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  • CHRONIQUES DE POURPRE 229 : KR'TNT 349 : PETER PERRETT / LED ZEPPELIN / HOBSBAWM JAZZ

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    LIVRAISON 349

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    23 / 11 / 2017

    PETER PERRETT / LED ZEPPELIN /

    HOBSBAWM JAZZ

    Perrett et le pot au lait

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Il serait illusoire de vouloir entrer dans l’univers de Peter Perrett sans passer par Nina Antonia et son livre-tabernacle, The One & Only qui fut réédité et augmenté en 2015. Comme dans la grande majorité des cas, l’œuvre et la vie de l’artiste sont indissociables. On sait que Peter Perrett aime les drogues, mais on ne sait pas à quel point. On sait qu’il aime les femmes, mais on ne sait pas non plus à quel point. Peter Perrett est l’homme de tous les excès : junk, femmes, fringues, fast cars, rock, antiquités. Il ne fréquente pas n’importe qui. Des gens comme Keith Richards, Johnny Thunders et Nick Kent entrent dans son orbite. Les chansons qu’il compose pour les Only Ones sont à l’image de l’homme : vouées à ce néant fascinant qu’on appelle le dandysme, et par conséquent, les Only Ones valent cent fois mieux que toute cette fucking new wave amputée du cerveau, de la même façon que les chansons de Syd Barrett valent cent fois mieux que celles de ses anciens collègues.

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    Le livre de Nina Antonia fonctionnerait presque comme un polar, car il y règne une certaine tension. Peter Perrett fut ce que la volaille appelle une grosse poissecaille, c’est-à-dire un gros dealer. Pourquoi travailler quand on peut se faire des montagnes de blé dans le deal ? - L’un des mes amis italiens revint de Bolivie avec un kilo de coke. C’était la première fois, on testait pour voir. On faisait cinquante cinquante, ce qui nous permettait de ré-investir. On avait un seul revendeur et on lui fourguait l’once au prix de 400 livres. On faisait un profit d’environ 700% - Peter raconte que jusqu’en 1975, il ne fumait que du hash. Il avait testé la coke, mais ça ne lui faisait pas assez d’effet. Puis il commença à consommer celle qu’il importait avec les Italiens. Elle était pure à 100% - Quand tu prends beaucoup de coke, tu bois de plus en plus et tu ne dors plus. Je buvais donc comme un trou. Puis je pris de l’héro une fois par mois, puis une fois la semaine - Peter redouble de prudence, mais la brigade des stups le harcèle. Le récit de Nina Antonia fourmille d’incidents policiers, de portes explosées au petit matin, de séances de tribunal et de nuits au trou avec ces fameuses couvertures qui sentent le vomi et qui sont bien sûr destinées à faire craquer les gens qu’on oblige à dormir avec.

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    C’est avec le deal qu’il finance son premier groupe, England’s Glory. Il baptise son groupe du nom de marque qui figure sur la boîte d’allumettes qu’il utilise pour allumer ses spliffs. Un petit label anglais réédita l’album dans les années 2000 et bien sûr, Nina Antonia signait le petit livret d’accompagnement. L’intéressant de cette affaire est qu’on voyait déjà apparaître ce qui allait caractériser le style des Only Ones, disons une certaine forme de décadentisme, notamment dans «Flowers Die», un vieux balladif fané qui, comme son nom l’indique, nous parle de dead flowers, un thème déjà bien exploré par les Stones ou encore les Saints. Avec «Weekend», Peter se rapprochait nettement de Lou Reed. On y entendait les accords de «Rock’n’Roll». Le cut ployait sous le poids des influences. «Shattered Illusions» se montrait digne des Only Ones à venir, poppy, baroque, inusité. On avait là un petit objet de curiosité finement travaillé, sans autre originalité que celle de sa propre existence. Avec «All In White», on entrait dans la décadence, le decaying side of it all chargé de toute la quintessence de fourrure mitée, de mascara périmé et de foulards en soie aux couleurs passées. Par contre, avec «In Betweens», on voyait que ça tournait un peu en rond et que ça puait la vieille ficelle de caleçon. Il fallait attendre «So Divine» pour frémir une dernière fois. Peter Pan et ses amis repompaient goulûment les accords du rigoletto nocturne de «Walk On The Wild Side», trempant leur doom de street urchin et de Jack the Lad dans une sauce indienne.

    Pour entériner l’affaire, Nina Antonia cite Timothy Leary : «Trois catégories de gens vont amener une profonde transformation dans le new age. They are the dope dealers, the rock musicians and the Underground artists and writers.» Amusée par cet éclairage prophétique, Nina ajoute : Avec Peter, on en a deux pour le prix d’un.

    C’est encore avec le deal que Peter finance le lancement des Only Ones dont personne ne veut à l’époque. Ils sont inclassables et donc invendables. Peter vient de rencontrer John Perry, Alan Mair et surtout Mike Kellie. Alan Mair ne touche pas à la dope, mais John Perry adore ça - La première année, je fréquentais Peter assidûment. We just got phenomenally stoned. The main activity at that point was coke - Ce groupe se présente comme une sorte de crème de la crème. Vu que l’argent coule à flots, Peter peut financer les heures de studio et le matériel. À cette époque, Peter dit adorer Dylan et le Velvet - Probably three quarters of the music I listened to was American - Et au plan personnel, il partage sa vie entre plusieurs muses : l’héro, Zena, Lucinda et les copines de Lucinda - Il roula un billet de cent dollars, sniffa une ligne de poudre blanche puis une ligne de poudre brune. Les lèvres de Lucinda suçaient son pénis et la langue de Jill explorait son anus. Jill qui était l’amie de Lucinda était aussi son cadeau d’anniversaire.

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    La femme de sa vie s’appelle Zena, issue d’une famille d’immigré grecs. Mais Peter aime aussi les autres femmes, et comme le lui dira plus tard Johnny Thunders, il a beaucoup de chance d’avoir rencontré Zena. Elle reste quarante ans avec lui, ça veut dire qu’elle partage les énormes risques du deal. Elle lui donne aussi deux fils, Peter Junior et Jamie, et quand les Services Sociaux britanniques lui retirent le deuxième, elle sombre elle aussi dans l’héro. Dans cette ambiance de chaos permanent, elle réussit à manager les Only Ones et dessine des fringues que copie Vivienne Westwood. Vivienne et Malcolm apprécient les «risqué designs» de Zena. Elle essaie de vendre Peter à McLaren qui cherche à monter un groupe à sensation, des «raunchy Bay City Rollers» - He wanted the Rollers, but he still wanted someone debauched looking like the New Yok Dolls, but not fucked up on drugs - Mais Peter se méfie du côté manipulateur de McLaren.

    Zena pourrait bien être le personnage central de cette wild saga, car c’est elle qui rend tout possible en acceptant l’extravagance de Peter. Cette forme d’acceptation est un modèle du genre, celui dont rêvent tous les hommes qui n’ont pas la chance de côtoyer une telle femme - Si tu aimes quelqu’un, tu ne l’obliges pas à devenir ce que tu veux qu’il devienne. Peter ne m’appartient pas. Il me disait ceci : ‘Ce n’est pas que je ne t’aime pas, au contraire, je t’aime, mais j’aime aussi une autre femme.’ Il me disait aussi qu’il aimait passer du temps avec d’autres filles. Qui étais-je pour prétendre que j’étais la seule à pouvoir le satisfaire ? Ça venait peut-être de mon éducation, mais je ne voyais rien de mal à penser qu’on pouvait aimer quelqu’un d’autre. J’étais amoureuse de Peter, mais je faisais semblant de ne pas l’être. Je ne voyais pas comment faire autrement - Une prodigieuse intelligence filtre à travers cette confession. Zena retourne le principe d’amoralité comme une peau de lapin pour en faire un précepte d’une rare puissance. Il porte un nom : la générosité.

    Danny Eccleston rend aussi hommage à Zena (qu’il appelle Xena) à sa façon : «Peter Perrett is friendly, funny, frank and guileless, but it’s his fears for Xena that make your heart most go out to him. He owes her everything.» (Peter est chaleureux, drôle, franc et naïf, mais c’est sa façon de se préoccuper de Zena qui le rend attachant. Il lui doit absolument tout).

    La première fois qu’il prend de l’héro, c’est avec Lucinda - It was the best feeling in the world. We were like naughty kids together. Zena allait se coucher et on restait au salon - C’est l’époque où ils font ménage à trois - La première fois que tu prends de l’héro, ça rend le sexe mille fois meilleur et tu crois devenir très émotionnel - Peter ne se pique pas. Il chasse le dragon, c’est-à-dire qu’il inhale la fumée d’héro qu’il chauffe sur un papier alu - J’ai toujours fait les choses à l’extrême. The way I approached drugs was by taking as much as I possibly could - si je prenais des drogues c’était à l’excès. Quand tu fumes l’héro, tu mets un quart de gramme sur un papier alu et ça met 10 à 15 minutes à monter. C’est plus lent qu’un shoot, mais on overdose plus facilement avec un shoot - Mais il finit par se piquer lors d’une tournée américaine. Une fille l’embarque chez elle à Atlanta pour un shoot et Peter chope une hépatite. Mais Peter étant Peter, ses pairs lui reconnaissent des qualités, par exemple Nick Kent : «As a drug addict, Peter was a really nice guy and that’s very rare.»

    Plus tard, Johnny emmène Peter dans le Lower East Side pour lui montrer ce qu’est le deal on wheels - Très peu de taxis acceptaient d’aller dans ce coin. Ceux qui acceptaient savaient pourquoi tu t’y rendais. Le taxi ralentissait, mais ne s’arrêtait pas, car c’était trop dangereux. Alors, des mecs arrivaient, ils couraient à côté du taxi, ils te montraient ce qu’ils avaient, et dès que tu avais filé le blé, le taxi repartait en trombe - Dans l’interview qu’on trouve à la fin du livre de Nina, Peter retrace nonchalamment son parcours : «Dans ma vie, j’ai eu 100% de réussite dans tout ce que j’ai entrepris. J’ai réussi dans le rock, et quand j’ai arrêté le rock et que je suis devenu un vrai drug addict, j’ai aussi réussi. J’ai toujours eu les meilleures drogues, je n’en ai jamais manqué, j’ai toujours été très organisé, je n’étais pas obligé d’aller chercher des doses dans la rue. I was a very privileged junkie.»

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    C’est Zena qui négocie le contrat des Only Ones avec CBS : 70,000 livres, avec 250,000 livres à venir pour dix albums. Sur le premier album des Only Ones, on trouvera une belle énormité : «The Beast». Monté sur un joli groove envoûtant, le cut s’emplit de son et lâche des vagues de pop ondoyante. C’est même joué jusqu’à la dernière goutte de son. Les Only Ones vont faire de ce genre de final éblouissant une vraie spécialité. L’autre gros cut de l’album s’appelle «City Of Fun», Mike Kellie y retrouve ses marques et muscle bien le beat. Mais les autres cuts de l’album sont très particuliers, on sent une tendance à la pop sophistiquée, une sorte de dandysme underground. Avec «Creature Of Doom», ils vont plus sur l’épique, mais c’est trop théâtral et trop valorisé par les excès de langage. Trop de mélange de genres et on finit par y perdre son latin. Un cut comme «Language Problem» semble âprement combattu, arraché de force à l’inertie, oui, ils font une sorte de pop informelle et peu décidée à en découdre. Dans Sounds, un journaliste compare Peter à Syd Barrett et à Kevin Ayers - Both parties write almost narrative lyrics that don’t follow the conventionally accepted styles.

    Malgré le contrat mirobolant, les Only Ones ne roulent pas sur l’or. Mike Kellie est habitué à la dèche - La seule indépendance économique qu’on avait était celle qu’on ramenait avec nous. Je n’ai rien récupéré de Spooky Tooth and never had two pennies to rub together - Mike explique qu’il ont touché 500 livres chacun. Le reste du blé est parti dans l’équipement. Comme il n’a pas une thune, Mike vit chez à l’époque chez les Perrett. «Je croyais dans ce groupe. Je ne pleure pas sur mon sort, mais je me souviens d’avoir vécu cette histoire comme une frustration. It wasn’t terribly fair, but life isn’t fair. You want fairness, go to hell. If you want justice, become a Christian.»

    On a jamais compris ce que venaient faire les Only Ones dans la vague punk de Londres. John Perry poussait la logique encore plus loin : il trouvait que l’anachronisme, c’était le punk-rock et non les Only Ones - We are a perfect expression of late ‘70 English rocn’n’roll and it was punk that was the oddity.

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    Even Serpents Shine sort un an plus tard et s’ouvre sur un cut purement wildien, «From Here To Eternity». Peter Perrett s’y livre à son exercice favori, celui d’une délicieuse déliquescence vocale. Puis il passe à la petite pop allègre avec «Flaming Torch» et tout le reste de l’A s’enfonce dans le non-événement. Le groupe se réveille en B avec l’excellent «Curtains For You», groove psychédélique dans la veine du «Cowboy Movie» de Croz. En ramenant son talent de batteur dans les Only Ones, Mike Kellie fait bien le lien entre les sixties et les seventies. Il appartient à la génération des Knox et des Chris Spedding qui ont su mettre un peu de plomb dans la cervelle du mouvement punk. Et dans «Someone Who Cares», Peter Perrett sonne comme un Lou Reed alangui. Selon Nina, cet album «has a certain baroque feel in common with the Doors at their most mesmerizing.» Quel drôle de compliment ! Pour Mike Kellie, l’album est un mélange de satisfaction et de déception. Selon lui, la pochette fut un cauchemar pour la maison de disques - A marketing man’s nightmare !

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    Et puis voilà le troisième et dernier album studio des Only Ones : Baby’s Got A Gun. Ils attaquent avec «The Happy Pilgrim» qui sonnerait presque comme une rumba, tellement le beat se veux joyeux et enlevé. Ils tapent dans le Diddley beat pour «Me And My Shadow». C’est de bonne guerre, après tout. On a encore de la petite pop indicatrice des penchants des Only Ones avec «Strange Mouth». Ils cherchent tellement à sophistiquer qu’ils en oublient de sceller le destin des chansons. On ne peut pas courir deux lièvres à la fois. Il semble que le laid-back soit leur vrai terrain de chasse, car «The Big Sleep» éclate au grand jour, plein de décadence mortifère. En B, on tombe sur une petite merveille intitulée «Re-Union», dotée du meilleur son psyché et joliment martelée par Mike Kellie. Le heavy doom leur sied à merveille. En matière de laid-back, ils frisent la perfection. On a là le meilleur cut des Only Ones, léger et délié, joué avec un âcre raffinement. Par contre, «My Way Out Of Here» sonne comme du Buddy Holly. Mike Kellie bat ça à la petite cavalcade d’Hopalong dans les vastes plaines du Far-West. Ils sont marrants, à vouloir faire du Buddy Holly. Mais globalement, l’album manque de punch. Alan Mair : «Je pense que les chansons de Peter devenaient trop druggy. Elles étaient trop lentes, just too drug oriented.» Comme le rappelle si bien Nina, il faut bien dire que le riche mélange de séduction, de destruction et d’addiction que proposaient les Only Ones ne pouvait pas cadrer avec les aspirations superficielles du public des années quatre-vingt. Dans la presse, on se moquait de Peter : «The last survivor of the make-up and fake leopard skin wars.»

    Alan Mair finit par ne plus pouvoir supporter le ballet funeste de Peter. Le groupe débarque à Amsterdam pour une tournée et plutôt que de préparer le concert, Peter et John Perry disparaissent pour aller faire leurs courses. Alan prévient que si Peter continue de monter sur scène complètement défoncé, il va quitter le groupe - He had been a magical bloke but that aura had gone - Pourtant, Peter tente de réagir : «Je n’aime pas que les gens nous fassent passer pour un groupe de drogués. Ça ne plait pas à ma mère. Elle m’inspecte les bras. C’est aussi très mauvais pour Alan qui ne boit même pas. Ce serait terrible qu’on se retrouve affublés de la réputation de Keith Richards, une réputation de junkie célèbre.» Mais comme l’ajoute Nina, c’est déjà trop tard.

    Les Only Ones se séparent à l’issue de leur deuxième tournée américaine. Dans le show-business, on s’est bien moqué d’eux : pendant des années, dans les séminaires, les gens de CBS citaient les Only Ones as an exemple of how no to make it in the music industry - L’art de rater une carrière. Danny Eccleston en rajoute une couche : «The band who rewrote the rules on how not to get ahead in the music business, and a singer who earned more money selling drugs than making records.»

    Pour leur quatrième album, les Only Ones avaient proposé à CBS un album de covers : «My Way Of Giving» des Small Faces (qu’on retrouve sur Remains), «Mamma You’ve Been On My Mind» de Dylan, «Gantanamera», «You Can’t Hurry Love» des Supremes, et «The Girl From Ipanema» d’Antonio Carlos Jobim. Dommage.

    John Perry revient longuement sur la personnalité de Peter : «Dans son genre, Peter était un mec unique. C’est la raison pour laquelle j’ai commencé à bosser avec lui. De toute évidence, sa voix n’allait pas plaire à tout le monde. It was a specialist taste. Tout en lui était unique : son look, le son de sa voix et les chansons qu’il écrivait.» Pour mieux situer le personnage de Peter, Nina cite Edmund White : «Le dandy remplace les traditionnelles hiérarchies de valeurs morales par des règles esthétiques qui lui sont propres.» John Perry voit chez Peter un mélange désarmant de timidité et de candeur, il voit aussi un esprit très calculateur contrebalancé par une extraordinaire naïveté - You have to look in terms of paradoxes. Mais la meilleure définition du dandysme, qui d’autre qu’un dandy comme Peter Perrett pourrait la donner : «I like to stand out, so I was fortunate at that time (1977). I like not fitting in - That’s what gives me great pleasure.» (J’aime me distinguer des autres. À cette époque (1977), j’ai eu beaucoup de chance de pouvoir le faire. Me distinguer des autres est ce qui me donne du plaisir).

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    Et pour corser encore un peu le chapitre charme discret, Peter ne fréquente pas n’importe qui. Nick Kent confie que Johnny Thunders voulait Peter comme guitariste dans son groupe - Can you imagine ? For him to abnegate his ego to that point, which shows you how much Johnny respected Peter - Oh c’est vrai, l’admiration que portait Johnny à Peter surpassait celle qu’il avait pour lui-même. Ça montre à quel point il le respectait. Peter joua dans The Living Dead, mais ce n’était pas un groupe très officiel. Et Nick Kent ajoute : «They were a good pair, but Johnny let the lifestyle corrupt him, whereas Peter didn’t. Je ne l’ai jamais vu tenter d’arnaquer quiconque, mais la dope commençait à le ralentir.» Nick Kent raconte qu’il est allé en studio avec Peter au temps des Subterraneans. Il y avait aussi Mike Kellie et Tony James de Gen X. On trouve ça sur le fameux Punk From The Underground édité par Skydog. L’amitié de Peter et de Johnny remonte au temps des Heartbreakers, évidemment. Les Only Ones et les Heartbreakers n’avaient rien de commun avec la vague punk. Comme les Stones et les Who, les Only Ones et les Heartbreakers avaient un sens des dynamiques de r&b que n’ont jamais eu les groupes de punk-rock. Leur relation d’amitié reposait sur un goût commun pour la dope, bien sûr, mais aussi sur un «mutual level of respect, attraction and affection that was unusual for either of them.» Et ce n’est pas un hasard si Peter et Mike Kellie se retrouvent sur So Alone, le premier album solo de Johnny.

    Tiens puisqu’on parle des Stones et des Who : les Only Ones seront invités à jouer en première partie des Who sur une tournée américaine, mais comme Daltrey ne peut pas les schmoquer, ils sont virés après cinq soirées au LA Sports Arena, «for failing to bond with the main band.» Quant à Keef, c’est une autre histoire. Il se disait intéressé par les Only Ones et voulait les produire - Keef was too stoned to roll. With his heavy lidded eyes, ruined teeth and Eucharist pallor, Richards had become the patron saint of white, middle-class junkies - Les Only Ones allèrent le rencontrer dans la maison qu’il louait à Donald Suntherland sur Old Church Street, à Chelsea - It was just before the Toronto bust and he was in the depth of his addiction. There was a great deal of fog to penetrate - Le projet échoua justement grâce au Toronto bust.

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    Pas mal de belles choses sur Remains paru en 1984, à commencer par la fameuse reprise des Small Faces, «My Way Of Giving». Idéal pour une rock star aussi anglaise que Peter Perrett. On a aussi «Flower Die» qui date d’England’s Glory, un cut salement atmosphérique, sans doute l’une de leurs meilleures exactions, et Mike Kellie double en fin de cut, alors ça décolle merveilleusement, d’autant que John Perry devient loquace. On a aussi un final flamboyant dans «My Rejection». Ces gens-là savent exploser une fin de cut, et c’est là où la présence d’un vétéran de toutes les guerres comme Mike Kellie se révèle déterminante.

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    Curieusement, c’est sur les albums live comme The Big Sleep enregistré en 1980, ou encore les Peel Sessions, que les Only Ones deviennent géniaux. The Big Sleep est un album absolument extraordinaire, bourré de son et de dynamiques jusque-là inconnues. «As My Wife Says» sonne tout de suite comme un classique de pop anglaise, bien claqué aux accords clairs de John Perry. En fait c’est lui, John Perry, qui fait le son du groupe, avec sa manie de faire tournoyer le son. L’«Oh Lucinda» live n’a plus rien à voir avec celui de l’album studio, c’est même le jour et la nuit, car claqué d’intro aux accords de Stonesy et bien emmené, bien dynamique et fruité à l’excès, même si Peter Perrett chante avec de la mélasse plein la bouche. Même chose avec «Language Problem», toxique et trituré par John Perry et Mike Kellie multiplie les effets de style. Sur l’album, tout est très joué, très enlevé, très touffu, très chanté. On a cette impression de densité qui n’existe pas sur leurs trois premiers albums. C’est encore plus frappant avec «The Beast», chef-d’œuvre de pop décadente et sacrément latente. C’est extraordinairement ambiancier, aux limites de l’imparable. Même l’«Another Girl» qui suit n’a rien à voir avec la version originale, tellement c’est joué vite, avec un punch terrible. Sur scène, ce groupe devient un véritable buisson ardent. C’est dingue ce qu’ils sont bons ! Ils tapent chaque fois un final éblouissant. Extraordinaire «City Of Fun», joué à l’énergie concomitante, Mike Kellie s’en donne enfin à cœur joie, il tape dans tous les coins. Tout le jus des Only Ones est là.

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    Si on aime bien les Only Ones, il faut aussi écouter Darkness & Light, la compile des BBC sessions. C’est l’un des disques qu’on emmènera sur l’île déserte, avec The Big Sleep. Quasiment tous les cuts sonnent comme des énormités cavalantes et bien sûr, toute la décadence du rock anglais rapplique au rendez-vous. On tombe très vite sur une version d’«Another Girl Another Planet» claquée au riff salace par ce dingue de John Perry. Même chose avec «The Beast» : on sent ramper le souffle nauséeux dès l’intro. C’est aussi profond et jouissif qu’un hit des Doors. Les Only Ones flirtent avec la démence. On a là l’apocalyptic side of it all, avec un final démentoïde. Voilà les Only Ones qu’il faut écouter. «Langage Problem» déborde aussi d’énergie, ils jouent ça à fond de train, emmenés par Mike la loco, ce Kellie killer de beurre. Tout aussi incroyablement tonique, voici «Miles From Nowhere», surchargé de basslines cavaleuses, chanté à la junky motion et pulsé par ce dingue de Mike Kellie. On a là l’une des meilleures équipes de popsters d’Angleterre. Ce groupe maîtrisait l’art des dynamiques fulgurantes et curieusement, on ne les retrouve sur aucun des trois albums studio. John Perry amène «From Here To Enternity» au pinacle, et ça continue comme ça avec «Prisoners», véritable slab de good time music à l’Anglaise, mais là, ça prend des couleurs et du volume ! Quelle incroyable vitalité du son, my son. John Perry boucle tous les cuts à coups de violentes dégelées impavides. Dans «The Happy Pilgrim», on l’entend mettre en valeur le chant accidenté de Peter Pan. Et Mike Kellie se bat comme un dieu affûté. Tout dégouline de jus et de son. On plonge à la suite dans «The Big Sleep» infesté de requins, avec un Perry qui bien sûr part en vrille. Le seul conseil qu’on puisse vous donner à ce stade d’effusion est d’écouter «Why Don’t You Kill Yourself». Ils y explosent le carabinage. C’est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. Ce diable d’Alan Mair fait des prodiges sur son manche de basse. Alors bien sûr, on retrouve plusieurs fois les mêmes cuts, car les sessions se succèdent les unes aux autres, mais à aucun moment on ne décroche, car dès le retour de «The Beast», on sent l’embardée, on sent l’aura de l’empereur romain, on sent la fin de règne et l’écroulement des illusions. On ne trouvera jamais ça ailleurs. Tiens, encore un coup d’Another Girl, histoire que vérifier que cette jungle sonique est toujours aussi épaisse. Alan Mair charbonne comme un dingue sur sa basse et Mike Kellie tape dans tous les coins. Il aurait fallu les enfermer, à l’époque. On a aussi un «She Says» complètement explosé du cortex. Enfin bref, ce double album est une nécessité. John Perry : «I particularly like the Peel Sessions because they reveal what the band was best at, which was playing more or less live. They were very concise, ordered sessions, recorded in an afternoon and mixed in an evening.» Nina Antonia parle de «far greater depth of emotion both vocally and musically», et même de «much more of a Perrett melodrama, complete with pushy bass runs, knock-out drums and crackling guitars.»

