’évaporent dans un silence qui ne parvient pas à s’installer, tout comme l’on aperçoit dans les eaux noires du désespoir l’ombre d’une glauque nageoire du kraken retournant à ses abysses, et ce son profond, cris de gorge de quelqu’un qui se noie en lui-même. Et ceux en lesquels ils croyaient : au plus profond du nihilisme, les valeurs humaines, celles qui ont remplacé les vieilles catégories aristotéliciennes, s’écroulent,  sans doute y a-t-il une sombre beauté en ces destructions intimes, la vague monte et engloutit tout, surface paisible des eaux sur laquelle on essaie de surnager avant que la tempête ne se déchaîne est-il utile de crier au secours, de regretter ses errements passés, alors que tout sombre irrémédiablement attiré vers le fond sans fond. Que reste-t-il des Atlantides englouties ? A trop réclamer les vers : jouons sur la polysémie des mots et des sons, tant de beauté pour tenter de nous sauver par les vers pompeux de la poésie pompéienne, ou sommes-nous voués aux vers du tombeau ouvert sur notre déréliction, l’homme poisson crie, il manque d’air mais nous sommes tout ouïe à l’écouter, du moins à l’entendre nous bercer en des tornades tempétueuses, tels les alcyons qui couvent les œufs de leur incompétence vitale mais obstinée. Tant de splendeur phonique pour nos chétives existences ! Et tout finira par chuter : l’inéluctable, toute maison d’Usher se doit de chuter à la fin de son propre temps, à cette différence près que si le temps parvient aux limites extrêmes de sa temporalité que se passe-t-il, quel est ce vacarme, est-ce celui de l’espace qui se recroqueville sur lui-même, un papier que l’on froisse, un mouchoir que l’on engloutit au fond de la poche du néant, des stridences parcourent ce rapetissement dimensionnel de l’univers, musique des sphères célestes entrechoquées les unes contre les autres, abominable vacarme délicieux, le monde se rétrécit, il n’exhale plus qu’une plainte profonde, une sirène d’alarme vite aspirée par le ronronnement des milliers de bombardiers atomiques qui s’approchent et s’éloignent, qui tournent en rond comme les oiseaux du malheur prophétique, qui arrive trop tard après sa réalisation, grognements de satisfaction insatisfaite d’avoir connu la fin du conte noir avant même que l’on ait ouvert le livre. Mille autres : ressac, une voix, l’écume vole au vent du désir, si je suis un, nous sommes mille autres, mille chemins ouverts, mille possibilité d’une survie superfétatoire, roulement de tambour et musique sérielle de Bach qui tombe des voûtes détruites des édifices détruits, la vie comme la mort emporte tout, elles sont sœurs jumelles, elles se lamentent, elles ricanent de leur exultation, elles se congratulent, laquelle a engendrée l’autre, où est la troisième, celle dont l’absence ne coupera pas le fil. Ni le film que l’on se plaît à repasser. Plus une main à mordre : l’arakné funèbre tisse les moires des voiles du linceul, quelle est cette solitude au milieu de millions d’autres, que cela signifie-t-il, que nous aurons perdu la faim du désir et que nous le regretterons amèrement car il y a plus amer que l’amertume, celle de vivre sans désir, celle de ne plus pouvoir se battre contre et avec l’autre en une violente parade nuptiale. Des sons venus d’ailleurs s’éloignent dans la nuit, nous emportent-ils ou émanent-ils de nous, sommes nous puits tari ou source renaissante, une voix, des cris de haine agoniques, est-il important de savoir, ne serait-il pas plus sage de vivre nos folies qu’elles soient dans nos présences ou dans nos absences, le son submerge tout, la vie comme la mort, le néant comme la chose immonde que nous sommes, le film ne se terminera donc jamais, sommes-nous sempiternellement remis en scène, sommes-nous obligés d’être, est-il impossible d’échapper à cette dualité qu’être ou ne pas être c’est toujours du mal-être. Comme des chants, autant de shoots d’adrénaline pour nous aider à nous supporter. Epoustouflant.

    Damie Chad.

     

     

    DIDIER SEVERIN

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             Didier Séverin est décédé ce 24 mars 2022, à l’âge de cinquante et un ans. Il fut le chanteur de Knut, groupe frère de Nostromo, souvent réunis sur les mêmes scènes des mêmes concerts. En 2010, le chanteur choisit de s’immiscer dans le silence. Il ne quitte pas la musique pour autant. Il change d’univers mental. Il ne prend plus de notes, il produit des sons. Il devient un magicien de l’électronique. C’est un retour vers l’infini, une seule note contient toute la musique. Il suffit de lui laisser dire ce qu’elle contient, l’écouter pour comprendre ce qu’elle veut nous dire, ou peut-être mieux, afin de nous dégager de toute compréhension anthropomorphique et entendre ce que nous voulons qu’elle nous dise. Une démarche similaire à celle de John Cage, né et mort au siècle dernier. Dont on sous-estime encore le legs musical et pictural, quelque peu occulté par la naïveté de la révolte dadaïste et les faux-semblants du surréalisme.

             C’est une démarche qui n’est pas nouvelle, elle remonte aux sources mêmes de la musique universelle, elle consistait à laisser bourdonner sans fin un son primal, sur lequel les musiciens tentaient quelques subtiles variations. Au vingtième siècle le jazz s’est surtout voué à explorer les subtiles variations d’un thème donné dans ce que l’on a appelé l’improvisation. Grâce aux progrès de la technologie, nous sommes à même de maintenir longuement n’importe quel son, ou de le répéter en de très longues séquences… Il est évident que le retour du Même n’est plus le Même. Drone est le mot anglais qui traduit notre bourdon, non pas celui qui vole, l’on appelle drone music les œuvres produites par les artistes qui s’adonnent à cette redécouverte et au déploiement de ces vieilles techniques ancestrales.             

    Certains rejettent cette musique jugeant le procédé trop simpliste. Outre le fait que ce qui est le plus simple est aussi le plus complexe, une phrase assez courte prélevée sur le bandcamp de StroM|MortS , le groupe de Didier Séverin, nous aide à mesurer la portée métaphysique ( nous appelons métaphysique le rapport de notre intérieur à l’extérieur du monde ) de cette pratique musicale qui induit l’unité du concept de ce que nous appelons l’art total  : ‘’ Le projet strom|morts se concentre sur différents aspects de l'art tels que le cinéma, la littérature, la bande dessinée, la peinture, les performances artistiques et les collaborations’’   StroM|MortS est un palindrome, il se lit dans les deux sens, tel un serpent qui se mort la queue. Il est inutile d’expliciter le mot mort,  strom évoque aussi bien la force ( strong ) que l’orage ( Storm). Ecoutons en hommage à Didier Séverin un morceau de StroM|MortS.

    BINAURAL PRESSURE DATA

    StroM|MortS

    (Parution : 07 / 10 /2022 - Bandcamp)

    Olivier Hähnel : synthétiseurs analogiques et modulaires / Mathieu Jallut : synthétiseur digital / Didier Séverin : Synthétiseur modulaire. 

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    Artwork : Helger Reuman. Blanc et noir. Bec innocent de petit oiseau, ou étroit passage dans les montagnes noires. A moins que ce ne soit une pipette aseptisée dans un laboratoire. Peut-être une incertaine idée du désir. Si vous regardez le tumblr d’Helger Reuman, cette couve est un peu à part dans sa production habituelle. L’a vraiment écouté le morceau pour essayer d’en donner un aperçu graphique. Son propre style est davantage marqué par la BD et empreint d’une certaine naïveté.

    Ces données de pression binaurale - entendez pour les deux oreilles – risquent de laisser l’auditeur perplexe. Imaginez que vous cassez des œufs – c’est ainsi que l’on fait les révolutions – toutefois vous n’entendez que le bruit du maillet auquel s’ajoute un bourdonnement qui glougloute par intermittences plus une fréquence interstellaire qui vient se joindre à ce jeu de massacre innocent comme si l’ensemble du cosmos était intéressé, étrangement cela ressemble à des grognements d’ours heureux de dénicher du miel dans un trou d’arbre. Le martellement du maillet est maintenant subjugué par des entrailles de bruits venus d’ailleurs, des sortes de vrombissement mélodiques qui bientôt relèguent le fastidieux et imperturbable maillet dans les oubliettes du temps, l’est remplacé par un bourdonnement insistant traversé de trompettes virtuelles qui s’apothéosent en tremblements dubitatifs, une fréquence qui insiste pour monopoliser nos deux esgourdes, ce n’est pas désagréable mais ce n’est pas non plus surprenant, une excellente bande-son pour un film de science-fiction avec un essaim d’abeille qui vole droit devant lui pour parcourir des espaces infinis, le son unique d’une escadrille d’avions s’amplifie, si présents que même quand ils s’éloignent vous les entendez encore, puis se met à ressembler à un galop de cheval sur des roches schisteuses, ou une nuée d’orage qui défile haut-perchée dans un ciel inaugural d’on ne sait trop quoi, le son s’affaiblit, ce n’est pas le silence mais un tems d’accalmie et de sérénité, zénitude qui se diffuse, occupant votre attention, et tombe sur vous tel un manteau de neige oxydée par les réverbérations martiennes, espèces de plaintes cuivrées et wagnériennes qui brutalement s’amplifient avant de décroître, prélude et mort d’Iseult, trainées soniques en dissolution, fin de l’opéra-space, belle musique post romantique, l’horloge du temps sonne et tinte en guise d’adieu définitif. Quelque chose de grave s’est passé, mais quoi ? Coup de gong final. Descendez du ring.

    Une chose est sûre : vous n’êtes pas mort. Ou alors vous commencez à vous y habituer.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    EPISODE 8 ( A PERDRE SES TIFS ) :

    39

              Avant de tourner le coin de la rue, Molossa grogna. La journée commençait bien ! Je tâtais négligemment le bas de mon veston. Le Rafalos 21 était bien à sa place glissé à même la peau retenu par la ceinture de mon jeans. Je m’avançais l’air dégagé, style gars désabusé qui repart au boulot. Z’étaient carrément deux, assis sur chacune des deux ailes de ma voiture.

    • Messieurs les demi-sel, je vous préviens, je déteste que certains puissent penser qu’ils pourraient nettoyer mon engin avec leurs fessiers que je subodore puants.
    • Veuillez nous excuser Monsieur, nous sommes un peu fatigués, la nuit a été épuisante. Nous nous permettons de nous présenter, Olivier Lamart et mon collègue Martin Sureau, c’est une vieille mémé – de sacrés fouineurs avait dit le Chef - qui nourrit les chats de la Famille Grandjean disparue tragiquement dans un accident qui nous a donné le numéro de votre voiture…
    • Et vous avez retrouvé la voiture par hasard en plein Paris !
    • En tant que journalistes la préfecture de police nous octroie l’accès au fichier général des plaques d’immatriculation.
    • Donc vous savez que c’est une voiture volée éloignée de son domicile et vous y êtes tombé dessus, quel hasard incroyable !
    • Si vous le permettez nous allons jouer franc-jeu avec vous Monsieur Damie Chad, agent du SSR, nous aimerions vous poser une question vous avez sans aucun doute lu notre article dans le Parisien Libéré…
    • Désolé messieurs, je ne lis exclusivement qu’Aristote et tout ce qui paraît dans les revues scientifiques de nature sur la reproduction des hannetons au Guatemala, je ne vous serai d’aucun secours, sur ce au revoir et au plaisir de ne plus vous rencontrer !

    Ils n’essayèrent pas de me retenir, je m’installai au volant, les chiens s’assirent à ma droite, Molossito en avait profité pour lever en passant la patte sur le bas du pantalon de Lamart qui ne donna pas l’impression d’apprécier ce simple amusement canin. Je démarrai en trombe.

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              Je me garai très rapidement dans une rue parallèle à celle que je venais de quitter. Trois minutes plus tard je repartais en la voiture lambda de monsieur tout le monde – un de ces jours je vous expliquerai comment un agent secret peut subtiliser pratiquement n’importe quel type de véhicule fermé à clef le long d’un trottoir, je sens que nos lecteurs sont intéressés, un jeu d’enfant – deux bifurcations à angles droit après je me retrouvai derrière la voiture des deux ostrogoths facilement repérable avec la manchette Le Parisien Libéré peinte sur sa carrosserie. Je pensais qu’ils se rendraient Boulevard de Grenelle au siège du journal, mais ils filèrent vers le huitième arrondissement, je l’aurais parié quand je passai devant Le Palais de L’Elysée, j’aperçus le portail d’entrée qui se refermait sur le cul de leur voiture. Nous étions fixés. Aucun besoin de continuer. Il n’était pas encore midi. Je pouvais me consacrer à la mission ultra-secrète que m’avait confiée le Chef.

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    Je suivis les indications du Chef. Le principe est d’une extrême simplicité, quand on cherche quelque chose dont on ignore la localisation, il suffit de retourner régulièrement à l’endroit où on l’a vue la dernière fois. J’ai tourné et retourné au moins vingt fois, sans aucun résultat tangible. Le Chef ne pouvait pas se tromper. Où était l’erreur ? J’arrêtais la voiture sur le bord de la route et pris le temps de réfléchir. Elle ne pouvait venir que de moi. Une mauvaise interprétation. J’avais pensé que l’endroit était l’endroit exact où la chose s’était manifestée à moi. Or tout endroit possède son envers qui est situé à l’endroit même de l’endroit tout en n’étant pas l’endroit même puisque l’envers est à l’envers. J’avais compris. Je confondais l’anecdote de la rencontre de la chose avec le lieu de l’anecdote. Plus exactement je croyais que le lieu de l’anecdote et l’anecdote n’étai(en)t qu’une seule entité. Je démarrai la voiture, j’étais désormais sûr de mon affaire.

