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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 79

  • CHRONIQUES DE POURPRE 432 : KR'TNT ! 432 : GODZ / MYSTIC BRAVES / PATIENT Z / PRINCE ALBERT / POSPISH POTOM / AMN&' ZIK / VELLOCET

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 432

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    03 / 10 / 2019

     

    GODZ / MYSTIC BRAVES / PATIENT Z /

    PRINCE ALBERT / POSPISH POTOM

    AMN&' ZIK  / VELLOCET

     

    Oh my Godz !

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    S’il existe sur cette terre un groupe digne d’incarner l’anti-system, c’est bien les Godz. Oh my Godz ! Ces quatre New-Yorkais s’amusèrent en leur temps à enregistrer l’un des disques les plus insupportables de l’histoire du rock. Cet album ne pouvait paraître que sur ESP, le label new-yorkais un peu anar de Bernard Stollman. Sur ESP, on trouvait aussi les Fugs, Sun Ra et des albums de free dont personne ne voulait parce qu’ils faisaient mal aux oreilles.

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    Johnnie Johnstone nous rappelle qu’en 1965, la scène new-yorkaise était encore très classique. C’était juste un peu avant le Velvet. New York était alors la ville du folk et des jazz clubs. La rock music scene concernait très peu de gens. L’histoire des Godz commence chez un disquaire de la 49e rue : Sam Goody Record Store. C’est là que Larry Kessler rencontre Jim McCarthy et Paul Thornton. Ils ont en commun un strong love of rock’n’roll and marijuana et un dégoût profond de la politique que mène le gouvernement américain à l’étranger. Pour lutter contre l’impérialisme américain, ils décident de faire de la musique d’une façon très originale : en jouant par exemple sur des instruments dont ils ne savent pas jouer. Le guitariste Paul Thornton joue de la batterie, ils mettent le chanteur Jim McCarthy à la guitare, et le violoniste Larry Kessler joue de la basse. Leur concept : adventure throught unfamiliarity, c’est-à-dire au petit bonheur la chance. Et ils se mettent à faire du bruit like a bunch of maniacs, out of frustration. Qualifions leur démarche de parti-pris provocateur, si vous voulez bien. Une sorte de dadaïsme inconscient.

    Ils admirent énormément les Fugs mais la grande différence c’est que les Fugs font jouer un groupe derrière eux, car ils sont poètes, pas musiciens. Les Godz ne sont ni poètes, ni musiciens. Les Fugs rêvent de devenir des rock stars. Les Godz font tout ce qui est en leur pouvoir pour ne jamais le devenir. Plutôt crever ! Les Fugs décrochent un contrat chez Warner Bros. Par contre, personne ne veut des Godz qui ne sont ni polis ni intellectuels. Avant de passer chez Warner, les Fugs avaient fait paraître leurs deux premiers albums sur ESP, et curieusement, Larry Kessler travaille chez ESP. Il négocie un deal pour les Godz avec Bernard Stollman. Okay Larry. Stollman leur accorde trois heures pour enregistrer un single. Les Godz en profitent pour enregistrer leur premier album - It was just a freak-out in the studio - Tout sur cet album est du 100% first take.

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    Ce premier freak-out des Godz s’appelle Contact High With The Godz. Comme chacun sait, tous les amateurs de rock purgent régulièrement leur discothèque. On vire les trucs qu’on n’écoute plus et ceux qu’on finit par détester. Curieusement, ma vieille copie de Contact High With The Godz a survécu aux purges. Pourquoi ? Sans doute parce qu’elle n’avait pas la moindre chance de survie dans une discothèque triée sur le volet. L’album continuait d’émettre une sorte d’infime éclat de légendarité underground. Il suffit d’écouter «Turn On» pour essayer de s’en convaincre : qualifions ça de folk-rock débilitant joué au basson. Pour des gens qui ne veulent pas savoir jouer, force est d’admettre qu’ils savent quand même jouer. Sur «White Cat Heat», ils miaulent. Ils inventent la psychedelia animale. En B, ils s’engagent dans le même genre de délire que les Holy Modal Rounders, avec du folk-rock psychédélique férocement anti-commercial. Pourquoi écoute-t-on «1+1=?» ? Parce que c’est aussi insolent que pouvaient l’être Les Chants de Maldoror. C’est l’unique raison. Ils s’enferrent dans le folk provocateur avec «Lay In The Sun». Les Godz veillent à rester sans foi ni loi, on entend des coups d’harmo ici et là, c’est très sauvage, au sens de l’étalon indomptable d’Hopalong Cassidy. Contact High With The Godz ne pouvait sortir que sur un seul label au monde : ESP. Ils terminent avec une reprise du «May You Be Alone» d’Hank Williams. Les spécialistes taxent ça d’insanely unmelodic drones. C’est vrai qu’en matière d’insanité, on est servi.

    Ce premier album paraît six mois avant le premier Velvet. Les deux groupes ne se fréquentent pas - They were more commercial than we were - Les Godz n’aiment pas non plus les gens qui essayent de sonner comme les Beatles ou les Stones. En gros, Larry Kessler considère les Godz comme des hipsters du Lower East Side. Lester Bangs finira par chanter leurs louanges dans l’insupportable Carburator Dung.

    Quand ils sont en studio, ils sont toujours high and drunk. Seuls avec l’ingé son. No visitors. Et l’ingé son finit toujours par jouer avec eux. Sur scène ils mettent une demi-heure à s’accorder et quand ils attaquent avec «White Cat Heat», la salle commence à se vider. En général, on les vire du club. Un petit jeu provocateur auquel se prêteront un peu plus tard Alan Vega et Martin Rev.

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    Larry et ses amis parviennent à enregistrer un deuxième album, Godz 2, en 1967. Comme ils ont commencé à travailler leurs instruments, l’album sonne un peu mieux que le précédent. C’est là que se trouve «Radar Eyes», considéré à juste titre comme un classique proto-punk. C’est même digne des 13th Floor, ils y vont à coups de cry cry cry sur le heavy beat le plus subterranean de l’underground. Ils s’arrangent même pour en altérer le son, vers la fin. Si globalement le son de l’album change, c’est parce que les drogues changent. Ils carburent alors au LSD. Ils reviennent à leur chère désaille folky-folkah avec «When» et au néant absolu avec «New Song». Voilà encore un album fort peu recommandable. Seuls les fous littéraires sauront l’apprécier. Il faut avoir le cœur bien accroché pour écouter un truc comme «Squeek». Ils sauvent leur fin d’A avec «Soon The Moon», petit shoot de garage psyché. En B, ils tapent éventuellement dans les Beatles avec «You Won’t See Me» et sonnent comme les Electric Prunes avec «Permanent Green». Ils sont parfaitement capables de jouer des cuts normaux et intéressants.

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    Ils se calment un peu avec le troisième album, The Third Testament, paru en 1968. Larry Kessler le considère comme le crowning achievement. Ils font un peu de musique conventionnelle avec un «Like A Sparrow» qui sonne comme un country-rock lumineux. Ils lui donnent la patine du grain de folie déterminant. C’est tout le secret de la puissance de l’underground, surtout quand un groupe devient culte : la liberté de ton, voilà le secret de son apanage. Jim McCarthy chante «Ruby Red» et c’est gratté à l’acou new-yorkais. Il chante aussi «Down By The River» à la small transe hypno. Il reste dans la petite pop insouciante pour «Neet Street», et flirte avec le son des Lovin’ Spoonful. Voilà un cut qui sent bon le printemps.

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    Ils évoluent encore avec Godzundheit, paru en 1973. On y trouve des mélodies et ils semblent même jouer ensemble. So what went wrong ? Larry Kessler explique qu’à cette époque ils avaient tous les trois des groupes différents et qu’ils étaient venus en studio enregistrer leurs chansons respectives avec leurs groupes respectifs. Mais ça ne sonnait pas comme les Godz. C’est pourtant leur album le plus consistant. Leur version de «Jumping Jack Flash» en bouche un coin. Ils chantent tous les trois le gas gas gas et Jim McCarthy drive la bête. Il shoote une sacrée dose de niaque new-yorkaise dans la Stonesy. On trouve pas mal de choses intéressantes en A, à commencer par «Take The Time» que chante et gratte Larry Kessler. Belle pop new-yorkaise ambitieuse et jouée à la bravado, aménagée d’espaces verts propices aux solos de Charles Cazalet. Oh my Godz, Kessler sait chanter ! S’ensuit un «Dirty Windows» bien senti. On retrouve les trois Godz des origines dans cette petite samba pop inopinée. Bob Ringo Gallagher y joue un bien beau lead. C’est au tour de Paul Thornton de chanter «Give A Damn». Ils changent d’équipe à chaque cut, c’est très étudié. On a là une sorte de balladif élégiaque à la dylanesque très bien ficelé. Ils bouclent l’A avec «Women Of The World». Paul Thorton chante et joue un petit lead sur ce beau groove entraînant pulsé aux clap-hands. L’album est extrêmement dense et plutôt agréable. Les Godz virent leur cuti en cultivant un goût prononcé pour la pop de bonne facture. Incroyable mais vrai ! Le monde à l’envers !

    Ils se perdront de vue pendant vingt ans. Mais en 2005, une nouvelle tombe sur les téléscripteurs : les Godz se reforment ! Oh my Godz ! Jim McCarthy est moins présent, mais Larry Kessler et Paul Thornton piaffent de plus belle. Ils donnent pas mal de concerts, dans des facs et des frat houses, mais là où ça marche le mieux, c’est dans le Bowery, à New York. Ils ont enregistré un single en 2016, «America», et apparemment, un nouvel album est en route. Larry Kessler a 76 ans et il affirme en tapant du poing sur la table qu’il n’a pas l’intention de se calmer, Godzdamnit !

    Signé : Cazengler, Godzmichet

    Godz. Contact High With The Godz. ESP Disk 1966

    Godz. Godz 2. ESP Disk 1967

    Godz. The Third Testament. ESP Disk 1968

    Godz. Godzundheit. ESP Disk 1973

    Johnnie Johnstone : Permanent Green Light. Shindig #87 - January 2019

     

    Braves Mystic Braves

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    Rien qu’à les voir déambuler dans le grand hall, on sait qu’ils sont musiciens, et même américains. Avec leurs dégaines des hipsters californiens à la cloche de bois, les Mystic Braves tranchent non seulement avec la faune environnante, mais aussi avec l’image qu’on se fait ordinairement d’un groupe de rock américain. Pas de danger qu’on les confonde avec les Guns N’ Roses. Dans la réalité, ils paraissent moins flamboyants que sur les pochettes de leurs albums. Ce n’est pas qu’ils soient à deux doigts de faire la manche, mais on voit bien que leurs godasses sont trouées. Le chanteur d’appelle Julian Ducatenzeiler, un nom très facile à retenir. Pas très haut, il arbore un visage triangulaire aux traits d’une extrême finesse, porte le cheveu mi-long, une petite moustache assortie et des fringues qui frisent la fripe : une veste de treillis ouverte sur un marcel blanc très décolleté, un pantalon délicieusement indéfinissable et des baskets bâillantes aux semelles de vent, comme dirait son cousin éloigné Arthur Rimbaud. Le parallèle n’est pas innocent. Julian et Arthur trimbalent dans l’air du temps le même genre d’insoutenable légèreté de l’être. D’apparence plus frappante encore, voici Tony Malacara (basse), l’un des deux chicanos du groupe, gaillard charnu, portant sur l’environnement un regard interrogatif et romantique à la fois, le visage cadré serré par d’épaisses mèches de cheveux noirs, portant lui aussi une sorte de veste de bleu de travail et un pantalon qu’il remonte régulièrement des deux mains, histoire d’accuser un fabuleux feu de plancher. Pour compléter cet anti-déguisement, il porte des Beatles boots noires à élastiques et des bagues quasiment à tous les doigts. On découvrira par la suite que Tony Malacara compose environ la moitié des cuts du groupe, Julian Ducatenzeiler se chargeant de l’autre moitié. On y reviendra plus tard. L’autre chicano du groupe s’appelle Shane Stotsenberg (guitare). Il offre l’agréable spectacle d’un visage extrêmement bien dessiné, il porte le cheveu mi long et une petite moustache. Il se fringue lui aussi comme l’as de pique : chemisette blanche, pantalon noir, gros trousseau de clés extérieur et boots aux pieds, mais pas n’importe quelles boots, baby ! Il porte les snakeskin boots de Keith Richards, oui, celles qu’on voit dans la séquence filmée à Muscle Shoals lors de l’enregistrement de «Wild Horses», avec Jim Dickinson dans les parages. Et puis voilà le batteur, Cameron Gartung, un blond moustachu au crâne anormalement rétréci, comme s’il avait réussi à échapper à une tribu de Jivaros. Mais attention, sur scène, il groove du buste et des bras, comme s’il voulait onduler.

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    Voici enfin le moment de vérité. Rien n’est plus parlant que de voir un groupe se préparer. Pouf, il débarquent sur scène, se branchent et s’accordent, allez on va dire cinq minutes. Comme c’est reposant ! Ils nous épargnent le triste spectacle du guitar-tech qui accorde et réaccorde les mêmes guitares pendant une demi-heure avec des mines confites de scientifique affairé. Comme si le quart de ton allait influer sur le destin du genre humain ! Bon d’accord, on peut comprendre que certains musiciens soient obsédés par l’accord parfait, mais les gens s’en foutent, surtout ceux qui se mettent des bouchons dans les trous de nez. Quand en guise de check-up Shane Stotsenberg claque un accord chargé de réverb de rêve sur sa demi-caisse, on commence à saliver, car c’est LE son, ce vieux son du psyché californien qu’on croyait à jamais disparu. Le fameux accord du désert. Les Mystic Braves n’ont ni jeu de scène ni disposition particulière.

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    Le trio Ducatenzeiler/Malacara/Stotsenberg se met dans un coin, le batteur derrière et un mec s’installe à l’orgue de l’autre côté. On apprendra par la suite que l’organiste du groupe s’est blessé à la main et qu’il a dû se faire remplacer. Ces mecs sont à la ville comme à la scène, complètement immunisés contre le fléau des temps modernes, le m’as-tu-vu. Par contre, ils plongent dès les premières mesures dans leur univers, alors libre à chacun de les suivre ou pas. Soudain, la corrélation se fait : Mystic Braves, bon dieu mais c’est bien sûr !

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    Ils glissent et nous avec dans une mystique du son, un univers musical extrêmement raffiné, presque abstrait par l’éclat de sa clarté, en droite ligne de ce que Gram Parsons appelait la cosmic Americana, une sorte de quête du Graal américain. Comme chacun sait, le Graal n’est pas fait pour être découvert, mais pour être simplement recherché. Tout chez eux n’est que luxe, calme et volupté, mais au sens psychédélique de la formule.

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    Julian Ducatenzeiler chante sans jamais forcer sa voix, en surface d’un son léger et beau comme un air de printemps californien. Il joue ici et là des petits solos crispés sur sa Jaguar et Tony Malacara passe la moitié de son temps à poser sur lui un regard bienveillant. Le trio semble extrêmement concentré, extrêmement soudé et extrêmement content de jouer. Ils sont admirables de présence, reliés au sol par leurs trois gros cordons blancs tombant directement des prises de jack. Ils jouent la plus soft des psychedelia californiennes, et ça prend vite des proportions voyagistes. Bien sûr on pense aux Byrds, et dans les moments un peu plus exaltés, aux Seeds, mais sans fièvre. Uniquement de la classe.

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    Les Mystic Braves se montrent bien plus excitants que les Allah-las qui réussirent l’exploit de transformer un concert caennais en fiasco épouvantable. Les braves Mystic Braves sont beaucoup trop fins pour glisser sur une peau de banane. Ils sont comme qui dirait visités par la grâce. Leur son peut se faufiler dans n’importe quelle cervelle et y chatouiller des choses. Comme le font de leur côté les Schizophonics avec leur ramalama, les Mystic Braves réactualisent d’antiques mythologies. On croyait cette dimension de la psychedelia californienne disparue avec les Byrds et Arthur Lee, mais non, elle reste sacrément d’actualité, car ces braves mecs veillent au grain.

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    Leurs quatre albums n’en finissent plus d’amener de l’eau au moulin d’Alphonse Daudet : ils démultiplient à l’infini cet étonnant mélange d’aisance et de fraîcheur qui caractérise leur prestation scénique. Quatre albums en cinq ans, ça va.

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    Le premier paraît en 2013, sans titre. La pochette au motif rondement abstrait flirte vaguement avec l’esthétique du Dead. Souffrant d’un léger déficit productiviste, l’album poursuit néanmoins son petit bonhomme de chemin, comme s’il se moquait du qu’en-dira-t-on. Il prend l’apparence d’un «Mystic Rabbit» d’Americana douceâtre finement peaufinée d’argentina californienne. Cette subtile combinaison de légèreté, de charme discret, d’absence totale de prétention et d’assurance semble dessiner un avenir. Curieusement, on se sent bien dans leur son, à la ville comme à la scène. Ils savent aussi passer en mode lo-fi, comme le montre «Misery Loves Company». Ces mecs ont une vision extrêmement pure du son et ça leur donne un crédit considérable. Un parallèle avec Anton Newcombe s’impose. On retrouve chez ces braves Mystic Braves le soin du son, ni trop peu, ni trop trop, juste ce qu’il faut, dans la droite ligne d’une Americana bien balancée, bien dans sa peau. Le «Cloud 9» qui ouvre le bal de la B frappe par sa fraîcheur de ton et le côté aérien des guitares. Ce subtil dosage impressionne et captive. Il est certainement plus difficile à réussir qu’un ramalama de guitares fuzz. «Strange Lovers» n’est rien d’autre qu’un beau mid-tempo d’Americana qui navigue en père peinard sur la grand-mare des canards. Ils ne sortent jamais de leur son, ils s’y sentent bien. Tony Malacara se laisse parfois tenter par le Tex-Mex, comme le montre «Vicious Circle». Il renoue avec cette vieille tradition de la frontière qui remonte à Doug Sahm et qui mêlait si délicieusement psychedelia et Tex-Mex Sound. Petite cerise sur le gâteau : le cut renferme un beau moment de folie qui rappelle ceux des Seeds.

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    Pour la pochette de Desert Island paru l’année suivante, les braves Mystic Braves posent assis dans les rochers, comme des guerriers apaches. Tiens puisqu’on parlait des Seeds, on trouve en B un cut qui sonne comme une reprise des Seeds : «Born Without A Heart». Joli jus de juke, et comme ils le travaillent avec soin, ça passe comme une lettre à la poste. «Earthshake» évoque aussi les Seeds, avec un son filigrané de perles et de spliffs, de dents blanches et de fleurs - All the pictures are falling from the wall - Le hit de l’album s’appelle «Coyote Blood». Ils l’emmènent à bonne allure et Julian Ducatenzeiler maintient son chant en suspension - It’s gotta be that damn coyote blood in me - Retour au Tex-Mex avec un «I Want You Back» salué aux trompettes mariachi. Voilà une petite merveille de sobriété hardiment troussée, extrêmement véloce et fine en même temps. «Bright Blue Day Haze» s’apparente à la meilleure psychedelia longiligne, diluée dans l’air chaud et soigneusement distillée. Si on aime l’envoûtement, il faut écouter les Mystic Braves, comme on écoutait autrefois les Byrds. Mesdames et messieurs, nous atteignons l’altitude de «Eight Miles High».

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    Paru l’année suivante, Days Of Yesteryear pourrait bien être leur meilleur album. On les voit tous les cinq bien rangés sur la pochette, comme le sont les Stones sur la pochette de 12 X 5. À voir l’expression de Julian Ducatenzeiler, en haut à droite, on comprend mieux l’essence du mysticisme des braves Mystic Braves. Il semble en effet un brin far-out there, ce qui est très bien. Puisqu’on évoquait la parenté avec les Byrds, en voilà l’illustration parfaite : «Down On Me». Stupéfiant ! Bardé de belles cassures de rythme psychédéliques et un solo se jette littéralement dans le tourbillon groovytal. Ils reviennent aux Seeds avec «Now That You’re Gone» et se veulent très infectueux. Ce mec chante réellement à l’idéale, à la pure insinuation psychédélique. S’il fallait les résumer par un seul mot, ce serait finessepsychédélique. Et dès l’ouverture du bal d’A, ce démon softy de Julian Ducatenzeiler impressionne. Il ne chante pas, non, il tartine plaisamment, bien emmené par un beat sec et pressé. Ils n’en finissent pas de jouer la carte de la finessepsychédélique, débitant nonchalamment leur groove racé à peine teinté d’orgue. Théoriquement, ces mecs devraient devenir les héros des amateurs de psychedelia. On note au passage que Tony Malacara signe cette magistrale entrée en matière. Ils ramènent à la suite un brin de Misery dans «No Trash», et un petit solo nerveux s’inscrit dans la droite ligne du party. Cet album s’installe latéralement, le son s’étend comme le crépuscule sur le désert. Nouvelle merveille que cet «As You Wonder Why» articulé sur des chutes de chant tirées à quatre épingles. Leur «Spanish Rain» d’ouverture de bal de B sonne presque anglais. Les voilà aux frontières de la pop, mais sans la moindre prétention. S’ensuit un «Corazon» joliment enlevé, joué à la bonne mesure de guitares discrètes, avec une voix bien détachée dans le mix. Tant qu’on y est, on peut aussi saluer «Great Company», fantastique shoot de psyché californienne élastique et pleine de saveurs, jouée dans les règles de l’art. C’est un son qui pourrait presque se humer.

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    Ils finissent par choisir un visuel psychédélique pour orner la pochette de The Great Unknown paru l’an passé. Une sorte de corolle rouge transfigure un crépuscule médusé. Par contre, l’album ne transfigure rien de spécial, il reste dans l’esprit tranquille des jours tranquilles à Clicky. «Under Control» ? Oh doucement, les gars, on a le temps, pas la peine de speeder. Ils ne forcent jamais le destin d’une chanson. Elle doit couler de source, comme un ruisseau dans les alpages. Les cuts sont parfois trop doux et peuvent endormir l’imprudent, c’est d’ailleurs ce qui s’est produit pour certains pendant le concert. Mais comme on le constate à l’écoute de «Perfect Person», la beauté sibylline finit par l’emporter et par laisser sur les lèvres un léger goût d’enchantement. Mais encore une fois, on a les lèvres qu’on peut. Sur cet album, tout est soigneusement calibré, aucun excès, les solos se délitent comme des fils d’argent dans l’embrasement du crépuscule. Les braves Mystic Braves emmènent leur «Can’t Have Love» au who-oh-oh et donnent encore une fois une belle leçon d’extrême pureté psychédélique. Ils ne font que rafraîchir les vieilles racines du rock californien. On tombe en B sur un «What Went Wrong» monté en mid-tempo et joué à l’économie maximaliste. Pas une note de trop, ils jouent à l’éparse et le solo s’écoule doucement en note à note dans l’aveuglant éclat d’un azur immaculé. «Back To The Dark» rappelle vaguement le son qu’ont les Yardbirds dans «Happening Ten Years Ago» et le hit de l’album pourrait bien être le morceau titre. Julian Ducatenzeiler chante avec de lointains accents dylanesques - Got no destination and I don’t mind - Ce qui résume tout.