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    En 1996, Peter Perrett enregistrait un excellent album solo, Woke Up Sticky. On avait avec le morceau titre un merveilleux spécimen de Beautiful Song, un chef-d’œuvre mélodique qui tombait comme une bruine de lumière sur la terre. Il enchaînait avec «Nothing Worth Doing», une fantastique explosion de power-pop balayée par des vents de guitares. Aucun cut des Only Ones n’avait jamais sonné comme ça. Il poussait encore le bouchon de l’excellence avec «Falling», une sorte de descente aux enfers de la pop. Peter Pan peut devenir monstrueux si on lui donne de bonnes chansons. C’est ici le cas. Il semblait qu’avec cet album, il atteignait enfin les cimes. Il avait derrière lui un fabuleux guitariste nommé Jay Price. Il tapait aussi dans les Kinks avec «I’m Not Like Everybody Else», d’une façon tellement impeccable qu’on avait l’impression que Ray Davies avait écrit ce hit spécialement pour lui. Derrière, un bassmatic nommé Richard Vernon jouait à l’outrance de la prestance. Il nous pulsait ça au bottom line et Peter Pan réanimait la magie des sixties. On s’affolait d’entendre un disque de rock anglais aussi parfait, car tout y était : la classe, la stature, l’allure, le port et le maintien. Et ça continuait avec «Sirens», joué à l’excellence du gospel according to Peter. On avait là un cut solide, bardé de dynamiques jugulaires nappées en couches superposées, oui, un cut chargé de son et d’élan à ras la gueule du mousqueton. Oh et puis, il fallait aussi écouter attentivement «Land Of The Free». Peter y jouait le Dominatrix kinda thing, avec une décadence qui suintait par tous les pores d’attache de sa légende. Il psalmoldiait dans la pénombre, les yeux couverts de khôl.

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    Quand Danny Eccleston rencontre Peter Perrett pour parler du nouvel album, il lui demande sur quoi portent les chansons et Peter lui répond en souriant : «Mostly about death». Et il ajoute : «Seriously, the one thing that is new on the horizon is the proximity of mortality. When I was young, I was indestructible. Now I think about what it would be if my wife died.»

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    Et pouf, son nouvel album solo vient de paraître. Il s’appelle How The West Was Won et vaut son pesant d’or. Peter Pan l’attaque avec le morceau titre, une sorte de groovy cut à la Lou Reed et refait l’histoire du Far West avec les Indiens et les Mexicains qui en prennent plein la gueule, qui feel the rope, the blade, the gatling, puis c’est au tour des buffalos de passer à la casserole. Tout au long de cette infernale diatribe, Peter soigne son style de dandy décati. Avec «An Epic Story», il propose tout simplement une Beautiful Song, c’est-à-dire un grand balladif élancé. C’est sûr Sam, c’est un smash - It’s too late for repentance of sin/ Don’t worry babe - et il lance son message fatal - I’ll always be your man/ No one could love me the way you can/ If I could live my whole life again/ I’d choose you every time - Cette façon qu’il a de tartiner son every taïme ! Eh bien, avec «An Epic Story», on se retrouve une fois de plus gros Jean comme devant avec un hit planétaire sur les bras. C’est aussi beau et puissant que «L’Inaccessible Étoile» de Jacques Brel - Aimer jusqu’à la déchrirrrrure/ Aimer même bien même mal - ou «L’Hymne À L’Amour» d’Edith Piaf - Que m’importe si tu m’aimes/ Je me fous du monde entier - Peter ajoute : «Quand tu es avec quelqu’un, tu peux rire de tout et même des choses les plus cruelles de la vie. Le monde fait très peur, mais quand on est deux, c’est moins dur. Comme le dit Dylan dans Brownsville Girl, Strange how people who suffer together have stronger connections than people who are most content.» Il revient à la femme de sa vie dans «Troika» - I’ll always be a part of you - Si on veut savoir à quoi ressemble le romantisme à l’Anglaise, c’est là. Love is the drug. Mais la B est encore plus spectaculaire, car «Man Of Extremes» est un véritable coup de génie. On a là une belle pop d’action directe immédiatement accessible, classique en diable, ultra chantée, mais la distanciation du dandy - It’s a sick so-caï-ty/ Thre is no place left to hide to be free - Franchement, c’est digne du Dylan de 1966. Et ça continue avec «Sweet Endavour», une pop typique des Only Ones, très épique et secouée de belles dynamiques internes. Il nous fait ensuite la grâce de chanter un balladif intitulé «C-Voyeurger». Cet indubitable romantique n’en finit plus de bercer nos cœurs de langueurs monotones - Can’t live without the girl I love/ There’s no point living in this world when she’s gone - Et ça repart de plus belle avec «Something In My Brain», fantastique groove perrettien amené sous le boisseau - Now rock and roll is back in me/ Oh yeah - et il en profite pour glisser des petites insinuations autobiographiques : il se compare à un rat de laboratoire qui préfère le crack à la vie - He could choose life/ Or he could choose crack - Cet album fantastique se termine avec «Take Me Home», joué aux grandes eaux de la power-pop - I wish I could daïe in a hail of bullets some taïme - Avec sa diction dépravée, Peter Perrett restera l’un des plus grands chanteurs d’Angleterre. Danny Eccleston confirme tout ça à sa manière : «The headline news : Peter Perrett is back from the dead and has made an album that’s worthy of his legend.»

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    Dans Uncut, Alastair McKay dit à Peter que son nouvel album ne sonne pas comme un discours d’adieu et Peter confirme. C’est pour lui la possibilité de faire de la musique, which not many people of my age are privileged enough to expérience. Et quand McKay lui demande si c’était facile de retrouver la santé, Peter lui répond que ça revenait juste à prendre une décision - But once I make a decision, I find it very easy. Et il ajoute que lors d’un séjour récent à Berlin, il avait commandé une bière sans alcool, and my tolerance is so low, I got drunk on that. That shows how clean I am. Peter appelle son humour the gallows humour (If you’re on the gallows and the trap door is about to open then your best friend is gallows humour - c’est-à-dire l’humour du pendu, quand on a la corde au cou et que la trappe sous les pieds va s’ouvrir).

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    Il fut un temps où on ramassait encore les DVD. Le concert filmé à Shepherds Bush en 2007 valait vraiment le détour, car on y voyait apparaître un Peter Perrett arbitre des élégances, lunettes noires, grand manteau d’épouvantail, chemise à motif floral et pantalon flottant. Il attaquait un drôle de set d’une voix perçante au timbre frelaté - I’m always in the wrong place/ In the wrong time - John Perry y jouait sa dentelle et Alan Mair labourait les terres en profondeur. Ils reprenaient le «Flowers Die» qui date du temps d’England’s Glory, sur les accords de «Wild Horses». La dynamique des Only Ones se mettait alors en route et ils concluaient sur un final éblouissant. Ce concert filmé permettait de confirmer cette vieille théorie : sur scène, les Only Ones avaient le génie pop-rocky des dynamiques internes et externes. Peter enlevait son manteau et annonçait : «This is a new song, it’s called Dreamt She Could Fly». Bien sûr, le set souffrait de certaines longueurs, comme d’ailleurs les albums studio, certains cuts semblaient traîner en longueur, mais John Perry n’en finissait plus de les enluminer. Il était intéressant de noter que Peter Perrett avait alors exactement la même morphologie que Keith Richards, avec un visage taillé à la serpe, construit comme un dégradé de frange puis de nez en surplomb d’un menton sec, et ses joues étaient celles d’un crâne de catacombe. On reconnaissait le gratté d’accords d’Another Girl dès l’intro et John Perry l’ornait de son vieux phrasé glorieux. Et tout le Shepherds Bush Empire dansait. «The Beast» sonnait aussi comme au bon vieux temps, avec ses fantastiques descentes dans les soutes du blues-rock de facture classique et John Perry piquait une merveilleuse crise de solotage. Rien qu’avec ça, on pouvait considérer les Only Ones comme des Beasts de finitude, ils explosaient leur vieux boogie à la cantonade, ils montaient ça en grosse apothéose shepherdienne de Bush bash. On sentait bien sûr le puissant Spooky Tooth derrière tout ça. Eh oui, Killer Kellie n’est pas né de la dernière pluie ! On voyait même Peter gratter comme un con, il fouettait sa pauvre Télé comme s’il se fût agi du cul rebondi de Justine dans Les Infortunes De La Vertu.

    En guise d’exergue à l’épilogue du livre, Peter déclare : «Don’t believe everything you read - ne croyez pas tout ce que vous lisez.» Et il s’en explique ainsi : «À l’âge de 24 ans, je pris la décision de ne plus lire. Je voulais que toutes mes idées soient les miennes.»

    Et quand il aborde le chapitre Mike Kellie qui vient de mourir, Peter n’y va pas par quatre chemins : «Kellie was the one person who you didn’t expect to die. He used to walk up mountains and stuff, he’d go hiking.»

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    Aujourd’hui, le problème de Peter est de pouvoir respirer, comme il le confie à Hugh Gurland : «I used to smoke thirty or forty joints a day and skunk tends to be quite strong. I was still pretty useless up until I stopped smoking cigarettes and joints, which was April 8th 2011(...) I try and make the best use of my lungs that I possibly can.» Alors forcément, quand on se rend au Point Éphémère pour assister à son concert, on s’attend à le voir diminué, comme ce fut le cas pour Johnny Winter qui ne tenait plus debout, ou Andre Williams qui peinait à retrouver du souffle au deuxième cut. Va-t-il chanter assis dans une chaise roulante, avec un masque à oxygène ?

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    En réalité, cet enfoiré se porte comme un charme. Il arrive sur scène serré dans un petit costard à rayures. Il porte beau, lunettes noires, le cheveu brun et un beau sourire cadavérique aux lèvres. Il passe la bandoulière de sa Strato noire et hop, c’est parti pour une heure trente de show incroyablement intensif. Franchement c’est à ne pas croire, de voir ce mec qui se disait mourant mener le bal comme il le fit voici quarante ans. Sans même transpirer, ou si peu. Et avec une classe qui laisse rêveur. On n’avait pas revu ça depuis Ronnie Lane. Très peu de gens se pointent sur scène avec autant de grâce rock’n’roll. Il est l’une des plus brillantes incarnations du dandysme rock. Le moindre geste est une merveille d’élégance, sa voix est intacte et les chansons parfaites. Il tape dans tout et les cuts du dernier album tapent dans le mille, surtout «Something In My Brain» qui fait pas mal de ravages dans les imaginaires des fans agglutinés au pied de la petite scène. «How The West Was Won» passe comme une lettre à la poste et sa diction est telle qu’on refait l’histoire en direct avec lui. Il tire aussi «Living In My Head», «C Voyeurger» et «Take Me Home» du dernier album.

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    Sur scène, les nouveaux cuts prennent un relief particulier. Son fils Jamie joue lead et deux petites poules ramènent du Yin dans le Yan perettien. Il tape dans «The Big Sleep» et même l’excellent «Woke Up Stick». Il faut toute une vie de rock pour produire un phénomène aussi spectaculaire que Peter Perrett. C’est en le voyant qu’on comprend que tous les excès mènent à Rome. Ça va si loin qu’on ne peut même pas le plaindre, puisqu’il n’est même pas abîmé. Il enterre déjà tous les vieux punks qui vieillissent si mal.

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    Quand arrive le riff d’intro d’Another Girl lors du premier rappel, le public explose, c’est de bonne guerre. Pour entendre cette exaltante merveille qu’est «Troika», il faut attendre le second rappel, et là, franchement, on se sent au bord des larmes, car Peter pulvérise absolument tous les records de grandiloquence sentimentale classieuse. C’est là qu’on prend l’I’ll always be a part of you en pleine gueule, c’est encore autre chose que d’écouter un disque à la maison. Voilà sa force, voilà sa grandeur, voilà sa vraie nature. Sur scène, cet homme revenu de tout a l’air vraiment heureux. Il ne parvient même plus à maîtriser son sourire.

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    Signé : Cazengler, Only Âne

    Peter Perrett. Le Point Éphémère. Paris Xe. 14 novembre 2017

    England’s Glory. The First And Last. Diesel Motor Records 2005

    Only Ones. The Only Ones. CBS 1978

    Only Ones. Even Serpents Shine. CBS 1979

    Only Ones. Baby’s Got A Gun. CBS 1980

    Only Ones. Remains. Closer Records 1984

    Only Ones. The Big Sleep. Live In Europe 1980. Jungle Records 1993

    Only Ones. Darkness & Light. The Complete BBC Recordings. BBC 1996

    Peter Perrett. Woke Up Sticky. Demon Records 1996

    Peter Perrett. How The West Was Won. Domino 2017

    Nina Antonia. The One & Only Peter Perret, Homme Fatale. Thin Man Press 2015

    Danny Eccleston : Ballad Of A Thin Man. Mojo #284 - July 2017

    Hugh Gulland : Once Upon A Time In The West. Vive le Rock #46 - 2017

    Alastair McKay : How The West Was Won. Uncut #243 - August 2017

    Only Ones. Live At Shepherds Bush - 9th June 2007. DVD 2008

     

    CABALA

    LED ZEPPELIN OCCULTE

    PACÔME THIELLEMENT

    ( HOËBEKE / Octobre 2009 )

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    Dès sa préface Philippe Manoeuvre vous invite à poser vos grosses valises rock'n'roll dans le vestibule. Oui John Bonham savait vous battre les oeufs en neige mieux que quiconque, OK John Paul Jones était un arrangeur hors-norme, yes Jimmy Page était un sacré guitaro, ya Robert Plant savait feuler comme un puma agonisant, mais il ne s'agit pas de cet aspect-là des choses dont il est traité en cet opus. Le Cat Zengler le rappelait la semaine dernière dans sa chronique sur les Stooges, que pour être une espèce de showman un tantinet destroy l'Iguane, déjà à cette époque, n'était pas un abruti. L'était pourvu d'intelligence et de flair. Savait où il allait et ne partait pas à la conquête du monde avec la tête creuse.

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    Tout le monde n'est pas Sid Vicious. Encore qu'être Sid Vicious n'est pas donné à tout le monde. L'est un principe de base qui préside à l'écriture de ce livre, les gars qui ont fomenté le projet Led Zeppelin ne se sont pas lancés à l'aventure les yeux fermé. De fabuleux musiciens certes – ça aide – mais la tête pleine d'idées, même si c'est avec des instruments que l'on fait de la musique. Pacôme Thiellement part du principe que les membres de Led Zeppelin ne manquaient pas de culture. Culture rock, cela va sans dire, la liste de tous ceux qu'ils ont pillés dans le blues trahit une compétence acérée. Mais aussi, tout un acquis de connaissances, de lectures, d'observations et de réflexions diverses qui ont orienté leurs choix autant stratégiques que philosophiques. Les interviewes de Jimmy Page et de Robert Plant ne laissent planer aucun doute quant à cela. Même si à partir d'un certain point d'investigation par trop précise, ils éludent les questions et bottent rapidement en touche...

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    Vu de l'extérieur Zeppelin était une grosse machine à cash. Ramassait les liasses de billets par ballots. Mais le groupe ne mégotait pas sur la quantité et la qualité. Concerts extraordinaires, enregistrements historiaux. Une pompe à phynances qui aurait ravi le Père Ubu. Toutefois ce sont vos ennemis qui révèlent le mieux vos points faibles. Portent toujours l'attaque, là où ça fait le plus mal. Très vite pour le Led, les campagnes de déstabilisation n'ont pas manqué. Le sexe – n'avaient pas fait vœu de chasteté – les drogues – y ont succombé sans se cacher – et le rock'n'roll – particulièrement tonitruant, clinquant et déchiré chez eux, s'en vantaient, en étaient particulièrement fiers. Petite bière que tout cela, autant reprocher à un alcoolique de boire de l'alcool. S'ils s'étaient contentés de ces trois vices rédhibitoires, on leur aurait presque pardonné. Mais non, z'étaient comme Socrate, mais en pire, corrompaient la jeunesse, ébranlaient l'édifice moral de la société, mais aggravaient leur cas, attention lecteurs kr'tnteurs, retenez votre souffle – les ligues de vertu sont toutes d'accord sur ce point : z'étaient z'avant tout des zuppôts de Zatan ! L'on s'en inquiéta publiquement jusque dans les plus hautes sphères de la Maison Blanche. Arrêtez vos rires gras et de vous taper sur les cuisses. La vérité c'est que c'est la vérité vraie. Et Pacôme Thiellement prend à cœur de nous l'expliquer de long en large. Avec tout de même ce bémol d'importance, c'est que la vérité tout comme le mensonge possède plusieurs facettes, plus ou moins attrayantes, à tel point d'ailleurs qu'il peut vous arriver de les confondre...

    CIA. Non, ce n'est point un début d'accusation contre la célèbre agence américaine, pour une fois, elle n'y est pour rien. Ou alors elle l'a bien caché. C pour Celte - désolé les rockers ce n'est pas pour country, I pour India je reconnais une légère influence hippie, A pour Arabe, pas spécialement des terroristes. Simplement les influences musicales revendiquées par le Zeppe. De Bron-Y-Aur à Kashmir pour ceux qui ont la disco dans la tête. Mais pas que. Chaque musique véhicule sa culture. C'est là que les non-initiés vont décrocher. Car le savoir officiel, Le Zep il s'en moque, s'intéresse à la connaissance sacrée, à l'ésotérisme, à la gnose.

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    Thiellement aussi. C'est son dada. On le lui a beaucoup reproché lorsque le livre est paru. Il est étrange de voir combien les gens se fâchent quand on leur tend un miroir dans lequel ils ne se reconnaissent pas. Parfois je me dis que s'ils avaient lu par exemple Oscar Vladislas de Lubicz Milosz ils ne se cabreraient pas autant devant l'image de leurs ignorances. C'est sûr que Jimmy Page ne fait rien pour arrondir les angles. S'est toujours revendiqué d'Aleister Crowley. Vous ne trouverez pas plus charlatan que lui. Nous avons déjà évoqué sa figure dans KR'TNT ! Mais s'en référer à Crowley en public, c'est comme si vous improvisiez une conférence sur les bienfaits de la prostitution sacrée dans une assemblée de féministes. Les enseignements de Crowley sont incompatibles avec la raison raisonnante qui gouverne notre monde ( qui se porte si bien ). Fut un adepte de la magie ( rouge dirait Philippe Pissier ), pratiqua entre autres des rituels d'invisibilité, diaboliques et sexuels. Vous n'êtes pas obligés d'y croire. Mais dans la vie, il ne faut pas croire. Il faut savoir. Sinon, vous vous taisez. Derrière Crowley se profile en notre vieille Old England tout un monde intellectuel de haut niveau, de Lewis Carroll à Yeats, de Shelley à John Dee. Des gens qui professent des théories sociales et comportementales que Nietzsche définissait par delà le bien et le mal. C'est qu'au bout d'un certain moment, que le dieu ou le diable soient votre support cela importe peu si vous pensez chevaucher le tigre.

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    N'y a pas que les anglais, la littérature française est aussi à l'honneur, Raymond Abellio et sa Structure Absolue, et une sentence comminatoire à méditer de Jean Parvulesco. Les Italiens se taillent la part du lion avec Marsile Ficin, en profitent pour s'infiltrer à la suite du protégé des Medicis, les soufis et toutes les théories déviantes de l'Islam, la légende du douzième Iman et toute la théologie transgressive des Fidèles d'Amour, je vous fais grâce des classifications tantriques d'Inde... L'étude des textes du Dirigeable réserve bien des surprises. Page et Plant en connaissent bien plus qu'ils ne l'admettent. Ne sont pas fous, ne vous écrivent pas ce qu'ils pensent noir sur blanc. Faut savoir lire les indices. Ne faites pas comme Thiellement qui ne vous dit pas tout. Cherchez plus à fond. Par exemple penchez-vous sur le Led Zeppelin III, ne serait-ce que l'étrange roue à symbole de sa pochette ( procurez-vous un 33 tours d'époque ), Thiellement insiste beaucoup sur le IV, le disque sans nom, revient sans cesse sur cette Dame qui achète – mettez en relation avec la machine à cash – un escalator électrique pour le paradis et attendez-la lorsqu'elle redescend. Relisez en attendant, par exemple, El Desdichado de Nerval, Cela ne peut pas vous faire de mal. Que sont ces maisons sacrées de Houses of the Holly – voilà une question qu'elle est bonne – et de quels fils ( prononcez de deux manières ) est tramé le cachemire du tapis volant de Kashmir, et pourquoi Achilles Last Stands sur Presence ? Thiellement ne répond pas à toutes les questions mais il apporte des questions éclairantes. L'ouvre des portes, à vous de les franchir...

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    Cabala, ce n'est pas la Kabbale juive, mais le caballum que l'on charge de tous les acquis que l'on a ramassés ou glanés tout au long de sa vie. Nietzsche employait le terme de chameau pour désigner cet animal de bât intellectuel. C'est au lion ensuite de mettre de l'ordre, de déchiqueter de ses dents et de ses griffes tout ce qui est inutile. Peut-être alors deviendrez-cous comme les enfants blonds sur la chaussée des géants de Houses of the Holly. Mais personne ne vous oblige à grandir. Assumez vos choix. N'oubliez pas que tout maître fût-il aussi prestigieux que Led Zeppelin se doit de périr de la main de celui qui a cru en lui.

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    Ce qui est prodigieux dans Led Zeppelin – en dehors de sa musique – et nous ne sommes pas ici pour savoir si sa qualité intrinsèque dépend ou non de sa mise en situation – c'est la manière dont le groupe en tant qu'entité rock'n'roll a été pensé. Ce qui fait la différence dans le rock ce sont les quatre-vingt dix-neufs pour cent d'énergie qui doit impérativement le constituer. Mais le mystérieux un pour cent restant est tout aussi important. Un sacré multiplicateur, tout dans le dosage, manipulation commerciale, ou manipulation mentale ? Vous fait-on cracher au bassinet, ou accéder à un nouvel état de conscience ? Généralement les pourceaux d'Epicure de la consommation auditive n'entrevoient même pas la possibilité de la question. Ce livre de Pacôme Thiellement est parfait pour mettre les groins en chemin vers des nourritures d'un autre genre.

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    Esthétiquement le livre est une réussite. Intellectuellement il heurtera les sensibilités cartésiennes qui sont convaincues que deux droites de savoirs parallèles ne se croisent jamais. L'exige une faculté à s'étonner. Pourquoi par exemple, l'auteur traite-t-il en si peu de lignes L'Objekt qui prolifère sur la pochette de Presence - la jaquette de Hollydays in the Sun des Sex Pistols en est une délicieuse et imbécile parodie – alors qu'il revient systématiquement en pleine page à chaque nouveau chapitre ? Répondez en quinze pages. Vous n'êtes pas obligés. Faites ce que vous voulez.

    Damie Chad.

     

    COLLECTION ROCK & FOLK N° 4

    LED ZEPPELIN

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    Les menées souterraines du hasard ? A peine venais-je de terminer l'article précédent que dans le kiosque à journaux sur le présentoir, deux chevelures rapprochées, l'une noir corbeau, l'autre de toute blondeur léonine, m'arrachent la vue. Pas encore lu le titre que j'énonce à la grande joie du tabagiste qui en fait tinter d'aise son tiroir caisse avant même que je ne lui aie tendu l'objekt de tous les délices, une maxime définitive ''Led Zeppelin, je prends d'office !''

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    Ne se sont pas beaucoup fatigués chez Rock & Folk, n'ont pas pris la peine de pousser la rédaction à carburer sur de nouveaux articles définitifs, l'annoncent en toute honnêteté et sans honte au bas de la couve, En collaboration avec Uncut. Ont adopté un principe simple : premièrement : traduction des articles d'Uncut présentant dans l'ordre chronologique les dix disques du Zeppe, deuxièmement : les chroniques d'époque du Melody Maker qui ont précédé ou suivi la sortie des galettes à effets catatoniques, troisièmement : les interviewes principalement de Jimmy Page et de Robert Plant relatives à chacune des étapes foudroyantes du Dirigeable, quatrièmement : visite commentée de l'épave du Dirigeable foudroyé avec suivi des aventures personnelles de chacun de nos héros. Loi du boomerang, ce sont les Titans qui forgèrent la foudre de Zeus qui en furent les victimes désignées. Terrible, vous ne pouvez pas évoquer Led Zeppelin sans que les Dieux de l'Olympe ne s'en viennent sonner à la porte.

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    Apparemment les journalistes d'Uncut ne sont pas des membres clandestins de l'Ordre Trismégiste de l'Aube Dorée Reconstituée, ne s'en tiennent qu'aux faits – lieux, dates, personnes - et leurs jugements même quand ils sont des plus subjectifs quant à la valeur de tel ou tel opus ne s'écartent jamais de données purement objectivales, ne se laissent jamais tenter par des méditations erratiques dans le genre de Pacôme Thiellement. Signe que la musique du vaisseau amiral de la flotte du rock'n'roll est assez riche pour susciter de nombreuses approches. L'on peut ergoter sur l'originalité et la créativité du numéro mais pas sur son amplitude. Six heures de lecture assurée. Plus les photographies à admirer avec recueillement et attention. Un ouvrage idéal pour les jeunes générations, les Doors et Led Zeppelin restent les groupes historiaux encore écoutés et respectés par les lycéens qui connaissent tant soit peu leur musique mais point par le menu la monstrueuse saga du plus grand des dinosaurocks ayant vécu sur notre planète.

