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aleister crowley

  • CHRONIQUES DE POURPRE 708 : KR'TNT ! 708 : GYASI / SHANGRY-LAS / BRITTANY DAVIS / ROCKABILLY GENERATION NEW / BOB MOSLEY / ALEISTER CROWLEY / OIL BARONS / SPACE CADET

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 708

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    30 / 10 / 2025

     

     

    GYASI / SHANGRI-LAS / BRITTANY DAVIS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BOB MOSLEY / ALEISTER CROWLEY

        OIL BARONS / SPACE CADET

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 708

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Easy Gyasi

     (Part Three)

             Malgré son air con et sa vue basse, l’avenir du rock adore briller dans les conversations mondaines. Un soir, alors qu’il dîne avec ses amis chez Bofinger, la sorcière Crapulax lui fait cette remarque délicieusement acerbe.

             — Avenir du rock chéri, d’où te vient cette manière ascétique de découper ta dorade avec le petit doigt levé ?

             — Oh, sans doute est-ce dû à l’influx superfétatoire du paradigme de l’esthète, dont l’incarnation reste, à mon sens, Michel Gyasi, l’efflanqué coruscant des Jeux de Tokyo.

             Caressant son bouc, Bill Abitbol reprend la balle au bond :

             — On ne t’imaginait pas installé devant un récepteur de télévision, cher avenir du rock...

             — Je vendrais mon âme au diable pour voir un homme courir dans tous les Gyasimuts !

             — Et toi, cours-tu ?, ricocha l’Abitbol...

             — Non, mon bon Bill, mais Gyasi toujours selon ma conscience...

             Fascinée par l’éclat de ses réparties, Marie-Paule Lépaulette interpelle l’avenir du rock :

             — Imagine qu’un matin, tu te réveilles et tu décides de bâtir un empire, avenir du rock chéri... Quel continent choisis-tu d’envahir ?

             — Gyasi mineure, sans la moindre hésitation ! Et comme Alexandre, je repousserai les frontières jusqu’au Gyasimbabwe et bien sûr je réduirai en esclavage tous les Gyasigotos et tous les Gyasigomars et tous les Gyasigouigouis !

             — Et s’ils fomentent des révoltes, très cher avenir du rock ?

             — Je les Gyasigouillerai ! C’est pas des Gyasigounettes qui me feront Gyasigzaguer !

     

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             Maintenant, Gyasi n’a plus qu’à se montrer digne des réparties cinglantes de l’avenir du rock. Il arrive sur scène moulé dans un juste-au-corps bleu clair assorti au fard bleu de ses paupières. Il est magnifique de glitter. Il y a du Ronno et du Ziggy

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     en lui. Il s’empare de sa Les Paul orange pour rocker le boat, et dame, le boat n’en demandait pas tant. Gyasi te le rocke au-delà de toutes tes expectitudes. Il est devenu en peu de temps le maître des Orlok, l’Ansphératu des Amphitryons, l’Abyssal des Abyssino no no, le glimmer twin du Twist & Shout, la réinvention des conventions, le redémarrage en côte du Ziggysme, le Spider from Marche ou crève, le Stardust du lust, il est frais comme un gardon, sexué comme l’enfer de ta bibliothèque, glam dans l’âme, mais on voit bien qu’il pourrait faire du Led Zep ou de l’Humble Pie aussi

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    bien que le Ziggy Bolan-malan dans lequel il s’est jeté tout entier. Gyasi est l’artiste clé de son temps, le hero for one day, il est là pour un soir et dépêche-toi d’en profiter, car comme tout, cette classe est éphémère, il passe d’un genre à l’autre sans crier gare, il stompe son «Cheap High» et plonge son public dans la dramaturgie d’«American Dream», il te bluffe complètement car il réincarne le temps d’un cut ce qui fut en son temps un sommet, le «Rock’n’Roll Suicide» de Ziggy Stardust. Tu

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     frémis autant qu’à l’époque du Suicide, car Gyasi est d’une véracité à toute épreuve. Mélodiquement, le cut se tient et flashe bien dans la nuit. Gyasi a maintenant une belle collection d’hits under the belt, il peut aller conquérir les scènes du monde entier et engranger des dizaines de millions de nouveaux fans, son glam-rock colle bien au papier, ça jerke dans les tibias et derrière il a le guitar slinger idoine, rien ne peut donc plus l’arrêter, oh no no no baby ! Encore du joli stomp de glam avec «Tongue Tied», on a déjà entendu ça à l’époque, mais ça passe comme une lettre à la

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    poste, car cette superstar campe merveilleusement bien son camp. Tu lui fais aveuglément confiance. Ces quelques gouttes de glam dans un monde de brutes sont une bénédiction. T’as les accords du «Jean Genie» sur «Sweet Thing» et ceux de Marc Bolan sur ce «Baby Blue» qui te replonge en plein dans Electric Warrior. Quel magnifique hommage ! Tu ne peux pas réinventer le glam, tu ne peux que le célébrer, comme on célébrait autrefois les dieux de l’Antiquité. Gyasi est le fils de Dionysos.  Et puis, en fin de set, il rend hommage à l’Ozz avec les premières mesures de «War Pigs».

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             On peut se replonger dans ce bel album live, Rock N Roll Sword Fight, paru l’an passé, mais on ne retrouvera pas la ferveur du concert. Gyasi y fait son Ziggy

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    («Godhead»), puis son T. Rex («Baby Blue»). Dans les deux cas, il est confondant de mimétisme. Il sait aller chercher la dramaturgie de Ziggy, et il sait aussi flatter le glam turgescent de Bolan. Il profite même de l’occasion pour transpercer son power glam d’un killer solo flash. Il n’est pas non plus avare de power pur, comme le montre le «Cheap High» d’ouverture de bal. Il te charcute ça à la cocote sévère. Ricky Dover Jr gratte de sacrés poux derrière. S’ensuit un «Tongue Tied» qui bascule bien dans le stomp de glam, ça s’emboîte parfaitement dans la vulve du mythe, et ça joue au gras double d’excelsior. Mais après, on perd un peu le glam. «Fast Love» est monté sur le drive de basse de «Lust For Life». Gyasi a toujours un peu le cul entre deux chaises, celle du glam et celle du rock seventies, dont «Sugar Mama» est l’archétype. 

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             Sorti la même année que le Sword Fight, voici Here Comes The Good Part, un album qui démarre du bon pied avec «Sweet Thing», un fantastique jive de stomp. Gyasi réinvente le stomp des seventies. Il a ça dans la peau. Tout l’album va se révéler bardé de barda. On le voit aussi taper dans ses deux mamelles, Ziggy et T. Rex. Ziggy avec «Snake City» (même esprit que «Rebel Rebel»), puis «American Dream» (il renoue là avec l’extrême dramaturgie du Ziggy au bord de la crise de nerfs, il atteint le stade du power absolu), et plus loin «Star», où il réincarne Ziggy le temps d’un cut, il tape en plein cœur du mythe véracitaire, ça fait plaisir à voir, et en prime, ça Ronnotte dans les brancards. Il va droit sur T. Rex avec «Baby Blue». Encore deux belles énormités avec «Bang Bang (Runaway)» (wild raunch qu’il attaque au Arrrrhhhh et qu’il module en heavy stomp de rêve) et «Cheap High», amené au tape dur, Gyasi adore le killer flash, il raffole de cette belle violence riffique.

    Signé : Cazengler, jaseur

    Gyasi. Le 106. Rouen (76). 18 octobre 2025

    Gyasi. Rock N Roll Sword Fight. Alive Naturalsound Records 2024

    Gyasi. Here Comes The Good Part. Alive Naturalsound Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le chant gris des Shangri-Las

     

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             Curieuse histoire que celle des Shangri-Las, quatre petites gonzesses du Queens réunies dans un studio par un producteur fantôme. On surnommait George Morton « Shadow » parce qu’il lui arrivait de disparaître comme un fantôme. Il est là, et soudain, il n’est plus là. George ? Good Lord, George ! Arrête ton cirque ! Ça ne nous fait pas rire. Mais où est-il passé ? C’est incroyable ! Ho George ! Tu pourrais nous répondre, espèce de malpoli ! 

             Les Shangri-Las étaient ce qu’on appelait à l’époque un quatuor vocal, comme il en existait des milliers à New York. Mais celui-ci était particulier, car constitué de deux paires de sœurs, Betty et Mary Weiss d’un côté, Mary Ann et Marge Ganser de l’autre, deux jumelles. L’autre élément qui les distinguait des autres girl-groups, c’était leur réputation de bad girls. Mary Weiss trimballait un calibre avec elle. Quand les flics du FBI lui demandaient pourquoi elle était armée, elle répondait que c’était réservé au premier bâtard qui allait essayer d’entrer dans sa chambre d’hôtel. Tu veux un dessin, flicard ?

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             La légende des Shangri-Las repose sur deux atouts déterminants : la production géniale de Shadow Morton, et la voix de Mary Weiss. Mais elle doit aussi énormément aux clins d’yeux de fans célèbres comme les Dolls qui reprenaient « Give Him A Great Big Kiss », ou encore les Damned qui démarraient « New Rose » - leur single historique - avec la première phrase de « Leader Of The Pack » : « Is she really goin’ out with him ? ». Beaucoup de gens en 1977 ne savaient pas trop qui étaient les Shangri-Las et puisque Dave Vanian les citait, alors les disques de Shangri-Las sont apparus dans les bacs des disquaires qui n’avaient qu’un seul mot à la bouche : mythique !

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             La discographie des Shangri-Las n’est pas bien épaisse : seulement deux albums et une poignée de singles. Leader Of The Pack est sorti en 1964, et encore, ce n’est qu’une moitié d’album, car les deux paires de sœurs n’avaient alors enregistré qu’une poignée de singles. La B est remplie de morceaux live de mauvaise qualité, ce qui fait que cet album a souffert d’une réputation pour le moins surfaite. De là à dire que c’est une fabuleuse arnaque, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse. Jackie DeShannon ne nous aurait jamais fait un coup pareil.

             Mais c’est vrai, rappelons-nous, les Shangri-Las sont des bad girls. Bien pire, elles sont tombées dans les pattes de gens peu scrupuleux qui ont fait du blé sur leur dos. La pratique était courante à l’époque. Évidemment, les filles, ça les foutait en rogne de voir que leurs disques se vendaient à des millions d’exemplaires et qu’elles ne ramassaient pas un rond.

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             Tous les hits des Shangri-Las se trouvent sur l’A de ce premier album. « Give Him A Great Big Kiss » est de la grande pop shakée aux clap-hands, admirable à tous les égards et on comprend que le jeune Johnny Thunders soit tombé en pâmoison quand il entendait ça à la radio en 1965. Pour composer « Leader Of The Pack », Shadow Morton s’était acoquiné avec Ellie Greenwich, alors évidemment ça ne pouvait que faire des étincelles. Et pour corser l’affaire, Shadow a fait entrer des gros bikers tatoués - avec leurs motos - dans le studio. Il voulait le vrai son. Alors OK. Tu veux le vrai son, amigo ? ‘Coute ça ! Les mecs ont débrayé et mis les gaz, vroaaaaar,  et les filles ont chanté sans tousser, malgré toute la fumée. Mary Weiss miaulait ça très haut perché. La rythmique groovait comme celle de Sonny & Cher. Le génie d’Ellie Greenwich avait encore frappé. Vroarrrrr ! On comprend que Dave Vanian soit tombé dingue de ce morceau qui sortait de son petit transistor alors qu’il creusait une tombe sous la pluie. « Leader Of The Pack » est à la fois un cut d’une profondeur fabuleuse et une chanson affreusement triste. C’est avec ça que Shadow Morton s’est taillé une réputation de producteur légendaire. Plus tard, les Dolls le solliciteront pour produire leur second album, Too Much Too Soon.

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             Son autre coup de maître fut de faire entrer des mouettes dans le studio pour « Remember (Waiting In The Sand) » une mélopée bien sirupeuse, comme les aimaient les gens à l’époque. Vous avez déjà essayé de faire rentrer des mouettes quelque part ? Pas facile. Ces bestioles sont particulièrement bêtes, au moins autant que les poules.

             Malgré le son pourri, on trouve des reprises prometteuses sur la B de Leader Of The Pack, et notamment une version live de « Twist & Shout » chantée très haut perché. Mary et les jumelles arrivaient à sortir des trucs incroyablement sexy et sucrés.

             Quand elles ont démarré, elles étaient encore adolescentes. Mary n’avait que 15 ans et les jumelles 16. Pour partir en tournée avec les Beatles, elles durent quitter l’école et renoncer à l’éducation, ce qui les arrangeait bien, car en bonnes bad girls qui se respectent, elles ne pouvaient pas schmoquer leurs profs. Elles ont donc passé les plus belles années de leur vie à sillonner les États-Unis avec des blanc-becs comme les Rolling Stones, les Animals, Vanilla Fudge et les Sonics, puis elles ont débarqué en Angleterre pour tourner avec des branleurs encore plus boutonneux, du style Herman’s Hermits.

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             Leur deuxième album, Shangri-Las 65, est sorti dans la foulée. Il est beaucoup plus solide que le premier. Avec « Right Now And Not Later », on a ce qu’il faut bien appeler un son de rêve. On se retrouve au cœur d’un shuffle exceptionnel, soutenu aux tambourins, chanté à fond de train. Elles effarent et révèlent une puissance infernale. On trouve sur cet album pas mal de compos d’Ellie Greenwich et notamment « Give Us Your Blessings », une belle pièce de pop élancée qui plonge ses racines dans le gospel et que Mary Weiss chante à la mode californienne. Stupéfiant ! Shadow Morton signe « Sophisticated Boom Boom » que reprend aujourd’hui Kid Congo sur scène. « I’m Blue » est carrément une reprise des fabuleuses Ikettes. C’est groovy en diable et monté sur une belle bassline. L’un de leurs plus gros hits restera sans doute « The Train From Kansas City », une grosse compo signée Ellie Greenwich, une vraie merveille taillée dans l’harmonique. On sent le drive d’Ellie, the beast of the Brill. On comprend que Phil Spector ait voulu travailler avec elle pour River Deep. Ellie avait du génie. Il faut voir comme elle tortille son couplet pour le faire sonner comme un hit planétaire, en plein cœur des sixties qui sont déjà congestionnées par des milliers d’hits planétaires. On reste dans la magie sixties avec « What’s A Girl Supposed To Do », chanté aux voix perchées. Mary Weiss y va de bon cœur - woo oh woo oh yeah - c’est l’époque qui veut ça. Pur jus sixties de chœurs juvéniles. 

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             Puis leur étoile s’éteint et elles replongent dans l’anonymat. Les deux jumelles vont casser leur pipe en bois. Mary et Betty essaieront de revenir en 1977, aidées par Andy Paley, mais le projet d’album restera à l’état de projet. Il faudra attendre 2007 et l’aide de Billy Miller (Norton) pour qu’un album de Mary Weiss apparaisse chez les disquaires. Ce sera le fameux Dangerous Games. Fameux car salué par Shadow Morton qui était alors encore vivant, mastérisé chez Sundazed et doté d’une pochette signée Roberta Bayley - la photographe qui a fait la pochette du premier album des Ramones, et les portraits officiels de Richard Hell, des Dolls (devant Gem Spa) et des Heartbreakers, entre autres. Ce sont les Reigning Sound qui accompagnent Mary Weiss sur cet album. On voit que ce gros coquin de Greg Cartwright est remonté au Nord pour se rapprocher des femmes fatales. On l’a vu sur scène avec Rachel Nagy et ce qui reste des Detroit Cobras. Voilà maintenant qu’il fricote avec Mary Weiss et qu’il lui compose des chansons, souvent très bien foutues. Et dans les chœurs on retrouve Miriam Linna, elle aussi bien pourvue, côté légende. Très vite, on tombe sous le charme de « Nobody Knows (But I Do) » une belle power-pop signée Greg Cartwright. Voilà une grosse pop à la mode new-yorkaise superbement travaillée et lumineuse, dynamique et entêtante. Mary Weiss chante désormais d’une voix de tête très mûre, presqu’ingrate. On tombe ensuite sur une énormité qui s’appelle « Stop And Think It Over », une power-pop d’allure royale signée Greg Cartwright, embarquée à la bassline aérodynamique et dotée d’une grâce presque typique des Oblivians. La chose se veut incroyablement élégante et digne d’une légende comme celle des Shangri-Las. Mary Weiss montre qu’elle peut encore monter très haut, over the rainbow, si elle veut. Les compos des autres copains sont un peu plus faibles. Les seules qui tiennent la route sont celles de Greg Cartwright. On sent que l’animal veut s’inscrire dans la légende. Il récidive en B avec un « Stitch In Time » mélodiquement pur et infernalement bon. Elle fait aussi une reprise des Real Kids, « Tell Me What You Want Me To Do », traitée en tressauté avec des nappes d’orgue à la Blondie. Pur jus de wild pop d’attaque frontale. C’est un audacieux mélange de pop new-yorkaise montée sur le riff de « Venus » des Shocking Blue. D’autant plus surprenant que le solo est quasiment le même, note pour note. Sans doute un clin d’œil. Retour en force d’Ellie Greenwich avec « Heaven Only Knows », la vraie pop du Brill avec des chœurs agonisants. Lorsque Ellie traîne dans les parages, on ne craint pas l’ennui. S’ensuit un « I Don’t Care » qui reste dans la haute volée. Compo soignée de Greg Cartwright, agitée aux tambourins, inspirée et dotée d’une jolie mélodie, comme dirait Charlebois.

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             Et Shadow ? Mais où est-il passé ? Chez Ace on s’est occupé de lui en publiant en 2013 une rétrospective : Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. On y entend les artistes que découvrit ou produisit Shadow Morton : les Shangri-Las, Janis Ian, Blues Project, Vanilla Fudge, Iron Butterfly, Mott The Hoople et les Dolls. Si on ne connaît pas Janis Ian, c’est l’occasion de la découvrir avec « Too Old To Go ‘Way Little Girl », grosse pièce de folk-rock psyché chantée à fond de train, complètement extravagante.

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             La vraie merveille qui se niche sur cette antho à Toto, ce sont les deux titres enregistrés par Ellie Greenwich. Et là, on entre dans la légende, comme si deux esprits supérieurs, Ellie et Shadow, nous conviaient à partager un moment de leur intimité artistique. « Baby » est un hit planétaire. Ellie, c’est la reine de New York, elle embarque son baby-baby et rentre dans le lard du retour de manivelle. Elle a le sens parfait du jerk - So close to my heart ! - C’est une merveille. Elle fait un autre titre moins spectaculaire, « You Don’t Know » qu’elle taille dans la mélodie.

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             Une fois qu’on a bien épluché l’antho, on peut se plonger dans le booklet de 40 pages qui l’accompagne et là, on trouve tout ce qu’on a besoin d’apprendre sur Shadow Morton. Mick Patrick avait entrepris une correspondance par mail avec Shadow et là attention, attachez vos ceintures, car on fonce droit dans la mythologie, la vraie. Shadow raconte ses souvenirs de gamin dans le gang des Red Devils, au sud de Flatbush Avenue, puis il raconte comment il a voulu entrer dans le show-biz en montant au neuvième étage du Brill Building pour proposer une chanson qu’il n’avait pas encore à Ellie Greenwich qui le reçoit bien, mais il y a ce con de Jeff Barry qui le snobbe. Ça ne plaît pas du tout à Morton qui vient de Brooklyn, qui est irlandais et alcoolique. Il ne faut pas trop lui courir sur l’haricot - « You don’t take that attitude with me very long ! » - Et Barry lui demande de quoi il vit, alors Shadow prend ça comme une insulte et lui répond avec morgue - « La même chose que vous, j’écris des chansons » - « Quel genre de chansons ? » - « Des hits ! » - « Alors ramenez-en un ! » - Shadow sort du bureau aussi sec, il attend quelques secondes et il revient dans le bureau avec un grand sourire - « On a oublié de préciser une chose. Un hit rapide ou un hit lent ? » - Barry se marre et lui dit - « Kid, bring me a slow hit ! » - Fantastique démarrage en trombe, complètement à l’esbrouffe. Il a rendez-vous le mardi suivant. Il connaît un nommé George Sterner qui connaît des musiciens. Il connaît aussi quatre filles du Queens, qui accepteraient d’enregistrer une démo dans un studio de bricolo. Il lui manque encore le plus important : la chanson. Il compose « Remember (Walkin In The Sand) » dans sa tête et pouf, c’est parti ! Ce qu’il fait plaît beaucoup à Jerry Leiber qui l’engage comme compositeur et producteur. Quand il touche son premier chèque de royalties, Shadow s’achète une Harley. Et il replonge dans la mythologie de son adolescence, il se souvient de l’énorme gang de bikers au soda shop, et il compose « Leader Of The Pack » ! Petite cerise sur le gâteau, il fait mourir son héros biker. On lui dit que ça ne passera jamais à la radio. Les histoires de voyous en motocyclettes n’intéressent pas les gens. Shadow croit que sa dernière heure est arrivée et qu’il va se faire virer du Brill. Mais « Leader Of The Pack » devient un hit interplanétaire qui dégomme « Baby Love » des Supremes de la tête des charts. Et pour les Shangri-Las, c’est la consécration.

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             C’est l’une des grandes histoires de rêve du rock américain. Ce petit mec de Brooklyn et ces trois filles du Queens ont réussi à monter une belle cabale à partir de rien. Jeff Barry admet que les Shangri-Las étaient avant tout la vision de Shadow Morton - « He was such a dramatic guy » - Et comme « Leader Of The Pack » devient un hit énorme, Shadow offre une Harley à Jeff Barry. C’est certainement cette machine que Barry va piloter pour accompagner son pote Bert Berns en virée dans les Catskills Mountains, au Nord de New York. En fait, Shadow fabrique des petits opéras de quat’ sous avec des effets sonores, et ça plaira beaucoup au public, car les effets favorisent le travail de l’imagination. Fermez les yeux et vous verrez le biker foncer dans un mur.

             C’est George Goldner, patron de Leiber & Stoller, qui surnomme George Morton Shadow, à cause de sa manie de la disparition - « I did the bars on Long Island, shot some pool, made some bets, played some liar’s poker » - Shadow disparaît dans les bars de Long Island, il joue au billard, fait des paris et joue au poker.

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             Ellie Greenwich trouvait les Shangri-Las à la fois dures et vulnérables. Pour elle, Mary Weiss n’était pas une grande chanteuse, mais elle avait exactement ce qu’il fallait pour faire des disques intéressants - « Her whole thing was her look and her sound » - Et elle avait cette voix de nez et cette attitude de fille de la rue - « The best of both worlds » - Puis Shadow découvre Janis Ian, un petit prodige de 15 ans originaire de Manhattan. C’est un nommé Vigola qui ramène Janis un matin dans le bureau de Shadow. Vas-y chante un coup. Elle gratte sa guitare Ovation et chante son truc. Shadow lit un journal, le pieds croisés sur son bureau et marmonne des injures destinées à Vigola, du genre je vais te balancer par la fenêtre. Janis remet sa guitare dans l’étui, sort un briquet de sa poche, met le feu à un papier qui dépasse du bureau et s’en va en claquant la porte. Jeff Barry la rattrape dans l’ascenseur et la ramène chez Shadow qui lui demande de rejouer sa chanson. Puis il appelle Ahmet Ertegun pour lui dire qu’il a une nouvelle artiste et qu’il veut l’enregistrer. Ahmet demande s’il peut l’entendre. Shadow lui dit non. Mais aucun label ne veut d’elle, pas même Atlantic qui fait la fine bouche. C’est MGM qui sort le premier disque de Janis Ian, en même temps qu’une autre énormité de l’époque, Wedding Bell Blues de Laura Nyro. Puis un jour, Shadow reçoit un coup de fil de Leonard Bernstein. Sa secrétaire croit que c’est un gag. Mais non, c’est bien le grand Leonard. Il veut rencontrer Janis. Et pouf, un nouveau mythe prend forme.

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             Atlantic se plaint à un moment de n’avoir que des noirs dans son cheptel. Ahmet demande à Shadow de lui trouver un white soul group. Atlantic perd de l’argent chez les blancs et veut donc un groupe blanc pour reconquérir le marché. Pas de problème, Shadow a repéré les Young Rascals. Puis on lui présente les Pigeons. Shadow n’aime pas le nom du groupe. Mais quand il les voit jouer sur scène, il est complètement fasciné par les quatre compères, Tim Bogert, Vinnie Martell, Mark Stein et Carmine Appice. Il fait une démo avec eux et la balance à Atlantic qui demande à les voir. Shadow dit non. Les Vanilla Fudge sont dans les pattes du producteur idéal. C’est lui qui lance ce groupe monstrueusement doué. Shadow balaie aussi les réticences d’Atlantic qui ne voyait pas de hit single dans le premier album.

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             En 1968, Shadow participe aux sessions d’enregistrement d’Eli And The Testament Confession de Laura Nyro et d’Electric Ladyland de Jimi Hendrix - « I happened to be one of the two who ended up three days in the studio recording with him. We cut about seven or eight sides. » - Puis c’est Ahmet Ertegun qui insiste pour que Shadow produise In-A-Gadda-Da-Vida d’Iron Butterfly. Ils voulaient le Long Island sound.

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             On en arrive au dernier grand épisode de la saga Shadow Morton : les New York Dolls voulaient Jerry Leiber et Mike Stoller comme producteurs, mais Leiber & Stoller se désistèrent. Alors ce fut Shadow. À l’époque, Shadow est fatigué du business et la musique l’ennuie. Il accepte cependant de relever le défi des Dolls - « The Dolls can certainly snap you out of boredom » - Ils travaillent 24 heures sur 24 - « They had an incredible amount of energy. God, I remember the scenes in the studio. The word intense is not intense enough » - Il les laisse faire ce qu’ils font habituellement et se contente de les enregistrer - « I try to capture what they, the artists, do. » 

             Le booklet est en plus bardé d’images fantastiques de Shadow. Sans Ace, que deviendrions-nous ? 

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              On garde le meilleur pour la fin : un book consacré aux Shangri-Las. On se frotte les mains ! Wouahhh, la bête ! 400 pages mythiques ! Le book vert de tes rêves ! L’autrice s’appelle Lisa MacKinney et son book mythique affiche le doux titre de Dressed In Black: The Shangri-Las And Their Recorded Legacy. Wouahhh, la legacy ! Le book sort tout juste des rotatives. Il fume encore. Wouahhh, la classe ! Tu cales ton cul dans ton fauteuil et tu essayes de prendre ton air le moins con pour lire cette somme tombée du ciel. Wouahhh, la chance ! Tu vas lui faire honneur !

             C’est toi qui vas tomber des nues. Car quelle arnaque ! La mère machin est une spécialiste du Moyen-Age. T’as 100 pages de notes à la fin du book ! Ça te met la puce à l’oreille. 100 pages en corps 5 ou 6 ! Illisible ! En général, c’est pas bon signe. Avec ce délire de documentariste, t’as dans les pattes l’anti-rock book par excellence. La mère machin n’en finit plus de noyer le poisson et de taper à côté. Dans son chapitre bidon sur le romantisme, elle arrive même à délirer sur Beethoven ! Tu lis ça et tu fumes de colère noire ! Fuck it ! Elle te fait perdre ton temps. T’entends tes dents grincer. Les seules infos intéressantes sont bien sûr celles qu’on connaît déjà, notamment le lien avec les Dolls via «Looking For A Kiss» et la prod de Shadow Morton sur Too Much Too Soon. On savait aussi qu’Andy Paley accompagnait les Shangri-Las reformées au CBGB en 1977.

             T’arrives tout de même à te mettre sous la dent des bouts d’interview de Mary Weiss. Elle raconte qu’au début, le groupe n’avait pas de nom, et en roulant dans Long Island, elles ont vu un restau qui s’appelait the Shangri-La - That’s where we got the name.

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             Tu chopes aussi un bel hommage de Lenny Kaye : «If the Ronettes were the royalty of sixties girl groups, the Crystals their unwilling ladies-in-waiting, the Shangri-Las were the hand-maidens that made good, rising from virtual kitchen scullions to the rank of pop cincerellas.» Comme Johansen et Thunders, Kaye en croquait. Tiens voilà une anecdote pour te remonter la moral. C’est Mary Weiss qui la raconte : James Brown a entendu les Shangri-Las à la radio et il les voulait en première partie d’un show au Texas. Okay. Il arrive au sound-check et n’en revient pas de voir des blanches sur scène ! Il croyait qu’elles étaient black.      

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    (George Goldner)

             La mère machin pioche pas mal dans le booklet de Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story pour évoquer le souvenir de Shadow. Richie Unterberger rappelle lui aussi que le succès de Shadow en tant que producteur était d’autant plus spectaculaire qu’il n’avait quasiment pas d’expérience, et qu’il ne savait jouer d’aucun instrument. C’est lui Shadow qui avait repéré les Shangri-Las, dans le Queens et qui les avait embauchées pour enregistrer une démo. Jeff Barry l’avait mis au défi d’écrire un hit - Kid, bring me a slow hit - Alors Shadow est allé dans un studio du Queens avec les filles pour enregistrer sa démo. Billy Joel est le pianiste de session et il voit Shadow comme une sorte de Totor du Queens, avec des lunettes noires et une cape. C’est la démo de «Remember (Walking In The Sand)». Shadow la ramène au Brill dans le bureau de Jeff Barry et Ellie Greenwich. Ellie raconte qu’elle a écouté  ce «weird little record», elle trouvait la voix de Mary très strange et la chanson intéressante - So we played it for Leiber & Stoller and they said, ‘Go cut it’ - Et voilà, c’est parti. Ça se passe au 1619 Broadway, dans les locaux de Red Bird Records, à l’âge d’or de George Goldner, «the best salesman ever». Leiber & Stoller vont prendre Shadow en charge, comme ils ont pris Totor en charge un peu plus tôt. «Remember (Walking In The Sand)» sera le premier single des Shangri-Las sur Red Bird. Tu ne peux pas faire plus mythique. C’est bien sûr Shadow qui signe ce hit. Il dit l’avoir composé en dix minutes, pour relever le défi de Jeff Barry. Le slow hit.

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             Le problème, c’est que les Shangri-Las avaient déjà fricoté avec Artie Ripp, le boss de Kama Sutra, qui, comme Morris Levy, a des liens avec la mafia new-yorkaise. Donc Ripp veut sa part du gâtö. La mère machin profite de l’occasion pour rappeler que le slang «ripp off» vient d’Artie Ripp. Si tu veux te faire plumer, vas voir Artie Ripp. Évidemment, Morris Levy voulait aussi sa part du gâtö. Il serait un jour entré chez Kama Sutra pour déclarer : «The Shangri-Las, nice kids! Great group! Great songs! They’re mine and I want my cut.»

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    Shadow Morton

             Shadow, Leiber & Stoller, Ellie Greenwich : les Shangri-Las sont tout de même bien entourées. Ellie voit les Shangri-Las comme des «very nice street urchins, street classy... and... tough yet very vulnerable.» Au début, explique-t-elle, elle ne s’entendait pas très bien avec elles, «they were kind of crude», par leur attitude, leur langage, «and chewing the gum, and the stockings ripped up their legs». Ellie leur dit qu’elles ne peuvent pas se balader avec des bas filés et en mâchant du chewing-gum, qu’elles doivent être des ladies, et les Shangri-Las l’envoient promener, «we don’t want to be ladies», alors une grosse engueulade éclate dans le ladies room du Brill, Ellie en pleure de colère, et après, dit-elle, elles sont devenues wonderful. Elles mâchaient moins leur chewing-gum et contrôlaient leur langage. Mary ajoute qu’elle s’achetait ses fringues chez un Men’s Store - I like low rise pants

             Quand elles tournent en Angleterre, les Shangri-Las se retrouvent mêlées à une bataille de bouffe chez Dusty chérie. Quand après la bataille Mary Ann Ganser remet ses boots, elle y trouve du poisson. Alors pour se venger, elle va profiter d’une tournée de Dusty chérie à New York pour aller mettre du poisson dans ses boots. 

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             Et puis t’as les affiches de rêve. Elles montent sur scène au Brooklyn Fox avec les Temptations, les Supremes, puis Jay & The Americans, puis les Contours, puis les Ronettes, puis les Searchers - direct from England - puis Martha & The Vandellas, puis Little Anthony & The Imperials, puis Dusty chérie, puis The Miracles et comme tête d’affiche, Marvin Gaye, «the epitome of cool Soul». Ce sont, nous dit Ronnie Spector, les fameuses Murray the K’s rock and roll revues at the Brooklyn Fox, qui étaient «the highlight of any New York kid’s week in the sixties. Pour deux dollars cinquante, tu pouvais voir at least a dozen acts and these were the top names in rock and roll - from Little Stevie Wonder to Bobby Vee to The Temptations, everybody played these shows.» Mary Weiss qualifiait ces shows de «brutaux». Il fallait descendre plusieurs étages pour aller chanter deux cuts et remonter ensuite dans les loges. Sept fois par jour. Elles font aussi une première partie pour les Beatles en 1964, avec les Tokens, Bobby Goldsboro, The Brothers Four, Jackie DeShannon et Nancy Ames. Le journaliste du New York Times évoque les «3,600 hysterical teenagers» du Paramount Theater. Autre affiche de rêve : en mai 1965, les Shangri-las prennent part à la Dick Clark Caravan of Stars pour un concert à Anaheim, en Californie, avec Del Shannon, les Zombies, Jewel Aken, Tommy Roe, Dee Dee Sharp, Mel Carter, The Ad Libs, The Velvelettes (et pas les Velvettes, comme elle l’écrit), Jimmy Sole, Mike Clifford, The Ikettes, The Executives et Don Wayne. T’en avais pour ton billet. 

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             Ce sont les embrouilles contractuelles qui vont dégommer les Shangri-Las : elles sont sous contrat avec Kama-Sutra, Red Bird puis Mercury. Ça déclenche une guerre juridique. Ils se traînent tous en justice. Mary dit que c’est dur d’entrer dans la record industry et encore plus dur d’en sortir. L’aventure des Shangri-Las n’aura duré que deux ans, de l’été 1964 à l’été 1966. Après la fin des Shangri-Las, on leur interdit d’enregistrer pendant dix ans. Elles se reforment pour un show à Manhattan dans les early seventies, puis en 1977. Elles jouent au CBGB et enregistrent quatre cuts pour Sire avec Andy Paley. Pour une raison qu’Andy ne connaît pas, les quatre cuts ne sortent pas. Apparemment, Mary Weiss trouve qu’ils n’étaient pas assez bons - It just wasn’t right - I welcomed the opportunity from Seymour Stein, but it just didn’t work out.

    Signé : Cazengler, Shangri Laid

    Shangri-Las. Leader Of The Pack. Red Bird Records 1964

    Shangri-Las. Shangri-Las 65. Red Bird Records 1965

    Mary Weiss. Dangerous Game. Norton Records 2007

    Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. Ace Records 2013

    Lisa MacKinney. Dressed In Black: The Shangri-Las And Their Recorded Legacy. Verse Chorus Press 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Grande Brittany

             Tiens voilà encore Stanley ! L’avenir du rock n’en revient pas.

             — Ça fait au moins trois fois qu’on se croise en dix-huit ans ! Je parie cent balles que vous cherchez toujours Livingstone...

             — Ah c’est trop facile de parier comme ça ! Que voulez-vous que je fasse d’autre, à part chercher Livingstone ?

             — Vous pourriez faire un effort et chercher quelque chose de plus original...

             — Vous êtes marrant, vous ! Vous croyez qu’on peut trouver quelque chose à chercher comme ça, en plein désert ?

             — Vous me décevez Stanley. Je vous prenais un homme plein d’esprit, à l’imagination fertile...

             — Vous foutez pas d’ma gueule !

             — Vous devenez irritable... Vous devriez enlever votre casque colonial, il emmagasine la chaleur.

             — Gardez vos conseils et fourrez-vous les dans l’cul !

             — Quel sale caractère !

             — Ah mais j’en ai marre de vos rodomontades ! Oh et puis j’en ai marre de chercher Livingstone ! Vous êtes tous complètement cinglés dans ce désert ! Je veux rentrer chez moi !

             — Ah vous craquez ?

             — Oui, Livingstone peut aller s’faire enculer et vous avec !

             — Vous habitez où, grossier personnage ?

             — Îles Britanniques ! Vous savez par où c’est ?

             — Non, par contre, je connais très bien Brittany Davis.

             — Mon pauvre avenir du rock, la facilité ne vous fait pas peur !

     

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             Formule gagnante et choix gonflé : c’est une façon comme une autre de qualifier la presta de Brittany Davis, une black aveugle assise derrière son piano électrique et accompagnée par un gang de gays particulièrement brillants. Association heureuse et foire au brio. Magnifique mélange de groove et de glitter.

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     C’est l’héritière de Ray Charles accompagnée par Funkadelic. Bon, Brittany a choisi de monter sur scène sans lunettes noires, et lorsqu’elle te «regarde» ça te fout très mal à l’aise car tu vois ce que tu ne dois jamais voir, un regard mort. Mais autour d’elle, ça grouille de vie et quelle vie ! Te voilà aux pieds du plus ambigu des guitar

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    slingers d’Amérique, il s’appelle Vivienne DeMarco, il porte un porte un joli nom, Saturne, mais c’est un dieu fort inquiétant, dirait George Brassens. En plus de son nom, Vivienne porte aussi de fort jolis tatouages, un petit haut noir à l’effigie d’Ace Frehley qui vient tout juste de casser sa pipe en bois, un short en cuir noir qu’on appelle chez les initiés un «moule-burnes», des bas-résille sans jarretelles et des platform boots en vinyle noir qui montent jusqu’aux genoux. Quand il sourit, on voit briller ses deux dents d’acier, il porte ses cheveux blonds assez longs et gratte sa Les Paul comme un dieu, chantant parfois ses longs solos. Il fait du pur Funkadelic !

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    C’est Eddie Hazel en blanc. Car sur scène, Bitanny Davis et son gang de Funka-boys mixent le funk avec le rock pour le meilleur et pour le meilleur, le pire n’ayant pas droit de cité ici, c’est un mariage heureux, comme déjà dit. La formule t’interloque copieusement, même si parfois ça traîne en longueur. Et puis de l’autre côté, t’as un deuxième surdoué sorti lui aussi d’un bar gay de Seattle, il s’appelle Jesse Stern, il porte un beau galure de Rudolph Valentino, un juste-au-corps panthère et joue comme un dieu Booty sur une basse six cordes, alors Brittany peut groover peinarde sur la grand-mare des canards. Le spectacle qu’offre ce groupe de freakout te fascine, et la cerise sur cet immense gâtö-kâdö, c’est Superman derrière sa batterie,

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    un black au crâne rasé qui s’appelle Conrad Real et qui n’en finit plus de battre tous les records du monde de présence scénique, de shuffle de jazz, de booty funky, de comedy act, de jongleries, de grimaces comiques, il multiplie les facéties, never missing a beat dirait un Anglais, il est à la fois Elvin Jones et Tiki Fulwood, il est à la fois Tony Williams et Benny Benjamin, et son solo de batterie est le seul qu’on ait réussi à admirer jusqu’au bout, car c’est un mirobolant chef-d’œuvre d’inventivité. Retiens bien ce nom : Conrad Real. Prions Dieu que tous nous veuille absoudre, et surtout qu’on puisse revoir Conrad Real un jour sur scène. Car là t’as tout : le beurre et l’argent du beurre. Le plus grand batteur du monde ? Sans le moindre doute. T’es content, car tu rentres au bercail avec ta petite révélation. Tu vas même passer des jours et des jours à te demander comment un batteur aussi doué peut rester aussi inconnu. Du même coup, ça te conforte dans l’idée qu’il faut continuer à fureter dans les concerts, car contrairement aux apparences et au sentiment d’un écroulement généralisé des valeurs, l’idée de l’art a la peau dure. Conrad Real en est la preuve. Pur Black Power.

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             Par contre, ce sont d’autres musiciens qui accompagnent Brittany Davis sur Black Thunder, un très beau double album de groove jazzy. On voit de très belles photos du studio où elle enregistre avec deux blacks, Evan Flory-Barnes à la stand-up et D’Vonne Lewis au beurre. Avec «Amid The Blackout Of The Night», elle s’enfonce dans l’intégrité du groove de jazz, c’est une ambiance à la Miles Davis, mais sans trompette. Son magnifique, rien à voir avec le concert. En B, elle profite du morceau titre pour invoquer la deep forest et le black thunder. Elle crée son monde loin des feux de la rampe, elle va deep in the groove avec «Change Me» - Change me quick/ C’mon ! - Encore un groove de jazz bien senti en C avec «Girl Now We Are The Same» - You’re white/ And I’m black/ Is it black?/ No it is brown - Elle roule sur un son de stand-up bien rond. Puis elle s’en va groover son «Mirrors» au chant magnifique. Elle devient assez magique. Elle semble encore monter en puissance avec «Sarah’s Song» en D et vire quasi hypno. Elle regagne ensuite la sortie avec «Sun & Moon» - Dance in the moonlight - Elle jive dans le lard, c’est un groove très tonique, bien soutenu au chant, battu fouillé et rondement slappé dans l’âme. T’as des fabuleuses dynamiques internes et tu sors ravi de l’heure que tu viens de passer à écouter cet album.