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    Les lecteurs qui n’ont pas compris peuvent avoir honte. Molossa et Mossito poussèrent un gémissement et me regardèrent avec gravité. Sans que je prononçasse une parole, ils avaient compris, eux.

              _ Ecoutez-moi bien les cabotos, au prochain arrêt j’entrouvrirai ma portière, vous descendrez et passerez sous la voiture, vous rentrerez dans le buisson qui sera collé à la voiture. Je partirai tout de suite. Vous resterez cachés sans bouger. Je vous interdis de vous séparer. Molossa toi-seule tu décideras de changer de place si tu le juges nécessaire. Molossito, tu ne fais pas l’idiot, tu suis Molossa et tu l’imites. Voilà c’est tout.

    Ils me léchèrent la main, je pouvais compter sur eux.

    43

    L’opération se déroula sans anicroche. Je refermai la portière et examinai les lieux. C’était bien là où je m’étais arrêté pour prendre mon auto-stoppeuse. Il est facile de décrire le paysage briard. Des champs qui s’étendent sur des kilomètres. Le remembrement des années soixante avait eu raison des haies qui cernaient les champs et les près, d’une surface bien plus modeste, des temps anciens. Ces vastes étendues agricoles sont essaimées de marnières. C’est ainsi que l’on surnomme les bois strictement délimités que l’on a laissés pour les bêtes sauvages et les loisirs des chasseurs. Justement l’un d’entre eux situé à une centaine de mètres de la voiture jouxtait la nationale, sur une longueur d’un demi-kilomètre. Je l’ai longé des centaines de fois en rentrant à Provins sans y accorder une grande attention. Si ce n’est de temps en temps cette réflexion qu’il était mal entretenu. Je m’en approchai. C’est alors qu’à l’écart de la route j’avisai un grand panneau de fer entièrement rouillé. A tel point que sa couleur se confondait avec le tronc des arbres. De très près je parvins à déchiffrer le pourtour de grosses lettres : Hôtel Beauséjour. Aucune habitation en vue. S’il restait quelques ruines, elles ne pouvaient être qu’au milieu des arbres.

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    Végétation dense et foutue. Je ne pouvais m’empêcher de penser à notre expédition dans la forêt de Laigue. N’avait-elle pas débuté par une station dans une auberge à la lisière de la forêt… J’avançais lentement, essayant vainement de ne pas me fourvoyer dans de vastes ronciers. Aucun oiseau, aucune trace de bête, un silence lugubre, ambiance angoissante. Personne n’avait foulé les herbes hautes depuis des années. Les sentiers étaient presque effacés… Je m’attendais à quelques monticules de pierres et à des tas de gravats recouverts d’orties géantes. Je fus surpris lorsque j’entrevis la bâtisse. Loin d’être intacte, mais encore debout. Toits détuilés, fenêtres aux vitres cassées, rien à voir avec le manoir de la pochette du premier disque de Black Sabbath. Il s’agissait d’un hôtel, un immeuble à visée commerciale. En un état déplorable certes, mais dépourvu de toute aura mystérieuse. 

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    J’étais maintenant au milieu de ce qui avait dû être une cour pavée. Recouverte d’un épais tapis de mousse qui assourdissait le bruit de mes pas. Je m’arrêtais pour visualiser la structure de l’ensemble. Une aile droite et une aile gauche. Aux vastes vantaux l’on devinait des écuries ou des garages, des espaces de stockage pour les denrées alimentaires, peut-être aussi des logements pour le personnel. Le bâtiment principal avait encore de la gueule et un aspect presque seigneurial avec son double escalier qui menait à une haute porte de bois. A moitié entrouverte.  J’eusse préféré qu’elle fût totalement fermée ou au contraire, toute pourrie, effondrée sur place… Close, barricadée c’était me refuser l’entrée. Démantibulée, elle n’avait rien à cacher, mais à demi-ouverte c’était en même temps une invitation et une menace…

    Je sortis mon Rafalos 21 et entrepris de monter les marches de pierre une à une, furtivement, m’arrêtant de temps à autre, le silence était impressionnant, je me souvins qu’un agent du SSR n’a jamais peur, alors je me glissai bravement dans l’embrasure. Je me retrouvai dans un vestibule de grande dimension, au fond une porte ouverte donnait sur un couloir, je m’avançais, qu’allais-je découvrir, c’est alors que…

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 450 : KR'TNT ! 450 : GENE VINCENT / SLEEPY LABEEF / LEE FIELDS / CARIBOU BÂTARD / DYE CRAP / JOHNNY MAFIA / NOT SCIENTISTS / A CONTRA BLUES / POP MUSIQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    LIVRAISON 450

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    06 / 02 / 2020

     

    GENE VINCENT / SLEEPY LABEEF / LEE FIELDS

    CARIBOU BÂTARD / DYE CRAP / JOHNNY MAFIA

    NOT SCIENTISTS / A CONTRA BLUES  

    POP MUSIQUES

     

    Il Gene en hiver

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    Vous avez déjà entendu parler de Luke Haines, plus connu sous le nom de Luke la Main Froide. Il fit jadis la une de l’actualité avec une tripotée d’albums dont ceux des Auteurs et deux romans que tout fan de rock anglais doit se faire un devoir de lire, Bad Vibes/Britpop And My Part In Its Downfall et Post Everything/Outsider Rock And Roll.

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    Mais nous sommes là aujourd’hui pour une autre raison : ses chroniques dans Record Collector qui, chaque mois, lui accorde généreusement une page. Oh, ce n’est pas grand chose, mais c’est souvent très intéressant. On lui doit de brillantes chroniques consacrées aux Pink Fairies, à Robert Calvert, ou encore à Steve Peregrin Took. Ce mois-ci, il consacre sa chronique à Gene Vincent et plus précisément à un petit film documentaire réalisé en 1970 qu’on peut aller voir sur YouTube, The Rock And Roll Singer. Quatre jours de tournage. Gene était alors de retour en Angleterre pour la promo de son album I’m Back And I’m Proud. Il avait 34 ans. Attention, ce film sans prétention est extrêmement émouvant. On y voit une ancienne star du rock nommée Gene Vincent qui tente de faire son retour.

    Luke la Main Froide n’y va pas de main morte : «Si vous êtes une rock star et qu’une équipe de télé vous a suivi pendant quelques jours, ça veut dire que votre carrière a été balancée au vide-ordures. Soit on va vous sortir du trash, soit vous êtes carrément le trash. Le docu rock n’est pas fait pour sauver une carrière.» Il fait ensuite la distinction entre deux genres de docus rock : ceux consacrés aux gens qui vont bien et qui n’intéressent personne, et ceux consacrés à ceux qui vont mal et qui vont mourir, et là bingo, coco !

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    Quand il débarque à l’aéroport, Gene est content : des Teds viennent l’accueillir et lui demander des autographes. Mais on sent tout de suite qu’il y a un problème, déjà en 1969 : Gene est passé de mode. Luke Haines : «Eugene Craddock was too much for rock». Ça, tous les fans de Gene Vincent le savent. Mais Haines va encore plus loin quand il suggère que le rock aurait pu s’arrêter à «Be-Bop-A-Lula». Car c’est après Be-Bop que commence son déclin. Haines rappelle brièvement l’accident de Chippeham où Eddie Cochran perdit la vie : «By now, Gene Vincent was a dead man barely walking and an almost living legend». C’est ce mec-là, un mort vivant et en même temps une légende vivante qu’on voit débarquer à Heathrow et aller répéter avec les Wild Angels dans une cave de Croydon.

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    Lucky Luke rappelle que Gene est complètement fauché quand il décide de repartir en tournée en Angleterre. Il doit du blé aux impôts. Il est accro aux anti-douleurs et siffle trois bouteilles de Martini par jour. Selon Luke la Main Froide, The Rock And Roll Singer is the greatest rock documentary ever made. Oui, le plus grand docu rock jamais réalisé, simplement parce que, dit-il, on y voit the greatest rock singer who ever lived, et que c’est du cinéma vérité, filmé dans l’instant. Gene, nous rappelle Haines, ne vivait que dans l’instant.

    On le voit boiter et s’arrêter pour répondre à des questions :

    — Pourquoi ce retour en Angleterre ?

    — I’ve got a new album out.

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    Il est affable et il est rincé. Haines le décrit comme «un Ratso Rizzo qui a grossi, une icône brisée qui boitille dans les couloirs et qui disparaît, avalé par les portes de l’oubli, en trimballant un pauvre étui à guitare». On retrouve Gene plus loin dans l’un des pires endroits d’Angleterre, nous dit Haines, le Dukes B&B. Une fois de plus, Gene se fait enculer par le promoteur, mais ce n’est pas si grave, vu qu’il s’est fait enculer toute sa vie : par des promoteurs, par son ex-femme et par sa rotten luck, c’est-à-dire la poisse. Il réclame son blé, mais le mec lui dit que le blé est dans un bureau fermé jusqu’à lundi. Gene est le roi des poissards, c’est l’une des raisons pour lesquelles on s’attache à lui depuis plus de cinquante ans - Our rock’n’roll hero is somewhat melancholic - Disant cela, Haines semble se marrer, mais pas tant que ça. Il aurait plutôt envie de chialer. La poisse continue : comme il arrive en retard au studio de télé, l’émission est annulée. Alors Gene prévient qu’il va aller se soûler la gueule, puisque ces cons ont annulé le show télé. Le film s’enfonce dans une insondable tristesse.

    Un journaliste lui demande :

    — What are your loves and hates ?

    — My loves are my wife and my dog, and my hates are the French groups. ‘Cause they never turn up.

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    Oui, il se plaint des groupes français qu’on attend pour des prunes avant les concerts. Ces branleurs ne viennent même pas. La caméra le filme assis à l’avant d’une bagnole qui roule dans Londres. Fantastiques images. Gene explique au chauffeur que la CIA a pris le pouvoir aux États-Unis. Le lendemain, l’émission est re-programmée. No alcohol, lui dit un responsable de Thames TV. Dans la loge, une dame lui lave les cheveux et les sèche au casque. Gene monte enfin sur scène avec les Wild Angels. Un mec annonce :

    — Tonite with the Wild Angels he gives you Be-Bop-A-Lula !

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    Alors on voit Gene penché sur son micro, la patte folle en arrière, all dressed in black. Les gens dansent dans le studio, ça fait partie du show, comme le veut la coutume de l’époque. Gene prend sa petite voix d’hermine frelatée et susurre my baby doll/ My baby doll. Il porte un gilet de cuir noir et médaillon pendouille au bout d’une grosse chaîne passée autour de son cou. À la fin, il est content. Un vrai gamin.

    Retour en loge et aux sempiternels problèmes de fric. Gene réclame son blé. Que dalle.

    — Tell’ em I want my money caus’ ther’s gonna be trouble.

    Il est gentil, il prévient que si on ne lui file pas son blé, ça va mal très tourner. Il va quand même jouer sur l’île de Wight. On le voit poireauter sur le ferry et poireauter encore. Il se plaint du poireau :

    — This is the hard part. Waiting to rehearse, waiting to get on.

    Sur scène, Gene dégringole son vieux «Say Mama». Puis «My Baby Left Me».

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    En fin de chronique, Haines nous rassure. Le film pourrait être très pénible, mais il ne l’est pas tant que ça, à cause dit-il du charisme de Gene Vincent (other-wordly magnetic charisma). C’est avec les extraits du set de l’île de Wight que tout finit par se remettre en place, avec un Gene singing like an angel from heaven. Après Be-Bop, les gens en veulent encore. One more ! One more ! Alors il revient EXPLOSER «Long Tall Sally». Le mot de la fin revient à cet aimable franc-tireur qu’est Luke la Main Froide :

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    — Commencez par visionner The Rock And Roll Singer puis écoutez sa version d’«Over The Rainbow». Et quand vous aurez séché les larmes de vos yeux, vous maudirez Dieu d’avoir autant maltraité le plus authentique de tous les chanteurs de rock’n’roll.»

    Signé : Cazengler, Gene vin rouge

    Gene Vincent. The Rock and Roll Singer. 1969

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    Luke Haines. Sweet Gene Vincent. Record Collector # 501 - January 2020

     

    Hang on Sleepy

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    Peter Guralnick rencontra Sleepy LaBeef pour la première fois en 1977. Sleepy se produisait chez Alan’s Fifth Wheel Lounge, l’équivalent d’un resto routier situé à une heure de route au Nord de Boston. Ce truckstop est le genre d’endroit que les Américains appellent un honky tonk. Michael Bane : «Vous pouvez appeler ce genre d’endroit honky tonk si vous voulez. Mais dans ce genre de bar éclairé aux néons qui vend de la bière pas chère, les habitués du samedi soir se sentent chez eux. Le honky tonk est aussi américain que peut l’être la tarte aux pommes. Il est aussi profondément ancré dans notre inconscient collectif que peut l’être la pute au cœur d’or. C’est un repaire prisé par la classe ouvrière qui pourrait se situer quelque part entre le passé et l’avenir, une zone tampon entre le trash alcoolique et le désespoir. Lumières tamisées et hard country music : un bon honky tonk, c’est tout ça et même beaucoup plus encore. C’est un endroit magique où toutes les règles sont temporairement suspendues. C’est vrai, vous pouvez danser dans un honky tonk, mais c’est beaucoup plus qu’une salle de bal, vous pouvez écouter de la musique, mais c’est beaucoup plus qu’une salle de concert, vous pouvez boire au point de sombrer dans un coma éthylique, mais c’est beaucoup plus qu’un bar où on va se soûler la gueule. Un bon honky tonk, c’est l’American dream limité à de la bière, des gonzesses et de la loud music.»