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    Lorsque Edward Gibbon intitula sa grande fresque Histoire de la Décadence et de la Chute de l'Empire Romain, il rassura par deux fois ses lecteurs. Certes l'Imperium s'était écroulé, mais cela avait pris du temps. Deux siècles avant la syncope finale, les élites s'interrogeaient sur la survie de ce pachyderme qui dépassait les mille ans d'existence. Désormais il n'y avait pas plus à s'interroger sur l'inéluctabilité future des catastrophes que sur l'imminence proximale de leur survenue. Pour le Led Zeppelin, ce fut terminé en six semaines. En vrai à la mort de John Bonham, étranglé dans son vomi – les éléments sordides sont typiquement rock and roll – les carottes étaient cuites. Ne fallut qu'un mois et demi aux trois survivants pour rédiger le communiqué final signifiant au monde entier la mort de l'aventure.

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    L'est une autre manière d'analyser les ferments décadentistes. A peine l'homme a-t-il atteint l'âge de sept ans – les biologistes l'assurent – nous ne progressons plus, nous nous renouvelons, nous nous étoffons, nous grandissons, mais les ferments mortuaires nous inclinent déjà vers notre tombe, même si les transformations de l'âge adolescent et l'éclat de notre jeunesse nous donnent l'illusion que nous suivons une voix royale de floraison infinie... qui inexorablement nous conduit au cimetière. Envisagé sous un angle similaire la trajectoire de Led Zeppelin est des plus inquiétantes. Le groupe est formé en 1968, il livre dès 1969 deux albums époustouflants, le I récapitule toute l'histoire du blues anglais en cinq morceaux, efflorescence absolue, épanouissement total. Le II fonde le heavy metal, ce n'est pas qu'il n'y a pas eu des précurseurs, un peu partout et autour d'eux, c'est qu'ils le propulsent avec une puissance inimaginable en leur temps. Le passé du blues et le futur du rock en deux disques. Personne n'avait fait ça avant eux. Et chose plus grave, personne n'est capable de le refaire. Rajoutez des tournées américaines époustouflantes, et dites-vous qu'en deux ans le Led a réalisé en ving-quatre mois ce que la plupart des bands ne réaliseront pas en vingt longues années d'approximations incertaines.

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    Déjà avec le III les choses se gâtent. Perso, je le préfère aux deux précédents. Ce n'est pas parce qu'il est meilleur, c'est parce qu'il est différent. Passons sur les fans désorientés par son côté folk. Le Led se suicide. Tout seul. Généralement les artistes subissent des contraintes, des pressions de la maison de disques, de leurs staffs à l'affût des schémas prévisionnels de vente à un accès très grand public, mais le Zeppe a fignolé ses contrats, ont imposé la liberté artistique totale, et d'eux-mêmes ils coupent court à la surenchère sonique que l'on attendait d'eux, font de la dentelle au marteau-pilon, bref ils interrompent d'eux-mêmes le processus de sur-rajeunissement phonique pléthorique incessant qu'ils avaient eux-même initié.

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    Avec le IV nous font le coup du chemin heideggerien qui s'infléchit brutalement dans la direction opposée à celle qu'il suivait. En même temps nous font remarquer que le chemin qui monte ( Black Dog ) est aussi celui qui descend ( Stairway to Heaven ) – étrange comme le paradis se trouve à la place habituelle de l'Enfer - bref le Wild and the Mild entrent en de curieuses concomitances. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et hop, nous resservent avec le V le coup du III. S'en vont habiter d'étrange maison. Houses of The Holly. Rien à voir avec la Fun House des Stooges. Z'ont mis des housses sur les canapés, vous avez peur de les salir si vous vous y allongez dessus avec votre petite amie. Une ambiance perverse et pernicieuse. Ça embaume les trafics illicites, les trucs louches, du rock'n'roll trafiqué, de la pop dégriffée, du la symbiose douteuse, du bio négatif. A peine y avez-vous goûté que vous y retournez. Poison mortel. Irrésistible.

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    Vous commencez à comprendre comment le Zeppelin fonctionne. Gonflent le ballon explosif à bloc. Puis le vident de son hydrogène, le voici tout flasque, du dur au mou, de l'érection à la débandade. Et chaque fois l'état atteint est délicieux. Evidemment le Physical Graffiti est très physique. Bodybuilding appuyé. Muscles d'acier. Pectoraux chromés. N'empêche qu'à y réfléchir la saga du Zeppelin se déroule selon un rythme déroutant. Un coup trampoline éblouissant, un coup matelas pneumatique crevé. Ne donnent jamais dans la demi-mesure. Les médecins vous déconseillent ce genre de vie. Qui cherche le bâton de chaise finit par se faire battre. Vous connaissez l'apologue de la mort lente et de la vie vive qui se battent dans un duel à mort. Donc vous savez comment cela finira.

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    Lorsque paraît en 1979 In Throught the Out Door, Bonham est rongé par l'alcool, Page par l'héroïne, Plant anesthésié par la mort subite de son fils de cinq ans, et le disque tient davantage du génie de la bricole – mais de ces étudiants doués qui vous fabriquent une bombe atomique sur leur gazinière – extrêmement prometteur, mais la disparition de Bonham stoppe tout développement ultérieur.

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    Presence paru en 1976 est le dernier véritable disque de Led Zeppelin. The Last True Record. A sa sortie le couperet est déjà tombé. Robert Plant se remet difficilement de son accident de voiture. Mon disque mascotte de Zeppelin, celui que j'emporterais sur l'île déserte du Cat Zengler. Je dois être le seul fan du combo à émettre un seul choix. L'est celui du retour aux origines. Non pas au blues, mais au rock. Le Led a déplacé le curseur du noir au blanc. Ce basculement d'intérêt n'est pas étranger aux fortes réticences de Robert Plant à la reformation du groupe. Un désaccord musical fondamental l'oppose à Jimmy Page responsable de cette évolution. Ne s'agit pas de position idéologique inébranlable, si l'on suit de près les itinéraires des deux complices, l'on voit que leurs intérêts ne cessent de se croiser, l'un se dirigeant vers la source sombre quand l'autre s'en vient s'abreuver à la pâlichonne, et vice-versa. Le dernier tiers de la revue qui se penche sur l'après Led Zeppelin de chacun des deux principaux protagonistes du Zeppe aide à une telle lecture.

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    Les réticences de Page et Plant devant l'émergence du punk sont éloquentes. Ne peuvent pas être contre, mais ne sont pas pour. Le punk est une solution trop simple. Certes, il a ringardisé leur image de super-groupe, ne sont plus à la une de l'avenir du rock, la mode a changé, le vent a tourné, mais leur condamnation est aussi le signe de leurs propres interrogations quant à la poursuite de l'évolution du rock. Led Zeppelin a épuisé une forme. L'a mené le riff à son accomplissement terminal. Ont épuisé le style. Ont développé toutes les possibilités formelles et esthétisantes de cette manière d'appréhender le rock'n'roll. Et après ?

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    Plant s'essaie à toutes les fusions ethniques. Page se replie sur le groupe. Elabore et échantillonne avec un soin scrupuleux les rééditions, une manière pour lui de préserver l'héritage et peut-être aussi de conférer un sens à sa vie et une intensité existentielle similaire à celle ressentie lors de la carrière du groupe. J'émettrais l'hypothèse que dans ses tiroirs doit traîner des bandes d'espèces de suites symphoniques guitaristiques des plus novatrices que pour de mystérieuses raisons il garde par-devers lui. L'est capable de les emmener avec lui lorsque viendra son heure de grimper les marches du staiway to heaven.

    Damie Chad.

    REBELLION

    LA RESISTANCES DES GENS ORDINAIRES

    ERIC HOBSBAWM

    ( Editions Aden )

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    Un gros livre. Cinq cent trente pages auxquelles viennent s'ajouter une trentaine de notes. L'ensemble se présente comme une suite de vingt-six articles dans leur très grande majorité déjà publiés, dans des journaux américains ou britanniques, ce qui n'est en rien d'extraordinaire puisque l'auteur, décédé en 2012, résidait en Grande-Bretagne. Marxiste convaincu, membre du Parti Communiste, il fut un écrivain engagé qui s'intéressa à l'histoire du mouvement ouvrier. Fut de toujours attiré par les marginaux, les outlaws, les déclassés, les pauvres. Sujets passionnants mais qui ne recoupent que partiellement le champ principal d'exploration kr'ntique. A part que dans ce volume pas moins de sept chapitres sont dévolus à des figures charismatiques de l'histoire du jazz ou à l'analyse de la réception de cette musique. Eric Hobsbawm n'est pas un musicologue mais ses réflexions sur le jazz envisagé sous un angle d'attaque original valent le détour. Cerise rouge sur le gâteau, nous sommes parfois en pays de connaissance puisque la France n'est pas absente de ces études.

     

    SIDNEY BECHET

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    Décapant. A quoi tient la gloire et à la célébrité ? Peut-être pas à pas grand-chose mais sûrement à un jeu de circonstances dont les bénéficiaires ne sont pas spécialement les promoteurs. Nous présente Bechet comme un personnage antipathique au possible. Rejeté d'Angleterre pour une sombre histoire de viol, mêlé à un règlement de compte avec armes à feu à Paris, doué d'une personnalité peu amène, égocentrique, radin, têtu et peu généreux. Oui mais un sacré musicien, rétorquerez vous ! Oui, un peu. Non, beaucoup. Il est indéniable que tout jeune sa virtuosité instrumentale éblouit. Armstrong et Ellington en furent témoins et nous faisons confiance à leurs jugements. Très vite Sidney quitte l'Amérique, voyage en Europe et pénètre en Russie dans les premiers temps de la Révolution. En profite pour courir les concerts de musique classique. Ce qui laisse entrevoir une certaine ouverture d'esprit. Lorsqu'il rentre aux States, n'a en rien perdu sa virtuosité, par contre en dix années le jazz a évolué. L'on se dirige vers les grandes formations savantes, les petits groupes au coin des rues ou dans les bars miteux, c'est de l'histoire ancienne. A tel point que ne trouvant pas de boulot – son sale caractère décourageant les rares admirateurs qui apprécient son jeu – il abandonne la musique pour successivement ouvrir une friperie et un garage. Mauvais gestionnaire il revient au jazz par la force des choses. Foutu, fini, radié des listes. Plus personne ne pense à lui. N'y a pas un nègre prêt à miser un dollar sur lui. Normalement l'histoire devrait s'arrêter là. Ne devraient rester que le souvenir de la demi-douzaine de faces enregistrées au tout début. Mais aux States, au dernier moment, vous avez le Septième de cavalerie qui vient vous sauver des indiens. Pas un cheval à l'horizon, mais beaucoup mieux que cela, la mauvaise conscience des intellos blancs. Ceux du cru ( qui souvent tournent autour du Parti Communiste ) et Européens, notamment, cocorico ! les français dont Hugues Panassié reste la figure emblématique... Problème pour nos intellectuels qui se convertissent au jazz davantage en tant qu'idéologues qu'en amateurs éclairés. Sont horrifiés, les grands orchestres de jazz sont en vogue, gagnent de l'argent, commencent à être connus en Europe, ces satanés noirs sont en train de s'embourgeoiser, de devenir des Oncles Tom. De quoi désespérer des pauvres qui ne pensent qu'à s'enrichir ! C'est dans leurs têtes que s'élaborent le mythe du jazz perdu, qui aurait conservé sa pureté initiale, mais où le trouver ? La réponse ne tarde pas à émerger, ni à New York, ni à Boston, ni à Philadelphie, ni à Chicago, tout simplement à l'endroit où il est né. A la New Orleans ! On se met à courir les bouges où remuent les derniers hasbeen, tout ceux qui ont conservé des relents old style sont les bienvenus. Ne sont pas de merveilleux musiciens, mais Sidney se fait connaître. Il sauve la mise de ce jazz New Orleans ossifié qui se répand comme la sclérose en plaque, aux Etats-Unis, en Europe et si bien en France qu'il ne tarde pas à s'y installer et à y jouir d'une notoriété et d'une ferveur qui ne se démentiront jamais. Un merveilleux musicien mais pas un créateur... L'article pourrait s'arrêter là mais Eric Hobsbawm ne résiste pas à une dernière méchanceté idéologique, les racines créoles de Sidney en font l'un des descendants de cette bourgeoisie semi-blanche qui s'est un temps formée dans la ville des bayous... L'on n'échappe pas à son destin de classe, on porte en soi le sang de la trahison. Expression inconsciente d'une espèce de racisme biologique à rebours qu'il ne cesse de condamner dans son article ! N'empêche que l'analyse donne à réfléchir et dénoue bien des contradictions.

    COUNT BASIE

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    Le ton change du tout au tout avec Count Basie. Un homme modeste à qui le hasard de la chance sourit. Un petit pianiste noir du New Jersey, agile de ses mains mais pas un grand musicien, qui se retrouve en carafe un jour de déveine à Kansas City. Court les boîtes, les bars et les filles. N'en demande pas plus. Mais l'est tombé dans la bonne ruche. En pleine récession il est tombé dans l'oasis. Ne mythifions pas, gagne juste tous les soirs – l'on travaille au chapeau – ce qui lui permet de survivre jusqu'au lendemain midi. Un détail qui ne trompe pas, au début de la ''célébrité'' de son ''grand'' orchestre il porte encore sans fausse honte des pantalons rapiécés. Ne soyons pas idéaliste, émerveillons-nous plutôt sur cet étrange fait que de Kansas naquirent et la populaire musique de danse et l'aventurisme musical novateur de Charlie Parker... Count sera à l'origine du premier filon. N'est pas le premier musicien de son band, donne le rythme sur son piano et sait avec un extraordinaire instinct introduire chacun de ses musiciens au moment opportun, le laisser s'exprimer et lui signifier d'arrêter juste avant qu'il ne commence à se répéter. Ne sait pas lire la musique, n'a que des bouts d'idées novatrices, mais autour de lui tout le monde, ses propres musiciens mais aussi des personnalités des formations voisines, s'empresse pour les conforter et les mettre au point. Des musiciens solidaires, et cette union se ressent dans les parties communes lorsque l'orchestre en son entier reprend un riff et lui donne un allant extraordinaire qui bouleverse et emporte le public. C'est ce dernier issu des ghettos qui imposa un répertoire imbibé des patterns blues, qu'à son arrivée à Kansas Count Basie maîtrisait mal... Deuxième as de cœur dans son jeu, c'est John Hammond qui en 1935 l'entendit dans sa voiture à la radio et qui subjugué par le jeu de son orchestre lui permit d'accéder à une audience nationale. Count Basie permit à des pointures comme Lester Young et Jimmy Rushing – un des plus grands blues shouters – d'atteindre un même niveau de célébrité.

     

    DU BLANC AU NOIR

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    Nous sommes dans les grands orchestres. De jazz noir. Toutefois une constatation s'impose, ce sont les blancs qui ont eu l'idée de ce genre de formation. C'est à San Francisco que Art G. Hickman élargit aux alentours de 1915 son sextet en rajoutant une grosse section de cuivres qui le transforma en l'un des tout premiers Big Bands de jazz, puisque spécialisé dans les musiques populaires de danse et empruntant pour cela pas mal d'éléments aux musiques noires. Paul Whiteman, qui avec Ferde Grofé, travailla à l'orchestration de Rhapsodie in Blue de Gershwin, s'essaya avec son orchestre au jazz symphonique ce qui lui apporta notoriété et reconnaissance de la part de musiciens noirs comme Miles Davis. Pour sa part Ferde Grofé reste connu dans l'histoire de la musique classique américaine pour avoir composé des suites symphoniques comme Niagara Falls, Mississippi, Grand Canyon... Cette rencontre entre sourciers noirs et défricheurs blancs éclaire l'intérêt qu'artistes d'avant-garde et musiciens classiques européens comme Cocteau et Stravinsky portèrent dès les années 20 au jazz.

    THE DUKE

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    Cet état de fait entrevu en son aspect généalogique explique les prétentions de Duke Ellington à se définir en tant que compositeur et pas en simple chef d'orchestre. Eric Hobsbawm insiste sur sa situation de fils de bonne bourgeoisie noire, le décrit comme un enfant gâté, dilettante paresseux en son oisive jeunesse, qui la trentaine advenue décida d'embrasser une carrière de musicien qui lui semblait peu accaparatrice. Nous trace un profil psychologique similaire à celui de Sidney Bechet, directif, sec, dépourvu de tact tant avec les femmes qu'avec les hommes, vindicatifs et égoïste. En contre partie il exerce un fort attrait sur tous ceux qui le croisent où sont amenés à le côtoyer tant sur le plan professionnel qu'humain. Emprunta beaucoup quant à la direction d'orchestre à Fletcher Henderson un des pionniers du big band noir et à Paul Whiteman dont les partitions symphoniques le confortaient dans l'idée que lui, the Ducke, n'était pas spécialement un musicien de jazz mais un grand musicien tout court, à inscrire dans la lignée des Beethoven... Le problème c'est que question composition c'était à chaque musicien de développer ses propres improvisations sur les simples quatre premières mesures indiquées au piano par le Maître... Savait presser le citron de ses solistes et des ses pupitres, en extrayait le jus le meilleur, les poussait jusqu'aux limites des dissonances les plus aventureuses, qui n'étaient pas sans évoquer les avancées de la musique sérieuse européenne. S'arrangeait aussi pour que les créations de ses solistes ne s'écartent point trop de la coloration de son thème initial... Reste à ne pas oublier après ce réquisitoire implacable que le grand chef est-ce celui qui fait tout tout seul, ou celui qui est capable de déléguer à ses subordonnés ! Dans ce second cas, le mythe du créateur solitaire, de l'Artiste avec un grand A majuscule souligné au feutre rouge, en prend tout de même un sacré coup... Dans les dernières pages de son article Eric Hobsbawm effectue un rétropédalage notoire, en les conditions sociales, temporelles, et économiques de sa création – Ellington n'est tout compte fait que le patron d'un big band dont le premier objectif est de ne pas ennuyer son public – il n'a pu, et même n'aurait pu, faire mieux. Le Duke, dont il s'avoue un grand admirateur, a réalisé une oeuvre populaire et collective – en tant que communiste, on le devine sensible à cet aspect – de grande qualité artistique et de forte densité culturelle.

    LE JAZZ ARRIVE EN EUROPE

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    Contrairement à ce qui viendrait à l'esprit de prime abord ce n'est ni la radio ni l'invention du disque qui facilitèrent l'arrivée du jazz en Europe mais les transatlantiques qui permirent de traverser l'océan en quelques jours. La revue musicale The Origine of the Cakewalk est visible la même année à New York et à Londres, en 1898 ! Le fox-trot arrive en Belgique en 1915 ! En 1917 des formations de jazz prennent pied sur le territoire européen. Qu'une musique populaire noire se soit infiltrée jusque dans les couches bourgeoises et intellectuelles de la société reste étonnante. A part Toulouse-Lautrec et ses représentations de danseuses du French-Cancan – musique née aux alentours de 1830 en tant qu'opposition, crypto-païenne et anti-chrétienne affirmée, à la morale officielle ré-instituée par la réaction blanche de la Restauration royaliste de 1815 – les sociétés européennes tempérées n'étaient point habituées à un tel phénomène. Il y eut des signes précurseurs, la danse de salon codifiée perdit dès la fin du dix-neuvième siècle les rigueurs de ses codifications, signe que sa pratique rituelle en tant que convention d'accès au monde aristocratique était en déclin. La fin de la grande guerre enregistra cette émergence proto-démocratique. Dès 1927, le jazz avait à Paris pignon sur rue, prôné par de larges couches de la jeunesse et de minorités intellectuelles. Le blues bénéficia aussi, surtout en Angleterre, d'un tel accueil. L'éclosion du rock'n'roll en ce pays lui en est en partie grandement redevable. De l'accueil de l'Original Dixieland Jazz Band à l'apparition des Rolling Stones au tout début des années soixante, le fil pour être invisible n'en est pas moins présent et solide. Le Melody Maker – qui fut un organe important de diffusion de la culture rocck – était dès l'année de sa création en 1926 acquis au jazz. En ces mêmes années, l'auteur estime que les amateurs de jazz ne dépassaient pas cent mille individus. Ce que l'on appelle les minorités actives. Ironie des choses le trad-jazz d'Angleterre permit par sa permanence l'éclosion du rock qui raya le jazz de la carte du monde. Cette dernière expression est bien de Hobsbawm.

    LE SWING DU PEUPLE

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    Chapitre peu musical centré sur la personnalité de John Hammond. Fils de la grande bourgeoisie blanche américaine farouchement convaincu de l'égalité des races qui par son entremise permit à de nombreux artistes noirs – Ella Fitzgerald par exemple – d'atteindre à une notoriété nationale et internationale. Mais l'on força quelque peu la main du public. La mise en œuvre du New Deala resserra les liens entre les jeunes, les noirs, les communistes, les étudiants d'extrême-gauche et les milieux folk. Les Big Bands et leur corollaire le swing furent systématiquement mis sur le devant de la scène. Le swing devint la danse populaire par excellence. Même si toute une majorité silencieuse du public aurait préféré entendre de la chanson sentimentale... Après la guerre – le fait est totalement avéré dès 1948 – les big bands sont au chômage, le public se tourne vers la country music ou la variété. Franck Sinatra est l'exemple parfait de cette nouvelle donne, il passe des grandes formations jazz à l'enregistrement de belles mélopées amoureuses. C'est le commencement de la fin pour le jazz, les big bands sans public débauchent, et les musiciens de Be Bop trop convaincus de jouer une musique élitiste entament une démarche qui mènera vingt ans plus tard sur les sentiers d'une musique savante et ennuyeuse dans laquelle la jeunesse ne se reconnaît pas. John Hammond finira sa carrière de producteur en ouvrant les portes à Bob Dylan... qui cinq ans plus tard électrifiera sa musique. Page définitivement tournée.

    LE JAZZ DEPUIS 1960

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    Jusqu'aux début des années 90. Constat sans appel, dès 1963, le rock'n'roll domine le monde musical. Les Beatles sont cités, mais en tant qu'intellectuel de haut niveau, notre auteur fait total impasse sur la première génération des rockers. Lâche du bout des lèvres Bill Haley, Chuck Berry et Elvis mais il n'est manifestement pas inscrit dans la société des Sunophiles ! Le jazz ne représente plus que 1,3 % des ventes de disques. Un peu de sa faute, la façon dont les amateurs de jazz ont insulté le rock'n'roll ( voir le méprisable exemple de Boris Vian par chez nous ) n'était pas une bonne stratégie de coexistence pacifique, les avancées du Free Jazz et de la New Thing dans l'atonalité ont découragé les auditeurs, les prises politiques souvent extrémistes de ses leaders n'a guère aidé à leurs diffusions sur les ondes institutionnelles, mais plus grave, les innovations technologiques, enregistrements et amplifications sont l'œuvre du rock'n'roll et non des jazzmen... Hobsmawm se console, une petite renaissance autour des années 80 lui donne quelque espoir, mais il reconnaît que cela ne va pas bien loin, beaucoup de musiciens qui se la jouent au lieu de jouer, un bon marché de réédition, et cette constatation de la jeunesse noire détachée du blues, qui s'adonne au rap... Un seul espoir, le jazz est une musique qui a connu tellement de mutations que peut-être bientôt, incessamment sous peu, Anne ma sœur Anne ne vois-tu rien venir ?...

    BILLIE HOLLIDAY

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    Courte notice nécrologique rédigée en 1959 à la mort de Billie Holyday. Un récapitulatif des plus réalistes de la vie de celle qu'il considère comme une artiste suprême. Le plus bel hommage se trouve dans les quelques lignes d'introduction de l'article. Il vient de John Hammond sur son lit de mort, vieil ami de l'auteur qui lui demande – il n'est jamais trop tard pour bien faire – le nom du chanteur ou du musicien qui, parmi tous ceux qu'il a lancés vers la gloire, lui est le plus cher. La réponse ne se fait pas attendre. Billie Holliday !

    Choix des plus émérites et judicieux !

    Damie Chad.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 228 : KR'TNT 348 : STOOGES / BARNY & THE RHYTHM ALL STARS / VINCE TAYLOR / FRANCOIS REICHENBACH / JOHNNY HALLYDAY / MOUSTIQUE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 348

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    16 / 11 / 2017

    STOOGES / BARNY & THE RHYTHM ALL STARS

    ROCKABILLY GENERATION / VINCE TAYLOR

    FRANCOIS REICHENBACH / JOHNNY HALLYDAY

    MOUSTIQUE

    Stoog by me - Part Two

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    Allons bon, encore un livre sur les Stooges ! On le sort de l’étagère. Il pèse une tonne, avec de la bonne vieille stoogerie à toutes les pages. On le feuillette et on le repose. On ne regarde même pas le prix. Vu le look du book, il coûte forcément une fortune. C’est vrai, Memphis Soul coûtait aussi une petite fortune, et on ne l’avait pas regretté. Oh et puis fuck it ! Allons fouiner ailleurs. Tiens, par exemple au rayon presse. Ah tous ces magazines de rock qui te tendent les bras en criant : «Prends-moi ! Prends-moi !». Quelle débauche d’images ! On se croirait devant les vitrines du quartier chaud à Amsterdam. On prend vite le large et comme le destin fait bien son boulot, on repasse devant la fameuse étagère, et hop, on met machinalement le grappin sur le book des Stooges, histoire de lester la cale du brigantin.

