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  • CHRONIQUES DE POURPRE : KR'TNT ! 661 : GIORGIO GOMELSKY / GRAHAM DAY / WRECKLESS ERIC / RICHARD HAWLEY /DEIMONAS / BLEAK SHORE / MOURNING DAWN / C. I. A. HIPPIE MIND CONTROL /

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 661

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    17 / 10 / 2024

     

     

       GIORGIO GOMELSKY / GRAHAM DAY

    WRECKLESS ERIC / RICHARD HAWLEY /

       DELMONAS / BLEAK SHORE / MOURNING DAWN

    C.I.A. HIPPIE MIND CONTROL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 661

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Gomelsky fout la gomme

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             Oh pas grand-chose. Juste un mini-book pour l’un de ces movers du shaker dont l’Angleterre eut le secret à l’aube des sixties : Giorgio Gomelsky. On parle de lui depuis soixante ans, sans jamais bien prononcer son nom, et sans jamais savoir exactement ce qu’il fricotait dans toute cette histoire de Rolling Stones et de Crawdaddy. Le book de Francis Dumaurier fait enfin la lumière sur une histoire qu’il faut bien qualifier d’extraordinaire. On commence par découvrir que le book a d’abord été écrit en français, et on sent, à la lecture de cette version, le côté laborieux du travail de traduction du français vers l’anglais, qui n’est jamais recommandé. Pourquoi ? Parce que ça n’est pas la même énergie de la langue. Le français qui s’adresse à l’anglais est trop poli, trop soucieux de se faire comprendre, alors il doit sécuriser ses formulations. Viser le sens avant le swing. Renier la musique de la langue pour favoriser l’efficacité. C’est ce qu’on appelle l’anglais universitaire, l’anglais des interprètes. Il n’empêche que ce book s’avale d’un trait, car c’est avant toute chose l’histoire d’une fabuleuse amitié entre l’auteur et Giorgio Gomelsky.

              Dans les prémices, Dumaurier salue les gens du Camion Blanc chez qui son book est d’abord paru. L’aurait-on lu en français si on l’avait su ? Comme toujours, la réponse est dans la question.

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             Comme son nom l’indique, Dumaurier est un globe-trotter français qui après avoir vu les gros concerts parisiens des early sixties, est allé voir les gros concerts londoniens de la même époque, puis les gros concerts américains un tout petit peu plus tard, y compris Altamont et Woodstock. Puis il a globe-trotté dans les forêts d’Amazonie avant de revenir s’installer à New York et d’y nouer une amitié longue de plusieurs décennies avec devinez qui ? Giorgio Gomelsky, lui aussi globe-trotter d’origine géorgienne (ex-URSS), qui, après avoir crapahuté à Londres et à Paris, a fini par jeter l’ancre à New York.

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    ( RONNIE !)

            Qui présente Dumaurier à Giorgio Gomelsky en 1981 ? Certainement pas Jagger ni cette pomme de terre de Bonobo qui fourre son nez partout. Non, il s’agit de Ronnie Bird, qui, redevenu Ronald Mehu, vit à New York. Dumaurier et Ronnie bossent tous les deux dans la télé d’alors, et comme Ronnie est pote avec Giorgio Gomelsky, alors il fait les présentations. Bien sûr, Dumaurier a été fan du Ronnie Bird de l’âge d’or, un Ronnie Bird qui a fait la première partie des Stones en 1966. On trouve vers la fin du book une petite photo de Ronnie et Giorgio. Ils sont tous les deux extraordinairement bien conservés. Deux superstars. Dumaurier évoque aussi un coffret 5 DVD consacré aux Stones, Just For The Record, dans lequel tout le monde témoigne sur les Stones. Invité à témoigner, Dumaurier se trouve donc sur de DVD 1, entre Ronnie Bird et Anita Pallenberg. Effectivement, Ronnie s’exclame «The news was spreading», et Dumaurier surgit à l’écran, en tant que «fan». Ce DVD 1 est l’occasion de replonger dans l’early Stonesy d’Elmo Williams et de the Ancient Art of Weaving at Edith Grove, dans le Crawdaddy de Richmond et l’arrivée du Loog - Music, image, fashion, sexuality, politics, all on the same level - Eddie Kramer qui traite le Loog de visionnaire, un Loog qui commence par virer Stu du groupe pour le recycler en road manager, et pouf «Come On» de Chucky Chuckah en 1963, puis «I Wanna Be Your Man», puis l’«It’s All Over Now» des Valentinos de Sam Cooke at Chess, puis la mass hysteria & the Stones craze, puis le Teen Age Music International, c’est-à-dire le T.A.M.I. show où les Stones OSENT passer après James Brown, puis Monsieur Klein en 1965 et Eddie Kramer qui remet les pendules à l’heure : «Brian was the real heart & Soul of the Stones», because at the beginning t’avais Brian & Keef, mais le Loog a imposé Mick & Keef, et tout ça monte en neige avec Jimmy Miller et «Jumping Jack Flash», puis le dernier petit tour de Brian dans le Rock’n’Roll Circus et puis la fin des haricots avec la fucking piscine. D’où l’haine des piscines. L’haine mortelle des piscines.

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             Deux périodes très chaudes dans ce mini-book : la période des débuts à Londres, et la période de fin à New York, deux tranches de vie qu’il faut bien qualifier d’explosives. De la même façon que Chris Stamp et Kit Lambert, Giorgio Gomelsky commence par vouloir faire du cinéma à Londres. En 1955, il filme les musiciens de jazz. Puis lui vient l’idée d’importer une machine à café italienne et d’ouvrir une cafétéria dans un pays où on ne boit que du thé : the Olympic Coffee Bar on the King’s Road (celle de Max Décharné), pas très loin de Sloane Square, nous dit Dumaurier. Parmi les clientes de L’Olympic Coffee Bar se trouve naturellement Mary Quant. Puis Giorgio sent venir le vent, comme on dit, et comme il est passionné de blues et de jazz, il organise des concerts. En janvier 1963, il fait jouer le Dave Hunt Rhythm & Blues Band, dont fait partie une petite oie blanche nommée Ray Davies. Puis harcelé par Brian Jones, il fait jouer les early Rolling Stones un mois plus tard au Station Hotel à Richmond. Il n’y a que 3 personnes dans la salle, mais Giorgio demande au early Stones de jouer quand même. Et hop, c’est parti ! Grâce à qui ? Au kiki Gomelsky. Il baptise l’endroit Crawdaddy Club, inspiré par le «Doing The Crawdaddy» de Bo Diddley que reprennent les early Stones sur scène. Il passe des petits encarts dans la presse, avec des formules du genre : «The craziest new Rhythm & Blues sound of the unparralleled Rollin’ Stones.» En plus des Rolling Stones, Giorgio programme les Paramounts (futurs Procol), les Moody Blues, les Muleskinners dont fait partie le futur Small Faces Ian McLagan, les Animals et Steampacket, avec Rod the Mod ET Long John Baldry. Grâce à leurs deux concerts par semaine au Crawdaddy et ceux du weekend à Eel Pie Island, Twinkenham, les early Stones décollent comme l’hydravion géant d’Howard Hughes. Puis Giorgio lance le national Jazz Festival à Richmond et commence à programmer des cracks comme Mose Allison, Jimmy Witherspoon et Memphis Slim, et puis tous ces artistes anglais inimaginables du calibre de Georgie Fame & The Blue Flames, the Graham Bond ORGANization, Manfred Mann et Long John Baldry. N’en jetez plus !

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             Giorgio est donc de facto manager des Rolling Stones : il les a lancés, il les soutient et les booke. Mais le ciel va s’assombrir pour le pauvre Giorgio. Pendant qu’il se rend aux funérailles de son père en Suisse, Brian Jones confie le destin des Stones au jeune Andrew Loog Oldham, un Loog qui a les dents longues et qui a déjà du métier, car il a bossé comme agent de Presse pour Brian Epstein et les Beatles, et comme arpète pour Mary Quant. À son retour, Giorgio est choqué. Il faisait confiance à Brian Jones. Il est possible que sans Giorgio, les Stones n’auraient jamais décollé. C’est en tous les cas ce qu’on est tous tentés de penser.

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             Giorgio repart de plus belle au Crawdaddy avec les Yardbirds. Dumaurier qui est prodigieusement documenté rappelle qu’avant d’intégrer les Yardbirds, Clapton avait joué en duo avec Dave Brock. Giorgio prend le destin des Yardbirds en main et les produit. Il chante même sur «Still I’m Sad». Jeff Beck qui a remplacé Clapton ramène toute la modernité du monde dans le groupe. C’est Giorgio qui leur invente le terme ‘rave-up’. En 1965, il emmène le groupe en tournée aux États-Unis et il conduit la bagnole comme un dingue à travers les plaines. Jeff Beck le traite de «mad Russian». Comme ils sont de passage à Memphis, Giorgio a l’idée d’enregistrer chez Uncle Sam. L’anecdote vaut le détour. Même si tout le monde la connaît, Francis Dumaurier nous la ressert sur un plateau d’argent : quand ils se garent devant le Sun studio, c’est fermé. Uncle Sam est parti à la pêche. Giorgio et son gang de Yardbirds décident d’attendre son retour. Quand il arrive vers minuit avec ses cannes à pêche, Uncle Sam n’a pas trop envie de bosser avec ces Anglais, alors Giorgio lui propose 600  $. Okay. Ils enregistrent «You’re A Better Man Than I» et «Train Kept A Rollin». Fin de session à 7  h du mat. Voilà l’un des beaux épisodes de la légende du rock. La lune de miel avec les Yardbirds ne va pas durer très longtemps. Jeff Beck quitte le groupe, remplacé par Jimmy Page, et leur manager Simon Napier-Bell suggère que Giorgio dégage pour être remplacé par Peter Grant. Tout le monde connaît la suite de l’histoire, Led Zep et tout le bataclan. Giorgio se retrouve une fois de plus le bec dans l’eau.

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             C’est en 1966 qu’il monte Marmalade Records. Dumaurier raconte qu’ils sont 8 à bosser à plein temps chez Marmalade et qu’ils font la fête toute la nuit. Au roster du label et de Paragon, l’agence de relations publiques attenante, on trouve des gens comme John McLaughin, Julie Driscoll, Brian Auger & The Trinity, les Blossom Toes, Graham Gouldman, les futurs 10cc et les Danois de Savage Rose. L’un des singles magiques de Marmalade est «This Wheel’s On Fire» de Julie Driscoll. Bizarrement, Dumaurier oublie de citer Gary Farr et son album cultissime, Take Something With You. Marmalade va se casser la gueule en 1969, ce qui n’empêchera pas Giorgio de remonter Utopia Records à New York dans les mid-seventies.

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             Puis il reprend tout à zéro lorsqu’il s’installe à Paris. Dumaurier rappelle que Daevid Allen faisait partie de Soft Machine et qu’au retour d’une tournée en France, Allen se vit interdire l’entrée sur le territoire britannique. Alors il est resté en France et a monté Gong, que manage Giorgio, dès 1969. Il leur négocie un contrat sur BYG et c’est parti. Giorgio recrée de la légende, un autre genre de légende, mais de la légende quand même. Puis il manage Magma. Il dit même que Magma est son groupe préféré. Il bosse aussi avec Henry Cow, et des groupes kraut comme Can et Amon Düül. Il file aussi nous dit Dumaurier un coup de main sur la prod du cultissime 666 d’Aphrodite’s Child. Giorgio aime bien les gros cultes. 

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    (Photo : Bob Gruen)

             Quand il s’installe à New York en 1977, RCA finance son nouveau projet, Utopia Records : il voit ça comme le «quartier général d’un underground culturel international». Il s’installe au 21 West 16th Street et vit de la rente que lui verse RCA. Il traîne dans les clubs, notamment le CBGB et Max’s Kansas City. Puis il s’installe au 140 West 24th Street et y ouvre The Zu Club.

             — Zêtes zutiste, Giorgio ?

             — Voui, Zazie !

             Dumaurier corrige le tir en précisant que le Zu vient de l’Égypte ancienne et non de l’un des fameux dîners des ‘vilains bonhommes’ du Quartier Latin. Giorgio fait venir Gong à New York et les rebaptise New York Gong, mais ça ne marche pas. En 1979, il fait monter une vingtaine de freaks à bord d’un vieux school bus pour une tournée de trois mois, mais ça plante. Le public du Midwest ne veut pas de Gong.

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             Et voilà l’essentiel : l’éthique de Giorgio Gomelsky - Je hais le music business et le film business. Je hais toute forme de business qui touche à l’art. Pour moi, c’est du mauvais business. Ces gens-là ne font pas les choses comme il faut. J’ai toujours poussé les artistes à créer leur propre business. Ils sont ainsi propriétaires de leur œuvre, et vous partagez les profits avec eux. C’est une façon de préserver l’authenticité de l’art - Giorgio qui est un homme étonnamment moderne pour son temps se passionne pour les personal computers qui en sont à leurs balbutiements. C’est pour ça qu’on tombe sur la photo d’un Commodore Amiga 1000 de 1985. C’est aussi juste avant Internet. En plus de tout ça, il filme pas mal de gens et rassemble des archives pour une éventuelle encyclopédie du rock, mais quand il casse sa pipe en bois, les archives disparaissent. Dumaurier parle ici de «best-kept secret of his generation.»

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             Et vers la fin du book, Dumaurier donne la parole à des amis de Giorgio, et là ça devient  carrément explosif. Bob Gruen raconte qu’il a rencontré Giorgio au bar du Tramps, le fameux club de la 15e rue. David Johansen et Bob deviennent potes avec lui. Un Giorgio qui ne parle jamais de son passé, mais plutôt de l’avenir. Gruen finit par découvrir que Giorgio a été pote avec Gainsbarre et c’est Gainsbarre qui l’a connecté sur Londres. Gruen évoque surtout le loft que Giorgio habitait au 140 West 24th Street, baptisé The Red Door, et dont les deuxième et troisième étages étaient aménagés en studios. Il vivait au quatrième. Il avait transformé le rez-de-chaussée en salle de spectacle, pour toutes sortes de manifestations, aussi bien des meetings politiques que des pièces de théâtre d’avant-garde, des lectures de poésie, des concerts et des fêtes.

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             Puis Jesse Malin prend la suite. Il raconte qu’il fut invité à une fête chez Giorgio. Parmi les autres invités se trouvaient David Johansen et Richard Hell, que Giorgio surnommait ‘Ricardo Inferno’. La fête s’appelait Bastille Day party et Giorgio fit une énorme soupe pour tout le monde. Il proposa aussi à Jesse Malin de répéter chez lui, et a encouragé le groupe à bosser. Ils vont devenir D Generation. Jesse termine en déclarant que sans la générosité et les conseils de Giorgio, il ne serait pas l’homme qu’il est devenu. Et il ajoute, que Giorgio était «a rare gem of a human being whose spirit will always remain with me.» Plus loin, Amy Madden dit que le cassage de pipe de Giorgio a eu pour elle le même retentissement que celui de John Lennon. Et elle balance un extraordinaire paragraphe laudateur qu’on ne peut pas s’empêcher de citer - He was a musical activist, Giorgio. A catalyst. And yet he was solid. He was history; he bridged musical generations and genres. He had vision. He changed me. De penser à lui maintenant me donne envie d’attraper ma guitare et de créer, parce que c’est le seul moyen d’honorer sa mémoire.

             Puis Raul Gonzalez raconte que Giorgio avait flashé sur son groupe Barra Libre. Alors il a invité Raul et ses amis au quatrième étage pour papoter. Il les a pris en charge et leur a conseillé par exemple de porter des costumes aztèques sur scène, conseil qu’ils n’ont évidemment pas suivi. Il leur conseillait aussi d’écouter Captain Beefheart.  

             Giorgio finit donc sa vie en organisant des fêtes au Red Door. Mais le toit est crevé et l’eau rentre au quatrième, là où il vit. On lui demande d’évacuer les lieux et il résiste tant qu’il peut. Des tas de groupes viennent répéter dans son studio, qu’il loue pour une bouchée de pain. Quand il quitte les lieux, c’est pour aller casser sa pipe en bois dans un mouroir. Le Red Door au 140 West 24th Street est aussitôt rasé par la municipalité. On ne reconstruit pas un temple sur les ruines du temple, comme ce fut l’usage dans l’Antiquité, mais un hôtel. 

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             Ah il faut lire l’interview de Giorgio par le Chesterfield King Greg Prevost dans un Ugly Things de 2017, franchement, ça vaut le détour. Prevost finit à l’époque son Rolling Stones Gear book et il entre en contact avec Giorgio par téléphone. Il lui demande juste des infos sur le Crawdaddy - My club was a room I rented at the back of a pub - Comme il n’avait pas de licence, on ne pouvait pas y boire. Deux sets de 45 minutes et tout le monde au bar du pub entre les deux sets, et à 10 h 30, tout le monde dehors, public et matos. Puis il part directement sur Brian - Brian, yeah, it was his band - Côté gear, Giorgio ne se souvient que du Vox AC-30 et il baratine sur Vox et les amplis qui doivent monter en puissance à cause des gros concerts. Il revient aussi sur l’anecdote des trois personnes au premier concerts des Stones au Crawdaddy, il se souvient des noms : Mike Jeffery (futur manager de Jimi Hendrix), Paul Williams (futur chanteur de Juicy Lucy) et un mec qui allait devenir agent. Puis il revient sur les funérailles de son père en Suisse. Il devait y rester une semaine et il y est resté un mois. Qui va à la chasse perd sa place et le Loog est entré dans la bergerie - Brian pensait qu’Andy allait être idéal pour eux, ce qui d’une certaine façon le fut, mais ne le fut pas vraiment, en tous les cas, pas pour Brian. Ça a permis à Mick de manager les Stones. Mick Jagger est bon manager, dirons-nous - Il ajoute «qu’il a perdu un peu de son enthousiasme pour eux, via cette façon de le laisser tomber, mais c’était le business.» Et il reconnaît que c’était un peu de sa faute. Il aurait dû rentrer plus tôt. Alors il est passé aux Yardbirds.    

    Signé : Cazengler, gommeux

    François Dumaurier. Giorgio Gomelsky For Your Love. Supernova Books 2023

    Rolling Stones - Just For The Record. DVD 2003

    Greg Prevost : Key Crawdaddy!. Ugly Things # 45 - Summer/Fall 2017

     

     

    L’avenir du rock

    - Le jour de Graham Day viendra

    (Part Four)

     

             Ça doit bien faire la quatrième fois que l’avenir du rock retourne sur la plage du D-Day pour tenter d’expliquer au Général Mitchoum qu’un nouveau D-Day a remplacé le vieux D-Day. Depuis le 6 juin 1944, Mitchoum est planqué derrière son bloc en béton à attendre les renforts. Ça ne s’arrange pas avec le temps. Il s’est fait un collier avec ses dents, des étoiles de mer se sont incrustées dans la rouille de son casque, des filets pendent de sa vieille trogne, on ne sait pas si c’est de la morve ou de la bave, et il grouille de puces de mer. Au moins, l’avantage, c’est qu’il ne se gratte pas. De temps en temps, il en croque une en pestant contre les fooking boches. Soudain, il sort son colt, passe prudemment la tête par-dessus le bloc de béton et tire vers le blockhaus juste au-dessus. Clic ! Clic ! Clic !

             — Vous n’avez plus de munitions, Général... Et les Allemands sont partis depuis longtemps....

             Comme frappé de commotion, Mitchoum se retourne vers l’avenir du rock, le plaque au sol, s’assoit sur lui et commence à l’étrangler.

             — Fooking traître ! 

             — Argghhhhhhhhhhhhhhh !

             — Fooking nazi !

             Il lui serre le kiki de plus en plus fort. L’avenir du rock se débat comme une pucelle, mais l’autre fou est assis sur lui. C’est foutu. Mitchoum hurle comme un démon :

             — Fooking piece of shiiiiiiiiiiit !

             Bong !

             Un ballon de plage vient de frapper de casque de Mitchoum. Il se lève, hagard, voit les mômes et leur court après.

             — Fooking nazis !

     

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             Pas toujours facile de célébrer le D-Day. C’est parfois risqué. Mais l’avenir du rock y tient beaucoup. Et s’il ne célèbre pas le D-Day, qui le fera ?

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             Le nouvel album de Graham Day & The Gaolers (qu’il ne faut pas confondre avec les Goalers) s’appelle Reflections In The Glass. Sans doute l’un des meilleurs albums gaga de l’histoire du garage britannique. Six coups de génie sur douze cuts, c’est d’une densité très rare. Ça démarre en trombe de big tatapoum avec «Mystery Man». Graham Day ne mégote pas sur le beat à l’air. Il est l’un des derniers avec Len Price 3 à savoir réinjecter dans ses cuts le power Whoish. Puisqu’on en parlait, le voilà : «Narrow Mind», pur power Whoish, Dan Electro bat comme Keith Moon, ça pétarade dans la pétaudière, et Graham Day n’en finit plus de bourrer sa dinde. Il ne sait faire que ça. Il n’a fait que ça toute sa vie, depuis les Prisoners. Et ça repart de plus belle avec «A Rose Thorn» (Sticking In Your Mind’s Eye)», c’est encore du full up, de l’all over, Graham Day chante par-dessus les toits de Medway, c’est puissant, bardé d’orgue et d’harmonies vocales. Il boucle cet effarant balda avec «I Will Let You Down», du big bang ptooff d’excelsior catégorique. Difficile de qualifier ça autrement. Pure clameur de revienzy. Tu crois qu’il vont se calmer ? C’est dans tes rêves. Ils bombardent la B dès «My Body Tells Me The Truth». C’est d’une puissance tout de même assez rare. Graham Day charge sa barcasse au max du mix. Il bourre le mou de ses rules dans «Different Rules» et y claque comme par hasard un wild killer solo flash. Il a gardé tous ses réflexes intacts. Power ! Tout est là. «Don’t Hide Away» est plein comme un œuf. Il termine avec «Filtered Face» et bascule en plein dans l’âge d’or des Creation. Il grimpe au sommet du lard, il tape son Face au grand battage, c’est du rock d’air pur, un sommet du genre.

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             En octobre dernier, Andy Morten lâchait un scoop dans Shindig! : les Prisoners s’étaient reformés pour enregistrer un nouvel album. Morten attaque son scoop en indiquant que les mots «The Prisoners» et «In the studio» n’avaient aucune chance d’apparaître dans la même phrase. Mais après trois concerts de reformation à Rochester, ils ont décidé de mettre tous ces mots dans la même phrase. Morten nous montre même des photos de Graham Day, Allan Crockford, James Taylor et Johnny Symons en studio. Graham Day n’y va pas de main morte : «For the last 35 years I’ve seen the Prisoners as a millstone around my neck, but that night it felt like the old days. It was fun, fresh and emotional». Il parle bien sûr des reunion gigs. Pour enregistrer, les Prisoners sont allés à Abbey Road. Allan dit que ce fut intense : «14 live backing tracks in eight hours».  

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             Le résultat s’appelle Morning Star. Allez, on va dire 8 hits sur 14 cuts. Wham bam dès «This Road Is Too Long», un stomp à l’ancienne. Puis ils renouent avec cet universalisme pop qui constituait leur fonds de commerce et wham bam à nouveau avec «My Wife». C’est une pop de portée interstellaire, ils abandonnent le gaga pour aller sur la pop d’ambition parégorique. Ils saturent de son leur «Something Better» et ils reprennent leur courage à deux mains pour «Break This Chain». Ils profitent de l’occasion pour se couronner rois du British Beat, «Break This Chain» sonne comme un classique sixties et le bassmatic du démon Crockford rôde derrière les harmonies vocales. Ils terminent cet album superbe avec une quadruplette de Belleville, «Winter In June», «Go To Him», «Beauty Hides The Truth» et «Hold Tight». Le «Winter In June» sonne comme de la grosse pop d’attaque frontale, la vieille spécialité de Graham Day, le roi du Hey hey hey. Pure folie pop encore avec «Go To Him», et le Beauty explose en solace d’excelsior, Graham Day chante au vibré de glotte, emporté par le flux du flow. Avec «Hold Tight» ils tapent dans l’hard groove à la Spencer Davis Group. James Taylor is on fire. Il fait du Jimmy Smith. Les dynamiques des Prisoners restent infernales, ça bat sec, c’est sûr, mais c’est Allan the Crock qui pulse la dynamite dans le cul du culte. Les Prisoners malaxent d’énormes pâtés de pâté de foi, ils jouent le rock anglais le plus soulful, le plus noyé d’orgue, le plus chanté, avec un Graham Day ivre de génie vocal et composital. Les Prisoners sont la suite des Small Faces.

    Signé : Cazengler, Graham Dette

    Prisoners. Morning Star. Own-Up 2024

    Graham Day & The Gaolers. Reflections In The Glass. Damaged Goods Recors 2023

    Andy Morten : A dream has come. Shindig! # 144 - October 2023

     

     

    Eric et rac

     (Part Two)

     

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             Dans un vieil Ugly Things, Phil Milstein et Frank Van Der Elzen repassent au peigne fin toute la discographie à roulettes de l’Eric et rac, le Tintin de la pop anglaise. Ils commencent par éplucher les trois premiers albums Stiff. Ils se mettent d’accord pour dire que sa force principale est d’être un songwriter. L’allégation est à prendre au sérieux, car c’est très vrai.

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             Malgré sa pochette dynamique et sa Rickenbacker, le premier album sans titre de l’Eric et rac ne vole pas haut, c’est-à-dire que ça reste du Stiff sound, du petit pub-rock sans aucune incidence sur l’avenir du genre humain. Dommage qu’il force sa voix sur ce «Telephoning Home» qui flirte un peu avec la Stonesy. Dès qu’il ne cherche plus à plaire, ça devient intéressant («Grown Ups»), mais globalement, tu ne comprends pas pourquoi on a fait tout un plat de cet album à l’époque. Il est grand temps de le revendre.

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             Puis les deux Uglys tombent à bras raccourcis sur le deuxième album, The Wonderful World Of Wreckless Eric, «massacré», disent-ils, par Pete Solley, qui tente de commercialiser l’Eric et rac. Peine perdue, car l’Eric et rac renoue avec son petit travers : il force un peu trop cette voix qu’il n’a pas, et puis on retrouve ce Stiff sound qui vieillit atrocement mal («Roll Over Rock-Ola»). C’est comme si t’essayais de réécouter Nick Lowe aujourd’hui : impossible. L’Eric et rac force encore sa voix sur «I Wish It Would Rain» et trousse son «Let’s Go To The Pictures» à la hussarde de la new wave. On sauve juste un cut : la cover du «Crying Waiting Hoping» de Buddy Holly. Là oui. Mille fois oui.

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             Et puis, l’Eric et rac fait ses adieux à Stiff avec Big Smash. Le compte est bon. La coupe est pleine. Il n’aime pas la pochette. Ni la promo. Par contre, tu y trouves de la viande. Notamment  «Broken Doll» (enfin une compo solide, ce qu’on appelle une chanson), et «Hit + Miss Judy» (très Buddy Holly, l’Eric et rac t’emmène à la fête foraine, avec des échos d’Augie Meyers dans le son, l’effet est ravissant). Finalement, ce double album est très tonique. Dommage qu’il force sa voix sur «Veronica» et «Semaphore Signals». Il raconte qu’il n’arrive pas à dormir dans «Strange Towns» et on s’en fout. Pete Gosling fait des étincelles de poux dans «Break My Mind», il faut dire que l’Etic et rac est extrêmement bien accompagné. Son très anglais, très soigné. On retrouve des échos d’Augie Meyers dans «Can I See Your Hero» et «Back In My Hometown» sonne très Dave Edmunds.

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             Les trois albums clés de l’Eric et rac sont épluchés dans le Part One (Captains Of Industry et les deux Len Bright Combo). Les Uglys en font une page entière. L’Ugly Elzen dit qu’à la réécoute, le Captains Of  Industry est bien meilleur qu’il n’y paraît. Il dit qu’il y a de belles tentatives, mais pas de quoi appeler les pompiers, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire. Par contre, l’Ugly Elzen bascule dans le dithyrambe échevelé avec le premier Len Bright Combo - Seeing the Len Bright Combo in novembre 1986 made me an Eric fan for life - Méchant veinard ! Le Combo était de tous les combos le Combo à voir sur scène. Il les a vus à Nijmegen, en Hollande - The band proceeded to deliver a set that was on fire - On veut bien le croire, l’Elzen. Et il ajoute que l’album sonne comme ce show. Milstein salue ensuite le Combo Time et son «heartening esprit de corps».   

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             Le Beat Group Électrique sort sur New Rose Records en 1989. Petit conseil d’ami : laisse tomber le New Rose et chope la red sur Fire. Pourquoi ? Parce que Fire fait merveilleusement bien les choses, indépendamment du remastering. Tu vas trouver un petit booklet dans lequel l’Eric raconte ses souvenirs. Ce petit mec est un fabuleux désinvolte. Il écrit tellement bien qu’à la limite, le booklet a plus d’intérêt que l’album. Il faut bien admettre que Le Beat Group Électrique n’est pas l’album du siècle, même si «Tell Me I’m Not The Only One» sent bon la Beatlemania. L’Eric donne tous les détails de l’enregistrement in a one-bedroom flat in Shepherds Bush - 165B Uxbridge Road, London W12 - avec André Barreau on bass et l’Américain Catfish Truton au beurre. Après la fin du Len Bright Combo, l’Eric s’est tapé une petite déprime d’un an - I was sober, but I was losing my mind - Il fréquente le même asylum que Vivian Stanshall, et comme des tas de médecins viennent le voir, il réalise qu’il est célèbre. Il rencontre André Barreau et ça clique aussi sec car André connaît lui aussi la B-side du «Somewhere» de PJ Proby. Comme il va le faire avec tous ses autres disks, l’Eric vante les mérites de l’artisanat. Il donne tous les détails et c’est passionnant. Ils enregistrent dans sa piaule mais ne jouent pas trop fort pour ne pas ennuyer les voisins. L’Eric se branche sur un 15 watts et Catfish bat sur une caisse en carton avec un tambourin à l’intérieur. À force d’artisanat, l’Eirc invente un nouveau genre, an electric skiffle beat music hybrid, ils font du lo-fi avant l’heure - I’d always wanted to make homemade records - Ils boivent du thé et enregistrent live, 3 ou 4 cuts a day, two or three versions, and keep the best one. Tout sur un quatre pistes : bass on track one, guitar et cardboard on track two, voix on track three et les overdubs on track four. L’Eric est fier du résultat - up-close, eccentric and deeply personal - Puis il est viré du flat et part s’installer en France, chez sa girlfriend qui a une dilapited farmhouse à la campagne, près de Chartres - I moved in there with two guitars, a fifteen-watt amp, a suitcase of clothes, and a Penguin phrasebook - Il propose l’album à New Rose qui ne l’écoute même pas. L’Eric repart avec un chèque - I don’t think the people who ran New Rose liked music. They should have been stamp collectors - Puis il achète une 404 pour partir en tournée, mais les ingés-son des salles ne pigent rien au trio. Sur l’album, on se régale de «Your Sweet Big Thing» gratté au boogie d’acou. Très Dave Edmunds dans l’esprit. «Depression» sonne comme une bossa nova dépressive. Joli son foutraque. C’est dans l’esprit d’Alex Chilton. Il est bien gentil l’Eric, mais il n’a pas de hits. Il essaye de forcer le passage de «Sarah» à coups d’exubérance, c’est à la fois laborieux et enjoué, mais surtout complètement foutraque. Il ressort tout le barda de la bohème dans «Sun Is Pouring Down» et en fait exploser la fin. On comprend que les voisins se soient énervés.    