    Signé : Cazengler, Abrutinny Avide

    Brittany Davis. Le 106. Rouen (76). 17 octobre 2025

    Brittany Davis. Black Thunder. Loosegroove 2025

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

     - Part Thirteen

     

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             On jette un coup d’œil à la couve du numéro de Rockabilly Generation qui vient d’arriver et le premier nom qui te saute au paf - pardon, au pif - est celui de Vigon. L’interview de Rancurel est intéressante. Ce gros veinard a fréquenté et photographié Vigon a la grande époque. C’est un peu comme s’il avait fréquenté et photographié Elvis à ses débuts. Vigon est du même acabit que l’early Elvis : beau et légendaire. 

             À une époque, on pouvait encore voir Vigon sur scène au Méridien de la Porte Maillot. Au rez-de-chaussée de l’hôtel se trouve le club Lionel Hampton, un endroit chicos dans lequel se produisaient alors pas mal de grosses pointures, du genre Screamin’ Jay Hawkins ou Ike Turner.       

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             Vigon est depuis 1965 l’un des deux géants du rock français (l’autre étant bien sûr Ronnie Bird). Quand on voit Vigon chanter sur scène, on comprend tout. C’est un pur, un type hanté par ses héros. Quand on le voit remuer la tête indépendamment des épaules, on sent la présence de Ray Charles en lui. Il porte les mêmes lunettes noires. La façon dont il bouge le buste et dont il ramène le micro à portée de voix nous renvoie directement à Jaaaaaames Brown. Il fait une version démente d’«I Feel Good». C’est Mister Dynamite. Oui, Vigon est un bon. Oui Vigon sort de ses gonds. Il y a aussi de l’Otis en lui, de l’Ike Turner - il fait le baryton ikien sur une fiévreuse reprise de «Proud Mary» - Il fait aussi du Little Richard, quand il screame Bamalama Bamaloo baby !, l’un de ses vieux chevaux de bataille. Ils sont douze sur scène : section de cuivres complète, deux claviers, un fabuleux batteur, un guitariste qui joue le funk de Stax, et en prime, un soubassophone, qui est une basse à vent. Pouet pouet ! Vigon pilote cette énorme machine, comme s’il pilotait une formule 1, et il donne de violentes impulsions en dansant entre les couplets. Il a complètement intériorisé la magie du r’n’b. Son corps la contient toute entière. Il libère les vieilles énergies qui ont révolutionné les sixties. Il fait ça pour de vrai. Il n’est pas dans la représentation. Il puise dans la perception qu’il a de Mister Dynamite depuis cinquante ans pour trouver le ton exact - ‘nd I feel nice/ lik’ sugar ‘d spice - Il invoque les esprits. Tout le reste n’est qu’intendance. Avec «Knock On Wood» et «Hold On I’m Coming», il rivalise d’authenticité avec les originaux. Sa cover de «My Girl» donne le vertige - I’ve got sunshine/ On a cloudy day - Celle d’«I’ll Go Crazy» tient du miracle, pulsée par un shuffle de soubassophone. C’est gorgé de pulsions primitives. Vigon rappelle qu’«Harlem Shuffle» fut le morceau fétiche qui lui permit de remporter le tremplin du Golf Drouot. Et hop, il nous balance une version de rêve, montée sur le groove du diable. Par contre, aucune trace de Wilson Pickett dans son set. Plus de Mustang ni de Sally, comme au bon vieux temps.

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             En juillet 2004, Vigon participait à une sorte de festival historique. L’Olympia présentait le retour des pionniers du rock français avec une affiche des plus alléchantes : les Pirates, Billy Bridge et les Mustangs, Joey et les Showmen, Vigon et des tas d’autres qui, quarante ans après leur petite heure de gloire, paraissaient toujours prêts à en découdre. Nous n’étions là que pour Vigon, dont on avait un peu perdu la trace. Son impresario croisé dans la file d’attente éclaira nos lanternes en nous expliquant que Vigon s’était replié pendant vingt ans chez lui, à Casablanca, qu’il avait chanté tous les soirs dans un cabaret et mené la grande vie. Mais il était de retour à Paris et on pouvait le voir jouer tous les soirs dans un club situé à deux pas de l’endroit où nous faisions la queue : l’American Dream. Et pouf, il nous refila un flyer.

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             Ce soir-là, l’Olympia était plein comme un œuf. Moyenne d’âge : soixante-dix ans. Il nous fallut du temps pour nous acclimater à ce bal des vampires. On se retrouvait mêlé à une stupéfiante concentration de ventripoteurs à cheveux blancs et de vieillardes agrippées au souvenir de leur jeunesse enfuie. Après une série interminable de sets pathétiques, Vigon arriva sur scène tout de cuir noir vêtu. Il était plus que jamais ce diable marocain qui nous avait embrasé l’imagination au temps jadis. Il balança trois énormes classiques du rhythm’n’ blues coup sur coup : «Midnight Hour», «Hold On I’m Coming» et «Knock On Wood». Vigon était trop bon, presque miraculeux. Le jour et la nuit avec le reste du spectacle. Il incarna ce soir-là Wilson Pickett, Sam & Dave et Eddie Floyd, puis James Brown avec une version complètement allumée d’«I Feel Good». Vigon vitupérait. Vigon virait au vert. Vigon voyait rouge. Avec seulement quatre morceaux, il défonça la rondelle des annales et sauva la soirée du désastre.

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             Sortait en 2008 une curieuse compile intitulée «The End Of Vigon», avec une face lente et une face rapide, selon le modèle des Formidable Rhythm’n’Blues d’Atlantic. La pochette était celle d’un EP de Vigon : on le voit de profil, assis au sol, au sommet d’un escalier public, sur fond de ciel bleu. Il porte un pull orange et un pantalon noir. Dans son interview, Rancurel nous révèle que c’est l’une de ses images, faite au Canal de L’Ourcq. God, comme Vigon est jeune ! Même si on n’aime pas les morceaux lents, il faut faire l’effort d’écouter la face lente. Vigon y est vertigineux de Soul genius. Son animalité ressort mieux dans les slows super-frotteurs que dans les jerks torrides, comme chez Otis, d’ailleurs. Son timbre est d’une justesse remarquable et il prend toute son ampleur dans les morceaux lents comme «It’s All Over» et «Dreams». Les montées en puissance sont absolument fabuleuses, des coulures de kitsch scintillent comme des diamants. Tous les amateurs de Soul devraient écouter ce disque extraordinaire. Il faut entendre Vigon hurler les dernières phrases de «Dreams» dans la plus pure tradition des grands Soul Brothers de Detroit ou de Memphis. Il pousse des petits cris suspects et finit en hurlant comme un singe de Bali. Il est l’égal absolu de Wilson Pickett, de Percy Sledge, de James Brown et d’Eddie Flyod. Il dispose exactement du même registre, de la même classe, de la même énergie et du même génie interprétatif. Sur la B, il entre en éruption. Il déboule dans la cour des grands avec «Pollution», un funk infectieux monté sur un beat toxico. Avec ce funk tendu, Vigon se montre l’égal de George Clinton. Il y a quelque chose de terriblement organique là-dedans. A-t-on déjà entendu funk plus jouissif ? Non. Il embraye sur «Harlem Shuffle». Il est dessus. Aucun doute. Il fait grimper la température, puis il calme le jeu - yeah yeah. Pure magie noire. Vigon crie dans la nuit d’Harlem - Aaaah Aaaah - Prodigieuse fournaise de juke-box ! Franchement, on ne comprend pas que ce demi-dieu marocain soit resté dans l’ombre. Il est beaucoup trop bon. C’est Bou Jeloud ! Il dépasse les normes. Vigon paye le prix fort, enfermé dans sa légende. Il tape ensuite dans Sam & Dave avec «You Don’t Know Like I Know» qu’il mène au pas, sans forcer le destin, et qu’il chauffe à blanc, juste pour rigoler. My Gawd, comme ce mec est doué. Vigon ne craint pas la mort, car il tape dans des cuts déjà parfaits, et il réussit à leur redonner vie. C’est un miracle ! «Baby Your Time Is My Time» sonne comme un hit de Soul urbaine. «Ma chère Épiphanie, ce morceau te percera le cœur», disait le Comte de Lautréamont à sa carafe en cristal. Vigon fait partie de ceux qui ne prennent pas les gens pour des cons en leur faisant croire qu’ils ont du talent. Lui en a pour dix. Il reprend ensuite «The Spoiler» l’unique morceau d’Eddie Purrell enregistré chez Stax et composé par Duck Dunn (après la parution du single, Eddie disparut. Personne n’entendit plus jamais parler de lui). Sur Stax, c’était déjà une vraie bombe. Vigon prend cette monstruosité noyée d’orgue à bras le corps, et la balance dans la stratosphère. C’est un jerk mortel. Comme Eddie Purrell, Vigon y va - I’m a spoiler, ouuh - Monstrueux ! Do the spoil ! Vigon joue son va-tout. C’mon C’mon !

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             On est allé revoir Vigon en 2015 au Méridien. Trois fois une heure de set. Conditions idéales. Il chante à quelques mètres de ta table. Quand on le voit taper «Papa’s Got A Brand New Bag», on comprend qu’il ne fait pas semblant. Il incarne la Soul. Chanter Papa à la perfe, ce doit être à peu près tout ce qu’il sait faire dans la vie. Il n’existe qu’un seul chanteur de Soul en France et c’est lui. Shout, mon vieux Bamalama ! Il connaît tous les hits, de Stax à Atlantic, en passant par Motown, Vee-Jay, Specialty, Imperial, Chess, Duke ou King. Il les chante depuis cinquante ans. Il

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    reste exceptionnel sur scène. Chacun de ses gestes est inspiré. Il swingue la Soul, il sait chauffer un couplet au bon endroit et faire dérailler sa voix le temps d’une syllabe. Et puis il a ce franc sourire de crooner de choc. Lors des ponts musicaux, il danse les poings fermés. Il est, avec Vince Taylor et Ronnie Bird, celui qu’on a le plus admiré à l’aube des temps parisiens. Il fait le «Soul Man» de Sam & Dave à lui tout seul. Il le bouffe tout cru. Cette fois, il tape «Mustang Sally» et le «Twist & Shout» des Isley Brothers. On le voit aussi duetter sur «My Girl» avec Muriel, l’épouse du maître de cérémonie.   

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             On se souvient de vieilles photos de Vigon qui chantait torse nu sur la scène du Golf, dans les pages jaunes des premiers numéros de Rock&Folk. Encore mieux : pour son audition devant Henri Leproux, Ronnie Bird lui avait prêté son backing-band.

             Bon, tu continues de feuilleter ce nouveau numéro de Rockabilly Generation et soudain, tu tombes sur une double en forme de carnet mondain des cracks du boom-hue : Tony Marlow, Didier et son T-Becker Trio, Barny & The Rhythm All Stars, Hot Slap avec un Dédé on fire. Mais il manque le plus important ! Tu tournes la pages et, ouf, il est là : Jake Calypso avec ses Hot Chickens ! Ça remonte bien le moral de voir qu’ils sont tous là.

    Signé : Cazengler, Vicon

    Vigon & the Dominoes. Le Méridien. Paris XVIIe. 19 octobre 2013

    Vigon. Le Méridien. Paris XVIIe. 30 octobre 2015

    Vigon. The End Of Vigon. Barclay 2008

    Rockabilly Generation # 35 - Octobre Novembre Décembre 2025

     

     

    Inside the goldmine

    - Pierre qui roule n’amasse pas Mosley

             Bernard Masley ne payait pas de mine. Franchement, on se demandait comment une femme aussi belle et aussi sensuelle qu’Irène Masley avait pu tomber amoureuse d’un tel épouvantail et lui faire trois enfants. Il est des mystères qui nous dépassent, et plus on s’y penche pour tenter d’y voir clair, plus ils s’épaississent. En plus d’être moche, Bernard Masley était pauvre. Il bossait pourtant dans une grosse boîte, le sous-traitant d’un constructeur automobile, mais il plafonnait dans son parcours professionnel et gagnait à peine de quoi subvenir aux besoins de sa famille. Comment cette reine qu’était Irène Masley pouvait-elle supporter ça ? On la soupçonnait de se fringuer aux Emmaüs. Quand une amie voulait lui offrir des fringues, elle les refusait. Le samedi, Bernard Masley emmenait toute la famille faire les courses au centre commercial. Ils se limitaient au supermarché. Ils entassaient dans le caddy l’alimentaire de la semaine, les fournitures scolaires, les produits d’entretien et deux ou trois bricoles indispensables. Bernard Masley avait une liste et il comptabilisait les achats de tête au fur et à mesure. Lorsqu’il atteignait le montant du budget fixé, il indiquait la direction de la caisse. Irène Masley rêvait de lingerie et d’outils de jardin, mais elle se taisait. On ne pouvait pas dépasser le budget fixé. Ce niveau d’acceptation finissait par inspirer une sorte de respect. Les amis du couple ne leur demandaient jamais s’ils avaient besoin d’aide, c’eût été leur faire injure. Par contre, Bernard Masley pouvait rendre des services considérables. En tant que Référent Qualité, il était en contact avec des décisionnaires de l’industrie automobile, et ces contacts valaient de l’or. Il en fit don à des amis-aventuriers de la com interne qui vendirent au constructeur un plan Zéro Défaut. Autrement dit un budget mirobolant. Bernard Masley ne demanda jamais rien en retour. Moche, pauvre et généreux. 

     

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             Pendant que Masley ramait dans sa banlieue, Mosley ramait dans l’underground. Ils furent tous les deux de fiers rameurs qu’on était content de fréquenter. Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Bob Mosley fut bassiste/chanteur/compositeur dans Moby Grape. Moby Grape fait l’objet d’un chapitre à part. Penchons-nous sur la carrière solo que Bob Mosley entame après avoir quitté Moby Grape en 1969 (et qu’il ré-intégrera en 1971, puis par intermittences, comme le feront Jerry Miller et Peter Lewis).

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             L’album sans titre de Bob Mosley paru en 1972 est un immense classique. Pour au moins sept raisons, la première étant le fulgurant «Squaw Valley Nils (Hocked Soul)», un solide mid-tempo de fière allure. Bob est un bon, il y va au stranger at my table et ça se barre en vrille avec un solo de coyote. Te voilà une fois de plus avec un album culte dans les pattes. Culte encore pour le killer solo qui fusille «Hand In Hand», une sorte de rock Soul à la pointe du progrès, drivé à l’énergie de l’Airplane, et derrière t’as ce mec qui gratte comme un dingue. Frank Smith ou Woodie Berry ? Va-t-en savoir. Le killer solo est d’une rare virulence. Culte encore pour ce «Jocker» d’ouverture de balda, qui tape en plein dans le vif argent de Moby Grape. Bob a les Memphis Horns derrière, c’est ultra-joué, avec une gratte qui envoie d’incroyables giclées de jus. Sur «Gyspsy Wedding», Bob fait son white nigger. Il est infiniment crédible. Il récidive en B avec l’hot «Nothing To Do». Encore une belle énormité avec «Let The Music Play», Bob et son Mill Valley Rhythm Section & Choir te groovent le Moby rock de main de maître, et t’as encore un killer solo de coyote in the flesh. Power pur encore avec «Where Do The Birds Go». Bob mixe le rock avec la Soul. Tu te régales encore de «Gone Fishin’» qu’il chante d’une voix ferme, et de «So Many Troubles» qui se répand dans une brume de chœurs. 

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             Si Never Dreamed est un bon album, c’est sans doute dû à la présence de James Burton. Il faut le voir amener «Dead or Alive» ! Ça sonne comme un hit, et Bob charge bien sa barcasse. Voilà une pop visitée par la grâce et par James Burton. Puis avec le morceau titre, Bob s’impose durablement en chantant à l’accent perçant. Il passe à l’heavy country blues avec «Put It Off Until Tomorrow». Magnifico ! Illuminé par James Burton. Encore de l’heavy country power avec «Louisiana Mama». Bob est un mec très convainquant. Il se montre décidé à se barrer dans «Leavin’ Through The Back Door» - Don’t try to stop me babe !

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             C’est Freddie Steady qui réédite cette petite merveille qu’est le True Blue de Bob Mosley. Petite merveille car «Lazy Me», balladif à la Gene Clark de qualité supérieure. Suprême dérive abdominale. Et puis t’as ce coup de génie, «Rainbows End (Used To Be My Fiend)», un autre balladif de rang princier. T’es frappé par la stupéfiante qualité du cut. Bob adore le boogie, comme le montrent «Come Back Woman» et «Sad & Blue». C’est le boogie de San Pedro, celui qu’on appelle l’heavy boogie down bien sanglé. Tout aussi impressionnant, voici «Never» un heavy balladif circonstanciel. Bob tape ça au pur power vocal. Bob est un bon. L’intensité n’a décidément aucun secret pour lui.

    Signé : Cazengler, bien Amosley

    Bob Mosley. Bob Mosley. Reprise Records 1972

    Bob Mosley. Never Dreamed. Taxim Records 1999

    Bob Mosley. True Blue. SteadyBoy Records 2024

     

    *

    Existe-t-il une harmonie universelle. Au lieu de définir ce que j’entends par ces deux mots je me contenterai de rapporter deux faits. Chacun peut vérifier l’existence du premier. Dans notre dernière livraison 707 de la semaine dernière, celle du 30 / 10 / 2025, dans son article  hommagial à Nico, notre Cat Zengler citait les noms de deux des musiciens, Brian Jones et Jimmy Page qui ont accompagné Nico durant l’enregistrement de I’m not saving. Puis pratiquement incidemment, si l’on en juge par le contenu du paragraphe qui suit son cours, il ajoutait : ‘’ Brian et Jimmy ont un autre point commun : une passion pour Aleister Crowley’’. Nous avons déjà à plusieurs reprises consacré plusieurs chroniques à Aleister Crowley, personnage scandaleusement énigmatique que les Beatles n’ont pas oublié sur la pochette de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, l’est même en position numéro deux. Perso je le trouve méconnaissable sur la photo.

    Existe-t-il des clins d’œil du hasard. Au lieu de me lancer dans un interminable commentaire sur cette question je me contenterai de rapporter le deuxième fait. A peine en avais-je fini de choisir les illustrations pour illustrer l’article en question, m’octroyant quelques instants de repos, je décide de m’enquérir de ma boîte à lettres. Qu’y avait-il dedans : je vous le donne en mille :

    ALEISTER CROWLEY

    HUIT CONFERENCES SUR LE YOGA

    ET AUTRES TEXTES

    UNE ANTHOLOGIE INTRODUCTIVE

    A L’ŒUVRE

    D’ALEISTER CROWLEY

    VOLUME III

    Traductions de

    PHILIPPE PISSIER & AUDREY MULLER

    (Editions Anima / Octobre 2025)

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    Nous allons suivre la même méthode employée pour les deux volumes précédents, commentant avec plus ou moins de pertinence les différentes parie de l’ouvrage.

    HUIT CONFERENCES SUR LE YOGA

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    Le Yoga pour les yahous : ces quatre premières conférences s’adressent à ceux qui n’y croient pas, à ceux qui restent sceptiques quant à l’utilité de l’idée de se lancer dans le yoga. Crowley y va très cool, un véritable camelot. Le yoga n’est pas difficile. Il signifie, en langue sanscrit, lien, se lier à, (quoi ?). Ce qui est étrange c’est qu’il enchaîne en affirmant qu’il faut d’abord se dé-lier de tout ce  qui n’est pas nous, de toutes ces assertions, ces croyances, ces diktats de la société qui nous intiment de ne pas faire ceci ou cela. La leçon est claire : faites à votre guise. Les philosophes diront : évacuez la Doxa. Premier tour de vis : il faut aussi se délier de soi. Ce qui ne signifie pas qu’il faille tomber sous la coupe des Maîtres. Des charlatans qui restent trois ans sans bouger ni boire ni manger. N’imitez pas, ne vous obstinez pas à tenir la posture du chien, du chat, de l’aigle, de la souris, de l’éléphant, de l’arche de Noé. Trouvez celle qui vous convient le mieux. Inventez-la sans honte ni regret. Attention ça se corse. Un truc qui personnellement me file l’urticaire. Le coup de l’arbre des Séphiroths un emprunt à la qabal. Crowley a dû savoir que j’allais lire ce texte car il se sert de symboles grecs pour expliciter. Tel Dieu grec symbolise telle chose par rapport à lui-même et aux autres Dieux. Cette façon de faire ne me paraît pas du tout grecque mais passons. En fait je suis sur la bonne voie puisque je commence à m’ennuyer. Crowley est d’accord avec moi, on a beau s’être coupé de tout, ce n’est pas le nirvana pour autant, oui vous vous ennuyez, des pensées viennent vous turlupiner et même si vous parvenez à tordre le cou à ces visiteuses impromptues, c’est votre corps qui se réveille, une crampe à la jambe, des picotements sur le coude… continuez sans défaillir, concentrez-vous sur votre respiration, un tiers j’inspire, deux-tiers j’expire, quatrième tiers, ni expiration, ni inspiration, attention c’est une concentration qui doit après des séries et des séries de séances systématiques se métamorphoser, bref un jour vous parvenez à suivre le rythme sans être obligé d’y penser. C’est alors que votre corps auquel vous ne pensez plus, se met à bouger indépendamment de votre volonté. Il s’agite même beaucoup. Vous ressemblez à une grenouille dans une mare qui s’amuse à sauter de feuille de nénuphar en feuille de nénuphar. Continuer sans faillir, bientôt votre corps va se soulever et vous entrez en lévitation. Très honnêtement Crowley avoue qu’il n’est jamais parvenu à ce stade. N’empêche qu’il reste encore quatre conférences.

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    (Tirage de tête)

    Le yoga pour les froussards : le titre de ce cycle de conférences n’est guère engageant, c’est que la donne devient sérieuse, dehors les dilettantes, le yoga exige beaucoup de vous, arrêter de vaquer à vos affaires, il vaudrait mieux que votre vie ne soit pas accaparée par le travail… C’est que nous attaquons au gros morceau, la forteresse qui n’entend pas se rendre : le mental. Nous revenons à la Bible, les mystères du Tétragrammaton, chaque lettre à sa signification : le père, la mère, le fils, et la fille. D’où sort-elle celle-ci, on attendait l’Esprit, cela serait trop chrétien, la  fille représente l’extase, celle qu’ont connu le père et la mère en engendrant le fils, silence dans les rangs, ne pas confondre le yoga avec le kama sutra, tout engendrement se doit d’être conçu comme une séparation, pas un ensemencement, plutôt une éjection. Un peu comme les poubelles que vous sortez le soir. C’est en se défaisant de ce qui nous est inutile que l’on se concentre sur soi-même. Il convient de vider son mental en lui confiant ces tâches précises de désintéressement déjectifs de ces mêmes taches. C’est ainsi que se purifie l’eau de votre mental. Ceci n’est qu’une image. Le mental ne contient pas d’eau, le mental  est un espace vide. Mais cette notion de vide nous emmène à la notion de volume. Volume d’autant plus abstrait qu’il n’occupe pas plus d’espace qu’une idée qui vous traverse la tête. La pratique du yoga vous conduirait-elle à devenir un songe-creux. Attention prenez conscience du plaisir à acquérir cette connaissance qui permet d’être sicut deis. De fait ce n’est pas que vous n’ayez rien trouvé, c’est que vous avez trouvé le rien, or si le rien est tout, le tout existe et si le rien n’est rien, il n’est que le vide dans lequel sont dispersés les points structurant du tout. Nous sommes ici face aux atomes batifolant dans le vide, à part que ce vide plein est en quelque sorte un cinquième élément, un éther qui n’est autre  chose que la pensée du mental en son point d’activité zénithal qui n’est que le repos de votre mental. Tout serait-il du charabia. Crowley s’en réfère à Kant, l’on aurait préféré Nietzsche, Einstein, Riemann, Berkeley, évidemment depuis la science a continuité, n’y a que notre évêque du dix-huitième siècle qui reste stable, nous remarquons que dans les dernières pages de la sixième conférence Crowley revient à partir de la théorie de la relativité, l’idée d’une connaissance circulaire. Qui ressemble à s’y méprendre à un serpent qui se mord la queue. D’où cette question : comment se doit-on d’envisager la matière. Comme une chose, comme un néant, comme une hypothèse, comme un mythe…

             La septième conférence  s’avère déceptive, retour au christianisme, pas tout à fait la version pour les faibles, mais celui des exercices spirituels qui correspondent assez bien au travail intellectuel du yogiman. Nous remarquons que la pensée régresse, nous parlions du mental, nous voici dans notre intellect. Il est évident que l’on ne peut désigner une chose (même conceptuelle) que par des mots qui ne sont pas le vocable qui désigne très précisément la chose, qu’elle soit conceptuelle ou pas. Le mental serait-il un acte de foi ? Il est vrai que son exercice qui permet d’obtenir une vision de l’univers, provoque en l’individu qui parvient à ce stade connaît ce que Crowley exprime par le mot transe, Nietzsche par le mot danse, et plus trivialement Paul Valéry une fête de l’esprit.

             Dans la huitième conférence Crowley passe à la concrétude non pas des choses mais de l’action que l’on peut exercer sur elles. Nous avons évoqué l’Ether, cette totalité élémentale Crowley la fragmente en trente. Le Yoga vous apporte la connaissance mais le système Magick de Crowley vous permet d’entrer en relation avec ces trente éthers. Il donne un exemple qui n’est rien d’autre que l’exercice rituellique que l’on pourrait comparer à la messe catholique. L’enchaîne sur la poésie conçue en tant que chant orphique influant sur les éléments terrestres et intersidéraux.

             Ces huit conférences sont agréables à lire, mais à les regarder objectivement l’exercice du Yoga ne nous semble pas très différent d’un habituel chemin de pensée voluptueusement escarpé, que je vous conseille de mener depuis votre canapé, devant votre cheminée, un cigare à la bouche et un verre empli d’un bourbon mordoré à portée de votre main. Crowley n’est pas très loin de Descartes. Ou d’Husserl.

    UN ARTICLE SUR LA QABALE (Liber 58)

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    Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! La réponse est facile : parce que parfois les textes sacrés se contredisent. L’a donc fallu trouver un processus qui explicitât ces contradictions. Sans quoi il serait raisonnable de rejeter tous ces incohérences verbiagiques. Ce serait du même coup l’arrêt de mort du Dieu. Autant ôter le plancher imaginaire ou mental (adoptez le mot que vous préférez) sur lequel la race humaine repose ses pieds.

    Le principe est simple : il s’agit de prouver que tel mot connote avec un autre (voire plusieurs). Ne pas se fier au sens ce serait trop facile. Il faut une règle qui soit en même temps arbitraire et mathématique. Il suffit de doter chaque mot d’un chiffre obtenu en faisant le total de la valeur de ses lettres ( A=1, B=2, C=3 et ainsi de suite…) Nous avons pris l’alphabet français, évidemment Crowley use de l’alphabet hébreux… La qabale est à l’origine une science d’origine biblique.  Les mots présentant le même total numérique ne sont point bêtement interchangeables disons que comme dans le poème de Baudelaire ces correspondances numérologiques entretiennent des rapports symboliques significatifs.

    Le système  peut être complexifié, l’on peut numéroter des phrases entières, donner une certaine importance aux lettres initiales ou/et finales, voire centrales… Si en notre langue ronsardienne le nom propre Mars avait la même valeur numérique que le mot guerre vous pouvez ainsi sous-entendre que ce n’est pas un hasard si Mars est le Dieu de la guerre. Si vous pensez que cette manière numérologique tient un peu trop de la loterie, mettez-la en relation avec le squash métaphysicio-linguistique par lequel le lecteur français d'Heidegger se doit d'établir des équivalences interprétatives entre les termes grecs-allemand-français afin de parvenir à une compréhension aigüe de la subtilité transmissive de l'herméneutique de vocables héraclitéennement obscurs de par leur nature fondatrice.

    Ainsi en s’attardant longuement sur les premiers mots de la Bible, Crowley démontre à l’excès qu’il n’y a pas de hasard entre ces premiers vocables qui se répondent entre eux comme dans le jeu de cartes des sept familles, sous-entendu une certaine intelligence supérieure préside à ce texte… Soit, nous voulons bien, mais nous aurions aimé de plus amples explications de l’emploi du féminin-pluriel d’Elohim, qui d’après nous correspond davantage à l’historiale fabrication de Yavhé qui à l’origine était une déesse femelle représentée sous forme de colombe…

    En s’attardant sur certains passages de la Bible ou d’autres textes l’on peut leur faire dire ce que l’on veut, ou du moins ce que l’on pense : la qabale ne nous semble qu’un cas particulier du commentaire doxographique et de l’herméneutique littéraire…

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    Le dogme qabalistique : qu’importe la médecine pourvu qu’elle guérisse, encore faut-il savoir l’utiliser. La qabale est complexe mais Crowley tient à nous faire remarquer qu’elle permet à résoudre des problèmes ultra-complexes, en quelque sorte c’est une méthode simplificatrice. N’oublions que les symboles sont réversibles, que ce qui apparaît comme l’expression de la difficulté peut se résorber en celle de la facilité. Il suffit de savoir jongler avec la grille de déchiffrement conçu pour déchiffrer des textes (ou des situations) qui ont été conçus, ou du moins interprétés pour être déchiffrés par une telle grille. Voici un rituel, qu’en pensez-vous ? Rien !  Ce n’est pas qu’il vous échappe, c’est que votre esprit est ainsi constitué de telle manière que vous ne pourrez l’appréhender. Et plouf nous retombons sur les deux jambes de la philosophie classique idéaliste (aucun mépris envers ce dernier mot). Saint Berkeley serait-il le sauveur des athées. En tout cas, en fin de compte, au bout de ces longues et savantes interprétations Crowley met un bouchon d’étoupe  sur le puits sans fond de son érudition en le bouchant avec des mots que tout le monde comprend comme : nature.

    Un essai sur le nombre : Crowley reprend tout depuis le début. Depuis Pythagore, passons sur la deuxième stase, la troisième stase est consacrée au catalogue basique du néoplatonisme. N’oublions pas que celui-ci fut historialement concomitant avec la montée du christianisme. C’est donc le moment de retourner à la deuxième stase, commence par l’œuf cosmique d’Hésiode qui engendre l’éros. Les grecs furent de grands désirants. Mais très vite, la grécité inaugurale de cette deuxième stase se trouva mâtinée par l’influence biblique, l’éros se métamorphose en amour et celui-ci est exprimée selon l’idée freudienne du désir conçu en tant que chose douteuse puisque résultat d’une séparation.  Freud, Crowley, Einstein voici le tiercé gagnant de la modernité. Crowley est au milieu, il est le représentant d’une culture judéo-chrétienne qui ne veut pas mourir dont il est la suprême quintessence de son ultime efflorescence. Crowley est situé entre deux serpents, celui qu’avec raison il ne veut pas voir car Freud est un mécaniste qui rabougrit le monde et celui qui le fascine car Einstein l’illimite en  désemcombrant l’univers de sa partition macro et microscopique.

             Suivent quelques pages durant lesquelles Crowley, s’amuse, un galop littéraire du meilleur effet, la Grande Bête sort le grand jeu, vous en met plein la vue, étale son érudition à pleines couches de confitures rituelliques, toutes les deux lignes une révélation, vous avez droit au moindre détail, évidemment tout cela sort non pas de son imagination mais de son imaginalisation, sans avoir besoin de relire Corbin disons qu’il parle de lui-même pour lui-même. Evidemment il se connaît mieux que personne. Le titre de la Partie II de cet essai sur le nombre est des plus révélateur : L’univers tel que nous cherchons à le faire.  

             Sans doute faut-il méditer sur le titre de cette dernière partie du texte. Un essai sur le nombre est-il une étude sur l’essence du Nombre quel qu’il soit, ou est-il un questionnement sur le nombre qui contiendrait tous les autres nombres, qui vaudrait à lui tout seul tous les autres, qui serait l’essence du nombre en lui-même, qui serait de fait le nombre unique. Pas la peine de se mentir : l’éventail énumératif des nombres n’est-il pas procédé à partir du nombre Un, d’ailleurs n’est-ce pas le monde qui est nommé univers, ou autrement (refermons l’éventail dans son unicité :  retour vers le Un. C’est à cet instant que les ennuis commencent, car le Un ne saurait être le Tout, car le Tout n’est que l’addition de tous les nombres que contient le Un. Les grecs énoncent cela très doctement avec leur formule : l’Un et le Multiple. Platon ajoute que dans ce cas le Multiple est l’Autre ce qui équivaut à la négation du Un. Dès que vous avez Un vous avez sa propre négativité : le moins Un. Hegel dira que moins Un est égal au zéro.

             Déduction de tout cela / comment surmonter, non pas le nihilisme, mais l’athéisme. Crowley définit exotériquement l’athéisme non comme la négation de Dieu mais comme un passage. Vers quoi ? Il ne le dit pas expressément, revient en arrière, tous les calculs qui vous mènent à l’athéisme il est nécessaire de les refaire pour tomber juste, il passe en revue un maximum de numérations qui permettraient d’assumer l’athéisme, car l’assumer c’est ajouter une présence au zéro absolu de l’athéisme, peut-être pas une présence supérieure mais au moins la présence de l’impétrant qui assume cette tâche. Qu’on le veuille ou non : il reste de l’être.

             Petite remarque adjacente : après le mot être, passez aux deux prochains mots écrits en rouge. Dans le long développement que nous venons de commenter Crowley fait référence à la Rose-Croix, c’est un peu le lapin rose sorti du chapeau de magicien car Crowley oublie de noter la dimension littéraire de la vision rosicrucienne que nous considérons comme un surgeon de la grande lyrique française dont le poème Le roman de la Rose serait à considérer comme le point de bouture essentiel.

    L’ontologie : Un essai d’ontologie avec quelques remarques au sujet de magie cérémonielle : cette anthologie est diaboliquement construite, sur la cohérence de la pensée de Crowley, dont le plan de cette troisième anthologie aide à prendre conscience de l’implacable logique d’Aleister. Lorsqu’il reste ne serait qu’un minimum d’être, une réflexion ontologique s’impose. Les grecs considéraient la finitude d’une chose comme parfaite et son infinitude comme imparfaite. Or  les religions définissent le Dieu comme infini. Heidegger a tracé une ligne rouge entre philosophie et religion, notre modernité lui a beaucoup reproché ce crime impardonnable mais ceci est une autre histoire. Arracher la mauvaise herbe de la croyance religieuse du travail de pensée ne saurait être avalisé par Crowley qui frise l’athéisme tout en affirmant en dernier ressort l’apport originel d’une puissance émanatrice. Après examen de trois grandes religions : boudhisme, hindouisme, christianisme, il en arrive à une étrange conclusion : il existe bien une puissance émananatrice originelle mais à plus moins longue échéance celle-ci cessera de vivre.  C’est-là accorder un sursis à Dieu.

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    La louange mariale : le dernier texte de cette anthologie ravira certainement les zélateurs de Péguy et de Claudel. Certes avec Crowley il faut se méfier. Il sait faire l’âne, animal christique par excellence. Il a le sens de l’humour et emploie volontiers le double langage. Si l’on vous donnait à lire ce texte signé par la main d’un Franciscain  vous le recevriez sans hésiter comme une espèce de Rosaire de Marie des plus fidèles, même pas une goutte d’hérésie dogmatique. Tout au plus pourrait-on l’appréhender comme l’annonciation de ces mouvements catholiques qui donne autant d’importance au personnage de Marie-Madeleine qu’au Christ… Ce texte est un recueil de poèmes, de psaumes ou de prières si vous préférez, disons d’invocations pour notifier que Crowley est aussi à sa manière un païen. Notons qu’une lecture toute parvulesquienne de ce texte, particulièrement le livre IV, risque de vous entraîner sur les ombreuses sentes d’un christianisme alchimiquement et politiquement activiste. Mais là n’est pas le problème. Restons dans la problématique heideggerienne selon laquelle, la pensée philosophique ayant été menée à son terme doit céder sa place à une nouvelle pensée qui s’apparenterait à la poésie…

    La joute chymique de FRERE PERARDUA et les sept lances qu’il brisa : texte résolument alchimique, sans doute faut-il le lire ou plutôt l’interpréter, en tant que ligne de fuite heideggerienne. Par-delà la poésie, la mise en œuvre d’un activisme que faute de mieux nous qualifierons de parvulesquien ou mallarméen. Grand écart.

    L’approche graphique : ne pas y voir un carnet d’illustrations diverses. Le lire dans la lignée du texte précédent. Alchimique certes. Liber Mutus, restons bouche cousue.

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    (Editions Anima / La visite du site s'impose)

    Appendice IDeux textes d’Allan Bennett qui fut membre de L’Aube Dorée, peut-être dans le seul but de s’en éloigner. Ces textes Un commentaire sur la Genèse et Le dressage du Mental  sont à lire ne serait-ce que pour comprendre que la pensée de Crowley n’est pas sortie du cerveau d’un illuminé. Crowley est un travailleur et aussi un héritier. Crowley et Bennett se sont croisés, le terme de percutés ne serait-il pas davantage évocateur... Rien qu’aux titres des deux écrits de Bennett les lecteurs de cette trop longue chronique  auront remarqué bien des similarités entre  nos deux démarcheurs, non pas de l’invisible mais du non-visible.

    Appendice II : un court poème de Crowley : Le chant d’amour du Chimiste : qu’intuitivement je mets en relation avec les deux derniers textes de cette Anthologie mais surtout avec Le chant de l’amour et de la mort du cornette Christophe Rilke, de Rilke évidemment, dans les deux cas pour employer une terminologie empruntée à Poe, grotesque Crowleyen et arabesque rilkéenne, deux modalités non sans rapport avec le romantisme et la métaphysique, élémental mon cher Watson !

    Appendice III : un texte exhumé du mensuel Alexandre consacré à une recension de Bereshiht d’Aleister Crowley, note secrète d’un des agents les plus brillants du SSR (Service Secret du Rock’n’roll).

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    ( Sgnature : Audrey Muller et Philippe Pissier )

    Appendice IV : Quatre illustration d’Audrey Muller pour sa traduction de Hail Mary : quatre collages, le liber motus des stances à Marie. La troisième est éloquente pour une image  qui est censée se taire. Je lui donnerais pour titre La Rose sans la Croix.

    Appendice V : Diana Orlow : cinq des derniers poèmes : lire et se taire.

    Avant les parties bibliographiques : une image pieuse d’Anja Bajuk. Cherchez l’Ange. Surtout ne le trouvez pas.

             Si vous n’avez jamais compris la pensée polymorphe d’Alesteir Crowley ce troisième volume de l’Anthologie Introductive à l’Oeuvre d’Aleister Crowley vous mènera tout droit à la base de la Montagne Magicke. Vous avez même le plan des premiers lacets qui ouvrent l’escalade. Vous n’êtes pas obligé de les suivre.

    Merci à Philippe Pissier pour son inépuisable effort à faire connaître Aleisteir Crowley au lectorat français.

    Damie Chad.

            

     

    *

             La semaine dernière nous étions en Chine, encore plus loin que n’est jamais allé Ulysse, puisque vous avez été sages, pas besoin de quitter votre fauteuil, je vous offre une séquence de cinéma, gratuite, et pas n’importe quoi un western, un vrai, grands espaces à vous rendre gaga et cadavres à gogo, en cinémascope, en dolby-stéréo et quadrephonia, tourné aux USA ! Sponsorisé par une grande multinationale pétrolifère californienne. Silence, la séance commence !

    GRANDIOSE

    OIL BARONS

    (Bandcamp / Sept 2025)

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    La couve est de Filippo Masi, doit y avoir une dizaine de Filippo Masi dans chaque ville d’Italie, mais j’ai eu de la chance, à la première image que j’ai aperçue sur un site j’ai reconnu, sa palette, son dessin, son style très psychedelic, il ne se cache pas dans sa très courte biographie de ses  expériences lysergiques. En tout cas c’est bien sa peinture qui m’a donné envie de m’attarder sur le groupe.  Ne la regardez pas longtemps. Juste un coup d’œil. Pas davantage. Surtout ne la fixez pas, elle bouge.  Non je n’ai pas bu. Un exemple comptez le chevaux ou les cheval comme vous voulez. Et puis ce brouillard rose, qui englobe ce tableau, êtes-vous sûr qu’il soit naturel, si vous n’avez pas encore aperçu le caïman et ce sentier qui se transforme en serpent, il est encore temps pour vous de téléphoner à votre percepteur pour vous raccrocher aux réalités sensibles et ennuyantes de la vie réelle. Il revendique un frère jumeau, un double cosmique.

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    Andrew Huber : bass, lead vocals, acoustic, guitar (8) / Lou Aquiler : electric guitar, acoustic guitar (1, 2, 3, 6, 9, 11), flute (1,11), spoken word (2, 9), lead vocals( 4) / Jake Hart : drums, lead vocals (10), backing vocals / Matt Harting : ogan, acoustic guitar (3, 5, 10), lead vocals (5).