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    Si Guralnick cite Bane, c’est pour bien situer les choses : Sleepy LaBeef se produisait à longueur d’année dans des honky tonks un peu partout aux États-Unis : au Texas, puis autour d’Atlanta, près de Boston, ou alors au Kansas ou dans le Michigan. Il vivait de ses concerts. S’il a fini par s’installer dans le Massachusetts, c’est simplement parce que son bus de tournée avait pris feu sur la route et qu’il avait perdu tout ce qu’il possédait : fringues, disques, souvenirs, tout. Alors il s’est installé dans le motel derrière l’Alan’s Fifth Wheel Lounge et devint pour trois mois le house-band du truckstop. Depuis lors, il est resté basé dans la région.

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    Sleepy connaissait 6 000 chansons, il lui suffisait d’en entendre une dans un jukebox et si elle lui plaisait, il la retenait dès la deuxième écoute. Aux yeux de Guralnick, Sleepy LaBeef est un artiste considérable : «En une soirée, Sleepy LaBeef pouvait donner un cours d’histoire du rock’n’roll, en allant de Jimmie Rodgers à Jimmy Reed, en passant par Woodie Guthrie, Chuck Berry, Joe Tex et Willie Nelson. Ce multi-instrumentiste pouvait jouer de la guitare avec la niaque d’Albert King. En plus de sa connaissance encyclopédique de la musique, Sleepy avait du flair, de l’originalité et de la conviction.» Sleepy cultivait une autre particularité : il ne jouait jamais deux fois le même set.

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    Guralnick insiste beaucoup sur le côté «force de la nature» de Sleepy qui ne mesurait pas moins de deux mètres pour 120 kilos et qui fut the only rockabilly baritone, car oui, c’est ce qui frappe le plus à l’écoute de ses disques : la puissante gravité de sa voix. Guralnick va même jusqu’à comparer Sleepy à Wolf, tant par la présence que par la stature musicale. Mais tout ceci n’était rien comparé aux moments où, nous dit Guralnick, Sleepy prenait feu sur scène, tapant dans «Worried Man Blues» ou «You Can Have Her» avec une rare violence. Il entrait paraît-il en transe.

    En référence, Sleepy cite principalement Sister Rosetta Tharpe, qui fut aussi la muse de Cash et de Carl Perkins. Il cite aussi les noms de Lefty Frizzell, de Big Joe Turner et de Floyd Tillman. Mais il y en a d’autres. Quand on lui pose la question des autres, il demande de combien de temps il dispose, car la liste est longue. Et quand il entendit Elvis chanter «Blue Moon Of Kentucky» à la radio, il éprouva un choc, car il savait exactement d’où venait Elvis : de l’église. Car Sleepy avait chanté comme ça à l’église pendant des années.

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    Ce n’est qu’en 1968 qu’il rencontre Shelby Singleton, l’acquéreur de Sun Records et qu’il devient the last Sun recording artist. Mais c’est dix ans trop tard, même si Colin Escott voit en Sleepy le gardien de la flamme. Bad timing, disent les Anglais. Au lieu d’aller à Memphis comme le firent Jerry Lee, Roy Orbison et tous les autres, Sleepy préféra aller à Houston. Fatale erreur. Ça explique en partie qu’il ne soit jamais devenu une star, alors qu’il en avait la carrure, notamment grâce à son ‘basso profundo’. Le fait qu’il ne soit pas devenu une star tient aussi au fait qu’il n’ait pas bénéficié de l’aide d’un producteur du calibre d’Uncle Sam, ou, comme le suggère Guralnick, du calibre d’Art Rupe, le boss de Specialty, qui avait l’oreille pour le r’n’b et le gospel.

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    Selon Guralnick, Sleepy n’aurait jamais gagné un rond avec ses disques. Pour vivre et élever ses enfants, Sleepy fut obligé de tourner en permanence. Mais bon, pas de problème. Il le dit d’ailleurs très bien lui-même : «I never sold out. Nobody owns me. I know I’m good. I wouldn’t be honest if I didn’t tell you that.» (Je n’ai jamais vendu mon cul. Je n’appartiens à personne. Je sais que je suis bon. Je ne serais pas honnête avec toi si je ne te disais pas tout ça) (...) «Well quand j’ai débuté dans le business, je ne savais même pas qu’on pouvait y faire du blé. Et je pense que demain, je continuerai de monter sur scène, même si je ne fais pas de blé. Voilà comment je vois les choses.» Guralnick est en tous les cas convaincu que Sleepy était l’un des douze artistes les plus brillants qu’on pouvait voir sur scène aux États-Unis. Il lui consacre d’ailleurs dans Lost Highway un chapitre aussi important que ceux qu’il consacre à Elvis et Charlie Feathers. Et l’une des premières images du livre, c’est Sleepy en train de gratter sa gratte.

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    Les fans de Sleepy se sont tous jetés sur la belle box éditée par Bear Family, Larger Than Life. Cette box est une véritable caverne d’Ali Baba. On y trouve cinq CDs et un livret grand format aussi écœurant qu’un gros gâteau au chocolat : ça dégouline d’une crème de détails. Chacun sait que les Allemands ne font jamais les choses à moitié. Le disk 1 est sans doute le plus précieux car il rassemble tous les singles enregistrés par Sleepy entre 1955 et 1965 à Houston, Texas. On vendrait son âme au diable pour ce «Baby Let’s Play House» enregistré en 1956. Sleepy s’y montre digne de Charlie Feathers : même sens aigu du hiccup, jolis guitares claironnantes, slap in the face (Wendall Clayton), admirable déboulade - Bbbabe/ babebabe/ bum bum bum - Sacré Sleepy ! La B-side de ce premier single est un balladif atrocement efficace, «Don’t Make Me Go» : Sleepy impose sa présence aussi nettement qu’Elvis période Sun. Il enregistre aussi «I’m Through» en 1956. C’est admirable de vraie voix. L’accompagnement est un modèle de discrétion. Du biz à la Cash. On se régale à écouter chanter ce mec, même ses heavy balladifs texans passent comme des lettres à la poste. Toujours en 1956, il enregistre «All The Time» sur fond de barouf d’accords. Sleepy est le winner of the game, il allume comme un cake du ring, c’est énorme et fabuleusement hot, let’s get it now et solo de Charlie Busby, un mec qu’on peut voir en photo dans le livret, avec sa vilaine trogne et sa chemise à carreaux. Et crac, en 1957, il enregistre «I Ain’t Gonna Take It», ça slappe sous le menton, toujours Wendall Clayton, un môme de 13 ans. Sleepy amène «Little Bit More» à la folie Méricourt, il en veut encore - I’m gonna kiss you a little bit more/ Weeeehhh/ All nite long - Zyva Mouloud Labeef ! En 1958, Sleepy enregistre «The Ways Of A Woman In Love» sur un takatak à la Cash, mais il détient le power véritable. Il reprend d’ailleurs le «Home Of The Blues» de Cash. Durant la même session, il enregistre le «Guess Things Happen That Way» de Jack Clement, fabuleux popopoh de Deep sounding popopoh. Le single suivant s’appelle «Can’t Get You Off My Mind». On sent le rockab qui règne sur son empire. Fantastique cavalcade. Sleepy est un mec idéal pour Bernadette Soubirou. Ce big heavy shuffle texan est si bon qu’on hoche la tête en suçant le beat. Il fait aussi un «Turn Me Loose» digne de Buddy Holly. Ah ça sent bon le Texas ! En 1959, il reprend le «Tore Up» d’Hank Ballard et le racle bien au guttural. Il se prend d’ailleurs pour Billy Lee Riley. Il rend aussi un superbe hommage à Bo Diddley avec une reprise de «Ride On Josephine». Comment tu veux résister à ça ? Impossible.

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    Le disk 2 démarre avec sa reprise du big «Goodnight Irene» de Leadbelly. Wendall Clayton la slappe derrière les oreilles ! Sleepy est un weird outcast, il chevauche en marge de la société, il fait comme Jerr, il swingue son Leadbelly avec un max de gusto, good nite Iriiiiiine, tout ça sur fond des wild guitars de Red Robinson et Toby Torrey. Il faut voir aussi Sleepy bouffer la heavy country de «Oh So Many Years». C’est un vrai gator ! Il croutche tout ce qui traîne. Powerus maximalus, comme dirait Cicéron. Encore un fabuleux coup de heavy downhome baryton dans «Somebody’s Been Beatin’ My Time». En 1965, Sleepy enregistre pour Columbia à Nashville et ça s’entend. Il chante au creux de son baryton et son «Completely Destroyed» se révèle d’une puissance inexorable. Il adore ces vieux shoots de rengaines tagada. Il passe aux choses sérieuses avec une reprise de Chucky Chuckah, «You Can’t Catch Me». Véritable shoot de rockabollah, suivi d’une mise en coupe réglée du «Shame Shame Shame» de Jimmy Reed. Et voilà qu’il plonge dans le New Orleans Sound avec l’«Ain’t Got No Home» de Clarence Frogman Henry, ouh-woo-woo-woo, il le fait pour rire, il passe par tous les tons, même le cro-magnon. Sleppy éclate tout. Rien ne lui résiste. C’est sans doute là, dans sa première époque, qu’il montre à quel point il domine la situation. Il faut le voir attaquer «A Man In My Position», Goodbye Mary/ Goodbye Suzi, il fonce vers d’autres crémeries, d’autres chattes bien poisseuses. Sa voix transperce les murailles. De cut en cut, on s’effare de la qualité du stuff, comme par exemple ce «Sure Beats The Heck Outta Settlin’ Down», solide merveille pleine d’allant et de punch, country festive à la bonne franquette, un vrai joyau de good time music. On pourrait dire la même chose de «Too Young To Die» et de «Two Hundred Pounds Of Hurt», joués au fantastique swagger. Ce sacré Sleepy accroche bien son audimat. On le voit ressasser la vieille country d’«Everyday» à la poigne de fer. Powerful country dude ! Il termine sa période Columbia avec un sidérant «Man Alone». Ce mec sait chanter son bout de gras. Avec son Stetson noir et son blazer blanc, il fait figure d’aristo. Alors attention, en 1970, il enregistre chez Shelby Singleton. Il entre dans sa période Sun avec «Too Much Monkey Business» qu’il prend à la voix de heavy dude. Avec le «Sixteen Tons» de Merle Travis, il passe au ringing de wild rockab. Il sait de quoi il parle. Et puis voilà qu’on tombe sur un coup de génie : «Asphalt Cowboy». Fantastique résurgence de la source ! Il sonne comme Elvis dans le Polk Salad schtoumphing, Sleepy tape son Cowboy au dur du Deep South et le tempère à la pire aménité. Il en fait du big beat à ras la motte, typique d’un Tony Joe sous amphètes, sur fond de slidin’ du diable. L’un de quatre guitaristes présents dans le studio joue au picking demented. Sleepy ?

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    Le disk 3 démarre sur la suite de la période Sun et ça chauffe très vite avec «Buying A Book» que Sleepy chante du haut de la tour de Babylone puis il explose le vieux «Me And Bobby McGee» de Kris Kristofferson. Il l’emmène avec l’autorité d’un King. C’est la version qu’il faut écouter, car montée sur un heavy drive de slap. C’est plein de jus et gratté sec, lalala lalala ! En plein dans le mille. Sleepy laisse bien son Bobby en suspension - Good enough for me and/ ...Bobby McGee - Il rend ensuite hommage à Hooky avec «Boom Boom Boom» qu’il chante d’une voix de gator, croack croack, au right out of my feet du marais. Hooky devait bien se marrer en écoutant ça. S’ensuit un hommage torride à Joe Tex avec «It Ain’t Sanitary». Comme Elvis, Sleepy ne travaille qu’au feeling pur. Et bham, voilà l’«Honey Hush» de Big Joe Turner. Sleepy le yakety-yake d’entrée de jeu, il fonce dans le tas. Just perfect. Avec «A Hundred Pounds Of Hurt», il renoue avec le country power. En tant que Southern dude, Sleepy vaut mille fois Cash. On le voit ensuite monter sur le coup d’«I’m Ragged But I’m Right» comme on monte sur un braco. Sleepy monte sur tous les coups, comme Jerr. Il n’a pas froid aux yeux. Il va même exploser le cul de la pauvre country. Nouvel hommage, cette fois à T Bone Walker avec «Stormy Monday Blues». Ça pianote au fond du saloon. Sleepy honore ce géant du blues et l’hommage prend une sacrée tournure, c’est vraiment le moins qu’on puisse dire. Il faut voir ce chanteur passionnant monter dans ses gammes. Il ne fait qu’une seule bouchée de «Streets of Laredo» et va loin au fond de son baryton pour interpréter «Bury Me Not On The Lone Prairie». Il chante aussi «Tumbling Tumbleweeds» à la carafe implicite et barytonne de plus en plus. En 1974, il se tourne résolument vers la country, mais il est si bon qu’on l’écoute attentivement, même quand on n’est pas fan de country. Il reprend aussi le «Good Rocking Boogie» de Roy Brown qui est en fait le «Good Rockin’ Tonight» - Well I heard the news/ We’re gonna boogie tonite - Énorme swagger.