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             The Donovan Of Trash est une toute autre histoire. Wow, quel album ! Pareil, chope la red sur Fire. L’Eric vit alors dans une ferme, à la sortie d’un village de 150 habitants. Comme c’est un étranger, il est mal vu par les culs terreux. Il est très isolé, alors il écrit des chansons. L’hiver ça caille trop. Il enregistre «It Makes You Happy» avec des mecs pas très bons, dit-il, un bassman mexicain et un batteur rouennais. Grosse attaque à la casserole de fer blanc et chant à la Ziggy. Tout est soûlé jusqu’à la nausée, il te noie ça de folie pure, comme s’il se croyait seul au monde. Puis son pote et ex-Len Bright Combo Bruce Brand vient lui rendre visite, en compagnie de sa girlfriend Holly Golightly. Elle reste assise et s’emmerde comme un rat mort pendant que l’Eric et son pote Bruce enregistrent «Paris In June». C’est tout de suite d’équerre et ça swingue ! Ils parviennent à swinguer cette pop âcre et provinciale. Puis l’Eric va s’installer dans un autre village, à Laons, dans une baraque pourrie - No heating, no isolation, no hot water, dangerous wiring - Il s’achète deux poêles à bois et y reste 7 ans. André Barreau et Catfish Truton arrivent d’Angleterre et ils enregistrent ensemble des sacrés cuts, à commencer par «Joe Meek», hommage suprême, puis «The Nerd/Turkey Song», heavy stomp de rêve. André Barreau joue le lead guitar sur «The Consolation Prize», le cut de la misère noire. Puis le pote Martin Stone qui vit à Paris déboule avec son groupe Almost Presley. Ils enregistrent «Harry’s Flat» et ça swingue ! Puis Martin ajoute de la fuzz sur «The Nerd/Turkey Son». C’est Wild Billy Childish qui propose de sortir l’album sur son label Hangman. Ça sort aussi aux États-Unis sur Sympathy For The Record Industry. Si les musiciens américains figurant sur la pochette ont des seaux sur la tête, c’est parce qu’ils sont célèbres et sous contrat. Donc ils doivent rester anonymes. Et bien sûr, l’album ne se vend pas - The album came out and took an awfully long time to sell not a lot of copies - L’Eric commence à se décourager pour de bon, mais il rencontre Greg Cartwright de Reigning Sound qui lui dit que The Donovan Of Trash is one of his favourite albums of all time. Ah il faut écouter le final explosif de «Semi-Porno Statuette» ! 

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             L’Elzen salue bien bas le Karaoke paru en 1997, notamment «Sign Of The Chicken», «that is equal parts ‘Sister Ray’ and ? Mark & The Mysterians. The modulated vocals and silly bridge could have been master-minded by Joe Meek.» Il a raison, l’Elzen, l’Eric et rac s’amuse avec son Sister Ray campagnard, il sait créer de l’attente, ça ne manque pas de démesure. Avec «The Laurel Tree», il fait son Syd. Enfin ! Il y va au petit cockney devenu vieux. Le ton de cette moitié d’album est plutôt libre, il raconte des histoires de Medway Towns dans «Denim In Face», et dans «Bunnyhungers», tu as des sons incongrus qui flirtent divinement avec Dada. Saluons aussi «Big Wheels Don’t Wear Cheap Suits Shirt And Golfing Jacket» : ah on peut dire qu’il sait farfouiller dans ses machines et claquer le beignet des idées. Toujours avec du son et avec du style. Et il te couronne tout ça d’un final éblouissant. Il termine cette moitié d’album attachant avec «Gasoline», en mode big pop, avec des machines. Il est marrant l’Eric et rac, car complètement dépassé par ses machines.

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             Sur Almost A Jubilee (25 years At The BBC With Caps), on entend le groupe qui a accompagna l’Eric et rac à une époque : Ian Dury au beurre, sa poule Denise Roulette on bass et Davey Brown from the Blockheads on sax. Ils attaquent bien sûr avec le Whole Wide Word. C’est rudement bien en pace. Denise Roulette roule bien sa pool sur «Semaphore Signals» et on voit que «Reconnez Cherie» est bien pompé sur «Save The Last Dance For Me». Le problème, c’est que l’Eric et rac fait son Max la menace, et le pire, c’est qu’à l’époque t’as des gens qu’ont trouvé ça bien. Il faut attendre The Len Bright Combo sur Radio 1 pour enfin sauter en l’air. L’Eric rédige les liners, et ça vaut le déplacement - We were arrogant, dysfunctional, often hilarious and we didn’t really give a damn - Ça prend tout à coup du volume, énormément de volume, avec «You’re Gonna Screw My Head Off» - The eighties were the first decade of rock carreerism - we didn’t fit in - Ils ont la rage au ventre et le diable au corps avec «The House Burned Down» et «Comedy Time». Ils défoncent encore la rondelle des annales avec «Selina Throught The Windshield» : apocalyptique de power ! Forcément, les sessions suivantes sont moins parlantes. On recroise le fameux «Sign Of The Chicken», bien foutu, bien hypno, bien crédible, et il boucle avec «Joe Meek». Ah cette façon qu’il a de prononcer «Joe Meek». Il le roule dans sa bouche. Il mythifie le mythe.

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             Pas de booklet pour Bungalow Hi, un Southern Domestic de 2004. Dommage. On a juste le casting, avec notamment André Barreau, fidèle au poste. Trois coups de génie sur l’album, à commencer par «33s + 45s», qu’il gratte au plus profond du groove de Southern Domestic. Il ramène des accords de Marc Bolan dans son petit délire, c’est assez crapuleux et ça monte bien au cerveau. Il jongle avec Chess et Stax, this is my life, il te traîne ça en longueur et c’est balèze - Oh thirty threes and forty fives ! - Et ça vire hypno. L’Elzen qualifie «Same» et «33s + 45s» de Goulden classics. L’Eric et rac passe au heavy dub avec «The Sound Of Your Living Room (Part 1)» et ramène une trompette dans sa soupe au chou. C’est très free dans l’esprit et ça devient spectaculairement bon. Pur délire de wild genius. Il enchaîne aussi sec sur le Pt 2, c’est brillant, toujours monté à la basse avec un développement d’inespérette d’espolette. Puis il fait son Bowie sur «Local» - I don’t want to be big fish - Il est fabuleusement ziggyesque, on accroche pour de vrai, pas pour de faux - I don’t want to be part of anything - Il reste dans Bowie pour cette dérive abdominale qu’est «Housewives». Il joue superbement de sa voix cassée.    

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             Il monte en 2014 au nouveau projet, The Hitsville House Band, et enregistre 12 O’ Clock Stereo. Comme c’est un Fire, on a de la littérature. Il en a marre de tourner seul, alors il lui faut un groupe - Really I wanted another Len Bright Combo - Il rappelle son vieux bassman mexicain qui est à paris, Eduardo Leal de la Gala qui avait joué sur The Donovan Of Trash. Ils enregistrent ensemble «Can’t See The Woods (For The Trees)», une jolie percée dans les lignes ennemies qui ne fait pas un pli. Il adore jouer avec Eduardo et sa home-made fretless bass. Il trouve ensuite un batteur parisien, Denis Baudrillart. L’Eric dit aussi vivre de rien, ses seuls revenus étant deux chèques de royalties par an, et les tournées. Il arrive toutefois à se payer un 8 pistes de la BBC qu’il va récupérer en minibus à Londres. Puis l’Eric remplace Eduardo par Fabrice Lombardi, le stand-up man d’Almost Presley, et ils enregistrent cette belle énormité de boogie rock qu’est «You Can’t Be A Man( Without A Beer In Your Hand)». C’est brillant et très présent. Ils tapent aussi un «Murder In My Mind» assez sixties d’esprit. Ça groove bien sous le boisseau. Tout aussi bardé de barda, voilà «The Madrigal», bien encorné par l’orgue Hammond et battu au fouet. Il dit voir son «12 O’Clock Stereo as my town and country album, a strange and at times uneasy mix of garage, pop, country and old time rhythm’n’ blues.» Bizarrement, les compos de l’album sont solides mais jamais déterminantes. Il a toujours cette petite voix d’accent tranchant et cette volonté d’exister dans le monde du rock. C’est l’un des artistes les plus complets de sa génération : il compose, chante ses compos et bidouille tout ça à la maison. Avec «The Twilight Zone», il fait de la Stonesy. Sacré Wreck, il ne rate aucune occasion de se distinguer. Tout est travaillé dans la cour de ferme, les cuts, les pochettes, pas de moyens, et étrangement, ça colle. Dans les bonus, on tombe sur un «Lawrence Of Arabia» très Ziggy. Il évoque le monkey on his back - You better watch your back - C’est un underground de cour de ferme de très grande qualité. L’Elzen : «This one is packed to the brim with mighty fine compositions that need only a few listens to nestle themselves in your system for life.»

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             AmERICa pourrait bien être son album le moins abordable. Dommage, car ça démarre sur la grosse attaque de «Several Shadows Of Green». Il est privé de moyens mais complètement ivre de liberté dématérialisée. Il chante comme Donald Duck. Il a du power, c’est sûr. Avec «White Bread», il se planque dans l’épaisseur du son, et bourre la dinde de «Days Of My Life» de Big Beatlemania bowiesque. Il passe au quasi-glam avec «Boy Band» et s’en va stomper «Up The Fuselage». Étrange, de la part d’un vieux bonhomme. Le son ferraille, on sent bien l’habitude des petits moyens. Dans le booklet Fire, l’Eric donne encore tous les détails de l’enregistrement. Amy joue du piano, du banjo et fait des harmonies vocales. Il est installé aux États-Unis. C’est son premier album américain - It’s about me and it’s about America - Il dit avoir vécu partout, en Angleterre, en France, en Allemagne, mais c’est l’America qu’il préfère - This place suits me - Il vit à Catskill depuis quatre ans. Son texte est à la fois très beau et très désenchanté.         

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             Il revient à Bowie dans Construction Time And Demolition, avec «They Don’t Mean No Harm» et «Unnatural Act». Il retrouve le secret des maniérismes de l’early Bowie, il chante à l’accent délirant, c’est assez fulgurant de c’mon c’mon. Il brasse encore assez large avec «Unnatural Act» et réincarne l’early Bowie. Il n’a peur de rien. Mieux encore : «The Two Of Us». Il pompe directement les accords de «Waiting For The Man», il ramène exactement le même genre d’enfer sur la terre. Il prend les mêmes et il recommence. Avec «Wow And flutter», il repart en mode Mad Psyché comme au temps béni du Len Bright Combo. On sent qu’il n’est pas près de se calmer. Il chante son «Gateway To Europe» en cockney, et c’est superbement orchestré. Il ramène même des trompettes dans sa soupe aux choux. Puis il chante «The World Revolver Around Me» d’une voix de Mimi Petite Souris. Il est marrant. On écoute ses albums par acquis de conscience et bien sûr on ne s’ennuie pas. Au contraire, on s’instruit. Il ramène du son d’artefact dans «Flash» et il assoit bien son autorité avec «Forget Who You Are».

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             Et voilà encore un album extrêmement intéressant : Transcience. Pour au moins cinq raisons fondamentales dont la première s’appelle «Indelebile Stain». Voilà un cut noyé de psyché et de jingle jangle, il charge bien sa barcasse. L’Eric te prend pour une frite et te plonge dans sa friture de félicité. C’est un sacré farceur. Il tape aussi une belle cover de Kevin Coyne, «Strange Locomotion». C’est le boogie rock anglais passé de mode depuis une éternité. À part l’Eric, qui va aller écouter ça aujourd’hui ? En attendant, l’Eric y va à l’outch ! Il tape ensuite «The Half Of It», un petit balladif insidieux et presque Beautiful. Mais ça se corse avec «Creepy People (In The Middle Of The Night)». Il remonte bien le courant. Un vrai saumon, l’Eric. Avec les écailles et les bulles. Un vrai Wreckless saumon ! Cut plaisant, bien foutu, fruité. L’Eric est le roi du petit répondant de cour de ferme. Il mérite une médaille. «Tiny House» éclate d’entrée de jeu. Il ressort sa voix de Mimi Petite Souris, celle qu’on préfère. Cut vaillant. Sans peur et sans reproche. Un vrai Bayard.      

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             Son dernier album en date s’appelle Leisureland. Pareil, c’est une vraie pochette surprise. Oh un coup de génie !  Oui, «Drag Time» sonne comme un hit intercontinental. C’est important de le signaler. Il ramène dans cette pop psyché la grandeur des chœurs d’«Oh Happy Days». Oh une grosse énormité ! Oui, «Zoom (Glittering In The Sun)» se noie dans la réverb et Donald Duck chante au fond du son. On le sent heureux, bien à l’aise sans sa culotte, ah il y va notre vieux pépère underground, il wrecke sa pop écarlate pour de bon et renoue avec le Len Bright Combo. Oh encore une énormité ! Oui, «Standing Water» te fait du gringue et tu as du mal à résister. Oh encore une autre grosse énormité ! Oui, «The Old Versailles» est un petit chef-d’œuvre productiviste. Tu sors de cet album un peu ahuri. Il est en fin de parcours et il n’a jamais été aussi bon. D’habitude, il se passe exactement le contraire.     

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            En 2008, Wreckless Eric & Amy Rigby enregistrent leur premier album sans titre, et là attention, on ne rigole plus. On a tout de suite du son et la résonance de l’excellence. L’Eric est vieux, et Amy bien conservée, ils duettent ensemble une pop de rêve qui éclate en bouquet glammy dès «Another Drive-In Saturday», très British dans l’esprit, chanté aux voix mouillées. Des accents de l’early Bowie remontent à la surface et l’Eric ramène de beaux accords glam. «First Mate Rigby» est assez puissant, il n’y a pas à discuter. Ils font tellement les cons avec le son qu’ils ne maîtrisent plus le spectre, et avec «The Downside Of Being A Fuck-Up», ils passent directement au Velvet. C’est en plein dans le mille, l’Eric est très fort. Encore une merveille avec «A Taste Of The Keys». Elle chante divinement cette pop de Brill lumineuse. C’est encore elle qui tire vers le Brill avec «Please Be Nice To Her». C’est là que son génie pop explose. Elle ramène tout le sucre qu’elle peut, c’est d’un très haut niveau mélodique. Ils créent encore la surprise avec «Round», nouveau coup de génie pop.    

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             Comme Two-Way Family Favorites est un album de covers, on saute dessus. Ils tapent dans un large éventail qui va de Jackie DeShannon («Put A Little Love In Your Heart», pas son meilleur cut, dommage) à Tom Petty (pas le meilleur choix d’artiste, dommage), de Pete Townshend («Endless Wire», ça s’endort sur des lauriers, mais il y a des gens qui vont trouver ça bien, dommage qu’il n’ait pas opté pour «My Generation», au moins on pourrait jerker comme dans Quadrophenia) à Abba («Fernando», où l’Eric fait son petit effet de voix de fouine et ça finit par porter sur les nerfs, dommage. L’Elzer dit qu’il s’en serait bien passé). Ils plongent aussi dans McGuinn avec «Ballad Of Easy Rider», mais ça ne marche pas, dommage. Il plante tout ce qu’il chante sur cet album. Même son clin d’œil aux Groovies («You Tore Me Down»). Dommage. Il faut attendre la cover d’«In My Room», l’hit intemporel signé Gary Usher et Brian Wilson, pour renouer avec la perfection. L’Eric se prend vraiment pour Brian Wilson, il en a vraiment la carrure. Il y ramène tout le son qu’il peut. Mieux encore : l’«I Get Out Of Breath» de P.F. Sloan. C’est du génie pur ! L’Eric te porte ça au pinacle, les montées de lait sont magiques. Il passe au heavy glam avec le «Living Next Door To Alice» de Chinn & Chap, mais il n’arrive pas à recréer le wall of glam que nécessite un Chinn & Chap. Dommage. 

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             L’A Working Museum d’Eric & Amy va tout seul sur l’île déserte. Sans doute le meilleur album de l’Eric et rac. L’hit de l’album, c’est bien sûr «Genovese Bag». Voix de superstar underground. Il chante en mode petit glamster de suburb. T’en reviens pas d’avoir un tel disk dans les pattes et t’as Amy qui entre dans le couplet chant, alors l’Eric et rac te monte ça à la gratte, il y va à l’Home sweet home away from home, il part en vrille extraordinaire de carillon argentin et s’en va éclairer la voie lactée, oui, l’Eric et rac a ce pouvoir, il gratte encore, il te ramène du Jackie DeShannon, des Byrds et de l’éclat surnaturel dans son carillon d’ad libitum, et ça explose en bouquet de stridences apoplectiques. T’as aussi la Mad Psyche du «Darker Shade Of Brown» d’ouverture de bal. Tu te croirais sur le Madcap Laughs. Puis Amy attaque «Rebel Girl Rebel Girl», et c’est franchement bon. Tu te régales, et c’est rien de le dire. Elle sait claquer l’heavy pop, c’est ultra balancé, digne de «Like A Rolling Stone» ! Amy devient une géante, te voilà coi comme deux ronds de flan. Attends, t’en vas pas, c’est pas fini ! Elle navigue encore très haut avec «Sombreros In The Airport», et elle croise le chant de l’Eric et rac. Voilà un album complètement extravagant de qualité et tellement underground. Pour le choper, t’a intérêt à te lever de bonne heure. La copie qui est ici est celle d’un CD dédicacé par Amy & Eric à Jacques (‘Hey Jacques’). Aucun souvenir de sa provenance. Avec «The Doubt», la pop d’Amy & Eric explose de bonheur conjugal. Amy dispose d’un petit sucre du meilleur goût. L’Eric et rac refait son coup de Syd avec «Days Of Jack & Jill», il chauffe sa cocote pysché, il y ramène toute sa culture infectueuse, c’est littéralement flamboyant et monté en neige de chœurs. Il fait son glamster avec «1983», il chante à la petite décadence de don’t believe. Ce mec crée son monde dans les ténèbres de l’underground. Et puis t’as encore «Tropical Fish», une petite pop fraîche comme un gardon, avec Amy dans le son. C’est franchement digne de Curt Boettcher !

    Signé : Cazengler, Wrecked Ethic

    Wreckless Eric. Wreckless Eric. Stiff Records 1978   

    Wreckless Eric. The Wonderful World Of Wreckless Eric. Stiff Records 1978 

    Wreckless Eric. Big Smash. Stiff Records 1980

    Wreckless Eric. Le Beat Group Électrique. New Rose Records 1989

    Wreckless Eric. The Donovan Of Trash. Hangman Records 1993

    Wreckless Eric. Almost A Jubilee (25 years At The BBC With Caps). Hut 2003

    Wreckless Eric. Bungalow Hi. Southern Domestic 2004   

    Wreckless Eric Presents The Hitsville House Band. 12 O’ Clock Stereo. Fire Records 2014

    Wreckless Eric. AmERICa. Fire Records 2015           

    Wreckless Eric. Construction Time And Demolition. Southern Domestic 2018 

    Wreckless Eric. Transcience. Southern Domestic 2019        

    Wreckless Eric. Leisureland. Tapete Records 2023           

    Wreckless Eric & Amy Rigby. Stiff Records 2008    

    Wreckless Eric & Amy Rigby. Two-Way Family Favorites. Southern Domestic 2010 

    Wreckless Eric & Amy Rigby. A Working Museum. Southern Domestic 2012

    Eric Goulden. Karaoke. Silo 1997

    A Listener’s Guide To Wreckless Eric. Ugly Things # 31 - Spring 2011

     

     

    Hawley les mains !

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             Ça fait vingt ans que Richard Hawley cultive un romantisme douceâtre à l’anglaise, vingt ans qu’il laboure les âmes sensibles et qu’il raconte sur un ton chaleureux des histoires de pluie et de ruptures sentimentales. Vingt ans et dix albums traversés par ce qu’il faut bien appeler des éclairs de génie composital. L’Hawl creuse au même endroit que Nick Drake et Fred Neil, dans la même mine d’or. Sur chacun de ses dix albums brillent des pépites d’une rare beauté. «The Ocean» va te fasciner autant qu’«Everybody’s Talking», «Something Is» va t’émouvoir aussi sûrement que «River Man» ou «Pink Moon».

             On gardait un souvenir évasif de sa presta au Grand Rex, en première partie de Nancy Sinatra (qu’il va ensuite accompagner en deuxième partie de spectacle). Voilà qu’il débarque en Normandie avec un set acoustique, alors autant dire qu’on l’attend au virage. Faut faire gaffe aux sets acoustiques, le risque est de s’y endormir, ou pire encore, de s’y ennuyer. Ça ne tient généralement que par la seule qualité des compos.

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             Il débarque sur scène avec un vieux copain à lui, et pendant une heure, ils vont gratter leurs poux. Pas d’«Ocean», hélas. Privées de leurs orchestrations, les cuts retombent pour la plupart à plat. L’Hawl entrecoupe la planitude par des petites sorties destinées à faire rire, elles font rire, c’est sûr, mais peut-on appeler ça de l’humour ? Non. Ses textes ont-ils une dimension poétique ? Non plus. Il cultive la mélancolie, raconte d’une voix chaude et profonde des histoires de pluie et de ruptures sentimentales. Et puis la magie arrive enfin avec «Something Is» et «Baby You’re My Light» tirés tous les deux de Late Night Final. Sa façon de travailler l’arc mélodique te tamponne le passeport, il taille des marches dans une descente harmonique, comme s’il voulait enrayer le courant du frisson, et ça, c’est de la magie. Lanegan a lui aussi pratiqué cet art de creuser des marches dans une descente harmonique. Tu accueilles cette merveille à bras ouverts. Tu vis la magie de l’instant. Te voilà face à l’un de ces moments uniques que tu collectionnes comme des papillons depuis l’adolescence.   

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             Comme le beau Richard vient de sortir un nouvel album, on l’écoute. C’est la moindre des politesses. In This City They Call You Love grouille de Beautiful Songs. Tu vas en trouver partout, ça commence avec «Prism In Leans» - Here’s the story of Prism in Leans - Bossa groove de rêve. Il ramène de la magie. Il n’est pas loin de Fred Neil. Il nage en plein rêve d’I don’t belong. Suite de la magie avec «Heavy Rain». Là oui, tu prends ta carte au parti Hawley. Ça coule comme du Fred Neil un peu sourd. Magie mélancolique. Il sonne comme Elvis sur «Hear That Lonesome Whistle Blow» et te gratte ça aux accords d’heavy blues, un peu comme Elvis dans son ‘68 Comeback. «Deep Space» est une belle énormité. Hawley t’explose bien le Sénégal. Il envoie même valdinguer ta copine de cheval. Il chante tous ses cuts d’une voix bourrée de feeling. Richard Hawley est un artiste complet. Mais ça on le savait depuis vingt ans, car oui, amigo, ça fait vingt ans qu’il enregistre des albums, et même de très beaux albums, après avoir été le guitariste d’un groupe assez culte, les Longpigs. Voilà encore un soft groove de rêve : «Do I Really Need To Know». Son groove duveteux te fout des frissons. Ce fabuleux charmeur boucle avec «This Night». Son truc, c’est la suspension d’entre deux mers, avec un sens mélodique suraigu.

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             Son premier album s’appelle Late Night Final. Il y a des vieux sur la pochette. Richard t’embarque aussitôt «Something Is», il te prend par les sentiments, avec sa chaude romantica. T’es conquis comme une ville et t’es content d’être de la conquête. Richard fait du Fred Neil en plus grave. Il tient la dragée haute à la pop. Avec «Baby You’re My Light», il rend hommage à sa baby. C’est assez pur et même magique. «The Nights Are Cool» se montre plus décidé à en découdre. C’est joliment balancé des hanches. Il cherche la Bossa. Il continue dans la même ambiance de ciel lourd et de faible lumière avec «Can You Hear The Rain, Love?». Poids mélodique et intensité du climax sont ses deux mamelles. Il cultive la mélancolie. C’est très Verlainien, comme démarche, mais avec du pathos anglais. Il faut aussi l’entendre chanter à la surface du grondement dans «Precious Night». Quel bel artiste !

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             Deux merveilles congénitales se planquent sur Richard Hawley, un mini-album de 2001 : «Sunlight» et «Naked In Pitsmoor». Le Sunlight est puissamment beau, avec des notes de réverb qui se détachent dans le crépuscule des dieux. Mais c’est avec Pitsmoor qu’il s’enfonce dans la beauté comme d’autres s’enfoncent dans la forêt. C’est tout simplement stupéfiant de pénétration. Ce cut sonne comme un miracle. C’est du pur génie mélodique. Il plonge dans la félicité à coups de don’t run for me baby.

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             Et si Lowedges était le meilleur album de l’Hawl ? Il y pleut des hits comme vache qui pisse, et ce dès le «Run For Me» d’ouverture de bal. C’est écrasant de romantisme, de big atmospherix génial. L’Hawl atteint là les cimes productivistes de Totor - Go and run for me/ Cause I can’t take it back - Puis il va enquiller la bagatelle de cinq Beautiful Songs, pas moins, à commencer par «Darlin’». Il t’emballe aussi sec. Fabuleux Darlin’ boy. T’as tout : la mélodie, la voix, la profondeur, la classe. L’Hawl est un Hazle à l’anglaise. Fantastique ode à l’amour avec «Oh My Love» - You’re the one I love/ And no mistake - Sur «The Only Road», c’est Fred Neil en baryton. Même magie. Infiniment beau. Véritable merveille de douceur caressante et d’élégance arpeggiée. Il montre encore qu’il sait poser les conditions d’une Beautiful Song avec «On The Ledge». Lowedges est un album magique. Il t’emmène danser la valse sur «You Don’t Miss Your Water», voilà une incroyable invitation au voyage baudelairien. Pas compliqué : t’as Brian Wilson, P.F. Sloan, Curt Boettcher, Burt Bacharach, Jimmy Webb, Lee Hazlewood et Richard Hawley. 

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             Sur Coles Corner, t’as ce qui est sans doute sa chanson la plus océanique, «The Ocean» - You leave me/ Down/ To the ocean - Hit inter-galactique de now it’s been a long time, il développe son extraordinaire clameur d’Ocean à coups de the world is fine/ By the ocean. Et t’as d’autres Beautiful Songs mirifiques comme le morceau titre qu’il attaque aux violons, t’as pas le temps de te débattre, il t’embarque aussi sec, il fond sur toi à la voix chaude, quel fabuleux pourvoyeur de goin’ dowtown with his mission. Sur la pochette, il attend devant Coles Corner avec un bouquet de fleurs dans les bras. Au dos, tu vois le bouquet dans une poubelle et t’en déduis qu’elle n’est pas venue. Richard est un homme qui démultiplie sa musicalité, il gratte des milliers de poux magiques dans la précipitation de sa pop («Just Like The Rain»). Il tourne bien autour du pot d’«Hotel Room». Il farcit sa room de guitares hawaïennes et d’here in my arms. Tout l’album navigue sous un boisseau sentimental. Il nourrit son romantisme de chaudes mélopées délectables. Encore une merveille qui t’émeut bien la meule : «Born Under A Bad Sign». Tu entends aussi le thème d’«Alabama Bound» (Charlatans) dans «Sleep Alone». Sa heavy romantica marche à tous les coups. Il boucle son Coles Corner avec un instru spatial, «Lost Orders», pianoté quelque part dans le cosmos. Il s’y perd, ce qui est logique, vu qu’il a tout donné.

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             Lady’s Bridge est encore un Mute qui grouille de puces. Écroulé dans un fauteuil, l’Hawl y porte le costard lamé or d’Elvis. Sur «Serious», il sonne comme Fred Neil, et c’est drivé au slap. T’en reviens pas d’un si beau paradis. S’ensuit un coup de génie nommé «Tonight The Streets Are Ours», qu’il attaque au power pur, c’est gratté aux mandolines de la démence hawlique. Il sait mettre la pop en feu. Encore une fantastique entourloupe avec «The Sea Calls». Te voilà ensorcelé par cette merveille océanique. «Our Darkness» est intense, mais sans surprise. L’Hawl chante comme une superstar, ses chansons sonnent comme des classiques. Il développe encore une fabuleuse ampleur mélancolique dans «Valentine» et «Roll River Roll». Il transporte le même poids mélancolique que Fred Neil. Ce River Roll est encore une merveille de délicatesse mélodique. Saluons aussi l’incroyable santé des attaques de gratte vintage dans «Dark Road», il évolue ici dans un esprit féerique quasi-forain. Richard Hawley est une superstar, qu’on se le dise.

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             T’as encore largement de quoi te régaler sur Truelove’s Gutter. «Soldier On» va t’emmener très loin. L’ami Hawley tape dans quelque chose de si profondément mélancolique que ça finit par réveiller tes vieilles blessures. Alors tu souffres. Et soudain, ça explose. Il fait tout simplement exploser la marée montante de douleur. Alors tu t’enfonces dans un atroce mélange de douleur et de beauté. L’ami Hawley atteint à la démesure d’un Chateaubriand du rock, il atteint la cime d’une pureté nietzschéenne du Gai Savoir rock - Never say goodbye/ Your’re the apple of my life - Et puis dans «Remorse Code», il vise l’infini et claque deux ou trois solos éthérés d’une rare beauté. Il revient à Chateaubriand avec «Open Up Your Door», il s’installe dans le contemplatif élégiaque, il ouvre des horizons, il a des violons et du ciel, et il monte encore par-dessus son chant pour la seule beauté du geste. Il prend la suite des très grands mélodistes britanniques, Nick Drake et John Lennon. Avec «Don’t You Cry», il te rassure. Il est le genre de mec à te prendre dans ses bras et à te laisser chialer sur ses épaules. C’est de cet ordre-là. Merveilleuse proximité de l’être, merveilleuse chaleur de l’homme, merveilleuse présence de l’artiste.

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             Further grouille de bonnes surprises. Avec «Off My Mind», l’Hawl sonne comme Steppenwolf. C’est quasi Born-To-Be-Wildien, avec un incroyable coulé de gras double. L’Hawl serait-il un hard rocker, un adepte du get my motor running ? Non, car plus loin, il sonne comme Fred Neil dans «Midnight Train», un big balladif paradisiaque. Le paradis est son fonds de commerce - I have to head away - Alors, il prend le train de minuit avec de faux accents de Fred Neil. Il a aussi des espagnolades en magasin, et ça devient prodigieux. Encore de la belle pop profilée avec le morceau titre, vraiment fait pour t’émouvoir. L’Hawl cultive la tendresse suburbaine. «Is There A Pill?» sonne comme un coup de génie. Belle disto de réverb, c’est un hit qu’il faut bien qualifier d’universel. Impossible de faire autrement. Il sait étendre son empire. Il sait aussi groover sous la surface su groove comme le montre «Not Lonely». Il gratte encore des poux extraordinaires dans «Time Is» - Time/ Is on your side/ Fight now - Et un mec te blow des coups d’harp derrière. Tu sors ravi de cet album. L’Hawl serait là, tu lui serrerais la pogne.  

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             Paru en 2012, Standing At The Sky’s Edge est un album d’une rare puissance. Cette fois l’Hawl tape dans la Marychiennerie et la Stoogerie. Qui l’eût cru ? «She Brings The Sunlight» développe l’heavy mood des Mary Chain, avec en prime, le killer solo de démarrage en côte. L’autre Marychiennerie s’appelle «Seek It», mais cette fois, plus par le côté mélodique, qui renvoie à Stoned & Dethroned. «Down In The Woods» est monté sur les accords de «Down In The Street». C’est le beat exact, le balancement du riff primal, l’Hawl part même à l’assaut : yeah ! Sur tout l’album, l’Hawl gratte les poux du diable et fait un festival de gras double. Il joue encore sa carte avec «Time Will Bring You Winter», c’est landscapien, avec des fantastiques atermoiements du bassmatic, l’Hawk y va à l’heavy psychedelia, il est fantastique et tentaculaire à la fois, puissant, et complètement hallucinant. Il lui arrive hélas de redescendre d’un étage pour redevenir banal («Don’t Stare At The Sun»), mais c’est pour mieux te préparer à ce coup du lapin qu’est «Leave Your Body Behind You» et à cette stupéfiante descente aux enfers du rock anglais. Il chauffe ses accords au feu gimmickal, c’est explosif et on voit l’Hawl arroser encore et encore. Tout se noie au crépuscule dans une mer de chœurs en feu. 