    The surrenders : (le western est américain certes, mais comment commencer un western sans un générique d’Ennio Morricone, nos barons sans foi ni loi se sont emparés de d’un titre de la bande sonore du film de Sergio Solima : La Resa Di Conti, mot à mot en notre langue L’épreuve de force, mais un distributeur peu inspiré lui a préféré l’insipide Colorado !  Les américains ont opté pour The Big Gundown. Simple mais au moins l’on sait où l’on met les pieds.  Avis aux amateurs : Lee Van Cliff est au générique). Malgré toute l’admiration que j’éprouve pour la musique composée par Ennio Morricone pour ses westerns je n’hésite pas à la traiter de pompière, selon moi ce terme n’est guère péjoratif, j’apprécie autant les peintres dits pompiers que les impressionnistes, tout dépend de l’angle d’attaque et du but recherché. On peut aimer ou ne pas aimer mais ce genre de point de vue est totalement doxique et même toxique. L’est certain que comparé à un grand orchestre, ses chœurs tapageurs et ses éclats de trompettes aussi grandiloquentes que celles de l’Apocalypse, la flûte et le maigre appareillage  de nos quatre hors-la-loi ne combattent pas armes égales, mais là n’est pas le but, dans cette ouverture, au sens propre du mot, puisque nous sommes tout de suite plongés dans un magnifique paysage plus western que cela tu mérites une balle dans la peau, ce qu’ils nous préparent ce n’est pas l’attente d’une scène choc, ou l’apparition du héros solitaire  campé sur son cheval dans le lointain, non c’est simplement l’introduction de l’instrumentation rock-doom, elle arrive à pas feutrés, façon crotale qui s’approche de vous sans s’annoncer en agitant sa sonnette tel un lépreux figure déliquescente de la Mort qui vous attend en ricanant, et quand elle éclate vous êtes déjà dans le morceau suivant… Wizard : le morceau est

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    accompagnée d’une Official Lyric Vidéo. Un truc à l’économie, pas du tout inoubliable. L’on ne peut même pas parler d’un plan fixe, doit y avoir un ventilo à fond les pales qui  boursouffle la chemise de l’acteur, un sorcier, disons que ce sont les quatre vents de l’esprit qui l’agitent, ne rigolez pas, quelque part l’on n’est pas loin de la scène finale de La Montagne Sacrée d’Alejandro Jodorowsky, en plus elle correspond parfaitement aux quatre mots par lequel le groupe se définit sur son bandcamp : psychedelic western doom rock – tiens-tiens me disais-je si je devais résumer cette formule en deux mots je dirais ; hippie-doom, et dans mon cerveau s’inscrit en lettres d’or (attention ces trois derniers mots ont leur importance) le titre d’un vieux film El Topo. Par acquis de conscience j’opère une rapide vérif et me tombe sous les yeux le nom du réalisateur que j’avais totalement oublié : Alejandro Jodorowsky qui en a aussi écrit la musique – bref sur la vidéo si vous êtes attentif devant le sorcier qui vaticine en agitant les mains vous avez un livre dont dans les lyrics il est dit qu’il est écrit en lettres d’or. Autre détail, le rebord de plateau composés de dalles de roches superposées auquel notre wizard fait face renvoie à la couve de Filippo Masi, il existe donc une espèce d’interdépendances sysnesthésiques entre les différents éléments de cet opus. L’aspect doomique de la musique n’apparaît fortement que dans la dernière partie du morceau, tout le début sonnant indiscutablement westcoast comme l’on disait dans les années 70 pour qualifier la musique californienne. Les paroles ne sont pas sans résonner avec le scénario d’El topo. Gloria : dans tous les crimes il faut chercher la femme. Pas n’importe laquelle.

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    L’égérie du rock’n’roll. La Gloria des Them. Apparemment rien à voir, n’y a pas qu’une ânesse qui s’appelle Martine, il y a une lyric vidéo, encore moins stylisée que la précédente, un gars de dos qui fait la vaisselle. Encore un plan fixe mouvementé car il n’arrête de remuer les mains dans l’évier et son popotin devant votre nez. L’est content parce que Gloria est le soleil de sa vie… ce n’est ni doom ni hippie, encore moins western, vous avez déjà vu un cowboy faire la vaisselle, l’on est plutôt dans une comédie musicale, une parodie puisque le gars s’amuse à épeler les lettres G.L.O.R.I.A, évidemment ce n’est ni l’urgence de Van Morrison, ni l’air, ni la musique. Disons que c’est le repos d’un guerrier de notre modernité. John Brown’s body : passons aux choses sérieuses, y’a un cadavre dans sa tombe. Pas celui de n’importe qui, celui de John Brown, reprennent un traditionnel, profitez-en pour écouter l’interprétation de Pete Seeger, il s’agit d’un hymne anti-esclavagiste en l’honneur de John Brown ( un blanc) qui décida de se battre armes à la main contre la ségrégation aux USA, il fut pendu haut et court, vite fait mal fait… début morbidoom mais très vite le morceau se transforme en une espèce de gospel un peu tragico-foutraque, on a l’impression d’assister au deuxième tableau de la comédie musicale précédente, Shinola : retour au western pur et dur, la ballade du gars qui va se faire buter, la basse à tire-larigot, un vocal tragique à vous infliger des frissons dans la moelle épinière, une belle scène à la Sergio Leone, guitares ferrugineuses, ce coup-ci ce n’est plus de la comédie, du véritable western-doom, vous voyez déjà les ailes noires des vautours tournoyer sur votre cadavre, un plan séquence parfaitement réussi, tout se passe dans la tête du gars, c’est ce qu’on appelle filmer

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    en intérieur. Goddam Horror Show : doom à mort, ça se passe à cheval, mais les guitares pétaradent comme des motos qui se mangent la main dans une course de côte, une sombre histoire d’amour et de fric, avec un tueur impitoyable qui fait crisser les pneus de sa voiture, le son gargouille un maximum et cacophonise au maximum, le mec est un tueur aussi impitoyable que Lee Van Cliff dans Pour Quelques dollars de plus, sur la fin n’y a plus que le vent qui siffle sur un cadavre abandonné dans les sables du désert. . Vivienne : country-slow, encore un drame, vu par le petit côté de la lorgnette du perdant magnifique qui sait que le bonheur n’est pas pour lui, qui ne fait que passer, que la vie est mortelle et ne peut être vécue que de l’autre côté, voix éteinte et musique clapotante. Death hangs : de pire en pire, après le regret, voici l’agonie, juste aux portes de la mort, grandes ouvertes, le vocal se traîne, s’y mettent à deux pour se donner du courage, le constat amer de l’échec, la drumerie bouscule un peu les adieux, plus de temps à perdre, faut assumer, quand on a perdu, on a perdu. Rien à dire. Rien à vivre.  Quetzalacatenango : quezaco, une véritable symphonie rock, un peu comme au temps du mort reconnaissant, les guitares qui farandolent et se tirent la bourre des cartouches soloïques, la galerie galope, attention, nous entrons dans une autre dimension, c’est un peu comme dans Blue Berry, non pas celui de la bande dessinée de Giraud, l’autre celui de Jan Couen, le film psychedelic qui ne montre rien que l’on puisse raccorder à l’aspect rockambolesque des westerns, tout se passe dans la tête du héros à tel point que vous ne voyez plus que les circuits de parallèles entremêlées d’un cerveau sous acide, z’ont pas l’image pour dessiner les circonvolutions géométriques des réseaux inorganisationnels des circuits neuronaux, ce sont les guitares qui se chargent de les figurer, lorsqu’elles éclatent ça dégouline pas mal de tintouin dans cos tympans, nous voici au cœur de la tourmente schizophrénique, zut les temps de repos sont un peu longs, vous savez ces marécages westcoast, vous sortiez sur le pas de la porte pour discuter avec le facteur, venait-il vous livrer un cercueil ou un aspirateur à rêves, normal vous aviez l’impression que les groupes posaient des rallonges à la table du temps, mais l’on préférait John Wayne dans Le dernier des géants lorsqu’il renversait la table pour que ça canarde un max, bien sûr en bout de compte l’on sait très bien que l’on ne fera pas de vieux os, ou du moins qu’ils seront vite éparpillés et disjoints, balayés par les vents du désert. Morning doom : c’est le titre, mais de fait les paroles sont celles de Morning Dew écrites par Bonnie Dobson, après l’explosion nucléaire le dernier homme essaie de convaincre la dernière femme que tout est fini, comme par hasard le morceau a été repris par Grateful Dead, ce n’est pas joyeux, Jake Hart chante tout doux, c’est l’orchestration qui se charge de l’amplification mélodramatique, d’ailleurs elle entraîne la voix à monter haut pour mieux retomber, l’on a un peu peur que l’ensemble ne devienne Waterloo morne plaine, mais non ils y mettent du cœur, ne vont pas laisser passer le dernier coup de bluff artistique, puisque tout est fini autant négliger de pleurer et finir en beauté, hélas ils n’ont plus la force de faire semblant, l’on n’entend presque plus rien, un tambour  tapoté, une voix un tantinet inaudible, une guitare qui fait du goutte à goutte, pourvu qu’elle ouvre le robinet à fond qu’elle se transforme en cataracte crépitante, qu’elle se métamorphose en déluge électrique, elle nous fait attendre mais enfin c’est parti, ça gronde, ça mord, ça morfle, ça griffe, ça se contorsionne un max, si elle continue elle va enfler comme la grenouille qui veut se faire plus grosse qu’un éléphant… et finir en explosion nucléaire, non ils n’osent pas, ils terminent en infâme gargouillement post-nucléaire.  Grandiose : ils enchaînent sur le final, la guitare sonne un peu comme Ajanjuez mon amour, auquel se mêlent des accoups très acouphèniques du   très Ennio Morricone – peut-être parce que la mort y corne, nous refont au milieu du morceau le coup du silence presque imperceptible, heureusement ils se reprennent, ce coup-ci c’est à la violence tapageuse embrumée de ces rafales de sprays ravageurs de  mélancolie dont le  maître de la musique western vous asperge l’âme qu’ils rendent un ultime hommage. Une dernière image spaghetti.

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             Un disque composite, entre reconstitution historique et parodie, entre doom-doux et influences californiennes évidentes, un difficile équilibre à maintenir, toutefois nos Barons de l’Ouest ne nous servent pas de l’huile de foie de morue indigeste, se tirent plutôt bien de leur mikado stylistique. Si parfois  nous sommes entraînés du côté des théâtres de Broadway, l’ensemble résonne comme un le kaléidoscope soundtrackique d’un film jamais tourné ou dont   il ne resterait hélas que la bande-son, un cliché, deux rushes, peut-être retrouvés par des extraterrestres venus visiter notre planète ravagée par un cataclysme irréversible. Sans doute seront-ils surpris et décideront-ils, après une profonde étude des rares vestiges collectés, qu’il y avait dû autrefois exister et se développer sur ces rochers arides une civilisation incompréhensible mais fort tapageuse. Peu recommandable car trop rock’n’roll, ajouteront-ils.

    Damie Chad.

     

    *

    Franchement je n’ai pas aimé, ni la pochette, ni le nom du groupe, mais comme disait Claude l’habit ne fait pas le Mitchell, par acquis de conscience, peut-être sont-ils grecs ou polonais, mais non même pas, bref ils avaient tout pour que je m’en aille, la vie est trop courte pour s’intéresser à n’importe quoi, un scrupule m’a saisi, j’ai ne sais pourquoi, j’ai daigné, un reste de philanthropie peu habituelle chez moi, écouter trente secondes pour me conforter dans mon peu d’appétence pour cette chose musicale. J’ai coupé le son à la trente et unième seconde, indubitablement ce gente de mixture ne réveillait aucune curiosité  en moi. C’était vrai, la vérité pure. M’en suis allé vaquer à d’autres affaires. A tout hasard je suivais une jolie fille dans la rue lorsque mon cerveau reptilien s’en est venu cogner sa tête contre mon cortex : - Damie tu es sur une mauvaise piste, rebrousse chemin ! J’ai essayé de parlementer, l’infâme reptile  n’en a pas démordu : - Damie, un conseil d’ami, laisse cette fille c’est une déconstruite, écoute-moi je te connais tu tireras une plus grande jouissance de cette viande froide sonore dont tu t’es stupidement détourné, fie-toi à mon jugement, ne suis-je pas un sage conseiller ! J’ai hésité, ce n’est pas que je lui fasse énormément confiance, mais cette satanée bestiole habite depuis si longtemps dans ma boîte crânienne que je suis revenu sur mes pas. Le pire c’est qu’elle avait raison !

    QUITE FRANKLY

    SPACE CADET

    (Bandcamp / Sept. 2025 )

             Si je commençais ma chronique par : très franchement je vais vous causer d’un super-groupe me croiriez-vous ? Ne répondez par : ni oui, ni non. Ne jamais croire, toujours penser ! Surtout qu’entre nous je ne connais même pas un minimum vital de survie sur ce groupe. Mes informations sont maigres : sont des Hongrois de Budapest. Z’ont sorti une démo trois titres en 2018. Ensuite un grand trou, et cet album sept titres. Les indices sont maigres, l’enquête sera longue. La couve de cette démo est assez simple : un cosmonaute. Enfin presque : juste le casque, l’on ne voit pas son visage mais sa pensée, ce qui n’est déjà pas mal. Un petit dessin de cosmonaute debout, sans doute à l’intérieur de lui-même perdu sous la voûte étoilée du cosmos. L’on comprend mieux le titre du premier des trois morceaux ‘’ Mother’’ et l’on pige d’autant mieux qu’ils nous refilent l’intégralité des paroles : Oh Mother Take me home to the black City’’, le deuxième n’est guère significatif : Deux Jeudis. Le troisième est beaucoup plus explicatif  332 années dans l’espace.

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             Je n’étais pas plus avancé, alors j’ai cherché, pas eu besoin d’un tiers de millénaire, en 2024 un film Space Cadet, j’ai regardé le synopsis. Inutile de perdre votre temps un film pour pré-ados pré-idiots. Une jeune fille pas très douée qui passe un concours à la Nasa pour une sortie dans l’espace. Un concours d’heureuses circonstances l’aident à être choisie… je vous rassure malgré un quotient intellectuel pas très élevé elle sera l’héroïne de la mission… Entre parenthèse le début de cette comédie-romance me semble sortir tout droit d’une aventure particulièrement désopilante d’un épisode des aventures de Fantômette de George Chaulet.

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             Une piste plus sérieuse, un roman de Robert A Heinlein sorti en 1948, avec en couverture une superbe fusée interplanétaire Hergé a dû s’en inspirer pour On a marché sur la lune, paru en 1953… Je dis ça, mais ne dites pas que c’est moi qui l’ai dit. Bref une histoire de gamin qui rêve depuis tout petit de faire partie de la patrouille de l’espace. Les enfants ont adoré, l’auteur a composé de nombreuses suites…

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             Certes tout cela est bien beau et se perd un peu partout, au moins savons-nous d’où vient l’expression Space Planet. Me reste plus qu’à entrer dans mon scaphandre céleste et à satisfaire ma curiosité en explorant cet espace planétique inconnu. Je vous préviens on n’est pas là pour rigoler.

             La couve. Nos astronautes sont très fiers de leur couve puisque dans leur court paragraphe d’auto-définition ils déclarent fièrement que tous leurs artworks sont signés par Peter Simor. Me suis rendu sur son site. Premier regard : il se moque du monde. Deuxième coup d’œil : un minimaliste. Troisième vision : pas tout à fait un charlatan ce gazier, en fait chacune de ses illustrations – elles sont comme la matière ponctuée de quelques atomes séparés par de mirobolantes immensités vides – lui c’est le fond de la feuille qu’il laisse vide et parsème de quelques traits, voire de quelques taches, le plus surprenant c’est qu’entre sa réalisation et le thème traité la congruence est parfaite. Nous le définirons comme un minimaliste maximaliste.

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             Revenons à la couve : l’exemple parfait de ce que Peter Simor ne réalise pas d’habitude. Pas un millimètre carré de libre. L’a poussé le vice jusqu’à peindre la pochette du disque d’un marron uniforme de papier d’emballage. La rondelle centrale est pleine comme un œuf. Il n’a même pas pensé à laisser un trou  pour que vous puissiez placer la galette sur votre tourne-disque. Nous retrouvons notre spationaute en train d’explorer une nouvelle planète, ce n’est ni la planète bleue, ni la planète rouge, c’est l’orangée, quelques cactus sur le devant et à l’arrière des ruines que nous qualifierons de médiévales. A moins que ce ne soit notre terre bienaimée après la vitrification nucléaire.

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    Silenus : titre piégeux. Apparemment nous sommes dans l’Antiquité Romaine auprès de Silène, ce Dieu à l’estomac aussi rond qu’un tonneau de vin, joyeux drille ivre du matin au soir, entouré d’un cortège bacchique des plus alcoolisés… oui mais la musique ne correspond en rien à ce tableau de pochards pétris d’ébriété. D’abord est-ce de la musique. Batterie, basse guitare, tout ce qu’il faut pour faire  du rock’n’roll, d’ailleurs c’est bien du rock, même si ça n’y ressemble pas. Tassé et compressé, élagué au maximum, un arbre dont il ne reste que le tronc, une poutre massive sur laquelle rien n’accroche, un pilier qui se suffit à lui-même. Le genre d’objet auquel vous ne pouvez rien retrancher ni ajouter. Etrange ça sonne rock mais ça ressemble à de la musique concrète ou alors à la structure de certains morceaux de Miles Davis, oui mais il aurait laissé sa trompette au vestiaire. L’un d’entre eux chante, il vaudrait mieux qu’il se taise, ce n’est pas que c’est mal chanté, ce sont les paroles, pas de n’importe qui : de Heine, Gérard de Nerval l’a traduit, Heine avait la sagesse caustique : ‘’ Il est préférable pour toi de ne pas naître, de ne pas être, de ne rien être, ou de mourir, le plus tôt possible.’’ Mais ça suffit, encore un adage auquel on ne peut rien enlever ou ôter. A l’image de cette musique. Table : ce deuxième morceau paraît plus lyrique, plus emphatique, le chant sans discontinuer, l’ensemble plus violent. Tout compte fait Heine n’est-il pas un révolté, un romantique, le titre ne reste mystérieux que si vous ne la renversez pas, c’est le démon du nihilisme qui s’exprime ici, un kick out the jam définitif, sans passion, sans  haine ni amour. Un truc qui vous remet au niveau de votre caca, n’est-ce pas Artaud qui disait là où il y a de l’être, il y a de la merde, oui mais là où il y a de la musique qu’y a-t-il ? Altalàban : ce mot signifie ‘’en général’’ en langue hongroise. Se moquent un peu de nous car après les deux premiers morceaux qui sont comme des tables de la loi programmatrice d’une destruction nietzschéenne, des partitions théoriques en quelque sorte, l’on aborde les cas particuliers. Dans celui-ci on aborde les méandres du Moi. Que certains haïssent, mais que Space Cadet ne tient pas en grande estime. Résonnances, étrange un petit côté rock sixties, l’on a l’air de s’amuser, non l’on se moque de soi. Ne pas croire en soi. Ne pas penser en soi non plus, ni à soi encore moins. Morceau méchamment endiablé, que voulez-vous là où il y a du moi c’est comme là où il n’y en pas, il y a de l’émoi. C’est pour cela qu’à la fin du morceau ils cassent à coups de batterie et à grands cris le cœur de ce moi insupportable You say : deuxième cas particulier : après le moi : le moi et le toi. Z’y

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    vont tout  doux, c’est ça l’amour, l’aspect sentimental, en la ferblanterie des réciprocités, tu dis quoi, la même chose que moi parce que je ne vaux pas plus que toi, la mort est au bout du chemin, le chant essaie d’être convaincant et le background s’affole, la mort n’est-elle pas le grand soleil des pleurs, les instruments deviennent ingérables, ils se montent dessus, ils s’engueulent, ils creusent leurs trous, l’on ne devrait jamais se rapprocher, deux trains qui se télescopent, danger de mort souhaité et repoussé car une fois qu’on est mort on ne peut plus désirer mourir. La musique s’emmêle les pieds. Sa manière à elle de ne pas danser. Le train s’enfuit à l’horizon. Banquette vides. Néma Gyakorlat : (Exercices périlleux) : pour brider l’exaltation des moines Ignace De Loyola a composé Les Exercices Spirituels. Hélas notre époque se refuse à ses contritions chrétiennes donc Space Cadet se transforme en coach sportif. Attention inutile de lever dix fois la jambe droite, s’agit avant tout d’une gymnastique mentale. Le Yoga du mécréant si vous préférez. Rythme lent, assouplissements bassiques, S’agit de pénétrer au plus profond de soi pour retrouver la sensation de l’extérieur, communiquer avec le monde avec l’œil du dedans, cela est-il en relation avec nos capacités mémorielles, laissez le vocal méandreux s’insinuer en vous comme le serpent dans la genèse de votre personnalité, la guitare vous partage toute son âme, mais avez-vous encore la vôtre pour lui en offrir la moitié. Interrogation insoutenable. Qui mourra à sa propre solitude verra. Suzie : ce n’est pas tout à fait un slow sixties car la  petite Suzie palpite dans votre cœur, la fois précédente ça n’avait pas marché, mais ce coup-ci le garçon sort les grands mots il y met du cœur, la batterie lui file des coups de pied au cul pour qu’il avance plus vite, la musique se fait caressante, plus besoin de parler, laisse-toi porter par la vague.

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    Ocean : la morale de l’histoire, disons le fin mot de l’histoire, ce coup-ci c’est la musique qui réfléchit, elle dresse le bilan, ne pas se faire d’illusion non plus, le nihilisme même vaincu renaît toujours de ses cendres, les mots sont des puits sans fond, les pensées se défont aussi vite qu’elles se forment, la musique joue au tortillard, elle se moque de toi, elle emprunte son train de sénateur, elle s’attarde, elle se désagrège, elle repart à cloche-pied, style rien ne m’arrêtera jamais, car subsiste au fond de toi ton égo, il est plus fort que ton désespoir, méfie-toi les wagons s’emboutissent l’un dans l’autre, crois-tu que cela suffira pour que je m’arrête, non, eh bien regarde je m’arrête et je repars, encore plus vite et je ralentis, n’aie pas peur je te soufflerai dans l’oreille ce que j’ai à te dire, le grand secret, la guitare serpentine se lance dans des arabesques orientalisantes, faut bien s’amuser si l’on ne veut pas mourir, écoute-moi bien : l’égo n’est que l’autre nom du nihilisme. Multitude de points finaux, puisque le mouvement ne s’arrêtera jamais. Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum ! Ouf, soufflez, respirez !

    De sacrés musicos ! Savent jouer et penser !

    Ça ressemble à un concerto rock’n’roll. Le premier de son espèce.

    Des novateurs !

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 651 : KR'TNT ! 651 : PETER GURALNICK / THE BIG IDEA / TÖ YÖ / TY KARIM / JOHN CALE / ROTTING CHRIST / ALEISTER CROWLEY / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 651

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27/ 06 / 2024

     

    PETER GURALNICK / THE BIG IDEA

    TÖ YÖ / TY KARIM / JOHN CALE

    ROTTING CHRIST / ALEISTER CROWLEY

      ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 651

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Guralnick plus ultra

     (Part Two)

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             Part Two ? Mon œil ! Ça fait un moment que Peter Guralnick hante les soutes de ce bloggy blogah. On l’a vu intervenir au service de Sleepy LaBeef, d’Elvis et de la Soul (Sweet Soul Music). Le voilà de retour dans l’actu déguisé en Père Noël avec un gros patapouf imprimé en Chine : The Birth Of Rock’n’Roll - The Illustrated Story of Sun Records. En Père Noël, car paru pour les fêtes, et comme le Dylan book (The Philosophy Of Modern Song), le Sun book se retrouve transformé en cadeau de Noël. C’est vraiment ce qui peut arriver de pire à un book. Des grosses rombières réactionnaires offrent ce genre de book à leurs couilles molles de maris qui disent «oh merci chérie» uniquement par politesse. Pour des auteurs comme Peter Guralnick et Bob Dylan, c’est insultant de se voir mêlé à ça. Mais qu’y peut-on ? Rien.

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             On laisse passer quelques mois pour chasser les odeurs, puis on met le nez dedans. Impossible de faire l’impasse sur le nouveau Guralnick, d’autant qu’il co-signe cette espèce de bible grand format avec l’autre grand spécialiste de Sun, Colin Escott. L’ouvrage fait partie de ceux qu’on peut qualifier de déterminants. Même si on prétend connaître l’histoire de Sun par cœur, on a vraiment l’impression de tout reprendre à zéro, car l’enthousiasme de Guralnick reste intact, après tant de books et tant d’années. En plus, l’objet est magnifique. Tu ne regrettes pas ton billet de 50. Choix d’images parfait, qualité d’impression parfaite, ambiance parfaite, le patapouf pèse de tout son poids entre tes mains, tu rentres là-dedans comme si tu entrais dans un lagon à Hawaï, c’est un moment privilégié. Guralnick et Escott se partagent ce festin de pages : Escott traite la partie historique de Sun, et Guralnick se réserve la part du lion : les singles Sun. Il fait un festival. Ça explose à toutes les pages. Le fan n’a pas vieilli. Il ne parle que de très grands artistes. Chaque page te coupe le souffle. Aw my Gawd, Uncle Sam a TOUT inventé. Sun et Sam, c’est une histoire unique, une histoire parfaite qui te rend fier d’appartenir à cette école de pensée. Jerry Lee signe la préface. Il te balance ça directement : «It was real rock’n’roll and that’s what we did at Sun. We cut real rock’n’roll records. That was the beginning of it all. Rock’n’roll started at Sun Records, and without Sun there would be no rock’n’roll.» C’est bien que ce soit Jerry Lee qui le dise. Plus loin, il ajoute ceci qui est bouleversant : «Des tas de gens m’ont demandé au fil des années ce que je pensais de Sam Phillips. C’est sûr qu’on a eu des moments tendus, mais vous savez, il était comme un frère pour moi. Il m’a aidé à démarrer, et je lui en serai toujours reconnaissant. Il n’y aura jamais plus un cat comme lui et il n’y aura jamais plus un Sun Records. (...) Sam Phillips et Sun Records ont changé le monde.» C’est l’une de plus belles préfaces que tu pourras lire dans ta vie, car c’est l’hommage d’un géant à un autre géant.

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             Quand Jerry Lee débarque chez Sun en 1956 pour une audition, Uncle Sam n’est pas là. Il se repose en Floride. C’est Jack Clement qui enregistre l’audition. Quand Uncle Sam entend l’enregistrement à son retour de vacances, il dresse l’oreille : «Where in hell did this man come from?». Il y entend quelque chose de spirituel. Il dit aussitôt à Jack : «Just get him in here as fast as you can.» Jerry Lee enregistre «Crazy Arms» en décembre 1956 chez Uncle Sam. Puis tous les génies locaux viennent taper à la porte d’Uncle Sam. Escott cite l’exemple d’Harold Jenkins qui ne s’appelle pas encore Conway Twitty et qui a composé «Rock House», un cut qu’Uncle Sam adore et qu’il achète pour Roy Orbison qu’il essaye de lancer. Plus tard, Uncle Sam dira à Conway qu’il n’avait pas la bonne voix pour enregistrer son cut. Alors Conway a bossé pour trouver un style.

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             Puis on plonge dans le cœur battant du Sun book, les pages de Guralnick intitulées ‘The 70 Recordings’. 70 singles Sun. Il fait feu de tous bois. Il n’a jamais été aussi en forme. Quelle exubérance ! Démarrage en trombe avec Jackie Brenston, Ike Turner et Rosco Gordon. Uncle Sam, nous dit Guralnick, est persuadé que «Rocket 88» va exploser les frontières - move out of the race field into general popularity - Ça s’appelle une vision - That was Sam Phillps articulated vision of the future: that music would break down barriers, musical, social, above all racial. And that was something in which he would firmly believe all his life - Guralnick re-balance ici une évidence, pas de problème, ce sont des évidences dont on ne se lasse pas. Uncle Sam a fait le job, Elvis aussi, en popularisant la musique noire. Et puis tu as toutes ces images extraordinaires : B.B. King jeune avec une belle Tele, et à la page suivante, Wolf jeune, en veste blanche, photographié dans une épicerie avec une petite guitare dans ses grosses pattes. Quand Uncle Sam entend Wolf sur une radio locale, il saute en l’air et s’exclame : «THIS IS WHAT I’M LOOKING FOR.» Guralnick met l’exclamation en Cap alors on la remet en Cap, puis Uncle Sam réussit à faire venir Wolf dans son studio. C’est là qu’il s’exclame : «This is where the soul of a man never dies.» Uncle Sam avait tout compris. Un peu plus tard, Andrew Lauder éprouvera exactement la même chose. Et on verra Brian Jones assis aux pieds de Wolf dans une émission de télé américaine. Tu tournes la page et tu tombes encore de ta chaise, car voilà une photo en pied de Joe Hill Louis avec dans les pattes une magnifique gratte blanche. Pour chanter les louanges de «Gotta Let You Go», Guralnick parle d’un son «raw and gut-bucket (not to mention chaotic), a feel as any record that Sam would ever release.» En plus d’être un visionnaire, Uncle Sam a le génie du son. Son modèle, c’est le «Boogie Chillen» d’Hooky qui fut aussi le modèle absolu de l’ado Buddy Guy - With its driving beat, it may well have been the downhome blues first and only million seller - Rien qu’avec les blackos, Guralnick a déjà gagné la partie. Les early Sun singles sont des passages obligés. Puis arrivent Willie Nix, Jimmy & Walter, Rufus Thomas, Ma Rainey qu’on voit danser dans une photo extraordinaire avec Frankie Lymon, et dans la page consacrée à Jimmy DeBerry, Uncle Sam explique qu’il ne supporte pas la perfection - Perfect? That’s the devil - Il lui faut des imperfections. Même si le téléphone sonne en plein enregistrement, il garde l’enregistrement. Pour lui «Time Has Made A Change» «is a mess, but a beautiful mess.» Plus loin, on tombe sur le pot aux roses de Junior Parker et le fameux «Love My Baby/Mystery Train». Pour Guralnick c’est le prototype de tout ce qui va suivre. Uncle Sam est dingue du rythme de Mystery Train, un rhythmic pattern qu’on va retrouver dans «Blues Suede Shoes». Guralnick parle aussi de la «house-wrecking guitar» de Floyd Murphy qu’Uncle Sam imposera comme modèle à tous les guitaristes blancs qui entreront dans son studio. Et puis il y a la partie vocale de Junior Parker que Guralnick compare à celle d’Al Green - Qui a dédicacé son ineffable «Take Me To The River» to a cousin of mine, Little Junior Parker - On reste en famille. Aux yeux de Guralnick, ce single est le single Sun le plus parfait - Sam Phillips most «perfect» two sided single - À moins que ce ne soit, ajoute-t-il, goguenard, le premier single de Wolf. Guralnick rend aussi un hommage appuyé à Billy The Kid Emerson qu’on voit apparaître à plusieurs reprises dans le book - Eccentric talent, fabuleux compositeur - On reste dans les excentriques avec Hot Shot Love et «Wolf Call Boogie». Uncle Sam est friand d’excentriques et Guralnick ajoute qu’Uncle Sam aurait pu se targuer d’être le plus grand excentrique de tous. Hot Shot Love dialogue avec lui-même comme Hooky dans «Boogie Chillen» et Bo Diddley avec Jerome Green. Mais derrière, on entend ce démon de Pat Hare.  

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             Et le book explose à la page 105 avec Scotty Moore. Scotty n’est pas encore avec Elvis, il joue avec les Starlite Wranglers et accompagne Doug Poindexter sur «My Kind Of Carrying On». Il entre chez Uncle Sam pour la première fois en 1954. Les Wranglers sont son groupe et il vient de recruter comme chanteur un boulanger nommé Doug Poindexter qui est passionné d’Hank Williams. Puis Scotty prend l’habitude de passer voir Uncle Sam chaque jour après le boulot (il bosse au pressing de son frangin). Uncle Sam lui parle de ses visions du futur - Sam savait que les choses allaient changer. Il le pressentait. C’est pourquoi il enregistrait tous ces artistes noirs - Ce qui intéresse Uncle Sam chez les Wranglers, c’est nous dit Guralnick l’interaction qui existe entre Scotty et Bill Black. Et Uncle Sam teste ses idées de son - A kind of artificial echo - Il fait passer la bande enregistrée en simultané dans un deuxième magnéto, ce qui crée un delay. Il baptise son invention «slapback», un effet qui allait devenir «the hallmark of the Sun sound.» Puis le 3 juillet 1954, Uncle Sam envoie un jeune mec auditionner chez Scotty. C’est Elvis qui se pointe chez Scotty en chemise noire, pantalon rose et pompes blanches. En ouvrant la porte, Bobbie, qui est la femme de Scotty, est complètement sciée. C’est le lendemain qu’ils enregistrent le fameux cut historique. Tu tournes la page sur qui tu tombes ? Devine... C’est facile. Charlie Feathers. Photo connue. Charlie gratte sa gratte en souriant. Guralnick le qualifie d’aussi «extravagantly gifted as anyone on the Sun roster - and as determinedly eccentric.» Mais Charlie est pour lui-même son pire ennemi et Uncle Sam ne le sent pas assez motivé «pour réaliser son potentiel». Charlie ne fait confiance à personne. Il est assez ingérable. Bill Cantrell dit de lui «qu’avec un petit peu d’éducation et un petit peu de bon sens, il aurait pu faire carrière comme Carl Perkins.» Charlie va enregistrer ses hits sur King à Cincinnati, et comme le dit si bien Guralnick, «il n’a jamais eu de succès, mais il a su créer une légende.»  

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             À ce stade des opérations, force est de constater que le book s’emballe. Guralnick perd un peu les pédales. L’image est celle d’un gosse affamé devant la vitrine du pâtissier. Il veut tout bouffer, tous les gâtös, tous les éclairs, toutes les religieuses, toutes les tartelettes à la frangipane, tous les mokas et tous les millefeuilles, c’est-à-dire tout Elvis, tout Carl Perkins, tout Billy Riley, tout Jerry Lee, c’est incroyable, tous ces gâtös chez Uncle Sam le pâtissier du diable. Et du Sun, t’en bouffe avec Guralnick à t’en faire exploser la panse, tu tombes sur un immense portait de James Cotton qui file des coups d’harp pour «Cotton Crop Blues», puis tu tombes en arrêt devant Harmonica Frank, en pantalon rayé, sa gratte dans les pattes et un truc à la bouche. Oh c’est pas un cigare, c’est son harmo. Une vraie gueule de taulaurd, l’un des plus gros flashes d’Uncle Sam. Guralnick s’excuse d’avoir abusé du mot excentrique - eccentric par ci, eccentric par là - D’ailleurs Uncle Sam donne sa propre définition de l’eccentric : «Individualism to the extreme.» Mais Guralnick dit qu’on est obligé de parler d’eccentric à propos d’Harmonica Frank, «a grizzled White medecine show veteran in his forties», un mec qui joue de l’harmo sans jamais y mettre les mains, l’harmo est dans sa bouche et il chante en même temps. Uncle Sam : «A beautiful hobo. He was short, fat, very abstract - vous le regardiez et ne saviez pas ce qu’il pouvait penser, ni ce qu’il allait chanter ensuite. He had the greatest mind of his own - I think hobos by nature have to have that - et ça m’a fasciné depuis le début. Et il avait certains de ces vieux rythmes et vieilles histoires qu’il avait enrichis, and some of them were so old, God, I guess they were old when my father was a kid.» Le propos d’Uncle Sam sonne comme une parole d’évangile.

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             Quand tu tournes, c’est un peu comme si tu prenais la porte dans la gueule : Elvis. «That’s All Right». C’est la révolution qu’annonçait Uncle Sam à Scotty Moore. Guralnick précise sa pensée : «C’est peut-être ou ça n’est peut-être pas le moment où est né le rock’n’roll (en fait ça ne l’est pas), mais de toute évidence, c’est la naissance de something new.» Guralnick confirme que «That’s All Right» est arrivé «par accident», pendant le coffee break. Ça tombait à pic. Guralnick ajoute que la version était si pure dans son essence, qu’Uncle Sam n’a rajouté aucun effet. No slapback. One take or two - And it’s just as timeless today as it was then, and just as uncategorizable - Quelques pages plus loin, tu les vois tous les trois sur scène, Elvis, Scotty et Bill Black, le premier power-trio de l’histoire du rock. Magnifico. Comme si tout ce qui est venu après était superflu. Guralnick considère «Baby Let’s Play House/I’m Left You’re Right She’s Gone» comme «the apogee of Elvis’ Sun career». Selon l’auteur, «the brand-new hiccoughing slutter just knocked Sam out.» Plus loin, il revient sur «Tryin’ To Get To You», an obscure R&B song qu’Elvis commençait à bosser chez Sun au moment où Uncle Sam négociait la vente de son contrat. Le single ne sortira pas sur Sun, mais sur le premier album RCA d’Elvis, et quand les gens demandent à Guralnick quel est son cut préféré d’Elvis, il répond «Tryin’ To Get To You». Dans «Letter To Memphis», Frank Black rend aussi hommage à Elvis en miaulant Tryin’ to get to you/ Just tryin’ to get to you dans le refrain.

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             Nouveau flash cette fois sur Willie Johnson, le premier guitariste de Wolf. Guralnick consacre cette double au «I Feel So Worried» de Sammy Lewis & Willie Johnson Combo. Il qualifie Willie Johnson de «smolderingly overamplified player». Uncle Sam fut fasciné par l’attaque et la subtilité du jeu de Willie qui combinait «lead and rhtyhm in a combination of thick, clotted chords and defty distorted single-string runs.» Guralnick s’emballe : «Mais il n’y avait pas que ça. Il allait beaucoup plus loin que les bebop inflections, on entendait des échos du phrasé délicat de T-Bone Walker, et beaucoup important, il sortait the dirtiest sound you could ever imagine being drawn from an electric guitar. C’est là que Sammy Lewis entrait dans la danse avec son harmo et tous les deux ils créaient un son tellement explosif que, lorsque Willie criait «Blow the backs of it, Sammy», vous aviez vraiment l’impression qu’il allait le faire.» Guralnick a vraiment bien écouté ses singles Sun. Chaque fois, il sait dire pourquoi c’est un chef-d’œuvre. Le book ne contient que ça, des pages superbes. C’est assommant. Il faut lire à petites doses. Conseil d’ami. 

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             Encore une double faramineuse sur Carl Perkins, pour le single Sun «Let The Jukebox Keep On Playing/Gone Gone Gone». C’est Carl qui débarque pour la première fois chez un Uncle Sam qui n’a pas le temps, mais qui dit quand même «Okay, get set up. But I can’t listen long». On voit à quoi tient le destin d’un artiste : à peu de chose. Carl poursuit : «Plus tard,  il m’a dit : ‘Je ne pouvais pas dire non. J’avais encore jamais vu un pitifuller-looking fellow as you looked quand je vous ai dit que je n’avais pas le temps. You overpowered me. Alors je lui ai répondu que ce n’était pas mon intention, mais que j’étais content de l’avoir fait. That was the beginning right there.» Carl Perkins, sans doute le plus grand d’entre tous. Remember le Mystery Train de Jim Jarmush et les deux kids japonais qui hantent les rues de Memphis : elle est fan d’Elvis et lui de Carl Perkins. Merci Peter Guralnick de remettre les pendules à l’heure avec tous ces héros. Tu tournes la page et tu retombes sur Carl avec une pompe à la main. Logique, c’est la double «Blue Suede Shoes». Wham bam. Enregistré un mois après le départ d’Elvis pour RCA.   

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             Et voilà Uncle Sam en compagnie de Rosco Gordon et «The Chicken (Dance With You)». Rosco est l’un des premiers cracks qu’Uncle Sam ait enregistré - One of his favorite «originals» - bien avant «Rocket 88», précise l’indestructible Guralnick. Uncle Sam ne voit pas Rosco comme un bon pianiste, mais «as a different kind of piano player, with a unique, rolling style.» Sam lui dit qu’il est le seul au monde à jouer comme ça, et Rosco lui répond : «I don’t know what it is, it’s not blues. It’s not pop. It’s not rock. So we gonna call it ‘Rosco’s Rhythm’.» Puis Guralnick rappelle que le chicken de Rosco s’appelait Butch et que Butch mourut alcoolique, car Rosco lui faisait boire une capsule remplie de whisky tous les soirs avant de monter sur scène.

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             Et puis les inévitables : Cash et Roy Orbison avec leurs têtes à claques. Puis back to the real deal, Carl Perkins dans une double intitulée «Boppin’ The Blues», un hit qui devrait être l’hymne national américain. Photo démente de Carl en chemise rayée, en train de gratter sa Les Paul. Plus rockin’ wild, ça n’existe pas. Puis la gueule d’ange de Billy Riley, suivi de Sonny Burgess et «Red Headed Woman/We Wanna Boogie». Guralnick commence par dire qu’il craint de se répéter. Puis il donne la clé de Sonny : l’enthousiasme - Like Billy Riley, Sonny Burgess was the one of the preeminent wildmen of Southen rock - Uncle Sam ne tarit pas d’éloges sur Sonny : «C’était un groupe qui savait ce qu’il faisait, and they had a sound like I’ve never heard. Maybe Sonny’s sound was too raw, I don’t know - but I’ll tell you this. They were pure rock and roll.»