    Signé : Cazengler, Mystic trave

    Mystic Braves. Le 106. Rouen (76). 18 septembre 2019

    Mystic Braves. Mystic Braves. Lolipop Records 2013

    Mystic Braves. Desert Island. Lolipop Records 2014

    Mystic Braves. Days Of Yesteryear. Lolipop Records 2015

    Mystic Braves. The Great Unknown. Lolipop Records 2018

     

    COMEDIA / 27 – 09 – 2019

    PATIENT Z / PRINCE ALBERT

    POSPISH POTOM

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    Eloge de la folie. A écrit Erasme. A croire que notre érudit de la Renaissance a dû trouver un trou dans l'espace-temps pour venir visiter La Comedia, ce vendredi soir, avant d'écrire son bouquin. La soirée fut chaude. Very hot, muy caliente.

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    Mais peut-être lecteur ou lectrice émérite avant de commencer ta lecture voudras-tu être – au moins mentalement – semblable à ces élus qui sont allés communier à l'autel de la Comedia, afin de recevoir l'initiation ultime, après t'être longuement recueilli(e) devant l'icône, peinte par le maître Martin Peronard, de la Comedia, morte et enterrée selon les foudres administratives et les sectateurs de la moraline montreuilloise, mais miraculeusement ressuscitée depuis un an, telle un phénix éternel, et dont tu es, par le maître de cérémonie M' Coco, invité à boire les cendres mêlées à un mojito à base de vodka et de citron ce qui te donne droit de t'incliner devant le dévoilement de l'affiche du récidiviste Péronard qui présente la couverture du prochain vinyl ''Nasty Nest''dans lequel s'illustrent bruyamment quatorze des groupes qui cette année sont venus jouer dans l'antre comedique de la divine assagesse rock. C'est ainsi que pressé par l'émotion et par la foule tu peux te remettre de tes émotions en t'accoudant au bar ou en te présentant devant la scène.

    PATIENT Z

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    Ne jouent pas sous X. Clament hautement leur origine, viennent d'Orléans, pas de la Nouvelle, mais l'ancienne, la seule, l'unique, à laquelle font référence les livres d'écoliers. Tout laisse à penser que dans leurs jeunes années ils ne furent pas des plus sages, ces jeunes gens respirent l'indiscipline gauloise, n'y peuvent rien, c'est dans leurs gènes, Z'adorent le bruit, Z'aiment la musique festive et Z'adulent les saccades remuantes vous Z'ettent tout de suite dans l'ambiance avec ce bruit de Zirène qui retentit pour annoncer l'explosion de la centrale nucléaire la plus proche. Vous ne pourrez pas leur reprocher de ne pas vous avoir avertis. Bizarrement personne ne Z'e rue vers les Z'orties de Z'ecours.

    T'as qu'à, Xtrophe, regarder – je n'y peux rien Le Doyen se nomme ainsi - l'ont relégué dans un coin, difficile de l'apercevoir, par contre vous l'entendez, il a la frappe racinienne, vous savez ces serpents qui sifflent sur vos têtes, l'a un penchant monstrueux pour le chuintement délibératif des cymbales et le bruissement cachotier de la charleston, même que de temps en temps il lui refile en douce un coup de baguette afin qu'elle vibre davantage, c'est son job, vous affole les oreilles, z'avez l'impression d'avoir la tête de Méduse auréolée de serpents qui sifflent dans vos tympans, un sonore carnage à la Caravage, bien sûr il tape aussi sur les toms mais soyons-en sûr son taf c'est de vous remplir votre tube auditif d'un énorme et strident zézaiement de locomotive à vapeur.

    PR Ben est à la guitare. PR, pour problème nous supputons. Et Camion Benne pour la fin du patronyme. Se charge de décharger les riffs. Pas un esthète. L'aime bien que ça tombe de haut et que ça vous ensevelisse d'un seul coup. Histoire de se mettre en joie. Il recommence illico. Vingt fois de suite. Il en sautille de ravissement. Et par un mimétisme incompréhensible la salle l'imite. Il attend que le calme revienne, et hop dans les trente secondes qui suivent il vous recouvre du gravier. Mais les meilleures plaisanteries sont les plus lourdes doit penser Dr No-no qui de sa basse pétaradante vient à son aide et vous prescrit une ordonnance de pluie de gros rochers contondants sur votre squelette. Et le public un peu maso entrechoque ses os avec encore plus d'entrain. Sur ce, Le Patient, ce n'est pas juste son nom, faut rajouter Just1 après le début, s'en vient déposer deux grains de sel supplémentaires. Le premier n'est pas le plus ulcérant, une fois sur deux il dépose sa guitare, car le plus grave c'est sa voix.

    Ne peut pas terminer un morceau sans annoncer que le suivant sera encore pire. Un gars honnête, ses prophéties se réalisent avec une régularité exemplaire. Le mec tout sourire qui sait se faire obéir, vous fouette de ses cordes vocales et l'assistance entière et tout le monde se hâte de se tressauter comme Justine sous le fouet du Marquis de Sade. Des pois sauteurs, salement remueurs. L'a le chant joyeux et jovial. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne nous énonce pas nos quatre vérités. Font un subtil va-et-vient entre les reprises des classiques du rock alternatif français et les morceaux plus mordants qui proviennent du punk d'outre-manche. Z'ont aussi leurs originaux pour lesquels vous reporterez plus bas à la chronique de leur dernier EP 7 titres.

    Vous ont déclenché une pagaille monstre, manière de hisser la barre à très haut niveau. Vous accaparent tellement l'esprit que les neuf dixièmes de l'assistance ne s'aperçoivent pas de l'entrée en force de la vague d'immigration russe qui traverse la Comedia et qui après avoir déposé un monceau de bagages s'engouffre pour se restaurer dans la cuisine.

    PRINCE ALBERT

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    Sa Majesté Royale s'empare de la scène comme l'on accède au trône. En offrant au peuple et aux fans ce qu'ils désirent. On va vite savoir le programme politique de la nouvelle dynastie. Un seule précepte, un seul commandement : rock'n'roll ! Prennent la succession de Patient Z sans vergogne. Refilent à Olivier le poste de ministre de la batterie. L'on sent tout de suite la différence. Se moque des cymbales, un peu de charleston certes pour occuper la population, mais lui c'est un mec à poigne. Vous abat de ces dégelées, à bras raccourcis sur la caisse claire à vous faire perdre la tête. Evidemment ce n'est qu'un leurre, une tambourinade gratuite et percutante pour vous abasourdir, vous ne savez plus où vous êtes, et c'est alors que Lefty Olivier vous met KO direct d'un direct du gauche sur le premier tom qui passe à sa portée. Imparable, deux coups de grosse caisse pour ponctuer le scoop de Trafalgar qui vient de vous tomber dessus, et hop il recommence aussi sec. C'est ce que l'on doit doit appeler une punch line.

    L'on pourrait croire que Virgile hériterait du portefeuille de le poésie – deux mots qui ne vont pas très bien ensemble - mais non l' a été commis d'office à la guitare et il faut reconnaître que ce n'est pas un mauvais choix. Sourire aux lèvres et aux doigts le riff fil de fer barbelé qui vous laboure le corps et vous entraîne dans une espèce d'énervement destructeur qui ne tarde pas à se manifester devant la scène. Au lieu de se fracasser les uns contre les autres, comme ces œufs que vous cassez méthodiquement sur le rebord de la poêle pour obtenir une omelette juteuse, les participants aux grands entrechoquements collectifs adoptent la technique du bulldozer qui consiste à entrer vivement dans le tas gesticulatif et à le culbuter contre le mur, bref une immense cohue indisciplinée porteuse d'un grand désordre.

    Tout devant Cédrick est le plus exposé au délire trépidant du fagot entremêlé des pogoteurs. Doit assurer les trois fonctions dumézilienne du chanteur de rock, chanter et jouer de la guitare, et de temps en temps lorsque la vague pogotrice passe à la hauteur de son micro, le recevoir sur les dents sans préavis. Mais il reste stoïque et continue et continue à diffuser comme si de rien n'était les édits claironnants du Prince Albert sur l'état du monde : Start up Nation, Les Hyènes, Ferme ta Gueule, Mafia, selon lesquelles tout va mal sur la planètehormis dans la Comedia emplie d'une liesse généralisée.

    Les fans déchaînés envahissent quelque peu la scène à tel point que Cyprien se demande s'il lui restera assez de place pour sa basse, mais rassuré par les sourires ravis de Virgile, il continue son ronronnement de tigre épileptique qui n'est pas étranger au remue-ménage collectif. Pour la grande histoire, il ne reste plus qu'à noter que dans les anales, que ce soir-là le règne du Prince Albert régna longtemps pour le plus grand bonheur de ses sujets. Qui surent lui assurer une gigantesque ovation terminale.

    POSPISH POTOM

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    L'on était prêts à tout leur pardonner. L'avant-veille ils traversaient l'Espagne, ce jour-là ils avaient parcouru, entassés dans une camionnette fatiguée, près de huit cents kilomètres depuis Toulouse, pour nous rejoindre. L'on subodorait une grande fatigue. Mais non, ont installé leur matos en un temps record, et la balance fut très courte, savaient exactement ce qu'ils voulaient. Virgile qui officiait pour régler les potentiomètres en est resté éberlué. Et puis, vous n'allez pas le croire, ce fut la folie pure. Il est indéniable que les russes ont le punk rosse.

    Batterie, basse, guitare plaquées contre le mur. Même pas le temps de nous attarder mentalement sur le grand espace laissé libre sur la scène, une pluie de plomb fondu fond sur nous. Question metal, nos sidérurgistes en connaissent un filon, mais c'est-là le moindre de leur souci, sont plutôt des adeptes d'un stoner-rock ultra rapide qui ravage les contrées d'une espèce de grind-punk-hardcore-toutefois-mélodique inconnu sous nos latitudes. Et puis surgit le chanteur. Le scalde dans ses longs cheveux s'empare du micro, et par on ne sait quel miracle, quel mirage, sa voix s'impose au déluge de feu. Il danse, il est l'est partout à la fois, sur scène et dans le public, une sorte de feu follet humain qui rebondit sur les corps des pogoteurs, semble à tout moment disparaître sous la presse meurtrière des excités atteints de la tremblante spasmodique de taureau furieux devenus fous et ivres de bonheur, mais il en ressort vivant tel un oiseau-tempête qui se joue des ouragans, et qui glisse victorieux sur des courants vertigineux. Une voix acérée à la manière des lanceurs de couteaux sadiques qui s'amusent à atteindre leurs proies. Pospish Potom vous enchaîne dans les serpents de la démesure slave, des morceaux courts et percutants, pas le temps de réaliser que vous êtes déjà morts, mais il vous redonne vie au suivant, vous insuffle une énergie des plus folles, pour vous assassiner une nouvelle fois très vite.

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    Dans la salle, c'est une bronca céleste, beaucoup se précipitent pour hurler dans le micro avec ce chaman démoniaque qui vous le tend complaisamment afin que vous puissiez rugir de toutes vos plus bestiales pulsations. La violence est à son comble, le devant de l'estrade se vide, plus personne n'ose revenir dans cette espèce de maelström orgiague, mais le vortex hallucinatoire se reforme et vous appelle, pour vous moudre sur la meule de toutes les pulsions destructrices que renferment votre chair. Ne joueront pas très longtemps, mais une trainée de feu dévorante, un aérolite dévastateur qui s'en vient déséquilibrer votre climat psychologique intérieur. Désormais, il y aura un avant et un après. Surchauffe dans votre cavité crânienne, ça sent la Russie et le roussi.

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    ( Plus tard : après le concert )

    Damie Chad.

    POSPISH POTOM / DORMEZ ENSUITE

    REMINISCENCES EPILEPTIQUES 2013 - 2018

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    Je l'avoue humblement mes connaissances de la langue russe sont pour le moins lacunaires, pour le titre de l'album je me suis débrouillé comme j'ai pu ( très mal ) avec les traducteurs, ensuite j'ai synthétisé deux lignes en deux mots ! Autre traduction d'après Discogs : le fruit de Yiliya Rryppby attribué à Potom B : période 2013 – 2018.

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    Ce 33 tours tiré à 300 exemplaires est la reproduction des trois premiers disques du groupe dans l'ordre : Démo ( 2014 ), Trop peu de saleté ( septembre 2015 ), Ne venez pas tel que vous êtes ( avril 2018 ) agrémenté en face B d'un bonus track. J'ai disposé les trois pochettes au-dessus des titres idoines.

    FACE A :

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    1 / Baiser comme une putain ( Dean dirg ) : partouze endiablée, une chatte pour vingt, la vie est belle, c'est fou comme on s'amuse, pour les réclamations adressez-vous à la ligue des Droits de l'Homme, la zique va droit au but, sur un air de fête. Déchéance sociale. Dénonciation au canon. 2 / Le perdant ( réseau social ) : dans la série j'ai tout perdu et je n'en suis pas plus fier que cela même si je ne cache rien de mon vécu. Je survis, c'est tout. La distorsion sociale érigée en art de vivre. A fond les ballons. C'est ainsi et pas autrement. La musique comme un crachat de fiel heureux. 3 /Le nez cassé ( règle de l'idiot ) : aussi bref qu'un coup de boule sur les narines, rien à redire, le punk qui vend son âme ne mérite aucune pitié, toujours cette goguenardise qui klaxonne et rutile lorsque la voix se tait avant de se jeter du haut du pont. 4 / La route de l'enfer ( Nitad ) : la guitare chuinte et la charge de cavalerie démarre. Attention, où que vous alliez l'enfer est sous vos pas. Même pas besoin de dire qu'il est facile de trébucher, il est là, un point c'est tout. Mais vous le saviez déjà. Pa la peine de déclamer, les chœurs du destin vous interrompent, mais pourquoi sont-ils emplis d'une telle bonne humeur ? 5 /Apprends-moi à baiser : ( brutal night ) : le puceau sarcastique demande des renseignements, s'énerve bellement mais la rythmique semble se foutre de sa gueule. Ce monde est décidément sans pitié. Qui baise bien, châtie bien. 6 / Un jour, il sera tard : comprenez qu'un jour j'aurai vieilli, j'aurai déjà vécu tous les coups foireux et cela viendra très tôt, le seul truc que vous pourrez faire pour moi sera de me tuer. La voix et l'accompagnement arrachent sec. Le meilleur morceau de ces démos qui sont à écouter comme des tranches de vie punk nihilistes. Réalisme socialiste sans concession !

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    7 / Pizdabol : menteur de merde, rien n'est plus beau que le punk, rien n'est plus beau que ma vie de dandy punk, je fais mon rock'n'roll punk, tu ne le feras jamais aussi bien que moi, menteur de merde ! Hargneux en diable et ces éclats de rire spasmodiques sur la fin, à croire qu'il est en train de déglutir de la merde. 8 / Tous les culs du monde : philosophie punk : bagarres tous azimuts,au fond des rades crades, camionnettes à fond de train, vivez intensément avant de mourir. Violent, méchant, cynique, rimbaldien, déplaira à Tante Berthe, surtout que la musique chauffe au chalumeau et la voix éructe grave. 9 / Je ne veux pas être ton chien : la voix aboie, la zique trombine, l'est sûr qu'il ne sera jamais l'esclave de la donzelle, ce n'est pas qu'il a mieux à faire, mais pire sûrement. Une explosion de haine. Se déchaîne sur la fin du morceau. Doit être en train de la mordre. 10 / Trop peu de saleté : attention une véritable profession de soi, souvent l'homme n'est que le singe de l'homme, entre eux et nous un abîme que rien ne pourra jamais combler, eux l'ennui, nous les créateurs d'une beauté convulsive. N'empêche que toutes les joies du désespoir sont permises. 11 / Club '' Le protagoniste de Last Night'' : rage intégrale, parfois l'on meurt au moment où l'on ne s'y attend pas, ne vous en prenez qu'à vous-même. Explosif. Le cerveau a dû être touché. 12 / Le punk m'a fatigué ( short days ) : le punk est partout, je le retrouve dans tous les endroits où je pose mes yeux, le système consomme et digère le punk comme toute autre merde. Le punk m'a tuer ! Le punk est un produit comme un autre. Amertume punk. Ces six morceaux ont permis au groupe de passer une étape, beaucoup plus violente, beaucoup plus maîtrisée.

    FACE B :

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    1 / Quel bienfait : vous aurez beau accumuler les années vous n'engrangerez que du vide. Sentence sans appel. Le morceau déboule à toute vitesse. Dépasse à peine une minute. Quels mots pourrait-on ajouter pour décrire l'insignifiance dont vous êtes pétri. 2 / Ne venez pas vous-même* : seuls les abrutis ont le courage de se réveiller. Il vaut mieux rester en soi-même dans sa cervelle peuplée de folie. Ce pays dans lequel nous vivons n'est pas pour nous. Une introduction musicale mélodramatique et puis une irruption vocale comme des WC qui débordent. Très fort. 3 / Je veux être ennuyeux ( Citizens Patrol ) : le bonheur du couple bourgeois dans toute sa splendeur, dans toute son horreur. Être bien habillé et consommer sans fin. Vous débite le programme en moins d'une minute et l'accompagnement vous emballe la médiocrité vitesse grand V. 4 / Oui ça baise : attention aux récupérations en tout genre, l'univers nous tend tous les pièges. Faut savoir les éviter, mais une fois que vous avez mis le doigt dans l'engrenage il ne vous reste plus qu'à introduire votre pénis. Le titre le plus long, sardonique comme quand vous vous dépêtrez d'une toile de tarentule. C'est sur la dernière minute que le morceau devient vraiment méchant. Pas de pitié si vous voulez survivre. 5 / Le meilleur buzz : urgence, le punk et le bonheur gisent au fond des caves, c'est là où vous découvrirez la vraie vie et jetterez aux orties votre ancienne défroque. 6 / Soutien : la suite du précédent, au fond de l'antre le groupe à soutenir. Air de fête 7 / Si le punk meurt soudainement l'hiver prochain ( Margaret Trasher ) : vite démenti, si le punk ne survit pas que n'avez-vous pas réalisé pour lui permettre de vivre ? Ne venez pas vous plaindre si une bombe vous tombe sur le coin du museau ! Avertissement implacable. La musique ne fait pas de cadeau. Vous passe au hachoir. 8 / Mauvais point d'observation : les russes seraient-ils tous des nihilistes, ce dernier morceau semble nous dire que le bonheur est impossible et que même toute l'énergie que je dépense n'est qu'une bataille de retardement. Le morceau vous découpe à la pale d'hélicoptère de combat. Bonus : Oui ça baise ? ( prise Alternative) : quoique cette version soit égayée par des chœurs à consonances féminines nous préférons la première.

    Damie Chad.

    * : après avoir longuement médité, j'en suis venu à mieux comprendre le nom du groupe, faut  l'intuiter comme la deuxième partie d'une phrase qui serait celle-ci : Deviens ce que tu dois être, ensuite tu pourras dormir.

     

    DESORDRE & ISOLEMENT

    PATIENT Z

    ( Autoproduction / Avril 2019 )

    Le Patient Just 1 : chant et guitare / Le Professeur Ben : guitare et chœurs / Le Docteur No-no : basse et vocal / Le Doyen Xtophe : batterie et chœurs.

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    Désordre : ça commence mal, sur une musique de cirque, un petit florilège de vos hommes politiques préférés. Ce serait dommage de casser le CD en deux parce que tout de suite après l'on rentre dans le vif du sujet. C'était juste pour savoir si vous êtes assez réactifs. Bienvenue au cirque : guitares grondeuses, branles de batterie et c'est parti pour le grand galop : écoutez bien, tout est dans les paroles, une longue métaphore filée qui compare nos politicards à des artistes de cirque qui cherchent ( et apparemment réussissent ) à vous enfumer. Le patient Just 1 vous débite cela à toute vitesse comme s'il croyait ne pas avoir le temps de tout dire. Et les trois autres le suivent à train d'enfer. Les sacrifiés : tempo un peu ralenti au début mais ils ne savent pas faire doucement, alors ils nous racontent une triste histoire. De la politique fiction, mais ne craignez rien, un jour l'aventure arrivera plus vite que ne le voulez. Pas besoin de vous expliquer un bon solo de guitare, une gymnastique de batterie et sur ce une étonnante fin mirlitonesque. Je vous laisse découvrir le pot aux roses fanées. Isolement : doivent bricoler à la maison, on les entend discuter le bout de gras, le résultat est sur la piste suivante. Du son sur les murs : une critique du showbiz, la variétoche que l'on vous passe à la télé, z'ont les guitares fusantes par derrière, la voix qui s'amuse sur les murs, n'auront pas besoin de laisser sécher pour repasser une seconde couche. Montrent un peu ce qu'ils savent faire sur la fin. Et puis ils rajoutent un dernier coup de badigeon vocal. Viva el capital : Karl Marx n'y avait pas pensé, un fake remake de Viva Espana pour chanter les beautés du capital. Nous vivons une époque formidable. Dansons tous ensemble, chantons tous en chœur le casatchok de la monnaie qui tinte agréablement sur le comptoir des banques. PTZ : beaucoup plus rock. Patient Z se présente, nous refont le coup ringard de la présentation de l'orchestre, mais à toute blinde, vous promettent en plus de vous guérir sur les chapeaux de roues. Vous refilent les meilleurs conseils psychologiques. Mais pourquoi cette ambulance qui vient vous chercher. Mais quel est ce bruit de casier de morgue en fin de piste et ce ricanement diabolique...

    Humour potache et satirique. Sérieux s'abstenir.

    Damie Chad.

    LA COMEDIA / 26 – 09 – 2019

    AMN&' ZIK / VELLOCET

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    Normalement après la soirée de vendredi et la tornade russe l'on aurait dû rester au lit ce samedi soir. Oui, mais d'abord le monde est rempli d'anormalités et puis surtout il y avait Vellocet, et qui dit Vellocet dit wild fine rock'n'roll, alors aucune hésitation, direction la Comedia... Faut être franc, les rares rescapés de la nuitée précédente s'agrippaient au bar pour donner l'illusion qu'ils étaient en pleine forme, oui mais il y avait Vellocet, et le public est arrivé, c'est fou comme chaque groupe draine ses propres fans, mais comme nous ne sommes pas là pour philosophiquement sociologiser, passons à la seule chose sérieuse qui subsiste encore sur notre planète : le rock'n'roll.

    AMN& 'ZIK

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    Un groupe que vous n'êtes pas prêts d'oublier. Durant la balance Eric Colère m'a glissé dans l'oreille '' C'est Amn& 'Zik, l'on tourne pas mal en Belgique avec eux !'' . J'étais prévenu, certes pour le moment les Amn& 'Zik étaient un peu en roue libre, calaient un début de morceau sans trop se presser, oui mais une demi-heure après vous ne les reconnaissiez plus. Un équipage de forbans. Plus question de se prélasser sous les cocotiers, le couteau entre les dents le long de la coque en train de s'emparer d'un galion chargé d'or.