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             Voilà donc l’avant-petit dernier : Hollow Meadows. L’Hawl reste le genre de mec qui a tous les atouts en main, le beurre et l’argent du beurre, c’est-à-dire la voix, le son ET les compos, avec en plus le poids des ans. Chez un mec comme lui, ça pèse, le poids des ans. Il s’amuse aussi à foutre le feu avec la disto dévorante sur «Which Way». T’en reviens pas d’entendre un cat aussi brillant. Le dandy baryton refait surface avec «Long Time Down», il y va au groove de timbre profond, il se situe toujours à la croisée des meilleurs, c’est-à-dire Fred Neil et Lee Hazlewood. Il titille bien la mélodie du sentiment avec «Nothing Like A Friend». Ce puriste tape chaque fois dans le mille. La plupart de ses cuts se lèvent comme l’aube d’un jour nouveau. Il cultive l’ampleur catégorielle. Il se paye même une marychiennerie avec «Heart Of Oak». Il sort l’heavy beat, et ça te flatte bien le chinois. Cet Hawl est un puissant seigneur. Ce cat sait profiler un cut sous l’horizon.

    Signé : Cazengler, Howlagueule !

    Richard Hawley. Le 106. Rouen (76). 14 septembre 2024

    Richard Hawley. Late Night Final. Setenta 2001

    Richard Hawley. Richard Hawley. Setenta 2001

    Richard Hawley. Lowedges. Setenta 2003

    Richard Hawley. Coles Corner. Mute 2005

    Richard Hawley. Lady’s Bridge. Mute 2007

    Richard Hawley. Truelove’s Gutter. Mute 2009  

    Richard Hawley. Further. BMG 2019  

    Richard Hawley. Standing At The Sky’s Edge. Parlophone 2012 

    Richard Hawley. Hollow Meadows. Parlophone 2015

    Richard Hawley. In This City They Call You Love. BMG 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Delmonas Lisas

             Aucune des personnes qu’on fréquentait à l’époque n’avait une très haute opinion de Baby Delmonette. Elle parlait d’une voix atrocement vulgaire, se maquillait outrageusement et jouait la punk en portant des collants résille déchirés. Elle était petite et brune, mais elle se péroxydait les cheveux. Et pour couronner le tout, elle sifflait du rosé du matin au soir. En plus, elle fumait à la chaîne. On devait supporter sa présence parce que Flavio l’avait à la bonne. On se demandait tous comment il parvenait à la supporter au quotidien. Certains osaient même lui poser la question :

             — Mais comment fais-tu pour lui grimper dessus ?

             Bien sûr, Flavio ne répondait pas. Il se contentait d’esquiver la question en esquissant un léger sourire, puis on passait à autre chose, en attendant que Baby Delmonette revienne des gogues où elle était allée dégueuler. Ça la prenait souvent à l’heure de l’apéro, lorsqu’elle commençait à descendre des Ricards. Ça ne faisait pas bon ménage avec les litres de rosé qui gonflaient son petit bedon. Une fois qu’elle avait fait de la place, elle repartait de plus belle et buvait de grands Ricards secs et sans glaçons. Valait mieux avoir au moins deux bouteilles d’avance, car elle buvait sec. Quelle descente ! On avait même tendance à encourager sa conso, car elle finissait par nous faire marrer, dans le genre marionnette punk désarticulée. Si elle écartait les jambes, on voyait le désastre sous sa mini-jupe en cuir et on plaignait sincèrement Flavio qui lui, n’avait pas l’air perturbé par le spectacle. Comme on ne lui laissait jamais la parole, on ne savait rien d’elle. Et bien sûr, il ne serait jamais venu à l’idée de Flavio de nous raconter son histoire. C’est elle qui le fit un soir où quelqu’un lui demanda si la cicatrice qu’elle avait en travers du visage, et qui descendait de la tempe jusqu’au menton, était due à un accident de bagnole.

             — Bah non ! M’chuis pas pétée un axident ! L’axident, c’est mon pèèèèère, c’t’enculé d’sa race qui s’pochetronait, qui m’violait et qui m’pétait ses bôtelles sur la djeule ! Tu vois ça ? C’est lui, c’te bâtard, et j’en ai plein d’autres sur l’ventre et dans l’dos, sur l’cul, t’as qu’à d’mander à Flavio, y t’dira qu’c’est pas des conneries !

             Et elle avala son Ricard cul sec. Dans la pièce, tout le monde fermait sa gueule.

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             Les Delmonas savent très bien qu’elles ne seront jamais aussi punk que Baby Delmonette. Mais ça n’enlève rien à leur talent. Et de la même façon qu’on gagne à connaître Baby Delmonette, on ne perd pas son temps à mettre son nez dans l’histoire moins dramatique mais passionnante des Delmonas. 

             Pourquoi les albums des Delmonas sont-ils si excitants ? Parce qu’on y entend deux trios de choc, celui des filles et celui des garçons. Ida Red, Ludella Black (qui s’appelle dans le civil Sarah J. Crouch, la croqueuse, qu’on retrouve aussi dans Thee Headcoatees, bien sûr) et Louise Baker (madame Bruce Brand) constituent le trio de filles. Wild Billy Childish, Russell Wilkins et John Gawen, c’est-à-dire Thee Milshakes, constituent le trio de garçons.

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             Boom dès 1985 avec Dangerous Charms. Belle pochette à la Ronettes sur fond blanc. Elles attaquent au wild boogaloo avec «Peter Gunn Locomotion». Milkshakes time, honey, avec un solo wild as fuck de Wild Billy. Boom encore plus loin avec une cover d’«Hello I Love You». Bien sûr, ce n’est pas le final de Jimbo, mais elles te tartinent les Doors autrement, sans le scream. Encore une belle cover : «Lies», cette fast pop des Knickerbockers devenue culte. Ce démon de Wild Billy te claque un solo aux joues creuses, un vrai slashing. Elles terminent leur balda avec le morceau titre, une belle clameur pop des Milkshakes. Nouvelle cover en B, celle de «Twist & Shout», jetée par-dessus les toits de Medway. Admirable, avec des chœurs de rêve. Et voilà le hit de l’album : «Please Don’t Tell Me Baby», attaqué à l’heavy disto. Wild Billy te bouffe le Don’t Tell tout cru, il l’arrose au napalm de Medway. Mélange unique de Medway napalm killer et d’ingénues libertines.

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             Delmonas 5! s’appelle Delmonas 5! parce qu’ils ne sont plus que 5, trois Milkshakes et deux Delmonas, Ida Red et Ludella Black. C’est encore un big boom d’album bourré de coups de génie, tiens comme cette reprise en B du «Keep Your Big Mouth Shut» des Pretties, mais au féminin. Avec «Why Don’t You Smile Now», elles passent au wild gaga de Wild Billy, gratté aux accords de Dave Davies. Wild as smile now ! Elles chantent à la desperate. Nouveau shout de wild as fuck avec «Black Ludella». Ces gens-là s’y connaissent en matière de claqué de beignet. Dynamiques superbes, chant humide et bien sûr wild killer solo flash de Wild Billy. Te voilà au paradis du wild. Ils montent «Your Love» sur les accords de «You Really Got Me» - I want to kiss you baby - Elles y vont au The more I have/ The more I want, c’est pur comme une esquisse. Pur éclair de génie Childish.  

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             L’album sans titre des Delmonas sort sur Hangman, le label de Wild Billy. Boom dès «Jealousy», en l’honneur de leurs amis français, et gratté au ramshakle des squelettes. Full Headcoating and girl group thang ! Retour dans le giron du génie gaga avec «I’ve Got Everything Indeed» et sa petite remontée gastrique de rockab. Wild Billy te ramène le Memphis Beat, au stomp de Medway. Ida et Ludella font encore des étincelles sur «Uncle Willy», elles y vont au all along et Wild Billy passe son wild killer solo flash de circonstance. Elles chantent «I Feel Like Giving Up» en français - Et je sens que je dois céder/ Chéri je souis complètement à booo - Magnifique ! Les Delmonas enchaînent avec une cover magistrale de «Farmer John», elles le font pour de vrai, avec the one with champagne eyes. La grosse cerise sur le gâtö est une cover des Stooges, «I Feel Alrite». Énorme shoot d’énergie, awite awite, c’est encore un vrai coup de génie Childish. Wild Billy te télescope ça de plein fouet, il gratte son solo au train wreck, Ida et Ludella chantent à deux voix, complètement désespérées.

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             Do The Uncle Willy est une solide compile qui permet de réviser les leçons, à commencer par l’épouvantable hommage aux Stooges, «Feel Alrite», l’encore plus épouvantable cover de «Farmer John», elles tapent à la porte à coups de the one with champagne eyes, avec un killer solo flash du Wild Billy on fire, l’aussi énorme «Black Ludella», claqué aux bons soins d’un Wild Billy incontrôlable, et ça bascule une fois de plus dans la Méricourt totale, c’est stupéfiant d’oh oh oh, avec les retours de manivelle et les tatapoums de Gawen. Elles y vont les garces, avec «Hard About Him», une pop lubrique qui sent bon la culotte. Souvent tu te demandes pourquoi tu écoutes du rock. Pour ça. Pour «Hard About Him». Ça peut suffire à ton bonheur, si tant est que tu le cherches. Comme c’est une compile, elles ressortent les «kitchen demos» et voilà «Ca’rnt (sic) Sit Down», vite fait bien fait dans la cuisine. Et tout explose avec la triplette de Belleville «Jealousy», «Lie Detector» et «I’ve Got Everything Indeed». Wild Billy fait du Billy sec sur «Jealousy», mais il est le seul à savoir gratter des poux aussi secs en Angleterre. «Lie Detector» est une kitchen demo grattée au drive de proto-punk. Pur genius de raw. Il gratte en conséquence. C’est encore pire avec «I’ve Got Everything Indeed», puissant et bardé, Wild Billy et ses amis grattent dans l’esprit du pur British beat avec de superbes voix de filles, et ce démon de Billy part en maraude avec l’un des pires killer solos flash de l’histoire du killering. Tu as là la modèle du genre, avec en prime le boogie de Liverpool et les filles offertes. Compile terrifique.

    Signé : Cazengler, delmonunuche

    Delmonas. Dangerous Charms. Big Beat Records 1985

    Delmonas. Delmonas 5!. Empire Records 1986 

    Delmonas. The Delmonas. Hangman Records 1989

    Delmonas. Do The Uncle Willy. Skyclad Records 1989

     

    *

             Ce groupe possède un avantage sur tous les autres combos chroniqués sur ce blogue depuis quatorze ans. Il provient de Baltimore. Vous ne comprenez pas, j’écris Baltimore et vous lisez Baltimore, les adeptes de la géographie préciseront que cette ville qui compte plus de cinq cent mille habitants est un port maritime du Maryland situé sur côte est des Etats-Unis. Pas très loin de Washington DC. Oui mais moi quand je prononce Baltimore, l’aile d’un corbeau prophétique obscurcit la lucarne embrumée de mon esprit et dans ma tête résonne  le mot fatidique : Nevermore ! C’est à Baltimore qu’est mort Edgar Allan Poe en de mystérieuses circonstances…

             Quel que soit ce groupe, je ne pouvais pas ne pas le chroniquer :

    BLEAK SHORE

    BLEAK SHORE

    (EP / YT – BC / Septembre 2024)

             Quelle couve, mes aïeux jusqu’à la trois cent dix-septième génération, digne d’une  couverture d’un american zine à haute fréquence pulpeuse, elle ne fait pas peur, elle vous fout les chocottes, sachez faire la différence, une véritable biscote recouverte de trois centimètres de beurre de cacahuotte, elle attend que vous y mordez dedans à pleines dents, quelle envie incoercible d’y aller, d’aborder ce rivage malsain, de vous confronter à ces immondes créatures qui hantent le phare maudit, vous savez que vous avez toutes les chances d’y  perdre votre vie, il est vrai qu’elle ne vaut pas grand-chose, tant pis, une force inconnue vous y pousse, dans le coin en bas à gauche deux prédécesseurs sont venus vous souhaiter la bienvenue. Ils vous sourient de toutes leurs dents. Qu’ils ont perdues. Un chromo irrésistible. Non ce n’est pas le Grand Verre de Marcel Duchamp, moins transparent, mais beaucoup plus glauque.

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             Question ambiance, ils joignent deus petites phrases en guise d’introduction :’’Nous avons enregistré notre premier EP en live dans la salle (dans un bateau coulé, quelque part au fond de l'océan). Debout sur le rivage désolé, la dévastation est à portée de main...’’

    Jerrod : vocal / Aaron : lead guitars / Jason : guitar / Fred : basse / Travis : drums.

    Take notice : pas de demi-mesure, ces mecs ils cueillent les petits pois de leur jardin à la bombe atomique, après leurs riffs, ce n’est pas l’herbe qui ne pousse plus c’est la terre qui n’existe pas, le Travis il ne frappe pas de traviole, il assène, il assomme, il assassine, le Fred vous fait main basse sur le son, vous vous l’englue façon goudron, pas besoin de plumes pour finir le travail, la guitare d’Aaron ne tourne pas rond, vous met les riffs au carré, quant à celle de Jason elle jase d’une belle manière, le genre de gars qui vous coupe la haie du voisin à la tronçonneuse, et comme le gars vient rouspéter vicieusement il lui tranche la tête en douce, vers la fin ils se permettent une petite détérioration planétaire, just for fun sur le funiculaie, un capharnaüm idéal pour ratiboiser chez vous les cafards dont depuis dix longues années vous n’êtes jamais parvenu à vous en débarrasser. J’en vois des malins la bouche en cul de poule qui la ramènent, pourquoi ils ont pris un chanteur, le mec peut pointer au chômage si nous en croyons le raffut que tu nous décris ! Bonsoir les narvalos, ça se voit que vous n’avez jamais joué à la bataille navale, Jerrod il est là pour mettre les points sur les ‘’ i’’, il ne crie pas, il annonce, il énonce, sans se presser, dans les meutes de loups il est un mâle alpha, vous dépose sa voix aussi soigneusement que votre grand-mère dispose ses napperons sur les meubles que les domestiques ont encaustiqués et astiqués toute la semaine. En plus vous croyez qu’il va vous raconter une horrible histoire de pirates, pleines de tempêtes, d’abordages, de bateaux envoyés par le fond avec des requins qui cisaillent les jambes des marins des qui s’accrochent désespérément aux espars épars sur les eaux tumultueuses. Non c’est un subtil, il manie la métaphore, il ne faut pas croire aux images, elles sont menteuses, elles vous induisent en erreur, un simple problème de couple, règle ses comptes avec sa copine, ils ont dérivé, si vous voulez savoir qui hantent le phare de la couve, ce sont les fantômes de leur passé tumultueux qui ne cesseront de revenir… Vous avez le bruit des vagues qui vous mélodisent la chanson dure. Bleak shore : le ressac sur la rive, avez-vous déjà imaginé qu’un groupe de rock serait capable d’interpréter le claquement et les frottements des orteils de naufragés de la vie qui prennent pied sur l’îlot maudit de leur destin, les autres font tout le ramdam possible et inimaginable, le Jarrod s’en moque, l’a perdu son trésor mais il lui reste le coffre, alors il surplombe tel l’aigle dans les nuées qui se laisse tomber sur sa proie, le Travis vous imite le battement des ailes à grands coups sourds de gourdins, les guitares volent en escadrille, elles vous filent une espèce de mauvais coton de solo démembrulatoire qui fonce en piqué sur vous, une question subsiste, nous n’avons de psychanalyste pour nous aider à y répondre, notre couple rescapé de son propre naufrage est-il plus près de la mort que de la dévastation. Les vagues nous dispensent de répondre. Black tongue : ce n’est pas Barbe Noire c’est Black Tongue, un peu de ressac, c’est si grave qu’ils ont baissé le volume dans l’intro, c’est la grande explication, avec les guitares mélodramatiques et la batterie qui enfonce les clous des explications, Jarrod n’en profite pas pour baisser d’un ton, l’est le genre de voisin d’école qui vous hurle dans l’oreille que le prof est un imbécile, Fred fait le maximum pour minimiser la punition, il tape comme un sourd et le trio guitarique se lance dans une course effrénée, pas de quoi réfréner notre mégaphoneur, cette fois-ci il met les points sur toutes les lettres de l’alphabet, si j’étais la copine je commencerais par avoir peur, veut qu’ils s’en aillent main dans la main marcher sur la mer, il ne ment pas, il est totalement dévasté. Nous aussi.

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    Waking nightmare : soyons juste, je ne voudrais pas que vous les preniez pour de sombres brutes, z’ont de la finesse dans leur mégalophonie, même Jarrod est capable de chanter à peu près comme tout le monde, de temps en temps il monte dans le gratte-ciel des octaves, il essaie toutefois de ne pas en faire trop, par contre les musicos décident de démontrer qu’ils peuvent taper et vriller les guitares, encore plus fort que lui, le pire c’est qu’ils réussissent, Jarrod se surpasse, maintenant vous avez l’impression de l’entendre sur votre interphone. La fin du morceau est un véritable cauchemar vivant. De quoi nous plaignons-nous, nous n’avons aucune envie de nous réveiller.

             Non, ils ne passeront pas au festival de jazz de Montreux. Ils sont trop monstrueux !

    Damie Chad.

     

    *

             A considérer la pochette m’est venu à l’esprit le titre d’un des recueils de Fouad El-Etr, poëte et directeur de la revue et des Editions La Délirante, un des vecteurs essentiels de la publication de textes rares issus, entre autres, de la plus grande lyrique européenne. Comme une pieuvre que son encre efface, nous parle de la noirceur des subtils rapports entre la noirceur de l’esprit et la présence rayonnante des choses, chacune d’elles essayant de phagocyter l’autre pour la celer dans la bouche d’ombre ou de lumière des moments de poésie.

    THE LOST EUPHORIA

    MOURNING DAWN

    (YT / BC – Octobre 2024)

             Pas moins de quinze opus depuis la formation du groupe réduit à une seule personne entre 2002 et 2005. Aujourd’hui la formation est composée de Laurent ‘’Pokemonsterlaughter’’ Chaulet : fondateur, guitars, vocals / Vincent ‘’Toxine’’ Buisson : bass / Nicolas Joyeux : drums / Fabien Longeot : guitars.

             Patronymes français, le groupe est de Paris.

             Ces morceaux datent de 2018, ont-ils été remaniés ou réenregistrés, dans ce cas-là le guitariste serait Frédéric-Batte-Brasseur. En une très courte notule Laurent nous apprend qu’il les avait complètement oubliés, que cet EP deux titres marque la fin de quelque chose en lui. Le titre est significatif : l’innocence du monde s’est enfuie pour toujours. Pour noircir le tableau, si l’on interprète le nom du groupe, le jour de notre naissance n’est-il pas le premier de notre mort…

             Donc la couve, comme une béance, une entrée, une descente, l’aven  aventureux d’un souterrain, non pas une possibilité, un engagement, un parti-pris. L’obligation d’une approche.

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    Gosth of a dying sun : funèbre, funéraire, pas fun du tout, une machine sombre et grondante qui avance vers vous, pas à pas, ce n’est pas le Soleil Rouge de Raymond Abellio, qui vous éclabousse de sa permutation alchimique, l’astre se meurt et s’abaisse lentement, le chant growlé vous interdit de penser à une apocalypse cosmologique, l’astre est en toi, comme il est dans tous ceux qui avant toi sont déjà morts, ce soleil appartient à tous, il décline sur l’horizon individuel de chacun, nous portons notre propre soleil, car nous sommes les parturientes de notre mort, toutefois une présence fantomatique égrégorienne puisque l’astre solaire appartient à tous, voici un bien collectif, nos os sont pétris de la terre des morts, nous marchons sans fin entouré de ces êtres qui nous ont accompagnés, nous vidons le monde d’éclairs de tranquillité que nous avons partagés, il est temps de pénétrer en soi-même, de se retrouver, de vivre son propre rêve, ne plus s’accrocher, larguer les amarres, souffler le soleil de l’être faire le noir, connaître enfin la transparence de soi-même. Une espèce de chant grégorien qui refuse de s’élever jusqu’aux voûtes des monuments, symboles des profondeurs célestes, une marche processionnaire, qui brûle du feu d’une prière qui exige son propre anéantissement. Day zero : notes frêles, indistinctes, le jour zéro c’est le coup de dés qui ne désigne aucun nombre, qui abolit le hasard en abolissant les circonstances de l’être, musique liturgique, chœur monacal, qui traîne sa bure dans la poussière du néant, le growl est un gros loup qui a tiré le grelot du gros lot, le dernier cadeau dont l’emballage ne contient rien, les voix se taisent afin que l’auditeur puisse se rendre compte de l’évidence du néant… prendre la décision, non pas de tout quitter, cette conséquence n’est qu’un dommage collatéral, non s’éloigner, plus exactement décider du chemin, s’éloigner, transformer notre existence en le charroi de notre propre cercueil, ne plus faire semblant de vivre, la guitare se transforme en feu follet, redondance vocale entrecoupées de ces notes glauques qui résonnent sur le sol bitumeux de notre passé, la basse épouse la trace de nos pas, il faut bien laisser quelque chose de notre éloignement, de notre disparition, de notre passage, hurlements les officiants de notre office nous crient dessus, tant pis pour eux, nous sommes en lévitation de nous-même, en reptation intrinsèque, ce qui revient au même, musique en cristal de roche que l’eau de l’existence dissout avec une obstination souveraine. Ne sommes-nous pas ce que nous sommes autant que ce que nous ne sommes pas. Volonté abîmale. Final grandiose.

             C’est si beau que l’on veut en savoir plus. Alors on cherche, l’on se met en quête de la piste noire, l’on comprend assez vite que ces deux morceaux sont issus des séances de l’enregistrement d’un précédent album au titre évocateur.

    DEAD END EUPHORIA

    (Aesthetic Death / Mars 2021)

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             Difficile de décrire une telle pochette. Je serais tenté de détailler un trou, mais je possède une description plus appropriée, qui demandera quelques recherches sur le net à ceux qui veulent comprendre, je dirai donc que cette couve ressemble à un poème de José Galdo, pour situer l’auteur de donnons par exemple le titre d’un de ses recueils : La Nouvelle Danse des Morts, pas à un texte spécial, je ferais plutôt référence à la boursouflure exsudée des brûlures de la chair humaine décompositoire. 

    Dawn of doom : aux premières sonorités fuyantes vous êtes sûr que l’aube en question sera noire, peut-être en désaccord avec Gérard de Nerval qui prophétisait que sa dernière nuit serait blanche et noire, ici il s’agit de la même chose , mais Nerval parlait pour ainsi dire depuis l’autre côté alors que Mourning Dawn n’a pas encore franchi le Rubicon, devant l’obstacle qu’il faut s’approprier fort justement par l’Acte d’appropriation, lyrics explicites comme il est écrit sur une recension du disque, juste une décision dirigée par le constat de la faillite du simple fait de vivre, musique englobante, imaginez-vous hurlant dans une meute de chiens grondante lancée dans la poursuite d’un six-corps - parfois la musique et aboiements s’alentissent parce que l’instant de la curée approche, mais ici vous êtes, les chiens, le cerf et le chasseur. Votre vie ne tient qu’à un fil. Celui du couteau. Que vous tenez dans votre main. En filigrane cette idée que vous serez le père de celui qui a passé le cap avant vous. Mais la paix la plus profonde vous attend.

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    Never to old to die : un titre parodique à destination des rockers sardoniques, too young to  die, too old to rock’n’roll, ils ne jouent pas au loto, ou alors ce sont les numéros de la mort, 18, 27, 33 ! Attention à ne pas sortir les numéros gagnants, faites gaffe, le morceau est long mais si la rythmique marque une cadence ponctuante les guitares fusent à toute vitesse, à croire qu’ils ont divisé le son sur deux bandes, l’une normale et l’autre ultra rapide, pas le temps de perdre son temps, même pas de le prendre, vous avez des coupures faut bien marquer les séquences, un coup ils se précipitent vers la mort en voiture, z’ont de l’humour noir, à dix-huit ans tu peux avoir le permis mais pas la voiture, si tu t’encastres appelle le 18, les pompiers te sortiront de ce mauvais pas, une autre solution prendre sa carte au club des 27, très sélect, que des rock’n’roll stars, tu ne peux pas trouver mieux, correspond parfaitement à ton style de vie, qui est en même temps ton style de mort, faut tout de même avoir un fusil chez toi pour t’éclater la tête et rejoindre le nirvana, vocal acerbe, comme Kurt Cobain, troisième solution, l’âge du Christ, pas besoin de porter sa croix jusqu’au bout, une petite overdose et tu bascules sans t’en rendre compte, non il n’est jamais trop tard pour mourir, tu peux dépasser les trois numéros fatidique, tu gardes toujours ta chance avec toi, à portée de main. Un groupe de death metal qui se permet l’auto-dérision de l’humour c’est plutôt rare, ils en profitent pour s’éclater, musicalement parlant, batterie d’estoc, guitares de taille et vocal déchaîné. Prennent leurs pieds, n’en finissent pas de continuer sur leur lancée, le morceau fonctionne comme un unique riff géant, un riff de dinosaure auquel ils rajoutent sans arrêt une vertèbre articulatoire. Dead end euphoria : une guitare vous fait la nique, les chœurs de moines paillards  clament que si l’euphorie de vivre est sans issue, autant en profiter jusqu’au bout, c’est après que le ton change qu’ils atteignent aux réflexions métaphysiques pascaliennes sur l’inanité du  divertissement, l’on n’oublie jamais même si on fait semblant, même si on ne veut pas le voir, ce que l’on trouvera au bout du chemin, guitare narquoise et cordes illusoires, batterie te deumique… Conclusion : escadrille guitarique en position d’attaque, fini de rire, ni noir, ni jaune, le vocal comme un scalpel qui vous dépèce l’âme, hurlements, le chant monte en puissance, il serait parfait pour illustrer La Divine Comédie de Dante, la première partie L’Enfer évidemment, mais chez Mourning Dawn l’on ne rôtit pas éternellement en enfer ce qui serait une manière peu agréable de survivre, non chez eux la mort est glaciale comme une chambre froide de boucher, sans même les carcasses animales à l’intérieur, le morceau reprend plus lourdement, ne vous permettent pas le moindre rêve, derniers gargouillements atrophiques, les tentures phoniques du drame descendent lentement du plafond, ne vous reste plus qu’à vous y enrouler dedans comme dans un suaire. Hurlements de terreurs, la batterie casse du bois, celui de votre cercueil que l’on prépare pour vous.

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    The five steps to death :non ce n’est pas le Three steps to heaven d’Eddie Cochran, sorti après sa mort, qui disait l’éternité c’est long surtout vers la fin, je vous promets qu’à la fin du morceau vous serez encore vivant mais que vous en avez non pour vingt-six siècles mais pour vingt-six minutes, ne vous enterrent pas vivant, ils vous permettent d’assister à la répétition de votre enterrement, une entrée cérémonieuse, plein-chant, grandes orgues, au moins trois chœurs, mille cierges allumés, ce sont les chandelles de votre vie que vous avez ou que vous n’avez pas eu le temps d’enflammer, je ne peux pas décider pour vous, le courage de brûler par les deux bouts. C’était trop beau, n’avaient pas lésiné, et plouf toue s’arrête, plus rien une guitare acoustique, ô la pauvrette, elle joue bien, mais c’est un peu maigrelet, pas de choeur, juste une voix solitaire qui récite un texte peu engageant, pas vraiment joyeux, pas l’enthousiasme nietzschéen, nihiliste, presque le regret de Dieu et sitôt ce mot prononcé c’est le déchaînement, le vide à combler, mais peut-on combler le vide avec la mort, avec des entassements de morts, maintenant le morceau se transforme en un magnifique oratorio, galopade drummique, murs de guitares, voix jaillissantes, elles grognent et feulent comme des tigres en cage, une foule  scande les slogans de l’ineffable, rupture ronflements de basse, des orques solennels se prennent pour le requin de Mozart, requiem pour un survivant, pour quelqu’un qui a sublimé sa mort et qui n’en est pas mort pour autant, au temps qui passe, qui scandaleusement ne veut pas s’arrêter, se figer en son propre espace, alors cette montée en puissance qui vous emporte,  je suppose que beaucoup d’auditeurs affirmeront que ce morceau est trop long, il n’est pourtant pas plus long que lui-même et il atteint au sublime, avec ces coups de gongs et cette chevauchée walkyriennes de guitares qui surgissent pour tout emporter avec elles, les chœurs comme un mur de feu qui se consume et brûle en même temps le monde, en signe d’exaltation et de finitude, des sirènes qui retentissent pour donner l’alerte, pour que vous aperceviez que quelque chose est en train de se dérouler là, dans ce morceau même,  ces voix qui semblent s vouloir se dévorer, qui se jettent l’une sur l’autre pour qu’il ne reste rien de ce qui aura eu lieu. Prodigieux. Adieu : encore une fois ce frémissement comme un vol d’anges aux ailes cassées, généralement on les appelle des humains, l’adieu aux armes et l’adieu aux hommes, qui ne savent ni mourir ni vivre. Coincés entre leurs finitudes et leurs infinitudes. Une dernière fuite en avant car ils aussi difficile de  vivre que de mourir. Les serpents ne se mordent que rarement la queue.

    Damie Chad.

     

    *

             Il est des hasards extraordinaires. La précédente chronique se termine par l’évocation de serpents, or ce matin à la recherche d’un nouveau groupe à chroniquer mes yeux s’arrêtent sur ce qui a première vue ressemble à poème anglais qui débute par les trois mots suivants : ‘’ If the serpents…’’ se mordent la queue ai-je envie d’ajouter, je regarde et j’en ressors effaré, la mystérieuse voie du serpent ne saurait mentir.

    THE ORESTEIA

    C.I. A. Hippie Mind Control

    ( / 2023)

    J’avoue que d’abord  j’ai bêtement focalisé sur le nom du groupe, What ist it ? Un groupe politique ? En plus ils sont catalogués de ‘’ band from the american PNW, j’essaie de traduire Party National de… non, l’adjectif serait devant le nom, en tapant PNW je m’aperçois de mon ignorance crasse, ces trois initiales désignent une région transnationale américaine et canadienne du Nord-Ouest du Pacifique, qui regroupe les états de l’Oregon, de l’Idaho, de Washington et de la province de la Colombie Britannique.  Tout colle puisque le combo est domicilié dans l’Oregon. De la cité d’Eugene, grande ville enchâssée dans un écrin de verdure qui lui vaut son surnom de Cité d’Emeraude

    Ne sont que deux, se définissent comme un combo psychedelic death doom. Je me demande si le premier d’entre eux ne serait pas un admirateur, un chadmirateur, de ma modeste personne dont la renommée aurait atteint à mon insu les rivages du Pacifique : Chad Rausshenberger : guitar, bass, synts, samples, clean vocals / Greg Kholer : drums, percussions, vocals.

    Le titre me fait sursauter : l’Orestie, d’Eschyle pas possible, vous connaissez mon amour immodéré pour la Grèce Antique : ce n’est pas un devoir de chroniquer, c’est un impératif catégorique comme dirait Kant !

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    Uniquement trois morceaux pour l’Orestie, n’est-ce pas trop peu, les amerloques ont l’esprit pragmatique, l’Orestie étant une trilogie, ils ont prévu un morceau pour chacune des trois pièces qui composent l’œuvre d’Eschyle, à l’origine il y en avait quatre, ce n’est pas un hasard si Wagner a composé une tétralogie, mais elle a été perdue, soyons gratuitement méchant : brûlée par les chrétiens, dommage car les trois drames qui composaient une trilogie devaient normalement être suivie d’une comédie sur la même thématique.