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    Suite de la période Sun sur le disk 4. Avec «Mathilda», il enfonce son clou cajun à coups de poing. Même niveau qu’Elvis question prestance et ça violonne à perdre haleine. Sleepy reste dans le cajun avec «Faded Love» - I miss you darling more & more - Très haut niveau d’instrumentation avec un Sleepy qui solote au glouglou dans le flow. Toute la session de mai 1977 est cajun, même la reprise de «You Can’t Judge A Book By Its Cover». C’est très spécial, rien à voir avec Cactus. Sleepy opte pour le mode cavalier léger, c’mon, can’t you see. S’ensuit un «Young Fashioned Ways» bien slappé derrière les oreilles décollées. Sleepy et ses amis n’en finissent plus d’allumer les vieux coucous : c’est le tour du «Sittin’ On Top Of The World» des Mississippi Sheiks, un heavy blues popularisé par Wolf et plus tard Cream. Sleepy does it right. Facile quand on est monté comme un âne. Ah qui dira la violence du country beat, avec la petite incision qui ne fait pas mal, cette guitare scalpel qui entre dans le cul du beat. Ces mecs y vont de bon cœur. Plus rien à voir avec Cream. Sleepy fait aussi une version royale de «Matchbox». Puis il rend hommage à Lowell Fulson avec une version superbe de «Reconsider Baby». Il en fait un carnage, même si la bite blanche est moins exposée aux aléas sentimentaux que la bite noire - I hate to see you go - Mais au fond, Sleepy ne manquerait-il pas un peu de crédibilité, si on compare sa version avec celle du géant Lowel Fulson ? Et la valse des covers de choix reprend avec «Polk Salad Annie», c’est une version ultra-musculeuse, Sleepy et ses copains ont décidé de fracasser la Salad, ils jouent au big Southern brawl. Fantastique énergie ! Ça bat sec et net, sur un beat bien tendu vers l’avenir. Sleepy crée l’événement en permanence. Il brame son «Queen Of The Silver Dollar» au fond du saloon et tape son «Stay All Night Stay A Little Longer» au Diddley beat, avec des chœurs. Wow, ils sont en plein dans Bo ! C’est un véritable coup de génie : Sleepy fond l’énergie country dans le cœur de Bo ! Du coup, ils retapent un coup de «Baby Let’s Play House» - Babbb/ I’ll play house for you - Sleepy tape aussi dans l’extraordinaire «Tall Oak Tree» de Dorsey Burnette, joli shoot de black country rock. Quelle autorité et quel son ! Ces sessions Sun rangées chronologiquement dans la box sont de vraies merveilles. Sleepy eut la chance de ne pas tomber dans les pattes du Colonel Parker et de RCA. Il put ainsi préserver son intégrité.

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    On continue avec le disk 5 qui propose ses chansons de gospel et notamment une reprise de son tout premier single, enregistré en 1955 et resté inédit, «I Won’t Have To Cross The Jordan Alone»/«Just A Closer Walk With Thee» : vieux gospel country demented. Il explose sa ‘old time religion’. Il prend aussi «Ezekiel’s Boneyard» en mode jumpy et occipute «I Saw The Light». Il chante tout ça d’autorité avec une insolente profondeur de ton. Sleepy ravage les églises en bois. Il joue tout son gospel batch à la country effervescente, avec une incroyable énergie du beat. On tombe plus loin sur les sessions d’un album plus rock, avec notamment des reprises musclées de «Rock’n’Roll Ruby» et de «Big Boss Man». Il les groove sous la carpette du boisseau, il leur fouette la croupe au mieux des possibilités du fouettage, et ça donne un vrai swing d’American craze. Sleepy y va toujours de bon cœur, il faut le savoir. Il claque aussi l’«I’m Coming Home» de Johnny Horton au country power et riffe en sourdine à l’huile. Tout est alarmant de power et de classe. Sleepy is all over. Il prend son «Boogie Woogie Country Girl» ventre à terre et devient violent avec son killer solo flash. On ne parle même pas de la version demented de «Mystery Train». Il va droit sur Elvis 56. Encore plus demented, voici «Jack & Jill Boogie» avec un Cliff Parker qui a le diable au corps. Hommage à Lee Hazlewood avec «Honly Tonk Hardwood Floor», beau brin de son of a gun, pas de problème, ça reste du Grand Jeu. Il gratte aussi son «Tore Up» au sec de Nashville et termine avec la doublette infernale de Billy Boy, «Flying Saucer Rock’n’Roll» et «Red Hot».

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    Quant au disk 6, il propose l’album enregistré à Londres avec l’excellent Dave Travis Bad River band. Cet album est un véritable festival de rythmique et de sawgger rockab. On ne saurait rêver mieux dans le genre. Pour les Anglais, ça devait être un rêve que d’accompagner un mec aussi brillant que Sleepy LaBeef. Sur cet album, tout est bon, il n’y a rien à jeter, ils tapent «Ride Ride Ride» au fouette cocher et envoient un fabuleux shoot de virtuosité avec «LaBœuf’s Cajun Boogie» : figures de style bien carrées et somptueuses descentes de gammes cajunes. Sleepy joue ça au gratté sauvage. Il faut dire que le mix de Bear ravive encore la fraîcheur enivrante de l’album. Avec «Go Ahead On Baby», Sleepy prend les choses au débotté et embarque «Mind Your Own Business» au heavy drive. Sleepy travaille ça en profondeur et passe une espèce de killer solo flash qui laisse rêveur. Cet album est une vraie bombe atomique. Sleepy saute sur le râble de tous ses solos, il joue tout à l’ouverture d’esprit. Il embarque son «Shame Shame Shame» au rumble rockab et se paye une belle dégringolade de bass drive avec «Cigarettes And Coffee Blues». Sleepy est dans son délire de swing et bat absolument tous les records de désinvolture.

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    On retrouve toutes les merveilles Sun sur les deux premiers albums de Sleepy, The Bull’s Night Out et Western Gold. Le plus diabolique des deux albums Sun est le premier qui s’ouvre sur la version nerveuse de «Too Much Monkey Business». On sent le cat accompli. Mais c’est en B qu’ils chauffent la marmite avec cette fantastique version de «Me And Bobby McGee» que Sleepy prend d’une voix de big guy. C’est gratté à l’efflanquée d’acou tutélaire. Sleepy fait son stentor terminator, il bat même Elvis à la course. Il charge ensuite la barque de la B avec «Boom Boom Boom», puis l’«It Ain’t Sanitary» de Joe Tex qu’il fait sonner comme du Tony Joe White avec le même sens du come along, puis «Honey Hush» qu’il prend à la cosaque d’une voix d’Ivan Rebroff. Cette B fulminante se termine avec l’excellent «Asphalt Cowboy» monté sur l’attaque de takatak Telecasté et on voit Sleepy naviguer à la surface du beat, fier comme un amiral de la Royal Navy.

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    Le Western Gold est plus country, avec un «Mule Train» bien cavalé et un «Cool Water» bien monté dans les gammes de chant. Sleepy fait là de la country de cornac. Il fait sa barrique avec «Tumbling Tumbleweeds» et retombe dans la vieille country de poids avec «Strawberry Roan». Il sort son meilleur baryton, celui de la prairie, pour «Wagon Wheels» - Carry me over the hills - et sombre dans un océan de nostalgie avec «Home On The Range». Et tout cela se termine avec «Ghost Riders In The Sky» qui sonne comme une cavalcade de cowboys à la mormoille. Avec cet album, on a disons l’équivalent des grands albums country de Jerr parus sur Smash.

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    Encore du Sun en 1979 avec Downhome Rockabilly et une série de reprises assez magistrales de «Rock’n’Roll Ruby» et surtout de «Big Boss Man» qu’il fait sonner comme une bombarde. Sleepy chante comme Hulk, du haut du ventre et ça swingue fabuleusement. Autre belle surprise : «Boogie Woogie Country Girls», un hit de Doc Pomus que Sleepy taille au swagger et ça slappe dur derrière lui. Belle version de «Mystery Train». Sleepy se positionne sur celle d’Elvis et il en a la carrure. Sa version lèche bien les orteils de l’original signé Junior Parker. En B, il salue Lee Hazlewood avec une cover d’«Honky Tonk Hardwood Floor» puis Hank Ballard avec un «Tore Up» hautement énergétique. S’ensuivent deux clins d’yeux à Billy Boy avec «Flying Saucer Rock & Roll» et «Red Hot». Ces mecs ont le diable chevillé au corps. Puis Sleepy va exploser le vieux «I’m Coming Home» de Johnny Horton. Il tape ça au fouette cocher. On se régale de l’incroyable carapatage de Sleepy LaBeef. Ça joue au meilleur country jive de derrière les fagots. Et cet album qu’il faut bien qualifier de miraculeux se termine sur le «Shot Gun Boogie» de Tennessee Ernie Ford. Wow shot gun boogie !

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    Charly s’est aussi jeté sur les sessions de Sleepy pour remplir deux albums, Beefy Rockabilly et Rockabilly Heavyweight, parus en 1978 et 79. Comme à son habitude, Charly tape dans le tas pour vendre. On retrouve sur Beefy Rockabilly toute la ribambelle : «Good Rockin’ Boogie», «Blue Moon Of Kentucky», «Corine Corina» qu’il chante dans les règles du meilleur art, «Matchbox», joué sec et net et sans bavure, «Party Doll» monté sur un solide drive de Nashville et l’irremplaçable «Baby Let’s Play House». Franchement, cette A vaut le détour et ça continue en B avec un «Too Much Monkey Business» chanté à la poigne d’acier, un «Roll Over Beethoven» irréprochable et un «Boom Boom Boom» transformé en big drive nashvillais. C’est joué à la frénétique, bien fouetté de la croupe, au vrai tagada. Charly charge bien la barque en ajoutant «Honey Hush» et «Polk Salad Annie», ce qui donne au final un album hélas beaucoup trop parfait. Sleepy ne vit que pour allumer les vieux cigares. Notez bien que les liners notes au dos de la pochette sont signées Guralnick. Il insiste : «Écoutez bien cet album. Avec ces morceaux qui s’inspirent du blues, du cajun, du swing, de la country et de la pure church-rocking Soul, on a une idée parfaite de ce que sont les racines du rockabilly, et comme dans le cas des géants du rockab original, Sleepy marie tout ça grâce à un incroyable style personnel.» Il s’enfièvre et compare le style vocal de Sleepy à ceux d’Elvis, de Big Joe Turner et de Wolf.

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    Et puis revoilà l’excellent Rockabilly Heavyweight enregistré à Londres avec le Dave Travis Bad River Band, repris dans la Bear Box en son intégralité. On y trouve des versions fringantes de «Shame Shame Shame» ou «Milk Cow Blues» que Sleepy arrose de killer solos flash. Au dos de la pochette, Max Needham nous raconte dans le détail ce concert donné au Regent Street studio, sur Denmark Street. Alors âgé de 44 ans, Sleepy ouvre le bal : «Come on bopcats, let’s rock !» et il attaque avec «Sick & Tired». La perle de l’album est sans doute «LaBœuf’s Cajun Boogie», un instro qui swingue de manière fantastique. Joli shoot de swing aussi dans «Mind Your Own Business», monté sur un drumming rockab de coin de caisse et des chœurs de mecs frivoles. Ah comme c’est fin et rusé ! Les Anglais se révèlent excellents, ils swinguent aussi «Lonesome For A Letter» et nous envoient au tapis avec un «Smoking Cigarettes & Drinking Coffee Blues» monté sur un drive infernal. Sleepy a bien raison de travailler avec Dave Travis. Ils font bien la paire. Sleepy prend plus loin «I’m Feeling Sorry» au gras d’attaque à la Jerr. C’est un album réjouissant bardé d’ol’ rock’n’roll furia del sol. Sleepy rafle la mise sans jamais forcer. Le festin se poursuit en B avec «Honky Tonk Man» et sa belle aisance swinguy - Hey hey mama/ Don’t you dare to come home - Sleepy n’en finit plus de jouer comme un dieu, surtout dans «My Sweet Love Ain’t Around».

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    En 1981, Sleepy entame sa période Rounder Records avec It Ain’t What You Eat It’s The Way You Chew It. C’est encore Guralnick qui signe le texte au dos de la pochette. Il décrit dans le détail toute la session d’enregistrement qui eut lieu au Shook’s Shack de Nashville. Il rappelle dans ce texte qu’il a fréquenté Sleepy pendant trois ou quatre ans et qu’il fut charmé à la fois par sa dimension musicale et sa dimension intellectuelle. Sleepy est un homme qui lit énormément. Une fois de plus Guralnick sort les noms d’obscurs contemporains de Sleepy, Frenchy D et Johnny Spain. Le reproche qu’on pourrait faire à cet album, c’est son côté trop Nashville. Sleepy perd son edge, même si Guralnick prétend le contraire. Même si «I Got It» (chanté aussi par Little Richard) sonne comme le rock’n’roll du diable. Il rocke bien son «I’m Ready», c’est fouetté et cravaché en toute connaissance de cause, mais sans surprise. Il tente en B le coup du heavy boogie avec «Shake A Hand» et reprend l’«If I Ever Had A Good Thing» de Tony Joe. Il fait aussi une belle version de «Let’s talk About Us», mais le «Walking Slowly» d’Earl King retombe à plat. Notons aussi qu’avec cet album, on sort de la période couverte par la Bear box.