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    Le book s’appelle Total Chaos. Joli titre. Couverture parfaite. Quand on l’examine, deux choses frappent immédiatement. Un, la photo d’Iggy est à l’envers, le voilà accroché au plafond comme une chauve-souris. Deux, il dégage quelque chose d’à la fois cadavérique et christique. La peau sur les os, la bouche ouverte, un torse qui sort de l’ombre comme s’il ressortait vivant d’une tombe, un collier de chien remplace la couronne d’épines, ceci est mon sang, kiss my blood, par le sacrifice de mon corps, je rachète cash tous vos péchés, ceci est ma dope, I’ve been dirt, mais comme on est à Detroit et non en Palestine, Iggy s’empresse d’ajouter I don’t care, c’est-à-dire qu’il s’accorde un passe-droit, l’accès direct à l’amoralité, l’état de l’homme sans qualité, bien avant Robert Musil et tout le bordel des religions, bien avant que ne plane sur les cervelles en surchauffe l’ombre de Mircea Eliade, et on se prend à rêver d’une église moderne, avec ce livre posé debout sur l’autel et l’immense foule du dimanche matin qui psalmodierait «No fun, my babe no fun», à la suite de quoi le prêtre lancerait d’une voix forte et douce : «No fun to be alone», alors la foule répondrait «Walking all by myself», et le prêtre lèverait les bras au ciel puis il relancerait la ferveur des fidèles en clamant une nouvelle fois «No fun to be alone», et bien sûr, la foule ferait trembler les colonnes de la nef en tonnant «In love with nobody else !».

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    Dans sa préface, Jeff Gold nous explique qu’il a rassemblé 100 docs des Stooges et qu’il est allé voir Iggy chez lui à Miami. Car à la différence des autres livres consacrés aux Stooges, c’est Iggy qui mène le bal de celui-ci, et comme il fait partie des hommes les plus intelligents de cette terre, on entre un peu dans ce livre comme Fernandel dans la Caverne d’Ali-Baba. C’est bardé de citations de choc. Iggy s’exprime comme un messie : «Je ne voulais pas faire un break total avec la musique d’alors, je ne voulais pas me faire passer pour un musicien, je voulais seulement faire quelque chose de complètement nouveau. Comment ? The answer is it was done with drugs, attitude, youth, and a record collection.» On a là une définition parfaite du rock qu’on aime bien.

    On passe les épisodes Iguanas et Prime Movers qu’Iggy drum drum boy commente dans le détail - il se montre effarant de précision - et on finit par tomber sur la genèse des Stooges. Iggy raconte que Scott Asheton le harcelait pour qu’il lui apprenne à jouer de la batterie - He was just a beautiful kid who looked athletic and would stare at me and say ‘Would you teach me to play some drums ?’ - Iggy va répéter chez les frères Asheton. Il doit commencer par les réveiller, car ils ne se lèvent pas de bonne heure, puis il leur fait fumer un joint, car les frères Asheton ne répètent pas s’ils ne sont pas stoned. Alors voilà les early Stooges : Ron (bass), Scott (drums) et Iggy (keyboard). Ça donne Iggy + Ron the weird guy + Scott de stoned punk - That’s very accurate - Et puis Iggy comprend que Ron doit jouer de la guitare, et non de la basse. Et tout part de là, pendant une répète informelle - Ron jouait un riff hendrixien, bam bam, baa, de, doot-doot, daa, de, doot-doot, doo, exactly how it went - et Iggy se met à danser comme un Chiricahua, à faire le con. Le plus tordant de cette histoire, c’est la remarque de John Cale qui produit leur premier album. Il lance à Iggy : «They don’t play good unless you jump around», alors Iggy saute partout dans le studio pendant que les trois autres Stooges enregistrent les cuts de leur premier album. Iggy fait les voix dans un deuxième temps. Ça s’appelle la naissance d’un mythe. Dans une histoire comme celle des Stooges, le moindre détail revêt une importance considérable.

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    Les Stooges ? Au tout début, Ron n’y croit pas trop. Quant à Scott, il ne dit rien. Ni oui, ni non - He was always ready to drum if you could get him out of bed - Par contre, Iggy n’en finit plus d’y croire - We can do this ! - Il devient la loco des Stooges. Et paf ça part ! On tombe soudain sur une photo des Stooges dressés dans un champ de maïs. Double page. Direct en pleine poire. Iggy commente l’image en disant que les Stooges ressemblent à Nirvana, sauf que c’est en 1968, it’s the whole ethic, and not just the clothes but the whole attitude you know ? And the music - the music, the Asheton brothers - those two wonderful people lived their whole lives in a trance - Iggy fait l’apologie de la transe, bande-son de l’amoralité.

    Il brosse un stupéfiant portrait de Dave Alexander, ce petit mec qui souffre de problèmes de peau, qui boit parce qu’il n’arrive pas à baiser une seule gonzesse à cause de sa mauvaise peau, un petit mec qui adore Love, alors que Ron ne jure que par Jimi Hendrix et les Pretty Things - You could really hear that in the bass playing on Raw Power - Iggy ajoute que John Stax did wonderful walking bass lines. Iggy leur fait aussi écouter le Velvet, évidemment. Ils adorent aussi Stones, bien sûr. Plus tard, Scott ira plus sur Funkadelic, des blacks qui sont aussi à Detroit, ils les connaissent bien. De son côté, Iggy raffole de Jim Morrison et des Doors, et du MC5. Mais surtout de James Brown : il entend un jour «Papa’s Got A Brand New Bag» à la radio - Holy shit what the fuck is this ? - c’est ce qu’il veut faire dans Fun House - A little bit urban blues but a lot of James Brown in there - Et quand Iggy voit Jim Morrison faire n’importe quoi sur scène and still look great doing it, il comprend que ce type de bordel est à sa portée.

    Toutes les légendes se construisent à partir de menues broutilles, que ce soit en Palestine ou a Detroit, et les concours de circonstances historico-sociologiques font le reste du boulot. Tu marches dans le désert et tu wanna be your dog, tu marches sur l’eau et tu call mom on the telephone, tu reviens d’entre les morts et tu don’t care, tu portes le poids du monde et tu gonna have a real cool time, tout est dans tout, rien n’est dans rien, ainsi va cette vie dont nous ne savons finalement pas grand chose et qui va s’achever avant même que nous ayons compris quoi que ce soit. À peine le temps de danser le jerk des Stooges, et on replonge dans le néant dont on vient.

    Pourvu qu’on ait le temps de finir la lecture de ce livre palpitant ! On a beau connaître l’histoire par cœur, on s’y replonge, car Iggy parle et son timbre résonne. On l’a souvent dit ici et là, c’est le meilleur pote qu’on ait jamais eu, le seul en qui on peut avoir une totale confiance. Pas besoin de l’avoir rencontré. Sa seule présence suffit. Pourvu qu’il tienne encore un peu. On se souvient du départ de Gainsbarre. Celui d’Iggy serait encore plus douloureux.

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    Voilà que les Stooges entrent dans le godlike corporate world du show-business : Danny Fields les repère et les recommande à Jac Holzman d’Elektra qui se déplace en personne pour venir écouter trois chansons. Tope-là ! Il signe le groupe pour 5.000 $, et profite de son séjour à Detroit pour signer en plus le MC5 (15.000 $). Fabuleuse anecdote d’achats en gros. Sacré Jac, il fait une bonne affaire, à ce prix-là. Iggy trouve Jac intelligent, alors ça se passe bien. Les Stooges ont du blé, ils trouvent une bicoque sur Packard Road et la baptisent The Stooges Manor, ou Fun House, c’est comme on veut. Et paf, Ron comes up with two riffs that you could start staking a career on. I knew that at the time when I heard «Dog» and «Fun» - Oui, c’est Ron qui s’y colle, car Iggy est trop camé. Ron sort les deux riffs clés des Stooges, ceux de Wanna Be Your Dog et No Fun. Tout va ensuite très vite. Les voilà à New York en studio pour enregistrer leur premier album. Iggy profite de l’occasion pour rappeler qu’il règne une ambiance stoogy dans le studio : John Cale porte une cape de Dracula et Nico tricote - And the two of them it was really like the Munsters - Ça ne te rappelle rien ? Oui, c’est la même histoire que celle de l’enregistrement du premier album des Cramps à Memphis, dont se souvient Tav Falco - The Cramps approached studio recording as if it were a wild live show. Their antics in the studio were astonishing (Les Cramps jouaient en studio comme ils jouaient sur scène, avec la même sauvagerie. Les séances d’enregistrement furent spectaculaires) - Iggy précise un point fondamental : on fait un meilleur album avec un producteur qui est une personnalité plutôt qu’avec un technicien. Parmi les applications de ce théorème, on trouve Andy Warhol (Velvet), Nick Lowe (Damned), David Bowie (Lust For Life et The Idiot) et bien sûr Jim Dickinson.

    Alors forcément, quand on traîne du côté de la Palestine, on finit par tomber sur les pharaons. Quand il ne répète pas, Iggy va fouiner dans les livres d’art de la bibliothèque du coin. Le look des pharaons le fascine - The paraohs with no shirts and I thought ‘It just looks so classic !’ - Et pouf, le voilà torse nu sur scène. Il faut savoir se donner les moyens de sa stoogerie. Mais Iggy connaît aussi le Living Theatre, Nam June Park et John Cage, il est loin d’être l’abruti que l’on croit. Il sent germer les idées en lui, il sait qu’il va bientôt marcher sur les mains des fidèles. Ses apôtres Saint-Ron, Saint-Dave et Saint-Scott se gavent de came. Les Stooges écument les États-Unis d’Amérique et dix ans après Elvis, ils rallument tous les brasiers et réinventent le rock.

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    L’histoire s’emballe. Ils enregistrent Fun House à Los Angeles avec Don Galucci, et donc ils tournent, tournent, tournent, ils deviennent énormes - We were shit hot - Iggy prend de tout, coke, speed, LSD, héro - I would use that heroin to calm me down - et il devient accro - I became a complete drug maniac on and off from late 1970 through the end of ‘74 - et quand Saint-Dave commence à merdouiller sur scène, Iggy le vire comme un malpropre. C’est là que l’alchimie des Stooges se casse la gueule dans les escaliers - When you change a thing in a group like that, it destabilizes everything - Joe Strummer disait exactement la même chose après avoir viré Topper Headon. Les Stooges entament leur déclin, alors qu’ils sont partout dans la presse. Iggy tente de colmater les fuites dans la cale, il engage le dark Williamson, ce sale mec qu’on voit dans une spectaculaire photo des Stooges, assis par terre en slibard noir et en bottes. Il est encore plus stoogy qu’Iggy. Il a même une hépatite A - I’m sick man, don’t bother me - Iggy ne l’aime pas, mais Williamson lui montre des riffs, comme celui de «Penetration» - It had this moody violent vibe - Qu’en pense Iggy ? Ça lui va - We have syncopation a la Fun House, but more sophisticated - Iggy tente de sauver les Stooges car il sait qu’il a le meilleur groupe de rock d’Amérique.

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    Alors direction l’Angleterre. Iggy et ce Williamson, un vautour qui déteste tout et tout le monde, Bowie, les Anglais, tout - Is James malovelent ? I think so - Iggy le sait malveillant. Pas d’auditions à Londres comme on l’a raconté partout, à l’époque, Williamson propose d’appeler Saint-Scott. Iggy rétorque : Saint-Scott ne vient pas sans Saint-Ron. Bon alors okay. Oh la belle ambiance ! - Ron hated me and hated James, but not openly. Scott hated James and hated Ron sometimes in like a brotherly way - Et voilà que le street walking cheetah with a heart full of napalm écume Hyde Park, Iggy porte ces silver-leather pants et ce blouson Cheetah acheté au Kensington Market et il marche, marche, marche pour travailler ses idées - So that was the idea and the I’d always liked the song ‘Heart Full Of Soul’ by the Yardbirds - Et il n’en finit plus d’aimer la vie, le lust de la vie - I actually enjoy food, sex, intoxication, travel and freedom - Et tous ses ennuis, ajoute-t-il, viennent justement de ce mighty lust for life - Which is what I sing about - Il fait de cette fantastique amoralité un fonds de commerce, mais attention, c’est un fonds de commerce stoogien, unique au monde. La cohérence de son goût pour l’amoralité peut faire peur, mais il finit par l’imposer, aussi vrai que le diable règne sur cette terre et que les Stooges sonnent comme la plus grande preuve de l’existence d’un dieu des drogues, on appelle ça le Raw Power, et la presse saute dans le train en marche et s’empresse de titrer «Punk messiah of the teenage wasteland», pas mal, n’est-ce pas ? Mais les Stooges vont mourir - too much drugs, the end of it all - avant de renaître glorieusement. Alors, partout dans le monde, les foules vont aller se prosterner aux pieds des Stooges revenus d’entre les morts.

    Signé : Cazengler, Stoobidoo bidoo bidoo ahh

    Jeff Gold. Total Chaos. The Story Of The Stooges/As Told By Iggy Pop. Third Man Books 2016

    Encore une chose : quand on pose la question à Iggy : «Que doit-on retenir de l’histoire des Stooges ?», il répond ceci qui est le mot de la fin : «Well, I think it’s the eyes of a kid looking at the world» (C’est le regard d’un gamin sur le monde). «That’s what I would say. The feel of the group emanates from looking at everything from a childish perspective» (L’essence du groupe émane d’une vision enfantine du monde). «That’s what I would say. There are good things and bad things to come from that.»

    11 / 11 / 2017TROYES

    LE 3 B

    BARNY & THE RHYTHM ALL STARS

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    Paris-Troyes d'une seule traite. J'arrive juste à temps pour la balance de Barny & The Rhythm All Stars. Sont tatillons les gars, ne laissent rien au hasard. Démarrent au quart de tour, splendide sans se forcer, mais chinoisent, coupent les pousses de bambou en quatre comme Lao-Tseu sur le sentier infinitésimal du Tao, apparemment une mesure en rupture de ban dont l'absence ne se profile guère dans mon oreille. Ce qui est marrant c'est qu'ils semblent y prendre un plaisir fou. Ce qui est précis est précieux affirmait Paul Valéry, certes mais pour les rockers c'est encore mieux quand s'y mêle une pointe de sauvagerie... En tout cas, un excellent hors d'œuvre avant le concert, eux ils auront en prime la raclette que dame Béatrice leur a mitonnée...

    CONCERT

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    Pour des sauvages, commencent doucement, Barny collé au fond devant le rideau noir – une nouveauté – immobile, et le band qui entre sans se presser dans le riff de Claude Placet, monte systématiquement d'un demi-cran toutes les cinq secondes, avec cette régularité inquiétante de l'océan imperturbable qui grignote peu à peu les îlots sableux du Pacifique, mais eux ils vont plus vite, sont patients mais point trop, et dès avant la submersion finale, Barny surgit devant le micro, jeune et sauvage. L'est beau Barny, avec ses yeux noirs pleins de fougue et de gravité, la bandoulière de sa guitare à son nom incrusté de perles, et sa voix de foudre qui se pose en gerbe de feu tel l'alcyon sur les eaux tempétueuses. N'a pas fini son deuxième morceau que déjà une corde désemparée vole au vent. Rien de grave. N'en continue pas moins de frapper son instrument avec cette hargne méthodique et enivrante des outlaws qui mettent le feu à la prairie juste pour précipiter les cavalcades des tribus indiennes. Nous refera le même coup au troisième set, mais ne prendra même pas la peine de changer d'instrument, pas de souci à se faire avec les trois autres pistoleros à ses côtés.

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    Fred est à la contrebasse. Tout contre. L'est droit comme un I, cheveux peignés en arrière, l'a le look de ces serveurs de casino stylés dans les films d'espionnages, de ceux qui vous ramassent sur les tapis verts d'un coup élégant de raclette des milliers de dollars avec cette indifférence dégoûtée des philosophes revenus de toutes les turpitudes humaines, et qui se révèlent dès la première scène d'action la plus fine gâchette de la pellicule. Le croupier est amateur de belle croupe. Connaît la valeur des jetons ronds et des féminines rondeurs. Tient sa big mama fermement, dans sa jupe de bois cirée comme un cercueil, debout, plantée comme un arbre raide comme la justice, balancier immobile, axis mundi de la régularité temporelle. Visage imperturbable et main infiniment baladeuse sur le corsage du cordage. A peine la penche-t-il légèrement que sa volute vous surplombe comme tête menaçante de drakkar effilé qui remonte les fleuves à la recherche d'un village à piller et à incendier. Le rockab est une musique de prédateurs. La contrebasse est tour à tour moutonnement régulier des vagues, ou mouette rieuse qui rase les flots déchainées ivre de vent et de tempêté, la blanche Leucothéa qui s'en vient porter secours à Ulysse sur son radeau disloqué par les coups de boutoirs des lames neptuniennes. Ingratitude humaine, le contrebassiste semble suivre le mouvement, rameur obstiné rivé à son banc de nage, mais lorsque le guépard rockabillien se met en chasse, faut un doigté clitoridien pour épouser les félinités des successives cambrures de son échine, frôlements de velours quasi inaudibles dans les moments d'approches, lentes traînées insidieuses pour les reptations nécessaires aux positions d'affûts, staccati démultipliés pour les fulgurances de l'assaut ; slaps brutaux pour les morsures sanglantes des résolutions finales. Fred, l'impeccable imperturbable, suscite traduit et dessine de ses doigts agiles les scènes technicoloresques de nos imaginations les plus vives. Souligne les contours et avive la couleur amarante des flammes du rockab.

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    Stephane est à la batterie. J'avoue avoir été distrait lorsque Barny nous l'a présenté pour expliquer sa présence – une ravissante bout de chou de trois ans s'étant glissée tout devant la scène à mes mes côtés, Barny s'est d'ailleurs précipité, tombé à genoux pour lui permettre de gratouiller sa guitare – tranquille, pas inquiet, prend soin de vérifier sur sa set-list le prochain titre que Claude ou Barny lui annoncent, et il démarre aussitôt comme s'il accomplissait une formalité. C'est qu'avec les numéros de haute-voltige effectués par les deux trapézistes l'a intérêt à renvoyer le trapèze au dixième de seconde prêt. N'a pas droit à l'erreur. Alors il n'en fait pas. L'a une technique que je qualifierai de couvre-feu, s'agit de modérer brutalement les envolées à coups de cymbales comme si vous tentiez de regrouper les braises éparpillées dans la cheminée à mains nues. Pour mieux laisser s'échapper les flammes, plus hautes, plus vives, plus brûlantes, dès que le morceau en cours nécessite une de ces soudaines bouffées d'énergie dont en les violentes survenues réside l'essence du rockab. D'autant plus remarquable que parfois il improvise, résout les problèmes à la vitesse des ordinateurs qui vous posent les satellites en orbite avec cette tranquille assurance avec laquelle vous remplissez votre verre de liqueur ambrée.

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    Claude est à la lead. Ou plutôt la lead est enchaînée à Claude comme l'esclave soumise à son maître. L'en fait ce qu'il en veut. Une facilité déconcertante. Ne le citez pas en exemple à un guitariste débutant. L'aurait l'impression qu'en un peu moins de trois heures il maîtrisera facilement cet instrument rudimentaire. Vous passe les riffs les plus sauvages avec le tour de main inimitable de Tante Agathe qui repasse votre chemise. Sourire débonnaire et doigts incendiaires. L'air innocent du promeneur distrait qui sort de la pinède en flammes tout étonné des trois cents pompiers appelés en renfort pour éteindre l'incendie qu'il s'est fait un plaisir d'allumer, just for fun. Vous déclenche une catastrophe sonore chaque fois qu'il touche de son onglet une corde. Une espèce de tumulte sonique qui vous emporte au septième ciel, z'avez l'impression de voir Dieu en personne et des anges qui caressent le luth de sainte-Cécile pour en extraire des riffs de fou, mais non, ce n'est que Claude qui médite sereinement l'endroit exactement adéquat où il faut frapper la corde pour qu'elle se détende et libère une note dont l'intensité égalera la morsure du mamba noir ulcéré d'avoir été dérangé dans sa sieste.

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    On a passé l'équipage en revue. Reste le capitaine. Le plus jeune, le plus audacieux. D'abord la voix. Ou plutôt l'art de la poser. Où il faut. Quand il faut. Comme il faut. Avec en plus cette impression de n'agir que dans l'urgence, de s'en débarrasser à toute vitesse, d'avoir commencé trop tard et fini trop tôt, ou de la jeter avec cette désinvolture de grand seigneur comme des pièces de monnaie pour que le personnel s'amuse, du grand art, quoiqu'il fasse la constatation s'impose, c'était là et ainsi qu'il fallait faire. Barny a l'instinct du rockab, l'est habité par, possédé, l'est des moments où il ne s' appartient plus, des montées foudroyantes de speed-stress, n'est plus lui-même mais n'est pas un autre non plus, l'est simplement la musique qu'il est en train d'exsuder de son corps comme de son intimité la plus profonde, n'en voulons pour preuve que cette interprétation démentielle de Run Away dédié à son père Carl, faut dire que derrière les matelots ont hissé la voilure et que le combo file comme l'ouragan, surtout Stéphane avec ses reprises de batteries, ses trois coups de feu qui relancent la bordée de mitraille, un long morceau qui vous conte la libération de l'esprit qui s'envole à la rencontre de l'âme du monde, le cheval noir de l'attelage platonicien a pris le contrôle sur le blanc et vous conduit en une course folle dans l'excessivité exaltante du soleil, un des plus beaux moments que j'ai vécus, un instant d'infinitude folle, une intensité de toute beauté, jamais égalée, l'on ne sort pas indemne d'une telle interprétation, Barny se retire derrière le rideau noir, tel le roi lézard de Jim Morrison dans sa tente à la fin de la cérémonie, laissant l'orchestre improviser un instrumental.

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    Revient pour le troisième set. Comme si de rien n'était. Et l'on peut admirer sa prestance. Certes l'espace du 3 B ne permet pas de grands mouvements mais il nous régalera de ces poses stupéfiantes, instantanés de guitare bloquée en des immobilités hiératiques, morceaux à l'arrache et à l'emporte pièce qui vous dégoupillent la grenade du cerveau. Il se fait tard, la soirée se termine sur deux morceaux époustouflants de hargne rockab.

    Un des plus beaux concerts du 3 B ( et d'ailleurs) chargé d'une émotion à couper au cran d'arrêt.

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    Merci à Barny, au Rhythm All Stars, et à dame Béatrice.

    Damie Chad.

     ( Photos : FB : Fabien Hubert DjRocking Cats )

    YOUNG ' N' WILD

    Wild Records ( USA ) / 2016

     

    Barny Rodrigues Da Silva :vocals, acoustic guitar, / Claude Placet : electric guitar / Fred Bonifacio : upright bass / Pedro Pena : drums.

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    Belle pochette cartonnée avec à l'intérieur des mots simples et percutants qui marquent le passage de témoin de Carl à Barny, du père au fils, l'héritage pleinement relevé et assumé, car le wild rockabilly ne saurait mourir. Tant qu'il subsistera des amateurs pour perpétuer la légende et entretenir la flamme dévorante. Jusqu'à ce qu'elle nous ait tous consummés et qu'il ne reste personne pour s'intéresser à ces cendres froides d'un monde évanoui. Qui fut et qui aura été nôtre.