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              Sun qui a déjà connu maintes apothéoses en connaît une nouvelle avec Jerry Lee. Guralnick a du mal à monter les enchères : «Okay, remember I said, ‘This is it’, I’m sure more than once. Well this was definitely it once again, a pivotal moment in the history of rock’n’roll.» On s’aperçoit au fil des pages que Guralnick accomplit un exploit. Il veille à saluer chacun des géants découverts par Uncle Sam de la façon la plus honnête qui soit. Pas facile de faire un Sun book. Essaye et tu verras. Une fois de plus, Jerry Lee arrive par accident. Chez lui à Ferryday, il lit un canard qui raconte l’histoire d’Elvis et qui cite le nom de Sam Phillips comme «the guiding influence behing all these rising stars, Elvis, Johnny Cash, Carl Perkins, even B.B. King», alors il décide, lui le kid Jerry Lee, qu’il a autant de talent que toutes ces rising stars. Il dit à son père Elmo : «This is the man we need to go see.» Guralnick consacre autant de doubles à Jerry Lee qu’à Elvis. Ça tombe sous le sens. Dans la double «Whole Lot Of Shakin’ Going On», Guralnick s’étrangle de jouissance : «His appearance on July 28, 1957, was nothing short of cataclysmic. Vous ne me croyez pas ? Watch the video. And now watch it again. And again. De toute évidence, c’est l’un des moments clés du rock’n’roll, as Jerry Lee kicks out his piano stool, and Steve Allen sends it flying back.» Nouvelle éruption volcano-guralnicienne avec «Great Balls Of Fire», puis «In The Mood», au moment où Jerry Lee est au plus bas. Uncle Sam tente de restaurer son image - He was the most talented man I ever worked with, Black or White. One of the most talented human beings to walk on God’s earth. There’s not one millionth of an inch difference  (between) the way Jerry Lee Lewis thinks about music and the way Bach or Beethoven felt about theirs - Guralnick rappelle en outre qu’en 1961, pour la sortie du single Sun «What’d I Say», Jerry Lee et Jackie Wilson partirent ensemble en tournée dans une série de Black clubs, «in what was billed without exageration as ‘The Battle of the Century’.»

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             Puis vient le temps de Charlie Rich, et Guralnick démarre sa double ainsi : «Of all his artists, Sam saw Charlie Rich alone as standing on the same level of emotional profundity as Howlin’ Wolf.» Ça s’appelle planter un décor. Dans ses interviews, Uncle Sam ne manquait jamais nous dit Guralnick de revenir sur ce point. Il le classait parmi les profonds inclassables, comme Wolf. C’est vrai que Charlie Rich est profondément inclassable. Sur la photo en vis-à-vis, il est presque aussi beau qu’Elvis. C’est la double «Who Will The Next Fool Be», sorti sur Phillips International. On tombe à la suite sur Frank Frost, le dernier black qu’Uncle Sam ait enregistré. Il vaut le détour, comme d’ailleurs tous les autres. Sun est une mine d’or. L’idéal pour tout fan éclairé est de rapatrier les six volumes des Complete Sun Singles parus chez Bear : overdose garantie, contenu comme contenant. Pareil, il faut écouter ça avec modération. On y reviendra un de ces quatre.

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             Le dernier single Sun (Sun 400) est le légendaire «Cadillac Man» des Jesters. Pourquoi légendaire ? Parce Dickinson et parce que Jerry Phillips, fils cadet d’Uncle Sam, et parce que Teddy Paige, future légende vivante. On les voit photographiés avec Uncle Sam qui porte un costard noir. Écœurant d’élégance. En fait, c’est Knox, l’autre fils d’Uncle Sam, qui a enregistré la session. Jerry gratte la rythmique. Dickinson chante et pianote. Quand Sam entend «Cadillac Man», il le sort sur Sun, en 1966. Mais son cœur n’y est plus. Il va d’ailleurs vendre Sun. 25 ans plus tard, il rendra hommage à Dickinson, lors de son 50e anniversaire : «Vous savez, je ne crois pas que Jim Dickinson ait jamais eu honte de l’horrible musique qu’il jouait - Sam joked (I think!) - and that’s not easy to do.»  

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             Colin Escott referme la marche avec le rachat de Sun et Shelby Singleton. Si Uncle Sam lui revend Sun, c’est uniquement parce qu’il sait que Sun est entre de bonnes mains. Colin Escott documente formidablement cet épisode historique. Singleton fouille dans les archives d’Uncle Sam et déterre des tas d’inédits, Cash, Jerry Lee, puis arrive Orion. Comme il n’a pas accès à Elvis, Singleton se rabat sur un clone d’Elvis, Jimmy Ellis, qu’il baptise Orion. C’est vrai que les pochettes sont belles. On y reviendra un de ces quatre.  

    Signé : Cazengler, Sun of a bitch

     Peter Guralnick & Colin Escott. The Birth Of Rock’n’Roll. The Illustrated Story of Sun Records. Omnibus Press 2022

     

     

    L’avenir du rock

     - The Big Idea est une bonne idée

             Qui aurait cru qu’en errant dans le désert, on rencontrait des tas de gens intéressants ? C’est en tous les cas le constat que fait l’avenir du rock. Il y a croisé Ronnie Bird, M le Muddy, les Courettes, Sylvain Tintin porté par Abebe Bikila et ses trois frères, Lawrence d’Arabie, et des tas d’autres voyageurs inopinés. Alors ça lui plaît tellement qu’il a décidé de continuer d’errer. Errer peut devenir un but en soi, mais il faut bien réfléchir avant de prendre ce genre de décision. On ne décide pas d’errer comme ça, pour s’amuser. Non, c’est un choix de vie, ce qu’on appelait autrefois une vocation. Plongé dans ses réflexions, l’avenir du rock avance en pilote automatique. Un personnage étrange arrive à sa rencontre et le sort de sa torpeur méditative. L’homme porte sur les épaules une énorme poutre en bois. L’avenir du rock s’émoustille :

             — Oh mais je vous reconnais ! Zêtes Willem Dafoe !

             Dafoe sourit. Son visage s’illumine de toute la compassion dont il est capable.

             — Qu’est-ce que vous fabriquez par ici, Willem ?

             — Oh ben j’erre... Dans quel état j’erre... Où cours-je... Martin Scorsese m’a envoyé errer par ici. On va tourner La Dernière Tentation Du Christ, alors il veut que je m’entraîne.

             — Ça fait longtemps que vous zerrez ?

             — Chais plus. Pas pris mon portable. Ça doit faire quelques mois.

             — Et la couronne d’épines, ça fait pas trop mal ?

             — Oh ça gratte un peu, mais bon, c’est comme tout, on s’habitue.

             — En tous les cas, zêtes bien bronzé, Willem. Vous serez magnifique sur la croix.

             — Au début, j’avais des sacrés coups de soleil, mais maintenant, ça va mieux.

             — Dites voir, Willem, dans votre entraînement, il y a aussi les miracles ?

             — Oui, bien sûr. Vous voulez quoi, du pain, du vin, du boursin ?

             — Non, zauriez pas quelque chose de plus original ?

             — Vous me prenez au dépourvu. Attendez, j’ai une idée. Voilà...

             — Voilà quoi ?

             — Zêtes bouché ou quoi ? Je viens de vous le dire : the Big Idea !

     

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             Ils arrivent comme l’annonce le Christ scorsesien, par miracle. Tu ne les connais ni d’Eve ni d’Adam. Ils montent en short sur scène, enfin trois d’entre eux.

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    Ils s’appellent The Big Idea, ce qui est en vérité une bonne idée. Apparaissent très vite des tas de particularités encore plus intéressantes : ils sont tous quasiment multi-instrumentistes, ils savent tous chanter, la loufoquerie n’a aucun secret pour eux, ils jouent à trois grattes plus un bassmatic, avec un bon beurre et des chics coups de keys, et petite cerise sur le gâtö, ils savent déclencher l’enfer sur la terre quand ça leur chante. Et là tu dis oui, tu prends la Big Idea pour épouse. Pour le pire et pour le meilleur. Disons que le pire est une tendance new wave sur un ou deux cuts en début de set, et le meilleur est un goût prononcé pour l’apocalypse grunge, mais la vraie, pas l’autre.

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    Ils cultivent l’apanage d’un large éventail et passé l’inconfort moral d’un ou deux cuts new wavy, tu entres dans le jeu, car chaque cut réserve des surprises de taille. Ils sont tous fantastiquement brillants, ça joue des coups de trompettes free au coin du bois, et les belles rasades de congas de Congo Square te renvoient tout droit chez Santana. En plus, ils sont drôles, extrêmement pince-sans-rire. À la fin d’un cut, le petit brun en short qui joue à gauche balance par exemple des petites trucs du genre : «Elle était pas mal celle-là.» On le verra danser la macumba du diable sur scène et aller fendre la foule comme Moïse la Mer Rouge pour chanter à tue-tête une extraordinaire «chanson d’amour», comme il dit.

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    On sent chez eux une réelle détermination, un vrai goût des chansons bien faites, leur ahurissante aisance leur donne les coudées franches, ils sont encore jeunes, mais ils semblent arborer une stature de vétérans de toutes les guerres, ce que va confirmer l’un d’eux un peu plus tard au merch.

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    «On est un vieux groupe», dit-il. Il ajoute qu’ils ont déjà enregistré cinq albums. What ? Cinq albums ! Un vrai labyrinthe ! Mais le pot-aux-roses arrive. À la question rituelle du vous-zécoutez quoâ ?, il balance le nom fatal : The Brian Jonestown Massacre. What ? Et d’expliquer qu’ils ont formé ce groupe après avoir vu Anton Newcombe sur scène. Alors bam-balam, ça ne rigole plus. Et pourtant, leur set n’est pas calqué directement sur les grooves psychotropiques d’Anton Newcombe, c’est beaucoup plus diversifié, mille fois plus ambitieux, comme si les élèves dépassaient le maître. Mais - car il y a un mais - ils ont retenu l’essentiel de «l’enseignement» du maître : la modernité. The Big Idea est un groupe éminemment moderne. Mieux encore, pour paraphraser André Malraux : The Big Idea sera moderne ou ne sera pas.

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             Alors t’en ramasses deux au merch pour tester. Margarina Hotel date de 2019. Seul point commun avec le Brian Jonestown Massacre : la modernité. Mais pas vraiment le son - La vie est belle/ Au bord de l’eau - groovent-ils dans cette samba de Santana, «The Rivers King». On assiste cut après cut à une incroyable éclosion de diversité. Tout est chargé d’événementiel, la pop d’«Is In Train» est bienveillante, ils prennent le chant chacun leur tour, comme sur scène. Et voilà «In Shot» qui groove entre les reins de l’or du Rhin, groove de rêve et voix plus grave - And for the next turn/ I swear they won’t find us - Une merveille tentaculaire ! «Two» est plus new-wavy, mais léger, ça reste une pop de pieds ailés, visitée par un solo de grande intensité. Tu te passionnes pour ce groupe. «Us Save» délire sur le compte d’you are the fruit of desire. Ils font du Pulp quand ils veulent. Encore un soft groove de rêve avec «At Lose» - Everyboy wants to be at home/ In the sofa - Ils se diversifient terriblement. Toujours pareil avec les surdoués. Nouveau coup de Jarnac avec «Re-Find Milk» et son bassmatic à la Archie Bell. Tout ici n’est que luxe intérieur, calme et volupté. Merveilleux univers ! Et ça continue avec le come on & get a ride Sally de «Quick & Party» - We’re going to Crematie - C’est dans cette chanson qu’on entre au Margarina Hotel. Ils bouclent avec «The Peace» qui grouille de héros des Beatles, Lovely Rita et Bungalow Bill.

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             Leur petit dernier s’appelle Tales Of Crematie. Il vient de paraître et s’accompagne d’un petit book que t’offre le fils spirituel d’Anton. Le book porte le même nom que l’album et nous raconte en une trentaine de pages «une épopée fantastique et dantesque du roi Andrew Ground et de ses amis, qui les emmènera aux confins des terres maudites du Royaume de Renëcoastie et d’eux-mêmes.» Tu découvres une carte des deux îles, la Crématie et en face, une île composée de trois royaumes, la Diplomatie, la Sylvanie et la Renëcroastie. Le conte nous raconte le temps de la paix puis le temps de la guerre. L’un des quatre rois s’appelle bien sûr Anton Mac Arthur. Les rois font appel à Zeus pour les aider à mettre fin à la guerre. Zeus accepte et leur confie à chacun d’eux une pierre qui garantit la paix et qui ne doit pas se briser. Chacune des pages du book illustre un cut de l’album. Pas mal de jolies choses sur Tales Of Crematie. On y retrouve ces aspects ‘new wave militaire’ («Guess Who’s Back») du set, à la limite du comedy act. Retour au «Margarina Hotel» de l’album précédent avec les percus, the king & his butterflies. C’est jouissif et pianoté à la folie - Only a king makes it possible - Ils font de la prog («The Council Of The King»), mais leur prog peut exploser. Gare à toi ! Les cuts sont tous longs et entreprenants. Bizarrement tu ne t’ennuies jamais, comme tu t’ennuierais dans un album de Genesis ou du Floyd post-Barrett. «The River’s Queen» nous plonge dans la folie rafraîchissante des collégiens, et ça explose dans la phase finale. C’est à la fois leur grande spécialité et ce qui rend leur set spectaculaire. «In The Claws Of Cremazilla» s’ouvre dans une ambiance mélancolique et puis ça monte violemment en neige. Tout est parfait dans cet album, les flambées, les idées, surtout les flambées, elles sont toutes extravagantes. On voit encore «The Cursed Ballerina» s’ouvrir sur le monde, et ça vire wild jive de jazz by night, avec un sax in tow. Effarant ! Et puis tu as «With A Little Help From ESS 95» qui démarre en mode Procol et au bout de trois minutes, ça s’énerve, on ne sait pas vraiment pourquoi. Encore une lutte finale en forme d’explosion nucléaire ! Ils explosent encore la rondelle des annales avec «The Fight». Décidément, c’est une manie. Et la cerise sur le gâtö est sans doute «We Are Victorians», tapé aux clameurs victorieuses du gospel rochelais. Ces petits mecs on brillamment rocké le boat du 106, alors il faut les saluer et surtout les écouter. Ce genre d’album est un don du ciel, dirons-nous.

    Signé : Cazengler, The Big Idiot

    The Big Idea. Le 106. Rouen (76). 11 avril 2024

    The Big Idea. Margarina Hotel. Only Lovers Records 2019

    The Big Idea. Tales Of Crematie. Room Records 2024

     

     

    Pas trop Tö, Yö !

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             Ils sont quatre, les Tö Yö, t’as presque envie d’ajouter Ta pour faire plus japonais. Tö Yö  Ta ! Vroom vroom ! C’est ton destin, Yö ! Taïaut, taïaut, vlà Tö Yö ! Bon Tö Yö ? Oui, c’est pas un Tö Yö crevé. Quatre Japs timides comme pas deux, et psychédéliques jusqu’au bout des ongles. T’en reviens pas de voir des mecs aussi bons.

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    C’est le genre de concert dont tu te goinfres, comme si tu te goinfrais d’un gros gâtö Yö à la crème, quand ça te coule dans le cou et dans les manches, tu t’en goinfres jusqu’à la nausée, les Japs jappent leur psyché à deux mètres de tes mains moites et tremblantes, ils jouent un heavy psyché à deux guitares, ils entrelacent leurs plans, ils lient leurs licks, ils yinguent leur yang, ils versent dans la parabole des complémentarités du jardin d’Eden, et tu as ce grand Jap zen et chevelu qui garde toujours un œil sur son collègue survolté, tu assistes à la coction d’une sorte de Grand Œuvre psychédélique, comme seuls les Japonais sont capables de l’imaginer.

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     Ils tapent des cuts longs et chargés d’atmosphère, selon les rites du genre, ils savent cultiver les ambiances et t’emmener en voyage avec eux. Ils savent tripper aussi bien que Bardo Pond, leurs intrications sont aussi viscérales, leurs ambitions aussi cosmiques. Avec Tö Yö, le psyché redevient simple, à portée de main, loin des baratins pompeux de pseudo-spécialistes, Tö Yö te fait un psyché à visage humain, comme le fut jadis le socialisme d’Alexandre Dubcek, Tö Yö te donne les clés de son royaume, viens, Yūjin, t’es le bienvenu, entre donc, regarde comme ce monde est beau, vois ces navires de guerre en feu, surgissant de l’épaule d’Orion. Vois ces C-beams dans l’obscurité, près de la Porte de Tannhäuser. Vois ces ponts de cristal et ces flèches de cathédrales qui se perdent dans la voûte étoilée.

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    Pendant une heure, les proTö Yö élèvent des architectures soniques audacieuses et majestueuses à la fois, ils évitent habilement tous les clichés et semblent couler de source. Leur psychedelia semble tellement pure, tellement naturelle que tu finis par t’en ébahir, car comment est-ce possible, soixante ans après Syd Barrett et le «Tomorrow Never Knows» de Revolver. Ne te pose pas de questions, Tö Yö t’offre l’occasion de vivre l’instant présent, alors ne le gâche pas avec tes questions à la mormoille.     

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             Par contre, des questions à la mormoille, tu vas t’en poser en écoutant l’album ramassé au merch. Le son n’a rien à voir avec celui du concert ! L’album s’appelle Stray Birds From The Far East. Son et ambiances très différents. Tu les vois s’élancer fièrement dans l’aventure et Masami Makino chante d’une voix claire et distincte, alors qu’en concert, il se contentait de pousser des soupirs psychédéliques. Avec «Hyu Dororo», ils proposent une pop orientalisante et même funky, une pop presque arabisante sertie d’un solo de cristal pur. Masami Makino chante beaucoup sur «Twin Montains». Il n’a pas de voix, mais c’est pas grave. Ambiance pop et rococo et soudain, ils mettent la pression et ça devient clair, mais d’une clarté fulgurante, ça grouille de poux psychés, ils grattent dans la cour des grands et ça devient même fascinant. Ils renouent enfin avec les pointes du set. Ils savent monter un Fuji en neige ! Les deux grattes croisent encore le fer sur «Tears Of The Sun». Elles s’entrelacent sur un beau beat intermédiaire, ça a beaucoup d’allure, les poux sont ravissants et brillent dans les vapeurs d’un bel éclat mordoré. La gratte de Masami Makino perce les blindages et celle de Sebun bat le funk asiatique sur «Titania Skyline». Et «Li Ma Li» s’en va se perdre dans le lointain. Ils dessinent un horizon, ils visent un but qui nous échappe. C’est la règle.

    Signé : Cazengler, Tö Tö l’haricöt.

    Tö Yö. Le Trois Pièces. Roun (76). 11 juin 2024

    Tö Yö. Stray Birds From The Far East. King Volume 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Ty taille sa route

             Cette pauvre femme en a bavé. Pendant quarante ans, Lady Taïaut a dû servir à table un démon cornu ventripotent. Elle eut en son jeune temps la malencontreuse idée de répondre à une petite annonce matrimoniale. Elle rencontra un homme bien mis dans une brasserie proche de la gare. La sentant facile d’accès, il l’invita aussitôt à dîner chez lui. Il la fit entrer dans un pavillon cossu. La salle à manger ne se trouvait pas à l’étage, mais au sous-sol. Elle s’inquiéta de la chaleur qui y régnait. Il la fit asseoir au bout d’une longue table et prit place en vis-à-vis. La table était jonchée de restes des repas précédents, principalement des os. L’homme commença à transpirer abondamment et défit sa cravate. Il passa dans la pièce voisine et revint avec une assiette qu’il déposa devant elle. L’assiette contenait un saucisson. Elle fut consternée. Il la rassura en lui expliquant qu’il se contentait de peu et qu’il cherchait une épouse pour tenir la maison. Il acheva sa conquête en lui promettant qu’elle ne manquerait jamais de rien. Il exhiba alors une énorme liasse de billets. Lady Taïaut mordit à l’hameçon, comme le ferait n’importe quelle femme pauvre, et deux semaines plus tard, ils se mariaient discrètement à la marie. Elle passa une première nuit à subir tous les outrages. Le lendemain matin, elle s’enferma dans la salle de bains pour s’examiner et découvrit avec horreur des profondes égratignures infectées aux abords de ses deux orifices. Mais comme elle était de religion catholique et élevée chez des paysans, elle garda le silence. En son temps, les femmes mariées se taisaient. Jour après jour, pendant quarante années, elle servit son époux à la grande table. Il trônait, bâfrait, grondait, il jurait, bavait, gueulait, il bouffait tellement qu’il ventripotait, ses petits yeux injectés de sang brillaient dans la pénombre. Il régnait dans cette salle à manger une chaleur infernale. À chaque repas, il lui demandait d’amener un animal vivant, agneau ou pintade, chien ou cochon de lait, chat ou canard. Elle le posait devant lui sur la grande table et il se jetait dessus en poussant de terribles hurlements. Une fois repu, il se renversait dans sa chaise et éclatait de ce rire gras qui la traumatisait. Quand elle demandait s’il avait encore faim, il répondait invariablement : «Taïaut Taïaut ! Ferme ta gueule, répondit l’écho !». Elle ne manqua jamais de rien.

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             De toute évidence, Ty Karim a connu une existence plus enviable que celle de Lady Taïaut : l’existence d’une princesse de la Soul dans la cité des anges, Los Angeles, a largement de quoi faire baver cette pauvre Lady Taïaut.

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             Fantastique compile que celle qu’Ace consacre à Ty Karim, The Complete Ty Karim: Los Angeles Soul Goddess, avec un booklet signé Ady Croasdell. Ty nous dit Ady a du sang indien. Comme pas mal de blackos, elle fuit le Mississippi avec un premier mari et une baby girl pour s’installer en Californie. Elle divorce puis rencontre Kent Harris qui va l’épouser et la mentorer. Mais le mariage ne va pas durer longtemps. La pauvre Ty nous dit Ady va casser sa pipe en bois des suites d’un cancer du sein en 1983. En fait, l’Ady n’a pas grand-chose à nous raconter, il se livre à sa passion de collectionneur pour éplucher chaque single, en décrire minutieusement le contexte, souligner la couleur du label, rappeler que Jerry Long signe les arrangements, et que toutes ces merveilles s’inscrivent dans la tranche fatidique 1966-1970. On est bien content d’apprendre tout ça. On paye l’Ady pour son savoir encyclopédique, alors c’est bien normal qu’il en fasse 16 pages bien tassées, dans un corps 6 qui t’explose bien les yeux. Bon, il nous lâche quand même deux informations de taille : c’est Alec Palao qui a récupéré les masters de Ty auprès de Kent Harris, et d’autre part, la fille de Ty & Kent, Karime Kendra (Harris) a pris la relève de sa mère et vient désormais swinguer le Cleethorpes Northern Soul Weekender.

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             Ty devrait être connue dans le monde entier pour «Lightnin’ Up» - Aw my darling/ Darling - Elle est dans un groove d’une extrême pureté, c’est le groove des jours heureux.  Ou encore pour «You Really Made It Good To Me», ce wild r’n’b de rang princier, elle est enragée, hot night in South Central. Et puis il y a ce «Keep On Doin’ Watcha Doin’» en deux parties, qu’elle tape à l’accent profond de «Walk On By», elle duette sur le Part 1 avec George Griffin, oh c’est de la Soul de si haut vol, arrosée de solos de sax et de nappes de violons. Ty et George sont magiques, on croit entendre une Soul intersidérale, et ça continue avec le Part 2, à réécouter mille et mille fois, Ty taille sa route dans un groove de magie pure. Elle étend son empire sur Los Angeles à coups de keep on doin’/ Yeah, ils sont imbattables à force de keep it et ça leur échappe au moment où le sax entre dans le groove urbain. D’autres énormités encore avec le «Lighten Up Baby» d’ouverture de bal, un r’n’b extravagant de sauvagerie, et ça continue avec «Help Me Get That Feeling Back Again», elle rôde littéralement dans le groove, Ty est une artiste superbe, elle te groove jusqu’à la racine des dents et elle devient de plus en plus wild avec «Ain’t That Love Enough», elle est hard as funk, c’est une Ty de combat. Fantastique petite blackette ! Plus loin, elle refait sa hard as funk avec «Wear Your Natural Baby». Elle est extrêmement bonne à ce petit jeu. Elle sait aussi manier le gros popotin comme le montre «Take It Easy Baby». Elle te drive ça de main de maître. Elle te broute encore le groove avec «Don’t Make Me Do Wrong», elle s’implique à fond dans la densité des choses, c’est remarquable. Globalement, Ty montre une détermination à toute épreuve. Elle chante tous ses hits avec un éclat merveilleux. Elle monte littéralement à l’assaut de la Soul et devient admirable, car elle reste gracieuse. Il faut la voir attaquer «Natural Do» comme une lionne du désert, c’est vrai qu’elle a un petit côté Dionne la lionne, elle y va au oooh-weee ! Tout aussi stupéfiant, voilà «I’m Leavin’ You», pas révolutionnaire, mais c’est du Ty pur, elle le quitte, today oh yeah bye bye, elle a raison ! Elle revient au pied du totem chanter «All In Vain». Elle est enragée, elle se pose en victime avec une voix de vampirette, elle explose dans le sexe in vain. Elle est fabuleusement barrée. Puis on tombe sur les versions alternatives et ce ne sont que des cerises sur le gâtö. Merveille absolue que l’«If I Can’t Stop You (I Can Slow You Down)», ce slow groove est gorgé d’ardeur incommensurable. Elle finit en mode hard funk avec «It Takes Money». Elle te met tout au carré, pas la peine de chipoter. It takes monay ahhh yeah. C’est du sérieux.

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             Tant qu’on y est, on peut en profiter pour écouter une autre compile qu’Ace consacre à Kent Harris, Ken Harris’ R&B Family. C’est Ady Croasdell qui se tape le booklet et ça grouille d’infos. L’essentiel est de savoir que Kent Harris est né en 1930 et que sa famille s’est installée à San Diego en 1936. Il ne date donc pas de la dernière pluie. Il faut partie des pionniers, comme Johnny Otis. Son monde est celui de la Soul d’avant la Soul, qu’on appelait le jump. Kent Harris sera compositeur, label boss, disquaire et chanteur. Il monte Romark Records en 1960 et lance une chaîne de Target record stores à Los Angeles. Il va lancer deux des reines de la Soul moderne, Ty Karim, qu’il épousera, et Brenda Holloway. Mais la botte secrète de Kent Harris, c’est sa frangine Dimples Harris & Her Combo. On tombe très vite sur l’incroyable «Long Lean Lanky Juke Box» qu’elle éclate au sucre primitif. C’est assez wild, si on y réfléchit cinq minutes. Sous le nom de Boogaloo & His Gallant Crew, Kent Harris enregistre «Big Fat Lie», un jump des enfers. Puis il enregistre ses sœurs sous le nom des Harris Sisters, avec «Kissin’ Big». C’est encore un jump au féminin, plutôt bien allumé - C’mon baby/ Just one more kiss - Comme Kent Harris se passionne pour les girl-groups, il lance les Francettes - named after Frances Dray - avec «He’s So Sweet» et «You Stayed Away Too Long». Pure délinquance juvénile - You know what - c’est réellement du grand art, le r’n’b des singles obscurs. Et puis voilà Jimmy Shaw avec «Big Chief Hug-Um An’ Kiss-Um», wild & fast, ça plonge dans un spirit wild gaga qui transforme cette compile en compile des enfers. Kent Harris était-il un visionnaire ? Les Valaquons rendent hommage à Bo avec «Diddy Bop». Nouvelle révélation avec Donoman et «Monday Is Too Late». C’est un scorcher. Il s’appelle aussi Cry Baby Curtis. Nous voilà en pleine mythologie. Cry Baby Curtis a tout : le scream, la dance. On retrouve bien sûr Ty Karim avec «Take It Easy Baby». elle fait tout de suite la différence. Et puis Kent Harris s’intéresse aux blues guys : Cry Baby Curtis avec «Don’t Just Stand There», Roy Agee avec «I Can’t Work And Watch You», fast heavy blues. Oh voilà Eddie Bridges avec «Pay And Be On My Way», heavy groove d’église, heavy as hell, bien sûr. Rien sur ce mec, sauf que c’est énorme. Encore du heavy blues avec le texan Adolph Jacobs et «Recession Blues», claqué à la claquemure de Kent, tu te régales si tu aimes bien le gratté de poux détaché, Adoph joue au semi-detached suburban, il est fabuleux de présence et d’incognito. Par miracle, Ace arrache tous ces cuts magiques à l’oubli. Ce festin révélatoire se termine avec Faye Ross et «You Ain’t Right», elle est chaude et experte en heavy blues. Comme tous ceux qui précèdent, deux singles et puis plus rien. Il faut saluer le merveilleux travail de Kent Harris. Il rassemblait autour de lui d’extraordinaire artistes noirs. C’est une bénédiction que de pouvoir écouter cette compile.

    Signé : Cazengler, Ty Carie

    Ty Karim. The Complete Ty Karim: Los Angeles Soul Goddess. Kent Soul 2008

    Kent Harris’ R&B Family. Ace Records 2012

     

     

    Cale aurifère

    - Part Three

     

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             Dans Mojo, Andrew Male propose une petite rétrospective de l’œuvre de Calimero. Il tape dans le dur dès le chapô, le qualifiant de «creator of radical atmospheres turned unique» et d’«unpredictable songsmith». Lorsqu’il reprend la parole, Calimero commence par rendre hommage à Lou Reed - Lou and I were that once-in-a-lifetime perfect fit - et il ajoute, rêveur : «Heroin and Venus In Furs didn’t work as tidy folk songs - they needed positioning - rapturous sonic adornments that could not be ignored.» Male ajoute à la suite que Nico reste «an ongoing influence on Cale». Calimero voit Nico comme une artiste très moderne. Elle mettait en pratique l’enseignement de son gourou Lee Strasberg : «Create your own time». Il dit qu’elle pratique cet art dans ses chansons, «it’s a strange world, a world of mystery. But it’s real.» Calimero ajoute que Nico «was indifferent to style».

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             Sur son premier album solo, Vintage Violence, Calimero dit adopter «an attitude very similar to Nico’s, whereby the language that’s used is very rough and ready.» Une attitude qu’il va maintenir sur Church Of Anthrax, qui paraît en 1971. On est aussitôt happé par l’hypno du morceau titre. C’est emmené au shuffle d’orgue assez demented et bien remonté des bretelles. On se croirait chez Can. Calimero et Terry Riley font un carnage, Riley à l’orgue et Calimero au bassmatic. Ils sont complètement allumés. On retrouve cette grosse ferraille des rois de l’hypno dans «Ides Of March», encore du pur Can sound. Il règne aussi dans «The Hall Of Mirrors In The palace Of Versailles» une ambiance étrange. On est aux frontières du réel : le free, l’hypno, le Cale, le pianotage obstiné, ça vire free avec Riley au sax et Cale aux keys. Quel album ! Puissant de bout en bout.

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             Paru l’année suivante, The Academy In Peril est aussi un album hors normes, car drivé droit dans l’avant-garde. Grosse ambiance à dominante hypno dès «The Philosopher». Calimero s’éloigne du rock avec «Brahms». Il revient à ses études. Il est trop cultivé pour le rock. C’est très plombé, très Boulez. Tu avais l’album dans les pattes et tu avais envie d’étrangler le disquaire qui te l’avait vendu. Pourtant, il t’avait prévenu. Calimero pianote dans le néant expérimental. C’est très in peril. Il pianote dans un monde qui n’est pas le tien. C’est drôle que Warners l’ait laissé bricoler cette daube avant-gardiste. Il tape encore «Hong Kong» à l’exotica shakespearienne du Pays de Galles. Il fait son bar de la plage à la mode galloise, c’est-à-dire métallique et âpre. «Hong Kong» est le cut le plus accessible de cet album hautement improbable. 

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                 Après Fear, Calimero enregistre Slow Dazzle. Il commence par prendre les gens pour des cons avec de la petite pop, puis il passe aux choses sérieuses avec «Mr. Wilson», un hommage superbe à Brian Wilson.  Mais pour le reste, on passe complètement à travers. Dommage, car il a Manza et Chris Spedding en studio. En B, il tape une cover peu orthodoxe d’«Heartbreak Hotel» et revient à Paris 1919 avec «I’m Not The Loving Kind», un balladif magnifique et plein d’ampleur galloise. Puis vient le fameux «Guts» anecdotique - The bugger in short sleeves fucked my wife - Le bugger en question c’est Kevin Ayers - Did it quick and split - Assez Velvet comme ambiance.

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            Le troisième Island s’appelle Helen Of Troy et paraît la même année, en 1975. C’est là qu’on trouve la cover du «Pablo Picasso» des Modern Lovers - Cale at his mad best - Retour dans le giron du Velvet et Sped troue le cul de Picasso avec des riffs en tire-bouchon. S’ensuit un «Leaving It Up To You» bien raw. Encore du Cale at his mad best, suivi d’un hommage à Jimmy Reed avec «Baby What You Want Me To Do». On sent encore la forte présence du Sped. Il allume tous les cuts au riff raff magique. On note aussi une tentative de retour à Paris 1919 avec «Engine». Il tente de rallumer la flamme, mais ça ne marche pas. Sur «Save Us», Sped fait de son mieux pour sauver les meubles et suivre les facéties galloises. On note aussi la belle envergure d’«I Keep A Close Watch». Il y a un côté guerneseyrien chez Calimero. Il sait toiser un océan.

             En tant que producteur, Calimero se présente moins comme collaborateur que catalyseur, et occasionnellement, «a figure of conflict». Technique aussi utilisée par Guy Stevens.  

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             En 1979, paraît le fameux Sabotage/Live. Fameux car intéressant et parfois déroutant. Calimero peut parfois agacer. Dès que le Lou n’est plus là pour le cadrer, il aurait tendance à vouloir faire n’importe quoi. On sent bien qu’il n’est pas fait pour le rock, et pourtant, il est l’âme du Velvet. D’ailleurs, c’est cette âme qui remonte à la surface dans «Rosegarden Funeral Of Sores», amené comme le «Gift» du Velvet, monté sur un groove au long cours et chanté à la Lou, et on comprend que Calimero puisse être à l’origine des longs cuts du Velvet. Il fait aussi du proto-punk avec «Chicken Shit». Il crée la psychose, et cette fois, ça marche. Il cultive un protozozo malveillant, il dégueule plus qu’il ne chante, il vise clairement les racines du proto-punk, c’est monté sur un beat épais, avec une voix de femme ici et là. Son autre heure de gloire est sa cover de «Memphis». Elle a bien marqué l’époque, très maniérée, passée à la moulinette du New York City Sound. Sur scène, il est accompagné par un Aaron qui vrille du lead à gogo, et un certain George Scott au bassmatic bien sec. Sur «Mercenaries (Ready For War)», l’Aaron lâche des déluges de wild trash. Sur «Evidence», Calimero s’en-Stooge, comme d’autres s’encanaillent. C’est du big morning after. Il tape l’heavy boogie de «Dr. Mudd» avec des chœurs de traves. Pour une raison X, ça n’accroche pas, même si Calimero s’épuise à tirer son train. Il tente la cover d’avant-garde avec «Walkin’ The Dog». Il y va au baby’s back/ Dressed in black, mais c’est laborieux, mal engoncé. Le compte n’y est pas. Ça pue l’artifice et le m’as-tu-vu. Il est plus à l’aise sur «Captain Hook», une belle pop qui explore les frontières du Nord. Ils sont gonflés de jouer ça sur scène. Puis Calimero va se saboter avec «Sabotage», trop avant-gardiste, trop concassé. Mal coiffé. Inepte. Il revient à la modernité par la bande avec «Chorale». Il fait sa Nico. 

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             Retour en force en 1981 avec Honi Soit. Trois coups de génie là-dedans, à commencer par le morceau titre, un heavy rumble tapé aux percus des îles, il crée son monde, il a le contrôle complet de tout ce qu’on dit et tout ce qu’on fait. Il est le seul à pouvoir réussir un coup pareil, un shoot de rock à la mode enraciné dans le Velvet ! Tu t’inclines devant ce chef-d’œuvre de drive hypno visité par une corne de brume. Autre coup de génie : «Strange Times In Casablanca», ça prend vite de l’allure - Strange times in casablanca when people pull down their shades/ And it’s easy enough for us to look at each other and wonder why/ We were to blame - c’est même carnassier, ça rampe comme un crocodile affamé, le Cale te tortille ça à la Cale, il te tord ça à l’essorage, il chante comme Nosferatu - But I don’t think anybody wants to smash anymore - Pire encore, ce «RussianRoulette» tapé en mode heavy rock, gravé dans la falaise de marbre. Mais on retrouve aussi son côté hautain dans «Dead And Live», un côté qui a forcément dû agacer le Lou. Calimero tient trop la dragée haute. Il sonne comme un premier de la classe dans son «Dead Or Alive», c’est trop collet monté, trop prétentieux, avec un solo de trompette qui court sous les voûtes du palais royal. Encore de la pop frigide avec «Fighter Pilot». Trop spécial pour être pris en considération. Il subit l’influence de Nico - Fighter pilot/ Say goodbye/ You’re going down - Il reprend le thème du cut de Captain Lookheed. Pour finir, il charge son «Magic & Lies» de plomb. Il pose sa voix. Cherche un passage. Il opère toujours de la même manière : ça passe ou ça casse.

             On sent bien qu’il cherche à s’éloigner du rock : «I was running away from style, from rock’n’roll style. I wanted do show that I was a songwriter with some angles.»   

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             C’est un immense chanteur qu’on retrouve dans Caribbean Sunset. Avec «Experiment Number 1», il monte son chant au sommet de l’Experiment. Il élève la portée de son discours. L’autre morceau de bravoure s’appelle «The Hunt», en B. Caribbean Sunset est l’album de la course sans fin, il devient fou, il hurle en courant. C’est de l’effréné de course à l’échalote. Attention au big beat d’«Hungry For You». C’est une grosse machine et Brian Eno est aux commandes ! Calimero fait monter son rising et son ragtag au chat d’Ararat. Il passe à une saga sévère avec un «Model Beirut Recital» aux accents germaniques. C’est violent et complètement sonné des cloches d’all fall down. Encore de l’hyper-fast en B avec «Magazines». Le beat court sur l’haricot caribéen, même pas le temps de reprendre sa respiration, cut efflanqué, nerveux, pas sain, tendu à se rompre. Il boucle cette sombre affaire caribéenne avec le gros ramshakle de «Villa Albani», ça pianote dans les virages et ça bringueballe à la Lanegan. Impossible de s’en lasser. Tu peux toujours essayer, tu n’y arriveras jamais.

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             C’est sur Artificial Intelligence qu’on trouve «Dying In The Vine», «one of the truly great songs on excess and exhaustion.» À quoi Male ajoute : «a song with all the hopeless, ruined grandeur of a Sam Peckinpah movie.» Enchanté, Calimero répond : «Oh thanks very much for that! Peckinpah was my God by then. This man who hated violence and filled his movies with violence. Se where do you go from there? It’s a dead end. So come, tell me about the dead end.» C’est vrai que «Dying In The Vine» t’envoie au tapis, avec sa structure complexe et ce timbre puissant. Calimero crée de la mythologie - I’ve been chasing ghosts/ And I don’t like it - c’est somptueux, il faut que tes oreilles s’en montrent dignes - I was living like a Hollywood/ But I was dying on the vine - Pur génie. Il y a de l’Européen dans son son, un lourd héritage de chairs brûlées. Comme le Lou, Calimero hante nos bois. Ses structures mélodiques sont du très grand art. Nouveau coup de génie avec l’heavy groove de «Vigilante Lover». Il ramène se disto, sa purée originelle et se fâche au chant. Il attaque «Fade Away Tomorrow» sur un petit beat primaire, bien soutenu au shuffle d’orgue. Calimero drive bien son dancing biz, il swingue encore plus que les B52s. Il flirte encore une fois avec le génie. «Black Rose» sonne comme un mélopif impitoyable. Il crée un envoûtement qui semble prendre sa source dans des temps très anciens. Si tu cherches l’or du temps et le Big Atmospherix, c’est là. Les retombées de couplets sont superbes, comme rattrapées au vol par un beat en rut. Calimero crée toujours l’événement au coin du bois, à la nuit tombée. Il revient au heavy dancing beat avec «Satellite Walk» - I took my tomahawk for a satellite walk - Il finit en get up/ Get up/ let’s dance. Fabuleux ! 

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             Words For The Dying est un album trompeur. On croit retrouver le Calimero de Paris 1919 dans «There Was A Saviour», et ce grain de voix unique et si particulier, mais ça reste hautain et pas rock. Plus épique/épique et colégram que rock. Cette fois, il fait du symphonique. Le voilà sur son terrain de prédilection qui est la conduite d’un orchestre symphonique. Il s’en rengorge. Il s’en dégorge. C’est un album qu’on peut écouter jusqu’au bout, sachant qu’il ne va rien s’y passer. Il nous fait Le Temps des Gitans avec «Lie Still Sleep Becalmed». On s’ennuie comme un rat mort, c’est important de le préciser. On perd le Cale et le ‘Vévette’, comme on disait au temps du lycée. Encore de l’orchestral bienveillant et cette voix de meilleur ami avec «Do Not Go Gentle». On comprend que le Lou l’ait viré. Avec «Songs Without Words I», il s’adresse aux paumés du Jeu de Paume. Il t’embobine bien le bobinard. On retrouve notre fier clavioteur sur «Songs Without Words II». Il se joue des dissonances et des écarts de température. Et «The Soul Of Carmen Miranda» est forcément intense. Cette fois il ramène des machines en guise de viande. Tu retrouves des infra-basses dans le matelas financier. Il chante les charmes de Carmen Miranda alors que sourdent des infra-basses en fond de Cale. C’est le cut le plus intéressant de l’album. Il ramène sa science à la surface de la terre, tel un Merlin décomplexé. Il y a de la magie chez Calimero. De puissantes résurgences montent des profondeurs de son être, il est essentiel de le souligner. Sa vie entière, il sera un chercheur, un doux mage.   