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    Quatre. Pat le capitaine est au centre. Le mec solide, un dur qui n'est pas né de la dernière tempête, à la manière dont il empoigne sa guitare vous comprenez vite qu'il a déjà dû écumer le sel de tous les océans, tient ferme la barre, avec lui vous êtes sûrs que la baleine blanche du rock'n'roll a du souci à se faire, l'équipage va vous l 'harponner de belle manière et lui faire passer un mauvais quart d'heure. Âmes sensibles n'ayez crainte une fois qu'ils s'en seront rendus maîtres ils relâcheront le maudit cachalot, parce que le rock'n'roll est immortel. En attendant Pat donne ses ordres au porte-voix microphonique, et je peux vous certifier qu'il sait se faire obéir au doigt et à l'œil. Et puis attention, malgré sa mine Patibulaire de Capitaine Flint, l'a toutes les inflexions des sirènes rock'n'roll qui chantent à l'intérieur.

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    A ses côtés, Yann, l'âme damnée du Capitaine, aucun sourire n'éclaire son visage, souque ferme sur sa basse. Imperturbable. Le gars qui poursuit ses rêves sur ses cordes. Peuvent filer à la vitesse qu'ils veulent et virer lof sur lof, les tient dans sa ligne de mire, et ne les lâche pas du regard, n'a pas l'air de bouger mais toujours au plus haut des mâts à ferler les voiles lors des bourrasques apocalyptiques qui entraînent le navire amnésique vers les récifs sournoisement tapis au creux des vagues.

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    Max s'occupe de la batterie. Toms de tribord et toms de babord, feu roulant à faire exploser la sainte-barbe, l'est courbé sur sa caisse claire à croire qu'il n'arrête pas d'allumer les mèches de pétards de dynamite qui explosent régulièrement dans sa grosse caisse, les morceaux ont beau défiler, lui il n'a qu'une règle, vitesse de croisière en augmentation exponentielle, un véritable pousse à l'abordage. Pas de quartier. Pas de prisonnier.

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    Cocci et son foulard de pirate est à la lead. Sa spécialité c'est de s'accrocher aux haubans ennemis pour aller sous la mitraille noire hisser au plus haut de leurs mâts l'étamine noire à tête de mort flamboyante. L'a le solo fluide et translucide, un aileron de requin qui vous prend en chasse et qui ne vous lâche plus. Vous avez l'impression qu'il va s'élancer vers le ciel, qu'il est parti pour une extase d'or, et alors qu'il est en pleine expansion, ses collègues accélèrent le mouvement et passent par dessus-lui, une triple canonnade rythmique qui l'oblige à plonger au plus profond, à passer sous la coque du navire et à reprendre son ascension encore plus haut dans des hauteurs cristallines ignorées. Un soliste comme on n'en fait plus.

    Un grand bravo pour Fab l'ancien guitariste à qui pour un morceau Cocci cède la place. Un riffeur, à l'envoi rythmique nerveux, en opposition au style de Fab qui excelle dans la continuité harmonique et structurelle, toute la différence entre un Keith Richards et un Mick Taylor. L'on aimerait les entendre voguer et divaguer sur les vagues riffiques tous les deux ensemble.

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    Lorsque Amn&'Zik vous a pris en chasse, il ne vous lâche plus, un rock noir et lourd, terriblement bien balancé, un rock qui cogne et qui bastonne, Ainsi va le monde, QHS, Plus sombre, Assume, les titres en français parlent d'eux-mêmes, de ce monde sans pitié qui nous entoure, dans lequel notre devoir est de survivre. Coûte que coûte. Coûte que rock'n'roll.

    Entre nous soit dit, ne sont pas des amnésiques pour un sou, connaissent tous les sortilèges du rock'n'roll, vous les sortent un par un, les plus classiques, les plus tordus, un combo d'enfer, vous ont mis tout le monde d'accord, les jeunes moussaillons et les vieux loups de mer de la taverne du rat qui pète.

    VELLOCET

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    Lumière noire. A peine si dans l'ombre trouée d'une rouge lueur blafarde on les devine. Eric Colère est devant, immobile, dans le silence complet, sanglé de noir dans sa longue veste, ses cheveux en colère tombant le long de ses épaules. Il porte le micro à sa bouche et l'orage se déchaîne à la seconde. D'abord l'on ne saisit que le jeu de la batterie qui arrive comme en contrechant du vocal. Un crachat de voix suivi d'un raquellement de caisse claire, Hervé Gusmini se livre à un véritable travail de sculpteur, fait voler des éclats de marbre sonore à chaque fois que le hachoir de la voix se fige dans le silence, un squash incessant balle-mur, balle-mur, des ricochets sur le fleuve du néant, dans le noir vous avez l'impression qu'un crotale vient de vous mordre au visage et c'est lorsque ce premier morceau s'achève, que vous prenez conscience qu'il y aussi une basse et une guitare.

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    '' Bonjour, on s'appelle Vellocet, on joue du rock'n'roll !'' Tout est dit. Rien à ajouter. La preuve d'abord. L'annonce ensuite. Et l'on repart sur A l'Ombre des Latrines, le titre à lui tout seul évoque je ne sais pourquoi, la splendeur des cruautés et des orgies romaines. Vellocet, le rock des ruisseaux et de la fange. De la pourriture qui corrode notre monde. Derrière Eric, Christian Verrecchia à la basse et Bruno Labbe à la lead, tracent des épures au fusains. Collent au squelette de la batterie comme le boa s'accroche aux branches, n'ont rien à faire sinon d'assurer l'insurmontable tâche d'être toujours là comme des éclats de soleil noir sur le miroir du rock'n'roll. Un travail d'orfèvre qui serait chargé de ciseler des gravures sur de la chair humaine sans que jamais un cri ne retentisse. Que le sang coule, mais ne bave pas.

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    Sont ensemble depuis plusieurs années, il est sûr que cette précision millimétrique exige une connaissance instinctive de ses alter-égos. Pour une fois, l'on a un groupe de rock'n'roll devant soi, pas un regroupement de musiciens plus ou moins hétéroclites, ils ont forgé un son, une entité, un alliage subtil d'orichalques les plus mystérieux. Chaque titre vous gifle à la face. Colère impérial, ne bouge presque pas, l'immobilité est la force des Dieux affirmait Aristote, la statue du Commandeur, l'ouvre la bouche comme les grilles de l'enfer, lâche les gladiateurs dans l'arène. Une simplicité extrême, une maîtrise extraordinaire.

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    Gusmini – ferait mieux de s'appeler Gusmaxi – s'agite méthodiquement dans l'ombre, l'on ne perçoit que de temps en temps ces deux avant-bras mais il abat un boulot phénoménal, des tambours en éruption perpétuelle, un crépitement héphaïstique, c'est lui qui façonne la ductilité du son, lui refile sa reptation primale, et c'est sur cette ombre mouvante que Chris Verrecchia enlace les pelisses noires de ses ondes cordiques maléfiques, il doome sec avec cette gravité hiératique d'Ulysse égorgeant un chevreau noir pour que les morts reviennent à la surface de la terre laper le sang agonal. Verrecchia apporte à la musique de Vellocet l'inquiétude, l'angoisse et la peur, sans lesquelles le rock'n'roll ne serait que rêve rose insipide. Gethsémani, Que la nuit l'emporte ! Nobru Sixcordes, l'on a les surnoms de gloire que l'on mérite, est un dompteur de riffs, s'enferme dans une cage étroite avec les fauves les plus dangereux, les reptiles les plus venimeux, et quand il en remet un en liberté c'est la fureur de l'ours blessé qui fonce sur vous, ou un tigre royal qui vous déchire les entrailles de ses griffes acérées. L'Orphée sauvage qui vous endolorit l'âme. Au nom de Dieu, Eleison.

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    Il y eut un Bomber magnifique qui écrasa tout ce que l'on a entendu dans la Comedia depuis des mois. Un truc maléfique, une chape de haine et de malheur qui vous engloutit comme ces suaires blancs dont on enveloppe les morts les jours de grandes catastrophes. Bref douze titres aussi irradifs et dangereux que les douze Ouraniens.

    Et puis un rappel, trois derniers titres, Eric au micro, qui slappe les mots, les propulse, les atomise, les détruit. Et derrière les trois Parques qui s'amusent à couper les fils de notre existence au fur et à mesure qu'ils tissent le linceul des paroles proférées. Un set de toute beauté. Splendide. Ils s'appellent Vellocet. Retenez leur nom. Ils ne jouent que du rock'n'roll. Et ce soir ils furent le rock'n'roll.

    Damie Chad.

    ( Photos FB : Florent Gilloury )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 431 : KR'TNT ! 431 : CARL BRADYCHOCK / LARRY WALLIS / TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK / JIMM / FISHING WITH GUNS / KERYDA / COMPAGNIE R2 / ROCK'N'ROLL STORIES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 431

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    26 / 09 / 2019

     

    CARL BRADYCHOCK / LARRY WALLIS

    TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK

    JIMM / FISHING WITH GUNS

    KERYDA / COMPAGNIE R2

    ROCK'N'ROLL STORIES

     

    Le choc de Bradychok

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    Coincé entre rien et rien, en plein cagnard béthunien, offert sur la grande scène en pâture au petit peuple venu musarder en masse, le pauvre Carl avait bien du mérite à jouer. D’autant plus de mérite qu’on ne parvenait pas à mémoriser son nom : hein ? Brady qui ? Bradychuck ? Un Américain de Detroit accompagné par des Français, les qui ? Les Monkey Makers ? Ce Brady qui ne devait rien au cinéma de Mocky allait devoir l’emporter à la force du poignet et c’est exactement ce qu’il fit.

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    Ce petit bonhomme sorti de nulle part semblait ravi de jouer sur cette scène offerte aux quatre vents. Il imposa très vite un son et pas n’importe quel son : le Detroit Sound qui même dans le rockab peut faire la différence. Carl Bradychok joue très électrique, c’est un furioso de la six cordes, il tartine ses interventions avec une âpreté au grain qui n’appartient qu’aux guitaristes de Motor City. Par grain, il faut bien sûr entendre le bon grain, celui qu’on sépare de l’ivraie, le grain qui donne le frisson.

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    Ce fut un plaisir jamais feint que de le voir prendre des killer solos flash et doubler son chant au gimmicking sonnant et trébuchant. Il s’illustra particulièrement par une magistrale reprise du «Please Give Me Something» de Lee Allen, l’un des chevaux de bataille de Tav Falco, et certainement l’un des classiques rockab les plus mythiques. Carl Bradychok en fit la plus menaçante, la plus inspirée, la plus heavy des versions, la chargeant comme une mule de Detroit Sound, au point que ça en devenait complètement inespéré de véracité rampante, et plutôt que ce conclure bêtement, il ajouta en queue de cut une petite progression de power chords hendrixiens, un peu dans l’esprit de ce que fit El Vez à une époque, quand il finissait «That’s Alright Mama» sur des accords du «Walk On The Wild Side» de Lou Reed. Fantastique présence d’esprit.

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    Le set prit alors une sorte de tournure purement révélatoire. D’où sortait ce démon de Chok ? Il évoqua un peu plus tard la mémoire de Jack Scott, histoire de rappeler que le vieux Jack venait lui aussi de Detroit. Pour le saluer, il reprit son premier single, «Two Timin’ Woman». Mais il fit vraiment sensation avec des cuts plus construits et beaucoup plus mélodiques, comme cette reprise du «Just Tell Her Jim Said Hello» d’Elvis, car il y shootait un gusto qui rappelait celui de Frank Black.

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    Ce mec imposait un style très puissant, du haut d’une vraie voix, il affirmait une forte personnalité musicale et un goût immodéré pour les grosses compos. Il termina avec une reprise stupéfiante de «Love Me». Depuis celle des Cramps, on n’avait pas entendu de version aussi déterminée, aussi flamboyante, aussi démâtée que celle-ci. Carl Bradychok fut la découverte du Rétro 2019.

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    Ses disques ne courent pas les rues. Pour se les procurer, il faut aller cliquer sur carlbradychok.net. Quand on commence à les écouter, on se félicite d’avoir cliqué car les disques sont excellents. Vraiment excellents, bien au delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. En plus d’Elvis et de Jack Scott, Carl chouchoute une autre idole du siècle dernier : Carl Perkins. Son dernier album est un tribute à Carl Perkins et s’appelle Carl Plays Carl. Tous les fans de Carl Perkins devraient écouter ce tribute, car Carl ramène du son dans Carl, pas n’importe quel son, le Detroit Sound.

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    Il faut le voir remonter les bretelles de «Movie Magg» et passer un solo complètement de traviole avec ce son clairvoyant qu’on va retrouver partout. Carl chante Carl d’un accent sec et tranchant. Idéal pour un cat comme Carl. Avec «Matchbox», Carl décrète l’enfer sur la terre. Il le prend à la bonne mesure, sauvage et sourde. Version bien meilleure que celle de Jerry Lee qui joue Matchbox trop boogie. Autre belle bombe : «Say When». Carl va vite et bien, il embarque ça au jeu liquide et scintillant. Il joue vraiment comme un dieu et n’est pas avare de virulence. Voilà un «Say When» éclaté au shuffle de guitare folle. Comme le fait Jake Calypso, Carl ramène tellement de panache qu’il aurait parfois tendance à effacer les versions originales. L’autre belle bombe est le «One More Shot» qu’on trouve vers la fin. C’est même assez violent. Souvenez-vous de ce que disait Wayne Kramer du Detroit Sound : «What you get is very honest.» On entend un slap de rêve en sourdine totale et un guitariste déterminé à vaincre. Que pourrait-on demander de plus ? Carl ne fait qu’une bouchée de «Put Your Cat Clothes On», avec son pote Roof qui part au quart de tour d’upright. Ah il faut voir Carl enluminer le cut d’un killer solo flash éclair ! Ça vaut vraiment le détour. Il tape aussi une version très country de «When The Rio De Rosa Flows», mais l’écouter jouer est un pur régal, il ramène un son tellement juteux, high on tone, un son de demi-caisse Gibson de jazz agressif et fluide. Fabuleuse version aussi que celle de «Because You’re Mine». Carl y claque tout ce qu’il peut et chante au piqué de because. On voit encore le fan à l’œuvre dans «Honey Cause I Love You» et il joue «Big Bad Blues» comme s’il encerclait la caravane. Quand il lance l’assaut, il part en vrille. Très spectaculaire.

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    Son premier album s’appelle Children At Play et date de 2004. Quand on retourne le boîtier, on voit Carl ado poupin avec sa belle Gibson rouge. Il profite de cet album pour saluer l’autre grande légende du rockab local : Johnny Powers. Eh oui, tous les fans de rockab connaissent «Long Blond Hair». Carl en propose une version incroyablement inspirée, avec le tiguili d’intro et la fournaise immédiate - I love you once/ I love you twice - Il le boppe dans l’œuf. Terrific ! Il tape en plein dans le mille et passe l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. Souvenons-nous que Johnny Powers réussit à se faire connaître à Detroit avec un seul hit et qu’il alla ensuite enregistrer un autre single chez Sun. Il est toujours en circulation.

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    Autre clin d’œil de poids : «That’s All Right». Carl n’a pas froid aux yeux, il le softe bien, il le touille à la pa-patte, comme le chat avec la souris. Vas-y Carl, on est avec toi ! - Anyway you doooooo - Carl claque les trucs de Scotty, il soigne son hommage. Carl n’est pas un beauf, il fait ça bien, anyway you doooo. Il rend aussi hommage à la clameur avec une fameuse cover de «Lawdy Miss Clawdy». Tout est dans la clameur, Carl en saisit la grandeur, because I give all of my money. Son solo à la ramasse est un beau spécimen de génie humain. Il joue juste ce qu’il faut. Ses interventions devraient théoriquement entrer dans la légende. Il sait claquer une note à la revoyure. Bradychok, quel choc ! So bye bye baby, bye bye darling. Autre clin d’œil révélateur : celui qu’il adresse à Link Wray avec une fantastique reprise de «Rawhide». Bill Alton claque des mains. Carl n’a que onze ans. Vas-y Carl, claque-nous le beignet de Link. Ah il y va le Carl, c’est un polisson. On le voit s’énerver avec «House is Rocking» qu’il chante au petit nasal. Carl est déjà un viscéral, il ne lâche pas prise. Son départ en solo pue l’enthousiasme. Oh, il sait de quoi il parle, ain’t got nothing to lose ! Big stuff. On a là du vrai raw. Et tout explose avec «Shim Sham Shimmy», Carl nous plonge au cœur du rockab de Detroit, c’est claqué au slap avec un solo à l’arrache-dent. Il part tout seul, comme un desperado précoce. Il rend aussi hommage à Creedence avec «Bad Moon Risin’» et diabolise le «Viberate» de Conway Twitty. En 2004, Carl sortait donc frais émoulu du moulin.

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    Quand on va sur son site, on voit qu’il en pince pour Elvis. Deux tribute albums ! Le premier étant sold out, on peut se consoler en écoutant le volume 2, Let Yourself Go, paru en 2017.

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    C’est là qu’on trouve sa puissante version de «Just Tell Her Jim Said Hello». Il l’explose littéralement et en fait un véritable chef-d’œuvre interprétatif. Oui, c’est tellement bon qu’on pourrait en tomber de sa chaise. Strong melody. C’est avec cette version qu’il emporta la partie au Rétro. Mais le reste de l’album vaut aussi le détour, à commencer par le morceau titre, embarqué au heavy groove. Il est au faîte de son système, il explose son Let Youself Go dans l’œuf. On enrage à l’idée de penser que cet album va rester inconnu du grand public. Il embarque son «Shake Rattle And Roll» à 300 à l’heure. Carl et ses amis jouent comme des diables, au powerus maximalus. Carl sait très bien fabriquer un grand disque. Toutes ses reprises fument. Tiens, rien qu’avec le «Trouble» d’ouverture de bal, la partie est gagnée. Carl explose le groove anaconda d’Elvis. Mais il va encore beaucoup plus loin dans le serpentinage d’écailles moussues. Il le chante à la pure écroulade de falaise, where I’m evil. Le son est bon, bien au-delà de ce que pourraient en dire les commentés du cyberboulot, Carl joue son va-tout au Detroit Sound, avec du power plein les mains. Encore du power à gogo dans «I’m Coming Home». Il joue au gras de jambon et chante comme un dieu rococo. Tout le rock du Middle West est là. The voice ! Ah il peut taper dans Elvis, il en a les moyens. Il suffit d’écouter «Fame & Fortune» pour comprendre qu’il colle au train d’Elvis avec sa glue. Admirable album ! Et la valse des niaques détroitiques continue avec «Money Honey» et il sort son meilleur shake pour «I Need Your Love Tonight». Il le fait pour de vrai. Sa justesse de ton en dit long sur sa passion pour Elvis. Si on sait apprécier le feeling, alors Carl est un must.

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    Et puis voilà un autre album paru en 2015, sans titre ni label. Carl Bradychok tout court. Rien que le son. Juste un disque destiné aux amateurs. Il pose debout avec sa guitare, tout vêtu de noir et cravaté de blanc. Il repend le vieux «Do Me No Wrong» de Pat Cupp et des trucs beaucoup plus calmes comme «Your Cheatin’ Heart». Il sait se donner les moyens d’une certaine ampleur vocale, comme le fait Jerry Lee, sur ce type de vieux coucou d’Hank Williams. Mais Carl ne s’arrête pas en si bon chemin : on le voit aussi taper brillamment dans Waylon Jennings avec «You Ask Me To». Back to Detroit avec Jack Scott et une cover de poids : «The Way I Walk». Classique parmi les classiques, saint des saints. Carl opte pour le swing. Pas de raunch comme dans la version des Cramps. Carl veille à respecter l’esprit original, avec du solo à gogo. C’est là qu’on trouve sa version de «Please Give Me Something». Il sait bien faire monter la sauce dans l’écho et restituer la zizanie solotique de la version originale. Mais pas de fin en progression d’accords. Dommage. Son coup de Jarnac au Rétro flattait bien les bas instincts. On adore quand ça flatte les bas instincts. La surprise vient de «End Of The World», un hit pas très connu de Skeeter Davis, fabuleusement bien emmené et chanté par dessus les toits.

    Signé : Cazengler, (a)brutichok

    Carl Bradychok. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

    Carl Bradychok. Children At Play. King Drifter Productions 2004

    Carl Bradychok. ST. Not On Label 2015

    Carl Bradychok. Let Yourself Go. Tribute To Elvis Volume 2. Not On Label 2017

    Carl Bradychok. Carl Plays Carl. Not On Label 2018

     

    Wallis the question ?

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    Voici deux ans, on rééditait Death In The Guitarafternoon, l’unique album solo de Larry Wallis. À cette occasion, Vive le Rock consacrait (enfin) une double page à notre héros. L’interview commençait mal. Le mec lui demandait ce qu’il avait fabriqué dans les derniers temps, et Larry lui répondait : Not up to much at all mate. Pas grand chose, mon pote. Il expliquait à la suite qu’il avait perdu l’usage de sa main gauche, puis de sa main droite. Il se trouvait sur une liste d’attente pour se faire opérer. À la question : ‘Pourquoi les Pink Fairies ne sont jamais devenus énormes ?’, Larry répondait : a couple of crap managers, agents that stunk out loud, and a crap record company. Voilà, pour Larry, le crap suffit à ruiner la carrière d’un groupe. En France, on appelait ça des imprésarios véreux.

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    Oui, cette légende à deux pattes qu’est Larry Wallis joua avec les meilleurs rockers de son temps, Wayne Kramer, Lemmy, Steve Peregrin Took et Mick Farren. Lemmy ? - Not a fantastic bass player but the best Lemmy ever. A complete one-off ! - Il sait aussi reconnaître le talent d’écrivain de Mick Farren - but for many years a crap singer - jusqu’à ce que Larry s’occupe de lui et en fasse un vrai singer sur l’album Vampires Stole My Lunch Money (clin d’œil aux arnaqueurs des maisons de disques). Happé par des tas d’autres occupations, Mick Farren avait disparu de la scène musicale pendant des lustres. À la fin des seventies, il revint avec cet album bourré de chansons à boire, du style «Drunk In The Morning» et l’impavide «I Want A Drink», grosse bouillasse boogie posée sur une bassline frénétique à la «What’d I Say». Aucune originalité, mais quelle classe dans la désaille ! Son coup de génie consistait à reprendre un morceau de Zappa, «Trouble Coming Every Day» pour le transformer en bombe garage, l’une des plus atomiques du siècle, tous mots bien pesés. Mick Farren s’y arrachait la glotte, avec une belle soif d’anarchie ! Il renouait avec son vieil instinct de rebelle. Kick out the jams motherfuckers et Zo d’Axa, même combat ! Mick Farren brandissait le flambeau et il allait le brandir jusqu’à la fin. Cet album est superbe pour une simple et bonne raison : Larry Wallis le produit. «Bela Lugosi» valait aussi le détour. Bien plus intéressant que Bauhaus ! Mick Farren se prêtait merveilleusement au jeu. On avait là un Farren magnifique de prestance boogaloo. Des folles envoyaient des chœurs de vierges effarouchées et Farren psalmodiait comme un ogre amphétaminé. «Son Of A Millionaire» sonnait comme un classique des New York Dolls - Oui, oui, tout ça sur le même album, tu ne rêves pas - Mick Farren harponnait ce boogie dollsy d’une voix bien rauque. Avec «People Call You Crazy», il envoyait sa voix basculer par dessus bord et se rapprochait de Screamin’ Jay Hawkins et des grands prêtres voodoo. Vampires va tout seul sur l’île déserte.