     

    Run away : l'adieu et l'hommage à Carl, parti trop tôt selon nous, mais selon la destinée qu'il s'est choisie en homme libre. Cordes acoustiques et la voix qui monte et s'interroge, l'élan d'une flamme que le vent couche mais n'éteint pas, se redresse et reprend de plus belle sur cette brève charge de tambour ulcérée, montagnes russes de la douleur et de l'acceptation, les chevaux les plus libres et les plus fous courent d'infinis galops dans les pâturages hauturiers. Magnifique. Une Partenza digne de Viélé-Griffin. Not ready : une deuxième composition de Barny, tous les ingrédients du rockab réunis et réussis, une guitare insistante, une basse grondante et une batterie impitoyable, une voix qui s'impose d'office, naturellement. Bluffant, déconcertant de facilité. I got the bull by the horns : faut toujours chercher la cocarde d'honneur entre les cornes du taureau. Si possible, un vieux vicieux qui a fait ses preuves, c'est ainsi que la jeunesse n'attend pas le nombre des années, Barny et ses stars vous massacrent ce redoutable bison de Johnny Horton de fort belle manière, une danse de scalp indienne comme l'on n'en fait que trop rarement dans nos contrées. I got the river : remettent tout de suite le couvert, un peu plus fort, un peu plus sauvage, la guitare de Claude s'électrifie comme une ligne à haute tension. Barny tient ferme sur la vache folle du rodéo et son vocal qui vous arrache des touffes d'herbes aussi grosses que des balles de foins. Help me to find out : ne s'agit pas de foncer comme une brute, faut encore oser au coeur des tempêtes le détachement moqueur et la voix qui s'amuse, sans oublier que derrière les intruments sont comme le lait sur le feu qui n'attendent qu'un moment d'inattention pour déborder et envahir le monde. Crazy beat : des partisans de la montée continue, vous voulez du sauvage, en voici, en voilà, à profusion, c'est à qui ira le plus vite, la voix ou la musique, passent la ligne d'arrivée à fond en oubliant de s'arrêter. Vous renversent la tribune d'honneur et s'adjugent la coupe d'or promise par les Dieux. Mary Sue : Vous croyiez avoir touché le paroxysme, eh ben non, vous font valser le jupon de la petite Mary par dessus les moulins de Don Quichotte. Vous lui essorent le sexe d'une bien belle manière. Je n'en dirai pas plus mais n'en pense pas moins. Vu les cris, ce doit être particulièrement voluptueux. I don't want to be like you : la voix traîne un peu sur la rythmique endiablée, la guitare en profite pour vous passer un riff dans les replis accordéonesques d'un reptile qui étire ses méandres venimeux. Au point où vous en êtes un peu plus de folie ne peut que vous rendre plus sage. Il faut soigner le mal par le mal. Brutale thérapie. Mais vous file la forme. Mad man : la deuxième et dernière reprise du disque, de Jimmy Wages, le pionnier improbable, l'a connu Elvis à Tupelo, l'a enregistré chez Sun avec Jerry Lee au clavier et Charlie Rich à la guitare. N'a rien vu sortir. Un peu trop sauvage, un peu en dehors des canons – lui qui pourtant tirait à boulets rouges. Plus qu'un symbole, un parti pris. L'enregistrent avec la folie nécessaire. Commencent comme en sourdine et finissent collés au plafond. Crazy about you : tant qu'à être fous, soyons-le jusqu'au bout. Barny traîne exprès sur les syllabes, broute à Charlie Feathers, la vie et l'amour ne sont qu'un jeu de jupe et de dupe. Ce n'est pas pour cela que l'on ne va plus s'amuser. Oh mama : du riff et de la voix. Pas besoin d'ajouter de la persillade sur la lave du volcan qui brûle votre maison. La basse de Fred halète comme un chien qui a couru après tous les chats du quartier, et la batterie de Pedro vous hache le filet de boeuf en purée mousseline. Young and wild : une promesse, un engagement. Tous les deux tenus. Démarrage tout en douceur, mais très vite Barny allume l'incendie, ce sont toujours les pyromanes qui s'égosillent le mieux pour appeler les pompiers. Le plaisir du vice. D'être jeune et sauvage. Dans sa tête. C'est là l'essentiel.

     

    Je me répète : un disque essentiel.

     

    I GOT THE RIVER / OH MAMMA

    ( RIP CARL )

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    Wild 57.

    Je le cite pour mémoire. Les deux morceaux sont sur le CD. Ce quarante cinq tours sorti quelques mois après la disparition de Carl avait fait le buzz dans le milieu rockab. C'était trop beau, trop inespéré pour être vrai.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

     

    ROCKABILLY GENERATION N°3

    Novembre – Décembre 2017

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    L'art de la revue est difficile et de longue haleine, tient en même temps du marathon et du cent mètres haies. Faut tenir la distance et paraître à allure métronomique. Sergio Kazh et son équipe ont décidément adopté le bon tempo, celui de la parution régulière et de l'intérêt accru à chaque numéro. Avant d'être une mine d'informations Rockabilly Generation est un bel objet, se feuillette par plaisir, typographie aérée, superbes photos, papier glacé. Plaisir de voir, désir de toucher sont au fondement de l'esthétique et de l'érotique de l'art de la revue. Pin up rockabilly !

    Ce numéro trois nous permet de voyager en Europe, compte-rendu du festival Get Rhythm Go Wild d'Ebelsbach en Allemagne et visite chez Rick & Ruby de The Tinstars, en Hollande. Toute la différence entre un reportage et l'accueil chaleureux dans une maison d'amis. L'on se sent bien, comme chez soi, dans ces pages, une conversation à bâtons rompus mais menée fort intelligemment qui se révèle pleine d'enseignements, Rick donne l'impression d'un guerrier rockabilly qui a atteint la maîtrise absolue de la zénitude. Grand article sur Hot Slap de Rouen qui retrace son histoire, quelques propos alléchants des Memphis Flyers, une rapide évocation d'Israël Proulx originaire du Canada, et une interview des Noisy Boys réalisée quelques minutes avant leur dernier concert... Rubriques habituelles, disques Be Bop Creek à l'honneur, concerts, courriers des lecteurs...

    Nous avons gardé pour la fin, l'hommage à Sonny Burgess placé en tête du fascicule. Honneur aux pionniers – la forêt d'arbres cannibales qui se cachent derrière le séquoia majestueux d'Elvis - sans qui rien ne serait arrivé mais dont l'histoire épouse les contours d'une génération sacrifiée...

    Attention, lecteurs faites vite, les numéros 1 et 2, sont épuisés et vu la qualité et la densité de ce 3, il risque de disparaître rapidement.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 36 pages, 3, 50 Euros + 3, 40 de frais de port pour 1 ou 2 numéros, abonnement 4 numéros : 25 Euros, chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro.

    VINCE TAYLOR

    SONORAMA N° 37 / FEVRIER 1962

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    Moins connu que le scopitone, la revue Sonorama. Revue papier et sonore. Chaque article s'étalait sur deux pages, mais la merveille résidait entre, le disque souple glissé entre les deux. Suffisait de poser la revue sur le tourne-disque pour écouter. Sonorama proposait plusieurs sujets d'actualité, mais quand on regarde les sommaires il est facile de se rendre compte que les chanteurs et dans une moindre mesure les artistes de cinéma étaient privilégiés. Entre octobre 1958 et juillet 1962, parurent 42 numéros. Les documents consacrés à Johnny Hallyday ont été réédités par Jukebox Magazine. Pour les curieux, les numéros se trouvent facilement sur les sites à des prix tournant entre 4 et 20 euros... A l'époque la revue était relativement chère ce qui explique son interruption. Le promoteur en était Louis Merlin fondateur d'Europe 1. L'est sûr que le succès de Salut Les Copains ( numéro 1 en juillet 1962 ) a dû lui couper le sifflet. Sonorama a toutefois bénéficié de signatures célèbres comme Jean Cocteau, Pierre Mac Orlan, Louise de Vilmorin...

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    Et de Vince Taylor, ce qui est nettement plus classe. Twenty Fligth Rock d'entrée, rien de tel pour vous mettre de bonne humeur, mais voici qu'une voix féminine se livre à une analyse psychologique de notre rocker (quasi)national N° 1. L'est comparé à Doctor Jekyll et Mister Hyde, à en croire notre demoiselle ( Jacqueline Joubert ) Vince le jour serait un garçon timide et bien élevé, mais hélas quand survient la nuit et qu'il est assailli par les démons du rock... l'ange de la destruction en personne, et hop on lui donne la parole avec surtout cette bonne idée de faire la traduction une fois qu'il a fini de parler et non pendant. Un peu gêné le Vince, tente de raccommoder la vaisselle brisée – c'est trop tard, l'on n'a pas le texte des deux pages de présentation mais l'on subodore que c'est juste après la mise à sac du Palais des Sports du 18 novembre 1961 – rejette la faute sur la centaine de voyous qu'il ne faut pas confondre avec l'ensemble des cinq mille participants, même si le rock comporte un arrière-fond de violence... passons... la speakerine laisse Bobby Clarke dérouler son solo, les guitares s'en donner à coeur joie et Vince déroule en intégralité un très bon Sweet Little Sixteen.

    Tout amateur de Vince écoutera avec plaisir. N'en sort point trop étrillé le Vince, maintenant je ne sais pas comment la majorité des lecteurs de Sonorama devaient recevoir le paquet cadeau quand on pense que le N° 1 proposait Le Soulier de Satin de Paul Claudel... Une étude statistico-sociologique s'impose !

    Damie Chad.

    A LA MEMOIRE DU ROCK

    ( V. Taylor, J. Hallyday, E. Mitchell )

    FRANCOIS REICHENBACH

    1962

    Cinéaste, François Reichenbach est un témoin important de la naissance du rock en France. L'a beaucoup filmé et archivé ( voir KR'TNT ! 312 du 19 / 01 / 2017 ) mais à part le long métrage sur Johnny Hallyday et ce court documentaire qui ne dépasse pas la douzaine de minutes peu d'images ont été montrées au public.

    Réalisé en 1962 ce film mélange entre autres des rushes du premier ( 24 février 1961 ), du deuxième ( 18 juin 1961 ) festival international de rock'n'roll au Palais des Sports de Paris. Notons que Vince Taylor était la tête d'affiche du troisième festival du 18 novembre 1961. La salle chavire avant qu'il ait pu rentrer en scène... La carrière de Vince ne s'en relèvera pas...

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    Fallait du courage pour oser montrer d'un oeil sympathique la furia rock'n'roll en pleine action, François Reichenbach ne se démonte pas et use de subterfuges socio-culturels qui le rangent parmi les manipulateurs d'opinion les plus remarquables. Réalise un agressif et insidieux mélange cinématographique : complaisance d'images-choc enveloppées dans une bande-son des plus séductrices.

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    Bruit de foule déchaînée et lecture en lettres blanches sur fond noir d'un extrait d'un article du 21 novembre 1961 de France-Soir. Assez prémonitoire quand on pense au joli mois de mai 1968, les échauffourées du 18 novembre 1961 ne sont que signes avant-coureurs d'une tempête plus dangereuse qui se profile à l'horizon. Brutal changement d'ambiance, une de magazine offrant un beau portrait de Johnny Hallyday alors que s'égrènent les premières notes du Quintette N° 1 de Luigi Boccherini. Le genre de musique que l'on retrouverait facilement en fond de lecture de La Chartreuse de Parme de Stendhal. Vous allez vous en fader encore quelques instants de ce satané Luigi durant les gros plans sur les visages d'une jeunesse qui se dirige vers les entrées du Palais des Sports. Sont beaux, sont jeunes, nos Rastignac du Rock, n'empêche qu'aujourd'hui ils dépassent les soixante-dix balais et que la réalité a dû raboter sérieusement ce désir de vivre qui les habitait... Du bruit et du noir. Des cris infinis dans lesquels surnage la musique des Chaussettes Noires. Vous ne les entreverrez qu'à peine, la caméra préfère ne pas quitter de son œil de verre ces jeunes fous qui dansent, remuent, crient, exultent... une vague de folie communicante, les Chaussettes têtes coupées pour mieux insister sur la désarticulation des corps et montrer que l'hystérie de la cohue généralisée n'appartient à personne et subitement dans la chienlit surgit le visage extatique de Vince Taylor, apparition dionysiaque, félin cerclé de cuir noir, essentiel, absolu, l'essence même du rock, une vision, une interpolation des plus artificielles puisque Vince n'a pas chanté – je dirais des plans de son spectacle à l'Olympia de décembre / Janvier 61 / 62 – puis par la grâce du montage retomber sur Hallyday qui fut la vedette incontestée et incontestable de la soirée du 24 février. Les images s'éclaircissent comme pour filmer un tour de chant des plus classiques, mais non, pour mieux désigner la descente des flics qui provoquent mouvement de reflux et sur la musique de Boccherini se dessine un étrange ballet de pandores qui marque la mesure de leurs matraques qu'ils abattent sur la tête de cette jeunesse en délire. La caméra se braque comme un fusil sur ces jeunes innocents et nous désigne les coupables qui continuent à danser, à tressauter, à s'agiter infiniment, visages épanouis, corps comme libérés de la pesanteur sociétale, comme si leurs soubresauts épousaient le rythme des violoncelles de Boccherini... manière de dire qu'au-delà des siècles musique de chambre ''classique'' et rock'n'roll sauvage ne sont que la même expression de la rage de vivre.

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    Si je devais donner un titre, ce serait : Tombeau pour Vince Taylor.

    Car les images de François Reichenbach ne sont pas loin de la perfection formelle des sonnets mallarméens.

    Damie Chad.

    Disponible sur Youtube. Tapez les quatre lignes de notre titre. La (re)lecture de Vince Taylor, le perdant magnifique de Thierry Liesenfeld s'avère indispensable pour les esprits curieux et les amoureux du rock.

    Ces deux articles ont été suscités par les posts de Vince Rogers sur son FB. Mine de combustible hautement radio-actif à ciel ouvert.

    JOHNNY

    LA DERNIERE DES LEGENDES

    CLAUDE FLEOUTER

    ( Robert Laffont / Septembre 1992 )

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    Rien que deux livres parus sur Johnny, ces 26 et 27 octobre dernier... J'ai remonté de mon garage – la pièce la plus rock de tout appartement respectable - celui-ci, sorti en septembre. 1992. Un quart de siècle s'est écoulé depuis sa parution. La dernière des légendes a décidément la vie dure. Aussi dure que du bois dont on fait les cercueils. Claude Fléouter n'est pas né de la dernière pluie non plus. L'a réalisé une trentaine de films et écrit une trentaine de bouquins. L'est aussi le fondateur des Victoires de la Musique et des Victoires de la Musique Classique. Je vous laisse seuls juges, n'ai jamais vu puisque que je ne possède pas chez moi cette boite à esclaves que d'aucuns s'entêtent à appeler télévision. L'on sent l'inconditionnel, qui a connu Johnny dans sa jeunesse. Sait de quoi il parle. L'a cette qualité rare, de ne pas se mettre en avant. Raconte Johnny, pas les aventures de Fléouter avec Johnny. A peine si l'on peut deviner sa silhouette dans les coins.

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    Pas d'anecdotes graveleuses. Ne se voile pas non plus les yeux devant les seins qui dépassent et les chattes qui miaulent de plaisir. Ne raconte pas. Dresse un portrait. Qui tient aussi bien de La Bruyère pour les scènes de genre, que de Pascal pour la contemplation des gouffres intérieurs. Pas d'effort de style, mais bien écrit. Un Johnny en noir et blanc. Beaucoup de gris, beaucoup de noir. Peu de blanc. Ce n'est pourtant pas la couleur qui manque. La saga hallydéenne en épouse les teintes les plus vives. De quoi faire le bonheur d'un coloriste. Cléouter ne s'en prive pas non plus, mais toute la quincaillerie rutilante il la laisse en arrière-plan. L'on ne compte plus les journalistes en mal de ressentiment qui ne se sont pas privés d'attacher de multicolores casseroles dans le dos de notre rocker national. L'on reconnaît les écrivaillons du ressentiment à leurs stylos qui bavent.

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    Cléouter décrit le rocker mais s'attache à l'homme. Commence par la douleur. Automne 1966. Johnny ne sera pas sur la scène de la Fête de l'Humanité. L'a craqué, tentative de suicide. Sur la brèche depuis trop de temps. Le succès n'est pas venu trop vite. Il est venu très vite. Bien sûr il y a eu les années de galère, mais cela c'est la ration quotidienne de l'artiste qui s'en vient chambouler le jeu de quille établi. N'ont pas duré trop longtemps et lorsque l'on a seize ans et dix-sept ans cela relève encore du jeu. Idem pour le public qui se colle à lui dès la première émission télé. Et qui ne le lâchera plus. Il est l'allumette qui met le feu à la bonbonne de poudre noire. La jeunesse se découvre en le regardant. Il est n'est pas qu'un simple miroir. Il est un modèle. Il est l'artificier. Tout lui sourit. La gloire, l'argent, les filles et le rock'n'roll. De 1960 à 1965, il est l'idole d'une génération. A peine est-il parti à l'armée, à peine s'est-il marié que tout se désagrège. La vague adolescente qui l'a porté reflue, et la nouvelle guigne déjà ailleurs. Se retrouve seul dans un monde nouveau. Son nom fait encore illusion, il est un symbole, ce n'est pas un hasard si les communistes lui offrent le plus grand podium de France. Mais Johnny n'est pas dupe. L'a vu de près la solitude égotiste de Dylan et celle extasiée d'Hendrix, il le sait, il le comprend, il sera seul jusqu'au bout.

    Quand l'aigle est blessé il ne revient pas chez les siens parce qu'il na pas de chez lui. Ou il crève ou il se métamorphose en phénix. Et Johnny revient. L'a retenu la nuit du désespoir dans sa poche avec un mouchoir dessus pour qu'elle ne ressorte comme le mauvais génie de la lampe. Côté soleil Johnny est imbattable. Fatigue tout le monde, inlassable, increvable, se couche pour ne plus se relever et se réveille le lendemain en pleine forme. Toujours des idées nouvelles, des lubies qu'il lui faut réaliser à la minute. Filles, voitures, musique, tout et tout de suite. Le prince flamboyant du rock'n'roll. Côté lunaire, c'est nettement moins drôle, un insomniaque – ce n'est pas qu'il est trop surexcité pour dormir, ce n'est pas qu'il ne peut pas, c'est qu'il ne veut pas se confronter à ces minutes d'abîme qui précèdent le sommeil, peur du rêve qui vire au cauchemar, peur inconsciente de la mort, de ne pas se réveiller, Johnny est un angoissé. Rayonnant dès qu'il met pied à terre. Mais l'angoisse l'habite, l'angoisse le ronge. Ne le quitte pas, même quand il allume le feu. Celui qui brûle la peau et qui consume le désir.

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    Certains mettront plus de temps que lui à comprendre que le rock est une course avec le devil. Même ceux qui se vantent de sympathiser avec lui. En 69 le concert d'Hyde Park en l'honneur de Brian Jones, si symboliquement pharamineux fût-il, n'était que cinq gars qui essayaient tant bien que mal de recoller les morceaux cassés de leur groupe. En 67, Johnny est au Palais des Sports, ne s'agit pas d'un énième tour de chant dont il sait fort bien s'acquitter, mais d'une mise en scène, d'un spectacle qui en donne plus. Faudra attendre la douche froide d'Altamont pour que les Stones comprennent qu'ils ont mangé le pain bleu du rock'n'roll, que désormais il va falloir voir plus grand, prouver au monde entier que c'est eux qui possèdent le plus gros zizi. Entre temps Johnny est revenu aux racines du rock, l'a son Johnny Circus, une folie entre le barnum originaire du Colonel Parker et la carriole des medecine show, mais revue façon cirque Pinder et Bouglionne. Une catastrophe financière mais il s'en relèvera plus grand, plus fort, le livre s'achève alors que la démesure hallydéenne se met en marche...

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    Je vous passe la tarte à la crème de l'enfant abandonné, Johnny n'est pas Cosette, l'a su se construire sur une situation de départ qui n'était pas jojo. C'est tout. Claude Fléouter ne cache rien, le bon comme le moins agréable, mais pas besoin de sécher vos larmes aux rideaux de la salle à manger. Nous dessine un Johnny timide, secret et sans doute le maître-mot : pudique. L'auteur a eu le trait sûr et perspicace. Un quart de siècle plus tard, Johnny ressemble à ce portrait initial. En vingt-cinq ans frasques et vicissitudes se sont accumulées. Les temps ont changé. Le monde a périclité. Johnny est toujours égal à lui-même. Nous avons pris un sacré coup d'usure. Ce livre antédiluvien de Claude Fléouter nous permet de vérifier qu'à l'intérieur Johnny n'a pas vieilli.

    Essayer de faire pareil. Alors on en reparlera.

    Damie Chad.

    MICHEL GREGOIRE DIT

    MOUSTIQUE

    UNE LEGENDE DU ROCK'N'ROLL

    ( Reportage inédit du 17 novembre 1989 / You Tube )

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    Ma chronique de l'album de Tony Marlow la semaine dernière m'a donné mauvaise conscience. L'on approche la trois-cent cinquantième livraison et Moustique n'a jamais été nommé qu'incidemment. Reste pourtant un pionnier du rock'n'roll français. On passe un peu vite sur lui, on l'écarte comme un moustique indésirable qui s'en vient butiner dans le pré-carré de votre peau. N'empêche qu'il est monté sur scène avec les plus grands, Jerry Lee Lewis, Gene Vincent et surtout Little Richard qui l'a revendiqué comme ami. Ce mini-reportage est à voir. Moustique dès le début y revendique fièrement ses origines prolétariennes, un gosse de Paris, fils de la misère, à jamais traumatisé par l'apparition du rock'n'roll à l'orée des années soixante. Son premier 45 tours enregistré chez Barclay, la firme qui avait à son catalogue Les Chaussettes Noires et Vince Taylor lui apporta la gloire, celle qui survit à tout. N'en emprunta pas pour autant la voie royale d'Eddy Mitchell, comme Vince malgré des raisons différentes, il connut les itinéraires de la déglingue, rejeté par la vague yé-yé sur le sable les plages du dédain et de la non-rentabilité économique. Un avenir aussi sombre que le fond noir de sa première pochette. N'était pas le genre de gars que l'on pouvait calibrer, comme l'énonçait son premier hit Je suis comme ça, la reprise de My Way d'Eddie Cochran, quinze ans avant Sid Vicious, l'avait la sale habitude de n'en faire qu'à sa tête. N'a pas fait long feu chez les requins du showbizz. Alors l'a tout fait, la prison, un stand d'objets africains aux Puces, l'a tenu deux restaurants, bref l'a survécu dans les eaux troubles de la vie. Irrémédiablement rocker jusqu'au bout des ongles. L'est toujours présent, personnage doté d'un optimisme inamovible et pathétique, la foi du rock'n'roll chevillée au corps, toujours prêt à monter sur scène pour répandre la mauvaise parole du early rock'n'roll, cette musique qui vous salit les mains dès que vous les trempez dans son moteur et vous brûle l'âme. Irrémédiablement. Dès la première écoute. Moustique est un survivant. Moustique est un rocker.

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    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 227 : KR'TNT 347 : FATS DOMINO / CRASHBIRDS / TONY MARLOW / MA RAINEY / BESSIE SMITH

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 347

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    09 / 11 / 2017

    FATS DOMINO

    CRASHBIRDS / TONY MARLOW

    MA RAINEY / BESSIE SMITH

     

    Fatsy le magnifique

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    Francis Scott Fitzgerald aurait très bien pu prendre Fats Domino comme modèle pour écrire son célèbre Gatsby le Magnifique. Par contre, Rick Coleman y a pensé. Dans son livre extraordinairement foisonnant, Blue Monday - Fats Domino And The Lost Dawn Of Rock ’n’ Roll, il commence par rappeler quelques vérités élémentaires. Il rappelle par exemple que certains artistes noirs ont réussi à forcer la porte des blancs à la seule force de leur sourire - Subversion was the word. Armstrong and Domino, like Ray Charles, The Supremes, Stevie Wonder and many other black artists smiled their way into American homes - En ce qui concerne Fats Domino, ça va même beaucoup plus loin : Billy Diamond affirme que Fats était le Martin Luther King de la musique et qu’il faisait de l’intégration. Dans l’Oregon, il remplissait la salle d’Indiens, en Arizona, il remplissait la salle de Mexicains - He was the absolute superstar ! - Pendant tout le temps de l’âge d’or, Fats brisa des barrières, libéra les corps et les esprits et imposa le régime égalitaire de la Nouvelle Orleans dans toute l’Amérique.

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    Fats avait heureusement quelques petits défauts : il aimait l’alcool, les femmes, le jeu et surtout les bijoux. À Nashville, il vit une bague dans une vitrine. Elle coûtait 3.600 dollars, une fortune à cette époque, et sa femme était enceinte. Comme il en avait envie, il dépensa tout l’argent qu’il avait pour se l’offrir, mettant le couple sur la paille. Fats possédait les plus belles voitures, 50 costumes et 200 paires de chaussures. Il ne se refusait rien. Mais que peut-on se refuser quand on vend 100 millions d’albums et qu’on décroche 85 hits ?

    Il lui arrivait parfois de boire tellement qu’il n’était plus capable de chanter. Alors, il jouait des instrumentaux. Il perdit au jeu des sommes abyssales, de l’ordre de 100.000 dollars en une nuit. Puis il repartait en tournée pour se remplumer.

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    Ce qui ressort le plus de cet ouvrage, c’est l’humanité de cet homme qui aimait tout ce qu’on aime quand on vit la vraie vie. Il était l’homme d’une seule femme, Rosemary, mais comme Muddy, il aimait toutes les femmes. Il avait des enfants et portait des bagues extravagantes en forme d’étoiles que lui enviait Ringo Starr. Il trimballait un bar géant en tournée car il craignait, comme il le disait à Ahmet Ertegun, de tomber en panne en arrivant quelque part. Il cuisinait aussi les fameux pieds de cochon à la créole dans sa chambre, et en général, le personnel des hôtels fermait les yeux. Après les concerts, il invitait ses musiciens à venir partager la gamelle avec lui. À Vegas, il chantait les hits d’Evis et Elvis chantait ceux de Fats. Elvis disait aux journalistes : «Fats is the real king of rock’n’roll.» Pas mal, non ?