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             En 1994, il enregistre avec Bob Neuwirth le bien nommé Last Day On Earth. Bien nommé, car t’as du Dada dans «Who’s In Charge», un exercice de gym avant-gardiste. Calimero s’amuse bien, il duette avec le copain Bob - Who’s in charge/ It’s not the pope/ It’s not the president - C’est personne - It’s not the teacher/ Not the computer - C’est personne. Donc du Dada pur. Calimero monte au chant sur «Modern World», il reste très Calé, très tranchant dans l’accès au chant, et avec la flûte, ça devient très weird. Il finit tous ses cuts en quinconce. Il ramène son heavy bassmatic dans «Streets Come Alive». Quelle modernité ! C’est monté sur le plus rond des grooves urbains, avec ces éclats de poux invincibles. On croise plus loin la pop serrée et sérieuse de «Maps Of The World», avec une structure invariablement complexe, aussi imprenable qu’un fortin dessiné par Vauban. Il tartine son miel effervescent dans «Broken Hearts» et déconstruit son «Café Shabu» à la Boulez. Trop avant-gardiste, tu ne peux pas lutter. «Angel Of Death» n’est pas loin du Velvet. Beau et même extrêmement beau. Il est encore très à l’aise dans «Paradise Nevada» avec son banjo et ses coups d’harp. Il biaise systématiquement toutes ses fins de cuts. On sent une tendance au Paris 1919 dans «Old China» et Cale te cale vite fait «Ocean Life» pour Jenni Muldaur. Impossible de se désolidariser de cet album, surtout d’«Instrumental», un brillant instro violonné sec et net.

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             Walking On Locusts renferme en son sein un sacré coup de génie : «Entre Nous», une heavy samba de Calimero, lourde de sens, parée d’éclats mélodiques, et qui se présente comme un ensemble complexe et enthousiaste. La divine samba du grand Calimero ! Retour à la modernité avec «Secret Corrida», il y bâtit une sorte de romantica surannée. On y entend un solo de trompette à la Miles Davis. Là, t’as autre chose que du rock. «Circus» est bien à l’image du cirque : un artiste se produit et les gens applaudissent. On sent bien que Calimero cherche la suite de Paris 1919. Il chante devant le bon peuple, sous le chapiteau, c’est très spécial, très arty, on entend des violoncelles et une section de cordes, ça s’encorbelle sous la voûte. «Gatorville & Point East» montre encore qu’il adore la douce pression des escouades de cordes, il reste effervescent, gallois, lyrique, unique, il déploie des trésors de science harmonique. Toujours ce son à angles droits dans «Indistinct Notion Of Cool». Tant qu’on ne comprend pas qu’il fait de la littérature orchestrée, on perd son temps. Calimero pose ses conditions, comme n’importe quel compositeur de symphonies. Attention au «Dancing Undercover» d’ouverture de bal : c’est un cut brouilleur de piste, une grosse pop montée sur l’un de ses bassmatics bien ronds. Il tente encore de renouer avec Paris 1919 dans «Set Me Free», mais il peine à retrouver ce sens de la pureté virginale. Il retente le coup encore une fois avec «So Much For Love», un mélopif de château d’Écosse bien appliqué, pas au sens scolaire, of course, mais au sens des couches. Il appuie bien sa mélodie et redevient le Calimero magique qui nous est si cher. 

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             Il reste dans la veine des grands albums avec Hobo Sapiens. Il y fait une apologie de Magritte - My favorite painter - dans «Magritte», il y évoque le bowler hat upstairs, il laisse sa voix se perdre dans la nuit étoilée. De la même façon que Ceci n’Est Pas Une Pipe, Ceci n’Est Pas Un Rock, mais de l’art moderne. Encore de l’art moderne avec «Reading My Mind», plus rocky road et vite embarqué, il te fracasse ça au chant de subjugation, c’est d’une rare modernité de ton, il véhicule un brouet insolite, il prend prétexte d’un beat appuyé de fort impact pour tester des idées de chœurs. Il propose un groove de rêve avec «Bicycle», il y glisse des rires d’enfants, tulululu, il te groove ça dans le gras du bide, ça a beaucoup d’allure et ça se développe dans le temps. Puis il ferraille dans la cisaille de «Twilight Zone», il charge sa barcasse de son, et revient à l’exotica avec «Letter From Abroad» : il nous emmène dans les campements du désert. Puis direction l’océan avec «Over Her Head». Il recrée les conditions du climax, il tape à un très haut niveau conductiviste, il navigue à l’œil et génère de la puissance, avec un beat d’heavy rock respiratoire, un vrai poumon d’acier, la Méricourt fait son apparition et une gratte en folie qui nous ramène droit sur «Sister Ray». Si ça n’est pas du génie, alors qu’est-ce c’est ?

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             Il monte encore d’un cran avec Black Acetate. Il y fait sa folle en collier de perles dès «Outta The Bag» et passe soudain à l’heavy rockalama avec «For A Ride». C’est fabuleusement bardé de power et de démesure. C’est lui, Calimero, qui gratte les poux du diable. T’as vraiment intérêt à écouter l’album pour te faire une idée. Il passe au laid-back d’heavy urban dub avec «Brotherman», il groove sa modernité pour tes beaux yeux, alors profite zen. Il met bien la pression sur son songwriting comme le montre «Satisfied». Il ramène essentiellement du son et c’est magnifique. Il éclaire la terre. Tout est ultra-composé sur cet album. Tu n’en reviens pas. Avec «In A Flood», il tape un heavy balladif marmoréen. Il n’a rien perdu de cette aura spéciale, cette présence intense de Gallois fatal. Son «Hush» n’est pas l’«Hush» qu’on connaît, c’est l’«Hush» de Calimero, une petite hypno infectueuse. Il reste le grand spécialiste de l’hypno à Nono. Il cherche à se réconcilier avec les radios en tapant l’heavy rock de «Perfect». Il rame encore comme un damné dans «Sold Motel». Il a su garder l’élément rock de son son, mais à sa façon. Il ressort ses infra-basses et ses oh-oh pour «Woman». Il sait monter au braquo de l’apocalypse, c’est sa spécialité. Il brûle en permanence et voilà l’heavy doom de rock calimerien : «Turn The Lights On», c’est fantastiquement profond, plongé dans l’huile bouillante du son, il transforme l’heavyness en génie purpurin, ça groove dans la matière, il articule les clavicules grasses d’un rock d’émeraude et monte tout en neige cathartique. Il termine cet album faramineux avec un «Mailman (The Lying Song)» très ancien, très labouré, très paille dans les sabots d’oh yeah yeah yeah, le cut se ramifie en un nombre infini de pistes et Calimero en suit une. Tu ressors de l’album complètement ahuri. 

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             Rien de tel qu’un petit Live pour réviser ses leçons. Circus Live est un beau double album qui grouille littéralement de puces. Calimero nous devait bien ça, d’autant qu’il tape deux covers du Velvet, «Venus In Furs» et «Femme Fatale». Il se prend pour Lou et y va au shiny shiny boots of leather. Il jette toute sa nostalgie dans la balance pour «Femme Fatale». Dommage qu’il en fasse une version allongée et édulcorée, un peu à la mode. Le Lou a dû bien le haïr pour ce coup-là. Par contre, il s’en sort mieux avec son «Helen Of  Troy». Il a derrière un Guitar God nommé Dustin Bover. Calimero a quelque chose de chevaleresque en lui, c’est épique et puissant, dévoré de basse et sur-bardé de barda et d’armures. Son «Buffalo Bullet» est très Paris 1919, puis il tape l’«Hush» du Black Acetate qui devient sur scène du funk indus à la petite semaine. Il tente un retour à Paris 1919 avec «Set Me Free», mais il reste planté là à attendre Godot. «The Ballad Of Cable Hogue» est encore bourré de nostalgie parisienne - Cable Hogue where you been - il chante au gras gallois, mais ça n’en fait pas un hit. Il noue re-présente son favourite painter «Magritte», et boucle le disk 1 avec «Dirty Ass Rock’n’roll» : c’est le grand retour du père tape dur. Quand un Gallois tape dur, il tape vraiment très dur. Il attaque son disk 2 avec cette cover malencontreuse de «Walking The Dog». Trop musclée. Le côté tape dur est peut-être le talon d’Achille de Calimero. En plus, c’est délayé. L’horreur. Pareil pour «Gut» : c’est bien meilleur en studio. Live, ça plante. Retour (enfin) à Paris 1919 avec «Hanky Panky Nohow», mais ce n’est pas la même magie. La mélodie est parfaite, mais live, ça ne marche pas. Il ramène la fraise de «Pablo Picasso/Mary Lou», et comme il y va au tape dur, cette fois ça passe. Il passe en force. Il te sonne bien les cloches. Il se jette dans la bataille avec tout le poids du Pays de Galles. Plus loin, il sort le «Style It Takes» de Songs For Drella et concocte un moment de magie - You get the style it takes - On le voit ensuite traiter «Heartbreak Hotel» à l’océanique hugolien, il fait une version gothique, à la Nico. Et comme on s’y attendait, il se vautre avec un «Mercenaries (Ready For War)» qu’il noie d’electro gothique. Il surnage difficilement dans les vagues de dark. 

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             Brillant album que ce Shifty Adventures In Nookie Wood paru en 2012. Il commence par te gratter vite fait «I Wanna Talk» à coups d’acou. Il fait une pop de père tape dur. Parfois on se demande s’il n’est pas plus portugais que gallois. Grand retour à la modernité avec «Scotland Yard», un heavy blast hanté par des sons d’avant-garde. C’est tout simplement faramineux de programming. On y entend les sirènes de Satan. Calimero t’y challenge les méninges. Il ne va pas te laisser sortir indemne de cet album. Luke la main froide avait raison de s’extasier dans sa column de Record Collector. Puis Calimeo passe à son dada, la littérature, avec «Hemingway» - Drowning in pina coladas/ As the bulls prowl round the ring - heavy as hell, il y va à coups de Guernica fall et de thousand yard stare. Et là, cet album se met en branle, te voilà en alerte rouge. Calimero opère encore une fabuleuse ouverture littéraire dans «Nookie Wood» - If you’re looking to find/ A place to hide/ Where the climate is good/ And the river is wide - alors c’est Nookie Wood. Il arrive comme un cheveu dans la soupe et avec ses épis blancs dans «December Rains», une diskö d’öuter space. On l’écoute avec respect, car c’est profond et bien épais. Pour «Vampire Café», il sort son arsenal d’avant-garde et ça devient irrévérencieux. Mais comme il est chez lui, il fait ce qu’il veut, c’est à toi de t’adapter à «Mothra». Il vise l’avant-garde, mais on n’a pas toujours les moyens de le suivre. Il fait de l’esbroufe avec des effroyables effets de machines. Mothra Mothra ! C’est très païen, en fait. Il renoue (enfin) avec Paris 1919 dans «Living With You». Il y ramène toute sa vieille magie et ses vieilles espagnolades, et là, oui, tu y es. Il te monte ça en neige, il en fait un Calimerostorum évanescent, un joyau serti dans une montagne de son, il tape dans l’écho avec une force démesurée, il inscrit son power dans un deepy deep jusque-là inconnu. 

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. Church Of Anthrax. Columbia 1971

    John Cale. The Academy In Peril. Reprise Records 1972  

    John Cale. Slow Dazzle. Island Records 1975            

    John Cale. Helen Of Troy. Island Records 1974      

    John Cale. Sabotage/Live. Spy Records 1979

    John Cale. Honi Soit. A&M Records 1981  

    John Cale. Caribbean Sunset. ZE Records 1984

    John Cale. Artificial Intelligence. Beggars Banquet 1985

    John Cale. Words For The Dying. Opal Records 1989

    John Cale/Bob Neuwirth. Last Day On Earth. MCA Records 1994

    John Cale. Walking On Locusts. Hannibal Records 1996 

    John Cale. Hobo Sapiens. EMI 2003

    John Cale. Black Acetate. EMI 2005

    John Cale. Circus Live. EMI 2006

    John Cale. Shifty Adventures In Nookie Wood. Double Six 2012

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    Andrew Male : Songwriting is an attempt at hypnosis. Mojo # 352 - March 2023

     

     

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    Une petite leçon de latin n’a jamais fait de mal à personne, en tout cas de tous ceux qui en sont morts nul n’est revenu de l’outre-monde pour s’en plaindre. Rassurez-vous le cours sera court, juste deux petites notifications sur la traduction de la préposition latine : pro. En notre noble langue françoise nous avons deux manières de la traduire. Exemple : pro signifie : pour, en faveur de : ainsi un pro-chrétien n’est pas un adepte du christianisme, mais quelqu’un qui se sent proche de cette religion, voire un compagnon de route pour employer une terminologie plus moderne emprunté au vocabulaire politique. Toutefois ce serait un  grave contresens de le traduire uniquement de cette manière. Prenons un exemple au hasard mais circonscrit par la terrible nécessité de cette chronique, le titre du dernier album  Pro Xhristou de Rotting Christ ne signifie pas en faveur du Christ mais avant le Christ. Ainsi le groupe des présocratiques désignent les penseurs grecs qui ont précédé Socrate.  Evidemment se réclamer des présocratiques ou du temps d’avant le Christ signifie souvent, d’une part que l’on revendique une préférence marquée pour des penseurs comme Gorgias ou Protagoras, que d’autre part l’on se réclame d’un antichristianisme virulent.

    Les lecteurs qui se souviennent de notre recension de l’album Heretics Du groupe grec  Rotting Christ dans notre livraison  635 du 07 / 03 / 2024 ne seront pas surpris  d’une telle  acception.

    PRO XRISTOU

    ROTTING CHRIST

    (Season of the Mist / Mai 2024)

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    Les lecteurs auront reconnu le cinquième tableau  Destruction de The Course of Empire du peintre américain Thomas Cole puisque nous le retrouvons sur l’album de Thumos : The Course on Empire (Voir notre livraison 563 du 25 / 08 /2022). Si Thumos a employé cette image iconique pour nous rappeler que toute civilisation est mortelle, sous-entendu rappelez-vous celle de l’Antiquité, Rotting Christ nous signifie que la venue du christianisme s’avère être le surgissement d’un âge sombre et de grande décadence.

    Sokis Tolis ; guitars, vocals / Kostas Foukarakis : guitars / Kostas Cheliokis : bass / Themis Tolis : drums.

    Chœurs : Christina Alexiou / Maria Tsironi / Alexandros Loyziolis / Vassili Karatzas

    Récitants : Andrew Liles / Kim Dias Holm

    Pro Christou : le titre est annoncé, aussitôt débute la litanie proférationnelle des noms des Dieux qui furent là avant le Christ. Rythme battérial  lent et lourd, voix sépulchrale à soulever les pierres tombales sous lesquelles reposent les antiques déités qu’il est nécessaire de nommer pour qu’elles reviennent, pour qu’elles ne gisent point pour toujours dans l’immémoire humaine.

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    The Apostate : thrène en l’honneur de Julien, l’Eglise l’affubla du surnom de L’Apostat, manière de l’attacher et de le rejeter en même temps du christianisme, il fut simplement le dernier empereur païen celui qui mena l’ultime combat, le voici à l’agonie, il implore la déesse de la victoire, il sait qu’il a perdu, que l’Empire court à sa fin, il s’est durement battu à la tête de ses troupes, il a longuement écrit, il a prophétisé l’Inéluctable, ce ne sont pas les Dieux qui ont abandonné l’Empire, ce sont les hommes qui se sont écartés des Dieux, il aurait pu, il aurait dû, tout se délite, il a tenté l’impossible, superbe morceau, funèbre et martial, une dernière supplique, le récitant lit quelques une de ses lignes, les chœurs accompagnent son âme qui s’élève vers le Sol Invictus… Il nous reste son œuvre à continuer. (Voir vidéo YT by manster.design. Like Father, Like Son : goûtons l’ironie du titre, au dieu qui abandonna son fils, voici le chant des fils qui continueront l’héritage des pères, contrechant à la mort de Julien, rien n’est définitivement perdu, chant épais, vindicatif et victorial, une guitare qui vibre comme un javelot qui se plante en la poitrine de l’ennemi, des chœurs sombres, des paroles qui évoquent les cultures guerrières et farouches des peuplades du Nord pour qui combattre vaillamment champ de bataille est le plus grand des honneurs, se battre jusqu’au bout de la terre là où commence le domaine du rêve. (Official Video Clip : belles images un peu trop naturalistes à mon goût) The sixth Day : Dieu se vante d’avoir créé l’Homme, cette bête immonde qui se gorge de sang, qui tue en son nom, qui massacre en l’honneur de sa sainteté, flamme noire des guitares, coups d’enclumes de la batterie fracassant casques et poitrines, maintenant il est clair qu’à chaque nouveau titre la prégnance instrumentale et vocale s’intensifie, et ce qui est sûr c’est que l’Homme retourne inexorablement à la poussière. La lettra del Diavolo : torrent verbal, déluge metal, Rotten Christ ne se trompe pas d’ennemi, le Diable n’est que l’autre face de Dieu la lettre du Diable est tracée par la main de Dieu, nombre de groupes de la mouvance dark se recommandent du Diable n’est-il pas écrit qu’il est l’Adversaire de Dieu, Rotting Christ ne tombe pas dans le panneau, une seule et même entité, un scotch, un scratch à double-face qui colle à l’Homme comme la moquette sur le mur, Dieu te sauve et puis Dieu te perd, il te connaît, tu es cruel comme le tigre et obéissant comme un mouton, à croire que je suis le filigrane de ton âme, la lymphe constitutive de ton sang, tu crois qu’en t’agenouillant tu te sauves, mais le système ne fonctionne pas comme tu penses. Les magnifiques chœurs qui se répondent n’ont pas de cœur. (Ce morceau est basé sur une fait ‘’légendaire historique’’ : dans son couvent bénédictin de Palma de Montechiaro Sœur Maria se réveille un matin de 1676 avec une lettre couverte de signes étranges que l’on pressent écrit par le Diable. La lettre ne fut déchiffrée que trois siècles plus tard, on y apprendre que Dieu juge que son œuvre est ratée… (La vidéo de HK Visual Creations vaut le déplacement !) The Farewell : l’adieu, méditation sur la mort et l’immortalité, rythme lent, chœurs hommagiaux, la mort est au bout du chemin, la voix de Sokis troue les étoiles et rejoint le soleil, la guitare sonne comme une trompette, le chemin de la mort, et le chemin de résurrection pour nous qui restons et te perpétuons, tu es mort et tu règnes, tu nous abandonnes mais tu nous conduis jusqu’au bout de nos craintes jusqu’au bout de la contrée du rêve, les splendides  images animées (Official Animation Video YT) de  Costin Chloreanu arborent une dernière inscription épitaphique, la mort ne tue pas ce qui ne meurt jamais.  Pyx Lax Dax : les formules religieuses sont un peu comme des grigris sans portée dont on use faute de mieux comme protection, de véritables punching balls que l’on envoie à la face de Dieu pour le faire tomber de son trône et qui vous reviennent d’autant plus fort en pleines gueules que c’est vous-mêmes que vous tapez en tapant Dieu.

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    Une superbe vidéo sur UT de Harris Contournis voir FB : HK Visual Creations), à voir séance tenante, beauté des images et effets spéciaux, je vous laisse regarder, une seule indication, l’inscription finale sur le portail du fond,  Komx Om Pax qui signifie incarnation de lumière. Cette formule vient de loin, d’Egypte, des Mystères d’Eleusis, elle a transité par Crowley (voir, qui tombe à pic, la chronique suivante), qui lui a donné le sens d’Incarnation de Lumière, cette interprétation éclaire les lyrics qui pourraient paraître mystérieux, tout comme la vidéo, grenade perséphonique, rien n’est à chercher en dehors de nous, nous portons notre propre lumière, ce mélange homogène contradictoire de vie et de mort, nous sommes la vie et la mort. Toute vie est mortelle, toute mort est vivante, le morceau est comme une longue marche envoûtante vers la lumière noire des mystères qui n’est que notre ombre. Qui erre sur la terre.

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    Pretty World, Pretty Dies : bruit d’épées sorties du fourreau, un rythme de musique irlandaise, presque entraînant, sûrement ironique, pour rabattre nos casques et  notre caquet, ce n’est pas seulement nous qui mourons, c’est le monde entier, les immeubles, les rues, les forêts etc… mais aussi toutes les sagesses, tous les savoirs, tous les enseignements qui nous ont précédés, la vidéo YT (voir le site manster.design.com) nous en donne une vision héraclitéenne un peu attendue mai qui se laisse voir, nous rappelle que nous l’Homme-Dieu, la torche humaine qui éclairons le monde ne sommes qu’une parcelle et le tout d’un Tout, bien plus grand que nous mais dont nous partageons la même nature. Bruit d’épées sorties du fourreau. La fin du cycle éternel, l’éternel retour de notre immortalité. Yggdrassill : des vidéos il en existe de toutes sortes, des indigentes, des nulles, des soporifiques, des belles, des exceptionnelles, beaucoup plus rarement des intelligentes. Comment évoquer en moins de six minutes le cycle du monde des anciennes Eddas magnifié par l’arbre-monde Yggdrassil, Costin Chloreanu s’est chargé du montage vidéo mais c’est Kim Diaz Holm – celui qui cherchera trouvera- qui s’est chargé de peinture, du bleu, du rouge, du noir, pour commencer l’histoire du cycle infini terminal et inaugural, la musique est lourde et majestueuse, pesante, inéluctable comme les dents du Destin, n’oubliez pas que notre vie et notre mort résident dans notre force. Saoirse : chant de gloire hommagial à Tara, en fait Diarmait Mac Cerbail le dernier roi d’Irlande à résister au christianisme, dédié à tous les néo-païens qui essaient de préserver l’ancienne sagesse primordiale. Avec ces chœurs  le morceau est grandiose, l’on ne peut s’empêcher de penser au Crépuscule des Dieux. La grandeur des Hommes est égale à celle des Dieux.

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    Primal resurrection : (bonus track) : vidéo Wolf’s Path Media Creation, elle reprend l’imagerie des précédentes sans surprise :  lyrics un peu didactiques : la première résurrection est dite primale car elle est toujours à l’œuvre dans le renouvellement incessant de la nature.  Une manière de dire qu’il est vain d’attendre la résurrection chrétienne, elle à l’œuvre et en acte depuis toujours à tout instant du déroulement du cycle éternel. Récitatif imposant empreint d’une sérénité destinale imposante. All for one : (bonus track) : ce morceau est un peu un remake de Like father like son, il n’apporte rien de plus à l’album nonobstant sa qualité musicale intrinsèque, tous ensemble dans le combat de la vie, tous ensemble dans les combats de la mort.

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             Cet album n’est pas une simple défense et illustration du paganisme. Le fait de se rebeller contre le Dieu très chrétien et son Eglise ne résout pas le problème du destin humain. L’Homme ainsi que le définit Heidegger est un être pour la mort. Vous pouvez faire avec, vous pouvez le nier, à la fin des fins vous serez obligés d’y passer. Pas d’alternative. Le christianisme vous en offre une, non pas l’immortalité tout de suite, pour y avoir droit vous devez vous soumettre et admettre votre culpabilité. Le paganisme de Rotingn Christ n’est pas la proposition d’adopter de nouveaux ou d’anciens cultes, il ne s’agit pas d’adopter des Dieux de substitution, votre salvation ici et maintenant - pas plus tard une fois mort, ni ailleurs - réside avant tout en une attitude, faites face à la mort comme vous faites face à la vie, le prix à payer si vous voulez rester libre.

    Damie Chad.

     

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    L’influence d’Aleister Crowley sur les artistes rock et d’avant-garde est énorme. Nous avons pris l’habitude de chroniquer toutes les traductions françaises de ses ouvrages cornaquées par Philippe Pissier. Par exemple, dans notre livraison 621 du 23 / 11 / 2023 nous chroniquions Nuées sans eaux, un des recueils de poésie de La Grande Bête 666 et le Volume I d’une anthologie introductrice à son œuvre dans notre livraison 592 du 23 / 03 / 2023. Or voici que vient de paraître le volume II :

    LE SILENCE ELECTRIQUE

    ET AUTRES TEXTES

    Une anthologie introductrice à l’œuvre d’

    ALEISTER CROWLEY

    TRADUCTION

    PHILIPPE PISSIER & AUDREY MULLER

    VOLUME II

    ( Editions Anima / Mars 2024)

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    Pour ceux qui débarqueraient sans rien connaître d’Aleister Crowley (1855-1947) : il est un des maîtres du renouveau de l’occultisme, théoricien et praticien. Sa biographie est foisonnante nous ne garderons pour ces quelques lignes introductives que la fondation en 1907 l’Ordre Astrum Argentum  AA∴ .

     

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     I / LA DEMARCHE INITIATIQUE

    Le Soldat et le Bossu : ! et ? : quoi que vous pensiez le véhicule de votre pensée est la pensée. D’où la nécessité de vous interroger d’abord sur la nature de la pensée. Pour rester parmi des auteurs contemporains d’Aleister Crowley, pensons d’abord à Paul Valéry qui au-delà de tout contenu de pensée s’est longuement interrogé sur la manière dont la mécanique intellectuelle à partir d’une pensée initiale (quelle qu’elle soit) produit une pensée conséquentielle (quelle qu’elle soit) à celle-ci, il s’est intéressé au deuxième terme (ergo-donc) de la célèbre formule de Descartes cogito ergo sum. Pensons maintenant à Wittgenstein qui a préféré considérer le produit fini (quel qu’il soit) de la pensée logique doutant de la véracité de cette pensée hors de l’expression même de cette pensée, autrement dit posant que toute pensée n’a d’efficience que sur elle-même. Le britannique Crowley n’est pas allé chercher ses outils théoriques en France ou en Autriche. S’est contenté de ses légendaires concitoyens : Locke, Hume et Berkeley. Il ne le dit pas, il choisit les deux premiers pour à partir de leur empirisme pro-matérialiste afin de conforter son anti-christianisme, par contre il ne s’attarde guère sur Berkeley car celui-ci est un point de bascule opératoire des plus utiles, en niant toute réalité sensible Berkeley lui permet très vite d’échapper à la recherche philosophique rationnelle et de privilégier sa vision d’une pensée magicke. Il passe ainsi du corpus de la pensée occidentale au véhicule bouddhiste de la pensée orientale. La dernière page de ce texte est saisissante : Crowley n’utilise plus des concepts mais des symboles. La froideur des premiers est nettement moins opératoire que la charge mentale des seconds. Les Cartes Postales aux Novices : conseils aux novices qui veulent s’initier aux sciences magiques :  Crowley trace une feuille de route, comme toute pensée la pensée magique possède sa méthode. Il est difficile de déshériter le père. La terre : magnifique poème en prose dont le lyrisme fait oublier les doctes notules indicatrices du texte précédent. Nous le lisons comme une réécriture des mystères  d’Eleusis. L’emploi du terme christianophile ‘’amour’’ nous paraît participer d’un syncrétisme peu satisfaisant. Les dangers du mysticisme : est-ce pour cela qu’avec son humour ravageur Crowley rappelle que la voie mystique, voie d’union amoureuse mystique avec Dieu, si elle existe n’est hélas pour les adeptes qu’un prétexte pour s’exonérer de simples tâches imparties aux êtres humains. Trop souvent le mystique déclaré ressemble à s’y méprendre à un hypocrite tire-au-flanc métaphysique !  Le silence électrique : texte symbolique qui conte le périple d’un adepte ayant réussi son voyage initiatique : nous sommes aux confluences, du Bateau ivre de Rimbaud, des rituels égyptiens du voyage de l’âme du Livre des morts et du Serpent Vert de Goethe, c’est dire la beauté d’écriture de cet écrit qui doit aussi pouvoir être lu comme une méditation tarotique.

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    II / LES LIBRI DE  L’ AA

    Liber Nu sub figura XI / Liber XIII vel Graduum Montis Abiegni / Llber Turris vel Domus Dei sub figura XVI : trois livres d’instructions destinés aux impétrants soucieux de progresser dans l’ordre argentique , la lecture des textes ne pose aucune difficulté, leur compréhension risque par contre de vous laisser sans voix si vous n’êtes pas engagé dans une démarche volontaire d’apprentissage pratique et spirituel, pour une première approche le mieux serait d’en faire une lecture poétique. La poésie portée son plus haut niveau d’intellection suscite ce que les anciens grecs nommaient un enthousiasme qui permet d’entrer en relation avec des forces enfouies dans la réalité du monde. En ce sens-là, vous n’êtes pas très loin des objurgations hermétiques de ces textes. Liber XXIII : un exposé de l’  AA : cet écrit est d’une nature différente des trois précédents, au  bas mot une fiche descriptive de l’Ordre dans lequel vous vous apprêtez à entrer. Méchamment hiérarchisé à mon humble avis. Evidemment faire partie d’une organisation qui se présente comme l’ossature secrète et opératoire du monde est flatteur pour votre petite personne. Disons que la mienne est davantage à l’écoute de Seul est l’Indompté d’Eddy Mitchell ou du Coup de Dés de Mallarmé. Pour la troisième par exemple Je préfèrerais davantage habiter dans la Maison Dorée de Néron que dans la Domus Dei. Liber CLXXXV : Liber Collegh Sancti : codifie les tâches qui se doivent d’être accomplies par les membres des différents grades de l’Ordre. Liber CDLXXIV : Liber Os Abysmi Daäth : daäth désigne la connaissance absolue de l’univers que l’on puisse atteindre. Nous notons que l’adepte doit avoir de larges connaissances de philosophie allemande, de Kant à Hegel et anglaise, d’Hume à Berkeley sans oublier Crowley. LIBER BATPAXO PENOBOOKOSMOMAXIA : la philosophie européenne c’est bien mais la grecque c’est beaucoup mieux, s’agit ici de remonter selon une configuration imagée à l’origine, de passer de la lumière du Soleil à la pénombre de la Nuit. Le texte ne remonte pas plus loin et élude l’origine kaotique de Nyx. LIBER HAD SUB FIGURA DLV : ce livre me semble porter la marque d’une régression mystique, après la connaissance totale, la rose se referme sur elle, et se perd en son infinité. L’infinité n’est pas une démesure, mais une mesure qui fait le tour d’elle-même. LIBER VIARUM VIAE SUB FIGURA DCCCLXVIII : une simple, façon de parler, nomenclature des étapes à parcourir.

    III / TAO :

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    LIBERXXI : LE CLASSIQUE DE LA PURETE ( d’abord rédigé par moi : Lao-Tseu durant la Période de la Dynastie des Wu, et maintenant versifié par moi Aleister Crowley : cette auto-traduction du Tao par Crowley marque pour nous non pas l’enseignement du chemin, mais le retour, le repli, en tant que pli, selon pli, à la poésie. Comme si toute traduction n’était que Poésie. Car le chemin n’enseigne ni ceci, ni cela, ni la parole, ni le silence, il est seulement Poésie.

    IV / LE VOYAGE

    LA DECOUVERTE DE GNEUGH-OUGHRCK : Fragment : en apparence un récit loufoque et d’imagination pure, notre voyageur débarque dans un pays foutraque, évidemment il n’en n’est rien, il suffit de lire même pas entre  les lignes pour comprendre que c’est le fonctionnement des sociétés européennes qui est visé… l’humour permet de remettre en cause bien des aberrations ‘’raisonnables’’ de notre organisation sociale. Décapant, Crowley n’était pas un admirateur de Rabelais pour rien.

    LE CŒUR DE LA SAINTE RUSSIE : un très beau texte, très littéraire, comme l’on n’en écrit plus, de nos jours de simples reportages journalistiques auréolés de photographies couleurs remplacent avantageusement ce genre d’écrits puisqu’il suffit de regarder les clichés pour voir… N’évoquons même pas les documentaires filmiques à tout instant disponibles sur le net…  Un seul défaut à mon avis : Crowley traite un peu cavalièrement Théophile Gautier un de nos meilleurs prosateurs et un critique d’art éblouissant. L’on regrette que ce ne soit pas notre gilet rouge qui ait été chargé de juger des toiles de La Galerie Tretiakov. Un texte qui donne à lire  l’écrivain et non le maître de l’AA∴ .

    V / LA TRADUCTION

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    Trois poèmes français traduit par Crowley. Evidemment nous préférons l’original à la copie ! Par contre nous pouvons nous demander les raisons du choix du traducteur.

    L’Héautontimorouménos : l’un des textes les plus surprenants des Fleurs du Mal de Baudelaire : déjà le titre, à l’origine titre d’une pièce de Térence, qui signifie L’homme qui se châtie lui-même, surprend le lecteur moderne : la violence sado-masochiste du poème a dû séduire Crowley, homme des extrêmes Crowley ne pouvait être sensible qu’à cette vision selon laquelle il existe une corrélation entre le monde, notre action sur le monde et nous-même. Une espèce d’effet boomerang magique opératoire entre soi et le monde, que l’on pourrait de qualifier de tripartite, le terme important étant l’ergo conséquentiel de la trilogie philosophale, conçu en tant qu’égo mu(g)nificent.

    The magician : poème d’Eliphas Levis  dont Crowley affirmait qu’il était la réincarnation, l’importance et le rôle d’Eliphas Lévi est aujourd’hui sous-estimée dans l’histoire littéraire et hermétique de son époque, l’on ressent pourtant son influence dans Axel de Villers de l’Isle Adam, de même ce poème est comme un parfait condensé prophétique de la démarche magicke de Crowley qui métaphoriquement consiste à dompter les forces nocturnes pour atteindre l’éclat solaire. Une démarche que nous qualifierons de bellérophonique puisqu’elle consiste à juguler les forces obscures et enthousiamantes de l’opérativité poétique pour la mettre au pas d’une scansion rythmique ordonnatrice de l’univers.

    Colloque Sentimental : ce court poème de Verlaine agit comme une aimantation poétique. L’on y revient toujours. Nous en ferons une lecture alchimique, les états, les étapes métamorphosiques de la matière, avec cette idée étrange et révolutionnaire, que l’œuvre au noir n’était pas aussi terrible que cela, nous sommes symboliquement au milieu du processus l’ergo est conçue comme un pont, toute conséquence peut être considérée comme la cause qui l’a produite, un pont que l’on peut emprunter dans les deux sens, notamment vers le kaos primitif.

    VI / LA POESIE

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    Crowley se serait-il décidé à devenir Magicien parce qu’il se  serait aperçu qu’il ne pourrait jamais être le Keats, le Shelley, ni même le Byron, qu’il aurait voulu être, toujours est-il que la poésie occupât une grande place dans sa vie :

    Tête de femme : ce poème est à lire comme une réponse toute crowleynienne au Colloque Sentimental de Verlaine. Ode à Hécate : la tentation du kaos.  Le Pentagramme : ode à l’Homme, le champion du monde, qui est devenu souverain de lui-même puisqu’il a gagné la bataille sur les forces kaotiques. Le Pèlerin : qu’importe la lumière si l’on s’est détourné des ténèbres, une seule solution : décréter qu’ombre et lumière ne sont que l’avers et le revers d’une même pièce. Alaylah Huit-et-Vingt : triomphe de l’Eros, cette unique pièce de monnaie d’entre-deux, ithyphallique. Thrène : chant de célébration de la mort des poëtes : ils meurent car leur nature immortelle ne saurait vivre dans un monde  mortel. Vers pour une jeune violoniste au sujet de son jeu dans une vêture de sinople conçue par l’auteur : d’Elle vers Lui, et la mort de tout ce qui est, et la vie de tout ce qui n’est plus.  En Mer : l’Homme est l’édificateur de ses propres rêves et de ses propres souffrances. Sekhmet (1) : que l’on ne s’y trompe pas l’épée de Damoclès qui tombe et tranche l’homme en deux est la femme. Sekhmet (2) : non pas la Même, mais le Même. Version mythologique de soi-même. Le Point Faible : la femme.

    VII  / LA LIBERTE EN AMOUR

    L’érotisme est essentiel dans l’œuvre de Crowley, point de pénétration et de soumission, à l’autre, aux Dieux, à soi-Même. Mieux vaut en rire qu’en pleurer ! Dormir à Carthage : nox de sang. La Pornographie : défense et illustration de la pornographie, c’est le sentiment de culpabilité chrétien qui vilipende de ce terme la douce et joyeuse activité érotique. Un extrait de ‘’The Scented Garden of Abdullah the Sairist of Shiraz ( qbagh-I-Muattar)’’ : seize recettes d’irrumation à portée de tous et toutes. Sorite : syllogisme hypocrite. Un Psaume : blasphème biblique.

    APPENDICE I

    L’Editorial de The Equinox(1) I

    Court éditorial inaugural de The Equinox revue de l’Astrum Argentum AA∴ dans lequel il est spécifié que  l’Ordre se refuse à tout charlatanisme ésotérique de bas-étage. CQFD.

    APPENDICE II

    REFLLETS D’UN HERITAGE

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    Exploration de l’influence de l’œuvre de Crowley sur la création contemporaine. Cette partie s’ouvre sur une interview par Lady S. Cobar  de LILITH VON SIRIUS intitulée : TOUT CE QUI DERANGE L’ARRANGE :  Diana Orlow (1971-1997) vécut une vie de flamme et de feu, poétesse, danseuse, opératrice de costumes et d’objets SM, courtisane, adonnée à une vision et une pratique de l’art amoureux exempt de toute moraline, elle reste une égérie noire de ce que la société fustige sous l’appellation de déviances, l’incarnation féminine et  métaphysique d’un être libre.  /Suit un dossier, hélas trop mince du RESEAU 666, dont Philippe Pissier en France et Thierry Tillier en Belgique furent les initiateurs. Il semble que le monde littéraire de l’époque n’était pas à apte pour accueillir une telle apparition. Ce ne fut qu’un bref moment mais bien plus intense que l’explosion surréaliste des années 20. Encore une quinzaine d’années et le Réseau 666 renaîtra de ses cendres, nous vivrons alors les temps hagiographiques, ceux d’après la guerre. / Encore une interview, lettre cette fois-ci, qui risque d’intéresser la majorité de nos lecteurs puisqu’il s’agit de JOHN BALANCE fondateur avec Peter Christopherson du groupe de musique industrielle COIL. Ceux qui sont persuadés que ce genre de musique consiste en l’enregistrement de bruits divers souvent désagréables auront à réviser leurs préjugés si d’aventure ils parcourent cet écrit, seront sans doutes étonnés par le nombre de connaissances ésotériques ( Crowkey, Spare, Kabbale…) qui forment pour ainsi dire l’ossature théorique de ce genre maubruitant. Cerise à l’arsenic sur le gâteau empoisonné, John Balance est vraisemblablement le fan le moins optimiste quant à l’effet de sa musique, pas spécialement pour des raisons auxquelles vous vous attendriez. / Ce coup-ci c’est un entretien de la revue SPIDER avec Kenneth Anger, il date de 1966 et il date tout court. Nous devrions être contents, plein de questions sur le rock’n’roll qu’utilse le cinéaste pour son film Scorpio Rising de 1962, il nous parle des adolescents, du puritanisme américain, à l’époque ses dires étaient subversifs maintenant tout cela nous paraît comme de vieux moulins avant qui n’ont plus besoin de Don Quichotte, une attaque en règle de la société américaine, qui a perdu de son mordant. Sympa mais du déjà vu-lu-entendu. / Cet entretien est suivi d’un deuxième du même pour la revue T. OP. Y CHAOS : beaucoup plus intéressant que le premier même si le début sur Mickey Mouse nous semble relever de la trahison d’un phantasme d’enfant devenu adulte, par contre son attaque contre toutes les groupes ésotériques qui se réclament de Crowley est croustillante, il les trouve semblables aux groupes d’extrême-droite chrétiens… je vous laisse lire la suite, Moonchild, Manson Family, Love ( le groupe, Brian Jones, Keith Richard, Mick Jagger… / Enfin un portrait hommagial de Kenneth Anger  tracé par William Breeze dirigeant de l’Ordo Templi Orientis vous réconciliera définitivement avec le novateur expérimental que ce brise-glace sociétal fut…

    APPENDICE III

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    Un article de Serge Hutin (1929-1997) tiré du N° 37 de la revue Horizon, à laquelle collabora Daniel Giraud, paru en 1975, le titre est significatif : POUR LA REHABILITATION D’UN MAGE NOIR, après sa mort la personnalité et l’œuvre de Crowley subirent une longue éclipse et de nombreux anathèmes. Ce texte est un des premiers en notre douce France à œuvrer pour sa redécouverte.

    Ne vous dispensez pas de lire les longues notes L’APPENDICE IV consacrées aux instructives notices bibliographiques.

    Ce volume 2 de cette Anthologie introductive est passionnant. Remercions Philippe Pissier de ce colossal travail. Certes lire Crowley est un sport de combat, vous ne savez jamais trop s’il feinte ou s’il attaque. Son rire est communicatif, sa joie ressemble au rire de Zarathoustra, la base de son enseignement est simple : ayez la volonté d’être vous-même sans vous enquérir du regard des autres, d’ailleurs prenez soin de porter votre regard plus haut que la commune humanité. Ce n’est pas du mépris, juste une ascèse luxuriante qui vous rendra plus fort.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    94

    Le Chef alluma un Coronado. Nous eûmes l’impression qu’il faisait durer exprès le plaisir (le sien) :

             _ Agent Chad vous souvenez-vous de l’endroit où nous nous rendons ?

             _ Parfaitement Chef, mais la circulation est particulièrement difficile ce soir, ces centaines de milliers de personnes qui débordent de plus en plus sur la chaussée…

             _ Agent Chad, point de tergiversations, foncez dans le tas, écrasez-les sans ménagement, ne vous préoccupez pas du sillage de sang que laissera notre véhicule, c’est pour le bienfait général de l’humanité, ce soir plus que jamais la survie du rock’n’roll est en jeu, que les lecteurs horrifiés par cet ordre cruel quittent cette page, demain ils nous tresseront des couronnes de laurier rose, en écoutant Pink Thunderbird de Gene Vincent.