    Dans une petite phrase ils nous apprennent que deux premiers morceaux se trouvaient sur un vieil opus, et le troisième égaré sur la face B d’un 45… Ils ont remixé le tout, pour leur constituer une suite phonique. Ce n’est pas tout à fait la règle des trois unités dont notre théâtre classique est si fier, mais cela s’en rapproche, du moins de la fameuse unité de ton que plus tard mettront à mal nos Romantiques…

    le principe structurel d’un drame antique est un capharnaüm sans nom, les renseignements suivants sont très schématiques, d’abord deux entrées, un prologue réservé à un ou plusieurs acteurs, et un parodos, première apparition du Chœur, ensuite les scènes nommées épisodes, qui sont systématiquement suivies d’un Stasimon, le commentaire du Chœur qui peut résumer les évènements qui ont précédé le sujet de la pièce, ou manifester ses peurs, ses craintes, voire prophétiser la suite, voire la fin, des évènements… parfois le Chœur entre en nombre, c’est ce que l’on appelle un kommos, et se transforme en cortège plus ou moins bachique, le dernier épisode porte le nom d’exodos. Si vous désirez en savoir davantage, une seule solution relire la Poétique d’Aristote.

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    Nous sommes habitués aux murs de pierres ou aux colonnes blanches des monuments antiques, un monde pur en quelque sorte, beaucoup plus bariolés en leurs époques, les manifestations théâtrales dépendaient beaucoup des ‘’sponsors’’, citoyens riches plus ou moins chiches, les costumes, les masques, pouvaient être plus ou moins sophistiqués, les Chœurs composés étaient parfois maigrelets, ou pléthoriques, les acteurs et les chanteurs les plus célèbres recevaient un cachet supérieur…

    Certains lecteurs se demanderont si l’écoute des quarante minutes de l’opus de notre groupe sera  capables de traduire un tel foisonnement, peut-être ajouteront-ils qu’il feraient mieux d’assister à une véritable représentation de la pièce. Sans doute n’ont-ils pas tort, question costumes, décors, déplacement, mise en scène  C.I.A. Hippie Mind Control ne saurait rivaliser. Le problème c’est que le spectacle visionné sera aussi inconséquent que le disque. A l’origine les tragédies grecques étaient pourvues d’une partition. Bref l’ensemble était plus proche d’une comédie musicale, d’un opéra, que d’une simple pièce de théâtre. Si l’on y réfléchit bien, l’idée d’une interprétation musicale d’Eschyle n’est pas à dédaigner.

    Il ne nous reste que quelques rares et ultra-brefs fragments de ces partitions antiques, la tentative de C.I.A. Hippie Mind Control n’en est que plus intéressante et intrigante. La gageure semble impossible à relever.

    Agamemnon : n ’ont pas fait preuve d’une imagination débordante pour les titres, ils ont repris ceux d’Eschyle :  surprise auditive, presse purée phonique, votre ouïe a intérêt à retrouver son équilibre, ni cadeau, ni concession, l’étiquette post-metal est utile, tout et n’importe quoi peut être qualifié de post metal, mais c’est que là : vous avez le post, le metal, le tout et le n’importe quoi réunis, et puis les acteurs, vous ne les voyez pas certes, mais vous les entendez, ils causent sans fin, vous ne comprenez rien, disons que les spectateurs font du bruit, ils parlent en même temps, le pire c’est que la musique en sourdine reste présente mais que c’est le traitement vocal qui paraît plus metal, que les grincements, les colères et les coliques battériales, ce truc informe et infâme qui grogne, c’est au moins un Dieu, ou la voix du Destin, couverts par des hurlements de soudards, vous avez une guitare qui miaule mieux qu’un chat, disons une chatte qui ne retrouve pas ses petits,  des samples qui ne sont pas simples, des intonations dignes d’acteur, des sonneries crispantes, ce n’est pas tout et cerise aigre sur le gâteau, une tragédie résumée en onze minutes. C’est tragique. Scandaleux. Une attaque sans nom contre la culture, la grande, celle avec un C majuscule, le même que vous mettez en tête de Connerie effroyable. Oui, mais quelle réussite ! Est-ce que la CIA a pris le contrôle du cerveau de nos hippies, ne répondez pas par oui, car vous serez moralement obligé d’écrire une lettre de remerciement à la Centrale de l’Intelligence Américaine. Pour la première fois de votre vie vous venez d’assister à un prodige. Rappelez-vous de celui qui vaticinait que la beauté se devait d’être convulsive. Sans quoi elle ne serait pas.  Dans le tohu-bohu convulsif vous n’avez rien compris au film. Agamemnon rentre chez lui. Dix ans que sa femme ne l’attend pas. Elle a pris un amant Eghiste. Pour se venger. Elle lui en veut. Agamemnon n’a pas hésité à sacrifier sa propre fille Iphigénie pour que les Dieux lui envoient le vent nécessaire au départ de la flotte grecque pour la guerre de Troie. Agamemnon périra par où il a été aidé. Par les Dieux. Sa femme l’accueille dignement, elle lui fait le coup de l’ordalie, il ne devrait pas marcher sur le tapis de pourpre réservé aux Dieux qu’elle a déroulé en son honneur. Dans les minutes qui suivent il sera tué par Eghiste qui l’attendait dans la salle de bain. Peut-être que dans ce morceau vous n’avez entendu qu’un charivari extrême, c’est parce que vous êtes bête, parce que vous croyez que lorsque le Destin se rend à votre rencontre, il marche sans faire de bruit, l’oreille subtile de votre intelligence aurai dû comprendre que lorsque la force colossale du Destin se dirige vers vous, il fout un sacré bazar tout autour de lui. Prenez-en de la graine. The libations bearers : je ne voudrais pas que l’on m’accuse de vilipender la langue de Shakespeare, mais reconnaissez que la traduction en l’idiome rabelaisien, plus proche du grec originel, est supérieure à la malheureuse version anglaise, Les Choéphores a singulièrement plus de gueule et de classe que ces malheureux porteurs de libation qui évoquent les soirées avinées des saturnales romaines : les voix bien sûr, les instrus se la jouent tragique, c’est ici que le nœud se noue, cris de haines, est-ce que le drummer se prend pour les pas du destin, c’est la purée phonique, normalement il devrait y avoir des trémolos de violons, ils n’en n’ont pas, y a comme des tintements de vaisselles sales, une guitare qui joue au chat vivant  à qui l’on arrache ses tripes, s’il vous plaît n’écoutez pas les paroles, contentez-vous des hurlements de haine, une espèce de glissement de terrain instable, une bête hideuse c’est Kobler qui se prend pour un loup-garou, quel tintamarre, j’espère que vous avez déjà perdu votre tête car vous ne sauriez pas où la mettre en sécurité dans cette espèce d’avalanche stagnante, silence, non nous sommes au cœur d’une action sans cœur, en désespoir de cause quelqu’un tape sur une cymbale pour faire croire que vous entendez les battements, just an illusion,  que de bruit ! que de larmes, c’est normal c’est la nuit qui tombe dans l’âme du héros. N’écoutez pas ce qu’il décjame. Vous ne dormiriez pas ce soir. Comparé à ce morceau le souvenir du précédent vous fera verser des larmes de nostalgie, vous aurez envie de chantonner quelle était verte ma vallée. Donc je résume : voici Oreste devant la tombe d’Agamemnon, c’est Apollon, celui-ci n’est pas un plaisantin, qui l’a envoyé venger son père. Ce qu’il ne manquera pas de faire. Oreste : 1 / Eghiste : 0. Mais Oreste a vu sa mère, la méchante hypocrite accompagnée par un cortège porteur de coupes de libation, afin de verser du vin sur le tombeau  dans le but de calmer la fureur des mânes d’Agamemnon… Oreste aiguillonné par sa sœur Electre, s’en prend maintenant à sa mère, il commet le crime le plus énorme, le matricide Oreste 2 / Eghiste+Clytemnestre 0. Pas de chance les méchantes Erinyes se lancent à sa poursuite, elles bourdonnent autour de sa tête, elles lui reprochent son crime, elles sont le regret, le remords, la vengeance et bien plus encore. Maintenant vous comprenez l’atmosphère lugubre et chaotique de de ce deuxième morceau.  Voici le moment idéal pour  nous pencher sur la couve de ce trauma sonique : la scène est facile à décrypter Oreste attaqué par les Erinyes. Pourquoi sont-elles représentées par des serpents ? Elles sont symbolisées par des serpents parce que leurs chevelures étaient entremêlées de reptiles. Pourquoi ? Parce que ces serpents étaient censés sortir des tombes des assassinés.  Pourquoi ? Je vous en pose moi des questions, tiens en voici une : quelle était la bébête qui logeait dans une fissure du temple d’Apollon à Delphes ?  

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    The Eumenides : c’est le summum, cris sans chuchotements, que faire, à tout hasard Kholer tape sur sa cymbale et tant bien que mal essaie d’imiter le vol des Erinyes, une escadrille aux hélices bruyantes, une guitare n’en finit pas de grincer, une espèce de grognement perpétuel couvre le tout, ambiance noisique, peu de paroles, quand tout est réalisé rien à rajouter, seules les Erinyes font entendre des bruits épouvantables, délabrement auditif, la fin est proche, si vous ne connaissez pas votre mythologie vous vous demandez ce qui se trame dans ce générique final de fin du monde. Les Dieux s’en mêlent, Oreste s’en remet à Apollon pour le tirer de ce mauvais pas. Le Dieu commence par exiger des Erinyes qu’elles se calment, puis il refile le bébé à Athéna. N’oubliez pas que c’est à Athènes qu’avaient lieu les représentations les plus munificentes. Donc Athéna va  la jouer finaude. Faut-il laver Oreste de son crime ou doit-elle l’abandonner à la vengeance des Erinyes, elle sort la carte ultime, le mot magique que nos politiciens sortent à tout bout de champ. Athéna est pour la démocratie. Douze citoyens serviront de jury. Enfin onze, parce que la Déesse s’octroie une place de choix. Celle de présidente du jury. Les Erinyes exposent leurs griefs, leur rôle n’est-il pas de châtier les criminels, elles ont raison, un seul hic à leur raisonnement légitime, c’est Apollon qui, surprise du chef, se déclare l’avocat d’Oreste. Allez donner tort à un Dieu. Le jury déclare Oreste lavé de son crime. Les Erinyes se plaignent à Athéna. La fine mouche leur assure que personne ne les aime, elles n’ont qu’à se métamorphoser en bienveillantes, en consolatrices, en Euménides pour employer le mot grec. Ce qu’elles se hâtent de faire. Ouf nous l’avons échappé belle.

             Si vous voulez la morale de cette histoire : d’après moi la musique de C.I.A. Hippie Mind Control est davantage érinyque qu’euménidienne. C’est pour cela que vous l’apprécierez.

             Une superbe réussite. Total Kaos !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 573 : KR'TNT 573 : JERRY LEE LEWIS / MALACO / GRAHAM DAY / BOBBY PARKER / REPTIL / NEGATIVE CONCEPT / KRAMPOT / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 573

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    03 / 11 / 2022

     

    JERRY LEE LEWIS

    MALACO/ GRAHAM DAY / BOBBY PARKER

        REPTIL / NEGATIVE CONCEPT

    KRAMPOT/ ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 573

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    L’Apocalypse selon Saint-Jerr

     - Part Five - Back-(hell)fire

     

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             On le disait foutu.

             — Paraît qu’y circule sur un fauteuil roulant. Y l’est cuit aux patates !

             — Paraît même qu’on l’a vidé comme une volaille. Y l’en a plus pour très longtemps...

             — De toute façon, avec la vie qu’y l’a mené et tout ce qu’y s’est mis dans l’cornet, c’est un miracle qu’y soit encore là. Y doit avoir une drôle de constitution ! Y vont sûrement l’conserver dans un bocal !

             — T’as vu les photos sur Internet ? Y l’est pas jojo ! 

             — Ah ouais, ça craint...

             — Y l’a les yeux humides, c’est pas bon signe. Tu vas voir, ça va s’terminer comme l’autre facho d’Franco, là, y vont l’brancher pour le maintenir en vie artificielle et faire encore du blé sur son dos...

             Jerry Lee cuit aux patates ? Jerry Lee sous perfu ? Ah ah ah ! Non mais vous rigolez ? Il a 80 balais et il fait l’actualité à lui tout seul avec deux albums stupéfiants, Rock & Roll Time et The Knox Sessions. Vous en connaissez beaucoup des gens qui sortent deux albums stupéfiants à 80 balais ? Du coup, c’est une actualité qui balaye toutes les autres, car Jerr, pour pas mal de gens, ça touche un peu au religieux. Ce fut aussi le cas pour Elvis, bien sûr, mais c’est peut-être plus marqué en ce qui concerne Jerry Lee. Sans doute parce qu’il a su rester fidèle à sa légende de hellraiser toute sa vie. S’il est un homme qui au vingtième siècle a vraiment su incarner l’essence même du rock’n’roll qui est la sauvagerie, c’est bien l’immense Jerry Lee Lewis. Avec lui, on entre dans le domaine du sacré, de l’intouchable et de la démesure. Jerr serait-il le dernier grand héros américain ? C’est fort probable. En tous les cas, une chose est sûre : il est depuis soixante ans le dieu d’une génération d’indécrottables rockés du bulbe.

             Petit retour aux années cinquante. Jerry Lee et Chuck Berry s’étaient retrouvés tous les deux à l’affiche d’un concert. Chickah Chuck était tête d’affiche et s’apprêtait à monter sur scène APRÈS Jerry Lee. Comment le Killer lava-t-il cet affront ? Il mit le feu à son piano, sortit de scène et en croisant Chuck dans la coulisse, il le mit au défi :

             — Now beat this, niggah !

             Vas-y, essaye de faire mieux ! Évidemment, PERSONNE n’a jamais pu rivaliser avec Jerry Lee. Little Richard et Chuck Berry ont bien tenté de lui ravir son titre de champion, mais en vain. Jerr avait quelque chose en lui que les autres n’avaient pas : le jerrylisme, cette façon de démonter la gueule des classiques du rock et de gronder comme le cerbère des enfers, cette façon de plier les chansons à sa volonté sans produire le moindre effort, cette arrogance dégoulinante de génie, cette extraordinaire science de l’élévation qui distingue les purs rockers, cette facilité à dominer le monde en grimpant sur un piano. Et puis cette voix qui couvre tous les aspects de la beauté mélodique et de la rage, la vraie, celle que combattit Pasteur.

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             L’un de ses plus grands exploits date de la Fête de l’Huma, en 1973. Nous étions trois lycéens partis en pèlerinage. Le parc de la Courneuve était pour nous la terre sainte car Jerry Lee et Chuck Berry étaient à l’affiche. Cette fois, Chuck passait en premier. Il attaqua son set dans l’après-midi, accompagné par le bassiste et le batteur d’Osibisa, un groupe africain basé à Londres qui bénéficiait à l’aube des seventies d’une petite notoriété. Les blackos avaient joué un peu avant et on avait bien bâillé aux corneilles. On vit arriver Chickah Chuck sur scène et nos pauvres petits cœurs se mirent à battre la chamade. Il portait un pantalon rouge et une chemise bariolée. Il fit un morceau, deux morceaux et au commencement du troisième, on vit un barbu débarquer sur scène, par l’arrière. Ce barbu portait un Stetson, des Ray-Ban noires, un col roulé blanc aux manches retroussées et il fumait le cigare. Il vira le batteur d’Osibisa sans ménagement et prit sa place. Une rumeur courait dans le public. C’est Jerry Lee ! Au lieu de battre la mesure du standard que Chickah Chuck attaquait à la guitare, Jerr se mit à faire le con et à jouer n’importe quoi. Était-il complètement pété ? Au moment où il jeta ses baguettes en l’air, le temps sembla s’arrêter. Ça ressemblait à du sabotage. Excédé, Chickah Chuck débrancha sa Gibson rouge et quitta la scène. La foule se mit à beugler. Puis tout alla très vite. Dans la minute, un véritable déluge de projectiles s’abattit sur la scène. On n’avait encore jamais vu un truc pareil. Sur scène, Jerr était grimpé sur le piano et deux mecs essayaient de le tirer par les jambes pour le mettre à l’abri, mais ce démon leur résistait et il haranguait la foule. Soudain, il y eut un mouvement de panique générale. La foule assise se leva comme un seul homme. Sauve qui peut les rats ! Dans ce cas-là, on détale. D’autant plus vite qu’on se croit poursuivi. Ça courait dans tous les sens. On marchait sur des gens qui n’avaient pas réussi à se lever. On est tous allés se réfugier dans les stands installés aux alentours de la grande scène. Évidemment, on n’a jamais retrouvé nos sacs et nos blousons. Il régnait dans les allées une sorte de chaos, comme si une bataille venait de se dérouler. Des gens affolés continuaient de circuler dans tous les sens, à la recherche d’autres personnes. On ne s’est revus tous les trois que beaucoup plus tard dans la soirée. Un vrai miracle ! On croyait vraiment qu’on allait devoir rentrer en stop. On voyait des ambulances traverser péniblement les allées pour emmener ce qu’on imaginait être des blessés. Les rumeurs les plus folles circulaient. Un gang de bikers installé au pied de la scène aurait paraît-il chargé la foule à l’arme blanche, comme au moyen-âge. Ce fut probablement le plus beau concert de Jerry Lee. L’Apocalypse selon Saint-Jerr ! En comparaison, celle de Saint-Jean ne fut qu’une roupie de sansonnet.

             Jerry Lee avait tout simplement réussi à exploser la bible.

             — Now beat this !

             Dans les années soixante-dix, Jerry Lee était sous contrat chez Mercury et comme il enregistrait des albums de country à Nashville, il s’emmerdait comme un rat mort (dixit Choron). On tentait de le domestiquer pour mieux le vendre - Domesticity is for losers, not for the killer ! - Alors, il revenait à Memphis et appelait Knox, le fils d’Uncle Sam, en pleine nuit pour lui dire : «Meet me at the studio, I wanna cut». Évidemment, Knox accourait. Jerr ne garait pas sa Rolls dans l’allée devant le studio, mais sur les buissons fleuris de la pelouse. Et quand ils faisaient une pause, ils allaient boire un verre dans l’un de ces clubs de strip-tease ouverts toute la nuit. Dès que Jerr entrait dans le club, les filles s’agglutinaient autour de lui et le club reprenait vie. Parmi les musiciens qui l’accompagnaient lors de ces sessions légendaires, se trouvaient Kenny Lovelace (cousin de Knox) et Mack Vickery, un vétéran du rockab que Jerr avait la bonne. Et Knox ajoute que si Jerr adorait revenir au Sam Phillips Recording Service Inc. (le second, celui qui fut ouvert en 1960), c’était surtout pour le son. Knox explique que son père avait conçu et construit de ses mains les chambres d’écho. Jerr adorait s’installer dans la salle de contrôle pour y entendre le son plein de sa voix et de son piano, ce qu’il n’avait évidemment pas à Nashville. Au commencement du monde, il y avait Sam Phillips, ne l’oublions pas. Et Knox ajoute que son père lui avait appris une chose fondamentale :

             — Si tu veux qu’un génie se laisse aller, tu dois créer les conditions pour ça !

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             C’est exactement ce qu’on entend dans ces sessions inédites. Jerry Lee attaque avec «Bad Bad Leroy Brown» et le baddest badass de Memphis, c’est lui - My name is Jerry Lee Lewis/ I’m bad/ I’m bad as an ole King Kong - Jerry Lee chante ça d’une voix altérée par les excès. Ce vieux classique est une ode aux boîtes de nuit et Jerr l’explose comme on explose un crapaud avec un pétard - Have you seen these knots on my bald head ? - C’est de la magie pure et la fête continue avec «Ragged But Right», le boogie des temps anciens et il passe à la country féérique avec «Room Full Of Roses». Pareil, il l’explose et la colle au plafond, ah quelle rigolade ! Si toute la country sonnait comme ça, on en boufferait, c’est sûr. Ce démon claque des accords de piano à contre-courant - Gimme some fiddle son ! - On sent qu’il se transfigure et qu’il devient dingue. Avec «Johnny B Goode», les colonnes du temple ondulent et soudain c’est l’enfer sur la terre ! Il déclenche cette nouvelle apocalypse au piano. Le toit du studio saute, forcément, car Jerr rentre dans le lard du rock’n’roll. C’est lui Foutraque 1er, le roi des frappadingues. Puis il attaque une belle compo de Mack Vickery, «That Kind Of Fool» et si on n’est pas encore tombé de sa chaise, alors on va pouvoir le faire grâce à «Harbor Lights» - We cut this song now. You’re ready ? - C’est horrible de puissance dévastatrice. Jerr file à la surface du son comme un requin à la surface de l’eau. Il atteint un niveau de démence géniale qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Et en plus, il grogne comme au Star Club de Hambourg. Jerr brille au firmament. Il transforme chaque cut en spectacle. Retour à l’église pour «Pass Me Not O Gentle Savior». Mais le poor sinner broute des mottes en ricanant. Il va au gospel comme d’autres vont aux putes. C’est l’appel des racines de Ferriday et il déconstruit tout l’art gospellique au piano. Le diable est entré à l’église - Oh Jesus I’m beggin’ on my knees/ Oh Jesus please don’t pass me by - Puis il sort un vieux coucou qui date du ragtime, «Music Music Music/Canadian Sunset» et pour l’occasion, il devient un lion, mais un lion complètement dingue, pas celui qu’on voit au zoo. Il devient ignoble de génie et il mène son bal tout seul avec une inventivité sidérante. Il sait allier le swing à la finesse de jeu. Pas la peine de remonter sur la chaise, car voilà «Lovin’ Cajun Style» de Huey P. Meaux, l’absolue merveille, et Jerry Lee re-dévaste tout - Oh babe you’re driving me wild on the cajun style - Il fait sa grosse Bertha. Jamais un groupe de garage n’aura cette puissance de feu - When the pretty girls twist on the banks of the bayou - C’est simple, il rentre dans le rock’n’roll comme dans du beurre. Dans «Beautiful Dreamer», il se couronne de laurier : «I’m gonna tell the story of the greastest stylist of all times, Mister Jerry Lee Lewis !» Puis il rend hommage aux gens qu’il admire, Hank Williams, Bill Monroe, Jimmy Rogers et Moon Mullican. God bless you !

             Non seulement Jerry Lee explose le rock’n’roll, le gospel et l’église, mais il explose aussi la pelouse de Sam Phillips.

             — Now beat this ! 

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             En 2014, Jerr enregistre un nouvel album : Rock & Roll Time et deux photos accompagnent cette pétaudière.

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    La première montre Jerr bambin encadré par ses parents Elmo et Mamie. Elmo a une prestance de mafioso et Mamie n’est pas non plus du genre à rigoler. La seconde photo nous montre Jerr adulte devant un micro sur lequel son verre de whisky est posé en équilibre.

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    La plupart des morceaux sont enregistrés au Memphis House Of Blues avec Kenny Lovelace, Jim Keltner et une ribambelle d’autres musiciens. Jerr attaque le morceau titre de l’album à l’édentée. On s’attend un peu à le voir décliner et à s’essouffler, mais non, au contraire. Hé hé hé, il est plié de rire à la fin du morceau. Puis il fracasse un bon vieux «Little Queenie», histoire d’envoyer un message cordial à son copain Chickah Chuck et là attention, car ça va commencer à chauffer pour vos matricules. Voilà le heavy romp de «Stepchild», un cut signé Bob Dylan. Jim Keltner tape ça bien lourd et au bout de deux couplets, Jerr lance l’assaut - Play guthar son ! - Franchement, tous les garage-bands de Detroit et d’ailleurs devraient écouter ça et prendre des notes. Il tape ensuite dans Dave Batholomew avec «Sick & Tired», c’est secoué aux percus et gratté au tape-cul de Memphis. On croit rêver alors on se pince. Mais non, c’est la réalité. Jerr a derrière lui un orchestre terrible. On sent bien qu’il jubile autant que ce crocodile qui vient de choper une antilope. Jerr chauffe son boogie comme il l’a fait toute sa vie et il n’est pas du genre à appliquer une vieille recette, oh non pas du tout, il y prend un plaisir infini, ça se sent. Son boogie reste incroyablement inspiré et unique au monde. Pour redonner un petit coup de jeune au vieux «Bright Lights Big City», il part en tyrolienne. Il chante ça avec une désinvolture qui en dit long sur l’ampleur de son génie. Jerr est à la musique moderne ce que Gandhi fut à l’intelligence humaine, une nature supérieure qui n’aura vécu toute sa vie que dans la quête d’un absolu, et chez Jerr, cet absolu se matérialise par une chanson et un piano. C’est la modestie de cet absolu qui fait toute la grandeur du personnage, on l’aura bien compris. Joli coup de chapeau à Cash avec un «Folsom Prison Blues» qu’il chante à l’édentée. On croirait entendre beugler un pirate. Jerry Lee, c’est le Long John Silver du rock, il sait chauffer ses boulets pour couler les vaisseaux ennemis. Il en profite pour se rajouter un petit couplet - and play rock & roll for Jerry Lee yeah - On savoure chaque seconde de ce disque car avec un mec comme Jerr, on reste dans l’époque magique. On tremble à l’idée qu’elle ne s’arrête un jour. Mais il nous rassure en ricanant, à la fin du cut. Hé hé ! Sans doute est-ce sa façon de nous dire : «Don’t worry les gars, je suis encore là !»

             Deux horreurs suivent. La première s’appelle «Mississippi Kid», un vieux boogie du Deep South que Jerry Lee prend à coups de menton. C’est le même topo qu’au Star Club, il nous refait le coup de «Money». Il stompe le cut à la folie et claque des glissés de clavier ici et là - Oh don’t you feel it papa - Il relance ses troupes - Guthar ! - Et la cambuse explose. La seconde horreur s’appelle «Blues Like Midnight», il en fait un heavy blues killerique. Jerr arrive encore à soigner sa diction. On croirait entendre le copain du PMU, c’est un délice, il a la voix bien pâteuse du mec qui vient de siffler son premier Muscadet à huit heures du matin. Jerr est devenu une sorte de pneu increvable. Il passe partout. C’est avec «Here Comes That Rainbow Again» qu’on revient aux évidences. Ce qui le distingue des autres chanteurs, c’est le posé de la voix. Même s’il chante une rengaine insipide, il va s’arranger pour en faire une œuvre d’art. Et il boucle cette fantastique équipée avec un nouveau clin d’œil au vieux Chickah Chuck, une reprise somptueuse de «Promised Land». L’intro est un modèle : attaque sèche au piano et Keltner embraye dans la mesure. Jerr ne traîne pas. Il file à travers l’espace et le temps. Et il connaît tous les textes de ces chansons par cœur. Il jette une nouvelle fois tout son poids dans la balance. Et c’est plus fort que lui, il faut qu’il explose les balances. 

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             En 1979, Jerr entame sa petite période Elektra avec le sobrement titré Jerry Lee Lewis et sa pochette qui vieillit assez mal graphiquement. Il attaque avec un big boogie intitulé «Don’t Let Go» et comme il enregistre à Hollywood, Hal Blaine bat le beurre et James Burton gratte sa gratte. Ça swingue en sous-main. On a aussi Kenny Lovelace et les Ron Hickin Singers, alors t’as qu’à voir ! Avec «Rita May», ils font le Memphis Beat in Hollywood, que de son my son ! James Burton taille une belle croupière de solo dans «Everyday I Have To Cry» et Blaine morne plaine swingue «Number One Loving Man» à gogo. Admirable shuffle, oh I gotta go ! Jerr revient à son cher vieux «Rocking My Life Away» en B. Ah il faut le voir partir en solo, il est toujours à la pointe du progrès ! James Burton fait encore des merveilles dans «Who Will The Next Fool Be», d’autant plus que Jerr l’y invite franco de port - Take it James ! - Alors James take it ! Et c’est avec «I Wish I Was Eighteen Again» que Jerr se révèle une fois de plus un immense chanteur.

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             Sur son deuxième Elektra-disk, When Two Worlds Collide, se trouve un coup de génie : «Love Game». Jerr y pose les bonnes questions : «Why don’t you love me the way you should ?» Il a une façon très directe de poser des questions. Il s’excite, a cryin’ shame that I’m losing my mind over you ! S’ensuit un «Alabama Jubilee» très rétro, quasi-dixieland, assez marrant. Mais c’est avec «Rockin’ Jerry Lee» qu’il raffle la mise. Il recycle son vieux Memphis Beat. En B, il s’en va gueuler la mélodie du morceau titre bien haut dans le ciel et termine cet album mi-figue mi-raisin avec «Toot Toot Tootsie Goodbye», un truc fait pour danser en s’amusant. Jerr pianote son vieux ragtime de Ferriday au fond d’un studio de Nashville - I said Toot Toot Tootsie goodbye/ Along the choo choo train.

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             Le troisième et dernier Elektra-disk s’appelle Killer Country. Jerr l’attaque avec un vieux coup de Folsom et un son un peu hard, monté sur un big beat et visité par un solo de violon. On sent à sa voix que Jerr a pris un petit coup de vieux. Pas de surprise sur cet album, Jerr fait son numéro habituel : haute voltige balladive. Il ne change pas de formule. La B campe aussi sur ses positions : on reste à Nashville. Ne comptez pas sur des miracles. Il termine cependant avec une version bien round midnite d’«Over The Rainbow», l’occasion pour Jerr de jazzer son jeu.

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             Le Live At The Grand Ole Opry est un petite arnaque car la pochette nous montre le early Jerr (erreur que corrige la photo du verso), alors que le show date de 1981. Bizarrement, le texte de pochette au dos fait référence au séjour que fit Jerr à l’hosto en 1985 pour soigner son ulcère à l’estomac. Par contre, on peut choper sur l’album une très belle version de «Mexicali Rose», une merveille d’ultra-chant. Jerr pousse la sérénade au mieux des possibilités du genre. Il pique aussi une violente crise de boogie down the line avec «Hadacol Boogie». S’il reprend «Over The Rainbow», c’est bien sûr pour grimper là-haut. Il le roule dans la farine de sa mélancolie - Somewhere over the rainbow/ Bluebirds fly -  En A on le voit aussi casser les reins du boogie sur ses genoux avec «Good News Travel Fast» et bouffer tout cru «Chantilly Lace». Dans «What’d Say», il rappelle que cette fille sait branler une queue - She knows how to shake that thing - et il redore le blason de sa légende avec «You Win Again» - And everybody in Memphis Tennessee knew about Jerry Lee - Impossible de se lasser de Jerr.

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             Malgré sa pochette affriolante, My Fingers Do The Talking n’est pas vraiment ce qu’on appelle un big album. Jerr ressert pour l’occasion son pumpin’ piano, the real killer thang, avec derrière Gene Chrisman on drums et les Muscle Shoals Horns. Good ole Jerr, toujours à la pointe du progrès ! Il faut le voir haranguer la foule dans «Better Not Look Down». Il propose là un groove de lowdown extrêmement bien foutu et il déclame sa prose comme le fait William Burroughs dans son Thanksgiving Prayer. En fait c’est un album de pumpin’ piano à la sauce de Muscle Shoals, bourré de cuivres et de chœurs, idéal en somme. C’est fou comme ces mecs, Jerr et Wicked Pickett, ont su marquer leur époque. Cette sombre affaire se termine avec un fantastique ramalama de Jerr finissant, «Honky Tonk Heaven».   

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             Sur la pochette d’I Am What I Am paru en 1984, Jerr fait son voyou à moto. Mais c’est au dos de la pochette que de trouve la bonne photo d’un Jerr en lunettes noires et en blouson de cuir. Dans le morceau titre, il rappelle d’ailleurs qu’il est Jerry Lee et qu’il est comme il est, avec son pumpin’ piano. Il dispose de beaux chœurs de filles pour «Get Out Your Big Roll Daddy». On tombe en B sur «Candy Kisses», un balladif country de caractère et il cajole terriblement les couplets de «Send Me The Pillow That You Dream On», so darling Jerry Lee can dream on you. C’est aussi tendancieux que le rêve d’Andre Williams qui voudrait être le pyjama de sa copine. On peut dire que l’un dans l’autre, Jerr fait un album MCA très country et très paisible.