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    Le destin de Fats se mêle intimement à celui de trois autres personnages considérables : Dave Bartholomew, Lew Chudd (boss d’Imperial Records) et bien sûr Cosimo Matassa, qui dans son studio J&M Music Shop enregistra tous les géants de l’époque, Fats, Little Richard, Frankie Ford, Fess, Eddie Bo et combien d’autres ! La première fois que Lew Chudd voit Fats dans un club dépouille de la Nouvelle Orleans qu’on appelle the Hideout, il est stupéfait - Antoine ‘The Fat Man’ Domino was rocking the house ! - Il chante The Junker’s Blues - They call me a junker, ‘cause I’m loaded all the time ! Chudd le signe sur le champ et met le paquet : il fait paraître trois albums en 1956 ! Greg Shaw rappelle que Fatsy assurait à lui seul l’équilibre financier d’Imperial. La première année, il vendit 800.000 albums.

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    Rock And Rollin’ With Fats Domino paraît en mai 1956. C’est là que se niche «Ain’t It A Shame» - You made me cry/ When you said goodbye - un véritable coup de génie mélodique, pure magie de la pop américaine, une véritable extension du domaine de la lutte perdue d’avance - Ain’t that a shame/ My tears fell like rain - Mac Rebennack affirme qu’après Lennon/McCartney, le duo Fatsy/Bartho est le plus grand team de songwriters ever. On trouve également sur cet album l’excellent «Bo Weevil» - Bo Weevil/ Where have you been all day - poppy en diable et gratté à la mandoline entreprenante, ainsi que l’excellent «Please Don’t Leave Me» que Fats chante au oooh-oooh-oooh et au oui-oui-oui. Il swingue cet épouvantable jive de juke comme un démon, baby please don’t go ! On est encore à l’époque chez Cosimo Matassa et quand Fatsy attaque «The Fat Man», il le fait au rentre-dedans et Earl Palmer nous pulse ça au beat féroce. Il faut aussi entendre le festival qu’ils font dans «Goin’ Home», amené au heavy groove de vainqueur. Cet album est un absolu chef-d’œuvre ponctué de hits imparables, comme ce «Goin’ To The River» qui descend en pente douce vers l’origine du monde blanc d’Amérique, c’est-à-dire le Mississippi. Et puis en B, de part et d’autre d’«Ain’t It A Shame», on trouve «All By Myself», un joli jumpah bien secoué du cocotier par ce diable d’Earl et «Poor Me», où on voit Fatsy choper son Poor me à l’octave crépusculaire puis redescendre à la Shame.

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    Rock And Rollin’ paraît trois mois plus tard. Il s’agit essentiellement d’un album de swing, mais comme chacun sait, le swing est l’une des incarnations de l’humanisme. Fatsy et son orchestre attaquent «My Blue Heaven» à la volée. D’emblée, on a là un cut superbe et alerte, océanique en diable, ils nous swinguent ça à la revoyure. Avec «Goodbye», Fats inaugure un autre fonds de commerce, le balladif romantico swingué de frais - You’re gonna miss me/ I’ll be gone far away - Il se fait aussi joliment insistant sur «I Love Her» qui sonne un peu comme l’excellent «Sometimes After Awhile». On tombe en B sur la première version de «When My Dreamboat Comes Home» et je vous prie de croire que derrière Fatsy le magnifique, ça jazze à tire-larigot. Sans doute entend-on la crème de l’élite du swing majeur de la Nouvelle Orleans. Avec «If You Need Me», Fatsy passe au heavy jumpy des familles de tuyau de poêle, mais de grande allure, et l’orchestre n’en finit plus de swinguer l’oignon du cut jusqu’au trognon. C’est un album dont on ressort à quatre pattes.

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    This Is Fats Domino paraît en décembre de la même année. C’est là que Fatsy explose avec un hit suprême nommé «Blueberry Hill». Mais on trouve aussi sur cet album l’effarant «La La», hit de juke doté de toute la puissance du big-bandisme de la Nouvelle Orleans. Swing toujours avec «Honey Chile», chef-d’œuvre de tact et de majesté, oh oui, ça swingue sec derrière le gros. Et voilà que tombe du ciel «Blue Monday», l’un de ses plus gros hits, et en B, il se livre à un extraordinaire numéro de voltige avec «You Done Me Wrong» : il chante tout son premier couplet en ah-ah-ahtant. C’est là qu’on commence à essayer de mesurer l’immensité d’un artiste comme Fatsy le magnifique. Il refait un couplet en oh-oh-ohtant. C’est tout simplement écœurant de classe. Il enchaîne ça avec une version complètement laid-back de «Reeling And Rocking» et là, attention, Lee Allen passe un solo de sax vicelard, alors fini la rigolade.

    Fatsy devient vite une star énorme et entre dans le manège tourbillonnant des rock’n’roll packages. Lorsqu’il va tourner en Europe, Fats emmène son orchestre, alors que Little Richard et Chuck Berry tournent avec des musiciens Anglais. Ça fait toute la différence. Aux yeux des journalistes anglais, Fats et son orchestre font passer les Soul stars de Stax et Tamla pour des enfants de chœur.

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    En 1957, les hits continuent d’affluer avec Here Stands Fats Domino. À l’écoute d’«I’m Walking», l’ado Ricky Nelson devint fou et un jour, au bord de la piscine, il déclara à son père qu’il allait devenir chanteur de rockab et enregistrer «I’m Walking». Derrière Fatsy jouent deux des musiciens les plus légendaires de l’époque : Lee Allen et le guitariste Walter Papoose Nelson. Papoose enseigna la guitare à Mac Rebennack, ne l’oublions pas. Un peu plus tard, Papoose allait mourir d’une overdose. Roy Montrell allait le remplacer puis allait lui aussi faire une petite overdose. Pour Fats, Papoose et Roy furent ses meilleurs guitaristes. On trouve d’autres merveilles sur Here Stands Fats Domino, comme par exemple «Detroit City Blues», un heavy blues que Fats roule dans sa farine et il faut l’entendre gueuler dans «Hide Away Blues» ! Dave Bartholomew souffle des coups de trompette dans «Every Night About This Time», un vieux coucou daté de 1949. On retrouve la fabuleuse énergie du son dans «You Can Pack Your Suitcase», pur strut de street joué au shuffle de cuivres. On se régalera aussi des chœurs d’artichaut qui font la grandeur du vieux «Hey Fat Man» daté lui aussi des origines.

    Tous ceux qui osaient monter sur scène après Fatsy étaient cuits d’avance. Il venait par exemple de chauffer une salle de 20.000 personnes et le pauvre Chuck qui était en tête d’affiche regretta amèrement d’être passé après lui. Fatsy fut certainement l’artiste noir le plus populaire d’Amérique.

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    This Is Fats paraît en 1958. Imperial colle la grosse bouille de Fats détourée sur un fond rose. Il attaque avec «The Rooster Song» - Ain’t that a shame ! - lance-t-il et derrière lui, ça tressaute dans la sautillade de Cosimo. Puis il amène «My Happiness» à la magie de Blueberry, c’est à la fois si mélodiquement parfait et si tranchant. Et dire que tout ça se passe chez Cosimo ! On ne peut se lasser d’un coup de swing comme «Hey La-bas» ou de ce slow blues de rêve qui se niche en B, «Valley Of Tears». Il sait aussi jiver son boogie, comme on le constate à l’écoute de «Where Did You Stay» . Il en profite pour nous faire le coup du woouah woouah et place un solo de piano énervé. Lee Allen entre dans la danse et ça donne une sacrée leçon de swing sauvage. Fatsy termine avec «You Know I Miss You», une pure merveille de heavyness de la Nouvelle Orleans et Ernest McLean passe un solo de jazz guitar à faire baver Wes Montgomery.

    Greg Shaw rappelle que Fatsy a carrément inventé la scène de la Nouvelle Orleans, car toux ceux qui sont arrivés après lui subirent son influence : à commencer par Huey Piano Smith, puis tout se mit en route avec Minit (Jessie Hill, Ernie K-Doe, Irma Thomas, Aaron Neville), et d’autres encore comme Lee Dorsey, Wilbert Harrison, Buster Brown, Clarence Frogman Henry et Chubby Checker.

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    Allez hop, Chudd remet le paquet en 1958 avec la parution de deux nouveaux albums, et quels albums ! The Fabulous Mr D et Fats Domino Swings. Sur la pochette du premier, Fatsy rayonne. Les hits se nichent en B, à commencer par «I Want You To Know», heavy romp de yeah yeah yeah oh boy, suivi d’un «44» monté sur le même genre de romp. Là, Fatsy veut se tirer une balle de 44 dans la tête - Kill myself/ Goin’ downtown/Buy me a forty-four - Fantastique d’intentionnalité ! Et puis on bascule dans la magie pure avec «Mardi Gras In New Orleans», comme Fess et Mac, Fats veut rencontrer la Zulu Queen et le Zulu King. Et comme on le constate à l’écoute d’«I Can’t Go On», le pauvre Fats s’est encore fait larguer - Rosalyn/ Come back to me - Mais elle ne revient pas - I’m reelin’ & rockin’/ Like a willow tree - Fats sait aussi chanter le blues, pas de problème, son «Long Lonesome Journey» est un chef-d’œuvre de beat limace gluante. «The Big Beat» qui ouvre le bal de l’A vaut aussi le détour, car Fatsy nous swingue ça comme la bête du Gévaudan. Autre merveille : «What Will I Tell My Heart», un slowah de charme chaud et tendre. Fatsy le généreux enveloppe le lapin blanc dans ses gros bras dodus pour le dorloter.

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    Fats Domino Swings est un Best Of où on retrouve tous ces hits intemporels que sont «The Fat Man», «Blue Monday», «Blueberry Hill», «My Blue Heaven», «I’m Walking» et «Ain’t That A Shame».

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    L’année suivante paraît Let’s Play Fats Domino. On y trouve une petite merveille intitulée «I Want To Walk You Home», un hit doux et tendu qu’on attendait comme le messie - You look so good to me/ Oh ouie ouie - Fats mène le bal en A avec «Howdy Podner» et raconte l’histoire de Stagger Lee dans un «Stack & Billy» saxé de frais. Pure merveille de swing aussi que ce «Margie» de fin de face, saxé jusqu’à l’os du trognon. Toute l’énergie de la Nouvelle Orleans semble concentrée dans «Ida Jane», véritable foison de on fouillis.

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    Retour aux pochettes illustrées avec A Lot Of Dominos et nouveau coup de génie avec «Walking To New Orleans». Franchement, Fatsy illumine le monde avec son groove magique - You used to be my honey/ You spend all my money - Encore un balladif conte de fées avec un «Magic Isles» violonné sous l’horizon, là-bas au loin. On sent bien que cet homme ne ferait pas de mal à une mouche. Retour en A où Fatsy se plaint d’être seul trois nuits par semaine dans «Three Nights A Week». Et puis attention à «Shurah», cet énorme jive New Orleans et son solo de kazoo démentoïde. Ces gens-là swinguent au-delà du raisonnable. Et tiens, encore un coup de génie avec «My Girl Josephine» - Do you remember me baby - Fatsy swingue son jive, oooh pooh pooh pooh, merveille absolue - Hello Josephine/ How doo you doo - C’est d’une classe indécente. Par contre, Greg Shaw pense que c’est son pire album, noyé dans les arrangements orchestraux - The Dean Martin treatment.

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    Allez hop, Chudd remet le paquet en 1961 avec la parution de trois nouveaux albums : I Miss You So, Let The Four Winds Blow et What A Party. Pour Greg Shaw, le portrait de Fats qui orne la pochette d’I Miss You So évoque une sorte d’overweight Frank Sinatra, casually smoking a cigarette. Il ajoute que c’est pitiful. D’autant plus pitiful que le niveau des albums baisse. Pour Greg Shaw, Fatsy est victime du label qui lui fait faire n’importe quoi - It was pitiful what they’d done to him - On trouve cependant trois merveilles sur I Miss You So, à commencer par «Fell In Love On Monday», où ce diable de Fats se fait accompagner par des chœurs d’église. Quelle clameur ! On ne peut pas s’empêcher de penser que le «You Can’t Always Get What You Want» des Stones vient de là en direct. En A, Fatsy tape dans «One In A While», un vieux classique popularisé par Liza Minnelli, Ella Fitzgerald et Sarah Vaughan. Il rivalise d’ardeur avec l’over the rainbow sound of it all. Pure magie fatsydique. L’autre merveille est bien sûr «I Hear You Knocking», la tubercule du hit de Dave Edmunds. Difficile de préférer l’un à l’autre, car Fatsy swingue sa shit comme un chef. On trouve d’autres gros cuts sur cet album descendu par Greg Shaw, et notamment le morceau titre, gros coup de croon de most of all I miss you so. Le pauvre Fats finit toujours par se retrouver seul, sauf dans le civil. Il tape un coup de rockab avec «Ain’t That Just Like A Woman». On note l’incroyable santé du beat. Fatsy sait driver un bop. Le «What A Price» qui ouvre le bal de la B vaut aussi le détour, car c’est suprêmement bien chanté - So good/ Bah/ Bêê/ Bi/ I’m gone/ Oh what a price/ I have to pay/ For lovin’ you - Tout est bon sur cet album, on se régale aussi d’«Easter Parade», un balladif qui promène bien son cul sur les remparts de Varsovie. On a là encore un cut incroyablement vivant et inspiré par les trous de nez. Il boucle avec «I’ll Always Be In Love With You». Fatsy Fats est l’une des incarnations de l’élégance sur cette terre. Il n’en finira plus de sertir la nuit d’encre de petites étoiles bleues.

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    Let The Four Winds Blow est un album nettement moins dense. Il l’attaque pourtant avec l’«Along The Navajo Trail» qu’il chante goulûment et que Greg Shaw déteste. Fatsy Fats fait son croon tranquille. On est à la Nouvelle Orleans, donc tout va bien. En fait, on s’aperçoit qu’il passe son temps à adoucir la blackitude. Avec «Trouble Blues», il tape dans le blues de bar at midnight et en B, il revient au croon de bonne guerre avec «I Can’t Give You Anything But Love». Il roule ça dans sa farine avec un doigté exemplaire. Puis il prend «Your Cheating Heart» beaucoup plus softy que Jerry Lee. Il en fait de l’easy listening. Le morceau titre se veut terriblement rock’n’roll, mais à la Fatsy. Ça passe en douceur.

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    On trouve trois petites merveilles sur What’s A Party, à commencer par «Ain’t Gonna Do It». Oh quelle attaque ! Fatsy rocke son swing avec une véritable aura boréale. C’est saxé au meilleur twang orléaniste. En B, on tombe sur le délicieux «Coquette», un joli groove de timbre tendu. Quelle charmeur, little coquette. Il boucle avec l’excellent «Tell Me That You Love Me» : attaque, foin de son, tout est là et sa douce remontée au chant reste unique au monde. Fatsy passe tout en douceur, il joue son rock avec une tranquille assurance. On se pourléchera aussi les babines de «Did You Ever See A Dream Walking». Fatsy s’y montre une fois encore le mec le plus chaleureux de la terre. On se love dans le groove duveteux de ce charmant gros lard. Il tape un joli coup de heavy blues avec «Bad Luck And Trouble - Don’t let me down/ Trouble is all I found - et le morceau titre sonne comme un doux swing créole, un modèle de décontraction. Ses disques sentent bon la couenne tiède.

    Autre chose : à une époque, Fats Domino était le seul pionnier du rock encore actif : Chuck était au trou, Elvis à l’armée, Buddy Holly sous terre, Jerry Lee nettoyé par la presse et Little Richard de retour au séminaire. Fats tournait dans tous les états et cassait la baraque.

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    Chudd remet le paquet en 1962 avec deux nouveaux albums, Twisting The Stomp et Just Domino. Pochette illustrée pour le premier, un disque qui encore une fois vaut largement le détour, et ce pour quatre raisons. Un, «I Know», embarqué sur un groove joyeux de c’mon baby please c’mon. Il refait un hit avec son vieux oh-oui-ooh-oooh-oui. Deux, on tombe en fin de face sur un «Wait And See» embarqué au pur jus d’attaque. C’est la même magie que Blueberry, mais il en fait quelque chose d’à la fois différent et délicieux. Trois, «Don’t Deceive Me», hit de juke niché en B, encore swingué au aooh-oui. Fatsy n’en finit plus de jerker la paillasse de ses hits. Quatre, «Do You Know What It Means To Miss New Orleans», un groove de charme en hommage à sa ville, qu’il chante à la syllabe mouillée pour en faire l’un de ces balladifs de rêve dont il a le secret.

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    Pour Just Domino, Chudd passe à la pochette jazz : gros plan de Fatsy tramé au point sur fond bleu-vert. Ça swingue dès «Stop The Clock», tic toc stop the clock, jive de syllabes grasses et rondes et en B, Fatsy s’en va scintiller au firmament du croon avec l’excellentissime «Nothing New». Il reste dans le meilleur croon du coin avec «Wishing Ring». Ce nounours attendri éclaire la nuit étoilée. Il termine cet album d’entre-deux avec «Goin’ Home», un heavy blues cuivré de frais et joué à la meilleure franquette de quartier français. Voilà encore un butt-shake unique au monde, un véritable brassage de sons lourds de sens, c’est à la fois épais et tellement plein de vie ! Il faut voir comme ça grouille.

    Tout ce qui touche au style de Fats s’apparente au langage ferroviaire - His rumbling locomotive sound powered the band - En effet, Fats n’avait au début ni bassman, ni guitariste. C’est lui qui embarquait l’orchestre. Quand on parle du son de la Nouvelle Orleans, on parle bien sûr de barrelhouse beat.

    En 1963, Chudd fait encore paraître trois album de Fats, dont deux sont des resucées bourrées de vieux hits, Here He Comes Again et Let’s Dance With Domino.

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    Par contre, le troisième qui s’appelle Walking To New Orleans vaut le détour, ne serait-ce que pour la classe du morceau titre, fabuleux hit nostalgique - You used to be my baby/ You spent all my money - Avec ce hit, le magicien Fatsy frappe encore. Tout est bon sur cet album, le heavy blues de «My Love For Her» chanté à la pointe d’une glotte émotive, «What’s Wrong» embarqué au swing de bastringue, et quelle assise, et quelle aisance, et quelle poigne, et quelle douceur ! Encore du solide avec «Little Mama», pur rock’n’roll à la Fatsy, une bénédiction de perfection bénéfique, et il boucle l’A avec l’excellent «Goin’ Back Home», fabuleux fatras de bastringue. Autre coup de Jarnac en B avec «How Can I Be Happy». Pauvre Fatsy, il chante ses peines de cœur avec une telle allégresse qu’on doute de sa sincérité. Toujours aussi bon, voici «One Of These Days», un heavy groove joué au beat de la trépigne et repris au vol par des chœurs mâles. Son «Oh Wee» est aussi sacrément bien envoyé.

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    Fin de la période Imperial en 1963. Fats passe chez ABC Paramount pour enregistrer Here Comes Fats Domino. C’est un changement d’autant plus radical qu’il l’enregistre à Nashville. Il commence par faire du repérage, puis il fait venir ses costumes. Il apprécie l’ambiance et les musiciens. Ça s’entend sur «When I’m Walking», le cut d’ouverture du bal - When I’m walking/ Let me walk/ When I’m talking/ Let me talk - Ça swingue à outrance - It’s time for me/ I struck my stuff - On entend des chœurs extraordinaires sur «There Goes My Heart Again». Ce sont les chœurs africain que reprendra Gainsbarre sur «Couleur Café», avec ce fantastique décalage d’une mesure. C’est un véritable tour de magie rythmique. Évidemment, «Red Sails In The Sunset» sonne comme une carte postale, mais Fatsy la travaille en vrai géant. Il faut voir comme il swingue son bah-bah baby bah-bah dans «Bye Baby Bye Bye». Le gros peut absolument tout se permettre. On retrouve des chœurs magiques dans «I’m Livin’ Right». Fatsy y joue la carte du séducteur dans un écrin de velours. Il fait plus loin un reprise de «Land Of 1000 Dances», mais à sa façon - Do the fish/ Go like this - au swing. Il faut aussi absolument écouter «Song For Rosemary», un instro de classe intercontinentale dédié à sa femme. C’est du romantisme exquis, fin et délicat, qui évoque l’univere féerique de fête foraine à la Kaurismaki. Fatsy termine ce fantastique album avec un «Tell Me The Truth Baby» de nounours chagriné qu’on aimerait tant aider - Don’t tell me no lies/ Do you love me/ I wanna know baby.

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    Un an plus tard, il enregistre Fats On Fire et plus de cinquante ans après, on s’extasie de cette pochette où on voit Fatsy grimpé sur un camion de pompiers. Il amène son «I Don’t Want To Set The World On Fire» avec un fantastique c’moon et tempère ensuite son Broadway swing de Temporel en martelant joliment son clavier. On a là un cut réellement fantastique. Il passe au heavy groove avec «You Know I Miss You» et on entend même un solo gras. Il prend plus loin «The Land Of Make Believe» au thème de Blueberry, mais avec un come go with me d’entrée de jeu. Quel charme ! Il revient aux chœurs gainsbarriens dans «Old Man Trouble» et en B, il passe au mambo foisonnant avec l’excellent «Mary Oh Mary». Il faut aussi l’entendre chanter «Gotta Get A Job» d’une voix pâteuse. Quel croqueur de groove ! - Ain’t got no money/ Can’t get a job - Il reprend son vieux hit des origines, «The Fat Man» : wow, c’est du «Waiting For The Man» avant la lettre.

    Quand Fats partait en tournée avec ses musiciens, il y avait deux voitures : celle des camés et celle des alcooliques. En arrivant à Las Vegas, les camés en manque allaient déposer leurs instruments au pawn shop pour récupérer du cash. C’est là que Roy Montrell, road manager et guitariste de l’orchestre, allait voir Fats pour lui réclamer du cash. Il fallait bien racheter les instruments ! Fats trimballait avec lui une valise de bijoux et comme il se méfiait de ses musiciens junkies, il portait une arme. Sur scène, lorsqu’il finissait son set en poussant son piano à travers la scène, on voyait parfois une crosse apparaître dans l’échancrure de son veston.

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    Puis Fats va passer de label en label sans jamais retrouver la stabilité de l’âge d’or Imperial. En 1968, il n’intéressait sans doute plus grand monde. On retrouvait sur Trouble In Mind des vieux morceaux comme «I Know», l’un de ses hits majeurs les moins connus. Il sait qu’elle ne l’aime plus mais il chante avec la joie au cœur, comme Charles Trenet. Personne ne peut battre Fatsy sur le terrain du swing joyeux. On retrouve aussi l’excellent «Wait And See» mené au beat de pur swing et chanté à la glotte fluide. En B palpite le vieux «Don’t Deceive Me» parabolique, véritable merveille de raffinement orléaniste swinguée jusqu’à l’os du genou.

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    La même année, il tente le grand retour avec Fats Is Back. On y trouve une fantastique reprise de «Lady Madonna» qui met du baume au cœur. Fatsy la swingue à la vie à la mort. Il injecte là-dedans toute l’énergie du peuple noir. C’est un shoot de junk dans le cul de la Beatlemania. Il tape aussi dans le pur jus de rock’n’roll avec «I’m Ready». Derrière, ce sont les Blossoms qui font les chœurs. Il attaque ensuite «I Know» sur le mode mambo. Fats prend de l’âge mais il conserve ses vieux réflexes de swinger et de piano-man de bastringue. On se régalera aussi du «Honest Papas Love Their Mamas Better» qui ouvre le bal de la B, car c’est joué au trombone, shufflé au potiron, et swingué par les meilleurs batteurs d’Amérique, Hal Blaine et Earl Palmer. James Booker et King Curtis traînent aussi dans le studio. Fatsy revient à sa chère patate chaude avec «One For The Highway». King Curtis souffle dans la foulée, et il faut voir comme ça swingue dans la pétaudière ! Ici, tout reste bon enfant. Encore une fixette sur les Beatles avec une reprise de «Lovely Rita», un cut beaucoup trop psychédélique pour un vieux routier comme Fatsy. Il boucle cet album miraculeux avec «One More Song For You». Il s’y montre d’humeur badine et croone à la lune. Ce fabuleux troubadour doux et dur, ce vieux racleur de parquets, ce sacré gros lard capable d’enchanter le monde finit par nous fasciner. Il pourrait bien être à lui tout seul le berceau de la civilisation électrique. Il referme le livre de ce disque avec le plus grand soin.

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    Toujours sur Sunset, paraît la même année Stompin’. On retrouve dans «Don’t Blame It On Me» le heavy groove ferroviaire pianoté de frais. Fatsy chante ça d’une voix délicieusement fêlée. Encore du croon de charme discret de la bourgeoisie avec «I Can’t Give You Anything But Love», aussi imprenable que le bastion de la bastide et plongé dans une ambiance propice à l’épanchement des synovies lacrymales. En B, Fatsy fait son miel avec «Along The Navajo Trail», mais on sent une baisse très nette de régime. L’«Every Night» qui suit surprend par cette slapperie bien poussée devant dans le mix. Mais on sort de cet album un peu déçu, ce que confirme Greg Shaw dans l’excellent portrait qu’il fit de Fats pour United Artists.

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    Back to ABC en 1969 avec Getaway With Fats Domino. Il y reprend des vieux standards comme «When My Dreamboat Comes Home» et «Trouble In Mind». On se régale de sa version de «Kansas City», joués au beat de bastringue et au cahin-caha de la cantonade. Pure merveille que ce «Slow Boat To China» qui navigue en B et que salue Sam Coomes dans l’un de ses albums. Oui, car voilà du bon vieux jumpy de big band que Fatsy chante comme un roi de Broadway. Et si on écoute «Heartbreak Hill», on assiste à un fantastique numéro de batteur qui démultiplie ses doublettes de tap tap.