    95

    J’abordai enfin le rond-point de l’Arc de Triomphe lorsqu’un bruit sourd se fit entendre. Au fur et à mesure que nous descendions l’Avenue des Champs-Elysées, le grondement qui s’accentuait ne provoqua aucun effet sur la foule compacte qui avançait toujours sans y prendre garde. Nous comprîmes assez vite l’origine de ce qu’il faut bien appeler un boucan infernal. Deux files de blindés, une à gauche de la chaussée, l’autre sur la droite se dirigeait vers nous. La foule ne s’écarta pas les chars les écrasèrent imperturbablement, les malheureux ne tentèrent même pas de s’enfuir.

             _ C’est affreux s’écria Doriane !

             _ Oui c’est atroce surajouta Lauriane

             _ Mesd’noiselles un peu de cran, l’heure est grave c’est ici que les athéniens s’atteignirent !

    La file de chars s’arrêta à notre hauteur, elle repartit pratiquement aussitôt, remonta une centaine de mètres et fit demi-tour. Trois minutes plus tard les premiers Leclercs étaient derrière nous. Les filles ne restèrent pas insensibles :

             _ Ils vont nous écraser !

             _ Nous réduire en bouillie !

    Il n’en fut rien, ils nous suivirent sans manifester de mauvaises intentions, seulement de temps en temps lorsque la foule s’amoncelait devant notre voiture l’un d’entre eux s’approchait délicatement de l’arrière de notre auto et la poussait pour que nous ne restions pas bloqués.

             _ Ces militaires sont vraiment prévenants observa le Chef en allumant un Coronado, je me demande ce que l’on nous veut, moi qui pensais que  nous aurions dû nous frayer un passage de force, comme quoi même un stratège supérieur comme moi peut être soumis aux caprices de ses ennemis, Agent Chad vous tournerez à gauche pour prendre la rue de Marigny.

    Nous n’étions pas au bout de nos surprises.

    96

    La colonne de chars, s’arrêta l’un d’entre eux nous poussa devant l’entrée de la Cour d’Honneur, il exécuta une marche arrière dès que nous eûmes franchi le portail. Arrivé au bas de l’escalier j’arrêtai la voiture. Nous descendîmes. Personne pour nous accueillir. Le Chef en profita pour allumer un Coronado.

    Nous montions les marches, un hurlement s’éleva et un individu surgit en courant de derrière une des colonnes :

             _ Enfin ! Vous voilà, je vous attendais depuis longtemps !

    Les filles mirent du temps à reconnaître dans cette personne sans cravate, les pans de sa chemise blanche sortis de son pantalon, la face ravagée de tics et les yeux étranglés de rage  notre Président bien-aimé.

             _ Tout ça est de votre faute vous avez intérêt à me sortir d’affaire sinon je vous fais fusiller, vous les gamines et les chiens. Quand je pense que nous avons dépensé des millions pour ce fiasco à cause de vous ! Dans mon bureau immédiatement !

    97

    Le bureau était désert, le Président marchait de long en large en nous couvrant d’insultes, le Chef contourna le vaste bureau présidentiel et s’assit sans façon sur le fauteuil du Président devant ce qui ressemblait à une énorme machine à écrire de l’ancien temps.

             _ Monsieur le Président, le temps presse pourriez-vous nous expliquer l’origine des griefs que vous proférez à notre encontre !

             _ C’est très simple, nous avons conçu cette machine…

             _ Avec la CIA, si je ne m’abuse, je suis sûr quand nous avons traversé leurs locaux d’en avoir entrevu une identique posée sur un bureau, exactement la même, sur le coup je n’y ai pas fait attention, mais en voyant celle-ci je commence à comprendre l’ampleur de vos tracas…

             _ Avec la CIA bien sûr, eux ils ont des ingénieurs de qualité, ils ont accepté de travailler avec nous pour mettre au point cette machine…

             _ A impédance psychologique, si j’en crois les derniers articles parus dans les revues scientifiques de haut-niveau, mais je ne croyais pas le projet si avancé !

             _ Ces derniers temps nous avons beaucoup progressé, nous sommes passés au stade expérimental !

             _ Vous avez donc trouvé des cobayes ?

             _ Nous les avons sélectionnés soigneusement, nous les avons entraînés à leur insu, une préparation parapsychologique de haut-niveau qui a exigé de gros moyens !

    Je me permis de prendre la parole :

             _ Par exemple de leur faire croire qu’ils étaient confrontés à un groupe de passeurs de murailles !

             _ Je vois que vous comprenez. Une fois que vous seriez devenus idiots nous aurions pu nous débarrasser définitivement du rock’n’roll ! Cette musique est trop subversive !

             _ Parfaitement, vous nous avez bernés un long moment, mais votre plan a foiré depuis peu !

             _ Oui, une fausse manœuvre, vous étiez les cobayes désignés, vous deviez par un envoi d’ondes magnétiques devenir des espèces de zombies, hélas l’appareil s’est déréglé, toute la population parisienne est devenue zombies, sauf vous deux et votre équipe, l’on a annoncé à la radio que j’avais été mis à l’abri, c’est le contraire, tout le personnel a été évacué, je suis resté seul, j’ai fait venir un régiment de blindés le plus éloigné de Paris et leur ai donné l’ordre de vous ramener ici.

             _ Ça tombait bien, j’avais moi aussi donné à l’Agent Chad l’ordre de nous conduire ici même, je me doutais que vous étiez la source de nos ennuis, mais que voulez-vous de nous au juste ?

             _ C’est simple, la machine à impédance psychologique est devant vous, débrouillez-vous pour qu’elle fonctionne dans le bon sens, que les gens rentrent chez eux et reprennent leur vie comme avant, si vous réussissez je vous gracie sinon je vous jure que je vous fais fusiller par mon régiment de blindés ! 

    Le Chef alluma un Coronado. Il frôla d’un doigt quelques touches, examina  la machine attentivement deux minutes, fronça les sourcils par deux fois, se cala le dos dans le fauteuil et regarda le Président dans les yeux :

             _ Je ne vois pas où se trouve la difficulté, cet appareil me semble marcher comme toutes les machines du monde !

    Le Président se redressa comme s’il avait été piqué par un serpent :

             _ Vous dites n’importe quoi, son élaboration a exigé la collaboration des plus grands cerveaux des unités de Berkeley, de Yales et de Princeton, et monopolisé la force de calcul de Saclay durant trois ans, puisque vous êtes si fort arrêtez-la à l’instant.

    Le Chef haussa les épaules, exhala une longue bouffée de Coronados, étendit le bras vers la gauche, se saisit du cordon électrique et le sépara de la prise.

    • Voilà, votre Tornado psychologique fonctionne comme un chargeur de téléphone portable, si vous le laissez dans la prise, il continue à user du courant et à dispenser ses effets pervers. C’est stupide que vous n’ayez pas pensé à ce truc. Même éteinte votre machine à impédance psychologique n’arrête pas d’émettre ces zones négatives, Il suffisait d’y penser.

    Une énorme rumeur fit vibrer les murs de l’Elysée, c’était l’exclamation poussée par des millions de parisiens libérés de leur emprise noétique.

    Nous nous éclipsâmes discrètement laissant le Président fracasser à coups de pied son joujou électronique. Nous eûmes du mal à nous extraire de la foule compacte qui riait, criait, dansait, sautait de joie…

    Nous parvînmes enfin à trouver une rue plus calme. Le Chef alluma un Coronado :

             _ Agent Chad, allez nous voler une nouvelle voiture, une belle berline assez spacieuse pour contenir quatre personnes et deux chiens, nos jeunes demoiselles ont vécu de fortes émotions, emmenons-les en vacances au bord de la mer !  

             Je n’ai jamais obéi à un ordre du Chef avec autant de célérité.

    Fin de l’épisode.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 621 : KR'TNT 621 : MICK FARREN / ALGY WARD / HOWLIN' JAWS / GUS DUDGEON / DWIGHT TWILLEY / SHANNA WATERSTOWN / CORAL FUZZ / THE CASTELLOWS / ALEISTER CROWLEY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 621

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 11 / 2023

     

    MICK FARREN / ALGY WARD

    HOWLIN’ JAWS / GUS DUDGEON

    DWIGHT TWILLEY / SHANNA WATERSTOWN

      CORAL FUZZ / THE CASTELLOWS

      ALEISTER CROWLEY

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 621

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Farren d’Angleterre

    (Part Two)

     

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             Difficile de trouver Star plus True que Mick Farren. L’admiration qu’on éprouve pour lui se mesure à l’échelle d’une vie. Voici les grandes étapes : 1970, séjour à Londres pendant les vacances de Pâques et ramassage pour une bouchée de pain - budget lycéen oblige - des trois albums des Deviants - Disposable, Ptooff enveloppé dans son poster, et celui qu’on appelle la bonne sœur - dans un secondhand record shop de Goldborne Road, au bout de Portobello. 1977, flash sur ‘The Titanic Sails At Dawn’, texte fondateur de Mick Farren paru dans le NME. 1977, killer flash sur «Screwed Up», le meilleur single punk de London town. 2001, flash sur Give The Anarchist A Cigarette, l’une des plus fastueuses autobios de l’histoire des rocking autobios. 2004, flash sur Gene Vincent: There’s One In Every Town, véritable chef-d’œuvre de littérature rock qu’on s’empressera de traduire en français en 2012 (Merci Dom). Ce fut bien sûr l’occasion d’entrer un contact avec Mick Farren et de lui demander un «épilogue explosif» sur «Bird Doggin’», mais il n’était déjà plus en condition et ne disposait pas du «Challenge material», pour reprendre son expression - Quand un mec comme lui t’écrit, tu as l’impression que Dieu t’écrit, il y a du son dans ses mots - Et lorsqu’il a cassé sa pipe en bois en 2013, un bel hommage lui fut rendu ici-même, sur KRTNT. L’autre grand prêtre du culte de Gene Vincent, Damie Chad, avait lui aussi préalablement salué la parution de Gene Vincent: There’s One In Every Town. Ce qui est important avec ce blog, c’est qu’on reste en permanence dans les choses sérieuses. Encore une fois, le rock est un art trop sacré pour être confié à des betteraviers.

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             Bon on ne va pas revenir sur Give The Anarchist A Cigarette, ni sur Gene Vincent: There’s One In Every Town, il faut simplement rappeler que ces deux books se doivent de trôner sur l’étagère d’une bibliothèque rock digne de ce nom. On va se pencher cette fois sur un recueil d’articles rassemblés par Mick Farren et paru l’année de son cassage de pipe en bois, en 2013, Elvis Died For Somebody’s Sins But Not Mine: A Lifetime’s Collected Writing. Couve avenante, avec Elvis et une belle poule, pagination aussi dodue qu’une retraitée réactionnaire qui se gave de foie gras, et, petite cerise sur le gâtö, mise en page originale, puisque les textes sont justifiés au tiers de page et agrémentés de colonnes annexes dans lesquelles Mick Farren fait coulisser des commentaires. Comme les textes sont anciens et parus dans divers supports de presse, l’idée était d’en éclairer le contexte pour les rendre plus comestibles. Car s’il est une chose qui vieillit très mal, avec le corps humain, c’est l’article de presse.

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             Bien sûr, on se régale, mais en même temps, on sort déçu de ce fat book. Mick Farren est un spécialiste de la science-fiction et il faut être fan de ce sous-genre littéraire pour entrer dans ses délires. Si tu n’es pas fan, tu n’entres pas, c’est aussi simple que ça, même si la langue est joliment rock. Si l’imaginaire sci-fi ne correspond pas au tien, t’es baisé. Va savoir pourquoi tu accordes du crédit à Céline et à Stendhal, et zéro crédit à Philip K. Dick. Il s’agit simplement d’une question d’affinités électives, ou plus bêtement de structure mentale. Si un book te tombe des mains, tu n’insistes pas. La lecture doit rester source de plaisir. Dans son recueil, Mick Farren consacre un chapitre entier à la sci-fi : «Two Thousand Light Years From Home». Malgré le titre qui fleure bon la Stonesy, c’est de la pure sci-fi. L’autre gros problème avec ses anciens articles de presse, c’est le regard politique qu’il porte sur son époque. Certains écrivains commettent l’erreur de dater leurs propos en ciblant des personnages politiques, et ça vieillit très mal. Aujourd’hui, personne n’a plus rien à foutre ni de Nixon, ni de Reagan, ni de la CIA. L’actualité politique naît et meurt aussi sec. Tu ne peux pas faire de littérature avec tous ces guignols politiques. Encore moins avec Tony Blair. Le traitement de l’actualité politique participe d’une dérive journalistique. Les journalistes écrivent dans des quotidiens, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire. Le quotidien ne mène nulle part. On le jette. Autrefois, on se torchait le cul avec. Par contre, tu peux faire de la littérature avec Elvis, Gene Vincent, John Lennon et Dylan. Et c’est là où Mick Farren retombe sur ses pattes. Et c’est aussi pour ça qu’on lisait et qu’on relisait les textes qu’il publiait jadis dans le NME.

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             Dans une courte intro, Charles Shaar Murray salue son ancien collègue de travail, «as his Own Cosy Leather-Jacket Gin Joint, 24-Hour Global House Party And Medecine Show, offering sharp conversation, bad ideas, cheap stimulation, dirty concepts and links to revolution...» C’est un résumé de 4 lignes qui dit tout. Le Shaar conclut ainsi : «The greasy ‘oodlums are at your door.» C’est le book qui entre chez toi, avec son odeur, le son de sa voix et son univers. Un deuxième préfaceur nommé Felix Denis décrit Mick Farren en six mots : «talent, style, idiot savant, outlaw, friend.» C’est l’outlaw qui frappe le plus. On sent comme une sorte de parenté intrinsèque. Felix illustre plus loin l’extraordinaire polyvalence de Mick Farren : «doorman, editor, journalist, rock star, rabble rouser, critic and commentator, charlatan, jester, c’est-à-dire bouffon, impresario, gunslinging cross-dresser, icon, author, songwriter, poet and - perhaps strangest of all - the Godfather of Punk.» Bien vu Felix ! Pas de punk-rock en Angleterre dans les Social Deviants.        

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             On retrouve bien sûr au cœur de ce recueil le fameux ‘Titanic Sails At Dawn’. Dans son commentaire annexe, Mick Farren rappelle que des tas de gens ont considéré son Titanic comme le texte fondateur du mouvement punk - I disagree - Pour lui, le mouvement était encore trop underground et ne touchait pas grand monde. Il utilise le Titanic comme une métaphore du rock d’alors, «the big time, rock-pop, tax exile, jet-set showbusiness». Il considère que le rock mainstream est dégénéré - For Zsa Zsa Gabor read Mick Jagger, for Lew Grade read Harvey Goldsmith. Only the names have been changed, blah blah - Il parle de turgid mainstream, c’est-à-dire un mainstream en décomposition. Il s’en prend au rock jet-set, il est même en colère quand il voit «les kids qui ont fait son energy and roots faire la queue sous la pluie». Mais les Stones, les Who et Bowie sont bien au chaud - It’s okay if some stars want to make the switch from punk to Liberace as long as they don’t take rock’n’roll with them - Mick Farren considère que le rock doit rester un partage, au sens marxiste du terme. Le rock comme les richesses, sont faits pour être partagés. Le rock appartient à tous ceux qui l’ont fait, et aux kids en premier lieu. Il développe : «Si le rock devient safe, c’est foutu. Cette musique vitale et vibrante est depuis son apparition une explosion de couleurs et d’excitation, une lutte contre la platitude et la frustration sociales.» Pour que tu comprennes mieux, il développe encore : «Si on retire cette vigueur et ce côté calleux du rock, il ne reste plus que la muzak. Même si elle est artistement interprétée et élaborée avec raffinement, elle n’a plus d’âme et ça devient de la muzak.» Mick Farren prêche pour sa paroisse, le proto-punk, mais aussi pour Syd Barrett, Dylan, Elvis et Gene Vincent. Il conclut son Titanic ainsi : «Remettre les Beatles ensemble ne sauvera pas le rock’n’roll. Par contre, quatre kids jouant pour leurs contemporains dans un dirty cellar club pourraient le sauver. And that, gentle reader, is where you come in.» En juin 1977, Mick Farren prêchait la révolution du rock. Il est donc logique que les lecteurs y aient vu un texte fondateur du mouvement punk. Les Sex Pistols allaient faire exactement ce que prônait Mick Farren : sauver le rock. Mais le Titanic du mainstream n’allait pas couler. Les Stones et les Who sont encore là, et ce ne sont pas les pires. Tous les autres atroces vieux crabes sont encore là. La prédiction a donc fait chou blanc. C’est pourquoi Mick Farren a voulu que figure sur la couve de son book cette déclaration de John Lydon : «You cannot believe a word Mick Farren tells you.»  

             À travers tout ça, Mick Farren te demandait simplement de choisir ton camp. C’est sa vraie dimension politique. Et c’est ce qu’il fallait comprendre à l’époque. Alors tu as choisi ton camp. Avec Nick Kent et Yves Adrien, Mick Farren est devenu une sorte de maître à penser, l’équivalent rock de ce que furent pour la génération précédente Sartre et Raymond Aron. Bien sûr, tu devais faire l’effort de lire l’Anglais, et ça venait naturellement, semaine après semaine, à la lecture du NME et du Melody Maker. Puis de Sounds.  

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             Il consacre un chapitre entier à Elvis, qui, comme l’indique le titre du recueil, est mort pour racheter nos péchés, «mais pas les miens», s’empresse d’ajouter l’outlaw Mick Farren - Elvis, de toute évidence l’homme le plus célèbre du monde, apparut so fucked-up par la célébrité qu’il entreprit de se suicider à petit feu en overdosant à coups de Percodan, de graisses animales, et de sucre. Quand il est mort en 1977, et avec tout ce que sa mort a révélé, il apparut que la célébrité n’était pas une forme d’immortalité. Elle prouvait au contraire qu’elle pouvait être a stone killer - C’est le style de Mick Farren : abrasif, il racle la langue, il leste ses mots de plomb, comme le ferait un scaphandrier pour mieux descendre en eaux troubles, pour faire éclater la vérité. C’est sombre, lourd de conséquences. Il rend un hommage faramineux à cette incroyable superstar que fut Elvis : «Elvis Presley était beaucoup plus qu’un entertainer. Il était différent de Frank Sinatra ou Bing Crosby. Il avait repris l’étendard teen lâché par James Dean. Non seulement il l’a repris, mais il a couru avec. Rien qu’en se donnant un coup de peigne, en arborant son rictus et en secouant les genoux, il déclencha la rébellion.» Tout le monde voulait être Elvis. Et le temps a passé, simplement Mick Farren et tous les fans de la première heure sont restés fidèles : «N’importe qui d’autre saurait été oublié, mais pas Elvis. He was just too big for that. En écoutant les vieux disques au milieu de la nuit, je sentais que le magnétisme restait intact, ainsi que the first careless rush. C’était un havre de paix dans un monde de ‘Visions of Johanna’ et d’Have Seen Your Mother Baby’.» Il monte encore d’un cran avec cette formule en forme d’hommage suprême : «Sans Elvis, le monde aurait été sûrement différent, Jagger serait devenu agent immobilier, Dylan un rabbin, Lennon un maçon et Johnny Rotten un juge.» Il a aussi une façon purement farrenienne, c’est-à-dire brutale, de démystifier : «La légende nous dit que le truck driving boy s’est arrêté chez Sun Records pour enregistrer un cadeau d’annive pour sa maman. Sam Phillips le rappela un plus tard et Elvis se révéla être un mauvais crooner. C’est pendant le coffee break que le rock’n’roll fut découvert accidentellement.» Et il grossit le trait : «La légende veut qu’Elvis soit un mec simple qui avait les manières de James Dean, mais il avait aussi sans qu’il s’en doute le pouvoir de réveiller the teenage America qui la porta aux nues dans une mouvement d’hystérie collective.» Attentif au moindre détail, Mick Farren revient sur le style vestimentaire, affirmant qu’Elvis was probably a little weird, son goût pour les costards roses et les chemises noires - the entire hoodlum drag - l’a rendu célèbre. «Ce dont personne ne parle, c’est de la source de son style vestimentaire. En fait, il s’est inspiré des maquereaux black des années 50 qu’il voyait dans les quartiers noirs. Ils étaient les seuls à porter des costards roses comme celui dont se souvient Scotty Moore à la première répète.» Mais pas seulement les black pimps : il s’intéressait aussi au black R&B, avec comme cerises sur le gâtö James Dean et Marlon Brando - His mannerisms are straight from Dean and Brando - Et de là, on passe aux filles assises au premier rang, dans les concerts, qui basculent into screaming hysteria - They fought to get at the larger than life stud in the gaudy suits and longer sideburns than any hot rod punk - Oui, c’est cela qu’il faut retenir, Elvis, the definitive hot rod punk. Encore une fois, tout vient de là. Le rock anglais lui doit tout. Et nous aussi. Plus loin Mick Farren revient sur l’aspect «religieux» des choses. Il commence par affirmer que les religions sont basées sur très peu de choses - Est-ce que ça pourrait être le secret d’Elvis ? Est-ce ça explique le fait qu’il ait été plus qu’un entertainer, ou encore le fait qu’il ait réveillé dans la conscience collective quelque chose d’atavique et très ancien ? Ou sommes-nous simplement victimes de notre délirante imagination ? (out to the ludicrious edge of fantaisy) - The Elvis Universe is one tricky cosmic neighbourhood.

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             En 1975, Mick Farren rendait un bel hommage à Jimbo dans le NME : «La première fois que je l’ai vu, ce fut at the Roudhouse. C’était un Middle Earth all-night spectacular avec les Doors et le Jefferson Airplane - le projet le plus ambitieux mené par les flower punks and psychedelic wheeler-dealers qui géraient what was laughingly called London’s underground rock business.» Mick Farren jette toute son ironie grinçante dans la balance, puis il revient à Jimbo : «Sur scène, pendant les rares moments où Morrison avait le contrôle total, on perdait toute notion d’objectivité. Son théâtralisme, ses longues pauses insolentes, sa façon de se jeter sur le micro, et ses bonds spasmodiques cessaient d’être absurdes. Il emmenait son public au firmament et lui révélait des territoires inexplorés.» Chacun sait que si Jimbo n’avait cassé sa pipe en bois aussi tôt, il aurait été aussi célèbre qu’Elvis, John Lennon et Dylan. Il n’était pas Lizard King pour rien.

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             Par contre, Mick Farren garde un souvenir cuisant de Chucky Chuckah. Il le rencontre pour une interview et l’interviewé ne fait preuve d’aucune commisération pour l’intervieweur. Farren est choqué, car Chucky Chuckah ne se comporte pas en greatest black folk poet of the twentieth century - He doesn’t act that way - Quand l’intervieweur pose son magnéto sur la table, Chucky «tapote dessus de son très long doigt, affiche un sourire espiègle et secoue la tête : ‘Uh-uh. Use the pencil and paper.’» Mick Farren lui demande s’il n’aime pas les magnétos et Chucky secoue de nouveau la tête. Farren est contrarié. Mais ce n’est que le début de ses déconvenues. Chucky répond à côté ou ne répond pas aux questions. Chaque fois que Farren lui pose une question, Chucky répond par un mot de la question. Feel What ? Material ? Problems ? En fait, il ne veut pas entrer dans les détails. Quand Farren lui demande quel effet ça lui fait - what do you feel - d’apprendre que Jimi Hendrix reprenne «Johnny B. Goode», Chucky répond : «I don’t feel nothing». Farren conclut qu’interviewer Chucky est une perte de temps. Excédé, il tente une dernière fois de le faire sortir de ses gonds :

             — Vous avez fait de la taule...

             — No.

             — No ?

             — No.

             Mick Farren sort de l’interview dépité : «J’avais été face à face avec l’un des early giants of rock’n’roll et je m’étais conduit comme un flic qui interroge un petit délinquant.»

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             Dans un bel article paru dans le NME en 1977, il fait un petit retour sur le proto-punk : «Les Dolls tentèrent de s’imposer, échouèrent et essayèrent encore. Brian Eno avait rejoint les Warm Jets et en bavait pour devenir a permanent fixture in the night gallery. Même les Pink Fairies ont essayé de laisser leur marque, mais la seule marque qu’ils ont laissée était celle du sang de Russell Hunter sur le plafond des chambres d’hôtel. Lemmy s’est conformé, comme des millions d’autres anonymes. A band that went by the name of Third World War even preached the philosophy of machine guns in Knightsbridge a good four years before it was at all cool.» Tu as là la meilleure évocation du proto-punk.

             Et puis il y a le fameux ‘Don’t’ qui nous servit de pense-bête pendant un temps. Il s’agit d’une série de commandements, il y en a 3 pages pleines, on ne les a pas comptés, et ça commence bien :

             — Don’t trust anyone who is always on TV.

             Ça s’est vérifié. On ne peut pas faire confiance à ces gens-là. Ils sont pourris de l’intérieur, comme empoisonnés par l’insidieuse mormoille médiatique. Mick Farren dit aussi qu’il ne faut pas faire confiance aux gens qui écoutent Neil Diamond ou Billy Joel. 

             — Don’t trust anyone who thinks Paul McCartney is art.

             Et ça, qui est encore plus farrenien :

             — Don’t trust anyone who thinks Elvis Presley is irrelevant.

             — Don’t trust anyone who’s never heard of Arthur Lee.

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             Deux de ses grands sujets sont les Who et John Lennon. Il rappelle qu’au début, les Who «were badder than any bad-ass teen I ever witnessed.» Ils sont arrivé au bon moment «in both rock technology and the drug culture» - There was a shimmer of juvenile angst and metamphetamine on the band, particulièrement chez Townshend et Keith Moon - et Mick Farren sort l’une de ses bottes de Nevers, la désinvolture fatale du Godfather of Punk : «They were a part of the dark, angry, sometimes psychotic side of swinging London that the tourist brochures always neglected to mention.» Son hommage aux Who est sidérant : «Ce qui fait la force et la malédiction des Who, c’est qu’ils sont trop complexes pour rester seulement un bad-ass teen band avec le même volume sonore et la même violence. Ils ont absorbé toutes les influences à mesure qu’elles se présentaient. Pendant un instant, ils étaient psychédéliques, puis ils sont allés dans ce qui fut Townshend’s inflated idea of big art.» De Tommy, ils sont allés à Woodstock et de là, «on to the ballparks and stadia of the American heartland». À ses yeux, «c’est dans ce teenage wasteland qu’ils ont commencé à pourrir.» Il conclut ainsi cet article daté de 1982 : «Comme je l’ai dit au début, The Who are so damned lovable. Mais il y a une chose que je tiens à dire : s’ils se reforment dans les deux ans à venir, I shall be extremely upset.» Pauvre Mick, s’il savait ! Les Who n’en finissent plus de se reformer. I wanna die before I get old.

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             En 1980, Mick Farren rendait hommage à John Lennon de façon comme toujours impériale - Pour des millions d’entre-nous, les moments les plus importants de notre vie se sont déroulés sur fond sonore de «She Loves You», «Paperback Writer» ou «All You Need is Love». Tout ça sortait d’un poste de radio. John Lennon se trouve dans toutes nos histoires. On s’est tous approprié une partie de lui. Malheureusement, un particular maniac a cru bon de prendre plus que sa part - Il fait bien sûr référence à la balle dans la tête, au pied du Dakota. Et là il se lance dans un parallèle terrifiant : «Il y avait une certaine logique dans le fait qu’Elvis soit mort dans ses gogues avec l’estomac rempli de Quaaludes. Au pire, il était victime de sa faillite spirituelle. Mais il n’y a aucune logique in John Lennon being gunned down outside the Dakota. La faillite spirituelle est celle du fan vampirique qui n’avait d’autre solution que d’abattre l’homme dont la musique le hantait. Et c’était John Lennon. John the cynic, John the lout, John the iconoclast, John the genius, John the working class hero. John Lennon who gave us ‘I feel Fine’, ‘Good Dog Nigel’, ‘Cold Turkey’. Personne n’irait jamais trouver Paul McCartney avec un flingue.» Et Farren, fidèle à lui-même, en rajoute une couche démente : «L’ironie suprême est que parmi les so-called superstars of rock’n’roll, Lennon semblait avoir surmonté les pressions et les peurs qui ont eu la peau d’Hendrix, de Morrison, Joplin et Presley.» Il conclut cet hommage farrenien ainsi : «Christ, I loved the man, and I only met him once», et ajoute un peu plus loin : «The evil that killed Lennon has killed part of all our memories and all our fantasies. Thet self-serving little son-of-a-bitch has killed a part of all of us.» Mick Farren forever. 

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             Tu as d’autres gros textes déterminants sur Bowie, Cash et Dylan - Le problème que j’ai avec Bowie : chaque fois qu’il arrive dans une conversation et que les mecs qui sont au bar se montrent enthousiastes, il y a une petite voix qui chante au fond de ma cervelle : This is the man who recorded «The Laughing Gnome» - Il admet que Bowie a fait pas mal d’erreurs dans sa carrière, comme tout le monde. «Mais chez Bowie, c’est la qualité de ses erreurs qui donne à réfléchir.» Cash, il se fout un peu de sa gueule, dans ‘The Gospel According To J.C.’, publié dans le NME, en 1975 : «Il défend ouvertement les valeurs conservatrices du mariage, du foyer et de la famille. Il chante en duo avec sa femme tout en lui tenant la main. Il est selon ses propres termes, un ancien speedfreak alcoolique qui a laissé Jésus entrer dans son cœur et qui a tourné le dos à la vie sauvage. So far, so tacky - Farren dit que c’est vraiment moche - Et, mon cher lecteur adoré, c’est bien là le problème.» Il le traite en plus d’«arrogant bigored redneck turned holier than thou with diamond rings and a smooth line of Jesus partner.»  C’est le côté américain des riches délinquants convertis au Catholicisme qu’épingle Mick Farren. Il a raison de cibler sur la bigoterie, la deuxième moitié de l’autobio de Cash est en infestée. Une horreur.

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             Son texte sur Dylan paru en 1976 dans le NME s’appelle ‘B-O-B’. C’est un hommage sur-mesure, taillé dans la marbre farrenien. Il évoque la grande époque et «One Of Us Must Know» : «The ponderous ascending cathedral chords do, at times, grab me by the gut in non-verbal uplift.» Et il rend plus loin hommage à Bonde On Blonde - In a way, Blonde On Blonde was in the pits. It was the deepest shaft rock’n’roll had ever sunk in its journey to the center of the psyche - Les pages qu’il consacre dans son autobio au légendaire concert de Dylan à l’Albert Hall comptent parmi les plus belles pages de la rock littérature. Il termine son ‘B-O-B’ ainsi : «Was Dylan the therapist, Machiavelli messing with our heads or just an unwilling caralyst? As I said earlier, That’s the one we don’t get an answer to. Rosebud. Blonde On Blonde is a mnemonic for Bob.»

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             Comme dans tant d’autres grands rock books, le personnage principal pourrait bien être la dope. Elle est partout, surtout dans les histoires des gens qu’il vénère : «La vérité, c’est que Jerry Lee jouait avec une mitraillette dans sa chambre d’hôtel, que Gene Vincent et les Blue Caps entraient dans un patelin redneck dont ils ne se souvenaient pas du nom et avalaient des pillules qu’ils rinçaient avec du Wild Turkey ou du Rebel Yell Confederate bourbon, et tentaient de convaincre une serveuse ou une high school girl de venir avec eux au motel pour voir si the South could rise again.» L’article s’appelle ‘Sex Drugs & Rock’N’Roll’, évidemment. Farren voit son style exploser littéralement : «A thousand Brian Joneses picked up the Futurama guitars and a thousand Johnnies started mixing up the medecine. Once again, rock’n’roll had to move back onto high octane fuel. Yes, you guessed it. A new speed cycle had started up.» Et il embraye sur les mohair suits et les purple hearts. Vroom vroom ! Il rend plus loin hommage aux Blue Cheer - A new wave of suitably demented music. Favorites among the San Francisco speedfreaks were an outfit called the Blue Cheer - Selon lui, la légende veut qu’un chien qui se trouvait sur la scène est tombé raide mort d’une hémorragie cérébrale - 2.000 watts of guitar amplification - Pour Mick Farren, the speedfreaks’ favorite recording reste «Sister Ray» - Partout à travers le monde, dans des grungy basements, with four amps of meth, and an auto-charger set to repeat, ‘Sister Ray» played again and again. On sort un peu sonné de certains articles, tellement sa langue est heavy. On pourrait même qualifier son style de stoner style. Mick Farren a la main lourde. Dans l’intro de son premier chapitre, ‘A Rock’nRoll Insurrection’, il se présente ainsi : «Depuis que j’étais en âge d’acheter mes cigarettes, j’affichais une mine d’adolescent en colère - a snarl of teenage resentment - comme on porte a philosophic motorcycle jacket.» Cette définition qu’il fait de lui-même contient deux clés : «Teenage resentment» et «Motorcycle jacket», dont il va bien sûr faire des livres, Speed-Speed-Speedfreak - A Fast History Of Amphetamine et Black Leather Jacket. Mick Farren est certainement l’auteur britannique qui a su le mieux explorer les mythes de la culture rock. Tout passe par le cuir et la dope. Et les stars - Choqués par ce qui venait de se passer à Altamont, les Stones s’étaient réfugiés dans la chambre 1009, où ils se plaignaient qu’ils n’arrivaient pas à s’envoyer en l’air. Elvis avait revêtu du cuir noir pour essayer de prouver une dernière fois qu’il était un être humain, et comme je l’ai déjà dit, Dylan faisait tout ce qui était en son pouvoir pour se faire passer pour the very first all-jewish country cousin.

             Côté son, des petits labels underground entretiennent la légende de Mick Farren & the Deviants et ont fait paraître quelques albums intéressants.

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             Pas mal d’énormités sur le vaillant Dr Crow qui date de 2004, et notamment le «When Dr Crow Turns On The Radio» d’ouverture. Mick Farren a toujours su s’entourer du meilleur son d’Angleterre. En voilà encore la preuve. C’est un son plein de beat et de guitares, un son qui transcende les morts pour les rendre éternels. Andy Colquhoun veille au grain de la tempête sonique - No direction home/ A complete unknown/ Like a rolling stone - Mick reprend les choses qui l’ont traumatisé à vie. Pure monstruosité aussi que sa reprise de «Strawberry Fields Forever» avec le let me take you down qui nous donne envie d’y retourner encore et encore, et Mick charge ça avec la voix pâteuse d’un pilier de bar, et c’est complètement ravagé par Andy le pyromane. Mick en fait une déconstruction à la Zappa. On sait qu’il a toujours adoré Frank le rital. Nouveau festival d’Andy sur «Bela Lugosi 2002». Extraordinaire partie de purée sonique, terrible épopée. Tout est dense, tout est chapeauté de folie sonique, Andy a tout compris, il rampe dans les limbes de l’ombilic avec une ardeur arachnoïde. Quelle ambiance extravagante ! On trouve une bassline de rêve dans «Diabolo’s Cadillac», le boogaloo farrenien par excellence. On voit Mick Farren traîner un groove dans son terrier pour le bouffer tout cru. C’est de la jute du démon. Farren ne plaisante pas. Il a le discours qui va avec. C’est définitif, énorme et supérieur en tout. Ils terminent avec un hallucinant «What Do You Want» amené aux dégoulinures d’Andy, si bien vu qu’on en reste désarmé. Quel beau heavy blues, bien caverneux, bien infernal, plein de son et Jack Lancaster part en vrille de sax. On se soûle de toutes ces effluves.

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             Paru en 2013, Black Vinyl Dress est l’album posthume de Mick Farren. On y trouve un coup de génie : «If I Was A Hun On My Pony». L’écrivain Farren s’exprime dans son micro - Me serais-je aperçu que j’étais au service de l’apocalypse ? - Il raconte comment il va détruire cette vieille civilisation - A system of supposed civilization/ And ushering in dark ages/ And centuries of war pestilence disease and ignorence - Il se dit que finalement, c’est un jour de boulot en plus - As just another day on the job - Il fait aussi une terrible reprise de «Tomorrow Never Knows». Comme Lemmy, Mick vénère les Beatles. C’est extrêmement significatif de leurs toquades de mad psychedelia. On sent les vétérans de tous les trips et Andy en fait un psychout de rêve. C’est une pure merveille d’exaction écarlate, le summum d’Herculanum. On trouve d’autres goodies sur cet album comme «Cocaïne + Gunpowder», joué aux tambours de guerre - We survived on cocaine & gunpowder - C’est presque une histoire de pirates. Comme Lemmy, il sait décrire les ambiances des cambuses mal famées. Fantastique cut aussi que le morceau titre car c’est chanté par un pur écrivain - And the twisting vortex of fury & dead flowers/ is there significance that it comes 18 hours/ Before I have agreed to the recital? - On sent la puissance du verbe. Mick chante comme un dieu, c’est-à-dire à l’édentée.

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             L’année suivante paraît The Deviants Have Left The Planet. En plus d’Andy Colquhoun, on y retrouve deux vieux compères, Larry Wallis et Paul Rudolph. Ça démarre sur «Aztec Calendar», brûlé à l’énergie des réacteurs, terrific sound, Andy joue dans l’interstellaire, il lâche dans la modernité farrenienne un vent brûlant. Mais c’est la version de l’«It’s Alright Ma» de Dylan qui t’envoie au tapis. Heavy Andy l’attaque de front. C’est électrifié à outrance. Andy arrose tous les alentours. Ils profitent de Dylan pour sortir la pire mad psyché d’Angleterre. Andy est aussi dévoué pour Mick que Phil Campbell l’était pour Lemmy. Andy revient toujours avec la niaque d’une bête de Gévaudan. Saura-t-on dire un jour la grandeur de cette énergie, et la grandeur d’un Farren d’Angleterre ? «God’s Worst Nightmare» est un cut co-écrit avec Wayne Kramer. Mick fait son guttural et Adrian Shaw, l’expat d’Hawkwind, ramène son bassmatic. Retour au groove des enfers avec «People Don’t Like Reality». Andy adore jouer comme un démon - Turn & look at me - On se noie dans l’essence de la décadence. Puis ils retapent dans le vieux classique des Deviants, «Let’s Loot The Supermarket», en compagnie de Paul Rudolph et de Larry Wallis. Andy joue de la basse. Là, on tape dans la légende. Ils font du punk de proto-punk et brûlent d’une énergie d’exaction fondamentale. L’autre merveille de ce disque est bien sûr «Twilight Of The Gods», avec son extraordinaire ouverture de fireworks. Ça sonne comme du Monster Magnet, avec un sens de l’extrapolation du néant cher à Mick Farren. Il bâtit une dérive mirifique au fil d’une poésie crépusculaire chargée d’orient et de pourpre anglaise. Il rime les mass contraction et la satisfaction. On sent le poids d’un génie qui ne s’invente pas. C’est somptueux, digne des funérailles d’un pharaon au soleil couchant, c’est le disque d’or de toutes les mythologies antiques, et brille au cœur de cet univers sacré le firmament d’une guitare, celle d’Andy Colquhoun.

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             La même année paraît un live des Deviants, Barbarian Princes - Live In Japan 1999. Dans ce live, on retrouve tous les gros hits des Deviants, notamment «Aztec Calendar». Mick y déclame son texte et ses mothafukah, et la chose prend une tournure fantastique avec l’«It’s Alright Ma» de Dylan, gorgé de grattes et d’un bassmatic excessifs. Sur «Disgruntled Employee», Andy joue quasiment en solo continu. C’est l’histoire du mec qui va au boulot - And I’m going to the plant tomorrow morning - Mick Farren raconte une vraie histoire, comme s’il avait bossé à l’usine toute sa vie. Belle pièce aussi que ce «God’s Worst Nightmare» - Shebazz is raging and Ophelia wheeps/ Desemona’s going down on the kid who nerver sleeps - Et dans «Leader Hotel», il raconte l’histoire d’une fille qui enfonce des nine inch nails pour couvrir les cris. Belle pièce de poésie trash. Tout est excitant chez Mick le cadavre. C’est le meilleur groove de psyché qu’on puisse trouver sur le marché. Avec «Thunder On The Mountain», Andy vole le show. On se demande soudain qui, à part les derniers fans de Mick Farren, va aller écouter ça. «Lurid Night» est trop textué. Mick Farren adore les poèmes fleuves. Ils finissent avec un extraordinaire «Dogpoet». Mick est au bar et il dit à un mec de laisser son billet de vingt sur le comptoir. C’est bien pire que «Sympathy For The Devil», c’est un vrai texte de zonard, bourré de visions terribles. Défoncé au bar, Mick Farren raconte. 

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             Bel album que ce Human Garbage des Deviants, car Wayne Kramer et Larry Wallis accompagnent Mick Farren qui à cette époque porte le cheveu court. Et pouf, les voilà partis en mode mid-tempo pour «Outrageous Contagious». Wayne Kramer y joue un solo perceur de coffre. Mick Farren n’a pas de voix, on le sait, mais c’est l’esprit qui compte. On retrouve l’énorme bassman Duncan Sanderson dans «Broken Statue». En fait, c’est lui qui fait le show, hyper actif et lancinant à la fois. On tombe plus loin sur une excellente version de «Screwed Up», le hit de Mick, certainement le plus punk des singles punk d’alors, et là c’est visité en profondeur par un solo admirable et porté par la bassline de Sandy le héros. Ils attaquent la B avec «Taking LSD», un vieux boogie de Larry, et ils enchaînent avec le grand hit wallissien, «Police Car» sorti aussi en pleine vague punk, avec un son qui reste d’actualité. C’est joué à l’admirabilité des choses, dans tout l’éclat d’un rock anglais datant d’une autre époque, avec tout le punch des grattes et le brouté de basse. On a là une version un peu étendue, puisque Larry la joue cosmique, avec son sens inné du lointain. Ils terminent avec cet incroyable garage-cut de Zappa, «Trouble Coming Every Day». N’oublions pas que Mick Farren admirait Zappa, ce qui nous valut quelques mauvaises surprises sur les trois premiers albums des Deviants.