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             Comment va-t-on pouvoir célébrer la grandeur d’un album comme Young Blood ? Jerr refait surface après dix ans de silence. Il a soixante balais. Il pose au bord du lac, assis en smoking dans une banquette rococo. Beat that ! Pas possible. Pas non plus possible de beater le cut d’ouverture de bal, «I’ll Never Get Out Of This World Alive». Il a raison, ni Jerr ni personne ne quittera ce monde vivant, mais quand c’est dit par un gus comme Jerr, ça change tout. Alors faut-il célébrer le génie de Jerr ou celui d’Andy Paley qui produit cet album qu’il faut bien compter parmi les plus grands disques de l’histoire du rock ? Oui, Jerr chante, mais il a du son et c’est autre chose que le son de Jerry Kennedy à Nashville. Andy amène de l’eau au moulin de Jerr, c’est-à-dire le Memphis beat original. Il faut dire qu’Andy Paley est un jeune prodige qu’on voit aussi traîner dans les parages de Brian Wilson ou encore de Jonathan Richman. Il n’y a pas plus de hasard sur le crâne de Mathieu qu’il n’y a de cheveu dans ta philosophie, Horatio. Rappelons l’équation fondamentale : une vraie voix + une bonne chanson + une prod de crack = un hit éternel. Des choses comme «River Deep Mountain High», «MacArthur Park» ou encore «California Girls» en sont le résultat, et il en existe beaucoup d’autres, si l’on sort les noms de Mickie Most, de Chips Moman, d’Uncle Sam ou encore de Shel Talmy. Il faut désormais ajouter «I’ll Never Get Out Of This World Alive» à ce palmarès. Jerr chevauche à la cravache, il rue comme un dieu, et voilà qu’arrive un solo d’éclat magique, alors ça grimpe directement au pinacle. Il est fort probable qu’on entende Joey Spampitano au bassmatic. Andy le connaît bien car il a produit l’un des albums de NRBQ (Wild Weekend). Font aussi partie de l’aventure James Burton et Kenny Lovelace. Andy n’a qu’une idée en tête : renouer avec le Memphis beat des origines, celui d’Uncle Sam. Et ça marche ! Il y a encore pire à venir, et il faut y être préparé, car le génie peut frapper comme la foudre, ce qui va être le cas avec «Miss The Mississippi & You» - I’m growing tired of these big city lights - Jerr veut rentrer au pays, alors il se laisse aller en éclatant son piano bar et remonte le courant mélodique comme un saumon shakespearien. Il chante à la plus belle revoyure d’Amérique. Il pousse même une tyrolienne qui va faire le tour du monde. C’est l’une des plus belles chansons de tous les temps. Au passage, il pond deux hits de juke : «Goosebumps» et «Crown Victoria Custom 51». Il les bouffe tout crus, c’est une manie, yeah ! Il claque le cul de son boogie et déverse sur son clavier une rivière de diamants, juste pour montrer comment on finit un cut en beauté. C’est au heavy rumble de Memphis qu’il amène son Crown Victoria, rrrrrrrrrrrr, Jerr est sur le coup. Ça donne une deep merveille de deep rumble, Jerr fracasse son clavier comme le dentier d’un yank qui lui manque de respect et comme si cela ne suffisait pas, un solo rattlesnake croise son chemin à la furia del sol. Jerr sort du ring une nouvelle fois invaincu, sous les acclamations. Oh il faut aussi l’entendre éclater «Thang» au slang de sling, Southern class, baby, oui, il faut entendre ce diable de Jerr tarauder le mur du son rien qu’avec son accent perçant. On ne remerciera jamais assez Andy Paley d’avoir réussi à ressusciter le Killer, comme Chips avait su ressusciter le King en lui proposant «Suspicious Minds». On voit aussi Jerr driver le morceau titre à la poigne d’acier. Il drive son cut comme s’il drivait un Apaloosa sauvage. Hang on ! Chez lui, tout n’est que dévotion à l’art suprême qui est celui de la culbute. Baiser une chanson pour la faire jouir, c’est la même chose que de baiser un cul de Southern bitch. Il boucle son cut à coups de mercy. Existe-t-il un shouter plus sexuel que Jerr ? Non. Il rend plus loin hommage à Huey Piano Smith avec une belle cover de «High Blood Pressure». Jerr vénère Huey. Il le joue au piano de bastringue et ça tourne à la révélation spirituelle. Ah si Bernadette pouvait voir ça ! Jerr écrase son honey on your mind et pianote dans le vent d’Ouest, la crinière en feu. Sacré jerr, il n’en finira plus de semer le vent pour récolter la tempête. Il se tape encore un joli coup de shake avec «Gotta Travel On». Cet homme sait embarquer une farandole. C’est fouetté à la racine des dents. Quel son ! Le bassmatic qu’on entend rouler sous la peau de «Down The Road A Piece» ne peut être que celui de Joey Spampitano, tellement ça groove.

             En 2006, Jerr entre au Sun Studio de Sam Phillips d’un pas alerte. C’est chez Sun qu’il a débuté sa carrière en 1956.

             — Tout ça ne nous rajeunit pas ! lance-t-il d’une voix de stentor.

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             Cinquante ans ont passé. Visiblement, ça ne l’émeut guère de revenir chez Sun. L’émotion, il laisse ça aux Anglais. Il vient enregistrer un nouvel album, Last Man Standing. Le projet se distingue par son originalité : il doit enregistrer vingt duos avec des célébrités du showbiz. What ? Jerr n’en croit pas ses oreilles. L’idée lui a tellement plu qu’il en rigole encore. Il enlève son veston et l’accroche au porte-manteau. Il porte une chemisette rayée. Ses cheveux blancs sont taillés court. Ils vibrent légèrement dans l’air que brasse le gros ventilateur accroché au plafond. Il s’assoit au piano et soulève le couvercle du clavier. Il attend son premier client avec un drôle de sourire en coin : the Lewis grin. La porte s’ouvre. Jimmy Page entre avec sa Les Paul noire. Au préalable, ils se sont mis d’accord sur «Rock’n’Roll», un vieux hit de Led Zep. C’est parti ! Jimmy Page joue ses accords en syncope et Jerr fait gronder son piano. Il charrie autant de shuffle que le Mississippi. Impressionné par le rumble de Jerr, Jimmy Page n’ose pas trop en rajouter. Il se contente de jouer un solo d’une grande médiocrité. Alors, en vrai gentleman louisianais, Jerr vient à sa rescousse. Il pianote trois tortillettes de génie. Jimmy Page pâlit. Il sort du studio sans dire mot. Jerr le salue à la manière redneck, de l’index pointé sur la tempe.

             — Au suivant !

             Le vieux BB King entre avec sa grosse Gibson. Il ressemble à une baleine échouée. Et hop, c’est parti ! «Before The Night Is Over» est une belle balade romantique. Comme à son habitude, Jerr remplit tout l’espace sonore avec ses notes de piano. BB King se contente de pincer ses cordes dans les interstices. Jerr bouffe d’espace, comme d’autres bouffent l’écran. Le vieux BB s’incruste poliment. Il joue un petit solo coquet, sans prétention. Jerr le regarde avec un sourire d’alligator. Il secoue ses petits cheveux blancs et pousse l’une de ces tyroliennes dont il s’est fait une spécialité. Le vieux BB s’éponge le front. Il ne s’en sort pas si mal, en fin de compte. C’est vrai qu’il a démarré chez Sun, au même endroit que Jerry Lee. Il connaît bien la chanson. Psychologiquement, ça aide.

             — Au suivant !

             Bruce Springsteen entre. Ses santiags raclent le plancher. Il vient chanter son «Pink Cadillac». Jerr prend le taureau par les cornes, histoire de montrer à ce frimeur yankee comment on chante dans le Sud. Du coup, le pauvre Springsteen n’ose plus ouvrir le bec. Il ne l’ouvre qu’au moment du refrain. C’est une catastrophe. Jerr fait la grimace. La voix de fausset du yankee lui écorche les oreilles. Écrasant d’élégance, Jerr maintient le cap. Il chante les couplets d’une forte voix de poitrine. Springsteen n’a jamais été bon. Voilà la confirmation. Jerr roule sa chanson dans la farine en grondant comme un dragon. Lorsque le morceau s’achève, il regarde ce pauvre yankee s’éloigner. Un foulard rouge pendouille de la poche arrière de son jean. Non mais, quel frimeur !

             Jerr roule ses r, comme au bon vieux temps du Star Club et aboie :

              — Rrrrrrrrraaah ! Suivant !

             «Evening Gown» est une chanson de Jagger. Jerr ne fait ni une ni deux : il défonce le cul du cut, sans préambule. Jagger fait les répliques. Ah, comme il est mauvais ! Il manque d’assurance. La voix de Jerr fend l’espace comme un aileron de requin, alors que celle de Jagger sonne comme le siphon d’un évier d’Edith Grove. Cette anomalie qu’est «Evening Gown» vire country. Jagger chante comme s’il venait de se coincer la bite dans sa fermeture éclair. Par contre, Jerr chante comme un cowboy mythologique. Il envoie ses shake it avec la mâle assurance du Cid. Il est renversant. À la fin du morceau, il se marre. Oh ce n’est pas méchant. Il rigole de bon cœur.

             — Ha ha ha ha ! Suivant !

             Voilà qu’arrive Neil Young pour chanter «You Don’t Have To Go». Le vieux Young avance vers le piano, tout voûté et coiffé de son vieux chapeau de clochard. Il dévore Jerr des yeux.

             — Oh monsieur Lewis...

             Mais Jerr ne l’écoute pas. Il a commencé à faire rouler des pierreries sur son clavier. Il entraîne le vieux Young dans l’aventure d’un boogie de haut rang. Le vieux Young essaye de chanter, mais on ne l’entend même pas. Jerr prend le chant au sommet de son registre. Le vieux Young bascule dans le ridicule. Le pauvre, il n’a pas besoin de ça, il est déjà bien assez fragile comme ça. Il tente de prendre un couplet au chant et Jerr le récupère en route. Le vieux Young essaye de se ressaisir, et Jerr pianote comme si de rien n’était. Alors, le vieux Young se lève et s’en va. Il salue Jerr en soulevant son chapeau. Il a les yeux humides. Jerr n’a aucune pitié pour les canards boiteux.

             — Coin coin ! Suivant !

             Robbie Robertson entre pour jouer «Twilight» avec le Killer. Il avance d’un pas léger. Ses mocassins indiens ne font pas de bruit sur le plancher ciré. Robbie est l’auteur de ce cut qui est un peu fleur-bleue. Jerr pourrait en faire un tube intersidéral, s’il le voulait. Robbie joue ses petits guitar licks discrets. Il ne cherche pas à la ramener, comme le font trop souvent les Anglais. Il sait rester dans son coin. Jerr apprécie :

             — Yes it is !

             Cela vaut pour un compliment. Puis il tourne la tête vers la porte :

             — Suivant !

             John Fogerty entre à son tour pour chanter «Traveling Band» avec Jerr. Fog porte une chemise à carreaux et un pantalon de cuir. Son visage a subi les ravages du temps. Il chante d’une voix pincée. Il ne peut pas s’empêcher d’imiter le canard sauvage du bayou. Jerr lui coupe la chique à coups de basses de piano. Fog insiste et tente de rentrer dans ce cut qui lui appartient, mais Jerr dresse un barrage en roulant des r. Fog repart penaud.

             — Next !

             Keith Richards entre dans le studio d’un pas de loup. Ils vont jouer ensemble «That Kind Of Fool». En voiture, Simone ! Keef joue de grands accords ouatés sur sa Telecaster, mais Jerr préfère envoyer le cut directement au firmament. Allez hop ! Keef se joint à Jerr pour les chœurs. C’est une catastrophe ! Jerr fait la grimace. Ce vieux pirate chante atrocement faux ! Berk ! Quel gâchis ! Dommage car cette balade en mid-tempo est superbe. Keef n’a jamais chanté aussi mal. Jerr laisse filer le cut sur ses notes de piano, histoire d’aérer un peu le studio. Ils reviennent au chant tous les deux. Keef continue de vouloir hausser sa voix. Il ferait mieux d’arrêter de braire et d’écouter Jerr poser la sienne. Il la pose depuis cinquante ans. Il n’a plus grand chose à prouver.

             — Suivant !

             Voilà que Ringo entre dans le studio d’un pas dansant. Il vient chanter «Sweet Little Sixteen» avec Jerr. Encore un Anglais... Comment Jerr a-t-il pu accepter de laisser chanter ce pitre ? Il laisse Ringo prendre le premier couplet et prend le relais avec une classe écœurante. Ringo revient à la charge, mais c’est encore plus grave qu’avec Keef. Jerr se marre, ah ha ha ! et congédie ce pauvre batteur mythifié qui ne sait pas chanter. Le suivant est un vieux renard : Merle Haggard vient chanter «Just A Bumming Around» avec Jerr. Le beau Merle verrouille bien ses couplets. C’est un vieux pro, rôdé à toutes les ruses. Il siffle comme un beau merle et Jerr joue son solo de piano comme si de rien n’était. Il sait que les vieux rednecks réactionnaires lui donneront toujours du fil à retordre.

             — Next !

             Kid Rock entre dans le studio pour chanter «Honky Tonk Woman». Rien qu’à le voir, Jerr se marre. Le Kid essaye de faire du Detroit rap, mais c’est une catastrophe. Jerr le rattrape au vol avec l’air de lui dire : ça ne sert à rien de s’énerver comme ça, gamin ! T’as vraiment l’air fin avec ton chapeau et ton marcel ! Jerr expédie la chose rapidement, sans aucun état d’âme.

             — Suivant !

             Rod Stewart fait une entrée princière. Il vient chanter «What’s Made The Milwaukee Famous». Rod the Mod prend place sur le banc à côté de Jerr. Il n’ose pas trop chanter. Pourtant, c’est son métier. Jerr lui laisse le micro, mais Rod chante comme la dernière des crêpes. Décidément, les Anglais ne font pas le poids face au Killer. Sa voix ne s’accorde pas du tout à celle de Jerr. Rod couine comme une sorcière de Walt Disney, alors que Jerr chante du haut des falaises de marbre. Rod frise le ridicule avec sa voix fêlée et sa préciosité. Sa prestation n’est plus qu’un tragique non-sens. Rod tente de se raccrocher à Jerr, mais il est déjà trop tard.

             — Suivant !

             George Jones vient donner la réplique sur «Don’t Be Ashamed Of Your Age». George est vieux routard de la scène country. Ses cheveux blancs et ses lunettes le situent dans le temps. Il peut chanter comme Louis Armstrong. Avec Charlie Rich, Sleepy LaBeef et quelques autres, George fait partie de la caste des grands chanteurs américains. Jerr le respecte, certainement plus que n’importe quel autre chanteur issu de l’époque de ses débuts. Ils ficellent ensemble une version splendide de «Don’t Be Ashamed Of Your Age». Contrairement aux Anglais, George fait le poids.

             — Thanks, George. Au suivant !

             Le vieil outlaw Willie Nelson entre pour chanter «Couple More Years». Il règne dans le studio une atmosphère de recueillement. Willie Nelson est venu à cheval. Il dépose son fusil sur le piano. Jerr tient Willie en très haute estime. Il n’aimerait pas devoir se battre contre lui. Willie est une teigne, un coureur de sierras, un chêne qu’on n’abat pas. La complainte qu’ils entonnent ensemble est une merveille absolue. Jerr jette tout son feeling dans la balance. Willie reprend son fusil et s’en va.

             — Adios, amigo ! Suivant !

             Toby Keith vient faire un joli duo country sur «Ol’Glory». Jerr l’expédie comme une lettre à la poste.

             — Suivant !

             Eric Clapton entre discrètement dans le studio pour venir jouer «Trouble In Mind». Jerr  se remet à rigoler en douce. Ils mettent leur cuisine en route. Jerr plaque ses accords des deux mains et observe le guitariste. Clapton joue ses sempiternels phrasés distingués. Ils sont drôles, ces guitaristes anglais. On se prosterne à leurs pieds et ils nous resservent toujours la même soupe. Même en faisant un gros effort, Jerr ne comprend pas.

             — À un d’ces quat’, Clap... Suivant !

             Little Richard arrive en costume de satin blanc. Il vient chanter «I Saw Her Standing There», un vieux standard des Beatles.

             — A one, a two, a three, a four !

             Little Richard s’assoit sur le banc, à côté. Il connaît le Killer depuis suffisamment de temps pour se permettre une telle familiarité. Richard transpire un peu. Il est tellement pâmé devant ce vieux diable de Jerr qu’il n’ose pas chanter les couplets. Il se contente de pousser des ouuuuuh d’antho à Toto. Il monte au créneau sur les fins de couplets. À la fin, il se lève, s’incline devant son maître et se volatilise.

             — Suivant !

             Delaney Bramlett vient chanter «Lost Highway» avec Jerr. Bramlett a pris lui aussi un sérieux coup de vieux. Il n’ose pas trop chanter. Il est tout rouge. Jerr attend, mais rien ne vient. Alors ? Il lui donne un coup de coude. Bramlett se décide enfin. Quelle catastrophe ! Il chante vraiment comme un gros dégueulasse. Jerr pousse un soupir de soulagement quand Bramlett quitte le studio.

             — Suivant !

             Buddy Guy entre. Il marche comme une panthère. Sa chemise, son chapeau et sa Stratocaster sont noirs à pois blancs. Jerr flirte avec l’idée de lui demander pourquoi il ne porte pas de pois blancs sur la figure. Mais il renonce. Buddy Guy est un démon. Inutile de le provoquer. «Hadacol Boogie» est une horreur boogie qui part à fond de train. Buddy est un vieux dur à cuire, il ne se laissera pas bouffer par le Killer. Il s’énerve et pousse des Aiiiih ! Buddy est une vraie pile électrique. Il tient la dragée haute à Jerr. Il monte sur ses grands chevaux. Il est encore plus vindicatif que Jerr. Du coup, Jerr a du mal à en placer une ! Il s’énerve, shoote du talon dans le banc pour l’écarter et joue debout, comme s’il était sur scène. Toute sa vie, il a eu des problèmes avec les nègres et le voilà, lui, ce Buddy Guy de ses deux qui vient lui damer le pion. À la fin, Buddy repart avec ses pois et sa fougue. Jerr sort son mouchoir à carreaux et s’éponge le front.

             — Suivant !

             L’ex-Eagles Don Henley entre dans le studio avec ses éperons. Horrifié, Jerr voit les gros éperons rayer le beau parquet ciré. Ils doivent chanter ensemble «What Makes The Irish Heart Beat». Heureusement, c’est Jerr qui embraye. Il donne une petite leçon de country à ce pauvre Eagle qui se croyait arrivé en terrain conquis. Il saura que le studio Sun n’est pas une radio FM. Bon, Jerr en a marre. Il commence à se lasser de traîner derrière lui toutes ces demi-portions. Heureusement, il arrive en fin de listing. Il accueille Kris Kristofferson. L’idée de finir avec le plus grand cowboy de la frontière le réjouit. Jerr se fait humble. Il a vu Kris dégainer dans The Gates Of Heaven. Il sait que ce vieux deperado ne fait pas de chiqué. Et plus il vieillit, plus il gagne en charme. Il incarne à lui seul le vieux mythe de la frontière. Ils mettent «The Pilgrim» en route. Jerr tord sa voix pour suivre Kris au long de cette superbe country-song. Ils chantent ensemble, comme s’ils chevauchaient tranquillement sous un ciel immense.

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             Quatre ans plus tard, Jerr récidive avec Mean Old Man. Grosso modo, il reçoit les mêmes invités dont beaucoup sont tellement échaudés par leur précédente visite qu’ils n’osent pas chanter, même quand cette vieille fourbasse de Jerr leur propose de taper dans leurs cuts. Le meilleur exemple, c’est «Dead Flowers». Jerr le prend à la glotte attendrie et on n’entend Jagger que dans les chœurs et encore, au début on croit que c’est une gonzesse qui chante. Keef est un tout petit peu plus courageux. Il vient duetter sur «Sweet Virginia». Bon, Jerr en fait de la country, pas la peine de tourner autour su pot. Le pauvre Keef le rejoint au chant, c’est une catastrophe. Elle était prévisible. Jerr does it the Southern way. Parmi les autres catastrophes prévisibles, il y a Kid Rock et Slash. Jerr les fait entrer pour taper une cover de «Rocking My Life Away». On se demande vraiment comment un mec aussi impur que Jerr a pu s’acoquiner avec des crêpes pareilles. Ça nous crève le cœur. Jerr a dû avaler pas mal de couleuvres dans sa vie d’artiste, mais celle-ci doit être la plus grosse. Quel atroce mélange des genres ! Aw, ces Californiens n’auront jamais rien compris au Memphis beat ! Et ce solo de hard rock ! N’importe quoi ! Parmi les autres invités, on retrouver John Fogerty. Il vient duetter avec Jerr sur «Bad Moon Rising». Jerr est gentil de se prêter à ce petit jeu. On entend aussi quelques chanteuses tenter leur chance, comme Gillian Welsh dans «Please Release Me», mais on ne l’entend pas, et Jerr en profite pour faire ce qu’il préfère, un carton. Sheryl Crow vient duetter sur «You Are My Sunshine». La pauvrette commence par placer sa voix dans le giron du vieux Killer et soudain elle saute du nid pour prendre un couplet au chant, mais elle fait ça d’une voix constipée, ah la vache, comme c’est horrible ! Jerr reprend la main, ouf ! Shelby Lynne se montre plus discrète sur «Hold You In My Heart», on ne l’entend pas, et Jerr nous emmène au paradis de la country enchanteresse. Tiens Ringo est lui aussi de retour  pour un petit coup de «Roll Over Beethoven». Jerr explose Beethov et on ne comprend toujours pas ce qu’un mec comme Ringo vient faire dans ce type de projet. Parmi les invités, il y pas mal de guitaristes, à commencer par Ronnie Wood qui accompagne Jerr sur le morceau titre. Ah ces arrivistes anglais, ils se prennent pour des grands guitaristes américains ! Quelle blague ! Bizarre que Jerr ait accepté de faire entrer ce parvenu dans le studio. Plus loin, il fait entrer James Burton et Clapton ensemble pour «You Can Have It». On a là deux styles opposés : le style flashy de Burton et le ton professoral de Clapton. À l’écoute, on sait tout de suite qui joue. Burton est nettement plus vif. Mais par respect pour Jerr, il faut passer outre les querelles de clocher. Parmi les invités prestigieux, voici le beau Merle pour une version de «Swingin’ Doors». Jerr l’attaque et attend le beau Merle de pied ferme. Il sait swinguer un vieux cut de country, il a fait toute sa vie et il ne veut pas que cet affreux délinquant de Merle Haggard lui fasse les poches pendant qu’il a le dos tourné. Le beau Merle se contente de lâcher des petites onomatopées au coin du bois. Ouf, Jerr est soulagé quand il voit sortir. Pour se remonter le moral, il se paye deux belles tranches de gospel batch, la première avec Solomon Burke : «Railroad To Heaven». Solomon donne la réplique à Jerr et ça devient vite assez magique, d’autant qu’il enflamme le groove. C’est sur ce genre d’album qu’on croise les duos les plus spectaculaires. Jerr parage l’autre shout de gospel batch avec Mavis, dans «Will The Circle Be Unbroken». Jerr le prend à l’édentée et Mavis vole à son secours, et ça tourne au duo de rêve. Deux géants d’Amérique ! Deux âmes brûlantes ! Mavis explose ce vieux standard à sa façon, ça devient vite terrifiant de power, Mavis est elle aussi une Killeuse on the road. Elle aurait dû épouser Jerr. Pourquoi ? Parce qu’elle sort exactement le même genre de niaque. Willie Nelson revient faire un petit tour lui aussi. Il entre et pose son fusil sur le piano, comme la première fois. Il vient duetter avec Jerr sur «Whiskey River». Quand ces deux vieux outlaws chevauchent ensemble, ça devient magique - Whiskey river touch my mind - Et puis si on se trouve en manque d’émotion, le plus simple est d’écouter Jerr chanter «Sunday Morning Coming Down». Il attaque ça tout seul d’une voix de vieux Jerr que personne ne peut vaincre. Il chante à l’accent revanchard, selon le vieux précepte d’old man Lewis. Jerr chante à l’indestructabilité des choses, il fait le show et montre ce que signifie le mot power. Wow, écoutez ce vieux géant chanter, il est au-dessus de tout. Aw Lord, bénissez Jerr. On garde le meilleur pour la fin, cette reprise d’un hit qui se trouve sur Young Blood, «Miss The Mississippi & You». Jerr le chante à gorge déployée, oh yeah, il est tout seul, désespéré et il redevient ce géant qu’il a toujours été, il tortille sa mélodie au chant comme s’il travaillait le métal à l’ancienne. Il renverse le chant qui n’est pas bien stable sur ses guiboles et il grimpe au ciel avec une tyrolienne. C’est là que ça se passe et nulle part ailleurs.

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             Si vous souhaitez voir une horreur, alors rapatriez un album de Jerr qui s’appelle Live At Third Man Records. Sur la pochette, on voit le Killer vieillissant. Mais sur la pochette intérieure, ce m’as-tu-vu de Jack White pose à côté du Killer. Eh oui, on est sur son label, Third Man Records alors White en profite pour se payer une petit coup de crédibilité à bon compte. Mais que cela ne vous empêche pas d’écouter l’album, puisqu’il est payé. Bon, attention Jerr a 76 ans, donc sa diction s’en ressent. Il dispose d’un excellent backing band composé de Jim Keltner, Steve Cropper et Jack Lawrence, le mec des Greenhornes. «Drinking Wine Spo Dee O Dee» perd tout son éclat, mais Jerr remonte sur ses grands chevaux pour une magistral coup de «Why You Been Gone So Long». Il crache le feu avec le «Sweet Little Sixteen» qui ouvre le bal de la B et c’est avec «Mexicali Rose» qu’il rafle la mise. Il parvient encore à dominer le monde. Sa voix éclate comme l’évidence du rock. Et pour le final habituel - You shake my nerves/ And you rattle my brain - il remet sa vieille chaudière en route, feels gooood et aussitôt après «Great Balls Of Fire», il envoie «Whole Lotta Shaking Going On» rejoindre les étoiles du firmament. Well done Jerr !

             Alors voilà, on vient d’appendre la triste nouvelle. Jerr a cassé sa pipe en bois. I’ll Never Get Out Of This World Alive, comme le disait si bien son héros Hank Williams.

    Signé : Cazengler, Lee de la terre

    Jerry Lee Lewis. Disparu le 28 octobre 2022

    Jerry Lee Lewis. Jerry Lee Lewis. Elektra Records 1979

    Jerry Lee Lewis. When Two Worlds Collide. Elektra Records 1980

    Jerry Lee Lewis. Killer Country.  Elektra Records 1980

    Jerry Lee Lewis. Live At The Grand Ole Opry. Doctor Kollector 1981

    Jerry Lee Lewis. My Fingers Do The Talking. MCA Records 1983

    Jerry Lee Lewis. I Am What I Am. MCA Records 1984

    Jerry Lee Lewis. Young Blood. Sire Records 1995

    Jerry Lee Lewis. Last Man Standing. Artists First 2006

    Jerry Lee Lewis. Mean Old Man. Verve Records 2010

    Jerry Lee Lewis. Live At Third Man Records Third Man Records 2011

    Jerry Lee Lewis. Southern Roots. The Original Sessions. Bear Family 2013

    Jerry Lee Lewis. Rock & Roll Time. Vanguard Records 2014

    Jerry Lee Lewis. The Knox Phillips Sessions. Saguaro Road Records 2014

     

     

    Docteur, j’ai Malaco

     

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             Il a raison Peter Guralnick quand il proclame que Malaco est The Last Soul Company. Rob Bowman en fait d’ailleurs le titre d’un énorme pavé qui relate l’histoire de ce label monté à Jackson, Mississippi, par des petits culs blancs férus de musique noire. Ça ne te rappelle rien ? Oui, c’est le même plan que Stax à Memphis et Fame à Muscle Shoals. Jim Stewart et Rick Hall, même combat que Tommy Couch et Wolf Stephenson, les deux fondateurs de Malaco.

             Tous les amateurs de Soul l’ont remarqué à une époque : des géants en fin de parcours atterrissaient sur Malaco : Bobby Blue Bland, Johnnie Taylor, Denise LaSalle et Little Milton, pour les plus connus. Comme New Rose en France, Malaco hébergeait les «bras cassés» du showbiz dont personne ne voulait plus, même s’ils étaient légendaires, aussi incroyable que cela puisse paraître. Du coup, Malaco et New Rose sont devenus des points de repère, pour tous ceux qui haïssaient le rock mainstream.   

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             Alors tu as intérêt à manger des épinards pour t’attaquer au Bowman book : il est au format d’un LP, il fait deux cents pages et comme il est imprimé sur un gros couché semi-mat (au moins un 150 g), il pèse au moins une tonne. C’est Fred McDowell qui orne la couve et Peter Guralnick signe la préface. Il dit comme d’habitude l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur le sujet, notamment ceci au plan de l’éthique : «Pour Malaco, la Soul a toujours été constituée à parts égales de décence et d’inspiration, un équilibre assez rare dans la vie comme dans le record business.» Puis Bowman commence à raconter l’histoire, à son rythme et avec son style. Oh il ne prétend pas être écrivain, il fait juste ce boulot auquel bizarrement personne n’a pensé avant lui. Malaco est un sujet en or pour un raconteur d’histoires. Il cite des petits faits, tiens, comme celui-ci : en cinquante ans d’activité, Malaco n’a jamais eu un seul numéro 1 au hit parade. Pas besoin de ça pour exister et héberger de très grands artistes.

             Au départ ils sont trois : Couch, Stephenson et Mitchell Malouf. Ils n’y connaissent rien mais ils veulent enregistrer des musiciens de Soul. C’est Johnny Vincent, le mec d’Ace, qui leur indique l’existence d’un bâtiment à louer : c’est le fameux building du 3023 West Northside Drive qui sera démoli par une tornade en 2011. Ils ont vite des artistes. Couch et George Soule deviennent producteurs, Soule compose avec Paul Davis, et Stephenson devient l’ingé-son. Comme Rick Hall chez Fame, ils montent le house-band avec un guitariste surdoué, Jerry Puckett. La réputation du studio grossit assez rapidement et Jerry Wexler commence à leur envoyer des clients comme les Pointer Sisters, Peggy Scott et Jo Jo Benson, James Carr et Jackie Moore. Malaco fait aussi appel au légendaire producteur de la Nouvelle Orleans, Wardell Quezergue. Le grand George Jackson s’installe à Jackson et devient auteur-maison pour Malaco.

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             Quand Stax se casse la gueule, des tas de gens descendent bosser chez Malaco : David Porter, Eddie Floyd, Frederick Knight, pour les plus connus. «Malaco devient the center of the universe for old-time blues, Soul and gospel», nous dit Bowman. C’est en 1984 et 1985 que Malaco signe Johnnie Taylor, Little Milton et Bobby Blue Bland, considérés alors comme des has-been par ceux, toujours les mêmes, qui n’écoutent pas les disques. Comme les affaires marchent bien, Couch et Stephenson finissent par racheter le fameux Muscle Shoals Sound Studio en 1985. Couch, Jimmy Johnson, David Hood et Roger Hawkins sont amis d’enfance, donc ça reste en famille. Au fil des pages, on voit aussi Malaco racheter tous les gros labels de gospel. Couch déclare dans la presse que le public de Malaco est essentiellement un public noir - Age 25 and up, working people, more women than men. Black radio is the main way we get to our buyers - Fin 1998, Malaco emploie 150 personnes. Ils réussissent là où Stax a échoué. Aventure miraculeuse. Et petite cerise sur le gâtö : les disques sont bons.

             Et diversifiés : de la diskö avec Jewell Bass et Anita Ward, de la country Soul avec Dorothy Moore et Ona Watson, du funk avec Freedom et Joe Shamwell et de l’uptown r’n’b avec Ruby Wilson et G.C. Cameron. Malaco hard found its niche, nous dit Bowman.