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    Toujours sur Rounder, voici Electricity, paru en 1982. Steve Morse signe le texte au dos de la pochette. Il rappelle que Sleepy peut reproduite n’importe quel roots style : blues, country, cajun ou gospel. Mais s’empresse-t-il d’ajouter, c’est quand il rocke que ça devient intéressant - You’re under the spell of the real thing - À quoi Sleepy ajoute : «La seule musique qui m’intéresse est celle qui donne la chair de poule.» Alors en voiture Simone pour un album plein d’edgy boogie-woogie, de wild rockabilly et de pure overdrive rock’n’roll, nous dit Morse. Il ajoute que le soir d’un concert au Mudd Club à New York, Lux Interior vint trouver Sleepy pour lui demander un autographe. Première bonne surprise avec «Low Down Dog» repris jadis par Smiley Lewis et Big Joe Turner. Le beat rebondit aussi bien qu’une balle en caoutchouc dans la chaleur de la nuit et Sleepy transperce son Low Down en plein cœur d’un sale petit killer solo flash. C’est avec «Alabam» qu’il rafle la mise - I’m going back/ To Alabam - C’est cavalé ventre à terre, Sleepy fonce à la cravacharde. Morse précise que Sleppy reprend la version de Cowboy Copas. Puis il s’en va swinguer son vieux «I’m Through» qui date du temps où il chantait avec Hal harris et George Jones au Houston Jamboree, dans le milieu des années cinquante - Cause I’m blue/ I’m through with you - Il attaque sa B avec une cover de «These Boots Are Made For Walking» - The perfect rockabilly song, dit Sleepy - et il s’endort sur ses lauriers avec «You’re Humbuggin’ Me’» de Lefty Frizzell. Réveil en sursaut avec «Cut It Out» de Joe Tex, mais la prod ne met pas assez le cut en valeur. On a un problème avec cet album qui sonne comme le point bas d’une carrière.

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    Guralnick est de retour au dos de la pochette de Nothin’ But The Truth, paru en 1986. Attention c’est un big album ! Guralnick dit même qu’on l’attendait depuis longtemps, car c’est l’album live tant espéré. Guralnick est tellement fasciné par Sleepy qu’il le range dans son panthéon à côté de James Brown, Jerr et Wolf, in his pure ability to tear up a stage. Il veut dire que Sleepy explose une scène aussi bien que James Brown, Jerr le Killer et Wolf. Sleepy : «I’ll garantee you something’ll be going on !» Eh oui, Sleepy nous fout la chair de poule avec son «Tore Up Over You», real rockab madness. Sleepy a le diable au corps et il tore up dans les brancards. Il enchaîne avec un extraordinaire shake de Beefy Beef nommé «Boogie At The Wayside Lounge». Il drive ça à la voix d’homme, comme son copain Jerr le Killer. Même jus. Il nous embarque dans un interminable drive de boogie blast. Il annonce a little bit of bluegrass & rhtyhm & blues pour présenter «Boogie Woogie Country Man» et emmène son «Milk Cow Blues» à la force du poignet. En B, il prévient les gens qu’il adore cette chanson et pouf, voilà «Let’s Talk About Us». Il l’embarque aussi à la poigne de fer. Ce mec rolls on the rock et pique une crise comme son copain Jerr le Killer. S’ensuit un magnifique hommage à Bo Diddley avec «Gunslinger». Il jette dans la balance toute sa sincérité d’homme blanc et les chœurs font «Hey Bo Diddley !». Alors on monte directement au paradis. Il annonce : «Got a little boogie for ya» et boom, «Ring Of Fire» qu’il prend en mode boogie blast. Ah il faut avoir vu ce cirque si on ne veut pas mourir idiot. Et c’est avec le medley final qu’il va s’inscrire dans la légende des siècles. Fantastique tenue de route ! Les mecs y vont franco de port en démarrant avec le «Jambalaya» d’Hank Williams. Ils restent sur le même beat pour «Whole Lotta Shaking Goin’ On» que Sleepy chante au sommet de son art, sans jamais céder un pouce à la faiblesse. Toujours le même beat pour «Let’s Turn Back The Years» et «Hey Good Looking», pas de variante, avec Sleepy, tout coule non pas de source mais de muddy water et il termine sur un vieux shoot de Folsom. Le seul mot qu’on puisse ajouter au sortir de cet album, c’est wow. Alors wow ! Et même mille fois wow !

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    Ce sont les frères Guralnick qui produisent l’excellent Strange Things Happening paru sur Rounder en 1994. Sleepy rafle la mise dès «Sittin’ On Top Of The World» qu’il attaque au takatak. Il faut voir ce roi du monde parader dans son groove en toute impunité. Il est le grand vainqueur du rock américain. S’il est un mec qui inspire confiance sur cette terre, c’est bien Sleepy. Tu peux entrer dans la danse, tu ne seras pas déçu, c’est du big American sound claqué aux mille guitares et chanté au meilleur basso profundo. Sleepy récidive plus loin avec «I’ll Be There». On croit que la messe est dite depuis belle lurette, en matière de heavy boogie, et pourtant Sleepy claque ça sec. Il développe un extraordinaire swing de jive qui n’appartient qu’à lui. C’est encore un hit de juke comme on n’ose plus en rêver, chargé de wild guitars. What a swagger ! Il finit au guttural. Avec «Trying To Get To You», il sonne comme Elvis. Pur Memphis jive. Idéal pour un ‘gator comme Sleepy. Le titre de l’album est bien sûr un clin d’œil à Sister Rosetta Tharpe. Il embarque le morceau titre au heavy beat pianoté. Le géant s’adresse à une géante et le beat est au rendez-vous. Oh every day ! Clameurs de gospel ! Every day, là mon gars tu en as pour ton argent. Solo à la coule. Merveilleux Sleepy LaBeef. Son «Playboy» sonne comme un boogie classique, mais Sleepy en rajoute des couches. Il rend aussi un bel hommage à Muddy avec «Young Fashoned Ways» et à Ernest Tubb avec «Waltz Across Texas». Il finit avec une version live de «Stagger Lee» - ‘This is Stagger Lee now ! - Cette façon d’embarquer un cut n’appartient qu’à lui. Il fait sa loco et embarque Stagger Lee sur les rails à travers l’Amérique.

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    On pourrait voir I’ll Never Lay My Guitar Down comme un album de plus. Simplement, il s’y passe des choses, du genre «Treat Me Like A Dog», vrai shuffle de rockab moderne. Sleepy l’embarque au train train d’enfer de Mystery Train et donne une belle leçon de heavy shuffle. Il finit son cut à la folie Méricourt, à la Jerr, stay away from you, il explose son final au guttural, il shoute le train du try to try comme s’il se trouvait au Star Club de Hambourg ! Wow ! Il fait aussi sur cet album une nouvelle version d’«I’m Coming Home». Ah il aime bien Johnny Horton. Ça tombe bien, nous aussi. Il le claque au heavy claqué de boisseau, il le joue en mode bluegrass avec une gratte qui sonne comme un crapaud buffle du bayou, c’est fin et racé, digne des trains en bois du bayou et des grenouilles de Monsieur Quintron. Spectaculaire ! Il nous remet une couche de magnifique aisance avec «Little Old Wine Drinker Me» qui sent bon le «Route 66». Tiens puisqu’on parlait du bayou, Sleepy reprend l’excellent «Roosevelt & Ira Lee» de Tony Joe. Même race d’aventuriers du son et du swamp. Violent shoot de hot boogie down avec «Hillbilly Guitar Boogie». Sleepy adore le hot hillbilly blast, il en fait ses choux gras. Et il prend prétexte d’un «You Know I Love You» pour soloter à bras raccourcis.

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    Tomorrow Never Comes pourrait bien être l’un des meilleurs albums de Sleepy. Le morceau titre est une reprise d’Ernest Tubb, l’une de ses idoles parmi tant d’autres. «I grew up listening to Hank Williasm, Howlin’ Wolf, Bill Monroe, Tommy Dorsey, Muddy Waters, Bob Wills, Roy Acuff and Big Joe Turner». Sa version de Tomorrow est un vrai slab de rockab arraché à l’oubli. Une merveille de power, slappé par ce démon de Jeff McKinley. Autre reprise de choc : «The Blues Come Around» d’Hank Williams. Fantastique drive de heavy junk, Sleepy joue ça à la main froide, et ça pulse au beat rockab, avec un killer solo à la fin. Le «Detour» d’ouverture de bal est aussi un sacré romp de rockab. Sleepy sait prendre le taureau rockab par les cornes. Il joue ça au country power blast. Nashville romp, baby. Cette session nashvillaise de l’an 2000 compte parmi les sommets de l’art, avec des mecs aussi brillants que Jeff McKinley et David Hughes. Il fait aussi une version incroyablement rockab de «Too Much Monkey Business». Là-dessus, Sleepy est imbattable. Il faut voir comme il sait driver son Monkey Business. C’est assez fascinant. Il transforme le plomb du Monkey Business en or rockab. Mais ce diable de Sleepy est bien trop américain pour l’alchimie. On note la belle ferveur de David Hughes au slap. Maria Muldaur vient duetter avec Sleepy sur «Will The Circle Be Unbroken». Elle se fond dans l’exégèse. Elle sait shaker un couplet de gospel batch, pas de problème. Elle sait comment il faut la ramener. Sleepy rend plus loin hommage à Tony Joe avec «Poke (sic) Salad Annie». Belle tension, Sleepy adore Tony Joe et ses racines rurales, parce qu’il a les mêmes. Il descend au fond de sa cave pour y chercher le meilleur baryton. Il revient à ses premières amours avec un vieux coup d’«Honey Hush». Il connaît le Yakety Yack par cœur, mais on se régale du beau slap de Nashville. Jeff McKinley fait même un beau numéro de slap à vide. C’est une version de rêve, avec des chœurs de potos derrière et un solo de wild guitar. Il termine avec un fantastique shoot de «Low Down Dog». McKinley slaps it all over. Sleepy LaBeef serait-il the last of the great original rockabillies on earth ? En tous les cas, il slappe son shit, oooh oui, ooh oui. Si tu veux du vrai rockab, mon gars, vas voir Sleepy. Ou Jake Calypso.

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    Paru en 2001, Rockabilly Blues est une compile concoctée par Rounder à partir de cuts de blues restés inédits et enregistrés lors des sessions antérieures, comme par exemple celles de Nashville avec D.J. Fontana et Cliff Parker. Sleepy rend un bel hommage à Jimmy Reed avec une cover de «Bright Lights Big City» et ramène du violon cajun dans un «Fool About You» qu’il finit au yodell, comme Jerr. Sleepy tape aussi dans Muddy avec une reprise de «Mannish Boy», mais sa version manque tragiquement de heavyness. Elle n’est ni assez grasse ni assez spongieuse. Trop plastique. Pareil, il se vautre avec «Rooster Blues». On croirait entendre un gamin de 15 ans dans une surprise-party. Il sauve l’album avec «Night Train To Memphis», oh yeah, hallelujah ! Duke Levine y fait pas mal de ravages sur sa guitare. Sleepy tape une joli coup de gospel avec «This Train», mais se vautre lamentablement avec «Long Tall Sally» et «Rip It Up». Comme quoi, il faut parfois laisser les outtakes dormir au fond de leur tiroir.

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    Sur Roots paru en 2008, Sleepy a pris un coup de vieux. Il porte des lunettes et sa main droite qu’on voit posée sur la guitare est celle d’un vieux bonhomme. Mais quand il swingue son «Cotton Fields», il le fait d’une voix qui fait rêver tous les chanteurs. Il ramène même du violon derrière. Il en fait une version diabolique et chante au mieux de son basso profundo. Ah comme ce mec peut être génial ! Il fait encore du swagger protectionniste avec «Baby To Cry» et atteint des summums d’artistry. Il claque ensuite ce vieux balladif de «What Am I Worth» avec une ferveur qui en bouche un coin. Il chante l’Americana au deepy rap. Ce démon de Sleepy lègue ses cuts à la postérité avec la générosité d’un seigneur déchu. L’autre sommet de l’album, c’est «Miller’s Grave» qu’il chante comme Cash au soir de sa vie. Même intensité que le vieux Cash tombé dans les pattes de l’horrible Rick Rubin. Même délire de fantastique présence. Sleepy revient à son cher heavy blues avec «Completely Destroyed» - I’m just a shell of a man - et tape son «Foggy River» au meilleur baryton de l’univers. Il gratte son «Dust On The Bible» à coup d’acou. Véritable shoot de country jive ! C’est énorme d’American fever et de die for it. Sleepy est encore pire que Cash à l’article de la mort. Il se veut immanquable. Il reprend aussi «Detroit City», comme l’a fait Jerr à une époque, et étend l’empire de sa nostalgie des cotton fields at home - I wanna go home - Puis il embellit «In The Pines» de Leadbelly à l’embellie - And you shiver when the cold wind blows - Il faut aussi le voir se plonger dans la Bible avec «Matthieu 24» - I believe the time has come for the Lord to come again - Il y croit dur comme fer et se livre avec «Have I Told You Lately» à un sacré ramage en son plumage. C’est encore une fois digne du Cash de la fin des haricots. Avec «Amazing Grace», il ne pouvait pas trouver meilleure fin de non recevoir.