    Signé : Cazengler, Mick Farine

    Mick Farren. Elvis Died For Somebody’s Sins But Not Mine: A Lifetime’s Collected Writing. Headpress 2013

    The Deviants. Dr. Crow. Captain Trip Records 2004

    Mick Farren And Andy Colquhoun. Black Vinyl Dress. Gonzo Multimedia 2013

    Deviants. The Deviants Have Left The Planet. Gonzo Multimedia 2014

    The Deviants. Barbarian Princes. Live In Japan 1999. Gonzo Multimedia 2014

     

     

    Third World Ward

     

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             Quand Algy Ward a cassé sa pipe en bois, Vive Le Rock fut le seul canard à lui dérouler le tapis rouge en lui consacrant quatre pages. S’il n’avait pas joué sur deux des grands albums classiques du rock anglais, Eternally Yours et Machine Gun Etiquette, Algy Ward serait passé complètement inaperçu. Mais à l’époque, les fans des Saints et des Damned l’ont repéré.

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             Il eut en effet le privilège de jouer sur cet album qu’il faut bien qualifier de révolutionnaire, Eternally Yours. Eh oui, «Know Your Product» semble conçu pour réveiller les morts du Chemin des Dames. Difficile de réécouter cette dégelée via Algy, on tente le coup, même si Chris Bailey domine le mayhem. Algy bassmatique comme un damned, c’est puissant de what I want. Algy buzze bien dans la fournaise. Il refait des siennes en fin de balda, dans «No Your Product», ça joue au pounding délibéré et au big bass buzz. Idéal pour un bombardier comme Algy Ward. C’est lui qui propulse le cut dans l’avenir. On l’entend aussi se balader dans le fast punk de «Lost & Found». Il multiplie les échappées belles. Il est encore comme un poisson dans l’eau avec «Private Affair» - We got new thoughts new ideas/ It’s all so groovy - et puis il fait son grand retour en B avec «This Perfect Day», il sature littéralement les couplets de basse et le Bailey tombe à bras raccourcis sur le cut à coups de perfect/ Day. Tout le reste est bombardé d’Algy vertes, tout est chargé de la barcasse.

             Algy s’appelle en réalité Alasdair Mackie Ward. C’est un kid de Croydon, et comme le Captain et Rat Scabies, il bosse tout jeune au Fairfield Halls.

             Débarqués en Angleterre en février 1977, les Saints font le carton que l’on sait, mais durant l’été 1977, leur bassman Kym Bradshaw se fait la cerise. Les Saints ont besoin d’un remplaçant vite fait et ça tombe bien, leur roadie Iain Kipper Ward en connaît un : son petit frère Algy, qui n’a que 18 ans. Coup de pot, Algy connaît bien les cuts des Saints et il passe l’audition les deux doigts dans le nez. Les Saints le rebaptisent Algernon et ça se termine en Algy. Ed Kuepper : «We didn’t audition anyone else, he was that good.» Algy joue aussi sur Prehistoric Sounds, mais quand les Saints se séparent, Algy se retrouve tout seul, le bec dans l’eau.

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             Pas pour longtemps. Les Croydon punks ont repéré Algy. «C’est qui ce local bloke que personne ne connaît et qui joue avec les Saints ?», se demande le Captain. Comme Algy aime boire un coup, le Captain devient pote avec lui - We bonded instantly - Après leur deuxième album, les Damned ont implosé, et au moment où ils décident de redémarrer sans Brian James, ils cherchent un bassman permanent - Croydonian Algy was the obvious choice - Il colle parfaitement avec «the merciless dog-eat-dog philosophy» des Damned. En fait ils louchent sur son «Norton Commando bass sound». C’est Algy qui gratte l’intro demented de basse sur «Love Song», l’un des outstanding tracks de l’outstanding Machine Gun Etiquette. Captain Sensible dit qu’Algy grattait ça with a coin. Oui, on l’entend cogner ses cordes à la pièce de monnaie, just for you/ It’s a love song, et le Captain passe un solo à la Wayne Kramer. It’s okay ! Te voilà calé d’entrée en jeu. Nouveau coup de génie avec «Melody Lee», fast Damned trash-punk, ça joue au pire du pire, au beat de London town. Ils font pas mal de pop sur cet album mais tout explose en B avec une cover magistrale de «Looking At You», l’un des smashers intemporels du MC5, les Damned l’avalent tout cru au doin’ alrite et le Captain Moïse grimpe à l’assaut de l’Ararat Kramer avec toute la tension dont il est capable. On entend Algy bombarder dans «Liar», il bombarde partout -  his thunderous bass is all over Machine Gun Etiquette - et ce fantastique album s’achève avec «Smash It Up» plus poppy et pointé à l’orgue. Algy bourdonne dans le son comme un gros bouzin affamé. Il joue gras. C’est un Bomber, comme Lemmy. Vieille école anglaise.

             Et puis crack, le management des Damned vire Algy au jour de l’an 1980. Aucune explication - I wasn’t happy, it was a surprise - Le Captain dit que Rat et Algy picolaient trop et qu’ils se battaient à coups de bouteilles vides pendant le tournage d’un vidéo pour «Smash It Up», ce qui fait bien marrer le Captain. Algy lèche ses plaies et monte Tank avec les frères Brabbs de Croydon. Algy s’inspire de Motörhead et le manager de Motörhead, Doug Smith, prend groupe Tank sous son aile. L’ironie de l’histoire, c’est que Doug Smith a viré Algy des Damned. Alors attention, ce n’est plus tout à fait le même son. On a testé deux albums de Tank. Power Of The Hunter et Filth Hounds Of Hades, parus tous les deux en 1982.

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             C’est Fast Eddie Clarke qui produit leur premier album, Filth Hounds Of Hades. Algy et les frères Brabbs sonnent comme les Damned sur le «Shellshock» d’ouverture de balda. Ils amènent ça au ouhma de la tribu et boom patatrac, ça bascule dans l’enfer des Damned, revu et corrigé par Motörhead. Peter Brabbs sonne exactement comme Fast Eddie Clarke. D’ailleurs, le «Turn Your Head Around» qu’on croise plus loin semble sortir tout droit de No Sleep Till Hammersmith. Brabbs a le diable au corps, il gratte fast and hard, et son frangin Mark bat le beurre du diable. Belle fournaise ! Algy tape là un rock solide et rougeoyant. Tout l’album est monté sur ce modèle. On peut voir des photos d’eux en clones de Motörhead, avec les ceintures de cartouches. Mais on perd complètement les Damned. Au bout de trois cuts, ça commence à tourner en rond. C’est le problème des groupes de power rock anglais, à l’époque. Et dès qu’il sort des Saints et des Damned, Algy est foutu. Il retombe dans l’anonymat. Il bombarde du gros bassmatic, c’est sûr, mais il n’a pas les compos. Ils amènent «That’s What Your Dreams Are Made Of» au riff délétère et ça tient bien la route. On commence à baver à l’approche de «Who Needs Love Songs», mais il faut déchanter : rien à voir avec le Love Song des Damned. Et puis la surprise vient du dernier cut, «(He Fell In Love With A) Stormtrooper» : c’est l’hit de Tank. Ça s’écoute et ça se réécoute sans modération.

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             Avec Power Of The Hunter, Algy va droit sur Motörhead. «Walking Barefoot Over Glass» est du pur jus de Fast Eddie Clarke, c’est exactement le même son, avec l’Algy qui claque son bassmatic au coin par derrière. Ah quelle équipe ! Au plan commercial, ils n’avaient alors aucune chance, ce qui les rend d’autant plus sympathiques. Et puis voilà qu’ils enchaînent les cuts comme des rafales, tu n’apprendras rien de plus que ce que tu sais déjà, ils proposent un son bien ramoné de la virgule, bien crade, avec un Algy qui s’encanaille et qui chante comme un malfrat. Les Tank campent sur leur position, ils roulent sur des chenilles, avec un son cousu de fil blanc, on commence à s’ennuyer et ce n’est pas bon signe. Privé des Saints et des Damned, l’Algy est paumé. Et soudain, un bel instro dévastateur nommé «T.A.N.K» leur sauve la mise et du coup l’album renaît, ce que vient confirmer l’excellent «Used Leather (Hanging Loose)» gratté à la Fast Eddie, tapé au beat rebondi et gratté à la grosse cocotte, on reste dans le Mondo Bizarro de Motörhead, avec les cartouchières. Ils tapent ensuite une reprise étrange, le «Crazy Horses» des Osmonds. Ça gratte dans la couenne et ça donne une belle envolée poppy poppah. On entend l’Algy bananer son bassmatic dans la plaine en feu de «Red Skull Rock» et ce brave album s’achève en beauté avec «Filth Bitch Boogie», bien gratté au coin. Algy adore mettre son bassmatic en évidence, c’est du meilleur effet. C’est lui qu’on entend et Brabbs se balade derrière le son. Crade, oh si crade !

             Algy enregistre ses deux derniers albums tout seul : Breath Of The Pit en 2013, et Sturmpanzer en 2018. Poussé par la curiosité, on s’est amusé à les écouter. Alors bravo Algy, car c’est du bon boulot de one-band band.

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             Dur à dire, mais avec le morceau titre de Breath Of The Pit, il surpasse Motörhead. Il jette tout son Tank dans la bataille, il est complètement fou, il pulvérise tous les records de Motörhead, la cavalcade infernale et tout le reste, le strumming de la marche forcée, il joue tous les tenants et les aboutissants de la fournaise. Algy est héroïque. Puis il avale «T34» tout cru. Après tu peux chipoter sur la qualité des cuts, mais Algy réussit son coup : full power post-Motörhead. Il est écrasant de power et de T34. Avec sa Tele noire, il est virtuosic. Et ça continue avec «Kill Or Be Killed», il bombarde comme un fou, il joue tous les gros accords de la concasse et passe des breaks de bassmatic, tout est chauffé à blanc, y compris le killer solo. Sur «Healing The Wounds Of War», il lèche ses plaies dans sa tanière. Il joue d’incroyables parties de gratté de poux. Il fait encore des étincelles sur «Stalingrad (Time Is Bood)». Sa gratte sonne comme les orgues de Staline, il mitraille toute la plaine gelée. L’épouvantable Algy s’amuse bien dans son studio, il explose la rate de tous ses cuts. Il adore prendre feu en chantant. Algy est un fakir. Ce qu’il adore par dessus tout, c’est arroser la tranchée : rien n’en sortira vivant («Crawl Back Into Your Hole»). Algy est un vieux fou à l’anglaise. Il crée les conditions de l’enfer dans son trou à rats. Toute la frénésie de Motörhead est là, sans la voix, bien sûr. Plus les cuts défilent et plus il s’enflamme. Il peut faire du Fast Eddie Clarke à la puissance dix. Pure hell ! Wow, quelle évanescence comminatoire ! Sur cet album, tout est calé sur le volume 12. «Conflict Primeval» est un cut explosé du chou-fleur, la peau pantelante, les organes diversifiés, Algy ne respecte rien, ni les harmonies de l’univers ni les règles de politesse. On finit par tirer la langue, avec un mec comme lui. Il termine avec «Circle Of Willis», un vieux balladif bien gras, une vraie barquette de frites. Il s’en donne à cœur joie. Il vit dans son lard et lui donne corps. Admirable Algy ! N’aura-t-il tant vécu que pour cette infamie ?

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             Sturmpanzer est donc son dernier album. On le voit à l’intérieur du digi, assis dans son salon, avec des longs cheveux blancs et des lunettes noires. On ne s’habitue pas à l’idée qu’Algy ait les cheveux blancs. Dans l’imaginaire, il reste le jeune Algy de la grande époque, avec ses petits cheveux en épis. Sturmpanzer grouille de cuts intéressants, à commencer par le «2000 Miles Away» d’ouverture de bal. Il bombarde ça tout seul dans son salon et se noie dans sa heavy storm. L’autre poids lourd de l’album s’appelle «Little Darlin’», il y passe un wild killer solo flash qui épouvante la populace. Ce mec est vraiment passionnant. Il a un sens inné de la profondeur de champ, comme le montre encore «Sturmpanzer Pt 1 & 2», sa cocotte sourd des profondeurs du heavy rock anglais, il sonne comme une suite à Motörhead, avec ses éclairs à la Fast Eddie Clarke. Il charge bien sa barcasse. Il dépote comme un Panzer, il est héroïque, il faut le voir écraser ses pâquerettes et arroser les alentours au lance-flammes. On se demande comment il parvient à développer un tel ramdam tout seul. On pense bien sûr à Nick Salomon, l’one-man operation de Bevis Frond. Algy tape ses heavy shuffles de grosse cocotte tout seul et ça se tient («Lianne’s Crying»). Il retombe en plein Motörhead avec «First They Killed The Father». Il parvient à reproduire la pétaudière de Lemmy avec le beurre de Mikkey Dee. Avec «Living In Fear Of», il montre qu’il connaît toutes les ficelles de la débinade, il est capable de fouiller les entrailles d’un killer solo flash. Nouvelle surprise de taille avec «Which Part Of FO Don’t U Understand». Le FO, c’est Fuck Off, il te demande si t’as bien compris. Il passe encore un beau solo à la Fast Eddie et son gratté de poux explose. Il n’en finit plus de faire ses miracles avec ses imitations de Fat Eddie. Il termine avec un superbe instro, «Revenge Of The Filth Hounds Pt 1 & 2». Il attaque ça au Oumbah Oumbah tribal, il ramène du son, un vrai Niagara. Il crée son monde, alors on l’admire.

    Signé : Cazengler, Algue verte

    Algy Ward. Disparu le 17 mai 2023

    Saints. Eternally Yours. Harvest 1978

    Damned. Machine Gun Etiquette. Chiswick Records 1979

    Tank. Power Of The Hunter. Kamaflage Records 1982 

    Tank. Fiith Hounds Of Hades. Kamaflage Records 1982

    Tank. Breath Of The Pit. Southworld Recordings 2013

    Tank. Sturmpanzer. Dissonance Productions 2018

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    Gerry Ronson : Hold on your toupées. Vive Le Rock # 104 – 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Hey Jaws

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             Comme tous les amateurs d’émotions fortes, l’avenir du rock aime bien voir des vampires et des zombies radiner leur fraise sur grand écran. Cette façon qu’ont des mecs comme George A. Romero et Murnau de jouer avec la mort flatte durablement l’intellect chatouilleux de l’avenir du rock. Il s’autorise même à claquer des dents quand glisse sur un mur l’ombre longue de Nosferatu. L’un des jeux favoris de l’avenir du rock consiste à aller acheter une dizaine de grandes tresses d’ail au marché et annoncer d’une voix grave à la marchande qu’il va les accrocher à ses fenêtres pour éloigner les vampires. Comme la marchande ne sait pas si c’est du lard ou de cochon, elle se force généralement à sourire. Quel cabotin, cet avenir du rock ! Il raffole aussi du White Zombie de Jacques Tourneur, mais il ne va pas trop sur les zombie movies plus contemporains, la surenchère d’effets spéciaux l’ennuie profondément. Par contre, il applaudit bien fort l’Only Lovers Left Awake de Jim Jarmush, car c’est un exercice de style des plus réussis. Jarmush établit un lien évident entre deux mythes contemporains : le rock et le vampirisme. Et bien sûr, Adam le vampire vit à Detroit et s’en va reconstituer ses réserves de sang à Tanger, autre ville rock par excellence.  Ce petit chef-d’œuvre d’ironie vampirique entre en concurrence directe avec l’excellent Dracula de Coppola, que l’avenir du rock ovationne. Gary Oldman y fait de délicieux ravages, sous sa perruque de Casanova fellinien. L’avenir du rock apprécie aussi beaucoup Hitchcock pour ses fins de non-recevoir, celles qui laissent l’Hichtcocké bouche bée à la fin des Oiseaux ou de Psychose. Personne ne saurait dire comment vont réagir les milliers oiseaux rassemblés devant la maison au moment où Mitch Brenner fait monter les trois femmes dans la bagnole. Personne ne s’attend à voir Anthony Hopkins parler d’une voix de vieille femme. Hitchcock te laisse imaginer la fin de l’histoire. Pas besoin de coups de tronçonneuse pour te mettre sous pression. L’avenir du rock déteste cet esprit gore américain, les fucking requins blancs et quand on le branche sur Jaws, il hausse les épaules. Il préfère mille fois les Howlin’ Jaws.

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             Contrairement à ce qu’indique le titre de cette rubriquette, les Howlin’ Jaws ne reprennent pas «Hey Joe», mais «Down Down» des Status Quo. Comme déjà dit ailleurs, on a les titres qu’on peut. Même si on ne garde pas un souvenir impérissable des Status Quo, la cover que font les Jaws de «Down Down» est une belle bombe atomique. Ils te lâchent ça en plein cœur de set, et boom, tu te retrouves à Nagasaki, mais un gentil Nagasaki, pas celui qui te brûle la peau, celui qui te brûle la cervelle pendant trois ou quatre minutes. Les Jaws te jouent ça à la pure fusion nucléaire, ils disposent des dynamiques qui font le panache des très grands groupes de rock sur scène, ils fonctionnent en mode tight power trio, avec tous les ingrédients nécessaires, alors tu n’en perds pas une seule miette.

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             On les voit chaque fois jouer en première partie, mais cette fois, ils volent le show pour de bon. Malheur au groupe qui monte sur scène après eux. Il fut un temps où les Jaws sonnaient plus rockab, d’ailleurs Djivan Abkarian slappait jadis une stand-up. Il gratte maintenant une Fender bass et, coiffé comme l’early McCartney, il fait illusion. Ce petit mec est absolument brillant. Il sait placer sa voix, il swingue sa pop comme un vétéran du Mersey Beat, il saute en l’air, il tire le trio dans l’énergie des early Beatles et des Hollies, et c’est vraiment très impressionnant.

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    De l’autre côté de la scène, tu as Lucas Humbert, wild as fuck sur sa Ricken, il entre en transe aussitôt arrivé sur scène, il prend des pauses just for the fun of it et t’éclate le Mersey Beat au Sénégal. Il gratte ses poux à n’en plus finir et ramone son rock comme Johnny Ramone, mais en plus British, en mille fois plus catchy, comme si c’était possible. Et puis au milieu, Baptiste Léon bat le beurre du diable. Il propulse la bombe atomique.

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    Avec les Howlin’ Jaws, le rock ne traîne pas en chemin. Ils tapent le morceau titre de leur quatrième album, «Half Asleep Half Awake». La version live est nettement plus balèze que la version studio, et ils font bien sûr mouche avec «Healer», un big timer glam tiré lui aussi d’Half Asleep Half Awake. Ils montent glam power en épingle. Sur scène c’est imparable. T’en as la jaw qui se décroche et qui te pend sur la poitrine comme une lanterne (l’une des expressions favorites de Jean-Yves, empruntée à Lux Interior).

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             L’autre gros coup d’Half Asleep Half Awake s’appelle «It’s You», un heavy rumble noyé de son. Comme le précédent, cet album est produit par Liam Watson, le Toe Rag Boss. Les Jaws n’ont jamais sonné aussi British.

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    Le «Mirror Mirror» d’ouverture de bal s’orne d’un superbe solo de psychout so far out, avec un chant complètement extraverti. Au moins, on sait où on est : au paradis. S’ensuit un «Bewitched Me» encore plus poppy poppah. Quelle régalade, quand on aime ce genre de débinade. On se croirait à London town en 1966. Ils ont définitivement abandonné leurs racines rockab. Pas facile de s’imposer en France avec une pop anglaise aussi pure. Avec «Blue Day», ils se prennent pour Nick Waterhouse, c’est de bonne guerre, et ils bouclent l’album avec un «See You There» amené au petit psyché de réverb et lesté d’un wanna see you there bien appuyé. Djivan Abkarian chante au petit sucre intentionnel - Won’t you come on down - et Lucas la main froide place un gros shoot de vrille à la Yardbirds, ils s’enfoncent tous les trois dans les bois de la vape, c’est assez spectaculaire, ils cherchent leur voie avec l’énergie du désespoir, c’est une voie qui passe par le freakout. Dommage qu’ils n’explosent pas. Les Who et les Creation n’auraient pas raté une telle occasion. 

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             L’album précédent s’appelle Strange Effect et date de 2021. Encore enregistré et produit par Liam Watson. Bingo, dès «Safety Pack», un cut qui tourne à l’énergie des early Beatles, mais revue et corrigée par les Jaws. Fantastique réinvention du genre, avec un superbe pounding de bassmatic et bien sûr le wild killer solo flash. Cut solide, accueilli à bras ouverts et convaincu d’avance. Châpö les Jaws ! Deux coups de génie se nichent sur ce Stange Effect : «Heartbreaker» et «Love Makes The World Go Round». Le premier est poppy as hell, gorgé d’énergie, celle du British Beat. Ça sonne tout simplement comme un hit planétaire, avec un brin de tension rockab dans le background. On retrouve le sucre candy du chant et les départs en trombe de Lucas la main froide. Plus stupéfiant encore, Djivan Abkarian attaque «Love Makes The World Go Round» à la Lennon. Son incroyable swagger te fout des frissons partout. Il chante vraiment comme un dieu beatlemaniaque. Cet album est une révélation. Ces trois petits mecs échappent à tous les clichés, par la seule force de leur talent. «The Seed» sonne comme un petit boogie vite fait, mais ils le plient à leur volonté - Seed of love ! - Encore du British flavor avec «Long Gone The Time». Son de basse à la Watson, c’est quasiment un hit beatlemaniaque, avec des chœurs Whoish de la la la et un solo à la George Harrison. Ils vont plus sur les Byrds avec «My Jealousy». C’est dire l’ampleur de leur Howlingness.

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             Leur premier album sans titre date de 2012. C’est un pur album de rockab, c’est même du Rockers Culture, avec le nom de Tony Marlow dans les remerciements. L’amateur de rockab s’y retrouve, Howlin’ Jaws est un pur album de wild cats. Avec «Get The Thrill», ils sonnent exactement comme les early Stray Cats. Même énergie. Leur «Babylon Baby» renvoie directement au Stray Cat Strut, et Djivan te bombarde ça à la stand-up. Il chante comme un cake. Les Jaws restent dans la veine Stray Cats avec «Dollar Bill» et une belle descente au barbu. Les Jaws ne traînent pas en chemin. Wild & fast. Et puis voilà le coup de génie de l’album : une cover du «Shake Your Hips» de Slim Harpo. Ils te tapent ça au heavy slap - C’mon move your hands/ C’mon move your lips - Ils jouent à la sourde. On tombe plus loin sur une autre cover de choc, le «Sixteen Tons» de Merle Travis, tapé à coups d’acou, joli swing de deeple and dat - I lost my soul to the company soul - Encore un fantastique shoot de wild as fuck avec «Walk By My Side». Le gratté de poux rôde dans le son comme un fantôme, et avec «What’s The Thing», ils déferlent littéralement en ville. Sur «Danger», Djivan fait le blblblblblb de Screamin’ Jay, il connaît toutes les ficelles, et dans «Why Are You Being So Cruel», Lucas la main froide gratouille du Mick Green par derrière. Ils sont admirables. Fin de party avec le classic jive de «Lovin’ Man». Dans leurs pattes, c’est excellent, plein de jus. Avec les Jaws, c’est la fête au village Rockab, tout le monde saute en l’air.

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             Paru en 2018, le mini-album Burning House est un peu moins dense. Dommage. Le hit rockab se planque en B et s’appelle «Three Days», bien slappé derrière les oreilles. Ils tapent leur morceau titre à la Jody Reynolds et vont plus sur le rockn’roll avec «You Got It All Wrong», comme s’ils prenaient leurs distances avec le rockab. Ils vont sur quelque chose de plus allègre, presque anglais, très Mersey dans l’esprit. Djivan drive bien son «She’s Gone» au walking double-bass. Et son aisance vocale est confondante.

             Pourvu que le mainstream ne les détruise pas.    

     Signé : Cazengler, Howlin’ jawbard

    Howlin’ Jaws. Le 106. Rouen (76). 3 novembre 2023

    Howlin’ Jaws. Howlin’ Jaws. Rock Paradise 2012

    Howlin’ Jaws. Burning House. Badstone 2018

    Howlin’ Jaws. Strange Effect. Bellevue Music 2021      

    Howlin’ Jaws. Half Asleep Half Awake. Bellevue Music 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Magic Gus

     

             Il avait du charisme et il savait. La première rencontre fut un entretien d’embauche. Il était impossible de ne pas être frappé par l’extrême décontraction de Gusto. Rien à voir avec les autres responsables, ces gens qui aiment jouer au chat et à la souris avec les candidats. Gusto semblait au contraire s’inquiéter pour eux, avec des questions du genre : «Ne craignez-vous pas de vous ennuyer avec nous ?», auxquelles il fallait s’empresser de répondre : «Oh non non non, pas du tout !», ce qui avait le don de le faire sourire. Ça devenait troublant, car il souriait comme une movie star. Il avait un charme fou, ce qu’on appelle le charme italien, qu’il rehaussait par une moustache bien fournie. Rencontrer un tel décideur dans ce circuit, ça ressemble à un conte de fées. On finit par avoir une vision détestable du marché de l’emploi, à force de tomber sur des cons. Surtout dans ce domaine d’activité qui est celui de la com, censé être un domaine réservé en partie aux artistes, mais qui en réalité ne l’est pas du tout. Ce marché, comme le sont probablement les autres, est devenu un marché aux bestiaux, avec des procédés d’une violence inouïe. Alors forcément, quand on tombe sur un Gusto, on se demande si c’est un gag. Ce type de rencontre relève du surnaturel. Le plus troublant est qu’il ne jouait pas un rôle, le rôle du mec bienveillant qui accueille les candidats. On sentait au ton de sa voix qu’il était authentique, et ce fut d’autant plus probant qu’il donna son accord très vite, évitant de faire durer le suspense. Dans les jours qui suivirent, ce fut un régal que de le fréquenter. Il traça les grandes lignes du job, fit l’inventaire des quelques clients, montra ce qu’il fallait montrer sur les ordis, accompagnant toutes les consignes de remarques assez hilarantes. Il resta en doublon pendant quelques jours, puis un soir, juste avant la fermeture, il me demanda de venir dans son bureau pour annoncer qu’il quittait Paris : «Je vais vivre à la campagne. Tiens voilà les clés. Je te confie la boutique. Je fais les devis, tu les recevras par fax et c’est toi qui feras les factures. Tu les donnes ensuite à la secrétaire. Voilà tu sais tout. Fais gaffe de ne pas bouffer la grenouille ! La France compte sur toi ! Tu m’as pas l’air trop con, je crois que t’as tout compris». Et il éclata de rire au spectacle de ma consternation.

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             Alors que Gusto inventait le concept du job surréaliste, Gus Dudgeon inventait celui du producteur-enchanteur. Il paraissait donc normal qu’Ace lui rende hommage avec l’une de ces délicieuses compiles qui font depuis disons quarante ans sa réputation. Cette compile s’appelle Gus Dudgeon Production Gems et date de l’an passé. C’est l’une des manières les plus élégantes de revisiter l’histoire glorieuse de la pop anglaise, d’autant que ça démarre avec le «She’s Not There» des Zombies qui n’en finit plus de fasciner la populace. Gus signe la prod de ce chef-d’œuvre tapi sous le boisseau, de belle basslines traversières remontent le courant du couplet, Gus image le son, il soigne la voix de Colin Blunstone, on assiste à une fantastique foison d’excelsior, couronnée par un solo de piano faramineux.

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             John Kaufman attaque le booklet. Il commence par saluer le lecteur - Dear music lover - puis il rappelle que cette compile était prévue pour le soixantième anniversaire de Gus qui hélas cassa sa pipe en bois trop tôt, donc le projet est allé au placard. C’est lui Kaufman qui avait eu l’idée de cette compile pour en faire la surprise à Gus, mais il dut quand même lui en parler, car Gus savait mieux que quiconque ce qu’il fallait choisir. Gus donna donc son accord. Le projet avançait, et au petit matin du 21 juillet 2002, Kaufman reçut un coup de fil lui apprenant et Gus et sa femme Sheila s’étaient tués en bagnole au retour d’une party.

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             Le projet refait surface 15 ans plus tard. Richie Unterberger prend la suite. Il raconte l’histoire de Gus, un gosse qui a commencé comme tea-boy et tape operator au studio Olympic de Barnes. Puis un jour, on demande à Gus de remplacer l’ingé-son Terry Johnson qui enregistre les Zombies, car il est complètement bourré. Pour Gus, c’est le baptême du feu. Il verra par la suite arriver dans le studio des luminaries comme Lulu et Tom Jones (Hello Gildas). Il assistera aussi à l’audition du Spencer Davis Group qui n’est pas encore signé, et Gus les trouvera tremendous. En 1968, il va quittee Decca pour monter sa boîte de prod, et va démarrer avec le Bonzo Dog Band et «Urban Spaceman». Pas mal, non ? 

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             Gus donne aussi de l’écho à Mayall pour «All Your Love», et quel écho, mon coco ! On ne savait pas à l’époque que cet enchanteur de Gus emmenait Mayall sous son boisseau d’argent. On a là l’un des plus beaux échos du British Blues, personne ne bat Gus à la course à l’échalote. Alors forcément, Clapton a du son, plus que dans Cream. C’est aussi Gus qui produit l’A Hard Road des Bluesbreakers de Peter Green, puis Crusade avec Mick Taylor. Il co-produit aussi le premier Ten Years After avec Mike Vernon. L’«Oh How She Changed» des Strawbs sonne comme la sinécure d’Épicure et Gus nous fait avaler une couleuvre avec la prog de The Locomotive, «Mr Armageddon». C’est pourtant excellent, plein de trompettes, on se demande même d’où ça sort. Retour aux choses sérieuses avec le «Space Oddity» de Bowie, le grand control to Major Tom, c’est Gus, il a compris le génie de Bowie, alors il lui donne du champ, tout est soigné, le solo s’écoule dans l’espace, une génie + un génie, ça donne de la grande pop anglaise. On avait encore jamais vu l’espace s’ouvrir ainsi. Unterberger nous apprend que Tony Visconti qui devait le produire n’aimait pas «Space Oddity» et qu’il a demandé à Gus de s’en occuper. Gus n’en revient pas de bosser avec un génie pareil. Mais ce sera le dernier cut qu’il produira pour Bowie, qui préférera travailler par la suite avec Visconti, mais nous dit Unterberger, Bowie s’en excuse auprès de Gus, pensant l’avoir blessé en choisissant de continuer avec Visconti. Gus va donc se consoler dans les bras d’Elton John, toujours aussi insupportable.

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             Gus produit aussi des gens comme Ralph McTell, Ola & The Janglers, Elkie Brooks, Wynder K. Frog et Menswear. Bizarrement, le grand absent de cette compile est Michael Chapman pour lequel Gus fit des miracles. Il fait aussi des miracles avec le «Tokoloshe Man» de John Kongos, typique de l’époque, mais c’est la prod qui fait tout, comme sur les hits de Dave Edmunds. Gus fait entrer les guitares dans «Tokoloshe Man» comme des entourloupes révélatoires. Quant à Joan Armatrading, elle se situe au niveau de Nina Simone, avec «My Family». L’un des cuts les plus faramineux est le «Whatever Gets You Through The Night» enregistré par John Lennon avec l’Elton John Band et les Muscle Shoals Horns. Quel power ! Quel solo de sax ! Et un bassmatic dévore le cut de l’intérieur. On retrouve aussi l’excellente Kiki Dee avec «How Glad I Am», une belle Soul de pop, elle y met tout le chien de sa petite chienne, c’est encore une fois bardé de son. Gus = Totor. Voilà, c’est pas compliqué. Avec «Run For Home», Lindisfarne somme comme un groupe pop incroyablement sophistiqué. Plus rien à voir avec le folk anglais. C’est beaucoup plus ambitieux. Encore une prod de rêve pour Chris Rea et «Fool (If You Think It’s Over)». Tout aussi révélatoire, voici Voyage avec «Halfway Hotel», chanté à la larmoyante de lonely way, ce mec est né pour émouvoir, il y a du Bowie en lui, mais avec un autre timbre. C’est assez énorme, grâce à Gus.

    Signé : Cazengler, Gugusse

    Gus Dudgeon Production Gems. Ace Records 2021

     

     

    Le Dwight dans l’œil

    - Part Two

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             C’est en 1976 que Dwight Twilley nous a tapé dans l’œil pour la première fois avec Sincerelly. Non seulement les chansons de l’album battaient tous les records de magnificence - même ceux de Big Star et d’Arthur Lee - mais le Dwight Twilley qu’on voyait poser en compagnie de son collègue au dos de la pochette était beau comme un dieu. Il ajoutait l’insult à l’injury, comme on dit en Angleterre. Comment pouvait-on être à la fois aussi beau et aussi doué ? Oh bien sûr, Elvis et Bowie étaient déjà passés par là, et ça n’en devenait que plus indécent, car ce petit mec sorti de nulle part, c’est-à-dire d’Oklahoma, s’installait automatiquement au firmament.

             Le rock servait à ça, autrefois, à alimenter la pompe à coups de Jarnac. Les kids du monde entier ne se nourrissaient que de légendes dorées, et donc le destin avait du pain sur la planche, car il fallait alimenter ces millions d’oisillons affamés. Alors le destin n’y est pas allé de main morte :  Elvis, Brian Jones, Vince Taylor, Ray Davies, Iggy, Bowie et Dwight Twilley, pour n’en citer que  sept.

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             La provenance du buzz est depuis longtemps oubliée - probablement Creem - toujours est-il qu’un jour on s’est retrouvé avec Sincerelly dans les pattes, le pressage anglais fabriqué par Island pour le compte de Shelter, en 1976, l’année de tous les dangers. Pif paf, dès «I’m On Fire», Twilley the twilight nous transforme en terre conquise, d’un seul coup de pop lumineuse. C’est encore autre chose que Big Star ou les Beatles, Twilley the twilight propose une pop rayonnante, électrique et radieuse à la fois. L’amateur d’essences légendaires s’y retrouve immédiatement. Le romantique encore plus, avec notamment «You Were So Warm», une pop si belle et si pure qu’elle paraît élevée. On pourrait même dire visitée par la grâce. Mais c’est en B que se niche la merveille définitive : «Baby Let’s Cruise», d’une réelle splendeur mélodique, un crève-cœur pour tous les romantiques, Twilley the twilight chante ça au développé suspensif. L’artisan du son s’appelle Bill Pitcock IV. Il éclaire chaque cut de son lead, just like the sun. En B, on croise aussi l’excellent «TV» et son beat rockab - A pretty good company - Twilley the twilight et Phil Seymour illustrent ainsi le pendant rockab de cette incroyable odyssée qui les a jetés dans les bras de Ray Smith, un vétéran de la scène Sun de Memphis.

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             L’année suivante paraissait l’encore plus spectaculaire Twilley Don’t Mind. On en prenait plein la vue dès la pochette. Comment ces deux mecs pouvaient-ils être aussi beaux ? Et comment pouvait-on résister à «Looking For The Magic» ? Évidemment, ça entrait en résonance avec les sentiments amoureux de l’époque, qu’ils soient de nature excitants ou douloureux. Twilley the twilight prenait cette merveille au tremblé de voix et nous couvrait de frissons. Avec ses gros accords de boogie, Bill Pitcock IV faisait des ravages d’entrée de jeu avec «Here She Comes». Mais la magie était encore à venir, notamment via «That I Remember». Twilley the twilight montait son chant en épingle mélodique et Pitcock tissait un prodigieux réseau d’arpèges. Du coup, ce Remember devenait le hit caché de l’album, emporté par de fabuleux moteurs. On voyait ensuite le chant du Dwight dans l’œil se fondre dans la crème de «Rock & Roll 47» et cette A historique s’achevait sur un autre moment de magie blanche, «Tryin’ To Find My Baby». Une fois de plus, Twilley the twilight nous transperçait le cœur et c’est avec cet air en tête qu’on promenait son spleen dans les rues de la ville. Et bizarrement, la B restait lettre morte. Twilley the twilight avait vidé son sac en A. Donc, inutile de perdre ton temps à écouter la B.  

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             En 1979, Dwight Twilley continuait d’exploiter son mythe. Comment ? En couvrant Twilley d’une myriade de portraits qui le rendaient chaque fois plus irrésistible. Il cultivait à outrance l’arcane du beau ténébreux et bien sûr, ça influençait l’écoute. D’autant qu’il attaquait avec le mélodiquement parfait «Out Of My Hands», revenant à ses vieilles amours et laissant flotter autour de lui la poussière d’étoiles dans la brise tiède des orchestrations. Toutes ses compos restaient soignées, mais ça finissait par tourner un peu en rond. Heureusement, Bill Pitcock volait à son secours dans «Alone In My Room» et la pop se remettait enfin à scintiller. Pitcock n’en restait pas là, car dès le «Betsy Sue» d’ouverture de bal de B, il revenait casser la baraque en ultra-jouant. On voyait bien que Twilley the twilight peinait à rallumer son vieux brasier, et il fallait attendre «It Takes A Lot Of Love» pour frémir enfin. En clamant ses clameurs, il livrait là l’une de ses plus belles œuvres.

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             Trois ans plus tard, il revenait dans le rond de l’actu avec Scuba Divers. Il amenait la power pop à son apogée dès «I’m Back Again». Bill Pitcock s’y illustrait avec un solo très condensé, comme ceux de Todd Rundgren. Il se livrait ensuite au petit jeu des rafales, et cette pop éclatait au grand jour. En fait, Pitcock allait continuer de voler le show de l’A avec «10.000 American Scuba Divers Dancin’», même si Twilley the twilight s’entêtait à chanter à la revoyure. On comprenait confusément que sa principale qualité était l’entêtement. Sa power pop plaisait par petites touches, son «Touchin’ The Wind» devenait une merveille touchy. En B, il chargeait «I Think It’s That Girl» de tout le poids du monde, avec ce démon de Pitcock en contrefort. Il lui arrivait aussi de se fâcher, comme le montrait «Cryin’ Over Me», nettement plus musclé, quasiment rock, gorgé de basse et de cocote sourde. Et puis après l’avoir cherchée - «Looking For The Magic» - il la trouvait enfin avec «I Found The Magic», et malgré tous les éclats pop et l’habituelle ténacité, on comprenant que Twilley the twilight n’avait plus rien à dire.   

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             Paru en 1984, Jungle pourrait bien être son album le plus faible. L’impression de tourner en rond persiste et signe. Il retrouve ses marques avec «Why You Wanna Break My Heart» : belle tension pop et jardins suspendus de Babylone. Il se remet aussi à ahaner avec «Cry Baby», il a toujours adoré ça, ahaner. Mais la B se perd dans les méandres de la carence compositale.

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             Paru en 1986, Wild Dogs n’aura aucune incidence sur l’avenir de l’humanité. Bon, comme d’habitude, c’est bien joué, bien enregistré, mais ça reste un brin passe-partout. «You Don’t Care» ne sort pas de l’ordinaire du twilight. If you’re looking for the magic : tintin. Malgré de beaux efforts, «Hold On» ne veut pas démarrer. Difficile de surpasser la perfection des deux premiers albums. La B tente de sauver l’A avec un «Baby Girl» assez bien foutu, fougueux comme un étalon sauvage. Ça pulse et ça hennit le beat à l’air. Twiley the twilight tente de retrouver le chemin du magic cut et «Ticket To My Dream» pourrait bien être celui qui s’en approche le plus. Ce mec est un vrai cœur d’artichaut, un romantique incurable. Il ne veut pas lâcher la grappe de la romance. Son «Secret Place» est néanmoins excellent. 

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             Daté de 1993, The Great Lost Twilley Album sonne comme un passage obligé. L’amateur de coups de génie s’y régalera de deux cuts : «Somebody To Love» et «Dancer». Le son est là tout de suite, avec des éclairs dans le gratté de some place in the sun et des oh oh au sommet du refrain, la magie est intacte, le développé d’accords d’une douceur incomparable. «Dancer» trône donc au sommet de l’art pop, c’est un tenant de l’aboutissant explosif. D’autres merveilles encore, telles ce «Burning Sand» bourdonnant et gorgé de soleil, doté de tous les charmes de l’embellie, ils restent pourtant dans leur vieux son, mais «Sky Blue» tape dans l’excellence. Ils emmènent «Chance To Get Away» à vive allure. Dwight dans le nez chante parfois à ras des pâquerettes, mais le spectacle continue sans fin, de courts éclairs de pop traversent «I Love You So Much». La pop magique reste l’apanage du Dwight dans l’œil et avec «I Don’t Know My name», il crée de l’enchantement, il taille ça dans un cristal d’arpèges. Il règne sur l’empire de la pop lumineuse, certaines chansons semblent suspendues à ses lèvres. Intrinsèque et littéral, «The Two Of Us» tisse une toile d’ersatz Pound et la voix du Dwight dans le nez s’enroule autour d’un soleil d’arpèges lumineux. «I Can’t Get No» sonne comme un hit de Brill. Peu de choses planent aussi haut. Ce mec-là ne s’arrête jamais.