             Comme le Bowman book est un livre d’art, il grouille de portraits superbes en pleines pages. Celui de Fred McDowell qui orne la couve est une merveille d’intensité picturale, la qualité de l’image accentue jusqu’au délire l’esthétique de la blackitude, exacerbant les grains de peau, sublimant l’intériorité du vieux black, le blanc de la clope tranche tellement sur le noir du visage qu’il en renforce la dimension ténébreuse, on lirait presque dans les pensées du vieux Fred, on se laisserait même aller à imaginer qu’il songe au destin du peuple noir asservi par des siècles d’esclavage et de haine des blancs, il se dégage une telle mélancolie de ce portrait qu’on ne le quitte plus des yeux. C’est d’ailleurs avec le vieux Fred que les trois cocos de Malaco débutent leur carrière : c’est le premier artiste qu’ils enregistrent. Ils sont frappés par l’extraordinary power and emotional intensity. Comme ils n’ont pas encore fondé leur label, ils confient leurs enregistrements à Wayne Shuller chez Capitol et l’album s’appelle I Do Not Play RockNRoll, l’un de ces albums faramineux du siècle passé.  

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             S’il est un disk qu’on peut emmener sur l’île déserte, c’est bien I Do Not Play RockNRoll. Assis dans un escalier en bois, Fred gratte sa gratte. Il parle et il chante. Il démarre ses deux bals par de très beau monologues. Dans le premier, il explique qui il est, et dans le second, il explique d’où vient le blues. Comme sa diction est assez rude, les gens de Capitol ont eu l’intelligence suprême de publier le texte de ses monologues au dos de la pochette. C’est tellement intense et criant de véracité véracitaire qu’on les réécoute plusieurs fois, juste pour se régaler de ses fabuleuses intonations d’homme noir. On a même parfois l’impression d’être assis dans les marches avec le vieux Fred. Il gratte quelques notes et reprend son discours lancinant d’homme profondément bon. « My name is Fred McDowell. They call me Mississippi Fred McDowell. But my home is in Rossville, Tennessee. But it don’t make any different. It sounds good to me, and I seem like I’m at home there when I’m in Mississippi. And I don’t play no rock’n’roll. I just play straight n’ natchel blues ». Oui, Fred est de Rossville dans le Tennessee, mais il se sent aussi chez lui dans le Mississippi, pour lui, ça ne fait pas de différence. Et il rappelle qu’il ne joue pas de rock’n’roll, oh pas du tout, il ne joue que du vrai blues traditionnel. Il explique ensuite qu’il a longtemps joué avec un bottleneck en os de bœuf, comme le lui avait appris son oncle, mais il joue maintenant avec un vrai bottleneck en acier qui donne un son clair - you got more clear sound out of it - et il ajoute qu’il joue du bottleneck au ring finger - c’est-à-dire l’annulaire, celui qui est juste avant le petit doigt. Il attaque alors « Good Morning Little School Girl ». C’est la version originale qu’il passe à la casserole du bottleneck. On a du mal à l’écouter sérieusement, tellement les Anglais et Johnny Winter nous l’ont rabâchée. Puis il attaque « Kokomo Me Baby », un beau boogie-blues rapide et même pressé, du genre qui ne traîne pas en chemin, comme s’il avait croisé le diable au coin du swamp. On tombe ensuite sur un absolu chef-d’œuvre de punkitude : the mesmerizing, propulsive, riff-driven « Red Cross Store ». Fred avait inventé le punk-blues alors que tous les autres tétaient encore leur mère. Le vieux Fred balançait déjà l’acier du Mississippi dans les gencives d’un Dieu qui avait lâchement abandonné les Africains. La colère du vieux Fred était légitime. On devrait lui construire un mausolée, comme on l’a fait pour Abraham Lincoln, rien que pour ça. En voulant laver l’affront que lui faisait le dieu des blancs, il inventait le punk-blues. Cet album du vieux Fred donne le ton : chez Malaco, on n’est pas là pour rigoler.

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             Bowman revient longuement sur Wardell Quezergue, producteur des artistes les plus légendaires de la Nouvelle Orleans, Johnny Adams, Professor Longhair, Benny Spellman et Earl King. Il bosse aussi avec les Dixie Cups et lance Robert Parker avec «Barefooting» sur son label, Nola. C’est lui qui enregistre et produit King Floyd et Jean Knight sur le huit pistes de Malaco. Comme le label Malaco n’existe pas encore, ça sort sur Stax et Cotillon. Le «Groove Me» de King Floyd et le «Mr. Big Stuff» de Jean Knight sont des hits en 1970 et 1971. Merci Wardell. Un Wardell nous dit Bowman qui faisait répéter ses artistes jusqu’au délire, avant d’enregistrer. Il voulait que tout soit parfait. Par contre, il écrivait ses arrangements à la dernière minute, parce qu’il voulait qu’ils restent frais.

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             La grande révélation du Bowman book est sans doute Frank Williams, une star du gospel local, avec les Jackson Southernaires puis, un plus tard, the Mississippi Mass Choir. Darrell Luster : «Frank had a Donny Hathaway type of voice. À cette époque, on ne pouvait pas sonner comme Donny Hathaway et chanter à l’église. You had to sound like you were sanctified. Frank didn’t sound sanctified.» C’est Wolf Stephenson qui nous révèle le secret des grands albums de gospel : «Les gospel records ont de très longues jambes, bien plus longues que celles des albums de Soul et de blues. Ils se vendent pendant des années et des années. Les fans de gospel n’en finissent plus d’acheter. Ils ont grandi en écoutant du gospel, alors ils continuent. Some of these black folks that are gospel fans, you talk about loyal, ils achètent tous les albums des groupes qu’ils aiment.» Les Jackson Southernaires sont nous dit Bowman le premier groupe de gospel du Mississippi à monter sur scène avec une section rythmique. Frank Williams gratte une gratte. Le Down Home des Jackson Southernaires sort sur Malaco en 1975. Très belle pochette, on les voit déguisés en paysans du Delta, au temps où ça ne rigolait pas. Même le cheval blanc qui tire la carriole fait la gueule. Et comme l’indique Bowman, les Southernaires de Frank Williams font du r’n’b, dès «Prayer Will Change Things For You», la guitare électrique sonne bien dans l’église en bois qu’on voit sur la pochette derrière la carriole. Fabuleux tric trac de gospel Soul, ça joue dans l’angle, Frank Williams claque des petits accords d’entre-deux, comme Pops Staple, et il faut entendre le bassmatic cavaler comme un diable dans l’église ! Le coup de génie de l’album s’appelle «One More Time», pur jus de r’n’b, ces mecs jouent comme des démons, oh-oh, one more time, power du Black Power et tu as des chœurs de mecs when Jesus came in, Frank Williams t’explose ça au coin du bois. Plus dansant, voici «Jesus Will Provide». Ils chantent le shook de Jésus, ils flirtent avec le son Stax. Frank Williams prend ensuite «Old Rugged Cross» par en-dessous pour répandre de la beauté d’âme sur cette terre qui en a bien besoin. Les chœurs d’hommes sont du baume au cœur. On se recueille car c’est beau. Très beau. Ils reviennent au pur gospel d’église en bois avec «I Come To Serve The Lord». Dommage qu’ils n’aient pas le Mass Choir derrière eux. Mais c’est plein de jus, because one day Jesus will come down. C’est de l’extrême gospel. Ils font encore de la heavy Soul avec «Thank You Lord For All You’ve Done». Ils caressent les cuisses de la heavy Soul avec des doigts de fées.

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             Bowman fait aussi l’apologie du double live du Mississippi Mass Choir paru en 1989. Stewart Madison : «A record like that, that takes on a life of its own, is what you dream about in the record business.» On dirait exactement la même chose de l’Amazing Grace d’Aretha. Bowman conclut son élan lyrique en affirmant qu’on n’avait encore jamais vu un phénomène comme le Mississippi Mass Choir. Il a raison, le bougre, ce Live In Jackon Mississippi est une espèce d’album tentaculaire. C’est de la heavy Soul de church, mais avec un Mass Choir, et c’est au Reverend Milton Biggham que revient l’honneur d’ouvrir le bal de cet album dément avec un «Call Him Up» en deux parties. C’est embarqué à la clameur définitive et ça bascule dans la transe africaine. La soliste qu’on entend dans «I Just Can’t Tell You» s’appelle Lilian Lily. Elle fait de la Soul et c’est vite embarqué en enfer, car derrière elle, la marée monte ! On reste dans le power suprême avec «Near The Cross» et les solistes Frank Williams et Angela Curry. C’est la marée du siècle, le gospel de black awite, ils sont des centaines, ça culmine, ça atteint le summum de la Soul, mais avec les chœurs les plus puissants du monde. Celle qui prend le lead dans «Having You There» s’appelle Verona Brown, elle monte bien à la surface de la marée, une marée de rêve car les harmoniques te résonnent dans la cervelle et titillent les zones inexplorées. Verona Brown est une authentique Soul Sister. Là tu te retrouves au sommet du lard fumant. C’est même au-delà des mots. Et puis voilà Barbara Harper qui chante comme un ange dans «Lord We Thank You». Elle amène son petit Jésus avec un feeling demented, elle t’offre le plus cadeau du monde, le génie vocal exacerbé par la marée des chœurs, son thank you Jesus est tellement sincère que tu y adhères, et les vagues de gospel te ramènent sur terre. James Moore attaque «I’m Pressing On» avec Lawd. Il chante à l’arrache de Lawd, et quand les chœurs arrivent, c’est le raz-de-marée. Ça monte dans les octaves, terrific, les chœurs embarquent tout, même James Moore, et tu entends une bassline au milieu de ce chaos divin. Eh oui, le gospel est un art qui balaye tout, y compris les autres arts. Encore du pur génie avec «Until He Comes» et John Franklin, c’est presque un groove de diskö-funk, ils prennent des libertés extrêmes, big bassdrum et bassmatic, le Mass Choir entre en lice et ça tourne au délire. Retour de Milton Biggham et de Verona Brown pour un «All In His Hands» d’une rare puissance. Alors merci Bowman et merci Malaco. 

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             Pire encore, voici l’It Remains To Be Seen du Mississippi Mass Choir, un album littéralement grouillant de très grands artistes. C’est à Frank Williams que revient l’honneur d’ouvrir le bal de cet incommensurable album de gospel batch. Il amène le morceau titre à la bonne mesure, mais il est vite submergé par le Mass Choir. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il s’agit d’un album de Soul avec des chœurs supérieurs. Tu as tout, des nappes d’orgues et des centaines de choristes qui claquent des mains et qui chantent comme des esclaves qui auraient brisé leurs chaînes et qui seraient devenus des anges. Le power du Mass Choir est indescriptible ! Il faut l’avoir dans l’oreille pour comprendre ce qui se passe. Frank Williams chante comme un dieu, il est comme survolté par le Mass Choir. Et puis au fil des cuts, on va faire des découvertes extraordinaires, celles de solistes inconnus et inconnues au bataillon, mais fuck, quels solistes ! Elle s’appelle Lilian Lily et prend le lead sur «There Is None Like Him». Elle vaut largement Aretha, c’est du si haut de gamme qu’on en tombe de sa chaise. Là, tu as tout le génie de la Soul + le gospel. Lui, il s’appelle Rev. Milton Biggham et tu as intérêt à ne pas le perdre de vue, car il t’allume vite fait «He’s Able», Hallelujah ! Ce mec est un démon, c’mon put your hands together, tous ces anges noirs te créent du génie à la sauvette et Biggham a l’envergure des géants de la Soul, à commencer par Solomon Burke. Elle s’appelle Verona Brown et elle prend le lead sur «Victory In Jesus». Nouvelle reine de Saba, elle te fend le cœur, les blackos du Mass l’applaudissent et là tu bascules dans un océan de nec plus ultra, car il n’existe rien de plus pur et de plus puissant en matière d’art vocal. Elle te monte le gospel en neige, elle tient la note par-dessus tous les toits du monde, elle persiste et signe au firmament, elle est pire que l’opéra car elle est sacrée, elle sonne comme un aboutissement. Comment s’appelle-t-elle déjà ? Verona Brown. Attends, c’est pas fini ! Pas le moment de te carapater, car voilà Angela Curry. Elle prend le lead sur «Yes». En fait, tu ne peux pas tenir face à des artistes aussi complets et aussi inconnus. Ils ont le power absolu, avec la clameur du Mass Choir, mais chaque artiste brille d’un éclat particulier, chaque fois avec une technique de chant qui renverrait presque les superstars au vestiaire. Angela Curry grimpe sur ses grands chevaux, avec une niaque démente, My Soul, yes !, elle fout le feu à la Soul et au gospel, tout explose, c’est au-delà du langage, sa pureté artistique dépasse tout, et elle monte encore, tu as le summum du lard fumant dans l’oreille, Angela Curry exulte dans l’expression définitive, tu atteins les limites de ce que tu peux encaisser au plan émotionnel, elle monte tout son lard au sommet de la montagne et c’est en plus propulsé par les chœurs du Mass, et ça n’en finit plus, il pleut du yeah eh-eh-eh. Et puis voilà sa frangine, Emma Curry qui prend le lead sur «I Get Excited». Elle est plus joyeuse, elle ramène un battage d’Hallelujah, c’est de la Soul, Emma Curry qui tape dans le dur, wow les soul Sisters sont de sortie ! Elle est complètement folle, Emma, elle explose le gospel, c’est une vraie dingue, une tentaculaire, jamais vu autant de reines de Saba que dans ce Mass Choir, comme sa frangine, elle fout le feu et tout le power de la Soul se fond dans le gospel, va-t-en comprendre, c’est impossible, ça te ravage, les cavalcades de gospel te passent sur le corps, c’est la musique du diable, Emma Curry est la pire des sorcières, elle te crame sur pied et derrières le mecs jouent comme des démons, tu tiens entre les pattes l’un des plus beaux albums de musique black de tous les temps, merci Malaco ! Et Frank Williams revient chauffer la salle, tout le monde l’ovationne. Bon dieu ! Dans ce peuple d’esclaves, on est facilement désinhibé, alors tout coule de source, notamment cette beauté du lard que n’auront jamais les blancs, pas seulement l’énergie et la danse, mais surtout la beauté spirituelle, leur Hallelulah sonne comme le symbole d’une revanche purement spirituelle. Lui, il s’appelle Walter Hawkins et il prend le lead sur «Hold On Old Soldiers». Encore un soliste qui chante comme un dieu, décidément ! Il surnage dans la fournaise du Mass, ça carbure autour de lui, la Soul prend feu, encore une fois. Vertige absolu. Là, tu danses dans les golfes clairs, ça pulse au fond du ventre et ce mec Hawkins s’éventre au sommet du lard comme l’agneau s’éventre en l’honneur de Zeus, le power du gospel, c’est la meilleure image du flux de l’humanité et du tourbillon des âmes, alors sonne l’heure de la rédemption. Frank Williams reprend le lead sur «Your Grace & Mercy». Il lance son Mass Choir, il ouvre les vannes du barrage et les chœurs se déversent sur le monde, thank you for saving/ A sinner like me, Frank Williams est un honnête homme, il remercie le dieu du Gospel batch à genoux, au milieu de la marée d’Ararat, thank you Jesus, il chante à la revoyure, que peut-il faire de plus ? Retour de Milton Biggham pour «It Wasn’t The Nails», il te swingue les Nails vite fait, c’est un géant du Soul System, il était là au moment des Nails, il sait de quoi il parle, et les Mass Choir font «Lawd !», c’est encore pire que Sam &Dave. Biggham défonce tout sur son passage, il te défonce le barrage contre le Pacifique et Marguerite Duras s’enfuit en courant, Biggham est l’ultime force de la nature, il se fond lui aussi dans le Mass Choir, tu ne peux pas lutter contre cette marée du diable. Il vaut mille fois Wilson Pickett, c’est assez dur à dire quand on est un vieil inconditionnel de Wicked Pickett, mais c’est hélas la vérité. Retour encore de Frank Williams avec «Why We Don’t Rap/Amazing Grace» pour un petit shoot de gospel rap, le Mass Choir rappe et revient au pur gospel avec Amazing Grace, Frank Williams peut screamer à l’infini et redevenir le héros Malaco qu’il a toujours été. Ce mec est une étoile dans un ciel de stars. Tu sors de cet album avec la langue pendante, comme si tu venais d’être violé par un régiment de mamelouks.

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             Bowman cite encore l’Humble Me Lord du Reverend Curtis Watson paru en 1977 comme l’un des joyaux du gospel roster de Malaco, capable de rivaliser avec les Staple Singers de l’era Stax.

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             On croise plus loin la très belle Anita Ward d’Holly Springs qui enregistre son fameux «Ring My Bell» chez Malaco, avec Frederick Knight, un Knight qui met le vibrato de la belle Anita en valeur. Avant d’entrer en studio, Knight étudie les hits qui hantent les charts pour s’en inspirer. Dans le cas de «Ring My Bell», the basic drum beat and tempo est adapté du Funkadelic’s monster summer 1978 hit «One Nation Under A Groove». Merci Bowman ! On retrouvera la belle Anita inside the goldmine incessamment sous très peu.

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             L’autre énorme star de Malaco, c’est bien sûr Z.Z. Hill. Comme il a besoin d’un nom de scène, il s’inspire de B.B. King pour devenir Z.Z. Hill. C’est Dave Clark, le commercial black de Malaco qui réussit à convaincre ZiZi de venir enregistrer chez Malaco. Viens par là mon coco. C’est là que ZiZi croise le chemin de George Jackson qui vient de composer «Down Home Blues». Du coup, l’album Down Home fait un carton. Il se vend à 500 000 exemplaires et devient the most successful blues album in history. ZiZi devient a blues superstar.

             Down Home s’ouvre sur «Down Home Blues», une Soul de blues entortilleuse. «Everybody Knows About My Good Thing» sonne aussi comme une petite merveille de blues, avec son bassmatic descendant. De l’autre côté, ZiZi va plus sur le r’n’b avec des gros scorchers comme «Right Aim For Your Love» joué au beat de stomp et «Givin’ It Up For Your Love» cuivré par les Muscle Shoals Horns. Il revient au blues avec «When It Rains It Pours» et travaille ça au guttural.

             ZiZi, comme d’ailleurs George Jackson, fait l’objet d’un épisode complet ailleurs. Dans les années 80, George Jackson avait déjà écrit plus de 2 000 chansons, dont des cuts pour Clarence Carter, Wilson Pickett ou encore Bob Seger. Ace n’en finit plus de rééditer des compiles de démos de George Jackson, et chez lui, tout est bon, il n’y a rien à jeter. Il compose aussi l’excellent «Annie Mae’s Cafe» pour Little Milton. Le problème de George, c’est qu’il picole. Il enregistre parfois des démos bizarres qui peuvent durer dix minutes dans lesquelles il chante n’importe quoi. Wolf Stephenson : «He’s send us a demo. That was horrible, but the idea was fantastic.» Et Wolf ajoute : «He was drunk as a dog when he wrote all that stuff.»

             Denise LaSalle relance elle aussi sa carrière grâce à Malaco. On lui a rendu hommage sur KRTNT en 2018 ( livraison 365 du 15 / 03 ), lorsqu’elle a cassé sa pipe en bois. Pour l’album Right Place Right Time, elle duette sur le morceau titre avec Latimore, une autre black star sauvée des eaux par Malaco. Elle voulait duetter avec ZiZi Hill, mais ZiZi était trop sombre - The song was a real sexy song and Lat was a sexy man.

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             On retrouve G.C. Cameron chez Malaco, lui aussi en panne sèche au bord de la route.   Il y enregistre l’album Gimme Your Love, mais il ne s’entend pas très bien avec le staff blanc de Jackson. Cameron est pourtant né à Jackson, mais il a fait carrière à Detroit, avec les Spinners. C’est en épousant la sœur de Berry Gordy, Gwen Gordy, qu’il entre chez Mowest puis chez Motown. Wolf Stephenson se souvient de Cameron comme d’un mec compliqué. Il se croyait encore à Detroit, il voulait un bus et un backing-band pour partir en tournée, il voulait des fringues, du blé et des limousines - We said wait a minute man, this ain’t Detroit, this is Jackson, Mississippi - Donc ça n’a pas marché avec lui.

             C’est aux funérailles de ZiZi Hill que Tommy Couch entend chanter Johnnie Taylor. Il va le trouver et lui propose de signer sur Malaco. Dans le Bowman book, on tombe sur un gigantesque portrait du vieux Johnnie. Il a toujours eu un regard un peu spécial de vieux crocodile. Mais il est l’un des plus grands chanteurs d’Amérique. Pareil, un épisode complet lui est consacré ailleurs.

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             La dernière grande révélation du Bowman book, c’est Shirley Brown. Le premier à être frappé par sa voix n’est autre que Jim Stewart, the Stax man, en 1974. Shirley sonne en effet comme Aretha. Même génie vocal. Après la fin de Stax, Stewart remonte Black Diamond Recordings avec le guitariste de session Bobby Manuel. Ils installent un studio et enregistrent Shirley. Ils passent un accord avec Malaco pour sortir l’album Fire And Ice. Fascinés par les grands duos de la Soul (Bowman en cite deux : Michael McDonald & Patti Labelle et Jeffrey Osbourne & Dionne Warwick), ils proposent à Shirley de duetter avec Bobby Womack. Le petit Bobby opte pour «Ain’t Nothing But The Loving We Got». Le problème c’est que l’album flirte avec la diskö. Tu as du son, mais un brin diskö. Shirley Brown sauve l’album grâce à sa voix, elle est confrontée au même problème qu’Aretha qui a la même époque tape aussi dans la diskö. Il faut la voir grimper, Shirley Brown, sur son something good yeahhhh. La viande est en B avec «Sewed To The Wind» qu’elle ultra-chante. Elle fait son Aretha, elle groove avec le même feeling de couches supérieures. L’autre smash de la B s’appelle «I Wonder Where The Love Has Gone». Elle s’en va jazzer sa Soul, elle est tellement complète et géniale ! Comme Artetha, elle rayonne sur le monde entier et petite cerise sur le gâtö, c’est George Jackson qui signe cette merveille.

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             Bowman fait encore l’apologie de Diva Of Soul, une autre production Black Diamond. Il a raison, Bowman de crier au loup, car Shirley Brown navigue exactement au même niveau qu’Aretha, ce n’est pas une blague. On le constate dès «You Ain’t Got To Hide Your Man», elle est monstrueuse, elle te chauffe ton lit rien qu’en chantant ! Puis elle te déchire le cœur avec «If You’re Weak Enough», elle te claque le beignet de la Soul derrière les oreilles, c’est très spectaculaire. Elle chauffe tous ses cuts à la folie, avec le même gut d’undergut qu’Aretha. «One More Time» te court sur l’haricot, Shirley Brown te prend à la gorge, tu ne peux pas faire l’impasse sur une telle Soul Sister. Elle fout littéralement le feu à la Soul, elle te bouffe tout cru, elle ne connaît aucune limite. Elle devient une reine avec «You Ain’t Woman Enough To Take My Man». C’est une révélation. Elle chante avec un entrain définitif, elle te roule la Soul dans sa farine, elle est écœurante de génie vocal. Et puis tu as encore «Talk To Me», qui est d’une pureté abdominale sans commune mesure - You know darling - C’est la pureté profonde d’Aretha et du gospel, ça vibre dans la moiteur du talk to me, ça monte jusqu’au ciel, elle te monte ça en neige et c’est à tomber de sa chaise, le talk to me semble monter tout seul, elle l’embarque dans un délire de vocalises de tell me baby. Shirley Brown est une incommensurable Soul Sister, Malaco home of the greats, oui, avec Bobby Blue Bland, ZiZi Hill et Shirley Brown, le compte est bon. Elle habite tous les étages de la Soul, comme le montre encore «Better You Go Your Way», elle n’en finit plus d’y croire et de monter au firmament, cette poule est épuisante, bon courage à celui qui entre dans son lit, car c’est une dévoreuse.

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             Le fils de Tommy Couch (qui s’appelle aussi Tommy Couch) monte Waldoxy pour relancer Malaco. Après la mort de Johnnie Taylor en 2004, Malaco en bave. Tommy Couch Jr lance Mel Waiters qui a un succès fou avec l’album Woman In Need. Mel Waiters est un hard man. Il chante à la dure, c’est un vrai mec, il est en béton, avec ses cheveux teints. Les premiers cuts de l’album ne sont pas très bons. Il est un peu le Portugais de la Soul, avec sa tamponneuse. Il faut attendre «Slip Away» pour trouver du groove et il finit par s’imposer. Il ne faut pas le prendre à la légère. Ce que confirme «Second Class». Il y vante les mérites du first class, c’est une Soul de retenue assez puissante, du coup ça devient passionnant - You’re first class when you come to me - «Something In Common» est enregistré live à Jackson, Mississippi. Il est excellent dans son rôle de Soul Brother. Il taille bien sa route. Il devient carrément fascinant avec «Who’s Gonna Win», un shoot de heavy r’n’b. Il le retourne comme une crêpe à son avantage, avec un drive de basse avantageux. Voila le cut qui chapeaute tout le Mel. Une pure merveille. On y revient.

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             La cerise sur le gâtö de Malacö, c’est bien sûr la box parue en 1999, l’une de ces boxes qui ne te lâchent pas et qui finissent par t’assommer. Boom, six disks et un book bien dodu, t’es pas sorti de l’auberge. En plus, c’est d’une densité peu banale, tu as tous ces artistes qui te font du gringue et qui te renvoient sur des tas d’autres albums. Encore une histoire tentaculaire. La box, c’est comme cette grosse pierre que tu soulèves et en dessous, ça grouille de vie. T’es épuisé avant même d’avoir commencé à écouter le disk 1, car tu sais que tu vas tomber sur le «Talking About Love» de George Soule, un incroyable heavy groove joué sous le boisseau de Malaco. Tu vas aussi tomber sur le «Mr & Mrs Untrue» de Mighty Sam, un hit méconnu, la révélation ultime ! - Mighty Sam McLain’s emotion-laden version of ‘Mr and Mrs. Untrue’ epitomizes the magic of country Soul at its finest - Tu as aussi le génie de Fred McDowell avec «Red Cross Store», là-dedans, tu as tout le rock’n’roll, tout le funk et tout le punk, il te descend ça à la déglingue d’ultra-guitare, tu as là le real wild punk, tout le JSBX et tout le reste. D’autres vieilles connaissances encore comme King Floyd, le roi du reggae groove avec «Groove Me», mais aussi le roi du heavy funk avec «Baby Let Me Kiss You» - Such a groovy sensation - King Floyd a un style particulier : il ne force jamais le passage. Il se faufile en douceur. Sous son petit chapeau, c’est un couleuvrier du groove. Et puis voilà Jean Knight avec son «Mr Big Stiff» des Caraïbes. Elle chante au sucre et c’est fabuleux. Malaco est une vraie usine à sucre. Encore du violemment bon avec The Unemployed et «Funky Thing», groupe dans lequel joue le fils de Wardell Quezergue. Les Golden Nuggets font du black rockab avec «Gospel Train», this train, font les chœurs. Encore un joli Soul Brother, Chuck Brooks et sa voix d’étain blanc, il chante «Can’t Be In Two Pieces At The Same Time» au contrefort de l’efflanquée miraculeuse, accompagné par des violons et des chœurs de filles volages. C’est un gros coup de baume au cœur. Encore une surprise de taille avec Richard Caiton et «Superman», un black superbe qui taille sa route au smooth de Malaco. Cette box est un vivier extraordinaire. Richard Caiton te groove la Soul au clair de la lune, il t’embroche le cœur. Et puis voilà Dorothy Moore avec «Don’t Let Go». Elle y va la Dorothy, reine de Saba, il tape ça au big heavy beat d’oooh weeee et ramène le power du gospel batch. Son I love you so vaut bien celui d’Aretha, elle a derrière elle une basse et des chœurs de mecs bien noirs qui ne crachent pas sur le don’t let go, là mon gars, tu te retrouves dans le summum du lard, c’est-à-dire le lard du peuple noir.

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             Qui signe le book de 112 pages inséré dans la Malaco box ? Rob Bowman, bien sûr. Il est LE spécialiste et ce petit book complémente bien le gros bibendum évoqué plus haut. Il retrace les origines de Malaco dans une courte introduction puis prend les disks un par un pour revenir sur les artistes, notamment l’excellent George Soule qui vit à Meridian, Mississippi, et qui entend dire un jour qu’il existe un nouveau studio d’enregistrement à Jackson, à deux heures de route de chez lui. Alors pourquoi continuer d’aller enregistrer des démos à Nashville ? D’autant plus que Malaco est équipé d’un quatre-pistes ! Soule et son pote Paul Davis sont engagés comme auteurs compositeurs. George Soule et Paul Davis enregistrent tous les deux «Talkling About Love» et jouent tous les instruments. C’est Paul Davis qui chante. Quand le single floppe, Paul Davis part bosser chez Bang et George Soule signe un contrat avec les mecs de Muscle Shoals. Bowman rappelle aussi que Cosy Corley est l’un des premiers artistes enregistrés chez Malaco, avec l’impossibly soulful «Warm Loving Man», que chante sa femme Carolyn Faye. Autre personnage clé de la Malaco Saga : Wardell Quezergue qui doit fuir New Orleans après la faillite de Nola. Le deal est simple : Quezergue fournit les artistes, Malaco le studio et le house-band. The Unemployed est le premier fruit de cette juteuse collaboration. Quezergue amène donc le funk chez Malaco. C’est lui qui amène Jean Knight, King Floyd et Joe Wilson chez Malaco. Bowman rappelle aussi que Tommy Couch eut un mal fou à imposer les hits produits chez Malaco par Quezergue («Mr Big Stuff» et «Groove Me») : ni Stax ni Wexler n’en voulaient. Ça sort sur Chimneyville, label créé pour l’occasion. Quand «Goove Me» devient un hit à la radio, Wexler revient sur sa décision et le distribue. Wexler n’aime pas non plus «Mr. Big Stuff» qu’il refuse de distribuer. Bowman finit son commentaire du disk 1 sur une note sombre : «En 1974, Atlantic n’avait pas renouvelé le contrat de distribution de Chimneyville, King Floyd était devenu compliqué et Wardell Quezergue semblait avoir perdu sa magic touch.» 

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             La fête continue sur le disk 2, avec le génie de Dorothy Moore («I Believe You»), elle est fantastique, elle est sur tous les fronts, elle prend la Soul de biais. Elle duette aussi avec King Floyd sur «We Can Love», fabuleux duo d’enfer, elle attaque au perçant, c’est-à-dire à l’Aretha. C’est une battante extraordinaire, on la voit encore torcher le «Funny How Things Slip Away» de Willie Nelson qu’elle finit en apothéose. C’est Tommy Couch qui choisit les chansons pour Dorothy, il est persuadé qu’elle va en faire des hits. Wow Dorothy ! Elle fait encore un carton avec le «With Pen In Hand» de Bobby Goldsboro. Elle est parfaite, une vraie reine de Saba, elle est all over Malaco ! D’ailleurs, c’est elle, Dorothy, qui sauve Malaco avec «Misty Blue». Il s’est produit la même chose qu’avec «Groove Me» et «Mr. Big Stuff» : personne n’en voulait, ni Wexler - You got a black female singing a ballad, you’ll never make it. It’s not worth taking the chance - ni Scepter, ni T.K., personne. Alors Eddie Floyd qui est chez Malaco pour enregistrer des bricoles leur dit de sortir eux-mêmes «Misty Blue». Mais les Malaco boys sont à sec, ils n’ont plus un rond - We were dead fucking broke - Alors baisés pour baisés, ils se décident à sauter le pas. Boom ! Ça marche ! «Misty Blue» sauve Malaco qui signe aussitôt un distribution deal avec le label d’Henry Stone T.K., à Miami. C’est l’époque où Stax coule et des tas de gens débarquent chez Malaco : Eddie Floyd, Frederick Knight, les Fiestas et David Porter. Eddie Floyd y enregistre un album (Experience) et il produit Jewel Bass. L’autre grosse pointure du disk 2, c’est Natural High avec «Flying Too High», très haut niveau, comme l’indique le nom du groupe, c’est le funk du Mississippi. Ils reviennent plus loin avec «The World Is Dancing», un shoot de wild funk. Nouvelle révélation avec les Fiestas et «I’m Gonna Hate Myself», un cut de Sam Dees et Frederick Knight. C’est un peu comme si tu découvrais un continent. Eddie Floyd radine sa fraise avec «Somebody Touched Me», vétéran de toutes les guerres de Stax, il explose bien la cabane de Malaco. C’est une sorte de r’n’b idéal, comme c’est chaque fois le cas avec le vieux Eddie. Il duette ensuite avec Dorothy Moore sur «We Should Really Be In Love» et ça donne quoi ? Une bombe ! On réalise un peu mieux que Malaco se situe au niveau supérieur. Encore un obscur de Malaco : Billy Cee avec un «Dark Skin Woman» signé Mack Rice. C’est énorme, complètement rampant. Billy Cee n’a enregistré que des singles. Quel son ! L’autre grande surprise de ce disk 2 n’est autre que McKinley Mitchell avec un «Trouble Blues» qu’il groove bien sous le boisseau, il est très puissant. Mitchell enregistre sur des petits labels à Chicago. Malaco flashe sur son «Trouble Blues» et le sort sur Chimneyville. Willie Cobbs est là aussi, avec «You Don’t Love Me No More», un vieux shake de r’n’b. Encore un coup de Trafalgar avec Joe Shamwell et «I Wanna Be Your CB», un heavy funk d’une extravagante vitalité. Tu vas aussi te régaler de Nolan Struck avec «Fallin’ In Love With You» - One of the many unknown jewels on this collection - Bassman flamboyant. Encore un artiste complet. Bowman fait aussi l’éloge de l’ex-Stax Frederick Knight qui s’amourache des Malaco boys et qui produit chez eux le fameux «Ring My Bell» d’Anita Ward. Avec cette box, on entre dans l’infini des ramifications. Tous ces grands artistes ont enregistré des tas de choses, à toi de jouer. Pars à leur découverte. C’est le jeu.