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    Et pourtant, ce n’était pas gagné. Il suffit d’écouter l’On Parole de Motörhead paru en 1979 pour voir que Lemmy a frôlé la catastrophe en s’acoquinant avec Larry Wallis qui était pourtant le leader des Pink Fairies. Ils font une bonne version de «Motörhead», infestée d’intrusions vénéneuses et Larry tente de couler un bronze de légende, comme il a su le faire en reprenant les Pink Fairies sous son aile. Mais les autres cuts de l’album sont un peu mous du genou. Même la version de «City Kids» qu’on trouve sur Kings Of Oblivion manque de panache. On comprend que Lemmy ait opté pour une autre formule. Il voulait quelque chose de plus hargneux. La version de «Leaving Here» qui se trouve sur cet album semble complètement retenue. On ne sent aucun abandon. Et Lemmy chante «Lost Johnny» à l’appliquée, accompagné par Larry à l’acou. N’importe quoi !

    Le grand décollage de Larry Wallis se fit quelques années plus tôt, en 1973, au moment où Paul Rudolph quittait les Pink Fairies. Tout le monde connaît l’anecdote : fraîchement embauché par Duncan Sanderson et Russell Hunter, Larry demande :

    — Alors les gars, on enregistre quoi ?

    Les deux autres lui répondent qu’ils n’ont pas de chansons. Et ils ajoutent :

    — T’as qu’à en composer !

    Larry panique :

    — Mais je n’ai jamais composé de chansons !

    — Do it !

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    Alors il do it et ça donne un album quasi-mythique : Kings Of Oblivion. Le titre est tiré de «The Bewlay Brothers» qu’on trouve sur Hunky Dory. Selon Luke Haines, tous les cuts de Larry Wallis sont punk as fuck - The Lazza-Russ ‘n’ Sandy Fairies line-up was a power trio supreme - Oui, c’est exactement ça, un power-trio suprême, c’est ce qu’on vit au Marquee à l’époque. Quand on avait vu les Fairies sur scène, il n’était plus possible de prendre les groupes français au sérieux. Les Fairies incarnaient l’essence même du rock, the real ragged power et dans le cas particulier des Fairies, the no sell out, qu’on pourrait traduire en français par une intégrité qui a les moyens de son intégrité. «City Kids» sonne comme un classique entre les classiques, monté sur l’extraordinaire beat russellien, heavy à souhait, bardé de relances, il fonctionne exactement comme une loco, il fonce à travers la nuit. À la limite, c’est lui Russell Hunter qui fait le show. Il double-gutte d’undergut. Alors Larry Wallis peut partir en maraude. Ah qui dira la grandeur décadente d’un Russell Hunter qu’on voit - sur le triptyque glissé dans la pochette - sous perfusion de bénédictine, avec un visage peint en vert. Cette photo en fit alors fantasmer plus d’un. Encore un hit avec «I Wish I Was A Girl». Cette fois, Sandy fait le show sur son manche de basse, il voyage en mélodie dans la trame d’un cut bâti pour durer. Ils partent à trois comme s’ils partaient à l’aventure et le Wallis part en Futana de solo gargouille. En B, les cuts auraient tendance à retomber comme des soufflés et il faut attendre «Chambermaid» pour renouer avec le cosmic boogie, et «Street Urchin’» pour renouer avec le classicisme, au sens où entend ce mot dans les musées. On y retrouve l’esprit de «City Kids», le beat avantageux et l’éclat puissant du glam. Fantastique ! Ils sonnent comme d’admirables glamsters de baraque foraine. L’album nous mit à l’époque dans un état de transe proche de la religiosité mystique.

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    Au cœur du mouvement punk londonien, Larry Wallis fit des étincelles chez Stiff avec deux singles, «Police Car» et surtout «Screwed Up» avec Mick Farren.

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    Larry y screwe le beat à sa façon et le précipite dans le gouffre béant du néant psychédélique. Autre petite merveille fatidique : «Spoiling For A Fight», véritable furiosa del sol, c’est la b-side du single «Between The Lines». On a là du pur jus de combativité boogie. Wow, les Faires cherchent la cogne - Fight ! - Et Larry part en killer solo flash !

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    Avec le Live At The Roundhouse 1975 paru en 1982, on tient certainement l’un des meilleurs albums live de tous les temps. Double batterie, Twink et Russell Hunter, Sandy sur Rickenbacker et deux killer flash-masters devant, Paul Rudolph et Larry Wallis. En fait, c’est la dernière fois que Paul Rudolph joue dans les Fairies. Et comme Larry Wallis commençait à jouer avec Motörhead, ça sentait la fin des haricots - If the Fairies were going to bow out, they were planning to do it in style (les Fairies comptaient bien finir en beauté) - Ils roulèrent des centaines de spliffs pour les jeter à la foule. Larry rappelle aussi dans une interview que Sandy, Russell et lui se sont goinfrés de pefedrine avant de monter sur scène - It makes you go mad. So Sandy, Russell and I took as much of that as we could get our hands on (la pefedrine peut rendre cinglé aussi en ont-ils avalé autant qu’ils ont pu) - Quant à Paul Rudolph, il était arrivé à la Roundhouse en vélo avec une thermos de thé. Ce live saute à la gueule dès «City Kids» que Larry avait composé pour Kings Of Oblivion. Hello alright ? Si on aime le rock anglais, c’est là que ça se passe. Tu prends tout le proto-punk en pleine poire. Tu as là tout l’underground délinquant de Londres. Larry chante et Sandy fait du scooter sur son manche de basse. Ils enchaînent avec une version de «Waiting For The Man» de la pire espèce, claquée par les deux meilleurs trash-punksters d’Angleterre, Larry et Paul. Ils rendent un hommage dément au Velvet. Les Fairies développent une énergie qui leur est propre. Ils sont de toute évidence complètement défoncés. Voilà la preuve par neuf qu’il faut jouer défoncé, c’est la clé du rock. S’ils étaient à jeun, ils ne développeraient pas une telle puissance. Ils jouent leur Velvet à outrance, ces mecs jouent à la vie à la mort, c’est saturé de son, au-delà du descriptible. Ils bouclent avec une reprise du «Going Down» de Don Nix, et en font une version heavy qui dépasse toute la démesure du monde. Ça prend des proportions terribles.

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    Comme Larry Wallis partageait son temps entre la reformation des Fairies et Motörhead, il se gavait d’amphètes : «I think the longest I ever stayed awake in my life was eleven days at Rockfield, and when you think about it now... God !» Onze jours sans dormir à Rockfield ! Et comme il ne mangeait pas, il avait un sacré look - I looked fantastic, my mother nearly had a nervous breakdown when she got to see me - En le voyant si joliment émacié, sa mère faillit bien tomber dans les pommes. N’oublions pas que Larry est l’un des mecs les plus drôles d’Angleterre. Give The Anarchist A Cigarette grouille d’anecdotes hilarantes. L’écrivain Farren y célèbre le génie trash de Larry Wallis : «Larry avait des pythons, des cobras et même un rattlesnake dans des gros aquariums, tout ça dans un appart minuscule. Il élevait des rats pour nourrir ses serpents. C’était un fucking nightmare. Quand il était rôti, il jouait avec ses serpents et on était sûrs qu’il allait se faire mordre et y laisser sa peau.»

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    Big Beat fit paraître en 1984 l’excellent Previously Unreleased, une série de cuts inédits enregistrés par Larry, Sandy et George Butler. On retrouve la niaque épouvantable des Fairies dès «As Long As The Price Is Right». Pas de pire powerhouse que celle-ci. Larry vrille comme un beau diable. Ils restent dans le drive des enfers avec «Waiting For The Lightning To Strike». Ils jouent comme des démons cornus et poilus. Il n’est humainement pas possible de faire l’impasse sur cet album. On entend clairement les puissances des ténèbres sur ce «No Second Chance» battu si fort que les coups rebondissent. Il faut bien dire que c’est extraordinairement bien mixé. Quand on écoute «Talk Of The Devil», on sait les Fairies capables de miracles.

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    Si on veut entendre Larry Wallis et Wayne Kramer jouer ensemble, alors il faut écouter cet album des Deviants, Human Garbage. Ils y accompagnent Mick Farren qui à cette époque porte le cheveu court. Sur «Outrageous Contagious», Wayne Kramer passe un solo perceur de coffre. Mick Farren n’a pas de voix, on le sait, mais c’est l’esprit qui compte, n’est-il pas vrai ? On retrouve l’énorme bassmatic de Duncan Sanderson dans «Broken Statue». En fait, c’est lui qui fait le show, hyper actif dans l’effarance de la lancinance. On tombe plus loin sur une excellente version de «Screwed Up», le hit de Mick Farren, certainement le plus punk des singles punk d’alors, visité en profondeur par un solo admirable. Ils attaquent la B avec «Taking LSD», un vieux clin d’œil de Larry aux alchimistes du moyen âge, et ils enchaînent avec le grand hit wallissien, «Police Car» sorti aussi en pleine vague punk, avec un son qui reste brûlant d’actualité. C’est joué à l’admirabilité des choses, dans tout l’éclat d’un rock anglais datant d’une autre époque, avec tout le punch des guitares et tout le brouté de basse qu’on peut imaginer. On a là une version un peu étendue, puisque Larry la joue cosmique, avec son sens inné du lointain. Ils terminent avec l’inexplicable «Trouble Coming Every Day» de Zappa. Pourquoi inexplicable ? Parce que garage, alors que les Mothers n’avaient rien d’un groupe garage. N’oublions pas que Mick Farren admirait Frank Zappa, ce qui nous valut quelques mauvaises surprises sur les trois premiers albums des Deviants.

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    On a longtemps pris Kill ‘Em and Eat ‘Em paru en 1987 pour un mauvais album, et chaque fois qu’on le réécoute, ça reste un mauvais album. On y retrouve pourtant la fine fleur de la fine équipe : Larry, Andy Colquhoun, Sandy, Russell et Twink. Sur la pochette, Larry fait le con avec un masque de singe barbu et sa strato rouge. Dans les notes de pochette, Mick Farren raconte qu’un matin de gueule de bois, il est réveillé par un coup de fil qui lui annonce la reformation des Fairies. Oui c’est ça, et Attila revient avec les Huns, hein ? - Yeah and Attila is getting his Huns back together, répond-il - You gotta be kidding - Tu plaisantes, j’espère - And then I remembered, in rock’n’roll, anything is possible - Oui, Mick avait bien raison de dire que tout est possible dans le monde du rock. Et pouf, ils démarrent avec «Broken Statue», un vieux boogie composé par Mick. Larry le joue à la folie et c’est battu comme plâtre par la doublette mythique de Ladbroke Grove. Toute la niaque des Fairies re-surgit de l’eau du lac comme l’épée d’Excalibur. Mais sur cet album, les cuts restent bien ancrés dans le boogie. Larry fait pas mal de ravages, mais il manque l’étincelle qui met le feu aux poudres. «Undercover Of Confusion» sonne comme de la viande de reformation. «Taking LSD» sonne comme un vieux boogie des Status Quo, ou pire encore, de Dire Straits. Pas plus putassier que ce boogie-là. Ils font même un «White Girls On Amphetamines» insupportable de médiocrité et de non-présence. On croirait entendre les mauvais groupes français. Larry tente de sauver l’album avec «Seing Double». Il ressort des grosses ficelles, mais au fond, on ne lui demande pas de réinventer la poudre. Il faut rendre à Cesar Wallis ce qui appartient à Cesar Wallis. «Seing Double» est à peu près le seul cut sérieux de cet album.

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    La compile des Deviants intitulée Fragments Of Broken Probes sortie sur le label japonais Captain Trip propose des cuts qu’on ne trouve pas ailleurs. Mick Farren chante «Outrageaous Contagious» à la manière de Beefheart, en ruminant ses syllabes. Il fait son cro-magnon. Larry Wallis et Paul Rudolph participent à cette sauterie. Mick Farren adore forcer cette voix qu’il n’a pas. Il tape aussi dans Phil Spector avec une reprise de «To Know Him Is To Love Him» : épouvantable. Mick Farren hurle comme le capitaine d’une frégate brisée par la tempête. Version superbe de «Broken Statue». Derrière Mick Farren, ça joue. On retrouve cette ambiance d’émeute urbaine, avec les clameurs et les gros accords. Ce qui la force des albums de Mick Farren, c’est la vision du son. S’il est bien un mec sur cette terre qui sait ce que veut dire le mot power, c’est lui. On trouve à la suite une version live de «Half Price Drinks» extrêmement plombée. Ça s’écoute avec un plaisir renouvelé à chaque verre.

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    Autre album des Deviants indispensable : The Deviants Have Left The Planet. En plus d’Andy Colquhoun, on y retrouve les deux vieux compères, Larry Wallis et Paul Rudolph. Ils démarrent avec un «Aztec Calendar» brûlé à l’énergie des réacteurs. Son terrible, Andy joue dans l’interstellaire, il se répand dans la modernité farrenienne comme un vent brûlant. Mais c’est la version de l’«It’s Alright Ma» de Bob Dylan qui nous envoie tous au tapis. Heavy Andy l’attaque de front. C’est électrifié à outrance. Andy arrose tous les alentours. Ils profitent de Dylan pour sortir la pire mad psyché d’Angleterre. La dévotion d’Andy pour Mick Farren n’a d’égale que celle de Phil Campbell pour Lemmy. Andy revient toujours avec la niaque d’une bête de Gévaudan. Saura-t-on dire un jour la grandeur de cette énergie, et la grandeur d’un Farren d’Angleterre ? «God’s Worst Nightmare» est un cut co-écrit avec Wayne Kramer. Mick fait son guttural et Adrian Shaw, l’expat d’Hawkwind, fournit un solide bassmatic à l’Anglaise. Retour au groove des enfers avec «People Don’t Like Reality». Andy adore jouer comme un démon des enfers - Turn & look at me - On se noie dans l’essence de la décadence. Puis ils retapent dans le vieux classique des Deviants, «Let’s Loot The Supermarket», en compagnie de Paul Rudolph et de Larry Wallis. Andy joue de la basse. Retour à la légende : ils font du punk de proto-punk et brûlent d’une énergie d’exaction fondamentale. L’autre merveille de ce disque est bien sûr «Twilight Of The Gods», avec son extraordinaire ouverture de fireworks. Ça sonne comme du Monster Magnet, avec un sens de l’extrapolation du néant cher à Mick Farren. Il bâtit une dérive mirifique au fil d’une poésie crépusculaire chargée d’orient et de pourpre. Il rime les mass contraction et la satisfaction. On sent le poids d’un génie qui ne s’invente pas. C’est somptueux, digne des funérailles d’un pharaon au soleil couchant, c’est le disque d’or de toutes les mythologies antiques et brille au cœur de cet univers sacré le firmament d’une guitare, celle d’Andy Colquhoun.

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    Autre passage obligé : Shagrat que Larry monte avec Steve Peregrin Took en 1975. Mais ils préféraient se défoncer tous les deux dans le studio plutôt que de travailler. Pour la sortie de Lone Star en 2001, Larry écrivit une fantastique hommage à son pote Took : «Steve a eu et a toujours une prodigieuse influence sur ma vie, depuis ma consommation massive de LSD jusqu’à la façon dont je compose. Une influence magique. Dave Bidwell qu’on appelait Biddy, était aussi un original. Lui et Steve étaient semblables, et même beaucoup trop semblables. Ces deux-là aimaient bien pousser à l’extrême leurs expériences avec les drogues, ce qui, comme chacun le sait, finit en général assez mal. Si je parle des drogues, c’est parce qu’à l’époque on ne vivait que pour explorer des planètes inconnues, et les vaisseaux spatiaux qui permettaient d’y accéder, c’était justement les drogues. Took était le capitaine de notre vaisseau. Dans les années précédentes, Took avait été salement désavoué. Il avait pourtant joué un rôle aussi important que celui de Bolan dans Tyrannosurus Rex, un groupe qui sortait de nulle part, et il semble que ce soit Mickey Finn qui en ait tiré les marrons du feu. J’imagine qu’il n’est pas responsable de cette erreur d’appréciation. Alors, il ne vous reste plus qu’à savourer les virées cosmiques de Took, comme il les appelait. J’ajoute que ces chansons dissipent un malentendu voulant apparenter Took et Bolan au monde des lutins de la forêt. C’est entièrement faux. Tout ce qui intéressait Steve était ce qu’il appelait lui-même le kerflicker-kerflash, une sorte de rock’n’roll super-trippant et cosmique, du neon sex fun.» Comme dans le cas d’Hendrix, on se demande ce que Took aurait pu produire s’il avait vécu. Son sex fun serait-il devenu complètement incontrôlable ? C’est bien du cosmic neon sex fun qu’on entend dans «Boo! I Said Freeze», véritable carnage de druggy dub de freeze joué à l’énergie ralentie. Larry balaye tout à la guitare et il redevient l’un des trublions les plus virulents d’Angleterre. Il déploie sa furia del sol dans les méandres du sex fun de la titube. On se serait damné à l’époque pour un disque pareil. On encore cette mad psychedelia qui hante «Steel Abortion», c’est joué au Wallis of sound, couru comme le furet, répandu comme l’ampleur galvanique, explosé du cortex, projeté au-delà de la raison. Larry fait le show, il va là où bon lui semble. L’autre énormité de cet album miraculé s’appelle «Peppermint Flickstick», un cut digne de Syd Barrett, complètement barré, druggy at the junction, nous voilà plongés au cœur de la pire mad psychedelia qui soit ici bas et l’aimable Larry profite de l’embellie pour se barrer en sucette de solo gras. Ah quelles effluves de dérives molles ! Les Américains prétendument férus de psychédélisme feraient bien d’écouter ça et de prendre des notes.

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    Il est grand temps de revenir à la réédition de Death In The Guitarafternoon. Fantastique album ! (Encore un !). Si on aime la guitare électrique, alors il faut écouter Larry Wallis jouer ses arpèges d’allure martiale dans «Are We Having Fun Yet». Il tape dans le western spaghetti de haut vol et ramène cette vieille niaque qui date du temps béni des Fairies. Au fond, il est très proche de Jeff Beck. Il vise la véritable aubaine d’exaction parégorique. Il peut se montrer très prog dans l’esprit de seltz, mais avec une effarante énergie combustible. Il enchaîne ça avec «Crying All Night», une belle pop de Futana. Larry tient son rang de légende irrémédiable. Tout sur cet album reste allègre et hautement énergétique. Il prend ensuite un vieil instro de fête foraine intitulé «Dead Man Riding». George Webley y fait des merveilles sur sa basse. On note aussi la présence de Mickey Farren en tant que parolier dans «Downtown Jury», un cut typique de l’époque des Social Deviants et hanté par des solos qui s’en vont errer comme des hyènes dans l’écho de temps. Hallucinant ! Et voilà qu’il enchaîne trois cuts encore plus fantasques : «Where The Freak Hang Out», «Don’t Mess With Dimitri» et «Meatman». Larry qualifie «Where The Freak Hang Out» de full flying tribal song. Il est vrai que ça dégage bien les bronches. Un peu long, mais Larry n’est pas homme à mégoter. Il sort un son exceptionnel noyé de réverb maximaliste. Quel album ! Mickey Farren signe aussi ce «Don’t Mess With Dimitri» monté sur une bassline insistante. Larry claque ses vieux accords au loin et ça explose dans la lumière réverbérée de Ladbroke Grove at midnite. Il faut voir ces gens comme une extraordinaire équipe d’aventuriers du son. Avec «Meatman», Larry fait du Tom Waits. Il n’y croit pas un seul instant, mais quelle rigolade ! - Yeah I’m the meatman - Il tape aussi dans son vieux hit, «I’m A Police Car» et l’allonge avec des tonnes de guitar tricks. Larry fait ce qu’il veut quand il veut. On ne craint pas l’ennui, même s’il lui arrive de tirer sur la corde. Il chante d’une voix de mec usé par les conneries. Il termine cet album faramineux avec «Screw It», une fois de plus joué à la vie à la mort. Larry ne lâche rien, il faut s’en souvenir. L’album reste intense de bout en bout - About a pain in my ass/ C’mon let’s do it.

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    Un label psychédélique nommé Purple Pyramid vient de faire paraître un conglomérat de bric et broc intitulé The Sound Of Speed. L’intéressant de cette affaire, c’est que Larry commente ses brics et ses brocs, et ça vaut toutes les revoyures du mondo bizarro. Le bal d’A s’ouvre sur le flamboyant «Leather Forever», un single de 1986. Larry se souvient vaguement des gens qui l’accompagnaient : Andy Colquhoun, Sandy ‘Basso Profundo’ et George Bawbees Butler, Scottish drums. Ah wooow ! comme dirait Wolf. Il aligne ensuite des cuts tirés du lost Stiff, à commencer par «I Think It’s Coming Back Again». Deke Leonard et George Webley l’accompagnent. On note au passage la fantastique énergie du son. En même temps, c’est très anglais, typique du temps de Stiff. Le mec des Attractions bat «I Can’t See What It’s Got To Do With Me» si sec. Larry rend hommage à ce cet excellent drummer nommé Pete Miles O’Hampton Thomas : «Nobody does it better.» En B, il nous sort un «Old Enough To Know Better» qui devait figurer sur le Death album. C’est excellent, entièrement joué sous le boisseau, avec une basse aussi perverse qu’une cousine consanguine. Il tape à la suite un «Story Of My Life» dans le plus pur Fairy style et Deke Leonard passe de fabuleux coups de slide. On sent l’équipe de surdoués. Il faut entendre battre Peter Thomas derrière. On reste dans le Fairy groove avec l’excellent «I Love You So You’re Mine», gratté aux accords de Gloria. Larry y va de bon cœur. C’est fabuleusement embarqué. Il indique au passage qu’il destinait le cut aux Feelgoods. Il termine avec «Meatman». Il dit ne pas se souvenir de l’avoir enregistré. Le Line-up ? Bof... Avant de nous dire au-revoir, il écrit en bas de ses notes lapidaires : «Well I did say I wouldn’t be able to give much away folks, but I did my best. Hope you enjoy my noise and let’s be careful out there, ok ? OK.» (Je vous disais que je ne serais peut-être pas capable d’en dire très long, mais j’ai fait de mon mieux. J’espère que vous allez apprécier ma soupe et faites gaffe à vous les mecs, d’accord ? Bon d’accord). Et il signe Lazza.

    Signé : Cazengler, Larry Varice

    Larry Lazza Wallis. Disparu le 19 septembre 2019

    Pink Fairies. Kings Of Oblivion. Polydor 1973

    Larry Wallis. Police Car. Stiff Records 1977

    Mick Farren And The Deviants. Screwed Up. Stiff Records 1977

    Mick Farren. Vampires Stole My Lunch Money. Logo Records 1978

    Motörhead. On Parole. United Artists Records 1979

    Pink Fairies. Live At The Roundhouse 1975. Big Beat Records 1982

    Pink Fairies. Previously Unreleased. Big Beat Records 1991

    Deviants. Human Garbage. Psycho Records 1984

    Pink Fairies. Kill ‘Em And Eat ‘Em. Demon Records 1987

    Deviants. Fragments Of Broken Probes. Captain Trip Records 1996

    Deviants. The Deviants Have Left The Planet. Captain Trip Records 1999

    Shagrat. Lone Star. Captain Trip Records 2001

    Larry Wallis. Death In The Guitarafternoon. Ribbed Records 2001

    23 / 09 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK

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    Il y a des soirs où il vaut mieux se laisser faire. Surtout quand on vous veut du bien. Je vous laisse juges. Plateaux de melons, tartines de fromages et de pâtés gracieusement offerts par la Comedia, avec Tony Marlow, Alicia F, et des américains venus de Nashville, c'est ce qui s'appelle être gâtés, ou je ne m'y connais pas, d'autant plus que ce lundi soir ce n'est pas la foule énorme mais l'on ne compte pas les amis au mètre carré, comme s'il en pleuvait.