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    On trouve deux pures énormités sur Fats, ce bel album paru sur Reprise en 1970, à commencer par une version de «Lawdy Miss Claudy» jouée en mode slow rock de combustion interne. On va d’ailleurs vite s’apercevoir que tout est inexorablement bon sur cet album. Le cut de fin s’appelle «Work My Way Up Steady». Fats y groove le r’n’b en douceur et en profondeur. Classe et voix, tout est là. On a d’ailleurs un son plus dodu que d’habitude sur cet album. Il suffit de revenir en A et d’écouter «Big Mouth» : on y entend une bassline bien grasse et des petits éclats de sax épars. On ne se lasse pas de ce fabuleux gros lard. Toujours en A, voilà «I’m Going To Help A Friend», un joli coup de groove jazzy joué à l’orgue. Passionnant ! Mais c’est vraiment en B que se joue le destin de l’album. Fatsy chante «Another Mule» du gras de menton. Il mouille bien son groove. Son énergie vaut bien celle des géants. «When You’re Smiling» sonne comme du cabaret enjoué de la Nouvelle Orleans. On assiste là à un magnifique épisode de la fatsytude éternelle. Encore un fantastique groove de softah avec «Those Old Shoes». Fatsy y porte le flambeau du New Orleans spirit.

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    Encore une sorte de Best Of avec When I’m Walking paru l’année suivante. La pochette permet d’examiner dans le détail la montre étoile et la bague étoile de Fats. On retrouve sur ce disque l’excellent «When I’m Walking», une fabuleuse version d’«Old Man Trouble», chargée de tout la clameur africaine de la Nouvelle Orleans. Fatsy n’en finit plus de chauffer ses intonations et quand on réécoute «Bye Baby Bye Bye», on a toujours l’impression de découvrir un nouveau hit. En B, on va retrouver les imparables «Mary Oh Mary» et «Tell The Truth Baby». Mais tous ces Best Of finissent par brouiller les pistes. Ça commence à sentir l’arnaque.

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    Tiens, en voilà encore un l’année suivante, sur Pickwick, My Blue Heaven. Mais chaque fois, on retombe sous le charme du gros. Qui dira la grandeur de ses attaques, le doux de son approche, le kitsch de son jump et l’élégance de son bonheur à chanter ? Il tape une belle version de «When The Saints Go Marchin’ On» en B, il parvient même à swinguer le gospel batch, ce qui relève de l’exploit. Fatsy a toujours su se montrer extraordinairement persuasif.

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    À mesure que paraissent ses nouveaux albums, il rejoue inlassablement ses vieux hits, comme on le voit encore avec They Call Me The Fat Man, paru sur Probe en 1973. Il attaque avec le funk créole d’«Old Man Trouble» et revient à l’enchantement dans «The Land Of Make Believe» qu’il chante divinement, sous un ciel étoilé, avec des reflets bleus dans les cheveux. «Trouble In Mind» sonne toujours aussi bien, Fatsy s’y complaît avec la douceur exubérante d’un gros lard sentimental. On ne se lasse pas du doux rayonnement de sa chaleur. On s’effare aussi de l’entendre prendre «You Know I Miss You» à l’aplomb d’une insistance pianistique de haute volée et puis avec «Valley Of Tears», il revient au modèle chromatique de Blueberry Hill. Fats s’y fait l’Enchanteur Pourrissant d’Apollinaire. Avec «Wigs», il passe à l’exotica voodoo. Il traite ça au mambo soigneux et nappé d’ambre jaune. Ça sonne comme un mambo comploteur tapi dans la jungle. Il finit cet album attachant avec une nouvelle version de «The Fat Man» jerkée à outrance.

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    Rien de nouveau sous le soleil de Cooking With Fats balancé dans le commerce en 1973 par United Artists. La pochette constitue peut-être l’intérêt majeur de ce double album : un graphiste a réussi à fabriquer un Fatsy en pâte à modeler. On retrouve sur ces deux galettes des tas de vieux coucous et des choses marrantes comme cette version du «Jambalaya» d’Hank Williams - Son of a gun up the bayou - Cut terrible que ce «Little Mama» swingé au fouillis outrancier - Come back baby/ In my band new automobile - Sont aussi au rendez-vous le vieux «Shurah» avec son solo de kazoo et «What’s The Reason I’m Not Pleasin’ You» où Fats traite ses problèmes conjugaux d’une voix chaleureuse et utopiste, sur fond de heavy slap. On retombe aussi sur les excellents «Three Night A Week» et «Are You Goin’ My Way», visité par un joli solo de Mac Rebennack. L’album se termine sur l’incomparable «La La» qui est certainement l’un des fleurons de son élégance.

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    Pickwick rebalance la même année l’album When My Drumboat Comes Home. Aussitôt après le morceau titre qu’on finit par connaître par cœur à force de le recroiser, on tombe sur «I’ve Got A Right To Cry The Blues» amené à la clameur du gospel batch, mais avec la puissance d’un gentil géant - I really lost my mind - On retrouve aussi l’excellent «On A Slow Boat To China» joué au jazz de Broadway sur fond de shuffle princier. Tout chez Fats respire la joie et la bonne humeur. Avec «Bailin’ The Batch», il passe au jolly jumper de gai pinson. C’est presque du Walt Disney, tellement on a envie de rire de bon cœur. On retrouve aussi en B «Heartbreak Hill» et les tambours de Congo Square : une vraie bénédiction, un don du dieu Congo des congas congolais. S’ensuit cette version tellement distinguée de «Kansas City» qu’il chante à l’accent chaud, sucré et généreux. Mais apparemment, le gros ne compose plus grand chose.

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    Paru en 1979, Sleeping On The Job réserve quelques surprises de taille. On entend ronfler Fatsy sur le morceau titre d’ouverture. Il est essentiel de préciser que l’album est enregistré chez Allen Toussaint, à See-Saint. Fatsy reprend l’énorme hit d’Ivory Joe Hunter, «When I Lost My Baby» et il ajoute, d’une voix chaude, qu’il a failli perdre la boule - I almost lost my mind - C’est une merveille absolue. Voilà comment se manifeste la puissance d’un mec comme Fats. Il croone sa mélodie en force. Le «Something About You Baby» qui suit en bouche aussi un coin, car c’est incroyablement juteux et dynamique. En B, il remonte au firmament avec «Any Old Time». Sacré Fats, il pardonne tout - Any old time/ You want to come back home/ Drop me a line - Il fait une sorte de romantisme à toute épreuve. On aime ce gros à la folie. Avec «I just Can’t Get (New Orleans Off MyMind)», il tape un petit groove de merry steamboat en hommage à sa première fiancée, sa ville chérie - Music all the time - Une fois de plus, il se retrouve seul dans «The Girl I Love». Il souffre trop, c’est atroce et un sax verse de l’huile sur le feu - Woke up this morning/ I was all alone - Fabuleux Fatsy - Help me find/ The girl I love.

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    L’ouvrage de Rick Coleman fourmille d’anecdotes extraordinaires, du type de celle-ci : un soir à Vegas, Roy Montrell va trouver Fats dans sa suite à l’hôtel. Fats est allongé sur son lit. Roy lui demande du cash, soit-disant pour ses enfants. Fats l’envoie promener. Montrell insiste et Fats lui rétorque : «Fuck your children !». Alors Montrell saute sur Fats et ils se bagarrent comme deux gamins. Les coups pleuvent. Fats attrape la cravate de Roy pour l’étrangler mais elle lui reste dans la main. C’est une cravate à clip. Fats la regarde et regarde Roy et là ils éclatent de rire. Et bien sûr, Roy repart avec son cash.

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    Fatsy est l’un des artistes les plus compilés de l’histoire. C’est même une horreur. Il existe des centaines de Best Of. Oui des centaines ! S’il faut en choisir un dans ce paradis des charognards, c’est forcément celle que proposait Greg Shaw en 1975 sur United Artists. Le texte qu’il consacre à Fatsy le magnifique est un modèle du genre. Il rappelle que Fats avait déjà vendu à cette époque 65 millions de disques - that’s a lot, buddy - il parle de lui en termes de flamboyance, d’exubérance, de style distinctif et de class by himself. Puis il rappelle qu’il a influencé tout le monde, de Smiley Lewis à Guitar Slim, en passant par Lloyd Price qu’il accompagne au piano sur «Lawdy Miss Clawdy». Pour le Bomp-man, Fats est avant tout un entertainer qui n’a qu’un seul but : communiquer sa joie de vivre à son public - There can be no doubt that Ftas Domino is one of the great entertainers of our era - Toujours selon lui, Fats a permis à une génération d’échapper à la médiocrité de l’ère Eisenhower - Fats was Mr. Fantasy to us - Fats pouvait rire de son obésité, il pouvait se jeter dans une rivière à cause d’un chagrin d’amour, mais il savait qu’un jour il deviendrait énorme.

    Et Greg Shaw conclut son fantastique hommage à Fatsy ainsi : The vitality of his recordings sound even stronger today. So hey Mr Fat Man, play us a song and make us all happy.

    Ce fatsyrama est bien sûr dédié au fils du Diable.

     

    Signé : Cazengler, Fats domiteux

     

    Fats Domino. Disparu le 24 octobre 2017

    Fats Domino. Rock And Rollin’ With Fats Domino. Imperial 1956

    Fats Domino. Fats Domino Rock And Rollin’. Imperial 1956

    Fats Domino. This Is Fats Domino. Imperial 1956

    Fats Domino. Here Stands Fats Domino. Imperial 1957

    Fats Domino. This Is Fats. Imperial 1957

    Fats Domino. The Fabulous Mr D. Imperial 1958

    Fats Domino. Fats Domino Swings. Imperial 1958

    Fats Domino. Let’s Play Fats Domino. Imperial 1959

    Fats Domino. A Lot Of Dominos. Imperial 1960

    Fats Domino. I Miss You So. Imperial 1961

    Fats Domino. Let The Four Winds Blow. Imperial 1961

    Fats Domino. What A Party. Imperial 1961

    Fats Domino. Twisting The Stomp. Imperial 1962

    Fats Domino. Just Domino. Imperial 1962

    Fats Domino. Walking To New Orleans. Imperial 1963

    Fats Domino. Here Comes Fats Domino. ABC Paramount 1963

    Fats Domino. Fats On Fire. ABC Paramount 1964

    Fats Domino. Fats Is Back. Reprise Records 1968

    Fats Domino. Trouble In Mind. Sunset Records 1968

    Fats Domino. Stompin’. Sunset Records 1968.

    Fats Domino. Getaway With Fats Domino. ABC Paramount 1969

    Fats Domino. Fats. Reprise Records 1970

    Fats Domino. When I’m Walking. Harmony 1970

    Fats Domino. My Blue Heaven. Pickwick Records 1971

    Fats Domino. They Call Me The Fat Man. Probe 1973

    Fats Domino. Cooking With Fats. United Artists 1973

    Fats Domino. When My Drumboat Comes Home. Pickwick 1973

    Fats Domino. Sleeping On The Job. Antagon 1979

    Fats Domino. United Artists 1975

    Rick Coleman. Blue Monday. Fats Domino And The Lost Dawn Of Rock ’n’ Roll. Da Capo Press 2006

    03 – 11 – 2017 / MONTREUIL-SOUS-6BOIS

    L'ARMONY

    CRASHBIRDS

     

    Dans le tournant les phares de la teuf-teuf explorent le bas-côté, cela ne dure qu'une seconde d'éternité, la silhouette d'un splendide renard se profile dans l'ombre, esquisse un saut dans une trouée obscure, n'en verrai pas plus, nous sommes déjà loin l'un de l'autre de cette hasardeuse rencontre fugitive, j'aime cette présence sauvage, pense à ces mises à bas successives au fond des terriers, depuis trois mille ans qui ont été nécessaires pour que cette faune se perpétue au fil des ans et des chasses, un esprit de survie et de résistance sans égal. Les bêtes sauvages se maintiennent envers et contre tout sur des territoires cernés que l'homme dévore sans faim, s'accrochent à la terre, résolues à tenir quel qu'en soit le prix. Une très belle métaphore du rock'n'roll, la dernière des musiques insoumises.

     

    BIRDS AVANT L'ENVOL

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    Nos deux oiseaux sont dans leur nid douillet, sur la scène de L'Armony, en bout de bar, surplombés d'une muraille d'une flopée de baffles noir-corbeau de mauvais augure. Devant grouille une population rock déjantée sortie des catacombes avertie par de mystérieuses antennes que ce soir le festin sera bon. Le rock'n'roll n'est jamais meilleur que quand il s'offre à votre appétit insatiable sous forme d'une charogne baudelairienne, ouverte à tous, les cuisses entrouvertes. Une banderole le proclame sans ambages Dirty Rock'n'Blues, ne venez pas vous plaindre, vous avez été avertis...

    Maître Pierre, barbichette grisonnante et sourire sardonique, sur son tabouret, de noir revêtu jusqu'à la guitare, saupoudrée de poudre de talc d'une blancheur que nul ne prétendrait innocente, les crashbox sont à ses pieds comme suppliantes agenouillées attendant le cimeterre fatal, l'est davantage cruel, s'en servira de punching balls horizontaux auxquels son pataugas droit ne cessera de méthodiquement porter des coups abrupts.

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    Reine Delphine, toute droite, sanglée de noir, debout dans ses interminables bottes à lacets s'exhaussant vers la cascade de sa chevelure de flammèches noires à lueurs rousses qui brûlent et auréolent ses épaules, l'ivoirine de sa gorge n'en paraissant que plus pâle, statue hiératique de cantatrice, s'amuse à chauffer sa voix de mille trilles volubiles, elles s'éparpillent sur l'assistance comme promesses de venins incitatifs

     

    ONIRIE SERPENTAIRE

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    Au-dessus des marécages. Le rock des Crashbirds est aussi noir que brouet spartiate. Ne contient que l'indispensable. Le son, l'énergie, la boue, le sang, le cri. Tout le reste n'existe plus. L'essentiel prend figure d'absolu. Un vol de chauve-souris maléfiques virevolte dans la cage thoracique d'un squelette de dinosaure. L'os brisé des idées ne révèle aucune substantifique moelle. L'inéluctable aux semelles de plomb est en marche. Trombe de tronches de zombies aux yeux rouges déferlent sur vous et vous accaparent. Sont deux à s'affairer dans la forge des illusions perdues. Pierre Lehoulier héphaïstocien héros des alliages inaltérables, Delphine Viane pythonisse sacrée des sentences comminatoires. Enonciations sans appels. Le monde de Crashbird est sans pitié. Nous ressemble trop pour ne pas nous trouer la tête. Des becs picorent notre matière grise, se goinfrent à même la coupelle de notre boîte crânienne. Chacun d'eux, perchés sur une de nos épaules, ne peuvent se regarder sans échanger un long regard de satisfaction carnassière. Ne se rappellent ni du passé, ni du futur. Notre présent, pas davantage que notre présence, dans les rets qu'ils nous ont tendus. Les oisillons facétieux aiment à rire, ce sont les pires.

     

    TWO SETS

    Commencent à l'heure. Ne prendront qu'une très courte pose, dix minutes montre en main, pour revenir au chagrin. Au charbon. A la coalescence noire de la pierre lehouilleuse, à l'ardoise ardente, à la braise abrasive du piétinement rythmique. Au couperet sanglant des imprécations delphiques édictées par la fée viViane. Mettre Jésus en croix, dès le premier morceaux – Serge Pey ne débutait-il pas pas sa présentation du poète vietnamien Pham Cong Thien par un appel à tuer le Buddah – rythmique lourde et chant clair.

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    Le blues en tant qu'hypnose – hygnôse – collective, dans l'assistance les corps s'entremêlent et glissent comme serpents dans le nœud coulant des nids de l'éros. Froissement de tôles et longues virées sur l'autoroute des reptiles. Le rock est une liturgie rampante.

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    Chant du coq de Delphine par trois fois. Dirty, saloperie blanche en ballade au bout de la nuit noire. Titres identiques caïmans gueules ouvertes qui vous tirent par les pieds dans les repaires interdits. Entrer dans la bête, en prendre possession. Chaman. Puissance bestiale. L'électricité comme tatouage hiéroglyphique sur les séquences immémoriales des souvenirs enfouis dans la vase du vécu. Sarcophages plombés qui remontent à la surface des eaux. L'intérieur du coffret n'est que l'image de l'extérieur. Delphine voodoo récite le chant séculaire et Pierre gardien du seuil veille à l'ouverture des portes. Les dieux lovecraftiens remontent à la surface de la terre et zigzaguent sur les pelouses ordonnées des hommes pleutres.

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    Manier le chant comme sabre de cavalerie, mille sabots de chevaux furieux arpentent les crashbox, de la guitare s'échappe le coulis juteux des armoiries perdues. La déesse blanche aux cheveux de feu récite l'accomplissement des chants prophétiques. Pierre distribue les petits gâteaux de l'humour fourbe. Open bar, les rêves et les cauchemars en libre-accès. Les Crashbirds ne mégotent pas sur la quantité. Ni sur la qualité. Les continents des certitudes intérieures s'effondrent. Le rock est un acide qui dissout les scories de la vie. Vous dénude jusqu'à l'os. Le micro-cosme de Delphine s'identifie au macro-cosmique des étoiles. Le chant de l'univers pleut. Il est l'onde gravitionnelle qui nous embourbe dans tous les marasmes du désastre. Nous voici gangue de terre. Les friselis de la guitare de Pierre se fichent en notre présence tubéreuse de poupées vaudou. Nous voici transformés en marionnettes existentielles. Vouées au seul culte de nos errements les plus grossiers. C'est ainsi que nous ouvrons nos yeux d'aveugles dans les pénombres insondables. Le chant nous guide et la guitare nous perd. Eurydice remonte nos ombres à la surface de la terre, nos pas cheminent sur un sentier de rock et de Pierre. Nous sommes perdus. Définitivement. Parfois le blues se fait sortilège. Parfois le rock se fait poème. Parfois nous retrouvons les empreintes de nos propres pas, nous comprenons alors que les signes laissés par des pattes d'oiseaux sont autant d'énigmes à déchiffrer. Il ne reste plus qu'à remonter le papyrus sacré. Le voyage au pays de la mort se termine.

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    Au fond du bar Farid, signale qu'il est l'heure de mettre un terme à ces longues dérives de guitares folles, il agite les bras comme pour l'appontement des bombardiers sur le porte-avions dans les films de guerre. La part-house métaphysique du rock'n'roll s'achève. Nous revenons d'une étrange migration dans le sillage des Crashbirds. Le rituel initiatique est achevé. La fausse vie peut reprendre son cours indigeste. L'on s'en moque. Les Crashbirds nous ont entrouvert durant près de trois heures les portes de corne et d'ivoire chères à Gérard de Nerval. Le rock comme exploration des cavités secrètes. Les trous du gruyère de l'existence grignotée par les souris des computeurs qui corrompent notre rapport au monde. Pierre passeur karonique, Delphine vestale des empires perdus. Le feu du blues couve sur la cendre de nos mondes détruits. Les Crashbirds sont des rares qui savent encore raviver la flamme. Apprenez à lire les augures. Le vol des oiseaux qui crashent le dirty rock'n'blues nous sont signes envoyés par les dieux enfuis.

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    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Pierre Lerendu )

     

    DEAD CITY / CRASHBIRDS

     

    Delphine Viane : vocals, guitar, drum / Pierre Lehoulier : lead guitar, and double, crashbox.

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    Le quatrième CD des Crashbirds en cours d'élaboration se nommera European Slaves. Un titre des plus réalistes quant à l'appréciation de notre monde. En attendant l'imminence de sa sortie, penchons-nous sur le deuxième paru en 2015 que n'avions pas encore chroniqué. Pour les amateurs, l'existe aussi en 33 tours, ce qui permet de mieux profiter de la couverture dû au talent de Pierre Lehoulier qui sévit aussi dans la bande-dessinée. Pas vraiment une image pieuse. L'on pourrait l'intituler : les poubelles de l'histoire. Seul ennui et manque de chance, c'est sur nous que se referme le couvercle. Les Crashbirds annoncent la couleur peu glorieuse de notre avenir : glaireuse. Désolé de vous l'apprendre, nous sommes cuits cuits rock'n'roll ! Une consolation tout de même, la galette nous offre neuf titres originaux qui forment la colonne vertébrale des concerts des vilains petits oiseaux. Dénonçons tout de même la perfidie pierreuse de M. Lehoulier qui n'a pas, à seule insidieuse fin de vous soumettre à une odieuse manipulation mentale, hésité à rajouter sur son dessin une voiture de police - tout le monde la déteste - juste pour exciter votre hargne et vous mettre en situation d'écoute maximalement appropriée.

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    Dead City : mine de rien, le rock c'est comme le théâtre, faut d'abord poser le décor. Les Crashbirds ont l'art et la manière de le planter à la mode de chez nous. Violemment rock. Un klaxon de guitare qui se prolonge, le riff enfle et grossit. Delphine débarque dans cette fureur comme une déesse du walhalla en manque de chant de bataille. La guitare se gorge de cadavres. Parfois elle s'arrête brusquement comme devant un amoncellement de corps sanglants. Pour repartir aussitôt. Nous sommes rassurés. Someone to hate : rythmique presque guillerette. Avez-vous remarqué comme les plus horribles récits proférés avec un sourire en deviennent attachants ? Z'avez l'impression grisante de chevaucher dans les plaines asiatiques avec les hordes d'Attila. Les chardons de la haine poussent dans votre cœur. Ailleurs l'herbe ne sera jamais plus verte. ( précision pour les amateurs des chansons d'amour, durant le spectacle nous ont aussi interprété une deuxième douce romance Someone to kill. ) The midnight prowler : si le promeneur de minuit déambule près de chez vous, calfeutrez-vous at home. L'a la démarche inquiétante, lourde et appuyée comme un blues de la mort. La guitare se consume lentement, et la voix de Delphine est une torche inhumaine qu'elle brandit comme une arme blanche rouge de sang dans les rues désertées. The lions : posez un regard froid sur la réalité brûlante, clame Delphine, soyez lions nietzschéens qui vous croquent les fantômes des idéologies nauséabondes chaque matin au petit déjeuner. La guitare de Pierre comme crocs cruels qui s'enfoncent dans le stuc des fausses pensées incapacitantes. Beau carnage. Âmes couardes abstenez-vous de descendre dans l'arène. No fun for punk : pas très pink pour les punks. La guitare fait du ping-pong avec leurs volitions. La voix de Delphine est la balle qui rebondit sur les murs. Un boulet de canon qui détruit les illusions fantômales de vos représentations. Aucune de vos protections mentales n'y résistera. Crétins : vraiment méchants. Delphine vocifère et Pierre vous concasse au riff de pierre anguleuse. Enfouissez-vous au plus profond et laissez passer le rouleau compresseur. Désolé s'ils emploient le marteau-piqueur pour vous déloger de votre trousse à frousse. Personne ne peut vous aider. No left no rigths : Delphine s'amuse avec un battoir, faut bien vous enfoncer dans la tête que votre présence au monde est une erreur monstrueuse. Elle pousse le cri de la tarentule géante qui se jette sur sa proie. Derrière Pierre exulte, vous construit une symphonie de riffs, un oratorio de déchetterie humaine. Blood : carmagnole sanglante. Au début ça goutège, Delphine a le blues rouge, la guitare clapote, la crashbox patauge, l'inondation se propage et engloutit le monde. Inutile de savoir nager, le flot lent exerce une succion qui vous engloutit doucement mais sûrement. L'abîme est sans fond. Once upon a time : il se fait tard, Papa Pierre et Maman Delphine vont vous lire une histoire pour que vos cauchemars soient encore plus destructifs, la guitare décrit des arabesques digne des mille et une nuits de l'horreur sans fin, Delphine préfère se taire, se contente de tambouriner des perfidies, bonne nuit les petits, les ogres affamés quittent leurs cercueils, des cris de goule retentissent au fond des cimetières.

     

    Ceci n'est pas un disque. Juste un chef d'oeuvre. A ne pas mettre dans toutes les oreilles. Idéal si vous caressez l'ambition de devenir serial-killer.

    Damie Chad.

     

    TROYES - 04 / 11 / 2017

    LE 3 B

    TONY MARLOW

    , FATS DOMINO, CRASHBIRDS, TONY MARLOW, MA RAINEY, BESSIE SMITH

    Tony Marlow, l'ultime pionnier du rock français. Certes l'est né quinze ans après la première vague, mais l'a tant œuvré pour la renaissance rockabilly en notre pays depuis les années quatre-vingts que nous lui devons une fière chandelle. Des Rockin'Rebels à Betty Boops, des Bandits Manchot à Jamy and The Rockin Trio, de Tony Marlow's Guitar Party à K'ptain Kidd, l'a été partout, de tous les mauvais coups, derrière la batterie, guitare en avant, au micro, en anglais, en français, en corse, mais aussi aux manettes des six volumes de l'anthologie Rockers Kulture parus sur Rock Paradise de Patrick Renassia qui présenta entre 2010 et 2015 plus de cent trente groupes rockabilly, sans oublier le superbe numéro spécial Rock'n'Roll Guitare Héros de Jukebox Magazine ( H.S. N° 37 / Avril 2017 ) qui regroupe ses doctes études consacrées aux plus grands guitaristes du rock des années cinquante et soixante. Un numéro indispensable pour tout amateur des pionniers. Un activiste rock infatigable, toujours sur la brèche. Bref vous comprenez pourquoi la teuf-teuf fonce vers la bonne ville de Troyes, au 3 B de dame Béatrice Berlot, qui a son habitude nous a mijoté une de ces p'tains de soirées dont elle a le secret. Salle pleine encore une fois.