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             Le disk 3 vire plus diskö, mais c’est la diskö de Malakö, celle de Freedom («Dance Sing Along») et de Fern Kinney («Groove Me»). Deux extraordinaires cuts de diskö dance, une dancing Soul relancée au pouh pouh pouh, c’est bardé de funk jacksonien. Freedom, ce sont des cracks de la dance crraze. À leur façon, ils sont très puissants, ni Sly, ni Funkadelic, c’est encore autre chose. Fern Kinney est superbe de candy candeur, elle n’est pas loin d’Esther Phillips, c’mon ! Elle fait du diskö sugar comme Anita Ward. Fern duette ensuite avec Frederick Knight sur «Sweet Life», ça vaut bien tout le Fame et tout le Stax, on assiste à une fantastique élévation du domaine de la Soul. Plus loin, Power tape dans le «Groovin’» des Rascals, mais revu et corrigé au Malaco power, cover superbe, il chante à la racine black du délire. Sur ce disk 3, on voit arriver les grosses poissecailles comme Latimore, Denise LaSalle et Z.Z. Hill. Latimore fait le show avec «Bad Risk», il te tombe dessus, c’est un crack. Denise fait sa diskö Soul avec «A Lady In The Street», elle pose bien sa voix, elle est vite énorme, tu as là l’une des meilleures Soul Sisters de l’époque. Plus loin, Denise duette avec Latimore sur «Right Place Right Time» - Baby let me taste your kiss - Les blacks sont durs en affaires, tout le monde le sait. Surtout si Latimore se ramène la bite à la main. Z.Z. Hill est ultra-présent sur ce disk 3, il fait de la Soul de baby please («Please Don’t Make Me Do Something Bad To You») et surtout du heavy blues («Down Home Blues»), classique, même si c’est signé George Jackson. Zizi propose des cuts solides, mais pas déterminants. On le retrouve plus loin avec la belle énergie de «Someone Else Is Sleeping In» et il tombe dans l’escarcelle de Malaco avec «Get A Little Give A Little». Il n’empêche qu’il reste un fantastique shouter. Un vrai Zizi Panpan. C’est l’ex-promo man de T.K., Dave Clark, devenu promo man de Malaco après la faillite de T.K., qui amène ZiZi Panpan chez Malaco. Comme Dorothy Moore avant lui, Zizi va sortir Malaco de la mouise. Ça va si mal que Wolf Stephenson est obligé de vendre sa baraque. Grâce à Zizi, Malaco va accéder à la stabilité financière. Bowman embraye alors sur l’histoire de George Jackson qui dans les années 80 a déjà composé 2 000 chansons. Comme «Down Home Blues» fait un carton, Wolf Stephenson peut racheter sa baraque. 

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             Bowman qualifie la période 1984-88 de second half of Malaco’s golden age. C’est Johnnie Taylor qui rafle la mise sur le disk 4. On le connaît par cœur, mais c’est toujours un plaisir que de le retrouver. Il fait partie des groovers fondamentaux, il faut le voir à l’œuvre dans «This Is Your Night», il t’encadre de satin jaune, il te perce la nuit. On le retrouve plus loin avec «Wall To Wall», un énorme shuffle perlé de petites guitares funky. Johnnie Taylor est l’un des géants de cette terre. C’est à lui que revient l’honneur de boucler ce disk 4 avec l’«I Had A Love» des Falcons, cut mythique entre tous, puisque Wilson Pickett chante la version originale, backed par Eddie Floyd, Mack Rice, Willie Shoefield et Joe Stubbs, le frère de Levi Stubbs. Pour sa version, Johnnie Taylor est backed par The Jackson Southernaires. Lui et Bobby Blue Bland ont exactement la même ampleur, ils sont le cœur battant de la Soul, ils sont à la pointe du génie black. Le vieux Bobby est là, lui aussi, avec «Get Your Money Where You Spend Your Time», il te groove le my Lord baby vite fait, il incarne le groove de Malaco. Il est sans doute le pire de tous car il travaille au tire-bouchon. Le troisième géant du disk 4 est Little Milton, il tape son «Blues Is Alright» au heavy boogie. On peut parler d’énergie supérieure. Avec «Anna Mae’s Cafe», il rentre directement dans le lard du heavy blues de George Jackson. Little Milton ne plaisante pas - I wanna tell you about a place I know - Il te bouffe encore le heavy blues tout cru avec «Cheatin’ Is A Risky Business», il passe toujours en force. C’est le Panzer de Malaco. On retrouve aussi Latimore avec «All You’ll Ever Need». Forte présence, mais ce n’est pas la même chose que Johnnie Taylor. Belle voix, c’est vrai, très haut niveau, c’est sûr, mais il manque le petit quelque chose qui fait la différence. Retour aussi de Denise LaSalle avec «My Tutu». Elle groove à la force du poignet et derrière elle, on entend une basse pouetter. On se régale aussi de Formula V («Part Time Lover», un son tellement black) et de The Rose Bros., avec «I Get Off On You», très black, très straight, le son de Muscle Shoals.  

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             Avec le disk 5, Malaco atteint une sorte d’équilibre entre deux pôles, les anciens (Bobby Blue Bland, Little Milton, Johnnie Taylor, Denise LaSalle, Dorothy Moore, Latimore) et le nouveaux (Beat Dadys et Poonanny). Selon Bowman, Shirley Brown se retrouve en plein milieu. Bobby Blue Bland raffle la mise sur le disk 5 avec «Midnight Run», «Take Off Your Shoes» et «There’s A Stranger In My Home». Listen ! Il connaît toutes les ficelles, ce fabuleux artiste se permet de rire, ah ah, son «Take Off Your Shoes» est l’un des sommets du heavy blues de Malaco et dans Stranger, on l’entend gémir, and I don’t know what to doooooo. Grand retour de Dorothy Moore avec «Stay Close To Home», elle est épaulée par un gospel choir, elle chante d’une voix un peu ingrate mais elle pèse de tout son poids dans la balance, elle y pose son cul et ça penche de son côté. Elle y va la mémère. Avec «If You’ll Give Your Heart», elle est un peu conventionnelle - If you give me your heart/ I’ll give you my soul - Elle duette enfin avec ZiZi Hill sur «Please Don’t Let Our Good Time End», ils tentent le coup du duo d’enfer, pas sûr que ce soit le meilleur du cru. ZiZi tient bon, mais bon. Dorothy est une bonne, mais bon. Pour Malaco c’est un gros coup, mais sans magie. Par contre Shirley Brown et Bobby Womack font un vrai duo d’enfer sur «Ain’t Nothin’ Like The Lovin’ We Got». Shirley amène Bobby, talk to me. Pas de pire duo d’enfer ! Shirley hurle et Bobby aussi. Ils prennent feu. On croit entendre Aretha et Wilson Pickett. Denise LaSalle revient avec un «Wet Match» signé George Jackson. Excellent pétard mouillé ! Les Beat Daddys sont des blancs qui font du Percy Sledge («I’ll Always Love You»). La surprise vient de Poonanny avec «Poonanny Be Still», un prêcheur fou qui fait du rap.

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             Le disk 6 est celui des révélations. Ça grouille de nouvelles têtes. Tiens, on commence avec James Peterson. Il sort d’où ? Wow, c’est le père de Lucky Peterson et son «Don’t Let The Devil Ride» vaut franchement le détour. Bowman indique que Big Mike Griffin joue les guitar heroics sur «Don’t Let The Devil Ride». Autre nouvelle recrue : Ernie Johnson avec un «Cold This Winter» signé George Jackson. Il propose une heavy Soul bien sentie on the inside. Il annonce qu’il va cailler cet hiver. Il est excellent on the inside. Encore une nouvelle recrue, l’excellent Arti White avec «Your Man Is Home Tonight», un heavy groove d’une classe effarante, il a pour lui la grandeur d’un géant de la Soul, donc il domine bien la situation. Encore une découverte avec celle de Stan Mosley et «Don’t Make Me Creep», une sorte de heavy groove inespéré, très rampant, plein d’esprit creepy, don’t wanna sleep ! Petite cerise sur le gâtö : Bowman nous apprend que Mosley a fait partie des mythiques Sharpees (Hello Jean-Yves). Et puis tu as l’excellent Carl Sims avec «Two Lumps Of Sugar», mais trop de basses, le casque chevrote dans la choucroute, c’est de la neo-Soul rampante, et comme c’est un Soul Brother de Memphis, il faut peut-être le suivre à la trace. Une voix, c’est sûr. La géante de ce disk 6 n’est autre que Shirley Brown, avec «You Ain’t Woman Enough To Take My Man». Miss Brown to you ! Elle est terrifique de you’re wasting your time, elle râpe sa Soul avec un aplomb qui t’en bouche un coin, elle fait du pur Aretha. Tiens voilà Bobby Rush ! Il peut se montrer raw, comme on le voit avec «One Monkey Don’t Stop The Show». Il est là le Bobby, on the Rush. Fantastique présence ! Mais ses disks sont difficiles à choper. Retour de l’unbelievable Johnnie Taylor avec un «Good Love» bien groové sous le boisseau de Malaco - I’ve been looking for someone like you - On croise aussi Mel Waiters («Got My Whisky», énergie brutale) et Tyrone Davis («Let Me Please You», il est là tout de suite, c’est un géant venu de Chicago, mais pas de magie). C’est à Little Milton que revient l’insigne honneur de refermer l’aventure de cette heavy Malaco box avec «Big Boned Woman». Fantastique chanson d’amour - She’s my big boned woman/ I love her in sexy ways/ We’ll be together/ Until my dying days.

    Signé : Cazengler, Malacon

    Rob Bowman. The Last Soul Company. The Malaco Records Story. Malaco Press 2020

    The Last Soul Company. Malaco Records Box 1999

    Mississippi Fred McDowell. I Do Not Play No Rock’n’Roll. Capitol Records 1969

    Z.Z. Hill. Down Home. Malaco Records 1982

    Mel Waiters. Woman In Need. Waldoxy Records 1997

    Jackson Southernaires. Down Home. Malaco Records 1975

    Mississippi Mass Choir. Live In Jackon Mississippi. Malaco Records 1989

    Mississippi Mass Choir. It Remains To Be Seen. Malaco Records 1993

    Shirley Brown. Fire And Ice. Malaco Records 1989

    Shirley Brown. Diva Of Soul. Malaco Records 1995

     

     

    L’avenir du rock

     - Le jour de Graham Day viendra (Part Three)

     

             L’avenir du rock se glissa prudemment vers le Général Mitchoum. Les balles allemandes sifflaient autour d’eux. La plage d’Omaha Beach était couverte de cadavres. Mitchoum avait l’air complètement hagard.

             — Depuis combien temps êtes-vous là, Général ?

             — Chais pu. Deux semaines. Peut-être trois. Impossible d’avancer. Coincé derrière ce bloc de béton. On a tout essayé, no fucking way. Les boches ont repoussé tous les assauts. Je suis tout ce qui reste du troisième bataillon. Six mille hommes taillés en pièces. J’en ai marre de manger des puces de mer et de creuser des trous dans le sable pour chier.

             Mitchoum se mit à chialer comme une gonzesse.

             — Attention, Général, vous avez de la morve qui coule sur vos galons...

             — Oui je chais. M’en sers pour coller les coquillages sur le donjon de mon château de sable.

             — Oh c’est vous qui l’avez fait ce joli château ?

             — Ben oui, dickhead, c’est pas les boches !

             — Il est vraiment magnifique ! Vous auriez pu gagner un concours !

             — Bon c’est pas le moment de me lécher les bottes, sucker ! À quelle unité appartenez-vous ? Où sont les bloody renforts ?

             — Je suis l’avenir du rock, mon Général, j’appartiens à la sixième compagnie du Génie et je ramasse le courrier des vagues d’assaut. Avez-vous un pli à me remettre ?

             — Je comptais bien envoyer une carte postale avec la Tour Eiffel à Eleonore, mon épouse, mais pour l’heure c’est fucking mal barré.

             — Faut pas vous mettre dans un état pareil, mon Général. Bon d’accord, vous avez bien foiré le D-Day, mais si ça peut vous consoler, sachez qu’en revanche le D-Day de Graham Day viendra ! 

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             L’avenir du rock a raison de prophétiser. Ça fait exactement quarante ans que Graham Day bâtit, non pas un château de sable, mais une authentique réputation de légende vivante, alors forcément son jour viendra. En attendant, il fait ce que font les autres légendes vivantes (Anton Newcombe, Nick Saloman, Dave Wyndorf, Robert Pollard, Wild Billy Childish, John Reis), il continue d’enregistrer d’excellents albums.

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             Pour saluer la parution de The Master Of None, le petit dernier, Shindig! invite Graham Day à évoquer ses disques préférés dans une rubrique intitulée «Jack of all trades». C’est une sorte de best of séculaire : Four Tops, Pretties, Lyres, Kinks, Woogles, Ramones, en deux pages, il fait le tour du mondo bizarro. D’ailleurs, il démarre avec les Lyres, et l’hypnotic vibrato guitar sound. Il avoue avoir essayé en vain plein de pédales pour retrouver leur son. C’est le guitariste des Woogles qui lui donne la clé de l’énigme : «A Fender amp with the vibrato depth to the max» - it was simple and obvious - Allons Graham, n’essaye pas de te faire passer pour un con, ça ne marchera pas. Du coup, on trouve cet hypnotic vibrato guitar sound dans «You Lied To Me», sur son nouvel album, The Master Of None. Il dit adorer le premier album des Pretties - That haunting bluesy sound and Phil May’s sublime vocal - Graham aurait bien aimé sonner comme Phil mais ce n’était pas possible - «Come See Me» has always been my favourite two and a half minutes of vinyl. It’s perfect in every way. C’est là que mon obsession pour les catchy riffs et la fuzz est née et elle sera là sur tous les disques que j’aurai encore la chance d’enregistrer - Ça s’appelle une profession de foi, mon gars. Quand on croise de tels propos dans un canard de rock, on les relit plusieurs fois pour être bien sûr ne n’avoir pas rêvé. Il dit avoir rencontré les Woogles dans les années 2000, lorsqu’ils jouaient en première partie des SolarFlares, lors d’une tournée allemande. Graham propose le Live At The Star Bar - garage rock’n’roll at its finest. J’ai été inspiré par this raw and powerfull simplicity - Il cite aussi The Kinks Kontroversy des Kinks. Il a découvert les Kinks à 15 ans et il a su que ça allait changer sa vie - Chaque fois que je fais un album, je prends The Kinks Kontroversy comme modèle - Stripped-back, honest and edgy sound but with great melodies and beautiful backing vocals - Il appelle ça des «tunes with attitude». Il cite ensuite un Greatest Hits des Four Tops à cause de «Bernadette», «Standing In The Shadows Of Love» et «Baby I Need Your Loving». Il avoue que les Four Tops sont son Motown act favori. Il descend plus au Sud pour saluer Rufus Thomas et «The Memphis Train», puis il termine avec Jarvis Humby et cet album dément qu’il a produit, Straighten Your Mind With... Graham parle d’un moment de pure magic.

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             Il a raison ! On a découvert Jarvis Humby sur une compile Acid Jazz, Sugar Lumps 1. Puis rebelote sur Sugar Lumps 2 avec «Straighten My Mind» produit par devinez qui ? Graham Day. Alors on part à la chasse. Jarvis Humby ? Pas grand-chose. On découvre que l’album Straighten Your Mind With... enregistré en 2006 n’est sorti qu’en 2020, et pour le choper, il faut se magner, car il semble assez recherché. Ça démarre par deux belles énormités, «Who’s Gonna Pick Up The Pieces» et «A Strange Affair». Andy Smith tape ça au dévolu d’Angleterre. Le Strange Affair est bardé d’orgue et sonne comme un hit des Prisoners, comme par hasard. La bombe atomique qu’on a repéré dans Sugar Lumps 2 est en B : «Straighten My Mind» est un punch-up d’une rare violence. Même chose avec «B Side» en A avec son intro de claqué d’accords, encore du dévolu d’Angleterre, le meilleur avec celui des Who, shuffle, gimmicks, tout y est. C’est même le plus gros shoot de shuffle gaga qu’on ait vu ici bas depuis les Prisoners. Toutes les attaques de Jarvis Humby sont historiques. Ils tapent leur «Tranquileyes» au power longitudinal et une bassline volubile vient lui caresser les entrailles. La plupart des cuts sonnent comme des classiques des Prisoners. On se croirait parfois sur A Taste Of Pink. Ils terminent cet album Dayien avec une autre énormité tentaculaire, «5th Time Around».

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             Tant qu’on y est allons-y ! Il existe un autre album de Jarvis Humby paru sur Acid Jazz en 2003 : Assume The Position It’s. Encore meilleur que le précédent, et même si ce n’est pas produit par Graham Day, le petit conseil qu’on pourrait vous donner serait de sauter dessus. Car what a boom, baby ! Démarrage en trombe avec le fast gaga de «We Say Yeah», l’un des pires wild drives de London town. En plein cœur de la cocarde Mod, joué à la big energy de rowing out. Ça sent bon le purple heart, alors tu danses au Say Yeah toute la nuit ! Ils s’amusent ensuite à sonner comme les Byrds avec «These Eyes». Ces mecs ont tous les vices et si tu les suis sur les chemins du vice, ça va te rendre service. Ils tapent un bel instro avec «Tu 200», c’est bardé d’orgue, ils créent la sensation de la tradition, quelle flamme ! Ils jouent en vol plané au trapèze de la mort, ils se rattrapent au dernier moment et pouf, voilà un heavy groove de r’n’b, «Oh Babe (I Believe I’m Losing You)», ils créent l’illusion de la tradition, c’est excellent, plein d’esprit, bien cuivré. Avec «Black Cat», ils sonnent exactement comme le Spencer Davis Group - Black cat get away from me - Ils passent à la violence de la prestance avec «Let Me Take You There», wild rock Mod de la dernière heure, pur power, comme au temps des Small Faces. Ils attaquent «Formaldehyde» aux accords des Who, la sauvagerie est intacte, le wild est pur et le solo qui arrive coule comme du pus. Criant de Mod veracity ! Ils terminent avec une belle cover d’«Ain’t No Friend Of Mine» des Sparkles, donc en apothéose, Jarvis Humby chapeaute tout le rock anglais, c’est d’une supériorité apocalytique, ils jouent par dessus la coupole de Saint-Paul.

             Graham Day indique au passage que The Master Of None devait être le prochain album des Goalers, mais cet enfoiré de Pandemic a rendu la mission impossible, car le batteur des Goalers vit aux États-Unis. Comme il n’aime pas que ses chansons restent coincées trop longtemps, et craignant même qu’elles ne soient périmées comme des yaourts, Graham Day a fait l’album tout seul. Pour lui, c’est une suite de Triple Distilled

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             Pas de surprise, c’est le big album qu’on escompte chaque fois que revient le jour de Graham Day. Il poursuit son petit bonhomme de chemin au tagada de tagaga, avec des échos d’out of our tree. Il tape «Out Of Your Narrow Mind» au classic power-chording d’âge mur, il reste dans son son de prédilection qui est celui des early Kinks. Il faut que ça claque ! On admire cut après cut l’admirable tenue de se tenure. Dans le morceau titre, il clame «I’m only a man» et il avale la fast pop de «Stranger On A Joyride» au barouf d’orgues barbares. Au petit jeu du gaga Brit, Graham Day reste imbattable. On va dire que la viande se trouve en B, avec l’excellent «You Lied To Me». Il renoue avec le wild ride des Prisoners, même énergie, même franchise du collier, même encolure de l’envergure, même bonne augure de la sinécure, ça cisaille à la petite disto et il te claque des whanow dans le creux de l’oreille. Retour aux early Kinks avec «Eyes Are Upon You». En plein dans le mille ! Pur jus de genius Kinky, même si éculé par tant d’abus. C’est justement l’éculé par tant d’abus qui fait la grandeur de Graham Day. Avec «Pointless Things», on voit qu’il maîtrise l’art d’introduire un hit dans la vulve de la gorgone gaga. Il revient toujours à ses accents Kinky.

    Signé : Cazengler, Graham Dé à coudre

    Graham Day. The Master Of None. Countdown 2022

    Jarvis Humby. Straighten Your Mind With... Spinout Nuggets 2020

    Jarvis Humby. Assume The Position It’s. Acid Jazz 2003

    Jack of all trades. Shindig! # 126 - April 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Bobby, on le connaît Parker

     

             Ils avaient un sacré point commun : le diable au corps. Esbé et lui fonctionnaient au rythme d’une connerie par minute et ça finissait par faire beaucoup dans la journée, surtout s’ils enchaînaient avec une nuit blanche, pratique courante à cette époque. Esbé et sa poule avaient traversé la France en scooters, chacun le sien, pour nous rejoindre dans une maison qu’on squattait dans le Sud-Ouest, au pays des fritons. Esbé et lui avaient exploré le grenier et découvert dans une malle de souvenirs de voyages une bouteille de Genièvre qu’ils sifflèrent sur le champ. La soirée s’annonçait bien. Comme il faisait encore chaud, ils étaient torses nus. Ils restèrent un moment à table avec les autres, ils sifflèrent à deux une autre bouteille, un Jack qui traînait par-là, et décidèrent d’aller finir la soirée ailleurs, c’est-à-dire de filer en scoot jusqu’à la ville voisine, par la route du bas. Vroom, vroooomm. Il suivit Esbé comme il put, au feeling. Il n’était jamais grimpé sur un tel engin. Vroom, vroooomm. Esbé coupa son phare et prit de la vitesse. Pour rattraper Esbé, il prenait les virages à la corde et accélérait à la sortie, mais il ne roulait pas assez vite. Ce démon d’Esbé l’avait distancé. Vroom, vroooomm. Voulant rattraper Esbé, il roulait à fond et prit un virage trop vite, bing badaboum, la gueule en vrac dans le gravier, a wop bop-a-loo bop-a-loo bam-boom, les quatre fers en l’air, le scoot dans le talus et lui dans les pommes, du sang partout. Il revint à lui, un mec lui tapotait la joue...

             — Ça va ? Vous n’êtes pas mort ?

             — Ben non, chu pas mort ! Aïe, putain, bordel, ça pique !

             — Vous pouvez vous lever ?

             — Chai pas trop...

             — Je vais vous aider... Oh la la, vous avez le dos et le visage dans un drôle d’état, vous avez du gravier partout, il faut aller nettoyer ça. Il n’y a pas d’hôpital ici, je vais vous emmener au commissariat, ils ont sûrement une trousse de pharmacie...

             — Chez les condés ? Ça va pas la tête ? Emmenez-moi au fucking patelin, faut retrouver Esbé pour boire un coup, y m’attend.

             Le mec prit la direction de la ville. Il y avait de la musique dans sa caisse. De la super musique. Ils se mirent tous les deux à claquer des doigts, snip snap snop !

             — C’est ‘achement bon, c’machin-là ! C’est qui ?

             — Bobby Parker !

             — Wouah wouah wouah !

     

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             Tout le monde connaît Bobby Parker, l’auteur de «Watch You Step» que reprenaient les Move sur scène. Bobby l’enregistre en 1961, ça ne date pas d’hier. En 1968, Mike Vernon produit «It’s Hard But It’s Fair» sur Blue Horizon, fantastique single qui éclaire le disk 2 de la box Blue Horizon Story Vol. 1. Bobby Parker est une légende, Stevie Winwood, Little Milton et Carlos Santana reprennent ses cuts. Rober Plant dit avoir eu l’idée de chanter en écoutant «Blues Get Off My Shoulder». Dans les années 50, Bobby Parker monte un groupe avec Don & Dewey, puis il accompagne Bo Diddley, Sam Cooke, Jackie Wilson et Ruth Brown sur scène. Pardonnez du peu. Alors descendons inside the goldmine retrouver l’excellentissime Bobby Parker.

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             Le mieux est de commencer par une compile parue en 2020, The Soul Of The Blues. C’est là qu’on trouve la plupart de ses singles. Les premiers datent de 1954, et ça décolle avec «I’m Looking For A Woman», un groove qui dit tout sur la modernité du Bobby. Ces mecs jouaient déjà du rock. Avec «Titanic», Bobby explose le juke, tous les jukes, il chante au pur jus de naufrage, bien secondé par un hot sax. En 56, il passe au heavy blues avec «Once Upon A Time Long Ago», il joue ça à la folie. Fantastique guitariste ! Il est déjà dans la clameur extrême du blues, oui en 1956, il chante au vibrato et joue comme un dieu. En 1957, il enregistre son classique, «Blues Get On My Shoulder». Il est tellement en avance sur son époque que ça fait peur. Il joue à la note Parker, c’est excellent. On croise un peu plus loin la version originale de «Watch Your Step». Incroyable énergie, vrai gaga sound, avec du tam-tam dans le son, des chœurs déments, des guitar licks et des cuivres, il éclate ça au yeah-eh et my Gawd, quelle explosivité ! Il revient au heartbreaking blues avec «Steal Your Heart», épaulé par des chœurs de filles torrides. Il faut bien comprendre que Bobby Parker est complètement à part et qu’il est depuis le début d’une modernité à toute épreuve. Il tape son «I Got The Blues So Bad» au jeu clair, ah c’est autre chose que Clapton ! Bobby Parker est l’un des grands précurseurs. Cette compile permet de mesurer l’avance qu’il avait sur tout le monde. Le funk-blues de «Get Right» annonce Sly Stone et son «Gimme Some Lovin’» n’est pas celui du Spencer Davis Group, mais c’est aussi explosif, très explicite et déterminé à vaincre. Voilà un heavy blues de 65, «Don’t Drive Me Away», il joue ça en plein sable, il chante au hot du hot, mais il sait aussi manier le r’n’b, comme le montre «I Wont Believe It Till I See It», et le heavy rock («It’s Hard But It’s Fair»). Tous les cuts sont bons, extrêmement joués, extrêmement chantés, Bobby Parker est l’artiste complet par excellence. Il y va, coûte que coûte, just how I feel, il fusille tout. Il finit le disk 1 avec un ahurissant romp de r’n’b, «Soul Party (Pt2)» digne d’Archie Bell & the Drells, et «Both Eyes Open», monté sur un bassmatic énorme et cuivré de frais. Quel festival ! Bobby Parker est un pourvoyeur de merveilles. Le disk 2 démarre avec des choses plus récentes, enregistrées dans les années 90, des reprises de gros classiques du blues, «Born Under A Bad Sign», «Every Day I Have The Blues». Bobby y balance un joli gras double, il joue en permanence avec le feu, il veille bien au gras du grain, il peut screamer, alors il screame dans «I Call Her Baby». Il demande au publie : «What do you call your boyfriend ?», et les filles répondent «Baby !». Superbe ! Il passe en mode funk-blues pour «Break It Up», c’est assez cartésien, pas de frontières, alors break it up ! Son «Bobby A Go Go» devient vite énorme, il est dans le heavy stuff alors il engorge les artères et il vient coller sa voix dans l’enfer. Il tape plus loin un «Why» à la heavyness de wonder why et on retombe sur le «Soul Party (Pt1)», un vrai monster hit avec un solo de sax à la Junior Walker, suivi d’un instro demented, «Night Stroll Pt1», c’mon now ! Puis il rentre dans le lard du funk avec «Funky Funky», Bobby est un diable, un beau diable et il adresse un sacré clin d’œil à Bo avec une cover de «Bo Diddley», il joue ça sauvage et primitif, il est même encore plus primitif que Bo, t’as qu’à voir ! Il enchaîne avec un «Diddy Wah Diddy» de Didday wah, absolute killah kover digne de celle de Captain Beefheart, suivi d’un autre master blast, «Dancing Girl». Et ça continue comme ça jusqu’au bout, on ressort de cette compile à quatre pattes, avec la langue qui pendouille.       

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             Deux albums de Bobby Parker sont parus étrangement tard, en 1993 et 1995 : Bent Out Of Shape et Shine Me Up. Le coup de génie de Bent Out Of Shape s’appelle «So Glad I Found You». Eh oui, on croit entendre l’ultimate rock God, aussitôt après Jimi Hendrix. Même classe, même science du son. On y est : big heavy blues, Bobby does it right. Tu veux entendre un Heartbreaking Blues ? Alors va chercher le «Blues Get Off My Shoulder» en bout d’album. Fantastique plongée de shoulder en forme de St James Infirmary. Ce mec prolonge le plaisir, mieux que ne le fait la coke, il est dans le bain de l’excellence, son heavy blues trouble, tellement il est plein de vibes, de notes intrinsèques. Tu descends à la cave du blues pour entendre des dégelées prodigieuses. Non seulement Bobby chante comme un dieu mais il joue de la guitare comme un God. La preuve ? «It’s Hard But It’s Fair», son vieux hit Blue Horizon, un fondu dans le fondu, il nous plonge dans l’hendrixité des choses, il tape un solo à la folie Méricourt, il se confronte aux accords de cuivres. Il est aussi puissant qu’Albert King. L’autre preuve de son génie guitaristique s’appelle «Break it Up». Il y fait son James Brown à l’aooouh - Hey girl that’s what I want you to do it for me - Hot electric fiunk, ce démon joue du blues dans le dos du funk et il part en mode wild guitar, wwwooofff ! Belle énormité aussi que ce «Bobby A Go-Go», prodigieusement secondé par un bassman funkadélique et c’est salué aux cuivres sur le tard, alors t’as qu’à voir. Black power ! Black power encore avec une nouvelle mouture de «Watch Your Step», un hit qui n’a pas pris une seule ride. Comme montre la pochette, Bobby stratotte comme Jimi. Son morceau titre est très inspiré. Il n’existe pas grand-chose qui soit au niveau de Bobby Parker. Il faut savoir accepter cette réalité. Il fait une Soul électrique d’une élégance sidérante. Il joue encore «I’ve Got A Way With Women» au liquid fire, il reste classique, mais de façon un peu sauvage, il tente toujours de créer l’événement. Le «Fast Train» d’ouverture de bal montre qu’il n’est pas homme à traîner en chemin. Ses licks effarent, il est dans l’excellence, la fluidité, the Parker of it all, il est hendrixien dans l’âme, ce mec est un fondu du fondu.