    TONY MARLOW

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    Et sa guitare. Car ce soir Tony ne l'a pas ménagée. Dorée avec d'étranges reflets sépia lorsqu'elle entre en collision avec un rai de lumière. Quelle classe le Tony ! Prestance et port altier. Juste quelques mots de bienvenue et déjà il nous emporte à l'Ace Cafe, une chevauchée à toute blinde qui sera immédiatement suivie d'un petit – minusculité affective – Chuck Berry. Around and Around, fascinant de voir l'emprise digitale du Marlou sur les riffs, l'orfèvre les cisèle, les précise, les incise, une habileté diabolique, j'essaie de mémoriser les plans pour les revendre à une puissance étrangère, mais je n'y parviens pas, car il n'y a pas que les doigts de dextre et de senestre qui courent et accourent, z'avez aussi le son qui monte et descend, ce cristal adamantin qui coule et ricoche dans les oreilles, l'essence du rock'n'roll, qui vous raconte l'épopée magique de la jeunesse du monde.

    Mais une guitare ne suffit pas. Faut un forgeron pour forger l'anneau d'or. Un sorcier des alliages secrets, Fred Kolinski, longs cheveux blancs, sourire énigmatique, ferait un superbe Merlin dans une filmique saga brocéliandesque, détient les clefs du tonnerre derrière sa batterie. Pas un batteur fou, mais le maître de la résonance, la guitare joue et les tambours éclatent, prolongent les effets, et les stoppent définitivement, en une ampleur sonore sans équivalence. Fred finit les séquences, il retourne le sablier du temps pour ouvrir une nouvelle ère riffique.

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    Noire est la big mama d'Amine le fatidique. Il est le temps qui presse la vie, la pousse et l'envoie bouler dans la corbeille à papier. Sans pitié. Ce qui est derrière nous ne reviendra jamais, alors, grand seigneur, Amine Leroy nous console en boutant le feu à notre présent. Sa contrebasse fulmine à la manière des mitrailleuses, les balles traçantes passent au-dessus de vos têtes, et vous comprenez l'urgence du rock'n'roll, la loi du mouvement imperturbable, cette impavide propulsion en avant, qui fait qu'un morceau à peine commencé se hâte vers le delta de sa fin, car vous désirez toujours plus vivre davantage intensément. Alors Amine se déchaîne, devient épileptique, tressaute sur lui-même, se lance dans une frénétique danse du scalp autour de son instrument et parfois il s'engouffre dans des soli de foudre et de poudre qui claquent et cavalent, giclent en rafales d'énergies, emportent tout sur leur passage. Ne vous laissent que les yeux pour rire d'un bonheur effréné.

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    Effarant de voir comment en une vingtaine de titres Tony vous offre sa carrière, quarante ans d'histoire du rock'n'roll français -enté et hanté d'Amérique – et ment partiellement quand il déclare que Rockabilly Troubadour et Le cuir et le baston résument toute sa vie, car sa voix exprime plus qu'une expérience personnelle, elle a ce velouté incisif, ce nostalgique tranchant, qui fait que chacun se reconnaît dans les bribes de son existence, et peut se donner l'illusion bienfaitrice d'en recoller les morceaux épars en une radieuse unité. Tony le musicien n'ignore rien des charmes ensorcelants et des larmes retenues des poëtes.

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    Faudrait disséquer tous les titres un par un, Tony et ses marlous étaient en grande forme, nous retiendrons un de ses tous premiers titres, Western, magnifique, beau comme une chevauchée fantastique, l'émouvant et hommagial I'm Going Home de Gene Vincent, et les trombes cordiques de The Missing Link, car une fois le set terminé, il vous semble qu'il vous manque l'élément essentiel du rock'n'roll, la présence active de Tony Marlow.

    ALICIA F.

    N'a fait qu'une courte apparition dans le set de Tony. Deux malheureux morceaux. Si ce n'est pas un scandale. Mais elle se réserve, bientôt elle sera sur scène en tant qu'elle-même, en vedette, patientez jusqu'au deux novembre.

    Se glisse sur scène en toute simplicité. Ce soir elle nous montre une autre facette de son talent. Nous connaissions l'aguicheuse, celle qui jouait sur la profonde ambiguïté qui relie le rock au sexe, et le roll au désir, mais la voici toute seule dans son charme vénéneux et son espiègle beauté, moulée dans ses tatouages, son legging noir taché de motifs blancs et son T-shirt auréolé de la couronne d'opale de la naissance de ses seins, ses yeux verts d'émeraudes serpentines, et ses cheveux carrés aux bouts teintés d'un soupçon de rouge-sang-séché.

    Marlou et ses sbires enchaînent aussi sec, I Need a Man et I Fought The Law, ce sera tout, une bourrasque qui arrache le toit de la maison et déracine le châtaigner centenaire dans la cour, et dans cette trombe Alicia F, toute droite, mais le moindre déplacement imperceptible de ses bras vous a de ses grâces inquiétantes de panthère, une pose de prêtresse hiératique, elle récite les lyrics démoniaques avec une impassibilité impossible, transformant les mots en brandons de feu, et cette force inquiétante du cobra qui se dresse lentement devant vous, cette immobilité tranquille, que quand elle se retire de la scène, vous avez compris qu'elle vient de vous mordre l'âme, mais que c'est trop tard, que vous êtes mortellement touché, que l'aconit du rock'n'roll vous étreint de son cercle de feu.

    Alicia F. Alicia Fulminante.

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    VOLK

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    Ne sont que deux. Un garçon et une fille. Gal and Guy. Mais le set pourrait être sous-titré, la leçon venue d'Amérique. Ça commence doucement. Eagle Eye ne vous transcende pas. Le temps pour Chris Lowe de vérifier sa planche à effets multiples et à Eléot Reich de chauffer sa voix. Mais après vous comprenez que vous avez posé vos pieds sur le sentier de la guerre et que vous avez peu de chance d'en sortir vivant. Donc Eléot est à la batterie. Mensonge éhonté. Elle ne joue pas de la batterie. Mais de la tambourinade. Un roulement incessant, une transe rythmique impitoyable, vous comprendrez mieux à l'énoncé des titres, Atlanta Dog, Snake Farm, Honey Bee, I fed Animals, ni plus ni moins qu'une séance chamanique, vous ne vous méfiez pas, avec sa chevelure noire et sa robe rouge d'un lamé brillant vous croyez qu'elle va vous jouer le numéro de l'entertaineuse américaine type, vous n'y êtes pas du tout, à la manière dont elle enserre la caisse claire dans la blancheur de ses cuisses, et cette position voûtée, vous vous dîtes qu'il y a de la puissance vaudou en elle, qu'émane de son corps un magnétisme tellurique, et qu'elle transmet et transmute, qu'elle infuse et diffuse une force inconnue que l'on pourrait nommer l'esprit de la terre.

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    De prime abord Chris est moins inquiétant. Un grand gaillard solide, une tête bien faite d'étudiant attentif. Une grosse Gretsch blanche dans ses mains qui barre son épaisse redingote, un large éventail de delays électroniques à ses pieds, simple rythme binaire pour débuter, chante aussi. Faut attendre un peu pour intuiter ses dons de sorcier. Mine de rien, l'a des doigtés étranges. Vous semble qu'il rajoute de temps en temps des pincées de sel dans la tambouille qui cuit paisiblement sur le feu. Plutôt de la poudre à canon. Dissuasive. Little Games et Revelator's Bottleneck, ne riffe pas, il rajoute du son au son, fait des interventions, joue à la manière des joueurs d'échecs, ce n'est que cinq coups après que vous réalisez la raison irraisonnable pour laquelle il a poussé tel pion dans cette case inopérante. En moins de deux il contourne votre défense, force vos muraille et vous met à mal, à mat et vous mate à mort. Une démonstration. In vivo.

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    Fascinant. Eléot ne fait pas que tricoter ses baguettes. Elle chante aussi, une voix qui monte dans les aigus, qui s'assombrit et s'intempestive, et qui au morceau suivant devient douce et suave, un roucoulement de gâteau au miel, sucrée comme un apple pie. Souvent elle double celle beaucoup plus virile de Chris, elle lui apporte une profondeur et une discrète résonnance qui l'amplifie souverainement. Notamment lors du rappel, une très belle balade country de Jack Bruce, qui vient un peu en contrechant à l'inexorable montée progressive du set selon une sourde violence fascinante qui contraindra toute l'assistance à se masser devant la scène.

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    Je terminerai sur cette divine surprise, cette version sublimissime, subluesmissime, de Sumertime Blues d'Eddie Cochran, qui n'a pas entendu le martellement d'Eléot et sa voix d'outre-tombe – elle endosse le rôle de Jerry Capehart – n'a jamais rien entendu, et Chris qui abrupte le riff si sourdement qu'il devient le tourment de votre vie, et son vocal qui flirte avec la raucité d'Eddie sans jamais l'imiter...

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    Un régal ! Tony Marlow résumera la situation : une révélation. Du country roll comme l'on n'en n'avait jamais ouï de ce côté-ci de l'Atlantique. De surcroît un garçon et une fille très gentils, ne connaissent pas un mot de français mais la sympathique complicité qu'ils dégagent ne trompent pas. Une soirée comediane à marquer d'une pierre blanche.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Costa David )

     

    20 / 09 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    JIMM / FISHING WITH GUNS

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    Suis arrivé à la Comedia sans trop savoir qui j'allais voir, m'étant quelque peu embrouillé dans les dates. Mais l'instinct du rocker ne se trompe jamais, une soirée explosive m'attendait. Mais je n'étais pas le seul à subir la déflagration!

    JIMM

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    Parfois il vaut mieux être trois que mal accompagné. Cet adage populaire vieux de trois millénaires que je viens d'inventer mérite un codicille précisif : trois cadors. Car comment peut-on produire une telle mayonnaise avec si peu de personnel. L'est vrai que Xavier avec sa taille de géant peut facilement compter pour deux, avec sa chevelure de boucles barbares et sa basse il ne se fait pourtant guère remarquer, à peine s'il vient de temps en temps pousser un cri de guerre ou hurler une rapide interjection au micro. Mais mine de rien, il assure grave. Le grondement de base, c'est lui le fautif, ce roulement de galets entrechoqués emportés par la furie d'un torrent c'est lui le responsable. N'est pas non plus le seul coupable, serait anormal qu'un seul écope de toutes les malédictions. A la batterie, Billy n'est pas innocent. L'a les mains pleines de baguettes. Les lève bien haut, les fait tournoyer entre ses doigts, et puis c'est fini. Le bonheur est désormais personna non grata sur notre misérable planète. L'apocalypse est commencée et rien ne l'arrêtera. L'a compris qu'il est là pour taper, alors il tape, l'a le pied meurtrier sur la grosse caisse et des menottes d'étrangleurs en série. Ne sait pas s'arrêter, un jusqu'au-boutiste, quand il n'y en a plus, il en a encore, l'as de la logistique distributive, des coups pour tous les tambours de la terre, une canonnade d'escadres ennemies, Xavier la tempête, Billy se charge de la métamorphoser en ouragan. Libère les vents de l'outre d'Eole. Bref, vous filez à cent-vingt neuf nœuds secondes et déjà se pose en vous la question fatidique, dans tout ce brouhaha comment un guitariste arrivera-t-il à survivre?

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    Jimm a deux manières de répondre à votre interrogation métaphysique. D'abord : par le chant. S'approche du micro, et non il ne chante pas. Se débrouille – je ne sais comment – pour que sa voix devienne un quatrième instrument, une coloration nouvelle, qui se fond au magma sonore, s'y installe naturellement comme l'oiseau se construit un nid dans le couvert des épaisses frondaisons de l'arbre. De plus en français, n'en tirez aucune gloire nationaliste, car ce serait in english que vous n'entendriez point la différence, l'a sa manière à lui d'appuyer sur les syllabes, et par ce fait même de les détacher si fortement que vous comprenez très vite en ce langage universel qui se nomme l'idiome rock.

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    Ensuite : il joue de la guitare. Au bout de deux minutes vous vous dites, c'est un très bon guitariste. Mais bientôt vous devez réviser votre jugement. L'a un truc spécial, n'est pas un vulgaire pousseur de riffs, son pied à lui c'est de surnager au-dessus du tumulte, comme dans les orchestres symphoniques menées à fond de train par Toscanini quand brusquement au-dessus de la monstrueuse masse sonore s'élève la plainte virevoltante du violon solo et vous n'entendez plus que cela, le Jimm il est pareil, l'a les soli de guitare qui brillent, qui scintillent, tels une rivière de diamants qui vous éclabousse de mille rayons de soleils réfractés. Cette scie sauteuse qui vous dentellise les tympans est le nectar des Dieux.

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    En plus ils vont jouer longtemps, enchaînent les titres, Prêt à penser, Ton blues dans la peau, Jamais vieillir, et devant la scène ça remue salement, pas tous les jours que le rock déboule sur vous avec une telle intensité. Un triomphe.

     

    FISHING WITH GUNS

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    Avec un tel patronyme, l'on se doutait que ce n'étaient pas des joueurs de pipeaux. Passer après Jimm de prime abord ne semble pas être une sinécure. Mais première surprise, ne serait-ce pas Billy Albuquerque qui s'installe derrière les drums, exactly my dear, pas besoin d'être Sherlock Holmes pour comprendre que l'on n'est pas là pour cueillir des petits pois. Va toutefois falloir résoudre l'énigme Inigo. Quand ils se sont installés semblaient être quatre mais là sur scène maintenant que l'éruption volcanique a commencé – déjà rien qu'au trente secondes de secousses sismiques échappées de la guitare de Tof juste pour voir si tout était en place juste avant le début du set, l'on avait subodoré que les gaziers préféraient les bâtons de dynamite à la pêche au goujon -ils ne sont plus que trois.

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    Inigo, c'est un peu comme dans les albums Où est Charlie, faut lui mettre la main dessus, car il est perdu dans la foule. A peine si de temps en temps il s'octroie une brève station et remontera quelques secondes sur la scène. L'est dans le public agglutiné devant. Certes pour l'entendre vous l'entendez. Mais impossible de savoir où il est. Surgit à l'improviste devant vous, un peu comme le vaisseau fantôme entre deux plaques de brume. Mais quel cantaor ! La voix qui djente, pas trop, mais suffisamment pour vous mettre le feu à la moelle épinière. Et ces poses ! Le fil du micro haut levé, le visage tourné vers le cromi et cette poudrière vocale qui explose. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'il en use avec parcimonie, n'en abuse jamais, laisse à l'orchestre le temps de poser les assises du riff, d'articuler la séquence, et quand tout est bien en place, il vocalise, tel le caïman qui sort du fourré juste pour venir vous couper une jambe, proprement d'un seul coup de dentition. Puis il se retire dans l'eau saumâtre de son propre silence tandis que ses congénères continuent leurs monstrueux tapages comme s'il était nécessaire à la survie de nos existences. Le pire c'est qu'il l'est indispensable. Motherfucking badass ! Reste du Blood on the ropes !

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    C'est que derrière les trois lascars ne vous laissent pas le temps de respirer jouent une espèce de mixture de stoner estampillé aux marteaux de Thor et émargé aux forges d'Héphaïstos, sur sa basse Bouif ramone la suie des cheminées de volcan, parfois son corps se réduit et se cambre à croire que l'électricité le traverse de part en part et des ondes noires s'échappent de son instruments comme des meuglements d'agonie de cachalots échoués sur les rives du désastre. Tof taffe à mort, l'a la guitare qui mord, le feu qui couve sur deux accords et puis qui tout à coup flamboie et se déploie dans l'univers tout entier, vous consume l'âme comme un mégot qui grésille dans le cendrier. Les Fishing vous fichent la trouille et la chtouille à jouer trop bien, trop fort, trop sauvage. Profitent d'un instant de répit pour distribuer à l'assistance leur dernier EP, le prochain est en préparation et ils nous régaleront de quelques aperçus. Et c'est reparti pour une charge à la baïonnette finale. Pas question, le peuple rock qui s'est salement secoué devant l'estrade refuse de les laisser partir, et nous avons droit à deux derniers feux d'artifice. Deux explosions nucléaires de soleils noirs !

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    Damie Chad.

    ( Photos : Chris on FB : Meteo Rock )

    BLOOD ON THE ROPES

    FISHING WITH GUNS

    ( Avril 2017 )

    Peu d'indications sur la pochette qui reste relativement mystérieuse. Recto brun dont le visage granitique de statue saignante émarge au verso et se dissout en une blancheur envahissante au bas de laquelle se profilent un revers montagneux et la silhouette automnale d'un arbre. Peut-être le sens est-il à décrypter dans l'image des deux lutteurs de pancrace opposés et entremêlés sur la sesterce blanche du CD. Serions-nous emplis d'une fureur incontrôlable qui, dans le temps même qu'elle nous donne force de vie, nous agonise.

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    Dodge and counter : lourd and loud, instrumental, une guitare qui sonne et résonne, des cymbales qui se glissent par dessous car lorsque la menace se précise, que vous entendez ces gros godillots qui avancent, vous êtes dans l'attente de la catastrophe vous êtes sensible aux plus petits détails, au craquement insidieux de la moindre brindille subsidiaire, mais l'emprise sonore devient obsédande, le rythme reste toujours lent, l'intensité sonore s'amplifie, la rupture... Motherfucking badass : ...déboule, une course folle sur une rythmique impitoyable, un trait de feu qui parcourt l'espace, rejoint par une voix qui amplifie le sentiment de l'inéluctable. Brut de noir à pas cadencés, le pendule de la mort qui descend vers vous imperturbablement se rapproche. Une voix de tuerie, des guitares de chienlit, des frayeurs pulsatives de batterie, hallali démiurgique, un dernier hurlement, et les ronronnements de guitares s'éloignent au loin. Un morceau merveilleusement structuré. Thirst for lust : éclats nerveux de guitares, crachats de voix sur la face de Dieu, semelles de plombs du drumming, le rythme se segmente pour se reconstituer en plus schismatique, en plus rapide, mais comme ralenti par la saturation hérésiarque des guitares. Froissements de ferrailles, la voix qui criaille en un festival d'ailerons de requins qui arrachent les chairs sanglantes de leurs victimes. Apothéose. King of the crossroads : guitares grondantes et hachoir vocal, collisions de carrefours, courses à mort, déconnections et reconnections, rien ne les arrêtera. Eclaboussures de tintements et moteurs en furies qui grondent. Reason to cry : pas une raison pour ralentir le rythme en tout cas, ni de pleurer honteusement dans son mouchoir. Une voix salement insidieuse. Forge drummique pressurisée en arrière-plan. Vocalises qui s'égosillent, guitares qui ripent sur du verre brisé, l'on entend les tintements cristallins du diable qui cogne à la fenêtre béante de l'esprit dévasté. Désormais les guitares tirebouchonnent dans les amplis, la voix se fraye un chemin dans les soubassements de l'obscurité et l'on refait un tour sur la bande de Möbius de la souffrance animale infinie. Qui finit par se rompre en un grandiose balancement.

    Damie Chad.

    CAMON ( 09 ) / 09 - 08 - 2019

    La Camonette

    KERYDA

     

    Jeudi, retour obligatoire à la Camonette, bouffe excellente mais totalement subsidiaire, la semaine dernière nous avons eu le père, Chris Papin-Jijibé, dans le jeu des sept familles des musiciens donnez-moi le fils, Damien. L’aurait pu mal tourner comme le père et s’adonner au démon du blues comme le prédestinait son prénom, mais non, est abonné à un tout autre genre. Difficile à définir : disons un folk curieux pour ceux qui ont besoin d’étiquette.

    KERYDA

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    Sont beaux et jeunes tous deux, prince courtois et princesse charmante échappés d’un conte de fées. Il a une vieille contrebasse toute sombre à ses côtés, et elle une harpe de bois clair d’Ariège posée sur un piédestal. Contrebasse + harpe, ensemble composite mais en même temps empreint d’une similarité sonore évidente même si la vieille dame s’adonne à de funèbres tonalités automnales et si de la damoiselle fièrement cambrée s’élancent de claires perlées de rires d’enfants cristallines. Alta et contralta. L’assemblée, au bas mots plus de cent cinquante convives, bruisse de bruits confus lorsque Damien se saisit de son archet. Qu’il délaisse aussitôt pour des doigtés de pizzicati virevoltants à la manière d’étincelles de jazz, et c’est sur ce tapis tressautant d’escarboucles que Sara Evans dépose de translucides feuillages brocéliandiques agités par une brise mutine. En un instant, elle installe un autre espace, plus subtil, plus fluide, de silence et de musique entremêlés, miroirs et reflets de miroirs. C’est cela Keryda, cette création d’une dimension à part, d’une intimité plus profonde avec le vertige des apparences. Ce premier morceau est suivi d’un deuxième qui sonne étrangement et orchestralement contemporain, sont-ce les sourds frappés de Damien sur le bois, ou cette savante rythmique entrecroisée de sons clairs et sombres mais l’instant s’avère magique et soulève les applaudissements. Et la musique de Keryda se fait plus lointaine, à croire qu’elle veuille nous entraîner dans les terres du songe en des contrées arachnéennes et infinitésimales. La big mama marmonne de profondes incantations et les notes de Sara profèrent des mélopées d’endormissement vaporeux. La nuit et le jour s’unissent en une couleur goethéenne ignorée des simples mortels, habitée par de malicieux farfadets invisibles dont on ne perçoit la présence que par l’évanouissement disparitif qu’ils laissent derrière eux. Instants de rêves indistincts suspendus sur le vide vertigineux des glaciers de la beauté.

    + FRIENDS

    Pour le troisième set, la scène est envahie d’invités. Le facteur et Zoé, la fille triangulaire. Il fabrique et tient entre ses mains un accordéon, elle toute blonde se contente d’un triangle isocèlement métallique. Il y a encore une violoniste, un guitariste et Julien aux percus. Changement d’ambiance, Damien s’est muni d’une basse électrique et il groove grave, un son concassé que le facteur se hâte par derrière d’étoffer. L’on dérive lentement vers un méli-mélo d’improvisations, au substrat argentin. C’est bien fait, agréable, sympathique, mais cela n’atteindra jamais à l’intemporalité de Keryda.

    Damie Chad.

    TARASCON ( 09 ) / 17 - 08 - 2019

    COMPAGNIE R2

     

    Damie tu pourrais m’amener à Tarascon, ce soir il y a de la danse contemporaine. Un truc de fille évidemment, palsambleu de la danse contemporaine ! tout être normal et évolué aurait repéré un groupe de rock obscur dans un bouge perdu, mais non de la danse contemporaine. Bref direction Tarascon ( con ! ). Evidemment, la grande esplanade festive est vide, faut arpenter les rues en pente de la vieille ville pour trouver La Placette.