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    Alors voilà son dernier album, Sleepy LaBeef Rides Again, paru en 2012 et doublé d’un DVD, l’excellent Live At Douglas Corner Café. L’idée de doubler la séance d’enregistrement de Rides Again au fameux RCA Studio B de Nashville est jaillie du cerveau de Dave Pomeroy, le bassman de Sleepy. Eh oui, il fallait y penser : on a donc la version studio ET la version live du même set. Sleepy sort le Grand Jeu puisqu’il tape dans ses vieux coucous, à commencer par «Honey Hush» - Umm honey hush - Il lui sonne bien les cloches et enchaîne avec un «Lost Highway» en père peinard sur la grand mare des canards. Look out ! Fantastique ramshakle ! Les points forts de l’album se trouvent vers la fin, à commencer par un medley explosif, «Tore Up Over You/ I Ain’t No Home/ Ring Of Fire» - Tore up ah ha ! - Il ne faut pas lui confier ce genre de truc, il va l’exploser ! Il embroche son Ain’t no home sur le même beat, Sleepy est un spécialiste du glissé de cut en cut sur le même beat, il sait aussi faire monter la température et pouf, voilà Ring of Fire qu’il explose. Sleepy est le roi des medleys. Juste derrière se trouve l’excellent «Willie & The Hand Jive», un vieux boogie de Johnny Otis. Sleepy lui fait honneur - Do the hand jive one more time ! - On retrouve aussi sur cet album de vaillantes versions de «Red Hot» et d’«Hello Josephine». Infernal ! How doo yoo dooo ! Sleepy sait pincer les fesses de Josephine, doo yoo remember me baby ? Il nous claque à la clé un sacré solo de belle gueule à la Clémenti - How doo yoo dooo - Il ressort tous ses vieux classiques, «Young Fashioned Ways», «Blues Stay Away From Me» et «Boogie Woogie Country Man» - I like a little rock, I like a little roll - Et pouf ! Il part bille en tête. On le voit gratter «Wolveron Mountain» avec un appétit de géant qui en dit long sur son admiration pour Rabelais. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de classique avec «Let’s Turn Back The Years». La fête continue. Il faut en profiter.

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    Dans le film du concert au Douglas Corner Café, c’est Dave Pomeroy qui présente Sleepy, the one and only Sleepy LeBeef, oui, prononce le a de la le et cette grande baraque de Sleepy attaque son «Honey Hush» en vieux pro. Des témoins viennent dire la grandeur de Sleepy entre deux cuts, notamment Peter Guralnick : «Sleepy is the greatest performer I have ever seen.» On voit Kenny Vaughan soloter en alternance avec Sleepy. Tout est extrêmement carré, articulé sur ces trois musiciens exceptionnels que sont Sleepy, Kenny Vaughan et Gene Dunlap au piano. Sleepy : «I recorded it en 1959, a Hank Ballard twist.» Pouf, «Tore Up» ! Les témoins n’en finissent plus de saluer la grandeur de Sleepy : «It became a Sleepy trademark : he plays all nite long and never stops it !» Ils font de «Willie And The Hand Jive» un fantastique groove climatique, bien drivé par cet excellent batteur rockab qu’est Rick Lonow - Do the hand jive one more time - Tout le monde descend sauf Sleepy qui va continuer de gratter sa gratte jusqu’à la fin des temps.

    Signé : Cazengler, Sleepy LaBave

    Sleepy LaBeef. Disparu le 26 décembre 2019

    Sleepy LaBeef. The Bull’s Night Out. Sun 1974

    Sleepy LaBeef. Beefy Rockabilly. Charly Records 1978

    Sleepy LaBeef. Downhome Rockabilly. Sun 1979

    Sleepy LaBeef. Rockabilly Heavyweight. Charly Records 1979

    Sleepy LaBeef. It Ain’t What You Eat It’s The Way You Chew It. Rounder Records 1981

    Sleepy LaBeef. Electricity. Rounder Records 1982

    Sleepy LaBeef. Nothin’ But The Truth. Rounder Records 1986

    Sleepy LaBeef. Strange Things Happening. Rounder Records 1994

    Sleepy LaBeef. I’ll Never Lay My Guitar Down. Rounder Records 1996

    Sleepy LaBeef. Tomorrow Never Comes. M.C. Records 2000

    Sleepy LaBeef. Rockabilly Blues. Bullseye Blues & Jazz 2001

    Sleepy LaBeef. Roots. Ponk Media 2008

    Sleepy LaBeef. Rides Again. Earwave Records 2012

    Sleepy LaBeef. Larger Than Life. Bear Family Box 1996

    Peter Guralnick. Lost Highway. Back Bay Books 1999

    Seth Pomeroy. Sleepy Labeef Rides Again. Live At Douglas Corner Café. Earwave DVD 2012

     

    Battle Fields - Part Two

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    Si on aime la Soul à en brûler bien qu’ayant tout brûlé, alors il faut écouter Lee Fields. Comme Brel, Lee Fields cherche l’inaccessible étoile. Telle est sa quête. Quand il vient chanter «Honey Dove» en rappel, il brûle du même feu que Brel, c’est en tous les cas ce que ressentent tous ceux qui eurent l’immense privilège de voir l’Homme de la Mancha au Théâtre des Champs Élysées. Lee Fields atteint lui aussi les niveaux supérieurs de l’interprétation dans ce qu’elle peut avoir de mercurial et d’implosif à la fois. Jacques Brel reste le modèle absolu de l’intensité interprétative, et Lee Fields dispose à la fois du talent et de «Honey Dove» pour le rejoindre dans ce lointain firmament. On pourrait aussi citer James Brown, bien sûr. Même genre de volcan, même genre de professionnalisme exacerbé, avec cette façon spectaculairement élégante de rappeler que la Soul et le funk sont avant toute chose une affaire de black power.

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    Bien sûr, si on veut prendre un coup de black power en pleine gueule, il faut faire l’effort d’aller voir Lee Field sur scène. Les mauvais clips mis en ligne font insulte à sa grandeur. Comme s’ils le ratatinaient.

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    À l’âge de 69, ce petit bonhomme rondouillard tournoie sur scène comme une toupie et shoute la meilleure Soul des temps modernes. Il est le spectacle, le monstre sacré, dans sa veste de smoking brodée de fil d’or, son pantalon noir à baguettes et ses boots argentées. Lee Fields vient d’une autre époque, celle des grandes revues de la Soul américaine d’antan, lorsque que les blackos prenaient leur revanche sur la société des blancs en conquérant le monde sans la moindre violence, avec un art qu’on appelle la Soul Music. C’est un point qui mérite d’être sérieusement médité. Les fils d’esclaves n’eurent pas besoin de B52 ni de fucking snipers pour conquérir le monde occidental et faire danser les petits culs blancs. Rien ne pouvait résister au rouleau-compresseur de cette Soul dont les figures de proue étaient Stax, Tamla et James Brown. Lee Fields perpétue la tradition avec en plus le punch de Cassius Clay. Il met le monde moderne KO en dix manches, et franchement, le monde moderne est ravi d’avoir été mis au tapis par un petit nègre aussi brillant que Lee Fields. Si on osait, on dirait même que c’est un honneur.

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    Oui, Lee Fields nous met KO. C’est une réalité. Il attaque son «Work To Do» au chaud d’intonation à la Otis, il perpétue cette vieille tradition d’émotion contenue qui fait la force de la Soul, il chante au chaud-bouillant de son âme. En cours de set on sent sa mâchoire se décrocher à plusieurs reprises, surtout quand Lee pique sa crise de hurlette de Hurlevent au terme d’un «Love Prisoner» lancinant et harassé par des brisures de rythme, set me free, implore-t-il, mais la Soul est un long parcours, c’est du all nite long, le nègre a l’endurance qu’un blanc n’a pas, même sous coke. Deux siècles d’esclavage, ce n’est pas rien. Set me free ! Il prend le prétexte d’un drame sentimental pour hurler son set me free/ I’m your love prisoner/ Set me free. Well done, Lee !

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    Il sait aussi enflammer les imaginaires avec du funk politicard - We can make the world better/ If we come together - Comme Mavis, il y croit encore. D’ailleurs il fait pas mal de participatif dans le show, il sollicite énormément le public, lui demande de chanter avec lui, de taper dans les mains, de remuer les bras en l’air ou d’embrasser sa voisine. Sacré Lee, il sait chauffer une salle. C’est son job, il le fait merveilleusement bien et son orchestre de petits blancs tient sacrément bien la route. À noter qu’on y trouve deux Jay Vons, le guitariste et le keyboardist - It’s time for me to sing that song called a Faithful Man and it goes like this - Il renoue avec le déchirement suprême, il rallume la chaudière de la Soul la plus hot de l’histoire, celle de James Brown. «Faithful Man» est l’un de ses tubes les plus convaincus d’avance. Il l’arrose de screams terribles et tire sa sauce à n’en plus finir. Typiquement le genre de cut qu’on aimerait voir continuer. Tank you ! Thank you ! Lee se montre éperdu de gratitude, il revient hurler comme James Brown dans son micro, please don’t baby ! Il faut pourtant se résoudre à le voir partir. Oh mais il va revenir !

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    Il faut écouter le nouvel album du dernier des grands Soul Brothers. Il ouvre le bal d’It Rains Love avec le morceau titre. Il n’a aucun problème de puissance. Il y va de bon cœur, porté par un bassmatic de rêve. On se retrouve dans une prod épaisse et bien cogitée, une prod à grumeaux, finement parfumée d’excellence de la pertinence. Cette Soul cabossée ressemble à l’étain blanc qui a vécu. Lee Fields sort un «Two Faces» aussi âpre et dense qu’un hit de James Brown.

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    Il fait de la Soul à crampons qui accroche bien. Il finit son cut au beat défenestrateur. Il fait ensuite du Bobby Womack avec «You’re What’s Needed In My Life». Cet admirable Soul Brother avance dans le son à pas mesurés et en chaloupant des hanches, soutenu par des chœurs de filles saturnales. Ça sonne comme un hit des temps modernes. Tu as ça dans l’oreille et tu vas au paradis du Soul System. Quel aplomb ! Il envoie une nouvelle giclée de heavy Soul avec «Will I Get Off Easy». Il chante au ciel, c’est un perçant, un puissant seigneur, il n’a pas besoin de scream. Sur la pochette, il a l’air d’un pharaon serré dans une veste d’écaille. Il chante son «Love Prisoner» à l’avenant, dans les règles de l’art du set me free. Il fait du pur James Brown à coups de Please have mercy on me. Il reste dans cette Soul de pleine voix avec «A Promise Is A Promise», il la télescope en plein vol et revient à la profondeur avec «God Is Real». Il chante à outrance et nous laisse un bel album. Il termine avec «Don’t Give Up» et ne lâche pas la rampe. Il souffle la poussière des volcans et les nappes de violons. Ce petit black possède une voix qui nous dépasse.

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    My baby love/ My honey dove. Que ne donnerait-on pas pour le voir chanter cette merveille une fois encore. Lee Fields y atteint les niveaux jadis atteints par James Brown («It’s A Man’s Man’s World) ou Marvin Gaye («What’s Going On»), avec en plus un sens de l’extase combinatoire unique dans l’histoire de la Soul. Il finit en mode apocalyptique comme sut si bien le faire Otis en son temps dans «Try A Little Tendreness». À la fin, ce héros titube, comme vidé, mais il revient shooter get up ! Yeah yeah !

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    Signé : Cazengler, Lee Fiel

    Lee Fields. Le 106. Rouen (76). 21 janvier 2020

    Lee Fields & The Expressions. It Rains Love. Big Crown 2019

     

    30 / 01 / 2020 – PARIS

    SUPERSONIC

    CARIBOU BÂTARD / DYE CRAP

    JOHNNY MAFIA

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    Rendez-vous au Supersonic. Qui fête ses quatre ans d'existence et lance son magasin de disques. Longtemps que je voulais voir Johnny Mafia, depuis qu'ils ont tourné avec Pogo Car Crash Control. Genre d'accointances prometteuses que j'aime bien. En plus deux groupes inconnus mais qui viennent du pays du Cat Zengler. De Rouen, une ville qui chauffe dur depuis au moins la sainte année 1431, le bûcher de Jeanne d'Arc. Pour ceux qui n'étaient pas présents le jour de ce funeste événement, la lecture de Le ravin du loup ( et autres histoires mystérieuses des Ardennes ) de Jean-Pierre Deloux s'impose.

    CARIBOU BÂTARD

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    L'on n'a jamais su qui était le caribou et qui était le bâtard, mais vu qu'ils ne sont que deux sur scène nous n'avions qu'une chance sur deux pour nous tromper. Batterie + guitare, le binôme rock par excellence, peut-être économique. Sûrement pratique. C'est fou ce que l'on rencontre de caribous dans les romans d'aventures canadiens, se font systématiquement et bêtement abattre par des chasseurs émérites. Notre Caribou Bâtard a compris la leçon, la meilleure façon de ne pas mourir c'est de vivre et pour cela de se battre. Donc sur la droite vous avez un batteur fou. Vite, fort et bien. Peut faire mieux : très vite, très fort, très bien. Pas une seconde d'arrêt. Enchaîne les titres comme un forcené. En plus il chante, paroles sommaires et répétitives. A la cadence avec laquelle il frappe, vous comprenez qu'il ne lui reste plus assez de cerveau disponible pour se lancer dans la haute littérature. Un registre de voix plutôt étrange comme s'il la montait au plus haut de son octave naturel afin de se frayer un chemin dans le délicieux tintamarre qu'il déverse sur le public. Douche de décibels indélébiles dans vos oreilles. En plus il réussit ce tour de force de ne jamais vous ennuyer, à fond de train, à une cadence infernale, mais il sait varier les rythmes et les factures ( véritables coups de bambous ) architecturales de chacun des morceaux.