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             Bobby Parker enregistre Shine Me Up en 1995 à la Nouvelle Orleans. L’album est moins flamboyant que le précédent, mais il vaut le détour, sacrément le détour, ne serait-ce que pour deux Heartbreaking Blues, «Kick It Around With You» et «Drive Me Home». Il amène le premier en mode heavy blues. Il ne rate pas une seule occasion de jouer le heavy blues, il reste encore une fois fameux et classique, il recase son liquid fire. Bobby ne lâche pas l’affaire. Il attaque «Drive Me Home» à l’hendrixité des choses, il rentre dans le heavy blues comme dans du beurre, c’est une merveille de gras double et de justesse sonique - Drive me home where I belong - «Splib’s Groove» va plus sur le funk. Si tu aimes l’electric fonky blues avec un sens inné du groove pépère, alors c’est Bobby qu’il te faut. Il est aussi balèze que Johnny Guitar Watson, et c’est pas peu dire. Sinon, il fait pas mal de boogie blues, il montre qu’il connaît le système, il sait épouser la larme et le feu, il organise ses départs en solo comme des coulées de bronze fumantes. Il sait aussi chatouiller le r’n’b comme le montre «It’s Unfair». Pas de problème, Bobby peut te chauffer un cut et un juke, les deux à la fois. Il s’implique à chaque instant, il stratotte son boogie comme un cake, il coule des bronzes à tous les coins de rue, il chevauche son boogie blues en mode altier, sans peur et sans reproche, un vrai Godefroy de Bouillon black. Même ses slowahs sont visités par la grâce (le morceau titre), il peut aussi se fâcher comme le montre «Skeezer», il joue ça au flashy guitar slinging, et la messe est dite. Pas besoin d’enregistrer des tas d’albums. Il est derrière tous ses cuts avec du son, de la voix, du feel so good et du raw guitar slinging. Il s’amuse aussi à reproduire la frayeur de Wolf avec «Somebody’s Coming In My Backdoor». Il gratte des tas de beaux accords plantureux d’entre-deux. Il nous invite au paradis du heavy blues - I wanna call the police - Il a peur !

    Signé : Cazengler, Bobby Parking

    Bobby Parker. Bent Out Of Shape. Black Top Records 1993

    Bobby Parker. Shine Me Up. Black Top Records 1995

    Bobby Parker. The Soul Of The Blues. Rhythm & Blues Records 2020

     

     

    APOCALIPSIS

    REPTIL

    ( Octobre 2022 / Bandcamp )

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    Reptiles partout. Celui-ci vient de loin. De Lima. Du Pérou. Ne vous en approchez pas trop, il est particulièrement venimeux. Sont trois, style bikers de la mort. L’on n’en sait pas davantage d’eux. Aussi mystérieux que les quatre cavaliers de l’Apocalypse. En attendant le diable à tête de bouc se pavane sous un manteau d’anacondas entrelacés. Ils ouvrent une gueule béante et tirent leur langue rouge du désir. Z’ont sans doute envie de la passer sur les parties occultes que cache le maillot de bain ( style sixties pin-up ) de la dame. Car depuis Miss Too la femme s’est faite grande bête crowleyenne.

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    Tom reaper / Cabeza de serpiente / Apocalipsis joint /  Por que mierda sigo vivo /  Atormentados : cinq morceaux puisqu’ils le disent, il vaut mieux toutefois les écouter en tant que pièce d’un seul tenant, une espèce d’offertoire reptilique processionnel, avec ses moments chantés et ses longues suites musicales. le reptile déroule ses anneaux lentement, prend son temps, le serpent brandit sa langue, l’est sûr de sa force et de sa puissance, n’est pas pressé, nous non plus car l’on reste fasciné par ce riff d’une extrême simplicité et cette guitare qui brode de subtiles broderies, la batterie survient, file des coups de queue qui balaient le plancher, l’on s’attend à une grande colère, mais non tout se calme et l’on repart tout bas, toute basse, en plus rapide, c’est là que la guitare accapare l’attention, pique un sprint, mais s’inscrit en notre cerveau comme l’image d’un film passé au ralenti, on ne s’en plaint pas, le serpent vire au bleu du blues, la guitare flamboie et la batterie s’amplifie, l’on est déjà dans la tête du serpent,  celle que l’on se doit d’écraser du pied tel Apollon éradiquant le python, la kundalini qui s’exhaussait en nous arrive à son paroxysme, l’instant fatidique où la répulsion s’équivaut à la fascination, l’on est projeté à l’intérieur du monstre, derrière ses yeux fixes, et l’on entend la musique des sphères intérieures, elle balance sans à-coups, presque mollement mais notre esprit niché au cœur de ce mouvement ressent un intense plaisir, tangue et baigne en extase, le serpent a deux têtes, il est inutile d’en choisir une, laissons-nous bercer de rêve en cauchemar, station après station, la marche s’alourdit et pèse sur nos nuques. Chanterelle de basse, feulement de cymbales piaillements de guitares, le coq du vaudou chante-t-il lorsque l’on lui tranche le cou,  ses viscères qui jonchent le sol se relèvent et deviennent serpent, la foule hurle reptil ! reptil ! tambourinade initiatique effrénée, le sceau du sang asperge et engloutit le monde,  horreur et adoration, nous pénétrons le rituel secret des exorcismes intimes, tempête au creux de nos âmes, les images tournoient dans nos yeux à une vitesse folle, totalement indépendantes de notre vision, le serpent nous habite et nous habitons le serpent ! Office ophidique. Repos, traces serpentaires sur le sable des lagunes. C’est le moment du retour à soi-même, ne suivre que l’inanité de notre propre fugitivité le drame réside en l’absence de notre propre présence, cris de désespoir, questionnement métaphysique, montée du nihilisme, gifles de basse sur notre figure et démarrage de la grande sarabande, quand nous ne savons plus où l’on en est commence la tarentelle des guitares, longue nuit déchirée des éclats de notre corps dansant sur la corde raide du vivant. Interrogations focales sur la transparence de notre inanité, sur le gouffre du suicide perpétuel qu’est toute existence. Expiration. L’on se pose, l’on se rassemble, l’on recolle les morceaux de nos éléments éparpillés. Le puzzle de l’inexistence a du mal à réajuster les pièces, même quand la lune ne brille pas, l’homme hurle la solitude de son être au monde, tout se vaut, rien n’a de prix. Marche funèbre vers le non-sens. Même la mort n’a pas de sens. L’on secoue une dernière fois le cocotier du rock dans l’espoir qu’une grosse noix de coco nous tombe dessus et nous éclate la tête. Une guitare défait la toile de notre vie inutile pour en faire de la charpie et soigner nos blessures. Qu’on se le dise, toute apocalypse est intérieure.

    Damie Chad.

     

    *

    Un marteau est-il négatif si négligemment je vous tape sur la tête avec cet objet contondant juste pour passer le temps, deviendrait-il un marteau positif si je m’en servais pour réparer le toit de votre maison ? Il est facile de répondre qu’un marteau est tout simplement un marteau indépendamment de l’usage pour lequel on l’emploie. Elevons la question, qu’en est-il du concept nietzschéen de philosophie à coups de marteau, est-il positif en le sens où il fracasse les vieilles lunes de la pensée humaine, est-il négatif pour ces mêmes assertions théoriques qu’il démantèle ? Encore un coup d’ascenseur, peut-on qualifier certains concepts de négatifs et certains autres de positifs ? Je vous laisse méditer ses angoissantes questions. N’en devenez pas marteau pour autant. Quoiqu’il en soit jugez de ma surprise lorsque dans la liste des dernières nouveautés mon œil fut accaparé par l’expression de Negative Concept. Très beau titre d’album me suis-je dit, mais non c’est le nom du groupe ! Première fois que j’avais vent de quatre individus se présentant sous une telle étiquette. Le titre de l’album n’est pas mal trouvé Malvenue si nous le traduisons en douce langue françoise.

    UNWELCOME

    NEGATIVE CONCEPT

    ( Octobre 2022 / YT – Bandcamp ) 

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    La couve est assez affriolante – oui je sais cela dépend des goûts – Monsieur Mort et Madade Mort honorent de leur présence la réception de cette soirée à décors catacombiques. Monsieur n’a pas oublié son nœud-pap, l’a une certaine prestance dans sa sombre veste de costume, Madame est un peu moins bien attifée, sa longue robe brunâtre, bustier à rayures thoraciques à longs plis de tulle funèbre, sont-ce ces véritables cheveux blanchis ou un voile de deuil qui recouvre sa tête… Une allée de mains tendues dessine une haie d’honneur, aucune n’ose les toucher, timidité adoratrice ou craintive répulsion ?  Cédric Marcel est l’auteur de cet art(devrait-on écrire hard) work. Il est aussi le guitariste et le vocaliste de ce quatuor. Romain Pierrot joue aussi de la guitare mais ne chante pas. Johan Comte exerce le noble métier de drummer et Cédric Vitry excelle dans le maniement de la basse.  Puisque leur modestie leur a interdit d’apparaître sur la photo de la couve, je vous ai offert un super lot de consolation un dessin de Sylvain Cnudde effectué lors d’un Positive Concert de  de Negative Concept  ( avec Oaks et Vantre ) ce 18 octobre 2022 à L’International.

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    Anthem to the void : grincements funèbres, celui de la porte d’un cercueil qui gémit lorsqu’il se referme, arrêtons de plaisanter, c’est vrai que se retrouver tout seul face à l’abîme, n’est-il pas plus épais qu’un feuillet à cigarette, n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus agréable sous cette terre. La musique n’est pas joyeuse mais le froid se fige dans vos vertèbres lorsque Cédric récite son hymne au néant, une étrange mélopée caverneuse entre chant grégorien et rituel doomique. Se termine sur un bizarroïde étranglement de vomissure qui déborde sur L’agneau : pauvre bête, symbole de l’innocence poignardée en sa tendre enfance, car voyez-vous avant la mort il y a encore le mourir, qui sous quelque forme qu’il se déroule n’est que le meurtre ou l’assassinat de la vie. Un truc pas tout à fait joyeux, alors ils s’en donnent à cœur joie, chant d’hécatombe mortifère, Johan pulvérise sa batterie et les guitares funèbres s’enfoncent dans la noirceur du monde, imaginez la basse de Cédric Vitry comme une chandelle éteinte qui n’en finit pas de brûler…Terror eyes : ( morceau sorti en avant-première en juillet 2022 ) : que voit-on au juste lorsque l’on ne voit rien, rien de toute évidence, ce sont les terreurs nocturnes de l’astral qui s’invitent sur nos rétines et l’horreur insoutenable - elle vient de nous, elle connaît nos frayeurs les plus horribles,  -nous épouvante. Chant porcin d’égorgement, gluons d’effrois cristallisés qui descendent du cerveau, s’incrustent comme rouille dans les fosses du larynx et s’expectorent dans la neutralité du vide. La basse en devient lyrique, mais bientôt la batterie s’emballe et s’écroule, les guitares vrillent. Ce que l’on voit, ce ne sont pas des monstres, uniquement notre frousse bleuâtre. Conceptuellement négative. Surin : Trompes et cymbales. Hurlement. Ce n’est plus l’agneau, ce n’est plus le boucher, c’est le coutelas de la mort qui s’approche de nous, car si la mort n’est pas le néant c’est que le néant n’est que l’éternelle présence de notre mort sans cesse recommencée. Tentez d’imaginez qu’une fois mort vous revivrez cet instant fatal sans trêve, cela vous glace d’horreur, en ce morceau de foudre noire Negative Concept prend conscience de la négativité de sa propre conceptualisation, la musique tremble et s’amplifie, affolement instrumental général jusqu’à ce que le mur du son soit dépassé, et que survienne le silence qui épelle et nomme l’indicible.

    Solar : moteur bourdonnant, l’onde spectrale de la négativité n’est que l’alternative de son contraire, au bout de la nuit de la peur l’on se confronte au jour de l’effroi, car la lance que l’on lance sur la membrane du néant infini ricoche et revient sur vous, la mort est un soleil spectral, mais solaire par la force des logiques contradictoire qui s’annulent, la musique se presse, elle a un espace infini à parcourir, elle accélère, même si elle sait que plus elle ira vite point davantage elle ne progressera, ne serait-ce que d’un centimètre, car tout espace n’est qu’une conceptualisation mentale, un riff qui vient, qui s’en va et qui revient… le moteur prend l’eau, sinistres glouglous, tout est perdu puisque tout est gagné, la musique n’est plus que du bruit, une immonde cacophonie brinquebalante qui ne veut pas se taire même s’il n’y a plus rien à dire. Couinements sans fin. Eterna : retournement de conscience, ce qui ne finit pas n’est-il pas un des visages de l’éternité. Le chant s’élève et irradie des formes sonores et idéelles. Il est temps de prendre son temps puisqu’il n’y a plus de temps. Progressons à petits pas, il n’y a plus de route à parcourir. Guitares claires, le jour se lève dès que la nuit tombe, vertige sonore et répulsif, toute musique des sphères est mouvement, elle semble avancer, elle se précipite même, la batterie roule ses bosses, l’on est bien parti l’on ignore tout de la destination alors qu’elle nous ramène à nous-mêmes. Qu’importe tant que ça bouge encore et malgré tout, l’on n’est pas encore tout-à-fait mort. La marche se ralentit, le but est atteint lorsque l’on s’aperçoit que but suprême est un concept peu positif. No ways : il n’y a pas de chemins. Le ‘’s’’ final a son importance. Cédric bonimente, Johan bat le tambour, basse et guitares gratouillent léger, l’on a beau se remémorer toutes nos expériences, se lancer dans la course aux étalages égotiques, illuminer les devantures, la voix n’en peut plus agonise, elle expire en meuglements de baleine échouée qui se meurt, mais peut-on encoure mourir lorsque l’on est mort et qu’être mort signifie que l’on est en train de mourir, quelle contradiction ! Le concept négatif de la mort ne contient-il pas sa propre négativité, la musique s’étire, elle ne trouve plus sa propre fin, le chant n’est plus que l’ombre de lui-même, la batterie dramatise l’aporie. Nothing : prendre une décision, s’il est impossible de sortir du piège de la mort, c’est que la mort n’est rien puisqu’elle a besoin d’exister pour ne pas être, cascades vocales catastrophiques, sortir à tout prix de ce bourbier. Décréter que rien n’existe pas puisque rien n’existe. Return to the void : noise apaisant, une fois la décision prise, revenir au tout début ? à l’onction de grâce envers le néant, le background musical s’effiloche comme les communications d’un vaisseau qui s’enfonce trop loin dans le vide interstellaire. Dead country : pour la première fois une voix presque pleine et un background musical raffermi, sinon apaisant du moins apaisé, ils ont trouvé leur pays, leur éden, leur eldorado, dans lequel on ne se pose plus de question. Entre le néant et la mort, ils ont choisi la mort.  C’est terminé. Tout le monde peut aller se coucher. Dans sa tombe. Nietzsche appelait cela la traversée du nihilisme. Mais c’est le nihilisme qui nous traverse. Pas son contraire.

             Superbe disque. Les amateurs de doom et de métaphysique adoreront. Les autres aussi. Mais ils attendront d’être morts.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Dans la liste des nouveautés le mot Ouroboros m’a vivement interpellé. Le serpent qui se mord la queue. Le mythe remonte aux origines de l’Humanité, celle qui se regroupe dans les premières cités et se met à réfléchir aux parcelles disparâtes de legs mythiques venus du temps très ancien des peuplades errantes dispersées sur la terre. C’est à cette époque que l’on fonde les premières mythologies, que l’on essaie de mettre de l’ordre dans tout le fatras de provenances diverses et incertaines, que naissent les Dieux et les Religions. Les Dieux pour ceux qui pensent. Les religions pour soumettre les hommes.

    Krampot est un groupe autrichien basé à Vienne. A leur actif, paru en 2018 un premier EP Odyssea qui met en scène un voyage vers l’inconnu… Il sera suivi de plusieurs singles qui se retrouveront sur Ouroboros tout juste sorti ce mois d’octobre 2022

    Il n’est pas étonnant que ce genre de sujet soit abordé par les groupes de Metal, un royaume du rock qui flirte avec une certaine, ne serait-ce que sonore, grandiloquence. Le doom qui n’est qu’un sous-genre du metal, raffole de ces grands tableaux, sa noirceur, sa lenteur se plaisent et conviennent à merveille à ces évocations… Le doom n’est pas sans rappeler les grandes fresques de la poésie parnassienne française, relisons Leconte de Lisle et Les siècles morts du Vicomte de Guerne pour nous en persuader.

    Pour ceux qui penseraient que ces livres sont d’une actualité trop lointaine, nous leur recommanderions de lire Héliopolis, le roman d’anticipation d’Ernst Jünger, non seulement parce que le premier titre d’Ouroboros se nomme aussi Heliopolis, bien sûr il ne s’agit pas de la même ville, Krampot nous parle de L’Egypte antique et Jünger du monde qui vient. Dans les deux cas il est question de puissance et de défaite.

    Existe-t-il une manière de ne pas mourir ? Cette question est au fondement de la métaphtsique. La réponse est apportée par le mythe de l’ouroboros. Il suffit de mourir plusieurs fois. Cette proposition, celle de l’Eternel Retour telle que l’a théorisée sans avoir le temps de l’expliciter Nietzsche affirmait que c’était la plus lourde des pensées.  

    OUROBOROS

    KRAMPOT

    ( Digital / Bandcamp / YT /Octobre 2022 )

     

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    Claudia Mühlberger : vocals, guitars / Andrea Klein : guitars / Georg Shiffer : drums / Julian Kirchner : bass. Heliopolis : ville d’Egypte ancienne située sur le Delta du Nil. Elle est la Cité de Ra le premier Dieu né de lui-même, Dieu du Soleil resplendissant, maître de l’univers… s’il renaît chaque matin la nuit il traverse les mondes inférieurs et infernaux, est-il grand parce qu’il renaît tous les matins après avoir vaincu la mort, ou plutôt ne possèderait-il pas une secrète fêlure puisqu’il se doit de mourir afin de renaître – tout dépend de la façon dont on regarde et dont on raconte les choses - ainsi se forge le mythe ambigu de l’Ouroboros le serpent qui est obligé de se dévorer pour continuer à vivre : fraîche brise de cordes, accentuée de lourdeur rythmique, basse et batterie mènent le jeu, les guitares caracolent devant, la voix de Claudia s’élève, un peu monocorde mais souveraine, à peine a-t-elle libéré un son que tout le background musical perd de son intérêt, lorsqu’elle se tait on attend qu’elle revienne, un peu comme on espère la lumière du soleil dans la noirceur désespérante de la nuit, c’est long, très long, l’on pense être parti pour un voyage infini sans retour, elle nous a conté le réveil illuminescent de Ra, son action redonne courage aux crocodiles sur les rives du Nil, mais déjà il faut monter sur la barque de la mort et partir affronter les turpitudes inférieures.

    Yom Hadin : termes hébraïques qui signifie le jour du jugement, un premier couplet qui n’est pas sans évoquer plusieurs situations, celle de l’Homme qui marche dans les difficultés de sa vie, celle du peuple hébreu parcourant le désert, les épreuves qui attendent l’âme du mort telles qu’elles sont révélées dans Le Livre des Morts des Anciens Egyptiens. La voix de Claudia s’est tue depuis longtemps. Un long pont musical à traverser avant qu’elle ne reprenne son chant. La même chose, mais décrite sous un autre aspect, ce qui se passe dans la tête alors que vous accomplissez votre trajet, implacable Claudia commente votre effondrement spirituel quand vous mesurez votre petitesse à la grandeur de la divinité à peine entraperçue. Ra’s retreat : retrait de Ra, l’Humanité se débrouille comme elle peut, la fin est sûre, encore lointaine, mais bientôt proche, Claudia déclame l’inénarrable, le feu dévastateur qui s’empare de vous, les loups qui font ripaille de la lune et du soleil, les guitares essaient d’être encore plus morbides, est-ce possible, alors Georg ralentit le rythme de ses peaux pour exprimer l’angoisse de cette situation finale, Claudia ne chante plus, elle  clame le désespoir des êtres vivants, une seconde d’arrêt, la voici qui murmure, sa voix est un rayon de miel qui dore les sables du désert et réchauffe les herbes souffreteuses. Ra a encore une fois vaincu la mort. Le monde renaît. Splendeur de la vie et de Ra. Marena : ( ne soyez pas déçu si vous ne comprenez pas, c’est du tchèque ! ) Marena est une fête folklorique de Tchéquie qui se déroule en avril, surnommée le dimanche de la mort, mort de l’hiver et succédant à celle-ci l’arrivée du printemps, un vieux rituel païen qui se retrouve dans de nombreux pays, une manière pour Krampot de démontrer que le mythe de l’Ouroboros a engendré de multiples rituels sous diverses latitudes selon des formes très variables. Claudia murmure sur des bruits de sabots drummiques, piétinement incessant, la voix monte et exulte, l’on sent le cercle qui se forme et la ronde qui tourne. Le serpent se mord la queue, il n’est pas mort, il a survécu, il est encore vivant, il est toujours là, nous t’avons apporté la mort, nous t’avons apporté un nouvel été. Ta-tenen : (ce coup-ci, c’est de l’Egyptien) : Taténem est le dieu qui symbolise l’émergence de la terre, le premier tertre qui s’exhausse des profondeurs de l’Océan primordial et marque ainsi l’apparition de la possibilité de la vie : même thème que le morceau précédent mais ici donné sous une forme non plus folklorique mais mythique, batterie sentencieuse, guitare grondante, la voix de Claudia acquiert la force d’une éruption volcanique. Beaucoup plus métal que doom. Mais que l’on ne reste pas béat d’admiration devant cette apparition, un jour la Terre disparaîtra une nouvelle fois. Wild hunt : Krampot réatualise le mythe d’origine germanique de la chasse sauvage. Une troupe de cavaliers condamnés à chasser sans cesse. Krampot le modernise, l’on entend des moteurs, l’on voit des catamarans, mais le principe reste le même, tuer et semer la mort, en une course tumultueuse… à l’origine ce single sorti en décembre 2020 n’était peut-être pas destiné à cet album, mais il s’y insère très bien, la mort n’étant que le passage obligé nécessaire à la renaissance de la vie. Thème idéal pour une chevauchée épique, la batterie tape des quatre fers, Claudia la cruelle mène la horde, aucune émotion lorsque l’on éventre des animaux, lorsque se lave les mains dans leurs entrailles palpitantes. Le rythme se ralentit, pourquoi se dépêcher, la chasse est faite pour durer éternellement, Georg marque le pas lourd des coursiers qui reprennent leur allure, le sang qu’évoque Claudia infuse un courage infini à leurs cavaliers maudits…

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             Contrairement à ce que l’on pourrait supposer la couve de l’album n’offre pas une reproduction classique de l’Ouroboros, le serpent qui se mord la queue. Mais un lion ailé à tête de femme, son appendice caudal terminé par une tête de serpent menaçante. La robe du lion est noire, pour appréhender la signification du dessin il est nécessaire de savoir qu’au dos de la pochette un lion à robe blanche. Les deux bêtes se font face prêtes à combattre. Andrea Klein ( la visite de son Instagram s’impose ) s’inspire visiblement des représentations égyptiennes de la déesse Sekhmet à corps de femme et tête de lion, mais elle a perverti le symbole en le transformant en lion à tête de femme. De même elle a inclus la symbolique du yin et du yang dans son dessin, le buste de la lionne noire se détache sur la blancheur rayonnante du disque solaire et celui de la lionne noire blanche sur la boule cendreuse de l’astre éteint. Ce que l’on nomme le mal et le bien sont des sous-catégories humaines morales, ils n’existent qu’en tant que principes premiers : destruction et germination. Indissociables. Chacun se nourrissant de l’autre.

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             Krampot - en langue allemande ‘’kram’’ signifie déchet, nous interprétons ce terme en tant que matière noire ou résidu rouge alchimiques - est un groupe à écouter et à méditer. Le rock ‘n’roll est une manière de penser le monde.

    Damie Chad.

    Note : la vision de l’Ouroboros proposée par Krampot est plus proche de l’enseignement des mystères d’Eleusis que d’une réflexion sur l’Eternel Retour nietzschéenne.

     

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !                                               

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    EPISODE 4 ( SUPERACTIF ) :

    20

    Il est des moments où l’on se doit de mettre un mouchoir sur sa légitime fierté, la vérité historiale m’oblige toutefois à relater que la gerbe apportée par Molossa et Molossito remporta tous les suffrages de l’assistance, lorsqu’ils la déposèrent au pied du cercueil de la pauvre Alice, cette immense fraise tagada composée de roses rouges suscita un murmure flatteur, les deux chiens se hâtèrent de venir se coucher à mes pieds, dans le silence éploré les discrets gémissements de Molissito serrèrent le cœur de l’assemblée. La couronne du SSR barrée d’un énorme Coronado d’où s’échappaient des boules noires de fumée et de colère reflétait l’état d’esprit de la petite foule amassée autour de la fosse fraîchement creusée. Les parents avaient désiré une cérémonie toute simple et rapide. La dernière poignée de terre éboulée sur le cercueil le groupe que nous formions se dispersa rapidement…

    21

    C’est arrivé à la voiture, le cœur retourné et l’esprit vide, que je m’aperçus que les deux cabotos ne nous avaient pas suivis. Nous retournâmes sur nos pas. Ils étaient assis et surveillaient les trois croquemorts qui finissaient de tasser la terre pour lui donner la forme d’une tombe. Je dus les siffler à plusieurs reprises pour qu’ils consentissent à s’en retourner avec nous. Le reste de la journée fut maussade. Le Chef fuma Coronado sur Coronado. Pas du tout comme d’habitude comme ne manqueraient pas de le remarquer à haute voix des lecteurs indélicats, tous ceux qu’il sortit du tiroir de son bureau étaient munis d’une bague noire. Pour moi je séchais lamentablement devant une page blanche. J’eus beau me torturer les méninges, je ne parvins pas à écrire un seul mot. Les chiens allongés sur le canapé ne bougèrent pas d’une oreille.

    • Agent Chad, il est vingt-trois heures, il est temps de rentrer chez nous.

    A peine le Chef eût-il prononcé ces mots que les chiens coururent à la porte en aboyant sauvagement. Y avait-il quelqu’un derrière ? Je l’ouvris brutalement le Rafalos à la main prêt à tirer. Personne. Déjà les deux bêtes descendaient les escaliers en hurlant. Nous les rejoignîmes devant la voiture. Ils étaient sagement assis sur leur derrière, lorsque je posai la main sur la poignée de la portière, ils poussèrent un long hululement le museau tourné vers la lune.

    • Agent Chad, vous roulerez tous feux éteints, quand nous aurons atteint la campagne, votre seul point de repère sera le point rouge de mon Coronado.
    • Chef, accrochez-vous, je vous jure que nous ne descendrons pas au-dessous de 180 km / heure une seule seconde.
    • Agent Chad, ne perdez pas de temps en des paroles inutiles, même les chiens ont compris !

    Les rues étaient désertes, je brûlais sereinement tous les feux rouges. Le Chef tapotait sur son Coronado pour m’inciter à accélérer encore. Un moment une voiture de police gyrophare allumé tenta de nous poursuivre mais nous la distançâmes rapidement…

    22

    J’avisai au loin un petit bois. Deux kilomètres avant j’arrêtai le moteur, la voiture s’engouffra dans un chemin vicinal, filant sur son aire elle finit par s’arrêter sans bruit sous de sombres ramures… Nous étions déjà en train de courir. Le Chef donna ses dernières consignes :

    • Agent Chad mur de droite, je prends le gauche, les cabots droit devant ! N’oubliez pas, pas de pitié, pas de quartier, à la Lou Reed, take no prisoners !

    23

    Escalader le mur de pierre du cimetière fut facile. Je progressai rapidement de tombe en tombe. Je m’allongeai dans l’ombre noire d’un cyprès. Le silence m’enveloppa. Deux longues heures s’écoulèrent. Aurions-nous fait fausse route ? Dans le lointain le murmure d’un moteur troubla la quiétude de la nuit. Plus rien. Je raffermis mon Rafalos dans la main. Un museau froid comme la mort se colla à ma joue. Molossa m’avertissait…

    24

    La grille grinça sinistrement. Des pas feutrés se rapprochaient sur le gravier.

    Un rayon de lune fort opportun dessina leurs silhouettes. J’en comptais huit, tous étaient munis d’une pelle et se dirigeaient vers la tombe d’Alice. En face de moi se dessina un point rouge. Ce fut le carnage, nous en abattîmes quatre d’une balle dans la tête les deux premières secondes. Pour les quatre suivants ce fut plus difficile. Ils s’égayèrent aux quatre coins du cimetière. Nous étions les chats, ils étaient les souris. Les chiens furent de précieux alliés, d’un aboiement bref ils nous avertissaient de l’endroit de leur présence, ils étaient armés de fusils de chasse mais se révélèrent de piètres tireurs. Nous en tirâmes trois. Droit au but, entre les deux yeux. Le dernier était invisible. Ce devait être le plus couard, une voix s’éleva :

    • Ne tirez plus, je me rends si vous me promettez la vie sauve !
    • Avance-toi dans la lumière de la lune, et jette ton arme !

    L’on entendit le bruit sourd d’une arme cognant le granit d’une tombe. Le type s’avança les mains en l’air. Deux bastos lui ratatinèrent les deux genoux, il s’affala de tout son long en gémissant

    • Vous m’aviez promis !
    • Tu es vivant de quoi te plains-tu !
    • Vous êtes des menteurs !
    • Pas du tout, on veut seulement savoir qui tu es et tes copains aussi !
    • On est les potes de l’équipe de foot d’à côté !
    • Et vous jouez au foot avec des pelles et des fusils autour de la tombe d’Alice !
    • Oui, une stupidité, on avait un peu bu, Alice on la connaissait, elle est née dans le village d’à côté, celui de ses parents…
    • Et alors ?

    Le gars avait manifestement du mal à continuer, il se plaignit de son genou gauche. C’est vrai que la fracture ouverte n’était pas belle, mais pour lui donner du courage j’écrasais de mon pied l’os qui dépassait. La mauviette s’évanouit, le Chef le ranima de deux coups de pieds dans la figure qui n’eurent pas beaucoup d’effet alors il lui écrasa son Coronado sur son œil. Le gauche. Ce traitement médicamenteux se révéla efficace. Le gars se réveilla en hurlant :

    • Je n’y vois plus rien !
    • Dépêche-toi de causer, je suis en train d’allumer un nouvel Coronado pour ton œil droit !
    • Non ! Non ! je vais tout vous dire. L’Alice on ne la voyait pas souvent, elle était belle et bêcheuse, nous l’équipe de foot elle n’est jamais venue nous voir jouer, alors ce soir…
    • Dépêche-toi !
    • Ce soir on a voulu se venger, puisqu’elle était morte, il n’y avait pas de mal. On a décidé de la déterrer et de violer son cadavre à tour de rôle ! Voilà vous savez-tout, appelez une ambulance !
    • Mieux que ça mon gars on t’a t’emmener à l’hôpital !
    • Aux urgences, vous êtes sympas !
    • Mieux qu’aux urgences mon petit !
    • Au bloc opératoire !
    • Directement à la morgue !

    J’introduisis dans sa bouche le canon de mon Rafafos et je lui fis sauter le caisson. J’y pris un grand plaisir.

    25

    Le Chef sifflotait gaiement. Perso je regrettais de ne pas avoir pu faire subir le même genre d’interrogatoire aux sept autres de cette bande de cloportes que nous avions envoyés ad patres si promptement. Nous arrivions aux portes de Paris lorsque Molossito se mit à hurler à la mort et Molossa à grogner avec rage. Je stoppais la voiture sur un feu vert, provoquant derrière nous un carambolage d’une quarantaine de véhicules, au total une quinzaine de blessés, deux ou trois morts, des dégâts collatéraux sans importance. Je me retournai et arrachai de la gueule de Molossa un petit carton blanc qu’elle tenait entre ses dents. Je le retournai. Une tête de mort dessinée à l’encre noire, sous elle deux mots : A bientôt !

    Le Chef alluma un Coronado.

    A suivre