    Un mouchoir de poche, le tatamis noir en occupe la plus grande largeur juste devant l’unique maison, déduction logique les habitants sont condamnés à rester chez eux durant la représentation, une trentaine de chaises sont entassées dans le triangle restant, mais des spectateurs peuvent se masser sur le côté de la rue qui monte rude et surplombe, à ne pas confondre avec celle de l’autre côté qui descend profond. Je précise que l’Ariège est peuplée de montagnes. Une hétéroclite collection de tableaux grand-format sont accrochés un peu partout aux murs de pierres ocres.

    PASSAGE

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    Sont tous les quatre en chaussettes blanches, se déchaussent de leurs sandales et vont se prostrer en silence sur quatre chaises de bois noir. Les deux filles vêtues de blanc, les deux garçons en jeans bleu-délavé et tunique blanche. Musique. Non ce n’est pas du rock. C’est du Pink Floyd ! Une bonne sono qui vous en met plein les oreilles. Dès les premiers mouvements esquissés, il apparaît que l’on affaire à de véritables professionnels. Vous scotchent sur place, suivent la musique de The Wall, pas de l’improvisation sauvage et hasardeuse au petit bonheur la chance, un véritable ballet, aux séquences ultra-réglées et codifiées. Pour le Pink dont la musique vous enveloppe, je m’aperçois - mais la gestuelle m’y pousse peut-être - qu’ils ont sacrément pompé sur le Tommy des Who, jusqu’à Waters qui essaie de retrouver la flexibilité vocale ( sans y arriver ) de Daltrey. En tout cas pour la thématique, il n’y a pas plus de lézard que d’horloge. L’enfermement est bien le sujet central des deux opéras.

    Les schizos ne freinent jamais. Sont tout à leur délire. Même leur moments d’abattement restent inquiétants. Sont à côté du monde, enfermés en eux-mêmes, n’ont besoin de rien d’autre, ils ont rapté au grand tout universel des hommes ce qu’ils ont de pire, la violence et la folie. Des guêpes folles recluses dans une bouteille qui tourbillonnent, se montent dessus ou se fuient, se laisse aller à des simulacres de sexe et de meurtre. Des tentatives d’amitié sans lendemain. La seule véritable absente de cet entremêlement de corps entassés ou distendus, c’est étrangement la Mort. L’est comme une valeur fiduciaire qui court entre les individus mais totalement invisible, reléguée hors du plateau et de l’esprit de la folie.

    Une esthétique manga. Sont-ce les tuniques blanches, le fait que le maître plus âgé danse avec ses trois jeunes élèves qui me poussent à une lecture nipponne de cette pièce créée en 1996, non plutôt ces arrachés de bras, ces mouvements subitement arrêtés en plein élan, ces tourbillons de contre-plongée, ces emprunts hip-hopiens comme des citations de mantras énergétiques, cette frénésie d’ailes de phalènes carnivores, subitement cloués en plein vol sur la noirceur d’une planchette par l’épingle froide d’un entomologiste insensible obnubilé par la poursuite vaine d’un rêve sans cœur ni raison. Une inversion de la théorie du papillon, le battement de l’âme d’un individu excédé de folie déclenche les pires tempêtes non pas à des milliers de kilomètres à l’autre bout du monde, mais un tsunami irrémédiable dans l’esprit même, phalène qui halète sans fin, prisonnier dans sa propre cellule intérieure, et le corps secoué de spasmes, cassé en deux, morcelé en fragmentations infinies, n’est que la résultante de cette force psychéïque retournée contre elle-même, à défaut d’un revolver salvateur. L’ensemble vous donne l’impression d’une stérile obstination à perpétrer un hara-kiri impossible puisque opéré avec l’arme émoussée de la chair incapable malgré tous ses remuements eschatologiques d’entamer les silex tranchants et nervaliens de votre psyché délirante. Car la folie tourne en rond en vous-même et vous broie pour vous empêcher de traverser le miroir des apparences. Tout cela dans ces saccades de gestes prompts, ces rafales de delirium tremens, ces abattements somptuaires et résignés qui à peine en repos se rallument comme flammes vives dans les pinèdes des songes inavoués. Et infinis. La danse comme équation mathématique à quatre corps inconnus qui ne sera jamais résolue, sinon sans l’arrêt de la musique qui mène le bal.

    Un triomphe. Pour ceux qui se demandent le pourquoi de cette chorégraphie incandescente sur la musique du Floyd, qu’ils se procurent la cassette vidéo du Pink Floyd Ballet en collaboration avec Roland Petit. La danse est un geste sans cesse recommencé mais toujours inachevé.

    Damie Chad.

    ROCK'N'ROLL STORIES

    BUDDY HOLLY

    RNRS : Série 2 / N° 6

    15 / 09 / 2019

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    Buddy Holly est mort à vingt-deux ans, mais si vous voulez vous pencher sur sa discographie, entreprenez plutôt la lecture du Tractacus Logicus de Wittgenstein, pas très rock'n'roll je vous l'assure, mais ô combien moins complexe. En fait le plus simple sera d'écouter ce sixième numéro de Rock'n'roll Story. Certes Buddy a enregistré un maximum de simples et je vous l'accorde ces pochettes de papier, souvent blanches, ne sont pas très vidéographiques, mais si vous êtes patients vous aurez droit aux belles images des 33 tours. De toutes les manières perso j'ai une préférence pour les EP français. Vous en verrez aussi. Je ne voudrais pas être rabat-joie mais Buddy n'avait pas tout à fait un physique de jeune premier.

    Les débuts de Buddy sont riches d'enseignements pour ceux qui s'intéressent à l'éclosion du rock'n'roll. Ça ressemble un peu à un vol d'albatros qui s'arrachent d'un océan mazouté, mais après c'est comme dans le poème de Baudelaire, cette satanée musique hante la tempête et se rit de l'archer. Enfin pas tout à fait, car il y aura de sacrées descentes en flammes, Buddy notamment abattu en plein vol. Par la main froide du destin.

    Une famille de musiciens – à croire qu'aux States il n'y avait que des gens qui savaient jouer de quelque chose – Buddy taquinera, la mandoline, le piano et grâce à son grand-frère Travis la guitare. En 1951, il formera le duo Buddy and Bob, Bob Mongomery, copain de collège, à la guitare et Buddy au banjo. Auparavant il avait déjà formé un duo avec Jack Neal, le futur bassiste des Blue Caps. Lorsque l'on lit les mémoires de Sharon Sheeley, la '' fiancée'' d'Eddie Cochran l'on s'aperçoit que le vaste monde du rock'n'roll américain devait être toutefois assez exigu car la plupart de ces artistes se connaissaient et n'arrêtaient pas de se croiser malgré l'immensité du territoire. Par contre s'il est un vivier inépuisable c'est celui des maisons de disques, des labels, des imprésarios, des organisateurs de tournées, des producteurs, le dessous grouillant de l'iceberg. Ne nous y trompons pas ces hommes de l'ombre empochaient les plus gros bénéfices. Un véritable panier de crabes. Ainsi entre Decca, Brunswick et Coral, Buddy aura du mal à tirer son épingle du jeu. Ses disques paraîtront sous diverses appellations, The Crickets ou Buddy Holly and The Crickets, Buddy Holly. Autre tare de ce système, les artistes ne sont pas les seuls à avoir droit de regard sur les titres. Beaucoup de démos seront ainsi refusées, elles feront plus tard la joie des rééditions.

    Pour le moment Buddy et ses compagnons – la formation des Crickets est pleine d'allées et venues – deviennent doucement des gloires locales. Peu de choses au regard de l'étendue du pays mais assez pour participer par trois fois à la première partie des trois spectacles qu'Elvis Presley donnera en 1955 – c'est à cette époque qu'il enregistrera Down the Line et Baby won't you play house with me ( ce dernier à mon goût supérieure à la version d'Elvis ) - et 1956, toujours à Lubbock. Sera aussi présent au concert de Bill Haley. Puis ce sera la rencontre de Norman Petty qui restera son producteur pratiquement jusqu'à la fin. Si après la mort de Buddy, Petty trafiquera quelque peu les bandes, il faut reconnaître que leur collaboration permettra à Holly de fixer son style. Imaginez un mix mélodieux et heurté d'un son qui allierait le flegme d'Hank Williams au jungle sound de Bo Diddley. Dans cet alliage, le plus important, ce ne sont ni les racines noires ni celles du western bop, mais cette idée de la création d'un son, Sam Phillips inventera en quelque sorte l'enregistrement, mais Buddy y ajoutera cette idée que l'on ne doit pas reconnaître la marque du studio, mais le son singulier de l'artiste. C'est en Angleterre que la leçon portera ses fruits, Beatles et Stones sauront écouter le message de Buddy et se forger leur propre marque sonore de reconnaissance totémique. Que serait devenu Buddy s'il n'avait pas disparu, tout ce que l'on peut dire c'est qu'il avait le projet de monter un label Prisme. Sans doute serait-il passé souvent derrière les manettes...

    Mais délaissez cette hâtive chronique, écoutez Rock'n'roll Stories, il est impossible de faire mieux et plus précis en trente minutes. ( Sur You Tube ou le FB )

    RNRS : Série 2 / N° 3

    EDDIE COCHRAN

    04 / 08 / 2019

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    Un destin similaire à celui de Buddy Holly. Fauché en pleine jeunesse. A vingt-et-un ans. Mais avec un goût d'inachevé que l'on ne retrouve pas chez Buddy. L'impression non pas d'une perte, mais d'un gâchis. La sensation qu'il est parti hier ou à peine depuis dix minutes, qu'il a laissé sa guitare pour aller fumer une clope et revenir. Buddy a laissé une œuvre. Eddie des semences. De celles qui permirent la renaissance de l'épeautre à partir des grains retrouvés dans les tombes des pharaons. Une dizaine de titres essentiels – sans oublier tout le reste - mais à partir de seule cette maigre poignée, ne subsisterait-il à la surface de la terre que cela, l'on pourrait reconstruire le rock'n'roll rien qu'à partir de ce coffre aux merveilles. Bien sûr tout est bon chez Eddie, un enseignement magistral à puiser du premier titre au dernier enregistrement. Mais cela ressemble à des brouillons d'enfant surgénial. D'une folle générosité. D'une immense précocité. D'une diabolique facilité. L'on ne peut s'empêcher de penser au destin d'un Evariste Galois fauché à vingt ans dans un duel, laissant en jachère des théories mathématiques qui furent reprises par bien des suiveurs. L'on aimerait savoir ce qu'il aurait fait par la suite. L'on se plaît à accroire que les routes du rock'n'roll auraient amorcé d'autres trajectoires, mais l'on n'en sait rien. En disparaissant Eddie Cochran ne nous a laissé sur quelques photographies que son sourire enfantin et triomphal pour essayer de déchiffrer une énigme qui nous dépasse.

    C'est pour cela que les remémorations de Rock'n'roll Stories nous sont précieuses, au-delà des faits elles ouvrent les perspectives infinies du rêve.

    Damie Chad.

    Sur FB : Rock'n'roll Stories ou sur You Tube.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 430 : KR'TNT ! 430 : LOU JOHNSON / MAVIS STAPLE / COCKBOX / RAT'S EYES / DAISY PICKERS / FAYE PEACHES STATEN / ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO / ROCK'ROLL STORIES / JEAN-MICHEL ESPERET

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 430

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    21 / 09 / 2019

     

    LOU JOHNSON / MAVIS STAPLE

    COCKBOX / RAT'S EYES

    DAISY PICKERS / FAYE PEACHES STATEN

    ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

    ROCK'N'ROLL STORIES / JEAN-MICHEL ESPERET

    T’en fais pas mon p’tit Lou

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    Contrairement à la plupart des Soul Brothers, Lou Johnson n’est pas né dans le deep South mais à New York. Donc pas de champ de coton pour lui ni d’horrible patron blanc. Et comme dans sa famille tout le monde chante et tout le monde joue d’un instrument, Lou n’a pas d’autre choix que de devenir Soul Brother. Pour une fois, le destin n’est pas trop cruel. Étant donné que Mum and Dad jouent du piano, Lou joue du piano. Le voilà keyboard player. Il commence par jouer du gospel dans les églises puis il se dirige naturellement vers les clubs, le voilà devenu a jazz-slash-gospel musician, comme il dit, a young whippersnaper. Entre 1962 et 1967, il enregistre quelques singles pour Johnny Bienstock, chez Hill &Range, une boîte de prod qui a fait son beurre avec Elvis et le Colonel. Les bureaux d’Hill & Range occupent deux étages au Brill Building et Burt en occupe un au rez-de-chaussée. C’est par l’entremise d’Hill & Range que Lou rencontre Burt - Me and Burt got on really well - Lou enregistre les démos que Burt destine à Dionne la lionne.

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    Et puis un jour, son label Big Top l’envoie enregistrer chez Allen Toussaint à la Nouvelle Orleans - Me and Allen got on really well - Dans la foulée, Johnny Bienstock met Lou en contact avec Jerry Wexler, alors le voilà sur Atlantic via Cotillon. Mais quand Lou découvre que son manager Richard Simpson l’arnaque, il lâche tout et va s’enterrer à Dallas. Il joue du piano au Green Parrot pendant huit ans. Ça brise sa carrière. Il n’empêche qu’en 1968 Jerry Wexler et Tom Dowd emmènent Lou enregistrer un album à Muscle Shoals. Lou est impressionné par le niveau du musicianship des petits culs blancs de Muscle Shoals : David Hood, Jimmy Johnson et le père Hawkins. L’album qu’il enregistre est le fameux Sweet Southern Soul. Attention, c’est un classique de la Soul. Lou entre directement dans le vif du sujet avec une fabuleuse version de «Rock Me Baby». On s’épate d’une telle assise. Lou Johnson chante comme un dieu. Il tape dans un vieux hit des Drifters, «This Magic Moment» pour le profiler sous l’horizon. Il shoote tout le feeling du monde dans cette merveille inexorable. Avec «Move And Groove», il passe au r’n’b de firmament, c’est swingué par la crème de la crème du sweet Southern Sound. Lou diffuse autant de magie que Freddie Scott ou William Bell. Il finit à la hurlette tumultueuse, sa voix éclate au pinacle de la Soul. Avec «Please Stay», Lou Johnson descend dans les soubassements de l’âme humaine. Ah il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie. En B, il shake le shook de «Tears Tears Tears» avec une aisance effarante. Sur cet album, tout est soigné au maximum de l’intensité, au pur Soul Sound System de haut vol, avec derrière des chœurs de rêve, ah on peut dire que les filles savent gueuler. D’ailleurs, personne n’a pensé à les créditer sur la pochette. Lou Johnson referme la marche avec le «Gypsy Woman» de Curtis Mayfield. C’est forcément une version de rêve, Lou la fait mousser et sa voix traverse les ténèbres du temps comme l’éclair du génie.

    Hélas, Jerry Wexler et Tom Dowd décident de concentrer leurs efforts sur Donny Hathaway et mettent Lou de côté. Entre 1968 et 1970, Lou passe à l’héro, puis il décide de décrocher et revient à New York se remettre au carré. Un jour qu’il se balade devant le building CBS, il tombe par hasard sur Allen Tousaint :

    — Lou how are you ?

    — I’m all right.

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    Allen lui explique qu’il a entendu dire ceci et cela sur Lou, des rumeurs d’héro et Lou lui répond que les rumeurs ne se trompaient pas et qu’il est passé à autre chose. Allen lui demande s’il est sur un label et Lou lui dit non. Alors Allen lui propose de faire un saut à la Nouvelle Orleans : «I’ve got some stuff I’d like you to do, I think you’d fit it just fine.» Lou descend passer trente jours avec Allen pour enregistrer cet album faramineux qu’est With You In Mind. Allen produit et Cosimo enregistre. Quand on a écouté ces deux coups de génie que sont «Frisco Here I Come» et «Wrong Number», on éprouve d’immenses difficultés à aller ailleurs. Lou peut rocker «Frisco Here I Come», il le fera à sa façon, avec une maestria du subterfuge et derrière, les filles arrivent, chaudes et plantureuses, alors la fête peut commencer, à coups de chœurs de gospel batch et on renoue avec l’extraordinaire dynamique du New Orleans Sound battu en brèche par un phraseur intriguant et des vagues d’orgue. Voilà un pur chef d’œuvre. Avec «Wrong Number», il tape une Soul de r’n’b classique, mais il la ramène à Broadway. S’il fallait qualifier la Soul de Lou Johnson, il faudrait parler de puissance dévastatrice. Il démarre pourtant cet album avec un «There Were Times» de charme, une sorte de pop éraillée, dotée d’un certain intimisme et en même temps staxy. Les filles envoient des rafales de chœurs déments et ça violonne doucement mais pas trop, voyez-vous. On sent les filles très proches et très discrètes. Il tape ensuite un long «Transition» de huit minutes, uns sorte de vertige à la Jimmy Webb, très orchestré, avec des zones pianotées et des accalmies océaniques. Forcément, avec un type comme Lou, on échappe aux cadres et aux formats. Il lui faut ces huit minutes pour afficher ses prétentions et accéder au trône de Soulland. Il faut l’entendre shooter sa Soul : il s’y donne corps et âme. Même chose avec «The Loving Way» : il traite la Soul à sa façon, d’une voix de feu fêlée, mais aussi à son rythme qui est atypique et d’une grande liberté. Il fait ce qu’il veut, il continue d’échapper aux cadres et aux formats. Cet homme incarne la liberté de ton, ce qui peut sembler ironique pour un descendant d’esclave. On se régale aussi de la belle Soul latérale de «Nearer» et du funky strut de «The Beat» qui évoque un peu Stevie Wonder. Il chante ça d’une voix presque blanche. Avec «Who Am I», il passe au piano bar de rêve. On est à la fête avec un Soulman comme Lou. Il propose ici une beautiful song admirable d’élégance louisianaise et on entend Allen Toussaint pianoter.

    Le problème est qu’Allen et Marshall Sehorn n’ont pas de réseau pour distribuer l’album, alors ils font appel à Stax, mais chez Stax, ils ne sont pas très doués pour la distro. En plus ce n’est pas du Memphis Sound et pour eux, c’est dur à vendre. C’est malheureusement le dernier album de Lou Johnson. Il quitte Dallas et s’installe à Portland dans l’Oregon en 1975, puis quelques années plus tard, il débarque en Californie pour aller jouer dans des clubs.

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    Il existe dans le commerce une très belle compile intitulée Incomparable Soul Vocalist. C’est l’occasion de se convaincre - si ce n’est pas déjà fait - de l’absolue nécessité d’écouter Lou Johnson. D’autant que ça démarre sur deux compos de Burt, «Reach Out For Me» et «The Last One To Be Loved». On peut parler ici de choc de titans. Lou sait que Burt est l’homme clé. Il dit entendre son art - I hear his stuff - Et il ajoute : «I think the only person who could hear his stuff better than me was Luther (Vandross)». Alors Lou met le paquet. Il travaille tous ses cuts au corps. Il va droit au cœur du cut, avec une niaque interprétative hors normes. Il se bat comme James Carr. Avec «Unsatisfied», on note la véracité de son rang princier. Il explose littéralement le Broadway Sound System. Back to Burt avec «Magic Potion». C’est plus poppy mais gagné d’avance, car voilà que dégouline une belle dégelée de gelée royale. Lou trousse ça sec. Oh si sec, sister ! Il reste dans le giron de Burt avec l’énorme «(There’s) Always Something There To Remind Me», le hit sixties par excellence, paré de coups de trompettes. L’affaire est dans le sac, Lou l’explose, il chante à la voix blanche. On aura tout vu. Il tape aussi dans l’extraordinaire «Walk On By» et salue Sidney Bechet avec «A Time To Love A Time To Cry». Il s’agit en fait de «Petite Fleur» traduit en Anglais par Giant, Baum & Kaye, l’une des grosses équipes du Brill. Lou gère cet hommage avec une classe insolente. C’est même joué à la clarinette et Lou nous brosse ça dans le sens du poil. C’est beau comme un solstice d’été. On tombe plus loin sur «Thank You Anyway (Mr DJ)», un heavy balladif ultra-violonné à l’hollywoodienne, signé Giant, Baum & Kaye. C’est même un déluge d’orchestration qui s’abat sur le pauvre cut. Lou brille au firmament, c’est indéniablement indéniable, on en perd les mots tellement il nous compresse la cervelle, thank you, thank you anyway. Sacré géant. Encore du Broadway Sound System avec «Wouldn’t That Be Something» qu’il swingue à outrance. Avec «Any Time», il vire bar de nuit, avec des chœurs de filles magiques et la surprise vient de «Love Build A Fence», véritable power shakedown de gospel batch. Les filles derrière sont probablement les Sweet Inspirations. On a là exactement la même charge qu’avec l’Aretha d’Amazing Grace enregistrée dans l’église de Los Angeles.

    Et puis voilà, on apprend inopinément que Lou Johnson vient de casser sa pipe en bois. L’entrefilet paru dans Record Collector indique que la mauvaise nouvelle n’est pas de source sûre. Lou Johnson aura su rester discret tout sa vie, et jusque dans la mort. Chapeau bas.

    Singé : Cazengler, Lou garou

    Lou Johnson. Sweet Southern Soul. Cotillon 1969

    Lou Johnson. With You In Mind. Volt 1972

    Lou Johnson. Incomparable Soul Vocalist. Kent Soul 2010.

     

    Mavis serre la vis - Part One

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    Mavis Staple à Paris, voilà qui sonne joliment à l’oreille. Un peu comme on si on disait : ‘Aretha à Paris’. Inespéré ! C’est un gros pan d’histoire de la Soul qui débarque dans une capitale surchauffée par les ardeurs d’un soleil estival. Il ne s’agit plus de dire monte là-dessus et tu verras Montmartre, mais plutôt entre-là dedans et tu verras Mavis. La Cigale redevient le temps d’une soirée un bon gros théâtre de boulevard avec ses places assises et sa moyenne d’âge élevée. Cette vieille dame pétrie de légende arrive enfin sur scène. Elle n’est pas bien haute, les mauvaises langues diraient même ‘plus large que haute’, elle porte une longue chemise bariolée ouverte sur un ensemble noir et très vite, elle établit le contact avec un public convaincu d’avance.

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    Mavis maîtrise indiscutablement l’art de communier, elle a fait ça toute sa vie, c’est-à-dire pendant plus de soixante-dix ans, si l’on considère le fait qu’elle commença à chanter dans les églises toute petite. Elle s’entoure d’une équipe minimale composée d’un couple de choristes noirs et de trois musiciens blancs. Et c’est là où les choses deviennent extrêmement intéressantes, car avec cette formule qu’on pourrait presque qualifier de stripped down, Mavis va chauffer la Cigale comme une église. Ils sont cinq à chanter les chœurs avec Mavis et ça prend vite de sacrées proportions, pas au sens du gospel power, mais au sens du groove. Cette musique se glisse littéralement sous l’épiderme, notamment cette version de «Respect Yourself» démarré au baryton de charme chaud par l’excellentissime Donny Gerrard. Wow ! Il n’existe pas de meilleure manière d’entrer dans la légende. Ce vieux hit des sixties ramène à la surface Pops Staples, Yvonne, Cloetha, et même Sir Mac Rice, l’auteur de ce chef-d’œuvre absolu de Soul engagée. Il est essentiel de rappeler que Mavis et les siens ont milité toute leur vie pour l’égalité des races, dans un pays où les mentalités ne peuvent pas évoluer. Elle continue donc aujourd’hui, en montant sur scène et en chantant des textes qui sont à la fois des messages d’espoir et des incitations à continuer le combat, comme ce fabuleux «No Time For Crying» qui referme la marche. Elle dit tout simplement que ce n’est pas le moment de pleurer - People are dying/ Bullets are flying - Oui, on tue encore les nègres aux États-Unis comme on les tuait au début du XIXe siècle, par simple haine et Mavis lève le poing lorsqu’elle clame «We’ve got work to do !», c’est assez brutal au niveau émotionnel, car il semble que la rumeur chantante qui sous-tend le cut remonte à la nuit des temps, jusqu’aux racines de l’esclavage. Mavis semble aujourd’hui porter seule de destin d’un peuple traité pendant des siècles comme de la marchandise.