    Mais que serait le rock sans guitare ? Le n'ai pas le temps de répondre à cette angoissante question métaphysique. Ce n'est pas que je ne connais pas la réponse, c'est que le guitariste m'en empêche. Vous voulez de la guitare, et vlan il vous file le grondement assourdissant qui accompagnera la fin du monde et dont Jean aurait dû noter la présence dans son Apocalypse. En tout cas chez Caribou Bâtard ils n'ont pas oublié son indispensable tonitruance. Cette machine tue les fascistes avaient noté Woodie Guthrie sur sa guitare, celle de Caribou elle ne se perd pas dans de subtiles et arachnéennes distinctions, elle tue tout le monde, c'est beaucoup plus efficace. Au moins ils sont sûrs de n'oublier personne. Je me risquerai à oser le concept de sonorité submergeante pour qualifier cette monstruosité sonore. Si vous êtes sonophobe, sortez fumer une clope, pas devant la porte, de l'autre côté de la rue, si vous êtes sonophile tentez de rester, si vous êtes mégasonophile ce set est pour vous. Les amateurs apprécieront cette guitare qui pétarade divinement dans votre cerveau, à la manière du générique de L'Equipée Sauvage, certes il ne vous restera plus beaucoup de neurones par la suite, mais au moins une fois dans votre vie, vous aurez vécu quelque chose, c'est si rare de nos jours que je pense que bientôt que tout le monde voudra un Rangifer Tarandus comme animal de compagnie. Précisez bien la sous-espèce, le caribou toundrique possède cette mauvaise habitude de bouffer la moquette, mais avec le Caribou Bâtard, il éliminera vos voisins indélicats avec une célérité ahurissante. Sont épuisés à la fin du set, alors pour les récompenser le public leur offre un bruit d'enfer.

    DYE CRAP

    Quatre sur scène. Non ils ne sont pas là pour faire de la surenchère sonore. Même que pendant qu'ils attendent le batteur parti on ne sait où, l'on patiente à écouter les caresses cordiques bienfaisantes de la guitare Vox, la forme d'une mandoline ou d'une larme, mais de crocodile, car si elle peut vous émouvoir grâce à sa parfaite musicalité, elle sait devenir sans préavis aussi tranchante que l'ivoire de ces amphibiens somme toute peu sympathiques.

    Les voici au complet. Démarrent sans plus attendre. Ils ont le son, ils ont l'énergie, ils ont le savoir-faire, vont vous dérouler le show comme un tapis rouge devant les grands hôtels parisiens de luxe. Ce n'est pas ce que j'appelle du rock, mais de la pop. La différence entre les deux peut sembler hasardeuse. Mais dans la pop même si le tapage nocturne a empêché le client de dormir, on lui offrira au petit matin une séance sauna-relaxation-épilation intégrale gratuite pour le dédommager. Que voulez-vous le caca coloré aux senteurs de rose ça fleure plus bon que bon. Alors Dye Crap ils ne ménagent pas leur peine, il y a des batteurs sur lesquels les groupes se reposent comme ces familles qui piquent-niquent sur la pierre tombale de leur cher défunt, et d'autres qui emportent les copains en un tourbillon de feu. Celui de Dye Crap est un escalator volant, fend l'air à la vitesse d'une fusée et comme les deux guitares lui emboîtent les réacteurs au quart de tour vous n'avez pas le temps de regarder votre montre. Bassiste et chanteur, le guy se défend bien, l'a une voix qui porte et qui accroche, lorsque le rotor est lancé, Dye Crap est une belle machine de guerre. Mais ils vous ménagent aussi des instants d'autoroute, des aires pique-nique avec toboggans pour les enfants et des sous-bois pour promener le chien, c'est là où je m'ennuie un peu, mais autour de moi, l'on apprécie les jeunes filles ferment les yeux et se laissent bercer par cette houle de bon aloi, qui vous porte et vous balance sans brutalité. Mais au bout de cinq minutes, c'est encore une fois la séquence speed, qui vous fait traverser la moitié de l'Atlantique en moins d'un jour, et alors que vous croyiez toucher au but, retour au clapotis rassurant dans les moiteurs tropicales. Si vous avez rêvé de naufrage et d'un radeau de survie poursuivi par un cachalot affamé, c'est raté. Faut reconnaître qu'ils savent alterner le bien et le mal. Vous plongent en enfer mais vous renvoient au paradis. La salle adore, elle hurle dès que les flammes comminatoires s'approchent et ronronne de plaisir dès que les heaven gates s'entrouvrent. Un bon moment. Mais je préfère les mauvais. L'utile et agréable c'est bien mais l'inutile et le désagréable, c'est mieux.

    Dans l'inter-set, sur ma gauche mon voisin opine, oui ça ressemble un peu à Muse ce qui m'amuse, mais sur ma droite une de mes voisines se rebelle contre cette comparaison qu'elle trouve profondément déplacée et injuste. Ô ma muse, je suis désolé !

    JOHNNY MAFIA

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    La faute à leur réputation. M'attendais à des visages burinés de durs à cuire échappés du bagne, poursuivis en hélicoptères par des tueurs à gage, pactisant avec des tribus anthropophages, traversant les pieds nus sans sourciller des jungles luxuriantes infestées de serpents, mais non, Théo, Fabio, William, et Enzo, n'ont même pas l'insolence hautaine de la jeunesse, sont souriants, amènes, des looks de lycéens, pour certains d'entre eux un peu abruptement tignassés mais sans plus, par contre ils sont très mal entourés.

    De jeunes gens très mal élevés. Les filles comme les garçons, vous savez ma bonne dame tout se perd en ce bas-monde. Ils ne savent pas se tenir. Et encore moins se retenir. Un signe qui ne trompe point. Très vite les photographes ont arrêté de photographier les artistes. Une photo par-ci, une autre par-là, parce que tout compte-fait ils étaient venus pour eux, mais ils ont préféré braquer leurs appareils reproducteurs sur cette masse d'agités. Les éditorialistes alarmistes ont raison, la mafia est partout et gangrène tout. Ce soir par exemple elle était aussi bien sur scène que dans le public.

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    '' Ce soir, exceptionnellement nous allons commencer par un solo de batterie'' nous ont-ils prévenus. Ultra-mensonger. Ils n'ont pas du tout débuté par un solo de batterie, ou alors z'ont juste fait un solo qui a duré tout le set. D'un bout à l'autre sans arrêt. Dans les tempêtes les plus dévastatrices, faut bien qu'il y en ait un qui se dévoue pour garder la barre. Chez Johnny Mafia, c'est le batteur. L'a mouliné grave et sec, de toutes ses forces, tant pis si parfois il a même recouvert basse et guitares. Le genre d'incidents totalement anodins. Pas de quoi en faire des gorges chaudes, de toutes les manières le spectacle n'était pas sur la scène quoique tous les yeux étaient braqués sur eux. Alors ils ont fait comme tout le monde. Non ils ne sont pas descendus dans le public. Mission impossible. Ça criait, ça hurlait, ça tanguait, ça s'écroulait, ça se relevait, ça tourneboulait, ça réclamait des titres, ça interpellait, l'on a même vu un soutient-gorge atterrir sur le manche de la basse, de temps en temps ça s'affaissait dangereusement d'un côté puis de l'autre, il y avait des poussées subites de fans pliés sur les retours, eux ils continuaient leur cirque, des morceaux courts méchamment jerkés, entre Ramones et Wampas, cent pour cent Johnny Mafia, puis il y a eu des gars qui se sont faits promener sur les mains des copains, des jambes en l'air désespérées, des têtes qui ont évité des poutrelles de fer par miracle, peut-être certaines se sont-elles entrouvertes en touchant le sol à la manière de ces coquilles d'œufs que vous fractionnez sur le rebord du saladier, des gens qui vous tombaient dans les bras, d'autres qui vous poussaient dans le gouffre, le public n'était plus qu'une masse gélatineuse mouvante se ruant tantôt dans un sens, refluant vers un autre au mépris de toutes les lois de la gravité. Preuve que c'était très grave. Alors comme ils ne pouvaient pas descendre parmi nous – je reprends le fil du récit – le chanteur est monté sur nous, il a refilé son micro à un quidam compressé dans le pudding humain, il a tout de même gardé sa guitare, et là il a été splendide, l'a joué à King Kong sur l'Empire State Building, certes il n'est pas allé plus haut que le premier étage, mais aucun avion de chasse n'est intervenu, s'est accroché comme il a pu et est parvenu à enjamber la rambarde du balcon. N'y avait plus qu'à attendre qu'il revienne, on l'a suivi à la trace auditive pendant qu'il descendait les escaliers.

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    Si vous croyez que cet exploit à calmé le public, vous avez tort. La horde de fans gesticulait tellement que nos johnnymen ont essayé la technique du bateau pirate qui se sert des pièces d'or de leurs sanglantes rapines pour mitrailler à bout portant le gros vaisseau de ligne qui fonce sur eux. Z'ont refilé leur guitare à l'assistance, tenez c'est pour vous faites-en ce que vous voulez, elle a voyagé de main en main, mais chacun s'est trouvé dans le cas du molosse meurtrier à qui vous avez jeté un os à moelle en peluche et qui ne sait comment se dépatouiller du cadeau trop mou pour ses canines, alors la guitare leur est revenue sagement. Ne sont pas restés sur cet échec, sont des pédagogues, ils savent que la répétition est la base d'une saine pratique éducative, en ont tendu une autre à un grand gaillard en lui désignant les retours, le gars a hésité deux secondes, allait-il la fracasser tout de go, l'a opté pour la production de larsen, une note délicate dans le remue-ménage collectif. Vous connaissez le principe centenaire des mafieux, tu travailles pour nous, nous on te couvre. Z'ont intimé à un gars de s'occuper du micro, et à un autre de riffer comme si sa seconde vie en dépendait. Sont malheureusement tombés sur des timides, alors ils se sont vengés sur un téméraire qui était grimpé sur scène, lui ont passé deux guitares autour du cou, le zigoto était ligoté comme Houdini, en mieux car pas enfermé dans une malle, l'on a pu assister à ces efforts maladroits pour retrouver la liberté.

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    La chienlit aurait dit un célèbre général. Un chahut-bahut-dahut comme l'on n'en fait plus. Musicalement, un peu foutraque, mais chaud, si chaud ! Un dernier conseil si vous voyez une annonce de leur concert dans votre patelin, mafiez-vous de Johnny. Ce sont des tueurs.

    Damie Chad.

     

    NOT SCIENTISTS & JOHNNY MAFIA

    ( 45 Tours / 2019 )

    ( Kicking Records / 112 )

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    L'ont annoncé durant le concert, 4 titres, 5 euros, après le concert ce fut la ruée, on se serait cru à l'amap du samedi matin quand on vous prévient que le kilo de topinambour a encore baissé. Chemise cartonnée présentée dans une pochette plastique. Design géométrique qui attire l'œil mais qui ne le retient pas assez longtemps. Le vinyle est d'un beau bleu tendre.

    Side A : NOT SCIENTISTS : vous ne confondrez pas avec The Scientists groupe after-punk d'Australie, encore moins avec We-Are-Scientists des USA. Nos Not Scientists viennent de chez nous, sont composés d'Ed Scientist ( guitare, voix ), Jim Jim ( guitare, voix ), Thib Pressure ( basse ), Bizale le Bazile ( batterie ). Tournent en France et en Amérique du nord.

    Bleed : entrée quasi-guillerette. Attention parfois la fausse joie est plus acerbe que l'acrimonie la plus violente. Une espèce de rocktournelle adolescente emplie d'énergie et de fierté blessée. D'autant plus dangereuse donc. Poison : Entrée emphatique et puis l'on se dépêche d'avaler la coupe de poison à pleins traits. Une rythmique qui galope et les voix qui explosent comme une caution mélodique. Comediante et tragediante, voici que la musique se met à retentir d'accents mélodramatiques à l'espagnole. Mais l'on revient à quelque chose de plus typiquement rock anglais avec fin échoïfiée.

    Side B : JOHNNY MAFIA : On les entend beaucoup mieux qu'en concert. Surtout les guitares. Davantage mélodiques aussi. Voix comme épaissie. De beaux vrillés de guitares. Ressemblent un peu à des groupes anglais de la belle époque. Eyeball : des espèces d'allées et venues de guitares fabuleuses, ça s'en vient et ça s'en va. Au milieu du morceau une espèce de cafouillage mélodique inventif et l'on repart pour ne pas terminer, soyons précis le début du morceau suivant est comme enchâssé dans la fin du dernier. A moins que ce ne soit le contraire. Spirit : comme des tremblés de guitares et puis les voix surviennent, ce sont-elles qui prennent le lead. Qui mènent la mélodie, la batterie en oublie son battement par trop entêtant. Il y a encore une petite surprise dans ce morceau comme dans le précédent. Johnny Mafia quitte l'autoroute sur laquelle ils s'étaient lancés à pleine puissance, comme s'ils avaient un truc de trucker urgent à montrer à leur passager. Qui le changera de l'habitude de vivre.

    Deux groupes qui ne se sont pas associés artificiellement. Se ressemblent même presque trop.

    Damie Chad.

     

    EN VIVO / A CONTRA BLUES

    ( Enregistré les 17 et 18 mars 2012

    au Conservatoire de Liceo / Barcelone )

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    Souvenez-vous c'était au mois d'août 2016, je vous racontais l'histoire de cette petite fille écrasée de fatigue et de froid dans son camion, en pleine nuit ariégeoise, j'aurais parié pour sa mort sous hypotension prochaine, quand je l'ai vue installée derrière la batterie d'A Contra Blues, je me demandais si elle aurait la force de soulever une baguette, et tout de suite en trois coups elle a nous a offert Tchernobyl et Hiroshima sans amour, une frappe atomique, et à ses côtés cette espèce de géant issu d'un conte de sorcières, chaque fois qu'il ouvrait la bouche il y avait un building qui s'écroulait à Chicago, un des meilleurs concerts de blues que je n'aie jamais entendu. ( les amateurs se reporteront à la livraison 293 du 08 / 09 / 293. )

    Et hier dans la pile de CD's, celui-ci encore enveloppé dans son emballage transparent ! Non ce n'est pas une malheureuse inadvertance, c'est pire qu'un crime contre l'humanité, c'est in crime contre le blues.