     

    LE COUP DU TOMBEAU ETRUSQUE

    Je vous vois venir avec vos yeux en soucoupes de tasses à café. Vous êtes de ces damnés ignorants qui n'entrevoyez aucune liaison entre un tombeau étrusque et un show de Tony Marlow. A moins que vous ne soyez un adepte du Thriller. Non, pas Mickhael Jackson, une fausse piste, restons s'il vous plaît entre gens de bonne compagnie. Je fais allusion au genre littéraire du même nom. Notamment à ce Mystère du Tombeau Etrusque dû à l'imaginative plume du grand écrivain américain Damie Chadie. Je suis bon prince : je vous explique : page 15, sur votre gauche, dans votre livre, 2300 ans avant Jésus-Christ, la jeune et innocente Drusilla pénètre fort imprudemment dans ce fameux tombeau étrusque dont la porte entrouverte ressemble à une tentante invitation. Accompagnons dans sa descente des degrés morbides notre jeune ( sweet little sixteen aurait écrit Chuck Berry ) imprudente, sa silhouette gracile, ses longs cheveux blonds qui tombent sur ses épaules, la naïveté de son regard, son jeune sein qui palpite sous la mince tunique de lin blanc, et cette ombre derrière elle qui se dessine sur la muraille, et cette main squelettique qui surgit du néant et se referme sur son cou... 18 heures. Remettez-vous, ne vous laissez pas submerger par l'émotion, nous sommes maintenant sur la page de droite, folio 16, juste au début du deuxième chapitre, à New York, le six juillet 2017, et l'agent du FBI John Powys s'apprête à quitter le commissariat. L'a prévu d'inviter sa femme au restaurant pour fêter leur dixième anniversaire de mariage, le téléphone sonne, son chef l'appelle, un clochard vient de se faire assassiner dans la 118° rue... Si vous possédez les codes littéraires nécessaires ou un esprit rompu aux arcanes du roman policier vous avez compris qu'entre la mort de Drusilla vieille de 23 siècles et le crime de ce SDF de la 118° rue il existe un rapport. Mystérieux. Et même que l'avenir de l'espèce humaine est entre les mains de ce modeste sous-fifre du FBI engagé dans une haletante course contre la mort, ma foi bien mal partie pour notre agent... Evidemment si vous vous rangez dans la frange des GSH ( Génie Supérieurs de l'Humanité ) vous êtes doué d'un cerveau hors-pair et vous avez saisi intuitivement le rapport entre ce maudit Tombeau Etrusque. Et Tony Marlow.

     

    CONCERT

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    Oui, j'ai le regret de le dire Tony Marlow use et abuse du coup du tombeau étrusque. C'est même sa spécialité. Possède deux complices. Pas beaucoup, mais suffisants. Des orfèvres.

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    Auréole de cheveux blancs sur chemise country noire impeccable, derrière sa batterie, Fred Kolinski ressemble à Dieu le père sur son nuage. Un redoutable, la baguette aux aguets, connait le répertoire par coeur et le chantonne silencieusement tout le long du set.

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    Christian Méliès est à la basse. Electrique. Les puristes rockab en restent dubitatifs, n'a même pas une contrebasse, c'est quoi ce scandale ! Sûr que c'est scandaleux, car sa vulgaire basse électrique il vous la fait swinguer comme celle de Charlie Mingus. De Ray Campi si vous préférez. Mais il a la pulsation noire qui jazze en douceur et profondeur. Propulse des notes élastiques qui se font la courte-échelle et se lancent dans des roulades acrobatiques. Autant l'affirmer sans tarder, ces deux-là jouent tout en finesse.

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    Z'avez l'impression d'assister à un dessin animé musical, les notes fusent de partout, courent dans tous les sens, s'éparpillent comme torrents de billes et hop reviennent se ranger tout en ordre dès que Fred bat le rappel sur son tambour. Généralement un coup lui suffit. L'en rajoute parfois un second pour ne pas trop sidérer l'assistance de ces immobilités stupéfiantes, mais jamais trois, nul besoin d'exagérer, on n'outrepasse pas la mesure. Cela ne se fait pas. Vous avez le canevas de base. C'est là-dessus que Tony nous fait le truc étrusque. Plus fort qu'un turc. Regardez-bien, voilà c'est fini. Vous n'avez rien vu. Normal, c'est diabolique. C'est irritant Marlow. Vous donne l'impression de jouer en play-back. Ce n'est pas le cas, toute l'assistance peut en témoigner. D'abord il vous passe un riff. Comme vous votre chemise du dimanche. D'accord la sienne est propre et la vôtre sale. Vous le répète trois ou quatre fois, et puis vous avez le deuxième guitariste qui le reprend à la tierce ou à la quarte. Un peu plus haut, un peu plus bas. Souvent avec des ajouts de chrome flamboyant. Vous avez trouvé l'erreur. Sur le plateau, il n'y a pas de deuxième guitar-héros, c'est Marlow qui fait tout le boulot. Vous propulse de la page quinze à la seize, sans que vous l'ayez vu bouger le moindre petit doigt. Idem pour les pédales, les dédaigne. Un magicien. Un guitariste hors-pair. Et hors-paire puisque il est sans alter égo. En plus il joue à tombeau (étrusque ) ouvert. Grosse cylindrée. Le son file à l'horizon, s'éloigne à tout berzingue et le voici qui enfle revient sur vous sans crier gare. Tant pis si la loco vous écrase. Ce ne sont pas les deux autres lascars qui vont baisser les barrières. Sont plutôt du genre à jongler avec les aiguillages et à déprogrammer les ordinateurs de bord. On ne s'ennuie pas à bord de la Marlow shuffle, l'on ne sait jamais sur quel rail on roule, mais l'on arrive à bon port à la seconde près. De toutes les manières l'on ne s'arrête pas. Ça c'est de la rythmique ! Des accompagnateurs de génie. Entendez par là qu'ils ne se contentent pas de suivre. Ont leurs chemins de traverse. Pas du genre à rater le rendez-vous du dernier crossroad. Mais quand il y arrivent le diable n'a plus rien à leur apprendre.

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    Tony, la guitare connaît ça sur le bout des phalanges, alors il rajoute une dernière couche, le chant. Parfaitement bilingue. Passe de l'anglais à la langue de Voltaire sans effort. Pas la même modulation, pas les mêmes inflexions, jusqu'à la manière d'ouvrir la bouche qui est différente – plus ronde chez les englishes, plus plate chez les mangeurs de grenouille – Tony s'en moque, le rock n'a qu'un seul idiome, celui du phrasé énergiciel, et puis ce jeu intonatif qui mime les situations, la langue ( pas le langage sujet d'étude des ennuyeux linguistes, mais la baveuse avec laquelle vous titillez celle de votre voisine ) est la marionnette expressive du rock'n'roll, Marlow raffole de ces jeux de rôle, c'est la propulsion beaucoup plus que la signification du mot qui décrit et raconte. Tony puise à pleine main chez les pionniers, Cochran, Vincent, Perkins, Taylor, et les français Hallyday, Moustique, Vivtor Leed, et dans son propre répertoire, toute une galaxie, mais ce qui compte c'est que tout est prétexte à faire chanter sa guitare. Même couché par terre sous les hurlements du public, Tony imperturbable, sourire aux lèvres, passe ses accords, même quand un fan le tire par les pieds – je suppose pour l'emmener chez lui et le garder rien que pour lui – trois sets impeccables d'un bout à l'autre, le savoir-faire, le style, la classe, Tony Marlow nous a bluffés. Grand. Très grand.

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    Que voulez-vous, le tombeau étrusque n'est pas étriqué !

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot et Fabien Hubert DjRockin Cats )

     

    SURBOUM GUITARE / TONY MARLOW

     

    Tony Marlow : guitare, batterie, chant / Gilles Tournon : basse, contrebasse.

    Pochette: Eric Martin.

     

    Rock Paradise / RPRCD 43

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    Pour les amateurs de rock français, si décrié par beaucoup. A croire que nul ne reste longtemps prophète en son pays... ce qui est sûr c'est que sans Johnny Hallyday, Moustique, et tous les autres qui ont introduit le rock en France, nous serions restés durant des lustres terre réfractaire et de désolation rock.

     

    Les guitares jouent : commence fort Tony, un titre de Johnny Hallyday pour ouvrir le bal des maudits. A l'époque ( 1964 ) Phillips l'avait couplé avec Bonne Chance sur le super-quarante-cinq tours de la quinzième série. C'était une reprise du Surfin' Hootenanny du guitariste Al Casey – produit par Lee Hazelwood, pour la guitare Johnny avait Joey Greco, l'a dû rajouter sa voix mâle au premier plan parce que Lee et Al en avaient abandonné le traitement à des choeurs féminins. C'était la grande époque des groupes de filles, Shirelles, Crystals, sur lesquels Phil Spector s'essayait aux premières pierres cyclopéennes de son wall of sound, l'arrive à produire un son de guitare plus ample que les originaux, surfin' avec fioritures cochranesques en clin d'oeil, Une accentuation en début qui rappelle davantage la souplesse du phrasé de Dick Rivers, que la hargne juvénile de Johnny. RDV au Ace Café : encore un mythe du rock'n'roll, anglais cette fois-ci, une évocation instrumentale de l'Ace Café lieu de ralliement de tous les rockers. Au temps des motos Triumphantes. Passionné de moto Tony y a d'ailleurs consacré en 2011 un vingt-cinq centimètres See You At The Ace en 201à cette vénérable institution rock, il y donne d'ailleurs un récital ce 11 novembre 2017. Cet original est une petite merveille. Vous y apprécierez autant le jeu de guitare que de la batterie. Cordes d'or et rythmique de platine. Rien ne ressemble plus à un instrumental qu'un instrumental, Tony parvient à être imaginatif. Vous embarque dans une virée pleine de surprises. Vous surprend à chaque motif de broderie. Points de précision et grandes claques d'ourlets sauvages. Remarquez que derrière Gilles Tournon ne lui laisse pas une seconde, lui tire la bourre à mort. L'ai remis une cinquantaine de fois à la suite sans avoir épuisé mon plaisir. Tu me quittes : extrait des Rocks les plus Terribles de Johnny qui reste le grand album ( pour ne pas dire le seul, le Vince... ! de 1965 étant hors-concours et préfigurant une autre époque) de la première période du rock français. Reprise de Presley et d'Arthur Crudup avec Joey Greco à la guitare. La version de Tony est moins électrique que Johnny, davantage électrifiée que Crudup, très éloignée du vocal traînant d'Elvis, l'utilise différents niveaux de jeu de guitare, alterne les sonorités et les styles avec ce grand art de ne jamais paraître décousu. Donne l'impression du poisson qui par-dessous s'en vient gober l'insecte qui s'est imprudemment posé de l'eau, surgit là où on l'attend le moins. Gilles Tournon clôture comme il a commencé, impérialement. Quand Cliff Gallope : l'on s'attendait à un instrumental pour ce titre hommagial. Evocation de Gene Vincent sur le premier couplet, l'oreille aguerrie des rockers a tout de même reconnu les syncopes de Cliff Gallup dès les premières mesures. Attention Tony Marlow ne se contente pas de citer les terribles zébrures de Cliff. Réinterprète à sa propre manière, rajoute sa sauce personnelle, une musicalité différente, un subtil mélange inédit aux fragrances jazz – Cliff provenait de là - et sixties – Cliff a refusé d'entrer dans la terre promise après en avoir tracé le chemin - qui fait toute la différence. Pour la batterie ne court pas après les feulements inimitables de Dickie Harrell, l'est plus sec et plus directif. Percussif et persuasif. Boogie furieux : instrumental, la guitare qui broute et qui sonne, tour à tour et sans fin, l'on appelle cela une démonstration, à chaque tour de piste, plus beau, plus fort, plus rapide. Tony excelle à ce jeu du surpassement incessant. Au rythme et au blues : Johnny décidément à l'honneur, encore un extrait de Les Rocks les plus Terribles, la reprise de Roll over Beethoven de Chuck Berry. Une adaptation plus fidèle au jeu de Joey Greco. L'est vrai que Joey ne se démarquait guère de Chuck Berry qui reste un peu l'influence préférée de Tony. Le swing du Tennessee : Victor Leed ralluma la flamme du rock français dès la fin des seventies. Fut un pionnier de l'explosion rockabilly qui précéda par chez nous l'engouement pour les Stray Cats. Commença comme Tony à la batterie. Ses premières apparitions publiques orientèrent bien des jeunes vers cette musique. Tony reprend donc ce Swing du Tennessee qui pour l'esprit des paroles n'est pas loin du Cow-boy d'Aubervilliers de Michel Mallory qui fut parolier de Johnny. Bel hommage à Victor disparu en 1993. Guitare claire et voix claire. Tony évite le piège de ce semblant d'accent américain qui revient en filigrane de temps en temps dans le vocal de Victor Leed. Reste fidèle à l'original, même si l'accompagnement un peu moins roots carillonne agréablement. Une invitation évocatoire à réécouter, voire à découvrir, Victor Leed dont le souvenir s'estompe... Et la fuzz fut : instrumental : la joie du rock dans toute sa splendeur, les cats adoptent la démarche idoine, celle qui attire le regard des filles. Ecoutez, vous en miaulerez de plaisir. Ronron de satisfaction finale assuré. Le monde est peuplé de souris. Juste sur terre pour être croquées. Le guitar show : Le Movie Mag de Carl Perkins, certains imbéciles le traitent de second couteau du rockabilly, mais il reste le pionnier des connaisseurs. Tony dote ce bijou précieux d'une armature d'or qui à mon humble avis surcharge un peu trop l'agate rustique, l'armature fragile de fer blanc de Carl me manque. Maintenant l'a bien ciselé son ouvrage Tony. Tequila, twist et Cucaracha : de ces morceaux que Charlie Rich jouait dans les bars de la middle class country dans le long passage à vide de sa carrière. Les senoritas ont beau onduler du derrière, Tony Marlow rend la tristesse sous-jacente de bien des titres de Charlie Rich. Rien n'y fait, ni les cris, ni la danse, ni la l'amour, le cafard veille. Plus près du blues qu'il n'y paraît. Jerk & twang : instrumental : c'est sur les rythmes pénardos qu'il est bon de montrer tout ce que l'on sait faire pour ne pas endormir le rocker. Tony connaît l'art de tirer sur l'élastique des culottes au-delà de ses limites et de le relâcher pour qu'il s'en vienne émoustiller la peau des belles croupes. Je suis comme ça : un petit Moustique vous tiendrait éveiller un régiment de rockers toute la nuit. Tony nous en apporte la preuve en réinterprétant ce classique du rock français. Piqûre venimeuse. Chykungunya rock. Un bel hommage à ce pionnier des plus authentiques du rock parisien. Même les rockers ont le blues : toujours un zeste de nostalgie dans le rock'n'roll. Laissez la guitare, la voix de Tony suffit à vous distiller cette impuissance de vivre qui nous assaille trop souvent. Une petite merveille vocale. Ne pas en abuser. Certaines chansonnettes sont de véritables invitations au suicide. Pas très grave quand on se rappelle que les guitares jouent sur la piste un.

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    Disque d'une richesse inépuisable. Tony tire dans tous les azimuts du rock français. Un CD qui fera la joie des connaisseurs mais qui permettra aux néophytes d'aborder un continent trop souvent inexploré.

    Damie Chad.

     

    BLUES ET FEMINISME NOIR ( II )

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    Chose promise, chose due. Voici donc la kro sur le CD qui accompagne le book d'Agela Davis. Zavaient bien présenté le bouquin pour les trente ans des éditions Libertalia. On a eu droit à un mini-concert, pédagogique certes mais certainement plus agréable à écouter qu'un exposé en quatorze points. Julien Bordier explique en quelques mots la thématique principale d'un morceau, nous en lit sa traduction et laisse place à Karim Duberne qui nous l'interprète au cromi et à la guitare. L'a une belle voix Karim Duberne, mais son interprétation résonne beaucoup plus country que blues. Pas du tout désagréable mais un peu gênant pour ceux qui entendent pour la première fois du early blues comme l'une de mes voisines... Le CD, sommairement emballé dans une pochette plastique transparente cachée et protégée par le large rabat de la couverture, ne bénéficie que d'une esthétique particulièrement hideuse, l'on eût préféré une mince pochette cartonnée avec la date d'enregistrement des morceaux et si possible le nom des musiciens ayant participé aux séances.

     

    MA RAINEY

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    Entre décembre 1923 et octobre 1928 Ma Rainey a enregistré quatre-vingt quatorze morceaux. Vingt titres ont depuis bénéficié de l'édition de prises alternatives et ont été rajoutés depuis ( voir Ma Rainey. Mother of the Blues. 5-CD box set. JSP Records JSP7793 en 1979 et Ma Rainey. Complete Recorded Works in Chronological Order en 1986 ). Les dates que nous mentionnons sont celles des séances et non de la sortie des disques. Thomas A. Dorsey et Georgia Tom sont une seule et même personne. Leader de la formation qui accompagna sur scène et sur disque Ma Rayney, il joua aussi avec Tampa Red ce qui explique la conjonction du guitariste avec Ma Rainey. Ses compositions comme Peace on the Valley ou Precious Lord furent repris par beaucoup notamment Elvis Presley ou Johnny Cash. Le Georgia Jazz Band est aussi connu sous le nom de Wild Cats Jazz Band. Né en 1899 Georgia Tom est mort en 1993.

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    Explaining the blues : ( 1925 ) music maestro, un tapis de cuivre doux comme rousseurs d'automne, à un moment interrompu par des accords de piano qui déchirent le silence qu'ils installent, et tout repart une tonalité de clarinette qui s'enroue en s'extasiant et puis miaule en petit chat qui réclame sa coupelle de lait tiède, la voix de Ma Rainey lointaine, la prise de son semble décevante, mais tendez l'oreille, orchestre et vocal s'entrecroisent comme serpents de caducée. Prove it on the blues : ( 1928 ) with Her Tub Jug Washboard Band, la voix cette fois prime, devant bien fort, l'orchestration rampe dessous ou claironne comme musique de numéro de cirque. Grosse caisse traînée sur le plancher, l'on n'est pas loin du vaudeville, mais Ma Rainey réveille les gars et les fout au boulot plus vite que ça. Shave 'Em Dry : ( 1924 ) : deux guitaristes inconnus grattouillent à croire qu'ils se servent de jouets de gosses. Ma Rainey chante pratiquement a capella, comme une grande, magistrale. Les autres courent derrière et font juste semblant de se donner une contenance. Traveling Blues : ( 1928) le Tub Jug Washboard Band se tortille en intro, Ma vous chante le blues comme vous videz votre revolver sur le précepteur, avec ce sourire narquois qui vous va si bien. En contre-chant une cruche asthmatique souligne son insuffisance. See See Rider Blues : ( 1925 ) with the Georgia Jazz Band. Devant le grand Louis Armstrong Ma se fait câline, chatte de gouttière en chaleur, elle essaie le coup du charme style vamp, ne lui manque que le porte-cigarette de trente centimètres de long. Insiste un max, la voix ondule, Louis éjacule. Black Eye Blues : ( 1928 ) Tampa Red, et Dorsey au piano, duo de choc, Ma emprunte une voix de mec, pas question d'être intimidée par ces cadors, met les points sur les I, et eux y vont en douceur, se calquant sur la moindre inflexion de sa voix. Guitare de Tampa aussi acérée qu'un rasoir de maquereau. Sleep Talking Blues : ( 1928 ) On prend les mêmes et on recommence, guitare aigüe, piano tapotant et Ma qui se la joue lyrique et pédagogique, vous balance de telles bassines d'eau sale de blues sur la trogne que vous ne vous en relevez pas. Ma Rainey's Black Bottom : ( 1927 ) her Georgia Jazz band, scène de film, Ma la pochtronne titube dans la rue, vagit comme la bouche de l'enfer, elle assure et elle assume. Souveraine, vous avez un trombone qui stroumphe à chaque pas, comédie humaine. Booze And Blues : ( 1924 ) her Georgia Jazz band. Rien ne vaut une bonne biture bien chaloupée. L'orchestre reprend en choeur. Plus on est de fous, plus on a la tristesse joyeuse. Qu'importe l'ivresse puisqu'on a le flacon.

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    Pouvez essayer toutes les formations derrière elle. Ma Rainey est toujours seule dans son chant. L'on sent la bête qui n'en fait qu'à sa tête. S'obstine en elle-même, droit devant et les autres suivent comme ils peuvent. Le pire c'est que la patronne est aussi bonne fille, leur fait la charité de leur donner l'impression qu'elle fait gaffe à leurs trémolos, qu'elle les entremêle dans sa voix, qu'ils font un travail de groupe, tous ensemble. Solitude bleu-sombre.

     

    BESSIE SMITH

    , FATS DOMINO, CRASHBIRDS, TONY MARLOW, MA RAINEY, BESSIE SMITH

    I'm Wild About That Thing : ( 1929 ) : guitar : Eddie Lang, piano : Clarence Williams : tout de suite la différence, piano mutin et la grande dame s'avère être une grande artiste, sait tout faire, peut tout faire. Sur ce truc elle préfigure toutes les chanteuses qui ont suivi, cabaret, beuglant, comédie musicale, sophisticated ladies en tous genres. Preachin' The Blues : ( 1927 ) James P. Jonhson : un piano et une voix, que voulez-vous de plus ? Dans ces deux premiers morceaux l'on est beaucoup plus dans le jazz que dans le blues. Une voix parfaite qui joue à saute-moutons avec les triple-croches. James P Jonhson cabriole sur les touches.

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    Gimme A Pigfoot : ( 1934 ) : bass : Billy Taylor Sr, clarinet : Benny Goodman, guitar : Bobby Jonhson, saxophone : Leon Chu Berry, trombone : Jack Teagarden, trumpet : Frank Newton : Bessie descend la voix, la racle sur le macadam, joue la poissarde, attention dès que le piano se fait taureau, elle s'assoit entre ses cornes et lui tapote négligemment le dos et la cuivrerie rutile comme à la parade. Safety Mama : ( 1931 ) : piano Fred Lonshaw : Fred y va mollo, madame pousse la romance dans les orties de ses cordes vocales, vous prend l'accent pointu, pour mieux vous regarder de haut. Elle y réussit parfaitement. Vous êtes la carpette sur laquelle elle s'essuie les pieds. Pas contente, l'est persuadée de les avoir salis. Soft Pedal Blues : ( 1925 ) piano : Fred Longshaw, trombone : Charlie Green : les musicos n'entendent pas mettre la pédale douce sur l'intro, la miss arrive et s'adjuge la première place, doucement les gars, c'est moi la chef, la voix s'amplifie, s'alourdit et s'alanguit pour mieux monter plus haut, le trombone soupire, alors excédée elle vous expulse de ces amygdales des cris de cowboy à tétaniser un troupeau de vaches. Empty Bed Blues Part I : ( 1928 ) : piano : Isadore Meyer, trombone : Charlie Green : serait tout de même temps de passer au blues, alors elle y va franco de port mais se lève du pied gauche, I wake up this morning, le trombone de Charlie Green n'arrête pas d'aboyer et c'est parti pour un beau duo. Bizarrement c'est sur ce morceau que l'on voit tout ce qu'elle a emprunté à Ma Rainey. Empty Bed Blues Part II : ( 1928 ) : et c'est reparti comme en quatorze, mais Isadore Meyer s'en vient faire entendre son piano, Charlie ne tient pas la bougie mais un trombone, nous en donne quelques trombes claironnantes à réveiller les morts, Bessie s'en moque, Charlie peut même imiter le canard qui s'ébroue, Bessie nous aide à comprendre pourquoi la terre est blues comme une orange. Sanguine, avait oublié de préciser le poète. Back Water Blues : ( 1938 ) : piano : James P. Jonhson : trilles de pianos, le clavier en tremblote de toutes ses dents, sonne et casse comme Dame Carcasse de Carcassonne, Bessie ne l'entend pas, elle chante, pas très haut, juste ce qu'il faut pour s'enterrer tout de suite dans le raquellement de sa gorge, prononce le mot blues d'une telle manière qu'il en paraît interminable. Spider Man Blues : ( 1928 ) : sax : Abraham Wheat, piano Isadore Meyer : early in the morning, sax et trombone sursautent le réveil et Bessie rameute les fantômes de toutes les vies ravagées, cuivres en sirènes de bateaux qui quittent le port, Bessie vous prévient, ailleurs ce ne sera guère mieux.

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    Immenses toutes les deux. Une préférence pour Ma Rainey que je dirais gorgée de l'eau du Delta. Bessie a perdu cette rusticité animale, l'est une fille des villes, de celles qui ont tout compris et tout essayé. Fine mouche. Ma vous a de ces morsures de taon qui vous trouent la peau de l'âme. Me suis bien gardé de suivre les analyses sociologiques d'Angela Davies. Le blues est bien un corps à corps sexuel. Métaphysique aussi.

    Damie Chad.