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             La première chose qu’on remarque en fouinant dans les infos de Tulsa, c’est la présence de Bill Pitcock IV. Il faut donc s’attendre à du powerfull power-poppisme. Et comme prévu, on a tout de suite du son, du bien amené, du Dwight dans le nez. Il mène son biz prodigieusement orchestré à la pogne. Du haut de sa légende, il domine la ville, les mains sur les hanches. Il fait la pluie et le beau temps avec «It’s Hard To Be A Rebel», une authentique merveille étoilée, dotée de toute la persistance dont est capable la prestance. Son «Baby Got The Blues Again» est une magnifique romance, une Beautiful Song dirigée vers l’avenir. On se voit contraint de dire la même chose de «Way Of The World». Dwight dans l’œil a le compas dans l’œil. Il renoue avec son vieux génie romantico, celui qui irriguait ses deux premiers albums. Terrific ! Le morceau titre nous sonne bien les cloches, lui aussi - You’ve always been there - Dwight dans le nez rend hommage à sa city, ça prend vie avec de l’eau, Dwight & Bill forever ! Le Dwight bourre bien le mou de «Miranda» et au passage, il nous en bouche un coin, une fois de plus. Tout est solide sur cet album, vraiment très solide. Il faut voir le Dwight embarquer son «Miracle» au doigt et à l’œil. Bill veille au grain et les chœurs font «miracle !». En prime, c’est battu sec et net. Ce démon se dirige vers la fin avec «Goodbye», un balladif dwighty doté d’une énergie fantastique et nous fait ses adieux provisoires avec «Baby Girl». Un truc qui n’a rien à voir avec le Dwight : la gonzesse qui vendait cet album a mis son parfum dans le booklet et du coup, ça devient très capiteux. Les parfums de femmes sont parfois très capiteux. Alors Dwight Twilley peut claquer son Baby Girl, un hit violent et sexuel à la fois.  

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             Paru en l’an 2000, Between The Cracks Volume One est comme son nom l’indique une collection de fonds de tiroirs. Comme tous les grands compositeurs, Twilley the twilight collectionne les fonds de tiroirs, et comme le font tous ceux qui veulent soigner sa postérité, il se retrousse les manches et fouille. Dans l’insert, il commente chacun des 16 cuts de la compile et salue bien bas ses principaux collaborateurs, le scorching Bill Pitcock IV et la cool Susan Cowsill aux backing vocals. Pas de surprise, les 16 cuts restent bien dans la ligne du parti, c’est-à-dire la power pop à laquelle il nous habitue depuis 1976. On retiendra le «Living In The City» qui se planque en B, car Twilley the twilight indique qu’il l’écrivit pour son collègue Phil Seymour au temps de Twilley Don’t Mind, et ajoute-t-il, Bill Pitcock on devil guitar. En fin de B, on tombe aussi sur l’excellent «No Place Like Home», un heavy boogie d’Oklahoma qu’il joue les Dwight dans le nez.

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             Paru en 2001, The Luck est un solide album de power pop, donc rien de surprenant. Il attaque avec une sacrée triplette de Belleville, «Music», «Holdin’ On» et «Forget About It». On voit même Dwight se fâcher dans «Music». On le croit gentil, mais au fond, ce mec ne rigole pas. Il se livre aux joies tatapoumesques du heavy stomp. Son «Holdin’ On» est une merveille de holdin’ on. Le heavy beat de la power pop prédomine, il crée son monde depuis vingt ans et il est devenu imparable. On reste dans la heavy power pop avec «Forget About It», son énergie poppy descend sur la ville - The way I love you/ I’ll find a new way to forget about you - Il chante ça mais n’en croit pas un mot. Il se pourrait bien ce que Luck soit l’un de ses meilleurs albums. Il claque son «No Place Like Love» à la folie. Il vire même glam avec «I Worry About You». Pour un cador comme Dwight, c’est plutôt heavy. Puis il revient à son fonds de commerce, la petite pop bien foutue à laquelle il nous habitue depuis Sincerelly. Il y va toujours de bon cœur. Son «Suzyanne» est assez balèze, force est de l’admettre. C’est exactement le son de Sincerelly. Il vit sur ses réserves et pardon de l’avouer, on bâille un peu aux corneilles, car ça sent le réchauffé. Il oscille toujours entre le puissant («Leave Me Alone») et le plan-plan («Gave It All Up For Rock’n’Roll»). Ah ces Okies !

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             Comme Totor et d’autres fans du Père Noël, Dwight Twilley s’est fendu en 2004 d’un beau Have A Twilley Christmas, un mini-album qu’il faut bien qualifier d’enchanté. Dwight dans le nez ramène le soft du Christmas time dans son soft rock étoilé. Il fait aussi le show avec «Rockabilly Christmas Ball» - The rock/ The rock/ A Billy/ Christmas - Bien vu, Dwight dans l’œil. Il profite de «Christmas Night» pour renouer avec le power du Dwight, c’est-à-dire les power chords, et ça continue avec l’énorme «Christmas Love» - Oooh baby I want you - Il finit toujours par ramener du power dans son Christmas stomp. Et bien sûr Bill Pitcock IV veille au grain.

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             On est très content de rapatrier Green Blimp, car on voit sur la pochette que Twilley the twilight va bien. Il a un certain âge, mais il conserve son look de jeune premier. De là à penser qu’il est lui aussi un vampire, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse. Globalement l’album est bon, et ce dès le coup d’envoi et la fantastique allure de «Get Up» - Get up/ I’m tired of being down - Il incite ses fans à se lever. La bonne nouvelle, c’est que Bill Pitcock IV est de retour. Twilley the twilight sonne comme les Beatles avec «Me And Melanie» et il se fend d’une Beautiful Song avec «Let It Rain». Plus que jamais, Twilley the twilight est dans la chanson, il n’y a que ça qui l’intéresse. Il cherche chaque fois à renouer avec «Looking For My Baby». Mais on sent chez lui une tendance plus pop, comme le montre le «You Were Always Here» d’ouverture de bal de B. Il chante toujours au sommet de son lard, c’est un indéfectible, un arpenteur, un passeur d’ordres, un émetteur de missions, et Bill Pitcock IV vient envenimer les choses, comme au bon vieux temps. Avec «Ten Times», on se croirait sur Sincerelly. Même son d’accords impavides. Son «Witches In The Sky» reste lui aussi fidèle au passé : pop alerte de gorgée de son, avec un Pitcock en contrefort, l’inestimable roi des cocotes et des subterfuges. Et puis pour finir, Twilley the twilight nous fait non pas le coup du lapin, mais le coup du coup de génie avec «It Ends». Twilley don’t mind, avec ses méchants relents de psychedelia, et Pitcock s’en donne à cœur joie.    

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             En vieillissant, Twilley the twilight se bonifie, comme certains pinards. Il suffit d’écouter ce Soundtrack paru en 2011 pour en avoir le cœur net. L’album est comme pris en sandwich entre deux grosses tranches de pop géniales, «You Close Your Eyes» et «The Last Time Around». Il est là et même plus que là, au coin du déroulé de guitares, comme au temps de Sincerelly - So you you close your eyes - Bill Pitcock IV rafle encore la mise. Il va chercher le power dans l’essence même de cette vieille power pop qu’il cultive depuis 1976, depuis la nuit des temps du rock. Ça reste très fascinant, très dense, d’une rare ampleur et bien sûr, Pitcock transperce le cœur de «The Last Time Around» d’un solo dément. Tout au long de l’album, Pitcock descend dans la bedaine des cuts et taille dans le vif. «Tulsa Town» surprend par sa puissance. S’il est un puissant sur cette terre, c’est bien Twilley the twilight. Il drive ses chansons d’Okie à l’extrême onction. Les coups d’harmo de Tulsa valent bien ceux de Charles Bronson. Twilley the twilight enfonce encore son clou avec «Skeleton Man» et refait battre le poumon d’acier de Sincerelly avec «My Life». Ce mec étend son empire en permanence, chez lui c’est une manie. Il crache du power jusqu’à la dernière seconde. «Out In The Rain» pourrait aussi figurer sur Sincerelly, la vieille magie est intacte, c’est encore une fois une merveille d’équilibre entre la pop et l’harmonie. De toute évidence, Twilley the twilight a du génie. Il te voit dans le noir et il chante pour toi. Il te balade dans un monde parfait, le sien. On tombe sur un autre cut monumental, «The Lonely One». Il chante ça au power pur de la grande pop instrumentale. Il est grimpé au sommet de son art, un art qu’il faut bien qualifier d’unique en Amérique. Tous les cuts de cet album sont remarquables.  

    Signé : Cazengler, Dwight Eiso-nowhere

    Dwight Twilley Band. Sincerelly. Sheter Records 1976

    Dwight Twilley Band. Twilley Don’t Mind. Arista 1977

    Dwight Twilley. Twilley. Arista 1979

    Dwight Twilley. Scuba Divers. EMI America 1982

    Dwight Twilley. Jungle. EMI America 1984

    Dwight Twilley. Wild Dogs. CBS Associated Records 1986 

    Dwight Twilley Band. The Great Lost Twilley Album. Shelter Records 1993

    Dwight Twilley. Tulsa. Copper Records 1999  

    Dwight Twilley. Between The Cracks Volume One. No Lame Recordings 2000

    Dwight Twilley. The Luck. Big Oak Recording Group 2001

    Dwight Twilley. Have A Twilley Christmas. Digital Musicworks International 2004

    Dwight Twilley. Green Blimp. Big Oak Records 2010

    Dwight Twilley. Soundtrack. Varèse Sarabande 2011

     

    *

    Chouah ! chouah ! chouah ! ce n’est pas un chien asthmatique qui nous accueille lorsque nous poussons la porte du 3 B, mais le bruit caractéristique de la charleston jazz qui ruisselle de partout, juste le temps de reprendre nos esprits, nous arrivons deux minutes après le début du concert, impossible de comprendre pourquoi la route a été si lente ce soir, une nuit foncièrement noire mais the road n’était pas chargée, ce n’est pas mon habitude je déteste rater le début d’une prestation, par respect pour les artistes.

    TROYES / 17 – 11 – 2023

    3 B

    SHANNA WATERSTOWN

                    Désolé pour les amateurs de rockabilly mais ce soir Béatrice la patronne innove, elle a saisi l’opportunité d’une tournée entre Suisse, France et Belgique pour accueillir une chanteuse de blues. L’occasion de se remémorer les ariégeoises et estivales heures bleues du Festival de Blues de Sem entre Patricia Grand et Daniel Giraud, coup de blues dans mon âme ces deux amis chers ne sont plus depuis quelques mois de notre monde.  Everyday I have the blues, fredonne comme par hasard Shanna Waterstown.

             Pas un petit calibre elle a joué en première partie de James Brown… Bien sûr elle est accompagnée par trois supers musicos issus du fin fond du Sud. Devinez d’où : de Memphis ? de Clarksdale ? de Chicago ?  Erreur sur toute la ligne, ce trio infernal vient de tout en bas, de Floride ? Presque, c’est Shanna qui est née là-bas, eux sont des natifs du sud… de l’ Italie, Naples par exemple.

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             Sont trois. A droite le bassiste. Coiffé d’un bonnet et assis de profil, ne quittera pas sa chaise de tout le set. Le mec qui ne fait rien pour attirer le regard des gens. On ne l’entend pas. Comprenez ce que je veux dire, vous vous promenez sur la plage, les cris des mouettes vous percent les oreilles, les enfants se chamaillent en hurlant, les ploufs des baigneurs résonnent comme des coups de canon. Pour une promenade au calme, c’est raté. Pas de crainte, au contraire votre subconscient lui a totalement conscience du bruit de fond, l’écroulement insistant des vagues qui se brisent sur le rivage. Un extraordinaire vacarme tellement habituel que l’on n’y prête pas attention, faudrait que les êtres vivants s’immobilisent et se taisent d’un seul coup pour que l’on puisse se rendre compte de cette sourde rumeur inapaisée. Ces instants de silence les trois autres membres le lui accordent de temps en temps, le temps d’un solo, alors une pulsation profonde se colle à vos tympans et vous fait entendre le bruit primordial de la vie.

             Sont encore trois. A gauche le guitariste.  C’est pas le boss, donc il bosse. Le mec multi-fonctionnel. Il joue de la guitare ce qui n’est en rien significafif pour un guitariste. Mais il joue après. Après tout le monde. Particulièrement après Shanna, nous en reparlerons plus tard. S’appelle Massino, parce qu’il fait le maximo. L’est comme les paléologues, vous leur portez un informe fragment d’os que vous venez de dénicher dans la glaise du champ de fouilles et tout de suite il vous explique que cette esquille osseuse de trois centimètres de long provient de la patte arrière gauche d’un dinosaure, exactement d’un brachiosaure qui vivait à l’époque bénie du Jurassique supérieur. Ces collègues ont fait ce qu’ils ont voulu, lui il rajoute un truc, un lick drôlement bien foutu, ou étrangement biscornu, l’est comme ces maîtres de la Renaissance qui soulignait d’un coup de pinceau l’œil du portrait que venait de terminer un de ses élèves, et tout de suite le tableau acquerrait une force qui vous aurait échappé sans son intervention.

             Sont toujours trois. L’est au centre. Lui il rayonne comme le Roi Soleil. Depuis son trône il illumine la galaxie. Grand, costaud, solide. Il ne joue pas de la batterie. Il frappe, il cogne. Vous fait des démonstration sonores. N’insiste jamais. Tape uniquement les coups strictement nécessaires. Avec une telle conviction que vous entendez le superflu. L’est comme ces génies de la mathématique qui donnent en trois secondes le résultat d’une multiplication à dix-huit chiffres, sans jamais se tromper. Un ordinateur. Qui n’en fait qu’à sa tête, qui n’obéit à aucune préprogrammation, qui ne suit aucune logique, dont la justesse de ses improvisations s’impose par l’évidence de leur présence.

             Quand on y pense ces trois énergumènes sont des larrons en foire taillés sur le même type. Fonctionnent sur le même modèle, dans telle situation, la meilleure solution que pourrait proposer un algorithme génial serait celle-ci, et ils vous la sortent d’instinct. Avec un petit sourire satisfait qui semble dire, si par un hasard extraordinaire la solution idoine ne marchait pas, pas de panique j’ai encre mieux en magasin. Voici. Imaginez que vous avez cette équipe de cadors et que vous seriez chanteuse. N’imaginez plus rien, par chance nous avons Shanna Waterstown !

             Tout devant, au premier rang. Shanna, vous ne voyez qu’elle. Belle, grande, charismatique, micro en main, elle bouge un peu, on ne peut pas  dire qu’elle danse. Quand on a une voix comme la sienne, il est inutile de se contorsionner pour attirer l’attention.  

             Elle commence piano, un peu cabaret jazz, vous avez un peu ce genre de blues middle-class huppée parfois chez BB King, Shanna nous la fait en grande dame, un peu entraîneuse sur les bords, un Dock of the bay si bien modulé qu’on aimerait un coup de vent, un Stay with me sans l’angoisse du timbre de Bene King et un Summertime au soleil pas vraiment estival. En tout cas la voix est chauffée. Il est temps de passer aux choses sérieuses.

             Elle annonce un blues, une de ses compositions. La voix est montée d’un cran, mais elle n’accapare pas le devant de la scène, elle chante pour permettre à ses musiciens se s’exprimer. Ils ne s’en privent pas. Vous font la totale. Un peu de blues, un peu de shuffle, un peu de ryhthm ‘n’blues, un peu de groove, un peu de funk, par pincées, n’exagèrent pas non plus, vous démontrent la différence entre une bicyclette électrique et une grosse cylindrée, vous en déduisez qu’il ne faut pas les classer dans la première catégorie, n’en bombent pas pour autant le torse… Tous les quatre préparent le piège dans lequel on va tomber. Le premier set s’arrête sous les applaudissements.

             Second set. Changement de décor. Nous étions sous un vent fore 7, nous allons connaître la catastrophe planétaire. Par la faute de Shanna Waterstown, elle sort les gros calibres, propres compositions en compagnie de Buddy Guy, Freddy King, Koko Taylor, Big Mama Thornton pour qui elle a manifestement un faible. Avez-vous déjà entendu chanter une chanteuse de blues. Non, au début ce n’est pas grave, elle chante comme vous et moi, enfin presque, ensuite il suffit de chanter comme Shanna. Plus de voix, une tonitruance, sans préavis, on ne s’y attend pas, elle est déjà au sommet de la montagne, la suite est ravageuse, elle pose les mots les uns sur les autres comme les Titans empilaient les blocs cyclopéens pour grimper jusqu’aux demeures divines de l’Olympe. Vous imaginez qu’un lanceur de foudre jupitérien va la calmer à coups d’éclairs, mauvais scénarios, c’est elle qui lance la foudre et le tonnerre. Cataclysmique, elle a le blues-Stromboli éruptif, il déferle sur vous, et vous succombez sous le poids des mots et le choc du vocal.

             Vous n’avez pas vu le temps passer. Shanna sonne la fin des jouissances. Béatrice la patronne, qu’elle soit remerciée pour tout ce qu’elle fait pour la musique que l’on aime, se précipite pour un petit supplément. Nous n’aurons droit qu’à un unique et dernier morceau. De quoi nous refiler le blues !

    RETOUR

    Ouah ! Ouah ! Ouah ! cette fois-ci ce sont des chiens, les miens, tout heureux de m’accueillir après cette nuit bleue !

    Damie Chad.

    *

    Mes chiens me regardent avec reproche, je n’y suis pour rien, l’heure de la promenade est passée depuis longtemps, il pleut à verse, je ne peux rien faire pour eux, sinon appuyer sur cette image d’une plage ensoleillée :

    FATA MORGANA

    CORAL FUZZ

    ( AlbumNumérique / Novembre 1923)

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    Entre nous, le genre de couve, un peu trop brésilienne à mon goût, que je n’aime guère, un bon point les chiens se sont recouchés et prennent leur mal en patience, je regarde de plus près, tiens des grecs, vu le dessin ils n’ont pas l’air d’être portés vers la mythologie, enfin faisons confiance un peuple qui engendré des zigues de la taille d’un Aristote ou d’un Cavafy ne peut pas être entièrement mauvais. J’ai donc cliqué, et je ne le regrette pas.

    J’ai remonté tout l’Instagram de Mariano Piccinetti, l’est argentin, aurais-je été distrait je n’y ai pas trouvé la couve du disque, ce n’est pas le meilleur de ses artworks, vous le comprendrez mieux lorsque vous aurez compris qu’il oppose la bestiole humaine, avec ses us et coutumes modernes, à l’immensité cosmique, et que nous apparaissons en ses œuvres comme un animalcule épisodique… Je m’aperçois qu’il est suivi sur son Instagram par Paige Anderson de Two Runner, que nous suivons depuis plusieurs années, la vie est pleine de connexions surprenantes.

    George Papakwastas : vocals, guitar, Farsifa / Manos K : bass / Argyris Aliprantis : drums, percussions.

    Shiny days : le titre est sorti au mois de juillet 23, la couve n’est pas créditée, elle pourrait être de Mariano Piccinetti, ces personnages en suspension sur les aiguilles de hautes montagnes sont bien dans son style, avec peut-être un petit clin d’œil avec Le voyageur de Gaspar David Friedrich : je ne connais pas les débuts du rock grec, ceux qui auront un peu planché sur la couverture auront reconnu un album de surf, mais il ne me semble pas inspiré par Dick Dale et consorts made in USA, semble plutôt avoir pris pour modèle les premiers groupes de rock instrumental français, voir nos chronics sur les Vautours, les Fantômes et les Fingers, leurs disques seraient-ils parvenus en Grèce ou fait des émules, en tout cas c’est le même son, pas très épais, un peu aigre mais porteur d’une terrible nostalgie… laissez-vous emporter par les premières notes, ricochets d’une belle guitare, une rythmique qui ose pointer à plusieurs reprises le bout de son nez par la portière, cerise sur le gâteau un vocal qui ne dépare en rien l’ensemble, alors que chez les groupes français… Oui mais George chante en anglais. Certes il triche mais il sort gagnant, personne ne lui en veut. Andalucia : quand vous avez une arène en Espagne vous y poussez un taureau, dans les instrumentaux on ne peut pas faire le coup de la vache folle à tous les coups mais une belle espagnolade aux relents de fandango emporte toujours les faveurs du public. Guitare banderille et batterie estocadante, le taureau est envoyé ad patres en deux minutes. Trop vite fait, mais extrêmement bien fait. Run n’ hide : groovy groovy, la basse se régale, la batterie bat de l’amble et la guitare se fait légère comme une brise d’été, le chanteur chante, on n’écoute pas ce qu’il dit, on s’en fout, sa voix nous accompagnera jusqu’au coucher du soleil. Saw you in my dream : cette guitare en chevauchée western nous emporterait jusqu’au bout de la nuit, devrait se taire, il la voit dans ses rêves, l’en fait tout un fromage, m’étonnerait qu’elle cède, en plus il n’arrête pas, enfin si, mais il tient à terminer. Entre nous soit dit le morceau aurait été meilleur en instrumental. My babe’s gone : évidemment elle est partie, la déception a du bon, z’attaquent plus fort, et nous font de ces floutés soniques dont on se souviendra toute la semaine. Pour un peu il se prendrait pour Robert Plant, heureusement que la musique vous balaie le chagrin comme le vent l’écume sur la mer.  Scorching sun : soleil brûlant et combo vent en poupe, pas de problème, personne ne pousse la roucoulante, l’on bondit au sommet des vagues et l’on chevauche les abîmes. Que voudriez-vous de plus. Les chevaux de Neptune sont nos amis. Fata Morgana : le morceau le plus long, ils s’appliquent, tiennent la cadence, cette fille est une fée, sont sages mais ils tiennent à se faire remarquer, la guitare tire la langue d’une façon impertinente, le batteur tient le bon bout, en fait ils veulent s’en débarrasser alors ils s’éloignent sur la pointe des pieds. Bien joué ! Not your type : basse grondante, tout ce que l’on peut faire avec des cordes ils vous l’offrent, du coup George y va mezzo voce, l’a raison mais les autres ne l’entendent pas ainsi joignent leurs organes au sien, ouf ils n’insistent pas, ils ont un si beau son quand ils se taisent. Ils ont compris, sur la fin ils montrent tout ce qu’ils savent faire. Guitar radiation : avec un tel titre vous avez intérêt à assurer. Comme des bêtes. Ce qu’ils font.  Rien à redire, si ce n’est que l’ensemble les dix titres auraient dû être des instrumentaux. Connaissent beaucoup plus de plans qu’ils ne croient eux-mêmes. Techniquement le titre le plus au top. Un régal. Back again : ne lâchent pas le morceau, un petit côté Apache mais pour que l’on ne confonde pas, George se met à chanter et vous change la physionomie de l’objet, vous le fait un peu à l’anglaise, se débrouille même bien, un peu pop, mais brillant.

             Extrêmement agréable à écouter. A réécouter aussi. Le disque n’a pas plus d’une semaine et déjà l’on attend le suivant.

     

    *

    Dans notre livraison 615 du 12 / 10 / 2023 nous nous penchions sur les premières vidéos de trois jeunes filles présentées comme des figures montantes du country, The Castellows, nous les avons suivies depuis leur enfance et les avons quittées sur leur départ pour Nashville nous doutant bien qu’elles ne laisseraient pas insensible le monde musical de cette cité reine de la country.

    Ce 10 novembre l’officialisation de la signature des Castellows avec le label Warner Music Nashville / Warner Records n’a surpris personne. Dans les heures qui ont suivi deux premiers clips officiels n’ont pas tardé à être mis en ligne sur toutes les chaînes de streaming.

    Cette première vidéo étonnera ceux qui ont regardé et écouté les Silo Sessions. Certes l’on retrouve Eleanor Balkcom à la guitare, Lilian au chant et Powell au banjo. Elles ne sont plus seules : Andy Leftwich, fiddle and mandolin, les accompagne. Jerry Mc Pherson est à la guitare électrique, Jimmy Roe aux drums, Steve Macky tient la basse.

    Le morceau est co-signé par les trois sœurs mais le nom d’une quatrième personne apparaît : Hillary Lindsay. Pas tout à fait n’importe qui, depuis vingt ans ses compositions se retrouvent systématiquement en tête des hit-parades country. 

    Les Silo Sessions étaient un peu spartiates, trois jeunes filles assises jouant et chantant en acoustique. Certains reprocheront la monotonie de cette mise en scène, seront-ils pour autant ravis par ce clip qui rappelle un peu trop l’esthétique tik-tokienne…

    N0. 7 ROAD

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             Certes l’on reconnaît les Caslellows, le vocal si particulier de Lily et le fredonnement de leur chant, l’accompagnement entraînant sait se faire discret quand elles chantent pour revenir au galop dans les passages musicaux. Visuellement on se croirait devant un décor peint de théâtre poético-réaliste tel que l’on en présentait au dix-neuvième siècle, une route agreste bordée d’arbres, c’est beau vous avez envie de vous y promener, nos trois adorables princesses s’amusent comme des petites folles, elles courent, elles bondissent, elles dansent, elles rient, une fois par-ci, une fois par-là, si l’on suit les lyrics, l’on peut affirmer qu’elles ont la nostalgie joyeuse…

             Quand l’on regarde le nombre de vues, l’on se dit que le produit Castellows manufacturé par l’industrie de l’entertainement nashvillien est des plus efficaces. 

             Oui, mais voilà il y a la deuxième vidéo, dix fois moins prisées que la précédente puisqu’elle ne bénéficie que de 21 000 vues. L’on y retrouve la même distribution mais ce coup-ci Andy Leftwich est au banjo, Steve Mackey au fiddle, Jerry Mc Pherson a laissé sa guitare électrique à Eleanor et se charge de la basse, en plus de la batterie Jimmy Roe rejoint Eleanor et Powel aux backin vocals. Changements typiques de la dextérité instrumentale des musiciens country.

    Il ne s’agit pas d’une reprise de l’Hurricane de Dylan mais d’une composition de Tom Shuyler + Keith Stegal, + Stewart Harris qui fut créée en 1980 par le chanteur Leon Everret et repris par beaucoup d’autres. You Tube en propose toute une gamme d’interprétations, associées à des images chocs accompagnés de phrasés mélodramatiques… qui portent un peu à rire. Même si l’on a encore le souvenir de l’ouragan Katrina de 2005 qui dévasta la Nouvelle Orleans.

    HURRICANE

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             D’une esthétique totalement différente de NO. 7 Road. Un fond rouge froissé uniforme sur lequel viennent s’incruster en blanc les vues mouvantes des Castellows en train de chanter. On a envie d’écrire qu’elles ne chantent pas qu’elles susurrent, ce qui est faux, mais la rythmique lenteur de l’accompagnement infuse cette impression d’inéluctabilité menaçante, d’une catastrophe imminente, on reste suspendu aux paroles qui s’inscrivent sur l’arrière-fond du rideau cramoisi, les gouttes de pluie du banjo, les plaintes du violon, le suintement percussif créent une ambiance délétère angoissante. La voix de Lily vous entraîne jusqu’au bout de la nuit de l’intranquillité  humaine assumée.

             Une réussite exceptionnelle. Agit sur vous comme l’inoculation d’un poison mortel dont vous ne pouvez vous passer.  Une espèce de tragédie antique dans lesquelles trois sybilles d’Apollon, aux lèvres de de pierre froide et ardente dévoilent ce que nous ne devrions pas savoir.

    ATHENS GA ENTERTAIMENT MUSIC

    6 / 10 / 2023

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             Non, les Castellows n’ont pas encore atteint une renommée internationale qui leur permettrait une tournée européenne. Nous ne sommes pas au bas des pentes de l’Acropole, seulement en Georgie, séparée de la Russie, mais en l’Etat américain de Georgie dont elles sont originaires. Les voici toutes trois sur le devant de la scène, au centre Lily arbore un chapeau de cowboy et une tunique aux couleurs du drapeau américain, leurs longues et fines jambes enserrées en le bleu soutenu d’un jeans.  Derrière les gars sont habillés d’un similaire grimpant, c’est le moment de mesurer si la voix somme toute fluette de Lily peut surmonter la puissance sonore d’un combo, violon, guitare, basse, batterie. Vous trouverez facilement l’ensemble du concert filmé et édité par Gregory Frederik, nous commentons seulement, la vidéo finale, notamment parce que l’on y retrouve Hurricane, c’est exactement la même voix mais les guys derrière devraient jouer un bémol au-dessous, il est nécessaire de se focaliser sur le chant si l’on ne veut pas perdre la magie qui vous saisit à l’écoute de la vidéo précédente… Terminent par une reprise sur un tempo rapide de House of the rising sun, à la fin de laquelle elles offrent aux garçons l’occasion de démontrer leur virtuosité. Sur l’ensemble du concert, elles s’en tirent assez bien, il est indéniable qu’il y a encore des détails à revoir, mais l’on sent qu’elles sont à l’aise et qu’elles apprennent vite.

             La chro était terminée depuis deux jours que viennent d’être annoncées les premières dates d’une première tournée : vingt dates entre février et avril 2024, la machine se met en route.

    Damie Chad.

     

    *

    Nous avons déjà présenté à plusieurs reprises des traductions françaises de textes théoriques et magickes d’Aleister Crowley opérées par Philippe Pissier. Par exemple dans notre livraison 592 du 16 / 03 / 2023 une Anthologie Introductive à l’œuvre d’Aleister Crowley qui parmi différents types d’œuvres en prose, proposait quelques Poèmes érotiques de la Grande et sommitale bête britannique.     

    En sa jeunesse Crowley a débuté par l’écriture de plusieurs recueils de poésie. Phillipe Pissier vient de traduire en notre langue l’un d’entre eux en intégralité. Qu’il en soi remercié.

             Ceux qui ne comprendraient pas pourquoi en notre blogue rock nous nous obstinons à chroniquer les livres de Crowley au dos de la couverture sont cités pas moins de treize (serait-ce l’arcane tarotique majeur) groupes et personnalités irrémédiablement constitutifs de la culture rock.

    NUEES SANS EAU

    ALEISTER CROWLEY

    Traduction de Philippe Pissier

    Préface de Tobias Churton

    Illustrations d’Anja Bajuk

    HEXEN PRESS / 2023

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             Magnifique couverture, reproduction du peintre Howard Pyle ( 1853 – 1911), illustrateur de livres pour la jeunesse, cette période de l’existence où tous les potentialités de la vie sont ouvertes, mais aussi créateur d’une série de toiles ultra-romantiques entachées d’un absolu pessimisme dont cette Sirène qui nous conte et exalte l’impossibilité néantifère de la réalisation amoureuse entre deux êtres. Notons que Nuées sans eau est paru en 1909. Le choix de cette couverture n’est pas uniquement guidé par des appréciations strictement esthétiques, il témoigne aussi, que l’éditeur en soit remercié, de la recherche d’une concomitance de sensibilité imaginative et réflexive entre des artistes ayant vécu dans de mêmes latitudes temporelles.

             Crowley ne revendique pas son livre, il s’agirait d’un manuscrit anonyme présenté par le Révérend C. Verey pour mettre en garde les âmes pieuses qui abandonneraient la foi transmise par leurs aïeux. Le moindre écart de conduite les mènerait à la mort et à la damnation éternelle… Crowley s’amuse et se moque, il n’en oublie pas pour autant les mésaventures survenues à Oscar Wilde. 

             Le manuscrit est dédié par son auteur présumé inconnu à Marguerite Porete (1215 -1310) béguine mystique qui finit par être brûlée vive (quelques jours après les templiers) pour son livre : Le Miroir des Âmes Simples, qui demeurent en vouloir et en désir de Dieu, il sentait d’après moi un peu trop le gnosticisme, est-ce un hasard si le dédicataire ‘’ inconnu’’ dédie non pas son ouvrage mais son contenu défini comme le ‘’ compte-rendu de nos amours’’ …

             Le livre est divisé en huit chants composés de quatorze quatorzains, à l’exception d’un seul qui en offre quinze, précédés d’un Treizain qui vient après un ensemble de cinq quintils. Ce n’est pas un texte facile – à intensité égale la poésie de langue anglaise est davantage close sur elle-même que la nôtre. La savante préface de Tobias Churton tente de l’éclairer en braquant sur lui les projecteurs de l’existence Crowleyienne et les influences littéraires. Notamment celle d’Axel magnifique pièce de théâtre de Villiers de l’Isle Adam, dans laquelle entrés en possession d’un immense trésor deux amants préfèrent se donner la mort que de survivre au rêve de l’absolu de leur rencontre zénithale destinée à être jour après jour grignotée par l’usure du temps. Notre préfacier ne l’évoque pas mais en plus de la lecture d’Axel que j’ai si ignoblement résumé, le lecteur aura intérêt à se pencher sur le poème Le phénix et la colombe de Shakespeare que Crowley ne pouvait ignorer.

             Les quintils jouent aux quatre coins, les dieux, le rire, l’amour, la mort. Autrement dit l’étrange quadrilatère du rapport de l’expérience de la vie avec l’idée de l’immortalité. Suit une espèce de sixième quintil de quelques mots, un semblant de formule rituellique magique et phonétique, dont la visée n’est autre pour le poëte que d’entamer sous des auspices favorables son voyage de poésie. Le treizain rebat en quelque sorte les dés. Averti par la préface, le lecteur remarquera l’acrostiche de Katlheen Bruce qui désigne une des maîtresses de Crowley, lors de leurs ébats érotiques elle lui infligea le cruel refus de se donner entièrement à lui. Faut-il, maintenant que les choses se sont déroulées ainsi, en rire ou n’en pas pleurer…

             Chaque chant possède sa propre figure. Le premier porte le masque de L’Augure : la prédiction est nette et sans bavure. La chose la plus heureuse qui pourra arriver à nos amants sera la mort. Les Dieux et les Puissances ne sauraient proposer meilleure solution. Attention, se donner la mort est une insulte à l’immortalité des Dieux, l’apparition ici de l’arrière-fond chrétien de l’éducation puritaine reçue par Crowley refait surface, nous touchons à la la psyché métabolique de Crowley qui sans cesse invoque les Dieux pour retrouver une présence unitaire. L’Alchimiste : ici, même lorsque les Dieux nous rappellent notre honteuse et prochaine fin, les contraires s’annulent la vierge peut se donner à son amant, le chant deux est celui de l’ivresse physique de la donation et de la possession, à leurs lèvres les amants boivent le vin de la volupté, mais cette ivresse charnelle n’est-elle pas semblable à celle de la poésie. Le processus alchimique est une chose, mais l’alchimiste est tout aussi important, malgré toutes les pâmoisons s’il y a poésie et poëte, reste-t-il une place pour l’amante… L’Ermite : d’ailleurs elle n’est plus là, us et coutumes sociales les voici séparés, ils ne sont pas morts ensemble et la vie les a disjoints, toute cette absence, toute cette incomplétude, comme par hasard évocation blasphématoire des fêtes chrétiennes… la voix du poëte s’élève jusqu’au rire des Dieux. Le Thaumaturge : le miracle du retour, faut-il pour cela en appeler au Seigneur de la Bible, il est vrai que l’amour vient et s’en va comme Dieu se rapproche et s’écarte, de quoi perdre confiance et de ne plus croire en lui, le concile d’amour se mue en monologue sarcastique, l’incroyant se retrouve seul, ne lui reste que le souvenir de la foi des ardences perdues, les retrouvailles seront désormais intermittentes, miracle de la sagesse de l’acceptation. La messe noire : l’œuvre au noir de l’amour, l’instant où la femme se révèle succube, le désir atteint son paroxysme de dévoration, de destruction de l’un par l’autre, de l’autre selon l’un, une grande violence, viol consenti de l’intégrité de soi-même à l’autre-même, se déposséder de la possession par la possessivité de l’autre, l’amour entre masochisme et sadisme pour sa plus grande exultation, l’impie est impitoyable, l’impie est im-pitoyable, après la monstruosité de l’exaltation, viennent les brises du repos des chairs alanguies et brisées. De l’esprit reposé. L’Adepte : tout se passe dans la tête, autant dire dans la solitude du solipsisme, je suis l’unique, j’englobe le tout et le rien, l’être et le néant, l’immortalité et la mort, je suis Dieu et faiblesse humaine de toi, si je te veux égale à moi tu es déesse, mais peut-être te préfèrerais-je prêtresse de mon culte, nous serions alors  séparés, dans tous les cas l’union de nos solitudes se résoudra dans la mort. Est-ce parce que ce chant pourrait être qualifié d’Egyptien qu’il possède une strophe de plus que les autres ou seulement parce que nous sommes au sommet de l’acmé solitaire de l’amant et du poëte. Tout n’est-il pas déjà écrit, le dernier vers n’est-il pas ‘’ Donne-mou ta bouche, ta bouche, et mourons !’  Ce n’est plus une prophétie mais un ordre en quel sens est-il inclus dans l’ordre du monde. Qui n’est que l’autre face du désastre du monde. Le Vampire : si je suis le seul Dieu quel but donner à ma flèche, tu n’es plus, tu n’es rien, mais comme je suis aussi le rien  tu es le vampire qui vient sucer le sang de mon désir, si Dieu est tout, vers quoi, vers qui étendra-t-il son amour, sur qui pourrais-je tirer sinon sur moi-même, le Dieu de la Bible n’a-t-il pas eu besoin d’un peuple pour lui manifester son amour, le poëte a besoin de lecteurs, lorsque le mirage du théâtre se termine, Shakespeare ne s’en remet-il pas au  public pour être ce qu’il est. Désillusion cosmique est aussi désillusion comique. L’initiation : il faut savoir être logique, les dieux comme les hommes sont mortels, il ne nous reste plus qu’à parfaire notre nature, qu’elle soit divine ou humaine en la mort, du même coup nous nous séparerons de cette commune humanité qui pleurniche devant l’inévitable, qui préfère décliner que regarder le soleil noir de la mort, face à face, afin d’accomplir par ce geste la seule survivance qui nous soit accessible. Les amants qui sont morts ne peuvent plus mourir. L’acte est significatif, non pas pour les autres, mais en lui-même. Endormons-nous pour ne plus jamais nous réveiller. Mais les Dieux dorment-ils du même sommeil que les hommes…

             J’ai juste résumé l’architecture conceptuelle de recueil. Nous ne sommes pas ici dans un blogue consacré à la littérature, toutefois nous attirons l’attention sur ce fait étrange : chaque chant - nous ne dénions pas à ce recueil l’adjectivation d’épique même si le héros ne combat que ses propres faiblesses, que lui-même – peut être lu en tant que récit avec un début et une fin, plus le rejet d’une suite au chant suivant… Il est une autre manière de le lire : chacune des strophes qui forme à elle seule un poème hermétiquement refermé sur lui-même peut aussi être considérée comme la répétition de la strophe précédente. Nous en tirerons deux conclusions : oui elles sont dissemblables,, mais le retour du même n’est pas le même. Mais retour.

             Deuxième conclusion, il reste donc les entailles des huit chants qui correspondent à huit moments différents. Huit points de vue d’un rituel magique en train de se dérouler point par point. Le lecteur aura intérêt à se pencher sur la structure de L’anneau et le Livre de Robert Browning.  Il y est bien question de mort, celle de l’infortunée Pompilia et celle d’Elizabeth Barret Browning. A l’époque où Aleister Crowley rédige et compose Nuées sans eau, Marcel Proust se débat avec la mise en place de la structure de La Recherche du Temps Perdu… Proust, grand admirateur de L’Anneau et le Livre de Browning.

             Croiriez-vous en avoir fini ? Non une seconde lecture s’avère nécessaire. Quinze collages d’Anja Bajuk parsèment le volume, ils n’ont pas été réalisés pour illustrer le recueil Nuées sans eau, pensez-vous que les couleurs qu’employa Gustave Moreau pour ses tableaux aient été créées à l’origine pour ses toiles !

             A l’origine ces collages ont été conçus pour rendre hommage à la figure de Diana Orlow ( 1971 – 1997 ) qui traduisit pour la première fois Le Livre de la Loi de Crowley en langue polonaise. Lilith von Sirius nom de guerre charnelle et spirituelle de Diana Orlow

             Ce sont des images, des lames à s’enfoncer dans le dos. L’art du collage est un art de grande précision, au travers de débris l’on se représente soi-même ou plutôt la vision que nous avons de tel ou tel concept. De concept agissant. Rien à voir avec une idée morte ou une nature morte. Il s’agit de recomposer à partir de mor(t)ceaux éparpillés, tel le cadavre de Dionysos, le vivant afin de le modeler, nous irons jusqu’à dire modeler le regard de celui qui regarde. De là surgissent les archétypes originels que l’on veut potentialiser ou détruire. Ces collages d’Anja Bajuk sont à regarder comme les scènes d’un opéra statique et silencieux – ce n’est pas pour rien qu’Anja Bajuck est une spécialiste des musiques extrêmes, le silence ne contient-il pas l’ensemble des bruits de l’univers portés à leurs paroxysmes, un peu à l’image des papiers déchirés d’Anja Bajuk qui ouvrent une porte sur l’effroyable beauté souveraine et souterraine du monde. Autrement dit de la femme sphinge et de l’homme singe.

    mick farren,algy ward,howlin' jaws,gus dudgeon,dwight twilley,shanna waterstown,coral fuzz,the castellows,aleister crowley

             Ces images sont comme le levain qui fait lever la pâte. Attention, prenez garde, ce livre est opératoire.

    Damie Chad.

             Ce livre est dédié à Olivier Cabière, éditeur du recueil d’Aleister Crowley Rodin in Rime (2018) traduit par Philippe Pissier.