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    Les mecs qui l’accompagnent se montrent dignes de la situation. Jeff Tunes joue sur une basse blanche sanglée très bas sur les genoux, à la manière d’un punk-rocker. Stephen Hodges bat tranquillement le beurre et celui qui tire le mieux son épingle du jeu, c’est bien sûr Rick Holmstrom, un type un peu décharné qui ne vit que pour la virulence et le venin des incursions intestines. Mavis semble adorer ça, car elle l’encourage en lui donnant des petits coups de poing sur la poitrine. En jouant aussi viscéralement, Holmstrom injecte une violente dose de modernité dans le son de Mavis, comme il le fit jadis dans le son de RL Burnside. C’est très spectaculaire ! Il joue avec des gestes d’épouvantail habité par le diable et lâches des grappes de notes dignes de celles d’un autre grand guitariste hanté, Robert Quine. Mavis attaque le set avec «If You’re Ready (Come Go With Me)» tiré d’un vieil album des Staples, Be What You Are, paru en 1973, à l’âge d’or de Stax. Et elle enchaîne avec un «Take Us Back» plus récent. Elle va ensuite commencer à taper dans les cuts de son dernier album, We Get By, produit par Ben Harper qui, comme par hasard, se pointe sur scène. Mavis l’aime bien car elle l’annonce comme the greatest songwriter in the world. Harper débarque avec son chapeau et duette avec Mavis sur deux autres cuts tirés de We Get By, «Love And Trust» et le morceau titre.

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    Mavis revient ensuite dans le très haut de gamme avec une reprise du big «Can You Get To That» de Funkadelic, et emporte pas mal de suffrages avec une autre reprise, celle de «The Weight» du Band, qui semble beaucoup plaire au public. Elle va heureusement revenir à ce qui est avec Respect Yourself l’un des meilleurs albums des Staple Singers, Be What You Are et cette chanson d’espoir intitulée «Touch A Hand Make A Friend».

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    Les malheureux qui ont raté ce concert peuvent se consoler avec l’album Live In London qui vaut son pesant d’or. Les Londoniens claquent des mains, ça veut dire ce que ça veut dire. La set-list diffère de celle du concert parisien qui est plus axé sur We Get By. Mavis crochète son «Love & Trust» à la vieille arrache de Chicago. On la voit travailler ses cuts sous le boisseau, elle fait du Wolf avec «Who Told You That» et Rick Holmstrom joue si sec ! Hank you ! Elle fait un duo d’enfer avec Donny Gerrard dans «Slippey People», qui est une reprise des Talking Heads. Mavis est déchaînée, ils shakent à deux tout le shook du monde. La température monte encore plus violemment avec «Take Us Back». Quand Mavis fait de la Soul, c’est de la Soul extraordinaire. Elle se jette toute entière dans la bataille. Ella atteint au génie avec «No Time For Crying». Elle retrouve sa fantastique énergie primitive. Les Londoniens stompent le beat - No time for tears/ We’ve got work to do - C’est l’appel au réveil, le grand message de Pops. Message d’autant plus beau qu’il est politiquement très engagé. Elle monte la transe au maximum - All over the world/ It’s a mean old world we’re living in - On reste dans le génie interprétatif avec «Can You Get To That», ce vieux hit de Funkadelic. Mavis nous habitue au confort du heavy doom. À sa façon, elle démonte la gueule du groove, comme savait si bien le faire Isaac le Prophète. Quel sens du punch ! Donny Gerrard fait le wanna know de baryton. Puis Mavis se coule sous la peau du groove pour interpréter «Let’s Do it Again», un cut qui ne fait pas partie du set parisien. Elle devient littéralement magique, sometimes it rains, elle groove à gogo - Let’s do it in the morning/ Sweet lovin’ - Le baryton vient fureter entre les cuisses du groove et ça devient spectaculaire. Elle explose littéralement la notion de live. À la fin, elle se marre - I feel like a butter finger - C’est une reine et la salle explose de plus belle. Elle rend hommage à Curtis Mayfield avec une sweet cover de «Dedicated». Elle sait de quoi elle parle. Elle monte là-haut comme Aretha dans «We’re Gonna Make It», mais en plus guttural. Power suprême ! Elle devient folle à la fin du set avec «Happy Birthday» et «Touch A Hand» - Make some noise ! - Elle allume comme une dingue. Make some noise ! Trop tard. Personne ne plus rien pour elle.

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    Dans la vraie vie, on écoute aussi ce fameux dernier album produit par Ben Harper, We Get By. Album d’autant plus ravissant qu’on y retrouve l’excellent Rick Holmstrom. Il fait des siennes dès «Change» qu’il gratte sec au boogie down. Il part même en solo d’exaction excavatoire. Il sonne vraiment juste, il sort un son de blanc noirci par la passion. Le cut le plus émouvant de l’album pourrait bien être «Heavy On My Mind», car Mavis le chante à l’intimisme extravagant, on l’entend mouiller ses papilles pour alimenter le groove du capella. C’est une chanteuse accomplie. Elle revient à ses basics avec «Sometime», fabuleux shoot de full time gospel joy. Quelle ferveur, les amis ! C’est excellent, comme pouvaient l’être les albums des Staple Singers sur Riverside. La réverb fait toute la magie du son. Mavis retrouve ses marques et chauffe son gospel batch à gogo. On retrouve l’autre Mavis, la Mavis excitée, dans «Stronger», épaulée par la pétarade de Jeff Turmes. Ça continue avec «Chance On Me», monté aussi sur le pouet pouet de cet incroyable bassman qu’est Jeff Turmes. Il tonitrue son bassmatic. Il nous fait du stipped down r’n’b et c’est fameux. Ce qui frappe le plus sur cet album, comme d’ailleurs sur scène, c’est la complicité qui règne entre Mavis et ses amis blancs. Cette complicité saute aux yeux à l’écoute de «Hard To Leave», car ce big cat de Rick Holmstrom ne fait que souligner le chant de Mavis, et c’est toute la différence avec un Jeff Tweedy qui avait une malencontreuse tendance à se mettre en valeur, comme tous les gens qui se payent du crédit sur le dos des autres. Holmstrom a compris que la qualité principale de Mavis était l’intimisme. Cette attachante vieille peau nous embarque quand elle veut, c’est en tous les cas ce que démontre une fois de plus «One More Change». Elle semble y atteindre l’apogée de sa proximité. On parle ici d’une qualité de proximité unique au monde.

    Signé : Cazengler, Mavicelard

    Mavis Staple. La Cigale. Paris XVIIIe. 5 juillet 2019

    Mavis Staple. Live In London. Anti- 2019

    Mavis Staples. We Get By. Anti- 2019

    15 / 09 / 2019MONTREUIL

    LA COEMDIA

    COCKBOX / RAT'S EYES

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    Pas la foule des grands jours ce soir à la Comedia. Bizarre, tous ces gens qui se privent de groupes rares, le premier vient d'Helsinki, et le deuxième de Moscou, peu de chance de les revoir de sitôt par chez nous. Remarquez que cela vous donne l'impression d'être de joyeux élus de la confrérie des maudits. Une pensée émue et reconnaissante tout de même pour ces honnêtes citoyens qui se couchent tôt le dimanche soir afin que leur force de travail soit prête à subir dès le lundi matin l'esclavage social. Les temps de soumission frénétiques vont-ils encore durer longtemps ? En tout cas, l'European Tour 2019 des Cockbox et des Rat'Eyes s'intitule : Peace = Death to the system. L'est sûr qu'il faut savoir prendre le taureau par les cornes si l'on veut tuer le Minotaure.

    COCKBOX

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    Du punk comme on n'en fait plus par chez nous. Bille en tête. Trente secondes de balance, pas davantage et c'est parti. Ce grand gaillard blond aux drums c'est Llari, pour le moment il officie avec componction, bat le beat ( évident quand on s'appelle Boite à Bite ) avec lenteur. Rasmus l'accompagne sur une seule corde répétitive de sa basse, l'on admire sa crête échevelée, l'on imagine facilement que lors de leurs raids meurtriers les crinières des poneys huniques devaient arborer cette flamboyance désordonnée. Elle s'était tenue un peu à l'écart et voici que Vee s'empare du micro. Que cette fille est belle dans sa blondeur sauvage et son cuir noir, sa cartouchière qui lui ceint les reins, ses pieds nus sous la résille de ses bas déchirés, la blancheur diaphane de sa peau et son visage de prêtresse qui s'apprête à lancer à la face du monde ses anathèmes destructeurs. Derrière les guys ne varient pas leur rythmique d'un millimètre, c'est sa voix rauque qui marque les brisures nécessaires. Une mélopée funeste, un son fruste, un timbre rude, la fascination du serpent, une interprétation de Siouxsie et des Banshees qui n'est pas sans rappeler le premier disque des Stooges, un étau minimaliste qui vous prend à la gorge, une coulée d'angoisse pure, une amphore de poison qui s'écoule au fond de vous et fore fort le phosphore des membranes reptiliennes de votre cerveau. Assistance subjuguée par cette entrée en matière.

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    Changement de ton. Vee a pris sa guitare et les villes en flammes s'embrasent. Llari enchaîne les plans sur la batterie, rapide comme le renard insaisissable qui se joue de la chasse à courre. Ne peut s'empêcher de sourire sous ses cheveux blonds, frappe imaginative, roulements incessants, difficile de suivre ses poings refermés sur les baguettes, cavale et cavalcade, il pulse, impulse, il propulse, et offre cette terrible dualité d'un feu roulant inextinguible qui ne se permet aucun bavardage. Une extrême efficacité, il pousse le morceau de ses basfonds les plus sordides aux bastons les plus éructants. Rasmus n'en semble pas ému. Il aime cette émulation, comme souvent Vee repose sa guitare et se consacre au sacre du chant, sa basse est obligée de bosser pour deux, il ne tolère pas de hiatus, il prend en charge le rôle de la lead et il gronde à l'image du lion que vous venez embêter dans sa tanière. Etonnant contraste entre son visage d'une fine délicatesse et son jeu rude et brutal. Vee aime mêler sa voix à ce tumulte, elle la lie à ces rafales de haine pour sonner l'hallali des mondes à détruire, et lorsqu'elle reprend son instrument c'est pour quelques riffs de feu qui vous fusillent sans rémission.

    Le set se termine trop vite. L'on aurait voulu davantage, mais peut-être ne le méritions-nous pas. Une dague qui s'enfonce dans votre cœur et que vous n'êtes pas prêt à laisser ressortir.

    RAT'S EYES

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    Pas l'œil du tigre, mais les yeux du rat. Cet animal que l'on dit plus intelligent que l'homme – - immonde créature destructrice – qui nous accompagne, et nous suit de près, par en-dessous, depuis les égouts et nos décombres, qui nous espionne et nous talonne, n'attendant que notre faiblesse pour prendre le dessus. Superbe métaphore de ce que Jack London nommait le peuple des abîmes, dont les hordes punk de nos jours sont les derniers guerriers. Les autres ont abandonné l'art de la révolte, et pactisé avec les maîtres pour quelques miettes édulcorées. Sont quatre, le ton tout de suite plus étoffé, ce qui ne veut pas dire plus rutilant. Le fond du son est noir. Magnifié par un chanteur. L'est collé au micro. N'en bouge pas. Le bouffe au plus près. Penché dessus, vous ne voyez que ses boucles brunes emmêlées. Chante pour lui-même comme l'animal blessé qui lèche ses plaies intérieures. Il ne claironne pas. Il n'invective pas. Sans doute vous rabroue-t-il de son étrange brouet vocal, vous abasourdit mais du dedans, sa voix forte vous chuchote à l'oreille que vous êtes une chochotte effrayée de tout, vous ne songez pas à le contredire, parce qu'il a raison, parce qu'il n'omet pas de préciser qu'il est comme vous, pas mieux mais aussi pire, vous déconstruit vos tares sans retards, vous décortique vos torts sans repos, bilan attentatoire qui vous met d'autant plus mal à l'aise qu'il est auto-accusatoire.

    Derrière lui, vous avez son exacte antithèse. Ne se cache pas derrière sa batterie. L'a une casquette rouge pour être sûr qu'on le remarque, qu'on ne peut faire semblant de l'ignorer. Obligation de se confronter à lui. Droit devant, face à l'ennemi. Vous démontre comment l'on doit frapper. Directement et sans atermoiement. Pas de posture fuyante, pas d'éclipse de trois quart, du face à face. Les bras largement écartés, et les baguettes de guingois comme s'il voulait que ses bras empoignent un vaste espace. Brasse le vent de la colère. Ne cherche pas le rythme, il l'abat, forgeron rivé à son enclume, le fer fume et il vous semble qu'il va le saisir à pleines mains, le mordre et le réduire en poudre. Pas un batteur. Un rabatteur, un abatteur. Il forge à pleine gorge. Se rengorge de fureur, et la vomit en un halètement monstrueux de locomotive déraisonnable.

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    Avec ces deux-là – sont-ils les deux yeux du rat – vous en oubliez de regarder guitariste et bassiste. Vous noircissent la sauce au sang sans rémission. Sans eux vous n'auriez pas ce fond touffu, ce background de béton qui vous mure toute possibilité de fuite. Ce qui est sûr c'est que êtes dans le faisceau des yeux du rat, qu'il vous observe, peut-être vous assimile-t-il à son rêve, vous amalgame-t-il au marasme du monde, mais vous sentez la froide réalité de votre vie vous transpercer jusqu'aux os.

    Encore un set trop court. Une musique qui se dirige sur vous, telle une caméra de surveillance et vous comprenez que désormais il faudra vivre avec. Que vous devrez augmenter le degré de vos ruses pour donner le change. La partie sera plus difficile que vous l'espérez. Maintenant vous le savez. Il est inutile de pleurer. Gros applaudissements.

    Damie Chad

    ( Photos : FB des artistes )

    CAROUSEL / COCKBOX

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    Bass : Rasmus / Vocals, guitar : Vergi / Drums : Jesse

    Carousel ( tiens quel hasard un titre de Siouxsie & The Banshees ), super 45 tours, pochette recto blanc et noir. Pas de figure, juste un pied de table et deux autres, de Vergi. N'insistez pas, son visage est hors-champ, le corps, et surtout la montée selon la ligne blanche des jambes vers le lieu du désir. Pa de chance rectangle noir pour le buste, à peine la naissance laiteuse des bras. Mallarmé nous a prévenus, mieux vaut suggérer l'absence d'une chose charnelle que d'en décrire la présence. Vous retrouvez le groupe en entier, bien propre sur lui, sagement rangé sur un canapé, au recto, filtre violet, dévoilé, violé ?

    Cute little doll : jolie petite poupée, pas du tout brisée, sait ce qu'elle veut, l'a la voix qui ordonne, et la musique derrière est comme elle, péremptoire, un mur de pierres sèches qui s'écraseraient sur vous si vous tentez de résister à la damoiselle, un solo de guitare comme un lancer de poignards, la batterie ponctue la leçon, il est inutile d'insister. Notre jolie poupée est un être libre. Suit son désir n'obéit pas au vôtre. Shot by jokers : elle vous le dit sur tous les tons, vous n'y échapperez pas, derrière la musique inéluctable le confirme, la batterie renvoie la balle, les guitares écrasent les insectes qui essaient de se faufiler. Dans votre tête, téléguidés par les media. Tout se passe dans la caboche, Cockbox se sert de sa musique comme d'une muraille infranchissable. Méfiez-vous les lézards s'introduiront dans la moindre des fissures. Fun vacations : anti-titre, les Cockbox ont l'humour pistolien. Vous dénoncent la triste réalité. Vous n'êtes que des esclaves de la technologie. Toutes les injustices du monde vous tombent dessus. Les Cockbox vous réinventent la lutte des classes, le couple dominé-dominant, et l'horreur du capitalisme sans employer un seul de ces vocables. Une voix tranchante qui claironne comme un jour de gloire. Ironie froide des guitares et batterie imperturbable, un longue traversée instrumentale pour vous signifier que ce n'est pas prêt d'être terminé, et un dernier vocal pour enfoncer les clous dans le cercueil de vos illusions. Le monde est d'une laideur repoussante. Leech : n'oublions pas que c'est une demoiselle qui chantonne, enfin qui criaille, l'a envie de se débarrasser de celui qui lui colle de trop près. Si sa voix était un fusil il y aurait longtemps qu'il y aurait du sang sur les murs. Les guys derrière se la jouent à massacre à la tronçonneuse, tapent et cisaillent sur tout ce qui ne veut pas bouger.

    Pas de logo sur la rondelle. Blanche de colère.

    Damie Chad.

    RAT'S EYES

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    Peu d'indications sur la pochette. Si ce n'est la mention : Futurepunk sound against fucking politics & fucking police from Moscow. Etrange de penser qu'à plusieurs milliers de kilomètres de chez nous, à l'autre bout de la terre, tout le monde aussi déteste la police. Quelle surprise !

    IN30.19 : sifflements, tapotements rythmiques, des voix obstruées qui s'en viennent et qui s'en vont, des robinets sonores qui fuient. Serions nous en 3019, en tous cas ce que nous entendons pas n'est guère jouissif, l'avenir s'annonce sombre. The rats VS. The scum : ( le seul morceau en anglais, certes pour les autres comme pour celui-ci ils vous refilent les lyrics mais en russe... ) nous ne nous trompions pas, ce morceau n'est que la suite du précédent et ce qui se profile n'incite pas à l'optimisme. Le son se resserre davantage, les guitares se joignent à la rythmique, l'urgence de la voix explose, de nombreuses coupures mais tout se termine en un obscur pugilat dont nous comprenons que nous n'en sortirons pas vainqueurs. Nous luttons à armes inégales. Digital priority : toujours le même son, mais plus violent, plus oppressant, la voix gronde et devient carnivore, elle essaie de mordre sur l'environnement netivore qui nous englobe dans le système matriciel contre lequel nous luttons en vain. Ne serions nous pas prisonniers de nos priorités, il est des luttes qui sont des jeux de dupes, l'insecte qui se débat ne s'englue-t-il pas davantage dans la toile de l'aragne mortifère. La batterie mène la charge. Et peut-être bien la retraite. No future : le titre est suivi d'un point d'interrogation sur le feuillet des lyrics. La question est à débattre. Une voix qui s'égosille, des guitares qui prennent de l'ampleur, la batterie qui cesse son tapotement irritant pour se métamorphoser en torrent impétueux. Un cri final orgiaque. Mais qu'a fait la police ? En tout cas le son rampe sur la bande-son qui ne bande plus du tout. Effritement terminal. Raving idiots ( the templars ) : un délire d'idiots pour couronner le tout. L'on croyait avoir touché le fond, mais c'était une erreur. Un flot d'invectives vous éclabousse, ça commence grandiosement comme un générique de film d'action et vous entrez dans une cavalcade punk terrorisante, et puis tout change, tout se calme – relativement – une espèce de valse gondolée avec des vomissements peu ragoûtants par-dessus. Certes il y a mieux mais vous ne trouverez pas pire. Un disque étonnamment bien construit. Les Rat's Eyes vous racontent une histoire, une seule, certes ils vous l'offrent en tranches pré-découpées genre barquette de salami à sale mine, mais cela forme un tout, vous avez des motifs instrumentaux qui reviennent et un traitement de la voix des plus intéressants. Un petit bijou de pierre volcanique en éruption soigneusement agencé.

    A se procurer le plus vite possible. En plus ils le balancent à deux euros avec deux autocollants dans le package. Les individus capables d'égaliser leurs actes et leurs idées sont rares par les temps mercantiles qui courent.

    Damie Chad.

     

    VICDESSOS / 10 - 08 - 2019

    BLUES IN SEM

    DAISY PICKERS / PEACHES STATEN

    ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

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    Dix-huitième Blues in Sem. Avec toujours cette paranoïa organisationnelle qui fait que les portes sont ouvertes à dix-huit heures et non à dix-sept heures cinquante-neuf. Tant pis pour les amateurs qui aimeraient assister aux balances. A croire que certains ont oublié que le blues est à l’origine l’expression populaire d’une révolte métaphysique et d’une convivialité existentielle contre les rigidités sociétales répressives. En ce début de troisième millénaire le serpent de l’efficacité finira par tuer l’aigle de l’esprit.

    DAISY PICKERS

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    Le monde est peuplé d’injustices. Deux sont assis, mais Stéphane Barral reste debout au milieu, bénéficie d’une superbe compensation, une présence féminine. Une belle big mama de bois vernis. Se tient à ses côtés et ne manque pas de lui prodiguer des leçons de bonne tenue, ne lui passe rien, ne se gêne pas pour la reprendre sans arrêt, qu’elle se campe bien droite, et pour être sûr que rien ne dépasse il lui distribue force claques sur le cordier. Une éducation sévère, mais qui porte ses fruits. Normalement avec les deux ostrogoths sur les bas-côtés on ne devrait pas plus l’entendre que le tic-tac d’un réveil au fond de l‘armoire. Oui, mais il fait sonner l’angélus du matin et l’angélus du soir de belle façon. Un métronome implacablement fou qui serait devenu amoureux de la nuance. Je sais bien que l’on ne juge pas le talent d’un artiste à l’applaudimètre mais à plusieurs reprises, en cours de morceaux, il fomentera moult vives réactions appréciatives dans le public. Et ce n’est pas évident car il n’est pas entouré d’une colonie de manchots réfrigérés sur la banquise. A sa gauche à la guitare Matt Bo Weavil, Daniel Giraud à mes côtés me glisse dans l’oreille qu’il l’a remarqué voici près de trente ( ou vingt ) ans avec sa guitare dans les rues du festival de Cahors, bref un cador on the blues trail depuis des lustres. Et cela se sent et s’entend, l’en a dans les doigts et dans la voix. Petit bémol, s’est un peu trop contenté d’un groove rythmique sympathique mais peu imaginatif dans la deuxième moitié du set. L’est pourtant doué et il possède un bel organe sonore qui colle au blues comme la mort aux objets mortels que nous sommes. A sa décharge, il n’est pas tout seul, sur la gauche de Stéphane qui taille sa route à la manière d’un bulldozer qui éventre une montagne, vous avez Vincent Pollet Vilar.