    Alberto Noël Calvilla Mendiola : guitare / Hector Martin diaz : guitare / Joan Vigo Fajin : contrebasse / Jonathan Herrero Herreria : vocal / Nuria Perich chastang : batterie.

    Everyday I have the blues : certains l'ont plus davantage que d'autres, l'on se souvient des versions inoubliables de B.B. King et de Memphis Slim, longues et lentes déclarations d'amour haineux au blues, chez A Contra Blues l'on ne flemmarde au lit au petit matin en se réveillant, pas question de s'apitoyer sur soi-même, ils n'ont pas à proprement parler le blues, mais la fièvre du blues, vous sentez la différence tout de suite, un tempo mid-jazz, mi-funk pour commencer, ensuite c'est la dégringolade, Jonathan vous jette son vocal comme s'il était en train d'invectiver un taureau qui retarde un max le moment de la mise à mort, ensuite une guitare qui s'énerve méchant, mais c'est Nuria qui vous exécute la bête avec le solo de batterie expéditif qui tue. Standing at the crossroad: attention avec un tel titre l'on rentre dans la mythologie blues par excellence, commencent par là où les autres finissent, le solo de guitare qui klaxonne d'habitude en fin de morceau vous arrache ici les oreilles dès le début, et puis shuffle vénéneux toujours parsemé de stridences cordiques et Jonathan qui vous mollarde le vocal comme une lettre d'insultes à votre banquier, ne s'attardent guère au milieu du carrefour, vous expédient le tout en un final définitif au diable vauvert. Yon never can tell : qui dit blues, dit rock, c'est logique, une association d'idées naturelle, et pan un classique, Jonathan nasille encore mieux que Chuck Berry, certes à la fin il n'y tient plus et vous jette les dernières pelletées de mots à la manière des croques-morts pressés de terminer le boulot avant la pause-déjeuner, et l'orchestre derrière, ben il n'oublie pas sa nationalité espagnole, n'ignore pas que le grand Chucky n'a pas fait que du rock, l'avait aussi une prédilection pour le calypso-caribean, alors il s'y colle à merveille, les guitares deviennent langoureuses et Nuria vous bat la marmelade comme si elle accompagnait Compay Segundo à la Havane. Guitar man : l'on connaît l'anecdote Jerry Reed convoqué par Elvis pour jouer de la guitare sur sa reprise de Guitar Man et le pauvre Jerry tellement ému qu'il est obligé de s'isoler dans sa bagnole pour retrouver le riff qu'il n'arrivait pas à sortir devant le King, Jonathan lui rend un bel hommage et puis se jette sur le vocal pour le bouffer tout cru, vous le descend à la vitesse de ces piliers de bistrots marseillais qui vous enfilent un mètre de pastis en moins de trente secondes, derrière guitares et contrebasse sont à la fête, vous expédient le bébé vitesse grand V. 44 : chasse gardée pour Jonathan, un morceau taillée à la démesure de sa voix, les musicos vous font un beau raffut sur les deux ponts, mais Jonathan se la joue un peu à la Tom Jones survitaminé, étale ses octaves comme d'autres le linge sale à la fenêtre. Spoonful : retour au blues le plus pur, le morceau roi du disque, du pain bénit pour la contrebasse de Joan, Un bel hommage à Howlin' Wolf, Jonathan ne tombe pas dans le piège de coller au phrasé enroué du loup du blues, nous la joue à Peggy Lee sur Fever, mais il reste fidèle à l'esprit du blues par deux longs passages de spoken words du meilleur effet, le public se prête au jeu et hulule en douceur pendant que Nuria caresse ses cymbales, les guitares restent discrètes se contentant de claquer en fin de vers comme les rimes des sonnets de José-Maria de Heredia. Wine : du blues alcoolisé au rock'n'roll, le shuffle parce que le corps tangue, mais le vocal explose car dans votre tête tout s'entremêle et les guitares deviennent folles. How blues can you get : dissipation des vapeurs, lendemains d'extase et jours de solitude, à la B. B. King, les guitares qui envoient des notes à l'économie, de temps en temps, mais qui font mouche à chaque fois. Toute la tristesse du monde tombe sur vous. Vous êtes foutus, heureusement qu'Alberto et Hector enfilent des perles sur les cordes de leur guitare et finissent par vous offrir un collier de rutilances qui ne tardent pas à se dissiper dans le néant du désespoir. Tempête en fin de morceau. Night time is the right time : longue présentation des musicos et de la team d'accompagnement en milieu de morceau, avaient commencé en force terminent en beauté accompagné par le public qui s'époumone avec plaisir.

    Blues éclectique mais de la meilleure farine dont on fait les biscuits royaux. Un Regal !

    Damie Chad.

    UN SIECLE DE POP

    HUGH GREGORY

    ( Vade Retro / 1998 )

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    Pas un livre de plus sur le rock'n'roll. Le titre n'est pas menteur. Pop au sens de musiques populaires. Pluriel non hasardeux. En entrouvrant le livre rapidement vous glanez au hasard quelques noms en grosses lettres, Glenn Miller, Buddy Holly, David Bowie, Rolling Stones... mais ce n'est pas le récapitulatif des grandes vedettes du rock'n'roll et de la pop qui sont chronologiquement épluchées une à une. Le book ne s'intéresse pas aux individus mais aux courants musicaux, exemple vous n'apprendrez pas l'essentiel que vous devez savoir sur Elvis Presley, juste quelques rudiments de base, et la notice ne s'attarde pas uniquement sur la divine personne du King, très vite elle embrasse toute la période et cite quelques pionniers, sans s'attarder outre mesure. En gros un amateur de rock connaît cela par cœur. N'empêche que le bouquin est bien fait.

    Cela fonctionne à la manière d'une mosaïque labyrinthique mobile. Un jeu de go à vous rendre fou, à vous faire perdre vos certitudes. C'est qu'aucune tesselle ne possède un emplacement vraiment fixe dans le dessin final. Ce qui ne veut pas dire que vous pouvez la placer n'importe où. Même si en y réfléchissant quelque peu il point en vous le désir anarchisant de décréter que sa place pourrait se nicher en n'importe quel endroit et cette idée absurde n'est pas aussi idiote et illogique qu'il n'y paraîtrait.

    Hugh Gregory vous vient en aide. Attardez-vous longuement sur les deux premières double-pages, à la limite vous n'avez plus besoin de lire la suite, la première ne vous sera compréhensible qu'après avoir vu la deuxième, mais prenez toutefois le temps de l'étudier. La tentation de passer très rapidement sera grande, ce n'est que la table des matières ! Première constatation, quel charcutier ce Gregory, ne voilà-t-il pas qu'il vous découpe l'histoire de la musique populaire en tranches égales à la manière d'un salami. La dernière est légèrement moins épaisse ( un dixième ) mais l'on ne peut lui en vouloir, elle s'arrête en 1999 et non en 2000, normal le livre est sorti en 1999 en sa version française. Je ne sais si en Angleterre elle s'arrêtait en 1998 !

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    Certes nous utilisons très facilement les expressions sixties, seventies... pour désigner les périodes de notre musique, mais ce découpage nous paraît à première vue bien superficiel. Et puis tout de même il y a des trucs qui clochent : pourquoi par exemple ranger les Rolling Stones dans la décennie 1980 – 1990 à côté de la House et du Hip-hop. Et cette fin en queue de poisson, terminer sur la rubrique La musique de films que vous n'attendiez pas obligatoirement, l'on a l'impression que l'auteur abandonne son armée de lecteurs en pleine campagne en ne leur spécifiant même pas qu'ils doivent maintenant se débrouiller par eux-mêmes pour rentrer chez eux. Leur a tout de même laissé quelques indices, les petits filets de couleurs différentes associés à chaque période temporelle.

    Il est temps de tourner la page. Le plan s'étale devant vos yeux. Vingt-six rectangles de sept couleurs différentes, sagement alignés comme des petits soldats. Entre eux des flèches qui se dirigent de l'un à un autre et qui dessinent un véritable parcours labyrinthique. Et là tout s'éclaire. Remarquez toutefois que la lumière a peut-être été conçue pour donner plus d'importance à l'obscurité primordiale. Je prends un exemple réduit à l'état squelettique : avez-vous déjà pensé que l'influence des musiques orientales s'est exercée aussi bien sur le bhangra, le funk et le Heavy Metal... Certes vous pensez à Kashmir de Led Zeppelin, par contre si vous n'avez que des notions très floues quant au banghra faire un tour par ce bouquin, il pourrait vous aider. ( Vous le trouvez à moins de trois euros sur le net ) Tout ceci pour vous expliquer pourquoi les deux pages consacrées à Miles Davies se rencontrent dans la dernière décennie du siècle précédent alors que son chef d'œuvre Kind of blues date de 1959, et In a silent way de 1967. Hugh Gregory s'intéresse avant tout aux influences tant historiques ( transfert des populations, migrations ) que technologiques ( électrification de la guitare, apparition de l'appareillage électro-acoustique dans les foyers, apparition de la radio et de la télévision... ).

    Reste que la lecture de l'ensemble de l'ouvrage se révèle enrichissante. Une étonnante constatation, les cinq premières décennies sont les plus passionnantes. Ce n'est pas que l'auteur ait bâclé les dernières, c'est que la première moitié du siècle est en quelque sorte quantitativement moins riche. Irremplaçable certes, et vraisemblablement musicalement la plus authentique, mais il n'y a pas la profusion d'artistes qui ira en un galop exponentiel par la suite. Pour le tout début manquent les enregistrements, ce qui est un énorme frein quant à la vision subséquemment parcellaire de ces époques lointaines quelque peu floutées. La synthèse des rares données s'en trouve de ce fait facilitée.

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    Deuxième constatation : le livre n'est pas partisan. Gregory nous parle de musiques populaires, ce que nous pouvons traduire par qui plaît au peuple, et l'on s'aperçoit que le rock ( en englobant ce que lui dissocie en Rock'n'roll / Rockabilly et Rock en un sens beaucoup plus large quasi-totalitaire ) n'est pas selon nos préférences le vecteur principal des goûts du public. Que votre fierté de rocker n'en prenne pas un coup, au contraire, plus le rock sera minoritaire plus il retrouvera sa pernicieuse faconde. Ce sont les minorités actives qui mènent le monde car elles portent en elles la faculté d'influencer les modes de vie. Même s'il brouille un peu le message en ne différenciant pas ce qui tient de la musique au sens strict et de la culture au sens large et surtout en employant le terme rock par trop générique pour traiter du travail des majors dont Hugh Gregory dénonce l'effet délétère sur sa transformation en musique grand public. Donne tout de même l'impression de plaider pour un affadissement de la production au cours des années. A le lire on se demande comment il envisage la production actuelle des cinq premiers lustres du troisième millénaire...

    Remet un peu la hiérarchie des vaches sacrées en place. Par exemple pas de pages génériques consacrées au mouvement hippies, aux bikers, teds et autres '' mauvais garçons''. Entre musique blanche et musique noire, son cœur balance pour la noire, la soul au détriment du rock'n'roll, c'est elle qui mène le bal, plus organique, plus matricielle, plus morcelable, plus fertile, moins figée. La musique européennes dont il discerne les racines les plus profondes, la musique savante '' classique '' religieuse et profane, notamment l'Opéra, et la folklorique plus vivante mais un peu ossifiée par la préservation qu'en effectuèrent les générations venues du continent, une conservation formelle à comprendre comme un signe identitaire de rattachement à leurs origines, aurait par ses charpentes structurelles empêché toute liberté créatrice si ce n'est par une déliquescence des plus mortifères. Des chansonnettes de Tin Pan Alley à l'easy listenin d'aujourd'hui, la pente fatale se serait poursuivie sans anicroche. Pensons à Eno qui jouit d'une réputation de novateur et sa Music for Airports de 1978, comme si l'originalité aboutissait à la revendication de la notion d'insignifiance. Le savoir-faire se métamorphosant en manipulation mentale. Les originelles percussions africaines frappant encore à la porte du paradis pour demander à y entrer. Quand on entend le rap-variétoche que diffusent les stations nationales de par chez nous l'on se demande si elles n'ont pas réussi à s'asseoir à la droite du bon dieu blanc. Cantiques édulcorés pour tout le monde.

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    Livre qui pousse à réfléchir, pour aider à cela, un index final n'aurait pas été de trop. De même, parfois les photos deviennent envahissantes. Bizarrement la section que j'ai préférée traite de la house. Ce n'est pas que j'éprouve une quelconque satisfaction à l'écouter. Un son trop monotone et trop maigrichon à mon humble avis. Mais quand ce mouvement est apparu en nos vertes contrées je participais à une radio locale et deux jeunes collègues avaient réussi à fédérer autour de leur émission, je ne me souviens plus de son titre ( cinq fois par semaines, horaires en fin d'après-midi ) toute une jeunesse qui habitait dans des patelins perdus dans les fonds désertiques de la Seine & Marne, longtemps depuis les tout premiers disques des Rolling Stones que je n'avais ressenti une telle ferveur chez des ados d'une quinzaine d'années. Rassurez-vous, l'émission fut vite supprimée ! Pour une fois qu'une chronique offre une fin morale vous n'allez pas vous plaindre !

    Damie Chad.