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    Encore un qui n’est pas venu les mains dans les poches, lui fait ses tours de magie sur son piano. Pumpin’ mais pas pompant. L’a l’esprit inventif, le gars qui a toujours une arabesque de feston de rabe à rajouter à la fresque sonore. Vous surprend toujours, imaginez la fougueuse charge d’Alexandre quand il jette son cheval dans les rangs serrés des hoplites thébains qui plient, se rompent et s'éparpillent, vous mène un train d’enfer d’un bout à l’autre de chaque morceau - pour les titres vous demandez à Daniel Giraud qui me les crie dans l’oreille à la première note - vous renouvelle l’interprétation des classiques, tellement pressé d’en finir qu’il les rallonge pour le plaisir de les enluminer à foison. L’assassin qui prolonge la vie de sa victime rien que pour le plaisir de le voir jouir de ses raffinements sanguinaires. En plus il chante, un petit grain de Ray Charles dans le timbre, se repassent le bébé vocal avec Matt Bo, deux ou trois titres et puis à toi companero, et le Barral qui vous verse un baril de solo big mamaïque pour pimenter le ragoût manifestement au goût de l’assistance. Vont jouer longtemps sans provoquer une seconde d'ennui, même que sur une intro Vincent se prend pour Rachmaninov manière de briser la monotonie anatolienne, en résumé une belle première partie qui met la foule sur les genoux. Acclamations, rappel, vous entrevoyez sans peine le tableau.

    ARNAUD FRADIN & HIS ROOTS COMBO

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    A l’impossible tout le monde est tenu. Toutefois pour certains c’est plus facile que pour d’autres. En plus ils n’engagent que la moitié de l’effectif. Pour le moment contrebasse et batterie se la coulent douce, en arrière plan mais légèrement décalés ce qui permet une vision panoramique des quatre pèlerins. Donc Arnaud Fradin et Thomas Troussier en première ligne. Débutent par deux morceaux qui seront le moment le plus fort de la soirée. Arnaud tout seul à la guitare sèche, et Thomas qui murmure si bas à l’harmonica qu’il faut du temps pour se rendre compte de son action.

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    Les cordes qui geignent, le blues le plus pur, le plus rural, que personne de maintenant n’a jamais entendu car à l’époque les séances d’enregistrement n’existaient pas encore. Ne me demandez pas comment je peux l’affirmer puisque je n’y étais pas, tout simplement parce que je le sais, un point c’est tout. Un moment de grâce suspendue au-dessus du monde, cette guitare qui pleure si profond à la manière des chats écorchés dont on retire les intestins alors qu’ils sont encore vivants. Chuintements et suintements, la souffrance à l’état idéal. Et les deux spadassins derrière qui effleurent tout doucement aux endroits qui ne font pas mal. Du blues pur et la meilleure leçon de compréhension de rockabilly que je n’ai jamais reçue, cela peut paraître bizarre, mais en fait dès que

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    Thomas hausse le ton et s’immisce dans les interstices de la friction moanique de la guitare il devient évident que les déchirures rythmiques de Cliff Gallup se glissent et se superposent à la longue plainte échevelée de l’harmonica, ceci pour ceux qui n’auraient pas compris les séminales origines noires de la musique des petits blancs. Après ces deux morceaux d’éblouissante splendeur Vincent se saisit de sa guitare à résonateur. Slide festival et bottle neck en souplesse, derrière l’on appuie le tempo mais jamais le volume sonore, le train prend de la vitesse et vous emporte de plus en plus vite. L’harmonica brûle la bouche de Vincent, siffle dans le lointain à la manière des locomotives fantômes, surgit devant vous pour s’éloigner aussitôt dans de mystérieux horizons. Richard Housset jamais brute mais plus incisif sur ses percussions et Igor Pichon maître des cordes tirées d’un doigt, mais plus franchement et plus répétées, se révèlent enfin, à peine davantage de bruit mais une présence qui n’en finira pas de s’accentuer durant tout le reste du set. La voix mâle d’Arnaud écoule tous les classiques? de Muddy Waters à Nathan James, n’hésite pas à se risquer dans le répertoire de Dylan, et à aider à la résurgence des racines africaines avec Ali Farka Touré, le blues est partout. Les radicelles viennent de loin et leurs prolongements sont sans fin.

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    Un set assez court - du moins m’a-t-il paru - même si l’on rajoute le rappel, mais du diamant bleu d’un éclat absolu, tel que je n’en n’avais jamais vu et entendu sur une scène. Longue ovation respectueuse et frénétique qui en dit plus long que n’importe quelle autre phrase.

    FAYE PEACHES STATEN

    Qui oserait s’aventurer sur scène après ce qui précède. Ce sera Mister Chang. Se fait attendre un petit peu. Le temps que ses trois accompagnateurs habituels préparent le passage en force. Au fond Pompon, un doux nom de chaton innocent, un colosse sapé comme un maquereau, ne riez pas, dans une autre vie avec sa cravate voyante, sa veste impeccable, son chapeau qui lui mange les yeux et son visage de boxeur, il devait être le garde du corps d’Al Capone, certes il a remplacé la mitraillette par une basse, mais il envoie sans discontinuer des pruneaux à défoncer les murs de béton. Ça ne détonne pas vraiment parce que du haut de son piédestal Julien a décidé d’écraser le monde sous sa batterie, un tintamarre de camion poubelle qui passe dans votre rue à quatre heures du mat, en faisant rugir son moteur surpuissant. Encore un nuisible sur votre gauche, Victor Puertas se plie en deux et virevolte sur lui-même, l’a un harmonica chignole entre les dents, l’a décidé de vous vriller les tympans, et il réussit parfaitement. Sur ce Mister Chang se radine, guitare en main, vous voulez du bruit, permettez que j’en rajoute et il éparpille des dégelées de notes à la louche.

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    Trois morceaux, tout juste si dans cette tonitruance généralisée l’on perçoit l’annonce de Mister Chang, et Peaches Staten entre sur scène. Certes toute la salle l’applaudit mais le bruit de nos claquements de mains est totalement recouvert par nos quatre sbires tapageurs. Apparemment cela ne suffit pas, Puertas se déleste de son harmonica et se jette sur l’orgue, question d’ajouter au vacarme orchestral.

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    L’on tremble pour Peaches Staten, que va-telle pourvoir faire dans ce cataclysme. Pas plus que vous et moi. A part qu’elle, elle sourit, secoue les serpents emmêlés de sa chevelure, s’avance vers le micro dans sa tunique triangulaire qui dessine comme la représentation d’un sexe stylisé géant, et tout simplement elle ouvre la bouche. Désormais l’on saura que dans le rhythm’n’blues c’est comme dans les livres de Bourdieu, il y a les instruments dominés et la voix dominante. Evidence sans bavure. C’en est franchement vexant pour la commune humanité. Elle ne chante pas, elle arrache. Elle stentorise. Sans effort, sans problème, avec une efficacité démoniaque. Vous pourriez mettre les potentiomètres sur 22, que ce serait aussi frustrant. Elle a du coffre. Trésors et merveilles. Un vocal qui emporte tout, à vous déplacer la grande pyramide, à faire toucher le sol au sommet de la Tour Eiffel. Avec humour en plus. Dans Sometimes elle demande à Mister Chang de traduire les lyrics, ligne après ligne, dès qu’elle en a énoncé une, et puis elle se lance toute seule dans une grande tempête wagnérienne-soul cataclysmique. Infatigable, increvable. De l’énergie à revendre elle galvanise le combo qui n’en avait pas besoin. Julien tape plus fort, Pompon dépasse les carillons, Puertas égosille son instrument, Chang vous invente toutes les trente secondes des fioritures de notes étincelantes qui ne servent qu’a rehausser le vocal de la diva. La voici qui se munit d’un frottoir, ce qui lui donne l’apparence d’un chevalier du moyen-âge en armure, et se sert de cette moderne washboard pour rajouter au vacarme ambiant le crépitement caractéristique d’une grêle cuillerique…

     

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    Peaches a la pêche. Met le feu à la salle. Finira par descendre faire le tour de l’assistance suivie par Mister Chang transformé en chevalier servant, revenue au bercail elle distribue tambourins, frottoir, et autres ustensiles aux danseurs lancés dans une sarabande gargantuesque et finit par les inviter à monter sur scène poursuivre le carnaval diabolique. Vous n’avez pas voulu aller à la Nouvelle Orléans, pas de problème la Nouvelle Orléans vient à vous. C’est la fête, il y a même un vieux monsieur à la barbe blanche qui profite du capharnaüm pour lui poser des bisous dans le cou et sur les joues, pas vu, pas pris. L’a du courage parce que si Peaches vous passe un bras autour du col, vous pouvez dire bonsoir à vos vertèbres. Diva soul à la facilité déconcertante. Le set s’arrête parce qu’il le faut bien mais elle est aussi fraîche qu’une rose ruisselante de rosée. Ovation debout d’une salle en délire.

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    Certes elle ne renouvelle en rien le rhythm’n’blues mais elle apporte la joie, l’énergie et la vie. C’est déjà beaucoup. Trop peut-être pour notre chétive et triste humanité.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Love Blues In Sem )

     

    STEADY ROLLIN’ MAN

    ARNAUD FRADIN

    AND HIS WILD COMBO

    ( BPCD17 001 / Mojo Hand Records / 2017 )

    Arnaud Fradin : vocals, guitars & backing vovals / Thomas Troussier : harps / Igor Pichon : double bass / Richard Housset : percussions / + special guest : Laurence Bacon ( 07 ) : backing vocal.

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    You can’t judge a CD just looking the cover, dixit Dixon, l’avait raison car à mirer les quatre employés de banque sur la pochette, rien de mirobolant ne vous tape dans l’œil. Heureusement qu’à l’intérieur ce n’est plus la même mouture.

    Steady Rollin’ man : à première oreille l’on eût peut-être aimé la guitare un peu plus en avant que la voix sur ce classique de Robert Johnson, nos rêves se trouvent réalisés par la longue suite instrumentale mais ce qui nous séduit, reste le travail percussif de tambourinade qui vous cisèle et renouvelle le morceau. Two trains running’ : l’harmonica en tête de convoi sur ce titre de Morganfield, et encore cette surprise de la prépondérance percussive qui s’en vient s’enrouler autour de l’harmo de Troussier tel le pampre de la vigne à l’ivresse du vin. If I get Lucky : la voix qui traîne sur l’instrumentation ambiance bleu-Lenoir JB, des éclairs tremblotants d’harmonica c’est le vocal qui mène la marche, un véritable pas de corbillard sans tambour ni trompette, la cadence seule du désespoir. Six minutes, le temps d’agoniser à votre aise, la traversée du pont qui mène aux Enfers est interminable mais vous aimeriez qu’elle ne finisse jamais. I can’t judge nobody : chantent tous en chœur comme pour se donner le courage de s’affirmer. Harmonica pointu sur rythmique fatiguée, le temps de s’étirer et de se tirer hors de ce sentiment de culpabilité dont les tentacules vous étreignent l’âme. Illinois blues : un petit Skip James pour s’envoyer dans les airs, l’harmo pèse un max et puis il s’élève pendant que derrière lui tout s’accélère. Beau vocal. Impeccable. Walk with your maker : la guitare mène le bal, elle éparpille les notes comme ces grains de raisins qui s’envolent lorsque vous agitez fortement la grappe. Le combo en fête, chacun se sert à satiété mais pas de doute c’est la guitare qui régale. Don’t leave me : guitare forte à la texane, mais qui s’adoucit comme l’on perd de la force, lorsque l’adversaire est en train de prendre l’avantage, une goutte supplémentaire de blues et vous êtes mort, voix sans timbre et en même temps sépulcrale, longues entailles d’harmonica comme des lacérations de couteaux dans le dos. Ne bougez plus, ce coup-ci vous êtes mortibus rasibus. La guitare égrène des pétales de fleurs sur votre cercueil. Cela vous fait une bonne jambe. Larmes de big mama pour couronner le tout. Même les crocodiles ont le droit de pleurer. Et tout cela pour une fille ! Franchement il y a de quoi rire. Big mama’s door : beaucoup plus joyeux, apparemment toutes les filles ne claquent pas la porte sur le museau des quémandeurs. Et apparemment le combo s’est décidé pour une entrée en force et groupée. Hot, very hot. Sont en pleine forme. Je ne vous dis pas de quoi. Cela pourrait vous donner des données. Hard time killin’ floor blues : encore un Skip James, beaucoup plus larmoyant que le premier, n’oubliez pas le mouchoir. L’ensemble claudique tristement, l’on se croirait à l’Eglise pour la cérémonie des adieux, tout le monde pleure et personne ne rit, même l’harmo ne se permet aucun ricanement déplacé, et Richard tape sans fin sur le gong du chagrin. Don’t think twice it’s all right : le prennent sur un tempo beaucoup moins rapide que sur scène. Du moins au début parce qu’après ils accélèrent en cachette, la voix et la rythmique qui trottinent et l’harmo qui tente de ralentir la cadence. L’est sûr que l’on n’est pas chez Hugues Aufray. Transparaît ici le vieux fond du roublardise des vieux bluesmen. Don’t let no body drag your spirit down ; retour au blues, tout dans le vocal qui monte et descend pendant que l’instrumentation poursuit un autre chemin, et s’en vient corner à chaque croisement. L’on se dirige vers la tragédie, mais l’on ne sait pas que l’on est déjà dans le dénouement, dans le dénuement le plus absolu, et l’harmo en rajoute une couche pour que vous n’y échappiez point. Good morning love : Troussier trille, souriez c’est du Luther Allison, nous n’avons pas dit polisson, mais c’est fou comment le blues vous annonce les meilleures nouvelles avec une gueule d’enterrement. Entre l’amour et le blues, l’on ne peut choisir que l’amour du blues. Et nos drôles batifolent avec l’insouciance des poulains qui ne savent pas que nous marchons tous, hommes et bêtes, vers l’abattoir final.

    Si vous n’avez pas ce disque chez vous, c’est parce que vous êtes parti pour l’acheter.

    Damie Chad.

    ROCK'ROLL STORIES

    Une émission You tube. Il y eut à partir de février 2018 une première série de 10 épisodes, aussi bien consacrés à un seul artiste qu'à un unique disque ou à la manière de se constituer une collection de disques fifties. C'est en juillet de cette année qu'une deuxième série a vu le jour. Tout cela est en accès libre et sur You Tube ou sur le FB : Rock'n'roll Stories. Rien de bien spectaculaire : plan fixe sur le speaker qui raconte et montre des pochettes de disques. Qu'il saisit un peu maladroitement d'ailleurs. Evidemment les mordus de rock'n'roll connaissent tout cela, mais c'est comme pour les petits enfants et l'histoire du Petit Chaperon Rouge, on ne s'en lasse pas, quand c'est fini on redemande la même ou à la rigueur une autre mais alors avec un méchant loup qui dévore les petits enfants, et le prédateur obsédant et adoré des rockers il s'appelle rock'n'roll ! Peut-être gît-il au fond de cela un brin de masochisme, ou un indécrottable parfum de nostalgie, voire la fabrication d'un monde idéal qui n'a jamais existé, en tout cas cela nous rend heureux et peut-être vaut-il mieux ne pas chercher plus loin que nos lignes d'horizons intérieures.

    Saison 2 / Episode 01

    GENE VINCENT

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    Trente minutes pour résumer la vie de Gene Vincent. Le fond sonore reste évanescent, seule la voix fait sens. Mais l'on se laisse emporter sans problème. Les néophytes seront vite submergées par une vague d'informations qu'ils ne possèdent pas. Mais il suffit de reculer pour saisir ce que l'on n'a pas intégré à la première jactance. Les faits et les gestes. Jeunesse, enrôlement dans la navy, accident, premiers enregistrements, sorties de disques, concerts, tournées en Australie et Japon, accueil du public. L'on ne nous cache rien, le succès éclatant du début, la désaffection du public américain, le renouveau anglais et européen, l'accident d'Eddie Cochran, et puis lentement et sûrement, la dégringolade, la mort. Mais cette assurance que Gene Vincent, à la voix si remarquable porteuse de son propre écho, reste le plus grand, si Elvis fut le roi du rock'n'roll, Gene Vincent en fut l'âme. De couteau.

    Damie Chad.

    De Jean-Michel Esperet nous avons déjà chroniqué ses trois ouvrages consacrés à Vince Taylor. Il s'arrange d'ailleurs pour citer son nom dans ce dernier livre qui traite d'un tout autre sujet. De notre futur. Ou plutôt de notre no-future. Que voulez-vous, le jour où les guitares n'auront plus besoin de musiciens pour jouer n'est pas si loin !

    DIABOLUS IN FUTURO

    - ELEGIE -

    JEAN-MICHEL ESPERET

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    Diable, si Sheitan s'en mêle nous ne sommes pas sortis de l'auberge. Que dis-je de la cuisine de l'auberge. Car c'est dans votre deux-pièces-cuisine que le livre commence. Rassurez-vous vous n'assisterez pas à une scène de ménage d'un couple déchiré en détresse. Ce serait un moindre mal. C'est le ménage lui-même qui se révolte. Non, rien à voir avec une quelconque revendication féministe de juste répartition des tâches. Sapristi ! Vivez avec votre temps. Ne reculez pas dans l'éculé, soyez résolument moderne ! Ce sont les ustensiles qui entrent en dissidence. Notons que c'était le titre du livre précédent de Jean-Michel Esperet, avec un s final, car sur cette terre les lignes de fractures sont nombreuses.

    J'entrevois les esprits forts s'exclamer, '' Ah ! Ah ! Un livre de science-fiction, c'est couru d'avance !'' J'aurais envie de leur répondre qu'ils ont tout à fait raison. Mais c'est moi qui aurais tort. Admettons un livre de science-no-fiction pour reprendre une expression venue d'Amérique. Certes cela ne se passe pas aujourd'hui à cinq heures du soir, mais vraisemblablement plutôt vers six heures trente. L'histoire racontée débute bientôt. A part le fait que ce n'est pas une histoire. Donc pas un roman, plutôt un essai à la Rochefoucauld. Respirez, Jean-Michel ne s'attarde pas à dénoncer vos turpitudes morales. Il sait très bien que vous les connaissez bien mieux que lui. De toutes les manières, vous êtes un homme. Une espèce qui n'existe plus. En voie de disparition, je corrige pour vous empêcher de récriminer, en voie d'extermination. Ne venez pas vous plaindre si vous ne vous en étiez pas aperçu, au moins à partir de cette lecture vous serez averti.

    Identifions donc l'ennemi. Un prédateur repéré est un prédateur à moitié mort. Cela tombe bien, vous êtes justement à moitié mort. Reste donc à isoler la partie vivante de votre corps. Elle est au-dehors de vous. Ne soulevez pas les coussins de votre canapé. Elle est déjà sur vous. Et pour vous éviter de fouiller votre appartement, je vous livre son nom : votre environnement. Ceci n'est pas une fable écologique, la pollution, le désert qui avance, le climat qui entre en surchauffe, tout ce que vous voulez, mais ce n'est là que la portion congrue.

    Je ne sais si je vous ai déjà rappelé l'anecdote de ce seigneur qui se fait construire un château-(très)-fort pour se défendre des assauts de ses voisins malintentionnés. Malencontreusement, avant que la moindre menace ne se manifeste, les murailles de l'épais donjon s'écroulent sur lui et l'envoient ad patres à mauvais escient. Ne dites pas que c'est la faute à pas-de-chance, vous êtes exactement dans le même cas.

    Je m'attarde quelque peu sur mon expression toute latine, c'est que voyez-vous c'est en langage césarien que Jean-Michel Esperet a composé ses titres de chapitres. N'ayez crainte, la traduction est en libre accès dans le glossaire final. Parce que, quoi qu'on en dise, en latin ça sonne plus fort. Pas besoin de sonnerie annonciatrice, dès les trois premières pages cela vous saute à la figure que tout va mal.

    Vous n'êtes pas comme le corbeau de la fable, ce n'est pas parce que le grille-pain vous a bombardé de tartines brûlantes que vous allez en faire tout un fromage. Objection votre honneur, ce n'est pas tout à fait ce que raconte Jean-Michel Esperet, son sujet c'est le transfert de technologie. Un genre d'activité qui tourne toujours au désavantage du généreux donateur. Quand vous semoncez votre gamin en édictant à voix haute '' Tu es un vilain'', il vous tire la langue et rétorque : '' C'est toi qui l'as dit, c'est toi qui l'es !'' Une machine? si vous la tapotez gentiment en vous exclamant : '' Comme je t'ai faite intelligente !'' elle répond '' C'est toi qui le dis, c'est toi qui ne l'es plus !''.

    Si votre vélo d'appartement ne vous a pas encore écrasé, n'en tirez aucune vanité, méfiez-vous de la voiture qui pourrait sortir de votre poste de télévision. Ne riez pas, la menace est plus prégnante que vous ne le croyez. Nos objets doués d'intelligence sont comme nous soumis aux pannes, ils s'usent et se dérèglent et peuvent provoquer des catastrophes. Votre frigidaire ne transformera peut-être pas votre maison en zone sibérienne, mais pensez à ces systèmes de missile atomiques braqués sur vous... Il suffirait d'une défaillance d'un programme informatique...

    Mais Jean-Michel Esperet use d'armes beaucoup plus insidieuses que les bombinettes à neutrons. Ne parle même pas de ces dernières. Imagine simplement des hypothèses de catastrophes intermédiaires. Pas celles auxquelles vous pensez. Le danger ce ne sont pas les bombes, mais la complicité que vous entretenez avec les réseaux d'aides et de facilitations existentielles qui s'emparent de plus en plus de notre quotidien. Le plus grand des périls réside entre l'osmose destinée à s'opérer entre les hommes et les machines. Tout transfert a vite fait de se transformer en échange. Vous donnez votre intelligence à un appareil, comment vous rendra-t-il la monnaie de votre pièce ?Les temps ne sont pas si lointains où vous le saurez.

    En attendant Jean-Michel n'endosse en rien le rôle d'une pythonisse échevelée, préfère l'anecdote amusante, l'humour doucereux, l'ironie décapante, le sourire amer, le rappel historique gênant, le rictus démoniaque. L'on sent qu'il est à deux doigts d'en appeler à Aristote, à ses strictes délimitations des hommes et des objets, mais non, se contente d'agiter, pour attirer l'attention et la réflexion des grands enfants que nous sommes, les deux grandes marionnettes du théâtre d'ombres des représentations homo-sapiensales, Dieu et le Diable. Ne croit pas plus à l'un qu'à l'autre, mais il exècre tellement le premier – plus exactement ses différents sectateurs - qu'il prête au second son humour.

    Dieu lui paraît n'être qu'un pauvre diable dont la valeur boursière dégringole de jour à jour, le Diable lui est davantage rigolo puisqu'il nous ressemble tant et que nous ne pouvons plus nous regarder dans une glace sans éclater de rire. Il serait plus logique d'en pleurer, ce n'est pas pour rien que Jean-Michel Esperet a sous-titré son recueil ''Elégie''. Le monde est triste. Hors contrôle, islamisme, communisme, libéralisme, agitent leurs tentacules destructeurs au travers de ce nouveau monstre transformiste encore en chrysalide qui bientôt les dépassera en nocivité.

    Moins de cent trente pages, vite lu, un délice aussi glacé qu'un poignard dont on vous transperce le dos. Jean-Michel Esperet vous tend une petite fiole de poison, malheur à vous il ne possède pas l'antidote, mais il faut savoir combattre le mal par le mal.

    Damie Chad. ( Septembre 2019. )